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French Pages 505 [512] Year 2011
Ci-git le colonialisme
DANIEL GUfiRIN
Ci-git le colonialisme Älgdrie Inde, Indochine, Madagascar, Maroc, Palestine, Polynesie, Tunisie
Temoignage milit'int
MOUTON - LA HAYE - PARIS
Library of Congress Catalog Card Number: 73-81813 © 1973, Mouton & Co Printed in France
De ce qui fut le colonialistne il reste, derisoire mausolee, au pied du colossal escalier de la gare de Marseille, naguere porte de /'« Empire », deux encombrantes statues de prolifiques Venus d'outre-mer avec les inscriptions: COLONIES
D'ASIE
COLONIES
D'AFRIQUE
PREMlfcRE PARTIE
Uη anticolonialistc
tdmoigne
Prologue 1930-1953
Aux alentours de 1930 bien peu d'editeurs se seraient risques ä orienter l'attention du lecteur sur les questions dites coloniales. Non point par crainte de mettre en boule les colonialistes, mais par elementaire prudence commerciale. Ces questions n'interessaient pas le public. Les colonialistes n'avaient guere plus son audience que les anticolonialistes. Je ne me faisais aucune illusion : les lecteurs des journaux ouvriers et socialistes auxquels je collaborais ne parcoururent que distraitement, si meme ils les lurent, les articles que j'icrivais alors : leur attention etait attiräe par d'autres colonnes que la rubrique coloniale. Dans les reunions publiques ou nous soulevions avec obstination ces problfcmes, les auditeurs brillaient le plus souvent par leur absence. Pendant des annees, nous avons prech^ dans le desert. Depuis, beaucoup plus tard, le drame colonial est entre dans la vie quotidienne des Francis. Je n'ai pas toujours eu les idees que j'ai defendues ici depuis plus de quarante ans. J'avais commence par repeter comme un automate Celles de mon milieu d'origine. En 1927, analysant dans un hebdomadaire le livre d'Henri Massis sur la Defense de l'Occident, je declarais « accepter sans discussion », je reprenais ä mon compte le cri d'alarme pousse par l'ecrivain reactionnaire, selon qui la revolte des peuples de l'Asie aurait menace la civilisation occidentale. Et j'essayais de rassurer mes congeneres en ecrivant que « dans la lutte engagee les grandes puissances etaient loin d'avoir jete leur derniöre carte » ! Mais, quelques mois apres avoir ecrit ces sornettes, je partais
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pour le Levant, oü je devais sejourner pendant deux ans. C'est en Syrie que mes yeux s'ouvrirent et que je commen9ai ä percevoir le veritable sens du conflit entre notre pretendue civilisation occidentale et les peuples orientaux, en meme temps que je decouvrais le vrai visage de la colonisation. La premiere fois que je visitai Damas, ä la fin de 1927, je traversal un quartier qu'on me dit avoir έίέ l'un des plus beaux, et qui n'&ait plus qu'un amas de decombres calcines. Les canons frangais du g6n6ral Sarrail, installes sur une colline dominant la « ville sainte », s'etaient livres ä un facile jeu de massacre. La guerre de Syrie venait ä peine de s'eteindre et, au milieu des principales artfcres, dans des abris profonds, luisaient encore les yeux des soldats sen6galais et le metal de leurs mitrailleuses. Dans le dedale des souks odorants, le regard noir et dur des Arabes en disait long sur les sentiments qu'ils nourrissaient ä l'egard de leurs temporaires vainqueurs. Pour la premiere fois, je vis ä 1'oeuvre les colonialistes, militaires, civils, ecclesiastiques, leur racisme, leur brutality, leur cynisme, leur fatuite, leur sottise. Quand j'^cris « cynisme » j'entends encore ce pfcre lazariste ä longue barbe me raconter gaiement comment, pendant la guerre 1914-1918, il avait envoye ä Beyrouth, de l'ile de Rouad, un autochtone, dont «nous voulions nous debarrasser», chez un dentiste secretement acquis ä la cause alliee, et comment, sur ses ordres, ce praticien avait obture les dents du patient... ä la strychnine. «Amüsant, n'est-ce pas ? » , s'esclaffait le porteur de soutane. Et quand j'ecris « sottise », je pense, entre autres, ä ce vieux colonel de cavalerie, amateur de champagne et de poules de luxe, qui avait re$u mission de s'emparer de « bandits » arabes. II disposa done ses troupes en un large cercle au centre duquel sa proie etait censee l'attendre. Chaque jour, le cercle se resserrait davantage; et, le soir, messieurs les officiers et leurs juveniles compagnes menaient joyeuse vie. Mais, au terme de l'operation, quand on parvint enfin au centre de la circonference, on ne trouva plus personne. En Syrie, je pris mes premieres lemons de choses en colonialisme. Je vis avec quel machiavelisme pataud une grande puissance s'essaie ä « diviser pour rdgner », et finit par dresser contre elle l'unanimite des elements ethniques qu'elle s'etait flattee de jouer les uns contre les autres. Je vis les representants de la France user tour ä tour, et avec un egal insucces, en des cycles qui se repetaient avec une lugubre monotonie, de la maniere forte et de la maniere douce, tantöt fou-
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droyant, tantot essayant d'amadouer les chefs autochtones. Dans le premier cas, c'etaient les militaires qui avaient carte blanche. lis s'en donnaient ä cceur joie. Mais lorsqu'ils avaient accumul6 les bourdes et les d6gäts, c'etait le tour des conciliateurs, des civils. Comme les messieurs ä trop bonnes manieres du Quai d'Orsay ne suffisaient pas ä la täche, ils mandaient alors, en häte, de Paris, Louis Massignon qui, servi par son idlalisme ä composante mystique et ses amities dans le monde musulman, s'efforiait de recoller les morceaux. L'6minent islamisant ne se genait d'ailleurs pas, ä l'occasion, pour dire leur fait aux maladroits qui avaient rendu necessaire sa mediation. Tel ce jour — je m'en souviens — oü, ä l'Universite Saint-Joseph de Beyrouth, devant un parterre meduse de galonn£s, de decorös, de profiteurs et de soutanes, il langa la m6morable apostrophe : « Quant ä ceux qui ne voient dans l'amiti6 [avec les Arabes] qu'une combinaison momentaniment fructueuse d'interets combines, qu'ils s'en soülent et qu'ils en m e u r e n t » C'est en Syrie que je nouai mes premieres relations avec des « nationalistes » musulmans : d'abord, avec l'6mir Khaled, petit-fils d'Abd el-Kader, exile d'Algerie au Levant, en 1923, pour avoir, dans la lign6e de son illustre grand-p&re, resist^ au colonialisme et fait figure avec le mouvement des «jeunes Algeriens » de pröcurseur du mouvement de liberation en Algdrie; ensuite, avec le plus coriace Ibrahim Bey Hanano, un des leaders du mouvement national syrien. Un ami, le commandant Geslin, qui m'invita ä faire une croisiere en mer Rouge sur son aviso, le Lievin2, ajouta involontairement une page ä mon livre de legons de choses. Le petit navire s'etait vu confier une mission secrete. Traversant la baie de Djibouti, il fit escale ä Tadjourah, oü le sultan local fut regu ä bord avec tous les honneurs dus ä son rang. Mais, se conformant aux ordres regus, le Lievin leva soudain l'ancre avec son invitä et lui fit prendre la route de l'exil. C'est ainsi qu'une « grande puissance coloniale » violait les lois de l'hospitalitö tenues pour sacrees par les Orientaux. D6jä, ä Beyrouth, avec la meme duplicite et le meme manque de « savoir1. Bulletin de l'Enseignement, VI* ann6e, n° 4, Beyrouth, 1928-1929, p. 152; cf. D.G., Autobiographie de jeunesse, p. 194, note. 2. Je racontai cette croistöre dans un article « En mer Rouge avec les cols bleus» paru dans Les Annales du 15 septembre, 1929. Pierre Brisson en retrancha tous les passages dans lesquels il subodorait un embryon de conscience socialiste. Cf. Autobiographie..., op. cit., p. 203-207.
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vivre », le general Sarrail avait fait jeter en prison les chefs druzes venus chez lui en visiteurs. Au d6but de 1930, je decidai de pousser plus loin et j'entrepris en cargo le voyage d'Indochine. Une coincidence me fit arriver ä Hanoi le jour meme de la mutinerie de Yen-bay3. J'entendis les bombes exploser dans la ville et les glapissements des colons dont la superbe avait brusquement fait place ä une trouille hysterique. « Sauve qui peut! A la citadelle ! », hurlait du balcon d'en face, un colonel en pyjama 4 . Je recueillis ä travers tout le pays les doleances des autochtones, je captai les 6chos affaiblis d'un mecontentement immense. Je ne rencontrai pas que les Indochinois vendus avec lesquels mes compatriotes s'empresserent de me menager des entrevues, tels que le gros riziculteur cochinchinois Bui Quang Chieü ou le Tonkinois Pham Quynh: j'eus la bonne fortune, grace ä un chauffeur de taxi annamite, de parvenir, ä Hue, jusqu'ä la retraite du vieux leader « nationaliste » Huynh Thuc Khang, directeur du journal La Voix du Peuple. Et cette rencontre me laissa un souvenir ineffagable. J'etais un « blanc », un « Europeen », un « ennemi », et, au surplus, un inconnu. Et pourtant ce freie vieillard m'avait re9U comme un frere 5 . En meme temps que je recueillais ce premier temoignage de fraternite, j'avais, pour la premiere fois, maille ä partir avec les colons. Un officier superieur fit croire au commandant du Bangkok (mon cargo) que j'etais, ni plus ni moins, 1'« instigateur » de la revolte de Yen-bay. Au retour, les officiers de pont me battirent froid jusqu'ä Marseille, tandis que l'equipage voulut bien m'adopter. Apres mon d6part, les rapports de police consacres ä ma modeste et inoffensive personne s'accumulerent sur le bureau du gouverneur general Pasquier, au point que la mere d'un camarade de jeunesse, Christian Bonamy, attache au cabinet du susdit, trembla pour la carriere de son rejeton. De retour en France, tandis qu'une feroce repression s'abattait sur 1'Indochine, je commensal ä la denoncer dans Le Cri du Peuple, journal syndicaliste revolutionnaire, et dans Monde, l'hebdomadaire que dirigeait Henri Barbusse. En meme temps, j'adherais au Comite d'Amnistie et de Defense des Indochinois et des peuples colonises 3. 10 f6vrier 1930. 4. Autobiographie..., 5. Ibid., p. 225.
op. cit., p. 226.
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qu'animaient la generosite et Ie devouement de Francis Jourdain, assiste d'Andre Malraux, Andröe Viollis, Leon Werth, Magdeleine Paz, Marcel Martinet, Felicien Challaye, Paul Rivet, Marius Moutet, J. Pera, etc. Pendant les annees qui suivirent, cette 6quipe d'hommes de bonne volonte s'efforfa de disputer aux bourreaux et aux geöliers du bagne insulaire de Poulo-Condor les victimes de la barbarie colonialiste. A la meme epoque, je nouais, au quartier Latin, des relations d'amitie avec de jeunes etudiants marocains : Mohammed el Ouazzani, Ahmed Balafrej, Omar ben Abdeljalil, etc. Et je les aidais ä rediger une brochure, Tempete sur le Maroc, qui parut, en 1931, sous le Pseudonyme de Mouslim Barbari. Ce fut l'acte de naissance du mouvement national marocain. J'6tais alors un novice du syndicalisme revolutionnaire. Les militants groupes autour du Cri du Peuple et de la revue La Revolution Proletarienne6 furent les premiers en France ä appuyer les jeunes Marocains. Tout en etant separes de ces derniers par un abime de conceptions sociales et philosophiques, l'antiimperialisme nous rapprochait et nous nations pas sans exercer sur eux une influence qui a peut-etre laisse des traces. C'est ainsi qu'on pourra voir, plus tard, l'autocrate du Maroc, sous l'impulsion du Parti de l'Istiqlal, se faire le champion du droit syndical: imprudence qui, ajoutee ä quelques autres incartades, lui coütera, pour un temps, son trone. Au printemps de 1931, le pouvoir dictatorial du roi Alphonse XIII fut renverse en Espagne et la republique proclamee. Comme l'ecrivit Pierre Monatte, dans La Revolution Proletarienne, «la voie etait ouverte ä la revolution espagnole ». Mais ce n'etait encore qu'une republique bourgeoise, malgre la part majeure prise par la classe ouvriere au renversement de la monarchie et de la dictature. Nos jeunes amis marocains aper?urent immediatement le parti qui pouvait etre tire de ce changement de regime. Je fus done charge d'ecrire ä Angel Pestana, alors secretaire general de la centrale syndicale anarchosyndicaliste, la Confederation Nationale du Travail (C.N.T.), pour attirer son attention sur l'urgence qu'il y aurait ä ce que le gouver6. Le groupe de La RSvolution Proletarienne comprenait, notamment, trois militants chevronn6s de l'anticolonialisme : Robert Louzon, Jean-Pierre Finidori et J. Pita. Cf. mon Front Populaire rivolution manquee, r6£dition 1970, p. 24-25 et 37.
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nement ripublicain de Madrid accordät l'autonomie ä la zone septentrionale du Maroc colonis^e par l'Espagne. Une autonomie, qui serait une premiere etape vers l'independance. Une telle liberation aurait eu de profondes et peut-etre decisives repercussions dans le reste du Maroc sous domination franchise. Mais Pestana fut incomprehensif et les republicans firent la sourde oreille : ils entendaient conserver leur petit « empire », comme, en France, le feront plus tard les « socialistes » Leon Blum et Marius Moutet. Quand, le 19 juillet 1936, eclata la deuxieme revolution espagnole, menee cette fois entierement par le proletariat resolu ä barrer la route au coup d'Etat militaire du colonel Franco, de pressantes demarches furent entreprises, de nouveau, ä Madrid, en liaison avec le mouvement national marocain et ses appuis fran?ais. Elles n'eurent pas davantage de succ£s que les pr£cedentes. L'Espagne r^publicaine et revolutionnaire ne voulait pas comprendre ou, absorb^e par d'autres täches plus pressantes, eile sous-estima l'importance et l'urgence du geste qui etait attendu d'elle. Cette carence desastreuse permit ä Franco de jeter, dans la guerre civile, des troupes autochtones levees dans la zone dite espagnole du Maroc, guerrieres par excellence, contre la classe ouvriere et contre la Revolution. A la fin de cette m£me annee 1931, j'assistai ä une conference faite ä Paris par Gandhi et j'eus l'occasion de confronter les points de vue du socialisme marxiste avec ceux de l'apötre de la nonviolence. Inutile ici d'evoquer des souvenirs : on trouvera dans le present recueil les instantanes et les proces-verbaux de ces echanges de vues, au cours desquels se fit entendre la grande voix de Romain Rolland. A l'epoque, je sentais surtout ce qui nous separait du Mahatma; mais quand, plus tard, il tomba sous les coups d'un assassin, pour avoir desapprouve la partition de l'Inde et etre reste fiddle ä son ideal de fraternite humaine universelle, je saisis mieux les cot6s par lesquels cet homme exceptionnel etait relativement proche de nous. A l'occasion ä l'emeute fasciste du 6 fövrier 1934, je fis la connaissance de 1'Algerien Messali Hadj, l'animateur de 1'« Etoile nordafricaine » 7 , venu offrir ä la Federation Socialiste de la Seine son concours pour contrecarrer la propagande des «ligues » aupres des 7. L'« Etoile» avait vu le jour, en 1924, en tant qu'organisation parastalinienne, mais Messali, qui en 6tait devenu le pr6sident en 1927, n'avait
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travailleurs nord-africains. Messali etait alors un grand jeune homme un peu osseux, vetu ä l'europeenne et portant un βουρςοη de moustache noire. Quand je le revis, en 1946, ä l'un de ses retours de captivite, ä Paris, chez le regrette Me Maiza, j'eus peine ä reconnaitre mon ami d'autrefois dans l'espece de mufti ä grande barbe qui me tendait affectueusement la main. A partir de 1936, je fus amen6 ä prendre une part plus active ä la lutte anticolonialiste. J'avais rejoint, dans le Parti socialiste, la tendance dite Gauche Revolutionnaire et je m'y specialisai surtout dans les questions coloniales. Repräsentant de cette tendance minoritaire ä la Commission coloniale S.F.I.O., j'eus ä mener au sein de cet organisme une lutte severe contre la bureaucratie du Parti et contre les ministres socialistes8. J'en fais l'aveu toute honte bue: j'avais ete de ceux qui contribuerent ä faire entrer au ministere des Colonies Marius Moutet, notre ancien collegue du Comite d'Amnistie et de Defense des Indochinois. Au pouvoir, Moutet, comme j'aurais du le prevoir, fit exactement le contraire de ce pour quoi nous avions appuye sa candidature. L'experience du Front Populaire fut une ρέnible mais salutaire le?on de choses, non seulement pour les novices que nous etions, mais aussi pour l'ensemble de la classe ouvriere franfaise. Pendant la periode du « gouvernement de Front Populaire ä direction socialiste», Paris fut, selon l'expression de Charles-Andre Julien 9 , un « creuset» ou fusionnferent les divers mouvements coloniaux de liberation nationale. A la Gauche Revolutionnaire, ä la Commission coloniale, nous 6tions bien prfes du centre de ce creuset. En meme temps que nous resserrions, mes amis et moi, des liens dijä anciens avec des Indochinois, des Marocains, des Algeriens, nous prenions contact avec Habib Bourguiba, leader du Neo-Destour tunisien, et nous avions le plaisir de saluer, pour la premiere fois ä pas tard6 4 s'aSranchir d'un joug trop pesant, ce qui la fit stigmatiser comme « nationaliste » par ses premiers bailleurs de fonds {voir plus loin, p. 16 et 65). 8. Front Populaire rivolution manquSe, op. tit., p. 170-171. Je dois pourtant rendre ici hommage & la m6moire d'un membre de la Commission coloniale du Parti socialiste de 1936-1937 : le regrettö Jean Longuet. II fut, avec son fils Robert, un des rares membres de cette Commission ä me soutenir, notamment lorsque j'allai avec lui soumettre au ministre des Colonies, Marius Moutet, les dolöances des colonis6s. 9. L'Afrique du Nord en marche, 1952, E d i t i o n 1972.
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Paris, Paul Dussac, ce petit colon europeen passe dans le camp des autochtones et qui avait pris la tete du mouvement d'independance malgache. A une reunion d'information organisee par la Gauche revolutionnaire, le 21 octobre 1937, il nous fut possible de presenter ensemble aux militants socialistes les dirigeants principaux des mouvements de liberation dans les pays colonises : il y avait la Dussac, il y avait la Bourguiba, il y avait la Balafrej. Ce fut une grande • ' 10 soiree . A la fin de 1937, la Gauche Revolutionnaire enlevait, ä la suite d'elections regulieres, la direction de la Federation de la Seine du Parti socialiste et, quelques mois plus tard, au congres de Royan, ä la Pentecote 1938, la bureaucratie du Parti, prenant sa revanche, obtenait notre exclusion. Aux cötes de Marceau Pivert, nous dümes transformer notre tendance en un nouveau parti, le Parti socialiste ouvrier et paysan (P.S.O.P.). Celui-ci, des l'origine, mit la lutte anticolonialiste (parallelement ä la lutte contre la guerre) au premier plan de ses activites. Au meme moment, les divers mouvements d'independance des colonises etaient rejetes dans une opposition de plus en plus amere par la politique de repression du gouvernement et, de surcroit, ils s'estimaient plus ou moins abandonnes et meme trahis par le Parti communiste. Dans un rapport adresse ä la prefecture de police sur une reunion du Comite central du P.C.F. du 8 juin 1937, il etait dit 11 : « L'Etoile nord-africaine est une organisation politique qui a comme but l'independance de l'Algerie. Elle a sa propre doctrine, son programme, sa tactique qui sont diametralement opposes aux nötres et ne peuvent pas etre les nötres ». De lä ä faire pression sur le gouvernement de Front Populaire pour obtenir sa dissolution, il n'y avait qu'un pas. II fut franchi. Nous etions, nous, avec une avance de plus de vingt ans, pour l'independance, Celle de l'Algerie aussi bien que celle des autres pays colonises. Aussi notre petite organisation devint-elle pour ces mouvements de liberation un centre de ralliement. Nous eömes ä nos cotes le Parti du Peuple Algerien, que Messali avait du constituer apres la dissolution de l'Etoile nord-africaine, dont les tendances et la composition etaient, dans une large mesure, proletariennes ; le 10. Voir plus loin le compte rendu detaflld de cette reunion, p. 223-237. 11. Archives de la Pr6fecture de Police, 10 694-B (carton n° 86, provisoire).
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Parti communiste malgache qui venait de rompre avec le Parti communiste franjais ; la Federation socialiste du Maroc, dont les dirigeants, Chaignaud et Delmas, etaient, alors, des socialistes de gauche ; dans une moindre mesure, la Federation socialiste de Tunisie, avec Joachim Durel, le Dr Cohen-Hadria et Durand-Angliviel, qui preta l'oreille aux aspirations destouriennes ; en Indochine, le groupe du journal La Lutte, dont les leaders trotskystes, Ta Thu Thau et Tran Van Thach, etaient conseillers municipaux de Saigon 12 . L'etroite collaboration du mulätre Emile Faure, petit-fils du resistant soudanais Samory, nous valut d'avoir des antennes dans les brousses les plus reculees de l'Afrique Noire. Enfin, nous etions en contact etroit avec les divers mouvements de liberation dans l'Empire britannique: avec le Parti socialiste du Congres de l'lnde, avec le Bureau africain de George Padmore, avec Jomo Kenyatta, aujourd'hui potentat du Kenya, alors leader de la lutte nationale de son pays. La coordination de ces luttes fut assuree par divers organismes, tous cr&s ä la veille de la guerre, en 1938-1939 : le Front ouvrier international contre la guerre, front unique international du socialisme de gauche ; le Centre de liaison anti-imperialiste, groupant les divers mouvements de liberation au sein de l'Empire frangais et qui jumelait son action avec celle du British Centre against imperialism ; enfin, le Bureau de defense des peuples coloniaux, dont l'objet etait de mobiliser l'opinion publique frangaise contre les abus commis dans ce que l'on appelait alors les colonies. A la meme epoque (mai 1939), je fus charge de preciser par ecrit la nature des rapports que le socialisme marxiste devrait entretenir avec des mouvements de liberation nationale, dont la plupart ont encore un caractere bourgeois, religieux et non socialiste. Question combien epineuse, et qui s'etait posee, depuis 1930, ä chacune des etapes de nos relations avec ces mouvements. Les idees qui etaient developpees dans ces textes avaient ete, pour une bonne part, puisees dans les ecrits de Lenine sur la question nationale et coloniale, ainsi que dans les resolutions des quatre premiers congres de Hnternationale
12. J'entretins une correspondance, en 1938 et 1939, avec cette aile trotskyste du groupe de La Lutte. Des extraits de cette correspondance ont 6t6 publi6s dans Nguyen Van Dinh, Ta Thu Thau, du nationalisme ä l'internationalisme, Saigon, avril 1939, en langue vietnamienne (B.N., 16° Indoch. 1506).
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communiste. Cependant, nous avions tente de les repenser plutot que de les plagier. Malheureusement, leur mise en application demeurera al6atoire tant que ne revivra pas un internationalisme proletarien authentiquement revolutionnaire, qui seul serait susceptible de coordonner jusqu'ä leur fusion totale les luttes des travailleurs occidentaux et celles des peuples colonises. Faute d'un tel instrument, les mouvements d'independance risquent d'osciller entre trois p61es d'attraction egalement steriles : le socialisme reformiste mal degage de l'influence imperialiste, le communisme stalinien prisonnier de la politique etrangere russe, le nationalisme autochtone, bourgeois, religieux, et, par bien des cotes, reactionnaire. A la veille meme de la deuxieme guerre mondiale, nous etions en train de preparer l'entevement du Gabon, oü il avait ete deporte, du leader nationaliste marocain, Allal El Fassi. Un correspondant noir de Faure nous avait adresse un plan exact de la villa oü il etait detenu, et le regrette Edouard Serre, ingenieur en chef d'Air-France, avait accepte d'envoyer clandestinement un avion pour tenter de le liberer. Mais le declenchement des hostilites nous obligea ä abandonner cet aventureux projet. Pendant la guerre, nous avons reussi, d'Oslo (Norvege), oü j'assumais, avec Rene Modiano, le secretariat europeen du Front ouvrier international contre la guerre, ä maintenir quelques liaisons avec le monde musulman, par Tintermediaire de l'emir Chekib Arslan, d'origine druze-libanaise, qui publiait ä Lausanne la revue La Nation Arabe. L'attitude des peuples colonises pendant le grand conflit ne dementit pas les espoirs que nous avions formules et ne contredit en rien les conceptions que nous avions defendues au sein du Centre de liaison anti-imperialiste : ils ne perdirent pas la tete, ils ne furent pas gagnes par la contagion belliciste et ils ne prirent reellement parti ni pour un camp imperialiste ni pour l'autre. Meme dans les cas extremes oü certains de leurs leaders purent donner l'impression de jouer la carte des puissances de l'Axe, ils ne firent qu'exploiter une situation donn£e au profit de leurs mouvements et ne cesserent de poursuivre leur objectif propre : l'independance. L'emir Chekib Arslan m'ecrivit ä Oslo, en novembre 1939 : « Du cöte de l'Allemagne, les Musulmans ne sympathisent que parce qu'elle est l'ennemie de leurs ennemis... mais les Musulmans n'ignorent pas que, s'ils tombaient
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sous le joug allemand, ils n'auraient rien fait que changer de maitres. » En tete des nations colonisees qui, en pleine guerre mondiale, se refuserent hautement ä pactiser avec l'un ou l'autre des deux camps imperialistes se plaga l'Inde. Des la fin de 1939, le Parti du Congres n'hesita pas ä exiger de l'Angleterre belligerante l'independance totale de l'Inde. Et cet acte de courage porta ses fruits au lendemain des hostilites. En general, la deuxteme guerre mondiale activa de fa?on tres sensible la marche des colonises vers la liberie. Cependant, l'independance ne sera pas partout acquise et beaucoup d'esp6rances seront provisoirement deques. L'Empire hollandais s'effondrera, les liens au sein du Commonwealth se distendront, mais, pendant trop longtemps, pour la plupart des pays colonises par la France, le joug colonialiste restera lourd. Parfois meme, il pfesera, au moins en apparence, d'un poids plus ecrasant qu'avant 1939. Cependant, un pays reussit ä se lib^rer, au moment oü, dans le notre, nous fetions notre propre liberation : la Republique democratique du Viet-Nam. Mais la bourgeoisie colonialiste frangaise, en repandant des flots de sang et en vidant nos caisses publiques, s'acharna, sans y r£ussir, ä 6touffer cet embryon de liberie. Je me souviens avoir rendu visite, en 1945, au « colonel > Andr0 Malraux, au cabinet du gen6ral de Gaulle. J'eus la candeur de lui rappeler notre pass6 commun, notre action au sein du Comite de Defense et d'Amnistie, et je l'adjurai d'user de son influence pour empecher que l'on n'attente ä l'independance annamite. II me repondit, avec une mauvaise νοίοηΐέ d^sabusee, que le general n'avait d'oreilles que pour l'amiral Thierry d'Argenlieu Et ce ne fut pas Malraux, ce fut Claude Mauriac qui, grace aux fonctions qu'il occupait ä la presidence du gouvernement provisoire, me fit p£netrer dans la prison militaire parisienne oü l'on avait jete d'6minents intellectuels indochinois, tel le philosophe Tran Due Tao, collaborateur de la revue Les Temps Modernes. Au cours de son sijour ä Paris, en 1946, j'eus un long entretien avec Ho Chi Minh, au cours d'un dejeuner ä deux oü il m'invita, mais le plaisir que j'äprouvais ä le saluer et ä celebrer avec lui la liberation 13. En religion le T.R.P. carme Louis de la Trinity, mis en congö de couvent pour aller sövir en Indochine.
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de son pays etait assombri, non seulement par la presence de serveursflics, mais bien davantage par nos desaccords theoriques et aussi par le souvenir de Ta Thu Thau. Des staliniens trop zeles de son entourage venaient, en effet, d'assassiner pour «trotskysme» l'ancien conseiller municipal de Sa'igon M. « Ce fut un grand patriote, et nous le pleurons », me dit Ho Chi Minh avec une emotion non feinte, mais pour ajouter aussitöt, d'une voix raffermie : « Mais tous ceux qui ne suivront pas la ligne tracee seront brises. » A une garden party dans la roseraie de Bagatelle, j'eus l'occasion de voir Ho Chi Minh, rayonnant et fleuri, ne quittant le bras de generaux chamarres que pour les etreintes d'un vieillard ä barbiche, Francisque Gay 15 . Ces demonstrations d'amitie etaient insolites, excessives, inquietantes. Un lourd malaise planait. J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'etouffer eüt avoue le Neron de Racine. Je fus de ceux, en tout cas, qui supplierent Ho Chi Minh de ne pas croire ä la bonne foi des politiciens frangais. Car je puis affirmer, apres d'autres, qu'il y crut — au point qu'ä son retour au Tonkin, ce sera de justesse qu'il evitera d'etre mis en accusation par ses propres partisans, dont Giap, le « dur ». Tandis que la Republique populaire du Viet-Nam resistera victorieusement aux assauts que meneront contre eile les mercenaires aux ordres des memes generaux et des memes personnalites tres chretiennes qui le cajolaient ä Paris, les dirigeants des autres mouvements d'independence connaitront pendant toute une dure periode un sort dramatique. Messali Hadj, qui avait dejä ete sous les verrous ä Paris en 1934-1935, apres dissolution de son mouvement, et avait dü ensuite se refugier en Suisse, en janvier 1936, afin d'echapper ä une peine d'un an de prison pour provocation de militaires ä l'insoumission, aura ä parcourir un long calvaire. Amnistie le 18 juin 1936 par le gouver14. Sur un ordre venu de Hanoi, Ta Thu Thau fut arret6 le 21 aoüt 1945, en Cochinchine. Bien qu'ä Saigon le Comite administratif du Nam-Bo, prdside par Duong Bach Mai, ait envoye emissaire sur emissaire ä Hanoi pour rdclamer l'execution de l'emprisonn6, Ta Thu Thau fut acquitte trois fois de suite par le tribunal populaire local, devant lequel il avait assum6 sa propre ddfense. Mais, au cours de son transfert d'une prison ä une autre, il fut assassinö le 31 aoüt. On avait pris soin de faire boire son meurtrier avant de l'envoyer commettre ie crime. L'autre leader du groupe de La Lutte, Tran Van Thach, fut assassinS quelques semaines plus tard. 15. Francisque Gay 6tait alors president du confessionnel M.R.P. (Mouvement Ripublicain Populaire), ministre d'Etat et vice-pr6sident du Conseil.
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nement de Front Populaire, il ne tardera pas ä etre arrete, ä Alger, le 27 aoüt 1937, et condamne ä deux ans de prison le I er novembre 1937; ensuite il sera interne par mesure administrative, puis ä nouveau condamne, le 17 mars 1941, ä seize ans de travaux forces, puis mis en residence surveillee, deporte ä Brazzaville apres l'insurrection de mai 1945 dans le Constantinois ; il reviendra du Congo, enfin libre, en 1946, et j'aurai la joie de lui rendre visite, alite, au domicile de Me Brahim Maiza, rue d'Assas, ä Paris. (Dans une interview donnee ä la fin de 1944 et qu'exhumera, en 1946, le journal Combat16, il voudra bien me citer parmi les amis fran^ais qui lui etaient restes fideles.) Mais cet elargissement se reduira ä une residence surveillee dans la banlieue d'Alger. Sept ans plus tard, il sera de nouveau arrete puis deporte, loin de son peuple, dans une petite chambre d'hötel, ä Niort (Deux-Sevres), sous la surveillance de la police. Bourguiba, rentre au pays natal avec la reconquete de la Tunisie par les Allies, sera, par la suite, intern^ ä l'ile de la Galite, un rocher minuscule, balaye par le vent, au large de Bizerte. Le grand syndicaliste tunisien Ferhat Hached mourra assassin^, et ses meurtriers fran?ais demeureront impunis. Balafrej sera exile ä New York et son sultan deporte en Corse, puis ä Madagascar. Les parlementaires malgaches, disciples du vieux Dussac, resteront longtemps embastilles, et leur mouvement sera ferocement decime 17. 16. Voir plus loin, p. 313-319. 17. Trois d6put6s malgaches au parlement frangais, Ravoahangy, Raseta et Rabemananjara furent condamnes, en 1948, ä Tissue d'un proc&s truquö, les deux premiers & la peine de mort (commu6e ensuite en detention ä perpetuite), le troisifeme aux travaux forces ä perpdtuiti. De l'aveu meme de l'ancien gouverneur g6n6ral de Madagascar, M. de Chevign6, le nombre des victimes du bain de sang atteignait le chiSre de 80 000.
1954-1972 *
La Periode que couvre la seconde partie de ce temoignage a 6t6 fertile en p£ripedes de tout acabit, coups de theatre, brusques retournements, tragedies, sang verse ä flot, debacles. On y assiste aux supremes convulsions de la bSte colonialiste, puis ä l'aurore de la liberation, puis ä l'independance, une independence denaturee, toutefois, soit par l'arrivee au pouvoir d'equipes autochtones oppressives, soit par l'intrusion du neo-colonialisme, tantöt par la conjugaison de ces deux nouvelles varietes d'exploitation de l'homme par rhomme. Cependant, en gros, l'on peut dire que ces annees ont marque le passage du colonise ä la condition, plus ou moins precaire, certes, de d6colonise. Elles ont £te jalonnees par deux retentissantes rencontres, celle de Bandoeng en 1955, celle de la Tricontinentale ä La Havane quelque dix ans plus tard. Malgre toutes les bavures, ce fut une mutation qualitative profonde, un gigantesque pas en avant, une enjambee plus large et plus rapide que ne l'avaient augures les previsions des anticolonialistes les plus impatients. II est vrai qu'en contrepartie ceux-ci avaient escompte, dans des d£lais certes moins courts, une tout autre decolonisation, operee dans le cadre de l'internationalisme proletarien revolutionnaire, une decolonisation vraiment socialiste. A l'^tape actuelle, leurs espoirs n'ont pas encore pu prendre forme. Que le lecteur ne s'attende pas ä trouver ici une histoire du pro* Au moment de mettre sous presse, il est devenu possible d'indiquer, par suite de nouvelles circonstances, que le nom v0ritable de Reda Mehenaoui, qui revient souvent dans ce temoignage, est: Mohamed Harbi.
Amnistie pour les Malgaches et autres
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cessus decolonisateur. Je me contente de temoigner en puisant, aussi bien dans mes souvenirs que dans mes archives, des faits et des documents assez souvent inedits : ils concernent surtout Taction anticolonialiste menee ici en France. J'insiste, tout naturellement, sur ceux des 6v6nements dont j'ai pu avoir, de pres ou de loin, une connaissance ou une prise directe. C'est dire la place que tient dans le present icrit la decolonisation de l'Algerie. Mais l'accent mis sur ce long drame ne l'est pas seulement pour des raisons subjectives. Vue de Paris, d'un point de vue objectif, la lutte du peuple algerien a sans doute et6 l'episode central de la dέcolonisation.
AMNISTIE POUR LES MALGACHES ET AUTRES Je commencerai par quelques mots sur les d6putes malgaches condemn s ä mort ou aux travaux forces ä perpetuite, bien que n'ayant pas pris part aux troubles sanglants de 1948. En 1954, ils croupissaient toujours en prison, Ravoahangy et le Dr Raseta au Fort Cherlet ä Calvi (Corse), Jacques Rabemananjara, d'abord ä la Maison de Force de Nosy-Lava dans la grande ile, ensuite ä la prison des Baumettes ä Marseille. Ils s'y trouvaient encore en mars 1956. Mais le gouvernement preside par Guy Mollet depuis le 31 janvier de cette annee-la se decida — enfin — ä mettre un terme ä leur longue detention. En mai ils etaient libres et, tandis que Ravoahangy partait prendre du repos ä Grasse (Alpes-Maritimes), j'eus l'occasion, ä Paris, de faire la connaissance de Rabemananjara qui, ä ses activites politiques, joignait celle d'un poete et dramaturge et qui devint un des fleurons du groupe de la revue Presence Africaine autour du Senegalais Alioune Diop, cercle auquel, malgre la couleur de ma peau, je me trouvai associ6. D£s septembre 1956, date oü se reunira ä Paris le premier Congres des dcrivains et artistes noirs, le grand ecrivain noir americain Richard Wright me confiera son peu de gout pour l'obedience catholique romaine de ce cenacle africain Quant ä Rabemananjara, il est devenu depuis, comme la quasitotalite des pionniers de la decolonisation, un homme d'Etat, dont 1. Dans une lettre du 29 septembre 1956, Wright me confiera que cette Conf6rence l'avait laissö «terriblement d6prim