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French Pages 333 [341] Year 2002.
APOCRYPHITÉ HISTOIRE D'UN CONCEPT TRANSVERSAL AUX RELIGIONS DU LIVRE
EN HOMMAGE À PIERRE GEOLTRAIN
BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES
VOLUME
113
@j BREPOLS
CENTRE D'ÉTUDES DES RELIGIONS DU LIVRE
APOCRYPHITÉ HISTOIRE D'UN CONCEPT TRANSVERSAL
AUX RELIGIONS DU LIVRE EN HOMMAGE À PIERRE GEOLTRAIN
Sous LA DIRECTION DE SIMON CLAUDE MIMOUN!
avec la collaboration technique de Constantinos Macris
@ BREPOLS
La Bibliothèque de l'École des Hautes Études, Sciences Religieuses La collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches qui sont menés au sein de la Section des Sciences Religieuses de l' École Pratique des Hautes Études (Sorbonne, Paris). Dans l'esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées: philologie, archéologie, histoire, droit, philosophie, anthropologie, sociologie. Avec le haut niveau de spécialisation et d'érudition qui caractérisent les études menées à l'E.P.H.E., la collection Bibliothèque de !'École des Hautes Études, Sciences Religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s'intéresse aussi bien à l'originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes - judaïsme, christianisme, islam - qu'à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l'Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n'oublie pas non plus l'étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l'analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignant à l'E.P.H.E., anciens élèves de l'École, chercheurs invités, ... ).
© 2002 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. Ali rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2002/0095/75 ISBN 2-503-51349-2 Printed in the E.U. on acid-free paper
AVANT-PROPOS
Le présent livre s'inscrit dans une lignée de huit ouvrages du Centre d'études des Religions du Livre (CERL), dont le premier est paru en 1973 aux Études augustiniennes ('In principio '. Interprétations des premiers versets de la Genèse, sous la direction de Paul Vignaux) et le dernier en 1998 aux Éditions du Cerf (Entrer en matière. Les prologues, sous la direction de Jean-Daniel Dubois et Bernard Roussel). Il porte sur l'histoire du concept d'apocryphité dans les littératures religieuses issues du judaïsme et du christianisme jusqu'au xvrne siècle. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai tenu à publier ce volume en hommage à Pierre Geoltrain. Notre dette à son égard est immense, car pour les littératures apocryphes juives et chrétiennes Pierre Geoltrain a été tout à la fois un entraîneur, un fondateur et un enseignant - en un mot, il a dynamisé un secteur de recherche alors tombé en désuétude et laissé aux oubliettes. Les littératures apocryphes anciennes juives et chrétiennes doivent en effet beaucoup à Pierre Geoltrain qui les a, en quelque sorte, réactivées, les sortant ainsi du cloisonnement établi en théologie et ailleurs au profit notamment des littératures canonique, patristique ou hagiographique. Pierre Geoltrain est un des membres fondateurs de !'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC) en 1981 qui est responsable de la Series apocryphorum dans le Corpus christianorum, et en a été le premier vice-président. Il est un des fondateurs, avec Jean-Claude Picard trop tôt disparu, de la revueApocrypha en 1990. Il est un des co-éditeurs des deux volumes de la Pléiade sur les Écrits apocryphes chrétiens dont le premier est paru en 1997 et le second est en cours de publication. Sans compter qu'il est un des membres fondateurs du Centre d'analyse pour l'histoire du judaïsme hellénistique et des origines chrétiennes de la Section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études (CANAL) en 1984, et en a été le premier directeur. Mais c'est comme enseignant à la Section des sciences religieuses de !'École pratique des hautes études, où il a occupé durant plus de vingt-cinq ans la chaire des Origines du christianisme, que Pierre Geoltrain s'est surtout fait remarquer de ses nombreux élèves et auditeurs par sa compétence, son enthousiasme, sa délicatesse et sa gentillesse. Ses titres et travaux attestent que Pierre Geoltrain est de ceux autour desquels l'École pratique des hautes études ne cesse de se construire. Ma dette personnelle à son égard est grande : il a été durant des années un témoin attentif de mes travaux ; il a, par de très nombreuses interventions, accepté de partager avec moi son érudition et sa culture tout en demeurant un critique et un conseil tout aussi attentif que vigilant. Sans vouloir blesser sa traditionnelle discrétion dont il a toujours fait montre, j'ai souhaité témoigner à Pierre Geoltrain mon amitié et ma reconnaissance en lui dédiant ce livre. Simon C. Mimouni
LE CONCEPT D' APOCRYPHITÉ DANS LE CHRISTIANISME ANCIEN ET MÉDIÉVAL. RÉFLEXIONS EN GUISE D'INTRODUCTION
Simon C. MIMOUN! École pratique des hautes études - Section des sciences religieuses
Résumé
Dans cette contribution réflexive et introductive, ils' agira de montrer que ce quel'on appelle littérature apocryphe repose sur un concept théologique qui ne fonctionne que dans un rapport avec la littérature canonique. On donnera aussi des éléments de recherche relatifs à la définition et à l'histoire du terme apocryphe, ainsi que des remarques et des conclusions qui permettront de mettre en évidence certains paradoxes de cette littérature qui n'a été constituée, mise en corpus, en tant qu 'objet d'étude que par rapport à une autre littérature.
Abstract In this contribution, both reflective and introductive, we would like to show that the
so-called apocryphal literature is based on a theological concept, which works only in relation to the canonicat literature. We will present some elements ofresearch which are related to the definition and the history of the term «apocrypha». Notes and conclusions will permit to put out the paradoxical character of this lite rature, which has been constituted as a corpus and as a subject of studying only in relation to another literature.
Au point de départ, le concept d'apocryphité suppose le concept de canonicité 1. C'est donc d'abord la constitution d'un corpus d'écrits dits canonisés qui a généré ensuite de diverses manières une littérature définie comme apocryphe. Le concept d' apocryphité repose donc apparemment sur une simple équation: il est le produit d'un autre concept, celui de la canonicité. Même s'il s'agit là d'une évidence, il convient de ne pas généraliser à tous les cas ce paramètre. Rappelons par ailleurs que F. Schmidt a bien démontré que le concept d'apocryphité et celui de canonicité proviennent de deux critères originaires eux-mêmes de deux milieux différents: (1) le critère d'inspiration en provenance des milieux juifs; (2) le critère d'attribution en provenance des milieux grecs 2 .
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Les écrits apocryphes dont il est question ici sont ceux qui sont en dehors de tout canon. «L'Écriture falsifiée. Face à l'inerrance biblique: l'apocryphe et la faute», dans Le Temps de la réflexion 5 (1984), p. 147-165. 2 F. SCHMIDT,
Le concept d'apocryphité Lorsqu'on parle de concept, au sens historique du terme et non pas nécessairement au sens philosophique, c'est essentiellement afin de pouvoir envisager l'approche du phénomène de l'apocryphité sous l'angle épistémologique et historiographique-l'un et l'autre n'ont été, en effet, que trop négligés au profit de l'angle philologique. Il ne suffit plus, semble-t-il, d'éditer des textes dits «apocryphes» et de les étudier, il faut aussi se demander ce que représentent ces textes - autrement exprimé: quels ont été leurs statuts théologiques dans les diverses traditions religieuses au cours du temps et selon les régions et quelles ont été les raisons doctrinales qui ont conduit à les faire taxer d'apocryphes? On doit encore se demander, pour les textes apocryphes plus tardifs - postérieurs au ive siècle-, quelles ont été les conditions et les motivations de leur production, de leur diffusion et donc de leur utilisation et de leur fonction. Donner des éléments de réponse à ces questions, qui certes sont difficiles, paraît tout aussi nécessaire que le labeur d'édition dont l'utilité n'est évidemment plus à démontrer. La pseudépigraphie, qui caractérise tant l'apocryphité, ne peut se comprendre que lorsqu'on sait que, d'une manière générale, un auteur ancien est la somme (1) d'un nom tel que les anciens l'ont reconnu, (2) d'œuvres telles que la tradition les lui a reconnues également, et (3) de l'épaisseur des interprétations qui se chargent de leur donner un sens: d'où les difficultés qui se présentent au chercheur moderne, qui a l'intention de démêler «le vrai du faux», «l'authentique de l'apocryphe» 3 . Dans le cas de la plupart des auteurs anciens, il convient de savoir que leur vie et leur oeuvre ont été doublées de fiction - à date ancienne, et que ce tissu de fiction n'a fait que s'épaissir avec le temps. Revenir à «l'authentique» par le biais d'une philologie critique est sans doute souhaitable, mais n'est possible que dans certaines limites. C'est pourquoi, plutôt que de vouloir retourner au noyau «authentique» constitué par un auteur «réel», il vaudrait mieux s'interroger sur la capacité de la littérature ancienne à développer une catégorie pseudépigraphique autour d'auteurs ou de genres existants. Un autre phénomène, proche de la pseudépigraphie, intervient pour le cas de la littérature apocryphe, c'est celui de l'antonomasie qui consiste en la substitution d'un nom commun en un nom propre 4 . Dans le christianisme ancien et médiéval, tant en Orient qu'en Occident, pour étudier le concept d'apocryphité, il convient de faire appel aux sources qui sont qualifiées d'apocryphes - tautologie certes, mais qu'il n'est pas inutile d'énoncer. Par sources dites «apocryphes», il paraît nécessaire de comprendre l'ensemble des écrits que l'on range habituellement et malencontreusement sous les rubriques «Apocryphes de l'Ancien Testament» et «Apocryphes du Nouveau Testament». Indépendamment de la provenance de ces écrits, ce qui importe, en effet, dans le cas présent c'est la transmission. Il convient par conséquent de prendre en considération 3 Au sujet de la pseudépigraphie chrétienne, voir W. SPEYER, Die literarische Fiilschung im heidnischen und christlichen Altertum, Munich, 1971 et N. BRox, Falsche Verfasserangaben. Zur Erkliirung der frühchristlichen Pseudepigraphie, Stuttgart, 1975. À ce propos, voir les intéressantes remarques de J.-D. KAESTLI, «Mémoire et pseudépigraphie dans le christianisme de l'âge post-apostolique», dans Revue de théologie et de philosophie 125 (1993), p. 41-63, auxquelles on peut ajouter celles de R. BURNET, «La pseudépigraphie comme procédé littéraire autonome: l'exemple des Pastorales», dans Apocrypha 11 (2000), p. 77-91. 4 Voir K. DEMSEN, «Exemples d'antanomasie dans l'oraison funèbre de S. Basile de Césarée (BHG 245). Un nom peut en cacher un autre», dans Analecta bollandiana 112 (1994), p. 304308.
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Simon C. Mimouni l'ensemble des écrits apocryphes qui sont transmis par le christianisme, même si nombre d'entre eux proviennent du judaïsme. Il est temps de préciser qu'il est extrêmement difficile de définir le concept d'apocryphité, qui peut sensiblement varier - comme on va pouvoir le constater - d'une période à une autre, d'une région à une autre, et même d'un auteur à un autre. De toute façon, la définition d'une littérature n'est pas neutre du fait même qu'elle engage une interprétation - on pourra d'ailleurs se demander, lorsqu'il en sera question, s'il ressort du travail de l'historien de fournir des définitions. Quoi qu'il en soit, la littérature apocryphe chrétienne représente actuellement un ensemble fort important de textes dont le foisonnement dépasse tout cadre temporel et spatial. Il est en effet difficile - mais pas impossible - de circonscrire cette littérature à une époque donnée ou à un espace précis. De plus, elle ne se laisse pas définir d'après le genre littéraire, du fait même de son caractère peu spécifique: les écrits dits apocryphes relèvent en effet des mêmes genres littéraires que les écrits qui ne sont pas apocryphes - ils posent aussi évidemment les mêmes problèmes littéraires. Les écrits apocryphes chrétiens ont été appréciés d'un point de vue littéraire par rapport aux méthodes de l'intertextualité 5 . Selon J.-D. Kaestli, «la littérature apocryphe offre un champ privilégié pour l'observation des pratiques intertextuelles, mais il serait faux de vouloir la définir globalement comme une littérature au second degré» 6 . Ainsi certaines des catégories de l'hypertextualité définies par G. Genette peuvent aider à comprendre les méthodes de composition des auteurs d'écrits apocryphes qui, la plupart du temps, se sont fondés sur un texte qui leur est antérieur. Mais l'hypertextualité n'explique cependant pas tout, d'autant que dans nombre de cas il ne s'agit pas d'un texte antérieur mais simplement d'une tradition antérieure - ou bien alors on ne dispose plus du texte plus ancien que le texte plus récent est venu remplacer en l'actualisant ou en le modifiant. La méthode de l'hypertextualité est très utile dans certains cas, à condition cependant de disposer à la fois de !'hypertexte et de l'hypotexte qui lui est antérieur - ce qui n'est pas toujours le cas pour la littérature apocryphe. Quant à qualifier cette littérature de «littérature au second degré», c'est difficile à dire car cela sous-entendrait l'existence d'une «littérature au premier degré» - ce qui serait une pure vue de l'esprit! Afin de prendre conscience de l'extrême complexité de ce domaine documentaire, il convient de souligner encore qu'un même écrit peut être attesté dans diverses langues. Et, très souvent, il apparaît alors difficile de savoir quelle est la version originale et quelles sont les versions secondaires. Sans compter que dans chacune des langues dans lesquelles il est conservé, un même écrit représente une culture et une histoire qu'il faut souvent prendre la peine de reconstituer. On a tendance à ranger dans cette catégorie des textes que le canon n'a pas retenu - comme I'Épître de Barnabé. On y classe aussi des écrits qui n'ont pas pris place parmi les Pères de l'Église, essentiellement à cause de leur caractère pseudépigraphique - comme le Pasteur d'Hermas.
5 Voir les utiles remarques de J.-F. JEANDILLOU, Esthétique de la mystification. Tactique et stratégie littéraires, Paris, 1994, p. 137-146, au sujet des «ambiguïtés textuelles». 6 Voir J.-D. KAESTLI, «La littérature apocryphe peut-elle être comprise comme une "littérature au second degré" (G. Genette)?», dans D. MARGUERAT-A. CURTIS (éd.), Intertextualités. La Bible en échos, Genève, 2000, p. 288-304.
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Le concept d'apocryphité
Les écrits apocryphes chrétiens sont, dans l'ensemble, des oeuvres dont la spécificité majeure est d'avoir été repoussées, d'avoir été cachées - cette mise à l'écart est à considérer au cas par cas, elle répond évidemment à des contingences fort particulières qu'on doit mettre au jour. Une question, au demeurant fondamentale, se pose: pourquoi un texte a-t-il été qualifié d'apocryphe? Il faut bien avouer que, dans la plupart des cas, il est difficile de répondre rapidement et clairement à cette question, d'autant que les conditions d'apocryphité varient, comme on l'a déjà dit, selon les époques, selon les régions, voire selon les auteurs. D'une manière générale, on peut déjà préciser que les apocryphes ne sont pas considérés de façon identique en Orient et en Occident. En Orient, les apocryphes représentent une catégorie de textes qui est utilisée dans la lecture liturgique. En Occident, ils représentent une catégorie de textes qui se camoufle dans l'hagiographie, et donc, dans une certaine mesure, ils sont aussi utilisés dans la lecture liturgique. Néanmoins, cette différence de statut a entraîné que des textes peuvent avoir plus ou moins disparu dans certaines traditions occidentales alors qu'ils existent toujours dans certaines traditions orientales. Parmi les nombreuses raisons généralement invoquées, la plus importante paraît être celle des utilisateurs 7 . Là encore l'attitude est différente en Orient et en Occident. En Orient, si l'utilisateur d'un texte est convaincu d'hérésie, le texte utilisé par lui, dans son argumentation doctrinale, n'est pas qualifié d'apocryphe - on dira qu'il a mal interprété le texte en question. En revanche, en Occident si l'utilisateur d'un texte est convaincu d'hérésie, le texte utilisé par lui dans son argumentation doctrinale est, par contrecoup, qualifié d'apocryphe. On peut même ajouter, dans ce dernier cas, qu'on disqualifie d'abord l'ouvrage et ensuite l'utilisateur - l'ouvrage permet donc en quelque sorte d'attaquer l'utilisateur. C'est ce qui s'est passé, par exemple, à la fin du ive siècle pour le Protévangile de Jacques. En Orient, malgré son utilisation par des chrétiens qualifiés d'hérétiques, le texte n'a pas disparu et est attesté par de très nombreux manuscrits. Alors qu'en Occident, c'est précisément parce qu'il a été utilisé par des chrétiens qualifiés d'hérétiques que le texte a vraisemblablement disparu - pas complètement d'ailleurs car on commence à en retrouver des fragments, parfois presque complets, dissimulés dans les manuscrits sous les titres afférents à l'Évangile de !'Enfance du PseudoMatthieu, le remaniement qui lui a succédé afin de le remplacer. De plus, jusqu'à la constitution du «canon chrétien», il semble difficile de parler de textes apocryphes. Jusqu'au milieu du ne siècle, il est en effet plus ou moins impossible de distinguer les textes apocryphes des textes canoniques. Cette distinction n'apparaît que plus tard, quand au gré des circonstances une certaine orthodoxie se définira par rapport à une certaine hétérodoxie: les ouvrages des premiers seront alors qualifiés de canoniques, ceux des derniers étant qualifiés d'apocryphes. Ce qui n'empêchera pas les communautés se considérant comme orthodoxes de récupérer par la suite certains ouvrages qualifiés d'apocryphes pour les incorporer dans le corpus des lectures liturgiques, mais seulement à une époque où leurs communautés de provenance et de diffusion liturgiques, déjà disparues, ne peuvent plus, de ce fait, représenter un danger à leurs yeux.
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Par utilisateur, il convient d'entendre un théologien, qui utilise un texte au statut mal défini, pour défendre une position doctrinale.
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Simon C. Mimouni
En règle générale, il est difficile de parler de corpus quand il s'agit de textes apocryphes. Toute constitution de corpus est un acte particulier de classement, répondant à un projet éditorial, voir à une idéologie. Or, les textes apocryphes ne se laissent pas cerner aussi facilement dans un tel exercice, du fait même qu'ils ne répondent pas, évidemment, à une catégorisation définie au préalable, ni dans le temps ni dans l'espace. Ils ne peuvent pas, en effet, constituer un corpus, car pour la plupart ce sont des textes qui ont été justement exclus des autres corpus, notamment du corpus des textes canoniques, du corpus des textes patristiques et du corpus des textes hagiographiques pour ne citer que les principaux. En réalité, on doit la constitution de corpus d'écrits «apocryphisés» à des tentatives relativement récentes qui sont toutes liées au travail moderne d'édition, dont une des toutes premières remonte au XVIIIe siècle avec J.A. Fabricius 8. D'ailleurs, le fait même de parler de littérature apocryphe chrétienne est une aberration en soi, voire même une pure vue de l'esprit. Mais comment faire autrement, comment désigner cette littérature aux contours si insaisissables, aux ramifications innombrables? Il convient donc de ne pas s'étonner de cet aspect aussi particulier de la littérature apocryphe chrétienne, qui est inhérent à toute littérature religieuse apparaissant dans le désordre des communautés naissantes ou étant refoulée aux marges de ces dites communautés. Mentionnons cependant l'existence dans l'histoire de listes de livres «apocryphisés» qui sont rapportées par des Pères de l'Eglise, notamment, par exemple, la liste établie par Eusèbe de Césarée 9 . Lorsqu'on aborde la littérature apocryphe chrétienne, on se voit par conséquent confronter à bon nombre de difficultés dont certaines ressortissent à des problèmes d'ordre épistémologique ou d'ordre méthodologique. D'une manière générale, il convient de souligner que l'existence «scientifique» du domaine de la littérature apocryphe chrétienne n'est, à bien des égards, que la continuation des «perspectives théologiques» qui remontent au ive siècle -en se fondant sur Eusèbe et Jérôme-, et qui ont été exploitées aux xv1e-xy11e siècles ainsi que développées à partir du xv111e siècle et ce, qu'on le veuille ou non, jusqu'à nos jours. On voudrait donner, dans cette approche réflexive et introductive, des éléments de recherche pour une définition et une histoire du terme apocryphe, ainsi qu'une bibliographie générale afin de faciliter l'accès à un domaine où les publications commencent à devenir foisonnantes 10 • Auparavant, à partir d'un article de Pierre Gisel, paru en 1996, on voudrait aborder succinctement nombre de problèmes que pose la littérature apocryphe chrétienne, surtout quant au plan de ses rapports avec la littérature canonique chrétienne 11 .
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J.A. FABRICIUS, Codex apocryphus Novi Testamenti, 2 volumes, Hambourg, 1703-1719. Voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique III, 25. 10 Pour une approche philosophique de la question et dans une perspective épistémologique, voir 1. ULLERN-WEITÉ, «Pour une compréhension de la signification apocryphe dans le continent scripturaire», dans Apocrypha 6 (1995), p. 235-278. 11 P. GISEL, «Apocryphes et canon: leurs rapports et leurs statuts respectifs. Un questionnement théologique», dans Apocrypha 7 (1996), p. 225-234. 9
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Le concept d'apocryphité Dans cette contribution parue en 1996 12, P. Gisel a proposé à la discussion une série de thèses sur le concept ou la notion d' apocryphité par rapport au concept ou à la notion de canonicité 13 . Ce thèses sont - prévient l'auteur - «des thèses théologiques», mais qui, à ses yeux, sont essentielles «dès lors qu'on veut aborder et comprendre le christianisme comme phénomène religieux» 14 . Dans une série de constats, il est judicieusement rappelé que de nombreux textes rétrospectivement dits «apocryphes» - circulent aux premiers siècles du christianisme, et peuvent être caractérisés de la manière suivante: 1. ils sont contemporains des textes qui vont se trouver «canonisés» par l'Eglise au ive siècle pour la totalité ou au me siècle pour certains; 2. ils peuvent même, pour certains d'entre eux, être plus anciens que les textes «canonisés»; 3. ils représentent les expressions et les vecteurs des croyances des communautés chrétiennes: ils ont, au ne siècle par exemple, un statut et une fonction analogues à ceux des textes qui seront ultérieurement reconnus comme «canoniques» 15 ; 4. ils sont assez nombreux et apparaissent comme aussi répandus, aussi connus et aussi utilisés que les futurs textes canoniques; 5. ils peuvent être indépendants des textes qui deviendront «canoniques», voire fondés sur une tradition plus ancienne; 6. ils sont l'objet d'entreprises de réécriture constante ou de modifications répétées, c'est aussi le cas, et de la même manière, des textes appelés à devenir «canoniques». P. Gisel conclut cette série de constats en estimant- en accord d'ailleurs avec H. Koester - qu'il faut aller «à l'encontre de théories qui veulent que seuls les textes canoniques aient eu autorité à enregistrer l'histoire des tout débuts du christianisme. Cette histoire est beaucoup plus intéressante aussi parce que plus diversifiée dans ses options théologiques» 16 et - avec É. Junod - qu'il faut considérer que «le principe selon lequel notre connaissance de la foi des premiers chrétiens et des traditions anciennes sur Jésus doit exclusivement s'appuyer sur les écritures canoniques est un a priori insoutenable du point de vue historique» 17 . Il convient donc, selon P. Gisel, d' «abandonner les jugements qui, dès le ive siècle surtout, dans l'Eglise et non sans analogies, dès le XVIIIe siècle, dans la critique historico-philologique, ont tendu à déprécier les textes dits apocryphes ... comme oeuvres de "faussaires", comme textes "inauthentiques" et "mensongers", marqués
12 Cet article reprend les grandes lignes d'une conférence délivrée en 1995 lors du Colloque de Lausanne sur la littérature apocryphe chrétienne. 13 Il convient de préciser qu'une telle perspective est partielle, car elle n'envisage que les textes anciens, antérieurs au IIIème siècle. 14 Il y est souligné avec raison qu'il est difficile d'échapper à la perspective théologique quant il est question du couple apocryphe/canonique. Cette perspective théologique est la seule qui permet, en effet, à l'historien de comprendre un tel couple, sinon la littérature chrétienne - dans sa conservation, dans sa sélection et dans sa répartition - devient incompréhensible à l'historien. 15 À ce sujet, on peut remarquer que la décision conciliaire du canon n'est pas antérieure au concile de Trente lors de la session du 8 avril 1546. 16 Voir H. KoESTER, «Une production de la communauté chrétienne: les Paroles du Seigneur», dans Genèse de !'Ecriture chrétienne, Turnhout, 1991, p. 56. 17 Voir É. JuNOD, «Les écrits apocryphes: une concurrence hérétique aux écrits bibliques?», dans Sciences: raison et déraisons, Lausanne, 1994, p. 24.
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Simon C. Mimouni d'"influences religieuses étrangères" au christianisme, de "qualité médiocre" ... qui "infléchiraient" enfin, négativement, le message originaire». Et d'ajouter: «il faut se départir de la vision ... partant d'un ensemble de textes canoniques et d'un ensemble postulé d'apocryphes ... comme s'ils pouvaient délimiter deux champs différents et séparés». Pour P. Gisel, chaque fois qu'on s'intéresse à la littérature apocryphe- dans l'orbite de la théologie ou en dehors de la théologie - dire apocryphe suppose un rapport au canonique, qu'il soit favorable ou défavorable. La réflexion touchant les rapports entre «apocryphes» et «canoniques» doit être replacée à un carrefour de plusieurs questions que l'on peut ramener, en paraphrasant l'auteur, à une seule: la canonisation des textes n'est-elle pas arbitraire et ne faut-il pas élargir un champ abusivement réduit et marqué d'une dichotomie relevant de procédures idéologisantes? En d'autres termes, ne faut-il pas élargir le champ des sources d'un événement «originaire» placé au départ du christianisme: Jésus selon les uns ou un kérygme selon les autres, et ne faut-il pas élargir nos sources quant à la connaissance des débuts du christianisme? P. Gisel propose ensuite à la discussion une série de thèses, qui sont des thèses théologiques mais auxquelles nul - selon lui - ne peut échapper, qu'il soit croyant ou non, théologien ou non, dès lors qu'il veut aborder et comprendre le christianisme comme phénomène religieux. Et, avec beaucoup d'acribie, il précise: «hors de cela, on a, au plus, une "littérature chrétienne primitive", non des "apocryphes" et des ... "canoniques'', mais du coup le christianisme comme tel n'existe plus ... il est dissout... au titre historique même ... ». Dix thèses sont donc alors présentées par l'auteur, elles peuvent se résumer en ces termes: 1. «Il n'y a pas de différence intrinsèque entre textes apocryphes et textes canoniques». 2. «La différence entre ces textes tient centralement à leur insertion dans le canon». 3. «La canonicité est une décision ecclésiale; elle ressortit comme telle à l'institutionnel, avec ses jeux propres et dans une fonction donnée». 4. «Que le lieu où doit être reconnue la vérité, le lieu où elle est dite et reçue, soit une Écriture canonique est un élément cardinal del' économie proprement chrétienne». 5. C'est l' Écriture qui est canonisée, non pas les faits et dits de Jésus. En d'autres termes, une parole apocryphe mais reconnue historiquement comme "authentique" en tant que parole de Jésus est, en christianisme, sans aucune valeur canonique, réciproquement, une parole canonique mais reconnue historiquement comme "inauthentique" en tant que parole de Jésus a, en christianisme, pleine valeur canonique. 6. «Le fait canonique suppose une pluralité. Il tranche sur cette pluralité, mais pour en permettre une régulation ... Concrètement, les textes canoniques et les textes apocryphes sont habités des mêmes questionnements et ressortissent aux mêmes champs de références». 7. «Oublier le statut du Canon ... comme oublier la pluralité, initiale ... conduit à une idéologisation». 8. «Un canon ou une absence de canon ne va pas indifféremment de pair avec tel ou tel type, telle ou telle forme religieuse, mais affecte au contraire la vérité même qui est en jeu». 9. «Faire voir la spécificité d'un canon, c'est le restituer à une pluralité, potentielle ou effective, des types qui donnent forme et consistance au religieux: un canon chrétien n'est pas un canon gnostique, manichéen, etc.».
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Le concept d'apocryphité 10. La dernière thèse, quant à elle, consiste en deux «précisions théologiques finales»: - «En Christianisme ... Jésus a le statut d'une référence, à partir d'un présent dès le départ et irréductiblement différent, et dès le départ et irréductiblement à distance»; - «Le christianisme vit foncièrement d'un jeu de mémoire, et d'une mémoire prise dans la matrice d'une écriture et d'une réécriture». L'énoncé de ces thèses se suffit à lui-même et rend inutile tout commentaire, tellement il est éloquent, montrant toute la complexité que pose l'apocryphe par rapport au canonique, surtout si l'on tente de réduire les différences catégorielles et statutaires qui ont régi durant des siècles les uns et les autres, voire si l'on tente de réintroduire les apocryphes dans le canon. P. Gisela raison de considérer que l'historien du christianisme ancien doit prendre conscience que le phénomène de l'apocryphité est à considérer au même titre que le phénomène de la canonicité. Personne ne songerait à nier l'existence du phénomène de la canonicité, alors pourquoi vouloir dénoncer le phénomène de l'apocryphité - d'autant que les deux phénomènes sont extrêmement liés. L'historien du christianisme ancien, comme de n'importe quel autre domaine de recherche, doit rendre compte de ce qui s'est passé, il ne doit en aucun cas refaire le passé, au risque alors de poursuivre le travail du théologien - c'est pourquoi, il ne peut pas et ne doit pas se permettre de collaborer à une quelconque réhabilitation d'une littérature qui a été qualifiée d'apocryphe au cours du temps, il peut et doit seulement la retrouver et la restituer, sans porter le moindre jugement d'appréciation critique sur ce point, et surtout afin de s'en servir comme d'une source pour reconstruire l'histoire du christianisme dans ses représentations les plus diversifiées.
Éléments de recherche pour une définition du terme « apocryphe » Les écrits apocryphes chrétiens entretiennent un rapport plus ou moins étroit ou plus ou moins large avec les livres bibliques, avec des événements évoqués ou des personnages mentionnés dans la Bible - Ancien et Nouveau Testaments réunis. Il est utile de préciser que ce rapport varie beaucoup d'un texte - ou d'un groupe de textes - à un autre, mais qu'à cet égard, l'âge des écrits apocryphes joue un rôle déterminant. On constate, en effet, que les apocryphes les plus anciens ont généralement des rapports assez lâches avec les canoniques, alors que l'influence de la Bible sur la composition des apocryphes les plus récents va en augmentant plus on s'éloigne de l'époque du phénomène de la canonisation et de celui l'apocryphisation. Ce qui se comprend aisément au regard du fait que l' apocryphisation de ces derniers écrits n'est, souvent, pas antérieure au XVIIIe siècle. Autrement dit, les apocryphes anciens méritent une telle qualification, alors que les apocryphes récents ne méritent pas une telle qualification qui, elle, est historiographique. On va se limiter aux données les plus essentielles et les plus récentes, en partant cependant de la définition des Pères de l'Église et de quelques autres définitions qui ont suivi leurs perspectives et en passant ensuite aux propositions de W. Schneemelcher, de É. Junod et de J.-C. Picard 18 .
18 Pour une perspective plus complète, voir C. MARKSCHIES, «Neutestamentliche Apokryphen. Bemerkungen zu Geschichte und Zukunft einer von Edgar Hennecke im Jahre 1904 begründeten Quellensammlung», dans Apocrypha 9 (1998), p. 97-132.
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Simon C. Mimouni Définition des apocryphes selon les Pères de l'Église. Chez les Pères de l'Église sont considérés comme apocryphes un certain nombre d'écrits parmi lesquels: 1. ceux qui contiennent à la fois des données utiles et des erreurs doctrinales (cf. Origène, Augustin); 2. ceux qui ont essayé, du fait de leurs auteurs ou indépendamment de leur volonté, de se faire compter au nombre des écrits considérés par les églises comme inspirés par Dieu (cf. Eusèbe); 3. ceux qui ne sont pas acceptés pour la lecture publique dans les églises parce qu'ils ne sont pas canoniques (cf. Rutin, Jérôme); 4. ceux dont l'origine est inconnue et dont l'attribution à tel ou tel auteur est fausse (cf. Jérôme, Augustin); 5. enfin, les écrits hérétiques ou utilisés par des hérétiques (cf. Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, Hippolyte de Rome). Il ne paraît pas inutile de rappeler pour mémoire les définitions avancées par J.B. Frey et E. Amann dans leurs articles sur les apocryphes parus dans le Supplément au Dictionnaire de la Bible en 1928:
«Nous appelons 'apocryphes' des ouvrages qui, n'étant pas inspirés, doivent être placés hors du canon des saints Livres, quoique, par leur titre ou leur objet, ils paraissent s'arroger une autorité divine ou qu'ils aient été tenus autrefois, du moins par certains, pour sacrés» 19 . «Est apocryphe tout écrit, mais celui-là seulement, qui a essayé du fait de son auteur, ou indépendamment de la volonté de celui-ci, de se faire compter au nombre des écrits considérés par l'Église chrétienne comme inspirés de Dieu» 20 . On le constate, ces définitions s'inspirent encore de celles retenues par les Pères de l'Église, notamment par Eusèbe.
Définition de la littérature apocryphe chrétienne proposée par W. Schneemelcher en 1959. «Les apocryphes du Nouveau Testament sont des écrits qui n'ont pas été admis dans le canon, mais qui, par leur titre ou d'autres énoncés, émettent la prétention d'avoir une valeur équivalente à celle des écrits du canon, et qui, du point de vue de l'histoire des formes, prolongent et développent des genres littéraires créés ou repris dans le Nouveau Testament, tout en incorporant aussi des éléments étrangers» 21 .
19 Voir J.-B. FREY, Art. «Apocryphes del' Ancien Testament. Généralités sur le sens du mot apocryphe et sur les apocryphes», dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 1 (1928), col. 354. 20 Voir E. AMANN, Art. «Apocryphes du Nouveau Testament», dans Dictionnaire de la Bible. Supplément 1 (1928), col. 465. 21 Voir E. HENNECKE - W. SCHNEEMELCHER (éd.), Neutestamentliche Apokryphen in deutscher Uebersetzung, Tübingen, 1959, vol. 1, p. 6.
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Le concept d'apocryphité Cette définition est importante, du fait même qu'elle a été largement reçue parmi les spécialistes, notamment par M. Erbetta et L. Moraldi, qui ont beaucoup œuvré à la constitution de corpus apocryphes 22 • Relevons que dans la critique de cette définition, en 1983, É. Junod a mis en évidence les trois points suivants 23 : 1. elle postule que tous les textes concernés ont prétendu avoir une valeur équivalente aux écrits canoniques; 2. elle impose une limite chronologique: l'époque précédant la clôture du canon, soit les trois premiers siècles: 3. elle défend la thèse que les textes concernés appartiennent en tout ou en partie à des genres littéraires attestés dans le Nouveau Testament. Autrement dit, cette critique dénonce la priorité accordée aux textes du Nouveau Testament et à la constitution du canon néo-testamentaire dans la définition des écrits apocryphes. Définition de la littérature apocryphe chrétienne proposée par É. Junod en 1983 24 . Commentant la définition proposée par W. Schneemelcher dans l'édition des Neutestamentliche Apokryphen parue en1959, É. Junod a avancé une autre définition: «Textes anonymes ou pseudépigraphes d'origine chrétienne qui entretiennent un rapport avec les livres du Nouveau Testament et aussi del' Ancien Testament parce qu'ils sont consacrés à des événements racontés ou évoqués dans ces livres ou parce qu'ils sont consacrés à des événements qui se situent dans le prolongement d'événements racontés ou évoqués dans ces livres; parce qu'ils sont centrés sur des personnages apparaissant dans ces livres, parce que leur genre littéraire s'apparente à ceux d'écrits bibliques» 25 . La considérant assurément comme autant laborieuse que contestable, l'auteur précise - en note - qu'un apocryphe chrétien ne possède pas nécessairement, et au même degré, chacune des caractéristiques mentionnées, et signale la difficulté de tracer une frontière entre littérature apocryphe et littérature hagiographique. Définition de la littérature apocryphe chrétienne proposée par W. Schneemelcher en 1987. «Les apocryphes du Nouveau Testament sont des écrits qui remontent aux trois premiers siècles de l'histoire de l'Église et qui, par leur titre, leur genre littéraire ou leur contenu, entretiennent une relation définie avec les écrits néo-testamentaires. Le rap-
22 M. ERBETTA, Gli apocrifi del Nuovo Testamento, 4 volumes, Turin, 1966-1981 et L. MORALDI, Apocrifi del Nuovo Testamento, 2 volumes, Turin, 1971 1; 3 volumes, Casale Monferrato, 19942 • 23 É. JuNOD, «Apocryphes du NT ou apocryphes chrétiens anciens? Remarques sur la désignation d'un corpus et indications bibliographiques sur les instruments de travail récents», dans Etudes de Théologie Religieuses 58 (1983), p. 409-421. 24 É. JuNOD, «op. cit.», dans Études de Théologie Religieuses 58 (1983), p. 409-421. 25 Cf. É. JUNOD, «op. cit.», dans Études de Théologie Religieuses 58 (1983), p. 412.
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Simon C. Mimouni port aux ouvrages canoniques est très différent selon les divers apocryphes et il doit être défini au cas par cas. Pareillement, les motifs qui ont conduit à la formation des apocryphes ne sont nullement de même nature. Il convient avant tout, pour définir ce que sont maintenant les apocryphes du Nouveau Testament, de prendre en considération les circonstances historiques de leur composition. Cela ne vaut pas seulement pour l'établissement de la frontière avec la littérature hagiographique, mais c'est particulièrement important pour les relations avec le canon, en voie de constitution ou clos, du Nouveau Testament» 26 . W. Schneemelcher, dans cette proposition, nuance et élargit la définition avancée précédemment. Pour É. Junod, cependant, elle garde le défaut de limiter la production des écrits apocryphes à l'époque de la formation du canon, de négliger les textes produits ou réécrits en langues orientales et d'établir un lien trompeur entre les genres littéraires des apocryphes et ceux des canoniques 27 •
Définition de la littérature apocryphe chrétienne proposée par É. Junod en 1993 28 . Commentant la définition proposée par W. Schneemelcher dans l'édition des Neutestamentliche Apokryphen parue en 1987, É. Junod n'a pas donné une nouvelle définition mais a ajouté à sa première définition la précision suivante: «Le rapport que ces textes entretiennent avec les livres du Nouveau Testament et aussi de l'Ancien Testament ne sont parfois que lointains et nettement secondaires au regard des liens qui attachent ces textes à d'autres ouvrages de la littérature chrétienne, et, dans certains cas, juive ou païenne» 29 . Par ailleurs, il se contente de souligner que «Si l'histoire et la survie des écritures canoniques sont marquées par la stabilité ainsi que par la création de commentaires, l'histoire et la survie des apocryphes sont marquées par la mouvance ainsi que par l'engendrement d'autres écritures apocryphes» 30 .
Définitions de la littérature apocryphe chrétienne proposées par Jean-Claude Picard. J.-C. Picard, un des fondateurs de la revue Apocrypha, a donné deux définitions de la littérature apocryphe chrétienne qu'il désigne souvent par l'expression «continent apocryphe».
26 Voir W. SCHNEEMELCHER (éd.), Neutestamentliche Apokryphen, Tübingen, Vol. 1, 1987, p. 52. 27 É. JuNOD, «Apocryphes du Nouveau Testament: une appellation erronée et une collection artificielle. Discussion de la nouvelle définition proposée par W. Schneemelcher», dans Apocrypha 3 (1993), p. 17-46. 28 E. JuNOD, «op. cit.», dans Apocrypha 3 (1993), p. 17-46. 29 É. JUNOD, «op. cit.», dans Apocrypha 3 (1993), p. 27. 30 É. JUNOD, «Op. cit», dans Apocrypha 3 (1993), p. 46.
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Le concept d'apocryphité lère définition: «Ensemble de traditions apocryphes bibliques répandues dans le monde antique puis médiéval par le judaïsme, le christianisme et l'islam» 31 . Cette définition extrêmement large semble conduire à proposer la constitution d'un nouveau corpus. 2ème définition: «Dépasser la notion stricte de livre apocryphe au profit de celle, plus vaste, de "tradition mémoriale" ou de "matière apocryphe". Si l'on redéploie l'ensemble du matériel apocryphe, nous voyons que, loin de se résumer à un recueil de quelques textes étranges, la matière ainsi décrite prend les allures d'un vaste continent méconnu ou perdu au cours des siècles qui n'attend aujourd'hui que d'être exploré» 32 . Cette définition bien plus précise invite en revanche à la constitution d'un nouveau paradigme. J.-C. Picard précise quelque peu sa pensée en ajoutant combien dans le judaïsme ancien, comme plus tard dans le christianisme ancien, le mot «apocryphe» représente «Un concept subsumant une diversité de configurations discursives, qui toutes ont en commun de graviter autour d'un corps d'Écritures graduellement délimité et faisant autorité» 33 . Aucune critique de ces définitions ne sera présentée d'autant qu'aucune proposition de définition de la littérature apocryphe chrétienne ne sera avancée. Les discussions entre W. Schneemelcher et É. Junod ainsi que les propositions de J.-C. Picard sont sans doute recevables en théologie, mais n'apportent rien de vraiment probant en histoire. Car, de fait, pour l'historien, il ne saurait y avoir de distinction entre littérature canonique et littérature non canonique - distinction d'où est issue la catégorie apocryphe. Elle lui permet cependant de comprendre l'histoire de la transmission d'un texte qui varie énormément selon qu'il a été canonisé ou renvoyé dans les franges de l'apocryphité. En revanche, l'histoire de la définition du terme apocryphe est une approche tout à fait recevable en histoire, et de ce point de vue les travaux dont il vient d'être question sont du plus grand intérêt: ils montrent comment les critiques ont essayé de porter un regard nouveau sur une littérature tenue pendant longtemps, du moins en Occident, pour suspecte.
31 Voir J.-C. PICARD, Le continent apocryphe: essai sur les littératures juive et chrétienne, Turnhout, 1999, p. 211- définition qui date en réalité de 1990-1991. 32 Voir J.-C. PICARD, op. cit., p. 5 - définition qui date en réalité de 1995. 33 Voir. J.-C. PICARD, op. cit., p. XXVIII.
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Simon C. Mimouni
Éléments de recherche pour une histoire du terme «apocryphe» Le terme ànôKpuqioç - composé de la préposition ànô, qui signifie loin de, et de l'adjectif Kputoç, qui signifie caché - appartient à la langue grecque classique: on le trouve chez Hérodote (cf. Histoires II, 35), chez Euripide (cf. Héraclès 1070) et chez Xénophon (cf. Banquet VIII, 11 ), où il prend le sens de secret. Dans le monde païen, quelques groupes religieux ou philosophiques ont appelé ànôKpua des livres secrets contenant une doctrine ésotérique - ce qui ne les a pas empêchés, de fait, d'être entourés d'une estime toute particulière (cf. par exemple Clément d'Alexandrie, Stromates I, 15, 69). Plus tard, comme on va le voir, ce terme a servi, dans le monde chrétien, à désigner les écrits dont l'origine est considérée comme inconnue, ou bien ceux qui, traitant de matières analogues à celles du Nouveau Testament, n'ont pas été admis dans le canon - autrement dit, les oeuvres exclues. L'un et l'autre de ces sens, le second surtout, ont rendu aisé le passage à celui de suspect, voire à celui d'hérétique. On ne peut par conséquent que le constater, le champ sémantique du terme «apocryphe» est aussi divers que multiple. Retenons pour le moment, que le terme ànÔKpuqia est un adjectif au neutre pluriel dont le sens primitif est «choses cachées»/«choses secrètes» ou, plus précisément, du fait de l'objet auquel il s'applique, «livres cachés»/«livres secrets». Il convient de tracer maintenant les grandes lignes de l'histoire de ce terme dans le judaïsme ancien comme dans le christianisme ancien. La terminologie dans le judaïsme.
En Dn 12, 4 et 9, déjà au Ilème siècle avant notre ère, il est prescrit au prophète Daniel de «garder secrètes» (cino) les paroles du livre qui est «scellé jusqu'au temps de la fin». Cette recommandation, qui est assez fréquente dans la littérature relevant du genre apocalyptique car permettant à l'auteur de mettre son livre sous le patronage d'un prophète du passé (cf. aussi Dn 8, 26), représente la plus ancienne attestation de cette notion de «livres cachés»/«livres secrets». Dans le !Vème Livre d'Esdras, qui est une apocalypse juive de la fin du Ier siècle de notre ère originaire de certains milieux pharisiens - ouvrage de révélation apparemment très répandu et très utilisé par la suite dans les milieux chrétiens d'origine juive - , on peut lire, dans la version latine notamment, des passages sur la question des «livres publiés» et des «livres cachés». Ces passages se rencontrent dans la VIIe vision (ou chapitre XIV) - la dernière de l'œuvre-qui n'est pas vraiment une «vision», mais plutôt le récit de la suprême révélation faite à Esdras, le point dernier de la révélation, à savoir la reconstitution des Écritures. Dans ce récit, il est rapporté qu'Esdras a reçu de la main de Dieu une coupe pleine d'un breuvage qui ressemble à de l'eau, mais qui devient du feu. Inspiré par cette mystérieuse liqueur (une sorte de narcotique), il a ouvert la bouche et a parlé dans son extase pendant quarante jours et quarante nuits, sans la plus légère interruption. Cinq scribes ont écrit ainsi, sous sa dictée, quatre-vingt-quatorze livres, dont les vingt-quatre premiers, destinés à être publiés, doivent être abandonnés «aux dignes et aux indignes» et les soixante-dix derniers, destinés à être cachés, doivent être réservés
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Le concept d'apocryphité
aux seuls sages. Autrement dit, vingt-quatre livres sont destinés à la lecture publique et soixante-dix à la lecture privée - ces derniers sont donc des «livres secrets» destinés aux seuls initiés. Sans lire toute la Vision que l'on vient de résumer à grands traits, relevons les passages intéressant la présente problématique: - en XIV, 6, Dieu rappelle à Esdras l'ordre qu'il avait jadis donné à Moïse lors de sa théophanie au Mont Sinaï: «Telles paroles, tu les rendras publiques et telles autres tu les tiendras secrètes» ; - en XIV, 26, Dieu, sur la prière d'Esdras, promet une nouvelle révélation, et lui ordonne au sujet de celle-ci: «Quand tu auras fini (sous-entendu: de la rédiger), tu publieras certaines choses et tu donneras en secret les autres aux sages»; - en XIV, 45-47, Dieu confirme à Esdras l'ordre qu'il avait déjà donné à Moïse: «Les premiers livres que tu as écrits, publie-les; que les dignes et les indignes les lisent. Quant aux soixante-dix derniers, tu les conserveras pour les livrer aux sages de ton peuple. Car en eux est la source de l'intelligence, la fontaine de la sagesse, le fleuve de la connaissance». Ce récit est habituellement considérés comme une réaction à la clôture du canon de la Bible juive plus ou moins défini - par des discussions sur la valeur et le sens de certains livres - lors du «synode» qui s'est tenu à Yabneh entre les années 90 et 100 de notre ère. Les «vingt-quatre livres» (autrement dit, ceux qui sont dans le canon) doivent être rendus publics alors que les «soixante-dix autres» (autrement dit, ceux qui ne sont pas dans le canon) doivent être réservés aux initiés, «aux sages». L'auteur du IVe Livre d'Esdras défendrait ainsi avec conviction la légitimité de la littérature apocryphe, voire du genre apocalyptique - une littérature qui sera par la suite, du moins dans les milieux pharisiens majoritaires, qualifiée d'impure, et qui sera vouée à l'oubli des réduits de synagogue. Selon lui, tous les livres viennent de Dieu, ceux qui sont publics et ceux qui sont secrets: ils sont tous d'inspiration divine. Cette idée est à souligner car elle se retrouvera, plus tard, dans des ouvrages considérés alors par l'Église «officielle» comme apocryphes - c'est-à-dire n'étant pas d'inspiration divine (la notion de canonicité recouvrira aussi progressivement celle d'inspiration divine). Dans ces passages, la critique moderne voit habituellement - et à juste titre - une distinction entre livres canoniques - c'est-à-dire pour tous - et livres apocryphes - c'est-à-dire pour certains - dans le judaïsme ancien. Les 24 livres non cachés (les juifs araméophones comptent 22 livres - suivant les 22 lettres de l'alphabet hébreu - et les juifs hellénophones 24 livres - suivant les 24 lettres de l'alphabet grec) relèvent de la catégorie canonique et les 70 livres cachés de la catégorie apocryphe. Cependant, il convient de le souligner, ces passages du IVe Livre d'Esdras ne concernent que cette acception - ancienne - du terme apocryphe, qui n'y figure d'ailleurs pas. L'idée que l'on rencontre dans le IVe Livre d'Esdras est néanmoins importante, car elle se trouve au fondement de ce qui deviendra plus tard, dans le christianisme, sous l'effet du phénomène orthodoxie-hétérodoxie, l'apocryphité par rapport à la canonicité. Dans le judaïsme pharisien ou rabbanite, de fait, le mot «caché» appliqué aux livres saints n'est pas forcément péjoratif.
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Simon C. Mimouni On dit «caché», en hébreu im (genûz)- de la racine m (ganaz), qui a donné aussi (genîzah)-, un livre qui, d'abord pour des raisons simplement matérielles, a dû être retiré de l'usage public. Dans le monde juif, du moins celui de tendance pharisienne ou rabbanite, les t:l'lm ne sont, en effet, que des livres soustraits à l'usage à cause de leur usure par un long service ou ne remplissant plus les conditions exigées pour être employés dans la liturgie synagogale, ne pouvant ni servir à la lecture publique ni être détruits, ils sont placés en dépôt dans la i1l'Jo (cf. TJ Shabbat IX, 6 et Sanhedrin X, 6). On donne d'ailleurs le même qualificatif aux livres dont la valeur pour ainsi dire canonique se trouve encore discutée (cf. TB Shabbat 13b et 30b) et qui, par là, se différencient des écrits qui « souillent les mains» ou écrits canoniques 34 . On trouve aussi dans le judaïsme ancien, toujours de la même tendance, l'appellation Cl'l1~n t:i'1:JO (sepharîm hitsônîm), littéralement« livres extérieurs», pour désigner les« livres apocryphes», appellation qui peut prendre, en réalité, deux significations radicalement différentes. Dans le premier cas, elle signifie effectivement «livres extérieurs», pour désigner non seulement les livres «extérieurs» à la Loi écrite, la Bible, mais aussi les livres «extérieurs» à la Loi orale, le Talmud (cf. TJ Sanhedrin X, 28) - il y a donc une apocryphité juive en marge de la Bible, comme il y a une apocryphité juive en marge du Talmud. Dans le second cas, elle signifie également «livres étrangers» pour désigner les ouvrages considérés comme hérétiques, notamment les écrits judéo-chrétiens qui, dès lors, sont classés comme des livres à ne pas lire du tout, ni en public ni en privé (cf. TB Sanhedrin lOOb). En TJ Sanhedrin XI, 1, R. Aqibah refuse toute part «au monde à venir» à celui qui lit «des ouvrages qui sont extérieurs», qui sont t:i'l1~n - il s'agit là apparemment des livres hérétiques, parmi lesquels il faut compter les livres des sadducéens (t:i'p11~i1 '1:JO ), du moins d'après TB Sanhedrin lOOb. i1l'Jo
La Bible grecque des Septante emploie le terme ànéncpuoi:; dans le sens de «secret» (cf. Is 45, 3). On le retrouve aussi, toujours avec le même sens, une fois sous la plume de Paul de Tarse (cf. Col. 2, 3).
La terminologie dans le christianisme. Dans le christianisme ancien, le terme ànôKpuoi:;, à l'origine, n'a donc aucune valeur péjorative: il désigne tout simplement ce qui est «Caché» et «secret». Par la suite, certains écrivains chrétiens (notamment Irénée et Tertullien au ne siècle, Eusèbe et Athanase au IVe siècle) l'utiliseront dans le cadre des nombreuses polémiques antihérétiques et l'associeront volontiers à vôeoi:;, terme technique de la critique textuelle alexandrine désignant des écrits «bâtards» - c'est-à-dire de« paternité illégitime».
34 Selon T Yadaïm II, 13, par exemple, «Les gilyônim (=sans doute les Évangiles chrétiens) et les livres des hérétiques ne souillent pas les mains, et que les livres de Ben Sira ainsi que tous les livres qui ont été écrits à partir de là et par la suite ne souillent pas les mains».
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Le concept d'apocryphité
Chez Irénée, dans le Contre les hérésies, en 1, 13, 1, on rencontre la première acception spécifique du terme apocryphe en milieu chrétien: il est utilisé dans le cadre de la controverse avec les gnostiques. Pour sa part, Tertullien, dans La pudicité, en X, 12, tient pour équivalents les termes apocrypha etfalsa. L'apocryphe cesse alors d'être un ouvrage dont l'accès et le sens sont réservés à certains pour devenir un ouvrage illégitime, corrompu et inauthentique. Autrement dit, à la suite de ce processus, un écrit apocryphe peut correspondre à un écrit caché et secret ou à un écrit illégitime, corrompu et inauthentique. Un autre usage du mot apocryphe est apparu ensuite: les autorités chrétiennes ont classé parmi les livres «secrets» - comme elles l'ont fait pour les ouvrages gnostiques qualifiés d'apocryphes - les livres juifs que les autorités juives ont exclus, livres qui ont connu chez les chrétiens eux-mêmes une grande popularité. Dans ce cas, il s'agit surtout de livres provenant de courants apocalyptiques, dont la forme et le contenu sont largement ésotériques et que l'on catalogue aujourd'hui couramment comme «pseudépigraphes del' Ancien Testament» - c'est dans ce sens qu'Origène parle de tels écrits comme étant apocryphes 35 . Il convient de relever que l'usage technique du mot apocryphe pour signifier les livres non retenus dans le canon est relativement tardif: il n'est apparemment pas antérieur à Jérôme. En effet, lorsque le solitaire de Bethléem se fait résolument le champion de l'hebraïca veritas, il exclut du canon biblique, comme apocryphe, les livres que l'on ne trouve que dans la Bible grecque et qui sont absents de la Bible hébraïque. Il opte ainsi pour la position des Églises d'Orient, différente de celle des Églises d'Occident, dont Augustin pour sa part sera le tenant décisif. Pour Jérôme, apocryphe ne veut pas dire, loin de là, hérétique, ni caché, ni secret, mais simplement qui est d'un degré inférieur aux livres canoniques, c'est-à-dire à ceux qui servent de règle pour la doctrine chrétienne 36 . Au début du Vème siècle - Augustin en est le principal témoin 37 - le sens dépréciatif du mot apocryphus, appliqué aussi désormais aux livres légués par les juifs, va prévaloir. On doit remarquer que les latins ne traduisent pas le grec ànÔKpuoç, ils ne font que le translittérer en apocryphus. Le terme apocryphe a, on le voit, une histoire complexe qui jalonne, d'une certaine manière, celle du terme canon - ce qui est très significatif du rapport qu'entretiennent les phénomènes de canonicité et d'apocryphité, et surtout du rapport qu'ils auront et qu'ils ont encore 38 . 35
Voir Origène, Lettre à Africanus. À souligner que l'opinion de Jérôme a été relayée, avec certes quelques aménagements, par celle de Luther. À la différence du protestantisme, l'Église romaine, sous le nom de Deutérocanoniques, a inclus les Apocryphes de l'Ancien Testament dans son canon biblique. Répondant aux réformateurs et s'alignant sur l'ancienne tradition de l'Église d'Occident, le concile de Trente (en 1546) a fait figurer ces derniers, à part entière, dans la liste des Livres saints canoniques et inspirés. Quant au mot apocryphe, il sera imputé par les catholiques, à partir de cette époque, à l'immense corpus d'origine juive. 37 Voir Augustin, La Cité de Dieu 15, 23, 4 (voir aussi Épître 237, 3). 38 Très révélateur de ce phénomène est l'article de M. FAESSLER, «Kérygme et imaginaire», dans Apocrypha 7 (1996), p. 235-241, qui établit une différence de statut entre canoniques et apocryphes, considérant, les premiers comme relevant d'un statut kérygmatique - de rang supérieur - et les seconds comme relevant d'un statut herméneutique-de rang inférieur. L'auteur 36
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Simon C. Mimouni Par un jeu d'analogie, le mot apocryphe sera donné aussi à toute la littérature chrétienne non canonique que désigne la formule, ô combien mauvaise, «Apocryphes du Nouveau Testament». L'histoire du mot àrcoKpuc)>oc; depuis l' Antiquité jusqu'à aujourd'hui reste à faire. Elle devra partir d'une notice d'Esubèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique sur les distinctions nécessaires pour l'évaluation des livres chrétiens en circulation à son époque 39, et tenir compte impérativement du glissement qui s'impose diversement selon les époques 4D. On peut toutefois déjà retenir que les expressions grecques 13if3Àot àrcoKpuc)>ot, àrcoKpuc)>a et les expressions latines Libri apocryphi, apocrypha ont été employées par les écrivains chrétiens anciens en des sens extrêmement différents qu'il importe chaque fois de distinguer et de préciser dans le temps et dans l'espace. En Occident médiéval, par exemple, parmi les principaux sens de libri apocryphi, on doit relever ceux de «livres pseudocanoniques», de «livres pseudépigraphiques» et de «livres hérétiques». Ces trois significations du mot apocryphe sont d'ailleurs réunies dans la définition qu'en donne Hugues de Saint-Victor dans son De Scripturis et scriptoribus sacris 41 . En revanche, chez Hugues de Saint-Cher, on ne retrouve que deux acceptions du terme apocrypha: «Un livre peut être dit apocryphe en deux sens: soit parce qu'on ne connaît pas son auteur ... [= pseudépigraphique]; soit parce que sa vérité est douteuse ... [= hérétique]» 42 . D'autre part, avant de refermer ce dossier, il ne paraît pas inutile de signaler que la première attestation du terme technique pseudépigraphe - dont le sens est plus ou moins proche du terme apocryphe - chez un auteur chrétien est dûe à Sérapion d'Antioche vers la fin du ne siècle, qualifiant de la sorte l'Évangile de Pierre (voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique VI, 12). Pour lui, un écrit reçu dans l'Église ne peut être pseudépigraphique quant à son titre ou à son contenu, en revanche un écrit utilisé seulement par des hérétiques est nécessairement mensonger, surtout s'il se réclame d'un apôtre ou du Christ. Autrement dit, pour Sérapion, ce sont les utilisateurs qui rendent un écrit pseudépigraphique - un principe qu'on retrouvera plus tard en Occident latin 43 .
s'élève ainsi contre une affirmation de certains critiques qui ne veulent voir «aucune différence intrinsèque entre canoniques et apocryphes». Il est évident que l'historien des religions se doit de tenir compte de cette «différence intrinsèque», qui a été introduite à leur époque par certains théologiens - au risque de ne pas rendre compte d'une réalité historique qui a été celle de ceux qui ont justement - à tort ou à raison, mais là n'est pas le problème de l'historien - introduit une telle différence. Voir à ce sujet les remarques fort instructives et lumineuses de P. GISEL, «Op. cit.», dans Apocrypha 7 (1996), p. 225-234, dont il a déjà été question plus haut. 39 À ce sujet, voirl'article de A LE BOULLUEC, «Écrits 'contestés', 'inauthentiques' ou impies'? (Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique III, 25)», dans ce volume. 40 En attendant une telle étude, on ne peut que renvoyer à la contribution de F. SCHMIDT, «Op. cit.», dans Le Temps de la réflexion 5 (1984), p. 147-165, qui contient d'intéressantes réflexions sur la question. 41 Voir PL 175, col. 18. 42 Voir Hugues de Saint-Cher, Pastille, Lyon, 1645, t. I, fol. 218v. 43 Voir É. JuNOD, «Eusèbe de Césarée, Sérapion d'Antioche et l'Évangile de Pierre», dans Rivista di Storia e Letteratura Religiosa 24 (1988), p. 3-16.
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Le concept d'apocryphité
Remarques Avant quelques brèves conclusions, qui seront toutes provisoires d'ailleurs, il paraît encore utile de dire un mot sur les littératures apocryphes chrétiennes des diverses aires linguistiques et culturelles - ce ne va être nullement bien sûr une «revue de détail», un livre entier n'y suffirait pas! Le concept d'apocryphité n'est évidemment pas le même selon qu'il s'agit des littératures grecque, latine, syriaque, copte, éthiopienne, arabe, arménienne, géorgienne et slave - pour ne citer que les principales et les plus anciennes. Le concept fonctionne en relation avec le développement et la reconnaissance par l'Église du canon de la Bible, ce qui entraîne de manière diverse et complexe la relégation des textes n'y ayant pas été incorporés - c'est du moins le cas dans les mondes grec et latin 44 . Le cas de la littérature apocryphe arménienne est intéressant à divers titres, d'autant que M.E. Stone, dans une contribution récente, s'est demandé qu'elle a été sa fonction45. À la suite d'un survey de la littérature apocryphe arménienne - qui est, soit dit en passant, une littérature aussi bien de traduction que de création - l'auteur formule un ensemble d'hypothèses, assez convaincantes, sur les différents usages possibles, dans l'Église d'Arménie, d'un certain nombre de textes étiquetés comme apocryphes par les critiques modernes occidentaux. Il est constaté que de nombreux écrits apocryphes, attestés en arménien, sont des versions réalisées à partir du grec, du syriaque et du latin, mais aussi que nombre d'entre eux sont des créations arméniennes. La fonction de ces apocryphes a été semblable aux écrits hagiographiques - ces textes apocryphes, en Arménie, se rencontrent d'ailleurs dans l'Homéliaire et dans le Synaxaire. De ce fait, la littérature apocryphe sert à la lecture liturgique dans le sens ecclésial, c'est-à-dire non eucharistique. Il est souligné en dernier lieu que l'influence de ces apocryphes a été sans nul doute considérable tant dans la pensée que dans la culture arméniennes. Les traditions rapportées dans les apocryphes sont entrées, en effet, dans les traités de théologie et d'exégèse ainsi que dans les ouvrages chronographiques et historiques - il est d'ailleurs difficile de clairement distinguer entre récit apocryphe et récit historique, car l'une et l'autre répondent au projet voulant montrer la place de la nation arménienne dans l'histoire chrétienne. On peut dire que dans le monde arménien la littérature apocryphe a bénéficié d'un réel succès pour des raisons qu'il est difficile de globaliser, du fait même que chaque texte a obéi à des motivations différentes. Les Églises caucasiennes - arménienne et géorgienne - ont donc conservé des textes, fort nombreux, qui sont parfois considérés comme apocryphes par les Églises grecque et latine: c'est dire que la notion d'apocryphité n'a sans aucun doute pas été la même dans ces régions périphériques qu'ont été l'Arménie ou la Géorgie. Il en a été de même, d'ailleurs, pour les Églises égyptienne et éthiopienne - surtout pour cette dernière qui a été, ne l'oublions pas, un véritable «conservatoire» de textes dis-
44
H. KoESTER - F. BovoN, Genèse de l'écriture chrétienne, Turnhout, 1991. M.E. STONE, «The Armenian Apocryphal Literature. Translation and Creation», dans Il Caucaso: Cernierafra culture dal Mediterranea alla Persia (Secoli IV-XI), t. II, Spolète, 1996, 45
p. 611-646.
Voir aussi V. CALZOLARI BOUVIER, «En guise d'introduction: quelques éléments sur le rôle de la littérature apocryphe chrétienne dans l'Arménie chrétienne ancienne», dans C. CALZOLARI BOUVIER - J.-D. KAESTLI - B. ÜUTTIER (éd.), Apocryphes arméniens. Transmission-Traduction - Création - Iconographie, Lausanne, 1999, p. 9-18.
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Simon C. Mimouni parus la plupart du temps ailleurs ou retrouvés de manière fragmentaire il n'y a pas si longtemps. Les questions se posent donc de manière très différentes selon que l'on se trouve dans des É&lises considérées comme axiales ou centrales ou dans des Églises périphériques. A ce sujet d'ailleurs, force est de souligner que ces dernières sont souvent considérées comme hétérodoxes par les premières qui se définissent comme orthodoxes - nul doute que ce paramètre doit être pris en considération pour expliquer les raisons de la conservation de bon nombre de textes par les Églises périphériques, textes perdus ou détruits dans les Églises axiales. Le concept d'apocryphité ne paraît certes pas avoir été le même dans toutes les Églises orientales - c'est une évidence au vu des nombreux exemples que l'on peut évoquer. C'est ainsi que, dans les Églises périphériques, ce concept semble reposer sur des critères moins voués aux contingences théologiques 46 - ou du moins, en tout cas, des critères qui ne sont pas voués aux mêmes contingences théologiques que dans les Églises axiales. En d'autres termes, à l'évidence chaque écrit dans sa tradition linguistique a reçu un statut particulier - il peut, par exemple, être catégorisé parmi les apocryphes dans sa version grecque ou latine et ne pas l'être dans ses versions orientales. Il convient, par conséquent, de ne pas considérer toutes les versions d'un texte de manière unilatérale, autrement dit de ne pas les classer systématiquement dans la catégorie des apocryphes - ce qui serait source d'erreur, du moins d'un point de vue historien 47 . On pourrait se poser la même question au sujet de ce que l'on appelle, trop abusivement d'ailleurs, la littérature apocryphe syriaque, parmi laquelle on range un écrit comme les Odes de Salomon - un texte originaire de Syrie, du début du Hème siècle - à cause uniquement de son attribution pseudépigraphique à la figure de Salomon. Jusqu'à la fin du x1xe siècle, les écrits mis depuis peu sous la catégorie apocryphe, ont été considérés tout autrement par les diverses Églises de langue syriaque: tout simplement comme des œuvres hagiographiques 48 .
Conclusions Il convient de souligner qu'au cours des siècles, les écrits apocryphes chrétiens ont été tout autant recherchés que rejetés, exploités que vilipendés, traduits qu'oubliés 49 . Parmi leurs lecteurs, ces écrits ont bien souvent bénéficié d'un mystérieux pouvoir d'évocation, car nombreux ont été ceux, parmi eux, à s'imaginer qu'ils renferment d'importantes révélations sur Jésus, sur Marie ou sur les apôtres - révélations qui auraient été jadis tenues secrètes, et qui seraient maintenant, enfin, amenées à la lumière. 46 Par contingences théologiques, il convient de comprendre les luttes doctrinales dans lesquelles des textes ont joué un rôle majeur, à tel point qu'ils ont pu être taxés d'apocryphes. 47 À l'inverse du théologien, pour l'historien, la question de la réception d'un texte ne se pose pas dans les mêmes termes. 48 A. DESREUMAUX, «La place des textes apocryphes dans la littérature syriaque», dans Parole de l'Orient 20 (1995), p. 61-72; A DESREUMAUX, «Remarques sur le rôle des apocryphes dans la théologie des Églises syriaques: l'exemple de testimonia christologiques inédits», dans Apocrypha 8 (1997), p. 165-177. 49 Ces lignes et les suivantes s'inspirent en partie du texte élaboré collectivement pour être mis en exergue aux volumes de la «Collection de Poche Apocryphes» publiée aux Éditions Brepols.
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Le concept d'apocryphité A l'évidence, il faut bien avouer qu'une très cruelle déception attend ceux qui, munies de tels présupposés, se plongent dans cette littérature. L'intérêt des textes apocryphes n'est bien entendu nullement leur très improbable capacité de quelconques révélations secrètes sur Jésus, sur Marie ou sur un des apôtres - il est ailleurs! D'autant que, U. Eco le dit fort bien, nombre de textes apocryphes fonctionnent comme nombre de textes hermétiques: ils annoncent mais n'énoncent jamais, sousentendant ainsi une certaine forme d'ésotérisme, pour ne pas dire que ces écrits proviendaient de milieux aux tendences ésoteriques 50 . Les écrits apocryphes chrétiens - tout comme d'ailleurs les écrits qui ont été incorporés dans le canon afin de constituer le «Nouveau Testament» - transmettent un grand nombre de représentations que les chrétiens de divers lieux et de divers temps se sont faites de la figure de Jésus, du rôle de ses apôtres, de l'origine de leurs communautés. Ils témoignent également des questions qui les ont agités, et des nombreuses réponses qu'ils leur ont données. Certains apocryphes sont très anciens et reflètent, par conséquent, des traditions contemporaines d'une partie de ce qui est devenu le Nouveau Testament. Ils constituent ainsi pour les historiens une voie d'accès privilégiée - encore peu exploitée à bon nombre de traditions chrétiennes, dont certaines sont très anciennes et remontent même à la période des premières communautés. Mais, pas plus que les évangiles canoniques, ils ne permettent d'accéder à la vérité historique sur Jésus et ses apôtres. Ils transmettent plutôt des éclairages sur les croyances des premières communautés chrétiennes et surtout sur leur imaginaire, véhicule de création et de réflexion. Pourtant, dans la plupart des milieux exégétiques historico-critiques, on accorde assez peu d'autorité aux évangiles apocryphes - en dehors notamment des cercles du Jesus Seminar. Bien souvent, dans ces milieux, on les classe parmi les légendes et, de ce fait, on estime qu'ils ne permettent pas d'accéder au Jésus véritable, à cause notamment de leurs procédés littéraires qui relèvent de l'imaginaire, exprimant le désir de merveilleux des croyants au cours des premières décennies chrétiennes et leur frustration devant le silence des évangiles canoniques et les réticences de la prédication ordinaire. Dans ces mêmes milieux, on estime que les apocryphes prétendent décrypter et exprimer au moyen de la fable et du mythe une haute idée que se font de Jésus leurs auteurs, et l'on va jusqu'à penser qu'ils se sont mépris, du moins par rapport aux auteurs des évangiles canoniques. Les apocryphes sont, d'autre part, le reflet de questions exégétiques, doctrinales et morales, parfois de la plus haute importance. Loin d'offrir une image unifiée du christianisme, la littérature dite apocryphe, tout comme d'ailleurs la littérature canonique, introduit à une diversité doctrinale, mais aussi à une diversité linguistique et donc culturelle - telles qu'elles se présentent sans doute dans les communautés chrétiennes jusqu'au début du IVème siècle. Voilà pourquoi d'ailleurs, à l'heure où, le christianisme devenant religion officielle de l'Empire romain, les autorités ecclésiastiques officielles, ont tenté d'en donner une image unifiée - de ce fait, certains Pères en sont venus alors à vilipender les apocryphes comme porteurs d'hérésies.
50 Voir les remarques intéressantes de U. Eco, «Le discours alchimique et le secret différé», dans Les limites de l'interprétation, Paris, 1992, p. 87-105, qui certes concernent les textes hermétiques mais dont certaines pourraient s'appliquer aux textes apocryphes.
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Simon C. Mimouni Pour l'historien, les sources dites «apocryphes» doivent être considérées au même titre que tous les autres documents qui lui permettent d'accéder à la connaissance du christianisme ancien. Il n'empêche - il ne paraît pas inutile de le répéter - que le statut dans lequel ces sources ont été reléguées doit être rendu de manière diachronique, c'est-à-dire en évitant toute tentative de réhabilitation d'ordre théologique ou pouvant être perçue comme telle surtout par les théologiens 51 .
51 À ce propos, voir S.C. MIMOUN!, «"Du détournement de l'objet au profit au sujet". Présentation critique des numéros 7 et 8 d'Apocrypha», dans Revue des sciences religieuses 73 (1999), p. 109-118.
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Le concept d'apocryphité
Bibliographie générale sur la Littérature Apocryphe Chrétienne (Il ne s'agit pas d'une bibliographie exhaustive mais d'une bibliographie sélective dont le but est de faciliter l'approche de cette littérature)
Instruments de travail. - M. GEERARD, Clavis Apocryphorum Novi Testamenti, Turnhout, 1992 (CANT). - J.H. CHARLESWORTH, The New Testament Apocrypha and Pseudepigrapha: A Guide to Publications, with Excurses on Apocalypses, Metuchen/New Jersey-Londres, 1987. - F. STEGMÜLLER, Repertorium biblicum medii aevi, t. 1 et t. VIII (Supplementum), Madrid, 1950 et 1976. [Répertoire des apocryphes médiévaux latins de l'Ancien et du Nouveau Testament avec indication des sources] - H.J. FREDE, Kirchenschriftsteller. Verzeichnis und Sigel, Freiburg, 1995 4 , p. 181192. [Répertoire des apocryphes latins du Nouveau Testament avec quelques indications des sources] - M. McNAMARA, The Apocrypha in the Irish Church, Dublin, 1975.
-c. CALZOLARI BüUVIER-J.-D. KAESTLI - B. ÜUTTIER (éd.),Apocryphes arméniens. Transmission - Traduction - Création - Iconographie, Lausanne, 1999. - La revue APOCRYPHA (parution annuelle depuis 1990 - 12 fascicules parus). - Le BULLETIN DE L'AELAC (parution annuelle depuis 1991 - 11 fascicules parus).
Instruments de travail en littérature apocryphe juive. - L. DITOMMASO, A Bibliography of Pseudepigrafia Research I 859-I 990, Scheffield, 2001. - J.-C. HAELEWYCK, Clavis Apocryphorum Veteris Testamenti, Turnhout, 1998 (CAVT). -A.-M. DENIS, Introduction à la littérature judéo-hellénistique, 2 volumes, Turnhout, 2000. -A.-M. DENIS, Introduction aux pseudépigraphes grecs d'Ancien Testament, Leyde, 1970. - A.-M. DENIS, Concordance grecque des pseudépigraphes d'Ancien Testament: concordance, corpus des textes, indices, Louvain-la-Neuve, 1987. -A.-M. DENIS, Thesaurus des pseudépigraphes d'Ancien Testament, Turnhout, 1994.
Articles de dictionnaire. - P. BATTIFOL, Art. «Apocryphes (Livres)», dans Dictionnaire de la Bible I (1895), col. 767-772. - E. MANGENOT, Art. «Apocryphes (Livres)», dans Dictionnaire de théologie catholique I/2 (1909), col. 1498-1504.
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Simon C. Mimouni - B. LOTH - A. MICHEL, Art. «Apocryphes (Livres)», dans Dictionnaire de théologie catholique. Tables I (1951), col. 190-194. - E. AMANN, Art. «Les apocryphes du Nouveau Testament», dans Dictionnaire de la Bible. Supplément I (1928), col. 460-533. - L. VAGANAY, Art. «Apocryphes du Nouveau Testament», dans Catholicisme 1 (1948), col. 699-704. - R.McL. WILSON, Art. «Apokryphen, II. Apokryphen des Neuen Testaments», dans Theologische Realenzyklopiidie III (1978), p. 316-362. - J.H. CHARLESWORTH - S.J. PATTERSON, Art. «Apocrypha», dans The Anchor Bible Dictionary 1 (1992), p. 292-297. - J. HADoT, Art. «Apocalyptique et apocryphe (Littératures)», dans Encyclopaedia Universalis 2 (1988); p. 652-657. - O. WERMELINGER, Art. «Apocrypha», dansAugustinus-Lexikon 1 (1988), col. 385391 [concerne l'utilisation de la LAC dans l'œuvre d'Augustin]. - C. BIGARÉ, «Les apocryphes du Nouveau Testament», dans Introduction à la Bible, T. III, Vol. V, Paris, 1977, p. 179-211.
Études générales. - J.-D. KAESTLI - D. MARGUERAT (éd.), Le mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue, Genève, 1995. - Les écrits apocryphes, in Connaissance des Pères de l'Église 58 (1995). - J.-M. PRIEUR, Apocryphes chrétiens. Un regard inattendu sur le christianisme ancien, Aubonne, 1995. - O. DA SPINETOLI - E. NüRELLI - C. ZAMAGNI - P. ARATA MANTOVANI, Gli apocrifi cristiani, Florence, 1999. - F. BovoN, «Vers une nouvelle édition de la littérature apocryphe chrétienne. La
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Le concept d'apocryphité - 1.-H. DALMAIS, «Les apocryphes et l'imaginaire chrétien», dans Bible et Terre Sainte 154 (1973), p. 12-20.
- 1.-C. PICARD, Le continent apocryphe: essai sur les littératures apocryphes juive et chrétienne, Turnhout, 1999.
Au sujet des questions épistémologiques: - É. 1UNOD, «Apocryphes du NT ou apocryphes chrétiens anciens? Remarques sur la désignation d'un corpus et indications bibliographiques sur les instruments de travail récents», dans Études théologiques et religieuses 58 (1983), p. 409-421. -É. 1UNOD, «La littérature apocryphe chrétienne constitue-t-elle un objet d'études?», dans Revue des études anciennes 93 (1991), p. 397-414. - É. 1UNOD, «Apocryphes du Nouveau Testament: une appellation erronée et une collection artificielle. Discussion de la nouvelle définition proposée par W. Schneemelcher», dans Apocrypha 3 (1992), p. 17-46. - A DI BERARDINO, «Gli apocrifi cristiani e il loro significato», dans A DI BERARDINO - B. STUDER (éd.), Storia della teologia, 1, Casale-Monferrato, 1993, p. 273-303. - 1. DLLERN-WEITÉ, «Pour une compréhension de la signification apocryphe dans le continent scripturaire», dans Apocrypha 6 (1995), p. 235-278. - P. GrsEL, «Apocryphes et canon: leurs rapports et leurs statuts respectifs. Un questionnement théologique», dans Apocrypha 7 (1996), p. 225-234. - M. FAESSLER, «Kérygme et imaginaire», dans Apocrypha 7 (1996), p. 235-241. - W. REBELL, «Les apocryphes - textes concurentiels du Nouveau Testament», dans Apocrypha 7 (1996), p. 243-247. - A. ACERBI, «Gli apocrifi tra auctoritas e veritas», dans G. CREMASCOLI - C. LEONARD! (éd.), La Biblia nel Medioevo, Bologne, 1996, p. 109-139. - R. GoUNELLE, «Sens et usage d'apocryphus dans la Légende dorée», dans Apocrypha 5 (1994), p. 189-210.
Au sujet des questions méthodologiques: - É. 1uNOD, «Le mystère apocryphe ou les richesses cachées d'une littérature méconnue», dans J.-D. KAEsTLI - D. MARGUERAT (éd.), Le mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue, Genève, 1995, p. 9-25. - 1.-D. KAESTLI, «Les écrits apocryphes chrétiens. Pour une approche qui valorise leur diversité et leurs attaches bibliques», dans 1.-D. KAESTLI - D. MARGUERAT (éd.), Le mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue, Genève, 1995, p. 27-42. - L.1. PROKTER, «lntertestamental Studies: Problems and Prospects», dans Old Testament Essays 7 (1994), p. 214-220. - 1.-D. KAESTLI, «La littérature apocryphe peut-elle être comprise comme une "litérature au second degré" (G. Genette)?», dans D. MARGUERAT - A CURTIS (éd.), Intertextualités. La Bible en échos, Genève, 2000, p. 288-304.
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Au sujet des questions historiographiques: - F. SCHMIDT, «L'écriture falsifiée. Face à l'inerrance biblique: l'apocryphe et la faute», dans Le Temps de la réflexion 5 (1984), p. 147-165. - J.-C. PICARD, «L'apocryphe à l'étroit: notes historiographiques sur les corpus d'apocryphes bibliques», dansApocrypha 1 (1990), p. 69-117. - F. SCHMIDT, «John Toland, critique déiste de la littérature apocryphe», dans Apocrypha 1 (1990), p. 119-145.
Au sujet des questions iconographiques: - H. LECLERCQ, Art. «Apocryphes», dans Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie I/2 (1907), col. 2555-2579. Études spécialisées. - M. STAROWIEYSKI, «Les apocryphes chez les écrivains du IVème siècle», dans
Miscellanea Historiae Ecclesiasticae VI, Bruxelles, 1983, p. 132-141. - L. LOWE, «I OY.6.Al OI of the Apocrypha. AFresh Approach to the Gospel of James, Pseudo-Thomas, Peter and Nicodemus», dans Novum Testamentum 23 (1981), p. 5690. - B. DEHANSCHUTTER, «Anti-judaism in the Apocrypha», dans Studia Patristica, vol. XIX, Leuven, 1989, p. 345-350. - J.R. MUELLER, «Anti-Judaism in the New Testament Apocrypha: A Preliminary Survey», dans C.A. EVANS - D.A. HAGNER (éd.), Anti-Semitism and Early Christianity. Issues of Polemic and Faith, Minneapolis/Minesot a, 1993, p. 253-268.
Études diverses. - P. DOUHAIRE, «Cours sur l'histoire de la poésie chrétienne: Cycle des Apocryphes», dans L'Université Catholique, t. IV-XI, Paris, 1837-1841. - J. PONS, Recherches sur les apocryphes du Nouveau Testament. Thèse historique et critique, Montauban, 1850. - J.B. BAVER, Die neutestamentlichen Apokryphen, Düsseldorf, 1968 (Traduction française: Les apocryphes du Nouveau Testament, Paris, 1973).
- Gli apocrifi cristiani e cristianizzati. XI Incontro di studiosi dell'antichità cristiana, in Augustinianum 23 (1983) [publication du colloque de Rome en 1982]. - P. GEOLTRAIN - J.-C. PICARD -A. DESREUMAUX (éd.), La fable apocryphe, 2 volumes, dans Apocrypha 1 (1990) et 2 (1991) [publication du Colloque de Paris en 1986, sur la LAC]. - A. FREY (éd.), Colloque sur la littérature apocryphe chrétienne, 2 volumes, dans Apocrypha 7 (1996) et 8 (1997) [publication du Colloque de Lausanne en 1995, sur la LAC] (voir S.C. MIMOUN!, «"Du détournement de l'objet au profit au sujet". Présentation critique des numéros 7 et 8 d'Apocryphe», dans Revue des sciences religieuses 73 (1999), p. 109-118).
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L'APOCRYPHE RÉINTÉGRÉ: UNE RÉMINISCENCE DE SIRACIDE 50, 1-21 DANS L'HYMNOLOGIE JUIVE
Cyril ASLANOV Université hébraïque de Jérusalem
Résumé Cette étude se propose d'examiner les points de contact entre l'éloge du grand-prêtre Simon le Juste en Siracide 50, 1-21 et certains hymnes de la liturgie synagogale composés à la fin de !'Antiquité et au début du Moyen Âge. À l'aide d'indices lexicaux et stylistiques, nous démontrons que la médiation de la traduction grecque du Siracide n'est pas nécessaire pour rendre compte de ces échos intertextuels entre la littérature deutérocanonique et l'hymnologie du judaïsme rabbinique. La confrontation avec d'autres hymnes synagogaux également inspirés de l'éloge de Simon le Juste révèle qu'il n'y a pas vraiment de solution de continuité entre le texte du Siracide hébreu et ses réélaborations successives sous la forme de poèmes liturgiques. Bien plus, la postérité littéraire de Siracide 50, 1-21 éclaire d'un jour nouveau le statut et la fonction de ce passage au sein du texte original.
Abstract This paper aims to examine the connections between the praise of Simon the Righteous in Siracides 50: 1-21 and some hymns of the synagogal worship which have been written in Late Antiquity or in the Early Middle Ages. On the basis of lexical and stylistic evidence, I have tried to prove that there is no need to suppose the mediation of the Greek translation of Siracides to justify the intertextual contacts between the deuterocanonical text and the rabbinical hymn. From the comparison of the hymn with other synagogal hymns also related to the praise of Simon the Righteous, it appears that there is no break of continuity between the Hebrew text of the Siracides and the hymns it has inspired. Moreover, the reception of Siracides 50 : 1-21 throughout the ages casts a new light on the status and the function of this text in its original context. Les chapitres 44 à 51 du Siracide ( = Si) contiennent un développement intitulé Ilix-nspwv ~µvoc; ("éloge des pères"), où sont exaltées des figures marquantes de l'humanité et du peuple juif. Cet hymne se termine par un vibrant éloge du grand-prêtre Simon le juste (50, 1-21) suivi d'une évocation du service du Temple. Le pontife revêtu de ses vêtements sacerdotaux y est longuement comparé à des astres, à des fleurs, à des arbres, à un ustensile précieux. Vient ensuite une description enthousiaste de la cérémonie du sacrifice perpétuel. Tel est le souffle qui anime ces versets que les vicissitudes nombreuses subies par le texte du Siracide n'ont pas réussi à l'étouffer. Avant même la redécouverte du texte hébreu en 1896, les érudits de la Wissenschaft des Judentums avaient fait remarquer que certains passages de l'éloge de Simon le Juste semblaient avoir influencé le poète auquel on doit la composition alphabétique nm~Jil 7i1x;, (ke-ohel ha-nimtah)
Une réminiscence de Siracide récitée pendant le Seder ha-'abodah 1 du Musaf de Yom Kippur selon le rite ashkénaze2. Certes, il ne faut pas perdre de vue que le rite évoqué n'est pas le même. Dans le Siracide, il s'agit d'un sacrifice décrit par un témoin visuel, tandis que dans l'hymne m1~J;i 'mt-t::i (ke-ohel ha-nimtah), le poète se fonde sur des témoignages de seconde main pour décrire le moment où le grand-prêtre sort indemne du Saint des Saints le jour du Grand Pardon. Mais les divergences entre les termes comparés ne minimisent en rien la ressemblance frappante qui unit certains des comparants d'un poème à l'autre. Ce cas de rencontre intertextuelle entre deux textes poétiques ressortissant à deux époques différentes et reflétant deux atmosphères spirituelles bien distinctes mérite de servir d'exemple à une réflexion sur la réintégration ou la préservation de l'apocryphe deutérocanonique au sein de la liturgie du judaïsme rabbinique. Mais au-delà de cette problématique générale, il convient de comparer la formulation des deux hymnes pour mieux cerner la nature de la filiation qui se fait jour entre les deux pièces. Un examen comparatif nous permettra de déterminer quelle est la source sous-jacente au poème liturgique. Autrement dit, la réintégration de l'apocryphe passe-t-elle par le biais de la reformulation hébraïque d'une version grecque? Ou bien a-t-on affaire à la préservation de l'original hébreu au sein de la culture juive pharisienne et rabbinique? Certes, des indices externes nous permettent de supposer que le lien avec le texte hébreu du Siracide s'est perpétué jusqu'au Moyen Âge au moins. Outre les citations de ce texte dans le Talmud et les Midrachim, Sa'adyah Gaon affirme avoir vu de ses yeux le Siracide hébreu 3 . On en trouve une confirmation à travers un bref écho du Siracide qui se trouve dans le texte de son siddur 4 et dans des fragments de la Genizah 5 et qui s'est perpétué dans les rituels de rite sépharade. Il s'agit d'une phrase dont le commencement reprend mot pour mot le verset 50, 5 du Siracide hébreu: w1p;i Î~ 1nNl1:J ':>11) FJ::l 11;"Jl ;i~ (mah nehedar kohen gadol be-tzetho min ha-qodesh) « qu'il était magnifique, le grand-prêtre au moment où il sortait du saint ! », comme n::iii:m n'::l~ inNl1:J1 ':>i1N~ in')lVil::l 11i1l il~ (mah nehedar be-hashgiho me-ohel u-be-tzetho mi-beith ha-parokheth) « qu'il était magnifique au moment où il jetait un regard depuis la tente et qu'il sortait du sanctuaire ». À la différence de ce dernier piyyut, l'hymne alphabétique que nous voudrions étudier ici ne reprend pas la formulation précise du Siracide hébreu, mais il en réélabore à sa façon certains versets. Est-ce à dire que le contenu de Si 50 a été retravaillé à partir d'une traduction grecque, indépendamment des termes mêmes del' Hebraica veritas? Cette hypothèse pourrait refléter la différence d'orientation entre le judaïsme babylonien, plutôt imperméable à l'hellénisme, et un judaïsme palestinien profondément marqué par son contact avec le monde grec. Pourtant, un examen comparatif suggère une autre possibilité qui consiste à postuler une continuité créative entre le
1
I. ELBOGEN, Der jüdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen Entwicklung, Francfort sur le Main, 1931 3, p. 216-217. 2 Voir R. SMEND, Die Weisheit des Jesus Sirach, Berlin, 1906, p. 481-482. 3 D. KoHN, Die Sprüche Simon' des Sohnes Sirachs, Varsovie, 1912, p. 1. 4 1. DAVIDSON - A. SIMHA - I. JOEL, Siddur R. Saadja Gaon, Jérusalem, 1941, p. 288 (en hébreu). 5 R. EDELMANN, Zur Frühgeschichte des Mahzor, Genizafragmente mit paltistinischer Punktation, Stuttgart, 1934, p. 12.
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Cyril Aslanov
Siracide hébreu et la production des paytanim palestiniens, puis byzantins, italiens et ashkénazes. Dès lors, la médiation du grec n'est pas nécessaire pour expliquer cette préservation d'un contenu et d'un motif identique sous une formulation différente. Une fois établi ce point qui concerne la genèse du texte, il importe de cerner les enjeux de cette préservation de l'ancien au sein du nouveau et d'apprécier le statut de la parole poétique dans l'une et dans l'autre production. En d'autres termes, comment passe-t-on d'un poème encomiastique de l'époque hellénistique à un poème liturgique fonctionnant comme l'analogon de ce qu'il évoque? 1. Les points de contact entre les deux textes : faut-il supposer la médiation d'une version grecque ? Malgré les différences qui les séparent, l'hymne à Simon le Juste et le piyyut de Yom Kippur sont unis par une communauté thématique évidente : tous deux décrivent le grand-prêtre en train d'accomplir ses fonctions sacrées. Bien que le poème liturgique évoque d'une manière générale la figure du grand-prêtre et non pas forcément celle de Simon le Juste, il semble bien que le poème de Yom Kippur reprend certains éléments de Si 50. Outre l'inspiration d'ensemble qui consiste à comparer le pontife à des éléments du cosmos, on trouve tout d'abord trois comparaisons unies par une similitude évidente: - l'image nim 7i::tl:J i1lli1 ::i:m::i (ke-khokhab ha-nogah bi-gebul mizrah) « comme l'étoile de la splendeur (Vénus) aux confins de l'Orient » s'inspire manifestement de O':JY )':J~ 11N :J::l1::l::l (ke-khokhab or mi-hein 'abim) « comme une étoile de lumière du sein des nuages» (Si 50, 6). Le mot illl (nogah) « splendeur» n'est qu'une variation de iiN (or)« lumière» selon un axe de substitution paradigmatique. - l'expression pYi1 11l"l:J l"lti!j?i1 l"l1~1:i (ki-demuth ha-qesheth be-thokh he-'anan) « comme la figure de l'arc-en-ciel au sein de la nuée » est une amplification de la comparaison pY::i i1l"IN1l l"lti!p:ii (u-ke-qesheth nirathah be-'anan) «et comme l'arc-enciel apparut dans la nuée » de Si 50, 7. Cette image réactualise le motif de la nuée d'après le contexte de Yom Kippur. En effet, la fumée de l'encens du rite de propitiation peut fonctionner comme un analogon de la nuée divine. Ce rapport entre la nuée et la fumée a été souligné explicitement dans un poème rimé de l'hymnographe palestinien Rabbi Pinhas 6 qui peut être considéré comme un maillon manquant entre le Siracide et le piyyut qui nous occupe. Nous reviendrons ci-dessous sur cette affiliation. - la formule i~n l"lll 11m )1l"lli1 iii:i (ke-wered ha-nathun be-thokh ginnath hemed) « comme une rose placée au sein d'un jardin d'agrément » constitue une variante de 0'~ •7:i• ';>y 7ti!iw:ii 1:171~ ·~·::i 1!llY:J fl::l (ke-netz ba-'anfo bimei mo'ed u-khe-shoshan 'al yiblei mayyim) « comme un bouton sur sa branche aux jours de la fête et comme un lys au bord de conduits d'eau » (Si 50, 8). À partir de ces trois points de contact indéniables, on peut tenter de déterminer par quelle filière ces motifs du Siracide se sont frayé un chemin au sein de la liturgie synagogale. Pour cela, la version grecque du Siracide constitue un révélateur digne de foi.
6 M. ZULAY, Eretz Israel and Its Poetry. Studies in Piyyutimfrom the Cairo Geniza, Jérusalem, 1995, p. 103-105 (en hébreu).
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Une réminiscence de Siracide Dans le texte grec, les trois expressions que nous venons de citer sont traduites comme suit: wç &crT~P &wfüvoç &v µfocy vE~EÀwv « comme un astre auroral au milieu des nuées » x.oà wç T61;ov ~wT[~ov &v VE~É:Àcuç ô61;Y)ç « comme un arc luisant dans les nuées de gloire » wç 1Xv6oç p6ôwv &v ~µÉ:pouç vÉ:wv x.ixt wç x.p[va br' &Ç6ôcy uÔaToç « comme une fleur de rosiers aux jours des épis (Pâque) et comme des lys au débouché de l'eau ». Malgré l'écho apparent qui unit l'expression nim 7i:::il:::i (bi-gebul mizrah) « aux confins de l'Orient » à l'adjectif &wfüv6ç « matinal », le contexte de cette évocation astronomique interdit de voir un quelconque rapport entre la formulation grecque et la réélaboration hébraïque. L'épithète &wfüv6ç sert à désigner le dernier astre de la nuit, tandis que le terme illJil :::i:.ii:.i (kokhab ha-nogah) « l'étoile de la splendeur » s'applique au contraire à l'étoile du berger, qui est la première à poindre dans le ciel nocturne. Dans le poème liturgique, l'évocation de l'étoile du berger peut être une allusion à la fin de la cérémonie de Yom Kippur. L'autonomie du poème synagogal par rapport à la version grecque se confirme encore dans la suite du texte. L'évocation de l'arc-en-ciel dans l'original hébreu du Siracide est d'une grande sobriété, tandis que le verset parallèle en grec fait apparaître le génitif ô61;Y)ç « de gloire » après &v vE~É:Àatç « dans les nuées ». Cet ajout est probablement dû à l'influence de Ex 16, 10 où la formule )Jl':J ilN1J (nirah be-'anan) « apparut dans la nuée » a pour sujet le groupe de mots 'il ii:::i:.i (kebod Adonaï) « gloire de l'Éternel », ainsi qu'à l'interférence de Ez 1, 28, où cette image de l'arcen-ciel est explicitement associée à la gloire de Dieu : 'il ii:::i:.i m~i ilN1~ N1il ::2'::20 illlil ilN1~
p
OlLîlil 01'::2 )Jl':J il'il' 1tL'N ntLîpil ilNi~:.i
(ke-mareh ha-qesheth asher yihyeh be-'anan be-yom ha-geshem, ken mareh hanogah sabib hu mareh demuth kebod Adonaï) «comme l'apparence de l'arc-en-ciel qui est dans la nuée au jour de la pluie, ainsi est l'apparence de la splendeur autour: c'est l'apparence de la ressemblance de la gloire de l'Éternel ».
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(be-mishkan 'anan yored mi-shemei ma'lah we-Adonaï be-thokh he-'anan yored pethah ha-ohelah) « dans le tabernacle, une nuée descendant des cieux d'en-haut et l'Éternel au sein de la nuée descendant vers l'entrée de la tente ». Comment ne pas reconnaître ici un écho du vers TJYil iin::i n1Vpi1 m~i::i (ki-demuth ha-qesheth be-thokh he-'anan) « comme la ressemblance de l'arc-en-ciel au sein de la nuée »? Ce parallélisme entre la liturgie angélique et le culte terrestre s'exprime également à travers la figure de l'ange. Dans le piyyut nnm;i 7i1N'.:l (ke-ohel ha-nimtah), la mention de l'ange fait partie de l'appendice tardif: ,,, 1VN1 7Y :Jlllil 1N7~::i (ke-malakh ha-nitzab 'al rash derekh) « comme l'ange posté au début de la route». Cette évocation, qui est une réminiscence de Nb 22, 23, ne s'intègre pas organiquement dans la mise en parallèle entre les mondes supérieurs et les mondes inférieurs qui caractérise la première partie du poème. Dans le poème de Rabbi Pinhas en revanche, le motif de l'ange a une fonction directement liée au contexte de Yom Kippur (v. 10) : ;i7iY1Y1V!J1!J'.:l~ 1N7~::i 7n::i1 (we-khohen ke-malakh mekhapper pesha' we-'awelah) « et le prêtre, comme un ange, expiant la faute et le mal». La variante que Zulay fait figurer à la suite de ce poème 13 offre une formulation de ce vers encore plus suggestive, car elle assimile le grand-prêtre à un ange comparaissant devant le trône de gloire (v. 19): ;i7Yl 1N~ 'l!J7 ni1V~ 1N7~::i 7n::im (we-ha-kohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) «et le prêtre comme un ange servant devant le très haut ». Cette leçon alternative fournit la clé de cette comparaison du grand-prêtre avec l'ange. Moyennant quoi, on comprend mieux le sens du vers n7iYi Y1V!J i!:l::i~ 1N7~::i p::ii (we-khohen ke-malakh mekhapper pesha' we-'awelah) «et le prêtre, comme un ange, expiant la faute et le mal ». Si le grand-prêtre rachète les fautes du peuple, c'est
11
J. YAHALOM, op. cil. (supra, n. 9), p. 17-18.
12
M. M.
13
38
ZuLAY, ZULAY,
op. cit. (supra, op. cit. (supra,
n. n.
6), p. 103-105. 6), p. 105.
Cyril Aslanov parce qu'il assume ici-bas la fonction de l'ange plaidant le mérite d'Israël devant le trône de gloire. La confrontation entre les trois formulations, c'est-à-dire les deux variantes retrouvées dans la Genizah et celle de l'appendice à l'hymne nmi:i 7:iN::i (ke-ohel hanimtah) fait apparaître une différence importante dans la force poétique de l'image. La posture de l'ange intercesseur s'intègre parfaitement dans la doxologie de la mystique des palais. Formulé sous une forme dénuée de tout contenu mystique, le même vers mentionne simplement que le rôle du prêtre ici-bas est de racheter les péchés du peuple. Il est difficile de déterminer laquelle des deux formes du verset précède l'autre. Est-ce que :i7illi ll"W!l 1!l'.:l~ lN7~::i p::ii (we-khohen ke-malakh mekhapper pesha' we'awelah) « et le prêtre, comme un ange, expiant la faute et le mal » représente l'édulcoration de :i'?lll 1N~ 'l!l'? mw~ lN7~::i p::im (we-ha-kohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) « et le prêtre comme un ange servant devant le très haut»? Ou bien est-ce qu'à l'inverse, ce vers-ci est l'amplification de ce vers-là dans une perspective mystique? Quant à la formulation du vers 111 "WN1 '?li :iin:i lN7~::i (ke-malakh ha-nitzab 'al rosh derekh) «comme un ange posté au début de la route », elle fait plutôt penser à un affadissement tardif de cette comparaison entre le grand-prêtre et l'ange. La question du rapport chronologique entre les deux versions intéresse directement l'étude du poème nn~m 7:iN::i (ke-ohel ha-nimtah), car celui-ci se rattache manifestement au monde de références et d'association sous-tendu par la formulation du vers i:i::i:ii :i7lll 1N~ 'l!l'? mw~ lN7~::i (we-ha-kohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) «et le prêtre comme un ange servant devant le très haut». Pour déterminer le sens de l'évolution en ce qui concerne les deux variantes du poème de Rabbi Pinhas, une analyse formelle pourrait être de quelque secours. La question est de savoir quelle est l'incidence de la comparaison lN7~::i (ke-malakh). Dans la phrase 111 "WN1 '?li :i11i:i lN7~::i (ke-malakh ha-nitzab 'al rosh derekh) « comme un ange posté au début de la route », l'insertion de l'article avant le participe :Jlll (nitzab) «posté» permet de rattacher directement l'expression 111 "WN1 '?li :i11i;i (ha-nitzab 'al rosh derekh) « posté au début de la route » à lN7~ malakh « ange »et de voir dans 111 "WN1 '?li :i11m 1N7~::i (ke-malakh ha-nitzab 'al rosh derekh) «comme un ange posté au début de la route» un prédicat unique déterminant mareh khohen « l'apparence du prêtre». Dans les deux variantes du vers de Rabbi Pinhas au contraire, l'article fait défaut. C'est donc sur la base de l'analyse sémantique qu'on doit décider si le participe qui vient après lN7o::i (ke-malakh) se rattache directement à lui ou bien s'il se rapporte à 7:i::ii (we-kohen) « et le prêtre » sur le mode d'une figure disjointe. Dans la phrase :i7illi llW!l 1!l'.:l0 lN7~::i p::ii ( we-kohen ke-malakh mekhapper pesha' we'awelah) « et le prêtre, comme l'ange, expie la faute et le mal », l'expression ll"W!l 1!l'.:lO :i7illi (mekhapper pesha' we-'awelah) «expie la faute et le mal » peut se rattacher au grand-prêtre, tandis que dans la variante :i7lll 1NO 'l!l'? niwo lN7o::i 7:i::im (we-hakohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) «et le prêtre comme un ange servant le très haut », la logique exige de considérer :i'?lll 1N~ 'l!l'? niwo (mesharet li-fnei meod na'aleh) « servant le très haut» comme un déterminant de lN7o (malakh) « ange ». Malgré le parallélisme entre le monde d'en-haut et le monde d'en-bas et même si en vertu de ce parallélisme, le grand-prêtre est pour ainsi dire posté devant le trône de gloire, c'est l'ange que cette qualification concerne au premier chef. Ainsi donc, ces différents découpages syntaxiques permettent de supposer que la première version est celle qui présente une structure disjointe entre le substantif et le participe : :i7illi llW!l 1!l'.:lO lN7o::i J:i::ii (we-kohen ke-malakh mekhapper pesha' we-'awelah) «et le 39
Une réminiscence de Siracide
prêtre, comme un ange, expiant la faute et le mal». La deuxième version 1N'??J::i )i1::li11 (we-ha-kohen ke-malakh meshareth lifnei meod ndaleh) « et le prêtre comme un ange servant le très haut », est plus lisse et plus plate du point de vue syntaxique, ce qui laisse supposer une réélaboration ultérieure de la formulation moyennant le remplacement de la structure disjointe par une structure continue. Du point de vue sémantique, le terme comparant acquiert une autonomie et une plénitude que n'avait pas la première version. On pourrait certes objecter que l'emploi du superlatif i1'?Yl 1N?J (meod ndaleh) constitue un calque évident du théonyme grec "Y~rn·-roc; par lequel la langue de la Bible des Septante rend )1''7Y ('eliyon). Comme ce dernier théonyme n'est pas un superlatif du point de vue morphologique, la formule i1'7Yl 1N?J (meod ndaleh) laisse supposer la pression d'un intermédiaire grec. Mais cet hellénisme au sein de l'hébreu n'est pas forcément l'indice d'une plus grande ancienneté. Ce pourrait tout aussi bien être la marque d'une réélaboration ultérieure dans un contexte juif byzantin. Ce calque du grec n'empêche pas de considérer i1'?Yl 1Ni'J 'ln? l11Wi'J 1N'??J::i )i1::li11 (we-hakohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) «et le prêtre comme un ange servant le très haut » comme une version postérieure, plus plate du point de vue syntaxique, mais plus riche de sens du point de vue de ses implications mystiques. Enfin, le vers 111 WN1 '?Y :Jllli11N'??J::i (ke-malakh ha-nitzab 'al rosh derekh) «comme un ange posté en tête de la route » reprend la structure de 1Ni'J 'ln? mw?J 1N'??J::i )i1::li11 i1'?Yl (we-ha-kohen ke-malakh meshareth lifnei meod na'aleh) « et le prêtre comme un ange posté servant le très haut », mais il la ravale au niveau d'un simple centon en déterminant l'ange d'après une formulation empruntée au livre des Nombres. En tout cas, les différentes formulations font apparaître un dégradé progressif entre le poème du Siracide et sa réintégration dans le monde de la synagogue sur le mode d'unpiyyut. Alors que le texte deutérocanonique avait une valeur référentielle, sa réélaboration sous la forme d'un hymne synagogal s'accompagne d'une importance croissante accordée à l'évocation visionnaire du monde d'en-haut 14 . Cette gradation atteint son point culminant dans la partie originale du piyyut nr1?Jli1 '?i1N::l (keohel ha-nnimtah). Quant à l'allongeail tardif, il représente une régression totale et un échec sur les deux plans, puisqu'il ne parvient à être ni référentiel ni visionnaire : il est tout simplement nourri de références livresques. Cette imbrication entre la mystique et l'hymnologie est un des traits caractéristiques de cet envers mystique du judaïsme talmudique que constitue la littérature des Palais. Non seulement les mystiques du char divin sont censés réciter des hymnes au terme de leur ascension, mais en plus, beaucoup de ces hymnes ont été intégrés à la liturgie synagogale 15 . i1'?Yl 1Ni'J 'ln? m!V?J
III. Essai de datation et de localisation
L'affiliation du poème nnmi1 '?i1N::J (ke-ohel ha-nimtah) à un courant d'inspiration spécifiquement hébreu permet de fournir un élément de réponse à la question soule14 15
J. YAHALOM, op. cit. (supra, n. 9), p. 20.
Voir Ph. BLOCH,« Die Yordei Merkavah, die Mystik der Gaonenzeit und ihr Einfluss auf die Liturgie », dans Monatschrift für die Geschichte und Wissenschaft des Judentums 37 (1893), p. 18-25; 69-74; 257-266; 305-311 ; 1. GREENWALD, « Piyyutei Yannai Vesifrut Yordei Merkavah », dans Tarbitz 36 (1966/ 67), p. 257-258 (en hébreu); S.C. REIF, Judaism and Hebrew prayer. New perpectives on Jewish liturgical history, Cambridge, 1993, p. 208-209.
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Cyril Aslanov
vée ci-dessus: manifestement, le poème de Yom Kippur, dont les liens avec l'éloge de Simon le Juste sont indéniables, en a repris la version originale hébraïque plutôt que la traduction grecque. L'objection soulevée par l'équivalence entre la formule &v8oç p63wv et le nom,,, (wered) n'est pas dirimante, si l'on s'avise du fait que de bonne heure, )tV1tV (shoshan), i1ltV1tV (shoshannah) ont été perçus comme des synonymes de,,, (wered) et que ce dernier terme s'imposait du fait de la structure alphabétique du poème. Généralement, la raison qui est invoquée pour rendre compte de l'amalgame entre J!Viw (shoshan) et ,,, (wered) est l'élargissement de sens subi par 1w1w (shoshan). De lys ou de lotus, ce nom de fleur en serait arrivé à désigner toute fleur, y compris la rose. Sans rejeter cette explication, on peut en outre invoquer à titre de facteur supplémentaire le contact avec la langue arabe où le mot :i JJ (ward) désigne à la fois le lotus - comme J!Viw (shoshan en hébreu biblique) - et la rose. En tant qu'il peut s'appliquer au lotus, :i JJ (ward) pouvait donc être considéré comme l'équivalent sémantique de l'hébreu J!V1!V (shoshan), dont le sens premier est vraisemblablement lotus, si l'on en croit le rapprochement avec le copte KaKOÙÇ tÎ]V autWV KaKtaV ȵTjvai crot -ràc; µe06ôouc; -rrov noh ttKÔ>V Àoymv) paraît coïncider avec le début du traité où est proposée une analyse des discours politiques (1421 b 7). Mais de l'un à l'autre endroit, le sens de l'adjectif politique change: il paraît dans la lettre désigner le politique au sens moderne du terme, d'où un glissement possible du côté de l'éloquence royale, alors qu'au début du traité il désigne 63 tous les discours qui sont en rapport avec l'activité de citoyen et recouvre à ce titre tant le délibératif que le judiciaire, que l'éloge, le blâme ou l'examen. Les détails authentifiants, ce sont aussi des allusions à des faits historiques. Ces allusions sont assez nombreuses et plus ou moins visibles. Parmi les moins évidentes, nous citerons d'abord le cas de la première phrase, caractérisée par un passage de la première personne du singulier (µot) à la première personne du pluriel (ilµâç): «Tu m'écris que tu nous as envoyé ... ». La seule explication plausible à ce changement paraît être le désir de souligner la position d'Aristote à la tête d'une école. Dans la suite (1420 a 9-11 ), le désir affiché par Aristote de dépasser en précision tous ses prédécesseurs paraît devoir être mis en relation avec le projet "refondateur" mis en œuvre dans la Rhétorique. Plus loin (1421a15-16), on trouve des mentions plus transparentes: mention de Nicanor, neveu et fils adoptif d'Aristote, qui suivit l'enseignement de ce dernier avec Alexandre et participa à la campagne d'Asie, et dont il est plausible, par conséquent, qu'il ait servi de "go-between" entre les deux hommes. On trouve aussi une mention des Theodecteia, une allusion à la LuvaymyÎ] -rexvrov - ouvrages perdus qui figurent sur les listes anciennes d'Aristote - et enfin à Corax, l'auteur semi-mythique dès l'époque de Platon - de la première TÉxvr1 64 . Mais ne nous attardons pas sur la fin de la lettre: elle est très difficilement intelligible65 et, surtout, elle 61 Voir M. GRIGNASCHI, «La figure d'Alexandre chez les Arabes et sa genèse», dans Arabie Sciences and Philosophy 3 (1994), p. 205-234 (notamment p. 210). 62 Cette définition souligne le caractère local, conventionnel et pratique de la loi et ne se distingue guère de la définition canonique conservée tant par des sophistes que par des philosophes, des orateurs ou des rhéteurs: elle est très comparable en effet à celle que l'on trouve chez Démosthène (Contre Aristogiton, 1, 16) et qui est d'origine sophistique (cf. M. UNTERSTEINER, Les Sophistes Il, Paris, 1993, p. 195-198), à celle de Platon (Lois, 644 d), d'Aristote (Rhétorique, 1376 b 9-10) et du Ps.-Platon (Définitions, 415 b 8). Voir aussi Aelius Théon, Progymnasmata, p. 95 Patillon. 63 Cela dit, il faut reconnaître que cette occurrence de noÀtnxôç est la seule dans le traité et qu'elle intervient dans un passage problématique, cf. infra. 64 Sur Corax et la minceur du matériau d'ordre historique conservé sur lui, voir notamment l'article de Th. COLE,« Who Was Corax?», dans Illinois Classical Studies 16 (1991), p. 65-84. 65 L. SPENGEL (Anaximenis Ars rhetorica, op. cit. [supra, n. 4], p. 98), à propos des dernières lignes de la lettre, écrivait ceci: «aut ego stupidus et talpa caecior sum qui nullum horum sensum videam, aut ineptus fuit auctor, qui quae nemo intelligere posset scriberet».
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L'épître dédicatoire de la Rhétorique à Alexandre évoque des textes sur lesquels, après d'interminables discussions, on n'a obtenu à ce jour guère de certitudes. Nous voudrions cependant attirer l'attention sur le mot ùrroµvl]µma (1421 b 5) qui désigne - semble-t-il - l'envoi censé accompagner la lettre. Un texte de Galien 66 , d'autres de Porphyre, permettent de savoir de quoi il s'agit exactement: ce sont des notes de cours destinées à l'usage interne d'une école ou à un correspondant individuel. Ces notes n'étaient pas éditées - au sens que ce mot peut avoir dans l' Antiquité. Mais elles circulaient souvent, sans titre, sans nom d'auteur, avec parfois comme seule indication d'origine le nom de leur destinataire. Ce terme correspond fort mal à la Rhétorique à Alexandre, qui est le premier des traités systématiques que nous ayons conservés et dont la structure est beaucoup plus ferme que celle de simples notes de cours 67 . Mais l'appellation d'hypomnemata permettait sans doute, dans l'esprit du faussaire, de parer à l'une des objections qui pouvaient naître dans l'esprit de son lecteur: comment se fait-il qu'on n'ait encore jamais entendu parler de cette autre rhétorique d'Aristote? Il est un autre type de détails authentifiants: ce sont des allusions à une sorte de vulgate doxographique indifférenciée, visant à donner ce qu'on pourrait appeler une "couleur philosophique" à la lettre. Parmi ces allusions, l'une est une semi-citation ou, si l'on préfère, une réminiscence du Protreptique d'Aristote. C'est Marwan Rashed qui nous a signalé le fait. Il faut s'y attarder un peu parce que - contrairement à ce qui se passe pour les emprunts à Isocrate - le repérage de cette semi-citation permet de régler un problème textuel. Nous reproduisons ci-dessous un tableau 68 mettant en parallèle quatre passages: un passage de la lettre (1421 a 8-12), un passage du Protreptique de Jamblique, un extrait du Commentaire aux Premiers Analytiques d'Alexandre d'Aphrodise et un autre texte - récemment exhumé par M. Rashed 69 - tiré du De ideis du même Alexandre d' Aphrodise:
66 Sur ses propres ouvrages, dans P. MORAUX, Galien de Pergame. Souvenirs d'un médecin, Paris, 1985, p. 152-154. Voir aussi, sur la question des hypomnemata, V. DÉCARIE, op. cit. (supra, n. 6), p. 26-28, et T. DoRANDI, Le stylet et la tablette, Paris, 2000, p. 83-99. 67 Voir sur ce point M. FUHRMANN, Das systematische Lehrbuch, Gôttingen, 1960, chap. 1, p. 11-28. 68 Ce tableau est tiré de M. RAsHED, «Alexandre d' Aphrodise lecteur du Protreptique», dans J. HAMESSE (éd.), Les Prologues médiévaux, Turnhout, 2000, p. 1-37 (à la p. 30). 69 Voir M. RASHED, «Textes inédits transmis par l'Ambr. Q 74 sup. Alexandre d'Aphrodise et Olympiodore d'Alexandrie», dans Revue des sciences philosophiques et théologiques 81 (1997), p. 219-238 (voir p. 221).
68
Pierre Chiron
Rh. Al. (lettre
Jamblique
dédicatoire, 1421 a 8-12)
(Protreptique V, p. 67, 1-5 Pistelli)
Alexandre d' Aphrodise (In
Alex. d'Aphr.
(De ideis)
An. Pr., p. 5, 13-20 Wallies [CAG 11.1])
... Ü'n [wùt6 fonv]
cp
8taÉpoµi::v tcôv ÀDt7tCÔV ÇQxoV, 'tOÙ'tO [oùv] Kat iiµEîç ôtaÉpov tcôv ÀDtn&v Ë.Çoµi::v àv0pcimmv, oi µqicrrr1ç ttµfjç imà toù 8mµoviou 'tE'tUXTJÛ'tEÇ. 'Ent0uµiq µÈv yàp Kat 0uµQ Kat 'tOÎÇ 'tOtOÛ'tOlÇ XPf\tat Kat tà Àornà ÇQa navta, ÀÛYû! 8è, oùMv 'tCÔV Àot7tCÔV xmptç àv0pcimmv.
"'Ot yàp 'tV ÀÔyrov, OtKavtKOV '"CE Kat OTJµTJyoptKOV, ElOTJ oÈ Éma, npoipEmtKOV ànoipE1tUKOV ÈyKroµtamtKOV \j/EKUKOV Ka'"CTJYOPtKOV ànoÀOYTJUKOV ÈSEWO"UKOV (Aristote dit qu'il y a deux genres de discours politiques, le judiciaire et le démégorique; et sept espèces, exhortative, dissuasive, d'éloge, de blâme, d'accusation, de défense, d'examen). Sans entrer dans 1' analyse de ces textes, on voit d'emblée la grosse différence qui oppose la recension médiévale de la Rhétorique à Alexandre aux comptes rendus anciens: s'il y a accord sur le nombre des espèces oratoires, il y a divergence sur le nombre des genres, trois - dans l'état médiéval du texte-, deux d'après les témoignages anciens. La comparaison avec le PHib. 26 ne peut pas, malheureusement, s'opérer sur ce début du traité, car le papyrus est très lacunaire. En revanche, sur la question des genres, le PHib. 26 permet de faire une autre constatation intéressante. Dans le chapitre IV (1426 b 24), un membre de phrase entier, rattachant l'accusation et la défense au genre judiciaire, est fourni par la tradition médiévale alors qu'il est absent du papyrus: ~tÈÀ8roµEV ÛÈ 7tUÀtV 1:0Û1:0tÇ oµotoiponroç 1:0 '"CE Ka'"CTJyOptKOV Kat 1:0 ànoÀOyr)TtKOV EÎÔOÇ
PHib. 26
recension médiévale 0 1tEpt iÎ]v OtKavtKÎ]V ÈO"'rt npayµmdav aùia iE
ÈS û:iv O"UVÈO"'"CTJKE Kat mç aùwTç OEÎ xpficrSat. Les problèmes soulevés par ces divergences sont complexes, et ce n'est pas le lieu de s'y attarder. On a remarqué que, dans son état primitif, la Rhétorique à Alexandre semble ne pas avoir comporté de genre épidictique. D'autre part, la divergence constatée entre le PHib. 26 et la recension médiévale porte sur un genre, le genre judiciaire, dont la présence dans un état ancien du texte est attestée tant par Quintilien que par Syrianus. La solution simpliste et drastique adoptée par Spengel dans son édition de 1844 et qui consiste à athétiser la mention de !'épidictique au début du traité paraît pour le moins aventureuse. En réalité, ces divergences nous confrontent à un fait et à une probabilité. Le fait, d'abord: le texte actuellement accessible de la Rhétorique à Alexandre n'est pas le texte originel. C'est d'ailleurs pour cette raison que, dans l'édition que nous préparons pour la CUF, nous avons l'intention de laisser le texte anonyme, ou plutôt d'indiquer comme nom d'auteur: Pseudo-Aristote. Cette solution a trois avantages: 1) elle indique le canal de transmission du texte; 2) elle conserve à l'attribution à Anaximène son statut d'hypothèse; 3) elle ne laisse pas entendre que nous avons accès à la couche la plus ancienne de ce texte. En effet, si les témoignages conservés sont suffisants pour prendre conscience des altérations subies par le texte, ils ne sauraient permettre une reconstitution complète et fiable du texte originel. L'hypothèse maintenant: on ne peut pas ne pas se demander si les modifications apportées à la théorie des genres dans la Rhétorique à Alexandre ne sont pas imputables à l'entrée de ce texte dans le corpus aristotélicien. Tout se passe comme si quelqu'un, après Syrianus et avant l'époque de la translittération, c'est-à-dire entre le 73
L'épître dédicatoire de la Rhétorique à Alexandre
ye et le xe siècle, s'était avisé de la divergence entre la doctrine présentée dans la Rhétorique à Alexandre et celle que l'on trouve dans la Rhétorique et avait apporté au texte un certain nombre de modifications destinées à harmoniser les deux. Voilà pourquoi l'on peut parler de rétroaction de l'attribution de l'ouvrage à Aristote sur le texte lui-même. Conclusion L'impression que l'on retire de l'examen de cet apocryphe est donc fort différente selon les modes d'approche: si on le considère comme un document historique, susceptible de renseigner directement sur Aristote et ses œuvres, sur la biographie d'Alexandre ou encore sur la proto-rhétorique sicilienne et le traité de Corax, sa valeur est quasiment nulle. Au contraire, si on le considère comme un témoignage sur les pratiques et les représentations culturelles au moment de la seconde sophistique et sur la réception d'Aristote à cette époque, c'est un document fort instructif et non sans valeur. Il apparaît en particulier que la supercherie est loin d'être aussi grossière qu'on ne l'a dit. Quand on rapporte le texte à son contexte probable, il paraît au contraire admirablement adapté au public qu'il vise, d'où son succès. On peut juste s'étonner que l'attribution frauduleuse se soit maintenue à des époques philosophiquement plus éclairées, comme celle du néo-platonisme. Nous avons voulu montrer également que le problème de l'apocryphité ne touche pas seulement la question - assez académique, au demeurant, au moins pour des textes païens - de l'attribution des œuvres, mais également la question de la transmission des textes. De ce point de vue, la lettre apocryphe a joué un rôle ambigu. Le texte de la Rhétorique à Alexandre doit probablement sa survie à son attribution à Aristote, mais il doit aussi à cette attribution un nombre non négligeable de déformations.
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Pierre Chiron Annexe ARISTOTE À ALEXANDRE, PORTE-TOI BIEN, [1420 a 6l
Tu m'écris que maintes fois tu nous as envoyé maints émissaires pour nous entretenir de la rédaction, à ton usage, des méthodes de l'éloquence politique. La raison de ces atermoiements n'est pas la négligence, non: je cherchais 10 à atteindre, en écrivant pour toi sur ces questions, une exactitude sans exemple dans les écrits d'aucun de ceux qui en traitent. C'est à bon droit que j'avais ce dessein: car de même que tu t'appliques à porter le costume le plus distingué du monde, tu dois aussi t'efforcer d'acquérir la capacité oratoire la plus 15 renommée. Car il est beaucoup plus beau et plus royal d'avoir l'esprit bien fait que d'offrir aux regards l'apparence d'un corps richement vêtu. Il est absurde en effet que le premier dans l'action paraisse surpassé dans la parole par le premier venu, et cela bien qu'il sache que si, en régime démocratique, 20 on s'en remet en toutes choses à la loi, quand on est soumis à un pouvoir royal, on s'en remet à la parole. De même donc que la loi commune amende les cités indépendantes en les conduisant vers le meilleur, 25 de même ta parole pourrait conduire vers l'utile ceux qui sont soumis à ta royauté. Car la loi, pour le dire simplement, n'est autre qu'un énoncé déterminé en vertu du commun accord de la cité et qui indique comment il faut agir en toute circonstance. En outre, il ne fait pour toi aucun doute, je présume, que ceux qui usent de la raison et qui choisissent de tout faire en accord avec elle, nous les louons pour leur qualité d'êtres 30 accomplis, et que ceux au contraire qui font quelque chose sans le consentement de la raison, [1420 h 51 nous les haïssons comme cruels et sauvages. C'est grâce à la raison que tout ensemble nous châtions méchants qui ont fait voir leur méchanceté et cherchons à imiter les bons qui ont fait montre de leur vertu. C'est par 10 elle que tout ensemble nous avons découvert le moyen d'écarter les maux futurs et que nous avons obtenu la jouissance des biens présents. C'est grâce à elle enfin que tout ensemble nous évitons les difficultés qui menacent et nous procurons les avantages qui ne nous sont pas acquis. De même en effet qu'une vie sans chagrin est souhaitable, de même un jugement prudent est désirable. Il te faudra aussi savoir que, pour la plupart des hommes, l'exemple à suivre est aux uns la loi, aux autres ta vie et ta parole. Tu dois 15 donc mettre tout ton zèle à l'emporter sur tous, Grecs ou barbares, afin que ceux qui vivent à l'école de ta vie et de tes discours en calligraphient l'imitation avec les lettres de la vertu et, loin de se porter au vice, aient à cœur d'avoir la même vertu en partage. En outre, 20 la faculté de délibérer est, de toutes les facultés humaines, la plus divine, de sorte que ton devoir n'est pas de gaspiller ton zèle à des futilités qui n'en valent pas la peine, mais de vouloir apprendre à connaître la métropole même de la bonne délibération. Qui en effet - du moins parmi les personnes sensées - contesterait qu'agir sans avoir délibéré 25 est signe d'ignorance, tandis que se laisser guider par la raison pour accomplir ce qu'elle conseille est signe de culture? On peut voir aussi que tous ceux, parmi les Grecs, qui jouissent du meilleur gouvernement, consultent d'abord la raison avant d'en venir à l'action; qu'en outre, parmi les barbares mêmes, ceux qui jouissent du plus grand prestige 30 recourent à celle-ci avant d'agir: ils savent bien U 421 a 11 que l'étude de l'utile menée par l'entremise de la raison est la citadelle du salut. C'est elle que l'on doit croire inexpugnable, et non point considérer comme sûre, pour son salut, la protection qu'offrent les édifices. Mais j'hésite à écrire davantage: je crains de paraître faire le beau 5 parleur en ajoutant des arguments sur des points connus avec
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L'épître dédicatoire de la Rhétorique à Alexandre
exactitude, comme si tout le monde n'était pas d'accord sur eux. Aussi vais-je briser là, en ajoutant un seul point, sur lequel il y a de quoi discourir la vie entière: [c'est] ce par quoi nous l'emportons sur les autres animaux, c'est [donc] par cela que nous l'emporterons nous aussi sur les autres humains, nous qui avons obtenu 10 de la divinité ce qui a le plus grand prix. Car si le désir, la colère et les autres dispositions de ce genre, tous les animaux en ont l'usage, la raison, nul autre n'en jouit que l'homme. Ce serait donc la chose la plus absurde du monde si, devant à la raison seule de vivre plus heureusement que tous les autres animaux, 15 nous renoncions par négligence, faute de la cultiver, à la cause du bien vivre. Je te renouvelle expressément la recommandation que je t'ai faite jadis, de t'attacher à l'éloquence philosophique. De même en effet qu'une vie saine est la gardienne du corps, de même la culture a été établie en gardienne de l'âme. Car en la prenant pour guide, tu ne risqueras pas de trébucher dans tes actions, tu pourras préserver au contraire 20 pour ainsi dire tous les biens acquis dont tu disposes. J'ajouterai à mes propos que s'il est agréable de voir par les yeux, il est admirable de pénétrer par le regard de l'âme. En outre, de même que le général est le sauveur de l'armée, de même la raison, avec la culture, est le guide de la vie. Mais ces vues 25 et les vues semblables, nous ferons bien à mon avis de les laisser de côté pour le moment. Tu m'avertis 27 dans ta lettre de ne laisser mon livre tomber aux mains de personne d'autre: tu sais pourtant que, de même que les géniteurs préfèrent les enfants sortis de leur sang 30 aux enfants supposés, les inventeurs tiennent plus à leurs inventions que ceux qui en partagent le fruit; comme on le fait pour des enfants, en effet, on sacrifie sa vie à ses discours. Car ceux qu'on appelle les sophistes de Paros, pour n'avoir rien engendré dans leur paresse inculte, au lieu de chérir les discours, les mettent aux enchères pour en tirer de l'argent. Pour cette raison, c'est moi qui te recommande 35 de prendre ces lignes sous ta protection, que, jeunes comme elles sont, elles ne soient souillées par l'argent de personne; que, après avoir partagé avec toi une vie décente, elles parviennent à l'âge adulte en rencontrant une gloire immortelle. Nous avons recueilli d'autre part, suivant les indications transmises par Nicanor, tout ce qui avait pu être écrit de subtil 40 par les autres techniciens sur ces mêmes matières dans leurs traités. Tu trouveras donc [1421 b ll ci-joint deux livres, dont l'un est de moi - il fait partie des traités que j'ai écrits pour Théodecte - et dont l'autre est de Corax. Au reste, tout y est spécialement dévolu (?) aux règles du politique et du judiciaire, de sorte que, dans 5 chacun de ces deux domaines, tu seras bien pourvu grâce à ces notes rédigées à ton intention. Adieu.
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JAMBLIQU E ET LA LITTÉRATURE PSEUDO-PYTHAGORICIENNE*
Constantinos MA CRIS École pratique des hautes études - Section des sciences religieuses Résumé Aussi bien dans son grand ouvrage en dix livres sur le pythagorisme que dans ses commentaires aux dialogues de Platon et aux Catégories d'Aristote, Jamblique fait un usage systématique de textes pseudo-pythagoriciens. Il apprécie d'ailleurs beaucoup leurs qualités littéraires, scientifiques et proprement philosophiques. Le but de la présente étude est de mettre en relief le rôle joué par ce néoplatonicien syrien dans la résurrection et la "canonisation" de ces écrits, et de présenter quelques réflexions sur les fondements de sa croyance en leur authenticité.
Abstract Both in his great ten-volume work on Pythagoreanism and in his commentaries on Plato's dialogues and Aristotle's Categories, Iamblichus makes a systematic use of Pseudo-Pythagorean texts. He strongly appreciates their literary, scientific, and strictly philosophical qualities. The purpose of this study is to draw attention to the contribution of this Syrian Neoplatonist to the resurrection and the "canonisation" of these writings, and to present some reflections on the foundations ofhis faith in their authenticity.
'Une version antérieure, beaucoup plus brève, de ce travail fut l'objet d'une communication à la réunion annuelle del' Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AÉLAC), marquant le 20" anniversaire del' Association, le 22 juin 2001. D'ailleurs, le contenu des sections et sous-sections dont le titre est précédé d'un astérisque est exposé de manière beaucoup plus détaillée dans une thèse de Doctorat actuellement en préparation à la Section des sciences religieuses de l'École pratique des hautes études, à Paris, sous la direction de M. Philippe Hoffmann : Le Pythagore des néoplatoniciens. Étude sur le "De uita pythagorica" de Jamblique (soutenance prévue en 2002).
DVP VP
• Abréviations : Jamblique, Sur le mode de vie pythagoricien (abrégé d'après son titre latin: De uita pythagorica ). Porphyre, Vie de Pythagore.
Jamblique et la littérature pseudo-pythagoricienne Introduction L' apocryphité et la pseudépigraphie ne sont pas des phénomènes propres aux seules "Religions du Livre". Des textes pseudépigraphes de toute sorte circulaient avec le même succès chez les païens des époques hellénistique et romaine, et cela dans plusieurs milieux: chez les historiens-"antiquaires", mais aussi dans les cercles littéraires, les écoles philosophiques et médicales, et les sectes religieuses. D'ailleurs la pseudépigraphie allait souvent de pair avec une série de phénomènes apparentés comme la pseudonymie, la mystification littéraire et la contrefaçon 1. Parmi les multiples expressions de la pseudépigraphie païenne, celles qui présentent le plus grand intérêt pour le projet transversal de ce volume, parce que moins soupçonnées de ludisme littéraire ou de tromperie volontaire, sont sans doute : a) ce que Speyer a appelé la "vraie" pseudépigraphie religieuse 2, dans le cadre de laquelle l'auteur était convaincu d'écrire sous l'inspiration d'un dieu, d'un prophète ou d'une autre figure mythique 3 , et b) les écrits s'inscrivant dans la tradition des écoles philosophiques et médicales, où il était d'usage d'écrire sous la direction du maître ou en son nom même après sa mort 4. Ces deux catégories d'écrits circulaient- et même abondamment - dans les écoles néoplatoniciennes de l'antiquité tardive, particulièrement friandes non seulement de textes platoniciens et pythagoriciens, mais aussi de textes révélés de toute sorte, orphiques, hermétiques ou oraculaires. Dans le présent article, qui se veut une case study, ce sont les textes pseudépigraphes attribués à Pythagore et aux Pythagoriciens qui attireront notre attention, et plus précisément leur utilisation par Jamblique, le philosophe néoplatonicien, actif en Syrie pendant la deuxième moitié du me et le premier quart du ive S. ap. J.-C. Après une
1 Sur les faux et les pseudépigraphes dans l'antiquité, l'ouvrage de référence reste celui de W. SPEYER, Die literarische Fiilschung im heidnischen und christlichenAltertum, Munster, 1971. Voir aussi ID., art. « Flilschung, literarische », dans RAC 7 (1969), col. 236-277 ; N. BROX, Falsche Veifasserangaben. Zur Erkliirung der frühchristlichen Pseudepigraphie, Stuttgart, 1975 ; ID. (éd.), Pseudepigraphie in der heidnischen undjüdisch-christlichen Antike, Darmstadt, 1977; A. GRAFTON, Forgers and Critics. Creativity and Duplicity in Western Scholarship, Princeton, 1990 [trad. fr. par. M. Carlier, Faussaires et critiques. Créativité et duplicité chez les érudits occidentaux, Paris, 1993]; G. CERRI (éd.), La letteratura pseudoepigrafa nella cultura greca e romana, Naples, 2000 (= A.I.O.N., vol. 22). 2 La paternité de l'expression « echte religiOse Pseudepigraphie » revient à Speyer; sur le phénomène qu'elle désigne, voir notamment W. SPEYER, « Religiôse Pseudepigraphie und literarische Fiilschung im Altertum », dans Jahrbuch für Antike und Christentum 8-9 (1965-66), p. 88-125 [=ID., Frühes Christentum im antiken Strahlungsfeld Ausgewiihlte Aufsiitze, Tübingen, 1989, p. 21-58 =dans N. BROX (éd.), Pseudepigraphie, op. cit. (note précédente), p. 195-263]; ID., « Flilschung, pseudepigraphische freie Erfindung und "echte religiôse Pseudepigraphie" », dans K. VON FRITZ (éd.), Pseudepigrapha !. Pseudopythagorica, lettres de Platon, littérature pseudépigraphique juive, Vandœuvres-Genève, 1972 (Fondation Hardt. Entretiens sur l'antiquité classique, 18), p. 331-366 [=W. SPEYER, Frühes Christentum, op. cit., p. 100-139]. 3 On y classera notamment les Orphica, les Hermetica, les collections d' Oracles (chaldaïques, sibyllins, "théologiques", etc.), les Apocalypses, et même certains Magica. 4 On pense automatiquement à la constitution des corpus hippocratique, platonicien et aristotélicien; voir W. SPEYER, Die literarische Fiilschung, op. cit. (supra, n. 1), p. 34-35 et 120; cf. aussi ibid., p. 136-139 (« Ergiinzung der Überlieferung »).On rencontre un phénomène analogue dans les écoles de rhétorique.
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Constantinos Macris présentation globale du dossier des Pseudopythagorica (Section 1), nous nous tournerons donc vers Jamblique pour examiner dans ses grands traits le programme pythagorisant qui avait nécessité le recours systématique du philosophe à cette littérature (II), en rappelant que celle-ci ne représentait qu'une partie seulement de sa "bibliothèque pythagoricienne" (III). Dans la Section IV nous tenterons de faire un relevé aussi systématique et raisonné que possible des citations et des réminiscences de textes pseudo-pythagoriciens dont est parsemé le corpus jamblichéen et de rassembler les témoignages antiques indiquant ou suggérant une utilisation plus large de ces textes par Jamblique. À la suite de quoi nous proposerons un essai d'interprétation historique de l'attitude non critique de l'auteur vis-à-vis des Pseudopythagorica, qui tiendra compte de la position de Jamblique dans le débat philologique antique relatif aux problèmes de paternité littéraire et d'authenticité (V) et de son appartenance philosophique à un platonisme pythagorisant (ou plutôt à un pythagorisme platonisant) qui se considérait comme la continuation directe de l'ancien pythagorisme et qui affichait, à côté de sa révérence pour les "révélations" de Pythagore, le désir d'un retour aux sources (VI). Pour finir, cette attitude non critique de Jamblique sera illustrée par quelques passages (indûment négligés) de son DVP, où il fait l'éloge des qualités littéraires, scientifiques et proprement philosophiques des écrits (pseudo-) pythagoriciens (VII).
1. Le dossier des Pseudopythagorica On commencera par une rapide mise au point sur les textes "pythagoriciens" de l'époque hellénistique et romaine, appelés ordinairement Pseudopythagorica 5 , au sujet desquels un nombre considérable de travaux importants ont été publiés ces dernières années. Il s'agit de textes relativement brefs qui circulaient peut-être dès le me (ou même le IVe) s. av. J.-C. sous le nom de Pythagore et d'autres Pythagoriciens, et qui étaient 5
Ils sont commodément édités par H. îHESLEFF (éd.), The Pythagorean Texts of the Hellenistic Period, Abo, 1965 (cf. le compte rendu par W. BURKERT dans Gnomon 39 [1967], p. 548-556). Études d'ensemble (selon l'ordre chronologique de leur parution): W. BURIŒRT, « Hellenistische Pseudopythagorica »,dans Philologus 105 (1961), p. 16-43 et 226-246; H. THESLEFF, An Introduction to the Pythagorean Writings of the Hellenistic Period, Abo, 1961 (cf. les comptes rendus par P. BoYANCÉ, dans la Revue des études anciennes 64 [1962], p. 443-447, et par W. BURKERT, dans Gnomon 34 [1962], p. 763-768); B.L. VAN DER WAERDEN, art.« Die Schriften und die Fragmente des Pythagoras », dans PW-RE Suppl. 10 (1965), col. 843-864; P. MORAUX, Der Aristotelismus bei den Griechen von Andronikos bis Alexander von Aphrodisias, vol. 2, Der Aristotelismus im I. und II. Jh. n. Chr., Berlin-New York, 1984, p. 605-683 (le chapitre intitulé «Die pythagoreischen Pseudepigrapha ») ; Br. CENTRONE, «La letteratura pseudopitagorica : origini, diffusione e finalità »,dans G. CERRI (éd.), La letteratura pseudoepigrafa, op.cit. (supra, n. 1), p. 429-452; voir encore l'historique des recherches relatives à cette littérature proposé par Br. CENTRONE et A. SQUILLONI dans leurs éditions signalées infra, aux n. 23 et 25. - Aux Pseudopythagorica propres on devrait peut-être ajouter une partie des lettres apocryphes de Platon, qui semblent avoir été rédigées dans des milieux pythagoriciens (il y est souvent question des rapports de Platon avec les Pythagoriciens anciens) ; voir en général L. BRISSON, Platon. Lettres, Paris, 19942 [1987] ; pour la Lettre II: H.D. SAFFREY & L.G. WESTERINK, «Histoire des exégèses de la Lettre II de Platon dans la tradition platonicienne», dans Proclus. Théologie platonicienne. Livre II, Paris, 1974, p. xx-ux ; pour la Lettre XII: H. THESLEFF, « Okkelos, Archytas and Plato », dans Eranos 60 (1962), p. 8-36.
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Jamblique et la littérature pseudo-pythagoricienne
destinés apparemment à remédier à l'absense de textes originaux du Maître et de ses disciples les plus anciens 6 . Cette lacune, qui devait être bien embarrassante pour les adeptes du pythagorisme pendant les époques plus tardives 7, était en partie assumée (le choix de !'oralité et la pratique du secret8 expliquant pourquoi Pythagore et la première génération des Pythagoriciens n'avaient pas laissé d'écrits 9), et en partie expli-
6 Il n'est peut-être pas superflu de rappeler ici que dans la collection des Présocratiques de Diels-Kranz aucun fragment ne figure sous le nom de Pythagore et que, parmi les Pythagoriciens, seuls Philolaos et Archytas sont représentés par des fragments retenus comme authentiques. Quant au chapitre consacré à l'École pythagoricienne, il ne contient pas non plus de fragments à proprement parler, mais le catalogue des Pythagoriciens de Jamblique (section A), des témoignages doxographiques sur les Pythagoriciens, considérés collectivement (B), une collection de crûµ[3oA.a / àxoûcrµma (C), les fragments conservés des ouvrages d' Aristoxène de Tarente sur le pythagorisme (D) et les témoignages des poètes comiques sur les "Pythagoristes" (E). Une reprise du dossier des témoignages et des fragments relatifs à Pythagore et à l'ancien pythagorisme reste toujours un desideratum de la recherche ; voir, à titre de "prolégomènes" à une nouvelle édition, W. BURKERT, « Pythagoreische Retraktationen. Von den Grenzen einer mêiglichen Edition», dans W. BURKERT et alii (éd.), Fragmentsammlungen philosophischer Texte der Antike /Le raccolte dei frammenti di filosofi antichi. Atti del seminario internazionale, Ascona, Centra Stefano Franscini, 22-27 settembre 1996, Gêittingen, 1998, p. 303-319. 7 Ici se pose la question de savoir sous quelle forme il put y avoir continuité pendant les "Dark Ages" du pythagorisme - qui vont de la deuxième moitié du IVe s. av. J.-C. (dernière révolte anti-pythagoricienne en Italie du Sud et exode final des Pythagoriciens) au 1er s. av. J.-C. (renouveau du pythagorisme à Rome). Le scénario le plus vraisemblable est que le pythagorisme fut purement et simplement absorbé par le platonisme, en constituant d'abord une tendance très forte dans l'ancienne Académie, tendance qui se fit sentir de manière encore plus intense dans le médio-platonisme et qui revendiqua petit à petit son émancipation et son auto-définition en tant qu'écale pythagoricienne autonome. Dans cette seconde perspective, on devrait entendre par "adeptes du pythagorisme" les Platoniciens pythagorisants. Sur le problème de la continuité entre l'ancien pythagorisme et ce qu'on appelle le "néo-pythagorisme", voir W. BuRKERT, «Hellenistische Pseudopythagorica »,art. cit. (supra, n. 5), notamment les p. 226-246 (« 3. Zum problem der Kontinuitat pythagoreischer Tradition ») ; H. DôRRIE, art. « Der nachklassische Pythagoreismus», PW-RE 24.1 (1963), col. 268-277; P. KINGSLEY, Ancient Philosophy, Mystery and Magic. Empedocles and Pythagorean Tradition, Oxford, 1995, p. 317-334 (chap. 20, « Pythagoreans and Neopythagoreans ») ; Br. CENTRONE, « Cose significa essere pitagorico in età imperiale. Per una riconsiderazione della categoria storiografica del neopitagorismo », dans A. BRANCACCI (éd.), Lafilosofia in età imperiale. Le scuole e le tradizionifilosofiche. Atti del colloquio, Roma, 17-19 giugno 1999, Naples, 2000, p. 137-168 ; voir aussi les n. 10-11, infra. 8 Voir à ce sujet W. BURKERT, Lare and Science in Ancient Pythagoreanism, Cambridge [Mass.], 1972 [trad. angl. par E. L. Minar, revue et augmentée par l'auteur, de : Weisheit und Wissenschaft. Studien zu Pythagoras, Philolaos und Platon, Nuremberg, 1962], p. 178-179, avec les notes ; L. BRISSON, «Usages et fonctions du secret dans le Pythagorisme ancien», dans Ph. DUJARDIN (éd.), Le secret, Lyon, 1987, p. 87-101 [=ID., Orphée et l'orphisme dans !'Antiquité gréco-romaine, Aldershot, 1995, chap. II] ; J.N. BREMMER, «Religions Secrets and Secrecy in Classical Greece »,dans H.G. KrPPENBERG - G.G. STROUMSA (éd.), Secrecy and Concealment. Studies in the History ofMediterranean and Near Eastern Religions, Leyde-New York-Cologne, 1995, p. 61-78 (le§ 2, intitulé« The secret of a group : the Pythagoreans »,aux p. 63-70); cf. aussi A. PETIT,« Le silence pythagoricien», dans C. LÉVY - L. PERNOT (éd.), Dire l'évidence. Philosophie et rhétorique antiques, Paris, 1997, p. 287-296. Contra, L. ZHMUD, Wissenschaft, Philosophie und Religion im früher Pythagoreismus, Berlin, 1997, p. 85-91 (le chap. 2.2,
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Constantinos Macris
quée par les malheurs liés à l'histoire de la secte 10 . Mais elle a surtout été comblée par des textes fabriqués 11 . En effet, un examen de la langue et du vocabulaire des Pseudopythagorica et, surtout, de leur contenu doctrinal (qui porte des marques d'une influence platonicienne et/ou aristotélicienne, voire stoïcienne) révèle immédiatement qu'il s'agit de productions tardives 12 .
« Geheimhaltung und mündliche Lehren »),qui est très sceptique à propos de la réalité de cette tradition, soulignant qu'elle ne se rencontre que dans des sources relativement tardives. 9 Pour un examen des témoignages relatifs aux écrits de Pythagore et de ses disciples, voir W. BURKERT, Lare and Science, op. cit. (note précédente), p. 218-238. Le dossier sur Pythagore est étudié méticuleusement par Chr. RIEDWEG, « "Pythagoras hinterliess keine einzige Schrift"ein lrrtum ? Anmerkungen zu einer alten Streitfrage », dans Museum Helveticum 54 (1997), p. 65-92. Contrairement à ce qui est habituellement admis sans réserves, à savoir que Pythagore n'a rien écrit, ce savant considère cette affirmation comme une tradition tardive (« nicht var dem Neupythagoreismus »),dont il situe la naissance dans le contexte d'une réaction à la floraison de la littérature pseudo-pythagoricienne , et il se demande si elle correspond vraiment à la réalité historique, car, selon lui, « es fehlt nicht giinzlich an Bruchstücken, die mit mehr oder minder grosser Zuversicht für Pythagoras beansprucht werden konnen » (p. 92) ; voir aussi les réflexions de W. BURKERT, art. cit. (supra, n. 6), p. 306, sur ce que pourrai(en)t être le(s) hypothétique(s) livre(s) de Pythagore. M. ScHOFIELD travaille actuellement dans la même direction; voir sa communication « Pythagore plagiaire ? » (encore non publiée), présentée au séminaire Léon Robin du Centre de recherches sur la pensée antique, à Paris, le 23 mars 2001. 10 Les écrits anciens auraient été perdus dans un incendie: c'est ce que l'on peut déduire du récit dramatique de Nicomaque de Gérase sur la disparition del' école pythagoricienne et sur la dispersion des Pythagoriciens apud Porphyre, VP 57-58 et Jamblique, DVP 252-253. - Sur l'arrière-plan historique de ce récit (révoltes anti-pythagoriciennes à Crotone et dans d'autres villes de l'Italie du Sud, massacre des Pythagoriciens et destruction de leurs maisons par le feu), voir K. VON FRITZ, Pythagorean Politics in Southern Italy. AnAnalysis of the Sources, New York, 1940, et E.L. MINAR (Jr.), Early Pythagorean Politics in Practice and Theory, Baltimore, 1942 [réimpr. New York, 1979]. 11 Ces textes seraient simplement des fabrications, des fictions littéraires, selon W. BURKERT, « Hellenistische Pseudopythagorica », art. cit. (supra, n. 5), passim, qui conclut (à la p. 234) : « Vielmehr führt der Befund auf ein scheinbar paradoxes Resultat [. .. }: Es gibt in hellenistischer Zeit eine ganze Flut pythagoreischen Schrifttums, aber es gibt keine Pythagoreer ». P. KINGSLEY, lac. cit. (supra, n. 7), a critiqué à juste titre cette attitude négative de Burkert, mais la théorie alternative qu'il propose pour expliquer la continuité du pythagorisme pendant la période hellénistique (fondée sur la reconnaissance d'une importante composante mysticomagique du mouvement dès ses débuts) reste largement hypothétique et spéculative (cf. aussi supra, n. 7). - H. THESLEFF, au contraire (An Introduction, op. cit. [supra, n. 5], p. 71-77), situe la naissance des Pseudopythagorica dans des milieux pythagoriciens, distinguant parmi ces écrits: (1) un "corpus Archyteum'', qui serait constitué de la même manière que les corpus hippocratique et platonicien, (2) une série d'écrits, mis sous le nom de Pythagoriciens dont on ne sait par ailleurs que très peu de choses ou rien du tout, qui seraient le produit d'une convention littéraire, et (3) les textes attribués à Aristaios, Ocellos, Philolaos et Timée, qui seraient, eux, des faux intentionnels. Réaction critique à sa thèse infra, p. 84-85, et n. 31. - Une reconsidération globale du problème de la naissance des Pseudopythagorica est proposée dans l'article de Br. CENTRONE, signalé supra, à la n. 5. 12 Les travaux qui seront mentionnés par la suite, aussi bien ceux qui portent sur des traités particuliers que ceux qui proposent une analyse systématique de l'ensemble du corpus, sont unanimes sur ce point. On n'y rencontre des divergences qu'en matière de datation exacte et de localisation.
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Jamblique et la littérature pseudo-pythagoricienne H. Thesleff en avait proposé une division en deux catégories que j'estime encore opératoire, au niveau descriptif du moins 13 . La première ("Class I ") consiste en un nombre relativement limité de textes, écrits en koinè attique ou en dialecte ionien, en prose ou en hexamètres. Attribués à Pythagore ou à des membres de sa famille, ces textes sont caractérisés par un intérêt marqué pour la personne de Pythagore lui-même et pour des thèmes mystico-religieux présentant des affinités avec certains écrits orphiques et avec les Catharmes d'Empédocle14 . Les pièces majeures de ce groupe sont sans doute les Vers d'or pythagoriciens 15 (version hellénistique d'un hypothétique Discours sacré originel [?] 16), le Traité tripartite de Pythagore 17 et les Mémoires pythagoriciens transmis par Alexandre Polyhistor18 .
13
H. THESLEFF, An Introduction, op. cit. (supra, n. 5), p. 27-29, 71-77, 99-100. Les titres de ces écrits - souvent le seul élément qui en soit conservé - sont très révélateurs de leur contenu myst(ér)ique : Discours sacré, Sur les dieux, Catharmes, Descente dans l'Hadès, Aumç !J!uxflç et Sur la piété de Pythagore lui-même; Sur les mystères de Déméter, TûŒTa( de Dionysos et Discours sacré d' Arignotè (fille de Pythagore) ; Sur le quaternaire (TETpmlTuç) et Discours sacré de Télaugès (fils de Pythagore). Thesleff y incluait aussi certains Orphica (intitulés 6.buuov, IlÉnÀov et Platon, voir les deux articles de L. BRISSON signalés supra, n. 70. 137
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Constantinos Macris dérable d'extraits pseudo-pythagoriciens dans !'Anthologie de Stobée (qui constituent sans doute la collection la plus riche en la matière) est due en dernière analyse à la reconnaissance de l'autorité de ces textes par le "divin" Jamblique; car, comme on l'a vu, il semble que le néoplatonisme ait exercé une influence très forte sur Stobée quant aux orientations générales de son florilège et au choix des textes145 .
Si l'on exclut la possibilité d'une fraude intentionnelle à grande échelle de la part de Jamblique 145 bis, on est amené à la conclusion que l'usage d'un très grand nombre d'apocryphes pythagoriciens pour sa vaste entreprise de résurrection du pythagorisme devait aller de pair non seulement avec la ferme conviction qu'il s'agissait de textes anciens et authentiques, mais aussi avec une appréciation positive de leur forme et de leur contenu. Dans la suite de l'exposé, nous nous proposons donc d'étudier d'abord (1) l'arrière-plan historique du débat philologique antique concernant les problèmes de paternité littéraire et d'authenticité, et la position de Jamblique par rapport à ces problèmes, et (2) les fondements de sa croyance en l'authenticité des Pseudopythagorica, pour passer ensuite (3) aux jugements de valeur qu'il exprime à leur égard.
V. La question de la paternité littéraire 146 et la critique d'authenticité Pour considérer le problème dans ses justes dimensions, et contrairement à une opinion de la critique moderne qui voudrait que les Anciens n'aient eu aucune notion de la propriété intellectuelle, s'attachant davantage au contenu, au point de laisser circuler sous de faux noms des écrits qu'ils savaient pertinemment faux 147 , on peut affirmer que la notion de la paternité littéraire se développa dans le monde gréco-romain
145
79.
Voir R. HARDER, op. cit. (supra, n. 129), p. xvn, et ici même, supra, p. 97, avec les n. 78-
145 bis Je pense qu'on est en droit de l'exclure, en tenant compte de la "psychologie littéraire" de Jamblique, de son respect pour la tradition et pour les textes qui lui paraissent antiques, mais aussi pour des raisons morales. - Dans une communication privée, Luc BRISSON me signale qu'il n'exclurait point, quant à lui, ni que Jamblique et son école aient attribué à Pythagore et aux Pythagoriciens des textes qu'ils avaient eux-mêmes fabriqués, ni que Jamblique ait utilisé des textes dont il reconnaissait la date récente. 146 Sur la paternité littéraire (l"'authorship"), qu'il faut distinguer de l'autorité (la force énonciative attachée à un nom d'auteur), voir G. LECLERC, Histoire de l'autorité. L'assignation des énoncés culturels et la généalogie de la croyance, Paris, 1996. - Je remercie Régis BURNET d'avoir attiré mon attention sur ce problème ; le début de la présente section (V) de cet article doit d'ailleurs beaucoup à son exposé sur la pseudépigraphie, présenté au séminaire interdoctoral de la Section des Sciences religieuses de l'ÉPHÉ le 25 mars 2000 ; voir maintenant les remarques introductives de son article « La pseudépigraphie comme procédé littéraire autonome : l'exemple des Pastorales», dans Apocrypha 11 (2000), p. 77-91. 147 C'est l'opinion soutenue jadis par F.C. BAUR, Die sogennanten Pastoralbriefen des Apostels Paulus aufs neue kritisch untersucht, Stuttgart, 1835, passim.
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Jamblique et la littérature pseudo-pythagoricienne dès le début de l'époque hellénistique 148 et que les problèmes d'authenticité faisaient l'objet de recherches systématiques de la part des philologues alexandrins 149. Cela n'a certes pas empêché la circulation de pseudonymes, de faux littéraires et de forgeries de toute sorte. En outre, ce que Speyer a appelé "vraie pseudépigraphie religieuse" connut une floraison impressionnante pendant les époques hellénistique et romaine ; quant aux écrits s'inscrivant dans la tradition des écoles philosophiques et médicales, leur intégration dans les corpus correspondants ne posait pas de problème 150 . Il est pourtant évident que les érudits de l'époque hellénistique et, à plus forte raison, ceux des époques plus tardives, devaient être en principe bien au courant des problèmes d'authenticité qui se posaient à propos des textes faisant l'objet de leurs études 151 . Pour ce qui est des textes attribués à Pythagore et aux Pythagoriciens, il suffit de voir comment s'expriment à propos de leur authenticité les trois écrivains à qui l'on doit les biographies les plus complètes de Pythagore, à savoir Diogène Laërce, Porphyre et Jamblique, pour se rendre compte de la réalité du problème, de la connaissance qu'en avaient les anciens philologues, mais également de l'éventail des réponses proposées et des positions adoptées. Chez Diogène Laërce, on trouve un écho significatif des contradictions qui traversaient la littérature encyclopédique de son temps au sujet des écrits pythagoriciens. Ainsi, dans le prologue de ses Vies des philosophes (1, 16), Pythagore est classé parmi les philosophes qui n'ont pas laissé d'écrits, tandis qu'au livre VIII lui sont attribués
148 C'est le résultat des travaux de W. SPEYER signalés plus haut (aux n. 1 et 2) ; voir par exemple« Religii:ise Pseudepigraphie und literarische Fiilschung im Altertum »,p. 91-95. 149 Voir SPEYER, Die literarische Falschung, op. cit. (supra, n. 1), p. 112-128 (le chap. «Die antike Echtheitskritik »)et passim; A. GRAFTON, op. cit. (supra, n. 1). 15 0 Sur toutes ces classifications, voir supra, p. 78. 151 Voir J. MANsFELD, Prolegomena. Questions to Be Settled before the Study of an Author, or a Text, Leyde-New York-Cologne, 1994, passim (consulter la p. 242 de son Index, s.v. "isagogical questions - authenticity") ; cf. aussi la contribution de A. LE BoULLUEC dans le présent volume, aux p. 154, avec la n. 1, et 165, avec les n. 49-50. - Le cas le plus caractéristique est celui des commentateurs néoplatoniciens d'Aristote. SPEYER, Die literarische Falschung, op. cit. (supra, n. 1), p. 121, n. 6, a relevé dans les Commentaria in Aristotelem Graeca un grand nombre d'exemples de critique d'authenticité appliquée au corpus aristotélicien; ils ont été étudiés en détail par P. MORAUX, « La critique d'authenticité chez les commentateurs grecs d'Aristote», dans Mélanges Manse[/ Mansel'e Armagan, vol. 1, Ankara, 1974, p. 265-288. L'authenticité de chacun des traités d'Aristote faisait d'ailleurs l'objet d'un examen approfondi et était traitée dans une section spéciale du prologue par lequel s'ouvraient les commentaires correspondants ; on y retrouve même des considérations générales sur les raisons de la genèse de la pseudépigraphie: voir C.W. MÜLLER,« Die neuplatonischen Aristoteles-Kommentatoren über die Ursachen der Pseudepigraphie »,dans Rheinisches Museum 112 (1969), p. 120-126 [ =m., Kleine Schriften zur antiken Literatur und Geistesgeschichte, Stuttgart-Leipzig, 1999, p. 623-629 =dans N. BROX (éd.), Pseudepigraphie, op. cit. (supra, n. 1), p. 264-271]; 1. HADoT, op. cit. (supra, n. 141), p. 144-155 (où est proposée une traduction française des passages les plus importants). Sur l'ensemble de la question, voir maintenant Ph. HOFFMANN, Les principes de l'interprétation néoplatonicienne des Catégories d'Aristote, à paraître en 2002 aux éditions des Belles Lettres.
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Constantinos Macris plusieurs ouvrages 152 ; et on remarque le même flottement à propos d'Hippasos 153 . Ailleurs, Diogène reproduit un passage de Néanthe dans lequel l'historien conteste l'authenticité de la Lettre de Télaugès à Philolaos, mais cela ne l'empêche pas d'utiliser plus loin des renseignements provenant de cette même lettre 154 . Enfin, Diogène fait état de certains problèmes d'attribution, lorsqu'il affirme, par exemple, que« ce qui circule sous le nom de Pythagore est en réalité de Lysis » (VIII, 7) ; que, selon Héraclide Lembos, le Discours mystique n'est pas de Pythagore, mais d'Hippasos, et que « plusieurs ouvrages écrits par Aston de Crotone ont été attribués à Pythagore » (ibid.) ; ou que, à en croire Ion de Chios, « Pythagore a attribué à Orphée quelques écrits qu'il avait lui-même composés » (VIII, 8). Si Diogène Laërce, en honnête compilateur, se limite à un simple relata refera, le problème de l'authenticité des écrits pythagoriciens semble avoir préoccupé tout particulièrement Porphyre (dont on connaît les qualités de philologue 155 et les réussites dans le domaine de la critique d'authenticité 156). En effet, dans sa VP il fait état des soupçons qui pesaient sur les (Pseudo-)pythagorica dorica 157 : [ ... ] [la philosophie pythagoricienne] est venue à s'éteindre (crf3rn8fjvm), d'abord, en raison de son caractère énigmatique (atvtyµaTwÔE:ç), ensuite parce que les traités étaient écrits en dorien, un dialecte qui manque de clarté (È:XOUCYTJÇ TL xal àcracpÈ:ç Tfjç ôta/l.lxrnu). Et c'est précisément pourquoi on suspectait aussi comme inauthentiques (v68a) et mal comprises (napT)xoucrµlva) les doctrines qu'il servait à rapporter, supposant que les gens qui les exposaient n'étaient pas du tout (µÎJ avnxpuç) des Pythagoriciens (trad. Des Places modifiée).
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Voir supra, n. 81. Comparer VIII, 7 (où il est dit que, selon Héraclide Lembos - abrégeant à son tour les Successions de philosophes de Sotion - « le Discours mystique est d'Hippasos, et qu'il a été écrit pour calomnier Pythagore ») à VIII, 84 (où l'on apprend que « Démétrios [de Magnésie] dans ses Homonymes [=fr. 25 Mejer] dit qu'Hippasos n'a laissé aucun écrit» ; trad. J.-F. BALAUDÉ, dans M.-0. GouLET-CAZÉ [dir.], op. cit. [supra, n. 18], p. 946 [avec la n. 3 ad lac. et la n. complémentaire 5 de la p. 1022] et p. 1010). 154 Comparer VIII, 55 ( =Néanthe, 84 F 26, dans F. JACOBY, Die Fragmente der Griechischer Historiker) à VIII, 53 et VIII, 74; voir les notes de J.-F. BALAUDÉ ad lac. : p. 983, n. 3 et p. 984, Il. 3-5. 155 Voir déjà J. BIDEZ, Vie de Porphyre, le philosophe néoplatonicien. Avec les fragments des traités 11Ept ayafl.µâT(,)V et "De regressu animae", Gand, 1913 [réimpr. Hildesheim, 1980], p. 29-36, et, plus récemment, G. GIRGENTI, lntroduzione a Porfirio, Rome-Bari, 1997; sur la réputation de grand philologue, bien méritée, qu'avait le maître de Porphyre, Longin, et sur l'influence de ce dernier sur son disciple, voir J. PÉPIN, « Phil6logos / phil6sophos (VP 14.1820) »,dans L. BRISSON et alii, Porphyre. La Vie de Plotin, vol. 2, Paris, 1992, p. 477-501, notamment p. 493-497. 156 Les plus remarquables sont sans doute les suivantes : (1) il rédigea, à la demande de Plotin, une réfutation où il montrait que le livre gnostique de l'apocalypse de Zoroastre« était à la fois inauthentique et récent, controuvé par les fondateurs de la secte pour faire croire que provenaient de l'ancien Zoroastre les doctrines qu'ils avaient eux-mêmes choisi d'accréditer» (voir Vie de Plotin, 16, avec le commentaire pertinent de Michel TARDIEU,« Les gnostiques dans la Vie de Plotin. Analyse du chapitre 16 »,dans L. BRISSON et alii, op. cit. [note précédente], p. 503563, notamment p. 541-543) ; (2) dans son Contre les chrétiens il démontra que le Livre de Daniel, un des livres del' Ancien Testament, était une prophétie ex eventu, postérieure à Antiochus Épiphane (voir P.M. CASEY, « Porphyry and the Origin of the Book of Daniel», dans Journal 153
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Jamblique et la littérature pseudo-pythagoricienne Et Porphyre de rapporter immédiatement après la version pythagorisante de l'histoire, selon laquelle : [... ]Platon et Aristote, Speusippe, Aristoxène et Xénocrate s'étaient approprié (CT