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French Pages 192 Year 2022
Chimie
et agriculture
durable
Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et agriculture durable », qui s’est déroulé le 10 novembre 2021 à la Maison de la Chimie.
« COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie
Chimie et
agriculture durable Jean-Louis Bernard, Delphine Bouttet, Nicolas Broutin, Thierry Caquet, Olivier Demarle, André Fougeroux, Olivier Guerret, François Képès, Bernard Le Buanec, Jean-Yves Le Déaut, Benoît Rabilloud, Catherine Regnault-Roger, Patrick Saindrenan, Marie-Emmanuelle Saint-Macary, Jean-Marc Seng Coordonné par Danièle Olivier et Paul Rigny
Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Crédits couverture : Illustrations de la banque d’image Adobe Stock ; en page 1 : concept de la microbiologie (en macaron) et main d'un agriculteur plantant des graines dans la terre, en page 4 : concept de ferme ivntelligente (agriculteur utilisant un ordinateur pour contrôler un drone agricole et pulvériser de l'engrais dans un champ de thé vert). Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)
Imprimé en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2753-4 ISBN (ebook) : 978-2-7598-2754-1
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1 er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
© EDP Sciences 2022 EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtaboeuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Jean- Louis Bernard Académie d’agriculture de France Delphine Bouttet Responsable Digiferme® de Boigneville, Arvalis-Institut du végétal Nicolas Broutin Président du groupe Yara France Thierry Caquet Directeur Scientifique Environnement de l’INRAE Olivier Demarle Société Frayssinet Alain Fougeroux Académie d’agriculture de France, Académie des technologies Olivier Guerret Directeur de l’innovation et du marketing de M2I
François Képès Académie d’agriculture de France, Académie des technologies
Académie d’agriculture de France, Académie nationale de pharmacie, Haut Conseil des biotechnologies
Bernard Le Buanec Académie d’agriculture de France, Académie des technologies
Patrick Saindrenan Institut de sciences des plantes de Paris-Saclay (IPS2)
Jean-Yves Le Déaut Professeur des universités, parlementaire honoraire, ex-Président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPEST), Académie d’agriculture de France Benoît Rabilloud Président de Bayer France et Directeur général de CROP sciences pour la France Catherine Regnault-Roger Professeur des universités,
Marie-Emmanuelle SaintMacary Société Frayssinet Jean-Marc Seng Institut de sciences des plantes de Paris-Saclay (IPS2)
Équipe éditoriale : Danièle Olivier et Paul Rigny
Sommaire Avant-propos..................................................... 9 Préface................................................................ 13
Partie 1 : L’agriculture et la chimie : des partenaires d’hier, d’aujourd’hui, et de demain Chapitre 1 : Agriculture et chimie : une synergie plus que séculaire ! par Catherine Regnault-Roger.......................... 19 Chapitre 2 : Quelle agriculture voulons-nous ? par André Fougeroux......................................... 29 Chapitre 3 : L’agriculture face à ses défis techniques, l’apport des technologies par Bernard Le Buanec...................................... 37 Chapitre 4 : Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances par Jean-Yves Le Déault.................................... 45
Partie 2 : Les vecteurs d’innovation industriels Chapitre 5 : Attentes des consommateurs, besoins des agriculteurs : les enjeux de transformation de l’agriculture par Benoît Rabilloud.......................................... 59 Chapitre 6 : La chimie, alliée indispensable et responsable de la nutrition des plantes par Nicolas Broutin............................................ 65 Chapitre 7 : Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales par Marie-Emmanuelle Saint-Macary et Olivier Demarle.............................................. 71 Chapitre 8 : Utilisation de médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes et la protection des cultures par Olivier Guerret............................................. 95
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Chimie et agriculture durable
Partie 3 : L’agriculture et la recherche : les transformations à l’œuvre aujourd’hui Chapitre 9 : Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité par Jean-Louis Bernard.................................... 107 Chapitre 10 : L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures par Delphine Bouttet.......................................... 123 Chapitre 11 : Recherche agronomique et transition agroécologique par Thierry Caquet............................................. 141 Chapitre 12 : Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche par Jean-Marc Seng et Patrick Saindrenan..... 157 Chapitre 13 : Apport de la biologie de synthèse en agriculture par François Képès............................................ 171
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Nourrir la population et lui permettre de vivre en bonne santé, c’est bien là, par excellence, LE devoir de l’humanité. Dans notre orgueil d’Occidentaux, on vit presque comme si les obstacles devant cette tâche étaient surmontés. Pourtant l’Histoire, jonchée de famines et de catastrophes sanitaires, montre à quel point ce but impératif n’a jamais pu être parfaitement atteint. Qu’on se rappelle les séries de famines qui ont conduit à la Révolution française, ou le xixe siècle avec le million de morts et les 2 millions d’émigrants de la crise de la pomme de terre en Irlande ou plus récemment au xxe siècle, l’instauration de tickets de rationnement jusqu’en 1948, consécutivement à la Seconde Guerre mondiale. Qu’on réalise aussi les grandes famines qui ont frappé la Chine il n’y a que quelques décennies et les malheurs des pays africains… Nous serions inconscients de nous croire épargnés pour toujours. La science et la technologie ont pourtant réussi des miracles. La population mondiale est passée de 1 milliard d’habitants en 1800 à 3 milliards
en 1960 et à 8 en 2022… et les crises alimentaires n’explosent pas. Cependant, une population de 10 milliards d’habitants se profile pour 2100… L’inquiétude sur l’avenir de l’alimentation s’accroît… Et voilà les perspectives du changement climatique, perspectives maintenant avérées, qu’il faut affronter. Que faire ? D’abord prendre collectivement conscience de la réalité et de la nouvelle nature des menaces à l’agriculture auxquelles nous sommes confrontés, les comprendre en termes scientifiques et pratiques du mieux possible, enfin rechercher les solutions sans préjugés : solutions techniques, solutions dans l’organisation même de la société. Parmi les nombreux facteurs mis en cause, des excès dans l’utilisation de la chimie dans l’agriculture sont soulignés – tout le monde accepte les bons effets des intrants chimiques, mais tout le monde perçoit les risques d’en maintenir tous les usages sans modifications. À la Fondation de la Maison de la Chimie, c’est notre mission de nous pencher sur
Danièle Olivier et Paul Rigny, Fondation de la Maison de la Chimie
Avantpropos
Chimie et agriculture durable
ces aspects qui concernent la chimie. Le 25e colloque de notre série « Chimie et… » est ainsi consacré à « Chimie et agriculture durable ». Il a été organisé en partenariat avec l’Académie d’agriculture – qui, bien évidemment, maîtrise parfaitement tous les aspects de ces questions, qu’ils concernent l’histoire, l’évolution de la société ou celle des techniques. Rappelons que ces colloques – dont la liste est placée à la fin de cet avant-propos – se saisissent de questions de société pour lesquelles les solutions ont été cherchées et trouvées dans les travaux des laboratoires de chimie. Ils visent principalement les publics étudiants en début de cursus universitaire ou en fin de cycle lycée ainsi que leurs professeurs. Les principales questions scientifiques posées aux laboratoires sont exposées par les scientifiques spécialistes, l’expression des besoins de l’industrie en charge et leur perception des progrès technologiques à retenir sont exposés par les ingénieurs spécialisés dans les entreprises correspondantes. Rappelons aussi que les colloques sont chacun repris par un ouvrage facilement disponible en librairie.
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Pour une question aussi générale que celle de l’alimentation et de l’agriculture, le présent colloque a voulu replacer la pratique agricole d’aujourd’hui entre les évolutions historiques si souvent effrayantes (voir plus haut) et les multiples et impressionnantes possibilités ouvertes pas la science (l’informatique, la biologie… la chimie) et la technologie.
Les exposés introductifs rappellent ces périodes anciennes et la façon dont les générations passées ont pu les maîtriser – autant que faire se peut. Ils rappellent aussi les attentes en direction des riches perspectives ouvertes aujourd’hui par la science et les compétences des laboratoires qui se mobilisent à la mesure des enjeux à affronter. La Table ronde « Vecteurs d’innovation industriels » rend très optimiste sur le dynamisme et l’énergie des acteurs qui se sont motivés pour rendre concrets les changements ambitieux, difficiles mais nécessaires et partant, passionnants. Plusieurs des domaines à l’étude sont déjà utilisés pour des applications industrielles très concrètes. Dans les deux sessions d’exposés plus techniques sur les recherches en cours dans les laboratoires, les mots-clefs seront « biocontrôle, interface sol-plantes, biologie, algorithmes numériques, agroécologie, robotique » – une énumération qui suffit à faire sentir la palette des compétences mobilisées et à apporter les arguments aux futurs chercheurs pour qu’ils se lancent dans les questions posées par l’agriculture durable. La conférence de clôture réserve une grande place à l’utilisation si controversée et si politique en France des techniques de la génomique en agriculture. Toute cette richesse d’informations scientifiques et techniques, économiques même puisque c’est l’industrie d’aujourd’hui qui est concernée, est précieuse et doit être
Liste des ouvrages de la collection « Chimie et … », publiés par la Fondation de la Maison de la Chimie à la suite des colloques « Chimie et … ». La Chimie et la mer ; Chimie et santé, Chimie et art ; Chimie et alimentation ; Chimie et sport ;
Chimie et habitat ; Chimie et Nature ; Chimie et enjeux énergétiques ; Chimie et transports… vers des transports décarbonés ; Chimie et technologies de l’information ; Chimie et expertise… sécurité des biens et des personnes ; Chimie et cerveau ; Chimie et expertise… santé et environnement ; Chimie et changement climatique ; Chimie, dermo-cosmétique et beauté ; La chimie et les grandes villes ; La chimie et les sens ; Chimie, aéronautique et espace ; Chimie et biologie de synthèse ; Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies ; Chimie et Alexandrie dans l’Antiquité ; Chimie et nouvelles thérapies, Chimie et lumière ; Chimie et énergies nouvelles ; Chimie et agriculture durable (le présent ouvrage) et, en préparation, Chimie et NotreDame … le sauvetage de la grand-mère.
Avant-propos
valorisée. C’est un des rôles du site internet MEDIACHIMIE (www.mediachimie.org) que la Fondation a créé en 2012 et qui est exploité aujourd’hui en collaboration avec les éditions Nathan. Ce site est consulté tant pour l’enseignement de la chimie (aide aux professeurs, étudiants et élèves à intégrer la recherche actuelle) que pour répondre à la curiosité du grand public qui veut connaître la réalité technique. Que nos lecteurs se rendent sur ce site pour trouver les réponses dont ils ont besoin, pour approfondir leurs connaissances à l’aide des nombreuses ressources du site. L’actualité du sujet de l’agriculture durable se traduit d’ailleurs par une abondance exceptionnelle de ressources tant sous forme de vidéos que de documents, stimulée par les nouveaux programmes des lycées. Elle comblera les attentes les plus exigeantes.
Danièle Olivier Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny Conseiller scientifique auprès du président de la Fondation de la Maison de la Chimie
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Bernard Bigot, Président de la Fondation de la Maison de la Chimie et Directeur Général de ITER international, a dirigé la collection Chimie et … depuis sa création. Il est décédé le 14 mai 2022 des suites d’une longue maladie. J’ai repris dans cette préface l’essentiel de son discours d’introduction lors du colloque Chimie et Agriculture durable du 10 novembre 2021. La Fondation de la Maison de la Chimie a mis tout en œuvre, depuis le début de la pandémie COVID-19, pour assurer la pérennité de ses actions, dans le strict respect des mesures sanitaires préconisées. C’est pourquoi le colloque et l’ouvrage qui en résultent ont été reportés pratiquement d’un an. Le thème est en effet d’une forte actualité. Les relations entre l’agrochimie et les attentes de la société sont loin d’être simples, comme l’illustrent les prises de position publiques depuis quelques années. Pourtant, des relations sereines et mutuellement confiantes, ainsi que ce fut longtemps le cas entre les agriculteurs, la société dans
son ensemble et la chimie, sont indispensables pour le bon équilibre à la fois de notre alimentation, de notre santé et plus globalement, de la planète. Les difficultés liées au respect des mesures de sécurité sanitaire ne nous avaient pas permis d’accueillir en présentiel le public au sein de la Fondation à la date initialement prévue en novembre 2020, et compte tenu de l’importance sociétale, économique, scientifique et pédagogique du thème de ce colloque, les conférenciers et le comité d’organisation ont jugé qu’un large débat en présentiel avec le public était indispensable et ont décidé le report du colloque à une date où cela serait effectivement possible. Cet ouvrage en est le résultat. La première partie montre que le partenariat entre la chimie et l’agriculture est non seulement séculaire, mais en constante évolution scientifique pour s’adapter aux nouveaux besoins sociaux et économiques. Par un survol historique illustré d’exemples, Catherine Regnault-Roger prouve que
Danièle OLIVIER, Vice-Présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie
Préface
Chimie et agriculture durable 14
la chimie est une discipline clé pour appréhender l’évolution de l’agriculture et l’un des outils nécessaires à sa durabilité. L’essor des connaissances en génétique, en biochimie, et en biologie moléculaire, a ouvert la porte à la génomique, aux biotechnologies et au génie génétique et, au xxie siècle, à l’usage des technologies de l’information. Aujourd’hui, une compréhension plus étayée des phénomènes à l’action dans la croissance des plantes et des animaux de consommation alimentaire permet de développer de nouvelles façons d’agir tout en préservant les propriétés physicochimiques des milieux dans lesquels nous vivons. Mais quelle agriculture voulons-nous ? André Fougeroux essaye de répondre à cette question qui fait partie des préoccupations principales de nos concitoyens. La réponse est difficile quand on sait que la population mondiale a triplé depuis 70 ans, que la demande pour assurer son alimentation va continuer à augmenter non seulement en quantité, mais aussi en qualité et en diversité. La synergie entre l’agronomie scientifique et la chimie, qui a permis au xxe siècle la découverte des fondements de l’alimentation des plantes avec le développement de l’utilisation des engrais et de la lutte contre les bio-agressions si utiles à la production agricole et au consommateur a, certes, été accompagnée dans certains cas d’excès et d’erreurs, mais nul ne peut contester de nombreuses grandes réussites. De nouveaux enjeux sont aussi apparus. Au xxie siècle, face aux besoins planétaires,
l’urgence est de développer une agriculture raisonnée qui limite son impact sur les sols, le circuit de l’eau et sur la qualité de l’air, qui préserve la biodiversité et qui consomme le minimum d’énergie envisageable. Bernard Le Buanec explique comment les agricultures française et européenne sont organisées pour répondre à ces défis planétaires, afin d’établir une politique et une stratégie soutenable, notamment pour répondre à trois défis principaux : le parasitisme, les ravageurs, et les maladies, y compris celles, nouvelles, qui résultent du réchauffement climatique. Viendra ensuite le temps d’examiner quel rôle la chimie peut jouer dans cette nouvelle agriculture. Jean-Yves Le Déaut a accepté de partager avec vous ses compétences scientifiques tout autant que sa longue expérience du monde politique et des enjeux sociétaux, pour répondre en partie à cette question. Sur l’exemple des nouveaux outils apportés à la modification du génome, il souhaite montrer que la chimie et la biotechnologie sont compatibles avec l’agriculture durable, bien que la perception de nombre de nos concitoyens soit différente et reste très éloignée de la réalité de l’apport que l’innovation pourrait apporter. Pour nourrir dix milliards d’individus au cours de la seconde moitié du xxie siècle, sans prélèvement irréversible et destruction supplémentaire des ressources de la planète, il faut impérativement
Préface réconcilier biotechnologies et agroécologie. Les risques doivent être évalués, mais rationnellement, en tenant à bonne distance les a priori sans fondement, les partis pris idéologiques, les propagandes et les discours sectaires. La deuxième partie présente les vecteurs d’innovation industriels issus de ces nouvelles approches et ce, dans quatre principaux domaines. Benoît Rabilloud, Président de Bayer France et Directeur Général de Crop Science France, montre qu’une voie existe pour concilier les attentes des consommateurs et les besoins des agriculteurs dans le domaine de la protection des cultures. L’approche combinatoire de la chimie et des substances naturelles est une solution particulièrement intéressante. Mais il faut avoir conscience que le temps de développement d’une innovation industrielle ne peut souvent pas répondre à la demande d’immédiateté de la société. Dans le domaine de la nutrition des plantes, Nicolas Broutin, Président du groupe Yara France, illustre le rôle de la chimie pour décarbonner la chaîne de production alimentaire sur quelques exemples : − celui des fertilisants minéraux ou naturels du sol améliore la photosynthèse et augmente la production de biomasse en captant plus de CO2, − l’amélioration des technologies de production des engrais azotés pour éliminer les émissions nocives dont la
perspective d’utiliser l’hydrogène « vert » pour fabriquer l’ammoniac « vert » sans émission de CO2 dans le cycle de sa production. La création variétale, et en particulier pour la résistance aux bioagresseurs, est un axe de recherche prioritaire dans le domaine de l’agroécologie. Biostimuler l’interface solplante est une option majeure pour l’amélioration de la production végétale. MarieEmmanuelle Saint-Macary et Olivier Demarle présentent la chimie des échanges moléculaires au niveau de la rhizosphère, les racines, ainsi que des exemples du rôle crucial de ces échanges dans la nutrition de la plante. La place de la chimie dans le développement de biostimulants ciblant la rhizosphère est un enjeu fort. Enfin Olivier Guerret, VicePrésident et Directeur des Opérations de la Société M2I, montre l’apport des médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes en viticulture, à partir de l’exemple du développement d’une technique de confusion sexuelle grâce à un procédé d’encapsulation douce. La troisième partie est dédiée à la recherche mise en œuvre aujourd’hui. La protection des plantes est fondamentale, car il faut rappeler que jusqu’à 50 % des récoltes sont perdus dans le monde du fait des maladies, des animaux ravageurs, et de la compétition avec les mauvaises herbes. Les moyens chimiques (herbicides, fongicides…) utilisés pour minimiser ces pertes sont actuellement largement
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Chimie et agriculture durable
débattus dans la société. Jean-Louis Bernard présentera les solutions de biocontrôles actuellement utilisables, leurs atouts et leurs limites et comment assurer une cohabitation harmonieuse entre ces nouvelles solutions et une chimie de synthèse largement renouvelée.
l’usage des produits phytosanitaires d’ici 2025. Jean-Marc Seng et Patrick Saindrenan exposent un exemple de biocontrôle des cultures par des micro-organismes stimulateurs de défense des plantes, appliqué à la lutte contre les micro-organismes aquatiques du type oomycites.
Delphine Bouttet montre sur des exemples, comment les outils numériques ont permis de développer et d’améliorer le pilotage des fermes dans un environnement de plus en plus instable (variation du climat, disponibilité des intrants, prix de marché…).
Les biotechnologies interviennent depuis longtemps dans les processus d’amélioration et d’adaptation de l’agriculture. François Kepes, qui est déjà intervenu comme conférencier dans le colloque Chimie et biologie de synthèse qui a eu lieu en février 2018, présente les apports de cette discipline pour recourir à moins de produits phytosanitaires dans l’agriculture.
L’aide à la décision s’avère maintenant indispensable et la circulation et la valorisation des données agricoles sont devenues des enjeux majeurs. Thierry Caquet expose un panorama des enjeux et des domaines prioritaires de la recherche agronomique visant à la substitution des intrants par des processus biologiques mieux adaptés aux évolutions de l’environnement et aux attentes sociétales. La nouvelle approche de la protection des plantes est l’un des défis de la recherche, avec pour objectif de réduire de 50 %
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Nous tenons à vous signaler que, comme d’habitude, l’intégralité du colloque est disponible et téléchargeable à la fois sur le site de la Fondation de la Maison de la Chimie et sur celui de la médiathèque Mediachimie. La version écrite numérique des conférences de ce colloque est également en ligne sur la médiathèque Mediachimie. Nous vous souhaitons une agréable lecture.
Partie 1 L’agriculture et la chimie : des partenaires d’hier, d’aujourd’hui, et de demain
chimie
et : une synergie plus que séculaire ! Catherine Regnault-Roger est Professeur émérite à l’université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA E2S) ainsi que membre des Académies d’agriculture de France et nationale de Pharmacie & du Conseil scientifique du Haut Conseil des biotechnologies.
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Introduction
Afin de se nourrir de manière moins aléatoire et plus consistante, l’Homme inventa l’agriculture ce qui lui permit de compléter les ressources incertaines que lui procuraient la cueillette et la chasse. Il mit ainsi en œuvre une production plus pérenne d’espèces végétales ou animales sélectionnées. Les avancées de la connaissance scientifique et des technologies ont contribué à donner à l’agriculture le visage qu’elle a aujourd’hui. Dans cette évolution, la chimie a joué un rôle incontournable parmi les disciplines qui ont été décisives pour qu’à la fin du e xx siècle, le spectre de la faim s’éloigne d’une large majorité de l’humanité.
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L’agriculture avant le xviie siècle : empirisme et pragmatisme Dès le Néolithique, la domestication des plantes et des animaux a constitué un premier enjeu pour s’affranchir des aléas de la cueillette et de la chasse. Avec l’agriculture, une sélection génétique empirique est mise en œuvre pour avoir des récoltes plus abondantes et de meilleure qualité nutritive ou sanitaire, ou pour élever des troupeaux plus résistants aux maladies et meilleurs producteurs de viande ou de lait pour se nourrir. Ainsi furent opérés des croisements entre les espèces végétales et animales qui présentaient les meilleurs caractères pour répondre aux besoins des producteurs et des
Catherine Regnault-Roger
Agriculture
Chimie et agriculture durable
consommateurs, tout d’abord par des pratiques empiriques, puis de façon plus raisonnée et rationnelle avec les progrès de la connaissance scientifique. Le brassage génétique entre les espèces ou des variétés s’effectue entre les espèces ou des variétés sexuellement compatibles et s’accompagne de l’apparition de nouvelles espèces, pour certaines infertiles. En témoigne l’existence de mulet obtenu par le croisement de l’âne et du cheval pour obtenir un animal alliant la force du cheval et la robustesse de l’âne : ce croisement a été décrit dès la plus Haute Antiquité. L’exemple de la domestication du maïs (Zea maïs) en Amérique latine s’accompagne d’une modification considérable de la phénologie de l’espèce. Les premières civilisations amérindiennes de l’Amérique centrale cultivent une plante bien adaptée au climat qui est le leur, chaud et humide : la téosinte. Cette céréale, à l’origine sauvage, leur fournit de la farine pour se nourrir. Génération après génération,
Figure 1 20
Domestication du maïs. Source : illustration du GNIS avec son aimable autorisation.
les cultivateurs vont sélectionner les plantes qui ont les plus beaux épis, et les épis qui ont le plus grand nombre de grains et qui donnent le plus de farine, et aussi les plantes qui résistent le mieux aux variations du climat, les pluies, le froid ou la sécheresse. Ils croisent des individus qui ont les meilleures qualités. Progressivement, la plante cultivée est devenue plus forte dans son environnement et plus productive. Une modification se constate dans l’apparence de la plante. Les épis de la téosinte presque filiformes et marron, se sont épaissis, sont devenus ventrus et jaunes avec un nombre considérable de grains : les premiers maïs étaient nés. Par la suite, l’adaptation à d’autres milieux, résultant de la sélection opérée par les hommes et de mutations spontanées, donna diverses populations avec des apparences différentes de couleur ou de taille des épis (Figure 1). Basée sur des observations judicieuses, l’agriculture s’enrichit au fil du temps d’un savoir, au départ pragmatique, puis de plus en plus raisonné reposant sur la compréhension des phénomènes et du fonctionnement des milieux agricoles et des organismes vivants que sont les plantes cultivées et le bétail. Ainsi les paysans de la région de Rouen remarquent dans les années 1650 que les champs de blé (Titricum spp.) bordés par des haies intégrant dans leur végétation de l’épine-vinette (Berberis vulgaris L.), un petit arbuste mellifère, sont atteints plus souvent d’une maladie – la rouille noire – que ceux qui n’ont pas d’épine-vinette dans leur environnement. Ils
les avancées de la connaissance scientifique et des technologies qui ont donné à l’agriculture le visage qu’elle a aujourd’hui. Le développement d’une agriculture moins tâtonnante et plus productive repose dès le xixe siècle sur l’essor des connaissances en chimie, physique et biologie, au e xx siècle en génétique, biochimie, biologie moléculaire avec la découverte de la structure chimique de l’ADN qui ouvrit la porte à la génomique, aux biotechnologies et au génie génétique, et au xxie siècle en informatique et numérique avec l’intelligence artificielle. Cet essor a été rendu possible grâce aux réflexions des grands philosophes et scientifiques du Siècle des Lumières au xviiie siècle.
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Parmi eux, Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), chimiste, philosophe, économiste est considéré comme le père de la chimie moderne (Figure 2). Il développe la méthode scientifique basée sur les expérimentations et les mathématiques, l’épistémologie et l’analyse statistique. Il s’appuie sur la
Le Siècle des Lumières permet l’essor de la chimie moderne et de la chimie agricole L’avènement de l’agriculture a transformé la façon de vivre des hommes et des milieux les environnant. Mais ce sont
Agriculture et chimie : une synergie plus que séculaire !
décident d’arracher l’arbuste et la rouille noire qui affectait la culture des blés disparaît. Mais ce n’est que deux siècles plus tard que le phénomène recevra une explication scientifique avec les travaux de celui qui est considéré comme le père de la phytopathologie, Heinrich Anton de Bary, botaniste, microbiologiste et mycologiste allemand (1831-1888) qui démontra que la maladie de la rouille noire était provoquée par un champignon pathogène, Puccinia graminis. Ce parasite a besoin de deux hôtes pour son développement : le blé et l’épine-vinette. Éradiquer l’épine-vinette autour des champs de blé permet d’interrompre le cycle du champignon et d’éviter la maladie.
Figure 2 Les pères de la chimie moderne et agricole : Antoine Lavoisier avec son assistant Dupont de Nemours - Justus von Liebig - Jean-Baptiste Boussingault - John Bennet Lawes (de gauche à droite). Source : Wikipédia.
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notion d’élément chimique pour établir la cohérence des équilibres chimiques et les traduit en réactions représentées par des équations chimiques qui respectent la conservation de la matière, dont il établit la loi. Outre son œuvre fondamentale qui est consignée dans deux traités majeurs que sont la Méthode de nomenclature chimique (1787) et le Traité élémentaire de Chimie (1789), Lavoisier est un agronome manqué. En effet, il applique à un domaine agricole qu’il a acquis la méthode expérimentale scientifique qu’il avait développée en chimie, mais il fut décapité pendant la Terreur au cours la première Révolution française, sans qu’il ait pu achever d’écrire son traité d’agriculture. Au xix e siècle, le flambeau fut repris par trois scientifiques pionniers qui s’illustrèrent dans le domaine de la chimie agricole : l’allemand Justus von Liebig (1803-1873), le français Jean-Baptiste Boussingault (1801-1887) ainsi que l’anglais John Bennet Lawes (1814-1900) (Figure 2). Basés sur la méthode expérimentale définie par Lavoisier, les travaux des deux premiers apportèrent, malgré des querelles scientifiques sur le rôle du phosphore, des contributions majeures à la chimie organique et à l’agronomie pour comprendre l’importance des éléments naturels (eau, soleil, minéraux) dans la croissance de la plante et l’augmentation des rendements, ce qui permit de développer les notions d’engrais et de fertilité des sols. Von Liebig publia un ouvrage majeur en 1840 intitulé Die organische Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur
und Physiologie/Chimie organique appliquée à l’Agriculture et la Physiologie végétale et Boussingault en 1860 un traité Agronomie, chimie agricole et physiologie. En Angleterre, Sir John Bennet Lawes développa à partir de 1843 des expérimentations de terrain sur le rôle des superphosphates au Rothamstedt Manor qui deviendra par la suite un centre de recherche de référence mondial le Rothamstedt Research Center. Tous ces travaux et ceux qui suivirent ont permis d’appréhender la structure physicochimique des organismes vivants, le fonctionnement intime des cellules et des organes et de mettre en évidence qu’il existait les métabolismes, c’est-à-dire des changements dynamiques complexes au sein des cellules et des êtres vivants. Il apparut alors nécessaire de différencier la chimie appliquée aux êtres vivants de la chimie en général, et Carl Neuberg (1877-1956) proposa le terme de biochimie en 1903. La biochimie, grâce à de nouveaux appareils de mesure, d’observation et d’analyse des constituants chimiques, démontre qu’il existe des processus de transformation physiologiques et cellulaires basés sur des réactions chimiques complexes comme le cycle de Krebs découvert en 1937. La chimie analytique qui se perfectionne avec des instruments de mesure de plus en plus précis et sophistiqués (spectromètre, chromatographe etc.) contribue à mieux comprendre les phénomènes de transformation au sein des organismes vivants. Ainsi, on sait aujourd’hui que
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De la compréhension à l’action : exemple de la protection des cultures Très tôt, l’utilisation de ces nouvelles connaissances se prolongea par des applications pratiques, en médecine humaine et vétérinaire, dans le domaine pharmaceutique mais aussi phytopharmaceutique. Ce dernier est aujourd’hui très contesté par une minorité militante très médiatique qui vise à bannir de l’agriculture l’emploi des substances actives de synthèse chimique dans le domaine de la santé du végétal. Cette contestation est-elle justifiée ? Essayons de poser quelques repères.
Agriculture et chimie : une synergie plus que séculaire !
les engrais à base d’azote, de phosphore et de potassium sont indispensables au développement des plantules. La protection des cultures contre leurs bio-agresseurs que sont les micro-organismes pathogènes, les insectes ravageurs ou encore les adventices indésirables, nécessite de comprendre l’essence des interactions et les mécanismes des relations au sein des populations ou d’une espèce, et entre les espèces. La communication entre les organismes au sein des écosystèmes met en jeu des médiateurs chimiques comme les phéromones qui sont étudiés par une nouvelle discipline, l’écologie chimique, qui vit le jour en 1970 à la suite des travaux d’Ernest Sonheimer et John B. Someone aux ÉtatsUnis ainsi que de Jeffrey B. Harborne (1928-2002) en Angleterre qui travailla sur la phytochimie (Figure 3).
4.1. Au début du xxe siècle, une pharmacopée de produits minéraux Dès la deuxième moitié du e xix siècle, se développa
Figure 3 Deux livres majeurs du xxe siècle pour comprendre les relations entre les organismes vivants.
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l’utilisation des premiers produits chimiques pour protéger les cultures agricoles contre les ravages et les maladies. Le cas d’école de cette approche est sans conteste la bouillie bordelaise, une « préparation à base de sulfate de cuivre et de chaux hydratée, elle est mise au point par deux scientifiques bordelais, professeurs à la faculté des sciences de Bordeaux, le botaniste Alexis Millardet et le chimiste Ulysse Gayon, après de nombreux essais dans leurs laboratoires et des expérimentations dans le vignoble du château Ducru-Beaucaillou à SaintJulien-en-Médoc. L’idée leur en était venue après l’observation fortuite que les vignes sulfatées en bordure de parcelles pour décourager les voleurs de raisins, étaient moins attaquées par le mildiou. L’utilisation de la bouillie bordelaise en 1885, contre le mildiou de la vigne qui avait envahi le vignoble du SudOuest depuis 1878, connut un succès immédiat. Dès 1886, le mildiou était considéré comme jugulé. L’emploi du sulfate de cuivre fut par la suite étendu pour lutter contre les mauvaises herbes en 18961 ». De nombreuses formulations à base de sels de cuivre et d’autres minéraux furent par la suite recherchées et toute une pharmacopée à base d’éléments minéraux se développa, non sans conséquence parfois pour la santé des opérateurs, animaux et agriculteurs quand la solution retenue était particulièrement nocive comme 1. Catherine Regnault-Roger (2018), « Révolutions agricoles et santé des plantes » ; In Santé du végétal : 100 ans déjà ! (sous la direction de Regnault-Roger C. et Fougeroux A.), p.17-46.
l’acide sulfurique pulvérisé comme produit de désherbage dans les champs. 4.2. Un contexte sociétal favorable C’est à la même période que se structura une industrie chimique puissante avec des grands groupes qui interviennent sur plusieurs pays. À côté des sociétés CIBA (Chemische Industrie BAsel) en Suisse, Allied Chemicals aux États-Unis, le groupe allemand IG Farben Industries AG qui rassemble en 1925 plusieurs sociétés avec des participations aux États-Unis, en Scandinavie et en Suisse et un effectif de 100 000 travailleurs. En Grande-Bretagne, la compagnie ICI Imperial Chemical Industries réunit quatre sociétés en décembre 1926. Ces grands groupes chimiques, qui interviennent dans de nombreux secteurs, privilégient au départ au niveau agricole la fabrication des engrais dont on voit mieux immédiatement les améliorations des rendements qui suivent les applications dans les parcelles. Ce qui génère un formidable potentiel commercial ! Mais ces entités industrielles puissantes vont très vite prendre la mesure d’un nouveau secteur à développer, celui des produits phytopharmaceutiques (encore appelés pesticides à usage agricole) organiques de synthèse qu’elles vont investir avec une capacité de recherche à la hauteur de leurs grands moyens. C’est dans ce contexte qu’arriva la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les marchés d’approvisionnement traditionnels de produits phytopharmaceutiques à base
4.3. La « Belle Époque » des produits phytopharmaceutiques organiques de synthèse De laborieuse, la lutte contre les ravageurs et les insectes
vecteurs de maladies devint plus aisée. La publication des rapports de recherche et des brevets ayant été suspendue pendant la guerre, on assista à l’arrivée sur le marché d’un grand nombre de substances actives. Outre les organochlorés comme le DDT, les carbamates dont les premières molécules insecticides avaient été mises au point dès 1931 par la société Du Pont de Nemours et les premiers insecticides organophosphorés mis au point par la recherche allemande pendant la guerre à partir des gaz de combat, les sarin et tabun.
Agriculture et chimie : une synergie plus que séculaire !
d’extraits végétaux en provenance des empires coloniaux ou du Japon ont été perturbés et qui s’illustra par l’utilisation d’un composé organochloré, le DDT ou dichlorodiphényltrichloroéthane, synthétisé par le strasbourgeois Zeidler dès 1874 et dont les propriétés insecticides ont été découvertes en 1939 par le chimiste suisse Paul Hermann Müller de la société Geigy située à Bâle. Son emploi contre les poux dans les camps de réfugiés et de prisonniers en Afrique du Nord et au cours de la campagne d’Italie des Alliés contre l’armée allemande (notamment lors du siège de Naples où fut jugulée grâce à lui une épidémie de typhus qui frappait l’armée américaine) a épargné bien des vies et a amélioré la situation sanitaire difficile de ces temps de guerre. L’armée américaine qui détenait ce produit donné par les Suisses, l’avait d’ailleurs classé « secret-défense ». À la fin de la guerre, le succès de cet insecticide devint mondial quand il fut employé avec succès en Inde contre la malaria (paludisme) transmise par les moustiques. Il fut utilisé également au niveau agricole pour lutter contre les insectes qui ravageaient les cultures comme les doryphores que les écoliers devaient avant-guerre ramasser à la main dans des corvées d’hannetonnage commandées par les préfets.
Ces trois grandes familles de composés phytopharmaceutiques de l’immédiate après-guerre (organochlorés, organo-phosphorés et carbamates) apparaissent alors comme une véritable panacée : ce sont des produits pas chers, faciles à manipuler et efficaces. Leur utilisation a bouleversé le paysage de la production agricole. Le travail des agriculteurs en devient plus aisé. La qualité sanitaire des récoltes s’améliore. Ainsi ces produits phytopharmaceutiques de synthèse orientèrent de manière décisive la lutte phytosanitaire, d’autant plus que l’infrastructure industrielle est là pour les produire et les diffuser afin de satisfaire la demande collective. Cependant, par manque de connaissance, ces succès se sont accompagnés dans certaines situations d’effets environnementaux négatifs comme la rémanence dans les milieux qui peut se traduire par des phénomènes de bioaccumulation pouvant donner lieu à des résidus de pesticides dans
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Chimie et agriculture durable
l’alimentation, et des phénomènes de bioamplification au niveau de la chaîne trophique. C’est ainsi qu’il a été constaté que la reproduction d’espèces, notamment d’oiseaux piscivores comme le goéland argenté (Larus argentatus) pouvait être compromise. Leurs coquilles d’œufs étaient fragilisées, ce qui réduit les éclosions. C’est ce phénomène que Rachel Carson, biologiste marine américaine, dénonça dans son livre Silent Spring paru en 1962 et qui eût un écho mondial. 4.4. La fin du xxe siècle s’accompagne d’un changement de paradigme Une prise de conscience s’opéra alors qu’il fallait repenser l’emploi des produits phytopharmaceutiques. Et dès les années 1970, plusieurs actions ont été conduites pour diminuer l’impact environnemental des substances actives phytosanitaires, parmi lesquelles : − la réduction des quantités de produits épandus en modifiant les pratiques agricoles et les itinéraires techniques, ou en améliorant la précision des épandages avec du matériel plus précis de distribution des pulvérisations (buses par exemple) et une localisation grâce à des caméras embarquées sur les tracteurs et des tronçons de pulvérisateurs commandés qui permettent de délivrer la bonne dose, au bon endroit et au bon moment ;
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− la collecte des emballages vides des produits phytosanitaires ou des films utilisés en protection des cultures, leur
recyclage dans des filières qui créent de nouveaux matériaux et la gestion des effluents et des déchets phytopharmaceutiques. Cette activité est pilotée par l’organisme ADIVALOR, créé à l’initiative de l’interprofession phytopharmaceutique française (Union de l’Industrie de Protection des Plantes), et qui vient de fêter son vingtième anniversaire. Elle a créé un cycle vertueux d’actions environnementales ; − l’innovation pour améliorer le profil environnemental des substances actives chimiques mais aussi biologiques de contrôle des bioagresseurs. Dans l’Union européenne, une procédure de ré-homologation des produits phytopharmaceutiques, commencée en 1992 s’est achevée en 2008 avec une diminution des deux tiers des produits autorisés ; − le développement de l’agriculture de précision avec de nouveaux outils d’aide à la décision, une gestion satellitaire ou par drone s’appuyant sur une agriculture connectée et numérique ; − le développement de la recherche communautaire grâce à des programmes européens comme le programme ENDURE (European network for the durable exploitation of crop protection strategies) qui a été piloté par l’INRA pendant le 6e Programme Cadre Européen de Recherche et Développement (PCRD) entre 2005 et 2010 et dont l’activité s’est prolongée en réseau (www.endure-network. eu) ; − la mise en place de consortiums de recherche dans le cadre des partenariats public/
− le développement du dialogue entre spécialistes et professionnels, praticiens et citoyens comme l’illustre l’initiative « Siècle vert » (Figure 4). On sait aujourd’hui que la protection des cultures se doit d’intégrer toutes les stratégies dans une approche combinatoire. À côté de l’utilisation des substances phytopharmaceutiques minérales ou organiques de synthèse, y ont toute leur place les stratégies de biocontrôle (confusion sexuelle par phéromone, lutte
Agriculture et chimie : une synergie plus que séculaire !
privé pour repenser l’emploi des substances phytopharmaceutiques dans le cadre de la protection intégrée ;
biologique par arthropodes parasitoïdes ou prédateurs ou par micro-organismes, allomones et extraits végétaux), l’agroécologie, le perfectionnement du machinisme agricole, le développement de l’agriculture numérique et connectée, et les biotechnologies avec les nouvelles technologies d’édition du génome dont la technique phare, le CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) inventée par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna en 2012 et pour laquelle elles ont été lauréates en 2020 du prix Nobel de chimie. Figure 4
Conclusion La chimie moderne, héritage d’Antoine Lavoisier, a joué un rôle fondamental pour comprendre comment fonctionnent les êtres vivants dans leur intimité cellulaire et dans les relations qui existent entre les espèces. De ce fait, elle a accompagné l’évolution de l’agriculture et s’est révélée indispensable, non seulement pour faire reculer les frontières de la connaissance et interpréter scientifiquement des phénomènes observés, mais aussi pour fournir des solutions pour améliorer les productions agricoles animales et végétales. L’agriculture doit répondre aujourd’hui à une double exigence : augmenter sa productivité pour nourrir 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050 et respecter la finitude de la planète en protégeant son environnement et préservant les milieux physico-chimiques dans lesquels nous vivons.
Trois initiatives pour repenser l’utilisation des produits phytosanitaires : la recherche (ENDURE) – la gestion des déchets (ADIVALOR) – le dialogue sociétal (Siècle vert).
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Chimie et agriculture durable
Les ressources de l’ingéniosité humaine sont inépuisables en termes de créativité et d’innovation et les progrès de la connaissance scientifique le démontrent. Aujourd’hui, une compréhension plus étayée des phénomènes développe de nouvelles façons d’agir. Elles doivent mobiliser toutes les compétences scientifiques et technologiques sans a priori idéologique. De ce survol historique, une évidence s’impose : la chimie est bien la discipline-clef pour comprendre l’évolution de l’agriculture. Bien plus, c’est aussi un outil incontournable pour sa durabilité. Bibliographie recommandée Bain Christian, Bernard JeanLouis, Fougeroux André (2010), Histoire de la protection des cultures de 1850 à nos jours, Éditions Champs Libres, 255 pages. Boulaine Jean (1996), Histoire de l’agronomie en France, Éditions Lavoisier, 437 pages.
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Regnault Henri, Arnaud de Sartre Xavier, Regnault-Roger Catherine (2012), Révolutions agricoles en perspective, Éditions France agricole, 189 pages. Re gn ault- Ro g er C ath er in e (2005), Enjeux phytosanitaires pour l’agr iculture et l ’e n v i r o n n e m e n t , É d i t i o n s Lavoisier, 1013 pages.
Re gn ault- Ro g er C ath er in e (2014), Produits de protection des plantes, Éditions Lavoisier, 353 pages. Regnault-Roger C ather ine, Fougeroux André (2018), Santé du végétal, 100 ans déjà !, Éditions Presses des Mines, 177 pages.
voulons-nous ?
André Fougeroux est membre de l’Académie d’agriculture de France et Président de la commission « Ravageurs et Auxiliaires » de Végéphyl.
Au cours du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, la chimie minérale puis organique a contribué à la compréhension des mécanismes de nutrition des plantes, de défense des cultures et plus largement au métabolisme des plantes et des animaux. Cette contribution et ses applications ont conduit à un progrès agricole considérable jusqu’au e xxi siècle. À partir des années ‘70, on assiste à un revirement de l’opinion publique par suite de diverses affaires comme l’épisode de la vache folle, le scandale du chlordécone, la controverse autour des OGM… En France, le contrat tacite qui existait entre agriculture et consommateur est mis en cause. L’agriculture française, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avait pour but de nourrir la population qui en 1949 connaissait encore les tickets de rationnement, mais également d’être compétitive
et pourquoi pas d’exporter. Tous ces objectifs, l’agriculture française les a atteints au-delà des espérances. Bénéficiant du potentiel agricole de la France (sols et climat) qui faisait dire à J.-A. Chaptal : « Jusqu’ici les Français n’ont tenu que le second rang parmi les peuples manufacturiers de l’Europe. Cependant notre position géographique, nos richesses territoriales, notre caractère national paraissaient nous avoir destinés pour occuper la première : par quelle fatalité ne sommes-nous pas à la place que la nature nous a marquée ? », la France n’est devenue autosuffisante que dans les années ’70. Par la suite, l’agriculture française est devenue le 6 e exportateur mondial de produits agricoles (2017) en dépit de sa surface agricole modeste et le 1er exportateur mondial de semences. Elle compte plusieurs acteurs majeurs
André Fougeroux
Quelle agriculture
Chimie et agriculture durable
du secteur agroalimentaire mondial comme Bonduelle, Bongrain ou Danone. Elle contribue aussi à l’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs en réduisant la part de l’alimentation dans le revenu des ménages de 35 % en 1950 à 13 % en 2018 (source Eurostat). Enfin en 2020 et pour la 3e année consécutive, le système alimentaire français est classé comme le plus durable au monde selon le Food Sustainability Index (FSI), développé par The Economist Intelligence Unit & the Barilla Center for Food and Nutrition. Tous ces résultats sont positifs pour les comptes de la nation puisque le secteur agroalimentaire dégageait un excédent de 13 milliards d’euros en 2008, ce qui place le secteur agroalimentaire français à la première place pour les exportations, au coude à coude avec l’aéronautique. Ce solde excédentaire français s’est un peu érodé et en 2018 il s’établissait à un peu moins de 7 milliards.
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L’agriculture idéalisée
Malgré ces bons résultats généraux, la population française majoritairement citadine remet en cause les modes de productions agricoles souvent qualifiées d’industrielles, productivistes, intensifs, chimiques… Cette fracture repose sur des incompréhensions, de la méconnaissance et s’appuie souvent sur une agriculture idéalisée (issue de l’imaginaire bande dessinée Martine à la ferme) loin des réalités agricoles. Cette agriculture rêvée fait souvent référence à une agriculture
d’autrefois, avec l’idée que « c’était mieux avant » mais sans préciser quand était cet avant. Elle s’appuie aussi sur l’idée que l’agriculture est un don accordé par une « Nature » immanente, bienveillante en oubliant que la production agricole, si elle repose sur des processus naturels, doit aussi faire face à des conditions adverses qu’elles soient climatiques (grêle, gel, sécheresse…) ou biologiques (ravageurs, maladies des plantes, adventices, maladies des animaux…) et que l’activité agricole de tout temps a été de composer au mieux entre la valorisation des effets positifs et la réduction des facteurs négatifs. Enfin, l’agriculture rêvée par les citadins garde cette nostalgie de paradis perdu qui persiste dans l’inconscient collectif, une époque de cueilleurs-chasseurs qui trouvaient dans leur environnement leur moyen de subsistance, où la Terre était un jardin habité par nos grands-pères et qui pouvait nous nourrir à toutes les saisons. Bien sûr, ces « temps anciens idéalisés » n’ont jamais existé et cette vision idyllique a été remplacée par des demandes de la société civile qui visent à s’approcher de cette utopie. C’est ainsi que le public souhaite pour l’agriculture française qu’elle ne soit pratiquée que sur des petites unités avec de petits équipements. Il y a une demande sociétale pour des exploitations familiales et non pas des fermes-usines. La polémique autour de la ferme des mille vaches illustre bien ce refus d’industrialisation des exploitations agricoles,
les zones difficiles de montagne ou plus largement dans les campagnes en développant l’agrotourisme. On le voit, toutes ces demandes sont largement déconnectées des impératifs économiques et le modèle agricole et alimentaire actuel est fréquemment contesté dans l’opinion publique. De nombreux médias dénoncent l’agro-industrie, le recours à la chimie de synthèse, l’irrigation, l’implantation de réserves d’eau comme le barrage de Sivens (alors que l’installation de 3 millions de piscines privées en France paraît normale), les nouvelles variétés, accusées de tous les maux, sans parler des cultures OGM ou plus récemment des nouvelles technologies de sélection (exemple de Crisprcas9). Dans la même logique, l’implantation d’élevages industriels est devenue inenvisageable contrairement à nos voisins hollandais, danois, ou allemands. À travers ces critiques, c’est un refus d’innovation qui s’exprime avec l’impression que les innovations vont de pair avec la « malbouffe » et à l’encontre de la qualité de vie.
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Quelle agriculture voulons-nous ?
sans doute pour satisfaire l’adage « small is beautiful » ! Or, bien que la surface des fermes s’accroisse régulièrement en France, celle-ci reste modeste en comparaison des unités agricoles de l’Europe de l’Est, sans parler du continent américain. Ensuite, l’opinion publique accepte difficilement les fermes spécialisées et leur préfère des exploitations agricoles diversifiées avec des productions végétales et animales, à l’encontre de l’évolution de la spécialisation technique inhérente à la complexité des systèmes agronomiques. À ce souhait, s’ajoute la demande de retour vers les vieilles variétés ou les anciennes races, là aussi en opposition au progrès génétique. De plus, et comme dans d’autres secteurs d’activité comme la cosmétique, la santé ou l’alimentation, le refus de la chimie de synthèse est devenu une exigence. Cette chimie de synthèse doit être remplacée par une chimie « naturelle » dans un souci de travail en harmonie avec la nature. Depuis peu, les consommateurs demandent également des productions locales, et si possible issues de l’agriculture biologique. Là encore, nous sommes loin des réalités car dans le même temps, les achats alimentaires dans les marchés locaux ne concernent que 4 % des consommateurs et en distribution, la consommation des produits locaux, même si elle est en progression, ne représente que 2,2 % de la valeur du marché. Enfin, le public souhaite que les agriculteurs soient des acteurs touristiques en entretenant les paysages que ce soit pour
Et l’agriculture réelle ?
Agriculteur est devenu un métier complexe qui associe des compétences en biologie, pédologie, agronomie, économie ou écologie, et qui a un besoin constant d’innovations pour compenser à la fois cette complexité, mais aussi la pénibilité du travail physique. Dans le même temps, il lui est demandé de produire en quantité et en qualité tout en
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Chimie et agriculture durable
garantissant des coûts bas pour les producteurs. Cette contrainte nécessite donc un support scientifique et technologique permanent pour augmenter la productivité. Un progrès considérable a été accompli au sortir de la Seconde Guerre mondiale grâce à quatre piliers principaux : la génétique, la fertilisation, les produits de protection des plantes et le machinisme. Ils ont contribué à une forte augmentation des rendements comme l’indique la Figure 1.
pour nourrir 2,3 milliards de personnes de plus d’ici à 2050, intensifier la lutte contre la pauvreté et la faim, utiliser plus efficacement les ressources naturelles qui s’amenuisent, tout en s’adaptant au changement climatique. Comme on peut le constater, que ce soit au niveau mondial ou au niveau national, les progrès apportés par la chimie, la génétique et le machinisme ont permis de satisfaire la demande alimentaire.
Plus généralement, l’agriculture mondiale s’est adaptée à la très forte augmentation de la population qui est passée de 1,65 milliard d’habitants en 1900, à 3 milliards en 1965 et à 7,4 milliards en 2020. Pour répondre à cette forte progression alimentaire, la production alimentaire mondiale a augmenté de 300 % en valeur depuis 1970. Selon la FAO, l’agriculture mondiale doit encore augmenter la production alimentaire de 70 %
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Rendement en quintaux/ha
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Figure 1
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Évolution du rendement moyen annuel du blé France entière entre 1815 et 2020. Sources : statistiques ministère de l’Agriculture 1913, tableaux rétrospectifs ; GNIS – Unigrains – FranceAgriMer ; encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France.
Des faiblesses
Toutefois, le système de production actuel a aussi des faiblesses. L’agriculture française est déficitaire en fruits et légumes puisque nous importons plus de 40 % de notre consommation. Elle est aussi insuffisante en production de protéines dont dépendent les élevages, notamment porcins et aviaires. Par ailleurs, à la suite du désinvestissement industriel et à la multiplication de normes, notre agriculture est dépendante d’agrofournitures : fertilisants, énergie, chimie, aliments du bétail, robotique… Il reste donc de nouveaux défis à relever si on veut approcher l’autosuffisance alimentaire (fruits et légumes, protéines…) que la pandémie de la Covid-19 a remise à l’ordre du jour. Elle nécessitera aussi une meilleure autonomie des moyens de production (machinisme, fertilisants, produits de santé des plantes, énergie, aliments du bétail…). Parmi les faiblesses, il faut aussi signaler la question du maintien des agriculteurs et de la main-d’œuvre agricole. En effet, l’évolution de
La restauration de la biodiversité constitue un défi national, mais l’agriculture a un rôle important à jouer dans le futur. En effet, en métropole, la surface agricole représente 53 % du territoire, le rôle de l’agriculture dans la restauration et la gestion de la biodiversité sont donc prépondérants. Dans ce cadre, l’agriculture possède un atout important, celui de pouvoir améliorer la biodiversité en agissant sur les paysages et ainsi avoir un effet positif contrairement à d’autres secteurs comme les transports qui ne peuvent que limiter leurs effets dépressifs sur la biodiversité. D’autres défis sociétaux concernent particulièrement l’agriculture, notamment sa contribution à l’atténuation du changement climatique, la réduction des émissions de gaz à effets de
serre (GES) et l’accroissement du stockage du carbone. La réduction des GES entraînera des répercussions sur les élevages (nombre de bovins par habitant par exemple), mais aussi sur la fertilisation des sols avec les engrais minéraux azotés qui constituent une des sources d’émission de gaz NOx. Mais le remplacement éventuel de la fertilisation azotée d’origine minérale pose la question de sa substitution par une fertilisation organique dont l’élevage est la source principale ! On le voit, réduire l’élevage comme cela est souhaité par les populations c’est aussi réduire la fumure organique ainsi que les surfaces de prairies qui contribuent à la biodiversité et au stockage du carbone dans les sols. Ce sujet des flux d’azote (on peut ajouter le phosphore et la potasse) en agriculture est une interrogation essentielle et l’optimisation de l’utilisation de ces trois éléments fertilisants majeurs est un des défis principaux du xxie siècle. L’optimisation de la nutrition des plantes conditionne l’accroissement nécessaire de la production agricole que ce soit en agriculture conventionnelle ou en agriculture biologique. Pour cette dernière, la nutrition des plantes demeure un point important de progrès, notamment en grandes cultures pour lesquelles on assiste à un appauvrissement des sols. Dans cette recherche d’optimisation, la connaissance fine des processus chimiques et biologiques, tout comme une meilleure connaissance du fonctionnement des sols agricoles (microbiologie, échanges
Quelle agriculture voulons-nous ?
l’agriculture s’est aussi accompagnée d’un exode rural massif ; en quarante ans, le nombre d’exploitants agricoles est passé de 1,6 million à un peu moins de 400 000. De plus, l’âge moyen des agriculteurs est élevé puisque 55 % d’entre eux ont plus de 50 ans et, qui plus est, la durée de travail est estimée en moyenne à 55 heures par semaine et souvent dans des conditions pénibles (travail le week-end, l’hiver...). Ce contexte ne rend pas ce métier attractif et l’agriculture rencontre des difficultés à renouveler ses chefs d’exploitation et ses ouvriers. Là encore, la crise de la Covid-19 a mis en exergue cette faiblesse puisque 200 000 emplois n’ont pas été pourvus au cours de l’année 2020 avec toutes les conséquences sur les opérations de taille et de récolte notamment.
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Chimie et agriculture durable
racinaires…), seront indispensables.
en général comme on l’a vu précédemment.
De la même façon, le changement climatique en cours va nécessiter une adaptation des productions agricoles dans les territoires avec des migrations de cultures (plus généralement de végétaux) vers le nord : vigne, fruits, légumes… avec toutes les conséquences socio-économiques que cela entraîne. D’ores et déjà, de nombreux travaux sont en cours pour évaluer les cultures ou les variétés adaptées au climat de demain.
Tous les jours dans les médias, il est fait mention, souvent flatteuse, de nouveaux types d’agriculture censés remplacer le modèle dominant actuel : agriculture biologique, agroécologie, permaculture, biodynamie, agroforesterie, agriculture urbaine, agriculture à haute valeur environnementale (HVE), agriculture écologiquement intensive, agriculture paysanne, l’agriculture des AOP (Cognac, Comté, Champagne, Roquefort…), etc. Chacune de ces agricultures présente des avantages et des inconvénients. Les rendements de l’agriculture biologique représentent seulement en moyenne 50 % des rendements de l’agriculture conventionnelle et ne permettent pas à la France d’être autosuffisante et encore moins d’être exportatrice. L’agriculture urbaine ne peut représenter qu’une partie très faible de la consommation des villes, la biodynamie repose sur des croyances plutôt que sur des résultats avérés, l’agriculture AOP présente des belles réussites économiques mais ne concerne que des zones géographiques limitées… Des incompréhensions entre partisans de tel ou tel modèle génèrent cette fracture entre citoyens (en majorité citadins) et monde agricole. Elles reposent souvent sur une ignorance des réalités de la production agricole, sur des soupçons croissants, mais en grande majorité injustifiés sur la qualité et la sécurité des aliments et sur un refus de la balance bénéfices/risques pour ce secteur d’activité.
Tous ces nouveaux défis portent à nous interroger sur un nouveau « contrat » entre agriculture et citoyens, une agriculture qui n’est plus seulement nourricière, mais qui pourra stocker du carbone pour compenser les émissions d’autres secteurs d’activité (transports, chauffage, informatique…), qui contribuera au maintien et à la restauration de la biodiversité et qui assurera à travers l’entretien des paysages ruraux une activité touristique et le bien-être des concitoyens. Ainsi cette évolution de la demande publique nous amène à la question suivante : quelle agriculture voulons-nous ?
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Le désir d’une autre agriculture
Les agriculteurs ont fait preuve de beaucoup d’adaptabilité, mais ont besoin de savoir dans quelle direction doit aller l’agriculture française pour répondre aux besoins des consommateurs en premier lieu, mais aussi, en second lieu, de la société
Comme le signale D. Beauchamps, agriculteur de l’association France agritwittos : « Les consommateurs doivent avoir conscience que leurs attentes sociétales doivent être cohérentes avec les dépenses alimentaires et donc, le mode de production qu’il implique. Les agriculteurs produiront toujours ce que nous consommons, ce ne sera jamais l’inverse. »
l’agriculture par rapport aux espaces naturels, aux zones forestières, à l’artificialisation des sols et à l’urbanisation ; − réduire les externalités négatives, qu’elles soient environnementales (pollutions diverses, émission de GES, atteintes à la biodiversité…), sociales – notamment en maintenant et valorisant les emplois agricoles – et culturelles, en valorisant la diversité des territoires et leurs spécificités ;
Quelle agriculture voulons-nous ?
Cette incompréhension est entretenue par les images de l’agriculture actuelle renvoyée par les médias et par la communication active des « marchands de peur ».
− limiter et s’adapter au réchauffement climatique (carbonfarming) ;
Pour conclure, les agricultures que nous choisirons devront :
− poursuivre les progrès technologiques y compris en chimie sans retour au passé.
− nourrir les populations mais avec quel objectif ? Autonomie nationale ? Cultures exportatrices ? Cultures non alimentaires (production d’énergie, de biomatériaux par exemple) ? Ce choix a des implications sur les surfaces dédiées à
Ce choix ne peut que s’appuyer sur des expertises scientifiques et des innovations publiques et privées, et pour paraphraser Richard Buckminster Fuller (architecte) : « Il n’y a pas de crise agricole ou alimentaire. Il n’y a qu’une crise d’ignorance. »
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face à ses défis
techniques,
apport des
l’
technologies Bernard Le Buanec est membre de l’Académie d’agriculture de France, membre fondateur de l’Académie des technologies.
L’agriculture fait face à de nombreux défis techniques. L’Académie des technologies et l’Académie d’agriculture de France se sont posé la question de savoir en quoi les technologies en développement pourraient permettre aux agriculteurs d’y faire face dans le cadre d’une agriculture durable. Elles ont établi un groupe de travail d’une trentaine de spécialistes de différentes disciplines tout en étant conscientes que la technologie peut contribuer à certaines solutions, mais ne peut pas apporter seule toutes les réponses. Lors d’une première étape, le groupe a auditionné dix
agricultrices et agriculteurs représentant des productions diverses et pratiquant différents modes de culture : conventionnel et biologique. L’objectif de ces auditions était de connaître les principales préoccupations de ces producteurs et les défis techniques auxquels ils étaient confrontés. Ces défis techniques ont ensuite été présentés à des chercheurs et à des industriels du secteur pour analyser les solutions que pourraient apporter les développements récents des innovations dans leur domaine d’expertise. Les résultats de ce travail ont été publiés dans un livre début 2019 (Figure 1).
Bernard Le Buanec
L’agriculture
Chimie et agriculture durable
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Les principaux défis techniques
Les principaux défis techniques indiqués par les agriculteurs sont les suivants :
Figure 1 Livre des deux académies.
− les problèmes de parasitisme, maladies et ravageurs, avec un regard particulier sur les effets du changement climatique et des maladies émergentes. Ce défi est accru du fait de la suppression d’un nombre de plus en plus important de produits phytosanitaires, sans solution immédiate de remplacement, ce qui provoque parfois la réapparition de maladies qui ne posaient plus de problèmes. Cette année, l’exemple de la jaunisse de la betterave illustre bien la situation (Figure 2) ; − la maîtrise des plantes adventices (mauvaises herbes) reste une difficulté majeure. Comme pour la maîtrise du parasitisme, le problème est aggravé par la suppression de nombreux produits phytosanitaires. Cette question est particulièrement importante en grande culture suivant les normes de l’agriculture de conservation ;
− enfin le problème de l’eau est essentiel et l’irrigation peut être un élément clé de la diversification des cultures. Ce sujet est également mis à l’ordre du jour par les concepts de relocalisation et de territorialisation de l’agriculture. Les limitations en eau en période sèche sont très handicapantes ; elles sont aggravées par des difficultés réglementaires. Il y a un besoin de politiques de stockage de l’eau et de techniques de gestion fine, au quotidien, de l’irrigation (Figure 3). En dehors de ces trois défis principaux, plusieurs problèmes également importants ont été abordés : − la nécessité d’une meilleure connaissance détaillée des parcelles pour optimiser l’irrigation ; − la fertilisation azotée et son adaptation aux besoins précis des cultures qui devient de plus en plus délicate du fait de la gestion de la fertilité des sols en lien avec des restrictions dans de nombreux environnements ; − le besoin de prévisions météorologiques plus fiables à court terme et, si possible, au niveau de la parcelle ; − le besoin de développement de variétés de certaines espèces utiles pour diversifier l’assolement comme, par exemple, des variétés de pois résistantes à l’agent de la pourriture racinaire l’Aphanomyces, ce qui faciliterait le plan protéagineux français, l’un des objectifs d’aujourd’hui.
Figure 2 38
Champ de betterave atteint de la Jaunisse des feuilles.
− le besoin d’outils de récolte polyvalents et de matériel agricole permettant de travailler par tous les temps sans abîmer la structure des sols.
L’agriculture face à ses défis techniques, l’apport des technologies
Figure 3 Irrigation des champs de maïs.
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Les méthodes de protection des cultures : maîtrise des maladies et des ravageurs Les méthodes conventionnelles basées sur la chimie de synthèse sont aujourd’hui de plus en plus souvent remises en cause pour différentes raisons. La protection des cultures comprend trois phases : d’abord la prophylaxie pour diminuer le risque, puis la caractérisation de ce risque pour agir à bon escient au travers des outils d’aide à la décision (les OAD) et enfin, quand le risque est avéré, la lutte directe soit à l’aide de molécules de synthèse, soit par biocontrôle. 2.1. La prophylaxie Elle nécessite une approche agronomique : avant de réfléchir à des solutions ponctuelles, il faut penser à une approche globale dans le cadre
du système de culture, de l’assolement et de la rotation afin de limiter la pression parasitaire. Ceci est également vrai pour la maîtrise des adventices. • Les outils de modélisation et de simulation de la croissance des plantes permettent maintenant de modéliser les rotations de cultures en prenant en compte les cycles de développement des attaques parasitaires et en intégrant l’historique des rotations précédentes obtenues par divers capteurs de plus en plus développés. À partir de ces outils prédictifs, il est possible de calculer les rotations les mieux adaptées et d’identifier les meilleures pratiques dans un contexte pédoclimatique local en réduisant ainsi les risques de parasitisme (Figure 4). Un des enjeux pour progresser dans cette voie est de disposer de bases de données importantes pour construire par apprentissage une modélisation suffisamment précise pour
Figure 4 Assolement et rotations des cultures.
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Chimie et agriculture durable
prendre en compte les interactions entre les parasites, les cultures et l’environnement. Si les technologies numériques apportent des éléments incontestables de progrès, elles soulèvent aussi des nouveaux questionnements sociétaux et éthiques auxquels il faudra apporter des réponses pour qu’elles puissent se développer pleinement. Sur le plan technique, il faut aussi que l’on puisse assurer la cohérence et l’interopérabilité des données. • Le choix de la variété peut être cité dans les mesures prophylactiques car l’agriculteur, en choisissant des variétés résistantes, diminue la pression parasitaire. Le rôle de l’amélioration des plantes est donc important. Depuis de nombreuses décennies, l’amélioration variétale a fait ses preuves pour la création de variétés résistantes aux parasites.
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Pour ce faire, les outils à la disposition du sélectionneur se sont diversifiés au fur et à mesure du progrès des connaissances dans différents domaines, en biologie, en génétique mais aussi en électronique, informatique, biophysique... Aujourd’hui, certains outils permettent de mieux évaluer et d’utiliser la variabilité génétique disponible grâce à la caractérisation de l’ensemble des caractères apparents correspondant à une réalisation du génotype (phénotypage à haut débit) et au marquage moléculaire. D’autres outils, la transgénèse (incorporation d’un ou plusieurs gènes dans le génome), la mutagénèse dirigée (édition du génome) et l’édition d’allèles (versions différentes d’un même gène) permettent
de créer une nouvelle variabilité, soit à l’intérieur d’une espèce soit en transférant des caractères d’une espèce à une autre. Il est intéressant de noter qu’Isabelle Charpentier, chercheuse française, vient d’obtenir le prix Nobel de chimie pour ses avancées dans ce domaine mais que pour le moment, les résultats de cette technologie sur le végétal ne pourront pas être utilisés en France. Les développements récents permis par le numérique nous orientent également vers une création variétale par modélisation. • Les outils d’aide à la décision. Une fois le maximum de précautions prises, il faut surveiller les parcelles afin de savoir s’il est, ou non nécessaire de traiter. Ceci se fait grâce à des outils d’aide à la décision (Figure 5). Durant le xxe siècle, les bulletins d’avertissements agricoles ont accompagné plusieurs générations d’agriculteurs et de jardiniers. Il s’agissait, avant l’heure, d’OAD. Les progrès récents en récolte, partage, interprétation et transfert d’information permettent maintenant d’affiner cette approche pour des aides à la décision plus précises et plus ciblées. 2.2. Détection précoce des agents pathogènes Cette approche est également facilitée par la mise au point de la détection précoce des pathogènes. Il s’agit d’un secteur en plein essor avec plusieurs types d’application :
Données informatiques pour la prise de décision.
− des nez artificiels intelligents capables de détecter des composés organiques émis par les plantes lors d’attaques de pathogènes ; − des applications vidéo et des sites web permettant de reconnaître les maladies auxquelles les plantes sont confrontées ; − le piégeage par des capteurs de spores de champignons parasites dans l’air ambiant. Toutes ces techniques sont en développement. Elles autorisent une utilisation plus précise des produits de protection et vont donc dans le sens souhaité d’une diminution des quantités utilisées
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Les traitements
Lorsque les conseils indiquent qu’il faut traiter, deux approches sont possibles : l’utilisation de produits issus de la chimie de synthèse ou le biocontrôle.
L’agriculture face à ses défis techniques, l’apport des technologies
Figure 5
3.1. Les produits issus de la chimie de synthèse Il y a actuellement une forte pression sur l’utilisation des molécules de synthèse, soit en ce qui concerne les volumes épandus soit en ce qui concerne les caractéristiques des molécules. La diminution des quantités épandues Des progrès importants sont faits en machinisme agricole permettant de limiter la dispersion dans l’environnement des produits pulvérisés, en particulier par l’utilisation de buses spécifiques en fonction des conditions climatiques. Il existe maintenant des rampes d’épandage permettant d’ouvrir ou de fermer des tronçons de rampe ou même, à la demande, buse par buse. Des machines agricoles peuvent même être équipées d’outils de détection pour une reconnaissance de l’état de la végétation sur le terrain en
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Chimie et agriculture durable
permettant ainsi de ne traiter que les parties atteintes. Les gains de produits vont de 3 à 4 % jusqu’à 50 % pour les matériels les plus sophistiqués. Le développement de nouvelles molécules La suppression des molécules utilisables qui sont passées au cours des dernières années de 800 à environ 400, pose les problèmes d’augmentation des résistances des parasites et du traitement des cultures « orphelines », c’est-à-dire des cultures qu’on laisse sans solution pour lutter contre un bioagresseur car elles sont de moindre importance économique. L’industrie continue donc la recherche de nouvelles molécules en utilisant plusieurs approches : − une meilleure analyse des voies métaboliques spécifiques en même temps que la mise au point de modèles permettant de prédire les réactions à une molécule en voie de développement ; − la recherche des produits de plus en plus sélectifs afin de limiter les risques éventuels sur la santé ; − l’amélioration des méthodes de criblage. En effet, si les méthodes de synthèse chimique ont beaucoup progressé, le criblage (screening) des molécules reste lourd. Le développement du criblage à haut débit progresse grâce aux techniques d’évaluation de nouvelles substances sur des échantillons réduits, feuilles, plantules et insectes en boîte de Pétri par exemple.
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Un criblage ciblé, dont les molécules seraient
conceptualisées en fonction de l’activité biologique recherchée, serait un progrès majeur. Ici encore les progrès dans le numérique seront essentiels, car aujourd’hui la recherche de nouvelles molécules nécessite de tester de 150 000 à 200 000 molécules pour n’en retenir qu’une seule à la fin. Le frein essentiel au développement de ces nouvelles molécules actives en est le coût. Le développement du produit et la constitution des dossiers toxicologiques et environnementaux impliquant un investissement de l’ordre de 200 millions d’euros, cela ne peut donc être assuré que par de grandes entreprises. De plus, ces entreprises hésitent à investir à un horizon de dix ou quinze ans de telles sommes du fait d’un manque de visibilité sur les règles d’homologation qui changent très fréquemment. Cet aspect politique est essentiel. Un défi majeur pour l’agriculture est que, comme dans beaucoup de domaines, il y a un écart important entre la réalité technique et le calendrier politique. 3.2. Le biocontrôle Le biocontrôle se positionne comme une alternative aux produits phytosanitaires de synthèse. En France, il représente aujourd’hui environ 5 % du marché des produits de protection des plantes. Si les agriculteurs utilisent encore peu le biocontrôle, c’est que son efficacité est souvent inférieure et plus aléatoire que celle des molécules de synthèse.
− les macro-organismes : insectes, acariens ou nématodes. Un exemple de succès est l’utilisation d’un insecte, le trichogramme, contre la pyrale du maïs sur une centaine de milliers d’hectares (Figure 6) ; − les micro-organismes : bactéries, virus et champignons ; − les médiateurs chimiques : phéromones, kairomones (substance volatile produite dans l’air, l’eau ou le sol par un être vivant) et allomones (substance produite par un être vivant qui affecte le comportement d’une autre espèce) ; − les substances naturelles d’origine végétale, animale, minérale ou microbienne. Selon l’Association des entreprises de biocontrôle, les voies de progrès sont l’innovation, l’information, la formation, les politiques publiques et la
Figure 6 La pyrale du maïs.
L’agriculture face à ses défis techniques, l’apport des technologies
Il y a quatre grandes familles de produits de bio contrôle :
réglementation. Un des freins au développement de ces produits, comme pour les molécules de synthèse, est aussi le coût des dossiers d’homologation.
Conclusion Il apparaît qu’il y a, dans le domaine de la défense des cultures, de grandes possibilités de progrès. Nous aurions les mêmes conclusions pour la lutte contre les adventices, pour le contrôle du stress hydrique et pour d’autres défis techniques. Plusieurs technologies peuvent être sollicitées, des progrès notables sont en cours dans tous les domaines mais ils sont incrémentaux, car il n’y a peu de technologies de rupture. Une voie de progrès non évoquée dans l’exposé est le développement de la robotique, actuellement essentiellement utilisée en horticulture et arboriculture.
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Chimie et agriculture durable 44
Il faut toutefois noter l’apparition massive de données et leurs applications dans le domaine agricole : l’amélioration des plantes, les outils d’aide à la décision, la recherche de nouvelles molécules phytosanitaires, l’agriculture de précision et la robotique. Du fait du numérique, nous allons aussi vers des innovations organisationnelles. Ces innovations seront d’autant plus rapides qu’elles seront financièrement accessibles du fait de la mutualisation de la demande. Il faudra que tous les acteurs se mettent d’accord sur les modalités d’utilisation des données, ce qui est semble-t-il, en bonne voie. Leur utilisation ira souvent de pair avec des changements générationnels.
futur : s’appuyer sur les les
savoirs et non
croyances
Jean-Yves Le Déaut est membre de l’Académie d’agriculture de France, professeur de biochimie à l’Université Henri Poincaré de Nancy1. Il a été député de Meurthe-et-Moselle et président de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques jusqu’en 2017.
La chimie est omniprésente dans des domaines très variés, dont l’agriculture et l’agroalimentaire, alors que le mot chimie fait peur car il a souvent été associé à des catastrophes. J’ai été le co-rapporteur avec la sénatrice Catherine Procaccia de l’enquête de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques sur la chlordécone2, donc j’ai bien suivi ce dossier aux Antilles qui a 1. www.nancy54.com/universitehenri-poincare 2. La chlordécone est un insecticide organochloré qui a été utilisé contre le charançon du bananier entre 1972 et 1992 dans les Antilles.
malheureusement laissé des traces. J’ai travaillé au niveau du Parlement sur beaucoup de dossiers controversés, comme par exemple, ceux de l’utilisation de l’oxyde de titane, des nitrites dans l’alimentation, ou de l’utilisation des néonicotinoïdes3. Je pourrais multiplier les exemples. Si aujourd’hui on se pose cette question primordiale : « La chimie et les biotechnologies sont-elles compatibles 3. Les néonicotinoïdes, également des insecticides, utilisés pour l’agriculture sont suspectés d’avoir des effets nocifs sur les insectes pollinisateurs tels que les abeilles.
Jean-Yves Le Déaut
Agriculture du
Chimie et agriculture durable
avec l’agriculture durable ? », c’est parce que, dans l’esprit du citoyen, le mot chimie est associé à ces controverses. Pourtant, il ne faut pas avoir honte de parler de chimie car dans le domaine de l’agriculture, la chimie a été à la base d’avancées et de progrès, et c’est une branche de la chimie, la biochimie, qui a permis d’expliquer le fonctionnement des organismes vivants. Quand j’étais professeur de biochimie, je disais souvent à mes étudiants dans un premier cours, que la chimie organique permettait, en augmentant la pression et la température, de faire dans des temps souvent longs des molécules petites, et que la biochimie permettait, grâce à des catalyseurs que la chimie a inventés – les enzymes –, de fabriquer des molécules complexes dans des temps très courts, dans des conditions compatibles avec la vie à température ambiante et à la pression atmosphérique. En plus de ces points majeurs, la chimie est maintenant très régulée : des réglementations comme REACH4 qui sont apparues, et des agences de régulation comme l’ANSES5 en France, ainsi que les agences européennes, ont bien travaillé. Et pourtant… Ces expertises
Figure 1
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Couverture du rapport de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques sur la modification ciblée du génome, paru en 2017.
4. REACH : Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals, règlement européen datant de 2006 qui met en place un système unique d’enregistrement des substances chimiques. 5. ANSES : Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale qui assure des missions de veille, d’expertise, de recherche et de référence sur un large champ couvrant la santé humaine, la santé et le bien-être animal ainsi que la santé végétale.
sont de plus en plus contestées et leurs avis sont souvent inaudibles. Certains activistes réclament des expertises dites indépendantes, alors que les expertises collectives des agences ou des organismes de recherche font partie des missions de service public. Il n’y a d’expertise que l’expertise collective. Ce n’est pas une expertise que de venir à la télévision 30 secondes, dire que quelque chose est dangereux, ou d’organiser ou de médiatiser une position ou une opinion personnelle sur un sujet. Pour illustrer l’importance de l’expertise collective, je vais parler de ce divorce entre la science et la société à travers une technique nouvelle (abordée dans plusieurs chapitres de cet ouvrage), qui est la modification ciblée du génome. Je préfère ce terme au terme de « genome editing », ou d’édition du gène, qui est une traductionstricte de l’anglais, ou de « réécriture du génome », qui laisse penser qu’on trafique le génome.
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La modification ciblée du génome, son impact dans l’agriculture 1.1. La technologie CRISPRCAS9 J’ai rédigé en 2017, avec la sénatrice Catherine Procaccia, un rapport sur la modification ciblée du génome pour l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (Figure 1). À cette occasion, nous avons rencontré Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, lauréates du prix Nobel de chimie 2020 (Figure 2).
Rencontre entre M. Le Déaut, Mme Procaccia et les lauréates du prix Nobel de chimie 2020, Mme Doudna (à gauche) et Mme Charpentier (à droite).
Selon Jennifer Doudna, pour montrer l’évolution, les technologies des OGM étaient des sortes de marteaux de forgeron pour taper sur les gènes, alors que maintenant les nouvelles technologies génétiques (les NTG, « New Breeding Techniques », ou Nouvelles Techniques Génomiques),
les outils CRISPR-Cas9, sont des scalpels moléculaires qui pourraient avoir des applications très importantes dans l’agriculture.
Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances
Figure 2
La Figure 3 résume le mécanisme de fonctionnement l’outil CRISPR-Cas9, qui ne sera pas développé dans ce chapitre, mais que l’on peut
Figure 3 Résumé schématique du mécanisme d’action de CRISPR-Cas9. Source : Pour la Science, n° 456, page 29, octobre 2015.
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Chimie et agriculture durable
résumer en disant que finalement ces généticiennes ont conçu un outil d’ingénierie du génome à partir de ce qui existait naturellement dans les bactéries. Face à l’intrusion d’un phage6, la bactérie découpe non seulement l’ADN du phage (phase 4 de la Figure 3), ce qui le détruit, mais recopie de plus la séquence d’ADN pour faire face à des agressions ultérieures éventuelles. Ce découpage peut être fait de manière universelle par la grosse protéine Cas9. Un petit ARN guide est préalablement synthétisé (phase 1 de la Figure 3) et couplé avec la protéine Cas9 pour indiquer l’endroit exact où doit intervenir la protéine sur l’ADN du phage et constitue l’outil CRISPR-Cas9 (phase 2 de la Figure 3). Cet outil est introduit dans la cellule et retrouve grâce à l’ARN guide la séquence de L’ADN qu’il doit couper. Le mécanisme d’action de cette technologie en fait un outil universel qui permet d’aller couper un gène à l’endroit exact où c’est nécessaire, un peu comme le copier-coller en informatique. Le potentiel d’applications dans l’agriculture est important. L’article d’André Fougeroux montre que depuis près de 10 000 ans que les hommes ont inventé l’agriculture, ils sélectionnent les variétés, récoltes après récoltes, pour améliorer leurs propriétés. Cette découverte représente une rupture fondamentale par rapport aux
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6. Un phage, aussi appelé bactériophage, est un virus qui infecte les bactéries.
technologies de fabrication des anciens OGM et constitue une avancée majeure par sa précision, son efficacité, sa puissance, son universalité, sa facilité d’usage, sa rapidité de mise en œuvre, et par son coût modéré. 1.2. Application au processus de sélection variétale L’outil CRISPR-Cas9 permet d’accélérer et de cibler un processus de sélection variétale, qui dans la nature pourrait se dérouler de façon aléatoire, mais le croisement naturel prendrait beaucoup plus de temps et coûterait plus cher. Les scalpels moléculaires permettent de modifier de nombreuses propriétés des plantes. Ces modifications ne concernent plus seulement les résistances aux mauvaises herbes, l’augmentation de la tolérance aux maladies et aux insectes ou l’amélioration de la productivité. Ces nouvelles biotechnologies permettent la création de plantes moins consommatrices en intrants7 et en engrais, utilisant mieux l’azote, améliorant les rendements, la qualité, la robustesse, allongeant la durée de consommation, améliorant la qualité nutritionnelle des aliments. Elles permettent de s’adapter mieux au changement climatique en sélectionnant des variétés plus économes en eau et plus résistantes au stress hydrique ou à la salinité. 7. Intrant est employé pour désigner l’ensemble des produits qui ne sont pas naturellement présents dans le sol et qui y sont rajoutés afin d’améliorer le rendement de la culture.
Les réactions politiques et sociétales aux applications des outils moléculaires à l’agriculture Ces questions sont majeures parce qu’on avait sans doute là l’occasion de réconcilier le décideur politique avec la science, mais cela n’a pas été le cas en France depuis plus de quinze ans où une inaction des pouvoirs politiques a pu être observée dans le domaine de l’agriculture jusqu’au printemps 2021. Pourtant, beaucoup de plantes modifiées par ces nouveaux outils moléculaires sont déjà autorisées dans le monde, et beaucoup sont en cours d’autorisation alors qu’aucune décision n’a été prise en France et que nous ne sommes pas prêts d’avoir des autorisations au niveau de notre pays. Les décideurs auraient dû organiser et éclairer le débat sur l’utilisation de ces biotechnologies dans l’agriculture pour s’approprier ces nouvelles pistes de recherches et pour permettre à la France d’être plus innovante. La France a perdu des chercheurs et des compétences en matière d’expertise internationale comme ce fut le cas d’Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de chimie 2020. Non seulement le dossier des OGM s’était enlisé, mais c’est maintenant la totalité des dossiers dans ce domaine qui s’est enlisée. En 1998, 800 essais étaient en cours, il n’en reste aucun aujourd’hui, car la Cour de justice de l’Union européenne a en 2018 assimilé ces produits, pour lesquels il
n’y a pas de transfert d’un gène étranger, à des OGM. Les détracteurs de ces techniques parlent « d’OGM cachés » pour qualifier les variétés créées en utilisant des techniques aléatoires ou ciblées de mutagénèse8. Ces controverses ont conduit à un nouvel enlisement réglementaire. Pourtant, depuis vingt-cinq ans, aucune instance internationale n’a enregistré un problème sur la santé. Si, comme en Argentine, il y a eu des conséquences en termes d’environnement, cela était dû à de mauvaises pratiques culturales. Cette définition des OGM prise par la Cour européenne en 2018 est aberrante, car le juge s’est basé, pour prendre les décisions, sur des connaissances scientifiques de 2001, et à cette date, les nouvelles technologies de sélection végétale issues de la découverte de l’outil CRISPR-CAS9 n’étaient pas connues.
Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances
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En droit européen, un OGM est un organisme (à l’exception des êtres humains) dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. L’annexe 1B considère comme OGM les produits issus de la mutagénèse ou de la fusion cellulaire, mais les exempte de la présente directive. Les 8. La mutagénèse désigne un ensemble de techniques destinées à obtenir des mutations génétiques chez un organisme vivant. Contrairement à la transgénèse, qui insère dans le génome d’un organisme un gène d’une autre espèce, la mutagénèse consiste à provoquer des mutations internes à l’organisme.
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cas dans lesquels cette réglementation ne s’applique pas sont précisés et c’est donc le cas de la mutagénèse, pour lequel la sécurité est avérée depuis longtemps. La directive ne devrait donc pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. On aurait pu penser que les organismes issus de ces nouvelles technologies de sélection variétale (NBT, « New Breeding Technologies ») auraient le droit aux mêmes exemptions que la mutagénèse, mais ce ne fut pas le cas, au contraire, notamment en France, où le Conseil d’État a durci globalement sa position. Prenons par exemple les cultures de tournesol, qui couvrent 730 000 hectares en France dont 25 % sont aujourd’hui traités contre les adventices (ce qu’on appelle couramment « mauvaise herbes ») par des produits issus de la mutagénèse ; ces produits devront maintenant être soumis à autorisation alors qu’ils ne le seraient pas dans la législation européenne. Cette décision est juridiquement contestable et scientifiquement aberrante. Juridiquement contestable car le protocole de Carthagène de 2003 sur les organismes vivants modifiés reprend les mêmes exceptions que la législation de la directive européenne de 2018, et chacun sait qu’en droit, les conventions internationales priment sur le droit national. Néanmoins, cette décision nationale du
Conseil d’État n’a pas choqué, ou plutôt, on n’a pas voulu trancher sur cette question sur le plan politique. Cependant, la situation évolue parce qu’un certain nombre de scientifiques européens et les conseillers scientifiques auprès de l’Union européenne demandent de s’appuyer sur des certitudes scientifiques sérieuses. Un rapport du 29 avril 2021 de la Commission européenne signale que les nouvelles technologies génomiques peuvent renforcer la durabilité du système agricole et qu’il ne faut pas ostraciser certaines d’entre elles. C’est aussi le discours de la commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides, qui pense que la législation actuelle sur les OGM datant de 2001 n’est plus adaptée à ces techniques innovantes, et que les produits issus des NBT pourraient rendre les plantes résistantes aux maladies et leur permettre d’avoir besoin de moins d’intrants, s’adapter au changement climatique ou de présenter des qualités nutritionnelles supérieures. Mais comment évolue le regard du public lorsque, à côté de cela, Greenpeace a lancé sur Internet fin octobre 2021 une pétition contre les NBT : « Non aux OGM masqués, NBT de fausses solutions pour de vrais OGM » ? Face à de telles controverses, il faut toujours marteler que si le savoir doit être discuté, il ne peut être mis sur le même plan que les croyances ou les opinions. Prenons comme exemple le cas de la vigne. Les viticulteurs sont obligés d’utiliser
présentant le maïs transgénique comme l’exemple que les OGM sont des poisons. L’article était basé sur des résultats obtenus par des chercheurs français dans le cadre de deux ans d’études sur deux cents rats nourris au maïs transgénique, et qui auraient développé des pathologies lourdes, des tumeurs telles que celles reportées sur la Figure 4. Il a été montré que ces tumeurs apparaissent de manière naturelle chez les rats de cette espèce et que les données statistiques de l’étude étaient mauvaises.
Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances
un certain nombre de produits phytosanitaires ou chimiques pour lutter contre le mildiou et l’oïdium9. L’agriculture biologique reconnaît d’ailleurs la possibilité d’utiliser du sulfate de cuivre. Ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que d’abîmer les sols avec du sulfate de cuivre, utiliser des plantes résistantes à l’oïdium et au mildiou et les développer ? Les biologistes de l’INRAE ont réussi à le faire après vingt ans de travail rigoureux de sélection, alors qu’on pourrait le faire rapidement avec les NBT. La réponse paraît évidente à tel point que le directeur de l’un des grands instituts mondiaux d’agriculture biologique a dit qu’il valait mieux sans doute à un moment donné, associer les biotechnologies à l’agroécologie. Pourtant, la perception des citoyens et l’acceptation d’une innovation, parce qu’on est dans les controverses, est compliquée, et c’est pourtant la condition de sa diffusion. La réduction des intrants en agriculture et la régression des famines ne pourront être résolues que par la mise en commun de tous les outils dont on dispose, et c’est aussi le travail des politiques et de l’État de résoudre ces controverses en s’appuyant sur les savoirs et non sur les croyances. Je voudrais rappeler cette affaire sur le maïs transgénique (Figure 4), appelée « l’affaire Séraleni », qui a fait l’objet d’auditions à l’Assemblée nationale, à la suite d’une campagne lancée par le journal Nouvel Observateur 9. Le mildiou et l’oïdium sont deux maladies provoquées par des champignons.
Figure 4 Le titre du Nouvel Observateur sur les dangers des OGM pour des rats.
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Chimie et agriculture durable
Sollicité à propos de cette étude par l’OPECST en 2012, Cédric Villani, mathématicien et écologiste, a dit : « Il faut pour tenter d’aller vers le consensus, ne pas se contenter de la controverse, mais utiliser deux outils : le partage sincère des informations, le débat argumenté dans lequel on répond point par point aux objections de l’autre camp. Dans le cas présent, nous n’avons vu ni l’un ni l’autre » (Figure 5). L’INRAE ayant été chargé d’une contre-étude par le gouvernement a conclu cinq ans plus tard : « Maïs OGM Monsanto 810 et NK603 : pas d’effets détectés sur la santé et le métabolisme des rats » (Figure 6). Mais ces résultats scientifiques sont parus dans l’indifférence générale. Le mal
est fait à partir du moment où un risque ou un danger est médiatisé. C’était trop tard pour répondre aux craintes du grand public et cette mise au point scientifique n’a pas été médiatisée. Pourtant, l’Assemblée nationale œuvre pour promouvoir le débat public. Une proposition assez exemplaire, à laquelle ont participé tous les groupes politiques, a été faite en 2017 à l’Assemblée nationale, appelée « Science et progrès dans la république » (Figure 7), dans laquelle le gouvernement est invité à mettre en avant des stratégies de communication, à organiser des débats avec les citoyens à l’établissement d’une balance entre les bénéfices et les risques et à leur évaluation au niveau socio-économique, sanitaire et
Cédric Villani à l’Opecst en 2012 à propos de cette affaire : « Il faut donc tenter d'aller vers le consensus et ne pas se contenter de la controverse. Pour aller vers le consensus nous avons deux outils, (1) le partage sincère des informations, (2) le débat argumenté, dans lequel on répond point par point aux objections de l'autre camp. Dans le cas présent, nous n'avons vu ni l'un ni l'autre ». Résultats scientifiques, décembre 2018, dans l’indifférence médiatique
Figure 5 Critique de Cédric Villani à propos de l’étude parue sur le lien entre rats et OGM.
Figure 6 52
Contre-étude de l’INRAE sur le lien entre rats et OGM, parue en 2018.
Figure 7 L’article proposé par M. Le Déaut et d’autres collègues députés.
Cent prix Nobel, dont quatre français, ont fait en juin 2016 une déclaration à l’adresse de l’ONU, qui est passée relativement inaperçue en faveur de l’usage accru de ces nouvelles techniques de sélection végétales, notamment dans les pays du Sud. Ils ont déclaré que continuer les campagnes de dénigrement constituerait un crime contre l’humanité. Toutes les agences scientifiques et réglementaires à travers le monde ont établi de manière répétée et cohérente que les cultures et les aliments issus des biotechnologies sont aussi sûrs, sinon plus, que ceux provenant de toute autre méthode de production. La question de fond est de savoir comment à la fin du e xxi siècle on va nourrir 8, 9, ou 10 milliards d’habitants sans prélèvement et destruction supplémentaires pour la planète alors qu’il y a déjà des famines actuellement dans le monde, comme par exemple à Madagascar. Pour pouvoir nourrir tout le monde, j’ai la conviction profonde qu’il est important de soutenir l’innovation, et celle-ci ne se résume
Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances
environnemental. Il faut utiliser des pratiques fondées sur l’usage raisonné des technologies numériques, en particulier l’apprentissage du tri de l’information qui faciliterait la distinction entre des savoirs établis et des opinions sans fondement scientifique. Cette proposition importante a été votée à l’unanimité de l’Assemblée nationale en 2017. Quand Greenpeace dénonce l’impact sur la biodiversité des variétés obtenues par les NBT, les académiciens Georges Pelletier et André Gallais répondent : « La mutagénèse a eu un impact positif puisqu’elle permet de développer de nouveaux caractères. Ce sont les pratiques intensives de l’agriculture qui affectent la biodiversité et non les nouvelles variétés de plantes génétiquement modifiées ». Il y a des problèmes de biodiversité aujourd’hui sur lesquels travaille l’Académie d’agriculture, mais ils ne sont pas dus aux techniques de NBT. Les NBT ne se résument pas aux OGM, il faut réconcilier les NBT et l’agroécologie, elles représentent des techniques plus larges, ce sont des leviers de la transition agro écologique. Pour progresser, il est nécessaire de combiner la totalité des techniques. Le renouvellement des pratiques agricoles doit jouer à la fois sur la diversification des cultures, mais aussi sur l’allongement des rotations, sur la lutte intégrée, sur la lutte mécanique et chimique, sur le biocontrôle, sur l’agriculture de précision et sur la génétique végétale, qui était la grande oubliée.
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Chimie et agriculture durable
pas bien sûr aux techniques de sélection ; le rôle de l’informatique dans le développement de l’agriculture et des biotechnologies est aussi important, tout cela doit devenir complémentaire de l’agroécologie. Mais si la France suit les avis récents de la Cour de justice de l’Union européenne, qui finalement assimilent la totalité des nouveaux produits à des OGM, avec une réglementation qui est très complexe, nous n’aurons
pas les moyens de lutter, d’avoir des plantes qui s’adapteraient au réchauffement climatique, et nous serons dépassés par un certain nombre de pays comme par exemple les Anglais, qui sont en passe de modifier leur législation sur les NBT et qui viennent d’autoriser la culture d’un blé qui a été transformé par des NBT. Si nous refusons d’appliquer ces technologies, l’Europe est mal partie.
Conclusion
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Cette nouvelle législation sur les NBT démontre que les frontières entre la précaution qui est nécessaire (j’ai voté le « principe de précaution ») et l’inaction sont ténues. Cette évolution inquiétante prend sa source dans la confusion de plus en plus marquée entre ce qui relève des savoirs issus d’une démarche scientifique rigoureuse et ce qui relève des croyances ou des manipulations. On est aujourd’hui à la croisée des chemins. Ce livre Chimie et agriculture durable pose les questions de savoir si chimie et agriculture durable sont compatibles. La chimie pourraitelle devenir verte, plus sûre, plus efficace, plus propre ? À la lecture des différents chapitres, je pense que oui. L’évolution de nos comportements dans le domaine alimentaire illustre cette problématique. Pendant très longtemps, l’ensemble de l’humanité a eu comme souci constant de subvenir à ses besoins en nourriture. Ce n’est plus aujourd’hui le cas dans les pays développés où le spectre de la famine ou de la disette s’est éloigné. Ils disposent aujourd’hui d’une nourriture abondante et de qualité. Il a fallu
Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non les croyances
pour cela que se mette en place une véritable révolution agricole pour parvenir à un accroissement de la productivité. Cela a nécessité à la fois une mécanisation de la production agricole et un recours très important aux produits phytosanitaires pour lutter contre les ennemis des cultures. Pendant des siècles, la nourriture a suivi des circuits courts, les matières alimentaires de base étaient produites par des agriculteurs et étaient vendues sans modification au consommateur. Depuis quelques décennies, les aliments sont désormais des produits quasi- manufacturés. Ils voyagent sur des longues distances, la cuisine est faite à l’usine et le régime est fait à votre place. Ce que l’on mange s’est éloigné du produit brut. On peut d’ailleurs estimer que nos concitoyens souhaitent des choses contradictoires en plébiscitant des produits du terroir issus de circuits courts mais avec les mêmes garanties d’asepsie alimentaire que les produits de grande consommation. L’inquiétude n’a jamais été aussi grande alors que de l’avis des experts l’alimentation n’a jamais été aussi saine. Les intervenants ont montré que cette évolution positive est bien sûr due à l’apport de l’innovation dans l’agriculture. Avec Claude Birraux en 2012, dans un rapport sur l’innovation, nous disions que l’innovation permet d’intégrer le meilleur état des connaissances à un moment donné dans un produit ou un service afin de répondre à un besoin exprimé par les citoyens ou la société. Cela a été le moteur de la révolution agricole. Les nouveaux outils apportés par la génétique sont, comme nous l’avons déjà dit, complémentaires des objectifs de l’agroécologie. Dans le domaine de l’agriculture, l’innovation peut donner à la société une vision pour l’avenir et éclairer les enjeux du futur. Comme l’a déclaré le philosophe Claude Debru dans un récent colloque
55
Chimie et agriculture durable
Figure 8 Bertrand Russel (Wikipédia).
56
organisé par l’Académie d’agriculture : « Sans innovation il n’y a pas de progrès ». Il faut bien sûr que le progrès soit maîtrisé et surtout qu’il soit partagé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le progrès est pour un certain nombre de pays et pas pour tous. On l’a vu sur le cas de la vaccination contre la COVID, qui a peu concerné le continent africain. Les risques ne doivent pas être balayés d’un revers de main mais plutôt évalués rationnellement en s’appuyant sur les savoirs, en tenant à distance les croyances, les partis pris biologiques, la propagande, les discours sectaires, car comme le disait fort justement Bertrand Russel (Figure 8), qui était à la fois mathématicien, prix Nobel de littérature et philosophe : « La science n’a jamais tout à fait raison, mais hélas elle a rarement tout à fait tort et en général, elle a plus de chance d’avoir raison que les théories non scientifiques, il est donc rationnel de l’accepter à titre d’hypothèse ».
Partie 2 Les vecteurs d’innovation industriels
besoins des agriculteurs : les
enjeux
de
transformation
agriculture
de l’
Benoît Rabilloud est président de Bayer France1 et le directeur de l’Europe de l’Ouest et du Nord de la division Crop Science.
Traiter le sujet : « Attentes des consommateurs, besoins des agriculteurs : les enjeux de la transformation » est un défi et un enjeu passionnant qui touche le monde de l’agriculture, mais aussi beaucoup d’autres secteurs. Quand il s’agit de chimie, bien évidemment, on peut penser à l’agriculture, mais c’est beaucoup plus large. Par exemple, l’industrie automobile est en train de vivre une transformation énorme au pas de charge : comment passer du thermique à l’électrique assez rapidement avec des enjeux très forts ? Pour répondre de 1. www.bayer.fr
façon très claire, il y a besoin de la chimie pour alléger les véhicules électriques, qui sont extrêmement lourds, et pour répondre aux problématiques des batteries. Chez Bayer, une grande partie de nos activités est dans l’industrie pharmaceutique et la base des médicaments reste de la chimie. Même s’il y a des nouvelles innovations comme les biotechnologies, il y a beaucoup de pathologies pour lesquelles on a pour le moment besoin de produits chimiques. Prenons l’exemple des cancers, dont beaucoup sont toujours traités par la chimiothérapie, qui est issue de la chimie.
Benoît Rabilloud
Attentes des consommateurs,
Chimie et agriculture durable
1
Les attentes de la société dans le secteur de l’agriculture Que veulent les Français ou quelles sont les attentes de la société ? Quelques éléments sur les préoccupations actuelles des Français sont reportés dans la Figure 1. Si nous mettons à part le sujet de la COVID, les préoccupations principales des Français ciblent tout ce qui touche à l’environnement, au changement climatique et au pouvoir d’achat. Pour réussir des transitions écologiques, il faut absolument intégrer le volet économique. Lors d’une récente interview sur les solutions pérennes que pourraient apporter les agriculteurs dans les enjeux de captation du carbone, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie a fait remarquer qu’il était nécessaire de trouver le modèle économique, le
1. Le changement climatique est la 2e préoccupation des Français – derrière le pouvoir d’achat – en progression entre 2020 et 2021
2. Seul un Français sur deux estime que, grâce à la science, les générations futures vivront mieux qu’aujourdh’hui
Quand on interroge les Français sur leur perception de la science, on se rend compte qu’il n’y a que 50 % des Français qui font confiance à la science. Le fait que la moitié des Français ait une défiance vis-à-vis de la science est préoccupant car beaucoup d’innovations sont et seront issues de la science. Un des enjeux extrêmement fort est donc que la science retrouve ses lettres de noblesse. Au contraire, 71 % des Français ont une très bonne opinion de l’agriculture, et il est intéressant de voir que cela progresse. 2. Compte d’exploitation : récapitule la somme des produits et charges d’une entreprise ou activité pour un exercice comptable.
Le pouvoir d’achat L’environnement L’immigration La covid-19 : 1re préoccupation en avril 2021
La science et la technologie génèrent des changements trop rapides dans ma vie de tous les jours Grâce à la science et à la technologie, les générations du futurs vivront mieux que celles d’aujourd’hui La science et à la technologie produisent plus de dommages que d’avantages 59 % des Français pensent que les modes de productions agricoles sont faits de manière raisonnée
3. 71 % des Français ont une très bonne opinion de l’agriculture (+12 pts vs 2015) 4. L’origine des produits, l’élément le plus important pour les Français pour une alimentation équilibrée
compte d’exploitation2, pour que toutes ces pratiques soient vivables financièrement pour les agriculteurs.
(ex : on ne traite les plantes et on ne met des engrais que si cela est nécessaire)
L’origine du produit Le fait qu’il soit issu de producteurs locaux ou de circuits courts Le prix
Sources : 1. Ipsos, oct. 2021 : Enquête électorale 2022 Ipsos pour le Cevipof/la Fondation Jean Jaurès et le Monde (16 000 répondants) 2. Ipsos, oct. 2020 : baromètre Science & Société 3. BVA, mai 2021 : Image de l’agriculture auprès des français en 2021 4. Ipsos, jan. 2021 : Enquête d’opinion « manger équilibré »
Figure 1 60
Préoccupations et attentes des Français.
2
3. Souveraineté alimentaire : droit à une alimentation saine et produite avec des méthodes durables.
4. Haute Valeur Environnementale (HVE) : plus haut niveau de la certification environnementale des exploitations agricoles.
La stratégie de Bayer dans le secteur de l’agriculture Par rapport à ces enjeux de réglementation, notre intime conviction chez Bayer est que ce sont les solutions combinatoires qui vont permettre de répondre aux besoins des agriculteurs, et que, de plus en plus, nous serons capables d’aller vers des approches personnalisées, hyper ciblées, individualisées, pour répondre aux besoins de toutes les agricultures. Parce qu’en France, il n’y a pas une ou deux agricultures qui s’opposent, mais des agricultures différentes, en passant de l’intensif au HVE4, et au bio, notre enjeu est de continuer à trouver des solutions pour répondre à la fois aux différents besoins et aux attentes de la société. Notre stratégie est axée sur quatre piliers (Figure 2).
Attentes des consommateurs, besoins des agriculteurs : les enjeux de transformation de l’agriculture
On voit sur le point 4 de la Figure 1 sur l’origine des produits que les Français sont de plus en plus soucieux de notre souveraineté alimentaire3, ce qui est assez rassurant pour notre agriculture française. Dans les 30 milliards du plan « France relance 2030 », une petite partie est prévue pour l’agriculture afin de ne pas laisser les agriculteurs dans des impasses techniques qui les conduiraient à arrêter les productions en France. La question de l’impact carbone se poserait alors avec l’importation des produits, d’autant que probablement, les productions importées seront faites dans des pays où le niveau de réglementation est inférieur. Une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on a la chance, en France, d’avoir une des réglementations les plus fortes et que c’est une de nos meilleures protections.
Figure 2 Des solutions combinatoires au service de toutes les agricultures.
61
Chimie et agriculture durable
2.1. Bayer et les produits phytosanitaires de synthèse Commençons par le pilier des produits phytosanitaires, qui reste important même si dans le futur on en utilisera de moins en moins. Le groupe Bayer investit en R&D au niveau mondial plus de 2 milliards d’euros par an. Les coûts de développement sont astronomiques donc tous les développements sont faits a minima à l’échelle d’une région ou au niveau mondial. Un tiers de ce montant est consacré aux produits phytosanitaires. Quand on sait que les temps de développement sont d’environ une dizaine d’années, l’argent que l’on investit maintenant est sur des produits qui verront le jour dans dix ans. Cela veut donc dire que nous sommes intimement convaincus que dans dix ans, on aura toujours besoin de produits phytosanitaires. 2.2. Les semences et le biocontrôle Un autre pilier important de notre R&D consiste à développer des semences de plus en plus résistantes aux insectes, aux maladies, et aux aléas climatiques. Nous développons aussi les nouvelles technologies : ce que l’on appelle en anglais les « new breeding technology » (nouvelles techniques de sélection des plantes), avec l’utilisation des ciseaux moléculaires5. C’est un axe qui est extrêmement important.
62
5. Ciseaux moléculaires : protéines Crispr-Cas9 qui permettent de couper un fragment d’ADN et de le remplacer par une autre séquence.
Les biocontrôles (voir le chapitre de J.-L. Bernard) sont basés sur l’utilisation de mécanismes naturels. Bien évidemment, les produits de biocontrôle ne sont pas seulement utilisés dans l’agriculture biologique, mais en combinaison avec des produits phytosanitaires, cela peut être aussi très intéressant. Néanmoins, dans le domaine des biocontrôles, on sait qu’on a moins de possibilités d’applications, surtout sur les grandes cultures (les plaines céréalières) et sur les problématiques de désherbage. 2.3. Le numérique au service de l’agriculture Le dernier pilier de nos investissements est le numérique, notamment dans les solutions combinatoires, afin de proposer aux agriculteurs des solutions, de ne pas les laisser dans des impasses techniques et de répondre aux attentes sociétales. L’agriculture digitale propose de nouveaux outils pour une agriculture de précision (Figure 3). Par exemple, un axe en plein développement et à haute valeur ajoutée est l’utilisation de capteurs en temps réel, afin que l’agriculteur puisse suivre l’activité sur son exploitation, pour l’aider à prendre des décisions, comme savoir quel produit utiliser, à quelle
dose, à quel moment et à quel endroit. Un deuxième axe extrêmement intéressant est la contribution du digital au niveau de la recherche, notamment dans le développement de nouvelles semences, où l’on croise
Le digital, un nouvel outil pour l’agriculture.
des lignées pour obtenir des semences encore plus performantes et où l’objectif est de sélectionner à la fin la meilleure semence grâce à l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est un outil puissant qui a transformé notre philosophie sur la recherche et le développement
de nouvelles semences. Elle permet d’avoir une approche prédictive : on identifie les besoins en termes d’agronomie, de météorologie et de maladie, puis on remonte en arrière pour voir aux travers de toutes les analyses antérieures quelles sont les différentes lignées que l’on va croiser.
Conclusion Dans le secteur de l’agriculture, l’un de nos plus grands défis est la notion de temps. La société et les décideurs politiques voudraient que les choses changent en quelques mois voire maximum en deux ans, alors que notre pas de temps de recherche pour les produits phytosanitaires, les semences ou autre, est d’une dizaine d’années dans un marché qui est hyper réglementé. L’enjeu est d’aller plus vite et l’utilisation de l’intelligence artificielle le permet. Ne seraitce que sur la partie R&D, on a été capable de gagner un à deux ans dans le développement
Attentes des consommateurs, besoins des agriculteurs : les enjeux de transformation de l’agriculture
Figure 3
63
Chimie et agriculture durable 64
d’une semence grâce au numérique. Ensuite, d’autres utilisations permettent encore de raccourcir les pas de temps, et si nous arrivons à réconcilier notre pas de l’innovation avec le pas de temps des attentes de la société, nous aurons beaucoup moins de débats comme on peut en avoir aujourd’hui. Dans le monde agricole, beaucoup d’innovations sont possibles alors que la perception de la société est certainement très différente. Une petite palette d’innovations est illustrée dans ce texte mais il en existe d’autres. Nourrir nos concitoyens avec une alimentation de qualité en protégeant l’environnement est un enjeu et un défi énorme. Le numérique est un outil puissant qui va nous aider pour faire toutes ces transformations.
et
,
responsable
de la des
nutrition
plantes
Nicolas Broutin est président du groupe Yara France.
Introduction Je vais vous parler de nutrition végétale, puisque notre métier c’est de nourrir les plantes. Le lien entre l’alimentation humaine et les engrais est extrêmement fort car la façon dont nous nourrissons les plantes impacte directement la façon dont nous nous nourrissons à la fois quantitativement et qualitativement. Mais de plus, nous allons voir que le lien entre les engrais et l’énergie est lui aussi extrêmement fort.
1
Place de la chimie dans la nutrition des plantes : les engrais azotés La plante se nourrit de différents éléments mais je vais beaucoup vous parler d’azote, c’est l’élément nutritif principal permettant la croissance végétale car il permet la formation des protéines ; c’est l’élément le plus consommé par les plantes et on le fabrique par imitation de la nature. On a réussi industriellement à imiter ce que fait la nature
Nicolas Broutin
chimie alliée indispensable La
Chimie et agriculture durable
qui alimente les végétaux en nitrate, donc nous fabriquons industriellement du nitrate 1 grâce à la chimie. Mais la fabrication d’engrais nécessite l’utilisation de gaz naturel et cette voie nécessite de l’énergie. Cela veut dire que, qui dit alimentation, dit émission de carbone, car nous nous nourrissons grâce aux engrais qui nourrissent plus de la moitié de la population mondiale. Il n’y a pas d’indépendance alimentaire sans indépendance énergétique et la chimie est un allié fondamental pour résoudre cette équation de la question énergétique en lien avec la production de nourriture.
Figure 1
J’ai intitulé cette présentation « La chimie, allié indispensable et responsable de la nutrition des plantes » pourtant, pour le grand public, la chimie ce n’est pas bien (Figure 1). Pendant les vacances scolaires, mes filles, qui ont 9 et 14 ans, ont acheté des bonbons un petit peu bariolés, qui ont un goût un peu bizarre dans la bouche. Je leur ai dit : « Arrêtez avec ces bonbons chimiques ». Elles m’ont répondu : « Mais Papa, et tes engrais chimiques ? ». Pourtant la chimie finalement c’est l’étude du naturel (Figure 2), c’est l’étude des composants de la matière, du vivant. La chimie c’est une façon de voir le monde, peutêtre la plus belle à travers la chimie du et pour le vivant.
La chimie c’est bien.
Figure 2 66
La chimie c’est naturel.
1. De formule NO3–, le nitrate est une substance chimique naturelle qui entre dans le cycle de l’azote. Il est beaucoup utilisé dans les engrais inorganiques et les explosifs, comme agent de conservation des aliments et comme substance chimique brute dans divers procédés industriels.
N’ayons donc pas honte du mot chimie, n’ayons pas honte du fait que la chimie est un allié fondamental qui nous aide à nous nourrir. Alors, oui la chimie c’est bien. Les métiers de la nutrition des plantes consistent à transformer l’air, et en particulier l’azote de l’air, (il y en 80 %), en granulés et à donner ces granulés à la plante pour se développer. Donc notre métier c’est de capter l’azote de l’air et de le transformer en granulés que les agriculteurs vont valoriser. Il y en France deux usines capables de nourrir 20 millions de Français en équivalent de protéines végétales. Notre métier consiste donc à donner un coup de pouce à la nature, à l’imiter en prenant cet azote de l’air et en le transformant en une forme qui est assimilable et qui est la nourriture habituelle des plantes : le nitrate NO3–. Ces éléments nutritifs qui sont valorisés par la plante grâce au travail de l’agriculteur participent au cycle naturel de la vie, via le cycle naturel de l’azote de la plante. Mais on peut se poser la question suivante : l’agriculteur a-t-il vraiment besoin d’engrais chimiques (Figure 3) ? Les engrais minéraux, (et on trouve bien sûr aussi des engrais sous forme organique) et principalement ceux de synthèse, c’est-à-dire ceux qui imitent cette molécule qui est le nitrate, représentent plus de 50 % de l’alimentation de la plante. Ce sont les agriculteurs qui permettent de faire en sorte que les plantes valorisent cet azote en augmentant les rendements. Ces produits permettent non seulement d’augmenter
Un agriculteur a besoin d’engrais.
les quantités disponibles de nourriture mais aussi la qualité ce cette nourriture.
2
Un exemple d’engrais assez frappant est celui des engrais composés d’azote, de phosphore et d’un petit peu d’oligoéléments2 mis sur le maïs au départ. Les plantes cultivées sont en compétition avec des adventices3, apporter ce type d’engrais au démarrage permet au maïs de se développer un petit peu plus rapidement donc de gagner la bataille des adventices un petit peu plus facilement. Cela permet aussi, en termes de qualité, d’avoir une répercussion sur l’ensemble du cycle de l’azote de la plante
Où est l’innovation quand on parle d’engrais ? L’innovation quand on parle d’engrais c’est finalement d’en utiliser le moins possible. Le combat des engrais minéraux depuis 20 à 30 ans, c’est un combat pour en utiliser moins. L’innovation arrive dans nos métiers par l’utilisation des OAD (Outils d’Aide à la Décision). Ces outils permettent à l’agriculteur de diminuer les quantités utilisées, d’aller chercher l’optimum, c’est-à-dire de ne mettre vraiment que la quantité strictement nécessaire.
La nutrition végétale, ce n’est pas que nourrir la plante, il y a aussi une dimension assurantielle et on sait que l’agriculture est un métier soumis à une immense quantité d’aléas. La nutrition par les engrais permet aussi de garantir une santé végétale, car sans nutrition correcte, la plante ne se développera pas dans de bonnes conditions. 2. Nutriment minéral nécessaire au bon développement de la plante mais utilisé en faible quantité. Une trop grande quantité est toxique. 3. Terme scientifique pour qualifier les mauvaises herbes. Il s’agit de plantes qui poussent à un endroit où elles n’ont pas été plantées, parfois en gênant les plantes qu’on essaye de faire pousser à cet endroit.
Vers une utilisation plus responsable des engrais
La chimie, alliée indispensable et responsable de la nutrition des plantes
Figure 3
Reprenons l’exemple des engrais pour le maïs : ils sont apportés au semis4 et ce sont des technologies d’apport à la plante, non plus à la parcelle mais au pied de maïs. Ce sont des technologies de cet ordre de précision qui permettent l’optimisation de la fertilisation et de la nutrition. L’innovation dans nos métiers, c’est la création d’outils d’aide à la décision comme N-Tester5 qui permet de mesurer la nutrition de la plante et d’adapter les engrais à lui apporter. Donc l’innovation c’est mieux d’engrais (Figure 4). 4. Il s’agit de l’action de mettre en terre, de semer les graines. 5. Outil d’aide à la décision développé par la société Yara.
67
Chimie et agriculture durable
Figure 4 L’innovation c’est mieux d’engrais.
Figure 5 Nous sommes pour la décarbonation.
Un autre aspect de l’innovation, est la question de la décarbonation6 de ces activités et le champ est vaste dans notre domaine (Figure 5). Les engrais notamment azotés sont issus de l’ammoniac NH3 qui est obtenu par combinaison de l’azote de l’air et de l’hydrogène qui vient du méthane. Pour décarboner la production d’engrais, il faut trouver une alternative au méthane, il faut utiliser un nouvel hydrogène qui ne soit pas d’origine fossile, cet hydrogène peut être issu de l’électrolyse7. Nous investissons de manière importante dans des unités qui permettent d’électrolyser de l’eau, à partir d’électricité « verte » d’origine 6. Mise en place de mesures dans le but de diminuer l'émission de carbone d'un secteur d'activité. 7. Réalisation d'une réaction chimique sous l'action d'un courant électrique.
photovoltaïques8, éolienne et sur la base d’hydroélectricité. Ceci est un des volets de la route vers le zéro carbone, qui pour nous est une ambition réaliste à 2050. Donc, l’innovation chez nous, ce sont des investissements industriels pour limiter les émissions de nos produits voire, pour les réduire à zéro, tout en sachant que les émissions en lien avec les fertilisants sont liées pour un tiers à la production et pour deux tiers à l’application. Nous travaillons donc aussi sur le protoxyde d’azote émis lors de la production des engrais. Dans les usines de production de nitrate, les émissions de protoxyde d’azote ont été aujourd’hui diminuées de 99 %. 8. Permet de produire de l'énergie électrique à partir d'énergie lumineuse. Cette technologie est utilisée pour les panneaux solaires.
Conclusion
68
Le lien entre nutrition et énergie est extrêmement fort, il n’y a pas d’indépendance alimentaire sans indépendance énergétique. Il faut impérativement continuer à travailler avec les
La chimie, alliée indispensable et responsable de la nutrition des plantes
agriculteurs pour l’optimisation de la nutrition azotée, c’est-à-dire utiliser, grâce aux outils d’aide à la décision, le moins possible d‘engrais azotés qui ne sont qu’une composante de la production agricole. L’interdisciplinarité est fondamentale comme le montrent les différents chapitres de cet ouvrage. Nous sommes plusieurs métiers à apporter une réponse et c’est la combinaison de ces réponses qui permettra à cette agriculture de nourrir le monde et la France dans des conditions durables.
69
sol-plante
pour
amélioration
l’
des productions
végétales
Marie-Emmanuelle Saint-Macary est docteure en physiologie végétale et travaille maintenant chez Frayssinet. Olivier Demarle, est directeur de la recherche et du développement de cette même société. Ils sont spécialistes de la physico-chimie des sols et des échanges entre espèces radicalaires qui ambitionnent de tout comprendre dans son rôle en agriculture.
Introduction Parmi les différents leviers à l’aide desquels on peut favoriser l’agriculture, ni la partie biostimulation des plantes, ni la biostimulation du sol ne sont en général mentionnées par le de digital ; on parle de biocontrôle, mais on ne parle pas de biostimulation. C’est précisément de biostimulation dont ce chapitre se saisit. Mais il ne faut pas oublier une remarque très importante : un des grands principes de l’agronomie est de dire que les différentes approches ne
doivent pas s’opposer les unes aux autres. Ce chapitre prend place dans un volume qui traite de l’utilisation de la chimie. La chimie est souvent assimilée à la synthèse de molécules, mais pour nous ici, ce ne va pas être son rôle principal. Pour nous, dans notre quotidien, elle constitue principalement un moyen de compréhension du vivant. La réaction à l’échelle moléculaire est la base ; ensuite viendront la chimie de l’individu, de la plante et des interactions entre organismes.
Marie-Emmanuelle Saint-Macary et Olivier Demarle
Biostimuler l’interface
Chimie et agriculture durable
L’ENTREPRISE FRAYSSINET Frayssinet est une entreprise familiale située dans le Tarn, spécialisée dans la fertilisation organique et les biostimulants. L’entreprise a été créée en 1870, et sa culture a toujours été basée sur le principe de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie circulaire et la valorisation à but agronomique, de co-produits de l’industrie agro-alimentaire ou de l’agriculture. Dans le présent chapitre, vous verrez que l’approche chez Frayssinet, est centrée sur la compréhension et l’accompagnement des mécanismes naturels, donc de la plante, de la physiologie et des fonctionnements du sol pour arriver à trouver des solutions vraiment efficientes. C’est cette approche-là qui fait qu’aujourd’hui l’entreprise est leader français de l’étude de la nutrition et de la stimulation du sol et des plantes – ce qu’on appelle la biostimulation.
Figure 1 La partie visible de la plante n’est que la face émergée de l’iceberg.
La Figure 1 représente un fameux iceberg : on voit la plante (la partie émergée) mais il y a énormément de choses qui se passent en dessous, dans le sol, au niveau des racines. On va essayer de pénétrer ce monde où se fait le plus gros des volumes des échanges.
1
La biostimulation
1.1 Contexte Enjeux de la biostimulation Le graphique de la Figure 2, tiré d’une conférence du professeur Du Jardin, résume les enjeux de l’amélioration des rendements agricoles. Il s’agit vraiment du but premier de l’agriculture car cela conditionne le revenu de l’agriculteur et, avant tout, parce que cela répond à la demande d’alimentation qui bien sûr concerne tout le monde.
72
Le rendement théorique de la culture d’une plante est son potentiel génétique. Mais le rendement réel dépend des conditions pratiques de la culture : quand on fait des
études en laboratoire, on dépasse les niveaux de rendement jamais atteints au niveau des champs. C’est que le rendement réel ne dépend pas seulement des qualités génétiques intrinsèques ; il dépend aussi du métabolisme de la nutrition parmi d’autres facteurs. Les adventices, les pathogènes constituent d’autres facteurs ; en se protégeant contre eux, on va se rapprocher d’un rendement plus proche du potentiel génétique. L’une des approches à l’étude pour protéger la plante est le « biocontrôle », mais le biocontrôle ne fait réellement « que » substituer une façon de protéger par une autre (par exemple, l’emploi de produits chimiques), donc il ne permet pas de franchir les frontières. De même, dans le travail de fertilisation organique, si on ne parle que de nutrition organique, on substitue de l’azote minéral par de l’azote organique : on n’améliore donc pas le système. Le grand oublié dans toutes ces techniques, c’est la biostimulation : comment optimiser la physiologie de la plante pour aller chercher
Effet des technologies de substitution et incrémentielles sur le rendement (PPP = produit de protection des plantes).
un petit peu plus de rendement ? Il ne s’agit pas de tout arrêter pour faire des biostimulants, mais il s’agit de faire usage de toutes les techniques utiles. Comme mentionné par le professeur Du Jardin, d’autres technologies apparaîtront et la sélection génétique au niveau des semences y jouera un rôle majeur. Voilà où se place l’enjeu de la biostimulation et voilà pourquoi nous la présentons dans ce chapitre. Biostimulation et stress Pour parler de biostimulation, il faut avant tout parler de stress. Les plantes vivent dans un environnement et l’environnement peut être agressif. On définit deux typologies de stress : ce qu’on appelle des stress abiotiques – qui ne sont pas provoqués par un pathogène – ce peut être la sécheresse, la chaleur, le froid, des problématiques de pH, des inondations. D’un autre côté, il y a les stress biotiques – les insectes, les bactéries, les champignons, toutes ces maladies qui viennent s’attaquer au vivant (Figure 3). Le biostimulant se positionne sur la partie stress abiotique,
alors que le biocontrôle se positionne sur la partie pathogène ; il ne sera donc plus question de cette dernière dans la suite du chapitre. Une remarque à ce niveau : la plante ne se déplace pas et la nourriture devra « arriver » à elle. Il va donc falloir que les moyens de protection sachent s’orienter vers la plante. La réponse de la plante à toutes les modifications ou les stress se fait par des mécanismes physiologiques. Plus précisément, elle met en place des mécanismes chimiques et biochimiques pour pouvoir survivre.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Figure 2
Figure 3 Les 2 types de stress du vivant et leurs causes.
73
Chimie et agriculture durable
1.2 Définir les biostimulants D’après sa définition rigoureuse, un biostimulant est un produit qui stimule les processus de nutrition des végétaux, à l’exclusion des éléments nutritifs : si j’apporte de l’azote à une plante, elle va grandir, donc l’azote stimule la plante. Mais l’azote étant un élément nutritif, il ne peut pas être qualifié de biostimulant. Le biostimulant est explicitement associé à la physiologie végétale, aux mécanismes cellulaires. Cela va permettre aussi d’améliorer quatre caractéristiques des végétaux, ou de la rhizosphère : soit des tolérances à des stress abiotiques que je viens de vous citer (température, chaleur, froid, salinité), soit des caractéristiques qualitatives (en mettant tel produit j’arrive à avoir un meilleur taux de sucre, une meilleure fermeté, j’arrive à mieux exprimer
le potentiel génétique), soit deux types d’efficacité : d’abord une meilleure utilisation des éléments nutritifs (la plante va mieux prendre l’élément nutritif, mieux le métaboliser et mieux utiliser son énergie) soit elle va favoriser une meilleure disponibilité des éléments nutritifs (construire et exploiter le potentiel du sol) (Figure 4). Autour de cette définition, et à l’échelle européenne, nous avons aujourd’hui quatre types de produits qui peuvent rentrer dans ces catégories-là : − ce qui est extrait de plante ou d’algue, − ce qui est micro-organismes vivants, − les acides humiques ou fulviques ou alors, − quelques sels inorganiques, par exemple la silice. Ce sont les matières utilisées qui définissent la qualification de biostimulant au niveau réglementaire.
Figure 4 74
Définition d’un biostimulant et son action d’amélioration sur les quatre caractéristiques principales des plantes et de leur rhizosphère.
Figure 5 1.3 Description du sol
Composition et déroulement de la nutrition d’une plante.
Composition et origine des éléments nutritifs La Figure 5, résume comment et de quoi se nourrit une plante et comment elle va pouvoir, à partir de quelques éléments, faire toute sa croissance et générer l’ensemble du rendement et de la production. Le sol est un « milieu complexe », un assemblage d’une quantité de composants. Il associe des matières minérales, des argiles, des sables et des limons, et de la matière organique. Il joue le rôle majeur pour la vie de la plante, dont les racines lui apportent des éléments minéraux indispensables. La plante prend dans le sol des nitrates, des phosphates, du potassium et tous les autres oligo-éléments, mais elle les prend sous forme minérale. Dans un système agricole, on extrait, via les produits, les éléments constitutifs du sol qui ont servi d’éléments nutritifs ; il faudra ensuite les reconstituer. Ces éléments nutritifs proviennent d’une nutrition minérale, ou encore d’une fertilisation organique ou des résidus de culture. La matière organique du sol va constituer la source de nutrition pour les plantes et on peut
ainsi s’adapter à la fourniture de minéralité, d’éléments minéraux. Tout ceci nous fait entrer dans les processus du vivant : les échanges dans les écosystèmes où les microorganismes du sol minéralisent la matière organique pour donner les éléments nutritifs à la plante.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Il existe tout un dossier d’homologation à respecter qui comporte une évaluation de l’efficacité et de la toxicité, pour autoriser la mise sur le marché. Quoique plus léger que l’équivalent pour les phytosanitaires, le processus d’homologation nécessite beaucoup de rigueur.
Améliorer la disponibilité des éléments nutritifs par biostimulation Pour comprendre et mettre en œuvre la biostimulation, il faut examiner la disponibilité des éléments nutritifs qui sont confinés dans le sol ou dans la rhizosphère (Encart). Le but va
LA RHIZOSPHÈRE La rhizosphère, c’est l’espace qu’il y a autour des racines : il y a la racine, le sol et entre les deux une interface. C’est dans cet espace que se passe tout le schéma nutritionnel, c’est là que la plante va se nourrir. On a pu faire une analogie entre la nutrition humaine et la nutrition des plantes. On regarde alors, la racine de façon très vulgarisée comme un tube digestif « externalisé et retourné ». On peut décrire la rhizosphère comme abritant les micro-organismes mais autour de la racine et non pas à l’intérieur d’un tube digestif.
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Chimie et agriculture durable
être d’activer les flores du sol, de savoir comment dynamiser la vie rhizosphérique. Pour améliorer la disponibilité des éléments nutritifs, on a deux voies : soit améliorer la flore tellurique1 du sol, soit créer les conditions d’une mise à disposition des éléments nutritifs plus rapide (Figure 6). Sur le schéma de la Figure 7, dans sa partie droite, on se 1. Qui provient de la Terre.
Figure 6 Les deux façons d’améliorer la disponibilité des éléments nutritifs par biostimulation.
Figure 7 76
Utilisation de biostimulants pour améliorer la disponibilité des éléments nutritifs.
demande d’où vont venir les matières organiques qui vont dynamiser les micro-organismes, pour qu’ils produisent les enzymes extracellulaires. Ces enzymes permettront soit de mettre à disposition les éléments du sol, soit (voir plus loin dans ce chapitre) en association avec certains micro-organismes, d’impacter la croissance de la plante et de la stimuler. Processus du sol participant à la nutrition de la plante La construction d’un sol s’appelle la pédogenèse2. Ce processus physico-chimique de désagrégation des rochesmères et de mélange avec de la matière organique prend des centaines d’années. Les matières organiques issues d’un système extérieur vont soit avoir un effet sur la physicochimie du sol (structuration de la porosité), soit apporter une alimentation au niveau des processus biologiques. C’est ce qui distingue minéralisation3 primaire ou secondaire (Figure 8). Les apports de matière organique vont nourrir la plante via les microorganismes, ou s’intégrer dans un cycle un peu plus long de formation du sol – parties humus 4 et complexe argilohumique5. 2. Ensemble des processus qui aboutissent à la formation, la transformation ou la différenciation des sols. 3. Décomposition de la partie organique d’une matière du sol qui contient également une partie minérale. 4. Partie supérieure du sol. 5. Complexe adsorbant qui a la propriété de retenir des cations présents dans le sol par des inter actions électrostatiques.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Figure 8 Les processus de nutrition du sol.
Les fonctions du sol Les fonctions du sol sont d’abord des fonctions de régulation : il régule le cycle de l’eau, les cycles des nutriments, tout ce qui est pouvoir tampon, c’est aussi un puits de carbone – un aspect qui mérite un commentaire particulier. L’intérêt d’un puits de carbone n’est pas simplement de constituer un stockage de carbone, comme on l’entend dans les discussions sur le cycle du carbone et ses effets sur l’environnement. C’est aussi de sécuriser l’alimentation du sol car celui-ci assume des fonctions de production et constituer un habitat pour les micro-organismes.
Figure 9 Les trois fonctions principales de sol.
La Figure 9 résume les principales fonctions des sols. La structure et la composition du sol Il faut aussi comprendre la structuration des sols, résumée sur la Figure 10, pour pouvoir le stimuler et en tirer la quintessence. La structuration fait apparaître des agrégats de
Figure 10 Structure du sol.
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Chimie et agriculture durable
tailles variées dont une proportion de 1 et 5 % de matière organique, dont 1 à 5 % d’organismes vivants. Plus on descend dans les échelles de dimension – vers les micro-agrégats – plus on identifie des micro-organismes de petites tailles. La totalité des organismes est importante ; pour donner un ordre de grandeur, rappelons que sur un hectare et à peu près 20 cm de profondeur, on va avoir entre 1 500 et 5 000 kg de bactéries, 3 500 à 5 000 kg de champignons (Figure 11). Ceci conduit tout de suite à la notion de diversité.
1.4 L’importance du sol Les paramètres à considérer L’étude de la vie et de la stimulation du sol, amène à considérer énormément de paramètres (Figure 12) et à ne pas se contenter de quantités moyennes, en se disant « je vais mettre du carbone et cela va stimuler » ou « je vais mettre des micro-organismes et tout va bien fonctionner ». Il faut maîtriser les conditions de température, de pH, de matière organique – est-ce que le sol est bien aéré ? pas aéré ? etc. Par exemple, on s’est rendu compte que selon les paramètres du sol, le cuivre pouvait être une bonne substance de biocontrôle, ou à l’inverse, une substance de blocage. La figure résume la situation selon les compartiments du milieu. Les compartiments extérieurs sont assez bien connus. En revanche, les questions de pH ou de matière organique restent trop mal caractérisées.
Figure 11 Composition de la flore du sol.
Figure 12 78
Paramètres à considérer affectant le sol.
Exemple d’implantation de population dans des sols différents Les travaux de la recherche actuelle sont capables de mettre directement en évidence l’effet des modifications volontairement apportées aux sols, grâce à l’analyse des populations (en général bactéries ou champignons) et de leur adaptation à des conditions modifiées. La Figure 13 schématise une expérience conduite par C. Alabouvette de l’INRAE – Dijon. D’un sol argilo-calcaire à pH égal à 8, il a prélevé la population organique (bactéries et champignons), puis il
Résultat de l’expérience de Claude Alabouvette.
a stérilisé ce sol. Il a ensuite réinjecté la population organique d’une part dans le même sol d’autre part dans un sol sableux tout différent. Les mesures montrent que les populations se répartissent de façons toutes différentes selon le sol d’accueil. Ce qui veut vraiment dire que le contexte – le pH et la texture, etc. – est très important dans la gestion des micro-organismes du sol. D’autres travaux, notamment ceux des réseaux de mesures de la qualité des sols en France, redémontrent la même chose.
ensuite que les populations ne bougent pas du tout de la même façon, ce qui vérifie qu’on est bien capable d’alimenter et de stimuler la vie des sols par des matières organiques ciblées.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Figure 13
En fonction de ce que nous allons vouloir pour l’agriculture demain, nous allons pouvoir aller chercher la matière organique adaptée – soit par
Exemple d’apport de matières différentes à un même sol Nous avons conduit en interne (Figure 14) un autre essai dans le même esprit. On part d’un sol (pH plutôt basique à 7,9, un taux de matière organique de 2,4 % avec une flore caractérisée. On vient agir sur ce sol d’une part avec une matière classique et d’autre part avec un mélange ad hoc fait pour dynamiser. On vérifie bien
Figure 14 Résultats de l’expérience menée chez Frayssinet.
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Chimie et agriculture durable
exemple activer la biomasse6 microbienne, soit plutôt les biomasses fongiques. C’est la démonstration de la puissance de la biostimulation. Faune et flore du sol L’acquis peut-être principal de ces travaux, au-delà de leurs effets pratiques, c’est de bien montrer le fonctionnement des plantes, qu’une plante injecte dans le sol de la matière active – entre 17 et 40 % des matières carbonées qu’elle prélève dans l’atmosphère parce qu’elle fixe le CO2 de l’atmosphère. Ces matières vont être remises au niveau de la rhizosphère et constituer un milieu de culture pour les flores du sol. Ainsi, la plante oriente toute la macrofaune7 et toute la flore du sol (Figure 15). 6. Matière organique d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique utilisable comme source d’énergie. 7. Désigne les animaux dont la taille s’échelonne entre 4 et 80 mm, suffisamment grands pour être facilement distingué à l’œil nu.
Figure 15 80
Relations et échanges dans le sol.
2
La plante et le sol
2.1. Le métabolisme de la plante La plante dans son environnement On oublie souvent qu’en agriculture, la plante photo-synthétise et fabrique des sucres et qu’un tiers de ces sucres est renvoyé au sol. On peut se poser la question : pourquoi la plante envoie-t-elle un d’une énergie qu’elle est allée prendre au soleil, pour la déposer au niveau du sol ? Une des raisons est que pour l’agriculture, il est très important d’avoir des sols vivants. Sur l’iceberg de la Figure 16, on voit la plante dans son habitat avec des parties racinaires souvent plus conséquentes que les parties extérieures. Très longtemps, on a oublié qu’une plante vivait avec les pieds dans le sol. On a construit des substrats qui aujourd’hui réalisent des produits standardisés et sans personnalité : cela vient justement de ce manque d’environnement. La plante n’était pas faite pour ça initialement : la génétique a aussi fait des modifications, mais l’environnement aussi. Dans le sol, la plante est soumise à différents stress. A priori, l’environnement de la plante lui est plutôt hostile parce qu’une graine n’a pas choisi son environnement : on la met à un endroit et elle doit s’y développer. Elle a heureusement une puissance d’adaptation et d’évolution qui dépasse celles des organismes. Elle a une chimie intérieure qui est vraiment exceptionnelle ;
Et il y a trois principaux stress connus. D’abord le stress nutritionnel, où la priorité est d’aller se nourrir, car elle ne peut pas se nourrir que du carbone de l’atmosphère, il faut qu’elle aille chercher tous les autres éléments via ses pieds, ses racines. Deuxième stress, le stress biologique, l’interaction avec les microorganismes et macro-organismes dans l’environnement. Aujourd’hui, on a tendance à dire que les micro-organismes sont très bénéfiques. Des micro-organismes dont les virus font partie et je pense qu’après la Covid-19, on a bien compris que tous les microorganismes ne sont pas bénéfiques ! Elle est aussi soumise au stress abiotique : réchauffement climatique, stress hydrique etc. C’est aussi pour la plante un vrai défi de s’adapter continuellement à un environnement, puisqu’elle peut prendre 15 jours de sécheresse suivis de 15 jours d’inondations, et souvent, y survivre ! Métabolites primaires et secondaires Comment la plante est-elle capable de résister à ces stress ? Comme tout organisme, elle a des métabolites8 primaires et des métabolites secondaires (Figure 17) et une chimie extraordinaire. 8. Composé organique issu du métabolisme.
Figure 16 L’interface sol-plante et les trois types de stress.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
la pharmacopée et tous nos médicaments qui en découlent montrent bien la puissance métabolique d’une plante. Cette chimie interne lui permet sa puissance d’adaptation – en grande partie grâce à ses racines fonctionnelles.
Figure 17 Les métabolites primaires et secondaires de la plante.
À la différence des organismes hétérotrophes 9 que nous sommes, les végétaux sont capables de prendre le carbone de l’atmosphère et, avec l’énergie solaire, de le transformer en sucre : c’est véritablement le premier 9. Organisme incapable de synthétiser lui-même ses composants et qui recourt donc à des sources de matières organiques exogènes.
81
Chimie et agriculture durable
pas vers l’autotrophie10, donc l’indépendance énergétique. Ses métabolites primaires, ce sont les sucres, les lipides, les acides aminés, exactement comme nous, sauf que nous, nous nous les procurons par l’alimentation et elle, tous ces sucres, elle se les procure par l’atmosphère. Ce sont les métabolites primaires tout simplement parce qu’ils constituent la brique de base pour par la suite, synthétiser les molécules beaucoup plus complexes que sont les hormones végétales. On appelle cela des phytohormones, qui sont un pendant aux hormones humaines. Ce sont vraiment des molécules de croissance, de développement, donc de régulation à tout moment de sa vie et de son cycle (pour la reproduction, pour faire des racines) : tout est canalisé par les hormones végétales. Elle a aussi, et c’est là où l’on puise d’ailleurs quasiment 10. Capacité à produire de la matière organique à partir de la réduction de matière inorganique et d’une source d’énergie externe.
Figure 18 82
Les métabolites et phytohormones de la plante.
tous nos médicaments, les métabolites secondaires. Les métabolites secondaires sont des composés azotés (des alcaloïdes), des composés phénoliques, qui sont de grandes familles (il faut imaginer le nombre de déclinaisons possibles de familles chimiques) et les terpènes. Ce sont les trois grandes classes des molécules qu’il y a dans les métabolites secondaires. Et ces métabolites secondaires sont vraiment les médiateurs chimiques pour l’interaction de la plante avec son environnement et mais aussi pour se défendre. Les phytohormones Quand on fait de la physiologie végétale, on voit toujours essentiellement la partie aérienne. Depuis un certain temps maintenant, on s’intéresse à la partie souterraine, bien qu’elle soit très compliquée, En considérant aussi les phytohormones, on s’aperçoit que l’on peut classer leurs composés moléculaires (Figure 18). Dans les phytohormones, il y a les auxines, les cytokinines, les acides gibbérelliques et l’éthylène qui sont les grandes classes de phytohormones qui permettent la croissance et le développement, donc tout ce qu’on appelle les stades phénologiques11 pour les plantes. Vous avez après tout ce qu’on appelle les hormones dites « de stress » qui vont donner des signaux à la plante : c’est l’acide abscissique, l’acide jasmonique et l’acide 11. Enjeux, relatif à la phénologie, étude de l’influence des variations climatiques saisonnières sur les animaux et les végétaux.
pour cela qu’elle a une coiffe, avec du mucilage12. Cette coiffe est là pour prendre tout ce qui est problématique physique également. Ce sont des cellules exfoliées (c’est fait exprès, il n’y a pas de soucis : elle les perd) et il y a aussi du mucilage, des petits sucres (Figure 20). Pour faire ça, à ce niveau-là de la racine, ce sont des métabolites 12. Substance végétale qui gonfle au contact de l’eau en prenant une consistance visqueuse, parfois collante, qui protège aussi les racines de certaines espèces végétales.
2.2 Description de la rhizosphère Organisation fonctionnelle de la racine L’organisation fonctionnelle des racines est très précise. En effet, la racine c’est : un, l’ancrage pour qu’elles tiennent debout et résistent à pas mal de choses dans son environnement, et deux, le chemin par lequel elle est capable d’acquérir son autonomie nutritionnelle, puiser tous les éléments dont elle a besoin dans la solution du sol. Les fonctions dépendent du fragment de la racine que l’on étudie. On sait, par exemple, que tout ce qui va être la coiffe, en bas, a une fonction précise. Vous avez une zone intermédiaire, c’est la zone transitoire qui, elle, a une autre fonction et vous avez les poils absorbants, dont on parle souvent pour la nutrition, qui ont également une autre fonction. Nous allons donc essayer de les voir ensemble (Figure 19). La coiffe est le morceau, l’extrémité pure de la racine, celle qui pénètre le sol. Donc elle a une force impressionnante et c’est
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
salicylique (je ne rentrerai pas dans les détails car il s’agit là plutôt de la stimulation des défenses de la plante). Et vous avez des classes d’hormones assez récentes (il faut imaginer qu’elles ont été identifiées dans les années 70, par rapport aux autres plus précoces de plusieurs décennies) : ce sont les Strigolactones et les Brassinostéroïdes. Ces classes d’hormones sont, en tout cas les Strigolactones, purement synthétisées et émises par les racines, ce que l’on a mis beaucoup de temps à découvrir.
Figure 19 Organisation fonctionnelle de la racine.
Figure 20 Focalisation sur l’extrémité de la racine.
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Chimie et agriculture durable
primaires et de simples mécanismes de diffusion. Imaginez : vous mettez des petits sucres dans l’environnement, des petites protéines ou peptides et des petits acides nucléiques : c’est ce que nous allons appeler le phénomène de rhizosphèrepriming. Ce processus va faire démarrer la vie tellurique pour les micro-organismes qui eux, n’ont pas accès au carbone sauf celui qu’on leur apporte. Là, la plante va donner du carbone, des acides aminés, des choses toutes prêtes pour ces organismes du sol. Si vraiment elle arrive dans un système plus compliqué, elle a cette capacité d’exsuder en produisant des photosynthétats13 mais de façon active. C’est un coût énergétique et métabolique pour elle, je dirais que c’est en cas de besoin nutritionnel. La plante peut déposer encore plus de photosynthétats donc de carbone, via ces métabolites primaires (c’est la zone de transition qui fait ça) (Figure 21). Cette opération a 13. Partie de la sève transportée dans les tiges des plantes vasculaires.
Figure 21 84
Focalisation sur la partie intermédiaire de la racine.
un coût métabolique qui fait souvent que la racine s’arrête de grandir à ce moment-là, car elle détourne son métabolisme pour cette sécrétion complémentaire. Dialogue moléculaire et échanges Les réactions que nous venons de décrire sont un moyen pour la plante de se faire connaître de son milieu de départ perturbé par son implantation et sa croissance, de donner du carbone et en retour, de recevoir d’autres nutriments des micro-organismes qui s’approchent de la racine, en particulier de s’approvisionner en azote et en phosphore (Figure 22). Ces exsudats14 racinaires – ces rhizodépôts – sont la première brique du cycle des nutriments. Il faut ensuite que la plante puisse discriminer les bons parmi les micro-organismes qui l’entourent. Cette capacité est dévolue aux métabolites secondaires, notamment les composés phénoliques, composés azotés et terpènes, avec lesquels s’engage un dialogue moléculaire. On connaît de mieux en mieux les médiateurs chimiques au niveau aérien ; au niveau souterrain, on commence à bien les décrire. Nous allons voir quelques exemples du rôle des métabolites secondaires. Mais tout a un vrai coût métabolique : la plante détourne son métabolisme primaire pour faire des métabolites secondaires ; de plus, elle induit un transport actif de ces molécules dans son environnement (Figure 23). 14. Liquide suintant d’un végétal.
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Figure 22 Cycle des nutriments de la racine.
Figure 23 Transport actif au niveau de la racine.
Ces processus sont au cœur de la physiologie végétale. Dans les interactions rhizosphériques, la plante donne et en retour, elle attend quelque chose au niveau nutrition. Tout cela se fait par des dialogues moléculaires ; il y a une vraie interaction d’échange entre la racine et chaque microorganisme qui est capable d’interagir via des molécules bien spécialisées (Figure 24). Voici deux exemples avec les symbioses.
Figure 24 Les interactions rhizosphériques dans la racine.
85
Chimie et agriculture durable
2.3 Les symbioses On utilise l’expression « stress nutritionnel » car la plante n’y réagit que si elle a besoin. Quand apparaît ce que l’on appelle la dépression nutritionnelle autour des racines, par suite d’un gros prélèvement de la plante, il faut aller puiser plus loin. Pour cet objectif, la plante va envoyer un signal dans l’environnement au niveau de la racine et des poils absorbants. Cas des rhizobiums légumineuses Dans le cas de rhizobiums15 légumineuses (Figure 25), on parle des nodosités16 sur les légumineuses. La plante envoie des flavonoïdes qui ne sont pas directement reconnus mais via la présence de rhizobiums dans l’environnement rhizosphérique, ils 15. Bactéries aérobies du sol, qui peuvent créer des symbioses avec les légumineuses. 16. Tubercule développé sur les racines légumineuses sous l’action de bactéries, qui participent à la fixation de l’azote.
Figure 25 86
Cas du rhizobium.
activent certains des gènes de la plante. Ce mécanisme est orienté pour produire ce qu’on appelle des lipo-chitooligosaccharides, molécules qui vont être reconnues par le poil absorbant et former un organite commun mutualiste où la bactérie va apporter l’azote via la captation de l’azote (parce que ce sont des diazotrophes17) et la plante l’échanger contre du carbone. Il s’agit d’un échange nutritionnel entre la plante et la bactérie. Cas des mycorhizes Un second exemple est celui des mycorhizes18 (Figure 26), dont le genre le plus représentatif en agriculture sur des inoculants des microbiens, est le genre glomus. Exactement comme pour les bactéries, il y a un signal dans l’environnement : ce sont les Strigolactones, la 17. Micro-organismes libres et capables de fixer l’azote tout en vivant en milieu naturel. 18. Résultat de l’association symbiotique entre des champignons et les racines des plantes.
Cas des mycorhizes.
phytohormone bien spécifique, qui est synthétisée, exsudée, et que le champignon reconnaît. Là, tout un dialogue moléculaire se passe entre la racine et le champignon dans le détail duquel nous n’entrerons pas ; en revanche, une chose est sûre, c’est que la plante a besoin de cette signature chimique, encore de lipochitooligosaccharides, pour permettre l’association mycorhizienne.
parle de stress hydrique, il est vrai que des plantes mycorhizées sont moins soumises à un stress hydrique que des plantes non mycorhizées, mais de la même façon que pour la nutrition, la plante ne déclenche le mécanisme que si elle en a besoin.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Figure 26
Les symbioses sont un exemple, mais il ne s’agit que d’une infime partie de la communication chimique permise par les racines.
Tous ces métabolites ne sont pas là par hasard, mais prêts pour un vrai dialogue qui se fait de façon chimique. Le gros avantage des mycorhizes, quand la plante l’autorise, c’est que ça va beaucoup plus loin : ce sont des kilomètres de mycélium19. Là, on va vraiment être capable d’aller chercher beaucoup plus d’éléments – notamment le phosphore, l’azote, mais également l’eau (Figure 27) – beaucoup plus loin de la racine. Quand on 19. Ensemble de filaments plus ou moins ramifiés formant la partie végétative d’un champignon.
Figure 27 La symbiose mycorhizienne et les éléments du sol entrant en jeu.
87
Chimie et agriculture durable
3
Communication souterraine
Sur le schéma de la Figure 28, je veux montrer qu’il y a un vrai système d’échange de molécules. On peut imaginer le réseau de molécules, comme comportant des composés organiques volatils comme le sont des phéromones ou des kairomones20. Mais la même 20. Substance volatile ou mobile libérée dans l’environnement, qui déclenche une réponse comportementale chez une autre espèce.
chose existe au niveau souterrain : les organismes, au niveau du sol, se parlent aussi avec des composés organiques volatils. Ils se parlent également avec les miRNA21, donc les ARN messagers (des acides nucléiques), et tout cela pour un partage de nutriments. Il faut imaginer que tout le monde discute ensemble et s’entend pour se nourrir. C’est un habitat, une niche écologique, le sol.
4
Les biostimulants
4.1 Catégories de biostimulants
Figure 28 Schéma des acteurs des échanges souterrains.
Aujourd’hui, en agriculture, il existe déjà des biostimulants commercialisés (Figure 29). Parmi les biostimulants, on compte tout ce qui est éléments nutritifs et tolérance au stress abiotique, mais pour des raisons réglementaires, on ne peut pas leur adjoindre les éléments qui touchent au stress biotique, domaine du biocontrôle. 4.2 Les symbioses On vient de voir l’intérêt des symbioses comme stratégie de stimulation et beaucoup d’inoculants microbiens à bases d’organismes synthétiques sont commercialisés en agriculture. Il s’agit de biostimulants à action directe : on applique des micro-organismes en espérant avoir un effet bénéfique (Figure 30) et celui-ci dépend de l’état du récepteur.
Figure 29 88
Les produits biostimulants et leurs actions sur les plantes.
21. Micro-ARN, catégorie de petits ARN.
L’identification des substances actives est du domaine de la recherche. Aujourd’hui, des entreprises sont à la recherche, justement, de familles chimiques de lipo-chitooligosaccharides (Figure 32). L’idée est qu’en mettant cette substance active dans l’environnement, au niveau agricole, il y a une efficacité meilleure que celle de l’organisme vivant tout simplement. Leur simple présence donnerait la signalétique aux organismes qui sont à proximité et capables de faire des symbioses, de s’associer aux plantes. Cette approche prometteuse est encore en recherche même si les premiers produits, en tout cas aux États-Unis, sont déjà commercialisés.
Figure 30 Les stratégies de stimulation.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Aujourd’hui, la stimulation va plus loin. Ce sont vraiment des interrupteurs moléculaires que l’on va aller chercher et c’est là tout l’intérêt de la biostimulation (Figure 31). C’est une réflexion plutôt sur les substances actives, donc chimiques. Cela est illustré par le rôle, au niveau des symbioses, de ce fameux lipo-chitooligosaccharide qui lève le système de protection des plantes.
Figure 31 Principe des symbioses.
4.3 La rhizogenèse Une autre voie est celle de la rhizogenèse (Figure 33). On sait que la plante se nourrit par ses racines : assez classiquement, si l’on veut mieux la nourrir, on augmente son potentiel racinaire en jouant sur le ratio d’hormones : les auxines et les cytokinines. En simplifiant, nous dirons que c’est l’auxine la phytohormone qui induit la stimulation de croissance racinaire.
Figure 32 Action des lipo-chitooligosaccharides dans le processus de symbiose.
89
Chimie et agriculture durable
Figure 33 La rhizogenèse, une autre stratégie de stimulation.
4.4 Exemple de l’OSYR De la même façon, à l’instar des biostimulants vivants, on peut aussi appliquer de l’auxine comme on le fait déjà des hormones de croissance. L’auxine, pour des raisons réglementaires ne peut pas être qualifiée de biostimulant mais des extraits de plantes ou d’algues qui sont commercialisés pour leur forte teneur en auxines le sont. Il y a aussi
la possibilité de jouer sur l’interrupteur moléculaire de la physiologie et stimuler de façon interne le flux d’auxine. C’est ce que réalise la substance active OSYR (Figure 34), qui il y a plus de vingt ans, a été travaillée à l’université de Montpellier, et dont Frayssinet possède la propriété industrielle. En fait, ce sont tout simplement des matières lignocellulosiques 22 qui ont été sélectionnées, de petites molécules capables de pénétrer dans les racines et d’agir à l’intérieur et d’influencer le flux d’auxine. D’un autre côté, nous avons les acides humiques et fulviques qui eux, sont des biostimulants mais qui vont plutôt cibler le sol. Comment savoir que l’on active vraiment la partie plante, la croissance racinaire ? Par la comparaison des différentes conditions expérimentales : celles des essais au laboratoire, par exemple où il y a
Figure 34 90
Principe de l’OSYR.
22. Matières très présentes dans la paroi des cellules des végétaux, du bois et de la paille.
Figure 35 Résultats expérimentaux de l’effet OSYR en laboratoire et sur le terrain.
Enfin le départ pour la stimulation des sols ! Chez Frayssinet comme maintenant dans beaucoup d’installations, nombreux sont ceux qui commencent à croire à la biostimulation. C’est une discipline compliquée à maîtriser parce que les systèmes à étudier se trouvent sous terre. Même dans les projets de recherche, le problème est de pouvoir étudier les racines dans leur vrai contexte environnemental, avec des vrais sols, puisqu’il faut être soumis au terrain pour avoir une vraie efficacité. L’objectif, c’est de sortir des produits qui soient efficaces sur le terrain, pas seulement en laboratoire, c’est aussi d’être capable d’avoir une idée de la texture, qui va jouer sur l’efficacité de ces produits, du pH du sol et aussi de son microbiote (Figure 36). Il faut donc expérimenter avec des organismes vivants… d’où la complexité. Mais de plus en plus de biostimulants qualifiés sont identifiés et ce sont ceux qui vont être qualifiés au-delà de l’identification chimique qui auront certainement la meilleure efficacité. Malheureusement, le discours sur ce sujet est – comme souvent pour toute chose qui commence – trop léger sur ses bases scienti-
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
effectivement beaucoup plus de racines, mais surtout celles des champs. On n’y ajoute pas d’auxine, elle ne peut donc pas être dégradée par les microorganismes, la plante doit directement gérer son flux d’auxine au niveau des racines et à l’instant adéquat ; les photos parlent d’elles-mêmes (Figure 35).
91
Chimie et agriculture durable
Figure 36 Paramètres et concepts liés à l’étude biostimulation. Aujourd’hui, après des décennies de recherche – en particulier à la faculté de Montpellier qui a été précurseur - on commence à parler concrètement des biostimulants.
fiques. Le crédit scientifique – aussi en direction des agriculteurs – manque et c’est un gros frein au développement des applications. Quand il s’agit du biocontrôle avec des substances éprouvées et qui ont une efficacité vérifiée, il est déjà difficile de diffuser l’information dans la confiance. Aussi les efforts de communication vers les biostimulants, question moins connue, doivent-ils s’intensifier. Certes, les biostimulants sont soumis à des AMM23, ce qui va dans le sens de la confiance, mais cela ne suffit pas. Quel dommage car les biostimulants sont des leviers ultra-puissants, capables de perturber complètement une plante, donc d’accéder à des rendements (Figure 37) très performants… Un mot supplémentaire sur les programmes de recherche pour le domaine : notre connaissance actuelle montre qu’il est nécessaire de les développer conjointement avec la génétique car les phénomènes impliqués sont totalement génétiquement dépendants. C’est vrai92
23. Autorisation de Mise sur le Marché.
Périmètres d’action des biostimulants et du biocontrôle.
ment cette approche holistique : biocontrôle, biostimulants, fertilisants, protection phytosanitaire qui fera un système agricole demain fiable, rentable, productif et sain. Notre conclusion sera donc optimiste. Les résultats des recherches en cours ne cessent d’apporter de nouveaux arguments en faveur de la stimulation du sol et la réputation de la biostimulation finira par s’imposer.
Biostimuler l’interface sol-plante pour l’amélioration des productions végétales
Figure 37
93
médiateurs
chimiques dans le contrôle des la
insectes
et
protection
des
cultures
Olivier Guerret est directeur de l’innovation et du marketing chez M2I. Il va expliquer, dans cette entreprise, sur quoi repose le processus d’innovation dans la recherche des techniques de biocontrôle utilisant les phéromones.
1
M2I engagé pour l’innovation et la recherche des phéromones 1.1 2012-2021 : de la création à l’homologation La Tuta absoluta, parasite originaire d’Amérique du Sud mais maintenant répandu en Europe, attaque les cultures de tomates ou autres solanacées. M2I a développé un produit basé sur les phéromones que l’entreprise synthétise pour lutter contre ces populations par confusion sexuelle. Ce produit qui vient juste d’être
homologué en biocontrôle1 va servir de fil conducteur au présent chapitre. C’est un produit utilisé pour lutter contre la mineuse de la tomate, et c’est un véritable concentré d’innovation. Le groupe M2I qui porte ce nouveau produit a été fondé en 2012, tout récemment (Figure 1). À l’époque, on ne parlait pas de biocontrôle puisque le tout chimique était privilégié… et les choses ont beaucoup changé. Le groupe M2I a été créé à Lacq, dans un centre de recherche proche de 1. Ensemble de méthodes de protection des végétaux basé sur l’utilisation de mécanismes naturels.
Olivier Guerret
Utilisation de
Chimie et agriculture durable
– Extension du site de Pamac – Filiales M2i Chili & M2i Argentine – AMM Cydia, Lobesia, Grapholita – Tuto Absoluta… – 1ers essais Am. du Nord – AMM Buis in France – Cleantech and Smart Agri Food Awards – Le Biocontrôle représente 50 % du CA
Création à Lacq du Groupe
Acquisition de l’usine GMP de chimie fine de Salin
– 2e levée de fonds – Prix Entreprise & environnement de l’UE – 1er succès commercial en Retail
Dépôts des premiers brevets Biocontrôle (Encapsulation et Paint ball)
2016 2012
2014
2015 – 1re AMM de confusion PPM – Installation à Pamac – 1ers essais hors Europe
2020
2019 2018
2017
2021
– AMM JEVI en Europe – 1re AMM CS Vigne au Chili – Distribution gamme Retail dans 7 pays – Lancement de l’unité de formulation à Lacq – Dépôt de 4 demandes d’AMM européennes
– 3e levée de fonds Agrément Certiphyto de la société – Dépôt des 1ers dossiers AMM Agro – Autorisation pour du mass trapping en France : une première en Europe – 1ers essais CS en Chine
– 1re levée de fonds – Nouveau centre de recherche à Lacq
Figure 1 Histoire de M2I depuis sa création en 2012.
Pau. En 2013, il a acquis une société de production de produits pharmaceutiques qui est devenue la société de production de phéromones2 du groupe. Les phéromones sont des phytopharmaceutiques3 et leur fabrication est soumise aux mêmes contraintes que celles appliquées aux produits pharmaceutiques, bien qu’elles ne fassent que reproduire exactement les molécules sécrétées par les insectes. Il faut ainsi leur définir un profil d’impureté4 particulier, un taux de pureté et un procédé déclarés aux agences réglementaires donc contrôlés régulièrement. C’est une situation tout à fait
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2. Molécules chimiques émises par un individu et qui induisent un comportement particulier chez un autre individu de la même espèce, notamment sur le comportement sexuel. 3. Préparations destinées à protéger les végétaux et les produits de culture. 4. Description des impuretés connue et inconnue qui sont présentes dans une nouvelle substance médicamenteuse.
analogue à celle qui prévaut pour les médicaments, bien qu’il s’agisse in fine de produits de biocontrôle. C’est en 2013 les opérations dans ce secteur des phéromones ont commencé, mais ce n’est qu’en 2018, qu’a été obtenue la première autorisation de mise sur le marché – et encore notre produit n’était-il pas identifié « agricole » mais « produit pour jardin », excluant tout risque pour l’agriculture. Ce n’est qu’en 2021, que viendra la première homologation en tant que produit utilisable en agriculture. Nous avons obtenu d’un coup quatre homologations : un produit sur la vigne, un produit sur les noyers, un autre sur les pêchers et enfin un autre sur la tomate, qui vient tout juste de sortir. 1.2 Un processus de mise sur le marché compliqué Cette échelle de temps illustre que le processus de mise sur le marché d’un nouveau produit est très long quoique pas
Les compétences de l’entreprise vont de la chimie de synthèse pour synthétiser des phéromones à l’analyse pour garantir leur degré de pureté, aux physico-chimistes qui mettent au point les formulations et d’autres qui étudient la stabilité des produits. Les équipes travaillent ensuite avec des agronomes et sous l’œil vigilant des entomologistes qui expliquent les cycles de l’insecte et comment bien
Chimie de synthèse (80 % du coût)
positionner les produits par rapport à la logique de l’insecte. Toutes ces compétences constituent une entreprise, animée et coordonnée par la direction (Figure 3). 1.3 Le processus d’innovation des phéromones On peut schématiser le processus d’innovation par le diagramme « des 5 S » présenté Figure 4.
Figure 2 Carte des usines de M2I.
• L’efficacité est primordiale car pour qu’un produit soit vraiment accepté par les utilisateurs, il faut qu’il apporte quelque chose à l’agriculture ; il faut que ça marche. Si ça ne marche pas, les agriculteurs n’achèteront jamais votre produit. • Il doit être simplement utilisable et ne pas demander à l’agriculteur de rester des heures et des heures dans ses champs en plus du temps qu’il y passe déjà. • Il faut que les produits soient faciles à livrer – transportables –, que l’on prenne en compte aussi les coûts que l’on va imposer pour remplacer un
Chimie de formulation (80 % de la valeur)
Physico-chimie des produits finis (incluant packaging et logistique)
Dossier réglementaire en vue d’une AMM
Utilisation de médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes et la protection des cultures
aussi long que pour un produit insecticide traditionnel. Dans notre cas, nous avons cinq à huit ans de développement derrière nous. En premier lieu, il a donc fallu avoir un « siège » qui recherche les financements, et auquel tous les collaborateurs contribuent car l’innovation ne peut être faite que si les financements sont assurés. Nous avons donc une équipe dédiée, basée à Paris. À côté de cela, trois sites opérationnels sont situés à Lacq pour la recherche, à Salin-de-Giraud pour la production de produits phytopharmaceutiques et à Parnac pour le conditionnement (Figure 2).
Essai terrain
Figure 3 Processus d’innovation d’un produit.
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Chimie et agriculture durable
1. Simplement efficace • Survie de l’agriculture 2. Simplement utilisable • Coût du travail maîtrisé 3. Simplement transportable • Stabilité des produits volatiles 4. Simplement fabriqué • Coût du produit fini compatible 5. Sourcing maîtrisé • Accès à la phéromone pure
Figure 4 Principe des 5S du processus d’innovation.
produit insecticide très facile à utiliser aujourd’hui avec les technologies de traitement des cultures vieilles de cinquante ans, par des nouvelles technologies. • Il nous faut aussi penser à la logistique, un domaine qu’il serait mortel de négliger. Les phéromones sont des messages que les insectes utilisent pour communiquer entre eux. Ce sont des molécules qui ont donc vocation à se dégrader très vite sous l’action de la lumière ou de l’oxygène. Et ces produits-là, il faut que nous les fabriquions, que nous les délivrions à l’agriculteur. Il y a entre neuf et vingt-et-un mois de délai entre la date de fabrication et la date de mise en culture par un agriculteur, du fait des problèmes de logistiques. Nous devons passer par au moins quatre ou cinq étapes de distribution entre le fabricant, le concepteur du produit et l’utilisateur final. Cela induit donc des problèmes logistiques importants à maîtriser si l’on veut vendre le produit. • Ensuite, il faut que le produit conçu ne soit pas trop cher à fabriquer mais qu’il apporte une vraie valeur ajoutée. C’est tout l’objectif de la formulation. Le coût vient souvent de la molécule puisque la phéromone elle-même est très complexe ; sa synthèse est donc difficile à maîtriser et la faire avec la bonne pureté, avec un bon profil d’impureté, contribue énormément au coût.
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On dit encore que les phéromones sont réservées aux cultures à hautes valeurs ajoutées. L’ambition, c’est que ce ne soit bientôt plus le cas.
2
Tuta Pro Press, un produit mis au point par M2I 2.1 Une meilleure efficacité du produit Nous présentons ici des tests d’efficacité qui ont été réalisés sur notre produit dans la lutte contre la mineuse de la tomate. Figure 5, chaque case représente 5, 6 ou 7 essais faits dans différentes conditions climatiques, géographiques ou des conditions de pression, de pratiques culturales différentes. En vert, il s’agit d’un produit concurrent, un produit japonais qui est fait de diffuseurs en plastique et en rouge, du produit que nous avons mis au point. Principalement par les étapes de formulation – donc de toute la physico-chimie qu’on a pu mettre en place – nous avons réussi à diminuer la dose de phéromones entre la référence existante et notre produit d’à peu près 50 % pour contrôler l’insecte par confusion sexuelle. Les produits actuels sur le marché utilisent environ 60 grammes de phéromones par hectare de tomates par trimestre et le nôtre deux fois moins (30 grammes). Par ailleurs, notre produit reste performant dans des conditions de très fortes pressions. 2.2 Utilisation de fortes pressions pour favoriser l’éradication des insectes L’insecte parasite s’appelle Tuta Absoluta parce que sur les champs de tomates, il détruit absolument tout (tiges, feuilles, fruits) si l’on n’intervient pas, si l’on ne traite pas. C’est un ravageur
Tests d’efficacité du Tuta Pro Press.
très prolifique dont il faut être capable de contrer les fortes pressions comme nos essais le confirment (Figure 6). Les fortes pressions se sont développées comme conséquence de l’évolution des pratiques agricoles. Ainsi, plus on rend l’agriculture intensive, plus on crée des biotopes5 qui favorisent le développement des maladies et la propagation des insectes ; le développement du transport des marchandises va dans le même sens. Autre facteur explicatif : le développement des cultures sous serres, qui se justifie bien sûr par la lutte contre les problèmes climatiques. Toutefois, il supprime les hivers qui nettoient les parcelles. Toute la saison, les insectes peuvent 5. Lieu de vie défini par des caractéristiques physiques et chimiques déterminées relativement uniformes.
se reproduire, multiplier et croître. Devant cet insecte très prolifique, arrivé massivement en Europe vers les années 2005-2010, la réaction des agriculteurs a été d’utiliser les insecticides disponibles (aujourd’hui il n’y en a plus que quatre mais il y en avait beaucoup plus d’autorisés à l’époque). Des molécules insecticides autorisées, trois
Utilisation de médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes et la protection des cultures
Figure 5
Figure 6 Efficacité des traitements par le Tuta Pro Press, bilan des tests réalisés en 2019 et 2020.
99
Chimie et agriculture durable
sont d’origine chimique et une est fabriquée par fermentation – un procédé de biosynthèse. Ces insecticides fonctionnent selon le paradigme6, « éradiquer le problème, c’est éradiquer la population d’insectes qui envahit la serre ». Mais il faut considérer la génétique des populations et tenir compte de ce que dans la population d’insectes, certains insectes seront plus sensibles à l’insecticide que les autres. En fait, en utilisant un insecticide massivement et de manière très régulière, on va finalement sélectionner ceux qui résistent à cet insecticide et sur lesquels on ne pourra donc plus rien ; le résultat aboutira à ce que l’on en contrôle plus la population. Une des contributions à la recherche d’insecticides de plus en plus toxiques a donc été que c’était le principe même de l’action des insecticides qu’il fallait contourner. Le recours à des techniques de biocontrôle en a été stimulé. 2.3 L’impact des phéromones sur la reproduction des insectes L’utilisation des phéromones et des sémiochimiques7 vise à contourner ce paradigme en s’appuyant sur un phénomène naturel – celui de la reproduction – mais en le détournant. Les phéromones servent aux
100
6. Désigne un modèle cohérent s›appuyant sur une base théorique définie. 7. Substance émise dans l’environnement par un organisme, qui joue le rôle de signal chimique entre individus d’une même espèce ou entre individus d’espèces différentes.
insectes à communiquer entre eux, mais cette fonction de communication dépend directement de la génétique des populations. Deux « individus » soi-disant identiques, diffèrent en fait par des « détails » de leurs génomes ; ils ne sont donc pas identiques pour toutes les fonctions – et en particulier, pas pour la communication. En fait, chaque « individuinsecte » a développé son « vocabulaire », le type de molécule qui lui sert à communiquer et cela est vraiment propre à chaque type d’insectes. Les mineuses de fruits, par exemple, ont toutes des messages de phéromones sexuelles mais chacune répond à des compositions de phéromones très différentes et si j’envoie une molécule dans l’air, il n’y en aura qu’une qui verra la suite. La phéromone de Tuta Absoluta est un mélange précis de deux molécules, un triène8 et un diène9 dans des géométries particulières. Cette phéromone-là sert aux mâles pour retrouver plus facilement les femelles. S’il n’a pas la bonne géométrie de la molécule, l’insecte ne la sent pas, ne peut pas communiquer. Ainsi, sous l’effet de la lumière, les doubles liaisons changent et le message disparaît. On peut mimer le processus d’accouplement par une simple loi de cinétique comme on peut en avoir en chimie ; la vitesse qu’un mâle peut avoir pour trouver une femelle est proportionnelle 8. Molécule contenant trois doubles liaisons carbone-carbone. 9. Molécule contenant deux doubles liaisons carbone-carbone.
Quelques calculs d’ordres de grandeur pour rendre ces considérations plus concrètes. Prenons un produit qui délivre entre 340 mg et 500 mg de phéromones par hectare de serre. Une serre c’est à peu près 30 000 mètres cubes par hectare, ce qui fait 340 mg de phéromones diffusées dans 30 000 mètres cubes de serre. C’est énorme par rapport aux insectes, ce n’est rien par rapport à nous. Nous pouvons détecter des concentrations de l’ordre de 10–7, les insectes des concentrations de 10–14. Mais cette concentration-là, qui est très faible, reste dix mille fois supérieure à celle que va émettre une femelle. Dans ce nuage de phéromones, un mâle ne va pas réussir à retrouver la femelle et la molécule qui la caractérise et c’est pour cela que les pontes sont moins fréquentes. S’il y a moins de pontes, il y a moins de chenilles et donc moins de dégâts. L’efficacité des phéromones est donc bien là, mais elle n’est pas du tout celle des insecticides classiques.
Figure 7 Schéma de la distribution des individus d’une population.
3
Un processus d’innovation en pleine évolution 3.1 Une phéromone stable grâce aux techniques d’encapsulation Nous avons réussi à faire un conditionnement qui permet de n’appliquer le produit qu’une fois par trimestre grâce à une nouvelle technologie d’encapsulation (Figure 8). La serre est préparée au moyen de petits points, 700 points par serre posés à la main au moyen d’une petite bombe rechargeable (Figure 9). Cette pâte qui diffuse la phéromone une fois qu’elle est sèche est fabriquée par un procédé qui consiste à encapsuler la phéromone dans une coquille de
Utilisation de médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes et la protection des cultures
aux concentrations de mâles et de femelles dans le volume, mais cela est corrigé par un catalyseur, qui est en fait la concentration en phéromones. Jouer sur cette concentration peut rendre plus ou moins rapide les retrouvailles entre un mâle et une femelle et, évidemment, c’est cela que nous allons vouloir rendre très rare. En raréfiant ces retrouvailles, il n’y a plus de sélection de l’insecte résistant car nous avons toujours une population statistique d’insectes dans la serre et donc pas de développement de résistance (Figure 7).
Figure 8 Procédé d’encapsulation.
101
Chimie et agriculture durable
polymère 10 amphiphile 11. On a de l’eau, on a un polymère amphiphile qui va structurer l’eau et forcer la phéromone et son environnement à se diviser en toutes petites particules micrométriques ; on obtient donc une phéromone encapsulée dans ses particules et dispersée dans l’eau. L’eau étant très ennemie de la phéromone, tant que l’eau est présente, la phéromone va rester dans les particules. Pour tout ce qui est logistique, transport, du moment qu’on ne voit pas l’oxygène et la lumière, la phéromone va bien rester dans les particules. Le produit 10. Molécule de masse moléculaire élevée constituée d’un enchaînement d’un grand nombre d’unités de répétition. 11. Molécules qui ont une moitié hydrophile et une moitié hydrophobe.
va être stable dans toutes les conditions imaginables. Cette technologie de conditionnement a permis de résoudre le gros problème de la disponibilité des phéromones sur le marché – il fallait maîtriser complètement leurs chaînes logistiques, grâce à de l’eau modifiée par des polymères amphiphiles. Ici, vous avez une photographie microscopique des films de capsules qu’on obtient et qui vont ensuite diffuser la phéromone pendant 90 jours. Le packaging est lui-même une source d’innovation. On s’est inspiré des packagings réalisés pour les compotes (Figure 10) pour développer le packaging de notre formulation qui se présente comme une compote et qui est fait d’un film tri-couches avec un intérieur en polyéthylène, une couche d’aluminium,
Figure 9 Bombe permettant d’appliquer la phéromone dans les serres.
Figure 10 102
Packaging de la phéromone.
3.2 Un produit abouti mais un processus d’innovation en constante évolution Revenons à la chimie. La phéromone de Tuta Absoluta (voir plus haut) est un mélange de deux molécules, un diène et un triène, dans un rapport 90:10 (Figure 11) et nous avons étudié la nature moléculaire de ce mélange dans les détails. C’est ce thème qui a constitué la première partie du projet que nous avons développé il y a 5-6 ans. Nous avons imaginé une voie de synthèse originale qui permettait de raccourcir significativement le procédé de fabrication par rapport à ce que feront nos concurrents asiatiques. Pour cela, nous avons fait une synthèse onepot13 ; avec un couplage catalytique nous arrivons à produire directement le mélange précis des deux molécules dont a besoin l’insecte pour se repérer et nous l’obtenons avec des puretés qui sont supérieures à 92 % et des excès isomériques14 12. Polytéréphtalate d’éthylène. 13. Synthèse dans un seul milieu réactionnel. 14. Différence absolue entre la fraction molaire des deux isomères.
supérieurs à 99 %. Fait en 2015, le produit est arrivé sur le marché en 2021. Vous voyez que grâce à la chimie, pour préparer des produits de biocontrôle, nous pouvons faire vite, plus vite que pour des produits traditionnels. Ce qui reste quelque peu incertain, c’est la durée d’homologation par les agences réglementaires, vraiment très variable et difficile à prévoir. Ce savoir-faire de mise au point des produits aux critères industriels servira dans les années qui viennent. Nous savons développer grâce à toutes nos connaissances de chimie – depuis la synthèse jusqu’à l’analytique, la physicochimie, la toxicologie – des produits qui vont être pratiques à appliquer et à adapter à tout type de culture. Nous pensons déjà aux futures évolutions réglementaires ; nos produits sont biodégradables et ne laissent pas de microplastiques dans les champs. Cela fait partie du processus que l’on doit mettre en avant dans l’innovation et cela va être la prochaine condition pour mettre un produit sur le marché. On annonce déjà le retrait des plastiques de toute application agricole et à ce sujet, nous avons déjà anticipé. Notre produit va bien sûr être autorisé en bio, pas de résidus, pas d’entrant mais cela reste de la chimie, c’est de la chimie de synthèse. La phéromone est une molécule de synthèse. Simplement, c’est une synthèse qui permet d’éviter d’avoir à traire trente milliards d’insectes pour obtenir les trente grammes de phéromones nécessaires tous les trimestres.
PET 12 microns AI 7 microns LDPE 60-200 microns
Figure 11 Structure du film tri-couches du packaging de la phéromone.
O-Ac
O-Ac
Figure 12 Diène et triène composant la phéromone.
Utilisation de médiateurs chimiques dans le contrôle des insectes et la protection des cultures
une couche de PET12 (Figure 11). Dit comme ça, tout a l’air simple mais depuis longtemps, des centaines de milliers de chimistes sont mobilisés. Il a fallu mettre au point tous les polymères et s’assurer de la cohésion entre toutes les phases. Donc là aussi, il y a beaucoup de recherche et de développement en chimie pour aboutir à un résultat satisfaisant.
103
Chimie et agriculture durable 104
Un exemple emblématique du progrès de l’agriculture Le principe de tromper les insectes au moyen de phéromones est assez séduisant, il faut bien l’admettre. Mais cette idée déjà ancienne ne semblait pas se développer. On comprend pourquoi en lisant le travail si complet réalisé par M2I, franchissant allègrement les étapes du principe pour aller jusqu’à se mettre à la place de l’utilisateur. Ce chapitre donne un exemple emblématique de la totalité du travail à réaliser pour passer de la recherche à l’industrie ou – pour mieux dire – apporter des réponses aux partenaires industriels.
Partie 3 L’agriculture et la recherche : les transformations à l’œuvre aujourd’hui
,
des plantes : et
et protection
opposition
complémentarité
Expert dans le domaine de la protection des cultures, ingénieur chez ICI-Sopra, puis Zeneca-Agrochemicals, Jean-Louis Bernard a été responsable Environnement et Agriculture Durable chez Syngenta-Agro. Actif dans plusieurs associations, il a en particulier été vice-président de l’AFPP, l’Association Française pour la Protection des Plantes. Membre de l’Académie d’agriculture de France qu’il a présidé en 2019, il a rédigé de très nombreux articles et plusieurs livres dont Biocontrôle en protection des plantes, thème qui inspire sa contribution à cet ouvrage.
1
Le biocontrôle, la protection des cultures 1.1. Pourquoi les hommes cherchent-ils à protéger les cultures ? Si le sujet proposé « Biocontrôle, chimie et protection des plantes » peut être abordé de différentes manières, on doit d’abord constater que tous les peuples agricoles se sont efforcés depuis toujours de protéger les cultures contre les ennemis naturels qui les menacent. Dans les pays où les techniques
ancestrales sont toujours en vigueur, il n’est pas rare de voir dans les champs des travailleurs arrachant l’herbe indésirable avec des houes, voire à main nue. Ailleurs, on ramasse manuellement les chenilles qui dévorent les cultures vivrières installées en bordure de forêt, quitte parfois à les consommer. Ces techniques remontent à des milliers d’années, aux origines même de l’agriculture. Chez nous, on ne les emploie plus guère et toutes les nations possédant une agriculture développée ont adopté des
Jean-Louis Bernard
Biocontrôle chimie
Chimie et agriculture durable
moyens de protection variés, parfois sophistiqués. La question de l’étendue réelle des dégâts infligés aux cultures qui justifient la mise en œuvre par les agriculteurs de moyens de protection est souvent posée. Les essais ponctuels sont innombrables mais les enquêtes d’ampleur à ce sujet très peu nombreuses. Les plus anciennes remontent aux années 1950 avec l’étude mondiale exhaustive publiée par Cramer 1 . Depuis, on connaît surtout celle conduite par un groupe d’universitaires allemands2. Publiée en 1994, elle a nécessité de longues années de recherches afin d’obtenir des chiffres relativement solides. Ces travaux 1. Cramer H.H. (1967), La protection des plantes et les récoltes dans le monde. Pflanzenchutz Nachrichten Bayer-Leverkusen, 524 p. 2. Oerke E.-C., Dehne H.-W., Schönbeck F., Weber., (1994), Crop production and crop protection. Elsevier.
90
82
77
80
74,9 68,5
70
60
60 50
49,8 40,3
37,4
40
31,2
28,2
30
26,3
28,8
20 10 0 Blé
Riz
Maïs
% potentiel des pertes de rendement sans protection
Pomme de terre
Soja
Coton
% du rendement perdu dans les cultures protégées
Figure 1
108
ont été réactualisés en 2006 (Figure 1). Les dernières données scientifiques sur l’importance des dommages au niveau mondial remontent donc déjà à près d’une vingtaine d’années. La Figure 1 montre en bleu le potentiel de perte de rendement sans protection évalué pour six cultures mondiales majeures. Ainsi pour le blé, lorsqu’on chiffre les pertes mondiales moyennes à 49,8 %, cela signifie que sans protection, c’est la moitié du rendement potentiel qui serait perdu, en fait entre 30 % et 60 % selon l’importance de la pression des organismes nuisibles. Les mesures prises par les agriculteurs pour protéger ce blé de la concurrence des adventices (« mauvaises herbes »), des maladies ou des insectes limitent à moins de la moitié ces pertes de rendement. Sans protection, plus de 60 % des récoltes mondiales disparaîtraient. Que l’on conduise les cultures en agriculture biologique ou en conventionnel, que l’agriculteur soit techniquement très pointu ou non, il faut faire quelque chose. Sauf à laisser stagner la productivité à des niveaux faibles et pâtir de récoltes devenant très irrégulières, voire aléatoires.
Importance des pertes dues aux bioagresseurs pour six cultures mondiales majeures. Source : OERKE E.-C. (2006), Crop losses to pests. Journal of Agricultural Science, 144, 31-43.
1.2. La multiplication des questions de protection des cultures Si la nécessité de protéger les plantes est largement partagée, il n’en est pas de même pour ce qui est de la prise de conscience de l’avenir de ces menaces. Les introductions d’organismes nuisibles sur notre territoire ont été
Nous ne sommes donc pas à l’abri d’un évènement aussi grave que l’arrivée du doryphore de la pomme de terre par exemple. En conséquence, 3. Oïdium et mildiou de la vigne : maladies causées par des champignons spécifiques à cette culture. 4. Phylloxéra : puceron des racines destructeur de la vigne. 5. Doryphore : coléoptère ravageur introduit d’Amérique du Nord.
tous les pays cherchent à disposer de méthodes de défense performantes, tout en étant les moins perturbantes possibles pour le milieu naturel. Cela est d’autant plus nécessaire que la demande alimentaire progresse alors que la surface des terres arables encore utilisables s’amenuise. Cette pression invisible qui nous environne pourrait avoir demain des conséquences dramatiques si nos agriculteurs étaient dépourvus de moyens de protection, quelle que soit leur nature. 1.3. Une protection des plantes faisant appel à des moyens respectueux de l’homme et de son environnement Il existe aujourd’hui des aspects sur lesquels nous avons de grands consensus au niveau international. Le premier est que l’agriculture est par essence perturbatrice du milieu naturel. Lorsqu’on défriche un espace pour y implanter une culture, le labour perturbe les insectes qui vivent dans le sol, les vers de terre qui y séjournent, les bestioles qui vivent sur les adventices ou la flore naturelle implantée sur le terrain. Cela étant, on s’accorde aussi généralement sur le fait que cette inévitable perturbation liée à l’acte agricole ne doit pas être durable. Personne ne souhaite que le travail fourni pour nous nourrir atteigne le milieu naturel d’une manière qui lui soit néfaste à long terme, le privant de la possibilité d’héberger une biodiversité bénéfique à l’accomplissement de ses fonctions. D’où un assentiment
Figure 2 Adulte et larve du doryphore de la pomme de terre.
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
nombreuses au cours des deux derniers siècles et elles se perpétueront dans l’avenir. Au cours du xixe siècle, l’Europe a connu des évènements effroyables, le plus grave étant consécutif à l’arrivée du mildiou de la pomme de terre. Causée par un champignon, cette maladie détruit le feuillage et fait pourrir les tubercules. Elle a provoqué plus d’un million de morts dans l’Irlande du xix e siècle. Peu après, la vigne a terriblement souffert de l’introduction de l’oïdium et du mildiou3, puis le phylloxéra4 a fait mourir tous les vignobles d’Eurasie qu’il a fallu replanter en totalité. Après 1919, l’Europe a aussi vécu l’invasion du doryphore5 sur les pommes de terre. Ces fléaux et quelques autres n’existaient pas du temps de Napoléon I er. Tout cela est arrivé après. C’est contre ces organismes nuisibles invasifs que l’on a recherché et trouvé des moyens de protection efficaces, moyens chimiques et biologiques en tête. Avec l’évolution des transports, des échanges de marchandises par conteneurs, du tourisme, nous continuons à introduire année après année sur notre territoire un nombre croissant d’organismes potentiellement nuisibles.
109
Chimie et agriculture durable
largement partagé en faveur d’une agriculture écologiquement intensive, d’une agroécologie peu perturbatrice du milieu naturel. Pour parvenir à faire évoluer en ce sens nos agricultures, on essaie de trouver de plus en plus des moyens de défense qui s’inspirent de la nature, ce dans quoi s’inscrit le biocontrôle. Cela dit, la signification de ce qu’est le biocontrôle n’est pas encore identique d’une nation à l’autre, et ce point mérite que l’on s’y arrête un instant.
2
Différents aspects du biocontrôle
2.1. Comment les agriculteurs européens protègent-ils leurs cultures aujourd’hui ? Lorsqu’une culture doit être semée, on réfléchit généralement à ce qu’il est possible de faire avant le semis pour prévenir l’impact du parasitisme. Il existe pour cela un certain nombre de mesures prophylactiques qui doivent être connues et mises en œuvre autant que possible pour prévenir l’apparition et la propagation des ennemis des cultures (Tableau 1).
Tableau 1 Exemples de mesures préventives à considérer avant la période d’intervention des bioagresseurs.
110
Mesures préventives d’ordre général
Choix des espèces cultivées en fonction du milieu, élaboration des rotations, labour ou non-labour, drainage, choix des variétés, des densités, profondeur et dates de semis, type et niveau des fumures, aménagements favorables aux auxiliaires…
Mesures préventives visant les bioagresseurs en dehors de leur période de nuisibilité
Réduction de l’inoculum, herbicide de pré-émergence, faux-semis, traitement des semences…
Par exemple, un agriculteur qui sèmerait un tournesol dans une parcelle en bas-fond ayant récemment porté cette culture, qui plus est sous un climat humide, aurait beaucoup de mal, même avec des produits chimiques, à faire une bonne récolte indemne de sclérotiniose. En revanche, dans un sol bien drainant avec une rotation suffisamment longue entre cultures de même espèce, cela redeviendra possible. La rotation fait ainsi partie des mesures de protection d’ordre général à considérer. Mais elle ne suffit pas toujours. Il faut aussi s’intéresser par exemple à la manière dont est conduit le travail du sol. Cultiver une plante à racine pivotante comme le tournesol avec un simple travail superficiel est, dans certains cas, prendre le risque de sensibiliser les cultures aux effets de la sécheresse. Autre aspect : la date du semis. Semer trop tôt peut conduire à des levées très lentes, sensibilisant la culture aux dégâts des insectes ou des limaces. Ensuite, il y a des actions plus spécifiques que l’on peut conduire, dirigées précocement et plus spécifiquement sur les bioagresseurs que l’on craint. L’exemple le plus classique, on peut le trouver sur les arbres fruitiers. Ainsi, si vous êtes un producteur de prune d’Ente destiné à faire du pruneau d’Agen, vous avez intérêt, lorsque vous faites la taille hivernale, à bien débarrasser les arbres de toutes les petites prunes sèches qui sont restées sur l’arbre et des brindilles touchées par un champignon qu’on appelle le monilia. Ce travail accompli, il convient de brûler ces organes contaminés
Une fois le semis effectué ou après le démarrage en végétation des plantes pérennes (arbres fruitiers, vigne…), des organismes nuisibles peuvent se révéler virulents et nécessiter une intervention directe de la part de l’agriculteur. Pour cela, ce dernier dispose de procédés différents qui sont de nature physique, biologique ou chimique (Tableau 2). Prenons l’exemple d’une culture de maïs. En tête des procédés physiques, on trouve le sarclage mécanique. Il s’agit d’une opération qui consiste à utiliser une bineuse mécanique pour déraciner les adventices indésirables qui lèvent entre les lignes de semis. Il existe aussi les procédés biologiques. Dans les maïs qui subissent des pressions ordinaires de pyrale6, beaucoup d’agriculteurs lâchent en temps opportun des trichogrammes. Il s’agit de guêpes minuscules élevées industriellement qui, une fois lâchées, vont pondre dans les œufs de la pyrale et empêcher les chenilles de naître. Il y a enfin des procédés de lutte faisant appel à la chimie. Dans le cas du maïs, c’est par exemple l’emploi d’herbicides sélectifs en post-levée de la culture. 6. Principal ravageur du maïs sous nos climats, la pyrale est un papillon qui pond sur les feuilles du maïs. Les jeunes larves pénètrent dans les tiges et les épis, occasionnant des dégâts qui peuvent être considérables.
Tableau 2 Exemples de mesures de lutte directe utilisables en cas d’attaque de bioagresseurs Procédés faisant appel à des moyens physiques
Sarclage mécanique, effarouchement acoustique, brûlage, bassinage…
Procédés faisant appel à des moyens de lutte biologique
Lâcher d’auxiliaires, confusion sexuelle, insecticides biologiques à base de bactéries, de virus, de nématodes entomopathogènes…
Procédés faisant appel à la chimie
Tous les agriculteurs pratiquent ce raisonnement : avant la mise en place de la culture, il y a des choix stratégiques à faire, et une fois que la culture est en place, suivant les problèmes qui surviennent, l’un ou l’autre des moyens de lutte directe est choisi.
Herbicides, fongicides, insecticides, répulsifs…
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
plutôt que de les laisser à terre au pied des arbres. Cela diminue la présence des organes contaminants du champignon (inoculum) et réduira l’émission des spores au début de la période végétative.
2.2. Comment est défini le biocontrôle ? En France, nous disposons actuellement d’une définition officielle du biocontrôle qui figure dans le Code rural et de la pêche maritime. Selon l’article L.253-6, le biocontrôle est défini comme le recours à « des agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée7 contre les ennemis des cultures. Ils comprennent en particulier : les macro-organismes, les produits phytopharmaceutiques comprenant des micro-organismes, des médiateurs chimiques comme les phéromones et les kairomones et des substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale ». 7. La Lutte intégrée est précisée selon la définition donnée par la Directive 2009/128/CE, art. 3.
111
Chimie et agriculture durable 112
Cette définition nationale, n’est malheureusement pas identique à celle qui existe dans d’autres pays où ce terme peut parfois recouvrir des réalités différentes. Avant que le biocontrôle ne soit à la mode, la lutte intégrée a été explicitement promue par des groupements de techniciens européens, notamment en arboriculture. En France, l’un des groupements les plus connus est le Club Adalia. La lutte intégrée est une philosophie de protection des plantes qui privilégie la mise en œuvre de moyens naturels prioritairement à tout autre moyen. L’objectif visé étant de protéger les plantes « en privilégiant l’utilisation de mécanismes et d’interactions qui régissent les relations entre espèces. » Avant de sortir la bineuse ou le pulvérisateur, il convenait de réfléchir aux moyens naturels que l’on peut activer pour résoudre les problèmes qui risquent d’affecter la culture. Aux États-Unis, et c’est très perturbant pour nous, la notion de biocontrôle est assez différente. Comme chez nous, le « biocontrol » comprend les différents macro-organismes (par exemple, les trichogrammes dont nous avons parlé), mais il englobe aussi ce qu’on appelle là-bas les « biopesticides », c’est-à-dire trois catégories de moyens de défense des cultures dont certains sont interdits en France. Il y a d’abord les « microbial pesticides », avec comme exemple les protéines insecticides de la bactérie Bacillus thuringiensis ; ensuite, on trouve les « biochemical pesticides », copies par synthèse de substances naturelles comme
les phéromones d’insectes utilisées pour le piégeage ou la confusion sexuelle. On trouve enfin le groupe des PIP, ou « plant-incorporated protectants », ce dernier rassemblant les substances que les plantes fabriquent à partir d’un matériel génétique introduit dans leur génome, concernant de ce fait le domaine de l’amélioration des plantes. L’Académie d’agriculture s’est penchée sur le sujet voici quelques années et nous avons proposé une définition très englobante : « Le biocontrôle en protection des cultures repose sur l’emploi d’agents vivants ou issus du vivant ». Nous voulions ainsi inclure les différentes catégories qui sont dans le Code rural mais aussi ajouter un certain nombre de choses, qui aujourd’hui ne sont pas du biocontrôle pour l’administration, comme la résistance variétale – on joue bien sur le vivant –, ou encore les substances élicitrices. Les substances élicitrices sont des corps, y compris des corps chimiques, qui, apportés sur une plante, génèrent dans ses tissus la biosynthèse de substances qui s’opposent à l’avancée des bioagresseurs, notamment des parasites. Il en existe quelques-uns sur le marché mais ils ne sont pas toujours autorisés comme des agents de biocontrôle. Nous avions également inclus dans cette définition la lutte autocide. Il s’agit d’une technique extraordinaire découverte il y a déjà soixante-dix ans, et qu’on utilise notamment au Canada pour lutter contre le carpocapse des pommes (un papillon dont les larves se développent dans les fruits) ou dans le sud
Avec la superposition de toutes ces définitions, on peut sûrement arriver à des quiproquos monstrueux. En fait, c’est le concept même de biocontrôle
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
des États-Unis pour lutter contre la lucilie bouchère, une mouche qui attaque le bétail et provoque des infections épouvantables. Le principe de la lutte autocide consiste à faire des élevages de la mouche en question, de séparer les mâles et les femelles en utilisant des méthodes industrielles. On soumet les mâles à une irradiation relativement courte qui les stérilise sans les tuer, puis on les relâche, ce qui fait ensuite baisser la population. La lutte autocide fonctionne très bien, encore faut-il avoir la volonté de la mettre en place. En revanche, nous avions proposé, contrairement à l’administration, de sortir du biocontrôle les substances minérales, non pas parce qu’elles ont des défauts mais simplement parce qu’elles ne sont pas des substances vivantes ou issues du vivant.
qui est en train de prendre corps. Il est instructif de considérer ces questions de définition qui révèlent la richesse des nouveaux moyens de défense des cultures qui serviront la protection intégrée de demain. 2.3. Que recouvre aujourd’hui en France le biocontrôle ? Comme pour tous les produits phytopharmaceutiques, l’utilisation des différents agents de biocontrôle repose sur la délivrance préalable d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par les services de l’État. La liste des produits autorisés s’est rapidement enrichie au cours des dernières années en raison de la mobilisation des laboratoires de recherche. Aujourd’hui, nous disposons de 47 micro-organismes différents dûment autorisés (Tableau 3). Le plus célèbre d’entre eux étant la fameuse bactérie Bacillus thuringiensis, que l’on trouve dans toutes les jardineries. Elle se présente
Tableau 3 Les produits de biocontrôle autorisés en France – situation printemps 2021. État des ressources
Pour quels usages ?
Exemples
Microorganismes
47 espèces ou souches différentes de bactéries, levures, champignons ou virus, correspondant à plus de 100 produits commerciaux autorisés
Essentiellement insecticides et fongicides
Bacillus thuringiensis (bactérie insecticide)
Substances naturelles
56 différentes correspondant à plus de 150 produits commerciaux autorisés
Fongicide, insecticide, molluscicide, régulateur de croissance, herbicide, adjuvants
Soufre (fongicide, acaricide)
Phéromones
Une trentaine de substances et près de 40 spécialités disponibles
Essentiellement confusion sexuelle de lépidoptères ravageurs
-
Pièges à insectes
5 spécialités (à base de deltaméthrine vendue dans des emballages spécifiques)
Macroorganismes
67 espèces vendues isolément ou associées, soit plus de 170 spécialités
Insecticides, acaricides
Trichogramma brassicae contre la pyrale du maïs
113
Chimie et agriculture durable
comme une poudre grise que l’on peut mélanger à de l’eau et appliquer pour lutter contre les chenilles. Au titre du biocontrôle, on dispose également de 56 substances naturelles différentes. Cet ensemble hétérogène comprend toutes sortes de composés, issus du vivant ou non. La plus célèbre de ces substances naturelles est le soufre, qui est de très loin le premier produit de biocontrôle officiel appliqué en termes de quantité et de fréquence. On trouve aussi le kaolin, une argile blanche pouvant être utilisée comme répulsif contre des insectes ravageurs. Il y a aussi des phéromones, qui servent pour la confusion sexuelle dans les vignobles et les vergers et sont très utilisées dans des pièges à insectes. On dispose de 67 espèces de macro-organismes différentes comprenant des microhyménoptères, des diptères comme les syrphes, des coccinelles... Ces espèces sont vendues isolément ou associées, la plus célèbre étant le fameux trichogramme contre la pyrale du maïs. On doit noter que le biocontrôle n’exclut pas la synthèse chimique, à l’exemple des phéromones d’insectes, qui représentent l’un des points forts actuels du biocontrôle. Ces
substances sont de natures chimiques très diverses et généralement impossibles à obtenir en quantité par extraction biologique. On procède donc par voie de synthèse afin de pouvoir les utiliser de manière économique. D’autres substances comme des hormones de croissance végétales sont elles aussi obtenues par voie de synthèse (Figure 3). On remarquera que certains produits de biocontrôle inscrits dans les catégories du Code rural sont employés depuis très longtemps. Ainsi le soufre, raffiné selon des procédés industriels, est utilisé par l’agriculture depuis plus de 170 ans. Moins utilisé qu’il ne le fut dans le passé, il représente néanmoins un tonnage important parmi les produits de protection. Soulignons le point suivant : l’Union européenne a pris depuis près de vingt ans une claire orientation en faveur de la protection intégrée. Tous les pays de l’UE sont donc incités à faire évoluer leur système de défense des cultures en s’appuyant sur les méthodes de la lutte intégrée. Ce qui signifie que l’ensemble des moyens de défense bénéficiant d’une AMM sont utilisables, qu’ils soient classifiés biocontrôle
Figure 3 114
L’acide indolbutyrique, un produit de synthèse copiant une molécule naturelle.
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
70 60 50 40 30 20 10
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Depuis 1943, la loi française exige que tout produit destiné à la protection des cultures ait fait l’objet d’une autorisation préalable délivrée par les services de l’État sur la base d’un dossier constitué, financé et fourni par le fabriquant. Cette loi a été modifiée, complétée et son texte allongé des dizaines de fois. La pharmacopée, qu’elle soit chimique ou classée biocontrôle, avance à grandes enjambées depuis 2002, année qui a vu la mise en œuvre effective de la révision européenne de l’ensemble des
Cela dit, l’évaluation des substances actives et des formulations s’est faite d’une manière différente selon les époques. Nous sortons d’une longue période commencée dans les années 1960 et terminée vers 2010. L’évaluation reposait alors sur le principe suivant : les services de l’État, les chambres d’agriculture, les instituts techniques,
de
En 2018, les produits de biocontrôle représentent en valeur environ 10 % du marché français de la protection des plantes, adjuvants compris. Cette valeur qui tangente les 200 millions d’euros connaît une croissance rapide de l’ordre de 20 % par an. Avec une dominante écrasante des substances naturelles qui représentent 63 % du CA total, devant les médiateurs chimiques (19 %), les macroorganismes (11 %) et les micro-organismes (7 %). Le soufre représente l’essentiel des produits de biocontrôle en termes de quantité et de fréquence d’application (Figure 4).
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3.1. L’évolution des produits de biocontrôle
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Les moyens de protection des végétaux en France
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3
substances présentes sur le marché. Si aujourd’hui, certains se plaignent du caractère monstrueux de la réglementation, on doit reconnaître que cet encadrement strict a le mérite d’exister et d’être protecteur, à la fois pour les utilisateurs, les consommateurs, pour toute personne qui se préoccupe de l’environnement, mais aussi pour les industriels eux-mêmes, parce qu’elle évite qu’il y ait comme autrefois des charlatans qui vendent des moyens de défense qui ne fonctionnent pas ou qui sont dangereux. En résumé, sans autorisation de mise en marché, pas d’utilisation possible.
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ou non. À condition que leur emploi soit régi par les principes de la protection intégrée, principes auxquels adhère un nombre rapidement croissant de nos agriculteurs.
Figure 4 Part des principales substances actives de biocontrôle utilisées dans le réseau DEPHY FERME (toutes filières, toutes années en %). Source : Agrosyst, juillet 2019.
115
Chimie et agriculture durable
organisaient des réseaux d’essais où les produits étaient comparés entre eux. Sur la base d’un même protocole expérimental, on comparait par exemple les nouveaux anti-mildiou du marché à un anti-mildiou de référence sur des parcelles d’essais réparties à travers la France. Ces essais étaient déclarés, visités, observés, comptés, et l’administration se réservait le droit de dire au fabricant : « votre produit est sorti dernier dans huit essais sur dix, il est aujourd’hui dépassé, il faut le retirer ». Sur près d’un demisiècle, cet écrémage régulier a permis de faire monter l’efficacité des spécialités vers le haut, en même temps que les dossiers toxicologiques de plus en plus importants permettaient de mieux juger et d’éliminer les produits les plus dangereux. Cette approche a conduit au retrait des organophosphorés8 les plus toxiques, 8. Organophosphoré : composé organique qui comporte au moins un atome de phosphore (P).
du DDT9, du lindane et tous les organochlorés10 trop persistants ou dangereux pour l’environnement. Ces essais officiels, malheureusement, ont été arrêtés, et nous manquons d’un référentiel de résultats rendus publics qui permettrait de suivre en temps réel l’évolution de la pharmacopée dans ses performances agronomiques. 3.2. Nature et évolution des moyens de lutte directe Le Tableau 4 montre la répartition des moyens de protection selon la manière dont ils sont obtenus. Si on prend la définition du biocontrôle dans le Code rural et si on regarde l’état de la pharmacopée en France avant la loi de 1943, nous avons considérablement reculé. Si on compare le tonnage des substances actives 9. DDT : dichlorodiphényltrichloroéthane, insecticide polyvalent. 10. Organochloré : composé organique comportant au moins un atome de chlore (Cl).
Tableau 4 Natures et voies d’obtention des produits de protection des plantes. 1970
1980
1990
2000
2010
2020
Substances minérales ou organométalliques
23
20
26
22
14
22
Substances organiques
5
4
4
4
3
5
Huiles fossiles ou végétales Substances naturelles
3
3
5
5
4
29
Issues de synthèse classique
194
256
315
338
218
217
Mimétiques de substances naturelles
15
25
39
62
63
69
Molécules obtenues par fermentation
0
0
2
2
4
6
Micro-organismes
1
2
5
10
10
45
Molécules produites par synthèse
Organismes vivants
116
Macro-organismes
Nombre total des solutions autorisées
0
0
1
38
59
66
251
310
397
481
375
459
Il reste, dans la pharmacopée de 2020, 22 substances minérales ou organométalliques. Ce sont essentiellement des sels de cuivre, du soufre, mais aussi un certain nombre de substances minérales diverses et variées, du kaolin par exemple. On a ensuite des substances organiques, au premier rang desquelles des produits anciens de type huiles : huile minérale de pétrole, huile de colza pour traiter les arbres fruitiers l’hiver, mais ces produits sont peu nombreux. La catégorie des substances naturelles a fait un bond formidable ces dernières années en fonction justement de l’ouverture de la catégorie biocontrôle. On a autorisé par exemple une dizaine d’huiles essentielles : huile essentielle de menthe comme antigerme sur les pommes de terre, huile d’orange douce contre les cochenilles sur les arbres fruitiers, etc. Les molécules de synthèse constituent toujours le gros du bataillon, mais il s’y est fait un très gros écrémage, notamment au début
des années 2000. Depuis lors, un certain nombre de nouvelles substances ont été autorisées mais cette catégorie qui prédominait dans les années 1970-1980 a été amputée de beaucoup de ses éléments. Il faut aussi mentionner une catégorie très intéressante : les substances de synthèse mimétiques de substances naturelles. On a découvert dans la nature des composés responsables d’effets insecticides, herbicides ou fongicides et on a synthétisé des analogues qui fonctionnaient de la même manière mais qui étaient soit un peu plus persistants, soit un peu moins toxiques que les substances naturelles. Enfin, on dispose de rares produits obtenus par fermentation bactérienne et de 110 organismes vivants (insectes auxiliaires, nématodes, micro-organismes) qui contribuent à la protection des cultures.
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
vendues en 1939 et la définition actuelle du biocontrôle, on se rend compte que 98 % des produits vendus à cette époque étaient des produits de biocontrôle au sens de la réglementation d’aujourd’hui. Cela en raison de la dominance des produits minéraux qui entrent dans la définition des substances naturelles : le soufre, le cuivre, les insecticides arsenicaux et fluorés, ainsi que des tonnages faramineux d’acide sulfurique pour désherber les céréales. La plupart de ces composés minéraux ont depuis lors été heureusement éliminés.
3.3. Conséquences des évolutions récentes Cependant, ces introductions n’ont eu qu’une incidence directe modérée sur la baisse du tonnage des substances utilisées pour la protection des cultures. Bien inférieure en tout cas à celle qui résulte de l’emploi raisonné des produits s’appuyant sur les principes de la lutte intégrée, les outils d’aide à la décision ou le remplacement de produits pondéreux anciens par des produits modernes à faible grammage par hectare. Autour de l’année 2000, la France utilisait environ 100 000 tonnes de substances actives, dont 30 000 tonnes de soufre
117
Chimie et agriculture durable
et de cuivre. À l’heure actuelle, on utilise un peu moins de cuivre, un peu plus de soufre, et la moyenne des dernières années est de 60 000 tonnes, sachant qu’on utilisait plus de 300 000 tonnes de produit de protection des plantes dans l’année 1939. Donc, contrairement aux idées reçues, on va dans le sens d’une réduction progressive assez régulière des tonnages utilisés. En revanche, les retraits nombreux ont fait apparaître un nombre grandissant d’usages orphelins, sujet qui préoccupe énormément le monde agricole. Le terme d’usage orphelin signifie que lorsqu’une substance active est retirée alors qu’elle est la seule à figurer sur les listes d’AMM pour un emploi précis, l’agriculteur impacté est mis en très mauvaise situation. Si la culture qu’il pratique est mise en péril par le bioagresseur jusqu’alors couvert par l’usage devenu impossible, soit l’agriculteur utilise un produit non autorisé et tombe sous le coup de la loi, soit il perd sa culture. Beaucoup de retraits résultent le plus souvent d’une nonconformité de la substance
Figure 5 118
Principales utilisations du biocontrôle.
ancienne par rapport à de nouvelles exigences en matière de toxicologie ou d’écotoxicologie. Mais parfois, c’est aussi l’industriel qui retire la substance en question en raison du coût des nouvelles études qui sont demandées. Un autre sujet de préoccupation est le risque d’une augmentation des cas de résistance des bioagresseurs en regard des moyens de défense disponibles. En diminuant la diversité des moyens de lutte directe, on augmente la fréquence d’utilisation des mêmes principes actifs, favorisant alors l’apparition de résistances, y compris pour des produits de biocontrôle.
4
Produits de synthèse et biocontrôle, concurrence ou complémentarité ? 4.1. L’utilisation actuelle des moyens du biocontrôle Qui utilise aujourd’hui des moyens de biocontrôle (Figure 5) ? Ces moyens de défense ont connu un grand succès dans les cultures sous abris, là où l’on maîtrise l’humidité, l’aération, la température, etc. On arrive par exemple à les faire très bien fonctionner dans les cultures de tomates sous serre, au point de se passer presque totalement d’insecticides. En revanche, la situation est différente en plein air ou les choses ne se passent malheureusement pas de la même manière. Il existe aussi des avancées très positives du biocontrôle dans les vergers et dans le vignoble, mais en dehors
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
4.2. L’avis des agriculteurs sur le biocontrôle
de l’emploi du soufre, c’est la percée des médiateurs chimiques, des phéromones, qui est l’aspect le plus intéressant et le plus porteur d’avenir. On constate aussi une forte percée des gammes de biocontrôle pour les jardins, les espaces verts et les usages d’amateur. Mais ici, c’est sans doute l’interdiction d’emploi des produits de synthèse qui a créé ce mouvement.
Que pensent les agriculteurs du biocontrôle (Tableau 5) ? Cela ne peut se résumer à un bilan simpliste des « pour » et des « contre ». Dans leur ensemble, les agriculteurs ont un a priori favorable et même très favorable pour le biocontrôle. Pour eux, ce type de solutions permet de réduire l’emploi des produits chimiques qu’une majorité utilise par nécessité. Dans leur esprit, les produits de biocontrôle respectent mieux l’environnement que les autres, préservent également mieux la santé des applicateurs. En revanche, les agriculteurs se plaignent d’être insuffisamment informés à leur sujet et d’avoir bien peu d’éléments pour mesurer l’efficacité des produits qui leur sont proposés. Cet aspect-là rejoint le problème des réseaux d’essais mentionné précédemment.
La progression est en revanche beaucoup plus lente dans les cultures de plein champ. D’abord, on y utilise assez peu de soufre et de Bacillus thuringiensis. Le nombre des insectes auxiliaires efficaces est assez réduit et les trichogrammes représentent encore une exception. Toutefois, le phosphate ferrique, qui est classé parmi les substances naturelles, a réussi à percer sur le marché des anti-limaces. Donc, le plus grand succès actuel du biocontrôle ce sont les cultures sous abris, c’est-àdire là où l’on maîtrise très bien l’environnement des cultures. Mais les avancées sont prometteuses dans des secteurs de l’agriculture comme les vignes et les vergers.
4.3. Les perspectives du biocontrôle Quels sont les atouts du biocontrôle pour son développement et quels sont ses freins ?
Tableau 5 Le biocontrôle vu par les agriculteurs. Les solutions de biocontrôle… Permettent de réduire l’utilisation des produits chimiques
57 %
Respectent l’environnement
57 %
Préservent la santé de l’applicateur
Mais les solutions de biocontrôle…
1 Une image globalement positive du biocontrôle
Ne garantissent aucune preuve quant à leur efficacité OU manquent d’efficacité
69 %
49 %
Coûtent trop cher
47 %
41 %
Manque d’accompagnement et de formation les concernant
44 %
Enquête Datagri 2015 - Attitude des agriculteurs conventionnels par rapport aux moyens d’intervention du biocontrôle.
2 Des déclarations convergentes permettant d’augurer une volonté réelle d’engagement 3 Une réserve née d’incertitudes majeures qui demandent à être préalablement levées
119
Chimie et agriculture durable
Les atouts : − les produits de biocontrôle possèdent des caractéristiques toxicologiques et environnementales favorables ; − ils évoluent dans un contexte social et politique positif, bénéficiant d’avantages concurrentiels accordés par l’État : taxes fiscales réduites pour les dossiers d’AMM, pas d’obligation d’agrément pour l’utilisateur, dispositif Ecophyto avantageux, possibilité d’accès à la publicité… ; − une augmentation du nombre des startups engagées sur le sujet et créativité remarquable ; − un engagement des grands groupes internationaux dans la recherche sur le biocontrôle ; − des potentiels prometteurs autour de la semence, des fongicides et des fertilisants (biostimulants). Les freins : − beaucoup de solutions de biocontrôle s’adressent à des marchés de niche ne pouvant supporter les coûts élevés de mise en marché et de développement ;
− peu de solutions pour les grandes cultures et pratiquement rien en matière d’herbicides ; − prudence, circonspection voire, scepticisme des utilisateurs car l’efficacité des substances de biocontrôle est souvent partielle, inférieure à celle des produits conventionnels ; − carence ordinaire d’essais comparatifs et de références chiffrées rendus publics ; − obstacles psychologiques : sur-promesse sur certains dossiers avant 2010, impression de déjà-vu, ou abandonné parce qu’inefficace, image passéiste de certaines substances naturelles… ; − crainte de surcoûts résultant d’une efficacité insuffisante ou partielle ; perception d’une prise de risque pouvant mettre en péril l’activité ; − le biocontrôle ne garantit pas contre les risques d’apparition de résistances ; − besoin de conseil évident réclamé par les utilisateurs.
Conclusion
120
Dans son état actuel, la protection des cultures a besoin de solutions nouvelles, quelles que soient leurs origines (Figure 6). Biocontrôle ou pas, le monde agricole reste également demandeur. Dans un souci d’efficacité et d’économie, la protection intégrée, qui combine des mesures préventives et une diversité dans les moyens de lutte directe, a quelque chose d’incontournable. Sur le plan scientifique, opposer « chimie de synthèse » et « produits naturels » n’a guère de sens.
En France, micro-organismes, macro-organismes, médiateurs chimiques et substances naturelles constituent à ce jour l’univers du biocontrôle (de gauche à droite).
Il reste à souhaiter que les caractéristiques globales des moyens de protection (efficacité, toxicité, environnement, économie) soient évaluées par des approches scientifiques plutôt qu’au travers de campagnes de dénigrement et de fake-news malheureusement trop nombreuses.
Biocontrôle, chimie et protection des plantes : opposition et complémentarité
Figure 6
121
numérique,
opportunités perspectives et
en
grandes cultures
Diplômée de Bordeaux Sciences Agro, Delphine Bouttet est ingénieure et exerce depuis plus de vingt ans au sein de l’Institut de recherche appliquée en grandes cultures, Arvalis-Institut du végétal. Elle est aujourd’hui responsable de la ferme de Boigneville, l’une des premières « Digifermes® » de France où sont étudiées de nombreuses technologies numériques et robotiques pour l’agriculture.
La Digiferme® de Boigneville est une ferme expérimentale de 150 hectares située dans le sud de l’Essonne et rattachée à Arvalis-Institut du Végétal1. Cette ferme dédiée aux grandes cultures est certifiée Haute Valeur Environnementale niveau 3 (niveau le plus élevé) et pour une partie en Agriculture Biologique. On y cultive du blé tendre et améliorant, de l’orge brassicole, du maïs, du sorgho, du colza, du tournesol, des betteraves, des lentilles, des féveroles et des pommes 1. Arvalis-Institut de Végétal est un institut technique agricole français réalisant de la recherche appliquée en grandes cultures.www.actionarvalis.fr
de terre. Les dispositifs terrain mis en place sur cette ferme permettent d’étudier les nouvelles technologies du numérique appliquées à l’agriculture.2 L’agriculture numérique (Figure 1) est un concept apparu dans les années 2000 avec les premières utilisations de cartes satellitaires. À l’origine, le terme le plus utilisé était l’agriculture de précision, agriculture rendue possible grâce à l’ouverture du système GPS à l’usage civil dans les années 1990. 2. Ces fermes expérimentales sont souvent appelées Digifermes®. https://digifermes.com
Delphine Bouttet
L’agriculture
Chimie et agriculture durable
« L’agriculture est dite “numérique” si elle utilise les technologies d’acquisition de données satellites, capteurs, objets connectés, smartphones…), de transfert et de stockage (couverture 3G/4G, réseaux bas débits terrestres ou satellitaires, clouds) » – Bellon-Maurel et Huyghe (2015) ; (INRA). Aujourd’hui, dans le langage courant, l’agriculture numérique regroupe souvent toutes les innovations technologiques agricoles (Figure 1). Ce chapitre a pour objectif de présenter des illustrations concrètes avec le plus souvent, des exemples provenant de la Digiferme® de Boigneville.
1
Les Digifermes®
1.1. L’émergence des Digifermes® On assiste aujourd’hui à un foisonnement de start ups pour l’agriculture rassemblées dans l’AgTech 3 . Afin de répondre aux questions des agriculteurs sur l’intérêt des technologies proposées, Arvalis a initié le projet Digifermes® en 3. AgTech : réseau d’institutions et d’incubateurs à startups visant à promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et citoyenne.
Dans le langage courant, l’agriculture numérique regroupe souvent toutes les innovations technologiques agricoles. Une définition officielle (Bellon-Maurel et Huyghe – INRA 2015) est la suivante : « L’agriculture est dite “numérique” si elle utilise les technologies d’acquisition de données [satellites, capteurs, objets connectés, smartphones…] de transfert et de stockage [couverture 3G/4G, réseaux bas débit terrestres ou satellitaires, clouds]. » Figure 1 124
L'agriculture numérique.
Le label Digifermes® regroupe aujourd’hui un réseau de quatorze fermes expérimentales partenaires (www.digifermes. com) (Figure 2 et Figure 3) qui ont pour objectif la mise au point, l’évaluation et le déploiement d’innovations numériques au service de tous les agriculteurs. Chaque ferme s’adosse à une structure de Recherche, Développement et Innovation, ce qui lui permet de s’appuyer sur une excellence méthodologique pour mener des évaluations objectives avec rigueur des nouveautés technologiques.
Figure 2 Réseau de quatorze Digifermes® (actuellement en France).
1.2. L’objectif des Digifermes® : améliorer la multi-performance L’objectif des Digifermes ® est d’évaluer, d’identifier, de coconstruire les nouvelles technologies. Il ne s’agit cependant pas de déployer au quotidien toutes les technologies disponibles et de créer des fermes gadgets ! Seules les technologies présentant un intérêt 4. ACTA : Association de Coordination Technique Agricole, structure nationale de coordination des instituts techniques agricoles et centre de recherche appliquée. 5. ITB : l’Institut Technique de la Betterave est un institut technique agricole français, spécialisé dans la culture de la betterave sucrière. 6. TERRES INOVIA : institut technique agricole français spécialisé dans les cultures d’oléagineux (colza, tournesol, soja) et protéagineux (pois, féverole). 7. IDELE : Institut technique français de l’élevage.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
partenariat avec d’autres instituts techniques : l’ACTA4, l’ITB 5 , TERRES INOVIA 6 et l’IDELE7.
Figure 3 Partenaires officiels à la tête du projet Digifermes®.
pour les agriculteurs et la multi-performance de leurs fermes sont testées sur les Digifermes ® . En cela, les Digifermes ® sont des laboratoires expérimentaux à ciel ouvert, qui permettent d’étudier en conditions agriculteurs la faisabilité et l’intérêt techniques de ces nouvelles technologies (Figure 4).
125
Chimie et agriculture durable
Qu’est-ce que la multi-performance ?
Figure 4 La Digiferme® : une ferme expérimentale dédiée aux nouvelles technologies du numérique.
• Elle est d’abord technicoéconomique. Les agriculteurs sont des chefs d’entreprise, ils recherchent le meilleur compromis entre les résultats techniques et les revenus qu’ils tirent de leurs productions. Plus précisément, cette performance concerne les prix. Les grandes cultures sont soumises aux cours mondiaux. La fluctuation des prix est énorme en agriculture conventionnelle ces dernières années, sans parler du coût des intrants8. Du fait du contexte mondial, les coûts des engrais sont en train de s’envoler. Les agriculteurs ont donc tout intérêt à développer une stratégie d’achat pour essayer d’avoir des intrants les moins chers possible puis à les utiliser de façon efficace. Le changement climatique s’invite aussi dans le quotidien des agriculteurs avec des aléas climatiques de plus en plus fréquents et impactants. Les attentes du monde agricole sont fortes vis-à-vis des technologies du numérique pour essayer d’anticiper ces événements et de contribuer à la mise en place de stratégies d’adaptation performantes. • Elle est environnementale. Les agriculteurs doivent répondre aux demandes sociétales, qui sont de plus en plus importantes vis-à-vis de l’utilisation des intrants, en particulier les pesticides avec des contradictions perceptibles
126
8. Intrants : produits apportés aux terres et aux cultures permettant de garantir un rendement et d’assurer une bonne qualité sanitaire et technologique (engrais, pesticides, etc.).
lors de visites de la ferme par le grand public. Le citoyen et le consommateur sont loin d’être toujours d’accord ! Depuis très longtemps, l’agriculture est un domaine très réglementé avec, ces dernières années, une accentuation du nombre de réglementations environnementales : notamment la Directive nitrates9, les réglementations liées aux produits phytosanitaires. Ces dernières ne sont pas toujours faciles à comprendre parce qu’elles peuvent différer pour un même produit, une même molécule. Donc, la majorité des agriculteurs, s’ils ne sont pas aidés avec des outils numériques, sont en incapacité de suivre correctement la réglementation qui, de plus, peut évoluer d’une année sur l’autre. Ce que nous allons voir par la suite va être très lié à l’agriculture conventionnelle puisque nous allons surtout nous focaliser sur la nécessité d’accompagner la chimie avec cette agriculture numérique. Mais il faut garder en mémoire que toutes ces innovations profitent à l’ensemble des agricultures. 1.3. Les axes de travail prioritaires Pilotage tactique de la ferme Parmi les quatre axes de travail prioritaires définis dans le cadre du réseau Digifermes® (Figure 5), le pilotage tactique (pilotage en cours de campagne) est l’axe le plus riche 9. Directive nitrates : directive européenne pour réduire la pollution des eaux par les nitrates et l’eutrophisation issus des activités agricoles.
Les quatre axes de travail prioritaires du réseau Digifermes®.
en termes de solutions à tester : capteurs pour observer les cultures, capteurs météo, outils d’aide à la décision… Innovation des agroéquipements De nombreuses innovations au niveau des agroéquipements10 sont testées. Ce sont les robots qui suscitent le plus d’intérêt de la part de nos visiteurs. Avant que les robots n’arrivent en grandes cultures, ils seront avant tout développés sur des cultures à plus haute valeur ajoutée ; on les verra plus facilement en vigne ou en maraîchage pour compenser le manque de main-d’œuvre, réduire la pénibilité du travail, gagner en précision… Autre voie imaginable en grandes cultures, les tracteurs autonomes, mais la réglementation en vigueur actuellement ne nous permet pas de les tester.
10. Agroéquipements : machines agricoles (tracteurs, robots…) et matériels utilisés pour la production agricole.
Le désherbage électrique a été testé dans l’optique de réduire l’usage du glyphosate. Cette technologie alternative n’est pas si simple à mettre en œuvre et nécessite aujourd’hui beaucoup d’énergie.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
Figure 5
Produire et valoriser des datas Les datas correspondent ici à toutes les données numériques produites sur la ferme. Au niveau des Digifermes®, nous travaillons sur la valorisation de ces données. Une donnée seule n’a pas de valeur. En revanche, utilisées pour alimenter un modèle, elles créent une plus-value. Au-delà de la maîtrise de ces données (enjeu majeur et préoccupation forte des représentants des agriculteurs), deux enjeux ressortent : le « zéro saisie » et l’interopérabilité. Le « zéro saisie » permettrait à l’agriculteur d’enregistrer au champ l’ensemble de ses pratiques sans perdre de temps au bureau, données qui pourraient être prises en compte ensuite dans les modèles (grâce à de l’interopérabilité
127
Chimie et agriculture durable
entre les outils, les technologies). Pour l’instant, aucune des technologies testées en la matière sur la Digiferme® de Boigneville n’a été satisfaisante. Des avancées dans ce domaine sont attendues et nécessaires. Par le passé, le système Isobus développé pour les agroéquipements a permis cette interopérabilité entre outils de marques différentes. Stratégie et économie de l’entreprise agricole Peu d’outils de pilotage stratégique existent aujourd’hui. Le pilotage stratégique permet à l’agriculteur de se projeter dans l’avenir. L’objectif est de rendre plus résilientes les fermes vis-à-vis du changement climatique, des à-coups économiques… 1.4. Le numérique au service de la prise de décision Les nouvelles technologiques du numérique contribuent à améliorer la prise de décision (Figure 6).
Figure 6 128
Le numérique au service de la prise de décisions.
Observer Si les yeux sont des capteurs précieux, les satellites, les drones, le smartphone viennent compléter avec un gain substantiel de précision les méthodes d’observation. Enregistrer Le transfert des données est rendu possible grâce à de nouveaux protocoles de communication. Les réseaux bas débit permettent ainsi de transmettre des données météo pour un coût limité. Analyser et décider Les méthodes de calcul et les modèles ont beaucoup progressé ces dernières années. L’enjeu désormais est de rendre accessibles les sorties des modèles aux utilisateurs finaux. L’aspect marketing ne doit pas être négligé. Si l’interface du modèle n’est pas très conviviale et les indicateurs donnés difficilement interprétables, aucun agriculteur n’utilisera l’outil, aussi bon soit-il. Agir Il existe de nouvelles façons d’intervenir dans les champs, beaucoup plus précises. Un exemple bien connu est celui du GPS dans les voitures. La technologie RTK11 qui équipe les tracteurs de la Digiferme® de Boigneville permet de revenir à 2 cm près au même endroit. Cette technologie permet de biner12 sans difficulté 11. RTK (« Real Time Kinematic ») : cinématique en temps réel, une technique de positionnement par satellite permettant une très haute précision GPS. 12. Biner : contrôler les adventices par un passage d’outil mécanique (outils à socs).
2
Le numérique au service de la prise de décision agricole 2.1. Des données météo fiables, en temps réel (instantanées et prévisionnelles), pour un coût modéré Les données météo sont très importantes pour l’agriculture. Les conditions météorologiques conditionnent le développement des cultures et de leurs bioagresseurs, les interventions aux champs, etc. Avoir accès à des données météo fiables est donc un enjeu majeur, en particulier dans un contexte de changement climatique où les aléas sont plus fréquents (Figure 7). En Île-de-France, environ 3 000 stations météo connectées ont été déployées ces dernières années. Ce sont des stations assez compactes, économes en énergie comme celles de la Figure 8.
qu’avec un millier d’antennes, la France entière est couverte ; − leur capacité communautaire : l’intérêt de ces stations est aussi de permettre l’accès aux autres stations du secteur, si bien qu’elles forment entre elles des réseaux communautaires de stations météo où l’ensemble des données collectées est partagé. Les informations de pluviométrie (jours avec et sans pluie, quantité tombée, lieu) sont des éléments indispensables pour déclencher une intervention dans les champs afin de les protéger du développement d’une maladie. Or, la pluie peut être très localisée sur un secteur donné : qu’il pleuve sur une parcelle x ne préjuge pas de la pluie tombée sur une parcelle y,
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
un blé semé à 15 cm d’écartement. Cette opération participe à une gestion plus durable des adventices.
Figure 7 Les données agronomiques essentielles à la prise de décision.
Elles sont innovantes par : − l e u r c o û t m a î t r i s é : aujourd’hui, on peut s’en acheter une pour 500-1 500 € avec un abonnement annuel de 50 à 100 € ; − l’utilisation de réseaux bas débit, qui permettent l’utilisation de protocoles de transmission de l’information adaptés non pas à des images mais à des petits messages transmissibles sur de longues distances. Cela nécessite dix fois moins d’antennes que pour le téléphone cellulaire, si bien
Figure 8 Stations météo connectées.
129
Chimie et agriculture durable
même voisine de 5 km. La perspective offerte par ces réseaux de stations météo est d’obtenir des données spatialisées de plus en plus précises, c’est-à-dire d’obtenir des données météo en un point géographique non couvert par une station météo. De plus, les données météo prévisionnelles seront de plus en plus fiables : le gain de précision est d’un jour tous les dix ans.
photos de ces deux herbes. L’enrichissement de ces bases de données est en cours, tant au niveau national qu’international. La diversité des cultures et de leurs bioagresseurs15 (adventices, ravageurs et maladies) est telle que les agriculteurs et leurs techniciens ne sont pas en mesure de tous les connaître. Ce type d’application est alors primordial dans leur prise de décision.
2.2. Une surveillance des cultures toujours plus performante et facilitée
Des pièges connectés en développement
Le téléphone, un outil de reconnaissance Des applications de reconnaissance d’adventices, de bioagresseurs, d’auxiliaires sur téléphone existent déjà (Figure 9) ou sont en cours de développement. Des progrès importants sont attendus dans les prochaines années. L’amélioration des applications sur téléphone sollicite le « Deep learning »13, qui s’appuie sur des bases de données conséquentes et qui sont constamment enrichies. Pour exemple, une application permettant la reconnaissance d’adventices doit apprendre à reconnaître un coquelicot d’un ray-grass14 en se servant de très nombreuses
Figure 9 130
Agriculteur utilisant son téléphone sur le terrain.
13. « Deep learning » : apprentissage profond, type d’intelligence artificielle où la machine est capable d’apprendre par elle-même à partir de données, contrairement à la programmation où elle se contente d’exécuter à la lettre des règles prédéterminées. 14. Le ray-grass est l'une des adventices les plus répandues dans les cultures de céréales. Il est de plus en plus répandu et constitue une des principales causes d'insatisfaction chez les agriculteurs.
Les pièges connectés sont un autre outil technologique à destination des agriculteurs. Plusieurs versions sont en cours de développement. Sur la Digiferme® de Boigneville, sont actuellement expérimentés des pièges connectés de la société De Sangosse (Figure 10). Ils sont destinés à améliorer le suivi de l’activité des limaces, majoritairement actives la nuit. L’activité des pucerons et/ ou des cicadelles est également suivie grâce à des pièges englués connectés (Figure 11). Le développement de ces pièges est freiné par le manque de connexions adaptées à la transmission des images captées. En effet, les réseaux bas débit ne suffisent pas, il faut des procédures de transmissions de type GSM, qui sont plus coûteuses. Les technologies de ce genre devraient, pour cette raison, être plutôt utilisées par des techniciens dans le cadre de réseaux de surveillance. 15. Bioagresseurs : aussi appelés « ennemis des cultures », sont des organismes vivants qui attaquent les plantes cultivées et sont susceptibles de causer des pertes économiques.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
Figure 10 Piège connecté De Sangosse pour le suivi des limaces.
Figure 11 Piège Advansee pour le suivi de pucerons et cicadelles au champ.
Des réseaux d’observations agriculteurs En complément des réseaux officiels d’observation des territoires permettant la rédaction hebdomadaire des Bulletins de Santé du Végétal, des réseaux d’observation agriculteurs se développent. Ils permettent de mutualiser des données d’observations et d’être par conséquent, plus réactifs en cas de problème sanitaire. La surveillance du risque insectes en cours de stockage La période pendant laquelle le grain est stocké dans les silos
est à risque par rapport aux insectes. Or, il serait dommageable que les efforts déployés au champ pour produire du grain de qualité et en quantité soient réduits à néant du fait d’un mauvais stockage et de la présence d’insectes dans les silos. De nouvelles perspectives en termes de surveillance des grains stockés s’offrent aux acteurs agricoles grâce au développement de capteurs connectés dans les silos permettant d’améliorer la surveillance des grains stockés (Figure 12). Identifier la présence d’insectes très précocement permet d’envisager
Figure 12 Silo contenant des capteurs.
131
Chimie et agriculture durable
des méthodes alternatives aux insecticides. Certaines filières interdisent en effet l’utilisation d’insecticides au stockage (Label rouge, CRC, bio…). 2.3. Une prise de décision facilitée et pertinente En cours de campagne, les agriculteurs tentent d’intervenir dans leurs champs aux périodes les plus adéquates, soit au moment où les plantes en ont besoin, comme par exemple, pour les apports d’engrais azotés (essentiels à la nutrition des plantes). Ceux-ci sont gérables et pilotables de façon fine grâce à
Figure 13 132
Sorties FARMSTAR® 2021 de la Digiferme® de Boigneville.
l’outil FARMSTAR ®16 , dont les conseils sur blé pour la campagne 2020-2021 pour la Digiferme® de Boigneville sont représentés sur la Figure 13. FARMSTAR ® est un service proposé depuis dix ans dans le cadre d’un partenariat avec Airbus, Arvalis et TERRES INOVIA. Il utilise des images satellitaires qui fournissent des mesures indirectes de chlorophylle 17 et de bio16. FARMSTAR® : outil de pilotage d’agriculture par télédétection qui permet de suivre l’évolution des champs, etc. 17. Chlorophylle : pigment vert des végétaux qui joue un rôle essentiel dans la photosynthèse.
PIÉTIN-VERSE
ROUILLE JAUNE
SEPTORIOSE 1er traitement
P 31 – CHEVIGNON 28/10/2019
Renouvellement
ROUILLE BRUNE
FUSARIOSE
27 avril
P 33-1 – FORCALI 21/11/2019
30 avril
P 33-2 – TENOR 12/11/2019
29 avril
P-41-2 – RGT SACRAMENTO 25/10/2019
22 avril
P 61 – FILON 18/11/2019
29 avril
P 72 – TENOR 25/10/2019
24 avril
Légende des risques agro-olimatiques Risque sur les 5 prochains jours : AUCUN. Aucune intervention nécessaire. Risque sur les 5 prochains jours : MOYEN. Observation recommandée, consulter les seuils d'intervention. Risque sur les 5 prochains jours : FORT. Observation conseillée, consulter les seuils d'intervention. Période conseillée de traitement, observer les symptômes au champ avant d'intervenir. Période conseillée de traitement dépassée. Période de prévision non pertinente. Pas d’information.
Figure 14 Sorties TAMEO de la Digiferme® de Boigneville (du 05/04/2020). TAMEO : outil de conseil à l’échelle de la parcelle pour piloter les cultures, intégrant la météo, le stade de culture, le risque d’apparition des maladies et repérant les meilleures périodes d’intervention pour protéger la culture.
masse18, et permettent d’aboutir à un diagnostic : « Est-ce que mon blé est correctement alimenté ? A-t-il besoin d’azote ou pas ? ». Les conseils produits par cet outil, sous forme de cartographie parcellaire, identifient les doses d’azote à apporter et, plus finement, les zones aux besoins en azote différents. Ce dernier point facilite la modulation19 de dose au sein d’une même parcelle, c’est-à-dire l’apport de quantités différentes selon les besoins réels des plantes. En moyenne, 600 000 hectares sont pilotés chaque année grâce à FARMSTAR®, ce qui en fait un outil d’aide à la décision 18. Ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale, source d’énergie. 19. Modulation : variation, adaptation, modification du processus selon certains critères.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
PARCELLES
très utilisé. Les filières qualité et la réglementation (Directive nitrates) encouragent à l’utilisation de ce genre d’outils. La surveillance des maladies sur les cultures est un enjeu important pour les agriculteurs. Des outils d’aide à la décision sont disponibles pour les accompagner dans cette surveillance et les aider à déclencher ou non une intervention au regard des informations transmises. La Figure 14 montre l’interface d’un outil permettant de gérer au mieux les maladies du blé tendre. Cet outil prend en compte les niveaux de résistance aux maladies des variétés cultivées sur la ferme, les dates de semis réalisés et les conditions météorologiques (conditions qui vont conditionner le développement de la céréale et des maladies). Pour chaque parcelle, un risque par maladie
133
Chimie et agriculture durable
est déterminé journellement. Sur l’exemple donné, c’est la septoriose20 qui domine. Ce type d’outil permet des bénéfices économiques et environnementaux en évitant de traiter systématiquement les blés sans pour autant faire prendre de risque à l’agriculteur. Les modèles ne sont qu’une simulation de la réalité qu’il est 20. Septoriose : maladie foliaire du blé dont les symptômes se manifestent par l’apparition de taches ovales jaunes et brunes sur les feuilles.
Observation via des capteurs
Surface touchée
Forçage
temps
Figure 15 Forçage des modèles : obtenir des modèles toujours plus performants grâce à des données capteurs permettant des recalages.
parfois nécessaire de recaler grâce à des données réelles. Des travaux de recherche sont en cours. L’utilisation d’images satellitaires, de capteurs positionnés dans les champs, pourrait améliorer les modèles existants (Figure 15). Les technologies du numérique doivent permettre une prise de décision facilitée et pertinente, en toute transparence (Figure 16). 2.4. Des interventions de plus en plus précises Exemple du désherbage localisé La gestion de l’enherbement des parcelles est également un enjeu fort pour les agriculteurs. Le matériel utilisé jusqu’à présent oblige de traiter l’ensemble de la parcelle : les zones avec et sans adventices. Le désherbage localisé signifie qu’on ne pulvérise de l’herbicide que sur des zones où la présence d’adventices a été détectée. Voici un exemple concret, lié à la gestion des chardons dans des parcelles de la Digiferme® de Boigneville.
Agriculture multiperformante, de précision
Accès aux données, 0 saisie
Interopérabilité
Analyse multicritère
Figure 16 134
Amélioration du processus en vue d’une agriculture multi-performante.
Visualisation, prise en main simple
Les technologies du numérique sont essentielles pour assurer une gestion durable des produits phytosanitaires des cultures. Les progrès attendus, impliquant du « Deep learning », permettront d’être toujours plus précis, améliorant ainsi la performance technique, économique et environnementale des fermes. Utilisation de robots La majorité des robots disponibles sur le marché, sont des porte-outils qui vont entre autres biner les cultures. Leur intérêt réside dans leur autonomie, libératrice de temps pour les agriculteurs (Figure 18). Un certain nombre de robots a été testé sur la Digiferme® de Boigneville afin d’étudier leurs guidages et les efficacités de leurs interventions.
Cartographie du traitement
Cartographie des chardons
Surface de la parcelle = 4,9 ha Surface des zones chardons = 0,7 ha Surface traitée = 1,05 ha Soit une réduction de 78,7 % avec des tronçons de 2 m
Figure 17 Cartographie de localisation des chardons et cartographie du traitement associées.
Ces robots autonomes sont développés en premier lieu sur des cultures à haute valeur ajoutée du fait de leur cherté et des nombreuses contraintes réglementaires et techniques à surmonter. Parmi celles-ci, la circulation d’une parcelle à une autre est gênée par la présence de fossés, de chemins et de routes, à ce jour impossibles réglementairement à contourner en l’absence d’un être humain. Les parcelles agricoles françaises sont de taille modeste, obligeant le franchissement régulier de ces obstacles. Des chercheurs de l’INRAE (Institut National de la Recherche Agronomique et de l’Environnement) estiment ainsi que des flottes de petits
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
En 2019, dans le cadre d’un partenariat avec une entreprise du numérique, nous avons testé des capteurs embarqués sur le pulvérisateur (Figure 17). Ces capteurs ont permis d’élaborer une carte localisant les chardons qui a ensuite été convertie en carte de préconisation. Dans les deux cas étudiés, nous avons réussi à réduire l’utilisation d’herbicides : 79 % et 88 % des surfaces n’ont pas été traitées !
Figure 18 Test du robot Dino – Naïo et du désherbeur Ecorobotix.
135
Chimie et agriculture durable
robots seront plus faciles à transférer d’une parcelle à une autre. 2.5. Mettre en place un véritable pilotage tactique et stratégique Un tableau de bord connecté est un outil que de nombreux agriculteurs rêveraient d’avoir. Un outil qui permettrait de remonter et compiler toutes les informations utiles à la gestion de la ferme au
quotidien. Si des outils d’aide à la décision technique existent, l’aspect économique n’y est pas pris en compte. Avec des prix soumis aux cours mondiaux, il est essentiel de pouvoir inclure le coût des intrants dans ces outils pour calculer des optimums technico-économiques (où le prix de vente des céréales couvre le coût des intrants) et aider à la prise de décision (Figure 19). Quant au pilotage stratégique (Figure 20), de nombreux
Préconisations
Chantiers prioritaires : Efficience liée au climat prévu (ex : valorisation azote) Ven. 27
Sam. 28
Dim. 29
Coût de production en temps réel
Donner toutes les clés pour la prise de décision L’agriculteur reste maître !
Figure 19 Objectif d’un pilotage tactique optimisé et simple à utiliser.
Atouts et faiblesses Rentabilité Compétitivité Dépendance aux intrants Sécurité Volumes Qualité technologique Impact GES Efficience Énergie
Figure 20 136
Objectif d’un pilotage stratégique.
ce
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m
er af
M
Ré
n re
fé
2.6. La démocratisation des technologies La démocratisation de ces technologies est nécessaire pour garantir le déploiement réussi de ces technologies jusqu’aux utilisateurs finaux : les agriculteurs. Ces technologies, si elles sont intéressantes, doivent pouvoir être mises en place chez l’ensemble des agriculteurs et pas seulement chez les plus érudits et les plus techniques. Cela passera par l’abaissement des prix de ces technologies : après une première phase incontournable de prototypes souvent très chers, l’industrialisation permettra de les proposer à un prix de plus en plus abordable pour l’immense majorité des agriculteurs. Le prix d’achat n’est pas la seule clé de réussite du déploiement de ces technologies. Il est absolument indispensable que la prise en main de ces technologies soit facilitée et accessible aux agriculteurs. Plus l’outil d’aide à la décision sera facilement
compréhensible et utilisable, plus les agriculteurs s’en saisiront.
3
Autres services rendus par le numérique au niveau du monde agricole 3.1. Une meilleure communication entre les agriculteurs, les techniciens, le monde de la recherche et le grand public Les réseaux sociaux et, plus globalement Internet, ont permis de simplifier l’accès à de l’information technique et de faciliter les échanges de savoirs. Les agriculteurs sont très présents sur les réseaux sociaux. Bon nombre d’entre eux communiquent également sur leur métier auprès du grand public sur les réseaux sociaux et les plateformes vidéo. Ils y expliquent, en toute transparence, leurs interventions et les raisons qui les poussent à protéger leur blé, à fertiliser leurs champs avec des engrais, à travailler leurs sols, etc. Ils sont les ambassadeurs les mieux placés pour informer le grand public et comblent ainsi un manque d’informations complètes dans la presse grand public sur ces thématiques agricoles.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
outils restent à créer pour aider l’agriculteur à connaître les atouts et faiblesses de sa ferme en termes économique, technique et environnemental. Il est en effet très compliqué pour un céréalier d’avoir accès à des indicateurs de performance concernant sa ferme. Cependant, le développement de ce type d’informations ne sera pertinent qu’à la condition que les valeurs obtenues soient facilement interprétables, par exemple, en les comparant à des valeurs de son environnement proche.
3.2. Le numérique au service de la recherche agricole pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain Le numérique, de plus en plus mobilisé dans les actions de recherche agricole, contribue et contribuera à relever les défis agricoles d’aujourd’hui et de demain. Ce n’est pas la
137
Chimie et agriculture durable
solution magique, mais ce sera une pierre à l’édifice. Entre autres, le numérique facilitera et améliorera l’acquisition de références techniques, dont les plus pertinentes seront transférées de plus en plus rapidement aux utilisateurs finaux : les agriculteurs. Ces informations précieuses contribueront à améliorer le pilotage tactique et stratégique de toutes les fermes et à répondre toujours mieux aux attentes des consommateurs et des citoyens. Si chez les agriculteurs, les capteurs qui sont en cours de développement sont relativement peu chers, des installations plus conséquentes sont en cours de développement et d’utilisation dans le domaine de la recherche agricole. On retrouve toutes sortes de capteurs : des caméras RGB21, des 21. Caméras RGB : caméras qui fournissent simultanément une image couleur et une carte de profondeur caractérisant la distance des objets vus.
Phénofield, Beauce
LiDAR 22, etc., on les verra plutôt sur des « arches », sur des véhicules comme la phénomobile23 ou des drones (Figure 21). Grâce aux développements récents, le numérique permettra entre autres d’accélérer la sélection variétale. Par exemple, les serres présentées sur la Figure 21 permettent de contrôler la pluviométrie sur un champ. Ainsi, alliées à des technologies performantes, elles contribueront notamment pour le blé et pour le maïs, à sélectionner des variétés plus tolérantes au changement climatique et plus spécialement à la sécheresse.. 22. LiDAR : « Laser imaging Detection and Ranging », méthode de télédétection et de télémétrie semblable au radar, mais qui émet des impulsions de lumière infrarouge au lieu d’ondes radio, puis en mesure le temps de retour après avoir été réfléchies sur des objets à proximité. 23. Phénomobile : véhicule qui parcourt de manière autonome des parcelles et recueille des informations sur l’état des plantes grâce à des capteurs embarqués.
Phénomobile ARVALIS-INRA
Drone, avec HIPHEN
Capteurs : RGB Camera, TIR Camera (Surface T°), Hyperspectral, LIDAR, Tensiomètres… 8 serres mobiles 7 ha 768 (10 m2) parcelles Jusqu’à 17 environnements
500-900 parcelles/jour Jusqu’à 2 millions plantes
> 1 000 parcelles/jour
Indice foliaire vert ; senescence ; chlorophylle ; efficacité d’utilisation de l’eau… Eau, azote, rayonnement, maladies foliaires…
Figure 21 138
Infrastructures et outils utilisés par Arvalis.
Le premier capteur reste l’humain : ce sont nos yeux, nos mains. Toucher la terre, nous indique si elle est humide, et si, par exemple, un semis est possible. Se rendre physiquement sur des parcelles facilite l’observation directe de maladies. L’agriculture numérique ne doit en aucun cas nous éloigner des champs. Elle doit être au service des agriculteurs et des agronomes pour leur faciliter le travail quotidien mais aussi pour les aider à relever les défis majeurs auxquels nous devons et devrons faire face.
L’agriculture numérique, opportunités et perspectives en grandes cultures
La technologie avec, mais pas contre l’humain
139
et
agronomique
transition
agroécologique
Thierry Caquet est Directeur Scientifique Environnement à l’INRAE, Paris. Après une première partie de carrière comme enseignant-chercheur en écologie aquatique et écotoxicologie à l’université de Paris-Sud, il a rejoint l’INRA en 2001 pour conduire des travaux sur l’évaluation de l’impact des pollutions chimiques sur les écosystèmes aquatiques. Après avoir été Chef du département d’écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques, il est depuis juin 2017 Directeur Scientifique Environnement et membre du collège de direction de l’Institut (devenu INRAE en 2020).
1
Pourquoi faut-il une « transition agroécologique » de l’agriculture ? Dans les pays industrialisés de la zone tempérée, l’amélioration de la productivité de l’agriculture et de sa compétitivité économique depuis les années 1950 a été permise par un processus de modernisation qui s’est traduit par la spécialisation des systèmes de production, par l’agrandissement des exploitations et par un recours accru à des intrants de synthèse (engrais, produits phytosanitaires), au machinisme agricole ainsi qu’à des variétés végétales et à des races animales à fort potentiel productif. La spécialisation des
systèmes, l’artificialisation et l’homogénéisation des milieux ont permis de faire des économies d’échelle, tant du point de vue de la production que de la collecte de produits plus standardisés, répondant mieux aux besoins des filières de transformation et des industries agroalimentaires. Dans le même temps, les limites du modèle de l’agriculture intensive sont devenues apparentes : érosion de la biodiversité, pollutions, résistance des bioagresseurs1, 1. Les bioagresseurs sont des organismes qui causent des dommages aux plantes cultivées ou aux récoltes. Il peut s’agir de ravageurs (insectes, nématodes…), d’agents phytopathogènes ou de plantes adventices.
Thierry Caquet
Recherche
Chimie et agriculture durable
carences nutritionnelles, mais aussi stagnation des rendements et perte de valeur ajoutée pour les agriculteurs. Les atteintes à la biodiversité et aux ressources naturelles (eau, sols…) fragilisent les agroécosystèmes2, accroissent leur vulnérabilité et diminuent leur résilience3 à divers aléas dont ceux associés au changement climatique. Pour faire face à l’augmentation de la population mondiale, aux défis environnementaux et climatiques, à la raréfaction des ressources en eau et en énergies fossiles, l’adaptation des modes de production agricole – voire leur transformation – est devenue incontournable. Ceci conduit à revisiter les questions posées à la recherche agronomique. Depuis plus d’une décennie, des efforts de recherche croissants sont ainsi consacrés à la reconception des systèmes de production en se basant sur les principes de l’agroécologie,
142
2. Les agroécosystèmes sont des écosystèmes cultivés, correspondant généralement à l’unité spatiale qu’est l’exploitation agricole et dont les fonctions écosystémiques sont valorisées par l’Homme sous forme de biens agricoles et de services. 3. Issue du latin resilire (« sauter en arrière »), la notion de résilience en science est d’abord apparue dans les sciences de l’ingénieur. Elle a ensuite gagné l’écologie scientifique puis la psychologie. Appliquée à l’agriculture, la résilience repose sur un potentiel d’anticipation et un processus dynamique qui mobilise une multiplicité de leviers afin de conférer aux systèmes considérés une capacité de résistance face à des perturbations, tout en favorisant leurs capacités d’adaptation, d’apprentissage et de transformation.
qui vise à augmenter la diversité fonctionnelle4 dans les cultures, les systèmes de culture et les paysages afin d’accroître les régulations biologiques et favoriser certaines propriétés émergentes comme par exemple, la résilience visà-vis des aléas climatiques.
2
L’agroécologie à la croisée des disciplines L’agroécologie est à la fois un domaine scientifique, une pratique et un mouvement social (Figure 1)5. Dans le champ scientifique, l’agroécologie est une approche qui intègre les concepts et méthodes d’une diversité de disciplines dont l’écologie, l’agronomie, l’économie et la sociologie. Elle mobilise aussi des connaissances locales ou traditionnelles et a pour objectifs la durabilité des systèmes de production – voire des systèmes alimentaires – ainsi que la préservation et l’utilisation durable de la biodiversité. L’interdisciplinarité, l’interaction entre disciplines et la transdisciplinarité, l’interaction entre la recherche et la 4. La diversité fonctionnelle d’un assemblage d’espèces représente la diversité de traits biologiques (par exemple, morphologie, cycle de vie), écologiques (par exemple, régime alimentaire, habitat) et fonctionnels (par exemple, capacité à capter de l’eau) des espèces qui le composent. 5. Wezel A., Bellon S., Doré T., Francis C., Vallod D., 2009. Agroecology as a science, a movement and a practice. A review. Agron. Sust. Dev., 29, 503-515. https://hal.archives-ouvertes.fr/ hal-00886499
L’ambition pour la recherche agronomique est ici de contribuer à repenser les systèmes agri-alimentaires afin de favoriser les transitions vers des systèmes durables, la durabilité s’entendant selon ses trois dimensions (environnementale, sociale et économique). Plus concrètement, il s’agit de mobiliser les connaissances théoriques et pratiques afin de concevoir des modes de production qui reposent sur l’utilisation des principes et concepts issus de l’écologie afin de permettre la transition des activités agricoles vers : (i) une moindre dépendance aux intrants (par exemple, ressources énergétiques fossiles, engrais, pesticides, eau) et de limiter les impacts négatifs de leur usage ; (ii) une plus grande résilience face au changement climatique mais aussi vis-à-vis de la volatilité des prix agricoles et alimentaires ; et (iii) un renforcement des différents services7 fournis par les agrosystèmes (approvisionnement, régulations environnementales…). Il s’agit de favoriser ce qu’il convient d’appeler une agro écologie « forte », c’est-à-dire 6. Caquet T., Gascuel C., TixierBoichard M., 2020. Agroécologie. Des recherches pour la transition des filières et des territoires. https://www.quae.com/ produit/1620/9782759231300/ agroecologie-des-recherchespour-la-transition-des-filiereset-des-territoires. 7. Les services écosystémiques sont définis comme étant les biens et services que les hommes peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur bien-être.
Développement rural basé sur les ressources locales, l’emploi agricole et l’autonomie alimentaire
Modes de production réduisant les intrants, économes en ressources, valorisant la biodiversité, répondant aux besoins alimentaires locaux
« Petite agriculture » intensive en main d’oeuvre et économe en intrants, opposée à « l’agriculture financière »
Pratique
Mouvement social
Agroécologie
Domaine scientifique Agronomie + Écologie Étude et conceptioon de modes de production agroécologiques
Recherche agronomique et transition agroécologique
société, sont centrales dans l’agroécologie.
Sciences humaines et sociales
+
Étude du changement des pratiques agricoles et son accompagnement
Figure 1 Les différentes dimensions de l’agroécologie (modifié d’après Caquet et al., 20206).
qui mobilise les processus écologiques avec une finalité de durabilité, plutôt que de se positionner dans la continuité des systèmes actuels8. Ceci implique une reconception en profondeur des systèmes, au-delà de la seule phase de production, en cohérence avec les besoins de consommation et leur organisation dans les territoires.
8. Duru M., Farès M., Therond O., 2014. Un cadre conceptuel pour penser maintenant (et organiser demain) la transition agroécologique de l’agriculture dans les territoires. Cah. Agric., 23, 84-95. https://www.cahiersagricultures. fr/articles/cagri/pdf/2014/02/ cagri2014232p84.pdf
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Chimie et agriculture durable
3
Changer de paradigme
Passer de l’agriculture conventionnelle à l’agroécologie implique de passer du paradigme qui a forgé les systèmes agricoles actuels, fondé sur « l’individu idéal » et qui vise à obtenir l’animal ou le végétal le plus performant dans un environnement rendu optimal par les intrants, à un nouveau paradigme fondé sur les interactions entre individus et leur intégration dans des écosystèmes, qu’il s’agisse du champ ou du paysage (Figure 2). L’hypothèse est qu’une diversité d’individus, de variétés/races ou d’espèces sera mieux adaptée, du fait des interactions qu’ils entretiennent, à des environnements hétérogènes
Agriculture conventionnelle Paradigme « individuel » Obtenir l’individu le plus performant dans un environnement optimal Repenser le vivant ⇒ interactions
Repenser la diversité ⇒ intégration
Stoechiométrie Plasticité phénotypique Adaptation, évolution...
Diversité fonctionnelle Réseaux trophiques et mutualistes, écologie spatiale…
Mieux explorer les ressources (symbioses, mélanges,…) Mieux recycler, utiliser les interactions Paradigme « interaction et intégration » Obtenir les arrangements les plus « performants » dans des environnements hétérogènes et changeants
Agroécologie Figure 2
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Les enjeux et paradigmes de l’agriculture conventionnelle et de l’agroécologie. Des exemples de concepts à mobiliser et d’actions à favoriser pour passer de l’un à l’autre sont indiqués en italiques (modifié d’après Caquet et al., 20206).
et changeants. Leurs arrangements dans le temps et l’espace pourront s’avérer aussi plus efficients, car explorant mieux les ressources en eau et en minéraux, mais surtout plus résilients aux perturbations en raison même de leur diversité. La recherche va alors s’intéresser aux propriétés fonctionnelles de la biodiversité, celles qui rendent des fonctions et services écosystémiques (fourniture de biomasse, régulation du cycle de l’eau, qualité des sols, etc.). Plus concrètement, les principaux leviers de l’agroécologie sont les suivants : − favoriser le recyclage des biomasses, optimiser la décomposition de la matière organique et le cycle des nutriments, notamment azote et phosphore ; − renforcer les systèmes agricoles grâce à l’amélioration de la biodiversité, par exemple en créant des habitats pour les ennemis naturels des espèces nuisibles aux cultures ; − fournir les conditions de sol les plus favorables à la croissance des plantes ; − minimiser les pertes d’énergie, d’eau, de nutriments et de ressources génétiques en améliorant la conservation et la régénération des sols ; − diversifier les espèces et les ressources génétiques au sein des agroécosystèmes dans le temps et dans l’espace, de la parcelle au paysage ; − accroître les interactions biologiques et les synergies entre les composants de la biodiversité, favorisant ainsi les processus et services écologiques clés et limitant le recours aux intrants.
Lorsqu’ils décrivent la biodiversité des plantes, les botanistes utilisent en général le niveau de l’espèce, défini classiquement comme correspondant à un groupe de plantes qui ne peuvent se reproduire qu’entre elles. Depuis les travaux du naturaliste suédois Carl von Linné au e xviii siècle, chaque espèce animale ou végétale est désignée par un binôme (dérivé du latin ou du grec) combinant le nom de genre suivi du nom de l’espèce et complété par le nom (ou les noms) du descripteur de l’espèce (abrégé en L. quand il s’agit de Linné lui-même). Par exemple Zea mays L. pour le maïs ou Solanum tuberosum L. pour la pomme de terre. La variété est un rang de classification inférieur à celui de l’espèce. En agriculture, elle correspond à une population de plantes d’une espèce qui a été sélectionnée et cultivée pour des caractères répondant aux besoins des hommes, et cela parfois depuis des siècles, voire des millénaires. Les variétés ont des structures génétiques différentes, plus ou moins homogènes, selon le mode de reproduction de l’espèce, la méthode de sélection et l’effet positif de l’hybridation parfois observé, par exemple lorsque deux variétés sont croisées (on parle de vigueur hybride liée à l’hétérosis)1. Certains noms de variétés sont bien connus des consommateurs. C’est par exemple le cas pour les variétés de pomme de terre Bintje et Belle de Fontenay, inscrites depuis 1935 au catalogue français des variétés. Afin de garantir aux utilisateurs l’identité de la variété et pour faciliter le travail des utilisateurs et des transformateurs avec des productions de qualité régulière, des systèmes très structurés ont été mis en place dans la plupart des pays au cours du xxe siècle et le terme de variété est aujourd’hui défini dans la Convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) comme : « un ensemble végétal d’un taxon botanique du rang le plus bas connu qui, qu’il réponde ou non pleinement aux conditions pour l’octroi d’un droit d’obtenteur, peut être : défini par l’expression des caractères résultant d’un certain génotype ou d’une certaine combinaison de génotypes ; distingué de tout autre ensemble végétal par l’expression d’au moins un desdits caractères ; et considéré comme une entité eu égard à son aptitude à être reproduit conforme. » En France, chaque nouvelle variété est inscrite par décision du ministre en charge de l’Agriculture, publiée au Journal officiel. Le ministère s’appuie sur les avis d’un comité consultatif, le Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS2). Le catalogue français répertorie actuellement plus de 6 000 variétés (plus de 4 000 pour les espèces agricoles, plus de 2 000 pour les espèces potagères).
Recherche agronomique et transition agroécologique
VARIÉTÉS DE PLANTES CULTIVÉES, DE QUOI PARLE-T-ON ?
1 https://www.geves.fr/informations-toutes-especes/quest-ce-quune-variete/ 2 https://www.geves.fr/qui-sommes-nous/ctps/
Même si beaucoup de connaissances sont déjà disponibles et mobilisables, des recherches sont toujours nécessaires pour agir aux différents niveaux d’organisation de la biodiversité (génétique, spécifique, écosystémique) et à différentes échelles spatiales (de la parcelle au paysage). Il s’agit bien sûr de la biodiversité des espèces cultivées et élevées (aussi parfois appelée « biodiversité planifiée » ou « agrobiodiversité ») mais aussi des espèces associées
(aussi parfois appelée « biodiversité non planifiée »), qu’il s’agisse de micro-organismes, d’espèces d’auxiliaires9 ou bien encore de ce que l’on appelle les infrastructures écologiques (haies, bandes enherbées, etc.). 9. Les auxiliaires sont des organismes utiles aux plantes cultivées, soit en tant que prédateurs ou parasites des bioagresseurs des cultures, soit en tant que pollinisateurs indispensables à la fécondation de nombreuses espèces.
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Chimie et agriculture durable
Un autre enjeu est de pouvoir mieux utiliser la biodiversité et les régulations biologiques positives pour l’agriculture (contrôle de bioagresseurs, pollinisation, fixation symbiotique de l’azote 10, etc.) afin d’accroître la flexibilité et la résilience des systèmes agricoles et de développer des pratiques innovantes en connaissant mieux les interactions biologiques et écologiques pour mieux les exploiter.
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La diversité comme atout
4.1. Utiliser les effets positifs de la diversité génétique intraspécifique Au sein d’une même espèce végétale (ou animale), tous les génotypes ne présentent pas
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10. L'essentiel de l'azote présent dans les sols résulte d’un processus biologique qui conduit à la transformation du N2 atmosphérique, inerte, en une forme réactive, l’ammoniac. La réaction correspondante est catalysée par une enzyme, la nitrogénase. De nombreux organismes appartenant aux archées, aux bactéries et aux cyanobactéries synthétisent la nitrogénase et ont la possibilité de fixer de l'azote, en association ou non avec des plantes. Lorsque ces micro-organismes sont associés à des plantes, on parle de fixation symbiotique. L’énergie nécessaire à la réaction est fournie par la plante hôte. L'association symbiotique la mieux connue est la symbiose rhizobienne chez les plantes de la famille des Fabaceae (couramment appelées légumineuses : luzerne, pois…). Ces plantes accueillent des bactéries des genres Rhizobium et Bradyrhizobium dans des structures symbiotiques visibles à l’œil nu sur le système racinaire, appelées nodules ou nodosités.
les mêmes réponses lorsqu’on les place dans des conditions identiques, qu’il s’agisse de vitesse de croissance, de rendement, de sensibilité aux maladies, de tolérance aux fortes ou faibles températures, de vulnérabilité à la sécheresse, etc. Les systèmes de production traditionnels sont généralement basés sur une forte diversité d’espèces et de variétés à l’intérieur de la parcelle. À l’inverse, l’intensification agricole a conduit à la généralisation des cultures pures dans lesquelles le peuplement n’est plus une communauté mais est constitué d’une seule variété. Cette intensification, en standardisant et optimisant les performances variétales et les conduites culturales, a permis d’importants gains de productivité, mais avec des conséquences non négligeables sur l’environnement. Associer des génotypes/variétés différentes d’une même espèce de plante dans une même parcelle présente divers intérêts agronomiques, dont une meilleure valorisation des ressources conduisant à une meilleure productivité et qualité et une meilleure gestion des risques d’accident, notamment face aux bioagresseurs, conduisant à une plus grande stabilité des productions. Il existe en effet divers exemples qui montrent les effets positifs de la diversité génétique sur la stabilité de la production de biomasse et la résistance à la sécheresse, sur l’abondance des espèces composant un mélange cultivé, sur la régulation des maladies voire, sur l’abondance des bactéries et champignons du sol.
La riziculture conduite dans les terrasses du YuanYang en Chine (sud-est du Yunnan) constitue un exemple emblématique d’agrosystème durable basé sur l’utilisation d’une biodiversité cultivée élevée. Dans cette région, les rizières en terrasse procurent la principale source de subsistance pour la population locale. Une remarquable diversité du riz est maintenue au sein de ces agroécosysCrédit photo : E. Fournier, INRAE tèmes qui existent depuis plus de 1 300 ans. Dans cette région, les rendements sont corrects (5-7 t/ha), sans utilisation d’engrais de synthèse ni de produits phytosanitaires. Le riz est étonnamment préservé des épidémies, notamment celles liées à un champignon agent de la pyriculariose du riz, Magnaporthe oryzae, pourtant présent. Ce paradoxe apparent a été résolu en analysant plus précisément la biodiversité locale du riz. Deux sous-espèces de riz sont co-cultivées dans la zone, du riz ordinaire (Oryzia sativa indica) et du riz gluant utilisé pendant les fêtes (Oryzia sativa japonica), alors qu’ailleurs dans le monde, ces deux sous-espèces sont rarement trouvées dans les mêmes systèmes. D’autre part, le nombre de variétés traditionnelles (majoritairement de type indica) est remarquablement élevé avec jusqu’à 140 variétés différentes recensées. Or, les analyses ont montré que les variétés japonica présentent une forte immunité basale et peu de gènes de résistance au champignon, tandis qu’à l’inverse, les variétés indica possèdent une faible immunité basale et beaucoup de gènes de résistance. Ces deux types de variétés de riz ayant des systèmes immunitaires différents ont conduit à l’existence de deux populations spécialisées de champignons capables d’infecter des variétés spécifiques de riz. Ces deux types d’agents pathogènes ultra-spécialisés sont donc incapables de se disperser dans un paysage hétérogène. Les populations de champignons sont contraintes à être généralistes, ce qui empêche l’émergence de génotypes spécialistes très agressifs et limite les dégâts sur le riz.
Plus proche de nous, un autre exemple d’utilisation réussie d’un mélange de variétés au sein d’une même espèce est celui du colza. En semant un mélange composé à 5 % d’une variété très précoce et à 95 % d’une variété à précocité « normale », il est possible d’attirer sur les plantes de la variété précoce un insecte ravageur, le méligèthe, qui mange les boutons floraux et fait son unique cycle annuel sur ces plantes. Ceci évite les attaques sur les plantes de l’autre variété et permet d’éviter un traitement insecticide. Les co-bénéfices sont une meilleure protection des utilisateurs de produits
Recherche agronomique et transition agroécologique
LE PARADOXE APPARENT DU « RIZ ÉTERNEL »
phytosanitaires, des auxiliaires et des pollinisateurs, notamment les abeilles. 4.2. Associer les espèces L’un des axes importants des recherches en appui à la transition agroécologique est la mise en place de peuplements composés de plusieurs espèces dans les parcelles cultivées plutôt que de peuplements monospécifiques. La culture d’associations d’espèces végétales est une pratique répandue dans de nombreuses régions du globe, notamment en zone intertropicale. Elle repose
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Chimie et agriculture durable
Partage des ressources
Facilitation
Complémentarité
peuvent être observés sur les rendements ou d’autres critères comme l’abondance des adventices par exemple (Figure 4). Figure 3 Représentation schématique des situations d’interactions favorables entre espèces végétales (voir texte pour plus de détails ; modifié d’après Brooker et al., 201511).
Perte de rendement Gain de rendement dans l’association dans l’association
sur la mise à profit, souvent sur la base de connaissances empiriques, de certaines interactions entre espèces, bien connues en écologie (Figure 3) :
52 %
5%
30 %
13 %
Moins d’adventices dans l’association
Plus d’adventices dans l’association
Figure 4
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Bilan de l’analyse de 34 études portant sur des associations entre des cultures principales (maïs, blé, etc. ; 15 espèces) et des légumineuses (trèfle, luzerne, etc. ; 26 espèces) selon deux types de réponses : biomasse des adventices et rendement de la culture principale. Dans 82 % des cas, un effet positif de l’association sur la biomasse des adventices a été observé. De même, un effet positif sur le rendement de la culture principale a été observé dans 57 % des cas. Dans 52 % des cas, des effets positifs ont été observés pour les 2 réponses (d’après les données de Verret et al., 201712).
− complémentarité de niche entre espèces, pour des espèces qui exploitent des formes différentes d’une même ressource (azote par exemple) ou bien qui utilisent une même ressource mais de façon différée dans le temps ou dans l’espace ; − facilitation entre espèces dans les situations où une espèce augmente la croissance ou la survie de l’espèce qui lui est associée à travers l’amélioration des conditions environnementales (température, ombre, disponibilité des ressources...). Ceci peut découler d’interactions directes entre plantes ou d’interactions indirectes via les communautés microbiennes et mycorhizes présentes dans le sol.
Les développements en ce sens concernent aussi les situations où une culture dite « de rente » (car ses produits sont commercialisés) est associée, pendant tout ou une partie de son cycle, à une ou d’autres espèces de plantes qui ne sont pas récoltées. On parle alors de plantes compagnes. Plusieurs types d’associations peuvent être distingués : semis simultané avec la culture de rente, la plante compagne mourant ou étant détruite avant récolte de la culture principale ; association relais, où une espèce (ou un mélange) est semée en cours de cycle de la culture de rente, le bénéfice attendu étant principalement pour la culture suivante ; associations (semi) permanentes, avec semis direct de la culture de rente dans un couvert (semi)permanent non récolté.
En valorisant la complémentarité et les interactions positives entre espèces cultivées en association, des gains
Au sein des associations du premier type, un intérêt particulier est apporté aux plantes de service, qui sont à même de fournir différents services aux plantes cultivées : couverture du sol et contrôle des adventices, fixation symbiotique de l’azote atmosphérique qui est ensuite restitué à la mort de la plante de service (par exemple suite à un épisode de gel), contrôle des bioagresseurs
11. Brooker et al., 2015.Improving intercropping : a synthesis of research in agronomy, plant physiology and ecology. New Phytol., 206, 107-117. https://doi. org/10.1111/nph.13132
12. Verret V. et al., 2017. Can legume companion plants control weeds without decreasing crop yield? A meta-analysis. Field Crops Res., 204, 158-168. https://doi. org/10.1016/j.fcr.2017.01.010
Parmi les exemples figure notamment celui du colza d’hiver (Figure 5) avec lequel on peut semer des légumineuses conduites seules (lentille fourragère, féverole, vesce commune…) ou en mélange (lentille-féverole par exemple). Les résultats d’essais menés dans différentes régions de France montrent que cette technique permet de réduire l’usage d’engrais azotés ainsi que d’herbicides et d’insecticides, sans pénaliser le rendement du colza. Pour une part, les recherches sur les plantes de services font intervenir les concepts et méthodes de l’écologie chimique. Il s’agit notamment d’identifier les molécules et les mécanismes par lesquels certaines plantes attirent – ou au contraire – repoussent les bioagresseurs, de caractériser leurs cibles, voire, de rechercher des voies de synthèse d’analogues susceptibles d’être utilisés dans des démarches de lutte contre les bioagresseurs par confusion olfactive (attractants ou au contraire répulsifs). 4.3. Revisiter les pratiques traditionnelles pour s’en inspirer et les démultiplier Les agricultures tropicales sont une source d’inspiration
Perturbation des insectes Fixation symbiotique
N2
Gel
Légumineuses gélives
Mulch mort
Régulation des adventices Semis ÉTÉ
Fourniture de N Colza
AUTOMNE
HIVER
Floraison PRINTEMPS
Figure 5 Représentation schématique de l’utilisation de plantes de service gélives (légumineuses) sur les cultures de colza d’hiver. Le mélange perturbe la détection des plants de colza par les insectes ravageurs par confusion visuelle ou olfactive. La couverture du sol par les légumineuses empêche le développement des plantes. Grâce à leurs nodosités racinaires, les légumineuses fixent le diazote atmosphérique. Elles gèlent en hiver mais pas le colza. Les plantes tuées par le gel forment une couche de végétaux morts (mulch mort). En se décomposant, elles libèrent de l’azote qui peut alors être utilisé par le colza.
Recherche agronomique et transition agroécologique
(plantes pièges, plantes émettant des substances répulsives, etc.), favorisation des auxiliaires des cultures. La gestion et le pilotage de ces interactions biologiques sont délicats, afin de capitaliser sur la complémentarité des espèces sans que leurs croissances respectives ne soient pénalisées.
pour l’agroécologie. Les « jardins créoles » sont des systèmes traditionnels, notamment aux Antilles, qui regroupent plus d’une dizaine d’espèces sur une petite surface (100 à 200 m2) pour une autoconsommation diversifiée (tubercules, légumes, épices et arbres, ainsi que des animaux). Systèmes agroécologiques par nature, ils font l’objet de recherches menées en collaboration avec les agriculteurs pour définir des références techniques et économiques, concevoir et mettre en œuvre des innovations, tester leur impact sur les performances agroécologiques et la fourniture de services écosystémiques. C’est notamment le cas en Guadeloupe dans le cadre de projets coordonnés par INRAE13. 13. https://www.inrae.fr/actualites/ microfermes-guadeloupe-transi tion-agroecologique-route
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Chimie et agriculture durable
5
Transition agroécologique et paysages Le paysage agricole est une mosaïque de parcelles et d’espaces interstitiels, de tailles, de formes et d’arrangements variables dans l’espace, mais aussi dans le temps, au rythme des successions culturales, des activités agricoles et de l’aménagement du territoire. Ces arrangements sont liés aux contraintes des exploitations agricoles en relation avec leur mode de production, aux caractéristiques du milieu en relation avec la distribution des sols et des nappes, mais aussi aux activités non agricoles, en particulier aux interfaces entre espaces cultivés et non cultivés. Ces mosaïques, liées aux dimensions socio-économiques du territoire, s’inscrivent dans une histoire et sont porteuses d’enjeux pour la société en matière de production et d’environnement14. De nombreuses espèces d’auxiliaires des cultures (pollinisateurs, carabes, etc.) mais surtout de bioagresseurs sont mobiles dans le paysage. L’analyse des résultats obtenus dans les programmes de recherche montre clairement que des paysages agricoles simples, c’est-à-dire très homogènes en termes de cultures et pauvres en éléments semi-naturels (haies, petits bois, etc.) sont plus sensibles aux épidémies et aux infestations
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14. Gascuel-Odoux C., Magda D., 2015. Gérer les paysages et les territoires pour la transition agroécologique. Innovations Agronomiques, 43, 95-106. https:// www6.inrae.fr/ciag/content/download/5601/42531/file/Vol43-10Gascuel-Odoux.pdf
d’organismes nuisibles aux cultures et qu’ils abritent en revanche moins d’auxiliaires (Figure 6). La proportion d’habitats semi-naturels, la diversité des couverts cultivés mais aussi les caractéristiques de leur gestion agricole (niveau de pression phytosanitaire, régime de travail du sol) sont autant de facteurs qui interagissent de façon complexe pour déterminer l’intensité du contrôle biologique15. Des analyses récentes réalisées à grande échelle en Europe et au Canada mettent en évidence le rôle positif de la taille des parcelles et de la présence des habitats seminaturels sur la biodiversité d’espèces aériennes (plantes, abeilles, papillons, syrphes, carabes, araignées, oiseaux)16. Une méta-analyse de plus de 5 000 études réalisées dans le monde entier montre que l’augmentation de la diversité des cultures est le plus souvent favorable à la fertilité du sol, au rendement des cultures, aux cycles des nutriments, à la séquestration du carbone, au biocontrôle et à la régulation du cycle de l’eau17 (Figure 7). 15. Petit S., Lescourret F., 2019. La biodiversité au cœur des agroécosystèmes : où en sommesnous aujourd’hui ? Innovations Agronomiques 75, 15-27 dx.doi. org/10.15454/pidx5t 16. Sirami C. et al., 2019. Increasing crop heterogeneity enhances multitrophic diversity across agricultural regions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 166, 16442-16447. https://doi. org/10.1073/pnas.1906419116 17. Tamburini G. et al., 2020. Agricultural diversification promotes multiple ecosystem services without compromising yield. Science Advances, 6. DOI : 10.1126/ sciadv.aba1715
25 20
Régulation de l’eau
15 10
Rendement
5 0
Cycles des nutriments
Biocontrôle
Habitats semi-naturels et agriculture extensive – nombre élevé d’espèces et d’habitats de prairie
Intensification de l’agriculture – déclin progressif des espèces et des habitats de prairie
Agriculture intensive – apports élevés de nutriments, déclin important des espèces et des habitats de prairie
Figure 6 Biodiversité des zones agricoles et intensité de l’utilisation des terres. Source : Cour des comptes européenne, 2020, Rapport spécial Biodiversité des terres agricoles : la contribution de la PAC n’a pas permis d’enrayer le déclin ; https://www.eca.europa.eu/Lists/ ECADocuments/SR20_13/SR_Biodiversity_on_farmland_FR.pdf).
La mise en place et la gestion de fonctions écologiques à l’échelle des paysages impliquent une mobilisation collective des acteurs si l’on souhaite progresser dans la conception et la gestion de paysages qui supportent des fonctions multiples : régulation des bioagresseurs (ravageurs, adventices, maladies) ou de la pollinisation ; maintien de la biodiversité des sols et en surface ; maintien de la production végétale et animale (fertilité des sols, nutrition animale) ; gestion des espèces envahissantes ; etc. Les priorités pour la recherche sont multiples. Il s’agit tout d’abord de repenser l’organisation spatiale des parcelles, des ateliers de production, des espaces interstitiels, des infrastructures écologiques pour améliorer les régulations écologiques (préservation des habitats, des auxiliaires des cultures, des pollinisateurs, …) et biogéochimiques (sols, flux d’eau et de matière, …). Il est aussi nécessaire de changer le point de vue, pour passer
Séquestration du carbone
Positif Neutre Négatif
Figure 7 Nombre d’études ayant mis en évidence un effet positif, neutre ou négatif de la diversification des cultures sur 6 services écosystémiques (d’après les données de Tamburini et al., 202015).
Recherche agronomique et transition agroécologique
Fertilité du sol
de la parcelle et de la gestion à court terme (le plus souvent à l’échelle annuelle) à une vision spatialisée et pluriannuelle des activités agricoles dans un territoire. Ceci permet d’identifier de nouveaux leviers de performance environnementale et économique, y compris au travers d’un renforcement des interactions entre productions animales et végétales18. Enfin, parce que l’échelle du paysage est capitale pour la réussite de la transition agroécologique, il est indispensable d’élaborer des projets de territoire et de gestion collective des activités agricoles à cette échelle. Le paysage ne doit plus être une mosaïque résultant d’actions individuelles non concertées mais le fruit de coopérations entre acteurs au sein 18. Caquet T., Gascuel-Odoux C., Peyraud J.-L., 2020. Priorités de la recherche : les apports des Ateliers de Réflexion Prospective interdisciplinaire Agroécologie et Élevages pour demain d’INRAE. Innovations Agronomiques, 80, 1-12. https://doi. org/10.15454/mw8h- 0x21
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Chimie et agriculture durable
d’espaces partagés et qui bénéficient d’outils d’accompagnement pour faciliter la réflexion et le pilotage des actions.
6
Mobiliser l’ensemble de la chaîne de valeur
6.1. Vers de nouvelles filières agro-alimentaires
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La diversification des productions qu’implique l’agroécologie s’accompagne d’une augmentation de la variabilité et de l’hétérogénéité des produits alors que les filières agro-alimentaires se sont organisées pour favoriser la standardisation des matières premières ainsi que des process de transformation. Valoriser la diversité passe notamment par une adaptation des procédés mis en œuvre dans le cadre des industries agro-alimentaires (traitement physique et/ou chimique, bioprocédés, etc.) mais aussi par une redéfinition de la chaîne logistique (méthodes de séparation et de tri, collecte, stockage, transport…). Les entreprises du secteur doivent aussi se poser la question d’une évolution de la conception des usines agro-alimentaires vers des unités de plus petite échelle, flexibles et pilotées en temps réel, éventuellement d’une réduction de la taille des ateliers et de leur relocalisation au plus près des sites de production. Cela nécessite d’éco-concevoir des chaînes de production capables d’intégrer des échelles plus petites tout en restant éco-efficientes (diminution des consommations d’eau ou d’énergie,
diminution des pertes et utilisation optimisée des co-produits), et garantissant bien sûr la sécurité des aliments19. Les acteurs de la recherche et de la recherche et développement se mobilisent pour développer des innovations pour : évaluer la durabilité des pratiques agroécologiques ; mieux caractériser les produits agricoles correspondants (qualité nutritionnelle, aptitude à la transformation, etc.) ; analyser les comportements des consommateurs (perception, consentement à payer20, etc.) ; définir de nouvelles normes et standards, voire des labels ; organiser les circuits logistiques et économiques ; etc. 6.2. Un rôle clé pour le numérique et les agroéquipements S’engager dans la transition agroécologique ne signifie pas renoncer aux bénéfices que peut apporter la technologie. Le numérique et les agroéquipements peuvent et doivent jouer un rôle dans cette transition en contribuant à informer ou à contrôler les processus qui sont mobilisés par l’agroécologie : − rendre visibles et intégrer la réalité et les mécanismes déclencheurs de stimulation 19. https://qualiment.fr/votrepartenaire-de-recherche-pourlinnovation-en-alimentation/ focus-areas/vers-une-usine-agroalimentaire-intelligente/ 20. Le consentement à payer correspond à la valeur maximale du prix d’un bien ou d’un service donné que le consommateur/acheteur potentiel accepte de payer du fait des propriétés de ce bien ou de ce service.
d’informations entre acteurs, y compris à une échelle internationale22. 6.3. Les agriculteurs au cœur de la transition
Cela conduit au développement et à la mise en œuvre de nouveaux capteurs et équipements (y compris des robots) au niveau des exploitations agricoles pour la caractérisation de l’environnement et des organismes, pour le désherbage ou la récolte (par exemple, moissonneuses pour cultures mélangées, trieurs de graines). Des innovations numériques sont aussi mobilisées pour permettre la traçabilité des pratiques et des produits (blockchain21) et pour le partage
La transition agroécologique des exploitations agricoles est en elle-même un objet pour la recherche car elle se déroule dans un contexte de pressions multiples (économiques, climatiques mais aussi sociales) sur les agriculteurs et d’incertitude sur la stratégie et les actions à mettre en œuvre. Dans certains cas, les agriculteurs savent qu’ils ne peuvent plus continuer à l’identique, sans pour autant savoir comment agir autrement. La mise en œuvre de l’agroécologie nécessite de changer de mode de raisonnement car piloter les activités agricoles sur la base des processus écosystémiques est très différent du pilotage conventionnel basé sur l’utilisation d’intrants. Il n’y a pas de trajectoire unique car il est nécessaire d’adapter le système à son contexte de production, en intégrant l’incertitude (connaissances incomplètes, effet des actions…). Il en résulte que la transition agroécologique d’une exploitation agricole se raisonne localement et chemin faisant. Cela implique que l’agriculteur mobilise et développe
21. Une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie. http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/ missions-d-information-communes/
chaines-de-blocs. Plus concrètement, la blockchain permet à ses utilisateurs – connectés en réseau – de partager des données sans intermédiaire. 22. Par exemple, plateforme des connaissances sur l’agroécologie de la FAO, https://www.fao.org/ agroecology/home/fr/ ; plateforme collaborative pour la transition agroécologique AGRISOURCE, https://www.agrisource.org/fr/1/ accueil.html
Recherche agronomique et transition agroécologique
des défenses internes des plantes ou des animaux ; − quantifier les régulations naturelles ; − évaluer l’occupation des niches écologiques et leur préservation ; − tirer profit de la valorisation des complémentarités entre organismes pour réduire la compétition et créer des synergies ; − reconstituer les stocks de nutriments et maintenir les paramètres de l’environnement dans une gamme de fonctionnement qui respecte les particularités locales de l’environnement et ses potentialités, mobilisant pour ce faire le bouclage des cycles à travers la valorisation de la biomasse, mais aussi le recyclage, la sobriété et l’efficience des ressources mobilisées.
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Chimie et agriculture durable
ses capacités d’apprentissage pour des pratiques mal connues et en rupture. L’expérience montre l’intérêt de participer pour cela à des collectifs ou des groupes d’échanges, accompagnés ou non de conseillers et/ ou d’animateurs, qui facilitent la créativité, l’apprentissage, la réassurance face aux incertitudes, la construction de nouveaux référentiels d’action, mais aussi la réflexivité et l’appropriation de nouvelles valeurs.
Diversité & Hétérogénéité
Stress et chocs induits par le CC Exposition
+
Sensibilité
+
+
Sols
Éléments sociotechniques
+
+
Capacité d’adaptation
Impact potentiel
Co-bénéfices pour l’atténuation
+
Résilience
Vulnérabilité
+ Figure 8 Relations entre pratiques agroécologiques, sensibilité/vulnérabilité aux stress induits par le changement climatique et résilience des systèmes agricoles (adapté d’après Leippert et al., 2020 22).
7
Des co-bénéfices pour la résilience vis-à-vis du changement climatique Face aux risques climatiques (et à leurs impacts sur le système alimentaire dans son ensemble), les systèmes de production doivent devenir plus résilients. Des retours d’expérience suggèrent que plusieurs des leviers mobilisés par la transition agroécologique (diversification, amélioration des sols, partage d’expérience…) sont favorables à la résilience des systèmes agricoles vis-à-vis des chocs induits par le changement climatique, en permettant de réduire leur sensibilité et leur vulnérabilité tout en augmentant leur capacité d’adaptation, avec des co-bénéfices pour l’atténuation du changement climatique (Figure 8)23. 23. Leippert F., Darmaun M., Bernoux M., Mpheshea M. 2020. The potential of agroecology to build climate-resilient livelihoods and food systems. Rome. FAO and Biovision. https://doi.org/10.4060/ cb0438en
Changer d’échelle pour réussir la transition
154
Même si beaucoup de progrès ont été réalisés, il est nécessaire de poursuivre les efforts engagés, à la fois dans le domaine de la reconception des systèmes agricoles et pour permettre le changement d’échelle de l’agroécologie, c’est-à-dire de permettre une vraie transition massive des pratiques agricoles. En termes de reconception, il convient de s’appuyer sur l’ensemble des connaissances dispo-
24. Les « living labs » ou « laboratoires vivants » sont le support d’une démarche d’innovation participative incluant les utilisateurs. Ils visent à répondre à des problématiques complexes et multidisciplinaires à l’échelle d’un territoire. Dans un « living lab », toutes les parties prenantes sont impliquées dans le processus de cocréation et l’usager (particuliers, entreprises, collectivités) est placé en position centrale.
Recherche agronomique et transition agroécologique
nibles (y compris les connaissances locales et traditionnelles) pour développer et déployer des solutions basées sur les besoins des agriculteurs. Il est aussi nécessaire d’approfondir la connaissance des processus écologiques (par exemple, rôle de l’olfaction chez les insectes ravageurs, interactions chimiques entre plantes, etc.) et de travailler à la meilleure manière de les mobiliser comme des facteurs de production agricole et de résilience. Bien entendu, la mise en œuvre des nouvelles pratiques implique d’améliorer en continu les techniques et outils mobilisables à différentes échelles spatiales ou d’organisation socioéconomique. Changer d’échelle implique de renforcer les capacités des acteurs par la formation, tant initiale que continue, de favoriser le partage d’expériences (ce qui marche … et ce qui ne marche pas) et les recherches collaboratives, notamment au travers de démarche d’innovation ouverte dans des « living labs24 ». Il convient aussi de rappeler que la transition ne concerne pas que la phase de production mais qu’elle doit mobiliser l’ensemble des filières et des chaînes de valeur jusqu’aux consommateurs. Enfin, il sera aussi nécessaire d’adapter les cadres institutionnels et réglementaires. Le défi est de taille, mais c’est l’affaire de tous que de le relever.
155
en
protection
des
plantes : les défis de la
recherche
Jean-Marc Seng a été maître de conférences à l’université Paris-Saclay et est à l’heure actuelle chargé par la présidence de l’université de la mission d’introduction de l’entreprise au sein des parcours de licence. Il rencontre à nouveau dans ce domaine la recherche toujours nécessaire, mais en même temps suffisamment de perspectives d’application court terme pour réfléchir à la constitution d’entreprise. Patrick Saindrenan est directeur de plusieurs groupes de recherche. Il travaille en particulier, dans un institut notable, ne serait-ce qu’au point de vue architectural, l’institut de biologie des plantes CNRS-université Paris-Sud Paris-Saclay. Son domaine est l’immunité végétale et qui traite plus spécifiquement des inducteurs de défense chez les plantes. Patrick Saindrenan est à l’heure actuelle président du comité des experts macro-microorganismes de l’Anses et membre du comité scientifique du haut conseil des biotechnologies.
1
Les méthodes de lutte contre les parasites des plantes 1.1 Généralités En guise d’introduction, citons les différentes méthodes nouvelles de luttes utilisées pour combattre les organismes parasites – champignons, bactéries, virus mais aussi les ravageurs c’est-à-dire les
insectes qui détruisent aussi bien les cultures abritant les plantes produites industriellement que les plantes moins industrielles (Figure 1). Tout ce beau monde est d’abord combattu par une chimie active – les pesticides – et puis éventuellement par un tas d’autres méthodes qui sont la lutte génétique, l’introduction de gènes de résistance dans les variétés, ou
Jean-Marc Seng et Patrick Saindrenan
Nouvelles approches
Chimie et agriculture durable
Lutte chimique – Pesticides
Biocontrôle – Macro-organismes – Produits phytopharmaceutiques
Lutte génétique – Sélection variétale – PGM
Pratiques culturales – Rotation – Plantes de coupure – Stockage
Méthodes physiques – Thermique, mécanique… Avertissements agricoles – Modélisation épidémiologique – Prévisions, OAD – Épidémiosurveillance
Figure 1 Panorama actuel de la protection des plantes.
par des méthodes physiques, des avertissements agricoles, des pratiques culturales (le simple fait de faire une rotation de culture permet de lutter contre les maladies). 1.2 Le biocontrôle Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser particulièrement au biocontrôle. Dans biocontrôle, il y a le mot biologie, donc le mot vivant, c’est pour cela que bien souvent, on a appelé cela de la lutte biologique. Toutefois, vous verrez qu’il n’y a pas que des organismes vivants qui sont impliqués.
158
Le contexte d’émergence du biocontrôle est connu de tous. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience sociétale sur les conséquences de l’utilisation des pesticides, sur l’environnement et sur la santé humaine. Cette situation se traduit par un renforcement de la législation, c’est-à-dire l’autorisation de mise sur le
marché des molécules de chimie conventionnelle et la disparition progressive de leur utilisation. Non seulement on en homologue 1 moins, mais aussi certaines molécules ne sont pas ré-autorisées parce que des études plus fines montrent qu’il y a potentiellement des problèmes – de nature technique mais aussi quasi-politique. Le biocontrôle s’appuie également sur des décisions réglementaires gouvernementales qui fixent des directions et veulent favoriser des méthodes de lutte alternatives à la lutte chimique pour la protection de nos cultures ; ce sont les « plans écophytos2 ». Ces plans ont commencé il y a quelques années et vont se prolonger ; ils visent à réduire l’utilisation des molécules chimiques conventionnelles au profit de nouvelles méthodologies dont le biocontrôle fait partie. Pour le définir, le biocontrôle concerne l’ensemble des méthodes de protection des végétaux qui utilisent des mécanismes naturels. Il vise la protection des plantes en privilégiant l’utilisation de mécanismes et d’interactions qui régissent les relations entre les espèces dans les milieux 1. Homologuer : reconnaître, déclarer quelque chose conforme aux règlements en vigueur, à certaines normes. 2. Plan écophyto : plan gouvernemental qui matérialise les engagements pris par le gouvernement et apporte une nouvelle impulsion pour atteindre l’objectif de réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 et de sortir du glyphosate d’ici fin 2020 pour les principaux usages et au plus tard d’ici 2022 pour l’ensemble des usages.
Produits phytopharmaceutiques Micro-organismes
naturels. Les méthodes de biocontrôle mettent en jeu des mécanismes plus complexes qu’une inhibition directe d’un bioagresseur et conduit à des études complexes. La recherche amont que l’on appelle aussi « recherche fondamentale » est un levier incontournable si l’on veut faciliter l’essor du biocontrôle ; il est absolument nécessaire que les laboratoires privés, publics, que la communauté internationale, travaille ces aspects-là. De façon plus concrète, le biocontrôle englobe deux grandes catégories (Figure 2) d’organismes ou de produits. La première, ce sont les macro-organismes, qui sont des organismes assez grands comme des invertébrés, des insectes, des acariens, etc. (Encart : Insectes tueurs et insectes tués). La deuxième catégorie englobe les produits phytopharmaceutiques. C’est un nom qui peut faire penser à des molécules mais pas seulement. Cela fait aussi référence à des micro-organismes comme les bactéries, les champignons, les virus, à des substances d’origine naturelle – végétale, animale et minérale. Et finalement, cela comprend aussi des médiateurs chimiques tels que les phéromones3 et les kairomones4. 3. Phéromone : substance chimique ou mélange de substances produites par des glandes exocrines déclenchant des réactions physiologiques ou comportementales entre individus de la même espèce. 4. Kairomone : substances allélochimiques qui conduit à des interactions entre individus d’espèces différentes.
Substances naturelles d’origine
Médiateurs chimiques
• Invertébrés
• Bactéries
• Végétale
• Phéromones
• Insectes
• Champignons
• Animale
• Kairomones
• Acariens
• Virus
• Minérale
• Nématodes
Figure 2 Les différentes catégories englobées par le biocontrôle.
INSECTES TUEURS ET INSECTES TUÉS Pour qu’il n’y ait pas de confusion pour le public, on parle bien ici d’insectes tueurs, d’insectes qui ravagent les cultures. On parle donc d’acariens tueurs ou bien d’autres insectes. Il en est de même pour les nématodes qui sont de petits vers, des organismes utiles dans le biocontrôle. L’utilisation volontaire d’insectes tueurs pour lutter contre les ravageurs est une pratique répandue mais peu connue du public.
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
Macro-organismes
Le principe d’action des médiateurs chimiques5 est amusant (pour les humains, pas pour les insectes) : le monde des insectes, utilise les phéromones soit lorsque la femelle attire le mâle soit pour l’inverse. L’idée est de favoriser les rencontres pour permettre effectivement la reproduction sexuée. Il suffit alors que l’homme copie des médiateurs chimiques comme les phéromones pour créer des leurres. En faisant ceci, le mâle croit qu’il y a une femelle à l’autre bout, ce qui veut parfois dire à 10 km de distance, et en réalité il ne rencontrera pas une femelle mais un piège, tout simplement. Ce leurre n’est 5. Médiateur chimique : substance synthétisée et libérée par une cellule (neuromédiateur, cytokine, prostaglandine, etc.), intervenant dans un processus de l’organisme (conduction nerveuse, inflammation, etc.).
159
Chimie et agriculture durable
pas une une simple molécule chimique qui permettra de faire en sorte de neutraliser l’agresseur. Les phéromones sont un domaine en pleine expansion aujourd’hui. Les stimulateurs de défense des plantes, ici les SDP, sont des substances naturelles, (sous-catégorie « Substances Naturelles » de la section « Produits Phytopharmaceutiques ») et opèrent selon des modes d’action complexes et passionnants sur lesquels nous reviendrons plus loin.
2
Les stimulateurs de défense des plantes (SDP) 2.1 Les différentes catégories de SDP En introduction au monde des SDP, nous déclinons ici les différentes catégories actuellement sur le marché. Nous avons des SDP d’origine
Déminéralisation
O
Déprotéinisation HO O
Coquille de crabe
biotique comme la chitine (Figure 3) qui est un polymère6 de N-acétylglucosamine, un polysaccharide7 que l’on trouve dans les carapaces de crustacés et également chez les insectes et les champignons. Nous avons des SDP d’origine biochimique comme l’acide salicylique (Figure 4), un composé phénolique très important chez les végétaux puisque c’est une hormone végétale qui induit les défenses chez les plantes. Nous avons des SDP d’origine minérale comme le phosphite dont il sera question ici (Figure 5) et des SDP chimiques comme 6. Polymère : molécule de masse moléculaire élevée généralement organique ou semi-organique. C’est une macromolécule constituée d’un enchaînement d’un grand nombre d’unités de répétition, d’un ou de plusieurs monomères, unis les uns aux autres par des liaisons covalentes. 7. Polysaccharide : sucre issu de la polycondensation d’une grande quantité de molécules d’oses, comme l’amidon ou la cellulose.
CH3 NH O OH
OH O
O HO O
NH
O HO O
CH3 NH O
O
Chitine
OH
CH3
Figure 3 La chitine, un SDP biotique.
O
OH OH
Figure 4 160
Acide salicylique, un SDP d’origine biochimique.
O H
P O–K+ OH
Figure 5 Phosphite, un SDP d’origine minérale.
2.2 Définition et caractéristiques des SDP Les SDP fonctionnent en induisant un effet mémoire que les Anglo-Saxons appellent priming. La traduction française : potentialisation est peu usitée. L’effet mémoire/priming place les plantes traitées dans un état de résistance au bioagresseur. À l’inverse des fongicides8 conventionnels, les SDP n’ont pas d’action fongicide par eux-mêmes ; ils n’ont aucun effet sur la croissance des champignons in vitro mais ils agissent, on pourrait dire, via la plante. D’ailleurs, d’une manière générale, les SDP ont des activités indirectes ; leur activité est fortement dépendante de la physiologie de la plante et du génotype de la plante considérée. C’est que tout simplement, ils agissent à travers ce que l’on appelle le système immunitaire des végétaux.
transduction9 du signal (étape 2) ou modification de l’homéostasie – c’est-à-dire de l’équilibre physico-chimique chargé de réguler les systèmes cellulaires de l’organisme. Sur la Figure 7, nous avons indiqué l’homéostasie phosphate, qui va réguler les niveaux de phosphate et l’homéostasie rédox, qui se réfère aux états oxydants ou réducteurs de la cellule. Cette deuxième étape franchie, on arrive à l’activation transcriptionnelle (étape 3) qui, après modification de l’homéostasie (phosphate/rédox), donne le résultat final qu’est la production d’antibiotiques végétaux comme les phytoalexines ou des protéines à activité antimicrobienne comme les PR protéines. C’est l’étape 4. Le schéma serait
CH3 S
O S N N
Figure 6 Benzothiadiazole, un SDP d’origine chimique.
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
le benzothiadiazole (Figure 6), analogue fonctionnel de l’acide salicylique.
9. Transduction : transfert d’une information génétique d’une cellule à une autre par l’intermédiaire d’un vecteur.
2.3 L’immunité végétale (Figure 7) La première phase (étape 1) de l’immunité végétale est la perception des motifs cibles des interactions. Il en est ainsi par exemple de la chitine qui est perçue au niveau membranaire de la cellule par un censeur (en fait un récepteur). Cette étape de reconnaissance déclenche une cascade de signaux que l’on appelle
8. Fongicide : qui détruit les champignons parasites
Figure 7 Schéma synthétique de l’immunité végétale.
161
Chimie et agriculture durable
très simple si l’on connaissait l’étape 3 aussi bien que les autres. Mais pour la plupart des SDP actuellement utilisés, cette étape 3 est méconnue et il faut l’approfondir. À titre d’exemple, présentons (Figure 8) un cas d’immunité végétale emblématique – la réaction d’hypersensibilité du tabac au virus de la mosaïque du tabac. Il s’agit d’une interaction entre le tabac, Nicotiana tabacum, qui possède un gène N de résistance, qui va interagir avec un gène du virus de la mosaïque du tabac, la réplicase virale10 et conduire à l’état de résistance par la réaction immunitaire. À gauche sur la (Figure 8) est montrée une feuille de tabac sensible, infectée par le virus ; l’aspect gaufré de la feuille indique que le virus s’est propagé et a formé une mosaïque, d’où le nom du virus. À droite, vous avez une feuille de tabac qui présente, elle, une petite 10. Réplicase virale : protéine virale essentielle dont le rôle est de copier le génome du virus.
lésion nécrotique11 que l’on voit à peine. Elle marque le site de la réaction de résistance et indique la zone de contamination du virus. Sous lumière ultraviolette, on observe une auto-fluorescence au niveau de cette liaison nécrotique. Elle correspond exactement à la phase 4 indiquée plus haut – qui est l’accumulation de scopolétine12, un antibiotique végétal qui a également des propriétés antivirales. 2.4 Deux agents de protection des plantes (SDP) : le phosphite et le silicium Les SDP reposent sur l’exploitation du système immunitaire des plantes. Illustrons-le par deux substances minérales, le phosphite et le silicium, avec un accent sur le phosphite. Le phosphite est la forme réduite du phosphate et se 11. Nécrose : mort d’un tissu vivant. 12. Scopolétine : composé phénolique du bois de chêne, présent à l’état de traces dans le raisin. Formule brute : C₁₀H₈O₄.
Figure 8 162
Feuille de tabac infectée par le virus de la mosaïque du tabac.
Comment le phosphite exploite-t-il le système immunitaire des plantes ? Entre le phosphite et le phosphate, il y a des analogies structurelles et on s’attend donc à un jeu subtil entre phosphite et phosphate au niveau du métabolisme de la plante. Le phosphite, dérivé de l’acide phosphoreux H3PO3, modifie l’homéostasie de la plante (Figure 13) et l’amène à un état latent, non visible, de résistance – le priming. Cet état latent permet à la plante de réagir plus rapidement et plus efficacement à une infection ultérieure ; l’action est donc séquentielle. On a in fine production de phytoalexines14 puis la réaction immunitaire (Figure 14).
Le phosphite est un anti-oomycètes. Les oomycètes sont des champignons qui provoquent de nombreuses maladies très importantes comme le mildiou de la vigne, provoqué par le champignon Plasmopara viticola (Figure 10) ou le mildiou de la pomme de terre et de la tomate provoqué par le phytophthora infestans (Figure 11) (Encart : Les horreurs dues aux champignons toxiques).
14. Phytoalexine : substance antibiotique de défense produite par les plantes vertes lorsqu’elles sont attaquées par un champignon ou une bactérie.
En bas à droite (Figure 12) est montré un « chancre de l’avocatier », provoqué par Phytophtora cinnamomi. La protection se fait avec des injections de phosphite dans le tronc par des seringues spéciales maintenues sous pression. 13. Endergonique : une réaction chimique est dite endergonique si elle nécessite un apport d’énergie extérieur pour se réaliser.
+3
O H P OH O– Phosphite
+5
O HO P OH O– Phosphate
Figure 9 Molécules de phosphite et de phosphate avec leur nombre d’oxydation.
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
trouve dans les sols ; il a un degré d’oxydation de 3 alors que le phosphate a un degré d’oxydation de 5 (Figure 9). La concentration de phosphite dans les sols est très faible et le passage du phosphite au phosphate n’est pas facile parce qu’il correspond à une réaction très endergonique13 qui doit faire appel aux bactéries du sol capables d’effectuer cette transformation. Le phosphite est utilisé comme agent de protection des plantes depuis 1977 sous forme d’éthyle-phosphite d’aluminium et également sous forme de sel de phosphite. L’éthylephosphite d’aluminium rentre dans la catégorie des agents phytopharmaceutiques ; en revanche, les sels de phosphite rentrent eux dans la catégorie des agents de biocontrôle.
Figure 10 Mildiou de la vigne - Plasmopara Viticola.
Figure 11 Mildiou de la pomme de terre et de la tomate - Phytophthora infestans.
LES HORREURS DUES AUX CHAMPIGNONS TOXIQUES Juste quelques mots à propos de ce phytophthora infestans. Il faut savoir qu’en 1850, la famine irlandaise qui a provoqué un million de morts et un million cinq cent mille immigrés à travers le monde (surtout aux États-Unis), est due à ce champignon.
163
Chimie et agriculture durable
Phosphite
O H P OH O–
OH HO
Silicium
Si O
Homéostasie Phosphate, Rédox… Phytoalexines, PR protéines…
Figure 12 Le chancre de l’avocatier – Phytophthora cinnamomi.
Figure 13 Rôle du phosphite et du silicium dans l’immunité végétale.
Figure 14 Schéma de la réaction immunitaire.
Il est remarquable que l’effet de ce SDP particulier est fortement dépendant de la physiologie de la plante et en particulier, de la teneur en phosphate et des génotypes considérés. On devine déjà le parti que l’on peut en tirer en pratique pour la protection : on peut modifier ou pas la teneur en phosphate par des amendements15 et ainsi définir l’efficacité du phosphite. En fait, la plupart des SDP ont bien sûr des actions indirectes ; souvent, les actions directes des phosphites sont seulement
164
15. Amendement : opération visant à incorporer une substance dans le sol afin d’améliorer les propriétés physiques de ce sol.
fongistatiques16. Elles peuvent être réversibles contrairement à celles des fongicides conventionnels et peuvent être inversées par un apport de phosphate. Le deuxième cas annoncé de SDP d’origine minérale est le silicium. On entend peu parler du silicium comme agent SDP en lutte biologique ; pourtant, c’est le métalloïde le plus important de la croûte terrestre après l’oxygène. Il existe sous forme de quartz (c’est la silice SiO2) ou de silicate lié à 16. Fongistatique : qui inhibe le développement et la reproduction des champignons.
Autant les réactions concernant l’action du phosphite sont claires, autant celles du silicium sont controversées. Pour certains, le silicium constitue une barrière physique à la pénétration. La Figure 17 montre le riz en culture. Sur la partie gauche des plantes non traitées, le champignon qui est un champignon particulier du riz, pénètre sans problème alors que lorsque vous traitez avec du silicium sous forme de silicate d’aluminium par exemple, une couche physique se forme et joue un rôle d’effet filmogène17 protecteur. Pour d’autres, le silicium est un agent de priming. Il induit une mémoire latente qui permet à la plante de réagir plus rapidement et plus efficacement à une infection ultérieure. Le silicium jouerait un rôle modulateur au niveau de l’interface apoplasme18 – paroi 17. Filmogène : qui peut porter un film ayant une fonction de filtration. 18. Apoplasme. Pour ceux qui ne connaissent pas trop les végétaux, l’apoplasme est l’espace qui se trouve entre la membrane cellulaire et la paroi, qui n’existe bien évidemment pas chez les mammifères, c’est la partie apoplastique.
cellulaire. Le silicium s’incrusterait dans cet espace et pourrait interférer avec les armes du champignon. Ces descriptions permettent de percevoir les programmes de recherche en cours sur les SDP concernant plus particulièrement le phosphite et le silicium. En Europe, nous avons enregistré trente produits à base de sels de phosphite en tant que fongicides et huit produits à base de silicate d’aluminium comme insecticides. En ce qui concerne la mauvaise connaissance de
Si(OH)4 Si(OH)3O– Si(OH)3OSi(OH)2O– Anion monomère Anion dimère
O– O
–
Si O– O–
Figure 15 Molécule SiO44–
Si(OH)4
Si(OH)4 Oligomères
Particules
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
différents métaux comme par exemple l’aluminium. Le silicium est en fait immobile, non fonctionnel dans les sols, c’est seulement l’acide silicique, de formule H4SiO4 (Figure 15), qui sous forme monomérique non chargé à pH 9 est absorbé par les plantes. Une fois absorbé, cet acide silicique se polymérise dans la plante en silice amorphe (Figure 16). Cela se produit en général pour des concentrations supérieures à 2 mM.
Figure 16 Polymérisation de l’acide salicylique en silice amorphe.
Cuticule
Champignons
Cuticule
Couche additionnelle Champignons Paroi cellulaire
Paroi cellulaire
Cellules épithéliales
Cellules épithéliales
Figure 17 Réaction immunitaire du riz.
165
Chimie et agriculture durable
l’étape 3 mentionnée plus haut sur la description du système immunitaire et de sa stimulation par les SDP, on identifie actuellement le mode d’action de l’homéostasie phosphate ainsi que son site d’action. Ces résultats sont le fruit de trente ans de recherche autant dans le domaine de la recherche académique que dans l’agrochimie (Rhône-Poulenc et Bayer Crop Science). La mobilisation à la fois de la recherche fondamentale et de la recherche agrochimique a payé ! Pour le silicium (silicate d’aluminium ou silice) nous en sommes encore aux balbutiements. C’est que si ces produits marchent bien en laboratoire, il est très difficile de les maîtriser sur le terrain. Il faut en effet faire intervenir des paramètres difficiles à atteindre sur l’état physiologique des plantes, des petites variations de la pression d’inoculables19. 2.5 Complexités liées aux nouvelles méthodes de protection des plantes Difficultés générales Après les SDP, prenons un petit peu de champ et abordons le contexte général de protection des plantes par les méthodes biologiques à comparer aux méthodes traditionnelles d’intrants chimiques. Il s’agit encore d’utiliser des molécules ou des micro-organismes ou des organismes complexes mais il va falloir
166
19. Inoculable : se dit d’une substance qui peut être injectée dans le corps d’un être vivant et qui peut aussi bien guérir que rendre malade.
gérer une efficacité moindre et variable en plein champ par rapport aux fongicides conventionnels. Il est absolument indispensable d’intégrer que les défis viennent de ce : − qu’on n’obtient pas les mêmes niveaux d’efficacité ; − que la durée d’action est variable. Le problème des molécules de la chimie conventionnelle qui a été soulevé, c’est que parfois, les molécules sont stables et garantissent une durée d’action longue. Ici, nous avons des durées d’actions variables, certaines peuvent être longues, d’autres beaucoup plus courtes, cela va dépendre du type d’organisme ou du type de molécule que l’on va utiliser. C’est un autre facteur d’incertitude ; − qu’il va falloir gérer la haute technicité d’emploi ; il va falloir des modalités de traitement particulières. L’agriculture ne pourra pas utiliser les méthodes classiques, conventionnelles. On ne met pas des organismes vivants dans un récipient et on ne gère pas de la même façon, au moment de pulvériser au champ un organisme vivant par rapport à une molécule classique et le positionnement, c’est-à-dire à quel moment je l’applique (qui doit aussi être très précis) ; − se rajoutent des complexités dépendant spécifiquement des molécules. Par exemple, pour les lipopeptides20 bac20. Lipopeptide : molécule composée d’un lipide (corps gras, molécule hydrophobe fondamentale dans la composition de la matière vivante) et d’un peptide (polymère d’acides aminés).
Ce qu’il faut retenir à ce stade c’est que ces nouvelles méthodes se développent dans la complexité. D’ailleurs, les méthodes de lutte chimique ne disparaîtront pas, en tout cas pas de façon disruptive, pas en une seule fois. L’arrivée de nouvelles méthodes est d’abord l’accompagnement de la diminution de la chimie conventionnelle et l’on doit absolument rendre compatibles les micro-organismes et les méthodes conventionnelles de lutte. C’est la façon de garantir à un agriculteur de produire une denrée commercialisable avec une certaine quantité. Difficultés spécifiques au biocontrôle Comme dernière thématique du chapitre, abordons le biocontrôle qui nous occupe personnellement depuis quatre ans. La démarche pour développer des agents de biocontrôle est complexe – un chemin semé d’embûches ! Il faut en permanence cribler et identifier 21. Adjuvant : produit chimique qui améliore le pouvoir de dispersion, d’étalement ou d’adhérence des pulvérisations de pesticides sur les plantes.
de nouvelles espèces, voire de nouveaux genres d’agents de biocontrôle ; il y a une recherche active à ce niveaulà. Ensuite, la variation du vivant est au cœur du biocontrôle : des résistances des cibles apparaissent régulièrement et s’y adapter n’est pas automatique. Un exemple : l’insecte cible, prenons la sésamie22, mute de façon que la toxine Cry23 ne soit plus efficace – une résistance à l’agent de biocontrôle apparaît. Une mutation peut aussi intervenir sur la partie utile, l’agent de biocontrôle lui-même. Ensuite, il faut considérer qu’il y a généralement plusieurs souches de l’agent pathogène à combattre. Dans un champ, il y a des milliers d’individus mais surtout de nombreuses souches différentes, (c’est-à-dire que les individus appartiennent à la même espèce mais sont des individus différents). On ne doit pas sélectionner un agent de biocontrôle efficace contre un nombre limité d’individus ; il faut couvrir la totalité des pathogènes 24 puisque tous les individus appartenant à l’espèce portent le pathogène ciblé.
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
tériens, il va falloir les produire en masse et mettre au point leur synthèse – ce qui n’est pas une chimie facile car ce sont des molécules très sophistiquées. Il faudra les formuler, c’est-à-dire conditionner la matière active avec les adjuvants21, les coformulants nécessaires à leur utilisation – efficacité intrinsèque et biodisponibilité. Tout ceci repose sur des technologies particulières.
Le biocontrôle n’est pas encore étendu aux grandes cultures. Le domaine des grandes cultures est un domaine compliqué car c’est un milieu ouvert. Par conséquent, il est plus facile de travailler dans des serres, dans 22. Sésamie : papillon qui au stade larvaire est un ravageur du maïs. 23. Toxine Cry : protéines toxique sécrétée par la bactérie Bacillus thuringiensis. 24. Pathogène : qui peut causer une maladie.
167
Chimie et agriculture durable
des environnements contrôlés en température et en humidité parce qu’on a une maîtrise du vivant. En effet, on voit bien, et d’autant plus ces dernières années, que l’on a des changements au niveau agricole, climatique, qui sont très importants et qui vont être évidemment préjudiciables à l’introduction d’un organisme utile en grande culture. Pour vous donner un ordre d’idée, nous avons répertorié en Europe 22 micro-organismes, 4 virus et 6 extraits de plantes qui sont effectivement enregistrés et autorisés pour différents usages en protection des plantes. C’est une approche statistique globale qui ne fait donc pas énormément d’organismes ou de molécules et qui en est encore à ses débuts.
Enfin, dernier point, derrière cette complexité, il y a des approches pluridisciplinaires, combinaisons de Chimie, Biologie et Agronomie ; c’est une nouvelle façon de travailler, une nouvelle façon de mettre bout à bout des expertises nécessaires pour parvenir à mettre au point des agents de biocontrôle. Les industriels de l’agrochimie sont d’abord des chimistes bien sûr, mais ce sont aussi des gens qui se sont mis à la biologie pour certains départements qu’ils ont développés, ce qu’on appelle les biologics et qui sont déjà en train d’essayer de combiner ces différents aspects. Les laboratoires publics ne sont pas en reste, les instituts techniques non plus et il y a du travail pour beaucoup d’organisations. C’est le futur !
Étudiants ! … l’avenir est à vous !
168
Les pratiques de biostimulation et de biocontrôle telles qu’exposées dans ce chapitre appellent la priorité sur l’efficacité dont l’insuffisance est aujourd’hui le frein numéro un au développement. Certes, intrinsèquement, leur efficacité est inférieure à celle des méthodes conventionnelles mais il faut compenser ce point en allant les traquer dans leur complexité. Pour que ces méthodes alternatives de protection des plantes, biocontrôle et biostimulation, soient mises en œuvre dans les années à venir, il y a deux grandes conditions : – il faut utiliser plusieurs méthodes conjointement. C’est une différence de taille avec l’emploi de la chimie conventionnelle. Tous les moyens doivent solliciter dans l’ensemble des étapes
Nouvelles approches en protection des plantes : les défis de la recherche
de la production industrielle de la plante ; – les méthodes doivent être compatibles avec les développements technologiques. Ce n’est pas seulement la recherche amont qui est impliquée mais aussi les technologies de formulation et de stockage. Nous devons rester adaptés à une agriculture qui produit en masse. Ces deux conditions sont nécessaires pour que le biocontrôle soit intégré dans des modèles de production agricoles déjà existants de façon à pouvoir assurer les meilleures conditions aux transitions vers le changement. Nous ne croyons pas à une rupture brutale, surtout pas en ce qui concerne les grandes cultures. L’agriculture, on l’a vu tout au long de ce chapitre, s’aventure dans la complexité : maîtriser et d’abord pour cela comprendre la biologie du milieu qui héberge et nourrit les plantes. Ces champs d’investigation nouveaux nécessitent d’appuyer la recherche, de financer et mettre en place de nouveaux projets de recherche, d’amener à faire travailler ensemble des disciplines qui ne se parlent pas assez. Nous aurons à passer par des rapprochements entre des équipes qui devront assimiler un même langage, partager un socle d’informations communes pour ensuite transmettre leur expertise. Nous sommes franchement très optimistes, la période qui s’ouvre s’annonce complexe et passionnante !
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de en
synthèse agriculture
François Képès est biologiste cellulaire, membre de l’Académie des technologies et membre correspondant de l’Académie d’agriculture de France. Il fut Professeur associé à l’École Polytechnique (France) et au Politehnica de Bucarest (Roumanie), Professeur invité au Collège Imperial de Londres (Royaume-Uni) et Directeur de recherches au CNRS. « Toute contrainte m’est grâce. » (Leonard de Vinci)
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Introduction
Alors même que nos paysans, éleveurs et cultivateurs, représentent une faible fraction des actifs du pays, la classique question de l’efficacité de notre agronomie est en passe de devenir centrale dans notre société. Les causes de cette évolution sont à trouver dans le défi démographique du xxie siècle et l’augmentation tendancielle de la part protéique dans les régimes alimentaires, ainsi que dans l’impératif de léguer aux générations futures un monde viable. Comment à la fois réduire la faim et la pauvreté, améliorer la qualité
de vie dans le monde rural, favoriser un développement équitable, et durable aux plans économique, social et environnemental ? Il apparaît ainsi que l’agriculture et l’élevage doivent impérativement être insérés dans une problématique plus large qui inclut la circularité de notre économie. La bio-économie est au cœur de cette circularité car elle est fondée sur un substrat renouvelable, la biomasse, et englobe l’ensemble des activités liées à sa production, à son usage et à sa transformation. Une large part des productions de la bioéconomie peut être recyclée, et de là découle logiquement sa position privilégiée
François Képès
Apport de la biologie
Chimie et agriculture durable
dans cette circularité. La finalité de ces activités bioéconomiques est de répondre de façon durable aux besoins alimentaires et à une partie des besoins en matériaux et en énergie de la société. Les défis à relever incluent la sécurité alimentaire, le glissement climatique, la transition énergétique, et la diminution de l’impact environnemental des activités humaines. Certains de ces défis ne pourront être relevés en temps utile sans innovations, elles-mêmes appuyées sur des approches scientifiques et techniques nouvelles. En particulier, le domaine récent de la biologie de synthèse offre des concepts et outils qui sous-tendent une part croissante de la bioéconomie. Ici, nous allons analyser les développements de la biologie de synthèse et les attentes qu’ils induisent pour accélérer les adaptations agronomiques lato sensu.
2
172
Définitions de la biologie de synthèse
Commençons par définir ce que la communauté scientifique concernée entend par biologie de synthèse. Ce domaine fondé en 2004 au Massachussets Institute of Technology (MIT) est rapidement devenu lui-même un objet complexe d’étude. Opérationnellement, cette complexité implique que l’objet « biologie de synthèse » ne peut être cerné correctement sans une diversité d’angles de vue. Aussi apporterons-nous ici plusieurs éléments de définition qui, sans prétendre à l’exhaustivité, permettront du
moins de définir par petites touches successives ce qui est généralement entendu par biologie de synthèse. La biologie de synthèse peut se définir brièvement comme l’ingénierie rationnelle de la biologie. Plus précisément, elle a été définie par le réseau de l’espace européen de recherche en biologie de synthèse (ERASynBio, 2014) comme le design délibéré et la construction de systèmes, basés sur ou inspirés par la biologie, pour mettre en place de nouvelles fonctions à des fins utiles, en s’appuyant sur des principes élucidés en biologie et en sciences de l’ingénieur. Cette définition « européenne » est compatible avec son homologue « américaine » que nous ne rappellerons pas ici. 2.1. Lien avec les biotechnologies Un point de vue plus historique consisterait à voir la biologie de synthèse comme le fer de lance des biotechnologies avancées. Revenons brièvement sur ce que recouvrent les biotechnologies. Observons tout d’abord que la tradition les fait remonter à Noé qui, après le grand Déluge il y a environ 5 000 ans, planta une vigne, puis fermenta du jus de son raisin en vin. De même, on lui doit le premier accident biotechnologique puisque, ayant bu beaucoup de son jus de raisin fermenté, il se montra nu devant ses fils, selon la Bible. Sautons allègrement 5 000 ans pour rejoindre une vision moderne des biotechnologies. Dans sa leçon au Collège de France
Au début des années 2000, force était de reconnaître que les biotechnologies étaient loin de constituer une ingénierie mature, à rebours par exemple des ingénieries chimique, électronique, logicielle. Quelques mots-clés caractérisent la maturité d’une ingénierie : en particulier découplage entre la conception d’un objet et sa fabrication, hiérarchie de l’assemblage de composants en dispositifs, et de ces derniers en systèmes, normalisation et faculté de réutilisation des composants de base ou des dispositifs résultant de leurs assemblages, normalisation des méthodes d’assemblage de composants, modularité des dispositifs au sein du système complet. Les biologistes n’auront aucune difficulté à apprécier que ces mots-clés ne caractérisent pas encore les technologies du vivant. Cependant, la vitesse de maturation des biotechnologies a nettement crû depuis l’initiation volontariste de la biologie de synthèse en 2004, et leurs progrès méthodologiques récents sont étonnants. Comme c’est souvent le cas dans les activités humaines, le choix de diriger des efforts importants vers cette maturation de l’ingénierie biologique transforme ce qui fut une lente
progression par marche aléatoire en une démarche ciblée et assumée qui enregistre une série de petits succès alimentant le fleuve des avancées collectives. 2.2. Ambitions Une part de l’ambition de la biologie de synthèse est utilitaire : il s’agit de réduire les délais et les coûts d’obtention de composés utiles tels que médicament, vaccin, capteur, matériau ou carburant. Au plan des applications, 116 procédés industriels ou produits issus de la biologie de synthèse ont été comptabilisés, qui en 2015 étaient sur le marché ou tout proche (Woodrow Wilson Center, 2015). Cet inventaire n’est même plus envisageable en 2021 car l’inventivité qui est l’une des caractéristiques de ce domaine a entraîné une explosion de ses champs d’application. Parmi ces derniers, citons à titre illustratif le plus récent, l’approche qui consiste à archiver les mégadonnées numériques sur l’ADN (Académie des technologies, 2020). Si l’accent mis sur l’ingénierie la positionne sur le versant appliqué de la recherche, la biologie de synthèse occupe en fait tout le spectre depuis le versant fondamental. En effet, modéliser et construire un système biologique qui se comporte comme prévu est une bonne manière de s’assurer que l’on a compris comment fonctionnent les phénomènes biologiques sous-jacents, donc de faire progresser les connaissances fondamentales. Par exemple, nous savons que le code génétique – qui fait correspondre à un aminoacide donne un
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
en 2012, Paul Colonna a défini les biotechnologies comme l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à leurs composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou nonvivants aux fins de production de connaissances, de biens et de services.
173
Chimie et agriculture durable
A>B A
B>C B
C>D C
D
Figure 1 Circuit métabolique. La transformation de la petite molécule A en petite molécule D se fait en 3 étapes dans cet exemple simulé. Chaque étape est accélérée par un catalyseur, note A>B etc. Dans un bioprocédé, ces catalyseurs sont presque toujours des protéines appelées enzymes. Les flèches rappellent que dans une cellule vivante, les réactions chimiques sont souvent orientées par leur thermodynamique.
triplet de nucléotides dans l’ARN messager qui le code – est quasi-universel. Est-ce en raison de contraintes physicochimiques (affinité chimique particulière entre tel amino acide et tel triplet de nucléotides qui le code), ou en raison d’un accident évolutif gelé (tous les organismes actuels dérivent du même ancêtre qui par hasard usait de ce code génétique dont ils ont donc hérité) ? Le meilleur chemin pour discriminer entre ces deux hypothèses est du ressort de la biologie de synthèse, et consiste à modifier ponctuellement le code génétique dans une cellule et à observer si cette dernière reste viable. Entre parenthèses, la réponse est que la cellule dont le code génétique a été altéré est viable, ce qui démontre qu’aujourd’hui les contraintes physicochimiques ne jouent pas de rôle, mais ce qui n’exclut pas qu’elles aient joué un rôle durant la genèse de ce code génétique ; en tout cas, l’hypothèse d’un ancêtre commun à tous les êtres vivants actuels en sort renforcée.
2.3. Contenu L’axe historiquement majeur de la biologie de synthèse consiste à concevoir rationnellement et à construire des circuits biochimiques modulaires à partir de composants standardises et interchangeables (Csorgo et al., 2012 ; Dymond et al., 2011 ; Esvelt & Wang, 2013 ; Gibson et al., 2010 ; Luisi, 2006). Ces circuits peuvent être métaboliques ou régulateurs, ou encore mêler ces deux types. Un circuit métabolique permet d’effectuer une suite de réactions biochimiques (Figure 1) débutant avec un composé naturel ou bon marché, et s’achevant avec le produit souhaité, un parfum ou un colorant par exemple. Un circuit régulateur permet de déclencher cette production au moment opportun, de la réguler et d’améliorer son efficacité. Il permet aussi de déclencher un circuit à un moment précis, par exemple en mesurant le temps par un oscillateur périodique, puis en déclenchant un interrupteur. Le premier interrupteur biologique artificiel (Gardner et al., 2000) est présenté en Figure 2. Enfin,
Figure 2
A B (A)
174
Circuit régulateur exemple d’un interrupteur biologique artificiel. A et B sont deux protéines régulatrices. Selon le schéma de principe donné en haut, chacune inhibe la production de l’autre. Intuitivement, on voit que plus il y a de A, moins se fera de B, donc plus se fera de A. En bref, plus il y a de A, plus il y a de A. Idem pour B par raison de symétrie. Au sens de René Thomas (Thomas & D’Ari, 1990), il s’agit donc d’un circuit de rétroaction de type positif. Son comportement (cinétique de la concentration de A montrée en bas) est donc que l’interrupteur sera, soit en position A en haut et B en bas, soit l’inverse. La position de l’interrupteur dépend des paramètres du circuit, mais aussi des conditions initiales, selon lesquelles la concentration de A est fixée au départ au- dessus, ou en-dessous, d’un seuil critique symbolisé ici par une ligne horizontale. En tous cas, en l’absence d’une intervention extérieure, l’interrupteur reste à la position où il se trouve. C’est donc bien un interrupteur bistable. Ce circuit régulateur artificiel a été conçu, puis construit dans une bactérie (Gardner et al., 2000).
notons que ces circuits biochimiques peuvent être assemblés au sein de particules (in vitro) ou de cellules vivantes (in vivo). Tous ces éléments de nouveauté dans le champ de la biologie et de la biotechnologie fondent et justifient la forte transdisciplinarité de la biologie de synthèse, qui s’appuie ainsi sur la biologie, la physique, la chimie, les mathématiques, l’informatique, l’automatique, irrigués par les sciences de l’ingénieur (Figure 3). Des informations supplémentaires francophones sur la biologie de synthèse peuvent être trouvées dans des publications destinées a tout public (Képès, 2011 ; 2013 ; 2014 ; 2017). Comment ce domaine scientifique multi-facettes récemment émergé qu’est la biologie de synthèse pourrait-il accélérer les améliorations agronomiques lato sensu ?
3
Bioproduction et énergie
La biomasse est la matière d’origine biologique basée principalement sur des atomes de carbone, oxygène, azote et hydrogène. Il est important de remarquer d’emblée que la biomasse provenant de l’agriculture et de la forêt est par sa quantité la plus importante ressource à laquelle ait accès l’industrie humaine. C’est au total la quatrième source d’énergie mondiale après le pétrole, le charbon et le gaz, mais la première si l’on ne prend en compte que les ressources renouvelables. Elle représente un total d’environ 100 milliards de tonnes de carbone par an, dont seule une
– Calcul – Stockage – Modélisation – Simulation – Intelligence artificielle – Algorithmes biomimétiques
Chimie – Synthèse d’ADN – Nucléotides exotiques
Biologie – -omiques – Robotisation – Fabrication – Test – Liposomes
Micro-fluidique Automatique – Évolution artificielle – Origine de la Vie – Cellule unique SCIENCES DE L’INGÉNIEUR
Figure 3 Moteurs scientifiques du développement de la biologie de synthèse. Par essence, la biologie de synthèse est un domaine fortement transdisciplinaire. Selon les projets, elle fera appel à des degrés divers aux disciplines de la biologie, la chimie, la physique, la mathématique, l’informatique, l’automatique. Elle est intrinsèquement irriguée par les sciences de l’ingénieur.
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
Mathématiques Informatique
fraction est disponible pour l’industrie. La plus grande part de cette masse est représentée par le bois, dont hélas la structure lignocellulosique est encore aujourd’hui assez faiblement exploitable (Morot- Gaudry & Pernollet, 2013). La biomasse possède les avantages d’une couverture mondiale bien repartie et d’une grande versatilité d’usage. Discutons cette versatilité dans le contexte de notre sujet, en distinguant l’usage de la biomasse pour produire de l’énergie, et pour fabriquer des composés chimiques utiles aux activités humaines. 3.1. Production d’énergie Parmi les usages possibles de la biomasse, la production d’énergie est souvent montée en épingle. Avec 6 % de la biomasse annuelle globale, il serait possible de couvrir 50 % de la demande énergétique primaire mondiale (SLU, 2009). Elle a aussi ses détracteurs, comme Harmut Michel, expert de la photosynthèse et
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Chimie et agriculture durable
prix Nobel, pour qui la production de biocarburants constitue un très inefficace usage de la terre agricole si l’on prend en compte l’ensemble du cycle productif, y compris les ressources fossiles consommées pour extraire et transporter les engrais, travailler la terre, etc. (Michel, 2012). Cependant, audelà des méthodes traditionnelles (brûlage par exemple), des approches plus récentes se sont fait jour pour mieux recycler la liqueur noire qui est le résidu toxique des papeteries, et pour mieux exploiter les biocarburants de première et seconde générations. La première génération de biocarburants à sa source dans l’amidon ou le sucre de canne, alors que la seconde la trouve dans les déchets domestiques, agricoles et forestiers, et donc n’entre pas en compétition avec la production de nourriture. En outre, la biomasse, notamment sa part de sucres complexes (cellulose), peut être convertie en sucres simples (xylose, arabinose, glucose) servant de source de carbone pour la croissance de microorganismes, lesquels peuvent produire des composés utiles de manière plus flexible et diversifiée que les plantes elles-mêmes ne pourraient le faire directement. Examinons d’abord les voies de bioproduction directement par les plantes, puis indirectement par les micro-organismes alimentés par de la biomasse généralement issue de plantes. 3.2. Bioproduction par les plantes
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Les plantes ou algues cultivées peuvent être utilisées
directement pour produire un composé utile. Ceci exige que la plante ou l’algue soit sélectionnée ou modifiée génétiquement pour, soit surproduire ce composé naturel, soit produire ce composé qu’elle ne synthétise pas naturellement. Dans le premier cas – surproduction, des modifications différentielles des régulations des gènes impliqués dans la voie métabolique conduisant au composé d’intérêt peuvent suffire. Parfois même, l’inactivation d’un ou quelques gènes impliqués va aboutir au résultat souhaité. Le cas le plus simple est celui dans lequel le gène codant l’enzyme qui consomme le composé recherché est inactif, ce qui résulte en l’accumulation de ce composé ; le succès demande alors que les petites molécules en aval de ce barrage artificiel ne soient pas indispensables à la survie des cellules modifiées, ou que des mesures compensatrices soient adoptées pour fournir les éléments indispensables. Dans le second cas - néoproduction, outre d’éventuelles modifications régulatrices, il est généralement nécessaire de transplanter par transgénèse depuis un autre organisme la voie métabolique requise pour la production du composé recherché. En pratique, cela requiert d’ajouter quelques gènes codants ladite voie métabolique au patrimoine génétique de la plante ou de l’algue. Il est généralement nécessaire d’adapter ces gènes étrangers à leur nouvel hôte, que ce soit par l’usage des codons synonymes, ou par la mise en place en amont de ces gènes de séquences régulatrices qui fonctionnent dans
3.3. Bioproduction par les micro-organismes Plutôt que de faire produire à des plantes le composé d’intérêt, une alternative consiste à obtenir depuis la biomasse une source de carbone qui alimente convenablement des micro-organismes modifiés génétiquement pour produire ce composé dans des fermenteurs. En effet, les micro-organismes du type bactéries ou levures sont plus aisément et plus rapidement manipulables pour un objectif de bioproduction. Ils sont souvent capables de pousser dans un milieu de culture constitué exclusivement d’eau, de sels et d’une source de carbone. Cette
dernière étant en pareil cas le constituant le plus coûteux du milieu de culture, le prix de revient du composé d’intérêt dépend partiellement de celui de cette source de carbone, qui doit donc être abondante, bon marché, et produite localement afin d’abaisser les coûts de transport. Plus loin sera discutée la possibilité d’user du CO2 comme source gratuite et abondante de carbone. De ces considérations dérive l’intérêt d’utiliser des sucres obtenus par hydrolyse de la cellulose constituant une part de la biomasse, en provenance de déchets domestiques, alimentaires, forestiers, ou agricoles. Cependant, certains projets envisagent également d’utiliser des dérivés aromatiques issus de la dégradation de la lignocellulose - et non pas seulement de sa fraction cellulosique - dont il a été rappelé plus haut qu’elle constitue la majorité de la biomasse globale. L’exemple de l’Encadré 1 permet, pour le même composé cible, de discuter de ces deux possibilités, soit sucre, soit dérivé aromatique.
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
cette plante. Un exemple en est la bioproduction par des plantes de la soie de l’araignée dont les propriétés mécaniques sont extraordinaires, mais qui ne peut être obtenue en quantité suffisante depuis l’araignée, contrairement à la soie depuis son ver (Hauptmann et al., 2013 ; Scheller et al., 2001).
ENCADRÉ 1 Synthèse du nylon L’acide adipique (ou acide hexanedioïque), de masse moléculaire 146 g · mol–1, est l’un des acides dicarboxyliques aliphatiques les plus importants au plan commercial, utilisé principalement pour la manufacture du nylon 6-6. Actuellement, 2,85 millions de tonnes d’adipate sont produites annuellement à partir de ressources fossiles. Malheureusement, ce procédé créé des gaz à effet de serre et des sous-produits toxiques qui ont le potentiel de gravement polluer l’environnement (Dickinson & Cicerone, 1986 ; Thiemens & Long, 2017 ; O’Connor et al., 1999). Aussi, depuis 1994, plusieurs tentatives ont été menées pour mettre au point une méthode de manufacture de l’adipate par voie biologique. À ce jour, les méthodes de biosynthèse les plus efficaces approchent de la viabilité économique, qui reste évidemment le critère pragmatique du succès. Parmi ces méthodes, nous analyserons brièvement deux approches prenant pour substrat, soit un sucre, soit un dérivé aromatique, et aboutissant
177
Chimie et agriculture durable
au précurseur immédiat de l’adipate, l’acide cis, cis-muconique. Une seule étape chimique suffit ensuite pour mener à l’adipate proprement dit. La biosynthèse d’acide muconique peut emprunter deux voies. Premièrement, il peut être synthétisé à partir d’un sucre simple, le glucose, en introduisant une voie métabolique synthétique dans la bactérie Escherichia coli. Ce fut la première tentative de bioproduction d’acide muconique, en 1994, ensuite améliorée en 2002 (Niu et al., 2002 ; Figure 4). Cependant, cette bactérie est sensible aux effets toxiques des acides organiques comme l’acide muconique. D’autres tentatives de bioproduction ont fait appel à diverses levures, naturellement plus tolérantes aux acides organiques. Cependant, les titres obtenus en acide muconique ont été faibles, en partie car les levures étaient sensibles à l’inhibition par les aminoacides aromatiques produits par la voie métabolique modifiée (Curran et al., 2013). Deuxièmement, l’acide muconique peut être produit directement à partir de composés aromatiques dérivés de la lignine, notamment chez des bactéries dotées de propriétés naturelles adaptées à cette tâche. Pour l’instant, le verrou à lever dans cette voie est en fait la dépolymérisation de la lignine, déchet forestier majeur, qui assurerait une biosource au procédé (Deng et al., 2016). OH OH
O
HO
A
OH
PTS HO
OH
D-Glucose
B
O
P
O
OH O
OH
OH
glucose-6-phosphate
O
O
HO OH
OH
myo-inositol-1-phosphate synthase (Ino1)
OH
3-Dehydroshikimic acid (DHS)
OH
O OH
HO P HO
OH
DHS dehydrogenase (aroZ)
myo-inositol-1-phosphate HO
OH OH
OH
phosphatase (suhB)
HO
OH
OH O
Protocatechuic acid
HO
OH
HO
OH
myo-inositol
protocatechuate decarboxylase (aroZ)
OH
myo-inositol oxygenase (miox)
OH OH
OH OH3
O
O
catechol
D-glucuronic acid H3O
catechol 1,2-dioxygenase (catA, catA2)
OH3 OH3
HO
uronate dehydrogenase (udh)
O O
O
HO OH
10 % Pt/C, H2
Ru,Rh,Pd,Pt,IR
O
cis,cis-muconic acid
OH
OH
HO
OH O
HO
HO
D-glucaric acid
O OH
Adipic acid
Figure 4
178
Deux voies biologiques principales de synthèse d’acide adipique à partir de D-glucose. Dans les deux cas, une seule étape chimique permet de passer du précurseur à l’acide adipique (en bas) (A) via l’acide cis, cismuconique. (B) via l’acide D-glucarique (adapté depuis Deng et al., 2016).
Le problème majeur de toutes ces approches, dans les plantes, algues, levures ou bactéries, est l’existence de goulots d’étranglement le long de la voie métabolique (Figure 1) menant au produit désiré, ce qui entraîne en amont l’accumulation de composés intermédiaires. Ceci réduit le rendement en produit final. En outre, bien souvent l’intermédiaire s’accumulant, ou le produit final, est toxique pour les cellules, dont le taux de croissance et le rendement baissent alors drastiquement. Une des étapes les plus consommatrices en temps et en financement dans les projets de bioproduction consiste à éliminer ces goulots d’étranglement. Cette élimination se faisait traditionnellement par essai et erreur. La biologie de synthèse a rationalisé (partiellement à ce stade) ce long et coûteux processus.
4
Agronomie et biologie de synthèse
Les biotechnologies et l’agronomie entretiennent de nombreuses et riches relations. Notre propos est ici plus étroit et embrasse préférentiellement les apports de la biologie de synthèse. Nous examinerons un cas dans le monde animal, et plusieurs pistes de travail dans le monde végétal qui fait l’objet d’une profusion d’initiatives. 4.1. Monde animal Commençons par un exemple récent dans le monde
animal. Les greffes d’organe se heurtent au trop faible nombre de dons. Une ligne de recherche consiste à utiliser les organes de porc qui ont des tailles compatibles avec ceux de l’humain. Pour la sécurité du patient, il faut enlever les séquences d’anciens (retro-) virus intégrés dans le génome porcin car ils sont susceptibles de se réactiver chez l’humain. L’équipe de G.M. Church aux États-Unis d’Amérique a enlevé par multiplexage les 62 sites concernés et publie ces résultats dans un seul article (Niu et al., 2017). Trois ans plus tôt, on aurait pu imaginer qu’il y faille de nombreuses équipes travaillant en parallèle durant 1-3 ans pour chacune enlever un ou quelques sites, avec au total la publication d’une soixantaine d’articles. Notons au passage que ces travaux ont motivé la création d’une société biotechnologique susceptible de valoriser leurs acquis. En bref, l’approche utilisée dans ces travaux fait usage des nouvelles méthodes de multiplexage en génie génétique, c’est-à-dire des techniques permettant d’effectuer simultanément plusieurs modifications ciblées de génomes, éventuellement avec des ciseaux moléculaires efficaces du type CRISPRCas9, environ 10 fois plus rapides et moins chers que les approches précédentes (Jinek et al., 2012 ; Doudna & Charpentier, 2014). S’il est vrai que les modifications de ce porc sont motivées par les transplantations d’organes en santé humaine (Lu et al., 2020), il n’en reste pas moins que les méthodes utilisées et l’ampleur des
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
3.4. Défis ordinaires dans le domaine de la bioproduction
179
Chimie et agriculture durable
changements réalisés ouvrent grande la porte à des modifications génétiques complexes portant sur de très nombreuses espèces animales d’élevage. Maintenant que les technologies sont disponibles et accessibles, les objectifs de telles modifications rationnelles concernent potentiellement tous les traits pertinents chez les animaux de rente (Thompson et al., 2018 ; Jabbar et al., 2021). 4.2. Monde végétal De nombreuses modifications pourraient en principe être apportées aux plantes dans le but d’améliorer leur photosynthèse et croissance, de recourir à moins de produits phytosanitaires, ou d’altérer leur composition pour faciliter
eau
Photochimie
dioxyde de carbone
Cofacteurs
Biochimie
lumière Photosystèmes
(NADPH, ATP)
Cycle de Calvin
oxygène
sucres
Phase lumineuse
Phase métabolique
Figure 5
180
Les deux phases de la photosynthèse. La phase lumineuse (à gauche) fait appel dans les membranes des thylakoïdes de chloroplastes à des centres réactionnels ; elle transforme l’énergie solaire en énergie biochimique sous forme d’ATP tout en recyclant des cofacteurs comme NADPH. La phase « métabolique » (à droite) fait appel dans le stroma des chloroplastes au cycle de Calvin ou ses équivalents ; elle fixe le carbone du CO2 pour former des sucres.
leur usage. Nous distinguons ci-dessous sept approches distinctes pour clarifier notre propos, même s’il y a des recoupements entre elles. Photosynthèse D’abord un rappel (Figure 5). Au sens large, la photosynthèse comporte deux phases, une phase lumineuse et une phase « métabolique » indépendante de la lumière. La phase lumineuse fait appel à des centres réactionnels incluant des pigments comme la chlorophylle ; elle transforme l’énergie lumineuse en énergie biochimique, et recycle des cofacteurs biochimiques pour qu’ils reviennent à leur forme adéquate en vue de la phase métabolique qui suit. C’est cette phase métabolique qui permet d’aboutir aux sucres par des cycles chimiques au premier rang desquels le cycle de Calvin. Rappelons que, chaque année, plus de 350 milliards de tonnes de CO2 atmosphérique sont fixées grâce à un processus appelé « fixation autotrophique de CO2 ». Plus de 90 % sont en fait fixé par un cycle de réactions biochimiques appelé « cycle de Calvin » qui opère chez les plantes, les algues et certains micro-organismes (Figure 6). Le reste, moins de 10 %, utilise d’autres cycles que celui de Calvin : il existe cinq autres cycles biochimiques de fixation du CO 2 connus à ce jour. On utilise le terme « cycle » pour signifier que la suite de réactions biochimiques se referme sur elle-même en un cercle. Une première ligne d’études s’intéresse à l’amélioration du processus de photosynthèse.
Ribulose 1,5-bisphosphate
CO2 ATP
3-phosphoglycérate
RuBisCo
Ribulose 5 phosphate
3-phosphoglycérate 1 – Fixation du carbone
Ré 2 – du cti on
ATP 3 – ation r né gé Ré
Les limites de la photosynthèse, et les pistes pour les dépasser, sont bien identifiées (Michel, 2012). Seuls 47 % de l’énergie solaire sont absorbés. Il semble possible de modifier les pigments pour étendre le spectre absorbé. Les photosystèmes saturent au- delà de 20 % de l’intensité maximale du soleil. Ce point serait améliorable en réduisant, soit le nombre de complexes collecteurs de photons par centre de réaction, soit la latence photoprotectrice qui suit le retour à une exposition modérée après une période de forte lumière (Taylor & Long, 2017 ; Kromdijk et al., 2016). L’enzyme RuBisCO, qui insère du CO2 dans le ribulose1,5-bisphosphate (Figure 6), fonctionne de manière sousoptimale, notamment parce qu’elle fixe aussi O2 en compétition avec CO2, auquel cas elle exécute de la « photorespiration » au détriment de la fixation de carbone. Cependant il est connu que la RuBisCO d’algues rouges discrimine mieux entre CO2 et O2 que celle de plantes vertes. Ceci suggère une piste d’amélioration des algues vertes, un projet parmi plusieurs qui sont en cours (Erb & Zarzycki, 2016). Une amélioration encore plus radicale consisterait à modifier le photosystème II pour produire directement de l’hydrogène utilisable comme source d’énergie ; cependant les multiples altérations à apporter aux protéines du photosystème II constituent un défi, même pour les méthodes récentes issues de la biologie de synthèse (Volgusheva et al., 2013). Les diverses limitations rappelées ci-dessus devraient
Métabolisme central
ADP Glycéraldéhyde 3-phosphate (G3P)
1,3-bisphosphoglycérate NADPH
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
ADP
NADP+
phosphate
Figure 6 Le cycle de Calvin est une suite cyclique de réactions biochimiques chez les organismes photosynthétiques. Il a lieu dans le stroma des chloroplastes chez les eucaryotes, ou dans le cytoplasme chez les procaryotes. Il opère en trois étapes : fixation du CO2 catalysée par la RuBisCo, réduction du glycérate et régénération du ribulose. Les cofacteurs d’oxydo-réduction et de phosphorylation sont notés sur fonds colorés. Adapté depuis le travail de Mike Jones via Wikipédia.
en principe mener à une efficacité photosynthétique de 4,5-6 %, alors qu’en pratique elle n’atteint que rarement 1 % (Blankenship et al., 2011). Il existe donc une marge d’optimisation, qui pourrait être envisagée dans une ou plusieurs des directions indiquées ci-dessus. De 3 à 4 carbones Une seconde ligne d’études, très liée au processus de photosynthèse aussi, vise à modifier des plantes de considérable intérêt agronomique comme le riz, pour que leur efficacité photosynthétique théorique augmente de 4,5 à 6 %. En effet, certaines plantes comme le maïs montrent une anatomie photosynthétique particulière.
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Chimie et agriculture durable
Dans leurs feuilles, les tissus photosynthétiques sont entourés d’autres tissus dont les carboxylases très actives forment des acides organiques à 4 carbones (« C4 »). Ces acides organiques migrent ensuite dans le tissu photosynthétique sous-jacent. Leur décarboxylation entraîne une forte concentration de CO 2 près des sites catalytiques de la RuBisCO, cependant que la concentration de O2 est inchangée. Ainsi, cette disposition anatomique favorise la fonction de carboxylase de RuBisCO au détriment de sa fonction d’oxygénase qui est responsable du phénomène de photorespiration (d’autres travaux visent spécifiquement à diminuer cette photorespiration). Au contraire, de nombreuses plantes d’intérêt agronomique comme le riz forment des composés à 3 carbones (« C3 ») et sont plus nettement affectées par le phénomène de photorespiration diminuant leur capacité à fixer le carbone, accumuler de la biomasse et former des grains. Il se trouve que le riz a une anatomie foliaire proche de celle des plantes en C4. Aussi est-il envisagé dans certains travaux de modifier le riz du type naturel en C3 vers celui en C4 (Wang et al., 2016 ; Sudershan et al., 2017). Croissance végétale
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Une troisième ligne d’études porte sur le choix des plantes, et leur éventuelle amélioration, pour une croissance rapide permettant de maximiser la biomasse produite en une saison sur une surface donnée, si possible sur des terres peu appropriées aux grandes cultures
nourricières. Les améliorations concernent le rendement en biomasse, et la croissance et le développement de la plante. Ainsi, les plantes favorites en zone tempérée incluent le peuplier (un arbre), le miscanthe (un jonc), et particulièrement le panic raide (une herbe, en anglais « switchgrass »). Par exemple, des projets d’analyse puis d’amélioration génétique délibérée du panic raide sont en cours (Meyers, 2015 ; Nageswara-Rao et al., 2013 ; Casler et al., 2011). Saccharification Une quatrième ligne d’études vise à améliorer la saccharification – la transformation des sucres complexes de la plante en sucres simples – ou à modifier la structure et la composition de la paroi cellulaire avec pour objectif de faciliter sa déconstruction chimique et/ou enzymatique. Cette ligne vise à la bioproduction de composés chimiques ou de biocarburants (Yuan et al., 2008 ; Himmel, 2007 ; Gressel, 2008 ; Kalluri et al., 2014 ; Nageswara-Rao et al., 2013). Résistances des plantes et lutte contre les résistances de leurs parasites Une cinquième ligne d’études s’attaque au problème de résistances des parasites aux pesticides disponibles dont le nombre n’augmente plus guère depuis plusieurs années. Ce problème est abordé avec des approches de biologie de synthèse. Il en est de même d’une autre question, la résistance des plantes auxdits parasites, mais aussi à la sècheresse ou à d’autres conséquences du glissement
Fixation d’azote atmosphérique Une sixième ligne d’études tente de permettre aux céréales d’utiliser, comme le font les légumineuses, l’azote atmosphérique en tant que ressource. Un succès dans ce domaine réduirait drastiquement les besoins en engrais azotés pour un ensemble de plantes cultivées massivement à des fins nutritionnelles, ainsi que les dépenses énergétiques nécessaires à produire et transporter ces engrais. De complexes interactions entre les racines de la légumineuse et une bactérie du genre Rhizobium résultent dans la formation de nodules spécialisés dans la fixation d’azote atmosphérique. Pendant plusieurs décennies, de nombreux travaux ont étudié cette symbiose et ont proposé principalement trois pistes pour la transposer aux céréales. La première piste consiste à transférer vers les céréales les gènes des légumineuses qui sont requises pour le développement de la symbiose dans des nodules racinaires. La seconde approche est de créer des céréales fixant l’azote sans nodules, en les associant a des endophytes capables de fixer l’azote (Cocking et al., 2005) et en usant d’approches de biologie de synthèse pour adapter ou améliorer les performances de ces bactéries colonisatrices
(Geddes et al., 2015 ; Ryu et al., 2020). La troisième piste vise à directement introduire l’enzyme nitrogénase catalysant la fixation d’azote dans le patrimoine génétique de la plante (Buren et al., 2017). Aucune piste n’a connu de succès opérationnel jusqu’à présent. À chaque évolution significative de l’état de l’art, l’espoir renaît. Il en a été de même avec l’avènement de la biologie de synthèse (Rogers & Oldroyd, 2014 ; Mus et al., 2016).
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climatique. Ces deux questions, liées par les méthodes utilisées ou envisagées, font l’objet de revues récentes (Borel, 2017 ; Scheben & Edwards, 2017 ; Schenke & Cai, 2020) qui renvoient à une liste pertinente de publications de recherche.
Fixation de carbone Une dernière ligne d’études, plus radicale et encore éloignée de toute application concrète, a pour objectif de proposer une alternative synthétique aux six voies naturelles de fixation de CO 2 décrites jusqu’alors, dont le cycle de Calvin est le plus massif représentant (revues par Morot-Gaudry & Boudet, 2018 ; Morot-Gaudry & Pernollet, 2020). Usant d’une approche de biologie de synthèse, des chercheurs allemands ont élaboré in vitro un cycle de fixation continue de CO2. Ce cycle totalement artificiel est basé sur un réseau de réactions impliquant 17 enzymes choisies dans 9 organismes issus des 3 domaines du vivant. Certaines de ces enzymes ont en outre été optimisées par génie enzymatique. En particulier, la carboxylase utilisée est dépourvue d’activité oxygénase, à rebours de la RuBisCO. Ce cycle, dit « CETCH », convertit le CO2 en molécules organiques à la vitesse de 5 nanomoles de CO2 par minute et par milligramme de protéines (Schwander et al., 2016 ; Encadré 2).
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ENCADRÉ 2 Fixation de carbone par une voie optimisée totalement synthétique En 2016 paraissait un article remarquable dans lequel Schwander et al. appliquaient les principes de la biologie de synthèse pour remplacer le cycle de Calvin par un cycle totalement diffèrent et artificiel, mais rendant les mêmes services avec des performances supérieures d’un ordre de grandeur. Ce cycle artificiel est appelé « Crotonyl-CoenzymeA /EthylmalonylCoenzymeA/Hydroxybutyryl-CoenzymeA », avec pour acronyme « CETCH ». Précisons d’emblée que leur cycle synthétique ne fonctionne actuellement que dans l’éprouvette, et non dans le vivant. Les travaux de ces auteurs allemands comportent deux grandes phases : conception et construction. A) CONCEPTION 1) Identification d’une carboxylase efficace Ces chercheurs ont classé des carboxylases naturelles de divers organismes selon leur efficacité dans la réaction de carboxylation normalement effectuée par la RuBisCo. Une part de leur efficacité tient à l’absence de la réaction parasite de photorespiration. 2) Retrosynthèse métabolique Partant de cette carboxylation qu’on va appeler réaction « 0 », ils sont remontés vers la réaction précédente, dite « -1 », dans le cycle en cours de conception. Plusieurs possibilités existent pour cette réaction « -1 ». Pour chaque possibilité en « -1 », ils sont ensuite remontés à ce que pourraient être des réactions possibles se produisant encore avant, dites « -2 ». Et ainsi de suite. Si comme souvent il y a plusieurs possibilités pour toute réaction amont, on se retrouve vite avec un immense arbre de combinaisons possibles. Or l’objectif est de déterminer le meilleur chemin dans cet arbre touffu, donc de déterminer le meilleur ensemble de réactions successives finissant par la carboxylation « 0 ». 3) Élagage Pour élaguer l’arbre touffu en ne gardant qu’une branche à chaque niveau, les auteurs ont utilisé une série de critères. En particulier, chaque réaction doit être possible au plan thermodynamique ; par exemple, elle ne se produirait pas si, pour avoir lieu, elle réclamait de l’énergie qui ne lui est pas fournie. Ou encore, le cycle global s’arrêterait rapidement si n’étaient pas régénérés les cofacteurs biochimiques comme le NADP. En outre, un cycle synthétique intéressant doit produire beaucoup d’énergie sous forme biochimique comme l’ATP. L’arbre est tellement touffu qu’une inspection à l’œil nu n’y suffit pas. Aussi les chercheurs disposent-ils d’outils informatiques pour appliquer l’ensemble de ces critères à l’élagage. 4) Identification d’enzymes candidates Pour chaque réaction du futur cycle, des enzymes capables de la catalyser doivent être identifiées dans la littérature scientifique et dans les bases de données alimentées par les chercheurs du monde entier. B) CONSTRUCTION 1) Vérification des enzymes candidates Une à une, les enzymes identifiées en A4) sont maintenant caractérisées à la paillasse par la mesure de leurs paramètres catalytiques et cinétiques. 2) Reconstruction de la voie métabolique
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Dans la même éprouvette sont réunies toutes les enzymes requises pour la voie métabolique cyclique. En ajoutant les réactifs initiaux, le flux de leurs transformations successives à travers cette voie est mesuré. L’identité des produits de ces réactions successives est confirmée par chromatographie en phase liquide haute performance et/ou par spectrométrie de masse.
À ce stade, des modifications destinées à harmoniser le fonctionnement de la voie métabolique dans son entier deviennent nécessaires. Par exemple, il est indispensable de s’assurer du recyclage des cofacteurs du type NAD ou NADP, afin que la voie puisse « tourner » cycliquement plus d’un petit nombre de tours. Durant cette étape, certaines enzymes vont être altérées par génie enzymatique pour favoriser l’activité catalytique souhaitée. Par exemple, il faudra introduire une activité Oxydase dans une enzyme qui à l’origine est une Deshydrogenase : ainsi, une methylsuccinyl-CoenzymeA deshydrogenase sera altérée en une methylsuccinylCoenzymeA oxydase qui utilise l’oxygène moléculaire. 4) Évaluation finale du cycle métabolique complet La voie cyclique est mise en œuvre, et les paramètres globaux (catalytiques, cinétiques, flux, bilans énergétiques etc.) sont mesurés et comparés au cahier des charges initial. En particulier, un réactif de départ, le 13CO2, est introduit avec un traceur isotopique 13C. Si besoin est, l’expérimentaliste revient à l’étape précédente.
Bien entendu, un long chemin reste à effectuer pour insérer ce cycle synthétique dans un métabolisme photosynthétique complet. La même équipe, collaborant avec une équipe française de microfluidique, a franchi en 2020 une étape en couplant le cycle synthétique CETCH (Encadré 2) à des membranes photosynthétiques isolées à partir de chloroplastes d’épinard (Miller et al., 2020). Ces membranes utilisent l’énergie lumineuse pour régénérer ATP et NADPH (Figure 5, à gauche), cependant que le cycle CETCH convertit le CO2 en une source de carbone pour la synthèse de composés organiques. Le couplage a été obtenu en faisant cohabiter ces membranes d’origine naturelle et les enzymes du cycle CETCH dans des pico-vésicules. Ces dernières sont faites de lipides englobant une phase aqueuse et ayant la taille approximative de cellules. Elles sont placées au sein de chambres microfluidiques permettant un contrôle partiel des réactions biochimiques y prenant place. Malgré ce succès, il convient de noter que les membranes se dégradent rapidement sous l’effet des radicaux libres de
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
3) Optimisation de la voie métabolique
l’oxygène, et aussi que le système ne fonctionne que grâce à l’addition de pièges redox comme la protéine ferredoxine. Un autre objectif serait de transposer un cycle fonctionnant dans l’éprouvette au sein d’une cellule vivante. Quelques étapes vers cet objectif ont récemment été franchies. En particulier, l’équipe allemande a modifié profondément le métabolisme d’une bactérie afin d’y introduire le cycle de Calvin pour fixer le CO2 (Schada von Borzyskowski et al., 2018). Cette bactérie, Methylobacterium extorquens, est naturellement apte à croître avec le méthanol pour unique source de carbone. Dans la bactérie altérée, le méthanol reste utilisé comme source d’énergie, donc l’autotrophie n’est pas totale ; ce qui est nouveau est que le CO2 devient sa seule source de carbone pour fabriquer sa biomasse. Cette altération a demandé que les productions de biomasse et d’énergie soient découplées par l’inactivation de trois gènes, et qu’un équivalent hétérologue du cycle de Calvin soit implémenté (Figure 7).
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Chimie et agriculture durable
Biomasse
Biomasse Cycle CO2
Méthanol Cofacteurs (NAD, ATP) TYPE SAUVAGE
CO2
Méthanol Cofacteurs (NAD, ATP) APRÈS MODIFICATION
Figure 7 Fixation du CO2 par une bactérie methylotrophe Methylobacterium extorquens AM1. L’assimilation du méthanol pour produire la biomasse bactérienne a été interrompue en inactivant trois gènes, découplant ainsi l’acquisition d’énergie – qui continue de venir du méthanol – et la production de biomasse, qui après modification vient uniquement du CO2, via un équivalent du cycle de Calvin. Les modifications par rapport à la bactérie d’origine sont notées en orange (inspiré de Schada von Borzyskowski et al., 2018).
Indépendamment, des équipes autrichiennes ont altéré le métabolisme d’une levure hétérotrophe d’intérêt industriel, Pichia pastoris, pour la rendre autotrophe, capable de pousser en continu avec pour seule source de carbone du CO2 (Gassler et al., 2020). Cette
levure est methylotrophe, elle a naturellement la capacite d’assimiler le méthanol dans certaines de ses organites appelées « peroxysomes ». Le circuit métabolique d’assimilation du méthanol a été « détourné » par ces chercheurs pour réaliser une voie de fixation du CO2 ressemblant au cycle de Calvin. Pour la première partie de ce travail faisant appel à une conception et une ingénierie rationnelles, il a fallu inactiver trois gènes de P. pastoris et importer huit gènes hétérologues. Durant la seconde partie, pour augmenter la vitesse de croissance de la nouvelle souche autotrophe, cette dernière a été soumise à des cycles d’évolution adaptative en laboratoire. Il s’agit donc d’un cas récent ou la biologie de synthèse a été mise à profit pour rendre totalement autotrophe une cellule vivante normalement hétérotrophe.
Conclusion
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Nous ne pouvons que saluer la récente salve de projets explorant tous azimuts, les projets dont les plus marquants ont été résumés ci-dessus. À titre d’illustration, un centre de recherche particulièrement emblématique des approches de biologie de synthèse appliquées aux plantes est brièvement décrit dans l’Encadré 3 ci-dessous. En tout cas, il n’est pas surprenant que les approches les plus radicales, par exemple la refonte totale du cycle de fixation du CO2, soient aussi celles qui se positionnent le plus en amont des applications. Ces approches novatrices ne font actuellement qu’effleurer le monde vivant, généralement celui des microorganismes. Quand elles seront ancrées dans
Focus sur le projet phare britannique OpenPlant
Le projet OpenPlant est à ce jour la plus emblématique des initiatives appliquant les principes, concepts et outils de la biologie de synthèse au monde végétal (site web de OpenPlant : www. openplant.org). Encore en activité, il est né en 2014 comme l’un des six centres de recherche en biologie de synthèse (« Synthetic Biology Research Centre » ou « SBRC ») au RoyaumeUni. C’est le seul des six SBRC à être dédié au monde végétal. Il regroupe une vingtaine d’équipes appartenant à trois entités, l’Université de Cambridge, le John Innes Centre, et le Earlham Institute. Ces deux dernières institutions sont localisées à Norwich, assez proche de Cambridge. Les directeurs de ce SBRC sont Anne Osbourn et Jim Haseloff. Ce SBRC a reçu un financement national de 12,5 millions de livres sterling. Les objectifs principaux de OpenPlant (détaillés plus avant dans la figure ci-dessous) sont :
Apport de la biologie de synthèse en agriculture
ENCADRÉ 3
– de développer de nouveaux outils et méthodes pour la biologie de synthèse des plantes ; – d’appliquer ces outils à des projets ambitieux de modifications de traits phénotypiques ; – de mettre en place des mécanismes et conventions pour le partage de ressources normalisées ; – de favoriser les échanges interdisciplinaires, le rayonnement national et international, et la sensibilisation et l’éducation du grand public. Ce SBRC est par exemple engagé dans les travaux mentionés plus haut sur la fixation de l’azote par des plantes non légumineuses.
le monde vivant, resteront encore à valider des solutions appropriées aux conditions du champ, pour lequel d’autres facteurs environnementaux (régime météorologique, apports azotés) viennent limiter la production de biomasse. Certains chercheurs imaginent d’implanter en dehors du monde vivant des solutions à grande échelle, dont l’avantage évident est une manipulation aisée, une grande liberté créative, et l’économie du métabolisme non directe-
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Chimie et agriculture durable 188
ment productif qui permet à l’être vivant de se reproduire et de se maintenir. Cependant, ces solutions, comme déjà le montre le cas des membranes d’épinard qui se dégradent rapidement, perdent en même temps les avantages du monde vivant, en particulier la croissance rapide et prolongée et les propriétés auto-réparatrices et homéostatiques. Nous voyons ici se dessiner les termes d’un compromis entre les solutions basées ou non sur le vivant ; compromis qui évoluera avec les progrès techniques. Toutefois, il est trop tôt pour savoir quelles seront les avancées qui mèneront à des innovations à grande échelle, parmi celles qui viennent d’être discutées ou d’autres qui n’ont pas encore percé. Une certitude émerge pourtant, par analogie avec le passé récent, et au vu de la situation planétaire évoquée en introduction : les adaptations variétales des plantes, les modifications plus complexes des plantes et des animaux et l’usage raisonné de la biomasse vont dorénavant occuper une place croissante dans les préoccupations techniques, scientifiques, énergétiques, économiques, politiques, et éthiques de l’humanité. La pression démographique et le glissement climatique rendront de plus en plus intenables les positions de principe visant à interdire les méthodes les plus efficaces pouvant être utilisées pour réaliser ces adaptations. Alors les gains en efficacité et rapidité que permet le domaine mouvant de la biologie de synthèse et ses futurs épigones ne constitueront plus un atout pour certains, mais une nécessité pour tous.
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