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French Pages 424 [428]
CULTURALENCOUNTERS IN LATE ANTIQUITY AND THE MIDDLE AGES General Editor Yitzhak Hen, General Editor (Ben-Gurion University of the Negev) Editorial Board Angelo di Berardino (Augustinianum- Instituto Patristico, Rome) Nora Berend (University of Cambridge) Leslie Brubaker (University of Birmingham) Christoph Cluse (University of Trier) Rob Meens (University Utrecht) James Montgomery (University of Cambridge) Alan V. Murray (University of Leeds) Thomas F.X. Noble (University ofNotre Dame) Miri Rubin (University of London)
VüLUME3
DE LA DESTRUCTION A LA RESTAURATION L'idéologie du royaume d'Oviedo-Leôn (VIlle-XIe siècles) by
Thomas Deswarte
Préface de Michel Rouche
@ BREPOLS
© 2003, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium Ali rights reserved. No part of this publication may be rcproduccd, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. D/2003/009511 03 ISBN 2-503-51305-0 Printed in the EU on acid-free paper.
à Isabelle à Guillaume, Mathilde et Côme
Préface
E
n France, l'Etat a créé la nation. En Angleterre, la nation s'est créée contre l'Etat. En Espagne, la guerre a créé la nation. Dans chaque cas, du huitième au douzième siècle, trois puissances politiques sont nées à partir d'un héritage mental et d'un choc événementiel traumatisant: la chute de Rome, la perte de la Normandie ou l'effrondrement de l'Espagne wisigothique en 711-718. La création d'un peuple par la guerre est un phénomène exceptionnel qui a fait dire au plus illustre des médiévistes de la péninsule qu'il était «une énigme historique». Thomas Deswarte a voulu relever le défi et trouver les motivations profondes des chrétiens espagnols partant au combat pour récupérer la patrie tolédane perdue, celle des temps d'avant l'Islam où le pays était unifié. Les justifications et les idéaux qui ont permis et lancé cet état de guerre à répétition de 722 à 1085, le retour à Tolède, ont été diversement interprétés par 1'historiographie hispanique et européenne. On a plaqué sur le dos des caballeros asturiens des concepts anachroniques ou abstraits, tels que croisade, reconquête, guerre sainte ou guerre divine. Or l'amalgame des facteurs politiques et religieux a beau être courant au Moyen Age, l'idée de croisade est largement postérieure aux conflits hispano-andalous, puisqu'elle n'est apparue qu'après 1095. Il fallait donc considérer l'Espagne comme un fait unique. Personne ne s'était penché jusqu'ici sur ce que pouvaient penser, dire et écrire les chrétiens d' Asturie et de Castille sur leur passé, leur héritage intellectuel et religieux, sur leurs espoirs et leurs souffrances, à travers leurs chroniqueurs, leurs prédicateurs et les préambules des actes publics ou privés qui abondent dans les archives espagnoles ; sans négliger les diplômes faux, dont les longues justifications, prises à leur date de rédaction, confirment l'idéal qui anima cette guerre. Ce livre totalement neuf et original permet de sortir des sentiers battus. On lira
viii
PRÉFACE
dans les pages qui suivent comment les Asturo-Léonais, au contraire des Catalans et Aragonais, ont construit une idéologie de restauration néo-wisigothique, excluant tout ennemi, extérieur ou intérieur, y compris leurs frères dans la foi chrétienne, les Mozarabes, et peut-être même le Cid! Quant à l'Eglise asturo-léonaise, autre conservatoire des origines paléo-chrétiennes ascétiques et mystiques, elle est en plein accord avec cette guerre qualifiée, à la suite d'Augustin et d'Isidore de Séville, de juste. La translation solennelle des reliques de ce dernier à Leon en témoigne. Toutefois, cela n'a lieu que sous le signe de la repentance des péchés qui ont causé la perdida de Espana. En somme, il y a d'un côté le monde chrétien civilisé et peuplé, et de l'autre un désert aux mains des barbares païens. Mais alors, dans ce cas, dira-t-on: où se trouve l'Islam andalou? Les chrétiens espagnols en ignorent la nature. Ils n'ont pas la haine de l'autre parce qu'il est différent. Ils découvrent la réalité avec les raids destructeurs d' Al-Mansûr sur SaintJacques-de-Compostelle et ailleurs, aux alentours de l'an mille. L'hostilité devient alors, et seulement à ce moment-là, religieuse. Quant on sait que dans la version finale de la Chanson de Roland, les Sarrasins sont toujours présentés, au douzième siècle, comme des païens adorant deux idoles, Tervagant et Mahom, version populaire véhiculée par oral pendant cinq siècles, cette attitude mentale des chrétiens espagnols n'a rien de paradoxal. L'ignorance envers les croyants d'Allah correspond, négativement, à la reconnaissance émue envers la Rome impériale. Alphonse VI affirme qu'il en restaure l'Empire ! Réparation, restauration après la catastrophe, la guerre comme rétablissement de l'ordre antérieur, voilà ce qu'ils pensaient. Je ne connais, en dehors de l'Espagne, qu'un seul pays qui ait ainsi transfiguré sa patrie et su en restituer l'essence grâce au conflit: la Russie. Sa longue révolte contre les Mongols aux quinzième et seizième siècles fut du même type. En somme deux patries, deux conflits aux frontières de l'Europe. On ne saurait trop féliciter Thomas Deswarte d'avoir rendu la parole aux chrétiens asturo-léonais. Survivants d'une catastrophe, ils avaient un projet fondé sur le salut de leur héritage, un moyen, une guerre qu'ils estimaient juste. La liberté ou la mort, diront plus tard certains. A nous de comprendre sans juger. Michel Rouche Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV).
Remerciements
e livre est la version remaniée et abrégée d'une thèse de Doctorat de l'Université de Paris IV-Sorbonne, soutenue le 22 janvier 2000 devant un jury composé de Michel Balard, professeur à 1'Université de Paris 1Panthéon/Sorbonne, président, Eloy Benito Ruano, secrétaire perpétuel de la Real Academia de la Historia (Madrid), Fernando L6pez Alsina, professeur à l'Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, Michel Rouche, professeur à l'Université de Paris IV -Sorbonne, rapporteur, et Michel Zimmermann, professeur à l'Université de Versailles/Saint-Quentin. Leurs remarques et leurs encouragements, particulièrement celles de mon directeur de recherches, M. Rouche, m'ont apporté une précieuse aide dans l'élaboration de cet ouvrage. Ma gratitude va aussi à Céline Martin, Maître de Conférences à l'Université Charles De Gaulle-Lille III, Adeline Rucquoi, directeur de recherches au C.N.R.S., Patrick Henriet, Maître de Conférences à l'Université de Paris IV-Sorbonne, Philippe Josserand, Maître de Conférences à l'Université de Nantes et Jorge L6pez Quiroga, de l'Université Autonome de Madrid, pour la précision de leurs réponses à certaines de mes questions. Les discussions avec mes collègues, Martin Aurell et Philippe Sénac, professeurs à l'Université de Poitiers, ont été également fort enrichissantes. Dans la péninsule ibérique, j'ai toujours bénéficié du meilleur accueil, notamment de Monsieur le chanoine José Marques, professeur à l'Université de Porto, ainsi que de Messieurs les chanoines Henrique Cal Pardo, Amador L6pez Valcarcel et José Manuel Sutil Pérez, archivistes respectifs des cathédrales de Mondofiedo, Lugo et Astorga. Ces recherches n'auraient pu être menées à bien sans l'aide financière de la Casa de Velazquez, de l'Université de Paris IV-Sorbonne et du ministère de l'Education
C
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REMERCIEMENTS
Nationale. La mise en forme de cette étude a bénéficié des grands compétences de mon beau-père, Roger Joumeaux, et de Wolfert van Egmond, pour son travail de rédaction. Par ailleurs, je remercie Yitzhak Hen d'avoir accueilli cet ouvrage dans la collection « Cultural Encounters ». Enfin, je remercie mes parents, mes beaux-parents et tout particulièrement mon épouse Isabelle pour leur attention et leur constant soutien au long de ces années.
Abréviations
AL
Archivas Leoneses
AEM
Anuario de Estudios Medievales
AHDE
Anuario de Historia del Derecho Espanol
Albe/da
Chronique d'Albe/da, éd. et trad. par J.L. Moralejo, J. Gil Femandez et J.l. Ruiz de la Pefia, Chronica Albendensia, dans : Cr6nicas asturianas (Oviedo : Universidad de Oviedo, 1985), pp.151-188 et pp.223-263
BCP.MLugo
Boletin de la Comisi6n provincial de Hist6ricos y Artisticos de Lugo
Monumentos
BCPMOrense
Boletin de la Comisi6n provincial de Hist6ricos y Artisticos de Orense
Monumentos
BHL
Bibliotheca Hagiographica Latina Antiquae et Mediae Aetatis, 2 vols. (Bruxelles : Société des Bollandistes, 18981901)
BIDEA
Boletin del Instituto de Estudios Asturianos
BRAH
Boletin de la Real Academia de la Historia
BS
Bibliotheca Sanctorum, 14 vols. Università Lateranense, 1961-1987)
CCM
Cahiers de Civilisation Médiévale
(Rome:
Pontificia
xii
ABRÉVIATIONS
CEG
Cuadernos de Estudios Gallegos
CHE
Cuadernos de Historia de Espana
Compostellana
Historia Composte/lana, éd. par E. Falque Rey, Corpus Christianorum, continuatio medievalis 70 (Turnhout : Brepols, 1988)
DHEE
Diccionario de Historia eclesù:istica de Espana, dir. par Q. Aldea Vaquero, T. Marin Martinez et J. Vives Gatell, 5 vols. (Madrid : Instituto Enrique Fl6rez, 1972-1987)
DHGE
Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastique, 25 vols. (Paris: 1912-1995)
Diaz y Diaz
M.C. Diaz y Diaz, Index Scriptorum Latinorum Medii Aevi Hispanorum (Madrid: CSIC, 1959)
Diego Santos
F. Diego Santos, Inscripciones medievales de Asturias (Principado de Asturias, 1994)
Etymologies
Isidore de Séville, Etymologies, éd. et trad. par J. Oroz Reta et M.A. Marcos Casquero, Etimologfas, Biblioteca de Autores Cristianos 433-434, 2e éd., 2 vols. (Madrid : 1993 ; 1re éd., 1983)
Garcia Alvarez
M.R. Garcia Alvarez, 'Catalogo de documentos reales de la alta Edad Media referentes a Galicia (714-11 09)', Compostellanum 8 (1963), pp.301-375 et pp.589-650 (n° 1192); 9 (1964), pp.639-677 (n° 193-278); 10 (1965), pp.259-328 (n° 279-435); 11 (1966), pp.257-340 (n° 436613); 12 (1967), pp.255-268 et pp.581-636 (Indices).
HS
Hispania Sacra
Lucas Alvarez
M. Lucas Alvarez, El Reina de Leon en la Alta Edad Media, 8 : Cancillerias reales astur-leonesas (718-1 072) (Leon : CEISI, 1995)
MGH
Monumenta Germaniae Historica
Mozarabe754
Chronique mozarabe de 754, éd. et trad. par J.E. L6pez Pereira, Cr6nica mozarabe de 754, Textos medievales 58 (Zaragoza: Anubar, 1980)
PL
Patrologiae Cursus Completus omnium SS. Patrum, Doctorum Scriptorumque ecclesiasticorum qui ab aevo apostolico ad usque Innocentii III tempora jloruerunt :
xiii
ABRÉVIATIONS
series latina, éd. par J.P. Migne, 226 vols. (PetitMontrouge : 1844-197 4) Ovetense
Chronique d'Alphonse III-version Ovetense, éd. et trad. par J.L. Moralejo, J. Gil Femandez et J.l. Ruiz de la Pefia, Adefonsi Tertii Chronica, dans Cr6nicas asturianas (Oviedo : Universidad de Oviedo, 1985), pp.lll-149 et pp.l94-221 [Nous suivons généralement la traduction française d'Y. Bonnaz dans Les chroniques asturiennes (fin IX siècle) (Paris: CNRS, 1987)]
Prophétique
Chronique prophétique, éd. et trad. ibidem (Chronica Albendensia), pp.l81-188
Rotense
Chronique d'Alphonse III-version Rotense, éd. et trad. ibidem, pp.lll-149 et pp.l94-221
RPH
Revista Portuguesa de Historia
Sampiro
Sampiro, Chronique, éd. par J. Pérez de Urbel et A. Gonzalez Ruiz Zorrilla, dans : Historia Silense (Madrid : Escuela de Estudios Medievales, 1959), pp.l59-173
Silense
Historia Silense, éd. par J. Pérez de Urbel et A. Gonzalez Ruiz Zorrilla (Madrid : Escuela de Estudios Medievales, 1959)
Les références à la Vulgate renvoient à l'édition dirigée par Rober Weber, Biblia Sacra juxta Vulgatam versionem, 3• éd. (Stuttgart: Deutsche Bibelgesellschaft, 1983 ; 1re éd., 1969)
Introduction
'étude des idéologies dans l'Espagne du Haut Moyen Age est depuis longtemps dominée par le concept historiographique de Reconquête, qui désigne la progression chrétienne au détriment des musulmans par la guerre, le repeuplement et la mise en place de nouvelles structures d'encadrement~. Depuis un siècle, l'abondance des recherches sur ce sujet a donné naissance à plusieurs hypothèses explicatives2 • Trois historiens actuels rendent parfaitement compte de la diversité des écoles. Selon J. Ruiz de la Peîia Solar, « l'idée de restauration de l'unité perdue de l'Espagne, associée au mythe de l'héritage gothique, confère aux affrontements entre chrétiens du nord et musulmans 1' exacte signification de Reconquête [pendant les deux premiers siècles] »3 • En revanche, J.-L. Martin repousse à la fin du neuvième siècle «l'invention de la Reconquête, dans sa triple signification [défense de la Chrétienté et restauration de l'unité wisigothique, sous la direction asturo-léonaise] »4 • Quant à M. Tuliani, il estime qu'avant la seconde moitié du onzième siècle, « les expéditions militaires contre les Arabes ne furent
L
1 J.A. Maravall, El concepto de Espana en la Edad Media (Madrid : Instituto de Estudios Politicos, 1954), pp.301-302. 2
M. Gonzâlez Jiménez, 'i Re-conquista? Un estado de la cuesti6n', dans T6picos y realidades de la Edad Media, coord. par Eloy Benito Ruano, 1 (Madrid : Real Academia de la Historia, 2000), pp.155-178. 3
J.I. Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquîa asturiana (718-910)', dans El Reino de Leon en la Alta Edad Media. 3. La monarquia astur-leonesa de Pelayo a Alfonso VI, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 50 (Leon : CEISI, 1995), pp.9-127 (p.123). 4
J.L. Martîn, 'Reconquista y cruzada', Studia Zamorensia: segunda etapa 3 (1996), 215241 (222).
2
INTRODUCTION
motivées ni par un projet de libération de l'Espagne, ni par des raisons religieuses, mais par des mobiles très concrets et matériels »5 . Ces contradictions et ces différents points de vue provoquent dans la recherche actuelle une certaine confusion, dont R.A. Fletcher rend bien compte : Pouvons-nous être désormais assurés que les opérations militaires des rois asturiens et léonais furent soutenues par l'impératif moral [... ] de la 'reconquête' ? Saint Jacques fut-il étroitement associé à cet élan dans l'esprit des rois, du clergé, de la noblesse? Ces guerres eurent-elles toujours le caractère d'une 'croisade' ? [... ] Poser simplement ces questions rappelle combien peu nous savons du 'monde de la pensée' des chrétiens d'Espagne durant le Haut Moyen Age. Tenter d'y répondre demanderait un autre livre au moins aussi long que celui-ci [consacré à saint Jacques{
Une nouvelle étude de l'idéologie du royaume d'Oviedo-Leon, le plus actif dans ce conflit1 et doté d'une documentation riche et variée, s'avère donc indispensable. Ce travail veut rompre avec une partie des méthodes et des présupposés historiographiques antérieurs. La période choisie, entre l'invasion musulmane de 711 et la mort d'Alphonse VI en 11098, est suffisamment longue pour éviter les coupures chronologiques hâtives; elle offre par ailleurs l'avantage de clore ce travail sur un grand règne, qui marque à bien des égards l'aboutissement d'un processus idéologique engagé depuis longtemps. La thématique doit être aussi large que possible. En effet, la guerre ne peut constituer l'unique champ d'observation de la pensée. Certes, il s'agit d'une activité importante. Cependant, dans l'éventail des actions humaines, elle n'est qu'une conséquence d'une certaine perception de soi et de l'autre, et n'occupe qu'une place relative parmi les idéaux politiques : la guerre est pensée non pas en elle-même, mais au sein de mythes politiques plus larges. Il importe donc d'effectuer une étude globale de l'idéologie de ce royaume, c'est-àdire de l'ensemble des idées qui, constituant une doctrine, dénote une certaine vision du monde et justifient l'action; l'analyse de l'idéologie du pouvoir royal ne peut de ce fait être dissociée d'une étude plus générale de la pensée, de la psychologie asturo-léonaise. De même, afin de restituer aussi fidèlement que possible les multiples aspects de cette pensée, nous avons fait le choix d'étudier une grande pluralité de sources, principalement issues du royaume d'Oviedo-Leon et confectionnées entre 711 et 1109 : non pas seulement les chroniques et les annales, mais aussi les sources liturgiques, diplomatiques, hagiographiques, artistiques et 'auxiliaires' ~épigraphie, 5
M. Tuliani, 'La idea de Reconquista en un manuscrito de la Cr6nica general de Alfonso X el Sabio', Studia histôrica: historia medievali2 (1994), 3-23 (9). 6 R.A. Fletcher, Saint James 's Catapult: the Life and Times ofDiego Gelmirez of Santiago de Compostela (Oxford: Clarendon Press, 1984), p.296.
7
La planche 1 propose une carte de la 'Reconquête', p.13.
8
Une généalogie simplifiée des rois d'Oviedo-Leon se trouve à la planche 8, p.88.
INTRODUCTION
3
hagionymie et numismatique. Parmi ces documents, mentionnons les faux diplomatiques, qui sont à l'évidence le fruit des clercs d'Espagne eux-mêmes 9 , et non pas des clercs d'outre-Pyrénées comme l'affirment sans guère de preuves plusieurs historiens espagnols 10 , à la suite de M. Menéndez Pelayo 11 • En effet, le faux, « une fois critiqué, peut être réintégré dans sa dignité de document historique : un document, bien sûr, sur le faussaire, ses motifs, sa conception du monde et de la société, ses méthodes de travail »12 . Cette approche, qui oblige à confronter les documents entre eux, pennet alors de mettre pleinement en lumière la signification des termes, conceptuels ou factuels, et ainsi de dégager l'ensemble des interactions entre la réalité politique vécue, la réalité pensée et l'idéal. Cette attention particulière au vocabulaire nous impose de replacer chaque document historique dans le contexte de sa rédaction; afin d'éviter toute erreur d'interprétation, nous ne retenons que les sources confectionnées dans le royaume pendant la période choisie. Les sources étrangères au royaume - chrétiennes, arabes et mozarabes-, antérieures à l'invasion ou postérieures à Alphonse VI, ne sont analysées que pour leurs renseignements factuels ou dans un but comparatif. Aussi, n'étudions-nous pas en soi la documentation provenant de la Rioja, puisque cette région frontalière est dans sa plus grande partie conquise aux dixième et onzième siècles par le roi de Pampelune; elle ne passe au roi de Le6n qu'en 1076, à l'occasion du partage de ce royaume entre Sanche rer Ramirez d'Aragon et Alphonse VI. De même, l'histoire du Cid, qui concerne d'abord la zone de Valence, ne fait pas directement partie de nos préoccupations. Enfin, nous n'incluons pas dans notre corpus les sources trop tardives: la Vie de saint Alaume, venu à la cour d'Alphonse VI à la demande de la reine Constance 13 , dont le récit est rédigé entre 1201 et 1204 par Raoul, moine de la Chaise-Dieu envoyé à Burgos 14 ; la Vie et les Miracles de 9
Voir par exemple les faux que j'ai critiqués dans deux articles: 'Una nueva metr6poli en Oviedo? Dos falsas bullas del obispo Pelayo (1098/1101-1130)', dans La imagen del obispo en la Edad Media [Coloquio, Universidad de Navarra, 2001], dir. par A. Garcia de la Borbolla (Pampelune : à paraître [2003]), et 'Restaurer les évêchés et falsifier la documentation dans l'Espagne du début du XIIe siècle : la suppression du diocèse de Simancas (974) et l'église cathédrale d' Astorga', Revue Mabillon, sous presse [2004] 10
C. Sanchez Albornoz, 'Falsificaciones de Cardefia', CHE 37-38 (1963), 337-345, (345). P. Floriano Llorente, 'El testamento de Alfonso II el Casto : estudio paleografico y diplomatico', BIDEA 29 (1975), 593-617 (615-616). 11
M. Menéndez Pelayo, Historia de los heterodoxos esparwles 1 (Madrid : Libreria Cat6lica de San José, 1880), p.459. 12 O. Guyotjeannin, J. Pycke et B.-M. Tock, Diplomatique médiévale, L'Atelier du Médiéviste 2 (Turnhout: Brepols, 1994), p.368.
13 Éd. par E. Fl6rez dans : Espana Sagrada : theatro geogrâphico-hist6rico de la Iglesia de Espana 27 (Madrid: 1772), pp.841-866. 14
V. Valcarcel, 'La vita Adelelmi del monje Rodulfo', dans San Lesmes en su tiempo, dir.
4
INTRODUCTION
saint Rosende (t 977), écrits durant la seconde moitié du douzième siècle par Ordofio, moine à Celanova 15 ; et la Vita de sainte Senhorinha de Pasto 16 -moniale proche de saint Rosende -, que J.M. Andrade Cernadas date de la fin du douzième siècle 17 • En revanche, notre corpus comprend certaines sources copiées dans des monastères de la Rioja, mais initialement mises par écrit dans le royaume asturoléonais : c'est le cas des chroniques dites 'asturiennes', transmises par trois codices de cette région, Albeldensis (974/976), Emilianensis (992) et Rotensis (ca. 1000). La Chronique d'Albe/da, la Chronique prophétique et la Chronique d'Alphonse III, rédigées quasi-simultanément à la fin du neuvième siècle dans une situation politique et militaire favorable 18 , constituent ainsi les premiers véritables récits narratifs du royaume asturien, malgré l'impossibilité de prouver qu'elles se fondent à l'origine sur une« chronique perdue» de la fin du huitième siècle, dont le récit de la Chronique d'Albe/da serait le plus proche 19 : les nombreuses concordances de vocabulaire relevées entre ces chroniques depuis le règne de Pélage jusqu'à celui de Vermude 1er, peuvent tout au plus témoigner de l'utilisation de sources communes telles les annales 20 , tandis que la lettre du roi Alphonse, contenue dans la version Ovetense de la Chronique d'Alphonse III, affirme explicitement qu'il n'existe aucune chronique depuis celle d'Isidore21 .
par S. L6pez Santidriân (Burgos: Facultad de Teologia del Norte de Espafia, 1997), pp.107124 (pp.114-116). 15 Ordofio de Ce1anova, Vida y milagros de San Rosendo, éd. et trad. par M.C. Diaz y Diaz, M. Virtudes Pardo G6mez, D. Vi1arifio Pinto et J. Carro Otero, Ga1icia Hist6rica (La Corufia : Fundaci6n 'P. Barrié de la Maza', 1990), pp.44-54. 16 Portugaliae Monumenta Historica : Scriptores 1 (Lisboa : Academia Scientarum Olisiponensis, 1856), pp.46-53. BHL, no 7579-7580. 17 J.M. Andrade Cemadas, 'Lo imaginario de la muerte en la documentaci6n Gallega de los siglos IX al XI', dans Galicia en la Edad Media [Coloquio de Santiago de Compostela, 1987] (Madrid: Sociedad Espafio1a de Estudios Medievales, 1990), pp.55-65 (p.57). 18 Y. Bonnaz, Les chroniques asturiennes (fin IX siècle) (Paris: CNRS, 1987), pp.LXIVLXV. A l'édition d'Y. Bonnaz, nous préférons celle de J. Gi1 Femândez, J.L. Moralejo et J.l. Ruiz de la Pefia Solar, dans Cr6nicas asturianas (Oviedo: Universidad de Oviedo, 1985).
19 C. Sânchez Albornoz, 'i, Una cr6nica asturiana perdida ?', dans Idem, Investigaciones sobre historiografia hispana medieval (siglos VIII al XII) (Buenos Aires : Instituto de Historia de Espafia, 1967), pp.l11-160. L.A. Garcia Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', BRAH
194 (1997), 353-380 (358-359). 20 Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.LXXXIII. 21 J. Prelog, Die Chronik Alfons III: Untersuchung und kritische Edition der vier Redaktionen, Europaische Hochschulschriften 3 (Frankfurt am Main et Bem: Peter D. Lang, 1980), p.CXLV.
INTRODUCTION
5
L'intérêt accordé à l'étude sémantique du vocabulaire politique et religieux nous impose de manier avec précaution certains termes historiographiques, tels que ceux de Reconquête et de repeuplement. En effet, ces mots sont étrangers au vocabulaire de l'époque médiévale. Cette terminologie est même ignorée des historiens de l'époque moderne: au seizième siècle, Ambrosio de Morales utilise exclusivement les verbes poblar, ganar, conquistar et !omar pour désigner la progression chrétienne22 , de même que, un siècle plus tard, L.A. de Carvallo 23 et, à la fin du dix-huitième siècle, J.F. de Masdeu24 • En fait, si 'conquerir' et 'conquista' apparaissent dès le treizième siècle (dans 1'épopée du Cid et chez Gonzalo de Berceo)2 \ le verbe reconquis far n'apparaît qu'avec L. F emandez de Moratin (17 601828) tandis que le terme reconquista est signalé dans l'édition de 1817 du dictionnaire de la Real Academia de la Historid 6 • En outre, la Reconquista historiographique désigne d'abord la Guerre d'Indépendance menée contre Napoléon, comme dans cet opuscule imprimé à Mexico en 1810: Patriotismo y gloriosas empresas del Excelentisimo Senor Marques de la Romana en la Reconquista del Reyno de Galicia. Le terme ne prend son sens historiographique actuel que dans la littérature des décennies suivantes, par exemple dans l'Embajada de Moras y Cristianos sobre la Reconquista de Espana que en obsequio de su patron S. Jorge celebra la villa de Alcay el dia 23 de Abri! de cada ano (1838), petite pièce sur la« Reconquête» jouée chaque année à Alcoy en l'honneur de saint Georges27 • A partir du milieu du dixneuvième siècle, il commence à appartenir au vocabulaire historique, avec notamment le Memorial de las vicisitudes de A/meria [. ..] desde la reconquista de 1490, publié par M.J. de Toro en 184928 • Pourtant, son usage demeure limité dans l'Historia Eclesùistica de V. de La Fuente29 comme dans l'ouvrage consacré par J. 22
A. de Morales, Coronica General de Espana 3 (Cordoue: 1586), p.l.
23
L.A. de Carvallo, Antiguedades y cosas memorables del principado de Asturias (Madrid: 1695). 24
J.F. de Masdeu, Historia critica de Espana y de la cu/tura espaf10la. 12. Espana arabe (Madrid : 1793). 25 D. Wasscrstcin, The Rise and Fa!! of the Party-Kings: Politics and Society in Islamic Spain 1002-1086 (Princeton: Princeton University Press, 1985), p.273, n.273. 26
'Querer', dans Diccionario critico etimolôgico castellano e hispanico 4, 4e éd. (Madrid : Gredos, 1989), pp.717-721, p.719: reconquistar est intégré en 1843 au dictionnaire de la Real Academia de la Historia. 27
Voir aussi jEn nombre de Dios!!! Dramas de la Reconquista espanola en el tiempo de los arabes (Barcelone : 1852). 28
Un peu plus tard, voir J. Fiter e Inglés, Jnvasiô dels arabs en la Cerdanya y reconquista d'aquesta comarca per los cristians (Barcelone: 1878). 29
V. de La Fuente, Historia Eclesiastica de Espana 3, 2e éd. (Madrid: 1873).
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INTRODUCTION
Caveda y Nava au début de la monarchie asturienne et intitulé Restauraci6n de la monarquia visigoda en el siglo Vll/30 • Il faut quasiment attendre R. Menéndez Pidal et son Espana del Cid de 1929 pour voir le concept historiographique de Reconquista s'imposer réellement: s'opposant à M. Menéndez Pelayo3 \ il considère ainsi la «vraie reconquête» comme « s'inspirant d'idéaux nationaux parfaitement clairs et régis par divers principes politiques »32 • Au total, le succès de ce nouveau mot participe de cette historiographie « traditionaliste, nationaliste, réformiste et radicale » de la « génération de 98 », qui, après la perte des dernières colonies espagnoles, «vise à la régénération d'une Espagne renvoyée à ses anciennes valeurs» -selon les termes de P. Henriee 3 • Comme ce mot de Reconquête ne s'impose pas a priori au médiéviste, l'opportunité ou non de son usage ne pourra être établie qu'au terme de cette étude. Simultanément, le terme anachronique de croisade, utilisé par quelques historiens pour désigner les grandes offensives chrétiennes contre les musulmans dans la péninsule3\ doit être ici banni. Encore une fois, ce choix nous paraît justifié, car la croisade se définit essentiellement par l'ordre pontifical, l'indulgence et le port de la croix; parler de croisade n'est donc possible que d'un point de vue romain et à partir de la fin du onzième siècle. En fait, bien souvent, cet enjeu terminologique recouvre un débat plus profond : peut-on qualifier la guerre de Reconquête de guerre sainte ? Pendant longtemps, les historiens espagnols ont évité l'emploi de cette expression. Tandis que J.A. Maravall parle d'une «opposition à l'infidèle, qui est formulée en termes plus ou moins proches de ceux de la croisade »3\ C. Sanchez Albornoz évoque prudemment une guerra divinal qui, sans être « une guerre sainte, telle que celle prescrite par le Coran aux musulmans », oppose les chrétiens aux « ennemis de leur Dieu »36 • 30
J. Caveda y Nava, Restauraci6n de la monarquîa visigoda en el siglo VIII, Memorias de la Academia de la Historia 9 (Madrid : Real Academia de la Historia, 1879). 31
M. Menéndez Pelayo, Antologîa de poetas liricos castellanos 2, Biblioteca clasica 149 (Madrid: Viuda de Hemando y Cia, 1891), p.IX. 32 R. Menéndez Pidal, La Espaiia del Cid 1 (Madrid: Plutarco, 1929), p.71. A la même époque, il fait son apparition en France, chez Vidal de la Blache : 'Reconquête', dans Trésor de la Langue Française: dictionnaire de la langue du XIX et du XX" siècle (1789-1960) 14 (Paris: Gallimard, 1990), p.535. 33
P. Hemiet, 'Moines envahisseurs ou moines civilisateurs? : Cluny dans l'historiographie espagnole (XIIIe-xx< siècles)', Revue Mabillon Il (2000), 135-159 (146, n.55). 34
M. Defoumeaux, Les Français en Espagne aux XI" et XII" siècles (Paris: PUF, 1949), p.l25. 35
Maravall, El concepto de Espaiia, pp.354-355.
36
C. Sanchez Albornoz, Espaiia, un enigma hist6rico, 2e éd., 4 vols. (Barcelone : Edhasa,
INTRODUCTION
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En revanche, les historiens étrangers ont vite appliqué à la Reconquête ce concept de guerre sainte. P. Rousset appelle ainsi ces guerres des « demi-croisades » ou « presque-croisades ». Mais, selon la périodisation de C. Erdmann - encore souvent suivie37 -,l'idée d'une guerre sainte, d'une croisade n'apparaît qu'à partir du milieu du onzième siècle, sous l'influence des chevaliers d'outre-Pyrénées et de la papauté; avant, la lutte peut tout au plus « parfois simuler la fausse image d'une guerre religieuse »38 • J. Flori estime lui aussi que l'assimilation de la Reconquête à une guerre sainte est le fait des papes réformateurs, essentiellement d'Urbain II ; mais il insiste sur la progressive sacralisation de la guerre et attribue au conflit à la fin du neuvième siècle un certain «caractère sacré »39 • Seul A.P. Bronisch qualifie clairement la « Reconquête » de « guerre sainte » dès le Haut Moyen Age. Or, «la question de savoir s'il est ou non possible de parler de guerre sainte à telle époque et en tel lieu est largement biaisée, car la réponse est nécessairement gouvernée par des définitions préalables qui ne font pas l'unanimité», remarque P. Henriet40 • Certains confèrent à l'expression de guerre sainte un sens restreint, technique. Selon M. Villey,« c'est la guerre menée par un pouvoir spirituel, ou tout au moins, c'est la guerre menée pour ce pouvoir, pour des intérêts religieux »41 • Dans cette lignée, J. Flori définit la guerre sainte comme une guerre « légitimée directement par Dieu, par ses saints et ses lieutenants »42 et accompagnée de «récompenses spirituelles »43 • D'autres retiennent une définition plus large, à l'instar de C. Erdmann y voyant «un combat chevaleresque au service de l'Eglise »44 • Plus récemment, A.P. Bronisch y voit un concept augustinien et la définit comme une guerre providentielle, ordonnée ou imposée par Dieu à son peuple, dans laquelle Dieu se manifeste directement et agit par l'intermédiaire du roi et de son peuple, à l'image des guerres vétéro-testamentaires45 . 1991) 1, p.364, et 2, p.311. 37
Martin, 'Reconquista y cruzada'.
38
C. Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Forschungen zur Kirchen- und Geistesgeschichte 6 (Stuttgart: W. Kohlhammer, 1935), p.90. 39
J. Flori, La guerre sainte : la formation de l'idée de croisade dans l'occident chrétien (Paris: Aubier, 2001), p.249 etpp.286-291. 40 P. Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte dans le Haut Moyen Age hispanique', Francia, 29/1 (2002), 171-220 (220). 41
M. Villey, La croisade : essai sur la formation d'une théorie juridique (Paris : J. Vrin, 1942), pp.21-22. 42
Flori, La guerre sainte, p.269.
43
J. Flori, 'L'Eglise et la guerre sainte de la 'paix de Dieu' à la 'croisade", Annales:
Economies, Sociétés, Civilisations 47 (1992), 453-466 (458-459). 44
Erdmann, Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, p.J.
45
A.P. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg (Münster: Aschendorff Verlag, 1998),
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INTRODUCTION
Pourtant, 1' expression de guerre sainte nous semble devoir être utilisée au sens strict de «guerre sanctifiante», comme le fait pour la première fois Guibert de Nogent; après avoir rappelé qu'il a toujours été juste de faire la guerre pour défendre l'Eglise, Guibert estime que la première croisade marque la naissance d'un nouveau type de combats : C'est pourquoi Dieu, de nos jours, a institué des guerres saintes, afin que l'ordre des chevaliers et le peuple qui les suit, jusqu'ici occupés à s'entretuer à l'imitation du paganisme antique, puissent y trouver un nouveau moyen d'acquérir leur salut46 Le prelium sanctum est donc bien une guerre qui sanctifie ipso facto personnellement chacun de ses protagonistes, même si cette notion demeure étrangère à la théologie de l'époque47 • En outre, ni l'expression de guerre sainte, ni même son idée n'apparaissent dans la littérature théologique antérieure à la première croisade. Cette notion est ainsi totalement étrangère à la pensée de saint Augustin. Quand, dans un sermon prononcé à l'occasion de l'anniversaire de l'inhumation d'un évêque, l'évêque d'Hippone décrit la lutte de David contre Goliath (I Sam. 17) comme une pugna Dei (I Sam. 17, 47), il n'explique pas «aussi la conception augustinienne de la guerre voulue par Dieu »48 • En fait, il comprend dans un sens exclusivement spirituel ce combat dans lequel «Dieu combat par moi ; il se sert de moi quasiment comme son vase ; il terrasse l'ennemi, il libère le peuple, il donne la gloire, non pas à nous mais à son nom » 49 ; tout homme doit donc mener durant sa vie « ce combat, cette lutte contre
pp.221-234. 46
Guibert de Nogent, Dei Gesta per Francos, éd. par R.B.C. Huygens, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis 127A (Turnhout: Brepols, 1996), § I-1, p.87: Pro sola sanctae aecclesiae tuitione consueverunt quam legitime bella tractari. At quoniam in omnium animis haec pia desivit intentio et habendi cunctorum pervasit corda libido, instituit nostro tempore prelia sancta Deus, ut ordo equestris et vulgus oberrans, qui vetustae paganitatis exemplo in mutuas versabantur cedes, novum repperirent salutis promerendae genus, ut nec funditus, electa, uti fieri assolet, monastica conversatione seu religiosa qualibet professione, seculum relinquere cogerentur, sed sub consueta licentia et habitu ex suo ipsorum officia Dei aliquatenus gratiam consequerentur. 47
J.A. Brundage, 'The pilgrimage tradition and the Holy War before the first crusade', dans Medieval canon law and the crusader (Madison : University of Wisconsin Press, 1969), pp.3-29 (p.28), reconnaît qu"aucune doctrine générale de la guerre sainte n'a été avancée'. Nous préparons une étude sur 'La 'guerre sainte' en Occident: expression et signification', dans Mélanges offerts à Michel Rouche, dir. par M. Aureil et T. Deswarte (Paris: Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, sous presse [2004]). 48 49
Contra : Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.223-224.
Augustin d'Hippone, Sermo Lambot 21, dans PL, Supplementum 2 (Paris : Garnier, 1961 ), cols. 817-821 (col. 820) : 'Pugna Dei est haec ', nisi, Deus per me pugnat; de me ipso
INTRODUCTION
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tous les vices et, surtout, contre le Prince des vices, comme contre Goliath »50 • Par ailleurs, il est impossible de parler d'une sanctification de la guerre par l'interprétation providentielle de l'histoire, les rapprochements vétéro-testamentaires dans les récits de batailles, les miracles et les rituels liturgiques qui accompagnent la vie militaire. En effet, toute la vie du chrétien est guidée par la Providence, les deux testaments (l'Ancien Testament annonçant sous forme de figures le Nouveau), la liturgie et les miracles. Ces caractéristiques, largement présentes dans la littérature narrative et doctrinale de cette époque, dénotent sûrement- P. Hemiet dit «peutêtre»- «plus que les diverses pièces d'une idéologie de 'guerre sainte' hispanique », les « éléments spécifiques » d'une « guerre nécessairement chrétienne dans une société chrétienne »51 . La guerre est d'abord envisagée durant le Haut Moyen Age sous l'angle de la légitimité. Isidore de Séville déclare ainsi que «juste est la guerre qui est faite après avertissement pour récupérer des biens ou pour repousser des ennemis »52 • Avant lui, saint Augustin avait distingué deux types de guerre juste, puisque « des hommes ont reçu mandat de tuer, soit en général par une loi juste, soit en particulier par Dieu »53 • Ainsi, dans le premier cas, la guerre est légitime si elle est entreprise par l'autorité publique, pour une bonne cause, en cas de grande nécessité et en vue de la paix, c'est-à-dire de la «tranquillité de l'ordre», tranquillitas ordinis54 • Dans le second cas, l'intervention divine légitime la guerre sans pour autant la sanctifier, contrairement à l'opinion d'A. Bronisch, qui fait de saint Augustin le premier théoricien de la guerre sainte. Dans la tradition chrétienne, la question de la légitimité est en effet totalement différente de celle de la sainteté ; un pouvoir peut quasi vase suo utitur ; ipse hostem prosternit, ipse populum liberal, ipse dat gloriam, non no bis sed nomini suo. 50
Augustin d'Hippone, Sermo Lambot 21, cols. 818-820: Hic pugna, hic conjlictus cum omnibus vitiis et maxime cum principe vitiorum, tamquam cum Go lia. 51
Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte', 220.
52
Isidore de Séville (saint), Etymologies (Etimologias), éd. et trad. par José Oroz Reta et Manuel A. Marcos Casquero, Biblioteca de Autores Cristianos 433-434, 2e éd., 2 vols., (Madrid: 1993 ; 1 e éd., 1983), §XVIII, 1, 2 : Justum bellum est quod ex praedicto geritur de rebus repetitis aut propulsandorum hostium causa. lnjustum bellum est quod de furore, non de legitima ratione initur. De quo in Republica Cicero dicit : 'Illa injusta bella sunt quae sunt sine causa suscepta. Nam extra ulciscendi aut propulsandorum hostium causa bellum geri justum nullum po test'. 53
Augustin d'Hippone, La cité de Dieu (livres I-V) et (XIX-XXI), éd. et trad. par B. Dombart e.a., Oeuvres de saint Augustin 33 et 37 (Desclée: 1959-1960), I, XXI, pp.260-263 : His igitur exceptis, quos vellex justa generaliter veZ ipse fons justitiae Deus specialiter occidi jubet, quis quis hominem vel se ipsum vel quemlibet occiderit, homicidii crimine innectitur. 54
R. Regout, La doctrine de la guerre juste de saint Augustin à nos jours d'après les théologiens et les canonistes catholiques (Paris :A. Pedone, 1935), pp.39-44.
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INTRODUCTION
être institué par Dieu sans pour autant être automatiquement saint. Commentant le Livre de Josué et plus précisément l'épisode de la prise de Haï, saint Augustin rappelle d'ailleurs très clairement qu' est sans aucun doute juste ce genre de guerre que Dieu commande, auprès duquel il n'est point d'iniquité, et qui sait ce qui doit être fait à chacun. Dans cette guerre, le chef de l'armée ou le peuple ne doit pas tant être considéré comme l'initiateur de la guerre, que comme le ministré 5 .
S'il respecte ce cadre du bellum justum, alors le soldat «peut plaire à Dieu» précise l'évêque d'Hippone 56 • En fait, c'est à Rome que la dimension religieuse de la guerre est véritablement approfondie. Les papes Jean VIII (872-882), Alexandre II (1 061-1073) et Urbain II (1 088-1 099) explicitent les mérites que le combattant peut gagner dans certaines guerres. Jean VIII affirme que la participation à certaines guerres justes permet de recevoir une indulgence, c'est-à-dire de bénéficier d'une commutation de pénitence57 • Cette indulgence est systématisée par Urbain Il lors de la prédication de la première croisade : le concile de Clermont déclare ainsi clairement qu'« à quiconque aura pris le chemin de Jérusalem en vue de libérer l'Eglise de Dieu, pourvu que ce soit par piété et non pour gagner honneur ou argent, ce voyage lui sera compté pour toute pénitence »58 ; promesse réitérée par le pape dans une lettre de 1096 aux Bolonais: «Nous remettons l'entière pénitence des péchés (paenitentiam totam peccatorum) pour ceux qui auront fait une vraie et parfaite confession »59 . Mais cette nouvelle approche de la guerre, liée au contexte des croisades, est d'origine romaine et n'apparaît que tardivement dans la Péninsule ibérique; elle échappe donc à notre analyse de l'idéologie du royaume d'Oviedo55
Augustin d'Hippone, Quaestionum in Heptateuchum libri septem, Liber VI: Quaestiones in Jesum Nave, dans PL 34, cols. 547-824, lib. VI, c. 10, col. 781 : Sed etiam hoc genus belli sine dubitatione justum est, quod Deus imperat, apud quem non est iniquitas, et novit quid cuique fieri debeat. In quo bello ductor exercitus vel ipse populus, non tam auctor belli, quam minis ter judicandus est. 56
Augustin d'Hippone, Lettre au comte Boniface, dans PL, 33 (Paris: 1845), n° 189, col. 854-857 (col. 855): Noli existimare neminem Dea placere passe, qui in armis bellicis militat. In his erat sanctus David, cui Dominus tam magnum perhibuit testimonium [. ..] In his erat et ille centurio, qui Domino dixit: Non sum dignus .... 57
Jean VIII, Registrum Johannis VIII papae, éd. parE. Caspar, dans MGH: Epistolae VIII (Berlin: Weidmann, 1912; 2e éd., 1974), no 150. 58
Concile de Clermont (1096), éd. parR. Somerville, Annuarium Historiae Conciliorum, Supplementunr 1 : The Councils of Urban II, Volume 1 : Decreta Claramontensia (Amsterdam: 1972), p.74: Quicumque pro sola devotione, non pro honoris vel pecunie adeptione, ad liberandam ecclesiam Dei Hierusalem profectus fuerit, iter illud pro omni penitentia ei reputetur. 59
Lettre d'Urbain II aux Bolonais (1096), dans Die Kreuzzugsbriefe aus den Jahren 10881100, éd. par H. Hagenmeyer (Innsbruck: 1901), no III, pp.137-138.
INTRODUCTION
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Leon. Dans la Péninsule ibérique, la doctrine de la guerre juste est a priori connue, car les ouvrages des deux pères de l'Eglise circulent largement: un exemplaire des Etymologies est conservé à la bibliothèque d'Alphonse III (Généalogie planche 8), au début du dixième siècle, ainsi que dans les monastères de San Salvador de Oviedo, de Samos, de Celanova et d'Abeliar; simultanément, la Cité de Dieu et la Correspondance de saint Augustin se trouvent respectivement dans les monastères d'Ofia et d'Abeliar60 • La question de la guerre doit donc d'abord y être envisagée dans une perspective isidorienne et augustinienne, c'est-à-dire par le biais d'une étude du pouvoir royal, principal acteur militaire. De ce fait, le caractère religieux de la guerre, considérée notamment comme une «défense de l'Eglise »61 , est indissociable du contexte politique62 • Ces deux aspects ne sont pas seulement associés 63 ; ils forment un tout dans le système mental de 1' époque. La conclusion des historiens espagnols du début du siècle, selon laquelle « le sentiment religieux et le sentiment de patrie[ ... ] s'identifient »64 , dénote une approche en un sens intéressante. La pensée asturo-léonaise semble ainsi dominée par une idéologie, que les historiens appellent néo-gothicisme ; cette « représentation selon laquelle les royaumes asturo-léonais puis castillo-léonais doivent être considérés comme les successeurs légitimes du royaume wisigothique »65 a des implications à la fois politiques et religieuses. Cette idéologie se concrétise notamment par une politique royale, dont l'ambition est de «récupérer [... ] l'unité de cette Espagne perdue et soumise »66 et de restaurer un royaume indépendant et souverain. Pour ce faire, le roi rétablit peu à peu sa souveraineté et bataille contre les ennemis naturels de ce programme, les musulmans mais aussi les rebelles. La réalisation de ce projet connaît différents rythmes, qui varient en fonction des options politiques de chaque roi et des circonstances. Nous pouvons donc distinguer 60 M.C. Diaz y Diaz, Codices visig6ticos en la monarquia leonesa, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 31 (Le6n: CEISI, 1983), pp.219-246. 61
J. Gofii Gaztambide, Historia de la Bula de la Cruzada en Espana (Vitoria : Editorial del Seminario, 1958), pp.14-42 (p.23). 62
R. Konetzke, 'Probleme der Beziehungen zwischen Islam und Christentum im spanischen Mittelalter', dans Antike und Orient im Mittelalter [Vortriige der Kolner Mediaevistentagungen, 1956-1959], dir. par Paul Wilpert, Miscellanea Medievalia 1 (Berlin: De Gruyter, 1962; 2° éd., 1971), pp.219-238 (pp.226-232). 63
Maravall, El concepto de Espana, pp.354-355.
64
Z. Garcia Villada, La iglesia desde la invasion Sarracena, en 711, hasta la toma de Toledo, en 1085, Historia eclesiastica de Espafia 3 (Madrid : Raz6n y Fe, 1936), p.178. 65 M.A. Ladero Quesada, 'Neogoticismus', dans Lexicon des Mittelalters 6 (München et Zürich: Artemis, 1993), cols. 1090-1091 (col. 1090). 66
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', p.123.
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INTRODUCTION
deux périodes dans notre étude. L'époque dite 'asturienne' commence avec la révolte de Pélage contre les musulmans et culmine sous Alphonse III, qui doit, d'après une prophétie, restaurer le royaume des Goths en 884. Après l'échec de cette prédiction, une seconde période débute avec Ordofio II : son transfert de la capitale d'Oviedo à Leon s'accompagne de choix politiques à bien des égards originaux, qui aboutissent à la restauration par Alphonse VI de l'Hispania, désormais envisagée comme un empire. Transcendant cette approche chronologique, notre recherche montre par ailleurs que le passé constitue le fondement d'une vision du monde et d'un programme politique. Il n'est pas seulement stricto sensu wisigothique, mais romano-gothique, car, aux yeux des contemporains, le royaume de Tolède ne fait que continuer Rome dans la péninsule. En outre, cette volonté de renouer avec le passé ne semble pas conçue comme une simple reconstitution archéologique; elle s'accompagne d'innovations et d'améliorations, qui s'expriment par le peuplement des territoires conquis, par un effort constant de régénération spirituelle et par une volonté de restauration, après la destruction en 711 du royaume wisigothique.
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INTRODUCTION
Planche 1. Carte de la Reconquête: La progression chrétienne (VIII 0 -XI" siècles)
étapes de la progression chrétienne - - - frontières entre les grands ensembles chrétiens
PREMIÈRE PARTIE
Le choc de 711 et la réaction néo-gothique du royaume asturien
(huitième et neuvième siècles)
Introduction à la première partie
L
'idéologie politique dans le royaume asturien fait depuis longtemps l'objet de recherches historiques. La difficulté de ce sujet tient à deux raisons : la rareté des sources avant les années 850 et le degré de fiabilité des chroniques dites asturiennes, rédigées à la fin du neuvième siècle, pendant le règne d'Alphonse III, et susceptibles de fournir des renseignements pour les deux siècles antérieurs. La plupart des historiens conservent l'approche de C. Sanchez Albornoz et étudient cette époque essentiellement à partir de ces chroniques. Ils sont d'accord pour considérer les nombreuses références au passé wisigothique qui y figurent comme le fruit d'une idéologie néo-gothique. J.A. Maravall a bien analysé cette idéologie, qui se fonde sur le« mythe de l'héritage wisigothique''; le grand historien espagnol y voit à l'origine «non l'explication d'un fait réel, mais une invention de lettrés destinée à donner un sens à une action, à une série de faits guerriers >> 1 . L'interprétation par ces historiens des termes d'« Astures" et de «Goths" se fait suivant des critères ethniques. Ainsi, selon eux, Pélage, « chef des Astures et non roi des Goths,, fonde après 711 une nouvelle monarchie, indigène2 • A. Barbero et M. Vigil 3, un moment suivis par L.A. Garcia Moreno4 , ont radicalisé cette vue: la lutte du royaume asturien continue les anciennes et fréquentes rébellions contre le 1
Maravall, El concepto de Espafia, p.320.
2
C. Sanchez Albornoz, El reina de Asturias, 2e éd. (Gij6n : Biblioteca hist6rica asturiana, 1989), pp.75-99 (p.99). 3
A. Barbero et M. Vigil, 'Sobre los origenes sociales de la Reconquista: Cantabros y Vascones desde fines del imperio romano hasta la invasion musulmana', dans Sobre los origenes sociales de la Reconquista (Barcelone: Ariel, 1974), pp.13-103. Idem, 'La organizaci6n social de los Cantabros y sus transformaciones en relaci6n con los origenes de la Reconquista', dans Ibidem, pp.141-195. 4
L.A. Garcia Moreno, 'Visigotismo y neovisigotismo en la formaci6n de los reinos hispanicos de la Reconquista (sobre los limites de la Antigüedad en la peninsula ibérica)', Quaderni Catanesi di Studi Classici e Medievali 3 (1981), 315-347 (pp.319-322).
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PREMIERE PARTIE
pouvoir central des Astures et des Cantabres, encore organisés en sociétés primitives, égalitaires et peu christianisées, restées en marge du monde romanowisigothique. Aussi, dans leur étude de l'époque asturienne, ces historiens procèdent à une épuration des chroniques, dans le but de reconstituer ce qu'ils considèrent comme la réalité authentique, indigène. « Une progressive prise de conscience va sans doute amener le royaume asturien à se poser en légitime successeur du royaume wisigothique de Tolède. Mais il naît d'abord comme le pronunciamiento d'un caudillo à la mode indigène, soulevé contre l'envahisseur du jour »5 • J.-L. Martin aboutit à une conclusion similaire, en comparant les chroniques asturiennes, dont les auteurs sont les « inventeurs » de la « Reconquête », aux textes mozarabes du huitième siècle, absolument étrangers à ces préoccupations6 • Généralement, pour connaître 1'histoire asturienne, les chercheurs admettent que la Chronique d'Albe/da et, dans une moindre mesure, la Chronique d'Alphonse 111-Rotense- hormis le récit de la révolte de Pélage - 7 , sont les moins déformées par l'idéologie néo-gothique et les plus fiables. Ainsi, l'histoire des origines du royaume d'Oviedo de C. Sanchez Albornoz retient l'essentiel des événements rapportés par ces deux chroniques 8• La Chronique d'Albe/da, ou Liber Cronice9 , est une histoire universelle, en partie d'inspiration isidorienne, qui constitue un ensemble hétérogène, formé de récits d'origine et de nature variées 10 • Après une série de petits textes tirés d'auteurs antiques, notamment une histoire des «rois romains», figure l'Ordo genlis Gotorum (Albe/da § 1 - XIV), composé à partir de l'Historia Gothorum d'Isidore de Séville et continué jusqu'au dernier roi wisigothique, Rodrigue ; il est peut-être écrit à Tolède 1\ peu de temps après 711 12 • Il est suivi de l'Ordo Gotorum 5
J. Fontaine, L'art préroman hispanique, 1, La nuit des temps 38 (Abbaye Sainte-Marie de la Pierre-Qui-Vire: Zodiaque, 1973), p.255. 6 J.L. Martin, 'Reconquista y cruzada', Studia Zamorensia: segunda etapa 3 (1996), 215241 (p.222). 7
La Chronique d'Albe/da serait la plus fiable en raison de son laconisme plus accentué: R. Collins, The Arab Conquest of Spain (710-797) (Oxford: Blackwell, 1989), pp.141-151. 8
Sanchez Albornoz, El reina de Asturias.
9
Cette chronique est copiée dans le codex Albeldensis (A), écrit par le prêtre Vigilanus entre 974 et 976 (Escorial, Biblioteca del Real Monasterio, D-1-2, f. 239r.-242r.), et dans un codex de l'abbaye San Millan de la Cogolla (E), composé à la fin du dixième siècle (Madrid, BRAH, Emilianense 39, f. 245v.-258r.). Y. Bonnaz suppose que la version du codex Aemilianensis est rédigée avant le milieu du dixième siècle, car ce manuscrit contient une liste des rois d'Oviedo-Leon allant jusqu'à la dix-neuvième année du règne de Ramire II (930-950) (Les chroniques asturiennes (fin IX" siècle) (Paris: CNRS, 1987), pp.XXIX-XX:X). 10
J. Gil Fernandez, 'Introduccion', dans Cr6nicas asturianas, éd. et trad. par José L. Moralejo, Juan Gil Fernandez et Juan 1. Ruiz de la Pefia (Oviedo : Universidad de Oviedo, 1985), pp.81-99. 11
M.C. Diaz y Diaz, 'La Historiografia hispana desde la invasion arabe hasta el afio 1000',
Introduction à la première partie
19
obetensium regum, qui va du règne de Pélage à celui d'Alphonse III(§ XV, 9-13). L.A. Garcia Moreno estime que les notices antérieures à Alphonse II (§ XV, 1-8) sont rédigées à la fin du huitième siècle 13 • Quoi qu'il en soit, la chronique, peut-être mise par écrit une première fois en 881 1\ est définitivement rédigée par un clerc de la cour royale en novembre 883, date à laquelle elle s'achève 15 • La Chronique d'Alphonse III ou Chronica Visegothorum, est une suite de biographies royales, qui imite et continue l'Historia Gothorum d'Isidore de Séville. Pour la période comprise entre le règne de Wamba et 711, elle se sert de l'Historia Wambae de Julien de Tolède et du Laterculus regum Wisigothorum; après l'invasion musulmane et jusqu'à la mort du roi Ordofio I"r en 866, elle s'inspire notamment des Annales castillanes premières 16 , annales qui furent écrites en 940/941 17 et qui sont transmises par un manuscrit de 1058 en l'honneur de Ferdinand l"r et Sancha. Cette chronique existe en deux versions : la Rotense (ou barbare) du nom de son manuscrit le plus ancien, le Codex de Roda (R) 18 , écrit au tournant des dixième et onzième siècles à Najera 19 ; l'Ovetense (ou Ad Sebastianum, ou encore érudite), transmise par un codex du seizième siècle rédigé par l'évêque d'Oviedo J.B. Pérez de Segorbe à partir d'un manuscrit en minuscule wisigothique, vraisemblablement de la Rioja20 • Les ressemblances entre ces deux versions incitent certains historiens à supposer l'existence d'une chronique primitive 21 . La Rotense, peut être commencée sous l'impulsion d'Ordofio I"r 22 , est achevée pendant les années 881/884. En effet, son auteur décale l'invasion musulmane en 2e éd., dans De Isidoro al siglo XI: ocho estudios sobre la vida literaria peninsular (Barcelone: El Albir, 1976), pp.203-234 (p.218, n.30). 12
Garcia Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', p.358.
13
Garcia Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', pp.358-359.
14
Gil Femandez, 'Introducci6n', dans Cr6nicas asturianas, pp.100-101 :cette version irait jusqu'au paragraphe XV-12 inclus. 15
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.LVII-LX.
16
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.76-77.
17
Diaz y Diaz, 'La historiografia hispana', pp.230-231 ; reg. Diaz y Diaz, no 574.
18
BRAH, cod. 78, f. 178r.-185r. Ce manuscrit se trouvait, à la fin du dix-huitième siècle, dans les archives de la cathédrale de Roda, en Aragon. 19
M.C. Diaz y Diaz, Libros y librerias en la Rioja altomedieval, Biblioteca de temas riojanos 28 (Logrofio: Diputaci6n provincial, 1979), pp.32-35. Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.VIII-IX. H. de Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, Biblioteca di Medioevo latino 18 (Spolète: Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo, 1996), pp.301323 (pp.301-303). 20
Gil Femandez, 'Introducci6n', dans Cr6nicas asturianas, pp.45-47.
21
Gil Femandez, 'Introducci6n', dans Cr6nicas asturianas, pp.61-62 et pp.l02-103.
22
Gil Femandez, 'Introducci6n', dans Cr6nicas asturianas, pp.74-75.
20
PREMIERE PARTIE
714, alors que tous les autres récits la placent en 711, afin de repousser la date de la libération de l'Espagne à l'année 884: d'après la Chronique prophétique, cette libération doit intervenir cent soixante-dix années après l'invasion, le onze novembre. Cette version est donc nécessairement comprise entre le 11 novembre 881 et le 11 novembre 884. Les historiens sont d'accord pour attribuer sa rédaction à un clerc mozarabe de l'entourage royal; Y. Bonnaz opte pour Dulcide, prêtre tolédan envoyé en mission par Alphonse III à la cour de Cordoue en 883 23 • En revanche, la Chronique d'Alphonse 111-0vetense, qui est confectionnée après la Rotense à partir des mêmes sources24 , comporterait de nombreuses retouches pour des« raisons d'ordre esthétique et littéraire, et des arrières-pensées politiques», néogothiques, par exemple en ressuscitant la charge de duc ou en transformant 1' élection de Pélage par les Astures en une élection par les Goths. Elle serait même, au dire d'Y. Bonnaz, imprégnée d'un « néo-gothisme excessif»25 . Comme elle date à nouveau l'invasion de 711, elle est certainement rédigée après l'échec de la prophétie, le 11 novembre 884 ; son terminus ante quem peut être fixé aux années 890/90026 . Elle commence par une lettre, peut-être authentique27 , dans laquelle Alphonse III annonce à un certain Sébastien qu'il va lui exposer l'histoire des Goths depuis W amba. Si C. Sanchez Albornoz interprétait au sens premier cette affirmation, Y. Bonnaz considère le roi comme« l'inspirateur et le maître d'œuvre de la chronique dans sa double version »28 ; son auteur, qu'Y. Bonnaz croit être ce Sébastien, évêque d'Orense29 , s'avère impossible à identifier. L'idéologie néo-gothique se manifesterait alors dans la politique royale à partir de l'époque d'Alphonse II et deviendrait fondamentale sous Alphonse III 30 . Selon C. Sanchez Albornoz, elle procède de l'augmentation du nombre de Wisigoths dans la population du royaume, par l'immigration de réfugiés ou par la conquête de zones peuplées de Wisigoths31 ; ainsi, la chute du royaume wisigothique « a accentué et revitalisé l'action de l'élément germanique dans la vie du peuple [asturien] »32 . O. 23
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.LIII-LV.
24
Gil Fernandez, 'Introducciôn', dans Cr6nicas asturianas, pp.76-78.
25
Gil Femandez, 'Introducciôn', dans Cr6nicas asturianas, pp.60-79. Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.XLVI-Lill (pp.L-LI). 26
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.LXIII.
27
Gil Femandez, 'Introducciôn', dans Cr6nicas asturianas, pp.50-51.
28
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.LIV.
29
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.LVI-VII et pp.l05-106, n.l.
30
Sanchez Albornoz, El reina de Asturias, pp.150-156. Maravall, El concepto de Espana, p.325. 31 32
Sanchez Albornoz, El reina de Asturias, pp.101-108.
C. Sanchez Albornoz, Espana, un enigma hist6rico, 2 vols. (Buenos Aires : Sudamericana, 1956) 1, p.l36.
Introduction à la première partie
21
Engels adopte la même chronologie : La référence au pouvoir wisigothique, qui aurait perdu seulement une bataille, mais n'aurait pas péri, ne peut s'être produite avant 757. Il pourrait revenir au roi Alphonse II le premier, d'avoir désigné [... ] le royaume asturien [... ] comme le vrai refuge de l'ordre ecclésiastique mozarabo-wisigothique [... ] Ce qui en vérité n'était rien d'autre que l'affirmation d'un petit royaume naissant contre l'occupation maure, fut transformée par le néo-gothisme en une continuation de l'espoir sorti de Tolède et en une continuité du légitime pouvoir wisigothique 33 • En revanche, A. Barbero et M. Vigil, suivis par d'autres historiens comme J. Dodds 3\ adoptent une lecture des chroniques fortement subjective: l'idéologie néogothique de ces textes reflète avant tout l'état d'esprit qui règne au moment de leur rédaction, sous Alphonse III, même s'il est certain qu'elle imprègne déjà l'Ordo Gothorum de la Chronique d'Albe/da, écrit à l'époque Alphonse IL Ainsi, dans la Chronique d'Alphonse III, cette idéologie se manifeste «par la généalogie des rois d'Oviedo, transformés en descendants de Léovigilde et Reccarède, et par la description d'un royaume asturien dans lequel les institutions politiques wisigothiques survivent». Au total, il y aurait dans ces chroniques une «contradiction entre ce que prétendent les rédacteurs [... ] et la tradition locale propre »35 • Un des rares textes restituant parfaitement la conception politique primordiale et indigène, étrangère à tout néo-gothicisme, serait le Laterculus regum Ovetensium -liste de rois allant de Pélage à l'accession au pouvoir d'Alphonse II en 791, date autour de laquelle elle est vraisemblablement rédigé à la cour royale 36 ; dans celle-ci, après l'expulsion des Goths en 711, la royauté asturienne succèderait au royaume de Tolède sans pour autant le continue2 7 . Les historiens portugais, notamment J. 33 O. Engels, 'Die Reconquista', dans Reconquista und Landesherrschafl. Studien zur Rechts- und Verfassungsgeschichte Spaniens im Mittelalter (Paderborn : 1989), pp.279-300
(p.280). 34 1. Dodds, Architecture and Ideology in Early Medieval Spain (Pennsylvania: 1990), pp.30-31. 35 A. Barbero et M. Vigil, La formaciôn del feudalismo en la pen insu la ibérica, 5e éd. (Barcelone : Critica 1991), pp.233-236 et p.243. 36
L. Barrau-Dihigo, 'Recherches sur l'histoire politique du royaume asturien (718-910). I. Les sources. II. Les faits', Revue Hispanique, 52 (1921), 5-357 (5-106). C. Sânchez Albornoz, 'i_, Una crônica asturiana perdida ?', dans Investigaciones sobre historiografia hispana medieval (sig/os VIII al XII) (Buenos Aires : Instituto de Historia de Espafia, 1967), pp.lll160. Le Laterculus figure notamment dans les Annales portugalenses veteres et la Chronique
d'fria. 37
P. David, Etudes historiques sur la Galice et le Portugal du Vf' au XII' siècle, (Lisboa : Livraria Portugalia Editora ; et Paris : Les Belles Lettres, 1947), p.317. Maravall, El concepto de Espana, p.333.
22
PREMIERE PARTIE
Mattoso, ont particulièrement approfondi cette idée d'une tradition initiale indigène, qui serait à l'origine lointaine de l'indépendance du Portugal38 ; M. Viana affirme même que la reprise de ce récit dans la seconde rédaction des Annales portugalenses en 1079, «paraît signifier un rejet conscient de ce passé [wisigothique], qui légitime la subordination implicite à l'autorité asturo-léonaise », et vise à cautionner la revendication d'autonomie du nouveau pouvoir politique portugais 39 • Aussi, «nous devons en déduire que le royaume asturien primitif n'avait pas l'intention de recouvrer son héritage wisigothique» déclare A. Isla Frez ; «un nouveau royaume fut en fait établi pour un nouveau peuple, défini comme asturien ». A l'appui de cette théorie indigéniste, sont principalement invoquées les luttes successorales pour la royauté, qui opposeraient deux branches, celle 'asturienne' de Pélage et celle 'wisigothique' du duc Pierre. La rupture disciplinaire entre Oviedo et Tolède, ainsi que le Testamentum du roi Alphonse II, qui exalte le « royaume des Astures », manifesteraient aussi la revendication d'un indigénat opposé au néo-gothicisme politique. Cette dernière ne l'emporterait qu'à partir de Ramire le', descendant de Pierre, et surtout de son petit-fils Alphonse III40 . Pour G. Martin41 , ces différentes traditions, 'asturienne' et 'wisigothique', donnent plus tard naissance à divers projets idéologiques. Selon lui, la première historiographie asturienne de l'époque d'Alphonse II présente la fondation de Pélage comme la relève du royaume wisigothique par le royaume asturien, dont la vocation à tous deux est de dominer l'Espagne. A partir de ce noyau, la Chronique d'Albe/da insiste sur la continuité historique globale - ethnique et institutionnelle - entre les deux royaumes. Cette tradition asturienne est reprise dans la Chronique d'Alphonse Ill, qui met en valeur la « continuité génétique » entre les royautés wisigothique et asturienne. A la même époque, la Chronique prophétique reflète la pensée des historiographes mozarabes : elle rejette le « mythe » asturien de Pélage, par refus «d'assimiler la royauté hispanique à un peuple marginal», ainsi que l'idée d'une « continuité néo-gothique » entre les deux royaumes ; son idéologie repose alors sur l'affirmation d'une «permanence du peuple gothique, destiné à dominer un espace qui lui est providentiellement échu». Précisons que les historiens regroupent sous ce 38
J. Mattoso, 'Les Wisigoths dans le Portugal médiéval : état actuel de la question',
L'Europe héritière de l'Espagne wisigothique [Colloque international du C.N.R.S., Paris, 1990], éd. par Jacques Fontaine et Christine Pellistrandi, Collection de la Casa de Velazquez
35 (Madrid: La Casa de Velazquez, 1992), pp.325-339 (pp.337-338). 39
M. Vi ana, 'A Mem6ria Regional na Analistica Portuguesa dos séculos XI e XII',
Estudos Medievais 10 (1993), 59-77 (61-63). 40
A. Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism in the Astur Kingdom, 711-910', Francia 26 (1999), 41-56. 41
G. Martin, 'La chute du royaume visigothique d'Espagne dans l'historiographie chrétienne des VIlle et IXe siècles', Cahiers de Linguistique Hispanique Mediévale 9 (1984 ), 207-233.
Introduction à la première partie
23
qualificatif de Chronique prophétique une série de petits textes rédigés en avril 883 par un clerc mozarabe et ajoutés à la fin de la Chronique d'Albe/da(§ XVI, XVII, XVIII et XIX) 42 • Certains proviennent de la région de Cordoue : une généalogie des Sarrasins, inspirée d'Isidore de Séville et de textes orientaux, une Histoire du pseudo-prophète Mahomet 3, vraisemblablement composée par un mozarabe durant les années 754/756 44 , un récit de l'invasion musulmane, une liste des gouverneurs musulmans puis, à partir de 756, des «rois des Ismaélites d'origine Omeyyade qui ont régné en Espagne». Ces textes sont suivis d'une pseudo-prophétie d'Ezéchiel et de son explication datée d'avril883. Or, ces analyses doivent être révisées, en raison de leurs présupposés ethniques. La théorie indigéniste manque tout d'abord cruellement de preuves tangibles tirées d'autres sources : ainsi, les recherches actuelles prouvent la bonne intégration du nord-ouest hispanique aux civilisations romaine et wisigothique, en dépit des particularismes locaux relevés par A. Barbero et M. Vigil. Il faut donc revenir sur le préjugé, déjà mis en lumière par J.A. Maravall, qui aboutit à conférer automatiquement une datation ancienne à tout élément soi-disant indigène45 . En outre, cette grille de lecture conduit à des incohérences et « contradictions » internes, comme le reconnaissent A. Barbero et M. Vigil46 : après avoir raconté la rébellion des « Astures » contre les «Goths» à l'époque de Sisebut, la Chronique d'Albe/da présente les « Astures » comme les protagonistes chrétiens de la lutte contre les musulmans. Tout en demeurant fidèles à l'ancien schéma interprétatif, certains historiens ont tenté de surmonter de diverses manières ces contradictions : lors de la révolte de Pélage, les Astures seraient en fait encadrés par des Goths fugitifs, affirme A.C. Floriano47 ; Y. Bonnaz estime que les références à l'un ou l'autre peuple importent peu et seraient« un indice assez sûr de l'alliance des Espagnols de toutes origines rassemblés dans le refuge asturien »48 ; plus récemment, L.A. Garcia Moreno insiste sur la dimension religieuse et indigène de la révolte, déclenchée dans une région en
42
Pour une présentation de la chronique, voir T. Deswarte, 'La prophétie de 883 dans le royaume d'Oviedo : attente adventiste ou espoir d'une libération politique?', Mélanges de Science Religieuse 58 (2001), 39-56 (40-41). 43
Elle est uniquement éditée par Y. Bonnaz dans Les chroniques asturiennes, pp.S-6.
44
D. Millet-Gérard, Chrétiens mozarabes et culture islamique dans l'Espagne des V!LfIX siècle (Paris: Etudes Augustiniennes, 1984), pp.125-137. 45
Maravall, El concepto de Espana, p.317.
46
Barbero et Vigil, Laformaciôn delfeudalismo, p.263.
47
A.C. Floriano Cumbreiio, Estudios de Historia de Asturias : el territorio y la monarquia en la Alta Edad Media asturiana (Oviedo: Universidad de Oviedo, 1962), pp.55-60. 48
Y. Bonnaz, 'Divers aspects de la continuité wisigothique dans la monarchie asturienne', Mélanges de la Casa de Velazquez 12 (1976), 81-99 (85).
24
PREMIERE PARTIE
bonne partie étrangère à la civilisation romano-wisigothique49 • En réalité, cette interprétation doit être complètement revue, comme le suggérait déjà une remarque de J. Pérez de Urbel : selon lui, le terme de Gothi ne peut avoir de signification ethnique précise dans les textes narratifs, en raison du « processus de fusion des races » commencé depuis le début du septième siècle50 • J. Montenegro et A. del Castillo ont alors proposé une nouvelle lecture des chroniques asturiennes. Selon eux, la révolte de Pélage et des Astures est en fait celle des habitants du duché wisigothique des Asturies ; son chef, Pélage, est issu d'une famille d'origine wisigothique, proche de la royauté, et est certainement un officier au service de la monarchie de Tolède dans les Asturies. De même, le nouveau royaume asturien, localisé dans une zone bien intégrée à la civilisation romano-wisigothique, possède de nombreuses caractéristiques politiques de l'époque antérieure, à l'instar de sa noblesse palatine ou de la succession royale héréditaire, qui se sont accentuées au fil des décennies par une politique royale néo-gothique ; il y a donc une très nette continuité, politique et historiographique, entre les monarchies de Tolède et d'Oviedo. Cependant, cette volonté de «récupération de l'Espagne perdue» est « idéalisée » dans les chroniques asturiennes, particulièrement dans la Chronique d'Alphonse III-Ovetense, fruit d'une« authentique manipulation »51 • Cette théorie en faveur de la continuité est souvent reprise par les historiens étrangers. A. Rucquoi parle de la «'renaissance' wisigothique» de l'époque asturienne52 • De même, A.P. Bronisch met constamment en évidence le caractère vétéro-testamentaire de la guerre menée par le royaume asturien puis léonais, dans la tradition impériale et wisigothique : cette lutte est providentielle et dirigée contre les ennemis de Dieu. Dans son étude du Testamentum d'Alphonse II en faveur de San Salvador d'Oviedo, il affirme que l'expression de «peuple des chrétiens et des Astures » (christianorum Asturumque gentem) ne juxtapose pas deux notions différentes mais complémentaires, puisque les Astures sont chrétiens : le « royaume des Astures » n'a pas de connotation ethnique et continue ici le «royaume des Goths»; en outre, les Astures «se sentent eux-mêmes comme des Goths »53 • Si l'interprétation selon des critères ethniques est définitivement à bannir, ces conclusions n'épuisent pourtant pas l'étude de la pensée politique de la royauté dite asturienne, c'est-à-dire antérieure au transfert de la capitale à Le6n au début du
49
Garda Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', 353-380 (377).
50
J. Pérez de Urbel et R. del Arco y Garay, Espana cristiana : comienzo de la Reconquista
(711-1 038), Historia de Espafia 6 (Madrid : Espasa-Calpe, 1956), p.24. 51 J. Montenegro et A. del Castillo, 'Don Pelayo y los origenes de la Reconquista : un nuevo punto de vista', Hispania 52 (1992), 5-32 (31 ). Idem, 'Anâ1isis crîtico sobre algunos aspectos de la historiografia del reino de Asturias', Hispania 54 (1994), 397-420, (403-405). 52
A. Rucquoi, Histoire médiévale de la péninsule ibérique (Paris: Seuil, 1993), p.168.
53
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.77-82, 119-120, 153-156 et 172-174.
Introduction à la première partie
25
dixième siècle. D'un point de vue méthodologique, les travaux historiques, même récents, négligent trop souvent les sources non littéraires, notamment diplomatiques, épigraphiques et artistiques. Ils ne s'attachent pas suffisamment à l'analyse diachronique du vocabulaire politique, en comparant les époques asturienne et romano-wisigothique, et en distinguant nettement les simples habitudes mentales de la volonté politique ; ainsi, le maintien d'une interprétation providentielle de l'histoire dans l'historiographie postérieure à 711 ou des prières pour le salut du roi54 , ne prouvent pas pour autant une idéologie explicitement néo-gothique. Les historiens se heurtent aussi constamment au problème de la validité des données fournies par les chroniques asturiennes pour les époques antérieures : les conclusions d'Y. Bonnaz, qui montrent la continuité politique entre les époques wisigothique et asturienne, peuvent toujours être contestées, car elles sont essentiellement le fruit d'une étude de ces textes 55 . Ainsi, le fameux 'récit de Cuvadunga', transmis par la Chronique d'Alphonse III, ne peut absolument pas être considéré comme un récit 'primitif plus ou moins retouché, contrairement à l'opinion d'A.P. Bronisch56 . P. Henriet a en effet remarquablement bien prouvé que ce récit est, dans sa composition actuelle, tardif, car il dépend de la Passion de Facond et Primitif, rédigée sans doute durant les années 880; il est ensuite probablement incorporé dans la chronique lors de sa nouvelle rédaction de 910/91457 . Notre approche méthodologique veut donc privilégier l'étude diachronique de l'idéologie politique et de ses manifestations dans la politique royale, par la confrontation des sources et leur analyse dans le contexte de leur rédaction. Ainsi, les renseignements fournis par les sources postérieures, notamment les chroniques asturiennes, ne sont retenus que si les sources contemporaines les corroborent. Logiquement, notre étude s'organise donc en deux mouvements chronologiques : avant et pendant le règne d'Alphonse III. D'emblée, une constatation s'impose: la pensée politique est continuellement dominée par une même vision du monde, qui prend acte de la destruction du royaume wisigothique en 711, et par un même projet idéologique néo-gothique, qui culmine lors de la première rédaction des chroniques.
54
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.125. Bonnaz, 'Divers aspects', pp.81-99. 56 Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.382-390. 57 P. Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte dans le Haut Moyen Age hispanique', Francia 29/1 (2002), 203-208. Il est par ailleurs difficile de conclure avec Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.235-256 et 275-276 que, en raison de prétendus points communs entre les deux pièces, la missa de hostibus fut composée après la bataille de Covadonga et qu'elle constitua 'une sorte de brouillon du 'récit primitif de Covadonga". 55
CHAPITRE!
711, fin du monde ou fin d'un monde ?
D
ans la nuit du 27 au 28 avril 711, les armées musulmanes de Tariq débarquent en Espagne. A la fin du mois de juillet 711, sur les rives du Guadalete, l'armée royale wisigothique est écrasée et le roi Rodrigue disparaît. En quelques années, presque tout le territoire est envahi. Cette profonde rupture dans le cours de l'histoire s'avère traumatisante, car elle met fin à un ordre multiséculaire, assumé par les Romains puis par les Wisigoths. En effet, les chrétiens admettent tous la fin du royaume de Tolède. Mais, face à cet événement, ils réagissent différemment, comme nous le décrit plus tard la Chronique d'Alphonse III: les grands laïcs ou ecclésiastiques se soumettent, à l'instar de l'évêque Oppa, ou s'enfuient vers le nord, dans les Asturies ou en pays franc ( § sy. Ainsi, se manifestent deux prises de position qui essaient, chacune à leur manière, de surmonter 1' épreuve. La situation des Mozarabes se révèle rapidement inconfortable2 . Dominés par les musulmans, certains d'entre eux se retrouvent écartelés entre les impératifs de leur statut et l'espoir toujours présent d'une libération; l'histoire de l'Espagne leur échappe, et d'aucuns se réfugient dans l'attente d'un au-delà meilleur. En revanche, la réaction asturienne est plus cohérente : elle procède d'un refus de la domination musulmane, afin de continuer l'ordre politique antérieur. Le passé devient la référence politique, tandis que le monde franc demeure bien loin des préoccupations asturiennes. 1
Quidam ex illis Franciam petierunt, maxima vero pars in patria Asturiensium intraverunt. 2
Nous n'avons pas pu prendre connaissance de l'ouvrage d' Ann Christys, Christians in Al-Andalus (711-1000), trop récemment paru (Richmond: Curzon Press, 2001).
28
CHAPITRE!
1. Le traumatisme de l'invasion L'invasion de 711, qui provoque incontestablement un profond choc chez les chrétiens espagnols, est ressentie comme une rupture fondamentale, dont L.A. Garcia Moreno détaille la répercussion dans la littérature espagnole du Moyen Age3 • En bouleversant subitement un ordre politique multiséculaire, elle est bien, comme le déclare le Cid dans une donation en 1098 à l'évêque de Valence, une «calamité »4 . Ainsi, un vocabulaire très violent rend compte de cette rupture : dans les sources mozarabes ou asturiennes, 711 équivaut à la destruction du royaume wisigothique, donc à la fin d'un monde plus ou moins confusément perçu comme immortel.
A. La destruction du royaume wisigothique
L'ensemble des chroniques chrétiennes nous décrit en 711 l'invasion du «royaume d'Ibérie» (Mozarabe754 § 59)5 par les musulmans, leur occupation de l'Espagne et leur prise du royaume des Goths. Au début du douzième siècle, l'Historia Silense parle toujours de cette occupation et de la domination alors imposée sur l'Espagne «par le fer, le feu et la famine» (p.ll8). Cette Histoire est écrite après la mort d'Alphonse VI, durant la deuxième décennie du douzième siècle6 , par un moine, qui déclare appartenir à la domus Seminis (p.118). A la suite de M. G6mez Moreno 7, J. Gil estime que le monastère mentionné est San Juan
3 L.A. Garcia Moreno, El jin del reina visigodo de Toledo : decadencia y catastrofe. Una contribuci6n a su critica, Antiqua et Mediaevalia 1 (Madrid : Universidad Aut6noma de Madrid, 1975). 4 Donation par Rodrigue de villae à l'évêque Jérôme de Valence (a 1098) : Documentas de los Archiva catedralicio y diocesano de Salamanca (siglos XII y XIII), éd. par J.L. Martin Martin e.a. (Universidad de Salamanca, 1977), n° 1. 0
5 A l'édition de J. Gil Femàndez, Chronica muzarabica, Corpus scriptorum muzarabicorum 1 (Madrid: CSIC, 1973), pp.l5-54, nous préférons celle de J.E. L6pez Pereira, Cr6nica mozarabe de 754, Textos medievales 58 (Zaragoza: Anubar, 1980), qui s'appuie sur le plus vieux manuscrit, du neuvième siècle (A), tout en précisant les variantes de deux autres anciens manuscrits (P et M). 6
Seul A. Ubieto Arteta, 'La Historia Silense', dans Origenes de los reinos de Castilla y Aragon, Homenajes 2, 2e éd. (Zaragoza: Universidad de Zaragoza, 1991), pp.205-239 refuse cette datation. Cette Histoire est uniquement connue par des manuscrits du quinzième siècle : Historia Silense, éd. par J. Pérez de Urbel OSB et A. Gonzàlez y Ruiz-Zorrilla, Textos 30 (Madrid: Escuela de Estudios Medievales, 1959), pp.89-109. 7
M. G6mez Moreno, Introducci6n a la Historia Silense (Madrid: 1921), p.XXV.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
29
Bautista de Leon (domus Sancti Johannis 8), tandis qu'E. de Gandia arrive à la même conclusion en rapprochant Seminis de cementerium, désignant selon lui le cimetière royal localisé à côté de cette abbaye 9 . Initialement, son auteur voulait écrire les «gestes du seigneur Alphonse [VI], empereur orthodoxe d'Espagne» (pp.l18-119). En fait, l'actuelle Histoire n'est que le début d'un projet ambitieux et resté inachevé, pour une raison inconnue : à partir des écrits des saints Isidore de Séville, Grégoire le Grand et Julien de Tolède, de sources franques, de sources inconnues -peut-être en partie arabes-, de la Chronique d'Alphonse 111-0vetense et de sa continuation jusqu'à Ordoîio Il, l'auteur développe diverses considérations sur Alphonse VI, l'invasion de 711, les rois wisigothiques et francs, puis détaille l'histoire des rois asturo-léonais jusqu'aux règnes de Vermude III et Ferdinand I"r. Cependant, le récit s'interrompt brusquement de la mort d'Ordoîio II à Sanche I"r (post cujus obitum); selon J.M. Ruiz Asencio, des feuillets de l'Histoire auraient été perdus, avant d'être plus tard remplacés par la Chronique de Sampiro, à vrai dire d'une manière empirique car il existe de nombreuses divergences entre l'Historia et la Chronique 10 • Les textes asturiens ajoutent cependant que la domination territoriale de la péninsule n'est pas complète, puisque les musulmans «maintiennent en partie en leur possession» le «royaume de Goths», et empêchent ainsi les Asturo-Léonais d'entrer« en possession de la terre de leur vœux» (Albe/da, § XIV-34 et XVII-3). Les Annales castillanes secondes, mises par écrit peu après 1110 (date à laquelle elles s'arrêtent), reprennent cette idée d'une domination partielle, dans leur première partie rédigée à partir des Annales premières 11 : «en l'an 714, les Sarrasins vinrent 8
J. Gil Femandez, 'La Crônica Silense', dans La cultura del Romémico : siglos XI al XIII, Historia de Espafia Il (Madrid : 1995), pp.l 0-14. 9
E. de Gandia, 'La 'Domus Seminis' y la Real Colegiata de San Isidoro de Leôn', dans Estudios en Homenaje a don Claudio Sânchez Albornoz en sus 90 anos [Anexas de CHEJ (Buenos Aires: 1990), pp.263-265. Cette 'demeure' n'est donc ni le monastère Santo Domingo de Silos, comme l'indique une mention postérieure située dans la marge- à laquelle J. Pérez de Urbel accorde toute confiance- (Historia Silense, p.68), ni celui de Sahagun comme le pensait J.M. Canal Sanchez-Pagin 'i Cronica Silense o Crônica Domnis Sanctis ?', CHE 63-64 (1980), 94-103; son auteur n'est pas non plus l'évêque Alôn d'Astorga, contrairement à l'opinion d'A. Quintana Prieto, 'Sampiro, Al on y Arnaldo: tres obispos de Astorga, cronistas del reino de Leôn', dans Leon medieval: doce estudios [Ponencias y comunicaciones presentadas al Coloquio 'El Reina de Leon en la Edad Media', XXXII Congreso de la Asocacion Luso-Espanola para el progreso de las Ciencias, 1977] (Leon : Colegio Universitario de Leon, 1978), pp.59-68 (pp.61-66). 10
J.M. Ruiz Asencio, 'La inclusion del 'Chronicon' de Sampiro en la 'Historia Silense", AL 27 (1973), 279-286. Il s'oppose à J. Pérez de Urbel et A. Gonzalez Ruiz Zorrilla; selon eux, l'auteur a brutalement arrêté son récit en découvrant un manuscrit de Sampiro, qu'il incorpore alors dans l'Histoire (Historia Silense, pp.l4-15 et pp.32-33). 11
'Anales castellanos primeros y segundos (s. X-XII)', éd. par M. Gômez Moreno, dans Discursos leidos en la Real Academia de la Historia en la recepcion de D. Manuel Gomez-
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en Espagne au temps du roi Rodrigue, et l'occupèrent en partie »12 • Cette invasion provoque de nombreuses destructions matérielles, que la Chronique mozarabe de 754 -rédigée par un clerc de la région de Tolède 13 , de Murcie 14 ou de Cordoue 15- décrit si bien; ce récit, qui relate l'histoire de l'empire d'Orient depuis 611, les conquêtes musulmanes et l'histoire de l'Espagne wisigothique depuis 612, devient plus personnel à partir du tournant des septième et huitième siècles, et nous permet de suivre l'invasion de 711, l'histoire de l'Espagne musulmane et celle de l'empire d'Orient jusqu'en 754. Dans cette chronique, les destructions musulmanes affectent l'ensemble de la Spania, c'est-à-dire non seulement l'Espagne Ultérieure, mais aussi la Citérieure jusqu'à Saragosse (§ 54Y 6 . Nous trouvons une description similaire par la suite dans le récit de la translation du corps de saint Isidore (1063Y 7 - récit écrit à Le6n à la fin du onzième siècle 18 à partir de témoignages contemporains et composé de neuf leçons destinées à être lues à l'office 19 • Dans l'hymne Tempore belli, rédigée dans la péninsule peu de temps après l'invasion de 711 selon M.C. Diaz y Diaz20 , et très probablement contenue dans un Moreno Martinez (Madrid, 1917), pp.23-28 (pp.7-8 et p.21). Ces annales semblent, à partir des environs de 989, contemporaines des événements qu'elles relatent. Elles sont transmises par un manuscrit asturien vraisemblablement réalisé en 1143 au monastère San Juan de Corias, pour l'intronisation de l'évêque Martin II d'Oviedo. M. Diaz y Diaz date ces annales postérieurement à l'année 1126 (reg. Diaz y Diaz, n° 904). 12
Annales castillanes primeras y secondes, pp.25-28.
13
Diaz y Diaz, 'La historiografia hispana', p.207. J. Gil Femandez, 'Para la edici6n de los textos visigodos y mozarabes', Habis 4 (1973), 189-234. 14
Cr6nica mozarabe de 754, pp.l5-16.
15
Conquistadors and Chronicles of Early Medieval Spain, trad. par K.B. Wolff (Liverpool: Liverpool University Press, 1990; 2eéd., 1999), p.29. 16
L'auteur utilise encore ces termes pour parler de l'Espagne sous domination musulmane (§ 62 et 69). 17
Translatio Isidori, dans Historia Silense, éd. par Francisco Santos Coco, Textos latinos de la Edad Media espafiola, cr6nicas 2 (Madrid: 1921), pp.93-99 (p.94). 18 Reg. BHL no 4488, Diaz y Diaz, no 811. Ce texte, transcrit dans un manuscrit du onzième siècle, est peu de temps après incorporé à l'Historia Silense. 19
P. Henriet, 'Un exemple de religiosité politique : saint Isidore et les rois de Leon (XIeXIIIe siècles)', dans Fonctions sociales et politiques du culte des saints dans les sociétés de rite grec et latin au Moyen Age et à l'époque moderne : approche comparative, dir. par M. Derwich et M. Dmitriev (Wroclaw: LARHCOR, 1999), pp.77-95 (p.79). 20 M.C. Diaz y Diaz, 'Noticias hist6ricas en dos hirnnos litlirgicos visigodos', dans Los Visigodos : historia y civilizaci6n [Actas de la Semana Internacional de Estudios Visig6ticos, Madrid- Toledo -Alcali de Henares, 1985], Antigüedad y cristianismo 3 (Universidad de Murcia: 1986), pp.443-456 (p.445). Cependant, Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte', a bien montré l'incertitude actuelle de ces conclusions.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
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manuscrit de Silos (onzième siècle), la « nation sauvage » brise les ponts, dévaste les champs, dévalise les temples et les autels, incendie les villes et les entrepôts, déporte les « vaincus, vieillards, adolescents, femmes mariées, veuves et jeunes filles » et provoque la « chute » des « vierges consacrées »21 • Ces dévastations apparaissent aussi constamment dans les documents diplomatiques, qui décrivent les nouvelles terres occupées comme détruites ou dépeuplées. Cette occupation entraîne une profonde rupture politique. Les chrétiens admettent l'existence d'une nouvelle royauté, musulmane. Ainsi, la Chronique d'Albe/da parle du« roi de Cordoue»(§ XV-13). La rébellion de Pélage,« alors que Yusuf régnait à Cordoue» (§ XV-1), n'y met pas fin, puisque la Chronique prophétique contient une liste des gouverneurs musulmans (duces) suivie d'une autre des «rois des Ismaélites d'origine Omeyyade qui ont régné à Cordoue » (§XVII et XVIII); de même, la Chronique d'Alphonse III distingue la période des gouverneurs, pendant laquelle« ils payèrent des impôts au roi babylonien», de celle de l'émirat à partir de 756, quand «ils établirent leur propre royauté dans la ville de Cordoue la patricienne » (§ 8). Plus tard, les différents souverains des taifas sont appelés rois par l'auteur de l'Historia Silense (p.l98). Ce changement est le fruit de la destruction des trois grandes institutions du royaume 22 , en premier lieu de la royauté. Rodrigue« perdit le royaume et la patrie», comme l'indique le chroniqueur mozarabe de 754 (§ 52)23 , et disparaît sans que l'auteur de la Chronique prophétique sache comment(§ XVII-3). Ce n'est que plus tard que la tombe du« dernier roi des Goths» (ultimus rex Gotorum) est découverte à Viseu, selon le récit de la Chronique d'Alphonse Ill(§ 7) repris par la Chronique d'lria 24 - histoire des vingt-deux évêques d'Iria (561-985) dont la datation oscille selon les historiens entre la fin du dixième siècle 25 , la fin du siècle suivane6 et le 21
Tempore Belli, éd. par Diaz y Diaz, 'Noticias hist6ricas en dos hirnnos liturgicos visigodos', p.448-450, v.45-48: Terre! continuo fervida bello 1 gens e.ffrena, suis vasta catervis 1 findens innumeris equora ponti, 1 perturba! rigidis arvaque telis. v.57-68 : Edes inde sacras, templa dicata, 1 aras atque Dea sancttficatas, 1 exsultans valida cuncta triumpho 1 invadit spolians predo superbus. 1 Urbes urit edax barbarus ignis, 1 communesque dornas urit et aimas ; 1 vinctos predo senes ducit, ephebos, 1 nuptas et viduas atque puellas. 1 Casum virgu ferum, virgu sacrata, 1 casum virgo suum dejlet amarum, 1 amissumque dolet virgo pudorem 1 leti ferre volens virgo laborem. 22
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, n.6, p.152.
23
sicque regnum simulque cum patriam male cum emulorum internicione amisit.
24
Chronique d'fria, éd. par M. Ruben Garcia Alvarez, 'El Cronicon Iriense', dans Memorial Hist6rico Espaiiol : Colecci6n de documentas, opusculos y antigüedades que pub/ica la Real Academia de la Historia 50 (Madrid, 1963), pp.l-240 (§ 3, p.109). 25
M. G6mez Moreno, Discursos leidos en la Real Academia de la Historia en la recepci6n de D. Manuel G6mez-Moreno Martinez (Madrid: 1917), p.l9. 26
Garcia Alvarez, 'El Cronicon Iriense', pp.80-92. F. Lôpez Alsina, 'Noticia del
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CHAPITRE!
douzième siècle27 (A. Isla Prez opte pour les années 1110/1120?8 . Les deux autres institutions politiques fondamentales sont détruites : selon les chroniques asturiennes, «l'armée des Goths est détruite presque jusqu'à l'anéantissement» (Rotense, § 7) et l'Eglise est soumise au «joug des fils d'Ismaël» (Albe/da,§ XIX-4). En outre, les grands principes politiques disparaissent aussi, puisque l'invasion provoque « la chute de la patrie en même temps que celle du peuple » (patrie excidium [. ..] simul cum gente) comme le déclare la Chronique d'Alphonse 1110vetense (§ 7). Or, ces deux notions politiques occupent une place fondamentale dans l'édifice politique wisigothique29 : la notion de «patrie», d'origine romaine, désigne le bien politique que possèdent en commun le « peuple des Goths » et le «roi», et équivaut pour ainsi dire au regnum et à l'Hispania; quant à la gens Gothorum, elle est considérée comme une personne politique et juridique, une véritable societas qui équivaut mutatis mutandis au populus romanus. La disparition de la «royauté», du «peuple des Goths » et de la «patrie», qui formaient la société politique wisigothique, aboutit logiquement à celle du «royaume des Goths», selon l'ensemble des sources. Bien que «consolidé par une antique fermeté », il est « terrassé » par les armées musulmanes, comme nous l'apprend la Chronique de 741 30 , rédigée à cette date par un Chrétien récemment
Chronicon Iriense (finales s. Xl) sobre la construcci6n de la basilica de Santiago por Alfonso III y su solemne consagraci6n por el obispo Sisnando el 6 de mayo del 899', dans Santiago, Camino de Europa: culto y cu/tura en la peregrinacion a Compostela [Exposition, Monasterio de San Martin Pinario, Santiago, 1993] (Santiago: Galicia no Tempo, 1993), pp.258-259. 27 L. Barrau-Dihigo, 'Etude sur les actes des rois asturiens (718-910). Première partie : Recherches critiques- Deuxième partie: Catalogue d'actes', Revue Hispanique 46 (1919), 1108 et 109-192 (66, n.98). David, Etudes historiques, p.50. J. Pérez de Urbel, Sampiro: su cr6nica y la monarquia leonesa en el siglo X, Estudios 26 (Madrid: CSIC, 1952), p.179. 'Notas y documentas sobre Sancho Ord6fiez, rey de Galicia', éd. parE. Saez Sanchez, CHE, 11-12 (1949), 25-104 (64, n.112). D. Mansilla, 'Obispados y metr6polis del accidente peninsu1ar hasta el siglo X', Bracara Augusta 22 (1968), 11-40 (34). 28 A. Isla Frez, 'Ensayo de historiografia medieval : el Cronicon iriense', En la Espana Medieval, 4-l : estudios dedicados al profesor D. Angel Ferrari Nunez, éd. par M. Angel Ladero Quesada (Madrid: Universidad Complutense, 1984), pp.413-431. 29 S. Teillet, Des Goths à la nation gothique : les origines de l'idée de nation en Occident du V' au VLf siècle (Paris: Les Belles Lettres, 1984), pp.503-533.
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Chronique mozarabe de 741, éd. par J. Gil, Chronica byzantia-arabica, Corpus scriptorum muzarabicorum 1 (Madrid: CSIC, 1973), pp.7-14, § 36. Cette édition élimine à juste titre les ajouts du P. Juan de Mariana, qui se trouvaient dans la marge d'un manuscrit perdu et furent édités par le père E. Fl6rez, Espana Sagrada : theatro geographico-hist6rico de la Iglesia de Espana 6 (Madrid: 1771), pp.419-432. En revanche, Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.130, n.2, cite ces ajouts comme s'ils appartenaient à la version originale.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
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converti à l'Islam- il nous livre une image positive de Mahomet - 31 ou, plus probablement, par un Mozarabe, peut-être originaire du sud de la péninsule; en reprenant Isidore de Séville, des chroniques byzantines et des œuvres orientales32 , ce récit, qui commence par une brève histoire des rois goths depuis Reccarède, semble continuer la Chronique de Jean de Biclar et envisage toujours l'histoire dans le cadre théorique de l'Empire Romain. Le constat politique est identique dans les chroniques asturiennes : « le royaume des Goths est exterminé après que les Sarrasins ont pris l'Espagne» (Albelda, § XIII-69 et XVII-3). En ce sens, «l'histoire de cette époque» est bien, pour reprendre les termes de la Translation de saint Isidore, « lugubre », car « tout le peuple des Goths, par un jugement occulte de Dieu, fut livrée pour être frappé par le glaive gentil » (pp.9394)33. C'est en fait tout un peuple qui perd son identité, car les sujets du roi asturien ne sont jamais appelés « Goths», mais «chrétiens »34 . L'auteur de la Chronique prophétique peut résumer ce désastre en déclarant : « toute la splendeur de la nation gothique fut anéantie par la peur ou par le fer» (§ XVII-3). Le Laterculus regum Ovetensium, rédigé au tournant des huitième et neuvième siècles, assimile même l'invasion à l'expulsion des Goths, qui dominaient l'Espagne, par les« Sarrasins» : Era DCCXLVIII! (711 AD), expulsi sunt Gothi de Hyspania. Era DCCL (712 AD), Sarraceni obtinuerunt Hispaniam 35 • Ce profond changement politique touche le destin même de l'« Espagne», considérée dans sa dimension géographique - la péninsule ibérique - 36 et politique - le royaume wisigothique. En effet, cette acception politique de la notion d'Hispania existe déjà chez Isidore de Séville 37 , notamment dans sa Louange de l'Espagne : 1'Espagne a été enlevée et aimée par les Goths, qui succèdent à Rome à la tête de la plus belle des provinces de l'Empire; l'histoire de l'Hispania est désormais l'histoire des Goths qui continuent Rome en Espagne38 . L'Espagne politique est exaltée au tournant du siècle, chez Julien et lors du quatorzième concile 31 L.E. Dubler, 'Sobre la crônica arâbigo-bizantina de 741, la influencia bizantina en la penînsula ibérica', Al Andalus 11 (1946), 283-351 (330). 32 Diaz y Diaz, 'La historiografia hispana', 205-207. 33 Omnis gens Gotorum occulta Dei judicio gentili gladio ferienda est tradita. 34 Cf. infra, pp.134-138. 35
Annales portugalenses veteres-1079, version 'Livro da Noa' ou 'Chronica Gothorum ',
éd. par P. David, dans Etudes historiques, pp.291-312. 36 Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.ll-12, n. 54, et pp.80-81. 37 Maravall, El concepto de Espana, p.252. Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.630, n.276. On trouve déjà chez Isidore de Séville l'équivalence entre Hispania, gens et patria Gothorum, patria Gothorum et regnum.
38 Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.135-147. Cf. aussi: Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, pp.lll-152, notamment pp.138-147.
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de Tolède39 : les Gothi sont remplacés en tant que populus du regnum par les Hispani, et l'appelation d' Hispania tend à devenir le «nom officiel de la nation wisigothique» et à se substituer à la gens et patria Gothorum d'Isidore de Séville. Il est donc logique que l'auteur de la Chronique mozarabe de 754 qualifie la femme du dernier roi wisigothique de« reine d'Espagne»(§ 59). Si l'Espagne continue d'exister après 711, puisqu'elle dispose d'une existence propre, l'invasion musulmane met fin à une continuité politique multiséculaire: désormais, le peuple qui domine l'Hispania n'est plus le peuple goth. Dans la Chronique mozarabe de 754, cette Espagne est encore assimilée à la manière isidorienne à une véritable personne, malheureuse lors des événements de 711 (§ 45) ; et aucun homme ne peut décrire les « ruines » et les « maux » de cette « Spania » auparavant «douce», maintenant «misérable». L.A. Garcia Moreno rapproche à juste titre le récit de cette «condamnation de l'Espagne» (Damna Spanie, § 55), selon le titre donné par le copiste du neuvième siècle, de celui de la Louange d'Isidore40 . La Chronique d'Alphonse 111-Rotense parle même à cette occasion de la« disparition de l'Espagne» (§ 4) 41 • Aussi, la Chronique d 'Albelda peut à juste titre clore en 711 la période historique de l'ordo du peuple des Goths(§ XIV), qui succédait à l'ordo des Romains.
B. La fin d'une civilisation
Aux yeux des contemporains, l'invasion de 711 provoque bien la disparition d'une civilisation multiséculaire. En effet, en Espagne, le royaume wisigothique est perçu comme la continuation de l'Empire romain et chrétien. Jean de Biclar compare Reccarède à Constantin, et met Tolède III au rang des grands conciles de Nicée et Chalcédoine, car il permet la victoire définitive de l'Eglise catholique sur l'arianisme 42 . Telle est bien aussi la pensée des rois wisigoths : en tant que successeurs des empereurs, leur titulature comprend le gentilice de la dynastie impériale constantinienne (Flavius), les qualificatifs et les symboles royaux sont identiques à ceux utilisés par l'empereur à Byzance au cinquième siècle, et Tolède est conçue comme une nouvelle Rome, imitant Constantinople43 • Selon Isidore de Séville, ce 39
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.630, n.272. On trouve par ailleurs l'expression de provinciae Hispaniae dans les actes des treizième et dix-septième conciles de Tolède, et celle de fines Hispaniae dans les canons des douzième, seizième et dix-septième conciles de Tolède, ainsi que dans la loi wisigothique (ibid., p.630, n.273). 40
Garcia Moreno, El fin del reina visigodo de Toledo, pp.28-29.
41
Istud namque Spaniae causa pereundi fuit.
42
Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.565-567.
43
M.R. Valverde Castro, Ideologia, simbolismo y ejercicio del poder real en la monarquia visigoda: un proceso de cambio (Universidad de Salamanca: 2000), pp.l8l-215.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
35
royaume surpasse même en quelque sorte l'Empire, puisqu'il a été fondé par un peuple dont l'origine biblique remonte à Magog, Jafet et Noé, et non, comme les Romains, à Romulus 44 • En outre, au tournant des septième et huitième siècles, ce royaume est envisagé comme le dernier rempart de la romanité et de l'orthodoxie face à la Barbarie, puisque, selon Julien de Tolède dans son Comprobatione sextae aetatis, Byzance est vouée à la chute en raison des guerres civiles et des attaques de «Barbares »45 . Le constat de la défaite, que fait l'auteur de la Chronique de 754, est donc à la hauteur de l'enjeu. Il considère l'invasion de 711 comme la plus grande des catastrophes de l'humanité, qui ont toutes entraîné la fin d'une civilisation : Qui peut narrer tant d'épreuves? Enumérer tant de désastres ? Car, même si tous les membres d'un corps se transformaient en une langue, la nature humaine ne pourrait absolument pas exprimer les ruines et les maux de l'Espagne. Mais, pour conter tout cela au lecteur en de brèves pages, laissons de côté les innombrables désastres que cause ce monde impur depuis Adam jusqu'à nos jours, à travers d'innombrables régions et cités : ce que Troie supporta durant son histoire, ce que Jérusalem endura par les paroles des prophètes, ce que l'éloquence des Ecritures fit subir à Babylone, et, enfin, ce que Rome, ornée de la noblesse des apôtres, acheva par leur martyre. Tous ces malheurs, et plus encore, l'Espagne, autrefois délicieuse et maintenant misérable, les ressentit autant pour son honneur que pour sa honte(§ 55)46 .
D'après P. David47 , l'auteur de la Chronique d'Alphonse III-Rotense met implicitement sur le même plan la chute de Tolède et la prise de Rome par les Goths d'Alaric, puisqu'il reprend la phrase d'Isidore de Séville pour décrire le funeste événement : « la ville de Tolède, victorieuse de tous les peuples, succomba, vaincue par les Ismaélites » (§ 8) 48 . 711 marque la fin d'un royaume qui continuait l'Empire 44
Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, pp.lll-115 et pp.l29-135.
45
F.-M. Beltnin Torreira, 'El concepto de Barbarie en la Hispania visigoda', dans Los Visigodos : historia y civilizaci6n [Actas de la Semana Internacional de Estudios Visig6ticos, Madrid- Toledo - Alcala de Henares, 1985], Antigüedad y cristianismo 3 (Universidad de Murcia, 1986), pp.53-60 (p.58). 46
[Damna Spanie] Quis enim narrare que at tanta pericula ? Quis dinumerare tarn inportuna naufragia ? Nam si omnia menbra verterentur in linguam, omnino nequaquam Spanie ruinas vel ejus toth tantaque mala dicere poterit humana natura. Sed ut in brebi cuncta legenti renotem pagella, relictis seculi inumerabilibus ab Adam usque nunc cladibus, quas per infinitis regionibus et civitatibus crudelis intulit mundus iste inmundus, quidquid historialiter capta Troja pertulit, quidquit Jherosolima predicta per prophetarum eloquia bajulabit, quidquid Babilonia per scripturarum eloquia substulit, quidquid postremo Roma apostolorum novilitate decorata martirialiter confecit, omnia et toth ut Spania condam deliciosa et nunc misera effecta tarn in honore quam etiam in dedecore experibit. 47
David, Etudes historiques, p.321.
48
Isidore de Séville, Historia Gothorum, éd. par T. Mommsen, dans MGH: Auctores
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CHAPITRE!
romain dans les limites de la péninsule, et d'une ville qui était une nouvelle Rome. Plus tard, dans le royaume d'Oviedo, le souvenir idéalisé de l'ancien royaume de Tolède persiste intact. La nostalgie d'un âge d'or est particulièrement présente dans la Chronique d'Alphonse III : l'évêque Oppa, rallié aux musulmans, rappelle au rebelle Pélage que« toute l'Espagne était naguère gouvernée selon un ordre unique, sous la conduite des Goths (in uno ordine sub regimine Gotorum) et qu'au regard des autres pays, elle brillait avec éclat par sa culture et son savoir» (Rotense § 9). Au neuvième siècle, le Testamentum d'Alphonse II insiste sur le prestige guerrier de ce royaume wisigothique. Dans ce document exceptionnel, qui occupe sept folios de parchemin49 , Alphonse II confirme les biens concédés à San Salvador d'Oviedo par son fondateur Fruela, et les augmente de l'atrium de l'église, d'ornements ecclésiastiques, de livres et d'esclaves. Les historiens y voient tous la copie d'une donation authentique perdue, un pseudo-original diplomatiquement falsifié mais historiquement sincère50 ; A.C. Floriano avance l'intéressante hypothèse, récemment reprise par P. Hemiet, d'une copie solennelle destinée à être placée au début d'un cartulaire51 • Ce document, peut-être remanié sous Alphonse II (A.C. Floriano, M.R. Garcia Alvarez, P. Floriano Llorente) ou sous Alphonse III (F.J. Fernandez Conde, P. Henriet), contiendrait alors des interpolations : le protocole initial (F.J. Fernandez Conde), le long préambule historicisant- indice d'une falsification 52- , et la prière finale (P. Floriano Llorente). Quoiqu'il en soit, ce document est, dans sa forme actuelle, paléographiquement antérieur aux années 930, puisqu'il ne distingue pas le 'ti' sibilant ('tj') du 'ti' dental ('ti'). Or, cette donation commence par une narration historique- interpolée?-, rappelant l'ancienne gloire du royaume: Grâce à l'éclatante victoire des Goths, [le] don [de Dieu] ne resplendit pas moins à l'intérieur des frontières de l'Espagne que parmi les royaumes des divers peuples. Mais, puisque leur orgueil t'offensa, il entraîna la perte de la gloire du royaume en 711, à 1' époque du roi Rodrigue 53 .
Antiquissimi 11 (Berlin, 1893), pp.267-295. 49
Cuademo (9 folios), 250 x 460 mm, ACOviedo, Cuadernillos, no I 1 1, fol. lv.-8r., colonnes A et B (reg. Lucas Alvarez, Rl-9). 50
M.R. Garcia Alvarez, 'Sobre la cronologia y autenticidad de la documentaci6n asturleonesa de la catedral de Oviedo', BIDEA 17 (1963), 146-180 (149-150). F.J. Femandez Conde, El libro de los Testamentos de la Catedral de Oviedo (Roma : Iglesia Nacional Espafiola, 1971), no V, pp.ll8-123. P. Floriano Llorente, 'El testamento de Alfonso II el Casto', 595-602. 51 A.C. Floriano, Diplomâtica espanola del periodo astur: estudio de las fuentes documentales del regna de las Asturias (718-910) (Oviedo: 1949), no 24, pp.615-616. Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte', 198-203. 52 A. Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia, 1 : Estudio, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 62 (Leon: CEISI, 1997), pp.218-219.
53
Testamentum d'Alphonse II à San Salvador de Oviedo (a0 812): Colecciôn de
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37
Naturellement, cette gloire est celle de la victoire donnée par Dieu et ne doit pas être comprise au sens spirituel, contrairement à l'interprétation d'A.P. Bronisch54 . Au début du douzième siècle, l'auteur de l'Historia Silense rappelle encore l'invincibilité de l'Espagne avant 711 (p.l29). Cette nostalgie s'appuie sur une bonne connaissance de la géographie et de l'ancienne organisation politique et ecclésiastique. Le terme même d'Hispania désigne encore parfois la péninsule ibérique: la Chronique d'Alphonse III-Ovetense nous apprend que l'église Santa Maria de Naranco, construite par Ramire !"',n'a pas d'équivalent« en Espagne»(§ 24). Cette Hispania géographique est représentée sur les cartes de la dispersion apostolique contenues dans les Beati. Ainsi, le Beatus de Burgo de Osma de 1086, confectionné en 1086 vraisemblablement dans le monastère Santa Maria de Carracedo, du diocèse d' Astorga55 , nous transmet « la plus grande carte du Monde du haut moyen âge que nous conservions »56 ; l'Espagne y est délimitée par un trait rouge du reste de l'Eoropa : au nord des fleuves Minei et Durius, sont mentionnées les provinces d'Asturias et Gallecia, le faro (le phare de la Corogne) et l'église de Saint-Jacques de Compostelle ; au sud, se trouvent les indications de la Spania, ainsi que les villes de Toletum, Olisbona (Lisbonne), Tarragona et Kartagine. Par ailleurs, à la fin du dixième siècle, le Codex de Vigilanus (a0 974/976, fol. 142r.) et Codex de San Millém (a 0 992, fol. 129v.) nous transmettent chacun une représentation de la civitas regia toletana avec notamment les églises Sainte-Marie et Saints-Pierre-et-Paul, principaux lieux de réunion des conciles57 • La Chronique d'Albe/da nous livre le plus d'indications concrètes sur l'Espagne wisigothique, dans son Etude de toute la terre et son Etude de l'Espagne qui reprennent des œuvres géographiques antérieures. Nous y découvrons une description de la géographie de l'Espagne et de son organisation ecclésiastique, qui évoque même l'ancienne domination gothique au-delà des Pyrénées, puisque « la Gaule ne fait pas partie des provinces d'Espagne, mais elle était sous le documentas de la Catedral de Oviedo, éd. par S.A.Garcia Larragueta (Oviedo: Instituto de
estudios asturianos, 1962), no 2. 54 Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.ll5. 55 C. Cid Priego, 'Santiago el Major en el texto y en las miniaturas de los codices del 'Beato", Compostellanum 10 (1965), 587-638 (620-621, n. 45). 56 Reproduction de la carte (f. 34v.-35r.) dans : J.W. Williams, 'Le Commentaire IllustréPlanches', dans Los Beatos [exposition, Bruxelles, Europalia 1985] (Bruxelles : 1985), pp.l997 (pp.39-40). 57 R.E. Reynolds, 'The civitas regia toletana before the reconquista : a mozarabic vision in the codice Vigilanus and Aemilianensis', dans Estudios sobre Alfonso VI y la reconquista de Toledo [Actas del II Congresso Internacional de Estudios Mozarabes, Toledo, 1985] 3
(Toledo: Instituto de Estudios Visig6tico-mozarabes, 1989), pp.153-184.
38
CHAPITRE!
gouvernement des Goths: la métropole de Narborme, Béziers, Agde, Maguelone, Nîmes, Lodève, Carcassone, Elne, Toulouse» (§ III). Aussi, il n'est pas étonnant que l'auteur cultivé de l'Historia Silense parle d'une Espagne Citérieure se prolongeant «jusqu'au Rhône» (totam Citeriorem Ispaniam adusque Rodanum flumen, p.l47), allusion évidente à la province de Septimanie, et appelle les territoires d'al-Andalus dévastés par Ferdinand rer les «provinces de Bétique et de Lusitanie» (p.198). Cette nostalgie du passé place alors les Mozarabes dans une situation politique difficile à assumer.
II Mozarabes et musulmans : une difficile coexistence Pour de nombreux chrétiens d'al-Andalus, l'invasion n'est pas interprétée dans une perspective providentielle, mais comme le fruit de la vengeance persormelle de Julien ; gouverneur de Tingitane, celui-ci veut rétablir la justice après l'injure que provoque le viol de sa fille par Rodrigue, le dernier roi wisigoth. Cette tradition mozarabe, qui présente l'invasion comme la conséquence d'une juste réparation, est liée à une acceptation de la nouvelle dorme politico-religieuse58 . En revanche, la position de l'auteur de la Chronique de 754 est plus ambigüe et reflète le malaise d'une autre partie de la communauté mozarabe, qui se trouve écartelée entre sa soumission aux envahisseurs, la conception providentielle de 1'histoire et la nostalgie du passé.
A. La soumission des Mozarabes
La position politico-religieuse de la Chronique de 741 est significative de ce parti mozarabe entièrement soumis aux musulmans. Comme l'a justement souligné R. Barkai59 , ce texte décrit avec neutralité l'expansion musulmane, en ne portant aucun jugement de valeur et en gommant sa dimension religieuse. Mahomet est un chef politique, un princeps, auquel 1'auteur n'hésite pas à recormaître des qualités : il est né d'une «tribu très noble» (de tribu illius gentis nobilissima natus), il est «prudent» et clairvoyant (§ 13) ; dans la suite du récit, certains de ses successeurs
58
T. Deswarte, 'Le viol commis par Rodrigue et la perte de l'Espagne dans la tradition mozarabe (VIIIe-XII" siècles)', dans Mariage et sexualité au Moyen Age [Colloque international, Conques, 1998], dir. par Michel Rouche (Paris: Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2000), pp.69-79. 59
R. Barkaï, Cristianos y musulmanes en la Espafia medieval : el enemigo en el espejo (Madrid: Rialp, 1984), pp.22-27.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
39
bénéficient aussi de jugements favorables 60 . Le terme même de Sarrasins utilisé par le chroniqueur, est initialement sans connotation religieuse, car il vient du grec Sarakenoi, dérivé de Saraka, ville d'Arabie et région du Sinaï ; à partir du sixième siècle, il est souvent utilisé à Byzance pour désigner l'ensemble des Arabes, puis les musulmans 61 . Les conquêtes musulmanes sont uniquement politiques, puisqu'elles sont provoquées par la rébellion des « Sarrasins» contre les «Romains» (§ 12). Plus tard, en 711, le « royaume des Goths » est « terrassé » et les musulmans imposent des «tributs» (§ 36). Quelques années plus tard, la défaite musulmane de Toulouse est simplement décrite comme la conséquence d'une lutte purement politique, entre deux peuples : le chef musulman, arrivé devant la ville « par une bravoure inattendue », est tué avec une partie de son armée par le « peuple des Francs » dirigé par le duc Eudes(§ 42). Pourtant, l'auteur n'ignore pas la religion des envahisseurs : «les Sarrasins affirment dans tous leurs serments et écrits que Mahomet est un prophète et un apôtre de Dieu» (Dei apostolum et prophetam, § 17). Il qualifie même trois fois les musulmans d'« Ismaélites » (§ 21), terme dont la dimension religieuse est évidente. Dans le livre de la Genèse, Ismaël est le fils d'Abraham et d'Agar : cette dernière était devenue la concubine du prophète à la demande même de Sara, sa femme légitime, qui désespérait d'être enceinte (Gn 16) ; mais, après avoir enfanté un fils, Isaac, Sara chasse Ismaël et sa mère dans le désert du Sinaï (Gn 21, 8-20). Cependant, suivant la promesse faite par Yahvé à Abraham d'accorder une grande descendance à Ismaël-« douze princes» à l'origine d'une« grande nation»- (Gn 17, 20), ce dernier donne naissance à douze fils, à l'origine de douze« clans» (Gn 25, 12-16 et 1 Ch 1, 29-31), qui sont appelés« Ismaélites »et sont implantés au nord de l'Arabie (Gn 37, 25-28). Par la suite, l'image d'Ismaël et des Ismaélites demeure très négative dans les récits juifs et chrétiens. Ainsi, dans la Genèse, Ismaël n'est qu'un bâtard et ne bénéficie pas de l'alliance de Yahvé (Gn 17, 20-21) ; d'après d'autres livres de l'Ancien Testament, les Ismaélites sont connus pour leurs razzias en Israël (Jg 8, 24 et Ps 83, 7), et certaines traditions juives affirment qu'Ismaël persécutait Isaac 62 • Les premiers écrits chrétiens vont dans le même sens. Ainsi, saint Paul, de manière allégorique, voit dans Agar et Sara l'image des «deux alliances» : Ismaël, enfant «né selon la chair», persécutait Isaac,« l'enfant de l'Esprit» (Ga 4, 21-31). Cette appellation péjorative est reprise par les chrétiens orientaux pour désigner les musulmans : elle implique une association entre les musulmans et les descendants de la première alliance, la« Jérusalem actuelle, qui de fait est esclave avec ses enfants » (Ga 4, 25). Mais, simultanément, ce terme biblique est aussi récupéré par les 60
Barkaï, Cristianns y musulmanes, pp.22-27.
61
'Sarrasin', dans Trésor de la langue Française: dictionnaire de la langue du XIX et du
XX" siècle (1789-1960) (Paris: Gallimard) 15, p.73. 62
Bible de Jérusalem (Paris : Cerf), p.1683, note h.
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CHAPITREI
musulmans, puisque la tradition post-coranique considère qu'Ismaël est l'ancêtre des Arabes 63 • Cette ascendance les rattache ainsi directement à Abraham. L'ambivalence de ce terme et le contexte très neutre de ce récit nous interdisent donc de conférer ici une connotation péjorative au qualificatif d'Ismaélite; l'auteur ne fait que reprendre, sans a priori, un mot commun aux vocabulaires musulman et chrétien. La soumission au nouveau pouvoir musulman est aussi manifeste chez l'auteur de la Chronique de 754. L'histoire politique d'al-Andalus est détaillée sans aucun parti pris, notamment lors des révoltes qui secouent l'Espagne musulmane et à l'occasion des nombreux conflits entre musulmans et Francs(§ 81). En outre, l'Hispania forme toujours une entité politique, appelée «royaume d'Ibérie» (regnum !herie) et «principat d'Espagne» (principatum Spanie), dont l'histoire, qui échappe désormais à la domination gothique, continue sous le gouvernement des musulmans (§ 59). Comme dans l'historiographie isidorienne, l'Espagne est personnifiée, quand l'auteur présente «toute l'Espagne» tremblant d'effroi face à certains souverains musulmans (§ 82). Au neuvième siècle, le copiste du plus ancien manuscrit de cette chronique ajoute dans la marge, au paragraphe qui commence l'histoire politique de l'Espagne musulmane, le titre de «Gestes de l'Espagne» (Gesta Spanie, § 69). AlAndalus est donc appelé «Espagne »64 parce qu'il occupe la majeure partie de la péninsule, correspondant à l'ancienne Espagne wisigothique65 , mais aussi parce que l'Espagne est toujours considérée comme une entité politique en soi, désormais dominée par un nouveau peuple. Cette reconnaissance formelle de la légitimité du pouvoir musulman n'empêche pas l'auteur d'avoir une approche religieuse des événements, qui demeure cependant peu développée en raison de sa soumission au pouvoir musulman.
B. La Chronique mozarabe de 754 : entre providentialisme et adventisme La dimension ecclésiastique et, plus généralement, religieuse du récit est très présente, sans pour autant cautionner une quelconque volonté de révolte contre les musulmans. L'auteur éprouve un constant intérêt pour les affaires ecclésiastiques du royaume, certainement pour souligner la permanence de l'Eglise après 711 66 • La différence religieuse entre les deux communautés est bien connue. Après l'invasion de la péninsule, l'appelation de «Goths» disparaît et ne subsiste que celle de 63
R. Paret, 'Isma-'i-l', dans Encyclopédie de l'Islam : nouvelle édition (Leiden : E.J. Brill, 1978) 4, pp.192-193. 64
J. Vallve Bermejo, 'Al-Andalus como Espafia', dans Espafia: Reflexiones sobre el ser de Espana (Madrid: Real Academia de la Historia, 1997), pp.77-94. 65
Contra : Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, p.325-332, notamment
p.326. 66
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.91-97.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
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«chrétiens »67 • Simultanément, les envahisseurs sont désignés selon une terminologie tout à fait classique et neutre : ils sont ainsi appelés « Arabes » ou « Maures », suivant leur appartenance ethnique, mais aussi « Sarrasins » et « Ismaélites »(§52, 69, 79, 80, 82 et les deux paragraphes interpolés). Parfois, les musulmans font cependant l'objet d'appréciations péjoratives : Mahomet fait souffrir les Romains, gouverne avec tyrannie et cruauté ; plus tard, les conquêtes, notamment celle de Tolède, sont en partie le résultat de fraudes ; enfin, les gouverneurs musulmans d'al-Andalus sont souvent décrits comme cruels 68 . Mais R. Barkai remarque à juste titre que ces jugements sont exempts de toute dimension religieuse et que, d'une façon générale, la différence religieuse ne génère en soi aucun antagonisme entre chrétiens et musulmans 69 . De même, la conception providentielle de l'histoire n'est pas pleinement développée. L'invasion, fruit d'un «jugement de Dieu » (judicio Dei, § 54), est certes le plus grave de tous les désastres «que cause ce monde impur depuis Adam jusqu'à nos jours, à travers d'innombrables régions et cités » (§ 55). Au neuvième siècle, le copiste du plus ancien manuscrit de la chronique qualifie l'invasion musulmane de 711 de «condamnation de l'Espagne» (§ 55). Cette conception de l'histoire est conforme à la doctrine des Pères de l'Eglise des quatrième et cinquième siècles : l'étude du passé met en évidence l'intervention de la Providence de Dieu dans sa création afin de réaliser son plan de salut, et permet de dégager des leçons. Dans la péninsule ibérique, Paul Orose, disciple de saint Augustin, associe explicitement dans son Traité contre les Païens (Adversus Paganos) le bonheur à la clémence de Dieu et le malheur à sa punition, qui constitue alors une expiation des fautes passées70 • Quelles sont les fautes à l'origine de ce jugement de Dieu? L'auteur ne met nommément aucune personne en cause. Cependant, G. Martin a bien montré que la chute du royaume sanctionne un désordre des relations entre la Couronne et l'aristocratie d'une part, entre elles deux et l'Eglise d'autre part. Je vois ce premier texte, sinon comme un règlement de comptes, du moins comme le bilan amer d'une marginalisation, celle d'un des trois pôles fondamentaux de l'Etat visigothique71 .
En effet, à la fin de l'époque wisigothique, le pouvoir royal a marginalisé l'Eglise: aucun concile n'est réuni sous les deux derniers rois. Le chroniqueur 67
K.B. Wolff, Conquistadors and Chronicles of Early Medieval Spain (Liverpool: Liverpool University Press, 1990), p.40. 68
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.85-87.
69
Barkaï, Cristianos y musulmanes, pp.27-29.
70
Garcia Moreno, El fin del reina visigodo de Toledo, pp.22-23. E. Cizek, Histoire et historiens à Rome dans l'Antiquité (Lyon: Presses Universitaires de Lyon, 1995), p.328. 71
G. Martin, 'La chute du royaume visigothique d'Espagne dans l'historiographie chrétienne des VIIIe et IXe siècles', Cahiers de Linguistique Hispanique Mediévale 9 (1984), 207-233 (212).
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CHAPITRE!
ressent profondément cette situation : dans son récit, le roi Egica est blâmé, car il a durement réprimé une conjuration en 693, dirigée en réalité par l'évêque de Tolède. En revanche, Witiza est loué pour avoir rappelé les proscrits ; plus tard, ce dernier est pourtant dénoncé, parce qu'il harcèle les clercs de l'Eglise tolédane. Enfin, le dernier roi, Rodrigue, « a envahi le royaume » avec le soutien du Sénat et de l'armée, «en usant d'intrigue et de fourberie» et «par ambition» (§ 52), c'est-àdire sans le consentement de l'Eglise. Plus spécifiquement, l'auteur dénonce le désordre généralisé qui règne en Espagne au moment de l'invasion : la couardise du métropolitain de Tolède est soulignée, car il abandonne son troupeau « non comme un pasteur mais comme un mercenaire» (cf. Jn 10, 11-12), et se réfugie à Rome (§ 53) ; l'invasion de la péninsule se fait dans une atmosphère de guerre civile, puisque «l'Espagne est dévastée par une fureur non seulement ennemie mais aussi intérieure » (nimium non solum hostili verum etiam intestino furore, §54). Cependant, les fautes qui entraînent ce drame ne sont pas clairement mises en relation avec l'événement; les musulmans ne sont pas explicitement décrits comme les instruments de la punition divine; et, surtout, l'auteur ne tire de cette interprétation providentielle aucune conséquence politico-religieuse pour son époque. En effet, après 711, les interventions de la providence divine respectent le nouveau cadre politico-religieux. Certes, un chef musulman qui persécutait la communauté chrétienne subit un châtiment divin immédiat, mais il est aussi châtié comme rebelle par l'émir lui-même ... (§ 79). De même, une interpolation légèrement postérieure à la rédaction initiale de la chronique loue Theudimer pour sa lutte contre les «Arabes», en faveur de la foi chrétienne; l'auteur se réjouit ensuite du« pacte (pactum) que ce rebelle avait naguère reçu d'Abdilaziz et que ce dernier a fermement rétabli» (§ 87-1). Dans cette chronique, le maintien de la spécifité religieuse chrétienne n'est donc pas associé à un rejet de la domination politique musulmane ; il lui est même lié. La description d'une révolte chrétienne dans le nord du pays en 737, que J. Gilet L.A. Garcia Moreno ont identifié comme la bataille de Covadonga72 , est significative. Elle comprend certains éléments, plus tard présents dans les récits des chroniques asturiennes : le gouverneur musulman affronte un petit groupe de chrétiens, retranché dans la montagne, qui remporte la victoire grâce à la miséricorde de Dieu et met en fuite l'ennemi ; Abd al-Malik (735-737) est ainsi «vaincu par la puissance de Dieu (convictus de Dei potentia), de laquelle les chrétiens, cependant très petits [... ] attendaient miséricorde » ( § 81 ). Mais, 1' auteur n'approfondit pas son approche religieuse, providentielle de la guerre73 , afin de ne
72
1. Gil Fermindez, 'Para la edici6n de los textos visigodos y mozârabes', Habis 4 (1973), 189-234. Garda Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', 374-376. 73
Garda Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', 374-380.
7JJ,fin du monde ou fin d'un monde?
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pas éveiller d'espoirs de libération chez les chrétiens74 : Covadonga est décrit comme une de ces révoltes qui secouent périodiquement al-Andalus, mais qui, ici, n'aboutit à aucun pacte. Fondamentalement, la domination musulmane n'est jamais contestée par l'auteur75 , qui fait ainsi preuve d'une grande prudence imposée par son statut. Il est donc difficile de dire qu'il pense « en terme de liberté et de reconquête »76 • Partagée entre la reconnaissance de la légitimité du pouvoir musulman et l'approche providentielle de l'histoire, sa pensée est marquée par une contradiction certaine, qui le conduit à transformer plus ou moins confusément son attente d'une prochaine libération en une attente eschatologique adventiste : fin d'un monde et fin du monde semblent se rejoindre. Cette attente d'une fin imminente du monde apparaît en filigrane, car les musulmans sont implicitement assimilés aux précurseurs de l'Antéchrist, aux forces du Mal qui, d'après l'Apocalypse, doivent se déchaîner avant le triomphe final du Christ: la date de la mort de Mahomet, qui n'est pas le fruit d'une interpolation postérieure, est intentionnellement décalée de l'année 670 de l'ère (632 de l'Incarnation) -date exacte par ailleurs connue de l'auteur- à 666 (628 de l'Incarnation), et se trouve par là même implicitement associée au nombre de la Bête (Apocalypse 13, 18). En revanche, si le chroniqueur connaît le comput d'EusèbeJérôme par le De comprobatione sextae aetatis de Julien de Tolède, il ne l'utilise jamais pour spéculer sur une prochaine fin du monde: ce comput ne lui sert qu'à dater l'Incarnation de la 5200e année depuis la création du monde, de sorte que, peu après la rédaction du neuvième siècle, un scribe ajoute dans la marge d'un autre folio que la fin du sixième millénaire doit survenir cent vingt-huit années après 710 de l'ère, c'est-à-dire en 800 de l'Incarnation(§ 95 et§ 35 (A)) 77 . Plus généralement, S. Gouguenheim a justement montré que le thème de la prophétie, la théorie des six âges du monde et la tension eschatologique individuelle ne sont pas en soi adventistes 78 : l'adventisme -à distinguer de l'attente eschatologique commune à tout chrétien- c'est l'attente programmée d'un second avènement du Christ sur terre. Cette chronique ne manifeste donc pas tant une « prédisposition prophétique »79 qu'un adventisme très discrètement sous-entendu dans la date de 666. 74
Wolff, Conquistadors and Chronicles, pp.36-43. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.91-97. 75
Garda Moreno, El fin del reina visigodo de Toledo, p.50.
76
Contra: Garda Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', 377.
77
Contra : Barbero et Vigil, La formaci6n del feudalismo, p.251. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.87-91. 78
S. Gouguenheim, Les fausses terreurs de l'an mil: attente de la fin des temps ou approfondissement de la foi? (Paris :Picard, 1999), pp.65-78 et pp.97-99. 79
J. Guadalajara Medina, Las profecias del Anticristo en la Edad Media (Madrid : Gredos, 1996), p.255.
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CHAPITRE!
Qui plus est, cet adventisme confus, provoqué par le traumatisme de 711, ne continue pas une ancienne tradition romaine et hispanique, avant «l'abandon du millénarisme ou des grandes espérances messianiques dans l'Espagne du dixième siècle »80 • Ainsi, il n'existe aucun adventisme dans le De comprobatione sextae aetatis de Julien de Tolèdé', écrit contre les juifs attendant la venue du Messie en 6000 anno mundi. En effet, le métropolitain, après avoir suivi le comput d'EusèbeJérôme, met au point un autre calendrier dans lequel l'année 686 de l'Incarnation correspond à la 6011 c année depuis la création du monde 82 ; surtout, à l'instar de saint Augustin et de saint Isidore, il interprète la théorie des six âges du monde d'une manière spirituelle et orthodoxe: «Le temps restant de ce sixième âge, c'està-dire depuis le temps présent jusqu'à cette heure de la fin du siècle [ ... ] est connu de Dieu seul » (soli Dea est cognitum ). En revanche, l'adventisme implicite de la Chronique de 754 est peut-être influencé par une homélie faussement attribuée à l'évêque Méthode de Patara et rédigée initialement en grec à la fin du septième siècle. Celle-ci résume 1'histoire du monde, puis prédit les victoires musulmanes en Orient, avant l'anéantissement total de l'Islam et le règne d'un «roi des Romains», qui remettra sa royauté et son royaume à Dieu lors de la fin du monde. Les premiers manuscrits latins de ce texte prophétique et millénariste sont du huitième sièclé 3 • Durant les siècles suivants, le Pseudo-Méthode circule dans la péninsule, puisque le Codex de Roda contient un extrait de la première partie, historique ; plus tard, il est cité dans plusieurs œuvres du treizième siècle, et est conservé en castillan dans un manuscrit du seizième siècle, qui recopie un codex du siècle précédent84 . Or, un manuscrit du dixième siècle et des codex de l'époque moderne, notamment la version castillane du Pseudo-Méthode, ajoutent l'Espagne, la Gaule, la Germanie et 1'Agathonid 5 à la liste initiale des provinces orientales du «royaume des Romains» dévastées par les musulmans 86 • Ces quatre mentions permettent aux 80 A. Rucquoi, 'El fin del milenarismo en la Espafia de los siglos X y XI', dans Milenarismos y milenaristas en la Europa medieval [IX Semana de Estudios Medievales, Nâjera, 1998] (Logrofio, Instituto de Estudios Riojanos, 1999), pp.281-304 (p.291 et pp.301302). Cf. aussi : Eadem, 'Mesianismo y milenarismo en la Espafia medieval', Medievalismo 6 (1996), 9-31.
81
Contra: Barbera et Vigil, Laformaci6n delfeudalismo, pp.251-253.
82
Julien de Tolède, De comprobatione aetatis sextae, dans PL 96, cols.537-586, col.576.
83
L. V azquez de Parga, 'Algunas notas sobre el pseudo Metodio y Espafia', Ha bis 2 (1971), 143-164 (144-145). 84
V azquez de Parga, 'Algunas notas', 14 7-154.
85
Manuscrit de Vienne, n° 492 (dixième siècle), éd. parE. Sackur, Sibyllinische Texte und Forschungen: Pseudomethodius, Adso und die tiburtinische Sibylle (Halle: Niemeyer, 1898), p.82, n.2. Vazquez de Parga, 'Algunas notas', 160. 86
Sackur, Sibyllinische Texte, § 13, p.89.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
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historiens de supposer plusieurs ajouts successifs réalisés au début du huitième siècle, afin d'actualiser le texte en fonction des récents événements: au dire d'A.P. Bronisch, il y aurait une version hispanique 87 , puis, selon M. Rouche -qui traduit Agathonia par Agde- une version aquitaine 88 , et, d'après F. Prinz, une version réalisée en 732 dans le sud de la Germanie 89 • Il est alors possible que la célèbre prophétie ait favorisé cette confuse attente adventiste qui se manifeste dans la Chronique de 754. En effet, ces textes ont un autre point commun: l'assimilation des Ismaélites aux forces du Mal. Ainsi, la période de paix annoncée par le Pseudo-Méthode doit se dérouler pendant le septième millénaire et commencera avec l'invasion des «fils d'Ismaël», qui est le châtiment envoyé aux chrétiens par Dieu pour les punir de leurs péchés90 • Mais, les rapprochements s'arrêtent là, en raison du laconisme de la Chronique mozarabe de 754 à ce sujet. Simultanément, d'autres chrétiens, réfugiés dans le nord-ouest de la péninsule, refusent de reconnaître le fait accompli: 711 marque pour eux la fin d'un monde, mais non la fin du monde.
III. La royauté asturienne : un pouvoir néo-gothique En 73 7 - selon la nouvelle datation de J. Gil et L.A. Garcia Moreno -, un groupe d' Astures, dirigé par un certain Pélage91 , bat une armée musulmane à Covadonga. D'après les chroniques de la fin du neuvième siècle, il met en place un nouveau royaume, chrétien. Dans cette entité politique, la continuité culturelle avec l'époque précédente est patente. Nous pouvons appliquer aux Astures la conclusion de M. Zimmermann sur 1'héritage culturel wisigothique en Catalogne : C'est bien à la manière d'un patrimoine culturel et national que les Catalans du neuvième siècle proclament leur gothicité. Il suffira de rappeler leur fidélité à l'onomastique wisigothique, la tonalité isidorienne de la culture, et surtout l'allégeance permanente à la loi de Tolède, invoquée en tête des documents de la pratique comme un signe de reconnaissance nationale92 . 87
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.l47-149.
88
M. Rouche, L'Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781): naissance d'une région (Paris : EHESS-J. Touzot, 1979), p.415. 89
F. Prinz, 'Eine frühe abendliindische Aktualisierung der lateinischen Übersetzung des Pseudo-Methodios', Deutsches Archiv Jür die Geschichte des Mittelalters 41 (1985), 1-23. 90
Sackur, Sibyllinische Texte,§ 11, pp.S0-81.
91
Voir l'arbre généalogique des rois asturo-léonais à la planche 8, p.88.
92
M. Zimmermann, 'Aux origines de la Catalogne : géographie politique et affirmation nationale', Le Moyen Age 89 (1983), 5-40 (16).
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Surtout, cet attachement au passé se manifeste dans les sources contemporaines par un « désir de continuité » avec la période précédente, selon la juste expression d'A. Rucquoi 93 , ou plus exactement par la volonté de renouer avec un passé que 1'on considère détruit.
A. Une culture romano-wisigothique
De nombreux historiens sont d'accord pour souligner la continuité culturelle entre le royaume de Tolède et le royaume asturien. Ainsi, d'après M.C. Diaz y Diaz, les bibliothèques du nord sont alimentées par de nombreux manuscrits wisigothiques apportés du sud par les immigrants mozarabes dès les premières décennies postérieures à l'invasion94 . Ces livres arrivent tout d'abord en majorité dans les Asturies, comme à San Pedro de Camarmefia où sc trouvait un lot d'ouvrages antiques 95 . Puis, à partir du neuvième siècle, le flux de manuscrits s'oriente essentiellement vers la région de Le6n, dans les bibliothèques royales. Dès le milieu du dixième siècle, ce sont plutôt les régions de la Rioja et du sud de la Navarre qui en bénéficient96 . Simultanément, un important travail de copie des œuvres des époques antérieures est accompli à l'intérieur même du royaume, et permet le transfert jusqu'à nous d'une partie des ouvrages de l'époque wisigothique. Ainsi, les Etymologies et les Sentences d'Isidore de Séville figurent dans cinq des six bibliothèques connues du royaume, à savoir Oviedo, San Salvador de Oviedo, les monastères de Samos, Celanova et Abeliar ; en outre, les deux premières possèdent chacune un exemplaire des Histoires, des Chroniques et du De Natura rerum 97 • Cette richesse documentaire, dont témoigne à la fin du huitième siècle l'importante culture de Beatus de Liebana, explique que, paradoxalement, les chrétiens de Tolède se tournent vers les bibliothèques du nord pour acquérir de nombreux manuscrits, après la prise de la ville en 1085 98 • Cet héritage intellectuel n'est pas mort. Ainsi, la société demeure organisée suivant les règles de l'époque wisigothique. Le Liber Judicum, promulgué en 654, reste le code officiel de droit civil, qui réunit les lois des rois wisigothiques. Il s'inspire en partie du Bréviaire d'Alaric, qu'il remplace. Cet abrégé du Code 93
Rucquoi, Histoire médiévale, p.l62.
94
M.C. Diaz y Diaz, 'La circulation des manuscrits dans la péninsule ibérique du VIle au IXe siècle', CCM12 (1969), 219-241 et 383-392 (391). 95
Diaz y Diaz, Côdices visigôticos, p.220.
96
Diaz y Diaz, 'La circulation des manuscrits', 220-228.
97
Diaz y Diaz, Côdices visigôticos, 220-246.
98
Diaz y Diaz, 'La circulation des manuscrits', 392.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
47
Théodosien avait été composé sur l'ordre du roi wisigoth en 506 pour ses sujets gallo-romains 99 • Un seul codex de l'époque wisigothique nous transmet ce Bréviaire, sur cent cinq folios écrits en onciale entre 546 et 660 et conservé à la cathédrale de Le6nw0 . Ce palimpseste est gratté au neuvième siècle 101 . Le Liber est complété par des formules notariales de l'époque wisigothique, qui sont à l'origine des formulaires des actes diplomatiques asturo-léonaisw2 • Il est systématiquement utilisé à partir du début du dixième siècle dans les procès 103 . Plusieurs manuscrits du Liber sont alors confectionnés dans le royaume d'OviedoLeon jusqu'au onzième siècle inclus 10\ dans un but clairement pratique 105 ; deux ouvrages ont été copiés aux marges du royaume, dans la Rioja, au monastère San Martîn de Albelda (Codex de Vigilanus, a 0 974/976Y 06 et à San Millan de la Cogolla (Codex de San Milùin, a 0 992) 107 ; deux autres ont été rédigés à l'intérieur même du royaume, l'un au dixième sièclew8, l'autre en 1058 par un certain Munio pour Ferdinand rr et Sancha 109 • La collection canonique Hispana est aussi utilisée 99
Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, éd. parT. Mommsen et P.M. Meyer, 3 vols. (Berlin: 1905), 1-I, pp. CCCVII -CCCXIII. 100
Theodosiani libri XVI, 1-I, pp.LXX-LXXI.
101
Cridigo de A/arien II: fragmentas de la 'Ley romana' de los Visigodos conservados en un c6dice palimpsesto de la catedral de Leon, éd. par Max Cornat (Leon : Fundacion Sanchez Albornoz, 1991 ; 1re éd., 1886). 102
C. Rodifio Carames, 'A lex gôtica e o Liber Judicum no reino de Leon', CEG 43 (1997), 9-52. 103
R. Collins, "Sicut lex Gothorum continet' : Law and Charters in ninth and tenthcentury Leôn and Catalonia', The English Historical Review 100 (1985), 489-512. 104 Leges Visigothorum, éd. par K. Zeumer, dans MGH: Leges sectio I (Leges nationum Germanicarum) 1 (Hannover et Leipzig: 1902), pp.XIX-XXV: manuscrits no 8, 15, 18, 19 et 20. 105
Rodifio Carames, 'A lex gôtica', p.12 et 44.
106
Ms. no 18 dans M.C. Diaz y Diaz, 'La Lex Visigothorum y sus manuscritos', AHDE 46 (1976), 163-224 (168). S. Silva Verastegui, 'Los monasterios riojanos y el arte de la miniatura en el Alto Medioevo', dans III Semana de Estudios Medievales [NLijera, 1992] (Logrofio: Instituto de Estudios Riojanos, 1993), pp.213-231 (pp.218-219). 107
Ms. n° 19 dans Diaz y Diaz, 'La Lex Visigothorum', 169. Silva Verastegui, 'Los monasterios riojanos', pp.225-226. 108
Ms. no 8 dans Diaz y Diaz, 'La Lex Visigothorum', 191-192. Il arrive à Tolède au tournant des dixième et onzième siècles. 9
Ms. no 20 dans Diaz y Diaz, 'La Lex Visigothorum', 169, 196-199 et 221. Ce manuscrit appartenait à San Isidoro de Leon. Une autre copie comporte un prologue de 981, peut-être rédigé en Castille; mais, la copie elle-même de la Lex est datée de 1188 (ms. no 15 dans Diaz y Diaz, 'La Lex Visigothorum', 168). !0
CHAPITRE I
48
jusqu'au douzième siècle 110 . Elle figure ainsi dans les Codex de Vigilanus et de San Mil/an. D'une manière générale, les usages de l'Eglise demeurent intactes: la liturgie wisigothique est en vigueur jusqu'à la fin du onzième siècle ; la règle monastique de cette époque est l'héritière de la regula communis de saint Fructueux, datée du septième siècle; le sanctoral s'ancre dans les cultes wisigothiques 111 ; les passions copiées à cette époque sont en écrasante majorité consacrées à des martyrs déjà vénérés avant 711. Difiérentes études confirment à un niveau régional cette permanence. J. Mattoso, en s'appuyant sur les travaux du chanoine P. David et du père A. da Costa, insiste sur la continuité de peuplement, mais aussi sur celle culturelle, religieuse - culte des saints, liturgie- et juridique -droit canonique et droit civil- dans le Portugal médiéval 112 • J.M. Piel explique la survie de l'onomastique germanique dans cette Espagne chrétienne par un « culte conscient » du passé dans une phase d'« exaltation nationale »113 . Même dans la Catalogne soumise au pouvoir franc, M. Zimmermann constate que la liturgie wisigothique est toujours en vigueur, que les monastères sont encore gouvernés par le système du pacte, que le droit séculier est toujours celui du Liber, et que la culture est très influencée par les écrits d'Isidore de Séville 114 • Cette continuité suppose une forte intégration de la société asturienne d'avant 711 à la civilisation wisigothique, comme l'ont prouvé J. Montenegro et A. del Castillo. Leurs conclusions battent en brèche les recherches initiées par A. Barbero et M. Vigil, qui insistent sur l'isolement et l'originalité des sociétés du nord, très peu urbanisées et encore organisées dans le cadre de la tribu115 • J.M. Mînguez 116 a 110
A. Garcia y Garcia, 'Del derecho can6nico visog6tico al derecho comun medieval', dans Estudios sobre Alfonso VI y la reconquista de Toledo [Actas del Il Congresso lnternacional de Estudios Mozarabes, Toledo, 1985] (Toledo: Instituto de Estudios Visig6tico-Mozârabes, 1987), pp.l65-185. 111
J. Orlandis, 'Le royaume wisigothique et son unité religieuse', dans L'Europe héritière de l'Espagne wisigothique, pp.9-16. 112
Mattoso, 'Les Wisigoths dans le Portugal médiéval', pp.325-339.
113
J.M. Pie!, 'Antroponimia germânica', dans Enciclopedia lingüîstica hispânica, dir. par M. Alvar, A. Bodia et R. de Balbin, 1-I: Antecedentes. Onomâstica (Madrid: CSIC, 1960), pp.421-444. 114 M. Zimmermann, 'Conscience gothique et affirmation nationale dans la genèse de la Catalogne (IX-XIe siècles)', dans L'Europe héritière de l'Espagne wisigothique, pp.51-67 (pp.55-57). 115 Barbero et Vigil, 'Sobre los origenes sociales de la Reconquista', p.21. Idem, 'La organizaci6n social de los Cântabros'. 116
J.M. Minguez Femândez, 'La cristalizaci6n del poder politico en la época de Alfonso III', dans La época de Alfonso III y S. Salvador de Valdedîos [Congreso de Historia Medieval, Oviedo, 1993], dir. par Francisco Javier Femândez Conde, Publicaciones del
71J,fin du monde oufin d'un monde?
49
récemment repris à son compte cette théorie et constate, sans apporter aucune preuve, le maintien du système tribal cantabro-asturien et la faible implantation romaine puis wisigothique ; puis, il affirme gratuitement que la famille conjugale, fruit d'une évolution sociale, et le dépeuplement, qui manifeste une désorganisation politique, contredisent l'existence d'une véritable monarchie. Aussi, au début du huitième siècle, il règne une « situation politique et sociale qui contredit ouvertement la thèse de l'existence d'une 'monarchie asture' »; selon lui, une simple chefferie militaire évolue lentement vers la monarchie, en raison des nouvelles conditions socio-économiques et grâce à l'élaboration tardive d'une théorie néo-gothique du pouvoir politique. L.A. Garcia Moreno a tenté de tenir une via media entre ces deux positions : il reconnaît la véracité d'une bonne partie des conclusions de J. Montenegro et A. del Castillo, notamment sur la romanisation et la christianisation du nord-ouest ibérique, et décrit ainsi les Astures « emacinés dans la réalité wisigothique antérieure » ; mais il refuse de suivre complètement cette théorie et parle même de l'« ethnogénèse propre » que réalisent les fondateurs du nouveau royaume, qui sont installés « dans la périphérie de l'Espagne wisigothique, dans une zone géographiquement et socioculturellement marginale » 117 . La marginalité et l'originalité de ces régions au sein du royaume wisigothique doivent cependant être fortement relativisées. En effet, à côté du maintien de particularismes locaux et d'une nette tendance à la rébellion pendant la première moitié du septième siècle 118 , cette région connaît une bonne romanisation et christianisation119 • J.I. Ruiz de la Pefia Solar rappelle l'abondance de témoignages épigraphiques romains et chrétiens dans la région de Cangas, la première capitale, et plus généralement dans les Asturies 120 • De même, la provincia de Galice, dont la capitale est Lugo, sort de la période préhistorique grâce à l'occupation romaine: elle est dotée d'une agriculture et d'une population sédentaire organisée autour de castra et de villes 121 , et recèle de nombreux témoignages épigraphiques de l'époque romaine 122 • Departamento de Historia y Artes, Area de Historia Medieval 16 (Oviedo: Universidad, 1994), pp.55-78 (p.63). 117 Garcia Moreno, 'Covadonga, rea1idad y leyenda', 356 et 378. 118 Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', pp.40-41. 119 Montenegro et Castillo, 'Anâlisis critico sobre algunos aspectos', 403. Voir aussi : A. Besga Marroquin, Origenes hispano-godos del reina de Asturias (Oviedo : Real Instituto de Asturias, 2000). 120 Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', pp.33-35. 121 E. Portela Silva, 'Galicia y la monarqufa leonesa', dans El Reina de Leon en la Alta Edad Media 7, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 58 (Leôn: CEISI, 1995), pp.9-70 (p.24). 122 F. Arias Vilas, A. Tranoy et P. Le Roux, Inscriptions romaines de la province de Lugo
50
CHAPITRE 1
Simultanément, J. Arce, A. del Castillo et J. Montenegro nient à juste titre l'existence d'un limes entre le royaume wisigothique et la région des Asturies 123 , contre l'avis d'A. Barbero et M. Vigil 124 • Comme l'a prouvé L.A. Garcia Moreno, deux circonscriptions ont été créées entre 653 et 683 dans le nord-ouest ibérique, avec un dux à leur tête : la province des Asturies, avec pour capitale Astorga, et celle de Cantabrie, dont la capitale est Amaya 125 • Ces créations, qui ont pour but d'assimiler des territoires récemment pacifiés, sont alors dotées d'importants effectifs militaires qui, plus tard, facilitent certainement le soulèvement de Pélage 126 • Les musulmans reprennent probablement ces structures administratives, puisque la Chronique d'Alphonse III nous apprend que Munnuza gouverne la regio Asturiensium 127 • A la même époque romano-wisigothique, la faible urbanisation et le maintien du système tribal dans cette zone asturienne, n'empêchent pas la mise en place du réseau d'encadrement des cités et la création de nombreuses villae 128 • Cette région participe donc incontestablement de la civilisation romano-wisigothique. En fait, à l'interrogation d'Y. Bonnaz sur la question de cette continuité, nous pouvons répondre que « 1' essentiel de 1'héritage transmis à 1'Espagne [ ... ] le fut [ ... ] dès le VIlle siècle», sans attendre une immigration mozarabe qui demeure, à cette époque, limitée 129 • A cette permanence culturelle, est associée une continuité politique, ou, plus exactement, une volonté royale d'inscrire son pouvoir dans la lignée des empereurs et des rois précédents. Cette ambition politique suppose une franche rupture avec le pouvoir musulman.
(Talence : Université de Bordeaux III, De Boccard, 1979). 123
J. Montenegro et A. del Castillo, 'De nuevo sobre don Pelayo y los origenes de la Reconquista', Espacio. Tiempo y Forma, serie II: Historia Antigua 8 (1995), 507-520 (510512). 124
Barbero et Vigil, 'Sobre los origenes sociales de la Reconquista', 13-21. L.A. Garcia Moreno, 'Estudios sobre la organizaciôn administrativa del reino visogodo de Toledo', AHDE 44 (1974), 5-155 (87-103). 125
Garcia Moreno, 'Estudios sobre la organizaciôn administrativa', pp.l38-149. Sur ce duché de Cantabrie, cf. aussi : J. Gonzalez Echegaray, 'La Nota de Cantabria del côdice emilianense 39 y las citas medievales de Cantabria', Altamira 40 (1976-1977), 61-86. 126
Montenegro et Castillo, 'Don Pelayo y los origenes', 16-18.
127
Montenegro et Castillo, 'Don Pelayo y los origenes', 10-11.
128
Montenegro et Castillo, 'De nuevo sobre don Pelayo', 512-513.
129
Bonnaz, 'Divers aspects', 83 et 99.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
51
B. Une rébellion Dans les Asturies, Pélage entre en guerre contre le gouverneur musulman local. La Chronique d'Alphonse III et le recueil des Traditions rassemblées, composé avant l'an mil 130, concordent pour placer les combattants chrétiens dans un réduit, une grotte selon la chronique asturienne, une sierra selon le recueil arabe de la fin du dixième siècle. Puis, une violente attaque musulmane demeure impuissante à réduire les chrétiens retranchés. Les musulmans battent alors en retraite car, au dire du recueil musulman, ils estiment désormais négligeable le danger représenté par les combattants restants -«qu'importent trente hommes? » 131 • Dans la Chronique de 754, la bataille de Covadonga est présentée comme une des ces révoltes qui secouent périodiquement al-Andalus. A l'instar des autres chrétiens révoltés, les rebelles de Covadonga espèrent en la «miséricorde» de Dieu (de Dei potentia, a quem Christiani tandem preparvi pinnacula retinentes prestolabant misericordiam, § 81). Mais, à la différence des autres rébellions, cette guerre ne débouche sur aucun pacte puisque le chef musulman doit retraiter après sa défaite. Il y a donc un refus non pas ab initia de la domination musulmane, mais a posteriori du régime imposé par les musulmans. Cette perception des événements est confirmée par les chroniques asturiennes. Pélage y est décrit comme un aristocrate wisigothique, très probablement au service de la monarchie de Tolède 132 ; un diplôme d'Alphonse III de 869 conserve encore le souvenir de son implantation locale, puisqu'il évoque ses possessions près d'Oviedo 133 • Dans la Chronique d'Albe/da, la lutte initiée par Pélage est qualifiée de «rébellion» (revellionem, § XV-1), c'est-à-dire d'une révolte contre une autorité que l'on considérait comme légitime. Nous retrouvons le même terme employé dans la Chronique d'Alphonse III-Rotense (§ 8) puis dans le récit de la Translation de saint Isidore : « il mena la guerre contre les Sarrasins en se rebellant contre eux, dans le lieu dit Cova Santa Maria» (p.94). La rupture est exprimée de manière particulièrement violente dans la Chronique d'fria, puisqu'après l'invasion musulmane, Pélage «envahit les Asturies » (§ 4). Les raisons de sa rébellion sont explicitées par la Chronique d'Alphonse III, particulièrement dans sa version Rotense. Après l'invasion, il entretient des relations étroites avec les musulmans : ainsi, le gouverneur Munnuza 1' envoie à Cordoue en 130
Ibn al-Qutiya, Historia de la conquista de Espana de Abenalcotia el Cordobés, éd. et trad. par Juliân Ribera y Tarrago, Colecci6n de obras arâbigas de Historia y Geografia que publica la Real Academia de la Historia 2 (Madrid : Maestre, 1926), pp.XIII-XIX. 131
Ajbar Machmua (colecci6n de tradiciones) : cr6nica an6nima del siglo XI, éd. par Emilio Lafuente y Alcantara, Colecci6n de obras arâbigas de Historia y Geografia que publica la Real Academia de la Historia 1 (Madrid, 1867), pp.38-39. 132
Montenegro et Castillo, 'Don Pelayo y los origenes', 13-15 et 20-22.
133
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', pp.34-35.
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CHAPITRE!
ambassade, afin de pouvoir librement épouser sa sœur (§ 8). Cette ambassade a certainement pour but d'établir un traité de paix en bon et du forme. Puis, au retour de son ambassade, Pélage décide de rompre les relations avec les musulmans. Deux raisons sont avancées pour expliquer son revirement : le refus du mariage de sa sœur avec Munnuza et le« projet qu'il avait déjà formé de sauver l'Eglise» (salbationem eclesie). C. Sanchez Albornoz, qui n'a retenu que le premier facteur, parle ainsi de «motifs personnels» et non de «buts politiques » 134 • Pourtant, l'ensemble des sources, y compris une source musulmane postérieure (Fath Al-Andalus), prouve que cette guerre procède d'abord d'un refus du régime administratif et fiscal imposé par le nouveau pouvoir 135 . Ainsi, d'après la Chronique d'Alphonse III, les musulmans avaient prévu que « si Pélage refusait de se rendre aux conditions de l'évêque», c'est-à-dire de conclure un« traité de paix» selon l'expression employée par Oppa, «il serait capturé de force au combat et conduit jusqu'à Cordoue». Effectivement, Pélage « accablé par la domination des Ismaélites », refuse de conclure une telle paix, car il ne veut pas bénéficier seulement de 1' « usage de biens abondants» comme le lui propose Oppa. L'évêque s'exclame alors de façon significative : « à préjuger de ses intentions, si vous ne recourez pas à la vengeance du glaive, vous n'aurez pas avec lui de traité de paix»(§ 8 et 9). Après une première phase de collaboration, d'autant plus probable qu'elle est fondamentalement incompatible avec l'état d'esprit des chroniqueurs de la fin du neuvième siècle, Pélage se distingue donc des autres chrétiens en refusant rapidement ce qu'il considère comme une soumission. En ce sens, en fondant un nouveau royaume, il a bien conçu le «projet» de «sauver l'Eglise», comme le déclare la Chronique d'Alphonse III.
C. Un roi 'wisigothique' Le nouvel ensemble politique institué par Pélage reprend dès ses ongmes les concepts politiques et historiographiques antérieurs et inscrit ainsi son histoire dans la continuité. La première grande institution qui apparaisse est celle de la royauté. 1. Un rex ou princeps
Les premières sources asturiennes nous présentent le souverain comme un roi à part entière, désigné par un vocabulaire identique à celui du souverain wisigothique. Il est souvent appelé «prince» (princeps), notamment dans l'étonnante inscription en forme de labyrinthe de l'église de Santianes, près d'Oviedo, fondée par Silo (774134
Sanchez Albornoz, El reina de Asturias, p.97. Plus récemment: A. Isla Frez, 'Consideraciones sobre la monarquia astur', Hispania 55 (1995), 151-168 (153-154). 135
Montenegro et Castillo, 'Don Pelayo y los origenes', 26-27.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
53
783), et dans laquelle lui et son épouse Adosinda sont enterrés 136 • Ce titre est ensuite couramment repris dans les diplômes royaux jusqu'au règne d'Alphonse Vl 137 • L'appellation la plus courante est néanmoins celle de «roi» (rex). Elle apparaît dès le huitième siècle: en 759, une abbesse et des sœurs concluent un pacte monastique pour l'érection de San Miguel de Pedroso «en présence des susdits pères, c'est-àdire du glorieux roi Fruela et de l'évêque Valentin »138 • Plus tard, les rares diplômes royaux authentiques du neuvième siècle, notamment ceux adressés par Alphonse II (a 0 829/834) et Ordofio 1er (a0 858) à l'évêché de Saint-Jacques, utilisent le titre royal 139 • Ce dernier ne date donc pas de la fin du huitième siècle, comme le pensent M.C. Diaz y Diaz, qui y voit une influence carolingienne 140, et F. L6pez Alsina, qui associe son adoption à l'essor du culte de Santiago sous prétexte que ce titre est conféré à Maurégat dans l'hymne 0 Dei Verbum dédiée à l'apôtre 141 ; il n'est pas plus lié au règne d'Alphonse III, contrairement aux conclusions de J.l. Ruiz de la Pcfia Solar et G. Martinez Diez 142 . Selon F. Matéu y Llopis, la titulature connaît une évolution qui dénoterait une progression du pouvoir : les premiers souverains seraient d'abord sans titre, puis ils adopteraient le titre de princeps avant d'opter pour celui de rex, plus ambitieux 143 • Il 136
Diego Santos, no 175 : Silo princeps jecit.
137
Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia, p.683.
138
Pacte monastique (a 0 759), éd. par A.C. Floriano, Diplomatica espanola del periodo astur: estudio de las fuentes documenta/es del regna de las Asturias (718-910) 1 (Oviedo : 1949), n° 7. Donation par Alphonse II et Ordofio rer à l'évêché de Santiago, éd. par M. Lucas Âlvarez, La documentaci6n del Tumba A de la catedral de Santiago de Compostela : estudio y edici6n, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 64 (Leôn: CEISI, 1997), 11° 1 et 2 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-11 et 20). Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politicoreligieuse de la 'Reconquête' dans le royaume d'Oviedo-Leon (VIIr-xr siècles) (Université de Paris IV-Sorbonne : 2000), tome 2, Annexe lb, pp.503-509. 139
140 M.C. Diaz y Diaz, 'La lengua institucional en la Hispania de los siglos VI-XI', dans Ideologie e pratiche del reimpiego nell'alto medioevo = Settimane di studio del Centra italiano di studi sul! 'Alto Medioevo 46 (Spolète : Centro Italiano di Studi sull' Alto Medioevo, 1999), pp.435-458 (p.450). 141
F. Lôpez Alsina, 'La invenci6n del sepulcro de Santiago y la difusiôn del culto jacobeo', dans El Camino de Santiago y la articulaci6n del espacio hispanico [XX Semana de Estudios Medievales, Estella, 1993] (Pamplona: Gobiemo de Navarra, 1994), pp.59-83 (pp.61-62). 142
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', pp.ll2-113. G. Martinez Diez, 'Las instituciones del reino astur a través de los diplomas (718-910)', AHDE 35 (1965), 59-167 (67-69). 143
F. Mateu y Llopis, 'Consideraciones sobre nuestra Reconquista', Hispania 11 (1951), 3-46 (30).
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CHAPITRE l
est certain que deux diplômes royaux de 775 et 860 ne comportent, bizarrement, aucune titulature. En revanche, le contenu juridique, politique et idéologique des deux titres de princeps et rex est identique. Princeps est porté par les empereurs puis par les rois wisigoths, afin de revendiquer l'héritage romain ; à l'époque wisigothique, c'est même le premier qualificatif royal 144 , qui désigne le détenteur suprême du pouvoir public. Dès l'époque wisigothique, le titre de rex est utilisé simultanément, en seconde position après celui de princeps : le cinquième concile de Tolède parle de « notre glorieux princeps roi Kinthila » (gloriosi principis nostri Chinthilani regis 145 ). Ce titre de rex est le seul appliqué aux rois wisigoths dans les chroniques de la fin du neuvième siècle. Au onzième siècle, le titre de princeps est épisodiquement repris dans le même sens : dans une notice rédigée par un clerc au début du douzième siècle et consacrée à l'histoire de Braga depuis sa restauration en 1070, sont employés simultanément les termes de rex et de princeps, pour qualifier les différents rois chrétiens 146 • Cette équivalence apparaît nettement dans les commutations de pénitence du pénitentiel de Silos, confectionné entre 1060 et 1065 dans un monastère du royaume 147 : elles répartissent les laïcs en neuf catégories : imperator, princeps, cames, amirates, equestres, operator rurium qualiumquumque, mercenarius 148 ; à l'évidence, le titre de princeps est attaché au pouvoir royal. Aussi, cette pluralité de titres royaux est un héritage de la période wisigothique et ne révèle aucune évolution dans le contenu du pouvoir. Elle manifeste seulement la prétention du roi asturien à détenir la plénitude de la souveraineté, à l'instar du roi wisigoth, successeur de l'empereur en Espagne. Et, en omettant toute précision géographique dans sa titulature 149 , le roi s'inscrit naturellement dans la conception romaine du pouvoir: Ordofio II, roi en Galice à l'époque de Garcia (910-914), prend les seuls titres de rex ou princeps 150 • Ce choix politique ne traduit donc en rien un 144
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.540.
145
Tolède V (a 636), prologue, éd. par J. Vives, Concilias visig6ticos e hispano-romanos (Barcelone et Madrid: CSIC-Instituto Enrique Fl6rez, 1963), p.226. 0
146
Liber Fidei Sanctae Bracarensis Ecclesiae, éd. par Avelina de Jesus da Costa, 2 vols. (Braga: Junta Distrital, 1965-1978), 1, no 20. 147
F. Bezler, Les pénitentiels espagnols : contribution à l'étude de la civilisation de l'Espagne chrétienne du haut Moyen Age (Münster : Aschendorff, 1994), pp.23-24. 148 Paenitentialia Hispaniae, éd. par F. Bezler, Corpus Christianorum, Series Latina 156A (Turnhout: Brepols, 1998), p.42, c.XIIII, n°259. 149
Il n'existe qu'une seule occurrence, douteuse, sur une pierre datée de 980 et située dans un édifice localisé près d'un prieuré, non loin du monastère San Pedro de Eslonza (prov. Leon). E. Hübner, Inscriptiones Hispaniae Christianae, Corpus lnscriptionum Latinarum 2, 2 vols. (Berlin, 1871-1901), 1, n° 243 :Regnante domino Ramiro rex Callaciae.
°
15 C. Balifias Pérez, Do Mita aRealidade : a dejinici6n social e territorial de Galicia na Alta Jdade Media (séculos VIII-IX) (Santiago de Compostela : Fundaci6n Universitaria de
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désir circonstanciel de se présenter à la tête d'un regnum non défini, d'un « fragment instable[ ... ] et transitoire du 'regnum Hispaniae' »151 • La royauté établie au huitième siècle dans les Asturies est bien appréhendée selon les grands concepts politiques de l'époque antérieure. A cet égard, les chroniques asturiennes nous décrivent une situation identique à celle rencontrée dans les documents contemporains. Selon la Chronique d'Albe/da, «Pélage régna à Cangas », après la victoire de Covadonga (§ XV-1). Il ne faut donc pas considérer le terme de princeps, conféré à Pélage par l'auteur de la Chronique d'Alphonse 111-Rotense, comme le titre d'un caudillo 'asturien' 152 ; d'ailleurs, la chronique précise bien que «Pélage vécut dans le royaume (in regna) pendant dix-neuf années » (§ 11). Outre cette titulature, le pouvoir royal développe l'utilisation du vocabulaire politique d'origine wisigothique au cours du huitième siècle. 2. Qualificatifs et cérémonial wisigothiques
Les premiers documents royaux prouvent que le pouvoir royal s'entoure d'une emphase et d'une vénération qui s'expriment par toute une série de termes empruntés à l'époque wisigothique. Le cérémonial de supplication avec prosternation aux pieds du souverain, qui continue l'ancienne proscynèse impériale, apparaît dans le premier diplôme royal de 775 153 , et est toujours pratiqué au onzième siècle: «Dans le monastère, l'abbé et ses confrères tombèrent aux pieds de leur prince et lui dirent » 154 • De même, Ordofio 1er délivre des «préceptes» - per hujus nostrae praeceptionis jusionem 155 • Le qualificatif de glorieux, utilisé par les rois wisigoths à partir d'Ervige par emprunt à la titulature impériale 156 , est pour la Cultura, 1992), pp.409-410. 151
Contra: J.A. Maravall, 'El pensamiento polîtico espafiol del afio 400 al 1300', dans Estudios de historia del pensamiento espanol : serie primera, Edad Media, 2e éd. (Madrid : Ed. Cultura Hispânica, 1983; 1re éd., 1973), pp.33-63 (p.42). 152 153
Contra : Minguez Femândez, 'La cristalizacion del poder politico', pp.64-65.
Donation par le roi Silos d'une terre à des religieux pour y fonder un monastère (a 775), Colecci6n documenta! del archiva de la catedral de Leon (775-1230), 1 (775-952), éd. par Emilio Sâez, Fuentes y estudios de historia leonesa 41 (Leon: CEISI, 1987), no 1 (reg. Lucas Alvarez, Rl-5). 0
154
Confirmation par Alphonse V de l'immunité au monastère de Sahagun (a 0 1018), Colecci6n diplomatica del monasterio de Sahagun (857-1230), 2 (1 000-1073), éd. par M. Herrero de la Fuente, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 36 (Leon: CEISI, 1988), no 404 (reg. Lucas Alvarez, R1-331). 155
Confirmations des possessions de l'abbaye de Samos (a 0 853) :El Tumba de San Julian de Samos (siglos VIII-XII), éd. par M. Lucas Alvarez (Santiago de Compostela : Caixa Galicia, 1986), n° 41 (reg. Lucas Alvarez, Rl-15). 156
M.R. Valverde Castro, 'Simbologîa del poder en la monarquîa visigoda', Studia
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première fois employé dans le pacte monastique de 759, conclu« en présence[ ... ] du glorieux roi Fruela » 157 • Il se retrouve en 848, sur la dédicace par Ramire Ier d'un autel dédié à la Sainte Vierge pour une église à Naranco 158 , apparaît dans les diplômes royaux jusqu'au onzième siècle 159 , et dans les textes narratifs, puisqu'Alphonse II« mena une vie glorieuse» au dire de la Chronique d'Alphonse Ill (Rotense § 22). De même, par emprunt à la période antérieure, le roi est fréquemment appelé« sérénité » 160 , comme dans un diplôme de 829/834- per hujus nostre serenitatis jussionem 161 . La notice de 862, conservée dans le Tumba A de Saint-Jacques de Compostelle, le qualifie même de« très seigneurial» -dominissimi Ordonii principis 162 , qualificatif forgé à partir du terme de « seigneur», courant à 1' époque wisigothique 163 • Ce pouvoir s'affirme clairement chrétien. Le premier diplôme royal authentique conservé, délivré par Silo en 775, comporte en tête un chrisme ainsi qu'une clause comminatoire prévoyant l'excommunication pour les contrevenants. Plus tard, Ordofio rr commence son diplôme royal de 853 en faveur de l'abbaye de Samos, par une invocation divine (ln Dei nomineY 64 , tirée des documents royaux et des actes conciliaires de l'époque wisigothique, et qui établit clairement le lien entre Dieu, la loi et le roi 165 • Lors des fondations d'églises, le roi reprend un ancien qualificatif et n'hésite pas à se présenter tel un «serviteur de Dieu». Alphonse II, suivi par d'autres rois à partir du dizième siècle 166 , s'intitule Christi servus dans diverses inscriptions, sur la Croix des Anges, offerte en 808 à la cathédrale d'Oviedo, sur l'autel de l'église San Miguel de Quilofio- province Oviedo-, qu'il vient d'édifier, Historica: Historia Antigua 9 (1991), 139-148 (141-142). 157
Pacte monastique (a 759), Diplomâtica espafiola del perîodo astur 1, n° 7. 0
158 Diego Santos, n° 74 : f Chris te Filius ... qui per famulum tuum Ranimirum principem gloriosum cum Paterna regina conjuge renovasti hoc habitaculum. 159
Procès entre Sahagûn et des laïcs pour la possession d'une villa (a 0 1048): Colecciôn diplomâtica del monasterio de Sahagun (857-1230) 2, n° 514. 160
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.540.
161
Alphonse II concède à l'évêque Théodemir trois milles autour de l'église de Santiago, dont la tombe vient d'être découverte (a 829/834): La documentaciôn del Tumba A, n° 1 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-11 ). 0
162 Notice racontant la confirmation par Alphonse III -qui souscrit- de la donation par Ordofio rer à l'église de Santiago des villae et de leurs habitants dans un rayon de six milles (a 862): La documentaciôn del Tumba A, n° 3 (reg. Lucas Alvarez, Rl-23). 0
163
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.540.
164
Confirmation par Ordofio 1er des possessions de l'abbaye de Samos (ao 853) :El Tumba de San Juliân de Samos, n° 4l(reg. Lucas Alvarez, Rl-15). 165
Valverde Castro, Ideologia, simbolismo y ejercicio, pp.203-204.
166
Cf. infra, pp.l55-156.
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57
ou pour commémorer la restauration de San Salvador de Oviedo 167 . Cette expression est depuis longtemps associée au pouvoir. Ainsi, dans 1' extrait du livre de la Sagesse qui est lu lors de la messe de l'onction- dans la liturgie wisigothique-, Salomon se présente à Dieu comme son servus 168 , ainsi que devra le faire le nouveau roi. Cette expression de « serviteur du Christ » est aussi utilisée par les évêques de 1'Antiquité, par l'empereur Constantin, puis, à partir de Justinien II (685-695/705-711), par les empereurs byzantins sur leurs monnaies - « D. Iustinianus seru Christi »169 • A l'image de l'empereur d'Orient, Alphonse II s'affirme donc comme un personnage hors du commun, qui, à l'instar des évêques, occupe une position intermédiaire entre Dieu et les hommes. Les adjectifs humilis ou exiguus, souvent associés à cette expression, mettent alors particulièrement en valeur cette vertu d'humilité, qui est déjà, dans les actes conciliaires de 1' époque wisigothique, une des vertus royales les plus mentionnées 170 • Ce vocabulaire confère au pouvoir royal une dimension spirituelle et morale plus originale, que confirme l'emploi très fréquent du terme de famulus Christi. Lors de la première construction royale, en l'occurrence Santa Cruz à Cangas en 737, Fafila déclare: «Que cette église, que le serviteur (jamulus) Fafila a fondé d'une foi vive avec son épouse Froiliuba, plaise au Christ »171 • Plus tard, ce qualificatif apparaît plusieurs fois dans les inscriptions de fondations d'églises ou sur les croix votives offertes par les rois aux établissements ecclésiastiques. Silo et Adosinda s'intitulent «serviteurs de Dieu» (jamuli Dei) dans l'inscription qui commémore la dotation de l'église de Santianes 172 • Au neuvième siècle, dans la dédicace d'un autel à la Sainte Vierge pour une église de Naranco (a 0 848), le roi s'adresse au Christ en s'y présentant comme son «serviteur» Ramire (jamulus 173 ), à l'instar d'Alphonse III sur deux croix offertes aux cathédrales de Saint-Jacques (a 0 874) et d'Oviedo (a0 908) : la Croix de Santiago 174 et la Croix de
rr
167
Diego Santos, no 22, 205b et 6. Les historiens admettent désormais l'authenticité de cette dernière inscription, transmise par le Liber Testamentorum de la cathédrale d'Oviedo. 168
Liber Commicus, éd. par Justo Pérez de Urbel OSB et Atilano Gonz:ilez y RuizZorrilla, Monumenta Hispaniae Sacra, Serie Liturgica 2-3, 2 vols. (Madrid: 1950-1955) 2, p.535. Ce livre rassemble les lectures bibliques de la messe. Cette édition a été élaborée à partir d'un manuscrit du neuvième siècle (Tolède), de trois du onzième siècle (Silos, San Millin et Leon), ainsi que des fragments d'un cinquième codex (neuvième siècle. 169
C. Morrisson, Catalogue des monnaies byzantines de la Bibliothèque nationale, 2 vols. (Paris :Bibliothèque nationale, 1970), par exemple 1, p.404. 170
Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.546-547.
171
Diego Santos, no 253.
172
Diego Santos, no 176. Cette inscription, en partie détruite, a été reconstituée.
173
Diego Santos, no 74.
174
A.J. Gonz:ilez Millin, 'La cruz de Santiago : una donaci6n del Rey Alfonso III al Ap6stol y a su sede de Compostela en el afio 874', Compostellanum 38 (1993), pp.303-335: f
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la victoire 175 • Ce terme de famulus fait partie du vocabulaire ascétique des règles monastiques de l'époque wisigothique -la Regula monachorum et Regula communis- et désigne le moine (jamulus Christi), dont «toute l'ascèse se résume à suivre nu le Christ nu »176 . Simultanément, dans la liturgie wisigothique, il s'applique souvent au simple fidèle chrétien 177 ainsi qu'au roi, dans les prières de l'office pour son retour d'une expédition militaire (Item orationes de regressu regis) ou pour la messe votive célébrée à son intention (Ordo missae votive de rege 178 ). En utilisant systématiquement ce terme, le roi se place ici directement dans la conception isidorienne du pouvoir, qui fait de lui un baptisé au service de ses frères, membres du corps mystique du Christ: «La royauté, c'est, en somme, le pouvoir de Dieu incarné dans des hommes égaux aux autres hommes, tous rachetés par le Christ. Le pouvoir est marqué par l'ambivalence, puisqu'il est à la fois don du Père et service fraternel » 179 . Cette reprise des notions politico-religieuses wisigothiques aboutit-elle à l'instauration de l'onction royale à l'époque d'Alphonse II, comme le prétend C. Sanchez Albomoz 180 ? La Chronique d'Alphonse III l'affirme certes expressément : «Le susdit Alphonse le Grand (Il) reçut l'onction royale le 14 septembre de l'année indiquée plus haut [791] » (Rotense § 21). Le souvenir de cette cérémonie, peut-être apparue dès 633 181 , était en tout cas intact, puisque la chronique reprend à Julien de Ob honorem sancti Jacobi apostoli offerunt famuli Adefonsus princeps et conjuge Scemena regina. Cette croix n'est connue que par des photographies. Diego Santos, no 23 : t Susceptum placide maneat hoc in honore Dei quod offerunt famuli Christi Adefonsus princeps et Scemena regina. Cette croix est conservée à la Câmara Santa. 175
176
R. Grégoire, 'Valeurs ascétiques et spirituelles de la Regula Monachorum et de la Regula Communis', Bracara Augusta 21 (1967) (= Actas do Congresso de Estudos da Comemoraçào do XIII Centenario da morte de S. Frutuoso, 1965), 328-345 (335). 177
Le Liber Ordinum en usage dans l'Eglise wisigothique et mozarabe de l'Espagne du V au Xf siècle, éd. par Marius Ferotin R.P., Monumenta Ecclesiae Liturgica 5 (Paris: 1904), col. 75 (exorcisme d'un possédé), col. 126 (bénédiction d'un défunt) et col. 296 (messe votive pour une personne). 178
Le Liber Ordinum wisigothique, col. 155 et col. 296.
179
M. Reydellet, La royauté dans la littérature latine de Sidoine Appolinaire à Isidore de Séville, Bibliothèque des Ecoles françaises de Rome et d'Athènes 243 (Rome et Paris : Ecole française de Rome-de Boccard, 1981), pp.584-597, surtout p.593.
°
18
C. Sanchez Albornoz, 'La 'ordinatio principis' en la Espafia goda y postvisigoda', dans Estudios sobre las instituciones medievales espanolas, 2° éd. (México : Universidad Nacional Aut6noma de México, 1965 ; 1re éd., CHE 35 (1962), 5-36), pp.705-738 (p.720). 181
M. Zimmermann, 'Les sacres des rois wisigoths', dans Clovis: histoire et mémoire [Colloque international, Reims, 1996], dir. par Michel Rouche, 1 :Le baptême de Clovis, son
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Tolède le récit de la première onction connue, celle de Wamba en 672. Pourtant, sans exclure définitivement l'adoption d'une telle pratique par Alphonse Il, le silence des autres sources nous incite à considérer comme vraisemblable l'hypothèse d'une interpolation tardive de cette occurrence, lors de la refonte finale de la chronique sous Ordofio 82 . Enfin, à l'instar du souverain wisigoth, le roi asturien est entouré d'un palais composé, d'après le diplôme royal délivré en 829/834 à Saint-Jacques, de «Grands» (majores palacii), appellation rappelant les majores palatii de l'époque wisigothique 183 • Les chroniques asturiennes reprennent aussi ces anciens titre, puisque des« officiers palatins» (officiis palatinis) veillent sur le corps d'Alphonse Ier (Rotense § 15) -Y. Bonnaz y voit le premier signe d'un « wisigothisme politique » 184- , et des «magnats du palais» (magnati palatii) (Rotense § 19), qui forment 1' « office palatin » (officia palatino) ( Ovetense, § 19), portent Alphonse II au pouvoir en 783. Un «embryon d'organisation palatine imitée de celle de Tolède » 185 apparaît donc bien.
œ
3. Les rituels et emblèmes guerriers
Les rois asturiens reprennent aussi une partie du rituel wisigothique de la guerre. Ainsi, le triomphe à la romaine, toujours pratiqué à Tolède 186 , est attesté dans la Chronique d'Alphonse III, à l'occasion du retour d'Alphonse Il à Oviedo après une campagne militaire contre le rebelle Mahmud (Rotense § 22). Ce rituel se rencontre aussi pour le roi Ordofio II, lors de son retour à Leon cum magna triumpho (Sampiro p.163), d'après la Chronique écrite vers l'an mille par Sampiro, notaire à la cour royale depuis 990 187 . Ce récit, qui couvre la période d'Alphonse III à l'avènement d'Alphonse V, prolonge la Chronique d'Alphonse III; elle reprend d'ailleurs une première continuation de ce récit, rédigée à la cour d'Ordofio Il (914-924) en s'inspirant partiellement de la Chronique d'Albelda 188 •
écho à travers l'histoire (Paris: Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 1997), pp.9-28. Contra: Reydellet, La royauté dans la littérature, pp.566-567. 182
Cf. infra, pp.181-184.
183
Bonnaz, 'Divers aspects', 96.
184
Bonnaz, 'Divers aspects', 72-77
185
Bonnaz, 'Divers aspects', 96.
186
M. McCormick, Eternal Victory : Triumphal Rulership in Late Antiquity, Byzantium and the Early Medieval West (Cambridge: 1986), p.314. 187
Il est ensuite évêque d' Astorga de 1034 à 1040, où il meurt en 1042. Pour une présentation historique détaillée, voir : McCormick, Eternal Victory, pp.ll-105. 188
Y. Bonnaz, 'La chronique d'Alphonse III et sa continuatio dans le Mss. 9880 de la Bibliothèque Nationale de Madrid', Mélanges de la Casa de Velazquez 13 (1977), 85-101 (éd.
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Mais surtout, un élément du rituel wisigothique connaît un développement sans précédent : le culte à la sainte Croix. Il se manifeste par les nombreuses représentations de la croix grecque accompagnée de l'Alpha et de l'Omega. J. Williams a ainsi pu déclarer:« l'Alpha, et son compagnon, l'Omega, n'a jamais joui de plus d'importance dans l'art chrétien qu'en Espagne »189 . Ce culte conserve un caractère royal nettement affirmé, et F. L6pez Alsina qualifie à juste titre cette croix grecque, fréquemment appelée Croix d'Oviedo, de «symbole de la monarchie asturienne »190 , ou même asturo-léonaise : au onzième siècle, elle est encore systématiquement représentée sur les manuscrits liés à Ferdinand le'; le premier type de pièces ainsi que le troisième type d'oboles frappées sous son fils Alphonse VI comportent aussi à l'avers le nom du roi et la croix grecque, et au revers le nom de la capitale -Leon ou Tolède- accompagné d'un Chrisme portant l'Alpha et l'Oméga191 • La renaissance même de ce culte est intimement associée à la politique royale. Ainsi, la première église royale fondée en 737 à Cangas, première capitale du royaume, lui est dédiée 192 . Néanmoins, il faut attendre le règne d'Alphonse II pour que ce culte soit fortement encouragé par la royauté, puisqu'apparaissent alors les premières représentations de cette croix. Sur l'autel de l'église San Miguel de Quiloîio -province Oviedo -, dont la fondation est attribuée au roi chaste, la formule Adefonsus Christi servus encadre une croix avec l'Alpha et l'Omega193 • Surtout, cette croix grecque figure à quatre reprises sur les peintures murales de son église palatine de San Julian de los Prados - Santullano -, sur les murs est et ouest de la nef centrale et du transept, au centre des motifs représentés sur la bande supérieure 194 • A la même époque, elle est représentée sur la pierre tombale de l'évêque Théodemire d'lria, mort en 847 195 , qui avait tant œuvré de conserve avec le roi pour la promotion du culte à saint Jacques, patron de l'Espagne. La reprise de ce symbole témoigne de la volonté royale d'établir une relation avec la monarchie wisigothique. En effet, il se situe à la confluence de deux traditions. 99-101). A. Isla Frez, 'La monarquîa leonesa segûn Sampiro', dans Historia social, pensamiento historiografico y Edad Media : homenaje al Prof Abilio Barbera de Aguilera, éd. par M. Isabel Loring Garda (Madrid: Orto, 1997), pp.33-57 (pp.42-43). 189
Williams, 'Le Commentaire Illustré', p.25.
190
L6pez Alsina, 'La invenci6n del sepulcro de Santiago', p.62.
191
C. Castan et J.R. Cayon, Las monedas espafiolas desde los reyes visigodos, afio 406, a Juan Carlos I (Madrid: C. Castan & J.R. Cayon, 1983), respectivement n° 407-410 et no 412. 192
Diego Santos, n° 253.
193
Diego Santos, no 205b.
194
H. Schlunk et M. Berenguer, La pintura mural asturiana de los sig/os IX y X (Madrid : Diputaci6n Provincial de Asturias, 1957), pp.5-105 (pp.18-32, pl. 3, 8, 12, 13, et p.l 00). 195
L6pez Alsina, 'La invenci6n del sepulcro de Santiago', p.62.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
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Celle de la représentation de l'Alpha et l'Omega, qui, par sa profonde signification théologique expliquée par les Pères de l'Eglise, est fréquemment utilisée à partir du quatrième siècle pour affirmer la divinité du Christ face aux Ariens 196 : ces deux lettres représentent Dieu comme principe et fin de toute chose, symbolisent l'union de la divinité et de l'humanité et manifestent l'attente eschatologique commune à tous les chrétiens. Par ailleurs, la croix grecque, qui figure sur les monnaies wisigothiques, constitue un symbole royal, plus tard repris par les rois asturiens 197 . Cette tradition continue la pratique déjà ancienne du culte à la Croix, qui se développe dans le royaume après la conversion de Reccarède: repris à l'Empire romain -le Musée du Vatican conserve une superbe croix-reliquaire offerte par l'empereur d'Orient Justin II (565-578) au pape - 198 , il permet au rois wisigoths d'affirmer leur orthodoxie et la légitimité de leur lutte, à la suite de Constantin qui avait vaincu par ce signe. Ainsi, ce culte occupe une place importante dans la liturgie wisigothique de la guerre: l'office de départ et de retour des expéditions militaires à la basilique prétorienne des SaintsPierre-et-Paul199, comporte une prise et une remise solennelles d'une croix en or processionnelle, contenant une relique de la vraie croix du Christ ; elle est donnée par l'évêque au roi, qui la remet à un prêtre ou diacre la portant en tête de l'armée 200 : la croix légitime la guerre, christianise sa pratique et protège l'armée royale, jusqu'à sa remise solennelle à la fin de la campagne. En outre, sa fréquente association à l'Alpha et à l'Omega manifeste clairement l'orthodoxie de la royauté face à l'arianisme. Dans le royaume asturien, ce culte royal conserve la dimension guerrière qu'il avait à l'époque wisigothique. De nombreux auteurs, à l'instar de J. Williams, affirment que la croix acquiert« une fonction de 'labarum' ou étendard de la victoire» et qu'elle devient le «signe de ralliement des chrétiens contre les musulmans »201 . Mais ce culte demeure-t-il pour autant associé au maintien de ces offices liturgiques? S. Silva y Venistegui, B. Cabafiero Subiza et F. Galtier Marti le suppose dans le royaume de Pampelune du dixième siècle, à partir d'une analyse des 196 E. Mangenot, 'Alpha et Omega', dans Dictionnaire de Théologie Catholique, 15 vols. (Paris: Letouzey et Ané, 1903-1950), t. I-1 (1903), cols. 901-904. 197 F. Menéndez Pidal de Navascues, 'Los emb1emas de Espaiia', dans Espafza: Reflexiones sobre el ser de Espafza (Madrid: Real Academia de la Historia, 1997), pp.429473 (pp.436-437). 198 Photographie dans E. Coche de la Ferté, L'art de Byzance, (Paris, Citadelles & Mazenod), 1981, p.333, n° 145. 199 Le Liber Ordinum wisigothique, cols.l49-155. 200 McCormil,;k, Eternal Victory, pp.302-314. 201 Williams, 'Le Commentaire Illustré', p.24. Cf. aussi G. Menéndez Pidal, 'El labaro primitivo de la Reconquista: cruces asturianas y cruces visigodas', BRAH 136 (1955), 275296.
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bas-reliefs de San Miguel de Villatuerta et de Luesia, puisque ces sculptures représenteraient la cérémonie de 1'ordo quando rex cum exercitu ad prelium egreditw:2° 2 • Dans l'aire asturo-léonaise, la question reste difficile à trancher. Cette pratique semble en partie contredite par 1' anachronisme des ordines du Liber Ordinum, dans la version d'un manuscrit commandé par l'abbé Dominique du monastère de Laturce (près de San Martin de Albelda) et achevé en 1090203 ; en effet, dans ce receuil de propres de messes et d'offices presque tous antérieurs à 711, les offices pour la guerre localisent toujours la cérémonie de 1' ordo de la guerre à la basilique tolédane. Cependant, l'hypothèse d'un maintien de telles cérémonies liturgiques à l'époque asturo-léonaise est étayée par plusieurs arguments, à vrai dire d'inégale valeur. Que dire en effet de ces miniatures, qui représentent un clerc tenant une croix processionnelle (avec l'Alpha et l'Omega) notamment dans le Codex Miscelimeo (a0 933?04 ? De manière plus convaincante, A.P. Bronisch remarque que les chroniques, en particulier asturiennes, reprennent certaines expressions des offices pour la guerre, figurant notamment dans le Liber Ordinum de Silos de 1052 ; surtout, il mentionne un passage d'Ibn Hayyan, décrivant les armées chrétiennes précédées de croix205 . Cependant, il est impossible d'accorder quelque crédit aux mentions de croix-reliquaires pour les dixième et onzième siècles, car les sources invoquées sont postérieures au treizième siècle206 • Un dernier document prouve la vivacité du culte à la Croix et son étroit lien avec la guerre royale : la messe de la Croix à dire en temps de guerre contre les Sarrasins207 . Transcrite au dix-septième siècle à partir d'un manuscrit liturgique ~perdu~ du treizième siècle de l'abbaye Cardefia, elle est, selon A.P. Bronisch, antérieure à l'adoption de la liturgie romaine ; comme elle n'apparaît dans aucun Liber Ordinum, elle est certainement du dixième siècle, voire même de la première moitié du siècle, quand le monastère de Cardefia fut détruit par les musulmans208 . Or, 202
S. Silva Verastegui, Iconografia del Reina de Pamplona-Ndjera (Pamplona et Logrofio: 1984), pp.158-159. B. Cabafiero Subiza et F. Galtier Marti, 'Tuis exercitibus crux Christi semper adsistat : el relieve real prerromanico de Luesia', Artigrama [Saragosse] 3 (1986), 11-28. 203
Le Liber Ordinum wisigothique, pp.XVII-XXIV.
204
AHN, cod. 1007B. Menéndez Pidal, 'E11abaro primitivo', p.289 et photographie.
205
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.144 (ulciscens Arabes dans la Chronique d'Albe/da), p.l52 (ultio inimicorum dans la Chronique prophétique) et p.325. Ibn Hayyan de C6rdoba, Cr6nica del Califa 'Abd Al-Rahman III An-Nasir entre los anos 912 y 942: AlMuqtabis V, trad. par M.J. Viguera et F. Corriente (Zaragoza: Anubar, 1981), p.255. 206
Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte', 193-194. Contra: Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.303-307. 207 Missa dicitur de Cruce, éd. par F. Berganza R.P.M Fr., dans Antigüedades de Espana propugnadas en las noticias de sus reyes ... 2 (Madrid, 1721 ), p.685. 208
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.157-159.
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elle a pour but d'obtenir « par la force de ton nom et de la Croix victorieuse » la victoire du roi et de son armée contre le« peuple des Maures »209 • L'essor de ce culte révèle bien l'importance de la guerre dans la politique royale, particulièrement sous Alphonse II: d'après les chroniques d'Albe/da (§ XV-9) et d'Alphonse III (Rotense § 22), il est le troisième roi guerrier après Pélage et Alphonse le', car «il remporta plusieurs victoires sur les fils d'Ismaël». La croix, accompagnée de 1'Alpha et de 1' Omega, manifeste désormais 1' orthodoxie du royaume asturien face aux clergé mozarabe adoptianiste et aux païens qui ont envahi la péninsule ; les deux lettres grecques sont encore particulièrement mise en valeur dans un Beatus réalisé en 1047 pour le roi Ferdinand 1er. Les représentations de la Sainte Croix sont fréquemment associées à la formule : « Par ce signe, l'homme pieux est protégé, par ce signe, l'ennemi est vaincu »210 . Elle place nettement le roi dans la succession impériale, puisqu'elle s'inspire de la phrase qui annonça à Constantin sa future victoire : « Par ce signe, tu seras vainqueur». Cette formule apparaît pour la première fois sur la Croix des Anges, première croix votive d'or réalisée sur 1' ordre d'Alphonse II en 808 211 • Puis, elle se répand particulièrement sous le règne d'Alphonse III, en raison des nombreux combats de cette époque et de l'espérance d'une libération prochaine de l'Espagne212 • A l'instar des empereurs et des rois wisigoths, le roi d'Oviedo lutte donc pour la Romanité et la foi catholique. Au dixième siècle, la croix grecque demeure un motif étroitement associé à la royauté et à la guerre. Ramire II donne la Croix de Santiago de Penalba, fabriquée vers 940 213 • Celle-ci figure sur la pierre de fondation de 1' église de Deva -province d'Oviedo-, édifiée par Velasquita, fille de Ramire II et première épouse de Vermude II214 . A la même époque, elle devient très courante dans l'iconographie. Il semble que parmi les manuscrits qui la représentent,« la plupart[ ... ] soient au moins les descendants de témoins qui ont eu un rapport plus ou moins direct avec les monarques asturiens »215 • La Sainte Croix est en frontispice de neuf Beati216 , 209 Missa dicitur de Cruce, p.685 : Ut per virtutem nominis fui et victoriosissimae Crucis gens Maurorum, quae ubique semper detrahit, patenter expugnetur. 210
Diego Santos, n° 23 :Hoc signa tuetur pius, hoc signa vincitur inimicus.
211
Diego Santos, n° 22: Hoc signa victor eris. D'après l'Historia Silense, pp.139-140, celte croix est fabriquée miraculeusement par deux anges déguisés en artisans. 212
Cf. infra, pp.l47-155.
213
J.W. Williams, 'Cruz de Santiago de Pefialba', dans Santiago, Camino de Europa: culto y cultura en la peregrinaci6n a Compostela (Galicia no Tempo, 1993), pp.261-262, photographie p.262. 214 215
Diego Santos, no 217.
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.259. Les manuscrits sont recensés par B. Bischoff, 'Kreuz und Buch im Frühmitte1alter und in der ersten Jahrhunderten der spanischen Reconquista', Mittelalterliche Studien. Ausgewiihlte Aufsiitze zur Schriflkunde und Literaturgeschichte 2 (Stuttgart: Anton Hiersemann, 1967), pp.284-303.
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notamment ceux de Valcavado, confectionné dans le royaume de Leon (a0 970) 217 , de San Millan de la Cogolla (ca ao 1000)218 , et de Santo Domingo de Silos (onzièmedouzième siècles) 219 • Nous la retrouvons dans l'Antiphonaire de la cathédrale de Leon (a 0 917). Dans le Codex de Vigilanus, copié entre 974 et 976 à San Martin de Albelda, elle est accompagnée d'une inscription originale mais toujours dotée d'une forte dimension guerrière : « Que cette douce croix daigne défendre les armées des bienheureux qu'elle éclaire constamment »220 . Au siècle suivant, elle demeure étroitement associée au pouvoir royal. En revanche, la dévotion à la Sainte Croix ne semble pas posséder de réelles dimensions populaires, comme en témoigne le faible nombre de patronages d'églises: dans le royaume, de 711 à 1109, sur mille cent vingt-huit églises monastiques, seules onze portent son patronage, dont neuf en patron principal ou unique (planche 9, p.89); cette dédicace se réduit à une seule occurrence dans la Rioja des dixième-quinzième siècles, qui possède soixante églises221 ; elle est même inconnue dans la région entre Mifio et Mondego étudiée par P. David de 870 à 1100222 . Dans le royaume d'Oviedo-Leon, le culte à la Sainte Croix conserve donc une dimension royale et guerrière, héritée de l'époque wisigothique, qui explique son grand développement. Par le biais de ce culte et, plus généralement, du vocabulaire politique, le roi s'affirme successeur des empereurs romains et des rois wisigoths. Les grandes institutions du royaume sont à nouveau envisagées au moyen des concepts politiques wisigothiques, comme en témoigne l'hymne 0 Dei Verbum, conservée dans un bréviaire de la fin du dixième siècle (probablement écrit dans l'est de la Castille) et dans un codex du onzième siècle, provenant de l'abbaye de Silos 223 ; elle est composée en 1'honneur de Santiago sous le règne de Maurégat 216
Williams, 'Le Commentaire Illustré', p.24. Reproduction sur la couverture ou dans Menéndez Pidal, 'Ellâbaro primitivo', 292. 218 Silva Verastegui, 'Los monasterios riojanos', p.229. Photographie dans Menéndez Pidal, 'Ellâbaro primitivo', fac. sim., et p.292. 219 A. Mund6 et M. Sânchez Mariana, 'Catalogue', dans Los Beatos, pp.99-150 (p.109). Le monogramme de Pax (f. 4) et celui de Lux (f. 4v.) proviennent vraisemblablement d'un autre 217
codex. 220
Silva Verastegui, 'Los monasterios riojanos', pp.219-220: Crux alma ecce
annet defendens quos agmina perenniter beatorum fulget. 221
M. Cantera Montenegro, 'Advocaciones religiosas en la Rioja medieval', AEM 15 (1985), 39-61. 222 David, Etudes historiques, pp.185-242. 223 Respectivement Madrid, BNM, Ms. 10001, f.ll7, et British Museum, add. 30851, f. 124. Cf. M.C. Dîaz y Dîaz, 'Hinmo 0 Dei verbum, Patris ore proditum (783-788)', dans Santiago, Camino de Europa: culto y cu/tura en la peregrinaciôn a Compostela (Galicia no Tempo, 1993), pp.245-246, fac-sim. p.246.
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(783-788) et en son nom22\ peut-être par le moine Beatus de Liebana225 , selon une argumentation qui n'a cependant pas totalement convaincu en son temps M.C. Diaz y Diaz226 • Or, cette hymne dépeint l'ensemble de la communauté politique selon les trois grandes institutions du royaume wisigothique 227 : saint Jacques y est décrit sous les traits du « doux pasteur du roi, du clergé et du peuple »228 . Si cette politique nous semble bien antérieure à l'époque d'Alphonse II, elle connaît pourtant un net crescendo à partir de son règne, avec notamment sa volonté de doter le royaume d'une capitale à la hauteur de son projet politique. En effet, loin d'être itinérante, pas même durant les premières décennies 229 , la royauté possède une capitale unique et fixe, conformément à la tradition romaine.
IV Oviedo, nouvelle Tolède Au huitième siècle, les premières capitales du royaume sont implantées dans des lieux encore peu urbanisés. D'après les chroniques asturiennes, Pélage a régné (Albe/da§ XV-1) et est mort (Rotense § 11) à Cangas de Onis; plus tard, Fruela y est tué (Albe/da § 4). Cette ville est dotée de la première église royale construite à cette époque en 737 par Fafila, et nous avons conservé son inscription commémorative230 • Le choix de la dédicace de cette fondation l'ancre bien dans le 224
Contra: J. van Herwaarden, 'The origins of the Cult of Saint-James of Compostela', Journal of Medieval History 6 (1980), 1-35 (17). Il l'estime composé après la mort du roi, 'en l'honneur de sa mémoire'. 225
J. Pérez de Urbel, 'Origen de los himnos mozarabes', Bulletin Hispanique [Bordeaux] 28 (1926), 5-21, 113-139, 209-245 et 305-320 (125-127). Idem, 'Origenes del culto de Santiago en Espafia', HS 5 (1952), 1-31 (16-17). J. Gonza!ez Echegaray, dans Obras completas de Beata de Liebana, J. Gonzalez Echegaray, A. del Campo et L.G. Freeman, Biblioteca de Autores Cristianos Maior 47 (Madrid: 1995), pp.668-670. A. Isla Frez, 'El adopcionismo y las evoluciones religiosas y politicas en el reino astur', Hispania 57 (1998), 971-993 (978-981 ). 226
M.C. Diaz y Diaz, 'Estudios sobre la antigua literatura relacionada con Santiago el Major : I. los Himnos en honor de Santiago de la liturgia hispanica', Compostellanum 11 (1966), 621-666 (626-652) (2e éd. dans De Isidoro al siglo XI: ocho estudios sobre la vida literaria peninsular (Barcelone :El Albir, 1976), pp.235-288). 227
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.152, n.6.
228
Beatus de Liébana, Hymnus in diem sancti Jacobi aposta li fratris sancti Joannis, dans Obras completas de Beata de Liébana, pp.672-675 (p.674, v.52): Mitisque pastor regi, clero, populo. 229
Contra : C. Sanchez Albornoz, 'Sede re gia y solio real en el reino asturleonés', AM 3 (1979), 75-86 (84). 230
Diego Santos, no 253.
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passé wisigothique, puisqu'elle est vouée à la Sainte Croix, comme le confirme la Chronique d'Alphonse 111-Rotense : « Il construisit une basilique d'une merveilleuse facture en l'honneur de la Sainte Croix» (§ 12). Cette nouvelle titulature en remplace certainement une autre, car l'inscription nous précise que cette construction reprend une petite église, antérieure, en ruine : « Cet édifice sacré, de petite taille, se rétablit». La nouvelle dédicace s'inspire peut-être d'un modèle tolédan, l'actuelle église El Cristo de la Luz, dont le vrai nom est El Cristo de la Cruz231 • Puis, selon la Chronique d'Albe/da, Silo (774-783) « établit son trône à Pravia » (§ XV-6), car cette ancienne petite ville romaine de Flavium Avia est plus apte à accueillir l'infrastructure d'une capitale232 ; en outre, le roi cherche certainement à s'éloigner de la Galice, depuis peu incorporée dans le royaume et qui est encore souvent secouée par des révoltes 233 • L'église Santianes de Pravia234 , qu'y fonde Silo, comme le prouve l'inscription commémorative en forme de labyrinthe, composée sur le thème« le prince Silo [me] fit »235 , témoigne aussi de profondes permanences avec l'art antérieur: en dépit des nombreuses transformations postérieures, son architecture et sa sculpture possèdent des caractéristiques romano-wisigothiques 236 • Bien que les sources de cette époque ne mentionnent aucune sépulture, elle est peutêtre même dotée d'un véritable panthéon royal, que certains historiens placent dans le prolongement occidental de la ne:f 37 ; cette forme architecturale, connue en Espagne depuis l'époque paléochrétienne, est reprise par la suite; c'est le cas de Santiago de Pefialba, où les moines construisent une abside à l'ouest de l'église pour abriter le corps du fondateur du monastère ~saint Gennade ~, et de San Juan Bautista de Leon, où Alphonse V édifie un panthéon royal238 • Le choix du patronage s'inscrit aussi dans une nette continuité. Ainsi, Santianes 231
Le Liber Ordinum wisigothique, p.XXII.
232
J.M. Gonzalez y Femandez V alles, 'Pravia, 'capital' del reino asturiano', AM 3 (1979), 87-104 (102-104). 233
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarqula asturiana', p.72.
234
A. Arbeiter et S. Noak-Haley, Hispania antiqua: Christliche Denkmiiler des frühen Mittelalters vom 8. bis ins 11 Jahrhundert (Mainz : Philipp von Zabem, 1999), pl. 8 et 9. 235
Diego Santos, no 175 : Silo princeps fecit.
236
Fontaine, L'art préroman hispanique, pp.264-268. F.J. Femandez Conde et M.C. Santos del Valle, 'El visigotismo de la corte de Pravia: testimonios arqueol6gicos', dans Arqueologîa medieval espanola [Actas del II Congreso, Madrid, 1987] 3: Comunicaciones (Madrid: 1987), pp.393-403. 237 238
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.265.
I.G. Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda a la arquitectura asturiana : los edificios Ovetenses en la tradici6n de Toledo y frente a Aquisgran', dans L'Europe héritière de l'Espagne wisigothique, pp.303-314 (pp.309-310).
7ll,jin du monde ou jin d'un monde?
67
de Pravia est vouée à saint Jean Baptiste239 , dont le culte, important dans l'Espagne wisigothique, demeure non négligeable dans le nord-ouest chrétien après 711 (planche 9, p.89). Sur l'ensemble du royaume, entre le huitième et le onzième siècle, vingt-cinq monastères lui sont dédiés -dont vingt-et-un en patron principal ou unique; dans la région entre Mifio et Mondego, entre 870 et 1100, P. David a même recensé une trentaine d'églises à son nom, ce qui en fait le cinquième patronyme240 . Cette titulature est peut-être aussi à rapprocher d'une église royale wisigothique, fondée en 661 dans la province de Palencia par Réceswinthe : San Juan Bautista de Bafios241 . Avec le transfert de la capitale par Alphonse II à Oviedo, se manifeste alors clairement la volonté de copier Tolède.
A. Le siège de la royauté
Quand Alphonse II « fixa son trône à Oviedo » (Rotense § 21 ), il choisit un simple lieu-dit, Oveto, occupé depuis 761 par l'ermitage San Vicente, où est enterré Fruela 1er, et qui ne devient un véritable monastère qu'en 781. La localisation géographique explique partiellement ce choix : Oviedo est au centre du royaume, à la jonction de plusieurs vallées et voies romaines. Au dire des Nomina regum Legionensium -liste allant de Pélage à Ramire II (930-950) -, dans la version du Codex de Roda (R), Alphonse II fonde une véritable ville à cet endroif42 : il reprend ainsi une prérogative du pouvoir souverain des époques antérieures, dont la Chronique d'Albe/da conserve deux exemples fameux, les fondations de Rome par Romulus et Rec6polis par Léovigilde (§ XIII-1 et XIV-19). Cette création ex nihilo fait partie d'un vaste projet néo-gothique. D'après la Chronique d'Albe/da, «il établit à Oviedo l'ordre des Goths tout entier, tel qu'il avait existé à Tolède, tant dans l'Eglise qu'au palais» (§ XV-9) 243 . De ce fait, Oviedo serait une nouvelle Tolède, «une Tolède en miniature» selon l'expression de L. Vàzquez de Parga24\ 239
Diego Santos, no 177.
240
David, Etudes historiques, pp.l85-242.
241
P. de Palol, La Iglesia hispanovisigoda de San Juan de Banos (Palencia: 1986).
242
Chronique d'Albe/da (version Rotense), § XV a: Ac post Aurelio, domnus Adefonsus major et castus, qui fundavit Obeto (reg. Diaz y Diaz, no 568). Une autre version est transmise par le codex de San Millan (E) ; cette dernière est prolongée dans le codex d' Albelda (A) jusqu'à Ramire III (966-984). 243
Omnemque Gotorum ordinem, sicuti Toleto fuerat, tarn in eclesia quam palatio in Ovetao cuncta statuit. 244
L. Vazquez de Parga, 'Beato y el ambiente cultural de su época', dans Actas del Simposio para el estudio de los c6dices del Comentario al Apocalypsis de Beata de Liébana 1 (Madrid: Joyas Bibliograficas, 1978), pp.33-45 (p.36).
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qui elle-même était conçue comme une deuxième Constantinople. A l'imitation de l'ancienne capitale, elle comporterait alors un palais, une cour royale et un évêché245 • Pourtant, ces conclusions, souvent tirées de la seule analyse des chroniques, demandent à être confrontées aux réalisations architecturales de cette époque, et replacées dans une étude plus large de la place d'Oviedo au sein du royaume. 1. Un actif centre royal
Selon J. Fontaine, «cet ordo vise à la fois l'urbanisme sacré et royal, les hiérarchies ecclésiastique et palatiale et leurs rituels » ; «cet 'ordre goth' implique aussi, plus largement, la civilisation du royaume de Tolède et toutes ses valeurs politiques, religieuses et culturelles »246 • En fait, il est impossible de savoir si effectivement, l'ensemble des cérémonies et le système de gouvernement sont reconstitués tels quels à Tolède. Il est certain que l'hypothèse d'un rétablissement de 1' onction royale est peu probable avant Ordoîio II, et la réunion de grands conciles à Oviedo à partir d'Alphonse II, à l'instar de ceux de Tolède, n'est attestée que par des textes falsifiés au début du douzième siècle par l'évêque Pélage d'Oviedo 247 • En revanche, la nouvelle ville se dote d'un artisanat comparable à celui de son illustre prédécesseur. Il existe un atelier d'orfèvrerie et de travail de l'ivoire -comme plus tard à Leon-, dont nous avons conservé quelques productions, tels la Croix des Anges d'Alphonse II, la Croix de la Victoire d'Alphonse III et un reliquaire en or et en agates de Fruela en 910 -futur Fruela II 248 • Une activité littéraire se développe certainement aussi à la cour d'Alphonse II, avec la rédaction probable du Laterculus regum Ovetensium et d'une première chronique, plus tard reprise lors de l'élaboration des chroniques asturiennes. Cette activité est particulièrement nette à l'époque d'Alphonse III. Ce roi,« clair par la science» au dire de la Chronique d'Albe/da(§ XV-12), réunit une superbe bibliothèque, dont nous avons conservé quelques exemplaires avec l'ex-libris du monarque249 • En outre, il encourage la mise par écrit des chroniques asturiennes, notamment de la Chronique d'Alphonse III: sa version Ovetense comporte en guise de prologue une lettre d'Alphonse, qui présente à un certain Sébastien la chronique «pour laquelle tu as rassemblé des documents pour nous» (§ la). Après sa mort, l'activité du scriptorium royal se maintient puisque les deux versions de cette Chronique d'Alphonse III sont une dernière fois remaniées sous les règnes de ses fils, Ordoîio II et Garcia rr. 245
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.257.
246
J. Fontaine, 'La figure d'Isidore de Séville à l'époque carolingienne', dans L'Europe héritière del 'Espagne wisigothique, pp.l95-211, n.4. 247
Colecci6n de documentas de la Catedral de Oviedo, no 4 (a 0 821).
248
Diego Santos, n° 24.
249
Dîaz y Dîaz, Côdices visig6ticos, p.21.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
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Les nombreuses constructions civiles et ecclésiastiques du roi chaste font depuis longtemps l'objet d'études approfondies, qui, à l'heure actuelle, insistent sur la continuité de l'architecture avec la période romano-wisigothique. I.G. Bango Torviso a prouvé que cet art préroman, indépendant de l'art carolingien, est ancré, par sa technique et sa forme, dans la tradition hispanique ; en fait, ces deux architectures, asturienne et carolingienne, sont « obligées de prendre comme modèle les formes et les techniques du passé qu'elles prétendent restaurer »250 • Comme le déclare si bien A. Arbeiter : « En réalité, il semble que nous assistions, dans l'Oviedo du roi chaste, à une véritable restauration des dispositions et des manières de construire de l'ancien royaume de Tolède »251 • Pourtant, cette continuité architecturale ne prouve pas, en soi, l'existence d'un idéal néo-gothique, contrairement à l'opinion d'I.G. Bango Torviso 252 • Cet idéal suppose une volonté politique de faire de cette nouvelle capitale une copie de Tolède. Elle semble implicitement affirmée par l'auteur de la Chronique d'Albe/da, puisqu'il place la décision d'Alphonse II de rétablir dans la capitale l'ordre des Goths au terme de sa politique de construction : Celui-ci construisit à Oviedo le temple du saint Sauveur et des douze apôtres, en pierre et en chaux, d'une admirable construction, et édifia le sanctuaire de sainte Marie comportant trois autels. Il fonda aussi la basilique de saint Tirse, étonnant édifice aux multiples angles ; et toutes ces demeures du Seigneur, il les orna avec soin d'arcs et de colonnes de marbre, d'or et d'argent et, aussi bien que les palais royaux, il les décora de diverses fresques; et il établit à Oviedo l'ordre des Goths tout entier, tel qu'il avait existé à Tolède, tant dans l'Eglise qu'au palais(§ XV-9) 253 . Certains auteurs insistent même, dans leur traduction, sur la cohérence interne de cette notice : selon I.G. Bango Torviso, l'auteur «précise que les églises et palais que fit construire Alphonse II l'ont été selon le 'Gotorum ordinem', tel qu'il existait à Tolède »254 • 250
Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda', pp.303-304 et p.311. A. Arbeiter, 'Sobre los precedentes de la arquitectura eclesiiistica asturiana en la época de Alfonso II', dans Arqueologia medieval espaftola [Actas del III Congreso, Oviedo, 1989] 2: Comunicaciones (Universidad de Oviedo, 1992), pp.l6l-l73 (p.l65). 252 Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda', pp.304. 251
253
Inde a quodam Teudane vel aliis fidelibus reductus regnique Ovetao est culmine restitutus. Iste in Ovetao templum Sancti Salbatoris cum XIIm aposta lis ex silice et calce mire fabricavit aulamque sancte Marie cum tribus altaribus hedificavit. Baselicam quoque sancti Tirsi miro hedificio cum muftis angulis fundamentavit; omnesque has Domini domos cum arcis atque columnis marmoreis aura argentoque diligenter ornavit, simulque cum regiis palatiis picturis diversis decoravit. 254
I.G. Bango Torviso, 'L"Ordo Gotorum' et sa survivance dans l'Espagne du Haut Moyen Age', Revue de l'Art 70 (1985), 9-20 (10). Cf. aussi: Schlunk et Berenguer, La pintura mural, pp.161-l67.
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2. Les églises et le palais de la ville
La basilique San Salvador, qui devient la cathédrale, est conçue dès l'origine comme un grand centre spirituel, un « reliquaire », doté de douze autels pour accueillir les reliques des douze apôtres255 , comme le confirme le Testamentum de 812256 . L'édifice, disparu lors de la construction de la nouvelle cathédrale au quatorzième siècle, n'a pas encore fait l'objet de fouilles archéologiques. Néanmoins, sa titulature le rapproche de la fameuse église wisigothique SaintsPierre-et-Paul-du-prétoire, qui se trouve au nord de Tolède (in suburbio Toletano), dans un lieu encore difficile à identifier. Elle est le lieu de réunion de nombreux conciles généraux -Tolède VIII, XII, XIII, XV et XVI - 257 et de deux onctions royales, celles de Wamba et d'Egica. Son qualificatif de pretorium laisse supposer qu'elle faisait partie d'un palais royal258 • Selon certains historiens, elle pourrait être le lieu des cérémonies liturgiques lors du départ et du retour de l'armée royale 259 , bien que la liturgie ne l'affirme pas expressément260 • Cette église 'copie' l'église des Saints-Apôtres de Constantinople, fondée par Constantin pour être son mausolée et qui devient par la suite le lieu de sépulture de nombreux empereurs261 • Or, contigu à San Salvador de Oviedo, se trouve un palais, qui comprend « des demeures royales, des bains et des magasins pourvus de tous les moyens de subsistance» (Rotense § 21). Encore une fois, cette disposition rappelle l'ensemble 255
S. Suarez Beltran, 'Los origines y la expansiôn del culto a las reliquias de San Salvador de Oviedo', dans Las peregrinaciones a Santiago de Compostela y San Salvador de Oviedo en la Edad Media [Actas del congreso internacional celebrado en Oviedo del 3 al 7 de diciembre de 1990], coord. par J.I. Ruiz de la Pefia Solar (Oviedo: Principado de Asturias, 1993), pp.3-55 (p.37). 256
Testamentum d'Alphonse Il à San Salvador de Oviedo (a0 812), Colecci6n de documentas de la Catedral de Oviedo, no 2. 257
G. Ripoll et I. Velazquez, 'Toletum, la construcciôn de una urbs regia', dans Sedes regiae (400-800), éd. par G. Ripoll et J.M. Gurt (Barcelone : Reial Acadèmia de Bones Liettres, 2000), pp.521-578 (p.555 et pp.558-563). 258 L.A. Garcia Moreno, 'La cristianizaciôn de la topografia de las ciudades de la peninsula ibérica durante la Antigüedad tardia', Archiva Espa'iiol de Arqueologia 50-51 (1977-1978), 311-321 (320). 259
McCormick, Eternal Victory, pp.308-309.
260
P. de Palol, 'Resultados de las excavaciones junto al Cristo de la Vega, supuesta basilica conciliar de Santa Leocadia, de Toledo : algunas notas de topografia religiosa de la ciudad', dans Concilia III de Toledo: XIV Centenario (Toledo: Arzobispado, 1991), pp.787832 (p.790). 261
E. Ewig, 'Résidence et capitale pendant le haut Moyen Age', Revue Historique 230 (1963), 25-72 (33-34). G. Dagron, Empereur et prêtre: étude sur le 'césaropapisme' byzantin, Bibliothèque des histoires (Paris: Gallimard, 1996), pp.151-154 et pp.210-214.
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architectural des Saints-Apôtres de Constantinople, après son remaniement par l'empereur Justinien; sans toucher à la rotonde de Constantin, ce dernier construisit en effet une nouvelle église des Saints-Apôtres, bordée d'un palais 262 • A Oviedo, l'emplacement de ce palais est connu grâce aux fouilles archéologiques, qui ont mis en évidence ses fondations : il est attenant à la basilique, au sud-est, suivant un alignement identique- sud-ouest 1 nord-esf 63 • En revanche, subsiste la chapelle de ce palais, la Camara Santa, après une première reconstruction romane des travées de la petite nef supérieure, puis une reconstruction partielle consécutive à sa destruction lors de la révolte des mineurs asturiens en 1934264 • Sa construction, qui n'est pas mentionnée dans les chroniques asturiennes car elle fait partie intégrante du palais, l'est pour la première fois dans l'Historia Silensfi2' 65 • Cette chapelle est composée d'une nef à deux étages, construite sur le plan d'un martyrium, selon les conclusions d'H, Schlunk. Le premier niveau conserve les reliques de sainte Léocadie, qui donne son nom à l'édifice, et celles de saint Euloge; le second, qui sert au culte et est dédié à saint Michel archange, accueille les nouvelles reliques 266 • Ce dernier communique avec une tour du palais, toujours en place -la torre de San Miguel-, puis, de là, avec le transept droit de l'actuelle cathédrale267 • I.G. Bango Torviso la rapproche alors de l'église Santa Leocadia268 , inaugurée en 618 par Sisebut dans les faubourgs de Tolède, à l'extérieur de la muraille (in suburbio Toletano 269 ), et construite elle-même sur le modèle de SainteSophie de Constantinople270 ; la tradition la localise à l'emplacement de l'actuelle chapelle du Cristo de la Vega. Le rapprochement entre les deux églises est d'autant 262
Dagron, Empereur et prêtre, pp.210-214.
263
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', p.83.
264
Fontaine, L'art préroman hispanique, pp.274-276.
265
H. Schlunk, 'El arte asturiano en tomo al 800', dans Actas del Simposio para el estudio de los côdices del Comentario al Apocalipsis de Beata de Liébana 2 (Madrid : Joyas Bibliognificas, 1978), pp.l35-162 (p.147). 266
Schlunk, 'El arte asturiano', p.147-148.
267
E. Femindez Gonzilez, 'Estructera y simbolismo de la capilla palatina y otros lugares de peregrinaci6n : los ejemplos asturianos de la Cimara Santa y las ermitas del Monsacro', dans J.I. Ruiz de la Pefia Solar (coord.), Las peregrinaciones a Santiago de Compostela y San Salvador de Oviedo en la Edad Media [Actas del congreso internacional cele brada en Oviedo del 3 al 7 de diciembre de 1990] (Oviedo: Principado de Asturias, 1993), pp.335-397 (p.345). 268 Bango Torviso, 'L"Ordo Gotorum", p.l4 et idem, , 'De la arquitectura visigoda', pp.307-308. 269 270
Tolède XVII (a0 694), prologue: Concilias visigôticos, p.522.
L.A. Garcia Moreno, 'Expectativas milenaristas y escatol6gicas en la Espafia tardoantigua', dans Los Visigodos y su munda [Jornadas internacionales, Madrid, 1990] (Madrid: 1997), pp.247-258 (p.253).
72
CHAPITRE!
plus net que les reliques de sainte Léocadie ont été translatées de Tolède jusqu'à la capitale asturienne sous Abd al-Rahman Ier (756-788) 271 • Or, cette église tolédane est la deuxième grande église royale, puisqu'elle voit la tenue de quatre conciles généraux de l'Eglise espagnole -Tolède IV, V, VI et XVII - 272 , et accueille au septième siècle la sépulture des rois wisigoths Sisenand et Witiza et de trois prélats tolédans, notamment Ildephonse et Julien273 • A une occasion, elle porte même le qualificatif de pretorium 274 • Les fouilles archéologiques confirment en partie l'importance de cette église. A moins de cent mètres de l'actuelle chapelle du Cristo de la Vega, ont été découvertes lors de travaux publics plusieurs pierres sculptées de nature ecclésiastique, parmi lesquelles le fragment d'une grande pierre d'époque wisigothique, qui devait initialement mesurer 1,4 mètres de large et 0,9 mètre de haut, et sur laquelle était gravé le symbole des apôtres. D'après M. Jorge Aragoneses, elle devait se trouver sur un des murs de Santa Leocadia et répondait à la coutume de commencer tout concile général par la récitation d'une profession de foi275 • En outre, de véritables fouilles archéologiques ont mis au jour un grand monument, plutôt romain que wisigothique, peut-être de nature aulique, localisé près du Cirque- qui ne semble plus en activité à l'époque wisigothique276 • L'église Santa Maria et la basilique San Tirso ont été démolies à l'époque moderne, afin de bâtir de nouveaux édifices277 • Certains témoignages permettent cependant de les connaître en partie. Elles sont orientées nord-est 1 sud-ouest ; le chevet de l'ancienne basilique San Tirso, située à proximité immédiate de San Salvador au sud, subsiste toujours et est intégré dans un édifice postérieu~ 78 • Surtout, grâce aux descriptions de l'époque moderne et aux fouilles archéologiques, nous pouvons reconstituer l'église Santa Maria. Parallèle à San Salvador, elle était située à quelques mètres seulement au nord-ouesf 79 . D'après la version Ovetense de la Chronique d'Alphonse Ill, elle contenait «une salle destinée à recevoir la sépulture des rois», qui se trouvait« à l'ouest de ce vénérable édifice»(§ 21), donc en
271
Palol, 'Resultados de las excavaciones', pp.791-792.
272
RipoU et Velazquez, 'Toletum', pp.554-558.
273
Palol, 'Resultados de las excavaciones', p.791.
274
Tolède VI, Concilias visig6ticos, p.233 : Atque in praetorio Toletano in ecclesiam sanctae Leocadiae martyris debitis sedibus conlocatis. 275
M. Jorge Aragoneses, 'El primer credo epigrafico visigodo y otros restos coetanos descubiertos en Toledo', Archiva Espanol de Arte 30 (1957), 295-323 (297-313). 276
Palol, 'Resultados de las excavaciones', pp.792-799.
277
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.272.
278
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquîa asturiana', p.IO.
279
Fontaine, L'art préroman hispanique, pp.270-273.
71J,fin du monde ou fin d'un monde?
73
forme de contre-abside comme l'étaient à cette époque les panthéons royaux280 • Cette salle accueillait les tombes des rois Alphonse II281 , Ramire 1er, Ordoîio 1er et Alphonse III, dont les épitaphes nous sont connues par des descriptions de l'époque modeme282 . Cette église royale s'inspirait peut-être de l'église cathédrale Santa Maria de Tolède, où se déroulaient les conciles provinciaux -Tolède IX, XI et XIV - 283 , et qui copiait elle-même la basilique majeure de Constantinople dédiée à la mère de Dieu284 • Cet ensemble royal situé à l'intérieur des fortifications, est complété par une église située à l'extérieur de la ville, que nous pouvons toujours admirer dans les prés selon sa titulature, en dépit d'une urbanisation malheureuse. 3. San Julian de los Prados
Alphonse II« édifia aussi à une distance d'environ un stade du palais, une église à la mémoire de saintJulien, martyr, en disposant à l'entour [de l'autel principal], de part et d'autre, deux autels merveilleusement décorés» (Ovetense § 21? 85 . Elle comprend une nef divisée en trois vaisseaux et un transept presque aussi large que le vaisseau central de la nef, mais dont la hauteur le domine de près de deux mètres (planche 2, p.83). Cet édifice possède assurément un caractère royal très marqué. H. Schlunk286 a identifié la pièce située à l'étage supérieur du transept nord- celle du transept sud est postérieure-, ouverte vers l'intérieur de l'église par une petite fenêtre, à nne tribune royale destinée à suivre le culte. Cette église est surtout réputée pour ses superbes fresques, admirablement restaurées. Leur filiation classique a bien été mise en évidence par H. Schlunk, contre l'avis de J. Dodds qui y voit une forte influence carolingienne287 . Les décors, qui recouvrent intégralement les murs de la nef et du transept de l'édifice, sont répartis en deux bandes horizontales. Dans la zone supérieures, sont représentés de petits édifices palatins et 280
Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda', pp.308-3l O.
281
La Chronique d'Albe/da (§ XV-9) affirme qu'il est enterré dans une église dotée de douze autels sacrés, c'est-à-dire dans l'église San Salvador: Qui cuncta pace egit, in pace quievit. [. ..} bis sena qui bus hec altaria sancta fundatisque vigent, hic tumulatus jacet. 282
Diego Santos, no 31-34.
283
Ripoll et Velazquez, 'Toletum', pp.550-554.
284
Valverde Castro, 'Simbologia del poder', p.l45.
285
Edificabit etiam a circio distantem a palatio quasi stadium unum ecclesiam in memoriam sancti Juliani martyris circumpositis hinc inde geminis altaribus mirifica instructione decoris. 286
H. Schlunk, Las iglesias palatinas en la capital del Reina asturiano (Oviedo : 1977),
pp.18-32. 287
Dodds, Architecture and Ideology, pp.37-46.
74
CHAPITRE!
quatre croix accompagnées de l'Alpha et de l'Omega. La bande inférieure comporte différents types de bâtiments, qu'H. Schlunk a d'abord identifié à des églises, représentations schématiques de celles dépendant du siège d'Oviedo288 , puis plus justement, à des édifices palatins -grands et petits édifices, cours-, à l'instar de ceux de la zone supérieure289 • Dans tous les cas, il s'agit sans nul doute d'une décoration destinée à une église palatine290 • Les historiens ont alors proposé trois types d'interprétation. La plus récente est celle d'I.G. Bango Torviso291 • S'il y voit à juste titre une église royale, de style très classique, car réalisée suivant les techniques de la tradition hispanique292 , il insiste surtout sur son optique essentiellement monastique, voulue par son constructeur Alphonse II le Chaste. Pourtant, cette théorie doit être rejetée. La tribune royale, qui donne sur le chœur au lieu d'être placée sur la façade occidentale, met le roi directement en contact avec la zone réservée au clergé; mais, loin d'en faire un moine, elle lui permet, selon H. Schlunk, de se manifester plus clairement comme vicaire de Dieu, intermédiaire entre le ciel et la terre, défenseur de la foi, ministre de Dieu responsable du salut de son peuple élu293 • Toujours selon l'historien espagnol, «l'iconographie du décor de Santullano illustre également l'idéal 'aniconique' d'une élite monastique», c'est-à-dire la conception d'un Dieu invisible, que l'on ne peut représenter; elle perpétue une ancienne tradition espagnole, dont la genèse a été étudiée par M. Gômez Moreno. Cependant, cette tradition, certes incontestable, n'est pas strictement monastique, puisqu'elle est partagée par les clercs et les artistes hispaniques de l'empire franc; en outre, elle ne suffit pas à expliquer toute l'iconographie de cette église. H. Schlunk a suggéré de rapprocher ces dessins des représentations de la Jérusalem céleste, qui ornent les basiliques chrétiennes primitives, puis les églises palatines des premiers temps du christianisme - les grandes cathédrales wisigothiques ont comme seconde titulature Sainte Jérusalem. Cette hypothèse est reprise par X. Barral y Altet: il compare ces peintures à d'anciennes mosaïques paléochrétiennes et à des enluminures franques contemporaines. Il voit alors dans cet art une « évocation paradisiaque», «irréelle» de sa résidence royale294 • En effet, selon P. Riché, le 288
Schlunk et Berenguer, J,apintura mural, p. lOO.
289
Schlunk, 'El arte asturiano', pp.l51-152.
290
Schlunk et Berenguer, La pintura mural, pp.I00-103. Schlunk, 'El arte asturiano', pp.l56-157. 291
Bango Torviso, 'L"Ordo Gotorum", 12-17.
292
Contra: Dodds, Architecture and Ideology, pp.34-37.
293
Schlunk et Berenguer, La pintura mural, pp.120-12l.
294
X. Barral i Altet, 'La representaci6n del Palacio en la pintura mural asturiana de la Alta Edad Media', dans Espana entre el Mediterraneo y el Atlantico [Actas del XXIII Congreso Internacional de Historia del Arte, Granada, 1973]1 (Granada: Universidad, 1976), pp.293-
71J,fin du monde oufin d'un monde?
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palais d'Aix est conçu comme « un espace sacré qui est en quelque sorte le centre du monde religieux», et imite le temple de Salomon. Il s'apparente ainsi à un petit paradis terrestre, « anticipation du paradis » céleste, dominé par un empereur qui représente Dieu sur terre : « en tant que tel, il préfigure la Jérusalem céleste ». Simultanément, le paradis est décrit comme un palais, dominé par le Deus imperatm;;, 95 • Pourtant, la conclusion de P. Riché ne concerne que le monde carolingien: aucun élément artistique ou littéraire ne permet d'effectuer un tel rapprochement à San Julüin. Ainsi, hormis les Saintes Croix, la dimension religieuse de l'iconographie est inexistante comme le remarque justement H. Schlunk. En fait, ces représentations de façades de palais s'inspirent des décorations des palais impériaux romains, afin de glorifier le pouvoir royal d'Oviedo en le rattachant directement et intentionnellement au passé romain. Les quatre croix accentuent ce caractère aulique et font peut-être de cette église - simple hypothèse - le nouveau lieu de départ des expéditions militaires royales. Non loin d'Oviedo, qui prétend à bien des égards copier idéologiquement Tolède, Ramire 1er (842-850) ajoute à cet ensemble architectural un superbe complexe royal. 4. Naranco
Il construisit de nombreux édifices, ouvrages en calcaire et en marbre, sans bois, recouverts de voûtes, sur la pente du mont Naranco, à une distance de deux milles seulement d'Oviedo (Rotense § 24)296 .
Ce vaste ensemble royal est situé à la campagne sur le versant adret du mont, au lieu-dit Lillo, à cinq kilomètres au nord de la ville d'Oviedo, qu'il surplombe de plusieurs centaines de mètres. Il comprend une église, que l'auteur de la Chronique d'Alphonse III-Ovetense qualifie de «plus bel édifice en Espagne», ainsi que «des bains et des palais non loin de cette église»(§ 24). Ramire «s'y retira du monde» (Albelda § XV-10) et s'y «reposa des guerres civiles». A l'heure actuelle, ne subsistent que deux édifices, orientés est-ouest, qui étaient déjà les deux principaux bâtiments mentionnés par l'auteur de la Chronique d'Albe/da : un palais, appelé le Belvédère, et l'église. Le palais (planche 3, p.84), construit dans une zone déjà appréciée à l'époque romaine, est «recouvert de voûtes d'un art admirable» selon le chroniqueur. Son architecture innove tout en conservant un « air de famille » avec celle de 1' époque
301 (p.298). 295
P. Riché, 'Les représentations du palais dans les textes littéraires du Haut Moyen Age', Francia 4 (1976), 161-171 (166-169). 296
Postquam a vella civilia quievit, multa edificia ex murice et marmore sine lignis opere forniceo in latere montis Naurantii duo tantum miliariis procul ab Oveto edificavit.
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CHAPITRE I
d'Alphonse 11297 : au rez-de-chaussée, se trouvent des celliers avec, à leur extrémité orientale, un bain alimenté par l'eau de la montagne; le premier étage, auquel on accède par deux escaliers extérieurs -un seul subsiste-, est composé d'une vaste salle bordée aux deux extrémités orientale et occidentale de deux terrasses couvertes, entourées de colonnes et d'arcs voûtés. Les sculptures sont étroitement liées à la glorification du pouvoir royal (planches 4-5, p.85). Ainsi, quatre croix, accompagnées de l'Alpha et de l'Omega, sur chacune des deux façades orientale et occidentale, deux à l'extérieur, deux à l'intérieur, marquent clairement l'édifice du sceau d'une royauté engagée dans la guerre 298 . Nous retrouvons ce motif sur l'autel exécuté sur ordre du même Ramire rr, quand il transforme son palais en église, et dont une copie est toujours conservée sur la terrasse orientale299 . Le thème de la guerre est bien présent dans les représentations de la grande salle intérieure : les médaillons sont surmontés de cavaliers armés et de personnages à longue tunique 300 . Ces derniers portent chacun un objet rectangulaire au-dessus de leur tête : ils adoptent la position classique de l'orant, qui tend les bras vers la divinité et lui présente des offrandes, à l'instar de ceux représentés sur un relief conservé au Musée archéologique d'Oviedo ou sur un chapiteau de l'abbaye SaintMartin-du-Canigou301. Ces sculptures exaltent donc la guerre menée avec l'aide de Dieu. Peut-être est-il possible de rattacher à ce thème de la guerre les personnages isolés, représentés sur les chapiteaux, debout, de face, vêtus d'une longue tunique et tenant un bâton en position verticale et orienté vers le bas. Certes, à la suite de J. Fontaine302 , F.A. Marin Valdes estime que ce sont des ascètes, des confessores, des saints, qui portent le bâton de l'autorité et sont les guides des chrétiens303 . Pourtant, cette interprétation reste incertaine et nous pouvons y voir des combattants : le bâton est peut-être une épée, et la longue tunique, qui n'est en rien propre aux clercs, habille souvent les fantassins représentés sur les manuscrits hispaniques du Haut Moyen Age 304 . Les animaux sculptés sur certains chapiteaux et dans plusieurs médaillons audessus des arcs, répondent à une volonté de glorification du pouvoir royal. Selon F.
297
Fontaine, L'art préroman hispanique, pp.315-321.
298
Cf. supra, première partie, chapitre I, § III, C, 3.
299
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.321.
30
°F.A. Marin Valdes, 'Santa Maria del Naranco, Bestiario y Paraiso', BIDEA 44 (1990),
413-426 (420-421).
301 Photographies dans : M. Mentre, La peinture mozarabe (Paris : Presses de l'Université de Paris-Sorbonne/Casa de Velazquez, 1984), pl. 16-c et d. 302
Fontaine, L'art préroman hispanique, p.319.
303 Marin Valdes, 'Santa Maria del Naranco', pp.425-426. 304
Photographie dans : Mentre, La peinture mozarabe, pl. 9-b.
711,fin du monde ou fin d'un monde?
77
Marin Valdes 305 , il s'agit d'animaux fabuleux qu'il identifie à des oiseaux auréolés d'origine orientale, des oiseaux à tête de chien ou des griffons, et des quadrupèdes. Selon lui, ils ont pour fonction symbolique de garder le palais, assimilé au paradis terrestre, sur lequel règne le roi, serviteur et élu de Dieu, mais aussi nouvel Adam, nouvel Orphée ou nouveau David ; cette évocation paradisiaque serait renforcée par les portiques et les galeries d'arcades. Cette interprétation nous semble pourtant trop influencée par les recherches de P. Riché, qui ont prouvé que la cour d'Aix est eilectivement conçue comme un nouveau paradis terrestre 306 • En fait, les quadrupèdes ressemblent fortement à des lions. Cet animal est associé à la force, au soleil et au pouvoir royal dans les grandes civilisations antiques, notamment dans l'Ancien Testament; il est même souvent un symbole de régénération, puisqu'il désigne le Christ dans 1'Apocalypse307 . Dans ce contexte palatial, ces lions représentent le pouvoir royal, source de force et de prospérité, intermédiaire entre les mondes divin et terrestre. Leur caractère solaire est accentué par la forme circulaire du médaillon. Il faut adjoindre à cette thématique celle de la régénération, qui apparaît dans les autres médaillons: elle est symbolisée par l'arbre de vie entouré de deux oiseaux- sans doute des aigles- qui s'y nourrissene 08 • A quatre cent mètres de là, un peu plus haut, Ramire 1er fonde une église « en souvenir de sainte Marie [... ] d'une beauté admirable et d'une grâce parfaite» (Ovetense § 24). Depuis un glissement de terrain, il ne subsiste qu'une partie de la nef. Il s'agit d'un édifice basilical à trois nefs, doté d'une tribune sur la façade occidentale, qui lui confère un caractère aulique très net. En effet, ces tribunes sont destinées au roi, contrairement à l'opinion d'I.G. Bango Torviso 309 , car elles ne se rencontrent que dans des églises royales : ainsi Santa Cristina de Lena, San Adriân de Tufi6n, San Salvador de Valdedios et San Salvador de Priesca, édifiées par Ramire le', Alphonse III et Ordofio II dans des villae royales 310 ; plus tard, San Isidoro de Leon, restaurée par Ferdinand rr. Les deux pierres gravées et posées dans l'encadrement de la porte principale, à droite et à gauche (planche 6, p.86), sont aussi étroitement associées à la glorification du pouvoir souverain au travers d'un thème tiré de l'iconographie romaine, que nous retrouvons sur un volet du diptyque d'ivoire du consul Areobindus (a 0 506)311 : les jeux du cirque -un acrobate, un fauve et un dompteur-, 305
Marin Valdes, 'Santa Maria del Naranco', pp.419-425.
306
Riché, 'Les représentations du palais', 166-168.
307
O. Beigbeder, 'Lion', dans Lexique des symboles, Introductions à la nuit des temps 5, 2e éd. (Abbaye Sainte-Marie de la Pierre-Qui-Vire: Zodiaque, 1989), pp.280-298 (pp.281-284). 308
O. Beigbeder, 'Aigle', dans Lexique des symboles, pp. 52-53.
309
Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda', p.31 O.
31
°Fontaine, L'art préroman hispanique, pp.321-333.
311
Dessin de ce volet, actuellement conservé au Musée de Saint-Pétersbourg, dans
78
CHAPITRE!
présidés par le consul - le personnage central, assis, qui tient un sceptre et la mappa, écharpe avec laquelle il donne le signal des jeux- ; les trois personnages sont nimbés et en toge. La royauté asturienne affirme ainsi clairement la continuité du pouvoir depuis l'époque romaine. Il ne s'agit donc pas d'une sculpture circonstantielle, contrairement à l'opinion de M. Nufiez Rodriguez qui identifie le personnage central à un juge, et associe ce thème au personnage de Ramire le', «verge de justice» selon la Chronique d'Albelda 312 • Les nombreuses réalisations artistiques royales à Oviedo exaltent donc le pouvoir royal et, bien souvent, reprennent le programme idéologique des monuments tolédans. Cette ambition d'être une nouvelle Tolède se mesure à la place de la ville dans la hiérarchie ecclésiastique.
B. La capitale ecclésiastique Dans un premier temps, l'ambitieuse politique de construction d'Alphonse II fait d'Oviedo une véritable «forteresse spirituelle», selon l'expression de R. Collins (spiritual fortress), grâce à l'arrivée de reliques de toute l'Espagne 313 . Puis rapidement, un nouveau siège épiscopal s'y installe. A bien des égards, cette création, qui n'est par la suite jamais contestée, est originale. Ainsi, elle contredit la décision du douzième concile de Tolède, qui, après s'être insurgé contre les fondations épiscopales du roi Wamba, a interdit toute création d'évêché 314 • Mais, surtout, elle se distingue des autres créations par sa forte légitimité royale, que manifeste clairement la volonté de donner à Oviedo, autant que faire se peut, une position ecclésiastique identique à celle qu'occupait Tolède. 1. Un nouvel évêché
Si l'évêché est attesté avec certitude en 881, puisqu'il figure dans la liste épiscopale de la Chronique d'Albe/da, ses origines restent confuses et semblent plus anciennes. Il apparaît vraisemblablement sous le règne d'Alphonse Il, avec pour premier titulaire un certain Adaulfus. Cet évêque est mentionné dans le Testamentum Fontaine, L'art préroman hispanique, p.323, fig. 11 O. 312 M. Nufiez Rodriguez, 'La arquitectura como expresiôn de poder', dans La época de Alfonso III y San Salvador de Va/dedias [Congreso de Historia Medieval, Oviedo, 1993], dir. par F.J. Femandez Conde, Publicaciones del Departamento de Historia y Artes, Area de Historia Medieval16 (Oviedo : Universidad, 1994), pp.113-126. 313
R. Collins, 'Mérida and Toledo : 550-585', dans Visigothic Spain: New Approaches, éd. parE. James (Oxford: 1980), pp.l89-219 (pp.189-192). 314
Tolède XII (a0 681), c. 4: Concilias visigôticos, p.392.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
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d'Alphonse II de 812; il apparaît ensuite dans la fausse documentation forgée par l'évêque Pélage d'Oviedo au début du douzième siècle, ainsi que dans la donation d'Alphonse II à Lugo datée de 832 ~en fait élaborée durant la première moitié du douzième siècle à partir de la documentation même d'Oviedo 315 • La création de cet évêché est originale. Dans les terres anciennement christianisées, il existe une fidélité à l'organisation épiscopale traditionnelle, dont le souvenir demeure intact dans le royaume d'Oviedo-Leôn (Albe/da § III). La conquête des nouveaux territoires entraîne donc la plupart du temps le rétablissement des anciens évêchés wisigothiques : ainsi Lugo, Iria, Braga, Astorga, Orense, Palencia, Oca, Tolède, Tuy et Salamanque, dont la restauration est effectuée « selon les délimitations des saints pères » (secundum dijjiniciones sanctorum patrum 316 ). Après le rétablissement des relations entre le royaume et la papauté sous Alexandre Il, ce respect de l'ancienne organisation ecclésiastique est bien entendu fortement encouragé par Rome 317 • Ainsi, le pape s'empresse de rétablir l'archevêché de Tolède l'année suivant la conquête de la ville en 1085, puis, en 1088, sa primatie. Pourtant, à cette époque, certains évêchés sont créés ex nihilo ou parés du titre de métropole, afin d'adapter l'encadrement ecclésiastique aux nouvelles réalités. Le poids de la tradition leur impose alors de légitimer leur existence en invoquant une translation au moment de la conquête musulmane : le nouvel évêque de Mondofiedo porte ainsi le titre d'évêque de Dumio, car ce dernier aurait fui face aux envahisseurs jusque dans ce petit village galicien ; quand Compostelle revendique le titre d'archevêché pour son église, la papauté n'envisage jamais la possibilité d'une création ex nihilo, et Calixte II opte pour le transfert à Compostelle du siège archiépiscopal de Mérida, qu'il estime abandonné 318 . Pour survivre, ces évêchés doivent donc présenter des preuves suffisamment sérieuses de leur ancienneté. Ainsi, la restauration en Il 02 par le comte Raimond du siège de Zamora319 , créé au milieu du dixième siècle320 et disparu en 986, peut 315
Etude cntlque dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête', 2, Annexe la, pp.421-425, et P.J. n° 4, pp.449-454 (reg. Lucas Alvarez, Rl-1 0). 316
Confirmation - fausse - par Alphonse III des possessions de l'église d'Orense et nouvelle donation (a [900]), éd. par M.R. Garcia Alvarez, 'Observaciones al diploma de restauraci6n de la sede auriense por Alfonso III', BCPMOrense 18-3 (1961), 263-292 (reg. Lucas Alvarez, R1-60). D'après M.R. Garcia Alvarez, ce diplôme est confectionné au tournant des onzième et douzième siècles. 0
317
David, Etudes historiques, p.121.
318
R.A. Fletcher, Saint James 's Catapult : the Life and Times of Diego Ge/mirez of Santiago de Compostela (Oxford: Clarendon Press, 1984), pp.202-204. 319 Donation par le comte Raimond de Galice à l'évêque Jérôme des églises et clercs de Zamora et Salamanque (ao 1102): Documentas ... de Salamanca, no 3. 320
M. Carriedo Tejedo, 'El obispado de Salamanca en la primera mitad del siglo X', AL 49 (1995), 159-191 (159-165).
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CHAPITRE!
s'appuyer sur la version de la Division de Wamba, élaborée à Oviedo par l'évêque Pélage (1101-1130) et copiée dans son Liber Chronicorum (1142/1143) 321 : elle confère à l'évêché de Zamora une légitimité incontestable, puisque ce siège continue celui de Numantia, « que nos compatriotes Goths appelèrent ensuite Zamora », Numancia, quam nostrates Goti postea Cemoram vocaverunt 322 • C'est logiquement à partir de ce document que le diocèse est délimité en 1107 par Alphonse Vl 323 • De même, afin de défendre les frontières de leur diocèse menacées par les restaurations de Zamora (1102), Braga (1070) et Orense (1071), les clercs d'Astorga rédigent entre 1102 et 1124 plusieurs faux documents 324 , attribués au dixième siècle et s'appuyant en partie sur une (prétendue?) ancienne documentation: le Parochiale Suevorum, daté du sixième siècle par le chanoine P. David, attribue au siège Astorga la ville de Zamora325 , tandis que la première version de la Division des diocèses d'Espagne par le roi Wamba (672-680), rédigée entre 1088 et 1095 à Osma ou à Tolède326 , ignore le siège de Zamora327 . Sans cette ancienneté, réelle ou supposée, les innovations en matière de hiérarchie ecclésiastique sont condamnées à disparaître. Ainsi, quand Alphonse II construit une église sur la tombe de saint Jacques, qui devient le siège de l'évêque, il restaure« en l'honneur d'un si grand apôtre, l'église du siège d'lria dans ce lieu appelé Compostelle», au dire de l'Historia Compostellana (§ 1, II, 1). Rappelons que cette Histoire, rédigée divisée en trois livres à la demande du prélat de Saint-Jacques de Compostelle, Diego Gelmirez (11 00-1140) 328 , est une histoire du siège épiscopal depuis la translation du corps de l'apôtre jusqu'en 1139; sa rédaction fait partie d'une vaste politique de mise en valeur de l'évêché, qui aboutit à l'attribution du pallium en 1105, puis au transfert -provisoire en 1120, définitif en 1124- de 321
Deswarte, 'Restaurer les évêchés et falsifier la documentation'.
322
La division de Wamba : contribucion al estudio de la historia y geografia eclesùisticas de la Edad Media espafiola, éd. par L. Vazquez de Parga (Madrid: CSIC, 1943), pp.l11-115 (p.113). Cf. aussi la version pélagienne du Liber Itacii (Ibidem, pp.97-l03 (p.lOl)). 323 Alphonse VI confirme la donation du comte Raimond à l'évêque Jérôme de Salamanque et, à la demande des évêques réunis au concile de Le6n, délimite le territoire de la ville de Zamora (a 1107) : Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 2, n° 190. 0
324
Deswarte, 'Restaurer les évêchés et falsifier la documentation'.
325
David, Etudes historiques, pp.19-82. La version du Liber Fidei de Braga a été publiée par A. de Jesus da Costa, Liber Fidei Sanctae Bracarensis Ecclesiae 1, n° 10-11, pp.16-24 et 2, n° 551, pp.348-350. 326
D. Mansilla, Geografia eclesiastica de Espafia : estudio historico-geografico de las diocesis, 2 vols. (Roma : Ig1esia Nacional Espaiiola, 1994) 1, pp.244-248. 327 328
La division de Wamba, pp.74-85.
Historia Compostellana, éd. par E. Falque Rey, Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis 70 (Turnhout: Brepols, 1988), pp.X-XI.
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l'archevêché de Mérida vers le siège de Compostelle. Le premier auteur de cette Histoire est le chanoine Munio Alphonse, qui rédige entre 1107 et 1113 le Registrum, c'est-à-dire les paragraphes IV à XLV du premier livre Gusqu'en 1108) ; puis l'archidiacre Hugues écrit le paragraphe XV entre 1107 et 1112, et un certain Pierre, peut-être chapelain, rédige sûrement le paragraphe XXVII 329 . Le conflit entre Lugo et Braga est aussi significatif de l'importance d'une légitimité ancrée dans le passé. En effet, l'évêque de Lugo revendique l'évêché et même la métropole de Braga car, après 711, son évêque se serait installé dans la ville galicienne. Après la libération de Braga, quand ses clercs cherchent à restaurer l'évêché puis l'archevêché, ceux de Lugo confectionnent deux faux diplômes royaux qui officialisent la translation, l'un d'Alphonse II en 835 -forgé au milieu du onzième siècle-, l'autre d'Alphonse III en 871 -rédigé à la fin du siècle330 : s'affrontent deux logiques, qui reflètent un même attachement au passé. Mais, la stricte légitimité wisigothique s'avère plus forte que la caution royale, puisque Braga retrouve son ancienne situation de métropole à la fin du siècle331 • La situation de l'évêché de Valpuesta, dont nous connaissons les titulaires de façon sûre à partir de 867, est encore plus difficile, puisqu'il ne peut invoquer aucune translation. Aussi, les clercs tentent de justifier leur siège grâce à un faux diplôme royal de fondation, attribué à Alphonse II (a 0 804) 332 • Cependant, ce siège, ainsi que ceux plus ou moins stables de Muno et Sasamon, doivent s'effacer face à celui d'Oca, d'origine wisigothique et rétabli à Burgos en 1068 par Sanche 11333 . Toute nouveauté en la matière est donc vouée à disparaître. Les clercs d' Astorga, qui rédigent au début du deuzième siècle un faux diplôme royal de suppression de l'évêché de Simancas en 934/[974], justifient de la sorte le rattachement de la ville de Simancas à l'évêché de Leon: « Ce siège susdit de Simancas n'était ni convenable, ni dénombré parmi les autres sièges, ni orné de l'honneur pontifical»; aussi, après sa création par Ordoîio III, Ramire III« le soumit au siège de Leon, d'où ils l'avaient tiré, de sorte que, maintenant, les choses sont de la même façon qu'elles l'étaient dans les temps anciens, à l'époque de leurs ancêtres » - secundum quod antiquitus fuerant cuncta in diebus priorum suorum 334 • 329
Historia Compostellana, pp.XIV-XXII.
330
Liber Fidei Sanctae Bracarensis Ecclesiae 1, n° 17-18 (reg. Lucas Alvarez, Rl-44). Diplomâtica espaiiola del perîodo astur, 1, n° 45 (reg. Lucas Alvarez, Rl-30). 331
Etude critique des faux de Lugo et de Braga dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête', 2, Annexe la, pp.405-421, P.J. n° 5, pp.455-457, et 8, pp.462-466. 332
S. Ruiz de Loizaga, Repoblaci6n y religiosidad popular en el accidente de A lava (s. IXXII) (Vitoria: Diputaciôn Forai de Alava, 1989), pp.113-118 (reg. Lucas Alvarez, R1-7). 333
D. Mansilla, 'Burgos, Diocesis de', dans DHEE 1 (1972), pp.290-295 (p.290).
334
Ramire III restitue au siège de Leôn la cité de Simancas, où Ordofto III avait institué un évêché, et au siège d' Astorga différentes églises (a 934 [974]), éd. Deswarte, 'Restaurer les 0
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Oviedo et Le6n sont en revanche les seules villes qui bénéficient d'un nouvel évêché et parviennent à le conserver sans invoquer dans un premier temps une prétendue ancienneté. Ce maintien ne peut s'expliquer que par la volonté royale d'en faire des capitales à part entière. En effet, comme le remarque F. L6pez Alsina, «la capitale politique doit être la nouvelle capitale religieuse »335 , à l'instar de Tolède. Après son choix comme capitale par Athanagild, cette ville est parvenue peu à peu à s'imposer comme la capitale de l'Eglise du royaume: d'abord comme métropole de Carthaginoise, au détriment de Carthagène, puis comme siège primatial à partir de 681, doté du «droit d'installer dans les évêchés vacants de n'importe quelle province du royaume les candidats, jugés dignes par [les métropolitains de Tolède] après désignation royale». Encore une fois, l'exemple de Byzance est essentiel: «cette prérogative, définie en 683 comme droit d'ordination, était empruntée au droit patriarcal de Constantinople »336 • Dans le royaume asturien, l'évêché d'Oviedo peut être considéré de fait comme un des principaux du royaume, en raison du prestige de la ville. Certes, il ne dispose d'aucune suprématie ecclésiastique officielle. Mais, il est libre de toute sujétion et n'est concurrencé par aucune métropole, puisque le premier archevêché- Tolèden'est restauré qu'en 1086. Seule l'église de Saint-Jacques lui porte quelque ombrage. Le silence des chroniques asturiennes sur l'invention du corps de l'apôtre est significatif de la suspicion du clergé d'Oviedo à l'égard d'un évêché au prestige grandissant; à ce sentiment se mêle l'incompréhension, car les auteurs de ces chroniques sont d'origine mozarabe. En revanche, contrairement à ce que pense J.G. Gil Femandez, il ne peut s'agir d'une méfiance à l'égard d'un culte jugé populaire et superstitieux337 : ces villes ne sont-elles pas toutes deux de grands centres qui attirent de nombreux pèlerins venus vénérer de prestigieuses reliques et qui bénéficient du soutien royal ? La création de l'évêché d'Oviedo fait donc bien partie d'un projet néo-gothique qui, à terme, implique l'indépendance du clergé asturien: «l'affermissement politique du royaume passait nécessairement par la mise en place d'une église asture autonome, finalement déliée d'un point de vue disciplinaire du métropolitain de Tolède »338 .
évêchés et falsifier la documentation', Pièce Justificative no 1 (reg. Lucas Âlvarez, R1-248). 335
F. L6pez A1sina, La ciudad de Santiago de Compostela en la alta Edad Media (Santiago de Compostela: Ayuntamiento de Santiago de Compostela, 1988), p.106. 336
Ewig, 'Résidence et capitale', p.35.
337
Gil Femandez, 'Introducci6n', dans Cr6nicas asturianas, p.71.
338
L6pez Alsina, La ciudad de Santiago, p.1 06.
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Planche 2. Eglise San Julian de los Prados :vue du chevet par l'angle nord-est. Photographie de l'auteur.
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Planche 3. Palais de Naranco: vue de l'angle nord-ouest. Photographie de l'auteur.
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Planches 4 et 5. Palais de Naranco: sculptures. Photographies de l'auteur.
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Planche 6. Eglise San Miguel de Lillo : décoration latérale du porche. Photographie de l'auteur.
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Planche 7. Fontaine de Foncalada (Oviedo). Photographie de l'auteur.
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Planche 8. Généalogie simplifiée des rois d'Oviedo-Leon (VIlle-XIe siècles).
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Planche 9. Principaux patronages des églises monastiques du royaume d'OviedoLeon (711-1109). Ce tableau a été réalisé à partir des premières mentions de monastères, recensées par A Linage Conde, Las origenes del monacato benedictino en la peninsula ibérica. 3. Monasticon hispanum (Le6n : CEISI, 1973).
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2. L'adoptianisme et l'indépendance de l'Eglise asturienne
Si Oviedo est provisoirement la nouvelle Tolède, si le royaume asturien perpétue le pouvoir wisigothique, alors l'Eglise mozarabe n'a de facto plus aucun droit sur ce dernier. Une rupture disciplinaire est dès lors inéluctable. Elle est définitivement consommée à l'occasion de la querelle doctrinale adoptianiste. Cette hérésie christologique, qui se développe à la fin du huitième siècle en Espagne, est pour la première fois énoncée en 785 dans une lettre de l'archevêque Elipand de Tolède à Beatus339 , entré au monastère de Liebana dans les Asturies340 • Elle est alors adoptée par les plus grands ecclésiastiques, notamment les évêques Félix d'Urgell et Ascar de Braga341 • Cette théorie d'inspiration nestorienne342 , qui fait du Christ, selon sa nature humaine, le fils adoptif de Dieu, sépare radicalement les deux natures du Verbe et met ainsi à bas toute la théologie de l'incarnation; elle rompt avec l'orthodoxie professée par les conciles de Tolède, qui affirmaient l'humanité et la divinité du Christ contre les ariens et les monophysites 343 • Or, le moine Beatus s'oppose à cette doctrine, notamment dans une très longue lettre -l' Apologeticum- que lui et Eterius adressent à Elipand, dont ils reconnaissent encore le titre de «primat d'Espagne ». Sa dénonciation va très loin puisqu'il assimile ce dernier à un hérétique, qui sont tous des «testicules de l' Antichrist » (testiculi Antichristi), et que, selon lui, il «préfigure l' Antichrist » (praefigurans se Antichristum344 ). En outre, F. L6pez Alsina a prouvé que, lors de la rédaction définitive de son célèbre commentaire de l'Apocalypse, il ajoute deux passages : un relatif à l'opposition entre l'Eglise et la Synagogue dans le prologue du livre II, et un sur l' Antichrist dans un chapitre du livre VI, en raison de la
339
Beatus de Liébana , Heterii et sancti Beati ad Elipandum epistola : Apologeticum, dans Obras completas de Beata de Liébana, éd. et trad. par J. Gonzâlez Echegaray, A. Del Campo et L.G. Freeman, Biblioteca de Autores Cristianos Maior 47 (Madrid: Biblioteca de Autores Cristianos, 1995), pp.697-953, lib. I, § 1. Les lettres d'Elipand de Tolède sont regroupées dans: Elipandi opera, dans Corpus scriptorum muzarabicorum 1, éd. par J. Gil Femândez (Madrid: CSIC, 1973), pp.67-lll. 340 E. Romero-Pose, 'Beatus de Liebana', dans Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, dir. par A. di Berardino, 1 (Paris: Cerf, 1990), pp.361-362. 341 Lettre du pape Hadrien aux évêques d'Espagne (a0 785/91): Codex Carolinus, éd. par W. Gundlach, dans MGH: Epistolae, IV-1 (Berlin: 1892),pp.469-653 (p.637). 342 Millet-Gérard, Chrétiens mozarabes, pp.l95-198. 343 Contra : J.C. Cavadini, The Last Christo/ogy of the West : Adoptianism in Spain and Gaul, 785-820 (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1993). Il estime que la doctrine du onzième concile de Tolède, qui insiste sur l'humanité du Christ, annonce 1' adoptianisme. 344 Beatus de Liébana, Heterii et sancti Beati ad Elipandum epistola, lib. II, § 95, 96 et 99.
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polémique adoptianisté 45 • Elipand fait aussi de Beatus un « précurseur de l' Antichrist » (praecursor Antichristi). Plus généralement, les chrétiens nonadoptianistes «ne me consultent pas, mais prétendent m'instruire car ils sont esclaves de l' Antichrist » (servi sunt Antichristi) déclare-t-il brutalement. Il manifeste alors toute sa fierté d'être à la tête de la principale église d'Espagne en déclarant qu'« il n'a jamais été dit que les habitants de Liébana enseignent aux Tolédans »,alors que« tout le monde sait que [l]e siège [de Tolède] brille depuis ses débuts par la sainteté de sa doctrine et n'a jamais propagé aucun schisme »346 • Plusieurs historiens, à l'instar de J. Gil, associent ce vocabulaire à une attente millénariste et estiment que Beatus attend le Jugement dernier pour l'année 800, date de la fin du sixième âge 347 • Effectivement, à la suite de Isidore de Séville, Beatus reprend la théorie des six âges du monde et, selon le comput d'Eusèbe-Jérôme, affirme que «le monde devra s'achever la six millième année »348 • Pourtant, il s'élève vigoureusement dans son commentaire contre l'adventisme, en rappelant plusieurs fois l'enseignement du Nouveau Testament, tandis que sa lecture spirituelle du livre de saint Jean n'établit aucun lien entre le texte sacré et les événements de l'époque349 . En fait, Beatus ambitionne de contrer certaines peurs eschatologiques contemporaines, en proposant une interprétation symbolique du comput à venir : « Tout catholique doit comprendre, attendre, craindre et considérer ces quatorze années [avant 800] comme une heure» (hos Xliii annos tamquam unam horam putare) 350 • Ces années avant la fin du monde constituent ainsi une période de temps indéfinissable, que le Seigneur peut accomplir, écourter voire 345 F. L6pez Alsina, "Cabeza de oro refulgente de Espafia' : los origenes del patrocinio jacobeo sobre el reino astnr', dans Las peregrinaciones a Santiago de Compostela y San Salvador de Oviedo en la Hdad Media [Actas del congreso intemacional celebrado en Oviedo del3 al7 de diciembre de 1990], coord. par J.I. Ruiz de la Pefia Solar (Oviedo: Principado de Asturias, 1993), pp.27-36 (p.31-32). 346
Beatns de Liébana, Heterii et sancti Beati ad Elipandum epistola, lib. I, § 43 et 44 : Nam nunquam est auditum ut Libanenses Toletanos docuissent. Notum est plebi universae, hanc sedem sanctis doctrinis ab ipso exordio jidei claruisse, et nunquam schismaticum aliquid emanasse. 347
J. Gil Femândez, 'Los terrores del afio 800', dans Actas del Simposio para el estudio de los codices del Comentario al Apocalypsis de Beata de Liébana 1 (Madrid : Joyas Bibliogrâficas, 1978), pp.215-24 7. Rucquoi, 'El fin del milenarismo en la Espafia', p.283. 348
Beatns de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, dans Obras completas de Beata de Liébana, éd. et trad. par J. Gonzâlez Echegaray, A. del Campo et L.G. Freeman, Biblioteca de Autores Cristianos Maior 47 (Madrid: 1995), pp.33-663 (§ 4-5, 1.9697, p.378) : Ut sciatis, in veritate sexto millesimo anno finiendus erit mundus. 349
Deswarte, 'La prophétie de 883 dans le royaume d'Oviedo', pp.50-53.
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Beatns de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, § 4-5, 1.149-151,
p.380.
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même allonger. En conciliant donc maladroitement la tradition computistique et la tradition exégétique, le moine de Liebana tente de proposer une interprétation antiadventiste de la théorie des six âges du monde. Simultanément, Beatus choisit de commenter l'Apocalypse car ce livre «en insistant sur la divinité du Christ[ ... ] permettait de réfuter [!']hérésie [adoptianiste] comme il avait servi à lutter contre l'arianisme. Dès lors, son emploi relève du domaine des controverses christologiques et non de celui des spéculations eschatologiques » ; et S. Gouguenheim de conclure : « Les références empruntées au livre de saint Jean, les accusations réciproques d'Antichrist (et non d'Antechristus, dont la connotation adventiste est évidente) sont par conséquent à replacer dans ce contexte d'affrontement entre orthodoxes et hérétiques »351 . Les citations du livre de l'Apocalypse contenues dans les textes de cette époque, la messe de saint Clément, l'hymne 0 Dei Verbum ou le Testamentum de 812, ne témoignent pas non plus d'une attente adventiste, contrairement à l'opinion d' A.P. Bronisch et d'A. Isla Frez352 . Encore une fois, le vocabulaire du livre de saint Jean ne sert qu'à marquer l'orthodoxie de la foi des chrétiens face aux adoptianistes et, surtout, aux musulmans. Nous pouvons ainsi invoquer le témoignage de la messe de saint Clément, en dépit des incertitudes de sa datation : ce sanctoral, conservé dans un manuscrit écrit à Tolède au neuvième siècle et dans le Passionnaire de Cardefia, daté de 919, aurait été composé, selon A.P. Bronisch, après l'invasion musulmane, car les ennemis ne sont pas qualifiés de 'barbares', comme l'étaient les adversaires du roi wisigothique, mais de filii alienorum, ethnici, gentes ou nationes -termes identiques à ceux employés dans l'hymne Tempore Belli, confectionnée juste après 711 ; or donc, les chrétiens sont ici soumis à la « main des fils étrangers » et supportent les « opprobres » des « nations », selon une terminologie biblique classique pour désigner les païens, « à cause du nouveau nom de ton Fils, que tu as écrit sur une perle brillante, c'est-à-dire sur un caillou blanc » (cf. Ap 2, 17) 353 • Pourtant, la fin du monde semble bien imminente pour une partie de la population du royaume, sensible à la théorie des six âges, à l'occupation musulmane et l'hérésie adoptianiste, vues comme les châtiments de la fin des temps. Cet adventisme est dénoncé par les évêques mozarabes adoptianistes dans une lettre adressée au clergé franc, afin de justifier leur position doctrinale ; pour les besoins de la polémique, ils y accusent- faussement- Beatus d'avoir annoncé la fin du monde lors de la vigile de Pâques à un certain Ordofio et au peuple de Liébana. D'après eux, tous jeûnent alors jusqu'à la neuvième heure du dimanche, quand Ordofio déclare : «Mangeons
351
Gouguenheim, Les fausses terreurs de l'an mil, p. 72.
352
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.lOS-107. Isla Frez, 'El adopcionismo y las evoluciones'. 353 Le Liber Mozarabicus Sacramentorum et les éditions mozarabes, éd. par M. Férotin, Monumenta Ecclesiae Liturgica 6 (Paris: 1912), pp.38-42 (pp.41-42).
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et buvons, et si nous mourons, soyons à tout le moins rassasiés ! »35 \ manifestant ainsi que la prophétie ne s'est pas réalisée, puisque la résurrection finale doit avoir lieu un dimanche355 . Dans ce conflit sur l'adoptianisme, les Astures marquent donc bien leur orthodoxie face aux Tolédans; la rupture est désormais consommée entre les deux Eglises. Cette lutte contre l'adoptianisme n'entraîne pas pour autant une acceptation des traditions franques et un rejet du passé wisigothique 356 • L'Eglise asturienne se considère désormais comme la seule véritable Eglise d'Espagne et, à cet égard, tente aussi de récupérer l'héritage spirituel wisigothique constitué par les reliques demeurées dans al-Andalus. La première translation explicitement mentionnée est liée à la construction d'Oviedo et a une forte dimension néo-gothique : les restes de sainte Léocadie, qui arrivent de Tolède dans la nouvelle capitale à l'époque d'Abd al-Rahman 1er (756788), sont placés dans la Camara Santa, afin de copier la chapelle royale tolédane. Par la suite, les translations sont souvent effectuées à l'initiative des rois. Ainsi, le prêtre Dulcide, envoyé par Alphonse III à Cordoue, en revient avec les reliques des martyrs mozarabes Euloge et Léocritie 357 . Les saints antérieurs à 711 sont aussi très recherchés : avant le 20 avril 1062 358 , les reliques des saints Vincent, Sabine et Cristète, martyrs à A vila sous Dèce, sont amenées à San Pedro de Arlanza par son abbé Garcia (1050-73), en présence du peuple ainsi que des grands ecclésiastiques et laïcs 359 . Cette translation est certainement voulue par le roi Ferdinand 1er, car ce monastère, où est enterré son ancêtre le comte Fernan Gonzalez, est étroitement lié à sa famille; ille choisit même initialement comme lieu de sépulture (Silense, p.197). A la même époque, ce roi envoie une délégation d'évêques chargée de ramener de Séville le corps de sainte Juste. Cette translation manifeste clairement la volonté royale de renouer avec le passé, en récupérant un bien que les Léonais considèrent comme volé: «Notre intention [... ] est d'expliquer comment [Ferdinand) ruina fréquemment les Sarrasins» affirme ainsi l'auteur de la Translatio Isidori (p.94); or, parmi ses différentes actions, Ferdinand «demanda au roi de Séville qu'il lui concédât le corps de Juste afin qu'ille transférât à Leon» (pp.94-95). Cette Eglise, qui prétend continuer et restaurer l'Eglise wisigothique, est
354 Lettre des évêques d'Espagne à ceux de Gaule (a 0 795/800), dans Elipandi opera, Corpus scriptorum muzarabicorum 1, éd. J. Gil Femândez (Madrid: CSIC, 1973), pp.82-93 (p.92): Commedamus et bibamus, et sifuerimus mortui, saltim vel satiati! 355 L. Vâzquez de Parga, 'Beatus de Liébana et 'Los Beatos'', dans Los Beatos [exposition, Bruxelles, Europalia 1985] (Bruxelles: 1985), pp.3-8 (p.5). 356 357 358 359
Contra: Isla Frez, 'El adopcionismo y las evoluciones', pp.971-974 et pp.992-993. Cf. infra, p.144. A. Lambert, 'Arlanza (San Pedro de)', dans DHGE 4, cols. 224-231 (col. 229).
Vi ta Dominici Siliensis, éd. par V. Valcarcel, La 'Vita Dominici Siliensis' de Grima/do (Logrofio: Instituto de Estudios Riojanos, 1982), §VIII, 1.8 et 18.
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patronnée par saint Jacques, patron de l'Hispania, dont le corps est retrouvé en Galice au début du neuvième siècle.
V Saint Jacques ou la revendication de l 'Hispania Le développement du culte de l'apôtre joue un rôle essentiel dans l'affirmation politique du royaume asturien. A. Castro et C, Sanchez Albornoz s'étaient déjà interrogés sur la relation entre l'Espagne et le culte de l'apôtre: alors que le premier déclarait que« l'Espagne du neuvième siècle ne put se rétablir et subsister que grâce à la croyance en Santiago »360 , le second affirmait que « Santiago est le fait de l'Espagne, et non l'Espagne l'œuvre de Santiago »361 • Mais, faute de définir précisément l'objet même du litige~ l'Hispania, le débat était d'avance condamné à l'impasse. Car, comme le déclare J.A. Maravall, «pour les chrétiens, l'Espagne est un concept historico-politique qui oblige [à la Reconquête] » : «Nommer cette terre Espagne équivaut à formuler le programme de la Reconquête »362 • En fait, pour les Astures, l'apostolat et la sépulture de saint Jacques ancrent ce dernier dans le passé wisigothique. La découverte de sa tombe est donc une autre manière de renouer avec le passé.
A. L' Hispania, entre musulmans et chrétiens
Pour les chrétiens du nord-ouest, l'Hispania demeure une notion bien vivante. Elle peut désigner l'Espagne géographique, la péninsule ibérique : à la fin du huitième siècle, Beatus considère la province des Asturies comme une simple province de l'Hispania puisque, selon ses termes, il est connu «non seulement à travers les Asturies, mais encore par toute l'Espagne», que l'adoptianisme s'est répandu dans l'Eglise asturienne, suscitant une rupturé 63 ; au début du onzième siècle, Sampiro parle dans sa Chronique de la ville de Saint-Jacques, « cité d'Espagne et de Galice» (p.l72). En outre, l'Espagne constitue toujours une entité politique à part entière. Le Laterculus regum Ovetensium, composé à la fin du huitième siècle, a une perception des événements de 711 proche de celle des textes mozarabes : la défaite entraîne l'expulsion du peuple des «Goths», qui dominaient l'Espagne, par les Sarrasins
360
A. Castro, Espana en su historia : Cristianos, Moras y Judios (Buenos Aires : Losada, 1948; 2e éd., Barcelone: Critica, 1982), p.103. 361
Sânchez Albornoz, Espana, un enigma hist6rico l, titre du§ 3 du chapitre V.
362
Maravall, El concepto de Espana, p.207 et pp.252-253.
363
Beatus de Liebana, Heterii et sancti Beati ad Elipandum epistola, lib. I, § 13.
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qui, alors, « régnèrent en Espagne ». En revanche, depuis la révolte de Pélage, l'auteur de ce texte ne reconnaît plus cette domination et écrit: «avant que le seigneur Pélage régna, les Sarrasins régnèrent en Espagne pendant cinq années » ; puis, «Pélage régna dix-neuf années» 364 . La domination musulmane sur l'Espagne est donc interrompue par le règne de Pélage. G. Martin peut alors déclarer : « Le texte souligne avec insistance que l'espace concerné par les effets de la fondation pélagienne est celui, indivisible, transhistorique, de l'Hispania ».Aussi, l'historiographie asturienne, dès sa naissance, propose un système qui affirme certes l'indépendance originaire de la royauté asturienne, mais suggère déjà la vocation de celle-ci à dominer l'ensemble de l'Espagne [... ] et donc à restaurer la souveraineté perdue par les Goths : discrimination ethnique, quoique peu marquée ; en revanche, assimilation politique365 . Ce texte va même plus loin, puisqu'il affirme que Pélage domine effectivement l'Espagne. La reprise des concepts historiographiques wisigothiques se concrétise par une forte affirmation politique : non seulement «l'idée d'une continuité avec l'ère gothique caractérise donc d'emblée l'historiographie asturienne »,mais surtout, le nouveau royaume asturien est assimilé à l'Hispania. Pourtant, l'équivalence établie entre le royaume asturien et l'Hispania date probablement d'Alphonse II, sous le règne duquel est rédigé ce texte, et est appliquée rétroactivement aux origines de la royauté. Elle s'explique très certainement par la vigoureuse politique néo-gothique du roi chaste et par ses nombreuses victoires militaires, qui laissent peut-être présager sa future domination sur l'ensemble de l'Espagne. Mais, cette analogie demeure isolée, car elle se heurte à la réalité territoriale. Durant les décennies postérieures, les affirmations politiques entérinent cet échec. Dans un diplôme de 853 à Samos, Ordofio 1er affirme que son père, Ramire le', a donné ce monastère à l'abbé Argericus, «quand il vint de cette Espagne dans cette région »366 : l'Espagne appartient encore géographiquement aux musulmans, comme le reconnaît déjà le chroniqueur mozarabe de 754. Cette idée est reprise et développée par l'historiographie chrétienne du nord-ouest. Ainsi, les chroniques asturiennes différencient géopolitiquement le royaume d'Espagne du royaume d'Oviedo. Lors du peuplement de plusieurs villes par Ordofio 1er, l'auteur de la Chronique d'Alphonse III sépare nettement deux groupes parmi les colons: les sujets du roi et les personnes originaires de Spania (populo partim ex suis, partim ex Spania advenientibus), c'est-à-dire les Mozarabes (Rotense § 25). De même, les attaques d'Alphonse III en 881 le conduisent à pénétrer avec son armée en Spania (Albe/da § XV-12). Celle-ci désigne l'Espagne musulmane dans un sens 364
Annales portugalenses veteres-1 079.
365
Martin, 'La chute du royaume visigothique', pp.218-220. Confirmation par Ordofio Ier des possessions de l'abbaye de Samos (a 853) :El Tumba de San Julian de Samos, ll 41 (reg. Lucas Alvarez, Rl-15). 366
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géographique, comme l'ont bien vu plusieurs historiens 367 , mais aussi dans un sens politique. La Chronique d'Albe/da narre les attaques menées contre le royaume d'Oviedo par l'« armée d'Espagne», dirigée par un «duc» ou un «consul d'Espagne». Aussi, les chrétiens asturo-léonais se battent contre l'Hispania (§ XV-6 et 13). L'assimilation entre l'Espagne et al-Andalus persiste ensuite longtemps. Ainsi, au dixième siècle, deux diplômes de Sanche rer sont datés en fonction du début de son règne et de son « retour d'Espagne »368 ; de même, dans la chronique de Sampiro, une offensive musulmane est menée par une armée de Tolède et une« des autres villes d'Espagne» (p.161). Au début du douzième siècle, l'auteur de l'Historia Silense n'hésite pas non plus à qualifier les musulmans de« barbares de toute l'Espagne» (p.153). Cette perception, qui se retrouve notamment en Aragon et en Catalogne369 , est cependant spécifiquement chrétienne: chez les auteurs d'alAndalus, le terme même d'Espagne est rarement utilisé pour la période postérieure à l'invasion; quand il l'est, notamment dans la chronique pseudo-isidorienne et celle d'al-Razi, il ne désigne qu'un simple espace géographique, lieu de passage de différents peuples 370 • Sous Alphonse Il, la volonté de renouer avec l'Hispania s'affirme vigoureusement par la découverte du corps de saint Jacques.
B. Saint Jacques et l'Espagne Initialement, saint Jacques n'a aucun lien avec l'Espagne: d'après les Actes des Apôtres, Jacques le Majeur, fils de Zébédée et frère de saint Jean, apôtre du Christ, a prêché en Palestine avant d'être martyrisé à Jérusalem par le roi Hérode Agrippa rer en 44 (Ac 12, 1-2). L'évangélisation de l'Occident est considérée comme l'œuvre de Pierre et Paul. La Passio Jacobi, vraisemblablement composée au sixième siècle371 , 367
L. Vones, 'Hispania', dans Lexicon des Mittelalters 5 (München et Zürich: Artemis, 1991), cols. 38-40 (col. 39). 368
Donations par Sanche I"r au monastère de Sahaglin (a 0 960) : Colecciôn diplomatica de Sahagûn 1, no 175-176 (reg. Lucas Alvarez, R1-231-232). 369 F. Galtier Marti, 'La extrematura de Hispania: algunos aspectos de la vida cotidiana en las fronteras aragonesas del afto mil', dans La Marche supérieure d'al-Andalus et l'Occident chrétien, Publications de la Casa de V elazquez, série Archéologie 15 (Madrid : Casa de Velâzquez-Universidad de Zaragoza, 1991), pp.149-164 (p.l50). M. Zimmermann, 'Le concept de Marca hispanica et l'importance de la frontière dans la formation de la Catalogne', dans Ibidem, pp.29-49 (pp.44-47).
°Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, pp.241-270 (pp.247-256).
37
371
M.C. Diaz y Diaz, 'La Passio Jacobi', dans De Santiago y de los caminos de Santiago (Santiago de Compostela: Xunta de Galicia, 1997), pp.15-52. Reg. BHL, no 4057.
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connaît un grand succès en Europe et pénètre en Espagne à la fin du septième siècle372 ; mais elle ne fixe aucun lien particulier entre l'apôtre et l'Espagne. Aussi, son culte, apparu dans la péninsule ibérique à partir du septième siècle373 , demeure marginal et, pendant longtemps, ne fait pas officiellement partie des dévotions de l'Eglise wisigothique 374 • Pourtant, dès cette époque, les croyances évoluent lentement. 1. Saint Jacques, apôtre de l'Espagne
Avec saint Jérôme, les Espagnes sont pour la première fois explicitement mentionnées parmi les régions évangélisées par les apôtres, chacun d'entre eux étant enterré dans sa région de prédication375 • Dans la version latine interpolée du Breviarum apostolorum, confectionnée au tournant des sixième et septième siècle 376 et copiée à partir du huitième siècle dans des sacramentaires et martyrologes, Jacques le Majeur est présenté comme l'évangélisateur de l'Hispania377 • Cette croyance se répand ensuite en Occident378 . Ainsi, un poème du moine anglais Aldhelm de Malmesbury (ca 650-709), le Carmen in duodecim apostolorum aris, se réfère à une inscription métrique destinée à un autel de Saint-Jacques et déclare : «Ce Jacques [... ] fut le premier à convertir les peuples des Espagnes». Le 372
M.C. Diaz y Diaz, 'La literatura jacobea anterior al C6dice Calixtino', Compostellanum 10 (1965), 639-661 (642). 373
On a découvert à Mérida une pierre wisigothique, peut-être datée de 627, qui comporte une dédicace d'église à la Vierge Marie ainsi qu'à dix saints, dont Jacques : J. Vives, 'La dedicaci6n de la iglesia de Santa Maria de Mérida', Analecta Sacra Taraconensia 22 (1949), 63-73. 374
1. Torrente Femandez, 'Tratamiento historiografico de la peregrinaci6n jacobea', dans Las peregrinaciones a Santiago, pp.399-410 (p.402). 375
Jérôme, Commentariorum in Esaiam (libri I-XI), éd. par M. Adriaen, S. Hieronymi presbyteri opera, pars I-2 (Turnhout: Brepols, 1963), lib. 10, c. 34, p.423 (Corpus Christianorum, Series Latina, 73): Et Spiritus illius congregaverit eos [apostolos], dederitque eis sortes atque diviserit, ut alius ad Indos, alius ad Hispanias, alius ad Illyricum, alius ad Graeciam pergeret; et unusquisque in evangelii sui atque doctrinae provincia requiesceret. 376 B. de Gaiffier, 'Le Breviarium apostolorum (BHL 652) : tradition manuscrite et oeuvres apparentées', Analecta Bollandiana 81 (1963), 89-116 (113-114). 377
J. Carracedo Fraga, 'El 'Breviarum Apostolorum' y la Historia de Santiago el Major en Hispania', Compostellanum 43 (1998), 569-587 (éd. p.586-587) : Jacobus qui interpretatur subplantator, filius Zebedei, frater Johannis. Hic Spaniae et occidentalia loca praedicatur et sub Herode gladio caesus occubuit sepultusque est in Achaia Marmarica VIII kalendas augustas. 378
Cid Priego, 'Santiago el Major en el texto', 600.
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martyrologe de Notker de Saint-Gall du neuvième siècle, ainsi qu'un manuscrit du dixième siècle, le Codex Regius Vaticanus 571, parlent aussi de la prédication apostolique. Sur une carte de ce dernier ouvrage, figure au bord du Mifio cette annotation : «Ici prêcha Jacques »379 • Dans la péninsule ibérique, cette tradition de l'apostolat de saint Jacques apparaît dans un passage authentique - donc non interpolé - 380 du chapitre soixante-dix du De ortu et obitu Patrum 381 , rédigé au début du septième siècle par Isidore de Séville. Cette croyance est bien vivante à la fin du huitième siècle, puisqu'elle est formulée par Beatus de Liebana dans son prologue du deuxième livre du Commentaire de l'Apocalypse382 , dans sa version définitive achevée vers 786. Plus tard, le succès de ce livre achève de populariser cette croyance dans l'Espagne chrétienne et dans l'ensemble de l'Europe. Dès le dixième siècle, plusieurs actes galiciens affirment que «le vénérable et glorieux corps [de saint Jacques] demeure enterré dans la région des Espagnes, que ce saint, parmi les autres apôtres, a reçue, la terre de Galice »383 . A la même époque, sont rédigées des Notitiae apostolorum ubi requiescunt, qui localisent la tombe de l'apôtre en Galice384 • Enfin, à partir de la fin du onzième siècle, des textes narrent la prédication de saint Jacques en Espagne et sa venue à Compostelle385 • Ces récits et représentations différencient la plupart du temps les deux Jacques 386 : les cartes de la dispersion apostolique distinguent clairement le Jacobus Spaniam du Jacobus frater Domini Jerusalem, tandis que la liturgie se réfère clairement à Jacques le Majeur387 • A partir du huitième siècle, son culte connaît une certaine expansion dans la 379 38
Cid Priego, 'Santiago el Major en el texto', 627: Hic predicavit Jacobus.
°
F. Dolbeau, 'Deux opuscules latins relatifs aux personnages de la Bible et antérieurs à Isidore de Séville', Revue d'Histoire des Textes 16 (1986), pp.83-139. 381
Isidore de Séville, Isidorus Hispalensis : De ortu et obitu Patrum, éd. par C. Chaparro Gômez (Paris: Les Belles Lettres, 1985), pp.203-205. 382
Beatus de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis aposta li commentaria, p.l34 , § 3.
383
Ramire II confirme les donations antérieures à l'évêché de Santiago et donne le commissus de Posmarcos (a0 934) : La documentaci6n del Tumba A, n° 40 (reg. Lucas Alvarez, R1-171). 384
M.C. Diaz y Diaz, 'La Epistola Leonis Pape de Translatione sancti Iacobi in Galleciam', Compostellanum 43 (1998), 517-568 (531, n.45). 385
M.C. Diaz y Diaz, 'Literatura Jacobea hasta el siglo XII', dans Il Pellegrinaggio a Santiago de Compostela e la Letteratura Jacopea [Atti del Convegno Internazionale di Studi, Perugia, 1983] (Perugia: Centro Italiano di Studi Compostellani, 1985), pp.225-250 (pp.242250).
36.
386
Contra : Diaz y Diaz, 'La literatura jacobea anterior', p.649.
387
J. Pérez de Urbel, 'El culto de Santiago en el siglo X', Compostellanum 16 (1971 ), 11-
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péninsule. Ainsi, l'office de Santiago est composé au tournant des septième et huitième siècles388 • Puis, au huitième ou au neuvième siècle, sa passion inspire la rédaction d'une hymne en l'honneur du saint, peut-être à Tolède 389 . Mais, l'essor est surtout manifeste dans le royaume asturien. 2. Saint Jacques, patron de la royauté et de l'Hispania
Le culte à saint Jacques y prend une nette dimension politique. Tout d'abord, un lien étroit est établi entre ce culte et le pouvoir royal dans l'hymne 0 Dei Verbum, composée en l'honneur de l'apôtre sous le règne de Maurégat (783-788). Cette composition liturgique, qui est en fait un acrostiche comme l'a prouvé C. Blume, est rédigée au nom du roi, qui implore ici la « défense » et la « protection » de Dieu dans la dédicace : « 0 roi des rois, exauce le pieux roi Maurégat »390 • Or, saint Jacques y est qualifié de « défenseur et patron secourable » du roi (tutorque nabis et patronus vernulus, v. 48) 391 : selon un sens religieux bien établi, notamment dans le Sacramentarium Leonianum des sixième-septième siècles392 , le vocable de patronus désigne le saint patron protecteur, qui exerce un patrocinium, c'est-à-dire une protection et une intercession auprès de Dieu ; tutor est un terme tout à fait classique qui signifie le défenseur. En outre, l'action de Santiago s'étend à tout le royaume, puisqu'il est le «doux pasteur du roi, du clergé et du peuple» (v. 52) ; il est le berger, le guide d'une communauté393 , envisagée selon la trilogie wisigothique de la royauté, du clergé et du peuple. Saint Jacques doit mener au ciel (v. 53-55) son troupeau, qu'il protège de la «peste» et de «toute maladie, calamité et crime» (v. 49-50). Dans ce texte, le patronage de saint Jacques s'exerce aussi sur l'Espagne. Il est «tête d'or resplendissante de l'Espagne» (caput refulgens aureum Ispanie, v. 47), titre acquis grâce à son œuvre de prédication dans la péninsule (v. 25). Nous pouvons même dire que ces deux patronages, sur la royauté et l'Espagne, vont de 388
Diaz y Diaz, 'La literaturajacobea anterior', pp.647-648.
389
Diaz y Diaz, 'Estudios sobre la antigua literatura relacionada con Santiago', 664-665 (édité 654-655). Cette hymne est uniquement transmise par le Bréviaire du chanoine Ortiz, imprimé à Tolède en 1502. 390
Beatus de Liébana, Hymnus in diem sancti Jacobi, pp.672-675 : 0 raex regum regem piium Maurecatum aexaudi cui prove oc tua amore preve. 391
Traduction de vernulus par Van Herwaarden, 'The origins of the Cult of Saint-James',
15. 392 patronus et patrocinium dans A. Blaise, Dictionnaire Latin-Français des auteurs chrétiens (Turnhout: Brepols, 1954), p.601 ; et Idem, Dictionnaire Latin-Français des auteurs du Moyen Age (Turnhout: Brepols, 1975), p.663. 393 pastor dans Blaise, Dictionnaire des auteurs chrétiens, p.599 ; et Idem, Dictionnaire des auteurs du Moyen Age, p.660.
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pair, l'un justifiant l'autre. En ce sens, cette hymne est davantage que «l'ébauche d'un programme tendant à institutionnaliser la résistance à Cordoue sous la forme d'une monarchie chrétienne et d'une Eglise soustraite à l'autorité de Tolède »394 : en associant idéologiquement les notions de royauté et d'Espagne, elle affirme implicitement la vocation de cette première à s'identifier à terme à la seconde. Comme le suppose à juste titre J. van Herwaarden39 S, l'invocation à saint Jacques doit être mise ici en relation avec l'énergique lutte de Maurégat contre les musulmans. En outre, ce patronage permet à l'Eglise asturienne de s'affirmer face à l'Eglise mozarabe hétérodoxe: saint Jacques garantit l'orthodoxie de cette première et ancre sa légitimité dans le passé 396 • En ce sens, O. Engels a parfaitement raison de placer l'invention de la tombe de l'apôtre en Galice dans un contexte plus général, marqué par la volonté de présenter « le royaume asturien [ ... ] comme le vrai refuge de l'ordre ecclésiastique mozarabo-wisigothique »397 • En outre, cette découverte a des conséquences politiques fondamentales, puisqu'elle permet de lier encore plus étroitement le saint, l'Espagne et la royauté.
C. L'invention du corps et de l'essor du culte La question de l'authenticité des reliques de saint Jacques a longtemps attiré l'attention des historiens: les partisans de l'authenticité y voient le fruit d'une translation, antérieure ou contemporaine, tandis que ses adversaires hésitent entre la simple légende et l'authentique découverte d'un lieu de culte auparavant païen - consacré aux Dioscures - ou hérétique - la tombe de Priscillien, mort au quatrième siècle398 . La tombe est située dans un édicule, retrouvé en 1879 dans le sous-sol de l'abside de l'actuelle cathédrale. Ce bâtiment, difficilement datable, contient un pavement antérieur à la tin du deuxième siècle, un autel et deux loculi latéraux destinés à accueillir deux corps. 1. Millan Gonzalez-Pardo et A. Blanco Freijeiro ont récemment prouvé que ces loculi sont dotés de 'petites fenêtres' ifenestellae), qui témoignent d'un culte voué aux martyrs. En outre, une inscription en cursive grecque, haute de 17,5 cm et large de 22, nous donne le nom de l'un d'entre eux: Athanase (t ca 95 ?) - Athanasios/Martyr -,disciple de saint Jacques. Ce martyrium 394
Lôpez Alsina, "Cabeza de oro refulgente de Espafia", p.35.
395
Van Herwaarden, 'The origins of the Cult of Saint-James', 16-17.
396
R. Plotz, 'El apostol Santiago el Mayor en la Tradiciôn oral y escrita', dans Santiago, Camino de Europa, pp.l93-211 (p.l95). Lôpez Alsina, 'La invenciôn del sepulcro de Santiago', p.82. 397 398
Engels, 'Die Reconquista', p.280.
Bonne présentation de l'historiographie parR. Plôtz, 'Der Aposte! Jacobus in Spanien bis zum 9. Jahrhundert', Gesammelte Aujsatze zur Kulturgeschichte Spaniens, Spanische Forschungen der Gorresgesellschaft, erste Reihe 30 (1982), 19-145 (26-50).
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a alors attiré des inhumations ad sanctos -les nombreuses tombes d'époque romaine puis suève situées sous l'actuelle cathédralé 99 • Au début du neuvième siècle, la principale tombe est identifiée à celle du fameux Jacques, dans une «ambiance» incontestablement« favorable» à son culte, selon les termes de F. L6pez Alsina400 • 1. La découverte de la tombe et le culte
L'invention du corps de l'apôtre a lieu au début du neuvième siècle, durant le règne d'Alphonse II et l'épiscopat de Théodemire à Iria, dans un lieu appelé Compostelle par les diplômes rédigés après les années 1050. Cette découverte est vraisemblablement postérieure à 818, car un document du Tumba de Sobrado nous apprend que l'évêque d'Iria était encore, à cette date, Quindulfus 401 • Mais, elle est antérieure à 829/834, date à laquelle elle est pour la première fois rapportée dans un diplôme royal octroyé en faveur de la nouvelle église de Saint-Jacques : « A notre époque, les reliques du bienheureux apôtre, à savoir son très saint corps, ont été révélées »402 • Immédiatement, apparaît un pèlerinage sur la tombe, dont le roi est un des premiers protagonistes : « Après avoir entendu cela, nous sommes accourus avec une grande dévotion et supplication, accompagné des Grands de notre palais, pour adorer et vénérer un si précieux trésor». Il décide alors de faire construire une église, qui intègre l'édifice abritant la tombe, et lui délivre un privilège exceptionnel : une immunité dans un rayon de trois milles aux alentours. Le retentissement de la découverte est tel que l'évêque d'Iria déplace officieusement son siège et se fait enterrer ad sanctum. Lors des fouilles de 1946/1959, sa tombe a été retrouvée dans la nef de l'actuelle cathédrale, où elle est toujours conservée in situ. A partir du neuvième siècle, le culte de l'apôtre se généralise dans la liturgie 403 • Dès 912, l'église de Saint-Jacques prend le titre d'église apostolique - apostolice sedis404 • Dans le même temps, le pèlerinage se développe, comme en témoigne un diplôme royal de 886, date à laquelle Alphonse fait une donation à Santiago pour les « moines », les «pauvres » et les
399
1. Milhin Gonza!ez Pardo et A. Blanco Freijeiro, 'Hallazgo en el Mausoleo del Apôstol Santiago del tîtulo sepulcral griego de su discîpulo san Atanasio', BRAH 186 (1989), 209-219. 400
Lôpez Alsina, 'La invenciôn del sepulcro de Santiago', p.82.
401
Lôpez Alsina, 'La invenciôn del sepulcro de Santiago', pp.64-65.
402
Donation par Alphonse II à l'évêché de Santiago de trois milles autour de la tombe (a0 829/834) : La documentaciôn del Tumba A, no 1 : Hujus enim beatissimi apostoli pignora, videlicet sanctissimum corpus, revelatum est in nostro tempore. 403 404
Pérez de Urbel, 'El culto de Santiago'.
Donation par Ordofio II de divers dépendants dans la villa de Barna à l'évêché de Santiago (a0 912): La documentaciôn del Tumba A, no 23 (reg. Lucas Alvarez, R1-85).
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«pèlerins »405 • Après un voyage qui l'a mené en Catalogne puis à Cordoue en 858, Usuard, moine de Saint-Germain-des-Prés, peut déclarer à propos de saint Jacques, au 25 juillet de son martyrologe composé entre 850 et 865 : « Ses ossements très sacrés, translatés de Jérusalem en Espagne et placés à l'extrémité de ce pays, sont vénérés par ces peuples avec une extraordinaire dévotion »406 • La présence d'un apôtre du Christ ne tarde pas à attirer des pèlerins du monde franc, dont les premiers exemples remontent au milieu du dixième siècle407 : l'évêque Godescalc du Puy, qui, après son pèlerinage, ramène « d'Espagne en Aquitaine au mois de janvier 951 » une copie du De virginitate perpetua sanctae Mariae d'Ildephonse de Tolède408 ; puis l'archevêque Hugues de Reims et Abbon de Fleury. Ce pèlerinage devient un concurrent direct de celui à Rome : au début du onzième siècle, selon Adémar de Chabannes, le duc Guillaume III d'Aquitaine (995-1030) se rend à Saint-Jacques en Galice quand les conditions ne lui permettent pas d'effectuer son pèlerinage annuel sur la tombe des apôtres Pierre et Paul409 . Pourtant, ce culte demeure à bien des égards une spécificité du royaume asturoléonais. Il y bénéficie d'une popularité unique, marquée par les nombreuses églises qui lui sont consacrées410 . Les premiers monastères lui sont dédiés dès la seconde moitié du neuvième siècle en Galice, en Castille et en Le6n411 • Ces mentions se multiplient durant les dixième et onzième siècles : en trois siècles, nous relevons dans le royaume d'Oviedo-Leon trente-neuf dédicaces de monastères en son honneur, dont vingt-neuf en patron unique ou principal, sur mille cent vingt-huit (planche 9, p.89) ; dans la Rioja des dixième-quinzième siècles, sept églises portent 405 Donation par Alphonse III à l'évêché de Santiago de salines, près de A Lanzada, qui ont appartenu à un rebelle (a0 886) : La documentaci6n del Tumba A, n° 13 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-46). 406 Usuard, Martyrologe, éd. par Jacques Dubois OSB, Le Martyrologe d'Usuard: texte et commentaire, Subsidia hagiographica 40 (Bruxelles : Société des Bollandistes, 1965), pp.128137 et pp.272-273 : Hujus sacratissima ossa ab Jerosolimis ad Hispanias translata, et in ultimis earum fini bus condita, celeberrima illarum gentium veneratione excoluntur. 407 J.M. Lacarra, J. Uria Riu et L. Vazquez de Parga, Las peregrinaciones a Santiago de Compostela, 3 vols. (Madrid: CSIC, 1948), pp.41-42. 408 Ildephonse de Tolède, De virginitate perpetua sanctae Mariae confessio, éd. par V. Blanco Garcia, La virginidad perpetua de Santa Maria, Biblioteca de Autores Cristianos 320321 (Madrid: La Editorial Cat6lica, 1971), prologue, pp.26-27.
409
Adémar de Chabannes, Chronique, éd. par P. Bourgain, Ademari Cabannensis Chronicon, Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis, 129 (Turnhout: Brepols, 1999), lib. III, c. 41, p.161. 410 411
Fletcher, Saint James 's Catapult, p.79.
A. Linage Conde, Los origenes del monacato benedictino en la peninsula ibérica 3 : Monasticon Hispanum (Leon: CEISI, 1973), no 946 (ao 877), no 1601 (ao 864) et no 1794 (ao 872).
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CHAPITRE I
son nom412 • En revanche, entre 711 et 1109, un seul monastère lui est consacré en Catalogne413 , aucun en Aragon. En outre, le culte à Santiago demeure étroitement associé au pouvoir royal et conserve une forte dimension politique. 2. Un patriotisme mystique414
La découverte de ce corps permet au royaume de renouer un peu plus avec le passé. Aussi, les liens entre le saint et la royauté demeurent par la suite très forts. L'évêché constitue même un des points d'appui de la royauté dans une région récemment soumise415 • Jusqu'à l'avènement de Ferdinand le', les souverains lui octroient de nombreuses libéralités, particulièrement Alphonse II, Ordofio rr, Alphonse III, Ordofio II et Fruela II416 • Alphonse III est très généreux pour l'église, qu'il fait reconstruire en plus grand; les fouilles archéologiques ont même prouvé qu'elle est la plus vaste de toutes les églises asturiennes 417 • En outre, les rois, en l'occurrence Fruela II et Ramire II, n'hésitent pas à s'y rendre en pèlerinage418 • Surtout, saint Jacques s'affirme comme le premier patron des rois. Certes, il leur arrive parfois d'invoquer par la suite d'autres saints patrons, à l'instar de Pierre419 , Jean-Baptiste et Pélage420 • Néanmoins, le patronage de Jacques semble le plus fort. En 829/834, Alphonse II déclare qu'il a construit l'église de Saint-Jacques «pour
412
Cantera Montenegro, 'Advocaciones religiosas en la Rioja'.
413
Linage Conde, Los origenes del monacato 3, n° 1410 (a 914).
414
Expression de Fontaine, L'art préroman hispanique, p.257.
415
Fletcher, Saint James 's Catapult, pp. 73-76.
0
416
Reg. Lucas Alvarez, Rl-11 (Alphonse II); Rl-20 (Ordofio le}; Rl-23, 24, 25, 26, 37, 41, 43, 46, 48, 52 et 73 (Alphonse III); R1-81, 82, 85, 86, 89, 91, 92, 114, 116, 128 et 134 (Ordofio II); Rl-144, 145 et 147 (Fruela II). 417
Fletcher, Saint James 's Catapult, p.66 et p.71
418
Confirmation par Sanche Ordofiez des donations de ses ancêtres à l'évêché de Santiago (a 0 927): La documentaci6n del Tumba A, no 51. Confirmation par Ramire II des donations antérieures à l'évêché de Santiago, et donation du commissus de Posmarcos (a 934): Ibidem, n° 40 (reg. Lucas Alvarez, R1-161 et 171). 0
419 Donation par Vermude II de la vallée de Sariego au monastère San Pelayo d'Oviedo (a 996) : El monasterio de San Pelayo de Oviedo : historia y fuentes, 1 : Colecci6n diplomatica (996-1325), éd. par F.J. Femândez Conde, 1. Torrente Femândez et G. de la Novai Menéndez (Oviedo: Monasterio de San Pelayo, 1978), no 1 (reg. Luca~ Alvarez, Rl-297). 0
Donation par Ferdinand rr du monastère San Juan de Abofio à l'abbaye San Pelayo d'Oviedo (a l053): Colecci6n diplomatica de Fernando 1 (1037-1065), éd. par P. Blanco Lozano (Leon: CEISI, 1987), no 47 (reg. Lucas Alvarez, Rl-414). 420
0
711,jin du monde ou jin d'un monde?
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notre âme et celles de nos parents »421 • En 858, Ordofio 1er étend la zone d'immunité à six milles autour de l'église en signe de «révérence et d'honneur pour le bienheureux Jacques, notre apôtre »422 • En 866, Alphonse III l'appelle «notre patron »423 , expression plusieurs fois reprise par la suite424 . Ce patronage est efficace, puisque le saint aide le roi dans son gouvernement. Grâce à son intercession, affirme un diplôme d'Alphonse IV, les rois « ont mérité la grâce de Dieu et ont bien gouverné son royaume »425 ; et, dans sa Chronique, Sampiro nous décrit Alphonse III en prière à Santiago, lorsqu'il est expulsé de son trône par ses fils (p.l62). Son rôle d'intermédiaire entre Dieu et le pouvoir royal apparaît de façon éclatante dans l'intitulé de ce diplôme royal de 924 en faveur de Saint-Jacques : «Moi Fruela, fils des seigneurs le prince Alphonse et la reine Sancha, grâce à Dieu par l'intercession du saint apôtre, salut »426 • Simultanément, dès les premiers diplômes royaux, l'apôtre, l'Hispania et le roi sont étroitement associés. En 829/834 et 858, Alphonse II et Ordofio 1er le qualifient de «patron et seigneur de toute l'Espagne» (patronum et dominum tocius Hyspanie), titre qui repose sur la croyance en l'apostolat du saint dans la péninsule. Bien qu'elle ne soit pas encore explicite dans les textes, cette idée est naturellement renforcée par la découverte du corps du saint, puisque, selon saint Jérôme, la tombe de chaque apôtre est localisée dans sa région de prédication. Les cartes de la dispersion apostolique contenues dans les Beati popularisent par la suite cette croyance, puisqu'elles représentent systématiquement l'emplacement de la tombe de saint Jacques en Galice427 ; celle du Beatus de la cathédrale de Gerona, d'origine léonaise (a 0 975), mentionne ainsi un Sancti Jacobi apostoli428 • Par ce culte à saint Jacques, s'exprime bien un patriotisme mystique, un lien particulier, spirituel, entre le saint, la royauté et 1'Hispania. Guide du roi dans son 421
Donation par Alphonse II à l'évêché de Santiago de trois milles autour de la tombe de l'apôtre (a 829/834) :La documentaciôn del Tumba A, n° 1 (reg. Lucas Alvarez, R1-11). 0
Donation par Ordofio rer à l'évêché de Santiago de trois milles supplémentaires autour de la tombe de l'apôtre (a 0 858) : La documentaci6n del Tumba A, n° 2 (reg. Lucas Alvarez, R1-20). 422
423
Confirmation par Alphonse III des donations antérieures à l'évêché de Santiago (a 866) :La documentaciôn del Tumba A, n° 4 (reg. Lucas Alvarez, R1-24). 424
0
Quelques références dans Fletcher, Saint James 's Catapult, pp.78-79.
425
0
426
0
Confirmation par Alphonse IV des donations antérieures à l'évêché de Santiago (a 929) :La documentaciôn del Tumba A, no 20 (reg. Lucas Alvarez, R1-152): et propter id, illius interventu, gratiam a Domino meruerunt et regnum suum bene rexerunt. Donation par Fruela TT de diverses possessions en Galice à l'évêché de Santiago (a 924): La documentaciôn del Tumba A, n° 36 (reg. Lucas Alvarez, R1-147). 427
L6pez Alsina, "Cabeza de oro refulgente de Espafia", pp.32-33.
428
Cid Priego, 'Santiago el Major en el texto', 607-611 et 624, photographie 631.
106
CHAPITRE!
gouvernement, Jacques devient le saint patron par excellence de la guerre royale, qui doit permettre au royaume de s'identifier à terme à l'Espagne. 3. Saint Jacques, patron de la guerre royale
A l'époque d'Alphonse III, est pour la première fois établi un lien étroit et explicite entre la guerre et l'apôtre. En 893, le roi délivre le premier diplôme qui implore l'intercession du saint pour obtenir la «victoire sur les ennemis »429 • Dès lors, les rois se tournent régulièrement vers l'apôtre de l'Espagne pour être protégés des« maux» de ce monde430 , particulièrement des« embûches de leurs ennemis »431 . Ainsi, saint Jacques est constamment invoqué aux dixième et onzième siècles pour obtenir la victoire sur les adversaires432 , qu'ils soient musulmans ou rebelles chrétiens433 . Il n'est pas innocent qu'Alphonse VI se tourne précisément vers le chapitre de Compostelle, afin que soit célébré quotidiennement pendant toute sa vie le Saint Sacrifice pour sa santé corporelle et sa victoire sur les« païens »434 . Pour les rois, son intervention est efficace, comme le prouvent les anecdotes suivantes. En 895, Alphonse III rappelle qu'il vainquit deux frères révoltés « que la force de Dieu humilia par [l'] intercession [de saint Jacques] et qu'elle réduisit à néant». Ramire II offre une croix à l'église Santiago de Pefialba- Bierzo- (après sa victoire contre les musulmans à Simancas en 939 ?) ; elle porte cette inscription : « le roi Ramire offre au nom de notre Seigneur Jésus-Christ en l'honneur de l'apôtre
429
Donation par Alphonse III de l'église Santa Maria de Areas à l'évêché de Santiago (a 893): La documentaci6n del Tumba A, n° 14 (reg. Lucas Alvarez, Rl-48).
0
°
43 Confirmation par Fruela II des donations antérieures de milles (a 0 924) : La documentaci6n del Tumba A, n° 38 (reg. Lucas Alvarez, Rl-145). 431
Ordofio II rend au siège d'Iria ce qui avait été concédé aux évêques de Lamego, Tuy et Oviedo, et lui donne douze milles ainsi que les commissi de Montesacro et Amaea (a 915): La documentaci6n del Tumba A, n° 28 (reg. Lucas Alvarez, Rl-90). Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.510-513 et pp.516-518. 0
rr
432
Privilège de Ferdinand et de son épouse aux habitants des terres de l'église de Santiago au Portugal: La documentaci6n del Tumba A, n° 69 (a 1065) (reg. Lucas Alvarez, Rl-442). 0
433 Donation par Alphonse III à l'évêché de Santiago de villae situées dans le territoire de Coimbra (a 899) : La documentaci6n del Tuinbo A, n° 17 Et donation par Alphonse III à l'évêché de Santiago de villae dans le Bierzo, confisquées à des rebelles (a0 895) : La documentaci6n del Tumba A, n° 15 (reg. Lucas Alvarez, Rl-59 et 52). 0
434
Donation par Alphonse VI du monastère de Brandariz et de la moitié du monastère de Pilofio aux chanoines de Santiago (a 1100), éd. A. Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia, 2 : Colecci6n diplomatica (Leôn: CEISI, 1998), n° 154. 0
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
107
saint Jacques »435 • Au siècle suivant, dans un faux diplôme attribué à Ordofio II (a 0 915), mais en réalité écrit par les clercs de Compostelle au tournant des onzième et douzième siècles, Santiago est bien le saint de la conquête : c'est grâce à lui que le roi a soumis « une partie non négligeable de la Chrétienté »436 • Les chroniques du début du douzième siècle sont les premières à indiquer des interventions miraculeuses de l'apôtre dans la lutte, comme en témoigne l'interpolation de la Chronique de Sampiro réalisée par Pélage d'Oviedo; J. Pérez de Urbel a en effet clairement différencié437 cette version tardive de l'évêque Pélage d'Oviedo, de celle originale, incluse au début du douzième siècle dans l'Historia Silense438 • La version pélagienne rapporte ainsi qu'al-Mansur, après avoir dévasté toute la Galice, ne peut s'approcher de la tombe du saint mais en revient« effrayé par un signe de Dieu» (Dea annuente territus, p.l71). Sa première intervention directe est rapportée dans l'Historia Silense, à l'occasion du siège de Coimbra en 1064. Après un pèlerinage de trois jours sur la tombe du saint, Ferdinand 1er parvient en effet à prendre la ville grâce à l'intercession du «soldat du Christ» (Christi miles, p.190-191 ). La preuve de cette intervention est donnée par saint Jacques luimême à un pèlerin grec venu de Jérusalem, qui refuse de reconnaître le saint comme strenuissimus miles : pendant la nuit, Santiago lui apparaît à cheval et, lui reprochant son incrédulité, montre des clefs et annonce que Ferdinand prendra Coimbra le lendemain (pp.l91-192); dans l'ignorance de cette expédition militaire, le pèlerin fait part de l'événement aux clercs et aux Grands qui envoient des légats à Coimbra afin de constater la réalisation de la prédiction (pp.l92-193). Aussi, le roi «revint rapidement à Leon, après avoir vénéré par de nombreux dons la tombe du bienheureux apôtre pour ce triomphe sur l'ennemi» (p.194).
Conclusion L'histoire des premiers temps de la monarchie asturienne est donc celle d'une réaction qui s'inscrit dans la continuité : réagir face au désastre de 711 et renouer avec un passé romano-wisigothique brutalement interrompu par la destruction de la Williams, 'Cruz de Santiago de Pefialba', pp.261-262, photographie p.262 : t ln nomine Domini nostri Jebu (sic) Christi ob onorem t sancti Jacobi aplostoli (sic) Ranemirus rex offert. Cette croix porte l'Alpha et l'Omega. 435
436
Ordofio II rend au siège d'Iria ce qui avait été concédé aux évêques de Lamego, Tuy et Oviedo, et lui donne douze milles ainsi que les commissi de Montesacro et Amaea (a 0 915) : La documentaci6n del Tumba A, no 28 (reg. Lucas Alvarez, Rl-90): Non minima pars christianitatis. Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.510-513 et pp.516-518. 437
Pérez de Urbel, Sampiro, pp.273-434.
438
Pérez de Urbel, Sampiro, pp.136-168, pp.202-223 et pp.233-241.
108
CHAPITRE!
royauté de Tolède. Comme le déclare Y. Bonnaz, à partir d'une étude des chroniques asturiennes, «la continuité wisigothique s'est affirmée d'emblée dans les institutions asturiennes » ; et : la survivance ou la réapparition très précoce des titres de rex ou de princeps, des insignes du pouvoir royal wisigothique [... ] prouvent que le souverain asturien se trouva très tôt auréolé d'un prestige bien plus considérable que celui d'un simple caudillo entouré de guerriers descendus des montagnes439 . Il convient même de parler d'un idéal royal néo-gothique et néo-romain. Alors que certains Mozarabes projettent leurs espoirs de libération dans l'attente adventiste d'un au-delà meilleur, les Astures voient dans 711 la fm d'un monde, qui marque le début de leur ambitieux projet politique. Très précocement, apparaît la volonté de renouer avec une conception et une pratique du pouvoir qui prévalaient durant la période antérieure, c'est-à-dire aux époques romaine et wisigothique, que les contemporains envisagent comme un tout ; ils continuent ainsi à comptabiliser le temps par rapport à la date de l'invasion romaine de la péninsule (38 avant J.C.). Contrairement à l'opinion d'A. Isla Frez, idéologie néo-romaine et idéologie néogothique sont donc indissociables440 , tandis que, de façon significative, certaines traditions byzantines, pourtant a priori inconnues à Tolède, sont reprises par le roi asturien. La guerre fait aussi partie intégrante de ce projet, afin de préserver l'indépendance du royaume et d'agrandir son territoire. Cette guerre est sacralisée dans la tradition wisigothique, comme en témoigne l'étonnant développement du culte à la Sainte Croix. Avec Alphonse II, la politique néo-gothique connaît un premier apogée : la fondation d'Oviedo, conçue comme une nouvelle Tolède, et les nombreuses victoires militaires d'un royaume qui estime avoir renoué avec plusieurs institutions politiques wisigothiques, laissent alors entrevoir une restauration de l' Hispania wisigothique, peut-être associée à une attente adventiste ; celle-ci est alors combattue par Beatus, qui, dans son Commentaire du livre de l'Apocalypse, tente maladroitement de concilier la tradition computistique des six mille années du monde et la tradition eschatologique augustinienne. Il est donc clair que le royaume se pense d'abord en référence à son passé. En l'absence de toute preuve documentaire, il paraît vain de vouloir à tout prix interpréter son histoire à travers celle du monde franc contemporain: il ne s'agit pas d' « opposer» l'architecture d'Oviedo à celle d' Aix-la-Chapelle441 , ni d'invoquer saint Jacques, dont le corps est découvert après 818, contre d'éventuelles ambitions de l'Eglise franque 442 , ni même de voir dans la création d'une nouvelle Tolède à 439 440 441 442
Bonnaz, 'Divers aspects', 89 et 97. Isla Frez, 'El adopcionismo y las evoluciones', 992-993. Contra: Bango Torviso, 'De la arquitectura visigoda', p.304. Contra : Engels, 'Die Reconquista', p.280.
7ll,fin du monde ou fin d'un monde?
109
Oviedo le décalque de la translatio imperii carolingienne443 • Par ailleurs, sous le règne d'Alphonse II, s'établissent de cordiales relations avec le monde franc, significativement ignorées par les sources asturiennes mais extrapolées du côté franc. Elles ont une forte tonalité militaire et laissent supposer un projet d'alliance, comme en témoignent les présents offerts par Alphonse à 1' empereur franc en 797/798 444 ; selon Eginhard, Charles «s'attacha si étroitement Alphonse, roi de Galice et d' Asturie, que celui-ci, quand il lui envoyait des lettres et des ambassades, tenait à ce qu'on le nommât toujours l"homme' du roi franc »445 • Puis, une commune lutte contre l'hérésie adoptianiste unit les mondes franc et asturien, puisque le pape Hadrien, puis le clergé franc, surtout en la personne d'Alcuin, et Charlemagne condamnent énergiquement cette doctrine qui s'est répandue en Catalogne, en la personne de l'évêque Félix d'Urgell446 • Plus tard, après 800, ces bonnes relations font place à un oubli réciproque. Il est en partie dû à la fin du problème adoptianiste dans l'empire grâce au concile d'Aix en 800, à l'issue duquel Félix se déclare vaincu et approuve une profession de foi catholique. La méfiance du roi d'Oviedo à l'égard du nouvel empereur a certainement aussi joué un rôle. Ainsi, la cordialité puis l'inexistence de ces relations nous interdisent de placer le monde franc au premier rang des préoccupations asturiennes. En dépit de la vigoureuse politique et des succès d'Alphonse II, 1' exaltation néogothique de la royauté se heurte à la réalité territoriale. Le règne du roi chaste achevé, alors que la nouvelle Tolède a logiquement rompu avec l'ancienne -sans pour autant remettre en cause l'ordre ecclésiastique wisigothique447- l'Hispania est toujours politiquement dominée par les musulmans. Il reste alors au roi à poursuivre sa politique néo-gothique, avec l'aide de saint Jacques. En effet, son culte n'est pas d'abord lié à l'affirmation d'une identité régionale, contrairement à l'opinion deR. Collins qui le compare à saint Emilien en Castille448 : Jacques est avant tout apôtre de l'Espagne ; pour cette raison, il est enterré dans sa région de prédication, et reçoit 443
Contra : Torrente Femândez, 'Tratamiento historiogrâfico de la peregrinaci6n jacobea', pp.399-403. 444
M. Defoumeaux, 'Carlomagno y el reino asturiano', dans Estudios sobre la monarquia asturiana [IX Centenario de Alfonso II el Casto, 1942] (Oviedo, 1949), pp.89-116 (pp.92-97). Cf. aussi A.P. Bronisch, 'Asturien und das Frankenreich zur Zeit Karls des Gros sen', Historisches Jahrbuch 119 (1999), 1-40. 445
Eginhard, Vie de Charlemagne, éd. et trad. par L. Halphen (Paris : Les Belles Lettres, 1981), c.16. 446 W. Braunfels, 'Der Adoptianismus, Alkuin und Spanien', dans Karl der Grosse: Lebenswerk und Nachleben 2, dir. par W. Braunfels (Düsseldorf: Schwann, 1965), pp.95115. 447 448
Contra : Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism', p.50.
R. Collins, Early medieval Spain: Unity in diversity (400-1000), 2e éd. (Londres: Mac Millau, 1995), p.238.
110
CHAPITRE]
le titre de patron de l'Hispania et de la royauté. La seule présence de sa tombe en Galice, découverte entre 818 et 829/834, ancre le royaume dans l'orthodoxie, confère à son Eglise la légitimité du passé qui lui faisait défaut, et fournit à la royauté le meilleur soutien spirituel pour restaurer l' «Espagne».
CHAPITRE II
Alphonse III et la restauration du royaume des Goths
l'époque d'Alphonse III, la réalisation du projet néo-gothique connaît une accélération. Des concepts politiques essentiels du royaume wisigothique sont réactivés. Le peuple lui-même est sur le point de renouer avec son identité gothique, si bien que la restauration du royaume des Goths semble imminente. Cet optimisme s'explique aussi en partie par le contexte militaire très favorable, qui laisse entrevoir une possible conquête de l'ensemble de la péninsule. Cette attente se concrétise par la rédaction simultanée des trois grandes chroniques dites asturiennes. Pour la première fois, des textes littéraires exposent en détail l'idéologie néo-gothique de la royauté asturienne, qui guide la politique royale depuis Pélage et doit culminer en 884 avec la restauration définitive du royaume de Tolède.
A
I. Le royaume : rex et patria Durant le règne d'Alphonse III, les termes d'origine wisigothique relatifs au pouvoir royal sont en nombre grandissant dans les documents royaux et courants dans les chroniques asturiennes. Ce mimétisme manifeste toujours une volonté évidente de récupérer les grands concepts politiques qui présidaient à l'organisation du royaume wisigothique. Ainsi, la notion de patria, qui constituait, avec la royauté et le peuple des Goths, une des trois idées clefs du royaume de Tolède, connaît dès cette époque une grande fortune.
112
CHAPITRE II
A. La valorisation néo-gothique du pouvoir royal
Plusieurs qualificatifs et insignes royaux wisigothiques sont repris par Alphonse III. A la suite de l'empereur romain puis du roi wisigothique 1, le roi exerce un pouvoir souverain, désigné par les termes de cu/men ou d'apex : au dire de la Chronique d'Albe/da, Alphonse est« parvenu au sommet du pouvoir souverain»(§ XII), de même que son fils Garcia le', selon un diplôme de son frère Ordofio II, reçoit, le « sommet du royaume »2 • L'utilisation du titre de dominus, qui désigne le roi dans les actes des conciles wisigothiques, se répand dès cette époque, notamment quand les sujets s'adressent au souverain3. La Chronique d'Alphonse III, dans sa notice consacrée à Alphonse 1er, est la première à sous-entendre que le sceptre, autrefois représenté sur les monnaies royales wisigothiques\ est un attribut royal : « Alphonse fut élu par tout le peuple et reçut avec la grâce de Dieu le sceptre du royaume» (Rotense § 13). Il symbolise dès lors l'exercice du pouvoir souverain dans les miniatures du dixième siècle5 , dans les diplômes royaux6 , dans les chroniques, particulièrement dans celle de Sampiro (p.165, Alphonse IV) et l'Historia Silense (pp.183-184, Ferdinand I"r), et dans les dédicaces d'églises : la consécration des autels de l'église San Adrian de Tufi6n par l'évêque Pélage d'Oviedo, en 1108, a lieu en présence du« roi Alphonse, fils du roi Ferdinand, portant le sceptre à Leon et à Tolède »7 • Le trône, autre insigne du pouvoir royal repris par les Wisigoths à Romé, réapparaît à cette époque, dans la documentation écrite puis, à partir du dixième siècle, iconographique. Le terme de solium, qui est par exemple utilisé par la Chronique d'Alphonse III pour symboliser le pouvoir royal sous le règne du roi Silo (Rotense § 19), est le plus courant- ou throni solium, solium regni -,tandis que cathedra ou sedes regia le sont moins 9 . Les officiers royaux portent eux aussi des titres wisigothiques. Les socii, 1
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.542.
2
Donation par Ordofio II d'une villa à l'évêché de Santiago (a0 915): La documentaci6n del Tumba A, n° 26 (reg. Lucas Alvarez, R1-91 ). 3 Donation par un abbé à Alphonse III du monastère de Mezonzo (a 0 870) : Diplomatica espaiiola del perîodo astur 2 (1951), n° 99. 4
Valverde Castro, 'Simbologia del poder', 144.
5
A.P. Bronisch, 'Kronungsritus und Kronenbrauch im Reich von Asturien und Leon', Studi Medievali 39 (1998), 327-366 (329-332). 6
Procès entre un prêtre et un abbé au sujet d'une possession litigieuse (a0 941): Colecci6n de la catedral de Leon 1, n° 144. 7
Diego Santos, n° 188a: Sceptrum gerante rege Adefonso, regis Fredenandi filio, in Legione et Toleto. 8
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.541.
9
Bronisch, 'Kronungsritus und Kronenbrauch', 329-332.
Alphonse III et la restauration du royaume des Goths
113
compagnons d'armes de Pélage lors de sa révolte, d'après le récit de la Chronique d'Alphonse Ill (Rotense § 9), montrent la persistance d'un compagnonnage guerrier, dont l'origine peut tout aussi bien être germanique qu"indigène' 10 . Cette chronique parle également d'officiers palatins à l'époque d'Alphonse!"', de Grands du palais et d'office palatin à l'époque d'Alphonse II(§ 15 et 19), qui« rappellent, par leur titre et leur rôle, les majores ou optimates ou seniores palatii wisigothiques » 11 • Dans les chroniques et les actes diplomatiques du dixième siècle, les officiers du rois sont surtout qualifiés de fidel es ou fidel es principis nos tri, successeurs des jideles regis wisigothiques, et de comtes. Comme à 1' époque wisigothique, Alphonse III affirme clairement la dimension religieuse et sacrée de son pouvoir. Un bon roi est un «prince religieux », selon l'expression appliquée à Alphonse II par la pierre commémorative qu'Alphonse III fait installer dans la cathédrale d'Oviedo 12 , ou qui figure dans un faux diplôme d'Alphonse VI 13 ; cette appellation rappelle celle de« très religieux» employée pour Reccarède 14 . A l'instar des rois wisigoths'\ le prince gouverne le peuple des chrétiens « dans la foi catholique», comme Ramire II' 6 ; dans les chroniques, le grand souverain est un roi« catholique» ou« orthodoxe», à l'instar de Ferdinand I"r et Alphonse VI (Sampiro p.l63; Silense p.118-119 et 208). En effet, il doit représenter Dieu sur terre dans 1' ordre temporel : Alphonse III est « roi à la place de [l]a toute-puissance [de Dieu] » 17 ; il règne en même temps que n'a donc pas disparu en 711, puisqu'il sort« pour ainsi dire du sommeil>> (p. 135) 90 • Les chroniqueurs rappellent aussi que Pélage était, à 1' époque wisigothique, « spathaire des rois Witiza et Rodrigue >> (Rotense § 8). Surtout, ils insistent sur son origine royale, puisqu'il est «fils de Fafila >> (Albe/da § XIV-33), «qui avait été jadis duc de sang royal >> ( Ovetense § 8). Plus tard, le mariage voulu de sa fille avec le futur Alphonse I"r, « fils de Pierre, duc des Cantabres, de lignée royale >> - selon la version Ovetense, «issu de la race des rois Léovigilde et Reccarède »- (§ 11 et 13), enrichit encore le sang familial. Une telle continuité devient alors un lieu commun de l'historiographie: dans la Translation de saint Isidore, Pélage est« originaire du sarment royal» (regia traduce oriundus, p.94). L'origine royale et la gothicae gentis nobilitas de la famille de Pélage91 attestent l'indéniable légitimité wisigothique de son pouvoir, conformément aux conciles de Tolède qui interdisaient toute succession royale à un étranger92 . Ce roi est dès lors perçu comme le fondateur d'une nouvelle dynastie royale dans toute l'historiographie, notamment le Testament d'Alphonse II, les chroniques asturiennes et 1'Historia Silense. Cependant, la revendication d'une telle légitimité biologique ne contredit pas la conscience d'une rupture politique en 711, que traduit l'onomastique familiale: les monarques asturiens, puis léonais, portent des noms souvent germaniques -
88
More temporum Noe ut diluvium terram paucis Christianorum reservatis.
89
lgitur, post tantam Yspaniarum ruynam, opere pretium est referre qualiter divina pietas, que percutit et sanat, velud ex rediviva radiee virgultum, gentem Gotorum resumptis viribus pullulare fecerit.
°Ceterum Gotorum gens, velud a sompno surgens.
9
91
Bonnaz, 'Divers aspects', 87-88.
92
Tolède V (a 636), c. 3, Concilias visig6ticos, p.228. 0
126
CHAPITRE Il
Alphonse, Fafila, Fruela, Silo, Vermude - 93 , mais différents de ceux des anciens rois wisigoths. En effet, selon la Chronique d'Alphonse 111-0vetense, la chute du royaume est en partie provoquée par la corruption biologique des derniers rois. Son auteur précise: «Pour que te faire connaître pleinement la cause de l'entrée des Sarrasins en Espagne, nous t'exposons l'origine du roi Ervige » (§ 2). Or, son récit dénonce non pas une succession de type matrilinéaire, mais l'origo Ervigii regis, la « naissance » du roi, son « origine » étrangère puisque son père, qui a épousé la nièce du roi Chindaswinthe, est grec 94 • Cette tare se transmet ensuite héréditairement puisqu'Ervige marie sa fille au neveu de Wamba, Egica (§ 3), alors choisi comme roi ; succède à ce dernier son fils Witiza, qui précipite le royaume dans la décadence morale et provoque l'invasion de 711. Après sa mort, ce lignage est toujours vigoureusement dénoncé en raison de la « fourberie» (fraudis) des fils de Witiza, qui font rentrer les musulmans dans la 5 péninsule (Rotense § , même si, comme le rapporte le recueil des Traditions rassemblées, ils voulaient seulement utiliser ces derniers pour récupérer le pouvoir contre Rodrigue96 • Les 'règnes' d' Agila 1er, fils de Witiza, gouverneur de Tarraconaise et de Septimanie, de son fils Agila II (716-9) puis d'Ardo (719-725?\ sont intentionnellement oubliés par les chroniqueurs. En outre, les chroniques rattachent les premiers rois asturiens au lignage Chindaswinthe-ThéodefrèdeRodrigue, et non à celui Ardabaste-Ervige-Witiza98 • «L'invasion arabe apparaît donc comme un châtiment divin contre l'origine à la fois étrangère et criminelle de cette royauté »99 • Pélage, qui descend de rois incontestables, restaure alors une succession royale biologiquement pure. Cette œuvre de régénération du sang royal wisigothique justifie l'existence d'une dynastie, c'est-à-dire d'une famille au sein de laquelle se transmet le pouvoir; la tendance à l'hérédité, manifeste à l'époque wisigothique 100 bien que contrecarrée par les fréquentes usurpations, l'emporte alors définitivement. L'absence de règles plus précises n'interdit pas de parler d'hérédité 10 \ même si elle
7t
93
Bonnaz, 'Divers aspects', 82-83.
94
Contra: M. Barcelo, 'Semen regio : comentarios sobre un texto de la version 'Ovetense' de la Cronica de Alfonso III', dans Historia social, pensamiento historiografico y Edad Media : homenaje al Profesor Abilio Barbera de Aguilera, éd. par Maria Isabel Loring Garcia (Madrid: Orto, 1997), pp.25-31 (p.29). 95
Rotense, § 7 : Ob causam fraudis filiorum Vitizani, Sarrazeni ingressi sunt Spaniam.
96
Ajbar Machmua, p.21.
97
Garcia Moreno, 'Visigotismo y neovisigotismo ', 318.
98
Garcia Moreno, 'Covadonga, realidad y leyenda', 362-363.
99
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.120, n.1.
°Contra: Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism', 47.
10
101
Contra: C. Sanchez Albornoz, 'La sucesion al trono en los reinos de Leon y Castilla',
Alphonse III et la restauration du royaume des Goths
127
n'est pas encore en ligne directe 102 • La succession se fait soit en faveur du fils (Fafila, fils de Pélage, Fruela le', fils d'Alphonse le'), soit en faveur du cousin germain ou issu de germain (Aurélien, cousin germain de Fruela le'). L'accession au pouvoir d'Alphonse le' prouve que, pendant ce premier siècle, le pouvoir royal peut se transmettre par les femmes. Cette matrilinéarité, qu'A. Barbero et M. Vigil associent à des pratiques indigènes 103 , existe pourtant à l'occasion chez les Wisigoths. D'autres exemples l'attestent à l'époque asturienne: juste après la mort d'Aurélien, Silo épouse Adosinda, fille d'Alphonse le', et, selon la Chronique d'Alphonse III, «ce fut pour cette raison qu'il accéda à la royauté» (Rotense § 18). Au siècle suivant, la rébellion de Népotien contre Ramire le' s'appuie aussi sur la légitimité de cette succession, puisqu'il est qualifié dans les Nomina Leonesa de cognatus d'Alphonse II, c'est-à-dire de parent du roi chaste par la voie féminine 104 ou de beau-frère 105 • Depuis Alphonse Ier jusqu'à Ramire le', la succession alterne entre les deux grandes branches de la famille royale : celle de Pélage et celle d'Alphonse 1"'. A la mort de Fafila, fils du premier roi asturien Pélage, Alphonse 1er hérite en effet du trône, car il est marié à la propre fille de Pélage, Ermesinde ; il passe ainsi outre les droits des fils de Fafila. Le roi désigne parfois son successeur de son vivant, à l'instar de Vermude 1er qui choisit son neveu Alphonse II (Rotense § 20). En fait, cette alternance n'est ni le fruit d'une prétendue opposition entre la branche supposée 'asturienne' de Pélage et celle 'wisigothique' du duc Pierre 106 , ni la conséquence d'un hypothétique accord entre elles 107 ; elle reflète un conflit entre deux systèmes de succession : l'un patrilinéaire et l'autre matrilinéaire, peut-être d'origine gothique. A partir de Ramire le', la succession se fait prioritairement en ligne directe : le plus souvent de père en fils -de Ramire 1er à Garcia le'- ou bien entre frères -par exemple, de Garcia 1"' à Fruela IL Là encore, cette succession entre frères, selon le principe de tanistry, est d'origine germanique. Le recours à un cousin d'une branche collatérale n'intervient qu'en dernier recours, comme à la mort de Ramire III. A partir des dernières décennies du dixième siècle, le principe héréditaire est bien établi : trois des quatre derniers rois succèdent alors qu'ils sont encore mineurs, et la succession se fait de père en fils de Vermude II (982-999) à Vermude III (1028dans Estudios sobre las instituciones medievales espailolas (México : Universidad Nacional Autônoma de México, 1965), pp.639-689 (pp.646-650). 102
Contra: Bonnaz, 'Divers aspects', 90.
103
Barbero et Vigil, Laformaciôn delfeudalismo, pp.279-353 (pp.327-353).
104
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', p.90.
105
Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism', 52.
106
Contra : Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism', 48-52.
107
Contra: Y. Bonnaz, 'Divers aspects', 91.
CHAPITRE II
128
1037). Le principe héréditaire est si bien établi qu'il n'est jamais remis en cause lors des nombreuses usurpations, car celles-ci sortent rarement du cadre familial. Ainsi, Fruela tue son frère Vimara «parce que celui-ci convoitait la royauté» (Albe/da § XV-4). Plus tard Maurégat, oncle d'Alphonse Il, chasse du pouvoir son neveu. La révolte de Népotien, parent d'Alphonse II, contre Ramire le', est sans doute moins menée contre le principe de l'alternance entre les deux branches qu'au nom d'une plus proche parenté 108 ; sa prise temporaire du pouvoir est même officiellement reconnue par les Nomina regum Legionensium (Albe/da § XVa-7). Au dixième siècle, la succession en ligne directe est parfois refusée par un cousin, comme en témoigne l'affrontement entre Ordofio IV (958-961), fils d'Alphonse IV (925-930), et Sanche 1er (956-966). De Pélage à Ramire le', la fréquente pratique de l'élection, attestée dans la Rotense pour Alphonse!"', Alphonse Il, Vermude !"'et Ramire 1er(§ 13, 19, 20 et 23), loin de contredire l'hérédité, contrairement à l'opinion de C. Sanchez Albornoz 109 , contribue en fait à l'enraciner. Cette pratique est conforme à la tradition wisigothique 110, puisque le quatrième concile de Tolède prescrit qu'« à la mort du prince, les Grands de l'ensemble du peuple et les évêques établissent d'un commun accord le successeur à la royauté » 111 ; le plus souvent, il s'agit d'un consentement donné a posteriori par les Grands et les évêques. Cette désignation n'est donc en rien une pratique populaire asturienne, contrairement à ce que pensent C. Sanchez Albornoz et, plus récemment, J.M. Minguez 112 • L'élection de Pélage est fondamentale pour le pouvoir de la dynastie asturienne, puisqu'elle légitime son choix, soit par une assemblée des Astures - Rotense -, soit par les Goths « survivants de sang royal » - Ovetense (§ 8) : au départ, le roi est bien un primus inter pares. Par la suite, cette pratique élective n'est que rarement mentionnée car l'hérédité est désormais bien établie. Au dire de l'Historia Silense, elle fait bien partie de la cérémonie d'investiture d'Ordofio II en 914: «Tous les magnats, évêques, abbés, comtes et grands d'Espagne, réunis de façon solemnelle en un concile général, l'instituèrent roi en l'acclamant»; il est ensuite couronné et oint par douze évêques (p.155). La plupart du temps, les chroniques, comme celle de Sampiro, l'évoquent à l'occasion des luttes pour le pouvoir: ainsi, lors du séjour de Sanche Ier à Cordoue, Ordofio IV, fils du roi Alphonse IV, est élu roi par les grands du royaume à 108
Isla Frez, 'Monarchy and Neogothicism', 51-53. Contra: Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.200-201, n.2. 109
Sanchez Albornoz, 'La sucesi6n al trono', pp.646-650.
110
Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.520-521.
111
Tolède IV, c. 75, Concilias visig6ticos, p.218.
112
Mînguez Femandez, 'La cristalizaci6n del po der polîtico', p. 73.
Alphonse III et la restauration du royaume des Goths
129
l'instigation du comte Ferdinand de Burgos (p.l69); plus tard, les comtes galiciens, en révolte contre Ramire III (966-984), «dressèrent au-dessus de lui un autre roi, du nom de Vermude [Il]» (p.l71). L'accord des grands du royaume est aussi rappelé par Ferdinand le', après sa prise de pouvoir quelque peu contestable: ! 193 • Le titre impérial ne demeure pas confiné au cercle du pouvoir, puisqu'il apparaît dans certains actes privés : en 939, une donation au monastère de San Cosme y San Damian de Abeliar a lieu « sous le règne de notre prince Ramire [II], roi empereur sur le siège d'Oviedo » 194 ; au début du onzième siècle, un acte de vente est daté du règne de «notre prince Alphonse [V], fils de l'empereur Vermude [II] » 195 ; en 1056, a lieu un échange entre les abbayes d'Ofia et d'Arlanza «sous l'autorité de l'empereur le roi Ferdinand [l"r] et de l'impératrice la reine Sancha » 196 . 189
0
Confirmation par Ordofio III des possessions du monastère de Pardomino (a 954) : Colecciôn de la catedral de Leôn 2, n° 280 (reg. Lucas Alvarez, R1-221). 190
Procès devant l'évêque de Leon entre le monastère San Cosme y San Damiân et Velasco Hânniz, à l'issue duquel la propriété des biens contestés est reconnue à l'abbaye (a 952) : Colecciôn de la catedral de Leôn 1, no 256. 0
191
Notice précédant une confirmation par Ramiro III de la donation d'un de ses serfs à l'abbaye de Sahagun (ao 976): Colecciôn diplomatica de Sahagun 1, n°284 (reg. Lucas Alvarez, R1-255) : In palatio regis domnissimis imperatoris. 192
Donation de terres au monastère de Samos lors d'un plaid royal, devant lequel 'Sentanus ·, le donateur, a dénoncé l'usurpation de ses terres par le duc Citi Lucidi (a 0 995): El tumba de San Julian de Samos, n°S-9 : Ad nostro domino rex imperatore serenissimus princeps Veremudus. 193
A l'issue d'un procès tenu devant Alphonse V à la demande de l'abbé de Celanova, le roi décide de restituer au monastère les biens usurpés à l'époque de Vermude Il (a0 1007): 'Alfonso V, rey de Leon', no IV. Cf. aussi le procès entre le monastère de Valdearcos et Alphonse V: Colecciôn de la catedral de Leôn 3, no 677. 194
Donation privée au monastère San Cosme y San Damiân de Abeliar (a 0 939): Colecciôn de la catedral de Leôn 1, n° 135. 195 196
Vente privée (a 0 1002): Colecciôn diplomatica de Santa Marîa de Otero, n° 48.
Echange de biens entre les abbayes d'Ofia et Arlanza (a 0 1056): Cartulario de Arlanza, n°56-57 : Sub imperia imperatoris Fredinandi regis et Sancie regine imperatrice.
La glorification du pouvoir royal d'OrdoFzo II à Ferdinand
r
201
Ce qualificatif confère aux rois léonais la plénitude de la souveraineté, de même que les monarques romains ont adopté le terme d'imperator comme premier prénom afin d'affirmer leur imperium suprême sur l'ensemble des territoires conquis par Rome. Cette plénitude est rappelée dans le pénitentiel de Silos (1060/1065) : dans les commutations de pénitence, les laïcs sont répartis en neuf catégories, dominées par celle de l' «empereur» (puis princeps, comes ... )l97. D'ailleurs, le terme d'imperator est étonnamment traduit par basileus dans un diplôme authentique de Ramire III, qui supprime en 974 le siège de Simancas. Pareillement, ce terme est parfois utilisé dans le domaine religieux, par exemple dans la liturgie wisigothique, et renvoie à Dieu, «empereur de toute chose» (omniumque imperator), «empereur des rois de la terre» (imperator regum terre 198 ) ; après l'adoption officielle du titre impérial par Alphonse VI (roi), certains diplômes qualifient même le Tout-Puissant d'« empereur des empereurs »199 • Contrairement aux conclusions des principaux historiens de la question - H.-J. Hüffer, R. Menéndez Pidal, A. Sanchez Candeira et J.A. Maravall-, l'acception « politico-juridique » du terme d'empereur ne doit donc pas être cherchée dans une prétendue influence franque, dont les textes ne soufflent mot. Cette école historiographique prétend que l'empereur est« un roi supérieur aux autres »200 , tout au moins en Espagne, et s'inspire du modèle impérial carolingien afin d'affirmer son pouvoir sur la péninsule et son indépendance vis-à-vis de son puissant voisin201 • Cette volonté d'étudier la question impériale en Espagne en se référant à la situation franque se retrouve chez A. Garcia Gallo ; mais contrairement aux historiens précédents, il nie toute consistance « politico-juridique » à ce qualificatif: selon lui, il demeure un simple idéal et n'implique aucune suprématie sur les autres rois de la péninsule, parce que la construction politique léonaise ne ressemble pas à celle franque : «Les rois n'ont donné aucune signification spéciale au qualificatif d'imperator, parce qu'ils [... ] ne l'ont jamais considéré selon le sens qu'il avait en Europe » ; il désigne en fait un chef militaire victorieux ou un souverain simplement désireux d'affirmer sa toute-puissance. A. Garcia Gallo peut alors conclure de façon quelque peu paradoxale : « Si même imperator signifie 'posséder un pouvoir 197
Paenitentialia Hispaniae, p.42, c.XIIII, n°259.
198
Le Liber Ordinum, col. 331 (Ordo de plurali ; messe votive) et col. 296.
199
Diplôme d'immunité octroyé par le comte Raimond de Galice à l'évêché de Tuy (a 0 1095): Tuy en la baja Edad Média (s. XII-XV), éd. par P. Galindo Romeo (Zaragoza et Madrid: 1923), no 1 (reg. Garcia Âlvarez, n° 569): Sub gratia imperatorum imperatoris. 200
R. Menéndez Pidal, El imperia hispânico y los cinco reinos : dos épocas en la estructura polîtica de Espaiia (Madrid: Instituto de Estudios Politicos, 1950), p.20. 201
H.J. Hüffer, 'Die mittelalterliche Spanische Kaiseridee', dans L'studios dedicados a Menéndez Pidal5 (Madrid: CSIC, 1954), pp.361-395 (pp.366-371 et pp.388-391). Menéndez Pidal, El imperia hispânico, pp.35-40 et pp.43-44. Sanchez Candeira, El 'regnum-imperium' leonés, pp.21-23. Maravall, El concepto de Espaiia, p.438, pp.450-452 et pp.466-467.
202
CHAPITRE III
politique complet', il n'a aucun contenu juridique »202 , puisque, selon J. Montemayor, «il ne s'agit guère que d'une façon d'affirmer une supériorité sur les voisins, d'une appellation honorifique mais non de la souveraineté universelle »203 • Bien au contraire, la réapparition de ce qualificatif procède d'un choix politique strictement lié au contexte juridique mais aussi idéologique romano-wisigothique. Sa dimension restauratrice rompt avec l'attitude pragmatique des rois wisigoths; ces derniers prétendaient continuer dans la péninsule le pouvoir impérial, sans pour autant porter le titre d'empereur, qu'ils auraient eu quelque peine à justifier et assumer. A cette époque, le qualificatif même d' «empereur» n'est que rarement appliqué à l'ancien monarque romain, plus souvent appelé princeps Romanorum ou Romanus princep?04 . Cette attitude pragmatique est officialisée par Isidore de Séville. Dans son souci de donner une légitimité au royaume wisigothique, il refuse l'Empire non seulement dans sa fonction providentielle, mais aussi comme institution205 , et le considère comme un royaume : selon lui, le titre impérial désigne d'abord chez les Romains celui qui possède le pouvoir suprême dans l'armée; puis, le Sénat décide de réserver ce terme à « César Auguste », afin de le distinguer des «autres rois des peuples» (Etymologies § IX, 3, 14); de même, l'institution républicaine attribue le titre d' « Auguste » à Octave pour honorer son œuvre de conquête (§ IX, 3, 16). Aussi, Isidore considère l'empereur byzantin comme un simple roi, que les Grecs appellent basileus, parce que, d'après une fausse étymologie, ces souverains« soutiennent le peuple comme une base»(§ IX, 3, 18). En fait, sa théorie politique tourne autour de l'Espagne, autrefois fiancée des Romains, désormais des Goths : elle constitue un « espace géographique souverain (monarchia) dont le chef est le roi (regni) » et« auquel sont déférés tous les droits et privilèges qui furent jadis ceux de l'Empire »206 • Le terme même de monarchia exprime le pouvoir parfait, absolu, exercé de façon solitaire, auparavant par les empereurs sur l'empire, désormais par les rois wisigoths sur l'Espagne: Monarchae sunt qui singularem possident principatum (Etymologies § IX, 3, 23). Dans sa Louange de l'Espagne, l'évêque de Séville est le premier en Occident à désigner par le terme d'imperium l'autorité souveraine qui s'exerce à l'intérieur des frontières d'un royaume germanique207 • Or, à partir du règne d'Ordofio II, les rois de Leon poussent jusqu'au bout le 202
Garcia Gallo, 'El imperia medieval espafiol', 209-210,212 et 215.
203
J. Montemayor, 'Le rêve impérial', dans Tolède XI!'-XII!'. Musulmans, chrétiens et juifs: le savoir et la tolérance, dir. par L. Cardaillac (Paris: Autrement, 1991), pp.54-74 (pp.59-60). 204
Teillet, Des Goths à la nation gothique, pp.570-571.
205
Reydellet, La royauté dans la littérature, pp.507-523, p.515.
206
La royauté dans la littérature, pp.518-523.
207
La royauté dans la littérature, p.516.
La glorification du pouvoir royal d'Ordofio II à Ferdinand l"
203
raisonnement : puisque le roi possède un imperium absolu, il doit être appelé imperator. Pour la première fois depuis 476, le terme d'imperator fait de nouveau partie du vocabulaire politique usuel. Et, par un mimétisme terminologique étonnant, le comte de Castille Fern:in Gonz:ilez est appelé «consul» dans un manuscrit de Silos daté de 945 208 • Est-ce à dire que les rois veulent reconstituer l'Empire romain? En fait, R. Menéndez Pidal a remarqué à juste titre que le cadre politique de cette restauration impériale demeure celui du royaume209 • Quand le qualificatif d'empereur est accompagné d'un lieu géographique, il est« sur le siège d'Oviedo» à l'époque de Ramire UZ 10, ou, sous Ferdinand 1"', «en Leon, Galice et Castille »211 ; la Vie de saint Dominique de Silos, composée au tournant des onzième et douzième siècles, parle de l'époque pendant laquelle Ferdinand !"' tient l'« imperium de la province de Leon », tandis que son frère Garcia est roi du «royaume de la province de Navarre »212 • Cette appellation est même reconnue par certaines sources ibériques étrangères. La généalogie des rois de Pampelune, insérée dans le Codex de Roda vers l'an mille, mentionne une princesse navarraise qui épousa « 1' empereur Ordofio [II] de Leon »213 • Surtout, Sanche III attribue vers 1030 à V ermude III le titre d' « empereur» en Galice, au terme d'une longue énumération des grands princes chrétiens des environs -lui-même, les comtes de Gascogne et de Barcelone : Ego Sancius rex tenens culmen potestatis mee in Aragone et in Pampilona et in Suprarbi et Ripacurcia et in Nagera et in Castella et in Alava, et cames Sancius Guillermus in Gasconia, et Belengarius in Barchilona, et imperator domnus Bermundus in Gallicia214.
Deux années plus tard, sa prise de la capitale lui permet d'affirmer qu'il étend son imperium de 1'Aragon au « siège impérial de Leon »215 . Mais quand le dernier roi 208
Diaz y Diaz, 'La lengua institucional en la Hispania', p.451.
209
Menéndez Pidal, La Espana del Cid 1, pp.118-120.
210
0
Donation privée au monastère San Cosme y San Damian de Abeliar (a 939) : Colecciôn de la catedral de Leôn 1, no 135: Rex inperadori in sedis Obetensis. 211
Echange de biens entre les abbayes d'Ofia et Arlanza (a 0 1056): Cartulario de Arlanza, n°56-57. 212
Vita Dominici Siliensis, § 5, 1.337 : Imperium provincie Legionensium.
213
Ordo numerum regum Pampilonensium- Item alia parte regum, dans Textos navarros del Côdice de Roda, éd. par José M. Lacarra, Estudios de Edad Media de la Corona de Aragon 1 (Zaragoza; 1945), pp.193-283, pp.229-239 (p.237). 214 Donation par Sanche III du monastère San Salvador de Pueyo à l'abbaye San Juan de la Pefia (ca ao 1030): Cartulario de San Juan de la Pena, éd. par A. Ubieto Arteta, Textos Medievales 6 et 9, 2 vols. (Valencia: 1962-1963) 1, n° 52. 215
Peuplement par Sanche III de Villanova de Pampaneto (a 0 1032): Cartulario de Albelda, éd. par A. Ubieto Arteta, Textos medievales 1 (Valencia: 1960), no 31 :In Legione
204
CHAPITRE III
léonais rentre provisoirement dans sa capitale en 1036, il est reconnu «empereur régnant en Leon» par Ramire l"r d' Aragon216 . Logiquement, ce dernier reconnaît la même année l'accession de Ferdinand au trône de Leon et le qualifie d'« empereur en Castille, à Leon et à Astorga »217 • Aux yeux des contemporains, cette prétention à exercer une souveraineté absolue à l'intérieur du royaume s'emacine dans l'époque wisigothique. En effet, une miniature du codex écrit en 974-976 par le prêtre Vigilanus au monastère d' Albelda, dans la Rioja, attribue ce titre impérial à Réceswinthe, le grand roi législateur de l'époque wisigothique- il est à ce titre représenté entre Chindaswinthe et Egica dans la première rangée des galeries de portraits situées à la fin du Codex de San Millan et du Codex de Vigilanus (après le Liber Judicum) 218 ; de même, après la conquête de Tolède, quand Alphonse VI affirme pour la première fois demeurer dans le «palais impérial» (in imperiali aula), il nous laisse supposer que cette résidence n'est autre que l'ancien palais de la ville «dans laquelle ont autrefois régné mes très puissants et riches aïeux »219 • Aussi, la lente appropriation du qualificatif impérial par les rois de Leon continue selon eux la politique wisigothique : exercer l' imperium dans le cadre d'un regnum. Il est donc impossible de conférer à ce terme une prétention restauratrice à la dimension de l'Occident, ni même, comme le font la plupart des historiens, de l'associer étroitement à la domination de l'Espagne: la notion d'empire, néogothique, impliquerait la revendication de l'ensemble de la péninsule220 et apparaîtrait de façon significative sous Alphonse II -l'inventeur de la tombe de saint Jacques, patron de l'Espagne - 221 ou Alphonse III -celui qui doit restaurer le royaume des Goths222 ; d'après C.J. Bishko, cet idéal néo-gothique de suprématie sur imperiali culmine. 216 Donation par Ramire Ier d'Aragon à sa mère Gisberge (a0 1036) : Cartulario de San Juan de la Pefia 2, no 69.
Donation par Ramire rr d'Aragon de San Pedro de Sorribas au monastère San Juan de la Pefia (a 0 1036) : Cartulario de San Juan de la Pefia 2, n° 70. 217
218
Silva Verastegui, 'La mas antigua iconografia de los reyes visigodos', p.549, photo no 5, p.555, n° 13 (Vigilanus, f. 428), et p.556, no 14 (Aemilianensis, f. 453). 219
Dotation par Alphonse VI de l'archevêché de Tolède, qu'il vient de rétablir et dont le premier titulaire, Bernard, a été choisi par une assemblée royale des grands ecclésiastiques et laïcs (a 0 1086) : Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 86 : In qua olim progenitores mei regnaberunt potentissimi atque opulentissimi. 220
Hüffer, 'Die mittelalterliche Spanische Kaiseridee', pp.366-373 et pp.388-389. Menéndez Pidal, El imperia hispanico, pp.40-44. Sanchez Candeira, El 'regnum-imperium' leonés, pp.39-55 et p.59. Maravall, 'El pensamiento politico espafiol', p.58 et p.68. 221
Hüffer, 'Die mittelalterliche Spanische Kaiseridee', p.370. Menéndez Pidal, La Espafia del Cid 1, p.69. 222
Sanchez Candeira, El 'regnum-imperium' leonés, p.46 sqq .. Ruiz de la Pefia Solar, 'La
La glorification du pouvoir royal d'Ordoiio II à Ferdinand l"'
205
l'ensemble de l'Espagne se concrétise chez Ferdinand 1er par le projet d'une fédération sous domination castillo-léonaise, réunissant les territoires dominés par Sanche III le Grand et les royaumes musulmans tributaires223 . L'empereur de Leon serait « un roi supérieur aux autres, possédant un droit suprême à la récupération de tout le royaume gothique détruit par les Sarrasins »224 • La même approche biaisée conduit A. Garcia Gallo à une autre conclusion: le qualificatif impérial n'implique aucune volonté d'hégémonie, parce que cette suprématie sur la péninsule est contredite par la réalité politique225 • Ce qualificatif impérial affirme en fait clairement que le royaume de Leon est le dernier bastion de la romanité, seul prétendant à l'empire que les rois ambitionnent de restaurer à l'intérieur de ses frontières. Au total, l'hésitation des rois à incorporer officiellement ce terme à leur titulature ne procède évidemment pas de son inconsistance juridique226 , mais plutôt de son extraordinaire portée politique et idéologique, confirmée par la réapparition du diadème.
C. Le diadème L'usage de cet insigne est pour la première fois attesté sous Ferdinand I"', représenté ceint d'un diadème dans une miniature de son psautier (f. 3v.)227 • Les témoignages se multiplient au début du douzième siècle, puisque le diadème est systématiquement représenté sur les miniatures des rois asturiens et léonais du Tumba A de Santiago, avec le sceptre et le trône comme autre attribut de pouvoir 28 • Dans l'Historia Silense, le diadème, appelé diadema ou plus rarement corona (comme à l'époque romaine et à Byzance229 ), est mentionné à l'époque wisimonarquîa asturiana', p.l26. Gil Femandez, 'Judîos y Cristianos', 65-66. 223
C.J. Bishko, 'Fernando I and the origins of the Leonese-Castilian Alliance with Cluny', dans idem, Studies in Medieval Spanish Frontier History (Londres: Variorum Reprints, 1980), no II, p.46 et p. 53. 224
Menéndez Pidal, El imperia hispanico, p.20.
225
Garda Gallo, 'El imperio medieval espafiol', pp.209-210.
226
Contra: Garda Gallo, 'El imperio medieval espafiol', p.209.
227
Galvan Freile, 'La representaciôn de la unciôn regia', p.l43.
228
Dîaz y Dîaz, Lôpez Alsina et Moralejo Âlvarez, Los tumbas de Compostela, 'Laminas', ap. l-VI (première série, d'Alphonse II à Fruela II) et VII-XXII (deuxième série, de Ramire II à Alphonse VII et Pierre d'Aragon). 229
C. Morrisson, 'Les insignes du pouvoir impérial auVe et au Vie siècle', dans Clovis: histoire et mémoire [Colloque international, Reims, 1996], dir. par Michel Rouche, 1 : Le baptême de Clovis, son écho à travers l'histoire (Paris: Presses de l'Université ParisSorbonne, 1997), pp.753-768 (pp.761-763).
206
CHAPITRE III
gothique, lors de la rébellion du duc Paul de Septimanie (p.ll7), à la prise de pouvoir d'Ordofio II (p.l55), et à l'occasion des renonciations au trône de Vermude 1er (p.l42) et Ferdinand 1er (p. 208). Peut-on aussi supposer l'existence d'une véritable cérémonie de couronnement, qui accompagnerait l'onction dès l'origine selon certains historiens ?230 Le premier couronnement incontestable est celui d'Alphonse VII à Saint-Jacques de Compostelle en 1111 (Compostellana Lib. 1, c.LXVI). Pour la période antérieure, nous sommes encore tributaires de l'Historia Silense; Ordofio II fut-il alors réellement couronné? Selon A.P. Bronisch, le récit de l'Historia Silense dépeint la situation du début du douzième siècle : le couronnement d'Ordofio II n'est ainsi qu'une invention du chroniqueur, inspirée du précédent carolingien tel qu'il est rapporté par Eginhard dans sa Vita Karoli ; plus généralement, l'usage de la couronne et la pratique du couronnement sont des traditions empruntées tardivement au reste de l'Europe231 • Pourtant, la réapparition du diadème, incontestable à partir de Ferdinand rer, participe certainement de cette politique de glorification du pouvoir royal ; que le récit de son abdication- avec offrande de sa couronne sur l'autel de San Isidoro de Leon - soit ou non une invention du début du douzième siècle, ne change rien au problème 232 : la récupération d'un attribut du pouvoir impérial romain233 , toujours utilisé à l'époque wisigothique234 , ne peut que contribuer à restaurer un pouvoir monarchique souverain. Aussi, quand Pélage d'Oviedo décrit Sanche II qui, après avoir chassé son frère Alphonse VI, « se plaça la couronne sur la tête à Leon »235 , il ne suppose pas un refus de l'évêque de reconnaître son usurpation en le couronnane36 , ni ne décrit un roi usant d'un «insigne profane» sans «grande symbolique »237 • Pélage nous dépeint en fait ici un usurpateur, qui s'empare du pouvoir par la force ou par la ruse : Sanche rejoint ainsi le duc Paul, qui est « appelé roi après s'être lui-même posé le diadème sur la tête» (Silense p.ll7) 238 ; tandis que 230
Sanchez Albornoz, 'La 'ordinatio principis' en la Espafia', p.720 et suiv .. Galvan Freile, 'La representaci6n de la unci6n regia', p.143. 231
Bronisch, 'Krônungsritus und Kronenbrauch', p.338, pp.349-358 et pp.365-366.
232
Contra : Bronisch, 'Krônungsritus und Kronenbrauch', pp.349-358.
233
A. Chastagnol, L'évolution politique, sociale et économique du monde romain de Dioclétien à Julien : la mise en place du régime du Bas-Empire, 2° éd. (Paris : 1985), pp.170174. 234
Valverde Castro, Ideologia, simbolismo y ejercicio, pp.191-194.
235
Chronique de Pélage d'Oviedo, p.78 :Et imposuit sibi in Legione coronam.
236
Contra: B.F. Reilly, The Kingdom of Le6n-Castilla under King Alfonso VI, 1065-1109 (Princeton : 1988), p.63. 237
Contra: Bronisch, 'Krônungsritus und Kronenbrauch', p.357.
238
Adeo ut inpositoque si bi diademate rex apelatur.
La glorification du pouvoir royal d'Ordofio II à Ferdinand
r
207
Ferdinand, roi légitime, respecte les règles d'accession au pouvoir, puisque «le droit fait le roi, et non sa personne »239 , et reçoit la« couronne »240 •
Conclusion Les nombreux changements des dixième et onzième siècles n'ont pas fondamentalement modifié les grandes orientations de la politique royale : les guerres contre les musulmans, les rebelles et les usurpateurs demeurent fréquentes, et la politique de glorification du pouvoir royal aboutit à la restauration d'une autorité dotée de tous les attributs de la souveraineté. Quelques rois se distinguent plus particulièrement par leur énergique politique de glorification du pouvoir royal. Ainsi, Ordofio II est assurément un souverain essentiel dans 1'histoire politique du royaume: par sa possible restauration de l'onction, il approfondit la dimension christique du pouvoir, au service de Dieu et de ses sujets ; en redécouvrant le terme d'empereur, qu'il applique post mortem à son père, il lance la royauté dans un programme de restauration de l'Empire à l'intérieur des frontières de son royaume, conçu comme le dernier bastion de la romanité. Puis, après la terrible crise de l'an mil, marquée par la guerre civile et les dévastations musulmanes, Alphonse V et Ferdinand I"r réorganisent le royaume et restaurent la puissance royale, en insistant sur la notion de puissance publique, que soutiennent les concepts juridiques romains de lex, potestas et justicia ; simultanément, ils réaffirment la capacité législative du souverain, renouent avec la frappe de la monnaie et l'usage du diadème d'origine impériale, pratiques toutes trois oubliées depuis 711. Il aura donc fallu plus de trois siècles pour que le pouvoir royal dispose à nouveau de tous les attributs de la souveraineté. Juste avant sa mort, Ferdinand dote même la capitale de Leôn d'une légitimité wisigothique en y transférant le corps d'Isidore de Séville. La nouvelle légende, qui accompagne à partir du milieu du onzième siècle les représentations de la Sainte Croix sur les manuscrits royaux, notamment l'Antiphonaire de Silos et le Beatus de 1047241 , symbolise bien cet effort d'exaltation du pouvoir royal : l'ancienne formule constantinienne est remplacée par «Paix, Lumière, Loi, Roi »242 ; tandis que règne aux cieux la paix dans la lumière parfaite de Dieu, 1'ordre est assuré sur terre par la loi et le roi. 239
Tolède VIII, Item decretum judicii universalis editum in nomine principis : Concilias visig6ticos, p.291.
°
24
Chronique de Pélage d'Oviedo, p.71 : accepit ibi coronam, et factus est rex in regna Legioni et Castella. 241 242
Williams, 'Le Commentaire Illustré', p.25.
Menéndez Pidal, 'Ellabaro primitivo', 293. et fac. sim. (Antiphonaire de Silos) : Pax, Lux, Lex, Rex. J.W. Williams, The Illustrated Beatus 3 (London: Harvey Miller, 1998), pl.226 (fol. 6v du Beatus).
CHAPITRE IV
La réappropriation de l' Hispania
T
andis que le pouvoir royal récupère durant le onzième siècle l'ensemble des attributs de la souveraineté, les conquêtes reprennent et le royaume connaît une rapide extension vers le sud. Les rois estiment alors pouvoir enfin réaliser le programme de restauration du royaume et de l'Espagne wisigothiques. Après une éphémère tentative sous Vermude II, Ferdinand rr, et non Sanche III le Grand 1 -dont les diplômes qui le nomment «roi des Espagnes» sont faux ou interpolés - 2 , est le premier à franchir le pas et à assimiler son royaume à l'Hispania, sous le patronage non plus de saint Jacques mais d'Isidore de Séville. Ce programme politique est parfaitement réalisé par son fils, Alphonse VI, qui, par son titre d' «empereur de toute l'Espagne», donne à l'Espagne la stature d'un empire restauré.
1. L 'Hispania, entre saint Jacques et saint Isidore L'Espagne et la royauté sont placées depuis le début du neuvième siècle sous le patronage de saint Jacques. Au dixième siècle, l'évêché de Saint-Jacques affirme son ambition d'être le nouveau cœur religieux du royaume et, plus généralement, de l'Espagne. Les oppositions à cette prétention se cristallisent sur la question de l'apostolat de Jacques dans la péninsule, qui justifie aux yeux du clergé compostellan la prépondérance de son église. Simultanément, l'arrivée au pouvoir 1 2
Contra : Maravall, El concepto de Espai'ia, p.432.
J. Pérez de Urbel, Sancho el Mayor de Navarra (Madrid: 1950), pp.379-382 et pp.390391. Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, pp.682-683, n. 35.
CHAPITRE IV
210
du premier roi castillan, Ferdinand le', marque le début d'une profonde crise pour l'évêché, qui culmine lorsque le monarque décide de se tourner vers un nouveau patron : Isidore.
A. Saint-Jacques, nouvelle capitale du royaume ?
Durant le dixième siècle, l'évêché de Santiago, fort de la présence du corps de saint Jacques, apôtre et patron de l'Espagne, revendique le statut de capitale du royaume. Deux prétendants au trône de Le6n en font le centre de leur rébellion. Sanche Ordofiez, fils d'Ordofio II, reçoit le «sceptre de la royauté dans ce lieu apostolique» en 9273, sans parvenir à s'imposer face à Alphonse IV (925-930). Une nouvelle révolte à l'initiative de la noblesse ébranle cette région à la fin du règne de Ramire III (966-984) : en 982, les « comtes de Galice» mettent sur le trône V ermude II, « qui fut sacré (ordinatus) au siège de l'apôtre saint Jacques » ; il s'empare réellement du pouvoir deux années plus tard, à la mort de son adversaire (Sampiro p.171 ). La proximité idéologique de ce roi avec le patron de l'Espagne explique peut-être que, gouvernant «toutes les villes et provinces jusqu'aux limites de la terre », il soit le premier à affirmer posséder le « royaume d'Espagne »4 . Qui plus est, le siège galicien ambitionne d'être le centre religieux de l'ensemble de l'Espagne, comme en témoigne une lettre envoyée en 970 par l'abbé Césaire du monastère catalan Santa Cecilia de Montserrat au pape Jean XIII (965-972). Il lui apprend qu'il vient d'être choisi et consacré archevêque de Tarragone par onze évêques du royaume de Leon, réunis en un concile à Santiago très certainement en 9565 . Cette lettre est très significative des prétentions du clergé de ce royaume. En effet, Césaire est oint par «le seigneur très glorieux Sisenand »6 , ainsi que par « ses pontifes, c'est-à-dire [... ] Ermegilde, évêque métropolitain de Lugo» et a priori les autres évêques mentionnés ; rappelons qu'Ermegilde prétend à cette époque, avec 3
Confirmation par Sanche Ord6fiez à l'évêché de Santiago des donations de ses ancêtres (ao 927): La documentaci6n del Tumba A, n° 51 (Lucas Âlvarez, Rl-161). 4
Donation (originale) par Vermude II de la vallée de Sariego à l'abbaye San Juan Bautista y San Pelayo de Oviedo (a 996): El monasterio de San Pelayo de Oviedo 1, n° 1 (reg. Lucas Âlvarez, R1-297): Ideoque ego seppe dictus Veremudus rex, dum possideret regnum Spanie et rejeret universas urbes et probincias usque finibus terre. 0
5
T. Deswarte, 'Saint Jacques refusé en Catalogne: la lettre de l'abbé Césaire de Montserrat au pape Jean ([970])', dans Guerre, pouvoirs et idéologies dans l'Espagne chrétienne vers l'an mil (950-1050), dir. par T. Deswarte (Turnhout: Brepols, à paraître [2004]). M. Carriedo Tejedo, 'El concilia de Santiago del afio 956, presidido pro Sancho 1', Compostellanum 39 (1994), 291-311. 6 Contra : J.M. Marti Bonet, 'Las pretensiones metropolitanas de Cesareo, abad de Santa Cecilia de Montserrat', Anthologica Annua 21 (1974), 157-182 (167 et 181-182).
La réappropriation de l 'Hispania
211
quelque succès, au titre de métropolitain, en raison de l'union de son siège et de celui de Braga7 • En rétablissant cette province, les évêques agissent selon les prescriptions consignées dans les « canons » des « saint pères » et décidées par « nos princes » lors des « conciles de Tolède » ; ils se réfèrent aux conciles de Nicée I (325), d'Antioche (341), de Tolède IV (633) et, certainement, de Tolède XII (681), qui donne au roi et au métropolitain de Tolède le pouvoir de choisir les nouveaux évêques 8 • Ces dispositions sont néanmoins adaptées aux circonstances de l'époque, puisque le métropolitain de Tolède est de facto remplacé par une assemblée conciliaire. En outre, alors que le métropolitain Ermegilde est théoriquement le premier clerc du royaume, l'évêque de Santiago occupe la première place au sein de cette assemblée conciliaire, réunie dans sa propre ville. La réaction de l'archevêque Aimeric de Narbonne et des évêques catalans est aussi très significative des implications idéologiques de cette restauration. Césaire est en effet contredit par ces ecclésiastiques, qui refusent de reconnaître la prédication de saint Jacques en Occident et invoquent implicitement la lettre du pseudo-pape Léon relative à la translation du corps de l'apôtre 9 : «Ils dirent que cet apôtre de l'Espagne et des régions occidentales n'était pas l'apôtre saint Jacques, puisque ce dernier vint ici mort »10 . En dehors des références formelles aux conciles de Nicée I, Antioche et Tolède IV, qui justifient toute restauration épiscopale, Césaire s'appuie alors sur la version latine interpolée du Breviarum apostolorum pour prouver l'apostolat de Jacques: 0 Domine, scibis vos quia Petrus namque Roma accepit, Andreas Achaia, Jachobus, qui interpretatur filii Zebedei, fratris Johannis apostoli et evangeliste, Spania et occidentalia locha predicavit et sub Herode gladio cassus occubuit.
La légitimité de sa consécration est donc étroitement liée à la reconnaissance ou non de l'apostolat de Santiago dans la péninsule : cette onction est licite si le clergé de Leon incarne l'Eglise d'Espagne, fondée par l'apôtre Jacques. En refusant de reconnaître la prédication de Jacques, les clercs catalans rejettent donc la légitimité 7
Cf. l'étude critique des faux de Lugo et Braga dans notre thèse de doctorat, La pensée
politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, pp.405-407. 8
Tolède XII, c.6 : Concilias visigôticos, pp.393-394 . T. Deswarte, 'Le récit de la translation du corps de saint Jacques dans un manuscrit de Saint-Martial de Limoges (BHL 4060)', dans Aquitaine-Espagne (VIII"-XIII" siècles), coord. par P. Sénac, Civilisation Médiévale 12 (Université de Poitiers-CESCM, 2001), pp.ll3-128 (p.ll9 sqq.). 10 Deswarte, 'Saint Jacques refusé en Catalogne' : Jsti jam supra scripti nominati, quia 9
istum apostolatum, quod est nominatum Spania et occidentalia, dixerunt non erat apostolatum sancti Yacobi, quia ille apostolum interfectus hic venit. Cf. aussi l'excellente édition d'E. Junyent i Subirà, Diplomatari de la Catedral de Vic, segles IX-X (Vic : 1980), no
404, pp.335-337 ([970]).
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CHAPITREN
de cette restauration archiépiscopale. Plus généralement, ils affirment clairement leur opposition à une Hispania dominée politiquement par le royaume de Leon et religieusement par l'évêché de Saint-Jacques. Qui plus est, Césaire qualifie le siège de Santiago d'« apostolique», d'après un vocable apparu dès 912 dans les diplômes royaux à Santiago 11 • Cette expression de sedes aposta/ica, qui était « réservée presqu'exclusivement à Rome » 12 , manifeste l'extraordinaire ambition de l'évêque de Santiago de revendiquer une forte autonomie ecclésiastique et, pour ainsi dire, d'élever son siège au rang de patriarcat, en vertu de sa fondation par saint Jacques 13 • Les cartes de la dispersion apostolique conservées dans quelques Beati témoignent aussi de ce prestige de l'église de Saint-Jacques. La plus significative est peut-être celle du Beatus de Burgo de Osma, confectionné en 1086. La carte, qui représente les douze apôtres sous forme de bustes-reliquaires aux têtes nimbées à l'endroit de leurs lieux de sépulture, situe le buste-reliquaire de sanctus Jacobus aposta/us, en Gallecia. Or, ce dernier est le seul, avec celui des saints Pierre et Paul, à être dessiné dans un bâtiment ~ une église ~, de plus grande taille que celui de Rome ! Santiago semble donc parfois considéré comme un lieu plus important que Jérusalem, Tolède et Rome. Cette prétention est même formalisée dans un diplôme royal délivré en faveur de l'église en 954, dans lequel Ordofio III s'adresse à Sisnando episcopo hujus patroni nostri et tocius arbis antistiti, qualifiant ainsi vraisemblablement le saintl 4 ~et non l'évêque Sisenand comme le croyait A. Castro 15 ~de« notre patron et prêtre du monde entier » 16 • Face à cette prétention, le clergé léonais choisit d'ignorer le culte apostolique : 1'Antiphonaire de la cathédrale, recopié entre 930 et 950, omet la fête de l'apôtre 17 , dont la mention est n'interpolée qu'à la fin du siècle ou en 1069 18 ; une bible léonaise de 953 mentionne la prédication de l'apôtre en Judée, tandis qu'une autre 11
Donation par Ordofio Il de divers dépendants dans la villa de Barna à l'évêché de Santiago (a 912): La documentaci6n del Tumba A, n° 23 (reg. Lucas Alvarez, R1-85). 12 C. Pietri, Roma Christiana: recherches sur l'Eglise de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome 224, 2 vols. (Rome: Ecole Française de Rome, 1976), 2, p.1506 et p.1509 (). 13 Deswarte, 'Saint Jacques refusé en Catalogne'. 14 A.K. Ziegler, ' 'Antistes tatius arbis' : Recension de la obra de Américo Castro La realidad hist6rica de Espana', Compostellanum 3 (1958), 351-360 (355-356). 15 A. Castro, La realidad hist6rica de Espana, Biblioteca Pomia, 4 (Mexico : Pomial, 1954), p.139. 16 Donation par Ordofio III à l'évêché de Santiago d'une corte située dans la ville de Leon (a 0 954): La documentaci6n del Tumba A, no 45 (reg. Lucas Alvarez, R1-219). 17 J. Pérez de Urbel, 'Antifonario de Leon, el escritor y la época', AL 8 (1954), 127. 18 Cid Priego, 'Santiago el Major en el texto', 628. 0
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de 960 fait de Jérusalem son lieu de sépulture 19 . En outre, la lettre du pseudo-pape Léon, initialement rédigée en Galice20 , est connue à Leon, avant d'être recopiée par un clerc de cette ville entre 930/950 et 1029 dans un manuscrit de Saint-Martial de Limoges21 . L'Epistola Leonis Pape Romensis de Corpore Sancti Jacobi prouve la présence du corps de l'apôtre en Galice, puisque le pape Léon informe les« rois des Francs, des Vandales, des Goths et des Romains» que l'apôtre Jacques, décapité à Jérusalem, a été conduit par Dieu en Galice, où trois de ses disciples l'ont enterré sub Arcis Marmaricis. Mais ce document ignore l'évangélisation jacobine de la péninsule, qui justifie la primatie de Santiago. Cette lettre, qui servait initialement les intérêts de Saint-Jacques, est donc désormais décalée par rapport à ses ambitions; de fait, elle est alors utilisée pendant les années 950/1050 par ceux qui s'opposent à la prédication jacobine, comme les évêques catalans. De même, quand des relations officielles entre Rome et 1'Espagne chrétienne -hors Catalogne- commencent lentement à s'établir, la réaction pontificale est immédiate. En 1049, un concile réuni à Reims sous l'autorité du pape Léon IX excommunie l'évêque d'Iria, «parce qu'il avait revendiqué pour lui-même le titre apostolique contrairement à la coutume »22 • En effet, le pape légitime son patriarcat sur l'Occident en invoquant la fondation de l'Eglise de Rome par Pierre. Ainsi, une lettre de Grégoire VII aux rois Alphonse VI et Sanche Garcès IV de Pampelune (1 07 4) justifie 1' autorité de Rome sur 1'Espagne - donc 1' adoption du rite romain par la prédication de Paul puis de sept évêques envoyés de Rome par ce dernier et Pierre23 ; cette position synthétise deux traditions distinctes, qui attribuent cette prédication l'une à Pierre, selon une lettre d'Innocent !"' (a0 416), l'autre à Paul, d'après Isidore de Séville repris par le pape Grégoire le Grand24 . A l'époque de Pascal II, alors que le siège vient d'obtenir le pallium en 1104, l'Historia Compostellana rapporte encore les peurs des « Romains » de voir cette église 19
Pérez de Urbel, 'El culto de Santiago', 24-26 et 31-33.
20
La bonne connaissance de la toponymie locale prouve que cette lettre est d'origine galicienne et non léonaise, contrairement à ce que nous affirmons de manière erronée dans notre article sur 'Le récit de la translation de saint Jacques'. Nous remercions chaleureusement P. Henri et pour cette remarque. 21
Deswarte, 'Le récit de la translation de saint Jacques'.
22
Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, éd. par J.D. Mansi, 31 vols. (Florence et Venice: 1759-1798), 19, col. 736: Quia contra fas sibi vindicaret culmen apostolici nominis. 23
Alphonse VI demande aux rois Alphonse VI de Leon et Sanche Garcès IV de Pampelune d'accepter le rite romain dans leurs royaumes (a 1074): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III (965-1216), éd. par D. Mansilla, Monumenta Hispaniae Vaticana, secci6n: Registros 1 (Roma: Instituto Espafiol de Estudios Eclesiasticos, 1955), na 8. 0
24
J. Guerra Campos, 'Santiago', dans DHEE 4, pp.2183-2191 (pp.2184-2185).
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«orgueilleuse et arrogante» (superba et arrogans), qui se considère «quasiment comme [l']égale [de Rome]» (quasi sibi comparem respexit) et «l'honore à contrecœur », revendiquer « en raison de son apôtre » une position identique en Occident à celle de Rome, c'est-à-dire le patriarcae5 • Le clergé de Saint-Jacques s'incline face à cette opposition pontificale. Il revient alors à la version des événements exposée dans la lettre du pseudo-Léon. Ce changement d'attitude des clercs compostellans est formalisé par l'Historia Composte/lana, qui emprunte une partie de son récit à « la lettre, que [le pape Léon] envoya aux Espagnols au sujet de sa passion et de la translation de son corps en Espagne » : après la mort de Jacques, les chrétiens de Jérusalem parviennent à soustraire son corps aux juifs; ses disciples l'emmènent par la mer, «sous la conduite de la main de Dieu»,« dans la région d'Espagne», «au port d'Iria »,puis, de là, à Libred6n où il est enterré sub marmoreis arcubus26 • Après une période de persécution par les «païens », son culte disparaît ct sa sépulture est oubliée ; aussi, lorsque le roi Miro institue des évêchés en Espagne au sixième siècle, il choisit logiquement Iria. Puis la « superstition des Gentils est totalement anéantie dans cette région d'Espagne» grâce à la miséricorde de Dieu, qui «suscita en ce lieu-là la foi et le nom de son Christ» et «jugea digne de visiter et d'illuminer l'Eglise occidentale »27 : une fois cette «tombe de marbre» (quamdam domunculam marmoream tumbam) révélée à l'évêque, à la suite d'apparitions de «lumières» (luminaria) indiquant son emplacement, l'évêché d'lria est restauré« en ce lieu »28 • Cette nouvelle version des faits, qui insiste désormais sur la présence du corps de l'apôtre dans son intégralité, «avec la tête» (tatum corpus cum capite), permet à l'évêché d'obtenir en 1095 du pape Urbain II le transfert officiel de son siège sur la tombe apostolique et le privilège de l'exemption. L'évêque Diego Gelmirez, d'origine française et proche de Rome, ne s'arrête pas là et réclame au pape le titre d'archevêque, car« partout où reposait le corps d'un apôtre, se trouvait soit le siège pontifical, soit un patriarcat, soit un archevêché, excepté à Saint-Jacques »29 • Dans un premier temps, il obtient de Pascal II l'autorisation d'instituer «sept cardinauxprêtres [... ] qui s'occupent des messes à l'autel du bienheureux Jacques »30 , comme
25
Historia Compostellana, lib.II, c.III-3.
26
Historia Compostellana, Lib. I, c.I, 1 : Sicut Leo papa in epistola, quam de ejus passione et ipsius corporis in Hispaniam translatione ad Hispanos destinavit. 27
Historia Compostellana, Lib. I, c.I, 2 et 3.
28
Historia Compostellana, Lib. I, c.II, 1.
29
Historia Composte/lana, Lib. II, c.III, 2 : Consideraverat quod, ubicumque terrarum alicujus apostoli corpus requiesceret, ibi aut papatus aut patriarchatus aut ad minus archiepiscopatus erat, excepta ecclesia beati Jacobi. 30
Historia Compostellana, Lib. I, c.XLV.
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cela existait dans quelques églises de Germanie par concession spéciale du pape 31 . Puis le pape Calixte II transfère en 1120 la dignité archiépiscopale de Mérida à Compostelle32 • Tandis que l'évêché galicien doit renoncer au onzième siècle à la reconnaissance de l'apostolat de son saint, il est aussi confronté pendant les dernières années du règne de Ferdinand 1er à la concurrence d'un autre 'patron' de l'Espagne: Isidore.
B. Ferdinand le', saint Isidore et l'Espagne A la fin de son règne, Ferdinand décide de développer le culte de l'ancien évêque de Séville et de l'associer étroitement au pouvoir royal. Il s'agit d'une innovation, car si les œuvres de ce grand penseur participent au socle culturel asturo-léonais, son culte est demeuré jusqu'alors peu développé: sa fête est certes mentionnée au 4 avril dans tous les calendriers des dixième et onzième siècle, mais sa vila n'existe pas et son patronage est quasi inexistane 3 ; pour la période antérieure à 1063 ~ date de la translation du corps d'Isidore à Leon~, seules trois églises monastiques du royaume sont consacrées à Isidore 3\ dont une, à Duefias, l'est à Isidore de Chios35 . Le Livre des Heures du couple royal, recueil de psaumes et de cantiques vétérotestamentaires daté de 1055, a pu favoriser l'intérêt du roi pour ce saint puisqu'il commence par la dédicace d'un certain Florus en l'honneur de 1' « abbé Isidore »36 : une fois rappelé le souvenir du roi David, auteur des psaumes, cette composition poétique fait l'éloge de saint Jérôme, qui a une première fois restitué ce livre dans sa beauté initiale, puis de saint Isidore pour sa seconde restitution, reproduite dans ce psautier ; Florus offre ensuite ce livre au saint abbé et exhorte les futurs copistes à respecter ce texte sacré. En 1063, a lieu la translation du corps de l'évêque de Séville à Leon. Cet épisode, que l'église léonaise commémore le 22 décembre37 , figure dans un récit de la fin du 31
Fletcher, Saint James 's Catapult, pp.l69-l70.
32
Fletcher, Saint James 's Catapult, pp.l95-199.
33
B. de Gaiffier, 'Le culte de saint Isidore de Séville : esquisse d'un travail', 2e éd. dans Idem, Etudes critiques d'hagiographie et d'iconologie, Subsidia hagiographica 43 (Bruxelles : Société des Bollandistes, 1967), pp.ll5-129 (pp.271-283, p.273 et pp.284-285). 34
Linage Conde, Linage Conde, Los origenes del monacato benedictino 3, no 438 (Clunia, prov. Burgos, 1030), n° 502 (Duefias, prov. Palencia, 911) et no 669 (Hontoria de Valdearados, prov. Burgos, 1048). 35
C.J. Bishko, 'The Abbey of Duenas and the Cult of St Isidore of Chios in the County of Castile (10-llth Centuries)', dans Homenaje a Fray Justa Pérez de Urbel OSB 2 (Abadîa de Silos: 1977), pp.345-364. 36
Libro de haras de Fernando 1 de Leon, p.76 (fol. 4v.).
37
De Gaiffier, 'Le culte de saint Isidore de Séville', p.273.
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onzième siècle, repris peu après par l'Historia Silensé 8• D'après ce texte, Ferdinand obtient initialement plusieurs cadeaux du roi musulman de Séville, qu'il vient de réintégrer dans son obédience, notamment l'autorisation d'emmener à Leon le « corps de la bienheureuse vierge Juste »39 ; cette sainte, dont la vie est écrite au dixième siècle, est honorée dans la péninsule depuis l'époque wisigothique40 . Mais une fois à Séville, l'évêque d' Astorga, participant à la mission envoyée par le roi de Leon, bénéficie de trois apparitions de saint Isidore, qui interdit d'enlever le corps de la sainte et lui enjoint de transférer son propre corps41 • Il est vraisemblable que le but initial de la mission était bien de récupérer le corps du prestigieux évêque. En effet, Isidore justifie son ordre par un argument ambigu, qui pourrait tout aussi bien interdire la translation de son propre corps : « La volonté divine ne permet pas que cette cité soit désolée par le départ de cette vierge», comme elle pourrait l'être par celui du saint. En insistant sur ce changement de programme, l'auteur cherche probablement à légitimer cette délicate translation: elle respecte la volonté du saint, selon un topos qui apparaît dans de nombreux autres récits de translation42 , et ne lèse pas véritablement la ville. En outre, Ferdinand a peut-être voulu cacher son projet au roi de Séville, attaché, à l'instar des autres souverains musulmans, au sacré chrétien ; ce dernier manifeste ainsi ses réticences à l'évêque d'Astorga: «Et si je vous accorde Isidore, avec qui resterai-je ici ? » ; finalement, avec quelque regret, il donne son accord, prie cet « homme vénérable » de « toujours se souvenir » de lui et honore son corps en le recouvrant d'un superbe voile de soie. Le culte isidorien est ensuite pris en main par le roi. Le 21 décembre, il fait déposer solennellement le corps dans sa nouvelle église royale San Juan Bautista, qu'il consacre au nouveau saint et dont le patronage éclipse rapidement ceux de Jean-Baptiste et Pélage43 . Puis il l'adopte comme nouveau patron de la famille royale, lors d'une cérémonie très concrète d'auto-dédition: «On raconte que ce roi clarissime, accompagné de toute sa maison, se donna par déférence pour le bienheureux confesseur en signe d'humilité, de sorte que, lors du repas des religieux, 38
G. West, 'La translaci6n del cuerpo de san Isidoro como fuente de la Historia Hamada Silense', HS 27 (1974), 365-371. 39
Translatio lsidori, pp.95-99.
°
4
C. Garda Rodriguez, El culto de los santos en la Espana romana y visigoda, Monografias de historia eclesiâstica l (Madrid: CSIC-Instituto Enrique Fl6rez, 1966), pp.23l-234. 41
Translatio Jsidori, p.96 : Corpus namque meum vobis est donatum, quod tollentes auferte et securi ad propria remeate. 42
P.J. Geary, Le vol des reliques au Moyen Age (Paris: Aubier, 1993), p.166 (trad. de Idem, Furia Sacra : Thefls of Relies in the Central Middle Ages, 2e éd. (Princeton : Princeton University Press, 1990)). 43
Henriet, 'Un exemple de religiosité politique', p.78.
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il servait de ses propres mains et à la place des serviteurs les mets délicats ». De toute évidence, Ferdinand souhaite attribuer à l'évêque de Séville la même place dans l'idéologie royale du pouvoir que celle jusqu'alors occupée par Jacques. En effet, selon une déclaration de 1' évêque d' Astorga à ses confrères, les reliques du nouveau patron de la famille royale ne sont pas «moindres» (non minora) que celles de sainte Juste, car Isidore «a honoré l'Espagne par son verbe et par ses œuvres » ; comme le saint le dit lui-même à 1'évêque, «je suis Isidore, docteur des Espagnes et évêque de cette ville» 44 . A l'instar de saint Jacques, considéré par les souverains asturo-léonais comme le patron de la royauté et de l'Espagne, Isidore est appelé par Ferdinand dans ses diplômes « notre docteur», « notre honneur et notre gloire » et « docteur de toute l'Espagne »45 . L'Adbreviatio Braulii46 , notice rédigée par Braulion de Saragosse en l'honneur d'Isidore en appendice de son De viris illustribus, est revue et augmentée après la translation de 1063, afin d'officialiser cette nouvelle idéologie: elle établit un parallèle entre saint Grégoire le Grand, successeur à Rome de saint Pierre, et saint Isidore, successeur en Espagne de l'apôtre Jacques47 • L'adoption de ce nouveau patron s'accompagne d'un significatif désintérêt du monarque pour le siège de SaintJacques et, plus généralement, pour la Galice, si réticente à reconnaître l'accession au pouvoir du roi castillan : avant 1061, seuls trois diplômes royaux sont délivrés en faveur de monastères de cette région48 ; en 1061, l'évêché de Santiago, habituellement si riche des libéralités royales, reçoit son premier diplôme, dont l'intérêt demeure limité, puisqu'il s'agit de la simple autorisation de peupler une villa49 • Ferdinand demeure attaché à son saint patron jusqu'à la fin de sa vie: sur le point de mourir, il retourne dans sa capitale et l'invoque plus particulièrement pour le repos de son âme (Silense p.207) ; il entre en pénitence dans la basilique royale et 44
Translatio Isidori, pp.96-97 : Corpus beatissimi Ysidori, qui hac in urbe sacerdocii potitus est infula et Hyspaniam suo opere decoravit et verbo [. ..} Ego sum Hyspaniarum doctor, hujusce urbis antistes Ysidorus Donation par Ferdinand rer de biens à l'évêque d'Astorga en récompense de sa participation à la translation de saint Isidore de Séville à Leon (a 0 1063): Colecci6n diplomritica de Fernando I, n° 67 (reg. Lucas Alvarez, Rl-436). 45
46
Braulion de Saragosse, Adbreviatio Braulii, éd. par E. Anspach, dans Taionis et Isidori nova fragmenta et opera (Madrid: 1930), pp.57-64. 47 Dîaz y Dîaz, 'La literatura jacobea anterior', 650-651. Ce texte est transmis par des manuscrits du treizième siècle. 48
Ils sont en faveur de San Vicente de Oviedo en 1045 (reg. Lucas Alvarez, Rl-395), San Pelayo de Oviedo en 1053 (Rl-414), et San Salvador de Celanova en 1056 (Rl-416). Ferdinand rer autorise l'évêché de Santiago à peupler la villa de Comeliana, au Portugal (ao 1061): éd. P. Blanco Lozano, Colecci6n diplomâtica de Fernando I, no 57 (reg. Lucas Alvarez, Rl-425). 49
218
CHAPITRE IV
remet son royaume à Dieu en déposant les insignes royaux devant l'autel des saints Jean-Baptiste, Isidore et Vincent- dont il a aussi transféré les reliques. Malgré tout, le remplacement de Jacques par Isidore fait long feu, en partie par manque de popularité de son culte : après la translation, seuls trois monastères du royaume adoptent avant 1109 son patronage ou celui d'Isidore de Chios50 • Aussi voit-on le roi se tourner vers le saint galicien dès l'année 1064. D'après l'Historia Silense, il effectue trois jours de pèlerinage sur sa tombe avant d'entreprendre le siège de Coimbra, dont il s'empare le 9 juillet grâce à l'intercession du saint; la victoire est même prédite la veille à un pèlerin grec lors d'une apparition du «combattant du Christ» (pp.190-194). L'année suivante, le roi accomplit un autre pèlerinage dans l'église apostolique et confirme par deux fois ses possessions et son immunité; à cette occasion, il reconnaît pour la première fois que Jacques est son «patron »51 • L'auteur de l'Historia Silense peut alors à juste titre déclarer que Ferdinand« veilla aussi à embellir l'église du bienheureux apôtre Jacques» (p.205). Et quand, au douzième siècle, les clercs de Leon tentent de promouvoir à nouveau le patronage de leur saint sur l'Espagne, il sont significativement contraints d'associer le culte de ce dernier à celui de Santiago52 • Peut-être cette vénération portée par Ferdinand à la fin de sa vie pour les deux saints de l'Espagne manifeste-t-elle sa volonté de restaurer l'Hispania, après ses succès politiques et militaires. Quelques documents semblent confirmer ce dessein : le denier de billon qu'il fait frapper comporte ainsi sur l'avers son buste, sous les traits d'un jeune homme, de face et sans couronne, accompagné de la légende Spania ; au revers, figure une croix pattée, emblème de la monarchie, et la mention Fernand rex53 • Un acte privé de 1064, copié dans le cartulaire du monastère de Cardefia (a0 1085/1086), très lié à la famille royale, se fait même l'écho de cette ambition politique, puisqu'il est daté du «règne du roi Ferdinand sur toute l'Espagne » 54 • Enfin, cette prétention est reconnue post mortem par l'inscription de sa pierre funéraire, rédigée avec le consentement de la reine Sancha et avant 1067, année de sa mort55 : elle le qualifie de «roi de toute l'Espagne »56 • Cependant, 50
Linage Conde, Los origenes del monacato benedictino 3, n° 143 (à Astorga), 308 (à Callobre, prov. Pontevedra, a 0 1092) et 522 (Aveiro, Portugal, a 0 1095). 51
Con±lrmation par Ferdinand rer d'une délégation de puissance publique à l'évêché de Santiago (ao 1065): Colecciôn diplomâtica de Fernando 1, no 73 (reg. Lucas Alvarez, Rl442). 52
Henriet, 'Un exemple de religiosité politique', p.83 sqq.
53
Castanet Cayon, Las monedas espanolas desde los reyes visigodos, no 406.
54 Vente par Jean Nuniz d'un champ à l'abbé de Cardefia (a 0 1064) : Becerro gôtico de Cardena, na 76 :Regnante Fredinando rex in omni Spania. 55
Williams, 'La iconografia de la capital', pp.32-33.
56
Inscription funéraire de Ferdinand rer: éd. par Astorga Redondo, El arca de San Isidoro,
p.30.
La réappropriation de l1Iispania
219
Ferdinand n'a jamais officiellement adopté cette titulature 57 ; il faut attendre le règne de son fils Alphonse VI pour que le pouvoir royal procède définitivement à cette restauration de l'Espagne.
II. La réappropriation de l'Espagne par Alphonse VI A la mort de Sanche II en 1072, Alphonse VI retrouve son pouvoir sur le royaume de Leon, que son frère lui avait enlevé sept années auparavant. Alphonse, à l'instar de son père, s'intitule alors« roi de Leon» et affirme régner sur la ville de Leon, la Galice, la Castille, les Asturies et, après l'annexion de la Rioja en 1076, sur la ville de Najera58 • Sa politique d'exaltation de l'autorité royale et d'appropriation de l'Espagne poursuit l'action paternelle. Mais l'affirmation de son pouvoir et ses victoires militaires face aux musulmans, avec 1' arrivée en 1079 des chrétiens sur le Tage, suscitent une nette inflexion politique: Alphonse espère mener l'ancien programme de restauration à son terme en assimilant son royaume à l'Hispania et en adoptant officiellement la titulature impériale.
A. Alphonse, « roi d'Espagne » Dès son retour à Leon, en 1072, Alphonse s'intitule «roi d'Espagne» (rex Spanie) dans un diplôme ; cette Hispania est envisagée comme une entité géopolitique équivalente aux grands pays européens, puisque l'acte supprime un tonlieu au bénéfice « non seulement des peuples d'Espagne, mais aussi d'Italie, de France et d'Allemagne »59 • Pendant les années suivantes, il limite l'usage de cette titulature à sa correspondance avec l'étranger: en 1073, dans deux diplômes en faveur de l'abbaye de Cluny, il s'intitule «roi des Espagnes et de Leon», tout en précisant dans l'eschatocole qu'il règne «sur la Castille et Leon »60 ; les frontières de cette Espagne sont celles de son royaume, sa capitale est Leon. Alphonse reprend ce titre de «roi des Espagnes» dans une lettre envoyée en 1077 à l'abbé Hugues 61 . 57
Les diplômes royaux dans lesquels Ferdinand s'intitule Hispaniarum rex (par ex. Colecciôn diplomâtica de Fernando I, no 58) sont faux : Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, pp.682-683, n. 35. 58
Gambra,Alfonso VI: cancilleria, curia e imperial, pp.688-689.
59
Suppression par Alphonse VI du tonlieu perçu au château de Santa Marîa de Autares (a 0 1072) : Alfonso VL 2 : Colecciôn diplomâtica, n° 11. 60
Donation par Alphonse VI du monastère San Isidoro de Duefias à l'abbaye de Cluny (a 1073): Alfonso VL 2: Colecciôn diplomâtica, n° 18. 61
0
Lettre d'Alphonse VI remerciant l'abbé de Cluny d'avoir envoyé le moine Robert et doublant le cens institué par son père en faveur de l'abbaye (ao 1077): Alfonso VL 2:
CHAPITRE IV
220
A partir de cette année, il utilise fréquemment cette titulature à l'intérieur de son royaume. Empruntant l'expression isidorienne de tata Spania62 , il s'intitule parfois «roi de toute l'Espagne »63 , afm de marquer plus nettement son ambition de régner sur l'ensemble de l'ancienne Espagne wisigothique; de façon significative, cette titulature apparaît dans un diplôme destiné à l'abbaye San Millan de la Cogolla64 , dont il vient d'annexer la région. A partir de 1079, il se présente la plupart du temps comme« empereur» ou« roi et empereur de toute l'Espagne »65 . L'Espagne ainsi restaurée est placée sous le patronage de saint Jacques. En effet, Alphonse VI poursuit la politique paternelle de rapprochement entre le pouvoir royal et 1' évêché galicien. De 1072 à 1086, 1' évêque Diego Pelaez souscrit ainsi plusieurs diplômes royaux66 . Si le roi ne délivre pas encore directement de diplômes en faveur du siège épiscopal, il n'hésite pas à supprimer en 1072 un tonlieu afin de faciliter le pèlerinage à Compostelle ; dans cet acte, Alphonse réaffirme même clairement le patronage apostolique sur l'Espagne, en offrant «ce présent [... ] à Dieu toutpuissant, à la bienheureuse Vierge Marie et à l'apôtre saint Jacques, sous la protection duquel la terre et le gouvernement de toute l'Espagne sont placés »67 • Par la suite, plusieurs autres actes royaux rappellent l'apostolat du saint en Espagne et la localisation de sa tombe en Galice 68 • Le rétablissement des relations entre Saint-Jacques et la royauté est encouragé par les sœurs du roi, Urraca et Elvira, que l'Historia Composte/lana qualifie respectivement de « très noble » et de « sœur très sainte du très saint roi Alphonse »69 . Très actives dans la vie politique du royaume, elles sont particulièrement proches de l'église galicienne et effectuent de nombreuses donations à l'évêché de Santiago70 , respectivement dès 1066 et 1087, à l'occasion Colecciôn diplomatica, n° 47. 62
Teillet, Des Goths à la nation gothique, p.562.
63
Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, p.696 et pp.706-711.
64
Donation par Alphonse VI de différentes propriétés au monastère San Millau de la Cogolla (ao 1077): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, no 52. 65
Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, pp.694-711.
66
Gambra, 'Alfonso VI y la exenci6n de las di6cesis', 195.
67
Suppression par Alphonse VI du tonlieu perçu dans le château de Santa Maria de Autares (a 0 1072): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, no 11: In cujus ditione terra vel regimen consistit tatius Ispanie. 68
Confirmation par Alphonse VI des possessions du monastère Santa Marina de Valde6n et concession de l'immunité (a 0 1081): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, n° 72. 69 70
Historia Compostellana, § I, XXV, 1.
M.I. Pérez de Tudela y Velasco, 'El pape! de las hermanas de Alfonso VI en la vida politica y en las actividades de la corte', dans Estudios sobre Alfonso VI y la reconquista de Toledo [Actas del II Congresso Internacional de Estudios Mozarabes, Toledo, 1985]
La réappropriation de l'Hispania
221
desquelles elles reconnaissent le patronage du saint sur leur personne 71 • Enfin, les clercs compostellans confectionnent à la fin du onzième ou au début du douzième siècle des faux diplômes royaux, afin de défendre les frontières, les possessions et les droits de leur évêché ; ces documents, qui exaltent l'église apostolique et son ancienne union avec la royauté, ont certainement incité le roi à renouer avec Santiago72 • Alphonse règle tout d'abord le problème de la succession épiscopale consécutif à la déposition en 1088 au concile d'Husillos de Diego Pelaez, probable participant à la rébellion du comte Rodrigo Ovéquiz73 . Il délivre en 1095 son premier diplôme en faveur de l'évêche 4 puis installe un atelier monétaire dans la ville, qui frappe un denier de billon à son nom avec, au revers, la mention de «saint Jacques »75 • Dans ses nombreux diplômes de donation, il mentionne les « innombrables miracles » (innumeris signorum mirabilibus) qui ont lieu sur la tombe de l'apôtre 76 et rappelle que saint Jacques a obtenu du Christ le pouvoir de lier et de délier (Mat 16, 19 et 18, 18)77 • Parmi les faux diplômes royaux forgés à Compostelle, un acte d'Ordofio II (a 0 915) montre clairement que l'Espagne restaurée est bien l'ancienne Espagne wisigothique, qui « fut possédée par les chrétiens » puis « possédée par les Sarrasins et dispersée par leur puissante main»; l'histoire de l'Espagne y acquiert même une dimension intemporelle, sous le patronage de saint Jacques, puisque l'apôtre« a reçu l'ordre de présenter au jour du Jugement les âmes de tous les territoires d'Espagne »78 . (Toledo: 2, Instituto de Estudios Visigôtico-Mozarabes, 1988), pp.163-180. 71
Donation par Urraca (a 0 1066): Historia de la Santa A.M Iglesia de Santiago de Compostela 2-3, éd. par A. L6pez Ferreiro (Santiago: Seminario Conciliar Central, 18991900), 2, n° 97. Et donation par Elvira (a 1087): Ibidem 3, n° 3 (reg. Garcia Alvarez, n° 527 et 557). 0
72
Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.51 0-518. 73
Gambra, 'Alfonso VI y la exenciôn de las di6cesis'.
74
Confirmation par Alphonse VI aux habitants de la cité de Compostelle du privilège de n'être jugés que dans la ville (a 1095): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, U 135. 0
0
75
Castanet Cayon, Las monedas espanolas desde los reyes visigodos, no 410 : S. Jacobi.
76
Donation par Alphonse VI à l'évêché de Santiago du droit de battre monnaie (a 0 1107): Alfonso VL 2 : Colecci6n diplomatica, n° 189 (reg. Garcia Alvarez, no 600). 77 Donation par Alphonse VI au chapitre de Santiago de la moitié du monastère de Pilofio et de l'intégralité de celui de Brandariz (a 1100) : Alfonso VL 2 : Colecci6n diplomatica, n° 154. 0
78 Ordofio Il restitue à l'évêché d'Iria-Santiago ce qui avait été concédé aux évêques de Lamego, Tuy et Oviedo, lui confirme les donations de milles antérieures et donne douze autres milles (a 0 915): La documentaci6n del Tumbo A, no 28 (reg. Lucas Alvarez, Rl-90): Omnium finium Hispanie ad judicii diem jussus est presentare animas. Etude critique dans
CHAPITRE IV
222
La conquête de l'ancienne capitale occupe naturellement une place importante dans cette restauration. Le souvenir de Tolède est en effet demeuré intact depuis 711. Le chroniqueur mozarabe de 754 rappelle la conquête par les musulmans de la «ville royale de Tolède »79 ; dans le royaume asturien, la Chronique d'Alphonse III parle de «la ville de Tolède, victorieuse de toutes les nations [... ] vaincue par le triomphe des Ismaélites » (Rotense § 8)80 . Aussi, sur la carte de la dispersion apostolique du Beatus de Burgo de Osma, confectionné l'année suivant la prise de la ville, Tolède figure comme un haut lieu de l'Espagne, à l'instar de Saint-Jacques de Compostelle et du phare de la Corogne : elle est représentée par un arc de triomphe ou un temple encadré de deux hautes tours. D'après l'Historia Silense, Alphonse décide d'arracher« aux mains des païens» cette« cité, autrefois miroir des chrétiens de toute l'Espagne» (civitas illa, Christianorum tatius Ispanie olim specula), lors de son exil providentiel à Tolède, dû à l'usurpation du trône de Le6n par son frère (p.l20). La conquête vient au terme d'une série d'opérations militaires commencées dès 1079. Dans un premier temps, ces campagnes ont pour objectif de rétablir le royaume musulman de Tolède dans l'obédience léonaise; en effet, la ville vient de passer sous la domination du roi de Badajoz, opposé à toute entente avec les chrétiens. En 1081, la menace chrétienne oblige ce roi à abandonner la ville à alQadir81, qui rétablit d'emblée de bonnes relations avec Alphonse VI; à cette occasion, ce dernier procède à une première restauration de l'archevêché, dont le titulaire est immédiatement contesté par Grégoire VII en raison de son manque de science82 . La pression chrétienne se fait ensuite de plus en plus forte et la ville est conquise en 1085. D'après l'Historia Roderici, œuvre écrite au début du douzième siècle par un clerc en souvenir du Cid83 , Alphonse «prit courageusement Tolède, l'illustre ville d'Espagne, après l'avoir attaquée et réduite au bout de sept années, et la soumit à son autorité » (in sua imperio 84 ). Cet événement a alors un grand retentissement.
notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.51 0-518. 79
Chronique mozarabe de 754, §54.
RO Urbs quoque Tuletana, cunctarum gentium victrix, Ismaeliticis triumphis victa subcubuit.
81
J.F. Rivera Recio, La Iglesia de Toledo en el siglo XII (1 086-1208) 1, Publicaciones del Instituto Espaftol de Historia Eclesüistica, Monografias 10 (Roma: Iglesia Nacional espaftola, 1966), pp.26-28.
82 Grégoire VII félicite Alphonse VI d'avoir accepté le rite romain dans son royaume et lui demande de reconsidérer le choix de l'archevêque de Tolède (a0 1081): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, n° 22.
83 Historia Roderici uel Gesta Roderici Campidocti, pp.11-21. 84
Historia Roderici vel Gesta Roderici Campidocti, pp.1-98, § 20.
La réappropriation de 1'Hispania
223
Le préambule d'un diplôme royal délivré quelques jours seulement après la libération évoque les conquêtes de l' « empereur», « qui vainquit fermement et admirablement toutes les nations barbares avec l'aide de Dieu, jusqu'à parvenir à la très renommée et très belle cité de Tolède, que le Tout-Puissant remit d'une façon extraordinaire dans ses mains » 85 • Elle permet, déclare-t-il dans un diplôme de l'année suivante, de« rendre au Christ et à ses fidèles ce qu'un peuple perfide et son chef infidèle Mahomet avaient enlevé aux chrétiens ». Pour la première fois depuis 711, l'appellation de «ville royale» fait sa réapparition dans le vocabulaire royal pour désigner la nouvelle capitale86 . Le roi s'installe dans le «palais impérial» de la ville, «dans laquelle ont autrefois régné mes très puissants et riches aïeux ». Le 18 décembre 1086, il réunit une assemblée des grands ecclésiastiques et laïcs du royaume et « concède au siège métropolitain, à savoir à Santa Maria de la ville de Tolède, l'honneur entier, afin qu'elle daigne posséder le siège pontifical comme cela fut institué par les saints pères dans les temps passés »; il dote le nouvel archevêché et établit sa primatie en lui conférant le privilège de pouvoir juger les évêques, les abbés et tous les clercs de son «empire »87 . Il fait frapper une monnaie de billon, des deniers et une obole, qui comportent à l'avers une croix grecque et la mention« Alphonse roi» (Anfus rex) et, au revers, le nom de la nouvelle capitale Toletuo, Toletua ou Toletun 88 ; au revers, se trouvent soit le chrisme, soit deux étoiles et deux soleils, thème repris à la monnaie d'Hugues de Châlons, premier mari de son épouse Constance. A partir de 1095, alors que la situation militaire continue de se détériorer pour Alphonse, il n'hésite pas à s'intituler« triomphateur magnifique» (magnificus triumphato~ 9 ), en souvenir de son ancienne conquête. Désormais, la ville représente à nouveau l'ensemble de l'Hispania, comme en témoigne l'apparition dès 1097 des titulatures d' «empereur
85
Confirmation par Alphonse VI aux habitants de Coimbra des biens acquis dans le territoire de la ville lors de son peuplement par le comte Sisenand Davîdiz (a 1085): Alfonso VI, 2 : Colecciôn diplomatica, no 83 : Usquequo pervenit ad laudabilissimam et nimis pulcram hac decoram civitatem Toleto, quam omnipotens Deus tradidit in manus ejus mirabiliter. 0
86 Donation par Alphonse VI à l'archevêché de Tolède du district de Sepulveda (a 1107): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, n° 188. 0
87
Dotation par Alphonse VI de l'archevêché de Tolède, qu'il vient de rétablir et dont le premier titulaire, Bernard, a été choisi par une assemblée royale des grands ecclésiastiques et laïcs (a 1086): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, n° 86: Episcopos et abbates seu et clericos mei imperii. 0
88
Castanet Cayon, Las monedas espanolas desde los reyes visigodos, n° 408, 409, 411 ct
413. 89
Confirmation par Alphonse VI aux habitants de la cité de Compostelle du privilège de n'être jugés que dans la ville (a 1095): Alfonso VI, 2: Colecciôn diplomatica, n° 135. 0
CHAPITRE IV
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de Tolède »90 et de« roi de l'empire de Tolède» (Toletani imperii rex91 ) ; à la même époque, la Translation de saint Félix évoque conjointement la restitution «à sa liberté première et à sa noblesse » de la « ville royale de Tolède » et de la «monarchie de toute l'Espagne »92 . La rencontre entre ce projet de domination de l'Espagne et la réalité plurielle de la péninsule incite certainement le roi à parler en 1080 de sa domination sur les «parties de l'Espagne» (in Hispanie partibus 93 ), puis, à partir de 1087, à s'intituler de temps à autre « empereur institué sur toutes les nations d'Espagne »94 ; ce pluriel, déjà courant à l'époque wisigothique, lui permet certainement de reconnaître une certaine diversité au sein de l'Espagne 95 tout en préservant ses droits. A la fin du siècle, une curieuse formule de datation, contenue dans une donation privée en faveur de l'abbaye de Sahagun, évoque même la diversité religieuse des peuples soumis à ce souverain, «régnant à Tolède et exerçant l'imperium sur tous les royaumes d'Espagne, des chrétiens comme des païens »96 ; et selon deux récits arabes des douzième et quatorzième siècles, il s'intitule « empereur des deux religions» dans une lettre qu'il envoie en arabe au roi de Séville97 • La littérature de cette époque prend acte de l'œuvre d'Alphonse VI et assimile constamment le royaume de Castille-Leôn au «royaume d'Espagne». La continuation- jusqu'en 1111- des Annales portugalenses veteres de 1079 (version Chronica Gothorum) précise que le roi Alphonse VI« obtint le royaume d'Espagne après la mort de son frère »98 ; la Vita de l'archevêque Géraud de Braga, rédigée vers 90
Donation par Alphonse VI à l'évêché de Leon du monastère San Salvador de Santa Columba de Polvorera y de Arcos (ao 1097): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 141. 91
Alphonse VI établit que les biens des chanoines de la cathédrale de Leon ne pourront être saisis qu'en raison de dettes contractées par eux-mêmes (a 1100): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 156. 0
92
Translatio Felicis, pp.440-441.
93
Confirmation par Alphonse VI du privilège d'immunité à l'abbaye de Sahaglin, après y avoir introduit les coutumes de Cluny et institué l'abbé Bernard (a 1080) :Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 67. 0
94
Concession par Alphonse VI du privilège d'immunité pour les biens du moine Ferdinand de San Millân de la Cogolla (a 1087) :Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomâtica, n° 89 : Ego namque Adefonsus, ab ipso Dea constitutus imperator super omnes Spanie nationes. 0
95
Maravall, El concepto de Espafza, pp.60-67. C. Estepa Diez, El reinado de Alfonso VI (Leon: 1985), pp.29-36. Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia, p.702. 96
Donation privée à l'abbaye de Sahagun (a 0 1098): Colecci6n diplomâtica de Sahagûn 3, n° 1022: regnante rex domno Adefonsus in Toleto et imperante Christianorum quam et paganorum omnia Hispanie regna. 97
A. Mackay et M. Benaboud, 'Alfonso VI of Leon and Castile, 'al-Imbratur-dhu-1Millatayn", Bulletin ofHispanie Studies 56 ( 1979), 95-l 02. 98
Annales portugalenses veteres-1079, version Chronica Gothorum.
La réappropriation de l Bispania
225
111211128 99 , mentionne la tenue en 1100 du concile de Palencia, qui rassemble «les évêques, les abbés et les grands clercs de l'Espagne »100 • Certains textes, notamment ceux falsifiés par l'évêque Pélage d'Oviedo au début du douzième siècle, appliquent même rétroactivement l'appellation d'Espagne au royaume d'Oviedo-Leon: dans son interpolation de la Chronique de Sampiro, il nomme le second concile d'Oviedo (a 0 872) «concile universel des Espagnes» (universali Hyspaniensium concilia), convoqué afin de traiter les affaires qui ont trait « au salut de tout le royaume d'Espagne» (ad salutem tocius regni Yspanie 101 ) ; de même, l'assemblée qui, d'après le texte original du concile de Leon de 1017, rassemble sur ordre d'Alphonse V «tous les pontifes et Grands de son palais » 102 , devient sous la plume de l'évêque la réunion de « tous les pontifes, abbés et grands du royaume d'Espagne » 103 ; enfin, dans ses falsifications de diplômes royaux, le roi porte la titulature de « roi » ou «prince d'Espagne »104 • L'Historia Silense insiste plus nettement sur la dimension néo-gothique du royaume: l'histoire de celui-ci depuis 711 est celle d'un petit groupe de Goths réuni par Pélage, préservé par Dieu, qui se multiplie et, « sortant pour ainsi dire du sommeil», se civilise à nouveau; l'auteur n'hésite pas à placer Alphonse III à la tête du « royaume des Goths » (p.l50). Mais la politique royale aboutit surtout à la restauration de l'Espagne : au onzième siècle, Ferdinand I"r est institué« sur le trône du royaume de Leon » par « tous les magnats, évêques, comtes, premiers d'Espagne» (p.l55). L'auteur qualifie même les rois asturo-léonais de «roi des Espagnols» ou de «rois espagnols» (pp.l45-146) et nous apprend que Ferdinand enseignait à ses fils l'équitation «d'après les usages des Espagnols» (more Ispanorum, p.l84). Dans la lignée de la pensée isidorienne 105 , l'historiographie de cette époque confère ainsi à l'Espagne restaurée une dimension intemporelle. Cette restauration de l'Hispania s'accompagne d'une exaltation croissante du pouvoir royal, qui débouche sur l'adoption officielle du titre impérial.
99
S. Boisselier, 'Réflexions sur l'idéologie portugaise de la Reconquête (XUO-XIVe siècles)', Mélanges de la Casa de Velâzquez 30 (1994), 139-165 (146-147). 100
Bernard de Braga, Vita sancti Gera/di, dans Portugaliae Monumenta Historica : Scriptores 1, (Lisboa: Academia Scientarum Olisiponensis, 1856), pp.53-59 (reg. BHL, no 3415). 101
Chronique de Sampiro, version interpolée par Pélage d'Oviedo, p.294 et pp.304-305.
102
Concile de Leôn (ao 1017), p.l55.
103
Concile et fuero de Leôn, version pélagienne (a 0 1017): Concile de Leôn (a0 1017),
p.l59. 104
Barrau-Dihigo, 'Etude sur les actes des rois asturiens', 46.
105
Reydellet, La royauté dans la littérature, pp.507-523.
226
CHAPITRE
IV
B. Alphonse, « empereur de toute l'Espagne » A partir de 1072, Alphonse utilise un vocabulaire du pouvoir de plus en plus solennel 106 • Il use fréquemment de l'adjectif« sérénissime » 107 , se présente« humble et le dernier de tous mes ancêtres (omnium antecessorum meorum infimus), et cependant roi par la grâce de Dieu » 108 et n'hésite pas à affirmer que, « roi de Le6n », il est « actuellement incomparable aux autres rois » (incomparabili presenti tempore aliis regibus 109 ). Il rappelle fréquenunent dans ses diplômes la mémoire de son père, qu'il qualifie d' «empereur» dans un acte de 1068, rédigé en son nom sous forme de notice en faveur de l'abbaye de Sahagûn 110 • Cet acte qualifie par ailleurs son pouvoir d'imperium, selon la tradition asturo-léonaise ; en 1076, Alphonse reprend même l'ancienne expression de regnum imperii 111 • Selon 1' expression d'A. Gambra, cette période est une véritable « praeparatio impériale », qui doit déboucher sur l'adoption du titre d'empereur, attribué dès 1074 par les deux sœurs du roi à leur frère 112 . Ce terme est inclus dans la titulature du souverain entre 1076 et 1079. La première mention apparaît dans sa confirmation de 1076 du fuero de Calahorra, dont l'authenticité reste cependant incertaine en raison du caractère tardif de la copie, du seizième siècle 113 • L'occurrence suivante, dans un diplôme d'immunité octroyé en 1077 au monastère San Antolin de Toques, ne peut être retenue 114 : certes, la structure générale de 1' acte est classique et le notaire parfaitement connu ; mais cette copie du quatorzième siècle comporte de nombreuses erreurs -volontaires ou non-, comme la souscription du « comte Raimond de Galice » quinze années avant sa 106
Gambra, Alfonso VI: canci/leria, curia e imperia 1, p.685.
107
Suppression du tonlieu peryu au château de Santa Maria de Autares (a 1072): Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, n° 11. 0
108
Confirmation par Alphonse VI à l'abbaye San Millân de la Cogolla de toutes les donations antérieures (a 0 1074): Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 22. 109 Alphonse VI réglemente la procédure judiciaire en cas d'homicide sur la terre de Leôn (a 0 1072): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 12. 110
Diplôme d'immunité par Alphonse VI en faveur de l'abbaye de Sahagun (a 0 1068): Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 6. 111
Donation par Alphonse VI du monastère San Salvador de Palat del Rey à l'abbaye de Cluny (ao 1076): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, no 39. 112
Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, pp.692-694.
113
Confirmation par Alphonse VI du fuero octroyé par Garcia Sânchez III aux habitants de Calahorra (a0 1076) :Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, n° 37. 114
Concession par Alphonse VI de l'immunité à San Antolin de Toques (a 1077): Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 50. Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, p.695. 0
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première réelle mention. L'authenticité de deux titulatures impériales, qui figurent dans des documents de 1078, est possible mais non certaine, car ces derniers sont transmis par des copies du douzième et du quinzième siècle 115 • La première occurrence incontestable se trouve dans le protocole initial et l'eschatocole d'un diplôme original, délivré en 1079 par Alphonse en faveur d'un de ses fidèles 116 ; la même année, il souscrit comme « empereur de toute l'Espagne » dans une donation privée en faveur de l'abbaye de Sahagûn 117 . Dès lors, la titulature impériale se généralise, au détriment des appellations de rex et princeps ; au total, selon A. Gambra, soixante-cinq pour cent des titulatures d'Alphonse VI sont de nature impériale 118 . C. Sanchez Albornoz et M. Recuero Astray estiment qu'à cette occasion apparaît, sous la double influence germanique et pontificale, une nouvelle conception de l'empire, débarrassée de tout néo-gothicisme et axée sur l'idée de défense de la Chrétienté 119 . En fait, il s'agit bien d'une restauration impériale, qui marque l'aboutissement d'un long processus de glorification du pouvoir, en référence au passé romain et wisigothique. Le vocabulaire impérial renvoie à une conception romaine du pouvoir, qui fait du souverain le détenteur suprême de l'imperium. Dans le même temps, Alphonse précise systématiquement- à l'exception de deux diplômes 120 - qu'il est «empereur d'Espagne», « sur toute l'Espagne» ou « sur toutes les nations d'Espagne»; c'est ce que rappelle un scribe de l'abbaye de Silos lorsqu'il date son Beatus du jour de la mort du «glorieux Alphonse, empereur de toute l'Espagne » 121 • En affirmant de la sorte sa souveraineté absolue sur l'ancienne Hispania wisigothique, il renoue avec l'ambition politique des rois wisigoths qui, selon Isidore de Séville, sont à la tête d'une monarchia regni, un espace souverain soumis à leur imperium. La Translation de saint Félix, écrite vers 1090, décrit mot 115
Exemption par Alphonse VI du service militaire et du paiement de la taxe correspondante en faveur du monastère de Sahagûn (a 1078): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 58 et 59. 0
116
Donation par Alphonse VI à Diego Cidiz d'une propriété pour sa fidélité (a 0 1079) : Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 63. 117 Donation privée à Sahagun sur ordre d'Alphonse VI (a 0 1079): Colecci6n diplomatica de Sahagun 3, no 762. 118
Gambra, Alfonso VI: cancilleria, curia e imperia 1, p.673.
119
C. Sanchez Albornoz, La potestad real y los senorios en Asturias, Leon y Castilla (Valladolid: 1974), p.65. Recuero Astray, Alfonso VII, emperador, pAO.
°
12 Confirmation du fuero de Calahorra en 1076 (diplôme cité) et confirmation aux habitants de Coimbra des biens acquis dans le territoire de la ville (a 0 1085): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, no 83. 121 Cit. dans Mund6 et Sanchez Mariana, 'Catalogue', p.109: Explicitusque est in ipsis kalendis julii mensis quando obiit gloriosus Adefonsus, tatius Yspanie ymperator, era TCXLVII.
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CHAPITRE IV
pour mot ce projet politique: «Le glorieux roi Alphonse [... ] tenait le sommet de l'autorité en Espagne» (apud Hispaniam arcem teneret imperii) et «restitua à sa liberté première et à sa noblesse [... ] la monarchie de toute l'Espagne, naguère attaquée et vaincue par le peuple immonde des Agaréens, et jusqu'à son règne soumise, captive et opprimée par leur ignoble violence » 122 . Ce dessein politique implique une « suprématie sur les autres détenteurs du pouvoir dans la péninsule » 123 • Mais en adoptant une titulature disparue depuis la fin de l'Empire romain, Alphonse manifeste une ambition encore plus grande que celle des rois wisigoths : il fait de son royaume un nouvel empire restauré, il est« roi de l'empire de Tolède» (Toletani imperii rex) selon sa propre expression 12\ empire dont les frontières sont réduites à celle de l'Hispania. Il envisage donc son royaume comme le dernier réduit de la civilisation romaine et chrétienne ; il est « empereur de tout le globe terrestre d'Espagne», gratia Dei tatius arbis Hispaniae imperator 125 • Ce projet politique frappe considérablement les contemporains, qui n'hésitent pas à appliquer rétroactivement le qualificatif d'empereur aux plus grands rois de l'histoire asturo-léonaise dans les faux diplômes et les chroniques : Alphonse II, Alphonse III 126 , Ordofio II et Ferdinand rer 127 • Une série d'actes attribués à Ramire III, authentiques ou falsifiés au début du douzième siècle par les clercs de l'évêché d' Astorga, exprime encore plus nettement 1' extraordinaire ambition impériale, puisqu'elle dote le roi d'une titulature impériale byzantine: dans deux diplômes de suppression de l'évêché de Simancas ~celui de 974 et le pseudo-original de 934/[974] ~, le roi est appelé bassillus 128 et s'intitule même «serviteur du Christ, 122
Translatio Felicis, pp.440-441 : Toletum urbem regiam retinentem totiusque Hispaniae monarchiam, a spurcissima gente Agarenorum dudum impugnatam et expugnatam, et usque a tempo ra sui regni eorum turpissima violentia subactam, captivatam et oppressam, concedente misericordia Domini, et insudante viriliter manu militari, pristinae libertati, nobilitatique restituit. 123
Rucquoi, Histoire médiévale, p.203.
124
Alphonse VI établit que les biens des chanoines de la cathédrale de Leon ne pourront être saisis qu'en raison de dettes contractées par eux-mêmes (a 0 1100): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, n° 156. 125
Concession du privilège d'exemption par Alphonse VI à l'évêché d' Astorga (a 0 1084) : Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 78. 126
Historia Compostellana, § I, II, 3.
127
Colecci6n diplomatica de Fernando 1, no 14 (a 0 1042), 25 (ao 1045), 58 (a 0 1061) et 61 (a 1062). 0
128
Ramire III restitue au siège de Leon la cité de Simancas, où Ordofio III avait institué un évêché, et au siège d'Astorga les églises de la région de Bragança et du Campo de Toro, données à Simancas par Ramire II (a 0 934 [974]): éd. par Deswarte, 'Restaurer les évêchés et falsifier la documentation', P.J. no 1 : Set prolis ejus catholici regis domni Ranimiri cognomento bassilli et omnes pontifiees regni (reg. Lucas Alvarez, R1-248). Etude critique
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établi bausillus sur le royaume » 129 ; en outre, en 974, il confirme une donation à Sahag(tn comme « Flavius, prince, grand basileus oint et établi sur le royaume », accompagné d'« Elvira, consacrée à Dieu et basilea, tante du roi » 130 . Ce titre ne témoigne pas seulement d'une volonté d'« indépendance [... ] face aux rois des Romains» et d'un« sentiment de parenté avec l'empereur romain d'Orient, qui, lui aussi, devait affronter les musulmans » 131 ; pour les contemporains, l'empire d'Espagne est le nouvel Empire romain. L'Historia Silense offre une synthèse historiographique de cette prétention. L'histoire du royaume continue celle de Rome et de Tolède. L'œuvre commence ainsi chronologiquement avec Constantin, «empereur romain», mort dans l'hérésie arienne (Silense pp.ll4-115), et se poursuit par les vies du martyr Herménegilde et des rois Reccarède et Wamba, qui luttent heureusement contre l'arianisme (pp.llS116). Sous Witiza, le royaume entre dans une profonde décadence morale et spirituelle, qui débouche sur l'invasion de 711 ; ce jugement de Dieu, dont le récit est placé significativement au tout début de l'œuvre, constitue bien le nœud de toute l'histoire. Le royaume asturo-léonais ambitionne alors de restaurer ce passé perdu. Or, l'auteur de l'Historia réactive la conception exclusive de la Chrétienté, en l'assimilant au royaume de Castille-Leon. Le peuple goth est souvent comparé au peuple juif: Pélage et ses compagnons sont préservés par Dieu, « comme au déluge à l'époque de Noé» (p.ll8); plus tard, «Dieu constata une telle dévotion chez [Alphonse III] qu'il multiplia sa descendance, pour renforcer le royaume des Goths - ad corroborandum regnum Gotorum - et rabaisser les peuples barbares, comme jadis le peuple israélite, à l'époque de Matatias et de Juda [les premiers Maccabées], contre ses ennemis» (p.150). Ce reliquat est seul face aux musulmans, perçus comme des « barbares » ou des «païens », adhérant à une « superstition barbare », barbaricam superstitiosam sectam (pp.l76-177) ; lors de l'invasion de 711, «il est reconnu qu'aucun des peuples étrangers n'a aidé l'Espagne» (p.l29) 132 • Aussi, le royaume asturo-léonais est, à la suite de celui de Tolède, le refuge de la Chrétienté, en particulier pour les reliques : sous Alphonse II, une arche volée par dans Ibidem. 129
Ramire III restitue au siège de Leon la ville de Simancas, où Ordofio III avait institué un évêché, et au siège d'Astorga les églises du Campo de Toro (a 974) : éd. par Deswarte, 'Restaurer les évêchés et falsifier la documentation', P.J. no2: Ego quidemfamulus Christi Ranimirus bausillus in regna fu/tus (reg. Lucas Alvarez, Rl-251 ). 0
13
°
Confirmation par Ramire III à l'abbaye de Sahagûn de la propriété de San Esteban de Bohadilla et Santa Columba (a 0 974): Colecci6n diplomatica de Sahagun l, no 276: Flavius princeps magnus basileus une tus in regna fu/tus ... Giloira Dea dicata et basilea regis amita (reg. Lucas Alvarez, Rl-249). 131 132
Rucquoi, Histoire médiévale, pp.185-186.
Ceterum a tanta ruyna, preter Deum Patrem, qui peccata hominum in virga misericorditer visitat, nemo exterarum gentium Ispaniam sublevase cognoscitur.
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CHAPITRE
IV
des chrétiens à Tolède, arrive« sous la conduite de Dieu» jusqu'à la côte asturienne et est amenée à Oviedo ; ce reliquaire, qui contient « diverses reliques de saints », a été emmené après la conquête de Jérusalem jusque dans la capitale wisigothique, où il demeure durant un siècle (p.l38) 133 • Selon un récit écrit par l'évêque Pélage d'Oviedo, l'ouverture de l'Arca Santa par Alphonse VI à Oviedo en 1075 permet de découvrir « toutes les reliques des saints Pères », que « des fidèles ont pu dérober de divers lieux [lors de l'invasion musulmane], pour les rassembler à Tolède et les enfermer avec application dans une arche » : ce sont des restes de la croix du Christ, du pain de la Cène, de la terre foulée par Jésus, un vêtement et du lait de la Vierge Marie, la tunique et le suaire du Christ etc. 134 . Les Francs sont significativement relégués dans le monde barbare. Le récit de l'Historia les présente systématiquement comme des adversaires de la foi catholique et du royaume wisigothique: en Septimanie, ils soutiennent l'insurrection de deux comtes et d'un évêque arien contre Reccarède, puis la rébellion du duc Paul contre Wamba, lequel parvient à vaincre leur « férocité » (Silense pp.ll6-117). L'offensive de Charlemagne dans la péninsule, copieusement ridiculisée, n'est motivée que par l'appât du gain:« Comme il s'approchait de la cité de Saragosse, il retourna chez lui après avoir été corrompu par de l'or, comme il est d'usage chez les Francs, ne manifestant ainsi aucun désir de délivrer la Sainte Eglise de la domination des barbares » ; qui plus est, ils sont de piètres guerriers, puisque « la plus grande partie de son armée » est détruite par les « Navarrais » lors de la bataille de Ronceveaux
133
Ceterum Adefonsus rex, cum nimie castitatis et anime et corporis esset, arcam, divers as santorum reliquias infra continentem, a Domino obtinere meruit. Que nimirum arca, gentili terrore cominante, ab Jerosolimis olim navigio delata, per aliquot temporum spacia Yspali. deinde per C annos Toleti permansit. Rursus cum a Mauris nu llo }am resistente opprimeretur arcam Dei Christiani clam rapuerunt, atque per abdita loca ad mare usque pervenerunt, inpositaque in navi, ad portum Asturie cujus nomen Subsalas vocatur, eo quod Geygion regia civitas desuper inmineat, Deo gubernante, apulerunt. Rex autem Adefonsus, post ubi se tanto munere ditatum divinitus prospicit, loco amissi Toleti, sedem venerabili arche frabricare decrevit. 134 Ouverture de l'Arca Santa (a0 1075): Colecci6n de documentas de la Catedral de Oviedo, ll 72 : Nam priscis temporibus cum Deus omnipotente propter culpam Christianorum subjugasset totam pene Yspaniam populo Ysmahelitanum, omnes sanctorum reliquias patrum quique fidel es ex diversis locis subripere potuerint apud Tholetanum urbem congregantes et in quadam archa studiose condientes penes se aliquanto tempore tenuerent. [. ..] Levi autem mo tu cum magno timore aperientes turibulis hinc atque illic timiamata fumivoma jlagancia redentibus repererunt hoc in propatulo quod ad Deo poposcerant scilicet incredibile thesaurum, id est, de Ligno Domini, de Cruore Do mini, de pane Do mini, id est, de Cena ipsius, de sepulchro Domini, de terra sancta ubi Dominus stetit, de vestimento sancte Marie et de lacte ipsius virginis ac genitricis Domini, de vestimento Domini forte partita et de sudario ejus, reliquias de sancto Petro apostolo, sancti Thome. 0
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(p.129) 135 • Aussi, tandis que les chroniqueurs francs dépeignent les somptueux repas de leurs rois, « nous décrivons, non des festins et des mets délicats, mais les peines et les fatigues de l'armée des rois des Espagnols pour délivrer la Sainte Eglise des rites des païens » (pp.l45-146) 136 • Cette restauration du passé romano-wisigothique est pleinement réalisée par Alphonse VI. Elle est l'aboutissement d'une longue et ancienne politique; ainsi, Vermude III (1028-1037), dernier représentant de la dynastie léonaise, est paré du titre de «patrice» (p.182), dignité qui le place juste en-dessous de l'empereur. La biographie d'Alphonse VI se justifie donc «en premier lieu car ses très nobles faits sont dignes de mémoire, mais aussi parce que [... ] il est le plus célèbre de tous les rois qui gouvernent l'Eglise du Christ » (pp.llS-119). En effet, son titre d'« empereur orthodoxe d'Espagne» lui permet de renouer avec ce passé prestigieux, brutalement interrompu en 711 ; il dépasse même tous les autres souverains, puisqu'il réunit les deux qualités d'empereur, à l'imitation de Constantin, et d'orthodoxe, à l'instar des grands rois wisigoths. Pourtant, dans les faits, il ne parvient pas à concrétiser cette œuvre de restauration du royaume d'Espagne et de l'Empire.
C. Mythe et réalité de l'empire d'Espagne L'accélération de ce processus de restauration, engagé de longue date, s'explique d'abord par les succès politiques et militaires du roi. En effet, comme le prouve C. Estepa Diez, quand Alphonse adopte le titre d'« empereur d'Espagne» en 1076/1079, son autorité s'étend, directement ou non, sur une bonne partie de la péninsule: il a annexé en 1076 la Rioja, après l'assassinat de Sanche Garcès IV, et, 135
Sed neque Carolus. quem infra Pirineos montes quasdam civitates a manibus paganorum eripuisse Franci falso asserunt. Cum enim per XXXIII annos. ut in gestis ejusdem habetur, bellum cum Sa:xonibus protraheret, venit ad eum quidam Maurus [. ..} quem Cesaraugustano regna Abderrahama, magnus rex Maurorum, prefecerat, spondens sese et omnem provintiam sue dictioni subditurum. Tune Carolus rex... spem capiendarum civitatum in Yspaniam mente concipiens ... adusque Pampilonensium opidum incolumis pervenit. [. ..] Inde cum Cesaraugustam civitatem accessisset, more Francorum aura corruptus, absque ulla sudore pro eripienda a barbarorum dominatione santa ecclesia, ad propria revertitur. [. ..} Porro cum in reditu Panpiloniam, Maurorum opidum, destruere conaretur, pars maxima exercitus suy in ipso Pireneo iugo magnas exsoluit penas .... extremum agmen quod precedentes tuebatur, Navarii desuper incursantes agrediuntur. Consertoque cum eis prelio, usque ad unum omnes interficiunt. 136
Verum qui quorundam Francorum regum mansiones describere pergunt, animadvertant quia pro nataliciis et pascalibus cibis, quos per divers a loca eos comsumpsisse asserunt, nos labores exercitus Ispanorum regum, pro liberanda santa eclesia a ritibus paganorum, et sudores, non convivia et delicata fercula, describimus.
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CHAPITRE
IV
simultanément, Sanche 1er Ramirez lui a prêté hommage pour le royaume de Pampelune ; en outre, il 'protège' à cette époque cinq grands royaumes musulmans 137 . En revanche, une simple analyse de la chronologie des faits nous interdit d'associer l'adoption des titres de« roi d'Espagne» et d'« empereur de toute l'Espagne», qui datent des années 1070, à la conquête de Tolède 138. En outre, de nombreux historiens, notamment R. Menéndez Pidal, C.J. Bishko et B.F. Reilly 139, voient dans cette titulature impériale l'affirmation d'une indépendance politique face à Grégoire VII qui déclare en 1073, dans une lettre adressée aux nobles venus combattre dans la péninsule les musulmans, que l'Espagne appartient au Saint-Siège 140 ; il réitère cette position en 1077, dans une lettre aux Grands d'Espagne, en invoquant« les antiques constitutions», c'est-à-dire la fausse donation de Constantin 141 • Aussi, la papauté n'accepte jamais la titulature impériale d'Alphonse VI, qui briserait définitivement ses droits et provoquerait de graves imbroglios diplomatiques avec l'empereur germanique. Sa prétention à dominer concrètement l'ensemble de la péninsule fait long feu. Certes, après l'hommage de 1076, les formules de datation des diplômes du roi Sanche rr Ramirez confèrent au souverain de Leôn une certaine préséance jusqu'en 1090, en mentionnant son règne en premier. Mais l'aire territoriale reconnue à ce roi ou à cet empereur- titre qui lui est parfois reconnu- est toujours strictement limitée aux provinces de son royaume 142 : Tolède, Le6n et Castille 143 • Dans la 137
Estepa Diez, El reinado de Alfonso VI, pp.26-29.
138
Contra: Recuero Astray, Alfonso VII, emperador, p.41, Rucquoi, Histoire médiévale,
p.203. 139
Menéndez Pidal, El imperia hispémico, pp.101-103. Bishko, 'Fernando I and the origins of the Leonese-Casti1ian Alliance', 103-105. 140 Grégoire VII informe les princes allant combattre les musulmans en Espagne, qu'ils doivent faire un pacte avec le Saint-Siège (a 0 1073) : La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, no 6. 141 Grégoire VII recommande aux rois et aux princes d'Espagne les légats Amat et Frotaire, et leur rappelle que l'Espagne appartient à l'Eglise de Rome (a 1077): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, ll 13: Preterea notum vobis fieri volumus, quod no bis quidem facere non est liberum, vobis autem non solum ad futuram sed etiam ad presentem gloriam va/de necessarium, videlicet, regnum Hyspanie ex antiquis constitutionibus beata Petra et sancte Romane ecclesie in jus et proprietatem esse traditum. 0
0
142
M.R. Garda Arancou, 'Ecos de la Reconquista de Toledo en los reinos de Pamplona y Aragon', dans Estudios sobre Alfonso VI y la reconquista de Toledo [Actas del II Congresso Internacional de Estudios Mozarabes, Toledo, I985] (Toledo: Instituto de Estudios Visig6tico-Mozarabes, 1988), pp.243-257 (pp.251-254). 143
Fuero octroyé par Sanche Ramirez d'Aragon à Estadilla (a 0 [1090]): Documentas para el estudio de la reconquista y repoblaci6n del valle del Ebro 1, éd. par J.M. Lacarra, Textos Medievales 62 (Zaragoza: 1982), no 7 : Regnante Domino nostros Jhesuchristo et sub ejus
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documentation navarraise, il est en fait simplement considéré comme un souverain parmi d'autres: un acte de l'évêque de Pampelune est ainsi daté «sous le règne du roi Sanche à Pampelune et en Aragon, de son fils Pierre en Sobrarbe et Ribagorce, et de l'empereur Alphonse à Tolède » 144 • Par ailleurs, la papauté, qui entretient de bonnes relations avec les autres ensembles politiques de la péninsule, refuse d'admettre l'assimilation opérée par Alphonse VI entre son royaume et l'Hispania. Alexandre II appelle même dans un premier temps « roi d'Espagne » Sanche r' Ramirez d'Aragon (1 063-1 094), tributaire de Rome depuis 1068 145 . En 1074, Grégoire VII reconnaît la pluralité des pouvoirs à la tête de l'Hispania, puisqu'il adresse une lettre à Alphonse VI et Sanche Garcès IV (1054-1076) qualifiés de« rois d'Espagne à égalité», regibus Hyspanie a paribus 146 ; en 1077, il s'adresse « aux rois, aux comtes et aux autres princes d'Espagne». Une certaine emphase gagne certes par la suite la titulature royale attribuée à Alphonse VI: en 1079, il est« glorieux roi des Espagnes » 147 ; en 1081, après l'adoption de la liturgie romaine dans le royaume, le pape l'exhorte à se souvenir« de l'honneur et de la gloire, que la miséricorde du Christ [lui] a concédés sur tous les rois d'Espagne » 148 • Cependant, cette titulature disparaît par la suite et, au tournant du siècle, Pascal II appelle à nouveau « roi des Espagnes » le souverain de Pampelune et d'Aragon, Alphonse le Batailleur (1104-1134) 149 •
imperia rex Santius in Pampilona et in Aragone[. ..} rege Ildefonso in Toleto et in Legione. 144
Donation par l'évêque de Pampelune à l'abbaye San Juan de la Pefia (a0 1092): Documentas para el estudio de la reconquista, no 13: Regnante Sancio rege in Pampilona et in Aragone. fi lia ejus Petra in Monteson. in Suprarb et in Ripacorza. et imperatore Alfonso in Toleto. 145
Alexandre II prend sous la protection du Saint-Siège le monastère San Juan de la Pefia et confirme ses possessions et privilèges (a 1071): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, no 4. 0
146
Grégoire VII demande à Alphonse VI et Sanche Garcès IV de recevoir dans leur royaume le rite romain et confirme l'excommunication par ses légats de l'évêque Munio d'Oca (a 0 1074): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, n° 8. 147
Grégoire VII exhorte Alphonse VI à obéir à son légat Richard (a 0 1079): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, n° 17. 148 Grégoire VII félicite Alphonse VI d'avoir accepté le rite romain dans son royaume et lui demande de reconsidérer son choix de l'archevêque de Tolède (ac 1081): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, no 22 : Memento honoris et glorie, quam tibi super omnes Hispanie reges misericordia Christi concessif. 149
Pascal II demande à Alphonse N le Batailleur que soient respectées les limites des diocèses de Huesca et Barbastro (a 0 1104/1109): La documentaci6n pontificia hasta Inocencio III, n° 46.
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CHAPITRE IV
Conclusion Après l'éphémère patronage d'Isidore, à la fin du règne de Ferdinand Ie', saint Jacques s'impose sous Alphonse VI comme seul et unique patron de l'Espagne et de la royauté. De façon significative, la découverte de la tombe de l'apôtre est étroitement associée par l'Historia Compostellana à la libération de l'Espagne, puisqu'après l'événement, Dieu élimina la «superstition païenne» de la «région hispanique» et« transféra le royaume d'Espagne» (Compostellana Lib. I, c.I, 2) 150 , sous-entendu aux chrétiens asturiens; logiquement, les rois d'Oviedo sont ensuite appelés «rois des Espagnes» (Lib. II, c.I), à l'instar d'Alphonse II, qui «régnait sur l'Espagne» (Lib. I, c.II, 1), et d'Ordoflo rer, qui« était à la tête de l'Espagne» (Lib. I, c.II, 2). Cependant, face à l'opposition de Rome, l'évêché ne parvient pas à s'affirmer comme nouvelle capitale religieuse en vertu de l'évangélisation de la péninsule par Jacques; seule la possession du corps de l'apôtre lui est reconnue, au terme d'une translation rapportée dans la fausse lettre du pape Léon. Simultanément, Ferdinand 1er et surtout son fils restaurent l'Espagne, assimilée au royaume de Castille-Leon. Alphonse VI affirme cette prétention politique lorsqu'il domine directement ou indirectement nne bonne partie de la péninsule. L'historiographie renoue alors avec une conception intemporelle de l'Espagne, si forte chez Isidore de Séville. En outre, par l'adoption officielle du titre impérial, convoité par les rois depuis près de deux siècles, Alphonse donne à cette Hispania la stature d'un empire, avec pour capitale Tolède. Cette restauration impériale, qui fait de l'Espagne le dernier bastion de la civilisation romaine et chrétienne face aux barbares musulmans et francs, ne parvient cependant pas à se concrétiser : elle se heurte à l'invasion et aux victoires almoravides, à la volonté d'indépendance des rois d'Aragon et de Pampelune, et à l'hostilité de Rome, qui revendique la propriété éminente de la péninsule et ne peut admettre la présence en Europe de deux empereurs.
150
Sed quanda amnipatenti Dea placuit ecclesiam suam labarantem visitare et ejus adversitatem in prasperitatis tranquillitatem misericarditer canvertere, tempus statim sua patenti imperia mutavit, regnum Hispanie transtulit et, gentili superstitiane per regianem Hispanicam canculcata et prarsus annullata, Christi sui na men atque jidem inibi suscitavit.
Conclusion de la deuxième partie
S
i Alphonse VI échoue à restaurer de fait sa suprématie sur l'ensemble de l'Espagne, ses prétentions politiques réalisent pourtant l'ancien programme de rétablissement de l'autorité royale et de récupération de l'Hispania wisigothique. Les rois castillans, qui n'hésitent pas à rattacher leur propre famille à la dynastie précédente, poursuivent résolument sa politique néo-romaine et néogothique, suivant deux axes majeurs : le projet de restauration impériale, initié par Ordofio II, et le rétablissement de l'autorité publique selon les grands principes juridiques romano-wisigothiques, engagé par Alphonse V. Après avoir récupéré l'ensemble des attributs de la souveraineté -notamment le pouvoir législatif et le droit de battre monnaie-, établi son pouvoir à l'intérieur du royaume et repoussé ses frontières vers le sud, Ferdinand rr engage la restauration de l'Hispania en lieu et place de son royaume. Cette exaltation de la notion d'Espagne culmine sous son fils Alphonse VI: il fait revivre l'ancien Empire romain à l'intérieur des frontières de son royaume et affirme ainsi une ambition politique qui, si elle continue aux yeux des contemporains la politique des rois wisigothiques, la dépasse pourtant largement dans les faits. Cette restauration doit aboutir, selon le vocabulaire de l'époque, à la libération de l'Eglise -une des trois grandes institutions du royaume-, soustraite de la captivité musulmane. Au tournant des onzième et douzième siècles, les contemporains considèrent que le royaume a renoué avec une Espagne intemporelle, citadelle de la civilisation romano-gothique et chrétienne, restauratrice de l'Empire et placée sous le patronage de saint Jacques. Les choix de cette époque marquent durablement la pensée politique et religieuse. Au siècle suivant, la notion d'Espagne est encore approfondie et exaltée dans les
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DEUXIÈME PARTIE
falsifications de l'évêque Pélage d'Oviedo. Lui, ou l'un de ses successeurs, confectionne probablement la Dedicatio ad Sisenandum, qui enracine l'existence de l'Espagne dans un passé biblique: son histoire commence avec les Hispani, descendants de Tudal, fils de Noé, dont le premier roi est Hispanus, fondateur éponyme d'Hispalis 1• La restauration impériale d'Alphonse VI n'est pas non plus oubliée par son fils Alphonse VII2 , qui se fait couronner empereur à Le6n en 1135. A cet égard, cette ville parvient à imposer sa légitimité de ville royale face à Tolède, grâce à la prétendue ancienneté de son statut de capitale et à la légitimité wisigothique qu'entraîne la présence du corps de saint Isidore. L'évêché de SaintJacques, qui n'a pu faire admettre l'évangélisation de l'Espagne par son apôtre ni s'imposer au dixième siècle comme capitale religieuse de la péninsule, retrouve également sa place sous Alphonse VI, après une éclipse provoquée par la concurrence d'Isidore, promu nouveau patron de l'Espagne et de la royauté par Ferdinand Ier; Alphonse VII, par son onction et son couronnement en 1111, fait alors de ce siège épiscopal - bientôt archiépiscopal- un lieu de légitimation du pouvoir royal.
1 2
Carlos Villamarin, Las antigüedades de Hispania, pp.l53-240.
Confirmation par Alphonse VII d'une donation d'Alphonse VI à l'évêque de Salamanque (a0 1107): éd. par F. Fita, 'Los concilias nacionales de Carrion en 1103 y de Leôn en 1107', BRAH 24 (1894), 299-342 (332): Sicut avus meus Ildefonsus, bane memorie, tatius Hispanie imperator hec omnia et alia, que in previlegiis continentur, in concilia Legionensi laudavit et per scriptum corifirmavit.
TROISIÈME PARTIE
Améliorer le passé
Un aspect déterminant de l'idéologie asturo-léonasie
Introduction à la troisième partie
D
ès les premiers temps de la monarchie, la politique néo-gothique suppose une guerre constante contre les peuples chrétiens indépendants, les rebelles et surtout les musulmans ; elle se traduit notamment par la progressive conquête des anciens territoires de la monarchie wisigothique. Cet investissement matériel et humain considérable, qui conditionne l'existence même du royaume, est guidé par les notions quasiment indissociables de peuplement, de régénération spirituelle et de restauration. Omniprésentes dans les sources, elles témoignent d'une perception bien particulière de la guerre, des territoires conquis et, plus généralement, du royaume. Ces notions ont bien souvent une importance juridique. Dans le compte-rendu d'un procès de 1025, qui oppose les serfs de l'évêché de Lugo-Braga à l'évêque, l' «avocat» (adsertor) justifie les droits épiscopaux sur les deux villes en déclarant : «L'évêque Odoarius prit les villes de Lugo et de Braga de la souche des morts, les restaura, les peupla avec les serfs de sa famille, et les conserva durant toute sa vie »1• Elles ont aussi une dimension politique. Au début du douzième siècle, l'auteur de 1'Historia Silense décrit la lente constitution du royaume après la victoire de Covadonga de la sorte : Le peuple des Goths, comme sortant du sommeil, s'accoutuma peu à peu à avoir des ordres, c'est-à-dire à suivre les enseignes à la guerre, à observer dans le royaume le commandement légitime, à restaurer avec dévotion en temps de paix les églises et leurs ornements, ensuite à louer Dieu de tout son cœur, lui qui avait donné la victoire à quelques-uns sur une multitude d'ennemis (pp.l35-136).
Tous ces concepts ont en commun d'impliquer une profonde rupture dans le peuplement, les constructions monumentales, les structures d'encadrement, la 1
Compte-rendu de procès souscrit par Alphonse V, entre les serfs de Lugo-Braga et l'évêché, à l'issue duquel les premiers reconnaissent leur dépendance (a 1025): éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. no 17, pp.490-495 (reg. Garcia Alvarez, n° 472). 0
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TROISIÈME PARTIE
situation religieuse du royaume et celle des territoires conquis. Cette rupture est initialement provoquée par l'occupation ou les dévastations musulmanes, qui, aux yeux des Asturo-Léonais, entraînent la destruction du royaume; plus tard, elle peut aussi être la conséquence d'une rébellion contre le roi. La signification de ces notions est donc en grande partie déterminée par le rapport qu'elles entretiennent avec le passé. J.A. Maravall a bien compris la nécessité d'une telle approche : « La Reconquête n'est pas une création ex-nihilo ni même la création de quelque chose de neuf». Mais, à la suite de J.M. Escandon et, surtout, de J. Caveda y Nava2 , il définit la notion de restauration, dont il perçoit à juste titre l'importance, comme un 'simple' projet néo-gothique : «C'est une restauration et, dans la globalité de son projet, une restauration de l'Espagne »3 • Or, 1' omniprésence de ce vocabulaire dans les sources nous interdit de limiter ce problème à la seule question politique du néo-gothicisme, c'est-à-dire de la revendication par la royauté de l'héritage wisigothique. Certes, une analyse sémantique des termes de la conquête nous prouve que le passé immédiat est systématiquement rejeté, tandis que le passé romano-wisigothique demeure la référence essentielle dans les opérations de réorganisation du royaume et des territoires conquis. Pourtant, il est impossible d'affirmer sans autre précision que, pour les Asturo-Léonais, «le neuf se présente comme une reprise de l'ancien »4 ; en fait, la fidélité au passé est indissociable d'une innovation et d'une amélioration matérielle et spirituelle, que le concept de restauration restitue certainement le moins mal.
2
J.M. Escandon, Historia monumental del heroico rey Pelayo y sus sucesores en el trona de Asturias (Madrid: 1862; 2e éd. facsim., Oviedo: 2001), p.VI et p.IX. Caveda y Nava, Restauraci6n de la monarquia visigoda. 3
4
Maravall, El concepto de Espafia, p.294.
L. Krus, 'Atitudes face à Innovaçao/Tradiçào na Sociedade Medieval', Estudos Medievais 9 (1988), 211-219 (219).
CHAPITRE V
Peupler
U
ne bonne partie des chroniques et des sources diplomatiques parle de terres désertiques situées aux marges du royaume d'Oviedo-Leon et peuplées au fur et à mesure de la conquête chrétienne. Ces terres colonisées constituent une sorte de « marche vers le sud qui repousse peu à peu les limites du domaine islamique», «une marge imprécise et fluctuante » 1 séparant les territoires chrétiens et al-Andalus. De façon significative, cette réalité assez vague est désignée par des termes dont le sens demeure peu précis, tels que fines, extremum ou extremitas2 ; en Catalogne, cet espace militarisé et pionnier face aux territoires musulmans est souvent désigné par le terme de marca avant le milieu du neuvième siècle3 , tandis que, dans 1'Aragon des dixième et onzième siècles, il est appelé Extrematura et, pour la première fois en 1059,jrontera4 • D'après 1'interprétation littérale d'A. Herculano, historien portugais du dixneuvième siècle, le désert frontalier décrit dans ces textes correspond effectivement
1 A. Bazzana, P. Guichard et P. Sénac, 'La frontière dans l'Espagne médiévale', dans Castrum 4: frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen Age [Colloque, Erice-Trapani, 1988], Collection de l'Ecole Française de Rome 105 (Rome et Madrid : Ecole Française de Rome-Casa de Velazquez, 1992), pp.35-59 (p.47).
2
1. Gautier Dalché, 'Islam et chrétienté en Espagne au XIIe s. : contribution à l'étude de la notion de frontière', Hespéris 47 (1959), 183-217. 3 4
Zimmermann, 'Le concept de Marca hispémica', pp.44-47.
P. Sénac, La frontière et les hommes (VITf-XI!' siècles): le peuplement musulman au nord de l 'Ebre et les débuts de la reconquête aragonaise (Paris : Maisonneuve et Larose, 2000), pp.388-389.
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CHAPITRE V
à une zone dépeuplée 5 . Un siècle plus tard, C. Sânchez Albornoz radicalise cette lecture dans son célèbre ouvrage Despoblaci6n y repoblaci6n del valle del Duero 6 : jusqu'à sa mort, il demeure convaincu qu'il existe bien une zone dépeuplée, un véritable désert stratégique entre le Duero et la cordillère cantabro-asture, créé non pas selon un plan préconçu, mais sous le coup des attaques musulmanes, de la déportation des chrétiens vers le nord par Alphonse rr, des famines et des épidémies7 ; selon lui, les témoignages d'habitations, fournis notamment par les découvertes archéologiques, ne révèlent que des « oasis » de peuplement au milieu des « déserts »8 • Depuis quelques décennies, de nombreux travaux, initiés notamment par le père A. da Costa, prouvent au contraire la continuité d'occupation sur de vastes zones soi-disant dépeuplées. Cependant, d'éminents spécialistes, tels que S. de Mox6 et R. Collins, persistent à suivre la théorie de C. Sânchez Albornoz, et le second parle d'un« no-man's land» et d'un« cordon sanitaire le long de la vallée du Duero »9 ; toutefois, ils la nuancent et refusent l'idée d'un dépeuplement total. L'attachement à cette démonstration semble motivé, consciemment ou non, par plusieurs facteurs : l'érudition du grand savant espagnol joue incontestablement un rôle essentiel; les historiens éprouvent aussi quelques difficultés à renoncer à une théorie satisfaisante pour l'esprit ; enfin, souvent, ils ne parviennent pas à expliquer le paradoxe d'un désert dans lequel persiste un peuplement. Etudier ce problème« avec l'ampleur qu'il exigerait», selon le vœu du chanoine P. David, consiste donc à expliquer ce décalage apparent, en intégrant ces questions dans un travail plus général sur le vocabulaire consacré aux rapports entre l'homme et la terre 10 . Il ne s'agit pas d'opposer une véracité archéologique à des sources écrites partielles et partiales, influencées par une idéologie néo-gothique, comme le pensent certains historiens. Une étude attentive, notamment du vocabulaire lié au dépeuplement et au peuplement, montre bien au contraire une remarquable complémentarité entre les renseignements fournis par l'archéologie et ceux de la documentation écrite. Est-ce à dire qu'il n'y a aucune diminution quantitative de la population ? 5
A. Herculano de Carvalho e Araujo, Historia de Portugal desde o começo da monarchia até o fim do reinado de Affonso Ill, ze éd., 3 vols. (Lisboa: 1858), pp.l77-191. 6
C. Sanchez Albornoz, Despoblaciôn y repoblaciôn del valle del Duero (Buenos Aires : Universidad de Buenos Aires, 1966). 7
Sanchez Albornoz, Origenes de la nacion espanola, p.l 05.
8
Sanchez Albornoz, Espana, un enigma histôrico 2, p.28.
9
S. de Mox6, Repoblaciôn y sociedad en la Espana cristiana medieval, ze éd. (Madrid : Rialp, 1979; le éd. 1972), pp.24-45. Collins, Early Medieval Spain, p.229. Idem, The Arab Conquest of Spain, p.l54. 10
David, Etudes historiques, pp.172-174.
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L'utilisation dans les sources écrites du verbe depopulare, qui renvoie à l'idée de dévastation et de ravage, et des termes de desertus et eremus nous prouve le contraire. De même, le fait de peupler les nouvelles terres suppose un apport de population. Mais, d'après les sources archéologiques et documentaires, les modifications du peuplement ne peuvent se limiter à cet aspect quantitatif : il y a aussi une mutation qualitative de 1'habitat, qui nous oblige à préciser le concept de désert et le phénomène du peuplement. De là, la politique royale de dépeuplement et de peuplement n'est pas un mythe mais bien une réalité, dont les enjeux sont stratégique, politique et idéologique.
I Peupler le désert L'étude des sources littéraires, diplomatiques et archéologiques révèle la permanence d'un peuplement dans de nombreuses zones, pourtant décrites dans certains textes comme « désertiques », puis «peuplées » lors de leur incorporation au royaume d'Oviedo-Leon. S'il est certain que la politique de peuplement reflète bien un apport de population dans des régions sous-peuplées, elle ne se réduit pas à cela. Le paradoxe soulevé ne peut alors être pleinement résolu que par une étude sémantique du vocabulaire du désert et du peuplement.
A. Le désert
Les textes opposent constamment deux mondes : la ville ou le terroir « peuplé » (in populato) et celui «désert» (in eremo 11 ). Ces terres désertiques sont d'abord localisées au sud du royaume, où se déroulent les principaux combats. Pourtant, s'il y a à l'évidence une diminution réelle de la population dans ces régions, les recherches récentes insistent sur la continuité de l'occupation humaine; le terme de désert ne peut être compris comme une zone de totale solitude. Une stricte opposition entre la terre habitée et la terre vide, à laquelle pourrait conduire une lecture rapide de la documentation, n'est donc pas pertinente. 1. Une terre sous-peuplée
Depuis plusieurs décennies, plusieurs historiens accumulent des preuves de la persistance d'un peuplement dans les territoires conquis par le roi d'Oviedo-Leon. Elles sont d'abord le fruit d'une critique interne de la documentation écrite. En 1946, P. David remarque une contradiction entre les documents parlant de dépeuplement, et ceux, nombreux entre 850 et 1064, établissant la présence d'une population dans 11
Vente d'une terre (ao 1061): Colecci6n diploméztica de Sahag11n 2, no 616.
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CHAPITRE V
la région du Miîio au Mondego, avant le règne d'Alphonse III, ou entre les dévastations d'al-Mansur et la conquête de Ferdinand 1er ; il en conclut à une raréfaction de la population, due à l'absence de cadres institutionnels et à l'insécurité, mais en aucun cas à un abandon total 12 • Un de ses élèves, le père A. da Costa -dont les travaux ont été ignorés par C. Sanchez Albornoz- démontre, notamment à partir du pouillé de la cathédrale de Braga daté de la fin du onzième siècle, l'existence d'un important peuplement et d'une permanence de la vie religieuse dans cette région aux neuvième et dixième siècles 13 • R. Durand reconnaît lui l'existence entre Duero et Tage de «paysages humanisés, sortes de clairières, peut-être, mais vastes » 14 • L'absence de tout dépeuplement radical est corroborée par l'analyse de la toponymie du nord-ouest de la péninsule, fréquemment d'origine wisigothique 15 • Aussi, les études régionales plus récentes insistent à juste titre sur la présence d'un habitat instable de type agro-sylvo-pastoral, par exemple dans les Asturies 16 . Pour la région entre Duero et Miîio, J. L6pez Quiroga a confirmé et précisé ces conclusions, en confrontant systématiquement les sources écrites aux découvertes archéologiques. Aux huitième et neuvième siècles, il conclut à une « continuité d'occupation» dans les villes-évêchés des vallées, avec une« stagnation et un repli de l'espace habité». Les campagnes des vallées poursuivent, quant à elles, une évolution engagée dès le milieu du septième siècle : elles connaissent une « destructuration du peuplement ancien », accélérée par la « désorganisation politique, administrative et religieuse » due aux luttes du huitième siècle ; aussi, l'« habitat dispersé », situé sur les hauteurs mais parfois aussi dans les vallées, à l'écart des anciennes zones de peuplement romain, est d'abord «marginal», puis prépondérant après 711 17 • 12
David, Etudes historiques, p.170 et p.174.
13
A. de Costa, '0 bispo D. Pedro e a organizaçào da diocese de Braga', dans IX Centenario da dedicaçào da Sé de Braga [Congresso Internacional, Actas], 1 : 0 bispo D. Pedro e o ambiente politico-religioso do século Xl (Braga : Universidad Cat61ica PortuguesaCabido de Braga, 1990), pp.379-432. 14 R. Durand, Les campagnes portugaises entre Douro et Tage aux XI!' et XII!' siècles, Civilizaçào Portuguesa 9 (Paris : Fundaçào C. Gulbenkian, 1982), pp.59-66.
15
J. Piel et D. Kremer, Hispanogotisches Namenbuch: der Niederschlag des Westgotischen en den altenund heutigen Personen und Orstnamen der Iberischen Halbinsel (Heidelberg: 1976). 16
J.I. Ruiz de la Pefta Solar, Las 'po las' asturianas en la edad media : estudio y diplomatario, Publicaciones 7 (Oviedo : Universidad-Departamento de Historia Medieval, 1981), pp.44-46. 17
J. L6pez Quiroga, Du Miiio au Douro : histoire et archéologie du peuplement entre l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Age (V'-X s.), 3 vols. (Thèse de doctorat, Paris IVSorbonne, 1997), 2, pp. 776-780.
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Le maintien d'une population dans ces zones désertiques transparaît dans une grande partie de la documentation diplomatique. Ainsi, l'origine ancienne des terroirs incorporés dans le royaume d'Oviedo-Leon indique la permanence de la mémoire de la terre, donc d'un peuplement continu. En témoignent les formules évoquant des terres prises de stirpe antico ou ex antiquis 18 • Or, le terme de stirps ne peut se traduire par« désert», contrairement à l'opinion de C. Sanchez Albomoz19 • De même, nous ne pouvons suivre E. Portela Silva qui lui confère ici son sens figuré de «famille» ou de «lignage». Ce dernier en veut pour preuve la syntaxe d'une phrase tirée d'un diplôme royal de 951 : Ambiguum quidem esse non potest, quod omnibus notum est eo quod prehendiderunt villas sub nomine regis comites vel forciores de stirpe antico, que a gentibus fuerant dissipate per spacia terrarum, unde non minimam partem prehendidit Adefonsus cognomento Bittoti20 . Selon lui, les « comtes » et les « hommes d'un très haut rang » sont de stirpe antico, c'est-à-dire d'un lignage très ancien. Il traduit alors la phrase: «Les comtes et les hommes d'un très haut rang, issus d'une très ancienne famille, prirent au nom du roi les villae qui avaient été détruites »21 . Pourtant, une telle traduction est impossible, car, dans les autres actes contenant cette expression, la stirps anticuus est constamment associée à la terre acquise par presura, c'est-à-dire par simple occupation, ou aux bâtiment qui s'y trouvent: ecclesia de su/co antico jacente in ruina fragoris 22 • Ici, stirps doit donc être rattaché à villas et compris selon son autre sens figuré de « fondement » ou mieux, d' «origine» : «Les comtes et les hommes d'un très haut rang prirent au nom du roi des villae d'une origine ancienne, qui avaient été détruites». Le terme de radix, utilisé dans un sens similaire, apparaît dans un article du concile de Coyanza, relatif aux conflits pour une terre ou une vigne -entre le propriétaire et l'usufruitier: il parle de la nécessité d'un jugement concernant l' « origine », sous-entendu de la terre23 • Prendre quelque chose ex antiquis ne signifie donc pas bénéficier d'un 18
Donation par un prêtre à l'église San Salvador de Arnoya qu'il vient de restaurer (a 0 889) : Colecci6n diplomatica del monasterio de Celanova (842-1230), éd. parE. Sâez etC. Sâez, 2. vols. (Madrid: Universidad de Alcalâ de Henares, 1996-2000), Galicia 1 (842-942) (reg. Lucas Alvarez, R5-36). 19 Sânchez Albornoz, Despoblaci6n y repoblaci6n del valle del Duero. pp.249. 20 Donation par Ordofio III de possessions au monastère de Borvene (a 0 951): La documentaci6n del Tumba A, n° 35 (reg. Lucas Alvarez, R1-207). 21 Portela Silva, 'Galicia y la monarquia leonesa', pp.39-40. 22 Acte privé (a0 879 [909]) : 0 Tomba de Celanova : estudio introductorio, edici6n e indices (ss. IX-XII), éd. par José M. Andrade Cernadas, Fontes Documentais para a Historia de Galicia, 2 vols. (Santiago de Compostela: Consello da Cultura Galega, 1995), n° 271. 23 Concile de Coyanza (a 0 1055), c.IO :Decima vero titulo precipimus ut de terris et vineis
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CHAPITRE V
héritage, comme le pense E. Portela Silva, mais bien acquérir par presura un ancien terroir. Cette mémoire de la terre concerne même les frontières, puisque les territoires récemment incorporés dans le royaume ont souvent pour limites des termini antiquP4 , selon ce qui est prescrit par le Liber Judicum: «Nous ordonnons que les anciennes limites et frontières demeurent fixes, de même qu'elles ont été manifestement mises en place dans les temps anciens »25 . Plus généralement, comme le remarque justement E. Portela Silva pour la Galice, de nombreux anciens castra, villae et églises subsistent et assurent la permanence de l'ancienne organisation de 1' espace26 • Selon cet historien, de nombreuses terres galiciennes sont toujours exploitées au moment de leur conquête par le roi asturien. A l'appui de sa théorie, il invoque les actes de restauration d'églises, qui sont souvent accompagnées de dotations comprenant des terres déjà cultivées et des bâtiments d'exploitation vignes, pommeraies, moulins, pressoirs. Le dépeuplement, tel qu'il apparaît dans les sources écrites, doit donc être nuancé d'un point de vue quantitatif: il y a certes diminution de la population, mais non disparition. Quant au décalage entre la 'réalité' et le qualificatif de désertique appliqué à ces terres, il n'est qu'apparent. En fait, il est dû à une traduction trop rapide du terme de desertus, associé à l'idée de vide humain complet, et du verbe populare, compris comme« repeupler» et« installer une nouvelle population »27 • 2. Un habitat instable
Durant l'Antiquité, le désert- eremus, deserta, solitudines- est une terre abandonnée, mais qui peut, néanmoins, contenir une population. Ainsi, chez Hérodote, une terre désertique comprend des zones peuplées et des déserts28 • Plus tard, pendant le Haut Moyen Age, l' eremus est le lieu par excellence du renoncement au monde et de la prière, le lieu des ermites 29 • D'après Isidore de Séville, les eremitae sont« ceux in contentione positis, ille qui eas laboraverit co !ligat fruges vel fructus et postea habeant veritatem judicium super radicem. 24
Donation entre personnes privées de biens mobiliers et de villae en compensation d'un memire (a 0 940): Colecciôn diplomatica del monasterio de Celanova 1, n° 64: Dabo vobis de homnes istos villares jam dictas de mea portia ne medietate [. ..} per su os terminas antiquas. 25
Liber Judicum, §X, 3, 1.
26
Portela Silva, 'Galicia y la monarqufa leonesa', pp.28-30.
27
Par exemple: Mox6, Repoblaci6n y sociedad, p.23.
28
F. Hartog, Le miroir d'Hérodote: essai sur la représentation de l'autre (Paris: Gallimard, 1980; 2e éd., 1991), p.32 sqq. 29 J. Leclercq, 'Eremus et Eremita: pour l'histoire du vocabulaire de la vie solitaire', Collectanea ordinis Cisterciensium reformatorum 25 (1963), 8-22.
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qui se sont éloignés du regard des hommes, en cherchant le désert (eremum) et les solitudes désertiques (desertas solitudines) ». Et, il précise bien qu'« eremum est quasiment synonyme d'éloignement» (Etymologies § VII, 13, 4) 30 • En fait, significativement, Isidore associe d'abord le désert à l'inculture de la terre : «Les déserts sont ainsi dénommés car ils ne sont pas cultivés et sont, en conséquence, quasiment abandonnés ; ce sont par exemple les forêts et les montagnes, qui sont tout le contraire des terres fécondes» (Etymologies § XIV, 8, 31)31 . Plus généralement, les agri deserti sont parfois appelés à l'époque romaine agri rudes, c'est-à-dire les terres incultes 32 . L'absence d'agriculture suppose alors une instabilité de la population, comme peuvent en témoigner des fouilles archéologiques et les fréquents mouvements de population des peuples barbares de 1'Antiquité33 . Le désert antique n'est donc pas seulement une notion idéologique péjorative, qui transformerait une zone peuplée de Barbares en un territoire inhabité 34 ; il renvoie d'abord à une réalité choquante aux yeux des Grecs et des Romains: une terre inculte, dont la population, instable et rurale, semble peu nombreuse. Dans la documentation écrite de l'époque asturo-léonaise, le désert est encore souvent lié à la non-exploitation de la terre. Ainsi, les descriptions de terres contenues dans les actes de la pratique opposent souvent les terres « détruites » (dirutas) à celles« peuplées» (populatas) 35 • Un acte de 954 confirme au monastère de Ardon une terre « qui fut avec une vigne , car cette terre [ ... ] tomba en désert » (kadivit in deserta?6 et associe donc explicitement le désert à l'absence d'exploitation agricole. Cette dernière suppose l'absence d'habitat, c'est-à-dire d'habitat fixe: un acte de 1025 nous parle d'une villa «abandonnée, sans toit ni homme [ ... ] complètement en friche »37 • Les résultats des fouilles archéologiques
30
Nam eremum dicitur quasi remotum.
31
Deserta vocata quia non seruntur et ideo quasi deseruntur; ut sunt loco si/varum et montium, contraria uberrimarum terrarum, quae sunt uberrimae glebae. 32
E. Levy, West roman vulgar law : the law of property, Memory of the American Philosophical Society 29 (Philadelphia : American Philosophical Society, 1951 ), pp.194-197. 33 J. Kolendo, 'Les 'déserts' dans les pays barbares: représentation et réalités', Dialogues d'Histoire Ancienne 17-1 (1991), 35-60 (37 et 49-57).
34 35
Contra: Kolendo, 'Les 'déserts' dans les pays barbares', 38-39.
Donation (fausse) par Ordofio II de nombreux biens à l'évêché de Le6n (a [914/924]): Colecci6n de la catedral de Leon l, no 64 (reg. Lucas Alvarez, R1-102). 0
36 Donation et confirmation d'une terre au monastère Santos Justo y Pastor de Ardon (a0 954) : Colecci6n de la catedral de Leon 2, no 277. 37
Jugement de l'évêque de Le6n sur la possession d'une villa contestée par deux parties (a 1025): Coleccion de la catedral de Leon 3, n° 822: Fuit ipsa villa de comdado de Astorga et jacebat erema sine tectos et sine homines et erat in disqualido posita usque in fundamentis. 0
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CHAPITRE V
confirment l'existence d'un tel 'désert'. D'après J. L6pez Quiroga, sur les hauteurs mais aussi dans les vallées entre Mifio et Duero, se trouve un habitat précaire et instable, polynucléaire, dont témoignent notamment les nombreuses tombes creusées dans la roche. Dans certains cas, notamment en Galice, cet habitat est le fruit d'une lente évolution engagée dès le milieu du septième sièclé 8 • Cependant, il est indéniable que les fréquentes guerres consécutives à l'invasion musulmane ont accéléré cette tendance. Au total, cet habitat, marginal à l'époque wisigothique, est prédominant aux huitième et neuvième siècles39 • Cette instabilité de la population a d'importantes conséquences sur les villes, qui perdent à cette époque la plus grande partie de leur population : entre Mifio et Duero, seules Braga et Dumio conservent un habitat permanent, dans une zone réduite autour de la cathédrale. Pourtant, les cathédrales d'Orense, de Braga, Porto et Chaves possèdent toutes une nécropole utilisée jusqu'au dixième siècle. En fait, l'ancien noyau urbain se trouve désormais au centre d'une zone d'habitats instables et dispersés, dont l'existence est directement prouvée à Orense par les nombreuses tombes creusées dans la roche des environs40 • Les textes, en particulier les chroniques asturiennes, décrivent donc le peuplement de zones pourtant déjà habitées. Il en est ainsi d'Ordofio Ier, qui « peupla (populavit) Leon, Astorga, Tuy et Amaya, et fortifia de nombreux autres châteaux » (Albe/da § XV-11) ; plus tard, à l'époque d'Alphonse III, «les villes de Braga, Porto, Oca, Coimbra, Viseu et Lamego sont peuplées de chrétiens»(§ XV-12). Cette contradiction apparente vaut aussi à petite échelle, comme l'ont bien vu J.A. Garcia de Cortazar près du Duero41 , C. Balifias Pérez en Galice42 et J. Mattoso dans le nord du Portugal43 . Plus récemment, J. L6pez Quiroga l'a clairement mise en évidence dans plusieurs lieux situés entre Mifio et Duero : à titre d'exemple, le lieu-dit Laroa, dont l'ancien cimetière indique la continuité de 1' occupation humaine, est peuplé (populavit) entre 868 et 878, et l'on y construit une église, consacrée vers 90944 • Dans les sources asturo-léonaises, le désert équivaut à celui de l'Antiquité : il s'agit d'une terre inculte et sous-peuplée, dont l'habitat a un caractère (semi-) nomade. Aussi, le verbe populare a un sens plus riche et plus complexe que celui 38
Portela Silva, 'Galicia y la monarquia leonesa', p.24.
39
Lopez Quiroga,Du Mifw au Douro 2, pp.708-719.
40
Lopez Quiroga, Du Miiio au Douro 1, pp.403-411.
41
J.A. Garcia de Cortazar, 'Las formas de organizacion social del espacio en el valle del Duero en la Alta Edad Media : de la espontaneidad al control feudal', dans Despoblaci6n y colonizaci6n en el valle del Duero: siglos VIII-XX (Leon: 1995), pp.l3-44 (p.l8). 42
Balifias Pérez, Do mita a realidade, pp.244-256.
43
J. Mattoso, 'Portugal no reino asturiano-leonés' dans Idem e.a., Antes de Portugal, Historia de Portugal! (Lisboa: 1997), pp.444-447. 44
Acte privé (a 0 879 [909]) : 0 Tomba de Celanova l, no 271.
Peupler
249
communément admis.
B. Populare Depuis longtemps, les historiens tentent de redéfinir ce verbe, afin de faire correspondre son sens à la 'réalité'. R. Menéndez Pidal a le premier affirmé que «peupler» signifie «grouper des habitats dispersés». Mais, il n'arrête pas là son analyse et retient une définition plus ample du verbe : « Soumettre à une nouvelle organisation politico-administrative un peuplement désorganisé, informe ou peutêtre dispersé »45 • La plupart des historiens, à l'instar de J.A. Garcia de Cortazar46 , suivent désormais cette interprétation. J. Gautier Dalché pense que ce verbe doit être traduit par «organiser» ou «coloniser »47 ; un lieu dépeuplé constituerait alors «une expression rhétorique appliquée à un lieu sans seigneur, c'est-à-dire sans organisation administrative »48 , sans «contrôle politique et militaire »49 , et dans lequel « n'existe aucun pouvoir ou structure politique établi et reconnu »50 • Après avoir prouvé la persistance d'un peuplement dans la région entre Mifio et Duero, J. L6pez Quiroga reprend cette explication. Selon lui, il n'y a pas, à partir du milieu du neuvième siècle, un « repeuplement » au sens littéral, mais une «colonisation», c'est-à-dire un «aménagement du point de vue de l'organisation politique, administrative et religieuse et de l'organisation de l'espace »51 : dans les vallées, cet aménagement aboutit à la restauration sur de nouvelles bases de 1' organisation et de la hiérarchie du peuplement, qui se mettait en place depuis le sixième siècle, par une réorganisation de l'habitat -apparition des villae -, de l'encadrement religieux -restauration ou création d'églises- et des cadres politiques -création de fortifications. Simultanément, l'habitat dispersé des vallées ou des hauteurs est soit abandonné, soit concentré autour des villaé 2 • 45
R. Menéndez Pidal, 'Repoblaci6n y tradici6n en la cuenca del Duero', dans Enciclopedia Lingüistica Hispanica, 1 : Antecedentes onomastica (Madrid: CSIC, 1960), pp.XXIX-LVII (pp.XXX-XXXI). 46
Garcia de Cortazar, 'Las formas de organizaci6n social', p.50.
47
J. Gautier Dalché et Ch.-E. Dufourcq, Histoire économique et sociale de l'Espagne chrétienne au Moyen Age (Paris: A. Colin, 1976), p.29. 48
Menéndez Pidal, 'Repoblaci6n y tradici6n en la cuenca', p.XXXI.
49
Barbero et Vigil, La formaci6n del feudalismo, pp.201-231 (notamment p.227).
50
J.J. Sayas Abengochea et L.A. Garcia Moreno, Romanismo y germanismo : el despertar de los pueblos hispanicos (sig/os IV-X), Historia de Espafia 2 (Barcelone: Labor, 1981), p.410. 51
L6pez Quiroga, Du Miflo au Douro 1, pp.251-252 et p.259.
52
L6pez Quiroga, Du Mifio au Douro 2, pp. 780-783.
250
CHAPITRE V
Pourtant, sans nier la réalité de cette réorganisation, une étude attentive de la documention montre qu'il est rigoureusement impossible de traduire populare par «coloniser», si l'on estime, à l'instar de M. Balard et A. Ducellier, que «la colonisation implique un triple système de domination : politique, économique et culturel »53 • Ce verbe populare, qui a perdu son ancienne acception de« dépeupler» ou «dévaster», a désormais un sens proche d'habitare (ad habitandum et populandum )54 et pourrait être traduit par la périphrase « fixer une population en un habitat groupé». Ainsi, de nombreux actes décrivent les terres peuplées ou à peupler, comme des terres dans lesquelles habitent ou viendront habiter des personnes : dans un diplôme d'Ordofio III adressé à un monastère de la région de Leôn, le roi donne une villa, que l'abbé «acheta» et« peupla», «de telle sorte que toute la population qui habite ou qui viendra habiter, soit soumise au monastère »55 • Le but est bien d'installer une population fixe sur ces nouveaux territoires. Cette stabilité suppose la construction d'édifices et de fortifications. Un faux diplôme d'Alphonse III destiné à l'église de Lugo, daté de 871 mais composé au onzième siècle, déclare que cette église « a été arrachée des mains des Sarrasins, restaurée dans la gloire de son honneur propre et rénovée par ses fortifications et son peuplement »56 • Ce peuplement peut être associé à la construction de nouveaux lieux d'habitation: un acte de 982 du Tumbo de Celanova nous apprend qu'une terre fut donnée à peupler au digne et très illustre guerrier, le seigneur Odoarius, en l'année 910 de l'ère, par le sérénissime prince le seigneur Alphonse ; il vint dans la cité de Chaves, près du fleuve Tamice, construisit des vici et des châteaux, fortifia les cités, peupla les villae, les confirma par des frontières certaines 57 .
Parfois même, ce peuplement renvoie explicitement à cette œuvre de construction: quand la version Rotense de la Chronique d'Alphonse III décrit 53 M. Balard et A. Ducellier, Coloniser au Moyen Age: méthodes d'expansion et techniques de domination en Méditerranée du Xl" au XVI" siècle (Paris : A. Colin, 1995), pp.395-396. 54 Confirmation par Ferdinand rer de l'immunité de terres portugaises appartenant à l'évêché de Santiago (a 0 [1065]): Colecci6n diplomritica de Fernando 1, no 69 (reg. Lucas Alvarez, Rl-442). 55 Donation de villae par Ordofio III au monastère de Ardon (a 0 956) : Colecci6n de la catedral de Leon 2, no 298 (reg. Lucas Alvarez, Rl-227). 56
Alphonse III restitue à l'évêque de Lugo divers biens en Galice et transfert l'Eglise de Braga à Lugo, afin que cette dernière soit la métropole de la province de Galice (a 0 871) : éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. no 8, pp.462-466 (reg. Lucas Alvarez, Rl-30): De manibus Sarracenorum abstracta, et in proprii honoris decus restaurata, et munitione et populo renovata. Etude critique pp.411415. 57
0 Tomba de Celanova, f. 97v.-100v., AHN, C6dices, no 986.
251
Peupler
Ordofio 1er qui «entoura de murailles ces villes désertées depuis longtemps [ ... ], y installa de hautes portes et les remplit en partie de ses sujets, en partie de personnes venues d'Espagne », la version Ovetense résume cette politique de la sorte : « Il repeupla les cités désertes, desquelles Alphonse le premier avait chassé les Chaldéens » (§ 25). Aussi, quand les actes énoncent des biens fonciers « avec leurs hommes [y] ayant été peuplés» (cum suas homines populatos) 58 ou« qui y auront été peuplés» (qui ibi fuerint populati) 59 , il ne commettent ici aucun pléonasme : « peupler » des personnes signifie en fait les installer en un habitat groupé et stable. Ce sens littéral de populare correspond alors exactement à la 'réalité' archéologique galicienne décrite par J. Lopez Quiroga : l'incorporation des terres dans le royaume d'Oviedo entraîne l'émergence d'un village stable, qui rassemble les populations locales. A l'issue de cette réorganisation de l'espace, une partie des anciens cimetières - soixante-dix pour cent - et des églises se retrouve géographiquement isolée. Le vocabulaire et l'archéologie prouvent donc que la politique de peuplement consiste à fixer et à grouper la population, en partie autochtone, en partie nouvelle, dans des centres d'habitation. En outre, la plupart du temps, le fait de peupler est compris comme une action neuve, qui s'insère dans une politique plus large de restauration et de réorganisation. Les occurrences du verbe repopulare, qui implique une référence directe au peuplement antérieur, restent rarissimes. On en trouve cependant une dans la version Ovetense de la Chronique d'Alphonse III, qui indique le repeuplement par Ordofio rr des cités désertes. La volonté de renouer avec le peuplement antérieur est explicite dans la version pélagienne des fueros de Leon (a 0 1017) : Alphonse V y prescrit que «la ville de Leon, qui fut dépeuplée par les Sarrasins au temps de mon père le roi Vermude [II], soit repeuplée par ces fueros »60 . Selon l'étude de J.l. Ruiz de la Pefia, le vocabulaire du dépeuplement 1 peuplement est utilisé plus tard avec un sens identique dans les Asturies. En effet, depuis l'Antiquité, cette région possède un habitat en grande partie dispersé. Cette situation est aggravée par les attaques maritimes musulmanes au début du douzième siècle : d'après 1'Historia Compostellana, les musulmans dévastent en 1114 les 58
Donation de la comtesse Momadonna à l'abbaye de Sahagun (a 0 1083): Colecciôn diplamatica de Sahagûn 3, n° 806. 59 Alphonse II détermine les limites du nouveau diocèse de Valpuesta et lui octroie le privilège d' immunité (a 0 804) (faux) : Cartularia de Valpuesta: ediciôn critica e indices, éd. par Marîa Desamparados Pérez Soler, Textos medievales 28 (Valencia: 1970), no 2 (reg. Lucas Alvarez, R1-7). 60
0
Décrets du concile de Leon-version pélagienne (a 1017) : 'La tradici6n manuscrita del fuero de Le6n y del concilia de Coyanza', éd. par Gonzalo Martinez Diez SJ, dans El reina de Leon en la Alta Edad Media, 2 : Ordenamienta juridica del reina, dir. Joaquin L6pez Contreras, Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 49 (Le6n : CEISI, 1992), pp.l59-172 (p.165, c. 21).
252
CHAPITRE V
côtes depuis le Portugal jusqu'aux Pyrénées, en particulier les rivages des Asturies, de sorte qu'ils convertissent en désert le littoral pendant une partie de l'année (Lib. I, c.1 03) 61 • En 1119, ils réitèrent 1' opération : « En dépeuplant les littoraux, ils tuaient une partie des chrétiens et réduisaient en captivité les autres» (Lib. II, c.l2) ; l'année suivante, «le littoral galicien était déserté et dépeuplé» (littora Galliciani maris deserta et depopulata erant) par une campagne de tueries et de destructions (Lib. II, c.21). Au siècle suivant, la politique de peuplement des rois Alphonse IX, Ferdinand III et Alphonse X a pour but, par l'octroi de jiteros et de chartes de peuplement, de créer des populationes ou pueblas dans des lieux précis désignés par avance 62 • Or, les personnes qui peuplent (populare) ou font un peuplement (j'acere populatio,jazer pobla) sont le plus souvent des indigènes ; parfois même, le lieu de peuplement est choisi sur un établissement ou dans une ancienne aire de peuplement. Les nouveaux centres de peuplement sont ensuite appelés puebla ou pobla63 . Le peuplement royal vise donc bien à grouper la population, dans un but politique et économique. Une situation similaire existe-t-elle dans les autres régions d'Europe dévastées par les musulmans? Le préambule d'un acte écrit entre 1080 et 1132, transmis par le cartulaire B de la cathédrale de Grenoble réalisé au début du douxième siècle64 , et étudié par P. David65 , reprend les mêmes idées. Cet acte soutient les droits de l'évêque Hugues sur les condamines auparavant usurpées par les comtes d'Albon et plus tard partagées par l'évêque avec Guigon III : au dire de l'ecclésiastique, ces terres faisaient initialement partie de l' episcopatus, intégralement possédé «en aleu, en tant que terre arrachée au peuple païen » et « sans la moindre revendication des susdits comtes». Or, l'évêque Isam (950-ca. 976), «après la destruction des païens», c'est-à-dire après les raids musulmans survenus au milieu du dixième siècle, découvre son évêché avec peu d'habitants. Aussi, il «édifia [i.e. restaura] l'église de Grenoble», «rassembla les nobles, les faibles et les pauvres de terres lointaines » et leur attribua « des châteaux pour habiter et des terres pour labourer», sur lesquels il garda sa domination66 • La politique de peuplement de cette région 61
A media veris usque ad medium autumnum littora deserebant.
62
Ruiz de la Pefia Solar, Las 'po las' asturianas, pp.46-65. Ruiz de la Pefia Solar, Las 'polas' asturianas, pp.ll5-119 et pp.l38-140.
63 64
Cartulaires de l'église cathédrale de Grenoble dits cartulaires de Saint-Hugues, éd. par J. Marion (Paris : Impr. impériale, 1869), pp.V -IX et pp.XLIII-XLV. 65
David, Etudes historiques, pp.l34-135. Partage de condamines entre l'évêque Hugues de Grenoble et le comte Guigon III d'Albon (a 0 [1080/1132]): Cartulaires de l'église cathédrale de Grenoble, Chartularium B, n° XVI, pp.93-94 : Notum sit omnibus jidelibus filiis Gratianopolitane ecclesie quod, post 66
destructionem paganorum, Jsarnus episcopus edificavit ecclesiam Gratianopolitanam. Et ideo, quia paucos invenit habitatores in predicto episcopatu, collegit nobiles, mediocres et pauperes, ex longinquis terris, de quibus hominibus consolata esset Gratianopolitana terra ;
253
Peupler
consiste à fixer une population et à lui attribuer des terres à exploiter. Le peuplement est l'opération essentielle dans la prise d'une terre, comme dans les actes diplomatiques, où les terres échangées sont souvent à peupler. Dans les chroniques asturiennes, les villes incorporées au royaume d'Oviedo sont systématiquement décrites comme des villes peuplées par les rois. Il est en grande partie effectué avec une population nouvelle ; ainsi, Alphonse III « peupla Coimbra au moyen de Galiciens» (Albelda § XV-12) et Ordofio I"r «entoura de murailles ces villes désertées depuis longtemps [ ... ], y installa de hautes portes et les remplit en partie de ses sujets, en partie de personnes venues d'Espagne [Al-Andalus] » (Rotense § 25). En effet, cette opération de peuplement conditionne toutes les autres: un acte royal de 978 donne à l'évêque de Leôn des villae, autrefois «dépeuplées et détruites», afin que l'on puisse venir librement y habiter, «et qu'elles soient maintenant pour ainsi dire édifiées et rénovées en mieux par la main de l'homme de Dieu »67 . Plus généralement, peupler et cultiver sont deux façons de mettre en valeur une terre. Les donations de terres comprennent des terres tombées «en désert», des «terres barbares» (terras rubtas vel barbaras) 68 , des terres cultivées et d'autres à défricher (tarn que est scalidatum vel quod ibi videtur pro scalidare) 69 , une terre qu'il «prit d'une friche », en y incluant «le cultivé et l'inculte» (sicut illud de scalido prendivit, cultum et incultumf0 , une propriété qu'il« prit et défricha, ou qui est à défricher» (secundum illo adprendidi et scalidabi vel que est pro scalidare) 71 ; ou bien une villa « avec ceux qui y habitent et ceux qui viendront y habiter, des 'solares' peuplés ou non» (solares populatos et inpopulatos) 72 , et une «villa à
deditque predictus episcopus illis hominibus castra ad habitandum et terras ad laborandum, in quorum castra sive in terras episcopus jamdictus retinuit dominationem et servitia, sicut utriusque partibus placuit. 67 Donation par Ramire III des villae d' Asinos à l'évêché de Leôn (a 0 978): Colecci6n de la catedral de Le6n 2, no 453 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-260): Ut sicut prius ab homines maligni fuit depopulata et disruta, ita et nunc per manu hominis Dei sicut hedifzcata et in metius renovata. 68
0
69
Vente d'une terre à l'évêque de Leôn (a 915) : Colecci6n de la catedral de Le6n 1, no
Donation par Vennude II à l'évêché de Leon de l'église San Crist6bal à Trobajo (a 985) : Colecci6n de la catedral de Le6n 2, no 507 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-272). 0
36.
°Confirmation d'une donation de terres au monastère d' Abeliar (a
7
0
912) : Colecci6n de
la catedral de Le6n 1, n° 28. 71
Donation par un prêtre de la basilique San Martin et de terres à la basilique Santa Marîa
y Santa Marina (a 0 895) : Colecci6n de la catedral de Le6n 1, n° 10. 72
Donation d'une villa au monastère San Martin de Valdepueblo (a 0 1034) : Colecci6n de la catedral de Le6n 3, n° 926.
254
CHAPITRE V
peupler »73 • Le peuplement et le défrichement sont les deux principales manifestations de l'occupation d'un terroir, qui permet son appropriation par presura.
II. L'occupation d'une terre
A l'époque wisigothique, l'occupation d'une terre est étroitement liée à sa mise en culture. Une disposition du Liber Judicum interdit à celui qui a reçu des terres d'un dominus de chercher à les augmenter en étendant ses cultures, en occupant des champs ou en coupant la forêC 4• De même, selon saint Isidore de Séville, « le terme de colonie dérive de la culture de la terre» (Etymologies § XV, 2, 9) ; de là, il fait dériver le mot co/anus« de colonie ou de culture de la terre»(§ X, 52? 5 . Mais, alors que le défrichement demeure pendant le Haut Moyen Age le moyen essentiel d'appropriation des terres dans de nombreuses régions d'Europe méridionale, le peuplement devient prépondérant dans le royaume d'Oviedo-Leon.
A. Le défrichement Les terres désertiques, situées au sud du royaume de Francie, sont toujours décrites comme des zones abandonnées. Selon un diplôme de Louis le Pieux adressé en 819 à l'abbaye de Conques, l'abbaye fut fondée par des chrétiens en fuite «par crainte des Sarrasins qui dévastèrent et réduisirent en désert cette terre presque toute entière »76 • Les diplômes royaux destinés aux monastères du Roussillon et de Catalogne, parlent de «solitude abandonnée» ou de «friche abandonnée »77 • A. Dupont et S. de Mox6 ont bien vu qu'en Septimanie et dans les comtés catalans, l'appropriation des aprisions, c'est-à-dire de ces portions déshéritées du fisc sur lesquelles les Carolingiens établissent des Gothi ou des Hispani, est assimilée à la 73
Donation d'une villa par Alphonse IV à l'évêque de Le6n (a 0 929) : Colecci6n de la catedral de Leon 1, no 79 (reg. Lucas Alvarez, R1-154). 74
Liber Judicum, §X, 1, 13.
75
Colonus a colonia vel ab agro colendo dictus.
76
Diplôme de Louis le Pieux en faveur de l'abbaye de Conques (a 0 819): éd. et trad. par H. Oudart, 'L'ermite et le prince: les débuts de la vie monastique à Conques (fin VIlle-début IXe siècle)', Revue Historique 297 (1997), 3-39 (34-39). 77 A. Dupont, 'Considérations sur la colonisation et la vie rurale dans le Roussillon et la Marche d'Espagne au IXe siècle', Annales du Midi 67 (1955), 223-245 (229) : 1'errae quas ex eremi vastitate traxerunt ; Quas proprii laboris sudore trahere et excolere potuerint ; Quidquid de eremi squalore ad cultum frugum traxerint ; De eremi vastitate ad culturam frugum perduxisset.
Peupler
255
ruptura, c'est-à-dire au défrichemene 8 ; les diplômes impériaux de 816 et 844 associent explicitement le droit de propriété à la mise en culture- excolere79 • Cette occupation-défrichement se retrouve dans les diplômes royaux adressés aux monastères de cette région. Dans le royaume d'Oviedo-Leon, la prise de possession d'une terre par le biais de son défrichement demeure courante jusqu'au dixième siècle. La documentation mentionne de nombreuses églises ou terres «que vous avez prises d'une friche »80 . Une donation à l'abbaye de Sahagun, datée de 980, relie ouvertement le travail de la terre à son appropriation : cet acte parle d'une villa « que nous avons acquise par achat, au moyen du travail de nos mains ou par quelque écrit »81 • Nous comprenons alors pourquoi, au concile de Coyanza, est abordée la question de la propriété d'une terre ou d'une vigne en cas de revendication par son cultivateur, ille qui eas laboraverif' 2 . Dans ce contexte, les mots squalere et squalidus, qui renvoient à l'idée de défrichement, connaissent une fortune particulière et une nouvelle jeunesse, avec l'apparition du substantif squalidum («une friche») et du verbe squalidare («défricher»). Ces termes sont très présents au sud, sur le plateau castillan : ils figurent dans onze actes des archives de l'évêché de Leon, dont dix au dixième siècle83 , et dans quatre des archives de Sahagun au dixième siècle84 ; mais ils sont absents des archives de Celanova, en Galice85 . L'abondance de ce vocabulaire est donc liée au degré d'abandon de la région: la zone frontalière méridionale est particulièrement touchée par l'occupation musulmane, à la différence de la Galice. Ainsi, dans la péninsule ibérique, le défrichement demeure un mode important d'appropriation de la terre; cependant, contrairement à l'opinion de Ch.-E.
78
A. Dupont, 'L'aprision et le régime aprisionnaire dans le Midi de la France (fin du VIII" siècle-début du Xe siècle)', Le Moyen Age 71 (1965), 179-213 et 375-399 (181). Mox6, Repoblacion y sociedad, p.ll5. 79
Dupont, 'L'aprision et le régime aprisionnaire', p.199 et 208.
80
Donation par Alphonse III de terres au prêtre Beato et à Cesareo (a 875) : Coleccion de la catedral de Leon 1, n° 7 (reg. Lucas Alvarez, Rl-34). 0
81
Donation privée de deux villae à Sahagun (a0 980) : Coleccion de la catedral de Leon 1, no 308 : Tarn que habuimus de nostro comparato vel de manibus nostris laboratum vel domitum etiam velde quacumque scripturis. 82
Concile de Coyanza (a0 1055), c. 10.
83
Colecion de la catedral de Leon 1, 2 et 3 :no 7 (a0 875), 10 (a0 895), 28 (a0 912), 36 (a 0 915), 46 (a0 918), 140 (a0 941), 149 (a0 942), 167 (a0 943), 187 (a0 944), 378 (a0 964), 762 (a 1019). 0
84 85
Coleccion diplomâtica de Sahagûn 1 : n° 9-10 (ao 909), 72 (ao 938), 342 (ao 989).
Ils n'apparaissent que dans deux actes faux: Coleccion diplomâtica del monasterio de Celanova 1, no 1 (a0 842) et 29 (ao 927).
256
CHAPITRE V
Dufourcq et J. Gautier Dalché86 , il n'est pas le seul, pmsque s'y adjoint le peuplement.
B. Le peuplement
Le peuplement devient peu à peu le principal moyen d'occuper et de prendre une terre, notamment dans les régions les plus dévastées par la guerre. A cet égard, le vocabulaire du peuplement est d'une grande richesse : il comprend les anciens termes de populare (« installer un peuplement groupé et stable »), populatio (le «peuplement», entendu comme une action87 ou comme une «terre peuplée »88 ) et populator (le « colonisateur ») ; apparaît également un nouveau substantif, populatura, c'est-à-dire une« terre peuplée »89 • 1. Une préoccupation grandissante
En raison des nombreuses dévastations musulmanes, le vocabulaire du peuplement est très fréquent dans les sources diplomatiques méridionales : s'il n'est utilisé que dans un seul acte des archives de Celanova pour la période 842-942 (sur un total de soixante-huit actes), il l'est en revanche dans trente-six actes des archives de la cathédrale de Leon (sur mille deux cent quatre-vingt-huit) et dans quatre-vingtdix-neuf de celles de Sahaglin (sur mille trente-neuf). Il devient même prépondérant au onzième siècle. Dans les archives de la cathédrale de Leon, le nombre d'actes authentiques l'employant passe de neuf au dixième siècle (sur cinq cent soixantedix-sept) à vingt-sept au siècle suivant (sur sept cent onze), dont seize pendant la seconde moitié (sur deux cent trente-quatre). La proportion est encore plus élevée à Sahagun : au dixième siècle, dix actes l'utilisent (sur trois cent soixante-huit), tandis qu'ils sont quatre-vingt-neuf au onzième siècle (sur six cent soixante-et-onze), dont soixante-quatorze pendant la seconde moitié (sur cinq cent sept). Simultanément, le verbe habitare et son substantif habitatio se répandent rapidement dès le début du dixième siècle90 . L'étude des chroniques et des annales nous conduit au même constat: la Chronique d'Albe/da mentionne à trois reprises le verbe populare (§XV86
Gautier Dale hé et Dufourcq, Histoire économique et sociale de l'Espagne, p.30.
87
Donation par l'infant Ramire à un monastère (a0 918): Coleccion de la catedral de Leon 1, n° 47. 88
Restitution par Oveco Orbîtaz d'une populatio au monastère de Sahagûn, que les moines avaient vendue à ses beaux-parents (a0 1028): Coleccion diplomatica de Sahagun 2, no 422. 89
Donation d'une propriété à Sahagûn (a0 943): Coleccion diplomatica de SahagiAn l, n°
87. 9
°Coleccion de la catedral de Leon l, no 40 (a
0
916) et 42 (a 0 917).
257
Peupler
11 et 12), celle d'Alphonse III quatre fois dans ses deux versions (Rotense § 7, 11, 14, 16 et Ovetense § 25); au début du onzième siècle, la Chronique de Sampiro contient six occurrences de ce verbe (p.l59, 160, 161 et 167). Le droit de peupler une terre fait partie du droit de propriété et peut donc être donné avec un bien foncier91 ; il permet de la défricher : de façon significative, quelques diplômes mettent sur le même plan ces deux actions de peupler et cultiver (postea cultaverat ea adque popularat) 92 • Peupler un terrain permet aussi de construire et de rénover ses bâtiments 93 • De nombreux documents opposent significativement les terres ou les villes «détruites » (dirutas) à celles «peuplées» (populatas) 94 • Aussi, le peuplement est activement encouragé : on donne une terre peuplée et/ou à peupler ou bien « avec tous les hommes qui y habitent ou qui viendront [y] habiter »95 . En 971, Ramire III et Elvira donnent à Sahaglin des villae, «de même qu'un prêtre les reçut de mon père pour les peupler »96 . L'incitation au peuplement passe aussi par l'octroi de privilèges, à l'exemple du comte Raimond à Compostelle en 1105 97 ou d'Alphonse V qui, d'après un texte écrit par l'évêque Pélage d'Oviedo, concède en 1017 des fueros à la ville de Le6n après son dépeuplement par al-Mansur, afin de la repeupler (repopuletur per hos foras sub scriptis) 98 • Le peuplement des terres est tellement important qu'il permet, en quelque sorte, de confirmer la cession de ces dernières à un nouveau propriétaire : comme le déclare un acte de 1029, les terres sont données, afin qu'elles soient« concédées, confirmées et peuplées en toute intégrité » ( concessas et confirmatas et populatas ab 91
Garcia!"' donne au monastère 'd'Eslonza des villae et l'autorise à les peupler (a0 913) : Cartulario del monasterio de Eslonza, éd. par M. Vicente Vignau (Madrid, 1885), n° 2 (reg. Lucas Alvarez, Rl-79) : licentiam ad aplicandos homines et ad populandum de civitatibus, de vicis, de castellis. 92
Restitution par Ferdinand !"' à l'évêché de Le6n d'une terre, usurpée par le comte Sanche qui la mit en culture et la peupla (a 1049): Colecciôn de la catedral de Leôn 4, n° 1067 (reg. Lucas Alvarez, Rl-406). 0
93
Donation de l'église San Tirso de Valdecastro à l'évêché de Le6n (a 1060) : Colecciôn de la catedral de Leôn 4, n° 1119. 94
0
Chronique de Sampiro, version interpolée par Pélage d'Oviedo, pp.295-296.
95
Donation par Vermude III du monastère San Pelayo de Grajal de Campos au prêtre Florencio (a 0 1034): Colecciôn diplomatica de Sahag{tn 2, n° 436 (reg. Lucas Alvarez, Rl362). 96
Donation par Ramire III et Elvira de villae à l'abbaye de Sahagûn (a 971): Colecciôn diplomatica de Sahag{tn 1, n° 262 (reg. Lucas Alvarez, Rl-246). 0
97
Confirmation et augmentation par Raimond, consul de Galice, des privilèges dont bénéficient les habitants de la ville de Compostelle (a 1105) :La documentaciôn del Tumba A, n° 75 (reg. Garcia Alvarez, n° 596). 0
98
Décrets du concile de Leon-version pélagienne (a 1017) : Martînez Diez, 'La tradici6n manuscrita del fuero', p.165, c. 21. 0
258
CHAPITRE V
omni integritatet 9 • Le peuplement d'une terre est donc étroitement associé à son appropriation. 2. Un moyen d'appropriation
Une personne peut s'approprier une terre par presura en la peuplant, c'est-à-dire en y installant un habitat fixe: en 918, l'infant Ramire affirme posséder une terre « de la presura de notre père de bonne mémoire, le seigneur Alphonse, d'un peuplement sur son ordre »100 ; un acte de vente de 973 mentionne une villa acquise par le père du vendeur par sa presura et son «peuplement » 101 • Officiellement, l'occupation doit être reconnue par le roi avant de devenir propriété: en 989, une villa est donnée au monastère de Sahag(m, « de même que ce roi Sanche la donna au moyen d'une charte à Gomiz Mirelliz suivant ses anciennes limites [... ],comme elle fut peuplée à partir d'une friche »102 • Au onzième siècle, l'association entre le peuplement et la presura est toujours aussi évidente : Ferdinand 1er parle d'une propriété que des personnes «prirent par un colonisateur» (per populatore) 103 ; et, certaines donations comprennent des terres que l'on pourra par la suite «peupler», « gagner » ou « augmenter » (et quantum ibi populare, ganare vel augmentare potuero, vel postea potueritisY 04 • De même, afin d'éviter toute contestation de leur presura, certains propriétaires soulignent son caractère originel en spécifiant qu'ils l'ont effectuée par un« peuplement initial» (ex primeva populatione) 105 • Aussi certains actes prennent la précaution d'interdire tout peuplement futur de la terre donnée, qui pourrait à terme remettre en cause la propriété du bien. En 1051, un bienfaiteur du monastère de Sahagun, souhaitant donner en viager à Citi Petriz un 99
Donation au monastère San Miguel de la Vega, à Leôn (a 1029): Coleccion de la catedral de Leon 3, no 855. 0
100
Donation par l'infant Ramire à un monastère (a 0 918): Coleccion de la catedral de Leon l, no 47: De presura patris nostri, bane memorie, domnissimi Adefonsi, de populationem ordinacionis ejus. 101
Vente par l'abbesse de Santa Maria de Leôn de propriétés à Ansur et Ilduara (a 973): Coleccion diplomâtica de Sahagim l, n° 272. 0
102 Confirmation par Jimena d'une donation de villae à l'abbaye de Sahag(m (a 989) : Coleccion diplomâtica de Sahagim l, no 342 : Sicut incartavit illa rex domno Sanzio ad Gomiz Mirelliz per suis terminis antiquis determinata (..) secundum de escalido fuit populata. 0
103
Donation par Ferdinand rer de deux propriétés au monastère San Millan de la Cogolla (a 1061) : Coleccion diplomâtica de Fernando!, n° 56 (reg. Lucas Alvarez, Rl-428). 0
104 Un couple sc donne, avec tous ses biens, à l'abbaye de Sahagtin (a 0 1050): Colecciôn diplomâtica de Sahagitn 2, no 538. 105
Donation par Ramire II à l'évêché de Leôn d'un bien dans le territoire de Salamanque (a 941): Coleccion de la catedral de Leon l, no 149 (reg. Lucas Alvarez, Rl-187). 0
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solar, qui passera ensuite à l'abbaye, pose la condition suivante: ce dernier ne devra pas le «donner» et aucune autre personne ne pourra le «peupler » 106 ; quand Ordofio II confirme en 919 une donation foncière au monastère San Pedro y San Pablo de Triacastela, il s'engage à ne pas la peupler 107 . Progressivement, un lien très fort se forge donc entre l'homme, le colonisateur, fréquemment appelé populator, et la terre, parfois définie comme une populatio (ipsa terra vel populatione) 108 ; comme ce terme peut qualifier le village luimême109, il est à l'origine d'une nouvelle toponymie, telle que Val de Populo 110 , Populatura de illas Perales (Pobladura de Perales) 111 • Dans les faux fueros d'Alphonse VI, qui appliquent aux populatores de l'abbaye de Sahaglin le régime romain de l'emphytéose, le peuplement est dès lors clairement considéré comme le principal moyen d'occupation 1 appropriation d'une terre : si la première obligation persiste, à savoir le paiement d'une redevance annuelle d'un sou correspondant à l'ancien vectigal, la seconde subit une mutation décisive, puisque le tenancier est désormais contraint non plus de cultiver son lopin de terre mais de le peupler, c'està-dire de l'habiter; « Si, une année, il ne le peuple pas, ille perdra » 112 . Aussi le peuplement constitue désormais une preuve juridique essentielle en cas de conflit autour de la propriété d'une terre.
106
Pierre, fils du comte Nufio Ermeildiz, se donne à l'abbaye de Sahaglin et lui concède post mortem différents biens, à l'exception d'un solar qui sera concédé en viager à Cîti Petriz (ao 1051): Colecci6n diplomâtica de Sahagim 2, no 549. 107
Confirmation par Ordofio II des donations de Gat6n au monastère San Pedro y San Pablo de Triacastela, et donation supplémentaire (a0 919): La documentaci6n del Tumba A, no 31 (reg. Lucas Alvarez, R1-111) : Ut sit in perpetuum locum monasterii atque cenobii non popularem ecclesiam nec puplicam. 108 Restitution par Oveco Orbîtaz d'une populatio au monastère de Sahaglin, que les moines avaient vendue à ses beaux-parents (a0 1028) : Colecci6n diplomâtica de Sahag{tn 2, n° 422. 109 Contra : Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.l35, n. Il. 110 Vente effectuée par les moines de San Martîn de Val de Populo (a0 973): Colecci6n diplomâtica de Sahag{tn 2, no 273. 111 Donation par Marîa Femandez à sa maîtresse Urraca de propriétés (a 1070) : Colecci6n de la catedral de Leon 4, n° 1174. 112 Concession (fausse) par Alphonse VI de fueros aux populatores de Sahagun (a 1085) : Colecci6n diplomatica de Sahagun 3, no 823 : Sane vero si in ipso anno non populaverit 0
0
illum, perdet eum.
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CHAPITRE V
3. Une preuve de la presura
Un litige pour la propriété d'une terre prend souvent la forme d'une lutte pour son peuplement. En 1026, le comte Diego Femândez restitue ainsi à l'évêque de Leon une villa qu'il« prit», qu'il «dépeupla» et de laquelle il «enleva les habitants pour une autre population provenant de l'héritage» familial 113 ; de même, un acte de 1091 rapporte que Munio Velâzquez prit des terres au monastère Sant Andrés -appartenant à Sahagun -,peupla les solares et inquiéta les hommes de Sahagün 114 • Comme l'auteur du peuplement est le propriétaire de la terre, l'usurpation d'une propriété s'accompagne d'un changement de population: lors d'un procès tenu devant le comte Flaino Femândez en 1032, l'évêque de Leon se plaint de l'usurpation d'un certain Aluino, qui« agit mal en peuplant la villa de Reiricos et la prit». Le comte ordoune alors de détruire ce« peuplement» et de rendre les terres à 1'église, conformément au faro d'Alphonse V 115 • Dans les nombreux actes faux destinés à défendre les biens ecclésiastiques contre les usurpations des laïcs et les revendications d'institutions ecclésiastiques voisines, l'argumentation juridique a souvent pour but de prouver la presura des terres par leur peuplement. Ainsi, dans un faux procès daté de 878 mais rédigé au onzième siècle, qui oppose le défenseur de l'évêque d'Astorga à un certain Catelino pour la propriété d'une villa, les deux parties s'appuient sur le même raisonnement: Catelino prétend avoir pris cette villa quand lui et ses compagnons « peuplèrent Astorga », « et il la conserva durant toute sa vie hors du droit et du pouvoir de l'évêque»; quant à l'évêque, son défenseur affirme qu'il la« prit» alors« en friche, placée hors du droit et du pouvoir de Catelino » quand « le peuple de Bergido sortit avec son comte, Gaton, pour peupler Astorga »116 • Il ne faut pas s'arrêter ici à la m Restitution par le comte Diego Femandez d'une villa qu'il avait usurpée à l'évêché de Leon (a 0 1026) : Coleccion de la catedral de Leon 3, no 829 : Tenuerunt eam episcopis. abbates atque monacos ipsius sedis more pacifica secundum in testamento veterem resonat, usque levavit se alefetena in ilia terra, et presit ilia villa cames Didago Fredenandiz, et dispopulavit eam, et levavit ipsos homines qui ibidem erant habitantes ad alia sua populatione de hereditate que fecit Vincenti ad Fafila Olaliz, avius istius Didaco Fredenandiz. 114
Maria Mufioz et Sahaglin échangent des monastères (a 0 1091): Coleccion diplomatica de Sahagûn 3, no 882 : Surrexit Monnio Velasquiz et comparavit ibi in Vezella terras et populavit solares et inquietabat homines Sancti Facundi. 115
Procès devant le comte Flaino Femândez entre l'évêque de Leon et un de ses dépendants (a 0 1032): Coleccion de la catedral de Leon 4, no 899: Fecit secus ipsa villa Reiricos sua populatione et presit [. ..} Per faro de rex dom no Adefonso et de nostra gens, dirute ipsa populatura et suas ereditates accipite post parti eglesie vestre de ipse Alvin. 116
Jugement d'Alphonse III confirmant à l'évêque d'Astorga la possession d'une villa, contre les prétentions de Varoncelo et des fils de Catelino: Diplomatica espanola del periodo astur 2, n° 120 (reg. Garda Âlvarez, n° 63).
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261
simple distinction factuelle qu'effectuent C. Sanchez Albornoz et 1. de la Concha Martinez, entre un peuplement collectif et une multitude de presurae individuelles117. Il convient de distinguer ces deux affirmations suivant leur nature juridique : le peuplement d'Astorga par les chrétiens soutient la réalité de la presura de l'évêque. Le dépeuplement peut être considéré comme un topos, dont l'objet est d'éliminer tout droit antérieur sur les terres revendiquées 118 • Ainsi, dans le préambule de la fausse donation de l'évêque Pélage en faveur de son église de Leon, datée de 1073 mais écrite au tournant des onzième et douxième siècles 119 , la restauration de l'église suit une période de dévastation radicale : après la mort du roi Ordofio IV (a 0 961 ), le peuple musulman « détruisit les églises et leurs autels, souilla les lieux saints, ravagea et soumit à son droit toute la province», laissant ainsi l'évêché détruit et sans dotation pendant plusieurs années 120 . L'acte de restauration de l'évêché de Valpuesta (a 0 f\04)- faux confectionné au onzième siècle - 121 déclare que l'évêque Jean, ayant trouvé l'église« déserte», la« construisit» et y fit des presurae avec ses gasalianes ; puis il édifia une autre église dans un lieu qu'il peupla et où il fit des presurae 122 • Ce topos se retrouve lors des restaurations de monastères, notamment dans une confirmation authentique du monastère de Montelios à l'évêché de SaintJacques, délivrée par Alphonse III; afin d'enraciner les possessions de ce monastère dans un passé glorieux, les clercs de Compostelle interpolent un préambule 123 selon lequel celui-ci, fondé par saint Fructueux, fut pris par un prêtre lors du peuplement par le « peuple du Christ » de la région entre Tuy et Emineo, après sa désertification par les Sarrasins 124 . Dans le nord-ouest de la péninsule, la violence de la guerre, qui entraîne une destructuration de l'habitat et une diminution de la population, provoque donc une rupture mentale : la mise en place d'un peuplement groupé et stable constitue 117
I. de la Concha Martinez, 'La 'Presura", AHDE 14 (1942-1943), 382-460 (456-457).
118
A. Isla Frez, La sociedad gallega en la Alta Edad Media (Madrid: CSIC, 1992), p.69.
119
Brève critique supra, p.l75.
120 Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Leôn à l'occasion de sa restauration (a 1073): Colecci6n ... de la catedral de Leon 4, n° 1190. 0
121
Ruiz de Loizaga, Repoblaci6n y religiosidad popular, pp.ll3-118.
122
Alphonse II détermine les limites du nouveau diocèse de Valpuesta et lui octroie le privilège d' immunité (a0 804) : éd. M.D. Pérez Soler, Cartulario de Valpuesta ... , op. cit., no 2 (reg. Lucas Alvarez, Rl-7). 123
Barrau-Dihigo, 'Etude sur les actes des rois asturiens', no 41. Diplomatica espanola del periodo astur 2, n° 127. 124 Alphonse III confirme à l'évêque Sisnand de Santiago le monastère de Montelios, fondé par Fructueux et donné à Santiago par le prêtre Christophe, et la villa de Nogueira (a0 883) : La documentaci6n del Tumba A, n° 10 (reg. Lucas Alvarez, Rl-40).
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CHAPITRE V
désormais une nécessité impérieuse, stratégique, qui prime sur le simple défrichement ; elle a pour but de tenir des terres dont la seule valeur marchande est souvent modeste 125 • Cette rupture mentale est caractéristique des territoires profondément touchés par la guerre, alors qu'elle n'existe ni en Catalogne, ni en Narbonnaise ; plus généralement, dans le royaume de Francie, le verbe populare hésite encore longtemps entre son ancien sens -dévaster-, qu'il conserve dans l'historiographie carolingienne 126 , et le nouveau -peupler-, qui ne semble apparaître qu'au onzième siècle 127 • Dans le royaume d'Oviedo-Leon, le peuplement constitue donc un enjeu fondamental.
III. Une politique royale de dépeuplement 1peuplement L'ancienne traduction des verbes depopulare et populare a conduit certains historiens à interpréter les politiques de dépeuplement et de peuplement, qui apparaissent dans les textes narratifs, comme une invention des chroniqueurs. Ainsi, R. Menéndez Pidal affirme que les chroniques asturiennes amplifient la diminution de la population afin de valoriser l'œuvre de repeuplement des rois 128 . P. David poursuit ainsi : On est amené à se demander si les expressions employées par les chroniqueurs du cycle d'Alphonse III ne correspondent pas à une thèse juridique de la monarchie asturienne, destinée à justifier la mainmise royale sur ces territoires et la politique des aprisions, plutôt qu'à la réalité des faits 129 •
Plus récemment, J. L6pez Quiroga estime que le dépeuplement est une « fiction juridique pour cacher la réalité de ce vaste processus de réorganisation territoriale et de restauration du peuplement antique [ ... ] sur de nouvelles bases et avec d'autres protagonistes »n°. Sans rejeter cette hypothèse, Y. Bonnaz pense que ce thème du dépeuplement peut être aussi le fruit d'une influence biblique, notamment du livre d'Habaquq, dont un passage particulièrement éloquent est cité dans l'Histoire du pseudo-prophète Mahomet, contenue dans la Chronique prophétique. Yahvé y annonce l'envoi d'un châtiment, les Chaldéens, assimilés ici aux musulmans : 125
Lors d'un procès tenu en 993 devant le roi Vermude Il, la terre contestée est évaluée à six muids de céréales : Colecci6n de la catedral de Leon 3, no 559. 126
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, p.l35, n. 11.
127
'populare', 'populatum', dans J.F. Niermeyer, Mediae Latinitatis Lexicon Minus (Leiden: Brill, 1976), p.813. 128
Menéndez Pidal, 'Repoblaci6n y tradici6n en la cuenca', pp .XXIX-XXX.
129
David, Etudes historiques, p.174.
130 L6pez Quiroga et Rodriguez Lovelle, 'Un modelo de anâlisis del poblamiento rural en el valle del Duero (siglos VIII-X)',AEM27-2 (1997), 687-748 (710).
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« Voici, je susciterai sur vous les Chaldéens, peuple âpre et impétueux, parcourant l'étendue de la terre pour s'emparer de tentes qui ne lui appartiennent pas [... ] pour convaincre les fidèles et réduire la terre en désert» (1, 6-9) 131 . Pourtant, l'omniprésence et la signification réelle de ce vocabulaire du dépeuplement 1 peuplement nous interdisent d'y voir une simple propagande, royale ou cléricale : peupler et dépeupler font partie intégrante de la politique des rois.
A. Un dépeuplement stratégique Les destructions et le dépeuplement sont en grande partie provoqués par les violents affrontements entre chrétiens et musulmans. Les verbes destruire, vastare, depopulare et dissipare reviennent inlassablement dans la documentation ; la terre elle-même est parfois présentée comme engloutie (ad devorandam terram) 132 ou détruite (dextruxit nostra terra) 133 • D'après les sources chrétiennes, ces dévastations sont au départ provoquées par les musulmans. Le récit de l'invasion de 711 rapporté par l'Historia Silense, nous apprend que l'Espagne est« assombrie par le fer, le feu et la famine » (totam Yspaniam ferro, flama et fame atritam) : les « provinces » sont « ravagées », les « fortifications des cités » « détruites », les « églises » «dévastées» (p.l29). Les actes diplomatiques font fréquemment allusion à des territoires dévastés : ainsi un diplôme royal de 978 parle d'une terre qui, « de même qu'elle fut autrefois dévastée et détruite, a été maintenant édifiée et rénovée en mieux par la main de l'homme de Dieu [l'évêque de Le6n] » 134 • A la fin du dixième siècle, commence une nouvelle période de destructions causées par les campagnes d'al-Mansur. Quelques années plus tard, la Chronique de Sampiro nous dit qu'il dévasta des cités et des châteaux, ravagea toute la terre, «jusqu'à ce qu'il parvînt aux régions maritimes situées à 1' ouest» (p.172). Ces destructions sont associées à l'élimination ou la déportation de la population. Au dire de la Chronique mozarabe de 754, les musulmans détruisent en 711 toute l'Espagne et tuent les «nouveaux-nés», les «jeunes», les «plus âgés» et les «nobles» (§ 54) 135 . Cette politique est de nouveau pratiquée à l'époque d'alMansur. Un diplôme contemporain nous apprend que les musulmans envoient « une 131
Chronique prophétique, éd. Bonnaz, Chroniques asturiennes, pp.2-9, § 4.
132
Testament de l'abbesse Flora en faveur du monastère de Santiago de Leôn (a 0 1023) : Colecciôn de la catedral de Leôn 3, n° 803. 133
Donation par Alphonse V à un fidèle d'une villa confisquée à un rebelle (a0 1016): Colecciôn de la catedral de Leôn 3, no 741 (reg. Lucas Alvarez, Rl-326). 134
Donation par Ramire III de villae à l'évêché de Leôn (a0 978) : Colecciôn de la catedral de Leôn 2, n° 453 (reg. Lucas Alvarez, Rl-260). 135 fame et captivitate depopulat, civitates decoras igne concremando precipitai, seniores et patentes seculi cruci adjudicat, jubenes atque lactantes pugionibus trucidat.
CHAPITRE V
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très grande partie de la Chrétienté en captivité et une autre à la mort »136 • Selon Sampiro, al-Mansur «entra avec tout le peuple des Ismaélites dans les territoires chrétiens, et commença à dévaster plusieurs de leurs royaumes et à [les] tuer par le glaive ». Un testament de 1023 en faveur du monastère de Santiago de Leon évoque sans doute le mieux l'ampleur de ce dépeuplement-dévastation: son préambule nous informe que, lors de l'attaque du monastère Santa Cristina par al-Mansur, les musulmans massacrèrent ou déportèrent l'ensemble de la population, et détruisirent complètement les villes de la «province occidentale», «de sorte qu'il ne restât plus aucun citoyen (sic), 'vicus' ou château debout »137 • Or, les rois asturo-léonais mènent une politique similaire de dévastation et d'élimination de la population. D'après Sampiro, Ordofio II «fit de nombreux ravages dans l[a] terre [des musulmans], la dévasta et prit même plusieurs châteaux par le glaive» (p.l64). L'Historia Silense décrit aussi les nombreuses campagnes de destruction menées par Ferdinand 1"', lors de son accession au trône de Leon, dans les provinces de« Bétique» et« Lusitanie», ou, juste avant sa mort, à l'occasion de l'attaque de Valence (pp.l83-184, 188-189, 198 et 206-207). L'élimination de la population se fait par la violence ou par la déportation. D'après un passage célèbre de la Chronique d'Alphonse III, Alphonse conquiert plusieurs villes de la Galice -Lugo, Tuy, Porto, Braga, Viseu- et du plateau castillan- notamment Salamanque, Avila, Astorga, Leon, Simancas, Ségovie, Osma -, puis massacre leur population musulmane et déporte les chrétiens vers son royaume (Rotense § 13) 138 ; plus sobrement, la Chronique d'Albe/da nous rapporte qu'Alphonse 1er «convertit en désert les Champs gothiques jusqu'au Duero » (Albe/da § XV-3). Plus tard, selon l'Historia Silense, Ordofio II (914-924), «après avoir dévasté les champs et incendié les villae, prit par le combat [... ] la cité de Regel et, tuant par le glaive tous les combattants chaldéens, revint à Viseu avec un grand nombre de captifs et un important butin» (p.l54). Cette politique n'est pas un simple topos, mais une réalité confirmée par les sources musulmanes : d'après le cinquième livre du Muqtabas d'Ibn Hayyan, qui reprend une chronique anonyme écrite vers l'an mille et consacrée au calife Abd Al-Rahman III (912-929-961), Ordofio II, à la tête d'une armée de trente mille hommes, prit Evora, y massacra les sept cents musulmans puis, lors de son départ le lendemain, emmena en captivité les quatre mille femmes
rr
136
Donation par Vermude II au prêtre Sampiro de biens confisqués à un rebelle (a 0 998 ?) : Colecci6n de la catedral de Le6n 2, ll 581 (reg. Lucas Alvarez, Rl-301): Et pars maxima christianitatis in captivitate perse mittentes, alius in occisione. 0
137
Testament de l'abbesse Flora en faveur du monastère de Santiago de Leon (a 1023) : Colecci6n de la catedral de Le6n 3, no 803 : Projecerunt civitates in terra, destruxerunt parietes et nos posuerunt in conculcatione, civitates dimiserunt in pavimento, capita hominum truncaverunt, in gladio percutere ut non civem, non vicus, non kastellis eis non remansit ad ejus devastione. 138
0
omnes quoque Arabes gladio interficiens, Christianos autem secum ad patriam ducens.
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et enfants 139 • Ces campagnes de destructions, de tueries et de déportations ont pour enjeu la conversion de vastes territoires en désert, comme le dépeint si bien le nouveau verbe eremare; ainsi, Alphonse III« convertit en désert Coimbra » (Albe/da § XV-12). A partir du début du douzième siècle, il arrive que le verbe depopulare soit de nouveau utilisé dans son acception étymologique de dépeupler, notamment dans la version pélagienne des fueros concédés à la ville de Le6n en 1017 140 • La zone dévastée et dépeuplée par les rois fluctue au gré de la situation militaire. Ainsi, les nombreuses victoires d'Alphonse III, qui lui permettent d'établir les frontières de son royaume au-delà du Duero, l'amènent à repousser temporairement le désert vers le sud: il « détruisit et convertit en désert par le fer et la famine Coria, ldanha a Velha et les autres territoires frontaliers de Lusitanie jusqu'à Mérida et à la mer» (Albe/da § XV -12). Un siècle et demi plus tard, alors que les chrétiens ont repris leur politique de conquête, les attaques de Ferdinand rr le conduisent à dévaster la Bétique, la Lusitanie et la région de Valence. L'existence d'un désert situé entre les territoires chrétien et musulman et voulu par les deux parties en présence, est confirmée par les sources musulmanes: Ibn al-Qutiyya, dont l'Histoire de la conquête de l'Espagne est mise par écrit par un de ses disciples après sa mort en 970 141 , rapporte que le rebelle ibn Marwan était dans le « désert, qui se trouve entre les contrées musulmanes et chrétiennes »142 • En fait, les chrétiens agissent ici comme les peuples de l'Antiquité, qui cherchaient à séparer leurs territoires respectifs par une zone de sécurité ou, selon l'expression de Tacite, de «crainte mutuelle »143 • Mais, l'enjeu de ce dépeuplement n'est pas seulement militaire; il est aussi politique et idéologique.
B. Un dépeuplement politique
A l'instar des actes diplomatiques, les chroniques et les annales assimilent systématiquement le peuplement à une appropriation, c'est-à-dire ici à l'expansion du royaume. La Chronique d'Albe/da différencie clairement les offensives sans lendemain d'Alphonse rr contre Le6n et Astorga, du peuplement réalisé par Ordofio 1er à Le6n, Astorga, Tuy et Amaya, et dit de ce dernier qu'il« agrandit avec l'aide de
139 140
Ibn Hayyan de C6rdoba, Cr6nica del Califa 'Abd Al-Rahman III, pp.Sl-83.
Décrets du concile de Leon-version pélagienne (a 1017): Martinez Diez, 'La tradici6n manuscrita del fuero', p.l65, c. 21. 0
141
Ibn al-Qutiya, Historia de la conquis/a de Espana, p.XX.
142
lbn al-Qutiya, Historia de la conquista de Espana, p.74.
143
Kolendo, 'Les 'déserts' dans les pays barbares', 49-57.
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CHAPITRE V
Dieu le royaume des chrétiens»(§ XV-11Y 44 . De même, les Annales premières de Castille ou la Chronique de Sampiro interpolée par Pélage d'Oviedo, distinguent nettement l'œuvre de peuplement des simples offensives de dévastation 145 . Cette politique de conquête-peuplement est confirmée par Ibn Hayyan: d'après lui, Alphonse III dépeuple Zamora en 893, puis y construit une nouvelle ville, qu'il fortifie et qu'il peuple de chrétiens 146 • Selon la Chronique d'Alphonse III, cette conquête-peuplement commence après la victoire de Pélage à Covadonga : « la patrie est peuplée, 1' Eglise est restaurée et tous les fidèles rendent ensemble grâce à Dieu » (Rotense § 11 ). Bien sûr, ce peuplement n'est pas anonyme, puiqu'il marque la propriété d'un territoire: à l'époque d'Alphonse III,« l'Eglise croît et le royaume s'agrandit», parce que« les villes de Braga, Porto, Oca, Coimbra, Viseu et Lamego sont peuplées de chrétiens » (Albe/da § XV-12). Logiquement, en opposant les Asturies, les Primorias ... , «peuplées» à l'époque d'Alphonse le', à l' Alava, la Biscaye, Pampelune,« toujours demeurées au pouvoir de leurs habitants» (a suis reperitur semper esse possessas, Rotense § 14), l'auteur de la Chronique d'Alphonse III place la notion de peuplement au cœur de sa distinction entre les territoires du royaume d'Oviedo et ceux dominés par les Basques. A une autre échelle, quand le Cid commence le siège de Valence, « il prit un château [ ... ] dans lequel il peupla une villa (villam vero in eodem populavit), qu'il fortifia et entoura de tours très solides »147 • La politique de désertification est alors étroitement liée à la conquête, dont elle peut constituer un pis-aller; en effet, aux yeux des Asturo-Léonais, dépeupler une terre équivaut à la placer hors de tout droit de propriété. Ainsi, d'après l'auteur de la Chronique d'Albe/da, l'action d'Alphonse 1"' aboutit à un double résultat : la dilatation du royaume et la désertification des Champs gothiques jusqu'au Duero (§ XV-3) 148 • La notice sur Alphonse 1"', contenue dans la Chronique d'Alphonse III, nous fournit quelques précisions révélatrices : quand l'auteur parle d'un roi qui, après la conquête provisoire de Lugo, Tuy, Porto, Braga, Viseu, Salamanque, A vila, Astorga, Leon, Simancas, Ségovie et Osma, massacre leur population musulmane et déporte les chrétiens (Rotense § 13), il nous dépeint en fait un souverain qui, à défaut d'occuper défmitivement ces villes, les dépeuple et les place ainsi hors de tout pouvoir- à titre d'exemple, Braga est définitivement prise après 877 et A vila à 144 !ste Christianorum regnum cum Dei jubamine ampliavit. Legionem atque Asturicam simul cum Tude et Amagia populavit, multaque et alia castra munivit. 145
Annales castillanes premières, pp.23-24. Chronique de Sampiro, version interpolée par Pélage d'Oviedo, pp.295-296. 146
Ibn Hayyan, fragments inédits de la Chronique, Oxford, fol.83, cité dans G6mez Moreno, Iglesias mozarabes 1, p.l 07. 147 148
Historia Roderici, § 54.
Campos quem dicunt Gothicos usque ad flumen Dorium eremavit et Christianorum regnum extendit.
Peupler
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la fin du onzième siècle. Le dépeuplement semble ainsi être le préalable obligé à la conquête; en s'emparant des châteaux et des villes jusqu'au Duero, et en les soumettant au «droit des chrétiens», le roi Fruela massacre tous les musulmans, omnes quoque Ysmaelitas gladio extinguens (Silense p.l41-142). Quelques passages des chroniques asturiennes suggèrent même un lien étroit entre dépeuplement et peuplement : Ordofio 1er «repeupla les cités désertes, à savoir Tuy, Astorga, Leon et Amaya Patricia, desquelles le premier Alphonse avait expulsé les Chaldéens » (Ovetense § 25); et, dans la Chronique d'Albe/da, le peuplement de Coimbra par Alphonse III fait logiquement suite à son œuvre de dépeuplement(§ XV-12Y 49 • Cette double politique révèle alors une vision dualiste du monde, héritée de l'époque romaine; elle oppose le monde asturo-léonais, peuplé, qui continue la civilisation romano-wisigothique, au désert, qui « conjuge solitude, sauvagerie et éloignement » 150 . Cette perception idéologique transparaît de façon particulière dans une fausse donation de l'évêque Odoarius à l'évêché de Lugo; cet acte, appelé le 'petit testament' et daté de 662, est en réalité confectionné au onzième siècle. Il décrit la fuite d'Odoarius hors d'Afrique et son arrivée « avec de nombreuses familles et d'autres personnes nobles ou non» dans la ville de Lugo, alors «déserte et inhabitée». Puis il raconte l'œuvre de colonisation menée par Odoarius dans la ville et la région de Lugo. Sa première action est de mettre en culture les terres, d'édifier une église, de prendre possession des palais, de restaurer la cité et de planter des vignes et des pommiers ; il donne ensuite des bœufs et des chevaux à chacun des membres de safamilia, afin qu'ils cultivent les villae détruites. Puis, de façon significative, il attribue à chacun une villa, dont il forge le toponyme à partir de 1' anthroponyme de son nouveau possesseur : « Et nous avons installé Abazano dans une autre villa, et nous avons donné à celle-ci le nom d' Avezani » 151 • Le peuplement permet donc non seulement d'occuper et de prendre ces terres désertiques, mais aussi, en les nommant, de leur donner pour ainsi dire vie - selon une tradition déjà attestée dans la Bible- et de les intégrer à la civilisation.
149
Conimbriam ab inimicis possessam eremavit et Gallecis postea populavit.
150
Hartog, Le miroir d'Hérodote, p.32.
151 Après avoir restauré la ville de Lugo, l'évêque Odoarius installe chaque membre de sa Jamilia dans une des villae abandonnées des environs, et fait construire trois églises (a 662) : éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. n° 1, pp.437-439, et étude critique p.399-405: Et invenimus ipsam sedem desertam et inavitavilem Jacta [.. .} Nunc denique lavoramus ibidem, et edificamus domum Dei, et ecclesie Sancte Marie et presimus loca palaciis, et ipsam civitatem restauramus eam intus et Joris ; et plantavimus vineis et pomiferis. Postea vero Jecimus de nostra Jamilia possesores per undisque partibus, et dedimus illis boves ad lavorandum, et jumenta ad deserviendum eis. Tune exivimus per giro civitatiis, villas et hereditates ad inquirendum, ut lavorasset illas. 0
268
CHAPITRE V
Conclusion Dans le royaume d'Oviedo-Leon, la violence et la permanence du conflit placent au cœur des enjeux la question du peuplement. La politique de dévastation et de dépeuplement, menée par les musulmans et les chrétiens, provoque une diminution et une instabilité accrue de la population dans les territoires situés sur leurs frontières. Comme durant l'Antiquité, ces déserts sont des territoires non pas vides de population, mais sous-peuplés et à l'habitat instable. Désormais, la principale qualité d'une terre est d'être peuplée, c'est-à-dire dotée d'une population substantielle, groupée et stable. Il n'est que très rarement question de 'repeuplement', car le peuplement n'est pas vu en référence à la situation antérieure, mais comme une action qui innove par l'apport d'une nouvelle population. Une véritable rupture mentale, par rapport à l'époque wisigothique et à plusieurs autres régions d'Europe méridionale, conduit ainsi à privilégier le peuplement dans le processus d'appropriation d'une terre abandonnée, et non sa simple mise en culture. De là, les chroniques et les annales nous décrivent une réelle politique de dépeuplement 1 peuplement, conduite par les rois d'Oviedo-Leon. Elle n'a pas seulement un intérêt stratégique, mais est motivée par des raisons politiques et idéologiques. Dépeupler les territoires localisés sur la frontière méridionale du royaume équivaut à créer une zone de sécurité, placée hors de toute propriété, un désert barbare, à l'instar de ceux situés sur les frontières de l'empire romain. Ce territoire est alors ouvert au peuplement chrétien, qui permet l'appropriation des terres et leur incorporation à la civilisation, auparavant romaine et wisigothique, maintenant asturo-léonaise et néo-gothique.
CHAPITRE VI
Régénérer
S
elon l'approche providentielle de l'histoire, dominante à cette époque, la défaite oblige les chrétiens asturo-léonais à constater qu'ils ont été gravement punis en 711 par Dieu, en raison de leurs péchés. Aussi, le nouveau royaume, qui prétend renouer avec l'ancienne monarchie wisigothique, doit revenir d'une façon radicale sur les erreurs du passé, sous peine de voir le jugement de Dieu s'abattre de nouveau sur lui 1• En raison de la violence de la rupture de 711, la guerre acquiert ainsi une dimension religieuse particulière, puisque son dénouement ne peut être que le résultat d'une régénération spirituelle préalable ; celle-ci confère aux textes littéraires du Haut Moyen Age un «caractère unique», qu' A.P. Bronisch a deviné dans les chroniques asturiennes sans pour autant le définir correctemenf. Au départ, cette lutte armée est menée dans un esprit comparable à celui qui animait les empereurs romains et les rois wisigoths : elle doit permettre de défendre la romanité et la foi chrétienne contre les Barbares. Cependant, à partir de la fin du neuvième siècle, la spécificité religieuse de l'adversaire est davantage prise en compte. Au onzième siècle, cet antagonisme religieux se radicalise sous le choc des dévastations d'al-Mansur.
1
Garda Moreno, El jin del reina visigodo de Toledo, pp.24-25.
2
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.139.
CHAPITRE VI
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1. Une défaite providentielle Dès le huitième siècle, les somces du nord développent une conception théologique de l'histoire; vécue de façon radicale, elle est poussée jusqu'à ses ultimes conséquences et est à l'origine d'une spiritualité très ascétique :puisque les péchés, et particulièrement celui de chair, ont provoqué la chute de l'Espagne, la victoire militaire ne peut venir qu'au terme d'une constante ascèse.
A. Un châtiment
Quelques textes liturgiques peut-être composés par les Mozarabes après l'invasion de 711 et repris par les chrétiens du nord, mettent constamment en relation l'impmeté du peuple chrétien et la défaite. Ainsi, dans l'hynmc Tempore belli, les chrétiens s'exclament: «Ô Dieu saint, nos nombreux péchés nous ont justement mérité ce grand mal» (v. 69-70). Ce texte, d'un grand réalisme, constituerait ainsi selon M.C. Diaz Diaz un témoignage unique poUT connaître la pensée de cette période. Les chrétiens, menacés par un « grondement barbare », ont été attaqués par l' «affreuse fureUT d'un peuple», qui, «comme le loup, fait périr les agneaux» (v. 5-8). Ces ~~guerres» ont été causées par la« fureUT cruelle du peuple voisin » ; par une « lutte continue », cette « nation sauvage » brise les ponts, dévaste les champs, pille les temples et les autels, incendie les villes et les entrepôts, déporte les « vaincus, vieillards, adolescents, femmes mariées, veuves et jeunes filles », et provoque la «chute» des «vierges consacrées» (v. 41-48 et v. 57-68). Dans l'immédiat, la seule solution pour les chrétiens est la fuite : «Voici que cette troupe des chrétiens fuit devant ses ennemis redoutables et, tremblante et fatiguée, elle est chassée par la crainte à travers des chemins impraticables et en pente» (v. 49-52) 3 • A la fin du neuvième siècle, les Chroniques prophétique et d'Alphonse III insistent particulièrement sur 1'état de dégradation morale du royaume wisigothique avant 711 4 : «Parce qu'il n'y eut pas, chez eux, de pénitence digne de lems fautes, et parce qu'ils délaissèrent les préceptes du SeigneUT et les dispositions des saints canons, le SeigneUT les abandonna, afin qu'ils ne possèdent pas la terre de leur 3
Tempore Belli, éd. par M.C. Diaz y Diaz, 'Noticias hist6ricas en dos himnos limrgicos visigodos', dans Los Visigodos : historia y civilizaci6n (Universidad de Murcia, 1986), pp.443-456 (pp.448-450) : Dire namque fremens en furor atrox 1 gentis finitime arva minatur 1 seve barbarico murmure nostra 1 vastari, perimens ut lupus agnos [. ..]Vertit terga suis hostibus, ecce, 1 diris ipsa co hors christicolarum 1 ac per pro na tremens invia perque 1 turpi pulsa fogis fessa pavore [ .. .] Hoc peccata malurn grande merentur 1 vere nostra, Deus, plurima, sancte. 4
Contra: H.V. Livermore, The origins of Spain and Portugal (London: G. Allen, 1971), pp.248-249.
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vœux». L'Espagne s'est elle-même condamnée, puisque, «assaillie par ses péchés, [elle] s'effondra en l'an 380 des Goths»(§ XVII-3a)'. Le Testamentum d'Alphonse II parle plus précisément de l'« orgueil» des Goths 6 ; en effet, lajactantia est l'un des péchés les plus graves, notamment pour saint Isidore, puisqu'elle recherche les louanges des hommes au lieu de s'efforcer de plaire à Dieu7 • Mais, la Chronique d'Alphonse III est incontestablement la plus précise et la plus sévère dans son jugement. La royauté y figure au premier rang des accusés. Ainsi, le récit s'organise en un diptyque, qui s'articule autour de l'invasion. Il commence avec le règne de Wamba, dont la présentation, réalisée à partir de l'Historia Wambae de Julien de Tolède, en fait le bon roi par excellence. Ce roi bénéficie d'un signe céleste favorable lors de son onction, puisqu'une abeille s'envole de sa tête vers les cieux et annonce ainsi ses futures victoires militaires contre les rebelles et les Francs (Rotense § 1). Il réunit souvent des conciles (§ 2) à la demande des ecclésiastiques qui, lors du onzième concile de Tolède en 675, lui expriment leur gratitude8 ; il finit sa vie comme pénitent dans un monastère, après une tentative manquée d'assassinat sur sa personne (§ 2). En revanche, sont passés sous silence les aspects négatifs de son règne, à l'instar de ses nombreuses créations d'évêchés, dénoncées par le clergé. Ses combats victorieux face aux Sarrasins sont même certainement inventés et interpolés, car les sources contemporaines ne font aucune allusion à des attaques de musulmans, encore engagés dans la conquête du Maghreb (696-708) 9 ; ces faits d'armes placeraient alors Wamba en contre-modèle exact de Rodrigue(§ IY 0 . Après les règnes d'Ervige et d'Egica, le portrait du roi Witiza (698-710) est tout autre. Certaines données sont conformes aux récits antérieurs. Ainsi, la Chronique de 754 et la Chronique d'Alphonse III s'accordent à dénoncer la persécution de l'Eglise par Witiza : la première accuse le métropolitain de Tolède d'« opprimer à l'instigation de Witiza » les clercs de son église (§ 53) ; d'après la seconde, le roi « se conduisit de manière infâme et scandaleuse» puisqu'il «fit dissoudre les conciles, invalider les canons conciliaires » (Rotense § 5). Le tableau global de son règne est cependant considérablement noirci par rapport au récit de la Chronique de 754. L'auteur mozarabe admet que ce roi «conserve le royaume très florissant et toute l'Espagne, confiante, se réjouit vivement d'un grand contentement»; quant au scribe qui recopie la chronique au neuvième siècle, il résume cette époque dans la 5
Sicque peccatis concruentibus Ispania ruit anno Gotorum CCCLXXX.
6
Donation par Alphonse II à San Salvador de Oviedo (a 0 812): Colecci6n de documentas de la Catedral de Oviedo, no 2 (A'). 7
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.121.
8
Tolède XI: Concilias visig6ticos, pp.366-367, c. 15 etc. 16.
9
Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.115-116, n. 1.
10
Illius quoque tempore CCLXX nabes Sarracenorum Spanie titus sunt adgresse, ibique omnes pariter sunt delete et ignibus concremate.
272
CHAPITRE VI
marge en déclarant que « Witiza, à la mort de son père, siège sur son trône dans un grand calme, après avoir été appelé par tout le peuple»(§ 47). En revanche, dans la Chronique d'Alphonse III, son règne entraîne la décadence complète de l'Espagne. Witiza est vigoureusement dénoncé pour les « très nombreuses femmes et concubines 1> qu' « il prit» ; ce penchant est confirmé par la Chronique d'Albe/da, selon laquelle il tue le duc Fafila pour une affaire de femme, avant son accession au trône (§ XIV-33). En outre, il entraîne le clergé dans son impureté sexuelle, en contraignant les clercs majeurs à se marier « de crainte qu'un concile ne fût réuni contre lui ». Or, « toutes les armées d'Espagne périrent parce que les rois et les prêtres abandonnèrent le Seigneur» (Rotense § 5) 11 • La culpabilité de Rodrigue, son successeur, est également patente. Certes, il possède d'indéniables qualités, car la Chronique d'Alphonse III -à l'instar des sources arabes- le décrit conune un « honune de guerre » (Rotense § 6). En outre, contrairement à la Chronique mozarabe de 754 (§ 52), elle admet la légitimité de son pouvoir et ne lui fait pas porter la responsabilité matérielle de l'invasion: celleci est directement provoquée par la «fourberie des fils de Witiza » (ob causam fraudis filiorum Vitizani), qui refusent d'admettre son accession au trône et font appel à l'armée musulmane pour se venger (Rotense § 7); de même, la Chronique d'Albe/da met en rapport direct la guerre civile et l'invasion musulmane, puisque les Sarrasins sont «appelés à l'occasion des troubles qui agitent le pays» (Albe/da § XIV -34). Mais Rodrigue demeure moralement responsable du désastre. En effet, « à son époque, la méchanceté empira encore en Espagne » (Rotense § 7) ; cette passivité est coupable, car, comme le déclare Isidore, « si les rois conservent le produit des rapines de leurs prédécesseurs, ils participent à leurs péchés » 12 . Aussi, le roi et son armée, « accablés par le fléau de leurs péchés et privés de protection par la trahison des fils de Witiza, sont mis en fuite » ; « parce qu'ils avaient complètement abandonné le Seigneur en refusant de le servir en justice et en vérité, le Seigneur les délaissa de sorte qu'ils n'habitassent pas la terre de leurs voeux» (Rotense § 7) 13 • L'auteur de la version Ovetense accentue le rôle néfaste de Rodrigue. Il passe plus rapidement sur la légitimité de son pouvoir, en omettant de détailler son ascendance familiale, et attribue à Rodrigue un rôle direct dans la poursuite de la décadence morale et spirituelle de l'Espagne: «A vrai dire, celui-ci marcha dans la voie pécheresse de Witiza, et non seulement il [ne] mit [pas] fin à ce crime en s'armant du zèle de la justice, mais il l'aggrava encore» (§ 6). Aussi, les efforts militaires de Rodrigue face à l'invasion ne peuvent être qu'inefficaces, car « il court 11
Huxores et concubinas plurimas accepit et, ne adversus eum concilium jieret, episcopis, presbiteris seu diaconibus huxores abere precepit. [ .. .] et quia reges et sacerdotes Domino derelinquerunt, ita cuncta agmina Spanie perierunt. 12
13
Cité par Reydellet, La royauté dans la littérature, p.585.
Et quia dereliquerunt Dominum ne servirent ei in justifia et veritatem, derelicti sunt a Domino ne avitarent terram desideravilem.
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en vain celui que l'iniquité précède» (§ 7) dit une pseudo-citation des Ecritures (forgée sur le modèle de Ps 127, 1-2). De façon significative, une miniature du Codex de Roda, élaboré vers l'an mil, représente les trois cités de Babylone, Ninive et Tolède, mettant ainsi clairement l'ancienne capitale wisigothique au rang des villes ruinées par leurs péchés 14 • Tous les récits postérieurs interprètent l'invasion selon ce schéma providentiel. Ainsi, le préambule d'un acte du Cid (a 0 1098) explique la conquête musulmane par un jugement de Dieu, car «la charité se refroidit, l'iniquité abonda» (refriguit caritas, habundavit iniquitas, Mat 24, 12) 15 . La plupart du temps, la culpabilité des derniers rois demeure essentielle. Ainsi, dans la Translation de saint Isidore, la défaite est due à la négligence de Rodrigue dans le service de Dieu et à ses vices 16 . L'Historia Silense reprend le récit de la Chronique d'Alphonse 111-0vetense et y accentue encore la responsabilité morale et matérielle de Rodrigue en y incorporant une ancienne tradition d'origine mozarabe: l'invasion musulmane est la conséquence directe de la vengeance du comte Julien, dont la fille a été violée par le roi 17 • Cette interprétation providentielle est conforme à la doctrine du pouvoir développée par saint Grégoire le Grand puis Isidore 18 . En effet, le roi doit être d'une moralité exemplaire, car il est au service de Dieu et du peuple, qu'il doit mener vers le salut ; en outre, sa mission l'expose tout particulièrement au péché. Il y a bien une étroite solidarité entre gouvernants et gouvernés : un roi perverti corrompt son peuple, tandis qu'un peuple indigne appelle un mauvais souverain. Aussi, selon Isidore, « le nom de roi est conservé en agissant justement, mais est perdu en péchant» ; d'où le proverbe : « si tu agis justement, tu seras roi ; sinon, tu ne le seras pas» (Etymologies § IX, 3, 4Y 9. Après 711, le péché et son corolaire, la punition divine, menacent toujours le peuple du royaume : selon la Chronique de Sampiro, la défaite essuyée par Ordofio II à Valdejunquera est directement causée par les péchés du peuple (peccato inpediente, p.l63). Mais les rois sont naturellement les premiers fautifs : dans l'Historia Silense, Dieu permet aux musulmans de lancer de violentes offensives contre le royaume à partir du règne de Sanche rr (956-966), «en raison de l'iniquité 14
M.C. Diaz y Diaz, 'Tres ciudades en el C6dice de Roda', Archiva espanol de arqueologfa 45-47 (1972-1974), 251 sqq. 15
Donation par Rodrigue de villae à l'évêque Jérôme de Valence (a 0 1098): Documentas ... de Salamanca, no 1. 16
Translatio Isidori, p.93 : Quia prefatus rex neglecta religione divina vitiorum se dominio mancipaverat. 17
Deswarte, 'Le viol commis par Rodrigue', pp. 78-79.
18
Reydellet, La royauté dans la littérature, pp.462-503 et pp.571-593.
19
Recte igitur faciendo regis nomen tenetur, peccando amittitur. [. ..] 'Rex eris, si recte facias ; si non facias, non eris '.
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CHAPITRE
VI
de ceux qui avaient régné » (pro quorundam iniquitate que regnaverant), principalement de Ramire II (930-950), qui aveugle son frère Alphonse IV ainsi que ses cousins, les fils de Fruela II ; et le chroniqueur de comparer la domination des musulmans sur le royaume, à la soumission d'Israël aux nations étrangères en punition de ses infamies (p.l73). Les rois sont parfois les premiers punis, à 1'instar de Fruela II qui « perdit rapidement la royauté par un juste jugement de Dieu (justa Dei judicio), parce que, après la mort de son frère, il envoya en exil l'évêque Fruminus pourtant innocent» (Sampiro p.165). Afin de clairement dénoncer cette persécution subie par l'Eglise, l'évêque Pélage d'Oviedo, dans sa version remaniée de la Chronique de Sampiro, compare ce monarque à l'empereur Domitien, qui exila saint Jean puis fut tué par un sénateur romain20 . L'époque la plus tragique est incontestablement celle de l'an mil, au cours de laquelle al-Mansur ravage une bonne partie du territoire chrétien. Au début du onzième siècle, Sampiro associe explicitement dans sa chronique les attaques d'alMansur sous Vermude II aux «péchés du peuple chrétien » (p.l72) ; en dépit de la politique néo-gothique du roi et de son application à lutter contre le mal, il n'apparaît donc pas dans la chronique comme« le restaurateur de la monarchie et l'initiateur d'une nouvelle période de renaissance »21 • Dès les premières offensives, les diplômes reprennent évidemment cette interprétation: il s'agit d'une« très forte tempête» (!empestas validissima), de la «fureur du Seigneur» (juror Domini), provoqués par les «péchés de ce peuple» (peccata populi) 22 , pendant une période d'iniquité et de refroidissement de la charité (surgente in omnibus iniquitate et refrigecente multorum caritate)23 • Certains territoires sont simultanément touchés par des attaques normandes, dont le souvenir est conservé dans un faux diplôme royal de 1024, confectionné au tournant des onzième et douzième siècles par les clercs de Saint-Jacques de Compostelle : ces dévastations musulmanes et normandes sont provoquées par les « péchés croissants des hommes » (crescentibus hominum peccatis?4 . Le châtiment est alors comparable à celui de 711, puisque, selon un diplôme de 1048, les deux principales institutions du royaume sont considérées comme inexistantes à l'époque de Vennude II (984-999): «la terre en vint à être
2
°Chronique de Sampiro, version interpolée par Pélage d'Oviedo, p.319.
21
Contra: Isla Frez, 'La monarquia leonesa', p.56.
22
Vente d'un bien par l'abbé de San Pedro de Eslonza pour restaurer son monastère après les destructions d'al-Mansur (ao 988) : Colecci6n diplomatica de Sahaglin 1, no 340. 23
Alphonse VI accorde sa protection et l'immunité à l'abbaye de Sahagûn pour sa restauration (a 1068) :Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomatica, no 6. 0
24
Donation par Alphonse V du siège de Tuy et de différentes possessions à l'évêché de Santiago (a 0 1024): La documentaci6n del Tumba A, n° 64 (reg. Lucas Alvarez, R1-342). Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.510-518.
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sans roi, et la sainte Eglise n'avoir plus de droit »25 • Pourtant, en dépit de ces erreurs de parcours, le royaume est engagé dans un vaste effort de régénération spirituelle, qui lui vaut souvent la faveur de Dieu.
B. Une régénération spirituelle Les chrétiens asturo-léonais ont clairement conscience du programme qui s'impose à eux: il implique une volonté de rompre définitivement avec tous les maux qui ont causé 711. La spiritualité qui semble dominer à cette époque est très ascétique et fortement marquée par la vertu d'humilité. 1. La régénération de tout un royaume
Dans les compositions liturgiques des premiers siècles, trois idées dominent : le châtiment de Dieu, l'humilité des chrétiens et leur confiance en Dieu. Certaines sources n'ont qu'une valeur limitée en raison d'une datation incertaine. En témoigne la missa omnium tribulantium26 , conservée dans le Liber Ordinum27 : antérieure à 589 selon dom M. Férotin, qui l'associe à la lutte contre l'arianisme, elle est datée du neuvième ou- plus sûrement- du huitième siècle par A.P. Bronisch, qui constate avec raison que les Ariens ne sont jamais appelés 'infidèles' et insiste sur le réalisme de cette messe 28 • Dans cette pièce liturgique, les chrétiens exposent humblement leurs crimes et implorent le pardon divin29 • La messe de saint Clément, composée au cours du huitième siècle, demande à Dieu, en des termes tout à fait classiques repris de l'Ancien Testament, d'écouter les prières des chrétiens en larmes, qui supportent le «joug de diverses nations» (a diversis nationibus sufferimusjugum), de les aider à supporter l'opprobre et de les pardonner 0 • Une hymne reproduite sur un parchemin de Leon du dixième siècle, attribuée à Eugène de Tolède mais composée selon A.P. Bronisch au huitième siècle (en raison de ses nombreuses similitudes Procès entre Sahaglin et une laïque devant Ferdinand rer (ao 1048) : Colecci6n de la catedral de Leon 3, n° 514 : pervenit terra sine rege et ecclesia sancta non habebat veritatem. 25
26
Hemiet, 'L'idéologie de guerre sainte', pp.212-214.
27
Le Liber Ordinum wisigothique, p.345.
28
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.l08-ll0.
29
Le Liber Ordinum wisigothique, p.345 : Ecce nos, Domine, humiles, potestatis tue precepta timentes. Quid in occultis judiciis tuis secernatur nescimus ; et ideo quod orare nos oporteat penitus ignoramus. Sed quia ad oculos fldei trepidi et miseri de nostris peccatis, ad hoc a/tare tuum concurrimus tremebundi : ploramus et gemimus, suspiramus et nostra delicta nutibus tuis, misericordissime, pandimus. 30
Le Liber Mozarabicus Sacramentorum, pp.38-42.
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avec Tempore belli31 ), exprime elle aussi cette demande de paix, après la guerre provoquée par le terrible jugement de Dieu. Les thèmes sont donc similaires à ceux de Tempore belli : en raison de leurs péchés, les chrétiens ont dû subir le jugement de Dieu; désormais, ils le prient d'accorder son pardon et la fin du châtiment. «Arrête les guerres, rend les joies de la paix» (v. 32), s'exclament-ils alors en se tournant avec confiance vers le Chrisf 2 • L'hymne Tempore belli, rédigée selon M.C. Diaz y Diaz peu après l'invasion, développe particulièrement cette idée d'une profonde régénération spirituelle des chrétiens. Les chrétiens en fuite, « tristes », se tournent vers Dieu « le cœur contrit, humblement» et lui adressent des« chants funèbres» et des« gémissements» (v. 14 et 25-32). Ils demandent alors pardon pour leurs nombreux péchés passés, causes d'un grand désastre : « Ô Dieu saint, nos nombreux péchés nous ont justement mérité ce grand mal ; mais, maintenant, nous te demandons humblement : regarde désormais avec clémence tous tes serviteurs dans l'adversité» (v. 69-72). Cette conception d'une histoire providentielle engage donc ce peuple chrétien dans un mouvement de purification religieuse, afin d'obtenir en premier lieu des bienfaits spirituels: la «paix», l'« aide» de Dieu et son pardon: «Qui sera [notre] defenseur si, par ta miséricorde, tu ne secours pas l'homme pieux, tu n'as pas pitié des crimes du genre humain et tu ne pardonnes pas les hommes plein d'amertume?» (v. 9-13). Car, «notre salut est en toi [... ] qui tues et qui vivifies à nouveau (v. 27-28) 33 • Le châtiment a une vertu cathartique. Au dire de la Chronique d'Alphonse III, de la Chronique prophétique et des textes du onzième siècle, la défaite de 711 purifie le royaume en éliminant les pécheurs et en provoquant la disparition des grandes institutions du royaume, alors corrompues: la royauté, l'armée et l'Eglise. Dans le même temps, les survivants bénéficient de la miséricorde de Dieu, comme le déclare de façon éloquente Pélage dans Chronique d'Alphonse III, puisqu'il s'applique la promesse du Seigneur: «Je punirai de la verge leurs iniquités et du fouet leur péchés, mais je ne leur retirerai pas ma miséricorde » (Rotense § 9)34 • Cette interprétation est approfondie au onzième siècle. Ainsi, la Translation de saint Isidore distingue ceux qui sont anéantis par manque de piété, de ceux qui sont
31
Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.1 00-101.
32
Hymnus in pacem, éd. par F. Vollmer, dans MGH: Auctores Antiquissimi 14 (Berlin: Weidmann, 1905), pp.247-248, no 20, v. 20-24, 32, 36 et 52-54: Compesce bella, redde pacis gaudia. 33
Tempore Belli : In te nostra salus, gloria in te,/ occidis iterum vivificasque [. ..] Hoc peccata malum grande merentur 1 vere nostra, Deus, plurima, sancte ;/ sed nunc suppliciter poscimus, omnes 1jam clemens famulos aspice tristes. 34
Visitavo in virga iniquitates eorum et in flagellis peccata eorum ; misericordia autem meam non abertam ab eis.
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corrigés par l'épreuve, comme Pélage35 . Dans cette épreuve, au dire de l'Historia Silense, Dieu « frappe et guérit » simultanément (percutit et sanat) car il donne la force aux chrétiens de supporter l'épreuve et les délivre dès lors qu'ils se sont amendés de leurs péchés (p.l31 et pp.133-134) ; aussi, «afin que les descendants ne soient pas souillés par une antique volupté, vous réservez une terre au petit nombre de chrétiens, comme lors du déluge à l'époque de Noé» (p.118). La victoire de Covadonga est donc précédée d'une profonde rupture spirituelle. La défaite de 711 et la réaction de Pélage constituent bien le nœud de toute l'histoire asturo-léonaise : «Vraiment, alors que j'étais attristé par la perte de la patrie et que je cherchais à toucher du doigt les mauvaises mœurs des rois, écrit l'auteur de l'Historia Silense au début du douzième siècle, cela m'encouragea à revenir au commencement» (p.118) 36 . Dans tous ces textes, l'approche providentielle est classique ; mais, contrairement à 1' opinion d' A.P. Bronisch, il aboutit bien à une « glorification mystique des origines du royaume »37 • Dès lors, les Asturo-Léonais sont engagés dans un effort permanent de progrès spirituel, indissociable de la miséricorde de Dieu, donc, de la victoire militaire : « Grâce à la protection de la clémence divine, le territoire des ennemis a diminué chaque jour et l'Eglise du Seigneur grandit et progresse dans le bien », déclare éloquemment la Chronique prophétique (§ XIX-3) 38 . A partir de ce choix initial, Dieu «multiplia le peuple des Goths au moyen d'hommes renouvelés, comme une jeune pousse issue d'une racine renaissante» (Silense p.l31) 39 . Les textes du onzième siècle, l'Historia Silense et la Translation de saint Isidore, décrivent bien cette double renaissance, spirituelle et temporelle. Le peuple du royaume se civilise à nouveau après la rupture de 711 : « Dès cette époque, la gloire du royaume du peuple goth et l'activité des rois [... ] commençèrent lentement à croître [... ] par les armes, grâce aux hommes fameux et bien conseillés, par la pratique de la miséricorde, de la justice et de la religion »40 • Les nombreuses translations de reliques, en grande partie du monde musulman, font même partie intégrante de l'œuvre de régénération. Ainsi, un moine de San Millan justifie le transfert du corps de saint Félix depuis le castrum de Bilibio, où elles n'étaient pas honorées, jusqu'à son abbaye, en s'adressant de la sorte à son 35
Translatio Jsidori, p.94.
36
Ne tota soboles prisco voluptabro rursus macularetur, more temporum Noe ut diluvium terram paucis Christianorum reservatis [. ..} Verum dum me patrie exitii pigeret pravosque mores regum tangendo altius processisem me ad inceptum redire ipsa res ortatur. 37
Contra: Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, p.l44.
38
Sicque protegente divina clementia, inimicorum terminus quoddidie defecit et Ecclesia Domini in majus et melius crescit. 39
Velud ex rediviva radiee virgultum, gentem Gotorum resumptis viribus pu!lu lare fecerit.
40
Translatio Isidori, p.94.
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CHAPITRE VI
abbé: Vois, très aimable père, les très grandes guerres et persécutions croître dans les régions des Espagnes, et les peuples se soulever les uns contre les autres. Songe que si tu t'appliques à transférer les membres très sacrés du bienheureux prêtre Félix, comme tu l'as décidé, alors [... ] le Seigneur, offensé et mis en colère par les péchés de toute la terre, pardonnera avec clémence et aura sans délai pitié de notre patrie terrassée par la persécution barbare41 .
Mais c'est incontestablement le roi qui tient la première place dans cette renaissance, car il est l'instrument du salut de son peuple et le responsable de la restauration politique néo-gothique. 2. Le bon roi
Selon Grégoire le Grand et Isidore de Séville, les rois peuvent occasionnellement intervenir dans la discipline de l'Eglise, en vertu de leur devoir de détourner leurs sujets du mal42 • Dans le royaume d'Oviedo-Leon, cette intervention royale tend cependant à s'institutionaliser. Ainsi, d'après un diplôme de 831/[861], uniquement connu que par des copies du dix-huitième siècle mais dont l'authenticité est admise par les critiques espagnols, Ordofio er ordonne à l'abbé Offilon de Samos de visiter le premier jour de chaque mois les monastères dépendant de son abbaye, afin de veiller à 1' observance de la règle, et, en cas de faute, de leur imposer une pénitence ; en revanche, les réfractaires et les contumaces seront déférés devant le tribunal royal43 • Le roi veille particulièrement à mettre fin à la débauche du clergé, en partie à l'origine du châtiment de 711 : Fruela 1er supprime «la scélérate coutume des prêtres, qui remontait à Witiza, de prendre femme», «enferma dans des monastères ct fit fouetter » les récalcitrants, conformément à la « sentence canonique » (Rotense § 16), en l'occurrence au huitième concile de Tolède44 . Il intervient aussi pour veiller à l'intégrité de la foi : Ramire 1er est qualifié de «verge de justice» (Virga justifie) dans la Chronique d'Albe/da, car il a notamment mis fin aux pratiques de magie(§ XV-10), selon une disposition du Code Théodosien, qui prévoit la peine du feu pour les mages. D'une manière générale, le bon roi, à l'instar de Vermude II, s'applique « à repousser le mal et à choisir le bien», reprobare malum studuit et eligere bonum (Sampiro p.l72). Cette réforme religieuse prend une nouvelle dimension lors du concile de Coyanza, qui réunit en 1055 à l'initiative de Ferdinand 1er de nombreux évêques et 41
Translatio Felicis, p.444.
42
Reydellet, La royauté dans la littérature, p.474 et pp.589-591.
43
Donation par Ordofio Ier du monastère de Samos à l'abbé Offilon (a 0 861): El Tumba de San Juliân de Samos, no 34 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-22). 44
Tolède VIII (a 0 653) : Concilias visigôticos, pp.278-279, c.5.
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abbés du royaume de Leon et de Pampelune. En effet, le préambule justifie cette restauration de la discipline et des traditions civiles et ecclésiastiques wisigothiques, en dénonçant la décadence morale de l'époque: comme les hommes s'enfoncent dans le péché et l'enseignement de l'Eglise n'est plus écouté, «de nombreux maux sont venus sur terre», des« miracles néfastes» que sont la famine, l'épidémie et la défaite militaire ; les pères du concile veulent donc réagir contre cet état de fait, en se souvenant de la promesse de Dieu faite à Moïse, de châtier les infidèles et de récompenser ceux qui font sa volonté (Lev 26, 3-5 et 18-20)45 • Simultanément, la moralité des rois doit être irréprochable. Dans la droite ligne de la doctrine isidorienne 46 , Alphonse VI rappelle: «Plus je m'élève, plus je me reconnais accaparé par les tâches séculières et accablé par le poids de mes innombrables péchés »47 • Dès les premiers temps de la monarchie, les souverains asturiens se présentent comme humbles serviteurs de Dieu, en reprenant les anciens qualificatifs de famulus et servus Christi, auxquels ils ajoutent les adjectifs humilis ou exiguus. Cette vertu d'humilité, pleinement intégrée à la représentation de la royauté après l'échec de la libération de l'Espagne en 884, est en effet le meilleur remède à l'orgueil, qui est toujours, selon saint Isidore de Séville, le principal danger pour les souverains48 . Cette vertu est parfois pratiquée de façon radicale, comme le montre le maintien du rituel de pénitence publique, pourtant récemment contesté par A.P. Bronisch. Au dixième siècle, Ramire II, tombé malade à Oviedo, se fait conduire à la capitale de Leon ; or, selon Sampiro, ad Legionem reversus, accepit confessionem ab episcopis et abbatibus valde eos exortatus (p.l68). Alors que Ch. J. Bishko y voit une «confession pénitentielle» «devant les évêques et les abbés »49 , l'historien allemand estime que le roi adopta en fait la «vie monastique» (selon une autre traduction de confessio ), à 1' instar de ces laïcs qui se 'convertissent' à la fin de leur vie 50 . Cette nouvelle interprétation ne résout pourtant pas toutes les difficultés. D'un point de vue syntaxique, il est aussi difficile pour Ramire II de recevoir « des 45
Concile de Coyanza (a 0 1055), prologue: éd. par Martînez Diez, 'La tradici6n manuscrita del fuero' : Aspeximus etenim ut vidimus nefanda miracula quantam esuriem, inediem, pertilenciam, cladem et magnam inediem propter peccata nostra retroactis annis in terra nostra passi sumus. 46
Reydellet, La royauté dans la littérature, pp.574-575. Donation par Alphonse VI à l'évêché de Leon de la dîme sur la production et le transport du sel dans la villa de Lampreana (a 0 1073): Alfonso VI, 2 : Colecci6n diplomâtica, n° 16. 48 Reydellet, La royauté dans la littérature, p.574 sqq. 49 C.J. Bishko, 'The Liturgical Context of Fernando I's Last Days According to the SoCalled 'Historia Silense", HS 17 (1964), 47-59 (2° éd. dans Spanish and portuguese monastic history (600-1300) (Londres: Variorum Reprints, 1984), n° VII), p.51, n.l6. 50 Bronisch, 'Kronungsritus und Kronenbrauch', pp.342-347. 47
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CHAPITRE
VI
eveques et des abbés » une « confession» que la « vie monastique » ; dans la documentation contemporaine, on affirme en effet « venir à la vie monastique » (venire ad confessionem) ou « s'engager dans la voie monastique » (vol un tas evenit arripiendi viam confessionis, Sampiro p.165). De même, l'état de pénitent et la vie monastique contredisent également l'exercice de la charge royale, que Ramire semble encore assurer durant quatre mois, avant sa renonciation au trôné 1• Ce difficile passage pourrait en fait signifier que le roi «accepta la confession [à la demande] des évêques et des abbés », de même que, dans un autre passage de la chronique, saint Pélage en 931 « accepta » le « martyre » (qui martirium accepit in diebus Ordonii principis, p.170). Quelque temps après l'aveu de ses fautes, le soir de l'épiphanie, Ramire renonce alors à la royauté (ipse se ex proprio regna abstulit) et entre ainsi vraisemblablement dans l'ordo des pénitents. A cet égard, il identifie sa prochaine mort à un retour au ventre maternel, en citant Job (1, 21) : «Nu je suis sorti du ventre de ma mère, nu j'y retourne» (Sampiro p.168). Cette déclaration, qui ne témoigne aucunement d'anciennes croyances païennes associant la mort à la fécondité 52 , manifeste en fait clairement la volonté du roi, à l'heure de la mort, de vivre pleinement son humilité pénitentielle face à Dieu, à l'instar de Job: face à la volonté de Yahvé, qui permit à Satan de l'éprouver, Job« changea son aspect extérieur pour se couvrir des sombres dehors de la pénitence» comme l'affirme saint Grégoire le Grand ; «dépouillé de ses richesses, privé de ses enfants, il déchira son manteau, se rasa la tête et se prosterna». Puis Job fit cette exclamation plus tard reprise par Ramire et qui signifie en fait: «La terre m'a produit nu lors de mon entrée dans le monde, c'est nu que la terre me recevra lorsque j'en partirai», car «parce que la terre nous a tous engendrés, nous pouvons à juste titre l'appeler notre mère». Et le saint pape de conclure par la bouche de Job : «J'avais reçu ces biens ; il fallait les abandonner; je les ai perdus; en quoi ai-je été lésé? »53 . Au siècle suivant, l'Historia Silense nous propose une description encore plus détaillée des derniers instants de Ferdinand le', en 1065. Après être gravement tombé malade, il est transporté à Leon où il invoque plus particulièrement saint Isidore. Comme à son habitude, il se joint aux clercs de San Isidoro et chante les matines de Noël. A l'aurore, il demande ensuite aux évêques présents de célébrer une messe solennelle et reçoit le corps et le sang du Christ (pp.207-209). Puis, le lendemain, orné des attributs royaux, il s'agenouille devant l'autel des saints Isidore et Vincent, rend à Dieu son royaume, en déposant sa chlamyde et sa couronne, et demeure prostré au sol pleurant sur ses péchés ; conformément à la pénitence imposée par les évêques, il revêt le cilice « en guise de vêtement royal » et recouvre sa tête de 51
Pérez de Urbel, Sampiro, p.403 sqq.
52
Contra: J. Mattoso, 'A morte dos reis', Estudos Medievais 10 (1993), 79-95 (87).
53
Grégoire le Grand, Morales sur Job, éd. et trad. par R. Gillet OSB et A. de Gaudemaris OSB, Sources Chrétiennes 32bis (Paris: Cerf, 1975) 1, pp.302-305, §II, 29, et II, 30.
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cendres «en guise de diadème d'or», avant de mourir deux jours plus tard, le 27 décembre (p.209) 54 • La description de l'événement est assurément tributaire du contexte de rédaction de l'Historia, au début du douzième siècle: le psaume Advenit nabis qu'il aurait chanté more Toletano aux matines de Noël, n'apparaît pas dans la liturgie wisigothique ; et, quand le roi déclare à Dieu : Tua est potencia, tuum regnum, Domine; tu es super omncs reges; tuo inperio ornnia regna celestia, terrestria subduntur; ideoque regnum quod te donante accepi acceptumque, quamdiu tue libere voluntati placuit rexi, ecce reddo tibi; tantum animam meam, de voragine istius mundi ereptam, ut in pace suscipias deprecor (p.209)
il reprend une citation biblique présente dans la liturgie romaine de la fête de saint Etienne, le 26 décembre 55 • Pourtant, contrairement à l'opinion d'A.P. Bronisch56, il est impossible d'affirmer que ce récit est une pure invention. Certes, il s'inspire de la pénitence publique d'Isidore de Séville, telle qu'elle est décrite dans l'opuscule du diacre Rédemptus 57 • Mais plusieurs éléments concordent parfaitement avec le contexte du règne de Ferdinand: le verset psalmique Erudimini omnes qui judicatis terram (Ps 2, 10), chanté par le roi dans la nuit de Noël (pp.208-209), apparaît effectivement dans 1' office des matines de 1'Antiphonaire de la cathédrale de Le6n 58 ; et, le roi, qui entretient des rapports extrêment forts avec Isidore et sa nouvelle église de Le6n, semble bien représenté en pénitent, sans couronne, sur le reliquaire du saint sévillan qu'il offre au monastère de la capitale59 . Par ailleurs, d'après les chroniques, les grands rois sont tous dotés d'une bonne moralité. Certaines notices considèrent même des rois défunts comme participant d'ores et déjà de la sainteté commune. J.E. L6pez Pereira a prouvé que le dialogue de Pélage avec l'évêque Oppa, qui suit le schéma narratif des passions, assimile implicitement le premier roi asturien à un martyr60 • Surtout, d'après la Chronique 54
Et hec dicens, exuit regalem clamidem, qua induebatur corpus, et deposuit gemmatam coronam, qua ambiebatur caput, atque cum lacrimis, eclesie solo prostratus, pro delictorum venia Dominum attencius exorabat. Tune ab episcopis accepta penitentia, induitur cilicio pro regali indumento, et aspergitur cinere pro aureo diademate, cuy in tali permanenti penitencia duo bus diebus vivere a Deo datur. 55
Bishko, 'The Liturgical Context of Fernando I's Last Days', pp.49-50.
56
Bronisch, 'Krônungsritus und Kronenbrauch', pp.349-358.
57
Bishko, 'The Liturgical Context of Fernando I's Last Days', pp.51-52.
58
Antifonario visig6tico-mozarabe, p.93 (fol. 71 v.).
59
Henriet, 'Un exemple de religiosité politique', p.82. Reproduction dans Astorga Redonda, El arca de San Isidoro, p.127, pl. no 15. 60
J.E. L6pez Pereira, 'Continuidad y novedad léxica en las Cr6nicas Asturianas', dans Lateinische Kultur im X Jahrhundert [I. Internationale Mittellateiner Kongress, Heidelberg,
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CHAPITRE VI
d'Alphonse Ill, le corps d'Alphonse 1er est miraculeusement enlevé par des anges, qui chantent une citation du livre d'Isaïe (57, 1), reprise dans l'office de la Semaine Sainte d'un antiphonaire 61 : «Voici comment le juste est enlevé, et nul n'y prête attention; et les hommes justes sont enlevés, et nul n'en a le cœur touché. Le juste a été soustrait de la face de l'iniquité ; son tombeau connaîtra la paix» (Rotense § 15); de plus, selon J.E. L6pez Pereira, plusieurs passages de la notice consacrée à ce roi sont tirés de textes hagiographiques, telles la passion des saints Julien et Basilisse et la vie de saint Martin62 • Cette sainteté royale n'est pas essentiellement guerrière: la pratique de la guerre n'est jamais présentée comme une justification en soi de la sainteté, contrairement à l'opinion d'A.P. Bronisch. En effet, ce dernier estime que l'auteur de la Chronique d'Alphonse III applique à Alphonse 1er le miracle de l'enlèvement du corps de saint Herménegilde- qui apparaît dans sa vita écrite par saint Grégoire le Grand-, afin de rapprocher ces rois, tous deux en lutte armée contre les hérétiques 63 . Pourtant, si la notice détaille ses nombreuses victoires, d'autres passages contredisent formellement une telle interprétation : Alphonse 1er « assuma la fonction royale avec la grâce divine» (Rotense § 13) et «se montra aimable à Dieu et aux hommes» (§ 14). De même, les notices consacrées aux bons rois insistent sur le bon accomplissement de la charge royale : Ordofio le', « eut un temps de règne heureux, il est maintenant heureux dans le ciel. Et celui qui, ici-bas, fut tant aimé des peuples, se réjouit maintenant avec les saints anges dans le royaume des cieux» (§ 28) 64 • Sa bienveillance, sa charité et sa justice lui valent alors le titre de « père des peuples », pater gentium (Albe/da § XV-11). Plus tard, dans la Chronique de Sampiro, les grands rois sont implicitement présentés suivant les modèles de David - Alphonse III- ou Salomon- Vermude 1165 • Les rois 'saints' sont donc des confesseurs, qui gagnent leur réputation par leur gouvernement chrétien, conformément à un modèle de sainteté royale courant dans l'occident médiéval66 • Mais la principale qualité des rois saints est généralement leur chasteté sexuelle, souvent vécue d'une façon plus radicale que dans le reste de la Chrétienté occidentale : alors que plusieurs rois anglo-saxons des septième et huitième siècles renoncent au trône pour devenir moines, et que l'empereur Remi II (1002-1024) et (Stuttgart: 1991), pp.295-310 (pp.303-309). Bonnaz, Les chroniques asturiennes, n.4, pl79.
1988] 61 62
63
L6pez Pereira, 'Continuidad y novedad léxica', p.305. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.135-139.
64
Et qui hic nimium dilectus fuit a populis, nunc autem letatur cum sanctis angelis in celestibus regnis. 65 66
Isla Frez, 'La monarquîa leonesa', respectivement p.42 et p.53.
R. Folz, Les saints rois du Moyen Age en Occident (Vl"-XIII" siècles), Subsidia hagiographica 68 (Bruxelles: Société des Bollandistes, 1984), pp.69-115.
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le roi d'Angleterre Edouard le Confesseur (1042-1066) seraient demeurés vierges durant leur mariage, ces rois asturo-léonais vivent leur chasteté à la manière des clercs ou en tant que clercs. Voilà pourquoi 1' état clérical de Vermude 1er (788-791 ), diacre lors de son accession au trône, ne lui est jamais reproché, alors qu'il est incompatible avec l'exercice du pouvoir royal d'après les canons conciliaires. Les chroniques asturiennes dressent d'ailleurs un tableau positif de son règne: ce« très grand homme»,« clément et pieux» (Albe/da § XV-8), règne pendant trois ans et abandonne le pouvoir « de son propre mouvement en son ancienne qualité de diacre » (Rotense § 20). Selon 1'Historia Silense, il est choisi roi contre son gré et demeure par la suite davantage intéressé « par le royaume céleste que terrestre » (pocius celeste quam terrenum sibi regnum ajectavit, p.l42). Le silence qui entoure son règne dans les Nomina est donc vraisemblablement dû à la brièveté de son règne et non au refus de reconnaître son accession au pouvoir67 . Un autre roi, Alphonse IV décide même librement en 930, après cinq années de règne, de renoncer au pouvoir au profit de son frère Ramire II, et de se retirer dans un monastère (p.165) 68 - et non de faire pénitence comme le pensait J. Pérez de Urbel69 • La pratique d'une telle chasteté constitue un aspect déterminant de la sainteté d'Alphonse II (791-842), qui semble avoir fortement subi l'influence de son prédécesseur et cousin, V ermude, avec lequel il vit plusieurs année « en lui demeurant très chèrement attaché» (Rotense § 20). D'après les chroniques asturiennes, il mène une vie « glorieuse, chaste, vertueuse, sobre et sans tache », notamment en ne prenant pas de femme (§ 22) ; « et ainsi, poursuit le chroniqueur d' Albelda, il passa du royaume de la terre à celui des cieux. Lui qui entreprit toute chose dans la paix, reposa dans la paix», qui cuncta pace egit, in pace quievit (§ XV-9); la façon de mourir sanctionne bien la qualité morale et religieuse de la vie du roC 0 • Sa réputation demeure par la suite intacte et il est parfois qualifié de « roi catholique »71 • Selon l'auteur de l'Historia Silense, Dieu offre même à ce roi «d'une grande chasteté d'âme et de corps» deux présents insignes, tous deux donnés à San Salvador de Oviedo : une arche contenant des reliques de saints, qui avait été emmenée de Jérusalem à Tolède, et une croix miraculeuse, fabriquée par des anges (p.138). Le portrait que l'auteur de l'Historia Silense dresse de Ferdinand rr est conforme à cet idéal royal. Très religieux depuis son enfance, il effectue de
67
Contra: David, Etudes historiques, pp.326-327.
68
Huic consistenti in regna voluntas evenit arripiendi viam confessionis [... ] in locum qui dicitur Domnis Sanctis super crepidinem aluey Ceie. 69
Bronisch, 'Krëinungsritus und Kronenbrauch', pp.347-349.
70
J. Mattoso, 'A morte dos reis', p.S6.
71
Confirmation par Ramire II des donations royales antérieures à l'évêché de Santiago et donation du commissus de Posmarcos (a0 934): La documentaci6n del Tumba A, no 40 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-171).
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CHAPITRE VI
nombreuses libéralités en faveur des églises et des pauvres. Surtout, il assiste chaque jour à la messe et aux grands offices monastiques dans son église San Isidoro de Le6n, et n'hésite pas à se joindre parfois au chœur des clercs (p.205). La tonalité cléricale de sa vie est renforcée par deux épisodes: lors d'un séjour à Sahaglin, il partage le repas des moines (pp.205-206) ; puis, après avoir supervisé la translation du corps de saint Isidore à Le6n, il se donne au saint et, en signe d'humilité, sert à manger aux moines 72 . Aussi, le chroniqueur lui reconnaît la qualité de bon chef d'Etat et la vertu de chasteté : « Il gouverna le royaume de façon catholique et, après avoir terrassé la bride de l'impudicité, il s'instruisit activement» (Silense pp.207208)73. Pourtant, avant Ferdinand III (1230-1252), aucun de ces rois n'est officiellement reconnu saint par l'Eglise. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, qui ressemble à celle de la royauté carolingienne puis capétienne74 : la promotion de la sainteté royale demeure limitée à quelques rares occurences ; simultanément, aucun culte, même local, n'est voué à ces rois confesseurs, qui n'effectuent pas de miracles, in vita ou post mortem ; en outre, à partir du douzième siècle, ces souverains ne bénéficient d'aucune procédure de canonisation; plus généralement, l'Eglise asturo-léonaise manifeste peut-être une certaine réserve à l'égard du pouvoir royal, qui, à l'époque wisigothique, avait souvent fait preuve d'autoritarisme. Malgré cela, il existe bien dans le royaume d'Oviedo-Leon un idéal royal exigeant, qui valorise l'humilité et la chasteté, et s'intègre de ce fait dans une spiritualité ascétique, dominante à cette époque. 3. Une spiritualité ascétique
L'ascétisme s'exprime plus particulièrement dans deux domaines. Le premier est la culture, où l'influence des auteurs païens de l'Antiquité est très faible, puisque leurs ouvrages sont la plupart du temps absents des bibliothèques de l'époque 75 • Y figurent en revanche en grand nombre des écrits religieux, notamment les traités ascétiques de Valère du Bierzo (+695); c'est le cas de son Traité sur la Virginité, plusieurs fois recopié durant les dixième et onzième siècles 76 , et de son ouvrage Sur la vaine sagesse du siècle, dans lequel il décrit ses combats contre le diable, ses 72
Translatio Isidori, p.98.
73
Historia Silense, pp.207-208.
74
P. Riché, 'Les Carolingiens en quête de sainteté', dans Les fonctions des saints dans le monde occidental (llie-XIIIe siècle) (Rome: Ecole Française de Rome, 1991), pp.217-224. 75 M.C. Diaz y Diaz, 'La trasmisi6n de los textos antiguos en la peninsula ibérica en los siglos Vli-XI', dans La cultura antica nell'occidente latina da! VII all'Xl secolo = Settimane di studio del Centra Italiano di Studi sul! 'Alto Medioevo 22 (Spoletto : Centro Italiano di Studi sull'alto medioevo, 1975), pp.133-175 (pp.158-164). 76
Diaz y Diaz, 'La circulation des manuscrits', 388.
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angoisses et son rêve d'unevie errante77 . Cet ascétisme est directement associé à un vif souci eschatologique, qui se traduit par le succès du Commentaire de l'Apocalypse de Beatus. Ce traité spirituel, qui, à l'instar des représentations figurées contenues dans ses manuscrits78 , ne comporte aucune dimension adventiste 79 , est copié entre les neuvième et onzième siècles presque exclusivement dans la péninsule ibérique et en majorité dans le royaume d'Oviedo-Leon, dont proviennent neuf sur dix-sept Beati80 • Ce livre à vocation monastique, pastorale et liturgique, notamment pour le culte des défunts, développe une spiritualité ascétique dont la préoccupation principale est celle des fins dernières; pendant le temps qui précède la fin du monde, «[tout catholique doit] pleurer nuit et jour, recouvert de cendre et revêtu du cilice, autant sur lui-même que sur la ruine du monde, et ne pas supputer le nombre d'années restant »81 . Cet ascétisme se manifeste aussi entre les septième et onzième siècles par un très net essor de la vie érémitique dans le nord-ouest de la péninsule et par une complémentarité, voire même une symbiose entre ce style de vie et le cénobitisme. L'analyse des textes et l'étude des grottes d'ermites prouvent sa vivacité au bord du Sil en Galice, dans le Bierzo- région de Leon-, dans les environs de Najera- dans la Rioja-, dans le Duraton -région de Ségovie-, dans la région de Britonia -Galice- et en Castille, près du Duero et de Zamora82 ; d'autres grottes du Haut Moyen Age se trouvent dans l' Alava, le Logrofio, les régions de Burgos, Santander, Palencia, Valladolid et Porto83 . Certains établissements ecclésiastiques gardent le souvenir de cet érémitisme. Ainsi, les fresques de l'église de San Baudelio de Berlanga -située aux confins méridionales du royaume, près de Burgo de Osma, et datée de la seconde moitié du onzième siècle 84 - représentent, à côté d'un guerrier, d'un cavalier chasseur et de 77
P. Riché, Les voies nouvelles de la sainteté (605-814), Histoire des saints et de la sainteté chrétienne 4 (Paris: Hachette, 1986), pp.14-15. 78
Williams, 'Le Commentaire Illustré', p.76.
79
Deswarte, 'La prophétie de 883 dans le royaume d'Oviedo', 50-56.
80
A. Mund6 et M. Sanchez Mariana, El comentario de Beata al Apocalipsis : catalogo de los codices (Madrid: Biblioteca Nacional, 1976). 81
Beatus de Liébana, In Apocalypsin B. Joannis apostoli commentaria, § 4-5, 1.151-154, p.380. 82
J.F. Couselo, 'Monjes y eremitas en las riberas del Mifio y del Si!', Bracara Augusta 21 (1967) [Actas do Congresso de Estudos da Comemoraçiio do XIII Centenario da morte de S. Frutuoso, 1965], 199-214. A. Garda y Garcia, 'Las ermitas de Bretofia', Estudios Mindonienses 8 (1992), 561-595. R. Grande del Brio, Eremitorios altomedievales en las provincias de Salamanca y Zamora : los monjes solitarios (Salamanca : Cervantes, 1997). 83 AM. Malingre Rodrîguez, San Pedro de Rocas : un eremitorio rupestre altomedieval (Ourense: Deputaci6n Provincial, 1995), p.38.
84
Arbeiter et Noak-Haley, Hispania antiqua, pp.313-320.
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divers animaux, un ermite barbu, vêtu d'une tunique blanche et d'un manteau de couleur foncée, qui chasse un cerf à l'aide d'un arc 85 • Ce souvenir est d'autant plus fort que les ermitages peuvent être à l'origine de monastères. Ainsi, d'un ermitage haut médiéval, peut-être du sixième siècle, naît l'abbaye San Pedro de Rocas 86 . Un diplôme royal de 1007 - en fait un faux forgé au douzième siècle après la destruction des archives dans un incendie - en conserve encore un témoignage très vivant, dans le récit des débuts de l'abbaye: à l'époque d'Alphonse III, un chasseur dénommé Gemondus s'installe dans une église abandonnée, située en un «lieu désert», aux « forêts sombres et denses » ; il y pratique le «jeûne » et l'« abstinence», avant d'être rejoint par d'autres «chasseurs»; plus tard, la petite communauté monastique obtient un privilège royal 87 . La Concordia de Antealtares ajoute même un ermite dans l'histoire de la découverte des reliques de saint Jacques : ce faux, daté de 1077 mais probablement confectionné au tournant des onzième et douzième siècles par les moines de l'abbaye de Antealtares, contient un préambule qui place à l'origine de la découverte du corps de l'apôtre un «anachorète», Pélage (cuidam anacoritae nomine Pelagius) : il est le premier à bénéficier d'une révélation faite par des «oracles angéliques», à l'endroit de la tombe; ensuite, ce sont les fidèles de l'église voisine San Felice de Lovio qui voient au loin des «lumières sacrées ». Tous décident alors de faire appel à l'évêque d'lria, qui trouve la tombe à l'emplacement indiqué, dans les broussailles 88 • La vie érémitique tient alors une place importante dans l'accession à la sainteté. D'après le récit de la vie et des miracles de sainte Casilde (t 1121 ), rapportés pour la première fois au quinzième siècle par Diego Rodriguez de Almella, celle-ci vit exclusivement en ermite après sa conversion au christianisme. La jeune fille du roi 85
L.A. Grau Lobo, Pintura romanica en Castilla y Leon (Valladolid: Consejeria de Educaci6n y Cultura, 1996), pp.87 -127. 86
Malingre Rodriguez, San Pedro de Rocas, pp.96-117.
87
Confirmation par Alphonse V au monastère San Pedro de Rocas de ses anciennes possessions (a 1007): 'Alfonso V, rey de Leon', n° 6 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-315): Et quia erat supradictus vir pro salute anime sue summa cum sollicitudine talem desiderans locum, nemo sciente nisi cui omnia nota sun! et manifesta, Deus vidilicet, solus acuite intravit et pro salute anime sue diebus muftis acuite ibi permansit, et post peracto tempo re quod Deus voluit ilium manifestum fieri, solicitavit Deus et misit alios venatores qui ipsum }am dictum virum in ipsum supradictum oraculum invenerunt jejunis orationibus deditum et abstinentie atque macies corporis confectum. 0
88
Accord entre l'évêque Diego Pelaez de Santiago et l'abbé Fagild de Antealtares, établissant le droit de propriété du monastère sur le chevet de la nouvelle cathédrale et répartissant entre les deux institutions les droits perçus sur l'autel de Santiago (a 1077): Historia de Santiago de Compostela 3, ap. 1, pp.3-7. Note critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lib, pp.572-573. 0
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de Tolède, al-Mamun -ou du gouverneur de Cuenca, Ben Cannon-, est atteinte d'une maladie incurable ; elle décide alors de se rendre vers 1080 aux bains de San Vincente de Buezo, dans la région de Burgos, où elle guérit miraculeusement. Elle se convertit alors au catholicisme et mène une vie solitaire près de cette église89 • Le monachisme cénobitique est lui-même très ascétique, sous l'influence des deux règles en vigueur à cette époque, la Regula monachorum et la Regula communis, rédigées par saint Fructueux de Braga. Ces règles permettent en fait au moine de vivre l'érémitisme en groupe, sans être astreint à un code de vie très détaillé : elles insistent moins sur le « style de vie » et même sur les « modalités concrètes du cadre de vie », que sur la nécessité d'un constant «effort moral et ascétique», que le moine doit réaliser en suivant l'exemple de l' 'ancien' dans la voie du renoncemene 0 . A cet égard, l'itinéraire des moines plus tard considérés comme saints, témoigne bien de la proximité de ces deux types de vie, ascétique et cénobitique. Selon la tradition, Vintilla (t 890) entre d'abord au monastère, puis se retire comme ermite dans la région d'Orense 9 \ où il est enterré; son épitaphe se trouve dans l'église Santa Maria de Pungin 92 . Franquila (t après 959), considéré comme saint dans la Vie de saint Rosende93 , pratique l'érémitisme près de la rivière Sil, en Galice, puis restaure vers 920 le monastère San Esteban de Ribas de Sil, dont il devient le premier abbé ; il finit sa vie comme abbé de San Salvador de Celanova, fondé par saint Rosende94 • Le parcours de Dominique de Silos est encore mieux connu, grâce à sa vita rédigée au tournant des onzième et douzième siècles. Né vers l'an mil, dans la Rioja, il est ordonné prêtre en 103095 et, pourtant, part vivre en ermite dans le « désert » des monts Distercios, à l'imitation d'Elie, Jean-Baptiste et Paul selon son hagiographe. Puis, afin de parfaire son instruction, « il abandonne le désert, mais non le modèle du désert» (heremum non propositum heremi deseruit) et entre au monastère San Millan de la Cogolla, avant d'aller restaurer le monastère de Silos et d'en devenir l'abbé96 • Certes, ce monachisme très érémitique, prépondérant dans le royaume 89
M. Alamo, 'Casilde (sainte)', dans DHGE 11 (1949), col. 1282. reg. Diaz Y Diaz, no
849. 90
Grégoire, 'Valeurs de la Regula Monachorum', 328-345.
91
R. Jiménez Pedrajas, 'Vintilla', dans ES 12 (1969), cols.1201-1202.
92
F. Fita, 'El epitafio de san Vintila (siglo IX)', BRAH 40 (1902), 459-460.
93
Ordofio de Celanova, Vida y milagros de San Rosendo, éd. et trad. par M.C.Diaz y Diaz, M. Virtudes Pardo G6mez, D. Vilarifio Pinto et J. Carro Otero, Galicia Hist6rica (La Corufia: Fundaci6n 'P. Barrié de laMaza', 1990), § 30-31. 94
R. Aubert, 'Franqui1a (saint)', dans DHGE 18, p.1023.
95
T. Moral, 'Domingo de Silos', dans DHEE 2, pp.764-765.
96
Vita Dominici Siliensis, § I-3, 1. 93; § I-4, 1.5 et 28; et§ I-5, 1.425. Mort en 1073, il est rapidement vénéré comme saint: dès 1076, les moines incorporent à la titulature de leur
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CHAPITRE VI
jusqu'au milieu du onzième siècle, décline à partir de cette époque face au monachisme bénédictin et clunisien97 ; cependant, l'idéal patristique de l'ermite demeure vigoureux, alors même qu'il a très nettement régressé dans le reste de l'occident depuis le début du onzième siècle98 • L'influence du monachisme s'étend à l'ensemble de l'Eglise: tous les évêques plus tard vénérés comme des saints, sont d'abord moines ~sauf l'évêque Ordoîio d' Astorga, en 1062, qui était initialement notaire à la cour royale 99 ; une fois parvenus à l'épiscopat, ils demeurent impliqués dans la promotion de la vie religieuse et meurent bien souvent dans une abbaye ou un ermitage. En témoignent deux saints: Alvit (t 1063), moine, abbé de Sahag(m (1050-1057), puis évêque de Le6n 100 , et Pierre de Mezonzo (t 1003), entré au monastère de Mezonzo vers 950, puis abbé des monastères de Sobrado et d' Antealtares ~où il est enterré~, et enfin évêque de Saint-Jacques en 985 101 • Les saints évêques d'Astorga du dixième siècle ont un profil identique. Gennade (t 936), moine à Ayoo de Vidriales, restaure en 882 le monastère San Pedro de Montes dans le diocèse d'Astorga, et en devient abbé ; désigné évêque par Alphonse III, il fonde ou restaure de nombreux monastères dans le Bierzo, notamment Santiago de Peîialba, et met ainsi en place une sorte de congrégation monastique; en 920, il se retire à l'ermitage du Monte del Silencio, avant d'être enterré dans l'église de Peîialba 102 . Fortis, autre moine d' Ayoo de Vidriales, participe à la restauration de San Pedro de Montes par Gennade, puis lui succède à la tête du diocèse d' Astorga ; de même, avec le soutien des rois, il fonde ou restaure de nombreux monastères, à l'instar de San Miguel de Destriana où il meurt en 931 103 • Son successeur, Salomon (932-952), est lui aussi issu des monastères d'Ayoo de Vidriales et San Pedro de Montes, avant de devenir abbé du monastère de Complutum ; une fois évêque, il continue la politique de ses prédécesseurs en faveur de la vie monastique 104 . A la même époque, Rosende commence son itinéraire ecclésiastique comme moine, avant de devenir abbaye son patronage, qui, à partir de 1125, éclipse définitivement saint Sébastien. 97
J.M. Andrade Cemadas, El monacato benedictino y la sociedad de la Galicia medieval (s. X al XII), Publicaciones do Seminario de Estudos Gallegos 3 (La Corufia : Do Castro, 1997), p.38 sqq. 98
J. Leclercq, 'L'érémitisme en Occident jusqu'à l'an mil', dans L'eremitismo in Occidente nei secoli XIe XII [Atti della seconda Settimana internazionale di studio, Mendola, 1962] (Milano: 1965), pp.27-44 (p.41). 99
A. Quintana Prieto, 'Ordofio', dans DHEE 3, p.1831.
100
A.M. Zimmermann, 'Alvito', dans BS 1, col. 903.
101
J. Femandez Alonso, 'Pietro di Mezonzo', dans BS 10, cols. 709-710.
102
T. Moral, 'Gennade (saint)', dans DHGE 20 (1984), cols.474-476.
103
A. Quintana Prieto, 'Fortis', dans DHEE 2, p.954.
104
A. Quintana Prieto, 'Salomon', dans DHEE 4, p.2155.
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évêque de Mondofiedo en 925. Avec le soutien des rois, il fonde alors de nombreux monastères ; le plus célèbre est celui de Celanova, en 936, où il se retire vers 948, après avoir renoncé à ses fonctions épiscopales, et où il meurt en 977 105 . L'étude de la vita de saint Froihin de Leon confirme l'importance de la vie monastique dans l'itinéraire religieux à cette époque. Cette source est particulièrement précieuse, car elle est le premier document hagiographique conservé dans le royaume; en outre, elle est contemporaine des événements, puisqu'elle est écrite peu après 920, juste après la mort du saint. Froilan, originaire de Lugo, devient ermite à dix-huit ans. Après une période de prédication, jusque dans les villes, il se retire à nouveau, « cherchant les déserts et les lieux inaccessibles et fuyant les honneurs et les louanges des hommes » ; en compagnie d'Attila, il mène alors une vie d'ascèse et de prédication dans les montagnes du Curueno, et ne tarde pas à attirer à lui des «hommes et femmes de toutes conditions »106 • Avec le soutien d'Alphonse III, il fonde trois monastères dans la région de Leon107 • Vers 900, le roi le contraint à devenir évêque de Leon, tandis qu'Attila est placé sur le siège de Zamora. F. Lopez Alsina peut à juste titre conclure : «Le prototype de l'idéal de sainteté est tout simplement celui de la vie monastique »108 ~précisons, souvent de type érémitique. Cette régénération spirituelle s'accompagne logiquement de l'espérance d'une prochaine victoire.
C. La victoire, don de Dieu
Dieu et ses saints sont constamment invoqués pour obtenir la victoire militaire. Dans les premières compositions liturgiques probablement postérieures à l'invasion de 711, les chrétiens se tournent déjà vers Dieu pour obtenir son aide contre les menaces militaires de leurs ennemis. Certes, la missa omnium tribu/antium, peutêtre composée au huitième ou au neuvième siècle, est encore révélatrice du désarroi d'une partie des Mozarabes face à la nouvelle situation politico-religieuse : les chrétiens y affirment ne pas comprendre les jugements de Dieu et ne savoir que lui demander, tout en espérant être « libérés du péril » et échapper à la domination des « hérétiques » ; cette messe est peut-être la seule à demander à Dieu non seulement la libération des chrétiens de la domination des « hérétiques », mais surtout la conversion des «infidèles» ou leur confusion, c'est-à-dire, après la «ruine» des
105
Ordofio de Celanova, Vida y milagros de San Rosendo, pp.27-28.
106
Vita Froilani : Relinquid platea loca adpetens per deserta et inaccesivilia fugiendo favores et laudes hominum. 107
A. Lambert, 'Attila (saint)', dans DHGE 5 (1931), cols.169-173 (col.l70).
108
Lôpez Alsina, La ciudad de Santiago, pp.l19.
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chrétiens, la défaite militaire de ceux qui« espèrent dans leurs arcs »109 • Au huitième siècle, une des prières de la messe de saint Clément l'exhorte à délivrer les chrétiens « de la main des fils étrangers », des « païens » et des « nonbaptisés», et à détruire leurs armes 110 . De même, dans l'hymne Tempore belli (v. 1324, 33-36 et 77-84), les chrétiens demandent à Dieu d'être le «soutien» de ses «enfants», comme il aida son peuple contre les ennemis, à l'époque d'Abraham, de Moïse, de Gédéon et de Josué ; cette protection a une évidente dimension temporelle, puisque l'hymne précise : «Fracasse les épées, romps les flèches, brise les boucliers de ceux qui veulent les guerres». Avant la doxologie, la prière finit sur cette exhortation : « Repousse la peur en renouvelant les âmes, mets les ennemis en fuite après les avoir brisés et apporte les dons de la paix perpétuelle » 111 • Naturellement, ce thème de la guerre providentielle est très étroitement lié au milieu royal. Une des sculptures les plus répandues du palais de Naranco, construit au début du neuvième siècle par Ramire 1er, représente un guerrier à cheval, surmonté d'orants (planche 4, p.85) 112 • Les chroniques asturiennes de la fin du neuvième siècle associent aussi constamment la victoire militaire à la bénédiction divine. Dans le récit de la bataille de Covadonga, Pélage affirme à l'évêque Oppa, rallié aux musulmans: «Nous avons comme avocat auprès du Père le Seigneur Jésus-Christ, qui a le pouvoir de nous libérer de ces quelques [musulmans]» (Rotense § 9). Effectivement, la victoire bascule dans le camp asturien grâce aux nombreuses « merveilles du Seigneur», Domini magnalia : les pierres lancées par les musulmans leur retombent dessus, puis l'armée musulmane en retraite est écrasée dans la montagne lors d'un glissement de terrain provoqué par la « vengeance du Seigneur » ou un «jugement de Dieu ». Les combattants chrétiens peuvent alors à juste titre s'exclamer : « Béni soit le nom du Seigneur, qui réconforte ceux qui croient en lui et anéantit les peuples impudents»(§ 10). Au total, « grâce à la Providence divine, le royaume des Astures voit le jour» (Albelda § XV-1) 113 • Par la suite, les victoires chrétiennes sont toujours remportées «avec l'aide de Dieu». Aussi, «grâce à la protection de la clémence divine, le territoire des ennemis 109
Le Liber Ordinum wisigothique, p.345 : Quid in occultis judiciis tuis secernatur nescimus et ideo quod orare nos uporteat penitus ignoramus [... ]Mede/lam sceleribus nostris exposcimus, et ut infidelibus verissimam danes fidem expetimus : ut aut convertantur et vivant, aut corifundantur et amplius de ruina nostra non gaudeant. [... ] in sua sperant arcu, et de tua nil trepidant brachio. Contra: Henriet, 'L'idéologie de guerre sainte', p.213, qui pense que cette confusion est d'ordre dogmatique. 110
Le Liber Mozarabicus Sacramentorum, p.41-42.
111
Tempo re Belli: lnstaurans animas pelle timo rem,/ hostes comminuens sparge jùgatos,/ pacis perpetue munera confer. 112
Cf. supra, pp.76-77.
113
Astororum regnum divina providentia exoritur.
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a diminué chaque jour et celui de l'Eglise du Seigneur grandit et progresse dans le bien» (Prophétique§ XIX-3). La victoire définitive dépend elle-même de la volonté de Dieu. Selon la Chronique d'Albelda, dans la version du Codex Albe/da (a0 976), «les chrétiens engagent jour et nuit des guerres contre [les Sarrasins], et les affrontent quotidiennement, jusqu'à ce que la providence divine ordonne de les expulser de là cruellement» (§ XIV-34). Plus généralement, l'auteur de la Chronique prophétique demande à Dieu qu'il« ordonne ainsi de soustraire son Eglise au joug des Ismaélites dans un temps très proche» (§ XIX-4). Dans cette guerre, considérée dès le huitième siècle comme juste, les chrétiens sont donc directement soutenue par Dieu à l'instar des juifs de l'Ancien Testament. L'Eglise intervient pour obtenir la victoire du prince « contre les adversaires de la foi », selon l'expression du Testamentum d'Alphonse IL Dans ce document, le roi demande même à Dieu d'absoudre ceux qui œuvrent« pour la récupération de ta maison » 114 • Et la Chronique d'Albe/da n'hésite pas à parler de victoire « sacrée» : Cui principi sacra sit victoria data (§ XII). Une telle précocité est propre à l'ensemble asturoléonais, puisque, dans le royaume d'Aragon étudié par P. Sénac, cette «idéologie guerrière» n'apparaît pas avant les années 1060/1070 115 • Dans les textes postérieurs, les victoires sont toujours perçues comme un don de Dieu, selon le vocabulaire employé par Sampiro (pp.l62-163). En effet, Dieu a «pitié de son peuple » 116 et récompense la rectitude de certains rois, tandis que la Chronique d'fria évoque à l'époque du roi Ordofio II les« incessantes victoires que Dieu accomplit contre les Sarrasins» (assiduas victorias quas Deus de Sarracenis egit) 117 • Selon l'Historia Silense, Fruela 1er est souvent victorieux, en raison de sa «grande obéissance à Dieu»,« bien que son esprit âpre soit dans d'autres affaires» (p.137). Plus tard, Dieu voit une telle dévotion chez Alphonse III qu'il le récompense comme autrefois les Maccabées, qui combattait pour défendre son culte et le respect de sa Loi : « il multiplia sa descendance, pour renforcer le royaume des Goths et rabaisser les peuples barbares, comme jadis le peuple israélite à l'époque de Mathatias et de Juda contre leurs ennemis » (pp.l49-150) 118 • Au onzième siècle, 114
Testament d'Alphonse II en faveur de San Salvador de Oviedo (a 0 812): Colecci6n de
documentas de la Catedral de Oviedo, no 2 (A'): Clementie tue dona ita justifiees ut cuncti, qui hic operantes ad recuperacionem domus tue obedientes extiterunt, suorum omnium abolitione excipiant peccatorum, quatenus et hic exclus a fame, peste, morbo et gladio defensi clipeo protectionis tue, felices se esse gaudeant, et futuro in seculo feliciores cum angelis celestia regna possideant. 115 116
Sénac, La frontière et les hommes, pp.357-359. Donation par Rodrigue de villae à l'évêque Jérôme de Valence (a0 1098) :Documentas
de ... Salamanca, n° 1. 117 118
Chronique d'fria,§ 8, p.114.
Tantam itaque Deus in eo devotionem respiciens, non aliter Mathatie olim Juda de inimicis Israeliticam plebem, quam huic ad corroborandum regnum Gotorum deprimendas
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Alphonse V est, par son zèle pour la «vraie loi de Dieu» (verum !egem Dei zelando ), vainqueur de la « superstitieuse secte barbare » ; et les victoires de Ferdinand I"' s'expliquent par sa générosité en faveur de l'Eglise et des pauvres (pp.l76-177). Dans cette guerre providentielle, les chrétiens sollicitent également l'intercession de quelques saints. A partir du règne d'Alphonse III, saint Jacques, apôtre de l'Espagne et patron de la royauté, devient le premier intercesseur vers lequel se tournent les rois pour obtenir la victoire. Mais, avant le prodigieux essor du culte compostellan, les rois se tournent vers d'autres saints. La Chronique d'Alphonse III attribue ainsi à la Sainte Vierge Marie un rôle essentiel dans la victoire de Covadonga : Pélage se réfugie sur le mont Auseba, dans la coba dominica ou, selon la version Ovetense, la cava sante Marie, à l'intérieur de laquelle se trouve la «maison de la Sainte Vierge» (domum sancte virginis Marie); les pierres lancées par les musulmans rebondissent alors miraculeusement sur la demeure de la sainte ct sont renvoyées sur les assaillants(§ 9 et 10). Dans le récit de l'Historia Silense, c'est par son « intercession » (per intercessionem genitricis ejusdem Domini nostri) et en demandant ses« suffrages» (beate Marie sufragia {.. .] poscentes) que Pélage espère redonner la victoire au« peuple des Goths» (p.l33). Il est difficile de savoir si ce culte, attesté au douzième siècle par l'Historia Silense, existe déjà au huitième, comme le pense J.l. Ruiz de la Peîia 119 , ou s'il procède d'une interpolation lors de la rédaction finale de la chronique : selon J. Gil, son auteur copie des récits grecs qui attribuent à l'intervention de la Sainte Vierge les trois victoires byzantines devant Constantinople aux septième et huitième siècles ; cette interpolation permettrait alors de mettre implicitement sur le même plan Pélage, libérateur de l'Espagne, et l'empereur Léon III, sauveur de la nouvelle Rome 120 • Pourtant, cette comparaison paraît peu probable, puisque l'intervention de la mère de Dieu est absente de l'unique récit ibérique de ces événements, transmis par la Chronique mozarabe de 754 (§ 29 et 58). En revanche, l'extraordinaire retentissement de cette victoire tout au long de l'histoire asturo-léonaise explique certainement en partie la dévotion particulière des rois postérieurs à Marie. Quand Ramire 1er édifie son complexe royal sur le mont Naranco, il fait construire à côté de son palais, au lieu-dit Lillo, une église qui lui est initialement vouée : en témoignent la Chronique d'Alphonse III-Ovetense (§ 24) et les sculptures des bases des colonnes intérieures de l'édifice figurant le thème de l'Annonciation 121 • Plus tard, lors du transfert de la capitale à Leon au début du dixième siècle, Ordoîio II fait construire à l'intérieur des fortifications une nouvelle cathédrale, dédiée à la Vierge, qui remplace l'ancienne église San Pedro (Silense p.l56). barbaras gentes, sobolem multiplicavit. 119
Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', p.40.
120
Gil Femândez, 'Judîos y Cristianos', 15-16.
121
Fontaine, L'art préroman hispanique 1, pl. n° 122.
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Saint Michel archange bénéficie aussi d'une bonne popularité dans le royaume et à la cour, en raison de sa forte dimension guerrière: lors de l'apparition à Daniel d'un ange, ce dernier affirme être aidé dans sa lutte contre le roi de Perse par Michel (Dan 10, 13-14 et 21); puis il prophétise son intervention au côté du peuple d'Israël au jour de la Résurrection (Dan 12, 21); dans le livre de l'Apocalypse, il est présenté comme le vainqueur du Diable, alors jeté sur terre avec ses anges (12, 7-8). Ainsi, après la mort de Ramire le', le palais de Naranco est converti en une église vouée à la mère de Dieu, tandis que l'église Santa Maria de Lillo prend le nom de San Miguel. Selon l'auteur de l'Historia Silense, cette église est dès l'origine dédiée à l'archange, ce qui permet au roi d'obtenir la victoire militaire: «Elle convint bien au bienheureux archange Michel, qui, par la volonté de Dieu, donna partout au prince Ramire le triomphe sur les ennemis» (p.l44). Au début du neuvième siècle, lors de l'installation de la capitale à Oviedo, Alphonse II consacre à l'archange le premier étage de sa nouvelle chapelle royale, la Camara Santa. Plus généralement, son culte occupe une place importante dans le royaume d'Oviedo-Leon: soixante-sept monastères lui sont consacrés entre les huitième et onzième siècles (planche 9, p.89); cette vogue se retrouve dans la Rioja des dixième-quinzième siècles, avec dix-sept églises 122 • Plus tard, un saint contemporain, Dominique de Silos, est plus spécifiquement invoqué afin de libérer les captifs en zone musulmane : pendant sa vie, il accomplit ainsi un miracle de libération- sur un total de quatorze-, puis, trois autres post mortem- sur les trente-neuf mis par écrit juste après sa mort 123 . Simultanément, tout en approfondissant leur foi, les Asturo-Léonais prennent peu à peu en compte la spécificité religieuse de leurs adversaires, dont l'hérésie souille les édifices cultuels.
II. Purifier les édifices Pendant les deux premiers siècles, les musulmans sont avant tout considérés comme des Barbares païens, étrangers et adversaires de la civilisation que prétend incarner le royaume asturien. Cependant, à partir du neuvième siècle, l'originalité de leur religion est mieux perçue et le vocabulaire employé devient nettement péjoratif124 ; cette radicalisation est patente à partir de l'an mil, sous l'effet des violentes dévastations d'al-Mansur.
122
Cantera Montenegro, 'Advocaciones religiosas en la Rioja', 39-61. Vita Dominici Siliensis, livre I, §XII ; § XXI, XXV, XXVI. 124 Barkai, Cristianos y musulmanes, pp.34-38. 123
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A. L'apparition d'un antagonisme religieux spécifique La découverte de l'originalité de la religion musulmane date du neuvième siècle, quant arrivent dans le nord de la péninsule les premiers textes sur la naissance de l'Islam et sa civilisation ; provenant des mozarabes, ils sont souvent le fruit d'une synthèse entre leurs propres observations et les informations fournies par les chrétiens d'Orient 125 . Ainsi, peut-être vers 754/756, à partir de sources orientales chrétiennes, un clerc mozarabe du sud de l'Espagne fait un portrait très ironique et moqueur de Mahomet, qu'il inclut vraisemblablement dans une chronique. En 848, à l'occasion d'un voyage, Euloge le découvre dans l'abbaye de Leire, près de Pampelune, et l'incorpore à son Apologeticus martyrum (a 0 857) 126 ; ce texte est ensuite inséré -ainsi qu'une généalogie des Sarrasins - dans la Chronique prophétique par son auteur mozarabe 127 . Mahomet y est décrit comme un homme avide, fornicateur, menteur, orgueilleux et entouré de grossiers compagnons. Certains aspects de la religion sont cependant bien connus, notamment son monothéisme, puisque Mahomet enseigna « presque avec quelque raison, de s'écarter du culte des idoles et d'adorer un Dieu corporel dans les cieux ». Mais en fait, Mahomet a corrompu la foi des chrétiens, dont il a fréquenté les assemblées, et doit être qualifié de «pseudo-prophète » et d'« hérésiarque». De même, ce texte n'ignore ni l'importance de l'ange Gabriel dans le Coran-« l'esprit de l'erreur lui apparaissant sous la forme d'un vautour»-, ni surtout la dimension guerrière de la religion musulmane : Mahomet « fait prendre les armes à ses fidèles, et, comme animé du zèle nouveau de la foi, leur enseigne à mettre à mort leurs adversaires par l'épée». Le récit de sa mort, tiré d'une légende syriaque, est particulièrement moqueur : après avoir attendu pendant trois jours la résurrection qu'il avait prédite, ses disciples sont obligés de constater la putréfaction de son corps, abandonné aux chiens. Au total, l'origine diabolique de cette religion est clairement établie : Mahomet a « livré aux enfers non seulement son âme, mais aussi celles d'innombrables [disciples] ». Ce texte polémique mozarabe, qui fait du prophète «l'antithèse et la contrefaçon du Christ», «n'est pas gratuit, mais au service de l'action immédiate, du sacrifice de sa vie pour l'amour de JésusChrist » 128 • Simultanément, l'auteur de la Chronique prophétique désigne les musulmans par 125
M.T. d'Alvemy, 'La connaissance de l'Islam en Occident du IXe au milieu du XII" siècle', dans L'Occidente e l'Islam nell'Alto Medioevo = Settimane di studio del Centra Italiano di Studi sull'Alto Medioevo 12 (Spolète: Centro Italiano di Studi sull'Alto Medioevo, 1965), pp.577-603 (pp.589-591). 126 Millet-Gérard, Chrétiens mozarabes, pp.125-137. Bronisch, Reconquista und Heiliger Krieg, pp.149-151. 127 Chronique prophétique, éd. par Bonnaz, Les chroniques asturiennes, pp.5-6. 128 Millet-Gérard, Chrétiens mozarabes, pp.135-136 et pp.141-143.
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des termes bibliques auxquels il confère explicitement une connotation très péjorative. Ainsi, il utilise pour la première fois le mot « Agarène », puisque les musulmans eux-mêmes «pensent avec plus de raison qu'ils viennent d'Agar», c'est-à-dire de la concubine d'Abraham, mère d'Ismaël, privée de l'alliance de Yahvé. Son allusion à l'étymologie du terme « Ismaélite », qui dérive d'Ismaël (le fils d'Agar), doit être comprise dans cette même perspective judéo-chrétienne. Il refuse donc l'étymologie musulmane de «Sarrasin», qui vient de Sara, la femme légitime d'Abraham (Prophétique § XVI-1) 129 • Cette thématique apparaît sur le tympan méridional de l'église San Isidoro de Leon- construite par Ferdinand 1er-, qui représente l'épisode du sacrifice d'Abraham, Sara et Ismaël, figuré en archer conformément au livre de la Genèse (Gn 21, 20) 130 • Pourtant, durant le dixième siècle, il n'y a pas de véritable radicalisation du vocabulaire. Certes, le terme d' « Ismaélite » commence à se développer ; sur une inscription qui commémore la restauration de la Casa de los Argücllcs, à Sama dans les Asturies-, «Ismaël» personnifie même l'ensemble des musulmans : « Ismaël me détruisit, Acbala me reconstruisit » 131 • La première partie des Annales de Castille, rédigée au milieu du dixième siècle, prend soin de mentionner la prédication de Mahomet à l'année 618 et qualifie le calife Abd al-Rahman III (912929-961) de« roi très impie » 132 • A partir des dévastations d'al-Mansur, la religion musulmane devient en revanche une composante à part entière de l'antagonisme entre Asturo-Léonais et Sarrasins.
B. Al-Mansur et la radicalisation de l'antagonisme En 981, le vizir al-Mansur effectue son premier grand raid dévastateur en Castille. Dès lors, le royaume de Leon subit régulièrement de profondes attaques jusqu'en 1008, date de la mort de son fils, Abd al-Malik. Ces destructions et massacres produisent un traumatisme durable chez les chrétiens, qui perçoivent de plus en plus clairement la spécificité de la religion musulmane.
129 Sarraceni perberse se putant esse ex Sarra; verius Agareni ab Agar et Smaelite ab Smael filio Abraam et Agar. 130
Photographie dans Vifiayo Gonzalez, L'ancien royaume de Leon roman, pl. n° 23.
131
Diego Santos, n° 203 : me Ismael delevit, Acbala me reaedificabit.
132
Annales castillanes premières.
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CHAPITRE VI
1. Le choc d'al-Mansur
Les ravages provoqués par al-Mansur dans le royaume de Leon sont considérables133. En 988, l'abbé Pierre du monastère de San Pedro de Eslonza justifie sa vente d'un bien appartenant à l'abbaye, par son état de dénuement depuis les incursions d'al-Mansur: à ses yeux, Dieu déclencha sur les chrétiens« une très forte tempête comme il n'y en eut pas depuis le début du monde», à l'issue de laquelle «il ne resta debout ni une cité, ni une église, ni un monastère »134 • Au début du siècle suivant, la description de Sampiro est éloquente : « Tout le peuple des Ismaélites » a pénétré à l'intérieur des «frontières des chrétiens» (fines Christianorum), c'est-à-dire dans les «royaumes des Francs [la Catalogne], de Pampelune et de Leon », et il « dévasta les cités et les châteaux », « dépeupla toute la terre » et «brisa et incendia les églises, les monastères et les palais » (p.l72). En outre, ces attaques provoquent une véritable guerre civile, car al-Mansur parvient à obtenir la soumission de nombreux nobles chrétiens qui s'allient avec lui «contre le peuple et notre patrie » 135 • Le tableau dressé par le préambule d'un diplôme royal de 998 est encore plus explicite: après avoir expulsé le roi Vermude Il, les musulmans « n'hésitèrent pas à livrer son propre royaume aux mains de satellites», puis «afin de détruire le royaume des chrétiens», «ils emmenèrent en captivité une très grande partie de la Chrétienté et tuèrent l'autre». L'auteur de ce préambule conclut que « par leurs actions mauvaises et impures, ils accomplirent de multiples crimes et choses inaudibles, qu'il vaut mieux taire que raconter »136 • Selon J. Janini, une oraison de la missa votiba omnimoda, qui se trouve dans le Liber Ordinum d'un prêtre, mis par écrit en 1039 à l'abbaye de Silos, est peut-être même une composition de l'époque d'al-Mansur 137 ; elle demande ainsi: «Aie pitié de nous, Seigneur, aie pitié de nous, et arrache nous à tous les maux passés, présents et futurs. Eloigne de nous la fureur de ta colère, le glaive, la captivité, l'épidémie, la 133
M.I. Pérez de Tudela y Velasco, 'Guerra, violencia y terror: la destrucci6n de Santiago de Compostela por Almanzor hace mil anos', En la Espana Medieval21 (1998), 9-28. 134
Vente par l'abbé Pierre de San Pedro de Eslonza d'un bien appartenant à son abbaye en raison de son dénuement, provoqué par les attaques d'al-Mansur (a 0 988) : Colecciôn diplomâtica de Sahagûn 1, no 340: Tempestas validissima qualis non fuit ab inicio seculi. 135
Restitution par Vermude II à l'abbaye de Celanova de biens usurpés par Osorio Diaz (a 996) : 'Notes et documents sur l'histoire', pp.349-454, n° XXXVI. 0
136 Donation par Vermude II au prêtre Sampiro de biens confisqués au rebelle Gonzalo Vermûdez (a 998?): Colecciôn de la catedral de Leôn 2, n° 581 (reg. Lucas Alvarez, R1301): Et proprium regnum suum in manibus satellitarum tradere non veritis sunt [ .. .] et adhuc multa nefanda et rem inaudita peifere egerunt male agente8 et inœste operantes, de quorum miserrima eorum Jacta melius }am silere est quam loqui. 0
137
Liber ordinum sacerdotal: Cod. Silos, Arch. Monâstico 3, éd. par José Janini, Studia Silensia 7 (Abadia de Silos: 1981), pp.24-25.
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famine, la tribulation et les embûches de nos ennemis »138 . A la différence de la documentation catalane contemporaine de la prise de Barcelone (985), les sources asturo-léonaises, diverses et originales, attestent donc autant -selon la terminologie de M. Zimmermann139 - d'un « effroi collectif» et d'un « désastre matériel » que des « implications juridiques et patrimoniales » consécutives aux dévastations provoquées par al-Mansur. Le souvenir de cette triste époque demeure alors profondément ancré dans la mémoire chrétienne durant tout le onzième siècle. Une des descriptions les plus émouvantes figure dans le testament de l'abbesse Flora en faveur du monastère Santiago de Leôn, en 1023 ; il retrace le récit des vicissitudes subies par son abbaye Santa Cristina et, ainsi, rend compte des dévastations de cette époque : «Le peuple des Sarrasins fit irruption [... ] dans l'ensemble de la province occidentale, afin de dévorer la terre, de tuer tous [les chrétiens] par le glaive, d'emmener des captifs»; ainsi,« il jetèrent les cités à terre, détruisirent les murailles, nous opprimèrent, abattirent les villes et coupèrent les têtes des hommes, de sorte qu'après cette dévastation, il ne resta plus aucun citoyen, vicus ou château debout » 140 • D'une manière générale, les actes diplomatiques ne manquent pas non plus d'évoquer les destructions, qui ont souvent profondément perturbé la gestion des terres et embrouillé les droits de propriété. En 1015, le roi justifie sa propriété de deux vignes, en rappelant que les deux frères qui les possédaient - en récompense de leur fidélité - « furent capturés et emmenés à Cordoue » 141 . Un vigoureux effort de restauration des institutions ecclésiastiques et des villes suit alors cette période, quand par exemple en 1017, Alphonse V ordonne « que la cité de Leôn, qui fut dépeuplée par les Sarrasins au temps de mon père le roi Vermude [II], soit repeuplée par cesfueros » 142 • Les récits historiques postérieurs accordent aussi une place importante à cette époque, comme en témoigne le faux acte de dotation de 1' évêché de Leôn par son évêque Pélage (a 0 1073), confectionné au tournant des onzième et douzième siècles. Son préambule détaille longuement les exactions qu'infligèrent les musulmans à cette région : églises détruites, autels renversés, province dépeuplée et soumise au pouvoir musulman ; « pendant ce temps, ce siège [de Leôn] fut corrompu et souillé,
138
Liber ordinum sacerdotal, p.92.
139
M. Zimmermann, 'La prise de Barcelone par Al-Mansur et la naissance de l'historiographie catalane', Annales de Bretagne et des pays de l'ouest 87 (1980), 191-218 (217). 140
Testament de l'abbesse Flora en faveur du monastère de Santiago de Leon (a 1023) : Colecciôn de la catedral de Leôn 3, no 803. 141
0
Alphonse V échange deux vignes, qu'il avait données à un fidèle (a 1015) : Colecciôn de la catedral de Leôn 3, no 737. 142
0
Fuero de Leon, version pélagienne (a0 1017), c. 21: 'La tradicion manuscrita del fuero', p.l65.
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CHAPITRE VI
et il demeura sans aucun bien pendant de nombreuses années » 143 . De même, l'auteur des Annales portugalenses veteres de 1079, après avoir recopié la liste des rois asturiens du huitième siècle jusqu'à Alphonse II (a0 790), enchaîne directement avec l'énumération des offensives d'al-Mansur, en 987, 995 et 1000, puis passe à l'éclipse de 1033 144 . Il faut attendre le début du douzième siècle pour que le souvenir de cette terrible période commence à s'estomper; une fois rappelée la «tempête» à l'occasion de laquelle «tout le divin culte périt en Espagne », « toute la gloire des chrétiens disparut» et «les trésors des églises furent complètement spoliés», l'auteur de l'Historia Silense reconnaît enfin que « la divine piété, compatissant à une telle ruine, jugea digne d'enlever des cerveaux des chrétiens ce désastre» (pp.175176)145. Entre temps, l'image des musulmans a notablement changé. 2. Les musulmans, instruments du Diable
L'antagonisme religieux est désormais perçu de façon beaucoup plus radicale. Tandis que subsistent les anciennes appellations de « barbares », «Arabes », « Gétules », « Chaldéens », « Maures » et « Sarrasins » - qui demeure une des plus utilisées (par exemple Sampiro pp.160-162 et Silense p.120) -, les termes bibliques à forte dimension religieuse se multiplient dans la documentation à partir du onzième siècle: «fils de Bélial » 146 , « Agaréens » ou «fils d'Agar» (Sampiro p.163, 167, 170 et 172), et surtout « Ismaélites », répandu à la fois dans les sources littéraires - Chronique de Sampiro, Vie de saint Dominique et Historia Silense - et diplomatiques 147 . A la fin du onzième siècle, les redoutables Almoravides, récemment appelés au secours par les rois musulmans d'al-Andalus, sont désignés par le Cid du nom d'un autre peuple ennemi d'Israël, les «Moabites » 148 . Les chrétiens les différencient nettement des «Sarrasins», c'est-à-dire des musulmans des taifas, en raison de leur refus de toute domination chrétienne et même de toute compromission. Cette distinction est patente dans l'Historia Roderici en particulier 143 Dotation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Leon à l'occasion de sa restauration (a 0 1073): Coleccion de la catedral de Leon 4, n° 1190: Interea contigit hanc sedem depravari et contaminari et fuit sine honore muftis annis.
144 Annales portugalenses veteres-1 079, pp.291-312. 145 Cum tandem divina pietas, tante ruyne compatiens, hanc cladem a cervicibus Christianorum auferre dignaretur.
146 Confirmation par une assemblée royale, présidée par Alphonse V, de biens usurpés au monastère de Celanova (a 1002): 'Alfonso V, rey de Leon', n° II. 147 Confirmation par Alphonse V du château San Salvador à l'évêque de Leon (ao 1012): Coleccion de la catedral de Leon 3, n° 707 (reg. Lucas Alvarez, Rl-320). 148 Donation par Rodrigue de villae à l'évêque Jérôme de Valence (a 1098): Documentas ... de Salamanca, n° 1. 0
0
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lorsque le Cid, qui assiégeait Valence, «ne promit en aucune façon de faire la paix avec [les habitants de Valence], excepté s'ils se séparaient des Moabites et les expulsaient totalement de la ville » 149 • Ces termes sont accompagnés de qualificatifs religieux plus précis et d'appréciations morales nettement péjoratives. Dans un acte de 998, ils sont« fils de perdition» (ji/ii perdictionisY 50 • Sampiro estime qu'al-Mansur porte un «faux nom» (nomen falsum, p.172). Au dire des Annales portugalenses veteres de 1079, ils sont« ennemis du nom chrétien » 151 . A partir du dernier tiers du onzième siècle, la documentation utilise souvent les appellations d'« infidèles », « gentils », « païens », de « peuple perfide » et « orgueilleux », «presque semblable aux anciens idolâtres » (gens perfida Hismahelitarum et pene similis antiquis cultoribus idolorum) 152 • La Translation de saint Félix évoque «la monarchie de toute l'Espagne, naguère attaquée et vaincue par le peuple immonde des Agaréens (a spurcissima gente Agarenorum), et jusqu'au règne [d'Alphonse VI] soumise, captive et opprimée par leur ignoble violence » 153 . Car, désormais, la documentation associe couramment les musulmans au diable. La victoire leur est donnée par l' «antique serpent», selon le testament de l'abbesse Flora de 1023 154 • Selon l'Historia Silense, la religion de Mahomet, qui porte un «nom néfaste» (nefando Mahometis nomine), est une «superstitieuse secte barbare» (barbaricam superstitiosam sectam), colporte les «erreurs des démons» (variis demonum erroribus) et fait de ses fidèles des «sacrilèges» (Silense p.119, 136, 146 et 176-177). Un faux diplôme d'Ordofio Il, confectionné au tournant des onzième et douzième siècles à Compostelle, peut donc reprendre en substance la condamnation émise quelques siècles plus tôt dans la Chronique prophétique : ces «impies»« ont été plongés en enfer», in inferno dimersi sunt155 • Les édifices dévastés par les musulmans à l'époque d'al-Mansur sont souvent 149
Historia Roderici, § 54.
150
Donation par Vennude II au prêtre Sampiro de biens usurpés par des rebelles (a 0 998?): Coleccion de la catedral de Leon 2, n° 581 (reg. Lucas Âlvarez, Rl-301). 151
Annales portugalenses veteres-1079.
152
Par ex.: Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Leon à l'occasion de sa restauration (a l073): Coleccion de la catedral de Leon 4, n° 1190. 153 Translatio Felicis, pp.440-441. 154 Testament de l'abbesse Flora en faveur du monastère de Santiago de Leon (a 0 1023) : Coleccion de la catedral de Leon 3, n° 803 : Sic dedit illis insidiator noster antiquissimus 0
serpens victoria. 155
Ordofio II restitue à l'évêché d'hia-Santiago ce qui avait été concédé aux évêques de Lamego, Tuy et Oviedo, lui confirme les donations de milles antérieures et donne douze autres milles (a 0 915): La documentacion del Tumba A, no 28 (reg. Lucas Âlvarez, R1-90). Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.510-518.
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décrits comme spirituellement impurs. Dans la fausse donation d'Alphonse V à l'évêché de Saint-Jacques (a0 1024), les faussaires compostellans disent du siège de Tuy qu'il est «détruit, souillé par la crasse et déchu de l'ordre épiscopal » 156 • De même, selon la fausse dotation de l'évêché de Leon (a 0 1073), «le peuple perfide des Ismaélites [... ]anéantit les églises, détruisit les autels, souilla les choses saintes» et «ce siège fut corrompu et souillé » 157 • Enfin, l'inscription commémorant la restauration de San Salvador de Oviedo par Alphonse II, peut-être du début du douzième siècle, nous apprend que l'édifice antérieur« fut détruit par les Gentils et pollué par leurs souillures » 158 • Afin de «purifier les choses saintes qui avaient été polluées » (mundare sancta que po !luta fuerant), il faut donc procéder à leur « consécration », « dédicace » ou « restauration », « comme il est de coutume en raison des nombreuses guerres » ; ainsi, lors de la consécration de la cathédrale à Leon,« tout ce qui est mal s'en va et ce qui est bien est introduit» (discedat omne quod malum est et intromittatur quod bonum estY 59 • Plus généralement, au dire de l'Historia Silense, la consécration des édifices chrétiens libérés est la première opération effectuée, avant l'installation d'un évêque et la dotation de l'église (p.136). Cette purification ne s'applique pas seulement aux anciennes églises, mais aussi à de grandes mosquées converties en cathédrales : en 1098, après la conquête de Valence par le Cid, un diplôme en faveur du nouvel évêché rappelle qu' « il consacra cette mosquée, que les Agaréens avaient pour maison de prière, en église à Dieu » 160 ; la même opération avait déjà été réalisée en 1086 à Tolède, avec l'actif soutien d'Alphonse Vl 161 , où la mosquée, alors « habitation des démons », devint ainsi « l'habitation des saintes vertus célestes
156
Donation par Alphonse V du siège de Tuy et de différentes possessions à l'évêché de Santiago (a 1024): La documentacion del Tumba A, n° 64 (reg. Lucas Alvarez, Rl-342). Etude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe lb, pp.510-518. 0
157
Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Le6n à l'occasion de sa restauration (a 1073): Coleccion de la catedral de Leon 4, no 1190. 0
158
Diego Santos, n° 6 : Preteritum hic ante edifzcium fuit partim a gentilibus dirutum sordibusque contaminatum. Cette inscription est transmise par le Liber Testamentorum de l'évêque Pélage d'Oviedo ; elle demeure donc à nos yeux suspecte, bien que son authenticité soit acceptée par les critiques les plus récents. 159
Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Le6n à l'occasion de sa restauration (a 1073): Coleccion de la catedral de Leon 4, no 1190. 0
160 Donation par Rodrigue de villae à l'évêque Jérôme de Valence (a 0 1098): Documentas de ... Salamanca, no 1. 161
J. Orlandis, 'Un problema eclesiastico de la 'Reconquista' espafiola : la conversion de mezquitas en iglesias cristianas', dans Melanges offerts à Jean Dauvillier, Toulouse, Université de Sciences Sociales, 1979, pp.595-604.
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et de tous les chrétiens » 162 •
Conclusion Dès le huitième siècle, le conflit entre les chrétiens asturo-léonais et les musulmans a bien en soi une forte dimension religieuse : cette lutte, providentielle, ne peut être remportée qu'avec l'aide de Dieu, donc au terme d'une régénération spirituelle. Elle est vécue de façon radicale, par une spiritualité ascétique et fortement eschatologique, d'origine érémitique; elle se fait sous la direction du roi, qui, par son humilité et sa politique réformatrice, doit guider le royaume dans la voie du salut. L'ampleur et la profondeur de cette renaissance sont à la hauteur du traumatisme causé par le châtiment de 711. La nécessité d'un tel effort spirituel, préalable à toute guerre chrétienne, se retrouve dans la pensée des papes de la fin du onzième siècle et procède d'une même volonté de libération : ici, les ennemis sont intérieurs à l'Eglise -le clergé corrompu- et extérieurs -les excommuniés, les musulmans et les juifs. Une même vision théologique de l'histoire guide ces politiques : après le châtiment, doit venir la repentance, la réforme morale et religieuse, puis la bénédiction de Dieu et le retour à la liberté antérieure 163 • Simultanément, une connaissance plus détaillée de l'Islam puis les violentes dévastations d'al-Mansur radicalisent la dimension religieuse de l'antagonisme entre chrétiens et musulmans: la libération des territoires s'accompagne alors nécessairement de la purification religieuse de tous les édifices cultuels, souillés par une religion désormais explicitement associée aux forces du mal.
162 Lors d'une assemblée des grands laïcs et ecclésiastiques de son royaume à Tolède, Alphonse VI convertit la grande mosquée en cathédrale, restaure et dote l'archevêché (a0 1086): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplométtica, no 86: Ut sicut actenus fuit habitacio demonum abinc permaneat sacrarium celestium virtutum et omnium christicolarum. 163
J. Flori, 'Réforme, reconquista, croisade : l'idée de reconquête dans la correspondance pontificale d'Alexandre II à Urbain II', CCM 40 (1997), 317-335 (322-331).
CHAPITRE VII
Restaurer
L
a réorganisation qui suit la conquête de nouveaux territoires est caractérisée par un effort de reconstruction et de restauration des anciennes structures d'encadrement Le royaume connaît alors un «temps de la restauration», une véritable « ferveur restauratrice », selon les expressions appliquées par M. Zimmermann à la Catalogne de la même époque 1 • Cette œuvre se manifeste dans les actes diplomatiques par l'emploi d'un vocabulaire spécifique, en premier lieu du verbe restaurare. Ce dernier apparaît dans les archives de la cathédrale de Leon et du monastère de Sahagun en 904 2 , puis dans le Tumba A de Santiago en 9193 . Son usage demeure par la suite fréquent durant environ un siècle : à Saint-Jacques, ce verbe figure dans cinq actes du dixième siècle- sur trente-huit authentiques-, tandis qu'au siècle suivant, son utilisation diminue, avec une unique occurrence. Mais l'étude de cette politique de restauration ne peut se limiter à l'analyse du verbe restaurare - avec les substantifs restauratio et restaurator - ou des seules sources diplomatiques. En effet, cette œuvre est dépeinte dans l'ensemble des documents par un riche vocabulaire, qui comprend les verbes renovare, restituere, resurgere, reedijicare et reparare. 1
Zimmermann, 'Conscience gothique et affirmation nationale', p.54.
2
Donation par le prêtre Grat6n à son seigneur le diacre Gonzalo (a0 904) : Colecci6n de la catedral de Leon 1, n° 17; Concession par Alphonse III à l'abbaye de Sahagun de la juridiction sur les habitants d'une villa (a 0 904) : Colecci6n diplomatica de Sahagun 1, n° 6 (reg. Lucas Alvarez, R1-62). 3 Confirmation par Ordofio II des donations de Gat6n au monastère San Pedro y San Pablo de Triacastela, et donation supplémentaire (a 919) : La documentaci6n del Tumba A, no 31 (reg. Lucas Alvarez, R1-111). 0
304
CHAPITRE VII
La notion de restauration est ainsi au cœur de la vision asturo-léonaise du monde, alors qu'il faut attendre au plus tôt 1063, dans une copie des actes du concile de Jaca, pour qu'apparaisse pour la première fois en Aragon le terme recuperare4 • De nombreux historiens ont depuis longtemps pressenti l'importance politique de cette idée de restauration: alors qu'à la fin du seizième siècle, Ambrosio de Morales parle de restaurar lo perdido après la perdida de Espana5 , J.F. de Masdeu, deux siècles plus tard, fait du premier roi asturien Pélage le « restaurateur de la liberté des Espagnols »6 ; au dix-neuvième siècle, V. de La Fuente présente les premiers siècles de l'histoire de l'Eglise après 711 comme une Restauraci6n Cantabrica, une Restauraci6n Pirenaica et une Restauraci6n en Cataluna 7 ; et quand J. Caveda y Nava publie en 1879 son ouvrage sur les début de la monarchie asturienne, il l'intitule Restauraci6n de la monarquia visigoda en el siglo V/Tf. Que signifie alors ce concept de restauration? S'inspirant en partie des auteurs antérieurs, J.A. Maravall affirme que «la Reconquête n'est pas une création ex nihilo, ni même la création de quelque chose de neuf», mais «une restauration », la «restauration de l'Espagne »9 ; pour J.I. Ruiz de la Peîia, «la finalité de la lutte quotidienne des chrétiens ( ... ) doit se concevoir, et ainsi en est-il, comme la restauration totale de cette unité [de l'Espagne]». J.A. Maravall a même touché du doigt le problème de fond, en déclarant qu'il ne s'agit pas réellement d'une restauration, mais que cela est vu comme tel à 1' époque. Mais, négligeant 1' étude précise du vocabulaire, ces historiens ne perçoivent pas sa signification profonde et demeurent attachés à l'ancien vocabulaire historiographique, en premier lieu au « terme précis » de « Reconquête », qui désigne la « lutte quotidienne des chrétiens » 10 . Tous ces termes impliquent une volonté évidente de renouer avec le passé, la plupart du temps en reconstruisant les édifices détruits par les guerres et en rétablissant les structures d'encadrement, civiles et ecclésiastiques 11 • Comme le dit justement A. Milhou pour le Bas Moyen Age, «à la destruction s'opposent les activités rédemptrices de la Reconquête, vue comme une restauration gothique, une récupération de l'unité perdue » 12 • Mais, la restauration n'est pas uniquement tournée vers le passé. Son vocabulaire dénote bien souvent une volonté 4
Sénac, La frontière et les hommes, p.364. Morales, Coronica General de Espana 3, p.l. 6 Masdeu, Historia critica de Espana 12, p.59. 7 La Fuente, Historia Eclesitistica de Espana 3 (2e éd.), p.33, p. 57 et p.78. 8 Caveda y Nava, Restauraci6n de la monarquia visigoda. 9 Maravall, El concepto de Espana, pp.294-295. 10 Ruiz de la Pefia Solar, 'La monarquia asturiana', p.123. 11 'Rucquoi, Histoire médiévale, pp.162-173. 12 Milhou, 'De Rodrigue le pécheur à Ferdinand le restaurateur', pp.365-366. 5
Restaurer
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d'amélioration, comme en témoigne l'emploi répété de l'expression «restaurer en mieux».
1. Reconstruire et rétablir les institutions Le verbe restaurare est forgé à l'époque impériale sur le modèle du couple instituere 1 restituere : il remplace instaurare dans le sens de restaurer, dont le préfixe in semblait incompatible 13 • Restaurare est donc associé à deux idées : se tenir debout (stare) et revenir à un état antérieur (re). A l'époque classique, il est souvent utilisé dans le sens de « rebâtir», «réparer» ou «refaire » ; ainsi, dans les inscriptions épigraphiques, le restaurator est le« restaurateur d'une ville». Ce verbe a aussi le sens figuré de reprendre ou renouveler, notamment dans un contexte juridique ; il est alors proche des verbes renovare et resurgere, qui signifient « renouveler» ou «relever ». Pendant la conquête asturo-léonaise, ce verbe restaurare sert à désigner la restauration des anciens édifices romano-wisigothiques détruits lors des guerres civiles ou des affrontements entre chrétiens et musulmans ; il doit donc être entendu «dans un sens précis, concret » 14 . Dans la documentation, la restauration d'un établissement ecclésiastique équivaut parfois à une fondation, vraisemblablement parce qu'elle suppose une nouvelle consécration de l'édifice; ainsi le monastère de Santa Maria de Piasca, qui «est fondé et restauré »15 • La reconstruction des édifices peut être signifiée par d'autres verbes. Dans les gloses d'un manuscrit confectionné en 964 à San Millân de la Cogolla, restaurare est défini par innovare, reparare et reintegrare 16 • Reedificare est aussi utilisé avec cette acception, par exemple sur l'inscription commémorant la restauration de la Casa de los Argüelles, à Sama ~province d'Oviedo: «Ismaël me détruisit, Acbala me réédifia >P. Enfin, plusieurs inscriptions, qui rappellent la reconstruction d'une église, emploient le verbe restituere, à l'instar de celle de l'église de Santianes, probablement du onzième siècle, selon laquelle «le prêtre Pélage, fils de Garcia, restitua ce temple » 18 . Le 13
'Instaura', dans J. André, A. Emout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4° éd. (Paris: Klincksieck, 1979), p.319. 14
Zimmermann, 'Conscience gothique et affirmation nationale', p.54.
15
Donation au monastère de Piasca (a 0 930) : Colecciôn diplomâtica de Sahagun 1, no 39.
16
Fuentes espafioles altomedievales: El codice emilianense 46 de la Real Academia de la Historia, primer diccionario enciclopédico de la peninsula ibérica. Ediciôn y estudio, éd. par C. Garda Turza et J. Garda Turza (Madrid: Real Academia de la Historia-Fundaci6n Caja Rioja, 1997), p.499. 17 18
Diego Santos, n° 203.
Diego Santos, no 88 : Pelagius prolis Garcie presbiter istum restituit templum caro Domini dedicatum.
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CHAPITRE VII
verbe renovare est particulièrement fréquent dans la documentation diplomatique de cette époque. La plupart du temps, il accompagne un autre verbe, comme restaurare et amplificare ; 1' église Santa Maria de Tifiana, autrefois détruite, est ainsi donnée par Alphonse III à un prêtre pour qu'il la restaure et rénove «en mieux »19 . Recreare, épisodiquement mentionné, désigne la remise en exploitation des terres : Ferdinand Ier donne à un monastère une villa avec le pouvoir d' «édifier, planter et recréer »20 . Cette restauration matérielle concerne également de simples objets, des instruments liturgiques, à l'instar des «ornements» que l'évêque Pélage de Leon découvre « usés par leur grand âge »21 . Sont enfin restaurées des villes entières, souvent en grande partie détruites par les guerres ; dans un diplôme délivré par Alphonse VI, le roi rappelle que « le comte Raimond restaura la ville de Salamanque, détruite et habitée par aucun habitant », et charge le nouvel évêque Jérôme de la «restauration de l'église »22 • Les rois sont bien souvent d'actifs restaurateurs. Ils reconstruisent les anciens bâtiments, notamment les édifices ecclésiastiques : selon les chroniques asturiennes, Alphonse Ier « construisit et restaura plusieurs basiliques» ( Ovetense § 14) et, à l'époque d'Alphonse III, «tous les temples du Seigneur sont restaurés par ce prince et une cité avec des palais royaux est édifiée à Oviedo» (Albelda § XV-12). Ils s'appliquent même à rebâtir les anciennes villes, à l'instar du roi Garcia de Pampelune (1035-1054), loué dans la Vie de saint Dominique pour son intense activité militaire qui a permis en 1045 le «rétablissement de la cité de Calahorra » (restitutio Calagurritane civitatis)23 • La restauration peut aussi, dans un sens plus figuré, signifier le rétablissement des anciennes institutions civiles ou ecclésiastiques. Les diplômes royaux de restauration des évêchés fixent ainsi leurs frontières et leur temporel. Une donation royale de 871, falsifiée à la fin du onzième siècle, résume l'œuvre de restauration matérielle et institutionnelle de l'église de Lugo par Alphonse III de la sorte: «Elle a été honorée par les très glorieux rois, mes prédécesseurs, arrachée des mains des Sarrasins, restaurée dans la gloire de son honneur propre et rénovée par ses fortifications et son
19 Donation par Alphonse III au prêtre Sisenand de l'église et de la villa Santa Maria de Tifiana, pour qu'il les restaure (a 869) : Diplomatica espaiiola del periodo astur 2, no 93 (reg. Lucas Alvarez, Rl-28). 20 Donation à Arlanza par Ferdinand rr d'une villa avec immunité (a 0 1039) : Colecci6n diplomatica de Fernando!, n° 12 (reg. Lucas Alvarez, R1-379). 21 Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Leon à l'occasion de sa restauration (a 1073): Colecci6n de la catedral de Leon 4, no 1190. 22 Alphonse VI confirme la donation du comte Raimond à l'évêque Jérôme de Salamanque, notamment la ville de Zamora dont il délimite le territoire à la demande des évêques réunis au concile de Le6n (a 0 1107): Alfonso VI, 2: Colecci6n diplomatica, no 190. 23 Vita Dominici Siliensis, § I-5, 1.337. 0
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peuplement »24 . Naturellement, cette restauration est une entreprise de longue haleine, qui dépend étroitement des progrès territoriaux; ainsi, l'évêché d'Osma, «d'abord envahi par les Sarrasins, est rétabli chaque jour par la miséricorde de Dieu» (cotidie per misericordiam Dei redintegratur), comme le déclare de façon significative le concile d'Husillos (a0 1088)25 . De même, le roi peut restaurer une abbaye, en lui restituant ses possessions et en rétablissant ses privilèges : après la violation de l'immunité de Sahagûn par des agents comtaux, pendant la période de désordre de l'an mil, Alphonse V tàit un «écrit de restauration (scriptum restaurationis), afin qu'ils ne vous causent plus aucune inquiétude »26 ; plus tard, Ferdinand rr et Sanche II doivent à nouveau restituer des biens usurpés et confirmer l'immunité au moyen d'un «écrit de restauration »27 ou «charte de restauration» (cartula restauracionis?8• En rétablissant de la sorte les bâtiments et les structures civiles et ecclésiastiques, les Asturo-Léonais ambitionnent de renouer avec leur passé.
II. Renouer avec le passé L'origine ancienne des édifices reconstruits ou des structures remises en place est souvent rappelée dans la documentation de l'époque car, comme le déclare un acte privé de 1069, restaurer (ici une église) équivaut à « édifier à partir d'une souche antique »29 • Cette fidélité au passé -par opposition aux «temps modernes»
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Alphonse III restitue à l'évêque de Lugo divers biens en Galice, transfert l'église de Braga à Lugo, afin que cette dernière soit la métropole de la province de Galice (a0 R71) : éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. n° 8, pp.462-466 (reg. Lucas Alvarez, Rl-30); étude critique pp.411-415. 25
Concile d'Husillos (a0 1088), prologue: Colecci6n diplomatica de Sepulveda 2, éd. par Carlos Sâez Sânchez, Publicaciones hist6ricas de la excma. Diputaci6n provincial de Segovia 5 (Segovia: Diputaci6n Provincial, 1991), no 2. 26
Confirmation par Alphonse V de l'immunité à l'abbaye de Sahagun, après sa violation par des agents comtaux (a0 1018): Colecci6n diplomatica de Sahagun 2, n° 404 (reg. Lucas Alvarez, R1-331). 27
rr
Restitution par Ferdinand des biens usurpés par des officiers comtaux à l'abbaye de Sahagun (a 0 1049): Colecci6n diplomatica de Sahagun 2, n° 534 (reg. Lucas Alvarez, R1407). 28
Confirmation par Sanche II à l'abbaye de Sahag(tn de ses biens dans le Pisuerga (a 1072): Colecci6n diplomatica de SahagUn 2, n°709 (reg. Lucas Alvarez, Rl-459). 29
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Donation privée à l'évêché de Leon (a 1069) : Colecci6n de la catedral de Leon 4, n° 1163 :De ecclesia vel cimiterio Sancti Micaelis Arcangeli quos manibus meis restauravi sive edificavi de stirpe antiqua. 0
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(modernis temporibus) 30 - se retrouve à de nombreuses occasions lors de l'incorporation des nouvelles terres au royaume. Ainsi, la colonisation des terroirs n'efface pas le souvenir de leur ancienne organisation. Les colons prennent bien souvent des terres «d'une origine ancienne» et respectent leurs «anciennes limites », comme le stipule le Liber Judicum : «Nous ordonnons que les anciennes limites et frontières demeurent fixes, de même qu'elles ont été manifestement mises en place dans les temps anciens »31 • Cette fidélité aux anciennes délimitations est particulièrement marquée lors de la restauration des évêchés. Dans le faux diplôme royal de donation de la métropole de Braga à l'évêché de Lugo- daté de 835 mais confectionné vers le milieu du onzième siècle-, la notice introductive nous apprend qu'Alphonse II réunit une assemblée et procède à la délimitation du diocèse conformément aux« anciennes frontières »32 • La restauration des villes est aussi ancrée dans le passé ; ainsi, lors d'un procès, qui oppose en 1025 le siège de Lugo aux servi de Braga, l'avocat de l'évêque rappelle que« l'évêque Odoarius prit les villes de Lugo et de Braga de la souche des morts (de succo mortuorum) »,puis« les restaura et les peupla »33 • Une restauration ecclésiastique donne alors parfois l'occasion de raconter plus en détail l'histoire ancienne du bâtiment ou de l'institution concerné, en particulier dans les inscriptions épigraphiques commémoratives. Lors de la restauration du monastère San Pedro de Montes, les moines rappellent ainsi que « le bienheureux Fructueux fonda le monastère ; après lui, saint Valère agrandit l'église ; l'évêque Gennade [le] restaura prodigieusement de fond en comble avec douze frères l'année 933 de l'ère [895] »34 • Les églises sont restituées à leur véritable destination, le culte divin. Dans la vita de saint Dominique, la restauration, « restitution » ou « recupération » du monastère de Silos intervient quand, au dire de Ferdinand le', le bâtiment est« restauré pour le
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°Concile de Palencia (a
1100), qui confirme la restauration de la métropole de Braga par le pape en 1099 (d'après la Vie de saint Géraud, archevêque de Braga): 'El concilio nacional de Palencia en el ano 1100 y el de Gerona en 1101 ', éd. par Fidel Fita, BRAH 34 (1894), 215235 (217-218, n° 2). 31
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Liber Judicum, § X, 3, 1.
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Alphonse II renouvelle à l'évêque de Lugo la concession du siège de Braga (a0 835) : éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. n° 5, pp.455-457 (reg. Lucas Alvarez, Rl-44); étude critique pp.407-410. 33
Compte-rendu de procès souscrit par Alphonse V, entre les serfs de Lugo-Braga et l'évêché, à l'issue duquel les serfs reconnaissent leur dépendance (a 0 1025): éd. dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête' 2, Annexe la, P.J. n°l7 (reg. Garcia Alvarez, n° 472). Etude critique dans Ibidem, Annexe la, p.401. 34
Inscription commémorant la restauration du monastère San Pedro de Montes, placée à l'entrée de l'église (a 0 895) : Hübner, Inscriptiones Hispaniae Christianae l, n°245 (fac.-sim. dans Gômez Moreno, Iglesias mozarabes, pl. 29).
Restaurer
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service de Dieu» par le saine 5 . L'auteur peut à juste titre déclarer: «Nous l'avons vu de nos yeux revenir à son premier état noble et religieux », car « le bienheureux homme le restitua dans sa gloire et dans son honneur initial »36 • Restaurer permet de renouer avec un passé détruit ou même oublié. Ainsi, selon l'Historia Compostellana, rédigée au début du douzième siècle, la 'révélation' de la tombe de saint Jacques entraîne la restauration de l'« évêché d'Iria en ce lieu appelé Compostelle » (§ 1, II, 1)37 . En effet, tandis que cette tombe a été oubliée en raison des persécutions des «païens » contre l'Eglise, le roi Miro institue au sixième siècle un évêché à lria (§ 1, 1, 2 et 3) ; la restauration par l'évêque Théodemire est donc le transfert logique du siège épicopal dans le lieu le plus sacré de la région. A la même époque, l'auteur de l'Historia Silense comprend alors l'œuvre de restauration des édifices comme un aspect du lent 'réveil' du peuple des Goths depuis la révolte de Pélage, qui permet de renouer avec une histoire brutalement interrompue (Silense p.135-136). Qui plus est, la restauration constitue même un véritable programme de gouvernement, pour la première fois explicitement exposé dans les chroniques asturiennes. Juste avant la bataille de Covadonga, Pélage déclare à l'évêque Oppa, rallié aux musulmans:« Nous espérons en [l]a miséricorde [de Dieu] à venir pour obtenir le recouvrement de l'Eglise, du peuple et de la royauté» (in recuperatione Ecclesie seu genlis et regni, Ovetense § 9) ; après la victoire de Pélage, le chroniqueur précise que désormais «la patrie est peuplée, l'Eglise est restaurée et tous les fidèles rendent ensemble grâce à Dieu» (Rotense § 9). D'emblée, l'historiographie asturienne place le rétablissement des anciennes institutions au cœur du projet politique royal. Aussi, à l'approche de l'année 884, la Chronique « Les prophétique annonce la restauration du royaume des Goths Sarrasins prédisent que leur anéantissement approche et disent que le royaume des Goths est restauré par notre prince» (Prophétique§ XIX-3? 8 • Après l'échec de 884, le vocabulaire demeure dominé par cette idée de remise en place des anciennes institutions. Ainsi, un faux diplôme d'Alphonse V en faveur de San Pedro de Rocas, conservé en pseudo-original sur un parchemin du douzième siècle, qualifie ce roi de« restaurateur, défenseur et bâtisseur de l'Eglise catholique», restauratoris et defensoris atque edifzcatoris catholice Ecclesie39 • Cette restauration passe par la réforme de l'Eglise, de sorte que, selon l'évêque Pélage d'Oviedo, Ferdinand le' et Sancha réunissent le concile de Coyanza en 1055 «pour
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Vita Dominici Siliensis, § VI, 1.30, 38 et 64.
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Vita Dominici Siliensis, § VI, 1.18 et 83.
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Et ad honorem tanti apostoli ecclesiam restaurans episcopium Hiliensis sedis in hune locum, qui Composte/la dicitur. 38 39
Gotorum regnum restaurari per hune nostrum principem dicunt.
Confirmation par Alphonse V des possessions du monastère San Pedro de Rocas (a 1007) : 'Alfonso V, rey de Leôn', n° 6 (reg. Lucas Alvarez, Rl-315).
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la restauration de notre Chrétienté» (ad restaurationem nostre Christianitatis) 40 • Mais elle suppose aussi une lutte constante contre les ennemis du royaume, rebelles et musulmans. Dans un diplôme royal de 1046, Ferdinand 1er rappelle qu'après la mort d'Alphonse V, des « hommes pervers » ont détruit les propriétés des églises et les « fidèles » se sont tués entre eux ; aussi, après avoir vaincu les révoltés, le roi « fait ordonner des évêques dans ces sièges, pour restaurer les églises et recréer la foi chrétienne »41 • Certains documents du onzième siècle présentent même la conquête territoriale comme la récupération d'un «héritage» volé, qui appartient légitimement aux chrétiens asturo-léonais. Le préambule d'une fausse donation d'Ordofio II à SaintJacques, écrite au tournant des onzième et douzième siècles, rappelle que « toute l'Espagne fut possédée par les chrétiens et ornée d'églises et d'évêchés dans chaque province»; puis, après 711, l'évêque d'Iria attribua des «doyennés» aux évêques qui fuyaient l'invasion, «jusqu'à ce Dieu consolât l'affliction de ses serviteurs ct leur restituât l'héritage de leurs aïeux» (quousque Dominus respexisset ajjlictionem servorum suorum, et restituisset eis hereditatem avorum et proavorum suorum) ; cet espoir est désormais en partie réalisé, puisque les rois « ont acquis une partie non négligeable de leurs héritages>> (non minimam partem de hereditatibus eorum) 42 . Au dire des contemporains, l'époque d'Alphonse VI marque une étape décisive dans la réalisation de ce projet puisque ce roi, d'après le récit de la Translation de saint Félix, «restitua à sa liberté première et à sa noblesse la ville royale de Tolède et la monarchie de toute l'Espagne, naguère attaquée et vaincue par le peuple immonde des Agaréens, et jusqu'à son règne soumise, captive et opprimée par leur ignoble violence »43 . Un tel projet est naturellement beaucoup plus ambitieux que le programme mozarabe de simple restauration matérielle des églises, notamment en la personne 4
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Concile de Coyanza, prologue (version de Pélage d'Oviedo): Martinez Diez, 'La tradici6n manuscrita del fuero', pp.l73-183. 41
Confirmation par Ferdinand rer à l'évêque d' Astorga d'une villa, qu'il dote de l'immunité (ao 1046): Colecci6n diplomatica de Fernando 1, no 31 (reg. Lucas Âlvarez, R1398). 42
Ordofio II restitue à l'évêché d'Iria-Santiago ce qui avait été concédé aux évêques de Lamego, Tuy et Oviedo, lui confirme les donations de milles antérieures et donne douze autres milles (a 915): La documentaci6n del Tumba A, n° 28 (reg. Lucas Âlvarez, R1-90); étude critique dans notre thèse de doctorat, La pensée politico-religieuse de la 'Reconquête', Annexe lb, pp.510-518. 0
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Translatio Felicis, pp.440-441 :Inter suos nobilissimos frequentissimosque triumphos, etiam Toletum urbem regiam retinentem totiusque Hispaniae monarchiam, a spurcissima gente Agarenorum dudum impugnatam et expugnatam, et usque a tempora sui regni eorum turpissima violentia subactam, captivatam et oppressam, concedente misericordia Domini, et insudante viriliter manu militari, pristinae libertati, nobilitatique restituit.
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du métropolitain Cixila de Tolède, qualifié pour l'année 744, dans une interpolation à la Chronique mozarabe de 754, de« restaurateur des églises»(§ 88-1) ; il est aussi bien différent de la restauration politique musulmane, quand, à la même époque, le gouverneur Aucupa (737-742) restaure« le royaume» en combattant les Francs et en réduisant les révoltes intérieures (§ 82). Dans le royaume asturo-léonais, la restauration des édifices et des institutions s'accompagne aussi d'un effort d'amélioration matérielle ou spirituelle.
III Améliorer La restauration des églises, qui met fin à une situation d'abandon et de ruine, est souvent associée à un agrandissement et à un embellissement du bâtiment initial. Ainsi, le faux diplôme d'Alphonse V en faveur du monastère San Pedro de Rocas nous parle des «maisons, villae et cités brûlées, perdues et dispersées» à l'époque d'al-Mansur, puis «restaurées en plus grand et en mieux» (in majus et in melius [. ..] restauratas) 44 • La restauration peut aussi concerner un édifice trop petit ou mal construit, comme en témoigne l'histoire de l'église de Saint-Jacques. En 927, un diplôme de Sanche Ordofiez fait référence à la première reconstruction d'Alphonse III : les aïeux du roi, « alors que ce lieu était construit depuis les anciens temps dans un vil ouvrage, le restaurèrent en mieux d'une manière admirable »45 • Cet édifice est ensuite régulièrement agrandi et embelli : au dire de Sampiro, V ermude II «commença à restaurer en mieux ce lieu de Saint-Jacques» (Sampiro p.l72) ; et, au début du douzième siècle, a lieu la «restauration de l'autel du bienheureux Jacques» dans l'église de Compostelle (Composte/lana§ 1, XVIII). La restauration des édifices ecclésiastiques entraîne leur nécessaire purification, lors d'une cérémonie de consécration que certains documents désignent parfois par le terme de restauratio. D'après le préambule du faux acte de restauration de la cathédrale de Leon (a0 1073)- confectionné au tournant des onzième et douzième siècles-, cette cérémonie succède à une période d'abandon temporel et spirituel de la cathédrale, dû aux dévastations, au dépeuplement et aux souillures causés par les musulmans. La nécessité de «purifier ces lieux saints qui avaient été souillés », lors d'un «jour de consécration ou restauration», est même présentée comme une «coutume»,« en raison du grand nombre de guerres »46 • Aussi, l'évêque Pélage 44
Confirmation par Alphonse V des possessions du monastère San Pedro de Rocas (a 0 1007) : 'Alfonso v, rey de Leon', n° 6 (a 0 1007) (reg. Lucas Alvarez, R1-315). 45 Donation par Sanche Ord6fiez à l'évêché de Santiago (a0 927): La documentaci6n del Tumba A, n° 51 (reg. Lucas Alvarez, Rl-161). 46 Donation- fausse- par l'évêque Pélage au siège épiscopal de Le6n à l'occasion de sa restauration (a 0 1073) : Colecci6n de la catedral de Leon 4, n° 1190 : Liberaverunt provintiam, sedem non valuerunt ad perfectum mundare sancta que polluta fuerant neque
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CHAPITRE VII
(1065-1085) «établit le jour de dédicace ou restauration du siège, à l'occasion duquel les lieux saints sont purifiés, les autels, les vases, les vêtements et tous les instruments liturgiques sont consacrés, tout ce qui est mal s'éloigne et tout ce qui est bien est introduit». Cette régénération, qui clôt une période de mort spirituelle, équivaut à une véritable « rénovation », comprise dans son sens religieux. En effet, le verbe renovare est utilisé pour signifier le renouvellement d'une vie par la grâce, à l'instar de ces personnes qui entrent au monastère pour« rénover la vie et les mœurs »47 • De même, dans certaines inscriptions commémoratives, il peut renvoyer à la purification spirituelle du bâtiment restauré. Ainsi, celle qui figure dans le Liber Testamentorum de Pélage d'Oviedo et qui rappelle la restauration de San Salvador de Oviedo par Alphonse II précise que « 1'édifice fut en partie détruit par les gentils et corrompu par les souillures», puis qu' «il fut fondé et complètement rénové en mieux par le serviteur de Dieu Alphonse » (jundaturn et amne in metius renovatum) 48 ; et, selon la dédicace d'un autel à la Sainte Vierge pour l'église de Naranco (a 0 848), c'est le Christ lui-même« qui a rénové cet édifice, par l'entremise de ton serviteur, le glorieux prince Ramire, avec son épouse la reine Patema »49 • Cette purification peut aussi être rendue par le verbe resurgere, « se relever», que l'on traduit alors par« ressusciter»: lors de la consécration en 737 de l'église Santa Cruz de Cangas de Onis, restaurée par le roi Fafila, « cet édifice sacré ressuscita conformément aux préceptes divins »50 . La comparaison des deux inscriptions qui commémorent la restauration en 951 de l'église San Martin de Salas, dans les Asturies, suppose même l'équivalence sémantique des verbes resurgere et restaurare: si l'une parle sobrement d'un temple« restauré par Alphonse», l'autre déclare qu'« Alphonse ordonna que [l'église] fût rénovée en mieux et ressuscitée »51 • Il semble que la restauration des institutions possède une semblable dimension diem consecrationis sive restaurationis instituere, sicut mos est pre multitudine bellorum, us que ad presens tempus. 47
Engagement de trois femmes dans la vie monastique (a catedral de Leon 3, n° 592. 48
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1000): Colecci6n de la
Diego Santos, no 6.
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Diego Santos, n° 74 : + Chris te Filius[. . .} qui per famulum tuum Ranimirum principem gloriosum cum Paterna regina conjuge renovasti hoc habitaculum nimia vetustate consumptum. 50 Diego Santos, n° 253 : Resurgit ex praeceptis divinis haec machina sacra opere exiguo comtum fidelibus volis prespicue (sic) clareat hoc templum obtutibus sacris, demonstrans figuraliter signaculum almae crucis ; sit Christo placens haec aula sub crucis trophaeo sacrata quam famulus Fafeila sic condidit fide prompta cum Froiliuba conjuge ac suorum protium pignera nata. 51
Diego Santos, n° 158 et 159.
Restaurer
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religieuse, car elle s'accompagne d'une volonté de progrès spirituel. Ce dernier est supposé dans la Chronique d'Alphonse III-Rotense quand Pélage affirme à l'évêque Oppa son espoir que Dieu« relève l'Eglise et la redresse plus haut encore». Mais, c'est dans la Chronique prophétique qu'est établi le lien le plus explicite entre l'accroissement territorial de l'Eglise et sa progression spirituelle : «Le territoire des ennemis a diminué chaque jour grâce à la clémence de Dieu, et celui de l'Eglise du Seigneur grandit et progresse dans le bien ; et autant la dignité du nom du Christ est portée à sa perfection, autant dépérit 1' outrageant fléau de nos ennemis» (Prophétique§ XIX-3). Ces deux idées fondamentales de retour à une situation antérieure et d'amélioration spirituelle se trouvent synthétisées de façon remarquable dans le préambule d'un diplôme de Ferdinand rer; il explique sa restitution d'une villa à l'évêque de Leon en déclarant: Comme nous avons écouté la vérité des saintes Ecritures, nous avons compris qu'est meilleur celui qui restaure que celui qui édifie, nous faisons une charte de donation de cette villa pour le salut de nos âmes 52 .
En restituant de la sorte un bien usurpé, le roi entend participer à la restauration matérielle de l'évêché. Surtout, il justifie cette œuvre temporelle par une considération religieuse, en la comparant à la rédemption opérée par le Christ. Sa référence à l'Ecriture Sainte renvoie certainement à un passage de la lettre de saint Paul aux Ephésiens, dans une version qui devait essentiellement circuler dans la péninsule, car elle apparaît chez Orose et Julien de Tolède ; le verbe instaurare de la Vulgate est y remplacé par restaurare: Dieu le Père nous a fait connaître le mystère de sa volonté, selon le bienveillant dessein qu'il a formé en lui pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : restaurer dans le Christ toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre (Ep 1, 9-10i 3.
Les verbes restaurare ou reparare sont aussi utilisés avec ce sens spirituel dans la liturgie wisigothique. Une prière d'une messe votive conservée dans le Liber Ordinum, qualifie Dieu de « restaurateur et fondateur de tous les éléments » (restaurator et conditor omnium elementorum); de même, l'office pour les parents défunts appelle le Christ « réparateur des âmes » (reparator animarum ), puisque, d'après la préface d'une messe votive pour les prêtres, le don de sa grâce produit en chaque homme une «réparation» (reparatione) 54 • Nous retrouvons l'emploi de ce 52
Donation par Ferdinand rer d'une villa à l'évêché de Leon (a0 1043): Colecci6n de la catedral de Leon 4, n° 1007 (reg. Lucas Alvarez, R1-387): lntelleximus quia metius est qui restaura! quam qui hedificat. 53
Orose, De arbitrii libertate, éd. PL 31, c.27, col. 1195. Julien de Tolède, De comprobatione sextae aetatis, éd. PL 96, col.565. 54
Le Liber Ordinum, col. 330, col. 447 et col. 256.
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terme avec la même signification religieuse dans un diplôme d'Alphonse VI : «Notre Seigneur Jésus-Christ [ ... ] restaura l'Eglise détruite dans le premier homme, en la rachetant par le prix de son précieux sang »55 • En justifiant le rétablissement matériel de l'évêché de Leon par l'œuvre de rédemption du Christ, Ferdinand fait de la politique royale de restauration de l'Eglise une œuvre à part entière de régénération spirituelle : dans les deux cas, la restauration transforme radicalement des êtres considérés comme morts - des bâtiments, des institutions, des hommes-, en les réintégrant dans la vie divine. La restauration peut donc être présentée par les clercs du onzième siècle comme un devoir religieux fondamental, à l'instar de la donation pieuse. Les préambules des faux diplômes royaux de 904 et 905, rédigés par les clercs de Sahag(m à la fin du onzième siècle, sont éloquents : Bien que l'origine des bonnes œuvres, qui sont spirituellement causées par l'inspiration de Dieu, soit imputée aux œuvres de justice, on espère cependant à juste titre une récompense plus large pour les plus grandes et les meilleures. Celui donc qui restaure la maison de la Sainte Eglise ou s'applique à la construire en mieux, met déjà son espérance en la demeure céleste56 •
Pour les clercs, l'œuvre de restauration est même une condition sine qua non de leur salut, puisque, dans le faux acte de restauration de l'évêché de Leon (a 0 1073), l'évêque Pélage affirme craindre «la menace de la colère de Dieu et de la bienheureuse Marie, si je ne corrigeais pas les choses qui doivent être corrigées et si je ne restaurais pas celles qui doivent être restaurées » 57 •
Conclusion En reconstruisant les anciens bâtiments détruits et en rétablissant les anciennes structures politiques et ecclésiastiques, la politique de restauration permet de renouer 55
Diplôme d'immunité concédé par Alphonse VI à l'abbaye de Sahagun (a0 1080) : Alfonso VI. 2 : Colecci6n diplomatica, n° 67. 56
Donations (fausses) par Alphonse III à l'abbaye de Sahaglin (a 904) : Colecci6n diplomatica de Sahagitn 1, n°7 et 8 (reg. Lucas Alvarez, Rl-63 et 64): Licet primordia bonorum operum. que Dea inspirante in mente gignitur, justicie operibus deputetur, tamen ea, que majori cumula et pociori crescunt, in vota ampliori remuneratione expectatur in premio digne. Igitur jam sua spei vota in domo ce/ica mansionum multarum collocat qui domum sancte ecclesie restaurat vel in metius construere procurai. Etude critique dans Ibidem, pp.32-36. 57
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Donation (fausse) par l'évêque Pélage au siège de Leôn à l'occasion de sa restauration (a 1073) : Colecci6n de la catedral de Leon 4, no 1190 : Temens iram Dei mihi inminere et beatae Marie si ea que corrigenda erant non corrigerem et que restauranda erant non restaurarem. 0
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avec un passé chrétien et wisigothique, considéré comme interrompu par les musulmans ou par les guerres civiles. Dans sa dimension royale, elle fait partie intégrante d'une volonté plus générale de restauration du royaume des Goths. Il y a donc bien un idéal de restauration, apparu dès le huitième siècle et particulièrement bien attesté dans l'entourage royal et dans les milieux ecclésiastiques à partir de la fin du neuvième siècle. Mais, cette restauration ne manifeste pas une volonté de reconstitution archéologique du passé ; elle est dynamique, car elle veut améliorer la situation antérieure. Telle était déjà, quelques siècles plus tôt, l'ambition intellectuelle du 'retour aux sources' de saint Isidoré 8, décrit significativement par son ami Braulion de Saragosse comme un véritable 'restaurateur' : « Après tant de malheurs, Dieu l'a suscité, je crois, afin de restaurer les monuments des Anciens et d'écarter de nous en toute occasion le vieillissement de l'ignorance, et il l'a placé auprès de nous comme une sorte de tuteur »59 • Dans le royaume d'Oviedo-Leon, les édifices restaurés sont alors purifiés des souillures passées et d'une plus grande beauté qu'auparavant. De même, la remise en place des anciennes structures, particulièrement ecclésiastiques, participe plus généralement de la vaste régénération spirituelle du royaume ; restaurer une institution, civile ou ecclésiastique, équivaut à la rétablir sur le modèle du passé, tout en l'insérant dans une logique de progrès spirituel. Dans la version Ovetense de la Chronique d'Alphonse III, Pélage peut donc mettre sur le même plan son espoir de récupérer « l'Eglise, le peuple et la royauté » et celui d'assurer le« salut de l'Espagne»(§ 9) 60 .
58
J. Fontaine, Isidore de Séville (Turnhout: Brepols, 2000), notamment p.283-296.
59
Braulion de Saragosse, Renotatio librorum Isidori, cité dans J. Fontaine, 'Isidore de Séville et la mutation de l'encyclopédisme antique', dans Idem, Tradition et actualité chez Isidore de Séville (London: Variorum Reprints, 1988), no IV, p.538.
°
6
Confidimus enim in Domini misericordia quod ab isto modico monticulo, quem conspicis, sit Yspanie sa lus et Gotorum gentis exercitus reparatus [. ..} Igitur etsi sententiam severitatis per meritum excepimus, ejus misericordiam in recuperatione Ecclesie seu gentis et regni venturam expectamus.
Conclusion de la troisième partie
L
a conquête fait partie d'une œuvre plus vaste de réorganisation des territoires soumis au pouvoir asturo-léonais, qui ambitionne de renouer avec le passé antérieur à une rébellion, plus souvent à l'occupation ou aux dévastations musulmanes : les anciennes limites civiles et ecclésiastiques sont reprises, les villes romaines sont peuplées, les monuments sont reconstruits, les structures civiles et ecclésiastiques antérieures sont restaurées, les territoires ainsi peuplés retournent à la foi chrétienne et, plus généralement, à la civilisation romano-wisigothique que le royaume prétend continuer face au monde barbare musulman. Mais il ne s'agit en aucun cas de reconstituer archéologiquement le passé, dont les erreurs sont à 1' origine de la défaite de 711. La guerre providentielle menée par les chrétiens implique une véritable régénération spirituelle, caractérisée par l'humilité, la repentance, un idéal ascétique et l'espérance en l'aide de Dieu. Ensuite, par leur conquête, les Asturo-Léonais ont conscience de participer à une œuvre d'amélioration matérielle et spirituelle : leur peuplement, qui consiste à fixer et à grouper la population, est perçu comme une innovation, qui donne pour ainsi dire vie aux territoires concernés ; la reconstruction des anciens édifices s'accompagne d'un agrandissement et d'un embellissement architectural, ainsi que d'une purification des souillures causées par les musulmans -selon le vocabulaire du onzième siècle- ; enfm, le rétablissement des structures d'encadrement civil et ecclésiastique, dont la finalité eschatologique est rappelée, participe de cette régénération spirituelle du royaume. Le passé constitue en fait une référence permanente à imiter ou à rejeter, comme le rappelle le préambule d'un diplôme royal de 934 à l'église de Saint-Jacques; Ramire II y justifie sa confirmation des donations royales antérieures et sa propre donation de la sorte :
318
TROISIÈME PARTIE
Les grandes œuvres furent écrites et conservées pour le souvenir des générations suivantes, afin que leur lecteur examinât d'un esprit libre l'intelligence de chacune d'entre elles et qu'illui fût permis de l'imiter; s'il trouve quelque chose d'équivoque, qu'il s'applique par tous les moyens à y prendre garde afin qu'une telle chose ne se produise plus; mais s'il découvre un écrit sain et désirable en Dieu et par Dieu, qu'il s'attache à agir pieusement et de toute sa volonté, afin qu'en suivant les exemples des saints, il jouisse avec eux de la joie sans fin 1•
Le progrès matériel et spirituel est ainsi au cœur de la pensée de cette époque : il est tout à la fois cause et conséquence de cette politique de réorganisation politique et religieuse des territoires. En fait, le concept de restauration semble le mieux caractériser cette vaste œuvre, dont la conquête n'est qu'un aspect: en restaurant, les Asturo-Léonais reconstruisent et rétablissent en mieux un passé avec lequel ils prétendent renouer.
1
Confirmation par Ramire II à l'église de Santiago des donations royales antérieures, et donation du commissus de Posmarcos (a 0 934): La documentaci6n del Tumbo A, no 40 (reg. Lucas Alvarez, Rl-171) : Anticorum etenim exempta et opera acta obcelari non queunt, set pene omnibus nota manent, que de tempore succedente in tempora gesta fuerunt. Litterarum monimenta ad posterorum memoria scripte ac reservate sunt, ut singulorum solertiam, quisquis legerit, aperta mente consideret que ei liceat inmitari. Denique in cujuscumque chronicis vel membranis tortum invenerit, discat se omnimodis custodire ne tafia operetur; ubi vero in Deo et per Deum sanum et desiderabilem repererit scriptum, pie et cum tota mentis intencione agere studeat, ut sanctorum sequendo exempta cum eis pro bene gestis gaudio fruatur perpetua.
Conclusion
ans le royaume asturo-léonais, domine bien un idéal politico-religieux de restauration, dont J. Torr6 n'a vu ni la complexité, ni la richesse 1• Après la destruction du royaume des Goths en 711 et la soumission de 1'Espagne aux musulmans, le royaume asturien constitue aux yeux des historiographes un reliquat wisigothique, qui ambitionne de renouer avec le passé en reconstruisant les édifices, en appliquant les normes juridiques antérieures et en rétablissant les structures d'encadrement telles qu'elles existaient avant 711. Parler de Reconquête n'est donc pas fondamentalement faux, mais nettement insuffisant et potentiellement trompeur, car l'utilisation de ce terme peut conduire à oublier l'œuvre de Restauration, dont la reconquête n'est qu'une partie. Dans ce royaume, la perception de l'invasion et de ses conséquences politiques a généré un idéal néo-gothique de restauration, qui diffère radicalement du« sentiment 'gothique'» étudié par M. Zimmermann dans la Catalogne des neuvième-douzième siècles; en effet, dans cette région, l'identité gothique a « un prolongement en politique étrangère, le maintien de la paix avec les Sarrasins »2 • Une impression similaire se dégage de l'ensemble navarro-aragonais, où l'idéal politique wisigothique, bien mis en lumière par J.J. Larrea3, ne semble générer aucune idéologie de restauration. Selon P. Sénac, il faut attendre les années 1060-1070 pour que débute la « reconquête aragonaise » ; deux facteurs se conjuguent alors pour légitimer une guerre désormais offensive et élaborer ainsi une véritable « idéologie guerrière » : le soutien accordé par Rome à la guerre contre les musulmans et la politique du roi Sanche 1 Ramirez d'Aragon (1064-1094t En revanche, dans le royaume d'Oviedo-Leon, l'idéal de restauration donne lieu très tôt à une politique royale de récupération des notions politiques, des symboles et des attributs du pouvoir selon les conceptions romano-wisigothiques, et à une
D
1
J. Torr6, 'Pour en finir avec la 'Reconquête' : l'occupation chrétienne d'al-Andalus, la soumission et la disparition des populations musulmanes (XH"-XIIIe siècles)', Cahiers d'Histoire :Revue d'histoire critique 78 (2000), 79-97 (82-83). 2
Zimmermann, 'Le rôle de la frontière', pp.l3-14.
3
J.J. Larrea, La Navarre du IV' au XII" siècle (Paris et Bruxelles : 1998), p.222 sqq.
4
Sénac, La frontière et les hommes, pp.353-362 et pp.439-440.
322
CONCLUSION
entreprise de conquête des anciens territoires wisigothiques. Cette restauration de l'autorité se manifeste notamment par l'exaltation de l'unité de la patrie et par la glorification du gouvernement royal. La politique de restauration semble parvenir à son terme sous le règne d'Alphonse II et surtout sous celui d'Alphonse III, avec la prophétie annonçant la restauration du royaume des Goths en 884. L'espérance est telle qu'elle provoque une intense tension spirituelle, pourtant exempte de tout adventisme grâce à la réfutation qu'en fit un siècle plus tôt Beatus: sous la houlette du roi, les chrétiens d'Oviedo s'engagent dans un eflort de purification radicale, afin d'obtenir la miséricorde de Dieu et la victoire militaire. Après l'échec de 884, la monarchie continue sa politique d'exaltation du pouvoir royal, en renouant vraisemblablement sous Ordofio II avec la pratique de l'onction, apparue sous les Wisigoths. Au onzième siècle, le roi affirme sa pleine et entière souveraineté par la reprise de la frappe de la monnaie et par l'exercice de son pouvoir législatif. Il faut cependant attendre les grands succès politiques et militaires d'Alphonse VI pour que l'Espagne soit considérée comme restaurée, en lieu et place du royaume de Leon. Ce programme politique, qui revendique l'exclusivité de l'héritage wisigothique, se heurte à la concurrence des Mozarabes, descendants des anciens sujets du monarque de Tolède, mais méprisés en raison de leur soumission aux musulmans; ainsi, la légitimité de leur Eglise -théoriquement incontestable- est, à l'occasion de l'affaire adoptianiste, définitivement rejetée par les chrétiens du nord-ouest, qui prétendent incarner seuls l'Eglise d'Espagne. Le royaume asturo-léonais doit surtout faire face à deux adversaires : les rebelles, qui portent atteinte à l'intégrité du royaume, et les musulmans. Le roi est contraint de mener contre eux une lutte armée permanente, qui confère au royaume une dimension guerrière quasi ontologique. Cette prétention à assumer de façon absolue l'Espagne, considérée comme «un jardin clos à récupérer », explique certainement les méfiances de la cour royale visà-vis du Cid, qui, d'après A. Milhou, se voit comme un contre-modèle restaurateur; d'après un historien musulman contemporain, il déclare ainsi qu'« un Rodrigue a perdu cette péninsule, mais un autre Rodrigue la sauvera »5 . Elle permet aussi de comprendre par la suite le fréquent mépris pour les chrétiens échappant à la domination castillo-léonaise; en témoignent les invectives lancées dans l'Historia Composte/lana contre le roi d'Aragon, Alphonse 1er le Batailleur, et la piètre présentation des Catalans dans le Poema du Cid. Cet effort de restauration s'intègre dans une logique de progrès matériel et surtout spirituel, afin de rompre définitivement avec la période de décadence morale et religieuse qui a provoqué le jugement de Dieu en 711 : en restaurant les édifices comme les institutions, les chrétiens rétablissent en mieux un passé ambivalent, selon la signification même du verbe restaurare. Ce progrès spirituel, tout à la fois cause et conséquence du programme de rétablissement du royaume des Goths, 5
Milhou, 'De Rodrigue le pécheur à Ferdinand le restaurateur', pp.368-370.
CONCLUSION
323
génère dans le royaume s'accompagne d'un vigoureux idéal ascétique, dont la finalité eschatologique apparaît clairement dans le Commentaire de Beatus. Il se manifeste par une floraison d'ermites, qui perdure puisque, dans la Castille du dixseptième siècle, le modèle érémitique est encore « un maillon essentiel dans le processus hagiographique »6 • L'idéal ascétique imprègne aussi les plus hauts degrés de la société, avec l'accession au trône de certains clercs, pourtant interdite par la législation wisigothique. De même, comme à l'époque wisigothique, le culte à la Sainte Croix est étroitement associé à l'Alpha et à l'Omega, qui affirment l'orthodoxie du roi face aux adoptianistes, nouveaux ariens, et, plus généralement, face à tous les barbares, les musulmans compris. La littérature de la fin du Moyen Age, bien étudiée par A. Milhou, demeure constamment influencée par ce concept de restauration ; Pélage et ses successeurs y sont considérés comme des rois « restaurateurs », par opposition aux rois «pécheurs» de la fin de l'époque wisigothique, punis par un châtiment de Dieu. Le schéma destruction/restauration, apparu pendant les premiers siècles, demeure ainsi à la base de toute la perception historiographique de l'histoire politique depuis 711, «vue comme une restauration gothique, une récupération de l'unité perdue>/. Le culte à saint Jacques est à juste titre emblématique de cet idéal politique et spirituel. Au début du neuvième siècle, la découverte du corps de l'apôtre de l'Espagne permet de renouer avec un passé orthodoxe et, ainsi, de se réapproprier spirituellement l'Hispania, encore politiquement dominée par les musulmans. En dépit des efforts du castillan Ferdinand 1er pour remplacer le saint galicien par Isidore, Jacques reste indissolublement patron de l'Espagne, de la famille royale et de la guerre contre les rebelles et les musulmans. Cette guerre, qui s'accompagne d'une repentance, est placée sous le patronage de saint Jacques et bénéficie d'une aide divine, parfois miraculeuse, car elle est dirigée contre les ennemis du pouvoir royal et de Dieu. La Chronique d'Alphonse III sacralise-t-elle pour autant « la guerre de Reconquête en racontant à sa manière les invasions arabes et les origines du réduit chrétien des Asturies » 8 ? L'interprétation providentielle de 1'histoire et les miracles prouvent seulement que ce conflit comporte une dimension religieuse. De même, la prophétie de 884 ne témoigne en rien «de l'idée d'une guerre de libération à caractère sacré» «car prophétiquement annoncée »9 : son objet est essentiellement politique -la prochaine restauration du royaume des Goths- et le détournement d'un texte de l'Ecriture sainte à une fin séculière rappelle la pratique d'origine païenne des sortes sanctorum, consistant à 6
A. Saint-Saëns, La nostalgie du désert: l'idéal érémitique en Castille au siècle d'or (San Francisco: Mellen Research University Press, 1993). 7
Milhou, 'De Rodrigue le pécheur à Ferdinand le restaurateur', pp.365-370.
8
Flori, La guerre sainte, p.249 sqq.
9
Contra : Flori, La guerre sainte, p.249 sqq.
324
CONCLUSION
ouvrir au hasard la Bible et à considérer la première phrase lue comme une prophétie. La notion de guerre sainte est en fait totalement étrangère au monde asturo-léonais; et quand l'auteur de la Chronique d'Albelda souhaite à Alphonse III « que la victoire sacrée soit donnée à ce prince » (§ XII) 10, il ne fait que reprendre l'idée antique d'une victoire fruit du jugement de Dieu. La question même de la légitimité de cette lutte ne se pose pas pour les contemporains, tant il est vrai que, selon Isidore de Séville, «juste est la guerre qui est faite après avertissement pour récupérer des biens ou pour repousser des ennemis» (Etymologies XVIII, 1, 2). A la différence des croisades en Terre Sainte, le conflit n'est donc pas présenté dans le royaume d'Oviedo-Leon comme une guerre de Dieu, car la« dilatation de la chrétienté» y est indissociable de l'œuvre de restauration; et s'il y a une« logique commune» à certaines conquêtes chrétiennes, elle ne peut être réduite à une invraisemblable «progression du système féodal européen » 11 • Aussi, la religion ne peut être considérée comme «le plus important facteur qui différencie Cordoue des Asturies et encourage leur hostilité mutuelle » 12 • Le conflit participe en fait d'une vision dualiste du monde: d'un côté, le monde civilisé, chrétien et peuplé, c'est-à-dire doté d'un habitat groupé et stable, qui progresse par la politique royale de peuplement; de l'autre, le monde barbare, que les opérations chrétiennes de dépeuplement ont réduit à l'état de désert, c'est-à-dire de zone sous-peuplée, à l'habitat instable, comme l'étaient auparavant les régions frontalières de 1'Empire romain. Ce désert constitue ainsi une zone stratégique de sécurité, placée hors de toute propriété et ouverte au peuplement chrétien, qui permet l'appropriation des terres et leur incorporation à la civilisation. Un antagonisme religieux spécifique vis-à-vis des musulmans ne se développe qu'à partir de la fin du dixième siècle, sous le coup des terribles dévastations d'alMansur ; les disciples de Mahomet sont alors explicitement assimilés aux forces du mal. Avec la réouverture des relations entre Rome et la péninsule durant la seconde moitié du onzième siècle, la papauté soutient les guerres chrétiennes contre les musulmans. Alexandre II accorde ainsi une indulgence à « ceux qui ont pris la résolution d'aller en Espagne» (qui in Hispaniam proficisci destinarunt), probablement en 1063 aux chevaliers allant combattre en Aragon pour la ville de Barbastro 13 : i< Nous levons pour eux cette pénitence, et nous leur faisons rémission
°
1
Cui principi sacra sit victoria data, Christo duce jubatus semper clarificatus polleat victor seculo, folgeat ipse cela, deditus hic triumfho, preditus ibi regna. Amen. 11
Contra : Torr6, 'Pour en finir avec la 'Reconquête", p.82 et p.85.
12
Contra: D.W. Lomax, The reconquest of Spain (London et New York : Longman, 1978), p.40. 13
J. Flori, 'De Barbastro à Jérusalem: plaidoyer pour une redéfinition de la croisade', dans Aquitaine-Espagne (VJI!'-XII!' siècles), coord. par P. Sénac, Civilisation Médiévale 12 (Université de Poitiers-CESCM, 2001 ), pp.129-146 (pp.130-135).
CONCLUSION
325
de leurs péchés » 14 . Encourageant l'expédition d'Ebles de Roucy, Grégoire VII précise même que la péninsule ibérique appartient à saint Pierre depuis la donation de Constantin. Enfin, en 1089, Urbain II conseille aux Grands de la province de Tarragone «d'affecter plutôt les dépenses et les efforts d'un tel voyage [à Jérusalem ou à quelque autre endroit] à la restauration de l'église de Tarragone» et leur promet «la même indulgence que celle que vous gagneriez par ce long voyage » 15 • Naturellement, après l'appel à la croisade, le pape assimile la lutte des chrétiens espagnols contre les musulmans aux guerres menées en Orient, car elle procède d'un même effort de récupération (recuperatio) de territoires autrefois chrétiens et, plus généralement, de libération (libertas) de l'Eglise 16 ; avec Pascal II, ce conseil devient une véritable interdiction aux Espagnols de participer à la croisade, tant qu'une menace musulmane existe dans la péninsule 17 . Dans le royaume d'Oviedo-Leon, l'œuvre de restauration se fait en référence à un passé romano-wisigothique conçu comme un tout. En effet, à l'instar de la royauté wisigothique, continuatrice du pouvoir impérial dans la péninsule, la monarchie asturo-léonaise a pour ambition la restauration de ce pouvoir souverain sur 1'Hispania. La royauté de Tolède constitue naturellement la première référence formelle; ainsi, Oviedo est envisagée comme la réplique de l'ancienne capitale. Cependant, très tôt, le roi n'hésite pas à se présenter comme un «serviteur de Dieu », protégé par la croix de Constantin, et, ainsi, à rattacher de façon implicite son pouvoir à celui de l'ancien empereur. A la fin des neuvième et onzième siècles, au moment où 1'Hispania doit être restaurée, cette prétention politique tend à devenir exclusive : le royaume d'Espagne est plus ou moins confusément perçu comme le seul bastion de la civilisation face aux barbares musulmans et, dans une moindre mesure, francs. Par une identification concrète, matérielle des Asturiens aux juifs, une chronique de la fin du neuvième siècle considère même le peuple de ce royaume d'Oviedo comme le nouveau peuple élu, en quête de sa Terre Promise: l'Espagne. En outre, à partir du règne d'Ordofio II, cette prétention à assumer pleinement la souveraineté amène le roi à manifester son ambition impériale, en réintroduisant dans le vocabulaire politique usuelle terme d'imperator. A cet égard, le programme politique de la monarchie reste par la suite ancré dans le passé wisigothique et l'idéal impérial apparaît encore épisodiquement: au quinzième siècle, Diego de Valera demande à Ferdinand le Catholique, «issu du célèbre sang des Goths», de 14 Alexandre II, Lettre au clergé de Volterra: éd. par S. Loewenfeld, Epistolae pontijicum romanorum ineditae (1885), no 82: Penitentiam eis levamus et remissionem peccatorum facimus.
15
Flori, 'De Barbastro à Jérusalem', p.l42. Flori, 'Réforme, reconquista, croisade', 317-335. 17 Flori, La guerre sainte, pp.288-291.
16
326
CONCLUSION
rétablir «le siège impérial de l'illustre sang des Goths »18 • Ce projet se concrétise lors du règne d'Alphonse VI, qui restaure à l'intérieur des frontières de son royaume d'Espagne l'empire disparu en 476. Cette exaltation de l'Espagne conduit alors les historiens de l'époque à lui conférer une dimension quasi intemporelle, dans la lignée d'Isidore de Séville. La restauration de l'ordre politique brisé en 711 fait de l'Espagne, bastion de la Romanité-Chrétienté, un nouvel Empire romain.
18
Cité dans A. Rucquoi, 'Les Wisigoths fondement de la nation Espagne', dans L'Europe héritière de l'Espagne wisigothique [Colloque international du C.N.R.S., Paris, 1990], éd. par Jacques Fontaine et Christine Pellistrandi, Collection de la Casa de Vehizquez 35 (Madrid: La Casa de Velâzquez, 1992), pp.341-352 (p.342).
Planches
Illustration de couverture: Croix d'Oviedo du Beatus de Valcavado (Valladolid, Biblioteca de la Universidad, ms. 433, f. lv.). Cliché Bibliothèque Nationale de France, Paris. Dans ce Beatus, réalisé au monastère de Valcavado en 970- province de Palencia -, les enluminures, faites par Obeco, sont exubérantes et comportent de nombreux entrelacs. Y apparaît une représentation de la Sainte Croix, symbole de la monarchie, de la guerre royale, et de 1' orthodoxie du royaume, naguère contre les Ariens, désormais contre tous les Barbares ennemis du royaume. La croix est encadrée par l'invocation constantinienne. 1. Carte de la Reconquête
13
2. Eglise San Julian de los Prados: vue du chevet par l'angle nord-est 83 Photographie de l'auteur. Après avoir établi sa capitale à Oviedo, Alphonse II y entreprend un programme de construction ambitieux, dont témoigne encore l'église San Julian. Construite dans la zone suburbaine de la ville, elle faisait probablement partie d'un vaste ensemble architectural royal, comprenant notamment un palais et des thermes. Par ses matériaux - la pierre et la brique - et par sa structure, elle se rapproche des monuments romains ou wisigothiques. Ce bâtiment, le plus grand des édifices préromans de la péninsule, est composé d'une nef divisée en trois vaisseaux, et d'un transept très large et très haut. La pièce située au premier étage du transept nord, ouverte vers l'intérieur de l'église par une petite fenêtre, est en fait une tribune royale. 3. Palais de Naranco :vue de l'angle nord-ouest 84 Photographie de l'auteur. Ce palais, édifié par Ramire Ier (842-850) sur le versant adret du mont Naranco,
328
PLANCHES
fait partie d'un nouveau complexe royal, qui domine la capitale, Oviedo. Construit intégralement en pierre sur deux niveaux, il comprend une salle basse et une salle royale, à laquelle on accède par deux escaliers - l'escalier méridional est détruit. Cette salle supérieure communique avec deux 'balcons', situés aux extrémités occidentale et orientale de l'édifice. L'architecture, qui s'inscrit dans la tradition romano-gothique, innove avec la fréquente utilisation d'arcs doubleaux. Dès 848, Ramire transforme ce bâtiment en une église dédiée à la Sainte Vierge. 85 4-5. Palais de Naranco : sculptures Photographies de l'auteur. La salle royale et les deux 'balcons' du palais de Naranco contiennent une très riche décoration sculptée, étroitement associée au thème de la royauté. Le lion, animal royal par excellence, apparaît très fréquemment dans les médaillons circulaires (6). Cette royauté est engagée dans une guerre providentielle, comme en témoignent les cavaliers en armes, accompagnés d'orants, qui tendent les bras vers la divinité et lui présentent des offrandes (6). Enfin, sur les chapiteaux, figurent souvent des combattants, revêtus d'une grande tunique et armés d'une épée (7). 6. Eglise San Miguel de Lillo : décoration latérale du porche 86 Photographie de l'auteur. Dans l'encadrement de la porte principale, se trouvent à droite et à gauche deux pierres gravées. Les scènes représentées, tirées de l'iconographie romaine, notamment du diptyque du consul Areobindus, sont étroitement associées à la glorification du pouvoir royal dans la tradition romano-gothique : le panneau du milieu représente les jeux du cirque - un acrobate, un fauve et un dompteur- ; les panneaux supérieur et inférieur montrent deux personnages en toge, qui entourent le consul, assis, tenant un sceptre et l'écharpe avec laquelle il donne le signal des jeux -lamappa. 7. Fontaine de Foncalada (Oviedo) 87 Photographie de l'auteur. Cette fontaine est le seul témoignage du palais construit par Alphonse III en dehors des murailles de la ville. Situé au-dessus d'une source, ce petit édifice rectangulaire comporte une voûte en berceau et un toit à double pente. Sur sa façade, est gravée la Croix d'Oviedo, qui symbolise la monarchie, la guerre royale et l'orthodoxie du royaume. Son ancrage dans la tradition romaine et wisigothique est renforcée par la présence de l'invocation constantinienne: à la suite des empereurs romains et des rois wisigoths, le roi asturien lutte pour la Romanité face aux barbares. Enfin, figure la prière eschatologique : « Pose, Seigneur, le signe du salut sur ces demeures, afin d'empêcher l'ange exterminateur d'y entrer», fréquente sur les monuments bâtis à l'époque d'Alphonse III, particulièrement à Oviedo.
PLANCHES
8. Généalogie simplifiée des rois d'Oviedo-Leon (VI1Ie-XIe siècles)
329
88
9. Principaux patronages des églises monastiques du royaume d'Oviedo-Leon 89 (711-1109) Ce tableau a été réalisé à partir des premières mentions de monastères, recensées par A. Linage Conde, Las origenes del monacato benedictino en la peninsula ibérica. 3. Monasticon hispanum (Leon: CEISI, 1973).
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Index des noms de personnes, de lieux et d'oeuvres
A Abbon de Fleury (abbé), 103 Abd Allah al-Ziri (roi de Grenade), Mémoires, 179 Abd al-Malik (vizir), 178, 190, 295 Abd al-Rahman 1 (émir), 72, 94 Abd al-Rahman III (calife), 146, 177, 264,295 Abeliar, San Cosme y San Damian (abbaye), 11,46,200 Abraham, 39, 40, 187, 290, 295 Adam, 77 Adosinda, 53, 57, 127 Agar, 39, 295 Agila 1, 126 Agila II, 126 Aix-la-Chapelle, 75, 77, 108 Albelda, 144 San Martin de (abbaye), 47, 62, 64, 67, 204,291 Alcuin, 109 Aldhelm de Malmesbury, 98
Alexandre II (pape), 10, 79, 324 Al-Hakam II (calife), 169 Al-Mansur (vizir), 107, 120, 122, 165, 169,178,190,244,257,263,264,269, 274,293,295,296,298,299,301,311, 324,410 Almoravides, 145, 179, 234, 298 Alodia (sainte), 145, 146 Alphonse Ile Batailleur d'Aragon et de Pampelune (roi), 233, 322 Alphonse 1 le Catholique (roi), 59, 63, 105, 112, 113, 114, 116, 124, 125, 127, 128,129,139,142,242,251,264,265, 266,267,282,306 Alphonse II le Chaste (roi), 19, 20, 21, 22,36,53,56,57,58,59,60,63,65, 67,68,69, 73, 74, 76, 78, 79, 80,81, 96, 97, 102, 104, 108,109, 113, 115, 117, 118, 127, 128, 136, 142, 143, 148, 151, 152, 161, 181, 182, 199, 204, 228, 229,234,283,293,298,300,308,312, 322 Alphonse III le Grand (roi), 4, 11, 12, 17, 19,20,21,22,25,36,51,53, 57,59,
396
63, 68, 73, 77, 81, 94, 96, 102, 104, 105, 106, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 121, 122, 130, 139, 143, 145, 147, 148, 149, 151, 152, 153, 155, 156, 157, 161, 16~ 172, 182, 196, 19~ 199,204,225,228,229,244,248,250, 253,258,261,262,265,266,267,282, 286,288,289,291,292,306,311,322, 324,408 Alphonse IV le Moine (roi), 105, 112, 119,128,170,210,274,283 Alphonse IX (roi), 252 Alphonse V le Noble (roi), 59, 66, 114, 118,121,132,166,168,170,172,173, 176, 178, 183, 189, 190, 192, 193, 194, 198,200,207,225,235,251,257,260, 292,297,300,307,309,310,311 Alphonse VI (roi), 2, 3, 12, 28, 29, 53, 60, 80,106,112,113,114,115,119,130, 131, 145, 15~ 16~ 167, 16~ 173, 174, 175, 176, 179, 180, 193, 194, 195,201, 204,206,209,213,219,220,222,223, 224,226,227,228,230,231,232,233, 234,235,236,259,279,299,300,306, 310,314,322,326,409 Alphonse VII l'Empereur (roi), 176, 206, 236 Alphonse X le Sage (roi), 252 Al-Razi, Chronique, 97 Alvit (saint), 288 Annales castillanes, 19, 29, 134, 266, 295 Annales portugalenses veteres, 21, 22, 130,137,179,224,298,299 Antéchrist, 43 Antichrist, 91, 92, 93 Antiphonaire de la cathédrale de Leon, 64,184,187,212,281 Antiphonaire de Silos, 207 Apocalypse, 43, 77, 93, 153, 293 Aquitaine, 103 Aragon, 104, 144, 145, 147, 176, 178, 203,233,241,322,324
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Royaume,234,291,304,321 Ardabaste, 126 Ardon, Santos Justo y Pastor de (abbaye), 247 Argentea (sainte), 146 Arlanza, San Pedro de (abbaye), 94, 171, 174,200 Ascar de Braga (métropolitain), 91 Astorga, 50, 142, 204, 248, 260, 261,264, 265,266,267,288 Evêché,29,37,59, 79,81, 173,216, 217,260,288 Evêché, falsifications, 80, 81, 199, 228,260 Asturies, 24, 27, 37, 46, 49, 50, 51, 55, 91, 95, 116, 124, 140, 142, 159, 170, 189,219,244,251,252,266,295,312, 323,324 Astures, 17, 18,20,23,24,45,49,94, 108, 117, 123, 125, 128, 139, 141, 142, 144, 151, 156, 160, 290 Athanagild, 82 Athanase, 101 Attila (saint), 155, 289 Augustin d'Hippone (saint), Il, 41, 108 Cité de Dieu, 9, Il Correspondance, Il Lettre à Boniface, 10 Questions sur l'Heptateuque, 10 Aurélien, 127, 139 Auseba (mont), 292 Avila, 94, 171,264,266 Ayoo de Vidriales (abbaye), 288
B Babylone,35, 135,137,150,273 Badajoz, 222 Banos, San Juan Bautista de (église), 67 Banu Qasi, 143, 148 Loup, 139, 143, 148 Musa II, 143, 144, 148 Barbastro, 324
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Barcelone, 203 Barcena, San Miguel (église), 116 Basques, 117,139,141,142,147,266 Beatus de Liebana (saint), 46, 65, 91, 92, 93,95,99,153 Commentaire de l'Apocalypse, 37, 63, 91, 93, 99, 105, 108, 142, 171,207, 212,222,227,285,322,323 Berlanga, San Baudelio de (église), 285 Bernard de Tolède (archevêque), 175 Bétique, 38, 139, 264, 265 Bierzo, 288 Braga, 81,130,145,147,239,248,264, 266,308 Evêché,54, 79, 80, 81,120,122,152, 211, 239, 248, 308 Evêché, archives, 133, 244 Evêché, falsifications, 199 Braulion de Saragosse Adbreviatio Braulii, 217 Renotatio librorum Isidori, 315 Bréviaire d'Alaric, 46, 47 Breviarum apostolorum, 98, 211 Buezo, San Vincente, 287 Burgos, 129,170,285,287 Evêché, 81 Byzance, empire, 30, 34, 35, 39, 57, 82, 137,202,228,292
c Calahorra, 178, 306 Calixte II, 79, 215 Camarmeiia, San Pedro de (abbaye), 46 Cangas de Onîs, 49, 55, 65 Santa Cruz (église), 57, 60,312 Cantabrie, 50,124,140,168,169,242 Cantabres, 18, 125, 140, 141 Cardeiia, San Pedro de (abbaye), 62 Archives, 218 Carracedo, Santa Marîa de (abbaye), 37 Carrion de los Condes, San Zoilo (abbaye), 146
397
Carthagène, 37, 82 Casilde (sainte), 286 Castille, 64, 103, 109, 118, 121, 142, 143, 156, 172, 173, 174, 176, 188, 189, 190, 194,196,199,203,204,219,232,285, 295,323 Catalogne, Catalans, 45, 48, 97, 103, 104, 109, 116, 147, 177,210,211,213,241, 254,262,296,297,303,304,321,322 Celanova, San Salvador de (abbaye), 11, 46,120,200,287,289 Archives, 255, 256 Tumbo, 250 Césaire de Montserrat (abbé), 210, 211 Charlemagne, 109, 230 Charles le Chauve, 144, 152 Chaves, 250 Evêché, 248 Chindaswinthe, 117, 126, 159, 204 Chronique d'Iria, 31, 51, 142,291 Chronique mozarabe de 741, 32, 38 Chronique mozarabe de 754, 30, 31, 34, 35,38,40,44,45,51,96,222,263, 271' 272, 292, 311 Chroniques asturiennes, 4, 17, 18, 24, 25, 28,32,33,42,51,55,59,62,65,68, 71, 82, 96, 108, 111, 113, 117, 118, 124, 125, 129, 136, 138, 140, 141, 144, 147,149,160,248,253,262,267,269, 283,290,306,309 Chronique d'Albelda, 4, 18, 21, 22, 23, 31,34,37,51,55,59,63,66,67, 68, 69, 75, 78, 97, 112, 114, 117, 118, 119, 121, 129, 134, 139, 140, 141,147,149,150,152,196,256, 264,265,266,267,272,278,283, 291,324 Chronique d'Alphonse III, 4, 18, 19, 20,21,22,24,25,27,29,31,32, 34,35,36,37,50,51,52,55,56, 58, 59, 63, 66, 68, 72, 75, 96, 112, 113, 114, 117, 123, 124, 125, 126,
398
127, 130, 134, 135, 136, 137, 139, 141, 142, 143, 144, 149, 150, 151, 152, 167, 168, 181, 182, 196, 222, 250,251,257,264,266,270,271, 272,273,276,282,292,313,315, 323 Chronique prophétique, 4, 20, 22, 23, 31, 33, 137, 139, 149, 154, 155, 262,270,276,277,291,294,299, 309,313 Cid (Rodrigo Diaz de Vivar), 3, 28, 131, 145,180,222,266,273,298,299,300, 322 Cixila (métropolitain), 311 Cluny (abbaye), 219 Code Théodosien, 47, 278 Codex d'Albelda, 155 de Roda, 19, 44, 67, 149, 203, 273 de San Millân, 37, 47, 48, 159, 204 de Vigilanus, 37, 47, 48, 64, 159, 204 Cogolla, San Millân de (abbaye), 18, 47, 64,67,179,220,277,287,305 Coimbra, 107, 131, 147, 178, 218, 248, 253,265,266,267 Archives, 133 Evêché, 146 Santa Cruz (abbaye), 130 Compostelle, Saint-Jacques, 95, 102, 103, 210,257,309,409 Antealtares (abbaye), 286, 288 Concordia de Antealtares, 286 Evêché,37,53,57,59, 79, 80,81,82, 102, 104, 105, 106, 107, 115, 132, 170, 174, 180, 188, 206, 209, 210, 212,213,214,215,217,220,221, 222,236,261,288,310,311,317 Evêché, falsifications, 107, 136, 221, 274,299 Pèlerinage, 102, 103, 104, 107, 218, 220 Tumbo A, 56, 176,205,261,300,303
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Conciles d'Aix (800), 109 d'Antioche, 211 d'Husillos (1088), 221, 307 d'Oviedo, 68, 122, 225 de Chalcédoine, 34 de Clermont (1095), 10 deCoyanza(l055), 133,172,178, 194,198,245,255,278 de Jaca (1063), 304 de Leôn (1017), 132, 172, 192, 193, 225 deLeôn(l090), 175,176 deLeôn(ll07), 176 de Nicée, 34, 211 de Palencia (1100), 225 de Reims (1049), 213 de Tolède, 34, 54, 68, 70, 72, 73, 78, 91, 112, 114, 116, 118, 125, 128, 130,184,192,211,271,278 Conques(abbaye),254 Constance (épouse d'Alphonse VI), 223 Constantin Ile Grand, 34, 57, 61, 63, 70, 71,167,229,231,325 Fausse donation, 232, 325 Constantinople, 34, 68, 82, 292 Sainte-Marie, 73 Saints-Apôtres, 70, 71 Cordoue,20,23,30,31,51,52,94, 101, 103, 128, 139, 143, 144, 145, 146, 149, 150,170,178,297,324 Corogne (La), 37, 222 Covadonga,25,42,43,45,51,55, 124, 129,134,135,139,154,239,266,277, 290,292,309 Cova Santa Maria, 51 Cristète (sainte), 94, 171 Croix processionnelle, 61, 62 Croix votives, 57, 156 Croix de Justin II, 61 Croix de la Victoire, 58, 68, 147 Croix de Santiago, 57, 147
399
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Croix de Santiago de Pefialba, 63, 106 Croix des Anges, 56, 63, 68, 283 Cuenca, 287 Curueno (montagnes), 289
D Daniel, 293 David,8, 77,135,185,186,215,282 Destriana, San Miguel (abbaye), 288 Diego Gelmirez (évêque), 80, 214 Diego Pelaez (évêque), 220, 221 Diptyque d'Areobindus, 77 Distercios (monts), 287 Divisio Wambae, 80 Dominique de Silos (saint), 287, 293 Domitien (empereur), 274 Duefias, San Isidoro (abbaye), 215 Duero, 140,147,180,242,244,248,249, 265,266,267,285 Dukide, 20, 94, 145 Dumio, 248 San Martin (évêché-abbaye), 79, 152
E Edouard le Confesseur (roi, saint), 283 Egica,42, 70,117,126,159,204,271 Eginhard, Vi ta Karoli, 206 Elipand de Tolède (métropolitain), 91, 92 Elvira (fille de Ferdinand I), 220 Elvira (fille de Ramire II), 229, 257 Emilien (saint), 109 Ermcsinde (épouse d'Alphonse I), 127 Ervige, 55, 114, 126,271 Euloge (saint), 71, 94, 145, 146, 294 Ezéchiel, 23, 135, 149, 150
F Fafila,57,65, 114,127,312 Fafila,duc, 125,141,272 Félix (saint), 277, 278 Félix d'Urgell (évêque), 91, 109
Ferdinand de Castille (comte), 129, 170, 196 Ferdinand I, 19, 29, 38, 47, 53, 60, 63, 77, 94, 104, 107, 112, 11~ 114, 121, 122, 129, 133, 142, 146, 156, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 181, 183, 18~ 190, 192, 194, 195, 198,200,203,204,205,206,207,209, 210,215,216,217,218,225,228,234, 235,236,244,258,264,265,278,280, 281,283,284,292,295,306,307,308, 309,310,313,314,323,409 Ferdinand II le Catholique, 325 Ferdinand III le Saint (roi), 252, 284 Feman Gonza!ez de Castille (comte), 203 Francs, Francie, 27, 29, 39, 40, 48, 74, 93, 103, 10~ 109, 125, 137, 146, 152, 155, 160, 161, 165, 181,213,219,230,231, 234,254,262,271,296,311,325 Franquila (saint), 287 Froiliuba, 57 Fructueux (saint), 48, 261, 287, 308 Fmela (saint), 155, 169, 289 Fmela I, 53, 56, 65, 67, 127, 128, 142, 267,278,291 Fmela II, 68, 104, 105, 119, 127, 156, 176,274 Fueros, 252 de Calahorra, 226 de Leon, 194, 251, 257, 265, 297 de Sahagun, 259 de Sepulveda, 180
G Galice, 37, 49, 54, 66, 95, 99, 101, 103, 105, 107, 109, 110, 117, 140, 142, 143, 152, 161, 171, 175, 176, 179, 189, 199, 203,210,212,213,217,219,220,226, 246,248,251,253,255,264,285,287 Garcia de Castille (comte), 170 Garcia I, 54, 68, 112, 115, 127, 177, 181, 182
400
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Garcia I de Pampelune, 144 Garcia II de Galice, 175, 176 Garcia II de Pampelune (roi), 168 Garcia III de Pampelune (roi), 121, 168, 171,176,178,203,306 Gascogne, 203 Gennade (saint), 66, 288, 308 Germanie, Allemagne, 44, 45, 133, 215, 219 Godescalc du Puy (évêque), 103 Gog,11agog,35, 149,150,154 Goliath, 8 Goths, 17, 20, 21, 23, 24, 32, 33, 34, 35, 36,38,40,67,69,95,96, 111,112, 117, 124, 125, 127, 128, 129, 134, 135, 141, 142, 143, 144, 150, 151, 152, 154, 159,202,213,225,239,271,277,292, 309,325,326 Grégoire de Tours (saint), 152, 153 Grégoire le Grand (saint), 29, 132, 135, 184,213,217,273,278,280,282 Grégoire VII (saint), 213, 222, 232, 233, 325 Grenade, 179 Grenoble, 252 Guillaume III d'Aquitaine (duc), 103
H Habaquq, 262 Hadrien (pape), 109 Henri II (empereur, saint), 282 Herménegilde (saint), 229, 282 Hispana, collection canonique, 47, 120, 191 Historia Compostellana, 80, 213, 214, 220,234,251,309,322 Historia Roderici, 222, 298 Historia Silense, 28, 30, 31, 37, 38, 71, 97, 107, 112, 114, 121, 122, 125, 128, 129, 131, 132, 142, 144, 167, 173, 177, 178,180,181,183,188,196,205,206, 216,218,222,225,229,239,263,264,
273,277,280,283,291,292,293,298, 299,300,309 Hugues de Châlons (comte), 223 Hugues de Reims (archevêque), 103 Hymne à saint Jacques, 100 d'Eugène de Tolède, 275 0 Dei Verbum, 53, 64, 93, 100, 101 Tempore Belli, 30, 93, 137, 270, 276, 290
1 Ibn al-Qutiyya, Histoire de la conquête de l'Espagne, 265 Ibn Hayyan, 11uqtabas, 62, 264, 266 Ildephonse de Tolède, De virginitate perpetua sanctae 11ariae, 103, 145 Innocent 1, 213 Isaac, 187 Isaïe, 185, 282 Isidore de Chios (saint), 215, 218 Isidore de Séville (saint), 11, 18, 23, 29, 33,34,40,45,48,58,92, 114,118, 132, 133, 135, 150, 155, 171, 172, 175, 182,184,188,189,202,207,209,210, 213,215,216,217,218,220,225,227, 234,236,271,272,273,278,279,280, 281,284,315,323,326,409 De ortu et obi tu Patrum, 99 Etymologies, 9, 11, 46, 185,202, 246, 247,254,324 Historia Gothorum, 4, 18, 19, 35, 141, 151 Louange de l'Espagne, 33, 34, 202 Sentences, 46 Ismaël, 39, 40, 149, 150, 295, 305 Israël, 149, 187 Italie, 219
J Jacques apôtre (saint), 2, 53, 60, 64, 65,
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
80, 95, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 119, 161, 180,204,209,210,211,212,213,214, 215,217,218,220,221,234,235,286, 292,309,323 Jean apôtre (saint), 274 Jean de Biclar, 34, 43 Chronique, 33 Jean VIII (pape), 10 Jean XIII (pape), 210 Jérôme (évêque), 145, 306 Jérôme (saint), 105, 150, 215 Jérusalem, 35, 39, 74, 75, 97, 103, 107, 145,154,212,213,214,230,283,325 Job, 280 Judée,212 Julien de Tingitane (comte), 38, 273 Julien de Tolède (saint), 29, 33, 35, 58, 72,137, 13~ 152,313 De comprobatione sextae aetatis, 35, 43,44 Historia Wambae, 19, 182, 271 Juste (sainte), 94, 177,216,217 Justin II, 61 Justinien, 71 Justinien II, 57
K Kinthila, 54
L Lamego, 147,178,248,266 Laterculus regum Ovetensium, 21, 33, 68, 95 Leire, San Salvador de (abbaye), 145, 294 Lena, Santa Cristina de (abbaye), 77 Léocadie (sainte), 94 Léocritie (sainte), 94, 145, 146 Leon, 12,24,30,46,59,60,68,94, 103, 107, 112, 118, 121, 122, 134, 140,142, 143, 146, 155, 168, 169, 170, 171, 172,
401
173, 174, 175, 176, 18~ 18~ 196, 198, 203,204,206,207,210,213,215,216, 219,225,226,232,236,248,250,251, 257,264,265,266,267,275,279,280, 284,285,289,292,296,297,409 Evêché,81,82, 115,139,168,169, 170, 171, 175, 176, 183, 184, 189, 190,200,212,253,260,261,263, 288,289,297,300,306,311,313, 314 Evêché, archives, 47, 155, 255, 256, 303 Evêché, falsifications, 139, 297, 311, 314 San Juan Bautista/San Isidoro (abbaye), 29, 66, 77,153,170,171, 173,174,175,206,216,217,218, 280,281,284,295 San Salvador de Palat del Rey (abbaye), 169 Santiago (abbaye), 264, 297 Tumbo de la Catedral, 17 5, 184 Léon III (empereur), 292 Léon IX (saint, pape), 213 Leorio, Santa Maria (église), 153 Léovigilde, 21, 67, 125, 140 Liber Comicus, 57, 184 Liber Judicum, 46, 47, 48, 114, 116, 117, 119, 120, 133, 159, 160, 191, 192, 193, 196,197,246,254,308 Liber Ordinum, 58, 62, 275, 296, 313 Lillo, San Miguel de (église), 75, 77, 292, 293 Limoges, Saint-Martial (abbaye), 213 Lion, 77 Lisbonne, 37 Livre des Heures de Ferdinand I, 173, 183,215 Logrofio, 285 Louis I le Pieux, 254 Lovio, San Felice (église), 286 Lugo,49,239,264,266,267,289,308
402
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Evêché, 79,81, 120,122,210,239, 250,267,306,308 Evêché, falsifications, 79, 81, 199, 250,306,308 Lusitanie, 38, 139, 147, 264, 265
M 11accabées, 229,291 11aghreb, 271 11ahrnud, 59,117,143 11ahomet, 23, 33, 38, 39, 41, 43, 137, 143, 149, 223, 262, 294, 295, 299, 324 11artin de Tours (saint), 150, 152, 153 11aurégat, 53, 64, 100, 101, 118, 128, 129, 136 11enendo Gonzâlez (duc), 189 11érida, 265 Archevêché, 79,81,215 11iche1 archange (saint), 71, 153,293 11ifio,64,67,99, 130,152,244,248,249 11iro, 214, 309 11issa de Cruce, 62 omnium tribulantium, 275, 289 Sancti Clementis, 93, 135, 137, 275, 290 votiba omnimoda, 296 11oïse, 187, 279, 290 11ondego,64,67, 130,140,152,244 11ondofiedo Evêché, 79,289 Evêché, falsifications, 199 11ontelios, San Frutuoso de (abbaye), 261 11ontes, San Pedro de (abbaye), 288, 308 11ozarabes, 3, 18,20,22,23,27,28, 33, 38,46,50,63, 82,91,93,94,95,96, 101, 108, 116, 135, 137, 139, 143, 144, 145, 146, 157, 159, 160, 161, 179, 180, 270,273,289,294,310,322 11unnuza,50,51,52, 141 11uno, évêché, 81 11uwallads, 117,143,148,157,160
N Najera, 19, 219, 285 Naranco, 56,57,290,292 Palais, 75, 176, 293 Santa 11aria de (église), 37,293,312 Narbonne, Narbonnaise, 38,211, 262 Népotien, 127, 128, 142 Ninive, 273 Noé,35, 125,229,236,277 Nomina regum catolicorum Legionensium, 67, 127, 128, 283 Notker de Saint-Gall, Martyrologe, 99 Numantia, Evêché, 80 Nunilone (sainte), 145, 146
0 Oca, 130,145,147,248,266 Evêché, 79, 81 Odoarius (évêque), 239, 250,267, 308 Office de Saint-Jacques, 100 Ofia (abbaye), 200 Oppa(évêque),27,36,52, 129,144 149 154,281,29~309,313 , , Ordofio I, 19, 53, 55, 56, 73, 96, 104, 105, 114, 115, 139, 144, 147, 148, 169, 175, 176,234,248,251,253,265,267,278, 282 Ordofio II, 12, 29, 54, 59, 68, 77, 104, 107, 112, 114, 115, 117, 122, 128, 132, 136, 143, 148, 156, 167, 169, 175, 177, 181, 182, 183, 184, 188, 190, 199, 202, 203,206,207,210,221,228,235,259, 264,273,291,292,299,310,322,325, 409 Ordofio III, 81, 156, 169, 183, 199, 200, 212,250 OrdofioiV, 128,156,170,261 Orense, 248, 287 Evêché,20, 79,248 Orose (Paul), 41,313 Osma, 80, 264, 266
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Evêché, 307 Oviedo, 12, 22, 51, 52, 56, 59, 60, 63, 67, 68, 69, 71, 75, 76, 78, 82, 91, 94, 108, 109, 121, 122, 123, 136, 145, 148, 149, 155,160,200,203,230,279,293,305, 306,325 Câmara Santa, 71, 94, 123, 293 Evêché, 19,24,29,56,57,69, 70, 72, 74,7~82, 113,121,122,123,130, 135,147,176,283,300,312 Evêché, archives, 46 Evêché, falsifications, 68, 79, 122 Foncalada (fontaine), 121, 148 Pèlerinage, 122 San Juan Bautista!San Pelayo (abbaye), 122, 146, 169 San Salvador, 11 San Tirso, 69, 72 San Vicente (abbaye), 67 Santa Maria, 72, 148 Oxiferio (mont), 147
p Palencia, 67, 146, 285 Evêché, 79, 171 Pampelune, 294 Evêché, 146, 233 Royaume, 3, 46, 61, 118, 133, 144, 147, 148, 159, 160, 16~ 170, 173, 176,188,189,203,213,232,233, 234,266,279,296,306,321 Parochiale Suevorum, 80 Pascal de Tolède (évêque), 145 Pascal II, 213, 214, 233, 325 Passion, 48, 281 d'Alodia, 146 d'Argentea, 146 de Facond et Primitif, 25 de Jacques, 97, 100 de Julien et Basilisse, 282 de Nunilone, 146 de Pélage, 146
403 Passionnaire de Cardefia, 93, 146 Passionnaire de Silos, 146 Paul apôtre (saint), 39, 97, 103, 185, 212, 213,313 Paul de Septimanie (duc), 206, 230 Pedroso, San Miguel de (abbaye), 53 Pélage, 4, 12, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24,31,36,45,50, 51,52,55,63,65, 67, 96, 111, 113, 116, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 134, 135, 139, 140, 141, 142, 144, 147, 149, 151, 154,156,160,167,196,225,229,266, 276,277,281,290,292,304,309,313, 315,323,408 Pélage (anachorète), 286 Pélage (saint), 104, 122, 146, 169,280 Pélage d'Oviedo (évêque), 68, 79, 107, 112,122,225,230,236 Chronique de Sampiro, 107, 122, 225, 266,274 Chronique des rois de Leon, 171, 206 Concile de Coyanza (1055), 309 Concile de Leon (1017), 195, 225,251, 257,265 Concile d'Oviedo, 225 Dedicatio ad Sisenandum, 236 Divisio Wambae, 80, 176 Liber Chronicorum, 80, 122 Liber Testamentorum, 122, 195,312 Pefialba, Santiago de (abbaye), 66, 288 Pénitentiel de Silos, 54, 201 Piasca, Santa Maria (abbaye), 305 Pierre apôtre (saint), 97, 103, 104, 153, 212,213,217 Pierre de Cantabrie (duc), 22, 124, 125, 127, 140, 168 Pierre de Mezonzo (saint), 288 Poema du Cid, 322 Porto, 130,145,147,248,264,266,285 Evêché, 248 Portugal, 22, 48, 143, 248, 252 Prados, San Julian de los, 60, 75
404
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Pravia, 66 Santianes (église), 52, 57, 66, 67 Priesca, San Salvador de (abbaye), 77 Priscillien, 101 Pseudo-Isidore, Chronique, 97 Pseudo-Léon (pape), 211, 213, 214, 234 Pseudo-Méthode de Patara (évêque), 44, 45, 154 Pungin, Santa Maria (église), 287
Q Quilofio, San Miguel de (abbaye), 56, 60
R Raimond de Galice (comte), 79, 226, 257, 306 Ramire de Viguera, 160 Ramire I, 22, 37, 56, 57, 73, 75, 76, 77, 78, 96, 114, 118, 119, 127, 128, 142, 148,149,278,290,292,293,312 Ramire I d'Aragon (roi), 178, 204 Ramire II, 18, 63, 67, 104, 106, 113, 119, 156,169,176,183,196,200,203,258, 274,279,280,283,317 Ramire III, 67, 81, 114, 121, 127, 129, 139, 146, 156, 169, 170, 172, 183, 188, 193,199,200,210,228,257 Reccarède, 21, 34, 61, 113, 114, 125, 152, 167,168,229,230 Réceswinthe, 67, 159, 204 Rec6polis, 67 Règles monastiques, 58 Ribagorce, 176, 233 Ribas de Si!, San Esteban de (abbaye), 287 Rioja,3,4, 19,46,47,64, 103,153,159, 176,204,219,231,285,287,293 Robert le Pieux (roi), 155 Rocas, San Pedro de (abbaye), 286, 309 Falsifications, 132, 286, 309, 311 Rodrigue, 18, 27, 30, 31, 36, 38, 42, 125,
126,168,271,272,273,322 Rome, 34, 35, 36, 42, 67, 103, 105, 212, 213 Empire Romain, 12, 27, 33, 34, 35, 44, 61, 112, 137, 154, 192, 195, 196, 201,202,203,207,228,229,235, 268,324,326 Papauté, 7, 61, 79, 165, 176,213,214, 217,232,233,234,324 Romains, 18, 34, 35, 39, 41, 141, 202, 213,247, 269 Ronceveaux, 230 Rosende (saint), 287, 288 Roussillon, 254 Ruccons, 141
s Sabine (sainte), 94, 171 Sahagun (abbaye), 173, 200, 224, 226, 227,228,229,255,257,258,259,260, 284,288,303,307 Archives, 255, 256 Falsifications, 183, 259, 314 Sainte Croix, 60, 61, 63, 64, 66, 74, 75, 76,108,123,147,148,153,207,230, 323,325 Salamanque, 264, 266, 306 Evêché, 79, 131 Salas, San Martîn de (église), 148, 312 Salomon, 186, 187, 282 Samos, San Julian de (abbaye), Il, 46, 55,56,96,278 Sampiro, 136 Chronique, 29, 59, 95, 97, 105, 112, 114, 118, 119, 128, 130, 137, 144, 167,173,183,192,196,257,263, 264,273,274,279,282,291,296, 298,299,311 Sancha (épouse de Ferdinand I), 47, 105, 133,142,168,172,173,174,175,200, 218,309 Sanche de Pampelune (roi), 160
405
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
Sanche Garcès IV de Pampelune (roi), 213,231,233 Sanche Garcia de Castille (comte), 118 Sanchei,29, 97,128,146,156,168,169, 170,258,273 Sanche I Ramirez d'Aragon (roi), 3, 232, 233 Sanche II, 81, 156, 174, 176, 178, 206, 219,307 Sanche III le Grand de Pampelune (roi), 170, 172, 176, 181, 189, 194, 198, 199, 203,205,209 Sanche Ordofiez, 210, 311 Santiago Evêché, 211 Sara, 39, 295 Saragosse,30, 144,148,178,230 Sasamon,évêché, 81 Ségovie, 264, 266, 285 Septimanie, 38, 126, 230, 254 Séville,94, 177,178,179,216,224,236 Silo, 52, 56, 57, 66, 112, 127, 139, 142, 196 Silos, Santo Domingo de (abbaye), 29, 30, 57,64,178,287,296,308 Simancas, 106, 177, 264, 266 Evêché, 81, 228 Sisebut, 23, 71, 141 Sisenand, 72 Sisenand Davidiz, 179 Smaragde, Via Regia, 186 Sobrado (abbaye), 288 Tumbo, 102 Sobrarbe, 233 Suèves, 141, 152
T Tabara, San Salvador de, 142 Tacite, 265 Tage, 130,145,219,244 Talavera, 169 Tariq (gouverneur), 27, 137
Tarragone, Tarraconaise, 37, 126, 210, 325 Testamentum d'Alphonse II, 22, 24, 36, 70, 78, 93, 115, 125, 130, 135, 141, 271,291 Théodemire (évêque), 60, 102, 309 Tolède, 18, 21, 30, 34, 35, 37, 41, 46, 59, 60,67,68,69, 70, 72, 75, 78, 80,82, 91, 93, 94, 97, 100, 108, 112, 144, 145, 148, 15~ 160, 170, 17~ 175, 178, 179, 204,212,222,223,224,228,230,232, 233,234,236,273,283,287,300,310 Archevêché,22,42, 73, 78, 79,82,92, 94, 101, 122, 145, 175, 182,211, 223, 271, 311 El Cristo de la Luz, 66 El Cristo de la Vega, 71, 72 Saints-Pierre-et-Paul-du-prétoire, 61, 62, 70, 182 San Servando (abbaye), 180 Santa Leocadia, 71, 72 Santa Maria la Blanca, 145 Toques, San Antolin (abbaye), 226 Traditions rassemblées, 51, 126 Translatio Felici, 138, 179,224,227,299,310 Isidori, 30, 33, 51, 94, 125, 171,216, 273,276,277 Triacastela, San Pedro y San Pablo, 259 Tufi6n, San Adrüin de (église), 77, 112, 148 Tuy,248,261,264,265,266,267 Evêché, 79,146,300
u Urbain II (pape), 7, 10, 214, 325 Urraca (fille d'Alphonse VI), 176 Urraca (fille de Ferdinand 1), 174, 175, 220 Usuard, Martyrologe, 103, 146
406
INDEX DES NOMS DE PERSONNES, DE LIEUX ET D'OEUVRES
v Valdedios, San Salvador de (abbaye), 77, 121, 148 Valdejunquera, 177, 273 Valence, 3, 131, 145, 264, 265, 266, 299, 300 Evêché, 28 Valère du Bierzo (saint), 141, 284, 308 Valpuesta Evêché, 81, 261 Evêché, falsifications, 81, 261 Vandales, 122, 213 Velasquita, 63 Verrnudel,4, 127,128,129,206,283 Verrnude II, 63, 114, 120, 127, 129, 136, 156, 167, 168, 170, 173, 17~ 183, 188, 189,191,192,198,200,209,210,251, 274,278,282,296,297,311 Verrnude III, 29, 121, 127, 156, 168, 170, 173, 17~ 188,203,231 Vierge Marie, 153, 220, 230, 292, 314 Vikings, 138, 178, 274 Vimara, 128
Vincent (saint), 94, 171, 218, 280 Vintilla (saint), 287 Viseu, 31, 130, 145, 147, 178, 248, 264, 266 Vita Adelelmi, 3 Dominici Silensis, 178, 179, 203, 298, 306,308 Froilani, 155, 289 Geraldi, 224 Martini, 282 Rosendi (Ordofio de Celanova), 4, 287
w VVamba, 19,20,59, 70, 78,126,151,167, 182,192,229,230,271 VVitiza, 42, 72, 125, 126, 141, 168,229, 271,272,278
z Zamora, 80, 155, 266, 285 Evêché, 79,80,289 Zoïle (saint), 145
Table des matières
Préface Remerciements Abréviations
vu ix xi
Introduction PREMIERE PARTIE: LE CHOC DE 711 ET LA REACTION NEO-GOTHIQUE DU ROYAUME ASTURIEN (HUITIEME ET NEUVIEME SIECLES)
15
Introduction à la première partie
17
Chapitre I: 711, fin du monde ou fin d'un monde?
27
I. Le traumatisme de l'invasion A. La destruction du royaume wisigothique B. La fin d'une civilisation IL Mozarabes et musulmans : Une difficile coexistence A. La soumission des Mozarabes B. La Chronique mozarabe de 754: entre providentialisme et adventisme III. La royauté asturienne : un pouvoir néo-gothique A. Une culh1re romano-wisigothique B. Une rébellion C. Un roi 'wisigothique' 1. Un rex ou princeps
28 28 34 38 38
40 45
46 51 52 52
408
TABLE DES MATIÈRES
2. QualificatifS et cérémonial wisigothiques 3. Les rituels et emblèmes guerriers IV. Oviedo, nouvelle Tolède A. Le siège de la royauté 1. Un actif centre royal 2. Les églises et le palais de la ville 3. San Julian de los Prados 4. Naranco B. La capitale ecclésiastique 1. Un nouvel évêché 2. L 'adoptianisme et l'indépendance de l'Eglise asturienne V. Saint Jacques ou la revendication de l'Hispania A. L'Hispania, entre musulmans et chrétiens B. Saint Jacques et l'Espagne 1. Saint Jacques, apôtre de l'Espagne 2. Saint Jacques, patron de la royauté et de l'Hispania C. L'invention du corps et de l'essor du culte 1. La découverte de la tombe et le culte 2. Un patriotisme mystique 3. Saint Jacques, patron de la guerre royale Conclusion
Chapitre II : Alphonse III et la restauration du royaume des Goths 1. Le royaume : rex et patria A. La valorisation néo-gothique du pouvoir royal B.Lapatrie C. L'apogée d'Oviedo II. « Royaume des Astures » et « royaume des Goths » dans les chroniques Asturiennes A. Le royaume de Pélage, reliquat du royaume wisigothique 1. La royauté 2. L'Eglise 3. Le royaume et les barbares 4. La conquête territoriale B. Un royaume et plusieurs peuples C. Les concurrents 1. Les Muwallads 2. Les Mozarabes III. Vers la restauration du« royaume des Goths»? A. Victoires et optimisme sous Alphonse III B. La libération de 884: une prophétie politique C. La libération de 884: une prophétie religieuse?
55 59 65 67 68 70 73 75 78 78 91 95 95 97 98 100 101 102 104 106 107 111 111 112 116 121 123 124 124 129 134 138 140 140 143 144 147 147 149 153
TABLE DES MATIÈRES
D. Après 884 Conclusion
409
155 156
Conclusion de la première partie
159
DEUXIEME PARTIE: VERS LA RESTAURATION DE L'EMPIRE EN ESPAGNE (DIXIEME ET ONZIEME SIECLES)
163
Introduction à la deuxième partie
165
Chapitre III : La glorification du pouvoir royal d'Ordofio II à Ferdinand Ier
167
L La continuité du pouvoir royal A. Le6n, nouvelle capitale B. La guerre IL L'affirmation chrétienne du pouvoir: l'onction royale A. L'onction d'Ordofio II B. L'onction et la doctrine chrétienne du pouvoir C. Onction et pouvoir royal à Le6n III. L'affirmation d'un pouvoir souverain A. La loi B. L'empereur de Le6n C. Le diadème Conclusion Chapitre IV: La réappropriation de l'Hispania L L' Hispania, entre saint Jacques et saint Isidore A. Saint-Jacques, nouvelle capitale du royaume? B. Ferdinand 1er, saint Isidore et l'Espagne IL La réappropriation de l'Espagne par Alphonse VI A. Alphonse,« roi d'Espagne» B. Alphonse,« empereur de toute l'Espagne» C. Mythe et réalité de l'empire d'Espagne Conclusion Conclusion de la deuxième partie
168 169 176 181 181 184 188 190 191 195 205 207 209 209 210 215 219 219 226 231 234 235
410
TABLE DES MATIÈRES
TROIS lEME PARTIE : AMELIORER LE PASSE : UN ASPECT DETERMINANT DE L'IDEOLOGIE ASTURO-LEONAISE
237
Introduction à la troisième partie
239
Chapitre V : Peupler
241
1. Peupler le désert A. Le désert 1. Une terre sous-peuplée 2. Un habitat instable B. Populare Il. L'occupation d'une terre A. Le défrichement B. Le peuplement 1. Une préoccupation grandissante 2. Un moyen d'appropriation 3. Une preuve de la presura III. Une politique royale de dépeuplement 1 peuplement A. Un dépeuplement stratégique B. Un dépeuplement politique Conclusion
Chapitre VI : Régénérer I. Une défaite providentielle A. Un châtiment B. Une régénération spirituelle 1. La régénération de tout un royaume 2. Le bon roi 3. Une spiritualité ascétique C. La victoire, don de Dieu II. Purifier les édifices A. L'apparition d'un antagonisme religieux spécifique B. Al-Mansur et la radicalisation de l'antagonisme 1. Le choc d'al-Mansur 2. Les musulmans, instruments du Diable Conclusion
Chapitre VII : Restaurer I. Reconstruire et rétablir les institutions IL Renouer avec le passé
243 243 243 246 249 254 254 256 256 258 260 262 263 265 268 269 270 270 275 275 278 284 289 293 294 295 296 298 301 303 305 307
TABLE DES MATIÈRES
III. Améliorer Conclusion
411
311 314
Conclusion de la troisième partie
317
CONCLUSION
319
Planches Sources et bibliographie Index des noms de personnes, de lieux et d'œuvres Table des matières
327 331 395 407