L'avenir de la mémoire: Patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques 2757404393, 9782757404393

La question de la conservation, de la restauration et de la diffusion du patrimoine cinmatographique et audiovisuel devi

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L'avenir de la mémoire: Patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques
 2757404393, 9782757404393

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collection Arts du spectacle série Images et sons

25 € F 114152 ISBN 978-2-7574-0439-3 ISSN 1955-4893 Illustration de couverture : ©Gerda Cammaer, The B-Film Keeper (2009). maquette Nicolas Delargillière.

1415 Habib (couv) 07-02-2013.indd 1

La question de la conservation, de la restauration et de la diffusion du patrimoine cinématographique et audiovisuel devient de plus en plus cruciale. Des pans entiers de l’histoire du cinéma demeurent toujours difficiles d’accès et sont souvent menacés de disparition. Que faire de ces gisements de films et de documents audiovisuels que les archives ont de moins en moins les ressources et la possibilité de faire connaître ? Où commence et où s’arrête la notion de patrimoine ? Quels sont les critères de pertinence qui mènent une cinémathèque à favoriser la restauration de telle œuvre plutôt que de telle autre ? Comment la redécouverte de certains corpus de films contribue à modifier notre connaissance de l’histoire du cinéma ? Quelle influence la conservation du cinéma a eue sur les créateurs de cinéma ? Comment certaines œuvres de réemploi participent-elles d’une forme de valorisation singulière du patrimoine filmique ? Quels sont les nouveaux défis des cinémathèques et des archives à l’ère du « tout-numérique » et quels rôles peuvent jouer les « nouveaux supports » dans la conservation et la diffusion de certaines zones oubliées du patrimoine cinématographique ? Sans avoir la prétention d’épuiser les multiples ramifications de ces questions pressantes, vastes et complexes, cet ouvrage voudrait poser quelques jalons d’une réflexion plus que jamais nécessaire sur l’avenir de la mémoire des archives cinématographiques et audiovisuelles.

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L’avenir de la mémoire Patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques

Avec les contributions de : Howard Besser Gerda Johanna Cammaer Robert Daudelin Christophe Falin Marie Frappat Pierre Jutras Éric Le Roy Caroline Martel Viva Paci Dominique Païni Hervé Pichard Giusy Pisano Rick Prelinger Jean-François Rauger Catherine Russell Will Straw Pierre Véronneau

Patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques

André Habib Michel Marie (éds)

André Habib,

Professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, Il est coéditeur de la revue électronique Hors champ. Ses recherches récentes portent sur l’esthétique des ruines, l’archive, le cinéma expérimental et la cinéphilie.

L’avenir de la mémoire

Lettres et Arts

Michel Marie,

Historien et théoricien du cinéma, il fut professeur à l’université de Paris 3. Considéré comme un des fondateurs de l’enseignement du cinéma en France, ses ouvrages à vocation systémique et pédagogique sont incontournables.

L’avenir de la mémoire Patrimoine, restauration, réemploi

cinématographiques André Habib • Michel Marie (éds) Arts du spectacle — Images et sons

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L'avenir de la mémoire Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques

La collection Arts du spectacle - Images et sons est dirigée par Giusy Pisano Cet ouvrage est publié après l’expertise éditoriale du comité Lettres et Arts composé de : Carine Barbafieri, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis Philippe Bonnefis, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3/Université d'Emory, Atlanta Valérie Catelain, Université Catholique de Lille Gérard Farasse, Université du Littoral - Côte d’Opale Franck Greiner, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3 Giusy Pisano, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, LISAA Dominique Viart, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3 Karl Zieger, Université Charles-de-Gaulle – Lille 3

Parutions dans la collection : · Pour un cinéma léger et synchrone ! Invention d'un dispositif à l'Office national du film, à Montréal Vincent Bouchard, 2012.

· La machine à voir À propos de cinéma, attraction, exhibition Viva Paci, 2012.

· Numérique et transesthétique G. Leblanc & S. Thouard (éds), 2012.

· Traduction et médias audiovisuels J.-M. Lavaur & A. Şerban (éd.), 2011.

· L'Art des foules Théories de la réception filmique comme phénomène collectif en France (1908-1930) Emmanuel Plasseraud, 2011.

· L'image paradoxale Fixité et mouvement Caroline Chik, 2011.

· Bollywood

cinéma et mondialisation Camille Deprez, 2010.

· Quel film voir ?

Pour une socioéconomie de la demande de cinéma Claude Forest, 2010.

· Le mythe, le miroir et le divan Pour lire le cinéma Michel Serceau, 2009.

· Cinéma et imaginaire baroque Emmanuel Plasseraud, 2007.

· Hawks, cinéaste du retrait Jean-Michel Durafour, 2007.

L'avenir de la mémoire Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques disponible également en versions papier et ePub sur le site des Presses universitaires du Septentrion livre broché - ISBN 978-2-7574-0439-3 : 25€ ePub - ISBN 978-2-7574-0471-3 : 18€ lot papier + ePub - ISBN 978-2-7574-0535-2 : 28€ Réagissez ou commentez cet ouvrage sur la page facebook des Presses universitaires du Septentrion.

Michel Marie André Habib (éds)

L'avenir de la mémoire Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques

Publié avec le soutien de l'Université de Montréal, du Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographiques et scéniques (GRAFICS) et de l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Presses Universitaires du Septentrion www.septentrion.com 2013

André Habib Professeur au Département d'histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, André Habib est aussi coéditeur de la revue électronique Hors champ. Ses recherches récentes portent sur l’esthétique des ruines, l’archive, le cinéma expérimental et la cinéphilie. Michel Marie Historien et théoricien du cinéma, Michel Marie fut professeur à l'université de Paris 3 — Sorbonne Nouvelle. Considéré comme un des fondateurs de l'enseignement du cinéma en France, ses ouvrages à vocation systémique et pédagogique sont incontournables dans les filières de cinéma. L'avenir de la mémoire Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques La question de la conservation, de la restauration et de la diffusion du patrimoine cinématographique et audiovisuel devient de plus en plus cruciale. Des pans entiers de l'histoire du cinéma demeurent toujours difficiles d'accès et sont souvent menacés de disparition. Que faire de ces gisements de films et de documents audiovisuels que les archives ont de moins en moins les ressources et la possibilité de faire connaître ? Où commence et où s'arrête la notion de patrimoine filmique ? Quels sont les critères de pertinence qui mènent une cinémathèque ou une archive à favoriser la restauration de telle œuvre plutôt que telle autre ? Comment la redécouverte de certains corpus de films contribue à modifier notre connaissance de l’histoire du cinéma ? Quelle influence la conservation et la patrimonialisation du cinéma a eu sur les créateurs de cinéma ? Comment ces œuvres participent d’une forme de valorisation singulière du patrimoine filmique ? Quels sont les nouveaux défis des cinémathèques et des archives dans la conservation et la restauration du patrimoine filmique ? Quels rôles jouent les « nouveaux supports » dans la conservation de certaines zones oubliées du patrimoine cinématographique ? Sans avoir la prétention d’épuiser les multiples ramifications de ces questions pressantes, vastes et complexes, cet ouvrage voudrait poser quelques jalons d’une réflexion plus que jamais nécessaire sur l’avenir de la mémoire des archives cinématographiques et audiovisuelles.

Les Presses universitaires du Septentrion mettent à la vente les livres numériques sur leur site http:// www.septentrion.com sans appliquer de DRM (Digital Rights Management), ceci afin de ne pas réduire les usages de ses lecteurs. Leurs livres numériques n’en restent pas moins soumis au droit d’auteur. En conséquence, les Presses universitaires du Septentrion demandent à leurs lecteurs de ne pas diffuser leurs livres numériques sur des plates-formes de partage ni de procéder à de multiples copies privées (>5). La violation des droits d’auteurs est constitutive du délit de contrefaçon puni d’une peine de 300 000 euros d’amende et de 3 ans d’emprisonnement (CPI, art. L. 335-2 s.). Le code de la propriété intellectuelle entend par contrefaçon tous les actes d’utilisation non autorisée de l’œuvre. La loi incrimine au titre du délit de contrefaçon : • « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi » (CPI, art. L. 335-3). • « le débit [acte de diffusion, notamment par vente, de marchandises contrefaisantes], l’exportation et l’importation des ouvrages “contrefaisants” » (CPI, art. L. 335.2 al. 3). Source : http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

Plus de détails sur le site des Presses universitaires du Septentrion

Les Presses Universitaires du Septentrion sont une association de six universités : • Université Lille 1 Sciences et Technologies, • Université Lille 2 Droit et Santé, • Université Charles-de-Gaulle – ­Lille 3, • Université du Littoral Côte d’Opale, • Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, • Université Catholique de Lille. La politique éditoriale est conçue dans les comités éditoriaux. Six comités et la collection « Les savoirs mieux de Septentrion » couvrent les grands champs disciplinaires suivants : • Acquisition et Transmission des Savoirs, • Lettres et Arts, • Lettres et Civilisations étrangères, • Savoirs et Systèmes de Pensée, • Temps, Espace et Société, • Sciences Sociales.

Publié avec le soutien du PRES Université Lille Nord de France et de la Région Nord – Pas de Calais. © Presses Universitaires du Septentrion, 2013 www.septentrion.com Villeneuve d’Ascq France

Toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, de la présente publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite (article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle) et constitue une contrefaçon. L’autorisation d’effectuer des reproductions par repro­graphie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC) 20 rue des Grands-Augustins à Paris.

ISBN : 978-2-7574-0503-1 ISSN : en cours

L'avenir de la mémoire Table des matières Remerciements.........................................................................................9 Introduction : quel avenir pour quelle mémoire ?.........................................10 Michel Marie, André Habib Cinéma : l’invention du musée Entretien avec Dominique Païni................................................................15 La vie (des cinémathèques) commence à 50 ans….........................................22 Robert Daudelin Programmation et valorisation..................................................................25 Jean-François Rauger L’« école bolonaise » de restauration des films............................................34 Marie Frappat La spoliation du cinéma français par les nazis..............................................41 Éric Le Roy La Cinémathèque chinoise à l’heure de l’ouverture politique et du numérique... 47 Christophe Falin Nouvelles formes de collaboration entre chercheurs et institutions patrimoniales : les projets ANR par l’exemple de Cinémarchives...................... 55 Giusy Pisano Deux exemples de restauration à la Cinémathèque québécoise : Kamouraska et Seul ou avec d’autres............................................................69 Pierre Jutras La Cinémathèque québécoise : des collections, des questions et des défis........73 Pierre Véronneau 7

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L'avenir de la mémoire

La restauration de l’image de Lola Montès...................................................86 Hervé Pichard Benjamin, Prelinger, and the Moving Image Archive....................................93 Catherine Russell Looking Back at an Electronic exchange with a Media Archeologist An Interview with Rick Prelinger by Caroline Martel 12 ½ years later........... 106 Caroline Martel, Rick Prelinger Filmmakers as Antiquarians: Adapting and Adopting Found Footage in the Digital Age.......................... 115 Gerda Johanna Cammaer « It’s not gone, it’s just hiding » Quelques notes de recherche-création avec les films orphelins..................... 125 Caroline Martel Le cinéma de réemploi considéré comme une « archive ». L’exemple de A Trip Down Market Street (1906) et Eureka (1974).................... 137 André Habib De la conservation involontaire, dans le royaume de la consommation. Les films des Studios et la télévision......................................................... 149 Viva Paci “Action Classics”: Ways of Thinking about the Budget DVD Corpus............ 159 Will Straw Communities of Interest Unite to Save Films............................................. 169 Howard Besser Les auteurs............................................................................................ 179

Remerciements Nous voudrions remercier en tout premier lieu le GRAFICS (Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographiques et scéniques) de l’Université de Montréal et son directeur, André Gaudreault, ainsi que l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée qui ont rendu possible la publication de cet ouvrage. Nous tenons également à remercier le CERIUM et la Cinémathèque québécoise qui ont permis la tenue du colloque L’avenir de la mémoire, les 11 et 12 février 2010. Enfin, nous remercions chaleureusement les auteurs qui nous ont confié leurs textes, ainsi que Giusy Pisano pour sa contribution à la réalisation de ce livre.

Introduction : quel avenir pour quelle mémoire ? Michel Marie André Habib « De quel péril les phénomènes sont-ils sauvés ? Pas seulement, et pas principalement du discrédit et du mépris dans lesquels ils sont tombés, mais de la catastrophe que représente une certaine façon de les transmettre en les “célébrant” comme “patrimoine” – ils sont sauvés lorsqu'on met en évidence chez eux la fêlure. – Il y a une tradition qui est catastrophe. » (Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle1)

Tous les ans, les archives et les cinémathèques du monde reçoivent en dépôt des centaines, et parfois des milliers de films sous divers supports et des documents audiovisuels de toute nature. Le patrimoine audiovisuel de l’humanité vient compléter celui du livre et des autres pratiques culturelles. Ces immenses collections, entièrement nouvelles, posent de nombreux problèmes à la recherche comme à la pratique de la gestion patrimoniale. Il y a d’abord la question de la collecte des œuvres, soumises au dépôt légal dans certains pays, mais pas dans d’autres qui restent liées au dépôt volontaire, toujours aléatoire. Beaucoup d’œuvres échappent ainsi à la sauvegarde et disparaissent tous les ans. Il y a l’ensemble des problèmes liés aux conditions de conservation et de sauvegarde dans les dépôts d’archives. Les films et les œuvres audiovisuelles ne se conservent pas d’eux-mêmes. Ils supposent des conditions techniques de sauvegarde souvent très onéreuses. Beaucoup d’œuvres supposent également une restauration. Cette découverte est récente. Il y a une vingtaine d’années, on pouvait croire que seuls les films primitifs, les films muets, les films mutilés, fragmentaires, mal conservés, nécessitaient un travail de restauration. Mais c’était une belle illusion. Même les productions récentes largement diffusées nécessitent souvent un travail de restauration au moins au niveau du laboratoire 1.– Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, Paris, Les éditions du Cerf, coll. « Passages », 2009, p. 491.

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Introduction : quel avenir pour quelle mémoire ?

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afin de retrouver les qualités techniques de leur présentation d’origine. Les pellicules couleurs virent très vite. Les formats de l’image évoluent et parfois disparaissent. Les supports non argentiques sont extrêmement fragiles et sont frappés par l’obsolescence rapide de leur production d’origine. Mais une fois déposés, conservés, répertoriés, parfois restaurés, que deviennent les films  ? À quoi servent les archives ? Bien sûr, les films comme les émissions télévisées, sont des documents historiques, ce sont des sources directes de l’histoire, comme le sont les autres productions culturelles. Mais les historiens maîtrisent depuis des décennies le matériel écrit sous toutes ses formes. L’image, et à plus forte raison, l’image en mouvement, est une source nouvelle, hétérogène, souvent paradoxale. Elle est suspecte, trop liée au marché et à l’éphémère de l’actualité. Tout ceci explique que les immenses gisements documentaires, s’ils sont audiovisuels, conservés par les archives et les cinémathèques dorment sur leurs rayonnages, car les historiens, les chercheurs en sciences humaines ne s’intéressent pas à eux, ne savent pas comment les utiliser ou les interpréter, et le plus souvent encore, en ignorent même l’existence. Il faut ajouter que les cinémathèques sont marquées par leur histoire, par leur marginalité institutionnelle, par leur tradition du secret provoqué par la nature juridique de leurs dépôts. Elles sont aussi prisonnières de l’idéologie cinéphilique qui privilégie certains corpus au détriment du tout-venant des productions. Elles connaissent aussi de gros problèmes financiers, car leur légitimité historique ne s’est pas vraiment imposée, même dans les pays comme la Belgique ou le Canada qui ont des cinémathèques pionnières. Les archives ne servent pas qu’à offrir des objets à la recherche. Les films ont été produits pour être vus par des spectateurs, les plus nombreux possibles. Quand ils ont survécu, qu’ils ont été restaurés, ils attendent leur résurrection devant de nouvelles générations de spectateurs. Comment valoriser ce patrimoine  ? Comment le présenter, dans quelles conditions et à quels nouveaux publics ? Voilà de nouvelles questions apparues avec les festivals de films restaurés, la programmation des cinémathèques, mais aussi et surtout avec l’édition vidéo puis DVD, la diffusion par canaux de télévision numérique et, bien entendu, par Internet. Là encore, beaucoup d’illusions sont à dissiper. La totalité du patrimoine mondial audiovisuel est loin d’être facilement accessible à l’internaute d’aujourd’hui. Beaucoup d’œuvres restent inaccessibles pour des raisons techniques, juridiques ou financières. • Toutes ces questions, avec d’autres, ont été au fondement de la programmation du colloque qui s’est tenu à la Cinémathèque québécoise de Montréal en février 2010, et que cet ouvrage prolonge et bonifie de nouveaux textes et de nouveaux regards. Les auteurs qui ont contribué à ce collectif proviennent de plusieurs horizons institutionnels, discursifs et professionnels. Pour donner aux questions qui nous intéressaient l’amplitude qu’elles nécessitaient et pour éviter les fermetures disciplinaires et les replis géographiques si fréquents, il est apparu

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Michel Marie, André Habib

rapidement nécessaire d’offrir la possibilité d’un dialogue entre des archivistes, des programmateurs, des restaurateurs, des universitaires, des cinéastes-praticiens, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, en cherchant à tirer profit des approches singulières que chacun et chacune possèdent vis-à-vis des archives et du patrimoine cinématographique. Si, comme le déplore à raison Paolo Cherchi Usai2, on assiste trop souvent à un isolement des métiers, des milieux et des champs disciplinaires, mais aussi, nous pourrions ajouter, entre les médias (film, vidéo, télévision, numérique) et les traditions nationales, il nous a semblé utile et fécond de proposer dans cet ouvrage des perspectives croisées afin de mieux prendre acte de la complexité des situations contemporaines ainsi que du travail qui nous attend, à l’aune de ce que l’histoire nous enseigne. Cet ouvrage rassemble des textes de personnes ayant œuvré depuis de longues années dans le domaine des archives et dans le milieu des cinémathèques, en Europe et en Amérique du Nord, notamment Dominique Païni, Robert Daudelin, Pierre Veronneau qui, chacun à leur manière, éclairent avec élégance la longue histoire des Cinémathèques et dressent un lucide état des lieux en mettant en valeur certains des défis qu’elles ont eus et qu’elles devront relever, ainsi que les dérives néfastes de certaines d’entre elles qui, séduites par les inflations sémantiques et qu’une ignorance véritable des enjeux (notamment sur le numérique et les «  nouveaux médias  ») a fait céder à la facilité en se coupant de la mémoire de leurs racines historiques. Ces textes synoptiques, qui rendent compte d’un parcours personnel éclairant, sont également complétés par d’autres, notamment celui de Jean-François Rauger, à propos des enjeux de la programmation et de la valorisation à la Cinémathèque française, ou encore les deux riches survols historiques, de Marie Frappat sur l’école de la restauration bolonaise, ou de Christope Falin sur la Cinémathèque de Pékin, qui permettent de défricher des cartographies patrimoniales nationales différentes et de prendre la mesure des écarts, des traditions, des influences et des enjeux culturels dont chaque cinémathèque hérite ou doit tenir compte. Hervé Pichard et Pierre Jutras s’intéressent tous deux à des cas spécifiques de restaurations de films, de Lola Montès (Max Ophüls, 1955) aux films québécois Seul ou avec d’autres (Denys Arcand, Denis Héroux, Stéphane Venne, 1962) et Kamouraska ( Jutra, 1973). Ces études minutieuses nous montrent bien que les problèmes de restauration se posent, pour chaque film, de façon absolument singulière, et qu’une restauration ne relève pas seulement d’un savoir technique, mais aussi, et avant tout, d’une prise en compte historique profonde. La restauration nous renseigne tout à la fois sur les technologies de l’époque, l’histoire de la production, de la réception, ainsi que sur la fragilité des artefacts qui ont servi à la fabrication du film, sur les aléas de son histoire et, tout autant, sur le présent qui assiste à sa restauration. C’est d’un travail historique comparable que témoignent les recherches de Giusy Pisano sur le Fonds Pimenoff qui montrent bien comment il est possible 2.– Voir notamment Paolo Cherchi Usai, David Francis, Alexander Horwarth et Michael Loebenstein (dirs), Film Curatorship: Archives, Museums, and the Digital Marketplace, Vienne, SYNEMA, Gesellschaft für Film und Medien, 2008.

Introduction : quel avenir pour quelle mémoire ?

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d’enrichir la connaissance d’un film à partir de l’histoire de sa production, ou encore, comme le rappelle Éric Le Roy, comment les collections de films n’ont pas été à l’abri de l’Histoire et des spoliations de toutes sortes. Parmi les nouveaux champs d’interrogations qui ont été – particulièrement en Amérique du Nord – consacrés au domaine des archives de film ces dernières années, on trouve celui des films « orphelins », « films utilitaires », « industriels », « amateurs », traditionnellement peu considérés par les cinémathèques et les archives nationales3. Ces corpus très importants, impossibles à quantifier tant ils semblent infinis par le nombre et la variété, représentent – tout autant que les classiques – une source inestimable pour l’histoire des usages du cinéma, à différentes époques. Ils sont le « New Frontier » qu’auront, sans l’ombre d’un doute, après le cinéma des premiers temps, à s’occuper les historiens du cinéma de demain. Les réflexions et les travaux de collection, de valorisation et de diffusion de Rick Prelinger sur ces corpus de cinéma « éphémère » depuis plus de vingt ans (nous reproduisons ici deux moments, éloignés de plus de dix ans, d’une correspondance avec la cinéaste Caroline Martel) ont été extrêmement déterminants et ont trouvé des échos chez un grand nombre d’universitaires et de chercheurs. En témoigne le texte de Catherine Russell, qui reprend et amplifie les propositions de Prelinger à partir d’un vaste corpus de films de réemploi. Le cinéma éphémère intéresse aussi des chercheurs et des cinéastes qui mêlent bien souvent réflexion et travail pratique, analyse et créations expérimentales. C’est notamment le cas de Gerda Cammaer ou Caroline Martel qui, parallèlement à des recherches académiques, créent des œuvres qui réemploient des matériaux « orphelins » ou « éphémères » pour leur donner une deuxième vie, non en les patrimonialisant, mais en mettant en évidence – selon l’expression de Benjamin – la « fêlure » qui les constitue et qui raconte, mieux que les restitutions lisses, leur histoire. Ce dialogue entre recherche et pratique, entre cinéastes et archives, est également au cœur de l’article d’André Habib, qui se penche sur la relation entre cinéma expérimental et cinéma des premiers temps, à partir notamment du film d’Ernie Gehr, Eureka (1974). On rappelle souvent que le cinéma, depuis au moins l’introduction de la télévision, n’a cessé de migrer sur différentes plateformes et a été remédiatisé par plusieurs supports qui ont contribué, volontairement ou involontairement, à sa conservation et à sa revalorisation. C’est ce dont rendent compte les réflexions de Viva Paci, sur les relations tumultueuses et fascinantes entre cinéma et télévision, ou encore de Will Straw, à propos de l’exemple des coffrets de Budget DVD. Enfin, Howard Besser témoigne du rôle qu’a joué ces dernières années Internet dans la constitution de communautés d’intérêts (le Home Movie Day par exemple) et les formes multiples – et nullement incompatibles – d’accessibilité au cinéma aujourd’hui. C’est peut-être, au bout de tout, la question qui nous aura préoccupés durant toute la préparation de cet ouvrage : quelles sont les conditions qui permettent 3.– On lira, parmi plusieurs autres, le récent collectif de Charles Acland, Haidee Wasson (dirs), Useful Cinema, Durham, Londres, Duke University Press, 2011.

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Michel Marie, André Habib

de rendre actuels et vivants les multiples passés du cinéma, les multiples temporalités médiatiques de sa conservation, de sa diffusion et de sa réutilisation, afin d’échapper aux risques de la muséalisation pétrifiante tout autant qu’aux tentations sournoises des effets de mode, volatiles et passagers ? Comment alors sauver ce phénomène curieux qu’a été, qu’est, que sera le cinéma et les institutions qui le protègent ? Peut-être est-ce en commémorant les fêlures qui parcheminent son histoire et sa mémoire, en rappelant, pour finir, que nous sommes tous héritiers, et donc responsables, de cette « tradition qui est catastrophe » dont parle Benjamin, et par là-même, les garants de son avenir.

Cinéma : l’invention du musée Entretien avec Dominique Païni André Habib [AH] : Vous avez été directeur de la Cinémathèque française de 1990 à 2000. Vous avez été, entre autres, programmateur du Studio 43, producteur, distributeur, etc. Vous avez aussi travaillé au Musée du Louvre, au Centre Pompidou, à la Fondation Maeght. Une des questions qui habite votre œuvre, à la fois vos écrits théoriques et votre pratique professionnelle, c’est l’articulation entre le cinéma et le musée, l’espace muséal. Comment envisagez-vous, actuellement, ce lien entre cinéma et musée ? Est-ce que, de manière provocante, on pourrait dire que « l’avenir de la mémoire » du cinéma – pour reprendre le titre de cet ouvrage – c’est le musée ? Dominique Païni [DP]  : Je répondrai à cette question de manière extrêmement nette et, d’une certaine façon, sans appel. L’avenir du cinéma, c’est effectivement le musée, son dispositif et la nature particulière de l’institution qui consiste à articuler deux actes qui peuvent paraître contradictoires, conserver et montrer. Il y a deux raisons à cela, une raison stratégique et conceptuelle, et une raison qui tient de l’évolution sociologique de la diffusion des arts en général. En premier lieu donc – et l’aventure d’Henri Langlois permet de le penser –, l’avenir du cinéma passe par le musée. D’emblée, Langlois considéra que construire mentalement et architecturalement un musée pour le cinéma constituait une stratégie d’anoblissement de l’art du film. Le nom de l’institution Cinémathèque française, assortie du sous-titre Musée du cinéma, selon ce que Langlois ne manqua jamais d’indiquer, éclaire parfaitement ce qui fut à l’origine du souci patrimonial en cinéma. Autrement dit, il ne faut pas répondre à votre question au regard de la situation actuelle d’un contexte de patrimonialisation généralisée lors de ces vingt dernières années et du souci relativement récent d’accorder au cinéma une digne conservation. Il faut considérer que l’avenir muséal du cinéma est à l’origine de la fondation des cinémathèques. Pendant longtemps, la relation entre cinémathèque et musée ne fut pas perçue avec évidence. Le suffixe -thèque adjoint au mot cinéma réduisait même l’ambition 15

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Dominique Païni

muséale de l’institution. C’est la raison pour laquelle Langlois prit la peine d’ajouter Musée du cinéma à Cinémathèque française. La préparation pour 2014 d’une exposition consacrée au fondateur de cette institution me conduit actuellement à réinscrire ce geste de Langlois (plus consciemment formulé par lui que par les autres fondateurs des cinémathèques historiques) dans un processus artistique, propre au XXe siècle et à sa muséalisation, ouvert par Marcel Duchamp. Au risque de mettre Duchamp à de trop nombreuses sauces « théoriques », je crois que la décision mise en œuvre dans l’urgence par Langlois, dans le mitan des années 30, de définir et de créer le Musée du cinéma avant même de disposer d’œuvres pour l’occuper, fait sans doute écho au geste inaugural des Ready-made de Duchamp, lorsqu’il installe, par exemple, un porte-bouteilles à l’ Armory Show de 1913  : un objet industriel quelconque mis au rang d’œuvre d’art du seul fait d’être exposé dans une institution préalablement définie comme une institution d’art. L’institution contamine l’objet qui «  se recouvre d’art  », pourrait-on dire aujourd’hui en référence à un artiste tel que Bertrand Lavier qui continua bien plus tard cette proposition en recouvrant de coups de brosse de vernis transparent des objets quelconques. Langlois ne fit pas autre chose. Il fonde une institution dédiée à l’art, préalablement proclamée comme telle – institution à la double vocation, une cinémathèque pour montrer, un musée pour conserver –, pour y rassembler des objets industriels quelconques dont la vocation était le loisir des foules et la reconstitution de la force de travail des spectateurs : des films. En rappelant cela, je veux insister sur le phénomène, qui bien qu’il fasse récemment l’objet de préoccupations aiguisées, fut à l’œuvre dès l’origine des cinémathèques. C’est probablement la cinéphilie, son caractère de «  contreculture », revendiquant une indépendance minoritaire et antiacadémique contre les deux grandes institutions symboliques de la dispensation du savoir – le musée et l’université  – qui explique la moindre conviction que les cinémathèques furent des musées. Ainsi, c’est dire que, parce que cela relève de la fondation des cinémathèques, l’avenir du cinéma réside encore dans l’anoblissement muséal. En second lieu, l’activité des musées et la production de grandes expositions temporaires participent désormais des loisirs de masse. Le musée a perdu fort heureusement sa réputation de lieu de conservation poussiéreux des chefsd’œuvre du passé. Il accueille désormais des publics jeunes en période scolaire, et la formation des personnels de la conservation a commencé à croiser certaines disciplines des sciences humaines. L’intérêt que l’histoire de l’art porte désormais au XXe siècle révolu, donne au cinéma une place majeure dans l’invention des formes. Sans doute peut-on, avec Louis Jouvet, rappeler que le cinéma contribua à ce que les autres arts fassent leur théorie. Enfin, la possibilité de dupliquer les films par la technologie numérique rendit plus aisée la présentation d’extraits de films dans les expositions et favorisa la confrontation des disciplines artistiques sous forme de projections d’extraits proche de la photographie, du dessin, de la sculpture et de la peinture.

Cinéma : l’invention du musée

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Autrement dit, le cinéma trouve dans l’activité muséale un avenir, car il s’inscrit comme un art parmi les arts. AH : Est-ce qu’il n’y a pas, en cela, un risque de « muséalisation » (au sens de « mausoléation » ou « d’embaumement muséal ») du cinéma, dans cette ère du « tout‑patrimoine » dans laquelle nous sommes bel et bien rentrés depuis les années 1980 et dont vous avez bien parlé ? Comment s’assurer, à rebours, que le cinéma demeure un art « au présent », un art « moderne » ? DP : Une partie de la réponse à cette question est contenue dans mes points de vue précédents. D’autant que le musée et ce que l’on pourrait appeler un véritable imaginaire muséal contemporain alimentent une part de la création des formes contemporaines, et cela au sein de nombreuses disciplines artistiques. D’un côté, la commande muséale et la valorisation symbolique qu’elle peut promettre aux artistes ont parfois entraîné des œuvres dont on perçoit l’adaptabilité et la conformation à des critères muséaux. On pourrait en dire tout autant de certains films dont on peut repérer l’espoir de monstration festivalière inscrite dans leur forme même. D’autre part, de nombreux cinéastes considèrent que l’importance accordée aux cinémathèques depuis quelques années promet une vie prolongée à leurs films. De ce point de vue, Langlois fut également pionnier puisqu’il songea attentivement à l’actualité du cinéma de son époque et à l’histoire du cinéma. S’il faut parler enfin de la présence du cinéma au sein des musées modernes, nous ne pouvons que nous en réjouir. La ferveur du public pour les expositions offre des occasions renouvelées pour que les films soient remis dans la mémoire. Et cela, grâce à la rencontre au sein d’une exposition thématique d’un extrait de film qui déclenche l’envie chez le visiteur d’être le spectateur renouvelé d’un film déjà vu ou le spectateur curieux de découvrir le film en son entier. AH : La tension entre « conservation » et « programmation » a toujours animé les débats des cinémathèques. Est-ce qu’elle est toujours pertinente à vos yeux ? DP  : La distinction entre conservation et programmation demeure une question cruciale au sein des cinémathèques. D’autant plus que l’activité d’une cinémathèque relance à tous les degrés de sa vocation un paradoxe, si ce n’est une contradiction. Mais c’est une contradiction fondatrice qui légitime l’institution tout autant qu’elle la complexifie. Une cinémathèque s’enrichit, collectionne et conserve dans la perspective de montrer et de programmer, ce qui précisément met en danger la conservation et érode la collection. « S’installer dans cette contradiction », comme le langage politique le formulait jadis, est stimulant à partir de la conviction que montrer et programmer est également un acte de conservation. Aujourd’hui, il est probable que les programmations que construisit Henri Langlois, l’association des films et les relations que nous sommes susceptibles d’interpréter, contribuent tout autant à la conservation, « mnémotechniquement » bien entendu, plutôt que chimiquement. Mais ce

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fut un débat historique récurrent au sein de l’histoire des cinémathèques que de défendre une égale ambition pour la conservation « mémorielle » et la conservation matérielle. AH : Les archives du film sont soumises depuis plusieurs années à une pression énorme pour diffuser et rendre accessibles (notamment via Internet) leurs collections. Est-ce que, à vos yeux, il s’agit davantage d’un risque ou d’une occasion pour les cinémathèques et les archives ? On a pu voir récemment un volet « virtuel » de l’exposition Stanley Kubrick de la Cinémathèque française, et bien d’autres initiatives allant en ce sens. Est-ce que les cinémathèques peuvent se permettre de faire l’impasse sur ce tournant décisif de l’histoire des techniques ? DP  : Les archives contenues dans des cinémathèques appellent à être montrées, diffusées et exposées. Que les générations à venir se contentent parfois, grâce à la numérisation, d’un extrait de film qui vaudrait dans leur esprit pour sa totalité et surtout, épargnerait du véritable plaisir tiré de l’œuvre d’art en son entier, constituerait le seul danger engendré par cette accessibilité. Je m’interroge également sur le danger que court l’édition papier de la réflexion théorique sur le cinéma. Les réponses qu’apportent les canaux de l’Internet peuvent conduire à se dispenser trop aisément d’une recherche plus approfondie, dont je crois que les matériaux nécessaires ne peuvent se déployer réellement et efficacement que sur papier (du moins pour quelques décennies encore). En outre, une exposition de cinéma constituée d’extraits de films, d’archives et de dispositifs scénographiques susceptibles de favoriser la rencontre des films avec d’autres disciplines artistiques, confère aux archives une puissance documentaire insoupçonnée que la consultation proprement dite et isolée ne laisse pas supposer. Néanmoins, je ne suis pas loin de penser que la recherche est sans rivage. L’exposition et la présentation scénographiée d’archives, confrontées à des archives appartenant à d’autres disciplines artistiques, mais aussi à des œuvres d’art les plus diverses, dotent l’archive cinématographique d’ouvertures historiques et esthétiques inédites. Toute archive a besoin d’autre chose qu’elle-même pour être activée, féconde. AH : Vous avez beaucoup réfléchi à la notion de restauration, en particulier dans Le temps exposé1. C’est un terme qui, depuis quelques années, est venu recouper des réalités complètement différentes  : du simple transfert numérique à des restaurations de pointe (je pense à celle de Lola Montès, entre autres, dont il est question dans le présent ouvrage). Quelle serait, pour vous, la valeur heuristique de la restauration ? De quelle façon peut-elle véritablement contribuer à un enrichissement du patrimoine (y compris un patrimoine cinématographique non occidental, et traditionnellement mal connu) ? 1.– Dominique Païni, Le temps exposé. Le cinéma, de la salle au musée, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Essais », 2002.

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DP  : Lors de l’exercice de la direction de la Cinémathèque française, j’ai eu l’occasion de réfléchir à la restauration des films. Depuis, l’intervention numérique s’est généralisée et a profondément bouleversé l’acte restaurateur jusqu’à faire en sorte que la technologie numérique – qui n’était qu’une procédure technique – soit devenue aujourd’hui une finalité. Et le film trouve, dans ce qui n’était que procédure ou une intervention conservatoire, un support définitif (?) de conservation, de fabrication et de restauration. On réalise numériquement les films désormais, on les conserve et on les rénove avec la même technologie. Je ne suis pas convaincu que cette situation ne va pas faire apparaître de nouvelles incertitudes si ce n’est de nouveaux dangers pour la conservation et la restauration. J’y reviendrai. Lorsque je visitais un peu plus systématiquement la collection des films de la Cinémathèque française et lorsque je participais à des décisions de restauration, je constatais que l’acte de restauration est à la fois un acte de sauvegarde et un acte de réactualisation, un acte de mise en réserve (au sens muséal du terme) et un acte de lecture vivante. Intervenir sur le matériau chimique d’un film conduit à une intervention de nature technique, mais aussi incontestablement historique et esthétique. Restaurer un film – je ne distinguerai pas ici la sauvegarde minimale et la restauration restructurante –, c’est « prendre soin de lui, le soigner » donc entretenir avec l’objet « film » une relation qui n’est pas sans rapport avec l’acte médical, donc une intimité et un approfondissement de son fonctionnement, non pas organique et viscéral, mais structural et esthétique. L’acte restaurateur fait voir et dévoile, parce que pour une part, il décompose ou démonte un film, même si la restauration n’intervient pas depuis la fragmentation d’un film en ruine. En cinéma, comme pour les autres arts, des questions éthiques surgissent en ce qui concerne le degré de la restauration, la liberté que s’octroie le restaurateur pour restituer dans son époque une œuvre-film ayant été conçue et montrée initialement dans une époque révolue… J’ai parfois engagé des débats plutôt vifs avec des collègues sur le statut et la liberté de l’acte restaurateur en regard du fait que le film est un objet qui s’inscrit dans un procès de reproduction qui le fabrique et le diffuse. La reproductibilité est au cœur de l’art du film et cette caractéristique ouvre, au XXe siècle, des questions inédites pour les principes éthiques qui président à la conservation. J’ai toujours pensé que l’origine industrielle du film, et sa vocation de loisir autorisaient le restaurateur de cinéma à ne jamais oublier la finalité de son intervention : présenter le film au jugement de l’époque de cette intervention. Pourtant, le tourment archivistique, l’exigence historique et les intentions des auteurs imposent humilité, prudence et rigueur philologique. C’est au sein de cette tension que se situe l’acte restaurateur : celui-ci oscille entre le réalisme économique d’un spectacle dont l’enjeu artistique ne fut pas primordial (cette secondarité de l’artisticité du film est également une donnée objective) et un idéal(isme) patrimonial. L’autre versant de votre question est évidemment très important. Certaines cinématographies extra-occidentales n’ont pas bénéficié d’une économie attachée à sauvegarder leur production. Aujourd’hui, les cinémathèques les

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plus avancées dans l’entreprise de restauration du cinéma mondial entraînent la découverte de films et d’auteurs méconnus. On peut regretter parfois, pour des justifications juridiques, donc finalement économiques, le refus de certains pays de restaurer des films appartenant à un état étranger. C’est ignorer le caractère reproductible du cinéma mis au service de la diffusion, donc de l’adaptation des films (langues mais aussi parfois montage) pour la satisfaction des publics du monde entier. Cette adaptabilité, dans la perspective de se soumettre commercialement aux obligations du public du monde entier, relève pleinement de la spécificité de l’art cinématographique, art impur s’il en fut. Je considère qu’il est aujourd’hui aussi absurde de refuser en France la restauration d’un film au titre de son appartenance à une économie étrangère que d’interdire les coproductions. AH : Le titre complet de cet ouvrage est : L’avenir de la mémoire : patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques. Un aspect qui me paraît fondamental, et qui est souvent négligé dans les discours des historiens du cinéma, c’est le rôle que les cinéastes (notamment d’avant‑garde), les plasticiens et les vidéastes peuvent jouer dans la mise en lumière de pans cachés ou encore trop peu connus du patrimoine cinématographique. Il suffit de penser à Al Razutis, Ernie Gehr, Angela Ricci-Lucchi et Yervant Gianiakian, ou encore Matthias Müller, Christoph Girardet, Christian Marclay, Gustav Deutsch et bien d’autres. Quel est à votre avis l’apport des artistes sur ces questions. DP  : De tout temps, l’expérimentation, les artistes appartenant à d’autres disciplines et les amateurs de cinéma ont puisé dans l’histoire de ce dernier des images, des rythmes et des vitesses pour enrichir tous les arts du XXe siècle et ouvrir un continent iconographique inédit. De la même manière qu’Henri Matisse et Pablo Picasso plantèrent leurs chevalets plus encore dans les musées que dans la nature, les artistes de la seconde moitié du XXe siècle profitèrent de la reproductibilité du matériau cinématographique (encore les vertus de la reproductibilité  !) pour inventer des images, des rythmes et des vitesses nouvelles, autrement dit, des œuvres dont le montage est l’écriture. Quelques paysages sont désormais célèbres, de la Toscane à la Normandie, parce que la Renaissance italienne et l’Impressionnisme français les ont reproduits, donc diffusés. De la même manière, des films qui furent parfois oubliés acquièrent une autorité patrimoniale car un artiste expérimental les découvre en premier lieu pour lui-même et les re-présente selon des procédures de montage, de colorisation et de rythme dont les résultats patrimoniaux et documentaires valent tout autant que la finalité esthétique. Aux noms d’artistes que vous citez, on pourrait en ajouter bien d’autres. Depuis longtemps, et sans doute depuis que le cinéma mérita d’être commenté, l’expérimentation plastique s’empara de l’histoire du cinéma. Cela contribua à réactualiser les films du passé parallèlement au travail des historiens et des critiques, et à les analyser parallèlement aux travaux des théoriciens. Je voudrais insister ici sur les réemplois des films qui ont pour conséquence tout à la fois d’inventer et d’étudier. Notons une fois de plus que le cinéma n’échappe pas

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à ce qui s’opère dans d’autres disciplines artistiques : les artistes de la Renaissance ne réemployèrent-ils pas l’art antique ? AH : À quoi ressemble, pour vous, l’avenir de la mémoire du cinéma ? DP : La possibilité technique de reproduire les films numériquement, l’expérience tirée de l’introduction de séquences de films projetées sur les cimaises des musées et l’inventaire accompli d’un certain nombre de grandes archives font probablement rêver de cinémathèques plus largement fréquentées par un public élargi au-delà de la cinéphilie maniaque. Certains festivals en France, comme Premier plan à Angers, Lumière à Lyon, Les rencontres de La  Rochelle et la programmation Cinéma classique du Festival de Cannes, augurent également de ce phénomène souhaitable. Ce qui me frappe, c’est le ravissement du public lors de la restitution de films restaurés et projetés dans les conditions optimales que permettent le grand écran et la salle de cinéma, ces lieux identifiés aujourd’hui à ce que représente l’exception du concert par rapport à la musique enregistrée. Je constate que le concert a trouvé son économie. Il n’y a pas de raison que les cinémathèques ne trouvent pas la leur. Je constate également que les moyens donnés ces dernières années à la Cinémathèque française ont contribué à son développement. Preuve que la rareté ne participe pas de la ferveur et qu’au contraire, l’offre aiguise la curiosité.

La vie (des cinémathèques) commence à 50 ans… Robert Daudelin Au printemps 2000, à Londres, à l’occasion d’un séminaire de la Fédération internationale des archives du film (FIAF) intitulé ambitieusement «  The Futurology of Film Archiving », l’archiviste américain Michael Friend mettait en garde ses collègues contre le risque de devenir des antiquaires du cinéma ! Dix ans plus tard, ce risque est toujours réel et les défis auxquels font face les cinémathèques/archives du film se sont même amplifiés. D’aucuns croient désamorcer le débat en proclamant un peu vite que le cinéma était l’art du XXe  siècle, discours qui n’est pas sans rappeler les sentences de mort frappant la peinture au moment de l’apparition de la photographie, ou encore la salle de concert au moment de l’invention de l’enregistrement phonographique. D’où la tentation de considérer les cinémathèques comme autant de lieux désormais obsolètes et d’en vouloir soudainement changer la mission, au moment où justement le cinéma a plus que jamais besoin d’elles pour trouver sa modernité. Tout semblait beaucoup plus simple, voire évident, en 1962-1963, quand un groupe de cinéphiles décidaient de se constituer en organisation sans but lucratif sous la bannière « Connaissance du cinéma », pour doter Montréal et le Québec d’une cinémathèque. D’abord soucieux d’assurer la disponibilité au Canada « d’un certain nombre de films chaque année, afin qu’ils puissent être diffusés par les ciné-clubs » – ciné-clubs auxquels étaient étroitement associés la plupart d’entre eux –, ils précisent rapidement leur projet et, au printemps 1963, reçoivent les lettres patentes définissant les objets de la corporation : −−promouvoir la culture cinématographique ; −−créer des archives de cinéma ; −−acquérir et conserver les films, ainsi que la documentation qui s’y rattache ; −−projeter les films et exposer les documents de façon non commerciale, dans un but historique, pédagogique et artistique.

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Ces « objets », est-il besoin d’insister, sont toujours valables après 50 ans1. Et la Cinémathèque québécoise devrait en réaffirmer haut et fort la pertinence. C’est même en ce faisant qu’elle assurera son avenir et sa place dans la vie culturelle québécoise. Comme toutes les cinémathèques nées depuis les années 1930, la Cinémathèque québécoise est née du désir violent d’un groupe d’amoureux du cinéma de « voir » des films. Mais 1963, c’est aussi l’année de Pour la suite du monde de Pierre Perrault… et de À tout prendre de Claude Jutra, le moment où le cinéma « canadien français » devient « québécois ». Il y a désormais des choses à conserver ! Et ce synchronisme n’a évidemment rien d’accidentel : Connaissance du cinéma, qui deviendra rapidement la Cinémathèque canadienne et, en 1971, la Cinémathèque québécoise, traduit sur son terrain spécifique un mouvement en profondeur. Cette complicité avec le cinéma québécois et les cinéastes deviendra même une des particularités organiques de la Cinémathèque. Ainsi des dizaines de cinéastes ont siégé au conseil d’administration de la Cinémathèque, y investissant leur temps et leur créativité pour que l’institution se développe, souvent contre vents et marées. Plusieurs ont même assumé la présidence de la Cinémathèque : Jean Beaudry, Guy L. Coté, Robert Favreau, Bernard Gosselin, Pierre Hébert, Jean-Claude Labrecque, Anne-Claire Poirier et Iolande Rossignol ont tous « servi » la Cinémathèque, bataillé auprès des pouvoirs publics pour imposer sa légitimité et son rôle culturel. Les cinéastes ont également été les premiers déposants qui ont permis à la Cinémathèque de constituer des collections : ils comprenaient bien entendu qu’il y allait de leur intérêt de protéger leurs films. Mais bien au-delà de cette préoccupation légitime, nombreux sont les cinéastes qui sont débarqués à la Cinémathèque avec des films achetés dans une vente aux enchères ou chez un antiquaire. Cette complicité a même rapidement dépassé les frontières du Québec et la liste des cinéastes étrangers qui ont fait don de copies à la Cinémathèque, notamment à l’occasion d’une rétrospective, est assurément révélatrice de la réputation de l’institution ; ainsi peut-on citer de mémoire les noms de Fritz Lang, Roberto Rossellini, Agnès Varda, Amos Gitaï, Johan van der Keuken, Jacques Doillon, les frères Dardenne, Claude Miller, Atom Egoyan, Benoit Jacquot, Boris Lehman, Aki Kaurismäki. Simultanément, les programmes d’échanges avec les grandes cinémathèques membres de la Fédération internationale des Archives du film (FIAF) venaient enrichir nos collections, notamment avec des œuvres de l’époque muette, alors rares sous nos cieux : Bruxelles et Moscou, Berlin (DDR) et Toulouse, Belgrade et New York, Mexico (UNAM) et Amsterdam, Lausanne et Prague, entre autres, furent de précieux complices à qui les collections de la Cinémathèque québécoise doivent beaucoup. 1.– Les vingt-cinq premières années de l’histoire de la Cinémathèque québécoise sont bien documentées dans l’album publié en 1988 : Francine Allaire et Pierre Véronneau (dirs), Cinémathèque québécoise, musée du cinéma. 25e anniversaire (1963-1988), Montréal, Cinémathèque québécoise, 1988.

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Mais tous ces acquis précieux, sans mentionner les outils exceptionnels que constituent les entrepôts de conservation de Boucherville, les salles de projection et d’exposition du boulevard de Maisonneuve, ne mettent pourtant pas la Cinémathèque à l’abri des secousses, comme l’a bien illustré l’histoire récente de l’institution. Comme toutes les cinémathèques du monde – y compris les plus grandes, comme en témoignent, depuis quelques années, les transformations du prestigieux British Film Institute et les amputations dramatiques pratiquées sur sa mission originelle –, la Cinémathèque québécoise, malgré sa riche histoire, la qualité de ses collections (notamment de cinéma d’animation) et le professionnalisme de ses conservateurs, demeure fragile. Et l’évolution (révolution ?) technique récente, si elle multiplie les accès aux œuvres du passé, menace en même temps les institutions qui ont permis à ce passé de survivre. Passons sous silence poli le cas douloureux de certains conservateurs aveuglés par les astuces du numérique ; évoquons plutôt les cas de plus en plus fréquents d’autorités de tutelle pour qui la numérisation a remplacé la conservation et dont l’ignorance constitue un réel danger pour le travail des cinémathèques. Dans certaines cinémathèques (Londres à nouveau !), seuls les films pouvant faire l’objet d’une édition DVD ont désormais droit à une restauration. Et les autres, ceux dont on découvrira l’importance dans 50 ans, sont condamnés à une mort lente ? Fragilisées par la conjoncture financière générale à l’occasion de laquelle les gouvernements, de Londres à Lisbonne (en passant par Ottawa qui annule son adhésion à la FIAF, après 33  ans de participation), coupent dans les budgets de la culture, les cinémathèques se retrouvent face à des luttes de survie qui semblaient pourtant révolues. Et l’une des réponses mises de l’avant consiste à confier la responsabilité de nos institutions à des gestionnaires, plutôt qu’à des conservateurs – et Londres (BFI) est ici à nouveau l’exemple qui fait école. Secondarisant le cinéma pour équilibrer leur budget, sacrifiant la compétence à une supposée capacité de rendement (de performance), ces gestionnaires éclairés, qui demain iront exercer leurs talents dans un autre lieu (un ministère ?) plus avantageux pour leur carrière, sacrifient la mission des cinémathèques sur l’autel de la bonne gestion. Par définition lieux de mémoire, les cinémathèques seraient-elles en train d’oublier leur propre histoire  ? Au moment où une génération de cinéphiles fréquentent le cinéma d’abord, pour ne pas dire exclusivement, sur DVD, les écrans des cinémathèques doivent retrouver la magie et le mystère qui auréolaient leurs premières années. Les cinémathèques, qui déjà, dans bien des cas (Cinémathèque royale de Bruxelles, Musée du cinéma), assumaient leur fonction muséale, ne doivent surtout pas hésiter à la réaffirmer  : conserver (i. e. collectionner) et montrer (i. e. exposer), comme le proclamait le symposium de la FIAF à Lisbonne en 1989. Autrement, comme le redoutait Michael Friend à Londres, en 2000, nous deviendrons des antiquaires et nos cinémathèques, des boutiques poussiéreuses… mais bien gérées !

Programmation et valorisation Jean-François Rauger

Le rendez-vous manqué L’histoire de la Cinémathèque française pourrait, depuis ses origines et ce, sans doute un peu artificiellement et téléologiquement, être découpée en plusieurs phases. Celle d’une évolution autant liée à son propre développement que déterminée par les mutations de la société, de l’industrie cinématographique, du cinéma comme fait social et comportement culturel et de la cinéphilie comme aventure intellectuelle singulière.

De l’accumulation primitive au projet muséal La première phase de l’existence de la Cinémathèque française sera celle d’une forme d’accumulation que l’on pourrait qualifier de primitive (enrichissement tous azimuts au nom de la doctrine : il faut tout conserver) avec déjà un objectif à l’horizon : la création du Musée du cinéma. La reconnaissance du cinéma en tant qu’art se fait dans un contexte, avec des méthodes et des causes particulières. Je ne reviens que brièvement sur le moment de cette histoire et sur ce projet étroitement lié à la personnalité d’Henri Langlois ainsi qu’à son rapport au cinéma. Langlois a sans doute représenté d’une façon exemplaire une certaine manière alors « moderne » de traiter ce qui, au bout du compte, n’était que le dernier art figuratif et narratif du XIXe siècle. L’instance muséale comme légitimation (l’exposition selon un certain dispositif conférant le statut d’œuvre d’art à un objet quelconque – théorie considérée par Jacques Rancière comme paresseuse), le collage discursif par lequel Langlois, programmateur, rejoint André Malraux et son «  musée imaginaire  », autant que la pratique surréaliste organisant la rencontre d’éléments disjoints, ont procuré une raison d’être et un sens à l’existence même de la Cinémathèque. Je renvoie à l’ouvrage de Dominique Païni,

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Conserver, montrer1, qui raconte cette histoire. Naîtra ensuite la cinéphilie comme une nouvelle aventure intellectuelle dont la particularité a été, entre autres, l’entreprise d’ennoblissement d’un divertissement sans aura. Tel aura été le sens du hitchcocko-hawksisme des années 1950 et de ce que l’on appelle la politique des auteurs. Le moment où Dominique Païni devient directeur de la Cinémathèque (les années 1990) est celui où l’objectif « langloisien » devient « self conscious » comme disent les Anglo-Saxons, et se transforme clairement en un programme pour la Cinémathèque. Or, en 1990, si la situation est différente de celle des années « Langlois », paradoxalement, les mutations du statut du cinéma ont encouragé l’affirmation d’une telle mission. Le cinéma n’est plus le « mauvais objet » qu’il a été au moment de la création de la Cinémathèque.

La Cinémathèque française face au discrédit de la culture classique Un tel mécanisme de légitimation culturelle, répété jusqu’à la parodie depuis les années 1950, ne rend désormais plus problématique la question de la nature « artistique » du cinéma. Car il y a eu, dans la société, d’irrésistibles mouvements de fond qui ont radicalement transformé le statut de la culture et déplacé, déterritorialisé, cette idée d’une valorisation artistique du cinéma. Depuis près de quarante ans, ce que l’on désigne comme la « grande culture » ou culture classique est entré dans une phase dépressive. La montée hégémonique (au sens gramscien) d’une génération et d’une classe sociale particulière (la petite bourgeoisie) a créé les conditions idéologiques d’une critique du savoir, ce qui a eu comme conséquence une désacralisation de la culture noble, idéologie reprise depuis deux décennies par les industries culturelles elles-mêmes, sans doute parce que cette idéologie est le plus efficace instrument de leur domination. Au nom de cette vision, les frontières entre culture haute et culture basse s’estompent, la culture noble se délégitime, la culture basse (bande dessinée, musique populaire, publicité, télévision, etc.) s’ennoblit. Il serait évidemment trop facile de croire que la cinéphilie «  classique  » fut un moment clé ou avant-coureur de cette mutation (ennoblissement de cette sous-culture qu’est le cinéma). Mais ce serait oublier un peu vite que cette cinéphilie n’a défini son identité qu’en référence à la grande culture, par un travail de négation et de dépassement de cette négation, qu’elle s’énonçait à l’intérieur d’un système qui ne pouvait se passer de cette culture. Lorsque Jean-Luc Godard déclare qu’un film d’Alfred Hitchcock est aussi important qu’un roman d’Honoré de Balzac, il faut qu’Hitchcock et Balzac puissent partager un espace commun, celui de l’art. Le cinéma, art sans aura au sens « benjaminien », se verra donc in fine, nimbé d’une nouvelle aura, malgré celle déposée par la sédimentation successive des techniques nouvelles et des moyens d’expression qu’il a engendrée (télévision, vidéo, jeux vidéo, etc.). Le « tout culturel » des années Jack Lang (qui fut ministre de la Culture en 1981 après l’élection de François Mitterrand et l’accession de la socialdémocratie française au pouvoir) arrive sans que l’on puisse y percevoir une 1.– Dominique Païni, Conserver, montrer : où l’on ne craint pas d’édifier un musée pour le cinéma – programme, Liège, Éditions Yellow Now, 1992.

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contradiction frontale avec ce mouvement de fond. La Cinémathèque française en a d’ailleurs profité. Elle acquiert, dans les années 1980, davantage de moyens qui lui permettent notamment de commencer un inventaire rationnel de ses collections2.

La Cinémathèque française face à la crise d’identité du cinéma L’installation, en septembre 2005, de la Cinémathèque française à Bercy a marqué une nouvelle phase historique pour celle-ci, une phase qui n’a sans doute pas encore été analysée avec précision et qui a consisté notamment à entrer, avec un peu de retard, dans ce que l’on pourrait considérer comme le nouveau paysage culturel de l’époque. Ce moment est aussi une étape particulière d’un nouveau rapport au cinéma qui se nourrit pourtant toujours de son autonomie et de sa nature singulière (celle d’un art impur, élément d’une industrie du divertissement aujourd’hui en pleine crise, si l’on est pessimiste ou, disons, en pleine mutation, si on l’est moins). La réalité est en fait contradictoire. Pourtant, le patrimoine cinématographique, on le sait, n’a jamais été, pour qui le souhaiterait, autant disponible. Il n’y a qu’à penser à la télévision (mais à la télévision d’aujourd’hui, grâce à l’existence de chaînes spécialisées et payantes, et non aux chaînes hertziennes dont les plus anciens films diffusés récemment faisaient partie de la série des Gendarmes de Saint-Tropez ( Jean Girault, 1964), à l’édition DVD (mais le marché chute) et à l’exploitation art et essai spécialisée (qui traverse pourtant une crise dont il n’est pas sûr qu’elle se redresse à terme). Le cinéma en tant que fait social traverse, lui, une véritable crise d’identité (la consommation du cinéma est de moins en moins une manière d’exprimer une appartenance à une communauté de goût, fut-elle sociale, même si elle reste encore générationnelle). Les entrées se concentrent de plus en plus sur un nombre restreint de titres dont il n’est pas évident, par ailleurs, qu’ils soient véritablement revendiqués par leurs spectateurs, comme constitutive d’une certaine identité. L’homme ordinaire du cinéma subit une transformation anthropologique.

Les mutations de la cinéphilie Quant à ce que l’on appelle la cinéphilie, elle est aujourd’hui une réalité contrastée dont on sait qu’elle n’a plus, depuis longtemps, besoin de la Cinémathèque française pour naître, s’affirmer et s’entretenir. L’idée d’un intérêt pour le cinéma comme moyen d’expression unique, comme une forme d’art qui s’abreuve aux sources les plus impures du commerce reste évidemment présente. Mais la cinéphilie se découpe aujourd’hui en catégories, en une multitude de spécialités, sans doute très différentes des querelles de chapelles des années 1960 et d’un rapport originel au cinéma devenu dérisoire et atteint de gâtisme après Mai 68. Au découpage traditionnel d’une cinéphilie clivée en 2.– Voir Laurent Mannoni, Histoire de la Cinémathèque française, Paris, Gallimard, 2006.

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« classiques contre modernes », s’est jointe une atomisation des goûts du public en fonction de la géographie, des genres (le cinéma d’horreur, d’arts martiaux, etc.) et des conditions d’exploitation (le cinéma-bis contre l’establishment). L’appétence pour le kitsch et le second degré est aussi une sous tendance de la cinéphilie contemporaine. L’abondance de titres disponibles (que l’on peut considérer comme un bouleversement copernicien par rapport à ce qui a été le paysage ayant donné naissance à la cinéphilie classique), le découpage du marché en tranches et en cibles, la spécialisation universitaire, les amateurs des genres et surtout une forme de relativisme contemporain ont façonné une pratique du cinéma atomisée, éclatée, souvent plus ludique que savante, dont on peut aussi voir des effets dans les comportements des publics de la Cinémathèque. Cet éclatement et ce relativisme ont été accélérés par les récents changements technologiques en matière de communication – le développement spectaculaire d’Internet étant sans doute un événement majeur dans ce processus qui mène à l’individu, monade solitaire exprimant des goûts cinématographiques considérés tout autant légitimes que ceux de n’importe qui d’autre. Des mondes cohabitent désormais en s’ignorant. Avec le discours implicite qu’elle tient et sa pratique concrète, la Cinémathèque française continue de s’appuyer sur l’idée d’une unicité du cinéma et ne peut pas, en conséquence, ne pas être en porteà-faux avec ces tendances lourdes de l’époque. Il existe pourtant encore des amateurs de cinéma qui se revendiquent d’un rapport synoptique et transversal à celui-ci. La notion d’auteur y est appuyée ou contestée par une prise en compte phénoménologique ou figurale du cinéma qui, tout en ne méconnaissant pas les grands paradigmes (classique/moderne), produit une relation qui dépasse souvent les classifications banales (expérimental/figuratif-narratif, cinéma d’auteur et cinéma trivialement populaire, etc.). Petits enfants de Gilles Deleuze et enfants de Jacques Aumont et de Nicole Brenez, ils constituent une sensibilité cinéphilique qui est présente à la Cinémathèque et qui trouve évidemment (ou qui devrait trouver) son compte et matière à réflexion dans les programmes proposés. Aujourd’hui, l’université a engendré (et ce n’est pas ce qu’elle a fait de pire) une forme de cinéphilie post-moderne qu’il serait absurde de négliger et dont il faut suivre les manifestations.

La Cinémathèque française face aux nouvelles pratiques culturelles Il faut constater que le projet « païnien » tout entier tendu vers un appel à la force muséale de l’institution n’a finalement pas réussi à s’imposer. Le rendezvous a été manqué. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement puisque la logique «  païnienne  » partait d’un syllogisme. Le débouché logique de l’idée de l’exposition identifiant un objet quelconque comme une œuvre d’art n’est-il pas cette « histoire antiquaire », pointée d’ailleurs du doigt par Païni lui-même lorsque le Festival Cinémémoire exhumait des nanars d’archivistes pour en faire des objets de contemplation  ? Il reste que ce qui aurait pu être la justification idéologique d’actions publiques comme le Plan nitrate, contemporain du début d’un engouement massif pour les musées et les expositions, est

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aujourd’hui en perte de vitesse. D’un autre côté, le succès de Bercy (plus du double de visiteurs qu’à Chaillot et aux Grands Boulevards rien que pour les salles de cinéma) a invalidé la complainte chronique et nostalgique de nombreux responsables « historiques », fondateurs d’archives cinématographiques. À la désolation devant le sentiment d’une baisse du nombre de spectateurs, d’une acculturation présumée de ceux-ci et à l’idée absurde que la culture de masse a condamné les cinémathèques, s’était ajoutée, chez ceux regrettant le bricolage d’antan et craignant les méfaits de la «  robotique  », une idéologie antitechniciste3. La fréquentation des salles à Bercy a également fait mentir (mais pour combien de temps ?) le constat d’un vieillissement irrésistible du public fait par de nombreuses cinémathèques dans le monde. Le déménagement à Bercy coïncide avec un moment post-muséal : celui de l’inscription, tardive et résistante en raison de la nature même du médium, de la Cinémathèque dans un nouveau cadre urbain, celui de l’événement culturel. Cette forme d’événement est aujourd’hui une dimension importante de la politique urbaine. La multiplication des «  fêtes  », des parcours ludiques, des flâneries nocturnes, des installations diverses (Fête de la musique, Nuit des musées, Nuits blanches, Printemps des poètes, Journées du patrimoine, etc.) a transformé la culture, ou en tout cas l’action culturelle, en un élément d’ornementation de la ville et d’occupation ludique de ses habitants. Cette entreprise supplémentaire de liquidation d’un rapport traditionnel à l’art s’oppose évidemment à l’exigence de contemplation, de temps, de concentration, de travail sur soi que l’art implique dans sa configuration classique. Tout est fait pour flatter ce que Walter Benjamin appelle le « regard distrait » du spectateur moderne. Le fonctionnement du Forum des images donne parfois le sentiment que le cinéma aussi pourrait désormais subir ce sort. À cette réalité pourrait correspondre un danger, celui de chercher une nouvelle manière d’envisager le fonctionnement de la Cinémathèque, une volonté d’adapter celle-ci à une nouvelle demande, à cette catégorie introuvable que serait un « nouveau public », sinon à des « nouveaux publics  » qui correspondraient à autant de segmentations en «  cibles  » ou en niches dont on adaptera le choix en fonction de l’offre : le jeune public, les familles, diverses communautés « ethniques et/ou culturelles ». Il s’agit parfois d’attirer le public sans qu’il ait l’envie de venir. L’acte avant le désir. L’autel avant la foi comme le pratiquaient les religions anciennes. Comment s’étonner alors de l’étroitesse des résultats d’une telle politique en termes de fidélisation des spectateurs ? Il serait injuste et faux de dire que cette politique ne porte pas parfois, ses fruits, mais ceux-ci ne peuvent être qu’éphémères. Elle a toutefois pour conséquence de délivrer subliminalement un message particulier, très discutable, celui d’une fragmentation du cinéma lui-même, moyen d’expression dont les formes peuvent être découpées en tranches. C’est évidemment une soumission à la pensée dominante sur le cinéma et à la segmentation du marché qui s’exprimerait ainsi sans le dire. 3.– Voir Raymond Borde, Les cinémathèques, Paris, Ramsay, 1983, ainsi que la préface de Freddy Buache. On pourra également lire l’article passionnant de Joãa Bénard da Costa, « L’agonie des cinémathèques », Cinéma, no 2, 2001, p. 48-59.

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« L’introuvable » nouveau public Pourquoi la Cinémathèque française résiste-t-elle autant à une telle évolution des temps, au désespoir des tenants d’un marketing « moderne » ? Il y a sans doute plusieurs raisons. Il y a, tout d’abord, deux temporalités dans les activités de la Cinémathèque. Il y a une Cinémathèque de l’événement et une autre du flux. L’événement, c’est un moment où le temps se fige (autour d’une avant-première, de la présence d’un invité, de la projection d’une restauration, du vernissage d’une exposition, etc.). Le flux, c’est la continuité d’une activité dont la nature même exige qu’elle s’installe dans le temps, qu’elle se déroule indépendamment de toute notion d’événement et qu’elle résiste évidemment à la communication « moderne », tout entière concentrée sur l’impact de « l’événement ». De ce point de vue, la programmation c’est-à-dire la manière de conserver le patrimoine en le montrant, est à classer davantage du côté de tâches comme l’inventaire des collections, l’enrichissement ou le catalogage, plutôt que de l’événement en soi. En effet, ce que la Cinémathèque expose, ce sont moins des films (tout le monde le fait) que des œuvres, ce qui n’est pas sans conséquence sur la nature de ses usagers. Par exemple, voir 42 films réalisés par Mitchell Leisen, 69 titres signés Jess Franco, autant de Cecil B. DeMille, cela implique la possibilité d’un certain usage du temps, très particulier et assez rare. La cinéphilie maniaque, sinon compulsive, «  complétiste  », ne s’accommode qu’avec une certaine vacance du social, la possibilité de passer des heures, tous les jours, à la Cinémathèque, d’où les caractéristiques de ce public très assidu, composé de chômeurs, retraités ou de personnes socialement déclassées, même si le public de la Cinémathèque ne se réduit pas à ce noyau dur et qu’il faudrait classer les abonnés par volume de fréquentation annuelle (il est parfois plus sélectif, n’allant que certains films d’un cycle, ou plus spécialiste, ne fréquentant qu’un cycle, disparaissant pour ne revenir que pour un autre cycle qui l’intéressera). La deuxième caractéristique de la projection de films tient à la nature singulière du cinéma. Projeter des films c’est, en effet, exposer du temps mais surtout du temps incompressible. Langlois le constatait déjà : Dans un musée, les gens entrent, tournent et sortent. Vous pouvez faire le tour en une heure sans avoir rien vu. Le cinéma vous force à vous asseoir, vous oblige à le subir. Vous devez subir À travers l’orage de Griffith depuis la première image jusqu’à la fin. Le cinéma se défend. Aller à travers un Griffith pendant deux heures est une épreuve qu’il faut subir ou s’en aller4. Cette caractéristique intangible ou presque, puisque la vidéo et les techniques électroniques modernes (lecteurs portables) permettraient quasiment de « feuilleter » un film comme on feuillette un livre, empêche la pratique du cinéma de pouvoir être entièrement digérée par la grande machine culturelle contemporaine. Quelque chose résiste ici à l’injonction d’une consommation qui ne serait que superficielle et ludique. L’ouverture et le mode de fonctionnement du Forum des images laissent augurer de ce que serait l’intégration du cinéma dans les 4.– Henri Langlois, Trois cents ans de cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 1986, p. 75.

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nouvelles pratiques culturelles urbaines avec sa programmation thématique qui ne s’embarrasse pas de l’injonction d’exhaustivité, ni de celle de rareté (la plupart des films montrés sont en distribution). Il offre surtout la possibilité de flâner, de se faire un programme à la carte, de « consulter » des films, des déjeunersvisions de courts-métrages en groupes, des séances « nursery », etc. Le Forum tente de contourner tout ce qui définit la nature du cinéma (l’impossibilité de l’interactivité, l’incompressibilité de la durée d’un film). La Cinémathèque se doit au contraire de redire cette dimension anti-zapping, d’exclure tout ce qui pourrait faire croire qu’il y a une alternative à l’exigence de prendre le temps de s’installer dans la durée de la projection et/ou de la rétrospective.

Un nouveau paysage pour la Cinémathèque française L’impureté ontologique de l’art cinématographique (entre un commerce et une culture dont la consommation est désormais majoritairement sauvage et individuelle) reste l’obstacle principal, pour l’instant, à sa muséification convaincante et définitive. Et il faut sans doute s’en réjouir. Mais la nature particulière de son usage rend impossible son utilisation pour les fins recherchées par les nouveaux modes d’interventions culturelles. Le déménagement de la Cinémathèque à Bercy a définitivement mis fin au sentiment d’une extraterritorialité de celle-ci par rapport au commerce. Le paradoxe est le suivant. Alors que la Cinémathèque ne s’est jamais autant proclamée service public de préservation d’un patrimoine artistique, le marché s’est progressivement introduit dans son fonctionnement. L’inquiétude des exploitants et distributeurs art et essai, le remplacement, à la tête des entreprises du cinéma, des interlocuteurs « historiques » de la Cinémathèque française par d’autres, moins sensibles à l’importance de ses missions, le développement d’une importante concurrence institutionnelle et la diminution de la valeur d’échange d’une collection qui vieillit trop vite ont contraint la Cinémathèque à prendre en compte l’augmentation du coût d’un certain nombre de ses besoins sur un marché certes petit, mais réel. La conséquence en est une augmentation tendancielle des dépenses, non négligeable pour un certain nombre d’activités dont la programmation des films. Pour que la Cinémathèque demeure ce que personne ne peut lui contester, une instance de cotation symbolique unique, il faut qu’elle se concentre sur ce qui apparaît désormais comme sa mission historique. Elle doit aussi continuer d’exprimer une identité qui, non seulement résistera à la crise que traverse aujourd’hui la relation du cinéma à la société entière, mais qui constituera une réponse partielle à celle-ci, minoritaire peut-être, indiquant ce que pourrait être le devenir évident d’un certain rapport au cinéma, un rapport véritable, intense et productif. Les programmations doivent continuer d’affirmer cette unicité du cinéma, même si celle-ci est, dans les comportements beaucoup plus que dans les discours, contestée. L’exigence d’intégralité d’une œuvre, impliquant la projection de raretés, doit être maintenue, confirmant par la prescription monographique la

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primauté de la question esthétique au cœur des activités de la Cinémathèque. Une quête toujours poussée dans les méandres d’une histoire du cinéma qui est sans cesse à écrire, même si elle n’est pas forcément à réévaluer, est une deuxième exigence. De plus en plus, les programmations ne seront rien, par surcroît, sans les commentaires qui l’accompagnent, la justifient, l’éclairent. Développement naturel de la fonction discursive et pédagogique de la Cinémathèque par le biais de ces diverses activités, la production d’écrits va progressivement s’imposer (ce qui n’a pas toujours été le cas dans un environnement longtemps saturé de discours sur le cinéma). Au-delà d’un programme-papier qui pour l’instant concentre un très (trop) grand nombre de fonctions (guide du spectateur, petite revue, outil de communication voire de ce que l’on appelle prospection), la question de l’édition ou de la coédition d’ouvrages consacrés à une réflexion engendrée par une activité de la Cinémathèque se doit d’être posée autant que celle concernant l’action culturelle. L’absence, ou la médiocrité des commentaires (et on ne peut pas toujours compter sur la  presse) autour de certaines manifestations, pourrait très vite engendrer une amnésie instantanée préjudiciable à terme aux activités mêmes de la Cinémathèque. À quoi servent-elles, en effet, si elles sont faites pour être instantanément oubliées ? L’autre grande direction (toujours du point de vue de la programmation) est celle de la collection des films. On peut compter sur un certain (quoique de durée inconnue) laps de temps avant le règne du tout-numérique. Ceci dit, on sait déjà qu’un grand nombre de films ne feront jamais l’objet d’une numérisation, faute d’ayant-droit ou de volonté de celui-ci. La conservation de la pellicule n’a pas fini, me semble-t-il, d’être une activité majeure de la Cinémathèque. Les films demeurent toujours le capital de la Cinémathèque, leur importance continue d’être déterminée par la forte valeur d’échange de ceux-ci sur le marché des archives cinématographiques en quête de programme. Les films, c’est le pouvoir dans cette économie du troc que sont les relations entre membres de la Fédération internationale des archives du film (FIAF) ! On peut craindre qu’à terme, le vieillissement de la collection ne rende celle-ci beaucoup moins intéressante et n’en fasse baisser la valeur d’échange. Il est essentiel de continuer l’enrichissement quantitatif de la collection, de continuer d’appliquer la doctrine  : il faut tout conserver. À cette notion d’enrichissement quantitatif, il faudra développer un enrichissement qualitatif, une manière d’améliorer la collection par l’ajout de titres rares et donc précieux sur le marché de la programmation patrimoniale. Une rétrospective peut être l’occasion d’un passage en revue de l’état de l’œuvre d’un cinéaste et l’achat d’une copie neuve de ses titres les plus essentiels et les plus introuvables. À l’image de ce que font déjà certaines archives, la Cinémathèque a pris, de manière beaucoup plus systématique que par le passé, de telles initiatives, ce qui a permis de doter les collections d’œuvres d’Anthony Mann, de King Vidor, Jess Franco, Mitchell Leisen, Max Ophuls (si l’on considère que la restauration de Lola Montès [1955] relève plutôt de l’enrichissement, puisque l’on a fait déposer le négatif à la Cinémathèque, que d’un traitement de la collection), Cecil B. DeMille (nous allons avoir dans nos

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collections l’unique copie 35  mm au monde de L’odyssée du Docteur Wassel [1944]) et bientôt, Marcel Hanoun ainsi que d’autres, je l’espère. Voici à la fois une analyse de la situation actuelle, indispensable et préalable à toute réflexion prospective, ainsi que quelques pistes de réflexion. L’adaptation de la Cinémathèque française à la réalité présente ne pourra pas se faire sans un rappel du rêve et de l’ambition qui ont déterminé son existence. L’affirmation d’une identité forte, historique, presque sacrée demeure aujourd’hui la condition de sa pérennité et de son caractère indiscutable dans un environnement qui, par bien des aspects, en menace l’essence même. Mais comme le disait le grand écrivain colombien Nicolas Gomez Dàvila : « Qui prête attention au vacarme de son époque n’en écrira pas la musique. »

L’« école bolonaise » de restauration des films Marie Frappat Si le milieu des cinémathèques a longtemps été divisé entre les tenants de la conservation à tout prix et ceux de la diffusion à tout va, la Cinémathèque de Bologne nous offre depuis plusieurs années l’exemple d’une institution qui semble avoir concilié au mieux les impératifs de ces deux activités généralement perçues comme contradictoires. D’un côté, la Cinémathèque a ainsi fondé un centre d’archives et un laboratoire spécialisé dans le domaine de la restauration, L’Immagine Ritrovata, de l’autre, elle mène une activité continue de programmation dans ses salles et lors du festival annuel, Il Cinema Ritrovato, qui montre notamment de nombreux films restaurés à un public venu du monde entier. Je ne me propose pas ici de traiter spécifiquement des restaurations effectuées par la Cinémathèque de Bologne, mais d’étudier ce que je souhaiterais appeler l’«  école bolonaise  » de restauration des films. Cette expression d’«  école bolonaise1 » m’est d’abord venue presque intuitivement, par une sorte d’effet de contamination naturelle, étant donné la proximité entre les questionnements sur la restauration des films et ceux qui traversent l’histoire de l’art, en référence aux écoles italiennes de peinture (siennoise, florentine, bolonaise, etc.). Puis j’ai trouvé qu’elle offrait un cadre d’analyse très stimulant. Je verrai ainsi comment l’activité de restauration des films s’inscrit dans un contexte local, bolonais, et comment elle s’appuie sur différentes institutions qui se trouvent en interaction. Je retracerai ensuite les productions scientifiques et pratiques de cette « école » et la façon dont se sont élaborées une méthodologie et une théorie de la restauration des films. Enfin, je me demanderai comment ses principes ont été diffusés, quels en ont été les prolongements, quels en sont les héritages, c’est-à-dire finalement, dans quelle mesure elle a pu « faire école ». 1.– Cette expression est aussi employée par Simone Venturini dans l’article introductif du recueil sur la restauration qu’il a coordonné, « Il restauro cinematografico, storia moderna », dans Il restauro cinematografico : principi, teorie, metodi, Udine, Campanotto, 2006, p. 24. Nos analyses se rejoignent en grande partie.

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Le contexte local bolonais et la restauration des films L’«  école bolonaise  » repose essentiellement sur trois institutions  : la Cinémathèque, le laboratoire et l’université. Celles-ci viennent former ce que Christophe Gauthier identifie comme le « dispositif patrimonial2 » qui associe lui-même trois dispositifs : le dispositif archivistique qui s’organise autour des activités de conservation et de restauration gérées par la Cinémathèque et le laboratoire, le dispositif spectaculaire qui repose sur les activités quotidiennes de programmation de la Cinémathèque et sur le festival Cinema Ritrovato, et enfin, le dispositif théorique et critique incarné notamment par l’université, les enseignements qu’elle dispense, la recherche qu’elle conduit et les publications qu’elle peut soutenir. Contrairement à de nombreuses autres de ses consœurs, la Cinémathèque de Bologne n’est pas née d’une initiative privée émanant de collectionneurs. Elle est issue d’une initiative publique municipale et se conçoit donc en rapport avec un territoire politique et local. C’est dans les années 1960 qu’apparaissent les prémices de ce qui est ensuite devenu la Cineteca del Comune di Bologna. Sous l’impulsion de Renato Zangheri, alors adjoint à la culture de la municipalité communiste dirigée par Giuseppe Dozza, est créée une « Commissione Cinema  » dans le but de réfléchir à des interventions de type institutionnel dans la diffusion de la culture cinématographique. Il s’agit de concevoir une structure qui permette de prendre en compte le cinéma dans sa totalité, c’est-àdire dans son actualité, mais aussi dans son histoire. La Cinémathèque est alors créée en 1967. Un premier noyau documentaire de livres et de photographies est rassemblé par le critique Renzo Renzi, puis s’y ajoutent les livres de cinéma conservés par la bibliothèque historique de l’Archiginnasio. Au cours des années, les collections s’enrichissent d’un patrimoine filmique venu de collectionneurs, de maisons de production locales et d’ailleurs. Peu à peu, les activités de programmation se développent grâce à l’ouverture d’une salle de cinéma en 1984, le Lumière, mais il ne s’agit toujours pas de gérer d’abondantes collections films – contrairement à la Cineteca nazionale, par exemple, cinémathèque d’État qui doit s’occuper entre autres du dépôt légal. C’est à partir du milieu des années 1980, sous l’impulsion de son directeur Vittorio Boarini, figure centrale de l’institution pendant de nombreuses années, que la Cinémathèque de Bologne se positionne stratégiquement sur la scène italienne et internationale en mettant de l’avant les questions de restauration. En 1986, du 10 au 14 novembre, la Cinémathèque organise cinq journées d’études sur la conservation de la pellicule pendant lesquelles différentes archives, notamment municipales, sont invitées à présenter leurs copies. Ces journées sont considérées comme une sorte de numéro 0 du festival Il Cinema Ritrovato qui naît réellement en 1987, année où la Mostra Internazionale del Cinema Libero, à laquelle il est rattaché, quitte Porretta Terme pour s’installer définitivement à Bologne. Ce festival est avant tout conçu autour de la 2.– Christophe Gauthier, Une composition française : la mémoire du cinéma en France des origines à la Seconde Guerre mondiale, thèse de doctorat, Université Paris 1, 2007.

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problématique des films invisibles et visibles précisément à Bologne parce qu’ils ont été retrouvés, restaurés, apportés et présentés par les archives elles-mêmes. Il a d’abord lieu à l’automne, puis, en 1994, les organisateurs le déplacent au printemps pour qu’il puisse coïncider avec le Congrès de la Fédération internationale des archives du film (FIAF), hébergé cette année-là par la Cinémathèque de Bologne. Depuis l’édition 1995 commémorant le centenaire du cinéma, le festival se déroule chaque année au début de l’été, à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet. La programmation s’est étoffée, elle sert toujours de vitrine aux films restaurés et retrouvés, mais elle propose aussi désormais des rétrospectives plus thématiques. En plus d’accueillir, dans les trois salles dont il dispose, des archivistes et des historiens venus du monde entier, le festival s’ouvre sur la population locale bolonaise en proposant chaque soir des projections en plein air sur la place centrale de la ville. Quant au laboratoire, il est issu d’une collaboration entre la Cinémathèque, l’Istituto per i Beni Culturali della Regione Emilia-Romagna et l’Ente Confederale per l’Istruzione Professionale d’Artigianato Regionale (ECIPAR), un organisme régional qui s’occupe de la formation professionnelle à l’artisanat dans la région et dont le financement provient d’un fonds social européen3. En mai  1990, treize jeunes sélectionnés de moins de vingt-cinq ans entament un cursus de formation d’un an et demi dans le domaine de la restauration photographique et cinématographique, dans le but de fonder un laboratoire spécialisé, L’Immagine Ritrovata. Celui-ci est officiellement constitué en tant qu’entreprise artisanale en février 1992. La municipalité met à disposition des locaux, des financements de la part de la province et de la région aident à l’acquisition d’équipements, d’autres cinémathèques européennes prêtent gratuitement des tireuses remises en état de marche, Harold Brown, un des piliers de la formation qui travaille au British Film Institute, offre notamment une tireuse conçue par lui pour traiter spécifiquement les pellicules rétrécies. L’implication dans ce projet local est donc internationale. Le laboratoire est alors véritablement conçu comme une entreprise artisanale et travaille selon des critères artisanaux  : il n’y a pas de procédure standard, chaque objet que l’on soumet à la restauration détermine, en fonction de ses spécificités, sa propre procédure de traitement. Enfin, à partir des années 1970, le cinéma entre à l’université de Bologne, comme dans d’autres universités européennes. Il y fait l’objet d’une disciplinarisation progressive, jusqu’à former un cursus spécifique au sein du Dipartimento di Musica e Spettacolo. C’est notamment dans ce lieu que sont forgés des discours critiques et théoriques sur les films et sur l’histoire du cinéma, et que les spectateurs et les futurs collaborateurs de la Cinémathèque et du laboratoire sont formés. 3.– Voir sur ce point le texte de Vittorio Boarini, « L’immagine ritrovata », dans Vittorio Giacci, Via col tempo : l’immagine del restauro, Rome, CSC/Gremese, 1994, p. 44-55, et la présentation qu’il cosigne avec Nazzareno Pisauri dans Gianluca Farinelli et Nicola Mazzanti (dirs), Il cinema ritrovato: teoria e metodologia del restauro cinematografico, Bologne, Grafis, 1994, p. 6-7. Certains de mes propos sont par ailleurs fondés sur des entretiens, formels ou informels, que j’ai conduits avec des collaborateurs anciens ou actuels du laboratoire.

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Productions scientifiques et pratiques : vers une théorie et une méthodologie de la restauration des films L’«  école bolonaise  » de restauration repose donc sur trois institutions  : la Cinémathèque comme lieu de conservation et de diffusion, le laboratoire comme lieu de pratique, de réflexion et d’élaboration d’une méthode, et l’université comme lieu du discours critique et de l’élaboration théorique. Mais elle repose aussi et surtout sur trois personnalités : Gianluca Farinelli, qui travaille à la Cinémathèque, Nicola Mazzanti, qui est le directeur de L’Immagine Ritrovata, et Michele Canosa, qui enseigne à l’université. L’élaboration progressive d’une théorie et d’une méthodologie de la restauration des films à Bologne dépend essentiellement d’eux. Cette théorie et cette méthodologie prennent forme en trois étapes principales qui correspondent à la production de trois publications4. Tout d’abord, en novembre 1990, a lieu le congrès international intitulé « Vers une théorie de la restauration cinématographique » avec des sections consacrées à l’« original », à la « reconstruction du texte », au « rapport entre philologie et actualisation » et au « problème du fragment et de la lacune ». Certaines interventions ont été publiées en 1994 dans le livre dirigé par Gianluca Farinelli et Nicola Mazzanti, Il cinema ritrovato: teoria e metodologia del restauro cinematografico. L’ouvrage comprend notamment les contributions d’un historien d’art, d’un philologue et d’un musicologue, et il est enrichi d’une partie intitulée « Méthodologies et techniques de la restauration cinématographique », véritable manuel pratique de restauration. En 1992, un numéro monographique de la revue Cinema e Cinema, le numéro 63, dirigé par Michele Canosa, sort sous le titre « La tradizione del film: testo, filologia, restauro  ». Enfin, en 2001, en guise de formalisation définitive ou presque, deux articles paraissent dans le tome V de la Storia del cinema mondiale dirigée par Gian Piero Brunetta, intitulé Teorie, strumenti, memorie : un article de Canosa qui reprend et développe celui signé dans Cinema e Cinema en 1992, « Per una teoria del restauro cinematografico », et un article de Mazzanti et Farinelli, « Il restauro: metodo e tecnica ». Cette élaboration théorique et méthodologique se fait sous le signe d’une double influence : celle des théories de la restauration des œuvres d’art et celle de la philologie. Les différents auteurs reprennent en grande partie les apports de ces deux disciplines et les discutent en les mettant en relation avec les spécificités du cinéma et de la matière filmique elle-même. Les références à Cesare Brandi et à son ouvrage Teoria del restauro5 sont ainsi omniprésentes, de même que de nombreux outils sont empruntés à la discipline de la philologie du texte littéraire et renvoient notamment aux travaux de Gianfranco Contini. Un glossaire est ainsi progressivement constitué à partir de ce double cadre théorique de référence et vient définir les termes fondamentaux de la restauration cinématographique : «  film  », «  duplication/reproduction  », «  dommages/erreurs/défauts  », 4.– Voir à nouveau Simone Venturini, op. cit., p. 24. 5.– Cesare Brandi, Teoria del restauro, Turin, Einaudi, 1977 [1963].

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«  lacunes  », «  versions  », «  préservation/reconstruction/restauration6  ». Voici finalement la définition de la restauration que propose Mazzanti : […] une activité unique qui aspire à se doter d’une méthode, qui ait à la base ce rigoureux examen critique des matériaux. […] suivi, avec une documentation précise des interventions et des phases, d’une restauration technique sur les matériaux –  dont la duplication est un aspect  – et qui s’appuie en parallèle sur une restauration éditoriale ou reconstruction qui viendra conclure idéalement et fonder les instances des deux processus évoqués plus haut7. Au-delà de la définition de la restauration elle-même, les Bolonais participent à l’élaboration de conventions qui viendront régir la profession en insistant sur la nécessité de documenter toute intervention et sur la question de la réversibilité de toute restauration, jamais conçue comme définitive. L’« école bolonaise » élabore ainsi une méthodologie, un cadre théorique et pratique, de la restauration des films, mais celui-ci est loin d’être rigide car l’accent est mis sur le fait que chaque restauration a ses propres problématiques et que la méthode doit être réinventée au cas par cas. Comment ce corps doctrinal mis en pratique dans la restauration conçue comme activité critique a-t-il été diffusé ? Comment a-t-il dépassé le cadre local bolonais ? Quels en sont aujourd’hui les prolongements et les héritages ?

Diffusion, héritages et prolongements de l’« école bolonaise » La diffusion de la méthodologie et du discours bolonais sur la restauration des films s’est faite par différents moyens et sur différents supports. Les publications évoquées plus haut y ont largement participé, mais elles n’ont pas été les seuls modes de diffusion. Le support éditorial qu’a incarné la revue Cinegrafie a été fondamental  : cette revue, qui a fait paraître vingt numéros de 1989 à 2007 et est devenue bilingue italien/anglais à partir de 1996, a notamment publié de longs articles au sujet de différentes interventions de restauration. De même, le festival Cinema Ritrovato, qui projette presque toujours le résultat de ces dernières et qui génère de nombreuses autres publications, a été un lieu de diffusion privilégié de ces prises de position, en permettant des rencontres entre les archivistes et les historiens autour de ces problématiques, et en promouvant le débat autour des restaurations et la diffusion des films restaurés eux-mêmes – même si l’on peut regretter que les interventions de restauration soient très peu évoquées dans les catalogues et que les cartons liminaires des copies soient souvent insuffisants. Enfin, c’est par le biais de la formation et de la circulation des personnes et des savoirs que l’« école bolonaise » a irrigué le monde des archives : la Cinémathèque et le laboratoire ont ainsi été fortement impliqués 6.– Nicola Mazzanti, « Note a pie’ pagina (Per un glossario del restauro cinematografico) », dans Luisa Comencini et Matteo Pavesi (dirs), Restauro, conservazione e distruzione dei film, Milan, Quaderni della Fondazione Cineteca Italiana/Il Castoro, 2001, p. 14-31. 7.– Ibid., p. 22 [notre traduction].

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dans des projets européens, comme le projet Lumière dans les années 1990 et, du point de vue de la formation, les séminaires Archimedia organisés au tournant du siècle. L’«  école bolonaise  » de restauration reste fortement identifiée aux trois personnes précédemment citées : Michele Canosa, Gianluca Farinelli et Nicola Mazzanti, unis autour d’une expérience commune qui a duré une quinzaine d’années. Qu’en est-il de ces chefs de file aujourd’hui ? Canosa enseigne toujours à l’Université de Bologne, Farinelli a été promu directeur de la Cinémathèque après le départ de Boarini, et Mazzanti s’est éloigné de Bologne et a quitté le laboratoire au milieu des années 2000. L’Immagine Ritrovata a connu depuis un renouvellement générationnel complet : un seul employé y travaille depuis le début, un autre depuis 1994. L’expérience commune autour de certaines techniques, de certaines pratiques et d’un certain type de cinéma, essentiellement muet, n’existe donc plus. Après avoir changé de statut et après avoir été racheté par la Cinémathèque (et la municipalité), le laboratoire s’est notamment réorienté vers l’intégration des technologies numériques et vers la prise en compte de tout le cinéma (il effectue même parfois quelques travaux de postproduction). Mais c’est aussi par la circulation des personnes que l’on peut dire que Bologne a « fait école ». Mazzanti, après avoir été consultant auprès du UCLA Film and Television Archive, travaille aujourd’hui à la Cinémathèque royale de Belgique et fait partie de la commission technique de la FIAF où il s’occupe essentiellement des enjeux du numérique. Luigi Pintarelli, fort de son expérience bolonaise, a monté à la fin des années 1990 à la Cinemateca Portuguesa de Lisbonne un laboratoire photochimique du même type et a été rejoint depuis par deux autres collègues. Enfin, au sein même du laboratoire bolonais, les héritages de cette école perdurent  : le credo selon lequel la restauration, loin d’être une simple activité technique, implique aussi tout un travail de recherche sur les plans historiographiques, philologique et méthodologique, ce credo existe toujours. Tous les nouveaux employés sont d’ailleurs eux-mêmes de purs produits de l’« école bolonaise  », à commencer par Davide Pozzi, directeur actuel du laboratoire. En effet, ils ont pour la plupart suivi les cours de « filmologie » consacrés aux «  problèmes de conservation et de restauration du patrimoine cinématographique » dispensés par Canosa à l’Université de Bologne ; ils ont été formés par lui, ils ont rédigé leurs mémoires de laurea sous sa direction, et sont devenus des restaurateurs techniciens historiens. Une dernière filiation peut se retrouver dans la constitution du laboratoire né au sein de l’Université d’Udine à Gorizia en 2002, La Camera Ottica, plutôt spécialisé dans la vidéo et les films amateurs. L’expérience bolonaise dans le domaine de la restauration a donc été disséminée grâce à la position centrale de Bologne dans le milieu des archives et de l’histoire du cinéma, notamment grâce au festival Cinema Ritrovato, lieu d’échanges incontournable (avec les Giornate del Cinema Muto de Pordenone). Cette position névralgique s’affirme d’autant plus aujourd’hui que depuis plusieurs années la FIAF Summer School of Film Restoration est hébergée par

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le laboratoire de L’Immagine Ritrovata où elle organise des conférences quotidiennes sur la question ainsi que des présentations de cas de restaurations. Il peut sembler provocateur, voire antinomique, d’avoir utilisé l’expression «  école bolonaise de restauration  », comme s’il s’agissait d’un mouvement artistique et esthétique de production alors que je l’applique à un domaine d’activité qui devrait viser le respect absolu de l’œuvre originale (quelle que soit la signification que l’on donne à ce terme) et non pas la production d’un objet nouveau. Mais c’est justement pour aller à rebours de l’idée qu’il y aurait une transparence dans l’intervention de restauration – tandis que celle-ci construit son objet, le film, autant qu’elle le « retrouve » – que j’ai souhaité mettre en avant cette idée. J’aurais pu aussi poser explicitement la question de savoir s’il existe un style bolonais de restauration, s’il existe une marque de fabrique propre à l’Immagine Ritrovata, et plus généralement, s’il existe des marques d’intervention reconnaissables pour chaque laboratoire, que ce soit par l’effet des méthodes employées, par l’utilisation des machines ou par la personnalité des restaurateurs eux-mêmes, et si ces marques sont décelables à la projection, par exemple dans l’usage des couleurs ou dans les intertitres pour les films muets. L’étude approfondie d’un corpus de films restaurés à telle ou telle époque par tel ou tel laboratoire serait sûrement très instructive. Avec la multiplication des restaurations et les restaurations successives de mêmes films, on se retrouve ainsi bien souvent confronté à des œuvres qui existent sous plusieurs formes. Celles-ci ne se substituent pas forcément les unes aux autres, elles peuvent coexister sur différents supports (copie film, DVD, Internet, etc.). Elles portent alors en elles autant les films restaurés eux-mêmes que leurs contextes de restauration. Si l’intervention sur la matière même du film diffère selon les époques, les méthodes, les financements et les commanditaires, il semble donc indispensable de réinscrire la restauration, pratique elle-même essentiellement historique, dans son histoire et son contexte de production.

La spoliation du cinéma français par les nazis1 Éric Le Roy En 1997, l’actualité s’est portée sur les spoliations d’œuvres d’art commises par les nazis, et sur la restitution de certaines d’entre elles à des héritiers survivants. Il a alors été omis que, dans le milieu culturel et artistique, la dépossession s’est répandue pareillement au sein de l’industrie cinématographique. Le rapatriement, aux Archives françaises du film, de deux films d’envergure saisis par la Propagandastaffel durant l’occupation, La grande illusion ( Jean Renoir, 1937) et Mademoiselle Docteur (Georg Wilhelm Pabst, 1937) nous ont permis d’examiner plus attentivement les conditions dans lesquelles ces extorsions avaient été opérées.

Contrôle, censure et despotisme Lorsque la France entre en guerre, la censure cinématographique agit déjà et certains films sont rapidement interdits par les autorités françaises : les films de guerre, les films « déprimants » et les films militaires, même de vaudeville, qui tournent l’armée en dérision, s’éclipsent des écrans. La revue corporative La cinématographie française2 publie une première liste de films prohibés pendant la durée des hostilités, comportant entre autres La bête humaine ( Jean Renoir, 1938), Le dernier tournant (Pierre Chenal, 1939), Hôtel du nord (Marcel Carné, 1938), Ignace (Pierre Colombier, 1937), J’accuse (Abel Gance, 1937), J’arrose mes galons ( Jacques Darmont, René Pujol, 1936), Paix sur le Rhin ( Jean Choux, 1938), Tire au flanc (Henry Wulschleger, 1933). Cinq autres titres dont L’équipage (Anatole Litvak, 1935), Le jour se lève (Marcel Carné, 1939) et Le puritain ( Jeff Musso, 1935) sont suspendus momentanément, et doivent faire l’objet d’un examen ultérieur. Le 22 juin 1940, l’Armistice est signée entre 1.– Cet article est une version remaniée d’un texte intitulé «  Quand les nazis pillaient le cinéma français », L’Arche, n° 501, novembre 1999, p. 28-33, puis, sous le titre « Le rapatriement des films spoliés par les nazis », Journal of Film Preservation (FIAF), n° 68, décembre 2004, p. 46-51. 2.– La cinématographie française, n° 1098, 18 novembre 1939.

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la France et l’Allemagne  : le 30, Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, reçoit l’ordre d’Adolf Hitler de « mettre en sécurité » les œuvres d’art. Commence ainsi un pillage systématique des collections françaises. Le 3  octobre 1940, le conseil des ministres, à la demande du Maréchal Pétain, interdit aux juifs d’exercer toute profession dans le cinéma, le théâtre, la radio, l’édition et la fonction publique3. Trois jours plus tard, Jean-Louis Tixier-Vignancour, avocat et représentant du parti populaire français de Jacques Doriot à Vichy, responsable de la censure dans les domaines précités, confirme l’application d’une note de la Commission allemande d’Armistice4 concernant l’interdiction des « films d’incitation à la haine contre l’Allemagne » tels que Ceux qui veillent (Gaston Choukens, 1939), Entente cordiale (Marcel L’Herbier, 1939), L’équipage, Fraülein Doktor (Mademoiselle Docteur, G.W. Pabst) et La grande illusion5. En décembre 1939, Le quai des brumes avait déjà disparu des écrans : il est néfaste de présenter un déserteur, même incarné par Jean Gabin. À Paris, la Propaganda Abteilung (« service de la propagande ») entreprend la normalisation de l’activité cinématographique, avec un service du cinéma (Referat film) sous l’autorité du Dr Dietrich. Le processus « d’aryanisation » s’enclenche, la politique décidée par Goebbels se met en place. C’est ainsi que, de septembre à novembre 1940, une série d’ordonnances va définir la politique appliquée à Paris par Alfred Greven, le puissant directeur de la Continental6. L’organisation monte d’un cran l’année suivante  : sous le motif perfide de libérer le marché des films anciens, les autorités d’occupation interdisent, par le truchement d’une ordonnance, la diffusion des films antérieurs à 1937. Cette répression s’appliquera dès l’été 1942 à la zone libre. Authentique mise à mort du patrimoine français, le texte stipule principalement que « […] les films […] doivent être retirés de la circulation avant le 1er  octobre 1941 et prêts à être remis à un endroit qui sera indiqué ultérieurement par le Militärbefehlshaber en France  ». Les Allemands ambitionnent, avec cette mesure, de favoriser la diffusion de leurs propres films, maîtriser la distribution, valoriser la production cinématographique française (dont ils sont devenus en partie les maîtres d’œuvre) et en outre s’accaparer des stocks existants, soit pour les conserver (comme un « trésor de guerre ») soit pour en récupérer les sels d’argent. L’ordonnance qui nous concerne plus particulièrement s’applique à «  la saisie et la fabrication des négatifs de films7 ». Elle ordonne à tous les détenteurs de négatifs de films d’en établir un relevé complet et de désigner le lieu de dépôt : les producteurs ont donc été contraints de transmettre ces informations 3.– Voir Le film, n° 2, 1er novembre 1940. 4.– Lettre reproduite dans René Chateau, Le cinéma sous l’occupation, Paris, La mémoire du cinéma français, 1995, p. 98. 5.– Voir La grande illusion : le film d’un siècle, Archives, n° 70, « spécial Renoir », février 1997. 6.– Société de production de films, fondée à Paris le 3 octobre, par acte sous seing privé, sous forme de société à responsabilité limitée, publiée le 5-8 octobre 1940 dans Les petites affiches. Après la guerre, cette société change de nom et devient Union générale cinématographique (UGC). 7.– Voir Le film, n° 3, 15 novembre 1940, ainsi que Paul Léglise, Histoire de la politique du cinéma français, Paris, Filméditions, 1977, tome II (Entre deux républiques 1940-1946), p. 37-38.

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et, de la sorte, donner aux autorités d’occupation la clef pour entreprendre la spoliation du cinéma français. La plupart des producteurs, cinéastes, auteurs et artistes israélites, quittent Paris pour la zone libre ou l’étranger dans la précipitation en 1940 et les films sont laissés sur place. Les sociétés sont « aryanisées ». Les nazis procèdent alors, avec méthode, au pillage des films français et étrangers (particulièrement américains, ceux des productions Warner ou Metro Goldwyn Mayer), en marge des œuvres d’art et archives nationales.

La spoliation Il ne subsiste que très peu d’écrits, de témoignages retraçant cet épisode. En effet, s’agissant de sociétés plus que de personnes privées, cette mémoire a disparu de notre histoire. Il faut rechercher, dans les fonds d’archives qui demeurent, ou dans les collections de films du Bundesarchiv (anciennes archives du film de Berlin-Est) des indices accordant un aperçu des extorsions abusives manœuvrées par l’occupant. L’un des exemples les plus frappants du cinéma français reste, parmi d’autres, celui du producteur, distributeur et exploitant Jacques Haïk8. En 1940, il quitte Paris pour l’Afrique du Nord, tandis que les nazis lui confisquent tous ses biens, et prennent insidieusement le contrôle de sa société Les Films Régent. Dans les documents d’archive de sa société9, nous apprenons que lors de la séance du 4 septembre 1941, la société est volontairement liquidée, « en accord avec la Propaganda Staffel et le Commissariat aux Affaires Étrangères juives » [sic]. Plus loin une ligne évoque la mainmise sur les films : « Le Président rappelle qu’au cours d’une séance […] il a été fait mention des confiscations de films et de copies par les autorités d’occupation […] qu’enfin la valeur de la perte subie apparaît à l’actif du bilan de l’exercice 1940. » La séance du Conseil d’administration du jeudi 9 octobre 1941 est encore plus explicite : le Président Paul Boisserand signale que «  […] suivant la lettre du laboratoire G.M. film de Moulin-sousle-Roc, cette société informait M. Jacques Haïk, qu’elle croyait encore à la tête de la société, que les autorités allemandes avaient saisi le négatif de “Mes crimes” qui appartenait à la société10 ». À partir des données en leur possession, les autorités d’occupation ont opéré une rafle systématique dans les laboratoires et dépôts de films : les détenteurs de négatifs sont dépossédés, sans aucun dédommagement. La spoliation est en marche, avec rigueur et détermination. La plupart des films récupérés (copies des films sortis en France avant le 1er  octobre 1937, négatifs déclarés) sont retirés de la circulation et remis dans un lieu arrêté par l’occupant. Si certains 8.– Jacques Haïk (Tunis, 20 juin 1893-Loué, 31 août 1950). est le producteur, entre autres, du Juif polonais ( Jean Kemm, 1931) avec Harry Baur et d’un film de propagande anti-hitlérienne qui a fait grand bruit à sa sortie : Après « Mein Kampf », mes crimes, réalisé par Alexandre Ryder en 1939. À Paris, il a notamment construit le cinéma LeRex. 9.– Documents juridiques et comptables, fournis par M. Jean-Marie Bonnafous, 1997. 10.– Il s’agit effectivement du négatif original de Après Mein Kampf, mes crimes. À noter que le film était projeté sous le pseudonyme de Jean-Jacques Valjean. Note A : Source originale, transmise par M. Jean-Marie Bonnafou, Directeur général de la société les Films Régent.

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d’entre eux sont recyclés11, les autres quittent la France pour le Reichfilmarchiv à Berlin. La saisie n’a pas été limitée dans le temps : il apparaît que les autorités allemandes ont persévéré tout au long de l’occupation. Effectivement, à partir des documents écrits provenant du liquidateur de la Gaumont Franco Film Aubert12, nous savons qu’un transfert de films français à Berlin a été fait en date du 30 mars 1943, comportant notamment L’assommoir (Maurice de Marsan et Pierre Maudru, 1921), Le Joueur d’échecs (Raymond Bernard, 1926) et Le refuge (Léon Mathot, 1930). L’envoi de films en Allemagne était réalisé dans la plus grande indifférence et les films choisis relevaient de plusieurs catégories : films anti-allemands, œuvres du patrimoine, goûts personnels des dirigeants nazis… En raison des conditions énigmatiques dans lesquelles ont été exécutées ces dépossessions (extorsions dans les laboratoires, mise à disposition des sociétés de production par l’entremise de Français) puis le rassemblement des collections dans un lieu secret avant transfert en Allemagne, il est impossible à l’heure actuelle d’établir une liste précise des films volés. Seuls quelques témoignages nous ont permis d’entreprendre un croquis de ces événements. L’après-guerre à ce sujet a été aussi dramatique : producteurs et cinéastes disparus, absence d’ayant droits, priorité à la nouvelle production. À part quelques isolés (les producteurs Jacques Haïk, Serge Sandberg, Romain Pinès, etc.) qui ont persévéré dans la recherche de leurs biens et poursuivi l’administration française, l’ensemble de la profession s’est recluse dans le mutisme et l’amnésie. L’itinéraire des collections de films est lui plus aisé à dessiner  : elles ont été méthodiquement transférées au Reichfilmarchiv de Berlin, Archives d’état fondée par Josef Goebbels en 1934 et dirigée à l’époque par le Dr Frank Hensel, cofondateur de la Fédération internationale des archives du film, puis par Richard Quaas, un membre du parti nazi chargé de centraliser l’ensemble des copies et négatifs de films allemands ainsi que les collections des pays annexés. Donc, contrairement à une idée répandue, les films n’ont pas été systématiquement détruits, mais archivés dans les organismes officiels du IIIe  Reich. Raymond Borde attribue d’ailleurs la non destruction de ces films au Dr Frank Hensel13.

L’Après-guerre En 1945, le Reichfilmarchiv est placé dans la zone russe au moment de la partition de Berlin. La majeure partie de ces films prennent le chemin de Moscou. Conservé au Gosfilmofond (Archives cinématographiques de l’ex-URSS), ce patrimoine français a suscité rumeurs, polémiques et interrogations, amplifiées par la guerre froide, période durant laquelle les films ont circulé dans les pays du bloc communiste, ont fait l’objet d’échanges, voire de restitutions partielles en Allemagne de l’Est. Suite à des négociations entre les Archives françaises du 11.– C’est-à-dire détruits et réutilisés en talons de chaussure, peignes et cosmétiques. Les sels d’argent servaient pour fabriquer de la nouvelle pellicule, procédé existant depuis les débuts du cinéma. 12.– Courrier daté du 24 juin 1948. Merci à Gilles Venhard (Service juridique, Gaumont) de nous avoir transmis ce document. 13.– Voir La grande illusion : le film d’un siècle, op. cit., p. 21.

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film du Centre national de la cinématographie en 1997, la France a récupéré les négatifs originaux de deux œuvres perdues dans leurs versions d’origine. Entre autres, Mademoiselle Docteur de Pabst et Après « Mein Kampf », mes crimes.

Destins particuliers Le destin du négatif original de Mademoiselle Docteur est caractéristique : volé par les nazis, le film (interprété par Pierre Fresnay, Dita Parlo, Pierre Blanchard, Viviane Romance, Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault, etc.), tout comme son héroïne, a circulé en Europe de l’Est où il a fait l’objet d’échanges14. En France, son producteur Romain Pinès (juif originaire de Lipaïa, Lettonie), persuadé que son négatif avait été brûlé par les Allemands, a été contraint après-guerre de diffuser le film sous une version mutilée intitulée Salonique, nid d’espions, dans le but d’amortir les coûts de production, l’exploitation ayant été brutalement stoppée en 1940. Le Gosfilmofond avait pourtant rendu le matériel au Reichfilmarchiv après la guerre, sans doute en raison du sujet du film et de la nationalité allemande de ses réalisateurs et interprète. Ce négatif original jusqu’alors considéré irrémédiablement perdu a été restitué en 1996 aux Archives françaises du film, restauré puis rediffusé15. Pour La grande illusion, l’un des chefs-d’œuvre du cinéma français, personne ne savait précisément où était passé le négatif  : Jean Renoir était lui-même convaincu qu’il s’était consumé dans le bombardement du laboratoire SaintMaurice en 1942. En 1946, La grande illusion a été présentée en France dans une version tronquée (Renoir y a effectué des coupes à la demande d’associations de résistants et de déportés) à partir de copies. En 1958, Jean Renoir remonte le film avec Renée Lichtig (en charge des restaurations à la Cinémathèque française) pour tenter de rétablir la version originale à partir d’éléments intermédiaires. À l’époque, on n’ambitionne plus de récupérer un jour un élément d’origine. Mais la Cinémathèque de Toulouse, au début des années 1980, repère un élément négatif dans ses stocks : Il y était arrivé lors d’un échange avec le Gosfilmofond… Puis, en 1992, lors du transfert des collections nitrate de la Cinémathèque de Toulouse aux Archives françaises du film, l’élément est de nouveau analysé : le négatif est bien identifié comme l’original considéré perdu. Il est alors restauré dans sa version originelle. Quant au film d’Alexandre Ryder, Après « Mein Kampf », mes crimes, il a connu le même destin, mais son exode s’est brusquement immobilisé à Moscou. Son sujet a longtemps animé des controverses avant son retour en France, grâce à la détermination de son ayant droit. Le film avait pourtant été distribué aprèsguerre dans une version complétée à la Libération avec des scènes relatant la victoire des Alliés. 14.– Voir « Mademoiselle Docteur de G.W. Pabst, 1937, à propos d’une restauration », Archives, n° 73, décembre 1997. 15.– Cette version originale a été présentée au Festival de Berlin en 1997, puis diffusée sur Arte en mai 1997.

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D’autres films ont subi le même destin, mais moins célèbres et orphelins, ils sont tombés dans l’oubli. Leurs ayant droits ne sont jamais revenus et n’ont pas de descendance. D’autres ont toujours pensé que leurs films avaient été purement détruits. Après plus de cinquante années de silence, il aura fallu la réunification allemande et celle des collections de films (dans un but purement financier) pour voir le retour de ces films en France.

La Cinémathèque chinoise à l’heure de l’ouverture politique et du numérique Christophe Falin La Cinémathèque chinoise a été fondée en 1958 et est membre depuis 1980 de la Fédération internationale des archives du film (FIAF). Elle est la seule institution de République populaire de Chine assurant la conservation et la restauration des archives du cinéma1. Dépendante du Ministère de la radio, du cinéma et de la télévision ainsi que du Bureau du cinéma, ses missions comprennent la collecte et la préservation du patrimoine cinématographique, la numérisation et la restauration de films, la mise à disposition du public d’une partie de ses archives, et la publication d’ouvrages consacrés au cinéma. Elle est engagée dans de nombreux échanges et collaborations avec des cinémathèques nationales et participe à des rétrospectives sur le cinéma chinois partout dans le monde, notamment en France. Elle est depuis plusieurs années confrontée à deux défis : l’ouverture politique du pays et le passage au numérique.

La Cinémathèque chinoise aujourd’hui La Cinémathèque chinoise a considérablement évolué depuis l’ouverture du pays en 1978. Une partie de ses collections a été ouverte au public et l’accès aux films est devenu plus facile. La Cinémathèque a aussi développé un centre de recherche et multiplié les publications sur les cinémas chinois et étrangers. Elle est aujourd’hui lancée dans une dynamique de collecte, de préservation et de valorisation de son patrimoine.

Les collections La Cinémathèque chinoise dispose depuis 1969 de deux dépôts où sont conservées et protégées ses collections : le premier est situé à Pékin et le second 1.– Il existe aussi la Hong Kong Film Archive et la Taipei Film Archive respectivement à Hong Kong et à Taïwan.

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à Xi’an, ancienne capitale chinoise où a été découverte la grande armée de terre cuite. Ses collections sont aujourd’hui estimées à environ 50 000 films, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, pour la plupart chinois. Elles contiennent aussi de nombreux périodiques, des photographies, des affiches, des ouvrages et des éléments de décors. Depuis 2006, le projet «  National Film Database  » de la Cinémathèque a pour mission la numérisation des documents écrits et des photographies de cette collection. À peu près au même moment, fin 2007, a été fondé le nouveau Département des collections de la Cinémathèque qui s’est lancé dans la collecte de films, textes, photographies et autres archives de cinéma partout à travers le pays, notamment dans les studios de provinces et dans les grandes villes. De nombreuses archives y ont été découvertes et sont désormais conservées dans les dépôts de la Cinémathèque.

Figure 1. Le dépôt de la Cinémathèque chinoise à Pékin.

La bibliothèque Une partie de ces collections est mise à la disposition du public à la bibliothèque de la Cinémathèque à Pékin. Disposant d’une vingtaine de places, cette bibliothèque est accessible aux étudiants, aux chercheurs et aux enseignants. Y sont disponibles un ensemble d’ouvrages consacrés aux cinémas chinois et étrangers (plus de 12 000 selon les sources internes), des revues ainsi que des articles de presse en chinois et en langues étrangères (les plus anciens consultables sur microfiches dans une salle prévue à cet effet). Des films peuvent aussi

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être consultés sur place moyennant une petite somme2, mais les films proposés sont très souvent ceux déjà disponibles dans le commerce pour un prix moins important3 que celui demandé par la Cinémathèque. L’accès à tous ces documents est cependant relativement difficile pour des personnes n’étant pas étudiants ou enseignants au sein de la Cinémathèque. Le bâtiment accueillant ces structures n’étant pas accessible librement au public, il est souvent impossible d’y pénétrer sans avoir préalablement été mis en relation avec des personnes y travaillant.

Les publications La Cinémathèque chinoise participe, en collaboration avec la China Film Press, à la publication d’ouvrages consacrés aux cinémas chinois et étrangers, fruit la plupart du temps du travail de son personnel enseignant à partir de ses propres collections. Parmi ces ouvrages se trouvent des annales photographiques du cinéma chinois et des recueils d’articles sur le cinéma parus dans la presse des années 1920 à 19604. Par ailleurs, la Cinémathèque publie deux revues, Contemporary Cinema et China Film Weekly, la première étant une revue académique dédiée aux recherches théoriques et historiques sur les cinémas chinois et étrangers, et la deuxième une revue mensuelle d’information sur le cinéma. Contemporary Cinema bénéficie d’une grande autorité en Chine pour la qualité de ses articles et de ses traductions d’articles parus dans la presse étrangère. À l’approche du centenaire du cinéma chinois, Contemporary Cinema avait publié une série de numéros spéciaux sur les grands réalisateurs de l’histoire du cinéma chinois, avec notamment Xie Jin, Zheng Zhengqiu, Li Minwei, Cai Chusheng et Wu Yonggang5. Auparavant, en 1996, la revue avait déjà consacré un numéro spécial à Fei Mu qui avait permis de mettre de l’avant ce réalisateur longtemps ignoré pendant la période 1949-1978. Contemporary Cinema est ainsi une des rares revues chinoises à publier des articles de fond sur la période du cinéma chinois qui a précédé la prise de pouvoir des communistes en 1949.

La recherche et l’enseignement Depuis 1984, un centre d’enseignement et de recherches (le China Film Art Research Center) est attaché à la Cinémathèque chinoise. Ce centre, situé dans les murs de la Cinémathèque à Pékin, est composé de plusieurs départements : le département de recherche sur l’histoire du cinéma chinois, le département de recherche sur le cinéma étranger, le département de recherche sur le cinéma chinois contemporain et le département de recherche sur la théorie du cinéma. 2.– 50 yuans, soit environ 5 euros. 3.– 15 yuans, soit 1,50 euros. 4.– Par exemple : Le cinéma muet chinois, recueil d’articles des années 1920 et 1930, Dai Xiaolan (dir.), Pékin, China Film Press, 1996. 5.– Respectivement nos 118, 119, 120, 121, 122, publiés entre janvier et mai 2004.

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Des enseignements sont dispensés et des diplômes équivalents au Master 1 et au doctorat sont attribués à la fin des études. Bénéficiant des avantages de l’accès à ses collections, le China Film Art Research Center se différencie des autres écoles de cinéma (notamment de l’Institut du cinéma de Pékin, plus axé sur l’acquisition des techniques et la réalisation) par la qualité de son travail académique et de ses publications. Les enseignants du centre publient régulièrement des ouvrages, comme par exemple Li Suyuan et Hu Jubin qui ont collaboré à l’écriture de Chinese Silent Film History, publié par la China Film Press en 1997 et aujourd’hui traduit en anglais. En 2007, le China Film Art Research Center s’est lancé dans un grand projet intitulé « Chinese Oral Film History » qui consiste à recueillir les témoignages de ceux qui ont fait l’histoire du cinéma chinois : des acteurs, des réalisateurs, des producteurs, des critiques, etc. Deux années plus tard, une cinquantaine d’entretiens avaient été accordés, dont ceux de Wang Decheng, réalisateur de documentaires, et de Li Xi, le fils de Li Minwei, le père du cinéma hongkongais. Une partie de ces entretiens fut publiée dans la revue Contemporary Cinema et une conférence fut organisée en mars 2009 à la Cinémathèque. En 2010, le projet compte en 2010 plus de 200 entretiens réalisés à Shanghai, Nanjing, Pékin et Hong Kong, des villes où s’est écrite l’histoire du cinéma chinois.

Valorisation du patrimoine La valorisation de son patrimoine est l’une des missions fondamentales de la Cinémathèque chinoise, notamment à travers l’organisation de projections destinées au public. Elle dispose pour cela d’une salle de projection rénovée d’environ 1 000 places. Jusqu’à ces dernières années, avant la multiplication des salles de cinéma à Pékin, cette salle était l’une des plus belles de la capitale. De nombreuses rétrospectives consacrées à des acteurs, à des réalisateurs ou à des cinématographies étrangères y sont régulièrement organisées.

Les rétrospectives consacrées au cinéma chinois La dernière grande rétrospective consacrée au cinéma chinois fut organisée en septembre et octobre 2005, à l’occasion du centenaire du cinéma chinois6. De 1922 à 1964, 43 films y furent projetés, dont la moitié (21) dataient des années 1920-1940. La plupart des films proposés étaient déjà largement connus des cinéphiles, la seule surprise venant de la projection de L’héroïne rouge (Wen Yimin, 1929), le seul film d’arts martiaux des années 1920 à avoir été conservé. Le centenaire du cinéma chinois fut aussi pour la Cinémathèque chinoise l’occasion d’organiser, du 10 au 13 décembre 2005, un colloque international avec la participation de nombreux spécialistes chinois et étrangers. Les intervenants abordèrent de très nombreux thèmes qui présentèrent, en une soixantaine d’interventions, une vue d’ensemble de l’histoire du cinéma chinois, de 6.– Le premier film chinois, Le Mont Ding jun, fut réalisé en 1905.

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Figure 2. Salle de projection de la Cinémathèque.

sa diversité et des défis auxquels il doit répondre. Le cinéma shanghaïen des années 1930 fut évidemment mis en valeur avec notamment les interventions de Richard J. Meyer sur Ruan Lingyu, Ohba Masatoshi sur Sun Yu et Li Yizhong sur Cai Chusheng. Les liens entre les cinémas de Chine populaire, de Hong Kong et de Taïwan (interventions de Huang Shixian et Law Kar), les influences du cinéma soviétique sur celui de Chine continentale (Sergey Toroptsev) et le cinéma chinois contemporain, furent aussi traités. Depuis, la Cinémathèque a notamment organisé des rétrospectives consacrées à l’acteur Sun Daolin7 en 2008, à Fei Mu (à Shanghai) et à Xie Jin en 2009. Elle a aussi fourni quatre films de Zhu Shilin8 pour la rétrospective de 29 films qui lui était consacrée par la Hong Kong Film Archive en 2008.

Les coopérations internationales Profitant de l’ouverture du pays et de l’intérêt pour sa cinématographie, la Cinémathèque chinoise multiplie depuis quelques années les coopérations avec les cinémathèques mondiales (Italie, Russie, Japon, États-Unis, Norvège, Mexique, Égypte, France, etc.) pour des échanges et l’organisation de rétrospectives ou de colloques. En France, la Cinémathèque chinoise a permis la 7.– Acteur, entre autres films, de Corbeaux et moineaux (Zheng Junli, 1949) et de Printemps précoce (Xie Tieli, 1963). 8.– Réalisateur de films dès les années 1930 à Shanghai, il s’est réfugié après 1945 à Hong Kong où il a poursuivi sa carrière dans les Studios Great Wall et Phoenix.

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grande rétrospective organisée en 2004-2005 par la Cinémathèque française à l’occasion du centenaire du cinéma chinois et de l’année croisée entre la Chine et la France. À cette occasion avaient été projetés une centaine de films des années 1920 à 1980. Sans surprise, la rétrospective 2004-2005 avait permis de voir ou de revoir des films difficiles d’accès, exception faite de La vie de Wu Xun (Sun Yu, 1950) qui avait déjà été projeté en 1985 au Centre Georges Pompidou9. La Cinémathèque chinoise avait fourni les copies et avait organisé à Pékin une rétrospective consacrée au cinéma français. La Cinémathèque collabore aussi, en offrant l’accès à ses copies, à des festivals et des panoramas consacrés, en France, au cinéma chinois (par exemple, le Festival du cinéma chinois de Paris). L’édition de 2008 (qui avait pour thème « Cinéma et opéra en Chine ») et celle de 2009 (avec un hommage à l’actrice Hu Die) ont offert au public français des films très rares qui n’avaient jusqu’ici pas été projetés à l’étranger comme Le fard et les larmes (Wu Yonggang, 1938), remake parlant de La divine (Wu Yonggang, 1934), un classique du cinéma muet des années 1930. La Cinémathèque chinoise a aussi récemment participé à l’organisation de rétrospectives au Canada (en novembre 2007 avec un hommage à l’actrice Zhou Xuan), en Australie, en Russie et dernièrement, en janvier 2010, au Mexique, une première dans ce pays, avec 11 classiques du cinéma chinois. En Chine, la Cinémathèque a organisé depuis 1985 plus d’une vingtaine de rétrospectives en partenariat avec des institutions étrangères, notamment la « London Film Week » en décembre 2007, une rétrospective consacrée au cinéma italien en 2008 et un hommage à Ingmar Bergman en 2009.

Les restaurations Depuis 2006, avec l’arrivée du numérique, la Cinémathèque s’est lancée dans un programme de restaurations et de numérisations de films intitulé « Project of Archival Film Digital Restoration ». Pour cela, la Cinémathèque s’est associée avec le SARFT10, le Beijing Film Laboratory et la Hualong Film Digital Restoration Company. Des techniciens étrangers sont venus en Chine pour former le personnel de la Cinémathèque qui s’est ensuite rendu au Japon, au National Film Center, en 2008, afin de profiter de l’expérience japonaise. Les deux premières restaurations, celles de La romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai (Huang Sha et Sang Hu, 1954) et Dragon Beard Ditch (Xian Qun, 1952) furent lancées en 2008. La première achevée fut La romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai11 dont une copie avait été récupérée au dépôt de Xi’an. Le film restauré fut projeté à la 9.– De décembre  1984 à février  1985, lors de la rétrospective consacrée au cinéma chinois par le Centre Georges Pompidou et la Cinémathèque française. 10.– State Administration of Radio, Film and Television. 11.– Le film, adapté d’une légende populaire, fut le premier film chinois de République populaire à être diffusé en France.

La Cinémathèque chinoise à l’heure de l’ouverture politique et du numérique

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Cinémathèque à l’occasion du cinquantenaire de l’institution. La restauration de Dragon Beard Ditch, entreprise par la Hualong Film Digital Production Company et la China Film Group Digital Production, fut terminée quelques mois plus tard. D’autres restaurations sont actuellement en cours, notamment celles de La romance d’un marchand ambulant (Zhang Shichuan, 1922), de The Naval Battle of 1894 (Lin Nong, 1962) et de Song Of Youth (Cui Wei, 1959).

Les DVD L’avènement du numérique et le développement des formats VCD puis DVD (depuis le début des années 2000) a aussi permis l’édition de nombreux films chinois anciens. La Cinémathèque chinoise a participé à ces sorties sous format numérique en fournissant une partie de ses copies à des maisons d’édition. Parmi les différentes collections de VCD ou DVD, la plus complète fut celle intitulée «  Début du cinéma chinois  », éditée par la société Beauty Culture Communication, avec 80 films des années 1920 à 1940. Cette édition comportait des films déjà connus comme Romance d’un marchand ambulant (Zhang Shichuan, 1922) et La chambre de l’ouest (Hou Yao, 1927), des « classiques » tels que La divine (Wu Yonggang, 1934), La route (Sun Yu, 1934), Les anges du Boulevard (Yuan Muzhi, 1937) et Printemps dans une petite ville (Fei Mu, 1948), ainsi que quelques films de la période de l’occupation japonaise comme Wu Zetian (Fang Peilin, 1939) et Le rêve dans le pavillon rouge (Bu Wancang, 1944). Mais la Cinémathèque avait aussi fourni des copies de films plus rares, dont certains étaient auparavant considérés disparus, notamment Voisins écœurants (Ren Pengnian, 1933) et Regrets éternels (Fei Mu, 1948). Les copies de ces films n’étaient malheureusement pas restaurées et certains VCD étaient de très mauvaise qualité. Depuis, d’autres maisons d’édition ont sorti ces films en DVD. Il est ainsi aujourd’hui possible de trouver dans le commerce un nombre important de films qui étaient encore très difficiles d’accès il y a quelques années.

Un bilan contrasté Malgré la multiplication des collaborations avec des institutions étrangères et l’organisation de quelques rétrospectives en Chine, la collection de films de la Cinémathèque chinoise reste trop peu exploitée. La Cinémathèque organise peu, voire pas du tout, de projections quotidiennes destinées au public. En effet, hormis les rétrospectives, les projections sont réservées aux films étrangers et aux films commerciaux chinois récents. Les principales raisons de cette situation résident sans doute dans la lourdeur administrative d’une telle institution et dans la volonté d’attirer le plus large public possible. La Cinémathèque est ainsi assise sur un trésor qu’elle n’exploite pas assez, de nombreux films qu’elle possède dans ses collections et qu’elle dévoile au compte-gouttes étant introuvables ailleurs.

De plus, les films politiquement sensibles, comme La vie de Wu Xun12, sont toujours précieusement gardés à l’écart du public chinois, en attendant l’autorisation de leur exploitation. Cependant, l’apparition depuis quelques années, dans certaines rétrospectives, de films chinois considérés disparus ou n’ayant pas été montrés au public depuis très longtemps, ainsi que les programmes de numérisations de documents et de restaurations de films, montrent que la Cinémathèque chinoise ouvre peu à peu ses archives et est prête à répondre à l’intérêt croissant porté à l’histoire du cinéma chinois.

12.– Critiqué par Mao Zedong à sa sortie en 1951.

Nouvelles formes de collaboration entre chercheurs et institutions patrimoniales : les projets ANR par l’exemple de Cinémarchives Giusy Pisano La création, en 2007, de l’Agence nationale de la recherche (ANR), établissement public, a permis de nouvelles formes de collaboration entre chercheurs et institutions patrimoniales. L’objectif principal de l’agence est de développer des projets de recherche en les finançant. Au premier regard, les projets en biologie, ingénierie, énergie durable et développement, sont bien évidemment majoritaires. Le cinéma trouve cependant une place de choix dans le secteur « Sciences humaines et sociales  », dans la rubrique «  La création  : processus, acteurs, objets, contextes ». Là aussi, il semble que les projets relatifs aux archives sont assez réduits. Nous comptons deux en 2010 : celui piloté par Béatrice de Pastre et Dimitri Vezyroglou sur les questions posées par la restauration du film Pivoine (André Sauvage, 1929), et Cinémarchives, sous la direction de Marc Vernet. La majorité des projets « cinéma » sont plutôt orientés vers des questions d’esthétique, bien qu’à l’intérieur de certains projets – nous pensons notamment à celui de l’Université de Rennes 2, intitulé « Filmer la création » –, des axes d’étude, s’appuyant sur les archives, sont possibles. Malgré ce tableau mitigé, la création de l’ANR constitue une excellente opportunité (tant pour les chercheurs que pour les institutions patrimoniales) qui n’a pas été assez exploitée par les uns comme par les autres pour les raisons suivantes : avant tout, le peu d’intérêt porté par les chercheurs aux archives filmiques et leur intérêt, encore moindre, concernant le non-film. Néanmoins, l’existence même de quelques projets orientés vers les archives cinématographiques témoigne peut-être d’un changement, certes encore limité, mais prometteur. À ce sujet, nous prendrons ici l’exemple du projet Cinémarchives auquel nous avons collaboré.

Cinémarchives : un cas exemplaire

Ce projet agréé en décembre  2007 réunit des chercheurs, des universitaires, des étudiants de master ou de doctorat, et des archivistes des institutions 55

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suivantes  : l’Université de Paris Diderot-Paris  7, l’École normale supérieure (ARIAS), l’Université Paris  3, la Cinémathèque française, l’Université Paul Valéry et l’Institut Jean-Vigo. Les objectifs de Cinémarchives se résument en quatre points  : contribuer à une meilleure définition des documents «  papier  » du cinéma conservés dans les archives, bibliothèques et cinémathèques (typologie, catalogage, indexation), à une meilleure contextualisation de ces documents dans l’histoire du cinéma, l’histoire des métiers et des techniques du cinéma, contribuer à une visibilité et une accessibilité accrues de ces documents pour les chercheurs, et finalement, participer à la valorisation scientifique de ces ensembles documentaires. Le projet porte sur des documents (essentiellement des fonds d’archives dites « non-film ») conservés par des centres d’archives, la plupart du temps catalogués, mais inexplorés. Deux types de fonds ont été retenus : le fonds d’archives de la Triangle (19151918), conservé à la Cinémathèque française, et les fonds documentaires de trois décorateurs de cinéma (Lazare Meerson, Serge Pimenoff de la Cinémathèque française et Max et Jacques Douy de l’Institut Jean-Vigo). Cependant, au cours des recherches, d’autres institutions ont été sollicitées aussi bien en France qu’aux États-Unis. Au terme de trois années de recherche en étroite collaboration avec des chercheurs et des archivistes, un travail de valorisation et de contextualisation des fonds déjà catalogués a été mené grâce à des journées d’études, des publications, des communications dans des colloques internationaux, et par le biais d’un site internet (cinemarchives.hypotheses.org). Ce dernier se présente comme un «  carnet de recherche  », une forme d’échange assez novatrice en France (lors de sa création, en 2009) et qui est ensuite peu à peu entrée dans les mœurs de publication de résultats de recherche. De plus, le travail sur la Triangle a permis une analyse portant sur vingt-trois films, dont deux ont été restaurés. Là aussi, la collaboration avec la Cinémathèque française a été très constructive. Après ces préliminaires sur le programme Cinémarchives, la présentation d’un cas particulier devrait permettre d’illustrer les résultats de cette recherche collective  : il s’agit du fonds Pimenoff, dont la valorisation et la contextualisation ont été possibles seulement après un long travail d’exploration, voire après son inventaire.

L’exhumation du fonds Serge Pimenoff Les archives – carnets et maquettes – de Serge Pimenoff intègrent les collections de la Cinémathèque française le 6 avril 1961 dans des conditions quelque peu turbulentes puisque cette acquisition a d’abord fait l’objet de tractations entre Madame Pimenoff et la Cinémathèque française. En effet, d’après Pierre Barbin qui cite les Archives nationales de Fontainebleau, la Cinémathèque française, après avoir pris possession de la collection, n’aurait pas respecté les promesses faites à la veuve Pimenoff : l’achat et la cessation des droits pour une somme «  de mille nouveaux francs comptant, et la constitution d’une rente

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viagère mensuelle de quatre cents nouveaux francs1 ». Il s’en suit une mise en demeure, déposée par Maître Dreyer-Dufer le 12 juillet 1961, à l’encontre de la Cinémathèque française, afin d’obtenir que ces engagements soient respectés. Madame Pimenoff obtiendra gain de cause suite à cette initiative, également accompagnée d’une intervention du Centre national de la cinématographie. Un document conservé dans les archives administratives de la Cinémathèque française daté du 25 novembre 1961, fait état d’une solution amiable trouvée entre les deux parties : un chèque de 25 000 NF à l’ordre de Madame Pimenoff. Nul doute que le désir convulsif d’Henri Langlois de sauvegarder tout ce qui de loin ou de près avait trait au cinéma, pouvait aboutir à des démarches qui n’étaient pas toujours conformes aux règles… Quoi qu’il en soit, ce fonds tout à fait exceptionnel est aujourd’hui sauvegardé, intact et accessible aux chercheurs. En effet, compte tenu que la mort de Serge Pimenoff, le 21 mai 1960, et l’entrée de la collection, le 6 avril 1961, eurent lieu à des dates très rapprochées, nous pouvons supposer que le classement de la collection et son achat par la Cinémathèque française avaient été établis bien avant la disparition du décorateur. Les pièces qui composent la documentation ont été soigneusement collées et annotées dans des carnets par Pimenoff lui-même, tout comme les annotations sur les maquettes. En fin de carrière, Serge Pimenoff prit conscience de la valeur de son travail et de l’intérêt qu’on pourrait y porter par la suite. La mémoire de son travail a ainsi été préservée grâce à ce pressentiment. Dix-neuf carnets et huit cent quarante-cinq maquettes permettent de retracer ce travail. Du point de vue documentaire, une partie des archives a été traitée – les dessins – et le reste est en cours de traitement. Les carnets comportent des documents exceptionnels susceptibles d’intéresser plusieurs axes et domaines de recherche. D’une manière générale, les recherches sur l’histoire du cinéma français portant sur la période 1920-1950 découvriront dans ce fonds des archives inédites. Les études sur l’apport fondamental des techniciens et artistes étrangers à la réalisation de films français de la même période, notamment pour déterminer l’apport esthétique des Russes dans la conception des décors du cinéma français, trouveront ici un fonds incontournable. Le fonds Serge Pimenoff donne accès à une précieuse documentation sur le métier de décorateur à une époque donnée  : les étapes, les sources d’inspiration, les contraintes, les relations avec le reste de l’équipe, l’étude historique et esthétique de l’espace au cinéma à travers l’étude des matériaux en amont (le travail de repérage et de construction) et en aval (les films). Toutes ces questions peuvent être analysées à partir des pièces qui composent ce fonds. Enfin, l’histoire du spectacle peut être également concernée par ce fonds, notamment par deux carnets étant consacrés l’un à la Foire de Vincennes dans les années 1950 et l’autre, au cirque. En plus de ces axes, la sélection d’images très symboliques opérée par Serge Pimenoff en vue des décors destinés à un film et qui répondent 1.– Pierre Barbin, La Cinémathèque française  : inventaire et légendes (1936-1986), Paris, Éditions Vuibert, 2005, p. 91.

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à un imaginaire collectif, constitue une source précieuse pour les recherches iconographiques et anthropologiques. Depuis juin  2011, la présentation de ce fonds est désormais accessible en ligne2, par le biais d’une section du site de la Cinémathèque française entièrement consacrée à ce décorateur. Sont offerts à l’internaute l’analyse de la typologie générale des archives (archives papier, croquis, maquettes, photographie, etc.), des études plus détaillées d’un seul document, une histoire des évolutions des techniques du décor au cinéma à travers un documentaire qui relie l’expérience de Serge Pimenoff à celle d’artistes contemporains ( Jacques Bufnoir, Jean‑Jacques Caziot, François de Lamothe), tout en mettant de l’avant sa propre méthode. C’est sur cet aspect que nous voudrions porter notre attention afin de souligner l’intérêt des recherches sur les archives pour l’histoire du cinéma ainsi que pour son esthétique.

La méthode Pimenoff à travers Les Misérables : du texte à l’adaptation à l’écran Parmi tous les décors de films réalisés par Serge Pimenoff, ceux pour Les Misérables de Jean‑Paul Le Chanois (1957) constituent sans nul doute son œuvre la plus aboutie et la plus complexe. Les presque quatre heures qui composent ce film donnent une place d’honneur aux décors et, avant tout, à ceux de la ville de Paris, au cœur du texte de Victor Hugo. Outre ce travail de reconstitution – important en soi, car il permet de connaître les méthodes de travail de Pimenoff, ainsi que ses relations avec Le Chanois –, ce film est un cas intéressant : il nous permet d’analyser la portée du regard « distancié » qu’a un émigré russe sur la ville de Paris dans l’adaptation d’un monument de la littérature française, ceci pour un film jugé médiocre par la critique « savante », mais qui a également reçu des louanges unanimes pour sa « fidélité » au texte de Victor Hugo. Dans le fonds Pimenoff, le carnet ALB 221 est entièrement consacré au film Les Misérables ; plus de 200 pages composent les annotations du décorateur. D’emblée, lorsqu’on analyse ces notes, on est frappé par la minutie des recherches iconographiques faites en vue de la reconstitution en studio des quartiers mentionnés par Victor Hugo. Pour parvenir à ce résultat, Pimenoff a effectué des recherches dignes d’un archéologue. Par ailleurs, l’analyse des pièces qui composent la documentation de Pimenoff, combinée à la genèse du texte des Misérables à travers le manuscrit même et aux documents annexes conservés à la Bibliothèque nationale de France, au Musée Carnavalet et à la Maison Victor Hugo, mettent en évidence des similitudes dans la méthode employée par l’écrivain et le décorateur pour retrouver les traces et les indices du « Paris disparu ». Pourtant, dans les deux cas, ce Paris est décrit avec bon nombre de détails foisonnants. Et ce, malgré la transformation œuvrée par le baron Haussmann, par le regard distant d’un exilé à Guernesey et celui d’un 2.– En ligne : (page consultée le 18 octobre 2011).

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émigré russe à Paris. Comme nous le verrons, des parallélismes troublants sont à remarquer entre la réception du texte et la réception des décors du film. Commençons donc par la méthode hugolienne.

Choses vues, choses lues : la méthode de Victor Hugo Un dessin à la plume de Victor Hugo met en scène ensemble l’actualité internationale et un homme à l’œil hypertrophié observant, à travers la lucarne d’une lanterne magique, Constantinople. Hugo symbolise, certes, le pouvoir de ce dispositif technique, mais il souligne également le caractère illusoire des vues qu’il propose : c’est avant tout l’œil démesuré qui permet de voir ce qui n’est pas accessible. Ce dessin de Victor Hugo suggère, en définitive, la « fièvre de vision3 » qui hante le XIXe siècle. Non pas que ce siècle ait inventé la relation de l’image à la littérature, mais comme l’affirme Philippe Hamon, le XIXe siècle a modifié profondément et radicalement cette relation en inventant, ou en mettant au point, ou en industrialisant, ou faisant circuler, ou en généralisant dans des proportions radicalement nouvelles une nouvelle imagerie – terme qui se généralise au XIXe  siècle  – faite de nouveaux objets et de nouvelles pratiques4. Plusieurs travaux, dont un colloque organisé en septembre 2002 au Musée d’Orsay, intitulé « L’œil de Victor Hugo », ont mis en évidence la relation entre l’écriture hugolienne et l’image. Les microscopiques descriptions qu’Hugo fait de la ville de Paris puisent dans toutes les images cumulées par son expérience visuelle : tableaux, gravures et estampes évoquant un passé tributaire des canons esthétiques reconnus, mais également images proposées par les médias les plus modernes (la photographie, la presse illustrée, les lithographies) représentant un monde entre passé et présent. Hugo n’a pas pour autant eu directement recours aux instruments d’optique (nous savons, par exemple, que tout en côtoyant de près la photographie, il n’a jamais lui-même réalisé de prises de vue). Et cependant, comme l’affirme David Charles : Médiatisée dans la saisie du réel, la vue de Victor Hugo l’est pourtant – mais comme celle de tout écrivain – par les textes des autres, littéraires, scientifiques ou de voyage, et les images, tableaux, affiches ou réclames qui interposent, entre cette vue et le réel, un « déjà-vu » ou « déjà lu » ramenant l’expérience visuelle au déploiement d’une culture constituée en dehors d’elle5. L’écrivain est bien conscient de cette impossibilité de séparer l’expérience visuelle –  la vue  – de la culture qui la constitue –  le regard. Il en fait même son programme. Ses modèles iconographiques l’attestent6 ; ses textes, nourris de 3.– Jacques Aumont, L’œil interminable, Paris, Séguier, 1995, p. 43. 4.– Philippe Hamon, Imageries. Littérature et images au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2001, p. 13. 5.– David Charles, « Instruments d’optique », L’Œil de Victor Hugo, Actes du colloque tenu du 19-21 septembre 2002, Musée d’Orsay/Université de Paris 7, Paris, Éditions de Cendres/Musée d’Orsay, 2004, p. 29. 6.– Parmi les travaux portant sur cet aspect, citons le texte de Valérie Sueur-Hermel, « De l’imagerie

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toutes les imageries que son époque propose, y compris optiques, en témoignent, tout comme sa volonté de léguer à la Bibliothèque nationale tout ce qui a été écrit et dessiné par lui-même. Rappelons aussi qu’avant même la publication complète des cinq parties qui composent Les Misérables, des illustrateurs s’inspirèrent de ses personnages pour proposer au public des portraits types de Parisiens, portraits qui connaîtront une large diffusion grâce, notamment, à la photogravure.

La réception de la méthode hugolienne Adèle Hugo écrit depuis Paris à son mari en exil : « Le livre est dans toutes les mains ; les personnages devenus types sont déjà cités à toute occasion et à tout propos. Les Images de ces personnages sont à toutes les vitrines des marchands d’estampe7.  » Par ailleurs, l’aspect visuel du roman a déjà été souligné par les premiers commentaires critiques dès sa publication. Paradoxalement, cet élément est tantôt jugé comme l’une des grandes valeurs du livre, tantôt comme son défaut. Dès 1862, la Revue des deux mondes publie un très long article sur Les Misérables. Les parallélismes avec les images abondent ; en citant les descriptions de Victor Hugo on pouvait lire  : «  […] un paysage d’aspect misérable et lugubre qui est décrit en quelques traits où l’on reconnaît le maître dans l’art de peindre  ». Ou encore, à propos d’un dialogue entre les deux jeunes étudiants Favorita et Blancheville, et le geste de ce dernier : « Voilà bien une pose de vingtième année et que les jeunes lecteurs reconnaîtront. La pose est vraie, vivante, et pourrait se traduire aisément par le crayon. C’est un dessin tout trouvé pour Gavari, avec une légende toute faite8. » Bien moins positive, la critique de L’année littéraire et dramatique parue en 1863, est ainsi formulée : « Quelques coups de pinceau, dignes de M. Victor Hugo, révèlent à peine un tableau esquissé vingt fois par des romanciers de second ou de troisième ordre9. » À propos de la bataille de Waterloo, on note la critique suivante : […] dix-neuf chapitres nous arrêtent devant ce terrible spectacle : dix-neuf tableaux où les lieux, les hommes et les faits sont reproduits avec une puissance de fascination que les arts plastiques envieraient à la poésie. Jamais aux maîtres du noir et blanc : l’estampe au cœur du musée imaginaire de Victor Hugo », L’Œil de Victor Hugo, op. cit., p. 109-147. 7.– « Lettre d’Adèle Hugo à Victor Hugo », 11 mai 1862, dans Victor Hugo, Œuvres complètes, Jean Massin (éd.), Paris, Le Club français du livre, 1969, tome XII, p. 1169. La première partie du roman est sortie le 30 mars à Bruxelles, le 4 avril à Paris, les deuxième et troisième le 15 mai, les quatrième et cinquième le 30 juin. Gustave Brion, premier illustrateur des Misérables, a vraisemblablement commencé à travailler sur la planche illustrant les personnages du roman, bien avant la sortie des quatrième et cinquième parties. En 1864, une édition illustrée sera proposée par l’éditeur officiel du roman, Jules Hetzel, associé pour l’occasion à Albert Lacroix et avec l’accord de son auteur. Par la suite, les éditions illustrées se multiplient, jusqu’à nos jours. Voir à ce propos : Vincent Gille, « Gustave Brion, premier illustrateur des Misérables », dans Les Misérables, un roman inconnu ?, Paris, Paris-Musées, 2008, p. 202-209. 8.– Émile Montégut, « Les Misérables », Revue des deux mondes, vol. 32, n° 3, 1862, p. 138. 9.– Gustave Vapereau, « Roman », L’année littéraire et dramatique, 5e année, 1863, p. 45.

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peut-être M. Victor Hugo ne s’est montré plus grand peintre. L’historien et le philosophe auraient bien à faire leurs réserves sur certaines appréciations jetées au milieu de cette description épique10. On reproche à Hugo cette « hardiesse, d’autres diront : cette grossièreté11 » de « déposer du sublime dans l’histoire à coups de peinture » et d’oublier « de plus en plus l’action pour les peintures et les études de mœurs […]. Cette peinture est originale  ; mais elle n’a aussi qu’un rapport éloigné avec l’action12  ». Ses confrères écrivains ne l’ont pas non plus épargné. Citons simplement à ce propos les frères Goncourt qui affirmaient que l’écriture du roman ayant la prétention de rivaliser avec la peinture, elle aboutit à une « poésie peinte, empâtée […] à un lyrisme friperie13 ». Et plus tard, ils écrivaient : « “Hugo a des idées sur tout”, dit quelqu’un à notre table. “Des idées, non, des images ‘seulement’”, reprend l’autre14.  » Enfin, les critiques portent également sur la longueur du roman, mais aussi sur sa complaisance avec les révolutionnaires, comme on pouvait le lire dans Le Monde du 17 août 1862 : « […] on ne peut lire sans dégoût invincible, tous les détails que donne Victor Hugo de cette savante préparation des émeutes. » Or, si les commentaires de chroniqueurs de l’œuvre de Victor Hugo, passés ou présents, sont empreints d’images – peu importe la valeur positive ou négative qu’on lui accorde –, c’est que la représentation du réel sur laquelle ils glosent, tout comme les dessins du poète, n’a pas comme référent un « réel » direct, mais les diverses représentations offertes au regard, notamment lorsque ce réel est lointain et donc insaisissable, comme la Constantinople évoquée dans le dessin plus haut cité. Toutes les choses « dont tout le monde parle [….] que tout le monde visite […] que tout regard effleure15 », sont traduites par Hugo sous forme d’écritures donnant un «  vaste miroir reflétant le genre humain  », une lecture microscopique telle que la vue offerte par des appareils d’optique. C’est ainsi que le microcosme du couvent des Misérables est présenté comme « un des appareils d’optique appliqués par l’homme sur l’infini ». La lucarne par laquelle le lecteur a accès au monde décrit dans le roman de Victor Hugo est celle de ses représentations photographiques, picturales, architecturales, textuelles, caricaturales, et médiatisées par le regard sélectif de l’écrivain et par ses souvenirs personnels. Il faut souligner ce dernier aspect : Victor Hugo, dont la minutie dans les détails historiques est notoire (au point d’envoyer depuis l’exil des questionnaires à ses informateurs afin d’établir une topographie exacte de Paris16), ne sous10.– Ibid., p. 51. 11.– Ibid., p. 53. 12.– Ibid., p. 59. 13.– Frères Goncourt, Journal, mémoire de la vie littéraire, 29  octobre 1862, tome  II (années 1862-1865). 14.– Frères Goncourt, Journal, mémoire de la vie littéraire, 23 mai 1882, tome VI (année 1878-1885), p. 199. 15.– Victor Hugo, Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, collection « Bouquin », 1987, volume « Voyages », p. 3. 16.– Notamment, à Théophile Guérin. Voir Bernard Leuilliot, Victor Hugo publie « Les Misérables », Paris, Klincksieck, 1979.

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estime pas pour autant la dimension affective que l’image possède. Il en mesure son impact en ces termes : « Comment une petite estampe encadrée de noir, accrochée au-dessous d’un lit d’un enfant, devient pour lui, quand il est homme, une grande et formidable vision17. » Les descriptions de la ville de Paris composant les trois quarts des Misérables, sont, de fait, nourries par les images enfouies dans la mémoire. Rappelons que lorsque Victor Hugo entame cette partie, en 1860, il est non seulement loin de Paris – déjà en exil depuis 1851 –, mais la ville elle-même a subi un bouleversement majeur entre 1850 et 1860 : sous l’impulsion de Napoléon et sous le contrôle du baron Haussmann et de son équipe, les grands travaux de modernisation de la ville ont débuté en 1852. Or, le roman parcourt l’histoire parisienne de 1815 à 1833, c’est-à-dire une histoire d’autrefois. Hugo ignorait le Paris nouveau et celui du passé ne pouvait que resurgir de ses souvenirs, par le biais d’images qui l’avaient fixé. Il l’explique par ces quelques lignes dans LesMisérables : Voilà bien des années déjà que l’auteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis qu’il l’a quitté, Paris s’est transformé. Une ville nouvelle a surgi qui lui est en quelque sorte inconnue […]. [I]l ignore le Paris nouveau, et il écrit le Paris ancien devant les yeux dans une illusion qui lui est précieuse18. Ainsi, l’écrivain puise dans ses souvenirs des Barricades de 1848 pour décrire celles de 1832 évoquées dans le roman ; il utilise aussi la documentation fournie par le procès des vingt-deux accusés ayant combattu à la barricade de SaintMerrie19. Il s’inspire du Couvent des Bénédictins du Saint-Sacrement pour décrire le couvent imaginaire du Petit-Picpus. Pour la topographie de ce dernier, il utilise le livre d’Hendi Sauval, Histoire et recherche des Antiquités de la ville de Paris (posthume, 1724), celui de Jacques Du Breul, Les antiquités de la ville de Paris (1640), Histoire de la ville et tout le diocèse de Paris de l’abbé Jean Lebeuf, ainsi que, comme le signale Victor Hugo lui-même, les souvenirs personnels de sa maîtresse Juliette Drouet, pensionnaire au couvent des Dames de SainteMadeleine entre 1816 et 1821. On pourrait en dire autant des gravures et des estampes qui ravivent la mémoire d’un Paris dont l’exil avait estompé l’image. Son Gavroche fait écho au Titi le talocheur de Joseph Traviès de Villers20 : « En franchissant ce seuil magique, il se transfigure ; il était le gamin, il devient le titi. […] Le titi est au gamin ce que la phalène est à la larve, le même être envolé et planant21. »

17.– Victor Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, Paris, Édition Nelson, 1863, p. 259. 18.– Victor Hugo, Les Misérables, New York, Charles Lassalle éditeur, 1862, deuxième partie, livre cinquième, p. 74. 19.– Danielle Chadych, « Une Ode à Paris », Paris au temps des Misérables de Victor Hugo, Musée Carnavalet, 10 octobre 2008-1er février 2009, p. 34. 20.– Charles-Joseph Traviès de Villers (1804-1859), Titi le talocheur, galerie physionomique, n° 26, lithographie coloriée, Musée Carnavalet. 21.– Victor Hugo, Les Misérables, New York, F.W. Christern libraire-éditeur, 1862, troisième partie, livre premier, p. 4.

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Une récente exposition sur Les Misérables, organisée en 2008-2009 au Musée Carnavalet, proposait également une mise en parallèle entre tableaux, estampes, caricatures, ouvrages historiques et descriptions de Paris dans le texte de Victor Hugo.

La vue et le regard de Serge Pimenoff empreints de la méthode hugolienne Le texte des Misérables à l’appui, Serge Pimenoff traduit par des croquis les objets et les lieux évoqués. Des recherches iconographiques complètent ces premières esquisses. Comme pour Victor Hugo, il a recours aux estampes (parfois les mêmes), à des plans de Paris de 1850 conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, à des cartes postales, à des reproductions de tableaux et surtout, éléments auxquels Victor Hugo n’a vraisemblablement pas eu accès, car presque contemporains à l’écriture de son roman, des photographies. Pimenoff a procédé à des repérages dans les lieux parisiens évoqués par Victor Hugo et encore visibles en 1956, comme en témoignent ses nombreuses photographies ou celles reproduites d’après les clichés de photographes tels qu’Eugène Atget (« Le Vieux Paris ») et Charles Lansiaux, ou de ceux d’agences comme l’Union photographique française. Par ailleurs, pour le « Paris disparu », il a eu recours à l’œuvre de Charles Marville. Rappelons que ce dernier, « le photographe de la Ville de Paris », avait été chargé par la Commission historique de Paris créée par Haussmann, de photographier, en 1865, les rues appelées à disparaître, puis, en 1877, les rues nouvelles. Les plus de 800 plaques réalisées par Charles Marville et conservées à la Bibliothèque historique de la ville de Paris ont constitué, pour Serge Pimenoff, une excellente source d’inspiration pour les décors cinématographiques du Paris de Victor Hugo. Malgré cela, le résultat esthétique de ses décors n’a pas fait l’unanimité.

La réception du film et de ses décors, « fidèles aux gravures et aux estampes de l’époque » La transcription visuelle du roman de Victor Hugo, complétée par les recherches iconographiques du décorateur, répondent également aux désirs du cinéaste, Jean-Paul Le Chanois, celui-ci voulant « non seulement être en accord avec le récit, mais le traduire visuellement à la manière de Victor Hugo22 ». Et il précise : […] j’ai compris qu’il fallait donner un ton, un style au film, qu’il fallait s’écarter d’une certaine réalité pour être vrai. Sur le plan de la couleur pas exemple considérant que l’époque des Misérables est celle de la gravure, j’ai demandé à mon chef opérateur Jacques Natteau, une prédominance du noir et blanc, enrichis de teintes douces, dans les tons de l’estampe23. 22.– « Interview avec Jean-Paul Le Chanois », Unifrance film. Fonds Jean-Paul Le Chanois, dossier Les Misérables, BIFI, Cinémathèque française, boîte 22-B14. 23.– Ibid.

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Or, si à la sortie du film, le public a apprécié ce point de vue du cinéaste et de son équipe, la critique, quant à elle, a été bien plus sévère. Tous les titres de l’époque saluent à l’unanimité la fidélité au texte du Victor Hugo, mais sur le plan de sa mise en scène, les commentateurs placent le film parmi les adaptations les plus décevantes. On lui oppose presque systématiquement –  même dans des articles bien plus récents – la version de Raymond Bernard. Pourtant, cette version a été celle de référence pour Le Chanois. Il en « admire la ferveur, la qualité et l’esprit24 ». Il a d’ailleurs participé, en tant qu’assistant, à cette version et certaines reprises et influences sont explicites dans son film de 1958, comme, par exemple, dans les plans observant la foule devenue incontrôlable. D’après la critique, il y a quatre grands défauts au film : il n’est qu’une illustration du livre d’Hugo, au point d’être trop proche du dessin au détriment de l’action ; Paris a été trahie par des décors en studio – et allemands de surcroît ; le film est complaisant avec les révolutionnaires ; finalement, la durée – quatre heures – est jugée trop longue pour tout spectateur « normal ». Dans Le Monde de 1958, sous la plume de Jean de Baroncelli, on pouvait lire : « Ce n’est pas du cinéma, au sens où nous entendons ordinairement ce mot, mais de l’illustration cinématographique. [Mais] il serait trop facile de se moquer d’un film qui n’est et ne veut être qu’une adaptation imagée de ce livre.25 » Dans Radio cinéma et télévision, on estime que « [l]e film de Jean-Paul Le Chanois n’est pas délirant. Il est même sage […] Ni franchement mélo, ni imagerie d’Epinal, ni pamphlet, cette nouvelle version des Misérables a tantôt le trait épais des bandes dessinées, tantôt le fin tracé des imageries romantiques26  ». Claude Mauriac, dans Le Figaro littéraire d’avril 1958, parle de « trahison de Paris », en raison du fait qu’on aurait pu tourner le film en décors réels : « Il paraît qu’on n’aurait pas pu tourner en décors réels : ce n’est pas si sûr, certaines des rues nommées par Hugo existent encore. Et il y a de toute façon dans Paris maintes anciennes façades, maintes vagues subsistances de vieux toits. » Puis, pour encore décrédibiliser le choix de Le Chanois et son équipe, Mauriac fait allusion à Berlin-Est, lieu où le film a été tourné. En réalité, le choix de ce lieu de tournage est le résultat des accords entre Pathé et la société berlinoise, la DEFA, qui possédait à l’époque les célèbres studios de Babelsberg où les conditions étaient propices à la construction des décors du quartier des barricades de Paris de 1832 et d’autres rues parisiennes27. Cependant, le choix de Berlin-Est pour un monument de la littérature française fut mal perçu. De fait, comme en témoignent les lettres que Le Chanois a envoyées systématiquement aux divers journaux, il a dû se défendre des insinuations politiques liées à ses sympathies avec le Parti Communiste français en montrant que ce choix était justifié, non seulement par des alliances économiques, mais aussi par des raisons strictement pratiques : impossible de simplement imaginer bloquer une ville comme Paris à la 24.– « Pourquoi je vais tourner les Misérables », Les lettres françaises, 16 janvier 1957, p. 1. 25.– Jean de Baroncelli, « Les Misérables », Le Monde, 20 mars 1958. 26.– « Les Misérables, l’illustration d’un chef-d’œuvre », Radio cinéma télévision, 30 mars 1958. 27.– Dans le fonds Jean-Paul Le Chanois (op. cit.), plusieurs pièces sont consacrées au tournage du film dans les studios de Babelsberg.

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circulation pendant plusieurs semaines. À cela, certains commentateurs (comme Charles Ford) ajoutent la place trop importante dans le film, de l’épisode des barricades… ce qui indique, selon eux, une volonté évidente de complaisance du cinéaste, tout comme Victor Hugo semblait avoir eu la même complaisance à l’égard de ces événements. Rappelons qu’au moment du tournage du film, la guerre d’Algérie et la fameuse semaine de barricades ne sont pas loin, et que le film sort sur les écrans deux mois avant la grande manifestation à Paris du 28 mai 1958, rassemblant toute la gauche pour s’opposer à l’investiture du général de Gaulle. Ces événements (qui de fait, ont eu une influence sur les critiques du film) mis de côté, les choix esthétiques et les partis pris de Le Chanois ne pouvaient pas avoir la faveur d’adeptes de genres aux règles bien établies. Avant même le premier tour de manivelle, son projet était, paradoxalement, tout à la fois personnel et à ce point proche de l’esprit du roman qu’il serait possible de remplacer le mot « film » par le mot « roman » pour retrouver le projet de Victor Hugo : Ce ne sera pas un film historique, mais on y verra de l’histoire. Ce ne sera pas un film de reconstitution, mais on y verra le Paris d’autrefois. Ce ne sera pas un film de costumes, mais on y retrouvera une époque. Ce ne sera pas un film colorié parce que « c’est la mode », mais un film où la couleur apportera au sujet ses éléments indispensables, de même que le cinémascope lui apportera la large fenêtre par où passera le souffle de la grandeur et de la générosité28. Et lorsque le film sort sur les écrans, en réponse aux critiques, il écrit : « Je ne discute pas les appréciations des décors, leur interprétation, leur style, que j’ai voulu, avec mes collaborateurs, fidèles aux gravures et aux estampes de l’époque29. » Certains articles semblent avoir saisi tout l’enjeu de ce choix. Dans Combat du 17 mars 1958, on peut lire : Le Chanois et ses collaborateurs ont choisi la méthode la moins critiquable de toutes. […] Ils ne tentent jamais de nous mettre dans l’action. Un commentateur file l’histoire citant le plus souvent le texte réel, ne craignant donc ni les digressions ni les descriptions. L’image montre l’essentiel, comme une belle gravure en hors-texte. Si l’on pouvait douter de ce parti pris, le travail de Pimenoff le confirmerait. Il n’essaie que rarement de construire des décors « vrais » qui fassent croire à un vrai faubourg. Il donne plutôt corps et relief à un dessin, à un lavis, à une toile, parfois à une eau-forte colorée et douceâtre, comme le jardin des amours. […] Le Chanois n’essaie jamais de faire croire, il montre, ce qui est très différent : il trace des tableaux, il illustre30.

28.– Voir Fonds Jean-Paul Le Chanois, op. cit. 29.– Réponse du 12 avril 1958, de Jean-Paul Le Chanois, à l’article de Claude Mauriac paru dans Le Figaro littéraire, avril 1958. Fonds Jean-Paul Le Chanois, op. cit. 30.– Rodolphe-Maurice Arlaud, « Les Misérables », Combat, 17 mars 1958.

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Pourtant, le même article se termine sur une note négative, indiquant que « quatre heures c’est beaucoup ! » D’autres réactions, plus « militantes », seront également en faveur du film et mettront notamment en évidence la qualité du travail de Serge Pimenoff. Parmi elles, celles de Georges Sadoul ou des membres du Comité central du Parti communiste français, dont Maurice Thorez lui-même31. En définitive, la presse de l’époque fait état, par le biais de ce film, d’un débat plus général sur la question de la représentation d’une ville symbolique imprégnée d’Histoire et d’événements présents. Un débat qui n’a pas été suscité par sa mise en scène à l’écran, puisque le récit écrit l’avait déjà initié. En effet, presque un siècle avant la sortie du film, on avait déjà reproché au livre Les Misérables les mêmes défauts qu’à son adaptation à l’écran : du plus banal – la longueur – à la présence encombrante des images (pas assez d’action), en passant par la complaisance avec les révolutionnaires. Au regard des correspondances entre la genèse du roman et celle du film, ce n’est pas très étonnant. Le regard pictural distancié de Paris entièrement assumé par l’écrivain fut ensuite poursuivi par le décorateur et le cinéaste. Pour illustrer une époque, Victor Hugo avait nourri son écriture de toute l’imagerie dont il disposait, allant jusqu’à celle plus refoulée de l’enfant pour qui « une petite estampe encadrée de noir, accrochée au-dessous d’un lit d’un enfant, devient pour lui, quand il est homme, une grande et formidable vision32 ». Le décorateur Serge Pimenoff a trouvé ses sources d’inspiration pour représenter le Paris perdu imagé par l’écrivain, dans ces mêmes images et dans de nouvelles, comme, par exemple, la photographie. Quant à Le Chanois, il cherchait, par son film, à retrouver les souvenirs de lecture de l’édition populaire des Misérables (« dont les remarquables illustrations avaient servi pour les décors et les costumes33 »). Il écrit à ce propos : Heureusement, je m’aperçus assez vite que mes producteurs et moi nous ne parlions pas tout à fait le même langage. Pour eux il s’agissait de faire un grand film en couleur, en costumes, avec beaucoup de figuration […]. Ils faisaient appel à moi parce que j’avais la réputation d’être un bon travailleur […]. C’était le technicien qu’on appelait. Ce n’était pas, grandi, mûri, le lecteur des Misérables d’autrefois. Ce lecteur-là, j’étais le seul à le connaître, et c’était de lui que je voulais être digne. Il était mon premier spectateur34. C’est cette même édition illustrée des Misérables, dont plusieurs pages sont reproduites dans le carnet ALB 221, ainsi que l’ensemble des recherches iconographiques conservées dans le même carnet qui constituent la documentation utilisée par Serge Pimenoff pour des décors éveillant les souvenirs du lecteur et le plaisir du spectateur de cinéma.

31.– Voir le dossier de presse présent dans le Fonds Jean-Paul Le Chanois, op. cit. 32.– Victor Hugo, Le Rhin, op. cit., p. 259. 33.– Jean-Paul Le Chanois, « Pourquoi j’ai tourné Les Misérables », Europe, n° 394-395, février-mars 1962, p. 174. 34.– Ibid., p. 165.

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Au terme de cette recherche sur un fonds d’archives spécifique, nous sommes parvenus à la conclusion que l’étude approfondie d’un fonds inédit concernant tel ou tel autre décorateur de cinéma ne peut se limiter à l’analyse des documents présents dans le fonds en question. Ces documents bruts mis à disposition du spécialiste (étudiant, chercheur, praticien) sont loin d’être explicites. L’expérience montre que bien souvent, « [o]n n’y voit rien35 », que parfois, on y voit mais on n’y comprend rien, ou alors, on y voit trop bien, mais on ne sait pas comment le traduire. En effet, l’observateur fait le plus souvent face à des pièces totalement opaques, insignifiantes et loin de la réalisation d’un film : un croquis sans ni date ni titre, une lettre manuscrite sans destinataire, une liste de courses, une photographie anonyme, un reçu de frais à l’étranger, une phrase griffonnée sur le dos d’un menu, une carte postale, etc. Pourtant, même des pièces si peu « parlantes » peuvent éclairer sur les configurations sociales et les orientations esthétiques de leur auteur. De fait, l’analyse d’un fonds inédit requiert une méthode particulière qui n’aurait rien à envier à une enquête de Sherlock Holmes par laquelle l’observateur ne parviendrait à ses conclusions qu’au travers de la recherche du moindre élément documentaire. L’image qui nous semble la mieux adaptée à cette prospection est celle du tapis, où le dessin ne prend forme qu’au fur et à mesure du croisement des fils en tous sens. Si au début «  on n’y voit rien  », c’est par la persévérance et le plaisir –  le «  serio ludere » – qu’on parvient, en définitive, à voir quelque chose de la trame du dessin. Carlo Ginzburg a montré l’importance d’une attitude mettant en suspens toute connaissance antérieure du sujet abordé pour mieux atteindre une «  vérité  ». Pour Ginzburg, le temps de l’histoire est avant tout le temps du soupçon. Il en fait d’abord une affaire d’observation, de regard porté sur l’objet. Un regard oblique, donc attentif aux éléments qui pourraient sembler périphériques, que l’on peut atteindre seulement si une « mise au noir » intellectuelle préside au commencement de l’enquête. Carlo Ginzburg nous a appris que par le goût de la quête indiciaire, les détails les plus délaissés, les plus « dépourvus d’importance, voire franchement triviaux et “bas”, fournissent la clé permettant d’accéder aux productions les plus élevées de l’esprit humain36 ». Les histoires du décor de cinéma ne retiennent que les noms des grands chefs décorateurs : le stagiaire, l’aide et l’assistant, demeurent toujours dans l’ombre. Ces années de formation et collaborations sont pourtant très significatives quant aux formes et méthodes employées par le futur chef-décorateur. Le fonds d’archives du décorateur Serge Pimenoff démontre l’importance de ce long parcours d’initiation. Travail d’équipe par excellence, avec un atelier réunissant des menuisiers, des artistes-peintres, des « mouleurs », les staffeurs, le régisseur, l’ensemblier et son assistant, le métier de décorateur implique un long parcours d’initiation. Les archives font état de ce travail collectif que les théorisations « auteuristes » 35.– Daniel Arasse, Onn’y voit rien. Descriptions, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2005. 36.– Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces  ; morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989 [1986], p. 146.

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tendent à oublier ; elles soulignent également les imbrications entre méthodes, techniques et esthétiques. Nous l’avons constaté à travers l’exemple analysé ici : le fonds Pimenoff permet de reconstituer les méthodes de travail d’un décorateur et ses relations avec le cinéaste, mais il nous offre aussi des éléments inestimables pour déterminer les choix esthétiques d’un film et sa réception. Espérons donc que ces nouvelles collaborations entre chercheurs et institutions patrimoniales redonnent aux archives la place qu’elles méritent.

Deux exemples de restauration à la Cinémathèque québécoise : Kamouraska et Seul ou avec d’autres Pierre Jutras

Récit de la reconstruction du film Kamouraska

Pourquoi la Cinémathèque québécoise a-t-elle réalisé une reconstruction du film Kamouraska de Claude Jutra, tourné en 1972 et sorti au cinéma Saint-Denis à Montréal, le 29 mars 1973, dans une version de 124 minutes ? Parce que cette coproduction franco‑québécoise, impliquant Les productions Carle-Lamy, du côté québécois, et Parc Film (la société de Mag Bodard), du côté français, a plutôt mal tourné et que le réalisateur n’a pas disposé de toute la latitude nécessaire pour terminer son film comme il le souhaitait. Cette adaptation du livre d’Anne Hébert – qui a aussi collaboré à l’écriture du scénario avec Claude Jutra – a bénéficié du plus imposant budget jamais atteint jusque-là pour un film québécois (près d’un million de dollars), permettant financièrement à Claude Jutra de donner les rôles principaux à Geneviève Bujold et à Philippe Léotard. Au-delà de la reconstitution historique très réussie, Jutra s’intéresse au monde intérieur de son héroïne, Élisabeth d’Aulnières, et en utilisant systématiquement le flashback, tente de réanimer chez cette femme, devenue respectable et mère de nombreux enfants, la passion amoureuse qui jadis la déchira. La version du film, montée par Claude Jutra, est jugée trop longue par la productrice française Mag Bodard qui exige un remontage. Elle demande à Pierre Lamy de lui envoyer à Paris tout le matériel de tournage et engage la monteuse Renée Lichtig pour reprendre le montage du film. Voici un extrait d’une lettre de Pierre Lamy envoyée à Mag Bodard, le 27 juillet 1972, révélant son enthousiasme pour le montage de Jutra :

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J’ai vu cette semaine le premier montage des quarante premières minutes de Kamouraska. Il m’est très difficile de vous décrire combien j’ai aimé cette première partie. On y retrouve toute l’émotion ressentie à la lecture du roman et toute la qualité des personnages. Les personnes présentes, dont Jacques Dercourt, de Télécip à Paris, sont sorties estomaquées de ce visionnement. J’ai bien hâte que vous puissiez voir ce montage1. Malheureusement, cet emballement ne fut pas partagé par Mag Bodard quelques mois plus tard. Dans une lettre datée du 12 décembre 1972, elle écrit à Pierre Lamy : Hier en vous téléphonant, je vous ai senti un peu malheureux à l’idée qu’on vous prenne «  votre enfant  » –  de toute façon, Pierre, le film devait se terminer en France. Pour la coproduction vous savez qu’il était nécessaire que nous ayons une monteuse française. D’autre part, Claude Jutra nous a laissés entendre qu’il commençait à « tourner en rond » avec son montage et lui-même a eu le sentiment qu’un dépaysement ne pouvait être que profitable à ce film beaucoup, beaucoup trop long. Aussi, la seule différence que vous pouvez y voir c’est au lieu de renvoyer la copie là-bas on fait venir les chutes ici, qu’une monteuse proposée par Christian Ferry et avec laquelle Claude Jutra a l’air de bien « coller » se mette immédiatement au travail. C’est la seule façon à mon avis de faire avancer le film vite de manière à ce qu’il soit prêt pour le 15 mars. Claude vous dira de vive voix comment les choses se sont passées, mais de mon côté je puis vous dire que les réactions à la projection étaient, au bout d’un moment, d’un certain ennui, même si le film est très beau. Ne soyez pas triste, Pierre. Je crois qu’un œil neuf (j’allais même dire des yeux neufs) sur ce film nous apporteront (sic) beaucoup et finalement le changement d’aiguillage n’est pas très grand2 ! Pierre Lamy lui répond le 21 décembre : J’ai surtout été plus surpris et indécis que malheureux à l’idée que vous me preniez mon enfant Kamouraska. Comme vous avez pu le constater, je suis complètement d’accord que Claude et son assistante soient à Paris. Je suis également d’accords (sic) avec la cédule préparée par Philippe et j’ai confiance que vous mettrez tout en œuvre pour que le film soit complètement terminé pour le 15 mars3. De ce deuxième montage, il résulte une version de 124  minutes (la durée indiquée sur la déclaration en douane de la copie expédiée à Paris, le 30 novembre 1972, était de 165 minutes, probablement sans le générique de début et de fin) ; hélas, cette version amoindrit la présence du personnage féminin pourtant au cœur du roman et du scénario original, et n’a jamais plu à Claude Jutra qui a toujours voulu, par la suite, reconstruire sa première version. 1.– Fonds Pierre Lamy, Cinémathèque québécoise. 2.– Idem. 3.– Idem.

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Donc, en 1983, Claude Jutra reprenait le montage de son film pour en faire une version pour la télévision en quatre épisodes d’environ 52 minutes chacun, reproduite uniquement sur bande-vidéo pour Télé-Québec. Ce travail a permis à Jutra de revenir à son découpage original, avant l’intervention du coproducteur français. Dans le but de tirer éventuellement des copies 35  mm de cette version intégrale, Jutra avait commencé la reconstitution d’un négatif en dix-neuf bobines à partir de l’ancien négatif de la version courte dans lequel il avait inséré des scènes prises dans les chutes négatives et positives, conservées dans les réserves de la Cinémathèque. En 1984, Pierre Lamy avait déposé ce négatif inachevé à la Cinémathèque. Claude Jutra décède en 1986, sans avoir pu terminer son projet. En 1994, la Cinémathèque québécoise a pu faire tirer deux copies 35 mm de cette version longue de 173 minutes, avec l’accord du producteur Pierre Lamy et grâce à l’aide financière d’Astraltech Inc. et de Téléfilm Canada. Pierre Comte et Jacques Leroux (qui avaient travaillé sur la première version du film) avaient parachevé le négatif, Michel Brault avait supervisé l’étalonnage des copies 35 mm, et des travaux optiques et un nouveau générique avaient été réalisés chez Luminefex. Le 9  février 1995, cette version intégrale avait été présentée en première mondiale au Musée des beaux-arts de Montréal dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois, en présence de Geneviève Bujold, des acteurs et artisans du film. En 2009, le projet Éléphant, financé par Quebecor, a fait numériser en haute définition une des deux copies 35 mm de la Cinémathèque et, grâce à la technologie numérique, certaines imperfections ont pu être corrigées, les saletés nettoyées et l’étalonnage réajusté avec l’aide de Michel Brault. Cette copie numérique haute définition a été projetée le jeudi 3 septembre 2009, au Cinéma Impérial, dans le cadre du Festival des films du monde. Le film est maintenant disponible sur Illico (un service de télévision par câble et de vidéo sur demande).

La restauration de Seul ou avec d’autres

Ce premier film de Denys Arcand – coréalisé avec Denis Héroux et Stéphane Venne – est la deuxième restauration d’importance réalisée par la Cinémathèque québécoise, après celle du film Kamouraska de Claude Jutra. Seul ou avec d’autres est une production de l’Association des étudiants de l’Université de Montréal, tournée en 1961, dont tous les droits ont été cédés à la Cinémathèque en 2006. Depuis 1974, nous conservions les éléments de tirage (un négatif 16 mm, noir et blanc, et un son optique 35 mm) ainsi qu’une copie positive 16 mm en mauvais état. Le film méritait une restauration en bonne et due forme.

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Une restauration numérique complète  a été entreprise en 2008, grâce au Fonds Astral pour la restauration du Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada. Nous avons fait scanner en 2K le négatif original 16 mm et, grâce à la technologie numérique, les saletés, les rayures et les taches ont pu être nettoyées. Puis, ces images furent recopiées sur un nouveau négatif 35 mm, noir et blanc, et nous avons fait tirer de cet élément trois copies positives 35 mm, dont une avec sous-titres anglais. De plus, diverses copies sur support numérique ont été produites par la même occasion, dont deux HDCAM, deux Betacam numériques (dont l’une avec sous-titres anglais). Ce travail a été réalisé chez Vision Globale, sous la supervision de Michel Brault, le directeur photo du film. Donc en 1961, trois étudiants au début de la vingtaine parviennent à convaincre leur association de remplacer la traditionnelle revue satirique annuelle de leur université par la projection d’un film qu’ils tourneraient eux-mêmes. L’association étudiante vote en leur faveur un budget de 10 000 $, mais comme ils ne connaissent le cinéma qu’en qualité de spectateurs, ils font appel à quelques professionnels de l’ONF dont ils ont déjà entendu parler. C’est ainsi que Michel Brault devient leur directeur photo, Gilles Groulx, leur monteur et Marcel Carrière, leur preneur de son. Quant aux acteurs, ce seront leurs collègues étudiants. Le film est tourné en son synchrone, mais avec une caméra usuelle donc très bruyante, ce qui oblige Michel Brault à se tenir à une bonne distance des comédiens, d’où l’utilisation de longues focales et les nombreux changements d’objectifs à la tourelle. Gilles Groulx, au montage, conserve apparents quelquesuns de ces filés créés lors du changement d’objectif, ce qui donne un petit air d’avant-garde au film. Comme vous le savez tous maintenant, les membres de cette équipe marqueront chacun à leur façon le développement de la cinématographie québécoise. Le film a été présenté, en 1963, au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique, la même année que Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault. Je terminerai par une anecdote curieuse, mais assez habituelle dans le domaine des archives du film. Étant donné que la copie présentée à Cannes devait être sur support 35  mm, José Ména, du laboratoire Mont-Royal, avait procédé au transfert du 16  mm au 35  mm, image par image, à l’aide d’une Truca. On a cherché longtemps cette copie unique et elle fut enfin repérée, il y a deux ans, à la Cinémathèque universitaire de Paris qui la conservait bien discrètement et avec grand soin depuis tout ce temps.

La Cinémathèque québécoise : des collections, des questions et des défis Pierre Véronneau1 Chaque cinémathèque a son histoire. Celle de la Cinémathèque québécoise, fondée en 1963, porta d’emblée la marque de ses fondateurs, les uns au tempérament de collectionneurs tous azimuts, les autres militants pour la projection d’un cinéma international et de qualité dans un univers dominé par Hollywood et le commerce, regroupement fécond de cinéastes et de cinéphiles. La Cinémathèque avait dix ans lorsque j’y mis les pieds. Quinze ans plus tard, pour son vingt-cinquième anniversaire, on me demanda d’en retracer la chronique. Le chapitre « 1962 » de Cinémathèque québécoise, musée du cinéma. 25e anniversaire (1963-1988) s’ouvrait ainsi : Derrière toute cinémathèque, il y a une histoire d’amour et une volonté de démarcation. Amour du collectionneur, amour du cinéphile. Constat des carences des intervenants dans le champ de la culture cinématographique, constat des lacunes du milieu du cinéma même. L’histoire de la Cinémathèque québécoise ne déroge pas à ce modèle2. Longtemps, la Cinémathèque ne dérogea pas de son but initial de présenter des œuvres majeures de l’histoire du cinéma, de contribuer, par ses projections, ses expositions et ses publications, à l’éducation cinématographique et de refléter le dynamisme de la culture et de la pratique cinématographiques au Québec. Elle avait aussi pour objectif de créer des archives de cinéma, et d’acquérir et de conserver les films, ainsi que la documentation qui s’y rattache. Son personnel était plutôt composé d’autodidactes enthousiastes, possédant généralement une bonne culture cinématographique. Bien que la pellicule fût leur première préoccupation, personne n’avait de formation ou d’expérience en archives, 1.– Depuis 1973, Pierre Véronneau a occupé différents postes à la Cinémathèque québécoise. Au moment de sa retraite, en 2011, il était Directeur des collections. Il s’exprime ici à titre personnel. 2.– Francine Allaire et Pierre Véronneau (dirs), Cinémathèque québécoise, musée du cinéma. 25e anniversaire (1963-1988), Montréal, Cinémathèque québécoise, 1988.

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en muséologie ou en documentation. L’adhésion aux principes défendus par la Fédération internationale des archives du film (FIAF), en ce qui a trait au film, constitue le premier geste pour se doter de normes pour le traitement des collections. La construction en 1975 de « voûtes de conservation » marque un pas important pour la conservation des supports nitrate et acétate, couleurs ou noir et blanc, les autres collections ne bénéficiant toujours pas de conditions de conservation adéquates. Dans les années 1980, la situation évolue. La Cinémathèque procède à la rénovation de l’immeuble où elle vient de déménager. On y prévoit l’aménagement d’espaces dans lesquels on pourra mieux conserver les photographies, les affiches, les dessins d’animation et les autres éléments formant les collections qui furent constituées au cours des décennies. Progressivement, certains principes de conservation préventive sont implantés. Le gouvernement québécois confie à la Cinémathèque le Centre de documentation cinématographique de la Bibliothèque nationale du Québec. Conséquemment, les collections de documentation (livres, périodiques, coupures de presse, etc.) de la Cinémathèque s’enrichissent significativement et bénéficient d’une organisation exemplaire. C’est l’occasion, pour la Cinémathèque, de recruter pour la première fois du personnel (six personnes) spécifiquement formé pour le traitement de ces collections : bibliothécaire, archiviste, technicien en documentation. Pour fêter son 20e anniversaire, la Cinémathèque franchit alors des étapes importantes pour ce qui est de sa professionnalisation. Cependant, on ne peut pas dire que la Cinémathèque se soit, jusqu’alors, dotée de véritables politiques d’acquisition et de conservation. À partir du moment où il s’agit de pellicules et d’éléments qui se rapportent au cinéma, tout est susceptible d’entrer en collection. Pour ce qui est du film, on applique le principe de « tout ramasser », au cas où… Ainsi seront peut-être préservés des trésors de l’histoire du cinéma. Au final, la Cinémathèque appartient davantage à l’univers des collectionneurs qu’à celui des conservateurs/archivistes, et le principe structurant sa pratique est plutôt celui de l’accumulation. Mais un tel «  principe  » comporte bon nombre d’inconvénients, dont ceux de ne pas connaître le contenu des collections (elles ne sont pas vraiment inventoriées, ni cataloguées ou examinées en fonction de leur état). De plus, ces collections occupent un espace en perpétuelle expansion. En outre, l’entreprise de collection est confrontée aux nouvelles problématiques que soulève la conservation de la télévision et de la vidéo. Les images animées ne se limitent plus au cinéma et à la pellicule. Tel monsieur Jourdain, la Cinémathèque conservait, sans l’avouer, de la télévision dans la mesure où plusieurs émissions, produites ou existant en 16  mm, se retrouvaient en collection. Il est donc logique que le support vidéo dans son ensemble l’intéresse. Si certaines cinémathèques demeurent alors, et le sont souvent encore, fidèles au cinéma et à la pellicule, d’autres doivent se questionner, surtout si elles sont les seules à se préoccuper de leur patrimoine national.

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Or, au Québec, de plus en plus de producteurs et de cinéastes tournent en vidéo ce qu’auparavant ils auraient filmé sur pellicule. Les notions de cinéma et de film commencent à être remises en cause : doit-on restreindre ces notions à un support et à une technologie, tout supérieurs soient-ils  ? Le milieu du cinéma, traditionnellement proche de la Cinémathèque, produit en vidéo et s’attend à ce que ses réalisations puissent être entreposées comme auparavant. La Cinémathèque ne peut rester sur son quant à soi et ajoute aux œuvres qu’elle acquiert celles réalisées en vidéo, ainsi que, les éléments concernant la télévision et la vidéo. Cela se fait spontanément, presque arbitrairement, sans réelle politique d’acquisition et de conservation. Rapidement, les installations de conservation et d’entreposage de la Cinémathèque approchent le point de saturation, et on doit envisager un agrandissement. Celui-ci se concrétise en 1990. Sont ajoutés des chambres à la fine pointe de la conservation des pellicules et de l’espace pour les appareils, les archives et les accessoires qui s’y rapportent ; toutefois rien de spécifique n’est prévu pour les supports magnétiques. Devant le peu de bobines qu’elle conserve sur support nitrate, la Cinémathèque décide de s’en départir. Conséquence de l’accumulation tous azimuts : le nouveau centre de conservation se remplit rapidement, à tel point que la Cinémathèque doit louer un autre entrepôt qui ne répond cependant pas aux normes de conservation. On y logera ce qui semble le moins important. Pour ne pas trop perdre le contrôle des acquisitions (en croissance perpétuelle), la Cinémathèque se dote d’un système de catalogage informatique pour ses collections d’œuvres, de documents et d’éléments afférents au cinéma et à la télévision. Bien que ce système représente une amélioration par rapport aux fiches de carton, il ne répond pas tout à fait aux attentes de la Cinémathèque qui décide, au milieu des années 1990, de développer un système intégré permettant la gestion de toutes les collections sur une base relationnelle : films et vidéos, artefacts qui leur sont afférents et documentation. L’idée centrale de cette nouvelle base de données est que la majorité des éléments en collection se rapporte à une œuvre. On décide donc de créer un module appelé Répertoire où se retrouvent toutes les informations et les attributs permanents se rapportant à l’œuvre et à ses expressions (titre, titre des versions, réalisation, interprétation, pays de production, année de sortie, etc.). Autour de ce module s’intègrent quatre modules qui correspondent aux différentes collections  : film, collections afférentes au film, documentation, vidéos de consultation. La majorité des éléments des collections est ainsi conceptualisée comme expression et manifestation des œuvres, ce qui permet, par exemple, le rapprochement entre une œuvre de ses différentes versions, de ses divers formats et des documents qui lui sont afférents. De cette manière, la Cinémathèque s’inscrit dans la lignée des nouvelles spécifications de catalogage qui guident, depuis le tournant du XXIe siècle, le monde de la documentation et des sciences de l’information, et qui sont en train d’être adoptées pour les images animées.

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Parallèlement, on commence à questionner les politiques d’acquisition et de conservation, principalement du point de vue de l’espace qu’occupent certains éléments. La Cinémathèque veut privilégier les copies qui alimentent ses projections publiques : cinéma québécois et canadien, animation, œuvres muettes et classiques. Inversement, elle ferme la porte à ce qu’elle accueillait auparavant : les chutes positives, les chutes magnétiques et les éléments de mixage. On devient plus restrictif pour ce qui est du matériel de production ou divers (copie de travail, copie zéro, chutes négatives, etc.). Cette opération soulève quand même un certain nombre de problèmes comme, par exemple, l’utilisation de séquences retranchées au montage (souvent utilisées dans les DVD comme « bonus »), ou encore, la modification du statut d’images documentaires qui, une fois indexée, deviennent des plans d’archives. Il n’y a pas que les films et les vidéos qui font l’objet d’un questionnement. Le Centre de documentation – devenu Médiathèque Guy-L.-Coté – confirme certains choix en fonction de la langue des publications et de la nature de leur sujet. Par exemple, les ouvrages qui portent sur le contenu plutôt que la technique des films sont privilégiés. En fait, les premières politiques d’acquisition écrites adoptées par la Cinémathèque datent de la fin des années 1990 et font suite à la consolidation de toutes les collections afférentes au film (photographies, scénarios, dessins d’animation, disques, affiches, appareils, objets, archives textuelles, etc.) sous la responsabilité d’un même conservateur. Elles s’accompagnent de la volonté d’accepter uniquement des dons dans ces collections, et non plus des dépôts. Il s’agit là d’une politique opposée à celle qui s’applique aux œuvres de cinéma, de vidéo et de télévision. En effet, depuis le tout début, la Cinémathèque reçoit essentiellement des dépôts des producteurs, distributeurs, diffuseurs et cinéastes. Si elle peut penser ainsi sauvegarder des œuvres et se constituer un bassin de copies de projection pour sa programmation, la Cinémathèque (et les organismes qui la subventionnent) doit également reconnaître que tout le travail qu’elle consacre à ces copies (inventaire, catalogage, inspection, etc.) ainsi que toutes les dépenses afférentes à leur conservation (entrepôts, électricité, taxes, etc.) ne se transforment pas en réel enrichissement des collections. Le déposant peut, en théorie, retirer son dépôt sans encourir de frais pour toutes les années où la Cinémathèque en a pris soin. La situation se complique lorsqu’on regarde le statut des copies. Lorsque le propriétaire des copies est l’ayant droit originel, la situation de propriété est assez limpide, ce qui n’est pas le cas pour les copies appartenant à un distributeur ou un diffuseur, celui-ci perdant, à leur échéance, les droits qu’il a acquis pour un marché donné. Le statut problématique de plusieurs copies qu’elle conserve devient un obstacle lorsque la Cinémathèque veut se départir, pour quelques raisons que ce soit, de copies déposées. Il lui faut obtenir l’autorisation du déposant, ce qui peut s’avérer une épreuve ardue. Le renvoi des copies à une cinémathèque du pays dont elles sont originaires ou qui serait intéressée à les acquérir, ou encore, le renvoi à leur producteur n’est pas facile à mettre en pratique, bien qu’en théorie,

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cette démarche soit souhaitable. De nombreux obstacles se mettent au travers de la route, comme, par exemple, ceux de la prise en charge des frais d’expédition ou encore de l’identification des bons interlocuteurs. Avec un personnel réduit, la Cinémathèque ne peut consacrer toute l’énergie nécessaire à de telles opérations et les copies restent malheureusement souvent sur place. Toutes ces incohérences ont ressurgi en 2003 lorsque, pour faire face à ses problèmes d’espace et d’entrepôts débordants, et parce qu’elle était dans l’obligation de garantir un espace d’entreposage suffisant pour le dépôt légal qui lui serait bientôt confié, la Cinémathèque a lancé une opération inédite d’«  élagage  ». Celle-ci s’avéra assez facile pour les chutes et le matériel de tournage. Pour les éléments de tirage (par définition uniques), la solution s’imposait d’emblée : conserver le matériel essentiel à la reproduction complète et «  sécuritaire  » d’un film. Il faut préciser que, dans les collections de la Cinémathèque, cela ne vise essentiellement que les titres québécois et canadiens. Pour les copies de projection, la situation était plus délicate. La Cinémathèque statua, de manière technique, qu’il fallait : −−aliéner toutes les copies impropres à la projection, sauf s’il s’agit d’une copie unique, d’une autre version ou d’une copie dont les éléments de tirage ont disparu ; −−conserver un maximum de cinq bonnes copies de la version originale pour un film québécois et deux copies pour un film étranger ; −−dans le cas d’un film tourné en 35 mm dont la Cinémathèque aurait plusieurs copies 16 mm, en plus d’une bonne copie 35 mm, aliéner les copies 16 mm seulement si elles sont trop abîmées ou ont viré ; −−dans le cas de films tournés en 35 mm dont la Cinémathèque possède les éléments de tirage, ainsi que des copies 16 mm de mauvaises qualités (très rayées ou ayant viré), conserver au moins une copie ; −−pour les versions doublées, ne conserver qu’une bonne copie si la Cinémathèque possède déjà les versions originales ou sous-titrées ; −−pour les copies sous-titrées, les conserver toutes si elles sont de bonne qualité ; −−élaguer les bandes maîtresses sur support 2 pouces et 1 pouce dans la mesure où elles auraient été reproduites sur un meilleur support ; −−pour les copies en langues étrangères autres que l’anglais et sans sous-titres, les conserver si leur importance historique est évidente ou si elles font partie des priorités de conservation de la Cinémathèque (animation, documentaire) ; −−pour les versions doublées en français ou en anglais, ne conserver qu’une bonne copie si la Cinémathèque a déjà la version originale. J’ai toujours été insatisfait de ces décisions qui repoussaient à plus tard la nécessaire réflexion sur le contenu des collections. Leur mise en pratique sur une période de quelques mois ne m’a pas fait changer d’idée. Le mieux s’avérait l’ennemi du bien. J’étais particulièrement frappé par l’insistance mise à examiner les films étrangers avant leur élagage alors que nous n’avions jamais eu le temps

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de les examiner alors que nous devions les conserver. Cette démarche ne prenait pas en compte la disponibilité du personnel, les autres tâches à effectuer et le coût généré par l’examen d’un seul titre. D’ailleurs, après quelques mois, le nombre de titres traités laissait deviner que la Cinémathèque en aurait, à ce rythme, pour des décennies, d’autant plus que nous étions toujours devant le même problème : de larges pans de la collection cinéma et télévision n’étaient pas inventoriés (et je ne parle pas ici des collections afférentes). C’est pourquoi j’estime que la Cinémathèque doit se doter de critères d’acquisition clairs, à appliquer tant au matériel entrant qu’au matériel déjà entreposé, et qu’elle doit plutôt mettre son énergie sur l’examen et le catalogage de films québécois-canadiens ou d’animation (ce qui constitue le mandat premier de la Cinémathèque). Il ne faut pas se retrouver dans une situation absurde où les films secondaires (par rapport à nos collections) sont, pour des fins d’élagage, mieux examinés, vérifiés et catalogués que les films prioritaires. J’estime qu’il n’est pas dans le mandat d’une cinémathèque de conserver toute la production mondiale. Chacune fait des choix et établit ses critères de sélection. Ceux de la Cinémathèque sont connus. C’est à la lumière de ces choix que, pour les films étrangers, l’axe déterminant devrait être, il me semble, le potentiel d’utilisation de ces films dans la programmation. Cela vaudrait autant pour les nouveaux titres que pour ceux déjà en collection. La Cinémathèque conserve des œuvres de nature et de statuts très différents. Historiquement, le support détermina la politique de collection. Malgré la différence quasi ontologique entre un film commercial et un film de famille, les deux avaient leur place dans ses collections. C’est d’ailleurs à cause de la nature du support que la télévision a fait son entrée chez elle  : les émissions étaient acceptées parce qu’elles étaient enregistrées en 16 mm. Ce n’est qu’ultérieurement que le ruban magnétique trouva sa place dans les collections. La Cinémathèque retrouverait alors son problème initial : en principe, elle pouvait conserver tous les supports vidéos électroniques, qu’ils servent à des œuvres de masse, à des œuvres d’usage plus restreint (par exemple de vidéos militantes ou d’art, ou à des vidéos de famille). Cette politique, compréhensible si on la pense du point de vue des archives, rassemble tout ce qui est audiovisuel, que l’œuvre appartienne à un média ou non. En 1996, sous la pression du milieu professionnel et du gouvernement québécois, la Cinémathèque ajoute officiellement à son mandat la vidéo et la télévision, et crée un poste de conservateur adapté au mandat de la Cinémathèque. Contrairement à ce qui s’était passé pour la pellicule, la conservation de l’image électronique se polarisa surtout autour du cinéma national, essentiellement québécois, et sur l’animation. Mais face à la masse potentielle d’émissions québécoises, les critères d’acquisition furent heureusement limités. Pour ce qui est des supports, la priorité fut donnée aux supports originaux ou professionnels. Pour

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les contenus d’émissions, une grille de sélection fut élaborée et ultérieurement presque intégralement reprise pour le dépôt légal3. Il s’agissait là d’une évolution majeure dans les politiques d’acquisition de la Cinémathèque. Pour la première fois, on reconnaissait qu’il ne fallait pas garder l’intégralité des séries et que le contenu ou la provenance pouvaient déterminer un certain échantillonnage. Ces principes pouvaient aussi guider les acquisitions télévisuelles des collections afférentes. Par contre, la Cinémathèque ne semblait pas prête à effectuer une réflexion semblable pour la vidéo et le cinéma ; l’opération reste d’ailleurs toujours à faire. En 2008, comme si elle n’embrassait pas déjà suffisamment large, la Cinémathèque décida d’ajouter les nouveaux médias au spectre des œuvres dont elle devait se préoccuper. Les raisons qui ont motivé ce choix n’ont pas été expliquées. Je n’ose croire qu’il s’agisse là d’un ralliement à un quelconque effet de mode. Si la Cinémathèque québécoise était une cinémathèque liée à un musée d’art, on pourrait comprendre qu’elle puisse s’intéresser aux arts numériques conservés par l’institution-mère. Mais ce n’est pas le cas et on peut se demander si la Cinémathèque ne devrait pas laisser ce terrain aux divers musées de beaux-arts que compte le Québec. Comme l’institution n’a pas encore précisé le champ d’application de cette notion, je me permets d’en suggérer quelques paramètres opérationnels qui conviendraient à une cinémathèque, si tant est qu’elle trouve nécessaire de s’aventurer dans cette voie. L’expression « nouveaux médias » est utilisée à toutes les sauces. On observe souvent une certaine confusion entre celle-ci et « nouvelles technologies ». Ces dernières visent autant les supports de stockage que les canaux de transmission (de plus en plus numériques) de l’information audiovisuelle. On se situe du côté des procédés, des outils et des dispositifs techniques. Chacun d’eux peut être nommé « médium » ou moyen de communication, mais ne peut être appelé un média. Or, la proximité des deux termes génère beaucoup de confusion. Et cette réflexion vaut aussi pour les attributs, par exemple, lorsqu’on parle d’arts médiatiques. Pour le gouvernement du Canada, l’appellation « nouveaux médias », dans les nombreux programmes qu’il administre, renvoie surtout à ce qui se situe à l’intersection de la culture et de la technologie, ainsi qu’au contenu numérique interactif. Ceux-ci ont en commun de miser sur Internet et d’avoir recours à un encodage numérique. Le Fonds des médias du Canada investit, quant à lui, dans des jeux, des sites Internet et des applications mobiles. À mon avis, le recours au réseau Internet pour diffuser une œuvre ne constitue pas un critère déterminant pour qualifier une œuvre de « nouveau média ». Pour éclaircir la question des nouveaux médias, il faut s’entendre sur une définition. Je propose de nommer «  média  » un moyen de diffusion d’informations organisé et structuré (comme la presse, la radio, le cinéma, la télévision), utilisé pour communiquer. Les médias permettent de diffuser une 3.– Voir sur le site de la Cinémathèque québécoise, la page consacrée au dépôt légal : (consultée le 2 septembre 2012).

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information vers un grand nombre d’individus. C’est la raison pour laquelle on parle également de média de masse. Les moyens de communication tels que le langage, l’écriture ou la musique, ne sont pas des médias, tout comme l’infrastructure technologique des médias. Au départ, un médium est une technique, un véhicule. Cela vaut pour la radio, le cinéma, la télévision, l’Internet et même le cellulaire. Mais une technologie de communication peut évoluer et progressivement devenir un média. C’est à ce niveau qu’interviennent les notions de contenu, d’organisations d’échange et de structuration économique. On se retrouve alors avec des œuvres qui ont une matérialité spécifique, même si leur transmission ou leur diffusion peut s’effectuer sur un autre support, semblant souvent plus immatériel, voire virtuel. Essayons de déterminer quelques caractéristiques de l’œuvre-média : −−il ne s’agit pas d’un artefact original et d’une œuvre quasi unique ; −−elle est conçue pour être reproduite à plusieurs exemplaires ; elle est faite pour s’inscrire dans un circuit d’échange complexe, marchand ou communautaire ; cette circulation repose sur un système de distribution ou de diffusion (à ne pas confondre avec un réseau de transmission) ; bien qu’elle puisse être individuelle, sa consommation est plutôt sociale et collective, c’est-à-dire expérimentée dans un même lieu ou en simultanéité dans une pluralité de lieux (dans certains cas, l’interactivité peut être ajoutée comme composante). À partir de ces conditions, je peux tenter d’anticiper et de comprendre quelles sont les œuvres-médias, anciennes ou nouvelles, susceptibles de se retrouver dans une institution comme la Cinémathèque, c’est-à-dire un lieu conservant des œuvres audiovisuelles composées d’images animées. Malheureusement, la tradition des cinémathèques n’a pas toujours emprunté cette voie. En préservant d’abord un support, elles ont préservé à la fois des œuvres uniques et singulières, comme on en trouve dans tous les musées, et des œuvres multiples issues d’un processus de reproduction. La Cinémathèque pourrait décider que la méthode traditionnelle continue de s’appliquer. Pour les œuvres sur support électronique destinées aux médias cinéma et télévision, ainsi qu’aux nouveaux médias, elle pourrait ne conserver que des œuvres qui répondent aux caractéristiques que je viens d’énoncer. Se rallier à un tel point de vue peut baliser les politiques d’acquisition et d’élagage de la Cinémathèque. Ainsi, une installation vidéo n’aurait pas sa place dans ses collections, tout comme l’exposition d’une installation ne peut, a priori, être considérée comme une ouverture aux nouveaux médias. Toutes les œuvres numériques ne font pas partie de son mandat. Pas plus que les environnements multimédias associant l’image, le texte et le son par le biais de l’interactivité de l’ordinateur et du Web. Sont également exclues les œuvres uniques qui allient la créativité à la conception et à l’application de nouvelles technologies. Je crois que les politiques d’acquisition de la Cinémathèque doivent se distinguer de celles en vigueur dans les musées ou, à tout le moins, s’harmoniser avec elles.

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Une acquisition récente soulève, à mes yeux, de très sérieuses questions sur la compréhension de la notion de nouveaux médias à laquelle devrait souscrire la Cinémathèque. Il s’agit de la collection du Centre de recherche et de documentation de la Fondation Daniel Langlois, une collection documentaire qui couvre les grandes tendances et les pratiques à l’œuvre dans les arts électroniques et médiatiques depuis le début des années 1960 jusqu’à 2004, à l’extérieur du Canada. Ce don est en partie composé d’éléments qui n’ont rien à voir avec les images animées. L’acquisition me semble problématique, car il faudra en inférer des lignes directrices qui risquent de compliquer inutilement les politiques d’acquisition de la Cinémathèque (le même problème se poserait si était acceptée une donation de jeux vidéo). Par souci de cohérence dans les collections de la Cinémathèque, alors que le champ des nouveaux médias n’y a jamais été défini, il ne sert à rien d’accepter un dépôt ou un don qui ne s’inscrit pas dans la logique du reste de la collection et qui ne répond pas à la définition proposée (c’est-àdire, une œuvre qui possède des caractéristiques communes avec le cinéma et la télévision). En acceptant l’intégralité de ce don, la Cinémathèque, alors que l’on sait qu’elle n’est même pas capable de répondre correctement aux exigences de ses orientations premières, se détourne en partie de ce qui a été le cœur de son mandat. En outre, elle ouvre sur une définition des nouveaux médias qui n’est pas dans son intérêt et ne tient pas compte des autres institutions existant au Québec et couvrant déjà ce champ. La Cinémathèque pourrait décider qu’en ce qui a trait aux nouveaux médias, seuls ceux produits au Québec ou ayant recours à l’animation peuvent entrer en collection. Elle pourrait aussi se donner des limites en prenant en compte des composantes technologiques qui ont un impact sur la production, la conservation et l’accès aux œuvres. En effet, toutes ces œuvres qui n’existent que sur support électronique posent des défis majeurs, tant des points de vue de l’obsolescence des supports, des standards, des systèmes d’opération que de celui des appareils. Par la même occasion, la Cinémathèque pourrait être conduite à réexaminer le statut d’œuvres qui se trouvent déjà dans ses collections, que ce soit des vidéos d’artiste ou des films de famille. Mais, en même temps, elle pourrait faire preuve d’ouverture à l’intérieur de la production nationale et collectionner, si Bibliothèque et Archives nationales du Québec ne s’engagent pas déjà sur ce terrain, certains sites Web (par exemple, ceux qui se rapportent au cinéma ou à la télévision) ou de la Web-télévision, des œuvres conçues pour diffusion cellulaire ou Internet, des œuvres audiovisuelles interactives, ou encore, des jeux vidéos, particulièrement ceux conçus pour jouer en ligne et dont les techniques sont parentes de l’animation numérique. La Cinémathèque, comme toutes les institutions qui ont en collection des éléments électroniques, analogiques ou numériques, ne peut répondre à ses mandats de conservation et d’accessibilité sans se doter d’installations de transfert et de migration. Elle ne peut se contenter d’accumuler, sans espoir de contrôle, de restauration, d’émulation et de diffusion. Et elle ne peut se contenter d’une éventuelle numérisation sans se doter d’un plan de conservation des

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archives numériques. Même le dépôt légal est mis en péril à moyen terme par la volonté du législateur d’obliger les producteurs à déposer des objets physiques (bobines ou cassettes). Dans quelques années, plusieurs vidéocassettes ne seront plus lisibles, ou alors, les appareils pour les lire n’existeront plus. Il est ironique que l’ancien média qu’est le cinéma jouisse d’une pérennité plus grande que les nouveaux médias qui lui ont succédé. Si la Cinémathèque ne relève pas les défis actuels, si les instances gouvernementales ne lui en donnent pas les moyens, on peut dire qu’une bonne partie de son travail actuel est une pure perte. Mais comme il est impossible de tout transférer pour des raisons financières, le recours à des critères de plus en plus spécifiques sera évidemment nécessaire. À cause d’une certaine procrastination professionnelle et institutionnelle, la Cinémathèque, encore en 2012, est à nouveau au seuil de la saturation de ses espaces alors qu’elle doit en réserver certains pour répondre aux exigences du dépôt légal et penser à ce dont elle aura besoin pour accueillir les nouveaux dons et dépôts. Elle ne peut affirmer avec certitude qu’elle dispose de suffisamment de métrages linéaires pour les cinq prochaines années. Concrètement, cela signifie qu’elle doit se doter d’objectifs très précis d’espace à libérer annuellement. Cette mesure est inévitable, faute de quoi la réalité risque de la rattraper et elle sera forcée d’agir de façon précipitée. Il faut que ses méthodes d’élagage lui permettent tout simplement d’atteindre ses objectifs. Or, la situation se complique du fait de l’évolution de la technologie et des modes de production et de postproduction. Par exemple, en vidéo, la notion de chute ne s’applique plus. Même sur pellicule, avec le transfert et le montage sur ordinateur, la notion a évolué. Plusieurs éléments qui entrent dans la chaîne de production et de postproduction n’existent que sur support numérique. Les processus de production et de création d’images animées sont eux-mêmes numériques. La généralisation du numérique et la création de produits plus complexes constituent donc un défi pour les cinémathèques et pour la préservation de l’héritage culturel. La notion de génération, sinon de version, doit aussi être remise en perspective. Pour des supports où la migration est un enjeu de conservation, l’original peut être appelé à évoluer, pire, à faire l’objet d’une émulation (l’original ne pouvant plus être utilisé). Déjà le taux de détérioration ou de perte est significatif et la situation risque d’empirer. Les institutions vouées à la conservation de ce patrimoine particulier font face à une nouvelle situation dans leur histoire. Elles doivent composer avec la désuétude rapide des technologies, des médiums d’enregistrement, et des logiciels d’opération, de gestion et de création des données. C’est l’obsolescence même de l’institution qui est en jeu, car elle ne pourra bientôt plus remplir son mandat de conservation, sauf en ce qui concerne la pellicule. Outre les œuvres elles-mêmes, ce sont également les éléments afférents qui parviennent aujourd’hui sur support numérique. Les institutions devront déterminer les qualités techniques requises pour leur conservation, mais aussi souscrire à certains standards pour la gestion des enregistrements numériques. On parle maintenant d’enregistrements fiables (trustworthy records) et des conditions qui

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s’y rapportent. La Cinémathèque doit dorénavant déterminer des standards en deçà desquels la conservation est mise en péril. Il faut aussi qu’elle se documente sur les métadonnées nécessaires pour avoir accès à l’information de manière intelligible. Elle doit donc arrêter des pratiques normalisées pour l’archivage, le stockage et la sauvegarde des contenus numériques audiovisuels, ainsi que pour leur accès. On sait déjà qu’existent des normes ISO auxquelles on pourrait se référer (puisque ces questions débordent l’unique champ culturel). En fait, les cinémathèques ne peuvent éviter de partager leurs connaissances de la conservation de l’immatériel avec ceux qui travaillent dans d’autres domaines, que ce soit celui des musées conservant des arts médiatiques, ou encore les archives et les bibliothèques qui conservent des documents numériques. Le mandat de la Cinémathèque vise les images animées (ainsi que les artefacts et la documentation afférente), qu’elles se composent de photographies ou de dessins, ou qu’elles soient produites de manière numérique. Leur conservation constitue l’originalité de la Cinémathèque par rapport à son objet, c’est-à-dire, le cinéma, la vidéo et la télévision. C’est là sa particularité. Seule institution du genre au Québec, la Cinémathèque doit couvrir un terrain très large, je dirais même trop large. Contrairement aux musées qui ne veulent pas conserver l’intégralité de l’œuvre d’un artiste, la Cinémathèque doit s’interroger lorsqu’elle constate des trous dans la production d’un cinéaste, dans celle d’une société de production ou dans la liste des longs métrages d’une année. À cet égard, la Cinémathèque ressemble davantage à une bibliothèque nationale avec la particularité qu’elle conserve, en plus des copies de diffusion, des éléments de production et de reproduction, et la documentation qui s’y rattache. Elle s’apparente aussi à des archives nationales et pourrait donc s’inspirer des principes de sélection guidant ces dernières. Ce mandat de conservation devrait subsumer ses autres activités. Ce qui n’implique pas que celles-ci soient négligeables ! Au contraire : une activité peut être secondaire tout en étant essentielle et même, dominante. Mais il faut reconnaître que s’il n’est pas nécessaire de conserver pour programmer, comme le prouvent continuellement de nombreux festivals et lieux de diffusion, il est nécessaire d’envisager la programmation de ce que l’on conserve. Cela n’est qu’une des justifications de la conservation patrimoniale d’une cinémathèque, les autres étant la reproduction/reconstitution, la réutilisation et la recherche. Je limiterai mon actuel propos à la collection «  film  ». Les politiques d’acquisition en ce domaine sont, à certains égards, d’un laconisme cruel qui guide mal le personnel dans ses pratiques quotidiennes. Elles affirment avec clarté la priorité qu’on doit accorder à la production nationale. Je suis tout à fait d’accord avec cet impératif. Mais il faut quand même en tirer des conclusions et à ce niveau, on peut avouer qu’entre le discours et la pratique, un certain écart apparaît. Ces politiques sont particulièrement déficientes et vagues en ce qui concerne la production étrangère. Il importe donc de se doter d’orientations pragmatiques et programmatiques, contribuant au sens des collections.

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Je pense que la réflexion doit s’articuler autour de quatre axes : conserver, c’est montrer ; conserver, c’est choisir ; conserver, c’est tenir compte des coûts ; conserver, c’est acquérir. À partir de cela, quelques éléments méritent d’être débattus : à quel examen des collections doit-on procéder dans la perspective du « conserver, c’est montrer » ? Quel mécanisme mettre en place pour sélectionner sur arrivage plutôt qu’après catalogage ? Quels types d’éléments de tirage retenir et pour quelles fins ? Quelle dégradation physique accepter ? Combien de copies d’un titre qui répond à des critères de présélection pour projection conserver ? Quels supports vidéo des films doit-on garder ? Doit-on conserver ce que d’autres conservent, comme l’Office national du film (ONF), Bibliothèque et Archives Canada, Télé-Québec ou Radio-Canada, et dans quelles circonstances doit-on le faire ? Un film coûte cher à conserver  : temps de catalogage, espace de tablette, électricité, coûts d’opération des entrepôts, etc. Il s’agit toujours d’un coût par définition récurrent, qui augmente sans cesse et qui appelle périodiquement un agrandissement du lieu de conservation. Il faut être sûr que ce qu’on conserve en vaut la peine, s’inscrit dans des ensembles significatifs, et que les réserves sont bien utilisées. Il faut être capable de refuser, plutôt que de prendre une décision une fois les dépenses encourues. Il faut être capable de définir des degrés et des priorités dans le catalogage et la conservation. Comme le dépôt est le mode d’acquisition le plus fréquent pour la collection « film », il faut donc se pencher sur les coûts relatifs à leur conservation. Afin de mieux évaluer l’ensemble de la situation et d’assurer une gestion efficace et ordonnée de ses collections, la Cinémathèque a lancé, en 2009, le «  Grand chantier des collections  ». La Cinémathèque est confrontée à la situation suivante  : de grands pans des collections sont non inventoriés et le matériel continue de s’accumuler. Il y a du retard dans la saisie des collections semicataloguées et une absence de mesures continues d’élagage. Conséquemment, les collections ne sont pas vraiment analysées (que ce soit par cinéastes, par sousséries de contenu ou de thème, par pays, par années, par formats, par sociétés de production, etc.). Comme je l’ai précédemment évoqué, il y a des carences pour toutes les collections dans la définition ou dans l’application des politiques, dans la mise à jour des méthodologies et des outils de travail, et dans la documentation des collections (contenu, droits, historique, provenance, etc.). En outre, même si la numérisation des collections est relativement facile, quoiqu’exigeant d’imposantes ressources financières et humaines lorsqu’il s’agit d’images animées (l’exemple du projet Éléphant, subventionné par Quebecor, en est la preuve même), leur accessibilité est à la fois limitée et compliquée, tant au niveau de la question des multiples droits afférents aux œuvres qu’à celui du statut de dépôt et du volume de l’ensemble de la majorité des éléments « film » conservés. Le « Grand chantier » est une solution stratégique et évolutive mise en place afin qu’aucune partie du patrimoine conservé par la Cinémathèque (plus spécifiquement, le patrimoine québécois) ne tombe dans l’oubli ou ne disparaisse à tout jamais, ou encore, ne soit mise en valeur. Ce projet doit permettre de

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réaffirmer la valeur patrimoniale des collections, tant des points de vue artistique et culturel, qu’historique et national. La priorité doit être mise sur l’inventaire et la description des collections québécoises et d’animation afin d’orienter les éventuelles actions. Subséquemment, l’analyse permettrait d’envisager, au besoin avec de futurs partenaires, un plan de restauration, de numérisation et d’accessibilité aux œuvres. À mon avis, il est inutile de prévoir un calendrier de telles réalisations sans connaître les ressources financières et les partenariats disponibles. Parallèlement, la Cinémathèque devrait réfléchir à un modèle de gestion pour les images qui pourraient constituer un fonds de plans d’archives comme il en existe, par exemple, à l’ONF. La Cinémathèque québécoise doit se doter de politiques, d’outils et de moyens pour consolider, rationaliser et constituer ses collections en des ensembles cohérents avant de se lancer dans de nouveaux champs d’intervention. À tout le moins, elle devrait s’y aventurer prudemment et s’inscrire dans le prolongement de ses actions antérieures. Parce qu’elle possède un statut d’institution quasi nationale dans le domaine des archives des images animées, et par son rôle dans la mémoire collective de la société québécoise, la Cinémathèque ne devrait pas effectuer ces opérations en vase clos, mais plutôt s’appuyer sur l’apport d’un groupe de travail où se retrouveraient archivistes, spécialistes du contenu et de la conservation, et représentants de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. En cette veille du cinquantenaire de la Cinémathèque, j’ai voulu inscrire ma réflexion dans son histoire en mettant en lumière les problèmes qui ont surgi de ses pratiques et des solutions qui furent proposées. Les défis qui attendent la Cinémathèque sont à la mesure de la complexité des éléments qu’elle conserve et de leurs limitations technologiques. D’une certaine manière, j’ai voulu prendre mes distances des fausses sagesses affirmant que « ne pas avancer signifie reculer », sans questionner la direction vers où l’on va. Les collections de la Cinémathèque ne se trouvent pas toutes au bord d’un gouffre, mais elles appellent des balises de politiques rigoureuses, de gestions efficaces et de pratiques responsables pour ne pas risquer l’éparpillement et les dérapages, corollaire à leur absence. Et pour certains de ces éléments, le temps est compté.

La restauration de l’image de Lola Montès Hervé Pichard Le principal objectif de la restauration d’un film est de retrouver la nature de l’œuvre originale en éliminant les défauts physiques dus aux manipulations des éléments, à la mauvaise conservation et à l’usure du temps. C’est un exercice qui fait éternellement débat, car inévitablement, les restaurations trop poussées et les projections actuelles (en particulier celles numériques, bonnes ou mauvaises) modifient de fait la nature de l’œuvre. La qualité des pellicules a évolué, de même que toute la chaîne de fabrication de l’image et du son jusqu’à sa projection. Aujourd’hui, alors que les outils numériques utilisés pour la restauration des films se généralisent, l’utilisation de ces nouvelles technologies pose des questions. Les films restaurés sont quelques fois trop propres, trop lisses, avec trop de fixité. Les restaurateurs sont d’accord sur un autre aspect de leur travail : il est indispensable de conserver les éléments originaux afin de se donner la possibilité de restaurer à nouveau le film dans l’avenir, en fonction de nouvelles méthodes et des nouveaux outils, de garder les marques des différents montages, de repérer les types de dégradations présentes sur la pellicule. La complexité de la restauration de Lola Montès (Max Ophuls, 1955) met en évidence ces différents problèmes rencontrés aujourd’hui par les cinémathèques et les laboratoires. Une partie du travail de mémoire consiste donc à décrire les grandes étapes de la restauration du film, en insistant sur les différents remontages (ce qui apparaît aux yeux du public comme le plus spectaculaire), mais aussi sur la nature des éléments photochimiques d’origine, sélectionnés pour être numérisés. En effet, tout au long de cette restauration, nous avons travaillé sur la qualité du grain, sur les limites du photochimique et sur son spectre de couleurs. Un des objectifs était de se rapprocher de la texture de la pellicule, en conservant certains défauts physiques, les plus discrets, qui participent à la vivacité de la matière film et respectent les spécificités des éléments photochimiques (pour l’image) et magnétiques (pour le son) d’époque. En concertation avec le laboratoire Technicolor, nous nous sommes imposés des limites à la restauration image 86

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par image, un compromis toujours difficile à définir mais qui détermine considérablement notre perception visuelle. La restauration de ce film a consisté à associer deux procédés que nous avons tendance à opposer, le numérique et le photochimique. Nous devions retrouver les techniques disparues des laboratoires traditionnels et utiliser les avantages évidents des technologies modernes. La restauration de Lola Montès a été réalisée par la Cinémathèque française avec l’aide d’autres cinémathèques, la Cinémathèque royale de Belgique qui possède une copie de référence de 1955 de la première version de Lola Montès, les cinémathèques de Munich et de la Ville de Luxembourg qui nous ont mis à disposition des éléments image et son afin de reconstituer le montage d’origine. Ces deux dernières ont d’ailleurs restauré en 2002 la version allemande du film, et nous avons pu bénéficier de leur expérience. La Cinémathèque française a eu le soutien de partenaires : la Fondation Thomson, le Fonds culturel francoaméricain, L’Oréal et Agnès b. Nous avons collaboré tout au long des travaux avec les ayants-droits du film, Marcel Ophuls, le fils du réalisateur Max Ophuls, et Laurence Braunberger, fille de Pierre Braunberger. Le producteur a racheté les droits en 1968 à la société Gamma film qui avait produit le film en 1955. Cette restauration se fait véritablement dans le prolongement du travail effectué par Pierre Braunberger en 1968, qui a réussi à remonter une version proche de l’original en partant des trois bandes monochromatiques. Cette reconstitution était un véritable exploit car il était très difficile, à la fin des années 1960, de tirer des éléments intermédiaires à partir de sélections monochromatiques sur des tireuses usuelles. Pierre Braunberger a donc permis à toute une génération de cinéphile de découvrir une version très proche de l’original, douze ans après sa première sortie en salle. Nous avons aussi travaillé sur cette restauration avec Tom Burton du laboratoire Technicolor, avec Léon Rousseau sur la restauration du son, avec François Ede et avec l’aide de nombreuses personnes travaillant à la Cinémathèque française. Aussi, avant d’aborder l’aspect technique afin de comprendre pourquoi le film a été remonté à plusieurs reprises, je rappellerai brièvement l’histoire rocambolesque de la sortie de ce film qui a marqué le cinéma français en créant un scandale sans précédent. Les nombreuses photos, manuscrits, costumes, affiches de Lola Montès conservés à la Cinémathèque française nous ont permis de mieux comprendre le film. Il était essentiel d’étudier l’histoire de Lola Montès, de comprendre le processus de création et de remontage de l’œuvre, comment Max Ophuls a construit son film avec les contraintes techniques et budgétaires, et pourquoi le film a été coupé puis remonté par la production. En réalisant Lola Montès, malgré le succès de ses trois films précédents (La ronde [1950], Le plaisir [1952], Madame De… [1953]), le cinéaste – dénigré par

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les uns, admiré par les autres – provoqua des réactions sans précédent et divisa le cinéma français. Lola Montès est décrit comme un film charnière entre le cinéma populaire et le cinéma d’auteur. Lola Montès est annoncé comme un grand film historique en costume. Les productions, dont la filiale française dirigée par Albert Caraco, demandent à Max Ophuls de tourner le film en couleur, en Cinémascope (ce format très large mis au point par la Fox) et en trois langues (français, allemand et anglais) pour une exploitation prestigieuse et internationale. La couleur se généralise en France au tout début des années 50 et devient indispensable en 1955 pour les films à grand spectacle. Le procédé Eastmancolor est plus simple et moins onéreux que celui de Technicolor. Il a la faveur des productions françaises et se développe rapidement. En 1955, Lola Montès fait partie des vingt-quatre films couleurs dont la plupart sont tournés en Eastmancolor. Max Ophuls accepte les exigences de ses producteurs et réalise ainsi son premier film en couleur et en Cinémascope tout en s’appropriant le projet pour en faire avant tout une œuvre très personnelle. Dès son engagement en été 1954, Max Ophuls travaille lui-même sur le scénario, qui confirme tout de suite sa volonté d’exercer un réel contrôle artistique. Il signe un texte original construit sur une série de flashbacks annonçant une réalisation périlleuse et un jeu d’acteur inhabituel. On lit, sur une page issue d’une première version du scénario de 1954, sa volonté de mettre en scène une Lola Montès à l’encontre de l’image attendue : « C’est une femme d’une trentaine d’années. Son visage semble être un masque. Complètement détachée, comme l’ombre de sa propre vie, elle a dans cette revue de cirque une étrange expression de poupée de cire. » Par ailleurs, il élabore soigneusement les couleurs, offrant aux quatre saisons qui découpent le film une dominante particulière. Enfin, il utilise des caches pour resserrer son cadre, s’accordant une liberté supplémentaire. Le tournage débute le 1er mars 1955. Il traverse d’abord la France dans différents studios, notamment à Joinville et à Saint-Maurice qui sont les grands studios autour de Paris où sont accueillis les décors impressionnants du bateau, de l’opéra et du manoir écossais. Progressivement, le tournage prend du retard, les dépassements budgétaires inquiètent les producteurs et Max Ophuls affiche violemment son insatisfaction. Le retard est davantage dû aux difficultés techniques qu’aux exigences artistiques d’Ophuls, pourtant montrées du doigt par les producteurs. Les techniciens sont confrontés aux contraintes de ce nouveau format qu’est le Cinémascope. Le tournage en trois langues oblige aussi l’équipe à recommencer certains plans dialogués de nombreuses fois. De plus, les désaccords entre les producteurs et Max Ophuls s’accentuent. Lola Montès est projeté pour la première fois à Paris, le 23 décembre 1955. Une soirée de gala exceptionnelle est organisée au cinéma Marignan, mais très vite, la presse traditionnelle et le public ne comprennent pas la mise en scène,

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les innovations techniques presque expérimentales et la narration en flashback. De plus, le personnage de Lola que propose Max Ophuls déroute le public. Encouragés par une campagne promotionnelle, les spectateurs attendaient une Lola sexy et exubérante, à l’image des rôles qu’avait tenus Martine Carol dans Lucrèce Borgia (Christian-Jaque, 1953) et Nana (Christian-Jaque, 1955). La promotion du film, qui insiste sur la sensualité de Martine Carol, joue sur l’inconscient collectif des spectateurs avec tout ce que peut évoquer le nom « Nana » associé à ces poses publicitaires. Une telle campagne s’oppose évidemment au propos de Max Ophuls, ce dernier suggérant un tout autre portrait de Lola  : celui d’une femme inexpressive et figée, danseuse maladroite, égarée, entourée d’hommes avides et plutôt faibles, qui finira dans un cirque, enfermée dans une cage. Une image dérangeante et finalement si proche des visages ophulsiens. Le public et une partie des journalistes crient au scandale, marquent leur mécontentement devant les cinémas et déconseillent aux spectateurs de rentrer dans les salles. Ceux qui ont admiré le film –  François Truffaut en première ligne – ont avant tout fait le deuil du spectaculaire annoncé. Sept cinéastes dont Jean Cocteau, Roberto Rossellini, Christian-Jaque et Jacques Tati reconnaissent Ophuls comme un véritable auteur et prennent la défense de son film. Ils publient une lettre parue pour la première fois dans Le Figaro du 5 janvier 1956 : […] Nous pensons que Lola Montès est, avant tout, un acte de respect à l’égard du public si souvent maltraité par des spectacles de niveau trop bas qui altèrent son goût et sa sensibilité. Ce film n’est pas un divertissement. Il donne à réfléchir, mais nous croyons que le public aime aussi réfléchir […]. Suite au scandale et pour faire face à l’échec commercial annoncé, le film subit de nombreuses modifications. Quelques semaines après les débuts de l’exploitation du film, la production oblige Max Ophuls à raccourcir son film et à modifier considérablement le mixage en supprimant entre autres les dialogues allemands pour les remplacer par des voix françaises postsynchronisées. Le film ressort ainsi en février 1956 pour soi-disant s’accorder au goût du public. Il semble que toutes ces modifications aient été réalisées pour faire du film un objet plus lisse et plus accessible au spectateur : le récit est écourté et simplifié. Malgré ces changements, le film reste un échec commercial et un troisième montage est effectué contre la volonté du réalisateur. Lola Montès est cette fois-ci raccourci de plus de vingt minutes et remonté dans un ordre chronologique, supprimant le montage alterné entre le cirque et les flashbacks. Une voix-off de Lola Montès raconte au passé sa vie tumultueuse et modifie le sens de l’histoire originale. L’historien Jean-Pierre Berthomé, dans les numéros 34-35 de la revue 1895 consacrée à Max Ophuls publie un article détaillé sur le tournage du film. Il conclut son texte par ces mots : « Le drame de Lola Montès n’est pas dans les vicissitudes de sa production, mais dans celle de sa distribution. Il ne fait guère de doute que, au prix des rudes efforts exigés de tous, c’est bien la Lola dont il

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avait rêvé qu’Ophuls a pu livrer au public de 19551. » Le film existe donc dans trois montages différents. Il était important de restaurer cette première version. Pour la restauration, il nous fallait, dans un premier temps, rechercher les éléments photochimiques. La copie d’exploitation complète au format Cinémascope de la Cinémathèque royale de Belgique a servi de modèle. Elle était en mauvais état, particulièrement fragile, avec des couleurs défraîchies, mais tous les plans étaient répertoriés et complets. Nous les avons étudiés et métrés à l’image près et les nombreux fondus enchaînés ont été analysés. Pour reconstituer le montage initial, il était important de sélectionner les meilleurs éléments photochimiques en privilégiant les plans provenant du négatif caméra, généralement de meilleure qualité. Lorsque certains plans étaient incomplets ou inexistants sur ce négatif, nous avons utilisé d’autres éléments, essentiellement les sélections monochromatiques. Les trois bandes noir et blanc correspondent chacune à une couleur primaire. La combinaison de ces trois éléments sur un seul support permet de retrouver un négatif en couleur. Une série de sept plans de la copie de travail conservée à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg a aussi permis de reconstituer une séquence complète (la scène de rupture entre Lola et Franz Liszt dans le carrosse). D’autres boîtes contenant des sélections trichromes non montées ayant servi à réaliser les fondus et appartenant aux Films du Jeudi et aux Films de la Pléiade, nous ont donné la possibilité de refaire certains fondus. La restauration de l’image a été réalisée à Burbank (Los Angeles), au Digital Service de Technicolor. Les éléments photochimiques transférés de la Cinémathèque vers le laboratoire ont été accompagnés d’un cahier des charges précis listant les 375 plans du film, notifiant la nature des éléments à scanner et le type de dégradation. Les rouleaux de pellicule ont été numérisés dans un format d’image 2K (2048 pixels par ligne). Le film numérisé a ensuite été monté et restauré image par image. Nous avons été confrontés à plusieurs types de dégradations. Certains défauts classiques peuvent être facilement réparés car ils apparaissent sur quelques images uniquement (déchirures, rayures, traces de colle, images manquantes, etc.). D’autres sont plus difficiles à traiter. Par exemple, nous avons découvert sur les bandes trichromes, la présence plus ou moins visible d’anneaux de Newton. Ce défaut est dû à un mauvais tirage des éléments en 1955. Ils sont particulièrement visibles lorsque le fond de l’image est uniforme. Aucune technique de restauration ni photochimique ni numérique ne peut les éliminer. La seule solution était d’utiliser d’autres éléments. La mauvaise mise en registre des sélections monochromatiques (la superposition des couches de couleurs) au moment du tirage est un autre problème complexe. Elle crée un léger décalage. On voit apparaître une frange colorée. Grâce à des programmes spécifiques, la restauration numérique permet d’améliorer considérablement la qualité de ces images. 1.– Jean-Pierre Berthomé, « “Un caprice qui ne finirait pas…’’ : la genèse de Lola Montès », 1895, nos  34-35, «  Max Ophuls  », 2001. En ligne  : (page consultée le 4 janvier 2011).

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Le second enjeu de la restauration était de retrouver le format original du film, intimement lié au premier montage. Le film tourné en Cinémascope fut projeté dans ce format large 2,55:1 pendant les premières semaines de son exploitation, dans des salles prestigieuses de première exclusivité. Le procédé Cinémascope consiste à anamorphoser l’image (c’est-à-dire, à compresser horizontalement l’image à la prise de vue). Lors de la projection, un objectif « désanamorphoseur » restitue le cadre original. Les quatre pistes sonores magnétiques des copies Cinémascope sont couchées de part et d’autres des manchettes du film en réduisant la taille des perforations. Elles répartissent le son au centre à droite, à gauche et au fond de la salle de cinéma. À partir de 1956, les nouvelles copies de Lola Montès sont tirées dans un format réduit 2,35:1 avec pistes optiques pour atteindre une diffusion plus large. La plupart des salles standard ne sont pas équipées du procédé sonore Fox à quatre pistes magnétiques. Ces nouvelles copies sont alors plus facilement exploitables, mais abandonnent de fait le format 2,55:1 et la stéréophonie. Sur la pellicule, la piste sonore optique monophonique assez large empiète sur une partie du cadre, jusqu’alors réservé à l’image. Le cadre est donc plus étroit et l’image se trouve décentrée. Les avantages des outils numériques sont évidents pour retrouver en projection ce format Cinémascope. Très peu d’appareils aujourd’hui projettent des films en Cinémascope. Le tirage des copies 35  mm actuelles, toujours combinées à la piste optique, ampute l’image. Afin de conserver le format original de l’image, il fallait retrouver sur la pellicule le ratio de 2,55:1, mais dans un format de projection actuel de 2,39:1. L’image reste donc désanamorphosée et avec un inter-image plus large. Utiliser les procédés photochimiques traditionnels pour répondre à ce problème nécessiterait un passage en «  truca  » créant une perte de qualité évidente. Or, avec le numérique, nous avons pu insérer le cadre original dans un format standard sans aucune difficulté. La dernière étape de la restauration avant le retour sur pellicule est l’étalonnage des couleurs. Cela consiste à harmoniser les plans les uns avec les autres en modifiant la densité lumineuse et le contraste des couleurs. Le danger d’une restauration numérique est que, faute d’éléments de références, il soit impossible de respecter les caractéristiques colorimétriques de la pellicule. C’est pourquoi la décision fut prise de tirer une copie étalonnée à partir du négatif original. Cet étalonnage a permis de respecter les couleurs d’origine en tenant compte des limites de l’étalonnage photochimique. Cette copie étalonnée a servi de référence à l’étalonneur qui a travaillé sur les couleurs après numérisation. Marcel Ophuls a ensuite apporté sa contribution en affinant dans le détail les couleurs et la densité lumineuse. Par exemple, la séquence du bateau est beaucoup plus sombre que ce que nous avions prévu au départ. Max Ophuls voulait créer un climat très sombre sur le pont du bateau. Son intention était de plonger la scène dans le noir, quitte à ne plus distinguer le bois du bateau ou les détails de la robe. Il souhaitait laisser Lola Montès seule, avec comme unique source lumineuse la

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petite lumière rouge pour souligner l’introspection. C’est en effet le moment où la jeune fille prend conscience de la personnalité de sa mère et de sa détresse. Aujourd’hui, la Cinémathèque française conserve les éléments d’origine et les éléments issus de la restauration, un négatif de conservation (shoot de la restauration numérique 2K) et un autre négatif de tirage, équivalent au premier négatif en faisant un second shoot. De cette façon, il n’est pas utile de tirer un interpositif et un internégatif, ce qui permet de gagner deux générations. À partir de ce nouveau négatif, des copies de prestige et de nombreuses copies de série ont été tirées par les distributeurs en France comme à l’étranger pour présenter cette première version attendue. Avec nos partenaires, nous avons voulu aussi acquérir un Digital Cinema (en format JPEG2000) pour les projections numériques et pour répondre aux demandes des salles équipées pour projeter dans ce format. D’un point de vue patrimonial, le numérique se présente comme un outil idéal pour restaurer des œuvres cinématographiques. Il n’en demeure pas moins que la pellicule restera longtemps la matrice des conservateurs de cinémathèques : éléments de tirage (pour la restauration) et éléments d’exploitation (pour le modèle). Du point de vue du spectateur, certains préfèrent les copies 35 mm, d’autres le numérique, souvent en fonction de leur rapport intime au cinéma.

Benjamin, Prelinger, and the Moving Image Archive Catherine Russell For the last fifty years the film archive has provided substantive material for a wide variety of experimental films, essay films, autobiographical films and documentaries. Digital technologies have brought the archive closer, more accessible and more prevalent in visual culture, and filmmakers have been recycling images and sounds from the cinematic archive with increasing frequency. The excessive manifestation of recycled, found and retrieved audiovisual material poses a number of critical questions. First of all, what new kinds of knowledge are produced by this archival excess? We seem to have moved beyond the apocalyptic thrust of Bruce Conner, Craig Baldwin and Guy Debord who linked the archive to a loss of history and suffocating temporal discontinuity. What kind of historiography and cultural critique can be communicated through the proliferation of archival imagery? Secondly, I want to ask what happens to our understanding of the archive itself in this overwhelming retrieval from storage. Has the massive image bank of digitization given rise to a new form of the archive? Do older models still apply, and should they? Given the diversity of uses of the archive, these are not easy questions to answer. The archive manifests itself in many ways, from the celebratory montages of the annual Academy Awards shows, to the nationalist documentaries of the American documentarist Ken Burns, to the mashups of DIY web-based artists and fans. The limitless depths of Youtube and the viral dissemination of cinema on the Web are the most immediate signs of the phenomenal shifts in the audiovisual archive. In its variable fragmentary forms, its low-resolution, incomplete and unreliable inauthentic status, the digital archive has given us a new medium, with a new way of looking at the world. I would go so far as to suggest that it constitutes a new language, and I would like to sketch the basic contours of the media archive as an expressive medium. The wide range of films and media that

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I am invoking here is of course extremely varied, but the vast dissemination of archival imagery suggests a common practice. Found footage filmmakers, essay filmmakers and other artists working with archival media are frequently faced with the conundrum of copyright and questions of ownership. Despite the wealth of audiovisual material to work with, legislation tends to be stacked against independent filmmakers. Even if and when they can interpret and decode the language around such legislation, they cannot always afford to pay exorbitantly high fees. Archival film practices are thus often marginal to the mainstream, and their tentative “outlaw” status constitutes an implicit critique of mainstream media. Rick Prelinger is one of the most prominent advocates of the digital film archive. He has been collecting what he calls “ephemeral films” since 1982 when the Prelinger Archive was founded, consisting then mainly of 16  mm films. His collection of American industrial, educational and home-movie footage is now available for free download through the Internet Archive.1 Prelinger has published a short manifesto called: “On the Virtues of Preserving Pre‑Existing Material.” His argument for increased access to moving picture archives is a passionate critique of commodity culture, property ownership and the cult of the new. His Utopian manifesto champions the value of “ephemera” as the means of imagining possible alternative futures for our industrial mediatized society2.

Figure 1. This is Prelinger Archives, Rick Prelinger, 2001. 1.– The Internet Archive is housed in San Francisco, California. Online: (accessed February 3rd 2011). 2.– Prelinger’s manifesto (2007) is available online: (accessed February 3rd 2011). All subsequent references to Rick Prelinger are from this unpaginated text.

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Prelinger’s ephemeral films are collected according to an archival principle of the everyday. They are films made “not for the ages,” but for the moment, for specific purposes at specific times, to sell products, ideas and practices, or to record activities and events. They say more about “ourselves,” says the voiceover of one of Prelinger’s own promotional films, than any feature films or TV programs ever could. In fact, they are invaluable records of American culture as it became increasingly invested in the moving image in the postwar era. The bulk of Prelinger’s material comes from the late  1940s through to the mid  1960s, a period during which discourses of social science embraced the documentary film as an explanatory and promotional tool. At the same time, TV advertisers and families with home-movie cameras began churning out images with all the enthusiasm and passion of the postwar economic boom. Prelinger’s manifesto is not a scholarly document, but a Utopian platform for the role of archival material in the contemporary media landscape. His polemics for open access are grounded in a serious discussion of visual culture. Without footnotes or sources, he seems to be channeling Walter Benjamin in a remarkably prescient way. Many writers on found footage and the film and photo archive return to Benjamin for a conception of the historiographic potential of the image archive-theorists including Alan Sekula, Mary Anne Doane, Bill Wees, Hal Foster and Jeffrey Skoller. Each theorist tends toward a different element of Benjamin’s diverse writing on film, photography, history and allegory in order to think through the significance of image storage, retrieval and recycling. Especially in his monumental work on the Paris Arcades, Benjamin developed a theory of history based in memory, material and visual culture, and montage. Following Prelinger’s fourteen points, I would like to map out the parallels between Prelinger and Benjamin, in order to better understand the implications of Benjamin’s thought for the digital media archive  ; and to give Prelinger’s manifesto the critical weight of Benjamin’s theoretical insights. Benjamin’s critical philosophy resolutely resists convenient summary, and in its disparate forms it lacks the coherence of a philosophical program as such. And yet, by mapping it against Prelinger’s manifesto, I hope to at least point to the larger contours of a theory of archival filmmaking. In order to ground this map in a topography of film practice, I will offer examples of filmmaking strategies that are in turn consistent with the confluence of Prelinger and Benjamin. The avantgarde “found footage” film and the more documentary-like “essay film” provide a wealth of examples that will help illustrate the areas of agreement between these two commentators on the archive. The theory will, in turn, shed some light on the archival language that has been developed by archive-based filmmakers.

Why add to the Population of Orphaned Works? By “orphaned works,” Prelinger refers to work without pedigree or owner. He advocates the free circulation of creative work to foster a society of cultural distribution and exchange. Archival filmmaking is where media trash ends up,

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the wasteful byproduct of a media—saturated society. We see such material reused in films such as La mémoire des anges (Luc Bourdon, 2008) in which a portrait of Montreal is constructed from the outtakes of National Film Board (NFB) films. Benjamin employs the figure of the “ragpicker” extensively in The Arcades Project to situate himself within the milieu of 19th century Paris. The ragpicker collected the city’s discarded materials in order to trade, recycle and reuse them, and Benjamin likewise focuses on what he calls the “The Refuse of History”—including the ragpicker himself, alongside the trivia of fashion, interior design, and numerous writers and thinkers whose words had fallen by the wayside.3

Figure 2. La mémoire des anges, Luc Bourdon, 2008.

Don’t Presume that New Work Improves on Old Prelinger advocates “letting old works speak,” and warns us not to presume that “new work improves on old.” For his part, Benjamin saw in Baudelaire a critique of the cult of the new in modernity. Another key figure in the Arcades Project is the Collector, who not only lets old works speak, but enables them to speak a new kind of language. Collecting for Benjamin is a practice inundated with dream and magic, through which the collector detaches the object from its use value and places it within a new order. In the struggle against dispersion though, the collection is never complete. “For the collector, the world is present, and indeed ordered, in each of his objects.4” Collecting for Benjamin “is a form of practical memory.” He says that “the smallest act of political reflection makes for an epoch in the antiques business,” which leads up to one of the more potent 3.– Walter Benjamin, The Arcades Project, Rolf Tiedemann (ed.), trans. Howard Eiland and Kevin McLaughlin, Cambridge, MA, Belknap Press, Harvard University Press, 1999, p. 460-461. 4.– Ibid., p. 207.

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aphorisms in the book: “We construct here an alarm clock that rouses the kitsch of the previous century to ‘assembly’.5” Numerous films could be marshaled for this particular point, but perhaps the most salient would be Godard’s Histoire(s) du cinema (1987-1997) Godard may not be dealing with kitsch, but his investigation and re-mixing of the canonical works of Euro-American cinema is a central example of a filmmaker who strongly doubts that the cinema of the 20th century can be improved upon. His four-anda-half hour melancholic elegy has in fact been analyzed by Monica Dell’asta as a “coherent, self-conscious application of the historiographical method proposed in [Benjamin’s] ‘On the Concept of History’”. She claims that Godard attempts to “do with the 20th  century what, in the Arcades Project (or Passagenwerk), Benjamin had done with the 19th.”6 Godard’s version of film history jettison’s “cultural heritage” for a dynamic and interactive version of film history in which the spectator is confronted with the incompletion of historical memory and historical time.

Figure 3. Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard, 1987-1998.

Honor our Ancestors by Recycling their Wisdom Prelinger’s third point is given with some degree of irony, to be taken, he says, “with a grain of salt.” He clarifies it by suggesting that the past can problematize the present, which echoes Benjamin’s proclamation that the historical materialist can potentially “blast open the continuum of history” precisely by recognizing the discontinuities of history.7 Benjamin’s insistence that the present and past enter into a constellation is perhaps most beautifully played out 5.– Ibid., p. 205. 6.– Monica Dall’asta, “The (Im)possible History,” in Forever Godard, Michael Temple, James S. Williams and Michael Witt (eds), London, Black Dog Publishing, 2007, p. 354. 7.– Walter Benjamin, The Arcades Project, op. cit., p. 396.

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in Terrence Davies’ film Of Time and the City (2008) in which contemporary Liverpool and his own insouciant, disrespectful voice-over frames a montage of archival images of the past. The historical view of the city is thus respected, but at the same time, Davies breaks with what Benjamin decries as the “empathy” of historicism8.

Figure 4. Time and the City, Terence Davies, 2009.

The Ideology of Originality is Arrogant and Wasteful Perhaps the most obvious point of contact between Prelinger and Benjamin is Prelinger’s claim that “the ideology of originality is arrogant and wasteful.” Benjamin’s critique of aura in his “Work of Art” essay has been one of his main contributions to media theory, even if it has been interpreted in many different ways. Prelinger, however, links the critique of originality to the value and status of art documentation and points to this second-level image-sphere as a challenge to the question of art-as-property. In this sense, works such as Paris 1900 (Nicole Védrès, 1947) and Thom Anderson’s LA Plays Itself (2003) not only dispense with the aura, originality and authorship of the original films that they excerpt, but they turn them into documents. Védrès creates a portrait of Paris from a montage of turn-of-the century actualities and shorts, while Anderson attempts to reclaim LA from its status as backdrop for a history of Hollywood genre filmmaking. This shift that so often occurs in found footage filmmaking from fiction to document is exemplary of Benjamin’s concept of allegory. The image, recontextualized through montage, loses its commodity status and once it is stripped of its use value, it takes on new meaning within the collection of images of which it is a part.

Dregs are the Sweetest Drink Prelinger’s fifth point takes us to Benjamin’s treasured realm of kitsch, the detritus of commodity culture. But Prelinger’s own example from his ephemeral 8.– Walter Benjamin, “On the Concept of History” in Selected Works, vol. 4,1938-1940, Michael W. Jennings (ed.), Cambridge, Harvard University Press, 2003, p. 391.

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film archive points to another of Benjamin’s observations. A 1936 film called Master Hands is a corporate film that was made as a tribute to mass production at Chevrolet. But, says Prelinger, “what it really shows is how elemental, dangerous and mind-numbing the work at Flint was.” Benjamin not only advocates “brushing history against the grain,” but links assembly-line work to film reception. In his discussion of Baudelaire he places the atomized experiences of time as a challenge to the poet. Baudelaire’s allegorical technique was dedicated to a conception of time that would break the repetitive cycles of duration with “spleen” or a perception of time that is “supernaturally keen  : every second finds consciousness ready to intercept its shock9 ”. Here we could turn to Guy Debord’s found footage filmmaking, or Prelinger’s own Ephemeral Panorama (2004) as films that attempt, in different ways, to intercept the experience of time in industrial modernity. Kitsch is activated in these films as a challenge to the temporal mechanics of progress. Another example might be Atomic Café (Loader, K.  Rafferty, P.  Rafferty, 1982), which highlights the cultural underbelly of 1950’s atomic science projects.

And Leftovers were Spared for a Reason Leftovers are the substance of powerful films such as Resnais’ Nuit et brouillard (1955). The re-representation of holocaust footage, like the imagery of Hiroshima and Nagasaki in Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959), or the shocking footage in Chris Marker’s Le fond de l’air est rouge (1977), force the atrocities of war into the realm of spectacle. For Benjamin, “the materialist presentation of history leads the past to bring the present into a critical state,” which underlines the fact that the montage structure of the archive film constructs a dialectic of present and past, precisely because those left-over images are so eminently cut off from the time they were produced.

Actors Don’t Get a Fair Shake the First Time Around, Let’s Give them Another Venturing into the arena of the fiction film, Prelinger points to the way that the digital archive has enabled a whole new genre of film scholarship. New media has enabled a proliferation of old films, and clips from those old films appear in innumerable DVD special features and archive-based documentaries, such as the video essays in Criterion packages, and the ubiquitous audio commentary. Sophie Fiennes’s A Pervert’s Guide to Cinema (2009) featuring Slavoj Žižek’s psychoanalysis of American cinema and Maximillian Schell’s film about Marlene Dietrich, Marlene (1984), in which Dietrich dismisses all her great prewar films as pure kitsch, are great examples of how archive-based filmmaking can produce important and insightful knowledge about film history itself. 9.– Walter Benjamin, Charles Baudelaire, A Lyric Poet in the Era of High Capitalism, trans. Harry Zhon, London, Verso, 1983, p. 143.

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Found footage filmmakers Christoph Girardet and Matthias Müller have mined the Hollywood archive for their films ThePhoenix Tapes (1999) and Kristall (2006). In the first film, fragments of Hitchcock’s films have been reassembled into new sequences that provide new, imaginative insight into Hitchcock’s use of space, his depiction of objects such as keys and suitcases, and recurring motifs related to mothers and trains. In Kristall, the filmmakers collect moments of expressive gestures, splicing together brief scenes from dozens of familiar films featuring a pantheon of American and European stars. Girardet and Müller’s films, like Anderson’s film about Los Angeles in which he takes the viewer through architectural landmarks that reappear in film after film, transform the dreamworld of studio-based filmmaking into collections of highly potent images. Each fragment triggers memories of films and the people that populate them and spaces that are eerily familiar. These cinephiliac films bring us close to an understanding of Benjamin’s phantasmagoria as a dream-sleep from which we need to awaken. They might even be exemplary of Benjamin’s dialectical images: they are renewed in their new contexts so that they become newly recognizable. Images in these films “become legible” in Benjamin’s sense because they can be read as the language of history and memory, but also because they can still excite us with some kind of intangible magic that was—and is still in important ways Hollywood’s bread and butter.

The Pleasure of Recognition Warms us on Cold Nights and Cools us in Hot Summers The notion of remixing, or the mash-up as it is now known, is linked by Prelinger directly to Brecht. The political implications of distanciation were likewise recognized by Benjamin, who saw montage as the technique par excellence by which the author could represent him or herself as a producer. Techniques of discovery and laughter created through montage effects are the epitome of Brecht’s epic theatre.10 Prelinger takes the relationship of montage and distanciation one step further to underline the effect of moving-image montage in time-based media like film and video. He says that information is like a river that routes itself around obstacles, “and the bends in the river are where adventure happens”. This seems like an apt description of films like My Winnipeg (Guy Maddin, 2008) that tell a story through a mix of archival and newly filmed material. Maddin’s film, which is about a city founded on rivers, blurs the edges between the two forms, combining home-movie footage and archival film of Winnipeg with dreamy scenes of memory and childhood. This remixed autobiographical film reconfigures the river-crossed city as a matrix of

10.– Walter Benjamin, “The Author as Producer,” in Selected Writings, vol. 2, 1927-1934, Michael J. Jennings, Howard Eiland and Gary Smith (eds), Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 778-779.

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historical material that is very much in keeping with Benjamin’s remark that “a productive disorder… is the canon of the collector.”11

Figure 5. My Winnipeg, Guy Maddin, 2008.

We Approach the Future by Typically Roundabout Means In a related gesture, Prelinger suggests that archival film practices constitute a circumvention, if not an outright critique of narrative storytelling conventions. This point evokes yet another essay of Benjamin’s—“The Storyteller”— in which he contrasts the storyteller’s art with the bourgeois novel on the one hand, and the emerging information society on the other. He endorses the storyteller for telling it like it is, without explanation or deep meaning. In “The Storyteller” Benjamin argues for a materialist mode of narration, grounded in the experience of the teller,12 which is linked to the method of montage in the Arcades Project in which he says he “needn’t say anything. Merely show. I shall purloin no valuables, appropriate no ingenious formulations.”13 Narrativity in found footage filmmaking takes many different forms, including first‑person confessionals spoken in voice-over, or inscribed in intertitles as in Tarnation ( Jonathan Caouette, 2003) and Sink or Swim (Su Friedrich, 1990). It can be very literary in films by Chris Marker or Terrence Davies; didactic in films by Debord; entirely absent in the films of Yervant Gianikian and Angela Ricci-Lucchi; or entirely borrowed from archival sources, as in Atomic Café. The best example of the kind of narrative subversion to which Prelinger alludes might be Craig Baldwin’s Tribulation 99 (1991) in which the voice-over narration parodies the apocalyptic doom-laden voice of the paranoid style of the American right. Baldwin’s relentless oration laid over a montage of disparate imagery that supposedly tells a story of alien invasion from South and Central America is a mashup of espionage, sci-fi, ethnographic and political discourse. 11.– Walter Benjamin, TheArcades Project,op. cit., p. 211. 12.– Walter Benjamin, “The Storyteller,” in Selected Works, vol. 3,1935-1938, Howard Eiland and Michael W. Jennings (eds), Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 143-166. 13.– Walter Benjamin, The Arcades Project, op. cit., p. 460.

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Baldwin demonstrates the artifice of his discursive models, while his imagery evokes many other stories that remain untold. This is “information” at its most oppressive, and Benjamin’s storyteller is noticeable in his radical evacuation. Films with no narration, like Girardet and Müller’s montages, or Gianikian and Ricci‑Lucchi’s Dal Polo all’Equatore (1987), or Peter Delpeut’s Lyrisch Nitraat (1989), strip away all elements of linear narrative. Their montage structure might have an internal movement, but the images are left to speak for themselves, stripped of context, enabling or challenging the viewer to grasp them on their own terms, or through the filmmaker’s manipulations on the sensuous level of sound and picture alone. These films strongly suggest Benjamin’s storyteller by offering up images that speak only of their sources in the profilmic, saying simply this was here then, this happened here, this image was filmed.

We Hope the Future is Listening, and the Past Hopes we are too Prelinger claims that the reuse of preexisting materials enables us to think historically, a task that has been taken up perhaps most conscientiously by Péter Forgács, the Hungarian filmmaker who works from a wealth of public and private imagery. Moreover, we have a responsibility to the next generation to encourage them to think historically as well. Benjamin’s methodology in the Arcades Project is articulated in terms of an awakening. His historiography is oriented toward a “not-yet-conscious knowledge of what has been,” which is in turn an excellent premise for the reuse of archival footage that enables us to see the past on its own terms, torn from the mystifying contexts in which it lies dormant. Ernie Gehr’s wonderful film Eureka (1974) transforms a streetcar phantom-ride in San Francisco circa 1905 into a trip into another world where traffic, pedestrians, and horses take us deeply into the urban experience of the era. We are immersed not in information but in sensation, movement and space.

What’s Gone is Irretrievable, but Might Also Predict the Future Prelinger’s view of the archive is, like Benjamin’s, resolutely utopian. Through the construction of historical memory and historical difference, Prelinger came to understand that his ephemeral films “didn’t just describe a lost past, but might also be tracing the contours of possible futures.” This is precisely the thrust of Benjamin’s discussion of ruins as allegorical. Benjamin’s view of history as contingent, messianic and materialist is eminently embodied in the signs of decay and transience that are inscribed in the ruin. The impermanence of history ensures the Utopian possibility of social transformation promised but not delivered by modernity. Found footage filmmakers in the 1970s attended closely to the forms of decaying celluloid in films such as David Rimmer’s Seashore (1971) and Surfacing on the Thames (1970). Delpeut’s Lyrisch nitraat combines episodic montage technique with a melancholic tribute to the medium’s decay. As André Habib points out, Delpeut endows the cinematic ruin with a new aura in which

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temporality and historicity become palpable and tangible.14 In fact, I would argue that this is precisely how Benjamin conceived the notion of aura—as something always vanishing, on the verge of disappearance, thus marking the irreversibility and fragmentation of historical time.

Access to what’s already Happened is Cheaper than Access to what’s Happening Now Prelinger endorses the film archive as a source for DIY low-budget filmmaking. His polemic is not only a manifesto for fair use, but he links the detritus of the past, and the public domain, specifically with urban space. The city is the home of the garage sale and the flea market, and it is also, of course, the home of Benjamin’s ragpickers, gamblers, flaneurs and collectors. Prelinger’s cryptic remark that “the public domain is the coolest neighbourhood in town” reminds us that the city is, in turn, the subject of a great deal of found footage filmmaking. The late silent period saw the rise of the city film as a collage form, with Entr’acte (René Clair, 1924), Man with a Movie Camera (Dziga Vertov, 1929) and À propos de Nice ( Jean Vigo, 1930) made from the filmmakers’ own archives of original footage. The remarkable 1947 film, Paris 1900 (Nicole Védrès) may be the first in a long series of archival city films that has unfolded in the postwar era, including La mémoire des anges, LA Plays Itself, Of Time and the City and My Winnipeg. Cities are where many films—documentary and fiction—are shot, and thus, as Prelinger suggests, they are the source of a great deal of footage. But more importantly, urban space is like the cinema in that it is configured within the multi-perspectival collage form; and like archival film practices, it is riddled with signs of decay, transience and renewal. Benjamin recognized in the 1930s that film provided the emblematic context for “all the forms of perception, the tempos and rhythms which lie preformed in today’s machines.”15 The optical unconscious emerges in the depths of the urban jungle, enabling us to travel freely within its “far-flung debris.”16

Archives are Justified by Use Prelinger argues that only by increasing access can archives in the traditional sense keep pace with the degraded quality of all that is on offer on Youtube. Benjamin’s remarks on collecting privilege the private collection over the public because of the way that the collector inhabits his collection.17 And yet, even in this context, Benjamin insists that “the most distinguished trait of a collection will 14.– André Habib, “Ruin, Archive and the Time of Cinema: Peter Delpeut’s Lyrisch nitraat,” Substance, #110, Vol. 35, No. 2, 2006, p. 120-139. 15.– Walter Benjamin, TheArcades Project, op. cit., p. 394. 16.– Walter Benjamin, “The Work of Art (third version),” in Selected Works, vol. 4, 1938-1940, op. cit., p. 265. 17.– Walter Benjamin, “Unpacking my Library,” in Selected Works, vol. 2, 1927-1934, op. cit., p. 492.

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always be its transmissibility.”18 It may be that a collection becomes an archive once it becomes used, accessed and repurposed. In being used, moreover, it becomes an allegory of its own temporality and historicity; it becomes a form of memory that can be put in the service of the present and the contemporary user. Home movies constitute an important component of a certain kind of found footage filmmaking that I have described elsewhere as autoethnographic.19 Alan Berliner’s film Nobody’s Business (1996) is a good example of the filmmaker delving into the past to confront his father with the photographic details of the family’s history of emigration. Their story, a Jewish family escaping European pogroms, is a familiar one that Berliner’s father dismisses as “nobody’s business.” Illustrated with pre-war family photos and classic home-movie footage from the fifties, the film deploys the archive in a dynamic confrontation between father and son, and a drama of remembering and forgetting. Another good example is Jonathan Caouette’s film Tarnation in which the filmmaker appears to have grown up on film as an adolescent drag queen. Caouette uses the archive in his film as a therapeutic confrontation with his own troubled family life, and in the process provides a unique portrait of a working-class American family falling through the social safety net. Walter Benjamin’s own archive has been collected, displayed, exhibited and published, indicating how he meticulously inventoried his own work in all its various stages and fragments. His fear of losing bits and pieces of his labour was a real fear, arising directly from his itinerant homelessness as an exile in interwar Europe. But as the editors of the English translation of his archive point out, his collecting and archiving was always intended to be “used productively and grounded in the present.”20 In a fragment of text labeled “Excavation and Memory,” Benjamin offers his most prescient insight into the status and role of memory in modernity. He says: Genuine memory must therefore yield an image of the person who remembers, in the same way an archeological report not only informs us about the strata from which its findings originate, but also gives an account of the strata which first had to be broken through.21

Make a Quilt not an Advertisement Prelinger’s final point links open access to the folk art of quilting. The leftovers of corporate expression can be both useful and transcendent, he says, if they don’t have selling at their core. For Benjamin, the collector turns the commodity into an allegory. Detached from its use value, and indeed from all its original functions, the object in the collection is potentially dialectical, breaking 18.– Walter Benjamin, The Arcades Project, op. cit., p. 66. 19.– Catherine Russell, “Autoethnography: Journeys of the Self,” in Experimental Ethnography: The Work of Film in the Age of Video, Durham, Duke University Press, 1999, p. 275-314. 20.– Ursula Marx, Gudrun Schwartz, Michael Shwarz, Erdmut Wizisla (eds), Walter Benjamin’s Archive, New York, Verso, 2007, p. 10. 21.– Walter Benjamin, “Excavation and Memory,” in Selected Works, vol. 2, 1927-1934,op. cit., p. 576.

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down the commodity form into an allegory of its fetishistic origin. But Benjamin also identifies a kind of magical property in the collection, and suggests that the collector might even live a piece of dream life. Benjamin examines the Paris Arcades “as though they were properties in the hand of a collector.” The collector is like the dreamer in that the “rhythm of perception and experience is altered in such a way that everything…concerns us.”22 In the archival film, perception and experience are likewise reconfigured so as to address the spectator in the present historical moment. Influenced by the random juxtapositions of surrealist method, Benjamin provides an exemplary model for the potential of archival cinema to disrupt the expanding corporate landscape of archival imagery. In his note on “Excavation and Memory,” Benjamin actually suggests that memory itself might be a medium. As the many film examples I’ve sited here indicate, we can point to the image-bank of the media society that Benjamin’s arcades gave rise to as the realization of that medium. The image archive has given us a new language that the avant-garde has been mining for decades. In its earliest forms, Bruce Conner, Guy Debord and Arthur Lipsett used the language of the found footage fragment for a critique of image-based corporate culture. Prelinger’s manifesto reminds us of the ongoing urgency of this task. In what Benjamin described as the ongoing catastrophe of modernity, the film archive is one of our most valuable resources for a language that can speak to the impasse of historicism. Archival film practices are perhaps the emblematic art of the digital age and constitute the foundation of a new language of historical knowledge.

22.– Walter Benjamin, The Arcades Project,op. cit., p. 205-206.

Looking Back at an Electronic exchange with a Media Archeologist An Interview with Rick Prelinger by Caroline Martel 12 ½ years later

Caroline Martel1 Rick Prelinger It took place over a dial-up connection on a 386 computer, in the last century, a century that Rick Prelinger decrypted through his collection of films artifacts revealing “the dark side of the American Dream.2” As I was writing a review of his twelve CD-rom collection Our Secret Century, focusing on how multimedia could contribute to a new historiography of cinema, I dared to ask for an interview. This led to a back-and-forth email exchange over some long winter months, from November 1998 to April 1999. Prelinger may have later mentioned that my review3 was one of the first to engage seriously with his methodology, but his genealogy of ephemeral film, and his perspective on the transformation of knowledge culture and archival institutions in the digital age ended up seriously informing my own work, even infusing the development of my montage film The Phantom of the Operator (65 min., productions artifact, 2004).

Ephemeral/Orphan Films Today Taking up the idea of media archaeology that was becoming fashionable then on forums like Nettime and in Bruce Sterling’s Dead Media encyclopedia, I was curious to explore what an archaeology of media could entail, more specifically using ephemeral film as a “site.” The interview revolved primarily around the 1.– Acknowledgements: Caroline Martel wishes to thank Rick Prelinger for his spontaneous complicity and William Buxton for his support, as well as the Fonds des chercheurs et de l’aide à la recherche (FCAR). 2.– Back cover of Rick Prelinger’s laserdiscs To New Horizons and You Can’t Get Here From There (1993). 3.– Caroline Martel, “Our Secret Century: archives filmiques, nouveaux médias et historiographie,” Sociétés et représentations, No. 9, “La croisée des médias,” April 2000, p. 241-248.

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concept of the ephemeral film Prelinger brought to archival culture, and which ended up gaining institutional adherence from the National Film Preservation Foundation in the United States. Over the last decade, however, the use of the term orphan film, popularized through the contagious efforts of people like Dan Streible, founder of the Orphan Film Symposium, seems to have taken prevalence, for film archivists, scholars, and programmers around the world, and in legal settings. Abandoned, rare, neglected, almost-lost, unseen, or rediscovered, orphan films have gained a powerful resonance for motion picture preservation. Meant as a metaphor that strikes an emotional chord, the concept of orphanhood, for Streible, could at its best serve as an intellectual model for the study of media and culture writ large.4 Ephemeral and orphan film may really be one and the same, still the theories behind their naming suggest different avenues of discussion. Reading the exchange with Prelinger more than a decade later, it remains clear that the concept of ephemeral film has kept a relevance, especially in light of the notion of residual media now circulating in the fields of media studies and visual culture.5 While the orphan is to be saved, adopted and taken care of, the ephemeral film, as a form of residual media, reemerges “with a vengeance” to be recognized by the present as an image of its own (to paraphrase Walter Benjamin). Dealing with the ephemeral (in) film isn’t simply about rescuing it from being lost or out of sight. The very notion of “ephemeral film” is a productive oxymoron, pointing to how the existence of an artifact takes place in a cultural process of tensions between continuities and ruptures, imbuing it indeed with a new power. Not only do we find the films championed by Prelinger increasingly present in today’s mediascape, but their study has now been embraced by academia. As he says, the field has now even become “gentrified”! The collection of essays Films that Work: Industrial Film and the Productivity of Media6 exemplifies the growing literature on such films, filled with rich case studies, methodologies, and theoretical frameworks for the study of non‑canonized films.

The Media Archaeologist of Digital Archives In this new century, media archaeologists with credentials of their own have also multiplied‑with proponents such as Thomas Elsaesser, Wolfgang Ernst, Erkki Huhtamo, and Siegfired Zielinski. Emerging from a range of fields, and using an interdisciplinary approach, they rediscover non-dominant artifacts and narratives, much like what Prelinger has done since the 1980’s. As I read his assessment of the changes in the practices of preservation and access of motion 4.– Dan Streible, “The Role of Orphan Films in the 21st Century Archive,” Cinema Journal, Vol. 46, No. 3, Spring 2007, p. 124-128. 5.– Effectively formed in the past, but still active in the cultural process, the residual allows us to focus on the life cycle of cultural artefacts and practices. Originally brought forth by Raymond Williams, the concept is revisited in the collection of essays edited by Charles R. Acland (ed.), Residual Media, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007. 6.– Vinzenz Hediger and Patrick Vondereau (eds), Films that Work: Industrial Film and the Productivity of Media, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009.

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picture archives since the late 1990’s, it seems indeed that perhaps we’ve moved from the paradigm of a more traditional historical approach to a more material, immediate one that is indeed a form of archaeology. The “populism inherent in an archaeological approach” Prelinger refers to below has migrated largely onto the territory of the Web. But there, where “immaterial digging” is assisted by search engines, the risk is in the assumption that everything is there. We may be just now indeed accessing and watching databases, as figures such as Geert Lovink argue. While “folks,” citizens, and fans develop a YouTube-based relationship to the access of moving images, archivists still look for ways to redefine their working model. However, as archivist Paolo Cherchi Usai will point out, we have entered an era of permanent revolution where “the digital” defines the game of the audiovisual ecosphere, and another breed of orphans may be emerging: analogue print archives in the “post-celluloid” age. Increasingly preoccupied by the profound impact brought by the digital revolution, Prelinger has always kept his focus on access. Like a media archaeologist yet again, he suspects that the most interesting developments in the redefinition of our relationships to archives will arise from practices from the margins. In his concluding remarks of the interview, Prelinger expressed the wish to work with archival material “in a different way.” He indeed has done so since by continuing to experiment as a cultural producer, making a film (Panorama Ephemera, 2004), some film‑based performances (such as the Lost Landscapes, and The Life of Energy, 2010), and with his partner, the researcher and writer Megan Prelinger, he opened a public library of books, periodicals, and print ephemera. His interventions in the public sphere have ranged from acting as a film collector committed to the preservation of ephemeral/orphan films, to building a case before the court for the Public Domain Enhancement Act (Prelinger vs. Ashcroft, 2004), to leaving a “material” legacy at the Library of Congress (transferring his collection there in 2002), as well as online on archive. org. Giving thought-provoking presentations and writing essays (Archival Manifesto: on the Virtues of Preexisting Material, 2007), Prelinger is currently working on a new archival-based film like a dedicated orphanista, integrating “a scholar’s knowledge, an archivist understanding of material, and the interpretive vision of an artist.”7 (Caroline Martel, 2011) •

7.– Dan Streible, “The Role of Orphan Films in the 21st Century Archive,” op. cit., p. 125.

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Email exchanges between Rick Prelinger and Caroline Martel (November 1998-March 1999) Media Archaeology Caroline Martel [CM]: In Our Secret Century8, you analyze the American culture celebrated/constructed by governments, corporations and institutions, yourself saving and using audiovisual material vestiges. As Ian Hodder notes in Theory and Practice in Archaeology: “archeologists often claim that in comparison with historical evidence their data allow access to popular, non-elite culture— to the everyday lives of past men and women. Certainly the materiality of archaeological data allows a popular, accessible approach to the past […]. Whereas history is abstract and often intellectual, archaeological objects are immediately accessible and more open to commodification and consumerism9”. Any thoughts on this? Rick Prelinger [RP]: Since childhood, I have always been immensely attracted to objects and artifacts from the past. For me they are triggers of memories, narratives and ideas. I’ve always been more of a collector than a philosopher or theoretician. What this means in practice is that my ideas tend to arise from what I collect, witness and gather around me in an inductive, empirical process rather than a theoretical one. I don’t object to theoretical practice (in fact, I wish I was better at theorizing) but I find that material objects possess great power to stimulate thought, and we know so little about the historical contexts in which they were created. There’s also a populism inherent in an archaeological approach, as almost anyone is prone to reflection in the presence of old things, while few people like to wrangle with ideas. Media archaeology is an interesting offshoot of media-rich North American culture. Our predecessors (and ourselves) produce and discard media in all its forms almost as fast as we make garbage. It’s so ubiquitous, yet so unstudied. It seems daunting or forbidding to stop and examine what lies in front of us, to freeze the flow, to take a snapshot and see what it reveals. There’s far too much out there to do systematic studies: 500,000 to 600,000 ephemeral films; tens of thousands of music videos; millions of commercials. You really have to make up your rules as you proceed, based on what you can find or what you can see. The selection process isn’t motivated by principle but by expedience and possibility. CM: Any thoughts on your Film Theory studies at Berkeley? RP: I constructed my own major in college, called “Culture and Ideology.” I studied a little film theory and a little cultural theory, but what I do now has very little to do with what I studied in college, except one thing: I had a brilliant professor named Bertrand Augst, who is unfortunately not himself famous but who has influenced many people who are now quite influential. His thing was 8.– Our Secret Century, A series curated and hosted by Rick Prelinger (Vol. 1-12), New York, The Voyager Company, 1995-97. 9.– Ian Hodder, Theory and Practice in Archaeology, New York, Routledge Press, 1992, p. 227.

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to look at films not as sacred, complete narratives, but as assemblies of “semiautonomous segments”, as people like Christian Metz and Noël Burch did in the 1970s. This still influences me today. Also, he did not believe in hierarchies and masterworks in film…

The Study of Ephemeral Films CM: Under “ephemeral films” on the alt.culture website from December 1997, I quote: Term coined by film archivist Rick Prelinger (b.1953) to designate industrial, educational, amateur, and advertising films produced to instruct viewers how to become better citizens and consumers. Tendentious and practical, they are also disposable; nothing, Prelinger suggests, is more ephemeral than a film about new 1948 Chevrolets in 1949.

So you’re the one who coined the term! Has anyone contested this definition? Inspired by your methodology, I did some research to see how the study of ephemeral films could possibly translate in Québec/Canada. I came up with a terminology to talk about them: C-movies—for Commissioned films, and of course to evoke B-movies with their marginal status, their revealing “cheesiness” and their fans. RP: I am proud that the term “ephemeral films” has made it into official discourse; it’s been adopted as part of the National Film Preservation plans in the States. It comes directly from the term “ephemera,” which refers to printed booklets, brochures, advertising labels, miscellaneous documents, letters, etc. The alt.culture definition really oversimplifies the point. My idea is that like a chameleon, the effort to manufacture and sustain social consensus continually undergoes changes, and thus the media that it produces must always be reinvented and updated. CM: Do you somewhere present a definite introduction to the ephemeral genre? In fact, would you call it a genre? Don’t you see a problem with putting educational films in the same bag as industrial films? Also, why do you put amateur films within the sponsored film subgenre (industrial, institutional)? RP: It’s a bit of a stretch, but I think all of these subgenres (I agree with you) share one BIG thing in common: they function historically as a counter-cinema to mainstream fiction film (and television) even if they were not produced as such. The reason that they can function this way, I think, is that they document daily life, culture and industry and personal experience in ways that films produced within the fiction film industry cannot. They have evidentiary value in ways that feature films do not. Therefore we can look back upon these films, extract different kinds of evidence and construct different meanings. I do believe that fiction films tell us something about the conjuncture in which they were produced and distributed, but I think the landscape of ephemeral films is somehow much richer and, at the risk of being sentimental, more “authentic.” CM: Which genealogy do you attribute to ephemeral films? How do you situate them in relationship with the history of media such as radio, film, television and

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print magazines? For me, they also have a strong connection with functionalism, for their emphasis on the integration of individuals, “cultural dopes,” in the process of labour and consumption. Don’t you think ephemeral film discourse is often based on the functionalist belief in the social and capitalist systems’ perpetuity and capacity to overcome instabilities and disorders? RP: Even though they are not well remembered, ephemeral films were a very big part of the media landscape throughout the century. The first film ever made, La sortie des usines (1895), by the Lumière brothers, was arguably an industrial film. In the early years of cinema, educational, industrial and travel films certainly outnumbered fiction films, and the cinema was not devoid of advertising either. As fiction films and especially feature-length films became popular, the industry redefined the “essential” nature of the film experience totally in terms of mainstream fiction and fantasy. Even so, the numerically dominant genres continued to be ephemeral; perhaps 500,000 to 600,000 ephemeral films have been made in the States, compared to 100,000 features at most, and probably many fewer. They started to leave the scene in the 1970s, when the World War II-trained generation of filmmakers began to age and step back from the business, when technological factors like the eclipse of Super8 and the rise of video challenged producers’ ability to keep up to date with the tools of the trade, and when conventional film distributors found it impossible to compete with cheaper and easier-to-display video. Now the same impulses that gave rise to hundreds of thousands of sponsored and industrial films are expressed in a proliferation of media: the Web, op-ed pieces in newspapers, place-based advertising (like TV in airports and doctors’ offices), infomercials and videotapes mailed to peoples’ homes. Yes, many of these films are totally functionalist, and serve as excuses and alibis. If I was to hypothesize a common goal of all these genres, it would be to manufacture and sustain consensus in support of capitalist economics and 20th-century hegemonic structures of all kinds. Since film operates psychologically on individual subjects, it stands to reason that it would be the medium of choice for those interested in aiding the integration of individuals into larger systems. CM: Back in a 1982 issue of the Historical Journal of Film, Radio and Television, Daniel  J. Perkins from the University of Wisconsin asserted that the exclusion of the study of the sponsored film in the United States was not only logically and methodologically invalid, but that it also had prevented the development of a comprehensive history of cinema—and, we would agree—of North American 20th century civilization.10 RP: Much too little work has been done on ephemeral films in the U.S.; I can think of three reasons why. The first reason is that media studies still doesn’t carry the value or the prestige associated with more classical historical investigation. The study of film, especially films that aren’t recognized masterworks, is considered peripheral at best, trivial at worst. The second reason is that there is 10.– Daniel J. Perkins, “The Sponsored Film: a New Dimension in American Film Research?,” Historical Journal of Film, Radio and Television, Vol. 2, No. 2, 1982, p. 133-140.

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little consensus about how to approach and evaluate these complex documents. Scholars took perhaps seventy years to come to terms with fiction film, but they don’t know how to determine who is speaking in, who is the intended audience, and what is the representational vernacular of ephemeral films. It’s relatively easy to extrapolate the intentions of an individual, group or government from paper documents. It’s harder to look at films, such crowded and dense documents, and come up with simple theses. (Not impossible! I’m not asserting that these films defy analysis. Quite the opposite.) The third reason is access. Scholars (and everyone else) have had a difficult time gaining access to these documents. Remember, with the exception of films produced by the U.S. government, most of these films do not exist in any archives. That’s one of the reasons I made Our Secret Century, to put 100 canonical films on lots of peoples’ desks so that they could view and analyze them at their leisure. Out of the 45,000 or so films that we hold in our archives, perhaps 20,000 were effectively inaccessible to researchers and scholars until we acquired them. But there are many more you just cannot find. We’ve been involved with a few scholars who have worked with this material, and there are more every year. I think we’ve helped out several dozen people in recent years.

Film Archives at The Age of Digital Reproduction: Convergence of Institutions? CM: How has the Internet’s system/culture/existence transformed the way you see archives? In terms of access, of a circulation of works-production-reflections, but also in terms of your own feeling vis-à-vis the quantity of knowledge “out there”? RP: I could write a book about this question alone, but one issue jumps into the foreground: archives are going retail. Until recently, archives generally did not deal directly with the public. They functioned according to a service model, which meant that they waited for people to come to them and ask for access to their materials. Except in very special cases like genealogical records, most people only saw archival material in secondary form, recontextualized within completed works like photography books, TV programs and magazine articles. To use a marketing analogy, archives functioned as wholesale suppliers of content, while producers, publishers and other creators added value to this “wholesale content” and incorporated it as part of their commodities. This has changed. Archives now reach out to the public, especially through the Web. Rather than just putting indexes, databases and finding aids out for people to search, the records themselves are beginning to become available. In the States, you can go on the Library of Congress website and access thousands of photos and film clips. NBC is the first television network in the States to create an archival video server, though it is mostly entertainment-based. Much more of this will happen. Archives are suddenly much more accessible and proactive about offering access. How this will affect the circulation of knowledge and ideas is as yet unclear. At this point everything that archives disseminate just goes into the same media soup as everything else, and many people seem to view

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every kind of image in the same way, regardless of where it comes from or how important it may be. It is possible that the millennial spectator has so many images at his or her disposal that distraction and fatigue is inevitable. But for me it is exciting that it is starting to get easier for people to inform themselves historically, to create a context for their reflections that finally includes historical imagery. I don’t know how this may affect the creators of the future, and whether all of the newly archival material that’s available will be used for much of anything. But the elevation in the status of archival material and the growing ease of its availability is to me a very important trend, as we live in a society that sometimes seems almost proud of its ability to be ahistorical. CM: Some words on you present projects? RP: I’m working on a film called Danger Lurks!, a Canadian feature film which is being produced by Ron Mann, a Toronto director and producer. Danger Lurks! is a dramatic narrative produced completely from archival material, and it’s about menace, jeopardy and risk in North American culture. Safety films interest me tremendously because they are all about primal concepts (life, death, injury, punishment, redemption) and seem to provide a view into our social unconscious. Our Secret Century opened me up and gave me increased confidence to try out new ideas, and I’m most interested in trying to use archival material in a narrative mode. Since there is so much about documentary film (and historical TV programming) that’s static (and sometimes stagnant) right now, and since so many films that fit into existing genres seem rather repetitive, I hope to work with archival material in a different way. •

Afterthoughts It speaks well for Caroline Martel that her questions are still relevant. This is hardly the case for all of my answers. Who would have imagined that moving image distribution and cinema culture would change so radically in just a dozen years, and that archives would be floundering in a born-digital ocean while still trying to get control of the analog heritage ? More particularly, I could not have imagined in 1998-99 that by the end of 2000 I would start putting digital files derived from my archives online for free distribution, and that they would be downloaded tens of millions of times in just a few years, nor could I have imagined that a profoundly “unofficial” website like Youtube would serve up billions of videos per day of every conceivable type (excluding erotica), and that it would become a significant player in movements for social change. Nonetheless, I do not want to exaggerate the pace of change. While it is a truism that “the Internet changed everything”, it sometimes feels as if the world of moving image archives remains untroubled, if not unproblematized, by the ascendancy of digital cultures. In fact, while archives may be deep in a crisis of models, it’s not clear that many archivists (as well as the managers of their institutions) recognize this. An emerging generation of archivists, librarians and

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museum workers has elaborated a rich quilt of ideas and practices that could not only change their institutions but profoundly affect the cultures to which they contribute, but this group doesn’t possess the fiscal and institutional power to act on their ideas. The fiscal crisis of the state and many nonprofit institutions has also chilled inventiveness and experimentalism in the field. Access to archives has also escalated into a real problem. I stated in the interview that “archives are suddenly more accessible and proactive about offering access,” which may have been a case of wishful thinking. But the contradiction is accentuating between our ability to access and reuse archival holdings via the Internet and the small fraction of archival materials that is actually available for these purposes. I worry that emerging authors and creators no longer look to archives as sources of historical documentation, that they’ve “routed around” legacy repositories in favor of more accessible (if sometimes less authoritative) online collections. In part this may be due to archives’ longtime orientation towards credentialed scholars and professional researchers, a direction that does not recognize that much research (perhaps a majority of work) in cinema studies and media scholarship occurs within an unofficial community of citizens and fans. But in a broad sense there are indeed encouraging developments in the field some still call “media archaeology.” A growing body of ephemeral films (a loosely-defined cluster of genres that’s now closely congruent with what’s called “orphan films”) is now available online for screening, teaching, remix and reuse. I estimate that tens of thousands of derivative works have been made by amateur, student and professional makers simply from our own online collection. Material that was once at the cultural periphery is frequently shown, quoted and integrated into the contemporary media flow. What I call the “gentrification” of ephemeral film studies is in progress, as academic attention shifts from studio-made masterworks towards film documents of daily life and industry. Dan Streible and Anna McCarthy’s 2007 course on sponsored films at New York University was a watershed moment, and there is major interest in these materials at Concordia University, Indiana University and elsewhere. It is risky to speak of frontiers and futures, but if new territory is indeed being navigated, it is probably in the area of personal archives and documentation. A broad-based decentralized set of archival practices is very likely to cause a dramatic difference not only in the kinds of documents that are preserved, but also in the archival workflows and practices that prevail. It may be apropos to characterize the great shift in archival culture as a movement from institutional to personal, but it would be foolhardy to overestimate the wisdom of crowds or underestimate the survivability of venerable institutions. But just as media archaeology influenced the established archives field from outside, it seems likely that the future of archives will be influenced most dramatically by externalities rather than what archivists do on their own. (Rick Prelinger, 2011)

Filmmakers as Antiquarians: Adapting and Adopting Found Footage in the Digital Age Gerda Johanna Cammaer

Introduction “The true method of making things present is to represent them in our space, not to represent ourselves in their space.”1

In the wake of more and more film prints disappearing, both due to physical forces (film decay) and to societal forces (the general push to go digital and no longer use film or to project on film), Benjamin’s motto has gained tremendous importance for found footage filmmakers. Where before the interest in found footage filmmaking focused on using the images to tell personal stories or to comment on the content of mass media, more and more found footage filmmakers now feel the urge to tell stories about film as a disappearing medium. Besides the usual creative rewriting of history and memory, this particular kind of found footage films is an important contribution to the preservation and appreciation of our celluloid past. Moreover, many found footage filmmakers have adopted so-called “orphan films” to use the images in their films. As film collectors they are often the sole saviors of unknown film treasures that fell outside the scope of official film archives. Where before, in the analogue age, this often meant the destruction of the original film because the filmmaker would literally cut and past the film into a new narrative, in the digital age this is no longer the case: most filmmakers work in digital video which means that they transfer the images and the original film copy stays in tact. In contrast to our society’s growing amnesia with regards to analogue film and analogue filmmaking practices, found footage filmmakers remind us of this 1.– Walter Benjamin, “The Collector,” in The Arcades Project, Rolf Tiedemann (ed.), trans. Howard Eiland and Kevin McLaughlin, Cambridge, MA, Belknap Press, Harvard University Press, 1999, p. 206.

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tradition. Their films operate as moving image catalogues for a widely dispersed and so far undervalued film “antiquarium.” The latter is especially the case for the quickly fading world of 16 mm films and the many lesser known film genres that were shot on this format, such as industrial films, public broadcast announcements, mental hygiene films, scientific experiments, army films, publicity and educational films, anthropological films, independent documentaries and even some home movies. In practice, for who is looking to find new footage, it is evident that many of these films have already disappeared: it is more and more difficult to find 16 mm films, and it is more and more expensive to buy them. Decades ago, first with the coming of analogue video (VHS) followed by the coming of digital video (DVD), university and other public libraries organized major clean-ups and they eagerly trashed most of their 16 mm collections: that was a golden age for film scavengers such as found footage filmmakers. In the mean time, the 16 mm copies that survived these first major sweeps of 16 mm film history in public institutions have become scarce and thus more valuable objects: they not easily to be found anymore as trash or received as freebies, but they circulate as sought for “antiques,” as can be seen in the adds that sell 16 mm films on the internet.2 Rodowick’s observation that “what we always believed to be the most modern art is suddenly becoming antiquarium”3 is nowhere as evident as in the vanishing world of 16  mm film production and exhibition: a story and history worth telling both in word and in (found) moving images before it vanishes.

From Ephemera to Artifacts: Building a 16 mm film Antiquarium “Collecting is a form of practical memory, and of all the profane manifestations of ‘nearness’ it is the most binding. Thus, in a certain sense, the smallest act of political reflection makes for an epoch in the antiques business. We construct here an alarm clock that rouses the kitsch of the previous century to ‘assembly’.”4

As a 16 mm filmmaker, I am always on the outlook for 16 mm films. This is how I gradually built a personal film archive with non-fiction films collected from pawnshops, garbage bins, public library dumps, film labs, film coops, film departments, a few I bought on Craigslist and others that were donated by people familiar with my passion for “lost” films to adopt. But only gradually 2.– Many 16 mm films are offered by individuals on general sale sites such as Craigslist () and this in the category “antiques” (!). Other sites provide similar films as stock footage, and this at rather expensive rates. See for example, or . On the other hand The Internet Archive, a non-profit digital library, offers many educational and industrial films that are part of the public domain to download for free use to researchers, historians, scholars and the general public : see . By far the best example of such a free access Internet film archive (and listed as part of The Internet Archive) is The Prelinger Archives (), not by chance a film archive that was build by a (found footage) filmmaker, Rick Prelinger. 3.– D. N. Rodowick, The Virtual Life of Film, Cambridge, Harvard University Press, 2007, p. 29. 4.– Walter Benjamin, “The Collector,” op. cit., p. 205.

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film collecting became the passionate hobby it is now. I was not as fanatic in my early years of making (found footage) films, even worse: I cut up several film prints and caused irreparable damage to them so that I could more easily rework the images on the optical printer.5 Also, where in the beginning I would not take films that were damaged and only those with “funky images”, I now take whatever I can find in whatever state it is in and work with it. Conscious of the fact that I am working with a disappearing medium and history, for me collecting films has become “a form of practical memory” as Walter Benjamin described it, “a small act of political reflection” to mark this specific era in the film business, as it begins to “make for an epoch in the antiques business.6” Most of the films in my collection can be classified as “orphan films”, a term that has gained critical acclaim in the past decade thanks to the Orphan Film Movement in the USA. The concern about orphan films comes from the archival community when in the 1990s, the evocation of “save the orphan film” effectively replaced the 1980s credo of “nitrate can’t wait”. New research had brought about that nitrate actually can wait and that all film material, whether nitrate or acetate or even polyester, are potentially equally at risk in the absence of proper storage—not even mentioning the graveyard of dead tape formats or the digital rot that is making lots of archivists anxious about the future of moving images. Archivists used the new slogan “save an orphan” successfully to seek funding from the public and private sector to help restore and preserve orphan films in their collections. As Paolo Cherchi Usai states: “[…] what is so powerful about the term orphan film is not only its effectiveness—it is something that is fairly easy to understand without much explanation—but also its emotional resonance.”7 As such it is a useful concept to draw attention to our disappearing film culture, but despite its emotional appeal I prefer to call the films I have adopted “foundlings” simply because I can always tell the story of how I found the films, very rarely of how they became orphaned. The growing scarcity of 16  mm films in general has made the ones in my collection more valuable, just as it happens with antiques. Thanks to their disappearance from (film) history these formerly “unimportant” films such as educational and industrial films gradually gain importance and “aura”, and this even more thanks to the poor state they are in due to a lack of care. As Laura Marks states, “with its disappearance and fading away, film accumulates aura. Mechanically reproduced images supposedly lack aura, but as images decay they become unique again: every film is unhappy after its own fashion.”8 Moreover, 5.– An optical printer is a machine composed of a projector and a camera interlocked in synchronized movement that allows to copy film images frame-by-frame, with or without special effects such as dissolves or superimpositions. 6.– Walter Benjamin, “The Collector,” op. cit., p. 205. 7.– Paolo Cherchi Usai, “What is an Orphan Film? Definition, Rationale, Controversy,” paper delivered at the symposium Orphans of the Storm: Saving Orphan Films in the Digital Age, University of South Carolina, September  23th 1999. Transcript: (accessed November 27th 2007). 8.– Laura Marks, Touch: Sensuous Theory and Multisensory Media, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002, p. 94.

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“the less important the film was considered, the less likely that it will have been archived with care, and thus it is more likely that the discovery of the object will be a bittersweet pleasure.”9 Indeed, most of these non-commercial non-fiction films are on acetate film, which is as much subject to chemical decay as nitrate film is, despite its label “safety film.” A process called “acetate degradation” causes the films to shrink, curl and turn brittle. It has actually been dubbed “vinegar syndrome” after its distinctive odor when you open the can. There are also the numerous Eastman colour films, some even only a few years old that have turned rosy-pink.10 And if these film-deteriorating phenomena are not bad enough in itself it also has (and has been) the perfect excuse to trash lots of these films that were considered unimportant. This is the major difference between films of a commercial or a non-commercial nature, between fiction and non-fiction films, and between 35 mm and small format films. The latter are far more at risk to vanish from archives or will simply never get there to be preserved as part of our film culture. It is not surprising then that in these times when most 16 mm film is quickly disappearing, filmmakers who work with this material day in and day out are inclined to make films that remind us of these overlooked films and of the material aspects of film, those characteristics that make film and that cannot be replaced or reproduced in video. Also, outside the filmmakers’ community, there is a growing interest and recognition for small gauge films and for the fact that damage and use makes every film print unique, that these are valuable artifacts. “Often criticized in the history of the aesthetics as a medium of mechanical copying, the aesthetic experience of cinema is in essence non-repeatable. No two prints of the same film will ever be identical—each will always bear its unique traces of destruction with a specific projection history; thus each print is in some respects unique.”11 It is exactly that unique quality of each print, and of any form of film damage, that has become a popular creative tool in the hands of found footage filmmakers who, paraphrasing Benjamin, are constructing “an alarm clock that rouses the kitsch of the previous century to ‘assembly’.”12

Turning a Bittersweet Discovery into a Honeysweet Recovery: The B-Film Keeper (16 mm transferred to digital video, 13 min, 2009)

I have made many what Laura Marks calls “bittersweet discoveries” in my scavenging of film dumps and pawnshops. Most of the films in my collection are faded prints, others show severe scars from their active lives as projection prints, yet others have a very particular type of damage such as my 16 mm copy of Belles of the South Seas (16 mm, 10 min., Castle Films, 1944), a travel film on which every single frame in which the indigenous people have exposed upper 9.– Laura Marks, op. cit., p. 92. 10.– David Chute, “Film Preservation at the (Digital) Crossroads,” article written for Film Comment, but remained unpublished. Online: (accessed May 1st 2008, no longer accessible in 2010). 11.– D. N. Rodowick, The Virtual Life of Film, op. cit., p. 20. 12.– Walter Benjamin, “The Collector,” op. cit., p. 205.

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body parts is scratched out by hand.13 (Fig.  1) But the film find that had by far the most impact on me and on my work as a filmmaker and film scholar, was a damaged silent 16  mm film about beekeeping. Back in 1999, I saved this print from a pile of damaged films in the National Film Institute (INC) of Mozambique in Maputo, formerly the biggest film archive and film lab in Africa.14 This particular film was one of the few 16 mm copies in a huge pile of 35 mm films damaged by fire and water left to decompose after the INC burned down in 1991.

Figure 1. Frame grab from Skindrums and Tattoos (Gerda Cammaer, 2009), a film made with the damaged print of Belles of the South Seas (1944).

My experience in Maputo was the major impetus to focus my PhD researchcreation thesis on the Afterlife of Film15, and as part of this research I transformed the silent German educational film on beekeeping and honey making into a found footage digital video titled The B-Film Keeper (2009). I have kept the original film until I had access to proper transfer facilities so that I could copy the film myself to either digital video or onto film.16 I wanted to do this myself because I was afraid that lab professionals would be reluctant to work 13.– I assume this print comes from a Catholic School library where someone saw the need to censor the film, but that is only a guess. I bought the film for a few dollars in a shabby pawnshop on a rusty reel wrapped in a newspaper. 14.– It is worth noting that there is very little known about the state of the film heritage in poorer countries. The way we can discuss and fuss about saving our crumbling celluloid past in the West is a luxury many other countries can’t afford. 15.– Gerda Cammaer, Afterimages and Afterthoughts about the Afterlife of Film: A Memory of Resistance, PhD Thesis presented in partial fulfilment of the requirements for the degree of Doctor in Philosophy at Concordia University, Montréal, Québec, December 2009. 16.– In 2007, I started working at The School of Image Arts of Ryerson University, where I have access to the Téléciné transfer facilities of the school’s own 16 mm film lab.

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with the dusty film print and I knew that the film was too brittle to survive any intense cleaning. I carefully transferred the images frame-by-frame twice: once with a slightly broader frame than usual so that the damage in between the sprockets shows, and once as a strip of three frames with black strips on the side, to show even more how the water damage (white patches) travels over the film’s edges across several frames. I used both framings in the film, at times even inserted one into the other to double the effects of the damage around the edges (Figs.  2-3). I also recorded the sound of the film’s decay by letting the sound device of a film projector read the washed away pattern on that side of the film where normally the optical soundtrack would be. There was no original sound (it is a silent film), which made for a nice, clean recording of the decayedfilm-sound so that I could use it as the basic soundtrack for the entire film. I combined this with natural bee and cricket sounds, both rhythmical sounds that mix easily with the melodious “cracking” of the damaged film.

Figure 2. Scan of three frames of the original silent German film.

Figure 3. The B-Film Keeper (Gerda Cammaer, 2009): video still from the film.

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The two major themes of the B-Film Keeper are the disappearance of analogue film and the possible extinction of honeybees.17 But indirectly the film also refers to the tradition to see the beehive as a centre of creativity, and by extension to film as a creative activity. In the original film, the type of beehive demonstrated is a movable frame beehive: the frames can be taken out to allow the beekeeper to extract the honey frame by frame. For a filmmaker this idea of movable frames speaks volumes, so I replaced the first German inter-title, which read ‘the beehive’, with ‘movable frames’. I made similar replacements for all the other German inter-titles each time with a line that can refer to both beekeeping and filmmaking. I placed the inter-titles in a typical silent movie title-frame as to give the film an older and more theatrical look, and to undo the didactic tone of the original film. I also enhanced the “drama” in the B‑Film Keeper by adding short fragments of the film music from Alien (Ridley Scott,1979) to the film, a choice inspired by the ghostlike images of the beekeeper in his bee-costume wandering through the moonlike landscapes of the damaged film frames. To enhance the film-rescue theme even more, where possible and sensible within the original narrative about how to make honey, I inserted images from instructional films about how to make 8 mm films and how to take care of films.18 Inserting clips of these films into the damaged film frames of the bee film (sometimes superimposed, other times inserted fully) allowed me to make the storyline about film being threatened with extinction more explicit, and it allowed to introduce related topics such as film decay and film preservation. No matter how different in nature, several times the honey-making and filmmaking theme naturally overlap and connect. In a section I (re-)titled “the (movie) queen,” a woman who in the original film Facts about Film acts like she is bothered by the scratches on her image caused by the mishandling of the film print is once inserted in the bee film also bothered by a queen bee searching for honey. Consequently, the film-scratches can now be read as the flying pattern of the bee or as the need to scratch after being stung by a bee (the woman covers her face to protect herself ). At another moment in the film, the ignition of a nitrate filmstrip is inserted in a series of close-up images of honey extraction by the bees in the hive, as if the burning film and its smoky trail is a fumigator to stun the bees. Towards the end of the B-Film Keeper, I inserted a short fragment of the documentary Race to save 100 years (Scott Benson, 1997) in which we see an employee of the early Mayer Studios putting film reels in wooden cases, ready to be sent off to customers or to be stored in their archives. I added a ‘B’ where it says ‘films’ on the box, a reference to the fact that it is most urgent to save non-mainstream and ephemeral films (B-Films) such as all those used in the 17.– Honeybees are currently threatened with extinction due to environmental changes, among other cell-phone radiation and genetically modified crops with incorporated pest control. This has lead to the so-called colony collapse disorder, a term used for the many sudden disappearances of worker bees in from beehives. 18.– These are two films I downloaded from : The Facts about Film (Atlanta Board of Education and the International Film Bureau, 1948) and How to use your 8 mm camera (Burnford, 1953).

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B-Film Keeper. Or as the Library of Congress rightly stated: “it is in the task of restoring these orphan films that the urgency is the greatest.”19 It is obvious that I have imposed my concerns about the death of film on this bee film, in part with the title(s) and the sounds, and most definitely by inserting the images from the films-about-film. Yet, I tried doing this in a playful way so that the death-of-film-theme (and the heaviness that comes with it) does not dominate the entire film. I am conscious that the obvious signs of water damage at the sides of the film act as film-decay-in-motion and thus actively and constantly confront the viewer with the fragility and mortality of the medium film. But as in other work with decayed film, the damage also gives the film a lyricism and a surrealist look not present in the original film, and it actually works very well in tandem with the film’s original theme of honey making. All along the film’s irregular blotches and bleached patches dance along nicely with the bees, buzzing and swarming like they do. At times even phantom sprocket holes drift in and out of the beehive, as virtual honeycombs or ghostly picture frames for other past images. These moments are the closest one can get to experiencing afterimages, not just about film, but also on film. Towards the end of The B-Film Keeper, the film-damage is so rhythmical and prominent in image and sound that it becomes like a spiritual dance with the ghost-like bee-keeper, who as a good apiarist and film-archivist carefully packs and covers his treasures before leaving the moving film frame for good.

An Aesthetic of Ruins or How to Re(dis)cover the Losses “Found footage filmmaking, otherwise known as collage, montage, or archival practice, is an aesthetic of ruins. Its intertextuality is always also an allegory of history, a montage of memory traces, by which the filmmaker engages with the past through recall, retrieval, and recycling.”20

There are several different methods to work with found footage, but as Ken Jacobs stated, “a lot of footage is perfect left alone.”21 With the growing interest in small film formats and forgotten film histories, the appreciation for found footage films that expose these has shifted from studying how the content of the found images is used in relation to the new narrative, to the question about the origins and state of the source material used, and to what extend it is left intact to tell its own story. Footage that is not tempered with in the new film permits it to be seen as its maker and his or her contemporaries saw it, and we can then “observe the passage of time, how it has invested the film footage with nostalgia, 19.– Duke Law School, Center for the study of the Public Domain, “Orphan Works: Analysis and Proposal, Submission to the United States Copyright Office,” March 2005, Duke University, Online: (accessed March 3rd 2008), p. 1. 20.– Catherine Russell, Experimental Ethnography: The Work of Film in the Age of Video, Durham N.C., Duke University Press, 1999, p. 238. 21.– Cited in William Wees, Recycled Images: The Art and Politics of Found Footage Films, New York, Anthology Film Archives, 1993, p. 6.

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historical and sociological interest, and an aesthetic value that is apparent only because [the filmmaker] left the footage intact, rather than re-editing it to suit his [her] own formal and thematic concerns.”22 I really understood the complications of such a more historical approach to found footage films through the detailed study of two major trendsetters for this more recent tendency to work with found footage as a post-filmic statement: Bill Morison’s Decasia (2002) and Peter Delpeut’s Lyrisch nitraat (1991), two films that explore the wonders of nitrate films and their decomposition. Elsewhere I have discussed in detail the differences and similarities between the two filmmakers with regards to their respective editing strategies and how they collected and respected the original footage.23 Of the two Peter Delpeut’s work aligns itself more with the activities of film archivists than with the better known tradition of found footage filmmakers that use the footage for pure artistic experiments or to expose the oddity and artlessness of the films used.24 Delpeut respects the stories the original films told, while Morrison emphasizes the nitrate blisters over the content of the films and he has scrambled the numerous images from various sources in such a way that it is impossible to retrace the original films or their narratives. Delpeut also carefully lists all the films used in the order of their appearance in the credits of his film so we can use his “collage” as a guide to retrace the history of the original films. Bill Morrison clearly aligns his work more with the tradition to use the found images in an abstract way as the genre developed in the 1960s and was later adopted in video art and music videos. He uses the images for their oddity, for how they look and work in the new film, even just for the rhythm and movement of their nitrate deterioration, not for what they tell us as film, about film or its history, and he does not list the damaged films or the clips he worked with. I would like to see that found footage filmmakers carefully credit the films used at the end of their films. I know that this goes against the idea of making collage films as counterculture, and I understand that most filmmakers don’t want to attract attention to the fact that they use the images “illegally”. We need a more flexible approach to copyrights by legislators and by filmmakers. Now that this history is quickly fading, filmmakers who use these films for their own creative activities, have a responsibility to help give these films a more prominent spot in film history and in film culture in general. This cannot happen if the adopted films remain anonymous and are completely dissected to serve only the wildest creative fantasies of the filmmaker.

22.– William Wees, op. cit., p. 6. 23.– Gerda Cammaer, “Film Reviews: Lyrical Nitrate directed by Peter Delpeut, The Netherlands, 1990. Decasia directed by Bill Morrison, USA, 2002,” Convergence, Vol. 15, No. 3, August 2009, p. 371-373. 24.– See also William Wees, op. cit., p. 6.

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Gerda Johanna Cammaer

Conclusion: the Medium is the Memory25 “Memory is the most faithful of films.”26

With the recent total take-over by digital technology, there seems to be another wave of dumping film copies, especially in educational institutions that were some of the last places to hold substantial 16  mm film collections. Simultaneously and contrary to this, there is in the academic and artistic world a growing awareness that thousands of small films are still physically, commercially and historically neglected, and there is an active interest in trying to save these “orphan” films. These two forces make that these films have accumulated aura over the years, particularly those marked with an interesting pattern of damage. In the art world, there is a resurgent interest in found footage filmmaking and films that use damaged footage are a strong new trend in the genre. André Habib aptly described this mode as “poetic archeology” or “archival poetry”: “all these films set up an intriguing dialectic between form and content, between the imprint of the film and its material base, which manifests itself through its accidents, and its imperfections.”27 This quality is exactly what makes images on film so unique: even if they are discolored, brittle, dusty, scratched, broken, shrunk, they can still be seen, copied and used. Through digital transfers or with traditional optical printing, copies can be made that to some extend bring back the original colors of the film. And even if the print remains discolored, or damaged in any other way, we can still see the images and study what the film is telling us about the past. As a filmmaker I am interested in both processes: trying to recover lost film history and trying to recover the stories of the lost films. By integrating this in the films I make with found images, I hope to contribute to a greater awareness of the multiplicity, variety and importance of our celluloid past that expands far beyond the well-known master works. This is the task of the antiquarian: to study and share his or her knowledge about the ancient (film) objects as physical traces of the past. Small film formats are a rich and varied heritage that we cannot just let fade away. Films that (re-)use these films and especially those that work with damaged film footage, actively remind us of the fragile state of film as a medium, but also of its beauty even in a state of decay. This is both the story of the death of film and of the many possibilities for a rich and vibrant afterlife. If film is history, the medium is the memory.

25.– This is the title of an interesting article by Lance Strate, “The Medium is the Message” in Old Messengers, New Media: The Legacy of Innis and McLuhan, Essays : Archives as Medium, Ottawa, Library and Archives of Canada, 2007, p.  1. Online: (accessed August 7th 2009). 26.– André Bazin, “What is Cinema?,” cited in D. N. Rodowick, The Virtual Life of Film,op. cit., p. 73. 27.– André Habib, “Ruin, Archive and the Time of Cinema: Peter Delpeut’s Lyrisch nitraat,” Substance, # 110, Vol. 35, No. 2, 2006, p. 129.

« It’s not gone, it’s just hiding » Quelques notes de recherche-création avec les films orphelins Caroline Martel Les voies qui conduisent aux archives – ou qui mènent les archives jusqu’à nous  – sont souvent laborieuses, et parsemées de détours étonnants. Il arrive aussi qu’elles laissent des traces brouillées, ce qui participe bien sûr à une certaine mystique de l’archive. Or, ce rapport à l’archive, à ses origines et à ses différentes déclinaisons, est rarement le même qu’on soit chercheur, historien, archiviste ou créateur. Chacun doit ainsi forger ses pistes de rencontre, contribuant de manière distincte à la re/découverte de l’archive. À la lumière de quelques-unes de mes expériences de réalisation, ce texte mettra de l’avant la pratique de production artistique et documentaire en tant que mode de recherche, de diffusion et de conservation active des images en mouvement. À titre d’artiste documentaire et (relative) agente libre de la mise en valeur du patrimoine archivistique, j’ai en effet effectué au cours de la dernière décennie deux projets qui m’ont permis d’amorcer une réflexion sur certaines problématiques liées à l’« avenir de la mémoire » : le film de montage Le fantôme de l’opératrice (65 min., 2004) et une exposition comprenant deux installations vidéo, Cinémas de l’industrie / La chimie du temps (2 x 22 min. + 8 min., Galerie Dazibao, 2009). J’ai ainsi fréquenté divers archivistes ainsi que des institutions publiques telles que Bibliothèque et Archives Canada (BAC), ce qui m’a menée à formuler quelques questions que je partagerai ici. Que peut apporter le travail empirique des artistes et cinéastes avec les archives ? Si les images en mouvement traversent le temps, leur nature en est-elle pour autant figée ? De quelle mémoire ou résonance sont-elles porteuses ? Que restitue – ou resitue – le regard que nous portons sur elles à travers les décennies ? Les pistes de réflexion qui se sont ainsi développées ont convergé vers la proposition suivante : le travail des cinéastes et des artistes avec les archives – et avec les archivistes – nous permet de poser un autre regard sur leur conservation et leur restauration, et ceci est encore plus vrai pour un patrimoine fragile comme le cinéma dit orphelin. 125

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Perdus et retrouvés : les films orphelins C’est dans les années 1990 que j’ai été initiée à l’univers des archives en me penchant sur le corpus que l’on qualifiait alors de ephemeral films (« films éphémères  »), ces médias résiduels1 qui n’étaient pas à l’origine destinés à être conservés. Ce terme, mis de l’avant dès la fin des années 1980 par Rick Prelinger2, puis adopté par la Library of Congress, désigne essentiellement des films de non-fiction produits à des fins éducatives, industrielles ou promotionnelles, et pour des usages ponctuels liés à des contextes spécifiques3. Aujourd’hui, l’expression orphan film (film orphelin) semble avoir pris préséance à l’échelle internationale pour désigner ces images restées sans « parents » (c’est-à-dire sans détenteur de droits reconnu), et qui ont été mal protégées ou peu revisitées. Alors que l’appellation est parfois critiquée pour sa métaphore quelque peu émotive – en effet qui s’opposerait à « sauver un orphelin » ? – certaines approches vont jusqu’à élargir le concept à toutes les formes d’images en mouvement négligées, au sens propre ou figuré4. C’est d’ailleurs dans cette foulée qu’un archiviste comme Paolo Cherchi Usai en est venu à se demander si, sous la pression de la révolution numérique qui définit désormais l’environnement audiovisuel comme «  post-celluloïd  », les œuvres sur pellicule ne risqueraient pas ellesmêmes d’être considérées, à terme, comme des œuvres orphelines5. Ainsi, malgré son importance culturelle, historique, ethnographique, documentaire et parfois même esthétique, ce corpus d’images aussi ancien que le cinéma lui-même, et dont l’ampleur n’a rien à envier au cinéma de fiction6, a longtemps été oublié par les ouvrages d’études cinématographiques. Les milieux 1.– Pour une exploration de ce concept emprunté au sociologue de la culture Raymond Williams sur les dynamiques de rupture et de continuité dans le processus historique de vie des médias, voir Charles Acland (dir.), Residual Media, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007. 2.– Collectionneur, archiviste, cinéaste, écrivain, revendeur d’archives et libre-penseur sur les questions d’histoire sociale et culturelle américaine, ainsi que sur la propriété intellectuelle, Prelinger est de ceux qui ont le plus contribué à faire reconnaître l’importance des ephemeral films. Luimême a conservé quelque 60  000 films institutionnels, corporatifs, industriels, agricoles, éducatifs, publicitaires, de recrutement, d’entraînement, de sécurité et amateurs, jusqu’à ce qu’il les cède à la Library of Congress en 2002. Aujourd’hui, plus de 2000 d’entre eux sont accessibles sur l’Internet Archive (). 3.– En ligne  : (page consultée le 7  janvier 2010). Non sans trouver l’exercice de dénomination problématique, j’avais à l’époque tenté de lancer des pistes pour l’étude de ces œuvres que j’étais venue à baptiser les films de Série C. « Série C » pour films de commande, et en clin d’œil aux productions dites de Série B, elles aussi restées en marge de l’histoire du cinéma, ayant des univers forts, une importance sociologique manifeste et de fervents amateurs ou détracteurs (Caroline Martel, communication « Histoires d'archives : les films éphémères », Congrès ACFAS, 1998). 4.– « […] orphan films are those “that lack either clear copyright holders or commercial potential” to pay for their preservation. However, a much wider group of works falls under the orphan rubric when the term is expanded to refer to all manner of films that have been neglected. The neglect might be physical (a deteriorated film print), commercial (an unreleased movie), cultural (censored footage) or historical (a forgotten World War I-era production). » Wikipédia, « orphan film ». En ligne : (page consultée le 7 janvier 2010). 5.– Paolo Cherchi Usai, « Are All (Analog) Films “Orphans” ? A Predigital Appraisal », The Moving Image, vol. 9, no 1, printemps 2009. 6.– Voir l’entretien avec Rick Prelinger publié dans le présent ouvrage.

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universitaires commencent toutefois à leur consacrer des recherches, comme en témoigne la publication des premiers véritables ouvrages savants sur le sujet7. Il n’en demeure pas moins que, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ce sont pour l’essentiel les cinéastes et les artistes associés à la pratique du found footage qui ont posé un regard critique sur ces productions non canonisées.

La mise en lumière des praticiens

Depuis les essais dialectiques d’une Esther Schub ou d’un Jay Leyda, qui de surcroît a autant touché la théorie que la pellicule, puis ceux des Nord-Américains Joseph Cornell, Bruce Conner et Arthur Lipsett, et de cinéastes lyriques plus contemporains tels que les Européens Gustav Deutsch et Peter Delpeut, les réalisations d’archives ont toujours cumulé les fonctions. Elles recensent les images anciennes pour mieux les révéler, les «  déconstruisent  », et parfois aussi les reconstruisent, en les restaurant. Qu’elle soit documentaire ou expérimentale, la démarche des praticiens peut être envisagée comme une forme d’étude appliquée des archives, à la manière de la recherche-création qui a désormais droit de cité dans les milieux universitaires. On pourrait envisager leur rôle également à l’instar de commissaires chargés d’interpréter et de mettre en exposition des collections d’artéfacts culturels. En fait de mise en valeur de l’héritage cinématographique, qui plus est d’un patrimoine moins connu comme celui des films orphelins, les artistes et cinéastes occupent donc une position unique dans la mesure où ils sont à même de les mettre littéralement en lumière. Ne dit-on pas d’ailleurs que la présentation des œuvres est l’étape ultime de leur conservation ? L’intervention des créateurs s’avère essentielle pour élargir de manière tangible le champ des connaissances et l’appréciation nouvelle de certaines œuvres à travers le temps.

Le fantôme de l’opératrice – la recherche Ma première incursion dans l’univers des productions industrielles remonte à l’époque où je cherchais des traces cinématographiques de l’histoire des téléphonistes. À l’issue de plusieurs années, mon projet documentaire est devenu un film de montage. Le fantôme de l’opératrice est uniquement constitué d’extraits de productions de compagnies de téléphone nord-américaines de nature industrielle, publicitaire, de recrutement et de formation, ainsi que de films de gestion scientifique du travail, tous produits entre 1903 et 1991 (Fig. 1). Il propose un récit de la construction de la figure de la téléphoniste à travers différents courants

7.– Voir Vinzenz Hediger et Patrick Vonderau (dirs), Films That Work: Industrial Film and the Productivity of Media, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009  ; Charles Acland et Haidee Wasson (éds), Useful Cinema, Durham, Duke University Press, 2011 ; Dan Streible (dir.), Learning with the Lights Off, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Gerda Cammaer et Zoe Druik, Cinephemera: Moving Images At the Margins of Canadian Film History, Toronto, McGill University Press, 2013.

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de gestion du travail, et ce, jusque dans l’ingénierie de l’image publique de cette travailleuse à travers les outils du cinéma8.

Figure 1. Le fantôme de l'opératrice, Caroline Martel © productions artifact, 2004

Comme ce projet, dont les recherches ont été amorcées dès 1996, a connu une gestation particulièrement longue, j’ai assisté à la transition entre le paradigme de la vieille école des archives, suivant un modèle de service dans lequel l’archiviste répondait plus simplement aux demandes d’accès des chercheurs, et celui de l’ère numérique, reposant sur des banques de données répertoriées et sur des archives numérisées et rendues disponibles sur Internet. J’ai effectué mes recherches dans une dizaine d’endroits, pour me concentrer essentiellement sur le Fonds Bell Canada déposé à Bibliothèque et Archives Canada (BAC, organisme issu de la fusion des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale du Canada en 2004) ainsi que les archives de la collection Prelinger. Au final, j’ai consulté les fiches de quelque 300 productions, en ai visionné 200 sur support VHS, pour la plupart dans la salle de consultation de BAC à Ottawa, et ai obtenu des copies de 150 d’entre eux pour commencer à façonner mon film en salle de montage. Pour chacun des titres retenus, j’ai dû retrouver les détenteurs de droits et donateurs afin d’obtenir des permissions pour en effectuer des copies et en faire éventuellement l’utilisation. Toutes ces procédures ont représenté un travail de «  détective  » colossal, tant sur les plans 8.– Voir et Éric Legendre, « Spectres documentaires et voix d’archives : Le fantôme de l’opératrice : entretien avec Caroline Martel », Nouvelles « vues » sur le cinéma québécois, no 5, printemps 2006. En ligne : (page consultée le 8 janvier 2010).

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historique qu’administratif, mais elles ont donné lieu par la force des choses à de véritables découvertes. Par exemple, il m’est arrivé de pouvoir identifier la maison de production d’un film dont les origines étaient inconnues dans la base de données de BAC en reconnaissant son logo, par hasard, dans une œuvre projetée à la conférence Domitor. Le film s’intitulait justement The Evidence of the Film (Edwin Thanhouser, 1913) ! En contactant le petit-fils du fondateur de cette maison de production afin de solliciter une autorisation d’utilisation, c’est moi qui lui appris qu’une copie de My Baby’s Voice (Lucius Henderson, 1912, avec Florence Labadie) existait toujours, de surcroît au Canada. J’ai ainsi progressé sur des voies non défrichées, notamment grâce au soutien d’un archiviste comme Rick Prelinger. Si j’ai d’abord eu le privilège de l’avoir comme « fournisseur » de films d’archives, c’est comme interlocuteur qu’il a joué un rôle décisif dans mon travail. Connaissant bien l’histoire de l’industrie nord-américaine de production des films «  éphémères  » que j’étais en train d’exhumer, il m’a indiqué par exemple comment retracer certains détenteurs de droits et m’a initiée à la liste d’échanges de l’Association of Moving Image Archivists (AMIA) pour que je puisse y solliciter des informations sur la filiation de maisons de production des années 1920 jusqu’à nos jours. Le processus de recherche, de libération de droits et de montage s’étant échelonné sur quatre ans, j’ai aussi eu la chance de développer une certaine complicité avec des archivistes du côté de BAC. Or ce rapport était essentiel, car tôt ou tard je compris qu’en fait les bases de données offertes au public sur Internet contenaient uniquement des titres déjà traités, dont les copies de consultation avaient été effectuées9. Nous ignorons que nous n’avons accès qu’à la pointe de l’iceberg, puisqu’il existe à l’interne une base de données détaillée de tous les fonds. Pour le chercheur qui n’a pas ses entrées auprès d’un archiviste bienveillant, cette absence d’avertissement est problématique10. Reconnaissant 9.– Cela doit être le cas dans la majorité des archives publiques. Il m’est arrivé, pour mon documentaire autour des ondes musicales Martenot, d’entrevoir à l’écran de la base de données interne des Archives françaises du film (AFF), par-dessus l’épaule d’un médiateur (!), un titre que je n’avais pas repéré dans le catalogue accessible sur Internet, mais qui semblait incontournable pour ma production. Suite à cet heureux incident, ce film, ainsi porté à mon attention, a été expressément traité par les AFF. 10.– J ’assistais il y a un certain temps, à une rencontre du groupe de recherche de Charles Acland sur le cinéma industriel canadien (s’inscrivant dans le Screen Culture Research Group de l’Université Concordia) dans laquelle un des étudiants rapportait le recensement des productions qu’il effectuait, entre autres en se fiant à cette base de données de BAC, qu’il ignorait n’être que partielle. Il cherchait à dénombrer le nombre de copies de certains titres afin d’évaluer comment ils avaient pu circuler jadis, et ainsi soutirer quelques indices sur leur popularité. On comprendra donc qu’ici ce manque de transparence quant aux paramètres de l’accès dont nous disposons véritablement n’était pas sans conséquence sur ses recherches. Car le catalogue public de BAC, quoique répertoriant les différentes versions (de langue, de durée, de format), ne recense toutefois généralement qu’une seule copie par titre. Ce choix, probablement hérité du traitement des documents imprimés, impose aux archives cinématographiques d’être considérées essentiellement pour le « contenu » qu’elles exposent. Or, pour ce qui est des films, le nombre de copies et l’état dans lequel on les retrouve sont pourtant porteurs d’indices documentaires précieux pour la recherche. Tel que le fait effectivement remarquer Rick Prelinger dans The Field Guide to Sponsored Films (San Francisco, National Film Preservation Foundation, 2006), « the existence of multiple copies in different formats tells stories about the intended purpose and audience for a film.

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tôt ou tard le sérieux de mon travail, une archiviste de BAC a donc proposé d’effectuer une recherche dans sa base de données exhaustive et elle y a trouvé des titres absolument essentiels à ma production11. Ainsi, nous avons repéré un film qu’il était hors de question de laisser dormir dans les voûtes : The Telephone Girl (c. 1920). Pour ce titre, la chef de la division des archives audiovisuelles a même consenti à commander le tirage d’une copie 35 mm à partir de l’original en 28 mm. Et s’il m’est souvent arrivé, au départ, de me faire dire qu’il serait impossible de reproduire certains documents en raison de la désuétude de leur support, une bonne trentaine de films au final ont été traités, et parfois restaurés ou copiés expressément à ma demande. Ainsi, comme artiste documentaire, j’aurai effectivement activé une forme de conservation de ces films. Comme le suggérait Giusy Pisano durant la conférence L’avenir de la mémoire (Montréal, février  2010), lorsqu’ils décident des fonds à traiter, les conservateurs gagneraient sans doute ainsi à se laisser éclairer et stimuler par l’intérêt manifesté par des usagers autres que les historiens.

Le fantôme de l’opératrice – lecture-écriture en montage

Chaque étape de la réalisation d’une œuvre à base d’archives peut contribuer à une compréhension empirique rigoureuse de celles-ci. Une fois le matériel numérisé en salle de montage, l’étape du catalogage procède par exemple d’une étude attentive, quasi textuelle, des plans des films. Au début du montage du Fantôme de l’opératrice, j’ai ainsi procédé à l’identification des 150  films en quelque 1  500  clips, divisés en de multiples colonnes, catégories et chutiers, dans un puissant logiciel de montage faisant office de base de données. J’ai regardé attentivement ces films, les encodant de mon regard et développant une connaissance approfondie de cette matière filmique dite orpheline. Ainsi, je peux aujourd’hui deviner assez précisément l’année de production d’un titre, reconnaître à son style la compagnie qui l’a fabriqué ou encore le caméraman qui en a signé la direction photo (souvent sous le couvert de l’anonymat). Ma complice, la monteuse Annie Jean, s’est par la suite jointe à moi pour visionner les films en portant sur eux un regard documentaire semblable à celui que nous aurions adopté devant des personnages «  réels  » que j’aurais filmés. Car contrairement à l’emploi d’archives dans des documentaires informatifs ou télévisuels, où elles servent souvent de visuel utilitaire pour illustrer une narration, ou à des pratiques de found footage ou de scratch dans lesquelles les images sont davantage décontextualisées, nous avons adopté une attitude de fréquentation et d’écoute afin de mieux nous approprier les archives et pour les

For instance a 16 mm copy of what was originally 35 mm film may indicate that it was distributed for small-venue or even home screenings. » 11.– Plus récemment, me voyant accorder un accès illimité à la base de données interne de BAC, j’ai trouvé de nouveaux films sur les téléphonistes. Autant je suis enchantée de les découvrir aujourd’hui, autant je suis désolée, il va sans dire, de ne pas avoir été au fait de leur existence avant l’achèvement du Fantôme de l’opératrice.

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citer avec une certaine intégrité. Une intégrité cultivée au fil de notre travail de terrain auprès d’elles. C’est dans cette perspective que nous souhaitions connaître et interpréter les films sous toutes leurs coutures. L’historicité matérielle de nos images « orphelines », de même que certaines hypothèses quant à leurs conditions de production et de circulation, étaient autant de points d’ancrage pour guider la construction du récit et nos recherches esthétiques. Nous nous sommes attachées à la valeur expressive des détériorations des films. D’où venaient-elles ? Comment lire ces marques du temps qu’ils portaient  ? Nous avons laissé la matière inspirer nos choix de montage, forme d’écriture autant avec les archives que sur les archives. Ainsi, des images aux couleurs fanées semblaient être les témoins privilégiés de rêves qui n’avaient pas traversé l’épreuve du temps. Des rayures annonçaient une disparition future. Des sauts et répétitions erronés dans les transferts étaient autant de symptômes du radotage de la propagande de ces vieux films chantant l’American Way of Life. Fréquemment, nous faisions face aux «  mêmes  » images, réemployées dans différents films de compagnies au cours des décennies, présentes dans des versions conservées dans des conditions distinctes. Toutefois, celles-ci n’étaient jamais les mêmes : curieusement, selon la façon dont elles s’étaient altérées au fil des années, elles ne nous disaient plus la même chose. Cette attention accordée aux scories de l’image et du son, qui pourrait être associée à la tradition du cinéma expérimental, s’inscrivait plutôt pour moi dans une démarche documentaire intégrale, ou intègre. L’étape d’étalonnage au online est peut-être aux cinéastes ce que les choix de corrections de couleur, collures et autres d’égratignures sont aux restaurateurs. A priori, dans Le fantôme de l’opératrice, je voulais éviter de transformer le matériel et d’apporter des distorsions à son originalité, et ce, d’autant plus que j’avais une approche documentaire envers les films remontés. Or, en fin de postproduction, comme c’est pratique courante dans l’industrie cinématographique, les services techniques de l’Office national du film du Canada (ONF) tenaient pour acquis qu’ils devaient retravailler chaque plan pour en restaurer l’aspect originel12. La distance temporelle que révélaient les tons affadis et les égratignures de la pellicule était porteuse de sens, de sensations, et d’historicité, et s’inscrivait dans notre récit. Il était hors de question de tout étalonner13. Autant je ne souhaitais pas exagérer ou célébrer le caractère abîmé des archives, autant je ne voulais pas 12.– Pour le tournage d’une scène d’un documentaire que j’ai réalisé sur la lutte des téléphonistes de Bell Canada, Dernier appel (52 min., ONF, 2001) dans laquelle nous allions leur projeter d’anciens films, ces derniers avaient été complètement revampés en post-production. Quelle ne fut pas ma propre surprise de me trouver, moi-même devant ces images projetées sur grand écran, plus d’un demi-siècle après qu’elles aient été tournées, replonger dans ce temps glorieux passé, plutôt que dans le présent en train de recevoir ces productions avec distance et ironie. 13.– Un écho à ces préoccupations se retrouve dans les écrits d’André Habib sur les risques épistémologiques de certaines entreprises de restauration filmique. Comme il le formule, « … ce n’est plus l’histoire objective des films qui émeut, mais le temps que les images d’archives, fragmentées et en ruines rendent, à nouveau, présent ». André Habib, « À propos de Lyrical Nitrate de Peter Delpeut  : ruines et temps au cinéma  », Hors champ, 20  novembre 2005, (page consulté le 8 août 2012).

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non plus le masquer, afin de lui permettre de jouer son rôle historiographique dans la manière dont était écrite l’histoire de notre film. Enfin, il m’est souvent arrivé, lors de la présentation du Fantôme de l’opératrice, de préciser que j’avais cité de vieux films plutôt qu’utilisé des «  archives  ». J’ai toujours tenu, en effet, à distinguer mon emploi documentaire des images de l’utilisation de stock-shots déjà catalogués expressément pour la revente et rafistolés pour représenter aussi purement que possible des référents historiques objectifs.

La chimie du temps : la conservation-restauration questionnée

À la faveur d’une expérience plus récente de recherche et de création liée aux archives, j’ai renoué avec les impressions et les réflexions suscitées par le travail empirique du Fantôme dans le but de revoir les images orphelines dans leur dimension matérielle négligée. Dans le cadre d’une résidence à la galerie montréalaise Dazibao, j’ai voulu explorer l’effet de la chimie du temps sur notre lecture d’une image, et questionner comment elle devenait culturellement encodée comme «  archive  ». Quand, marqué par les années, visiblement détérioré, imprégné des traces de ses conditions de conservation, un vieux titre, si méconnu et orphelin soit-il, ne devient-il pas automatiquement un «  film d’archives  »  ? Qualifierait-on ainsi une fiction de 1950 de film d’archives  ? Cela pourrait être défendable, bien sûr, mais ni plus ni moins que pour un film orphelin. Dans le projet intitulé La chimie du temps (présenté uniquement en version bêta à l’automne  2009), deux écrans vidéo parallèles projetaient des images extraites de films industriels « identiques », mais provenant de titres et/ou de versions différentes, donc de supports dont l’histoire de conservation différait. Je cherchais à comprendre ce qui se trame derrière une image d’archives, à reconnaître ce qui est réellement attribuable à la pellicule, au transfert vidéo, à l’intervention humaine, à la réaction du film à différents environnements de température et d’humidité et, finalement, à la médiation des années (Fig. 2).

Figure 2. La chimie du temps, Caroline Martel, 2009. Même titre, différentes images photochimiques. La chaîne de communication verbale/The Speech Chain © AT&T

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Ayant la liberté et la licence artistiques du contexte d’exposition, je me suis d’abord laissée porter par un certain nombre de questions un peu ingénues, d’ordre à la fois technique et poétique, telles que : Qu’est-ce que l’on perd au fil de la superposition de générations films et/ou vidéos  ? De la résolution  ? Qu’est-ce que l’on gagne  ? Une impression nette du temps passé  ? Quand on est à la recherche de l’« original », tente-t-on de retrouver « l’original » d’une image ? d’une archive ? d’un titre ? d’un film ? d’un « contenu », le plus immédiat et immaculé possible, même si cela entraîne l’oubli du support ? Quel est l’original d’une archive filmique ? Sa source conservée sur pellicule ou une version, en film ou en vidéo, dont les couleurs ont été retouchées pour restituer l’image telle qu’on imagine qu’elle a été présentée à l’origine ? Comment des couleurs, noirs et blancs, et teintes de films encodent-ils notre rapport aux images représentées, si ce n’est que pour nous faire toucher un peu des yeux aux reflets des années passées ? À l’instar d’un historien de l’art scrutant la superposition des couches d’un tableau et la stabilité de la peinture en vue de sa restauration, il m’a semblé possible de faire ressortir ce qui est invisible, mais pourtant inscrit dans des images filmiques anciennes. Pour interpréter mes échantillons et apprendre à lire et à comparer les transformations qu’ils avaient subies, j’ai sollicité l’expertise d’archivistes qui se sont généreusement prêtés au jeu en m’accordant chacun une demi-journée14. En examinant sur un écran d’ordinateur des extraits de copies vidéos de films dégradés, Dale Gervais de BAC pouvait déterminer exactement le nombre de générations de transferts. À une image rougie d’une certaine manière, François Auger de la Cinémathèque québécoise, savait aussitôt déchiffrer la marque de la pellicule utilisée : « Les couleurs sont là et on pourrait les faire ressortir davantage » ; « [on] peut constater que le film physique était dans un bon état et qu’il a été facile à transférer ». « The information is there, it’s just hiding », tentait de me rassurer l’archiviste de BAC devant des mires qui avaient pris des teintes bien pâles. Si les composantes de la chimie du temps sont floues, les traces des images en mouvement d’origine étaient là, tapies sous les couches multiples d’émulsion et de pixels. Or, en tentant de comprendre la traversée générationnelle des films, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que, du côté de BAC, lors des transferts des films en vidéo, les techniciens déterminent à leur discrétion, sans directive technique précise, les corrections à appliquer. Celles-ci peuvent donc varier d’un intervenant à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une machine à l’autre. L’objectif, selon la gestionnaire de la Section audiovisuelle de la Division de la conservation-restauration et de la reproduction à des fins de préservation de BAC, est tout simplement de faciliter la lecture des documents par le public. L’intervention vise à rendre 14.– J ’ai trouvé en eux de véritables interlocuteurs qui m’ont autant entretenue de questions techniques que politiques ; de la qualité des pellicules à la responsabilité des institutions nationales envers des collections qu’elles peinent à entreposer. C’est à cette occasion que j’appris avec étonnement que la Cinémathèque québécoise, avec sa collection déjà à l’étroit dans ses voûtes de Boucherville, remettait en question la pertinence de « patrimonialiser » les films de famille québécois, et peut-être également les productions industrielles d’ici.

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l’archive aussi neutre que possible par rapport à sa détérioration, afin de la rendre « as viewable as possible15 ». Les détériorations de pellicule les plus spectaculaires n’existent donc ni pour les chercheurs ni pour le public. Pire, à BAC, les corrections laissées au bon jugement de l’opérateur du téléciné ne sont répertoriées nulle part dans les données d’archives. À tout le moins, des dossiers d’archivage devraient contenir les traces précises de ces modifications. Si l’on admet que le transfert est une traduction, et donc une « trahison », rendons-la au grand jour ! Mais y aurait-il quelque chose que l’on préférerait balayer en occultant de la sorte les couches du temps ? Et que cherche-t-on à rendre plus facile à lire exactement ? Un « contenu » ? Envisagerait-on le visionnement d’images anciennes comme moyen d’accéder à des données documentaires indépendantes de leur support ? Tel que le propose Michel Foucault, «  [l]’archive, ce n’est pas ce qui sauvegarde, malgré sa suite immédiate, l’événement de l’énoncé et conserve, pour les mémoires futures, son état civil d’évadé ; c’est ce qui, à la racine même de l’énoncéévénement, et dans le corps où il se donne, définit d’entrée de jeu le système de son énonçabilité16. » Une archive est intimement constituée non seulement par ses origines, mais aussi par sa possibilité constamment actualisée d’exister dans un état et une incarnation en contexte donnés. En tentant de restituer un film au plus près de son état « originel » (imaginé), en retirant les traces du temps, ne perdrait-on pas alors une forme d’« information » ? Une vision de l’accès au film telle que celle énoncée par la gestionnaire de BAC ne traduirait-elle pas un parti pris en faveur de chercheurs suivant des approches informationnelles, positivistes ou plus strictement historiques ? Comme on le voit, les préoccupations des praticiens pourraient jeter un éclairage différent sur les pratiques de conservation et de restauration des archives. À mon sens, embrasser la transformation graduelle des sources matérielles filmiques relève bien sûr d’une préoccupation esthétique, mais aussi d’une façon de développer une relation (documentaire) de la matière au temps. Ce genre d’approche, d’ailleurs, s’inscrit bien dans la compréhension contemporaine des questions de mémoire, d’histoire, d’historiographie, d’obsolescence et de culture du remixage.

Pour un rapprochement entre artistes et archivistes Un dialogue entre artistes et professionnels des archives est non seulement possible et enrichissant, mais également nécessaire. Sans ces rencontres que j’ai eues la chance d’avoir avec les archivistes, mon travail n’aurait pas eu la même profondeur. Évidemment, quelqu’un comme Rick Prelinger est une exception, notamment parce qu’il travaille de manière indépendante. Les véritables collaborations entre artistes/chercheurs et archivistes demeurent encore plutôt rares, car ces derniers travaillent dans un cadre institutionnel qui balise fortement 15.– Tina Harvey, conversation téléphonique, juillet 2009. 16.– Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 170.

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leurs marges de manœuvre. Ils sont souvent vus comme de « simples courroies de transmission dans un cadre plus large que l’on pourrait nommer l’ingénierie patrimoniale17. » Avant tout perçus comme des techniciens, dans un milieu où ceux qui consultent les archives sont dorénavant traités comme des clients, ils ne demanderaient pourtant qu’à mettre leurs connaissances à profit. Du côté des artistes du cinéma d’archives, il existe peu d’écrits sur leur fréquentation et/ ou leur collaboration avec les archivistes. Gustav Deutsch a publié des réflexions sur le sujet dans le livre consacré aux recherches qu’il a menées avec sa partenaire pour la série Film Ist 7-12 (2002), mais dans un ouvrage uniquement disponible en allemand. Bill Morrisson, quand je l’ai interrogé à ce sujet, m’a répondu : « Bonne idée ! Je vous tiendrai au courant quand j’écrirai quelque chose là-dessus ! » La position des archivistes – relais entre la matérialité, les « contenus », les techniques de conservation, les institutions, les époques, les donateurs/détenteurs de droits, les chercheurs, les usagers, et toutes les formes de générations – est pourtant des plus privilégiées. Potentiellement, ne sont-ils pas de formidables agents d’interprétation non seulement de l’archive, mais de l’histoire institutionnelle de l’accès qui leur est consenti ou retiré (par des choix de politiques de conservation, de gestes de privatisation, ou encore pour cause de détérioration du support) ? Ces balises de l’accès aux images anciennes sont autant d’indices pour comprendre leur histoire. La plupart des archivistes ne demandent qu’à transmettre le savoir qu’ils ont acquis au contact du matériel et de ses donateurs/ détenteurs de droits. Certains détiennent même un savoir personnel rare et précieux ; par exemple, Bill O’Farrell Jr18 était l’un des seuls à avoir une connaissance pointue du patrimoine des films industriels canadiens, et il est décédé récemment, emportant tout ce bagage avec lui. Si l’on veut permettre une vraie renaissance de la valorisation du patrimoine des images en mouvement, il y a fort à parier que cela passera par le renouvellement des rapports entre les différents intervenants qui les fréquentent. S’il y a eu dans le passé des tensions entre archivistes et chercheurs, les nouvelles générations de professionnels (et même d’amateurs) devront œuvrer à ce que ces savoirs diffus – et pas forcément diffusés – puissent converger à travers des échanges de points de vue. D’autant plus que chacun, avec ses méthodologies et ses traditions propres, emprunte des détours uniques menant à l’archive. Pour l’avenir de cette mémoire, il est essentiel de formuler ensemble nos préoccupations de conservation « active » par des pistes de recherche et d’usages créatifs19. 17.– Éric Legendre, échange électronique, janvier 2010. 18.– Longtemps à la tête de la conservation du cinéma à BAC, Bill O’Farrell Jr était devenu un archiviste de renommée internationale, apprécié pour sa passion, son approche non bureaucratique de la gestion des archives et sa grande expertise. Sa carrière aux Archives nationales a commencé en 1975, alors qu’à l’âge de 21 ans il était déjà un technicien de laboratoire accompli, ayant travaillé pendant ses vacances d’été chez Crawley Films, la plus importante compagnie de production canadienne au cours des années 1960 et 1970, et où son père Bill O’Farrell Sr avait été employé pendant plus de quarante ans. Il est décédé en 2008, à l’âge de 54 ans, la même année que la disparition du Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada. 19.– Cela se produit déjà notamment à travers le mouvement orphan film rattaché au symposium

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Après tout, pour peu que nous penchions ensemble nos regards sur et à travers la matière des archives filmiques, nous pourrons constater que « the information is not gone, it’s just hiding ». Je remercie mes collègues et amis Vincent Bonin et Éric Legendre pour les discussions qu’ils m’ont permis d’avoir avec eux, Julie de Lorimier pour son regard indispensable, et le Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture. Ce texte est dédié à la mémoire de Bill O’Farrel Jr (1954-2008) de même qu’au Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada (1996-2008).

du même nom dirigé depuis 1999 par Dan Streible aux États-Unis, et dans lequel des gens de tous horizons viennent célébrer les images oubliées et négligées en les étudiant, les préservant, les réemployant et les projetant.

Le cinéma de réemploi considéré comme une « archive ». L’exemple de A Trip Down Market Street (1906) et Eureka (1974) André Habib Les liens qui unissent –  sous diverses formes, directes et indirectes  – le cinéma expérimental et le cinéma des premiers temps sont nombreux et s’échelonnent tout au long de l’histoire du cinéma : depuis les premières avant-gardes des années 1920, chez René Clair, Fernand Léger, Jean Cocteau, Hans Richter et Man Ray ; jusqu’aux débuts de l’avant-garde américaine des années 1940-1950, avec Kenneth Anger, James Broughton, Joseph Cornell, Maya Deren  ; puis de façon plus radicale et directe dans le « cinéma structurel » et les films de found footage des années 1960-1970, avec Ken Jacobs, Hollis Frampton, Ernie Gehr, Malcolm Le Grice, Al Razutis, David Rimmer, et d’autres1  ; et enfin, chez des cinéastes plus contemporains comme Gustav Deutsch, Bill Morrison, Peter Delpeut, Angela Ricci-Lucchi et Yervant Gianikian. Des films – donnés en rafales  – comme Tom, Tom the Piper’s Son (Ken Jacobs, 1969), Seashore (David Rimmer, 1971), Demolition of a Wall (Bill Brand, 1973), Eureka (Ernie Gehr, 1974), Public Domain (Hollis Frampton, 1974), et plus près de nous, The Georgetown loop ( Jacobs, 1996), Disorient Express ( Jacobs, 1996) New York Fishmarket Ghetto 1902 ( Jacobs, 2002) sont caractéristiques d’une fascination pour la «  cinématographie-attraction  » des débuts2. Ils sont aussi des tentatives – usant de différents moyens de désorientation ou de réorientation du regard – pour rendre ces premiers films à nouveau visibles et lisibles en faisant 1.– Sur la relation entre cinéma des premiers temps et cinéma d’avant-garde, on se contentera de citer  : Tom Gunning, «  An Unseen Energy Swallows Space: The Space in Early Film and its Relation to the American Avant-Garde », dans John L. Fell (dir.), Films before Griffith, Berkeley, University of California Press, 1983  ; Noël Burch, «  Primitivism and the Avant-Gardes: A Dialectical Approach  », dans Philip Rosen (dir.), Narrative, Apparatus, Ideology, New York, Columbia University Press, 1986 ; Bart Testa, Back and Forth. Early Cinema and the Avant-garde, Toronto, Art Gallery of Ontario, 1992 ; Jeffrey Skoller, Shadows, Specters, Shards. Making History in Avant-Garde Film, Minneapolis, University of Minnessota Press, 2005. 2.– Sur la question de la «  cinématographie-attraction  », on lira notamment André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinéma, Paris, CNRS Éditions, 2008.

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jaillir de nouveaux potentiels. En cela, ces films expérimentaux peuvent nous aider à envisager des modes alternatifs d’écriture de l’histoire en nous amenant à redéfinir notre compréhension de la temporalité ou de l’espace filmiques ou, plus simplement, des usages possibles des archives cinématographiques. Une des caractéristiques des titres ci-dessus  – et je les ai cités à raison  – est qu’ils gravitent tous autour d’un seul et unique film qui est, bien souvent, leur seul et unique matériau (dans le cas de Public Domain, il s’agit d’un «  programme  » de films du catalogue Edison extraits de la même collection des Paper prints). Ces films sont utilisés et montrés, sous une forme ou une autre (ralentis, déconstruits, désaxés, détaillés, à l’envers), dans leur entièreté. D’une certaine manière, on pourrait dire que les films de ces cinéastes sont des petits entrepôts, des lieux, des sites où l’on peut trouver des films entiers, une archive en somme bien particulière (puisque cette archive ne contient souvent qu’un seul film !), qui tout à la fois conserve et institue un mode de lecture pour ces films des « origines », à travers leur réappropriation au présent (par le cinéaste et le spectateur)3. Ces films trouvés (ou retrouvés) témoignent d’une découverte et d’un désir de partage, comme si les cinéastes veulent, avant tout, nous présenter ce qu’ils ont trouvé, (« Eurêka, je l’ai trouvé, je veux vous le montrer »). Tout en restituant respectueusement les films, il s’agit aussi de les défamiliariser, de les rendre à nouveau mystérieux en mettant en valeur leur potentiel de radicalité. Ces expériences sont fort différentes de celles auxquelles elles étaient destinées à l’époque où ils ont été conçus, mais sans leur être pour autant étrangères  : justement, ce sont des films qui rappellent à notre mémoire, ou tentent d’envisager, des modes de « spectature » plus anciens qui entrent en dialogue avec le moment présent. Pour cette raison, ces films sont à la bifurcation du présent et du passé, dans un temps scindé, dans un entre-deux temporel qui devient, bien souvent, leur thème principal et le site de leur expérience. Le chef-d’œuvre de Ken Jacobs, Tom, Tom the Piper’s Son est une exploration radicale (par rephotographie), sur plus de deux heures, d’un film de Billy Bitzer de 1905. Il s’agit –cela fut souvent répété – de l’une des plus radicales analyses filmiques à travers un film qu’il est possible d’imaginer4. Cette « analyse » par les moyens de l’image seule (en extrayant un détail, en découpant des zones de l’image, en plongeant dans le grain du film, en arrêtant, en ralentissant, en 3.– Cette idée m’est venue en écoutant la communication de Barbara Lemaître (« Le film comme geste muséal », colloque Muséalité et intermédialité. Nouveaux paradigmes des musées, Montréal, 28-31 octobre 2009) qui parlait de Tom, Tom the Piper’s Son de Ken Jacobs comme d’un musée contenant une seule œuvre (et du musée à l’archive, il n’y a souvent qu’un pas). Cette idée du film comme archive, comme site où sont stockés d’autres films (c’est le propre de l’archive filmique), m’a aussi été suggérée par le documentaire de Pip Chodorov, Free Radicals. A History of Experimental Films (2010) qui présentait de nombreux films, de Len Lye, Stan Brakhage, Robert Breer, fonctionnant à sa manière comme une archive – proche aussi d’un cabinet de curiosités à plusieurs volets – que le cinéaste nous faisait visiter. 4.– «  [ Jacobs] livre l’analyse de film la plus élaborée jamais proposée à ce jour. Tom, Tom est un modèle théorique, un laboratoire plastique et une expérience psychique.  » (Nicole Brenez, « Montage intertextuel et formes contemporaines du remploi dans le cinéma expérimental », CiNéMAS, vol. 13, n° 1-2, automne 2002, p. 66).

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avançant ou reculant, en tirant sur la pellicule, etc.) confirme ce que Noël Burch, Tom Gunning, André Gaudreault et Charles Musser allaient «  découvrir  » quelques années plus tard au sujet de la construction de l’espace centrifuge, de l’usage du hors-champ, de l’autarcie des « tableau-scènes » et de l’attraction dans le cinéma des premiers temps5. Le film de Bitzer n’a cessé, par ailleurs, de faire retour dans l’œuvre de Jacobs (et les historiens du cinéma gagneraient à retourner sans cesse à l’œuvre de Jacobs pour rafraîchir certaines de leurs idées sur le cinéma des premiers6). En 2008, il réalisa, en profitant cette fois des nouvelles technologies numériques, deux autres méditations analytiques sur Tom, Tom the Piper’s Son: Return to the Scene of the Crime et – un film 3D ! – Anaglyph Tom (Tom With the Puffy Cheeks), qui renouvellent l’intelligence de son Tom, Tom de 1969, ainsi que, par extension, celui de 1905. De façon différente et tout aussi radicale, Public Domain de Hollis Frampton  – une œuvre qui devait s’inscrire dans son mégalomane Magellan Project  – se «  contente  » de présenter ou re-présenter, en ne faisant que les juxtaposer, des films aujourd’hui bien connus de la collection des Paper Prints (il faut se rappeler qu’à l’époque où il réalise ce film, ces courtes bandes – The Sneeze, The Kiss, Electrocution of an Elephant, The Great Sandow, etc. – n’avaient pas le même statut qu’aujourd’hui). Le cinéaste, suite à cette exhibition de vues monstratives et cette traversée sélective du catalogue Edison, ne fait qu’ajouter ironiquement le sceau de son copyright (HF)  – dans un geste qui n’est pas sans rappeler les derniers photogrammes de Anemic Cinema (1926) de Marcel Duchamp qui portait la paradoxale triple signature de son alter ego, Rrose Sélavy (empreinte digitale, signature manuscrite, date de copyright7). L’œuvre synthétique de Frampton permet de problématiser la notion de droits d’auteurs et de propriété intellectuelle, le statut du domaine public ainsi que le principe de l’objet trouvé – détourné ou retourné – dans un contexte de reproductibilité mécanique des images (dans l’absolu, n’importe qui peut refaire et signer ce film). Il faut rappeler que cette œuvre, tout comme le Tom, Tom de Jacobs, ou encore Gloria! (1979) du même Frampton, sont contemporains de l’accessibilité nouvellement acquise des Paper Prints de la Library of Congress8. Et il est 5.– Voir, entre autres, l’ouvrage synthétique qui rassemble une série de points de vue sur ces questions : Thomas Elsaesser (dir.), Early Cinema. Space, Frame, Narrative, Londres, BFI Publishing, 1990. 6.– Sur Ken Jacobs, voir Michele Pierson, David E. James et Paul Arthur (dirs), Optic Antics. The Cinema of Ken Jacobs, Oxford, Oxford University Press, 2011 et Malcolm Turvey, « Ken Jacobs: Digital Revelationist », October, n° 137, été 2011, p. 107-124. 7.– On lira les réflexions que consacre Didi-Huberman à cette image dans La ressemblance par contact. Archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2008, p. 317-319. 8.– Une bonne part de la collection des Paper Prints, suite aux travaux successifs de Howard Lamar Walls (de 1943 à 1953) puis de Kemp Niver (de 1953 à 1968) fut transférée et distribuée en 16 mm. Le distributeur Pyramid Films distribuait à partir de 1968 sous le titre The First Twenty Years un ensemble de plus de cent films restaurés issus de cette collection (onze heures de matériel). Tom, Tom the Piper’s Son de Ken Jacobs fut présenté en mars 1969 et Hollis Frampton se procura la même année cent vingt-cinq films de la collection des Paper Prints pour son vaste projet inachevé Magellan. Je remercie Ken Eisenstein de l’Université de Chicago d’avoir mis à ma disposition ces renseignements.

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d’ailleurs intéressant de replacer ces films dans le contexte historique particulier d’une démocratisation de l’accès à ces bandes des premiers temps, avant qu’elles ne deviennent un des objets de prédilection des études historiques en cinéma9. Dans tous ces films de réemploi, et bien d’autres que nous aurions pu citer, on retrouve un double geste archéologique et poétique, qui concerne tout autant l’œuvre que l’on cherche à éclairer à travers ces remédiations esthétiques, le présent de la fouille10, et l’expérience de temps et de durée, parfois extrêmement physique (surtout dans les films de Jacobs), du spectateur qui lui est soumise. Ce sont aussi des films qui nous renseignent sur l’imaginaire historique, technologique et patrimonial particulier dans lequel ils ont pris forme, et qui nous forcent à prendre acte du fait que les cinéastes ont été bien souvent dans le coup bien avant les universitaires ! Une raison de plus pour laquelle les historiens du cinéma et les archivistes devraient encore et toujours s’y intéresser.

L’avant-garde et les historiens du cinéma des premiers temps Un des moments déterminants – bien qu’isolé11 – de cette rencontre entre cinéma des premiers temps et cinéma d’avant-garde, fut un important symposium organisé par John Hanhardt au Whitney Museum, en novembre  1979, peu de temps après le fameux « Congrès de Brighton » de mai 1978, et qui avait pour titre « Researches and Investigations into Film: its Origins and the AvantGarde ». Au cours du symposium, des historiens des premiers temps du cinéma, des théoriciens, des archivistes, des programmateurs et des cinéastes d’avantgarde présentèrent des conférences et échangèrent des idées  : des films des premiers temps étaient présentés à côté de films expérimentaux, cinéastes et scholars présentèrent des conférences et des performances, etc.12 9.– Un autre chantier à explorer serait l’utilisation des films édités par la compagnie Castle Films (comme A Thrill a Second, Wonder Dogs in Action, Thrills on Wheels, Camera Thrills of the War!) et qui allaient fournir le matériau pour des films canoniques de l’histoire du found footage comme A Movie (1958) de Bruce Conner, ainsi que de nombreuses Nervous System Performances de Ken Jacobs (notamment Ken Jacob’s Theater of unconsconable Stupidity presents CAMERA THRILLS OF THE WAR, 1981, et The Whole Shebang, 1982). Voir : Scott MacGillivray, Castle Films: A Hobbyist’s Guide, Lincoln, NE, 2004. 10.– Dans un court texte intitulé « Fouilles et souvenir », Walter Benjamin nous rappelle que « [L]es véritables souvenirs doivent moins procéder du rapport que désigner exactement l’endroit où le chercheur a mis la main sur eux. Au sens le plus strict, le véritable souvenir doit donc, sur un mode épique ou rhapsodique, donner en même temps une image de celui qui se souvient, de même qu’un bon rapport archéologique ne doit pas seulement indiquer les couches d’où proviennent les découvertes mais aussi et surtout celles qu’il a fallu traverser auparavant. » (Walter Benjamin, « Fouilles et souvenir », dans Images de pensée, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1998, p. 182). 11.– On pourrait également mentionner la présentation de Tom Gunning et Charles Musser, le 29 avril 1979, au Collective for Living Cinema (un lieu dédié au cinéma d’avant-garde) intitulée Cinema: Circa 1905. On lira le compte rendu de Joyce E. Jesionowski, « Sense of Early Cinema: Circa 1905 », Downtown Review, vol. 1, n° 3-4, mai-juin 1979, p. 2-7. 12.– Le programme complet du symposium obtenu grâce à John Hanhardt (commissaire au Whitney Museum) et Robert A. Haller du Anthology Film Archives est très révélateur. On y apprend que quatre programmes de films expérimentaux (incluant Tom, Tom the Piper’s Son et Eureka aux côtés de films de Brakhage, George Landow, Anger, Deren, Morgan Fisher, etc.) furent projetés (entre le 6 et le 18 novembre 1979) parallèlement à quatre programmes de « Historical films »

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Or, on ne retient bien souvent de cet événement – et souvent sans mentionner ce dernier  – que les deux articles brillants de Tom Gunning et Noël Burch publiés quelques années plus tard. Il est intéressant de remarquer que tous deux insistent sur l’importance du cinéma d’avant-garde pour la compréhension du cinéma des premiers temps. Burch écrit : « it is no doubt the experience of the avant-gardes […] which has made possible for us today simply to read many of the phenomena encountered in the earliest films13. » Et Gunning explique que : « it was my encounter with films by these and other avant-garde filmmakers [Gehr, Frampton, Jacobs] that allowed me to see early films with a fresh eye, by freeing them from the ghetto of primitive babbling to which the progress-oriented model of film history had assigned them to14 ». Je considère –  et cet ouvrage en est la preuve  – que le dialogue entre les historiens du cinéma des premiers temps, les restaurateurs, les archivistes et les cinéastes expérimentaux, ce mouvement d’aller-retour entre l’intelligence historienne du passé et sa réactivation dans les œuvres artistiques, est essentiel pour éclairer notre connaissance et enrichir notre expérience de l’histoire du cinéma et, de façon plus générale, notre appréhension de ce qui se trouve dans les archives de cinéma. Le pari étant que cette mobilité et cette souplesse historiques invitent à de nouvelles manières de penser et d’écrire l’histoire du cinéma à partir de ses diverses médiations historiques, de ces différents écarts de temps. Nous avons peut-être la chance d’ainsi échapper à certains dogmatismes historiques, au piège des visions simplistes et aux conclusions trop hâtives15. Je voudrais illustrer cette bien longue mise en situation par un exemple.

A Trip Down Market Street

Le 17  octobre 2010, la chaîne américaine CBS diffusait dans le cadre de l’émission 60 Minutes une émission consacrée à un film tourné à San Francisco au début du siècle  : A Trip Down Market Street. Ce « remarkable footnote to history », comme l’explique le reporter Morley Safer is well known to historians. But who made it? And why? And most important, when? For a century, time, like the fog that blankets San Francisco, had (des films du catalogue Edison, Biograph, Lumière, Pathé, Meliès, de 1895 à 1911, de La sortie des usines jusqu’à The Lonedale Operator) présentés par Jon Gartenberg (à l’époque « assistant curator » au Département de cinéma du MOMA et acteur du Congrès de Brighton). Robert A. Haller, dans un compte rendu de l’événement pour la revue Field of Vision, écrit : « For five days film-makers and scholars have been discussing the relationship [between early cinema and avantgarde film-making] – including Reginal Cornwell, Tom Gunning, Thom Andersen, Nick Browne, Hollis Frampton, Ken Jacobs, Maureen Turim, and Noël Burch, all of whom delivered formal presentations, which were answered by members of the audience which included P. Adams Sitney, Wanda Bershen, Yvonne Rainer, Larry Gottheim and Robert Breer.  » (Robert A. Haller, «  Reviews, Notes, and Notices », Field of Vision, n° 9-10, hiver-printemps 1980, n.p.). 13.– Noël Burch, « Primitivism and the Avant-Gardes. A Dialectical Approach », op. cit., p. 485. 14.– Tom Gunning, « An Unseen Energy Swallows Space », op. cit., p. 355. 15.– J ’abonde en cela dans le sens des thèses de Jeffrey Skoller sur l’écriture de l’histoire par les cinéastes issus de l’avant-garde. Voir Jeffrey Skoller, Shadows, Specters, Shards, op. cit., 2005.

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shrouded the answers. But now we know. The film is a time-traveler’s glimpse of a joyous city on the brink of disaster16. On crut pendant longtemps que cette «  vue animée  » tournée avant le tremblement de terre de 1906  –  un long plan filmé depuis le devant d’un tramway roulant tout au long de Market Street à San Francisco (Fig. 1) – avait été réalisée «  on the sunny afternoon of the 24th  of September in 1905 by Jack Kuttner » (je cite l’ancienne notice du Library of Congress). C’est sur la base de cette information qu’un événement célébrant le centenaire du tournage du film eut lieu le 24 juillet 200517, lors duquel un remake du film a été réalisé (à l’aide d’une caméra HD et d’une caméra à manivelle 35 mm Bell & Howell 2909) et présenté, en plein air, le 24 septembre 2005 (Fig. 2). Cet événement donna également lieu à une édition DVD contenant plusieurs films d’archives ainsi que des films contemporains réalisés sur et à partir de Market Street et de la ville de San Francisco, tournés principalement par des cinéastes de la Bay Area.

Figure 1. A Trip Down Market Street (Miles Brothers, 1906)

Figure 2. A trip Down Market Street (Melinda Stone, Sprogue Anderson, 2005) 16.– « Historic 1906 Film Captures S.F.’s Market Street », émission 60 minutes, 14 octobre 2010, en ligne : (page consultée le 8 août 2012). Les citations ultérieures proviennent de la même source. 17.– Voir Melinda Stone, « Five Moments on Market Street. 1905-2006 », SF360, 14 avril 2006, en ligne : (consulté le 1er décembre 2011).

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Malheureusement pour les organisateurs de cette célébration, il se trouve que le film aurait été, selon des nouvelles recherches, tourné non pas en 1905, mais en 1906. Cette information a été confirmée récemment par l’archiviste-historien David Kiehn qui a longuement analysé les archives à la recherche de bulletins météorologiques, épluchant des journaux corporatifs, la presse locale, scrutant le moindre détail des photogrammes du film, des flaques d’eau aux plaques d’immatriculation. Au fil de ces recherches, il est devenu possible d’attribuer le film sur Market Street à la société de production de San Francisco Miles Brothers, et de statuer que le film aurait sans doute été réalisé moins d’une semaine avant le tremblement de terre du 18 avril 1906, le plus probablement entre le 12 et le 14 avril. La bobine fut ensuite acheminée le jour avant le tremblement de terre pour être développée à New York. Les bureaux des Miles Brothers – qui étaient situés sur Marker Street et que l’on aperçoit très brièvement au début du film – ont été détruits, tout comme la grande majorité des édifices suite au séisme et à l’incendie qui dévasta la ville. Le film, qui avait été conçu pour être inclus dans un programme des Hale’s Tour (ce que l’annonce pour le film, retrouvée dans le New York Clipper et datée du 21 avril 1906 suggérait, laissant présupposer, vu le délai d’impression, que l’annonce avait été acheminée avant le tremblement de terre), fut probablement montré à New York après le terrible événement et dû produire un certain effet. Impossible de savoir si les effets spectaculaires d’ordinaire déployés dans les Hale’s Tour étaient au rendez-vous pour la présentation de cet étonnant et fascinant panorama de la ville avant sa destruction. Conformément à l’esprit de tout bon detective story, le reporter de 60 Minutes insiste sur le fait que  : «  Kiehn had stripped away the haze of history to show us the real story behind A trip through Market street. » Cette vision du travail de l’historien – et de l’histoire tout court – a de quoi faire sourire. Le temps est perçu comme un brouillard qui doit être dissipé afin de révéler la vraie, la seule histoire, « the real story », un peu à la manière de certaines restaurations numériques contemporaines qui tendent à débarrasser le film des imperfections, des égratignures, des poussières, des marques d’usure, mais aussi des variations lumineuses, des marques de montage, des sautes brutales et de toutes ces choses qui font pleinement partie de l’histoire du film, qui en racontent le tournage et les usages, et ce, afin d’arriver à une image nette, claire et transparente, mais bien souvent plus mensongère et oublieuse. Un moment ironique  – pour le spectateur que je suis  – m’a frappé à un moment du reportage lorsque Morley Safer demande à David Kiehn : « Was there a ‘Eureka!’ moment when you said, ‘Ah hah. It was not 1905. It was spring of 1906 ? » Sans le savoir, Safer, comme tous les archivistes, journalistes, historiens, blogger, membres de l’AMIA [Association of Moving Image Archivists], qui ont relayé avec enthousiasme la découverte de l’historien (qui fut aidé, je le souligne, par Rick Prelinger, possesseur d’une copie 35 mm du film original) semblent avoir complètement ignoré qu’un cinéaste expérimental du nom d’Ernie Gehr avait utilisé ce même film, A Trip Down Market Street, en 1974, pour réaliser Eureka, un chef-d’œuvre du cinéma structurel et une date marquante dans

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l’histoire de ces relations entre cinéma expérimental et cinéma des premiers temps que j’ai tenté de relater plus haut18.

Figure 3. Eureka (Ernie Gehr, 1974)

Contrairement à une vision simpliste et transparente de l’histoire proposée par le reporter, Eureka nous permet d’explorer – eu égard à Trip down Market Street – la valeur heuristique et la vertu de l’opacité. Elle nous force à prendre le temps, à prendre véritablement acte des couches d’histoire incorporées à même le corps du film et de réaliser que la « true story » de ce film ne se limite pas à l’identification de sa date de tournage, que cette information ne dit pas toute l’histoire. Le film de Gehr accentue ce sentiment d’étrangeté et d’aliénation hypnotique que l’on peut éprouver devant ces images, si anciennes, et dont l’éloignement est souvent escamoté par une restauration trop nette. Eureka montre que le brouillard du temps peut devenir un principe esthétique, historique et moral. Si, comme je le suggérais plus haut, Eureka peut être perçu comme une archive (un film contenant un autre film), c’est qu’elle est l’archive d’un temps perdu de cette ville, de cette rue, de ces spectres en devenir, elle documente et archive ce présent vu depuis sa disparition. Pour parler à la manière de Jacques Derrida, on dira que « l’archive a lieu au lieu de défaillance originaire et structurelle de ladite mémoire19. » C’est parce que la ville a été détruite qu’elle devient une archive de ce présent (et en cela, la valeur de l’archive est toujours rétroactive). Le carton du générique de la copie du film qui se trouve à la Library of Congress (impossible de dire en quelle année le carton a été réalisé) annonce de façon programmatique : A Trip Down Market Street Before the Fire (ceci faisait visiblement partie de l’attraction qu’il exerçait à l’époque, et qu’il continue d’exercer aujourd’hui). (Fig. 4) C’est donc une image que l’on est appelé à lire au futur antérieur, temps

18.– À propos d’Eureka et la relation entre cinéma expérimental et cinéma des premiers temps, on lira, outre les articles de Gunning et Burch déjà cités, Jeffrey Skoller, Shadows, Shards, Specters, op. cit., p. 8-16, et Bart Testa, Back and Forth, op. cit., ainsi que Tom Gunning, « La vie secrète des machines », Hors champ, 19 octobre 2008, en ligne : (consulté le 1er décembre 2011). 19.– Jacques Derrida, Mal d’archive. Une impression freudienne, Paris, Galilée, coll. « Incises », 1995, p. 26.

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grammatical qui renvoie au temps, toujours anachronique, auquel se conjugue l’archive20… et peut-être celle-ci plus que d’autres.

Figure 4. Carton d’ouverture de A Trip Down Market Street tel qu’il apparaît sur la copie de la Library of Congress, numérisée et disponible en ligne.

Le 18 avril 1906, suite au tremblement de terre et à l’incendie qui lui succéda, tous ces édifices ont été réduits en cendres. Le film consigne et pointe un « voici comment c’était avant que tout soit détruit ». Il s’agit d’une impression avant l’incendie, comme si l’incendie lui était, en même temps, déjà co-présent : c’est une image d’une ville pas encore, mais toujours-déjà détruite. C’est ce double régime temporel qui est rendu lisible, d’une certaine manière, par la simple opération de réappropriation d’Ernie Gehr dans Eureka.

Eureka

Le récit de la création du film Eureka vaut que l’on s’y penche, d’autant plus qu’elle a été rarement correctement rapportée21. Pour l’histoire22, une copie 16  mm du film fut montrée en 1974 au cinéaste par l’entremise d’Annette Michelson qui l’avait invité à participer, à Montreux, en Suisse, à un programme consacré au cinéma d’avant-garde américain (New Forms in Films). Michelson avait obtenu le film d’une étudiante à NYU à qui elle enseignait  : Ruth Perlmutter. Alors qu’un mystère entoure la raison pour laquelle cette personne 20.– Nous rejoignons encore ici une proposition de Derrida lorsqu’il écrit : « En un sens énigmatique qui s’éclairera peut-être […], la question de l’archive n’est pas, répétons-le, une question du passé. […] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse et d’une responsabilité pour demain. » (Ibid., p. 60) 21.– La version la plus complète se trouve dans l’entretien que Gehr a accordé à Scott Macdonald, « Ernie Gehr », dans A Critical Cinema 5. Interviews with Independant Filmmakers, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 2003, p. 386-388. 22.– Je note au passage que l’explication que fournit Jeffrey Skoller – bien qu’elle n’entache en rien la qualité du reste de son analyse – ne correspond nullement à celle que m’a fournie le cinéaste et qui se trouve dans l’entretien avec Scott Macdonald qui fait autorité. Skoller écrit : « The creation of Eureka came about when Gehr found such a film in a box of discarded 16 mm films. » ( Jeffrey Skoller, op. cit., p. 9) La réponse d’Ernie Gehr, lorsque je lui ai signalé cette « version », vaut sans doute la peine d’être reproduite ici : « Well, there you have in a nutshell how history gets to be what it is. Whether conscious or unconscious, well meaning or not, etc., etc., history seems to be a combo of fact, fiction, and a host of other stuff. » (correspondance électronique avec le cinéaste, 27 mars 2011)

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possédait ce film (un membre de sa famille, le hasard)23, on sait simplement que, de retour à New York, Ernie Gehr contacta Perlmutter, lui envoya un chèque, et peu de temps après, reçut par la poste une copie 16 mm du film. Après une longue réflexion et après de très nombreux visionnages, il décida d’utiliser un projecteur Analyst Kodak 16 mm usagé, qui lui permettait d’arrêter chaque photogramme du film d’origine, et de le refilmer en multipliant chaque photogramme de 4 à 8 fois. Il décida, également, de ne garder que la lente progression vers l’avant, vers la tour du Ferry Building au bout de Market Street, coupant avant le moment où le tramway pivote sur son axe, entraînant la caméra à décrire un panoramique de 180 degrés très rapide et que l’on trouve à la fin de la vue originale. Outre le ralentissement de l’image et cette troncature, Gehr a accentué les contrastes de l’image à l’étape du développement, afin de faire ressortir tout à la fois les scories de la pellicule et l’aspect cendré, fantomatique de l’image. On le voit, le film de Gehr ne cherche pas à restaurer une vision lisse et transparente de cette histoire, mais plutôt parvient à produire une vision du monde toujours-déjà faite de cendres, de ruines, de spectres. Eureka projette un monde bidimensionnel, en aplat, oscillant entre l’immobilité et le mouvement, entre photographie et cinéma, entre la frénésie de la ville moderne et le silence terrifiant de son tragique destin. Le film nous donne à la fois la vie moderne et son double spectral, une matière profilmique décalquée on dirait sur la matérialité effritée de son support. Comme le suggère Noël Burch, « Eureka reverses [the] historical process, restoring to those images that alienness which Gorki had felt ten years earlier: “This is not life, but its shadow, this is not movement but its soundless spectre.”24 » En ce sens, Eureka contient, projette voire restaure, en même temps, ces premières expériences des vues animées. Le fait que la dernière image que nous voyons dans le film soit une inscription sur la pierre de la tour, « Erected in 1896 », rappelle directement les débuts du cinéma. Comme le note Ernie Gehr dans l’entrevue avec Scott Macdonald : […] the person in the foreground, the old man with the white beard, has a vague resemblance to Eadweard Muybridge in his later years, just as some of the silhouette figures that populate the film have a vague resemblance to some of Muybridge’s Palo Alto photographs of animals in locomotion25. Le film devient ainsi une sorte d’archive contenant la généalogie des technologies et des dispositifs spectaculaires du cinéma (le panorama, Hale’s Tour, la chronophotographie, le « Royaume des ombres » de Gorki, etc.), tout en étant, en même temps, très contemporain, très présent, ne fût-ce que par l’immense place qu’il accorde aux spectateurs qui décident de s’y plonger : chaque regard crée, littéralement, son propre « trip », en fonction des détails que l’on retient, du rythme que l’on capte, de l’attention que l’on porte à telle ou telle figure, à tel 23.– Il est intéressant de noter que le catalogue de la Library of Congress indique qu’un négatif du film a été déposé le 12 juillet 1972, depuis le Getty Film Lab. Serait-ce un négatif tiré de la copie de Ruth Perlmutter ? 24.– Noël Burch, « Primitivism and the Avant-Gardes », op. cit. 25.– Dans Scott Macdonald, « Ernie Gehr », A Critical Cinema 5, op. cit., p. 388.

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mouvement. C’est un film qui possède une nature performative, un peu comme Tom, Tom the Piper’s Son de Jacobs, et qui, comme ce dernier, se construit sur un équilibre fascinant entre arrêt et reprise, entre représentation et abstraction26. Eureka est aussi dans la famille de films de Ken Jacobs comme Georgetown loop et tout particulièrement Disorient Express, qui utilisent des phantom ride films. Ces deux œuvres réactivent le principe des ghost rides en explorant leur archéologie et en radicalisant l’expérience visuelle, temporelle et corporelle à laquelle ces films donnaient lieu. Les travaux récents qui ont été réalisés à propos des Hale’s Tour et des phantom rides, que ce soit ceux de Tom Gunning ou de Lauren Rabinovitz, peuvent nous aider à comprendre ces films expérimentaux de réemploi, mais en retour, ces films peuvent et gagnent en tout cas, il me paraît, à être enrichis par ces recherches expérimentales sur l’archive. C’est cette approche dialectique que suggéraient Tom Gunning et Noël Burch en 1979, et il serait nécessaire de la prendre, encore aujourd’hui, au sérieux.

A Trip Down / Climbing Up

Je voudrais conclure cette traversée sur une petite trouvaille qui me permet, je crois, d’illustrer les vertus de ce mouvement d’aller et de retour entre différentes approches de l’histoire et qui participe de ces hasards qui rend l’archive si vivante. Parmi les découvertes déterminantes qui permirent à David Kiehn de statuer sur la date de réalisation de A Trip DownMarket Street, on trouvait une publicité, parue, comme je l’ai mentionné plus haut, dans le New York Clipper du 21 avril 1906, qui faisait la promotion de deux films réalisés par les Miles Brothers et destiné au Hale’s Tour27.

Figure 5. Publicité de Miles Service parue dans le New York Clipper de 21 avril 1906.

26.– Sur ce dernier point on lira Eivind Røssaak, « Acts of Delay: The Play Between Stillness and Motion in Tom, Tom, The Piper’s Son  », dans Michele Pierson, etal., Optic Antics, op. cit., p. 96-106. 27.– La publicité plus décisive du 28 avril 1906 des Miles Brothers, toujours dans le New York Clipper se vantait de posséder « the only pictures of any value ever made of San Francisco before the frightful catastrophe. […] We have now ready for delivery A Trip Through Market Street from 8th St. to the Ferry. […] Get in touch with us at once, and be in line to receive the first of the disaster films. » (The New York Clipper, 28 avril 1906, p. 286)

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L’un des deux films s’intitulait Trip Through Market St. Le second s’intitulait Climbing Mount Tamalpias, California. Les cinéastes, de toute évidence, soit qu’ils étaient désorientés au moment de fournir le titre de la publicité pour le film, soit qu’ils voulaient éviter la redondance, réalisèrent après que la vue de Mount Tamalpais descendait, plutôt qu’elle ne montait. Ils en profitèrent pour corriger la faute d’orthographe et nommèrent correctement le film : A Trip Down Mount Tamalpais (et c’est sous ce titre qu’il apparaît aujourd’hui dans les catalogues). En 1996, Ken Jacobs utilisa un paper print d’un film dont il ne connaissait pas l’opérateur ni la compagnie pour réaliser Disorient Express. Il partit – tout comme pour Georgetown Loop – d’une copie en 16 mm qu’il fit transférer sur une pellicule 35 mm en lui faisant subir un ensemble de modifications. Également, l’image est au format Cinemascope, ce qui lui permet à divers endroits de doubler l’image latéralement afin de produire un effet miroir.

Figure 6. Disorient Express (Ken, Jacobs, 1996)

Le film qu’il employa a pour titre A trip down mount Tamalpais (1906). Le principe du film  – et sans que Jacobs ait pu connaître les deux titres sous lesquels il est apparu  – est de jouer, entre autre chose, sur la confusion entre climbing up et going down. En pivotant l’image, en inversant son défilement, en la dédoublant, Jacobs rend également, à sa manière, hommage au Hale’s Tours of the World et à l’expérience vertigineuse et forcément déstabilisante qui en faisait toute l’attraction. Le film, c’est ce qu’on apprend par le New York Clipper, a été réalisé par les Miles Brothers. En d’autres mots, Ernie Gehr en 1974, Ken Jacobs, plus de vingt ans après, en 1996, et tous deux sans le savoir, utilisèrent un film des Miles Brothers, tourné la même année, le même mois, et publicisé dans le même encadré de New York Clipper du 21 avril 1906. Deux grands pionniers du cinéma expérimental auraient ainsi partagé en 1906 un double bill étonnant dans un programme du Hale’s Tour of the World, archivant, à leur insu, un même moment désorienté de l’histoire. Ce sont ces découvertes, il me semble, qui permettent de rendre compte de la dialectique de passé et du présent, des richesses que nous réservent les opacités de l’histoire et des télescopages possibles de l’archive à travers les multiples avenirs de sa mémoire.

De la conservation involontaire, dans le royaume de la consommation. Les films des Studios et la télévision1 Viva Paci 1946 : Darryl Zanuck, patron de la 20  Century Fox, regardait avec méfiance la télévision, quand il l’appelait une «  boîte en contreplaqué2  ». C’était aux premiers temps du média. Les relations entre les médias naissants, mourants, résistants, ont toujours enseigné, on le sait, aux chercheurs quelque chose sur le passé, sur leur présent et sur leur avenir. Déjà McLuhan nous en avisait, et les études sur l’intermédialité y insistent toujours aujourd’hui. Aussi, dans le cadre d’une réflexion sur l’avenir de la mémoire cinématographique, une courte présentation sur la conservation (involontaire) d’un patrimoine, et sur ce qui devenait un réemploi cinématographique aux premiers temps de diffusion massive de la télévision, est d’un intérêt certain. Nous prendrons comme fil conducteur le cas américain, en se penchant sur l’idée de la télévision que le cinéma diffusait. Rappelons-nous ce que disait Raymond Borde, une source classique dans les discours cinémathécaires : th

Il n’existe aucun bilan dû aux pertes de routine après 1930, puis à l’abandon du nitrate au début des années cinquante. Il semble néanmoins que la production aux États-Unis ait été une de moins touchées, parce que la télévision s’est développée dans ce pays plus tôt que dans les autres, et qu’elle a eu un besoin immédiat et massif de films anciens3. 1.– Le travail à la base du présent texte  – développé dans le cadre d’une subvention de recherche FQRSC, « Cinéma et télévision : histoires d’une relation complexe » – a été également élaboré dans : « Entre promesse et menace : le cinéma regarde la télé », dans Denis Maréchal, Gilles Delavaud (dirs), Télévision : le moment expérimental. De l’invention à l’institution (1935-1955), Paris, INA, 2010. 2.– On retrouve beaucoup de ces appellations d’époque, ironiques et cinglantes, chez Rudy Behlmer (dir.), Memo from Darryl F. Zanuck: The Golden Years at Twentieth Century-Fox, Los Angeles, Grove Press, 1993. 3.– Raymond Borde, Les cinémathèques, Lausanne, L’âge d’Homme, 1983, p. 23.

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Si nous nous intéressons aux premiers temps de la télévision, on pourrait affirmer que les affinités entre cinéma et télévision remontent à la période prénatale du cinéma. Dans l’archéologie et dans l’histoire fantasmée de la vision, les ancêtres du cinéma et ceux de la télévision se touchent. Vision à distance (télé-vision), vision en direct, vision du lointain, vision individuelle et à la carte, vision collective et interactive, immersion audio-visuelle : ce sont ici des traits qui apparaissent dans des utopies du XIXe siècle, parfois rattachées au cinéma avant le cinéma, parfois à la télévision avant la télévision4. Par exemple, la fameuse illustration de George Du Maurier, le « Télépho­ noscope  », publiée dans la rubrique «  Almanach  » de Punch à Londres, en 1879, peut être prise comme preuve de l’interchangeabilité des deux imaginaires. L’engin représenté, le téléphonoscope, est fictivement attribué à Thomas Edison. Un salon bourgeois, un couple aisé qui regarde un grand écran, tenant dans leurs mains des récepteurs «  téléphoniques  ». À l’écran, l’image d’une fille, leur fille, dans un pays lointain, avec une action en cours en arrière-plan – des Britanniques jouant au cricket sous des palmiers à proximité de cabanes exotiques. Elle parle dans son récepteur, et ils peuvent ainsi converser, tout en se regardant… On regarde l’écran à plusieurs, comme dans le cinématographe à venir, et on regarde en direct, comme dans la télévision à venir (avec en plus, la permutabilité des rôles permise par les systèmes de télécommunication : je parle à la personne à l’écran et elle me répond !). Au-delà de cet exemple, les discours sur ces deux dispositifs audiovisuels possèdent aussi des zones de frayage. La télévision tout comme le cinéma charrient des questions communes concernant le temps de la prise de l’image, et sur celui de sa retransmission ; ou encore sur la relation entre la présence au cœur de la chose filmée de celui qui filme et de celui qui regarde les images. Les deux médias, durant leurs premiers temps, ont eu à s’inventer un public, modifiant, pour le premier, les habitudes sociales des publics de spectacles vivants, et, pour le second, les habitudes du spectateur de cinéma. Les deux ont eu à s’inventer une histoire et une préhistoire qui à nos yeux coïncident en partie. Aussi, les deux sont actuellement aux prises avec un futur qui, dans le royaume du numérique, brouille les frontières entre cinéma et télévision. En regardant l’exemple américain, nous trouverons une gamme de relations paradigmatiques. C’est en nous concentrant, de façon synthétique, sur la manière dont se sont effectuées les premières approches entre la télévision et le cinéma hollywoodien, que nous rencontrerons la question des archives. Nous nous concentrerons, chronologiquement, sur la manière par laquelle Hollywood a essayé d’incorporer la télévision dans son système d’intégration verticale à 4.– Pour un panorama des utopies littéraires qui peuvent être lues avec une certaine circulation de sens entre cinéma et télévision, voir Gilles Delavaud (dir.), Un siècle de télévision : anticipation, utopie, prospective, Paris, INA, 2004. L’étude des dispositifs visuels, et par là, de la position du spectateur, a été, dans les dernières années, nourrie fréquemment par la lecture de Jonathan Crary, Techniques of the Observer, Cambridge, Mass., MIT Press, 1990. Voir à ce propos la contribution de Doron Galili dans Denis Maréchal et Gilles Delavaud (dirs), Télévision : le moment expérimental, op. cit.

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l’époque du système des Studios. Nous verrons ensuite rapidement comment – n’ayant pas pu annexer la télévision à son système – Hollywood s’est délecté à représenter la télévision, surtout dans les années 1950. Nous terminerons sur une considération d’ordre historiographique.

Les Studios veulent annexer la télévision La période que l’on qualifie d’âge d’or du cinéma hollywoodien – les vingt ans qui vont de l’avènement du cinéma sonore, à 1948  – est riche en enjeux économiques et syndicaux illustrant la tentative de contrôle d’Hollywood sur la télévision. On se référera aux études de Jane Stokes, ou au collectif dirigé par Tino Balio, pour retracer l’histoire dont nous rappelons ici les principaux traits qui nous concernent5. Paramount développe dans ses salles  – comme on le sait, les cinq grandes Majors possédaient un nombre très important de salles de cinéma sur le territoire américain – un réseau de Theatre Television, entre 1936 et 1948. En 1940, la Fox aussi est sur le coup des Theatre Television et de plus, elle tente une distribution domestique des films, par un système de réception du signal, sur un moniteur, par le canal du téléphone, le phonovision. Cela ne durera point6. En 1940, Paramount, ouvre une station de télévision à Chicago. Cette démarche rencontre l’opposition de la Federal Communications Commission (FCC), qui déjà en 1940 fait adopter des mesures antitrust contre les majors (qui, on le rappelle, détenaient à l’époque à la fois production, la distribution et l’exploitation des films). Ces mesures antitrust seront couronnées avec le décret de 1948 qui imposera à la Paramount, et aux autres majors, de démanteler le réseau de salles, brisant aussi le système d’intégration verticale. En 1948, en pleine crise, l’organe de presse corporative The Hollywood Reporter tente encore de répandre un certain optimisme quand il publie le livret sur Hollywood et sa soi-disant mainmise sur la télévision : Television… and What the Motion Picture Industry is Thinking and doing about it. On peut y lire : « avec toutes les capacités et les talents d’Hollywood, il est évident qu’Hollywood sera le centre de la production TV7 ». En 1951, la Paramount cherchait encore à développer la diffusion télévisée d’événements sportifs dans les salles de cinéma. Mais les majors n’avaient plus des vraies chances de posséder le marché télévisuel. Alors, en 1952, elles abandonnent l’idée de pouvoir maîtriser la télévision en l’intégrant dans leur 5.– Jane Stokes, On Screen Rivals. Cinema and Television in the United States and Britain, New York, St. Martin’s Press, 2000, Tino Balio (éd.), Hollywood in the Age of Television, Boston, Unwin Hyman, 1990. Voir aussi Joël Augros et Kira Kitsopanidou, L’économie du cinéma américain. Histoire d’une industrie culturelle, Paris, Armand Colin, 2009. 6.– Voir Robert Sklar, Movie Made America. A Cultural History of American Movie, New York, Random House, 1994, ainsi que Daniel Sauvaget, « Le couple cinéma-télévision face aux réglementations. Law and Order… », dans Laurent Creton (dir.), Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel, Paris, CNRS Éditions, 2002, p. 107-117. 7.– Cité par Janes Stokes, op. cit., p. 29.

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système. Ceci aura pour conséquence la fermeture de ce type de salle hybride, le Theatre Television. De plus, la FCC avait empêché les majors en 1952 de posséder la bande passante des ondes (movie band8) qui servait à la transmission des émissions dans ces salles de télévision. Ce sera plutôt le conglomérat des radios (les trois : NBC, CBS, ABC) qui mettra la main à la pâte quant à l’intégration des premiers networks.

Entre temps, quels films passe-t-on à la télévision ? D’autre part, à cette même époque, Hollywood essaie et réussit à irradier les ondes de la télévision. Le cinéma à la télévision constituera en effet une tranche importante des palimpsestes. Mais quels films passaient à la télévision et pourquoi ? Il s’agissait surtout de la production des années 1930 et 1940, des films de genre (westerns, comédies de série B, mélodrames), des productions secondaires des majors et des productions indépendantes. Ces films étaient produits pour l’essentiel avant 1948, car après cette date, de plus en plus de guildes s’étaient organisées pour réglementer leurs gains lors des passages à la télévision des films faits pour le cinéma. Ce cinéma de «  deuxième choix  » disponible aux passages à la télévision était en effet sélectionné avant tout pour des questions économiques, légales et syndicales, qui dictaient les choix de programmation. La programmation de longs métrages cinématographiques à la télévision américaine commence avant la programmation régulière télévisuelle durant les années 1940 et conséquemment, après 1957, les principaux films des majors se retrouveront facilement à la télévision. Parmi les raisons économiques et légales qui expliquent l’absence de « blockbuster » à la télévision, on pourra souligner qu’avant 1954 les lois réglant la vente des droits pour des passages des films de fiction à la télévision sont absentes. Cela ne pouvait que créer une hostilité envers cette pratique de la part des diverses corporations de travailleurs impliquées dans la production des films. Les exploitants de salles – qui sont les grands clients des majors – étaient ainsi souvent poussés à boycotter les majors qui vendaient leurs films aux télévisions et cela exerçait une pression notable sur les producteurs9. Soulignons qu’en général, durant les années qui ont suivi la Deuxième Guerre Mondiale, la télévision était pour l’essentiel en direct, et elle véhiculait une idée d’immédiateté. Les passages de films à la télévision n’apparaissaient donc pas comme nécessairement intrinsèques au médium. Après 1954, avec les décisions de la cour concernant le règlement des droits aux créateurs pour la diffusion des films à la télévision, et suite à la baisse de fréquentation des salles, les majors furent progressivement plus ouvertes à louer aux télévisions des pans de leurs catalogues10. Par exemple, en 1954, la RKO vend sa filmothèque à un 8.– Ibid., p. 30. 9.– Les exploitants avaient par ailleurs raison d’être furieux : entre 1946 (année de revenus maximaux pour Hollywood) et 1953, le public des cinémas baisse de 50 %. Pendant ce temps, les foyers américains qui possèdent un poste de télévision passent de 0,2 % à 34 %. Voir William Lafferty, « Feature Films on Prime-Time Television », dans Tino Balio (dir.), op. cit., p. 237. 10.– Les informations factuelles reportées ci-après sont reprises de William Lafferty, op. cit., Jane

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intermédiaire qui la revendra ensuite aux télévisions. En 1956, Warner, Fox, MGM, et Paramount en 1958, eux aussi, vendent des pans de leurs catalogues aux télévisions. Quoi qu’il en soit, toutes les majors vendent majoritairement des films considérés anciens, c’est-à-dire datant d’avant 1948. En même temps que l’industrie vit ces soubresauts, les films deviennent le lieu parfait où ces dits soubresauts peuvent être mis en scène… Un exemple tardif se trouve dans une scène de The Apartment (Billy Wilder, 1960). En 1960, le cinéma met en scène la télévision comme une vitrine : la vitrine d’un magasin (ou fonctionnant comme une tirelire, diront Jean‑Luc Godard et Anne-Marie Miéville en 1977 dans France tour détour deux enfants), où tout est mis de l’avant avec ostentation et vanité. Dans une scène hilarante, Jack Lemmon, assis sur son divan devant son poste de télévision, mangeant un fameux « tv-dinner » (nouvelle invention de la civilisation à l’époque de la télévision), est attiré, collé à son poste, par la promesse de la programmation imminente à la télévision du film Grand Hotel (Edmund Goulding, 1932). La promesse du film qui va commencer est sans cesse interrompue par des réclames publicitaires. Notons que le film promis était justement un film « ancien » des années trente. Ici, une première remarque d’ordre historiographique s’impose : avant que l’histoire du cinéma, en tant que discipline, commence à faire parler les archives, l’histoire du cinéma passe par ce canal de diffusion qu’est la télévision. Cette histoire, que le cinéma destinait alors à la télévision, était au fond une histoire réglementée par des règles commerciales/légales, mais en même temps, le cinéma fournissait à la télévision les matériaux pour l’édification d’un catalogue de fond : en somme une base de matériaux à partir desquels la télévision pouvait d’ores et déjà monter ses palimpsestes, c’est-à-dire procéder à son autonomisation de média. La reprise du média plus ancien, – le cinéma – sur les ondes de la télévision, met en place la condition d’être du nouveau média11.

Résigné à ne pas pouvoir annexer la télévision, le cinéma hollywoodien met en lumière ses menaces Pour revenir à l’histoire, Hollywood, résignée à ne pas pouvoir annexer la télévision, et menacée de plus en plus par ce nouveau média, se déchaîne en le Stokes, op. cit., Joël Augros et Kira Kitsopanidou, op. cit., Tino Balio (éd.), op. cit. 11.– Je peux rapporter sur ce point la position d’un groupe de chercheurs français des années 1970 à propos des notions de « capitalisme » et « industries culturelles » : « […] les industries culturelles édifient leur stabilité par la construction d’un catalogue de fond (back catalogue) qui devient donc plus que tout simplement la reprise du média précédent  – le cinéma sur les ondes de la TV – mais carrément la condition d’être du deuxième média ». Harmel Huet, Jacques Ion, Alain Lefèbvre, Bernard Miège et René Peron, Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1978, p.  26, et cités par Will Straw dans sa conférence: «  Time, Culture, Heritage  », communication au colloque America Land of Utopias, The Challenges of Social Communication, Brésil, 1-2  septembre 2002. Aussi  : Pierre Viollet, réalisateur de séries, dans les années 1950, écrivant aux Cahiers du cinéma l’article « Portrait d’une machine », soulignant combien la télévision avait besoin de beaucoup de matériaux, y compris de films, car « le monstre avait faim ». (Cahiers du cinéma, no 3, 1951, repris dans Thierry Jousse (éd.), Le goût de la télévision : anthologie des Cahiers du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma/INA, 2007).

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ridiculisant. Nous avons retenu, pour un micro-panorama, quelques apparitions, au cinéma, de la télévision comme figure diégétique en 1957, quand l’effet de sa nouveauté était encore présent, mais les jeux industriels, terminés. La contre-attaque du cinéma vers la télé, avec les armes lourdes du cinéma, date des années 1950 – déjà à l’époque, André Bazin et Chris Marker12 le faisaient remarquer dans les pages des Cahiers du cinéma13 et de Télérama. Le cinéma, on le sait, contre-attaque avec la 3D et surtout, avec les « Glorious Technicolor, Breathtaking Cinemascope and Stereophonic Sound »14, comme le dit la chanson de Cole Porter dans Silk Stockings (Rouben Mamoulian, 1957). En effet, ce n’était pas en quelques pouces d’écran, ni dans le brouillard de l’image carrée pointilliste, que la télévision allait entrer en compétition avec les attraits photogéniques du format large et de la couleur éclatante des pellicules de ces mêmes années 1950… Dans Will Success Spoil Rock Hunter (Frank Tashlin, 1957), par exemple, un gag, un véritable aparté qui coupe le déroulement du film, montrant le protagoniste du film s’adresser directement au public, et regardant la caméra, dessine clairement les contours du duel entre les deux médias. Ici, on se moque entre autres du fait que la télévision, mettant de l’avant sa caractéristique de fenêtre ouverte sur le monde en direct, finit bien souvent par relayer au téléspectateur – on l’aura compris – de nombreuses vieilleries cinématographiques. Mais par le fait-même, en regardant le bon côté du phénomène, avec la lunette de l’historiographie, nous pouvons constater que la télévision permet aux années 1950 une certaine transmission du patrimoine cinématographique, en combattant, involontairement, disparition physique et oubli spectatoriel de films des décennies passées. Le personnage Rock Hunter nous entretient ainsi : Ladies and Gentlemen, this break in our motion picture is made out of respect for the TV fans in our audience… Who are accustomed in constant interruption in their programs…for messages and sponsors. We want all you TV fans to feel at home…and not forget the thrill you get watching television on your big, 21-inch screens. I have a 21-inch screen myself and it’s loads of fun. Ici, l’image commence à se rétrécir, coupant l’image du présentateur, cadré au début en Cinémascope, pour prendre les proportions du moniteur de télévision.

12.– Chris Marker : « Lettre de Hollywood : sur trois dimensions et une quatrième », Cahiers du cinéma, n° 25, juillet 1953, p. 26-34 ; « Cinérama », Cahiers du cinéma, n° 27, octobre 1953, p. 34-37 ; «  And now is cinerama  », dans André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze, Gavin Lambert, Chris Marker, Jean Queval, Jean-Louis Tallenay, Cinéma 53 à travers le monde, Paris, Cerf, 1954, p. 18-23. 13.– Pour les premiers discours sur la télévision conçus au cœur du temple de la cinéphilie, voir l’anthologie dirigée par Thierry Jousse, op. cit. 14.– « Today to get the public to attend a picture show, it’s not enough to advertise a famous star they know. If you want to get the crowds to come around you’ve gotta have glorious Technicolor, Breathtaking Cinemascope and Stereophonic sound ». Notation drôle, la majorité de films MGM de l’époque emploie le « Perspecta optical sound » et non un véritable son stéréophonique, comme le remarque Martin Hart, dans les pages Web de son site « The American WideScreen Museum » (1996/2006). En ligne : (page consultée le 8 janvier 2011).

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TV is a remarkable invention. Where did you go ? ? [Ici, l’image rétrécie d’un poste de télévision a complètement coupé le gros plan du présentateur – entre temps devenu noir et blanc –, et ses yeux sont hors-champ]. […] TV is a remarkable invention.

Figure 1. Will Succes Spoil Rock Hunter (Frank Tashlin, 1957).

Ici, l’image télévisuelle, recadrée au centre du cadre du Cinémascope saute et est affligée de tous les défauts de l’image télévisuelle de l’époque : brouillard, neige, saut de cadre, lignes horizontales, etc. You can sit there in your easy chair with your shoes off and a can of beer…watching that wonderful, clear picture coming into your home…bringing culture and entertainment to you and your family. Of course, the great thing about TV is that you see things live at the moment they’re happening. Like old movies made 30 years ago. En plus d’émettre quelques doutes sur la capacité de la télévision à rester collée à la réalité et à dénoncer une expérience esthétique appauvrie lorsqu’elle est transmise dans la boîte en contreplaqué, Hollywood met aussi en garde quant à la possible perte de liberté des individus, prisonniers du monde de la télévision qui les pourchasse jusque dans leur salon, durant la pause café, devant leur lit d’hôpital, qui les espionne dans leur temps libre, durant une partie de cartes15. Ainsi, dans une très belle scène de A Face in the Crowd (Elia Kazan, 1957), l’intrusion de la télévision est démasquée et dénoncée ; cela est d’autant plus inquiétant pour nous, spectateurs du futur monde révolu des médias. « I got them like this: You know what the public’s like, a cage full of guinea pigs. Good night, you stupid idiots. Good night, you miserable slobs », grogne en regardant les caméras broadcast le protagoniste, Lonesome Rhode, star de la télévision (Fig. 2). Le montage alterné nous montre des téléspectateurs effrayés. Dégoutée par cette agression dispensée par la télévision au cœur de la vie privée, une téléspectatrice dit : « I can hardly believe that’s the same Lonesome Rhode ». Et un autre de 15.– Quant à l’espace domestique américain en particulier, voir Lynn Spigel, « La télévision portable : enquêtes sur les voyages dans l’espace domestique  », dans Mireille Berton et Anne-Katerine Weber (éd.), La télévision du téléphonoscope à YouTube. Pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne, Antipodes, 2009, p. 249-273.

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répondre : « It is, only this time, his personality finally came through ». La vérité au fond de la boîte de contreplaqué est qu’elle ne peut apporter que de mauvaises choses à la société américaine peureuse et conservatrice des années 1950.

Figure 2. A Face in a Crowd (Elia Kazan, 1957).

Plus léger, mais pas moins cinglant, on pourra aussi évoquer, toujours en 1957, A King in New York, où Charlie Chaplin propose une satire de la promesse de popularité que la télévision peut offrir tout en demeurant lucide quant à la menace sur la vie privée qu’elle peut entraîner.

Deux moments expérimentaux face-à-face En conclusion de ce parcours, voici l’esquisse d’une hypothèse historiographique. Tout compte fait, les périodes d’expérimentation se ressemblent. En fait, un phénomène de miroir semble s’opérer quant aux migrations du cinéma à la télévision. Aujourd’hui, une situation similaire à celle de la migration vers la télévision des fonds de catalogues de cinéma s’opère, cette fois, vers l’institution floue de l’univers numérique : le DVD (mais aussi le Web 2.0) est à la fois archive et vitrine. C’est une véritable histoire du cinéma, encore, qui s’écrit ici. Le contenu de l’histoire du cinéma qui s’écrivait, par les archives, à la télévision était celui d’une histoire construite sur les rebuts. Parallèlement, de nos jours, il est aussi possible de souligner comment des pans de l’histoire du cinéma, migrant vers le numérique se construit par moments sur des rebuts16. Par ailleurs, si le médium télévisuel peut se définir par ses caractéristiques du domestique et du choix des programmes, les phénomènes de la distribution du cinéma en DVD (ou de la consultation des films sur le Web) peuvent être considérés comme une prolongation de la diffusion et de l’archivage involontaire du 16.– Voir Will Straw, « Abject colour and the budget DVD corpus » dans (A)LIVE! Performance, Re-enactement, Animation, Simulation, International Film Studies Spring School, Gorizia, 2009, ainsi que, dans ce même volume, ses réflexions sur les 50 Movies Pack Collection. Pensons également à l’activité de distributeurs comme Mill Pond Films, ou Platinum Disc Corporation qui éditent des films appartenant au domaine public.

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cinéma par la télévision, surtout aux premiers temps de la télévision. Les collections de DVD Low Budget, en particulier, permettent au cinéma de continuer à construire son historiographie, d’en mettre en exposition des pans pas très connus et même oubliés à cause des rouages de l’économie de la production et de la diffusion. Les DVD en général, excroissances à la fois du cinéma et de la télévision, permettent au cinéma de vivre avalé par la télévision. On peut identifier ainsi deux moments d’expérimentation médiatique qui permettent la conservation involontaire du cinéma  : le tournant des années 1950 et le tournant des années 2000. Dans les années 1950, la télévision s’était à peine affranchie d’appellations comme « radio with pictures » ou « cinema in the home17 », et elle avalait le cinéma qui était à l’époque au comble de sa maturité institutionnelle. La télévision fonctionnait en somme dans ces années selon sa nature intermédiale. Dans les années 2000, la télévision – par l’intermédiaire du DVD et des chaînes spécialisées –, capable d’élaborer à nouveau le numérique, replonge dans les archives du cinéma ; des archives qui peuvent aussi être marginales et distantes du panthéon de l’histoire canonique du cinéma. Ce faisant, la télévision élabore conjointement cinéma et numérique, ce qui ouvre la porte à d’autres questions sur les notions de stockage, de conservation passive, de restauration et de circulation des documents – questions qui seraient urgentes d’approfondir. Ce sont, dans notre lecture, deux moments expérimentaux qui se retournent l’un sur l’autre, traces de deux époques révolutionnaires. Le premier, l’avènement, dans les années 1950, de l’institution télévisuelle telle que nous la connaissons aujourd’hui et, le deuxième, dans les années 2000, l’apogée de la métamorphose numérique qui s’infiltre à rebours dans la mémoire du cinéma toujours passant par le filtre du moniteur d’un poste de télévision. C’est ainsi, passant par la télévision, que l’on accumule les pièces d’une histoire fragmentaire du cinéma18 : de la conservation au final, même si elle est plutôt vouée à la consommation. Mais la consommation n’est-elle pas une voie qui assure la transmission ? Peut-être, par le cannibalisme médiatique, retrouverons-nous une autre vie du patrimoine cinématographique.

17.– Voir Jane Stokes, op. cit., p. 26. 18.– Thierry Jousse réfléchissait dans ce sens quand il disait : « La digitalisation de la cinéphilie est en marche. Malgré ses dérives probables, elle est préférable à la métamorphose de la passion cinéphilique en discours du patrimoine, voire à la transformation du cinéma en pur objet de savoir et d’histoire. Nous faisons le pari qu’un nouveau circuit, un nouveau réseau, une nouvelle géographie sont en train de se recomposer. Et qu’une nouvelle génération, à travers cette instrumentalisation généralisée des images, est en mesure de se réapproprier l’héritage de l’ancienne cinéphilie. Ultime paradoxe  : cette cinéphilie d’appartement  – minoritaire, comme toutes les formes de cinéphilie mais plus disséminée en l’absence logique de grand lieu de rassemblement – n’est-elle pas […] en passe de retrouver deux conditions fondatrices de l’ancienne cinéphilie : la clandestinité et un certain dandysme ? » (Thierry Jousse, « Les dandys du câble », Cahiers du cinéma, no 498, janvier 1996, repris dans Thierry Jousse (éd.), op. cit., p. 675.)

“Action Classics”: Ways of Thinking about the Budget DVD Corpus1 Will Straw The cultural artifact that inspired this essay is the DVD box set Action Classics 100 Movie Pack (Fig. 1), released in the United States in 2007 by Mill Creek Entertainment and available throughout North America, Europe and other markets. A banal, even degraded product of contemporary audio-visual culture, the Action Classics 100 Movie Pack stands, nevertheless, at the intersection of a wide range of economic, legal, technological and cultural logics. The purpose of this essay is to unravel some of these logics as far as is possible or pertinent. As I shall argue, building on arguments developed elsewhere2, collections of entertainment software such as this boxed set serve in a sense as alternative cultural monuments. They are one of the devices through which film history is gathered up, sifted and endowed with various forms of coherence within contemporary culture. Within these boxed sets, significant quantities of cultural expression are preserved and made to move throughout the world. In this respect, an artifact like Action Classics 100 Movie Pack is an integral part of what, following Janell Watson, we might call the “mode of accumulation” typical of contemporary audio-visual culture3.

1.– The author wishes to thank Caroline Bem for valuable research assistance. 2.– Will Straw, “Embedded Memories,” in Charles Acland (ed.), Residual Media, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007, p. 3-15 ; Will Straw, “The Music CD and Its Ends,” Design & Culture, Vol. 1, No. 1, p. 79-92. 3.– Janelle Watson, Literature and Material Culture from Balzac to Proust: The Collection and Consumption of Curiosities, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 40.

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Figure 1. Cover of Action Classics 100 Movie Pack (Mill Creek Entertainment, 2007).

Budget DVDs and the Commoditization of Cinema Action Classics 100 Movie Pack was released in 2007 by the Minnesota-based Mill Creek Entertainment, a company described on its website as the “industry’s leading provider of value DVD compilations.”4 This particular compilation is one of a dozen “100 Movie Pack” boxed sets issued by Mill Creek as of August, 2009  ; others are devoted to such themes as “Comedy Classics” and “Family Favorites.” These sets represent the latest responses to what is clearly the “commoditization” of certain types of older films, in the sense that economists use that term. That is, compilations such as this enact and express the reduction of hundreds of films to virtually indistinguishable products of equal value, in a market where competition is based almost exclusively on the offering of greater and greater abundance for ever lower prices. Because the films contained on Mill Creek’s boxed sets are in the public domain, available for commercial release by anyone who might have a copy, there are no rights costs to be paid. Once a digital copy of a film has been procured, the only real costs of commercial exploitation are those of duplication and packaging (there is little direct advertising to potential consumers). The clearest contrast with Mill Creek in the United States is a company like Criterion, whose pricing of DVDs is variable, based on the pre-established canonical status of each film and on the added value provided by the company in the form of high quality restorations and special features. 4.– See the website at (accessed on November 19th 2011).

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Over the last decade, the marketing of public domain films in DVD form has moved in two directions. One is towards ever-cheaper and ephemeral versions of single films, like the cheaply printed single DVDs packaged in thin envelopes that turn up in North American dollar stores for as little as 25 cents. Films for children, cartoon packages and old television shows disguised as feature films are common repertory in this market segment. The other tendency, at the heart of the “100 Movie Packs” strategy, seeks to offer a convenient abundance designed, increasingly, to counter the availability of most of these films as free downloads from such sites as the Internet Archive (www.archive.org) or The Entertainment Magazine (www.emol.org). As the company’s website admits, Mill Creek Entertainment’s Action Classics 100 Movie Pack was assembled by combining two previously-released boxed sets, 50 Suspense Classics and 50 Action Classics. Indeed, the 24 DVDs contained in the new set are still housed within the envelopes printed for these two original collections, as if the marketplace had changed so quickly that a boxed set offering 50 films quickly ceased being an attractive consumer object and had to be repackaged to increase its appeal. At the same time, the building of the “100 Movie Pack” out of these prior sets is part of a larger logic through which individual films find multiple uses. The same films may turn up on several of Mill Creek Entertainment’s boxed sets, through different inflections of their generic elements. British Intelligence, the 1940 Warner Brothers spy film starring Boris Karloff, is available in both the Action Classics box and the 20  Movie Combat Pack, for example, while the 1971 television movie Yuma, starring Clint Walker, is included in the 50-film Gunslinger Classics, the 20-film Mean Guns set and the weighty 100 Western Classics.

Copyright and the Public Domain The single factor most determinant of the price of the “Action Classics 100  Movie Pack” is the fact that, seemingly without exception, the films contained within it are in the public domain, at least in the United States. As films fall into the public domain, the only requirement for someone wishing to reproduce and circulate them is possession of a copy, and at the present time that copy need be no more elaborate than a digital file. In a meticulously researched examination of the public domain for films, David Pierce has studied the reasons why U.S. copyright was lost on such major Hollywood films as Charade (Donen, 1963), Of Human Bondage (Cromwell, 1934) and It’s a Wonderful Life (Capra, 1946)5. In many important cases, Pierce notes, films fell into the public domain as a result of errors or delays in the copyright or renewal process; these errors explain the loss of copyright ownership of such major studio films as Topper Returns (Del Ruth, 1941), Royal Wedding (Donen, 1951) or Father’s Little Dividend (Minelli, 1951). 5.– David Pierce, “Forgotten Faces: Why some of our Cinema Heritage is Part of the Public Domain,” Film History, Vol. 19, No. 2, 2007, p. 125-143.

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The principal reason for the loss of copyright on a film, however, is the disappearance, usually through bankruptcy, of a film’s production company, and consequent absence of institutional structures that might enforce copyright ownership or renew it after its normal term has expired. The loss of copyright through collapse of the original production company—often in periods of industry restructuring—is a major reason for the public domain status of films produced by the small studios associated with the “Poverty Row” of the 1930s and 1940s. Similar reasons have led to the loss of copyright for the dozens of European westerns, thrillers and adventure films of the 1960s and 1980s that fill the DVD boxed sets of Mill Creek and other distributors of budget packages. The English-language rights to these films were often sold off multiple times, to national or regional distributors who altered their linguistic and moral features (their levels of nudity and violence, for example) in revamped versions destined for particular markets. As these distributors themselves went out of business, the ownership of large numbers of these films could no longer be established or enforced with any authority. Observers have noted that the public domain status of certain non-Hollywood films, like the Italian “spaghetti Westerns” of the 1960s and 1970s, is often recognized only in the United States. Films whose copyright is still in force in Europe fell into the public domain in the U.S. as a result of the failure of companies to follow prescribed registration procedures in that country6. While efforts to restore the copyright status of these films in the U.S. have been underway for over a decade, a curious effect of their ambiguous legal status is that large numbers of European thrillers, Westerns and combat films are more readily (and inexpensively) available in the United States than in the countries in which they were produced. Their current presence within cheap commercial anthologies of post-1960s cinema, and in the homes of thousands of North American consumers, is disproportionate to the cultural space these films occupied at the time of their original release in North America. The commercial circulation of several hundred films whose rights have lapsed is rarely addressed in discussions of copyright and its public purpose. Indeed, it is significant that the widespread availability of public domain films fulfills neither of the prominent narratives about public ownership that have circulated around copyright with particular intensity in recent years. The first of these narratives, which underpins copyright law in most Western countries, sees creative works, such as literary novels or musical compositions, as the products of labour for which some limited form of financial remuneration is appropriate. Creative works, from this perspective, should enter the public domain only after a prescribed period has passed, at that point in their lives at which they have provided sufficient reward to their creators to serve as incentives for further creative labour. The public domain, in these scenarios, is a space of collective 6.– See the interesting discussion of these issues on The Spaghetti Western Database Forum at (accessed on November 19th 2011).

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cultural heritage in which works will repose for eternity once the period of their necessary commercial exploitation has passed. The contrasting position is familiar from present-day battles over downloading and the notion of a creative commons. Here it is argued that, instead of waiting patiently for the ownership of works to expire, we must liberate these works from structures of ownership and control. From this position, cultural expression is seen less as labour than as speech and information, elements whose unconstrained circulation is deemed essential to the functioning of a true democracy. In more radical versions of this argument, cultural expression contains within itself the impulse to be free, an impulse so strong that it inevitably exposes the obsolete, repressive character of copyright ownership regimes. The public domain films which fill up Mill Creek Entertainment’s boxed sets serve as weak examples in either of these narratives, however. Left unprotected because of accidents or corporate failures, these films enter the public domain for reasons unconnected to ideals of collective heritage or liberated speech. Indeed, the movement of films into the public domain is often one more quirky turn in turbulent textual histories marked by the failure of these films to find a public or maintain their integrity as works through turbulent commercial lifecycles. The release of cheap DVDs of Orson Welles’ later, non-Hollywood films, for example, is just one more dismal event in the sad histories of these films— histories which have seen their textual integrity dispersed and fragmented across multiple versions and in the face of uncertainty over the ownership of prints and rights. Likewise, the “liberation” of these films from copyright, and the enhanced availability which has resulted, typically has little to do with political challenges to the idea of intellectual property or the ownership thereof. The unconstrained present-day free circulation of 1970s “grindhouse classics” or of films by minor Hollywood production companies of the 1940s is more often the result of short-term commercial calculation and unscrupulous marketing practices in the past (such as those that stripped studio logos from films when they were sold to television) than of any commitment to the free circulation of information. As Robert Read has shown, the longstanding availability of public domain films from short lived American studios of the 1930s (first on 8 mm or 16 mm prints, then on VHS tapes or DVDs) has produced a “thickness” for this corpus.7 Easily viewed and collected, these films have inspired the growth of fan cultures, specialized distributors and the discourses of non-professional expertise and scholarship. All of these have produced a coherence for this corpus that reverses its original dispersion into obscure channels of distribution and unmaintained corporate inventories. Implicitly, this corpus confirms the archival principal that “lots of copies in lots of places” constitute, in certain cases, a means of preservation just as efficient as the traditional hoarding of rare single copies in secure institutions of patrimonial authority. 7.– Robert Read, “Homemade Surrealism: The Convergence of Past and Present Modernities in 1930s Poverty Row Films,” presented at the 2009 conference of the Film Studies Association of Canada, Ottawa, Canada, May 29th 2009.

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Logics of Genre and Geography The Action Classics boxed set is advertised, on Mill Creek Entertainment’s website, as one of the company’s “instant genre libraries,” alongside other sets devoted to Westerns, Spy films, Horror and the Combat film. The “action film,” it might be argued, is a more recent construction than these others categories, having had little classificatory prominence in the discourses of the film industry or criticism until the last quarter century. The titles assembled here include many films with no obvious generic affiliation, such as exotic adventure films of the 1930s, like East ofBorneo (Melford, 1931), Bird of Paradise (Vidor, 1932) or the feature edited from the Twentieth-Century Fox serial The New Adventures of Tarzan (retitled as Tarzan and the Green Goddess [Kull, 1935]). Here, as well, are such curiosities as the 1935 film adaptation of Winterset, Maxwell Anderson’s play about a miscarriage of justice, and Cape Town Affair, the 1967 South African remake of Samuel Fuller’s Pick-Up On South Street. With this boxed set, we see the retrospective application of the “action” label to genres (such as the adventure film, the mystery or the western) in which studios on the margins of Hollywood during the 1930s and 1940s tended to specialize. The Action Classics box shows, as well, how non-Hollywood film companies of the 1970s and 1980s helped to elaborate the category of the action film as a transnational product, usually in films featuring an American star (like Charles Bronson or Lee Van Cleef ) and operating at two or more points of intersection between such genres as the Western, the combat film, the revenge story, the mafia film, the heist narrative or the espionage thriller. Forty-three of the one hundred films on Action Classics (almost half ) were released prior to 1962, and all of those are from the United States. Among the peculiar inclusions here are the set’s only two silent films, the Clarence Brown/ Maurice Tourneur film Last of the Mohicans, from 1920, and the late silent John Barrymore vehicle The Beloved Rogue (Crosland, 1927). The majority of U.S. titles from Action Classics’ pre-1962 corpus were made by minor production companies like PRC or Monogram, virtually all of whose output is now out of copyright protection. Other U.S.-made pre-1962 films contained here were issued by the independent companies that emerged in the 1940s, either as producers of relatively big budget product (e.g., Anthony Mann’s The Black Bird, 1949, produced by Walter Wanger) or as suppliers of B films to major studios (such as Pine-Thomas, makers of low-budget films for Paramount, represented here by such titles as Submarine Alert [McDonald, 1949], Dangerous Passage[Berke, 1944], and Wildcat [McDonald, 1942]). The American “action classics” made after 1962 have a very different provenance. A half-dozen or so of these are made-for-television films produced in the United States during the 1970s. These films exist within contradictory systems of value that have rendered them unusual artefacts. Made, for the most part, to be shown in prime-time on the major U.S. television networks, these films were often produced, nevertheless, by short-lived and fragile independent production companies who failed to protect copyright in the long term. Because they

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regularly featured mid-level Hollywood or TV stars, from periods past those of their greatest stardom, these films present an obvious advantage to the marketers of budget DVD collections. The names and photographs of these stars can be used in the marketing and packaging of these DVD sets to give them legitimacy, with no mention of the fact that these films are from periods in their careers long past those for which they are best known. Action Classics includes such madefor-television films as Ransom Money (Lee, 1970) with Broderick Crawford, A Tattered Web (Wendkos, 1971) with Lloyd Bridges, Murder Once Removed (Dubin, 1971) with John Forsyth, The Woman Hunter (Kowalki, 1972) with Barbara Eden, The Night They Took Miss Beautiful (Lewis, 1977) starring Chuck Connors and Paper Man (Grauman, 1971) with Dean Stockwell. The other half of the corpus of post-1962 U.S. films consists of cheaply made, slightly exploitational films like TheDeath Collector (aka Family Enforcer) (De Vito, 1976), a title available from multiple budget DVD companies, usually in packages that highlight its third-billed actor, Joe Pesci. Another example is Corrupt (aka Copkiller) (Faenza, 1983), which features Harvey Keitel, punk star Johnny Lydon and, in one of her last feature film roles, Sylvia Sidney. Action Classics conveys a peculiar, distorted image of post-1960s U.S. cinema through the predominance of two very different kinds of ‘minor’ texts. On the one hand, it includes television films made within the most controlled and bureaucratized sector of the audiovisual industries, typically for stable revenues guaranteed in advance. On the other hand, Action Classics gathers films, like the aforementioned The Death Collector and Corrupt, made at a cultural and geographical distance from Hollywood, often within those cultural sectors in which ideals of independence (on-location shooting, naturalistic acting, etc.) overlapped with the logics of the exploitation film (with its emphasis on aberrant sexuality or violence.) The “polyvocality” of films in this latter category—their capacity to speak to distinct audiences at the same time, both to hip cinephiles and to the audiences for cheap genre films—is often signalled in the different titles they carried at different points in their commercial lives. The earliest of non-U.S. films contained in the Action Classics boxed set is the British film Sword of Lancelot (Wilde), made in 1963. As this collection moves into the 1960s and onwards, the proportion of non-U.S. films increases dramatically. Of the 56 films included here which were made subsequent to 1962, more than half (30) were produced outside the United States. The sense of film history conveyed here, then, is a curious one, as if countries like Italy or Germany only became part of that history late in the day. Distorted as this image of film history might be, one can see the logic at work here. Non-Hollywood filmmaking is acknowledged within these boxed sets, typically, at those points at which it has broken free of the circumscribed spaces of national cinemas. The European films included here are those which exploit the marquee value of Hollywood actors, for example, often with films made according to generic (or transgeneric) formula designed for a transnational marketplace. These practices, in Italian or West German cinema, would become particularly common in the 1970s, the decade that accounts for more than one third of the 100 films gathered on Action Classics.

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Colour, Style and Degradation A longstanding assumption in the marketing of budget-priced films, on videotape or DVD, is that those likely to buy such objects have a clear preference for films in colour over those in black and white. Typically, the visual images and annotative text employed in the packaging of budget boxed sets strain to conceal the dates of the films contained within them or the fact that several dozen of these films might be in black and white. One can imagine selection criteria for these boxed sets which presumes that the black and white, archaic character of older films may be partially compensated for if these films are U.S.-made and in English. It is for this reason, perhaps, that none of the pre-1960 films included here is from outside the United States, despite the widespread availability of public domain versions of such European titles as Metropolis (Lang, 1927) or the 1950s Italian films featuring the “action” hero Hercules. Older European films, in black and white and with actors unfamiliar to non-American audiences, would presumably involve too many forms of estrangement for a market dominated by U.S. consumers. In contrast, colour filming and the presence of Hollywood stars serve to lessen the “foreign” quality of so many European films of the 1970s and 1980s. Italian-made thrillers like Crime Boss (De Martino, 1972), with Telly Savalas, or the Italian-West German co-production Master Touch (Lupo, 1972), starring Kirk Douglas, bear a sufficient number of features familiar to present-day consumers (recognizable faces and roughly contemporary levels of violence and sexual explicitness) for their foreign provenance to be obscured. At the same time, the availability of these European films allows the Action Films box to contain many more recent, colour films with well-known stars than would otherwise be possible. U.S. films of the 1970s or 1980s featuring actors of the stature of Kirk Douglas or Richard Widmark would almost certainly remain within copyright protection, while this is often not the case for European-made thrillers of the 1970s in which both appeared. Even as European films of the 1970s enhance the perceived “value” of the Action Classics boxed set through their use of colour, international stars and familiar generic motifs, these films are often those which betray the highest levels of physical deterioration. More generally, the digital files on Action Classics appear to represent points late in the commercial and physical lives of the prints on which they were based. Many of these prints are marked by crude alterations which reveal the marginal industrial status of these films and the convoluted history of their ownership and distribution. In the case of many 1940s films, studio logos have been stripped off and replaced by those of long defunct television distribution companies. Films of the 1970s, however, have been subject to more varied processes of decay and acts of alteration. On numerous films from that decade, credits sequences have been squeezed to meet the needs of pan-and-scan versions designed for television broadcast; sound levels shift between those used for English-speaking stars and those of secondary characters speaking other European languages. In a practice to which Quentin Tarantino

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rendered homage at the end of Death Proof (2007), the credits or “The End” cards of some films have been superimposed over freeze frames, a technique that facilitates the cheap titling of different versions for different language territories. The most striking evidence of deterioration of the films gathered together as Action Classics involves colour. In a highly suggestive study of the copying and trading of VHS tapes, Lucas Hilderbrand suggests that one effect of the ongoing duplication of such tapes is that “technology becomes a text.” With time, as colours fade and images dissolve into visual noise, videotapes bear the “indexical evidence of use and duration through time.8” This steady deterioration of the image with use is not usually true of the DVD, of course, which captures and holds the decay of its source material at a precise moment in its physical history. Thus, while the digital versions of films collected on Action Classics do not themselves fade with repeated use, the boxed set as a whole is full of lessons about the variety of ways in which film prints themselves may decay. In the case of virtually all Action Classics from the 1930s and 1940s, black and white has lost its crispness, and the clarity and separation of colours are diminished. Within this corpus, it is more and more difficult to distinguish the stylistic figures of the film noir or the gothic horror film from a generalized obscurity that has much to do with physical deterioration and the shrinking of films for television broadcast or 16 mm distribution. One effect of this decay is that films begin more and more to resemble others of their period. This sense of what Susan Stewart has called the “self-periodization” of popular culture is particularly striking in the 34 films from the 1970s collected on Action Classics9. Through their repetition, from one 1970s film to another, the marks of physical abuse and colour deterioration which run through Action Classics now assume legibility as period style; they occupy a continuum with wellknown, intentional gestures of stylistic indeterminacy born in the New Waves or countercultural impulses of the 1960s, These gestures include jump-cuts, zooms, dissolves, temporal jumps, fragmented scenes of love-making and long shots of pensive characters set against empty landscapes. Widely embraced as constituent features of the cinema’s renewal in the 1960s, these stylistic features live out their final days as the sensationalizing clichés of 1970s exploitation films. The creative fatigue that marked these gestures by the 1970s is doubled in the jumps, scratches and moments of warbled sound that now corrupt available prints, further conveying a sense of their exhaustion. Likewise, the bleaching or fading of colour in these films somehow resonates empathetically with the refracted sunlight and kaleidoscopic dissolves that are among this period’s other visual clichés. As one works one’s way through the films collected on Action Classics, the lurid, faded colour of 1970s thrillers from Italy or Great Britain comes to stand 8.– Lucas Hilderbrand, Inherent Vice: Bootleg Histories of Videotape and Copyright, Durham and London, Duke University Press, 2009, p. 13. 9.– Susan Stewart, On Longing: Narratives of the Miniature, the Gigantic, the Souvenir, the Collection, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1984, p. 167.

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allegorically for the decline of these national cinemas, from the critical high points of a decade earlier and from the disciplined nobility of black and white. Indeed, while Action Classics serves as a catalogue detailing the multiple forms of degradation of black-and-white film, it is richest as an archive of the ways in which cinematic colour may decay and become abject. David Batchelor has shown the clear link, within contemporary culture, between the unconstrained capitulation to colour and a personal or collective fall from grace. Colour, in this account, comes to embody all that is “[s]ensuous, intoxicating, unstable, impermanent10”, and the later films on Action Classics resonate together to suggest all of these. Faced with the blurry, psychedelic flourishes of The Boxer (Un uomo dalla pelle dura) (Prosperi, 1972) or scratched, fading surfaces of The Squeeze (Controrapina) (Margheriti, 1978), we may feel that the greatest value of Action Classics lies in the multiple experiences it offers of stylistic decadence and exhaustion.

Aberrant Archives I have argued elsewhere that abundant stockpiles of failed or discarded cultural commodities (like retail stores selling old vinyl records, or the DVD boxed sets discussed here) perform a heritage function that is almost as meaningful, in relation to the larger cultures of which they are a part, as that performed by official institutions of preservation11. Junk store inventories of music, like DVD sets of public domain films, bring together the most dispersed and disconnected of cultural artefacts. Typically, the films or recordings within these inventories have not been subject to the sorts of critical or institutional processes which link other artefacts within genealogies of tradition or hold them together within corporate back catalogs and reissue programs. By countering the dispersion of the 100 public domain films contained within it, Action Classics offers its own version of film history and lineage of generic traditions. As suggested, one of the idiosyncratic archival functions of boxed sets like this is to document processes of decay in original source materials, by freezing the deterioration of film prints at particular moments in their physical lives. Another archival operation, equally idiosyncratic, is that by which Action Classics constructs the relative weight and importance of different periods and geographical areas within film history. The history of cinema conveyed here, as we have seen, is exclusively American until the 1960s, and represented only by films from the margins of the Hollywood studio system. The so-called classic period of American cinema is condensed within a few dozen low-budget films populated by fading matinee idols and bit players promoted briefly to the status of dramatic leads.

10.– David Batchelor, Chromophobia, London, Reaktion Books, 2000, p. 31. 11.– Will Straw, “Exhausted Commodities: The Material Culture of Music,” Canadian Journal of Communication, Vol. 25, No. 1, 2000, p. 175-185.

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The 1960s, enshrined within official film histories as among the richest of decades, is represented on Action Classics by only five films, far fewer than for any other 10-year period since the 1920s. Thrillers of the 1970s and 1980s, produced in Europe, South Africa or the Middle East within obscure and typically fleeting co-production arrangements, figure as the “biggest,” most ambitious and starladen of the titles compiled on the Action Classics boxed set. In contrast, the American cinema of this period appears minor and ephemeral, reduced to the marginal forms of the made-for-television movie or direct-to-video exploitation film. With Action Classics 100 Movie Pack, the vagaries of copyright registration and renewal practice have shaped an eccentric archive which inverts or distorts the familiar spatio-temporal coordinates of film history.

Communities of Interest Unite to Save Films Howard Besser1 Across the world, film archives have done a good job in saving their national patrimony. But historically, most film archives have focused their attention on saving feature-length narrative films. The types of films that have been less widely distributed (home movies, shorts, experimental films, documentaries, educational films, industrial films, etc.) have been a lower priority for most film archives, and some of these categories of film fall completely out of scope of the collecting policies of many archives. Around the end of the 20th century, we began to see communities of interest organize to preserve these neglected or “orphan” films. Studying the work of these communities as well as making contact and collaborating with them can be very useful for conventional film archives. These communities’ choice of neglected films points out areas of patrimony that film archives may have missed collecting; their methods of publicity around the type of films they highlight offers examples for archives on how to bring audience attention to their own set of older films; and their use of newer technologies for communications and distribution demonstrates ways in which archives can employ technologies to increase their impact by providing more access to the material in their collection, and by collaborating with other entities. In this paper, we will identify a number of these communities of interest, and show how they have come together to try to save a particular set of films and make them more widely available. In many ways, these are modern versions of the ciné-clubs of the 1960s. And, as happened in the earlier ciné-clubs, many in these communities eventually decided to make films themselves (though most have created assemblage-type films, primarily using editing skills rather than other types of cinematographic skills). 1.– Acknowledgements: former students Lucas Hilderbrand (bootleg aesthetics), Snowden Becker (Home Movie Day), and Eric Kohn (The Auteurs) helped launch key ideas in this paper. Former student Walter Forsberg contributed editorial assistance.

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Home Movie Day Home Movie Day (HMD) is an annual event that celebrates home movies with public screenings and advice on reformatting and preservation. Envisioned by four young film archivists as a way to bring public attention to home movies in 2002, the first HMD was held simultaneously in several North American cities in August 2003. Since then it has grown exponentially, with simultaneous events each October in approximately sixty cities around the world. HMD has been extremely effective at centering public attention on the cultural value of home movies. Well-placed publicity brings people to HMD for a variety of reasons, ranging from people wanting to view their own home movies when they don’t have a projector, to people wanting advice on care and maintenance of their own home movies, to people interested in watching the home movies of others. Archivists and film lab technicians have become engaged, acting as volunteers inspecting and splicing the films that people bring in to view, and offering advice on preservation and lab work. Publicity for HMD is both local and international. The HMD website2 is used to promote HMD activities, and even links to a Google map that displays HMD locations (Fig. 1). In 2005, the HMD founders established the Center for Home Movies3 as a tax-exempt organization to promote home movie dissemination, preservation, and research. The Center (with office space at the Library of Congress National Audiovisual Conservation Center) has compiled selections of home movies to circulate in various forms, including a DVD released in 2007 entitled, Living Room Cinema: Films from Home Movie Day, Vol. 1 (Fig. 2), and a compilation of sixteen home and amateur films entitled, Amateur Night: Home Movies from American Archives, released in 2011. The Center has also worked to have two home movies named to the highly competitive US National Film Registry, and has worked with several organization to reconstitute and to strike preservation prints of a variety of home movies. HMD has partnered with conventional archives and other cultural institutions. At some HMD locations an archive will offer to reformat a person’s home movie onto a format that they can play at home (such as DVD) in exchange for the original material being given to the archive. HMD has also received endorsements from individuals associated with film preservation, such as Martin Scorsese: Saving our film heritage should not be limited only to commercially produced films. Home movies do not just capture the important private moments of our family’s lives, but they are historical and cultural documents as well. Consider Abraham Zapruder’s 8 mm film that recorded the assassination of President Kennedy or Nickolas Muray’s famously vibrant color footage of Frida Kahlo and Diego Rivera shot with his 16  mm camera. 2.– Home Movie Day, online: (accessed February 1st 2011). 3.– Center for Home Movies, online: (accessed February 1st 2011).

Figure 1. Home Movie Day Locations as they appear on Google Map.

Figure 2. Room Cinema: Films from Home Movie Day, Vol. 1 (2007)

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Imagine how different our view of history would be without these precious films. Home Movie Day is a celebration of these films and the people who shot them. I urge anyone with an interest in learning more about how to care for and preserve their own personal memories to join in the festivities being offered in their community.4 From the very beginning, HMD has relied upon the Internet as a tool for community building. The four HMD founders live in different parts of the US, and developed their vision through email exchange. Their website is a key tool for disseminating information and for getting the public more involved in HMD. In addition to indices that help an individual locate the nearest HMD event, their website includes a section of valuable information on reformatting for preservation and access and a webography of sites with important information on film preservation.5 The Center for Home Movies and related individuals have also created video public service announcements, trailers, and documentaries that they have posted on YouTube for broader circulation.6

Social Networking around “Quality” Films The Auteurs7 is a social networking site built around common interest in quality films. Their website employs descriptive terms like “classic masterpieces,” “wonderful new cinema,” “visionary” films, etc. The website provides both streaming access to films and ways for its community of users to interact about these films. This includes forums where viewers engage in online discussions about the films, places where members can post their preferences (playlists), and other forms of sharing, networking, commenting, and viewing. Launched in November 2008, within a year it had 150,000  registered users, and 1.5  million unique visitors had reviewed 15,000  films and made 200,000 forum posts8. There were 500,000 visits just on the month of October 2009. By the end of 2009 the site made over 750 films available from several different collections. Some films streamed at $5 rentals, and some were provided for no cost at all. Film archivists may bristle at the low-bandwidth streaming versions of films that are seen by site members, but according to founder Efe Cakarel, a key goal 4.– Martin Scorsese quoted on the Home Movie Day website, online: (accessed February 1st 2011). 5.– Home Movie Transfers: Options and Issues, online: (accessed February 1st 2011); Film Preservation Links, online: (accessed February 1st 2011). 6.– 2008 Home Movie Day PSA, online: (accessed February 1st 2011); Retro Thing TV – it’s Home Movie Day, online: (accessed February 1st 2011) ; Home Movie Day Amsterdam, online: (accessed February 1st 2011). 7.– The Auteurs (http://theauteurs.com) was replaced by Mubi, online: in 2010 (accessed February 1st 2011). 8.– Eric Kohn, “Saving the Cinema: The Auteurs as a Case Study for Digital Distribution,” course paper for NYU Introduction to Moving Image Archiving & Preservation, 2009. Unless otherwise noted, all figures and quotations in this section are taken from this paper.

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of this site is to broaden demand for theatrical distribution of these films. “These films are meant to be watched on the big screen […] if there’s more awareness, there are more theatrical opportunities.”9 His rationale is that, if enough people show interest in these films, distributors will take note of the wide audience appeal and will then risk striking distribution prints and circulating them. In an effort to enhance distribution, The Auteurs struck partnerships with both distributors and film preservation entities. One of those entities that should be familiar to this audience is the World Cinema Foundation (WCF). According to founder Martin Scorsese, The World Cinema Foundation is being created to help developing countries preserve their cinematic treasures. We want to help strengthen and support the work of international archives, and provide a resource for those countries lacking the archival and technical facilities to do the work themselves.10 At a 2009 Cannes Film Festival press conference a cooperative agreement was announced between The Auteurs, the WCF, and distributors b-side and Criterion (Fig.  3). Under this agreement, films restored by the WCF would play at the Cannes Classics sidebar and simultaneously stream at The Auteurs. These films would then be distributed to Universities via B-Side. Then special edition DVDs of these would be distributed by Criterion. The day that this was announced, four WCF films were posted at The Auteurs (Hanyeo [The Housemaid, Kim Ki-Young, 1960], Touki Bouki [Djibril Diop Mambéty, 1973], Susuz Yaz [Dry Summer, Metin Erksan, 1964], and El Hal [Transes, Ahmed El Maanouni, 1981]). Within two days, there were 1,000 viewings of at least ten minutes duration.

Figure 3. World Cinema Foundation Press Conference, 2009. 9.– Eric Kohn, “Partners in Cinema,” Movie Maker, Vol. 16, No. 82, Summer 2009, p. 26. 10.– From the World Cinema Foundation website, online: (accessed February 1st 2011).

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Bootleg Film Community The 1987 film, Superstar: The Karen Carpenter Story (Todd Haynes), was removed from distribution in 1989 due to the unauthorized use of The Carpenters’ music. Though director Todd Haynes has since become a wellknown director, this early film of his cannot be legally shown. Yet a community has arisen to continue to circulate the film and keep it from disappearing. As Lucas Hilderbrand noted in his important study of the film, For a film that has been removed from distribution and has been historically difficult to access, Superstar has had an astonishing, irrepressible afterlife. Although its primary mode of circulation since late 1989 has been through an informal underground network of shared bootleg videotapes, Superstar continues to be seen in large-audience (if not always exactly public) settings.11 Yet, the copies that continue to illicitly circulate are very poor duplications. Most are grainy and have faded color, have gone through several generations of copying, and at one point were likely transferred from VHS video. Yet, as Hilderbrand observes, this poor quality gives it a special appeal that a pristine film print would not, an “appropriation aesthetic of image loss from duplication.” Hilderbrand situates this “bootleg aesthetics” within cinema and literary theory and the theory of spectatorship. And he also notes that this aesthetic situates these video “prints” in a particular time period—the era of VHS tapes. The kind of underground distribution appears to be a more democratic process than waiting for a distributor and exhibit space to show a particular film. Catherine Grant and Tahani Nadim have noted the social relations evident in bootlegging: “The network of bootlegging is a way of relating to collaborators, audiences and guests that is as constitutive of the participants as it is a means to distribute artwork.”12 Yet Hilderbrand points out that this democratization also carries a less democratic side, “Superstar’s unplanned bootleg circulation presents a democratization of distribution at the same time it makes access elitist; seeing or obtaining tapes, at least until they became available through eBay, depended upon insider connections or simply the luck of being in the right place at the right time.”13

Sponsored Films Approximately 300,000  industrial and institutional films were commissioned by businesses, charities, educational institutions, and advocacy groups in the United States14. This type of film, originally created for a pragmatic purpose 11.– Lucas Hilderbrand, “Grainy Days and Mondays: Superstar and Bootleg Aesthetics,” in Inherent Vice: Bootleg Histories of Videotape and Copyright, Durham, NC, Duke University Press, 2009, p. 161-190. 12.– Catherine Grant, Tahani Nadim, “‘Working Things Out Together’: The Joys of Bootlegging, Bartering, and Collectivity,” Parachute, Vol. 11, No. 1, July-September 2003, p. 53. 13.– Lucas Hilderbrand, “Grainy Days and Mondays,” op. cit., p. 183. 14.– Rick Prelinger, Field Guide to Sponsored Films, San Francisco, National Film Preservation

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and designed to have a limited distribution lifetime, did not fall within the collecting policies of most major film archives, so little was done to preserve them over time. In the early 1980s these advertising films, educational films, industrial videos, police training films, social guidance films, and government-produced films began to generate interest outside each film’s original narrow intended audience. Documentaries such as Atomic Café (Loader, K. Rafferty, P. Rafferty, 1982) showed how excerpts from sponsored films could be used effectively as stock footage. Coinciding with this, Rick Prelinger began voraciously collecting this type of material. Around 1987, Prelinger curated selections from his collection and through the Voyager Company and released these first as VHS tapes and as laserdiscs15, and later as CD-ROMs.16 For the next decade, Prelinger continued efforts to contextualize this material as offering keen insights into social history. While operating a stock footage house that also worked to preserve these films, he went on the lecture circuit showing gems from his collection. And in 1996, again through Voyager, he released a set of twelve thematically curated CD-ROMs. But though Prelinger’s efforts had demonstrated the scholarly value of sponsored films and had also generated enthusiasm for this type of work, the audience for these at the end of the millennium was still quite small. At the turn of the millennium Prelinger got together with Internet Archive founder Brewster Kahle and hatched plans to put an initial 500 sponsored films online as part of the Internet Archive.17 The easy online accessibility of streamed films generated widespread interest in them. And Prelinger and Kahle increased the interest by not only providing high resolution downloads for those who wanted to view high quality, but also by sponsoring contests for films created using downloaded clips from these sponsored films. And with functions for user commentaries, a community began to develop around this material. This newer distribution mechanism was being leveraged to greatly increase access, interest, and use of this type of material, as well as to begin creating a community. The attention brought to these neglected films both through the Internet Archive project and by the fervent community that had emerged from Dan Streible’s efforts since 1999 with the Orphans Film Symposium18 made it Foundation, 2006, online : (accessed February 1st 2011). 15.– Rick Prelinger (producer), To New Horizons: Ephemeral Films 1931-1945 [VHS], New York, Voyager Company, 1987; Rick Prelinger (producer), To New Horizons: Ephemeral Films 19311945 [LaserDisc], New York, Voyager Company, 1988; Rick Prelinger, You Can’t Get There From Here: Ephemeral Films 1946-1960 [VHS], New York, Voyager Company, 1987. 16.– Rick Prelinger (producer), To New Horizons: Ephemeral Films 1931-1945 [CD-ROM], New York, Voyager Company, 1992; Rick Prelinger (producer), You Can’t Get There From Here: Ephemeral Films 1946-1960 [CD-ROM], New York, Voyager Company, 1992; Rick Prelinger, (producer), Our Secret Century: Archival Films From the Darker Side of the American Dream [CD-ROM], New York, Voyager Company, 1992. 17.– As this chapter is being written, there are more than 2,000 sponsored films being distributed through this online collection. See The Internet Archive, online : (accessed February 1st 2011). 18.– Orphans Film Symposium, online: (accessed February 1st 2011).

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difficult for the conventional film archiving and preservation community to continue ignoring this type of work. Meetings of archivists increasingly dealt with orphan works, and individual archives began to alter their priorities to encompass sponsored films. In 2002, the Library of Congress Motion Picture, Broadcasting, and Sound Division acquired the 60,000  physical films of the Prelinger collection, while digital versions of many of these continued to be distributed by the Internet Archive. The US National Film Preservation Foundation became aware of the plight of this type of film and commissioned Rick Prelinger to recruit a crew to help him create a scholarly Field Guide to Sponsored Films. Over 100 volunteers collaborated over the Internet to create this study of 452 sponsored films. This work showed a highly effective use of Internet technology to coordinate the efforts of a large number of geographically dispersed individuals.

What Can Archives Learn from Communities of Interest? Conventional archives are embedded in institutions that have some degree of stability: they have buildings, storage, employees, a source of ongoing funding, etc. The public recognizes that these institutions have a mission to preserve material over long periods of time. These organizations never have enough resources to fulfill their mission, and so they constantly have to set priorities that leave many objects not-cared-for. Often, such prioritization favours feature films over more marginal works (such as sponsored films or other orphan works). Conservation concerns over the condition of material in their collections often inhibits these organizations from providing robust access to their works. Communities of interest are very different from these. Collectors and hobbyists showed interest in educational, industrial, amateur, and home movies decades before film archives did. They are responsible for saving tens of thousands of works that would have disappeared. These communities of interest are good at generating interest and excitement over niche types of works. They are also great at finding new ways of providing access to these works (streaming and download, engaging the public in social networks and online discussions, etc.). And they have shown the ability to engage the public to become active creators instead of merely passive viewers, which is very appropriate for our contemporary do-it-yourself (DIY) era. But these communities of interest are generally more focused on access than preservation, and though the two are linked, they are not the same thing. Preservation requires long-term sustainability (not only of the films, but also of the custodians—organizational stability). Access is an important component of preservation, and a community of support really helps make preservation efforts succeed. Communities are great for generating interest. But we can’t rely upon them, particularly for long-term preservation. These communities often don’t have the shared ethics to stand up to bullying from copyright holders (though, as

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activists, they do sometimes engage in Civil Disobedience, as a community did to focus attention on why the important civil rights documentary Eyes on the Prize [Henry Hampton, 1987] could no longer be shown because of copyright issues19). These communities have no continuous long-term funding, and often they must rely upon a single personal benefactor. And membership in these communities ebbs and flows, and can disappear over time. Additionally, because they are so very interested in access, sometimes their short-term goals imperil long-term preservation. But conventional archives need to listen to communities of interest, and to partner and collaborate with them. They need to encourage the energy of these communities in similar ways to how Henri Langlois encouraged the ciné-clubs of his time. And most conventional archives can learn something from these communities about access, as well as about building social networks dedicated towards particular collections.

19.– Eyes on the Screen (August 28th 2010), Wikipedia, the Free Encyclopedia, online: Retrieved August 30th 2010, from .

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L’avenir de la mémoire. Patrimoine, restauration et réemploi cinématographiques

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Les auteurs Howard Besser est professeur de Cinema Studies et directeur de la Moving Image Archiving & Preservation Program (MIAP) de l’Université de New York, ainsi que Senior Scientist for Digital Library Initiatives pour la bibliothèque de NYU. Ses projets récents ont porté sur la conservation de la télévision publique numérique, la conservation d’œuvres électroniques, les questions relatives au droit d’auteur et au fair use, aux Do-It-Yourself media, et à la nature changeante des médias avec l’arrivée des plateformes numériques. Il a contribué à de nombreux chapitres de livres et ses articles ont été publiés dans The Moving Image, First Monday, Processed World, Art Libraries Journal 25, Cinema Journal, Journal of the American Society of Information Science, Museum Studies Journal. Gerda Johanna Cammaer vit et travaille à Toronto, où elle est professeur de cinéma à la School of Image Arts de Ryerson University, à Toronto. Spécialisée dans le cinéma expérimental et documentaire, elle a publié plusieurs articles et catalogues d'art accompagnant les programmes de films et vidéos expérimentaux qu’elle a conçus et présentés. Ses films ont été présentés dans plusieurs festivals nationaux et internationaux. Elle est l’auteur de Collages and Bricolages: Artistic Audits and Creative Revisions of Mainstream Media in Recent Canadian Shorts, Halifax, Mount Saint Vincent University Art Gallery, 2005 et Lipsett’s Legacy: Recollecting Collage Films from the NFB and CFMDC, Halifax, Atlantic Filmmakers Cooperative, 2007. Elle a également codirigé, avec Zoë Druick, Cinephemera, Moving Images at the Margins of Canadian Cinema History, Toronto, McGill-Queen University Press, 2012. Robert Daudelin fut conservateur de la Cinémathèque québécoise de 1972 à 2002. Il est actuellement membre du Comité de rédaction de la revue montréalaise 24 images et rédacteur en chef du Journal of Film Preservation. Christophe Falin est enseignant en cinéma à l'université Saint-Denis-Paris 8. Membre du groupe de recherche ESTCA (Esthétique, sciences et technologies du cinéma et de l’audiovisuel), docteur en études cinématographiques et ancien étudiant de l’Académie du cinéma de Pékin, il est également l’auteur de nombreux articles et conférences sur les cinémas chinois et hongkongais. Ancienne élève de l’ENS Lettres et Sciences humaines de Lyon, agrégée d’italien, Marie Frappat est Attachée temporaire d’enseignement et de recherche au département Cinéma et Audiovisuel de l’université Paris 3. Depuis 2008, elle anime, avec Michel Marie et François Thomas, le séminaire de l’Ircav « Le Film pluriel ». Elle a publié Cinémathèques à l’italienne (Paris, L’Harmattan, 2006) et a coordonné le dossier « Le film pluriel » pour la revue Cinéma & Cie (n° 13, automne 2009). Elle prépare une thèse de doctorat sur l’histoire de la restauration des films. André Habib est professeur adjoint au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. Il a soutenu une thèse de doctorat au Département de littérature comparée à l’Université de Montréal

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en 2008 portant sur le cinéma et l’imaginaire de la ruine. Il est depuis 2002 coordonnateur de la section cinéma de la revue électronique Hors Champ, où il a signé plus de soixante textes. Il est l’auteur de L’attrait de la ruine (Crisnée, Yellow Now) et a également dirigé, avec Viva Paci, l’ouvrage collectif Chris Marker et l’imprimerie du regard (L’Harmattan, coll. « Esthétiques », 2008). Ses recherches récentes ont porté sur l’esthétique des ruines, l’archive, le cinéma expérimental et la cinéphilie. Pierre Jutras fut d’abord programmateur et conservateur du cinéma québécois et canadien à la Cinémathèque québécoise de 1978 à 1997, avant d’assumer ensuite le poste de Directeur de la programmation et de la conservation de l'institution. À ce titre, il a la responsabilité de développer et de mettre en œuvre les politiques d’acquisition, de conservation et de restauration des œuvres audiovisuelles, documents et artefacts ainsi que les politiques d’entreposage, d’archivage, de catalogage et d’élagage des collections de la Cinémathèque. Il assume aussi la supervision des projections publiques et des expositions de la Cinémathèque. Il a codirigé le périodique Copie zéro et la Revue de la Cinémathèque québécoise, et assure pendant plusieurs années la direction de la publication de l'Annuaire du cinéma québécois. Il a réalisé quelques courts métrages dont Lamento pour un homme de lettres (1988) et Petites chroniques cannibales 1. Rosalie (1997). Éric Le Roy est président de la FIAF (Fédération internationale des Archives du Film) après avoir été chef du service « Accès, valorisation et enrichissement des collections » aux Archives françaises du film (CNC). Il est membre du Conseil d’administration de l’AFRHC (Association française de recherche sur l’histoire du cinéma). Il a publié régulièrement des articles (dans la revue de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, Cinémathèque, Archives, Journal of Film Preservation, etc.) et des ouvrages sur le cinéma français, notamment le Catalogue des films français de fiction 1908-1918 (avec Raymond Chirat, Paris, Éditions de la Cinémathèque française, 1995), Éclair, un siècle de cinéma à Epinay-sur-Seine (avec Laurent Billia, Paris, Éditions Calmann Lévy, 1995), Camille de Morlhon, homme de cinéma (1862-1952), (Paris, L’Harmattan, 1997), Jean-Pierre Mocky (Paris, Éditions BiFi-Durante, 2000) dont il a été assistant et Denise Bellon (Paris, La Martinière, 2004). Michel Marie est professeur à l'université de Paris  3. Il est l’auteur de La Nouvelle vague, une école artistique (Paris, Armand Colin, 1997), Le guide des études cinématographiques (Paris, Armand Colin, 2006), Le cinéma muet (Paris, Cahiers du cinéma, 2005), Comprendre Godard (Paris, Armand Colin, 2006), Les grands pervers au cinéma (Paris, Armand Colin, 2009) et Les films maudits (Paris, Armand Colin, 2010) et co-auteur d’Esthétique du film (1983), L’analyse des films avec Jacques Aumont (1988), Le dictionnaire théorique et critique du cinéma, avec Jacques Aumont (2001), Lire les images de cinéma avec Laurent Jullier (Paris, Larousse, 2007). Il a créé l’AFECCAV avec Geneviève Sellier. Il a été président de la Cinémathèque universitaire et de l’AFRHC. Il dirige la collection « Cinéma et arts visuels » chez Armand Colin depuis 1988.

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Caroline Martel est étudiante en recherche-création au doctorat conjoint en Communications de l’Université Concordia à Montréal. Elle est aussi une documentariste indépendante qui œuvre en cinéma et en arts médiatiques. Elle a réalisé le film de montage Le fantôme de l'opératrice (2004). Elle conjugue recherches, théories et pratiques documentaire depuis une douzaine d’années, avec pour sujets de prédilection le patrimoine audiovisuel, les histoires occultées, les archives et nos rapports aux technologies. Elle complète actuellement un projet de recherche et de réalisation entourant un des premiers instruments électroniques de musique, les Ondes Martenot  : Le chant des ondes (2012). Sa première exposition, l’installation de montage Cinémas de l’industrie a été présentée au Museum of Moving Images de New York en 2012. Viva Paci est professeur à l’Université du Québec à Montréal, où elle dirige la maîtrise en «  Cinéma et images en mouvement  » depuis 2009. Elle a fait ses études, et a ensuite enseigné, en cinéma, littérature et communication en Italie, au Canada et en Suisse. Parmi ses publications : Il cinema di Chris Marker (Bologne, Hybris, 2005), avec André Habib la direction de Chris Marker et l’imprimerie du regard (Paris, L’Harmattan, 2008), La comédie musicale et la double vie du cinéma (Udine, Lyon, Forum, Aléas, 2011), La machine à voir. À propos de cinéma, attraction, exhibition (Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2012). Dominique Païni fut de 1990 à 2000 directeur de la Cinémathèque française, puis, jusqu’en 2005, du Centre Pompidou. Il fut le commissaire, en France et en Amérique du Nord, d’expositions d’envergure internationale aux concepts novateurs dont Hitchcock et les arts (2001) ; Jean Cocteau, sur le fil du siècle (2003)  ; Voyage(s) en utopie de Jean-Luc Godard (2006), La main numérique (2008 et 2010, Taiwan), ABC, Art Belge Contemporain (2011, Le Fresnoy, Lille), Hsieh Chun-Te, artiste de Taiwan (2011, Biennale de Venise). Il dirige deux collections de livres chez l’éditeur belge Yellow now, et est l’auteur de livres de référence dans le domaine des relations entre le cinéma et les autres arts (parmi les plus récents : Le temps exposé, le cinéma de la salle au musée, Paris, Cahiers du Cinéma, 2002 ; L’attrait de l’ombre, Crisnée, Yellow Now, 2007 ; L’attrait des nuages, Crisnée, Yellow Now, 2010). Il est également professeur à l'École du Louvre. Hervé Pichard a été chef de projet de la restauration de Lola Montès en 2008 et du film Les vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati pour la Cinémathèque française en 2009. Il est assistant de la directrice de la délégation aux enrichissements à la Cinémathèque française dont l’objectif est de constituer des fonds d’archives film et non-film. En collaboration avec les ayant droits, il est aussi en charge de nombreux tirages de films comme par exemple Mise à sac d’Alain Cavalier et Ran d’Akira Kurosawa, Hurlevent de Jacques Rivette. La plupart de ces copies neuves ont fait l’ouverture des cycles à la Cinémathèque française. Giusy Pisano est professeur en cinéma et audiovisuel à l’Université Paris-Est Marne la Vallée, directrice du Département de cinéma, audiovisuel, arts sonores et numériques et responsable du Master « Cinéma, Audiovisuel et Archives ».

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Chercheur au LISAA, ses recherches portent sur l’anthropologie des sons et des images. Elle est l'auteur de L’amour fou au cinéma (Paris, Armand Colin, 2010) ; Une archéologie du cinéma sonore, (Paris, CNRS, 2004). Elle a codirigé avec Valérie Pozner Le muet à la parole. Cinéma et performances à l’aube du XXe siècle (Paris, CNRS/AFRHC, 2005) et, avec François Albera, La musique  ! (Paris, AFRHC, 2003). Elle a participé à plusieurs ouvrages collectifs et publié des articles sur l’histoire et l’esthétique du cinéma. Rick Prelinger est archiviste, auteur, cinéaste et fondateur des Prelinger Archives, une collection de 60 000 films publicitaires, éducatifs, industriels et amateurs acquis par la Library of Congress en 2002. Il est également l’auteur du The Field Guide to Sponsored Films (National Film Preservation Foundation, 2007), a travaillé sur un large projet de numérisation de textes pour le Internet Archive et a participé à l’organisation du Open Content Alliance. Jean-François Rauger est directeur de la programmation de la Cinémathèque Française. Catherine Russell est professeure titulaire à la Mel Hoppenheim School of Cinema. Elle a publié de nombreux travaux sur le cinéma d’avant-garde, le cinéma anthropologique, le cinéma japonais, le cinéma canadien, la narratologie et Walter Benjamin. Elle est l’ateur de plusieurs ouvrages et d’articles, dont récemment Classical Japanese Cinema Revisited (New York, Continuum, 2011). Elle est également coéditrice du Canadian Journal of Film Studies. Will Straw est Directeur de l’Institut d'études canadiennes et Professeur au Département d’histoire de l’art et des études en communication à l’Université McGill. Il est l’auteur de Cyanide and Sin: Visualizing Crime in 50s America (New York, Andrew Roth Gallery, PPP Publications, 2006) et d’une centaine d’articles sur la presse à sensation, la musique populaire, le cinéma et la culture urbaine. Il est co-directeur de l’ouvrage Circulation and the City: Essays on Urban Culture (Toronto, McGill-Queens University Press, 2010) et dirige un projet de recherche sur les médias et la culture urbaine à Montréal. Pierre Véronneau est détenteur d’un doctorat en histoire et d'une maîtrise en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Entré au service de la Cinémathèque québécoise en 1973, il a été Conservateur du cinéma québécois et canadien et, jusqu’en 2011, Directeur des collections. On doit à Pierre Véronneau un certain nombre d’ouvrages sur le cinéma et la télévision au Canada, ainsi que de nombreux articles de recherche, notamment sur le cinéma au Québec au temps du muet, sur le cinéma ambulant et l’implantation urbaine, sur la représentation de Montréal dans le cinéma québécois, ainsi que sur la représentation et la réception critique du cinéma québécois hors Québec.