Les successeurs du pape aux ours: Histoire d'un livre prophétique médiéval illustré (Vaticinia de summis pontificibus) 2503521649, 9782503521640

Dénommées Vaticinia de summis pontificibus dans le monde savant et indûment attribuées à Joachim de Flore, les prophétie

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Les successeurs du pape aux ours: Histoire d'un livre prophétique médiéval illustré (Vaticinia de summis pontificibus)
 2503521649, 9782503521640

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Les successeurs du pape aux ours Histoire d'un livre prophétique médiéval illustré (Vaticinia de summis pontificibus)

Hélène

MILLET

BREPOLS

© 2002 Viella, Il libro delle immagini dei papi. Storia di un testa profetico medievale.

© 2004 - Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium Al! rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2004/0095/70 ISBN 2-503-52164-9

Primed in the E.U. on acid-free paper

TABLE DES MATIERES Introduction Reproduction du manuscrit Londres, BL, Arundel 117 (planches 1-30). Fiche technique du manuscrit reproduit .

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Chapitre 1: Au commencement était l'image La page: une cohésion formelle . Les effets de contraste Des énigmes à résoudre L'ordre des prophéties ..

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Chapitre 2: La saga des origines . Le début des maux Monte chauve! . V ers les Vaticinia .

67 70 75

7

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Chapitre 3: Quel pape? Un pape aujourd'hui, des papes encore demain Un instrument de légitimation. Le fantôme de Célestin V

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Chapitre 4: De la copie à la création . Un écheveau d'images difficile à démêler . La part de la création .

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Chapitre 5: Pour quelle sorte

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Fig. 11. Vat. 20 , « le moine à la faucille ». Après cette ving ti èm e planche, toujours attribuée à Jean XXIII dans les Prophéties, l'ordre des six planches suivantes a varié ainsi que l'ind ique une addition (repérable à son initiale rouge) portée sur cet exem p laire. Paris, BnF, Lat. 10834 .

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Fig. 12. Vat. 1, «le pape aux ours». Les oursons qui accompagnent Nicolas III sur la première image de toutes les séries font de ce pontife un vérirable «pape aux ours». Ils sont à la fois emblèmes de la famille Orsini et symboles de népotisme. Cette image appartient à la 3ème série, celle dite des Vaticinia. Paris, BnF, Lat. 10834.

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Fig. 13. Vat. 28, «le pape couronné». Les images de la fin de la série des Vaticinia annoncent les papes de l'avenir. Le bandeau destiné à recueillir le nom de ce pontife, espéré «angélique», est resté blanc. Londres, BL, Harley 1340.

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Fig. 14. Cecce miniature provient d'un archétype des Vaticinia où elle illustre une prophétie étrangère au Début des maux. On retrouve pourtant un animal aux traits identiques sur la dernière planche des exemplaires de la fami lle Regina. Lunel, Bibl. mun. Louis Médard 7.

Chapitre premier

per le recto et le verso d'un même feuillet. Lorsqu'on observe une telle disposition, on peut d'ailleurs conclure que l'exemplaire n'appartient pas à la famille Este. Avant de vouloir trouver une quelconque explication à l'existence de ces trois familles, le lecteur a besoin d'être parfaitement informé sur les origines lointaines des Vaticinia. Il va entrer dans un domaine où la réalité dépasse la fiction.

Complément s bibliographiq ues Dmitrewski, M. de, "Frère Bernard Délicieux, ofm. Sa lutte contre l'Inquisition de Carcassonne et d'Albi. Son procès, 1297-1319'', dans Archivumfrancis canum historicum, 17, 1924, p.183-218, 313-337, 457-488 et 18, 1925, p.3-32. Carocci, S., Il nepotismo nef medioevo. Papi, cardinali e famiglie nobili, Rome, 1999 (la corte dei papi, 4). Beaune, C., "Pour une préhistoire du coq gaulois'', dans Médiévales, 1986, p.6981. Bianciotto, G., Bestiaires du Aioyen Age, Paris, 1980. Miquel, P. Dictionnaire symbolique des animaux, Paris, 1992. Pastoureau, M., "Quel est le roi des animaux?'', dans Le monde animal et ses représentations au Moyen Age (XI' -XV' siècle), Toulouse, 1985, p.133-142.

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CHAPITRE DEUX

LA SAGA DES ORIGINES Les grandes découvertes, c'est aujourd'hui une évidence, sont rarement à porter au crédit d'un seul chercheur: à peu de mois de distance, on voit souvent deux laboratoires parvenir à des résultats identiques, sans qu'il y ait eu entre eux de concertation délibérée. Il en est de même pour les petites découvertes, celles notamment qui concernent l'histoire de nos Prophéties. Dans les années vingt de ce siècle en effet, deux historiens, l'un spécialisé dans l'art, Aby Warburg, l'autre médiéviste débutant, Herbert Grundmann, établissaient que les oracles 15 à 30 étaient issus de prophéties byzantines illustrées, placées sous le prestigieux - mais mythique - patronage de l'empereur Léon le Sage (886-912). Tout le monde se rappelle comment la pythie entrait en transes et délivrait d'énigmatiques messages à ceux qui venaient consulter l'oracle de Delphes. A tout le monde, il a pu arriver de plaisanter un adversaire sur le caractère "byzantin" de ses arguments. Notre fonds culturel commun garde donc un souvenir très vivant de la singulière et séculaire aptitude des habitants de la Grèce ancienne et médiévale à forger d'obscurs bouts rimés censés présager l'avenir. Les origines de ceux qui finirent par former un corpus de seize élégants poèmes illustrés, en grec classique, supposés renseigner sur le devenir des maîtres de Constantinople et promis à une activité multiséculaire, se perdent dans la nuit des temps. L'ombre tutélaire de l'empereur Léon leur a permis de prospérer dans le plus parfait anonymat. Les hasards de la conservation des manuscrits font qu'on ne dispose aujourd'hui d'aucun exemplaire des "oracles de Léon" antérieur au XVIe siècle, alors que les plus anciens témoins de leur traduction latine remontent à la fin du XIIIe siècle. Mais les preuves de leur antériorité sont multiples et incontestables. Parmi elles, les témoignages du chroniqueur Nicetas Choniates, qui écrivait au début du XIIIe siècle, nous intéressent particulièrement, car ils renseignent incidemment sur l'iconographie. On y apprend qu'Andronic 1er Comnène (1183-1185) avait fait réaliser pour l'église des 40 martyrs à Constantinople un portrait de lui où il était représenté, non pas en habits impériaux, mais comme un paysan portant un long manteau et tenant une faucille dans la courbe de laquelle se trouvait le buste d'un jeune homme. Or cette description rappelle étrangement une image qui n'a pas été conservée dans les Vaticinia mais qui ornait les plus anciens témàins du Début des maux (Fig. 16). Quant à son successeur, l'empereur Isaac II Ange (1185-95), il aimait beaucoup citer l'oracle suivant, placé sous le signe de la vache (Fig. 17), lui dont on disait précisément qu'il ressemblait à un taureau! Entre l'histoire des empereurs et celle des images illustrant leurs oracles, il y avait assurément

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Chapitre deux

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Fig. 16. Image d 'une ancienne version du Début des maux où les oracles 4 et 5 n'en formaient qu'un. Par la suite, le 4ème oracle a conjugué sur un autre mode les motifs de la tête et de la lame, le 5ème a hérité de l'homme tenant une faucille et un ange, tandis que les deux têtes en médaillon émigraient vers la 6 ème image (voir images ci-contre). Cambridge, Corpus Christi College 404 , fol. 89v.

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La saga des origines

Fig. 17 La fonction de papalista assignée à l'archétype des Vaticinia dont proviennent ces deux planches (5 et 6 du Début des maux) apparaît nettement dans l'étiquette où est inscrit le nom du pape. Pour faire un Célestin V reconnaissable, l'image iniriale (cf. Fig. 16) de l'homme tenant une faucille et un ange a subi quelques retouches. La vac he et les deux têtes qui la surmontent furent chargées d'i llustrer le pontificat de Boniface VIII. Lunel, Bibl. mun. Louis Médard 7.

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Chapitre deux une étroite connivence que seuls les Byzantins étaient véritablement en mesure d'apprécier. Sous quelle forme se présentaient exactement les oracles lorsqu'ils furent traduits en Occident / C'est une question à laquelle il est malheureusement fort difficile de répondre en l'absence de témoin manuscrit de l'époque. Mais il est sûr qu'il faut établir une nette distinction entre la partie textuelle et les images. En effet, lorsqu'on compare les plus anciens exemplaires de la traduction latine avec les manuscrits grecs du xvre siècle, on constate de grandes différences dans l'iconographie alors qu'on retrouve l'intégralité de la version latine dans le texte grec. Ici comme ailleurs, ce sont les images qui ont évolué et modifié le sens de la composition. Le secret des origines byzantines de nos Prophéties semble avoir été bien gardé. Pourtant, on a peine à imaginer que personne ne se soit aperçu de leur étroite ressemblance, alors que, au xve siècle, les contacts avec les Grecs se multiplièrent, à la faveur du concile de Ferrare d'abord puis de la prise de Constantinople par les Turcs en 1454. On ne possède que deux témoignages anciens d'une possible mise en parallèle des deux oeuvres. Par Montaigne, en premier lieu, qui les cite conjointement dans les Essais (I, 11) comme deux merveilles qu'il regrette de ne pas avoir vues, lui qui se gausse des "pronostications". Mais le rapprochement paraît chez lui plutôt fortuit, alors que c'est probablement à dessein que, sensiblement à la même époque, un érudit hellénisant regroupa dans un manuscrit actuellement conservé à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras un exemplaire des Vaticinia et une traduction assez approximative des oracles, accompagnée de dessins à la plume rappelant ceux de l'édition que donne la Patrologie grecque. S'il eut des soupçons quant à leur étroite parenté, il n'en laissa toutefois rien paraître.

1) Le début des maux Après la découverte fondamentale de Warburg et Grundmann, on assista à un certain renouveau de l'intérêt du monde savant pour les Vaticinia. Moins en France toutefois qu'à l'étranger, car ce sont les travaux de chercheurs italiens, anglais ou américains qui firent progresser nos connaissances. Les débuts de ma collaboration avec Dominique Rigaux sur ce sujet remontent à 1989. Un document retint immédiatement mon attention: il s'agissait d'un petit commentaire des premières prophéties issues des oracles de Léon, inséré dans un gros volume de la Bibliothèque du Vatican. Or il se trouva que, dans le même temps, un jeune collègue allemand, amené pour d'autres recherches à travailler sur ce volume, fut intrigué par ce texte. Sans le savoir, nous nous sommes livrés, chacun de notre côté, au même travail minutieux de transcription et d'interprétation. Et nous sommes parvenus sensiblement à la même conclusion : ce commentaire doit être situé au moment même et dans le milieu où fut réalisée la traduction latine des Oracles. 70

La saga des origines

Constat bien minime en apparence, mais qui ouvrait de nouveaux horizons, car, contrairement au Début des maux, le commentaire pouvait être daté et localisé avec une assez grande précision: vers 1287, en Italie, dans les environs de la Curie romaine, au sein du parti guelfe gagné aux Angevins du royaume de Naples et hostile au clan des cardinaux Orsini installés par le pape Nicolas III. Dans le sud de l'Italie, où quelques territoires étaient longtemps restés sous la domination des Byzantins, la culture et la langue grecque s'étaient en effet suffisamment maintenues pour qu'on ait pu y connaître et traduire les Oracles de Léon. Il n'y manquait pas non plus de grandes familles à avoir fait allégeance au roi français, Charles d'Anjou frère de saint Louis, qu'avait voulu le pape Urbain IV pour les habitants des deux Sicile (l'île et le sud de la péninsule). Les succès du nouveau roi contre les descendants du grand empereur d'Allemagne Frédéric II Hohenstaufen avaient ensuite fait place à de sérieuses difficultés, surtout en Sicile, où, à l'heure des vêpres, le 30 mai 1382, un soulèvement soutenu par le roi d'Aragon et l'empereur byzantin avait chassé les Angevins de l'île (c'est l'épisode resté fameux sous le nom de "Vêpres siciliennes"). Puis Charles 1er était mort, laissant un fils, Charles II dit le Boîteux, beaucoup moins chanceux que lui à la guerre, et fait prisonnier par les Aragonais en 1285. Dans les années qui suivirent, les partisans angevins durent batailler ferme et jouer serré. La mort du pape Honorius IV en 1287 avait ouvert une lutte sans merci dans les rangs du Sacré collège. L'enjeu était de taille pour les Angevins qui avaient absolument besoin d'un soutien sans faille de la papauté - dont ils tenaient leur légitimité - pour obtenir une libération honorable de Charles Il. Les interminables conclaves de cette époque furent le théâtre de rivalités sanglantes entre les grandes familles romaines. Celle des Orsini était à la tête de la faction ami-angevine. Toutes les armes étaient bonnes, surtout celles de la propagande, parmi lesquelles se trouvait l'usage de pamphlets à tonalité prophétique pour forcer le destin. Les origines guelfes du Début des maux n'ont guère laissé de traces, ni dans les images, ni dans la traduction des Oracles. Tout au plus peut-on relever dans certains manuscrits la présence insolite de quelques fleurs de lis ou celle d'une croix à double traverse qui, avant de signaler la Lorraine, avait été emblème de la maison d'Anjou. L'hostilité aux cardinaux Orsini l'a au contraire marqué de son empreinte d'une manière décisive et durable, surtout dans la première prophétie, destinée à personnifier le pape Nicolas III, Gian Gaetano Orsini, grâce à qui la famille avait pu s'implanter solidement dans le Sacré collège. Pour faciliter l'identification, on avait ajouté à l'oracle grec un paragraphe faisant mention des 36 années que le pontife avait passées dans la pourpre; et l'image d'une ourse allaitant cinq petits (dont on ne peut malheureusement pas dire ce qu'elle devait à la matrice grecque) explicitait merveilleusement le népotisme dont bénéficièrent les jeunes Orsini (Fig. 18). 71

Chapitre deux

Aux yeux des adaptateurs, les oracles suivants étaient censés représenter les autres cardinaux Orsini; les textes étaient suffisamment énigmatiques pour ne rien signifier de précis, et leur tonalité, à une exception près, était franchement hostile; si bien qu'il ne parut pas nécessaire de les modifier. Quant aux images, elles furent assurément retouchées, ne serait-ce que pour y effacer les souvenirs des empereurs byzantins qui laissè-

Fig. 18. Dessin d 'une ourse allaitant cinq petits (les oursons de Nicolas III) emprunté à un exemplaire du Début des maux (B 1). rem

place aux figures de grands ecclésiastiques mitrés. A cet ensemble enfin, on donna le titre que nous lui avons restitué: Principium malorum, Le début des maux. Sous cette forme, l'œuvre connut une petite diffusion. Nous en avons conservé trois témoins (Vl, Bl et Cl). Mais il fallut qu'elle subisse d 'autres transformations pour connaître un réel succès. Plus de vingt ans après, dans un milieu sur lequel nous n'avons cette fois-ci guère d'informations, on eut l'idée d 'attribuer les oracles, non plus à des cardinaux, mais à la lignée des souverains pontifes qui suivit le règne, toujours considéré comme le point de départ de temps malheureux, de Nicolas III. Pour ce faire, on ne toucha pas davantage aux textes, si ce n'est pour en allonger les rubriques et pour ajouter une sorte de légende explicitant les attributions de chaque prophétie jusqu'au pape régnant. Les images furent en revanche à nouveau modifiées avec l'adjonction massive d'emblèmes pontificaux et la particulière adaptation de la cinquième figure à la personnalité si originale du cinquième pape après Nicolas III, Célestin V. Le pieux ermite, dont on a surtout retenu l'abdication, y est représenté comme un simple moine, totalement dépourvu d'attribut pontifical (Fig. 17). Dans un exemplaire, on trouve en outre une addition, introduite à la fin de la série, qui ne doit rien aux Oracles et qui en modifie singulièrement l'orientation. Il s'agit d'une seizième prophétie, dont le texte est une courte citation empruntée au prophète Daniel, avec un animal androcéphale couronné comme illustration (Fig. 14). On y a généralement reconnu une représentation de l'Antéchrist, personnage malfaisant et couramment invoqué au Moyen Age, qui devait apparaître à la fin des temps, avant que ne revienne le Christ lui-même. Avec cette prophétie, la série se charge donc d'un message eschatologique et assigne un terme repoussant à la lignée pontificale au lieu de la laisser s'achever sur la rassurante 72

La saga des origines

succession de quatre figures de papes assistés par des anges. Pour former les Prophéties, on dut utiliser un exemplaire de la papalista qui comportait précisément cette variante. Jusqu'à présent, comme l'avait fait Renan dans son étude sur "Joachim de Flore et l'Evangile éternel" parue dans la Revue des deux mondes en 1866, on situait l'apparition de ces prophéties dans le contexte des luttes ecclésiologiques qui opposaient l'opulente papauté à l'idéal - devenu subversif chez certains disciples de saint François - d'une Eglise humble au service des pauvres. Grundmann avait cru pouvoir davantage préciser: le traducteur devait être recherché parmi ces Fraticelles dans la mouvance de Fra Liberato qui, pourchassés par Boniface VIII, avaient un temps trouvé refuge en territoire byzantin. L'hypothèse reposait sur trois caractéristiques de la papalista en qui il voyait une marque d'origine: la critique du népotisme de Nicolas III, le traitement de faveur réservé à Célestin V et l'espoir que viendraient enfin des papes angéliques, véhiculé par les dernières prophéties. Mais fallait-il donc vraiment être un Spirituel franciscain pour se montrer favorable à de telles idées? Rien n'est moins sûr. Beaucoup plus qu'aux Franciscains, c'est à Dante et aux alliés des grandes familles romaines (telles les Capoc ci et les Colonna) que Nicolas III doit d'être, encore aujourd'hui, montré du doigt pour avoir favorisé les siens. Le poète, figure de proue du guelfisme florentin, fit même discrètement référence au Début des maux dans les paroles qu'il prêta au pontife, précipité par lui aux enfers: "E veramente fui figliuol dell'orsa'', "Oui, j'ai vraiment été fils de la mère ourse". Dans la famille franciscaine, on a plutôt retenu de ce pontife la bulle Exiit qui seminat qui approuvait la règle de l'Ordre. Quant à Célestin V, sa réputation de sainteté et son procès de canonisation furent surtout l'affaire des adversaires de Boniface VIII, à commencer par Philippe le Bel. Tout au long du XIVe siècle, ses fils spirituels, les "Célestins'', trouvèrent de puissants protecteurs à la cour de France. Aussi n'est-il peut-être pas si surprenant que les très officiels gardes du Trésor des chartes de la royauté française aient recueilli un exemplaire du Début des maux dans l'un de leurs registres (A). L'idéal d'une papauté humble, véritablement "angélique'', avait de quoi séduire non seulement les âmes exigeantes, éprises de pauvreté, mais aussi ceux que menaçaient dans leurs intérêts les prétentions théocratiques des souverains pontifes. On remarquera enfin que la cour de Naples se trouva être un véritable point de convergence pour tous ces courants de pensée. L'hostilité aux Orsini y était, pourrait-on dire, dans son milieu naturel, car presque tous les "fils de l'ourse" s'illustrèrent dans l'opposition aux entreprises expansionnistes des Angevins en Italie. Plusieurs membres de la famille royale elle-même se distinguèrent par une intense spiritualité. Dame Pauvreté recruta un serviteur dévot en la personne de Louis, fils de Charles II, à qui sa courte vie d'évêque franciscain valut l'auréole des saints. De son frère, le roi Robert, on connaît le goût pour la prédication qui lui fit prononcer près de trois cents sermons. Leur royal père joua quant à lui un rôle

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Chapitre deux

déterminant au moment de l'élection de Célestin V puisque, sans une intervention personnelle de sa part, le pieux ermite n'aurait peut-être pas accepté de ceindre la tiare. Il y avait assurément de l'angélisme à s'en remettre aux vertus d'un tel homme pour gouverner l'Église. Plus généralemen t, on sait aujourd'hui que les attentes eschatologiq ues à la limite de l'orthodoxie qui marquèrent la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe trouvèrent un terrain particulièrem ent favorable en Italie du Sud. Durant plus de cinquante ans, le royaume napolitain s'avéra être un asile très sûr pour de nombreux Fraticelles promis au bûcher. Il se pourrait donc que les deux étapes aujourd'hui connues de la transformation des oracles grecs en papalista aient été réalisées dans le même milieu guelfe et angevin. L'écart de plus de vingt années qui les sépare suffirait à expliquer la tonalité différente des contextes. On sent dans la première la virulence des attaques ad hominem d'un clan qui lutte pour sa survie politique, tandis que la seconde est imprégnée d'idéologie et dénonce la perversion d'un système. Mais dans les deux cas, il s'agit d'une charge, dans le double sens d'attaque impétueuse et de raillerie d'atelier, qui nécessitait, pour la fabrication des images souvent luxueuses qui ont été conservées, des mises de fond sans commune mesure avec les moyens des petits frères franciscains persécutés par l'institution. Qu'on n'ait pas cru nécessaire de changer le titre du pamphlet plaide en outre pour une commune origine. Le début des maux, première papalista illustrée, fit une brillante carrière internationale, ainsi qu'en témoignent non seulement les manuscrits conservés, mais encore les autres traces qu'on en a pu relever. Il est en particulier évoqué dans le Livre de Flore et le Livre de !'Horoscope, deux produits de la littérature prophétique du tout début du XIVe siècle, qui le donnent pour avoir été écrit par un certain Raban l'Anglais. Malgré d'actives recherches, il n'a pas été possible d'en savoir davantage sur ce personnage dont on peut seulement dire que, vu son surnom, il ne vivait certainemen t pas en Angleterre. Mais il est un Raban, sans indication d'origine, que Dante tenait tellement en haute estime qu'il le plaça au Paradis (XII) de sa Divine Comédie: "Raban è quivi, e lucemi da lato Il calavrese abate Giovacchino , Di spirito profetico dotato." (Voici Raban et, resplendissa nt près de lui, l'abbé calabrais Joachim, doté de l'esprit de prophéties). Pour des générations d'érudits, l'identité de ce Raban dantesque a posé problème. La seule célébrité à avoir porté ce rarissime prénom était un grammairien de l'époque carolingienn e dont on ne comprenait pas pourquoi il aurait voisiné avec Joachim de Flore. Avec l'existence d'un Raban adaptateur de prophéties, le passage devient lumineux. Et la conclusion s'impose: non seulement Dante connaissait Le début des maux, mais il savait aussi nommer son auteur; il en faisait grand cas et il ne doutait pas que le lecteur saurait reconnaître de gui il parlait. 74

La saga des origines

Le souvenir de cette discrète et mystérieuse paternité ne s'effaça jamais complètement. Au XVe siècle, quoiqu'Anselme, un pseudo évêque de Marsico Nuovo supposé avoir été un collaborateur de Joachim, ait souvent été donné pour avoir composé la seconde partie des Vaticinia, on trouve sur certains manuscrits le nom de Raban associé à la succession des papes angéliques par une addition marginale. S'il faut en croire un exemplaire aujourd'hui conservé à Lyon, on devrait même ajouter au prénom de Raban le toponyme de "de la Croix" (de Cruce).

2) Monte chauve! La série de quinze prophéties qui s'ouvre sur cette impertinente, quoique biblique, apostrophe a beaucoup moins piqué la curiosité des chercheurs. Jusqu'à Grundmann, on s'accordait pour dire que des portraits aussi perspicaces n'avaient pu être réalisés que d'après nature, c'est-à-dire après 13 78, date à laquelle fut élu le quinzième pape après Nicolas III. Car le pontificat de ce dernier avait encore été pris comme point de départ chronologique. De fait, les coïncidences avec les événements ont de quoi laisser perplexe. Au treizième pape, donné pour être béni de Dieu, correspond Urbain V, un pontife qui fut plus tard jugé digne d'être béatifié. Quant à la dernière image, celle d'un monstre apocalyptique à qui rien ni personne ne résiste, elle se trouve représenter Urbain VI dont l'élection mouvementée et contestée fut à l'origine du Grand Schisme d'Occident. Fort de commentaires rédigés par un ermite florentin aux environs de 13 77 plutôt 13 7 4 pense-t-on aujourd'hui -, le savant allemand put démontrer qu'on devait nécessairement reporter la composition de cette œuvre avant 1378. Il acquit en outre la conviction qu'elle fut élaborée en Toscane à la faveur de l'agitation qui s'empara des Fraticelles à l'approche du retour de Grégoire XI à Rome, après le long exil de la papauté en Avignon. La découverte de nouvelles citations dans les écrits de Jean de Roquetaillade, fameux futurologue et alchimiste franciscain qui passa le plus clair de ses jours dans une geôle pontificale, vint tout remettre en question: à l'évidence, les portraits existaient déjà en 1356, si bien que les trois derniers au moins ne devaient qu'à l'inspiration prophétique de leur auteur d'avoir quelque ressemblance avec la réalité. Les choses en seraient restées là si, très récemment, le dossier n'avait été repris en même temps, outre Atlantique par le professeur Robert Lerner assisté d'une de ses élèves, et, en France, par Dominique Rigaux et moi-même. De part et d'autre, nous y avons versé quelques pièces supplémentaires intéressantes, mais insuffisantes pour modifier les données du problème: ni les caractéristiques des manuscrits ni les citations recueillies chez d'autres auteurs n'obligent à remonter avant le pontificat de Clément VI (1342-1352). En l'absence d'élément déterminant provenant de la critique externe, il nous fallait donc revenir à l'œuvre ellemême. Mais contrairement à ce qui se passa pour Le début des maux, les mêmes

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Chapitre deux

Fig. 19. La 11 ème planche de Monte chauve! a donné lieu à trois interprétations différentes (cf. fig. 6) dont deux seulement ont été repri ses pour les Vaticinia . La volute où disparaît ici le bas du corps de Clément VI a souvent été transformée en un prosaïque baguer. Vienne, Ôster. Nar. 13648.

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Fig. 20 Dessins de serpents à oreilles et d'aigles empruntés aux planches MC6 et MC7 des manuscrits ONBl et Vad.

présupposés ne menèrent pas aux mêmes résultats. Nos conclusions, publiées presque simultanément, diffèrent notablement . Sans doute un débat contradictoire permettra-t-il de voir ce qui, dans l'un et l'autre travail, mérite d'être retenu. En attendant, nous ne pensons pouvoir faire mieux que d'exposer successivement les thèses en présence puis d 'expliquer au lecteur pourquoi, même après réflexion, nous estimons devoir maintenir nos propositions. Notre démarche s'appuie sur l'analyse préliminaire du rapport texte/image en vue de comprendre comment fonctionnaient ces prophéties . Comme nous l'avons montré dans le premier chapitre, jeux de mots et jeux d'images y sont étroitement associés. Or, au niveau de la onzième planche, ce lien connaît un fléchissement : à compter de là, l'illustrateur semble avoir flotté entre plusieurs interprétations à donner aux symboles ou aux allusions bibliques dont Monte chauve! est truffé . Dans les trois manuscrits illustrés dont nous disposons, le onzième pape est par exemple représenté soit dans une volute, soit dans un chaudron, soit encore dans une barque, et il transperce un animal qui ne peut clairement être identifié (Fig. 6 et 19). Ce onzième pontificat, celui de Clément VI, nous a donc semblé tout indiqué pour former la charnière entre le passé et l'avenir. Dans les images, deux animaux nous ont en outre frappées par leur caractère emblématique : un aigle très impérial et un serpent à oreilles analogue à celui qui figure dans les armes des Visconti (Fig . 20). Comme d'autres indices orientent également vers l'Italie du Nord, nous avons proposé de voir dans ce pamphlet une sorte de réplique gibeline au Début des maux, et de l'inscrire dans l'histoire des rapports tourmentés de la famille Visconti avec le SaintSiège. Un lourd contentieux de procès en hérésie et d'excommunications trouva un certain apaisement sous Benoît XII et surtout au début du règne de Clément VI qui rétablit Giovanni Visconti dans son archevêché de Milan. Puis ce dernier, devenu également comte de Milan, s'attaqua aux États de l'Église en achetant la ville de Bologne en 1350. Un tel contexte expliquerait assez bien

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Chapitre deux

le caractère mitigé du canon de la onzième planche qui accorde de hautes vertus au pape mais prédit : "ce qu'il pense, il ne le réalisera pas" . les historiens américains restèrent beaucoup plus proches des thèses développées par Grundmann. Il ne fait pour eux aucun doute que Monte chauve! est une œuvre dominée par les partis pris d'un fanatique de l'absolue pauvreté. Son souci de propagande transparaîtrait surtout dans l'iconographie qui utilise en effet comme un leit-motiv l'image d'une colombe, emblème de l'ordre franciscain, tandis qu'un noir corbeau signale les papes dominicains et qu'une main de Dieu bénit Célestin V ainsi qu'un futur pontife de saine doctrine. Dans ces conditions, il serait absurde que l'avare Benoît XII et surtout Clément VI, qui fit brûler des Spirituels, soient crédités d'œuvres plutôt méritoires. Sauf à considérer qu'il s'agit là d'erreurs de prédiction. la rupture entre histoire et prophétie devrait dès lors être située sous le pontificat du neuvième pape, Jean XXII (1316-1334). Un moment particulièrement favorable pourrait être le schisme de Pietro da Corbara, ce Franciscain qui prit le nom de Nicolas V en 1328, sous l'influence de l'empereur d 'Allemagne, louis de Bavière, et qui se soumit en 1330. Cette hypothèse de datation, on le voit, perd toute sa pertinence dès lors qu'on s'interroge sur la nécessité de relier ces prophéties à l'idéologie des Spiriruels. Or leur empreinte sur cette œuvre ne nous paraît pas si grande qu'elle soit indiscutable et sans mélange. Sans doute avons-nous eu le tort d'escamoter cette étape du raisonnement dans notre propre démarche, car ce préliminaire indispensable n'allait pourtant pas de soi et il nous faut maintenant le justifier. l'une des caractéristiques de la propagande spirituelle réside dans l'utopie d'un monde meilleur, situé dans un futur plus ou moins proche, signalé par quelques précurseurs, disciples de saint François. le mouvement général de nos prophéties oriente effectivement vers l'avenir, mais la fin de la série ne dénote qu'un faible intérêt pour l'eschatologie: la bête ultime est un Antéchrist qui n'introduit à aucun monde de l'Espri t; à ses côtés ne figure ni colombe ni aucun signe qui permettrait d'espérer une quelconque régénération de l'Eglise; elle ne saurait non plus être assimilée à un empereur de la fin des temps tel que l'espéraient les joa-

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Les correspondants de Lucifer n'étaient autres que ses lieutenants sur terre, à savoir le pape et les cardinaux; sa lettre leur disait son contentement devant leur amour de l'argent et du pouvoir. Or on sait qu'elle tomba entre les mains de Clément VI lors du consistoire où devait être jugée l'affaire qui opposait le Saint-Siège à l'archevêque de Milan, Giovanni Visconti. La rumeur publique, colportée jusqu'à nous par deux chroniqueurs, l'un italien, l'autre allemand, ne tarda pas à faire la relation entre la satire et le prélat. De fait, qui plus que Giovanni Visconti avait intérêt à orchestrer une campagne de déstabilisation de la papauté aussi machiavélique? Monte chauve! aura donc fort bien pu naître dans le même contexte d' effervescence politico-religieuse, quelque part sur le chemin qui menait d'Avignon à Milan. L'hypothèse d'une publication dans les milieux proches de la curie, au centre névralgique de la chrétienté, expliquerait d'ailleurs parfaitement la rapidité et l'extension de la diffusion d'une œuvre qui, dès avant la mort de Clément VI, était connue d'un bénédictin anglais. Sans affinité particulière avec les Spirituels franciscains mais grand collectionneur de prophéties, ce dernier avait déjà fait dans Monte chauve! un partage identique au nôtre entre le passé et l'avenir, car il avait négligé de recopier les dix premières unités. Quant à Jean de Roquetaillade, remarquablement informé - quoique prisonnier - grâce à ses puissantes protections cardinalices, il apparaît actuellement comme le premier exégète de Monte chauve!. Or contrairement au Début des maux, la série n'est pas citée dans un traité qu'il rédigea en 1349, tandis que son opus magnum, écrit en 1356, fait également référence aux deux séries: un fait qui plaide en faveur de l'arrivée de nos prophéties entre les mains du franciscain entre ces deux dates.

3) V ers les Vaticinia Faisons maintenant le point. Au milieu du XIVe siècle, les deux suites de prophéties appelées à former les Vaticinia existaient indépendamment l'une de l'autre. Les traces (manuscrits, citations etc. .. ) que nous en avons conservées indiquent qu'elles circulèrent assez largement, plutôt dans les milieux ecclésiastiques, mais sans qu'on puisse soupçonner de filières particulières de diffusion. Quelques amateurs de ces curiosités les connaissaient toutes les deux, et certains les consignèrent dans un même recueil, pas toujours à côté l'une de l'autre. Rien ne les destinait particulièrement à être réunies. La longue histoire de leur genèse s'achève donc sur une décision déconcertante: celle de les mettre l'une à la suite de l'autre, au mépris de toute vraisemblance chronologique. Mais telle n'est certes pas la logique à laquelle obéissent les manieurs de prophéties de tous les temps. La permanence de certains textes, plus ou moins adaptés ou réactualisés, est une constante de ce genre de littérature. L'ancienneté de leur usage tendrait plutôt à renforcer leur crédibilité, et l'effacement de leurs ori-

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Chapitre deux

gines dans la nuit des mémoires leur confère des apparences mystérieuses qui leur tiennent lieu de certificats d'authenticité divine. Ainsi s'explique l'application mais aussi l'imprécision avec lesquelles les "inventeurs" de prophéties mentionnent les vieux grimoires qui les leur ont "révélées". Le vocabulaire est ici le même que pour les reliques; elles introduisent elles aussi dans un monde étranger à la rationalité cartésienne. A titre d'exemple, il nous suffira d'invoquer la belle carrière d'une des prophéties parasites de celles du pape aux ours que véhicule le manuscrit londonien intégralement reproduit au début de ce volume. Au folio 146 verso (pl. 19), ont été copiés dans la marge basse des vers latins qui annoncent la déconfiture des Français face aux Germains, la mort du pape et le règne d'un empereur qui rabaissera l'orgueil des hommes 4•';;'·- ·

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Fig. 27 En plus de l'habi tuelle attribution à Alexandre V, ici reportée sous la colonne du milieu, la 19ème planche de ce manuscrit comporte des additions qui attribuent les deux autres colonnes aux papes rivaux: Angelo Correr (Grégoire XII) en buste à gauche et Pedro de Luna (Benoît XIII), ici reconnu sous une lame de faux. Lyon, Bibl. mun. 189.

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qui eut lieu au Parlement de Paris en 1412, l'accusation fit valoir qu'on avait trouvé dans ses affaires un livre suspect dénommé paparium. Et le greffier d'expliquer que Benoît XIII y était représenté en vrai vicaire de Jésus-Christ, tandis qu'Alexandre V et Jean XXIII y étaient dépeints comme des Antéchrists. Rien n'indique que ce paparium ait été illustré, mais, aux yeux du greffier, il appartenait à l'évidence au même genre littéraire que les Vaticinia. Leurs objectifs étaient toutefois parfaitement opposés. En France - l'histoire de !'Inquisiteur le montre bien -, on ne badinait pas avec le principe de la légitimité pisane. Mais proclamer celle-ci n'impliquait nullement d'avoir renoncé à ses convictions antérieures. Personne à Pise ne s'était avisé de dire quels avaient été les vrais papes. Avec sa séquence de papes urbanistes, notre livret avait par conséquent très peu de chances d'être bien accueilli dans les pays qui s'étaient battus pour faire triompher l'obédience avignonnaise. Ses promoteurs devaient viser un autre public; il est certain d'ailleurs qu'ils opéraient en d'autres lieux. Scribes et artistes français ou ibériques n'ont en effet que fort peu contribué à la production des manuscrits. L'Espagne n'a apparemment abrité que deux tentatives d'actualisation, tout aussi surprenantes et dépourvues de postérité l'une que l'autre. En plus du fabuleux manuscrit madrilène décrit au chapitre précédent, nous y avons trouvé une version recyclée de Monte chauve! qui s'ouvre sur le pontificat de Martin V (1417-1431)! Quant aux exemplaires aujourd'hui conservés en France, s'ils sont plus nombreux, ils sont aussi très rares à se révéler susceptibles d'avoir été fabriqués dans le royaume. L'œuvre circula probablement dans la clandestinité. Montaigne aurait bien voulu voir de ses yeux l'une de ces " merveilles ".A en juger par quelques notes de lecteurs, un théologien français du nom de Jacques Brutin fut à l'origine d'un regain de notoriété de la série au XVIIe siècle. Les érudits se passaient l'information: pour voir d'anciens manuscrits, il fallait se rendre à la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Victor à Paris, ou bien à Cluny. Mais, par malchance, ces deux témoins manquent aujourd'hui à l'appel. Les recherches doivent donc s'orienter vers les territoires urbanistes passés à l'obédience pisane. L'aire ainsi délimitée est fort vaste, même si l'on en retranche l'Angleterre, restée totalement étrangère à la production manuscrite. Deux pays ont en revanche beaucoup travaillé à la diffusion du livret: l'Italie et l'Allemagne. Deux pays qui servirent précisément de théâtre aux événements mouvementés du règne de Jean XXIII. Ce pontife, né Baldassarre Cossa, était originaire du royaume de Naples, tout comme Boniface IX à qui il devait d'avoir gravi très rapidement les échelons vers le cardinalat. Il s'était fait connaître au cours d'une légation en Italie du Nord: grâce au succès de ses entreprises diplomatiques et militaires, Bologne était retournée sous tutelle ecclésiastique. L'opération avait été financièrement fructueuse et permit au cardinal de favoriser de ses deniers la tenue du concile de Pise. Une fois

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Quel pape?

devenu pape, il se lança en véritable chef de guerre à la reconquête du siège de Pierre, et, dès qu'il eut atteint Rome, il mit à exécution la promesse faite à Pise de rappeler les nations à siéger en concile pour travailler à la réforme. On pouvait espérer qu'allait s'amorcer une fructueuse collaboration entre la tête et les membres de l'Eglise. Mais la tête était encore multiple. Sous prétexte de soutenir Grégoire XII, Ladislas Durazzo, roi urbaniste de Naples, s'empara de Rome et en chassa manu militari pape et Pères conciliaires en 1413. Ce fut la débandade vers le nord de l'Italie. Jean XXIII ne pouvait songer à rappeler un concile sans s'être assuré du concours d'un puissant bras séculier pour maintenir la sécurité aux alentours. Sigismond de Hongrie, nouvellement choisi comme " roi des Romains " par une partie des électeurs .i'.....,.,.,

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La belle utopie du pape angélique

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