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L’ouvrage peut aussi servir de document de soutien en faveur de l’Enseignement/Apprentissage des notions relatives à l’étude de la préhistoire guinéenne. Il est à cet effet dédié aux enseignants, aux apprenants et même aux fonctionnaires civils et militaires désireux de connaitre le passé de leur pays. C’est donc un manuel ouvert de portée à la fois pédagogique et publique. Fodé Momo Soumah est un enseignant chercheur en service à l’INRAP (Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique). Il a participé en commissions disciplinaires à l ’élaboration, à la révision de plusieurs générations de programmes d’étude et à la rédaction des manuels scolaires, et outils d’accompagnement (guide méthodologique pour l’utilisation des programmes d’enseignement et des manuels en vigueur dans les écoles tant au primaire qu’au secondaire. Ancien DPE (Directeur Préfectoral de l’Education), Fodé Momo Soumah a été aussi membre de plusieurs commissions de travail, tant au niveau de la restructuration des services déconcentrés du Ministère en charge de l’enseignement pré-universitaire que, dans le cadre de la rédaction du manuel de procédure de gestion pédagogique et administrative des services déconcentrés dudit ministère (IRE/ DPE/DCE).
Illustration de couverture : © rollingstonesrf - 123rf.com / freepik.com
ISBN : 978-2-14-028953-8
18 €
9 782140 289538
Fodé Momo Soumah
L’ouvrage intitulé « À la découverte des sites et vestiges historiques de Guinée » est un livre de référence qui vient combler le manque criant d’ouvrage sur la préhistoire guinéenne. Il est destiné aux chercheurs, aux historiens et même au grand public désireux de découvrir une des facettes du passé de la Guinée, sa période préhistorique.
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée
Voile de la mariée en Guinée.
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée
Fodé Momo Soumah
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée Préface de Mathurin Bangoura Nouvelle Édition
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée Nouvelle édition
Fodé Momo Soumah
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée Nouvelle édition Préface de Mathurin Bangoura
Du même auteur, chez L’Harmattan . Le littoral guinéen, une terre de légendes, 2022
© L’Harmattan, 2022 5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-14-028953-8 EAN : 9782140289538
Préface
Avec ses 4 (quatre) régions naturelles reparties sur une superficie de 245 857 km2, la République de Guinée est un pays plein ressources, de merveilles et de curiosités. Pour preuve, chacune de ces 4 régions regorge d’immenses ressources minières et un potentiel hydro-énergétique énorme. Au nombre de ses ressources minières par région naturelle, on peut citer entre autres : - La bauxite en Basse Guinée et en Moyenne Guinée ; - Le fer et l’uranium en Guinée Forestière ; - L’or et le diamant en Haute Guinée. C’est au regard de la variété de ces ressources, véritable don de la nature que, des économistes et autres chercheurs ont trouvé opportun de designer la Guinée, comme scandale géologique. Mais en plus de la variété des ressources du sol et du sous- sol, chaque région du pays a aussi ses coutumes, ses mœurs et dispose de sa « propre culture », c’est-à-dire un ensemble de biens matériels et immatériels qui lui sont propres. Il s’agit de valeurs qui, traditionnellement se transmettent de génération en génération par le biais de la parole. De la Guinée Maritime à la Guinée Forestière en passant par la Moyenne et la Haute Guinée, les éléments constitutifs de cette culture (les contes, les légendes, les chants, les danses) constituent les vrais mécanismes de transmission et de conservation de cette constance sociologique. Ce qui fait de la Guinée, un pays situé au cœur d’un riche patrimoine culturel en Afrique de l’Ouest. De nos jours, les traces matérielles et immatérielles de ce patrimoine sont bien 7
vivantes, et se trouvent répandues en plusieurs endroits du territoire national sous le vocable de sites et de vestiges historiques. A avouer que ces ressources patrimoniales peu connues sont pourtant l’objet d’une abondante littérature orale. Heureusement, pourrait-on dire. Des histoires, des légendes aux récits fabuleux à découvrir et à transmettre au grand public gravitent autour de ces sites. Il y a donc lieu de les préserver, de les sauvegarder pour le plus grand bien des nouvelles générations. Car, ces histoires et légendes constituent, des ressources durables qui sont à même de générer de la Valeur Ajoutée ; si elles sont bien entretenues et bien conservées. Et c’est dans le cadre de la préservation de tout ce qui a trait aux ressources de notre patrimoine culturel que, se situe l’intérêt de l’ouvrage de Feu Fodé Momo Soumah ; ouvrage intitulé « A la découverte des sites et vestiges historiques de Guinée ». Un ouvrage qui reconstitue l’environnement géographique de Conakry à l’époque des sites les plus mythiques de cette ville Capitale. Il s’agit des sites de Kakimbo, de Gbassikolo, de Gbanakoumba, de Kikuntoun etc. Des sites qui, dans le passé ont eu à jouer un rôle prépondérant dans la vie culturelle et religieuse des premiers habitants de Conakry. Ces sites, selon l’auteur étaient des lieux sacrés, donc d’accès interdit aux profanes. Dans la mentalité des Conakrykas d’alors, ces sites étaient des lieux de culte, des sanctuaires supposés être : - Des abris naturels pour des Hommes d’une autre époque ; - La demeure des premières divinités, des demiurges ; - Lieux de refuge des génies protecteurs, de cachette des sorciers mangeurs d’Hommes. L’auteur Feu Fodé Momo Soumah, enseignant de métier, passionné de la transmission des savoirs nous 8
conduit, à travers son ouvrage sur le chemin de la découverte de ces histoires fabuleuses ; des histoires pleines de mythes et de mystères. C’est au regard de l’intérêt de la recherche faite par l’auteur du présent ouvrage que, le gouvernorat de la ville de Conakry a souhaité s’y associer ; convaincu que les résultats de cette recherche se rapportent sur des aspects de la vie culturelle et religieuse des premiers habitants de Conakry à une époque très reculée, bien avant la conquête coloniale. C’est donc un pan de notre culture qui fait notre fierté. Elle mérite d’être connue et valorisée. Et c’est fort de cette réalité que j’ai- en ma qualité de Gouverneur de la ville de Conakry – décidé de restaurer le pénitencier de Fotoba ; une prison coloniale de l’Afrique Occidentale Française. Il faut avouer est aujourd’hui un haut lieu de mémoire. Restauré et mis en valeur grâce aux concours des historiens et de personnes ressources, ce lieu devient désormais un lieu de pèlerinage, un levier de développement en faveur d’un tourisme culturel. Il faut rappeler de passage que, l’ouvrage de Feu Fodé Momo Soumah nous amène à la compréhension selon laquelle, plusieurs sites méconnus du grand public ont existé et continuent de nos jours à exister à Conakry. Quelle excellente occasion que de profiter de ces recherches pour répertorier, inventorier et procéder à la conservation et à la préservation de ces lieux. Ce sont avant tout des éléments constitutifs de notre patrimoine historique. Agir ainsi permet de renforcer et de promouvoir le potentiel touristique de Conakry et de la Guinée. Cette histoire de Conakry à l’époque des sites mythiques de Kakimbo, de Gbassikolo… doit être connue, enseignée et véhiculée à travers des différents supports (ouvrages, panneaux, dépliants…) notamment en direction des jeunes, relève de demain.
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De telles initiatives éviteraient que les facettes de cette histoire ne tombent dans l’oubli ou qu’elles ne se perdent dans la nuit des temps. La connaissance de cette l’histoire reste donc un défi majeur à relever pour le Gouvernorat de la ville de Conakry. Et c’est ce travail indispensable que, vient d’entreprendre l’auteur Feu Fodé Momo Soumah. Nous nous continuerons avec l’ensemble des acteurs et parties prenantes pour le plus grand bien des populations guinéennes mais aussi et surtout de l’école guinéenne. Paix à l’âme de Fodé Momo Soumah. Mathurin BANGOURA, Ancien Gouverneur la Ville de Conakry
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PREMIÈRE PARTIE :
JOURNÉES DE VACANCES AU VILLAGE DES GRANDS PARENTS
Introduction
Bouba est un jeune citadin, né à Conakry, capitale de la République de Guinée. C’est là qu’il vit depuis sa naissance et c’est là qu’il étudie aussi. Admis à son examen de fin de cycle primaire à l’âge de douze ans, à la prochaine rentrée scolaire, il rejoindra Sory, son ami, plus âgé que lui de trois ans, au Complexe Scolaire Billy École, située près de leur lieu résidence, non loin de l’Aéroport International de Conakry, dans le quartier Béhanzin. Fait curieux, depuis leur naissance, aucun des deux n’a encore séjourné au village des grands-parents. Hormis les connaissances acquises à l’école dans les manuels d’histoire et de géographie, Bouba et Sory ignorent tout, des réalités concrètes des villages de la Guinée. Visiter donc le pays profond, découvrir ses réalités, ses curiosités et ses merveilles, prendre contact avec ceux qui y vivent, est le souhait le plus ardent des deux amis. Heureuse coïncidence, cette année-là, le cercle des amis s’est agrandi. Fatim, la cousine cadette de Bouba, une jeune métisse née à Genève et qui a grandi à Paris, après avoir forcé la main à ses parents, arrive pour la première fois en Guinée, à la recherche de ses origines. Aussitôt, les trois adolescents décident de quitter la vie citadine, avec tout ce qu’elle représente comme tintamarre et agitation perpétuelle, pour des vacances plus tranquilles et plus paisibles au village, où ils seront chaleureusement accueillis.
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Les trois jeunes gens, dans les pages qui suivent, vont rendre compte des faits et événements de leur voyage, de leur séjour au village. Le séjour au village a été marqué par des veillées au clair de lune, ou bien autour d’un feu de bois ; des randonnées dans les montagnes qui ceinturent le village, après les travaux champêtres ; des balades dans la grotte au pied de la montagne ; des visites guidées à la découverte des sites, des vestiges et autres preuves matérielles qui attestent que ces lieux ont bien été habités à une autre époque.
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L’arrivée de Fatim à Conakry
Mieux vaut tard que jamais (1) Lokhèboukhi nan nana kono afataré mouna (2) Tout commence par une belle matinée ensoleillée de la fin du mois de juin, cette année-là. C’est la période des premières grandes pluies et, le début des grandes vacances scolaires, en République de Guinée. Sur le chemin de l’école, Bouba et Sory conversent intimement : — Aujourd’hui, c’est un grand jour pour nous, dit Bouba. — Eh oui Bouba, soutient Sory, un jour, pas comme les autres. Aujourd’hui c’est non seulement la fermeture des classes, mais aussi le début des grandes vacances. Bouba ne peut s’empêcher d’exprimer son inquiétude : — Et c’est aussi la fête à Billy-Ecole. Je suis très content. Mais… — Allons Bouba ! Tu es inquiet pour les résultats des examens, n’est-ce pas ? — Bien sûr Sory ! répond Bouba. — Allons ! Ne t’en fais pas ! Tout ira bien, comme d’habitude. — Je l’espère Sory. On verra bien, conclut Bouba. Dans la cour de Billy-Ecole, personnel enseignant, parents et élèves, tous s’activent pour que la fête soit belle.
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— Tu vois Sory ? C’est déjà une ambiance de fête, avec cette musique envoûtante, reprend Bouba. Même des groupes de danseurs sont invités. — Bouba, regarde les grandes banderoles sur tous les murs et les slogans qui les accompagnent ! Je ne reconnais même pas Billy-Ecole aujourd’hui ! Elle a fait peau neuve ! — Pressons le pas Sory ! Les camarades sont déjà en classe. Installés dans les salles de classe, tous les élèves sont tirés à quatre épingles dans leurs beaux uniformes bien propres. Ils écoutent les derniers conseils qui, de leur maître, qui de leur maîtresse, en attendant la proclamation des résultats, prévue pour midi. Bouba et Sory rejoignent bien vite leur classe respective. Après les recommandations des encadreurs, les élèves parlent de tout et de rien entre eux à voix basse… Leurs conversations s’amplifient peu à peu lorsque tout d’un coup, la cloche sonne pour la récréation de dixheures. Ils se précipitent tous dans la cour. Bouba et Sory se retrouvent de nouveau. Aussitôt, Bouba se rappelle l’arrivée annoncée de Fatim, en provenance de Paris. Il empoigne son ami et lui dit : — Sory, tu pourras m’accompagner ce soir à l’aéroport, pour accueillir ma cousine qui arrive de Paris ? — Bien sûr, je viens avec toi. À quelle heure ? Lui demande- t-il. — L’avion est attendu à 18 h. D’ailleurs, nous serons en compagnie de Bappa. Ce sera formidable de passer les vacances avec Fatim, renchérit Bouba. La cloche annonce la fin de la récréation.
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Les élèves rejoignent bien vite les classes, où ils traînent et se morfondent jusqu’à l’heure prévue pour la proclamation des résultats. Ils se mettent en rang et se retrouvent dans la cour de récréation. Les maîtres et les maîtresses tiennent à la main les résultats classe par classe. Les parents, installés sur des chaises, font face à la table occupée par la direction. À l’heure pile, la directrice de l’école se lève et procède à l’ouverture de la cérémonie de proclamation des résultats de fin d’année scolaire. Après les petites classes, c’est au tour des classes d’examens. Billy-Ecole, comme d’habitude a fait de bons résultats encore cette année aux examens d’entrée en septième année et au brevet d’études du premier cycle (B.E.P.C). Bouba est déclaré admis à l’entrée en Septième et Sory au BEPC. Ils ont été brillamment reçus tous les deux, avec la mention « Très Bien ! » Rayonnants de bonheur, ils s’enlacent et se congratulent et, ne contenant plus leur joie, ils se précipitent ensuite pour se jeter dans les bras de leurs parents, qui n’ont pas voulu se faire conter l’événement. Enfin, les deux familles s’embrassent, se disent des mots aimables, puis se séparent dans la gaieté. À 17 h 30 mn, les deux amis confortablement installés dans la voiture d’oncle Bappa, se dirigent vers l’Aéroport. Beaucoup de monde se trouve aujourd’hui sur les lieux. Certains sont venus accueillir des voyageurs, mais d’autres sont de simples quidams. Bappa installe Bouba et Sory au restaurant, à l’étage, et leur offre des biscuits et du jus, en attendant l’arrivée de l’avion de Fatim. De la table où ils sont assis, ils ont une belle vue sur la piste d’atterrissage. Peu après, on entend un vrombissement de moteurs et un gros avion de la compagnie Air France amorce son atterrissage. Et à Sory d’alerter : 17
— Regarde oncle ! C’est bien l’avion… l’avion dans lequel se trouve Fatim qui s’immobilise là ! Peu de temps après, sous l’œil attentif de ses hôtes impatients, Fatim, sac au dos et dans une tenue en treillis comme celle des militaires américains, apparaît parmi d’autres passagers, sur la passerelle. — La voilà ! s’écrie Bappa. Il l’a maintes fois rencontrée à Paris, au cours de ses nombreuses missions. Elle a l’air bien décontractée, Fatim, poursuit-il. — Elle ne semble pas fatiguée du tout, après ce long trajet, ajoute Sory. Bappa et ses neveux descendent pour accueillir Fatim. Dès que leurs regards se sont croisés, sans aucune hésitation, Fatim s’est jetée dans les bras de Bappa ! À la sortie de l’aéroport, Bappa serre de nouveau sa nièce dans ses bras, en lui souhaitant encore la bienvenue au pays de ses parents. Il déclare ensuite à Fatim et à ses cousins : — Aujourd’hui, c’est un jour de bonheur pour nous tous. Ce bonheur pour moi, c’est votre admission à vos différents examens de fin de cycle, et c’est aussi l’arrivée de Fatim. Ce sont des évènements à saluer. Tout cela sera donc fêté et, bien fêté par la famille. Cette première prise de contact pleine de chaleur, est déjà pour Fatim, un avant-goût de l’hospitalité légendaire que la Guinée réserve à ses hôtes. Après avoir échangé de chaleureuses poignées de mains, les trois adolescents, en compagnie de leur oncle, s’embarquent pour la maison. Mais avant de démarrer, Bappa a tenu à rassurer son frère de l’arrivée de Fatim à Conakry, dans de très bonnes conditions. Pendant qu’il est au téléphone, les jeunes gens font plus ample connaissance… À la maison, c’est la joie complète ! L’arrivée annoncée de Fatim a mobilisé avant leur retour de l’aéroport, parents, voisins et autres curieux. Ils sont tous 18
venus souhaiter la bienvenue, à la parisienne qui foule pour la première fois, la terre de ses ancêtres. À peine arrivée à destination, Fatim se débarrasse de sa tenue de voyage et l’échange contre une jolie robe. À 19 h, après la prière de Maghrib 1 (le crépuscule), comme pour prouver à la nouvelle venue que l’accueil se fête chez nous, la famille s’installe sur une grande natte, autour d’un grand plat de riz au ¨Konkoébôrê¨2. Bouba et Sory, se faisant passer pour de grands connaisseurs de la culture guinéenne, se mettent à expliquer à Fatim comment le « konkoe » (le mâchoiron) se prépare, comment il se mange et quelles en sont les vertus pour la santé. Tout le monde autour du plat, les regarde et les écoute en esquissant de petits sourires en coin. Après le repas pris dans la joie et l’allégresse, Fatim commence à apprécier son séjour et en parle à ses cousins Bouba et Sory : -quelle merveille ! C’est la première fois que je mange à la main dans un bol, en plus, dans le même bol que des parents que je rencontre pour la première fois ! J’en suis très fière ! — Nous sommes tout aussi comblés et très réconfortés d’être en ta compagnie et surtout, autour d’un même bol, comme tu le dis, déclarent Bouba et Sory. — Et c’est comme ça chez nous, affirment Bappa et tante Binta, son épouse.
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La quatrième des cinq (5) prières quotidiennes chez les musulmans. 2 C’est une des sauces guinéennes, la plus convoitée et qui est la spécialité de la femme Soussou. Elle est faite à base de poisson dénommé ¨Konkoé (mâchoiron)¨ avec de l’huile rouge (tourégbéli) bien pimenté. Tout étranger qui découvre et goûte à cette sauce une seule fois, en gardera le goût et restera nostalgique de la Guinée, de retour chez lui.
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— D’ailleurs ma fille, tu sauras que, la convivialité et l’hospitalité sont davantage au rendez-vous au village qu’ici, ajoute Bappa. La veillée a été très longue, les enfants se sont donc couchés très tard. Le lendemain, après le petit déjeuner, ils se retrouvent aussitôt dans l’arrière-cour de la maison, et prennent la décision d’aller fêter au village, leur admission et la première visite de Fatim en Guinée. C’est au cours de cet entretien en aparté, que Fatim exprime ses intentions en ces termes : — Mon souhait le plus ardent est d’utiliser mon dictaphone et, mon appareil photographique pour fixer les images, recueillir des témoignages et les preuves de notre séjour au village. Qu’en pensez-vous ? D’autant plus que j’ai des comptes rendus de lecture, et d’enquêtes de vacances à faire à la rentrée prochaine des classes. — Ce serait très intéressant pour nous tous, et pour nos camarades de classe à la reprise des cours. — Que de beaux souvenirs à rapporter et de très bons comptes rendus à faire ! Nous pourrions organiser des conférences-débats à l’école, renchérit Fatim.
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Voyage au village des Grands-parents
Khönyi mouyökhöun kono sagonana (3) Mökhö binniibaralé ni imakoratigna (4) Deux jours après, les voilà en voiture avec Bappa sur le chemin du village !
Les jeunes gens grignotent les bons petits plats que tante Binta leur a préparés. Ils n’arrêtent pas de discuter et d’imaginer les curiosités du village. À 50 km de Conakry, se dresse devant eux, une chaîne de montagnes qui surplombe une ville en pleine extension.
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Et Fatim interroge Bappa : — Quelle est cette imposante montagne et, où sommesnous ? — Nous sommes à Coyah, au pied du mont Gbalan que certains confondent avec le mont Kakoulima, qui est la chaîne de montagnes qui s’étend de Dubréka à Kendoumaya, répond Bappa. — On peut supposer, de par sa proximité avec la capitale, que Coyah est la banlieue de Conakry. N’est-ce pas Bappa ? Demande de nouveau Fatim. Avant que Bappa ne réponde à Fatim, Bouba lui pose une autre question : — Mais Bappa, que signifie le mot Coyah ? — Mes enfants, Coyah est le nom de cette localité où nous nous trouvons en ce moment. Deux versions tentent d’expliquer l’origine linguistique de ce nom. La première, celle enseignée dans la monographie du village dit que le mot Coyah, dérive du nom du fondateur du village qui s’appelait Mamadou Coyo dit « Manga Coyo ». Coyah serait donc la déformation de Coyoyah, qui veut dire 22
« chez Coyo ». Quant à la deuxième version, elle viendrait d’une expression malinké, « Cô iyan », qui signifie « là il y a du sel », autrement dit, « lieu où on trouve du sel ». Sory lance la question suivante : — Il y a donc du sel dans cette montagne ? Le sel qu’on mange à la maison ? À cette question, tous s’esclaffent. — En effet, cette localité a longtemps été productrice et pourvoyeuse de sel à travers tout le pays, et ce, depuis les temps anciens, renseigne Bappa. Bappa prend toutes les questions au sérieux, en se disant intérieurement : « Tout ce que je vais leur transmettre durant ce voyage leur sera, j’en suis sûr, d’une grande utilité à l’avenir ». Il ajoute : — C’est le cas encore de nos jours. Tout à l’heure, vous pourrez le constater dans le centre-ville de Coyah. Le long des artères qui mènent au marché et devant toutes les boutiques, des vendeurs, des deux sexes rivalisent d’ardeur pour vous proposer du sel bien conditionné dans de petits sacs afin d’en faciliter le transport et la mise en vente auprès des passagers des véhicules de tous genres qui passent par Coyah. Tous raffolent du « landan » Coyah ! Que les passagers se rendent à l’intérieur du pays ou qu’ils rentrent à Conakry, chacun cherche à ramener un ou plusieurs petits sacs de ce sel de qualité. — C’est bien vrai, approuve Sory qui ajoute : — À l’école, on nous a appris qu’autrefois, les caravanes venaient du Fouta Djallon et de la Haute Guinée, en quête de cette denrée précieuse, non seulement pour la cuisine, mais aussi pour la fabrication du Touppal.
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— Du « Touppal » ? demande Fatim. — Oui, enchaîne Bappa qui précise : — Le « Touppal » est une cérémonie grandiose au cours de laquelle tous les éleveurs d’un village font le don du sel à leur bétail. Il s’agit d’une cure qui consiste à faire consommer aux bœufs, une boue liquide obtenue en mélangeant la terre vivante d’une termitière royale avec beaucoup de sel, des décoctions et de l’eau. Cette boue liquide, malaxée dans un abreuvoir, est ce dont la vache raffole le plus. Cette cure lui procure de l’appétit, et elle produit ainsi beaucoup de lait. Elle donne en outre, un 24
goût spécial à sa chair. Tu auras sans doute l’occasion de découvrir cette pratique au village. Bappa traverse lentement Coyah, pour permettre à ses neveux et nièces d’observer le fourmillement de la ville. Tout de suite après, Fatim voit des vendeurs de sel et s’écrie : — Voici du sel ! Bouba, Sory regardez ! Ils vendent du sel ! Elle est émerveillée ! Devant toutes les boutiques, de petits sacs de sel sont exposés ! Peu après la traversée de la ville de Coyah, tous, confortablement installés, Fatim à côté de Bappa, Bouba et Sory sur le siège arrière de la Toyota tout terrain de leur oncle, contemplent, admiratifs, de fantastiques paysages, qu’ils découvrent pour la première fois. Tout au long du trajet, se dressent devant eux, des deux côtés de la route, des habitations perdues dans les feuillages, des montagnes aux superbes chutes d’eau en cascades, des collines verdoyantes, des bas-fonds où sont cultivés des produits agricoles de tous les types : tomate, aubergine, piment, gombo, haricot, ail, choux, laitue, oignon, concombre, manioc…, une végétation luxuriante, des rizières, des champs de manioc, de fonio, des vergers pleins d’arbres fruitiers. Ce paysage pittoresque ne les laisse pas indifférents, surtout Fatim, qui ne cesse d’exprimer son enthousiasme : — Que c’est beau ! Je n’ai jamais vu un paysage aussi pittoresque. — Oui ma fille, le paysage est pittoresque certes, renchérit Bappa, mais ce n’est pas tout ! La Guinée, en plus de sa beauté naturelle, est immensément riche, non seulement en ressources agricoles, mais aussi en ressources minières. — Bappa, tu as raison ! Nous apprenons tout cela à l’école, affirme Bouba. 25
Du coup, Bappa se souvient qu’il a le livre de géographie de la sixième année dans son sac. Il le prend et le tend à Fatim. En tant qu’enseignant, il est convaincu que les images contenues dans le livre sont plus parlantes pour faciliter la compréhension à Fatim. Il lui dit : — Regarde les images Fatim !
La Guinée se compose de quatre régions naturelles. Voici la Basse Guinée. C’est toute cette partie située près de l’Océan Atlantique. Et voici Conakry. Regarde, voilà Coyah. Nous allons maintenant vers Kindia. Regarde plus bas… C’est Télimélé. Tout ce que tu vois en vert, tu l’as compris, je pense, c’est la végétation. — C’est vraiment beau, dit encore Fatim. — Ici c’est la Moyenne Guinée. Et puis à l’Est, c’est la Haute Guinée. Au sud, c’est la Guinée Forestière. — Ces quatre régions naturelles de la Guinée possèdent chacune, de riches potentialités : de la bauxite en BasseGuinée et en Moyenne Guinée. De l’or et du diamant en 26
Haute-Guinée. Du fer en Guinée Forestière… On ne peut même pas tout citer, renchérit Bouba. À peine cette conversation terminée, la ville de Kindia, à la fois chef-lieu de la Guinée Maritime et capitale administrative de la région du même nom, apparaît devant leurs yeux, à la sortie d’un virage. — Regardez mes enfants ! Nous sommes à la porte d’entrée de Kindia, leur annonce Bappa. — Kindia ! C’est la ville fruitière du pays, par excellence. En plus, les cultures maraîchères y réussissent parfaitement bien, nous a enseigné notre maître, déclare Sory.
— Ah ! J’adore les fruits et les légumes, dit Fatim toute souriante et pressée d’arriver en ville pour déguster quelques oranges. En France, Papa m’a dit que les fruits de Guinée sont parmi les meilleurs en Afrique. J’ai hâte de les découvrir et d’en consommer. Bappa réagit aussitôt en lui disant : — Ma parisienne, il n’y a pas que les fruits et légumes qui font le bonheur des étrangers en séjour à Kindia. Il y a aussi dans le Kania, au flanc d’une montagne, une superbe chute d’eau, nommée « le voile de la mariée. 27
Une merveille touristique ! Au centre de la ville, Bappa gare la voiture pour faire quelques provisions de fruits et de légumes. Il en profite pour parler plus amplement du voile de la mariée. Un magnifique réceptif touristique au décor très africain y est aménagé. Impressionnée par la qualité des fruits achetés par Bappa, et désireuse de découvrir comment sont gérées les potentialités agricoles du pays, Fatim arrête de déguster une orange pour poser une question : — Bappa, est-ce que la Guinée exporte ses fruits ? Bappa prend son temps avant de lui répondre, en la regardant : — Tu sais ma chérie, il fut un temps, la Guinée était le premier pays exportateur de fruits dans la sous-région ouest-africaine. Tous nos voisins de l’Afrique de l’Ouest venaient se servir ici, chez nous. De gros camions venaient de partout : du Sénégal, du Mali, de la Sierra Leone, du Libéria, de la Guinée-Bissau… À l’époque, le commerce des fruits était à son apogée. Les pays voisins étaient très expéditifs et, les producteurs guinéens en étaient heureux. Ils produisaient sans relâche et gagnaient bien leur vie, car les affaires étaient florissantes. Mais, au fur et à mesure que les années s’écoulaient, et à cause des maladies, les cultures se sont amenuisées. Les producteurs ont fait faillite. Aujourd’hui encore, quelques pays voisins viennent se servir ici, mais ce n’est plus le même engouement. Des camions en provenance du Sénégal se procurent des oranges à Kindia et à Télimélé. Les plantations de bananes, rongées par la cercosporiose ont presque disparu, alors que notre pays était à l’époque coloniale, le premier producteur de bananes dans le monde. Pour en revenir au site du « voile de la mariée », Fatim, toujours très curieuse demande encore à Bappa : 28
— Mais Bappa, n’est-ce pas que le nom de ce site touristique est poétique ? Je voudrais par ailleurs savoir s’il y a des couples qui s’y rendent pour se marier ? — Ta question est loin d’être bête, ma fille. On peut y aller pour célébrer son mariage si l’on veut, puisque le lieu a été bien aménagé de façon à pouvoir accueillir des évènements sociaux. Mais, ce n’est pas pour cette raison qu’on l’appelle ainsi. C’est plutôt dû à la beauté naturelle du lieu. Je t’explique : sur le site se trouve une falaise surplombée par une grande roche au-dessus de laquelle coule une superbe chute d’eau. Le site se trouve au fond d’une grande forêt de gigantesques bambous de haute taille. Les eaux qui coulent des hauteurs viennent d’une source intarissable. Quand ces eaux quittent les hauteurs, elles s’éparpillent sous forme d’un brouillard blanchâtre. Une observation attentive de ce phénomène laisse entrevoir la silhouette d’une femme mariée couverte d’un voile blanc. C’est sublime ! C’est beau ! C’est poétique ! Il n’y a pas de mots pour décrire suffisamment ce que l’on ressent dès qu’on met les pieds sur ces lieux, tellement c’est beau ! Lorsqu’il y accède, le visiteur est tout d’abord frappé par les gigantesques bambous qui rafraîchissent le sous-bois qu’ils protègent des ardeurs du soleil. On est agréablement détendu en ces lieux. — Bappa ! Ce que tu nous décris là me donne des frissons et même la chair de poule. — Malheureusement, prévient Bappa, afin de ne pas arriver à destination à la tombée de la nuit, nous ne pouvons pas visiter cette fois-ci « le voile de la mariée... Mais ce n’est que partie remise. L’oncle lisait dans son rétroviseur, une immense déception sur les visages juvéniles. Quelques minutes suffisent pour prendre la route de Télimélé, le temps d’admirer le mont Gangan… Une montagne au flanc abrupt avec une végétation surannée 29
qui se raréfie en saison sèche et renaît dès les premières pluies. La voiture de Bappa, habituée à cette piste, traverse à vive allure les villages riverains. Les enfants contemplent avec admiration, tout au long des deux côtés de la route, les collines et les prairies verdoyantes. Bappa, en véritable fils du terroir, est de cette génération éduquée dans la pure tradition peulhe. Il porte Télimélé dans son cœur, et le connaît comme sa poche. Peu après Kindia, à la vue des premières agglomérations de Télimélé, les enfants veulent satisfaire leur curiosité par rapport aux localités qu’ils découvrent pour la première fois. Une série de questions assaille Bappa et il y apporte des réponses : — Bappa ! Où sommes-nous ? Et quel est le nom du village que nous traversons maintenant là ? — Nous sommes à Bangouya, une sous-préfecture de Kindia, répond Bappa. À partir de là, la route n’est pas bitumée. Préparez-vous à tressauter davantage sur vos sièges. Chemin faisant, ils découvrent devant eux un pont audessus d’un fleuve. Et Fatim commente : — On dirait un pont au loin... Il semble très long.
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Sans la laisser aller au bout de ses idées, Bouba et Sory, installés sur le siège arrière approuvent en disant de concert : « Waouh ! Fatim a raison ! » — C’est exact dit Bappa, il s’agit bien du pont sur le fleuve Konkouré. Ce fleuve prend sa source dans les massifs montagneux du Fouta Djallon et traverse les localités de Fria, Dubréka, Badi Tondon, avant de se jeter dans l’Océan Atlantique. Vous pouvez en savoir davantage sur son parcours dans le livre de géographie que je vous ai remis ce matin. Il y a une grande carte qui décrit tout ce que vous allez voir, sur les deux côtés du pont, debout sur le pont qui enjambe le fleuve, des nuées d’enfants poussent des cris de joie, en agitant leurs mains comme pour souhaiter la bienvenue aux étrangers qui arrivent pour la première fois dans la contrée. Certains sont à moitié nus, d’autres déchaussés, d’autres encore sont entièrement nus… Ils se jettent à l’eau sans aucune appréhension ! Les jeunes gens sont émerveillés par cet accueil chaleureux, par la découverte des beaux villages de Kambanya, de Sinta, de Gougoudjé, des sites touristiques ; ils ne se lassent guère de faire des commentaires par exemple, sur les toits des cases recouverts de chaume et de poser encore des questions, la curiosité aiguisée : — Oncle ! À quel endroit se trouve le fameux site de Guèmè Sanga ? - Et la Tata ? Et la grotte du même nom ? — Vous réagissez bien à propos, intervient Bappa. Regardez du côté de Kambaya. Il indique de la main gauche, la direction de cette localité. — Cette piste y conduit. — Nous sommes donc dans la préfecture de Télimélé ? s’exclament les enfants.
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— Eh oui ! J’oubliais de vous le préciser. On est dans la circonscription territoriale de Télimélé, depuis la traversée du pont sur le Konkouré. À la simple évocation de ces lieux, les enfants sont excités à l’idée des découvertes qu’ils vont faire pendant leur séjour au village. On lit dans leurs yeux, la grande impatience de fouler la terre de leurs ancêtres. Pendant qu’ils échangent entre eux, Bappa appuie sur l’accélérateur et la voiture fonce pour les rapprocher de ces beautés si agréablement évoquées, qu’ils ont réellement envie de découvrir. Les voilà finalement dans la commune urbaine de Télimélé, et ils ne peuvent s’empêcher d’exposer leurs points de vue : — Ce n’est pas mal… à part le manque de bitume et peut-être… d’électricité. — Bappa ! Il y a de l’électricité à Télimélé ? En tout cas, je vois quelques poteaux électriques… — Il y en a de temps en temps, de l’électricité… pas toujours… et pour quelques heures quand il y en a. Bappa agite la main par moments pour saluer les riverains qu’il reconnaît au passage. De toutes les façons, il est souvent sur ce chemin, donc, il n’a pas besoin de s’arrêter pour leur serrer la main. Vite, il faut rejoindre le village ! Après quelques sauts « moelleux » sur les routes défectueuses, les voilà enfin à Ley Legguel, localité située dans la sous-préfecture de Sarèkaly, au moment où le soleil décline avant de disparaître à l’horizon. Le beau temps a été au rendez-vous pendant tout leur voyage malgré la période hivernale. Il n’a pas plu, heureusement. Tout au long du chemin, ils ont rencontré des hommes, des femmes, des enfants, les uns, une houe accrochée à l’épaule, les autres une besace sur le dos, et
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d’autres encore, un fagot de bois sur la tête, de retour du champ, après une journée de dur labeur. À l’entrée du village, on entend des exclamations et des questions fuser de toutes parts : — C’est la voiture de Bappa ! — Bappa est là ! Bappa est là ! — Mais, et ces enfants ? Qui sont-ils ? — Peut-être les petits-fils de Thierno Alimou. Quelques instants après, la voiture pénètre dans un terrain clôturé de grillage et s’immobilise devant une concession entourée de haies vives. De façon spontanée, tout le village est déjà à l’accueil. Beaucoup d’enfants du village hésitent encore à approcher les nouveaux venus, et jettent des regards à travers les grillages de clôture. Après les salutations d’usage, Thierno Alimou, chapelet en main, présente ses petits-fils à l’assistance et notamment, à ses deux amis, Diély Kouyaté, communément appelé Farba, griot du village et Yalosse Johnson, un noir américain du corps de la paix, grand connaisseur de l’Afrique, de son histoire et de sa culture. Ces deux-là ne quittent jamais Thierno auprès de qui, ils apprennent beaucoup. Djeli Kouyaté lui-même sert Thierno Alimou à sa façon. Rien ne se passe dans le village qu’il ne sache : les naissances, les baptêmes, les décès, les mariages, les divorces, les départs et les arrivées au village. Tout se fait en sa présence, et il est le bras droit, le conseiller de Thierno Alimou dans toute prise de décision. Tout passe et repasse par lui.
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Le village au clair de lune
Moukhou tan ma taye, kiké té tèmoui gnakhè gnakhè témoui barali (5). Quelques jours après, Bappa retourne à Conakry et laisse derrière lui, les adolescents en compagnie de leur grand-père Thierno Alimou. Yalosse Johnson, comme chaque soir, rend visite à Thierno Alimou et aux nouveaux venus qui le considèrent déjà, comme un membre à part entière de la famille. Aussi, suggère-t-il aux vacanciers, l’idée d’un débat sur l’histoire de la fondation du village, au cours d’une veillée, en présence de Farba et du grandpère qu’ils admirent tant. Aussitôt dit, aussitôt fait ! La scène se déroule au clair de lune, une lune toute pleine qui semble sortie de derrière les montagnes qui ceinturent le village... On a étalé les nattes et disposé les escabeaux dans la cour. Sont présents autour de Thierno Alimou tout de blanc vêtu, installé dans son fauteuil, Yalosse Johnson et Farba, ce dernier tenant dans sa main sa kora ; chacun assis sur une chaise. En face d’eux, les trois vacanciers, d’autres enfants, et aussi des sages du troisième âge des deux sexes, assis sur de longs bancs, les uns derrière les autres. À peine le griot a-t-il fini de s’installer et d’accorder sa kora, comme le font les musiciens avant leur prestation, que Fatim, qui a envie de tout comprendre, les yeux rivés sur l’instrument traditionnel de musique lui demande : — Farba, comment s’appelle cet instrument que tu manipules avec tant d’amour ? — Cet instrument, répond le griot, c’est la kora. — Où l’as-tu achetée ? 35
— Elle a été comme une compagne pour mon père et aujourd’hui, elle tient la même place à mes côtés. Cet instrument ne s’achète pas et ne se vend pas. Fabriqué en famille, il se transmet de père en fils au cours d’une cérémonie rituelle. — Quelle surprise nous réserves-tu avec ta kora ? — La surprise est qu’elle va m’aider à raconter les hauts faits du passé. — Des hauts faits inscrits dans ses cordes, n’est-ce pas ? Demande Bouba. — Tout à fait ! Ses cordes parlent et peuvent tout raconter, répond le griot qui d’ailleurs, les fait vibrer à cet instant. — Puis-je les toucher ? demande Fatim. — Bien sûr ma fille, répond le griot. Du coup, tous les enfants sautent sur l’occasion, sous le regard admiratif du griot pour caresser de leurs petits doigts innocents la kora et essayer de jouer de ses cordes. Après ce privilège accordé aux enfants, Farba accorde sa kora, comme lui seul sait le faire, puis commence à en pincer les cordes. Des notes de musique limpides, charmeuses et d’une grande beauté se succèdent avec frénésie, emplissent la cour, comme pour dire que la veillée sera belle ! Farba, comme le veut la tradition, tourne les yeux vers Thierno Alimou d’abord, ensuite vers les sages pour demander, du regard simplement, l’autorisation de commencer. Elle lui est accordée. C’est une simple formalité, mais elle est obligatoire. Yalosse, qui est bien intégré dans la cour des grands, s’adresse à Farba en ces termes : — Farba, pour cette veillée, avec ta permission, ne pourrions-nous juste échanger sur ce que chacun de nous a appris des livres ou de la tradition sur les premiers hommes, jusqu’à la création de ce village ? N’est-ce pas que les cordes de ta kora contiennent déjà l’histoire 36
mémorisée du village ? Peut-on parler de cette histoire des origines à nos jours ? Flatté par ces paroles, Farba répond avec toute l’aisance d’un grand connaisseur : — L’histoire que je retiens du village, m’a été transmise par mon père, Farba Diaguili qui, lui aussi la tient de son père. — Et tu la transmettras à ton tour, à ton fils puis, ton fils à son fils, ainsi de suite… Tradition oblige ! Complète Yalosse. Farba réconforté poursuit : — Cette histoire remonte à une époque où, l’homme ne savait ni lire ni écrire. — Le premier épisode de cette histoire porte naturellement sur l’origine de l’homme en Afrique, étant donné qu’elle est le berceau incontestable de l’humanité, soutient Yalosse. Face à cette précision, Fatim détourne l’objet de la causerie et demande : — Qui dans l’assistance ici présente, peut nous expliquer d’où viennent les premiers hommes et comment ils vivaient ? Pour Yalosse, cette question nous mène tout droit au cœur de la préhistoire. Pour Farba, la réponse est simple et se trouve dans les saintes Écritures qui disent que l’homme et l’univers sont des créatures divines. Yalosse est d’accord, mais il veut attirer l’attention sur toutes les hypothèses : — Bien sûr que l’homme est une créature et un serviteur de Dieu. Mais que dit la science ? La science, au niveau actuel des recherches, nous enseigne que, l’homme est le produit d’une longue et lente évolution. »
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À cette précision de Yalosse, Bouba fait face à son grand-père et lui dit : — Grand-père, nous, à l’école, on nous enseigne que les premiers hommes viennent des singes anthropoïdes, et qu’ils ne vivaient pas comme nous. Ils menaient une vie très dure. Mais ce sont eux qui, par contre, ont découvert le feu pour nous, et inventé les premiers outils de travail pour vivre. Qu’en penses-tu ? Thierno Alimou, chapelet en main, lève les yeux vers le ciel et dit : — Allahou Akbar ! (Dieu est grand). Puis, après un moment de silence, il ajoute : — L’homme, cette créature merveilleuse, est l’œuvre de Dieu, de Dieu Seul ! C’est lui qui a façonné Adam et Ève suivant Ses Lois. Nous sommes tous issus d’Adam et d’Ève d’où que l’on vienne, ou que l’on vive sur Terre, que l’on soit blanc, jaune ou noir. Si on soutient que les hommes descendent des singes, c’est tout simplement une forme de non-respect des paroles divines, Bouba. Dieu nous a fait descendre sur Terre et nous a éparpillés dans toutes les parties du monde. Aucun de nous n’a choisi d’être africain, européen, asiatique ou américain. Donc l’évolution à laquelle vous faites allusion est survenue après. Yalosse se montre un véritable modérateur de débat : — Bien sûr Thierno ! Nous savons tous que l’homme a été créé par Dieu. Mais il faut quand même retenir que bien qu’il soit une créature divine, il est aussi le produit d’une longue et lente évolution. Ce n’est pas pour vous manquer de respect Thierno, mais les études prouvent que les premières formes humaines ne sont pas identiques à celles d’aujourd’hui. Nous avons évolué suivant les périodes. Par exemple, nous savons tous que les premiers hommes, au début de leur apparition sur terre, lorsqu’ils n’avaient pas encore la maitrise du feu, consommaient 38
leurs aliments crus. À l’époque, leurs mâchoires étaient très développées, très proéminentes et leurs dents très puissantes comme celles des animaux. Mais, avec la découverte du feu et, au fil de l’évolution, leurs mâchoires ont diminué de taille, de forme et même de puissance. Le feu pouvait désormais leur permettre de cuire leurs aliments comme la viande, les tubercules, etc. » — C’est exact, déclare Bouba. Je soutiens le point de vue de Yalosse, car, avant la découverte du feu, les premiers hommes vivaient dans des conditions difficiles, et ils mangeaient les aliments crus. La nature leur était hostile et il leur était difficile de la dompter. — Bouba a raison, dit Sory. Nos maîtres nous enseignent que les premiers hommes, pour se protéger du froid, de la chaleur et d’autres intempéries, se réfugiaient dans des abris naturels tels que les grottes et les cavernes et ils ne portaient pas d’habits. Ils se couvraient, quand il faisait froid, avec les peaux des animaux qu’ils abattaient. — Quel sacrilège ! s’exclame de nouveau Thierno. Yalosse relève : — Sacrilège ? Loin de là ! Thierno, de nos jours, des recherches ont abouti à des résultats crédibles qui ont révélé l’existence de traces et de signes, laissés par les premiers hommes au cours de leur prodigieuse évolution. Ces signes et traces appelés vestiges ont été découverts chez nous et se trouvent incrustés dans les parois des cavernes et des grottes, sur des sites préhistoriques de Kakimbo et de la grotte du même nom, un abri naturel, situé dans la commune urbaine de Ratoma à Conakry ; le site de Tabouna avec ses grottes, celles des chauves-souris et des hyènes.
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Ces grottes sont creusées dans les montagnes rocheuses de Mangamoria, dans le secteur de Douraya, préfecture de Kindia ; les abris naturels de Pété Lalya (dans la souspréfecture de Sintaly), sur la route de Bantignel ;
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le site de Hafia Bowi (dans la commune urbaine de Pita).
À ceux-là, s’ajoute le site rupestre de Guèmè Sangan, constitué de plusieurs blocs de montagnes. Il s’agit de montagnes aux allures de contreforts, à l’intérieur desquelles se trouvent des grottes, dont certaines ont une vue sur l’extérieur alors que d’autres s’ouvrent sur l’intérieur.
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Sur le site de Guèmè Sangan, on découvre à ciel ouvert plusieurs vestiges, au nombre desquels il y a lieu de citer, les restes d’une muraille de pierre qui servait autrefois de clôture à la forteresse du chef peulh, Kolly Tenguella.
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Il y a là, des blocs de pierre, dont certains, comme des meules, servaient à écraser les céréales pour en extraire la farine.
Ce n’est pas tout ! Il y a d’autres vestiges gravés dans la roche, comme la tabala sacrée de Kolly Tenguella.
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À ces vestiges s’ajoutent les abris dans les roches, et les ruines de la case où séjournait l’explorateur français Olivier de Sanderval.
-Un dernier site non répertorié, et qui fait l’objet de la présente étude, c’est bel et bien le site de Ley Legguel, et la grotte du même nom, soutient Yalosse.
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Puis il ajoute : — Voyez-vous Thierno, tout cela existe en Guinée et je sais où se situe la grotte de Ley Legguel. — Grand-père ! Que diriez-vous de l’idée d’aller poursuivre nos débats dans cette grotte, celle de Ley Legguel ? Demande Bouba, plein de curiosité. Surpris et même décontenancé par l’idée de poursuivre les débats à l’intérieur d’une grotte, Thierno Alimou rétorque : — Quoi donc ? La grotte de Ley Legguel ? La demeure des diables ? Attention à la colère de ces créatures ! Elles sont redoutables dans leur vengeance ! les avertit-il. Malgré cette mise en garde, Bouba insiste et cherche à convaincre Thierno : — Voyons grand-père ! La demeure des diables ? C’est plutôt celle des premiers hommes ! Ce serait une découverte fantastique ! Il n’y a pas de diables qui vivent là-bas ! Et à Fatim de renchérir : — Oui grand-père ! Elle serait formidable, cette visite ! N’oublie pas que je visite le village de mes parents pour la première fois. Je n’ai pas chaque jour cette opportunité. Et imagine-toi ! Quand je raconterai cette histoire fantastique à mes camarades blancs et à mon maître blanc, ils seront complètement éblouis ! C’est certain. En riant sous cape, Yalosse appuie : — De cette façon dit-il, vous aurez la preuve de l’existence de vos ancêtres, à travers les traces qu’ils ont laissées en ces lieux. En tout cas, ce sera une grande découverte. Après les déclarations des uns et des autres, Farba, le griot, prend la parole pour interpréter ce qu’il a appris de ses parents :
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— J’ai appris de mon père, qui à son tour, l’a appris de son père, que ce lieu est mystérieux, et hanté par des fantômes ! — Il faut dire très mystérieux même, soutient Thierno. — Mais toujours est-il que, des enfants du village ont découvert l’existence de cette grotte en compagnie de leur maître d’école. Donc, nous pouvons y aller Thierno, rétorque Farba. — Nous examinerons plus tard cette doléance. En attendant, il se fait tard. Nous devons aller nous reposer. C’était un ordre déguisé du grand-père. — Tu as raison grand-père, approuve Sory, d’autant plus que dès l’aube nous allons au champ pour les semailles. — Oh ! Comme le temps passe vite, quand il est bien rempli. C’est vraiment le moment de se dire au revoir, dit Bouba. — Quelle belle soirée ! Lâche Yalosse. Cette première veillée au clair de lune, a permis aux trois vacanciers, à Fatim en particulier, de bien saisir le rôle que jouent aussi bien le talentueux griot, que leur grand-père et Yalosse, en matière de retransmission des récits concernant leur passé. Fatim reconnaît en avoir profité, et le dit : — J’apprécie hautement l’occasion qui m’a été offerte. J’ai pu enregistrer des témoignages, et la musique traditionnelle du terroir. — Oui, quel bonheur ! Au fait, nous te remercions Fatim ! Grâce à toi, nous savons maintenant nous servir d’un dictaphone, et en plus, nous avons ensemble chanté l’hymne national de notre pays. Quelle merveille !
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Le difficile chemin de la découverte de la grotte
Mikhi wakhonfé mou a törö ma. (Souvent plus rien n’arrête la passion de découvrir) À cette longue veillée, succède une laborieuse journée de semailles, au cours de laquelle, les adolescents mûrissent l’idée secrète de découvrir tous seuls, la grotte. Dès la fin des travaux champêtres, l’aventure commence. Sur le chemin du retour, ils traînent le pas, se dérobent à l’attention de leur grand-père, coupent à travers les champs des voisins, traversent furtivement une vaste prairie où paissent paisiblement des troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres. Direction, la montagne ! Arrivés sur le site, ils prennent appui sur des rochers, arpentent le flanc nord, longent un sentier rocailleux qui les mène tout droit, sur un monticule de gros blocs de pierre en forme d’enclume.
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Des monuments préhistoriques ! De cette hauteur, le village et ses habitants apparaissent au loin sous leurs yeux, comme dans un mouchoir de poche. La contemplation de ce paysage procure un tel plaisir aux adolescents ! Ils ne cessent de le magnifier : — Comme ce décor naturel est magnifique ! s’exclame Fatim, enchantée. — Oui ! C’est vraiment beau ! Rétorque Bouba tout aussi émerveillé. Voyez-vous le minaret de la mosquée ? Il brille sous les rayons du soleil couchant ! — C’est vrai, dit Fatim. Et quand on le fixe longtemps, on est comme pris de vertige. Ne le ressentez-vous pas ? Interroge Fatim qui, admirative de tout ce qu’elle voit, dit intérieurement : « Dieu nous a vraiment gratifiés d’un très beau pays ! » Ils commençaient à sentir la fatigue de leur escapade…
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— Allez ! Il faut marcher encore. La grotte n’est pas de ce côté. Nous devons aller plus loin, dit Bouba sur un ton rassurant, bien que se sentant un peu découragé. La randonnée continue, puis semble arriver à son terme lorsque nos trois jeunes amis se retrouvent en face d’un gros tronc d’arbre ! La colère du vent, un jour de tempête, l’a placé en travers d’un vallon qui surplombe un grand précipice. 51
— Que faire ? Demande Fatim à Bouba et à Sory. — Continuer ! Marcher ! Encore, marcher ! Martèle Sory.
— Marcher encore ? s’étonne Fatim. — Bien sûr. De toutes les façons, nous n’avons pas le choix, répond Sory, en les regardant, l’un après l’autre.
— Sory, dis-moi ! C’est ça le vallon de la mort ? Demande Fatim en criant presque. 52
— Fatim ! Il faut y aller. Donne-moi donc ta main, lui intime Sory, en ignorant délibérément sa question. Sur ce, Sory, plus déterminé que jamais, attaque le pont de fortune d’un pas ferme, et demande à Bouba de prendre Fatim par l’autre main. Pas à pas, le cœur rempli d’appréhension et d’émotion à la fois, le regard fixé devant eux, les jeunes gens avancent sous les directives de Sory qui ne cesse de répéter : « Restez tout droit ! Ne regardez ni à gauche ni à droite ! Concentrez-vous ! » Les voilà enfin de l’autre côté du vallon ! Ils s’arrêtent un moment pour reprendre leur souffle. À cet instant, ils mesurent l’ampleur du danger qu’ils viennent de surmonter héroïquement. Fatim, toute émue déclare : — J’avoue que nous avons pris un risque énorme ! — Oh oui ! Un simple faux pas nous aurait coûté des dommages, et même la vie, dit Bouba. — Dieu soit loué ! dit Sory, calme et résolu, avant d’ajouter à l’adresse de ses amis : — Tout a un prix et souvent, rien n’arrête la passion de découvrir. Nous ne savions pas que nous prenions des risques, en trompant la vigilance de grand-père, pour venir ici, à la découverte de ce site historique. Un regain de courage s’empare de nos héros qui décident de s’engager dans le sentier tortueux et rocailleux qui s’étale devant eux. De roche en roche, de buisson en buisson, ils traversent la forêt, escaladent le flanc nord puis redescendent le flanc sud.
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Ne pouvant pas avancer de front, ils « avancent à reculons », lentement, prudemment, en s’aidant des lianes qui s’offrent à eux sur leur passage.
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Combien de fois ont-ils été retenus tantôt par des lianes, tantôt par des rochers pour ne pas être précipités dans le vide ? Arrivés enfin au pied de la montagne, bien qu’épuisée, Fatim déclare triomphalement : — Hourra ! Nous voici enfin arrivés au pied de la montagne !
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— Dieu merci ! Je crève de fatigue ! s’exclame Bouba. — Notre descente a été réellement périlleuse n’est-ce pas Fatim ? Lance Sory. — Une véritable descente aux enfers ! dit Fatim dans un petit sourire qui illumine ses lèvres. Bouba coupe court et déclare : — après tout ce chemin parcouru, je ne me retrouve plus. Sommes-nous réellement au pied de la montagne de Ley Legguel ? Sory, qui s’est assis à même le sol pour récupérer, tout décontenancé par les propos de Bouba se remet péniblement sur ses pieds et dit : — Je n’en sais rien, mais je constate que, le soleil va, sous peu, disparaître derrière l’horizon. — Oh Bouba ! Ce que dit Sory est bien vrai, réplique Fatim toute troublée, bientôt nous ne distinguerons plus rien des formes ni des couleurs. Quelle frayeur ! Bouba ne cesse de répéter : — Je distingue des sons bizarres depuis un certain temps. Vous ne les entendez pas ? J’ai vraiment peur ! — Sory, ce que dit Bouba est vrai… Je l’ai remarqué aussi… vous ne pensez pas que les grands-parents 56
s’inquiètent en ce moment de notre longue absence ? ajoute Fatim, comme pour se rassurer. Sa question reste sans réponse, car, aussitôt après leurs échanges, elle et Bouba sont intrigués par l’attitude bizarre de Sory qui est le plus intuitif des trois… Ses « yeux de lynx » viennent de distinguer une entrée au pied de la montagne !
Il s’écrie : — Bouba, Fatim, regardez ! Un accès de ce côté ! Nous nous trouvons du côté sud de la montagne !
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Yen a-t-il un autre ? Bouba, se souvenant de ses cours d’histoire déclare : — Nous avons appris que le site préhistorique de Ley Legguel a deux accès du côté sud de la montagne, et une sortie au nord-ouest. — Allons vérifier ! Peut-être trouverons-nous le deuxième accès, avant la tombée de la nuit, suggère Fatim.
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Ils découvrent enfin le deuxième accès, au prix de gros efforts de recherches ! Cependant, la joie de cette grande découverte, se peint mal sur les visages des adolescents, crispés par l’angoisse et la peur. Grelotant de froid, effrayé par les cris plaintifs des oiseaux et le beuglement des bœufs égarés, le trio décide alors de trouver refuge dans la grotte. Et c’est Fatim qui prend les initiatives : — Ne restons pas figés dehors ! Mettons-nous à l’abri des bêtes sauvages et du froid dans cette grotte, comme le faisaient nos ancêtres autrefois. La nuit va bientôt tout envahir. Ils se sentent tous galvanisés, comme attirés par un puissant aimant ! À son tour, Sory exprime son désir ardent de découvrir la grotte : — Je ne me sens plus inhibé par la peur ; la curiosité qui m’anime l’a vaincue ! Avançons ! Suivez-moi ! Tenons-nous bien par les mains ! Il poursuit en commentant et en montrant du doigt tout ce qu’il voit sur leur chemin : — Voilà une roche, puis un couloir à gauche… À droite une autre roche, un autre couloir… voyez-vous, le site est parsemé de roches, sillonné de couloirs… Et les couloirs sont ténébreux par endroit.
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— Regardez un peu ces failles béantes, là- haut…
Elles ont été, il me semble, obstruées en partie par des blocs de pierre qui sont venus s’y encastrer pendant leur 61
chute ! S’exclame Fatim, les mains au-dessus de la tête, comme pour se protéger de ces blocs qui pourraient lui tomber dessus, à n’importe quel moment. — Que c’est impressionnant ! dit Sory dans un souffle. C’est effrayant même, car, un de ces blocs pourrait continuer sa chute, pendant que nous sommes encore là. — Quelle catastrophe ce serait dans ce cas ! dit Fatim. Attirés par la passion de la découverte, comme la limaille de fer par l’aimant, les trois adolescents avancent toujours de roche en roche, de couloir en couloir… — Comble de malheur ! Nous ne distinguons plus rien maintenant ! Plus de soleil et, nous ne pouvons plus retourner sur nos pas, s’exclame Bouba. — Impossible en effet ! renchérit Fatim. Avec toutes ces roches, tous ces couloirs qu’on ne distingue plus… Que faire ? C’est alors que Sory entend quelque chose d’insolite et donne l’alerte : — Vous avez entendu ? Les hululements d’un hibou tout près d’ici ! Ça, c’est mauvais signe ! — Oui ! Il paraît…, il paraît que ces créatures, peuvent être habitées par des sorciers, mangeurs d’hommes ou jeteurs de mauvais sort, dit Bouba. — Chut ! Taisez-vous donc ! À vous entendre parler ainsi, je crève déjà de peur, coupe Fatim. Bouba fataliste lâche : — Il ne nous reste plus qu’à attendre le sort qui nous est réservé, d’ici le lever du jour. Montrons-nous forts. Les paroles de grand-père Thierno Alimou, leur reviennent en mémoire, amplifiées : « C’est la demeure des diables ! Attention à la colère de ces créatures, redoutables dans leur vengeance. » Sans se donner le mot, d’un même élan, ils se blottissent les uns contre les autres, tremblants de peur, et se collent, comme un seul être contre la paroi de la grotte. 62
Leurs pensées vont encore vers leurs parents, pendant qu’ils commentent ce qui réveille une autre frayeur... — Grand-père où es-tu ? Viens à notre secours ! J’ai vraiment peur ! Une hyène se signale sur l’autre flanc de la montagne… Elle peut bel et bien arriver jusqu’à nous et nous faire du mal ! Pleurniche Sory. — Adieu les rêves que j’avais, une fois à Paris, de narrer mon pèlerinage en Afrique, de vanter ses valeurs, de révéler son histoire, se lamente Fatim. — Adieu l’enthousiasme d’un retour aux sources ! s’écrie Bouba. — Adieu enfin, l’humanisme et la solidarité dont nous avons fait l’objet, depuis notre arrivée au village, dit Sory. Du coup, un énorme vacarme qui les fait sursauter, se fait entendre ! C’est un éboulement qui se produit à l’intérieur de la grotte, et un gros bloc de rocher vient obstruer l’ouverture par laquelle ils y ont accédé. Ils pensent à Thierno Aimou qui, ce moment précis, très inquiet de l’absence des enfants, ordonne de battre la tabala. Alerté, tout le village se mobilise autour de lui. Il pare au plus pressé et, rejoignant Yalosse, à l’autre bout du village, il le met au courant : — Les enfants ne sont plus visibles depuis notre retour des champs… — Mais il se fait bien tard Thierno ! s’exclame Yalosse, en se demandant où peuvent bien être partis les enfants. — Depuis la veillée, j’ai senti qu’ils mijotaient quelque chose du genre, une promenade du côté de la grotte de Ley Legguel, dit Thierno. — Voilà ! C’est clair ! Ils sont à la recherche de la grotte ! Affirme Yalosse. Face à cette éventualité Thierno Alimou, d’une voix à peine audible, murmure :
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— C’est dangereux d’y aller tout seuls et, encore de nuit, j’en suis conscient… Nous nous mettrons en branle dès les premières heures de l’aube… Pendant ce temps, nos trois amis sont toujours terrés dans la grotte. Ils n’ont été délivrés de leur calvaire qu’à l’aurore naissante, grâce à la détermination de Badicko Touré, l’instituteur du village, à la tête d’un groupe de sauveteurs dont Yalosse, Farba et Thierno Alimou, avec la participation active des habitants du village, les uns munis de lampes-torches, les autres armés de flèches, de coupescoupes, de sagaies, de fusils.
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Des visites guidées à l’intérieur et autour de la grotte
Yana cénakhan to, bognè milèmananan ma. (6) Tôkéré fissa n’namè kèmèbè. (7) Aussitôt délivrés de leur calvaire, Bouba, Fatim et Sory sont soumis à une rude épreuve que leur impose Thierno Alimou, devant toute l’assistance. Les voici assis sur un gros bloc de rocher, au sortir de la grotte, supportant reproches et remontrances : — Quelle imprudence mes enfants ! Vous vous êtes livrés à une aventure périlleuse ! Le saviez-vous ? dit Thierno Alimou, sur les nerfs — Voyez-vous Thierno, le propre des enfants et surtout des adolescents, c’est d’imiter les comportements des héros dans l’imprudence et l’impatience, réplique Yalosse. Thierno Alimou, les mains ouvertes, tendues vers le ciel, remercie Dieu : « Dieu soit loué ! Ils sont sains et saufs. » Accablés par les reproches, les adolescents demandent pardon d’avoir dévié, mais brûlent toujours d’envie de faire une visite découverte à la grotte. À force d’y penser, ils s’en ouvrent finalement à l’instituteur du village : — Monsieur Badicko, notre curiosité est vraiment piquée à vif. Nous ne serons en paix que lorsque nous aurons visité la grotte. Et à l’instituteur de répondre :
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— C’est un plaisir pour moi d’assouvir la curiosité de jeunes gens comme vous, en quête du savoir. — Nous vous remercions très sincèrement pour votre disponibilité, lui déclarent-ils. — C’est à moi de vous remercier pour l’intérêt que vous portez à notre village, à ses valeurs, à son histoire, réplique sagement l’instituteur. Le pacte de la visite des lieux est ainsi scellé. Les adolescents, sur la demande de Thierno Alimou, retournent à la maison pour se restaurer. Ils en ont bien besoin, d’ailleurs ! Ensuite, ils mettent chacun dans son sac, un bloc-notes et un stylo. Les voilà fin prêts, sacs au dos, pour la randonnée aux abords de la grotte. Appareil photographique en bandoulière et dictaphone en main, Fatim est toute contente ! Avant d’entamer la visite dans le vrai sens du terme, Badicko tient à prodiguer quelques sages conseils aux visiteurs : — À l’intérieur de la grotte, nous ne devons pas détériorer les traces, les dessins, les gravures. Nous ne devons pas toucher aux vestiges historiques que nous trouverons sur place. Vous pourrez parler, discuter, montrer du doigt ce que vous voyez. Vous devrez aussi faire attention aux endroits où vous mettez les pieds pour éviter de vous les tordre dans des trous éventuels. Ce que je vous dis là fait partie des consignes de visite des lieux. L’objectif de cette visite est de découvrir et de photographier des vestiges du passé constitués de traces, d’outils et autres preuves matérielles qui attestent que, ces lieux ont jadis été occupés par des hommes de la préhistoire. Retenez que le site préhistorique de Ley legguel, qui fait l’objet de notre visite a deux accès du côté sud de la montagne et une sortie au nord-ouest. Nous ne pouvons donc pas nous perdre. Fatim, tu pourras prendre 66
des photos, enregistrer des sons et des témoignages. Vous pouvez aussi prendre des notes. Sachez qu’au nombre des vestiges trouvés sur le site, il y a lieu de citer ce gros bloc de pierre qui trône à l’entrée de la grotte.
— À quoi servait ce bloc de pierre que vous venez de pointer du doigt ? Demande Bouba. — Il servait autrefois de meule sur laquelle les occupants des lieux écrasaient les céréales pour en extraire la farine. C’est ce qui remplaçait le mortier. Très intéressant !!! Reconnaissent les jeunes gens. — Ce n’est pas tout. Regardez ce tas de débris sur la partie occidentale, non loin de l’ouverture de la grotte. Regardez aussi cet amas de tessons de poterie, et ces traces de cuisine à… Fatim l’interrompt : — Vous dites bien des traces de cuisine ? — Bien sûr ! Les blocs de pierre portant des traces laissées par la fumée, que vous voyez là, servaient 67
autrefois de foyer pour la cuisine. Mais, il n’y a pas que cela. Regardez le charbon qui a été trouvé en ces lieux, ces roches riches en oxyde de fer aux abords immédiats de la grotte… Tout cela laisse penser à une sédentarisation des hommes à cette place, à une époque très ancienne. Après la visite-découverte, des abords du site, les jeunes gens, sous la conduite de Badicko poursuivent leur randonnée. Les voilà cette fois-ci, à l’intérieur d’un vestibule. L’instituteur leur donne des explications : — Le lieu que nous visitons en ce moment a été un abri pour les premiers hommes. Regardez ces traces sur les parois de cette roche, en face de vous. Curieux, les enfants se précipitent vers la roche que Badicko vient de pointer du doigt. Fatim laisse éclater sa joie : — Waooow ! C’est bien des traces laissées par des hommes. Il s’agit de gravures rupestres !
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Sory, après avoir observé, est impressionné par la hauteur à laquelle la gravure a été exécutée sur la paroi : — C’est vrai ! Il s’agit de gravures taillées dans la pierre ; celles-ci sont exécutées à une telle hauteur et d’une façon si régulière ! — Ce qui laisse penser que les occupants des lieux étaient des hommes de grande taille, précise Badicko. Curieux, Bouba demande à la cantonade : — Selon vous, ces occupants sont de quelle époque ? — Ils sont probablement du néolithique, période au cours de laquelle vivait l’homo-sapiens, répond Yalosse. Dans le souci d’apporter un plus à la réponse de Yalosse, Badicko fait un bref rappel des différents stades de l’évolution de l’espèce humaine en ces termes : — Sur la chaîne de l’évolution de l’espèce humaine, retenons qu’après l’australopithèque, le pithécanthrope et le néandertalien, vient l’homo-sapiens, qui représente, le 69
dernier maillon de la chaîne de l’évolution de l’espèce humaine. Bien que satisfaits des explications jusque-là fournies, les trois adolescents ont un autre souci : celui de savoir concrètement comment vivaient les premiers hommes et comment ils avaient découvert le feu. Pour répondre à ces questions, Yalosse s’appuie sur le point de vue de Farba et déclare : — Je ne contredis pas Farba lorsqu’il dit que « Dieu, dans sa générosité pourvoit aux besoins de l’homme » … Sans le laisser achever sa réflexion, Badicko dit : — Et alors ? Qu’en est-il donc ? — Il y a certes de la générosité divine, mais elle n’est pas gratuite. L’homme doit faire un effort, il doit travailler, « Aide-toi et le ciel t’aidera », ajoute Yalosse. Fatim acquiesce de la tête et dit : — J’apprécie ce point de vue de monsieur Yalosse. Nous avons appris en histoire que les premiers hommes vivaient de la chasse, de la pêche et de la cueillette. — Mieux, pour pratiquer ces activités, ils avaient fabriqué des outils en pierre, qu’ils avaient d’abord grossièrement taillés puis polis, enchaîne Bouba. Badicko prend la parole pour en nommer quelquesuns : — Les outils utilisés par les premiers hommes étaient, le gourdin, le harpon, la flèche, la sagaie, la gaule… Il fallait bien vivre non ? Liant la théorie à la pratique, l’instituteur prend en main une pierre, en affûte une des extrémités contre une autre pierre. Elles font entendre des éclats en s’entrechoquant. 70
— Cette pierre aiguisée, dit-il, est appelée : « coup de poing. » Elle permettait de couper la viande et de casser les os, de tailler un gourdin, et d’aiguiser un bâton. À l’aide de ce bâton, les premiers hommes déterraient les racines des plantes comestibles et des larves d’insectes, creusaient des terriers de petits animaux, cueillaient des fruits et dénichaient des oiseaux de leurs nids. Cette activité précise Badicko est appelée « la cueillette ». La pratique de ces activités démontre que l’homme commençait vraiment à évoluer. Fatim coupe la parole à Badicko pour ajouter une information : — À l’école, on nous a enseigné que les premiers hommes, pour cueillir les fruits qu’ils ne pouvaient pas atteindre de la main, avaient tâtonné et fini par trouver qu’il fallait prolonger la main en se servant d’une gaule. C’est de cette manière qu’ils pouvaient atteindre les fruits quelle que soit la hauteur de l’arbre. Pour répondre à la question de la découverte du feu, Badicko remonte à l’âge de la pierre polie : — Les premiers hommes ont découvert le feu en frottant deux silex, l’un contre l’autre… Joignant la parole à l’acte, l’instituteur ouvre son sac et en extrait deux pierres blanches (en silex), les frotte l’une contre l’autre. Ces frottements produisent d’abord de la fumée ensuite des étincelles jaillissent. — Quelle merveilleuse découverte ! s’exclament les enfants. Soudain, leur grand-père apparaît, comme par magie, au centre de la grotte et leur dit : — Mes enfants, vous avez beaucoup appris en compagnie de nos amis Badicko et Yalosse. — Oui grand-père, répondent les enfants. Nous sommes fiers d’apprendre, de découvrir, de fixer dans 71
l’appareil photographique de Fatim les images des réalités cachées à l’intérieur de la grotte. Quelle merveille ! D’ailleurs n’eût été la faim qui nous gagne de plus en plus, nous resterions jusqu’au soir. — Bien sûr les enfants ! Je sais. Le savoir sert de nourriture à l’esprit. Mais le corps humain a aussi besoin de se restaurer et le bon couscous de grand-mère Hadja Aminata vous attend depuis hier. Fatim s’écrie : — Bouba, Sory, qu’attendons-nous pour aller y goûter ?
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La dernière veillée au clair de lune
La nuit suivante, une nouvelle veillée est organisée dans la même cour, au clair de lune. Sont réunis autour de Thierno, tous les sages et notables du village. Au cours de cette rencontre, un véritable débat s’instaure autour du rôle que la grotte de Ley Legguel a joué au cours des âges. Pour introduire les discussions, Thierno s’adresse à l’assistance : — Honorables invités ! Sages de Ley Legguel ! Nos enfants ici présents, voudraient savoir ce que nous, doyens de ce village, avons retenu des anciens au sujet des différents usages qui ont été faits de notre grotte. Après quelques instants de réflexion comme pour se ressourcer, le griot, très à l’aise, prend la parole : — Mes enfants, retenez que cette grotte, appelée par nous tous ici « Fan-mère », était autrefois, un lieu réputé mystérieux et hanté par des morts ressuscités, des revenants. Nos parents nous disaient qu’elle était habitée tantôt par des diables, tantôt par des sorciers mangeurs d’âmes et qu’il ne fallait donc jamais y aller. À ce propos, un autre invité déclare : — Il m’a été rapporté par ma grand-mère, que le premier nom de cette grotte était ‘’Kayongoé’’, et qu’elle a été habitée par des Landoumas. Elle aurait servi d’abri pendant les intempéries. Elle était aussi, un lieu de culte où les populations animistes allaient autrefois, pour faire des sacrifices rituels ou pour organiser des manifestations religieuses. 73
Par rapport à ce témoignage, Fatim demande une précision : — Qui sont les Landoumas ? C’est la première fois qu’elle entend le nom de cette ethnie de la Guinée. Badicko se charge d’y répondre : — En Guinée, il existe beaucoup d’ethnies qui ne parlent pas la même langue. Ici à Télimélé, on parle principalement le poular et le soussou. Mais dans la région de Boké, il y a des ethnies qui parlent d’autres langues. Parmi elles, les Landoumas, les Bagas et autres. Les groupes ethniques n’ont pas toujours vécu aux lieux où ils résident aujourd’hui. Jadis, les hommes se déplaçaient pour diverses raisons : pour chercher des points d’eau et des terres cultivables et tranquilles, mais aussi pour se protéger. Donc, les Landoumas ont dû séjourner ici. Ce n’est pas tout ! Mamadou Bobo Barry dit « Maire Bobo », Président de la CRD de Ley Legguel, nous a livré son témoignage en faisant référence à ses grands-parents : — Mes grands-parents me disaient souvent que Kayongoé a servi de lieu de refuge aux populations menacées par des invasions, des guerres et des razzias. Des populations Bagas, Nalous, Landoumas, jadis habitant le Fouta Djallon, qui fuyaient les guerres d’islamisation s’y sont réfugiées aussi. Tous ces témoignages se recoupent. Il faut retenir que la grotte de Ley Leguel s’appelait autrefois Kayongoé (mot d’origine à la fois peulh et djalonké. L’expression dérive du préfixe « Ka » qui signifie en poular « le lieu » et du terme « yongoé » désignant, l’abri du chasseur à l’affut du gibier). La grotte en question, a servi de lieu de culte aux populations
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d’alors. Le site est parfaitement indiqué pour les sacrifices rituels, mais il a servi à d’autres usages. Comme le rapporte Modi Hassmiou dans ses souvenirs d’enfance, la grotte de Ley Legguel a servi aussi d’aire de jeux aux enfants du village, qui s’y rendaient pour s’amuser. Il se souvient : — « Fan-mèrè » nous a servi pour nos jeux. Il nous est arrivé, à mes amis et à moi, après l’accomplissement des dures tâches quotidiennes que nous imposait l’école coranique, de nous offrir quelques moments de divertissement en ce lieu. Un jour que nous y jouions à cache-cache, je me suis caché dans une cavité sombre de la grotte, pour échapper à la vigilance de mes amis. Mais là, en me blottissant contre la paroi, je sentis une présence insolite à mes côtés. C’était un porc-épic ! Et un gros ! Une peur à couper le souffle s’empara de moi, et je détalai à toutes jambes ! En me voyant me précipiter hors de la grotte comme une fusée, mon compagnon de jeu n’est pas resté indifférent. Plus rapide que moi, il prit ses jambes à son cou et disparut très vite dans les buissons, hérissé de plumes ! Je ne sais plus, de nous deux, lequel faisait peur le plus. Des éclats de rire fusent de toutes parts dans la cour… Comme c’est amusant !
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DEUXIÈME PARTIE :
JOURNÉES DE VACANCES CONSACRÉES A LA RECHERCHE D’UN RECUEIL DES HISTOIRES OUBLIÉES DE CONAKRY
Pourquoi cette deuxième partie ?
Ce « Recueil des histoires oubliées de Conakry » ne traite pas de manière chronologique des étapes de la monographie historique de Conakry, dans le sens exact du terme. Il ne traite pas non plus de l’histoire générale de cette ville, des origines à nos jours. C’est plutôt un support de référence qui permet aux uns et aux autres de découvrir certaines histoires oubliées de Conakry, celles qui racontent par exemple, comment se présentait autrefois l’environnement géographique de cette agglomération ; comment vivaient ses premiers habitants à l’époque où c’était un regroupement de simples petits villages de pêcheurs, situés sur des bandes ou des portions de terre, dont la forme géographique variait en fonction des humeurs de la mer. C’était avant le remblai des estuaires donc, avant l’assèchement des terres. Ces bandes de terre de forme variée, prenaient tantôt des allures de caps, (pointes de terre avancées dans la mer pendant la basse marée), tantôt la forme d’un isthme (langue de terre qui, pendant la haute marée se trouvait coincée entre les deux rives des deux mers de l’Océan Atlantique qui ceinture la ville de Conakry). C’est l’envie de combler le vide laissé par le manque criard d’ouvrages à portée publique et pédagogique racontant le passé, l’histoire de Conakry, qui est à l’origine de cette deuxième partie. Ce qui amène le lecteur à découvrir à travers ses pages, la façon dont les ancêtres des premiers habitants de Conakry communiaient avec la nature, la mer, les portions de terre, les gros arbres aux bois tutélaires dans le cadre de la préservation de leur mode de vie traditionnel, et aussi les sites qui ont jadis servi de lieux de sacrifices, de cultes ou de sanctuaires à 79
ces populations qui, à l’époque, étaient profondément animistes. Ce qu’il faut aussi retenir c’est que, tous ceux de notre génération, nés à Conakry entre les années 1950-1960, ou ceux qui y ont passé leur tendre enfance, avons pour la plupart, vu de nos propres yeux, ou entendu parler des sites de Gbassikolo, Gbanankoumba, Kikuntoun, Kakimbo, Yèkhèmato… Les accès de ces lieux sacrés, pleins de mythes et de mystères étaient interdits. J’avoue que, la plupart des histoires fabuleuses qui entourent ces lieux, m’ont été racontés par ma chère grand-mère. Presque chaque nuit, après le repas du soir, au clair de lune, elle me contait des récits en rapport avec un des sites mentionnés. Et à la fin de chaque veillée, elle me disait : « A ton tour, toi aussi, de les transmettre un jour à tes enfants, mes arrières petits-fils qui naîtront quand, je ne serai plus de ce monde. » Je répondais toujours par l’affirmative pour ne pas heurter sa sensibilité. Cette partie du présent ouvrage est donc, comme le disait quelqu’un, le fruit de cette promesse. D’ailleurs, retenez que la plupart des situations qui y sont décrites, m’ont été rapportées par cette grand-mère qui, elle aussi les a apprises de la sienne. Tradition oblige ! Cette partie est la suite logique des journées de vacances des trois jeunes élèves. De retour du village des grands-parents, ils se sont aussitôt lancés dans des randonnées et visites guidées à la recherche des sites mythiques de Conakry. Des sites, qui ont jadis profondément marqué la vie religieuse et culturelle des premiers habitants de la contrée. Le but de ces visites guidées n’était pas seulement de découvrir ces lieux supposés sacrés, encore moins de toucher du doigt les 80
traces ou vestiges qui s’y trouvent, mais c’était aussi et surtout de se faire raconter les histoires fabuleuses qui s’y rattachent.
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L’environnement géographique de Conakry, telle qu’elle était autrefois.
« Conakry khoro nu ato akéren mara », me disait ma grand-mère.
Située sur la façade maritime de l’Océan Atlantique, la ville de Conakry était autrefois reliée au continent, à la terre ferme par une seule et unique voie d’accès. Cet environnement géographique, soumis avant aux mouvements de la mer, héberge de nos jours le palais du peuple, siège de notre Assemblée nationale.
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L’endroit ressemblait autrefois à l’embouchure d’un fleuve, ou d’un estuaire ; partie du littoral couverte d’eau à chaque marée montante. Beaucoup de petits villages de pêcheurs se retrouvaient ci et là.
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Je me souviens avoir plusieurs fois sillonné ou traversé cet endroit mythique tel qu’il était, avec sa végétation luxuriante constituée de palétuviers, de palmiers, de baobabs et de fromagers géants.
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Je suis passé par là plusieurs fois, avec ma grand-mère que j’accompagnais du quartier Cameroun (plutôt au village de Cameroun) pour le marché de Tombo qu’on appelait autrefois « Tombo-Makiti », l’unique grandmarché de Conakry.
C’était en 1957 et j’avais à peine cinq ans. Nous parcourions, ma grand-mère et moi, à pied, la distance entre le « village Cameroun » et le marché Tombo, où elle 86
allait tous les deux jours, écouler ses poissons séchés, ses légumes, pour se procurer de quelques produits manufacturés.
J’étais vraiment très heureux d’être en sa compagnie, car, elle m’achetait non seulement des jouets, mais elle ne tarissait pas non plus de me conter des récits sur chaque localité traversée. Ce n’est pas tout ; elle me prodiguait aussi de sages conseils. Arrivés au niveau du site de l’actuel palais du peuple, autrefois dénommé Gbassikolo, elle m’indiquait du doigt des cabanes et des huttes non loin du petit sentier que nous empruntions. Elle me mettait en garde en me disant : « C’est cet endroit qu’on appelle Gbassikolo. Regarde bien ces huttes, ces cabanes, ces forêts et ces arbres géants situés çà et là. C’est le lieu où les Bagas font des sacrifices rituels destinés à leurs ancêtres. L’endroit est aussi considéré par certains, comme un lieu de culte, et par d’autres comme l’abri naturel des grands sorciers, mangeurs d’hommes, mais aussi comme la demeure des djinns et autres génies. »
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Ma grand-mère poursuivait : « Sache donc qu’un enfant ne vient pas seul ici. Celui qui s’entête à le faire le fait à ses risques et périls. Je te le dis parce que l’intéressé ne verra plus jamais ni son père ni sa mère. » À ces mots je rentrai du coup dans ma petite coquille, tellement je frissonnais de peur ! Je finis par m’agripper au boubou de ma grand-mère et nous poursuivions ainsi notre route. Non loin du fameux site de Gbassikolo, un petit village situé en amont, aux abords d’un rivage, s’offrit à nos yeux. Elle me dit : « Ici, c’est le village de Tombo, la localité qui a donné son nom à notre marché. » Je découvris alors un charmant petit village traversé par un estuaire. Autrefois, le village de Tombo se situait sur une splendide petite île ensoleillée, avec des plages de sable fin, des forêts de palmiers à huile, de palétuviers, de baobabs, et de fromagers, le tout bordé de cocotiers. Non loin de là, se dressait en amont, un petit port de pêche dénommé « Kinsi warf ». C’était l’endroit où les piroguiers débarquaient leur cargaison de poissons ou de bois de chauffe, du bois de mangrove très prisé, que les soussous appellent kinsi yégué. Et puisque ce warf était situé en bordure de mer, les mandényis l’avaient dénommé « Hamentia* Baadè », pour le distinguer des autres ports de pêche du même nom car, Baadè signifie en soussou « le bord de mer ». C’est à cet endroit précis que se trouve aujourd’hui l’Hôtel Rivera Royal jadis Hôtel de l’Unité. C’était à partir de la prestigieuse île de Tombo que se faisait la traversée de l’estuaire, pour rejoindre ce qui constitue aujourd’hui le centre-ville de Conakry. C’était autrefois une large bande de terre qui avançait dans la mer. La traversée de l’estuaire, pour accéder à ce lieu s’effectuait de deux manières qui, à vrai dire, n’étaient pas toujours aisées : En pirogue, pendant la marée haute et à 88
pied, en marchant dans la boue, le poto poto, pendant la marée basse. Pour étayer mes affirmations, il me plaît de raconter aujourd’hui ce qui nous arriva lors d’une de nos traversées, à ma grand-mère et à moi. Nous fûmes soumis à rude épreuve, un matin en pleine mer, par les vagues de la marée montante et nous faillîmes ne jamais arriver au marché. La partie de l’estuaire qui servait de passage pour piétons pendant la marée basse était, ce jour-là, totalement inondée. Nous étions donc obligés de monter à bord d’une pirogue et de ramer à contrecourant avec d’autres passagers pour rejoindre l’autre rive. En pleine traversée, notre barque, sous l’effet conjugué des vents violents et des vagues, se mit à tanguer et à balancer au point de chavirer. J’avoue que j’eus énormément peur ! Mais que pouvais-je faire, à mon âge, sinon m’accrocher au cou de ma grand-mère, mon seul et unique rempart, tremblant de frayeur ? Je ne fus tranquillisé que par le discours d’un quidam, planté comme un piquet à l’arrière de la pirogue. Il chantait les louanges de la mer en pleine furie. Après, tel un conteur pour enfant, il se mit à nous bercer, à nous raconter des récits et des histoires en rapport avec Conakry. Il nous entretint par exemple sur l’origine linguistique de Conakry. Pour nous mettre en confiance, l’homme commença à nous sensibiliser à travers ces mots : « N’ayez pas peur des mouvements de la mer, ils sont passagers. Gardez seulement votre sang-froid. » Et il enchaîna sur d’autres récits tirés de l’imagination populaire, qu’il raconta avec beaucoup d’éloquence. Voilà ce qu’il nous apprit sur l’origine du mot Conakry : « Chers compagnons, savez-vous que le nom de Conakry, nous vient d’un vieux peulh ? En voulant un jour s’embarquer à bord d’une pirogue, en vue de traverser l’estuaire pour l’autre rive, s’est engagé dans un difficile dialogue avec un piroguier. À la demande de ce dernier, en soussou, ‘‘i siga 89
fe min dhé’ ? (où vas-tu), le vieux peulh répondit en bégayant en poular ‘‘mi dho yahou dhé Co-Nakri’’ (« je vais sur l’autre rive. ») Depuis, le préfixe Co est entré dans la dénomination de nakri pour faire Co-nakiri. Heureuse coïncidence, le récit légendaire du conteur prit fin, au moment où s’achevait, notre difficile traversée. Très vite, nous débarquâmes sur une portion de terre. Une observation attentive de l’endroit où nous étions, nous laissa penser qu’il s’agissait là d’une bande de terre en partie avancée dans la mer, presque entourée d’eau de mer, de tous côtés. Alors ma grand-mère, comme pour m’instruire sur la toponymie et la localisation du lieu me dit : « Cette portion de terre appelée « Khalömi » est une des propriétés des premiers occupants de Conakry. Ces terres avancées dans la mer étaient jadis des champs où nos ancêtres venaient planter le manioc et le riz. As-tu bien compris ? » Me demanda-t-elle J’acquiesçais de la tête. En réalité, je ne compris que lorsque je grandis. Ma grand-mère me parlait de l’entrée de la presqu’ile de Kaloum, de la partie située sur une des rives baignées par l’océan Atlantique, Les Soussous l’appelaient déjà « nakiri », « la rive » ou « l’autre côté de la rive ». C’est cette portion de terre sur la rive qui a donné son nom à la capitale guinéenne « Co-nakiri ». Voilà une autre version livrée par des personnes interrogées au cours des enquêtes. Des cases ont été construites sur ces différentes portions de terre et ont constitué les premiers villages de pêcheurs de Conakry. À l’origine, selon ma grand-mère, chaque village se situait juste à proximité d’un site sacré, un lieu de communion qui abritait des esprits tutélaires, donc interdit d’accès.
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Telle est l’origine de Conakry, capitale de la Guinée et nous savons maintenant comment était son environnement géographique et la façon dont elle fut fondée, à partir d’un ensemble de villages.
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Les conseils d’une grand-mère à ses petits-enfants à propos des sites, citations
« N’allez jamais sur le site de Kakimbo ni sur celui de Gbantounka ! Ils sont habités par des hommes à queue appelés Khouli nhorèe en soussou, des hommes qui ne se nourrissent que de chair humaine, et ne boivent que du sang humain ». Certains parents mettaient aussi en garde leurs progénitures en ces termes : « Méfiez-vous du site de Kakimbo ! L’endroit est hanté par des fantômes, par des revenants, des défunts ressuscités qui gardent l’aspect qu’ils avaient de leur vivant ».
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Les sites mythiques de Conakry et leurs légendes
Moukhou tan khonyi, forié khoui galanyinara,amou matandima3 Les vacances passées au village des grands- parents à Télimélé, ont eu un impact positif sur l’éducation sociale et culturelle de Bouba, Fatim et Sory. Ces vacances, synonymes de retour aux sources, leur ont permis d’être en symbiose avec les réalités profondes du village de leurs ancêtres. Il s’agit de réalités fondées sur la vie de la communauté et sur ses valeurs ancestrales, parmi lesquelles, celles relatives à l’hospitalité, à la solidarité, à l’entraide, au respect des autres… Elles leur ont aussi permis de découvrir la grotte Fanmère de Ley Legguel, avec ses vestiges en pierre polie, ses poteries, ses gravures rupestres, qui attestent que, ce lieu a été occupé par des hommes d’une autre époque. Ces connaissances à portée pédagogique acquises, ont galvanisé les trois adolescents au point de les lancent à la recherche et à la découverte d’autres sites et vestiges historiques du pays. Leur regard s’est aussitôt tourné vers de nouveaux sites, surtout ceux qui existent à Conakry. Il s’agit de sites mystiques chargés d’histoires fabuleuses, ignorées de certains membres des populations de la Guinée en général, 3
Chez nous les paroles des anciens sont sacrées ; on ne les contourne pas.
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de Conakry en particulier. Cela s’explique du fait que, depuis l’époque précoloniale, et même pendant la présence des colonisateurs, des lieux sacrés, dont l’accès était interdit aux profanes, existaient partout à Conakry. Ces endroits dont le rôle a été prépondérant dans la vie culturelle et religieuse des premiers habitants de cette contrée, étaient matérialisés par des éléments naturels physiques, tels que des forêts aux bois sacrés, des terres inondées d’eau à la marée montante, ou des langues de terre avancées dans la mer.
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En d’autres endroits, cette représentation était symbolisée par des stèles ou de gros blocs de rochers émergeant de terre, des fromagers et des baobabs géants ; tous les éléments qui, dans la mentalité des premiers habitants de Conakry, étaient supposés, habités par des divinités, des génies protecteurs ou des esprits tutélaires. À l’époque, chaque village de Conakry avait son ou ses sites sacrés, considérés comme lieux de culte ou de communion. Il n’y avait en ces temps-là ni mosquée ni église. Les religions musulmane et chrétienne n’étaient pas encore profondément implantées. Partout, l’animisme occupait les cœurs et les pensées. C’était aussi le temps des légendes et des mythes, véhiculés de bouche à oreille dans chaque village. Tradition oblige ! Donc, visiter et découvrir ces sites, écouter les récits historiques qui s’y rattachent, de la bouche même des véritables connaisseurs des sources orales de leur histoire, voilà la mission que se sont assignées nos trois adolescents, Bouba, Fatim et Sory.
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Leur aventure sera écrite et transmise aux générations futures. Les voilà donc ! Sac au dos, conversant entre eux, ils empruntent le chemin tortueux de la colline boisée qui conduit à la forêt classée de Kipé ! Bouba leur rappelle le but de leur randonnée : — Chers amis, retenez que nous sommes ici pour explorer la forêt. — Bien sûr ! Et j’imagine qu’il nous faudra marcher, encore marcher et aller très loin pour faire des découvertes intéressantes et explorer les profondeurs de la forêt, avance Fatim. Un regain de courage s’empare de nos trois petits amis, et la passion qui les anime les amène à continuer jusqu’au cœur de la forêt. Ils y découvrent une petite rivière qui se jette dans un lac avant de s’unir à un fleuve. Le Fleuve coule en serpentant, en bas de la colline, de la droite vers la gauche. Entre le lac et le bras de mer, appelé en soussou, « Dabonyi » ou « Sinkinè », on aperçoit un monticule de roche émergeant de l’eau, comme un îlot. Et c’est là où se trouve, d’après l’imagination populaire, le génie du lieu, appelé « Kakimbo » ou « Kakimbon ». Ce mot désigne à la fois la grotte et la colline où se trouvent la grotte et la petite rivière qui sort de la forêt, avant de se jeter dans la mer. Une fois qu’ils ont su qu’ils sont en face d’une des entrées de la grotte, les trois amoureux des sites historiques se précipitent à l’intérieur. À ce moment, une vieille femme surgit de la forêt ! Elle porte sur la tête, un panier rempli de plantes médicinales, parmi lesquelles se trouve une des plantes caractéristiques du lieu, dont les feuilles soignent la toux. Il s’agit de celle que les Soussous et les Bagas appellent 98
respectivement « bölönta » et « ratoma ». Cette plante qui jadis poussait abondamment dans la localité a fini par donner son nom au village, au quartier et finalement à la commune urbaine du même nom : Ratoma. Dans le panier de la vieille, se trouve du poisson fraîchement pêché et sur son épaule, est fixé en bandoulière son filet de pêche, appelé « Tètèyèlè » en soussou. Bien que surpris par cette rencontre inattendue, les adolescents la saluent en chœur ; — Bonjour grand-mère ! — Bonjour mes enfants ! répond la vieille. Aussitôt, un dialogue improvisé s’engage entre eux : — Vous savez, dit la vieille femme, vous me rappelez mes petits-enfants, Lamina, Fodé et Nana. Mais ditesmoi… qui êtes-vous ? Que venez-vous faire par ici ? — Nous sommes Bouba, Sory et Fatim, petits-enfants de Mama Tombö, répond Bouba. Nous sommes ici pour visiter la grotte de Kakimbo et apprendre son histoire. Et pour commencer, nous voulons l’explorer tout de suite et s’il le faut, tous seuls. — C’est comme si c’était déjà fait. Vous semblez bien motivés, renchérit la vieille femme, et vous brûlez d’envie de visiter les lieux, mais… je vous demande d’être patients et méfiants. Je connais bien vos parents, surtout votre grand-mère Tombö Fori, qui est une sœur aînée. Mieux encore, elle et moi avons participé à plusieurs cérémonies d’offrandes en faveur de notre génie, le génie de la communauté des Bagas que les soussous appellent affectueusement, « Kakimbo Barigbé ». — Grand-mère, pourriez-vous nous raconter l’histoire de Kakimbo ? Demande Fatim. — Pas sdans l’immédiat, réplique la grand-mère, mais, cela se fera bel et bien, vu les liens d’amitié qui existent
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entre Tombö et moi. Votre initiation à l’histoire de la grotte de Tombo sera faite sans tarder. Impatiente, Fatim insiste : — c’est pour quand, grand-mère ? J’espère que ce sera le plus tôt possible, car mes vacances finissent dans une semaine, et je dois impérativement retourner en France. — Ne t’en fais pas ma petite-fille, nous examinerons cela. Mais pour tout préalable, venez me trouver dans ma petite case aujourd’hui, dès après le crépuscule. — D’accord ! répliquent les jeunes gens. Nous te le promettons. Satisfaits de l’entretien qu’ils viennent d’avoir avec la vieille femme, ils se chargent de ses bagages et l’accompagnent jusque chez elle, à l’autre bout du village. De retour chez eux, ils se livrent à des commentaires sur leur rencontre avec la vieille femme et la promesse qu’elle leur a faite… Tout d’un coup, des questions leur traversent l’esprit : « Mais finalement, qui est cette vieille femme ? Que peut-elle faire pour nous par rapport à notre projet ? » — Attendons voir, répond sagement Bouba, le plus âgé des trois. Ce qu’il faut retenir c’est que, chez nous, certaines personnes détiennent des secrets, des valeurs cachées. Cette grand-mère doit certainement faire partie de celles-là.
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La première veillée autour de Kakimbo, le site le plus mythique de Conakry
Dans la perspective d’enrichir leurs connaissances, peu après le crépuscule, les enfants se rendent chez la vieille femme. La très respectée M’Mah Fanta, connue sous le nom de Fori 4 Fanta, comme aiment à l’appeler son entourage familial et tous les habitants du village, inspire sagesse et bonté autour d’elle. Assise dans son fauteuil en bois que lui a légué son défunt époux, elle reçoit les enfants ; les invite à s’asseoir sur un banc placé en face d’elle et leur dit : — Que puis-je faire pour vous ? Ah oui ! La grotte de Kakimbo… vous voulez tout savoir sur cette grotte… Vous voulez connaître l’histoire de la grotte… Pour mettre les enfants en confiance, elle leur raconte sa propre histoire. Ils sont à ses yeux comme ses propres petits-enfants et éprouvent l’envie de les dorloter en leur racontant de belles histoires. — Oui, je vous ai fait la promesse de vous raconter l’histoire de la grotte de Kakimbo, répond tranquillement la vieille femme. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je revenais de la mer. Depuis ma tendre enfance, je vis de la pêche. Je vais pêcher soit au fleuve, soit à la mer ou j’ai installé mon propre étang à poissons, en superposant de 4
Fori désigne la personne la plus âgée ou le doyen d’un groupe d’individus.
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gros blocs de pierre sur un site circulaire hermétiquement fermé. On l’appelle « Roffé » en langue vernaculaire soussou. Les poissons, entraînés par les vagues pendant la marée montante, y sont pris au piège, ensuite, je n’ai plus qu’à venir les pêcher pendant la marée basse. Je suis à la fois matrone et pédiatre. Avec la pharmacopée, je traite les nourrissons, j’assiste les femmes en état de grossesse ; je les aide à accoucher à la mode traditionnelle. Savez-vous d’où me viennent ces connaissances traditionnelles ? — Non ! Répondent en chœur les trois adolescents, les yeux écarquillés de curiosité, et plus disposés que jamais à recevoir les enseignements de cette sympathique vieille femme. — C’est ma chère grand-mère qui m’a tout transmis. Elle était le fruit de deux cultures, baga et soussou. Elle parlait les deux langues et était une grande gardienne des rites du temple, des traditions et de la culture des deux ethnies… — En plus de la pêche, elle m’a aussi appris à pratiquer la riziculture et l’extraction de l’huile de palme. Pour l’obtention de l’huile rouge, les régimes de palme sont récoltés dans deux endroits différents. — Lesquels ? lui demanda Sory — Ce sont « Touguiwondi » et « Tombo », qui appartiennent à la même toponymie et qui signifient tous deux « forêts de palmiers à huile », le premier en soussou et le second en baga. La récolte des graines de palmiers à huile donnait lieu à une grande cérémonie autrefois. Nous nous empressions, mes amis et moi, de rejoindre l’île de Tombo, en passant par Kouléwondi, Limbantaye et Téminataye qui signifient en soussou « forêt des singes, villages des Téminés et des Limbangnis », populations d’origine léonaise.
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— À l’époque, n’aviez-vous pas peur de traverser cet endroit dit « des singes ou forêts des singes » ? Lui demande Fatim. — Bien sûr que si, rétorque la vieille femme. Nous étions hantés par la peur, surtout au retour, lorsque nous étions sous le poids des régimes de palmes entassés dans de grandes bassines. Nous avions énormément peur des gros singes et des chimpanzés accrochés aux branches des arbres. Par leurs cris stridents, ils semblaient nous dire : « Eh ! Vous là ! Trop c’est trop ! Arrêtez de piller nos ressources ! » D’autant plus que les singes raffolent non seulement des noix de palme mûres, mais aussi et surtout, des noix de palmistes. — À vrai dire, face à cette menace et à cette frayeur, que faisiez-vous ? lui demandent de concert les trois randonneurs. — Que pouvions-nous faire sinon détaler ? C’était vraiment le sauve-qui-peut… — À part « Kouléwondi » et « Tombo », existait-il d’autres lieux qui faisaient autant peur sur votre parcours ? Demande Fatim. — Oui ! Réplique la vieille. Un autre lieu où, même notre ombre et le bruit de nos pas nous faisaient peur ! C’est le site où est construit le palais du peuple. C’était une bande de terre occupée par une forêt de mangrove, de baobabs, de fromagers et de palmiers géants. Elle était séparée de la presqu’ile de Kaloum, par le point de rencontre des deux rives de l’Atlantique, qui délimitent d’un côté la corniche nord et de l’autre, la corniche sud. Traverser cet endroit en forme d’isthme, cette langue de terre coincée entre les deux rives de l’océan atlantique, relevait du parcours du combattant ! C’était pour nous, à l’époque, une zone à haut risque. Pendant la marée haute, quand la mer agitée déversait ses flots enragés sur le littoral, sous l’effet des vents violents, nous avions 103
l’impression que la terre sur laquelle nous marchions était en train d’avancer dans la mer pour nous y entraîner ! Ne disait-on pas de cette bande de terre qu’elle était la demeure des djinns, tel que « Gbassikolo » ? Le refuge des génies, des sorciers jeteurs de mauvais sorts ? Et aussi et surtout, l’abri des bandits et autres grands voleurs ? De « Tombo », nous retournions en petits groupes à « Cameroun » et « Camayenne », nos villages respectifs. Chacun de nous avançait péniblement, en ployant sous un bagage énorme, constitué de régimes de noix de palme entassés dans des bassines, surmontés de fagots de bois. C’est sous ces fardeaux que nous traversions cette forêt aux grands arbres, à pas feutrés. Nous avions non seulement peur des chants bizarres des oiseaux de mauvais augure comme le hibou, qui nous parvenaient de la cime des arbres, mais, nous craignions par-dessus tout, de nous trouver face à des esprits malsains ou à ces mauvaises créatures auxquelles j’ai tantôt fait allusion. — Quelle frayeur ! s’exclame Fatim. — C’est cela même, ma petite-fille, rétorque la vieille, avant de poursuivre. Arrivée à domicile, je trouvai mes grands-parents si anxieux que ma grand-mère me regardant dans les yeux dit : « Oh ! Elles ont si peur qu’elles en ont les pupilles dilatées ! » — Grand-mère, à t’entendre parler, on a l’impression que tu as été scolarisée. Comment se fait-il que tu connaisses tant de secrets ? demandent les jeunes gens. — Vous avez peut-être raison, répond sagement la vieille. Mais retenez que moi, je ne suis pas allée à l’école des Blancs. Toutes les connaissances que j’ai acquises m’ont été transmises de bouche à oreille par mes grandsparents, surtout ma grand-mère, et en partie par mon grand-père, Thierno Alimou Koita. C’était un grand homme, une personnalité très célèbre. Les témoignages se rapportant à sa vie sont pleins d’éloges. Pour certains, il 104
était un homme très cultivé et très pieux qui maîtrisait parfaitement bien le Coran. Pour d’autres, il était un grand érudit en Islam, quelqu’un qui avait grandement contribué à l’instauration et à l’implantation de la religion musulmane à « Morébayah » et dans tout le canton de « Kimambourou », qui était à l’époque, cercle de Forécariah. Il avait aussi participé au rayonnement des foyers coraniques, et à l’éducation islamique des populations de ces contrées. Sa tombe, qui se trouve à « Morébayah », est devenue un sanctuaire, un lieu saint où ses adeptes viennent de partout pour se recueillir. Chaque année, ses descendants, petits-fils et arrières petits-fils y viennent également, faire des sacrifices pour le repos de son âme. Ce sont eux, mon grand-père et ma grand-mère, qui m’ont donné le goût du travail bien fait. Ma grand-mère me disait, lorsque nous étions en aparté : "Je m’occupe bien de vous, ton frère et toi, n’est-ce pas ? Quand je ne serai plus de ce monde, vous vous souviendrez de tout le bien que je vous ai fait et parlerez de moi. Je vous demande de suivre mon exemple. Répandez le bien autour de vous pour perpétuer notre œuvre". — Oh ! Comme c’est beau à entendre ! S’exclame Fatim qui, aussitôt demande : mais concrètement qu’est-ce que votre grand-mère a fait de bien pour vous ? La vieille dame s’empresse de répondre : — Elle nous prodiguait de sages conseils. Et aussi, elle nous offrait tout ce qu’elle gagnait : de la bonne nourriture, de beaux habits au point que dans le village les voisins nous surnommaient ¨Mamarakhouri¨, ce qui veut dire « les enfants choyés, élevés par grand-mère ». N’estce pas ma grand-mère qui m’a offert ma première montre marque Flica quand, je n’avais que dix ans ? C’est grâce à mes grands-parents que j’ai appris que « Kakimbo » est le nom générique, que certains « Bagas » 105
donnent à la grotte et au rocher que les Soussous appellent communément « Fommè » et « Fanyé ». Ils m’ont raconté que dans la grotte de « Kakimbo » vivait le génie du lieu, appelé en soussou « Kakimbo Baga é kha bari5’’. D’après ma grand-mère, Kakimbo était la divinité la plus redoutée chez les Bagas… Sachez que notre communauté n’occupait que les villages de Ratoma, Kipé, Kaporo, Camayenne et Lambanyi, avant et même à l’arrivée des Blancs que nous surnommions « touligbéli », « les oreilles rouges » ; Tombo n’était qu’un tout petit village. La vieille femme s’arrête un instant comme pour se remémorer la suite, puis elle continue à narrer cette histoire fantastique : — A l’époque, les Bagas de Kaloum 6 , leurs voisins Soussous et les Téminès étaient tous des mécréants, des animistes. Dans leur esprit, Kakimbo était l’ancêtre fondateur des villages Bagas, Soussou et Téminés de Conakry ; il était le génie protecteur de toutes ces communautés et un pacte les liait à lui. — Quelles étaient les clauses de ce pacte ? Demande Bouba. — À travers ce pacte, Kakimbo devait protéger les communautés Bagas, Soussous et Téminés, et aussi les 5
bari signifie dans ce contexte génie protecteur des baga Selon Abou Bangoura ancien conseiller chargé du développement rural à la Primature, le nom Kaloum viendrait du mot baga et soussou¨ Lomoui ¨ qui signifie ¨panier¨ tissé avec des feuilles de palmier, dans lequel on avait coutume de mettre le manioc fraîchement récolté. En effet, une observation attentive de la forme de la ville de Conakry, de la presqu’île de Tombo, laisse voir un cul-desac ¨ Lomoui ¨, d’où le nom ¨ Kalomoui ¨ ; Ka est un article qui signifie ¨le¨ ou ¨la¨ en Baga. La prononciation rapide de l’expression fait avaler la diphtongue « ou » pour donner ¨Kalomi¨ qui devint Kaloum tout court. 6
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défendre et leur procurer le bonheur. En contrepartie, elles lui devaient reconnaissance et obéissance. L’expression de cette reconnaissance et de cette obéissance se traduisait par l’organisation de cérémonies rituelles, de sacrifices et d’offrandes en faveur du génie. — Pourquoi, en votre temps, on s’évertuait à dire : « Ne va pas à la grotte de Kakimbo quiconque le veut » ? poursuit Bouba. — Plusieurs raisons expliquent cela. La première, c’est que le site est enclavé et d’un accès plutôt difficile. En effet, la grotte de Kakimbo, coincée entre les villages de Ratoma, Kipé et Koloma, se trouve dans la forêt classée de Kipé. C’est une cavité dans la roche de la colline, un tunnel avec des galeries. Un monticule, émergeant des eaux de la rivière qui arrose le site avant de se déverser dans la mer, se situe à l’une des entrées de la grotte. Autrefois, avant le tracé de la route et la construction du pont reliant les villages de Ratoma et Kipé entre eux, le site de Kakimbo et la grotte du même nom étaient isolés. L’endroit était enclavé, effrayant et inaccessible. En période de crue, quand les eaux de pluie chutaient des hauteurs de la colline en cascades, le site était totalement immergé. Pendant le flux, il n’y avait pas le moindre passage pour les piétons. L’autre raison réside dans le caractère sacré des lieux... Mes enfants, à l’époque, comme je vous l’ai déjà expliqué, il n’y avait que des villages à Conakry, et la grotte de Kakimbo était l’endroit le plus chargé de mysticisme ; on le disait hanté ou bien habité par le génie protecteur de nos ancêtres. L’accès à ces lieux était interdit aux non-initiés, pour éviter qu’ils soient profanés et leurs secrets violés. Les populations autochtones elles-mêmes étaient effrayées quand elles s’approchaient du lieu. … — Pourquoi les populations éprouvaient-elles ce sentiment de frayeur ? Demande Sory. 107
— Parce que, l’endroit était habité par un génie, une créature surnaturelle réputée redoutable quand elle voulait se venger des humains. Voilà pourquoi il était recommandé aux habitants, de se méfier d’elle, et de ne pas se rendre sur les lieux. C’était seulement pendant la marée basse que quelques rares personnes s’aventuraient devant la grotte. — Grand-mère, qui était ces « quelques rares personnes » ? — Il s’agissait des vrais gardiens de la tradition, les membres de la société secrète des communautés baga et soussou, des personnes très influentes, incontournables dans la prise des décisions qui régissent le fonctionnement de la vie de la localité. Dans chaque village, on magnifiait leurs œuvres et leur gloire, on chantait leurs louanges. Leur valeur intrinsèque est sublimée dans nombre de contes et légendes. Quant à l’imagination populaire, elle les présentait sous les traits de super hommes, de super héros. Ces personnes surmontaient avec bravoure les obstacles et faisaient des miracles. C’est pourquoi les soussous les appelaient khamè khöri et guinè khöri (de vrais hommes, de vraies femmes). Détentrices de beaucoup de secrets, ces personnes avaient donc selon la tradition, le statut de thaumaturges. Elles possédaient de larges pouvoirs mystiques : le pouvoir de se métamorphoser, le pouvoir de disparaître, celui de se dédoubler. Elles avaient même le pouvoir d’être en lévitation, jusqu’au firmament, de jour comme de nuit. Avec tous ces pouvoirs et tant d’autres secrets en leur possession, les populations étaient sûres de bénéficier de leur protection contre les mauvais esprits. Elles étaient les seules à oser s’aventurer devant l’entrée de la grotte mystérieuse de Kakimbo, et ce, à n’importe quel moment. Vous vous demandez sans doute comment elles le faisaient… Selon ma grand-mère, dès qu’elles arrivaient 108
sur les lieux, elles entraient en liaison secrète avec le génie à travers des formules ésotériques, incompréhensibles pour les profanes. Immédiatement, le démiurge mettait en branle les esprits tutélaires qui, à leur tour, donnaient l’ordre au lac et au bras de mer d’ouvrir une voie pour laisser les gardiens accéder à l’entrée de la caverne. Certains aspects de ces faits renvoient à l’histoire d’Ali Baba et des quarante voleurs, dont la trame repose sur un mot de passe, un code secret : « Sésame ouvre-toi ! » Rien que trois mots qui permettaient d’ouvrir la porte magique, d’accéder à la grotte secrète où le trésor était caché. — Cette façon mystérieuse de se frayer le passage fonctionnait toujours ? — Oui, rétorque la vieille qui poursuit, aussitôt dit, aussitôt fait ! Une digue, une sorte de pont magique se formait pour le passage des intéressés. — Grand-mère, pourquoi les populations autochtones des villages bagas de Kaloum et d’ailleurs avaient-elles gardé un mutisme profond sur l’existence de la grotte à l’administration et aux Européens ? — La réponse est simple, mes chers petits-enfants. Ma grand-mère m’a dit que le génie de cette grotte était la divinité la plus vénérée chez les Bagas. Nul ne devait s’aventurer à l’endroit où elle se trouvait, et surtout pas les Blancs, dont la présence sur l’île commençait à être une menace pour les populations autochtones. — Comment se manifestait cette menace grand-mère ? Explique-nous, demande Fatim. — Ma propre grand-mère m’a raconté que lorsque les Blancs sont arrivés, les populations autochtones avaient déjà des préjugés à leur endroit. Pour certains, leur mission ne visait à rien d’autre qu’à piller nos ressources. Pour d’autres, au-delà de ce pillage, l’autre aspect de leur mission consistait à mettre en coupes réglées nos valeurs
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culturelles et spirituelles par la déportation des génies protecteurs de nos communautés. — Grand-mère, sois plus explicite. Donne-nous des exemples concrets, rétorque Sory. — Mes chers petits-fils, au cours du tracé des routes et de la construction des ponts, les Blancs faisaient tout pour éliminer les facteurs de résistance qui se dressaient devant eux. Ma grand-mère m’a appris que, pendant sa tendre enfance, les Blancs avaient entrepris la construction d’un pont sur le fleuve de Forécariah, sans en avoir fait part au génie des lieux. Cela a fait grincer des dents et a fait couler beaucoup de salive ! L’exécution du chantier a connu un drame, selon la légende nourrie et entretenue dans la contrée. Cela allait rendre impossible la vie du génie et celle des populations de la contrée, placées sous la protection d’une divinité généreuse, représentée par le génie. Laisser les Blancs réaliser ce pont était devenu une question de vie ou de mort. La construction de cette infrastructure a été pour eux un travail à reculons, car, à la manière de Sisyphe 7 , les travaux qui étaient réalisés la veille se trouvaient détruits le lendemain, par des mains invisibles. — Grand-mère qui pouvait être derrière « ces mains invisibles » ? demandent les enfants. — D’après ma grand-mère, c’est le génie des lieux qui opposait un refus catégorique à la construction du pont sur le fleuve et aussi sur d’autres lieux sacrés. — Face à la résistance de ce démiurge suprême, quelle a été la réaction des « oreilles rouges » ? Demande Sory. 7
Le travail de Sisyphe est interminable. Sisyphe est un personnage de la mythologie grecque condamné par Hadès (Dieu des morts et maître des enfers), à rouler perpétuellement un énorme rocher jusqu’en haut d’une montagne, d’où il retombait sans cesse.
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— Pour débloquer la situation et faire avancer le chantier, les Blancs ont fait venir de chez eux un magicien. Un spécialiste de la magie ! — Dis-nous, concrètement, qu’est-ce que ce magicien a pu faire ? demandent les enfants en chœur, trop pressés de connaître le fin mot de l’histoire. — Arrivé sur les chantiers pour une reconnaissance des lieux, l’homme blanc entre de façon mystérieuse en contact avec le génie. Ils échangèrent même leurs expériences en sciences mystiques. — Que s’est-il réellement passé ? Explique-nous un peu ! Explique-nous, s’il te plait ! Insistent les enfants, curieux et plus étonnés que jamais qu’un magicien blanc et un génie puissent tisser de tels liens ! — À la faveur d’une amitié naissante et d’une confiance réciproque, les deux créatures s’étaient donné la main. Mais un jour, toujours selon ma grand-mère, le magicien blanc, pour prouver sa supériorité, mit en pratique le tour de la bouteille magique. Son stratagème consistait à entrer le premier dans la bouteille. Une fois à l’intérieur, il dansa, fit des acrobaties durant un bon moment. Quand il en sortit, il invita le génie à l’imiter. Le génie des lieux aida même le magicien, à sortir de la bouteille. L’honneur revint donc au génie de s’introduire dans la bouteille. Aussitôt le génie dedans, l’homme blanc, par traitrise, ferma hermétiquement la bouteille. Le génie était tombé dans le piège préparé de longue date ! Il était fait prisonnier ! Le même jour, il fut déporté au pays des « oreilles rouges » pour ne plus jamais revenir dans sa patrie… Il semble, aux dires de la légende, que son corps a été momifié et mis dans un sarcophage quelque part làbas, en Europe. — Oh ! Dieu du ciel, s’exclame Fatim. Il s’agit là d’un crime abominable.
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— C’est exact ma petite fille. Mais c’est cela, la face cachée de l’homme blanc. Et c’est de cette manière que la plupart de nos sanctuaires ont été violés, vidés de leurs valeurs, de leurs contenus. C’est ce que les Bagas avaient compris, et voilà pourquoi dans un élan de solidarité, ils ont protégé la grotte de Kakimbo, en la plaçant sous leur seule et unique discrétion. — Et pourquoi se sont-ils comportés de cette manière ? demande Fatim. — Pour éviter ce qui précède ! C’est pour empêcher que leur génie protecteur subisse le même sort que celui du pont de Forécariah. Les conversations entre les enfants et la vieille dame sont ponctuées de questions de précision, entrecoupées d’éclats de rire. Les adolescents y ont pris goût et n’ont pas cessé de poser d’autres questions. — Grand-mère ! s’exclame Fatim. Nous avons beaucoup appris auprès de toi à propos de l’histoire de la grotte de Kakimbo. Mais, nous voulons aussi, non seulement savoir qui tu es, mais aussi te demander de nous expliquer comment se déroulaient les cérémonies de sacrifice rituel chez les Bagas… — S’agissant de la question relative aux rites et cérémonies de sacrifice, je tiens à vous préciser qu’il n’est pas permis d’en parler n’importe comment. Cela relève du domaine des mythes et des interdits… Un des sages du village de Kaporo, un vieil enseignant à la retraite, est venu rendre visite à la grand-mère… Il déroule son savoir sur l’histoire, les usages et les rôles joués par la grotte de Kakimbo, devant les enfants aussi émerveillés qu’excités. — Mes enfants, vous retiendrez qu’une grotte est une cavité profonde creusée dans la roche. La grotte de Kakimbo est comme une galerie vaste et profonde creusée
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dans la roche, par la mer. Elle se trouve dans la colline boisée de Kipé, et plusieurs voies permettent d’y accéder... Sory veut à son tour connaître la signification de Kakimbo, le nom que porte la grotte. — J’allais y venir, répond le sage. À ce que je sache, deux versions tentent d’expliquer l’origine linguistique et la signification du mot Kakimbo. La première version, celle enseignée dans la monographie des villages de Kaporo, Kipé et de Nongo dit que le terme Kakimbo désigne, chez les Bagas, la grotte ou le rocher, et que c’est par le même terme qu’ils nomment aussi, le génie qui habite cette grotte... Pour appuyer cette affirmation, il enchaîne : — N’a-t-on pas coutume de dire dans la localité que Kakimbo était de mémoire d’homme, considéré comme une divinité très redoutée ? Le chef de village de Koloma nous a déclarés que les Bagas n’avaient jadis pas de roi*. Seule Kakimbo était l’arbitre qu’ils consultaient et dont ils suivaient les ordres, avec beaucoup de crainte. Après cet apport du sage, Fatim l’interpelle sur la deuxième version. — Pour d’autres Bagas, comme Sény Monchon Camara, le mot Kakimbo dériverait effectivement d’une expression baga, « N’Kan Köbö » qui veut dire « lieu de baignade ». Les initiés venaient faire des plongeons dans les eaux profondes du lac, y disparaissaient et réapparaissaient sans se faire dévorer par le caïman blanc qui y habitait. — D’où viendrait ce caïman blanc ? Que faisait-il dans ces eaux ? lui demande Sory — Selon la légende, ce caïman blanc qui avait pour coutume d’apparaître et de disparaître, n’était autre que le génie des lieux qui se déguisait sous des formes variées. Il apparaissait tantôt sous la forme d’un gros serpent à tête 113
ornée de cauris très scintillants, tantôt sous la forme d’un humain ou d’un animal mystérieux. Poursuivant ces récits sur fond de légendes et de mythes, le sage fait sur un ton docte d’autres révélations : — Je me rappelle ce que ma grand-mère et d’autres notables du village m’ont confié : « le site de Kakimbo était autrefois un lieu interdit ». Aussitôt, les enfants veulent être édifiés sur les causes profondes de cette interdiction. — Expliquez-nous ! Pourquoi ce lieu était-il autrefois interdit ? disent-ils presque de concert. Après quelques moments de réflexion, comme pour exhumer de sa mémoire les lointains souvenirs et les connaissances acquises auprès des ancêtres, le sage déclare : — L’endroit était autrefois interdit, parce que supposé habité par des génies dont le plus célèbre, Kakimbo, était considéré à la fois par tous, comme le gardien des lieux et l’ancêtre protecteur de toutes les populations des villages environnants. — Comment les populations ressentaient-elles la protection du génie de Kakimbo ? — Votre remarque est pertinente. Elles avaient à l’idée que Kakimbo était le plus généreux de tous les génies et le consultaient fréquemment pour résoudre leurs problèmes. Ces multiples consultations avaient finalement conféré à la grotte qui abritait leur génie, son statut de lieu de culte. Tous les villages de Conakry y allaient autrefois pour rendre hommage au génie, lui faire des offrandes et autres sacrifices rituels. — La grotte de Kakimbo avait-elle un autre statut ? — Oui dit-il. Il m’a été rapporté que, de lieu de culte, d’espace d’adoration et de vénération du génie, le site de Kakimbo a finalement été érigé par les populations en
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sanctuaire, où le démiurge des lieux, qui y était enseveli, exauçait les prières et recevait les doléances. Et ce n’est pas tout ! Le site de Kakimbo avait servi aussi de lieu d’initiation pour des cérémonies rituelles, comme la circoncision des jeunes garçons et l’excision des jeunes filles. Ces cérémonies qui duraient d’un à trois mois reposaient essentiellement sur l’enseignement et l’apprentissage des comportements et des gestes de bonne conduite, que les initiés devraient adopter dans la vie pratique. Ces opérations de circoncision et d’excision s’accompagnaient d’épreuves de tatouage du corps, de l’image et de polissage des dents. En effet, selon certains notables, ces épreuves seraient des actes de foi, synonymes de purification du corps. Elles permettaient, aux dires des uns et des autres, de passer non seulement de l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi, et surtout de prendre le titre de « personnes initiées, affiliées à la société sécrète baga ». Pour entretenir le caractère sacré du site, l’imagination populaire faisait répandre la rumeur que des personnes capables de se métamorphoser se rendaient mystérieusement sur le site, de jour comme de nuit. À en croire la légende, elles se dédoublaient, en vue d’incarner d’autres créatures malsaines, capables de jeter des mauvais sorts. Il s’agit là d’actes de sorcellerie et de magie noire que les Soussous appellent « falinyi » ». Les rumeurs autour de ce site et de sa grotte étaient si persistantes que la psychose avait fini par s’installer au sein des populations ! Et l’on entendait dire à l’époque : « Ne va pas à la grotte de Kakimbo quiconque le veut… à vos risques et périls ! » Certains parents, pour conjurer les mauvais sorts, mettaient en garde leurs progénitures en ces termes : « N’allez jamais sur les sites de Kakimbo et de 115
Gbantounkan parce que là-bas, vivent des « hommes à queue » ; des hommes que les Soussous appellent « Khouli N’khörèé ». » Ces hommes d’une autre époque à en croire ma grandmère, seraient des cannibales, des anthropophages, se nourrissant uniquement de chair humaine et ne buvant que du sang humain. D’autres disaient à leurs enfants : « Méfiez-vous du site de Kakimbo parce qu’il est hanté par des fantômes, des défunts ressuscités sous l’aspect qu’ils avaient de leur vivant ». — Concrètement, quel est le constat qui se dégageait de toutes ces rumeurs ? Demande Bouba. — Ce que l’on peut retenir, reprend le sage, c’est qu’à l’époque où toutes ces rumeurs planaient sur la grotte de Kakimbo, Conakry n’avait pas encore le statut de ville. C’était un regroupement de petits villages de pêcheurs, d’une vingtaine de cases, chacun. Certaines cases étaient situées en bordure de mer, et d’autres sur des pointes de terre avancées dans la mer. Les populations, à l’époque, n’étaient converties ni à l’Islam ni au Christianisme. Elles étaient animistes. De fervents animistes pour lesquels la principale divinité n’était autre que Kakimbo. Ces populations ne connaissaient pas non plus l’usage du courant électrique. Pour éclairer leurs demeures, certains utilisaient des lampes à pétrole, d’autres se servaient de lampes faites de boîtes de conserve. Ces lampes à la vogue, aux dires de ma grand-mère, étaient désignées sous le vocable de gbingbè lampoui8… 8
L’expression « gbingbè lampoui » se traduit mot à mot par « lampe à piment ». Il s’agit d’une lampe de fabrication locale avec une boîte de tomate de taille moyenne, hermétiquement fermée vers le bas et munie d’une ouverture vers le haut. C’est par cette ouverture surmontée d’un entonnoir, que l’on fait passer une mèche trempée dans de l’huile ou dans du gasoil déposé à l’intérieur de la boîte. Pour l’éclairage, on frotte une allumette pour allumer la mèche. La flamme
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Bouba, qui a un esprit plus scientifique enchaîne : — Je voudrais savoir pourquoi les faits rapportés jusque-là ne sont pas datés… — Tu as parfaitement raison, dit le sage. Les faits ne sont pas datés parce que les quelques rares renseignements que nous avons eus, viennent des populations autochtones qui les transmettent de bouche à oreille, sous forme de contes, de légendes et de proverbes. Ces populations présentent la grotte tantôt comme la demeure des génies, des djinns redoutables, la cachette de leurs trésors, tantôt comme l’abri des sorciers mangeurs d’hommes, jeteurs de mauvais sorts, tantôt comme le refuge des oiseaux et animaux de mauvais augure, capables d’incarner des créatures malsaines : des hiboux, des hyènes et autres charognards. Après les informations recueillies, à travers les contes et les légendes, sur les usages et les rôles de la grotte de Kakimbo jadis, le vieux sage fait comprendre qu’en dehors des sources orales de l’histoire de cette grotte, plusieurs documents écrits traitent du passé du site du même nom. Au nombre de ces écrits, il y a lieu de citer le célèbre ouvrage intitulé « Conakry, porte de la Guinée », des Éditions Ganndal-EDICEF, rédigé par Alain Richard, Emile Tompapa et Mamadou Aliou Bah. Cet ouvrage présente la grotte de Kakimbo, aux pages 121, 122, 123, comme le lieu le plus mystique de Conakry, un lieu méconnu des Européens et dont la fréquentation était interdite aux populations. Le site était très enclavé et aucune route ne le desservait autrefois. plus ou moins vive obtenue, dégage une odeur très forte et une fumée qui pique comme du piment, à la fois les yeux et les narines, et fait couler les larmes. Voilà pourquoi la lampe porte le nom de « lampe à piment », « gbingbè lampoui ». « Gbingbè » signifie piment et « lampoui », lampe.
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D’ailleurs, les auteurs dudit document précisent que c’est seulement en 1893 que l’existence de cette grotte a été révélée pour la première fois à l’administration et aux Européens… Sans laisser le vieux sage poursuivre ses idées, Sory intervient : — Qui a découvert la grotte ? En quelles circonstances ? Qu’est-ce qu’il a constaté ? — Je te dirai que, c’est en 1893, au moment du tracé de la route de Dubréka, qu’il a été question pour la première fois, de la grotte de Kakimbo. C’est M. Mouth Laurent, conducteur des travaux publics, qui découvrit la grotte en faisant un tracé qui devait mettre un terme aux difficultés auxquelles ils étaient confrontés pour le passage sur la rivière de Kakimbo, très encaissée sur tout son parcours. Un travail méthodique de tracé a été exécuté par Mouth et son équipe. Ils sont allés de la fouille superficielle au déblayage des lieux en passant par l’ouverture d’un trou très profond. Cette méthode a permis de découvrir des débris de toutes sortes constituées de poteries, de coquilles d’huîtres, de cendres, d’outils ou d’armes en pierre ferrugineuse et en silex en grand nombre. Le sage poursuit : — Ils ont ensuite découvert un véritable atelier avec des haches en grès poli, des pointes, des flèches et des javelots ; des percuteurs, des grattoirs, des racloirs, des couteaux, des haches. En somme, plus de trois cents pièces furent trouvées. Ces pièces laissent supposer que, la grotte de Kakimbo a bel et bien été un abri ayant servi de demeure aux habitants de la région, à une époque très reculée. Ces débris et autres traces ne seraient que des vestiges de la fin de la période préhistorique. Ces pièces très perfectionnées nous amènent à penser que les
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occupants de la grotte de Kakimbo seraient probablement des hommes du néolithique. Pour plus de précision, Bouba demande au sage : — Vous dites néo… quoi ? — Je dis bien néolithique. Le néolithique est une période de la préhistoire qui correspond à l’âge de la pierre polie. C’est la période au cours de laquelle vivait « l’homo-sapiens », ce qui signifie « homme sage », homme intelligent qui savait déjà faire des outils perfectionnés. Il est l’ancêtre de l’homme actuel. Au regard de tout ce qui précède, on pourrait supposer que la grotte de Kakimbo aurait jadis servi d’abri naturel aux premiers hommes, bien longtemps avant la fondation des premiers villages de pêcheurs animistes à Conakry. Au terme de cet exposé d’ordre préhistorique, Bouba veut une précision sur les ouvrages consultés : — Je voudrais savoir si les ouvrages que vous avez exploités font mention d’autres contes et légendes à caractère mystique, sur la grotte de Kakimbo. — Bien sûr, répond le sage. Nous avons les témoignages de A. Arcin dans son ouvrage « Guinée française », Paris 1907. Il y est écrit : « Quoiqu’il en soit, on ne s’aventure qu’en tremblant près des cavernes ou grottes pendant la nuit, et jamais un étranger ne le fera, à moins d’être accompagné par un homme du pays, affilié aux sociétés sécrètes. Je devais passer devant la caverne de Ratoma. Il faisait nuit noire. Le milicien qui m’accompagnait et qui pourtant vivait depuis longtemps à Conakry ne voulut pas avancer sans être escorté d’un homme du village. En passant devant l’entrée de l’excavation, mon guide donna à cet homme, la moitié d’une cola et une prise de tabac que celui-ci déposa sur une pierre et ils détalèrent sans regarder derrière eux. » La deuxième révélation que rapporte le vieil instituteur, qui illustre mieux et de façon plus éloquente le caractère 119
sacré de la grotte, est celle que nous livre le feu doyen Emile Tompapa, dans l’ouvrage « Conakry, porte de la Guinée », à la page 123. Citation : « J’ai vu mon père – c’était en 1936 – et ses congénères bagas, plonger torses nus dans le lac et disparaître pendant plus d’une heure. Les croyants morts ou dévorés par un esprit malsain, je me suis mis à pleurer, avant de revoir mon père refaire surface ! Il avait une chevelure abondante et finement tressée, comme celle d’une femme et autour de son buste, une ceinture décorée, sertie de cauris se croisait sur sa poitrine… Cette cérémonie se répétait tous les trois ou sept ans ». — Ce n’est pas tout, poursuit le sage, les cérémonies de sacrifices rituels en faveur du génie de la grotte de Kakimbo étaient organisées par des hautes autorités de la Guinée française, elles-mêmes. En effet, un an après le déclenchement des hostilités de la Seconde Guerre mondiale, en 1940, au moment où les troupes allemandes envahissaient la France, le gouverneur de la Guinée française organisa lui-même une grande cérémonie, avec le concours des commerçants de Conakry, en faveur du génie de Kakimbo, pour la victoire de la France. Une foule de Bagas, venant de Ratoma, Kipé, Kaporo, Camayenne, Lambanyi… participa à la fête. Elle dura trois jours et trois nuits au cours desquels, de petits animaux furent immolés. Tous ces témoignages et révélations montrent à quel point, la grotte de Kakimbo est restée un lieu mystique, un endroit sacré pendant longtemps, très longtemps. Et pour terminer ses récits sur fond de sagesse, le vieil instituteur devenu sage parmi les sages déclare aux trois vacanciers : — Je voudrais comme mot de la fin, vous inviter à garder en mémoire que la grotte de Kakimbo qui se situe au cœur même de la capitale occupe un très beau site 120
naturel, une forêt de 114 ha, autrefois, un lieu bien protégé. L’endroit fut classé comme zone d’utilité publique en octobre 1983, puis zone protégée. En 1943 Kakimbo était du domaine des forêts classées. Mais, l’urbanisation incontrôlée de la zone a entraîné une occupation illégale et une destruction massive de sa forêt qui, en 2007 ne représentait plus que 20 ha. L’endroit, pour avoir servi d’abri naturel, devrait être considéré comme un site à la fois historique et touristique qui, bien aménagé, pourrait attirer chaque année, des milliers de visiteurs. Mais hélas, ce site abandonné, est devenu de nos jours, l’endroit le plus insalubre qui soit, dépotoir de toutes sortes d’ordures. La grotte de Kakimbo, autrefois célèbre et sacrée n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’ellemême. — Que doit-on faire à présent pour réhabiliter ce site, lui redonner sa grandeur d’antan ? Demande Fatim. — Il faut qu’il soit placé dans le domaine du patrimoine culturel, mais pour cela, il revient à l’État, à ses services spécialisés, à ses ministères de l’environnement, de la culture, de l’enseignement supérieur et même au Gouvernorat de la ville de Conakry, de prendre des dispositions pour la sauvegarde et la préservation de ce patrimoine national, pour le bonheur des générations futures et… des touristes. — Il serait bon à mon humble avis, dit Fatim, que les autorités du pays mènent des plaidoyers auprès des institutions qui ont en charge la sauvegarde des patrimoines historiques et culturels, en vue de placer le site de Kakimbo au patrimoine mondial de l’humanité, sponsorisé par l’UNESCO.
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Deuxième veillée : Autres lieux sacrés de Conakry et leurs légendes
« Yèrelon kafissa solon di » Les légendes et les mythes qui gravitent autour du site de Kakimbo ont émerveillé les trois adolescents, mais ont aussi éveillé et piqué leur curiosité. C’est la raison pour laquelle ils veulent approfondir leurs connaissances sur les contes et légendes que l’imagination populaire a brodés autour des autres sites mythiques de Conakry. C’est dans ce cadre que s’est déroulée la deuxième partie de la veillée, en compagnie de Nmah Fanta, du vieux sage, Sény Monchon Camara, de Tanou Badra, et de deux autres femmes pétries d’expériences et de connaissances. Il s’agit de Kabo Hawa et de Aissata Kiribounyi Soumah. Ils ont assouvi la curiosité des trois vacanciers, en leur transmettant de merveilleux récits sur d’autres sites mythiques de la localité. L’honneur revint à Tanou Badra de planter le décor en ces termes : — Chers compagnons d’âge, nos enfants désirent apprendre de nous, doyens et sages de Kaporo, ce que nous avons retenu de nos ancêtres, au sujet des lieux sacrés de chez nous. Le sage Sény Monchon Camara commence par la présentation du site de Gbassikolo :
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Gbassikolo est un sujet sensible, mais passionnant mes chers enfants. Pour ce qui est de sa localisation, le site de « Gbassikolo » était situé sur la bande de terre qui s’étend aujourd’hui du jardin du 2 Octobre, à l’entrée de l’ile Tombo. C’est sur cette terre ferme, autrefois inondée à la 124
marée montante, couverte d’une forêt de baobabs, de palmiers, de mangrove, de palétuviers que se trouve aujourd’hui le palais du peuple, siège de notre Assemblée nationale… D’ailleurs, selon les notables des communautés bagas et soussous, l’expression « Bassikolo » dériverait du préfixe « Bassi », un nom propre de personne et du terme « Kolo » qui signifie caméléon. La personne dont il s’agit dans ce récit est Bassi, de l’ethnie baga, originaire de Sobané, sous-préfecture de Doupourou, préfecture de Boffa. Son nom de famille est Soumah pour les uns et Bangoura pour les autres. La date à laquelle il est venu se fixer sur le site n’est pas connue avec précision. L’homme serait venu à Conakry pour la première fois, rendre visite à ses cousins bagas de Kaporo. En accord avec ces derniers, il alla s’installer sur la bande de terre longeant l’entrée de l’île de Tombo. Ces terres difficiles d’accès, très mystiques, étaient jadis la propriété des habitants de Kaporo* qui y allaient pour faire des offrandes et autres sacrifices rituels aux divinités traditionnelles. De simple gardien au départ, Bassi devint progressivement le propriétaire des lieux, et maître de toutes les cérémonies qui s’y déroulaient. Plusieurs arguments sont avancés pour expliquer les raisons qui ont conduit Bassi, à s’installer dans cette forêt. Certains soutiennent que « l’homme serait un ancien militaire déserteur de l’armée coloniale française qui serait venu se réfugier dans cette forêt, où il est entré en contact avec le génie des lieux, avec lequel il aurait signé un pacte d’allégeance et de protection. » « Faux », rétorquent d’autres. « Bassi était un ancien malade de la lèpre. Autrefois, toute personne victime de cette maladie était stigmatisée, méprisée, même par ses parents proches. Face à cette situation à laquelle s’ajoutaient des moqueries dont il faisait l’objet, Bassi se retira du village et vint s’installer dans cette forêt. Ainsi, 125
loin de tout contact avec ses semblables, l’homme s’était métamorphosé pour prendre les allures d’un monstre aux cheveux ébouriffés, avec une longue barbe. » Pour d’autres enfin, « Bassi était un personnage mystique, privé de l’usage d’un de ses membres inférieurs depuis la naissance. L’homme se déplaçait difficilement et rappelait le caméléon. Ainsi, en plus des railleries de la part des enfants, il reçut le sobriquet de Bassi-ikolo, ce qui signifie « Bassi le caméléon » qui devint le nom du site et surtout, celui du génie qui y habitait, selon les croyances populaires. » « Bassi-ikolo » est une expression soussou qui pourrait se traduire par « Bassi, tu es un caméléon » ou tout simplement « Bassi le caméléon ». Après Sény Monchon Camara, le sage prit de nouveau la parole et ajouta : « La toponymie du lieu, telle que décrite par Sény Camara est juste. J’ajouterai que le site de Gbassikolo était un lieu de culte réputé, car, selon ma grand-mère, les vœux de tous ceux qui faisaient des sacrifices en faveur du génie de ce lieu, étaient aussitôt exaucés. Donc ce lieu, bien que mystérieux et craint, était fréquenté. Pour bien préciser l’idée du doyen, la vieille Kagbo Hawa Soumah ajoute : — Les femmes mariées qui n’arrivaient pas à procréer se rendaient sur ce site chaque fois que l’occasion leur était offerte, pour demander au maître de cérémonie d’intercéder en leur faveur auprès du génie, pour qu’elles puissent enfanter. Et Aissata Kiribunyi Soumah poursuit : — Ces cérémonies de sacrifice, dont parle Ta* Hawa, se tenaient généralement sous de grands fromagers, de la manière suivante… Le jour J, très tôt le matin, hommes, femmes et enfants se rendaient sur le site, munis d’une abondante provision de nourritures et de tous les éléments 126
nécessaires pour le sacrifice : petits ruminants, volailles, vin de palme ou vin rouge... C’est là, précise-t-elle, que nos grands-mères faisaient la cuisine. Avant le repas, dans la joie et dans l’allégresse, une certaine quantité de mets était déposée et du sang de l’animal immolé et de l’alcool déversés en guise d’offrandes au pied du grand arbre, considéré comme la demeure du génie des lieux. Aussitôt, le vieux Bassi, perclus, un infirme à la démarche difficile sortait de sa hutte et apparaissait au grand public. Des femmes en haillons tapaient des mains et scandaient des chansons rituelles en son honneur : « Tanoun Bassi yo ! Gbassikolo ! Mouhou bari imakhandiyo Guiné kha dissötö yi nyèra ! »9 « Ô Grand-père Bassi ! Gbassikolo ! Nous te prions de bien vouloir assister Les femmes pour qu’elles puissent enfanter cette année ! » Au terme de cette chanson, séance tenante, Bassi entre en liaison spirituelle avec le génie et lui transmet dans un langage peu audible, les requêtes formulées par les femmes dans les dialectes soussou et baga. Des récits et des légendes nous ont été racontés, lors de nos différentes enquêtes. Il nous a été rapporté que le site de Gbassikolo a été autrefois, une base-arrière des Kaporokas, les habitants de kapora. Aux dires des uns et des autres, l’endroit a servi à la fois de sanctuaire et de refuge pour les habitants de Kaporo, chaque fois qu’ils étaient en danger. 9
La version soussou de cette chanson n’a pas été inventée. Elle nous a été transmise de bouche à oreille par Amara Youla, natif de Boulbinet, ingénieur en bâtiment, ancien chef du quartier de Nongo.
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En effet, selon Papa Youssouf Camara, fils de feu El Hadj Aye Fodé Camara, jadis représentant des Bagas de Kaloum, notable au quartier Boulbinet, autrefois, lorsque des menaces de razzias, de guerre d’invasion planaient sur les populations de Kaporo, les notables, doyens et autres sages, prenaient les dispositions requises pour mettre hors de danger femmes, enfants et personnes âgées. — C’est sur le site de Bassikolo, poursuit Papa Youssouf, que se faisaient les opérations d’évacuation, à bord de pirogues, sur les deux rives de l’Océan Atlantique qui ceinturent Conakry. Tous ceux qui arrivaient sur le site, étaient immédiatement pris en charge et placés sous la protection de grand-père Bassikolo. Le constat qu’il faut faire au sujet de ce site, c’est qu’à l’époque de notre tendre enfance, vers les années 1960, le mot Bassikolo ou Gbassikolo, qui désignait à la fois un homme, un génie et un site mystique et mystérieux, était aussi le sésame qui permettait aux parents de mettre leurs enfants sur le droit chemin... Pour les enfants de notre génération, Bassikolo ou Gbassikolo était plus qu’un fouet ! Il représentait un mythe, un mystère qui hantait nos esprits et nous effrayait à tous points de vue. La seule évocation de l’expression soussou « Bassikolo fa » faisait plier tout le monde et disciplinait tous ceux qui semblaient aller de dérive en dérive. Il suffisait que les parents disent à l’intéressé : « Tu auras affaire à Bassikolo » ou « Tu trouveras Bassikolo sur ton chemin », pour que le jeune délinquant se replie et se range sur le droit chemin. À la vérité, chacun de nous avait énormément peur de ce mythe. Après le site de Bassikolo, c’est au tour du lac sacré de Yekhèmato d’être présenté par le sage : — S’agissant du site de Yèkhèmato, je vous dirai que c’est à quelques kilomètres de l’Aéroport international de 128
Conakry, vers la haute banlieue, dans la commune urbaine de Matoto. Les vestiges de ce site célèbre, se trouvent aujourd’hui à quelques encablures du quartier Sangoya. Il s’agit d’une ancienne mare d’eau douce, vaste, entourée de terre, bordée d’une forêt sacrée, autrefois. — Mais, concrètement, quelle est l’origine linguistique de l’expression « yèkhèmato » ? Qu’est-ce que ça signifie ? demandent les enfants de concert. — Selon les locuteurs soussous, le terme « yèkhèmato » est composé de deux mots : « yèkhè » qui signifie poisson et « mato » qui veut dire voir ou regarder. Par contraction ou par recoupement, « yèkhèmato » qui est aujourd’hui un quartier de Conakry, représentait un site mystérieux, un endroit où l’on allait autrefois pour observer des poissons. Dans ce milieu aquatique, d’après la vieille Fantan, vivaient plusieurs espèces de poissons d’eau douce dont la carpe « khobè » en soussou, le poisson électrique que les Soussous appellent « mirimiri », l’anguille, « souloukhounyi », mêlés aux poissons d’eau salée dont entre autres, la dorade (sinapa), le macheron, (konkoé), le mullet (sèki) et même des crevettes (sanfoui). La méconnaissance de la provenance de ces poissons, la diversité et la variété des espèces intriguaient plus d’un visiteur au point que, les premiers habitants de la localité avaient fini par leur parler d’une origine tantôt céleste, tantôt terrestre. Ainsi, d’après les uns, « ces poissons descendraient du ciel lors des grandes pluies », et pour d’autres, « ils viendraient des profondeurs du lac où ils auraient été engendrés par le génie des lieux qui serait, à en croire la légende, la divinité tutélaire des premiers habitants de la contrée. » Ces considérations d’ordre mythologique ont rendu le site à la fois mystérieux et sacré, mais aussi, et surtout 129
parce qu’il a été un lieu de culte et de prière. À vrai dire, les poissons qui vivaient dans ce lac étaient sacrés, en ce sens que leur apparition ne se faisait pas de façon fortuite ou spontanée. Elle était soumise à des rites conduits par le gardien des lieux. En effet, lorsque les visiteurs se rendaient sur le site pour observer ces poissons, le maître de cérémonie informé entrait en contact avec le génie du lac dans un langage ésotérique en murmurant. Il lui faisait part des intentions des visiteurs. Une fois l’accord obtenu, le maître de cérémonie se tournait vers les visiteurs installés près du lac à l’ombre des arbres et leur disait de vive voix : — Vos requêtes sont acceptées. Maintenant, concertezvous et dites-nous les noms des différentes espèces de poissons que vous désirez observer. Aussitôt dit, aussitôt fait. Une fois les noms connus, le maître de cérémonie versait de la poudre de céréales dans l’eau et donnait l’ordre aux poissons de faire leur apparition par espèce ; les plus petits prenaient la tête, les moyens occupaient le centre et les plus gros suivaient. Ainsi se déroulait la cérémonie rituelle, au sanctuaire des poissons sacrés de Yèkhèmato. Selon Collet Soumah(1), « plus qu’une mare ou un étang, le site de Yèkhèmato de par son étendue, devrait être considéré comme un lac où s’entremêlaient et se reproduisaient différentes espèces de poissons. Dans ce lac, se jetaient autrefois les eaux douces des rivières de Pampakhouré de Tombolia, de Latikhouré et de Kagnèmakha, depuis la Tannerie à Yimbaya ». Toujours selon Collet Soumah, « deux galeries souterraines reliaient autrefois le lac de Yèkhèmato à la rive gauche de l’Océan Atlantique, jusqu’à la petite île de Tayeli dans Kaporo d’une part, et jusqu’au débarcadère des pêcheurs de Ratoma, de l’autre. C’est à travers ces couloirs que les poissons quittaient les eaux douces du lac 130
pour descendre dans la mer. Ensuite ils remontaient les eaux salées pour le lac, suivant les flux et reflux. Emportée par le récit, Fatim lève la main pour satisfaire sa curiosité : — Peut-on, encore de nos jours, observer cette merveille de Yèkhèmato ? — Plus rien ne reste aujourd’hui de ce lac, si ce n’est un mince filet d’eau, vestige du passé de ce site jadis sacré. L’homme, grand prédateur de la nature, en vue de son expansion territoriale, a commencé par détruire la forêt qui protégeait le lac. Cette destruction a entraîné un assèchement progressif du lac, et finalement, la disparition totale des poissons qui y vivaient. L’urbanisation incontrôlée de la zone a mis en péril ce milieu naturel qui, pourtant, aurait dû être protégé en tant que patrimoine national. Il revient à l’État de prendre les dispositions requises, allant du déguerpissement des occupants du site à leur relocalisation, sur d’autres sites. Ce n’est pas tout. L’État se doit aussi de procéder à la restauration de ce patrimoine naturel et y aménager un lac artificiel, pour le grand bonheur des touristes et des générations futures. Après Gbassikolo et Yèkhèmato, vient la présentation de deux autres sites mythiques : ceux de Kikountoun et Gbanankoumba. En bon enseignant à la retraite, et en grand connaisseur de l’emplacement exact de tous les sites qui ont existé autrefois à Conakry, le sage Tanou Badra déclare : — Chers enfants, laissez-moi vous dire qu’autrefois, la plupart des villages de pêcheurs qui se trouvaient sur les deux rives de l’Océan Atlantique qui ceinture Conakry, étaient situés sur des bandes de terre avancées dans la mer, dénommées caps. On pouvait observer des rivières aux eaux douces se jetant dans la mer. Juste au point de rencontre de ces portions de terre avec la mer, on apercevait des monticules de roches semblables, tantôt à 131
des îlots, tantôt à des excavations dans la roche. C’est justement à ces endroits précis, selon les rumeurs nourries et entretenues dans les localités, que se trouvaient les demeures des djinns et des génies protecteurs des lieux. Sans laisser, Tanou Badra aller au bout de ses idées, Bouba lui demande : — Qu’en est-il des sites de Kikountoun et de Gbanankoumba ? Tanou Badra précise leur emplacement avec exactitude : — Les vestiges des deux sites existent dans la commune urbaine de Dixinn. Ces endroits étaient autrefois considérés comme les demeures de Kikountoun et de Gbanankoumba, génies protecteurs des habitants des villages de Taouya, de Dixinn et de Landréa. Aussitôt Fatim, plus curieuse que jamais lui demande: — Où se trouvent ces sites ? Quels rôles ont-ils joué au cours des âges ? — Je vous apprends, dit Badra, que le site de Kikountoun se trouve dans le prolongement des cases de la Belle-vue et l’héliport du même nom, juste en bordure de mer. Pour certains, comme Kantougou Camara, Kikountoun était l’incarnation de la divinité la plus réputée de Conakry, et pour d’autres comme Momo Monet dit Jean Monet Soumah, demeurant au quartier Kaporo centre, Kikountoun était la divinité tutélaire la plus généreuse qui, non seulement assurait la protection des populations de Conakry, mais leur procurait aussi le bonheur. Partant de ces considérations mythologiques, Jean Monnet se souvient : — Le site de Kikountoun était un lieu sacré où les populations allaient organiser des cérémonies de sacrifice
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à caractère religieux. En 1946, le maître de ces cérémonies était un certain Fodé Bourama. Jean Monet et Kantougou Camara sont unanimes pour dire que Kikountoun, dans la langue baga signifie « le lieu de rencontre », l’endroit où se rencontraient les pêcheurs et autres quidams, le soir, de retour de la pêche pour échanger, boire, se saouler avec quelques gourdes du meilleur vin de palme, fraîchement récolté. Quant aux liens entre Kikountoun et le quartier Bellevue, le doyen Ibrahima Sory Barry 10 nous a révélé que La Bellevue actuelle est l’ancien Kikountoun. En effet, tout le quartier actuel de la Bellevue formait autrefois un grand village qui s’appelait Kikountoun. Les habitants de ce village se sentaient placés sous la protection d’El hadj Ibrahima Sory Sylla, dit Hervé Sylla11. Cet homme aurait négocié l’annexion du village de Kikountoun qui a été mis à la disposition de la Compagnie Minière française12. C’est toujours lui qui aurait négocié le reclassement des habitants de Kikountoun sur le site de Taouyah. Dès lors, les employés français de ladite compagnie minière procédèrent au changement du nom du village, en le baptisant « La Bellevue ». L’appellation Belle vue, selon le doyen Barry s’explique par la beauté naturelle du site. Il y a lieu de
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Doyen Ibrahima Sory Barry : Agé de 75 ans est l’homonyme de Hervé Sylla. 11 Selon Ibrahima Sory Barry, Hervé Sylla, patron des bagas, fut l’un des premiers fonctionnaires ayant travaillé à la justice à l’époque coloniale. Il a assumé les fonctions de représentant de l’AOF avant même la députation de Yacine Diallo. 12 La compagnie minière dont il s’agit avait pour dénomination Compagnie minière de Guinée en abrégé C.M.G. C’est cette compagnie qui a procédé au reprofilage de la route Belle-vue Kaporo, avec de la latérite prise de la carrière de la minière et de Kakimbo qui se trouve juste avant le pont en allant vers Kipé, sur la colline.
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rappeler que le site se trouvait sur une splendide île ensoleillée avec de très belles plages de sable fin. D’après d’autres informateurs, le site de Kikountoun de par sa position géographique, se trouvait sur une bande de terre en forme de cap, une avancée de la terre dans la mer. — Quant au site de Gbanankoumba, soutient Tanou Badra, il se trouve du côté de la corniche nord, vers Dixinn. Il s’agissait de la bande de terre qui s’étend de Landréah à la cité ministérielle, en bordure de mer. Gbanankoumba, c’est aussi le nom donné à la rivière qui arrosait la bande de terre avancée dans la mer. Le terme Gbanankoumba, selon certains notables de Dixinn, viendrait du soussou « Gbanandé » qui au sens figuré veut dire « endroit, lieu de démonstration de la puissance, du pouvoir ou de la renommée », en matière de sorcellerie. Le terme se compose aussi du mot « koumba » qui, en malinké signifie « grosse tête » ou, « tête pleine de savoir », de pouvoir mystique ou sacré. Selon Jean Monet et Kantougou Camara, par recoupement, Gbanankoumba s’apparente à un lieu, un endroit, à un temple où les plus grands sorciers, dénommés « gongolis » en soussou, allaient autrefois, faire la démonstration de leur puissance. Au terme des différentes présentations, l’honneur revient au sage d’annoncer l’existence d’autres sites, et d’en donner quelques indications. — En plus des sites qui vous ont été présentés, il existe encore de nos jours, d’autres lieux de culte à Conakry. Ils sont nombreux, et la plupart d’entre eux se trouvent dans le quartier autrefois appelé « village de Kaporo ». Ce sont les sites de Tayéli. Tayéli est incontestablement un mot d’origine soussou qui dériverait de la déformation de l’expression « Tah yélé », deux mots soussous, « Tah » (village) et yélé (interdits ou totems). Par recoupement, Tayélé signifie 134
« l’ensemble des interdits ou des totems » du village. C’est une expression proverbiale, employée au sens figuré et qui fait allusion à l’idée de défense du territoire, surtout du village de Kaporo et de ses habitants. En effet, dans la mentalité des kaporokas, le site de Tayéli, de par sa position de proximité par rapport au village et, par la multiplicité des génies qui y habitent, est un endroit qui fait office de bouclier, de barrière devant parer à tous les obstacles, à tous les malheurs, à tous les dangers, et même à toutes les intempéries qui pourraient s’abattre sur le village de Kaporo. Située à quelques encablures du port de pêche de Kaporo, la petite île de Tayéli est aujourd’hui, un sanctuaire très célèbre et très réputé parce que selon certains notables, tous les esprits tutélaires ou génies qui assuraient autrefois la protection des Kaporokas et, qui l’assurent encore aujourd’hui, continuent de résider sur cet îlot.
En effet, pendant les moments de forte marée, selon la légende que nous a rapportée Jean Monnet Soumah, la 135
petite île se métamorphose pour prendre les allures d’une forteresse imprenable ou d’une falaise contre laquelle viennent s’écraser les vagues et les vents violents. Les esprits tutélaires qui y vivent, mettent en place un dispositif de sécurité ; une digue est dressée là, comme un contrefort. Un remblai fait office de barrage de protection contre les vagues, et le second bouclier sert à contrer les vents violents en provenance de la mer en furie. Tout cela protège, pour ainsi dire, le village et ses habitats des dégâts humains et matériels. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en dépit des évolutions, les kaporokas restent fiers de leurs traditions séculaires. Ils demeurent attachés jusqu’à présent à ces valeurs anciennes. L’île de Tayéli et d’autres sites encore sont leur fierté. Ce sont des éléments de leur patrimoine historique et culturel que leur ont légués leurs ancêtres. En plus de Tayéli, il y a lieu de citer Bôtôméra, dans l’ancien Nongo, le Nongo des deux ponts. Bôtôméra, selon les notables, est le nom donné à la fois, au site et au djinn qui y habitait. Bôtôméra était autrefois représentée par une stèle en pierre près d’un fromager géant. Il faut préciser que cette stèle n’existe plus à son ancien emplacement. Elle aurait été déplacée par El hadji Mansour Fadiga, premier imam de la mosquée Fadigayah, au quartier Nongo, dans le but d’amener les bagas à renoncer aux pratiques animistes pour se convertir à l’islam, la religion du Dieu unique. Cet imam est aussi chroniqueur en langue arabe, en service à la RTG (Radio Télévision guinéenne). Hormis Bôtôméra et Tayéli, d’autres lieux de culte très vénérés se trouvent toujours à Kaporo. Il s’agit entre autres du baobab sacré, situé dans ledit quartier.
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Ce baobab appelé Kiribili en soussou, près de Mangaya,* est dans la mentalité des Kaporokas, un arbre mystique, sacré. S’agissant des origines lointaines de ce baobab, une de nos informatrices, Kagbo Hawa Soumah nous dit : - Retenez que cet arbre est sorti des entrailles de la terre, du temps de nos ancêtres, plus précisément, de l’intérieur de la tombe de l’ancêtre fondateur du village de Kaporo, Manga Sangaré, un des fils de Soumba Toumani, roi de Dubréka. Selon nos parents et grands-parents, poursuit-elle, lorsque l’arbre a commencé à donner des fruits, il s’est produit un jour, à l’intérieur de son tronc central, une explosion ! Elle a été si puissante qu’elle a ouvert un trou énorme dans le tronc, d’où jaillissaient des boules de feu qui dégageaient une fumée abondante. Les flammes, sous l’effet du vent, se sont éparpillées dans tout 137
le village, entraînées par des courants d’air marin. Elles se sont dispersées et se sont déposées sur les toits des cases mettant ainsi le feu à toutes les habitations du village... — La nouvelle de ce sinistre s’était répandue comme une traînée de poudre dans toutes les localités du littoral, poursuit Kagbo Hawa Soumah, partout, on entendait parler du feu d’origine mystérieuse qui avait ravagé Kaporo. Perturbés par l’ampleur des dégâts, les notables, le chef du village, les sages, les doyens appelèrent à la solidarité, à l’assistance et à l’entraide. L’appel fut aussitôt entendu. Des féticheurs, des dépositaires de connaissances occultes s’étaient donné la main pour chercher à comprendre l’origine de ce sinistre, et trouver les moyens pour parer désormais à d’autres évènements tragiques. Après sept semaines de retraite, tous, à l’unanimité, étaient d’accord que c’était l’âme de l’ancêtre fondateur du village, qui s’était mystérieusement évaporée de sa tombe, pour désormais habiter le village, afin de protéger ses habitants, assurer leur défense contre d’éventuelles invasions, d’où qu’elles viendraient. Ce fut ainsi que, cet arbre devint sacré et fut vénéré par les uns et les autres. Chaque jour, des habitants de Kaporo village et des villages voisins, venaient l’adorer, se prosterner devant son tronc, pour implorer sa grâce. Comme on le voit, l’arbre sacré de Kaporo et le site qui l’abrite étaient autrefois et même jusqu’à présent, un haut lieu de culte, d’adoration, un sanctuaire où des fidèles et adeptes allaient se recueillir. Pour plus d’informations sur les usages de ce baobab, la parole fut donnée à Aissata Kiribunyi Soumah : — Depuis notre tendre enfance, et bien avant notre génération, des personnes venaient s’agenouiller sous cet arbre, faire des offrandes et demander des bénédictions aux génies ou aux esprits tutélaires qui y habitent.
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Pour approfondir ses révélations, nous lui avons demandé de bien vouloir nous expliquer et nous raconter ce qu’elle sait du déroulement des cérémonies rituelles organisées autour de cet arbre : — De toutes les nombreuses cérémonies d’offrandes qui se déroulaient en ma présence ici, celle qui a le plus retenu mon attention et qui était célébrée le plus souvent, c’était celle organisée en faveur des femmes « stériles », désireuses d’avoir des enfants… — Comment se déroulait la cérémonie ? Demandent les enfants : — Mes enfants, l’adoration de ce baobab avait autrefois résolu l’épineux problème de stérilité dont souffraient certaines femmes d’ici et même d’ailleurs. Ces femmes étaient restées longtemps mariées sans jamais avoir pu procréer. Accrochés à ses lèvres, nous lui avons posé la question de savoir comment elles faisaient : — La réponse est simple, poursuit-elle. Ces femmes, avant d’atteindre leur objectif devaient se plier à un certain nombre de contraintes, d’actes de soumission et d’adoration en l’honneur du génie, guidées par le maître de cérémonie. Pour commencer, elles devaient en accord avec leur époux ou, avec les parents de celui-ci, se rendre chez le maître de cérémonie pour prendre contact avec lui. Celui-ci, après avoir écouté attentivement l’objet de leur présence, examinait la situation. En étroite liaison spirituelle avec les esprits, l’homme indiquait aux visiteuses les sacrifices préalables qu’elles devaient faire. Au terme de cette première prise de contact, la femme concernée changeait aussitôt de statut : de « femme stérile », elle prenait le titre de « femme quémandeuse d’enfant », ensuite, plus tard, « femme en état de famille » et « femme nourrice ». Ce qui se traduit en soussou par les
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expressions suivantes : « guinè dibari taré », « guiné dimakulè », « furuguinè », « anu dinguè ». — À la seconde rencontre, la date du déroulement de la cérémonie est fixée d’un commun accord, avec les différentes parties. C’est à ce moment que la femme prend des engagements, fait des promesses qu’elle devra tenir rigoureusement pendant la grossesse et après la naissance de son bébé. Au terme de ces considérations, le maître de cérémonie, dans un langage peu audible entre pour la dernière fois en contact avec les esprits, pour selon lui, recevoir les dernières instructions dans le cadre du strict respect du rituel. La dernière rencontre se fait le jour J sur le site et sous le baobab sacré. C’est le jour du déroulement réel de la cérémonie proprement dite. — Retenez mes chers enfants que la cérémonie d’offrande est aussi, une cérémonie de réjouissance, de prestation de serment de fidélité aux génies et aux esprits. C’est cela, le Moribayassa dont la chanson initiatique est : « koukou koudoukou ! moribayassa ! koukou koudoukou ! moribayassa ! » — Très tôt le matin, des coups de tabala annonçant la mobilisation, retentissent dans tout le village. Hommes, femmes et enfants se rendent sur les lieux. C’est la fête agrémentée par les sons des tam-tams au rythme de la chanson initiatique. Quelque temps après, le maître de cérémonie sur des pas de danse rythmés, apparaît au milieu du cercle. Peu après, la femme « quémandeuse d’enfants », en haillons, déguisée, les cheveux ébouriffés, à demi vêtus, nu pied, entre en scène. Elle se roule d’abord par terre, comme une folle et va ensuite se blottir au pied de l’arbre sacré, devant le maître de cérémonie, debout un 140
peu en retrait, avec un plateau tout blanc, où sont déposés sept morceaux de pain blanc et sept noix de colas. C’est le point d’orgue du rituel ! Au son du tam-tam, la femme, à quatre pattes, les coudes et les genoux collés au sol, rampe jusqu’au niveau de l’assiette et, sur injonction du maître de cérémonie, elle se met à happer avec ses lèvres les morceaux de pain, un à un. Elle les mâche tout doucement, comme un petit oiseau dans sa cage, en train de picorer des graines. En ce qui concerne l’histoire de ce baobab, la version de Kantougou Camara est presque identique à celle de la vieille Aissata : — Cet arbre n’a pas été planté. Il a poussé à cet endroit-là de façon mystérieuse. Sa germination serait l’œuvre posthume de l’ancêtre fondateur du village, le nommé Manga Sangaré (roi Sangaré). C’est lui qui aurait consommé les fruits du baobab et avalé certaines de ses graines. Après sa mort, là où il fut enterré, une des graines a germé, pour enfin devenir ce baobab géant, le plus grand de tous les arbres de Kaporo. Dans le tronc central de l’arbre, se trouvent deux indices : un trou grandement ouvert vers l’extérieur et des traces de fumée. La légende rapporte que c’est l’âme de l’ancêtre Manga Sangaré qui se serait réincarnée dans ce baobab mythique. Vous vous demandez sans doute, ce qu’il en est des rôles et des usages de ces lieux de culte ? Certains autochtones de la localité que nous avons contactés nous ont appris que ces lieux de culte ont autrefois servi, et servent encore aujourd’hui de demeure aux génies qui nous protègent. Pour d’autres encore, les âmes des ancêtres se sont incarnées en ces lieux. Ces ancêtres représentent aujourd’hui pour nous les divinités traditionnelles que nous sommes tenus de vénérer et d’adorer. 141
Selon Kantougou Camara, la mission de tous les génies auxquels nous avons fait allusion, consiste à assurer la protection du village de Kaporo et de ses habitants, les kaporokas. Ces génies protégeaient les pêcheurs en haute mer et les femmes enceintes. Ils luttaient contre la stérilité et contribuaient aussi à rendre le village invulnérable en cas de razzias d’où qu’elles venaient. Selon Elhadj Malal Barry13, « grâce à la protection de ces génies, aucune troupe d’invasion n’est parvenue à infiltrer le territoire de Kaporo afin de l’annexer ou d’assujettir ses habitants, pendant la traite négrière ou la conquête coloniale. » — En effet le village, par l’œuvre mystique de ses génies, était tantôt suspendu, tantôt enveloppé dans le brouillard, tantôt dans les nuages, ce qui le rendait totalement invisible aux yeux des envahisseurs et des assaillants. Il faut rappeler les moyens de défense de grande importance que les fondateurs de Kaporo auraient mis en place : des gris-gris de protection réalisés par les marabouts, dont le plus célèbre se nommait Karamôkhô Dommagueli ; des sacrifices humains. Ces sacrifices se trouvent aujourd’hui réunis dans un sanctuaire, une sorte de petite case blindée.
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Chauffeur de profession, né à Kaporo à l’époque des villages de pêcheurs. Fils de Yéro Diouma Barry, connu sous le nom de Baben Kaporo et de Oumou salé Bah, elle aussi connue sous le nom de Nènèn Kaporo.
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Elle se trouve entre la mosquée de Kaporo et le palais Sandenyi du chef de canton. Il s’agit d’une case sans porte. Elle est aujourd’hui modernisée, revêtue de carreaux blancs. Vous vous demandez sûrement de quelle manière les Kaporokas organisaient les sacrifices rituels, en faveur des génies et autres esprits… À Tayéli, où la plupart des génies résident, les sacrifices sont fixés et codifiés par la tradition et se déroulent le jeudi ou le dimanche une fois par an. La veille, les préparatifs se font toute la journée. Pendant la nuit, dans la joie et dans l’allégresse, les Kaporokas dansent au son du tam-tam, et ce, jusqu’à l’aube. 143
Collet Soumah, magistrat conseiller à la Cour suprême, grand connaisseur des rites et de la culture des Bagas nous dit que « très tôt le matin, tous ceux qui sont concernés par la cérémonie, se rendent sur le site de Tayeli, avec une abondante provision de nourriture, des condiments, de l’eau, des boissons. À ces provisions, s’ajoutent tous les autres éléments nécessaires au sacrifice : un bœuf, un coq, de préférence de couleur rouge, du vin rouge, à défaut de la bière et même du vin blanc. Sur les lieux, les animaux sont immolés et leur sang versé sur un rocher en forme de stèle. Les repas sont préparés et consommés sur place. Aucune nourriture ne retourne au village. Cette cérémonie grandiose, selon Collet Soumah, traduit l’attachement, la fidélité des Kaporoka aux premières divinités de leurs ancêtres. Dès après le repas, alors que la petite île grouille encore de monde, les premiers coups de tabala retentissent, annonçant l’imminence des cérémonies. Peu après, deux autres coups se font entendre. Aussitôt, la haie d’honneur se forme des deux côtés du sentier conduisant dans la forêt de la petite île. Aux deux derniers coups de tabala, le maître de cérémonie, personnage mythique appelé Barimakhorinyi14 en soussou, apparaît. Il arrive d’un pas gracieusement rythmé, jusqu’au petit buisson. C’est là qu’il entre en liaison spirituelle avec les génies, afin de leur exprimer de vive voix, les doléances des uns et des autres : — Grands maîtres ! Vos fidèles, vos fils, vos petits-fils et arrières petits-fils, ici présents, par ma voix vous saluent. Ils sont ici réunis pour vous faire des offrandes, solliciter vos bénédictions, votre protection, la réussite et le succès dans leurs entreprises respectives. 14
Il s’agit du personnage sacré dont la fonction sociale est de servir d’intermédiaire entre le commun des mortels et les génies protecteurs.
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Le maître de cérémonie observe le silence pendant un bon moment, comme pour écouter la réponse des génies, ensuite, il se retourne, fait face aux fidèles et leur déclare : — Les grands maîtres par ma voix vous saluent ! Ils me chargent de vous exprimer leur joie pour votre fidélité et votre reconnaissance à leur endroit. Ils ne seront pas longs aujourd’hui, m’ont-ils dit. Pour terminer, ils vous rassurent de leur protection et vous promettent que vos activités seront bientôt florissantes. Quant aux femmes qui n’ont pas encore procréé, ils leur demandent d’offrir en sacrifice des habits aux plus démunis et de se mettre en rapport avec le maître des cérémonies, gardien du baobab sacré de Kaporo. Les élèves candidats aux différents examens ditil, doivent comprendre que leur réussite est au bout de leur effort. C’est par le travail, rien que par le travail qu’ils peuvent réussir aux différents examens nationaux. Tel est le rituel, l’ensemble des comportements, gestes et symboles fixés par la tradition, qui sont supervisés par le maître de cérémonie au cours de l’organisation et du déroulement des sacrifices et offrandes aux génies. Au terme de la veillée, avant de lever la séance, les enfants sollicitent une dernière chose : — Nous avons certes appris beaucoup de choses sur l’histoire de Conakry, mais rien n’a été dit sur la signification de « Conakry », sur son origine linguistique. Le doyen réplique au nom des sages : — Mes chers enfants, j’avoue que vous avez raison. Votre remarque est pertinente, en ce sens qu’elle met l’accent sur ce qui aurait dû être l’introduction même de nos débats. Mais qu’à cela ne tienne. Sachez que le mot Conakry dérive du mot soussou « nakiri » qui signifie « la rive, la bande de terre qui borde un fleuve, une rivière, une mer. » Le doyen poursuit :
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— En partant de l’emplacement géographique de la presqu’île de Kaloum, par rapport à la terre ferme, une légende tente d’expliquer l’origine linguistique de Conakry15. Que dit-elle ? Selon cette légende, à l’origine il y avait dans l’île de Tombo, non loin de l’actuel port, un fromager géant sous lequel un paysan Baga, du nom de Cona avait construit sa case. Sa palmeraie produisait le meilleur vin de l’île. Les gens de Kaporo qui venaient boire sous le fromager de Cona, disaient alors en soussou : « Moukhou siga fé Cona khonyi nakirima ». Ce qui veut dire en français : « Nous allons chez Cona sur l’autre rive (Nakiri) ». Ainsi, en guise de reconnaissance envers le vieux Cona et son délicieux vin de palme, son nom est resté associé à la dénomination du site Nakiri dont la contraction donna Conakry. » La veillée a pris fin sur une note de réelle satisfaction tant du côté des anciens que du côté des apprenants. Et comme le veut la tradition, des bénédictions et prières sont faites par les uns et les autres. Elles sont d’abord formulées par le représentant des sages, le doyen Badra Camara : — je voudrais, avant qu’on ne se quitte, vous remercier et vous bénir vous tous qui avez bien voulu prendre part à la présente rencontre du donner et du recevoir, pour
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Au temps des petits villages de pêcheurs, le site de Conakry dépendait du royaume de Dubréka, vaste territoire s’étendant de l’ile de Tombo, le Kaloum (soit la ville actuelle) jusqu’à Tabounsou en passant par le Khabitaye jusqu’à Manéah. Toute cette région était habitée à l’époque par des Bagas qui, par hospitalité, accueillirent les soussous venus du Manding après la destruction de leur capitale par Soundiata Keita en 1235. Quant au royaume de Dubreka, il n’a été fondé que vers 1600 par un immigrant soussou chasseur d’éléphants, nommé Soumba Toumani. Cest lui qui délivra les Bagas des pillards. En remerciement, ils le proclamèrent Roi.
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partager des informations et transmettre des connaissances à nos chers enfants. Par la même occasion, il leur prodigue aussi de sages conseils : — Vous savez comme moi que de nos jours, le modernisme est en train de prendre le pas sur nos traditions. Il nous est très difficile et même impossible d’arrêter cette évolution. Mais ce que vous devez retenir en dépit de tout, c’est que vous devez continuer, comme vous l’avez fait pendant ces vacances, à être à l’écoute de vos parents pour garder, au moins, la sagesse qu’ils vous transmettent. C’est seulement à ce prix que vous parviendrez à découvrir et à respecter les valeurs positives de nos sociétés. Cela passe par le respect et l’amour des parents, des aînés et de toutes les vieilles personnes, quels que soient leur âge, leur fragilité. Ne les jetez jamais dans un foyer pour personnes du troisième âge, comme cela se fait ailleurs, pensant que leur temps est révolu et qu’on n’a plus rien à faire de leurs expériences, alors qu’ils ont encore des choses à transmettre. Pour tout dire, je vous invite au respect scrupuleux de nos traditions pour lesquelles beaucoup nous jalousent. En effet, chez les Européens, il est possible de vivre l’un à côté de l’autre dans une même cité, à des portes voisines sans jamais se connaître ! La porte étant toujours fermée, cela ne suscite pas la moindre envie de collaborer, de coopérer, de se secourir, de se prendre en pitié. Je vous demande de ne pas adopter ce genre d’attitude propre aux sociétés en pleine crise morale. Je vous invite, par contre, partout où vous vous trouverez, au respect, à la défense et à la sauvegarde de nos us et coutumes. Vous devez le faire parce que, ces valeurs exigent de nous, l’humanisme envers les parents, les voisins, les proches.
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À peine le sage a-t-il eu fini de prodiguer ces conseils, que Fatim, au nom de ses amis, prend la parole et déclare : — c’est la première fois que j’entends de si sages conseils. J’avoue que nous saurons mes amis, Bouba, Sory et moi, les garder à l’esprit. D’ailleurs, c’est grâce à ces sages conseils, auxquels s’ajoutent l’hospitalité, l’humanisme et la solidarité dont on nous a tant entourés mes amis et moi, que nous devenons de plus en plus amoureux de notre chère patrie, la Guinée. — Ce qui veut dire, lui demande Bouba que tu reviendras donc souvent passer d’autres vacances avec nous, n’est-ce pas ? — Bien sûr que je reviendrai ! Dès les vacances prochaines, avec des camarades de classe pour les amener à découvrir la Guinée, ce pays des merveilles et des curiosités ! — In chaa Allah conclut le sage.
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Annexes
Ley legguel
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Guemè Sangan
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Table des matières
Préface ............................................................................ 7 Première Partie : ............................................................... 11 Journées de vacances au village des grands parents ....... 11 Introduction .................................................................. 13 L’arrivée de Fatim à Conakry ...................................... 15 Voyage au village des Grands-parents ......................... 21 Le village au clair de lune ............................................ 35 Le difficile chemin de la découverte de la grotte ........ 49 Des visites guidées à l’intérieur et autour de la grotte 65 La dernière veillée au clair de lune .............................. 73 Deuxième Partie : ............................................................. 77 Journées de vacances consacrées à la recherche d’un recueil des histoires oubliées de Conakry ....................... 77 Pourquoi cette deuxième partie ? ................................. 79 L’environnement géographique de Conakry, telle qu’elle était autrefois. ................................................... 83 Les conseils d’une grand-mère à ses petits-enfants à propos des sites, citations ............................................ 93 Les sites mythiques de Conakry et leurs légendes ....... 95
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La première veillée autour de Kakimbo, le site le plus mythique de Conakry ................................................. 101 Deuxième veillée : Autres lieux sacrés de Conakry et leurs légendes ............................................................. 123 Annexes ...................................................................... 149 Table des matières ...................................................... 153
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L’ouvrage peut aussi servir de document de soutien en faveur de l’Enseignement/Apprentissage des notions relatives à l’étude de la préhistoire guinéenne. Il est à cet effet dédié aux enseignants, aux apprenants et même aux fonctionnaires civils et militaires désireux de connaitre le passé de leur pays. C’est donc un manuel ouvert de portée à la fois pédagogique et publique. Fodé Momo Soumah est un enseignant chercheur en service à l’INRAP (Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique). Il a participé en commissions disciplinaires à l ’élaboration, à la révision de plusieurs générations de programmes d’étude et à la rédaction des manuels scolaires, et outils d’accompagnement (guide méthodologique pour l’utilisation des programmes d’enseignement et des manuels en vigueur dans les écoles tant au primaire qu’au secondaire. Ancien DPE (Directeur Préfectoral de l’Education), Fodé Momo Soumah a été aussi membre de plusieurs commissions de travail, tant au niveau de la restructuration des services déconcentrés du Ministère en charge de l’enseignement pré-universitaire que, dans le cadre de la rédaction du manuel de procédure de gestion pédagogique et administrative des services déconcentrés dudit ministère (IRE/ DPE/DCE).
Illustration de couverture : © rollingstonesrf - 123rf.com / freepik.com
ISBN : 978-2-14-028953-8
18 €
9 782140 289538
Fodé Momo Soumah
L’ouvrage intitulé « À la découverte des sites et vestiges historiques de Guinée » est un livre de référence qui vient combler le manque criant d’ouvrage sur la préhistoire guinéenne. Il est destiné aux chercheurs, aux historiens et même au grand public désireux de découvrir une des facettes du passé de la Guinée, sa période préhistorique.
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée
Voile de la mariée en Guinée.
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée
Fodé Momo Soumah
À la découverte des sites et vestiges historiques de la Guinée Préface de Mathurin Bangoura Nouvelle Édition