Chimie et biologie de synthèse: Les applications 9782759823161

Il se passe en biologie de synthèse ce qui s’est passé en chimie aux siècles précédents. La connaissance des éléments ch

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French Pages 258 [248] Year 2019

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Chimie et biologie de synthèse: Les applications
 9782759823161

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Chimie et

biologie de synthèse Les applications

Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et biologie de synthèse : les applications », qui s’est déroulé le 14 février 2018 à la Maison de la Chimie.

 « COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Chimie et

biologie de synthèse Les applications Mouad Alami, Paola Arimondo, David Bikard, Patrick Couvreur, Marc Delcourt, Clément de Obaldia, Jean-Loup Faulon, Niko Hildebrandt, François Képès, Philippe Lavalle, Alain Marty, Gilles Ravot, Roberto Spagnoli et Hervé Watier. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Crédits couverture : © fusebulb, © Gorodenkoff, © Kateryna_Kon, © MG, © natali_mis, © Vlastimil Šesták Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN (papier) : 978-2-7598-2315-4 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2316-1

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, ­réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de ­l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, ­«  toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette ­représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2019

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Mouad Alami Directeur de recherche au CNRS Université Paris-Sud, Faculté de Pharmacie de Châtenay Malabry UMR CNRS BioCIS 8076 Équipe Conception et Synthèse de Molécules d’Intérêt Thérapeutique (CoSMIT) Équipe Labellisée Ligue Contre le Cancer Paola Arimondo Directrice de recherche au CNRS Laboratoire EpiChBio (Institut Pasteur) David Bikard Directeur Laboratoire de Biologie de Synthèse (Institut Pasteur) Alexandre Bradier Étudiant en pharmacie CHU de Tours et LabEx MAbImprove Guillaume Brachet Assistant Hospitalier Universitaire Faculté de Médecine et CHU de Tours, LabEx MAbImprove Patrick Couvreur Professeur Institut Galien Paris-Sud Académie des sciences, des technologies, de médecine et de pharmacie

Marc Delcourt Directeur Général et co-fondateur Global Bioenergies Clément de Obaldia Président INOVACTIS (Genopole) Jean-Loup Faulon Directeur de Recherche Micalis (INRA/AgroParisTech) Professeur School of Chemistry (University of Manchester, Royaume-Unis) Niko Hildebrandt Professeur Institut de Biologie Intégrative de la Cellule Université Paris-Sud-CNRSCEA François Képès Professeur Co-fondateur de Synovance Académie des Technologies Mélusine Larivière Animatrice scientifique du LabEx MAbImprove Université de Tours Philippe Lavalle Directeur de recherche Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) Université de Strasbourg. Unité UMR 1121 « Biomatériaux et Bioingénierie »

Joan Leclerc Chargé de mission Diffusion de la Culture Scientifique et Technique du programme ARD2020 Biomédicaments Groupe IMT, Tours Jérôme Le Nôtre Responsable Recherche et Développement PIVERT Alain Marty Directeur Scientifique Carbios Gilles Ravot Directeur Général PIVERT Roberto Spagnoli Ancien Directeur Département Biotechnologie France Hoechst Marion Roussel (aujourd’hui Sanofi) Hervé Watier Professeur des UniversitésPraticien Hospitalier en Immunologie Coordinateur du LabEx MAbImprove et du programme ARD2020 Biomédicaments Faculté de Médecine et CHU de Tours

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny....................................................... 9 Préface : par Bernard Bigot............................... 13

Partie 1 : Biologie de synthèse, un nouveau domaine en pleine expansion Chapitre 1 : La saga de l’hydrocortisone par Roberto Spagnoli......................................... 17 Chapitre 2 : De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse par François Képès............................................ 41 Chapitre 3 : De la biologie de synthèse aux biomédicaments par Alexandre Bradier, Joan Leclerc, Mélusine Larivière, Guillaume Brachet et Hervé Watier.................................................. 57 Chapitre 4 : Nanomédicaments pour le traitement du cancer et des maladies du système nerveux par Patrick Couvreur......................................... 67

Partie 2 : Les applications actuelles de la biologie de synthèse Chapitre 5 : Bioraffinerie et biologie de synthèse par Gilles Ravot et Jérôme Le Nôtre................. 95 Chapitre 6 : Des carbohydrates aux hydrocarbures par Marc Delcourt.............................................. 109 Chapitre 7 : Le mariage réussi du plastique et des enzymes par Alain Marty................................................... 121

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Chimie et biologie de synthèse

Chapitre 8 : Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le traitement du cancer par Clément de Obaldia .................................... 131

Partie 3 : Nouveaux outils pour l’ingénierie thérapeutique Chapitre 9 : Étudier et combattre les bactéries pathogènes : les outils CRISPR d’après la conférence de David Bikard ............. 143 Chapitre 10 : Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales par Philippe Lavalle .......................................... 159 Chapitre 11 : La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic par Jean-Loup Faulon ....................................... 177

Partie 4 : Santé : médicaments et diagnostics Chapitre 12 : Diagnostic médical à l’échelle nanométrique : détection des biomarqueurs des maladies par des technologies de fluorescence par Niko Hildebrandt ........................................ 201 Chapitre 13 : Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales par Paola Arimondo .......................................... 217 Chapitre 14 : De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? par Mouad Alami ............................................... 233

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La Fondation de la Maison de la Chimie s’attache à faire prendre conscience à tous que les sciences de la chimie, dans l’industrie, dans la recherche scientifique et dans le développement, sont essentielles à nos vies quotidiennes. Elle se penche ainsi sur la réalité de ce qui nous entoure : les objets quotidiens, les vêtements, nos habitations, nos loisirs, nos médicaments, etc. Certains de ces objets et de ces usages sont, pourrait-on dire, « vieux comme le monde », mais aujourd’hui, tous, sans exception, sont marqués par les progrès de la recherche dans les laboratoires publics et industriels, et souvent dans le cadre d’un partenariat étroit entre les deux. La Fondation a ainsi créé, en 2007, un cycle de colloques « Chimie et … », qui a traité successivement les domaines d’application de la chimie. Depuis La Chimie et la mer, le premier colloque, au plus récent, Chimie et biologie de synthèse, le premier de l’année 2018, ce sont dix-neuf colloques qui se sont ainsi déroulés sur des thèmes tous différents.

Le concept de « biologie de synthèse » est relativement récent, apparu peu après le formidable succès qu’a constitué le décryptage du génome autour des années 2000, ainsi que le développement technique des capacités de séquençage des génomes des êtres vivants. Des perspectives « infinies » ont alors été évoquées vers la compréhension détaillée, au niveau moléculaire, des mécanismes du vivant et, bien naturellement, vers des applications ambitieuses de tous ordres semblant souvent empruntées à la science-fiction. Les premières conséquences des recherches ne se sont pas fait attendre et continuent à ravir et à surprendre le monde scientifique, industriel et médical. Il s’est d’abord agit des biotechnologies qui, se nourrissant des succès ancestraux des techniques de fermentation, s’attachent maintenant, pour multiplier des applications bénéfiques, à construire des composants biologiques artificiels ; c’est ce qui se fait dans l’ingénierie métabolique basée sur l’analyse détaillée des actions des enzymes et sur la capacité

Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

Chimie et biologie de synthèse

de travailler le génome pour en construire de nouvelles. Maintenant, la biologie de synthèse stricto sensu est un changement de dimension : la biologie de synthèse « construit » des « organismes vivants-usines » comme des levures ou des cellules complètement contrôlées par l’adjonction de séquences ADN bien conçues. Les applications à de nouvelles synthèses de produits chimiques, plus respectueuses de l’environnement, à la production de nouveaux médicaments, comme l’hydrocortisone, à la détection ou au traitement de cancers, commencent à poindre. Mais certainement, il ne s’agit que des premières phases de techniques qui se perfectionnent constamment (en particulier par le recours à la bio-informatique) et permettront de résoudre des difficultés essentielles dans le management des ressources et de l’environnement. C’est dire que le thème « chimie et biologie de synthèse » est bien venu dans la série des colloques de la fondation de la Maison de la Chimie. Chacun de ces colloques a réuni près de 1 000 personnes ou davantage, acteurs dans le domaine de la recherche en chimie ou dans les entreprises industrielles utilisatrices de la chimie, mais aussi étudiants venus en grand nombre prendre la dimension des avenirs que leur offrent les sciences chimiques, leurs applications et leur développement.

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Les colloques sont l’occasion pour les participants d’écouter des spécialistes des sujets traités : représentants des

laboratoires à la pointe des applications concernées et représentants des industries engagées dans la fabrication et la promotion des objets ou l’élaboration des méthodes qui en permettent la mise en œuvre. Chaque présentateur fait l’effort de se mettre à la portée des non-spécialistes, mais sans cacher sa passion personnelle pour le sujet. Les messages des colloques sont trop élaborés pour qu’on ne veuille pas les conserver pour s’y reporter. Une collection de livres « Chimie et… » a été ouverte en 2009, par la Fondation de la Maison de la Chimie. Elle reprend les contenus des colloques et met les conférences sous forme de chapitres de livres qui pourront être diffusés à toute une variété de lecteurs : citoyens intéressés au progrès technique et ayant une certaine formation scientifique, professeurs en quête de supports concrets pour leur enseignement, élèves ou étudiants débutants dans le domaine et désireux de saisir les tendances de la recherche et de l’innovation. La présente publication du livre Chimie et biologie de synthèse est le dix-neuvième volume de la série. La simple liste des ouvrages de la collection « Chimie et… » (voir ci-dessous) est déjà un enseignement : on voit que peu de domaines de la vie quotidienne ont échappé à son attention… Et d’autres colloques et ouvrages sont encore à venir ! Toute cette richesse d’informations scientifiques et techniques et même économiques, puisque c’est l ’industrie

Liste des ouvrages de la collection « Chimie et …. » La chimie et la mer ; La chimie et la santé ; La chimie et l’art ; La chimie et l’alimentation ; La chimie et le sport ; La chimie et l’habitat ; La chimie et la

nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports : vers des transports décarbonés ; Chimie et technologies de l’information ; Chimie et expertise : sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise : santé et environnement ; Chimie et changements climatiques ; Chimie, dermo-­c osmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes ; La chimie et les sens ; Chimie, aéronautique et espace ; Chimie et biologie de synthèse, les applications (le présent ouvrage) ; Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies (à paraître).

Avant-propos

d’aujourd’hui qui est concernée, est précieuse et doit être valorisée. C’est un des rôles du site Internet www.mediachimie.org que la Fondation a créé en 2012. Ce site est consulté tant pour l’enseignement de la chimie que pour l’instruction du grand public curieux de connaître la réalité technique en profondeur. Que nos lecteurs se rendent sur ce site et cherchent les réponses à leurs questions… Nul doute qu’ils ne reviennent, pour approfondir, à la lecture, à côté de celles de nombreuses ressources proposées, de l’un des volumes de la collection « Chimie et… », l’un des dixneuf parus ou l’une des parutions futures.

Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie

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Nous appelons, je crois, tous de nos vœux d’une part une chimie avec des méthodes de production industrielle sûres et respectueuses de l’environnement, et d’autre part une médecine personnalisée à même de prévenir et guérir les problèmes de santé qui pourraient nous menacer. Parmi les approches susceptibles de répondre pour partie à ces deux vœux, la biologie de synthèse occupe une place de choix. Elle offre en effet dans plusieurs domaines des solutions innovantes. Citons le domaine des médicaments, vaccins et diagnostics, avec la perspective de per formances améliorées, celui des techniques novatrices en médecine régénérative, des outils pour réhabiliter les sols pollués ou purifier l’eau, ou encore de la production des matières plastiques ou textiles avec une empreinte carbone réduite. Mais au fait, qu’appelle-t-on « biologie de synthèse » ? Cet ouvrage vous propose de le découvrir sur des exemples parlants. L’ambition de ce domaine est de concevoir r ationnellement de nouveaux systèmes de production de composés inspirés

par la biologie, ou fondés sur ses composants, et de les construire de manière standardisée. Cette approche a une conséquence indirecte : construire un système biologique qui fonctionne avec des objectifs précis est une manière de s’assurer que l’on a compris les phénomènes sous-jacents, et en ce sens, la biologie de synthèse permet de faire progresser les connaissances scientifiques sur le monde vivant. De nombreuses applications consistent à faire produire à des micro-organismes des composés précieux en s’appuyant sur des ressources renouvelables. D’autres applications ne font pas appel à des organismes vivants : c’est le cas par exemple de la nanomédecine. Le potentiel économique de ces applications est considérable, puisqu’elles touchent aussi à la fois à la santé, la préservation de l’environnement, l’énergie et les matériaux. Un aussi large spectre d’applications nous indique que la biologie de synthèse ne consiste pas en une collection limitée de solutions industrielles particulières, mais repose sur un ample socle

Bernard Bigot, Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

Préface

Chimie et biologie de synthèse

méthodologique et scientifique. Ce nouveau domaine à l’interface de la biologie, de la biochimie, de l’informatique et de l’ingénierie suscite fascination, mais aussi interrogation. Cependant, la biologie de synthèse est déjà une réalité, puisque plus d’une centaine de produits industriels qui bénéficient de cette technologie sont aujourd’hui commercialisés ou proches de l’être. Elle permet par exemple la fabrication de médicaments et d’outil s de diagnostic déjà utiles à des milliers de patients. L’émergence de la biologie de synthèse est assez semblable à celle de la chimie de même nature il y a 150 ans. Dans quelques années, cette

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discipline sera certainement utilisée très largement dans le monde entier. La France est actuellement bien placée à cet égard et il nous est apparu important de faire le point, avec quelques-uns des meilleurs experts dans les différents domaines de recherche et d’application concernés. Je les remercie de s’être prêtés à cet exercice de nous introduire dans ce nouveau monde de la biologie. Je vous souhaite une excellente lecture !

Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie

saga

de

hydrocortisone

­l’

Après avoir réalisé sa thèse à Rome sur la physique des supraconducteurs, Roberto Spagnoli s’est dirigé vers la biologie et les biotechnologies, et a été Directeur Département Biotechnologie France chez Hoechst Marion Roussel (aujourd’hui Sanofi). Dans ce chapitre, il nous fait partager l’aventure de l’hydrocortisone, qui a occupé une dizaine d’années de sa vie professionnelle.

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Chimie et biologie : micro-organismes et bioconversions

1.1. Les micro-organismes : des microchimistes Comme toute saga, celle de l’hydrocortisone commence avec un prologue. On est en 1992, j’ai écrit une petite histoire pour la communication interne et externe dont la protagoniste est la levure (Encart : « La levure s’ennuyait »). Si on peut définir les chimistes comme des bâtisseurs de molécules, ils ne sont pas les seuls. Les micro-organismes sont aussi des microchimistes très habiles. La Figure 1 montre une grande variété de produits naturels parmi des dizaines de milliers issus de micro-organismes :

antibiotiques, antiviraux, vitamines (Figure 1). Les micro-organismes fabriquent des molécules nouvelles mais peuvent aussi être utilisés pour transformer des molécules : on parle alors de biotransformations. Il peut s’agir de micro-organismes entiers ou de composants subcellulaires, les enzymes. Dans une biotransformation, un substrat S est transformé en un produit P ; cela peut se faire en une ou plusieurs étapes : dans ce dernier cas on parle de synthèses multi­stades. 1.2. Les bioconversions industrielles Ce qui caractérise souvent les biotransformations dans l’industrie, c’est la recherche de procédés pour surclasser la rentabilité des procédés

Roberto Spagnoli

La

Chimie et biologie de synthèse

LA LEVURE S’ENNUYAIT La levure s’ennuyait, on ne lui demandait depuis des millénaires que des tâches de routine, du pain, du vin, de la bière… Dans des temps plus récents, c’est vrai, l’homme son ami l’avait mise au défi de fabriquer pour lui des substances plus nobles, des protéines que l’homme lui-même et les animaux ne savaient fabriquer qu’en petites quantités. Mais cela n’était pas à la hauteur de ses ambitions. Au fond, un procaryote tout bête, un Escherichia coli minable, avait pu, souvent, réussir les mêmes choses. La levure rêvait d’être un jour appelée à une grande entreprise. La nuit, elle lisait et relisait un texte où une phrase l’avait particulièrement frappée et chatouillait agréablement son ego : « Microorganisms can and will do everything, they are smarter, wiser, more energetic than chemists, engineers and others » - D. Perlman (1979).The laws of applied microbiology.

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Figure 1 Quelques molécules naturelles issues de micro-organismes : A) Érythromycine ; B) Pénicilline ; C) Vitamine B12 ; D) Cyclosporine ; E) Bléomycine ; F) Acide clavulanique ; G) Céphalosporine C.

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chimiques en place. On vise ainsi un rendement élevé et une productivité élevée (en grammes par litre de produit obtenu), à des échelles qui vont du kilogramme à celle des tonnes. Quand on développe un nouveau procédé

dans l’industrie, on sait que pour être gagnant en termes de rentabilité, il ne faut pas se contenter de petites améliorations, mais il faut viser des améliorations du coût de production qui soient au moins de l’ordre de 20 à 30 %.

molécule optiquement active1 (Figure 2), découverte en 1935 et utilisée en thérapeutique depuis le début des années 1950.

−− la recherche d’un rendement de bioconversion élevé. Selon le coût du substrat utilisé, l’objectif pourra varier de 60 % (pour des substrats peu chers) à 99 %. Cela est lié principalement à la souche qu’on utilise ;

Les cor ticostéroïdes 2 , en général, et l’hydrocortisone en particulier, possèdent une action anti-inflammatoire unique. En tant que génériques ils trouvent leur place dans différents domaines d’applications, ils demeurent le « gold standard » dans le traitement de l’asthme et représentent une partie significative du chiffre d’affaires du «  business bulk » de Sanofi.

−− la recherche d’une concentration en substrat, et donc d’une productivité volumique élevée : typiquement de l’ordre de 1-100 grammes par litre ; on devra pour cela travailler à l’optimisation du procédé ; −− en dernier lieu, puisqu’il faut in fine sortir le produit du milieu réactionnel, on cherche un rendement de purification élevé, de 80 à 100 %. Ce rendement est lié à la fois à la souche et aux procédés.

La saga de ­l’hydrocortisone

Si on généralise, pour développer un procédé de biotransformation industrielle, on est confronté à trois objectifs :

1. Molécule optiquement active : une molécule est optiquement active si elle fait dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée. 2. Corticostéroïdes : appelées aussi corticoïdes, ce sont des hormones stéroïdiennes sécrétées chez les êtres humains par le cortex de la glande surrénale.

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La synthèse industrielle de l’hydrocortisone : d’une synthèse majoritairement chimique à une bioconversion par la levure 2.1. La synthèse d’hydrocortisone par voie purement chimique : de 40 à 9 étapes La saga, telle que nous la racontons et où l’on verra la levure à l’œuvre, se développe sur plusieurs saisons : la saison 1 entre 1992 et 2000 (recherche), et une saison 2 entre 2000 et le présent (développement). Qu’est-ce que l’hydrocortisone ? C’est une très belle

O L’objectif de Sanofi pour un nouveau procédé

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Procédés actuels pour l’hydrocortisone

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1re synthèse industrielle de l’hydrocortisone par Roussel (1953)

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1re synthèse industrielle de la cortisone par Merck (1950)

Synthèse totale de la cortisone par R.B. Woodward (1952)

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Figure 2 Évolution du nombre d’étapes de la synthèse de l’hydrocortisone au cours des années : on est passé d’une synthèse en 40 étapes en 1952 à une synthèse en 23 étapes en 1953, puis en 9 étapes à une époque plus récente.

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Chimie et biologie de synthèse

Le bulk, c’est la matière première utilisée dans la fabrication des médicaments. En 1952 a été réalisée une « synthèse totale » de l’hydrocortisone, c’est-à-dire une synthèse à partir de molécules toutes simples. On peut voir sur la Figure 2 le nombre d’étapes nécessaires pour bâtir ainsi cette molécule complexe, soit une quarantaine d’étapes et un rendement final ridiculement faible, chaque étape ayant évidemment un rendement inférieur à 100 %. Pour pouvoir la produire industriellement il a fallu développer des méthodes spécifiques plus efficaces. En 1950, a été publiée la première synthèse industrielle de cortisone par Merck, en une trentaine d’étapes. Puis Roussel-Uclaf (l’« ancêtre » de Sanofi) intervient sur la scène en 1953 avec sa première synthèse industrielle d’hydrocortisone en 23 étapes. À partir de là, il y a eu évidemment une course pour faire plus court et moins cher, et le procédé actuel se fait en 9 étapes. Peut-on mieux faire ? L’objectif de Sanofi est alors le plus ambitieux possible : produire l’hydrocortisone en une seule étape, et c’est l’histoire qui va être racontée.

Figure 3 Diminution de la quantité de produit obtenu dans l’hypothèse d’un rendement moyen de 90 % pour chaque étape de la synthèse d’hydrocortisone en 23 étapes.

L’hydrocor tisone, et plus généralement les corticostéroïdes, représente pour notre entreprise un volume de production de plusieurs tonnes, un chiffre d’affaires impor tant, beaucoup de monde impliqué dans sa fabrication dans les usines, et tout cela dans un contexte de concurrence acharnée. La voie industrielle actuelle, déjà très améliorée par rapport aux procédés antérieurs, comporte, comme on l’a dit,

100 kg 0,90 0,80 0,70 0,60 0,50 0,40 0,30 0,20 0,10 0,00

Rendement global sur une séquence de 23 étapes, avec 90 % de rendement par étape

8,9 kg 1

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L’ i n f l u e n c e d u n o m b r e d’étapes sur le rendement final (et in fine sur le coût de production) est illustrée sur la Figure 3. Même avec un rendement moyen par étape de 90 %, qui est assez optimiste, la chute vertigineuse de la quantité produite pour une même quantité de produits de départ est spectaculaire. En 1953, le procédé de RousselUclaf en 23 étapes utilisait comme matière première l’acide désoxycholique d’origine animale (extrait de la bile de bovins et ovins), mais ce dernier a dû être abandonné au cours des années 1980 à cause de l’épidémie dite « de la vache folle » (ESB : encéphalopathie spongifor me bovine). On a donc dû développer une nouvelle voie pour arriver au produit final.

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C’est déjà pas mal, mais comment faire encore mieux pour faire face à une compétition mondiale de plus en plus dure ? L’idée a été de s’inspirer de la nature. En fait, l’hydrocortisone est une substance naturelle produite dans les glandes surrénales de tout mammifère ; avec son efficacité remarquable, la nature arrive à la synthétiser en 5 étapes à partir du cholestérol, qu’il soit assimilé par l’alimentation ou fabriqué sur place. Ici on peut citer Leonard De Vinci, qui, en 1508, déclarait : « l’homme n’arrivera jamais à faire mieux que la nature parce qu’en nature rien n’est superflu et rien ne manque ». L’idée d’un nouveau procédé industriel est donc d’exploiter cette voie biosynthétique naturelle en essayant de la transférer en totalité dans un micro-organisme. Voici donc la biotransformation de rêve : on fournirait à ce micro-organisme modifié du cholestérol à partir duquel il pourrait fabriquer l’hydrocortisone comme le fait une cellule surrénale. Simple, non ?… 2.2. Un projet ambitieux : de 9 à 5 étapes en s’inspirant de la nature La Figure 4 présente la voie naturelle de synthèse de l’hydrocor tisone dans les surrénales, avec ses 5 étapes enzymatiques et le cholestérol comme substrat de départ. Les transformations se font

à l’intérieur des deux compartiments subcellulaires des surrénales : la première et la dernière étape ont lieu à l’intérieur des mitochondries3, et les trois autres au niveau du réticulum endoplasmique4. Passons-les rapidement en revue.

La saga de ­l’hydrocortisone

9 étapes : d’abord une bioconversion pour transformer un substrat naturel d’origine végétale en un intermédiaire très important, ensuite 8 étapes chimiques.

Première et dernière étape (mitochondries) Dans ces étapes de synthèse, deux enzymes P450 jouent un rôle clé. Il faut savoir que les P450 (Encart : « Les protéines P450 sont des protéines complexes ») ne peuvent pas fonctionner sans l’aide d’autres protéines qui contribuent au transport d’électrons. En l’occurrence, pour la première étape de cette synthèse, trois protéines sont nécessaires : la P450scc (« side chain cliving »), appelée aussi CYP11A1, avec la participation de l’adrénodoxine (ADX) et l’adrénodoxine réductase (ADR). Cette P450 coupe la chaîne latérale du cholestérol d’une façon contrôlée et produit la Prégnénolone, qui, ensuite, au niveau du réticulum endoplasmique, est transformée par la 3-hydroxystéroidedéshydrogénase-isomérase (3 HSDH) – seule enzyme de la voie qui n’est pas une P450 – en progestérone. On obtient ainsi le premier produit doté d’une activité hormonale. On retrouvera ensuite les mêmes 3. Mitochondries : organites cellulaires eucaryotes possédant une double membrane. Elles sont indispensables aux réactions énergétiques d’une cellule. 4. Réticulum endoplasmique : organite cellulaire eucaryote impliqué dans la biosynthèse des protéines.

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Chimie et biologie de synthèse

Cholestérol

Schéma de biosynthèse stéroïdique du cholestérol au cortisol Prégnénolone

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Surface de la matrice de la membrane interne mitochondriale Cortisol

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Figure 4 Biosynthèse de l’hydrocortisone à partir du cholestérol se déroulant dans les mitochondries et le réticulum endoplasmique d’une cellule surrénale.

complices, ADX et ADR, au niveau de la dernière réaction avec la P450 11-hydroxylase, appelée aussi CYP11B1, qui transforme le 11-déoxycortisol en hydrocortisone. Les trois étapes intermédiaires (réticulum endoplasmique)

22

L’intervention de la 3 HSDH est suivie par deux réactions d’hydroxylation prises en charge par deux P450 qui sont la P450c17 et la P450c21, appelées aussi, respectivement, CYP17A1 et CYP21A1. Ces P450 aussi ont besoin d’un partenaire, la P450 réductase (P450 RED) et du cytochrome B5. On aboutit ainsi au 11-déoxycortisol, qui revient au niveau des mitochondries et, comme mentionné précédemment, est ici transformé

en hydrocortisone (appelée aussi cortisol) par la dernière enzyme, la P450 11 hydroxylase (P450c11). Voilà donc, en 5 étapes, et par l’intervention de 8 à 10 protéines différentes, comment l’hydrocortisone est produite dans les surrénales. 2.3. Le choix de la levure comme micro-organisme opérationnel Pour transférer la voie de synthèse de l’hydrocortisone, on avait a priori plusieurs options quant au micro-organisme hôte. Notre choix s’est finalement porté sur la levure Saccharomyces cerevisiae, et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, il s’agit

Les P450, qui appartiennent à la famille des oxydoréductases, ne sont pas des protéines « simples » comme le seraient une amylase1 ou une protéase2 (Figure 5). Elles sont insérées dans des membranes, que ce soit au niveau des microsomes 3 ou au niveau des mitochondries ; elles ont un groupe prosthétique4, un hème5, et ont besoin d’autres protéines pour exercer leur rôle. Ici dans les microsomes (Figure 5A) se trouvent le cytochrome B5 et la P450 réductase ; au niveau des mitochondries (Figure 5B), l’adrénodoxine et l’adrénodoxine réductase, qui réalisent le transfert d’électrons pour permettre la réaction en question. Ce sont des protéines complexes. Système cytochrome P450 monooxygénase

A

cyt P450 réductase

B

La saga de ­l’hydrocortisone

LES PROTÉINES P450 SONT DES PROTÉINES COMPLEXES

Adrénodoxine

Adrénodoxine Réductase

Adénine

Fe3+-S

1e–

Ribose

cyt P450 2B4

FAD

NADPH

N

2e–

H3C H 3C

N N

[FAD]

hème

1e–

Phosphate 1e– Ribitol

FMN

cyt b5

Fe2+-S

Phosphate

NADP H

N

O N

O

C

N

C

N Fe2+ N C

N

C

Cytosol Membrane Lumen

N C

Cytochrome P450 N

Figure 5 Insertion membranaire des protéines P450 et relation avec le cytochrome B5 et la P450 réductase au niveau des microsomes (A), ou avec l’adrénodoxine et l’adrénodoxine réductase au niveau de la mitochondrie (B). 1. Amylase : enzyme de la famille des hydrolases catalysant principalement l’hydrolyse de l’amidon. 2. Protéase : enzyme hydrolysant les protéines et les polypeptides. 3. Microsomes : minuscules vésicules cytoplasmiques présentes dans les cellules issues de la fragmentation du réticulum endoplasmique. 4. Groupe prosthétique : molécule organique non protéique maintenue dans une structure protéique au moyen de liaisons covalentes permanentes mais aussi éventuellement de liaisons faibles. 5. Hème : structure contenant un atome de fer, contenue par exemple dans l’hémoglobine des globules rouges pour le transport du dioxygène dans le sang.

bien d’un eucaryote5 et non pas d’un procaryote comme Escherichia coli. Comme tel, il possède une compartimentation subcellulaire nous permettant de cibler et répartir l’expression des différentes activités dans des compartiments qui correspondent à ceux des cellules surrénales. Ensuite, pour faire le génie génétique néce s s aire à l’introduction d’une voie de 5. Eucaryote : organisme caractérisé par la présence d’un noyau et d’autres organelles subcellulaires dans le cytoplasme.

biosynthèse entière au sein d’un micro-organisme, on a besoin d’une boîte à outil très riche. C’est ce qu’offre la levure qui permet à la fois l’intégration de gènes hétérologues 6 , ou l’expression à travers des vecteurs épisomiques7 à nombre de copies limité ou élevé. 6. Gènes hétérologues : gènes non présents naturellement chez l’hôte. 7. Vecteurs épisomiques : vecteurs de clonage d’origine bactérienne pour la levure Saccharomyces cerevisiae, maintenu comme étant une molécule d’ADN nucléaire extrachromosomique.

23

Chimie et biologie de synthèse 24

Enfin, d’autres éléments sont là pour rendre l’entreprise réaliste: le génome a été séquencé complètement et la majorité des fonctions géniques a été caractérisée ; la levure possède déjà, et donc sait produire, des P450 homologues pour son propre fonctionnement, et des P450 hétérologues ont pu être exprimées, d’après la littérature scientifique, sous une forme fonctionnelle ; ensuite, la levure présente une plasticité génomique élevée, qui se traduit dans une fréquence de recombinaison 8 élevée. Mentionnons aussi le fait qu’au-delà du génie génétique pour travailler la levure, on peut aussi utiliser la génétique traditionnelle grâce au cycle sexuel9 haploïdediploïde. Ce n’est pas tout : la fermentation à grande échelle et haute densité cellulaire de la levure est bien maîtrisée, le temps de duplication d’une levure est court et on peut développer, pour la faire pousser, des milieux de fermentation peu coûteux. C’est par ailleurs un organisme dit GRAS (« Generally Recognized As Safe »), ce qui a permis d’ailleurs à un certain 8. Fréquence de recombinaison : phénomène conduisant à l’apparition, dans une cellule ou dans un individu, de gènes ou de caractères héréditaires dans une association différente de celle observée chez les cellules ou individus parentaux. 9. Cycle sexuel haploïde-diploïde : passage entre l’état haploïde, c’est-à-dire par une cellule ne comportant qu’un exemplaire de chaque chromosome, à un état diploïde, c’est-à-dire par une cellule comportant deux exemplaires de chaque chromosome, lors de la multiplication cellulaire.

nombre de protéines recombinantes10 thérapeutiques produites dans la levure d’être présentes sur le marché. Il y a donc là tout ce qu’il faut pour se lancer dans cette aventure, mais est-ce vraiment aussi simple que cela ? Le simple schéma présenté plus haut dans la Figure 4 met en jeu exactement les mêmes enzymes et les mêmes réactions que le schéma plus complexe mais plus réaliste de la Figure 6. La réalité est compliquée par le fait que les enzymes en question, les P450, n’ont pas une spécificité de substrat absolue ; ils peuvent reconnaître plusieurs substrats et donc agir dans un ordre différent de l’ordre que nous souhaiterions voir suivi. En clair, si on introduisait toutes ces enzymes et ces protéines dans une levure et qu’on les laissait agir d’une façon anarchique, on se retrouverait à la fin avec un affreux mélange de plusieurs produits : pas uniquement l’hydrocor tisone ou cortisol que nous recherchons, mais aussi avec des minéralocorticoïdes11 (corticostérone, aldostérone…) et des hormones sexuelles. Un tel mélange complexifierait considérablement la purification et conduirait à une grosse perte de rendement et un coût de production prohibitif. Au-delà de cette difficulté, si l’on veut faire l’inventaire succinct 10. Protéines recombinantes : protéines produites dans une cellule dont le matériel génétique a été modifié par recombinaison génétique. 11. Minéralocorticoïdes : stéroïdes assurant la régulation des échanges d’eau et d’ions.

P45011β

Cholestérol interne

Esters acétyliques

DHEA

P4 5

11-Déoxycortisol 17, 20-DihydroProgestérone

Androsténedione

P4 50 11 β

P450c17

P4 50 c

17OHProgestérone

Aldostérone

21

P4 50 c

DH

17 P , 2 45 0 0c Ly 17 as 3β e -H SD H

17OHPrégnénolone

3β -

HS

P4 50 c

Esters acétyliques

P45011β

DOC

17

Progestérone

17

Prégnénolone

18OH-Corticostérone

P45011β

0c 21

-H SD H 3β

P4 5

Esters oléyliques et palmitoyliques

0s

cc

Corticostérone

La saga de ­l’hydrocortisone

?

P4 50 11 β

Cholestérol externe

Cortisol

«X»

Hormones sexuelles

Figure 6 Biosynthèse d’hydrocortisone et de produits secondaires à partir de cholestérol chez la levure. Les autres produits seraient obtenus par des réactions secondaires (minéralocorticoïdes et hormones sexuelles) ou parasites (partie en orange) pouvant se dérouler au sein de la levure.

des principaux problèmes tels qu’ils se présentaient au départ du projet de faire synthétiser l’hydrocortisone par une levure (ou par un micro-organisme en général), on peut dresser la liste suivante : – il fallait maîtriser l’expression fonctionnelle d’une enzyme P450, qui contient un hème, qui doit être inséré correctement dans une membrane avec un repliement correct, et avec des partenaires pour qu’il puisse fonctionner correctement ; –  il fallait cibler l’expression de chaque enzyme dans le bon compartiment subcellulaire, que ce soit les microsomes ou les mitochondries ; –  la difficulté relative à l’expression fonctionnelle d’une seule enzyme est multipliée par le fait qu’il fallait réaliser la coexpression fonctionnelle de plusieurs enzymes ;

– on se trouvera à devoir affronter des réactions secondaires liées à la voie biosynthétique et il faudra éviter ou limiter la formation de minéralocorticoïdes et des hormones sexuelles en plus de l’hydrocortisone ; –  bien que très tolérante, la levure n’est pas totalement neutre par rapport aux différents substrats et produits qu’elle va voir apparaître au cours du procédé. Cela est rappelé sur la partie orange de la Figure 6. Certaines des réactions parasites liées à la levure agissent sur certains substrats et produits des réactions de la voie ; –  il y a aussi le problème – un des plus sérieux qu’on a dû affronter (voir plus loin) – de l’approvisionnement en substrat initial, le cholestérol ; –  last but not least, on ne se contentera pas de produire

25

Chimie et biologie de synthèse

quelques milligrammes par litre d’hydrocortisone mais on vise in fine une productivité intéressante d’un point de vue économique et industriel. 2.4. Le problème de l’approvisionnement en substrat : le cholestérol Saccharomyces cerevisiae est, malheureusement pour nous, imperméable aux stérols exogènes – donc au cholestérol – en conditions d’aérobiose (fonctionnement biologique en présence d’oxygène). Cependant, l’oxygène est indispensable pour le fonctionnement des P450 chargées d’ef fec tuer les transformations du cholestérol. Pour résoudre cette difficulté sérieuse et rendre la levure perméable, plusieurs approches pouvaient être envisagées : par exemple générer des mutants adéquats et viables ; ou bien utiliser différents moyens physicochimiques (liposomes, cyclodextrines…) pour favoriser la pénétration du substrat ; ou encore mettre en œuvre des conditions de culture alternant anaérobiose et aérobiose, etc. Tout cela n’est pas simple, au contraire long, compliqué et coûteux. Une voie alternative serait d’essayer de rendre la levure « autosuffisante », c’est-à-dire pouvant se passer de l’apport exogène du cholestérol : c’est bien cette dernière option que nous avons poursuivie avec succès.

26

Comment atteindre cette autosuf fisance induite ? Partons du fait que la levure fabrique pour son propre fonctionnement un autre stérol, l’ergostérol (Figure 7),

en grande quantité. Celui-ci se loge à l’intérieur de ses membranes, ce qui assure leur fluidité nécessaire à la vie de la levure. Comme on le voit dans la Figure 7, la molécule de cholestérol n’est pas très différente de l’ergostérol. Il y a essentiellement trois points de différence structurale indiqués par une flèche : le méthyle en position 24, la double liaison en position 22-23, et la double liaison en position 7-8. Les deux premières différences peuvent être surmontées facilement parce que la P450scc peut couper la chaîne latérale même en présence de ce méthyle. D’autre part, on peut facilement obtenir des mutants de levure, dénommés erg5, où l’enzyme qui introduit justement la double liaison 22-23, ERG5, est inactivée. La vraie difficulté résiduelle c’est la double liaison en 7-8, présente dans l’ergostérol et qui n’existe pas dans le cholestérol. Pour mimer le cholestérol, l’idée a donc été de réduire cette double liaison 7-8 grâce à l’expression hétérologue dans la levure d’une enzyme de plante d’origine naturelle. Rappelons que tous les organismes produisent en effet un stérol et l’introduisent dans leurs membranes : pour les mammifères c’est le cholestérol, pour les plantes le sitostérol, et pour la levure l’ergostérol. Dans les voies de biosynthèse respectives, parce qu’il y a un précurseur commun, il existe une enzyme qui, chez les plantes comme chez les mammifères, réduit cette double liaison (Figure 8) : c’est la Δ-7 réductase, qui

18 18

2 3

HO

1 4

10 5

11 9 6

12

13

22 20 17

14

8

26

24 23

21

25

22 20

18 27

16

18

15

2

7

3

HO

Cholestérol

1 4

11 9

10 5

8

12

13

17

14

27

CH3

15

H

CH3

CH3

H

HO

catalyse donc la formation de l’Ergosta 5-énol (appelé aussi campestérol), dont la seule différence avec le cholestérol est la présence du groupe méthyle en 24. Pour mettre ce procédé en œuvre, nous avons d’abord cloné dans la levure l’ADNc12 de la Δ-7 réductase à partir d’une bibliothèque d’expression d’Arabidopsis thaliana (en quelque sorte l’Escherichia coli des plantes). On a sélectionné des transformants contenant le plasmide13 et effectué une pression de sélection basée sur la résistance à la nystatine. Une analyse des stérols a ensuite été réalisée pour vérifier si effectivement l’ergostérol avait été transformé en campestérol. Pourquoi a-t‑on choisi la nystatine ? 12. ADNc : ADN complémentaire : simple brin d’ADN synthétisé à partir d’un ARN messager représentant la partie codante de la région du génome ayant été transcrite. 13. Plasmide : une molécule d’ADN distincte de l’ADN chromosomique, capable de réplication autonome et non essentielle à la survie de la cellule.

H HO

Différences structurales entre le cholestérol et l’ergostérol.

Ergostérol

H3C CH3

CH3

Figure 7

6 7

CH3 H

26

25

16

CH3 H3C CH3

24 23

CH3 H

CH3

H Ergosta-5-énol

La saga de ­l’hydrocortisone

21

Figure 8 Réduction de l’ergostérol par la Δ-7 réductase pour aboutir à l’Ergosta 5-énol ne différant du cholestérol que par sa chaîne latérale.

Cette dernière est un antifongique dont le mécanisme d’action consiste à se lier à l’ergostérol grâce, justement, de la présence de sa double liaison conjuguée (Figure 9). Cette interaction désagrège in fine complètement l a structure de la membrane : la levure ou le champignon meurt. On prévoit donc que dans la mesure où cette double liaison ne serait plus présente du fait de l’action de la Δ-7 réductase, la souche correspondante deviendrait résistante à la nystatine. C’est le principe (très astucieux) qui nous a permis de cloner et d’exprimer sous forme fonctionnelle la Δ-7 réductase. L’analyse du profil des stérols de la souche transformée exprimant la Δ-7 réductase (Figure 10) a bien permis de vérifier que le stérol principal n’était plus l’ergostérol mais l’ergosta 5-énol ou campestérol (E5 dans la Figure 10). On a donc bien construit une levure « végétalisée » et bien viable qui a, dans ses membranes, à la place de l’ergostérol, un stérol similaire au cholestérol que l’on peut utiliser comme

HO

Figure 9 La spécificité et le mode d’action de la nystatine provient de l’interaction avec la double liaison conjuguée de l’ergostérol.

27

Chimie et biologie de synthèse

D

E5

substrat « de remplacement » pour les différentes réactions de la voie biosynthétique de l’hydrocortisone. Voici un joli résultat qui nous permet de bien espérer pour la suite…

E5

Z

E5 D

F

Z E5,7

UF U

E5,7

15 min

15 min

CA10

15 min

CA14

CA19

Figure 10 Analyse des stérols de différentes souches erg5 exprimant la -7 réductase seule (CA10) ou avec d’autres enzymes comme atf2 ou la 3β-HSDH [CA14 : 7Réductase in erg5, atf2 (+SCC,…) ; CA19 : 7Réductase + 3β-HSDH in erg5, atf2 (+SCC…)]. E5=campestérol

2.5. Schéma des étapes 1 et 5 de la biosynthèse effectuée dans les surrénales ou dans la levure La Figure 11A donne une représentation schématique de la première étape de la synthèse de l’hydrocortisone. On reconnaît la membrane extérieure (OM) d’une mitochondrie et sa membrane intérieure (IM), la P450scc (« side-chain-cliving »), l’adrénodoxine réductase (ADR) et l’adrénodoxine (ADX), qui sert de navette pour le transport d’électrons depuis le NADPH, via l’ADR jusqu’à la P450scc. Cette enz yme peut alors transformer le cholestérol, ou dans notre cas le campestérol, en prégnénolone. La dernière étape suit exactement le même schéma

Système de transport d’électrons mitochondrial Réaction de clivage de la chaîne latérale

2.6. Expression dans la levure des protéines nécessaires pour la biosynthèse : étape 1 seule, puis enchaînement des étapes 1 et 2. De bonnes et de mauvaises surprises… Pour arriver à exprimer sous forme fonctionnelle la P450scc, il a fallu exprimer trois protéines, donc la SCC en question (qu’on appelle CYP11A1), l’adrénodoxine et l’adrénodoxine réductase. Puisque le substrat potentiel va être synthétisé directement par la souche qui exprime la Δ-7 réductase et qu’on va le retrouver directement dans ses membranes (plus précisément au niveau de la membrane plasmique et du réticulum endoplasmique), on n’essaiera plus de cibler l’expression de ces protéines hétérologues au niveau des mitochondries. En éliminant du gène la séquence signal

Transport d’électrons vers les enzymes P450 mitochondriales (after Miller, 1988)

NADPH

NADPH

e–

NADP+

hormis le fait que l’enzyme active est maintenant la P450 11-hydroxylase (Figure 11B).

AdRed

NADP+ Adx

Adx+

Adx–

Adx

e– AdRed

Adx

Adx+

e–

P450 SCC

Adx–

Adx

e–

P45011β IM

IM

A

Prégnénolone

OM Cholestérol

B

Cortisol

OM 11-Déoxycortisol

Figure 11

28

Chaîne de transfert d’électrons utilisant la P450scc, l’adrénodoxine réductase, l’adrénodoxine et NADPH au niveau de l’enveloppe mitochondriale permettant la synthèse de la prégnénolone à partir du campestérol (A), ainsi que la synthèse du cortisol à partir du 11-désoxycortisol (B).

L a bonne surprise s’est accompagnée d’une mauvaise, la mise en évidence d’une réaction parasite de la levure. L’enzyme (P450scc avec ADR et ADX) fonctionne bien, cependant quand on exprime cette étape individuellement dans une levure qui produit de la Δ-7 réductase, on ne retrouve pas la prégnénolone comme prévu, mais l’acétylprégnénolone (Figure 13). La réaction parasite (Figure 14) obère le bon fonctionnement de la levure et doit être éliminée. Pour éliminer cette propriété nuisible, par une approche de biochimie classique on est arrivé à purifier l’enzyme responsable de la réaction parasite puis à la séquencer et déterminer la séquence du gène à partir de la séquence de la protéine. Connaissant la 14. Cytosol : phase liquide dans laquelle baignent les organites à l’intérieur d’une cellule.

Figure 12 Identification de la localisation de la SCC en utilisant des anticorps et des marqueurs de fluorescence. Source : Duport C., Schoepp B., Chatelain E., Spagnoli R., Dumas B. and Pompon D. (2003). Critical role of the plasma membrane for expression of mammalian mitochondrial side chain cleavage activity in yeast, Eur. J. Biochem., 270 : 1502-14.

La saga de ­l’hydrocortisone

de ciblage aux mitochondries, on exprimera donc les trois protéines « matures » en dehors de ces organelles, notamment l’adrénodoxine, une protéine soluble, au niveau du cytosol14, l’adrénodoxine réductase au niveau du réticulum endoplasmique, et la SCC dans une localisation à préciser. Pour identifier la localisation, on a utilisé des anticorps et des marqueurs de fluorescence (Figure 12). Coup de chance : on retrouve la partie la plus importante de la P450scc au niveau de la membrane plasmique (PM), donc là où se trouve la plus grande quantité de son substrat – c’est même une situation favorable.

séquence du gène, on pourra l’inactiver ou le détruire. La protéine nuisible ainsi identifiée a été appelée APAT («  Acetyl Pregnenolone Acetyl Transferase ») (Figure 15). On a trouvé un gène de la levure, Atf2, appartenant à une famille d’alcool-o-acétyle transférase, et on a vérifié que c’était bien elle la responsable en inactivant ce gène et donc l’enzyme – heureusement non essentielle à la vie de la levure. Une fois l’enzyme en question inactivée dans cette souche, on se retrouve bien dans la souche CA14 avec la prégnénolone et non plus avec l’acétylprégnénolone (respectivement P et PA dans la Figure 16). Si dans la même levure qui exprime Δ-7, P450scc,

Substrat E5

PA P

Preg Acétate

Pro

Figure 13 CA14/pCD63 CA10/pCD63 CA19/pCD63 15 min

8 10 Temps en minutes

Analyse des produits d’une souche CA10 exprimant Δ-7, P450scc, ADR et ADX, mettant en évidence la présence d’une réaction parasite.

29

Chimie et biologie de synthèse

Erg5p HO

HO

ERGOSTÉROL

Ergosta,5,7 diénéol

HO

HO

Ergosta,5 diénéol

Ergosta,5,22 diénéol matCYP11A1 matADX matADR

O O

Atf2p O O

Prégnénolone

HO

Acétyl Prégnénolone

Figure 14 Réaction parasite à partir de l’Ergosta-5,7-diénéol aboutissant à l’acétylprégnénolone.

O

O APAT O HO

O Prégnénolone

Acétyl-Prégnénolone

Figure 15 Identification de la protéine APAT et de son gène Atf2, responsable de la réaction parasite aboutissant à l’acétate de prégnénolone.

Substrat E5

PA P

Pro

CA14/pCD63 CA10/pCD63 CA19/pCD63 15 min

8 10 Temps en minutes

Figure 16

30

Analyse des produits des souches CA14 et CA19 où la protéine APAT n’est plus exprimée (mutants atf2).

adrénodoxine et adrénodoxine réductase, on exprime aussi la 3-hydroxystéroïde-déshydrogénase-isomérase (c’est donc la souche CA19 dans la Figure 16), on détecte la production de progestérone (Pro dans la même figure). On est ainsi parvenu à construire une souche qui, sans aucune supplémentation particulière sauf une simple source de carbone dans son milieu de fermentation, arrive déjà toute seule à produire une hormone. Cela est schématisé sur la Figure 17 : les deux premières étapes de la biosynthèse sont comprises, mises au point et validées.

La saga de ­l’hydrocortisone

Erg5p HO

HO

ERGOSTÉROL

Ergosta,5,7 diénéol

HO

HO

Ergosta,5 diénéol

Ergosta,5,22 diénéol matCYP11A1 matADX matADR

O

O

Atf2p O O

HO

Donc : en introduisant 3β-HSD dans une souche atf2, on arrive à produire de la progestérone

Prégnénolone

3β-HSD

Acétyl Prégnénolone

O

O

La 1re et la 2e étape sont OK !

Progestérone

Figure 17 Production de la progestérone à partir de l’ergostérol en présence de -7 réductase, P450 SCC, adrénodoxine, adrénodoxine réductase ; on exprime aussi la 3-hydroxystéroide-déshydrogénase-isomérase et en ayant inactivé le gène Atf2, responsable de la production de la protéine APAT (étapes 1 et 2 de la voie biosynthétique).

2.7. Réalisation et analyse des étapes intermédiaires (étapes 3 et 4) de la biosynthèse

P450 C17, P450 RED H 3C CH3 CH3

Ces étapes (hydroxylations en C17 et en C21, Figure 18) ont lieu dans le réticulum endoplasmique et aboutissent à la formation de 11-déoxycortisol à partir de progestérone. On rappelle ici que pour fonctionner, les P450 du réticulum endoplasmique ont besoin de la P450 réductase et du cytochrome B5. Mais la levure a ses propres P450 microsomales et ses propres P450 réductase et cytochrome B5. On pourra donc faire l’économie de l’expression de réductase hétérologue et de B5 hétérologue, en exploitant les deux protéines de la levure (Figure 19). En effet, dans les souches de levure exprimant indivi-

H

O OH

17-OH-Progestérone

H

O

P450 C21, P450 RED O CH3

OH OH

11-Déoxycortisol

CH3 H

H

O

P450 C21, ADX, ADR O HO CH3 H

CH3

OH OH

HYDROCORTISONE

H

O

Figure 18 Synthèse d’hydrocortisone à partir de progestérone au sein du réticulum endoplasmique.

31

Chimie et biologie de synthèse

duellement la P450C17 ou la P450C21, ces deux enzymes deviennent parfaitement fonctionnelles grâce à la présence de la réductase et du cyt b5 endogènes. Mais revenons un moment aux différentes voies citées au début du chapitre dans la Figure 6 : celles-ci mènent bien au cortisol, mais aussi aux minéralocorticoïdes et aux hormones sexuelles. Nous avons constaté expéri-

PROG 17αOH-PROG

NADPH

Cytosol Lumen

e–

NAPD+

NADPH

P450red

ER

e–

P450c17

NAPD+ Cyt b5

Figure 19 Chaîne de transfert d’électrons au sein de la membrane des microsomes pour les P450 nécessitant la P450 réductase et le cytochrome B5.

O

O

3βHSD HO

O

Prégnénolone Ncp1 CYP17A1

OH

O

O

OH

OH

HO

17-OH prégnénolone

Une nouvelle réaction parasite, même stratégie : on identifie et inactive les enzymes responsables

Progestérone Ncp1 CYP17A1

3βHSD

O

Ncp1 CYP21A1

O

Arh1p mitoADX CYP11B1

O

O

17-OH progestérone 20-cétone

O

HYDROCORTISONE

OH OH

O

17α, 20α-dihydroxyprégn-4-éne-3-one Arh1p OH mitoADX CYP11B1 HO OH O

11β, 17α, 20α-dihydroxyprégn-4-éne-3-one

Figure 20 32

On a ensuite découvert une deuxième réaction parasite, qui provient de ce que la 20-cétone est sensible à la réduction par la levure. On met en évidence au niveau de la 17-hydroxyprogestérone le fait que cette 20-cétone de la 17-OH progestérone peut être réduite en hydroxyle (Figure 20). Là aussi, avec exactement la même stratégie que précédemment, on est arrivé à identifier les enzymes responsables, GCYp et YPR1p, et on les a inactivées (Figure 20). Avec la suppression de cette la réaction parasite, on est finalement arrivé à inactiver toutes les voies de fuite parasites des quatre premières étapes. Il reste, pour arriver au cortisol, à exprimer la dernière étape, la 11 hydroxylase qui prend place dans les mitochondries (voir la Figure 6).

OH

O

11-déoxycortisol

Gcy1p Ypr1p

OH HO

mentalement que le rapport entre ces différentes voies et donc entre les différents produits finaux peut être modulé en jouant sur le ratio d’expression entre les deux hydroxylases microsomales. C’est ce que l’on fera pour pouvoir canaliser le maximum de la voie vers le cortisol.

Identification des enzymes responsables de la réaction parasite consistant en la réduction de la 20-cétone en hydroxyle.

2.8. L’étape de biosynthèse située dans les mitochondries (étape 5) Comme pour la P450scc, nous avons pour la P45011 une localisation intra-mitochondriale avec l’ADR dans la membrane intérieure et l’ADX dans la matrice intracellulaire. Avec les outils du génie génétique on va cette fois-ci cibler l’expression des trois protéines au niveau des mitochondries par l’utilisation de pré-séquences

global. Correspondra-t-il à nos attentes ?

On mène ensuite des expériences testant la conversion du 11-désox ycor tisol en hydrocortisone pour évaluer l’efficacité du système dans différents cas de figure (Figure 21). Si on exprime dans la levure les trois protéines à la fois, on détecte un bon taux de bioconversion, elles sont donc bien fonctionnelles ! Comme attendu, aucune conversion n’est obtenue si on exprime uniquement l’adrénodoxine toute seule ou la P45011 toute seule. Mais, ce qui est surprenant, est que l’on détecte aussi un niveau de bioconversion tout à fait correct si on exprime uniquement la P45011 et l’adrénodoxine, sans l’adrénodoxine réductase. On s’aperçoit donc que l’ADR hétérologue est en fait optionnelle ; la levure apparemment produit déjà pour ses fins, qui ne sont d’ailleurs pas connues, une protéine équivalente à l’ADR.

Avant d’avoir la réponse expérimentale, si on compare finalement une cellule surrénale avec ce que va devenir notre levure modifiée, on voit qu’il y a certaines différences au niveau des deux P450 mitochondriales. Dans les surrénales elles sont toutes les deux exprimées au niveau des mitochondries, alors que dans notre levure, la P450scc est localisée au niveau de la membrane

En résumé : la dernière étape a effectivement lieu dans la membrane interne des mitochondries, et Saccharomyces cerevisiae exprime une protéine analogue à l’adrénodoxine réductase de mammifère, l’ARH1p (Figure 22). Faisons, à ce stade, le point sur le fonctionnement de la levure. On a d’abord essayé d’exprimer individuellement dans la levure chaque étape en vérifiant qu’elles étaient bien fonctionnelles. On a même réussi à enchaîner les deux premières étapes et inactivé les réactions parasites. Maintenant il s’agit de tout rassembler et d’observer le fonctionnement

La saga de ­l’hydrocortisone

adéquates en amont des gènes respectifs.

COVXVIpre::cDNAs

% conversion en 72 h

ADX + P45011β

13 ±3

ADX + P45011β+ ADR

17 ±7

P45011β

B », etc.

43

Chimie et biologie de synthèse

Ce schéma simple permet de raisonner sur l’intérêt applicatif des circuits biochimiques. Le premier serait la production de ce type de catalyseur à peu de frais. Le matériel héréditaire et ces enzymes sont dans une cellule vivante, à laquelle il suffit de donner de l’eau, des sels et un peu de sucre comme source de carbone et d’énergie. Cette source de carbone et d’énergie peut même venir de la photosynthèse chez les algues ou bactéries photosynthétiques. Avec ces ressources, la cellule mère va croître et se diviser en deux cellules filles dotées des mêmes propriétés. Quand on obtient deux cellules filles, on a déjà multiplié par deux la quantité de catalyseurs. C’est ainsi que la croissance exponentielle du nombre des cellules entraîne une croissance équivalente des catalyseurs. Le second intérêt est la réduction de l’impact environnemental. La différence avec la chimie conventionnelle est évidente : en chimie conventionnelle le catalyseur sera souvent un métal rare, précieux, toxique et peu recyclable comme le palladium par exemple ; quand on veut multiplier par deux la quantité de palladium, il faut retourner à la mine et en extraire plus. De plus, alors que le solvant universel de la vie est l’eau, on doit souvent avoir recours en chimie conventionnelle à des solvants organiques, souvent toxiques et difficiles à recycler.

44

Cette approche permet par ailleurs d’utiliser des ressources

renouvelables pour réduire l’empreinte carbone plutôt que des ressources fossiles comme le pétrole, le gaz ou le charbon. En effet, il est possible d’apporter ici ce qui est le plus cher, c’est-à-dire la source de carbone, sous la forme d’un mélange de sucres pouvant provenir de déchets (déchets domestiques, agricoles ou forestiers), et qui fournissent à peu de frais un substrat. Pour ces activités, on peut utiliser les résidus de la canne à sucre comme au Brésil par exemple, ou de la betterave comme dans le nord ou l’est de la France. Ces notions se retrouvent dans d’autres chapitres de cet ouvrage Chimie et biologie de synthèse (EDP Sciences, 2019), en particulier dans le Chapitre de M. Delcourt. La Figure 5 montre l’exemple d’un circuit métabolique plus réaliste mais beaucoup plus complexe qui n’est en fait que le métabolisme central du carbone dans une bactérie, qui inclut un millier de réactions (autant d’arcs rouges), chacune catalysée à priori par une enzyme, et donc aussi un millier de points verts représentant les petites molécules qui sont donc modifiées par ces réactions catalysées par ces enzymes. Il existe des voies linéaires comme par exemple l’usage du glucose (en violet), sucre qui va être dégradé et fournir de l’énergie et de la matière pour construire les macromolécules de la cellule. Mais une grande partie de ce circuit est constituée aussi de voies comportant des branchements.

Circuit du métabolisme central du carbone dans une bactérie, composé d’un millier de réactions : les arcs rouges représentent les réactions catalysées par des enzymes et les points verts les molécules modifiées par les enzymes. Source : F. Képès.

Donc quand on voit la complexité de ce circuit, on réalise que pour concevoir des circuits biochimiques artificiels, il faudra s’aider des outils mathématico-informatiques mis au point par les physiciens, informaticiens et mathématiciens. Apparaît ainsi la multidisciplinarité indispensable à ce type de recherche. 1.3. Différentes approches La Figure 6 présente une approche constructiviste et hiérarchique, dans laquelle on part de biobriques, qui sont

souvent des segments d’ADN codant soit une protéine ou un ARN, soit des séquences régulant la production de ces protéines ou ARN. Elles sont associées et organisées en un dispositif artificiel, que ce soit pour réaliser un circuit régulateur ou un circuit métabolique. L’état de l’art est proche de la douzaine de biobriques par dispositif. Un aspect essentiel de cette approche est la normalisation des biobriques et des méthodes de leur assemblage en dispositifs. Les dispositifs sont ensuite intégrés hiérarchiquement

SYSTÈMES • Organisme ; « Châssis » DISPOSITIFS • Circuit régulatoire (~12 composants) • Circuit métabolique (~12 composants) BIOBRIQUES • Protéine • ARN • Séquences régulatrices, etc.

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

Figure 5

Figure 6 Approche constructiviste de la biologie de synthèse. Les biobriques normalisées sont assemblées en dispositifs, lesquels contribuent à construire un « châssis », selon un schéma hiérarchique.

45

Chimie et biologie de synthèse

dans une cellule, et on parlera de châssis dans le jargon de la biologie de synthèse pour signifier qu’on veut pouvoir réutiliser une cellule simplifiée de façon à pouvoir y exprimer un circuit métabolique produisant la molécule souhaitée. Une seconde approche dite « déconstructiviste » vise à minimaliser un génome ou une cellule (Figure 7). Enfin, certains considèrent que cer tains systèmes in vitro, comme les protocellules, relèvent de la biologie de synthèse (Figure 7). Il s’agit de liposomes, c’est-à-dire de petites bulles de lipides contenant de l’eau, que l’on trouve typiquement dans les crèmes de beauté. Ces liposomes sont sophistiqués et contiennent des éléments, souvent des protéines, qui confèrent à leur enveloppe comme à leur phase aqueuse interne les propriétés souhaitées. Par exemple existent des projets pour reconnaître et cibler spécifiquement des cellules cancéreuses via des protéines de l’enveloppe, et les tuer via des protéines internes. Pour rester dans le domaine médical, le principe du

pavage utilise l’appariement de brins d’ADN pour constituer des boîtes, comme on le voit sur le schéma théorique de la Figure 8. La photographie microscopique associée montre la réalisation effective d’une telle boîte. Les deux brins d’ADN s’apparient grâce à des liaisons entre A et T, et entre G et C. Et en associant cette règle de base avec des approches de topologie au sens mathématique du terme, on peut réaliser des pavages bidimensionnels dans l’espace avec des appariements limités de l’ADN sur certaines zones, et des nonappariements ailleurs. On peut même aller jusqu’au tridimensionnel, comme dans cet exemple de la boîte. Il est possible d’ouvrir ou fermer le couvercle de la boîte à volonté à l’aide d’un signal, qui sera en fait une petite molécule qu’on ajoute ou qu’on retranche. On peut ensuite mettre des médicaments à l’intérieur de la boîte, puis libérer ces médicaments au moment opportun à l’aide du signal. Les applications peuvent être très intéressantes en galénique (voir le Chapitre de P. Couvreur).

signaux clés

Figure 8 Figure 7

46

Les différentes approches en biologie de synthèse.

Le principe du pavage : cette boîte cubique de 18 nm de côté avec un couvercle b, constituée de brins d’ADN appariés, est un exemple de pavage tridimensionnel. À droite, des micrographies électroniques de telles boîtes à ADN. Source : Ebbe S. Andersen, Aarhus University.

Développement des méthodes de biologie de synthèse

2.1. Développement historique Les êtres humains ont chassé et cueilli, et, entre –8 000 et –10 500 ans avant notre époque, ils ont commencé à faire de l’élevage et de la culture. Ils ont alors observé que s’ils pouvaient croiser un aurochs femelle produisant beaucoup de lait avec un aurochs mâle qui provient d’une mère produisant beaucoup de lait, la progéniture pourrait peut-être produire un peu plus de lait. Des croisements contrôlés de façon de plus en plus précise ont été développés par les éleveurs en particulier. On peut d’ailleurs raconter la même histoire à propos de la culture et du blé par exemple, ou encore à propos des microorganismes, même si pendant bien longtemps, les gens ne savaient pas qu’ils manipulaient des micro-organismes, mais pouvaient les améliorer de façon pragmatique. C’est depuis quarante-cinq ans que l’on est entré dans l’ère du génie génétique et des modifications génétiques dirigées et précises.

l’homme réalise, la société humaine a dû trouver un nouvel équilibre avec son biotope. Cette question est très sensible puisqu’en fait l’homme fait partie du monde vivant, du biotope (Figure 9). Rappelons aussi que 140 ans avant que le terme de biologie de synthèse ne soit proposé, lors de sa première leçon au Collège de France en 1864, le chimiste Marcellin Berthelot promeut la synthèse comme une méthode de recherche en chimie organique (Figure 10), ce qui a ouvert la voie à une industrie chimique qui aura mis sur le marché près d’un million de composés dont la plupart n’existaient pas dans la nature. C ’e s t l ’e x e m p l e d ’u n e recherche au départ plutôt fondamentale qui a finalement conduit à un succès incroyable au niveau industriel avec la pétrochimie du XXe siècle. La chimie est toujours présente, et encore pour longtemps ; elle est en nous parfois, sur nous et autour de nous !

Figure 9 Évolution de l’activité humaine exercée sur le monde vivant.

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

2

Figure 10 Les méthodes générales de synthèse en chimie organique, M. Berthelot, promeut la synthèse comme une méthode de recherche en chimie organique.

2.2. Le développement de la biologie de synthèse

En 2004 avec la biologie de synthèse, on est entré dans une ère où la conception des modifications contrôlées se fait de façon plus rationnelle, basée sur des modèles mathématiques.

La biologie de synthèse, c’est également l’étude de la vie par la voie de la synthèse, comme le promouvait Marcellin Berthelot pour la chimie. C’est-à-dire qu’elle revêt des aspects fondamentaux, car parfois il est plus facile de répondre à une question précise en construisant l’objet plutôt qu’en l’analysant.

Il est important de noter qu’à chaque fois qu’a eu lieu un tel pas en avant, un tel progrès dans le contrôle de ce que

On sait par exemple qu’il y a deux possibilités pour expliquer l’universalité du code génétique : soit parce que

47

Chimie et biologie de synthèse 48

nous avons un ancêtre commun à tous les êtres vivants (hypothèse 1), soit parce qu’il y a une préférence chimique telle qu’il existe une correspondance entre un certain acide aminé et un certain triplet de nucléotides (hypothèse 2). Un moyen pour choisir entre ces deux hypothèses est de construire un organisme ayant un autre code génétique et de vérifier s’il fonctionne. Cela a été réalisé, et il fonctionne ! Ce résultat privilégie l’hypothèse 1, et non la 2. Le chercheur (organisme de recherche et universités) va contribuer à la compréhension des phénomènes biologiques par différents moyens. S’il est sensible à la biologie de synthèse, il va tenter de faire progresser la pratique biotechnologique sur les critères d’une ingénierie mature. Contrairement à la chimie (mais aussi à la mécanique et à l’électronique…), la biotechnologie n’est pas encore une ingénierie mature. Pour maturer la biotechnologie, il faudrait améliorer la normalisation et la réutilisation de composants, la hiérarchie de leur assemblage, et bien d’autres notions dont certaines ont été évoquées sur un exemple précédent. Prenons l’exemple de la normalisation : il faudrait qu’un circuit biochimique, placé dans un autre organisme et un autre contexte, y joue toujours le même rôle, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, contrairement au cas de l’électronique où la même puce peut être utilisée dans une radio comme dans un détecteur d’humidité.

La Figure 11 (à gauche) montre que tous ces travaux, très fondamentaux souvent, permettent d’alimenter un socle commun de concepts et de méthodes, indispensables au développement de la biologie de synthèse pour qu’elle puisse s’appliquer à tous les domaines de la biotechnologie : la médecine, l’industrie, la production de composés (voir Chapitre de R. Spagnoli), ou l’environnement. Le retour de l’application vers le chercheur fondamentaliste (qui est symbolisé par la double flèche de la Figure 11) se fait au sens où très souvent le monde industriel propose des défis passionnants qui peuvent faire l’objet de travaux fondamentaux tout à fait intéressants, et cette voie a d’ailleurs été montrée par un autre célèbre chimiste qu’est Louis Pasteur. L’exemple du métabolisme central du carbone dans une bactérie a montré la complexité des circuits biochimiques. La démarche classique de la recherche en biologie de synthèse se place dans le contexte de l’ingénierie et commence par une phase de conception généralement assistée par ordinateur. Cette phase de conception est suivie par la construction, qui fait généralement appel au génie génétique, puis par le test ou la caractérisation de la cellule ou de la nanoparticule qui a été créée et construite (Figure 11, à droite). Généralement, un retour vers la conception est nécessaire, parce que souvent les tests ne sont pas totalement satisfaisants, ce qui prouve bien que cette ingénierie n’est pas encore mature.

Innovation

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

Recherche

Normalisation Ré-utilisation Découpage conception/fabrication Orthogonalité et modularité Hiérarchie

Biomedicine

Diagnostics

Industrial Biotechnology

Therapeutics

Drugs

Vaccines

Environment Agro-food

Biomaterials Bio-fuels

Biosensors

Bioremedication

Figure 11 La recherche permet d’alimenter un socle commun de concepts et de méthodes, où se trouve le cœur de la biologie de synthèse. Ces concepts et méthodes sont ensuite mis à profit par les applications biotechnologiques dont certaines mèneront à des innovations, tous secteurs confondus. En retour, les applications offrent des défis fondamentaux à relever.

Pour le futur proche, quels sont les moteurs actuels du développement de la biologie de synthèse (Figure 12) ? Du côté de la biologie, c’est cer tainement la biologie analytique à grande échelle qu’on regroupe sous le terme de « omiques » (génomique, transcriptomique, protéomique et autres omiques) depuis les années 1995. Mais c’est aussi la robotisation qui permet d’accélérer la fabrication et la caractérisation. La chimie fournit des méthodes incontournables pour la synthèse d’ADN et d’acides nucléiques exotiques ou non conventionnels. On pourrait aussi citer la synthèse des acides aminés non-conventionnels qui peuvent entrer dans la composition des protéines.

De nombreuses disciplines des sciences de l’ingénieur ir r iguent le dé velopp e ment de la biologie de synthèse : la microfluidique,

Mathématiques Informatique – Calcul – Stockage – Modélisation – Simulation – Intelligence artificielle – Algorithmes biomimétiques

Chimie

Biologie

– Synthèse d’ADN – Nucléotides exotiques

– -omiques – Robotisation – Fabrication – Test – Liposomes

Micro-fluidique Automatique – Évolution artificielle – Origine de la Vie – Cellule unique SCIENCES DE L’INGÉNIEUR

Figure 12 Contributions disciplinaires à l’essor de la biologie de synthèse.

49

Chimie et biologie de synthèse

l’automatisme, notamment pour étudier l’origine de la vie (ou les origines de la vie) et l’évolution artificielle. Les mathématiques et l’informatique offrent des outils pour la modélisation et la simulation (voir le Chapitre de J.-L. Faulon), l’intelligence artificielle, les algorithmes biomimétiques…

3

Exemples d’applications de la biologie de synthèse

3.1. État de l’art des applications En 2015, le Woodrow Wilson Center aux États-Unis a présenté en ligne et en accès gratuit une liste de 116 produits ou applications issus de la biologie de synthèse qui sont sur le marché ou sur le point de l’être (Figure 13). Sans entrer dans les détails de cette liste, elle montre clairement que le nombre de produits et applications de la biologie de synthèse est actuellement en train de croître de manière exponentielle. Trois exemples ont été sélectionnés dans cette liste pour

Figure 13

50

Le Wilson Center a publié une liste de 116 produits ou applications issus de la biologie de synthèse qui, en 2015, étaient sur le marché ou en étaient tout proches.

illustrer la variété des relations entre chimie de synthèse et biologie de synthèse. 3.2. Le diagnostic ultrasensible Versant® du sida et des hépatites Commençons par un diagnostic pour lequel les publications clés datent justement de 2004, l’année où le terme biologie de synthèse a été proposé. C’est un diagnostic appelé Versant®, qui est proposé par Siemens et qui, dans les années qui ont suivi, a permis le suivi individuel de 400 000 patients par an atteints d’infection virale. Typiquement, un patient atteint du sida, étant immunodéprimé, risque d’attraper assez facilement d’autres maladies comme une hépatite B ou C. Il faut pouvoir distinguer les deux infections, les mesurer séparément, à partir d’un même échantillon de sang d’une part, sans cesser d’autre part le traitement anti-sida du patient, par exemple pour avoir un test plus facilement lisible. Il faut donc, en cours de traitement, malgré des doses circulantes des ARN viraux extrêmement basses dans le sang, pouvoir néanmoins détecter ces molécules. Un test qui permet de détecter jusqu’à huit molécules par échantillon a pu être proposé aux alentours de 2004, dont voici le principe résumé : le test est basé sur un acide nucléique branché artificiel, appelé « branched DNA » (ou «  B-DNA »), qui permet un double niveau d’amplification ; un pré-amplificateur (en bleu, Figure 14) vient se fixer

Pré-amplificateur Sonde pour la cible

ARN cible

Sonde de capture (solution)

Sonde de capture (micro-puits)

spécifiquement sur plusieurs sites de l’ARN viral pour la première amplification, et sur chaque pré-amplificateur est greffé un autre amplificateur possèdant un grand nombre de balises luminescentes. On obtient ainsi un signal assez fort ; le reste du dispositif est simplement destiné à réduire le bruit de fond. C’est un chimiste, Steven Benner, qui est à l’origine de ce test maintenant commercialisé. Aujourd’hui ce test Versant® est beaucoup plus différencié et permet non seulement de suivre des infections virales mais aussi d’autres maladies et d’autres marqueurs de santé. C’est la chimie de synthèse qui a permis de créer cet acide nucléique non-naturel servant de base au dispositif, et c’est un bel exemple de coopération avec la biologie de synthèse.

3.3. Écriture et édition de l’ADN Le second exemple concerne la synthèse et l’édition de

Figure 14 Principe de fonctionnement du diagnostic Versant® : l’acide nucléique branché permet la double amplification permettant de mieux détecter l’ARN viral, même en faible quantité, dans le sang.

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

Amplificateur avec des balises hybridées

l’ADN, étape clé et limitante en biologie de synthèse. Sauf exceptions récentes faisant appel à des polymérases à ADN, la synthèse s’effectue par voie chimique. Aujourd’hui, le prix pour synthétiser une base d’ADN est d’environ 0,10 €, que ce soit pour synthétiser de petits morceaux d’ADN (en rouge) ou de grands morceaux d’ADN (en jaune) (Figure 15). Le marché total annuel a été évalué par Rob Carlson (à l’origine de la loi de Carlson, loi exponentielle de décroissance du prix). Ce marché d’environ un milliard de dollars augmente de 7 à 14 % par an. Pour mémoire, la courbe bleue est le prix du séquençage de l’ADN donc de la lecture de l’ADN par base, et il a décru depuis 1977 de façon quasi exponentielle si on regarde sur le très long terme. Quand on veut modifier les gènes ou en coder de nouveaux dans un organisme choisi, il faut recourir soit à de petites modifications ponctuelles, soit carrément à la synthèse, l’une ou l’autre

51

102

Évolution du prix de la synthèse d’une base d’ADN décrite par la loi de Carlson (ou loi de décroissance exponentielle) et rappel du prix du séquençage de l’ADN. Les chiffres les plus récents datent de 2016. Figure dérivée d’une étude par Rob Carlson.

1

10–2

Dollars

Chimie et biologie de synthèse

Figure 15

10–4

10–6

10–8

10–10 1988

Prix séquençage d’ADN Prix oligonucléotide court Prix synthèse de gène 1993

1998

2003

2008

2013

2018

Année

de D. Bikard), avec lequel on arrive à diminuer d’un facteur dix environ le coût du découpage précis de l’ADN, et aussi à gagner un facteur cinq en temps. C’est donc un vrai changement en pratique pour le génie génétique, et il y en aura sans doute d’autres.

des approches étant à choisir selon leur coût relatif. Le schéma complexe de la Figure 16 indique que les méthodes pour travailler sur l’ensemble du génome existent depuis 1928. En 2012, on a vu arriver un nouveau type de ciseau moléculaire à grand succès qu’on appelle CRISPR-Cas9 (voir le Chapitre

Figure 16 Frise détaillant les différentes façons de travailler sur l’ensemble du génome de 1928 à 2011 : les méthodes pour travailler sur l’ensemble du génome existent depuis 1928 avec la mutagenèse aux ultra-violets.

La bactérie de Craig Venter est un mycoplasme dont l’ADN

Introns du groupe II (Karberg, 2001)

Recombinaison d’ADN simple brin (Ellis, 2001)

Génome réduit d’E. coli

HCV synthétique

(Pósfai, 2006)

(Blight, 2000)

Recombinaison d’ADN double brin

Génome réduit de B. subtilis

(Zhang, 1998)

(Ara, 2007)

ZF-nucléase

Mutagenèse chimique

(Kim, 1996)

(Auenbach, 1947)

MAGE (Wang, 2009)

Séquençage par la méthode de Sanger

Mutagenèse aux UV

(Sanger, 1977)

(Altenburg, 1928)

Cellule synthétique de M. Mycoides

ADN recombinant

(Gibson, 2010)

(Jackson, 1972)

1920

1930

1940

1950

1960

1970

1980

1990

2000

2010

Transposons (Kleckner, 1975)

Poliovirus synthétique (Cello, 2002)

Souris transgénique (Gordon, 1980)

phage ΦX174 synthétique (Smith, 2003)

Nucléase TALE

phage T7 altéré Séquençage 2e génération (Margulies, 2005 ; Shendure, 2005)

52

(Hockemeyer, 2011)

(Chan, 2005)

Bibliothèque de gènes inactivés d’E. coli

Séquence Tn

(Baba, 2006)

(van Opijnen, 2009)

Chromosome synthétique de levure (Dymond, 2011)

En 2016, la taille du chromosome de synthèse a pu être divisée par deux, tout en gardant une bactérie viable. Les petits génomes résultants portent un demi-million ou un million de paires de bases, alors que beaucoup de bactéries autonomes en ont plutôt cinq millions. Cependant, dans ce travail, la conception assistée par ordinateur est proche du zéro, car la séquence synthétisée est quasiment copiée de la séquence naturelle d’un mycoplasme proche cousin. Une approche différente, plus facile à pratiquer avec des bactéries qui ont de gros génomes, consiste à garder le chromosome naturel primaire, qui permet à la bactérie de bien se diviser, et ajouter un chromosome synthétique secondaire de grande taille capable de porter des circuits biochimiques beaucoup plus grands que ce que l’on faisait auparavant (Figure 17). C’est notamment ce que nous essayons de faire au sein de la société Synovance, fondée en 2017. Ici, au vu de la difficulté d’accommoder un grand nombre de gènes en respectant les r è gl e s du c hr o m o s o m e

naturel de façon à ce que la bactérie n’évolue pas spontanément vers un rejet du chromosome synthétique secondaire ajouté, l’étape de conception est très importante. L’étape de construction est, elle aussi, importante, et nous avons des méthodes d’assemblage très rapides. Néanmoins nous travaillons sur des tailles dix fois en dessous de celles obtenues par Craig Venter. 3.3. Le médicament Artémisinine L’Artémisinine est produite naturellement par une plante, l’armoise annuelle, répertoriée dans la pharmacopée chinoise depuis l’an 168. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), c’est le traitement de référence pour la malaria puisque des résistances aux autres traitements sont apparues. Mais il apparaît aussi des débuts de résistance à l’Artémisinine, ce qui est extrêmement problématique et a conduit l’OMS à imposer au maximum le fait que l’Artémisinine soit utilisée en thérapie combinée avec un ou deux autres anti-malarias, de façon à éviter l’augmentation des résistances du parasite à ce médicament.

Figure 17 L’alternative à l’approche de Craig Venter est d’ajouter un chromosome synthétique secondaire dans une bactérie pour porter de grands circuits biochimiques synthétiques, cependant que le chromosome naturel est conservé pour porter les fonctions physiologiques de base. Source : Synovance.

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

a été expulsé et remplacé par un ADN entièrement synthétisé par la voie chimique. Cette remarquable performance publiée en 2010 tient à la synthèse et l’assemblage d’environ un million de paires de bases. Le critère est que la bactérie reste viable et continue à se diviser quand on remplace son chromosome naturel par un chromosome de synthèse.

On est face à un problème très grave qui concerne presqu’un demi-milliard de personnes sur la planète aujourd’hui, et plus d’un million de personnes décèdent de la malaria chaque année. Comme la production de la plante était variable en quantité et en qualité d’une année à l’autre, il a fallu chercher

53

Chimie et biologie de synthèse

La Figure 18 résume le principe de la production de l’Artémisinine. On reconnaît un circuit métabolique linéaire qui peut sembler relativement simple, qu’on va produire chez la levure : on reprend et modifie les étapes qui existaient chez la levure et on y ajoute des étapes catalysées par des enzymes venant de l’armoise, qu’il faut transplanter, adapter de façon à finalement aligner onze étapes catalysées menant à l’acide artémisinique. Ensuite, trois étapes, réalisées dans une autre usine, font appel à la photochimie1 et à la chimie de synthèse pour arriver au produit final, l’artémisinine.

d’autres solutions de synthèse. La synthèse purement chimique est tout à fait possible, mais avec beaucoup d’étapes, avec à chaque étape un rendement qui n’est pas à 100 %. Il en résulte un procédé qui n’est pas économiquement viable, donc qui n’a pas été réalisé. En revanche la biologie de synthèse a permis d’obtenir un produit stable en qualité et quantité, à un coût comparable à celui extrait de l’armoise naturelle. Jay Keasling a mis au point puis développé la société Amyris Technology aux ÉtatsUnis, qui a conduit le procédé par biologie de synthèse au niveau industriel. Une licence a été cédée à Sanofi, mais comme la recherche avait été financée par des fonds de la Bill&Melinda Gates Foundation, Sanofi a dû vendre à prix coûtant.

Il semble probable qu’on va connaître de plus en plus souvent des exemples comme celui-ci, dans lequel quelques étapes sont catalysées par une voie chimique et d’autres étapes par une voie biologique en fonction des coûts économiques et environnementaux. Le Chapitre de R. Spagnoli explique l’exemple d’une voie biochimique métabolique complexe beaucoup plus en détails.

La production a commencé en Italie en 2013, avec environ cinquante tonnes, puis stoppée en 2017 (on espère transitoirement), pendant la vente de l’usine à UV Pharma (une firme bulgare qui fait partie du consortium Sanofi) ; la production a pu redémarrer en 2018. Figure 18 Circuit métabolique linéaire de la synthèse du médicament Artémisinine par voie de biologie de synthèse.

Voie du mévalonate (TOP) AcétylCoA

atoB

HMGS

tHMGR

Mévalonate

1. Photochimie : partie de la chimie étudiant les mécanismes utilisant l’action de la lumière.

Voie du mévalonate (BOTTOM) MK

PMK

MPD

idi

Synthase

lspA

FPP

ADS

Unité hydroxyase

Amorphadiène

Acide artémisinique

H O O H

54

O H

O O

Acide artémisinique

Artémisinine

Pour conclure sur certains nouveaux aspects sociétaux de la biologie de synthèse, il faut noter le décollage de ce qu’on appelle parfois la « biologie de garage », avec les biohackers2. Dans de nombreuses villes en Europe, aux États-Unis et ailleurs, et par exemple à Paris (« La Paillasse »), il existe des lieux dans lesquels le citoyen peut amener ses idées et ses bras et trouver quelques instruments pour l’aider à réaliser les constructions qui l’intéressent, pour tester tel ou tel aspect. Certains, dans ces lieux citoyens, vont prendre fierté à développer des machines pour amplifier l’ADN par exemple, ou pour incuber les bactéries, à 10 % du prix pratiqué quand on s’adresse à un fournisseur classique. Ces lieux, notamment Paris, peuvent devenir le point de départ d’une société de biotechnologie. Un exemple très particulier est celui de Josiah Zayner, qui s’est rendu célèbre en octobrenovembre 2017 en s’injectant dans le bras de l’ADN de synthèse qu’il avait lui-même fabriqué pour modifier le génome de ses cellules musculaires afin d’être plus musclé. Aux dernières nouvelles, il n’était pas plus musclé… mais il allait très bien. Il existe une compétition internationale3 d’étudiants et de lycéens qui se tient tous les ans vers octobre-novembre à Boston (États-Unis), qui est la compétition internationale des « machines génétiquement ingénieriées ». Quarante-cinq pays et des centaines d’équipes furent en lice en 2017. 30 000 personnes sont déjà passées par cette compétition. 2. Biohacker : personne modifiant l’ADN pour étudier les mécanismes, accroître les capacités de la personne concernée, ou en optimiser le génome. 3. igem.org

De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse

Aspects sociétaux de la biologie de synthèse

55

de

aux

biomédicaments

Autour du Professeur Hervé Watier (MD, PhD), professeur d’Immunologie à la Faculté de Médecine de Tours et chef de service au CHU, coordinateur du LabEx MAbImprove et du programme ARD2020 « Biomédicaments » de la région Centre-Val de Loire, ont collaboré à cet article Alexandre Bradier, étudiant en pharmacie, Joan Leclerc (PhD), du groupe IMT, chargé de mission pour la diffusion de la culture scientifique et technique du programme Biomédicaments, Mélusine Larivière (PharmD, PhD), animatrice scientifique du LabEx MAbImprove et Guillaume Brachet (PharmD, PhD), assistant hospitalier universitaire en immunologie. Se poser la question des liens entre biologie de synthèse et biomédicaments nécessite d’abord de définir ce que sont les biomédicaments. Le plus simple est de les définir par ce qu’ils ne sont pas : ils ne proviennent pas de l’agriculture biologique, ni issus de la synthèse chimique, et ne sont pas de la « médecine douce ». Ce sont au contraire des molécules très actives, fréquemment produites par des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) et comme tout médicament, potentiellement sources d’effets indésirables. Les biomédicaments sont des macromolécules toujours produites par le vivant (on parle de bioproduction). La majorité sont des protéines, c’est-àdire un enchaînement d’acides aminés tel un collier de perles, adoptant une grande variété de conformations dans

l’espace et pouvant faire l’objet de modifications chimiques par la cellule qui les produit (modifications post-traductionnelles). À la différence des médicaments chimiques classiques, ils possèdent un certain degré d’hétérogénéité, ce qui signifie que le principe actif existe sous plusieurs formes légèrement différentes liées à ces modifications post-traductionnelles, dont la plus fréquente est la réaction de N-glycosylation. C’est pourquoi les biomédicaments sont difficiles à caractériser par des méthodes uniquement structurales. La réglementation est donc plus exigeante quand il s’agit de produire une copie légale, appelée biosimilaire, qu’elle ne l’est pour un médicament chimique, dont la copie est un générique. Les biomédicaments constituent un axe de développement

Alexandre Bradier, Joan Leclerc, Mélusine Larivière, Guillaume Brachet et Hervé Watier

­ iologie b ­synthèse

De la

Chimie et biologie de synthèse

majeur pour l’industrie pharmaceutique. Ils n’ont pas pour vocation de remplacer les médicaments issus de la chimie mais ils diversifient l’offre médicamenteuse et ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques. De fait, les biomédicaments sont indiqués dans le traitement d’un nombre croissant de maladies (Tableau).

1

Bioproduction d’un biomédicament et bioproduction d’un médicament chimique

La production d’un médicament chimique peut faire appel à de l’extraction, à de la synthèse, et maintenant

aussi à de la bioproduction. La fabrication d’un médicament chimique par des cellules vivantes est aussi appelé « biologie de synthèse », ce qui a été remarquablement illustré par le Chapitre de R. Spagnoli dans cet ouvrage Chimie et biologie de synthèse, les applications (EDP Sciences, 2019). En réalité, la bioproduction d’un biomédicament est plus simple puisque l’on insère seulement les ADN codant la protéine (le biomédicament) dans la cellule-usine. Dans le cas de la biologie de synthèse, il faut intégrer dans la cellule usine tous les ADN codant les enzymes nécessaires à la synthèse de la molécule chimique (Figure 1).

Tableau Différences entre médicaments chimiques et biomédicaments.

Médicaments chimiques

Biomédicaments Production

Le principe actif est issu de la synthèse Les médicaments biologiques sont toujours chimique ou issu du vivant fabriqués par des cellules vivantes Taille et structure Le principe actif possède une structure rela- Ils peuvent être de taille 1 000 fois supérieure tivement simple et une petite taille et ont une structure plus complexe Copies Des copies identiques peuvent être fabriquées Ils sont fabriqués à partir d’une lignée cellupar des laboratoires concurrents (génériques) laire unique. Un concurrent devra produire dans une autre lignée (biosimilaires) Caractérisation Structure simple pouvant être entièrement Structure complexe plus ou moins hétérogène caractérisée souvent difficile à caractériser entièrement Immunogénicité Faible potentiel immunogène : les petites Fort potentiel immunogène molécules chimiques sont si petites qu’elles échappent souvent au système immunitaire Voies d’administration 58

Variable

Voie injectable uniquement

Si l’on définit la biologie de synthèse comme étant la modification du patrimoine enzymatique de la celluleusine, la question que l’on peut se poser est celle de savoir si ce concept a déjà été transposé au domaine du biomédicament et s’il permet d’obtenir des biomédicaments encore plus efficaces. Pour traiter ce sujet, nous allons nous focaliser sur le secteur le plus dynamique des biomédicaments, celui des anticorps thérapeutiques que nous connaissons le mieux, au travers notamment du LabEx MAbImprove.

2

l’organisme et ainsi d’être administrés de façon espacée.

Bioproduction d’un biomédicament (à gauche) et bioproduction d’un médicament chimique (à droite). En rose, sont représentées les cellules-usine eucaryotes, avec leur noyau en violet. Ces cellules-usine sont modifiées génétiquement, avec au moins un gène codant la protéine-médicament pour les biomédicaments, ou plusieurs gènes codant des enzymes chargées d’assurer la biosynthèse du métabolite d’intérêt pour les médicaments chimiques.

Cette portion Fc est également responsable du mécanisme de c y totoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps ou ADCC («  Antibody-dependent cellmediated cytotoxicity »), dont

De la b ­ iologie de ­synthèse aux biomédicaments

Figure 1

Améliorer encore les anticorps

Les anticorps thérapeutiques forment la catégorie de biomédicaments qui, d’ores et déjà, remporte le plus de succès et suscite le plus d’espoir. Ils présentent en effet l’avantage de pouvoir viser une vaste palette de cibles (qui sont pour eux des antigènes), d’où des indications thérapeutiques nombreuses et très diverses. Cette reconnaissance spécifique de cibles multiples est permise grâce aux portions Fab (Figure 2). À l’autre extrémité de l’anticorps, la portion Fc permet notamment aux anticorps de persister longtemps dans

Figure 2 Modèle tridimensionnel d’un anticorps thérapeutique, en représentation ruban. Les deux chaînes lourdes identiques (en rouge) sont reliées entre elles au niveau de la région charnière par des ponts disulfure et sont étroitement associées entre elles au niveau de la portion Fc. Deux structures glycanniques (une par chaîne lourde), qui sont des polymères de sucres, sont représentées par des sphères bleues et rouges, et occupent l’espace au cœur du Fc. Les deux chaînes légères (en orange), identiques entre elles, sont étroitement associées aux chaînes lourdes au niveau des portions Fab. Les sites de liaison à la cible (à l’antigène) sont situés à l’extrémité des bras Fab.

59

Chimie et biologie de synthèse

l’importance dans l’activité des anticorps anticancéreux a été démontrée par des travaux de notre équipe1 (Figure 3). Ces travaux ont poussé les chercheurs et les entreprises biopharmaceutiques à s’intéresser à la portion Fc, en cherchant à la modifier par ingénierie pour « doper » l’activité ADCC, c’est-à-dire permettre aux cellules de l’immunité de mieux reconnaitre l’anticorps et que soit ainsi accrue la destruction de la cible (Figure 3). L’une des approches employées pour doper l’anticorps consiste à modifier la glycosylation du Fc pour augmenter sa liaison au FcγRIIIA, le récepteur Fc important pour l’ADCC. La N-glycosylation des protéines est un processus enzymatique consistant à lier de façon covalente un glucide à une chaîne peptidique et qui se déroule en plusieurs étapes (Figure 4). 1. Cartron G., Dacheux L., Salles G., Solal-Celigny P., Bardos P., Colombat P., Watier H. (2002). Therapeutic activity of humanized anti-CD20 monoclonal antibody and polymorphism in IgG Fc receptor FcgammaRIIIa gene, Blood, 99 : 754-8.

Figure 3

60

Le mécanisme d’ADCC (« Antibody-Dependent Cellmediated Cytotoxicity »). Une fois les anticorps fixés à leur cible, leur portion Fc va permettre de recruter des cellules de l’immunité comme les cellules « Natural Killer » ou macrophages, qui portent des récepteurs pour la portion Fc des IgG. Ces cellules effectrices vont alors libérer leur arsenal cytotoxique en direction de la cellule-cible et l’éliminer.

Cette glycoingénierie a déjà porté ses fruits, car l’obinutuzumab a maintenant reçu une autorisation de mise sur le marché dans le traitement de la leucémie lymphoïde chronique et des lymphomes non hodgkiniens. La structure glycannique qui se trouve dans les portions Fc de cet anticorps est différente de celle d’autres anticorps thérapeutiques 2 . Pour obtenir cette modification, il a fallu exprimer une N-acétylglucosaminyltransférase III dans l a cellule produisant l’anticorps (Encart : « Synthèse protéique et N-glycosylation »). La N-acétylglucosaminyltransférase III est l’une des enzymes intervenant dans la N-glycosylation. Elle va non seulement ajouter un nouveau résidu Nacétylglucosamine (GlcNAc) sur le glycanne, mais aussi entrer en compétition avec la fucosyltransférase VIII, provoquant une diminution de la quantité de fucose greffé (comme s’il y avait deux ouvrières pour un seul siège 2. Cartron G., Watier H. (2017) Obinutuzu­ mab: what is there to learn from clinical trials?. Blood, 130 : 581-589.

Pour fabriquer un anticorps, il faut transférer dans la cellule-usine deux ADN, l’un codant la chaîne lourde et l’autre la chaîne légère de l’anticorps. Ces ADN sont transcrits en ARN messagers (ARNm), qui migrent dans le cytosol, où ils sont pris en charge par les ribosomes au contact du réticulum endoplasmique rugueux (ou granuleux). Au fur et à mesure que le ribosome lit l’ARNm, il recrute l’ARN de transfert (ARNt) propre à chaque codon, qui amène avec lui l’acide aminé correspondant, qui sera ajouté à la protéine en cours de formation. Le peptide signal permet le passage de la protéine à l’intérieur du réticulum. Dès qu’apparaît dans le réticulum un acide aminé asparagine suivi, deux acides aminés plus loin, d’un acide aminé hydroxylé (sérine ou thréonine), est greffé sur le -NH2 de l’asparagine (d’où le nom de N-glycosylation) un glycanne (ou oligoside, polymère de sucres) qui est préfabriqué.

De la b ­ iologie de ­synthèse aux biomédicaments

SYNTHÈSE PROTÉIQUE ET N-GLYCOSYLATION

C’est ce qui survient lorsque la portion Fc de la chaîne lourde est traduite. Cet oligoside est ensuite profondément remanié, d’abord par des glycosidases (enzymes qui éliminent des sucres), puis par des glycosyltransférases (enzymes qui ajoutent des sucres), étagées dans un ordre précis sur le réticulum endoplasmique puis le cis-Galgi, le Golgi médian, le trans-Golgi et les vésicules de sécrétion. Alors que l’anticorps progresse dans ces différents compartiments pour être sécrété, les glycosyltranférases ajoutent tour à tour de nouveaux sucres sur les glycannes des chaînes lourdes, à la manière d’ouvrières sur une chaîne de montage industrielle. Sur le schéma simplifié de la Figure 4, les différents sucres représentés témoignent de l’action des N-acétyl-glucosaminyltransférases I puis II (ajout de GlcNAc), d’une fucosyltransférase (ajout de fucose) et d’une galactosyltransférase (ajout de galactoses).

Figure 4 Synthèse protéique et N-glycosylation. 61

Chimie et biologie de synthèse

sur la chaîne de montage). C’est en fait l’absence de ce fucose qui va améliorer la liaison au récepteur FcγRIIIA des cellules de l’immunité et donc la réponse ADCC².

spécificité de ciblage des anticorps avec la forte cytotoxicité de certains médicaments chimiques, pour mieux cibler la tumeur et éviter de léser les tissus sains.

Cet exemple illustre donc bien l’intérêt de la biologie de synthèse (modification du patrimoine enzymatique de la cellule-usine) au service des biomédicaments. Dans le cas présent, celui d’un anticorps dopé par biologie de synthèse, il aura donc fallu insérer trois ADN dans la cellule-usine, deux pour l’anticorps (chaîne légère et chaîne lourde) et un pour l’enzyme (N-acétylglucosaminyltransférase III).

La conjugaison a lieu après la synthèse et la purification de l’anticorps. À la manière d’une modification post-traductionnelle, il s’agit de fixer la molécule chimique, via le linker, sur un acide aminé défini, les plus courants étant la lysine et la cystéine (Figure 5). Compte tenu du nombre important d’acides aminés dans un anticorps (environ 1 200), il existe de nombreuses possibilités d’attache (notamment pour les lysines puisqu’il en existe plusieurs dizaines à la surface d’un anticorps), ce qui peut induire un problème d’hétérogénéité : le nombre de molécules chimiques attachées à l’anticorps est mal maîtrisé et varie d’une molécule d’anticorps à l’autre.

3

Doper des anticorps par la chimie

Une autre façon d’obtenir des anticorps dopés pour le traitement des cancers est de recourir à la chimie. En effet, les progrès de l’ingénierie chimique et biologique permettent de conjuguer des anticorps avec des agents cytotoxiques très puissants, autrement dit des poisons, grâce à des liens chimiques (ou « linkers ») (Figure 5). Cela permet de combiner la Figure 5

62

Schéma général d’un immunoconjugué (« antibodydrug conjugate »). L’anticorps est représenté avec ses chaînes lourdes en jaune et vert, et ses chaînes légères en bleu clair. La bioconjugaison se fait par couplage covalent d’agents cytotoxiques (symbolisés par des billes rouges, comme des bombes), par le biais d’un lien chimique (ou linker), sur certains résidus de l’anticorps, souvent des lysines (comme ici) ou des cystéines.

Pour pallier ce problème, les scientifiques de la société Ambrx Inc. ont proposé de modifier l’anticorps par biologie de synthèse, en y insérant un acide aminé non naturel qui puisse faciliter et guider l ’attache du médicament

La technologie développée par Ambrx Inc. exploite un codon STOP redondant, le codon « ambre », pour introduire dans 3. Tian F., Lu Y., Manibusan A., Sellers A., Tran H., Sun Y., Phuong T., Barnett R., Hehli B., Song F., DeGuzman M.J., Ensari S., Pinkstaff J.K., Sullivan L.M., Biroc S.L., Cho H., Schultz P.G., DiJoseph J., Dougher M., Ma D., Dushin R., Leal M., Tchistiakova L., Feyfant E., Gerber H.P., Sapra P. (2014). A general approach to sitespecific antibody drug conjugates, Proc Natl Acad Sci USA, 111 : 1766-71.

l’anticorps un acide aminé non naturel, créé par synthèse en dérivant chimiquement un acide aminé existant (Figure 6). Celui-ci ne possède pas de codon correspondant dans le code génétique, ni d’ARNt, ni d’aminoacyl-ARNt synthétase. L’intérêt d’utiliser un tel acide aminé réside dans les caractéristiques chimiques personnalisables de sa chaîne latérale qui permettent une liaison plus facile et plus spécifique du linker à l’anticorps et un meilleur contrôle de la conjugaison. L’idée de la technique du codon Ambre est en pratique de détourner le codon STOP du même nom (Figure 7) et de l’attribuer à un dérivé d’acide

Figure 6 Acide aminé non naturel. Dans cet exemple, la paraacétylphénylalanine (à gauche) est un acide aminé artificiel dérivé du tryptophane (à droite), capable chimiquement de s’insérer dans une protéine, pour peu qu’un ARN de transfert (ARNt) et une aminoacyl-ARNt synthétase, eux aussi non naturels, assurent son insertion dans la chaîne polypeptidique.

De la b ­ iologie de ­synthèse aux biomédicaments

chimique sur l’anticorps 3. Il serait ainsi possible de mieux contrôler l’homogénéité du médicament, ce qui serait souhaitable dans la perspective d’une utilisation en clinique.

Figure 7 Le code génétique et les codons STOP. L’ARN messager est un enchaînement de triplets de bases nucléotidiques U, C, A ou G, chacun correspondant à un ARNt et à une aminoacyl-ARNt synthétase, donc à un acide aminé de la chaîne protéique. Les 20 acides aminés naturels sont codés par 45 triplets, dont le codon d’initiation (AUG) en vert, codant une méthionine. À ces 45 triplets s’ajoutent 3 triplets de terminaison en rouge, appelés codons STOP. Ces sont les codons Ocre (UAA), Opale (UGA) et Ambre (UAG). Ces codons ne sont associés à aucun ARNt, mais permettent le recrutement d’un facteur de terminaison (Release Factor) qui va terminer la synthèse protéique et détacher la protéine du ribosome.

63

Chimie et biologie de synthèse

aminé, la para-acétylphénylalanine par exemple. Pour cela la cellule-usine doit être modifiée afin qu’elle puisse intégrer ce nouvel acide aminé. Cela nécessite (Figure 8) : l’invalidation du gène RF I, le remplacement des codons ambre dans l’ensemble de l’ADN de la cellule usine, l’introduction d’un gène muté pour l’ARNt de la para-acétylphénylanine, l’introduction d’un gène muté pour la para-acétylphénylanine-ARNt synthétase. Il s’agit donc d’une modification de grande ampleur de la cellule usine, qui a déjà été

réalisée avec succès 3 . Une fois cette cellule-usine modifiée, il ne reste plus qu’à y introduire l’ADN de l’anticorps à produire, comme classiquement. Lors de la production il faudra évidement apporter l’acide aminé non naturel choisi, la para-acétylphénylanine, dans le milieu de culture, puisque la cellule ne peut en fabriquer. L’anticorps obtenu comportera donc la para-acétylphénylalanine aux endroits déterminés, permettant de diriger la bioconjugaison du linker et du composé cytotoxique.

Figure 8 Ingénierie du codon Ambre pour permettre l’insertion d’un acide aminé non naturel. Dans un premier temps (en haut), il faut modifier tous les codons STOP Ambre (UAG) dans le génome de la cellule-usine et les remplacer un codon STOP UGA afin d’obtenir des protéines fonctionnelles et une cellule-usine viable. En effet, une fois un acide aminé non naturel attribué au codon Ambre, celui-ci sera systématiquement intégré aux protéines au lieu d’entraîner la fin de la traduction, ce qui pourrait être délétère. Dans un second temps (au milieu), il faut éliminer le facteur de terminaison RF1 pour éviter une compétition avec le nouvel ARNt correspondant au codon Ambre. La terminaison des chaînes protéiques restera possible grâce au facteur RF2 correspondant aux autres codons STOP. Une fois l’ADN de la cellule-usine « nettoyé », il est nécessaire d’y intégrer le nouvel ARNt et l’aminoacylARNt synthétase qui ont fait l’objet d’une ingénierie pour connecter le codon Ambre à l’acide aminé non naturel sélectionné, ici la para-acétylphénylalanine, qui sera apportée dans le milieu de culture.

De nouveaux horizons pour la biologie de synthèse

64

La biologie de synthèse ouvre des horizons nouveaux, non seulement dans le domaine du médicament chimique, mais aussi dans celui des biomédicaments. Si la technologie du codon Ambre en est encore au stade de la recherche, elle porte en elle la perspective d’anticorps armés plus homogènes et possiblement plus

De la b ­ iologie de ­synthèse aux biomédicaments

efficaces. Quant à la glycoingéniérie, c’est une approche qui a déjà fait ses preuves, qui est une réalité en clinique et qui continue de susciter l’intérêt des chercheurs pour moduler les activités pharmacologiques des anticorps. Plus généralement, les exemples exposés ici ne sont qu’un aperçu des nombreuses applications de la biologie de synthèse qui, en modulant le patrimoine enzymatique des cellules-usine, permettent d’améliorer les biomédicaments et leur production.

65

du

traitement

cancer

pour le

des

et

maladies

du

système nerveux

Patrick Couvreur est professeur à l’Institut Galien1 Paris-Sud, membre de l’Académie des sciences, des technologies, de médecine et de pharmacie, et créateur de deux start-ups, BioAlliance et Medsqual.

1

L’objectif de ce chapitre est de montrer comment l’utilisation des nanotechnologies peut permettre de vectoriser les médicaments pour mieux traiter des maladies graves, en particulier le cancer et les maladies du système nerveux central.

aussi qu’on peut avoir une pénétration intracellulaire insuffisante, alors que celleci est extrêmement importante quand on sait que de nombreux médicaments, et en particulier parmi ceux issus des biotechnologies, agissent sur des cibles intracellulaires.

L’administration d’un médicament sous une for me galénique pharmaceutique conventionnelle présente un certain nombre de limitations et d’inconvénients. Par exemple, certains médicaments ont un passage transmembranaire limité qui conduit à une faible biodisponibilité. Un faible passage transmembranaire veut dire

De plus, un assez grand nombre de molécules issues des biotechnologies sont très rapidement dégradées et métabolisées. Il y a aussi, et c’est le cas dans le domaine du cancer, des molécules peu sélectives, peu spécifiques, avec une distribution cellulaire et tissulaire inadéquate.

1. www.umr-cnrs8612.u-psud.fr

Tout cela aboutit à une activité pharmacologique médiocre ou insuffisante, et même parfois à une toxicité importante.

Patrick Couvreur

Nanomédicaments

Chimie et biologie de synthèse

Enfin, beaucoup de molécules qui sont d’ailleurs extrêmement spécifiques sur une voie de signalisation vont très vite induire des phénomènes de résistance. Nous verrons dans ce chapitre que cela est vrai dans le domaine du cancer, mais c’est aussi vrai dans le domaine des maladies infectieuses2.

1

Les nanotechnologies, des outils pour améliorer l’activité pharmacologique

Pour améliorer l’activité pharmacologique, on peut faire de la chimie directement sur la molécule, mais un médicament n’est pas uniquement un principe actif ou une molécule, c’est aussi une forme galénique sur laquelle on peut 2. Voir aussi La chimie et la santé, au service de l’homme, chapitre de P. Couvreur, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, R.A. Jacquesy, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2010.

agir, et on peut encapsuler la molécule dans des nanoobjets d’une taille comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de nanomètres. Si l’encapsulation est bien faite, elle protègera le principe actif de la dégradation (Figure 1). Mais la chimie peut jouer un rôle encore plus important car si on réussit à équiper ces nano-objets de ligands sélectifs, on peut alors réaliser un ciblage cellulaire, tissulaire, voire même intracellulaire, et obtenir un meilleur index thérapeutique3, une meilleure sélectivité d’action et éventuellement aussi une pénétration intracellulaire accrue. 3. Index thérapeutique : nombre permettant de mesurer la différence entre la dose susceptible de créer un effet thérapeutique (produisant les effets désirés chez 50 % des individus) et celle créant possiblement la mort (pour 50 % des individus). Plus une substance a un index thérapeutique bas, plus elle est dangereuse.

CHIMIOTHÉRAPIE CONVENTIONNELLE

NANOMÉDICAMENTS (multifonctionnels) Nanoparticule

R1

Ligand

R3 PEG

R2

Figure 1

68

Un principe actif encapsulé dans une nanoparticule fonctionnalisée en surface offre une multifonctionnalité thérapeutique.

Inconvénients – Passage transmembranaire limité (faible biodisponibilité) – Instabilité/métabolisation – Manque de spécificité cellulaire/tissulaire (faible activité + toxicité) – Pénétration intracellulaire insuffisante – Induction de résistances

Imagerie

100 nm

– Protection de la dégradation – Ciblage cellulaire/tissulaire (meilleur index thérapeutique) – Pénétration intracellulaire accure – Contournement des résistances – Combiner des propriétés thérapeutiques et d’imagerie

Enfin, avec cet te même approche nanotechnologique, on peut aussi combiner les propriétés thérapeutiques avec des outils de diagnostic, par exemple en encapsulant un médicament ayant des propriétés d’imagerie. On parlera alors de nanothéranostique5, un concept qui ouvre la porte à la médecine personnalisée.

2

L’encapsulation physique dans un polymère biodégradable

Le passage de la découverte en laboratoire d’un nanomédicament efficace aux premiers essais cliniques est un processus très long qui est illustré par différentes nanotechnologies développées au sein de notre équipe de recherche. Ces exemples illustrent quelques-unes des difficultés à résoudre pour développer des nanomédicaments. 2.1. Maîtriser la vitesse de libération du principe actif Le premier exemple concerne la mise au point 4. Physiopathologique : étude des troubles du fonctionnement de l’organisme lors de maladies ou de ses réactions en présence de corps étrangers. 5. Nanothéranostique : science utilisant les nanotechnologies pour le diagnostic et la thérapie de différentes maladies.

Nanomédicaments pour le traitement du cancer et des maladies du système nerveux

Ensuite, quand la chimie et la biologie se marient, et si l’on connait bien sur le plan physiopathologique4 les mécanismes de résistance, un bon chimiste peut imaginer des nanovecteurs qui délivreront le médicament de manière telle que l’on pourra contourner certains phénomènes de résistance.

de nanoparticules biodégradables à partir d’un polymère polyalkylcyanoacrylate, l’objectif étant de maîtriser la vitesse de libération du principe actif. Ce travail, débuté il y a déjà longtemps, utilise comme point de départ un monomère utilisé en chirurgie – un cyanoacrylate – qui possède donc un apriori toxicologique relativement favorable. L’intérêt chimique de ce monomère est sa capacité à polymériser dans de l’eau grâce à un mécanisme de polymérisation anionique (Figure 2). Cette propriété est intéressante pour les applications pharmaceutiques, pour lesquelles il faut éviter l’utilisation de solvants organiques. La vitesse de biodégradation de ce polymère, ou plus exactement de bio-érosion, peut aussi être contrôlée. La bioérosion résulte de l’hydrolyse de la fonction ester (-COOR) latérale, et pour maîtriser cette vitesse de bio-érosion, on peut jouer sur la longueur n de la chaîne alkyle latérale (Figure 3). Plus la chaîne alkyle sera longue, plus la biodégradation sera lente et plus la libération du médicament encapsulé sera lente. À partir de ce polymère biodégradable, on peut préparer des nanoparticules qui seront soit des nanosphères (systèmes matriciels), soit des nanocapsules (systèmes réservoirs).

Nu–/NuH CN δ+

O

O O

O R

Figure 2

CN

δ–

R

La polymérisation anionique du monomère de cyanoacrylate s’effectue par échange d’électron à partir d’une espèce nucléophile.

69

Chimie et biologie de synthèse

Figure 3

(a)

Rallonger la chaîne alkyle latérale permet de diminuer la vitesse de biodégradation du polymère et donc maîtriser la vitesse de libération du médicament.

CN O R

(b)

(c)

m O O R m 99,5 %)

Figure 19 L’acide téréphtalique Carbios obtenu par recyclage du PET possède une pureté supérieure à 99,5 %. Il n’est pas différenciable de l’acide téréphtalique commercial, il possède le même aspect et les spectres RMN et infrarouges sont identiques. L’acide obtenu est donc d’une grande qualité.

Aujourd’hui nous sommes capables de dépolymeriser des déchets plastiques à 97 % en 16 h, de purifier les

monomères et de les re-polymériser en PET (Figure 19). Prochaine étape : refaire une bouteille.

Des procédés pour la vie quotidienne grâce à l’ingénierie enzymatique Les travaux décrits dans ce chapitre illustrent la puissance des techniques d’ingénierie enzymatique pour de nouveaux domaines. Le problème actuel inquiétant que rencontre la société dans la gestion des matières plastiques et de leurs déchets, par exemple, est en voie de trouver solution grâce à ces techniques : selon les cas, on favorise la dégradation du polymère ou son recyclage. Ce chapitre met l’accent sur la démarche qui conduit de l’invention fondamentale du laboratoire à la conception d’un procédé et à son développement qui exige souvent le retour au laboratoire.

130

traitement du

cancer

Clément de Obaldia a pris en 2015 la codirection d’une équipe de biologie synthétique à l’iGEM d’Evry au Génopole. En 2017 il a cofondé la société Inovactis1, dont il est président. Il aborde dans ce chapitre les applications actuelles de la biologie de synthèse en illustrant comment on peut passer d’une idée à une entreprise aujourd’hui.

1

La biologie de synthèse et la médecine

Il existe des initiatives privées qui, dès le démarrage, dès l’idée, peuvent faire naître une propriété intellectuelle et une société… 1.1. Le fléau du cancer Aujourd’hui un homme sur deux en France et une femme sur trois connaitra le cancer dans sa vie. Cela représentait, par exemple en 2015, 385 000 nouveaux cas (Figure 1). 1.2. Vers la médecine personnalisée Face à cette problématique, un groupe d’étudiants en biologie de synthèse s’est proposé, en 1. inovactis.com

385 000 nouveaux cas en France en 2015

Figure 1 Aujourd’hui un homme sur deux et une femme sur trois connaitra le cancer en France.

2015, d’apporter de nouvelles solutions. La démarche a été de se rapprocher de la médecine p e r s o n n al i s é e, p r ati q u e médicale qui part du patient et séquence sa tumeur avant tout traitement. Le séquençage (détermination de l’ordre d’enchaînement des nucléotides de séquences d’ADN) est devenu une technique

Clément de Obaldia

Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le

Chimie et biologie de synthèse

courante : 55 000 patients ont leur tumeur séquencée chaque année en France dans 29 centres de séquençage. À partir de là, on stratifie 2 les patients, on trouve les meilleures thérapies sur le marché, la meilleure dose et le meilleur timing (Figure 2).

YETI (Figure 3). Il s’agissait de reprogrammer un organisme vivant, en l’occurrence une levure, Saccharomyce cerevisiae, pour lui faire produire et mettre en œuvre un médicament contre la tumeur sélectionnée.

L’ambition de la médecine personnalisée va bien au-delà. À partir du séquençage de la tumeur du patient, le but est la conception et la réalisation d’un médicament individuel, avec tous les enjeux logistiques que cela implique. La médecine personnalisée intègre le fait que chaque tumeur est unique et donc requiert un médicament unique.

2

Cette approche nous a conduit à créer une équipe d’une dizaine d’étudiants et à participer à une compétition internationale au MIT avec le projet Cancer YEasT Immunotherapy, 2. L’approche stratifiée consiste à adapter le traitement au patient en fonction de ses caractéristiques biologiques.

Les recherches en cours pour une médecine personnalisée

2.1. Les biosenseurs pour mieux cibler le cancer Il faut d’abord définir ce qu’est un biosenseur 3 , dont la Figure 4 donne le principe. Les biosenseurs servent à détecter une molécule cible (en rouge sur le schéma). On va trouver une protéine capable de se lier à cette molécule cible, c apable

3. Biosenseur : dispositif détecteur biologique associant l’échantillon à étudier – ici, du matériel bio­logique – et l’élément capteur, biologique également.

Aujourd’hui PATIENT

MÉDICAMENT

DOSE

TIMING

Demain SÉQUENÇAGE TUMEUR

MÉDICAMENT SUR MESURE

VACCINATION

Figure 2

132

Une médecine personnalisée donnera un médicament conçu sur mesure, propre au patient grâce au séquençage de la tumeur : c’est un gain de temps et une efficacité accrue par rapport à la médecine d’aujourd’hui.

Figure 3 Cancer YEasT Immunotherapy (YETI) est un projet d’étudiants qui a pour but de reprogrammer la levure Saccharomyce cerevisiae à l’aide de la biologie de synthèse.

Protéine de régulation

Protéine rapportrice Signal

Action du biosenseur pour la détection d’une molécule cible : une protéine se lie à la molécule cible, ce nouveau complexe va activer un promoteur qui va transcrire le gène rapporteur. La protéine rapportrice fluorescente va permettre la détection de la molécule cible.

Molécule cible

ensuite d’activer un promoteur4. Le promoteur est ce qui active la transcription d’un gène. Puis on va placer une dernière brique dans notre schéma qui est la brique de

la protéine rapportrice, c’està-dire une protéine qu’on peut détecter, qui sera visible : on utilise souvent des protéines fluorescentes issues d’une méduse.

4. Promoteur : exemple de biobrique, une région de l’ADN située à proximité d’un gène indispensable à la transcription de l’ADN en ARN.

La mise au point d’un biosenseur ouvre la voie vers des applications diverses. Ainsi, un projet présenté durant la compétition iGEM (Encart : « La Fondation iGEM ») était

Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le traitement du cancer

Figure 4

Promoteur régulé

LA FONDATION IGEM (INTERNATIONAL GENETICALLY ENGINEERED MACHINE) La Fondation iGEMa (Figure 5) est une organisation à but non-lucratif créée à l’origine autour du MIT (Massachussetts Institute of Technology) pour promouvoir les applications de la biologie de synthèse. Elle anime des programmes en direction des étudiants (section « Competition »), en direction d’équipes de recherche (section « Laboratoires ») et de gestion de banques de données (section « Enregistrement »). Elle offre ainsi à plus de 300 équipes du monde entier, soit des milliers de participants, l’occasion de vivre une très belle aventure humaine mais surtout constitue une possibilité créatrice incroyable. L’iGEM constitue et met à disposition une véritable « bibliothèque du vivant », un concept rendu possible par la biologie de synthèse. Il s’agit d’une bibliothèque de « biobriquesb » qu’on peut comparer à des pièces de lego ; on peut les assembler parce qu’elles sont standardisées. L’un des apports de la biologie de synthèse, qui permet cette approche, est la standardisation de ces briques du vivant. La bibliothèque propose plus de 20 000 briques. Cela correspond à une combinatoire possible phénoménale entre toutes ces bio-briques et des possibilités d’innovation sans limite.

Figure 5 iGEM propose une compétition pour les jeunes qui regroupe plus de 300 équipes du monde entier et des milliers de participants. Source : http://igem.org/Press_Kit

a

http://igem.org Bio-brique : séquence d’ADN conforme à un assemblage standard par enzyme de restriction. Les bio-briques sont utilisées comme blocs de construction pour concevoir des assemblages de briques individuelles ou de groupes de briques pouvant ensuite être intégrées dans des cellules vivantes afin de construire de nouveaux systèmes biologiques. b

133

Chimie et biologie de synthèse

relatif à la bioremédiation5 de l’atrazine, une molécule pesticide. Grâce au biosenseur, Escherichia coli était capable de détecter l’atrazine dans son milieu et, après la détection, de produire une enzyme dégradant ce pesticide. Pour le traitement du cancer, nous avons travaillé sur la production d’un biosenseur délivrant des molécules capables de détruire les cellules cancéreuses, provoquant leur suicide (apoptose), à savoir la perforine6 et la granzyme7 (Figure 6). La perforine, comme son nom l’indique, perce la paroi de la cellule cancéreuse ; cela permet à la granzyme, une protéase8, d’entrer et d’induire le suicide de la cellule. Ce que 5. Bioremédiation : décontamination de milieux pollués au moyen de techniques issues de la dégradation chimique ou d’autres activités d’organismes vivants. 6. Perforine : protéine cytolytique (qui tue les cellules) sécrétée par les lymphocytes T CD8+. 7. Granzyme : un des moyens d’action des cellules immunitaires cytotoxiques, qui sont dans ce cas les lymphocytes T, pour lyser (scinder) leur cible. La perforine permet aux granzymes d’entrer dans les cibles où l’enzyme va dégrader les protéines et induire la mise en apoptose (mort cellulaire) de la cible. 8. Protéase : aussi appelée peptidase, enzyme qui coupe les liaisons peptidiques des protéines.

le biosenseur détectait, c’était l’environnement hypoxique de la tumeur (le manque d’oxygène dans l’environnement de la tumeur), caractéristique des tumeurs plus agressives qui métastasent. 2.2. L’encapsulation des levures Le biosenseur est introduit via une levure capable de le produire et de le secréter dans l’organisme. Le problème de ces levures est que, certes elles produisent et sécrètent, mais, injectées dans le corps humain, elles sont rapidement phagocytées et détruites et n’ont pas le temps d’agir. Pour ralentir leur dégradation on les a encapsulées dans des billes d’alginate9. Pour démontrer que ce conditionnement préserve l’activité, on a encapsulé des levures qui produisaient la GFP10, la molécule fluorescente verte de la méduse, la 9. Billes d’alginate : utilisées en médecine pour encapsuler des médicaments ou des substances biologiques fragiles comme les enzymes. Les alginates sont des polysaccharides obtenus à partir d’une famille d’algues brunes : les laminaires ou les fucus. 10. GFP : « Green Fluorescent Protein », protéine issue d’une méduse ayant la propriété d’émettre une fluorescence de couleur verte.

Figure 6

134

Apoptose des cellules cancéreuses induite par les levures : le biosenseur détecte l’environnement hypoxique d’une cellule, caractéristique d’une tumeur. Une fois détectée, la granzyme B et la perforine, présentes dans les levures encapsulées, permettent l’apoptose de la cellule cancéreuse.

Granzyme B

Apoptose Perforine Levures encapsulées

Cellule cancéreuse

2.3. L’immunothérapie Durant la compétition, nous avons enfin réalisé une preuve de concept sur des souris atteintes de mélanome avec des levures agissant comme immunothérapie11. Cependant, dans le cadre de la « compétition » iGEM, il n’était pas possible de breveter ce nouveau traitement anticancéreux et de générer la propriété intellectuelle indispensable pour une création d’entreprise. Nous avons travaillé pendant deux ans pour développer et caractériser une levure optimisée, beaucoup plus efficace pour provoquer la régression tumorale avec une preuve de concept établie sur le cancer de la peau agressif, le mélanome, chez la souris. Ce travail a été une longue phase de développement nécessaire à la création d’une entreprise, une période de « traversée du désert » où les travaux de laboratoire doivent être poursuivis mais où l’application n’est pas encore commerciale. Les financements ont été largement aidés par diverses subventions. La reconnaissance de la qualité des objectifs a été due à un 11. Immunothérapie : traitement qui consiste à administrer des substances qui vont stimuler les défenses immunitaires de l’organisme afin de lutter contre différentes maladies.

Figure 7 Levures produisant la GFP (molécule fluorescente de la méduse) encapsulées. Qu’elles aient été induites (photo du bas) ou non (photo du haut), la protéine fluoresce, donc les levures, même encapsulées, ont accès à leur milieu.

écosystème performant qui nous a donné l’accompagnement nécessaire. Notons ici que les vertus de la biologie de synthèse ont permis de réduire considérablement le temps de développement, parce qu’elle permet de screener 12 très rapidement un nombre important de molécules. Dans notre cas, il s’agissait d’« armer » des levures contre la tumeur et de sélectionner les meilleures levures afin de retenir les plus efficaces.

Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le traitement du cancer

protéine qu’on peut détecter (Figure 7). On observe qu’en effet l’activation par un sucre est bien efficace : il y a bien fluorescence et donc activation des levures empaquetées. Ce résultat a été obtenu en 2015.

3

Le projet d’Inovactis dans la lutte contre le cancer

Le procédé d’Inovactis de lutte contre le cancer s’appuie sur les propriétés du système immunitaire. 12. Screener : en français cribler. Dans les domaines de la pharmacologie, biochimie, génomique et protéomique, le screening correspond aux techniques visant à étudier et identifier dans les chimiothèques et ciblothèques des molécules aux propriétés nouvelles, biologiquement actives.

135

Chimie et biologie de synthèse

3.1. L’immunité cellulaire : les cellules dendritiques L’immunité cellulaire repose sur de nombreux acteurs, dont l’un d’eux est central : les cellules dendritiques13 (Figure 8). Ces cellules coordonnent l’activation des lymphocytes tueurs14 , les CD8, qui vont détruire les cellules cancéreuses et que l’on veut activer contre la tumeur. 13. Cellules dendritiques : cellules du système immunitaire présentatrices d’antigènes et des dendrites – prolongements cytoplasmiques. Elles permettent entre autres le déclenchement de la réponse immunitaire adaptative. 14. Lymphocytes tueurs : aussi appelés TCD8, car ils portent à leur surface un marqueur CD8, ou lymphocytes T cytotoxiques. Ils détruisent les cellules infectées. Ces cellules sont dites cytotoxiques car elles sont ellesmêmes capables de détruire des cellules cibles qui présentent des antigènes spécifiques.

Treg

Cellule dendritique

Macrophage

Lymphocyte T CD8+

Lymphocyte T auxiliaire CD8+

support

Figure 8

136

Rôle des cellules dendritiques dans l’organisme : activation des CD8+ ou lymphocytes tueurs et à l’aide des macrophages, des CD4+ qui vont produire des cytokines et soutenir la réponse immunitaire, et enfin inhibition des T régulateurs.

Leur efficacité peut être limitée par ce qu’on appelle les T régulateurs15 présents dans l’environnement de la tumeur, provoquant une immunosuppression16, qui fait que même si le système immunitaire est présent, il n’attaque pas la tumeur ; il faut donc également inhiber ces T régulateurs. Enfin, il faut également activer les « cellules de soutien » qui produisent certaines cytokines17 et soutiennent la réponse immunitaire. Il y a déjà eu des vaccinations à cellules dendritiques par le passé, par exemple dans le cancer de la prostate ; ces approches ont certes montré leur sécurité et leur faisabilité, mais leur efficacité demeurait limitée. Il fallait en effet prélever les précurseurs des cellules dendritiques du patient, les modifier par ingénierie génétique et les réinjecter ensuite chez le patient (Figure 9). Ces étapes sont 15. Lymphocytes T régulateurs : sous-population de lymphocytes T ayant la propriété d’inhiber la prolifération d’autres lymphocytes T effecteurs. Ils sont nécessaires au maintien de la tolérance immunitaire. 16. Immunosuppression : inhibition de l’activation du système immunitaire. Elle peut être induite par une intoxication, la radioactivité, certaines maladies comme le VIH, ou naturellement enclenchée par l’organisme dans certaines conditions. 17. Cytokines : substances solubles de signalisation cellulaire synthétisées par les cellules du système immunitaire ou par d’autres cellules ou tissus agissant à distance sur d’autres cellules pour en réguler l’activité et la fonction. Ces molécules sont essentielles à la communication des cellules de l’organisme.

Figure 9

APRÈS

Prélèvement & culture Levures recombinantes in vivo

4 semaines ex vivo

longues et coûteuses, et tous les paramètres ne peuvent pas être maîtrisés de façon optimale. En revanche, la biologie de synthèse permet de délivrer directement les antigènes tumoraux, qui sont les marqueurs des cellules cancéreuses, in vivo, sans réaliser aucun prélèvement sur le patient. En particulier, cette activation passe par l’utilisation de levures spécifiquement armées pour réaliser ce travail. 3.2. Mécanisme d’action contre les cellules cancéreuses chez Inovactis Les levures – soit environ un demi-milliard de levures à chaque injection – sont injectées directement sous la peau du patient. Elles ne présentent aucun problème de toxicité, ce ne sont rien d’autre que de la levure de boulanger, et, après des millénaires de consommation de pain et de bière, nous avons développé une tolérance naturelle pour ces levures. Ces levures vont délivrer deux choses aux cellules dendritiques : d’une part une cible,

les antigènes, les marqueurs cancéreux, et d’autre part un « signal de danger » qu’on appelle un signal de costimulation18 (Figure 10). Autrement dit, elles sont un adjuvant naturel. Ensemble elles vont activer les lymphocytes tueurs qui vont détruire les cellules cancéreuses portant les mêmes marqueurs. On voit qu’il s’agit de thérapies très ciblées.

Progrès liés à la vaccination par des cellules dendritiques : avant, nécessité de prélèvement, de culture et de réinjection quatre semaines après ; aujourd’hui, aucun prélèvement, les levures recombinantes sont injectées in vivo.

Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le traitement du cancer

AVANT

Le problème de cette thérapie est de définir la cible de la façon la plus pertinente. Le séquençage de l’ADN nous donne accès à l’ensemble du génome de la tumeur. Le séquençage de la tumeur coûte 1 000 dollars – bien loin des 3 milliards de dollars et treize années de développement qui ont été nécessaires pour le séquençage du Génome Humain. Mais que faire du séquençage de la tumeur du patient ? 18. Signal de costimulation : signal donné à une cellule par une autre et qui régule l’activation, la prolifération, la survie ou la différenciation de la cellule qui le reçoit. Ce signal est un des trois signaux permettant l’activation des lymphocytes T, il est aussi appelé signal de danger.

137

Chimie et biologie de synthèse

Figure 10 Mécanisme d’action de la levure chez Inovactis en trois étapes. Premièrement, les levures sont injectées sous la peau du patient. Deuxièmement, elles délivrent aux cellules dendritiques les antigènes et un signal de costimulation qui vont activer les lymphocytes tueurs. Troisièmement, ces lymphocytes vont détruire les cellules cibles.

Inovactis

Cellule dendritique

MHC-I TCR

CD80/86 CD28

Lymphocyte T CD8+

3.3. Une médecine personnalisée du cancer À partir du séquençage de la tumeur du patient on va rechercher ce qu’on appelle les néo-antigènes19 (Figure 11), qui sont des marqueurs cancéreux mutés par rapport au même marqueur présent dans les cellules saines. On sélectionne les marqueurs mutés pour éviter la toxicité car lors d’une immunothérapie, on pourra également détruire les cellules saines. Il y a eu beaucoup de réactions auto-immunes avec inhibiteurs du frein immunitaire, avec par exemple des diabètes de type I où le système immunitaire détruisait le pancréas, ou encore des hépatites. Donc aujourd’hui on veut aller sur de la médecine personnalisée également pour s’affranchir de cette toxicité qui proviendrait de la sélection de cibles non spécifiques. Quand on a identifié des marqueurs à cibler, il faut vérifier

138

19. Néo-antigène : antigène spécifique qui se développe dans les cellules cancéreuses.

qu’ils soient bien exprimés par les cellules cancéreuses. On réalise donc un « RNASEQ20 » sur les cellules cancéreuses et on peut également vérifier que ces néo-antigènes soient exprimés à la surface des cellules cancéreuses. Une fois établie la liste de ces antigènes, on utilise les ressources de la biologie de synthèse (le châssis) pour présenter les différents marqueurs cancéreux au système immunitaire. Le processus se termine par la vaccination du patient. Le point clé est que tout ce processus thérapeutique doit être plus rapide que la progression de la maladie chez le patient : il s’agit d’avoir une logistique performante ! D’après nos experts et d’après les premiers essais cliniques de phase I qui ont été lancés chez l’homme à la fois en Europe en 2017 et aux 20. RNA-SEQ : également appelé séquençage de l’ARN. Technologie qui utilise le séquençage à haut débit pour identifier et quantifier l’ARN issu de la transcription du génome à un moment donné.

3. Clonage des antigènes dans la levure

Mutations non synonymes

levure

2. RNA-SEQ : Vérification de l’expression

4. Traitement du patient

Néoantigènes exprimés

Sur-expression

Sous-expression

États-Unis sur de la vaccination personnalisée – essais qui résultent tout de même de la régression totale dans le cas du mélanome –, il faut pouvoir être dans un timing entre six et huit semaines depuis la biopsie du patient

jusqu’à la vaccination, donc travailler dans un délai court. Ici, la biologie de synthèse est une technique déterminante parce qu’elle standardise toutes les étapes (les briques) et permettent de cloner rapidement.

Figure 11 Quatre étapes de la médecine personnalisée du cancer : séquençage de la tumeur, vérification de l’expression des néo-antigènes pour que la thérapie soit spécifique aux cellules malades, clonage des antigènes dans la levure et enfin vaccination du patient.

Biologie de synthèse : une nouvelle voie pour le traitement du cancer

1. Séquençage de la tumeur du patient

Entreprendre en biologie de synthèse Quelle méthode adopter pour entreprendre aujourd’hui en biologie de synthèse ? Au départ, on reçoit une formation académique, mais il manque la formation pratique en biologie de synthèse. Pour l’acquérir, il y a la « Compétition iGEM », qui propose des équipes partout, au Génopole, à Paris-Saclay, à l’Institut Pasteur… Ces équipes vont permettre de mettre les mains dans le cambouis, d’apprendre à diriger un projet scientifique en biologie de synthèse et de tester ses idées (Figure 12). Ensuite, il faut s’entourer d’experts qui peuvent vous accompagner pour évaluer l’idée par rapport à l’état de l’art. En l’occurrence, nous nous sommes associés à l’Institut Curie pour toutes nos expérimentations. Ensuite, il faut

139

Chimie et biologie de synthèse

1. Formation

2. Idée

3. Accompagnement

4. Aides publiques

Figure 12 Quatre points fondamentaux pour entreprendre en biologie de synthèse : une formation, une idée, un accompagnement et des aides publiques.

bien sûr l’accès à un laboratoire et être accompagné de chargés d’affaires pour la vision business, juridique et propriété intellectuelle. Le SHAKER est un dispositif lancé à Génopole permettant de mettre des équipements mutualisés, un laboratoire de pointe à disposition de jeunes docteurs ou d’étudiants qui ont des idées et qui ont besoin de matériel pour réaliser une preuve de concept. Évidemment, il faut terminer par les aides publiques, à savoir BPI France, qui apporte une aide financière incomparable, mais également le réseau Pépite qui fournit des aides pour l’entreprenariat. Aujourd’hui donc, en biologie de synthèse, on va beaucoup plus vite qu’auparavant grâce à des processus mieux standardisés. Demain, ceux qui se lancent dans l’aventure pourraient devenir la licorne française en biologie de synthèse. Il y a de la place pour l’innovation ! 140

les

bactéries

pathogènes Les outils CRISPR

David Bikard est directeur du laboratoire de Biologie de Synthèse à l’Institut Pasteur. Ingénieur de l’Agro-ParisTech, il a obtenu un doctorat à l’Université Paris-Diderot pour ses travaux réalisés à l’Institut Pasteur sur la recombinaison chez les bactéries. En post-doctorat à la Rockefeller University, il a initié ses recherches sur CRISPR.

1

Qu’est-ce que les CRISPR ?

1.1. Une histoire fascinante et peu connue L’histoire remonte en 1987 avec un groupe japonais qui a publié la première observation d’un locus1 « CRISPR » dans un génome de la bactérie Escherichia coli2 où l’on voit ces séquences répétées qui sont régulièrement espacées par des séquences relativement variées. À l’époque on n’avait aucune idée de ce que 1. Locus : localisation précise d’un gène sur un chromosome. 2. Escherichia coli : bactérie intestinale (Gram négatif) des mammifères, très commune chez l’être humain, composant environ 80 % de notre flore intestinale aérobie.

ces séquences pouvaient bien être (Figure 1). Le sens de cette occurrence est resté un point obscur pendant relativement longtemps. Après cette découverte de 1987, des bio-informaticiens ont repéré ces séquences répétées en de nombreux endroits différents (Figure 2) à mesure qu’on séquençait les génomes microbiens. Ces découvertes ont été réalisées indépendamment à plusieurs reprises. À chaque fois ces chercheurs observaient la présence de répétitions (en blanc sur la Figure 3). Les espaceurs 3 correspondent à des régions 3. Espaceur : région non-codante d’ADN entre les gènes.

D’après la conférence de David Bikard

Étudier et combattre

Chimie et biologie de synthèse

Figure 1 Publication, en 1987, de la première observation d’un locus CRISPR dans un génome de la bactérie Escherichia coli.

Figure 2 Séquences répétées et séquences variables dans le génome de E. coli.

L

1

gènes Cas

2

3

4

5

6

Espaceurs

Figure 3 Régions variables sur des gènes (espaceurs, en couleurs) qui espacent des répétitions (en blanc, qui sont en réalité les CRISPR).

144

variables non identifiées à l’époque mais associés à des gènes, qu’on a appelés « gènes Cas » pour « CRISPR associated ». De nombreux acronymes ont eu cours jusqu’en 2002 (DVR, TREP, LTRR), jusqu’ à ce qu’on arrive à CRISPR, « Clustered

Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ». Ce nom est resté, et tout le monde l’utilise dans le domaine. Il a fallu attendre 2005 pour qu’on établisse les premières hypothèses correctes sur la fonction de ces locus CRISPR. En 2005, trois laboratoires ont

groupe académique mais d’une industrie, Danisco, qui produit des ferments lactiques pour la fabrication de fromages et yaour ts. C’est une industrie où sont développées des cultures de milliers de litres de lait, et lorsque ces cultures de bactéries sont contaminées par des bactériophages, qui peuvent tuer toutes les bactéries, la production peut être complètement ruinée. C’est donc une industrie où sont en permanence sélectionnés des variants 6 résistants aux bactériophages, selon le procédé du « challenge7 », pratiqué par exemple par l’équipe de Rodolphe Barrangou et Philippe Horvath (Figure 4).

L’histoire de cet ar ticle est d’ailleurs intéressante puisqu’il ne provient pas d’un

En réalisant des « challenges » avec des bactériophages, ces chercheurs se sont aperçus qu’ils pouv aient s élec tionner de s

4. Bactériophage : un bactériophage, ou phage, est un virus n’infectant que des bactéries. Ce sont des outils fondamentaux en biologie de synthèse. Les bactériophages servent entre autres de vecteurs de clonage et de transfert de gènes. 5. Plasmide : désigne une molécule d’ADN distincte de l’ADN chromosomique, capable de réplication autonome et non essentielle à la survie de la cellule.

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

indépendamment identifié que ces séquences espaceurs rappelaient des séquences d’ADN étrangers aux bactéries, et en particulier des séquences de bactériophages 4 ou des séquences de plasmides 5 . Trois publications ont émis l’hypothèse qu’il s’agirait d’un système de défense permettant aux bactéries de se défendre contre ces éléments étrangers. Il a fallu attendre encore deux ans, en 2007, et un manuscrit du journal Science (Figure 4), pour apporter la première preuve expérimentale que ces systèmes CRISPR sont bien un système immunitaire utilisé par les bactéries pour se défendre contre les bactériophages.

6. Variant : une mutation génétique ne s’exprimant que dans certaines conditions particulières. Cette mutation peut avoir un effet fonctionnel ou non en fonction du contexte. 7. Challenge : challenge-test est l’étude de l’évolution dans un aliment de populations de microorganismes inoculés de manière volontaire.

Figure 4 Capture de séquences d’ADN de bactériophages (Φ858 et Φ2972) dans les espaceurs de l’ADN de Streptococcus thermophilus (WT) par Rodolphe Barrangou et Philippe Horvath.

145

Chimie et biologie de synthèse

streptocoques (Streptococcus thermopilus) résistants et que lorsqu’ils devenaient résistants, un morceau d’ADN du bactériophage était capturé et intégré sous forme d’un nouvel espaceur au sein du locus CRISPR. 1.2. Comment fonctionnent les systèmes CRISPR dans la nature ? Pour résumer le fonctionnement du système, on peut distinguer deux phases : une phase d’immunisation et une phase d’immunité. Dans la phase d’immunisation, lorsque le bactériophage attaque la bactérie, il injecte son ADN dans le milieu cellulaire. Par l’intermédiaire de protéines Cas, le système

CRISPR capture un morceau de cet ADN du bactériophage et l’intègre sous forme d’un nouvel espaceur entre deux répétitions dans le locus CRISPR. Il construit ainsi une mémoire des infections passées auxquelles il a été soumis. Cette mémoire est utilisée lors d’une phase d’immunité pour combattre les bactériophages homologues à cette séquence ; le locus CRISPR est transcrit en petits ARNguides 8 pour guider un complexe de protéines Cas qui vont

8. ARN-guide : ARN qui s’associe à des enzymes protéiques et servent à en guider l’action sur des ARN ou des ADN de séquence complémentaire.

Figure 5 Immunisation

Immunisation par l’intégration de gènes de bactériophages et immunité par l’expression de ces gènes CRISPR en ARN-guides qui s’associent avec un complexe Cas pour détruire les séquences homologues de pathogènes.

Répétitions

L gènes Cas

1

2

3

4

5

Espaceurs

ARN-guide

complexe Cas

Proto-espaceur Immunité

146

6

Cette découverte est extraordinaire sous plusieurs aspects. Avant cette découverte on ne pensait pas que des êtres unicellulaires pouvaient avoir une immunité adaptative. Par ailleurs, on a réalisé que ces nucléases produits à partir des petits ARN-guides peuvent être à l’origine de nombreuses applications technologiques. Il existe une énorme diversité de systèmes CRISPR (Figure 6). L’essentiel des applications technologiques qui ont eu lieu jusqu’à présent ont été réalisées avec des systèmes Classe 2 type II, et plus particulièrement type II.A. La Figure 6 représente une classification des différents types de systèmes CRISPR qui travaillent de manière complétement différente, construisant des locus de répétitions et des espaceurs différents puis utilisant ces ARN-guides pour réaliser des choses différentes. 1.3. Le système II.A : applications technologiques Regardons plus particulièrement le système de type II.A., avec sa protéine Cas9 ; c’est celui qui est utilisé pour toutes les applications technologiques. On a quatre gènes de protéines Cas : Cas9, Cas1, Cas2 et CSN2. Le locus CRISPR synthétise un ARN précurseur 9 ainsi qu’un autre petit 9. ARN précurseur : ARN représentant le produit de transcription primaire d’un gène.

Classe 1

Classe 2 I-A I-B

II

II-C

I-C I

II-C

variant

I-U I-D I-E

V-A V

V-E

I-F

variant

V-U1

IV

V-U2 V-U5 V-U3 V-U4

IV

variant

III-A III

III-D III-C III-B III-B

V-B V-C V-D

I-F

IV

II-B II-A

VI-A VI

VI-C VI-B1 VI-B2

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

aller détruire les séquences homologues (Figure 5).

variant

Figure 6 Diversité des systèmes CRISPR.

ARN, qu’on appelle ARN Traceur (pour « TransActing CRISPR ARN »). Ce dernier est essentiel au fonctionnement de ce système ; il est homologue aux répétitions de l’ARN précurseur et va s’hybrider pour former l’« ARN duplex », qui sera reconnu d’une part par Cas9 et de l’autre par une ARNase10. Ce processus conduit à la synthèse des petits ARN-guides (Figure 7). On obtient, à la fin de ces réactions, un complexe nucléoprotéique comprenant à la fois Cas9 et ces deux ARN. Ce complexe effectue la surveillance dans la cellule ; il est en permanence en train de scanner l’ADN présent dans la bactérie. Lorsqu’il identifie une séquence homologue au guide, il peut détruire cette séquence. La description de la biochimie du système CRISPR-CAS9 a 10. ARNase : une nucléase qui catalyse la dégradation de l’ARN en éléments plus petits.

147

Chimie et biologie de synthèse

été réalisée essentiellement autour de 2012-2013, en particulier par Emmanuelle Char pentier et Jennifer Doudna (Figure 8 : en train de recevoir un prix en compagnie de Cameron Diaz et le CEO de Twitter). Très vite après, on en a eu les premières

tracr

cas9

cas1

ARN traceur Cas9

RNAseIII Cas9

NGG

ARN précurseur ARN précurseur ARN traceur

RuvC HNH

Figure 7 Expression de l’ARN précurseur et de l’ARN Traceur par les gènes CRISPR puis traitement de ces ARN par la protéine Cas et l’ARNase pour former les ARN-guides et le complexe nucléoprotéique de surveillance de la cellule.

Figure 8 148

2

Premières utilisations des CRISPR

2.1. Premier détournement de l’immunité adaptative par modification du génome de bactéries : screening et recodage

cas2 csn2

Cas9

applications technologiques. L a première application consistait à modifier les génomes.

Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, duo franco-américain de recherche sur les CRISPR.

Très rapidement après la description des systèmes CRISPR-Cas9 chez la bactérie Streptocoques pyogenes puis in vitro, ce système a été utilisé pour modifier les génomes de bactéries mais également de cellules humaines et de toute une panoplie d’organismes modèles (Figure 9). À titre d’exemple, la preuve de concept chez la bactérie E.coli a été réalisée ainsi : un plasmide qui exprime la protéine Cas9 a d’abord été introduit chez la bactérie, puis un autre plasmide portant un ARNguide ciblant une position à modifier a été introduit par électroporation11 en même temps qu’un petit morceau d’ADN pouvant s’introduire par recombinaison à l’endroit ciblé (Figure 10). Cette technique permet des modifications extrêmement précises sans laisser de cicatrices et sans marqueurs de sélection sur la cible. 11. Électroporation : technique microbiologique consistant à appliquer un champ électrique sur les membranes cellulaires qui sont ainsi déstabilisées, ce qui augmente la perméabilité membranaire.

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

Figure 9 Des modifications génétiques avec Cas9 ont été effectuées sur de nombreux animaux… dont l’humain.

Suite à ces travaux sur les bactéries (publiés en 2013), d’autres études ont porté sur ces technologies à un échelon supérieur chez la bactérie. L’outil CRISPR-Cas9 peut par exemple être utilisé pour introduire des milliers de mutations en parallèle. Cette technique est utile pour générer des variants et sélectionner des souches améliorées, notamment à des fins de bioproduction. Une autre étude a démontré la possibilité d’utiliser CRISPR-Cas9 pour faire des modifications extrêmement impor tantes. Les auteurs ont utilisé ces technologies CRISPR pour aller recoder le génome, c’est-à-dire changer l’utilisation des codons chez E. coli. Dans le code génétique qui spécifie les triplets correspondant aux acides aminés, il y a des redondances, des acides aminés qui vont être encodés par plusieurs triplets différents. Potentiellement on pourrait tenter de libérer certains de ces triplets pour en faire autre chose, notamment incorporer des acides aminés non naturels, ce qui

peut conduire à une multitude d’applications technologiques – d’où l’intérêt de changer l’usage des codons. Ce travail demande de modifier des milliers de positions sur d’énormes morceaux d’ADN. Cela est réalisable d’une part en re-synthétisant l’ADN (on va synthétiser des fragments du génome de E. coli en changeant l’usage de codons), et d’autre part en introduisant ces fragments synthétiques grâce à des outils CRISPR-Cas9 dans le chromosome de la bactérie. On le voit, toutes ces techniques, que ce soit chez la bactérie ou sur des cellules humaines ou autres, commencent toutes par reprogrammer la nucléase Cas912. On peut la regarder comme des ciseaux reprogr ammables avec un ARN-guide, qui va permettre d’introduire une cassure à un endroit précis. En fonction de ce qui se produit avec cette cassure, on peut ensuite réaliser différentes choses. 12. Nucléase Cas9 : enzyme spécialisée pour couper l’ADN avec deux zones de coupe actives, une pour chaque brin de la double hélice.

Figure 10 Insertion par électroporation du plasmide de Cas9 et de l’oligonucléotide pour modifier l’ADN d’E. coli de façon ciblée. rpsL est le gène ciblé dans cette expérience : il s’agit d’une proteine ribosomale qui, une fois mutée, donne une resistance à la Streptomycine. La séquence marquée rpsLmut contient la mutation introduite.

149

Chimie et biologie de synthèse

2.2. Développement d’antibiotiques intelligents Pour procéder à des modifications précises des génomes après cassure, une première technique consiste à fournir une molécule d’ADN qui servira à réparer la cassure de manière précise par recombinaison homologue13 . Mais une autre technique consiste simplement à réaliser cette cassure et compter sur les machineries naturelles de réparation des cellules. On peut utiliser cette dernière technique lorsqu’il existe un mécanisme de réparation – qu’on appelle « Non Homologos End Joining » (NHEJ) – capable de réparer ces cassures double brin, même si c’est au prix d’une certaine probabilité d’erreurs. Cette technique est très utilisée avec CRISPR puisqu’elle permet notamment d’introduire des insertions ou de petites délétions dans les gènes et de faire des « frame shifts » dans le gène permettant d’éteindre les gènes cibles. Ces deux voies de modification du génome par recombinaisons homologues et par NHEJ sont particulièrement efficaces chez les systèmes eucaryotes14. En revanche chez les bactéries, la conséquence principale d’une cassure Cas9

150

13. Recombinaison homologue : type de recombinaison génétique où les séquences de nucléotides sont échangées entre des molécules d’ADN homologues. 14. Eucaryote : dont les cellules possèdent un noyau structuré. Les eucaryotes rassemblent quatre grands règnes du monde du vivant : les animaux, les champignons, les plantes et les protistes.

est en fait de tuer les cellules, qu’on ait utilisé l’une ou l’autre de ces voies d’intervention (Figure 11). Il est nécessaire d’introduire des recombinases de phage pour utiliser la recombinaison homologue de manière efficace chez les bactéries. On s’est récemment posé la question de savoir si on pouvait tenter d’utiliser cette capacité de Cas9 à tuer les bactéries comme une stratégie antimicrobienne, une sorte d’antibiotique intelligent en reprogrammant Cas9 pour cibler spécifiquement des gènes de résistance aux antibiotiques ou des gènes de virulence, et éliminer uniquement les bactéries qui portent ces gènes sans toucher au reste du microbiome. La Figure 12 résume la preuve de concept. On injecte le système CRISPR-Cas9 en utilisant des bactériophages comme vecteurs15 , ce qui revient à retourner complétement le système naturel. Ce système CRISPR est ensuite guidé pour cibler par exemple un gène de résistance à un antibiotique dans le chromosome de la bactérie et tuer les bactéries qui portent ce gène. Sur la droite de la Figure 12, sont représentés des tapis cellulaires développés sur des boîtes de Petri de la bactérie Staphylococcus aureus16 15. Vecteur : un organisme qui ne provoque pas lui-même une maladie mais qui disperse l’infection en transportant les agents pathogènes d’un hôte à l’autre. 16. Staphylocoque aureus : le staphylocoque doré est responsable d’intoxications alimentaires et d’infections potentiellement mortelles.

Recombinaison homologue

Point de mutation Insertion de gène, etc.

RuvC

5′

3′

3′

5′

HNH 20nt

NHEJ Petits indels

Non réparation

Mort cellulaire

Figure 11 Trois effets possibles de l’action d’un système CRISPR-Cas9 : recombinaison homologue, NHEJ ou mort de la cellule.

RNΦ

Souche

cas9

autociblage

Mort cellulaire

Concentration de phagemid (TU/uI)

Espaceur CRISPR



Étudier et combattre les bactéries pathogènes

Cas9

RNKΦ aph



aph

4 · 105

4 · 104

4 · 103

Figure 12 Sur des bactéries incapables de se réparer, les ciseaux CRISPR-Cas9 ont pour effet de tuer les bactéries (taches sur la droite). RN : Staphylococcus aureus RN4220 ; RNK : variant de cette souche résistant à la kanamycine ; Aph : gène de resistance à la kanamycine (désigne dans ce cas le fait que l’espaceur CRISPR a été conçu pour cibler ce gène) ; TU : transducing units, nombre de particules de phage utilisé.

(staphylocoques dorés) et sur lesquels on a déposé une goutte de cette préparation de CRISPR vectorisée par des bactériophages. Ce qu’on observe, c’est que sur la droite il s’agit de tapis de staphylocoques qui portent un gène de résistance à la kanamycine17, et sur la toute droite c’est le système CRISPR programmé pour cibler ce gène de résistance à la kanamycine qui a été déposé. On observe qu’en 17. Kanamycine : antibiotique qui peut traiter une large variété d’infections.

déposant la goutte sur le tapis de bactérie, on tue de manière efficace les bactéries cibles (Figure 12). On a en fait réa-

lisé un antibiotique à précision ultime, puisqu’on est capable d’aller tuer les bactéries en fonction des gènes qu’elles portent. 2.3. Des antibiotiques à la précision ultime utilisant la compétition bactérienne naturelle

Un intérêt de réaliser des antibiotiques aussi spécifiques est

151

Chimie et biologie de synthèse

de profiter de la compétition entre les bactéries pour occuper une niche18.

U n e e x p é r i e n ce s im p l e illustre ce concept. On cultive une population de staphylocoques dorés, dont certains sont résistants et d’autres sensibles à la kanamycine, et on les met en compétition. Un marqueur de fluorescence GFP19 a été introduit dans les résistants pour suivre facilement les deux populations dans une co-culture. Le graphe de la Figure 13 montre l’évolution des populations. La ligne pleine mesure juste la densité optique de la coculture : elle donne la totalité des bactéries qui poussent dans le milieu. La ligne en 18. Niche : ici, niche cellulaire, microenvironnement cellulaire. 19. GFP : « Green Fluorescent Protein », protéine ayant la propriété d’émettre une fluorescence de couleur verte.

KanS

CRISPR::aph

Strep

CRISPR::∅

1,8

40 000

1,6

35 000

1,4

30 000

1,2

25 000

1

20 000

0,8

15 000

0,6 0,4

10 000

0,2

5 000

0

GFP

OD (600 nm)

KanR

Kan

0

200

400

600

800

1 000

0

Temps (min)

Figure 13

152

En bleu : expérience contrôle : co-culture de bactéries résistantes (ou pas) à la kanamycine (KanR ou KanS), au bout de 1 000 min, la population est à peu près équitablement répartie. En orange : ajout de kanamycine, toutes les bactéries KanS meurent, il ne reste plus que des KanR au bout de 1 000 min. En vert : expérience de contrôle : en présence de Streptomycine, les deux populations KanR et KanS meurent et se reconstituent, au bout de 1 000 min la population est à peu près équitablement répartie. En violet : action du système CRISPR-Cas9 sur le gène résistant des KanR ce qui éteint quasi totalement la population et peuplement de la niche par les KanS non affectées.

pointillés est le signal de fluorescence et indique donc la quantité des bactéries résistantes. L’expérience contrôle est figurée en bleu. Dans une autre expérience, on traite avec de la kana­ mycine et donc on tue tous les sensibles ; il ne reste que les résistants et le signal fluorescent est très élevé (en orange). Avec un antibiotique non sélectif, par exemple de la streptomycine 20 , on tue les deux populations de bactéries : les résistantes et les sensibles à la kanamycine. Cela se traduit par un délai dans la croissance, mais au bout d’un moment, cela repart car des résistantes vont apparaître dans les deux populations à une fréquence équivalente (en vert). In fine on se retrouve donc tout de même avec la moitié de la population qui est fluorescente correspondant aux bactéries résistantes à la kanamycine, et on n’a pas réussi à éliminer les bactéries résistantes. En revanche, si on traite avec un système CRISPR programmé spécifiquement pour cibler ce gène de résistance à la kanamycine, on observe les variations présentées par la courbe violette : à la fin de l’expérience, on n’a pas récupéré de signal de fluorescence et la ligne de pointillés est toujours autour de 0 (en violet). On a tué peut-être 99 % des bactéries résistantes pendant que les autres bactéries, les 20. Streptomycine : antibiotique à spectres larges pouvant réagir avec les bacilles gram négatifs, avec gram positifs ou avec certaines mycobactéries.

Traitement avec phagemide ciblant les bactéries résistantes

aph

RNKΦ CFU/Total CFU

50 %

Écouvillonnage et placage

Figure 14

Cible



p = 0,014

40 %

Expérience analogue mais sur de la peau de souris. On obtient de bons résultats avec diminution effective du nombre de bactéries résistantes (aph) par rapport à la situation normale (∅). CFU : Colony Forming Units, nombre de bactéries dans l’échantillon

30 %

20 %

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

Colonisation avec RN+RNK (1:1)

10 %

CmR

KanR

sensibles, continuent à pousser dans la culture (courbe violette pleine). On voit par cet exemple qu’on peut tirer profit de la compétition qui existe entre les souches bactériennes pour occuper une niche, on va pouvoir être plus efficace que n’importe quelle autre stratégie antibiotique pour éliminer spécifiquement une catégorie de bactérie. Au-delà du monde des cellules, on a pu réaliser des expériences animales avec CRISPR (Cas9). L’exemple présenté met en jeu des souris. On rase leur dos et on colonise les souris avec le mélange de staphylocoques résistants et non résistants à la kanamycine. On traite avec notre préparation de CRISPR vectorisée pour cibler le gène de résistance à la kanamycine, et on voit que dans ce modèle de colonisation de la peau également, on a été capable de diminuer spécifiquement la colonisation des bactéries résistantes (Figure 14).

0%

Cible :

aph



Ces travaux très prometteurs sont poursuivis maintenant par la start-up Eligo Bioscience, basée à l’hôpital Cochin. On continue ainsi d’avancer sur ces stratégies en vue de les amener idéalement jusqu’à des essais cliniques chez l’homme.

3

Les autres applications des CRISPR

3.1. Moduler l’expression des gènes pour comprendre les réseaux génétiques Dans une autre classe d’applications technologiques du système CRISPR chez les bactéries, on utilise un variant de la protéine Cas9 que l’on appelle catalytique nul, ou dCas9 : il n’est plus capable de couper l’ADN (Figure 15). Cependant, il peut, guidé par ses petits ARN, s’attacher sur une séquence cible de l’ADN sans le couper ; il reste attaché suffisamment fortement

Figure 15 Variant Cas9 appelé dead Cas9 (dCas9).

153

Chimie et biologie de synthèse

pour éteindre l’expression des gènes cibles. La Figure 16 résume les résultats d’expériences où l’on a ciblé un rapporteur21 de fluorescence GFP au moyen d’ARN-guides, qui vont cibler soit le brin codant ou le brin Template, soit par l’intérieur du gène rapporteur, soit par sa région promotrice ; on voit qu’on est capable, grâce à cet outil, d’éteindre de 100 à 1 000 fois l’expression du gène cible. Cet outil, extrêmement performant, permet de contrôler à façon les expressions des gènes chez la bactérie et maintenant aussi sur des cellules de souris, et même sur des cellules humaines.

21. Rapporteur : un gène rapporteur est un gène dont le produit (protéine) possède une caractéristique lui permettant d’être observé en laboratoire (fluorescence, activité enzymatique détectable…).

Un outil similaire permet d’activer l’expression de gènes : on utilise toujours la protéine Cas9, mais en y fusionnant un domaine capable de recruter une polymérase, promouvant ainsi l’expression des gènes ciblés. Nos travaux récents examinent s’il est possible non plus d’éteindre complétement l’expression d’un gène mais d’obtenir des niveaux inter médiair e s f inement régulés de leur expression. Pour ce faire, on a comparé deux approches : soit contrôler la concentration en protéine Cas9 dans la bactérie, soit introduire des mutations dans l’ARN-guide pour qu’il ne soit plus parfaitement homologue à la cible, et déstabiliser ainsi l’interaction entre Cas9 et l’ADN pour permettre un niveau intermédiaire d’expression. Les expériences montrent que les deux stratégies donnent des résultats mais à des

Espaceurs ciblant le brin Template Espaceurs ciblant le brin codant

Sonde amont (P511)

1

Fluorescence relative

T10

Bases



T5

T10

B10

Sonde aval (P510) ∅

T5

T10

B10

1 000

0,1

500 B10

0,01

300

T5 B1

0,001 –250

–100

–50

0 –35 –10 +1

50

250 350 450

150

5S rRNA

rbs Sonde amont

Sonde aval

Figure 16

154

Répression d’un gène rapporteur fluorescent (GFP) par des ARN-guides ciblant le gène ou son promoteur dans les deux orientations possibles. Un « Northern Blot » permet d’analyser l’ARN produit lors de cette expérience et en présence de différents ARN-guides (T5, T10 ou B10). Cette expérience révèle que dCas9 bloque la progression de l’ARN polymérase conduisant à la formation d’un ARN messager tronqué. En abscisses : la distance en paires de bases au promoteur du gène.

Ces techniques devraient se révéler extrêmement utiles pour comprendre le fonctionnement des cellules, les réseaux génétiques et leurs interactions. On peut y parvenir grâce à des rapporteurs qui expriment une protéine de fluorescence rouge sur un gène et une protéine de

fluorescence verte sur un autre ; ces deux gènes seront ensuite contrôlés de manière fine afin de pouvoir explorer tout le paysage stœchiométrique d’expression de ces différents gènes. 3.2. Bloquer l’expression de gènes et séquençage pour mieux comprendre les gènes Citons encore une application étonnante de ces outils CRISPR chez la bactérie. Il s’agit toujours d’utiliser Cas9 pour bloquer l’expression de gènes, mais on l’envisage avec des techniques à haut débit – ne pas bloquer un seul gène, mais simultanément une quantité importante de gènes. Plus précisément, il s’agit de synthétiser des morceaux d’ADN qui vont porter l’ARNguide, qu’on va être capable d’introduire dans les plasmides et dans les bactéries. On se retrouve ainsi avec des bibliothèques de 105, 106 ARNguides différents pour cibler

CACCACGAACAGAGAATTTG GTGGTGGAACAGAGAATTTG GTGGTGCTTCAGAGAATTTG GTGGTGGCTTGGAGAATTTG

100

ction

Ptet indu Concentration de GFP(%)

Concentration de GFP(%)

20 bp 14 bp 11 bp 10 bp

10

1 0

10

11

14

Figure 17

100

10

1

20

1

Complémentarité entre l’espaceur et l’ADN cible (bp)

100

3

Densité

Densité

10

Concentration d’aTc (ng/ML)

4 3 2 1 0

2 1 0

1

10

100

Concentration de GFP(%)

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

degrés différents (Figure 17) : lorsqu’on contrôle les niveaux intermédiaires d’expression en introduisant des modifications par mutations de l’ARN, on a des niveaux d’expression stables et très peu bruités (résultats correspondant à la partie gauche de la Figure 17). En bas de la figure sont schématisées les distributions d’expressions obtenues au sein d’une population de bactéries ; elles sont extrêmement fines sur la gauche mais très larges sur la droite. Cette approche est très puissante et peut être multiplexée : on peut cibler plusieurs gènes simultanément.

1

10

100

Concentration de GFP(%)

L’expression d’un gène rapporteur cible (GFP) peut être finement contrôlée soit en introduisant des bases non complémentaires entre l’ARN-guide et la cible (a), soit en diminuant la concentration de dCas9 dans la cellule par l’intermédiaire d’un promoteur inductible à l’anydrotetracycline (aTc) (b). Ces deux méthodes ont cependant des propriétés bien différentes à l’échelle de la population. On observe des populations avec une répression uniforme pour la première méthode (d), tandis que l’expression est très bruitée pour la deuxième méthode (c).

155

Chimie et biologie de synthèse

Figure 18

Synthèse d’oligo sur puce

clonage de ARN-guides

Principe du screening : synthèse d’oligonucléotides sur puces à ADN, clonage, transformation dCas9, culture, extraction et séquençage. aTc = inducteur de Cas9.

ptet dCas9

Croissance à 37 °C dans LB + aTc pour 21 générations

On séquence l a banque d’ARN-guide à la fois au début et à la fin de l’expérience et on regarde quels sont les ARNguides qui sont à la fois perdus lors de l’expérience et ceux qui sont enrichis pendant l’expérience. Pour ces derniers, le gène qu’ils ont éteint leur a donné un avantage alors que pour les gènes « déplétés », le gène que l’on a éteint a tué Figure 19

ou ralenti fortement la croissance de la bactérie. Sur les Figures 19 et 20, chaque point des graphes correspond à un ARN-guide différent. On a donc 105 guides qui vont cibler le génome d’E. coli, et on peut comparer l’abondance de chacun de ces guides dans la population en début d’expérience et en fin d’expérience. Sur la gauche de la figure, il s’agit d’un contrôle où l’on n’a pas exprimé dCas9 : tout reste sur la diagonale, ce qui veut dire que tout va bien (cela ne change pas entre le début et la fin de l’expérience). En revanche, lorsque l’on va

Pas d’induction

+ aTc 1 000

Après l’expérience

1 000

Après l’expérience

Expérience avant/après en présence d’aTc (inducteur de dCas9) ou pas (non induction), certains points s’écartent de la diagonale dans le cas de l’induction de dCas9, ce qui montre que les ARN-guides sont dans certains cas enrichis (montés) ou perdus (descendus). En abscisse : nombre de lectures de séquençage par la technologie Illumina. Ce nombre reflète l’abondance du guide dans la population.

séquençage d’ARN-guides & mesure du défaut de croissance

Extraction de plasmide

un grand nombre de positions dans le génome de la bactérie (Figure 18). On aura accès à des mesures de l’effet de chacun de ces ARN-guides dans la population en utilisant une technique de séquençage.

156

Transformation

10

10

Avant l’expérience

1 000

10

10

Avant l’expérience

1 000

MurA

1 000

Après l’expérience

Après l’expérience

1 000

+ aTc

10

10

Avant l’expérience

1 000

Cible sur le brin modèle

10

10

Avant l’expérience

1 000

Cible sur le brin de codage

Étudier et combattre les bactéries pathogènes

Pas d’induction

Figure 20 Même tracé pour le gène essentiel synthèse de paroi de cellule de E. Coli pour illustrer les ARN-guides qui bloquent l’expression de MurA (descendus).

induire l’expression de dCas9, on se retrouve avec beaucoup de points qui vont descendre ou qui vont monter (partie droite de la figure). Ceux qui descendent correspondent à des ARN-guides perdus au cours de l’expérience et ceux qui montent à des ARN-guides enrichis au cours de l’expérience (Figure 19). La Figure 20 montre le même diagramme, où l’on n’a gardé que les points correspondant à des ARN-guides qui ciblent un gène essentiel

pour E. Coli – en l’occurrence le gène MurA nécessaire à la synthèse de la paroi de la cellule. Les ARN, en rouge, qui bloquent l’expression de ce gène de manière efficace, descendent tous et sont donc tous perdus au cours de l’expérience. Ce type d’approche ouvre la promesse de redécouvrir tous les gènes essentiels de l’organisme ; en variant les conditions expérimentales, on peut répondre à toute une variété de questions (Figure 20).

Le début des infinies possibilités de Cas9 Nous avons successivement rappelé que cet outil Cas9, qui a fait son apparition récemment dans le monde scientifique, est extrêmement puissant, autant pour la modification des génomes chez les eucaryotes, notamment

157

Chimie et biologie de synthèse 158

les hommes, avec des exemples de thérapie génique, mais également chez la bactérie. On a montré que Cas9 peut être utilisé pour tuer les bactéries de manière très efficace. Cette propriété est potentiellement riche d’applications. Les laboratoires les étudient et développent peut-être jusqu’au stade clinique pour guérir efficacement certaines maladies infectieuses. Enfin, nous avons indiqué les propriétés de ce variant de Cas9, qu’on appelle dCas9, qui est capable de bloquer l’expression de gènes de manière très efficace. Cet outil va certainement permettre des progrès spectaculaires dans l’étude du fonctionnement des cellules, aussi bien des bactéries que des cellules humaines.

nouveaux

revêtements antimicrobiens dispositifs médicaux : des pour les

stratégies

contre

les maladies nosocomiales ?

Philippe Lavalle est directeur de recherche à l’INSERM, au sein de l’unité 1121 « Biomatériaux et Bioingénierie »/Université de Strasbourg, et enseigne à l’ECPM (École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg).

1

La problématique des infections nosocomiales

1.1. Définitions et chiffres clés Les infections nosocomiales1 sont des infections acquises en milieu hospitalier. Lors d’un séjour à l’hôpital, le patient risque d’acquérir une infection 1. Le terme nosocomial vient du grec nosos, « maladie », et de komein, « soigner », qui forment le mot nosokomeion, « hôpital ».

bactérienne. Cela frappe environ 5 % des patients hospitalisés et correspond à près de 4 millions de personnes par an en Europe, générant 37 000 décès, dont 4 000 en France. S’ajoute la question des coûts liés aux soins supplémentaires occasionnés. On arrive à 7 milliards d’euros en Europe de surcoût pour des problématiques pour lesquelles les patients n’étaient pas concernés initialement.

Philippe Lavalle

Les

Chimie et biologie de synthèse

A

B

C

D

l’implant, elle peut être liée à une infection contractée lors de l’hospitalisation : elle a pu être contractée au moment de l’implantation mais s’est déclenchée un an après. Dans l’ensemble, on peut affirmer que 50 % des infections nosocomiales sont liées aux dispositifs médicaux : il peut s’agir d’implants dentaires, de cathéters, de valves cardiaques, etc. (Figure 1). 1.2. Origines des infections nosocomiales

Figure 1 Les implants dentaires (A), les cathéters (B), les valves cardiaques (C) et les pacemakers (D) sont des exemples de dispositifs médicaux, dont l’implantation peut engendrer des infections nosocomiales.

Par convention, une infection est qualifiée de nosocomiale si elle a été contractée deux jours après l’hospitalisation du patient ou trente jours après un acte chirurgical, qui intrinsèquement présente plus de risques infectieux. Dans le cas d’une implantation, on considère que si une infection intervient un an après la pose de Bouche (56)

Il est difficile d’avoir des informations précises sur les origines des infections nosocomiales, mais il y a un consensus pour dire que les germes sont généralement issus du patient lui-même. Rappelons qu’une personne a dix fois plus de bactéries que de cellules eucaryotes, ce qui correspond à environ 500 bactéries différentes, ce qui est considérable (Figure 2). Firmicutes Bacteroidetes Actinobacteria Proteobacteria Other phyla

Peau (48)

Côlon (195)

Figure 2

160

Répartition des classes de bactéries majoritaires dans le corps humain.

Œsophage (43)

Estomac (25)

Vagin (5)

Par ailleurs, les personnels soignants et ceux de l’environnement hospitalier sont des vecteurs pour transporter les germes d’un patient à l’autre. 1.3. L’augmentation des infections nosocomiales Ce sujet ancien est à nouveau d’actualité depuis quelques années à la suite de sollicitations d’industriels alertés par la forte augmentation des risques infectieux observés, notamment au niveau de l’hôpital. Cette augmentation peut s’expliquer par l’augmentation des bactéries résistantes vis-à-vis des antibiotiques (Figure 3). Un deuxième facteur est l’augmentation des porteurs de dispositifs médicaux, essentiellement en raison du vieillissement de la population. Il y a en outre de plus en plus de patients implantés qui sont « à risques », notamment des patients diabétiques

ou en rémission de cancers, pour qui le risque infectieux est plus impor tant. Une autre raison vient du très faible nombre de nouvelles molécules antibiotiques ou d’autres systèmes mis sur le marché ces dernières années pour lutter contre les infections. Les prévisions que l’on peut établir sur l’augmentation du nombre des infections sont alarmistes. Cela pourrait devenir la première cause de décès dans le monde : la résistance microbienne pourrait être responsable du décès de dix millions de personnes par an en 2050. Cette situation s’est d’ailleurs présentée à l’opinion : des articles parlent de « tsunami lié aux péri-implantites » (infections liées aux implants dentaires) (Figure 4) ; un grand plan avait été lancé en 2015 par le président américain Obama : 1,2 milliards de dollars ont été débloqués pour lutter contre les infections causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques. Fin 2017, l’OMS a publié un rapport alarmant

Figure 3 L’augmentation des bactéries résistantes pourrait favoriser les maladies nosocomiales.

Figure 4 Les infections liées aux implants alarment la communauté scientifique ainsi que l’OMS.

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

Certaines d’entre elles sont des pathogènes potentiels, notamment au niveau du site d’implantation.

161

Chimie et biologie de synthèse

sur ces phénomènes : il s’agit bien d’un problème majeur de santé publique accompagné, bien sûr, d’un problème économique.

2

Infection et implants : l’exemple du pacemaker

Figure 5 Les pacemakers sont implantés pour réguler les battements cardiaques.

Figure 6

162

Évolution pendant deux ans de l’infection causée par l’implantation d’un pacemaker : bourgeonnement, infection puis rejet de l’implant. Source : Expert Rev. Cardiovasc. Ther. 2013, 11 : 607.

2.1. Implantation puis rejet d’un pacemaker Pour illustrer les maladies nosocomiales, considérons l’exemple des pacemakers et défibrillateurs (Figure 5), qui sont des boitiers implantés pour réguler les battements cardiaques. La Figure 6 donne l’exemple d’une implantation qui s’est suivie de complications puisqu’il y a eu un bourgeonnement, une infection, puis un rejet. L’implant est rejeté par l’organisme suite à l’infection avec formation d’une coque fibreuse. Ces cas-là sont très graves, puisque généralement une explantation, suivie d’un nettoyage et d’une nouvelle implantation, ne permettent pas de prévenir une récidive et l’issue risque d’être dramatique.

2.2. Hausses des implantations et des infections On dispose de données fournies par la société Medtronic, un des leaders mondiaux des dispositifs médicaux. En quinze ans, le nombre de patients implantés avec ces défibrillateurs a doublé (+ 96 %). (Figure 7). En parallèle, les infections ont été mesurées : elles ont été multipliées par quatre (+ 210 %). 2.3. Des solutions d’implants Les solutions adoptées à l’heure actuelle consistent à utiliser des boitiers de pacemakers et défibrillateurs en titane, qui sont assez bien acceptés par les tissus, auxquels est rajouté un film fin d’argent (Figure 8). L’argent s’oxyde et libère des ions argent, qui peuvent avoir une action forte sur les bactéries. Ces systèmes posent cependant des questions parce que l’on ne connait pas le devenir de l’argent libéré ni donc la toxicité potentielle que cela pourra engendrer : des études récentes en débat semblent montrer que les ions argent

Infections au CIED

Pourcentage d’augmentation

Pourcentage d’augmentation 10 000

96 %

210 % Total des infections

Volume total de l’implant

400 000

300 000

200 000

100 000

8 000

6 000

4 000

2 000

0

0

1993

2008

1993

2008

Figure 8 Pacemaker en titane recouvert d’une couche d’argent.

pourraient avoir une forte toxicité. Au niveau réglementaire, ces systèmes sont de plus en plus contre-indiqués.

un polymère biorésorbable 3 contenant deux antibiotiques afin d’éviter les infections liées à l’implantation.

Une solution différente pour le conditionnement de l’implant a été présentée par Medtronic, il y a deux ans. Elle fait intervenir l’utilisation d’une enveloppe en polymère (Figure 9), dénommée TyrX, et constituée d’un filet en polypropylène, donc non dégradable, sur lequel a été ajoutée une couche de polyarylate 2,

Cette solution est maintenant disponible sur le marché. Elle ne préviendra pas cependant les bactéries résistantes aux antibiotiques utilisés. Par ailleurs, il est clair que le système est complexe, avec deux polymères et deux antibiotiques. Enfin, les produits libérés ne sont pas naturels, notamment les polymères ;

2. Polyarylate : polymère comportant un enchaînement de cycles aromatiques liés par des liaisons ester.

3. Biorésorbable : que l’organisme peut résorber naturellement. Un implant biorésorbable disparait donc progressivement sans avoir besoin de l’extraire manuellement.

Figure 7 Comparaison du nombre de pacemakers implantés aux ÉtatsUnis en 1993 et en 2008 (hausse de 96 %), et du nombre d’infections (hausse de 210 %). Source : Medtronic.

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

Implants CIED

163

Chimie et biologie de synthèse

Figure 9 A) Enveloppe TyrX : un filet en polypropylène servant à envelopper un pacemaker ; B) zoom sur le filet en polypropylène recouvert de polyarylate et d’antibiotiques ; C) pacemaker dans son enveloppe TyrX constituée de quatre composants : deux polymères et deux antibiotiques pour contrôler les infections. Source : Medtronic.

A

B

cela peut constituer un risque d’inflammation du site d’implantation et mettre en jeu les réponses immunitaires.

3

Implants et inflammation chronique

3.1. Inflammations chroniques À côté des problèmes infectieux, les implants peuvent aussi être à l’origine de situations d’inflammation, et notamment d’inflammation chronique 4 . Quand on implante un biomatériau dans 4. Inflammation chronique : l’inflammation est la réaction de défense du système immunitaire déclenchée lorsqu’un élément étranger pénètre dans nos tissus (bactérie, virus, implant…). L’inflammation est dite chronique quand elle persiste dans le temps.

Figure 10

164

Chronologie des évènements qui suivent l’implantation d’un corps étranger : adsorption de protéines à la surface de l’implant, recrutement de monocytes et différentiation en macrophages, fusion des macrophages en cellules géantes dans le but de phagocyter l’implant, et finalement formation d’une coque fibreuse autour de l’implant pour isoler le matériau considéré comme étranger à l’organisme. Source : d’après Nat. Biotechnol. (2013).31(6) : 507-9.

Implantation

Adsorption de protéines

C

l’organisme, il se déroule tout d’abord un dépôt de protéines suivi de la mise en œuvre du système immunitaire qui va venir « sonder » le matériau et probablement le reconnaitre comme un corps étranger (Figure 10). Le risque est que ce système immunitaire mette en place une réponse d’inflammation chronique et la formations d’une coque fibreuse autour du biomatériau pour l’isoler des autres tissus. Ce biomatériau risque alors d’être rejeté ou de devenir inutilisable. Dans le cas des implants orthopédiques, on pourra par exemple assister à un descellement de la prothèse. 3.2. Rôle des monocytes dans le rejet des implants Parmi les premières cellules arrivant sur le site infectieux, Formation de matrice

Encapsulation fibreuse Fibroblastes

Monocytes Neutrophiles Surface de matériau nue Macrophages

Temps

FBGCs

5. Monocytes : cellules appartenant à la famille des globules blancs. Leur rôle est principalement immunitaire.

4

Les revêtements d’implants

4.1. Propriétés des revêtements d’implants Nos travaux au laboratoire se sont focalisés à réaliser, avec un seul système, un revêtement de surface combinant les deux propriétés, antiinfectieuses et anti-inflammatoires. En d’autres termes, il s’agit d’avoir en surface un agent antimicrobien pour empêcher les bactéries de proliférer, et un agent antiinflammatoire pour limiter la différenciation en macrophages M1. Par ailleurs, il faut toujours garder la notion de biocompatibilité, éviter les systèmes toxiques, et, si possible, avoir des systèmes biodégradables. 4.2. Dépôt couche par couche de polymères chargés On a utilisé une technique dénommée « dépôt couche par couche » de polyélectrolytes ou polymères chargés qui existait depuis quelques années mais que nous avons développée au laboratoire pour le domaine biomédical. Ces polymères sont appelés

Figure 11

Signal de corps étranger/ Inflammation implantation Inflammation chronique/ Macrophage péri-implantite M1

Homéostasie

Guérison réussie Encapsulation/fibrose Macrophage M2 Réparation et guérison

Processus de différenciation des monocytes en macrophages M1 et M2 à la suite d’une implantation. La différenciation en macrophage M1 peut mener à une inflammation chronique alors que la différenciation en macrophage M2 contribue à la régénération tissulaire et notamment à la cicatrisation. La combinaison des deux modes engendre un retour à la normale.

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

se trouvent les monocytes 5 qui ont la particularité, au cours de leur interaction avec le matériau, de se différencier. Deux principales voies de différenciation sont décrites : ils pourront devenir des macrophages soit de type M1, soit de type M2 (Figure 11). On considère que les macrophages de t ype M1 ont plutôt pour rôle de créer une légère inflammation durant les premières phases suivant l’implantation, mais sur des temps plus longs, cette inflammation peut devenir chronique : on va donc rechercher à éviter d’avoir ce type de différentiation en phénotype de macrophage M1 sur un temps très long. En revanche les phénotypes de macrophage M2 à plus long terme sont favorables pour générer la réparation tissulaire autour du site d’implantation (cicatrisation). Tout défi consiste donc à guider ces monocytes pour qu’ils aillent vers la voie de différentiation M2 et éviter la voie M1.

165

Chimie et biologie de synthèse

Figure 12 Dépôt par spray couche par couche de polycations (rouges) et de polyanions (bleus), alternés par des rinçages, pour les revêtements d’implants.

Polycations + Polyanions –

1

2

3

4

Quelques dizaines de nm à quelques micromètres

polycations lorsqu’ils comportent des charges positives et polyanions lorsqu’ils comportent des charges négatives. La plupart d’entre eux ont l’avantage de pouvoir être solubilisés dans des solutions aqueuses.

Figure 13

166

Schéma d’un matériau revêtu d’une couche de polyanions (bleus) et d’une couche de polycations (rouges) où sont insérées des molécules (vertes) telles que des médicaments.

On va pouvoir, par exemple avec des systèmes de sprays, déposer une première couche de polycations sur nos biomatériaux. Des interactions électrostatiques entre le biomatériau, généralement chargé négativement, et la première couche de polycations interviennent et permettent la cohésion de la couche de polymère sur la surface. Sur la Figure 12 est présenté un exemple de biomatériau chargé négativement sur lequel se « colle » une couche de polymères positifs. Après rinçage de l’excès de polymères, on peut continuer avec une deuxième couche de polyanions cette fois, qui vont, par leurs charges négatives, venir adhérer sur la première couche positive (Figure 12). On peut, de cette manière, « empiler » des couches sur

les surfaces des biomatériaux, autant de fois que l’on veut pour réaliser des systèmes d’épaisseur contrôlée. En choisissant le nombre de cycles, nous allons choisir l’épaisseur finale. Ces processus sont très simples, facilement industrialisables, et ne sont pas utilisés à l’heure actuelle dans le domaine biomédical. Les av antages de cet te méthode, au-delà de la simplicité de mise en œuvre, se situent dans les types d’interactions qui reposent sur les charges entre les espèces permettant une « réticulation »6, qui agit sans mettre en jeu de modification chimique. Cela va permettre de couvrir tout type de matériau, quelle que soit la composition chimique, la forme, la porosité. On va pouvoir insérer dans le polymère d’autres molécules (Figure 13), comme cela a été démontré ces dernières années. Il est possible 6. Réticulation : branchement de chaînes de polymères entre elles par des ponts ou liaisons chimiques, afin de constituer un réseau.

L’arginine est un acide aminé qui peut s’assembler en polyarginine sous forme d’un polymère branché cationique ayant des molécules d’arginine aux extrémités des branches.

d’y mettre des médicaments, que ce soit des facteurs de croissance7, des agents antitumoraux, etc. Cela ser t finalement de système pour charger fortement la surface, de façon simple, en principes actifs.

ailleurs déjà décrite comme ayant naturellement des propriétés anti-inflammatoires. L’utilisation de ce polymère d’arginine était donc lié à l’objectif premier qui consistait finalement à un effet antiinflammatoire.

La nouveauté de nos études est venue du choix du polycation. On a choisi la polyarginine initialement parce qu’il s’agissait d’un polymère d’arginine, un acide aminé, et donc relativement proche d’un produit naturel. De plus, ce polymère possède des charges positives dans des conditions physiologiques (Figure 14). L’arginine est par

Le deuxième choix a été l’acide hyaluronique (Figure 15 ), très utilisé dans le domaine médical et cosmétologique ; il est actuellement utilisé sous forme de gel injectable pour limiter la détérioration du cartilage articulaire. C’est un polysaccharide naturel, chargé négativement, et donc qui peut s’associer avec ses charges à la polyarginine positive. Il est aussi décrit comme anti-inflammatoire.

7. Facteurs de croissance : molécules qui régulent le nombre de nos cellules, en augmentant ou en diminuant leur multiplication en fonction des besoins. De nombreux facteurs de croissance sont des cytokines.

Nos expériences ont donc combiné ces deux produits, la polyarginine et l’acide hyaluronique, le tout sur les surfaces d’implants (Figure 16).

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

Figure 14

Figure 15 L’acide hyaluronique est un polymère naturel chargé négativement.

167

Chimie et biologie de synthèse

Figure 16 Schéma d’un matériau revêtu d’une couche d’acide hyaluronique (bleue), de polyarginine (rouge) puis à nouveau d’acide hyaluronique.

Polyarginine PAR Acide hyaluronique AH

Par les techniques de microbalance à cristal de quartz, on peut suivre le dépôt de chaque couche (Figure 17) : une couche de polyarginine, une couche d’acide hyaluronique, etc. On suit la variation de fréquence du cristal qui est proportionnelle à la masse qui se dépose sur les biomatériaux permettant de vérifier la construction couche par couche du revêtement. La microscopie à force atomique a ensuite permis de vérifier que l’on avait bien formé un film sur la surface, comme le montre la Figure 18A. Des épaisseurs d’environ 500 nm après le dépôt de 24 bicouches de polyarginine et d’acide hyaluronique (noté (PAR/HA)24) ont ainsi été déterminées. Cela a également été vérifié cela par microscopie confocale8. Pour Figure 17

168

Le dépôt des couches de polyarginine et d’acide hyaluronique est suivi grâce à la technique de microbalance à cristal de quartz. L’augmentation de la variation de fréquence du cristal est proportionnelle à la masse déposée sur le matériau lors de la construction couche par couche d’un revêtement.

8. Microscopie confocale : technique de microscopie de fluorescence permettant d’observer des échantillons marqués avec des fluorochromes. Un laser balaie l’échantillon et excite les fluorochromes qui vont ensuite émettre de la fluorescence. L’émission des fluorochromes dans le plan focal est captée par un photomultiplicateur et l’image est reconstituée point par point.

cela, on utilise des chaînes de polyarginine qui ont été couplées à une sonde fluorescente pour visualiser une image reconstruite d’une section du film sur le matériau. Un film homogène est déposé sur la surface (Figure 18B). 4.3. Ajout de peptides pour conférer des propriétés antimicrobiennes aux surfaces Le film devrait à priori posséder des propriétés antiinflammatoires dues à la présence de polyarginine ; il faut cependant lui conférer une activité antimicrobienne. Pour cela, on a utilisé les « peptides antimicrobiens », des peptides que l’on trouve chez les insectes ou chez les batraciens (Figure 19). Ces sont de petits fragments de protéines qui ont des activités antimicrobiennes très fortes. La catestatine (CAT), un peptide antimicrobien humain, a été déposée dans les films de polyarginine et d’acide hyaluronique. Pour suivre son insertion, la catestatine a été associée à un marqueur fluorescent rouge. On

B

Figure 18 A) Visualisation de la topographie d’un film d’environ 500 nm d’épaisseur par microscopie à force atomique ; B) visualisation par microscopie confocale de la poly(arginine) fluorescente au sein d’un revêtement déposé couche par couche.

Figure 19 L’idée est d’insérer des peptides (issus de l’homme, des insectes ou des batraciens) au sein des revêtements de polymères chargés.

observe sur la Figure 20 que la catestatine rentre très fortement dans les films et s’y concentre. Toujours par des méthodes très simples, il est ainsi possible de construire des surfaces fonctionnalisées avec un peptide antimicrobien inséré à l’intérieur de façon très simple.

4.4. Efficacité du revêtement polyarginine, acide hyaluronique et catestatine Pour tester la fonction antiinflammatoire sur le film, des monocytes issus de quatre donneurs différents ont été prélevés et leur comportement au contact des surfaces a été étudié. Le test consiste

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

A

Figure 20 Visualisation par fluorescence de la présence de catestatine dans la couche de polyarginine.

169

une surface « nue », c’est-àdire sans revêtement, il y a une production importante de TNFα après 1, 3, 5 ou 6 jours. Par contre, lorsque le revêtement est composé de polyarginine/acide hyaluronique, on ne voit plus du tout au bout dès le premier jour de production de TNFα, et donc il n’y a probablement pas de différentiation en monocytes M1. De même, à trois jours, cinq jours ou six jours, on a complètement inhibé la réponse M1. Cela caractérise, à priori, un système anti-inflammatoire qui fonctionne bien. L’ajout du peptide catestatine (CAT) ne change pratiquement pas cet effet anti-inflammatoire. Au niveau antimicrobien, le même film a été étudié en présence de bactéries, des souches de staphylocoques dorés. Des marquages fluorescents permettent d’observer les bactéries vivantes en vert et les bactéries mortes en rouge. Sans revêtement, une forte concentration de bactéries à la surface est observée au bout d’un jour avec le début de formation d’un biofilm10

La Figure 21 décrit la réponse des monocytes et la production de TNFα pour différents temps de contact avec le film : plus la valeur est haute et plus les macrophages se différencient en monocytes M1 et produisent du TNFα. Sur

170

10. Biofilm : amas structuré de bactéries enrobé d’une matrice polymère et attachés à une surface.

800 700 600 500 400

Jour 1

Jour 3

Jour 5

Jour 6

PAR/HA + CAT

PAR/HA

Contrôle

PAR/HA

Contrôle

PAR/HA

Donneur 4 PAR/HA + CAT

Donneur 3

0

Contrôle

Donneur 2

100

PAR/HA + CAT

Donneur 1

200

PAR/HA

300

Contrôle

Production de TNFα (marqueur de l’inflammation chronique) lorsque des macrophages de quatre donneurs sont mis en contact avec des surfaces contrôles, des surfaces traitées par la polyarginine et l’acide hyaluronique, et des surfaces traitées par la polyarginine, l’acide hyaluronique et le peptide antimicrobien. Il n’y a pas de réponse pro-inflammatoire lorsque les macrophages sont au contact des surfaces traitées par la polyarginine et l’acide hyaluronique.

TNFa pg/ml

Figure 21

9. Cytokines : hormones du système immunitaire. Ces molécules polypeptidiques sont produites en réponse à différents stimuli. Elles sont impliquées notamment dans la régulation des fonctions immunitaires.

PAR/HA + CAT

Chimie et biologie de synthèse

à regarder comment les macrophages se différencient en monocytes sur les surfaces : si ils tendent à se différencier en monocytes dits de type « M1 », on parle d’un phénotype « pro-inflammatoire » et cela se traduit par une production d’un marqueur de l’inflammation chronique spécifique, les cytokines9 proinflammatoires telles que le TNFα (« Tumor Necrosis Factor alpha »). Les mesures sont réalisées sur nos surfaces contrôles sans revêtement, ou sur nos surfaces traitées par la polyarginine et l’acide hyaluronique, ou encore sur nos surfaces traitées avec la polyarginine, l’acide hyaluronique, ainsi que le peptide antimicrobien.

A

A) Début de formation d’un biofilm constitué de bactéries vivantes (vertes) à la surface d’un matériau sans revêtement ; B) biofilm déstructuré et constitué majoritairement de bactéries mortes (rouges) à la surface d’un matériau revêtu d’acide hyaluronique, polyarginine et catestatine.

B

(Figure 22A). Le processus de prolifération est très rapide. En revanche, l’utilisation du revêtement PAR/HA-CAT permet de complètement déstructurer ce film bactérien (Figure 22B), et on observe pratiquement uniquement des bactéries rouges sur la surface – des bactéries mortes. Cette expérience souligne bien l’activité antimicrobienne du système. Des mesures ont également été réalisées dans la solution, au-dessus du revêtement, pour étudier le comportement des bactéries éloignées de la surface. Une solution bactérienne est déposée, et l’on étudie au bout d’un jour ce qui se passe (Figure 23).

La bonne surprise est que le système fonctionne bien sûr sur la surface, mais également dans la solution surnageante. Les bactéries, à tour de rôle, viennent au contact de la surface et sont finalement tuées dès qu’elles entrent en contact avec le film. On arrive ainsi à éliminer une quantité très importante de bactéries issues de la solution. On démontre que la catestatine permet probablement ainsi de diminuer la croissance bactérienne. Un résultat très surprenant est venu d’une expérience contrôle, utilisant le revêtement sans catestatine. Nous avons observé que le revêtement fonctionnait également,

Croissance bactérienne (%)

120 100 80

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

Figure 22

Figure 23

60 40 20 0 sans revêtement

avec PAR/HA + Catestatine

avec PAR/HA

Croissance bactérienne dans la solution au-dessus de la surface avec ou sans revêtement après un jour. Les bactéries sont tuées par le revêtement. À droite : les bactéries sont tuées par le revêtement ne contenant pas de catestatine.

171

Chimie et biologie de synthèse

Figure 24 Observations microscopiques de Staphylocoques dorés sur la surface avec ou sans revêtement après un jour. Très peu de bactéries sont visibles sur la surface couverte d’acide hyaluronique et de polyarginine, même en l’absence de catestatine.

et il présente une activité antimicrobienne bien que le peptide antimicrobien catestatine ne soit pas présent. L’activité antimicrobienne est donc liée au revêtement polyarginine/ acide hyaluronique uniquement, et n’a pas besoin de la catestatine. Le peptide antimicrobien a donc été inséré dans le revêtement alors que l’on n’en avait finalement pas besoin ! Ces observations ont été confirmées par des observations au microscope (Figure 24). Dès que l’on utilise le revêtement, on se retrouve avec très peu de bactéries : ces systèmes sont donc très efficaces. Le méc anisme re spons able de cette activité antimicrobienne a donc fait l’objet d’une recherche approfondie décrite par la suite.

4.5. Optimisation de la composition du revêtement et mécanisme impliqué La polyarginine utilisée dans les premiers travaux était est un mélange de polymères de tailles différentes (Figure 25). Afin d’optimiser les performances, plusieurs essais ont été réalisés sur des lots mieux définis : des chaînes courtes (la polyarginine 10, contenant 10 résidus du peptide arginine), des chaînes un peu plus longues (polyarginine 30), et encore un peu plus longues (polyarginine 100 et 200). 10, 30, 100 et 200 sont donc les nombres de résidus d’arginine qui composent la chaîne de polymère de chaque échantillon. Le résultat de l’étude a été surprenant : seule la polyarginine

Polyarginine

Figure 25

172

La polyarginine utilisée au laboratoire est composée de tailles de chaînes différentes : 10, 30, 100 ou 200 résidus d’arginine les composent.

PAR10

PAR30

PAR100

PAR200

Pourcentage de croissance bactérienne sur une surface sans revêtement (100 %) ou en présence de revêtements contenant de la polyarginine avec 10, 30, 100 ou 200 résidus. Seule la polyarginine 30 a un effet antimicrobien, avec une croissance proche de 0 %.

avec 30 résidus confère à la surface une activité antimicrobienne ; les autres polyarginines, qu’elles soient plus cour tes ou plus longues, ne permettent pas au film de démontrer des propr iétés antimicrobiennes (Figure 26). Ce sont les propriétés physico-chimiques spécifiques du film qui font que seules les poly ar ginines de 30 résidus fonctionnent.

A

C

Le mécanisme qui explique cette propriété est le suivant : les chaînes de polyarginine du revêtement diffusent et vont se coller sur la membrane bac térienne (Figure 27B) par le jeu des interactions électrostatiques entre les polyarginines chargées positivement et la membrane bactérienne chargée négativement (Figure 27C). Ces p oly ar ginie s pr o v o quent un dommage physique de

B

D

Figure 27 A) Bactéries à la surface du matériau couvert d’acide hyaluronique et polyarginine ; B) la polyarginine diffuse dans le revêtement et se colle aux bactéries présentes à la surface ; C) les interactions électrostatiques entre les polyarginines et les membranes des bactéries permettent ces interactions ; D) les membranes bactériennes sont endommagées par les interactions avec les polyarginines.

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

Figure 26

173

Croissance bactérienne (%)

Chimie et biologie de synthèse

120 100 80

+ PAR/HA

60 40 20 0

s s a li s nt an reu t a teu E. co inos e s nt S. au esis . Lu ug r M R fr ac eme – ae Su vêt P. lin re ici eth M s reu au S.

Figure 28 Pourcentage de croissance bactérienne sur une surface sans revêtement (100 %) ou en présence du revêtement pour plusieurs souches de bactéries. Le revêtement a une activité antimicrobienne pour chacune d’entre elles.

la membrane bactérienne, p r o b a b l e m e nt u n e ly s e (décomposition) de la bactérie s’ensuit (Figure 27D). Ce mécanisme repose donc sur la mobilité des chaînes de polyarginine dans le revêtement. Seules les chaînes 30 sont assez longues pour interagir efficacement avec les membranes et assez courtes pour assurer la mobilité. Le mécanisme impliqué ne dépend pas du type de bactérie testée : des bactéries à Gram positif ou à Gram négatif sont impactées par le revêtement, ainsi que les bactéries résistantes aux antibiotiques. L’efficacité est donc totale quel que soit le type de bactérie (Figure 28). La toxicité de la polyarginine a été testée, une étape nécessaire avant sa future utilisation. La Figure 29 représente un exemple de cellules endothéliales11 imagées après prolifération sur des surfaces avec ou sans revêtement. Le développement cellulaire n’est pas affecté par le revêtement. Ce sont donc uniquement les bactéries qui sont 11. Cellules endothéliales : cellules qui tapissent la face interne des vaisseaux et importantes dans les processus de vascularisation et de régénération tissulaire.

Figure 29

174

Cellules endothéliales proliférant sur une surface avec ou sans revêtement. Le revêtement ne semble pas présenter de toxicité apparente.

détruites sur la surface, la toxicité cellulaire semble donc absente. Ces résultats ont été suivis d’études plus poussées comme décrit ultérieurement.

5

Revêtement d’implants à base de polyarginine et d’acide hyaluronique : vers un produit commercialisable ?

5.1. Stérilisation du revêtement Pour être utilisé, c’est-à-dire placé sur des surfaces d’implants, le revêtement devra auparavant subir une étape de stérilisation. Les méthodes normées pour les dispositifs médicaux, l’autoclavage ou l’irradiation par rayonnement gamma, ont donc été testées avec nos revêtements. Dans les deux cas, lorsque le revêtement a suivi ces stérilisations puis mis au contact de bactéries, la croissance bactérienne reste inhibée, l’activité antimicrobienne est donc maintenue (Figure 30). 5.2. Packaging et durée de vie Afin de garantir la commercialisation des produits revêtus, il faut aussi garantir la

80 60 40 20 0

e lav

UV

Aa

/H

R PA

ès pr

è pr

Aa

H R/

sA

oc ut

s an e s ent fac tem r Su evê r

PA

durée pendant laquelle ils peuvent être conservés sans perdre leur activité. Le revêtement, fabriqué dans des phases aqueuses, est séché puis stocké pendant des mois, voire des années. La Figure 31 montre qu’après trois mois de stockage, les performances antimicrobiennes du revêtement n’ont pas changé. Ces expériences réalisées sur un an de stockage donnent le même résultat : le produit packagé peut être stocké sur une étagère et remis au contact de bactéries, on retrouve une activité antimicrobienne totale. 5.3. Autres validations D’autres points ont fait l’objet de validations. On a poussé le nombre d’infections jusqu’à trois successives (une toutes les 24h) pour s’assurer de l’efficacité du revêtement. Les études animales au niveau antimicrobien sont en cours. On a également varié les types de support sur lesquels sont testés les revêtements, en expérimentant sur du titane, du polyuréthane, du silicone : le revêtement conserve une efficacité antimicrobienne totale. On s’est intéressé également

Pourcentage de croissance bactérienne après stérilisation de la surface par autoclave (gauche) ou rayonnement gamma (droite). Le revêtement conserve ses propriétés antimicrobiennes.

120 100 80 60 40 20 0

s rè

p Aa

/H

R PA

a mm

Gy

25

Ga

s rè

p Aa

Ga

a mm

45

Gy

s an e s ent fac tem r Su evê r

/H

R PA

aux mécanismes de résistance, pour voir si les bactéries étaient capables d’acquérir une résistance vis-à-vis de la polyarginine : on ne voit apparaître aucune résistance alors que cela est le cas pour des antibiotiques conventionnels. Des études de biocompatibilité ont été menées, suivant des tests normés ISO, et aucune toxicité n’a été décelée. Des aspects réglementaires se posent également. Nous sommes sur un dispositif médical, qui est un implant, et sur lequel vont être placés des biopolymères : cela reste-t-il encore un dispositif médical ou est-ce que cela devient un médicament ? La question est encore à l’étude avec les différentes agences. Dans tous les cas, nous sommes soumis à la nouvelle réglementation des dispositifs médicaux de 2016, ce qui ne devrait certainement pas simplifier la mise sur le marché bien que le besoin clinique soit identifié et urgent. E n s u i te , v i e n d r o n t d e s phases d’évaluation clinique qui demandent des budgets importants. Aussi, la mise sur le marché d’un nouveau produit médical nécessite de l’inscrire sur la liste des

120 100 80 60 40 20 0 PAR/HA après stockage

Surface sans revêtement

Les nouveaux revêtements antimicrobiens pour les dispositifs médicaux : des stratégies contre les maladies nosocomiales ?

100

Figure 30

Croissance bactérienne (%)

120

Rayonnement Gamma Croissance bactérienne (%)

Croissance bactérienne (%)

Autoclave

Figure 31 Pourcentage de croissance bactérienne sur la surface après séchage et stockage trois mois à température ambiante. Le revêtement conserve ses propriétés antimicrobiennes.

175

Chimie et biologie de synthèse

produits remboursés et à sa prise en charge pour envisager ensuite une commercialisation. Valider tous ces processus demande généralement plusieurs années. 5.4. Les financements Figure 32 Évolution des sources de financements depuis le lancement du projet en 2014 jusqu’à nos jours.

Ce projet a démarré relativement récemment, en 2014, avec des fonds publics, puis l’aide de l’Institut Carnot MICA dans les phases d’amélioration.

Des projets européens ont également permis le financement du projet (Figure 32) et la SATT Conectus a financé les étapes de maturation du projet. D’autres projets prenent le relais, mais nous allons rapidement passer en 2019 sur la création d’une société et continuer l’aventure. Un parcours compliqué et long, mais l’enjeu en vaut la peine !

Le succès au bout de la chimie des polymères

176

Pour le paléontologue Yves Coppens, « La recherche c’est aussi de la chance ». Ce fut notre cas puisque la polyarginine s’est avérée être antimicrobienne dans nos revêtements, un effet que nous n’attendions pas. Nous avons également trouvé un effet très spécifique de la polyarginine avec 30 résidus, ce qui nous a facilité notamment le dépôt de brevets. Le résultat est un système extrêmement simple mais prometteur pour éviter de nombreuses affections nosocomiales. Il est uniquement constitué de deux biopolymères capables de conférer une action locale au niveau du matériau – pas de protocole chimique, une production très simple et applicable à tout type de matériau. Il est doté d’un effet antimicrobien et d’un effet anti-inflammatoire, peut être stocké et stérilisé en conservant toute ses propriétés.

rétrosynthèse en

biologie : production de molécules bioactives et le

dispositifs

pour

diagnostic

Jean-Loup Faulon est directeur de recherche, responsable de l’équipe Bio-RetroSynth à l’Institut Micalis1 de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), et professeur en bio­ logie de synthèse au département de chimie de l’Université de Manchester (Royaume-Uni). Il est responsable du master biologie des systèmes et de synthèse de l’Université Paris-Saclay et a développé avec son équipe des méthodes de rétrosynthèse pour concevoir et mettre en œuvre des voies de biosynthèse et biodégradation dans le cadre de l’ingénierie métabolique et de l’ingénierie de biosenseurs cellulaires et acellulaires.

1

La rétrosynthèse en biologie : état de l’art

La rétrosynthèse 2 est bien connue en synthèse organique et nous allons ici en voir les applications dans le domaine de la biologie et plus particulièrement de la biologie de synthèse. 1. www.micalis.fr/Institut-Micalis 2. Rétrosynthèse : technique qui consiste à retrouver des voies de synthèse en partant de la molécule finale. Le principe de cette méthode d’analyse s’appuie sur des ruptures des liaisons, pour constituer des molécules plus simples.

1.1. Quelques applications en biologie C’est pour l’ingénierie métabolique que la rétrosynthèse a d’abord été appliquée en biologie. L’ingénierie métabolique utilise des souches (aussi appelées des châssis) pour y introduire des enzymes hétérologues 3 de façon à synthétiser une molécule cible. Lorsqu’on pratique la 3. L’expression hétérologue est l’expression d’un gène ou d’un fragment de gène dans un organisme hôte, qui ne possède pas naturellement le gène ou son fragment.

Jean-Loup Faulon

La

Chimie et biologie de synthèse

rétrosynthèse, on part d’une molécule cible, et on applique des réactions enzymatiques de façon à remonter jusqu’aux métabolites 4 qui sont naturellement produits par la souche utilisée (Figure 1). Ce même concept peut être utilisé pour pratiquer l’ingénierie de biocapteurs (ou biosenseurs). Ici, le problème est de modifier une cellule de telle sorte qu’elle soit capable de détecter une molécule, par exemple un métabolite. Une molécule est généralement détectée directement par une cellule via une interaction allostérique (fixation de la molécule induisant un changement de conformation spatiale de l’enzyme) avec un facteur de transcription5 ou 4. Métabolite : composé stable issu de la transformation biochimique d’une molécule initiale par le métabolisme. 5. Facteur de transcription : protéine nécessaire à l’initiation ou à la régulation de la transcription d’un gène dans l’ensemble du vivant. Elle interagit avec l’ADN et l’ARN polymérase.

Le nombre de molécules directement détectables par des facteurs de transcription ou des riborégulateurs est faible. L’idée est alors d’utiliser la rétrosynthèse 6. Riborégulateur (ou « ribo­ switch ») : structure d’ARN présente sur un ARN messager (ARNm) qui peut lier directement un ligand. Très souvent, le ligand du riborégulateur est un métabolite de la réaction catalysée par la protéine codée par l’ARNm, ce qui conduit à un mécanisme de rétroaction directe. Cette fixation déclenche un effet sur l’expression du gène porté par l’ARNm en bloquant ou en activant la traduction de la protéine correspondante. L’utilisation des riborégulateurs est ainsi une des voies possibles de régulation de la traduction.

CIBLE (signal)

CHÂSSIS SYNTHÈSE

RÉTROSYNTHÈSE

CHÂSSIS

un riborégulateur6. Une fois la molécule cible détectée, on exprime un gène reporteur, par exemple un marqueur fluorescent (protéine GFP, « Green Fluorescent Protein »). L’ensemble facteur de transcription, riboregulateur et gène reporteur constitue un biocapteur.

EFFECTEUR CIBLE

CHÂSSIS

Ingénierie Métabolique

Ingénierie de biocapteurs cellulaires

Construction de cartes métaboliques

Bioproduction

Détection de polluants et biomarqueurs

Métabolomique

Figure 1 178

Différents exemples d’applications de la rétrosynthèse en biologie.

de déconnexion des liaisons dans cette molécule cible jusqu’à remonter à des molécules disponibles ou qu’on sait synthétiser.

L a troisième application abordée dans ce chapitre est liée au fait qu’on ne connaît pas tous les métabolites des souches utilisées en biotechnologie. Les méthodes de rétrosynthèse peuvent aider à trouver de nouveaux métabolites dans nos souches et rechercher les enzymes responsables de la synthèse de ces métabolites.

Dans sa présentation lorsqu’il a reçu le prix Nobel, Elias Corey parlait d’intelligence artificielle. C’était prémonitoire car à partir de 2016, une série d’articles s’inscrivant dans cette démarche ont été publiés (Figure 3) : ils utilisent des méthodes d’apprentissage profond pour calculer automatiquement les règles de déconnexion dont parlait Elias Corey, et plus généralement pour proposer des règles pour les réactions utilisées en synthèse organique.

Dans ce chapitre, nous passerons en revue les trois types d’applications de la Figure 1 qui font toutes appel à des méthodes de rétrosynthèse. 1.2. La rétrosynthèse : un problème étudié depuis longtemps mais toujours d’actualité La rétrosynthèse a été développée par Elias James Corey dans le cas de la synthèse organique, ce qui lui a valu le prix Nobel de chimie en 1990. Il a proposé plusieurs méthodes de mise en œuvre, notamment la technique LHASA (Figure 2), un logiciel développé à la fin des années 1960. L’idée est de partir d’une molécule cible, la molécule que l’on veut synthétiser, et d’appliquer des règles

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

pour rechercher l’ensemble des molécules accessibles. On étend de cette façon le nombre de molécules détectables par des cellules.

Les méthodes d’apprentissage profond sont d’autant performantes qu’elles r e p o s e nt s ur un gr a n d nombre de données . Le nombre de réactions connues en chimie organique est considérable : le Chemical Abstract Ser vice contient environ 80 millions de réactions. Dans les applications en biologie, on en est plutôt à 30 000 ou 40 000 réactions stockées dans les bases de données, l’intelligence artificielle est toutefois utilisée en particulier pour la recherche de séquences enzymatiques, comme présenté dans le paragraphe 2.2. Figure 2 Modélisation du processus utilisé par le logiciel LHASA. L’objectif est de partir d’une molécule cible et de remonter progressivement vers des fragments connus en synthèse organique.

179

Chimie et biologie de synthèse

Figure 3 Série d’articles publiés entre 2016 et 2017 qui s’intéressent à l’application de la rétrosynthèse pour la chimie organique. L’utilisation de la chimie computationnelle est de plus en plus développée pour la prédiction des réactivités. Aujourd’hui, certains groupes s’attachent au développement d’une intelligence artificielle pour la rétrosynthèse.

1.3. État de l’art des méthodes de rétrosynthèse appliquées en biologie Un certain nombre de groupes de recherche développent les méthodes de rétrosynthèse pour la biologie. Trois principales méthodes ont donné lieu à plusieurs publications avec suivi et

améliorations (Figure 4) : il s’agit de SimPheny, développé par Sang Yup Lee en Corée, BNICE co-développé aux États-Unis et en Suisse, et le système RetroPath développé en France. Comme on le verra par la suite, ces systèmes peu ou prou utilisent le même algorithme pour coder la rétrosynthèse.

Figure 4 180

État de l’art des méthodes de rétrosynthèse utilisées actuellement. Cinq méthodes ont été développées. Les trois principales sont : SimPheny (Corée), BNICE (États-Unis/Suisse) et RetroPath.

Fonctionnement du processus de rétrosynthèse

annotés. Cette caractéristique est illustrée dans la Figure 5A, où une lyase8 permet de catalyser la tyrosine9 en coumarate10.

2.1. Règles de réactions codant la spécificité/ promiscuité enzymatique

Afin de coder une réaction enzymatique, dans un premier temps on numérote les atomes pour suivre la transformation entre substrat et produit. Les atomes qui changent leurs configurations sont marqués en rouge dans la Figure 5A ; ils constituent le centre de la réaction. Si notre réaction est spécifique, elle concerne tous les atomes de la molécule considérée ; on entoure alors l’ensemble de la molécule d’une « sphère » de diamètre infini.

Pour SimPheny et BNICE, les règles de réactions ont été générées manuellement à partir de l’ensemble des réactions et de la classification des enzymes acquises par le passé. On utilise environ cinquante règles pour SimPheny et une centaine pour BNICE. Pour le système RetroPath, les règles sont générées automatiquement à partir de bases de données. Les règles peuvent être spécifiques, c’est-à-dire concerner la transformation d’un seul substrat en un produit, mais elles peuvent être aussi généralistes et s’appliquer sur plusieurs substrats, voire un très grand nombre. Ainsi les règles que l’on trouve dans BNICE et SimPheny sont très généralistes puisqu’elles tentent de représenter l’ensemble des réactions métaboliques par au plus une centaine de règles, alors qu’il existe entre 30 000 et 40 000 réactions dans les bases de données. Le caractère spécifique ou généraliste des règles est à rapprocher d’une propriété des enzymes. En effet, ceux-ci peuvent être promiscuitaires7, c’est-à-dire accepter des substrats différents de ceux pour lesquels ils ont été 7. Promiscuité : la capacité, pour une enzyme, de catalyser efficacement une réaction chimique distincte de celle(s) principalement catalysée(s) par cette enzyme.

Les substrats et produits inclus dans la sphère sont ensuite représentés sous forme de chaînes « SMILES » ou « SMARTS » (un système de codage de molécules et réaction largement utilisé en chimie computationnelle). Le codage sous forme de chaînes « SMILES » ou « SMARTS » permet d’utiliser des logiciels 8. Lyase : enzyme capable de casser des liaisons covalentes, créant souvent de nouvelles doubles liaisons. Comme toutes les enzymes, les lyases sont des protéines qui possèdent un site actif permettant la réaction enzymatique, et un site de reconnaissance des molécules cibles, assurant la spécificité de la réaction. 9. Tyrosine : acide aminé, présent dans le corps humain. Elle participe notamment à la synthèse de l’adrénaline, la noradrénaline, la dopamine et la DOPA. Elle est aussi précurseur de la mélanine et des hormones thyroïdiennes. 10. Coumarate : enzyme appartenant à la famille des ligases. Cette enzyme est responsable de formation des liaisons carbone-soufre.

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

2

181

Chimie et biologie de synthèse

Figure 5 Modélisation du système de codage utilisé dans le cas de la transformation de la tyrosine en coumarate. Les atomes désignés en rouge vont former le centre de la réaction. A) La sphère de diamètre infini modélise la spécificité de la réaction (en noir). Le diamètre représente les atomes qui vont être pris en considération par le programme. B) Le diamètre de la sphère peut être rétréci autour des atomes désignés en rouge : le diamètre en bleu est égal huit et en vert à deux. C) La diminution du diamètre a pour effet d’augmenter la promiscuité de la réaction. À partir de la base de données MetaNetX (www.metanetx. org), il existe ~25 000 règles de réactions à diamètre infini, ~20 000 règles à diamètre 8, et ~15 000 à diamètre 2. Au total, tout diamètre confondu, le nombre de règle est d’environ 120 000.

A

Lyase d’acides aminés aromatiques H2N 2

12

6

3 4

O

11 2

8

13

HO

O

1 9

OH

7

8

13 10

HO

6

3

5

11

1

4

+ NH3

9

OH

7

10

12

5

D=∞ 25k règles

B

Lyase d’acides aminés aromatiques H2N 2

12

6

3 4

O

11 2

8

13

HO

O

1 9

OH

7

8

13 10

HO

6

3

5

11

1

4

+ NH3

9

OH

7

10

12

5

D=∞ 25k règles D=8 20k règles

C

Lyase d’acides aminés aromatiques H2N 2

O

6

3 4

O 11

11 2

8

13

HO

12

1

7

9

OH

1 8

13 10

5

HO

6

3 4

7

+ NH3

9

OH 10

12

5

D=∞ 25k règles D=8 20k règles D=2 15k règles

calculant automatiquement les produits possibles à partir d’un substrat et d’une réaction. Cette procédure est particulièrement intéressante pour des sphères de petits diamètres où une règle peut accepter des substrats différents et donner lieu à un grand nombre de produits possibles.

182

Il existe des séquences enzymatiques qui peuvent catalyser à la fois la tyrosine et la phénylalanine11. Dans le

cas de la phénylalanine, on va produire du trans-cinnamate12. On ne peut pas dans un tel cas utiliser un codage qui aurait une « sphère » de diamètre infini car la règle de réaction doit accepter des substrats différents. Dans l’exemple de la Figure 5B, on réduit le diamètre à huit. Cela signifie qu’on va prendre en considération tous les atomes jusqu’à quatre liaisons du centre de la réaction. Cette règle de réaction permet

11. Phénylalanine : acide aminé, présent dans le corps humain. La phénylalanine est notamment un précurseur de l’adrénaline et de la mélanine. L’aspartame en dérive également.

12. Trans-cinnamate : sel ou ester de l’acide cinnamique. L’acide cinnamique est utilisé dans l’industrie du parfum. Il possède également des propriétés antiseptiques et antifongiques.

On peut continuer et diminuer le diamètre pour obtenir des règles de réaction encore plus promiscuitaires. Dans la réaction de catalyse de l’histidine13, on utilise un diamètre de 2 – une règle de petit diamètre permettant d’accepter un grand nombre de sub­strats (Figure 5C). Lorsque qu’on utilise des règles qui ont un très petit diamètre, ce qui est le cas des jeux de règles de SimPheny ou de BNICE, on a rapidement une explosion combinatoire du nombre de composés susceptibles d’être générés. Comme décrit ci-dessous, la solution implémentée dans RetroPath consiste à utiliser un diamètre variable pour limiter l’explosion combinatoire de solutions. 2.2. Recherche de séquences enzymatiques par apprentissage automatique Dans le système RétroPath, les règles sont à diamètre variable : on cherche dans un premier temps une solution avec des règles de diamètre infini ; si aucune solution n’est trouvée, on diminue alors le diamètre de façon à explorer plus de voies enzymatiques. RetroP ath per met aussi d’effectuer une recherche automatique de séquences enzymatiques capables de catalyser les réactions produites par le programme de 13. Histidine : acide aminé précurseur de l’histamine et de la carnosine. Il n’est pas essentiel au corps humain sauf durant l’enfance et la grossesse.

rétrosynthèse. Pour ce faire, on utilise des méthodes d’apprentissage automatique. Les techniques mathématiques utilisées par ces méthodes sont complexes et nous n’allons pas les exposer. Nous donnons ici simplement quelques éléments qui peuvent faire saisir leur esprit. Les méthodes d’apprentissage automatique manipulent des objets mathématiques (ici des vecteurs). Dans notre cas, nous devons d’abord associer ces vecteurs de manière non équivoque aux séquences d’acides aminés et aux réactions chimiques : cela s’appelle le codage. Pour coder les séquences, une technique bioinformatique est largement utilisée : elle consiste à décomposer les séquences protéiques (ici des enzymes), en k-mer14. On déplace une fenêtre sur la séquence et on comptabilise le nombre d’occurrences de chacun des k-mers que l’on rencontre lors du déplacement. Le résultat se représente sous forme d’un vecteur (Figure 6, gauche).

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

de passer la tyrosine et la phényl­alanine (Figure 5B).

Pour coder les réactions, c’est un peu la même idée : on place une sphère sur chaque atome et on compile l’équivalent du k-mer, qui est ici l’environnement atomique de cet atome, et on comptabilise le nombre d’occurrences de ces environnements. Cela se fait sur les substrats et sur les produits. Pour calculer la « signature » d’une réaction, on soustrait à la signature des produits la 14. K-mer : sous-séquence possible, de longueur k, obtenue à partir du séquençage de l’ADN.

183

Chimie et biologie de synthèse

Figure 6 Produit tensoriel codant les interactions protéines-molécules pour l’apprentissage automatique. En entrée, des vecteurs codent des séquences (k-mers ou spectre de chaînes) et des réactions (signatures). Il s’agit ensuite de faire le produit tensoriel de ces deux vecteurs (séquence et réaction) qui représente l’ensemble des combinaisons possibles entre les signatures et les k-mers.

signature des substrats. Ainsi, la Figure 6 à droite montre des nombres positifs et les nombres négatifs : les nombres négatifs sont les configurations que l’on trouve dans les substrats mais pas les produits, et les nombres positifs sont les configurations que l’on trouve dans les produits et pas les substrats. Ce travail conduit aussi à une représentation vectorielle (Figure 6, droite). On est ensuite en mesure de coder le complexe réactionséquence. Cela se fait par une méthode à noyau nommé produit tensoriel. Le produit tensoriel prend en compte toutes les combinaisons entre les k-mers des séquences et les signatures des réactions (Figure 6, en bas). Le résultat est un vecteur qui représente le complexe : réaction, séquence enzymatique.

184

On peut alors utiliser plusieurs techniques d’apprentissage automatique : machine à

vecteurs de support, forêt aléatoire ou processus gaussien. Dans tous ces cas, on obtient de bons résultats pour la classification de séquences enzymatiques et réactions (Figure 7, gauche). Ces méthodes permettent aussi de prédire des constantes cinétiques (telle que la constante de Michaelis) pour certaines classes d’enzymes (Figure 7, droite). Les méthodes que nous venons de présenter nous permettent de construire des cartes de rétrosynthèse en appliquant les règles de réactions et de prédire les séquences enzymatiques catalysant ces réactions. Nous avons ainsi tous les éléments en place pour décrire le « workflow »15 de rétrosynthèse. 15. Workflow : processus d’automatisation des tâches permettant un enchaînement automatisé des différentes opérations et étapes de validation d’une tâche plus ou moins complexe.

10 8

Classification Enzyme-réaction

0,6

Valeur prédite

Taux vrai positif

0,8

0,4 0,2 0 0

GP SVM (JLF 2008) 0,2

0,4

AUC:0,906 AUC:0,871

0,6

0,8

q2 = 0,782

6 4 2 0

1

Taux faux positif

0

2

4

6

8

10

Valeur actuelle (µM)

Figure 7 Grâce au produit tensoriel, il est possible de classifier les enzymes et les réactions. À gauche, une courbe ROC* montrant que le taux faux positif est faible en utilisant des machines à vecteur de support (SVM) ou des processus gaussiens (GP). En utilisant des processus gaussiens, il est aussi possible de prédire des constantes cinétiques comme la constante de Michaelis dans l’équation de Michaelis-Menten (pour les enzymes de la classe EC 3.1.3, à droite). * Une courbe ROC (« Receiver Operating Characteristic ») est une courbe sensibilité/spécificité.

2.3. Rétrosynthèse : le workflow

En entrée du workflow, on donne la molécule que l’on désire synthétiser. Il s’agit ici

d’une flavanone, la pinocembrine17, qui est un précurseur des flavonoïdes. Les flavonoïdes sont des molécules intéressantes pour l’industrie pharmaceutique par leurs nombreuses propriétés : anti-inflammatoires, antioxydantes, antibactériennes, anticancéreuses... La pinocembrine est l’un des trois précurseurs de l’ensemble des flavonoïdes. En entrée du worflow, on donne également le jeu de règles : ici il s’agit d’un jeu de règles à diamètre 4 autour des centres de réactions extraites de la base de données MetaNetX18. On donne aussi un « sink », c’est-à-dire un ensemble de métabolites vers lequel la rétrosynthèse doit aboutir. Le « sink » est l’ensemble des métabolites du châssis

16. www.myexperiment.org/workflows/4987.html

17. Pinocembrine : antioxydant présent dans le miel ou le propolis. 18. www.metanetx.org

Le paragraphe précédent présente le s ystème de codage des règles de réactions gouvernant la rétrosynthèse. Nous décrivons ici le déroulement du processus : le workflow. Celui-ci encode un algorithme de rétrosynthèse général pouvant être utilisé avec tout type de jeux de règles telles que celle développées dans SymPhenie, BNICE ou RetroPath. Le workflow présenté dans la Figure 8A a été développé sur la plateforme KNIME ; il est stocké dans la base de données MyExperiment.org et peut être téléchargé sur Internet16.

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

3.1.1

1,0

185

Chimie et biologie de synthèse

Figure 8 A) Modélisation du workflow avec les différents paramètres d’entrée : les métabolites d’Escherichia coli, le nombre de règles de rétrosynthèse et le châssis de la réaction ; B) 2e itération ; C) 3e itération. « Source » est la molécule que l’on désire synthétiser (ici la pinocembrine) ; « sink » est l’ensemble des molécules de la souche châssis (ici Escherichia coli). MarvinSketch est un logiciel de ChemAxon* permettant de dessiner une molécule.

A

*https://chemaxon.com/products/ marvin

B

C

186

les classer et ne construire que les premières du classement. Le classement se base sur plusieur s cr itère s , tout d’abord au niveau des gènes codant les enzymes, car les enzymes peuvent être plus ou moins efficaces en fonction de leurs séquences. Pour classer les séquences enzymatiques on utilise les méthodes d’apprentissage abordées plus haut (voir le paragraphe 2.2) ; en effet, ces méthodes permettent de calculer les scores des différentes séquences enzymatiques. Le second critère est basé sur les flux théoriques des voies. Les différentes voies métaboliques peuvent avoir différents flux vers le produit final car elles utilisent différents cofacteurs, par exemple différentes quantités d’ATP19, ou autres métabolites essentiels à la pousse de la souche châssis. Le troisième et dernier critère est lié à la toxicité du produit final et des produits intermédiaires de la voie. Si ceux-ci sont toxiques, alors il n’est pas recommandé de construire cette voie car même si les enzymes sont efficaces et les flux élevés, la souche châssis ne poussera pas à cause de la toxicité. À partir de ces trois critères, les voies peuvent être classées, ce qui permet de passer à l’étape suivante : la vérification expérimentale.

19. ATP : Adénosiné TriPhosphate, nucléotide formé à partir d’adénine liée à un ribose attaché à un triphosphate. Il fournit l’énergie nécessaire aux réactions chimiques du métabolisme à travers les membranes biologiques.

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de production (c’est-à-dire Escherichia coli). En faisant fonctionner le workflow, on applique les règles inversées de la synthèse – ce sont des règles de rétrosynthèse – sur le produit final. On remonte itérativement jusqu’au métabolite d’Escherichia coli. La Figure 8A montre la première itération, la Figure 8B la seconde itération, et la Figure 8C la troisième. Ce faisant, on construit une c ar te de rétros y nthèse. Cette carte étant complexe, le premier problème est de répondre à la question « combien de voies de synthèse y-at-il dans la carte ? ». En effet, il y a probablement plusieurs façons de synthétiser la pinocembrine. Le problème à résoudre est donc l’énumération des voies métaboliques dans les cartes de rétrosynthèse. Ici, il ne s’agit pas simplement de trouver un chemin dans une carte puisque lorsqu’on parle d’une réaction, cette réaction peut avoir plusieurs substrats et lorsqu’on remonte le chemin, il va falloir remonter cette propagation sur tous les substrats. On a en fait à faire à ce qu’on appelle techniquement un hyperchemin dans un hypergraphe. Pour résoudre ce problème, nous avons développé une méthode basée sur les modes élémentaires. Cette méthode, développée dans le cadre de l’étude du métabolisme en général, permet ici d’énumérer les différentes voies. Il y a onze voies différentes pour produire la pinocembrine (Figure 9). Le nombre de voies pouvant être élevé, on peut être amené à

187

Chimie et biologie de synthèse

Figure 9 Après plusieurs itérations, des chemins de synthèse sont obtenus (ici représentés en couleur), et constituent une carte de rétrosynthèse. Chacune de ces voies (onze au total) permettrait de synthétiser la pinocembrine ; elles ne vont pas toutes être exploitées. L’énumération des voies est un problème non trivial : il faut en effet remonter la propagation pour chaque substrat, et le nombre de substrats peut s’avérer élevé.

Pour vérification expérimentale, nous avons pris systématiquement, toujours dans la voie de la pinocembrine, des séquences qui avaient un score élevé et d’autres avec un score plus bas d’après les méthodes d’apprentissage (Figure 10, partie droite). La Figure 10, haut gauche, montre que les séquences avec un score bas donnent moins de produit final

Figure 10 Une fois énumérées, les voies de synthèse vont être classées en fonction du score des séquences enzymatiques retourné par la méthode d’apprentissage. À gauche, les graphiques montrent qu’il y a une bonne corrélation entre le score prédit par les méthodes d’apprentissage et la productivité. En effet, les séquences avec un score élevé donnent une quantité de produit final plus importante que celles avec un score bas.

188

que les séquences au score plus élevé. Nous avons testé le classement des voies pour une autre molécule, le MalonylCoA, un cofacteur de la voie de production de la pinocembrine. On a là encore une assez bonne corrélation entre les scores retournés des classements des voies et la quantité de pinocembrine obtenue (Figure 10, bas gauche).

Exemples d’applications de ce dispositif de rétrosynthèse

3.1. Application à l’ingénierie métabolique Les méthodes développées en rétrosynthèse se révèlent très précieuses pour l’ingénierie métabolique, où l’on veut construire des banques combinatoires, en variant par exemple les promoteurs20, les origines de réplication, ou les séquences des sites de fixation du ribosome. D’une façon complètement robotisée, nous avons construit une banque de 41 plasmides21, où nous avons varié le nombre de copies des plasmides, la force des promoteurs et l’ordre des gènes en prenant les séquences enzymatiques de la Figure 10 ayant le meilleur score. Pour l’une de ces constructions, nous avons obtenu environ cinquante milligrammes par litre de pinocembrine – à comparer à l’état de l’art actuel qui est de quarante milligrammes par litre. Le châssis utilisé était là aussi Escherichia coli (Figure 11). La Figure 12 montre d’autres exemples d’applications de ces mêmes méthodes de rétrosynthèse. La Figure 12A correspond à la production de téréphtalate (TPA),

Figure 11 À gauche, modélisation de la construction de 41 plasmides en faisant varier l’origine de réplication, la force des promoteurs et l’ordre des gènes. Cette banque permet de tester toutes les combinaisons possibles ; pour faire un premier tri, on ne garde que celles qui ont un score élevé. Une des combinaisons a montré un taux de production très élevé, 50 mg/L de pinocembrine, représenté à droite.

Voie produite par RetroPath :

TsaM TsaB

p-xylène

4-methylbenzoate

TsaC 4-(hydroxymethyl)benzoate

TsaD 4-carboxybenzaldehyde

TPA

Une seule construction (dans E. coli) P. putida P. putida

A

xylMA

Voie produite par RetroPath :

TAL

Comamonas testosteroni

xylC

tsamB

C3H

tsaCD

COMT

24 constructions dans (E. coli JM109) Arabidopsis thaliana

L-Tyr

B 20. Promoteur : courte séquence d’ADN, généralement situé en amont du gène, qui en contrôle l’expression, notamment en régulant sa transcription. 21. Plasmide : molécule d’ADN circulaire double brin, naturelle ou modifiée artificiellement, dans le but de l’utiliser en recherche biologique.

xylMA xylC

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

3

P-coumarate

Caffeic acid

Ferulic acid

Tal

Comt

Rhodobacter sphaeroides Saccharothrix epanaensis Herpetosiphon aurantiacus Rhodobacter sphaeroides Zea mays (Maize) Flavobacterium johnsoniae

C3H Saccharothrix epanaensis Escherichia coli Catharanthus roseus Bacillus megaterium

> 60 mg/L d’acide félurique

Figure 12 Exemples d’utilisation de RetroPath pour trouver des voies de synthèse. Pour le TPA, en haut, une voie de synthèse est proposée en utilisant quatre enzymes (xylMA, xylC, tsaMB, tsaCD). Cette voie a montré une bonne productivité dans le châssis Escherichia coli. Pour l’acide férulique, une voie a été proposée avec plusieurs constructions possibles (24 au total dans Escherichia coli). La construction avec les trois enzymes (TaI, Comt et C3H) donne une production supérieure à 60 mg/L d’acide férulique.

189

Chimie et biologie de synthèse

un monomère utilisé dans le polyéthylène téréphtalate (PET) et aussi dans le kevlar ®22 . La méthode de rétrosynthèse nous donne une voie à partir du xylène, en utilisant quatre enzymes. Cette voie a effectivement été mise en œuvre dans Escherichia coli avec succès. L’exemple de la Figure 12A est la production de l’acide férulique, un précurseur de la vaniline, qui est un arôme artificiel mais aussi un précurseur d’autres molécules intéressantes pour l’industrie cosmétique comme le malate de synapoyle, inter venant dans les crèmes anti-UV. Ici, nous avons une voie et plusieurs séquences enzymatiques possibles. Nous les avons toutes construites (soit 24). L’une d’entre elles a donné plus de 70 mg/L d’acide férulique (Figure 12). Parmi les autres vérifications expérimentales que nous avons menées, nous avons utilisé le workflow RetroPath2.0 pour des molécules de la base de données LASER, qui référencie toutes les constructions d’ingénierie métabolique de différents groupes académiques et industriels. Nous avons donné au workflow de rétrosynthèse seulement la molécule finale et la souche utilisée. Dans 80 % des cas, RetroPath2.0 a retrouvé les voies de synthèses stockées dans la base de données LASER.

190

22. Kevlar® : marque déposée d’une fibre d’aramide (produite par l’entreprise Dupont de Nemours). Le kevlar® est recherché pour ses propriétés spécifiques, sa transparence aux ondes radar, son comportement linéaire et sa tolérance élevée aux chocs et à l’usure.

3.2. Application à l’ingénierie de biocapteurs Nous présentons dans ce paragraphe des applications de la rétrosynthèse liées aux biocapteurs. Nous rappelons qu’il s’agit ici de modifier au travers de réactions enzymatiques une molécule en une autre détectable par un facteur de transcription ou un riborégulateur. Pour ce faire, nous avons utilisé le workflow RetroPath2.0 présenté plus haut avec, comme donné d’entrée, les molécules que l’on aimerait détecter (« source ») – ici des molécules thérapeutiques (médicaments) répertoriées dans la base de données DrugBank 2 3 , des biomarqueurs issus de la base de données HMDB24 et des produits toxiques pour l’environnement de la base de données Tox2125. Dans ces trois cas, les molécules sont modifiées pour être détectées par les règles de réactions présentées plus haut (Figure 13). Afin d’augmenter les chances de succès expérimentaux, nous avons choisi des diamètres infinis pour s’assurer qu’il y avait bien une séquence enzymatique capable de catalyser les réactions. Les molécules finales recherchées (« sink ») sont ici des effecteurs, c’est-à-dire des molécules détectables directement par des facteurs de transcription ou des riborégulateurs. Malheureusement cette information n’est pas disponible directement dans une base de 23. https://www.drugbank.ca/ 24. http://www.hmdb.ca/ 25. https://ntp.niehs.nih.gov/results/ tox21/index.html

À partir de ce travail, nous avons développé un site web27 où l’on peut rentrer n’importe quelle molécule et obtenir les voies métaboliques qui la transforment en effecteur, ainsi que les informations sur les facteurs de transcription et les séquences enzymatiques. À partir du site http://sensipath.micalis.fr/, on dispose de toutes les informations nécessaires pour passer à la construction, ce que nous avons réalisé pour une douzaine de biosenseurs. Dans nos constructions, nous utilisons deux plasmides : un plasmide qui va coder pour les enzymes qui vont transformer la molécule non détectable en effecteur, et un plasmide comprenant le senseur luimême, c’est-à-dire le facteur de transcription ainsi qu’un marqueur fluorescent. Une application expérimentale de ces techniques est illustrée sur la Figure 14. Le but est de détecter l’acide hippurique, qui est un biomarqueur du cancer de la prostate et de diverses intoxications, par exemple par le toluène. L’acide hippurique, indétectable, peut se transformer en acide benzoïque qui, à 26. http://regulondb.ccg.unam.mx/ 27. http://sensipath.micalis.fr/

Figure 13 À gauche, la modélisation du workflow montre les différentes sources d’entrée possibles : DrugBank, HMDB, Tox21. Les pourcentages de molécules détectables sont donnés pour chacune des sources choisies. Par exemple, pour DrugBank, 7,9 % des molécules sont détectables après transformation enzymatique, ce qui constitue une augmentation de +118 % par rapport aux molécules directement détectables. Le graphe en bas à droite est un visuel extrait du site http://sensipath.micalis.fr, la molécule à détecter est ici la cocaïne et les effecteurs sont en vert (benzoate, benzaldehyde…).

son tour, active le facteur de transcription BenR permettant d’exprimer une protéine fluorescente.

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

données, et tout un travail a été nécessaire pour compiler une liste de ces effecteurs au travers différentes bases de données comme RegulonDB26, qui s’intéresse au réseau de régulation chez Escherichia coli. Toujours est-il qu’à partir du workflow présenté dans la Figure 13, on est capable de concevoir le design d’environ mille biocapteurs.

L’insert de la Figure 14 montre les courbes dose-réponse de d’acide hippurique (qui ne présente qu’une fluorescence négligeable) et de l’acide benzoïque (qui présente une fluorescence importante) lorsque le module métabolique est absent. Comme attendu, l’acide hippurique n’est pas détecté par le biosenseur. La Figure 14 montre qu’en présence du module métabolique, la fluorescence de l’acide hippurique suit celle de l’acide benzoïque, montrant que la transformation est complète. On vérifie donc que l’acide hippurique est bien détectable

191

Module métabolique

Module de détection

A

Acide hippurique

Acide benzoïque

Fluorescence relative (A.U.)

Chimie et biologie de synthèse

Molécule non détectable

B

Concentration (µM)

Figure 14 A) La molécule non détectable est d’abord transformée par réactions enzymatiques, ensuite le produit de ces réactions est détecté par un facteur de transcription qui à son tour permet d’exprimer une protéine fluorescente ; B) en bas, la flurorescence est donnée en fonction de la concentration en acide hippurique et en acide benzoïque. Sans module métabolique, l’acide hippurique n’est pas transformé en acide benzoïque (insert) et aucune fluorescence n’est observée pour l’acide hippurique. Lorsque du module métabolique est ajouté, les courbes relatives à l’acide benzoïque et à l’acide hippurique sont superposées, ce qui signifie que l’acide hippurique a totalement été consommé en acide benzoïque.

lorsque que le module métabolique est introduit dans la construction du biosenseur. La Figure 15 donne d’autres exemples de détection : −− le parathion : un polluant environnemental, qui est aussi un produit de dégradation du cyclosarin28, un gaz de combat. Là encore on a une belle courbe dose/réponse (Figure 15), le parathion est complètement transformé en une moléculeeffecteur détectable ; −− le chloronitrophénol : on a besoin de deux enzymes

192

28. Cyclosarin : substance chimique extrêmement toxique utilisée comme arme chimique (il entraîne la mort par asphyxie). C’est un agent organophosphoré neurotoxique dérivé du sarin.

pour transformer ce polluant en une molécule détectable directement par un facteur de transcription. Les deux courbes sont quasiment identiques, indiquant là encore que la molécule est complètement transformée. La Figure 16 présente d’autres exemples de détection de biomarqueurs du cancer de la prostate. Dans les exemples choisis, nous avons cherché à augmenter la spécificité de nos biosenseurs, en faisant coexister plusieurs transformations où un même biomarqueur est transformé en plusieurs effecteurs. Nous avons aussi cherché à faire une détection multiplexe de différents biomarqueurs, car souvent dans les cancers, la mesure de la

Acide benzoïque

Parathion

Concentration (µM)

[I]

EC : 1.5.3.1 I O E1

H2O2

[I]

EC : 1.1.3.11 I O E2

Sorbose

[O] =[I] H2O2

katGp promoteur

7 6,5

3,6

6

3,4 3,2

5,5

3 1

10

100

1000

1000

B

Concentration en sarcosine (µM) oxySP promoteur

4,4

katGp promoteur

4,1

8,2 7,8

3,8

7,4

3,5

7

3,2 1

10

100

1000

6,6 10000 100000

Fluorescence/OD (a.u. ×105)

5

Sarcosine

[O] =[I]

Fluorescence/OD (a.u. ×10 )

5

oxySP promoteur 3,8

Fluorescence/OD (a.u. ×105)

Fluorescence/OD (a.u. ×10 )

A Transducteur

Chlorohydroquinone

2C4NP

Concentration (µM)

Plusieurs exemples de courbes dose/réponse pour la cocaïne, le parathion, l’acide hippurique et le 2C4NP. Chaque courbe montre que grâce au module métabolique, les molécules à détecter sont totalement consommées. Ainsi, ces molécules ont été transformées en molécules détectables.

4-nitrophénol

Concentration en L-sorbose (µM) Fluorescence/OD600 (a.u.)

Sarcosine [I1]

I1

E1 O

[I2] Sorbose

I2

E2

[O] = [I1] + [I2] H2O2

Concentration en sarcosine (µM)

Additionneur 10000

1,6 ×10

6

1,4 ×10

6

Biomarqueur

Effecteurs

Acide hippurique

Acide benzoïque Glycine

Kynurénine

Glycine Anthranilate

Sarcosine

Glycine H2O2

N-acétyl-aspartate

Aspartate H2O2

Pipécolate

L-lysine H2O2

Cholestérol

H2O2

L-Sorbose

L-Iditol H2O2

Créatinine

Urée H2O2 + Glycine

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

Fluorescence relative (A.U.)

Acide hippurique

Fluorescence relative (A.U.)

Figure 15

Acide benzoïque

Fluorescence relative (A.U.)

Fluorescence relative (A.U.)

Cocaïne

• Delepine, B., et al. Metab Eng. 2018

5000 1000 500

1,2 ×106

100 1,0 ×106

10 1

8,0 ×105 1

10

100

500 1000 5000 10000

Concentration en L-sorbose (µM)

Figure 16 A) Modélisation des dispositifs électroniques utilisés dans la biologie de synthèse : transducteur et additionneur. Dans le cadre des transducteurs, les biomarqueurs vont être transformés en effecteurs ; B) ce tableau permet de répertorier les effecteurs relatifs aux biomarqueurs. Les graphiques au centre montrent la fluorescence observée en fonction de la concentration en biomarqueur en utilisant différents facteurs de transcriptions (oxySp et katGp). Dans le cadre de l’additionneur, on va coupler deux biomarqueurs en un effecteur, ici la sarcosine et le L-Sorbose tous les deux transformés en H2O2. En sortie, on obtient une cartographie de la fluorescence en fonction de la concentration des deux biomarqueurs ; on peut aisément vérifier que la fluorescence est bien proportionnelle à la somme des concentrations des biomarqueurs.

193

Chimie et biologie de synthèse

concentration d’une seule molécule n’est pas suffisante à diagnostiquer la maladie. Pour réaliser des détections spécifiques et multiplexes, nous avons construit plusieurs dispositifs, et en particulier des transducteurs et des additionneurs (Figure 16, gauche). Il est à noter que nos dispositifs sont différents de ceux réalisés de façon courante en biologie de synthèse, où l’on a souvent affaire à des dispositifs génétiques-numériques, par exemple des portes logiques, où l’on doit exprimer des protéines ou des séquences d’ARN. Ici, nous parlons de dispositifs métaboliques-analogiques. L’avantage de travailler de façon analogique au niveau du métabolisme, c’est d’éviter d’avoir à discrétiser nos entrées. En effet, un métabolique n’est jamais ON ou OFF dans une cellule mais est

présente dans une certaine concentration. D’autre part, les circuits métaboliques, basés sur des transformations enzymatiques, sont beaucoup plus rapides que les circuits génériques-numériques. En effet, un circuit générique prend au minimum une demi-heure pour exprimer les protéines sur chacune de ces couches, donc l’exécution d’un circuit à plusieurs couches peut être très longue. La cinétique des circuits métaboliques-analogiques est celle des réactions enzymatiques, donc beaucoup plus rapide. 3.3. Application à la métabolomique La dernière application présentée dans ce chapitre est une tentative de pallier à l’insuffisance de la connaissance des métabolites des souches utilisées en biotechnologie. En effet, la Figure 17 montre la

Système de règles

Nombre de composés générés

Figure 17

194

Distribution des masses d’Escherichia coli. En noir, la courbe correspond au modèle et en rouge au résultat de spectrométrie de masse d’un extrait cellulaire d’Escherichia coli. Les différences entre les deux courbes s’expliquent par le manque de certains métabolites dans le modèle. En dessous, le tableau montre le nombre de composés générés par RetroPath2.0 en fonction des systèmes de règles choisis.

La Figure 18 (haut droite) montre que les métabolites 29. https://ecocyc.org/ 30. www.ebi.ac.uk/metabolights/

du modèle d’Escherichia coli ne couvrent que de 12 % des masses. En utilisant les règles de réactions de RetroPath d’un diamètre de 16, 23 % des masses du spectre sont couvertes (Figure 18, bas gauche) avec un diamètre 4, la couverture est de 60 %. Il est ainsi possible de proposer une (ou plusieurs) molécule(s) pour 60 % des masses du spectre. Le couplage RetroPath2.0OpenMS nous a permis de détecter la présence dans l ’échantillon de l ’Acét ylLeucine 31, qui n’est pas un métabolite connus dans les modèles d’Escherichia coli (Figure 19). Afin de confirmer la présence d’Acétyl-Leucine dans Escherichia coli, l’étape suivante de notre travail a été de vérifier par spectrométrie de masse que le pic observé était effectivement celui de l’Acétyl-Leucine (Figure 20, haut). Nous avons ensuite recherché les enzymes chez Escherichia coli responsables de la synthèse de l’Acétyl-Leucine. Pour ce faire, nous avons utilisé une des méthodes d’apprentissage automatique présentées au paragraphe 2.2 (c’est-à-dire un processus gaussien). L’étude a montré que les enzymes ECBD4067 et ECDB4269 étaient responsables de la synthèse d’AcétylLeucine (Figure 20). Il est bon de noter que de tels exemples d’utilisation de méthodes d’apprentissage automatique en biologie de synthèse ne sont pas si fréquents. 31. Acétyl-Leucine : substance chimique qui est notamment utilisée comme médicament contre les vertiges.

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

distribution des masses dans un modèle d’Escherichia coli (courbe noire en haut à gauche). Des bases de données comme EcoCyc29 donnent le même type de courbe. La courbe en rouge est une courbe calculée à partir du spectre de masse d’un extrait cellulaire d’une cellule d’Escherichia coli. On observe une différence entre la distribution expérimentale et la distribution du modèle montrant ainsi que certains métabolites sont absents du modèle. Ne peut-on pas alors utiliser des programmes de rétrosynthèse pour trouver les molécules manquantes dans les modèles ? Effectivement, en utilisant le workflow RetroPath2.0 avec les règles de réactions de SimPheny, BNICE ou Retropath, on obtient un certain nombre de molécules qui ne sont pas initialement dans le modèle d’Escherichia coli. L’intérêt d’utiliser des systèmes de workflows est de pouvoir facilement les coupler entre eux. Ainsi RetroPath2.0 peut être couplé avec le workflow OpenMS qui permet de faire de l’annotation des spectres de masse et aider à la confirmation ou non de la présence d’une molécule à partir de sa masse. La Figure 18 (haut gauche) montre le résultat obtenu par OpenMS en utilisant en entrée un spectre de masse d’un extrait cellulaire d’Escherichia coli téléchargé à partir de la base de données MetaboLights 30.

195

Chimie et biologie de synthèse

Figure 18 Spectre de masse d’un extrait cellulaire d’Escherichia coli obtenu par le workflow OpenMS. Les points noirs représentent les données expérimentales. On peut ensuite corréler ce graphique avec les masses des molécules d’un modèle d’Escherichia coli (en bleu), où seulement 12,3 % des masses expérimentales sont couvertes. On augmente cette couverture en utilisant les masses des molécules produites par RetroPath2.0 (en rouge). En diminuant progressivement le diamètre, la partie du spectre couverte augmente : pour un diamètre de 16 : 23,1 %, et pour un diamètre de 4 : 60,6 %.

Figure 19 Detection de l’Acétyl-Leucine (en haut à gauche) dans le spectre de masse. Les données retournées montrent que la masse trouvée correspond bien à celle de l’AcétylLeucine.

196

Recherche par apprentissage automatique et vérification expérimentale des séquences d’Escherichia coli responsables de la synthèse d’AcétylLeucine. La recherche par apprentissage automatique retourne trois séquences possibles (ECBD0907, ECBD4067, et ECBD4269) correspondant à trois voies métaboliques différentes. Dans chaque cas, les enzymes ont été surexprimées pour mesurer l’augmentation d’Acétyl-Leucine. On a ainsi pu démontrer que les enzymes ECBD4067 et ECBD4269 étaient responsables de la production d’Acétyl-Leucine. Le spectre de masse (en haut ; couplage « MS-MS ») de l’Acétyl-Leucine permet de vérifier le produit obtenu.

La rétrosynthèse, aujourd’hui et demain

La rétrosynthèse en biologie : production de molécules bioactives et dispositifs pour le diagnostic

Figure 20

Ce chapitre a montré que la rétrosynthèse pouvait être performante dans diverses applications biologiques. Nous avons vu explicitement trois exemples, mais il en existe d’autres : la biorémédiation32 ou la dégradation de composés, le métabolisme alternatif, pouvant être utilisé pour fabriquer de façon plus efficace des molécules en utilisant moins d’énergie, ainsi que la combinaison des règles de réactions de synthèse chimique avec des règles de biosynthèse. On peut aussi envisager de déve32. Biorémédiation : technique consistant à augmenter la biodégradation ou la biotransformation, en introduisant des micro-organismes spécifiques ou en stimulant l’activité de populations microbiennes, par apport de nutriments et par ajustement des conditions de milieu.

197

Chimie et biologie de synthèse 198

lopper des approches de criblage de l’espace chimique consistant à faire évoluer des populations de molécules au moyen de réactions chimiques et/ou enzymatiques. Nous avons aussi montré que la rétrosynthèse pouvait être codée sous forme de workflows scientifiques, très simples d’utilisation. Des workflows, encore en développement, permettent déjà de piloter des robots destinés à être utilisés dans les processus d’ingénierie. Ainsi, à terme, le processus d’ingénierie de souches pourrait être complètement piloté et contrôlé par un système automatique basé sur la technologie des workflows. Finalement, nous avons montré que l’apprentissage automatique était utile dans les méthodes de rétrosynthèse telles qu’appliquées en biologie, pour la recherche des séquences enzymatiques, mais aussi pour les prédictions de toxicité et le classement des voies de synthèses. L’étape suivante est le développement d’un apprentissage actif où le cycle construction, mesure, apprentissage est itéré une première fois, puis relancé avec les mesures obtenues à la première itération. Finalement, pourquoi ne pas utiliser ces méthodes d’apprentissage pour faire directement de l’ingénierie de génome, pour rechercher par exemple automatiquement les niveaux d’expression de gènes permettant l’optimisation d’une souche de bioproduction ?

échelle

à l’

nanométrique

Détection des biomarqueurs des maladies par des technologies de fluorescence

Niko Hildebrandt est professeur à l’Université Paris-Sud, responsable de l’équipe de NanoBioPhotonique de l’Institut de Biologie Intégrative de la Cellule1 (Université Paris-Sud-CNRS-CEA).

Après avoir expliqué ce qu’est la fluorescence, nous allons voir ce qu’elle peut apporter pour le diagnostic médical à travers son application dans la Technologie FRET («  Fluorescence Resonance Energy Transfert », Figure 1), ou le transfert d’énergie entre molécules fluorescentes. La nanobiophotonique exploite les données apportées par la fluorescence (Figure 2), les couleurs, les spectres, mais aussi les durées de vie, pour des applications biologiques : analyse des interactions, des structures, des 1. www.i2bc.paris-saclay.fr

concentrations et des fonctions des biomolécules et biomarqueurs, études dynamiques de leur transport, etc. Les molécules fluorescentes, ou plus généralement luminescentes, qui peuvent être des nanoparticules ou des colorants, interagissent avec les biomolécules, les anticorps, les ADN, les ARN, et permettent leur étude par spectroscopie ou microscopie optique. Après avoir rappelé le principe de la fluorescence, nous verrons quelques applications notamment au diagnostic du cancer, à partir de biomarqueurs.

Niko Hildebrandt

Diagnostic médical

Chimie et biologie de synthèse

Figure 1 La technologie FRET est la base des technologies de fluorescence pour le diagnostic médical.

Figure 2 L’équipe interdisciplinaire de NanoBioPhotonique de l’Université Paris-Sud travaille sur des biomarqueurs luminescents et le transfert d’énergie par résonance pour mettre en place de nouvelles biotechnologies applicables au diagnostic médical.

1

La biologie nanométrique, pour des marqueurs moléculaires

1.1. L’accès à l’échelle nanométrique

202

Pour passer de la caractérisation d’un doigt à celle de l’un de ses atomes, l’accès à l’échelle nanométrique (de l’ordre de 10-9 m) s’effectue en

différentes étapes, et à chaque étape la résolution doit être augmentée d’un facteur dix environ. On passe du pouce (2 cm) aux dermatoglyphes2 (0,2 mm), et il faut ensuite 2. Dermatoglyphes : figures dessinées par les plis et crêtes de la peau, présentes sur la face palmaire des mains et la face plantaire des pieds. Elles sont caractéristiques de chaque individu.

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

utiliser un microscope pour voir les cellules (20 µm) avec des compartiments intracellulaires. À l’échelle de 2 µm on peut observer une mitochondrie3, où est produite l’énergie pour notre corps, l’ATP. Dans ces mitochondries, si on augmente encore la résolution par un facteur de dix, on voit des ribosomes 4, qui sont des protéines d’environ 20 nm. Enfin, dans les ribosomes se trouvent des molécules, et dans les molécules il y a des atomes. Les biomarqueurs moléculaires tels que les protéines, les ADN et les ARN, sont tous dans cette région nanométrique, qui n’est pas facilement accessible. Pourtant c’est à cette échelle nanométrique, qui contient les informations élémentaires nous intéressant, qu’il faut accéder pour décrire et comprendre les phénomènes biologiques. Dans un film de Richard Fleischer, Le voyage fantastique, paru dans les années 1970, on a imaginé des nanohumains pour aller voir ce qui se passe dans le corps. Vingt ans plus tard une autre série télé d’animation, Il était une fois la vie, explique le comportement des globules rouges sous forme de petits 3. Mitochondrie : élément (organite) contenu dans le cytoplasme d’une cellule qui a pour fonction de décomposer les nutriments en molécules simplifiées comme l’ATP, permettant ainsi la respiration cellulaire et la production d’énergie. 4. Ribosomes : complexes présents dans le cytoplasme des cellules qui permettent de synthétiser des protéines par lecture de portions de molécules d’ARN.

bonhommes. En 2016, une série d’animation scientifique explique le comportement des nanoparticules fluorescentes, comme ce nanocluster (un assemblage de nanoparticules) sur la Figure 3. On peut donc transmettre des informations scientifiques de façon simple et ludique pour comprendre ce qui se passe à cette échelle nanométrique en biologie.

Figure 3 La prochaine série : les nanoparticules aux propriétés fluorescentes ? Source : Hildebrandt N., Spillmann C.M., Algar W.R., Pons T., Stewart M.H., Oh E., Susumu K., Díaz S.A., Delehanty J.B., Medintz I.L. (2017). Chemical Reviews, 117 : 536-711.

1.2. Principe de fonctionnement d’un biosenseur Un biosenseur 5 (Figure 4) perm e t d ’a v o i r a cc è s a u x 5. Biosenseur : indicateur permettant d’évaluer la qualité d’un milieu biologique, ou de détecter la présence d’une molécule particulière dans ce milieu.

203

Chimie et biologie de synthèse

interactions biologiques. Son principe de fonctionnement est presque toujours le même, en trois étapes : −− la reconnaissance biologique : dans l’exemple de la Figure 4, deux anticorps reconnaissent spécifiquement la biomolécule qui nous intéresse, soit une molécule antigène6 ou un biomarqueur d’une maladie. Dans ce dernier cas, c’est un biomarqueur moléculaire ; −− cette reconnaissance biologique génère un signal, qui peut être un signal optique de fluorescence, un signal acoustique, ou encore électrique ; −− il faut détecter et traduire ce signal avec des détecteurs qui peuvent être optiques, électriques ou acoustiques. Ces 6. Antigène : macromolécule permettant le déclenchement d’une réaction immunitaire.

Figure 4 Les trois étapes du fonctionnement d’un biosenseur sont la reconnaissance biologique du biomarqueur, la génération d’un signal et sa détection, puis sa transformation en information compréhensible.

Reconnaissance biologique

détecteurs doivent transmettre et traduire le signal sous la forme d’une information (une liaison entre deux anticorps et un biomarqueur a eu lieu), que l’on comprend bien. Nous utilisons la détection optique et la fluorescence pour faire apparaître cette information. Dans cet exemple de reconnaissance biologique, l’échelle est de cinq nanomètres, et sur un très grand écran, on peut même voir les toutes petites molécules. Les détec teur s optiques (Figure 5) sont des molécules fluorescentes ou des molécules biologiques, par exemple : −− des colorants organiques (comme ceux que l’on trouve dans les surligneurs roses, jaunes ou verts) ;

Génération d’un signal (par exemple fluorescence)

Détection et traduction du signal

Anticorps 1

Biomarqueur (Antigène)

Anticorps 2

Figure 5 Molécules fluorescentes et biologiques : les colorants, les protéines, les anticorps, les molécules d’ADN, les nanoparticules et les clusters d’atomes sont autant de particules fluorescentes pouvant être étudiées à l’échelle nanométrique.

Colorant organique

Colorant de lanthanide

GFP (protéine fluorescente)

Anticorps

5 nm

204

Cluster d’atomes d’or

ADN

Nanoparticule semi-conductrice

7. Complexe supramoléculaire : assemblage de molécules à l’aide de liaisons non covalentes intermoléculaires. 8. Fluorophore : espèce ou substance chimique capable de réémettre de la lumière par fluorescence après avoir été excitée. 9. Quantum dot : structure cristalline de l’ordre du nanomètre, semi-conductrice, qui présente la plupart du temps des propriétés de fluorescence remarquables.

mesurer les interactions biologiques (Figure 5). 1.3. La photoluminescence et ses applications en analyse biologique Quand un composé est excité avec de la lumière et réémet une lumière différente, on parle de photoluminescence. L e s m o l é c u l e s p e u v e nt aussi être excitées, c’està-dire recevoir de l’énergie, avec d’autres moyens que la lumière (Figure 6), par exemple l ’électricité (l’électroluminescence) ou la chaleur (la thermoluminescence) ; les méduses émettent de la bioluminescence en utilisant l’énergie chimique. Un signal sonore peut conduire à la sonoluminescence et les anciennes montres utilisaient la radioluminescence.

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

−− des colorants luminescents, qui contiennent un ion de lanthanide tel que l’europium, le terbium ou le néodyme ; −− des complexes supramoléculaires7, fluorescents ; −− plusieurs atomes, par exemple l’or ou l’argent, qui forment des clusters luminescents ; −− des protéines fluorescentes comme la GFP (« Green Fluorescent Protein »), qui donne une fluorescence verte ; −− des nanoparticules qui, bien que très petites, sont beaucoup plus grandes que tous les autres fluorophores8. La Figure 5 montre une nanoparticule appelée « quantum dot »9, semi-conductrice, qui émet aussi de la fluorescence. Tous ces détecteurs doivent détecter les signaux émis par les biomolécules à une échelle donnée. Nous pouvons imaginer que, par liaison chimique, on puisse mettre une dizaine voire une vingtaine de colorants organiques sur un anticorps, mais on ne pourra pas mettre une vingtaine de nanoparticules sur cet anticorps. À l’inverse, on peut utiliser la surface de nanoparticules pour y coupler des anticorps et les utiliser comme générateurs de signal afin de

La Figure 7 permet de comprendre le phénomène de photoluminescence. L’échelle des ordonnées à gauche représente l’énergie E, celle de droite les longueurs d’onde λ, c’est-à-dire l’inverse à partir de la formule E=hc/λ. La lumière bleue transporte une grande énergie et la lumière rouge transporte une plus petite énergie. Toutes les molécules, y compris les molécules photoluminescentes, préfèrent être relaxées dans leur état fondamental d’énergie la plus basse, et quand elles sont excitées elles passent dans un état énergétique supérieur, mais elles reviennent toujours à l’état fondamental. Les molécules ont trois possibilités pour perdre l’énergie

205

Chimie et biologie de synthèse

A

B

C

D

E

F

Figure 6 A) Photoluminescence ; B) électroluminescence ; C) bioluminescence (certaines méduses émettent une luminescence d’origine chimique) ; D) la thermoluminescence est l’excitation de molécules par la chaleur ; E) sonoluminescence (l’émission d’un signal sonore entraîne une luminescence rose dans une solution appropriée) ; F) radioluminescence (les aiguilles et le cadran de certaines montres émettent une luminescence d’origine radioactive permettant de lire l’heure dans le noir). Sources : A) Wikipédia, licence cc-by-sa-4.0, Maxim Bilovitsky ; D) Wikipédia, licence cc-by-sa-3.0, Mauswiesel ; E) www.chm.bris.ac.uk ; F) Wikipédia, licence cc-by-sa-3.0, Autopilot.

Figure 7

ÉNERGIE

état exité (molécule excitée)

3 possibilités de perdre de l’énergie

ABSORPTION

chaleur

mouvement

luminescence

LONGUEUR D’ONDE

La photoluminescence : les molécules qui reçoivent une certaine quantité d’énergie par rayonnement (énergie qui est inversement proportionnelle à la longueur d’onde) cherchent à revenir dans leur état fondamental par un mouvement, une émission de chaleur ou de luminescence.

état fondamental (molécule relaxée)

avant de revenir à l’état fondamental : la chaleur, le mouvement (rotation, translation, vibration) ou la luminescence. 206

La Figure 8 explique le même phénomène sous une forme plus scientifique ; c’est un diagramme de photoluminescence, le diagramme de

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

Figure 8 La photoluminescence : le diagramme de Jablonski (d’Aleksander Jablonski) permet de faire apparaître les transitions de grande énergie (dues aux rayonnements de faible longueur d’onde) et celles de faible énergie (dues aux rayonnements de grande longueur d’onde). Les flèches représentent les transitions énergétiques.

Jablonski, du nom du chercheur ukr ainien-polonais Aleksander Jablonski, qui l’a mis au point. On y retrouve l’état excité et l’état fondamental, et entre les deux des flèches des transitions énergétiques possibles. Une grande flèche correspond à l’émission d’une grande énergie, donc d’une lumière de petite longueur d’onde (l’ultra-violet ou le bleu). Une luminescence verte correspond à une perte d’énergie plus faible. La couleur de la lumière émise renseigne donc sur la perte d’énergie.

Mais il faut aussi tenir compte des probabilités pour qu’on ait ces transitions : si la probabilité est forte, l’émission aura une forte intensité, mais la durée de l’émission sera courte, de l’ordre de la nanoseconde. Si la probabilité n’est pas très forte – c’est le cas pour la phosphorescence –, la durée de l’émission sera longue. Dans la luminescence ou la fluorescence, la couleur du rayonnement est mesurée par la longueur d’onde, et la durée de vie et l’intensité du rayonnement représentent

Couleur

Temps

I = I(λ)

I = I(t)

0,8 0,6 0,4 0,2 0

A

Intensité = probabilité

Intensité = probabilité

1,0

500

550

600

650

700

750

Longueur d’onde λ (en nm)

I(t) = I0 + Σ Ai · e–t/τi i

800

B

temps

Figure 9 Propriétés de la luminescence utilisée pour l’analyse biologique : A) un spectre est représenté par une intensité, qui est une probabilité, en fonction de la longueur d’onde correspondant à une couleur ; B) l’intensité de la luminescence décroît de manière exponentielle en fonction du temps, et ce, pour chaque couleur même si l’allure de la décroissance dépend de la couleur.

207

Chimie et biologie de synthèse

la probabilité de transition (Figure 9A). Quand la transition est probable, la décroissance de l’intensité avec le temps est nor malement exponentielle (Figure 9B), et pour la fluorescence ou pour la luminescence la décroissance est rapide, de l’ordre de la nanoseconde, parfois de la microseconde.

1.4. L’analyse des interactions biologiques : Transfert de Föster (FRET)

molécule accepteur : le transfert d’énergie de Förster. Si donneur et accepteur sont éloignés, il n’y a pas d’interaction (Figure 10A), mais si la distance entre donneur et accepteur est inférieure à dix nanomètres, on peut observer une interaction et un transfert d’énergie de ce donneur vers l’accepteur. Dans ce cas, si on excite le donneur avec une radiation lumineuse, c’est l’accepteur qui émet la lumière de photoluminescence. La lumière émise dépend des interactions biologiques à l’échelle nanométrique entre donneur et accepteur, les paramètres étant le changement de couleur des spectres et le changement de l’intensité et de la durée de vie de la photoluminescence (Figure 10B).

Les interactions biologiques peuvent être étudiées à partir du transfert d’énergie entre une molécule donneur et une

2

L’analyse biologique utilise toutes ces propriétés, les couleurs, les durées de vie, les intensités, en vue d’analyser le comportement des biomolécules ou détecter des biomarqueurs dans le diagnostic médical.

Application au diagnostic médical

2.1. La technologie TRACE : application à la détection de biomarqueurs A



µD

D

B

PL

µD

R

A

D



A

D

Changements

A



µA

Distance courte (R < 10 nm) entre le donneur (D) et l’accepteur (A) D*

A* hν

R

µA

Distance longue (R > 10 nm) entre le donneur (D) et l’accepteur (A) D*

PL



A* Couleur (spectre) & Temps (durée de vie)



D

A

Figure 10

208

A) Principe du FRET (« Förster Energy Transfer ») : lors du transfert de Förster, le donneur et l’accepteur sont trop éloignés, c’est pourquoi le donneur retourne dans son état fondamental en émettant une énergie sous forme de luminescence qui le caractérise ; B) si le donneur et l’accepteur sont suffisamment proches, le donneur transmet son énergie à l’accepteur, qui retournera à l’état fondamental en émettant une luminescence caractéristique du donneur, de l’accepteur et de leur interaction.

L a technologie TR ACE («  Time-Resolved Amplified Cryptate Emission ») est une application commercialisée par ThermoFisher, inventée en France à Bagnols-sur-Cèze, en collaboration avec JeanMarie Lehn (Prix Nobel de Chimie), et qui utilise la reconnaissance d’un biomarqueur par deux anticorps (Figure 12). TRACE permet de détecter les biomarqueurs pour les maladies infectieuses, les maladies cardiovasculaires, le diabète, le cancer, les diagnostics prénataux, et d’autres biomarqueurs. Dans tous les cas, l’objectif est de lire les informations transmises par

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique Figure 11 Les propriétés de fluorescence des nanoclusters ou des « quantum dots » peuvent conduire à de nombreuses applications.

le biomarqueur sur l’état de la maladie. Le principe de fonctionnement de TRACE est expliqué sur la Figure 13. Nos anticorps contiennent de l’europium et du terbium, qui sont naturellement photoluminescents sous irradiation UV. On observe la même luminescence quand on éclaire sous UV des billets de 100 €, contenant eux aussi du terbium (Figure 13). L’accepteur utilisé est un pigment (allophycocyanine) des protéines des algues. En l’absence de biomarqueur, quand on excite dans l’UV l’anticorps donneur, le donneur et l’accepteur sont trop éloignés et la couleur, l’intensité et la durée de vie

de la photoluminescence sont caractéristiques du terbium du donneur. Dès qu’on introduit un biomarqueur, il y a reconnaissance biologique et donneur et accepteur

Figure 12 Biomarqueurs : les deux anticorps en forme de Y interagissent avec le biomarqueur pour lire les informations qu’il a à transmettre sur l’état de la maladie. Source : Brahms, ThermoFisher Scientific.

209

Chimie et biologie de synthèse

UV

zéro bruit de fond

Détection temporelle

ms

FRET

ns

ms !!

Biomarqueur (Antigène)

ns-µs bruit de fond

D : Europium ou Terbium

Intensité = probabilité

1000 100

Nouvelle durée de vie

1 0,1 0,01

(Lanthanide avec durée de vie très longue)

Nouvelle couleur

10

0

1

2

3

4

5

Temps (ms)

A : Allophucocyanine

(Pigment des protéines des algues)

Figure 13 L’immunodosage TRACE (« Time-Resolved Amplified Cryptate Emission ») peut être utilisé pour le diagnostic de maladies infectieuses (par exemple Sepsis), maladies cardiovasculaires, diabète insipide en endocrinologie et troubles métaboliques, maladies du cancer, ainsi que pour le diagnostic prénatal. Les billets de banque sont marqués avec des atomes de terbium présentant des propriétés de luminescence dans l’UV. Le terbium, qui présente une luminescence avec une durée de vie très longue quand on les excite dans l’UV, est fixé aux antigènes. La présence d’un biomarqueur lié aux antigènes diminue la distance donneuraccepteur, et modifie la couleur et la durée de vie de la luminescence.

sont suffisamment proches pour qu’un transfert d’énergie puisse se faire, créant une nouvelle couleur, ainsi qu’une nouvelle durée de vie du rayonnement de photoluminescence (Figure 13B). 2.2. Immunodosages de FRET multiples : application au cancer du poumon

Figure 14

210

Cinq paires d’antigènes peuvent se fixer sur cinq biomarqueurs différents pour permettre une détection multiplexée.

Afin de détecter plusieurs biomarqueurs en même temps, nous avons multiplexé10 : c’est la technologie FRET. Dans le premier exemple nous avons étudié l’effet de cinq biomarqueurs différents du cancer du poumon sur cinq paires d’anticorps (Figure 14). Cette possibilité est très importante car dans notre corps il n’y a 10. Multiplexer : transmettre de manière simultanée plusieurs signaux différents sur une même voie.

malheureusement pas de biomarqueurs spécifiques d’une seule maladie : la concentration d’un même biomarqueur peut augmenter aussi bien pour un rhume que pour un cancer du poumon. Le principe est le même (Figure 15), on a juste besoin de plusieurs anticorps pour détecter ces biomarqueurs, afin d’avoir plus d’informations qualitatives sur le type de cancer du poumon. Cela permet notamment de distinguer les carcinomes pulmonaires11 « à petites cellules » des carcinomes pulmonaires non « à petites cellules », ce qui est très important pour le choix de la thérapie ultérieure. Cela permet aussi d’avoir plus d’informations quantitatives 11. Carcinomes pulmonaires : cellules cancéreuses se situant au niveau des tissus pulmonaires.

Avec biomarqueurs 3

B

CA15.3

Cyfra21-1

0

CA15.3

Cyfra21-1

SCC

CEA

NSE

anticorps libres

0

1

SCC

2

CEA

4

2

NSE

6

anticorps libres

Intensité de PL

8

« temporelle »

10

A

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

Sans biomarqueurs

Figure 15 (A) Immunodosages spécifiques sur le cancer du poumon. La présence de cinq types d’antigènes (B) permet de déclencher cinq biomarqueurs simultanément, et leur mesure simultanée dans un seul échantillon permet d’avoir des informations plus précises sur l’état d’un cancer du poumon, ce qui aide à choisir le meilleur traitement.

sur l’état du cancer. Quand cela est possible, l ’idéal est d’avoir simultanément plusieurs biomarqueurs dans un seul échantillon et le transfert d’énergie entre un terbium et cinq colorants différents en même temps (Figure 15B). 2.3. Détecteurs transmembranaires et nanoparticules On peut aussi coupler les anticorps avec des nanoparticules semi-conductrices afin de détecter des biomarqueurs récepteurs transmembranaires (comme EGFR ou HER2, Figure 16), dont les mutations sont associées à plusieurs types de cancer (dont le cancer du poumon). La

Figure 16 Couplage d’anticorps et de nanoparticules pour obtenir des détecteurs transmembranaires.

Bioingérierie des anticorps

IgG (~150 kDa)

F(ab)2 (~110 kDa)

VHH (~15 kDa)

Fab (~50 kDa)

Figure 17 On peut découper les anticorps en plus petites fractions plus légères pour les fixer à la surface de nanoparticules.

nano-anticorps (nanobodies)

211

Chimie et biologie de synthèse

grande surface des nanoparticules est utilisée pour faire de la bio-ingénierie à l’échelle nanométrique. Comme les liaisons dans les anticorps sont chimiques, on peut les couper pour créer de plus petits anticorps, des nanoanticorps (Figure 17), ce qui permet d’en mettre beaucoup plus sur une nanoparticule pour avoir une reconnaissance encore plus efficace.

La Figure 18 présente plusieurs anticorps animaux ou humains, et montre que pour la détection des récepteurs EGFR et HER2 (biomarqueurs), seules les parties supérieures encerclées, appelées « nanobody », sont nécessaires. Ces nano-anticorps peuvent être facilement isolés dans les anticorps de lamas ou de requins.

CH2 CH3

CH2 CH3

hcIgG

CH 1 CL VH VL

VH

1 CH CL

212

VH VL

Les chercheurs de l’équipe de NanoBioPhotonique utilisent l’amplification de l’ADN pour améliorer la détection des molécules luminescentes ou fluorescentes.

CH2 CH3

Figure 19

IgNAR

CH2 CH3

Requins VNAR Humains/souris VH

CH1 CH2 CH3 CH4 CH5

CH1 CH2 CH3 CH4 CH5

Lama VHH

VH

VH

On isole la partie supérieure des anticorps des lamas ou des requins qui suffit à la détection des récepteurs transmembranaires auxquels les mutations sont associées.

VH

Figure 18

IgG

(ou cadenas). C’est un ADN linéaire qui ser a fer mé par une molécule appelée ligase13. Dès la fermeture, ce petit double brin peut être utilisé par une polymérase pour commencer la synthèse de l’ADN (Figure 20A). La polymérase synthétise un autre simple brin et mille tours peuvent ainsi se faire autour de cet ADN circulaire ; à chaque fois, la polymérase déplace l’ADN qu’elle a synthétisé avant pour avoir un grand produit avec la même séquence répétée mille fois.

Les ADN ou les ARN peuvent aussi être des biomarqueurs pour des maladies, et dans ce cas, nous avons détecté des micro-ARN, qui sont de petits ARN non codants jouant un rôle important pour de nombreuses maladies ou états biologiques (Figure 19). Une polymérase12 , capable de produire beaucoup plus d’ADN utilisé comme biomarqueur, permettra d’augmenter l ’intensité des signaux donc de mesurer des concentrations plus faibles d’anticorps. Il faut pour cela utiliser un ADN « padlock »

Donc si on utilise cette production d’ADN, on peut coupler avec une seule molécule d’ADN ou d’ARN amplifiée environ mille produits fluorescents, que l’on peut aussi utiliser pour le FRET. Ce

12. Polymérase : enzyme intervenant dans la réplication, la réparation et la recombinaison de l’ADN.

A

13. Ligase : enzyme permettant d’assembler deux molécules à l’aide d’une liaison covalente.

B

Amplification d’ADN (> 1000 fois) par réplication circulaire (RCA) 1

e

as

Lig

Nick ligation

ras e

2

cadenas ADN

CIBLE (ADN ou ARN)

Po lym é

Multiplexage supérieure : Combinaison couleur + temps cadenas 1

3 Tb

DN ur es A te Sond + Accep neur

Tb

colorants

4

FRET

Cy3.5

ADN-21

Tb

10 bps TG1 (0,1-0,2 ms)

Don

TGFRET

cadenas 2

ADN-20a

RCA

Stop RCA

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

2.4. Améliorer l’analyse par photoluminescence par amplification des ADN ou ARN

etc.

cadenas 4

ADN-20b

Tb

FRET

Cy5.5

11 bps TG3 (0,1-0,3 ms)

Cy3.5

18 bps TG2 (0,4-0,5 ms)

cadenas 3

Produit issu de la réplication circulaire

FRET

ADN-191

Tb

FRET

Cy5.5

18 bps TG4 (1,5-2,0 ms)

Figure 20 Super multiplexage et augmentation de la sensibilité : A) l’ADN, qui peut aussi servir de biomarqueur, peut être répliqué à l’aide de ligases et de polymérases selon une réaction cyclique : on accède ainsi à une très grande quantité du biomarqueur voulu ; B) ce principe d’amplification peut être appliqué à plusieurs molécules permettant chacune de détecter un biomarqueur, ce qui permet d’augmenter le multiplexage ainsi que la sensibilité. RCA (« Rolling circule amplification ») : amplification par réplication circulaire de l’ADN.

213

Chimie et biologie de synthèse

principe d’amplification peut être appliqué à plusieurs ADN différents, que l’on utilisera avec des accepteurs différents, avec une distance différente ou avec différentes couleurs (Figure 20B). On peut alors par exemple détecter avec trois couleurs et trois durées de vie, trois fois trois en solution, soit neuf biomarqueurs différents.

Si ce principe est utilisé en imagerie, avec une résolution spatiale, on a vingt-sept codes différents pour distinguer vingt-sept biomarqueurs différents dans une cellule avec seulement trois couleurs et trois durées de vie en plus, avec une amplification qui nous donne accès à des concentrations très faibles.

La photoluminescence est un outil très performant pour le diagnostic médical Cette technologie du traçage par photoluminescence peut être utilisée pour détecter les cancers dans les différents spécimens cliniques : le sang, les tissus, les cellules (Figure 21). Elle est appelée RCA FRET. La Figure 21A montre le résultat dans la détection des biomarqueurs du cancer de l’ovaire dans les cellules du sang : il y a une augmentation des biomarqueurs chez les

microARNs dans le sang

patients

1,5

1,0

0,5

0

36

bonne santé

microARNs dans les cellules

patients

30 24 18 12 6 0

RCA-FRET

RT-qPCR

Réponse inflammatoire

microARNs dans le tissu

(106 miR-21)/(ng total RNA)

(106 miR-21)/(ng small RNA)

bonne santé

C

Cancer du sein

RCA-FRET

RT-qPCR

RCA-FRET

RT-qPCR

RCA-FRET

RT-qPCR

Stimulation de 0 h à 24 h 6

400

RCA-FRET RT-qPCR

350 300 250

4

200 150

2

100 50

0

0 h 24 h 0 h 24 h (0,25 mio (3 mio cell.) cell.)

0 h 24 h (3 mio cell.)

0

(103 miR-146a)/(ng total RNA)

B

Cancer de l’ovaire

(103 miR-132)/(ng total RNA)

A

Figure 21

214

Grâce au traçage par fluorescence, on voit que la quantité de biomarqueurs augmente fortement dans le sang, les cellules ou les tissus de la personne malade en fonction de la pathologie considérée. On voit aussi que cette différence entre les personnes saines et malades est plus marquée pour la technologie FRET que pour la technologie QPCR. RT-qPCR : Réaction en chaîne par polymérase quantitative et avec rétrotranscription.

Diagnostic médical à l’échelle nanométrique

patients. Cette augmentation est beaucoup plus importante dans les cellules des tissus pour le cancer du sein (Figure 21B). Mais on observe aussi que cette technologie de fluo­ rescence est beaucoup plus précise que la techno­ logie normalement utilisée qui est la QPCR (« Quantitative Polymerase Chain Reaction »). La technologie RCA FRET permet aussi de mesurer la réponse inflammatoire par la stimulation (Figure 21C). La luminescence est donc une technologie très puissante permettant d’effectuer des diagnostics médicaux de plus en plus précis et riches d’informations (Figure 22).

Figure 22 La nanobiophotonique, un outil puissant !

215

outils chimiques

pour les

reprogrammer

cellules

tumorales Paola Arimondo est directrice de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) au laboratoire EpiChBio de l’Institut Pasteur.

L’objectif de ce chapitre est de présenter le développement de nouveaux outils chimiques capables de reprogrammer les cellules cancéreuses (Figure 1). Dans le domaine de la chimie biologique (« chemobiologie »), le développement des outils chimiques a deux objectifs (Figure 2) : – trouver des sondes pour identifier et comprendre les mécanismes biologiques aberrants intervenant dans les pathologies comme le cancer ; – moduler ces processus biologiques par des outils chimiques en vue d’en faire des outils thérapeutiques. Nos recherches dans ce domaine ont commencé au Muséum National d’Histoire Naturelle, pour continuer en 2011 avec la création du

l abor atoire mix te entre le CNRS et Pierre Fabre ( Figure 3 ) , d é d i é , c ô té recherche, à l’épigénétique1 du cancer (ETaC, « Epigenetic Targeting of Cancer ») et situé sur l’Oncopôle de Toulouse dans le Centre de recherche Pierre Fabre.

1

Le ciblage chimique des cancers

Pour les chimistes, trois principaux gènes sont ciblés pour traiter les cancers (Figure 4) : – les oncogènes2, qui sont les accélérateurs des cellules 1. Épigénétique : étude des changements dans l’activité des gènes n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. 2. Oncogène : qui favorise le développement des tumeurs.

Paola Arimondo

Des

Chimie et biologie de synthèse

Figure 1 Les « epidrugs », des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales ?

Cellule cancéreuse ADN

« Epidrugs »

Cellule reprogrammée

Figure 2 Le développement d’outils chimiques a deux buts : sonder et moduler les processus biologiques.

Figure 3 Le laboratoire ETaC situé sur l’Oncopôle de Toulouse.

218

OUTILS CHIMIQUES

Pour SONDER les Processus Biologiques (BioChem)

Pour MODULER les Processus Biologiques (MedChem)

élucider au niveau moléculaire les mécanismes biologiques abérrants dans les pathologies comme les cancers

moduler artificiellement l’expression de gènes pour de nouvelles stratégies thérapeutiques

oncogènes (RAS, BCL2, …)

gènes de réparation (BRCA, MGMT, …)

tumorales 3 induisant une prolifération non contrôlée ; – les gènes de réparation, qui sont les mécaniciens de la cellule ; une cellule tumorale a des mauvais techniciens ; – les gènes suppresseurs de tumeurs, qui sont les freins et normalement contrôlent la cellule. Une cellule cancéreuse n’utilise plus les freins et, comme une voiture sans freins, prolifère de façon incontrôlée. Les stratégies anticancéreuses actuelles visent donc plusieurs objectifs possibles : – inactiver les oncogènes, donc faire en sorte que les cellules cancéreuses ne prolifèrent plus de façon aberrante ; –  restaurer les mécaniciens, ou complètement les éliminer car si on les élimine les cellules meurent ; –  réactiver les gènes suppresseurs de tumeur : quand la cellule réacquiert les freins, elle est à nouveau capable de s’arrêter et retrouve son contrôle pour induire la mort cellulaire.

gènes supresseurs de tumeur (RB, P53, P16, …)

Figure 4 Trois principaux types de gènes impliqués dans les cancers.

réactiver les freins de la cellule, à savoir les gènes suppresseurs de tumeurs.

2

De la génétique à l’épigénétique

La méthylation de l’ADN fait par tie de l ’épigénétique. Étymologiquement épigénétique veut dire « sur la génétique ». Cette discipline a pris de l’essor depuis le séquençage6 du génome humain en 2001. On pensait alors que la génétique pourrait expliquer beaucoup de choses (Figure 5 ), en par ticulier dans les pathologies comme les cancers, et permettre de trouver ainsi de nouvelles thérapies. Le séquençage est important car il a ouvert la médecine personnalisée. Mais il est très vite apparu que les séquençages du génome 6. Séquençage : le séquençage de l’ADN consiste à déterminer l’ordre d’enchaînement des nucléotides pour un fragment d’ADN donné.

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

GÈNES impliqués dans les CANCERS

Figure 5 Couvertures des revues scientifiques, Nature et Science, datant de 2001, illustrant l’importance du séquençage du génome humain.

Nous nous sommes d’abord intéressés aux topoisomérases 4 d’ADN afin d’inactiver les oncogènes, et plus récemment nous nous intéressons à la méthylation5 de l’ADN pour 3. Cellule tumorale : cellule se multipliant de manière anarchique. 4. Topoisomérase : enzyme qui régule l’enroulement des molécules d’ADN. 5. Méthylation : modification chimique consistant en l’ajout d’un groupe méthyle (-CH3) sur un substrat.

219

Chimie et biologie de synthèse

n’expliquent pas tout. Ils n’expliquent notamment pas d’où vient la diversité et comment notre cellule intègre l’impact de l’environnement (Figure 6). Toutes les cellules de notre corps ont reçu le même ADN, la même séquence ; c’est comme un manuel d’instruction où les mots seraient les bases de l’ADN. Mais une cellule du foie est très différente d’une cellule neuronale ; ces deux cellules utilisent le

Figure 6 Article du New York Times sur la différenciation cellulaire, datant de 2009, illustrant la découverte de l’épigénome.

même manuel, mais ne lisent pas les mêmes chapitres : chacune ne lit que 2 à 5 % de ce manuel d’instruction. Ainsi une cellule neuronale lit un chapitre différent de celui lu par la cellule du foie. L’épigénétique met un masque sur certains chapitres et participe à dire à la cellule quel chapitre elle doit lire. 2.1. L’épigénétique Les modifications épigénétiques sont des modifications chimiques, soit de l’ADN, soit des histones7, protéines autour desquelles l ’ADN (représentée par les fils bleus sur la Figure 7), est enroulée pour former la structure de base de la chromatine, le nucleosome8. En fonction de ces modifications chimiques, soit la chromatine peut être fermée, et on ne peut pas lire la séquence de base dans l’ADN, donc on ne peut pas lire le manuel d’instruction, soit elle peut être ouverte. 7. Histones : protéines basiques s’associant à l’ADN pour former la structure de base de la chromatine. Les histones jouent un rôle important dans l’empaquetage et le repliement de l’ADN.

Figure 7 Schéma de l’impact des modifications épigénétiques sur l’ADN et les histones (les modifications chimiques de l’ADN et des histones sont réversibles). En fonction des modifications des histones et de la méthylation de l’ADN, les gènes présents sur cette partie de l’ADN peuvent être mis sous silence ou exprimés. 220

ADN

Chromatine Histone

Modifications épigénétiques FERMÉE

Nucléosome

ADN OUVERT

changements transmissibles et réversibles de l’expression de gènes sans altération de la séquence d’ADN Contrôle de l’accès à l’information stockée dans l’ADN

2.2. Épigénétique et environnement Les modifications épigénétiques sont induites par l’environnement au sens large : la cellule reçoit en permanence toutes sortes de signaux l’informant sur son environnement, de manière à ce qu’elle se spécialise au cours de son développement ou ajuste son activité à la situation. Ces signaux, y compris ceux liés à nos comportements (alimentation, tabagisme, stress…), peuvent conduire à des modifications dans l’expression de nos gènes, sans affecter leur séquence. Le phénomène peut être transitoire, mais il existe des modifications épigénétiques pérennes, qui persistent lorsque le signal qui les a induites disparaît. Concrètement, ces modifications sont matérialisées par des marques biochimiques, apposées par des enzymes spécialisées sur l’ADN ou sur les histones. Les marques les mieux caractérisées sont les groupements méthyle (-CH 3 ) apposés sur l’ADN, ainsi que diverses modifications chimiques des histones (méthylation, acétylation…). Pour qu’un gène conduise à la synthèse d’une molécule, il doit être lisible, c’est-àdire accessible à différents complexes protéiques intervenant dans ce processus. Les marques de méthylation localisées sur l’ADN vont le

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

Ces modifications chimiques contrôlent en fait l’accès à l’information stockée dans l’ADN. Ce qui est encore plus intéressant est que ces modifications chimiques sont réversibles.

plus souvent obstruer les aires d’arrivée de ces complexes protéiques, conduisant ainsi à l’inactivation des gènes concernés. Les marques apposées sur les histones modifient quant à elles l’état de compactage de la molécule d’ADN, favorisant ou au contraire limitant l’accessibilité aux gènes. Des modifications chimiques différentes permettent ainsi de changer un phénotype 8 , puisque qu’à partir d’un seul génome, d’un seul manuel d’instruction, on peut aboutir à des phénotypes différents (Figure 8A), avec plein d’épigénomes9 différents. 8. Phénotype : ensemble des caractères apparents d’un individu. 9. Épigénome : état épigénétique de la cellule.

A Un seul génome peut aboutir à des phénotypes différents remodeler

chromatine 1 génome ADN

information stockée

épigénomes

B

Spécimen vivant de Peloria

information organisée

ncRNAs

Linaria (toadflax) normal

from Allis, 2007

from Cubas et al. Nature 1990

Figure 8 A) Différents épigénomes peuvent être obtenus à partir d’un seul génome, simplement à cause de ces modification épigénétiques ; B) différents épigénomes de la Linaria : les deux fleurs de Linaria ont des aspects très différents à cause d’une différence de méthylation de l’ADN selon la température de croissance. Source : Cubas P., Vincent C., Coen E. (1999). An epigenetic mutation responsible for natural variation in floral symmetry, Nature, 401 : 157-161.

221

Chimie et biologie de synthèse

Un bon exemple est la fleur Péloria (Figure 8B), qui présente deux aspec ts très différents selon sa température de croissance, si elle est cultivée dans le nord ou dans le sud de l’Europe. Juste avant les années 2000, on s’est aperçu que cette différence n’était pas génétique, mais liée à une différence de méthylation de l’ADN qui conduit à deux phénotypes différents, donc à deux fleurs très différentes. Un autre exemple est celui des jumeaux monozygotes (Figure 9). Ces jumeaux

naissent de la même cellule, ils ont le même ADN, mais quand ils grandissent, l’un peut développer une maladie, pas l’autre, l’un peut devenir chauve, pas l’autre, etc. Une équipe espagnole a étudié les différences épigénétiques des jumeaux monozygotes et a montré en 2005, à partir de marqueurs épigénétiques, qu’il y avait une différence au niveau de l’épigénome, alors qu’il n’y avait pas de différences majeures au niveau du génome (Figure 10). Ils ont étudié, entre trois et cinquante ans, la méthylation de l’ADN

Figure 9 Des modifications génétiques sont observées durant la vie des jumeaux.

Ju

Figure 10

222

7

22

Temps (minutes)

Ju

5,0

70

4,5

65

4,0

60

3,0 2,5

B

Jumeaux âgés de 50 ans

Ac1

Ac2 20

35

50 45

30

19

40

55

30 25 20

35 Jumeaux âgés de 3 ans

18

Temps (minutes) 45

40

2,0 1,5

26

% AcH4

3,5

24

Temps (minutes)

% AcH4

% 5mC

âgé de 66 ans

m ea u A m e Co au B nt rô Ju le m ea Ju u A m e Co au B nt rô le

âgé de 26 ans

H3 | 5 mAU

Ac2

5mC

| 5 mAU

Ju

Différences épigénétiques dans les jumeaux monozygotes : A) résultats mettant en évidence une grande similarité entre les génomes de deux jumeaux homozygotes ; B) quantification de certains marqueurs épigénétiques entre deux jumeaux homozygotes à trois et à cinquante ans. La différentiation de ces marqueurs est de plus en plus significative au cours du temps.

H4

Ac0

5mC

Ac0

C

A m

ea u

B

ea u Ju

Méthylation des histones Ac1

Méthylation de l’ADN

âgé de 66 ans

m

ea u m

m Ju

Ju

ea u

A

âgé de 26 ans

B

A

Jumeaux âgés de 3 ans

Jumeaux âgés de 50 ans

15

Jumeaux âgés de 3 ans

Jumeaux âgés de 50 ans

C e s deu x mo dif ic ation s chimiques épigénétiques apparaissent donc avec l’âge. Plus les modes de vie sont différents (l’un vit à la ville, l’autre à la campagne, l’un fume et l’autre pas), plus ces modifications sont différentes. Ainsi l’épigénétique intègre l’impact de l’environnement.

90 % 80 % 70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0%

Effet de l’ARN interférent de Dnmt3 sur le développement des larves Ouvrières

Reines

Mimes de la reine

238

73

Contrôle

Ouvrières

74

188 RNAi

200 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0

Nombre d’ovarioles par ovaire

Ouvrières

Mimes de la reine

Reines

Figure 11 Résultats de l’inhibition de la Dnmt3 par ARN interférents chez les abeilles. Lorsque la Dnmt3 est inhibée, les abeilles ouvrières développent certaines caractéristiques habituellement réservées aux reines. Source : Castillo-Aguilera O. (2017). Biomolecules, 7 : 3.

phénotype juste en inhibant la méthylation de l’ADN.

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

et l’acétylation des histones (Figure 10C) de ces jumeaux. On peut voir, pour la méthylation de l’ADN, qu’à trois ans il n’y a pas encore beaucoup de différences, mais qu’il y a en revanche une énorme différence à cinquante ans. Il en est de même pour la méthylation des histones.

2.4. Epigénétique et cancer 2.3. Épigénétique et plasticité cellulaire L’épigénétique confère une plasticité cellulaire. Par exemple chez les abeilles, l’abeille reine (Figure 11) est plus grande, c’est la seule qui est capable de pondre, et elle mange la gelée royale. Un groupe de recherche australien a montré que la méthylation de l’ADN de la reine est différente. Par des techniques dites d’ARN interférence, les chercheurs ont inhibé l’enzyme, responsable de la méthylation, la Dnmt3, et ont transformé des ouvrières en reines, et crée ainsi beaucoup plus de reines. Mais l’épigénétique n’explique pas tout parce que ces nouvelles reines ne sont pas des vraies reines : il y a donc tout de même autre chose... Cette expérience montre néanmoins qu’on peut changer un

De nombreux processus deviennent aberrants dans une cellule c ancér eus e (Figure 12). Une cellule cancéreuse est capable d’échapper aux signaux d’arrêts, elle augmente sa vascularisation pour avoir plus d’oxygène et de nutriments parce qu’elle prolifère plus, elle devient invasive, agressive, immortelle, elle échappe à la réponse immunitaire10. Les stratégies actuelles par les thérapies ciblées11 visent une de ces cascades, mais 10. Réponse immunitaire : ensemble des mécanismes permettant à un organisme de se défendre contre une substance étrangère (antigène) menaçant son intégrité. 11. Thérapie ciblée : utilisation à un médicament sélectif qui s’attaque, dans le cas du cancer, aux cellules cancéreuses en repérant chez elles une cible précise (récepteur, gène ou protéine) et en épargnant au maximum les cellules saines.

223

Chimie et biologie de synthèse

Processus tumorigènes ciblés par la thérapie épigénétique

Inflammation promotrice de tumeur Cellule immunitaire

M

échappent aux signaux d’arrêt

agressives

G2 Échappent aux suppresseurs de croissance

Cellule cancéreuse G1

Mitochondrie

Dérégule l’énergétique cellulaire

S Noyau

Cellule morte résistante

augmentation d’O2 et nutriments

Induit l’angiogenèse

Voie de signalisation

Cellule mésenchymateuse

invasives

Permet l’immortalité réplicative

immortelles

Instabilité du génome et mutation

échappent à la réponse immunitaire

Entretien de la signalisation de prolifération Avoiding immune destruction

Active l’invasion et les métastases

Figure 12 Processus aberrants dans une cellule cancéreuse : le rôle de la régulation épigénétique. Source : adapté de Baylin S. B. (2013). Nature Reviews Clinical Oncology, 10 : 256-266.

pas toutes. On sait maintenant que l’épigénétique est impliquée dans toutes ces caractéristiques de la cellule cancéreuse, on décide donc de cibler chimiquement les acteurs épigénétiques. Trois catégories des protéines impliquées sont ciblées (Figure 13) : –  les protéines « writer », qui ajoutent un groupement

Figure 13

224

A) « Writers », protéines permettant d’ajouter un groupement chimique dans les processus épigénétiques ; B) « erasers », protéines permettant d’enlever un groupement chimique ; C) « readers », protéines permettant de lire un groupement chimique dans les processus épigénétiques. En bas sont représentées les molécules actives actuellement sur le marché ou en essais cliniques ayant un impact sur ces protéines.

A « Writers »

chimique bloquant l’information, comme les méthyltransférases, qui transfèrent un méthyle (-CH 3 ), et les acét yltransférases, qui transfèrent un acét yle (CH 3 CO-). Deux molécules sont approuvées contre les méthyltransférases d’ADN et plusieurs autres sont en phase d’essai clinique contre les histones ;

B « Erasers »

méthyltransférases (DNMT, HMT) acétyltransférases (HAT) …

déacétylases (HDAC) déméthylases (KDM, TET) …

DNMT EZH2 PRMT5 DOT1L

HDAC IDH2mut LSD1 IDH1mut

2 approuvés Phase II Phase I Phase I

5 approuvés Phase I/II Phase I Phase I/II

C « Readers »

bromodomaine chromodomaine …

BRD

Phase II/III

–  les protéines « readers » peuvent lire les modifications chimiques et transmettre le signal à la cellule. Les bromodomaines, par exemple, sont de petites molécules qui ciblent ces readers. Des bromodomaines de groupements acétyles sont aujourd’hui en phase II et III pour les cancers. Les épi-drugs utilisées dans les recherches cliniques ont pour but de reprogrammer globalement la cellule cancéreuse (Figure 14) et d’agir sur toutes ses caractéristiques

moins agressives

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

–  les protéines « effaceurs », qui enlèvent un groupement chimique, les dés acét ylases d’histones, les HDAC et les diméthylases sont très connues ; cinq molécules sont aujourd’hui approuvées en clinique ;

pour qu’elle devienne moins invasive, moins agressive, chimiosensible et immunosensible, et qu’elle soit à nouveau capable de mourir. 2.4. Exemple de la méthylation de l’ADN La méthylation de l’ADN correspond à l’ajout d’un groupement méthyle sur le carbone 5 des résidus cytosines de l ’ADN principalement au niveau de dinucléotides CpG (cytosine-phosphate-guanine) (Figure 15). Les dinucléotides CpG se regroupent en régions riches en CpG ; ce sont les îlots CpG (Figure 16). Cette modification chimique est catalysée par des enzymes, les méthyltransférases d’ADN ou DNMT, à par tir d’un donneur de méthyle, la

↑ Métastase ou transition épithéliale mésenchymateuse

↓ Comportement semblable à une cellule souche

IGFBP3, MMP9, GATA4, GATA5, FBN2, NRCAM, CDH13

p16 (CDKN2A, p16lnk4A), NONOG SOX family genes, POU5F1 (OCT-4), mi-R-34n, DMBX1 (Pax B), HOX family genes

G2

chimiosensibles

immunosensibles

↓ Chimiorésistance

WRN, LGR5, ASCL2, CDKn1C (p57kip2), SNK/PLK2

↑ réponse immunitaire

CD58, MAGE antigens, B2M, STAT1, MHC1 antigens

Tumeur

moins invasives

M G1

S ↑ Prolifération et survie cellulaire RASSF1A, PTEN, DKK4, BMP3

↑ Apoptose ou sensibilité chimiothérapique

DAPK1, APAF1, SPARC, TMS1/ASC (PYCARD), ESR1 (oestrogen receptor a), BNlP3

immortelles

Figure 14 Les « epi-drugs » : un moyen de reprogrammer les cellules cancéreuses et de changer leurs caractéristiques. Il est possible de les rendre moins invasives, moins agressives, plus chimiosensibles, immuno sensibles et mortelles. Source : adapté de Baylin S. B. (2013). Nature Reviews Clinical Oncology, 10 : 256-266.

225

Chimie et biologie de synthèse

Figure 15 Réaction de méthylation (ajout d’un groupe CH3) de l’ADN catalysée par les DNMT.

S -adénos y l-L-méthionine (SAM). Ces groupements méthyle forment ainsi un revêtement moléculaire, variable d’un gène à l’autre, d’un type cellulaire à un autre, et confèrent un caractère unique et transmissible à l’ADN. La structure moléculaire de l’ADN a donc sa composante génétique, qui est la même dans toutes les cellules, et sa composante épigénétique est variable suivant les types cellulaires. Des changements épigénétiques majeurs sont associés à la cancérogenèse, notamment des méthylations aberrantes

Méthylation +

de l’ADN (Figure 16). Si les î lots CpG sont for tement méthylés dans les régions promotrices de gènes, la méthy l ation inhibe leur expression. Le gène correspondant est éteint, c’est un cache qui ne permet plus de lire l’information. En fait, les cancers utilisent ce mécanisme pour éteindre les gènes suppresseurs de tumeurs, qui sont les freins de la cellule. L’objectif a donc été d’inhiber l’enzyme responsable de la méthylation, la DNMT, pour déméthyler les promoteurs de gènes et ainsi réactiver les gènes

Gène OFF CpG CpG CpG CpG CpG

Gène suppresseur de tumeur

Inhibiteur d’ADN méthyltransférase (DNMTi)

Gène ON CpG CpG CpG CpG CpG

Figure 16

226

A) Influence de la méthylation de l’ADN des îlots CpG dans l’expression des gènes et stratégie anticancéreuse ; B) deux molécules approuvées pour traiter des cancers du sang.

Cancer

Cellules reprogrammées

Vidaza® (5-azacytidine, 5azaC) et Dacogen™ (5-aza-2’-désoxycytidine, 5azadC) inhibent les DNMT en clnique pour les cancers hématologiques (SMD et LAM)

besoin de nouvelles molécules séléctives, puissantes et stables chimiquement 5azaC

5azadC

3.1. La pharmacomodulation La pharmacomodulation est une modification structurale permettant d’optimiser l’activité pharmacologique ou de modifier les propriétés physico-chimiques d’une molécule. La Figure 17 représente la poche catalytique14 de l’enzyme ciblée (DNMT). Elle contient deux substrats : en orange, le SAM, qui, nous l’avons vu sur la Figure 15, donne le groupement méthyle à la cytidine (représentée en vert, sortie de la doublehélice d’ADN).

3

Nouvelles pistes de recherche de thérapie épigénétique

Quatre stratégies de synthèse chimique classique de la chimie médicinale ont été mises en œuvre pour trouver de nouvelles molécules, chimiquement stables, inhibitrices de DNMT : – la pharmacomodulation d’inhibiteurs déjà existants ;

12. Chimiothèque : banque de données de molécules. 13. Extractothèque : banque de données d’extrait naturels. 14. Catalytique : se dit d’une substance qui augmente la vitesse d’une réaction chimique, sans apparaître dans le bilan réactionnel.

–  la synthèse de conjugués inhibiteurs (ligand de l’ADN) ; –  l’approche bisubstrat ; – mise au point des tests de criblage pour cribler de grands nombres de molécules

Trp ou Leu

Thr ou Val

N

O

H

Asp

H

Phe

Ile

O +

H3 N

N

H



O

O

Glu

O

O

H H

S

N

N

O

N N

N

Cofacteur SAM

O H O

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

des chimiothèques12 et des extractothèques13 de produits naturels.

suppresseurs de tumeurs, afin que la cellule cancéreuse récupère ses freins, et donc, comme une voiture, son contrôle. Deux molécules sont déjà approuvées (Figure 16B), la 5-azacytidine et la 5-aza2’-désoxycytidine, qui inhibent la DNMT pour traiter des cancers du sang.

H

CH3

N

N

S

H H

N

N

O O

Arg

N

O H

O

Cystéine de la poche Glu catalytique de DNMT

H N

O H

O

H O O

P

H

O– O

Cytidine du brin d’ADN

Figure 17 Site catalytique de la DNMT.

227

Chimie et biologie de synthèse

Figure 18 Modification de la RG108 dans le but d’en améliorer les propriétés. On modélise la poche catalytique de l’enzyme DNMT1. Source : Asgatay J. (2015). Med Chem.

NH2 HOOC HO HO N N

N NH2

S

O

O N

HO

O

N NH2

O

N

HO

SAM

P

O O

déoxycytidine O

COOH

COOH

N

NH

O

IC50 : 390 µM RG108

Pour synthétiser des analogues de SAM, l’équipe de recherche en collaboration avec le Dr Dominique Guianvarc’h (Sorbonne Université) a travaillé sur un composé de base appelé RG 108 (Figure 18), qui était décrit dans la littérature scientifique. La poche catalytique de l’enzyme DNMT1 a été modélisée. Le SAM (qui donne le groupement méthyle) et la cytidine (qui reçoit le groupement méthyle) y ont été positionnés. On y accroche ensuite la molécule RG108 (à la place de SAM), et il apparaît qu’elle n’occupe pas toute la poche. Donc il faut faire grossir la molécule pour occuper toute la place disponible et obtenir ainsi un composé dix fois plus efficace. D ’a u t r e s m o d i f i c a t i o n s chimiques basées sur la même stratégie ont été apportées pour récupérer à la fois l’interaction et l’affinité.

Figure 19

228

Pharmacomodulation du SGI 1027 : découpage. Source : adapté de Valente. (2015), J. Med Chem.

Simultanément l’équipe du Professeur Antonello Mai (La Sapienza, Rome) a appliqué une autre stratégie de chimie médicinale à partir d’un composé connu lui aussi dans la littérature, le

O

N

SAR

N H

16 IC50 : 50 µM

SGI 1027 (Figure 19). Celui-ci est découpé en quatre morceaux qui sont recombinés de façon différente, de manière à optimiser l’efficacité de la molécule : c’est la version méta-méta qui est la plus puissante comparée aux autres combinaisons et à la version para-para de départ. Des tests enzymatiques ont été mis au point pour comprendre le mode d’action de ces molécules, et l’interaction de SAM avec l’ADN a été mise en évidence. La température de décomposition de l’enzyme DNMT1 diminue quand elle interagit avec une autre molécule (Figure 20A) : donc le composé formé déstabilise la protéine. Quand on a l’inhibiteur DNMT1 (en rouge sur la Figure 20B) qui se fixe à l’ADN, il décroche le complexe DNMT, ADN et SAM, et il n’y a plus de méthylation. 3.2. L’approche bisubstrats La poche de l’enzyme est représentée à gauche de la Figure 21, avec les deux substrats : les SAM (en rouge) et la cytidine (en bleu), qui va recevoir le

B

Composé 5 (µM)

Figure 20 A) Température de désagrégation de l’enzyme DNMT1 en fonction de la concentration de différents composés avec lesquels elle interagit ; B) mécanisme d’action d’un inhibiteur de la DNMT. Source : adapté de Gros et coll.(2014). J.biol.Chem.

Trp ou Leu

Thr ou Val

N

Asp

H

Phe



O H H

S

N

N

O

N N

N

Cofacteur SAM

O

O

H

H

O

Glu

H

CH3

N

S Cystéine catalytique de DNMT

espaceur

H H

Arg

N

O H

N

N

O O

indoles

N

Glu O

H

N

N

O

H N

O piperazine

quinazolinone

O

O

N

quinolines

N

pyrrolidine

quinazoline

N

H

O

O

Représentation de la poche catalytique de l’enzyme et des différents groupes fonctionnels des composés ciblés. Différents composés hydrophobes, cycles aromatiques et liens ont été testés.

HN

O

N

Ile

O H 3N

+

N

pyridines

N

piperidines

NH

O

H

aromatique aliphatique hétérocycles

Figure 21

H N

O N

Groupes hydrophobes

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

A

Poche de la cystine

H H

O O

P

O–

Poche de SAM

O

Cytidine du brin d’ADN

groupement méthyle (en vert). Dans cette approche, l’équipe de recherche a synthétisé des analogues du SAM et des analogues de la cytidine, qui ont été couplés de façon covalente : des centaines de dérivés ont ainsi été réalisés (schéma de droite). La Figure 22 est une modélisation de sites catalytiques de l’enzyme. On voit que l’inhibiteur de DNMT de type bisubstrat (en jaune) occupe bien les deux poches de deux substrats. Ces composés ont une bonne activité et certains sont spécifiques de la DNMT3 ou de la DNMT1, ce qui est très utile parce qu’aujourd’hui, les biologistes ne savent pas que ces deux enzymes sont

DNMT

DNMTi L’inhibiteur de DNMT de type bisubstrat occupe les deux poches : la cytidine et la poche SAM

SAM

dC

groupe méthyle

modélisation dans la Dnmt3A DNMT1

DNMT3A

Bs#1

> 100 µM

3 µM

Bs#2

21 µM

> 100 µM

Bs#3

19 µM

0,3 µM

• inhibiteurs sub µM • vers des inhibiteurs sélectifs d’isoformes

Figure 22 Modélisation des sites catalytiques de la Dnmt3A avec un inhibiteur de DNMT de type bisubstrat. Tableau de comparaison des concentrations efficaces d’inhibiteurs de DNMT. Source : adapté de Halby et coll. (2017). J. Med. Chem.

229

Chimie et biologie de synthèse

Figure 23 IC50 de quatre composés inhibiteurs des DNMT.

Pharmacomodulation (RG108, SGI1027)

Criblage de banques de molécules et d’extraits naturels

En quête d’inhibiteurs de DMT : comment ? Synthèse de conjugués inhibiteurs-ligands d’ADN

Conception rationnelle

impliquées dans les cancers. Ces outils peuvent donc aider à comprendre cela. La Figure 23 montre que nous disposons aujourd’hui de quatre familles d’inhibiteurs, de l’ordre du submicromolaire pour la DNMT3 et micromolaire pour la DNMT1 3.1

4

Activité cellulaire et nouveaux concepts en pharmacologie

Les nouveaux objectifs sont non pas de tuer la cellule cancéreuse mais de lui remettre des freins, de la reprogrammer : il faut donc définir des doses de traitement qui ne soient pas cytotoxiques15 mais épigénétiques. Il faut aussi définir la durée du traitement pour que les cellules soient reprogrammées et pouvoir tester leur comportement ultérieur. 4.1. Reprogrammation des cellules cancéreuses 4.1.1. L’Inhibition de l’enzyme DNMT par déméthylation passive. Un exemple : la réplication

Figure 24

230

Exemple de déméthylation passive : inhiber la méthylation lors de la réplication de l’ADN.

Le principe est schématisé sur la Figure 24 : à gauche, la double hélice d’ADN a été méthylée (point rouges). Si 15. Cytotoxique : toxique pour une espèce de cellule.

Cpds

DNMT3A IC50 (µM)

DNMT1 IC50 (µM)

A

0,3 ±0,1

14 ±1

B

0,06 ±0,02

1,0 ±0,2

C

0,3 ±0,1

20 ±5

D

0,6 ±0,1

15 ±5

on inhibe la méthylation, lors de la réplication de l’ADN on ne perd qu’une moitié de la méthylation, donc on n’est pas très efficace. Il faudra donc attendre plusieurs cycles de réplication pour déméthyler efficacement. Des cellules du cancer du côlon ont ainsi été traitées durant vingt-et-un jours, et l’on suit la déméthylation du gène suppresseur de tumeur P16 qui avait été méthylé (Figure 25A) en présence de quatre familles d’inhibiteur de DNMT. La comparaison est réalisée par rapport à la molécule approuvée, la 5-azadésoxycytidine (5azadC), qui diminue bien la méthylation de l’ADN. Ce composé n’est pas cytotoxique à la dose de 100 nM, et il inhibe la méthylation dès trois jours de traitement. L’objectif une fois l’inhibition réalisée est de déméthyler les freins, les promoteurs, pour les réactiver. Les gènes peuvent être réactivés : après sept jours de traitement, on retrouve les gènes déméthylés. Les quatre familles d’inhibiteurs testées sont toutes capables de déméthyler et réactiver le gène suppresseur de tumeur P16 dans la lignée cellulaire de cancer de côlon (Figure 25). Les nouveaux outils chimiques capables de déméthyler des

1,5

Déméthylation et réexpression du gène P16 dans la lignée cellulaire de cancer de côlon : A) déméthylation du promoteur de P16 pour quatre familles d’inhibiteurs ; B) réexpression du gène P16 pour quatre familles d’inhibiteurs.

10

1,0

0,5

0

8 6 4 2 0

NT

5azadC

A

C

D

Composés de 100 nM

promoteurs de gènes, dans ce cas des gènes suppresseurs de tumeurs, et de les réactiver, existent et sont capables d’avoir un effet sur les cellules tumorales. Des améliorations sont encore nécessaires en vue d’augmenter leur efficacité comparée à celle la 5-azadésoxycytidine (5azadC), connue dans la littérature. Le traitement est de sept à dix jours car on agit par la déméthylation passive. Les quatre str atégies chimiques présentées peuvent être généralisées à toutes les méthyltransférases, en particulier la stratégie bisubstrat, qui consiste à créer des analogues du substrat SAM et du substrat qui est méthylé. Cette stratégie a été appliquée à des histones méthyltransférases, les PRMT (Figure 26). Différents dérivés mimant les SAM et

NT

B

5azadC

A

C

D

Composés de 100 nM

la cytosine ont été synthétisés soit en gardant des groupements chimiques (ici des acides aminés), soit en les enlevant, soit en changeant les points d’attachement de la position 5 à la position 6. Mais tous sont inactifs.

Des outils chimiques pour reprogrammer les cellules tumorales

A

Figure 25

Re-expression de P16

P16 reexpression fold

P16 DNA demethylation ratio

Déméthylation du promoteur P16

Des études sont en cours à partir d’un dérivé qui est un inhibiteur d’une histone méthyltransférase, la PRMT4 (Figure 26). Ainsi dans les cristaux de PRMT4 (collaboration avec le Professeur Jean Cavarelli, de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, Str asbourg), se trouvent quatre unités d’enzyme, dont fait partie l’inhibiteur. C’est un inhibiteur bisubstrats qui occupe les deux poches, celle du SAM et celle de l’arginine. Il sera testé sur beaucoup d’autres familles de méthyltransférases.

Figure 26

IC50(PRMT4) = 1,5 ±0,5 µM

A) Structure tridimensionnelle de la PRMT4 ; B) formule de la PRMT4. Source : adapté de Halby et coll. (2018). Philsophical Transaction B.

231

en

thérapie

antivasculaire Pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple ?

Mouad Alami est directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry 1 et responsable de l’équipe Conception et Synthèse de Molécules d’Intérêt Thérapeutique (CoSMIT).

Ce chapitre a pour objectif de présenter l’apport de la chimie de synthèse dans les récents résultats de l’équipe CoSMIT (Figure 1) obtenus dans le domaine de l’oncologie, avec la conception de nouveaux agents en thérapie antivasculaire. Il n’est pas inutile de brosser, en quelques lignes, l’évolution de l’innovation thérapeutique en rappelant quelques dates historiques traçant les innovations dans le domaine de l’oncologie (Figure 2). Deux périodes peuvent être distinguées, avant et après 2001. La période avant 2001, faisant appel à de la chimiothérapie dite conventionnelle, 1. www.biocis.u-psud.fr

est caractérisée par l’utilisation d’agents alkylants, dont le premier fut le gaz moutarde dès les années 1940. À partir des années 1960, le bénéfice des polychimiothérapies fondées sur des associations d’agents alkylants tels que le protocole MOPP a été mis en avant. Quant aux années 1990, elles ont été marquées par l’arrivée des dérivés de taxanes (Taxol® et Taxotère®), composés issus de produits naturels et agissant comme des antimitotiques2 par inhibition de la dépolymérisation des microtubules. Avec l’avènement de l’immunothérapie, 2. Antimitotique : inhibiteur de la mitose (division cellulaire) empêchant la prolifération cellulaire.

Mouad Alami

De nouvelles perspectives

Chimie et biologie de synthèse

Figure 1 L’équipe Conception et Synthèse de Molécules d’Intérêt Thérapeutique (CoSMIT) est une des quatre équipes des laboratoires BioCIS (Biomolécules : Conception, Isolement, Synthèse), une Unité Mixte de Recherche CNRS/Université Paris-Sud.

Agents alkylants Moutarde azotée lymphomes

Cyclophosphamide tumeurs solides

Cisplatine

Début de baisse de la mortalité par cancer

Imatinib (Gleevec®)

Inhib. kinase BCR-ABL

Fosbrétabuline (Zybrestat®) Agent antivasculaire (VDAs)

Bevacizumab (Avastin®)

Anti-angiogénique

1943

1948

Antifolates Méthotrexate (leucémies)

Figure 2 Une petite histoire des anticancéreux.

234

1959

1966

Poly-chimiothérapie Protocole (MOPP) & Maladie de Hodgkin Moutarde azotée, Oncovin (vincristine), Prednisone, Procarbazine

1978

1990 1992 1995

Taxol® (USA) Taxotère® (France/Gif)

1997 2001

Rituximab (1er MAb Anti-CD20) Lymphomes non-hodgkiniens

le rituximab fut le premier anticorps monoclonal3 approuvé par la « Food and Drug Administration » (FDA) en 1997 pour le traitement des lymphomes non-Hodgkiniens. 4 À partir de 2001, 3. Anticorps monoclonal : anticorps issu d’une même souche de lymphocyte. 4. Lymphome non-Hodgkinien : cancer du système lymphatique le plus commun, caractérisé par la présence de grosses cellules atypiques et par la formation d’un néoplasme (tissu anormal nouvellement formé).

2005

2011

2016

ADC Adcetris®

Lymphomes

Ipilimumab (Yervoy®) Immunomodulateur Anti-CTL-4 Mélanome métastatique

avec le s connais s ance s acquises sur les mécanismes de développement tumoral, commence alors l’ère de la chimiothérapie dite ciblée ; le premier médicament mis sur le marché est un inhibiteur de kinases5, l’imatinib (Glivec®). Quelques années après en 2005, nous assistons à la mise sur le marché du premier anticorps monoclonal anti-angiogénique, l’Avastin®. L’année 5. Kinase : enzyme de premier plan catalysant une réaction de phosphorylation.

L’année 2011 est également une autre date marquante révolutionnant l’histoire de l’innovation thérapeutique en oncologie avec l’arrivée d’anticorps monoclonaux immunomodulateurs, qui vont renforcer et stimuler le système immunitaire des patients pour aller combattre les cellules tumorales, contrairement aux tr aitement s classiques (chimiothérapies conventionnelle et ciblée), qui agissent en détruisant les cellules tumorales.

Phase dormane ou avasculaire • Tumeur de petite taille • (∅ ≤ 1-2 mm)

Switch angiogénique Résultant de la surexpression de facteurs pro-angiogéniques. Ex VEGF

Équilibre entre prolifération et apoptose

Les trois phases de développement de la tumeur ciblées dans la stratégie anti-angiogénetique. Source : Folkman J. (1971). N. Engl. J. Med., 285 : 1182.

cancéreuses (apoptose 6 ), alors que durant la dernière phase (phase 3), cet équilibre est rompu et les phénomènes de prolifération sont largement dominants par rapport à l’apoptose.

1.1. Stratégie antiangiogénique La stratégie anti-angiogénique se caractérise par trois phases tenant compte de l’évolution pathologique (Figure 3). Durant la première phase dite dormante ou avasculaire, il y a un équilibre entre les phénomènes de prolifération et de mort des cellules

6. Apoptose : processus naturel de mort cellulaire programmée, assurant alors l’autodestruction des cellules et en limitant donc la prolifération. 7. Endothélium vasculaire : couche la plus interne des vaisseaux sanguins, en contact direct avec le sang.

Stratégies antitumorales anti-angiogénique et antivasculaire

Équilibre rompu prolifération > apoptose

Figure 3

Le passage de la phase 1 à la phase 3, un événement clé de la tumorigenèse, est appelé le switch angiogénique, avec la surexpression de facteurs de croissance pro-angiogéniques comme notamment le VEGF (« Vascular endothelial growth factor »), qui est le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire7. Depuis son identification, le VEGF est devenu une cible de choix dans le cadre de cette stratégie thérapeutique utilisant le blocage de l’angiogenèse.

1

Phase vasculaire • Développement de nouveaux vaisseaux • Croissance tumorale locale • Potentiel métastatique

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

2011 est une date marquante car la FDA a agrée l’Adcetris®, le premier médicament immuno-conjugué ou ADC (« Antibody-Drug Conjugates ») combinant un anticorps monoclonal lié de façon covalente à un agent cytotoxique indiqué pour le traitement de lymphomes. C’est en 2016 que la fosbrétabuline, chef de file des agents antivasculaires, a reçu le statut de médicament orphelin aux États-Unis et en Europe pour le traitement de tumeurs neuro-endocrines et du glioblastome multiforme.

235

Chimie et biologie de synthèse

Figure 4 Judah Folkman (1933-2008) a été le premier à imaginer une stratégie anti-angiogénique en 1971.

Bien que cette stratégie antiangiogénique ait été émise la première fois par la médecin biologiste Judah Folkman en 1971 (Figure 4), il a fallu attendre quasiment trentecinq ans pour apporter la preuve de concept en thérapie humaine avec la mise sur le marché d’un anticorps monoclonal humanisé, le bevacizumab (Avastin®). Depuis 2005, plusieurs petites molécules issues de la synthèse organique inhibitrices des récepteurs tyrosine-kinases VEGFR ont reçu également l’autorisation de mise sur le marché (sunitinib, sorafenib, pazopanib, etc). 1.2. Stratégie anti-vasculaire Contrairement à la stratégie anti-angiogénique ciblant le VEGF et prévenant la formation de néo-vaisseaux, la stratégie antivasculaire cible la néo-vascularisation antitumorale (Figure 5). Cette stratégie a été rendue possible par l’identification de molécules capables de détruire sélectivement cette

néo-vascularisation en vue de réduire rapidement le flux sanguin et inhiber la croissance tumorale par nécrose, plutôt que par apoptose comme cela est le cas lors d’une stratégie anti-angiogénique. Il est clair que cette stratégie antivasculaire n’a de réalité qu’à partir du moment où ces molécules dites antivasculaires sont capables de distinguer entre le réseau vasculaire normal (Figure 6A) et le réseau vasculaire autour de la tumeur (Figure 6B) qu’est cette néo-angiogenèse. Il a été effectivement montré qu’il existe des différences constitutives entre réseaux vasculaire normal et tumoral : le premier est organisé, stable, peu perméable, et caractérisé avec un endothélium en équilibre, des cellules péricytes 8 organisées et une perméabilité contrôlée assurant ainsi un flux sanguin régulé. Quant au second, il 8. Cellules péricytes : cellules murales entourant l’endothélium vasculaire pour les protéger.

STRATÉGIE ANTIVASCULAIRE détruit les néo-vaisseaux formés induit une réduction rapide du flux sanguin Cible thérapeutique : Néo-vascularisation tumorale

inhibe la croissance tumorale par nécrose

Figure 5

236

La stratégie antivasculaire détruit les néo-vaisseaux qui irriguent la tumeur, menant à la nécrose de celle-ci. Sources : Denekamp J. et coll. (1982), Br. J. Cancer, 46 : 711 ; Siemann D.W. et coll. (2017), Cancer invetigation, 35 : 519.

B

Réseau vasculaire normal

Réseau vasculaire tumoral

Figure 6 Néo-angiogenèse tumorale : A) observation d’un réseau vasculaire normal ; B) observation d’un réseau vasculaire tumoral.

est désorganisé, perméable, en remodelage permanent et caractérisé par l’absence de péricytes ainsi qu’une perméabilité accrue induisant un flux sanguin irrégulier au sein de la tumeur. Il est maintenant bien admis que ces différences sont à l’origine de la sélectivité observée avec les agents antivasculaires.

2

Une nouvelle classe thérapeutique de molécules antitumorales

2.1. La combrétastatine A-4 La combrétastatine A-4 (CA‑4) a été isolée en 1989 des feuilles d’un arbre d’Afrique

A

du Sud, Cambretum caffrum (Figure 7A). Cette molécule possède deux noyaux aromatiques, A et B, portant quatre gr oup em ent s m éthox y le (-OCH3, noté -OMe) et un groupement hydroxyle (-OH). La structure cristallographique de ce stilbène de configuration Z révèle que la molécule n’est pas plane ; elle se présente sous la forme d’une pince à sucre où les deux noyaux aromatiques sont situés dans un même demi-espace ; les plans formés par les deux noyaux aromatiques A et B forment un angle dièdre de 53° (Figure 7B). Les premières évaluations biologiques (Figure 8) ont

B

Isolement – 1989 – Combretum caffrum

A

MeO MeO

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

A

B OMe

Structure cristallographique RX

OH OMe

Combrétastatine A-4 (CA-4)

53 °

A

B Angle dièdre = 53 °

Figure 7 A) Structure chimique la combrétastatine A-4 (CA-4), isolée des feuilles d’un arbre Sud Africain ; B) structure cristallographique de la CA-4 en forme de pince à sucre.

237

Chimie et biologie de synthèse

Évaluation biologique In vitro • Acivité cytotoxique (nM) • Inhibition polymérisation de la tubuline (µM) • Acivité antivasculaire In vivo • Faible efficacité antitumorale de la CA-4 • faible stabilité chimique • isomérisation de la double liaison Z en E • faible hydrosolubilité • mauvaise pharmacocinétique

Figure 8 Évaluation biologique de la combrétastatine A4

montré que la CA-4 possède des activités cytotoxiques à des concentrations nanomolaires (de l’ordre de 10-9 mol/L, ou nM) vis-à-vis de nombreuses lignées cellulaires tumorales. Elle a non seulement la capacité d’inhiber la polymérisation de la tubuline9 à des concentrations micromolaires en se fixant sur le site de la colchicine, mais le point le plus important est qu’elle possède des propriétés antivasculaires, contrairement aux antimitotiques classiques (taxanes et colchicine). Malheureusement, dès les premières évaluations biologiques in vivo, la CA-4 s’est avérée inefficace du fait d’une instabilité chimique imputable à l’isomérisation de la double liaison Z conduisant à l’isomère inactif E, et sans doute aussi à cause de sa faible hydrosolubilité, à l’origine d’une mauvaise pharmacocinétique10. Le problème de la faible hydrosolubilité de la CA-4 a été résolu via la préparation d’une prodrogue phosphate11, appelée fosbrétabuline (Zybrestat®, Figure 9), développée par Mateon Therapeutics aux États-Unis (Figure 9). Il s’agit de la première molécule disponible sur le marché avec ce type de mécanisme d’action (first-in-class). Le Zybrestat®

238

9. Tubuline : protéine, principal constituant du cytosquelette (ensemble organisé de polymères biologiques contribuant aux propriétés architecturale et mécaniques des cellules). 10. Pharmacocinétique : devenir d’un médicament dans l’organisme. 11. Prodrogue : substance ou médicament qui va se transformer en principe actif après son administration au patient.

a reçu en 2016 le statut de médicament orphelin aux États-Unis et en Europe pour le traitement de tumeurs neuroendocrines12 et de glioblastomes13 multiformes. Depuis l’identification des propriétés antivasculaires de la combrétastatine A-4 en 1997, un fort intérêt a été porté à cette petite molécule de la part de la communauté scientifique académique mais également du milieu industriel, comme en témoignent les nombreuses publications et brevets parus sur ce sujet ; pas loin de trente-mille molécules ont été dénombrées par la base de données Sci-Finder comme analogues de la combrétastatine A-4 (Figure 10). Les études de relation structure-activité ont montré que : −− les quatre groupements méthoxyle (-OMe) jouent un rôle important sur l’activité antivasculaire de la molécule ; −− le groupe hydroxyle (-OH) peut être modifié par des groupements bioisostériques14 mais constitue également une fonction importante pour la préparation de prodrogues. Mais l’élément structural le plus important au maintien d’une cytotoxicité nanomolaire de la CA-4 est la configuration Z (« cis ») de la 12. Neuroendocrine : qui se rapporte au système neuroendocrinien, un réseau de cellules nerveuses émettant des neurones et des signaux nerveux. 13. Glioblastome : tumeur du cerveau la plus courante chez l’être humain. 14. Bioisostérique : qui se rapporte à un bioisostère, composé possédant des propriétés (physiques, chimique ou biochimique) semblables à celles d’une biomolécule.

Figure 9 Zybrestat, prodrogue de la CA4, est développée par Mateon Therapeutics pour diverses applications en oncologie.

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

analogues stables de la CA-4, les recherches de nombreuses équipes se sont focalisées à incorporer principalement

double liaison (Figure 11). Il faut signaler que l’isomère E est cent fois moins actif que l’isomère Z. Pour obtenir des

Figure 10 Augmentation de l’intérêt scientifique pour les analogues de la combrétastatine A-4 au regard des publications et brevets.

cis-Configuration est essentielle Incorporation dans cycles/hétérocycles pour maintenir une rigidité structurale (imidazole, isoxazole, thiazole, pyrazole, triazole, tétrazole, furazan…)

approprié pour :

MeO MeO Important

A

B OMe

OH OMe Important

– modifications bio-isostériques – préparation de prodrogues

Figure 11 La configuration cis de la double liaison de la combrétastatine A-4 est essentielle pour son activité antivasculaire.

239

Chimie et biologie de synthèse

littérature scientifique, personne n’avait pensé et décrit l’isomère oublié où les deux noyaux aromatiques A et B sont sur le même carbone : l ’ isocombrétastatine A-4, ou isoCA-4 (Figure 12). Cette molécule, isomère non naturel de la CA-4, possède un profil biologique (cytotoxicité, inhibition de la polymérisation de la tubuline, induction de l’apoptose, etc.) rigoureusement identique à celui de la molécule naturelle, sans toutefois présenter le risque d’isomérisation. De plus, l’étude cristallographique de l’isoCA-4 révèle que cette molécule possède un angle dièdre voisin de celui de la molécule naturelle.

cette double liaison dans un cycle ou un hétérocycle en vue de maintenir une rigidité structurale nécessaire à l’activité biologique. Cette contrainte a conduit à des molécules de plus en plus complexes, dont la synthèse est de plus en plus difficile. 2.2. L’isocombrétastatine A-4 Nous avons vu que la molécule naturelle CA-4 est de configuration Z et possède un angle dièdre de 53°. À titre d’exemple, cette molécule montre une activité c y totoxique nanomol aire sur la lignée HCT116 (cancer colorectal) et une capacité à inhiber la polymérisation de la tubuline à une concentration micromolaire (Figure 12).

L’activité antiproliférative de l’isoCA-4 a été testée sur de nombreuses lignées cellulaires tumorales d’origine humaine (Tableau). Dans tous les cas étudiés, l’isoCA-4 s’est révélée extrêmement cytotoxique montrant une concentration inhibitrice IC50 variant de 1 à 8 nanomolaires. Une autre propriété singulière et importante de l’isoCA-4 est son niveau d’activité à des

Sous l’effet de la lumière, de la chaleur ou du pH, la CA-4 s’isomérise facilement pour donner l’isomère E, thermodynamiquement le plus stable mais qui est cent fois moins actif (Figure 12). Bien que plus de trente mille molécules analogues de cette molécule aient été rapportées dans la

Figure 12 1

Il est intéressant d’étudier l’activité biologique de tous les isomères de la combrétastatine A-4 : E, Z et isocombrétastatine A-4.

MeO

ér

m

Iso OH

A MeO

n

MeO

B OMe

OH OMe

CA-4 : (Z)-isomère

IC50 (HCT116*) = 2,3 nM IC50 (IPT*) = 2,1 µM Angle dièdre = 53 °

B 2

OMe

2 MeO

OMe

1

MeO

is

io at

2

A

OH

A

isoCA-4 …l’isomère oublié ! AUCUNE ISOMÉRISATION !

CA-4 : (E)-isomère 100 fois moins actif

1

B

MeO

OMe OMe

isoCombrétastatine A-4 (isoCA-4)

IC50 (HCT116*) = 2,0 nM IC50 (IPT*) = 2,0 µM Angle dièdre = 68 ° Fr-brevet, Avril 2007 (WO2008/122620)

240

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple !

Concentrations inhibitrices des isoCA4 sur les lignées résistantes ou non : elles sont toutes du même ordre de grandeur.

Lignées cellulaires tumorales d'origine humaine

IC50 (nM)

B16F10 U87 A549 MDA-MB435 MDA-MB231 H1299 BL2-B95.8 BL41-B95.8 MiaPaca2 LS174T K562 MCF7 HCT116 HL60 HUVEC

Mélanome Glioblastome Adénocarcinome alvéolaire basal épithélial Cancer mammaire Cancer mammaire hormona-dépendant Cancer du poumon non à petites cellules Lymphome de Burkitt Lymphome de Burkitt infecté par EBV Cancer du pancréas Cancer du colon vascularisé Leucémie myéloïde chronique Cancer du sein Carcinome coloréctal Leucémie promyélocytaire Cellules endothéliales

8 8 8 3 4 5 2 2 5 6 5 8 2 1 2

MCF7R HCT15R HL60R

Cancer du sein résistant (Paclitaxel) Carcinome coloréctal résistant (5-Fluorouracile) Leucémie promyélocytaire résistante (Doxorubicine)

3 2 4

concentrations nanomolaires sur des lignées résistantes, notamment sur les trois lignées résistantes décrites en bas du Tableau (cancer du sein, carcinome colorectal et leucémie promyélocytaire). Dans le cadre d’un développement préclinique de l’isoCA4, les profils biologique in vitro, physico-chimique, ADMET («  absorption, distribution, metabolism and excretion toxicity »), de sélectivité ainsi que la démonstration de la preuve de concept de son efficacité antitumorale in vivo ont été réalisés (Figure 13). C’est dans le cadre de ces résultats très encourageants qu’est intervenue la labellisation par la Ligue contre le

Profil biologique in vitro • inhibition polymérisation tubuline • cytotoxicité (panel lignées tumorales)

Profil physico-chimique • stabilité & conservation • hydrosolubilité • synthèse multi-grammes Profil ADMET

• apoptose • cycle cellulaire • activité antivasculaire EFFICACITÉ antitumorale in vitro • activité antivasculaire (IRM) • efficacité antitumorale (comb. vs mono)

Cancer de l’équipe CoSMIT à travers un programme de recherche en trois volets (Figure 14) : un premier volet pour « démontrer une efficacité antitumorale », le deuxième pour « rechercher des molécules de seconde génération hétérocycliques », et le

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

Tableau

• stabilité & métabolique • stabilité plasmatique • interaction protéines plasmatiques • dose maximale tolérée (MTD) Profil de sélectivité • profil pharmacologique • off-targets (effets indésirables)

Figure 13 Éléments déterminants d’un profil biologique in vitro.

241

Chimie et biologie de synthèse

PROJET « ASC-OCTAVE » LABÉLISÉ Analogues Stables de la Combrétastatine : Optimisation d’un Candidat pour une Thérapie Anti-Vasculaire Efficace

Volet 1

Volet 2

Démontrer une EFFICACITÉ ANTITUMORALE via une approche de vectorisation

Identifier des MOLÉCULES DE SECONDE GÉNÉRATION hétérocycliques

MeO

A

MeO OMe

B

Volet 3 Concevoir et synthétiser des MOLÉCULES DUALES agissant sur des cibles multiples

OMe

OMe isoCA4

Figure 14 Labellisation de CoSMIT par La Ligue contre le cancer à travers le programme de recherche en trois volets intitulé « ASC-OCTAVE ».

dernier volet pour « concevoir des molécules duales », c’està-dire possédant deux pharmacophores15 agissant sur deux cibles différentes mais convergeant bien évidemment vers le même effet antitumoral. Seuls les deux premiers volets de ce programme de recherche seront présentés.

3

Efficacité antitumorale antivasculaire de l’isoCA-4

3.1. Test d’activité antivasculaire La preuve du concept de l’activité antivasculaire de l’isoCA-4 a été réalisée sur un modèle de xénogreffe16 de tumeurs humaines sur souris nude (lignée LS-174T de tumeur humaine de colon hyper-vascularisée). La souris reçoit une seule injection en intraveineuse de 10 % de la dose maximale tolérée de la prodrogue de l’isoCA-4 soluble dans

242

15. Pharmacophore : ensemble des parties médicalement actives d’une molécule. 16. Xénogreffe : transplantation d’un greffon où le donneur est d’une espèce différente de celle du receveur.

l’eau (Figure 15). Trois heures après, un agent de contraste, le Dotarem®, est injecté puis la vascularisation autour de la tumeur est analysée par Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) (Figure 16). La Figure 16 représente les coupes des tumeurs de souris contrôle et traitées. Les coupes des souris traitées par l’isoCA-4P sont dans la partie inférieure de la figure. Les images obtenues après injection de l’agent de contraste (Dotarem®) sont à droite. Dans le cas des souris non traitées (souris contrôle), trois heures après injection de l’agent de contraste, un rehaussement du signal autour de la tumeur est observé. Cela témoigne de la diffusion de l’agent de contraste autour de la tumeur via le réseau vasculaire. Dans le cas des souris traitées par l’isoCA-4P (45 mg/kg), l’absence de rehaussement de signal signifie une absence de diffusion du Dotarem® au sein de la tumeur et démontre sans ambiguïté l’effet antivasculaire recherché à travers une destruction de la néo-vascularisation par l’isoCA-4P. Ce résultat a été corroboré par l’examen anatomo-pathologique de la tumeur après autopsie des souris (Figure 17). L’histopathologie révèle une nécrose17 tumorale de plus de 90 % après traitement avec réduction de la densité vasculaire périphérique. Après avoir montré les propriétés biologiques in vitro de l’isoCA-4 (cytotoxicité, inhibition de la polymérisation 17. Nécrose : mort d’un tissu vivant.

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

LS174T xénogreffe t0 : iv – 1 seule injection isoCA4P – 10 % MTD MTD* = 450 mg/kg *dose maximale tolérée

t0 + 3 h

Analyses

Injection de dotarem (agent de contraste)

vascularisation tumorale

t0 + 48 h

IRM analyses

Autopsie

Figure 15 Protocole de test de l’activité antivasculaire in vivo de l’isoCA4.

avant dotarem t0

Figure 16

après dotarem t+3h Rehaussement du signal par IRM pénétration du dotarem via le réseau vasculaire de la tumeur

Contrôle (NaCl)

Étude de l’activité vasculaire in vivo de l’isoCA-4P par IRM : coupes des tumeurs avant (gauche) et après (droite) injection du Dotarem® pour une souris contrôle (haut) et une souris traitée (bas).

Pas de pénétration du dotarem dans la tumeur

Souris traitées isoCA4P (45 mg/kg)

Destruction du réseau vasculaire

Figure 17

Autopsie t + 48 h Évaluation de la densité des néovaisseaux restants autour de la tumeur par immunohistochimie

LS174T xénogreffe

NaCl 0,9 % (contrôle)

Histopathologie tumorale : observation d’une nécrose effective après traitement.

isoCA-4P (45 mg/kg) 48 h, nécrose > 90 %

Histopathologie de la tumeur

de la tubuline, apoptose, etc.) et apporté la preuve de concept de l’efficacité antivasculaire d’une prodrogue de

l’isoCA-4 par IRM, nous nous sommes attelés à démontrer une efficacité antitumorale in vivo sans avoir à préparer

243

Chimie et biologie de synthèse

Cytotoxicité Inhibition de la polymérisation de la tubuline Cycle cellulaire (cytométrie de flux) Apoptose Activité antivasculaire in vitro Activité antivasculaire in vivo Efficacité antitumorale en combinaison vs monothérapie

Figure 18 Évaluations biologiques in vitro et in vivo de l’isoCA-4 dans le cadre d’un développement préclinique.

une prodrogue de l’isoCA-4 (Figure 18). Dans ce contexte, un protocole en combinaison avec un autre agent de chimiothérapie conventionnelle a été privilégié. Il fait appel à une approche d’encapsulation et de vectorisation permettant un adressage spécifique du tissu tumoral et réduisant ainsi d’éventuels effets indésirables. 3.2. Vectorisation par squalénisation de l’isoCA-4

244

Le Chapitre de P. Couvreur dans cet ouvrage Chimie et biologie de synthèse : les applications (EDP Sciences 2019) a montré que la g ­ émcitabine-squalène (Figure 19), un antimétabolique lié par une liaison covalente avec l’acide squalénique, forme des nanopar ticules stables dans le milieu plasmatique et possède une meilleure pharmacocinétique que la gemcitabine libre. Ainsi, à une dose cinq fois inférieure

à celle de la gemcitabine libre (100 mg/kg), les nanoparticules Gem-SQ (20 mg/kg) montrent in vivo une activité antitumorale spectaculaire (modèle leucémie)18, liée à la diminution des mécanismes de résistance. En vue d’une synergie antitumorale et tout en évitant la préparation de prodrogues de l’isoCA-4, notre stratégie a donc consisté à préparer des nanoparticules mixtes combinant à la fois la gémcitabine et l’isocombrétastatine A-4. Nous avons montré que l’ajout de l’isoCA-4 à la particule gemcitabine-squalène (Gem-SQ) conduit à la formation d’une nouvelle nanoparticule Gem-SQ/isoCA-4 dans un ratio 1/1 (Figure 20). Dans ce cas, la nanoparticule est formée par inclusion de l’agent 18. Harivardhan-Reddy, L.; Marque P.-E.; Dubernet, C. et coll. (2008). J. Pharm. Exp. Therapeut. 325, 484– 490.

Gémcitabine

133 ± 3 nm

Nanoparticule Gémcitabine-Squalène Gem-SQ

MeO

O

133 ± 3 nm

Nanoparticule Gémcitabine-Squalène Gem-SQ

OH

MeO

NH

OMe OMe

isoCA4

N HO

O

O

N F

Structure de la gémcitabinesqualène formée par liaison covalente entre ses deux parties (à droite : observation de nanoparticules de gémcitabinesqualène).

inclusion

142 ± 6 nm

Nanoparticule Gémcitabine-Squalène/isoCA4 Gem-SQ/isoCA4

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

Figure 19

Squalène

Liaison covalente

OH F

Figure 20 Formation de nanoparticules mixtes de Gem-SQ/isoCA-4 par inclusion.

antivasculaire hydrophobe, l’isoCA-4, la gemcitabine et l’acide squalénique étant liés par une liaison covalente (Figure 20). Cette technologie permet d’obtenir, pour la première fois, des nanoparticules Gem-SQ/isoCA-4 contenant environ 60 % en poids de principe actif par nanoparticule (27 % Gem et 33 % isoCA-4), à comparer aux quelques pourcents seulement pour les autres nanovecteurs. Cette particularité permet une réduction importante des doses administrées. L’étude des propriétés de cette nanoparticule révèle que Gem-SQ/ isoCA-4 : −− est plus stable que Gem-SQ ; −− possède un temps de demivie plasmatique supérieur à celui de la Gem-SQ ; −− possède des activités antiprolifératives similaires aux molécules libres isoCA-4 ou Gem-SQ ;

−− se délivre bien à l’intérieur de la cellule. L’efficacité antitumorale de ces nanomédicaments Gem-SQ/ isoCA-4 contenant deux principes actifs antitumoraux ayant des mécanismes d’action différents a été évaluée in vivo sur un modèle de xénogreffe de tumeurs humaines (LS-174T) sur des souris nude (Figure 21). Ainsi, à la dose de 21 µmol/kg, c’est-à-dire 5,5 mg de Gem-SQ et 6,5 mg/ kg de l’isoCA-4, et en comparaison à différents contrôles, la nanoparticule Gem-SQ/ isoCA-4 a conduit à une quasi complète régression tumorale (93 %) chez la souris. Il est important de souligner que ces résultats sont obtenus sans aucune toxicité apparente, car les souris qui ont reçu ces nanoparticules reprennent du poids au bout de quelques semaines (Figure 22, les deux courbes supérieures).

245

106 cellules (LS174T) Âge 5-6 semaines

Efficacité tumorale des nanoparticules Gem-SQ/isoCA-4.

4 iv (veine latérale de la queue)

1 semaine J0

J4

J7

J11

J22

6 EtOH 30 % isoCA-4 (30 % EtOH, 6,5 mg/kg) Saline 0,9 % SQCO2H

5

LS174T xénogreffe Volume tumoral (cm3)

Chimie et biologie de synthèse

Figure 21

4 Gem (5,5 mg/kg) 3 Gem/isoCA-4 (30 % EtOH) (5,5 mg/kg ; 6,5 mg/kg)

2

Gem-SQ (5,5 mg/kg)

1

6

Gem/isoCA-4 (21 µmol/kg) (5,5 mg/kg ; 6,5 mg/kg) 0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

20

22

Jours

Figure 22

10 Gem-SQ/isoCA-4 (21 µmol/kg)

Changement de poids corporel relatif (%)

Test de Toxicité des nanoparticules Gem-SQ/isoCA-4 : variation temporelle (%) du poids corporel des individus où ceux traités à la Gem-SQ/isoCA-4 subissent la meilleure reprise de poids après trois semaines.

5 Gem-SQ (21 µmol/kg) 0

SQCO2H (21 µmol/kg) EtOH 30 %

–5

Saline 0,9 % isoCA-4 (30 % EtOH, 21 µmol/kg)

–10 –15

Gem/isoCA-4 (30 % EtOH, 21 µmol/kg)

–20

Gem (21 µmol/kg)

–25 0

5

10

15

20

25

Jours

4 Figure 23 Labellisation par la Ligue contre le Cancer du projet ASC-OCTAVE.

Molécules de seconde génération

Dans le cadre du programme ASC-OCTAVE labellisé par la Ligue contre le Cancer, après avoir démontré l’efficacité antitumorale de l’isoCA-4

PROJET « ASC-OCTAVE » LABELLISÉ Analogues Stables de la Combrétastatine : Optimisation d’un Candidat pour une Thérapie Anti-Vasculaire Efficace Volet 1

Volet 2

Volet 3

Démontrer une efficacité antitumorale via une approche de vectorisation

Identifier des molécules de seconde génération hétérocycliques

Concevoir et synthétiser des molécules duales agissant sur des cibles multiples

MeO

OMe A

MeO

246

B OMe

OMe

isoCA4

développer des outils chimiques appropriés

(volet 1), nous nous sommes attelés à développer des molécules de seconde génération (volet 2) comportant un hétérocycle à la place du cycle B et/ ou du cycle A (Figure 23). Pour atteindre nos objectifs, il est nécessaire de développer des outils de synthèse efficaces permettant d’obtenir les molécules cibles en un minimum de temps et d’étapes. 4.1. Stratégies de synthèse pour une chimie flexible L’Encart « Des stratégies de synthèse pour les chimistes » montrent différentes voies de synthèse explorés pour obtenir l’isoCA-4.

Initialement, l’isoCA-4 a été préparée par une réaction dite de Wittig (Figure 24, en haut à gauche) en transformant la fonction carbonyle en une double liaison, ou par condensation d’un organolithien (R-Li) sur une acétophénone suivie d’une réaction de déshydratation (Figure 24, en haut à droite). Mais bien que ces deux processus fonctionnent chimiquement bien, le premier n’est pas convergent, et le second n’est pas général. Nous avons examiné d’autres voies de synthèse faisant appel à de la chimie organométallique et de la catalyse organométallique (Figure 24, en bas à droite) en réalisant le couplage d’organométalliques de dérivés de l’étain ou de Grignard en présence de différents types de catalyseurs métalliques et bimétalliques : palladium-cuivre ou fer-cuivre. Ces processus fonctionnent eux aussi très bien, mais nécessitent l’utilisation de réactifs organométalliques en quantité stœchiométrique. Très récemment, nous avons développé un procédé purement catalytique utilisant la réaction des N-tosylhydrazones avec un halogénure aromatique, catalysée par un complexe de palladium, qui donne de meilleurs résultats (Figure 24, en bas à gauche). O

MeO MeO

Figure 24

R R OMe

Différentes voies de synthèse de l’isoCA-4.

OMe OMe

Wittig

1/

Processus non convergent

R

MeO MeO

MeO

O

MeO

2/ APTS

ChemMedChem 2009, 4, 1912 OMe

OMe

PdLn/Cul X

PdLn X

FeCl3/CuTC

R

MeO

OMe

OMe

MeO

Processus non général

OMe R OMe

X

MeO OMe

R

Processus catalytique

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

DES STRATÉGIES DE SYNTHÈSE POUR LES CHIMISTES

OMe

MeO

Processus stoechiométrique

OMe

J. Org. Chem. 2009, 74, 1337

Org. Lett. 2012, 14, 2782

De plus, cette dernière stratégie de synthèse permet d’explorer successivement les espaces chimiques autour des cycles A et B et d’étudier leur importance sur l’activité antivasculaire. En une seule étape, il est possible d’explorer l’influence de l’espace chimique (aromatique ou hétéro-aromatique) du cycle B en utilisant une tosylhydrazone maintenant comme partenaire nucléophile pour le cycle A (Figure 25A). Inversement on peut explorer le cycle A (aromatique ou hétéro-aromatique) en inversant le processus ; cette fois-ci c’est le cycle A qui devient le partenaire électrophile variable, alors que le cycle B portant la N-tosylhydrazone est fixe (Figure 25B). Ces réactions en une seule étape sont convergentes ; elles ne requièrent ni la préparation ni l’utilisation de composés organométalliques stœchiométriques, l’accès aux dérivés N-tosylhydrazones, partenaires nucléophiles, est extrêmement facile, les conditions opératoires utilisées sont en outre généralement aisées, et les rendements obtenus sont élevés. MeO A MeO

A

A

OMe électrophile OH B OMe

électrophile

B

MeO

OMe nucléophile

exploration de l’espace chimique autour du cycle B aromatique ou hétéroaromatique

MeO B

nucléophile

OH A

B OMe

exploration de l’espace chimique autour du cycle A aromatique ou hétéroaromatique

Figure 25 Stratégie de chimie flexible pour explorer l’espace chimique des cycles A et B de l’isoCA-4 : A) réaction avec un partenaire nucléophile invariable (cycle A) pour analyser l’effets de différents substituants sur le cycle B ; B) réaction avec partenaire nucléophile invariable (cycle B) pour analyser l’effets de différents substituants sur le cycle A.

247

Chimie et biologie de synthèse

4.2. Diversité moléculaire des hétérocycles issus de la chimie de N- tosylhydrazones L’isoaminocombrétastatine a été définie comme une cible (Figure 26) au sein de laquelle ont été intégrées différentes modifications moléculaires au niveau de l’atome d’azote de la fonction aminée. Dans ce contexte, des processus multi-composants ont été développés utilisant une N-tosylhydrazone, un iodochlorobenzène, une amine et une catalyse au palladium. Au cours de ce processus, en une seule étape, deux liaisons carbone-carbone et carbone-azote sont formées (Figure 26A). La Figure 26B illustre bien le potentiel de ce processus multi-composants utilisant le même principe réactionnel. Ainsi le remplacement du composé iodochlorobenzène par un partenaire dihalogéné contenant une fonction imidate permet de former en une étape trois liaisons : deux liaisons carbone-azote et une liaison carbone-carbone. CHIMIE DE DÉRIVÉS N-TOSYLHYDRAZONES ET DIVERSITÉ MOLÉCULAIRE

À partir de la même stratégie faisant appel à de la chimie des N-tosylhydrazones et une catalyse au palladium, des composés 1,1-ar yl-hétéro­ aryléthylènes comportant un hétérocycle carbazole ont été obtenus. Dans ces conditions, il est nécessaire d’utiliser comme partenaire électrophile un dérivé halogéné contenant une liaison carbone-brome et une liaison carbone-nitro (Figure 27A). Les conditions opératoires permettent de former la double liaison carbonecarbone et d’induire de façon tandem une étape de réduction de la fonction nitro, suivie d’une cyclisation aboutissant à l’hétérocycle carbazole. Lorsque les liaisons réactives carbone-brome et carbonenitro sont placées dans un autre environnement sur la molécule, un processus tandem encore plus complexe a lieu dans lequel une liaison carbone-oxygène est rompue et trois nouvelles liaisons sont formées : deux liaisons carbone-azote et une liaison carbone-carbone (Figure 27B). À travers ce nouveau processus inédit, des dérivés indole présentant un grand intérêt en chimie médicinale ont été préparés.

PROCESSUS MULTI-COMPOSANTS : formation d’oléfines substituées

A Formation 2 liaisons

B Formation 3 liaisons

Figure 26

248

Chimie de dérivés N-tosylhydrazones et diversité moléculaire : A) formation de deux liaisons conduisant à des dérivés d’isoNH2CA-4 en une seule étape à partir de trois réactifs dont une amine ; B) formation de trois liaisons conduisant à des dérivés isohétérocombrétastatine en une seule étape à partir de trois réactifs correctement fonctionnalisés.

4.3. Relation structureactivité des isohétérocombrétastatines Nous avons testé la cytotoxicité des molécules de seconde génération ainsi que leur capacité à induire une inhibition de la polymérisation de la tubuline. Une sélection des meilleures molécules identifiées est résumée sur la Figure 28. À travers cette étude de relation structure-activité,

PROCESSUS TANDEM : formation de carbazoles substitués

Formation 2 liaisons

PROCESSUS TANDEM : formation d’indoles substitués

A) La boite à outil développée dans ces travaux permet de former deux liaisons en une étape pour aboutir à des dérivés carbazoles et ; B) par coupure et formation de trois liaisons, cette boite à outil permet même de former des indoles.

Formation 3 liaisons

B

C

Cycle-B substituants Cycle-B modulations

B

Analogues contraints

A

Coupure liaison C–O

Figure 28 IC50 : 2 nM IPT : 1 µM

IC50 : 7 nM IPT : 4 µM

IC50 : 1 nM IPT : 2 µM

IC50 : 1 nM IPT : 0,4 µM

IC50 : 7 nM IPT : 2 µM

IC50 : 2 nM IPT : 1 µM

IC50 : 7 nM IPT : 1 µM

IC50 : 2 nM IPT : 2 µM

IC50 : 7 nM IPT : 2 µM

IC50 : 10 nM IPT : 3 µM

nous avons montré qu’il est possible de modifier la nature du cycle aromatique B et de ses substituants, ainsi que la possibilité d’obtenir des molécules plus contraintes et où la double liaison et le cycle B sont fusionnés. Un panel de nouvelles molécules a été identifié montrant des activités antiprolifératives et d’inhibition de la polymérisation de la tubuline très intéressantes.

IC50 : 2 nM IPT : 3 µM

Relation structure-activité de dérivés de l’isoCA-4 concernant : A) la pharmacomodulation des substituants du cycle B ; B) la nature du cycle B hétéroaromatique versus aromatique ; C) l’introduction de contraintes entre la double liaison et le cycle B. Sélection des meilleures molécules les plus actives en termes de cytotoxicité et Inhibition de la Polymérisation de la Tubuline (IPT).

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

Figure 27

CHIMIE DE DÉRIVÉS N-TOSYLHYDRAZONES ET DIVERSITÉ MOLÉCULAIRE

A

À partir de cette chimie très simple, en une étape, un travail de synthèse important a été réalisé permettant de définir des relations structure-activité (RSA) autour des molécules de seconde génération de la famille de l ’ isocombrétastatine A-4 (Figure 29). Les résultats des études de RSA ont révélé que : −− les atomes d’hydrogène sur la double liaison peuvent être

Figure 29 La relation structure/activité de l’isoCA4 a été définie complétement mais un a priori est resté sur les groupements méthoxyle du cycle A.

249

Chimie et biologie de synthèse

remplacés par un atome de fluor ; −− des contraintes conformationnelles sont tolérées à la condition de former des carbocycles ou hétérocycles à 6 ou 7 chaînons ; −− le substituant R1 du cycle aromatique B peut être modifié par des groupements bioisostéres appropriés tel qu’un atome de fluor, un groupement amino (-NH2), un azoture (-N3) ou une chaîne carbonée éthylénique ou acélylénique (Figure 29) ; −−   le substituant R2 du cycle aromatique B peut être également modifié par des groupements bioisostéres (-OEt, -OCHF2, etc.) ; −− le cycle aromatique B peut être remplacé par des noyaux hétérocycliques azotés de type pyridine, indole ou carbazole ; −− la double liaison peut être réduite. Tous les composés rapportés dans la Figure 29, analogues biologiquement actifs de l’isoCA-4, possèdent des

activités antiprolifératives à des concentrations nanomolaires et une capacité à inhiber la polymérisation de la tubuline à des concentrations micromolaires (donc une bonne activité). La caractéristique structurale commune à ces composés est la présence du cycle A triméthoxyphényle, un élément structural indispensable à l’activité antitumorale et dont son remplacement et/ou la modification de ses substituants induit une perte d’activité biologique. Très récemment, nos derniers travaux ont montré tout l’intérêt d’optimiser la structure chimique de l’isoCA-4 en remplaçant le cycle 3,4,5-triméthoxyphényle (ou cycle A) par un noyau hétérocyclique de type quinazoline ou quinoléine, convenablement choisis sur la base du concept de « structures privilégiées ». Les molécules iso co m b r ét a quin a zo l in e s appelées isoCoQ ou isocombrétaquinoléines appelées isoCoQuines (Figure 30) ont

Q Co

iso

ChemMedChem 2015, 10, 1392 WO 2015/155261 A1 IC50 (Cytotox) = 6 nM IC50 (IPT) = 0,6 µM

isoCA-4 CI50 (Cytotox) = 2 nM CI50 (IPT) = 2 µM

iso Co Q

ui

ne

Eur. J. Med. Chem. 2017, 127, 1025 WO 2015/155261 IC50 (Cytotox) = 0,9 nM IC50 (IPT) = 1 µM

Figure 30

250

Structure de l’isoCA-4 dont le cycle A a été modifié pour donner les dérivés isoCoQ et isoCoQuine possédant d’excellentes activités biologiques. À droite : représentation 3D des interactions entre la molécule isoCoQ avec la tubuline au sein du site actif de la colchicine.

L’intérêt de ces hétérocycles pauvres en électrons, contrairement au noyau triméthoxyphényle, est leur aptitude à conduire à une faible métabolisation. 4.4. Pharmacologie de sécurité cardiaque Dans le cadre d’un développement préclinique, nous avons examiné la capacité des molécules nouvellement identifiées (isoCoQ et isoCoQuine) à induire ou non des effets cardiotoxiques par rapport à celles comportant un noyau 3,4,5-triméthoxyphényle. La pharmacologie de sécurité cardiaque est particulièrement représentée par le test du hERG, canal potassique responsable de la repolarisation cardiaque et hautement impliqué dans les phénomènes de prolongation de l’intervalle QT de l’électrocardiogramme, à l’origine des arythmies cardiaques. L’IC 50 (concentration de la molécule à inhiber 50 % de l’effet sur hERG) a été déterminée en comparant l’isoCA-4 aux molécules de seconde génération isoCoQ et isoCoQuine. En fonction de la valeur de cette IC50, il est possible d’apprécier le risque de toxicité cardiaque ou arythmie cardiaque19 s’il est faible ou élevé 19. Arythmies cardiaques : troubles irréguliers de la fréquence cardiaque.

Composés

isoCA-4

isoCoQ

isoCoQuine

IC50 (hERG) nM

1 600

19 800

63 000

IC50 (HCT116) nM

1

6

0,9

index de sécurité cardiaque in vitro (iCSI)

1 600

3 300

70 000

risque faible

risque modéré

risque élevé

IC50 > 10 µM

1 < IC50 < 10 µM

IC50 < 1 µM

Figure 31 Calcul de l’iCSI pour l’isoCA4 ainsi que les deux nouveaux composés à cycle A modifié.

(Figure 31). La détermination permet également d’apprécier un autre paramètre nommé index de sécurité cardiaque in vitro (iCSI). Celui-ci est défini comme étant le rapport des valeurs des IC 50 d’inhibition de hERG et de l’activité antiproliférative sur une lignée cellulaire d’intérêt, ici HCT116. Les résultats de la Figure 31 montrent clairement que l’index de sécurité cardiaque de l’isoCoQuine est nettement supérieur à celui de l’isoCA-4 et de l’isoCoQ, avec une valeur de iCSI atteignant 70 000, largement supérieur aux 5 000, définis par Novartis comme marge suffisante de sécurité cardiaque avant le début des études in vivo (Figure 31). Nos récents travaux ont montré tout l’intérêt d’optimiser la structure chimique de l’isoCA-4 en remplaçant le cycle triméthoxyphényle par un hétérocycle pour obtenir deux nouvelles générations de molécules, les isoCoQ et les isoCoQuine (Figure 32), potentiellement intéressantes en application thérapeutique. Signalons de plus qu’une nouvelle famille a très récemment été identifiée, montrant des activités antiprolifératives dans la gamme picomolaire.

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

montré d’excellentes activités prolifératives (gamme subnanomolaire pour isoCoQuines) et d’inhibition de la polymérisation de la tubuline (gamme submicromolaire pour isoCoQ).

251

Chimie et biologie de synthèse

Q Co

iso

ChemMedChem 2015, 10, 1392 WO 2015/155261 A1 IC50 (Cytotox) = 6 nM IC50 (IPT) = 0,6 µM

isoCA-4

Panel de lignées cell. 50 pM < IC50 < 250 pM

IC50 (Cytotox) = 2 nM IC50 (IPT) = 2 µM

iso

Co Q

ui

ne

Eur. J. Med. Chem. 2017, 127, 1025 WO 2015/155261 IC50 (Cytotox) = 0,9 nM IC50 (IPT) = 1 µM

* HTC116 : carcinome colorectal * IPT : inhibition polymérisation tubuline

Figure 32 Structures de l’isoCA-4 et de la nouvelle génération des molécules isoCoQ et isoCoQuine.

5

La technologie des immunoconjugués

5.1. Principe de la stratégie ADC

252

En raison du niveau d’activité cytotoxique de ces nouvelles molécules, il est inconcevable d’imaginer une utilisation en thérapie sous un format libre car ce sont des bombes à retardement pouvant induire beaucoup d’effets indésirables. D’où tout l’intérêt de les associer dans une technologie dite immunoconjugée ou stratégie ADC (« Antibody Drug Conjugates ») (Figure 33). Le principe consiste à greffer une molécule hautement cytotoxique à un anticorps monoclonal, sélectif d’un antigène surexprimé par une tumeur donnée, par l’intermédiaire d’un « linker » (ou espaceurs) afin d’obtenir un traitement efficace et ciblé vis-à-vis de différents types de cancers. L’intérêt de cette stratégie est de s’affranchir des limitations obser vées

avec les deux thérapies prises séparément. À ce jour, trois ADC ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) : Adcetris® en 2011 (indication : lymphome de Hodgkin), Kadcyla® en 2013, (indication : cancer du sein HER-2 positif) et Besponsa® en 2017 (indication : leucémie aiguë lymphoblastique). Il est à noter que les cytotoxiques présents sur ces ADC ont des mécanismes d’actions très peu variés, visant la tubuline ou l’ADN. De plus, ils ont des structures chimiques complexes de poids moléculaire élevés, possèdent de nombreux carbones asymétriques, et leur synthèse n’est pas aisée. Par conséquent, il existe un réel besoin de disposer de nouveaux cytotoxiques simples avec des mécanismes d’actions différents. Pour être éligible en tant que cytotoxique dans une stratégie ADC, les molécules devraient posséder en termes

isoCA-4 CI50 (Cytotox) = 2 nM CI50 (IPT) = 2 µM

Immunoconjugués ou stratégie Antibody Drug Conjugates

Stratégie ADC consistant à accrocher des dérivés de l’isoCA-4 à des anticorps monoclonaux via des espaceurs (« linkers »).

Anticorps monoclonal (mAb) Cible un antigène sur la cellule tumorale

Linker

Site de conjugaison affecte PK et efficacité

chimique et biologique les caractéristiques résumées sur la Figure 34. L’examen des propriétés chimiques et biologiques des molécules isoCoQ et isoCoquine montre que ces cytotoxiques possèdent les caractéristiques requises pour être parfaitement éligibles à une stratégie ADC. 5.2. Immunoconjugués issus de l’isoCA-4 Les travaux de conjugaison des dérivés de l’ isoCA-4 sont en cours. D’ores et déjà nous avons identifié de nouvelles conditions opératoires biocompatibles permettant le couplage d’une fonction thiol (-SH) d’un composé organique avec un halogénure aromatique en présence d’un complexe de palladium de troisième génér ation. (Figure 35). Une application a été réalisée notamment pour coupler la fonction thiol d’une cystéine du trastuzumab avec un fluorophore, le TAMRA, dérivé de la rhodamine, pour obtenir donc un nouveau bioconjugué portant une liaison covalente carbone(sp2)-soufre stable en milieu plasmatique (Figure 35). Cette technologie sera ensuite appliquée pour préparer cette fois-ci des bioconjugués en remplaçant le TAMRA par nos

Composé hautement cytotoxique (payload)

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

Figure 33 Cytotoxicité gamme pM 50 pM < IC50 < 250 pM

Figure 34 Caractéristiques des candidats « payloads » pour être éligibles à une stratégie ADC.

Formation de bioconjugués • couplage du trastuzumab avec un dérivé TAMRA dans des conditions éco- et biocompatibles • Fluophore/Anticorps Ration, FAR = 4

Trastuzumab

Fluophore – TAMRA

Liaison covalente stable

TAMRA : carboxytétraméthylrhodamine

Figure 35 Liaison stable entre le Trasuzumab (anticorps) et le dérivé TAMRA.

familles de molécules dérivées de l’isoCA-4. Les résultats de cette nouvelle technique de conjugaison seront comparés à ceux de la technique conventionnelle, générant une liais on c ar b one(sp 3 ) -s ouf r e (Figure 36), qui présente l’inconvénient d’être peu stable dans le milieu plasmatique.

253

Chimie et biologie de synthèse

Technique nouvelle de conjugaison : formation de Csp2–S stable (réaction de Buchwald) Conditions biocompatibles linker

linker payload

payload

Trastuzumab

2

Csp –S stable

Technique conventionnelle : formation de Csp2–S peu stable (réaction de Michael)

linker

linker

payload

payload

Trastuzumab

Csp2–S peu stable

Figure 36 Nouveau bioconjugué avec liaison Csp2-S stable.

La chimie, base de la diversité moléculaire pour créer de nouveaux cytotoxiques puissants

254

À partir de la chimie du N-tosylhydrazone – qui n’est pas un réactif nouveau – et d’un catalyseur approprié, le palladium, il a été possible de générer de nouvelles transformations et de créer une grande diversité moléculaire (Figure 37). Cette diversité moléculaire est l’origine de l’identification d’une nouvelle classe de composés hautement cytotoxiques potentiellement intéressants dans le cadre d’une stratégie ADC. Par ailleurs, dans le contexte de la conception de biomolécules conjuguées nous avons été amenés à développer de nouvelles techniques de conjugaison biocompatibles pour former de nouveaux bioconjugués possédant de puissantes activités cytotoxiques (Figure 38).

N R

R1

NH

R

Sequential process Cyclopropane Asian J. Org. Chem. 2015,4, 1144

R Sequential process benzofulvene Adv. Synth. Catal. 2013, 355, 3425 RSC. Adv. 2015, 5, 74391

Sequential process Org. Lett. 2017, 19, 6700

N

R1

R5

N R

MCR : 1 Csp2–Csp2 & 2 Csp2–N Adv. Synth. Catal. 2016, 358, 1833 NNHTs R2

Sequential process Chem. Commun. 2016, 52, 13027 R2

R3

R4

R

R1

R2

R1

R2

R3

R3

R1

Pd

R3 NH

MCR: Csp2–Csp2 & Csp2–N Org. Lett. 2013, 15, 148

R1

R1

N H Sequential process Chem. Commun. 2016, 52, 13027

R2

R3

N

R1

N

R

X

R1 MCR: Two Csp2–Csp2 J. Org. Chem. 2015, 80, 6715

X

N

R4

R2

MCR : Csp2–Csp2 & Csp2–N Adv. Synth. Catal. 2018, 360, 5847

N R2 R MCR : Csp2–Csp2 & Csp2–N Adv. Synth. Catal. 2018, 360, 584

De nouvelles perspectives en thérapie antivasculaire

R1

XH

R1

CO 2Et

EtO2C

Figure 37 Génération d’une grande diversité moléculaire par l’utilisation de N-tosylhydrazones en présence d’une catalyse au palladium.

Molécules duales

espaceur

Antivasculaire/HDAC PCT/FR 2017/050032 activité HDACs

activité antivasculaire

isoCA4

Preuve de Concept (POC) Activité antivasculaire Nanoparticules mixtes Efficacité antitumorale

Prix Valorisation UPSud 2014

Linker Stratégie ADC Payloads (gamme pM) Techniques de conjugaisons

Puissant cytotoxiques Gamme pM WO 2015/155261 EP 2017/17173651

Prix Ligue contre le Cancer 2017

Figure 38 À partir de l’isoCA-4, les travaux ont permis d’apporter la preuve de concept d’une activité antitumorale, d’obtenir des molécules duales et de concevoir de puissants agents cytotoxiques qui ont été inclus dans une stratégie ADC.

Au cours de ces travaux, nous avons conforté les hypothèses formulées concernant tout l’intérêt de développer une seconde génération de molécules dépourvues du noyau aromatique

255

Chimie et biologie de synthèse 256

triméthoxyphényle. L’introduction d’un noyau hétéroaromatique convenablement choisi a permis : − d’élargir, pour la première fois, le concept « nanomédicaments squalénisés » aux antivasculaires dans un but d’efficacité antitumorale accrue et d’effets indésirables réduits ; − d’identifier des composés répondant au cahier des charges conservant l’activité antivasculaire recherchée et présentant un index de sécurité cardiaque in vitro élevé avant le début des études précliniques. Ces travaux donc ont été conduits dans le cadre de la labellisation par la Ligue contre le Cancer. Ils ont reçu le prix de la valorisation de l’université Paris-Sud, ainsi que le prix de la Ligue contre le cancer.