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French Pages [200] Year 2014
Hugues Mouckaga
Ces 100 dignitaires qui changèrent l’Afrique proconsulaire sous le Haut-Empire romain Riches et généreux 27 av. J.-C. – 284 ap. J.-C.
Ces 100 dignitaires qui changèrent l’Afrique proconsulaire sous le Haut-Empire romain
Du même auteur chez L’Harmattan - La Rome Ancienne : Ier siècle avant Jésus-Christ, 1er siècle après JésusChrist, 2006 (Préface du Professeur Fabien Kange Ewane ; Postface du Professeur Saliou Ndiaye) - Vivre et Mourir à Rome et dans le Monde Romain, 2007(Préface du Professeur Pierre Solina N’dombi) - L’Abécédaire de la Rome Ancienne, 2008 (Préface du Professeur Alexis Mengue M’Oye) - Méthodologie pour un Compte Rendu critique, 2009 (Préface de Fabien Kange Ewane ; Postface de Moustapha Gomgnimbou) - L’Histoire Romaine dans les Universités africaines. Passer les examens sans fraude, 2009 (Préface du Professeur Théodore Nicoue Lodjou Gayibor ; Postface de Maurice Bazemo) - Les Bapunu du Gabon, communauté culturelle d’Afrique Centrale : (Sexualité, veuvage, alcoolisme, esclavage, maraboutage, anthropophagie), 2010 (Préface du Professeur Kodjona Kadanga - Heurs et malheurs de Carthage face à Rome. Delenda (est) Carthago ! 509-146 av. J.-C., 2011 - Les déportés politiques à Ndjolé (Gabon) : 1898 -1913. L’Almamy Samory Touré, Cheikh Amadou Bamba Mbacké, Dossou Idéou, Aja Kpoyizoun, et les autres, 2013 (Préface du Professeur Dominique Ngoïe Ngalla)
Hugues Mouckaga
Ces 100 dignitaires qui changèrent l’Afrique proconsulaire sous le Haut-Empire romain Riches et généreux 27 av. J.-C. – 284 ap. J.-C.
© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-03594-9 EAN : 9782343035949
À mes étudiants de l’UOB (Université Omar Bongo) et de l’UMNG (Université Marien Ngouabi) À Marie-Paule
REMERCIEMENTS
Au moment où ce travail prend corps et vie, et s’apprête à être mis à la disposition du grand public, aussi bien érudit que profane, nous nous en voudrions de ne pas rendre grâces à tous ceux qui ont contribué, à des titres divers, à lui donner sa forme finale. Notre pensée va tout spécialement à l’endroit de Messieurs : - Moustapha Gomgnimbou, Directeur de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) de Ouagadougou (Burkina Faso), qui a bien voulu passer outre toutes les difficultés liées au mode d’expédition de tous documents, pour nous faire parvenir avec toute la célérité voulue, le fruit de ses recherches doctorales de 3ème cycle menées en 1986 en Histoire Ancienne à l’Université de Paris IPanthéon-Sorbonne, sous la direction de Monsieur le Professeur Jehan Desanges1, nous permettant ainsi d’enrichir notre argumentaire sur la question économique ; - Roger Mboumba-Mbina, « Roger’s », Maître Assistant en Histoire Ancienne à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Libreville (Gabon), et auteur d’une thèse sur la citoyenneté romaine en Proconsulaire et en Numidie2, qui nous a apporté 1 La Thèse qu’il y a soutenue sous le contrôle de cet éminent homme de science porte l’intitulé suivant : Les ressources économiques des provinces romaines d’Afrique et de Numidie d’Auguste à la tétrarchie. 22 Le titre exact est le suivant : L’intégration des notables locaux dans la citoyenneté romaine en Afrique du Nord (Proconsulaire-Numidie) 27 av. J.C. -212 ap. J.-C., Thèse pour le Doctorat, Université François Rabelais, Tours, 2007 (Directeur : Maurice Sartre).
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tous les éclairages nécessaires sur l’Afrique Proconsulaire et qui a accepté de mettre gracieusement à notre disposition tous les recueils d’inscriptions relatives à cette province africaine ancienne ; - Noël-Christian-Bernard Obiang Nnan, Maître Assistant en Histoire Ancienne au département d’Histoire et Archéologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) de l’Université Omar Bongo (UOB), auteur, en 2008, d’une Thèse Nouveau Régime sur Les empereurs et les cités de l’Afrique Proconsulaire, de la Numidie et des Maurétanies (Césarienne et Tingitane) de Trajan à la Tétrarchie, Thèse réalisée, à Paris IVSorbonne (France), sous la haute, bienveillante et éclairante autorité de l’éminent savant Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin, qui a accepté de réajuster certaines de nos approches sur la politique adoptée par certains empereurs dans la gestion de ce pan du monde romain que fut l’Afrique du Nord ; - René Allou Kouamé, Professeur Titulaire en Histoire Africaine à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abjdjan (Côte d’Ivoire), (anciennement appelée Université de Cocody) dont le Mémoire de Maîtrise, revu et corrigé, avant d’être récemment publié chez l’Harmattan sous le titre Bourgeoisie municipale d’Afrique Romaine et dont une copie nous a été gracieusement offerte, nous a permis de préciser certains points d’intérêt majeur ; - William Charlis Mbadinga, Assistant en Histoire Ancienne à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Libreville (Gabon) qui nous a aidé, alors qu’il bouclait encore sa Thèse à l’Université de Paris-Est Créteil (France) sous la direction vigilante, autoritaire et bienveillante de Madame le Professeur Françoise Prévot, à enrichir notre documentation sur le sujet qui fait l’objet de cet ouvrage. Un proverbe baza (RDC), ne proclame-t-il pas qu’« un oiseau ne vole pas avec une aile » ? Qu’ils en soient donc tous remerciés !
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
L’Union, l’un des deux quotidiens qui, avec Gabon Matin, paraît au Gabon, ne s’en est jamais privé. Chaque fois que l’ocasion lui en a été donnée, l’un ou l’autre des journalistes qui y officie a toujours trouvé le moyen de faire ressortir, dans sa page Société, tel ou tel fait renvoyant à tel ou tel acte de générosité commis par tel ou tel personnage gabonais, de premier ou de second plan. Des exemples, dans ce sens, foisonnent. Nous nous en tiendrons, pour l’essentiel, à ceux-ci. D’abord celui qui nous est présenté, en cette année 2010, et plus précisément le mercredi 8 septembre, en page 12, dans la page « Port-Gentil » consacrée à l’Education/Clôture des cours de vacances et intitulée « Des trousseaux scolaires aux meilleurs élèves ».V.M., qui a produit ce reportage, fait ressortir cet acte de générosité posé par Gabriel Tchango, à l’époque des faits, député du 3e arrondissement de la commune de Port-Gentil. Suivons-le dans la présentation qu’il en fait : « Résolument engagé dans la recherche du bien-être des Portgentillais en général et de sa circonscription électorale (le 3e arrondissement) en particulier, le député Gabriel Tchango a une fois de plus donné la preuve de son engagement en faveur notamment de l’éducation de la jeunesse. Il a offert, lors de la clôture de la deuxième édition des cours de vacances gratuits organisés par ses soins dans deux établissements du 3e arrondissement, les écoles SaintAndré et Saint-Paul -des –Bois, une vingtaine de trousseaux scolaires aux meilleurs élèves qui ont particulièrement travaillé avec application… Plus d’un millier d’élèves du primaire ont, pendant un mois, suivi des enseignements sur les deux sites choisis à cet effet. Ces cours de remise à niveau avaient pour objectifs, au dire du directeur de l’école Saint-André, Léopold Tchuijang Mihindou, de contribuer à consolider les acquis, 9
combler les lacunes et permettre aux élèves d’aborder la prochaine année scolaire avec plus de sérénité ». Ensuite, cet autre acte de générosité qui se déroula en mars 2012, et dont le réalisateur principal fut, cette fois-ci, non une personne privée, mais une personne morale, un organisme de bienfaisance, le club Rotary du Gabon, en l’occurrence. Rapporté dans le numéro du mercredi 7 mars 2012, en page 7, dans la rubrique Société et culture et intitulé Bienfaisance. Des aliments pour « la maison de l’espérance », I.I écrit ce qui suit : « Dans la foulée des activités du gouverneur 2011-2012 du District 9150 (Afrique centrale), en visite aux clubs Rotary du Gabon, le club Libreville Komo a remis, la semaine dernière, des produits alimentaires et d’entretien à l’orphelinat « la maison de l’espérance », située au PK 12 de Libreville. Une dotation … qui a permis à l’orphelinat de bénéficier des produits divers (huile, savon, conserves, lait, sucre et bien d’autres denrées alimentaires) ». Par la suite, cet autre acte de bienfaisance que retranscrit JKM dans le N° 10187 du mercredi 28 décembre 2011 en page 8 dans la rubrique Société et culture et intitulé Arbres de noël. Un père Noël nommé Alex Bongo Ondimba. Le journaliste, qui présente les faits, tient ces propos : « Comme la plupart des gamins de la planète, les orphelins du sida et enfants vulnérables (OEV), pris en charge par l’organisation non gouvernementale (Ong) Lumière, ont eu droit à des jouets, à l’occasion de la célébration de la fête de la Nativité. Répondant aux sollicitudes de Marguerite Békalé, présidente de l’Ong Lumière, Alex Bongo Ondimba, secrétaire d’arrondissement du Parti démocratique gabonais (PDG), s’est fait un devoir d’offir, vendredi dernier, au carrefour Léon Mba, un repas comunautaire et des cadeaux aux OEV. » Référons-nous encore à cet acte de générosité, contenu dans le N° 10559 du mercredi 22 février 2011, en page 11, et intitulé Œuvre de bienfaisance. Un préau pour la maternelle SaintThomas de Ntoum, que B.B rapporte dans les lignes suivantes : « La maternelle de l’école Saint-Thomas de Ntoum a réceptionné le dimanche 20 février 2011 son préau. Un ouvrage d’une capacité d’une centaine de places destiné aux écoliers, qui disposent désormais d’un espace pour s’abriter en attendant l’arrivée de leurs parents. Une œuvre estimée à 10
plus de quatre millions de francs. Le Lions Club Bougainvillée, qui a offert ce préau aux jeunes apprenants ». Examinos enfin ce cas que nous présente le N° 11356 des lundi 14 et mardi 15 octobre 2013, p. 15, intitulé : « Après avoir perdu tous ses biens dans un incendie. Michel Essonghe en soutien à Georgette Koumba » et que RAD présente ainsi : « … Georgette Koumba, une compatriote âgée de 67 ans, n’a pas pu retenir ses larmes. Elle qui, depuis le sinistre dont elle a été victime le 5 septembre dernier, se sentait abandonnée, a reçu, samedi dernier, le soutien du membre du Comité permanent du bureau politique du PDG, Michel Essonghe. Un geste de solidarité qui se traduit par la remise d’une enveloppe dont le montant n’a pas été révélé. « Je n’arrive pas à y croire, je me sentais si seule », a confié Georgette Koumba, fondant en larmes dans les bras de l’honorable Jean Richard Sylong qui, au nom du membre du Comité permanent, venait de lui remettre l’enveloppe. L’élu du premier arrondissement, entouré de plusieurs membres de « l’équipe de l’action », au nombre desquels le sénateur Georgette Opape, après avoir présenté les excuses de Michel Essonghe, retenu à Libreville par des obligations professionnelles, a indiqué que ce geste traduit de façon tout à fait pratique les idéaux de partage et de solidarité prônés par le chef de l’Etat. La bénéficiaire, très émue, a remercié le bienfaiteur, reconnu, selon elle, pour sa générosité et profité de l’occasion pour solliciter, à nouveau, l’aide de tous… » Cinq exemples, donc, que nous avons répertoriés parmi d’autres. Limités à eux, ces actes ne permettent pas, certes, de faire le tour de la question, et donc de circonscrire parfaitement le fait relatif à la générosité liée aux riches au Gabon, mais des faits suffisants qui permettent de se faire une idée du lien que l’on peut établir entre les deux notions, qui ont cours dans ce pays. Gabriel Tchango, que nous avons cité en premier, n’est-il pas connu comme étant un homme prospère, aisé, à la richesse établie du fait de ses activités dans un certain nombre de secteurs ? N’a-t-il pas la réputation, à Port-Gentil essentiellement, sa ville natale et d’activité, d’être un homme d’affaires accompli, qui a réussi le tour de force, par sa capacité de travail, par son sens d’organisation, par son ingéniosité, par 11
sa créativité, à amasser des fonds et à figurer parmi les hommes riches du pays ? Etant parvenu à ce stade de la société, il ne s’en est donc pas tenu au simple étalage de sa richesse, de ses biens, de sa fortune, encore moins à la simple thésaurisation. Il s’est servi de cette situation sociale pour voler au secours des plus démunis, pour soutenir les couches faibles, pour apporter un mieux-être aux plus défavorisés ; en un mot aux pauvres ! En d’autres termes, il s’est engagé dans des actes de générosité ! D’ailleurs, il ne s’est pas limité à un seul acte ! Dans son n° 11353 du jeudi 10 octobre 2013, en page 14, L’Union en a évoqué un autre acte du même personnage. Sous le titre Education/ Enseignement catholique. 80 millions pour l’extension de l’école Saint André, RAD, en effet, écrit ceci : « Le démarrage des travaux de construction d’un bâtiment à un niveau (R1) à l’école privée catholique Saint André est imminent. Le ministre des Eaux et Forêts, Gabriel Tchango, a fait l’annonce vendredi au cours de la cérémonie de remise des cartables garnis à plus de 1000 élèves inscrits aussi bien à l’école susmentionnée qu’à Saint Paul des Bois, toutes basées dans le troisième arrondissement, son fief politique. La direction de l’école Saint Paul des Bois a reçu en sus, des mains du membre du gouvernement, un chèque de 3575000 francs couvrant les frais d’écolage de tous les élèves de l’établissement, sans distinction aucune… ». Idem de Michel Essonghe, cet autre dignitaire de Port-Gentil, et du Gabon. N’a-t-il pas la réputation d’être un homme au pedigree riche et éloquent ? En même temps qu’il occupe les fonctions de conseiller politique auprès de l’actuel président de la République, chef de l’Etat, Ali Bongo Ondimba, après avoir été longtemps membre du Gouvernement et proche collaborateur de feu le président Omar Bongo Ondimba, il a réussi à s’investir pleinement dans la gestion d’un groupe, CECA-GADIS, à le faire prospérer, et à trôner avec succès à sa tête. Idem aussi de tous les autres, que nous n’avons pas cités ici, mais dont l’aisance financière, survenue à tel ou tel moment de leur vie, a souvent été mise au service de leurs congénères, non 12
pas pour faire acte de voyeurisme, pour surclasser les autres, pour « bomber le torse », mais pour soulager leurs peines, pour faire acte de générosité ! Il y a plusieurs années, ce furent, entre autres, Zacharie Myboto, Jérôme Okinda, Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, Paul Toungui, Marcel Doupamby Matocka, Lazare Digombe, Jean-Rémy Pendy Bouyiki, JeanNorbert Diramba, Richard-Auguste Onouviet, Pierre-Claver Maganga Moussavou, Alfred Mabicka Mouyama, Philippe Nzengue Mayila, Blaise Loembé, Honorine Dossou Naki, Paulette Missambo, Ferdinand Mouckagni Nzamba, Christian Clotaire Ivala, Alexis Mengue M’Oye, Angélique Ngoma, Séraphin Moundounga, Alexis Boutamba Mbina… A beaucoup d’entre eux, ne doit-on pas la construction d’infrastructures scolaires, l’achat de tôles et autres matériaux de construction, la dotation en fournitures, en ordinateurs, en bourses d’études, l’achat de layettes, de médicaments, etc. ? Aujourd’hui encore, beaucoup, parmi eux, ont gardé cette vertu première qui fonde leur personnalité, celle d’hommes généreux, prompts à partager, à gratifier leurs semblables de dons de toutes sortes, de manière à réduire leur précarité et même à donner fière allure à leur contrée. Certes, il en est, parce que ne diposant plus d’aucune source de revenu susceptible de les faire graviter dans la sphère de l’aisance, ou encore parce que n’étant plus aux premières loges dans les arcanes du pouvoir, alors qu’ils disposent toujours de revenus subséquents, qui ne font plus œuvre de générosité. Mais il en est toujours qui occupent encore l’espace social gabonais ! A eux peuvent être joints ceux qui font partie de la nouvelle élite politico-administrative, qui ont pignon sur rue et qui ont la générosité chevillée au corps. Il en est ainsi de : Juliette Moutsinga, Albertine Maganga Moussavou, Laure Olga Gondjou, et surtout… Yves Fernand Manfoumbi, familièrement appelé Manf’10. Certains font exception à la règle, mais on les reconnaît par leurs atours, qui feraient pâlir d’envie plus d’un : un accoutrement riche, recherché, des véhicules rutilants, des maisons de style hollywoodien, 13
construites parfois en des temps records. Pour parler d’eux, outre le terme « généreux », des expressions imagées sont souvent utilisées : « gentils », « main ouverte », « main sur le cœur » ; des qualificatifs qui ont pour effet de les distinguer des autres, riches aussi mais non généreux, et pour lesquels tout un vocabulaire a aussi été construit : « chiches », « avares », « pingres », « coups de poing », « mains de singe », « peigne afro ». En ce XXIème siècle commençant, l’univers gabonais est donc empli de ces personnages qui ont réussi le tour de force d’accumuler, grâce aux fonctions qu’ils exercent, une certaine fortune et que, loin d’amasser tout simplement, de thésauriser, ils mettent à la disposition de leurs congénères et de leur société respective, pour améliorer, non seulement l’ordinaire de leurs semblables, mais également leur milieu social, leur environnement. L’Etat-providence, celui qui avait la responsabilité de tout régenter, de répondre à toutes les attentes des populations, n’est-il pas considéré, dans ce pays comme ailleurs, comme désuet, mort de sa belle mort ? L’Etatprovidence, par définition prodigue et prébendier, est mort, vive l’individu-Etat ! Dans un environnement où les pouvoirs publics ne peuvent plus, à eux tout seuls, car faisant face à une profonde crise, à une situation de quasi-dénuement, régir tout l’univers social, le secours des individus, appelé de tous ses vœux, s’avère toujours d’une prime nécessité ! D’où cette attente placée dans la subsidiarité que constituent les « hommes fortunés ». Une question, alors, se pose : s’il reste avéré que certaines personnalités mettent à contribution leur avoir pour soulager la misère du grand nombre, pour voler au secours des leurs, plus démunis, et améliorer leur quotidien, en a-t-il été toujours ainsi sous toutes les latitudes ? Autrement dit, en fut-il toujours ainsi dans tous les pays et en tous temps ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes imposé de jeter notre regard sur l’Afrique romaine et tout spécialement sur l’Afrique Proconsulaire, encore appelée Africa, à l’époque
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alto-impériale, autrement dit de 27 av. J.-C. à 284 ap. J.-C. Pourquoi l’Afrique Proconsulaire et pourquoi ces dates ? Le choix de cet univers social et de ces dates n’est pas fortuit. Il est à la fois sentimental et scientifique. Sentimental parce que sous-tendu par notre volonté, non seulement de rester ancré dans notre société originelle, l’Afrique, société à laquelle nous devons d’exister et à laquelle nous restons attaché parce que nous ayant enfanté et nous ayant abreuvé de sa sève nourricière, de sa culture et de ses us. Sentimental également car répondant à notre désir de donner écho, d’une certaine manière, à la réflexion qu’initia notre Mentor, au sens de Magister, celui que certains étudiants du département d’Histoire de l’Université Omar Bongo (UOB) de Libreville, dans les années 1982-1983, au plus fort de leur chahut, appelaient Lazarius Digombus et que le journal satirique La Griffe des années 1990 affubla du pseudonyme de Ladigo, autrement dit Lazare Digombe qui, en 1980, avait soutenu, à Strasbourg (France), une thèse de doctorat de 3e cycle sur « Les élites municipales d’Afrique pronconsulaire, sous le Haut-Empire : 27 av. J.-C.-284 ap. J.-C. », près de six ans après le travail de la même veine, une thèse de doctorat de 3e cycle, qu’avait réalisée M. Mahboubi, en 1974, à Aix-en-Provence (France) et qui avait porté sur « Les élites municipales en Numidie du IIème au IVème siècle ». Dans ce sens, la réflexion que nous engageons se veut être un hommage à un Maître rigoureux, pétri de science et de sagesse et qui, hissé, en 1981, par les plus hautes autorités du pays au rang de doyen de la faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) en remplacement de Monsieur le Professeur Martin Alihanga, avant d’occuper d’autres fonctions, plus prestigieuses encore –Secrétaire général de l’Université Omar Bongo, Secrétaire d’Etat à l’Habitat, ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Droits de l’Homme, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, 1er Vice-Président de l’Assemblée Nationale- aura fortement contribué à la construction de l’Université gabonaise, au point de la jeter véritablement sur 15
ses fonts baptismaux, mais aussi qui nous aura fortement abreuvé de ses savoirs, de son expertise et de son savoir-faire, et qui méritait que les travaux entrepris dans un domaine aride, qui avaient nécessité des séjours réguliers et laborieux en terre nord- africaine, y compris dans les zones désertiques et semidésertiques, ne tombassent point dans l’oubli. Enfin, ce choix s’impose par le caractère nodal de ces deux interrogations qui nous taraudent depuis des années et auxquelles nous tenions à trouver des élements de réponse : comment comprendre qu’en Afrique romaine et plus spécialement en Afrique proconsulaire, dans l’Antiquité, des hommes, des femmes, des affranchis, des citoyens romains mais aussi des Puniques non encore romanisés, se soient toujours laissés aller, alors qu’ils avaient accumulé une fortune colossale ou semi-colossale, à gratifier leurs concitoyens de dons de toutes sortes, comme une sorte de rituel, plutôt que d’en faire étalage et de thésauriserl ? Et quel fut leur niveau de contribution au changement de la physionomie de leurs territoires et, partant, au développement de leurs terroirs et même de leur « continent » ? Est-ce par solidarité ? Est-ce plutôt par contrainte ? Est-ce parce qu’ayant réussi leur vie, ils n’avaient pas d’autre choix moral et éthique que de donner aussi à ceux qui avaient accumulé moins de ressources qu’eux et donc qui n’avaient pas pu emprunter le même « ascenseur social » qu’eux ? Est-ce parce qu’au nom de l’équilibre social, les plus fortunés se devaient d’aider les plus désoeuvrés, les moins fortunés, les moins aisés, au risque de laisser s’écrouler tout l’édifice sur lequel s’était bâtie la société ? Cette situation, faite de dons permanents du riche à l’égard du pauvre, l’éminent sociohistorien Paul Veyne l’avait abordée en son temps pour ce qui est de la société romaine antique, et lui avait trouvé une identité forgée à partir du vocabulaire grec : l’évergétisme. Il en avait cherché la substance et l’avait trouvée en mettant au point un néologisme. Il en avait ainsi fait une base de rédaction d’un ouvrage aussi bien volumineux que savant, bien construit et parfaitement articulé, en mêlant l’histoire à la sociologie, le 16
pain et le cirque, deux termes qu’il prit comme référents dans la littérature latine, Panem et Circenses, et que Juvénal, au Ier s. ap. J.-C., avait utilisés pour caractériser les Romains de son époque et surtout faire ressortir l’oisiveté de ses compatriotes et leur propension à être entretenus « aux frais de la princesse » mais aussi à jouer, à se divertir à longueur de journée. À sa suite, Lazare Digombe voulut en étudier l’application, en utilisant, comme cadre-laboratoire en quelque sorte, l’Afrique proconsulaire. Sur la base de l’épigraphie et de la littérature latines, il répertoria ainsi plus de 500 inscriptions qui renvoyaient à cet évergétisme posé par les uns et les autres de ces Africains. Un vrai travail de fourmi ! Une œuvre d’orfèvre ! Mais un travail dont l’on ne saurait se satisfaire car laissant en suspens une question centrale. Et si de 500 l’on devait réduire ce nombre et le porter à 100 par exemple ? S’il s’avère, en effet, indscutable que ces personnes répertoriées furent riches et firent montre de générosité envers leurs semblables, ne peut-on pas en établir une classification qui peut avoir pour effet de réduire ces évergètes, en ayant pour base de classification le niveau de leurs actes ? Parvenir à 100 dignitaires riches qui firent montre de générosité et dont l’action peut être considérée comme plus marquante que les autres, pour la société africaine proconsulaire, voilà donc notre objectif. Un travail préliminaire approfondi a été accompli. Mais « l’histoire » n’est-elle pas « un chantier où rien ne s’achève » ? Cette étude portera donc sur un peu plus de trois siècles, un peu plus de trois cents ans : 27 av. J.-C.- 284 ap. J.-C. 27 av. J.C. a été retenu en tant que borne majeure, pour deux raisons principales. Cette date marque le début du Haut-Empire romain, cette période qui succède immédiatement à la République, la Respublica. C’est donc une nouvelle ère pour Rome, devenue, depuis des siècles, la Ville-lumière, la capitale du monde, l’Vrbs, du fait de sa présence maîtresse sur les trois parties constitutives du globe terrestre : l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Dans cet univers régna désormais, en maître absolu, un personnage central, Octave-Auguste ! Fort de cette position et 17
donc de ce rang, il prit, en direction de l’Afrique du Nord, et de toutes les autres dépendances romaines, une initiative d’importance : l’attribution de ce territoire, réduit au rang de province, provincia, au Sénat, au lendemain du partage de l’empire entre lui, le Prince, le Princeps, et cette Institution ; une action qui mérite d’être inscrite dans son contexte. C’est qu’Octave-Auguste, en effet, s’était imposé à tout prix d’instaurer la paix, la pax romana, dont l’effet devait être de placer l’épée dans le fourreau, et de créer, entre toutes les populations, un climat de sérénité. Choisi par les dieux comme l’homme de la situation, l’homme providentiel, il mit ainsi un terme final aux guerres civiles qui avaient ensanglanté la cité et stabilisa les institutions, montrant ainsi qu’il était le maître du monde, qu’il tenait le gouvernail de Rome, la barre de l’Vrbs sur des bases saines et solides. Ne s’était-il pas imposé à ses adversaires à l’issue de la bataille victorieuse d’Actium, qui avait permis à Rome de placer l’Egypte sous son orbite, mais aussi qui avait donné lieu à l’élimination de l’un de ses rivaux les plus ardents, Marc-Antoine ?; des événements majeurs qui étaient survenus entre 31 et 30 av. J.-C. Ayant pu imposer sa personnalité, il ne pouvait s’arrêter en si bon chemin. Il lui fallait aller au-delà : faire de Rome le centre de gravité du monde habité de l’époque, le nombril de l’oikumènè, l’orbis terrarum, en la poussant dans les limites les plus lointaines, quitte à les rendre sacrées et inviolables. Mais aussi : réorganiser administrativement les dépendances de Rome ! C’est dans ce cadre qu’il « remit la République à la disposition du Sénat et du Peuple », comme il tint à le préciser lui-même dans son œuvre-testament, les RGDA, Res Gestae Divi Augusti.3 Sur cette base, l’imperium romanum fut scindé en deux catégories principales : l’une constituée de provinces dites sénatoriales, et l’autre formant les provinces dites impériales. Les provinces impériales furent placées sous l’autorité de l’empereur. S’y trouvèrent incluses les provinces mal pacifiées intérieurement 3
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ou menacées de l’extérieur. Pour assurer leur sécurité, la présence d’une garnison complétée d’un corps de troupe s’avéra nécessaire, tout comme resta indispensable, à la tête de ces provinces, l’autorité d’un gouverneur, un ancien magistrat personnellement choisi par l’empereur, qui portait un titre spécifique : légat d’Auguste pro préteur, legatus Augusti pro praetore. Quant aux provinces sénatoriales, elles furent dites sans armes, inermes. Parce que considérées comme pacifiées, sûres, certaines, Octave-Auguste les plaça sous la responsabilité du Sénat. Elles ne disposaient nullement de garnison, c’est-à-dire de militaires en faction. Elles étaient dirigées par un gouverneur, encore appelé proconsul, pris parmi les anciens préteurs –les prétoriens- ou les anciens consuls –les consulaires-. L’Afrique se trouva donc placée dans cette catégorie. L’année 284, pour sa part, a été retenue, en lieu et place de 235 qu’utilisent de nombreux historiens pour marquer la fin du Haut-Empire, car elle sert de point de départ à une orientation majeure de la société au plan administratif et politique, initiée par l’empereur de l’époque, Dioclétien. En effet, au lendemain de toute une série de crises, de bouleversements politiques, qui avaient secoué Rome, cet empereur parvint à rétablir l’ordre, à ramener la paix, et à inscrire la société dans une logique de prospérité. Dans cette optique, il prit une mesure inédite, celle que les Historiens appelèrent « la tétrarchie »4. Cette mesure consista en une nouvelle subdivision de Rome et du monde romain, et par la gestion de cet espace, désormais, par quatre empereurs : deux pour l’Occident, et deux pour l’Orient. Cellelà eut pour capitale Constantinople avec le grec comme langue franche, tandis que celle-ci eut pour centre de gravité Rome, avec le latin comme langue majeure. Dans ce nouveau processus organisationnel, l’Afrique romaine ne fut pas en marge. Car de quatre provinces, elle passa à sept, l’ensemble portant désormais le nom de diocèse, dioecesis : Proconsulaire 4
Cf. W. Seston, Dioclétien et la tétrarchie, Paris, 1946.
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ou Zeugitane (capitale Carthage) ; Byzacène (capitale Hadrumète) ; Tripolitaine (capitale Tripolis) ; Numidie militaire ; Numidie Cirtéenne (capitale Cirta) ; Maurétanie Césarienne (capitale Caesarea) ; Maurétanie Sitifienne (capitale Sitifis). Sur une telle base, l’Afrique proconsulaire mérite de faire l’objet d’une étude spécifique. Et ce d’autant plus que, du point de vue de Claude Lepelley, elle est partie intégrante d’un ensemble qui se présente comme un territoire « vaste…représentant 2600 kilomètres de la frontière est avec la Cyrénaïque jusqu’à sa limite ouest…, » par « sa frontière sud » se rapprochant ou s’éloignant « de la mer, d’une province à l’autre » et passant « à 15 kilomètres environ au sud de la Tripolitaine, à 120 kilomètres au sud des Maurétanies et à plus de 300 kilomètres du littoral au sud de la Numidie »5. C’est donc un ensemble territorial baigné par la mer Méditerranée, ce qui lui permit de bénéficier d’un climat tempéré mais également de plaines fertiles qu’entrecoupaient de petites forêts de conifères, même si, au sud de la Tripolitaine et en bordure de la frontière avec le Sahara, sévissait un climat semi – désertique, avec une végétation de steppe. Ainsi présentée, l’Afrique proconsulaire doit être perçue comme une entité territoriale faisant partie intégrante de l’Afrique du Nord et plus largement de l’Afrique. C’est l’Afrique nord saharienne, encore appelée Afrique septentrionale ou Maghreb. Avant de passer sous la domination romaine et plus tard byzantine, elle fut sous l’autorité des Phéniciens, ancêtres des Libanais actuels, puis celle des Grecs. Les Romains s’y implantèrent à la suite de très longues guerres, les guerres puniques, qui furent connues aussi sous le nom de « guerres de cent ans de l’Antiquité », et dont le point d’orgue fut la troisième d’entre elles, déclenchée en 149 av. J.-C., à la suite de l’injonction sans appel de Caton l’Ancien, 5 In Les cités de l’Afrique Romaine au Bas-Empire. T. 1. Etudes augustiniennes, Paris, 1979.
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encore appelé Cato Maior, qui, mandaté à Carthage à la tête d’une Commission chargée d’évaluer le degré de nuisance de ce territoire, et donc le risque qu’elle présentait de se reconstruire après sa défaite au lendemain de la bataille de Zama (202 av. J.-C.) et, partant, de combattre Rome, eut cette formule assassine, qui finit par s’imposer à tous : « il faut détruire Carthage », delenda (est) Carthago ! ». Scipion Emilien, à la tête de légions surentraînées et lourdement armées, fut désigné pour exécuter la tâche. Un membre de sa famille, un de ses illustres ascendants, Scipion l’Africain, P(ublius) Cornelius Scipio Africanus Maior, s’était déjà engagé avec hargne dans le passé, au point de vaincre Hannibal, ce redoutable combattant « borgne », ce fils hargneux d’Hamilcar Barca, et d’intégrer à sa nomenclature nominale le cognomen ex virtute d’Africanus, Africain, autrement dit vainqueur de l’Afrique. Il s’exécuta, alors, avec le zèle habituel des hommes de sa trempe, et conduisit sa mission jusqu’à son terme, sans pitié, tel que savait l’être un soldat, un miles, un légionnaire : féroce, ferox, tel son inspirateur Mars, le dieu de la guerre, parce que avide de succès, mais aussi de butin et de dépouilles. Après une semaine de combat acharné, il prit la ville de Carthage, rue par rue, maison après maison, détruisant tout sur son passage. De ce fait, il rasa la ville, et l’anathémisa, avant d’y répandre le sel, pour que rien ne poussât ! Carthage devint alors une province romaine, provincia romana, l’excroissance de Rome, son arrièrecour, l’espace sur lequel elle devait dorénavant exercer son autorité, son imperium. Ce fut l’Ancienne Afrique, l’Africa vetus. En 46 av. J-C., à la suite des guerres civiles opposant César à Pompée qui virent l’Afrique s’y immiscer, par le biais de certains de ses roitelets, dont Juba Ier, César sortit vainqueur à Thapsus sur les partisans de Pompée ; il créa ainsi une nouvelle province, par annexion de la partie orientale des possessions de Juba, roi allié de Pompée, qui avait été défait ; ce fut la nouvelle Afrique, l’Africa nova. Ce sont donc ces deux entités territoriales qu’en 27 av. J.-C., Octave-Auguste réunit en une seule, pour en faire une province sénatoriale, avec l’appellation 21
d’Afrique proconsulaire, Africa Proconsularis. Dès cette époque, elle se limita ainsi à la Proconsulaire proprement dite, autrement dit au territoire de Carthage, avant de leur adjoindre la Numidie et, en 197, la Tripolitaine. D’année en année, plus de 180 cités finirent par la constituer, les unes étant des cités pérégrines, et les autres des pagi.6 C’est donc sur cette partie territoriale que va se focaliser notre étude.
6 A : Abbir ; Abthugnis ; Acholla ; Agbia ; Ain-Babouch ; Ain-Djal ; AinGoulea ; Ain-Souda ; Ain-Wassel ; Althiburos ; Ammaedara ; Apisa Maius ; Aradis ; Assuras ; Aunobaris ; Avedda ; Avioccala ; Avitta Bibba ; B : Bisica Lucana ; Bordj Touta ; Botria ; Hr. Bouschhna ; Hr. Brerrita ; Bulla Regia ; Burza ; Bacchuinana Civitas ; Balcaran ; Hr bedjar ; Beguenses casae ; Hr Ben-Glaya ; Hr. Ben –hassen ; Hr. Beschater ; Hr. Biniana ; Biracsaccar ; Bir-el-Achmin ; Bir-El-Achmin ; Bir Oum-Ali ; Bir-Tersas C : Calama ; Capsa ; Carthage ; Castellum du Mazafran ; Chilmansensis ; Chimiava ; Chisiduo ; Chusira ; Cillium ; Clupea ; Curubis ; Cydamus ; D : Hr. Djama ; Djelloula ; Douar Guettara ; E : Hr. Ech-Châr ; Hr. El-Amra; El-Favar; Hr. El-Guettari; Hr. El Gobchi; El Ghorfa F : Furnos Maius G : Golas ; Goris ; Gurza ; Gales ; Gardi Maou ; Gasr mezouar ; Gightis ; Gillium ; Giufis H : Hadrumète ; Hr. Harte ; Hippo D. ; Hippo Regius ; K: Ksar Guelân; Ksar Gouraî; Koudiet Setiêh; Kern El-Kebch; Khanget ElHadjaj L: Lares; Leptis Magna; Leptis Minor; M : Mactaris ; Madauros ; Masculula ; medelis ; Membressa ; Midicis ; Muncharis ; Muzuc ; N : Neapolis ; Hr. Nebhana ; Niniba ; Niniba; Numlulis; O:Oea; Hr. Oudeka; P: Pheradi Maius; pichon; Pupput; S: Sabratha; Sacaris; Saltus Masspianus; Saradis; Hr. Schabet Er- Ressas; Segermes; Semta; seressis; Sicca Veneria; Sicilibba; Siagu; Sidi Abd El-Basset; Sidi Abd El-Krim; Sidi Amor; Sidi Navi; Sidi Youssef; Sidi Bennour; Simithu; Slougia; Souk El –Arba; Sua; Sufetula; Sufes; Svoucubi; Sutunurca; Siga; T: Tacapes; Tenelium; Tepelte; Thabarbusis; Thabraca; Thacia; Thaenae; Thagaris Maius; Thagaste; Thagora; Thala; Thamalleni; Thelepte; Themetra; Thevesta; Thibaris; Thibica; Thibiuca; Thigès; Thignica; Thimida Regia; Thimiliga; Thinissut; Thubba; Thuburbo Maius; Thuburo Minus;
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Pour ce faire, trois parties constitueront la trame de notre réflexion. La première partie a été intitulée Richesse et générosité : des mots pour le dire. Notre étude étant centrée sur ces deux termes, nous avons jugé opportun d’y consacrer, d’entrée, une analyse du vocabulaire, du langage, de la langue. C’est donc une porte que nous ouvrons pour engager une réflexion à titre liminaire sur la langue et le langage en usage à l’époque, en Afrique proconsulaire, pour caractériser et donc dénommer à la fois la richesse et la générosité, mais également le riche et le généreux. Comment dénommait-on ces termes ? En existait-il par lesquels les Africains les désignaient ? Ou plutôt recouraient-ils à ceux qui étaient en usage à Rome ? Y avait-il, dans leur vocabulaire, des termes génériques par le biais desquels ils étaient présentés ou l’étaient-ils plus exactement par ceux qui étaient spécifiques pour cet acte de désignation ? Si oui, lesquels ? La deuxième partie a été dénommée La richesse ou comment y parvenir et comment le montrer. Cette partie est fondamentale, elle aussi, car elle permettra de savoir comment les Africains originaires de la Proconsulaire procédaient pour parvenir à la richesse. L’agriculture et l’élevage, à titre principal, comme à Rome ? L’art, l’artisanat, le commerce aussi ? Nous en profiterons aussi pour montrer comment, une fois devenu riche, l’on pouvait le montrer à la face du monde, quels marqueurs il était de bon aloi d’adopter : non point des mapalia et un plat fruste, non point un habillement fait de guenilles, avec des chaussures usées jusqu’à la corde, mais une maison cossue, des mets raffinés, un habillement recherché, etc. ; comme pour dire : richesse et discrétion étaient incompatibles ! Alors que la discrétion incombait au pauvre, l’étalage revenait au riche ! Thuburnica; Thubursicu Bure; Thubursicu Numidarum; Thugga; Thysdrus; Tichilla; Tigillava; Tuccabor; Tunes; Turca; Turris Rutunda; U: Uccula; Ucres; Uchi Maius; Uthina; Utique; Uza; Uzalis; Uzappa; V : Vazi Sarra ; Villa M’Hammedia ; Vina ; Vaga ; Vallis Z : Zama Regia ; Zarath ; Zattara ; Hr. Zian; Ziqua; Zuccharis.
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Enfin, la troisième partie portera sur la question intitulée Etre généreux et le démontrer. La générosité, en effet, ne pouvait se cacher, encore moins se dire simplement, se proclamer uniquement ; elle devait se vivre dans toute sa plénitude. Il fallait donc en faire la démonstration la plus claire, la plus nette ! Il fallait la prouver ! Mais pourquoi était-on tenu d’être généreux ? C’est toute la question de l’essence de l’évergétisme qu’il faut aborder ici. Et sous quelles formes se manifestait cette générosité ? Cette partie est d’autant plus importante qu’elle aboutira à une classification des 100 Africains qui, de notre point de vue, méritent de faire partie de ce top hundred qui changea l’Afrique proconsulaire tout au long des trois siècles retenus.
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L’Afrique proconsulaire7
Carte réalisée par André Buisson, ingénieur d’études, université de Lyon 3, sous le titre : « villes de l’Afrique consulaire (partie nord-occidentale » in L’Afrique Romaine, de 69 à 439, Ed. du temps, Nantes, 2005, p. 346. 7
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Les cités de l’Afrique proconsulaire8
8 Carte réalisée par le même auteur, sous le titre : « L’Afrique proconsulaire d’Auguste à Septime Sévère : le statut des cités » in id. p. 347.
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PREMIÈRE PARTIE RICHES ET GÉNÉREUX : DES MOTS POUR LE DIRE
« Vous aurez alors une grande satisfaction à savoir ce que les autres ne savent pas » Tristan Bernard
C’est un truisme de le dire : l’Afrique du Nord en général et l’Afrique proconsulaire en particulier regorgèrent de personnalités riches sous le Haut-Empire romain, autrement dit d’hommes et de femmes qui réussirent le tour de force de disposer, tout au long de la domination romaine, et ce aux termes de la loi, d’un revenu régulier égal ou supérieur à 5 000 sesterces, étant entendu qu’en dessous de ce seuil, une personne seule était vouée à vivre à l’état de précarité et, si elle avait une épouse à charge, à dépendre d’autrui. Outre les hommes, et les femmes, l’on trouva aussi des affranchis ! Quelques cas suffisent pour en faire la démonstration. C’est, entre autres, celui de cet homme-ci, L(ucius) Aelius Timminus, originaire de Madaure qu’une inscription épigraphique présente comme « patient au travail, économe, vigilant et sobre » et dont on dit qu’il « amassa pour sa famille une fortune respectable et fit entrer sa propre maison dans l’ordre
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équestre »1. Il était un citoyen romain, un ciuis romanus, comme l’indiquent ses trois noms, ses tria nomina. C’est également le cas de cet autre personnage, un citoyen, lui aussi, Q(uintus) Vetidius Iuuenalis, originaire de Thubursicu Numidarum, qu’une autre inscription décrit comme « agricola bonus, in foro iuris peritus » et qui « fut père de trois chevaliers romains »2. Il s’était consacré aux tâches essentiellement agricoles et avait fini par faire montre d’une réelle expertise dans le domaine du droit. Cet engagement entier et total dans le travail de la terre en avait fait un homme d’expérience, un « homme de bien », qui avait donc du mérite ! C’est, enfin, le cas de cette dame, Pudentilla, riche veuve, membre d’une vieille famille punique et qui épousa en secondes noces Apulie. « Sa fortune », nous dit Tertullien, fut « évaluée à 4 millions de sesterces, constituée en partie par les biens-fonds. Elle y cultiv(ait) le blé, l’orge, la vigne et l’olivier avec une main-d’œuvre esentiellement servile, comprenant plusieurs centaines de personnes »3. Si ces textes évoquent des cas de richesse, il en est d’autres qui se rapportent aux cas de générosité. Il en est ainsi de celui-ci où il est fait mention de combats de gladiateurs que A(ulus) L(ucius) Celerinus, originaire d’Hippone, avait offerts à ses concitoyens. Voici, à cet égard, ce qu’indique l’intégralité de l’inscription4 : A L(ucius) Postumius Celerinus, flamine impérial perpétuel, pontife, duovir, en reconnaissance de la magnificence de combats de gladiateurs qu’il offrit à ses concitoyens pendant trois jours et qui surpassèrent tous ceux organisés antérieurement, en raison de sa vertu, de sa gloire et de son incomparable amour envers sa patrie, chaque curie lui a fait élever des incomparables statues afin d’égaler son grand zèle avec tant d’honneur. Le terrain fut assigné sur décret des décurions. Il en est également de cet autre, extrait du CIL, VIII, 5298, où M(arcus) Iulius Rufus Montanianus est mis en valeur pour sa particulière générosité. L’inscription épigraphique qui lui fut ILAlg, I, 2195. ILS, 7742c. 3 Apol., XXIII, 6-7. 4 CIL, VIII, 5276: Hippone (Ager Hipponensis). 1 2
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consacrée apporte d’ailleurs la preuve de la particulière largesse de ce personnage de Diana : Au divin Commode, frère de l’Empereur César L(ucius) Septime Sévère, vainqueur des Parthes, ayant revêtu la puissance tribunicienne pour la VIIIe fois, Impérator pour la XIe fois, Consul, M(arcus) Iulius Rufus Montanianus, fils de C(aius), membre de la tribu Papiria, questeur, édile, duovir, duovir quinquennal, flamine perpétuel qui, après avoir versé une somme honoraire d’un montant de 4 000 sesterces en raison de son flaminat perpétuel, donna une statue d’une valeur de 10 000 sesterces et la dédicaça en ajoutant de l’argent. À parcourir ces textes, un fait d’évidence demeure donc : des Africains parvinrent à la richesse et le manifestèrent par des actes de générosité. Une question se pose alors : de quels termes firent-ils usage pour faire ressortir sans ambiguité ces deux aspects ? Autrement dit, par quel vocabulaire désignaient-ils de manière claire et explicite tout ce qui renvoyait aux riches et aux généreux ? Au-delà, leur langage fut-il constitué de mots suffisamment explicites pour faire ressortir ces deux réalités ? L’examen de la situation de l’époque nous amène à établir ce fait : les Africains de l’époque furent une civilisation de l’oralité et non de l’écrit. De ce fait, il n’exista pas de littérature africaine proprement dite, et donc de textes qui aient pu émaner des Africains eux-mêmes, écrits par eux et ayant donc eu pour effet de retracer leur histoire ainsi que leur vécu sociétal. Les seuls textes existant sur la société africaine sont ceux de l’époque phénicienne, grecque, romaine et byzantine. Les Africains n’ayant pas eu d’écrits et, partant, une graphie propre, leur histoire a été celle que les autres ont bien voulu écrire sur leur compte, avec le regard qu’on a donc bien voulu leur faire porter, avec le témoignage qu’on a bien voulu leur faire endosser. Notre étude portant sur l’époque romaine, seuls les textes réalisés par les sources latines essentiellement nous seront donc d’un apport de premier plan. Sur cette base, que disent ces textes ? Nous tenterons d’y répondre au travers de deux chapitres où l’on s’efforcera de montrer que la richesse et la générosité firent l’objet d’une terminologie spécifique. 29
CHAPITRE I RICHES : UNE VARIÉTÉ TERMINOLOGIQUE « OLUND’IGOWI »1
Dives, locuples, copiosus, opulentus, pecuniosus, tels sont les termes que nous avons répertoriés comme ayant servi à désigner le riche. A. Dives Nous commençons par ce terme. Et pour cause : c’est le terme générique par excellence. Il signifie riche, par opposition au pauvre, pauper. Le substantif en est divitia –au singulier – et divitiae –au pluriel- qui signifie, pour celui-là riche et pour celuici, richesse(s). Salluste d’ailleurs le fait ressortir dans cette oraison contre Catilina où le terme divitia occupe une place centrale : Dès que les richesses –divitiae- eurent commencé à être honorées, et qu’à la suite vinrent distinction de dignité (et) pouvoir, la vertu perdit son
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Sagesse gabonaise : « Pour s’enrichir, il faut peiner ».
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influence, la pauvreté devint l’opprobre et l’antique simplicité fut regardée comme une affection malveillante.2 Cicéron aussi le fait ressortir dans ce passage où la notion de richesse est brandie pour montrer la situation d’antagonisme que génèra, à l’époque républicaine, l’existence de riches d’un côté, et de pauvres de l’autre, les uns utilisant leur fortune pour paraître et pour vivre aisément, alors que les autres étaient empêtrés dans un dénuement total, ce qui les rendait vulnérables et prompts à rester sensibles aux sollicitations d’un homme de la trempe de L(ucius) Sergius Catilina qui chercha à renverser les institutions républicaines en 63 av. J.-C.: Quels hommes dignes de ce nom pourraient souffrir que ces gens regorgent de richesses qu’ils gaspillent pour bâtir sur la mer ou pour aplanir des montagnes, tandis que nous n’avons pas d’argent même pour le nécessaire ? 3 Dans la même veine, ce terme est brandi, toujours par le même Cicéron, pour montrer de façon claire et nette, la situation sociale des riches ; des hommes qui disposent de biens de toutes sortes, des hommes repus jusqu’à la moëlle, qui ont accumulé des biens de toutes natures, qui vivent dans l’opulence, qui se laissent aller au gaspillage, qui entreprennent des actes immodérés et parfois irréfléchis, et qui malgré tout ne parviennent pas à se dégarnir de leur avoir : Ils ont beau acheter tableaux, statues, vases ciselés, démolir des maisons neuves pour en construire d’autres, bref gaspiller et dilapider leur argent de toutes les façons, ils ne peuvent pourtant, malgré toutes leurs folies, venir à bout de leurs richesses.4 Salluste, Con. Cat., XII : Postquam divitiae honri esse coepere et eas gloria imperium potentia sequebatur hebescere virtus paupertas probro haberi, innocentia pro maleuolentia duci coepit. 3 Il L. Cat., XX, 75 Etenim quis mortalium, cui uirile ingenium est, tolere potest illis diuitias superare quas profundant in exstruendo mari et montibus coaequandis, nobis rem familiarem etiam ad necessaria deesse ? 4 Id., ibid. Cum tabulas, signa, toreumata emunt, noua diruunt, alia aedificant, postremo omnibus modis pecuniam trahunt, uexant, tamen summa lubidine diuitias suas uincere nequunt. 2
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Une situation d’autant plus clivante que la société s’en trouvait, du coup, « coupée en deux » : d’un côté ceux qui vivaient dans l’abondance, au point d’accumuler sans arrêt, et de se permettre toutes les facilités, de s’offrir toutes les « folies », et de l’autre, ceux qui ne pouvaient disposer même du minimum vital comme se constituer une simple famille et donc être parents, parentes, ce qui leur aurait permis d’être patres ou matres familias et, partant, de disposer de dieux pénates, di penates, et de dieux lares, di lares : Qu’ils accolent pour leur usage deux palais l’un à l’autre, ou même davantage, tandis que nous n’avons nulle part de foyer familial. 5 Dans une virulente apostrophe à Verrès, Gouverneur prévaricateur de Sicile et symbole de la mal gouvernance, ce terme fut encore utilisé et brandi par l’Arpinate pour asseoir son argumentaire et montrer au grand public ce qui fonda le vice de l’ancien Gouverneur : Profecto homo dives repente a Verre non sine causa citatu6 Dives –ou homo dives- était donc compris comme le riche, autrement dit l’homme qui possédait, qui vivait dans l’aisance, le non pauvre. Il occupait le haut du pavé de la société. Il se particularisait par une série de biens dont il disposait en grande quantité, et tout spécialement de l’argent liquide. Il avait donc, comme qui dirait, « des comptes garnis » ! A Rome, depuis la réforme initiée au Vème s. av. J.-C., par le roi étrusque Servius Tullius-d’où le nom de « réforme servienne »- qui avait abouti à la répartition de la société en cinq classes sur une base censitaire, il disposait d’une somme supérieure à 1500 as, ce qui n’en faisait pas un insolvable, un proletarius, mais plutôt un possédant, un adsiduus –pluriel : adsidui- Sous la Rome archaïque, période de la simplicité et de la frugalité, où tout le monde se contentait de peu et ne s’offrait aucune excentricité, il lui était fait obligation de disposer d’au moins un seul esclave, car ce chiffre était suffisant pour l’exécution des tâches agricoles et de certains 5 6
Id., ibid. … Nobis larem familiarem nusquam ullum esse ? De Praet. Sicil., 16.
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travaux domestiques. Mais quand la République commença à décliner, entraînant un agrandissement territorial et une augmentation exponentielle de besoins mais aussi du nombre de riches, les données changèrent ! En lieu et place d’un seul esclave au moins, ne devint-il pas nécessaire pour un riche d’avoir une « armée » d’esclaves à sa disposition et donc de disposer d’instruments utiles à une vie équilibrée dans tous les secteurs d’activité ? Crassus, le ploutocrate, l’homo dives par excellence, au cours de cette période, fit alors admettre le principe selon lequel quiconque, se considérant comme riche, se devait absolument d’entretenir des armées et plus spécialement six légions et des troupes auxiliares, des auxilia, ce qui fit sortir de ses gongs, d’une certaine manière Cicéron, comme nous pouvons nous en apercevoir au travers de cette saillie : Beaucoup l’ont entendu dire que personne n’est riche s’il ne peut entretenir une armée avec ses revenus : c’est ce que le peuple romain, avec de si grandes redevances, peut à peine faire depuis longtemps. Donc, ces prémices passées, tu ne seras jamais riche avant que tu ne retires de tes biens de quoi te permettre d’entretenir six légions et d’importants corps auxiliaires de cavalerie et d’infanterie. Tu avoues donc déjà que tu n’es pas riche, toimême à qui il manque tant de choses pour combler tes désirs… C’est un fait, de même que ceux qui recherchent honnêtement de l’argent, par le commerce, les entreprises de travaux, les fermages d’Etat, nous comprenons qu’ils ont besoin de gagner, ainsi, à voir dans ma maison des groupes d’accusateurs et d’indicateurs rassemblés par ton entreprise ; à voir des coupables et des riches accusés essayer encore sous ta conduite de corrompre la justice, à voir tes ententes sur les honoraires pour défendre tes clients, tes interventions financières dans les coalitions électorales, tes envois d’affranchis pour ruiner par l’usure et piller les provinces ; à voir les expulsions de tes voisins, tes brigandages dans les campagnes, tes associations avec des esclaves, avec des affranchis, avec des clients ; à voir des biens-fonds abandonnés, des proscriptions de riches, des meurtres dans les municipes ; à se rappeler la moisson du temps de Sylla, les testaments supposés, tant de gens disparus, à voir, enfin, que tout est vénal : le service militaire, les décrets, le suffrage des autres, le sien, la vie publique et privée, la parole, la 34
violence, qui n’estimerait que cet homme avoue qu’il a besoin d’argent ? Or, une personne qui a besoin de gagner, qui jamais pourrait à juste titre la déclarer riche ? Effectivement le fruit des richesses est dans l’opulence : or l’opulence se manifeste par la suffisance des biens et leur abondance ; mais cette opulence, comme jamais tu ne l’atteindras, jamais, jamais, non jamais tu ne seras riche… 7 Le riche n’était donc pas un impécunieux. Loin de là. Il n’était pas un nécessiteux, un homme qui vivait dans le besoin. Il ne manquait de rien ! Il disposait de suffisamment de ressources financières et de biens matériels qui en faisaient un homme – ou une femme- suffisamment pourvu(e) ! C’était un homme -ou une femme- d’avoir ! Il –elle- avait des biens matériels, ces « hochets de la fortune » comme les appellait Cicéron8, dont l’importance était telle que même le sage pouvait y trouver le moyen d’accéder à l’indépendance économique et à l’autonomie sans lesquelles il n’était guère de liberté posible. D’où cette définition de l’homme riche, le dives, par Cicéron : Opinor in eo cui tanta possessio est ut ad liberaliter uiuendum facile contentus sit, qui nihil quaerat, nihil adpetat, nihil optet amplius9 Le Dictionnaire Hachette est d’ailleurs suffisamment explicite à ce sujet qui fait cette déclaration : La richesse est un ensemble de biens matériels et financiers que possède un individu ou une communauté10. N’est-ce pas sur cette base qu’en Afrique proconsulaire, n’était considéré comme riche que celui qui disposait d’une fortune évaluée à plus de 5000 sesterces ? B. Locupletes C’est donc parce qu’il possédait une certaine quantité de biens qu’un autre terme fut en usage pour exprimer la même Cicéron, Parad. Stoïc., VI, 45 sq. Tusc., VI, 52 : haec ludibria fortunae. 9 id., VI, 42. 10 Paris, 1980. 7 8
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réalité : locupletes –au pluriel- et locuples –au singulier-. Ce terme était la contraction de deux termes, loci et plenus, autrement dit « pleins à craquer ». Il s’agissait donc d’hommes-ou de femmescomblés en différents biens matériels : biens-fonds, mais aussi maisons, villae, esclaves, argenterie, mobilier… On trouve ce terme dans une partie de l’œuvre cicéronienne, surtout dans les Verrines, où furent indexés les aratores de Sicile, c’est-à-dire les propriétaires fonciers qui étaient soumis à la dîme. À leur côté, s’inscrivaient ceux qui disposaient de quelques objets de luxe qui avaient suscité la convoitise de Verrès, au point que celui-ci fut amené à les exproprier : une demeure somptueusement ornée, des statues, des objets d’art. Dans cette optique, locupletes pouvait ne pas être utilisé seul ; pour des besoins de précision, il pouvait accompagner des substantifs divers comme provincia, civitas, urbs, oppidum, fanum, domus, mais aussi l’homme –ou la femme- qui en était gratifié ! Pour doigter un homme riche, et même très riche, Cicéron parlait alors d’hominem locupletissimum, et déclinait, dans cette foulée, ce qui constituait sa fortune, les éléments qui matérialisaient ses nombreuses fortunae : des esclaves, du bétail, des métaieries, des créances, c’est-à-dire des biens meubles et immeubles, des biens fonciers, mais aussi des espèces sonnantes et trébuchantes ! André Aymard et Jean Auboyer sont d’ailleurs parfaitement explicites sur la question : Pour être considéré comme riche, dirent-ils, il fallait posséder hôtels particuliers et jardins à Rome, maisons avec statues, parures et volières en diverses régions d’Italie…11 Dans ce cas de figure, celui qui disposait d’une villa par exemple ne pouvait pas se limiter à ce bien ; il devait y être joints une quantité de « porcs, (de) chevreaux, (d’) agneaux, (de) poules …»12. Pris dans ce sens, -locuples- locupletes- pouvait renvoyer à celui qui était suffisamment garni, mais avec cette Rome et son Empire, Paris, PUF, 1954, p. 141. M. V. Medzobui Abessolo, Richesse et pauvreté à Rome à travers l’oeuvre de Cicéron, Mémoire de Maîtrise, Histoire Ancienne, UOB, Libreville, 2011, p. 46. 11 12
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précision de taille ! Mais cette situation d’aisance ne pouvait pas être considérée comme irréversible ; elle était mouvante ! Elle pouvait évoluer et se muer, un jour, à moyen ou à long terme, en situation de pauvreté, de précarité, de dénuement, du fait, entre autres, d’une situation de surendettement ! Dès lors, celui qui en était l’objet ne possédait plus rien ; il se dégradait, se dépossédait et se trouvait dans une situation telle qu’il pouvait n’avoir d’autre choix, s’il voulait « rebondir » et donc recouvrer son statut antérieur, que de s’engager dans tous les coups, y compris les plus tordus, comme la révolution ! Ainsi furent les Catilinaires, autrement dit ceux qui, parmi d’autres, avaient pris le parti de suivre L(ucius) Sergius Catilina à Rome, dans son aventure révolutionnaire, et que décrit Salluste : Dans une cité aussi grande et aussi corrompue, Catilina n’avait pas eu de peine à grouper autour de lui tous les vices et tous les crimes, qui formaient comme ses gardes du corps. Tous les débauchés, les adultères, les habitués de tripots qui dans le jeu, la bonne chère, les femmes avaient dilapidé la fortune paternelle, tous ceux qui s’étaient chargés de dettes pour se racheter de l’infamie ou du crime… 13 Déclinant la liste de ces comparses, il poursuit par ailleurs, en ces termes : Faisaient encore partie du complot, mais un peu plus secrètement, un certain nombre de nobles qu’entraînait plutôt l’espérance du pouvoir que la misère ou quelque autre besoin…14 Les biens matériels et immatériels, voilà donc, comme qui dirait, l’élément de démarcation entre les groupes sociaux. C’est sur leur base qu’il y eut, d’un côté, les possédants, et de l’autre les non-possédants, deux groupes appelés à nourrir un antagonisme permanent, à vivre dans une situation de choc quotidien et régulier, sous-tendu par un climat de haine. Suivons en cela Denis Fustel de Coulanges :
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De Con. Catil., XIV, 68. Id., XVIII, 72.
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Dans chaque cité, le riche et le pauvre étaient deux ennemis qui vivaient l’un à côté de l’autre, l’un convoitant la richesse, l’autre voyant sa richesse convoitée. Entre eux, nulle relation, nul service, nul travail qui les unit. Les pauvres ne pouvant acquérir la richesse qu’en dépouillant le riche ; le riche ne pouvant se défendre que par une extrême habileté ou par la force. Ils se regardent d’un air haineux… 15 C. Pecuniosus Car lequel des hommes –ou des femmes- vivant à Rome et dans le monde romain pouvait accepter de rester dans le dénuement ad infinitum ? Nul ne pouvait prendre le parti de vivre dans le manque, comme une fatalité, sans chercher les moyens de renverser la tendance, sans chercher l’occasion de passer du simple dénuement, du simple désoeuvrement, à la complétude ! Ces mots de Fronton, M(arcus) Cornelius Fronto, ami et confident de l’Empereur Marc-Aurèle, rédigés au sujet de l’empereur Trajan, M(arcus) Vlpius Traianus, sont d’une particulière éloquence : S’inspirant des meilleurs principes de la sagesse politique l’empereur ne méprisait pas, loin de là, les comédiens et autres professionnels de la scène, du cirque ou de l’amphithéâtre ; il savait qu’on tient le peuple romain essentiellement par deux choses : l’approvisionnement en blé et les spectacles publics. Le pouvoir impérial est autant jugé sur les loisirs que sur les grands problèmes. Se désintéresser des seconds fait peut-être plus de dégats, mais négliger les premiers plus de mécontents. Dans les distributions gratuites, seuls les plébéiens inscrits sur les registres frumentaires sont satisfaits-et encore un par un, quand on appelle son nom. Avec les spectacles, tout le monde est content 16. Comme pour dire que chacun aspirait à s’élever socialement, à « prendre de l’ascenseur social », à passer de la situation de dénuement à celle de nanti, à se garnir de biens et à intégrer l’univers constitué de ceux qui disposaient de tout ce D. Fustel de Coulanges, La cité antique, Paris, Hachette, 1969, pp. 401-402. Ch. Ric. Whittaker, Le pauvre in A. Giardina (dir.), L’homme romain, Paris, Seuil, 1992, p. 335. 15 16
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qui était nécessaire à une vie complète, entière et comblée ; chacun tenait à être à l’abri du besoin, à disposer du minimum vital et à vivre aisément ! Chacun aspirait à la richesse ! Quel qu’en fût le prix ! Les théoriciens grecs n’avaient-ils pas déjà brocardé, dans la lointaine antiquité, ce statut de dénuement ? Il en fut ainsi d’Aristote qui, faisant l’analyse de la cité idéale, considérait les pauvres comme des gens « si assujettis qu’ils ne p(ouvaient) commander mais seulement obéir »17. Une approche que d’ailleurs partagèrent les Romains plusieurs siècles plus tard ! Cicéron, par exemple, qui estimait que « le travail salarié (était) sordide et indigne d’un homme de bien »18 ; Sénèque aussi, qui considérait la pauvreté comme un état dans lequel « on ne p(ouvait) pratiquer qu’un seul genre de vertu : ne pas fléchir, ni tomber dans l’accablement »19. Mais, malgré cette tendance, les Romains –et les Africainsétaient déterminés dans leur existence par des règles éthiques, morales, qui commandaient que l’on posât telle ou telle action sous telle ou telle forme. Dans cette optique, il était de bon ton que l’on ne s’enrichît pas de n’importe quelle manière. Il importait qu’on le fît sous la forme traditionnelle, c’est-à-dire celle qui était inscrite dans la tradition romaine, le mos maoirum, dans le subconscient collectif, celle qui avait toujours guidé les ancêtres romains dans leurs actions permanentes et qui les avaient amenés à faire de Rome un univers toujours en développement, en expansion, une « société debout » et que les Africains avaient aussi tenu à adopter à leur tour : la terre, le bien-fonds, autrement dit l’activité agricole et son pendant l’élevage, et à évaluer cette richesse, cette pecunia, en pecus, en bœuf ! Et pour cause ! Les agriculteurs (avaient) un compte ouvert avec la terre, qui jamais ne repouss(ait) leur pouvoir et jamais ne rend(ait) sans intérêt ce qu’elle
Pol., 1266b. De off., I, 150. 19 De la Vie heur., 22. 17 18
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a(vait) reçu, mais donn(ait) un revenu parfois petit, le plus souvent considérable. 20 Ce que prolonge Paul Louis, en tenant ces propos : Elle (l’agriculture) ne cessa, dans l’Antiquité, d’être le mode le plus généralisé, le plus honoré du labeur humain, de même que la terre arable ne cessa de passer pour la richesse par excellence. 21 Le moissonneur de Mactaris, en Afrique, en fut un exemple typique. Malgré ses origines modestes, ne réussit-il pas le tour de force de se constituer une richesse et de se hisser au sommet de la pyramide sociale, en recourant à un et un seul biais : l’exploitation foncière ? Cette inscription où il s’autocongratulait nous le révèle de la manière la plus limpide : Je suis né d’une famille pauvre ; mon père n’avait ni revenu ni maison à lui. Depuis le jour de ma naissance, j’ai toujours cultivé mon champ ; ma terre et moi n’avons pris aucun repos. Lorsque revenait l’époque de l’année où les moissons étaient mûres, j’étais le premier à occuper mes chaumes ; lorsque parcissaient dans les campagnes les groupes de moissonneurs qui vont se nouer autour de Cirta la capitale des Numides, ou dans les montagnes que domine la montagne de Jupiter, alors j’étais le premier à moissonner mon champ. Puis quittant mon pays, j’ai pendant douze ans moissonné pour autrui sous un soleil de feu ; pendant onze ans, j’ai commandé une équipe de moissonneurs et j’ai fauché le blé dans les champs des Numides. À force de travailler, ayant su me contenter de peu, je suis enfin devenu propriétaire d’une maison et d’un domaine ; aujourd’hui je vis dans l’aisance. J’ai même atteint les honneurs ; je fus appelé à siéger au sénat de ma cité et de petit paysan devins censeur. J’ai vu naître et grandir autour de moi mes enfanst et mes petits-enfants… 22 Il ne fut d’ailleurs pas le seul à évoquer cette richesse acquise par ce biais honorable ! D’autres paysans existent, qui exprimèrent leur profonde fierté. Tenons-nous en uniquement Cicéron, De off., XV, 51 : Habent enim rationem cum terra, quae numquam recusat imperium nec unquam sine usura reddit quod accepit sed alias minore plerumuque maiore cum fenore. 21 in Le travail dans le monde romain, Paris, Alcan, 1912, p. 21. 22 C.I.L., VIII, 11814. 20
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à ce propriétaire anonyme, originaire de la Proconsulaire, et propriétaire d’une exploitation agricole, le fundus Aufidianus : … Agricolae in [spl(endissima)] rep(ublica) Bihensi bilt[a], conductori pal/atori restitut/ori : fundi Aufidiani et / praeter cetera bona q(uae)/ in eodem f(undo) fecit sterlies qu[o] que oeastri surcuil [os] inserendo plurimas o[leas]/ instituit purteum iux[ta] (viam, pomarium cum tri[chlis] post collectarium vin[eas]/novellas sub silva aequ[e in]/ stipuit Vxor mar[ito]/incomparibili fec[it] 23 La richesse, au moyen du travail de la terre, voilà donc qui apparaissait comme une richesse digne, méritée, et qui justifiait l’utilisation de pecuniosus, que l’on peut traduire littéralement par « honorablement riche ». D. Opulentus Mais il n’empêche ! La richesse acquise sous cette forme ou celle obtenue sous des moyens autres, y compris ceux que l’on considérait comme hétérodoxes, autrement dit peu conformes, comme l’art et l’artisanat, ou encore le commerce, était admise car elle procur(ait) les moyens d’action ; les ressources, la considération, les honneurs des avantages, les plaisirs, de l’agrément, la santé, l’absence de louanges, l’absence de la douleur et de la pleine disposition de nos forces physiques 24. Toutes les richesses s’équivalaient donc ! Car un riche était l’égal d’un autre ! Il bénéficiait de la même considération, de la part de ses congénères ! Crassus, à Rome, dont tout le monde connaissait l’origine de la fortune, l’exploitation immobilière, la construction des maisons à étages, les insulae, grâce à une nuée d’esclaves qui étaient formés sur place, par ses soins, n’était-il pas porteur d’un surnom significatif, celui de dives ? Il était revêtu d’un cognomen qui déclinait le niveau de son avoir. Son identité montrait qu’il avait accumulé des moyens, qu’il n’était nullement pauvre, mais qu’il faisait partie de la catégorie des A.E., 1975, 883. Cicéron, Lael., V, 22 : Diuitiae, ut utare ; opes, ut colare ; honores, ut laudare ; uoluptates, ut gauderas ; ualetudo, ut dolore careas et muneribus fungare corporis.
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ploutocrates, des riches. Possesseur de moyens, il était donc opulent, c’est-à-dire aisé. L’opulentus, en effet, n’était-ce pas celui à qui il ne manquait rien ? C’était l’homme qui vivait dans l’éclat, dans le clinquant, chez lequel tout brillait, tout était reluisant. Il était empêtré dans l’aisance ! Il avait réuni toutes les commodités nécessaires à une vie décente et enviablehabitations riches et cossues dans des quartiers résidentiels, ce qui en faisait une source de grandeur, de dignité, la dignitas25-, propriétés suburbaines, mets variés et de haute qualité, vêtements recherchés, nombre élevé d’esclaves, mais aussi de clients. Il vivait dans l’abondance, il avait réussi à se mettre à l’abri du besoin, il avait tout mis en œuvre pour se faire remarquer, paraître, ne pas passer inaperçu, il s’était tenu à distance respective de la pauvreté, la paupertas, de l’ inopia, que Cicéron considère comme un « manque de patrimoine familial »26, mais aussi comme un « mal », au même titre que « l’obscurité, la basse extraction, la perte des proches, les vives douleurs physiques, la ruine de la santé, la paralysie, la cécité, l’anéantissement de la patrie, l’exil, la servitude »27 et que Paul Mary Henry considère comme « l’absence relative de revenus, d’avoirs, de services de base, de dignité, de possibilité d’éducation et de mobilité sociale, ainsi que la participation à l’adoption des décisions sous diverses formes »28. D’ailleurs, la faim, n’en étaitelle pas une caractéristique ? Plaute, en faisant parler l’un de ses acteurs, Gélasime, indiqua parfaitement comment l’absence de tout avoir, dont la faim apparaissait comme un indicateur non négligeable, pouvait être un véritable préjudice, pour quiconque en souffrait : C’est la faim, Gélasime, qui fut ma mère ; car depuis ma naissance jamais je n’ai pu me rassasier. Et personne ne témoignera à sa mère… ni 25 Cicéron, Pro P. Quinct., XXXIX, 139 : « Il faut… que la dignité d’un personnage soit rehaussée par sa maison ». Ornata enim est dignitas domo. 26 De con. Cat., V, 59 : inopia rei familiaris. 27 Pro Sex. Rosc. Amerin., V, X, 29 : Aderit malorum, si mal ailla ducimus, turba quaedam, paupertas, ignobilitas, humulitas, solitudo, amisso suorum, graves dolores corporsi, perdita ualetudo, debilitas, cecitas, interibus patriae, exilum, seruitus denique. 28 Pauvreté, progrès et développement, Paris, 1990, p 328.
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n’a jamais témoigné autant de reconnaissance que je le fais à ma mère la faim, car elle me porta dix mois dans son ventre, mais moi, voilà plus de dix ans que je la porte dans le mien 29. La faim, mais également le manque, la carence en toutes choses, tel était l’effet de la pauvreté ! Un effet dégradant, même si Cicéron en pensait autrement, comme dans ces tirades, au moment de s’accorder quelques instants de philosophie : Lequel donc est le plus riche : de celui à qui l’argent manque, ou de celui qui en a de reste ? Un homme qui est dans le besoin, ou un autre qui est dans l’abondance ? 30 ; La pauvreté n’est point un mal31 ; C’est l’esprit d’un homme qu’on appelle riche et non ses coffres32. Même si Horace y consentait par ces propos : Ni l’ivoire, ni les plafonds dorés ne brillent dans ma maison ; des architraves en marbre de l’Hymette n’y reposent pas sur des colonnes de marbre taillées au fond de l’Afrique ; je ne suis pas, héritier inconnu d’Attale, devenu le propriétaire de son palais ; des clientes de bonne famille ne tissent pas pour moi des vêtements teints en pourpre de Laconie. Mais je suis honnête ; la veine de mon esprit est généreuse ; je suis pauvre, et le riche me recherche33. Même si Martial non plus n’en était pas persuadé, comme on le voit dans cette adresse à l’un des personnages de ses épigrammes, Nestor ! Tu n’as ni toge, ni lit (fût-il hanté par les punaises), ni natte de joncs spongieux, ni esclave, jeune ou vieux, ni servante (fût-elle dans l’enfance), ni cadenas, ni verrou, ni chien ni coupe. Tu vises néanmoins, Nestor, à Menechm., II, I, v. 155-160 : Famem ergo fuisse suspicir matrem mihi : nam posquam natus sum, satur numquam fui. Neque quisquam melius referet matri gratiam…neque rettulit quam ego refero meae matri fami. Nam illa med in aluo menses gestauit decem, at ergo illiam in aluo gesto plus annos decem. 30 Par. Stoic., VI, 3. 31 Id., IV, 26 : paupertatem malum non esse. 32 Id. Stoic., VI, 1. 33 Od., II, 18, 1-4. 29
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prendre le nom et les apparences d’un pauvre, et tu veux une place dans le commun du peuple. C’est une imposture et tu te flattes d’une naïve considération. Ce n’est pas la pauvreté Nestor, que de ne rien posséder.34 Tout comme Apulée, par ailleurs, qui le proclama, sans détour, comme nous pouvons nous en apercevoir dans trois passages ! - Les richesses immodérées ressemblent à un gouvernail de dimensions excessives, qui fait sombrer le navire au lieu de le diriger35 ; Ne sont-ce pas les terres et les fructueux placements qui donnent la mesure de la richesse, mais le cœur de l’homme36 ; - Il existe… en Inde diverses espèces d’habitants. Il en est qui ne connaissent rien que le soin des bestiaux ; aussi leur a –t-on donné le surnom de bouviers. D’autres sont habiles à échanger des marchandises, ou se jettent vaillamment dans les mêlées, combattant soit de loin avec les flèches, soit de près avec l’épée. Il y a en outre une suite d’hommes qui l’emportent sur tous les autres ; ce sont ceux qu’on appelle gymnosophistes. C’est pour eux que j’ai la plus grande admiration. Ils ne sont experts ni à propager la vigne, ni à greffer les arbres, ni à tracer des sillons dans le sol ; ils ne savent ni cultiver la terre, ni laver l’or, ni dresser un cheval, ni dompter un taureau, ni tondre en patte les brebis ou les chèvres. Qu’est-ce à dire ? Il y a une chose qu’ils savent et tient lieu du reste ; la sagesse37 La richesse était donc aussi opulence, opulentia ; d’où l’usage par les Romains et même les Africains du terme opulentus, pour exprimer le riche, et donc montrer que celui qui était recouvert de ce titre ne pouvait vivre dans le dénuement, le manque ! Ce terme avait pour synonyme copiosus, littéralement « copieux », « abondant », celui qui s’était reput suffisamment, qui était « bien pourvu », qui avait eu l’occasion d’accumuler des ressources, de posséder, parce que bien né. Ce sens transparaît de ce passage du De Republica de Cicéron :
Epigr., XII, 32. Apol., XIX, 25. 36 Id., ibid. 37 Apol., XIX, 25. 34 35
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A cause des faux jugements portés par les hommes dans leur ignorance de ce qui fait la valeur vraie dont la possession, la manifestation et le discernement même sont choses également rares, ils croient que les meilleurs sont les riches, les bien pourvus, ou encore ceux qui, par la naissance, appartiennent à une race illustre.38 Une situation qui avait cependant son revers : elle pouvait générer la jalousie, l’envie, autour de soi, autrement dit l’inuidia ! « inuidia ex opulentia orta est », dit d’ailleurs Cicéron à cet égard39. On le voit donc : les Romains disposaient d’un vocabulaire riche et varié pour désigner le riche, preuve de leur élasticité linguistique, qu’ils transmirent, inévitablement, aux Africains. Selon les situations qu’ils voulaient faire ressortir, selon les réalités auxquelles ils voulaient renvoyer, ils utilisaient donc tel ou tel terme. Ce n’était donc pas un simple decorum ; c’était l’expression d’une précision ! On peut donc le dire : les Africains, tout comme les Romains, étaient un peuple pratique, pragmatique ! Ils avaient le sens de la justesse, de la droiture ; ils avaient à cœur d’éviter toute confusion ! Mais question : par quels termes cherchaient-ils à désigner celui qui, à leurs yeux, passait pour généreux ?
De Rep., XXXIV, I : Verum hunc optimum statum pravis hominum opinionibus eversum esse dicuent, qui ignoratione virtutis, quae cum in paucis est tum a paucis judicatur et cernitur, opulentos homines et copiosos, tum genere nobili natos, esse optimos putant. 39 De con. Cat., VI, 60. 38
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CHAPITRE II LA GÉNÉROSITÉ, UNE RELATIVE ABONDANCE LEXICOLOGIQUE
Pour y répondre, nous nous sommes appuyé à titre principal sur les inscriptions épigraphiques, pour la simple raison que ce sont ces inscriptions qui ont renvoyé à des cas d’évergétisme. Et de cet examen, il ressort que des termes plus ou moins abondants ont été employés pour marquer la générosité de tel ou tel personnage. Il s’agit des termes suivants : liberalitas, largitio, indulgentia, caritas, bonitas et du verbe exhibuere. A. Liberalitas Quatre inscriptions, parmi d’autres, nous permettent d’appréhender les termes en usage chez les populations africaines. La première est celle-ci qui fut réalisée à Pupput, en 282, en hommage à Caelius Severus, « personnage admirable d’intégrité et exemple inimitable d’honnêteté, patron qui à lui seul restaura généreusement le Forum délabré, ainsi que ses sanctuaires, son capitole et sa curie, procédant lui-même à leur dédicace ». Voici ce qui y est dit : CIL, 24095 : Mirae integritatis et/ innocentiae inimita/bilis exempli viro/Caelio Severo v(iro) c(larissimo) patricio/consulari cur(atori) r(ei) p(ublicae) et patrono/ col(oniae) Puppit (anorum) qui solus sua libera/litate forum
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vetustate conla/sum cum aedibus et capitolio et curia meliori cultu/restituit et dedicavit/ … patrono perpetuo La seconde inscription que nous avons répertoriée et qui fait ressortir ce terme, est celle-ci, extraite de l’Année Epigraphique (AE) 1908=ILS, 9362, qui présente M(arcus) Iulius Quintianus Flavius Rogatianus, homme de très illustre mémoire, qui, par testament, avait légué à la colonie de Thamugadi, (sa) patrie, une somme de 400 000 sesterces (pour) la construction d’une bibliothèque. Originaire de Thamugadi, colonie Marciana Traiana, l’acte qu’il posa fut perçu comme un acte de générosité. En voici la substance : Bibliotheue de Timgad, dans la colonia Marciana Traiana Thamugadi : « Ex liberalitate m(arci) Iuli Quintiani Flavi(i) Rogatiani C(larissimae) m(emoriae) v(iri), quam testamento suo reipublicae coloniae Thamugadensium patriae legavit opus bibliothecae ex (sestercium) (centum) (quattur) mil(ibus) num(mum) republica perfectum est La troisième inscription est celle-ci, extraite du CIL, VIII, 1141, qui est ainsi libellée : L(ucio) Rasinio L(uci) fil(io) Quir(ina) Saturnino/ Maximiano aedil(i) IIvir(o) q(uni)q(uennali) ob singularem morum eius/exemplum et in utroque hono/ris gradu fidam clementiam/ filiorumque eius sacerdoti edi/tionem ludorum et adsiduam/erga singulos cives suos/liberalitatem universus po/pulus curiarum testimo/nium grattarum suarum/ perpetuum posuit idemque/dedicavit L(ucius) Rasinius Saturninus Maximianus fut « loué » pour des évergésies organisées pour le sacerdoce de ses enfants. À cette occasion, sa liberalitas fut particulièrement mise en exergue. La quatrième inscription, enfin, renvoie à des officiers, parmi lesquels se trouve un tribun des soldats, un tribunus militum, par ailleurs chevalier romain, Eq(ues) R(omanus), M(arcus) Valgius Aemilianus, qui appartenait au n(umerus) Palmurenorum et qui bénéficia d’une inscription « en considération
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de ses largesses envers sa cité, pour servir de mémorial éternel à Sufetula ». Là aussi, la notion de liberalitas est mise en exergue : Splendidissimus Sufetulensis ordo M(arco) Valgio M(arci) fil(io) Quir(ina) Aemiliano eq(uiti) R(omano) tribuno n(umeri) Palmurenorum ob eximiam erga rempubl(icam) suam liberalitatem titulum hac aeternitate signavit52 Liberalitas, tel est donc le terme central contenu dans ces trois inscriptions, pour qualifier l’acte posé. Un terme qui peut être traduit par « libéralité » et qui renvoie à liber : libre. Il ne traduit pas directement ce que l’on entendait par « la générosité », acte consistant à être généreux, c’est-à-dire à distribuer, à donner de bon cœur, autour de soi, sans hésitation, sans arrière-pensée ! Un terme qui recouvrait la notion de gentillesse, et même d’humanisme. On était généreux parce qu’on croyait en la nécessité de se dégarnir de ce qu’on avait pour répandre autour de soi, pour partager, pour permettre d’aller vers un mieux-vivre. Pris stricto sensu, dans son sens premier, originel, il connotait l’idée de liberté, celui contenu dans liber : le liber, n’était-il pas perçu comme un homme libre, qui ne se trouvait placé sous aucune contrainte, sous aucune dépendance, qui était autonome, qui n’était pas alieni iuris ? Ce n’était donc pas un esclave ; c’était plutôt un civis romanus. C’était le sens étroit, strict, premier, de ce terme. Mais n’avait-il pas un sens second, large ? Il pouvait alors être perçu, senso latu, comme renvoyant à une absence de contrainte, à un manque d’obligation. L’expression sua liberalitate, qui se traduisait par « par sa propre libéralité », renvoyait alors à tout ce qui était gratuit, spontané, que l’on donnait de son propre gré, sans y être contraint, par ce que le voulant, parce que cherchant à manifester une vertu particulière : le cœur large, la volonté de toujours donner, de partager, de répandre autour de soi, par ce qu’on l’avait jugé nécessaire ! On était généreux car on était désintéressé ! Et c’est ce sens qui transparaissait dans ce passage du Pro Murena où Cicéron opposa liberalitas à largitio. 52
CIL, VIII, 11343.
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Il faut donc se garder d’enlever au peuple romain ces satisfactions incriminées par toi, que lui procurent les jeux, les gladiateurs, les repas, toutes choses qu’ont instituées nos ancêtres et pareillement d’interdire aux candidats ces générosités que tu blâmes, mais qui sont plutôt des marques de libéralité que de largesse intéressée53 . B. Largitio La largitio, en effet, tel est le deuxième terme que nous avons identifié comme renvoyant à la générosité. Le sens en était « largesse ». Il s’agissait donc, non pas de la liberalitas, plus étroit par son ampleur, en ce qu’il renvoyait à des évergésies limitées, mais plutôt à un acte plus grandiose, en ce qu’il touchait un public plus vaste, et qu’il comportait des domaines plus variés. Celui qui accomplissait un tel acte pouvait être qualifié de large et, si cet acte était d’une particulière densité, « très large », largissimus. Dans ce cas de figure, son synonyme pouvait être munificence, munificentia et, si celle-ci était particulièrement marquée, « plein de munificence », des termes qui ressortent de ce passage s’appliquant à M(arcus) Munius Optatianus, chevalier romain et flamine impérial perpétuel : Eq(uiti) Rom(ani) fl(amini) perp(etuo) civi/ largi[ssi]mo/ et ampliter munifico/54 Ces évergésies pratiquées par ce personnage-ci, P(ublius) Marcius Quadratus, originaire de Thugga, en Proconsulaire, relevaient de la largitio. P(ublius) Marcius Quadratus de la tribu Quirina flamine du divin Auguste, pontife de la colonie julienne de Carthage, admis dans les cinq décuries par Antonin le Pieux. En l’honneur de son flaminat perpétuel, il fit construire à sa patrie et à ses frais, un théâtre avec basiliques, portiques, promenades plantées d’arbres, une scène avec rideaux et tous les ornements depuis le bas. Il l’inaugura en faisant donner des pièces de théâtre, en 53XXXVI,
77 : …ludorum, gladiatorum, conuiuiorum, quae omnia maiores nostri comparauerunt nec candidatis ista benignitas adimenda est quae liberalitatem magis significat quam largitionem. 54 CIL, VIII, 14373.
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distribuant des cadeaux et de l’huile lors d’un banquet auquel les citoyens furent conviés55. C. Indulgentia Dans ce cas de figure, ce terme pouvait se rapprocher d’indulgentia, terme que célébra Apulée dans un poème en l’honneur du proconsul Ser(vius) Cornelius Scipio Salvidienus Orfitus, en activité pendant l’année 163-164, en ces termes : Hoc meum de virtutibus Orfiti carmen est rerum quidem fortasse sed serium nec minus gratum quam utile cathaginiensium pueris, et iuvenis et iuvenibus et senibus, quos indulgentia sua praecipuus omnium proconsul subleverit56. D. Bonitas Dans ce cas de figure aussi, son synonyme pouvait être bonitas, bonté, en ce que ce terme disposait de la même configuration, comme nous pouvons nous en apercevoir à travers ce texte renvoyant à cette évergésie datant du IIIème s., et réalisée par Valerius Romanus, originaire de Sicca Veneria : « Homme d’une bonté et d’une intégrité admirables… curateur de la cité… » il « fit restaurer la statue de la déesse (Venus) brisée par des voleurs depuis longtemps et désormais hors d’atteinte grâce à des travaux de fortifications effectués autour du temple »57. Une vertu, qui, si elle n’était pas exprimée clairement, pouvait l’être en des termes voilés, à mots couverts. Dès lors, le simple descriptif des faits pouvait suffire pour en déduire un Id., 26606 : P (ublius) Marcius Q (unti) F(ilius) Arn(ensis) Quadratus flamen divi Augusti pontifex CIK in quinque decurias adlectus ab imp(eratore) Antonino Pio Augusto ob honorem flaminatus sui perpetui patriae suas theatrus eum basilicis et porticu et xystis et scaena cum siparis et ornamentis imnibus a solo extructum sua pecunia fecit idemque ludis acenicis editis et sportulis datis et epulo et gymnasio dedicavit. 56 Flor., 17. 57 CIL, VIII, 15881 : Mirae bonitatis adque in/tegritatis viro Valerio Romano/ v(iro) c(larissimo) curatori reip(ublicae) col(oniae) Siccensi/um et Veneris ob restauratum/deae simulacrum quod iam dudum/ a latronibus fuerat interrupta/ templi munitione sublatum. 55
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acte de générosité. Il en était ainsi de ce texte de Thuburbo Maius où le personnage, M(arcus) Fannius, principal évergète, est loué pour sa particulière « bonasserie » : A M(arcus) Fannius M(arci) F(ilius) Papiria qui a accompli son service militaire à l’époque du divin Hadrien, dans la quatrième cohorte des sygambres et dans la première cohorte d’Espagne, praefectus irure dicundo, flamine perpétuel qui en raison de son flaminat versa un surplus de 5 000 HS et fit donner des pièces de théâtre et convia ses concitoyens à un banquet après approbation du Sénat 58. E. Caritas Il pouvait aussi être assimilé à la charité, la caritas, et plus précisément à la charité chrétienne. C’est Paul Veyne qui l’indique dans son ouvrage sur l’évergétisme. Dès lors, ce passage renvoyant à l’Epître aux Corinthiens, 13, 1-13, où Saint Paul s’adresse à ces populations de Corinthe, peut être d’un intérêt majeur : Frères, quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La charité est patiente ; la charité est bonne ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne se vante ni ne se rengorge. Elle ne fait rien d’inconvenant, elle ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne pense pas à mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais trouve sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, supporte tout. La charité ne passe jamais. Les prophéties ? elles cesseront. Les langues ? elles se tairont. La science ? elle disparaîtra. Car imparfaite est notre science, imparfaite aussi notre prophétie. … Présentement, foi,
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Id., 853.
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espérance et charité demeurent toutes trois ; mais la plus grande des trois, c’est la charité .59 Une qualité morale proche de virtus, que Tite-Live exalta dans ces propos où la particulière contribution des édiles fut mise en avant : Voici donc Rome qui s’accroît en population et se hausse en édifices sur toute son étendue à la fois : l’Etat contribuait aux dépenses, les édiles poussaient de travail comme s’il s’agissait d’une prestation publique, et les particuliers eux-mêmes, pressés par le désir d’entrer en jouissance se hâtaient pour tout achever : et l’année ne s’était pas écoulée que la nouvelle ville fut érigée. 60 Et que Salluste souligna à son tour ! L’éclat de la richesse et de la beauté est chose fragile et périssable ; la vertu, elle, assure la gloire et l’immortalité. 61 Une situation qui nécessitait, de la part des hommes, un travail d’introspection ! Les hommes devraient avoir un miroir, non pas seulement pour le visage, pour y contempler leurs traits mais afin de pouvoir examiner le fond Fratres : si linguis hominum loquar, et Angelorum, caritatem autem non habeam, factus sum velut aes sonans, aut cymbalum tinniens. Et si habuero prophetiam, et noverim mysteria omnia, et omnem scientiam : et si habuero omnem fidem, ita ut montes transferam, caaritatem autem non habuero, nihil sum. Et si distribuero in cibos pauperum omnes facultates meas, et si tradidero corpus meum, ita ut ardeam, caritatem autem non habuero, nihil mihi prodest. Caritas patiens est, benigna est : caritas non aemulatur, non agit perperam, non inflatur, non ambitiosa, non quaerit quae sua sunt, non irritatur, non cogitat malum, non gaudet super iniquitate, congaudet autem veritati ; omnia suffert, omnia credit, omnia sperat, omnia sustinet. Caritas numquam excidit : sive prophetiae evacuabuntur, sive linguae cessabunt, sive scientia destruetur. Ex parte enim cognoscimus, et ex parte prophetamus… Nunc autem manent fides, spes, spes, caritas, tria haec : major autem horum est caritas. 60 HR., VI, IV : Et Roma cum frequentia crescere tum tota simul exsurgere aedificiis, et re publica impesas adiuuante et aedilibus uelut publicum exigentibus opus et ipsis privatis admonebat enim desiderium usus festinantibus at effectum operis : intraque anum noua urbs stetit. 61 Bel Iug., XIV: Dux atque imperator uitae mortalium animus est. Quid ubi ad gloriam uirtulis uia grassatur, abundade pollens potensque et clarus est, neque fortuna eget, quippe probitatem, industriam aliasque artis bonas neque dare neque eripere cuiqquam potest. 59
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de leur âme, et de se rendre compte de ce qu’elle contient de sagesse, puis l’examen fait, de réfléchir à la vie qu’ils ont menée depuis leur jeunesse . 62 Mais une qualité proche de l’amitié, l’amicitia ! Et ce d’autant plus qu’elle était vecteur d’équilibre physique, psychique et même psychologique de l’homme, autant qu’elle « nous procur(ait)… tous les secours dont nous aurions besoin »63. D’ailleurs, « quel profit tirerions-nous du bonheur si nous n’avions personne qui pût s’en réjouir aussi bien que nous »64 ? L’amitié fondait donc toute relation sociale, communautaire. Cette relation sentimentale nécessitait alors d’être forte et solide, d’autant plus que « la vie d’un homme isolé et sans amis étant exposé sans cesse à une foule d’embûches et d’alarmes, la prudence, qui calcul(ait), nous conseill(ait) d’elle-même de nous procurer des amitiés ; quand ses amitiés s(étaient) acquises, notre âme se sent(ait) rassurée et l’acquisition de nouveaux plaisirs (était) un espoir dont elle ne p(ouvait) se détacher »65. Mais l’amitié seule ne pouvait suffire pour faire comprendre cette proximité que chacun devait manifester à l’endroit de son prochain ; l’amour, l’amor, pouvait y être joint. Son effet était davantage renforcé d’un « amour remarquable envers ses concitoyens-. singularem erga cives amorem…- »66.
Plaute, Epid., II, 3, v. 382-387 : Non oris causa modo homines aequum fuit, sibi habere speculum, ubi os contemplaret suum, sed (id) qui perspicere possent, cor sapientia, igitur perspicre ut possint cordis copiam : vbi id inspexissent, cogitarent postea, uitam ut uixissent olim in adulescentia. 63 Salluste, Bel Iug., XIV : Abunda magna praesidia nobis in vostra amicitia fore. 64 Cicéron, De Amic., V, 22 : Qui esset tantus fructus in propsperis rebus nisi haberas qui illis aeque aeque ac tu ipse gauderet. 65 Cicéron, De Amic., I, XX, 66 : Nam cum solitudo et uita sine amicis insidiarum et metus plena sit, ratio ipsa nomet amicitias comparare, quibus partis confirmatur et a spe pariendarum voluptatum seiungi non potest. 66Comme nous pouvons le voir à travers cette inscription réalisée à Q(uintus) Considius Na(m)phamonis fil(ius) Areianus, duovir, dans la ville de Burza : CIL, VIII, 286 : …ob eximiam (duo) viratus administrationem et singularem erga cives amorem. 62
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De toute façon, la communion universelle, l’altruisme, n’était-ce pas une particularité des Romains et, au-delà, de ceux qu’ils avaient soumis, c’est-à-dire les Africains, entre autres ? L’homme romain n’est jamais seul. Sa joie et ses plaisirs doivent être toujours partagés. Non pas qu’il fût plus altruiste que d’autres, mais sans doute, simplement, par ce qu’il n’aime guère se retourner vers son moi et qu’il a peur de sa solitude. Homme d’action, vivant dans le présent, il ne se réalise pleinement qu’avec ses semblables, note d’ailleurs à cet égard Michel Meslin67. Une approche conforme au regard des Stoïciens. Dès lors, comment s’étonner qu’en 28 av. J.-C, Octave-Auguste ait « donn(é) de l’argent » à certains sénateurs, dont un grand nombre étaient si appauvris qu’ils reculaient devant la charge de l’édilité68 ? De même, comment ne pas s’expliquer qu’en 18 av. J.-C., lorsqu’il fixa un cens, avant de l’augmenter peu après, ce même Octave-Auguste ait été amené à remettre « à certains hommes de bonnes mœurs » ce qui leur faisait défaut ?69. L’on ne s’étonne toujours pas d’apprendre, dans la même veine qu’en 6 ap. J.-C., il ait été amené à fournir une fois de plus le montant nécessaire, allant même, pour 80 d’entre eux, jusqu’à 1200 000 HS à « des jeunes gens » de l’ordre sénatorial et de l’ordre équestre (pour qu’ils pussent être candidats)70. Une mansuétude qui ne disparut d’ailleurs pas avec sa mort ! Ses successeurs la reprirent avec bienveillance : Tibère71, Claude72, au nom de l’exemplum et de l’imitatio, même si celui-ci accepta la démission des sénateurs appauvris ; Néron, à l’égard de Valerius Messala73.
L’Homme romain, p. 144. Dion, 53, 2, 1. 69 Id., 54, 17,3. 70 Id., 55, 13, 6. 71 Dion, 57, 10, 1. 72 Id., 60, 11, 8. 73 Tacite, Ann., XIII, 34, 2 ; Suétone, Ner., 10). 67 68
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E. Exhibuere Dans ce catalogue de termes utilisés pour parler de générosité, un autre pouvait être ajouté : le verbe exhibuere. On peut l’assimiler à une forme d’exhibitionnisme, autrement dit à une démonstration par trop voyante, ce qui explique son usage, comme nous pouvons le voir dans ce texte exhumé à Carthage, de M(arcus) Titus Aesculapius : M(arcus) Titius Aesculapius, prêtre de Jupiter, le très bon, le très grand qui, après l’achat du terrain fit à ses frais édifier un temple avec autel et décors en stuc et distribua des vivres indistinctement aux décurions sur décret sénatorial 74. Au total, donc : six termes ! Ce qui peut nous amener à dire, pour conclure sur cette question, que les Romains, tout comme les Africains, disposaient de quelques termes pour parler de l’homme généreux. Six seulement ? pourraient s’écrier certains et ce à raison s’ils s’engagent dans une comparaison avec celui renvoyant à la richesse. Comment le comprendre alors ? Pauvreté lexicologique ? Sècheresse terminologique ? Nous ne saurions l’affirmer. Sinon, ils s’en seraient tenus à un ou deux simples mots ! L’on dira plutôt que les Romains et les Africains, en étalant ces termes, faisaient montre d’une relative richesse linguistique. Comme il ne s’agissait pas d’un seul terme, mais plutôt de quelques-uns, ils avaient un vocabulaire riche ! Secundo : dans les passages où il était question de cette qualité, les auteurs des inscriptions épigraphiques cherchaient avant et après tout à faire ressortir l’acte posé par le dédicataire, autrement dit le destinataire de la congratulation, de la part de la communauté civique concernée. Plutôt que de s’en tenir seulement à l’énonciation du qualificatif de généreux, des qualificatifs amplement plus méritoires étaient alors mis en avant. Il en est ainsi de cette inscription ci-dessous dédiée à L(ucius) Postumius Celerinus, d’Hippone, Ager CIL, VIII, 1141 : M Titius Aesulapius sacerds iovis optimi maximi coemptis spatiis templum cum ara et opere albari aedificavit et in dedicatione divisionem promiscue exhibuit decurionum deccreto pecunia sua.
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Hipponensis, qui bénéficie d’un alignement de qualités spéciales : vertu, gloire, incomparable amour envers sa patrie : A L(ucius) Postumius Celerinus flamine impérial perpétuel, pontife, duovir, en reconnaissance de la magnificence de combats de gladiateurs qu’il offrit à ses concitoyens pendant trois jours et qui surpassèrent tous ceux organisés antérieurement, en raison de sa vertu, de sa gloire et de son incomparable amour envers sa patrie, chaque curie lui a fait élever des incomparables statues afin d’égaler son grand zèle avec tant d’honneur. Le terrain fut assigné sur décret des décurions.75 Il en est également de cette inscription-ci, qui loue un jeune homme d’Auzia, Caefalus, traité de « jeune homme au mérite éminent » : Consacré aux dieux Mânes. Pour Caefalus, jeune homme au mérite éminent. Tout ce qu’on a pu faire après sa mort, c’est de lui donner un tombeau. Plein de compassion pour les malheurs de sa patrie et de ses concitoyens, comme les routes étaient coupées, il prit dans sa course un chemin détourné ; ni la pensée de son père épuisé par l’âge, ni son affection pour ses enfants, ne purent l’empêcher d’affronter les dangers. Que nous reste-t-il ? la conscience que nous avons tous des raisons pour lesquelles il mourut dans de telles souffrances : en voulant procurer à ses concitoyens un allègement des tributs, il tomba, le malheureux, au cours d’une mission pleine d’obstacles. Julius Kapito a fait ce monument pour son fils Julius Kapito. Il a vécu 44 ans et 8 mois76. Question suivante : comment les Africains procédaient –ils pour accéder à la richesse ?
75 Id., 5276: L Postumio felici celerino a Mil flaminis aug (udti) p(erpetui) pontifici II vi rob magnificentiam gladiatori muneris quod civibus suis triduo edidit quo omnes priorum memorias supergressus est obque eius innocentiam splendorme que et in patriam suam incomparabilem amorem singulae curiae singulas ststuas de suo posuerunt ut eximiam voluntatem eius tanti honoris titulis adaequarent L(ocus) d(atus) d(ecreto) d(ecurionum). 76 CIL, VIII, 20758.
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Riche et belle : Une impératrice, Livie, modèle des Africaines77
Une richesse et une beauté qui se lisent à travers sa coiffure et sa tenue vestimentaire ; une coiffure recherchée, sur laquelle trône une couronne ! Mais aussi une tenue vestimentaire de luxe, qui est la démonstration de son statut social. Les riches Africaines, qui voulaient lui ressembler, avoir la même allure qu’elle, l’imitèrent ! 77
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DEUXIÈME PARTIE RICHES : LES MOYENS DE L’ÊTRE
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Riche : comment y parvenir ? Une caricature gabonaise1
Cette caricature est de Lybek, un dessinateur célèbre gabonais, en activité au journal L’Union. Chaque jour, il dénonce, dans ce journal et par l’image, le ton et les mots, un ou plusieurs travers de la société. 1
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La politique ? Une source d’enrichissement prisée : (autre caricature gabonaise)
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Riche et fier de l’être2
On voit ce personnage hissé sur un piédestal et arborant une tenue toute romaine : une toge, toga, resplendissante, ce qui en fait un togatus, symbole d’autorité, de pouvoir et de paix. On le voit aussi par son air : grave, gravis, qui exhale le sérieux, la sévérité, la severitas, vertu toute Appienne-par référence à Ap(pius) Claudius Caecus-, et qui véhicule la crainte, la metus, en faisant ainsi régner la terreur, terror ! On le voit enfin à cette barbe qui dévore la figure et qui lui donne la posture d’un homme en pleine action : c’est un citoyen romain, un civis romanus, mieux, un magistrat, c’est-à-dire un homme politique. Tout, en lui, symbolise l’élevation sociale, la réussite, celles d’un homme de pouvoir ! 2
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Devenir riche et le rester, tel est l’objectif que les Africains visaient tout au long de leur vie. Hommes, femmes, affranchis, et même esclaves, tout le monde s’y consacrait. N’était-ce pas le moyen le plus approprié pour passer de l’ombre à la lumière, pour se frayer une voie honorable dans la société, pour s’imposer et se construire un idéal social et humain ? Devenir riche permettait de se persuader et de persuader autour de soi que l’on avait réussi sa vie, que l’on avait acquis une réelle dimension, que l’on avait davantage de prestance. La richesse donc avant tout ? Horace le proclama haut et fort : Citoyens, citoyens, il faut avant tout acquérir la richesse ; les écus d’abord, la vertu ensuite3. Et les épicuriens romains, ne disaient-ils pas : Primum vivere, deinde philosophari ? La richesse était donc l’instrument majeur de la construction de la vie, d’une identité individuelle et collective. C’est elle qui permettait, comme on dit, « d’avoir une place au soleil » !: une riche villa, spacieuse et parfaitement décorée, où s’affairaient au quotidien des servants et des servantes, un habillement recherché, digne de son rang, la toge ou le pallium, à défaut du subligaculum, une barbe fournie, tondue et rude et donc vecteur d’énergie, une stola-pour les femmes-, un parfum vif ainsi que des pommades importées d’Arabie, une meute d’esclaves, parmi lesquels se trouvait le nomenclator –une sorte de visagiste qui reconnaissait toutes les personnes que devait rencontrer son maître lors de ses déplacements en ville, - ou l’ornatrix-pour l’entretien et la gestion de la coiffure des damesmais également pour la gestion du coffret à bijoux et autres pendentifs : pendants d’oreilles, colliers, anneaux de chevilles et bagues, des dents éclatantes et donc une bonne hygiène buccale procurée par un dentifrice plutôt qu’un rinçage à l’eau pure à défaut du charbon ou de l’urine, une nourriture riche constituée de poissons, de langoustes, de cailles pendues par le 3 Ep., O cives, cives, quaerenda pecunia primum est virtus post nummos : haec janus summus ab imo procidet.
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bec à un anneau, de quartiers de gazelles, de viande de chevreau, de paon et de perroquet, le tout suivi de figues, d’artichauts qu’arrosait une fiasque de vin, des soins de santé en cas de maladie, etc. N’est-ce pas parce qu’il tenait par tous les moyens à procurer à l’Etat romain et ceux qui l’incarnaient les ressources nécessaires pour une richesse accomplie que l’empereur Vespasien recourut à une pratique inhabituelle, celle de taxer l’urine, au point de laisser dans l’histoire l’expression « l’argent n’a pas d’odeur » ? Suétone, qui rapporta cette anecdote, fournit à cet égard ces détails qui ont leur zeste d’importance : Vespasien s’exprime ainsi pour justifier l’impôt qu’il a institué … sur l’urine. La formule signifie qu’on ne doit pas se préoccuper de l’origine de l’argent. En 69, il ressort grand vainqueur de la guerre civile qui, pendant plus de deux ans, a déchiré l’Empire romain. Avec cet homme et ses deux fils, Titus et Domitien, c’est une famille italienne sans origines nobles qui arrive au pouvoir. Doté d’une intelligence remarquable et d’un sens aigu des affaires, le nouvel empereur trouve Rome dans une situation politique et économique catastrophique. Les dépenses excessives de Néron, le mauvais état des finances et les ravages de la guerre civile ont plongé l’Empire dans la crise… Les plus gros problèmes qu’il doit résoudre sont d’ordre financier. Dès le début de son règne, il annonce qu’il doit faire entrer dans les caisses de l’Etat 40 milliards de sesterces pour assurer la survie de l’Empire. Les Romains doivent accepter une politique de rigueur budgétaire extrême. Son expérience de la finance s’inscrit dans la tradition familiale : l’un de ses ancêtres a fait fortune en présidant des ventes aux enchères. Sabinus, son père, est devenu banquier chez les Helvètes après avoir été percepteur des impôts en Asie. Vespasien lui-même témoigne d’une certaine expertise dans la gestion. Sans parler de son avarice, ou plutôt de sa parcimonie, il a le sens provincial de la valeur de l’argent… Tout est bon pour réduire les dépenses publiques et faire entrer de l’argent frais dans les caisses….Il n’hésite pas à vendre les magistratures aux candidats et leur absolution aux accusés qui lui « graissent la patte » ; il achète des marchandises en gros, qu’il revend très cher au détail ; il supprime les exemptions d’impôts dont bénéficient certaines villes ; il fait cadastrer de nombreuses régions de l’Empire pour connaître avec précision 64
les propriétés de chacun et les assujettir aux impôts. De nouveaux procurateurs et gérants du fisc sont nommés dans les provinces. Vespasien a la réputation de choisir à ces postes les hommes les plus rapaces et les plus intransigeants, quitte à les condamner une fois qu’ils se sont enrichis. Les marins d’Ostie qui viennent régulièrement à Rome prêter main-forte aux pompiers de la ville, réclament que leur soit allouée une indemnité pour « frais de chaussure ». Vespasien leur ordonne de faire désormais le trajet pieds nus ! mais c’est l’impôt sur l’urine qui fait sa réputation. … Il invente un nouvel impôt sur les urines récoltées sur les urines… Son fils aîné, Titus… se montre choqué par cet impôt. Il reproche à son père de tirer profit de matières nauséabondes. L’empereur prélève alors une pièce dans le tribut de l’impôt et la passe sous le nez de son fils en lui demandant : « Est-ce que son odeur te blesse ? » « Non », répond le jeune prince. « Et pourtant, rétorque Vespasien, il vient de l’urine ! 4. La richesse donc d’abord, qu’importât le moyen ! D’ailleurs, quel homme riche pouvait publiquement exposer la voie qu’il avait suivie pour réunir ses fonds ? C’est donc à dessein que Cicéron les appelait les « philosophes de Janus » ! Sur ce genre de problèmes, sur l’acquisition, le placement, l’usage de l’argent, certains dignes personnages, qui siègent au milieu de Janus, dissertent mieux qu’aucun philosophe en aucune école » disait-il à cet égard5. Une question, alors, se pose : comment procédait-on pour y parvenir ? En gros, quels moyens fallait-il utiliser pour accéder à la richesse ? Nous nous appesantirons sur les deux principaux moyens en usage à l’époque de notre étude : les moyens que nous appelerons orthodoxes et ceux que nous considérerons comme hétérodoxes.
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Vesp. De off., : II, 8, 7.
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CHAPITRE III LES MOYENS ORTHODOXES
« La terre ne ment pas » Pétain sous l’Occupation
C’est Cicéron qui établit publiquement cette classification dans l’un de ses ouvrages théoriques. Suivons-le en cela dans ces propos tenus dans le De Officiis : Ceux qu’il faut tenir pour vils, voici l’opinion généralement reçue. Tout d’abord on réprouve les gains qui font courir la haine des hommes, comme ceux des percepteurs et des usuriers. Indignes d’un homme libre et vils sont entre autres les gains de tous les salariés dont c’est la peine et non l’habileté qu’on paie. Dans ces gains en effet le salaire est lui-même le gage de la servitude. Vils sont encore à considérer ceux qui achètent aux marchands pour revendre aussitôt : ils ne gagneraient rien s’ils ne trompaient beaucoup, et rien n’est plus honteux que la fraude. Tous les artisans ont une activité vile, l’atelier n’a rien qui convienne au citoyen né libre, et les moins acceptables sont les métiers au service des plaisirs… En revanche, pour les métiers qui supposent plus de prévision ou dont on attend un service important, comme la médecine, l’architecture, l’enseignement de connaissances nobles, ces métiers, pour ceux au rang de qui ils conviennent, sont de beaux métiers. Le commerce, s’il est petit, est à considérer comme vil. Mais si c’est du grand commerce et du commerce en gros, important de partout et approvisionnant sans fraude beaucoup de gens, il n’est pas absolument à blâmer. Et même, si rassasié ou plutôt satisfait du gain 67
réalisé, il s’est comme souvent, transporté de la haute mer au port, du port lui-même en propriétés foncières, il semble que l’on peut à juste titre le louer. Mais de toutes les entreprises dont on retire quelque bénéfice, rien n’est meilleur, rien n’est plus innocent, rien n’est plus digne d’un homme libre que l’agriculture1. Cette classification ne fut pas seulement en vigueur à Rome ; elle le fut aussi en Africa. Dans ce cadre, nous examinerons tour à tour l’agriculture et l’élevage, ainsi que les professions libérales : la médecine, la profession d’avocat, la profession de pédagogue, la profession de philosophe, etc. I. L’agriculture et l’élevage A. L’agriculture L’agriculture renvoyait au travail de la terre. Elle était donc l’activité noble par excellence, tant à Rome qu’en Afrique. Cette primauté qui lui était conférée tenait à un certain nombre de raisons. Primo : l’agriculture était conforme au vécu traditionnel des populations, à la coutume, au mos maiorum. C’est l’activité que les Romains avaient, de tous temps, tenue en honneur ! Caton l’Ancien le proclama d’ailleurs si bien en ces termes : Quand nos ancêtres avaient à faire l’éloge d’un homme de bien, ils le louaient comme bon cultivateur et bon laboureur. Un tel éloge était le plus grand que l’on pût faire ! Je tiens le marchand pour actif, éveillé au gain, mais aussi pour exposé à des risques et des coups de malheur. Et puis, n’est-ce pas la culture qui fournit les plus solides et les plus vigoureux soldats ? Quels gains plus honnêtes, plus sûrs que ceux du laboureur, au moins exposé à l’envie ? Ceux qui se consacrent aux travaux des champs ne pensent jamais à mal2.
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De off., I, 42, 150-151. De Agr., poen., (préambule).
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Et plus loin, de poursuivre : Vivre c’est agir : agir en travaillant la terre… agir conformément au mos maiorum3. Secundo : l’agriculture est la seule activité qui réunissait toute la famille pour son exercice : femme, enfants, esclaves et bœufs de labour. Tertio : elle était le moyen idoine par lequel quiconque s’y livrait parvenait à l’autonomie, c’est-à-dire à la disposition de tout le minimum nécessaire à une vie équilibrée, à l’abri de toute turbulence, qu’induisait l’urbanitas, l’urbanité, la vie en ville. Et c’est Jean-Noël Robert qui le proclame : Le bonheur du paysan … ne consiste pas dans les richesses que peut lui rapporter la terre, mais dans le fait qu’il ne manque de rien. Il vit seul avec les siens sur son domaine, dans la frugalité, loin des passions suscitées par la ville4 . Quarto : c’était l’activité la plus sûre, mais également la plus rentable, celle qui ne présentait aucun risque, comme le souligne Henri Pavis d’Escurac, par ces propos : Seule la terre est sûre… » un grand personnage ne pouvait « s’accomoder d’une activité qui repos(ait) sur le risque5. Quinto : c’est la seule activité qui requérait courage, acceptation de la pénibilité, endurance, labeur, au point de rendre les mains de celui qui s’y consacrait calleuses, rudes et fermes, mais aussi parcimonie, rigueur, bonne gestion. Sexto : c’était le seul moyen de garder un contact entier, intégral, avec le milieu tellurique, avec les divinités de la terre, celles qui fournissaient courage, énergie et rigueur. Jean-Noël Robert apporte d’ailleurs cette précision de taille : C’est des paysans que naissent les hommes les plus courageux… Ceux qui sont absorbés par les travaux de la terre sont les moins mal pensants. Rome doit sa grandeur à des paysans, au temps où on allait Id.., XXIV. La vie à la campagne dans l’antiquité romaine, Paris, les Belles lettres, 1985, p. 62 5 « Aristocratie sénatoriale et profits commerciaux » in Ktèma, 2, 1977, p. 343. 3 4
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chercher à la charrue ceux dont on faisait les consuls. Et si l’Etat, de si petit et si faible, est devenu si grand et si florissant, c’est que les ancêtres cultivaient avec ardeur leurs propres terres au lieu de convoiter avec passion celles d’autrui6. L’agriculteur était donc un paysan, un « terrien », mais également un soldat-paysan ! On l’appelait le paysan, le rusticus, par opposition au citadin, l’urbanus ! Ce n’était pas qu’un simple vir, autrement dit un homme entier, qui jouissait de ses capacités civiques, politiques et religieuses, conformément à la répartition tripartite de la société qui avait toujours été le lot des sociétés indo-européennes. C’était surtout un bonus vir ! C’était aussi un bonus agricola ! De ce fait, lui seul était disposé à batailler ferme pour sa patria, c’est-à-dire la terre de ses patres, de ses ancêtres, là où ils avaient été enterrés, là où ils reposaient en paix, in pace, là où s’était déroulée leur vie. Les antiques chants nationaux dont tous les Romains apprenaient les refrains, ne célèbraient-ils pas à la fois Manas, Dieu des combats, mais aussi Manurius, l’habile armurier qui, aux dires d’Ovide, avait « su forger pour ses concitoyens des boucliers pareils au bouclier divin un jour tombé du ciel »7 ? Résultat : à Rome, cette activité était la principale pourvoyeuse de richesse. C’est elle et elle seule qui était censée générer de parfaits revenus ! L’on comprend que nombreux sont les citoyens de cette époque qui s’y appuyèrent. Parmi eux, nous nous en tiendrons, vers 80 av. J.-C., à Q(uintus) Roscius Amerinus, Roscius d’Amérie, qui posséda 13 domaines dans la vallée du Tibre et d’où il put engranger 6 millions de sesterces. Nous citerons, également, au cours de cette même République finissante, P(ublius) Crassus Mucianus, qui parvint à une fortune de 10 millions de deniers, constituée grâce à une propriété foncière de 100 000 jugères8. Idem pour Lucullus, auquel les terres permirent d’avoir 200 millions de Op. cit., pp. 44-45. Ovide, Fast., 3, 991. 8 Cicéron, De Rep., III, 17. 6 7
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sesterces, et surtout de L(ucius) Domitius Ahenobarbus qui, en l’an 49 av. J.-C., put promettre des lots de 4 à 10 ha à plusieurs milliers de ses soldats et armer une flotte avec ses « colons, ses affranchis et ses bergers esclaves »9. N’est-ce pas sur cette base que des prescriptions claires étaient données à ceux qui s’intéressaient à cette activité et qui voulaient la réussir ? Suivons en cela Caton l’Ancien dans ses recommandations liminaires : Quand vous songerez à acquérir un domaine, ayez ceci présent à l’esprit : n’achetez pas en cédant à une envie, ne vous épargnez de la peine de le visiter vous-même, et ne vous contentez pas d’en faire le tour une fois ; chaque fois que vous irez, il vous plaira davantage si c’est un bon domaine. Prêtez attention à la mine des gens du voisinage… Entrez dans la propriété et examinez comment vous pouvez en sortir. Que le climat soit bon, qu’elle ne soit pas exposée aux calamités agricoles ; qu’elle vaille par la bonté du sol et par sa qualité propre. Si possible, qu’elle soit au pied d’une colline, qu’elle soit exposée au midi, dans un endroit salubre10 L’Afrique ne pouvait alors être en reste ! La terre y était la principale pourvoyeuse de richesse. À telle enseigne que lorsque quiconque s’y adonnait, il tirait une réelle fortune par ce biais, et ne pouvait qu’en récolter fierté et honneur. Nous en avons la preuve manifeste par ce fameux moissonneur de Mactaris, dont nous avons pu lire l’épigramme11. Idem pour cet exploitant anomyme dont l’on trouva trace à Mateu, en Proconsulaire, et qui réussit le tour de force de se frayer une réelle et solide fortune, grâce à une exploitation qu’il développa, le fundus Aufidianus :
César De Bel. civ., I, 17 ; 34 ; 56-57. I, 1-3 : Praedium quom parare cogitabis, sic in animo habeto : uti ne cupide emas, neve opera tua parcas uisere, et ne sati habeas semel circumir : quotiens ibis, titiens magis placebit quod bonum erit. Vicini quo pacto niteant id anmum aduertito… Et uti eo introeas et circumspicias uti inde exire possis. Vti bonum caelum habeat ne calamitosum siet ; solo bono, uietute ualeat. Si poteris, sub radce montis siet, in meridiem spectet, loco salubri. 11 CIL, VIII, 11814. 9
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… Agricolae in [spl(endissima)] rep(ublica) Bihensi bilt[a], conductori pal/atori restitut/ori : fundi Aufidiani et / praeter cetera bona q(uae)/ in eodem f(undo) fecit sterlies qu[o] que oeastri surcuil [os] inserendo plurimas o[leas]/ instituit purteum iux[ta] (viam, pomarium cum tri[chlis] post collectarium vin[eas]/novellas sub silva aequ[e in]/ stipuit Vxor mar[ito]/incomparibili fec[it]12 Mais ces personnes ne furent pas les seules à avoir amassé une fortune colossale en Afrique proconsulaire ! D’autres existent, qui se taillèrent une réputation et surtout un solide avoir grâce à cette activité : Lucill(ius) Africanus, propriétaire du Saltus Beguensis, qui reçut l’autorisation d’ouvrir un marché occasionnel, les nundinas et dont un senatus consultum indique que ses « voisins et même les étrangers pouvaient prendre part à ce marché, pourvu que ce fût sans tort ni dommage pour personne »13, Valeria Atticilla, une riche dame qui disposa d’un domaine à Ammaedara14, Domitia Lepida, autre dame et tante de Néron, qui fut propriétaire d’une vaste propriété foncière, le Saltus Domitianus, avant d’être expropriée et mise à mort par son petitfils d’empereur 15, C(aius) Rubellius Plautus, qui dut prendre le chemin de l’exsilium, l’exil, en Asie, pour fuir ce vorace, mythomane et cruel empereur, mais qui finit par trouver la mort en l’an 62 car considéré comme un dangereux rival par l’empereur16, C(aius) Cornelius Sylla II, beau-fils de la seconde femme de Claude, Aelia Pacata, que le même empereur, toujours lui, exila à Marseille, avant de le faire trucider17, Casellius Bassus, Eq(ues) R(omanus), autrement dit Chevalier AE, 1975, 883. Ce décret est ainsi libellé in CIL, VIII, 270a : Ut ei permittatur in provincia Afr(ica), regione [begue]nsi territorio Musulamiorum ad casas nundinas, (ante diem quartum) non(as) novembr(es) et (ante diem duodecim) k(alendas) decembr(es) et ex eo omnibus mensibus (ante diem quartum) non(as) et (ante diem duodecim) k(alendas) sui cuiusque menis instituere et habere eoque vicinis advenisque) nundinandi dumtaxat causa coire convenire sine iniuria et incommodo cuiusquam liceat. 14 ILT, 1653. 15Suétone, Nér., XXXIV, 9. 16 Tacite, Ann., XIII, 19 ; XIV, 57. 17 Tacite, id., XIII, 23, 1, 57, 1-7. 12 13
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Romain, à Carthage18 et dont la célébrité traversa le cours des âges19, Q(uintus) Arelius Optatianus, Eq(ues) R(omanus) également, et propriétaire d’un vaste domaine dans les deux Syrtes, et plus exactement au lieu-dit Turris Maniliorum Areliorum20, qui se plaça sous le contrôle quotidien d’un affranchi, inévitablement un vilicus, du nom de Arelius Vitalis, Pullaienus Celsinus Pupianus, co-propriétaire d’un domaine foncier situé à Uchi Maius21, Ceionius Rufus Volusianus Iunior, praefectus urbi, propriétaire d’une exploitation constituée de moulins à blé et à huile22, etc. De toute façon, il ne pouvait en être autrement : les terres africaines étaient très fertiles. Et pour cause : le climat y était de type méditerranéen. De plus, une région comme celle de Carthage, située dans une zone qui s’étendait dans les vallées du Bagradas et du Katadas, était caractérisée par une forte pluviométrie, supérieure à 400 mm par an, ce qui lui permettait une culture céréalière de forte étendue et de qualité, même sans irrigation, au point qu’y poussaient sans difficulté des olivettes, des vignes et des vergers. Résultat : très vite, l’Afrique devint une zone exportatrice de produits alimentaires. Ce fait rapporté par Plutarque et dont se serait rendu auteur Jules César, au lendemain des guerres civiles, en est une parfaite illustration. Plutarque rapporte, en effet, que « César se vanta de sa victoire auprès du peuple ; il s’était rendu maître d’une contrée qui, tous les ans, rapporterait à l’Etat 200 mille médimnes attiques de blé et 3 millions de livres d’huile »23. L’Afrique devint donc très rapidement, et ce avec l’Egypte, le grenier à blé de Rome, où tout poussait aisément, et tout spécialement l’olivier, monoculture qui couvrait la zone allant ILA 3634. Tacite, Ann., XVI, 1-3. 20 C.I.L., VIII, 23400. 21 Id., 26415. 22 Id. 25990 : Ceionius Rufus Volusianus Iunior, unus ex filiis (quauuor) c(larissimis) v(iris) praefectus urbi. 23 César, 55. 18 19
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de la Proconsulaire à la Numidie, mais aussi les huileries, au point que Pline l’Ancien fut amené à faire cette déclaration : Il y a en Afrique, au milieu du désert, sur la route des Syrtes et de Lepcis Magna, une cité nommée Tacapé, dont le territoire, bien irrigué, est d’une fertilité miraculeuse… Là, sous un immense palmier, pousse un olivier, sous l’olivier, un figuier ; sous le figuier, un grenadier ; sous le grenadier, une vigne ; on sème du blé, puis des légumineuses, enfin des herbes potagères ; tout cela la même année, tout cela se nourrissant à l’ombre du voisin… le plus étonnant, c’est que la vigne y porte deux fois et qu’on fait la vendange deux fois par an 24. Une classe d’exploitants agricoles très aisés y prit alors corps, parmi lesquels l’on trouve, en bonne place : des exploitants de figues25, de grenades26, de truffes27, de vignoble28, d’huile et d’olives, d’amandes29, d’artichauts30, d’asperges31, de concombres32, de dattes33, de figues34, de grenades35, de navets36, d’oignons et d’ail37, de pois chiches38… : tous, des produits qui faisaient l’objet d’une exportation outre-mer ! B. L’élevage Il en était d’ailleurs de même de l’élevage. Depuis la Haute Antiquité, en effet, Homère, ne chanta-t-il pas la particulière densité en élevage de l’Afrique ? Dans cette zone que l’on H.N., XVIII, LI. Pline l’Ancien, H.N., XIII, 112. 26 Martial, Epigr., I, 43. 27 Id., XIII, 42-43. 28 Diodore de Sicile, XX, 50,1. 29 Pline, HN, XVII, 63. 30 Id., XIX, 152. 31 Pline, HN, XX, 110. 32 Id., XIX, 64-65. 33 Hérodote, IV, 183. 34 César, Bell. Afr., LXVII, 2. 35 Caton, RR, IX, 7. 36 Suétone, Vesp., 4. 37 Columelle, RR, X, 107. 38 Columelle, RR, IX, 1,8. 24 25
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appelait alors la Libye, il proclama que « les agneaux ont des cornes dès leur naissance… du prince au berger tout homme a son content de fromage, de viande et de laitage frais, les bêtes tous les jours accourent à la traite, car trois fois dans l’année, les brebis mettent bas… »39 Une appréciation que partagea pour sa part Salluste, convaincu que l’Afrique se particularisait par un sol « … bon pour l’élevage… »40. Polybe alla d’ailleurs dans le même sens, qui, gourmandant Timée pour ses affirmations approximatives sur l’Afrique, écrivit ce qui suit : En fait, il y a dans ce pays une si grande quantité de chevaux, de bovins, de moutons aussi bien que de chèvres, que je ne sais pas si l’on pourrait en trouver autant dans le reste de la terre41. Une situation qui fit dire ceci à Raymond Billiard : L’élevage tenait… une place considérable dans la vie économique antique ; il n’y avait pas d’exploitations, si petites fussent-elles, où ne se trouvassent quelques têtes de bétail, petit ou gros ; quant aux grands domaines, ils comportaient à la fois les cultures les plus variées, blé, vigne, olivier et élevage42. Dans cette optique, une forte exploitation, génératrice de revenus, se développa avec « les chevaux, les bovins, les moutons aussi bien que les chèvres… »43 , « du lait ou encore du fromage »44, « le mouton (qui) (était) d’un bon profit à cause de sa laine qui ser(vait) à nos vêtements, … la chèvre avec ses poils (qui) pourvoyait aux besoins de la marine, aux machines de guerre et à l’équipement des artisans »45, « les oiseaux… aliments raffinés »46, les « poules sauvages… rares à Rome, (que l’on ne ) vo(yai)t guère d’apprivoisées, si ce n’est en cage ; (et qui ) ressembl(ai)ent d’aspect, non de plumage aux poules d’Afrique… (c)es Odys., IV, 85-89. Bel. Iug., XVII, 5-6. 41 Hist., XII, 3,4. 42 R. Billiard, L’agriculture dans l’antiquité, Paris, Boccard, 1928, p. 270. 43 XII, 3, 3. 44 Homère, Odyss., IV, 85, 89). 45 Varron, De RR., II, 11, 11. 46 Horace, Ep., II, 53-54. 39 40
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poules d’Afrique (qui) (étaient) grandes, bigarrées … (avaient) le dos en saillie… les Grecs les appell(ai)ent méléagrides. C’(étaient) les dernières que l’art culinaire a(vait) imaginé d’offrir aux palais blasés de notre époque : leur rareté les fai(sai)t payer très cher »47. Résultat : des dignitaires se constituèrent une fortune dans ce secteur. Il en est ainsi, entre autres, de Pudentilla, l’épouse d’Apulée, originaire d’Oea, riche veuve qui disposait d’un domaine dont une partie était consacrée à l’élevage de bovins et de moutons, ce qui lui permit d’amasser une réelle fortune estimée à 4 millions de sesterces48. II. Les professions libérales Mais ces activités ne furent pas les seules à être perçues comme orthodoxes ! D’autres existaient, qui furent rangées dans cette catégorie et donc qui étaient considéres comme des sources de richesse propre. La médecine, la profession d’avocat, la profession de pédagogue, et la profession de philosophe, le legs et l’héritage, en firent partie. A. La médecine Le soin corporel, en effet, était d’une importance première dans la société africaine car il était vecteur d’équilibre physique et même psychique. Ne disait-on pas qu’il était nécessaire d’avoir un esprit sain dans un corps sain, mens sana in corpore sano ? D’où l’importance d’un médecin. Il permettait de veiller sur tous les patients qui s’offraient à lui, de leur prodiguer éventuellement tous les traitements appropriés et de faire en sorte qu’ils fussent en bonne et parfaite santé. Chaque médecin était placé sous le patronage d’un dieu spécialisé, Epidaure, en l’occurrence, qui était assimilé à Eshmoun, le dieu punique. Son activité consistait en l’auscultation des malades mais aussi en l’administration de médicaments. Les riches se les faisaient 47 48
De RR, III, 9, 16-19. Apulée, Apol., 77, 1 ; 93,4.
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venir à domicile. Et une fois en ces lieux, voici quel était leur manège ! Apulée nous le décrit avec force à propos : Voyez encore les médecins, quand ils entrent chez un malade pour le visiter. Pour aucun d’eux la vue dans la maison de salons magnifiques, de caissons dorés, de troupes d’enfants et de jeunes hommes d’une merveilleuse beauté, debout dans la chambre autour du lit, ne sera une raison d’encourager le malade ; non, il s’assied près du lit, prend la main du patient, la palpe, tâte le pouls et en surveille les battements ; s’il y trouve du désordre et de l’irrégularité, il lui déclare que cela va mal. Notre riche se voit interdire toute nourriture49. En fait, avant toute consultation, tout malade était soumis à des interdictions, dont certaines pouvaient être des plus draconiennes : par exemple, s’abstenir de toute consommation de viande de porc, pour un temps déterminé, s’astreindre à la pratique de la chasteté, pendant une durée précise, s’interdire de fréquenter, pendant une durée de trois jours le tonsor, le coiffeur, les thermae, bains publics. C’était donc une profession recherchée, et qui était source de revenus ! Les inscriptions épigraphiques, que nous avons consultées et qui établissent la pratique médicale chez telle ou telle personne, n’indiquent pas clairement ce que ces personnes en tiraient. Mais que sous-entendent ces propos tenus à l’endroit de celui-ci : Q(uintus) Iulius Q(uinti) F(ilius) Quir(ina tribu) Rogatianus, qui bénéficia, de l’ensemble des citoyens de Sufetula, de l’érection d’une statue, en hommage à l’édile et au médecin, (qu’il fut), comme en signe de gratitude pour les jeux organisés à deux reprises à l’occasion du sacerdoce de ses fils 50 ? Ou encore de celui-là : Marcellus, décédé à 32 ans environ, dont le texte dit qu’il fut « célèbre dans l’art médical » avant d’être
Flor., XXIII. CIL, VIII, 11345 : Q(uinto) Iul(io) Q(uinti) fil(io) Quirina (tribu) Rogatiano ob honorem aedilitatis et medicas professionis largamq(ue) liberalitatem duplicis editionis ludorum in sacerdotio liberorum : universae curiae.
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« emporté par une forte fièvre, à trois jours d’un banquet qu’il devait donner »51 ? N’est-ce pas comme d’hommes fortunés et ce d’autant plus qu’ils s’apprêtaient à accomplir des évergésies ? B. La profesion d’avocat Mais il y eut aussi la profession d’avocat ! Cette fonction aussi était importante et vecteur de richesse. Ne figurait-elle pas, en effet, parmi les fonctions que l’on conseillait à quiconque voulait rapidement se rendre célèbre ? La politique et la fonction d’orateur. Dans une société en pleine « intellectualisation », où les affaires portées devant les tribunaux pullulaient, il était de bon ton de se procurer un avocat, de préference célèbre, pour assurer sa défense ou pour porter son affaire devant le prétoire. Les avocats coûtaient donc cher ! N’est-ce pas ainsi que Cicéron, bien qu’homo novus, finit par s’enrichir ? Rien n’est indiqué sur la fortune de ces deux avocats, mais à suivre ce qui est indiqué sur leur compte : - L(ucus) Octavius Cornelius P(ublii) F(ilius) Salvius Iulianus Aemilianus, gouverneur d’Africa en 168-169, qui bénéficia du patronage de la cité de Pupput et dont on dit qu’il fut le célèbre jurisconsulte et en même temps conseiller de l’empereur Hadrien Salvius Iulianus52 ; - cet homme, localisé à Hadrumète, et dont on dit qu’il fut « attaché à la justice, interprète du Droit, défenseur des innocents »53 ; l’on ne peut émettre des doutes : cette profession leur permit de s’enrichir !
Id., 241 : Marcellus hic quiescit medica nobilis arte Annis qui fere vixit triginta et duobus sed cum cuncta parasset edendo Placiturus tertium muneris Ante valida febre crematus diem Defundum obit. 52 Id., 24094. 53 RA, 1957, 245 … tenax iustitiae, interpretes iuris. 51
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C. La profession de pédagogue Autre fonction richement rémunératrice : celle de pédagogue, paedagogus. Elle l’était d’autant plus qu’elle servait de base à la formation intellectuelle et même morale de tout jeune enfant, surtout issu de familles fortunées. En effet, chaque famille, ne disposait-elle pas d’un pédagogue, c’est-à-dire d’un formateur, d’un éducateur, susceptible de prendre en main un enfant dont l’âge était inférieur à 7 ans, de manière à l’initier à la lecture et à l’expression latine ou grecque, les deux principales langues du savoir, les langues franches par excellence ? De même, n’était-il pas de bon ton qu’un jeune enfant, qui était amené à se rendre chez un magister suivre ses enseignements, se fît accompagner de son pédagogue ? Il s’agissait souvent d’un membre de la domesticité, esclave ou affranchi, originaire du monde gréco-oriental, mais dont les prestations étaient rémunérées ! Mais il pouvait aussi s’agir d’un citoyen romain. C’est le cas de ce personnage-ci, du nom de C(aius) Asiaticus Felix, 80 ans, dont on a trouvé trace à Théveste comme pédagogue. Voici ce qu’il en est dit : D(iis) M(anibus) s(acrum) C(aius) Asisticus felix paedagog(us) u(ixit) a(nnis) LXXX qui se uiuo domum aetern(am) fec(it) h(ic) s(itus) e(st)54 D. La profession de philosophe Autre profession qui mérite d’être examinée : celle de philosophe. Dans une société en pleine « intellectu-alisation », où les idées se bousculaient en même temps qu’elles s’entrechoquaient, où tout rhéteur se devait de manipuler tous les domaines du savoir, de manière à tenir une discussion et à soutenir un débat, à la fois profane et savant, où l’art de la parole et celui de la dialectique s’imposaient à tous, l’apprentissage de la philosophie était d’une grande nécessité. Tout intellectuel en devenir, ne se devait-il pas de maîtriser les 54
AE, 1969 sq., 665.
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grandes théories des philosophes de l’époque, qu’ils fussent Théophraste, Aristote, Platon, Socrate, Zénon d’Elée, ou Epicure ? Dans cette optique, les philosophes ne pouvaient qu’être bien rémunérés et donc en tirer de substantiels revenus. N’étaient-ils pas recherchés ? La preuve : ceux que nous présentent ces inscriptions épigraphiques étaient des nonAfricains ! - T(itus) Flauios Maximos, présenté comme un Crétois de Gortyne, et qui résidait à Carthage, au Ième-IIème s55 - Domitius Fronto, résident d’Hippo Regius, et présenté comme « philosophe stoïcien »56 ; - dans la cité de Sicca Veneria, C(aius) Artorius C (aii) F(ilius) Pap(iria tribu) Celer, décédé à 32 ans, et présenté comme « philosophe épicurien »57. E. Les legs et les héritages Il existe, enfin, un autre moyen que les Africains utilisèrent pour s’enrichir : les legs et les héritages. Ces cas nous en apportent la preuve manifeste : - celui d’Herennius Rufinus qui « aurait reçu » de son père, à en croire Apulée, « 3 millions de sesterces »58 ; - celui d’Emilianus qui aurait reçu en « héritage de son père un petit champ »59 ; - Apulée qui « hérita, avec son frère, d’une somme d’environ 2 millions de sesterces »60. C’est qu’au crépuscule de leur vie, il en était, parmi les dignitaires, qui trouvaient absolument nécessaire de léguer à telle ou telle de leur parentèle tout ou partie de leurs biens, en CIL, VIII, 12924. RA, 1957, 90 : philosophus stoicus, cives Hipponiens(is). 57 ILT 1614. 58 Apol., LXXV, 91. 59 Apol., XXIII, 29. 60 Apol., XXII, 28 : « Mon père nous a laissés à mon frère et à moi, environ deux millions de sesterces ». 55 56
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échange de leur dévouement, d’un service particulier, de bons et loyaux services rendus, de manière à accroître leurs revenus ou ne pas les laisser dans l’impécuniosité ! Mais qu’en était-il de ceux des moyens que nous avons considérés comme hétérodoxes ?
Un moyen de richesse : une huilerie (Madaure)61
Toute une industrie existait pour le traitement de l’huile ! C’était un bien rare, un produit recherché : pour l’hygiène, l’alimentation, mais aussi la musculature ! In Cl., R. Ymouna, Algérie antique, Aix-en-provence, 2003, p. 128. 61
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Un moyen de richesse orthodoxe : une huilerie urbaine (Madaure)62
62 Madauris donc en était couverte. In S. Lancel, L’Algérie antique, de Massinissa à Saint Augustin, Paris, 2003, p. 90.
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"La maison de l’Europe"63
Une autre maison de « parfait standing »64
63 C’est le symbole d’une maison cossue. Elle était à niveaux et comportait de nombreuses pièces. Seuls les riches pouvaient se le permettre ! In S. Lancel, L’Algérie antique, de Massinissa à saint Augustin, Paris, 2003, p. 95. 64 Cette maison aussi est cossue. On voit bien le site sur lequel elle est implantée ; un site vaste, bien adapté au type de maison appelé à y être érigé. C’était aussi une maison à niveaux, disposant de toutes les commodités. In H. Slim, N. Fauqué, op. cit., p. 187.
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CHAPITRE IV LES MOYENS HÉTÉRODOXES
« Mwane mugègi gitsingu o mamba : tsuva dji se ka batsa »1 : (Sagesse gabonaise)
Tous les moyens d’acquisition de richesse, en effet, n’étaient pas orthodoxes, réguliers, obéissant aux normes en vigueur en la matière ; une autre catégorie existait, mais constituée de ceux que nous avons appelés hétérodoxes, c’està-dire irréguliers, non conformes à la coutume, aux habitudes en vigueur, au mos maiorum ! A Rome, mais aussi en Afrique, ces moyens étaient d’un certain nombre ; il s’agissait, en effet, de : A. L’art et l’artisanat Que Tite-Live dénomme pudenda ars2, en ce que cette pratique, l’ars, renvoyait aussi bien aux connaissances les plus hautes qu’à des pratiques terre à terre, pratiques considérées comme utilitaires car non relevant de l’esprit, de l’intelligence, mais plutôt de l’instinct, et donc du petit peuple, la foule, le Vulgus, la multitude, la multitudo, le troupeau, le grex, catégorie 1 2
« Si un gosse s’attarde à la fontaine, c’est que sa calebasse n’est pas pleine ». XXIII, 3, 11.
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sociale ignoble, que Cicéron considérait comme « la lie du peuple, la basse canaille »3, et dont les variétés étaient constituées des : - « métiers vulgaires » - artes Vulgares- : Je ne parle pas de ces métiers vulgaires: cuisiniers, boulangers, porteurs de litière. Mais pour charmer son esprit et ses oreilles, il a tellement d’artistes que, le jour et pendant les festins qu’il donne la nuit, tout le voisinage retentit du bruit harmonieux des voix, des instruments à cordes et des flûtes 4 ; - « gladiateurs » -gladiatores- : Par Dieu, c’est une belle troupe que tu as achetée ! il me revient que tes gladiateurs font merveille. Si tu avais voulu les louer, avec les deux derniers jeux tu aurais amorti ton capital 5 ; - vendeurs de « tables, statues, vases ciselés, maisons » : Ils ont beau acheter tables, statues, vases ciselés, démolir des maisons neuves pour en construire d’autres, bref gaspiller et dilapider leur argent de toutes les façons, ils ne peuvent pourtant, malgré toutes leurs folies, venir à bout de leurs richesses 6 ; - Par ignorance de mes principes, tu as acquis ces quatre ou cinq statues pour un prix que ne valent pas, à mon sens, toutes les statues du monde. Tu compares ces Bacchantes avec les Muses de Métellus : aucune ressemblance ! D’abord, je n’aurais jamais estimé les Muses en personne à tel prix, et cela avec l’approbation de toutes les Muses ! Encore l’ensemble était-il approprié à une bibliothèque et assorti à tes études… Quand j’achète des statues, c’est pour orner à ma guise un coin de palestre, à la manière des gymnases. Non, mais que ferait d’une statue de Mars un Qfr., II, 4,3 : perdissimam … atque infimam… populi. Cicéron, Pro Sex Rosc Amer., XLVI, 134 : Misco hasce artes uulgares, coquos, pistores, lecticarios, animi et aurium causa tot homines habet ut cotidiano cantu uocum et neruorum et tibiarum nocturnisque conuiuiis tota uicinitas personet. 5 Att., IV, 4a: Praeclarum gladiatores audio pugnare mirifice. Si locare voluisses, duobus his muneribus liberasses. 6 Salluste, De con Cat., XXI, 76 : Cum tabulas, signa, toreumata noua diruunt alia aedificant, postremo omnibus modis pecuniam trahunt, uexant, tamen summa libidine diuitias suas uincerre nequeunt. 3 4
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partisan de la paix comme moi ? Heureusement qu’il n’y avait pas de Saturne ! J’aurais rendu ces deux statues responsables de mon endettement ! j’aurais préféré une statue de Mercure : elle me permettrait une transaction plus avantageuse avec Avianius, je pense ! 7 ; - « vendeurs de tableaux et de salons » : Sous un modeste portique de ma villa de Tusculum je me suis fait aménager de nouveaux petits salons en demi-cercle, que je voulais orner de tableaux, car, si quelque chose me plaît dans ce que tu aimes, c’est bien la peinture8 ; - Toutes ces statues de Praxitèle, de Myron, de Polycète ont été vendues à Verrès pour six mille cinq cents sesterces… J’aime à voir ces beaux noms d’artistes, que les connaisseurs exaltent jusqu’au ciel, tombés si bas après évaluation de Verrès. Le Cupidon de Praxitèle seize cents sesterces9 ; - « vendeurs de tapis » : Ces tapis dans le goût d’Attale, célèbres par toute la Sicile 10 ; Diodote… … homme de marque…Il possède des vases exquis, entre deux coupes, de celles qu’on appelle coupes de Thériclès, œuvres de Menton, exécutées avec un art parfait 11. En somme, des objets méprisables : Les Grecs ont une vraie passion pour ces objets que nous méprisons. Aussi nos pères permettaient-ils aisément à nos alliés d’en posséder en très grand nombre, pour les faire vivre sous notre gouvernement dans le luxe le plus brillant… ils laissaient ces objets agréables à leurs yeux, frivoles aux nôtres, pour leur servir d’amusement et de consolation dans la servitude. 12 Et auquel l’homme de bien, le bonus vir, dont le sénateur, ne pouvait accorder le moindre intérêt car il lui était interdit de s’y livrer depuis la lex Claudia de 218 av. J.-C ! A M(arcus) Fabius Gallus. Fam., VII, 23, 2. Fam., VII, 23. 9 De sign., V, 12. 10 Id., XV, 33. 11 Id., XVIII, 38. 12 De Sign., LX, 134. 7 8
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Pourtant, n’est-ce pas l’activité artisanale qui permit à Crassus Dives de réaliser d’énormes profits et donc de se constituer une solide richesse ? 500 spécialistes du bâtiment comprenant des architectes, des maçons, et d’autres esclaves spécialisés et hautement qualifiés13 constituaient son personnel : un chiffre tellement élevé que Cicéron fut amené à parler de magna hominum multitudo14 ! Cette description qu’établit Plutarque est d’ailleurs d’une particulière éloquence : Voyant qu’à Rome les incendies d’immeubles et les écroulements causés par le poids et le nombre des étages étaient un fléau endémique et continuel, il acquit des esclaves architectes et maçons. Lorsqu’il en eut plus de cinq cents, il se mit à acheter les bâtiments incendiés et les maisons voisines que les propriétaires, par crainte d’un sinistre possible, lui cédaient à bas prix, de telle sorte que la plus grande partie de Rome passa en sa possession…. Il possédait un très grand nombre de mines d’argent, des terres d’un immense rapport et des cultivateurs sur ces domaines ; cependant, l’on peut dire que ce n’était rien en comparaison de la valeur des esclaves, tant il en avait, et de toute espèce : lecteurs, secrétaires, argentiers, régisseurs, maîtres d’hôtel (il louait ces esclaves à qui avait besoin de leurs services, ce qui lui procurait de grands bénéfices). Il présidait à leur formation et les instruisait avec un soin attentif, convaincu que le premier devoir du maître est de veiller sur ses esclaves, comme sur des instruments vivants de l’économie domestique15. Tout comme le sont ces propos de Jérôme Carcopino ! … La combinaison que le ploutocrate Crassus avait inventée pour les exploiter et accroître … son immense fortune. À la nouvelle d’un sinistre, il accourait sur les lieux où celui-ci s’était produit, prodiguait ses sympathies au propriétaire désespéré par la soudaine destruction de son bien, et, séance tenante, lui achetait à bas prix, très au-dessous de la valeur réelle, le terrain sur lequel ne gisait plus qu’un amas de décombres. Après quoi, avec une de ses équipes de maçons dont il avait dirigé l’apprentissage,
Plutarque, Cras., II, 6. De Sign., 54. 15 Crassus, 2,5-2,7. 13 14
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il réédifiait à la place une insula toute neuve, dont les revenus ne tardaient point à l’enrichir au-delà du capital qu’il avait engagé16. B. Le négoce À cette activité doit être ajouté le négoce, qui permettait l’existence d’une classe de commerçants, d’hommes d’affaires, autrement dit de négociants, encore appelés les négotiatores, les negotiantes, dont l’Afrique proconsulaire regorgea. Il en fut ainsi des Messii et des Ummidii à Gightis, au IIe s., mais également d’un certain Lu(c)cius au nord-ouest de Capsa, dont l’existence aurait remonté aux IIe-IIIe s. La particularité de ce personnage est qu’il réalisa un mausolée en marbre à la mémoire de son épouse, Urbanilla, qu’il avait perdue à Carthage, quelque temps après avoir quitté Rome où il était allé faire affaire en sa compagnie. Sur la base de ce support de deuil, aucun doute ne saurait donc être permis : ce personnage s’était constitué une solide fortune ! L’on ne peut qu’en dire de même pour cet autre, Aurel(ius) Adiutor, negotiator et originaire d’Africa. A l’âge de 35 ans, il fut rappelé ad patres avant d’être inhumé à Celeia (Norique) par son épouse. Voici la substance de l’inscription épigraphique établie sur lui : D(iis) M(anibus) Fla(via) Valer(ia) Aurel(io) Adiutori civi Afro negot(iatori) o(bito) ann(is) XXXV con(iugi) k(arissimo) titulum posuit17 Nous n’omettrons pas les membres de cette gens des Baburii, retrouvés à Gightis, et qui avaient des liens avérés avec les Messii18, tout comme les Aufidii, qui furent localisés à Hippo Regius, et dont on dit qu’ils étaient des « négociants en grains ». Pour conclure sur cet aspect de la question, retenons donc que les Romains et les Africains faisaient face à deux modes de J Carcopino, La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire, Paris, Hachette, 1939, p. 39. 17 CIL, VIII, 5230. 18 AE, 1958. 16
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constitution de la richesse ; le mode orthodoxe et le mode hétérodoxe ; l’un était réglementaire et l’autre ne l’était pas. Malgré tout, des riches existèrent et eurent la possibilité d’accomplir des évergésies, des actes de générosité. Il s’agira donc, dans la partie qui va suivre, d’examiner ces riches Africains, et de dresser un tableau de ceux que nous croyons être en mesure de faire partie du Top hundred de l’époque ! Un moyen hétérodoxe : le commerce de vin (Musée archéologique de Dijon)
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TROISIÈME PARTIE ÊTRE GÉNÉREUX ET LE DÉMONTRER
« Kabi ndjo’ a buyi : yi ngulu olemi, yi ngulu olemi »1 : (Sagesse gabonaise)
1
« Etre généreux, c’est comme un rayon de miel : ce côté-ci est lourd, ce côté-là est lourd ».
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Une générosité non partagée : un autre mal gabonais ! 2
2 C’est toujours Lybek qui dénonce ce travers. En était-il ainsi en Afrique proconsulaire ? L’évidence n’est pas de mise.
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Auparavant, une vérité mérite d’être établie : ce n’est pas le commun des Africains qui pouvait faire montre d’une particulière générosité à l’égard de ses congénères. Il fallait faire partie d’un petit groupe, d’une catégorie restreinte, ceux que nous appelons les dignitaires, et que d’autres ont dénommés les élites, autrement dit ces personnes qui, selon H.P Dreitzel., détenaient « …des positions de premier plan au sein d’un groupe, d’une organisation ou d’une institution » parce que « parvenus à ce niveau du fait d’une sélection basée essentiellement sur la compétence (personnelle) » ; des « individus qui, en vertu de leur rôle prépondérant, jouiss(ai)ent du pouvoir et de l’influence nécessaires pour contribuer, par-delà la pousrsuite des intérêts particuliers de leur groupe, directement au maintien sinon à l’amélioration des structures sociales et de leurs fondements juridiques » et qui, « en raison de leur prestige, p(ouvaient) jouer un rôle d’exemple capable de déterminer par-delà leur groupe le bon déroulement des autres »3. Ce sont donc ces personnes que l’on considérait comme des « bourgeois », des « ploutocrates », et que Michel Christol appela « notables », terme qui « renvo(yait) à l’élite civique, définie par la participation avérée à l’activité politique, c’est-à-dire par l’exercice des charges ou de fonctions »4, rejoignant ainsi, dans cette acception, Paul Veyne5. N’était donc pas considéré comme généreux qui le voulait ! Dans l’une des inscriptions épigraphiques existant sur l’Afrique proconsulaire, les bénéficiaires portaient le dénominatif de viri de primoribus ! Elle s’appliqua plus spécialement à un personnage, L(ucius) Licinius Maximus Albinus, et fut libellée comme il suit :
Elitebegriff und Sozialstruktur, Stuttgart, 1962, p. 71. « En deçà du monde des notables : la situation en Gaule narbonnaise » in Autocélébration des élites locales dans le monde romain. Contexte, images (IIème s. av. J.-C., -IIème s., ap. J.-C.), Clermond-Ferrand, 2004, p. 59. 5 Une notion qui impliquait aussi bien la naissance, l’honorabilité que le pouvoir et l’influence politiques et qui s’adressait « aux élites des cités autonomes » auxquelles « convient le nom de notables ». Cf. Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976. 3 4
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[…Liciniam Seve]/ram filiam Licini(i) Paterni, splendidi et laudibilis viri hodierna die defunctam esse quid et a quibus/ in memoriam eius honorum in parentum ipsius co [n]/sola[io]nem fieri placeret. L(ucius) Licinius M[a]ximusAlbinus sententiam interrogatus censuit in v[er]ba infra scribta : Cum Licini(i) Paterni, viri de primorib[us]/nostris et vitae moderatio et morum maximum ac practi[c]/um testimonium in fovdendis etiam rei p[u]b(licae) nostrae opibus non/modica doc[u]m[e]nta emic[ent p]a[r]entum quoque ac maiorum/ ipsius [t(am in aed[ificandi]s excol[e]ndisq(ue) moenibus nostris quam/ in sustinendis alendisq(ue) civibus egregia atq(ue) eximia liberalita[s]/ eniteat ac per [h]oc tametsi ingentis ac maximi luctus eiusd[em]/ paterni minima sint aput eum nostra solacia, tamen ad liniend[os]/ compescendosq(ue) do[lor]is [i]mpetus et ad honorandametiam / puellae rudimat[u]rae memoriam cum c[as]u tris[ti a] bra[ptae e] xi[quoi]/ eius de publ(ico)erogando statuam c[ivitati]s pulcherrimo [at]q[ue]/ celeberrimo publ(ica) pec(unia) eidem Liciniae Severae constituendam [ut]/ pietatis ordinis nostri erga paternum adfecto perpetuo si[t]/contestata/ [d(ecreto)] d(ecurionum)6 Ces dignitaires constituaient donc plusieurs groupes concentriques qui vivaient les uns à côté des autres, et qui enserraient l’Afrique proconsulaire. Parmi eux on trouvait, non seulement les magistrats, c’est-à-dire les hommes politiques, ceux-là mêmes qui avaient pris le parti de s’engager dans une carrière locale, c’est-à-dire municipale, ou nationale, celle ayant eu cours à Rome, mais également les prêtres, ceux qui exerçaient dans un temple au service de l’une ou l’autre des 6 CIL, VIII, 15880 : L(ucius) Licinius maximus Albinus, appelé à faire connaître son avis sur la nature et les signataires du mémorial à la carrière locale de la défunte destiné aussi à consoler ses parents, indiqua ce qui suit : Vu que de Licinius Paternus, membre de nos personnes éminentes, brillent d’éclat la modération dans l’existence… ainsi que des témoignages non négligeables de la manière dont il entretient les finances de notre cité ; vu que de ses parents et de ses aïeux est connue aussi la remarquable et rare générosité qui les poussa à bâtir, embellir nos murailles comme à soutenir des concitoyens ; même si dans le deuil immense et suprême qui frappe Paternus il ne pourrait en notre geste guère trouver une véritable consolation ; cependant, afin de soulager et atténuer l’ardeur de sa douleur comme aussi pour honorer la mémoire d’une jeune fille… emportée par une fin triste… une statue sera élevée à l’emplacement de la cité le plus beau et le plus célèbre, sur contribution publique à Licinia Severa…
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divinités locales ; les uns s’étaient fait un nom en prospérant dans l’agriculture, dans l’élevage et les autres fonctions, celles dites honorables ou non honorables, mais qui permettaient de se faire une fortune ! Les autres, enfin, s’étaient imposés dans le métier des armes, avant de prendre leur retraite comme anciens soldats, après avoir fait la preuve de leur hardiesse, de leur bravoure au sein des unités auxiliaires, les auxilia. Licenciés, démobolisés, c’est-à-dire appelés à faire valoir leurs droits à la retraite, après 25 ans de bons et loyaux services, ils bénéficiaient d’un riche pécule qui leur permettait de se livrer à des évergésies en faveur de leurs concitoyens ! La société africaine n’étant pas trop mysogyne, elle avait ouvert ses portes à tous les sexes ; on trouvait donc, parmi ces dignitaires, ces élites, ces notables, des hommes, à titre principal, mais aussi des femmes ! Tout comme on trouvait aussi bien des Africains que des non-Africains : des citoyens puniques, non encore romanisés, des citoyens romains, mais aussi des affranchis et même des esclaves. Ils étaient reconnaissables par des signes distinctifs : - la coquetterie vestimentaire, comme celle qu’afficha cette belle Photis, qu’Apulée dépeint comme « coquettement habillée d’une tunique de lin ; un soutien- gorge rouge vif lui » serrant « la taille à hauteur des seins »7 ; - la coiffure, recherchée et toujours stylée, voulue à la mode, et qui était susceptible de frapper l’imagination, de distinguer par sa nouveauté et même son excentricité, comme nous permettent de le savoir ces propos d’Apulée sur cette partie de l’anatomie féminine : Mais pourquoi parler du reste, quand la tête, quand la chevelure fut toujours mon unique intérêt ? C’est ce que dans la rue j’ai soin de regarder d’abord, ce dont je m’enchante encore une fois rentré chez moi… Ce qui est pour les membres la gaieté d’une étoffe aux vives couleurs, pour la tête c’est son éclat naturel qui le réalise. Et tenez : nombre de femmes, pour faire valoir leurs attraits naturels, rejettent toute robe, ôtent leurs sous7
Ane d’or., II, 7, 2.
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vêtements, et veulent que leur beauté se présente toute nue, comptant pour plaire sur la robe fraîche de leur peau plus que sur l’or de leurs vêtements. Mais que par un sacrilège dont la pensée est un blasphème et qu’il faut souhaiter sans exemple, on dépouille de sa chevelure une femme de la plus rare beauté. Quand elle serait Vénus elle-même…, si elle est chauve, elle ne pourra plus plaire à son Vulcain. (Que dire d’une chevelure) parfumée d’essences d’Arabie, délicatement séparée par les dents fines d’un peigne et rassemblée par derrière, qui s’offre aux yeux d’un amant et lui renvoie comme une image qui le flatte ? Que dire enfin de celle qui, serrée en lourdes tresses, couronne le sommet de la tête et qui, librement répandue, ruisselle le long du dos ? Oui, telle est l’éminente dignité de la chevelure, qu’une femme peut bien se présenter parée d’or, de belles étoffes, de pierres précieuses, et de tout l’appareil de la coquetterie : si elle est mal coiffée, elle ne passera pas pour élégante 8. Ce qui amena Tertullien à se laisser aller à ce commentaire (!) : Vous vous plantez, sur la tête, je ne sais quelles masses énormes, un fin réseau de perruques, qui tantôt relevées en forme de casque, enveloppent le sommet de votre tête comme un fourreau ou un couvercle, et tantôt retombent en arrière pour s’amonceler sur votre cou… Vous ajoutez à votre poids en fixant sur votre nuque comme des bosses ou des ombilics de boucliers9. D’ailleurs, à l’époque des Flaviens, beaucoup de ces femmes « bourgeoises » africaines, pour montrer leur goût du luxe et surtout leur attachement à ce qui renvoyait à la high society, ne se coiffaient-elles pas par imitation aux impératrices romaines ? Julie, mais également Faustine, l’épouse d’Antonin, Domita Lucilla, la mère de Marc-Antoine, qui avaient contribué à répandre auprès de leurs admiratrices cette mode, le tutulus, qui consistait à tresser des nattes sur la tête, avant de les enrouler pour former une mini-tour ; - La maison, la domus : une maison cossue, luxueuse, construite avec goût, selon les règles de l’art, bien codifiées 8 9
Ane d’or, II, 10, 8. De cultu femin., II, 7.
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dans les lois municipales, comme celle de Tarente qui stipulait ceci dans sa sixième rubrique : Quiconque est, (ou) sera décurion du municipe de Tarente, ou qui donnera son avis au sénat du municipe de Tarente, qu’il possède sans dol ni fraude dans la ville ou dans les limites de ce municipe une maison couverte d’au moins 1500 tuiles. Ces maisons étaient bâties suivant un mode architectural précis, avec une entrée unique et une riche décoration10 ; elles étaient aussi dotées d’un péristyle, en leur centre, une élévation en hauteur, et de nombreuses pièces11, auxquelles l’on pouvait aboutir par plusieurs accès, après la porte d’entrée, un vestibule, sorte d’espace de transition vers toutes les pièces de la maison ; un espace dont l’on pouvait se faire une idée à partir de ces détails que nous fournit Apulée : Dès l’entrée, vous n’en sauriez douter : c’est de quelque dieu que vous avez devant vous la luxueuse et plaisante résidence. Les plafonds, aux lambris de thuya et d’ivoire curieusement sculptés, sont soutenus par des colonnes en or ; les parois, revêtues toutes d’argent ciselé, offrent aux regards, dès qu’on entre, des bêtes sauvages et d’autres animaux12. La maison, n’était-ce pas la source de l’honorabilité de tout Romain ? Cicéron ne s’en cache pas qui le proclama haut et fort : Il faut… que la dignité d’un personnage soit rehaussée par sa maison13. Le luxe qui caractérisait ces maisons ne pouvait s’arrêter au seul extérieur ; il devait intégrer tous les aspects ; parmi ceux-ci, nous retiendrons : - le mobilier. Celui-ci ne pouvait être dépouillé, simple, avec des « lits vraisemblablement constitués de toisons étendues à même le sol, (d)es couvertures, de grosses étoffes filées et tissées dans la famille par les par du marbre, des portraits, des mosaïques, de l’enduit peint, etc. Comme les salles de réception pour la prise des repas, les chambres à coucher, les thermes privés, les latrines domestiques, les cuisines, etc. 12 Métamorph., V, 1. 13 Cicéron, Pro P. Quinct., XXXIX, 139 : Ornata enim est dignitas domo. 10 11
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femmes, les filles et les servantes, (d)es tables, (d)es planches posées sur trois ou quatre pieds » avec une « cuisine » qui « se faisait sur les petits réchauds à charbon de bois… percés de trous pour assurer le tirage, et où l’on cultiv(ait) le feu à l’aide d’un éventail à paille tressée » 14 ; - les ustensiles de cuisine. Ils ne pouvaient « consist(er) en vases de terre cuite, généralement fabriqués sur le domaine, avec la glaise qui se rencontr(ait) en abondance dans le sol » avec des « plats ronds, (des) coupes à engobe noir ou d’un rouge terne » qui étaient « bien différents des vases élégants sortis, vers le même temps des ateliers d’Athènes ou de Corinthe »15. Mais ces aspects ne pouvaient être les seuls ! Les dignitaires africains étaient aussi reconnaissables par leur alimentation. Et pour cause : - Le désir de manger, autant qu’il le fa(llait) pour la santé et le bon état du corps, ce désir de la simple nourriture et des assaisonnements qu’on y ajout(ait), n’(était)-il pas un désir nécessaire 16 ? La nourriture (était) apparemment nécessaire…, et parce que la satisfaction en (était) utile, et parce qu’elle (était) indispensable à la vie17 . Vue sous cet angle, l’alimentation apparaissait comme un élément fondamental dans la vie de l’homme. Ventre affamé n’est-il pas réfractaire à toute instruction ? Quiconque stockait le grain en temps de disette ou se faisait au regard des dieux l’argent d’une profanation ou encore s’attaquait de quelque manière à l’ensemble de la collectivité risquait de susciter une émeute contre lui » souligne, à cet égard, Ramsey Mc Mullen18. La nourriture était donc d’une prime importance pour l’être humain, car « il » était « impossible de vivre sans elle »19. Certes, elle était aussi importante et vitale pour le pauvre que pour le riche. In P. Grimal, La vie à Rome dans l’Antiquité, pp. 15-16. Id., ibid., p. 16. 16 Platon, Rep., VIII, 12, 559, a. 17 Platon, Rep., 12, 559, b. 18 In Les rapports entre les classes sociales dans l’empire romain (50 av. J.-C., -284 ap J.C.), p 66. 19 Aristote I, VIII, 3. 14 15
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Mais elle l’était davantage pour le riche, le dignitaire, car elle était un élément de considération sociale et statutaire. Ne point en tenir compte, n’était-ce pas se dégrader, se dégénérer, et ouvrir la porte à tous les risques d’ordre sanitaire et éthique ? C’était baisser dans la catégorisation sociale, perdre ses acquis sociaux. C’est pourquoi, tandis que les pauvres consommaient davantage de fruits et de légumes, les riches avaient de la préférence pour le poisson-au point qu’ils se faisaient construire un vivier d’eau douce ou d’eau de mer, piscina - et la viande, mets coûteux et à la portée de peu de bourses. L’on s’interroge alors : quelles sont ces personnes que nous avons identifiées comme pouvant faire partie des 100 meilleures ?
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CHAPITRE V LES INTELLECTUELS
Les intellectuels, d’abord. Ne sont-ce pas eux qui constituaient le « groupe dominant » de toute société ? Avant les politiques, les hommes et femmes « d’église », les hommes et les femmes d’affaires, qui eurent pignon sur rue en Afrique proconsulaire, méritent de figurer les intellectuels. Et pour cause : ce sont des hommes ou des femmes dont la principale activité était intellectuelle, c’est-à-dire portant, non sur le manuel, mais sur l’intelligence, cette « faculté de comprendre, de saisir par la pensée »1 et donc de créer, de concevoir, de conceptualiser, de théoriser, de donner vie et corps à ce qui n’était pas. Au-delà, ceux qui s’étaient affublés de ce qualificatif pouvaient être considérés comme ceux qui avaient fait des études de haut niveau, qu’ils avaient réussies, qui avaient accumulé des efforts soutenus, qui avaient accepté de faire face à toutes les difficultés, sanctionnées par la suite par des attestations, des parchemins, des diplômes. Ces hommes et ces femmes avaient donc suivi un cursus studiorum dans tous les cycles de formation, primaire, secondaire et supérieur ; ils s’étaient initiés à des domaines de connaissance précis ; ils avaient participé à toutes les épreuves de sélection et avaient été reconnus dignes d’être classés dans cette catégorie. Ils avaient bénéficié de l’éducation appropriée, qui les avait 1
Dictionnaire Larousse, 2013.
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conduits vers des chemins des savoirs. Ils avaient également été formés. Ils avaient vu leur intelligence, leur ingenium, affinée. Ils avaient vu leur volonté décupler, arrêter de rétrécir. Ils avaient accumulé des connaissances en se mettant à la disposition de maîtres, de mentors qui les avaient guidés, en les tenant par la main, sur la base du principe de l’exemple, l’exemplum, et de l’imitation, l’imitatio. Ils avaient mis un point d’honneur à développer leurs aptitudes et à les mener à un point élevé ! Ce sont donc des gens qui savaient, qui étaient pétris de connaissances, qui étaient au fait des réalités des choses de l’esprit, qui étaient instruits. Ils appréhendaient donc autrement le monde, la société. Ils travaillaient avec acharnement, se nourrissant de curiosité et donc de cette volonté inextinguible de savoir et de toujours savoir pour percer les mystères qui se présentaient aux yeux du monde. Ils créaient. Ils étaient des savants ! Les intellectuels se distinguaient d’abord et avant tout par leur intellectus. À Rome, ils avaient d’abord bénéficié d’une éducation maternelle, livrée au sein de la domus, par la mère, détentrice de tous les traits de caractère féminins : douceur, soin en toutes choses, parcimonie, tendresse instinctive, à laquelle pouvait suppléer la nourrice. Une éducation additionnée à celle que véhiculait le pédagogue, parfois amené à faire usage d’un triquet ! Puis à partir de 7 ans, ils passaient sous l’autorité paternelle qui laissait alors les enfants s’inscrire pour quatre ou cinq ans selon leurs aptitudes, à l’école primaire, où les prenait en main le ludus litterarius, l’instituteur, le maître, le magister ludi litterarii, le litterator, qui faisait banquette en plein vent, souvent dans une boutique, la pergula, au Forum, perché sur une estrade, la cathedra, avec le concours d’un second, l’hypodidascalos, les formait à l’art de la lecture et de l’écriture, disciplines auxquelles étaient associés la récitation apprise par cœur, le calcul, ainsi que les poids et les mesures, le vocabulaire et la numération, apprenant ainsi à fortifier leur mémoire et à développer l’imitation. C’est aussi à cette période que le jeune enfant suivait son père au Forum où il assistait, parfois 102
médusé, aux grandes joutes oratoires et autres débats qui opposaient les grands esprits de ce temps. Cette étape franchie, vers 11-12 ans, ils accédaient à l’enseignement secondaire, du moins pour ceux qui l’avaient pu, et se plaçaient sous l’autorité du « professeur », le grammaticus, qu’assistait un répétiteur, qui faisait office d’huissier, le doctor, encore appelé proscholus, où ils recevaient une formation axée sur la connaissance des grands écrivains de l’époque, tels que Virgile, le poète par excellence, Térence, Caecilius, Plaute, Horace et Cicéron, César, Tacite, Tite-Live, Quintilien ; une formation littéraire que complétait une autre, fondée sur les mathématiques, la géométrie et la musique, mais aussi sur les exercices pratiques de style qui portaient sur l’apprentissage de l’éloquence ; toutes choses qui leur permettaient de densifier leur formation intellectuelle et de solidifier leur connaissance de choses « terre à terre ». Puis venait la dernière étape : l’enseignement supérieur, mené sous l’autorité d’un rhéteur, l’orator, encore appelé magister ludi, afin de les initier à l’art oratoire, outil indispensable aux avocats, mais aussi à ceux qui voulaient se destiner à la carrière politique. C’est parvenus à ce niveau que certains, dont les moyens financiers étaient suffisants, pouvaient effectuer un pélérinage intellectuel en Grèce, sur les traces des grands orateurs de cette société. Cicéron, l’un des grands intellectuels de son temps, n’avait-il pas fait ce cheminement ? Dans les œuvres où il reconstitue ce parcours, il ne présente pas clairement les étapes scolaires conformément au schéma que nous avons défini. Mais l’on sait que, jeune enfant, il fut placé sous la férule de sa mère, une riche bourgeoise qui le forma selon les normes anciennes et conservatrices. Celle-ci ne laissat-elle pas le souvenir d’une femme rigide, rigoureuse et parcimonieuse - elle cachetait toutes les bouteilles de vin qui avaient été bues pour en contrôler la consommation-. Après le passage par cette éducation, il passa sous celle de son père, qui le confia, après le port de sa toge virile, à Rome, à un personnage de renom, un grand jurisconsulte, du nom de Q(uintus) Mucius Scaevola l’Augure ; un homme d’un certain 103
âge-il avait 80 ans-, et d’une rigueur tatillonne -il ne sortait pas de chez lui, mais le jour venu, son vestibule s’emplissait de monde-. Là, il apprit à s’imprégner de pensées sages, à bien parler, par des propos concis et frappants ; ce qui lui ouvrit la voie de la « prudence ». Mais Q(uintus) Mucius Scaevola ne fut pas le seul qui le forma : il fut aussi présenté à un autre personnage d’envergure, dénommé M(arcus) Pupius Pison, lui aussi un peu plus âgé ; il était un orateur et était très en pointe au plan littéraire. Il y apprit ainsi la pensée d’Aristote, dont la doctrine fut plus d’une grande utilité pour l’art qu’il fut amené à pratiquer, l’éloquence. Au cours de ce séjour romain, il fréquenta d’autres philosophes qui aiguisèrent sa pensée : Phèdre, un épicurien, dont la générosité, la spontanéité dans la serviabilité, la bonne parole et la modération, lui furent des atouts de poids. Il y eut aussi d’autres dont l’influence fut décisive ! Philon de Larissa, académicien de la tendance de Carnéade, Diodote, le stoïcien, et surtout grand dialecticien, L(ucius) Aelius Stilo, philologue, grand spécialiste de l’histoire des institutions de Rome, ainsi que de la littérature et du vocabulaire latins, A(ulus) Licinius Archias, grand poète. Rendu à Athènes, en vue d’un pélérinage intellectuel, il se forma, pendant six mois, auprès d’un philosophe, Antioche, qui passait pour être, pour son époque, le savant le plus intelligent, le penseur le plus original, le professeur émérite. Ces canons d’éducation en vigueur à Rome existaient aussi en Afrique proconsulaire. Les intellectuels africains avaient suivi le même cheminement, ce qui leur avait permis d’atteindre le niveau de respectabilité qui fut le leur, mais aussi le niveau de fortune auquel ils accédèrent. Suivons en cela Catherine Salles, pour nous en rendre compte : En Afrique, comme dans l’ensemble de l’empire romain, une bonne culture classique est nécessaire pour tenir un rang dans la société. C’est un facteur d’intégration sociale et d’espoir de promotion en Afrique. C’est
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pourquoi, dans cette province, les études scolaires et universitaires sont tout à fait comparables à celles que peuvent offrir les écoles de Rome. 2 Et comme si elle voulait être plus précise, elle ajoute ces éléments qui ont toute leur importance : Les trois étapes du cursus scolaire des enfants sont destinées à former leur esprit et leur intelligence selon les normes adoptées par l’ensemble des Romains…Tous les petits Africains vont à l’école primaire où ils doivent consigner ce qu’il y a encore de trop « barbare » dans leur façon de s’exprimer. Les privilégiés parmi eux se rendront ensuite chez le grammaticus, puis chez le rhetor dont ils sortiront parfaitement « romanisés ». …L’école primaire joue un rôle essentiel dans la romanisation de beaucoup de petits Africains qui doivent oublier le parler local encore en usage bien souvent chez eux. Les enfants apprennent à s’exprimer correctement en latin en assimilant déjà des rudiments de grec qu’ils devront posséder dans les étapes ultérieures de leur cursus. En effet, tous les habitants de l’Empire pratiquent le bilinguisme latin-grec et, à la fin de ses études, un jeune homme doit pouvoir comprendre les deux langues et être à même de les parler couramment…A l’age de 11-12 ans, l’enfant quitte les bancs de l’école primaire pour suivre les cours du grammaticus (grammairien). Ce maître, d’habitude un affranchi payé par les parents, a pour but d’inculquer à ses élèves la maîtrise grammaticale des langues grecque et latine. Le maître précise aussi les défauts à éviter, les barbarismes, la mauvaise prononcitaion du latin ou du grec. Il prend comme base de son enseignement les grands textes classiques qu’il fait apprendre par cœur et réciter…le nombre des auteurs retenus comme modèles à proposer aux écoliers est relativement réduit : pour le programme des auteurs latins, le grammaticus se limite au « quadrige » (Virgile, Térence, Salluste et Cicéron) et pour le grec, Homère, les tragiques et Platon… Le troisième degré de l’enseignement, celui de la rhétorique, est accessible aux élèves favorisés, entre quinze et vingt ans… le but de l’enseignement du rhéteur est de donner à ses élèves la maîtrise de l’art oratoire, c’est-à-dire l’apprentissage des règles de la rhétorique et la manière de s’en servir. En fin de cursus, l’étudiant doit savoir composer un 2 « Vie culturelle et littéraire dans l’Afrique romaine », p. 257 in B. Cabouret, L’Afrique romaine de 69 à 439, Ed. du temps, Nantes, 2005.
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discours, présenter de façon convaincante ses arguments, utiliser à bon escient les figures de style, connaître parfaitement le droit latin… La ville ne dispose pas d’université à proprement parler, commune pour tous. Chaque professeur doit se procurer une salle pour réunir ses étudiants et encaisse les frais de scolarité payés par les familles des jeunes gens… 3. Sur cette base, parler des intellectuels africains, c’était faire référence à ces hommes –et à ces femmes- au niveau de formation particulièrement élevé, qui avaient réussi le tour de force de se distinguer par leur savoir et même par leur savoirfaire et d’imposer le respect par la quintessence de leur esprit.C’est dans cette rubrique que nous avons retenu ceux –ci : A. Pour la fonction de donateur de bibliothèques 1- M(arcus) Iulius Quintianus Flavius Rogatianus (AE, 1908,2) Ce personnage, en effet, se distingua dans une œuvre : la construction d’une bibliothèque, ce que nous appelons l’archivage, œuvre importante s’il en était, en ce qu’elle visait la conservation et le contrôle des documents officiels, publics et privés des cités, les tabularia, qui contenaient, entre autres, des commentarii, c’est-à-dire les comptes rendus journaliers des décisions, les correspondances officielles échangées avec la chancellerie impériale, les archives municipales, les actes juridiques de droit et, au-delà, tout ce qui permettait de lire, de se cultiver et de se former aux choses de l’esprit. Un investissement qui changea, immanquablement, l’allure de la colonie ! Festus donne d’ailleurs de cet espace la définition suivante : Bibliothecae et apud Graecas et apud nos tam librorum magnus per se numerus quam locus ipse, in quo libri conlocati sunt, appelati4 Quant à l’inscription qui nous est parvenue à son sujet, elle est ainsi libellée : 3 4
Id., pp. 260-261. De verbor. significatione, ed. Lindsay col. Teubner, 1913, p. 31.
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Ex liberalitate M(arci) Iuli Quintiani Flavi(i) Rogatiani C(larissimae) m(emoriae) v(iri), quam testamento suo reipublicae coloniae Thamugadensium patriae legavit opus bibliothecae ex (sestercium) (centum) (quattur) mil(ibus) num(mum) republica perfectum est 5 Parmi les œuvres majeures, les opera magna que réalisa Jules César, à Rome, en vue de procéder à « l’embellissement et l’enrichissement de »6 la cité, Suétone, ne mentionne-t-il pas la construction de bibliothèques ? Suivons-le : (En vue) de mettre à la disposition du public des bibliothèques grecques et latines aussi riches que possible, il avait confié à Marcus Varron le soin d’acquérir et de classer les livres… 7 Originaire de la colonia Marciana Traiana Thamugadi, on peut considérer que M(arcus) Iulius Quintianus Flavius Rogatianus y vit le jour, qu’il y eut ses racines, ses pénates, ce qui justifie le terme de patria, terme utilisé pour parler de l’espace qui l’avait vu vivre, où avaient reposé les restes de ses ascendants, et auquel il était profondément attaché. Il porte dans son identité une gens toute pleine de sens, Iulius, ce qui peut apparaître comme un indictateur de sa filiation avec la gens Iulia, dont le porte-étendard fut Jules César, que suivit immédiatement son fils adoptif, C(aius) Iulius Caesar Octavianus, Octave-Auguste. Fut-il un ancien esclave devenu affranchi ? Rien ne permet de l’affirmer car cette précision n’est nullement apportée. Aucune indication non plus ne figure sur les activités qu’il exerça, ni sur ses fonctions et sa fortune qui lui permirent de réaliser ce don, la somme de 400 mille sesterces. Mais à le lire, l’on peut subsumer qu’il était bien introduit dans le milieu thamugadien, qu’il y avait acquis une réelle célébrité, comme peut l’attester l’expression c(larissimae) m(emoriae). Parvenu à ce niveau de la 5 AE, 1908, 2=ILS, 9362 : Par suite de largesses de Marcus Iulius Quintianus Flavius Rogatianus, homme de très illustre mémoire, lequel, par testament, a légué à la République de la colonie des Thamugadiens (sa) patrie, une somme de 400 000 sesterces (pour) la construction d’une bibliothèque (laquelle a été menée à bien) par les soins de la République (des Thamugadiens). 6 Suétone, Cés., XLIV. 7 Id., ibid.
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société, l’on ne saurait douter qu’il ait fait montre de générosité envers ses semblables ! B. Pour la fonction de philosophe 2- T(itus) Flavios Maximos philosophos, Krès Gortynios (Crétois de Gortyne) (CIL, VIII, 12924). Aucun doute, par contre, sur l’activité de ce personnage : il fut bel et bien philosophe, et donc un intellectuel aussi ! Un homme formé dans l’art de la philosophie, qui a donc dû s’instruire aux grandes théories philosophiques de l’époque, au point d’en être adepte et d’être entièrement versé dans cette activité. Mais également un homme qui a dû former en masse dans ce domaine et contribuer à répandre et asseoir dans le paysage africain cette discipline ! Signalé à Carthage, entre le Ier et le IIème s., il porte les trianomina, comme s’il voulait montrer sa citoyenneté romaine. De même, en dehors du prénom, latinisé, il garde pour le reste la consonnance gréco-orientale ! Des indications qu’il porte fièrement en bandoulière ! Mais, aussi, une tendance explicite à montrer ses origines, non puniques, et donc non typiquement africaines, et préciser clairement sa grécité et, partant, l’ancienneté relative de ses origines ! N’est-ce pas au VIIIe s. que les Puniques arrivèrent en Afrique ? Et les Romains, n’y furent-ils pas tardivement ? Ses parents s’installèrent donc en ces lieux africains avant les Romains, et furent issus d’un milieu de culture, de sagesse et de science, la Grèce, en l’occurrence. 3- Domitius Fronto, philosophus stoicus, civis Hipponiens(is) (RA, 1957, 90). Là non plus, aucun doute ne saurait subsister : ce personnage fut un intellectuel. Et pas n’importe lequel ! un intellectuel de haut vol ! philosophe stoïcien. Une précision qui valait son pesant d’or ! Comme pour dire qu’il était dans la lignée de Zénon d’Elée, qu’il en était le disciple, le continuateur de l’œuvre. De plus, ses indications onomastiques apportent une preuve supplémentaire de son éminence ! Ne porte-t-il pas 108
en deuxième instance le nom de Fronton, qui renvoie à cet orateur et avocat de célèbre réputation du IIème s. ap. J.-C., M(arcus) Cornelius Fronto, originaire de Calama et patron de cette cité, devenu le précepteur de ces deux enfants qui finirent empereurs, L(ucius) Verus et Marc-Aurèle ? Il ne revêt nullement les trianomina, comme pour montrer clairement qu’il n’est pas du tout citoyen romain, et donc ne peut prétendre à une carrière politique, ni aux droits civiques qui s’y rattachaient : le ius conubii, le ius commercii, le ius suffragii, le ius honorum. Mais une indication de taille est fournie : il est civis Hipponiens(is) ! Citoyen d’Hippone ! Un droit local qui lui fut décerné, sûrement en reconnaissance de ses activités exercées localement et de tous les bienfaits apportés à la cité ! 4- C(aius) Artorius Celer, philosophus epicureus (ILT, 1614). C(aius) Artorius Celer fut un autre philosophe, dont la présence nous est signalée ; il est dit : philosophus epicureus, philosophe épicurien, comme pour montrer à la face de ses contemporains et de la postérité qu’il n’avait pas d’autres options que celle d’être le disciple et le continuateur des thèses d’Epicure. Un intellectuel donc ! Dans une société en pleine expansion comme l’était l’Afrique à cette époque, il devait avoir pignon sur rue et être sollicité, surtout par les hommes riches, fortunés, qui devaient se mettre à son école et placer leurs enfants à sa disposition ! Ce devait être une source de fierté et d’honorabilité. Il arbore d’ailleurs fièrement ses trois noms, qui sont la preuve vivante de sa citoyenneté romaine et même de sa filiation ! Son père s’appelait aussi C(aius) Artorius, ce qui indique sa position au sein de la famille ; il était le fils aîné ! Est-ce un hasard s’il affiche le prénom de C(aius), celui qu’arbora Jules César, éminent membre de la gens Iulia ? Il était inévitablement un homme du milieu, sorti des rangs, et ayant acquis une place au soleil africain. Dans le même temps, il avait dû contribuer à donner fière allure à la cité de Sicca Veneria, où sa présence fut signalée.
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C. Pour la fonction de juriste 5- L(ucius) Octavius Cornelius Salvius Iulianus Aemilianus (CIL, VIII, 24094= AE, 1959, 286) Aucun rapport cependant avec ce personnage, L(ucius) Octavius Cornelius Salvius Iulianus Aemilianus. Et pour cause : il fut un jurisconsulte célèbre, et, en même temps, le conseiller de l’empereur Hadrien Salvius Iulianus. L’homme porte un nom « kilométrique » : preuve de son excentricité et de cette volonté de se singulariser ! Il était citoyen romain, il avait un prénom et des surnoms qui le rattachaient à des personnalités, Octavius, Cornelius, Salvius Iulianus, Aemilianus, avec la désinence anus, pour montrer qu’il s’était agrégé à une famille, à une lignée. Ces indications montrent que l’homme avait de l’enflure, et qu’il ne voulait pas passer inaperçu ! De toute façon, ne parvint-il pas à de hautes fonctions ? Il était un intellectuel, un manipulateur du droit, mais également un homme politique et une autorité tutélaire, un patron, un patronus ! Voici d’ailleurs ce que SHA indiqua à son égard : Cum iudicaret, in consilio habuit non amicos suos aut comices solum sed iuris consultos et praecipue Iuventium Celsum, Salvium Iulianum, neratium priscum aliosque, quos tamen senatus omnis probasset8 6- Q(uintus) Vetidius Iuvenalis (ILA, 1362) Homme de droit vétilleux, tel le fut aussi Q(uintus) Vetidius Iuvenalis, qui vécut à Thubursicu Numidarum, et dont l’inscription suivante fut gravée sur sa tombe : Omnibus honoribus functus pater (trium) eq(uitum) R(omanorum) in foro iuris peritus agricola bonus9 7- Anonyme (CIL, VIII, RA, 1957, 245) L’inscription ne mentionne pas son identité : il reste donc un anonyme ! L’on y voit, cependant, qu’il fut « attaché à la Hadr., XVII, 1. ILA, 1362 : A accompli toute sa carrière politique, a été père de trois chevaliers romains, a été un homme de droit vétilleux au Forum et un agricultueur expérimenté. 8 9
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justice, interprète du droit, défenseur des innocents »10. Il s’enrichit et, inévitablement, entreprit des actions d’évergétisme à l’égard de ses compatriotes ! 8- Iunius Urbanus (CIL, VIII, 10590) L’on n’omettra pas ce personnage, Iunius Urbanus, dont l’épitaphe, trouvée à Gightis, indique qu’il fut « clarissimus filius, iu[ri]s consultu[s]… »11 D. Pour la fonction de rhéteur 9- Appuleius (CIL, VIII, 160) Autre manipulateur des choses de l’esprit, mais cette fois dans le domaine des lettres : Appuleius, Apulée, le père de l’auteur de l’Apologétique, l’homme de Madauris. Il était un fin lettré, ce qui revient à dire qu’il connaissait les principaux hommes de lettres romains et même grecs et qu’au final, il savait s’exprimer ; il était un rhétoricien, mais aussi un dialecticien, quelqu’un qui savait s’exprimer en public, débattre de toutes les questions et défendre avec autant d’adresse, une chose et son contraire. C’est d’ailleurs cette image qu’a laissée ce personnage. Voici le témoignage qu’en fit son fils : (Syphace) victo, ad massinissam regem munere populi (romani) concessimus ac deinceps veteranorum militum novo conditu splendidissima colonia patrem habui loco principis dumviralem cunctis honoribus perfunctum12 E. Pour la fonction de pédagogue, paedagogus 10- C(aius) Asiaticus Felix (AE, 1969, 665) Activité majeure aussi car étant à la base de la formation de jeunes enfants : le pédagogue. Pour en savoir plus, référonsnous à Henri-Irénée Marrou :
RA, 1957, 245 : [---] tenax iustitiae, inerpres iur[is i]nnocentium f[autor]. CIL, VIII, 10490. 12 Apulée, Apolo., 24. 10 11
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…Au point de vue moral, les dangers de la rue et de l’école n’étaient pas moindres dans l’Antiquité, pour les garçons que pour les filles. Aussi, les Romains avaient-ils adopté l’usage grec de l’esclave accompagnateur, qu’ils désignaient de son nom grec de paedagogus. Lorsqu’il était bien choisi, il pouvait s’élever au rôle de répétiteur, et surtout d’un véritable gouverneur, assumant la formation morale de l’enfant…le pédagogue conduisait son petit maître à l’école… 13 La fonction de pédagogue était donc d’autant plus importante qu’elle offrait l’occasion au jeune enfant qui se scolarisait, de lui mettre le pied à l’étrier, en lui permettant d’entrer pleinement dans l’univers scolaire. Il prenait le jeune enfant, au cours de la période qui s’étalait jusqu’à 7 ans, et lui apprenait tous les rudiments de la vie, aussi bien intellectuelle que morale. C’était donc un esclave, ou un ancien esclave, une indication qui se détermine chez notre personnage par son onomastique. Il revêt les trianomina, ce qui en fait un citoyen à part entière. Il porte le surnom de Felix, qui rappelle Sylla, et qui signifie « heureux, bienheureux », ce qui le place dans une lignée honorable et digne de considération. Mais il n’en demeure pas moins qu’il exerce une activité louable. Pour Henri-Irénéé Marrou, cette fonction n’était guère rémunératrice, et donc source de richesse, tout comme ne l’était pas celle du maître d’école ; une réalité qu’il exprime par ces termes : … Le maître d’école reste à Rome comme en Grèce un pauvre hère, son métier est le dernier des métiers… en 301 après Jésus-Christ, l’Edit de Dioclétien fixe le salaire du magister au même tarif que celui du pédagogue, soit 50 deniers par élève et par mois : en un temps où le boisseau de froment coûtait 100 deniers, il fallait réunir une classe de trente élèves pour s’assurer un gain équivalent à celui d’un ouvier qualifié, un maçon ou un charpentier… et il n’est pas certain malgré les progrès de la pédagogie antique que beaucoup de classes aient atteint ce chiffre…le
13 Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. 2. Le monde romain, Paris, Seuil, 1948, pp. 67-68.
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métier d’instituteur ne procure aucun prestige à celui qui l’exerce : il est bon pour des esclaves, des affranchis ou de petites gens… 14 Une approche qui mérite cependant d’être nuancée, sinon comment comprendre cette inscription établie sur ce personnage, C(aius) Asiaticus Felix ? D(is) M(anibus) S(acrum). C(aius) Asiaticus Felix, paedagog(us) v(ixit) a(nnis) LXXX qui se uiuo domum aetern(am) fec(it). H(ic) s(itus) e(st)15. F. Pour la fonction de médecin 11-Marcius Callicus (AE, 1923) Il en fut aussi de ce personnage, présenté comme médecin, medicus, à Carthage. Il ne portait pas les trianomina, ce qui laisse supposer qu’il n’avait pas encore acquis la civitas romana, et donc qu’il n’était pas complètement intégré dans l’univers romain au moment de faire valoir ses drois en Afrique proconsulaire. Ses noms ne sont pas non plus typiquement romains, même s’ils ont été romanisés ; mais qu’importe : en tant que medicus, son importance, tout comme la générosité qui s’ensuivait, ne pouvait être contestée. Ne figurait-il pas parmi les officiales de sa cité ? A ce titre, il faisait soit partie du corps médical privé de l’empereur, soit des médecins les plus en vue de son milieu. 12- Q(uintus) Iulius Rogatianus (CIL, VIII, 11345) Homme en vue aussi et généreux, le fut ce personnage, Q(uintus) Iulius Rogatianus, que l’on trouva à Sufetula. Une statue fut érigée en sa mémoire, pour lui rendre grâce à la suite des jeux qu’il avait organisés à deux occasions à la suite de l’élevation à la prêtrise de ses fils. Le texte latin écrit à cette occasion ne s’encombre d’ailleurs d’aucune circonlocution :
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Id., p. 66. AE, 1969.
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Q(uinto) Iul(io) Q(uinti) F(ilio) Quirina (tribu) Rogatiano, ob honorem aedilitatis et medicae professionis largamq(ue) liberalitatem duplicis editionis ludorum in sacerdotio liberorum : universae curiae Aucun doute n’est alors de mise : il fut un bienheureux évergète ! 13- Marcellus (CIL, VIII, 241, 11345) Homme de premier plan et évergète fut, également, dans le même domaine, Marcellus. Lui aussi fut médecin et qui, plus est, « célèbre dans l’art médical ». Au désespoir de ses concitoyens, il fut emporté rapidement par une « courte maladie », une fièvre en l’occurrence, qui le terrassa trois jours seulement avant que ne fût organisé par ses soins le banquet qu’il se proposait de donner. L’épitaphe réalisée à cette occasion est d’ailleurs sans ambages : Marcellus, hic quiescit, medica nobilis arte/ Annis qui fere vixit triginta et duobus/ Sed cum cuncta parasset edendo/ Placiturus tertium muneris/ Ante valida febre crematus diem/ Defunctus obit 14- Marcius Callinicius (AE, 1923, 14) Ce personnage ne fut pas citoyen romain car ne portant pas les trois noms, les tria nomina ; mais il va sans dire qu’il était médecin et donc socialement établi ! Retrouvé au IIème s. à Carthage, il portait le titre de « médecin de la légion II Adiutrix », ce qui laisse apparaître qu’il était un « médecin de seconde zone », sans rapport avec la catégorie que nous avons mentionnée, celle dont faisaient partie, par exemple, les officiales. Mais il était médecin et n’y parvenait pas qui le voulait ! Il disposait alors d’assez de moyens financiers et pouvait, de ce fait, se montrer d’une particulière générosité à l’égard de ses semblables ! 15- T(itus) Fla(uios) Onesiphoros (CIL, 2874) Ce cas était valable pour T(itus) Fla(uios) Onesiphoros, qui fut trouvé à Lambèse, Lambaesis, un sujet d’origine grecque, et qui tint à le montrer par son onomastique !
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16-Aelius Apollonius (CIL, VIII, 21466) Valable aussi pour Aelius Apollonius, grec lui aussi, dont on trouva la trace à Sufasar ! 17- Q(uintus) Lenarius Lenasenus Sipo Severianus (CIL, VIII, 26420) Valable pour Q(uintus) Lenarius Lenasenus Sipo Severianus, qui mena sa vie à Suttua, aux IIème/IIIème s. ! 18- C(aius) Iulius Filetio (CIL, VIII, 22921) Valable, enfin, pour cet autre Oriental. Il n’était pas un Africain pur jus, mais son signalement dans les rangs des médecins lui conférait une honorabilité indéniable et donc une position éminente dans sa cité. Bien installé, il avait les ressources nécessaires pour apporter à ses concitoyens les conditions d’ un mieux-vivre !
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Une intellectuelle en formation : une écolière à l’écoute de son magister16
L’une est en position debout : c’est l’élève, le discupulus, l’intellectuelle en formation. Elle tient la tablette sur laquelle écrit l’autre, en position assise : le magister, le maître. 16
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CHAPITRE VI LES POLITIQUES
Par politiques, il faut entendre tous ceux qui prirent le parti de se destiner à la carrière politique et donc d’y consacrer toute leur vie et leur énergie. Ils étaient alors dits magistrats, avec la particularité suivante : les fonctions exercées étaient gratuitesprincipe de la gratuité-, collégiales-principe de la collégialité-, annuelles –principe de l’annualité ou de l’annalité-. On les appelait à Rome les honores –parce que ces fonctions étaient source d’honorabilité-ou les munera-parce qu’elles étaient considérées comme des charges, un poids-. Il s’agissait de la questure, du tribunat de la plèbe, de l’édilité, de la préture et du consulat, des fonctions dont la hiérarchie avait été formalisée en 186 av. J.-C.. Dès lors, s’établit le cursus honorum. Il impliquait un ordre de passage précis, des critères rigoureusement établis d’âge et d’ancienneté, et l’exercice des fonctions préliminaires. Ainsi, vers 18 ans, commençait cette carrière par le vigintivirat, encore appelé collège des vigintiuiri. Le vigintivirat regroupait quatre collèges qui comportaient vingt postes : Decemvir stlitibus iudicandis, en abrégé XV. S. ou SL, STL. IVD, dont les titulaires, au nombre de dix, étaient chargés de présider une section du tribunal des centumvirs appelés à statuer sur les affaires de succession, Quattuorvir viarum curandarum, en abrégé IIII V. V. CVR, dont les quatre titulaires veillaient au bon état et à la propreté des rues de Rome, Triumvir capitalis, en abrégé III V. KA ou CAP ou KAP ou CAPIT ou encore KAPIT, dont 117
les trois responsables assuraient la surveillance des prisonniers en même temps qu’ils présidaient aux exécutions capitales, Triumvir monetalis, en abrégé III V. MON, dont la responsabilité était de surveiller la frappe des monnaies d’or, d’argent et de bronze. Après cette étape, venait la suivante : le service militaire. Il intégrait alors l’état-major d’une légion et revêtait le titre de tribun des soldats, tribunus militum. À 25 ans, démarrait la carrière politique proprement dite : elle consistait en la fonction suivante : questure. Sous la République, elle était essentiellement financière ; son détenteur s’occupait alors de la charge du fiscus impérial. Sous l’empire, cette fonction fut réaménagée et ainsi subdivisée : questure de l’empereur, du Prince, quaestor Augusti, Caesaris ou Imperatoris (2), en abrégé Q, ou QVAE, ou QVAES AVG, ou QVAES CAES, ou QVAES IMP, dont les titulaires transmettaient au Sénat les décisions de l’empereur, questure des consuls, quaestor consulum (4), dont les responsables assistaient les consuls dans la présidence du Sénat, questure urbaine, quaestor urbanus (2), en abrégé VRB, dont les responsables s’occupaient des archives du peuple romain et du Sénat. Après l’exercice de cette fonction, leurs titulaires observaient une pause de deux ans environ, avant de briguer la magistrature suivante : le tribunat de la plèbe, tribunus plebis, (10), en abrégé TR, ou TRIB. P, ou TRIB PL, ou TRIB PLEB, l’édilité curule, aedilis curulis, (3) en abrégé CVR, ou l’édilité de la plèbe, aedilis plebis ou cerialis, (3), en abrégé PL. CER., s’ils étaient membres de la plèbe ; des fonctions qui leur permettaient, pour les uns, d’exercer leur droit de veto sur les senatus consultes et les autres décisions des magistrats, et, pour les autres, de surveiller la vie publique des cités (surveillance des marchés, tribunaux de commerce…). À 30 ans, intervenait la troisième fonction : la préture, ainsi répartie : préture urbaine, praetor urbanus, en abrégé VRB, qui était chargée de trancher les différends entre les citoyens ; préture pérégrine, praetor peregrinus, en abrégé PER, qui était chargée de rendre la justice entre les pérégrins et entre les pérégrins et les citoyens, préture hastarius, qui présidait le 118
tribunal des centumvirs ; préture tutélaire, praetor tutelaris, en abrégé TVTEL, à laquelle incombait la gestion des affaires de tutelle. Enfin, intervenait la dernière fonction, le consulat, en abrégé C, ou COS, ou CON, ou CONS, au pluriel COSS, ou CONSS, ou COS, que l’on obtenait souvent à 33 ans. Créée pour remplacer la fonction royale, cette charge revenait souvent aux magistrats les plus brillants et les plus en vue. Ceux qui étaient appelés à l’exercer étaient sûrs de voir leurs noms toujours mentionnés en tête des inscriptions, ce qui permettait de les dater aisément. On disait alors de cette fonction qu’elle était éponyme, autrement dit qu’elle donnait la possibilité de dater l’année ; on disait ainsi : sous le consulat de…. Sur cette base, ceux qui étaient chargés de l’exercer pouvaient s’occuper, soit de la curatelle des édifices sacrés, curator aedium sacrarum, soit de la curatelle des lieux publics, curator locorum publicorum, soit encore de la curatelle du lit du Tibre, curator aluei Tiberis. Cette pluralité de fonctions existait aussi en Afrique proconsulaire, à la seule différence qu’on y trouvait aussi bien des fonctions locales que nationales. Il en était ainsi de celle de sufète, par exemple, fonction typiquement punique, et dont la survivance était établie dans certaines cités. À côté de cette fonction, en existaient bien d’autres, équivalentes à celles qui existaient à Rome : la questure, par exemple, dont le titulaire était chargé de la garde du trésor public et de la levée des impôts, comme le stipulait la rubrique 20 de la loi d’Irni : Qu’ils aient le droit et le pouvoir de percevoir, réclamer, surveiller, administrer, dépenser l’argent de la communauté des citoyens de ce municipe à l’appréciation des duumvirs. Qu’ils aient l’autorisation d’avoir avec eux, dans ce municipe, des esclaves de la communauté des citoyens de ce municipe pour les servir dans ce municipe. L’édilité, dont les tâches étaient essentiellement annonaires et édilitaires, autrement dit portées sur l’annone, que Joël Le Gall rappelle ici en ces termes :
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L’annone distribuait du blé à titre gratuit… (Elle) avait une seconde mission, que les modernes oublient trop : c’était d’assurer la régularité du ravitaillement en blé de l’ensemble de la population romaine, afin d’éviter les disettes, les flambées des prix et les troubles qui auraient suivi… 1. La loi d’Irni, dans sa rubrique 19, ne définit-elle pas les prérogatives de cette fonction en ces termes ? : Le droit et le pouvoir de régler et de contrôler le ravitaillement (annona), les édifices sacrés, les lieux sacrés et religieux, le chef-lieu, les rues, les ruelles, les égouts, les bains, le marché, les poids et mesures, les surveillances nocturnes en cas de nécessité… les gages des citoyens…(et)…des incolae pourvu que la somme ne soit pas supérieure à 10 000 sesterces par personne et par jour… de juger les affaires et de prononcer un jugement entre les parties qui relèvent de la compétence des duumvirs, dans les cas pouvant aller jusqu’à 1 000 sesterces, et concernant l’attribution et la désignation du juge et des recuperatores... Le duumvirat (ou duovirat) dont les responsables avaient des charges diverses : rendre la justice, présidant ainsi le conseil des décurions, dont ils dressaient l’album et définissaient l’ordre du jour, surveiller la mise en œuvre et l’application des décrets et les dépenses à l’occasion des cérémonies sacrées, des jeux et des repas officiels qui étaient offerts en commun aux 1 « Rome… », R.E.L., XLIX, Paris, 1971, pp. 267-268. Les mesures d’approvisionnement en vivres concernaient aussi, comme le proclame l’Histoire Auguste, la viande de bœuf et celle très prisée de porc ; HA…, Alexandre Sévère, XXII, 7-8 : Cum uilitatem populus Romanus ab eo peteret, interrogauit per curionem, quam speciem caram putarent. Illi continuo exclamauerunt carnem bubulam atque porcinam. Tunc ille non quidem uilitatem proposuit, sed iussit, ne quis suminatam occideret, ne quis lactantem, ne quis uaccam, ne quis damalionem, tantumque intra biennium uel prope annum porcinae carnis fuit et bubulae, ut cum fuisset octominutalis libra, ad duos unumque utriusque carnis libra redigeretur ; un passage qui peut être ainsi traduit : « Un jour que le peuple de Rome réclamait un abaissement des prix, il fit demander par le crieur public quel genre de produit lui paraissait trop cher. Les gens s’écrièrent immédiatement que c’était la viande de bœuf et de porc. Alors, au lieu de procéder à une baisse des prix, il défendit à quiconque de tuer truie, cochon de lait, vache ou veau : il y eut au bout de deux ans ou même guère plus d’un an, une telle quantité de porc et de bœuf, que les deux sortes de viande qui coûtaient auparavant huit pièces d’argent la livre n’en coûtèrent plus que deux ou même une ».
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citoyens ou aux décurions (Irni, rub. 77), s’occuper des locations des biens publics, procéder à l’affermage à des conductores en faisant conclure un contrat dont les conditions devaient être rendues publiques (Malaca et Irni, rub. 63), régler les questions d’affranchissement et des affaires de tutelle (Irni, rub. 28 et 29), organiser la levée d’une militia en cas de nécessité, soumettre à la délibération des décurions les questions touchant à la tournée d’inspection et d’examen du territoir municipal, des biens et de la mise au point de l’état des redevances (vectigalia) du municipe (Irni, rub. 76), soumettre à la délibération des décurions la question des esclaves publics et des tâches qui leur étaient affectées (Irni, rub. 78), mais aussi, comme le stipulait la lex Coloniae Genetivae dans ses paragraphes 70 et 71, dispositions qui s’appliquaient aussi aux édiles, donner des jeux scéniques en l’honneur de Jupiter, Junon et Minerve, présider à la dédicace des monuments pubics, organiser des jeux du gymnase et des représentations théâtrales (duoviri munerarii). Tous les cinq ans, ces duumvirs procédaient au recensement général de la population de la cité et portaient alors le titre de duumviri quinquennales ; La préfecture iure dicundo, qui était chargée des questions de justice ; Le triumvirat, qui donnait aussi, tous les cinq ans, droit au triumvirat quinquennal, triumvirat quinquennalis. Ces fonctions ouvraient la voie à une institution, le sénat local, l’ordre des décurions, ordo decurionum, fort de 100 membres, l’équivalent de l’ordre sénatorial, l’ordo senatorius, romain. Ses attributions étaient ainsi les suivantes : - gérer les services municipaux (voirie, adduction d’eau, marchés, monuments), la perception des impôts locaux, et veiller au versement des contributions à la cité ; - voter les distinctions (statut, position honorifique) ; -choisir les patrons, les médecins ou les professeurs officiels ; - envoyer des ambassades ; 121
- autoriser la construction des édifices ou l’érection des statues, en accordant éventuellement aussi le terrain à l’emplacement requis ; - voter l’octroi des magistratures et autres promotions dans la carrière locale ; - dans le cas de l’érection d’un monument à un bienfaiteur de la cité, décider ou non de l’imputation des frais au Trésor public. L’ordo decurionum pouvait se transformer en cour de justice. Les décisions qui en émanaient avaient alors l’appelation de decretum, décret. Cette correspondance de Pline le Jeune à l’Empereur Trajan atteste d’ailleurs de l’étendue de ces charges : Je lui ai donc demandé qu’il me permît de transférer dans mon municipe, en y ajoutant les siennes, les statues des empereurs, que j’avais presque éloignées…, il me l’avait accordé sans réserve. J’avais écrit aussitôt aux décurions d’assigner le terrain sur lequel un temple serait construit à mes frais ; ceux-ci, pour honorer son entreprise, m’ont laissé le choix de l’emplacement2. Mais n’y accédait pas qui le voulait ! Outre les conditions liées à l’âge : avoir moins de 25 ans3, d’autres existaient, aussi contraignantes les unes que les autres : disposer d’un cens minimal de 1000 000 sesterces, s’acquitter ob honorem, c’est-àdire « en contre-partie de la fonction » exercée, d’une somme forfaitaire, au trésor municipal, la « somme honoraire », la summa honoraria, ou summa legitima, (summam honorariam vel honoris vel legitimam), de plusieurs milliers de sesterces, à la prise de ses Ep., 8. Comme l’atteste cette correspondance de Trajan à Pline le Jeune, qui avait requis au préalable son avis sur le sujet : « Mon cher Pline, ton interprétation est la mienne. L’édit du divin Auguste a suffisamment modifié la loi de Pompée, en autorisant à s’occuper des magistratures à 25 ans et en faisant entrer au sénat de chaque cité ceux qui en avaient occupé. Mais, quand ils n’ont pas occupé de magistratures, ceux qui ont moins de 30 ans ne peuvent être à mon avais, sous prétexte qu’ils peuvent occuper une magistrature, admis dans la curie des différents endroits ». In Ep., X. 2 3
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fonctions, payée en numéraire (praesens), conformément à la promesse faite par le candidat lors de sa campagne électorale, de ses « meetings », verser des pollicitationes pour le bien-être de ses concitoyens et l’embellissement de sa cité, et éventuellement l’adlectio, qui correspondait à la somme ajoutée pour payer l’intérêt du retard dans l’exécution d’une promesse, sans oublier la somme d’argent supplémentaire, amplius, triplicata summa honoraria, que l’on pouvait verser bénévolement ou en supplément au versement obligatoire de la somme honoraire. Ces personnes pouvaient alors, en complément de l’œuvre du trésor municipal et du pouvoir central, soit faire des dons en argent, soit financer des spectacles publics, soit enfin se laisser aller à une activité caritative. Des charges lourdes, comme l’inspire cette histoire que nous raconte Martial, intervenue entre une dame, dénommée Proculéia qui, aussitôt après la prise de ses fonctions de préteur par son mari, lui avait signifié le divorce, en le priant de garder tous ses biens pour lui : Que t’est-il arrivé, Proculeia, dis-moi ? Quel est le motif de cette brusque séparation ? Tu ne veux pas m’en instruire. Eh bien ! je vais te l’apprendre. Ton mari était préteur. Les jeux mégalésiens lui auraient coûté au bas mot 100 000 sesterces, même s’il avait donné des représentations tout à fait parcimonieuses. Ce n’est plus là un divorce, Proculeia, c’est une affaire ! 4. Une charge onéreuse également et dont étaient conscients les pouvoirs publics qui, en beaucoup de cas, entreprenaient de lourds investissements sociaux, au point qu’en Afrique, par exemple, « il procédait souvent à des réparations ou à des reconstructions après les destructions causées par des sinistres, les caisses impériales a(yant) payé une fois sous Tibère, une autre fois sous Marc-Aurèle, le relèvement des villes accidentellement ruinées »5. C’était donc le prix à payer ! Celui qui incombait obligatoirement à tous ceux qui voulaient
4 5
XII, 97. J. Gagé, L’empire romain, Paris, Payot, 1971, p. 230.
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se donner une dimension publique, à ceux qui voulaient gouverner l’Etat ! Cicéron le martèle d’ailleurs si bien ici : Au total, que ceux qui sont destinés à gouverner l’Etat, s’en tiennent à deux préceptes de Platon : le premier veut qu’ils veillent sur l’intérêt des citoyens de telle sorte que, quoi qu’ils fassent, ils le rapportent à cet intérêt, en oubliant leurs propres avantages ; le second, qu’ils aient soin de tout le corps de l’Etat en se gardant, tandis qu’ils veillent sur une partie, d’abandonner les autres… ceux qui s’occupent d’une partie des citoyens et en délaissent une partie, introduisent dans la cité la chose la plus funeste : la division et la discorde… 6 Il ne pouvait d’ailleurs si bien dire car l’éclat des cités était à ce prix : La munificence de la couche la plus aisée de la société constitue un moteur de la vie municipale », dit à cet égard François Jacques7. D’ailleurs, les pouvoirs publics, ne mettaient-ils pas tout en œuvre pour disposer d’un personnel qualifié en la matière ? « Rome » précise Claude Lepelley, « se souciait de la formation d’un personnel d’architectes aptes à entretenir ou à bâtir de nouveaux monuments. Pour favoriser les vocations, l’empereur décidait que les intéressés percevraient un salaire durant leurs études, qu’eux et leurs parents seraient exemptés des munera personalia, donc, s’ils étaient de naissance curiale, des charges municipales non financières »8. Dans cette optique, elle entretenait à grands frais les routes, les ponts, les thermes, les aqueducs et les amphithéâtres ; en gros de lourds investissements sociaux, quitte à impliquer le peuple tout entier, le populus, comme le dit ici Claude Lepelley : Une inscription de la cité de Bisica Lucana mentionne des travaux de restauration d’un monument public, grâce au travail de tout le peuple
De off., I, 85 ; II, 83. Les cités de l’Occident romain, p. 200. 8 In Les cités de l’Afrique romaine au Bas-Empire, Etudes augustiniennes, Paris, 1979, p. 66. 6 7
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(totius populi labore) : les plébéiens de la cité avaient fourni gratuitement des journées de travail, un munus sordidum 9 ; Cette indication fut confirmée par une inscription trouvée à Thamugadi, dont nous nous limitons à relever un bref extrait : … Ainsi la concorde de l’ordo et du peuple, pour avoir relevé les finances de la cité par leurs mains et leurs richesses10. Certes, ces hommes publics n’y étaient nullement contraints ; mais n’avaient-ils pas fait le choix de cette situation ? Librement, ils avaient consenti à se mettre au service de la masse, à la disposition du grand nombre, du public, des compatriotes qui ne disposaient pas de moyens conséquents et qui n’attendaient qu’eux pour mener une vie relativement confortable ! C’était donc le juste prix à payer ; le prix de l’élitisme ; le prix de la renommée ; le prix de la solidarité ; le prix de l’altruisme : pour eux-mêmes, mais aussi pour leur mémoire, pour la postérité, la posteritas ! Comme disait l’ancien président ivoirien Henri Konan Bédié, affectueusement appelé « le sphinx de Daoukro », « pour le bonheur de chacun, pour le bonheur de tous ». Qui étaient donc ces hommes généreux, ces personnes, que nous pourrions appeler ces « principes », ces chefs de « dynasties », les membres de cette « bourgeoisie municipale »11 et dont l’action peut être révélée au grand jour ? A. Les éditeurs de jeux Nous les trouvons dans le domaine des jeux. Qu’étaient, en effet, les jeux, si ce n’est l’activité qui consistait à divertir le peuple, toutes catégories sociales confondues ? A la fin de la République romaine, Cicéron avait conseillé de ne guère y toucher, en tenant ces propos : Cl. Lepelley, Les cités de l’Afrique romaine au Bas-Empire, Paris, Etudes augustiniennes, 1979. 10 CIL, VIII, 2342. 11 J. Gagé, Les classes sociales dans l’Empire romain, Paris, Payot, 1971. 9
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Il faut… se garder d’enlever au peuple romain ces satisfactions, incriminées par toi, que lui procurent les jeux, les gladiateurs, les repas, toutes choses qu’ont instituées nos ancêtres, et pareillement d’interdire aux candidats ces générosités que tu blâmes, mais qui sont plutôt des marques de libéralité que de largesse intéressée 12. Au début du Haut-Empire romain, Juvénal avait estimé qu’avec la distribution gratuite du blé, le pain, ils étaient devenus le principal dérivatif des populations, parlant ainsi de panem et circenses : Depuis qu’il n’y a plus de suffrages à vendre, il n’a cure de rien ; lui qui jadis distribuait les pleins pouvoirs, les faisceaux, les légions, tout enfin, il a rabattu de ses prétentions et ne souhaite plus anxieusement que deux choses : du pain et des jeux ! » dit-il à cet égard13 . Les jeux supposaient le repos, l’inactivité. On parlait d’otium. C’était le loisir. Dans la Rome primitive, cette notion était en étroite connexion avec celle des fêtes religieuses. Le paysan romain, qui travaillait dur chaque jour, cessait alors d’aller aux champs les nundinae, qu’il consacrait au marché, institution dont le fondateur fut Romulus, Numa ou Servius Tullius. Une activité fut alors consacrée à ces jours de repos : les échanges commerciaux et les contacts sociaux, mais aussi les affaires politiques et judiciaires. Mais quand arrivaient les feriae, jours de fête consacrés à honorer les dieux, jours consacrés par le calendrier à un otium généralisé, jours de prières, de sacrifices et de processions, les jeux ou ludi furent alors mis en place. Le calendrier le formalisa ; il les répartit entre les jours fastes, dies fasti, et les jours néfastes, dies nefasti publici. Ces derniers étaient au nombre de 109 ; ils comprenaient 45 dies nefasti publici réservés aux fêtes. Sur cette base, des jeux différents furent institués ; ils allaient des courses de chars, aux jeux scéniques, les Ludi Megalenses, qui furent consacrés à Cybèle au cours de la Pro Mur., XXXVI, 77 : Quare nec plebi Romanae eripiendi fructus isti sunt ludorum, gladiatorum, conuiuiorm, quae omniamaiores nostri comparauerunt nec candidatis ista benignitas adimendaest quae liberalitatem magis significat quam largitionem. 13 Juvénal, Sat., v. 77-81. 12
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2e guerre punique en 204 av. J.-C. Cette institution s’inscrivait d’ailleurs dans l’ordre naturel des choses. Au début de l’humanité, Dieu ne travailla-t-il pas pendant six jours pour se reposer le septième ? Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait et… il chôma. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création14. Cette situation qui donna lieu à la cessation des activités, Cicéron la précise d’ailleurs dans son œuvre : Lorsqu’existe l’observance des jours fériés et des fêtes religieuses, pour les personnes libres, cela entraîne cessation de procès et d’injures ; pour les esclaves, cessation de travaux et de peines15. Ces jeux, d’ailleurs, n’étaient-ils pas l’occasion, pour le peuple, de se donner à corps perdu ? En Afrique proconsulaire, ils « n’étaient pas seulement une distraction mais » ils « contribuaient aussi à l’éclat de la patrie, à la dignité de la cité »16. Il en était ainsi pour celui des gladiateurs, dont Roland Auguet dit ceci : Les gladiateurs apprenaient à mourir comme ils apprenaient à se battre. Rien ne comptait sans doute autant aux yeux du public que cette aptitude à se montrer devant la mort parfaitement maître du moindre de ses gestes : qu’un gladiateur ne la possédât pas était une honte, non pour lui seul, mais pour la communauté entière qui ressentait la chose comme un affront et un avilissement… Les gladiateurs mouraient sans enlever le casque ; l’enlever, c’eût été montrer un autre visage, fausser le jeu et rompre, vis-à-vis du public, une complicité qui était sans nul doute indispensable de l’émotion ressentie au cours des spectacles17.
Gen., 2. De Leg., XII, 29 : Cum est feriarum festorumque dierum ratio, in liberis requietum habet litium et iurgiorum, in servis operum et laborum. 16 X., Dupuis, « Constructions publiques et vie municipale en Afrique de 244 à 276 », MEFRA., 104, 1992, p. 225. 17 R. Auguet, Cruauté et civilisation : les jeux romains, Paris, Flammarion, 1970, p. 56. 14 15
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Juvénal nous met d’ailleurs en face de cas désopilants qui nous font saisir la portée de ces jeux. D’abord, à travers ce personnage tout particulier, Sergolius : Voici : Sergolius avait déjà commencé à se raser le menton, et son bras tout tailladé lui laissait espérer sa retraite ; sa figure était enlaidie par plus d’une misère, -grosse bosse au milieu du nez, toute meurtrie par le casque ; âcre humeur découlant continuellement d’un de ses yeux ; -mais c’était un gladiateur !18 Ensuite à travers cette Messaline, la « putain impératrice », cette ignoble épouse de l’empereur Claude : Ecoute ce que Claude a supporté. Dès que sa femme le voyait endormi, osant préférer un grabat à son lit du Palatin, l’Auguste courtisane prenait deux capes de nuit et s’échappait avec une seule suivante. Ses cheveux noirs cachés sous une perruque blonde, elle entre dans la tiédeur du lupanar aux tapisseries usées ; une cellule vide lui est réservée, et là, sous l’inscription mensongère de « Lysica », les seins maintenus par un réseau d’or, elle prostitue sa nudité et découvre ces flancs qui t’ont porté, ô généreux Britannicus. Elle accueille avec des cajoleries quiconque se présente, et réclame son salaire. Quand le tenancier congédie les filles, elle se retire à regret : tout ce qu’elle peut faire, c’est de clore la dernière sa cellule. Encore ardente du prurit de sens tout vibrants, elle s’en va, fatiguée de l’homme, mais rassasiée. Hideuse avec ses joues plombées que souille la suie de la lampe, elle apporte au lit impérial les relents du lupanar ! 19 Mais les jeux de gladiateurs n’étaient pas les seuls qui intéressaient les populations. Y étaient associés : les courses de chars, les chasses de bêtes sauvages, les combats de boxe, les représentations théâtrales. Des lieux spéciaux furent ainsi aménagés pour permettre à ces jeux de bien se dérouler : théâtres, amphithéâtres, cirques ; une activité ludique qui s’exprimait par des termes suivants : ludi20, ludi editione21, editio ludorum22. VI, v. 105-110. v. 115-132. 20 A Ammaedara. In ILTun, 460; Mustis, CIL,VIII, 15576 et Bulla Regia 21 A Thuburnica, AE, 1988, 1116. 22 A Sufetula, CIL, VIII, 11345. 18 19
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C’est donc cette activité ludique, mais également ces espaces qui firent l’objet de la générosité des personnages que nous avons identifiés. 19- L(ucius) Clodius Titianus, (AE, 1999, 1799) Parmi ceux-ci, nous retenons L(ucius) Clodius Titianus, dont l’inscription a été trouvée à Ammaedara. C’était un sujet romain, comme le montre le fait qu’il était porteur des tria nomina. Il était également porteur d’un nom suffisamment évocateur de la vie romaine à l’époque républicaine, celui de Clodius, qui défraya la chronique par sa propension à faire uasage de la violence pour parvenir à ses fins. L’homme, en effet, ne dut-il pas passer de sa gens nobiliaire, qui s’exprimait par une orthographe spécifique de son nom, Claudius, à celle qui faisait « peuple », multitude, la gens plébéienne, Clodius ? Ce fut la transitio ad plebem. Il se vit ainsi porté à la tête de cette instance sociale et s’ériger en défenseur des plus faibles, de cette catégorie sociale inférieure. Il fit aussi face à Milon, en 58 av. J.C., sur la voie appienne, ce qui occasionna une rixe fatale à Milon, un client de Cicéron que celui-ci défendit dans le Pro Milone. L’homme dont il est question ici, est-il descendant de ce personnage ou a-t-il voulu revêtir son nom par mimétisme ? Nous ne saurions y répondre de manière tranchée. Ce que nous retenons d’essentiel, cependant, c’est la magistrature à laquelle il parvint : le duovirat, mais également et surtout l’acte qu’il posa en faveur des populations de sa cité, Ammaedara. L’inscription mentionne d’ailleurs ceci : Splendonii/ L(ucio) Clodio L(ucii) F(ilio) Quir(ina tribu) Titia/no qui in I [---] ANI et IIvr(atus)/admodum floret [---]/[---]IIOR cultorb(us) q(ue)/[---]ium edi[d]er(unt) 20- ]ius Fabianus (ILTun, 460=AE, 1927=ILP Bardo 34) Ce personnage aussi mérite d’être mentionné parmi les bienfaiteurs africains. Son nom n’est pas bien connu, la pierre sur laquelle il figurait n’ayant pas permis de le restituer. Nous savons cependant qu’il s’agit de ]ius Fabianus. Il est inévitable 129
qu’il fut un personnage important, un homme de premier plan, si l’on s’en tient à sa magistrature, praefectus iure dicundo, mais surtout un homme aux ressources financières suffisamment élevées et dont l’acte de générosité ne saurait être mis en défaut, au vu de l’inscription qui nous est fournie sur son compte : [Iuli]ae Do[mnae Aug(ustae)]/ [m]atri c[astrorum]/ [Imp(eratoris) Ca] es(aris) L(uci) Septimi [Severi Pii]/ [pert(inacis) A]ug(usti) Arabici A[diab(enici) Part(hici) max(imi)]/ [---]ius Fabianu[s---]/ [--pr]aef(ectus) i(ure) d(icundo) ex HS X [mil(ibus) n(ummum)---]/ [--ho]nores sacros [---]/[---] q(uin)quennalis) pollicitus [---]/[---] ampliata pec[unia---]/ [pos]uit idemque ded[icavit]/ [prae]ter HS X mil(ia) n(ummum) legit[ima]/ [ad lu]dos erogavit et pra[eter]/ [HS---] V mil(ia) n(ummum) quae ob honorem/ [fl]am(onii) ad opus theatri rei pub[blicae]/ d(ecreto)d(ecurionum) 21- Q(uintus) Silicius Victorinus Cornelianus Honoratianus (AE, 1962, 184) Idem pour ce personnage, aux trois cognomina ; il fut édile et duumvir, en même temps qu’il exerça des fonctions sacerdotales les plus éminentes, flamine perpétuel. Sa carrière politique ne parvint pas jusqu’à son terme, car il ne devint pas par exemple duovir (duumvir) quinquennal, ce qui aurait fait de lui un personnage véritablement éminent ! Mais il n’empêche ! il eut une carrière mixte, sacerdotale et politique, en occupant des fonctions qui lui faisaient obligation de distraire ses concitoyens. Il fut perçu comme un personnage méritant, aux qualités indéniables, vis-à-vis duquel la respublica ne pouvait faire preuve d’indifférence. N’organisa-t-il pas, à l’endroit de ses concitoyens, des jeux, parmi lesquels durent figurer ceux de gladiateurs ? L’inscription qui lui fut dédiée est d’ailleurs éloquente à cet égard : Q(uinto) Sili[cio] L(uci) [fi]l(ion) Qu[i]r(ina) Victo/rino Corneliano Ho[n]o/ratiano/fl(amini) p(erpetuo) IIviral(i) aedil(i) / universus populus sinc/ceris suffragiis suis et/ ordo splendissimus/gravissimo iudicio cetera/ eius iuxta omnes merita ob/ editionem lusionis primo/ p(ecunia) p(ublica)p(osuerunt). 130
22- Q(uintus) Caelius Maximus (AE, 1975, 78=ILAfr, 58) Voici aussi un autre personnage, Q(uintus) Caelius Maximus : il fut édile et duumvir ! D’un autre côté, il fut augure, fonction sacerdotale qui lui permettait de lire les signes divins ! L’inscription est claire à son égard et donc sans équivoque ; il était d’une réelle importance sociale car il organisa des jeux –suo ludorum et circensium spectacula- dit l’inscription ; des activités qui ont dû faire vibrer les foules, en même temps qu’elles lui permirent de faire la preuve de sa richesse et de sa générosité ! Ne s’agit-il pas de jeux de cirque et de combats de gladiateurs ? La preuve supplémentaire est encore fournie par l’inscription : il donna un supplément financier, amplius, sous forme de cadeaux. Aucun doute sur ce point, car l’inscription ci-dessous le concernant est d’une grande clarté : Q(uinto) Caelio Maximo aedili auguri/ IIvir(o) quod in mag{g}(istrato) suo ludorum et/circensium spectacular exhibuerit/ munus etiam gladiatorium de suo/ ediderit et hoc amplius in praesentis/ tempore HS XI (milia) rei publicae donaverit/ ex cuius summae usuries quin{s}to qu[o]/[que][an]no semper uni[versis 23- L(ucius) Rasinius Saturninus Maximianus (CIL, VIII, 11349) Autre munificence affichée, celle de ce personnage, L(ucius) Rasinius Saturninus Maximianus, qui édita des jeux à l’occasion de la promotion de sa progéniture, le sacerdoce, ce qui lui valut, en retour, la reconnaissance du peuple tout entier, sans exclusive, tous ordres confondus, universus populus : L(ucio) Rasinio L(uci) fil(io) Quir(ina) Saturnino/ Maximiano aedil(i) IIvir(o) q(uin)q(uennali)/ ob singularem morum eius/ exemplum et in utroque hono/ris gradu fidam clementiam/ filiorumque eius sacerdoti edi/tionem ludorum et adsiduam/erga singulos cives suos / liberalitatem universus po/pulus curiarum testimo/nium grattarum suarum/ perpetuum posuit idemque/dedicavit
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24- C(aius) Sallustius Felix (AE, 1988, 1116) Il en fut de même pour lui, dont les charges édilitaires le mirent dans l’obligation d’organiser des jeux pour ses concitoyens : C(aio) Sallustio C(aio) fil(io)/ Quir(ina) felici aedili/ quod primus in col(onia)/ sua amphitheatrum/ suis sumptibus excolue/rit et quod insign(i) lusi/onis edition(e) patriae/ suae voluptates ampli/averit addita etiam/ singulari ac benigna/erga universos cives / libertate curiales/ [l]abori grata obsequi/[a] et ut remuneraren(tur) / et ut facti eius gloria / etiam ad posteros perse/veraret de suo posuer(unt) / cur(ante) M(arco) Petronio felice/ d(e) d(icaveruntque) d(ecreto) d(ecurionum). 25- Sex(tus) Octacilius Restitutus (ILAlg, II, 42) Lui aussi est à ranger dans cette rubrique, celle des hommes financièrement pourvus, qui avaient pu accumuler des biens, et qui exercèrent des fonctions aux obligations précises. Cet homme ne pouvait l’éviter car il occupa des fonctions politiques et sacerdotales : Sex(tus) Otacilius M(arci) F(ilius) Quir(ina) Restitutus M(arci) Aticili Fructi pontificis frater III vir aed(ilis) quaestoriae augur (sestertium) XX (milia) legit(ima) quae ob hono(rem) aedilitatis r(ei) p(ublicae) dedit et (sestertium) VI (milia) ob diem ludorum et ( sestertium) XXXIV (milia) inibi legit(ima) ob honor(em) augurat(us) r(ei) p(ublicae) intulit et at (=ad) (sestertium) III (milia) quae in voluptat(es) promiser(at) adiectione a se facta dextros duos sua pec(unia) posuit dedicavitq(ue) D(ecreto) d(ecurionum) 26- C(aius) Sittius Flavianus (ILAlg, II, 473=CIL, VIII 6944) L’on ne saurait exclure ce personnage –ci, non plus. Il avait des ressources financières consistantes et donc occupait une place centrale dans la société. Un indice majeur le signifie : son admiration pour la personne de l’empereur César L(ucius) Septimius Pius, Pertinax, et dont il décline les qualificatifs qui en font un empereur hors normes, mais également pour tous ceux qui s’inscrivent dans sa lignée !
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[Fortu]nae reduci/ Aug(ustae) sacrum / pro salute et felicissimo reditu / Imp(eratoris) Caesaris L(uci) Septimi Pii Pertina/cis Augusti Arabici Adiabenici / Parthici Maximi Feli/cissimique Pr(incipis) et Imp(eratoris) Caesaris/ M(arci) Aureli Antonini Pii Felicis/ Augusti [et L(uci) Septimi Getae nobilissimi Caesaris pii] ssim(orum)/ fil(iorum) Aug(usti) nostri et Iuliae Augus/t(a)e matris Augusti [et Caes(aris)] et cas/trorum totiusque domus divina[e]/ eorum C(aius) Sittius Q(uinti) filius) Quirina/ Flavianus aedilis III vir praefec/tus coloniarum ob hono/rem III viratus dedit dedicavitque repr(a)esentatis etiam suo quoque/ tempore utriusque honoris r(ei) p(ublicae) ho/noraris summis HS vicenum mill/ium nummum et ob dedicationem / tanti numinis ludos quoque scae/nicos populo aedidit / d(ecreto) d(eurionum) s(ua) p (ecunia) p(osuit) 27- Q(uintus) Fulvius Faustus (ILAlg, II, 683 ; CIL, VIII, 7105) A inscrire dans la même catégorie que ces personnes éminentes, Q(uintus) Fulvius Faustus, qui organisa des jeux scéniques, des lancées de cadeaux, en même temps qu’il fit construire un arc triomphal. Comme pour dire : les riches et généreux Africains ne s’en tenaient pas à une seule offre, à une unique donation ! En fonction de leurs moyens et du « volume de leur cœur », ils pouvaient offrir autre chose ! Q(uintus) Fulvis Q(uinti) f(ilius) Qui[rin]a F[aus]tus q[uinquenn(alis) pr[aef(ectus) col(oniarum) II]Ivir aed(ilis) qua[e] stori/ciae potestatis o[b h]onorem aedil[itatis] arcum quem pollicit[us] erat/ sua pecunia fecit idem[q(ue)] dedicavit 28- Annaeus Laetus (AE, 1999, 1791) Quand on lit l’inscription qui lui est consacrée, on ne trouve nulle trace du type de don qu’il fit aux populations ; mais nous ne pouvons exclure qu’il s’agit aussi des jeux, eu égard aux fonctions qu’il fut amené à exercer : édile et duumvir, mais aussi pontife. Il était pourtant un affranchi ! Il le proclame lui-même, libertus, homme libre, et donc ancien esclave, sûrement d’origine gréco-orientale, comme le suggèrent les composantes de son nom. Un statut qui montre qu’autant que le citoyen romain, le néocitoyen pouvait arriver 133
au même niveau qu’un autre, qu’il pouvait atteindre le même niveau de richesse et faire face aux mêmes obligations sociales ! ]A[ug(usto) sacr(orum) / [-Annaeus (---) ] Quir(ina tribu) Laetus/ [aed(ilis) II]vir p[ont(ifex) te]stamento/ (suo ex] Hs m(ilibus) X p[o]niiussit/ [Ann]aeus A[ma]aeus A[ma]rantus lib(ertus)/ [eius fecit et (-) adie]ctis a se Hs m(ilibus) V/[posui]t 29- Sex(tus) Iulius Tertullus (CIL, VIII, 314) Sur ce personnage aussi, existe un certain mutisme au sujet du type de dons, tout comme sont particulièrement sobres les propos tenus sur lui ; mais là encore, l’on ne peut douter qu’il s’agit de jeux, les ludi ! Dans cette inscription, notre personnage est dit ancien duumvir, IIviralicius, mais du temps où il exerça cette fonction, il ne pouvait y échapper ! Dis man(ibus) sacr(um) Sex Iulius… F Quir(ina tribu) Tertullus II(duum)viralicius vix(it) annis H(ic) s(itus) e(st) 30- L(ucius) Iulius Cerealis (ILAFr, 458=AE, 1964, 177) Idem pour ce personnage : nous ne savons pas ce qu’il offrit aux populations. Mais convenait-il toujours de le dire ? Les fonctions seules suffisaient. Ici, les choses sont claires : L(ucius) Iulius Cerealis était un personnage de premier plan ! Et pour cause : il fut, tour à tour : questeur, édile et préfet iure dicundo, avant d’occuper les fonctions de flamen augusti perpetui, et de flamen Augusti provinciae Africae : lui aussi dut se résoudre à organiser des jeux ! L(ucio) Iulio L(ucii) F(ilio) Quir(ina Tribu) Cereali q(uaestori) aed(ili) praef(ecto) i(ure) d(icundo) flam(ini)/ [A]ug(usti) perp(etetuo) municipi(i) su[i] flam (ini) Aug(usti) provinciae [A]fric(ae) anni XXXX (qvadraginta)quem honorem ex municipio/ [s]uo Bullensi(um) Regio(rum) prim[us gessi]t huic cum pr[ovinci]ae Afric(ae) leg[(atus) 31- P(ublius) Marcius Felix (ILAfr, 457) Editeur de jeux également fut ce personnage, P(ublius) Marcius Felix. Ne fut-il pas questeur, édile, duumvir et 134
flamine ? Son fils le trouva très pius, donc nourri abondamment de la pietas, particulièrement très fervent religieux, attaché aux divinités. Mais il ne devait pas l’être à l’égard de ces êtres immanents uniquement ; il devait l’être aussi à l’égard de ses semblables ! P(ublio) Marcio f(ilio) / Quir(ina) Felix/ Quaest(ori) aedil(i) II vir(o)/ Flam(ini) / C(aius) Marcius Fortna/tus patri piissimo/s(ua) p(ecunia) f(ecit) 32- L(ucius) Messius Rufinus (CIL, VIII, 22720= AE, 1908, 124) Nous dirons de même d’un certain nombre de magistrats, sur lesquels peu est dit : L(ucius) Messius Rufinus, questeur provincial L(ucio) Messio L(ucii) F(ilio)/ Rufino II(duo)vir(o) / cap(itali) q(uaestori) provin(ciae) 33- Sentius Proximus (IRT, 605) Sentius Proximus, duumvir et augure ][[Aug(usto)]] [---]/ Sentius Proximus / II(duum) vir augur refect[a]/et exornata aede/ p(ecunia) s(ua) posuit 34- Ti(berius) Claudius Amicus (IRT, 590a-d) et 35- M(arcus) Heliodorius Apollonides Édiles: Ti(berius) Cl(audius) Amicus M(arcus) Heliodorius Apollonides aed(iles) mensas p(ecunia) s(ua) d(ono) d(ederunt) 36- Q(uintus) Marcius Candidus Rusonianus (IRT, 705) Q(uintus) Marcius Candidus Rusonianus, duumvir quinquennal D(is) M(anibus)/ Fulviae/ [C]rescentillae/uxori sanctissimae/ Q(uintus) Marcius Candidus Rusonianus / Maritus fecit 37- Ti(berius) Plautius Lupus (IRT, 634)
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Ti(berius) Plautius Lupus, duumvir Aureliae Se[x]/tillae/[Q(uintus)] Plautius Ha/[terianu]s ex tes/[tament]o Ti(beri) Plau/ti Lupi frat[ris]/ sui uxor[i---] : [---] perm[is]/su [s] plendi/dissimui or/dini[s] po/[suit] 38- T(itus) Flavius Vibianus (CIL, VIII, 10994) T(itus) Flavius Vibianus, duumvir, mais également pontife et augure Heraclii/ dignissimo principali/ innocentissimo puero/ T(ito) Flavio Vibiano Iuniori/ pontifici du(u)mviro filio/ ac colleg(a)e T(iti) Flavi Frontini/ Heraclii in parvulis annis/ exhibenti aequaliter/ voluptatum genera patris/ sui studiis populi suffragio/ et decreto ordinis 39- [---] Catul[inus] (CIL, VIII, 22901) Catul[inus], qui a exercé les fonctions d’édile, de questeur aerarii, et de préfet iure dicundo, et qui a été trouvé à Leptis Minus (---) Quir(ina) Catul[lo]/ aedil(i) q(uaestori) aerarii/pontifici praefef(ecto)/ i(ure) d(icundo) antisti sa/crorum iuuen/tus cur(iae) Ulp(iae) / patrono 40- M(arcus) Iulius Pacatus Victorianus (ILAlg., I, 2141=AE, 1915, 83) et 41- L(ucius) Flavius Fortunatus (ILAlg., I, 2141=AE, 1915, 83) M(arcus) Iulius Pacatus Victorianus, qui fut duumvir designatus, chevalier romain et flamine perpétuel et L(ucius) Flavius Fortunatus qui fut édile ; l’inscription de ces deux personnages ayant été trouvée à Madauris ainsi libellée : ]fl(amen) p(er)p(etuus)[II(duum)vir P(ublius) Iul(ius) Poll[--]/eq(ues) R(omanus) fl(amen) p(er)[p(etuus) II(duum)]vir L(ucius) Scribon[ius---]---]/lis Flavianus eq(ues) R(omanus) fl(amen) p(erpetuus) ---]/m(arcus) Iul(ius) Pacatus [V]ic[torianus fl(amen) p(er)p(etuus) ---] : II vir desig(natus) C(aius) V [--- Ne]pos Lo[ll]ianus [eq(ues) R(omanus) fl(amen) p(er)p(etuus)---]/ Q(uintus) Calpurnius [---
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Ve]/nustianus e[q(ues) R(omanus) fl(amen) p(er)p(etuus)---]/ L(ucius) Fla(avius) Fo[rt]unatus M[---]/a[ed(ilis)] C(aius) Iul(ius) Flo[ 42- M(arcus) Cornelius Victorinus (ILAlg, I, 2145=AE, 1919, 37) M(arcus) Cornelius Victorinus, dont l’inscription fut trouvée aussi à Madauris, et qui présente ce personnage comme étant duumvir de manière itérative, et flamine perpétuel : M(arco) Cornelio Frontoni Quir(ina) Gabin[ia]no Eq(uiti) R(omano)/ ex inquisitione allecto fl(amini) p(er)p(etuo) II(duo)vi[ral]i hones/tae memoriae viro M(arci) Corneli Vict[or]ini fl(aminis) p(er)p(etuo)/ bis II(duum)viralis filio splendissimus o[rd]o et po/pulus coloniae Madaurensium o[b in]signem/ in se amorem et frumenti copiam t[emp]ore in/opiae sibi largiter praestitam hono[re]m bigae/ et statuae decrev[e]runt pecunia [publi]ca quam/ Corneliae Romani[ll]a Postumiana e[t Vi]ctorina/ Claudiana et Eulogia Romanilla f[iliae] et here/des eius sua pecun[i]a posuerunt s[po]rtulis/ decurionibus et curialibus dat[is] 43- C(aius) Lurius Felix (CIL, VIII, 1353) C(aius) Lurius Felix, duumvir, qui se singularisa, à la fois par l’érection d’une statue, et l’édition de jeux : C(aius) Lurius Felix, (duo) [vi] r [---] promiserat num [---] n [--]pus suis den(arium septem milibus) ob(tulit et ob dedicationem gymn]asium et ludos scaenicos [edidit] Au final, donc, de nombreux personnages s’illustrèrent, du fait des fonctions qu’ils occupèrent, mais également de par leur générosité, dans leur propension à offrir, à leurs congénères, des jeux, pour marquer leur attachement à ces concitoyens et à leur cité, mais aussi pour prendre part à la fête, pour marquer leur empreinte dans le caractère festif des cités, pour se réjouir aux côtés des leurs. C’était une marque de richesse, mais également de proximité ! Ils montraient qu’ils n’étaient pas éloignés d’eux, qu’ils avaient les mêmes préoccupations qu’eux, qu’ils s’inscrivaient dans la même logique qu’eux ! À l’amphithéâtre et au théâtre, n’avaient-ils pas des places 137
réservées, des places de choix, qui leur permettaient de communier avec le public, de se faire applaudir ou, a contrario, huer ? Ils étaient bien en vue de manière à affirmer leur réelle présence. Certes, ils étaient « haut perchés » dans la hiérarchie sociale, mais il n’en demeure pas moins qu’ils appartenaient à la même sphère ; et ils tenaient à le montrer ! De toute façon, n’avaient-ils pas la même appétence pour ces jeux ? Ne vibraient-ils pas comme le « commun des mortels » à la vue des gladiateurs ou des lions, des girafes, etc. ? L’homme politique véritable n’est donc pas celui qui était distant des autres catégories sociales, des humbles, des pauvres. Ce n’était pas celui qui trônait sur sa tour d’ivoire et qui regardait de haut ceux d’en bas avec dédain, avec condescendance, avec mépris ; c’était plutôt celui qui avait le souci de flatter leurs désirs les plus vils, leurs instincts les plus lâches, les plus bestiaux ; c’était l’égal des autres ! Et l’organisation des ludi s’inscrivait dans cette logique. L’Afrique proconsulaire étant en fête permanente, il leur incombait d’y participer de la plus belle manière. Mais ce domaine n’était pas le seul ! Les hommes politiques se devaient aussi de participer à l’embellissement de la cité. B. Les bienfaiteurs dans le domaine de « l’embellissement des cités » Par ce terme, il fallait entendre l’exécution de toute œuvre dont l’effet était d’apporter un cachet supplémentaire à la cité, ou tout au moins à l’espace sur lequel l’œuvre en question était amenée à être réalisée. Il s’agissait donc de rendre la ville plus belle, plus avenante et davantage accueillante, de lui donner un éclat plus particulier et une fière allure, et donc de contribuer à son amélioration. La ville devait cesser d’être fade ! Elle devait être moins laide ! Les Romains désignaient ceux qui s’engageaient par le terme de ornator patriae. Il en était ainsi de la construction d’un théâtre, d’un amphithéâtre, d’un arc, d’un marché, d’un aqueduc, etc. Pour ces œuvres, nous avons répertorié les personnages suivants : 138
44- Tib(erius) Claudius Sestius (IRT, 347) Tib(erius) Claudius Sestius, dont l’inscription fut trouvée à Leptis Magna et dont on dit qu’il fit « construire un podium avec autel à ses frais », comme l’indique l’inscription se rapportant à lui : Imp(eratore) Caesare divi vespasiani f(ilio) Domitiano Augusto Germanico pontif(ice) maximo trib(unicia) pot(estate) XI Imperatore XXI Co(n)s(ule) XVI censore perpetuo patre patriae Tiberius Claudius Quirina Sestius Tiberi Claudi Sesti f(ilius) praefectus sacrorum flamen divi vespasiani sufes flamen perpetuus amator patriae amator civium ornator patriae amator concordiae cui primo ordo et populus ob merita maiorum eius et ipsius laticlavo semper uti con(cessit) podium et aram d(e) s(ua) p(ecunia) faciendum curavit 45- Ummidius Sedatus (CIL, VIII, 22743) Ummidius Sedatus qui fut bénéficiaire, à Gigtis, d’une statue réalisée par le populus et l’ordo decurionum, le peuple et le Sénat local, l’ordre des décurions, et qui fut amené à élever et inaugurer cette œuvre : M(arco) Ummidio Quir(ina Tribu) sedato ornatori patriae expostulante populo consensu decurionum ordo statuam publice decrevit quo honore contentus M(arcus) Ummidius sedatus sua pecunia posuit (et dedicavit) 46- Sextius Celsus Dexter (CIL, VIII, 14855) Sextius Celsus Dexter, qui éleva un arc, monument dont les dimensions imposantes et l’emplacement étaient « propres à attirer l’attention sur eux-mêmes et sur les généreux donateurs dont les noms s’étalaient en bonne place sur les monuments »23. Bâtis en marbre, les arcs étaient le plus souvent élevés dans l’une ou l’autre des trois parties de la ville : « l’entrée dans la ville, les places publiques, surtout au Forum, devant des édifices, notamment des temples »24. Souvent de petite taille, ils comportaient des inscriptions sur M. le Glay, « Evergétisme et vie religieuse dans l’Afrique romaine », in L’Afrique dans l’Occident romain Ier s. av. J.-C., -IVème s. ap. J.-C., Ecole Française de Rome, 1990, p. 83. 24 G. CH. Picard, La civilisation de l’Afrique romaine, Etudes augustiniennes, Paris, 1990, p. 169-170. 23
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les qualités de l’empereur ainsi que des scènes de commémoration d’un événement heureux, souvent une victoire sur l’ennemi. En érigeant ce type de monument, ce personnage participa à l’embellissement de la ville, en l’occurrence Tuccabor ! Imp(eratori) Caesari Hadriani F(ilio) Antonino Aug(usto) Pio F(elici) Max(imo) Trib(unicia) Pot(estate) Co(n)s(uli) P(atri) P(atriae) Sextius Dextri fil(ius) Celsus arcum a fundamentis ex opere quadrato cum gradibus et statua s(ua) p(ecunia) f(ecit) idemque dedicavit d(ecreto) d(ecurionum). 47- M(arcus) Caecilius Natalis (ILAlg, II, 674678=CIL ,VIII, 7094-7098) M(arcus) Caecilius Natalis, édile et triumvir quinquennal à Cirta, qui participa à l’érection d’une statue : M(arcus) Caecilius Q(uinti) f(ilius) Quir(ina) [Na]talis/ aed(ilis) II vir quaestor q(uin)q(uennalis) prae[f(ectus)] col(oniarum)/ Millevitanae et Rusicaden[si]s et/ Chullitanae praeter HS LX (milia) n(ummum) quae ob/honorem aedilitatis et III viratu[s e]t q(un) q(uennalitatis)/ rei p(ublicae) intulit et statuam aeream secu[ri]tatis/ saeculi et aediliculam tetrastylam cum [s]tatua ae/rea indulgentiae domini nostril quas i[n] honore/ aedilitatis et III viratus posuit et ludos s[c]aenicos/ diebus septem quos cum missilibus per III [I c]ol(onias)edidit/ arcum triumphalem cum statua aerea [virt]utis domini n(ostri)/ Antonini Aug(usti) quem ob honorem q[uin]quennali/tatis pollicitus est eodem anno [sua p]ecunia/ 48- Ser]vus Honoratius ( CIL, VIII, 11034) Ser]vus Honoratius, auteur d’une statue à Gightis : Se]rvaeo Q(uinti) f(ilio)/ [Quir(ina)] Honoratio/ omnibus honorib(us)/ patriae suae functo/ cui ordo expostulan/te populo ob munifi/cientiam statuam/ cum decrevisset isq(ue)/ remissa rei p(ublicae) pecun(ia) de suo ponere vel/let ordo populusq(ue) s(ua) p(ecunia) p(onendum) c(uravit) 49- M (arcus) Cornelius Laetus (AE, 1968, 598-596) M (arcus) Cornelius Laetus, auteur d’un temple agrémenté de portiques et de colonnes à Mustis : 140
Plutoni Frugif(ero) Aug(usto) Genio Mustis / sacr(um) pro salute/ Imp(eratoris) T(iti) Aeli Hadrian[i A]ntonini/ Aug(usti) Pii M(arcus) Corneli[us] M(arci) f(ilius)/ Cornelia Laetus flamen/ perpetu(u)s II vir sacerdos/ Caelestis et Aesculapii/ publicus cum pro honore/ flamoni(i) perp(etui) HS X (milia) taxas/set et ob honorem II viratus/ HS II (milia)inlatis aerario HS III (milia)/ statuam aeream posuit et in templo Caelestis portic(um) columna/rum IIII ampliata pecu[ni]a fe/cit d(ecreto) d(ecurionum) idem q[uoqu]e [de] dic(avit) ampli/us in eode[mque templo] porticum/ avitam [v]e[t]u[state conl]absam [co]/lumnis[IIII adiecta] pecuni[a]/res[tituit] 50- M (arcus)Valerius Fuscus (AE, 1968, 599) M(arcus)Valerius Fuscus, duumvir et flamen perpétuel, auteur d’un portique et de travaux dans le temple à Mustis : Imp(eratori) Caesari divi Nervae f(ilio) Nervae Traiano Optimo/ Aug(usto) Ger(manico) dac(ico) Parthico pont(ifici) max(imo) trib(unicia) pot(estate) XX imp(eratori) XI co(n)suli) VI p(atri)p(atriae)/ M(arcus) Valerius M(arci) f(ilius) Arn(ensi) Fuscus IIvir ob honorem flam(onti) perp(etui) taxatis HS X (milibus) por/ticum mediam adiecta a se amplius pecunia fecit idemq(u)e pinxit item in / templo Cererum et in templo Ditis porticus porticuus et sacrarium sua pec(unia) fec(it) idemq(ue) ded(icavit) d(ecreto) d(ecurionum) 51- Q(uintus) Nicanius Honoratus (CIL, VIII 5298=ILAlg, I, 185) La même évergésie fut effectuée par Q(uintus) Nicanius Honoratus, duumvir à Calama : Neptuno/Aug(usto)/ Q(uintus) Nicanius/ Q(uinti) Nicani Max/imi fil(ius) pap(iria) Honoratus/ aedil(is) II vir/ statuam ob ho/norem II(duum) vir(atus)/promissam/ HS V(milibus) n(ummum) ampli/us ad legit/mam sum/mam HS VII (milibus) CCC/XXXX posuit et/dedic(avit) 52- L(ucius) Claudius Brutto (AE, 1911, 105) Elle le fut également par L(ucius) Claudius Brutto, édile, duumvir et augure :
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Victoriae / Aug(ustae) sacr(um) / L(ucius) Claudius T(iti)/ fil(ius) papir(ia) Brut/to aed(ilis) praef(ectus) pro / IIvir(is) II vir augur/ ob honorem/ augurat(us) sui ex statu/is duabus Victoriae et/ mercuri quas super le/gitimam ex HS X mil(libus) pro/misit ampliata pecu/nia cum basib(us) suis/posuit id(emque) dedicavit 53- [---Ce]lsus (CIL, VIII, 25516= ILP, Bardo 240=AE, 1993, 1758) Par [---Ce]lsus, à Bulla Regia, qui lui adjoignit un portique et des colonnes : [Ti(berio) Caesari] Aug(usti) f(ilio) Aug(usto) pon[(ifici)]/ [max(imo) trib(unicia)] pot(estate) XXXVI co(n)s(uli) V/ […Ce]lsus aed(em) port(icum)columnas IIII/ de s(ua) p(ecunia) f(ecit) 54- Q(uintus) Nicanius Honoratus (CIL, VIII, 5298) Mais aussi par Q(uintus) Nicanius Honoratus, édile, puis duumvir, qui réalisa une statue à Calama : Neptuno Augusto Q Nicanius Q Nicani Maximi fil(ius) pap(iria) honoratus aedilis II Vir statuam ob honorem II Viratus promissam sestertium V milibus nummum amplius ad legitimam summam (sestertium) VII (milibus) CCC XXXX posuit et dedicavit 55- L(ucius) Vitruvius Alexander (CIL, VIII, 978) Par L(ucius) Vitruvius Alexander, édile et 56- L(ucius) Sertorius Alexander (CIL, VIII, 978) Et L(ucius) Sertorius Alexander, édile lui aussi Tous deux furent d’origine gréco-orientale comme le suggère leur onomastique, dont l’œuvre majeure fut la réalisation d’une horloge, conformément à cette inscription : M(arcio) Appuleio/ P(ublio) Silio co(n)s[ul(ibus)]/ Cn(eio) Domitio/ Malchion[e]/ duouir(o) quin(quennali)/ L(ucius) Sertotius Al[exan(der)/ L(ucius) Vitruvius Alexan(der)/ aed(iles)/ pluteum perpetu[um]/ scholas III/ [h]orlogiu[m]/ [[uiam muni[endam-]/ [---] p[---]
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57- L(ucius) Pomponius Malchio (CIL, VIII, 977 ,
ILS, 5320, ILPB, 372)
L(ucius) Popomponius Malchio, d’origine gréco-orientale, ancien esclave, accumula de son côté d’importantes ressources, au point d’acheter sa liberté, et exerça les fonctions de duumvir quinquennal à l’occasion desquelles il érigea un mur d’enceinte en pierre : C(aio) Caesare imp(eratore) co(n)s(ule) II [II]/ L(ucius) Pomponius L(ucii) l(ibertus) Malc[---]/ duovir V/ murum oppidi totum ex saxo/ quadrate aedific(andum) coerauit Une œuvre d’autant plus importante qu’elle servait de ligne de démarcation entre la ville intra muros et la ville extra muros, la ville de l’intérieur et celle de l’extérieur ; elle marquait la frontière entre la ville et l’agger ; d’où sa qualification de res sanctae par le Digeste25. Elle était parfois l’œuvre de l’empereur, vu sa portée et le poids des finances que cela pouvait générer. Mais là, il s’agit d’un homme, d’un particulier, ce qui est méritoire ! C. Les acteurs des œuvres de bienfaisance Méritoires aussi, sont les œuvres de bienfaisance, que nous pourrions aussi appeler les œuvres caritatives. Et pour cause : leur ampleur sociale était forte ! Qu’on en juge par la présentation de ces quelques cas que nous avons répertoriés : 58- C(aius) Orfius Luciscus (AE, 1968, 609=CIL, VIII, 16417, AE, 1962, 337) C(aius) Orfius Luciscus, préfet iure dicundo et duumvir quinquennal de manière itérative, dont les évergésies comportèrent la construction d’un arc, l’érection de statues, l’organisation de jeux scéniques et la distributuion de repas, comme cela peut apparaître dans cette inscription :
25 I, 8, 1. Voir aussi P Gros, L’architecture romaine du IIIème siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire, t. 1, Les monuments publics, Paris, Picard, 1996, p. 26.
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[Pr]o salute imp(eratoris) caes(aris) m(arci) Aureli(i) Comm[odi] Antonini, Pii Fel[icis Aug(usti) German(ici) Sarmat(ici) Brittan(ici)]// [p(ontificis)] max(imi) trib(unicia) potest(ate) XIII Imp(eratoris) VIII Co(n)s(ulis) V p(atris) p(atriae) C(aius) or[f]ius L(ucii) f(ilius) Cor(nelia tribu) Luciscus prae[f(ectus) i(uris) d(icundi) pro (duum) vir(is) (duum)vir]// [it]erum q(uin)q(uennalis) sacerdos publicus deae Caelestis et Asculapi(i) arcum –quem suo et C(aii) O[rf]i[----]n[omine]// [p]ro praecipua erga sanctissimum numen relig(ione)proque perpetuo patriae amore pro[miserat] adiecta II a]mplius iano patri pefecit et dedicavit statuam quoque in foro mar[sya]e [constituit// ob cuius dedicatione(m) ludos [sc]aenico[s et] epulum curiis et caeralicis exhibuer[unt] 59- P(ublius) Licinius (CIL, VIII, 1641) Distribution de repas, autrement dit sportula, sportule, c’està-dire « corbeille puis, par extension repas contenu dans une corbeille », telle est l’oeuvre de cet autre personnage, P(ublius) Licinius, basé à Sicca Veneria, et ayant occupé les fonctions de procurateur a rationibus de l’Empereur Marc Aurèle, autrement dit chargé des Finances de cet empereur. La distribution des repas était une pratique vieille. Joël Le Gall26, la décrit ainsi : La sportule était un petit panier dans lequel le riche patron faisait remettre, aux clients qui venaient le saluer chaque jour, quelques reliefs de son banquet de la veille. Dans un sens dérivé, la sportule était un petit salaire irrégulier en argent. C’était celui du long cortège d’amici recrutés pour la circonstance, qui précédaient, en toges de cérémonie, un magistrat lorsqu’il donnait des jeux… la sportule désigne aussi les cadeaux en argent que l’on faisait à l’occasion de certaines cérémonies à ceux qui venaient y assister, par exemple pour un mariage ou pour la prise de la toge virile. Elle consistait donc à nourrir le peuple par des distributions gratuites de nourriture, souvent en offrant des banquets publics lors des fêtes. Comme l’atteste Pline le jeune, elle existait déjà en Bithynie « à l’occasion de la prise de la toge virile, d’un mariage, de l’entrée en charge publique ou d(e) » l’ « érection d’un 26
« Rome ville de fainéants ? » in REL, XILIX, 1971, pp. 268.
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bâtiment public…»27. Elle fut donc reprise en Afrique proconsulaire. C’est dans ce sens que l’on trouve, à certains endroits de cette province, des personnages qui la mirent en œuvre. A Cillium, par exemple, avec Q(uintus) Manlius qui « offrit un repas aux curies lors de la construction d’un arc »28 ; à Mustis, où Q(uintus) Titinius Securus, poursuivant l’œuvre de son père Q(uintus) Titinius Sabinianus, offrit des sommes pour la construction du monument culturel avec la statue de Saturne et toute la décoration, et saisit cette occasion pour offrir aux curies et aux augustales un banquet ainsi que des représentations théâtrales29 ; à Thamugadi, L(ucius) Licinius Optatianus érigea des statues avec leur base et offrit des repas en y conviant les membres des curies30 ; à Thuburnica, une dédicace à Mars fait mention d’une distribution de sportula à l’ordo decurionum réalisée par Q(unitus) Furfanius Martialis ; une distribution qui eut lieu à deux reprises et qui fut cumulée avec la remise à ses concitoyens de 10000 boisseaux de blé achetés à 10 deniers le boisseau31… En engageant cette action, P(ublius) Licinius montra ainsi son « côté peuple ». L’inscription qui lui fut consacrée indique d’ailleurs ceci : P(ublio) Licinio M(arci) F(ilio) Quir (ina tribu) Papiriano Procur(atori) Aug(ustorum) Imperatoris Caesaris M(arci) Aureli Antonini Aug(usti) Germanic(i) Saramatici Maximi P(atris) P(atriae) et Divi Veri a rationibus cui splendissimus ordo Siccensium ob merita eius et…….. Municipibus meis cirthensibus siccensibus carissimis mihi dare volo estertium terdecies vestrae fidei committo municipes carissimi ut ex usuris eius simmae quincuncibus quadannis alantur peiri ccc et puellae cc pueri ab annis pribus ad annos (quindecim) et accipiant singuli pieri denarios Ep., X, 116. CIL, VIII, 210. 29 AE, 1933, 233. 30 CIL, VIII, 17829. 31 Id., 25703-25704. 27 28
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binos semissem menstruos puellae ab annis tribus ad annos (tredecim) denario (binos) Legi autem debebunt municipes item incolae dumtaxat incolae qui intra continentia coloniae nostrae aedificia morabuntur quos si vobis videbitur optimum erit per duoviros cuiusque anni legi curari autem oportet ut in locum adulti vel demortui cuiusque statim substituatur ut semper plenus numerus alatur Mais qu’en était-il des prêtres et des prêtresses, autrement dit des sacerdotes ? Forum et capitole à Thuburbo Maius32
32 Le centre de la ville, le cœur de la cité. In A. Laronde, J.-Cl. Golvin, L’Afrique antique. Histoire et monuments, Paris, Tallandier, 2001, p. 125.
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CHAPITRE VII LES SACERDOTES
« Une foi sans œuvres est une foi morte » St Paul
D’entrée, une donnée mérite d’être retenue : tout comme les Romains, les Africains étaient profondément religieux. Ils croyaient aux divinités, en leur puissance, en leur supériorité sur l’homme. Ces divinités n’étaient pas uniques ; elles étaient plutôt plurielles ! À côté de Jupiter-Caelestis, dieu du ciel et de la toute-puissance, trônaient ainsi : Junon, déesse du ciel et du mariage, Minerve, déesse de l’intelligence, Apollon, dieu du soleil et des arts, Mercure, dieu du message, du commerce et de l’éloquence, Neptune, dieu de la mer, Saturne, dieu du temps, des semailles et de la culture, Diane, déesse de la lune, de la chasse et de la chasteté, Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, Fortune, déesse de la fortune, de la chance et de la richesse, Vesta, déesse du foyer, Vulcain, dieu du feu. A ces divinités pouvaient être associées celles d’origine orientaleIohobol et Bonus Puer, Jupiter Heliopolitnaus, Jupiter Bazosenus, Isis et Sérapis, ou les cultes isiaques : Isis et Sarapis, Osiris, Anubis, Harpocrate. Il était donc de bon ton qu’elles fussent servies par des prêtres spéciaux, les sacerdotes, hommes et femmes –selon qu’il s’agissait de dieux ou de déesses- qui avaient un domicile depuis cinq ans et un capital suffisant qui 147
faisait office de caution, qui étaient exemptés des autres charges de la cité et dont la responsabilité principale était d’organiser et de célébrer le culte public, avec ce que cela induisait : leur participation parmi les décurions. Parmi eux, on trouvait : - les augures, qui étaient organisés en un collège et dont le rôle était d’interpréter (à partir de l’observation de certains phénomènes, principalement le vol des oiseaux sacrés, leur chant, la nourriture trouvée dans leurs viscères) le destin de la cité ; - les pontifes, au nombre de trois, en activité et à vie1, qui étaient placés sous l’autorité des magistrats, et dont la tâche principale consistait à conseiller les magistrats, surveiller l’accomplissement des rites, gérer les temples et les tombeaux, établir le calendrier religieux de la cité ; - les flamines, prêtres prestigieux, choisis par élection des décurions, parmi ceux qui avaient atteint l’âge de 25 ans. Ils se distinguaient par leur costume et des insignes spécifiques, mais également par les places d’honneur qu’ils occupaient parmi les décurions et les magistrats. Ils portaient ce titre pendant toute leur vie, même à la fin de l’exercice de leur charge, ce qui leur donnait l’appellation de flamine perpétuel, flamen perpetuus. L’un ou l’autre de ces titres était parfois porté seul ; c’est le cas de celui-ci que revêt ce personnage, dont l’identité n’est pas complète car ne comportant que les indications suivantes : [---] Quir(ina tribu) Catulus, mais qui est dit pontifex2. C’est le cas de cet autre titre, que l’on trouva à Leptis Magna chez un certain [---] Front[o], qui porta le titre de « pontife de la colonie »3. Mais d’autres étaient portés, accompagnés des titres plus politiques. Nous en avons quelques exemples : à Théveste, celui que porte Q(uintus) Rubrique LXVII de la loi d’Urso. CIL, VIII, 22901. 3 Id., 1957, 238 : [pontifex c[ol]oniae. 1 2
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Titinius Securus, présenté comme « pontife, questeur, préfet iure dicundo, duovir munerarius »4, et celui-ci qui fut revêtu par un certain « … rus Iulianus », désigné comme « chevalier, pontife, duovir chargé des jeux publics »5 à Leptis Minor, celui que porte un anonyme dont on dit qu’il fut « édile, questeur du Trésor, pontife, préfet chargé de la justice »6 , à Sicca Veneria, celui que porta [(A)emilius Donatus, présenté comme « pontife, curateur de la cité »7, à Numlulis, cet autre que porta Iunia Saturn[ina], et que l’on présente avec les titres de « décurion de la colonie de Carthage et flaminique du divin Nerva »8 , etc. De la même manière, leur action revêtit plusieurs formes. Parmi celles-ci, il y eut : A. Les « embellisseurs » de cités C’est ce que nous inspirent les inscriptions suivantes, qui présentent les personnages ci-après : 60- Q(uintus) Iulianus Victorianus (AE, 1787) Q(uintus) Iulianus Victorianus qui fut à la fois édile, préfet iure dicundo, duovir quinquennal, duumvir et augure. Il réalisa une statue, dont il tint à assurer la décoration avec du marbre, comme s’il voulait montrer, non seulement son sens du goût, de ce qui était recherché et son appétence pour le « blingbling », mais aussi sa fortune, en acquérant ce matériau recherché ! Saturno Aug(usto) sac(rum)/ Q(uintus) Fulvius Q(uniti) F(ilius) Quir(ina tribu)/ iulianus Victorinus/ aed(ilis) praef(ectus) i(ure) d(icundo) pro II vir(is)/ et (-) q(uin)q(uennalibus) augur II vir cum/ coniuge liberisque/ suis conservatus/ sua [pecunia] statuam/ marmoream quam/ CIL, VIII, 16555 : pontifex, q(uaestor), praef(ectus) i(ure) d(icundo) (duum)vir munerari(us). 5 CIL, VIII, 16558 : eq(ues) R(omanus) e(gregius) v(ir) pontifex munerarius coloniae. 6 CIL, VIII, 22901 : [---] Quir Catu[l] aed(ili) q(uaestori) aer(arii) pontifici praef(ecto) i(ure) d(icundo). 7 CIL, VIII, 1636 : pontifex, cur(ator) reip(ublicae). 8 CIL, VIII, 26121. 4
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[promiserat (-)] l(ibens) animo/ fecit idemque deicavit/ hic locus dec(reto) dec(urionum)/ datus est amobit 61- Q(uintus) Crepereius Rufinus (ILAlg., I, 3064=CIL, VIII, 16556) Q(uintus) Crepereius Rufinus, de la cité de Théveste, qui fut tour à tour édile, préfet iure dicundo, duumvir et augure, avant de réaliser des évergésies magnifiques, comme cela ressort de cette inscription : Aureliae excepti filiae Ianuariae sponsae et uxori Q(uinti) Creperei Rufini, Q(uinto) Crepereio Germani filio pap(iria) Rufino auguri aedili praef(ecto) i(ure) d(icundo) (duum) vir(o) ob insignem eius vitam quietam disciplinam et in muneris editione prom(p)tas liberalitates quas in cives suos exercuit curiae universae et augustales sum(p)tu proprio posuerunt cuius honoris remunerandi causa idem Rufinus sportul(as) decurionib(us) et lib(ertis) caesa(aris) n(ostris) itemq(ue) forensibus et amicis curiis quoque et augustalibus aureos binos et populo vinum dedit et ludos adidit 62- Servaeus Honoratus (CIL, VIII, 11034) Servaeus Honoratus qui fut flamine ; il occupa toutes les fonctions politiques, avant d’entreprendre une réalisation qui marqua les esprits par sa splendeur et donc la portée de sa générosité : Se]rvaeo Q(uinti) f(ilio) / [Quir(ina)] Honoratio/ omnibus honorib(us)/ patriae suae functo/ cui ordo expostulan/te populo ob munifi/cientiam statuam/ cum decrevisset isq(ue)/ remissa reip(ublicae) pecun(ia)/ de suo ponere vel/let ordo populusq(ue)/ s(ua) p(ecunia) p(onendum) c(uravit) 63- M(arcus) Iulius Mandus (CIL, VIII, 22694=ILTun, 20) M(arcus) Iulius Mandus qui parvint, à Gigthis, au sacerdoce de flamine perpétuel, et qui érigea un arc ainsi qu’un temple tout de marbre revêtu, preuve qu’il était un homme qui avait du goût pour les « bonnes choses », y compris celles qui étaient dispendieuses. Mais l’important n’était-ce pas qu’il le montrât et
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qu’il contribuât positivement à changer la physionomie de son environnement ? [Libe]ro Patri A[ug(usto)]/ M(arcus) Iulius [C(aii) F(ilius) Quir(ina)] Mandus flamen [perp(etuus) decreto or]dinis [ex HS –m(ilibus) n(ummum) flamoni pe[rpetui sui are]/ am ma[gnam marmor] eam et arcum cu[m porticibus]/ stravit et [signa] dua de suo impen[dio pos(uit) et dedic(avit) 64- L(ucius) C[…]ius Barbus (CIL, VIII, 20148) L(ucius) C[…]ius Barbus qui fut aussi bien questeur, édile qu’augure à Cuicul. Parce qu’ayant occupé cette dernière fonction sacerdotale, il érigea une statue en la posant sur une base : Victoriae augustate sacrae L(ucius) C [… ]sius C(ai) F(ilius) Pap(iria) barbus quaestor aed(ilis) augur statuam quam ob honorem auguratus sui ex HS VI milibus nummum super ligitimam promiserat ampliata pecunia cum basi posuit idemque dedicavit d(ecreto) d(ecurionum) 65- C(aius) Marcius Dento (IRT, 600=AE, 1952, 105) C(aius) Marcius Dento, de Leptis Magna, qui exerça une fonction locale, celle de sufète, fonction qui était la survivance de la culture punique. Il occupa également des fonctions sacerdotales, celles de flamine perpétuel et de flamine d’Auguste, en l’occurrence, avant de réaliser une évergésie, l’érection d’une statue. L’inscription le concernant est d’une particulière sobriété, mais le message délivré fut essentiel et bien compréhensible : l’homme n’eut pas une carrière locale longue, il n’occupa guère des fonctions municipales, il ne fut ni duumvir, ni triumvir, ni questeur, ni édile, ce qui peut laisser supposer qu’il était sans grandes ressources, mais le fait qu’il ait pu exercer deux fonctions sacerdotales, dont celle qui le plaçait au service de l’empereur et dont également celle qu’il devait revêtir tout au long de sa vie, flamen perpetuus, n’est-ce pas une preuve de ses capacités, y compris financières, et même de sa valeur intrinsèque à l’égard de la société, étant entendu qu’il bénéficia d’un décret, et donc d’une mobilisation de l’ordo decurionum ?
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C(aius) Marcius Dento/ flamen Aug(ustalis)/ sufes) flamen perpet(uus) / statuam publice/ sibi ob merita decr[e]/tam s(ua) p(ecunia) f(ecit) 66- Ti(berius) Iulius Frontinus (IRT, 598) Idem pour Ti(berius) Iulius Frontinus : seule une fonction sacerdotale figure dans l’inscription qui lui est consacrée : flamen divi Augusti, ce qui peut laisser supposer que c’était un dignitaire moyen, qu’il n’avait pas de qualifications financières particulières, mais cette approche, ne mérite-t-elle pas d’être nuancée au vu de sa fonction et de sa situation sociale ? Il portait un prénom et un nom qui renvoyaient à la gens impériale, celle des Iulii, ce qui en faisait un rejeton, par nature, de haute extraction. Il n’est donc pas exclu qu’il ait pu réunir une fortune importante et même qu’il ait fait l’unanimité autour de lui pour ses qualités morales, comme l’atteste l’inscription qui lui fut consacrée : Ti(berio) Iulio papir(ia)/ Frontino/ flam(ini) divi Aug(usti)/ univer[s]us ordo/ col(oniae) Lepcis magn(ae)/ merenti statuam/ decrevit : Ti(berius) Iulius Ti(beri) f(ilius) Fronto/ honore contentus indulgen/tissimo [p]atri de suo posuit 67- M(arcus) Liv[inei]us De/xter (AE, 1907, 22=CIL, VIII, 25512 et 255513; ILPB, 236) Situation quasiment identique pour M(arcus) Liv[inei]us De/xter : à Bulla Regia où son inscription fut trouvée, il ne fut que flamine perpétuel, ce qui montre la tendance sociale du personnage. Mais cette inscription ne révèle pas que cette fonction chez ce personnage ! Elle ne mérite donc pas d’être perçue avec autant de restriction ! Elle montre l’importance de l’homme sur le plan spirituel et inévitablement son poids financier. Suivons cette inscription pour nous en rendre compte : Apol[ini] Genio col(oniae) Bul[lens(ium) Regior(um) et diis A[ug(ustus) sacrum]/ M(arcus) Liv[inei]us C(ai) f(ilius) Quir(ina) De/xter ob honorem fl]am[omnii sui] perp(etui)/ [aedem a so/lo sua pec[unia fecit et dedicav]it 152
68- Rusonianus (IRT, 396= AE, 1991, 1619) Situation inverse pour Rusonianus ! Il fut flamine, augure et duumvir quinquennal, une sorte de personnage polyvalent, à la fois politique et religieux ! Résultat : un homme qui se plaça sous l’autorité de l’empereur lepticain Septime Sévère, avec toute sa titulature étalée au grand jour, et des œuvres magnifiques : chapelle, supplément d’argent : Imp(eratoris) Caes(aris) L(ucis) Septimi S]eve[ri Pii pertinacis Aug(usti) Arabici A]diaben[ici Par]thici maximi [pontificis max]imi [tribunici]ae potes[tati]s X […] imp[eratoris… p(atris) p(atriae) et I[mp(eratoris)]/ caes(aris) M(arci) Aureli Antonini… et I]uliae [Augu]stae [matris Augusti et cas]tror[um totiusque] divinae domus/ […] Rusonianus fl[am(en) augur IIvir q(uin)q(uennalis) cellam f[rigi]dari et [c]ry[pta] rui[na con]labsas [e]x pollicitatione m[un]eris gladiato[ri o] b honorem/ [quinequennalita]tis p[romissa] permissu sacratiss[imi pr]incipis divi M(arci) Antonin[i f(ili) a fundamentis/ […] marmoribus et co[l]umnis exornavit stat[u]am Aesculpaii novam/ [… res]tituit ceter[as] refe[c]it ex [multis] aliis [m]une[ribu]s rei (publicae) suae conlatis et / […] uli nomine vi […] iti[//] bus[ 69- M(arcus) Iulius Rufus Montanianus (CIL, VIII, 5298) M(arcus) Iulius Rufus Montanianus, fut, à Diana, flamine perpétuel, mais également questeur, édile, duovir quinquennal et qui, par la statue qu’il fit ériger, fit la preuve de sa richesse : elle fut d’un coût particulièrement élevé et elle donna lieu à l’inauguration, l’inauguratio, autrement dit à la dédicace appuyée sur un supplément financier. Comme pour dire qu’il avait de l’argent et qu’il était un particulier donateur ! Divo Commodo fratri Imperatoris Caesaris L Septimi Severi Pii Pertinacis Aug(usti) Arabici Adiabenici part maximi Tribunicia potestas VIII Imp XI cos II PP procos M Iulius C Fil papir(ia) Rufus Montanianus aedil II Vir II vir QQ Fl(amen) perp(etuus) ex HS III Mil N inlatis rei publicae summis honoraris et Fla PP ex HS X Mil N ampliata pecunia dedit idem que de dedicavit
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Mais ces activités ne pouvaient être les seules ! Les domaines étaient variés, ce qui faisait, d’une certaine manière, obligation de s’y soumettre. Ne convenait-il pas de montrer que même les sacerdotes pouvaient se plier aux mêmes exigences que les autres magistrats « civils » ? C’est dans cette optique que s’inscrivait l’édition des jeux. B. Les « éditeurs » de jeux Des exemples, en effet, existent pour l’attester. 70- C(aius) Sallustius Felix (AE, 1116) C(aius) Sallustius Felix qui fut, à Thubursica, édile et flamine, avant de construire un amphithéâtre et d’éditer des jeux mémorables, qui apportèrent du plaisir dans sa cité : C(aio) Sallustio C(ai) F(ilio)/ Quir(ina tribu) Felici aedili/ quod primus in col(onia)/ sua amphitheatrum/ suis sumptibus excolue/rit et quod insign(i) lusi/onis edition(e) patriae / suae voluptates ampli/averit addita etiam/ singulari ac benigna/erga universos cives/ libertate curiales/ [l]abori grata obsequ[a] et ut remuneraren(tur)/ et ut facti eius gloria/ etiam ad posteros perde/veraret de suo posuer(unt)/ cur(ante) M(arco) Petronio Felice/ d(e)d(icaveruntque) d(ecreto) d(ecurionum) 71-Sex(tus) Otacilius Restitutus (ILAlg, II, 42) Sex(tus) Otacilius Restitutus, triumvir et édile à Cirta, qui édita aussi des jeux, après s’être acquitté de ses frais au moment d’occuper sa charge édilitaire, indiquant ainsi le montant élevé qu’il versa pour ce faire, comme pour montrer qu’il n’était pas impécunieux : Sex(tus) Octacilius M(arci) F(ilius) Quir(ina) Restitutus, m(arci) Atticili Fructi pontificis frater II vir aed(ilis) quaestoriae augur super (sestertium) XX (milia) legit(ima) quae ob hono(rem) aedilitatis r(ei) p(ublicae) dedit et (sestertium) VI (milia) ob diem ludorum et (sestertium) XXXIV (milia) inibi legit(ima) ob honor(em) augurat(us) r(ei) p(ublicae) intulit et ad (sestertium) III (milia) quae in voluptat(es) promiser(at) adiectione a se facta dextros duos sua pec(unia) posuit dedicavitq(ue) d(ecreto) d(ecurionum)
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72-C(aius) Annius (Ilalg, II, 1, 34=CIL, VIII, 79837984) C(aius) Annius, qui parvint, à Rusicade, à la fonction de flamine, et qui réussit le tour de force d’ériger des statues, de construire un amphithéâtre et un tétrastyle, et d’organiser des jeux scéniques ainsi qu’une lancée de cadeaux : C(aius) Annius C(ai) F(ilius) Quir(ina)---]/ dec(urio) IIII col(oloniarum) pont(ifex) [--- super] / HS XX (milia) n(ummum) quae ob honorem de[curionatus rei p(ublicae) dedit et] / HS LV (milia) n(ummum) quae ob honrem pon[tificatus rei p(ublicae) intulit]/ et statuas aeneas duas Vic[toriae Augustae et For]/ tunam Reducis quas ob [honorem decur(ionatus) et ob hono]/rem pont(ificatus) pollic(itus) est [in eodem anno posuit et HS] II n(ummum)] quae--- ad per]/fectionem operis tea[tri pollic(itus) est [in eodem anno posuit et itemq(ue) HS XXX qu[ae ad opus]/ amp(h)it(h)eatri po[llic(itus) est dedi]t statuam herculis c[um tetras]/tylo ex HS XXXII (milia) [n(ummum)---ex liber]alitate sua s(ua) p(ecunia) fec(it) idemq(ue) d[ecrevit]/ ad cuius d[edicationem e]tiam ludos scaenicos cum m[issilibus]/[edi]dit 73- L(ucius) Iunius Vibianus (AE, 1949, 49) L(ucius) Iunius Vibianus, augure à Thamugadi et homme de « bonne fortune » car placé sous la protection des empereurs quasi divins, aux vertus éminentes, qui parvint, grâce à ses ressources qu’il mobilisa à l’occasion, à organiser des jeux scéniques et à ériger une statue : [V]ictoriae Victri :ci dominor(um) nos/tror(um) sanctissimo/rum fortissimor(um)/que Imperatorum/ L(uci) Septimi Severi Pii/ Pertinacis et M(arci) Au/reli Antonini Pii/ Felicis part(ici) max(imi)/ Brit(annici) max(imi) Ger(manici) max(imi) /pontif(icis) Ma(ximi) Aug[[g(ustorum)]] / et Iuliae Aug(ustae) / matri Aug[[g(ustorum)]] et castrorum/ l(ucius) Iunius Vibianus/ ob honorem au/guratus inlatis/ r(ei) p(ublicae) super legiti/mam HS VI mil(ibus) n(ummum)/ et statuam quam p/romiserat ex HS III/ mil(ibus) n(ummum) adiectis HS IDCCC n(ummum)/ cum bas(i) posuit eam/que ludis scaenicis/ [e]ditis dedic(avit)
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74- C(aius) Annius Victor (CIL, VIII, 2344) C(aius) Annius Victor, édile et flamine perpétuel à Thamugadi, qui organisa des jeux, tout comme il érigea une statue : Fortunae / Reduci Aug(usti)/ [----]/ [-----]/[-----]/[----] : C(aius) Annius C(ai) F(ilius)/ Pap(iria) Victor fl(amen) p(erpetuus)/ aed(ilis) statuam/ qua mob honorem/ aed(ilitatis) suae praeter/ legitimam pol/licitus est ex/ HS XV (milibus) n(ummum) posuit/ ludis editis et/dedicavit 75- P(ublius) Marcius Felix (ILAfr, 457) P(ublius) Marcius Felix, questeur, édile, duumvir et flamine à Bulla Regia, qui fut remercié pour avoir entrepris une œuvre dans ce sens : P(ublio) Marcio P(ubli) f(ilio)/ Quir(ina) Felici/ Quaest(ori) aedil(i) II vir(o)/ Flam(ini) / C(aius) Marcius Fortuna/tus Patri Piissimo/ s(uo) p(ecunia) f(ecit) 76- L(ucius) Postumius Felix (CIL, VIII, 5276) L(ucius) Postumius Celerinus, flamine impérial perpétuel à Hippone, en même temps qu’il fut pontife et duovir et qui, « en reconnaissance de la magnificence de combats de gladiateurs qu’il offrit à ses concitoyens pendant trois jours et qui surpassèrent tous ceux organisés antérieurement, en raison de sa vertu, de sa gloire et de son incomparable amour envers sa patrie », bénéficia, de la part de « chaque curie…des incomparables statues afin d’égaler son grand zèle avec tant d’honneur » : L(ucio) Postumio felici celerino a Mil flaminis aug (udti) p(erpetui) pontifici II vir rob magnificentiam gladiatori muneris quod civibus suis triduo edidit quo omnes priorum memorias supergressus est obque eius innocentiam splendorme que et in patriam suam incomparabilem amorem singulae curiae singulas ststuas de suo posuerunt ut eximiam voluntatem eius tanti honoris titulis adaequarent l(ocus) d(atus) d(ecreto) d(ecurionum).
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C. Les faiseurs des œuvres de bienfaisance Enfin, il y eut les œuvres caritatives, ce que nous pourrions appeler les œuvres de bienfaisance. Les sacerdotes aussi s’y employèrent ! Ils ne pouvaient rester indifférents à la misère sociale, au niveau de pauvreté qui allait s’amplifiant, à la carence annonaire qui étranglait la société ! Certes, il y en avait qui produisaient les aliments de base, le blé, essentiellement, dont les excédents allaient ravitailler, avec l’Egypte, le marché romain. Mais la question de la famine, la fames, était bel et bien réelle en Afrique proconsulaire ! Il revenait donc aux sacerdotes, tout comme aux magistrats, de s’en occuper, pour y remédier. Cette situation explique donc les évergésies orientées dans ce sens et dont les personnes ci-après, que nous avons répertoriées parmi d’autres, furent les actrices : 77- M(arcus) Titius Aesculapius (CIL, VIII, 1141) M(arcus) Titius Aesculapius, prêtre de Jupiter, qui, « après avoir payé les terrains, fit édifier un temple avec autel et décors en stuc et distribua des vivres indistinctement aux décurions par décret de la curie » : M. Tittius Aescupapius Iovis Optimi Maximi coemptis spatiis templum cum ara et opere albari aedificavit et in dedicatione divisionem promiscue exhibuit decurionum decreto pecunia sua 78- P(ublius) Marcius Quadratus (CIL, VIII, 26606) P(ublius) Marcius Quadratus, flamine du divin Auguste à Thugga, pontife de la colonie julienne qui, « à l’occasion de son flaminat perpétuel, fit construire à sa patrie et à ses frais, un théâtre avec basiliques, portiques, promenades plantées d’arbres, une scène avec rideaux et tous les ornements depuis la base. Il l’inaugura en faisant donner des pièces de théâtre, en distribuant des cadeaux et de l’huile lors d’un banquet auquel les citoyens furent conviés ». Un fait qui n’était pas anodin : il distribua de l’huile, les gymnasia, dont il connaissait l’importance pour l’alimentation, les athlètes –le massage des membres- et les thermes, thermae,-l’éclairage-, comme pour montrer l’étendue de sa générosité et le niveau de ses moyens ! P(ublius) Marcius Q(uniti) F(ilius) Arn(ensis tribu) Quadratus Flamen divi augusti Pontifex CIK in quinque decurias adlectus ab 157
imp(eratore) antonio pio Augusto ob honorem flaminatus sui perpetui patriae suae theâtrum eum basilicis et porticu et xystis et scaena cum siparis et ornamentis imnibus a solo extructum sua pecunia fecit indemque ludis scaenicis editis et sportulis datis et epulo et gymnasio dedicavit 79- M(arcus) Fannius (CIL, VIII, 853) M(arcus) Fannius, ancien soldat et préfet iure dicundo qui, « en raison de son flaminat versa un surplus de 5 000 HS et fit donner des pièces de théâtre et convia ses concitoyens à un banquet après approbation du Sénat » : M(arco) Fannio M(arci) Fil(io) papiria Vitali y coh IIII symbror coh I Hispa Missio Honesta Missione a divo Hadriano praef(ectus) iure dicundo flamen HS V MN Reip(ublicae) intulit et amplius ludorum scaenicor diem et epulum dedit cui cum ordo statuam decrevisset titulo contentus s(ua) p(ecunia) p(osuit) Autre catégorie sociale que nous allons examiner : les « gens d’armes ».
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L’arc d’Antonin à Sbeitla9
9 On voit ce monument, l’arc monumental, que l’on reconnaît par son caractère voûté, et qui était souvent implanté à un point de la ville : à l’entrée, au centre, souvent au Forum, essentiellement. Il était souvent érigé au lendemain d’une victoire, d’un triomphe ; on parlait alors d’arc de triomphe. Il était souvent haut de plusieurs mètres et d’une grande largeur : une grande œuvre architecturale ! Sur celui qui est ici figuré, contrairement à certains, comme l’arc de Trajan, par exemple, qui fut orné de scènes des combats qui opposèrent les Romains conduits par M(arcus) Ulpius Traianus, alias Trajan, à Décébal et à ses troupes, il n’y a guère la moindre illustration, mais ce monument garde sa symbolique ! celle de renvoyer à la puissance tutélaire, Rome, force conquérante et impérialiste. In H. Slim, N. Fauqué, op. cit., p. 156.
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Basilique de Septime Sévère à Leptis Magna10
Autre monument, symbole de la civilisation et de la culture romaines. In J.M., Blas de Roblès, Libye grecque, romaine et byzantine, Edisud, Aix-en-Provence, 2005, p. 84.
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CHAPITRE VIII LES « GENS D’ARMES »
Par « gens d’armes », nous entendons essentiellement les membres des troupes auxiliaires, les auxilia, car les Africains ne pouvaient pas être légionnaires, ce statut étant réservé aux seuls citoyens romains. Ce statut était réservé aux alliés, les socii, ceux qui avaient combattu Rome et qui, après leur défaite face à cette cité, avaient dû passer un accord, un foedus. Dès lors, ils devaient faire partie de ces unités supplétives, pour aider souvent Rome à sécuriser et stabiliser la province qui, depuis l’époque de l’empereur Tibère, était en proie à des agitations internes. Tacfarinas, entre autres, à la tête des Musulamii, des Cinithii et des Garamantes, ne s’était-il pas insurgé ? Un certain nombre d’Africains ou de Romano-Africains avaient donc intégré l’armée auxiliaire, les numeri collati, certains en qualité d’officiers subalternes. On y trouva ainsi : C(aius) Porcius Saturninus Iunior, à Thuburbo Minus, qui revêtait le titre de tribun des soldats, tribunus militum1, M(arcus) Ann[ius]iolenus Faustus à Thagora2, qui portait le même titre, M(arcus) Valgius Aemilianus, à Sufetula3. Mais il n’y eut pas que des officiers de rang subalterne ; il y eut aussi des centurions, autrement dit des soldats ! C’est le cas de ce personnage-ci, Q(uintus) Ennius CIL, VIII, 1175. CIL, VIII, 4642. 3 CIL, 11343. 1 2
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E[p]pillus, qui porta les titres suivants : « flamine perpétuel, centurion primipilaire de la IIIe légion Auguste.. »4, et qui avait été localisé à Bisica Lucana. Dans ces unités auxiliaires, les personnes engagées restaient en fonction 25 ans. Après cette période de bons et loyaux services, venait l’âge de la retraite. Ils étaient alors dits démobilisés ou licenciés, avec l’appellation de vétérans, veterani (veteranus, au singulier). À cette occasion, il leur était remis un diplôme, le diploma, qui précisait cette qualité et qui leur permettait de disposer de leur pension ainsi que de la citoyenneté romaine. Au préalable, au moment de prendre congé de leur caserne ou de leur unité, ils recevaient un peculium, un pécule, prime de licenciement, ou encore prime de libération, praemia militiae, qui devait les mettre pour un temps long à l’abri du besoin. Ce pécule était retiré d’une caisse spéciale, l’aerarium militare. La somme remise pouvait atteindre la somme de 15 mille deniers : une somme conséquente, une véritable fortune, qui pouvait leur permettre de faire un placement, dans une affaire, d’acheter une ferme, ou encore de faire œuvre d’évergète. Puis venait le tour de l’honesta missio : il s’agissait des sommes que chacun d’entre eux avait versées, pendant son activité, ad signa ; le surplus de ces sommes correspondait aux reposita, constituées pour moitié de tous les donativa reçus, épargne obligatoire, sorte d’assurance, qui pouvait atteindre la somme de 2 à 3 mille deniers. L’on ne s’étonne donc pas de trouver, parmi eux, des « embellisseurs » de cités. A. Les « embellisseurs » de cités Parmi ceux que nous considérons comme tels, nous pouvons retenir : 80- M(arcus) Valgius Aemilianus (CIL, VIII, 11343) M(arcus) Valgius Aemilianus, tribun (des soldats), tribunus militum, chevalier romain, Eq(ues) R(omanus), qui servit dans 4
CIL, VIII, 12297.
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l’unité des Palmyréniens, n(umerus) Palmurenorum, et qui laissa une réputation fort enviable auprès de l’ordre décurional de Sufétula, pour ses « largesses envers la cité, pour servir de mémorial éternel », comme nous pouvons nous en rendre compte à travers cette inscription-ci qui fut réalisée sur son compte : Splendissimus Sufetulensis ordo, M(arco) Valgio M(arci) F(ilio) Quir(ina) Aemiliano eq(uiti) R(omano) tribuno n(umeri) palmurenorum ob eximiam erga rempubl(icam) suam liberalitatem titulum hac aeternitate signavit 81- C(aius) Herennius Thuburnica (CIL, VIII, 14690=AE, 1921, 21=ILAfr, 473) C(aius) Herennius Thuburnica, veteranus, après 25 ans de bons et loyaux services rendus dans une unité militaire, qui prit sa retraite, bénéficia de son honesta missio et eut les ressources nécessaires pour faire acte de générosité : C(aius) Herennius/ M(arci) f(ilius) Quir(ina) festus/ veteranus leg(ionis)/ X Fretenis ho/nesta mission/ne dimissus/ praefectu tiro/num in Mau/retania praef(e)c/tus iuventutis/ IIvirum bis vixit/ annis LXXXV B. Les oeuvres à caractère édilitaire De la même manière, nous pouvons classer ceux-ci parmi les auteurs des activités à caractère édilitaire : 82- L(ucius) Iulius Corn(nelia) Crassus (CIL, VIII, 26475) L(ucius) Iulius Corn(nelia) Crassus, édile, tribun des soldats, praefectus fabrum, préfet des ouvriers, mais aussi duumvir, augure et duumvir quinquennal désigné, qui fut coopté pour être patron de Thugga : I(ovi) O(ptimo) [M(aximo) sa]crum/ l(ucius) Iul(ius) L(ucii) F(ilius) Cor(nelia) Crassus aed(ilicis) orn(amentis) tr(ibunus) mil(itum)/ leg(ionis) XXXI Rapacis in Germ(ania) praef(ectus) fab[r(um)]/ (duum)vir aug(ur) (duum)vir quinq(uennalis) de(ignatus) patr(onus) pagi
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de[dicavit)] C(aius) Pomponius L(ucii) F(ilius) Restitutus d(e) s(ua) p(ecunia) f(aciundum) c(uravit). 83- Q(uintus) Ennius E[p]pillus (EE, VII, 100) On peut en dire de même de Q(uintus) Ennius E[p]pillus, qu’on présente comme centurion primipilaire de la IIIa légio Augusta, en même temps qu’il était flamine impérial perpétuel de Bisica Lucana : Q(uinto) Ennio T(iti) F(ilio)/ Quir(ina) E[p]pillo/ (centurioni) [leg(ionis) III] Aug(ustae) fl(amini) p(er)p(etuo) ordo Bisicens(is)/ ex collat[io]ne patr[ono] 84- M(arcus) Cutius Priscus Messius Rusticus Aemilius Papus Ar[r]ius Proculus Iulius Celsus (CIL, VIII, 1283) M(arcus) Cutius Priscus Messius Rusticus Aemilius Papus Ar[r]ius Proculus Iulius Celsus, dont l’inscription réalisée par son amie, de Salpensa, permet de supposer des œuvres de grande importance : M(arcus) Cutius m(arci) F(ilius) Gal(eria) Priscus Messius Rusticus Aemilius Papus Ar[r]ius Proculus Iulius Celsus co(n)s(ul) sodal(is) Augustal(is) leg(atus) pr(o) pr(aetore) imp(eratoris) Caes(aris) T(iti) Aelii Hadriani Antonini Aug(usti) Pii Provinc(iae) Delmat(iae) curator operum publicorum praefectus aerarii Saturni leg(atus) leg(ionis) XX.V. V. curator Viae Aureliae pr(aetor) peregrinus trib(unus) pleb(is) q(uaestor) pr(o) pr(aetore) provinc(iae) Africae trib(unus) mil(itum) leg(ionis) VII Aug(ustae) IIII vir viarum curandarum Caesia Senilla amicooptissimo 85- C(aius) Silius Aviola (CIL, VIII, 4922) C(aius) Silius Aviola, tribun des soldats dans la IIIa legio Augusta, praefectus fabrum à Themetra et à Thimilga et patron de la cité de Siagu. 86- Q(uintus) Ennius Erpilius (CIL, VIII, 792) Q(uintus) Ennius Erpilius, centurion primipilaire de la IIIa Legio Augusta.
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87- C(aius) Sextius Martialis (CIL, VIII, 629) C(aius) Sextius Martialis, tribun des soldats de la IIIe Légion Scytique et qui se révéla à Mactaris par un acte de particulière générosité : …Trib(unus) mil(itum) legionis IIII Scythicae.. inlatis (sestertium) suae Mactaritanae Des personnages qui laissèrent donc une réputation intarissable, du fait de leur générosité et qui méritaient qu’on les énumérât ! N’étaient-ils pas des évergètes ? Tout comme pour les hommes politiques, les hommes et les femmes d’église, les « gens d’armes », les intellectuels, ils furent remarquables par leur attention à l’égard de leurs concitoyens et des cités auxquelles ils appartinrent. Bourgeois dans leur univers, ils ne firent pas montre d’indifférence vis-à-vis d’eux ; toutes choses qui permirent à l’Afrique proconsulaire de changer de physionomie, et donc de se développer ! Mais il faut se rendre à l’évidence ; il n’y avait pas que ces hommes et ces femmes qui faisaient montre d’attention vis-àvis des leurs ; il en est qui n’avaient occupé aucune fonction, mais qui étaient aussi évergètes : c’étaient des citoyens ordinaires. D’où cette question : quid des citoyens ordinaires, ceux qui n’avaient pas de fonctions déclarées, mais dont la fortune acquise permettait de faire œuvre de générosité ?
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Théâtre : Thubursicu Numidarum5
Un autre espace monumental, mais réservé aux jeux ! Les Africains, comme les Romains, en étaient friands car le divertissement, les loisirs, occupaient une place importante dans les activités quotidiennes. In Cl. Ymouna Rehabi, Algérie antique, Aix-En-provence, 2003, p. 307. 5
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Un exemple de « gens d’armes » en activité
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Un gladiateur samnite, en position de combat (Musée départemental de Rouen)
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Des gladiateurs à l’épreuve ; des morituri en puissance ! (Museum für Vor-und Fühgeschichte)
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CHAPITRE IX LES CITOYENS ORDINAIRES
Ils étaient citoyens romains, pour l’ensemble de ceux que nous avons retenus, constituant la plus grande masse qui supplantait tous les autres, les citoyens africains, essentiellement d’ascendance punique, et donc en voie de romanisation. Ils n’avaient pas occupé une fonction politique, qui aurait nécessité une campagne électorale et donc une promesse de réaliser quelque chose en faveur des populations ; ils n’en avaient pas occupé de religieuse. Mais ils avaient été, pour certains, donateurs, charitables, généreux. C’est donc par eux que nous mettrons un terme à ce répertoire, en examinant tout spécialement : A. Les œuvres à caractère édilitaire Autrement dit, celles dont la portée sociale était avérée. L’on aura ainsi : 88- Cn(aeus) Armenianus (CIL, VIII, 11216) Cn(aeus) Armenianus, « chevalier romain pour son arc et pour en augmenter les décors en pierre d’azur, sa mère et Bebenia Paulina, sa sœur, dépensèrent 25 000 sesterces et convièrent les citoyens à un banquet et à une distribution d’huile. De même pour augmenter la beauté du monument la cité y fit ajouter un groupe de quatre statues à frais publics » :
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…… Testamento CN Felicis Armeniani equo publico adlecti optimae memoriae cuius arcus …ad cuius ornementa Armenia Auge mater et Bebenia Paulina soror liberalitate sua HS XXV Mil N erogaverunt et epulum et Gymnasium municipibus dederunt Item municipium Seressitanum ad ampliada ornamenta quadrigan Publica Pecunia Fecerunt 89- M(arcus) Manlius Quietianus (AE, 1908, 162) M(arcus) Manlius Quietianus, patron de Curubis et à qui la cité rendit hommage pour sa générosité. 90- Iulia Memmia Fidiana (ILaf, 454 ) Iulia Memmia Fidiana, héritière du patronat de son père à Bulla Regia, pour avoir fait montre de particulière largesse, en faisant construire des thermes, « comble de largesse envers sa patrie et d’intérêt pour la santé de ses concitoyens ». B. Les oeuvres à tonalité religieuse 91- Caelius Severus (CIL, VIII, 24095) Caelius Severus, patron de Pupput, à qui un hommage fut rendu parce que « personnage admirable d’intégrité et exemple inimitable d’honnêteté, patron qui à lui seul restaura généreusement le Forum délabré, ainsi que ses sanctuaires, son capitole et sa curie, procédant lui-même à leur dédicace » : Mirae integritatis et/ innocentiae inimita/bilis exempli viro/Caelio Severo v(iro) c(larissimo) patricio/consulari cur(atori) r(ei) p(ublicae) et patrono/ col(oniae) Puppit (anorum) qui solus sua libera/litate forum vetustate conla/sum cum aedibus et capitolio et curia meliori cultu/restituit et dedicavit/ … patrono perpetuo 92- Cincius Victor (CIL, VIII, 1548) Cincius Victor, dignitaire de Agbia, qui fit montre de particulière générosité en distribuant à chaque décurion du pagus et de la cité « 8 as à titre de dons en argent ». …Et die dedicationis decurationib(us) sportulas ases octonos… dedit… et ea die decurionib(us) pagi et civitat(is) sportulas a(sses) VIII et universisi civibus … 172
93- Iulia Crescentia (CIL, VIII, 27413) Iulia Crescentia qui érigea, à Agbia, un sanctuaire. 94- [---] Hilarus (CIL, VIII, 15552) [---] Hilarus, qui édifia un temple à Aunabaris. 95- L(ucius) Remmius Faustus (CIL, VIII, 14377) L(ucius) Remmius Faustus, qui construisit un temple et une statue. 96- Arminia Fadilla (CIL, VIII, 5333) Arminia Fadilla, qui bâtit un temple à Calama. 97- Q(uintus) Urvinius Q(uniti) Lib(ertus) Callistus (CIL, VIII, 26241) Q(uintus) Urvinius Callistus, affranchi, qui réalisa un temple à Siga. 98- Q(uintus) Mattius Primus (CIL, VIII, 14850) Q(uintus) Mattius Primus, qui remit à titre de don à la cité de Tuccabor de 125 deniers, pour « l’agrandissement de son escalier ». 99- M(arcus) A[fr]a[nius] [Pac]atianus (CIL, VIII, 14361) M(arcus) A[fr]a[nius] [Pac]atianus qui, à Uccula, restaura le temple et ses colonnes. 100- Mamon Saforis Athonis (CIL, 23997) Mamon Saforis Athonis, sujet punique et donc non romanisé, qui construisit une colonne à Giufis.
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Théâtre : Thamugadi1
1
In S Lancel, op. cit., p. 95.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Nous voici enfin parvenu au terme de notre répertoire ; une immersion dans la société africaine proconsulaire qui nous aura permis d’exhumer 100 noms parmi tous ceux dont regorgeait comme riches et généreux cette société et de dresser un catalogue de ceux que nous avons estimés à même de faire partie du top 100, du top hundred, que nous avons établi. Ce voyage à l’intérieur de cet espace nous aura permis de survoler plus de deux cents ans, étant entendu que les bornes de départ et d’arrivée allaient de 27 av. J.-C. à 284 ap. J.-C. Ce voyage nous aura permis aussi d’aller d’une cité à une autre, d’une colonie à une autre, et de voir ce qu’il en était en termes de richesse et de générosité. Qu’entendait-on par les termes de riches et de généreux ? Qui était ainsi appelé ? Comment le devenait-on ? Ces qualificatifs, étaient-ils réservés à une catégorie de personnes, citoyens, les bien-nés, ceux qui avaient un nom célèbre, qui étaient issus de familles riches, ou plutôt à tous les autres, ceux qui appartenaient à d’autres groupes sociaux, les affranchis, par exemple ? C’est à toutes ces questions que nous avons essayé de répondre. Certes, nous n’avons pas établi une démarche chronologique, qui aurait présenté l’insigne avantage de cerner l’évolution, dans le temps, de cette pratique de générosité parmi les riches Africains ; mais nous nous sommes efforcé, autant que faire se peut, de rester confiné dans cette fourchette temporelle. De cet examen, des enseignements peuvent être tirés : - Les Africains avaient des termes spécifiques pour désigner les riches et ceux qui étaient généreux. Des termes issus de 175
leurs différentes langues, ce que certains linguistes appelaient les patois, les langues vernaculaires, celles qui étaient parlées par ces peuples considérés comme barbares, existaient inévitablement, mais c’est le latin, lingua franca, langue franche, langue nationale, langue de communication, du commerce, de l’administration, de commandement, de l’armée, qui a réussi à les formaliser, à les graver dans le marbre : dives, opulentus, liberalitas, etc. Pour Paul Veyne, cet acte de générosité par lequel les Romains s’étaient particularisés, à la suite des Grecs, n’était ni plus ni moins que de l’évergétisme. Il le forgea à partir de mots grecs. Il en fit donc un néologisme qui finit par faire florès et par être adopté par tous les chercheurs postérieurs ! Ce terme s’étant appliqué à Rome, il ne pouvait aussi que s’appliquer à l’Afrique du Nord antique et, tout spécialement, à l’Afrique proconsulaire, notre cadre d’étude ! - Comme Rome, l’Afrique proconsulaire eut ses riches – et ses pauvres, bien évidemment-. Il s’agit d’hommes et de femmes qui amassèrent leur fortune et qui ne s’empêchèrent pas de le montrer à la face de leurs concitoyens et de la postérité par un certain nombre de signes extérieurs : l’habillement, les maisons, le train de vie, la domesticité, l’alimentation, les coiffures, etc. Ils parvinrent à ce niveau social élevé, non pas en détournant les budgets qui leur étaient soumis-même si nous savons qu’il y eut des hommes politiques, des gouverneurs surtout mauvais gestionnaires, prévaricateurs, dilapideurs de deniers publics, mais par leur travail, à la sueur de leur front, en s’appuyant sur deux types d’activités : les activités que nous avons appelées orthodoxes et celles que nous avons dénommées hétérodoxes. Parmi les premières, il y avait l’agriculture et l’artisanat, mais également les autres métiers nobles comme les métiers intellectuels. Parmi les secondes, il y eut l’art et l’artisanat, le commerce de gros, etc. Il était de bon ton d’utiliser ces formes conseillées, mais il n’empêche que de nombreux citoyens utilisaient des esclaves et des affranchis et parfois même des prête-noms pour tirer leur fortune, même des activités prohibées ! ; 176
- Ce sont les hommes essentiellement qui accédèrent le plus souvent à la richesse. Et pour cause : alors que les femmes étaient des « puissances de l’intérieur », parce que dotées d’un pouvoir qui s’exerçait essentiellement dans la maisonnée et qui étaient considérées comme mineures, au point, si elles étaient mariées, de mettre leur fortune aux mains de leurs époux à titre de dot, les hommes étaient des « forces de l’extérieur ». A cet égard, ils avaient, non seulement le temps, mais également les moyens et le regard de la société pour se déployer dans toutes les activités et trouver le temps de s’enrichir ! Malgré tout, il y eut également les femmes qui purent accéder à la richesse. Considérées comme le sexe faible face aux hommes qui étaient perçus comme le sexe fort, certaines d’entre elles réussirent le tour de force, en dépit de tous les avatars, de tirer leur épingle du jeu, et de laisser l’image de personnes qui, aux côtés des hommes, purent accumuler, amasser des richesses. Certaines d’entre elles, n’étaient-elles pas de riches héritières ? - Il y avait les citoyens romains, les cives romani, qui, installés en Afrique proconsulaire à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, ou après leur ascension sociale qui fut marquée par l’entière latinisation de leur identité, se trouvèrent dans cette nébuleuse de riches. Mais il y eut aussi les citoyens africains ! Les Puniques, ces populations indigènes, qui étaient restées attachées à leurs traditions, et à leur culture lybico-berbère, en faisaient partie. Ils n’étaient qu’une goutte d’eau parmi les autres, il est bien vrai. Mais ils existaient ! Il y eut aussi des Romano-Africains, ces personnes qui étaient en voie de romanisation et dont l’onomastique est un élément indicateur de cette situation. Il y eut aussi les affranchis, ces néo-citoyens, qui, à force de labeur, avaient pu réunir un peculium, un pécule, pour acheter leur liberté et inscrire leur nom parmi les riches et généreux personnages africains. A Rome, ils furent nombreux. Ils le furent également en Afrique proconsulaire. Il y eut aussi sûrement les esclaves. Nous savons que les traces de quelquesuns d’entre eux existent, même s’ils ne figurent pas parmi ceux que nous avons répertoriés. Ne dit-on pas trivialement que le 177
« chien du roi est le roi des chiens » ? Nous pensons à tous ces esclaves qui eurent pignon sur rue à Rome : Tiron, esclave de Cicéron, que le maître dut pleurer à sa mort ! Dyonisius également, esclave lettré, appelé à toutes les tâches intellectuelles. Ils étaient importants aux yeux de leurs maîtres ; ils étaient aussi riches ! Que dire des esclaves dits impériaux, ceux qui faisaient partie de la familia caesaris ? Comme on dit en nos terres gabonaises, ils étaient les « en –haut d’en haut ». Ils portaient des prénoms et même des noms renvoyant à la personne qui les avait rendus libres, qui leur avait conféré une réelle personnalité, qui leur avait permis d’exister : Iulius, Tiberius, Caius, etc.Ils étaient des ombres de leurs anciens maîtres, devenus, du fait de la manumissio, leurs patrons. Ils étaient devenus dorénavant leurs ombres ! Ils devaient exécuter des tâches marquant le prolongement de leur dépendance. Des operae ! Car leur sang servile continuait à couler dans leurs veines. Mais il n’empêche qu’ils étaient redoutés, et même craints, y compris des citoyens ! Les esclaves qui avaient la préférence de leurs maîtres et qui exerçaient des activités rémunératrices avaient sûrement accumulé des sommes énormes qui firent d’eux des personnages puissants, plus puissants même que certains citoyens ! - Ce sont donc ces hommes et ces femmes qui s’illustrèrent par des pratiques de générosité. Les politiques et les hommes et femmes d’église, autrement dit les sacerdotes, y étaient contraints. Ils n’en avaient guère le choix. Leurs activités les prédisposaient à distribuer autour d’eux, à faire des donations. Souvent, ils en faisaient la promesse au cours de leurs « meetings » ! Il leur fallait tenir parole. Leur parole devait être d’or ! Leurs promesses devaient se réaliser ! Elles ne pouvaient pas, comme l’avait dit l’homme politique français en son temps, Charles Pasqua, « n’engager que ceux qui y cro(yaient) » ! Ils étaient d’autant plus engagés à tenir ces promesses qu’ils savaient qu’en retour ils bénéficieraient de la reconnaissance, de la gratitude de leurs compatriotes. Même si on dit qu’ « en 178
politique, l’ingratitude est une vertu », ils savaient que ceux à l’égard desquels ils s’étaient montrés généreux feraient montre, le moment venu, de gratitude et qu’ils le leur rendraient, comme qui dirait, « au centuple ». De plus, s’étant engagés à servir le peuple, la société tout entière, ils ne pouvaient être heureux qu’en contribuant au bonheur autour d’eux. Enfin, les sociétés anciennes n’étaient pas des Etats-providence, où tout pouvait, telle une manne, tomber du ciel. L’Afrique proconsulaire avait ses limites budgétaires et comptait, pour se développer, sur le soutien, l’appui des riches donateurs ! C’était une question de morale, d’éthique ! Mais aussi de charitié, de concorde universelle ! D’où cet engouement pour des actes d’évergétisme, des évergésies de toutes sortes : les évergésies à caractère édilitaire, les œuvres d’embellissement des cités, les éditions des jeux, etc. Valable aussi pour les simples citoyens. Ils n’avaient pas exercé de fonction élective, ils n’avaient tenu aucun « meeting », ils n’avaient fait aucune promesse préélectorale qu’ils se devaient de tenir et d’honorer, mais ils avaient, comme les autres, cette dette vis-à-vis de leurs concitoyens. La richesse acquise faisait donc obligation à celui qui l’avait accumulée de se tourner vers ceux qui avaient eu moins de chance, dont le destin n’avait pas été gratifiant, tendre. L’Afrique proconsulaire, alors, une société de partage ? Incontestablement. « Pour le bonheur de tous. Pour le bonheur de chacun ». (Henri Konan Bédié)
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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
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éd. R. Cagnat et J. Schmidt, 1891; supplementum 4: Inscriptionum Africae proconsularis latinarum supplementum alterum, éd. H. Dessau, 1916 Cagnat R., Merlin A., Chatelain L., Inscriptions latines d’Afrique (Tripolitaine, Tunisie, Maroc), Paris, 1923 Bibliographie F.F. Abbot – A.C., Johnson, Municipal administration in the Roman Empire, Princeton, 1926 R. Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques », Annales ESC., 12, 1957, pp. 430-441 M.S. Bassignano, Il flaminato nelle province romane dell’Africa, L’Erma di Bretschneider, Roma, 1974 A.Belfaida., « Eau et évergétisme en Afrique romaine : témoignages épigraphiques », L’Africa romana, 13, Djerba, 1998, Rome, 2000, pp. 1586-1601 CL., Briand-Ponsart « Summa honoraria et ressources des cités d’Afrique. IL capitolo delle entracte nelle finaze municipali in Occidente et in Oriente » Actes de la Xe rencontre francoitalienne sur l’épigraphie du monde romain, Rome, 27-29 mai 1996, 1999, pp. 217-234 V. Brouquier-Redde, Temples et cultes de Tripolitaine, Paris, 1992 C. Saint-Hilaire J., Recherches sur la citoyenneté romaine. Sa diffusion, ses enjeux, des origines au milieu du Ier siècle avant Jésus-Christ, Besancçon, Doctorat d’Etat, 1995 M. Corbier, « Les familles clarissimes d’Afrique proconsulaire (Ier-IIIème s.,) » Tituli, 5, 1982, pp. 685-754 R. Chevalier, Provincia, Paris, 1982 L. Digombe, Les élites municipales d’Afrique proconsulaire sous le Haut-Empire (27 av. J.-C. – 284 ap. J.C), Thèse de Doctorat de 3e cycle, Strasbourg, 1980
183
X. Dupuis, « Pontifes et augures dans les cités d’Afrique. Modèle romain et spécificités locales », In Identités et valeurs civiques dans le monde romain, Hommage à Claude Lepelley, Paris, Picard, 2002, pp.215-230 E.Eckardt, “Grandeur et décadence des jeux de la mort” in National Geographic, Juillet 2006, pp. 70-91 G. Fabre, Libertus. Recherches sur les rapports patrons-affranchis à la fin de la république romaine, EFR, 1981 P.A. Février, « Religion et domination dans l’Afrique romaine », in DHA, 2, 1976, pp. 305-336 L. Foucher, « A propos des cirques africains », BCTH., n.s., 5, 1969, pp. 207-213 Ed. Frezouls, « Les monuments des spectacles dans la ville : théâtre et amphithéâtre », in Spectacula, I, pp. 77-87 J. Gaudemet, Les institutions de l’Antiquité, Paris, 1967 J.C. Golvin, -C. Landes, Amphithéâtres et gladiateurs, Paris, 1990 J.C. Golvin, L’amphithéâtre romain, Paris, 1988 G. Fabre, Libertus. Recherches sur les rapports patrons-affranchis à la fin de la République romaine, EFR, 1981 J. Gascou, La politique municipale de l’Empire romain en Afrique proconsulaire de Trajan à Septime Sévère, Rome, EFR, 1972 « La politique municipale de Rome en Afrique du Nord. II. Après la mort de Septime Sévère », ANRW, II, 10, 2, 1982, pp. 231-320 J. Gascou, « La praefectura iure dicundo dans les cités de l’Afrique romaine in l’Afrique dans l’Occident romain. Ier siècle av. J.-C. –IVème siècle ap. J.-C. » Actes du colloque organisé par l’Ecole Française de Rome, Rome, 3-5 décembre 1987, 1990, pp. 367-380 Ph. Gauthier, « Générosité romaine » et « avarice grecque » : sur l’octroi de droit de cité, Mélanges d’histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, 1974, pp. 207-215
184
J.P. Guilhembet, « Architecture domestique et « vie privée » des élites de l’Afrique romaine. L’apport des travaux d’Y. Thébert et l’historiographie récente (1985-2003) », Afrique et histoire, 3, 2005, pp. 71-82 F. Hurlet, « Pouvoir des images, images du pouvoir. La province d’Afrique aux deux premiers siècles de notre ère », MEFRA, 112, 2000, 1, pp. 277-364 M. Le Glay, « La place des affranchis dans la vie municipale et dans la vie religieuse », MEFRA, 102, 1990, 2, pp. 621-638 A. Malissard, Les Romains et l’eau, Paris, Les Belles Lettres, 1994 J.P. Martin, Les provinces romaines d’Europe centrale et occidentale 31 avant J.-C.-235 après J.-C. , Paris, Sedes, 1990 - Société et religions dans les provinces romaines d’Europe centrale et occidentale (31 av. J.-C. – 235 ap. J.-C.), Paris, Sedes, 1991 F. Jacques, « La questure municipale dans l’Afrique du Nord romaine », BCTH, n. s., 17, fasc. B.1984, pp. 211-224 Rome et l’intégration de l’Empire : 44 av. J.-C.-260 ap. J.-C.1, les structures de l’empire romain, Paris, 1990 J. Kolendo, « La répartition des places aux spectacles et la stratification sociale dans l’empire romain. A propos des inscriptions sur les gradins des amphithéâtres et théâtres », Ktèma, 6, 1981, pp. 301-315 T. Kotula, « Les Africains et la domination romaine », DHA, 2, 1976, pp. 337-358 Y. Lebohec, L’armée romaine, Paris, 1989 A. Pelletier, L’urbanisme romain sous l’Empire, Paris, 1982 G.H. Stevenson, Roman provincial Administration till the Age of Antonines, 2e éd., Oxford, 1949 L. Sebaï Leïla, « A propos du flaminat féminin dans les provinces africaines », MEFRA, -102-1990, 2, pp. 651-686 E. Szramkiewicz, Les gouverneurs de province à l’époque augustéenne, 2 vol. Paris, 1972-1978 A.N. Sherwin-White, The Roman Citizenship, Oxford, 1973 185
P. Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, 1976 G. Webster, The Roman Imperial Army of the first and second centuries A.D., 2e éd., Londres, 1974
186
CARTES ET PLANCHES
Cartes L’Afrique proconsulaire Les cités de l’Afrique proconsulaire
25 26
Planches Riche et belle : une impératrice, Livie, modèle des Africaines 58 Riche : comment y parvenir ? Une caricature gabonaise 60 La politique ? Une source d’enrichissement prisée 61 Riche et fier de l’être 62 Un moyen de richesse : une l’huilerie (Madaure) 81 Un moyen de richesse orthodoxe : l’huilerie urbaine (Madaure) 82 La maison de l’Europe 83 Une autre maison de « parfait standing » 83 Un moyen hétérodoxe : le commerce de vin 90 Une générosité non partagée : un autre mal gabonais 92 Une intellectuelle en formation : une écolière à l’écoute de son magister 116 Forum et Capitole à Thuburbo Maius 146 L’arc d’Antonin à Sbeitla 159 Basilique de Septime Sévère à Leptis Magna 160 187
Théâtre : Thubursicu Numidarum Un exemple de « gens d’arme » en activité Un gladiateur samnite, en position de combat Des gladiateurs à l’épreuve ; des morituri en puissance ! Théâtre : Thamugadi
188
166 167 168 169 174
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS .............................................................. 7 INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................... 9
PREMIÈRE PARTIE RICHES ET GÉNÉREUX : DES MOTS POUR LE DIRE .......... 27 CHAPITRE I - RICHES : UNE VARIÉTÉ TERMINOLOGIQUE ........................................................... 31 A. Dives ............................................................................... 31 B. Locupletes ......................................................................... 35 C. Pecuniosus ........................................................................ 38 D. Opulentus ........................................................................ 41 CHAPITRE II - LA GÉNÉROSITÉ, UNE RELATIVE ABONDANCE LEXICOLOGIQUE ......................................... 47 A.Liberalitas ........................................................................ 47 B. Largitio ............................................................................ 50 C. Indulgentia ....................................................................... 51 D. Bonitas ............................................................................ 51 E. Caritas ............................................................................ 52 E. Exhibuere ........................................................................ 56
189
DEUXIÈME PARTIE RICHES : LES MOYENS DE L’ÊTRE ................................... 59 CHAPITRE III - LES MOYENS ORTHODOXES ............... 67 I. L’agriculture et l’élevage ................................................... 68 A. L’agriculture .................................................................... 68 B. L’élevage........................................................................... 74 II. Les professions libérales ................................................. 76 A. La médecine ..................................................................... 76 B. La profesion d’avocat ........................................................ 78 C. La profession de pédagogue ................................................ 79 D. La profession de philosophe............................................... 79 E. Les legs et les héritages ...................................................... 80 CHAPITRE IV - LES MOYENS HÉTÉRODOXES ............. 85 A. L’art et l’artisanat ........................................................... 85 B. Le négoce .......................................................................... 89
TROISIÈME PARTIE ETRE GÉNÉREUX ET LE DÉMONTRER .............................. 91 CHAPITRE V - LES INTELLECTUELS .......................... 101 A. Pour la fonction de donateur de bibliothèques .................. 106 B.Pour la fonction de philosophe ........................................... 108 C. Pour la fonction de juriste................................................ 110 D. Pour la fonction de rhéteur .............................................. 111 E. Pour la fonction de pédagogue, paedagogus. ...................... 111 F. Pour la fonction de médecin ............................................. 113
190
CHAPITRE VI - LES POLITIQUES ............................... 117 A. Les éditeurs de jeux........................................................ 125 B. Les bienfaiteurs dans le domaine de « l’embellissement des cités »............................................. 138 C. Les acteurs des œuvres de bienfaisance .............................. 143 CHAPITRE VII - LES SACERDOTES ............................. 147 A. Les « embellisseurs » de cités........................................... 149 B. Les « éditeurs » de jeux ................................................... 154 C. Les faiseurs des œuvres de bienfaisance ............................. 157 CHAPITRE VIII - LES « GENS D’ARMES » .................. 161 A. Les « embellisseurs » de cités........................................... 162 B. Les oeuvres à caractère édilitaire ...................................... 163 CHAPITRE IX - LES CITOYENS ORDINAIRES ............. 171 A. Les œuvres à caractère édilitaire ...................................... 171 B. Les oeuvres à tonalité religieuse ........................................ 172 CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................... 175 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE ........................................ 181 CARTES ET PLANCHES................................................... 187
191
L’histoire aux éditions L’Harmattan Dernières parutions Essais d’histoire globale
Sous la direction de Chloé Maurel ; Préface de Christophe Charle
L’histoire globale est une approche novatrice qui transcende les cloisonnements étatiques et les barrières temporelles et promeut un va-et-vient entre le local et le global. Développé depuis plusieurs années aux États-Unis, ce courant connaît un essor récent en France. Voici un tour d’horizon varié des travaux récents en histoire globale (concernant l’abolition de l’esclavage, l’histoire du livre et de l’édition, des revues et celle des organisations internationales). (23.00 euros, 226 p.) ISBN : 978-2-336-29213-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-53077-5 Vers un nouvel archiviste numérique
Ouvrage collectif coordonné par Valentine Frey et Matteo Treleani
La réinvention permanente apportée par le numérique suscite de nombreux débats. Notre rapport à la mémoire et à l’histoire, longtemps basé sur l’objet matériel et sa conservation physique, est à présent bouleversé. Les techniques ont beaucoup évolué, apportant de nouvelles problématiques, dans le domaine de l’informatique comme celui des sciences humaines. Quelles tensions entre technique et mémoire ? Comment se souvenir du passé à travers ses vestiges ? Que change le numérique ? (Coll. Les médias en actes, 22.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-336-00174-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53103-1 mensonges (Les) de l’Histoire
Monteil Pierre
Chaque génération hérite des a priori et des idées reçues de la génération précédente. Ainsi, nombreux sont les mensonges de l’Histoire qui ont survécu jusqu’à nos jours. Nos ancêtres les Gaulois ? Napoléon était petit ? Au Moyen Age, les gens ne se lavaient pas ? Christophe Colomb a découvert l’Amérique ? Ce livre revient sur 80 poncifs considérés par beaucoup comme une réalité... (Coll. Rue des écoles, 28.00 euros, 282 p.) ISBN : 978-2-336-29074-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51351-8 Flavius Josèphe – Les ambitions d’un homme
Cohen-Matlofsky Claude
Quelles furent les ambitions cachées de Flavius Josèphe, historien Juif de l’Antiquité ? Il prône, à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type hasmonéen, à savoir d’un roi-grand prêtre, comme réponse à tous les maux de la Judée. La question fondamentale est la suivante : comment les élites locales
ont-elles géré leurs relations avec la puissance romaine et quel rôle les membres de l’élite ont-ils assigné à leurs traditions et constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? (Coll. Historiques, série Travaux, 15.50 euros, 152 p.) ISBN : 978-2-336-00528-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51387-7 mer (La), ses valeurs
Groupe «Mer et valeurs» Sous la direction de Chantal Reynier – Préface de Francis Vallat
La mer, plus que jamais, est la chance des hommes et la clef de leur avenir. Elle leur apprend la responsabilité, suscite l’esprit d’initiative, mais elle oblige tout autant à rester humble devant ses forces naturelles. Le groupe de réflexion «Mer et Valeurs», réunissant navigants et universitaires, examine l’influence de ces valeurs rapportées à toutes les activités humaines. Des références historiques et géographiques illustrent le développement intellectuel et économique des pays qui se sont tournés vers la mer. (21.00 euros, 188 p.) ISBN : 978-2-336-00836-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51412-6 Métamorphoses rurales Philippe Schar : itinéraire géographique de 1984 à 2010
Sous la direction de Dominique Soulancé et Frédéric Bourdier
Philippe Schar était convaincu que la géographie ne saurait exister sans la dimension du temps et la profondeur de l’histoire, seules capables de mettre pleinement en lumière le présent et de le restituer dans toutes ses dimensions. On retrouve en filigrane dans ses recherches concises et pointues la volonté de replacer les opérations de développement à l’interface des logiques promues par les décideurs d’un côté et par les populations de l’autre. Cet ouvrage présente une sélection de ses écrits. (33.00 euros, 320 p.) ISBN : 978-2-296-99748-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-51501-7 Pouvoir du Mal Les méchants dans l’histoire
Tulard Jean
L’Histoire n’est pas une magnifique suite d’actions héroïques et de gestes admirables. Sans le Mal pas d’Histoire. Et il faut l’avouer, les méchants sont les personnages les plus fascinants de la saga des peuples. En voici treize, présentés à travers des dramatiques interprétées jadis sur les ondes. Treize portraits où l’on retrouve méchants célèbres comme Néron ou Beria et héros insolites comme Olivier Le Daim ou le prince de Palagonia. Ils illustrent le pouvoir du Mal. (Coédition SPM, 25.00 euros, 270 p.) ISBN : 978-2-917232-01-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51010-4 vies (Les) de 12 femmes d’empereur romain Devoirs, intrigues et voluptés
Minaud Gérard
Grâce à un méticuleux travail de recherche se redéploie ce que furent les vies de 12 femmes d’empereur et leur influence, non seulement sur leur mari mais aussi sur
le destin de Rome. Les pires informations se mêlent. Un amour maternel allant jusqu’à l’inceste, un amour conjugal virant au meurtre, un amour du pouvoir justifiant tout. D’un autre côté, un sens du devoir exceptionnel, une habileté politique remarquable, un goût du savoir insatiable. (34.00 euros, 332 p.) ISBN : 978-2-336-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50711-1 monde (Le) des morts Espaces et paysages de l’Au-delà dans l’imaginaire grec d’Homère à la fin du Ve siècle avant J.-C.
Cousin Catherine
Ce livre propose d’étudier l’évolution des conceptions que les Grecs ont pu se former des espaces et des paysages de l’au-delà, jusqu’à la fin du Ve siècle avant J.C. Monde invisible, interdit aux vivants, mais sans cesse présent à leur esprit, les Enfers relèvent pleinement de l’imaginaire. Une comparaison entre productions littéraires et iconographiques enrichit cette étude et laisse entrevoir l’image mentale que les Grecs se forgeaient du paysage infernal. (Coll. Kubaba, série Antiquité, 39.00 euros, 402 p.) ISBN : 978-2-296-96307-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50624-4 Corps et âmes du mazdéen Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle
Pirart Eric
Selon les conceptions mazdéennes, l’individu posséderait plusieurs types d’âmes. Est-ce vrai ? Et qu’advient-il de telles âmes au-delà de la mort ? De quel sexe sontelles ? Et le corps ? Pour répondre à de telles questions, Éric Pirart analyse les textes zoroastriens des diverses époques anciennes ou médiévales et y décrypte le lexique de l’eschatologie individuelle. (Coll. Kubaba, 29.00 euros, 294 p.) ISBN : 978-2-296-99286-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-50580-3 3000 ans de révolution agricole Techniques et pratiques agricoles de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle
Vanderpooten Michel
De la Grèce et la Rome antiques à l’Andalousie arabe, des campagnes gauloises à la France des Lumières et de la Révolution industrielle du XIXe siècle, l’évolution des connaissances et des pratiques agricoles est ici retracée à travers l’étude de près de 4000 documents. Les étapes de la production agricole, à différentes époques, sont étudiées, ainsi que l’entrée de l’agriculture dans l’ère de la chimie et du machinisme. (Coll. Historiques, série Travaux, 34.00 euros, 332 p.) ISBN : 978-2-296-96444-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50329-8 Antiquité (L’) moderne
Wright Donald
Ce livre étudie le regard que l’homme de la Belle Époque porte sur l’Antiquité. Il analyse la modernité de la Troisième République et ce que celle-ci doit à une interprétation systématique et scientifique des apports grecs et romains. Au travers
des textes littéraires et scientifiques ainsi que de nombreux documents ensevelis puis retrouvés dans les archives françaises, ce livre est une étude sociologique d’une époque moderne par excellence qui se veut «classique». (Coll. Historiques, série Travaux, 27.00 euros, 274 p.) ISBN : 978-2-296-99168-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-50407-3 Grandeur et servitude coloniales
Sarraut Albert - Texte présenté par Nicola Cooper
Albert Sarraut fut l’un des maîtres-penseurs du colonialisme de la période de l’entre-deux-guerres. Cet ouvrage de 1931 est l’un des meilleurs exemples de la justification du colonialisme français : il touche à tous les impératifs coloniaux de la France, du tournant du siècle aux débuts de la décolonisation. C’est essentiellement Sarraut qui façonna le langage avec lequel les Français parlaient de leur empire colonial. (Coll. Autrement mêmes, 24.00 euros, 200 p.) ISBN : 978-2-296-99409-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50121-8 Homo Sapiens (L’) et le Neandertal se sont-ils parlé en ramakushi il y a 100000 ans ? Paléontologie génétique et archéologie linguistique
Diagne Pathé
Cet ouvrage présente les découvertes qui permettent pour la première fois d’éclairer de manière factuelle la révolution culturelle et linguistique, qui a planétarisé avec l’avènement de la parole de Sapiens, voire de Néandertal, le monothéisme et les cultes bachiques de bonne fortune et de fécondité, à partir de 300000 et 200000 ans av. J.-C. Les faits qui rendent compte de manière précise de cette révolution sont portés par le ramakushi et son vocabulaire comme langage datable matériellement entre 8000 et 10000 ans av. J.-C. (Editions Sankoré, 14.50 euros, 138 p.) ISBN : 978-2-296-99334-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50189-8 Histoire des peuples résilients (Tome 1) Traumatisme et cohésion VIe-XVIe siècle
Benoit Georges
Ce livre revient sur l’histoire de communautés éparses qui, surmontant le traumatisme de leur naissance improbable, firent preuve de résilience collective. Histoire particulière, marginale, de rescapés et de fuyards qui se prirent en charge pour se sauver, trouvant en eux-mêmes, dans leur cohésion intime, cette énergie qui les hissa au-dessus de l’ordinaire. Histoire de petites sociétés horizontales qui, vivant en périphérie du continent européen, irradièrent au loin jusqu’à se poster en économies-monde, quand la société médiévale, toute pétrie de verticalité hiérarchique, clouait la population au sol. (Coll. Historiques, série Essais, 23.00 euros, 222 p.) ISBN : 978-2-296-99201-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50168-3
L’HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L’HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662
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Ces 100 dignitaires qui changèrent l’Afrique proconsulaire sous le Haut-Empire romain Peut-on être riche et généreux en même temps ? Autrement dit, est-il aisé de rencontrer des personnes qui disposent de moyens financiers conséquents qu’ils ont accumulés, souvent à la sueur de leur front, à force de labeur, et qui sont prompts à les distribuer à leurs semblables sous les formes qu’ils souhaitent au point de changer leur univers d’origine ? Dans nos sociétés modernes, cela est une évidence. En Afrique, en Europe, aux Amériques... Il en est où cela est imposé sous forme de fiscalité. C’est le cas de la France, avec l’Impôt sur la Fortune (ISF). Il en est aussi où cela relève de l’initiative individuelle. Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, propriétaires de biens, acculumateurs de ressources, se font alors un point d’honneur de gratifier les moins nantis, souvent leurs congénères, de biens pour soulager leur peine, et d’entreprendre des œuvres à caractère social ou religieux. On parle alors de solidarité sociale ! L’Afrique proconsulaire, sous le Haut-Empire romain, de 27 av. J.-C. à 284 ap. J.-C., n’a pas échappé à cette règle. Nous avons en effet répertorié, parmi d’autres, 100 dignitaires issus d’un certain nombre de cités, qui ont accumulé de la richesse par le biais d’activités orthodoxes − l’agriculture, l’élevage et les fonctions intellectuelles − et hétérodoxes − l’art, l’artisanat, le commerce − et qui laissèrent la réputation d’hommes et de femmes généreux ou, à tout le moins, évergètes. Cet ouvrage nous a donc permis d’entrer de plain-pied dans cette société africaine de l’Antiquité et de voir comment la richesse et la générosité pouvaient aller de pair ! Hugues Mouckaga est Professeur titulaire (CAMES) en Histoire ancienne à l’UOB (Université Omar Bongo-Libreville-Gabon). Il est membre de la Société française d’Études épigraphiques sur Rome et le Monde romain (SFER Paris I-Paris IV-Sorbonne) et de l’Association des Historiens Africains (AHA). Il est également coordinateur de la Formation doctorale « Histoire et Civilisations » de l’Université Marien Ngouabi, UMNG, de Brazzaville (Congo). Il dirige le Centre de Recherche et d’Études en Histoire et Archéologie de l’UOB (CREHA-UOB) et est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, essentiellement sur la Rome ancienne.
Illustration de couverture : Africanus dives, Lamberto
ISBN : 978-2-343-03594-9
20 €