Discours Des Personnages Feminins Chez Seneque: Approches Logometriques Et Contrastives d'Un Corpus Theatral (Collection Latomus) (French Edition) 9042937963, 9789042937963

Dans les tragédies de Sénèque, la femme est depuis longtemps un objet d'étude. Plusieurs aspects ont été abordés, m

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French Pages 399 [413] Year 2019

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Table of contents :
Avant-propos
Table des matières
INTRODUCTION
La logométrie, la femme et le discours des personnages féminins chez Sénèque
Discours et catégories de personnages
Héros masculins
Discours féminin ou discours féminins ?
Discours masculins et féminins en contexte d’énonciation
CONCLUSION
GLOSSAIRE
Bibliographie
Indices
Table des figures
ANNEXES
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Discours Des Personnages Feminins Chez Seneque: Approches Logometriques Et Contrastives d'Un Corpus Theatral (Collection Latomus) (French Edition)
 9042937963, 9789042937963

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COLLECTION LATOMUS VOLUME 359

Discours des personnages féminins chez Sénèque Approches logométriques et contrastives d’un corpus théâtral Marc Vandersmissen

SOCIÉTÉ D’ÉTUDES LATINES DE BRUXELLES – LATOMUS 2019

COLLECTION LATOMUS

VOL. 359

DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS CHEZ SÉNÈQUE

LATOMUS www.latomus.be

La Revue Latomus, ainsi que la Collection Latomus, sont publiées par la « Société d’études latines de Bruxelles – Latomus », A.S.B.L. La Revue paraît quatre fois par an. Elle forme annuellement un tome de 1000 à 1200 pages. Chaque article est signé et l’auteur en est seul responsable. Tout ouvrage intéressant les études latines adressé à la Revue fera l’objet d’un compte rendu dans la mesure du possible, mais aucune réplique ne pourra être insérée. Président honoraire de la Société : Carl Deroux. Conseil d’Administration de la Société : Pol Defosse (secrétaire), Marc Dominicy, Emmanuel Dupraz (président), Alain Martin (trésorier), Ghislaine Viré. Membres de la Société : La liste complète des membres effectifs et adhérents figure sur le site internet : www.latomus.be/membres. Comité de rédaction de la Revue et de la Collection : Pol Defosse, Marc Dominicy, Emmanuel Dupraz, Alain Martin, Ghislaine Viré, avec la collaboration de Anthony Álvarez Melero, Altay Coşkun, Jacques Elfassi, Philip Hardie, Alex McAuley, Dennis Pausch, Benoît Sans, Liana Tronci, Hélène Vial. Présentation des manuscrits pour la Revue et pour la Collection : Les auteurs sont priés d’envoyer une version électronique de leurs articles ou monographies au Prof. Emmanuel Dupraz et de leurs notes de lecture ou comptes rendus au Prof. Marc Dominicy . Nous les invitons à se conformer aux recommandations énoncées dans un document accessible sur le site internet, à partir de la rubrique « Infos & contacts » : www.latomus.be/infos-contact. Les articles, monographies et notes de lecture seront soumis à une expertise selon le principe de l’évaluation par les pairs (« peer review »). Contact postal : Les ouvrages pour compte rendu doivent être envoyés à : Prof. Marc Dominicy, Latomus, c/o Éditions Peeters, Kolonel Begaultlaan 61, B-3012 Leuven, Belgique. — Pour toute autre question relative à la Revue ou à la Collection, prière de s’adresser par voie électronique à : . Abonnements et commandes : Éditions Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgique  ; site internet : www.peeters-leuven.be. — Pour l’achat des tomes I-LI de la Revue : Schmidt Periodicals GmbH, Dettendorf, D-83075 Bad Feilnbach, Allemagne  ; site internet : www.periodicals.com. — La série complète de la Revue (à l’exception des dernières années) est accessible à partir du site internet de JSTOR : www.jstor.org/journal/lato. Droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Société d’études latines de Bruxelles – Latomus, 2019

COLLECTION LATOMUS VOLUME 359

Marc VANDERSMISSEN

Discours des personnages féminins chez Sénèque Approches logométriques et contrastives d’un corpus théâtral

SOCIÉTÉ D’ÉTUDES LATINES DE BRUXELLES — LATOMUS 2019

Ce volume est publié avec l’aide financière du Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS et du Laboratoire d’Analyse Statistique des Langues Anciennes de l’Université de Liège

ISBN 978-90-429-3796-3 eISBN 978-90-429-3797-0 D/2019/0602/11 Droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute reproduction d’un extrait quelconque, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie ou microfilm, de même que la diffusion sur Internet ou tout autre réseau semblable sont strictement interdites.

Avant-propos Ce volume est la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Liège en 2015. Il m’est cher de témoigner ici ma reconnaissance à toutes les personnes qui m’ont accompagné dans ce projet. J’adresse mes remerciements en premier lieu à l’Université de Liège et au F.R.S.-FNRS, sans le soutien desquels cette recherche et cette publication n’auraient pu aboutir. Je souhaite adresser ma profonde gratitude à mes deux directeurs de thèse. Koen Vanhaegendoren m’a fait découvrir la recherche scientifique grâce à l’étude, entre autres, des œuvres de Parthénius et d’Arrien et m’a offert son soutien tout au long de ce parcours. Dominique Longrée m’a guidé vers de nouvelles méthodes d’analyse des textes grâce à nos fréquents entretiens et m’a permis d’intégrer l’équipe de recherche du LASLA de l’Université de Liège. Que soient aussi remerciés les membres de mon jury de thèse, dont les lectures attentives ont largement participé à l’amélioration de cet ouvrage  : Gérald Purnelle, Sylvie Mellet et Marie-Hélène Garelli. Ma reconnaissance va également aux spécialistes qui ont accepté de partager leur expertise et leur savoir  : Étienne Brunet, Jacqueline Fabre-Serris, Damon Mayaffre, Caroline Philippart de Foy, Paul Pietquin, Marie-Thérèse RaespaetCharlier et Charlotte Tupman. Je voudrais encore évoquer les différentes institutions qui m’ont offert un environnement de travail privilégié  : le département des Sciences de l’Antiquité et le LASLA de l’Université de Liège, le laboratoire BCL de l’Université de Nice Sophia Antipolis, l’Academia Belgica, la Fondation Hardt pour l’étude de l’Antiquité classique et le Digital Humanities Department du King’s College London. Il m’est impossible d’oublier de mentionner ici ma famille, mes amis et mes collègues qui m’ont chaleureusement entouré et soutenu.

Table des matières Table des matières.....................................................................................7 Introduction...............................................................................................

11

Chapitre I La logométrie, la femme et le discours des personnages féminins chez Sénèque........................................................................................................

18

I.1. Statistique textuelle et perception de la femme chez Sénèque.............18 I.1.1. La femme chez Sénèque............................................................. 21 I.1.2. Les usages de femina chez Sénèque...........................................23 a) Femina dans les lettres de consolation................................. 24 b) Femina dans la tragédie....................................................... 28 c) Femina dans les textes philosophiques................................. 31 I.1.3. Les usages de mulier chez Sénèque...........................................32 I.2. Logométrie et discours des personnages féminins chez Sénèque........35 I.2.1. De l’analyse du discours à la logométrie...................................35 I.2.2. Traitement d’un corpus de tragédies..........................................41 I.3. Logométrie et modes d’énonciation des personnages..........................44 I.3.1. Distribution du vocabulaire fréquent..........................................47 I.3.2. Sélections de codes grammaticaux.............................................50 I.4. Logométrie, thématique et spécificités des personnages masculins et féminins.................................................................................................57 I.4.1. Vocabulaire spécifique des personnages....................................62 I.4.2. Le cas particulier des noms propres de personnages.................64 a) Noms propres chez les personnages féminins......................64 b) Noms propres chez les personnages masculins....................68 I.4.3. Le cas particulier des noms propres des entités non-humaines.70 Chapitre II Discours et catégories de personnages.....................................................76 II.1. Comment aborder les catégories de personnages  ?............................76 II.2. Les nourrices........................................................................................78 II.3. Les messagers......................................................................................79 II.4. Les chœurs...........................................................................................81 II.5. Les héros tragiques..............................................................................82 II.5.1. La paternité...............................................................................83

8

TABLE DES MATIÈRES

II.5.2. Le vocabulaire négatif..............................................................84 II.5.3. Le vocabulaire positif...............................................................86 a) Salus....................................................................................86 b) Virtus...................................................................................87 c) Fides....................................................................................91 d) Dignus.................................................................................92 e) Laus.....................................................................................93 II.6. Les héroïnes tragiques.........................................................................95 II.6.1. La famille.................................................................................95 a) Coniux.................................................................................96 b) Mater...................................................................................102 c) Nuptialis..............................................................................109 d) Captiua................................................................................110 II.6.2. Le vocabulaire négatif..............................................................113 a) Lugeo...................................................................................115 b) Miser...................................................................................115 c) Misereor..............................................................................120 d) Perpetior.............................................................................122 e) Dolor...................................................................................122 II.6.3. L’amour.....................................................................................126 II.7. Conclusion  : héros et héroïnes tragiques............................................138 Chapitre III Héros masculins vs féminins......................................................................139 III.1. Héros masculins  : un discours plus descriptif...................................140 III.1.1. L’ablatif..................................................................................140 III.1.2. L’adjectif................................................................................145 III.2. Héros féminins  : entre demandes et refus..........................................147 III.2.1.  Le mode verbal de l’impératif...............................................147 III.2.2.  Le nom et l’adjectif supplex..................................................156 III.3. Les héroïnes, personnages d’échanges...............................................162 III.3.1.  Un aperçu graphique de la question......................................162 III.3.2.  Le vocatif et la deuxième personne......................................166 III.3.3.  Forte présence de la deuxième personne..............................176 III.4. L’approche par cooccurrents...............................................................178 III.5. Conclusion..........................................................................................182 Chapitre IV Discours féminin ou discours féminins  ?.................................................184 IV.1. Agamemnon.........................................................................................184 IV.2. Médée..................................................................................................195



TABLE DES MATIÈRES9

IV.3. Phèdre.................................................................................................205 IV.4. Les Troyennes.....................................................................................214 IV.5. Les Phéniciennes................................................................................219 IV.6. Hercule Furieux..................................................................................229 IV.7. Hercule sur l’Œta...............................................................................237 IV.8. L’Œdipe et le Thyeste.........................................................................245 IV.8.1. L’Œdipe..................................................................................246 IV.8.2. Le Thyeste..............................................................................251 IV.9. Conclusion.......................................................................................... 256 Chapitre V Discours masculins et féminins en contexte d’énonciation....................258 V.1. Prologues vs rôles................................................................................259 V.1.1.  Le vocabulaire  : un facteur de caractérisation.........................264 V.1.2.  Les modes verbaux  : un second facteur de caractérisation.....267 V.2. Locuteur vs interlocuteur.....................................................................271 V.2.1.  Médée........................................................................................273 V.2.2.  Phèdre.......................................................................................278 V.2.3. Les Troyennes...........................................................................283 V.2.4. L’Hercule sur l’Œta.................................................................290 V.3. Conclusion...........................................................................................297 Conclusion.................................................................................................299   I. Discours masculins et féminins chez Sénèque.......................................300 I.1.  Variations dans le lexique...............................................................301 I.2.  Variations de postures.....................................................................303 I.3.  Variations dans les stratégies de communication...........................305 Pas un discours féminin, mais une pluralité de discours féminins.307 I.4.  I.5. Interprétations..................................................................................307 II.  Validité des méthodes logométriques dans un corpus théâtral..............309 Glossaire  : concepts et outils statistiques............................................312 Bibliographie...............................................................................................320 Indices..........................................................................................................341 Index locorum..........................................................................................341 Index nominum........................................................................................348 Index rerum..............................................................................................351 Table des figures........................................................................................353

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TABLE DES MATIÈRES

Annexes Annexe  I,1  : Environnement thématique de femina dans la base Sénèque.357 Annexe I,2  : Liste des personnages par tragédie et abréviations.............358 Annexe I,3  : Analyse factorielle des lemmes entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau lexical entier – axes 1 et 3). 360 Annexe I,4  : Analyse factorielle des codes grammaticaux entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau gram matical entier – axes 1 et 3)................................................360 Annexe  I,5  : Lemmes spécifiques des 38 personnages de la base Personae. 361 Annexe II,1  : Lemmes spécifiques des cinq groupes de la base Rôles... 380 Annexe II,2  : Environnement thématique de mater...................................388 Annexe  III,1  : Lemmes spécifiques des deux groupes de la base Lex_Spéc. 389 Annexe III,2  : Codes grammaticaux spécifiques des deux groupes de la base Lex_Spéc..................................................................... 391 Annexe III,3  : Environnement thématique du vocatif chez les personnages masculins et féminins..........................................................393 Annexe V,1  : Spécificités lexicales des quatre héroïnes étudiées.............397

INTRODUCTION Les tragédies de Sénèque piqueront la curiosité du lecteur, en même temps qu’elles l’intéresseront souvent par de fortes situations et l’expression pittoresque de sentiments auxquels l’exagération n’enlève pas toujours la vérité. Greslou (éd.) (1863), p. xv.

Dans les tragédies de Sénèque 1, la femme a fait l’objet de nombreux questionnements de la part de spécialistes. Plusieurs aspects ont été abordés, mais, aujourd’hui, une étude des discours féminins de ce corpus fait défaut. Il est pertinent de chercher à savoir si l’auteur a façonné les répliques de ses personnages en tenant compte de leur sexe, alors que lui-même était un homme, comme l’ensemble des comédiens. Il convient de mettre en place une méthode de recherche pour répondre, entre autres, aux questions suivantes  : les femmes de la tragédie parlent-elles comme les hommes  ? Est-il possible de dégager une façon féminine ou masculine de s’exprimer sur scène  ? Quelles seraient les raisons d’un travail de différenciation discursive sur la base du sexe et quelles en seraient les conséquences sur l’action dramatique  ? Quelle est l’influence de l’interlocuteur sur les discours masculin et féminin  ? Des héroïnes prennentelles la parole comme des hommes, ou inversement  ? Par exemple, Médée est souvent présentée comme un personnage possédant des caractéristiques du sexe opposé. Créon lui-même relève cette particularité en lui reconnaissant un robur uirile (Méd., 268  : «  une force d’homme  »). Dès lors, qu’en est-il du discours de la magicienne  ? Sénèque l’a-t-il adapté pour refléter ce traitement du personnage  ? Voici autant de pistes explorées dans le présent ouvrage. Pour traiter ce sujet à la croisée des études du discours et des études sur la femme, nous avons recours aux méthodes assistées par ordinateur et, plus particulièrement, à la logométrie. Cette recherche s’inscrit dans une profonde réflexion méthodologique, puisqu’en plus de poser de nouvelles questions, de nouveaux outils sont utilisés. Ceci lui confère son originalité, mais aussi sa complexité. Lucius Annaeus Seneca fait partie des grandes figures qui façonnèrent l’histoire du Ier siècle de notre ère. Les commentateurs ont rejeté 2 ou, au contraire, 1   Pour une introduction sur le théâtre romain voir, entre autres, Dumont / Garelli‑ François (1998) et Dupont / Letessier (2011) et plus précisément sur la tragédie républicaine romaine, voir le numéro spécial de la revue Lustrum consacré à ce thème, Manuwald (2001a). 2   Voir par exemple la critique de Beare (1968), p. 70-72.

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INTRODUCTION

apprécié 3 tant l’action publique de ce personnage hors du commun, que son œuvre philosophique et poétique. D’une méthode plutôt comparative qui évaluait Sénèque selon une grille de valeurs établie en fonction de ses prédécesseurs grecs et augustéens 4, une étude prenant en compte les particularités de l’Empire et de la vie de cour (d’un point de vue social, politique, économique et historique) est privilégiée. C’est en réintroduisant Sénèque dans son contexte d’origine qu’il convient d’aborder son personnage et sa production littéraire. Les pièces de Sénèque sont les seules tragédies en langue latine qui nous soient parvenues à peu près complètes. Ennius, Pacuvius et Accius ne sont presque plus que des noms, tandis que le Thyeste de Varius et la Médée d’Ovide ne représentent plus que des titres 5. Sénèque offre donc l’unique échantillon d’un pan entier perdu de la littérature latine 6, à savoir neuf tragédies d’inspiration grecque et une tragédie prétexte 7  : Hercule Furieux (folie meurtrière d’Hercule provoquée par Junon), Les Troyennes (partage des Troyennes par les Grecs – sacrifice d’Astyanax et de Polyxème), Les Phéniciennes (guerre fratricide entre Étéocle et Polynice), Médée (vengeance de Médée après la trahison de Jason), Phèdre (révélation de l’amour de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte), Œdipe (découverte de l’inceste et du meurtre de Laïos par Œdipe), Agamemnon (retour à Mycènes et meurtre d’Agamemnon), Thyeste (vengeance d’Atrée vis-à-vis de son frère Thyeste), l’Hercule sur l’Œta 8 (mort accidentelle et divinisation d’Hercule) et enfin l’Octavie (répudiation et meurtre d’Octavie par son époux, Néron) 9. Leur datation fait encore l’objet de discussions dans la littérature spécialisée 10. Toutefois, l’essai de regroupement chronologique de J. G. Fitch sur la base de critères métrique et stylistique semble raisonnable 11. Ce cadre temporel est suffisant pour le développement du présent travail. Quant à l’authenticité des 3   Sur les qualités littéraires et l’originalité de la tragédie, voir l’introduction de l’ouvrage fondamental de Pratt (1983), p. 12-34. 4   Segal (1986), p. 3 dénonce ce processus biaisé dès l’ouverture de son travail sur Phèdre. Pour un exemple de recherche saine sur Sénèque et ses sources, voir aussi Dangel (2004). 5   Voir les éditions de Levée (éd.) (1823), de Klotz (éd.) (1953) et de Schauer (éd.) (2012). Notons également que la mention (éd.) dans les notes de bas de page est utilisée lorsque les ouvrages cités sont des éditions de texte référencées dans la section A. Éditions, commentaires et indices des textes anciens de la bibliographie. 6   Sur la question de la partie perdue de l’œuvre de Sénèque lui-même, voir Vottero (éd.) (1998). 7   Pour une étude approfondie de ce genre particulier, voir Manuwald (2001b). 8   Selon l’ordre proposé par la collection des Belles Lettres  : Chaumartin (éd.) (2002, 2008a et 2008b). 9   Pour une étude des tragédies de Sénèque, voir, par exemple, l’ouvrage collectif suivant  : Lefèvre (1972). 10   Par exemple  : Dingel (2009), Monteleone (éd.) (1991), p. 35-40, Nisbet (2008), p. 348-371. 11   Fitch (éd.) (2002), p. 10-14.

INTRODUCTION13

pièces, l’opinio communis 12 s’accorde sur le rejet du corpus de l’Octavie, beaucoup plus tardive 13. C’est pourquoi l’Octavie n’est pas ici prise en compte, à l’inverse de l’Hercule sur l’Œta 14. De cette manière, les neuf pièces à sujet mythologique grec constituent un ensemble homogène. L’étude des discours féminins pose l’inévitable question de la représentation sur scène des pièces de Sénèque  : ont-elles été écrites pour être jouées publiquement au théâtre ou bien ont-elles été conçues comme un exercice de déclamation dans des séances de recitationes privées  ? La même approche des interventions féminines ne peut s’appliquer si le texte est composé pour être lu par un seul et même orateur, ou bien pour être joué par une troupe de comédiens. Certains philologues ont insisté sur le caractère rhétorique des tragédies de Sénèque 15, considérées comme des exercices de style 16. Or, dans une perspective de reconstitution historique, des pièces furent mises en scène pour prouver qu’elles pouvaient se jouer 17 et plusieurs recherches, à partir de D. F. Sutton 18 jusque T. D. Kohn 19, ont démontré que les tragédies ont été composées avec un sens fin de la dramaturgie 20. Dès lors, dans la mesure où les tragédies de Sénèque ont été construites comme des pièces de théâtre, est-il indispensable de savoir si elles ont été représentées  ? Nous rejoignons la démarche de F. Dupont  : «  Sénèque ne s’écartait donc pas du théâtre traditionnel romain, bien au contraire. Il se devait de se conformer aux règles de l’écriture tragique afin de se faire apprécier de ses contemporains  » 21. Le corpus tragique se traite comme une œuvre de théâtre en tenant compte, dans la mesure du possible, des réalités de la scène et de la représentation  : espace scénique, décors et costumes, nombres d’acteurs, déplacements ou encore jeux de voix.   Parmi d’autres  : Bonnet (2006) et Ferri (éd.) (2003), p. 31-54.   Boyle (éd.) (2008), p. xiv. 14   L’authenticité de l’Hercule sur l’Œta pose plus d’interrogations, voir Pratt (1983), p. 15. La thèse de l’authenticité est défendue par Marti (1949) et Billerbeck (1988), p. 145-173 contre Friedrich (1954) et Zwierlein (éd.) (1986), p. 313-444. 15   Voir par exemple  : Canter (1925). 16   Cette interrogation est formulée, entre autres, chez Faider (1926), p. 329-330 mais le représentant le plus convaincant de cette thèse est Zwierlein (1966). Depuis, on trouve également le travail de Kugelmeier (2007) qui réfute la mise en scène des tragédies de Sénèque. 17   Par exemple, Phèdre et le Thyeste furent représentées sous l’impulsion d’E. Paratore en 1954 et 1968. Plus récemment, l’Œdipe a été mis en scène par Peter Brook en 2008 à l’Old Vic Theatre de Londres et Phèdre a été jouée sous la direction d’Élisabeth Chailloux au Théâtre des Quartiers d’Ivry en 2013. 18   Même si certains aspects ont été étudiés assez tôt (Herrmann [1924b] et Mendell [1941], p. 82-93), voir surtout Sutton (1986) pour la tragédie de Sénèque, Taplin (1978) pour la tragédie grecque. 19   Kohn (2013), p. 140. 20   Pour un résumé du débat et un parcours bibliographique sur le sujet jusqu’en 1984, voir Amoroso (1984). 21   Dupont (1995), p. 11. 12 13

14

INTRODUCTION

La délicate relation entre théâtre, fiction et réalisme est un autre point de difficulté  : l’auteur propose-t-il une image de la société dans laquelle il évolue, et si tel est le cas, dans quelle mesure cette représentation est-elle proche de la réalité  ? Certains ont tenté de trouver dans les lignes de Sénèque autant d’évocations du Ier siècle de notre ère 22. D’autres ont plutôt étudié l’atmosphère des pièces de Sénèque 23. À l’opposé, plusieurs spécialistes rejettent un quelconque effort de réalisme 24. Ce qui intéresse l’auteur dans la tragédie, ce sont les processus de dramatisation et la liberté de création que les autres genres admettent difficilement. Sénèque veut transporter le public dans un univers mythologique éloigné du monde réel. Il n’est donc pas question pour lui de proposer une reconstitution de son époque. En revanche, Sénèque est un homme de son temps façonné par la civilisation à laquelle il appartient. C’est pourquoi son œuvre contient inévitablement des codes et des normes en vigueur de son vivant 25. Pour le traitement de ses personnages, il trouve son inspiration parmi les hommes et les femmes qu’il côtoie dans la haute société romaine. Il a à sa disposition des exemples de personnalités hors norme, qui constituent un matériel brut pour construire la fiction tragique. Laissons donc la tragédie livrer les tendances de son époque qui la traversent. Cette réflexion nous amène vers un aspect plus précis  : l’auteur aurait-t-il travaillé le discours de ses personnages pour qu’il corresponde à la façon de parler des hommes et des femmes de son temps, ou du moins à l’image qu’il s’en faisait  ? Les difficultés de répondre à cette question sont nombreuses. Nous n’avons conservé aucune source nous permettant d’évaluer si les hommes et les femmes de Rome parlaient différemment, pour les comparer à la tragédie. De plus, en accord avec notre position quant au réalisme de Sénèque, il semble hasardeux d’y chercher une reproduction du discours des femmes fidèle à la réalité. ­Toutefois, des éléments de la tragédie sont sans doute issus des représentations collectives de ces différences discursives. Devant cet état de notre documentation et en raison de la nature même de la tragédie, nous aborderons donc le discours féminin comme le discours de personnages féminins de théâtre. Médée, comme les autres femmes de la tragédie, n’est pas un personnage historique  : elle est le fruit d’une construction poétique qui en fait une héroïne tragique, et son discours est envisagé sous cet angle.   Par exemple, l’assassinat de Britannicus serait représenté par le combat entre les frères du Thyeste : Grimal (1978), p. 426  ; Monteleone (éd.) (1991), p. 39-40  ; le personnage de Clytemnestre de l’Agamemnon serait une représentation d’Agrippine tuant son époux Claude  : Croisille (1964a), p. 472 et Croisille (1994), p. 140-142. 23   Par exemples, voir  : Henry / Henry (1985), p. 157-176 et Mastronarde (2008). 24   Dupont / Letessier (2011), p. 202. 25   Par exemple, la présence de grands principes de la religion romaine dans l’Œdipe étudiés dans  : Busch (2007). 22

INTRODUCTION15

Enfin, il est ici nécessaire de se positionner par rapport à la place occupée par la philosophie dans les écrits de Sénèque 26. Alors que l’auteur cherche à exposer ses principes philosophiques en prose, on s’interroge sur ses intentions pour sa production poétique 27. Par exemple, B. Marti soutient que Sénèque a écrit ses pièces comme un ensemble cohérent dans le but premier de transmettre ses principes philosophiques, comme dans sa correspondance 28. Si cette proposition, sans doute excessive, fut reçue avec scepticisme, l’idée que les situations mises en scène représentent des exempla à valeur morale connut un certain succès 29. À l’opposé, F. Dupont suggère que la tragédie dépasse la philosophie, car elle se concentre sur le spectacle de l’émotion plutôt que sur une réflexion de type moral 30. Soutenant l’un ou l’autre courant, d’autres chercheurs se sont concentrés sur le caractère philosophique d’une pièce ou d’un passage en particulier 31. G. A. Staley s’attache à démontrer que Sénèque a une vision stoïcienne de la tragédie 32. Le travail, entre autres, de H. M. Hine, a mis en évidence l’influence d’autres écoles de pensée que le stoïcisme 33. Dès lors, la thèse d’une visée didactique des tragédies peut être écartée. Dans une étude des sententiae, P. Paré‑Rey montre d’ailleurs comment ces formules sont utilisées autant pour défendre une position de sagesse (sapiens) qu’une attitude passionnelle (antisapiens), rendant toute conclusion morale compliquée 34. En fait, il paraît sage d’aborder cette question comme celles de la mythologie ou de la littérature  ; comme le formule A. J. Boyle, elle est une «  part of the dramatic texture of the plays  » 35. Les œuvres tragiques de Sénèque sont le produit d’une création poétique originale, dont les racines puisent dans la culture de l’auteur. En trouvant matière dans un immense fonds de savoirs 36 et après un processus de réappropriation, il construit   Dans l’abondante littérature sur le sujet, voir par exemple  : Veyne (éd.) (1993).   Par exemple, on peut citer Herrmann (1924a), p. 566, qui rejette l’intention moralisatrice de Sénèque ou bien l’article de F.‑R. Chaumartin, qui ne peut rejeter la dimension philosophique au sens large d’une œuvre qui est une figuration de la condition humaine  : Chaumartin (2014), p. 669. L’intérêt pour cette question est encore bien présent dans la littérature scientifique, voir par exemple le volume de la revue Pallas suivant  : Aygon (2014). 28   Marti (1945). 29   Par exemple, Croisille (1964b) et Pratt (1983), p. 73-131. 30   Dupont (1995), p. 55-59. 31   Parmi une littérature abondante, on peut citer, pour l’Hercule Furieux : Auvray (1989), Grimal (1986) et Novara (1987)  ; pour l’Hercule sur l’Œta : Chaumartin (1998)  ; pour l’Œdipe  : Sklenář  (2007-2008)  ; pour Phèdre : Leeman (1976)  ; pour le Thyeste : Volk (2006) et même pour l’Octavie  : Williams (1994). 32   Staley (2010). 33   Hine (2004), p. 198-209. 34   Paré‑Rey (2012), p. 235-241. 35   Boyle (1997), p. 33. 36   Pour nous, modernes, il est compliqué de discerner dans une œuvre comme celle-ci ce qui faisait partie de la culture populaire ou d’une connaissance savante. 26

27

16

INTRODUCTION

un spectacle par un maillage serré de renvois à ses maîtres 37, qu’ils soient poètes, philosophes ou mythographes. C’est ce mélange de genre unique qui signe l’identité de la tragédie de Sénèque. Pour étudier le discours féminin dans la tragédie de Sénèque au moyen de méthodes de logométrie, nous procédons en cinq étapes, qui constituent les cinq chapitres de cet ouvrage. Chacun d’eux est construit sur un procédé méthodologique différent dans le but de comprendre en détail les processus de caractérisation des discours masculins et féminins au sein leur contexte d’énonciation. La question de la méthode traverse donc l’ensemble du travail car, en plus d’améliorer notre connaissance de la tragédie, cet ouvrage veut également valider de nouveaux procédés de recherche dans l’étude des échanges féminins et masculins. Le Chapitre I se présente comme une première approche des concepts utilisés. La première étape consiste à comprendre la position de Sénèque par rapport à la femme au moyen des premiers outils statistiques. Même si elle ne détermine pas complètement le traitement tragique des personnages féminins, il est néanmoins probable qu’elle y participe. Il est donc important de débuter une étude sur le discours féminin par une réflexion sur Sénèque et la femme. La deuxième étape cherche à appliquer les principes de logométrie à la spécificité du corpus tragique pour obtenir de premiers résultats pour l’analyse littéraire des discours des personnages. Pour ce faire, nous construirons deux bases statistiques, à savoir des corpus de textes traitables techniquement sous Hyperbase. La première sera composée de l’ensemble des personnages de la tragédie comme autant d’unités de texte différentes. Elle sera soumise, comme toutes les prochaines bases, à une série d’outils statistiques. Ceci vise à évaluer la distance entre ces textes mis en comparaison. En procédant de la sorte, nous pourrons déterminer si un critère de sexe réunit ou, au contraire, oppose les personnages entre eux. La seconde base est construite à partir de ces unités, mais en y retirant les personnages sans identification précise – les chœurs, les messagers et les nourrices – pour confronter uniquement les héros masculins et féminins attachés à une identité précise. Les deuxième et troisième chapitres reposent sur un principe méthodologique différent. Les personnages y sont rassemblés en cinq grands groupes (les messagers, les nourrices, les chœurs, les héros masculins et les héroïnes) pour tenter de dégager des tendances plus profondes qui seraient invisibles lorsque le corpus est fragmenté en de nombreuses unités, plus petites. Dans le deuxième chapitre, cette méthode s’applique aux cinq ensembles. Nous examinons surtout les différences d’utilisation du vocabulaire  : les femmes utilisent-elles les mêmes mots que les hommes  ? Si oui, est-il possible de déterminer si elles les utilisent de manière identique  ? Quelle influence ces différences donnent-elles au traitement dramatique des personnages  ? Dans le troisième chapitre, seuls les deux derniers   Nous avons choisi le terme «  maître  » pour désigner à la fois les œuvres écrites mais aussi tout le savoir oral transmis par son entourage et ses professeurs. 37

INTRODUCTION17

groupes sont opposés, personnages masculins et féminins, pour tenter de découvrir des différences occultées par les autres types de personnages très différents. Pour envisager le discours comme un système dans son ensemble, il est nécessaire de prendre en compte autant les caractéristiques lexicales que morphosyntaxiques. Le quatrième chapitre propose un angle d’approche complémentaire. Chacune des neuf tragédies, décomposée selon ses personnages, est traitée comme un corpus indépendant. De cette manière, il est possible de comprendre comment les résultats obtenus précédemment de manière globale se présentent à un niveau plus local. Dès lors, les stratégies de communication et les procédures discursives mises en place par Sénèque pour créer des pièces complexes et riches en intensité dramatique peuvent être étudiées. Cette partie parcourt toute la tragédie et le discours de chaque personnage y est abordé de manière directe ou indirecte. Ce chapitre offre donc une analyse littéraire détaillée à travers les œuvres tragiques pour tenter de saisir, autant que possible, les nuances de composition de l’auteur. Le cinquième chapitre referme ce parcours par une étude de deux aspects plus particuliers. Il vise à déterminer si l’auteur a caractérisé un même discours de manière différente selon ses conditions d’énonciation. Elles varient en effet au cours de la pièce en fonction de l’action. Le premier aspect concerne les prologues. Grâce à une base créée à cet effet, nous cherchons à savoir s’ils font l’objet d’une composition particulière et si oui, si le sexe du locuteur intervient dans cette composition. Le deuxième aspect étudié est le critère du sexe de l’interlocuteur. En effet, il est intéressant de savoir si Sénèque, en contexte de dialogue, a modulé le discours de ses personnages en fonction du sexe de la personne à qui le message est adressé. Un personnage adapte-t-il donc son discours selon la cible de la communication  ? Si oui, il est pertinent de se demander comment et pourquoi cette modulation est mise en place. Pour tenter de répondre à cette question, Médée, Phèdre, les Troyennes et l’Hercule sur l’Œta sont passées en revue plus particulièrement. Au terme de ce travail, les conclusions cherchent à synthétiser les résultats engrangés dans les différents chapitres. Il y est question de dépasser les grands mouvements méthodologiques qui structurent l’étude pour mettre en relation les observations critiques émises au cours de l’ouvrage. Cette dernière section propose donc une présentation globale de notre connaissance des discours masculins et féminins chez Sénèque le tragique, de leur fonctionnement en contexte d’énonciation et de leur impact dans la composition des tragédies.

CHAPITRE I

La logométrie, la femme et le discours des personnages féminins chez Sénèque La méthode statistique s’appuie sur des mesures et des comptages réalisés à partir d’objets que l’on veut comparer. Lebart / Salem (1994), p. 33.

I.1.  Statistique textuelle

et perception de la femme chez

Sénèque

Avant d’utiliser les outils statistiques, il convient de préciser plusieurs concepts théoriques et méthodologiques. La statistique textuelle 1, comme les études sur les discours et sur les femmes, est une discipline heuristique née dans les années 1950 2 avec une croissance riche en plusieurs étapes successives  : la lexico­ métrie, la textométrie, et la logométrie 3, méthode dans laquelle s’inscrit plus particulièrement le présent travail. Ces procédés d’analyse ne cessent d’évoluer à la fois du point de vue des méthodes, des langues étudiées et des champs d’application. La statistique textuelle a ainsi pu montrer une partie de ses pos­ sibilités théoriques et elle a fait ses preuves dans diverses sphères scientifiques  : en pédagogie, en histoire, en linguistique 4. Par exemple, en 1961, le LASLA (Laboratoire d’Analyse Statistique des ­Langues Anciennes) 5 fut fondé à l’Université de Liège afin de préparer techni­ quement les textes latins et grecs pour une production assistée d’index 6. Le labo­ ratoire a ainsi élaboré une procédure semi-automatique (avec une vérification par un philologue) pour lemmatiser 7 et annoter morphosyntaxiquement les   Pour un historique plus précis voir  : Évrard / Mellet (1998), p. 112-115.   L’ouvrage de Yule (1944) est souvent considéré comme le travail qui a donné l’impulsion décisive au développement de la statistique linguistique. 3   Cette évolution, qui a vu les méthodes de statistiques appliquées aux études du discours, a été développée sous l’impulsion principale de D. Mayaffre et de son équipe  : Mayaffre (2005 et 2010). 4   Par exemple Mayaffre (2004) en histoire et Longrée / Luong (2005) en linguistique. Pour un aperçu des domaines ayant recours à la statistique textuelle et des avancées métho­ dologiques récentes, voir aussi les actes des JADT  : http://lexicometrica.univ-paris3.fr/jadt/. 5   Pour une présentation du laboratoire, une liste des champs de recherches et une liste des publications, voir http://www.cipl.ulg.ac.be/Lasla/. 6   En guise d’introduction, voir Denooz (1973) et Delatte / Denooz / Govaerts (1978). 7   Pour une réflexion générale sur les avantages et les faiblesses de la lemmatisation, voir Purnelle (1996), Mellet (2002a) et Brunet (2011a). 1 2

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS19

textes de langues grecque et latine 8. Les œuvres latines ont connu un dévelop­ pement plus rapide que celles en grec, qui présentent des contraintes techniques plus nombreuses. Pour le latin, une procédure de lemmatisation 9 avancée a été mise au point, dont voici les principes  : sur la base d’une édition critique fiable 10, chacun des mots d’un texte fait l’objet d’un codage complexe  ; il est enregistré avec la référence interne de son œuvre, son lemme 11, sa forme et sa place dans le texte, sa catégorie grammaticale (notée par une lettre) et son ana­ lyse morphosyntaxique complète (mémorisée par un code numérique où chaque chiffre représente une donnée de l’analyse). Dans cette démarche, le corpus des tragédies de Sénèque fut traité à partir de l’édition de R. Peiper et G. Richter 12 de 1867. L’index fut publié en 1994 13, après celui de ses œuvres philosophiques en 1981 14. Ensuite, afin d’utiliser ces données rassemblées dans un fichier unique et sous un format spécifique de don­ nées, le logiciel Hyperbase, conçu par É. Brunet dans le cadre du laboratoire BCL (Bases, Corpus, Langages), UMR du CNRS et de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, fut adapté par S. Mellet en collaboration avec J. Denooz et G. Purnelle aux fichiers produits et diffusés par le LASLA. Depuis sa création, le logiciel a fait l’objet de constantes améliorations (collaboration É. Brunet, D. Longrée et S. Mellet) pour tenir compte des avancées en matière d’analyse de données textuelles (ADT). Ceci a permis d’ouvrir le champ de recherches, non plus seulement à des relevés strictement comptables (pour la production d’indices fréquentiels à usage pédagogique, par exemple), mais également à des procédés statistiques plus performants (analyse factorielle des correspondances – AFC, analyse arborée, calcul des spécificités…) 15. Devant la qualité des données du LASLA pour les textes latins et puisque le logiciel Hyperbase 16 a été spécifiquement adapté par les deux laboratoires (BCL-Nice et LASLA-Liège) pour une exploitation optimale de ces fichiers, il 8   Pour le détail des procédures de lemmatisation et d’annotation morphosyntaxique, voir les manuels de lemmatisation des textes latins  : Philippart  de Foy (2010 et 2014), et grecs  : Denizot / Vandersmissen (2013). 9   Un glossaire des termes techniques de la statistique textuelle est proposé en fin d’ouvrage. 10   Pour les textes latins, il s’agit dans la plupart des cas des textes publiés dans la collection «  Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana  ». 11   Pour le latin, le dictionnaire de référence est le Forcellini (1864) et pour le grec, il s’agit du Liddell / Scott (1968). 12   Peiper / Richter (éd.) (1867). 13   Denooz (éd.) (1994). 14   Delatte / Évrard / Govaerts / Denooz (éd.) (1981). 15   Pour toutes les fonctionnalités du logiciel dans sa version latine, voir le manuel d’utilisation de Brunet / Mellet (2004), téléchargeable sur le site du LASLA  : http:// www.cipl.ulg.ac.be/Lasla/manuel.PDF. 16   Le logiciel est aujourd’hui à sa version 9.0. Une version en ligne est en cours de développement grâce à l’ingénieur informaticien L. Vanni (BCL-Nice)  : http://hyperbase. unice.fr/.

20

CHAPITRE I

a été décidé naturellement d’utiliser cette base spécifique de données avec cet outil informatique précis. Ce travail s’inscrit dans les développements les plus récents de la statistique textuelle en utilisant les principes de logométrie, puisque nous visons à proposer une analyse littéraire des discours, et non pas unique­ ment les textes, des personnages masculins et féminins des tragédies de Sénèque dans leur contexte d’énonciation. Il semble nécessaire de dénouer ici la délicate problématique de la position du philosophe au sujet de la femme 17. De manière générale, la femme, comme objet d’étude, intéresse les chercheurs depuis plusieurs décennies 18, mais son traitement a connu une évolution importante depuis le développement du fémi­ nisme entre 1960 et 1970 19. Il était alors question de reconsidérer les problé­ matiques du statut et de la place de la femme dans les civilisations anciennes 20. Avec le développement des Gender Studies, sous l’impulsion d’historiennes américaines comme J. W. Scott 21, le mouvement évolue vers une intégration dans les études du concept de «  représentation de la femme  » à travers les sources de tout type 22. Enfin, la théorie des «  constructions de la femme  » se met en place dans les travaux des années 1990 23. La femme est désormais envisagée comme un sujet culturellement, socialement et idéologiquement produit par la société à laquelle elle appartient. Dès lors, il est important pour les chercheurs de comprendre les processus de construction en jeu, car ils offrent une voie d’entrée dans un système de pensée inaccessible pour nous, modernes. Cette approche ne remplace donc pas les précédentes, mais elle s’y superpose pour tenter de prendre en compte les nombreuses facettes d’une pro­ blématique aussi complexe. En parallèle, on assiste à la réintégration progressive de l’homme comme sujet d’étude, aujourd’hui indissociable de la femme 24. Au-delà des personnages mythologiques eux-mêmes, nous approcherons donc le discours féminin, mais aussi masculin, de la tragédie comme deux entités construites par Sénèque en fonction de ses propres représentations, elles-mêmes formées à partir des normes de sa société. On rejoint ainsi notre approche de la relation entre fiction et réalisme du théâtre exposée dans l’introduction.   Favez (1938), p. 335-345.   À titre d’exemple, nous ne citons que ce guide bibliographique  : Verilhac (1990). 19   Par exemple, voir les travaux de Wittig (1982) et la création de la revue Questions féministes en 1977 aux éditions Syllepse. 20   Pour le monde grec, on peut citer Pomeroy (1975). Pour le monde romain, voir Balsdon (1962). 21   Scott (1986). 22   On peut citer les ouvrages réflexifs sur ces questions  : Foley (1981a) et Skinner (1987). Sur la question précise du droit, voir Gardner (1986) pour le monde romain et Just (1989) pour la civilisation grecque. 23   Par exemple, voir l’ouvrage collectif suivant et, plus particulièrement, son intro­ duction  : Sorkin Rabinowitz / Richlin (1993), p. 1-13. 24   Hommes et femmes sont maintenant considérés au même titre  : Boehringer  / Sebillotte Cuchet (2011), Centlivres Challet (2013), ou encore Jones (2012). 17 18

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS21

Rappelons qu’en passant d’une approche plutôt historique et ponctuelle à une démarche plutôt anthropologique et globalisante, les chercheurs se sont égale­ ment intéressés aux questions de sexualité. Ce tournant est initié par l’ouvrage de M. Foucault, Histoire de la sexualité, publié en trois volumes entre 1976 et 1984 25 et, de manière générale, par l’ensemble de son travail scientifique. En remettant en question les catégories traditionnelles de «  sexe  », d’«  identité de sexe  » et d’«  orientation sexuelle  », une nouvelle problématique s’est offerte aux historiens de l’Antiquité avec les travaux fondateurs de N. Loraux et de D. Halperin, ou, plus récemment, de L. K. McClure et de M. C. Nussbaum avec J. Sihvola 26. Ils ont permis d’éclairer de nouveaux aspects des civilisations grecque et romaine, mais aussi d’élever les questions de sexualité au rang d’outil méthodologique indispensable pour interroger le passé 27. À partir de là, tant les hommes que les femmes de l’Antiquité ont fait l’objet de recherches pour comprendre le processus de construction de leurs identités sexuelles, avec une attention particulière pour le concept d’homosexualité 28. I.1.1.  La femme chez Sénèque La femme chez Sénèque fut l’objet de multiples recherches, aussi bien dans ses œuvres philosophiques 29 que tragiques 30. Si les études de la première moitié du XXe siècle tendaient à considérer Sénèque – et de manière plus générale la philosophie stoïcienne 31 – comme favorable à la femme (voire comme un fémi­ niste), les travaux plus récents 32 ont insisté sur les difficultés de proposer une analyse uniforme de cette question. C’est pourquoi il est important d’apporter de nouveaux éclairages sur ce dossier, encore aujourd’hui en chantier, en partie sur la base d’une étude assistée par ordinateur du nom femina, «  la femme  ; la femelle humaine  ». Cette première étape permettra non seulement d’aborder la problématique de la femme chez Sénèque avec une approche globale, mais aussi d’illustrer les outils statistiques à notre disposition. Dans le vocabulaire latin, plusieurs noms peuvent désigner la «  femme  ». En premier, le terme femina, est, selon A. Martín Rodríguez, «  l’expression neutre   Foucault (1976).   Dans l’ordre chronologique  : Loraux (1984), Halperin / Winkler / Zeitlin (1990), McClure (2002), et Nussbaum / Sihvola (2002). 27   Sur le sujet, voir le travail réflexif de Boerhinger (2005). Pour approfondir les lectures sur la sexualité de l’homme romain, voir le guide bibliographique Éloi (2005). 28   La littérature sur le sujet est abondante, pour le monde romain, voir par exemple  : Williams (1999) et pour le monde grec  : Halperin (1990). Citons également l’étude suivante sur l’homosexualité féminine en Grèce  : Boehringer (2007). 29   Loretto (1977), p. 119-128  ; Manning (1973), p. 170-178. 30   Averna (1992), p. 39-45. 31   Sur ce point, voir Colisch (1985), p. 36-38. 32   Lavery (1997), p. 3-13, Engel (2003), p. 267-288. 25

26

22

CHAPITRE I

de la femme par rapport à l’homme  » 33. Il ne possède donc pas la signification sociale étendue d’«  épouse  ». Il se rencontre septante fois dans le corpus de Sénèque (correspondances, traités et tragédies). Il a un sens proche d’un second nom, mulier. Toutefois, contrairement à femina, mulier peut prendre la signifi­ cation d’«  épouse  » ainsi qu’une connotation emphatique 34. Dans la littérature latine, les deux termes sont utilisés avec une même fréquence (354 occurrences de mulier contre 363 pour femina) 35. Mulier sera plus brièvement étudié, car il n’est employé que six fois dans l’œuvre sénéquéenne 36. Par ailleurs, nous ren­ contrerons également des adjectifs comme muliebris, «  de femme  », ou uirilis, «  d’homme  », qui seront abordés de manière ponctuelle. En revanche, sera laissé de côté, pour le moment, un troisième nom, coniux (129 occurrences chez Sénèque), qui peut désigner tantôt «  l’époux  », tantôt «  l’épouse  ». Pour mieux comprendre la présentation et le traitement littéraire de la femme par Sénèque, il est nécessaire de répondre à deux questions. Il faut d’une part déter­ miner dans quels contextes Sénèque utilise femina et mulier, et d’autre part définir leurs différents emplois. Dans un premier temps, la répartition de ces termes dans l’œuvre de Sénèque sera examinée. Ensuite, les différents usages seront étudiés. D’abord, en ce qui concerne femina, pour obtenir une vision d’ensemble de son utilisation dans l’œuvre de Sénèque 37, l’histogramme de la distribution de ses occurrences est un excellent point de départ  :

Figure 1 : Histogramme de la distribution de femina dans la base Sénèque   Martín Rodríguez (2001), p. 856. Sur femina, voir aussi Adams (1972), p. 234-

33

235.

  Adams (1972), p. 242-251.   Calculé sur la base Latin du LASLA composée de 1.709.956 mots. 36  Cf. Sén., Ad Luc., 97, 4  ; Marc., XVI, 1  ; Breu., IV, 6  ; Const., XIV, 1  ; De Ira, II, 30, 1  ; Méd., 193. 37   La base Sénèque proposée par le LASLA est constituée de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur, à l’exception des Questions Naturelles et de l’Octavie. 34 35

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS23

D’une part, dans la marge à droite, cet outil fournit à l’utilisateur la fréquence absolue d’un même élément dans les différents textes comparés, ici femina dans les œuvres de Sénèque. D’autre part, il permet de représenter graphiquement les écarts réduits calculés pour chaque partition de texte 38. Ce procédé permet ainsi de visualiser facilement quels textes du corpus ont un emploi significatif, posi­ tivement ou négativement, de l’élément étudié 39. Dans les deux consolations adressées à des femmes – ad Heluiam et ad Marciam – l’auteur latin sur-emploie statistiquement le terme femina, attirant l’attention sur ces œuvres et plus largement sur les lettres de consolation. L’histogramme montre également que Phèdre, l’Agamemnon et l’Hercule sur l’Œta présentent significativement plus d’occurrences que les autres œuvres. L’on examine donc sépa­ rément les lettres de consolation et les tragédies. Les derniers extraits, moins nom­ breux et éparpillés dans les Lettres à Lucilius et les textes philosophiques, ne peuvent néanmoins être passés sous silence. Ils sont étudiés dans un troisième temps. Ce premier test indique les productions de Sénèque qui s’intéressent le plus à femina et détermine donc, avec une certaine cohérence entre les genres littéraires, quels textes sont étudiés ensemble  : les trois lettres de consolation réunies en comparai­ son avec les neuf tragédies rassemblées et ensuite avec les textes philosophiques. En ce qui concerne mulier, ces six occurrences chez Sénèque ne se retrouvent que dans trois œuvres où femina apparaît également  : Ad Marciam, le De Ira et la Médée. Les deux termes sont donc utilisés dans des contextes qui ne sont pas tout à fait similaires, ce qui confirme que ce synonyme doit être envisagé séparément. I.1.2.  Les usages de femina chez Sénèque La fonctionnalité Thèmes 40 permet de définir les différents usages de femina par Sénèque en étudiant l’environnement thématique du mot. Au départ d’un mot38   En statistique textuelle, ce concept est important, car il intervient dans plusieurs processus, comme les histogrammes, les spécificités ou encore les cooccurrences. Il repose sur la notion d’écart entre la fréquence réelle d’un phénomène dans une partition de texte (un lemme, une forme, un code grammatical, une structure) et sa fréquence attendue théoriquement. En fait, l’écart réduit est l’unité qui vise à mesurer objectivement la probabilité que cet écart se produise, après avoir neutralisé l’influence de la longueur du texte. L’écart réduit se calcule en divisant l’écart absolu (différence entre la fréquence observée d’un phénomène dans la partition de texte et sa moyenne d’utilisation) par l’écart-type (racine carrée de la fréquence observée multipliée par la probabilité de rencon­ trer le phénomène dans le texte et par la probabilité de ne pas le rencontrer). Le résultat devient significatif au-dessus de 2 (les effectifs excédentaires) et en dessous de –2 (les effectifs déficitaires). Entre cette fourchette, on ne peut écarter que l’écart soit le résultat du hasard. Voir un exemple expliqué et illustré du calcul de l’écart réduit dans Évrard / Mellet (1998), p. 128-130. 39   Le seuil de 5 %, symbolisé par le trait en pointillé, représente la limite en deçà de laquelle il y a plus de cinq chances sur cent que le résultat soit le fruit du hasard. Ces résultats seront considérés comme non significatifs. 40   Cet outil fut construit selon le courant théorique des travaux de Lafon (1984).

24

CHAPITRE I

pôle choisi, le programme repère automatiquement les lemmes en cooccurrence spécifique 41 avec ce dernier, sur la base d’un calcul d’écart-réduit. L’outil est appliqué à femina 42 dans les lettres de consolation (21 occurrences) et dans les tragédies (23 occurrences). Les deux listes obtenues rendent la comparaison des résultats plus aisée une fois les mots-outils mis de côté (Annexe I, 1). Étonnament peu de lemmes similaires caractérisent les deux environnements thématiques de femina. Seul uir est présent dans les deux listes et montre que, peu importe le genre littéraire, Sénèque associe la femme à l’homme ou à l’époux, et inversement. Dans les lettres de consolation, la famille et la domus semblent liées au mot-pôle. Ainsi familia, «  la maisonnée  », apparaît avec un écart réduit positif de 2,95, mais aussi mater (+ 2,53), «  la mère  », et patrimonium (+ 2,74), «  le domaine de la famille  ». Ensuite, même si maeror (+  2,23), «  la tristesse  », est présent dans les œuvres dédiées au réconfort, une série de termes a priori positifs et inhabituels dans le domaine des femmes romaines est à noter  : exemplum (+  3,68), «  le modèle  », potentia (+  2,73), «  la puissance  », ambitiosus (+ 2,95), «  désireux de plaire  », ou encore libertas (+  2,33), «  la liberté  ». À l’opposé, l’environnement thématique de femina dans les tragédies est ponctué de lemmes chargés négativement  : stuprum (+  2,96), «  le déshonneur  », furor (+ 2,67), «  la folie furieuse  », turpis (+  2,41), «  honteux  », domo (+ 2,34), «  dompter  », odium (+ 2,19), «  la haine  » ou encore cado (+  2,16), «  tomber  ». Toutefois, comme le rappelle à juste titre D. Mayaffre  :  L’approche des cooccurrences renvoie, pour nous, en ADT, à la volonté d’offrir à l’analyste des parcours de lecture aux vertus herméneutiques afin de mieux inter­ préter les textes. La cooccurrence constitue une contextualisation minimale néces­ saire – elle balise le parcours interprétatif – mais, en dernier recours, seul le retour au texte permet l’interprétation 43.

Ce procédé montre une nette différence entre les contextes de femina dans les lettres de consolation et les tragédies. Il confirme la difficulté de proposer une grille de lecture pertinente et unique pour analyser la position de Sénèque par rapport à la femme. En même temps, il invite à poursuivre l’exploration dans le texte pour en comprendre toutes les nuances. a) Femina dans les lettres de consolation Le thème calculé sur les lettres de consolation indique, grâce aux occurrences d’exemplum en cooccurrence avec femina, que certaines femmes célèbres, ou   Pour une réflexion prolongée sur la cooccurrence, voir le numéro spécial de la revue Corpus  : Mayaffre / Viprey (2012). 42   Dans ce cadre, nous nous sommes limité à l’étude de l’environnement thématique du lemme femina. En effet, même si la flexion casuelle latine peut jouer un rôle dans la détermination du réseau contextuel du mot-pôle (Longrée / Mellet [2012]), elle semble relativement faible dans le cas de femina. 43   Mayaffre (2008b), p. 818. 41

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS25

appartenant à l’entourage direct de Sénèque, peuvent être des modèles de vertu pour Helvie et Marcia. Dans l’extrait suivant, Sénèque rejette l’argument des faiblesses féminines et invite Helvie à suivre l’exemple de plusieurs femmes courageuses dans leur maîtrise des peines  : Cum his te numerari feminis uolo : quarum uitam semper imitata es, earum in coercenda comprimendaque aegritudine optime sequeris exemplvm. J’aimerais qu’on te compte parmi de telles femmes [Rutilia]. Tu as toujours imité leur mode de vie, en retenant et en réprimant ta peine, tu suis de la meilleure façon leur exemple. (Helu., XVI, 7) 44

Les recherches antérieures avaient décrit cet aspect 45, mais l’approche par l’étude des cooccurrents est ainsi validée et mérite d’être prolongée en citant un second exemple  : Si ad hoc maximae feminae te exemplum applicueris moderatius, mitius, non eris in aerumnis nec te tormentis macerabis. Si tu te consacres au modèle de cette femme illustre, qui est plus raisonnable et moins rigoureux, tu ne seras pas rongée de chagrin et tu ne t’épuiseras pas à force de tourments. (Marc., III, 4)

Sénèque fait une nouvelle fois référence à un modèle féminin pour inviter Marcia à combattre son affliction. De plus, le nom feminae est caractérisé par l’adjectif maximae. Une femme peut donc être qualifiée de maximus. Ailleurs dans les lettres de consolation, magnus est aussi utilisé pour désigner une femme (Helu., XIX, 7, Marc., II, 2 et III, 4). Mais un autre exemple se démarque également  : Ne feminae quidem te sinent intabescere uolneri tuo, sed leuior ac necessario maerore cito defunctam iubebunt exurgere, si modo illas intueri uoles feminas, quas conspecta uirtus inter magnos uiros posuit. Pas même les femmes ne permettront que tu te mines à cause de ta blessure, mais quand plus légère, tu en auras fini avec un nécessaire chagrin, elles te diront de te relever, si seulement tu es d’accord de prendre en considération ces femmes que leur remarquable courage a placées au rang des grands hommes. (Helu., XVI, 5)

L’auteur opère un pas de plus dans son argumentation en comparant les femmes à des magnos uiros. Elles peuvent être elles-mêmes maximae, mais aussi les égales des grands hommes (magnos uiros). 44   Puisque les textes de Sénèque ont été lemmatisés sur la base des éditions de la collection de la Bibliotheca Teubneriana [pour la prose  : Delatte / Évrard / Govaerts et al. (éd.) (1981), p. xvi et pour la tragédie  : Denooz (éd.) (1994), p. x], nous avons également choisi cette collection pour citer les textes latins de Sénèque  : Hosius (éd.) (1900), Hense (éd.) (1914), Hermes (éd.) (1923) pour la prose, et Peiper / Richter (éd.) (1921) pour la tragédie. Les traductions sont personnelles. Pour les textes d’autres auteurs, les éditions seront mentionnées en note. 45   Citons, à titre d’exemple, Mirón (2008).

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CHAPITRE I

Elles atteignent ce statut grâce à une vertu remarquable (conspecta uirtus), alors que la uirtus (uir-tus) est étymologiquement et traditionnellement attachée au domaine masculin 46. En effet, ce concept est initialement lié au domaine militaire – et donc uniquement masculin – avant de connaître un glissement vers une nuance morale. A. Wilcox a d’ailleurs démontré que «  through the use of positive female exemplars in the consolations to Marcia and Helvia, Seneca accomplishes a liberation of virtus from the traditional masculine realm of war and politics  » 47. L’auteur fait aussi remarquer que, malgré ce glissement de la uirtus dans le domaine féminin, les femmes exemplaires ne remettent pas en cause l’ordre social établi. Cette réalité apparaît distinctement dans les contextes de deux autres cooccurrents  : potentia et ambitiosus. Si l’extrait de potentia où le terme a le sens de «  faculté  » peut être mis de côté (Marc., VII, 4), ses deux autres occurrences, avec la signification de «  puis­ sance  ; pouvoir d’influence  », (Helu., XIV, 2 et XIX, 7) illustrent clairement que les femmes, aussi vertueuses soient-elles, ne peuvent avoir de place dans la vie publique. Dans le premier contexte, l’auteur n’imagine pas que sa mère puisse s’appuyer sur lui pour servir ses propres fins. Il dénonce d’ailleurs celles qui dépassent le strict cadre de leur statut maternel pour parvenir à une certaine forme d’autorité, la potentia  : Viderint illae matres, quae potentiam liberorum muliebri impotentia exercent, quae, quia feminis honores non licet gerere, per illos ambitiosae sunt […] Que ces mères voient, elles qui exploitent l’influence de leurs enfants avec une impu­ dence bien féminine, qui, puisque comme femmes il ne leur est pas permis d’exercer des fonctions publiques, sont ambitieuses à travers eux […]  (Helu., XIV, 2)

Une femme ne peut avoir accès à la potentia que par l’intermédiaire de ses enfants, sous-entendus mâles, car le pouvoir, même d’influence, est en oppo­ sition avec la nature de femme, muliebri impotentia 48. Même cette forme de pouvoir indirect ne doit pas être développée par une femme de manière indépen­ dante 49. Dans le texte, l’incompatibilité entre femina et potentia est mise en évidence par un croisement de type chiastique entre le complément du verbe, potentiam liberorum (nom et complément déterminatif) et le complément de phrase, muliebri impotentia (adjectif déterminatif et nom). Dans le deuxième  Voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  uirtus  », p. 739. Pour une introduction géné­ rale sur la uirtus à Rome, voir McDonnell (2006). 47   Wilcox (2006), p. 93. 48   Impotentia prend ici le sens de «  impuissance à se maîtriser  », comme le fait judicieusement remarquer Costa (éd.) (1994), p. 214. 49   L’historien Tacite associe volontiers la potentia au pouvoir détenu par les femmes de l’Empire et c’est pourquoi le terme prend souvent une nuance péjorative chez cet auteur  : Cogitore (1991). Sur les liens entre femmes et pouvoir, voir Vidén (1993), p. 13-65  ; sur les liens entre pouvoir et Agrippine plus précisément, voir Ginsburg (2006), p. 17-54. 46

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS27

extrait (Helu., XIX, 7), Sénèque associe la potentia à ambitio et à auaritia. Il  définit ensuite le magni animi d’Alceste comme une indifférence face à ces atti­ tudes négatives, condamnant par là toute recherche de la potentia par une femme. Ces deux extraits nous conduisent vers ambitiosus (Helu., XIV, 2 et XIX, 2) et ambitio (Helu., XIX, 7) dont le sens, chez Sénèque, est péjoratif pour les hommes comme pour les femmes. Dans le premier contexte d’ambitiosus (Helu., XIV, 2), le philosophe rappelle que les honores ne sont pas seulement inac­ cessibles aux femmes, mais qu’en plus elles doivent rester insensibles et désin­ téressées face à la réussite de leur entourage dans une carrière des honneurs. Dans quel domaine les femmes devraient-elles appliquer et développer leur vertu  ? La réponse est à chercher dans les cooccurrents du domaine privé. Dans un extrait de la lettre Ad Heluiam, nous retrouvons familia et patrimonium : Tu liberorum tuorum bonis plurimum gauisa es, minimum usa ; tu liberalitati nostrae semper imposuisti modum, cum tuae non imponeres ; tu, filia familiae, locupletibus filiis ultro contulisti ; tu patrimonia nostra sic administrasti, ut tamquam in tuis laborares, tamquam alienis abstineres  ; Toi, des biens de tes enfants tu t’es réjouie le plus mais tu en as profité le moins  ; tu as toujours fixé une limite à notre libéralité alors que tu n’en mettais pas à la tienne  ; toi, en tant que fille de famille, tu as contribué à l’enrichissement de tes fils  ; tu as géré notre patrimoine comme si tu travaillais pour toi et comme si tu te tenais éloignée des autres. (Helu., XIV, 3)

Sénèque loue ici les qualités de sa mère, Helvie, qui consistent à servir les intérêts de ses fils, sans y gagner le moindre avantage personnel. Mais c’est au travers de cet investissement qu’elle pourra s’épanouir et trouver une forme de réalisation individuelle. L’auteur tient à rappeler que le statut de sa mère, filia familiae est limité au cadre privé de la maisonnée 50. Il l’oppose avec une nouvelle tournure chiastique (filia familiae, locupletibus filiis) à celui de ses fils, qui peuvent avoir accès à la fortune et en jouir pleinement. Cette qualité de mise au service des hommes est valorisée aussi dans la lettre à Marcia. Remarquons que Sénèque utilise une fois encore le même procédé littéraire de la construction inversée pour appuyer sa position (Bruto libertatem vs Lucretiae Brutum)  : In qua regem Romanis capitibus Lucretia et Brutus deiecerunt : Bruto libertatem debemus, Lucretiae Brutum. Dans une ville où Lucrèce et Brutus ont renversé celui qui régnait sur les têtes romaines  : nous devons à Brutus la liberté, et à Lucrèce, Brutus. (Marc., XVI, 2)

Comme dans l’extrait précédent, la femme ne participe à la libération de Rome qu’à travers Brutus et non en son nom propre. Elle n’a donc pas de valeur pour   Sur le statut de la femme dans les sphères supérieures de la société romaine impé­ riale, voir Hemelrijk (1999), p. 7-16. 50

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CHAPITRE I

elle-même, mais seulement pour ce qu’elle peut apporter à l’agent de l’action glorieuse. Il est donc peu probable, comme le note A. L. Motto, que «  Seneca, well in advance of his time, is willing to grant women equal opportunity at the banquet table, equal place at the feast of human endeavor  » 51. Il conviendrait sans doute aussi de dépasser le modèle proposé par A. Wilcox, qui envisageait Helvie et Marcia comme des modèles de vertu en devenir à la fois pour les hommes et les femmes, et de rejoindre la position de P. Balasa dans son article sur Sénèque et les femmes de la dynastie Julio-Claudienne. Ce dernier voit en filigrane dans ces deux lettres un exemple de vertu uniquement féminin  : «  Sénèque ne s’en tient pas à signaler les réactions féminines dans le nouveau contexte politique ou à dénoncer les vices, assez répandus parmi les représentantes de l’élite romaine. Il propose à ses contemporaines, hostiles à la vertu, des conduites exemplaires.  » 52 Nous pouvons même faire un pas de plus en proposant que, pour Sénèque, l’idéal vertueux féminin est atteint par une mère ou une épouse lorsqu’elle déploie une énergie toute virile à servir les intérêts des hommes, sans quitter sa position traditionnelle de femme. b) Femina dans la tragédie L’environnement thématique de femina dans les tragédies se démarque de celui des lettres de consolation. Seul uir, dans son sens d’«  époux  », pourrait être attaché au domaine de la famille. Les autres termes sont majoritairement négatifs. Lorsqu’on passe en revue femina avec ses cooccurrents, il semble a priori que la femme est présentée de manière péjorative par les différents personnages. Rappelons ici que, dans la tragédie, Sénèque ne parle pas en son nom propre, mais qu’à la place, il fait parler des personnages fictifs. Nous ne sommes donc pas dans un cadre de lettres privées ou d’exposés théoriques. La tragédie n’a pas pour but de présenter des idées, mais bien de mettre en scène une œuvre dramatique. Néanmoins, cette partie importante de la production de Sénèque, au centre du présent travail, ne peut être ignorée. De plus, à tra­ vers la fiction qu’est le théâtre, il est probable que des représentations, propres à Sénèque ou à son temps, transparaissent en filigrane dans les répliques de ses personnages. Par conséquent, il faut prendre en compte la distance entre la dimension fictionnelle des discours des personnages et l’éventuelle position sous-jacente de l’auteur. Il n’est pas étonnant de trouver un discours rude à l’égard de la gent féminine chez Hippolyte en raison des exigences thématiques du mythe (Phèd., 559-564

  Motto (1972), p. 157.   Balasa (2002), p. 381.

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LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS29

et 566-573) 53, mais des jugements sévères se rencontrent ailleurs. Ainsi dans Phèdre, le chœur d’Athéniens, qui vient d’assister à l’aveu par Phèdre de ses sentiments envers Hippolyte, se demande  : [Ch.]  Quid sinat inausum feminae praeceps fvror ? [Ch.]  Qu’est-ce que la violente fureur d’une femme pourrait laisser non tenté  ? (Phèd., 824)

Dans les Troyennes, Ulysse méprise la faiblesse d’Andromaque  : fvrorque cassus feminae (v. 679  : «  et la vide fureur d’une femme  ») 54, qui tente de sauver son fils Astyanax. À l’opposé de la princesse troyenne, les femmes sont aussi décrites comme des menaces dangereuses, dont il faut se méfier. Les inquiétudes de la nourrice de Déjanire devant la fureur de sa maîtresse envers sa rivale Iole résonnent comme une annonce du drame à venir  : [Nvt.]  O quam cruentus feminas stimulat fvror, cum patuit una paelici et nuptae domus ! [Nour.]  Oh quelle fureur sanguinaire éveille les femmes lorsqu’une seule maison met aux prises l’amante et l’épouse. (Herc. Œt., 233-234)

Plus tard dans l’action, Hercule comprend avec une ironie toute tragique que, lui qui est le symbole de la force virile brute du monde gréco-romain, est vaincu facilement par une femme  : [Herc.]  //Dirus o nobis pudor, o turpe fatum, femina Herculeae necis auctor feretur ! Morior Alcides quibus ? [Herc.]  Ô funeste honte pour moi, ô destin déshonorant  ; on racontera qu’une femme est responsable de la mort d’Hercule  ! Par qui je meurs, moi, Alcide  ? (Herc. Œt., 1176-1178)

De même, une seule héroïne peut mener une ville entière à sa perte. Avant d’être exécutée, Cassandre rappelle cette aptitude avec tristesse, en présence du chœur de captives  : [Cas.]  repletum ratibus euersis mare, captas Mycenas, mille ductorem ducum, ut paria fata Troicis lueret malis, perisse dono feminae : stvpro, dolo.

 On retrouve dans cet extrait des expressions du type  : dux malorum femina, (v. 559  : «  la femme est le guide des perversions  »), scelerum artifex (v.  559  : «  artisan de méfaits  ») ou encore dirum genus (v.  564  : «  funeste race  »). 54   Pour un commentaire sur femina dans cet extrait, voir Keulen (éd.) (2001), p. 379. 53

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CHAPITRE I

[Cas.]  Une fois la mer remplie de vaisseaux chavirés, Mycènes prise, le chef de mille chefs, pour payer les malheurs troyens par un égal destin, est mort par le cadeau d’une femme, la débauche et la trahison. (Agam., 1006-1009)

Dans Médée, Créon est conscient des dangers féminins. C’est pourquoi il essaie, sans succès, d’éloigner Médée de Corinthe  : [Cr.]  Tu, tu malorum machinatrix facinorum, cui feminae nequitia ad audenda omnia, robur uirile est, nulla famae memoria, egredere, purga regna// [Cr.] Toi, toi, machinatrice de malheureux forfaits qui as une débauche toute féminine et une force virile pour tout oser, sans aucune attention à ta réputation, sors, purifie mon royaume… (Méd., 266-269)

Le roi ne reproche pas à l’héroïne d’être aussi forte qu’un homme (robur uirile) 55, mais de mettre cette force au service de mauvaises actions, propres aux femmes (feminae nequitia). Dans ce contexte, Créon condamne cette vile nature. La virilité chez une femme n’est pas désapprouvée en elle-même, comme le confirme la fin de l’Agamemnon : aux vers 958-960, Clytemnestre reproche à Électre d’éprouver des sentiments propres aux hommes. Mais c’est cette attitude virile qui permet à la jeune fille de dépasser son statut, traditionnellement cantonné à la domus (v. 955), et de sauver son jeune frère. Électre apparaît comme un modèle de vertu, à l’opposé de sa propre mère, emportée dans un furor destructeur 56  : [Cly.]  //En adest gnatis tuis furens nouerca.// [Cly.] Voici qu’est présente à côté de tes enfants une belle-mère en fureur. (Agam., 198-199)

Ces exemples permettent de montrer que la femme elle-même n’est pas criti­ quée par Sénèque au travers de ses tragédies, mais bien un type précis de femme, en accord avec les principes généraux de la philosophie stoïcienne  : les femmes incapables de maîtriser leurs passions 57. En effet, est souvent associée aux feminae dénoncées la mention de furor ou de stuprum, deux passions de la démesure : chez les femmes en général (Phèd., 560), chez Phèdre (Phèd., 824), Andromaque (Troy., 679), Déjanire (Herc. Œt., 233), Hélène (Agam., 1009),   Sur le sens de robur, voir la synthèse de Drexler (1959), p. 50-95.   Sur le personnage de Clytemnestre dans l’Agamemnon, voir Croisille (1964a), p. 464-472. 57   Dans la philosophie stoïcienne, le sage doit chercher à rejeter toute émotion déme­ surée, qu’elle soit positive ou négative, dans le but ultime d’atteindre l’apatheia. Pour une étude de ces questions dans la philosophie stoïcienne, voir Rist (1969), p. 37-53  ; chez Chrysippe et Posidonius, voir Glibert‑Thirry (1977). Pour une analyse de la passion dans Phèdre, voir Armisen‑Marchetti (1990). 55

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LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS31

Clytemnestre (Agam., 199) ou encore chez Médée (Méd., 52). Sénèque ne cherche donc pas à démontrer que toutes les femmes sont de nature mauvaise, ce que contredit l’étude des lettres de consolation. À la place, il souligne que celles qui ne dominent pas leurs passions de cœur, comme la colère, ou de corps, comme la débauche, mènent à la destruction. Tandis que l’auteur fournit au lecteur des modèles à suivre dans les lettres de consolation, il offre des contre-exemples dans ses tragédies. c) Femina dans les textes philosophiques (Lettres à Lucilius et traités) Qu’en est-il des occurrences de femina qui n’ont pas encore été abordées  ? Les Lettres à Lucilius comptent quinze fois le terme femina, contre dix dans les traités philosophiques. Il est impossible de produire l’environnement thématique de femina si l’on aborde les deux corpus séparément, et il semble hasardeux de vouloir mettre sur un même plan des œuvres de nature différente. Lorsqu’on passe en revue manuellement les occurrences de femina dans les Lettres à Lucilius, il apparaît que Sénèque considère qu’hommes et femmes sont des êtres différents. C’est pour cette raison qu’ils occupent des places distinctes 58 dans la société romaine et qu’ils doivent, en outre, être traités différemment 59. Par conséquent, il ne convient pas que les hommes échangent leur statut avec celui des femmes. Cette opinion est illustrée dans l’exemple suivant, où le terme concret uestis, «  l’habit  », désigne la condition de l’un ou l’autre sexe  : Non uidentur tibi contra naturam uiuere qui commutant cum feminis vestem ? N’est-ce pas, à ton sens, vivre contre nature que de faire avec la femme échange de costume  ? (Ad Luc., 122, 7)

De plus, il disconvient que les femmes agissent en hommes. Même si les deux sexes sont faibles devant les vices 60, la réalisation d’actions traditionnellement masculines – comme la gymnastique ou la participation active à l’amour – constitue pour les femmes une perversion grave, au point d’en subir des consé­ quences physiques, comme la maladie ou la perte de cheveux (Ad Luc., 95, 20-21). Dans la lettre 95, T. Gazzarri a d’ailleurs démontré qu’à travers les domaines particuliers que sont l’alimentation et la médecine, Sénèque présente une vision traditionnelle des femmes, à savoir qu’elles sont principalement des corps sexués 61.  Par exemple, les femmes doivent, avec les vieillards, consolider les murailles d’une ville assiégée pendant que les hommes la défendent en armes (Ad Luc., 49, 8). 59   Par exemple, la période de deuil est fixée à une durée d’un an pour les femmes, alors qu’aucune période n’est définie pour les hommes, moins enclins aux chagrins (Ad Luc., 63, 13). 60   Hommes comme femmes peuvent devenir esclaves du luxe (Ad Luc., 110, 14), de la gourmandise ou encore de l’ivrognerie (Ad Luc., 95, 20-21). 61   Gazzarri (2014). 58

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CHAPITRE I

Ces observations sont confirmées par l’étude des passages de femina dans les traités philosophiques. Là aussi, hommes et femmes n’ont pas le même rôle dans la société, puisqu’il est inapproprié que ces dernières reçoivent des armes de chasse en cadeau (De Ben., I, 11, 6). Par ailleurs, en plus d’être sensibles, comme les hommes, au luxe et à la débauche, les femmes peuvent être envahies par la colère (De Ira, III, 2, 3). L’introduction du De Constantia Sapientis ne laisse aucun doute sur la pensée de Sénèque sur les femmes  : Tantum inter Stoicos, Serene, et ceteros sapientiam professos interesse quantum inter feminas et mares non immerito dixerim, cum utraque turba ad uitae societatem tantundem conferat, sed altera pars ad obsequendum, altera imperio nata sit. Je ne dirais pas injustement, Sérénus, que la science diffère entre les Stoïciens et les autres autant qu’entre femmes et hommes, puisque l’un et l’autre groupe contribuent à part égale à la vie en société, mais le premier est fait pour obéir, et le second, pour le pouvoir. (De Const., I, 1)

Le philosophe, en plus d’une condamnation des transferts de rôle entre les sexes, hiérarchise ceux-ci dans le but d’une harmonisation de la société. Chacun doit y participer à part égale, comme l’indique l’adverbe tantundem. L’analyse des deux groupes de textes a ainsi montré qu’une certaine unité de pensée traverse les Lettres à Lucilius et les traités philosophiques, en parfait accord avec un principe majeur de la philosophie stoïcienne, à savoir qu’«  il faut se soumettre à la nature  »  : Hoc uiro hoc feminae, hoc marito hoc caelibi conuenit. Ceci convient à l’homme, cela à la femme, ceci au mari, cela au célibataire. (Ad Luc., 94, 8)

I.1.3.  Les usages de mulier chez Sénèque Trois des six occurrences de mulier sont ici retenues 62, parce qu’elles sont par­ ticulièrement pertinentes dans le cadre de notre analyse. Tout d’abord, dans Médée, Créon s’étonne avec mépris qu’une femme discute son autorité royale  : [Cr.]  Quae causa pellat, innocens

mvlier

rogat.

[Cr.]  La raison de son expulsion, une innocente femme la demande. (Méd., 193)

Le roi n’accepte pas qu’un de ses sujets, et a fortiori une femme, remette en cause son pouvoir, qu’il soit juste ou non. Ensuite, dans un contexte différent, mulier apparaît dans la Consolation à Marcia. Sénèque y débat des qualités physiques et morales des hommes et des   Pour les trois autres, voir  : De Ira, II, 30, 1, Ad Luc., 97, 4, De Breu., IV, 6.

62

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS33

femmes. Dans ce passage en faveur du sexe féminin, à femina, il a préféré le terme à nuance valorisante, mulier  : Quis autem dixit naturam maligne cum mvliervm ingeniis egisse et uirtutes illarum in artum retraxisse ? Par illis, mihi crede, uigor, par ad honesta, libeat, facultas est. Mais qui a dit que la nature a agi méchamment avec les dispositions naturelles des femmes et qu’elle ait diminué leurs qualités  ? Elles ont, crois-moi, une force égale à celle des hommes  ; égale aussi est leur faculté à la morale, quand elles le veulent. (Marc., XVI, 1)

L’auteur avance que les femmes ont une même nature que leurs homologues masculins et qu’elles peuvent également faire preuve de vertu. Comme indiqué pour femina, cette position est novatrice à l’époque de Sénèque. Un usage positif et similaire de mulier et femina semble donc se dégager des lettres de consolation. Le troisième exemple survient dans une réflexion plus générale sur ce qui peut offenser le sage. Après l’exemple de l’insolence des puissants, l’auteur se demande si le sage peut se sentir blessé par une femme  : Quid refert quam habeant, quot lecticarios habentem, quam oneratas aures, quam laxam sellam ? Aeque inprudens animal est et, nisi scientia accessit ac multa eruditio, ferum, cupiditatium incontinens. Qu’importe ce qu’elles ont, le nombre de ses porteurs, ce qui orne ses oreilles, la largeur de sa chaise  ? C’est toujours un être ignorant et qui, s’il n’a pas bénéficié d’un savoir et d’une grande éducation, ne retient ni ses instincts, ni ses profonds désirs. (De Const., XIV, 1)

Ce passage complète assez bien le précédent. En effet, dans le premier extrait, le philosophe annonce qu’hommes et femmes ont les mêmes facultés de vertu, si les secondes le désirent (libeat). La vertu ne semble donc pas innée, mais nécessiter une démarche intérieure du sujet. Dans le deuxième, Sénèque précise que les femmes sont toutes originellement un animal inprudens, c’est-à-dire «  un être qui ne sait pas  », sous-entendu «  qui ne sait pas se maîtriser  ». Cette observation n’est pas en soi péjorative, puisqu’ailleurs dans son œuvre (Ad Luc., 41, 8), Sénèque qualifie l’être humain – hommes et femmes – de rationale animal, à savoir «  un être doué de raison  ». C’est cette capacité de raison qui permet aux femmes d’étu­ dier (scientia) et de développer des connaissances (eruditio), pour apprendre à dompter les passions et pour avoir accès, tout comme les hommes, à la vertu 63. Ces trois extraits corroborent nos observations précédentes sur femina et les lignes directrices de la pensée de Sénèque au sujet de la femme apparaissent donc avec cohérence tout au long de son œuvre. * *   * 63

  Sur ce point précis, voir Balasa (2002), p. 382.

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CHAPITRE I

L’auteur a une conception uniforme 64 de la femme et de la place qu’elle doit occuper dans la société, même si les travaux antérieurs avaient plutôt étudié la question dans chaque partie de son œuvre séparément. Différents points de vue sont abordés et développés selon le genre littéraire utilisé et le public visé. Ainsi, les lettres de consolation présentent aux femmes des exemples de vertu à suivre, tandis que les tragédies exposent plutôt des modèles à éviter. Les Lettres à Lucilius et les traités abordent, quant à eux, des éléments de détails sur le statut respectif des hommes et des femmes. Il devient assuré que le philosophe n’a pas une approche féministe de ces réalités 65. Même si l’auteur présente une position novatrice sur les questions d’accès des femmes à la vertu et à la vie intellectuelle, il n’en garde pas moins une vision conservatrice quant à l’utilisation idéale que les femmes doivent faire de ces qualités. Elles doivent développer ces compétences pour servir les ­intérêts des hommes qui font partie de leur entourage  : enfants, neveux, époux. Les conclusions de la section Morals de l’ouvrage sur la femme romaine de C.‑E. Centlivres Challet, développées principalement sur l’étude des Lettres de Pline le Jeune et de Tacite 66, rejoignent nos propres conclusions sur Sénèque  : In a society organized and managed by men, men’s lives are inevitably the ground for women’s demonstrations of their qualities and abilities. Accordingly, female public attainments are set in the context of the female gender role, and the courage that women display in relation to their husbands’ career or health is concomitant with their loyalty and care for their comfort. 67

Cette conception, qui semble commune aux auteurs latins après le Ier siècle de notre ère, s’intègre parfaitement dans la philosophie stoïcienne, qui a pour but ultime  : Rem facillimam, secundum naturam suam uiuere. Il y a une chose très facile  : vivre selon sa nature. (Ad Luc., 41, 9)

Et pour Sénèque, la nature des deux sexes est la suivante  : Altera pars ad obsequendum, altera imperio nata sit. Un côté est né pour obéir, et l’autre, pour le pouvoir. (De Const., I, 1).

Le précepteur de Néron propose à ses lecteurs une vision traditionnelle de la femme, mais avec des concepts originaux. Contrairement à ses prédécesseurs, il les invite à s’investir entièrement dans la recherche de la vertu et à poursuivre, avec les hommes, l’idéal stoïcien d’occuper la place que la nature leur impose pour maintenir l’ordre du monde.   Sur la cohérence de la pensée sénéquéenne, voir Grimal (1978), p. 16-22.   Stevenson (2011), p. 186-189 arrive à la même conclusion pour Tite-Live avec une analyse des exempla féminins du livre I de l’Ab urbe condita. 66   Sur la vision de la femme idéale chez Tacite, voir aussi l’article de Foubert (2010). 67   Centlivres Challet (2013), p. 83-85. 64 65

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS35

I.2.  Logométrie et discours des personnages féminins

chez

Sénèque

I.2.1.  De l’analyse du discours à la logométrie Dans le sillage du déploiement des sciences du langage et de la linguistique, le discours s’est imposé comme un objet d’étude à part entière. Dès le départ, les chercheurs se sont interrogés sur les caractéristiques même du discours, comme en témoigne l’abondante littérature spécialisée 68. Sans entrer dans le détail des discussions techniques qui ont animé la scène scientifique du domaine ces der­ nières décennies, trois points sont néanmoins importants pour notre recherche  : la position de l’étude du discours par rapport à la linguistique, la distinction entre texte et discours, et, enfin, l’essence même de la notion de discours. Premièrement, la place du discours par rapport à la linguistique à laquelle il est attaché a demandé réflexion. En s’appuyant sur la proposition de M. Arrivé 69, on peut considérer que le discours dépasse le simple fonctionnement de la grammaire textuelle pour une approche plus globalisante que la linguistique. C’est pourquoi une relation d’interdépendance entre les deux approches doit être rigoureusement maintenue pour mener une étude efficace du discours, que C. Fuchs définit alors comme un «  objet concret, produit dans une situation déterminée sous l’effet d’un réseau complexe de déterminations extralinguis­ tiques (sociales, idéologiques)  » 70. Le discours est donc non seulement intime­ ment déterminé par la linguistique qui l’identifie comme objet concret, mais également par les facteurs extralinguistiques qui lui donnent une singularité abstraite. En deuxième lieu, si, au départ, il s’agissait surtout d’examiner le discours oral – par exemple, le discours politique – il a ensuite été rapidement question de prendre en compte aussi les textes écrits 71. Il a été nécessaire à la communauté scientifique de clarifier les notions de texte et de discours pour éviter toute ambi­ guïté ontologique. La question est complexe et ne semble toujours pas totalement résolue aujourd’hui, tant la frontière entre les deux concepts peut être sujette à interprétations diverses 72. On se limitera ici à la différence proposée par D. Maingueneau entre le texte, qui est le lieu où «  on met l’accent sur ce qui lui 68   Voir le numéro spécial de la revue Langages consacré à l’Analyse du discours publié en 1969 et considéré comme un des points de départ de cette discipline  : Dubois / Sumpf (1969). 69   Arrivé (1986), p. 233  : «  Le discours peut être conçu comme une extension de la linguistique, ou comme symptôme d’une difficulté interne de la linguistique (particuliè­ rement dans le domaine du sens), rendant nécessaire le recours à d’autres disciplines  ». 70   Fuchs (1985), p. 22. 71   Voir la réflexion menée au sein du numéro 74 publié en 1987 de la revue Langue française consacré à la typologie des discours. 72   Pour les difficultés à définir l’analyse du discours voir Maingueneau (1996a), p. 8.

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donne son unité, qui en fait une totalité et non et une suite de phrases  », et le discours, où «  on articule l’énoncé sur une situation d’énonciation singulière  » 73. Le texte sera donc considéré comme un produit construit et concret, différent du discours qui se présente comme une production en contexte et donc unique. En troisième lieu, il est pertinent de se demander quels sont les éléments a priori stables dans les théories du discours et utiles à notre développement. D’une part, lorsqu’ils sont différents, le locuteur, plus que l’auteur du discours, occupe une place primordiale dans le processus d’analyse de ce discours, comme le relève É. Benveniste 74. Depuis, ce paramètre n’a jamais été remis en question. Au même endroit, le linguiste met en évidence le facteur de l’interlocuteur, qui intervient également dans la construction d’un discours  : Mais immédiatement, dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue, il implante l’autre en face de lui, quel que soit le degré de présence qu’il attribue à cet autre. [...] Ce qui, en général, caractérise l’énonciation est l’accentuation de la relation discursive au partenaire, que celui-ci soit réel ou imaginé, individuel ou collectif.

Plus tard, D. Maingueneau ajoute à l’interlocuteur l’ensemble des facteurs exté­ rieurs qui participent, eux aussi, à la détermination du discours 75. Pour étudier le discours dans les tragédies de Sénèque, il convient donc d’abor­ der le texte comme un produit construit et unifié de phrases, mais en l’intégrant dans son contexte d’énonciation. Celui-ci est un peu particulier, puisqu’il s’agit d’une fiction. Il faut donc en tenir compte, avec les autres paramètres (locuteur, interlocuteur, environnement de l’énonciation) qui définissent le discours dans l’unicité de sa performance. Alors que les études sur la femme et l’analyse du discours se sont au départ développées en parallèle, elles se sont rencontrées à partir des années 1980, quand les chercheurs ont commencé à étudier les discours des femmes de l’An­ tiquité. L’un des premiers travaux sur le sujet est celui de M. Gilleland, publié en 1980 76. Il s’intéresse brièvement aux mots ou expressions associés par les anciens au discours féminin. Il est suivi par D. Bain et J. N. Adams 77. Dans les trois cas, les philologues cherchent à découvrir, par l’étude des témoignages conservés, si des différences de langage existaient entre hommes et femmes grecs et romains. Ils dégagent une série de mots ou d’expressions que les anciens attribuaient à l’un ou l’autre sexe. Ils les étudient ensuite dans le corpus qui les intéresse – Ménandre pour D. Bain, et la comédie latine pour J. N. Adams –   Maingueneau (1996b), p. 82.   Benveniste (1970), p. 14  : «  le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques d’une part, et au moyen de procédés accessoires de l’autre  ». 75   Maingueneau (1987), p. 18  : «  tout discours peut être défini comme un ensemble de stratégies d’un sujet dont le produit sera une construction caractérisée par des acteurs, des objets, des propriétés, des événements sur lesquels il s’opère  ». 76   Gilleland (1980). 77   Bain (1984) et Adams (1984). 73 74

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pour déterminer si les auteurs comiques ont cherché à les reproduire sur scène. En revanche, ils se sont peu intéressés à la représentation que les dramaturges se faisaient de leur propre culture, ou à la construction qu’ils auraient pu mettre en place à dessein dans leurs œuvres. On a depuis lors délaissé l’idée de découvrir d’un point de vue historique un langage des hommes différent de celui des femmes. Les chercheurs ont plutôt tenté de mettre au jour les différences de représentation, leur raison d’existence et leur fonctionnement. Dans ce mouvement, on peut citer les travaux de Ph. Moreau ou d’A. Romano Forteza 78 sur Horace. Mais ce sont surtout les enquêtes de L. K. McClure sur la tragédie grecque 79 qui marquèrent durablement ce champ d’étude alors en plein développement 80. Elle cherche à comprendre  : «  how Attic drama represents the speech of women and seeks to understand its social and political function across genres and from the perspective of multiple authors  » 81. Elle étudie comment les poètes tragiques ont construit leurs person­ nages féminins par le discours. Ils jouent sur les représentations des codes dis­ cursifs en vigueur à l’époque classique, confirmant certains aspects historiques déjà bien établis et en mettant de nouveaux en évidence. Pour revenir au monde latin, on ne peut passer sous silence l’examen de la comédie latine par D. M. Dutsch. Après une étude fouillée, l’auteur conclut que  : «  by conceptualizing the interval between the author and his feminine style as a space of contiguity as well as separation, we can hear in the theatrical “women” distant echoes of women speaking  » 82. Par une étude des représen­ tations du discours féminin chez les comiques latins, elle procède à un subtil retour au langage de la femme, offrant ainsi un large aperçu d’une probléma­ tique complexe. Toutefois, contrairement au théâtre grec et à la comédie latine, la tragédie de Sénèque n’a pas encore fait l’objet d’une étude de ce type. Ses personnages féminins ont bien attiré l’attention des lecteurs de Sénèque, mais jamais du point de vue de leur discours 83. C’est pourquoi le présent travail vise aussi à combler un manque dans la lit­ térature spécialisée, complétant par là l’étude du discours féminin dans le théâtre gréco-latin. De plus, des études sur Sénèque ont montré que la première fonction des comédiens, tous des hommes, était de montrer physiquement, par le corps,   Moreau (1995) et Romano Forteza (1994).   McClure (1995, 1997, 1999a et 1999b). 80  On peut citer, à titre d’exemples pour des œuvres grecques  : Bruit Zaidman (2006), Goldhill (2004) et Mossman (2005), et pour des œuvres latines  : Kruschwitz (2012), Nagues (2005), Valette (2012) et van Mal-Maeder (2003). Dans cette litté­ rature foisonnante, nous relevons le travail de J. H. Chong Gossard qui vise, de manière originale, à prendre aussi en compte, dans son analyse de la communication, le silence des personnages chez Euripide  : Chong Gossard (2003, 2004, 2006 et 2008). Pour une bibliographie plus complète, voir aussi Fögen (2004), p. 238-274. 81   McClure (1999a), p. 6. 82   Dutsch (2008), p. 231. 83   Voir par exemple  : Averna (1992) et Roisman (2005). 78 79

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et vocalement, par la voix, les émotions véhiculées par la pièce 84. Sans recher­ cher le réalisme des situations, ils devaient néanmoins entraîner le public avec eux dans le spectacle des passions. Pour faciliter la compréhension de l’action et la dramatiser, il est donc probable que les discours des personnages sont compo­ sés pour participer, en plus du masque, du costume et de la tonalité de la voix, à montrer que le locuteur était un homme ou une femme. Cette réalité justifie également l’opportunité de produire une étude sur la question. En revanche, on ne nie pas que certains personnages puissent occasionnellement faire l’objet d’une caractérisation inverse à leur sexe, et il faudra y prendre garde. Dès lors, comment aborder avec nuance les discours féminins et masculins chez Sénèque  ? Quelle méthodologie mettre en place pour dégager des résultats pertinents  ? Comme énoncé plus haut, la plupart des études antérieures reposent sur la perception que les anciens avaient eux-mêmes de la façon de parler de leurs femmes. J. N. Adam compile ainsi les remarques de Cicéron, Juvénal et Ovide, ou encore les commentaires précieux de Donatus à Térence, qu’il croise avec ses observations de la comédie latine. De manière très utile, il réunit les images du langage féminin répandues à l’époque classique. Par exemple, les femmes utilisent une langue plus conservative  ; elles parlent rapidement et sur un ton aigu  ; elles sont dans une posture de séduction et doivent éviter des propos vulgaires 85. Cette approche a perduré jusqu’aux travaux de L. K. McClure, qui se concentrent désormais sur la mise en scène du discours féminin dans la tragédie grecque. L’auteur se fonde alors plutôt sur des registres de communication, élargissant en même temps la perspective de ses recherches. Mais ils sont toujours sélectionnés parce qu’ils sont associés par les anciens au langage fémi­ nin. Elle en choisit principalement cinq 86, sur la base d’une étude des textes littéraires  : la lamentation, l’aischrologie, les chœurs de femmes, le bavardage et la persuasion. Cette méthode lui permet de prendre en considération ces formes d’expression chez les personnages des deux sexes et de voir les différences de leur construction et de leur traitement. Sur la comédie latine, D. M. Dutsch renforce les commentaires de Donatus à Térence par un relevé comptable et comparatif de l’utilisation de certains mots attachés à la femme chez les person­ nages masculins et féminins de Plaute et Térence 87. Les deux auteurs latins auraient donc principalement associé ces éléments à des personnages féminins pour représenter sur scène une façon féminine de parler. Elle se fonde ensuite sur ces termes pour aborder, elle aussi, des registres plus larges qui leur sont associés, comme l’expression de la douleur ou bien de la séduction. La plupart de nos prédécesseurs ont donc choisi d’approcher le discours fémi­ nin des auteurs anciens par le vecteur de leur perception du phénomène. Cette méthode permet de croiser les sources (les œuvres littéraires, les traités techniques,   Dupont (1998) et Garelli-François (1992).   Adams (1984). 86   McClure (1999a), p. 31-69. 87   Dutsch (2008), p. 49-53. 84 85

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les commentaires anciens), avec des résultats importants à la clef. Toutefois, elle pourrait provoquer une confusion entre le traitement du discours féminin par les anciens dans leur production littéraire et leur propre regard critique sur ce même discours. Il est donc important de proposer une méthodologie différente, mais qui se veut complémentaire des précédentes. Par conséquent, il semble préfé­ rable d’interroger les tragédies de Sénèque par elles-mêmes, d’examiner Sénèque par Sénèque. Dans un second temps, nous pourrons appuyer notre propos par ces sources critiques étudiées par les chercheurs antérieurs. Nous inversons donc le processus herméneutique pour découvrir de nouveaux éléments. À partir de la tragédie, nous cherchons à déterminer si l’auteur a caractérisé le discours de ses personnages selon un critère de sexe et si oui, avec quels moyens langagiers. Une fois mis au jour, il sera alors question de comprendre le fonc­ tionnement de ce traitement spécifique dans un triple objectif  : mieux saisir les mécanismes de composition d’une œuvre tragique latine, de construction par la communication de personnages complexes et originaux et, plus indirectement, de représentation des rapports hommes-femmes dans la société néronienne. Nous avons renoncé à travailler à partir de mots 88 ou de concepts 89 préalablement associés à la femme pour éviter le risque de projeter nos propres représentations sur le sujet d’étude. À la place, nous avons décidé d’appliquer des méthodes statistiques, parce qu’elles permettent de faire émerger les caractéristiques d’un texte sans présupposé de départ. De cette manière, elles participent à l’objectiva­ tion, à la fois du processus d’analyse, mais aussi de la nature des résultats 90. Avec ces procédés de calcul, notre développement se fonde sur ce qui dis­ tingue, en premier lieu, les discours masculins et féminins, à savoir le sexe du locuteur. De là, nous pourrons examiner les résultats produits par la recherche assistée par ordinateur et les comparer aux études précédentes, en croisant les approches. Comme souligné, il n’est donc pas question de nier qu’un homme de la tragédie puisse produire un discours avec des caractéristiques féminines ou vice versa en raison de l’influence du genre, en plus du sexe, sur ce discours. Pour le genre, nous utilisons la définition largement acceptée de F. Thébaud  : Le genre est en quelque sorte “le sexe social” ou la différence des sexes construite socialement, ensemble dynamique de pratiques et de représentations, avec des acti­ vités et des rôles assignés, des attributs psychologiques, un système de croyances. Le sexe est ainsi perçu comme un invariant, tandis que le genre est variable dans le temps et l’espace, la masculinité ou la féminité 91.   Pour un index, par exemple  : Denooz (éd.) (1994).   À l’aide d’ouvrages comme celui de Motto (1970). L’auteur propose un index de concepts présents chez Sénèque, mais seulement pour son œuvre en prose. 90   L’analyse des textes par la statistique vise à travailler sur des données chiffrées et à fonder l’interprétation sur un matériel le moins sujet possible à la critique. Cette réflexion traverse par exemple le travail de D. Mayaffre  : Mayaffre (2005), p. 3, (2008b), p. 814 et (2010), p. 13. 91   Thébaud (1998), p. 114. 88 89

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Comme l’historienne le rappelle, le sexe est un invariant, alors que le genre est variable, parfois même au sein d’un seul discours 92. Par conséquent, il est plus assuré de travailler d’abord avec le critère du sexe pour tenter de mettre au jour les tendances principales qui caractérisent les discours féminins et masculins. Ensuite seulement, on pourra faire intervenir localement les notions de genre pour comprendre dans le détail les jeux de construction du discours de Sénèque. Par ailleurs, ce travail cherche également à mettre en pratique des procédures statistiques éprouvées depuis longtemps dans d’autres champs des humanités 93 à un nouveau domaine d’application. Ceci ouvre une perspective tout à fait nova­ trice en associant les études statistiques aux discours de théâtre 94, en tenant compte des données «  extra-linguistiques  » 95. Comme le disaient B. Habert, A. Nazarenko et A. Salem  : «  nos domaines de spécialités (analyse syntaxique automatique, sémantique, représentation des connaissances et statistique textuelle) 96 nous situent aux frontières de la linguistique  » 97. C’est donc par un retour aux unités premières du texte écrit 98 (le mot, les informations qui lui sont liées et les struc­ tures de mots) que nous pourrons proposer une interprétation pertinente des discours. Un réel souci épistémologique traverse donc ces pages et en constitue une caractéristique essentielle 99. Si notre démarche fait ses preuves, elle ouvrira alors de nouveaux horizons pour l’ensemble du théâtre occidental.   Voir l’analyse intéressante chez Gleason (2013), p. 121-161, sur la tension entre attitudes féminines et postures masculines chez les rhétoriciens romains. 93   Par exemple dans le travail fondateur d’Étienne Brunet sur le vocabulaire français  : Brunet (1981), vol I-III. 94  Sous l’angle de la critique littéraire, nous sommes proche des conclusions de D. Mayaffre  : «  Nous avons voulu doubler la lecture traditionnelle de l’historien, du littéraire, du lecteur classique par une lecture plus contrôlée, plus froide, plus objective  ; doubler la lecture qualitative ou intuitive par une lecture systématique du texte et quan­ titative du vocabulaire  », Mayaffre (2000), p. 750. 95   Mayaffre (2000), p. 29. 96   Dans notre cas  : la statistique textuelle, l’étude du discours (hommes vs femmes) et la philologie classique. 97   Habert / Nazarenko / Salem (1997), p. 14. 98   Évrard (2002), p. 11  : «  Soit le mot  : il peut être considéré tout simplement comme un représentant de la catégorie occurrence verbale, mais aussi comme une occurrence d’un vocable, ou encore d’une catégorie grammaticale, considérée d’une manière plus ou moins détaillée […] Pour chaque recherche, il convient, on l’a dit, de définir avec rigueur et précision la variable et sa ou ses modalités prises en compte, ainsi que le corpus considéré.  » 99   Comme le décrit Ch. Muller dans sa conclusion sur les méthodes de statistique textuelle  : «  [Les tests statistiques] substituent aux appréciations subjectives et vagues un résultat chiffré, qu’il sera aisé de comparer avec d’autres résultats obtenus par la même voie […] Dans cette démarche, quelle est la part de la statistique  ? Elle fournit les procédés de raisonnement et de calcul pour l’établissement du modèle théorique. Elle donne l’instrument des tests pour une mesure probabiliste des écarts observés. Tout le reste requiert l’intervention du linguiste  », Muller (1992a), p. 167. 92

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I.2.2.  Traitement d’un corpus de tragédies À présent, il est important de répondre à la question du traitement d’un corpus de tragédies et des méthodes mises en place pour le faire parler 100. Pour y par­ venir, il est indispensable de décomposer chaque tragédie en fonction des rôles qui prennent la parole sur scène. Ainsi, de manière originale, les répliques de chaque personnage qui intervient dans une pièce sont considérées comme une unité à part entière. Cette démarche est plutôt novatrice, puisque jamais l’en­ semble des personnages d’un corpus tragique grec ou latin n’a été soumis en même temps à des procédures communes de statistique textuelle. L’approche est donc à la fois innovante, mais également expérimentale, tant sur les méthodes que sur les résultats espérés. La division des pièces selon les rôles offre un moyen efficace de mettre en comparaison tous les personnages, au-delà des frontières traditionnelles de l’œuvre. Elle permet également de les rassembler par groupe, selon des critères préalablement définis, dans le but de mettre en évidence d’éventuelles opposi­ tions ou synergies entre les différents types de personnages. Les parties chorales d’une même tragédie, qui présentent une cohérence scénique et dramatique, sont considérées comme une seule unité de textes lors des opérations statistiques 101. En revanche, les personnages dont la prise de parole est trop courte pour avoir une validité statistique, sont d’abord écartés. Il s’agit des rôles très limités sui­ vants  : Astyanax (un seul vers, 792) et Calchas (une dizaine de vers de 360 à 370) des Troyennes, Phorbas de l’Œdipe (treize vers entre 845 et 867), et Étéocle des Phéniciennes (douze vers entre 651 et 665). La nature de notre corpus, composé de rôles relativement courts, pose inévi­ tablement la question de la validité de la statistique textuelle lorsqu’elle est appliquée à des textes d’étendue limitée. D. Mayaffre notait  : À vrai dire, nous n’avons jamais cherché à définir une taille critique [de corpus]. Nous savons simplement que le traitement statistique est d’autant moins contestable que les populations sont importantes. Et constatons que les ordinateurs et des logi­ ciels repoussent chaque jour les limites de la veille. More data, better data pourrait être grossièrement notre devise s’il n’y avait la nécessité ensuite d’embrasser le texte qualitativement  : trop gros, les corpus deviennent illisibles et ininterprétables. 102

Par conséquent, il est nécessaire de garder une distance critique avec les résul­ tats obtenus pour les rôles brefs, mais qui sont néanmoins conservés pour un besoin d’exhaustivité. Et il convient d’établir un constant aller-retour entre les 100   Les tragédies de Sénèque ont déjà fait l’objet de brèves études statistiques confron­ tant les personnages d’une même œuvre entre eux  : Denooz (1974 et 2005b), ou même avec le logiciel Hyperbase pour comparer les œuvres entre elles  : Mellet (1998). 101   Bien que le chœur d’une pièce ne soit pas un personnage stricto sensu, on le considérera bien d’un point de vue statistique comme une seule unité textuelle mise en comparaison avec les autres personnages de l’action. 102   Mayaffre (2010), p. 14, n. 10.

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données produites par les logiciels et le texte latin original pour une herméneu­ tique des résultats pertinente et contextualisée. Le corpus de départ se compose donc de 71 unités textuelles qui constituent chacune une des composantes de l’identité du héros montré sur scène  : son contenu discursif, son essence narrative. Elle vient s’ajouter aux trois autres éléments traditionnellement admis dans la construction de ces personae  : sonore (sonus  : l’expression orale du texte), mobile (gestus  : gestuelle de l’acteur) et physique (uoltus  : l’expression figée du visage) 103 qui, ensemble, créent devant le public l’illusion du personnage. Malgré la difficulté pour les modernes de comprendre ce que représentaient dans le détail ces concepts pour les anciens, plusieurs travaux s’attachent à leur étude 104. De notre côté, nous nous concen­ trons sur le plus assuré de ces aspects  : le texte. Cette approche, essentiellement fondée sur une étude des textes, présente inévitablement des faiblesses, puisqu’elle ne peut prendre en compte toute une série de paramètres externes au récit proprement dit. Il est ainsi impossible de considérer tout ce qui constitue le méta-texte et le contexte de ces œuvres, qui pourraient pourtant nous éclairer sur les rapports hommes-femmes mis en scène  : les didascalies (pleurs, chuchotements, agressivité), la performance théâ­ trale (gestuelle, sonorités, expressivité corporelle), les données matérielles de la représentation (masques, décors, costumes, accessoires). Néanmoins, notre démarche se justifie en trois points  : le premier repose sur le fait que notre recherche porte sur les spécificités langagières entre les personnages avec une approche d’analyse du discours. Ensuite, ces métadonnées sont pour la plupart perdues ou très incertaines 105. En troisième lieu, la tragédie de Sénèque est une œuvre dite de spectacle 106, dans laquelle le texte montre avec des mots l’action, tout autant que le jeu corporel et vocal des acteurs. Les personnages – et pas seulement les messagers – parlent pour faire voir au public ce qu’ils font, ce qu’ils voient, ce qu’ils ressentent. Le passage suivant, extrait de la fin du Thyeste, illustre comment le héros décrit à la fois ses sentiments intérieurs pour les «  faire voir  » au public, mais aussi leurs manifestations extérieures, comme les fletus qui s’écoulent de ses yeux  : [Thy.]  Nolo infelix, sed uagus intra terror oberrat, subitos fundunt oculi fletvs, nec causa subest. 103   Selon les propres catégories des anciens (Cic., De Orat., III et Quint., De Inst. Orat., XI) étudiées par Arcellaschi (1985) ou encore Pernot (2000). 104   Pour la gestuelle  : Garelli (2010b), Dutsch (2013). Pour les effets sonores  : Dupont / Letessier (2011), p. 63-68. Pour les masques et leurs usages  : Méautis (1923), Dupont (1998), Mader (2002) et surtout Frontisi‑Ducroux (2012). 105   Pour une étude précise sur la dramaturgie chez Sénèque, voir Kohn (2013). 106   Plusieurs philologues ont déjà mis en évidence cette particularité de la tragédie de Sénèque, dans un ordre chronologique  : Pratt (1983), p. 18, Dupont (1995), p. 109149, Boyle (1997), p. 112-137, Staley (2010), p. 52-65 et Paré‑Rey (2014).

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Dolor an metus est ? An habet lacrimas magna uoluptas ? [Thy.]  Sans le vouloir, je suis malheureux, mais une terreur insidieuse erre en moi  ; subitement s’écoulent des pleurs de mes yeux, sans raison apparente. De douleur ou de crainte  ? Ou bien une trop grande joie provoque-t-elle ces larmes  ? (Thy., 965-969)

L’étude approfondie des textes des héros nous amène donc, dans un second temps, à des questions liées à la performance théâtrale de ces œuvres. Comme indiqué, pour la lemmatisation et l’indexation du corpus de Sénèque, le LASLA a choisi le travail de R. Peiper et G. Richter 107 de la collection Teub­ ner. Les deux philologues proposent une version du texte solidement justifiée par une très bonne connaissance des deux grandes traditions manuscrites, E et A. Ce choix a des conséquences pour la division du corpus en personnages. En effet, c’est sur cette édition que se fondent le découpage et la répartition du texte entre les différents personnages des tragédies. Il se peut ainsi que l’étendue d’un rôle varie légèrement d’une édition à l’autre 108. Néanmoins, ces différences sont limitées et ne concernent la plupart du temps qu’un ou deux vers, avec une faible influence sur les processus statistiques. Il est également nécessaire de régler l’épineuse question de l’écart, parfois important chez un personnage, entre son identité sexuelle «  physique  » – du moins celle admise généralement pour un personnage donné – et son com­ portement sexué, ou genré. Par exemple, l’on pourrait penser que Médée n’est pas dénuée de virilité (robur uirile, v.  268  :  «  une force masculine  »), tandis qu’inversement, les rôles d’Œdipe dans l’Œdipe et d’Atrée 109 dans le Thyeste sont marqués par des caractéristiques plutôt féminines. Les travaux de C. A. Little­ wood développent des argumentations convaincantes sur la féminisation du personnage d’Atrée dans le Thyeste. Toutefois, dans un premier temps, nous nous limitons strictement à la tradition et utilisons le sexe «  physique  » pour déterminer quels personnages sont masculins ou féminins. À partir de ce critère, nous pouvons alors composer différents corpus  : les personnages individuels comparés ensemble ou par tragédie, ou encore réunis en catégories plus glo­ bales. Ce choix se justifie par une volonté de débuter cette réflexion sans aucun présupposé théorique sur l’«  orientation sexuelle  ». Les discours des différents personnages feront l’objet d’un examen approfondi, afin de déterminer quels critères définissent le discours de chacun d’eux avec une attention particulière évidente pour le critère du sexe (jeunes vs vieux, romains/grecs vs barbares, nobles vs esclaves…).   Peiper / Richter (éd.) (1867).   Par exemple, les éditions des Belles Lettres et de la Loeb Classical Library consi­ dèrent que dans les vers 884-909 de l’Hercule sur l’Œta l’interlocuteur de Déjanire est sa nourrice, tandis que l’édition de la collection Teubner, l’identifie à son fils, Hyllus. 109  Voir Littlewood (1997, 2004, p. 194-209 et 2008). 107 108

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D’aucuns pourraient dénoncer les difficultés des méthodes quantitatives pour dégager des singularités d’un texte. Ainsi, si un mot traditionnellement attaché au domaine de la femme n’est pas utilisé de manière significative par un per­ sonnage féminin ou au contraire par un homme, aucun logiciel ne pourra le localiser. En effet, un élément trop peu fréquent n’a pas suffisamment de poids dans les processus de calcul du logiciel. C’est pourquoi nous rappelons que nous travaillons en premier lieu sur les discours masculin et féminin de la tragédie latine, en d’autres termes, sur la façon dont s’expriment les personnages de sexe opposé chez Sénèque. La priorité est donc accordée, non pas à ce qui appartient initialement aux sphères des hommes ou des femmes, mais bien à ce que disent les personae. Bien entendu, nous risquons de rencontrer ces objets genrés, s’ils représentent statistiquement une réalité pour les locuteurs. Nous découvrirons ainsi ce qui, pour Sénèque, est lié plutôt à des pratiques discursives féminines ou masculines. Dans cet objectif, la statistique textuelle nous permet d’établir, plus facilement et plus objectivement qu’à la lecture seule, ce qui semble propre aux discours de l’un et l’autre sexes et ce qui, au contraire, s’écarte de l’usage commun. Ces exceptions, tout comme la «  norme  », sont autant d’objets d’étude nécessaires à la compréhension d’un système global de représentation des dia­ logues hommes-femmes. I.3.  Logométrie et modes d’énonciation

des personnages

Grâce au logiciel Hyperbase, plusieurs bases statistiques peuvent être construites afin d’aborder la question du discours féminin sous différents angles. La pre­ mière étape consiste à créer une base composée des septante-et-un textes des personnages 110 des neuf tragédies de Sénèque, intitulée Personnages. Du point de vue statistique, cette première base présente plusieurs difficultés  : un grand nombre de rôles mis en comparaison 111, une étendue variable de ceux-ci 112 et la présence de textes courts 113. En revanche, elle offre une exhaustivité presque parfaite pour une vue globale des personnages.   Rappelons qu’on a exclu de la base Personnages les rôles d’Astyanax et Calchas (Troy.), Phorbas (Œd.) et Étéocle (Phén.) qui ne représentaient que quelques lignes de textes. 111   Les limites du nombre de textes supporté sont presque atteintes par le logiciel Hyperbase. 112  L’opinio communis considère généralement qu’il faut éviter de dépasser un rap­ port de 1/10 entre le texte le plus court et le plus long  : Labbé / Labbé (2003), p. 106. Pourtant, notre corpus présente plutôt un rapport de 1/50. Le personnage de Médée compte le plus d’occurrences (3472), tandis que le messager de la même pièce en propose le moins (69 formes). 113   Le corpus compte trois rôles de moins de cent mots  : le messager de Médée (69) et des Phéniciennes (70) et le vieillard des Troyennes. 110

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS45

Avec prudence dans l’interprétation, nous utilisons certaines fonctionnalités du logiciel pour une première approche. Par exemple, deux analyses factorielles (AFC) permettent une série d’observations  : l’une au regard de la distribution des lemmes (Fig. 2), et l’autre des codes grammaticaux (Fig. 3). En logométrie, l’AFC permet de visualiser sur un graphique à deux axes (axe 1 horizontal et axe 2 vertical) comment les textes sont proches ou éloignés les uns des autres en fonction de leur utilisation d’un critère choisi au départ 114. 115

Figure 2 : AFC des lemmes entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau lexical entier)115

114  Plus précisément, l’AFC permet de représenter graphiquement un tableau à double entrée (ici, les colonnes pour les textes et les lignes pour les fréquences de chaque lemme ou de chaque code) analysé par une matrice multidimensionnelle. Sur l’AFC, chaque point représente un texte et sa position par rapport aux axes est déterminée par sa distance des autres textes. Pour lire le résultat, il faut prendre en compte la position du point par rapport aux axes et ensuite par rapport aux autres points. L’axe 1 est toujours le plus déterminant, mais, comme l’axe 2, il représente un facteur qui peut expliquer les données de la matrice. 115   Chaque point représente un personnage. Il est symbolisé par un code, du type «  Ag_Tr  ». La première partie est une abréviation du nom du personnage. La seconde partie est une abréviation du titre de la pièce. Dans notre exemple, «  Ag  » pour Aga­ memnon et «  Tr  » pour Troyennes. Les personnages sans nom propre présentent une abréviation de leur catégorie générique  : «  C  » pour chœur  ; «  Ms  » pour messager  ; «  N  » pour nourrice  ; «  Sa  » pour satelles  ; «  Sx  » pour senex. Pour une liste des per­ sonnages par tragédie et des abréviations utilisées dans les graphiques, voir Annexe I,2.

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CHAPITRE I

Figure 3 : AFC des codes grammaticaux entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau grammatical entier)

Dans la première figure, une opposition très nette se perçoit, sur l’axe 1, entre les discours de type narratif (les messagers) 116 ou chanté (les chœurs) à gauche de l’AFC, et les parties majoritairement dialoguées des autres personnages tra­ giques, à droite. Bien que le mètre et la fonction dramatique diffèrent entre les chœurs et les messagers, leur langue (vocabulaire et morphosyntaxe) se décrit statistiquement par contraste avec les autres textes du corpus. Le facteur mis en évidence par l’axe 2 est difficile à déterminer avec préci­ sion. Dans la partie supérieure droite du graphique, se trouvent deux messagers (Phéniciennes et Médée), mais aussi les vieillards de l’Œdipe et des Troyennes et, enfin, le courtisan du Thyeste. D’autres personnages un peu particuliers sont présents dans cette partie, comme le devin Tirésias ou les rôles courts de Strophius et d’Agamemnon. Devant ces données, il semble ardu de cibler un point commun entre des unités aussi différentes. Mais l’opposition est marquée entre les personnages sans identification propre que sont les messagers et les vieillards, en haut du graphique, avec ceux fortement caractérisés, comme Médée, Déjanire ou encore Œdipe des Phéniciennes, tout en bas. 116   Il peut s’agir des Messagers, personnages indifférenciés de la tragédie, ou bien des héros identifiés dans la mythologie comme les hérauts de rois ou de princes grecs comme Eurybate pour l’armée grecque ou Talthybius, pour Agamemnon.

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS47

Enfin, l’AFC, calculée sur l’axe 3, mis en contraste par rapport à l’axe 1, montre que ce troisième facteur n’explique que 6 % de la position des points (voir Annexe I, 3). La faiblesse du facteur représenté par l’axe et la répartition obtenue des personnages mettent difficilement en évidence un facteur identi­ fiable de caractérisation. La distribution des fréquences des lemmes, représentée par la première AFC de cette section (Fig. 2), illustre donc principalement la proximité des chœurs et des messagers en opposition avec les autres personnages dans leur utilisation du vocabulaire. Dans la seconde figure (Fig. 3 – AFC sur les codes), bien que l’axe 1 soit, par rapport à l’axe 2 (axe 1 à 47 % contre axe 2 à 15 %), plus déterminant que dans la première AFC (axe 1 à 38 % contre axe 2 à 24 %), la même répartition se dessine  : sur l’axe 1, une première opposition entre chœurs-messagers à gauche et autres personnages à droite, et, sur l’axe 2, une seconde division entre personnages à identification forte en haut (Médée, Déjanire, Hercule), contre ceux sans identité propre tout en bas (les senex et les messagers de Médée et des Phéniciennes). De plus, l’AFC construite sur l’axe 3 en relation avec l’axe 1 (9 % de justification de l’AFC) 117, fait apparaître une opposition entre les messagers et les chœurs  : en haut, se positionnent les chœurs et Hippolyte, et en bas se rassemblent les messagers avec Créon, Mantô et Thésée. Il devient clair que, si les deux groupes se décrivent principalement par contraste avec les autres personnages (axe 1 à 47 %), ils peuvent aussi s’opposer légèrement l’un à l’autre (axe 3 à 9 %), en raison de la nature différente de leur discours  : l’un est chanté et l’autre se décrit comme un récit narratif. Les résultats obtenus grâce aux procédés de calculs sur les distributions de fréquence des lemmes et des codes grammaticaux sont cohérents. Ces deux angles d’approche pour l’étude de la langue des personnages de Sénèque coïncident parfaitement sur les axes 1 et 2 des graphiques examinés, l’axe 3 étant beaucoup moins significatif et plus difficilement interprétable. Un vocabulaire et une grammaire proches montrent que les deux ensembles circonscrits par les outils statistiques présentent des points de contact à la fois sur le fond et sur la forme de leur discours. En d’autres mots, les personnages des deux grands groupes présentent un choix similaire de termes dans une formulation semblable. I.3.1.  Distribution du vocabulaire fréquent Les AFC calculées sur l’ensemble des lemmes et des codes grammaticaux (tableau lexical et grammatical entier), permettent difficilement de définir quels lemmes et quels codes ont le plus d’incidence statistiquement dans la carac­ térisation des discours. Ces éléments pourraient alors faciliter l’explication de la répartition des textes dans les figures ci-dessus. Comme il est impossible de passer en revue l’ensemble du vocabulaire des 71 personnages, ni même le 117

  L’AFC sur les axes 1 et 3 est reproduite en Annexe I, 4.

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CHAPITRE I

lexique spécifique de chacun d’entre eux, des tests plus ciblés sont appliqués au corpus. Comme échantillon représentatif, les vingt lemmes les plus fréquents 118 dans la base Personnages ont été sélectionnés parce qu’ils ouvrent une pre­ mière voie d’accès à l’interprétation. Cette liste contient surtout des mots-outils, utiles à la construction du discours, mais extérieurs à tout contenu thématique  : adverbes, pronoms ou conjonctions. Cependant, même si l’opposition entre les deux groupes est moins nette que dans les deux AFC précédentes, elle apparaît avec une répartition similaire des personnages  :

Figure 4 : AFC des 20 lemmes les plus fréquents entre les 71 personnages de la base Personnages

Sur l’axe 1, deux groupes se dessinent  : le premier, à droite, constitué en grande partie par les chœurs, les messagers et même les quatre nourrices, se structure autour de la négation non, des coordonnants et et –que et des pronoms ipse et ille. À gauche, le second regroupe les autres personnages autour des pronoms personnels, tu et ego, et possessifs, tuus et meus, indices d’une plus grande interactivité dans le discours. Les deux ensembles font également un usage différent du pronom interrogatif, attaché aux discours plutôt dialogués, et du pronom relatif caractéristique de la langue poétique des chœurs. À l’extrême 118   Par ordre alphabétique  : do, ego, et, fero, hic, iam, ille, in, ipse, manus, meus, non, omnis, -que, qui, quis, si, sum, tu, tuus. Le corpus compte 1328 occurrences pour -que contre 243 pour iam.

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS49

gauche du graphique, relevons qu’Hercule de l’Hercule sur l’Œta se distingue par une utilisation particulièrement forte des pronoms possessif et personnel de la première personne, en raison d’une expression personnelle très forte du héros sur scène. En revanche, Antigone des Phéniciennes, Phèdre et Égisthe semblent proches dans leur utilisation des pronoms de la deuxième personne. L’axe 2 est plutôt le marqueur d’une différence entre les messagers d’une part (dans le quadrant supérieur droit), et les chœurs d’autre part (dans le quadrant inférieur droit) 119. Dans les quadrants supérieurs, les premiers sont caractérisés plutôt par les pronoms de la troisième personne (hic, ille, ipse), liés à leur rôle de description des acteurs et des événements passés ou invisibles pour le public. Les seconds, dans la partie inférieure de l’AFC, sont proches dans leur utilisa­ tion du coordonnant –que et de la négation non. Les vingt substantifs les plus fréquents peuvent aussi offrir un angle d’ap­ proche intéressant 120.

Figure 5 : AFC des 20 substantifs les plus fréquents entre les 71 personnages de la base Personnages 119   Cette observation rejoint celles sur l’AFC (Annexe I, 4) confrontant les axes 1 et 3, sur le critère de la distribution des codes grammaticaux. 120   Dans l’ordre alphabétique  : animus, caelum, caput, deus, dies, domus, fatum, locus, malum, manus, mare, mater, mors, natus (bien qu’il soit à l’origine adjectif, natus est utilisé dans la plupart des cas comme un substantif pour désigner l’«  enfant  ». C’est la raison pour laquelle il a été décidé de le conserver ici), parens, pater, regnum, rex, scelus et terra. Manus compte 331 occurrences et parens 118.

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CHAPITRE I

Cette sélection de substantifs fréquents permet d’éviter les lemmes sans contenu thématique et d’offrir une photographie rapide des principaux sujets abordés par les personnages. En premier lieu, il est important de relever que les axes 1 (16 %) et 2 (12 %) ont un poids relativement faible dans la répartition des personnages sur l’AFC. Cette particularité indique que de nombreux facteurs doivent intervenir dans la caractérisation des personnages par rapport à cette sélection de substantifs. Malgré la faiblesse des deux axes, les points se répartissent globalement le long de l’axe 1 avec cette même distinction messagers-chœurs vs les autres. À la différence des AFC précédentes, les messagers se dispersent plus largement dans l’ensemble du graphique, peut-être en raison de différences thématiques. Par exemple, Eurybate raconte le retour de Troie des Grecs dans l’Agamemnon  ; le messager du Thyeste rapporte la boucherie humaine d’Atrée  ; dans les Troyennes, le messager décrit les sacrifices d’Astyanax et de Polyxène. Deux grandes classes de substantifs émergent  : d’un côté, les termes plus concrets qui caractérisent le discours des chœurs et, dans une moindre mesure, des messagers (terra, caelum, dies, caput, mare, locum) et de l’autre côté, des mots liés à la famille (mater, pater, parens, natus) et aux concepts tragiques (malum, mors, scelus, animus) pour le reste des personnages. Du côté de ceux-ci (à droite du graphique), il faut noter brièvement l’intérêt manifeste de Lycus, Clytemnestre, Égisthe, Thyeste et Atrée pour les mots domus et regnum, révélant les thèmes principaux qui se jouent dans les trois tragédies  : Hercule furieux, Agamemnon et le Thyeste. À l’opposé, la famille (mater, natus et parens) défi­ nit la position de personnages comme Andromaque, Jocaste et Thésée. Ainsi, le deuxième axe (12 %), comme le premier, indique un facteur de thème, mais cette fois entre les personnages avec une identité précise. I.3.2.  Sélections de codes grammaticaux En ce qui concerne les codes grammaticaux, les outils d’Hyperbase n’ont pas permis de mettre au jour un facteur valide pour expliquer les différences d’utilisation au niveau de la syntaxe proprement dite entre les personnages 121. En revanche, du point de vue de la morphosyntaxe, si des axes de recherches sont prédéfinis, des résultats se dégagent. Cinq ensembles d’éléments gramma­ ticaux abordent les systèmes verbal, pronominal et nominal de la morphosyntaxe  : les modes verbaux, les temps verbaux, les pronoms, les trois personnes et les cas.

121   Du point de vue de la syntaxe, Hyperbase permet de comparer les différences d’utilisation dans les constructions latines, dans les structures syntaxiques ou encore dans les successions de codes grammaticaux (bicodes et tricodes).

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS51

En premier lieu, une AFC calculée sur le seul critère de la distribution des modes verbaux apporte des pistes. Les chœurs et les messagers préfèrent les modes verbaux de l’indicatif et du participe, plus proches de la description narrative. Les autres personnages sont plutôt caractérisés par leur utilisation de l’impératif et du subjonctif, révélant une dimension plus interactive dans leur discours (opposition forte sur l’axe 1 avec 54 %). Sur l’axe 2, attirons l’attention sur les positions atypiques de Thésée dans Phèdre et de la Furie dans le Thyeste. Il est vrai que la seconde a une langue particulière, liée à sa fonction dramatique limitée au prologue 122.

Figure 6 : AFC des modes verbaux entre les 71 personnages de la base Personnages

Une interprétation détaillée de l’AFC sur la répartition des quatre temps ver­ baux principaux de l’indicatif 123 (imparfait, parfait, présent et futur 124) est plus difficile à proposer  :   Marchetta (2008), p. 1011-1052.   En statistique, même s’il est préférable de produire des AFC calculées sur plus de quatre facteurs, l’outil est bien valide à partir de ce seuil. Mayaffre (2000), p. 395-399 l’utilise avec des résultats pertinents. De plus, les logiciels Hyperbase et TXM permettent de produire ce type d’AFC  : Heiden (2014), p. 92. 124   On a choisi de se concentrer sur ces quatre temps verbaux, car les autres temps sont trop peu représentés. 122 123

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CHAPITRE I

Figure 7 : AFC des quatre temps verbaux principaux entre les 71 personnages de la base Personnages125

Une légère préférence des chœurs et des messagers pour les temps du passé et du présent pourrait se dessiner, alors que les autres personnages seraient plus disposés à utiliser le futur. Toutefois, ces tendances ne sont pas suffisamment prononcées pour faire l’objet d’une conclusion ferme. En revanche, l’opposition entre les personnages d’Hercule (tout en bas du graphique) et de Thésée (en haut) de l’Hercule Furieux est intéressante. Le premier est sous le choc de l’horreur de sa folie meurtrière et la question de son avenir devient importante dans son discours. Cette angoisse se marque par la répétition significative des temps au futur. Son discours est ainsi ponctué de remarques du type inferis reddam Herculem (v. 1218  : «  je vais rendre Hercule aux enfers  ») ou encore meis / cremabo telis (v. 1235-1236  : «  je vais brûler mes armes  »). Le second héros propose un discours plutôt caractérisé par le temps du présent en raison du récit de son passage dans les enfers (v. 762-829), mais aussi parce qu’il prend une position discursive opposée à celle d’Hercule. Il est ancré dans le présent pour ramener son ami à la raison  : nostra te tellus manet (v.  1341  : «  notre terre t’attend  »). 125   B_11  : indicatif présent  ; B_12  : indicatif imparfait  ; B_13  : indicatif futur et B_14  : indicatif parfait. 125

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS53

Comme les modes verbaux, les pronoms jouent un rôle dans la caractérisa­ tion des discours  :

Figure 8 : AFC des pronoms entre les 71 personnages de la base Personnages

Sur l’axe 1, chœurs et messagers emploient davantage les pronoms indéfinis et démonstratifs, alors que les autres ont une préférence pour les personnels, les interrogatifs et les possessifs. Dans le premier groupe (à gauche), l’axe 2 semble dissocier les chœurs (quadrant supérieur) des messagers (quadrant infé­ rieur). Les premiers sont caractérisés par les relatifs, comme la figure 4 sur la distribution des vingt lemmes les plus fréquents semblait déjà le montrer, et par les indéfinis. Les seconds sont plutôt proches en raison de leur emploi des pronoms réfléchis, des possessifs réfléchis et des démonstratifs. De même, une recherche sur le critère de la personne au sens large (personnes verbales, pronoms personnels et possessifs) montre, sur l’axe 1, une caractérisation des discours du premier groupe grâce à la troisième personne (personne verbale, suus et sui) avec une dispersion des rôles de ce côté du graphique. L’opposition est forte, avec le deuxième groupe condensé autour de la première et de la seconde personne (les personnes verbales, tuus, meus et ego, tu). À gauche, sur l’axe 2, il est possible de relever un antagonisme puissant entre le messager de Phèdre et le chœur de l’Agamemnon, mais difficilement inter­ prétable. À droite, l’axe 2 distingue les personnages dans leur utilisation de la première et de la deuxième personnes. Peut-être certains personnages féminins

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CHAPITRE I

Figure 9 : AFC des personnes entre les 71 personnages de la base Personnages

dont les nourrices pourraient se rapprocher autour de la seconde personne, mais il est difficile de définir avec précision ce qui pourrait rassembler ces rôles. Même l’AFC produite sur la répartition des cas entre les personnages apporte des informations  :

Figure 10 : AFC des cas entre les 71 personnages de la base Personnages

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS55

À gauche, les chœurs et les messagers favorisent l’utilisation du nominatif et de l’ablatif pour décrire le sujet et les circonstances de l’action. À droite, les rôles dialogués sont plutôt attachés à l’accusatif et au vocatif pour insister sur l’objet du message et sur son destinataire. Cet extrait du chœur de Phèdre est représentatif du premier groupe  : [Ch.]  Arsit obscuri dea clara mundi nocte deserta nitidosque fratri tradidit currus aliter regendos : ille nocturnas agitare bigas discit […] [Ch.]  Elle a pris feu, la claire déesse du monde obscur, après avoir quitté la nuit et, à son frère, elle a confié ses resplendissants attelages pour une autre conduite  : lui, il a appris à mettre en mouvement les chars doubles de la nuit […]  (Phèd., 309-313)

On y trouve un groupe au nominatif, caractéristique de la langue des chœurs comme dea clara, et un syntagme adverbial à l’ablatif absolu 126 qui permet de caractériser l’action dépeinte, comme ici nocte deserta. C’est la répétition de ce type de répliques poétisées dans les chœurs qui provoque la spécificité des éléments de langues (lexique et morphosyntaxe) mis en évidence dans les AFC produites ci-dessus. Les caractéristiques stylistiques dégagées par Hyperbase entre les discours plus ou moins interactifs étaient dans la plupart des cas attendues. Dans son étude de 2011, F. Rastier les avait déjà relevées sur un tout autre corpus (échantillon de la littérature française moderne composé de 164 millions de mots)  : différences dans les modes, dans les pronoms et dans les interjections, opposition des première et troisième personnes. Il notait ainsi, à raison, que «  la représentation de l’interlocution semble partout discriminante de façon cruciale  : elle singularise la littérature par rapport aux autres discours, et sépare le théâtre de la poésie et du roman  » 127. Le cadre des recherches de F. Rastier est très différent, mais le linguiste français a pourtant mis le doigt sur le même critère déterminant que celui décrit ci-dessus. C’est donc une réelle avancée de les voir ciblées aussi distinctement par un logiciel de statis­ tique textuelle et certifiées empiriquement par des méthodes quantitatives dans un corpus réduit (la seule œuvre tragique de Sénèque) et homogène 128 (même genre et même auteur). La représentation de l’interlocution est donc un facteur de détermination de premier ordre dans la caractérisation des discours. Ces don­ nées confirment, par ailleurs, que le découpage d’une œuvre théâtrale selon les   L’ablatif absolu est d’ailleurs, sans surprise, spécifique du discours des chœurs avec un écart de 4,8. 127   Rastier (2011), p. 92-95. 128   L’homogénéité d’un corpus a tendance à gommer les différences entre ses parties constituantes. 126

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CHAPITRE I

personnages est une approche non seulement pertinente, mais aussi fructueuse en termes de résultats. Dès lors, s’il n’est pas étonnant que la distribution des lemmes et des codes grammaticaux oppose les rôles principalement monologués (locution/action) à ceux majoritairement dialogués (interlocution/interaction), il est intéressant de noter la position particulière de certains personnages. Ainsi, Thésée de l’Hercule Furieux, Créon et Mantô de l’Œdipe semblent très proches des messagers et des chœurs dans leur utilisation du vocabulaire et de la grammaire. J. Denooz avait déjà remarqué, dans son étude statistique de l’Hercule Furieux 129, que le discours de Thésée se distanciait des autres pour se rapprocher de celui du chœur. Grâce à l’élargissement du corpus à l’ensemble des tragédies de Sénèque, il apparaît maintenant que l’ami d’Hercule occupe une posture discursive com­ parable à celle des messagers, de même que Créon et Mantô 130. De plus, cette posture est différente de celle occupée dans Phèdre, alors qu’il s’agit bien de la même personne mythologique. Ces trois personnages, initialement différents, tant par leur place dans leur mythe d’origine que par leur filiation mythologique, jouent pourtant un rôle très similaire. En effet, chacun d’eux a pour fonction de raconter à celui qui le questionne (Thésée à Amphitryon  ; Créon à Œdipe  ; Mantô à son père aveugle Tirésias) une situation inaccessible à ce dernier (et au public), soit parce qu’elle appartient au passé, soit parce qu’elle ne lui est pas directement visible. Il s’agit d’une narration descriptive qui cherche à faire voir aux spectateurs ce à quoi ils n’ont pas directement accès 131. Ce type d’interrogatoire est mis en scène dans la plupart des interventions de messager. Par exemple, citons  : Clytemnestre et Eurybate (Agam., 392-578), Hécube et le messager (Troy., 1056-1179) ou encore Thésée et le messager (Phèd., 991-1122). Le topos du locus horridus, c’est-àdire du refus de rapporter les événements en raison de leur atrocité (horridus, dolor, nefandus) 132, est largement répandu chez les messagers tragiques  : Créon a peur de révéler ces uisu et auditu horrida (Œd., 223  : «  choses terribles à voir et à entendre  »)  ; tout en décrivant le sacrifice en cours, Mantô s’écrie  : genitor, horresco intuens (Œd., 323  : «  père, je tremble d’effroi de porter mon regard  ») et Thésée se sent contraint par Amphitryon de raconter ces acta securae quoque / horrenda menti (Herc. Fur., 650-651  : «  ces actes qui répandent l’effroi même sur un esprit assuré  »). Ces trois figures, malgré leurs différences apparentes, jouent donc le même rôle et adoptent la même posture énonciative que les mes­ sagers reconnus et identifiés comme tels.

  Denooz (1974), p. 25-49.   Des points communs entre messagers, Thésée et Créon, avaient déjà été soulevés dans Tietze Larson (1994), p. 66-77 et Garelli-François (1998), p. 23-24. 131   Sur cette fonction précise, voir Lanza (1981), p. 463-476. 132   Garelli‑François (1998), p. 25-26. 129 130

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS57

Par ailleurs, ces observations pourraient régler la question de l’identifica­ tion d’un personnage de l’Hercule sur l’Œta, associé traditionnellement, soit à ­Philoctète, soit à un Messager. Les deux figures (lemmes et codes) indiquent que son discours a de nombreux points de contact avec celui des autres messa­ gers et confirment pourquoi les éditeurs hésitent entre l’un et l’autre 133. Toute­ fois, maintenant que nous avons montré que d’autres protagonistes occupent un rôle similaire à celui des messagers, est-il encore nécessaire de choisir entre les deux  ? Assurément non, puisque Philoctète peut, à la manière d’un messager, rapporter les détails du bûcher d’Hercule au chœur qui l’interroge. * *   * En résumé, les AFC produites à partir de la base Personnages sur l’ensemble de l’œuvre de Sénèque ne font pas apparaître d’indice de la participation du sexe du locuteur dans la caractérisation de son discours. Le facteur mis au jour par ces tests préliminaires est puissant  : il s’agit de la différence entre les rôles essentiellement monologués et ceux principalement dialogués, et non entre les personnages masculins et féminins. La différence entre locution vs interlocution est déterminante dans la composition des discours comparés et laisse peu de place à d’autres facteurs. Elle intervient en effet dans les tests statistiques pro­ duits tant sur le vocabulaire que sur la morphosyntaxe. L’homogénéité du fac­ teur, perceptible dans le lexique et la morphosyntaxe, démontre la puissance des modes de locutions dans la stylisation des discours. Ceci n’implique pourtant pas que d’autres éléments caractérisants n’existent pas, mais bien qu’ils ne sont pas suffisamment significatifs pour être mis en lumière en même temps que l’opposition chœurs-messagers vs rôles principalement dialogués.

I.4. Logométrie, thématique et spécificités des personnages masculins et féminins

Dans le but de déterminer si le sexe joue un rôle dans la construction des dis­ cours, une base est créée avec les septante-et-un personnages moins les chœurs, les nourrices et les messagers identifiés comme tels. Trente-huit unités de textes sont ainsi rassemblées pour constituer la base statistique Personae 134. En ne conservant que les rôles attachés à une identification mythologique, des différences dans le discours liées au sexe du locuteur pourraient apparaître. Néanmoins, une   Chaumartin (éd.) (2008b), p. 16 et Peiper / Richter (éd.) (1921), p. 320.   Dans cette base, il y a un rapport maximal de 1/30 entre le texte le plus court, Tantale du Thyeste avec 133 occurrences, et le plus long, Médée de Médée avec 3472 occurrences. 133 134

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CHAPITRE I

rapide analyse de l’AFC de la distribution de la fréquence des lemmes illustre que le facteur le plus déterminant pour justifier la position des personnages sur le graphique est celui de la tragédie dont ceux-ci sont issus  :

Figure 11 : AFC des lemmes (fréquences) entre les 38 personnages de la base Personae (tableau lexical entier)

Une nette opposition entre les personnages de l’Hercule sur l’Œta et de l’Agamemnon est visible, à la fois sur l’axe 1 et 2. En revanche, le facteur thé­ matique n’a pas le même poids pour tous les personnages, puisque nous ne les retrouvons pas réunis pour chacune des tragédies mises en comparaison. Par exemple, apparaît nettement une unité entre les héros de l’Hercule sur l’Œta (_HO), de l’Hercule Furieux (_HF), de l’Agamemnon (_Ag) et des Phéniciennes (_Ph). Le facteur de l’œuvre est donc plus puissant dans ces quatre pièces. Les protagonistes de Phèdre, Médée, Thyeste, Œdipe et les Phéniciennes sont plus dispersés de part et d’autre des deux axes. Il est pourtant nécessaire de nuancer cette affirmation, car un faible nombre de personnages dans une pièce conjugué à de grandes différences de langue pourrait provoquer un manque d’unité apparent au sein d’une même œuvre, alors que le thème est pourtant opérant dans leur caractérisation. Par exemple, en décidant de ne conserver que les personnages avec identification pour construire la base Personae, certaines tragédies se sont vues réduites à quelques rôles  : il n’en reste que trois pour représenter les Phéniciennes ou le Thyeste. Or, même si Tantale s’écarte des deux autres pour des raisons multifactorielles (par exemple  : il s’agit d’un rôle

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS59

court, il propose une position idéologique opposée à celle de son père 135), Thyeste et Atrée sont proches dans leur utilisation des lemmes. Par ailleurs, comme la section précédente l’a démontré, Créon, Mantô et Thésée sont une nouvelle fois isolés, en raison de leurs affinités avec le discours des messagers, très différent de celui des personnages traditionnels. Dans le quadrant inférieur droit se situent aussi des entités un peu singulières, comme Hippolyte, dont la langue est proche de celle des chœurs 136 et donc de celle des messagers. S’y trouvent aussi Cassandre, qui propose un discours de type prophétique, ou encore Iole, qui ne s’exprime que sous la forme d’une longue plainte. Ces particularités dramatiques et discursives peuvent expliquer leur position. L’unité de chaque œuvre est plus marquée dans l’AFC calculée sur le facteur présence/absence des lemmes  :

Figure 12 :  AFC des lemmes (présence/absence) entre les 38 personnages de la base Personae (tableau lexical entier)

Dans cette seconde figure, même les personnages dont les positions discur­ sives sont différentes des échanges plus traditionnels (messager, oraculaire, complainte) sont proches des autres membres issus de leur tragédie d’origine.   Tantale prône la réconciliation avec Atrée, alors que Thyeste préfère être condamné à l’exil perpétuel. 136   Brasme (2010), p. 1034-1052. Voir aussi les points communs entre chœurs et messagers dans la section précédente. 135

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CHAPITRE I

Le thème l’emporte aussi sur les différences de modes d’énonciation. Le facteur est à ce point puissant qu’il est mis en évidence par les deux axes. Le premier axe distingue les deux pièces dédiées au cycle herculéen (à gauche sur l’axe) des autres tragédies du corpus (à droite). Le second axe met plutôt en contraste les deux Hercule du côté gauche, et les Troyennes avec l’Œdipe du côté droit. Sans approfondir, il convient encore de relever les oppositions nettes, mais plus pointues, entre Créon de l’Œdipe et Hélène des Troyennes (sur l’axe 1) et Alcmène de l’Hercule sur l’Œta et Clytemnestre de l’Agamemnon (sur l’axe 2). Il n’est pas surprenant que les personnages d’une même tragédie utilisent un vocabulaire commun, puisqu’ils traitent de problé­ matiques similaires. Après le facteur du mode de l’énonciation (monologue/ dialogue), l’appartenance à une œuvre semble donc aussi déterminante dans la caractérisation des rôles du point du vue du choix du vocabulaire. En ce qui concerne les codes grammaticaux, la question est plus complexe. L’AFC selon le facteur de la présence/absence des codes est moins pertinente 137, et celle selon la fréquence est difficilement interprétable  :

Figure 13 : AFC des codes grammaticaux (présence/absence) entre les 38 personnages de la base Personae

Seules des paires de personnages, au mieux des trios, peuvent se dégager des deux graphiques. Le premier facteur (présence/absence) associe Hercule et   Il est en effet attendu que la plus grande partie des codes soient communs à tous les personnages. 137

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS61

Mégare de l’Hercule Furieux, Hercule, Déjanire et Alcmène de l’Hercule sur l’Œta, de l’Agamemnon, Clytemnestre et Égisthe d’un côté et Agamemnon, Électre et Cassandre de l’autre, ou encore Andromaque, Hélène et Ulysse des Troyennes. Une nouvelle fois, Mantô, Créon et Thésée font figure d’exception en se détachant dans le quadrant supérieur droit, ce qui confirme une posture différente à la fois sur les lemmes et ici sur les codes grammaticaux. Au sein d’une même tragédie, les rôles de Jocaste et de Mantô s’opposent radicalement sur l’axe 1, alors que Philoctète et Iole s’affrontent sur l’axe 2. Dans le deuxième graphique, les combinaisons varient légèrement  :

Figure 14 : AFC des codes grammaticaux (fréquences) entre les 38 personnages de la base Personae

De nouvelles paires sont mises en évidence  : Pyrrhus et Hécube ou Hélène et Ulysse des Troyennes, Atrée et Thyeste de Thyeste, Œdipe et Jocaste des Phéniciennes ou encore Philoctète et Hyllus de l’Hercule sur l’Œta. Par ailleurs, faut-il encore relever la position excentrée de Mantô, Créon et Thésée  ? Les rapprochements entre ces paires de personnages sont probablement les signes d’une posture énonciative similaire, en raison de la tragédie dont ils font partie et ensuite de leur rôle au sein de la pièce elle-même. Même si les AFC sur la distribution des lemmes (sur les deux critères  : fréquence de la distribution et présence/absence) révèlent une caractérisation des personnages selon un facteur de l’œuvre, il est intéressant d’analyser le «  vocabulaire spécifique  » des personnages. La fonction Spécificités du logiciel Hyperbase permet de dégager les lemmes, les formes ou les codes

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CHAPITRE I

grammaticaux qui sont statistiquement sur-utilisés dans une partie d’un corpus en comparaison à l’ensemble. Dans le manuel du logiciel, É. Brunet la définit comme suit  : Quand le corpus comporte une segmentation en textes ou parties (cette segmen­ tation de toute façon est introduite si elle ne figure pas expressément dans les données), le programme d’indexation calcule le vocabulaire spécifique de chaque texte du corpus en se fondant sur la loi normale et en prenant pour norme l’en­ semble du corpus (sans procéder au calcul pour les mots de basse fréquence et en ne retenant que les écarts réduits supérieurs à 2). On peut faire apparaître le profil caractéristique de chaque texte. 138

Ici, la fonctionnalité offre une liste de lemmes dits «  spécifiques  » à chacun des discours des personnages. L’on pourrait donc s’attendre à retrouver certains de ces lemmes chez plusieurs personae de même sexe, ce qui pourrait indiquer une préférence pour ces termes. Dans cet objectif, la liste de ceux-ci a été exportée pour les 38 personnages 139 et les lemmes spécifiques communs ont été rassemblés. Le pronom possessif tuus est spécifique au discours de cinq héroïnes (Cassandre, Mégare, Médée, Phèdre et Jocaste des Phéniciennes) et les substantifs amor et uestis le sont pour trois autres (amor chez Clytemnestre, Déjanire et Phèdre  ; uestis chez Cassandre, Électre, Déjanire). À l’opposé, le verbe impersonnel decet apparaît dans le vocabulaire spécifique d’Eurybate, Hyllus et Philoctète, tandis que rex carac­ térise les discours de Lycus, Jason et Pyrrhus. Cependant, cette méthode pose plusieurs problèmes. En effet, la présence d’un lemme spécifique dans la bouche de plusieurs personnages n’implique pas qu’il soit statistiquement spécifique à l’ensemble d’un sexe. Dans ces conditions, la valeur des données peut être remise en cause. De plus, seul tuus se présente dans la liste de cinq personnages différents. Les autres termes se répartissent seulement entre trois rôles, et plus fréquemment encore entre seulement deux. Que faire aussi des lemmes spécifiques à la fois de personnages masculins et féminins  ? Dans ces conditions, où poser une limite pertinente entre ce qui peut être pris en compte ou non  ? Cette approche provoque plus de questions que de réponses et c’est pourquoi il est raisonnable de la laisser de côté. I.4.1.  Vocabulaire spécifique des personnages Malgré les difficultés, une étude globale des résultats apporte de nouvelles pistes. Sans surprise, beaucoup de ces mots sont étroitement liés à la thématique de la tragédie ou à l’essence même du caractère mythologique du locuteur. Par 138 139

  Brunet (2011b), p. 83.   Cette liste de lemmes spécifiques est fournie en Annexe I, 5.

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exemple, frater (+  4,5), «  le frère  », fugio (+  3,3), «  fuir  », et Atreus (+ 3,2) sont spécifiques au discours de Thyeste  ; rogus (+ 5,5), «  le bûcher funèbre  », flamma (+ 5,2), «  la flamme  », et ardeo (+ 4,8), «  brûler  », à celui de Philoctète dans l’Hercule sur l’Oeta ; arma (+  3,5), «  l’arme  », labor (+  3,5), «  le travail  », et caelum (+ 2,8), «  le ciel  », à celui d’Hercule dans l’Hercule Furieux. D’autres termes sélectionnés par le logiciel sont sans doute les indices du traitement sénéquéen des personnages mythologiques en héros tragiques. Par exemple, furor (+ 2,8) est caractéristique des propos de Cassandre confor­ mément à sa «  posture de passion  » identifiée par F. Dupont 140. Le discours de Phèdre est marqué par son hésitation entre son pudor (+ 4,2) de femme et de reine et l’amor (+ 5) qu’elle éprouve pour son beau-fils, Hippolyte  : [Phaed.]  Non omnis animo cessit ingenuo pvdor. Paremus, altrix. Qui regi non uult amor uincatur. […] [Phèd.]  Tout sens de l’honneur ne s’est pas retiré de mon âme généreuse. Nous obéissons, nourrice. Cet amour qui ne veut pas être gouverné, qu’il soit vaincu. (Phèd., 250-252)

Médée, personnage iratus par excellence avec Atrée, propose au public à la fois la posture physique – un masque – et discursive de la passion de la colère 141. Le terme ira (+ 3,9) caractérise en effet son rôle dès l’ouverture de la pièce (accingere ira, v. 51  : «  arme-toi de colère  ») en crescendo (v. 902, 916, 927, 938, 943, 944 et 953) jusqu’au meurtre de ses enfants (Potens / iam cecidit ira ? v. 989  : «  la colère qui est maître est-elle désormais tombée  ?  ») 142. Ailleurs, l’usurpateur Lycus ne cache pas son obsession pour le pouvoir (rex +  3,1  ; sceptrum +  2,9  ; regalis +  2,8  ; rego + 2,7) et, en accord avec la représentation traditionnelle des tyrans 143, il se positionne en héros haineux (inuidia + 2,8) face à la famille d’Hercule, laissée sans défense  : [Lyc.]  Invidia factum ac sermo popularis premet ? Ars prima regni est posse invidiam pati. Temptemus igitur, fors dedit nobis locum. [Lyc.]  La haine et les propos de la foule flétriront-ils cet acte  ? Le premier talent qu’exige le pouvoir royal, c’est la capacité de vivre au milieu de la haine. Essayons donc  : le hasard nous en donne l’occasion. (Herc. Fur., 352-354)

  Dupont (1995), p. 213-218.   Dupont (1995), p. 115-128. 142   Plutôt que la ponctuation proposée par Peiper / Richter (éd.) (1921), p. 153  : quid dubitas potens ? / Iam cecidit ira), celle suggérée par Chaumartin (éd.) (2008a), p. 194 a été préférée, car elle semble plus proche de l’esprit de Médée dans ce moment de l’action. 143   Malaspina (2009), p. 80. 140 141

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CHAPITRE I

La liste du vocabulaire spécifique obtenue pour les personnages d’un corpus théâtral donne accès à la fois à un résumé par mots-clés de son action dans la trame de l’histoire et à l’essence même de sa position émotionnelle exposée sur scène. I.4.2.  Le cas particulier des noms propres de personnages a)  Noms propres chez les personnages féminins De nombreux noms propres font aussi partie de ces listes, tant chez les per­ sonnages féminins que masculins. Chez les héroïnes, les noms spécifiques de femmes sont pour la plupart les noms de leur concurrente  : Helena (+ 2,6) chez Cassandre  ; Andromacha (+ 3,2) chez Hélène  ; Creusa (+ 4) chez Médée et Iole (+ 4,1) chez Déjanire. Celles-ci font l’objet d’une attention particulière dans le discours de leurs adversaires. Par exemple, Cassandre compare le meurtre commis par Clytemnestre à celui d’Hélène (Agam., 906-907)  ; Hélène tente en vain de persuader Andromaque de son innocence (Troy., 924-926)  ; Médée met en place sa vengeance contre Créuse qui risque de donner d’autres enfants à Jason (Méd., 507-508), peur partagée par Déjanire à l’arrivée de sa rivale, l’esclave Iole (Herc. Œt., 278-279 et 345-347). Les concurrentes menacent les protagonistes au point qu’elles occupent leur espace discursif. Médée et Déjanire mettront d’ailleurs tout en œuvre pour neutraliser ces dangers féminins. Il est aussi remarquable que huit personnages féminins (sur seize au total) possèdent au moins un nom spécifique d’homme parmi leurs lemmes les plus spécifiques 144. À l’opposé, bien que six héros sur vingt-deux sur-utilisent un nom propre d’homme, aucun d’eux ne présente dans leur lexique spécifique le nom d’une femme. Comment interpréter une différence aussi marquée au niveau des noms de personne entre les deux sexes  ? Le haut degré de spécificité de ces noms révèle assurément la place importante qu’ils occupent dans le discours des locutrices  : Hector (+ 7,1) pour Andromaque, Iason (+ 6,8) pour Médée, Orestes (+ 3,6) pour Électre 145. Il pourrait également être l’indice d’une recherche plus marquée chez les personnages féminins d’établir un lien interpersonnel avec leurs homologues de sexe opposé. À la lecture des extraits, il semble que la répétition du nom propre d’un frère, d’un mari ou d’un fils ait pour but de matérialiser par la parole un proche qui, soit ne peut s’exprimer lui-même, soit ne fait pas (ou plus) partie de la sphère communicationnelle de l’héroïne. La performativité du nom fonctionne donc dans les deux cas, même si, dans le   Sur une échelle des écarts positifs de minimum + 2 points (seuil minimum de spécificité) à maximum + 7,4 points dans le discours d’Hercule. 145   Mais aussi Hippolytus (+ 5,4) pour Phèdre, Priamus (+ 5) pour Hécube, Hercules (+ 4,5) pour Déjanire, Aegisthus (+ 3,8) pour Clytemnestre et Pyrrhus (+ 3,6) pour Hélène. 144

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS65

premier, il s’agit pour la femme de rendre réel un personnage sur scène, tandis que, dans le second, il est question pour elle de se le (ré)approprier discursive­ ment pour (r)établir une communication avec lui. Dans la première catégorie, pour lui donner une réalité, Électre présente Stro­ phius à son jeune frère, personnage muet du cinquième Acte de l’Agamemnon, en citant son nom (v. 917, Oresta : amici fida praesidia intueor : «  Oreste  : je vois un ami, un protecteur  »)  ; pour des besoins de dramaturgie, Hécube (v. 141-155) ou Andromaque font revivre leur mari mort au combat, comme dans cet extrait où la princesse raconte au vieillard la visite nocturne du fantôme d’Hector  :  [Andr.]  Cum subito nostros Hector ante oculos stetit […]            //Tum quassans caput : « Dispelle somnos, inquit, et natum eripe, o fida coniux : lateat, haec una est salus. » [Andr.]  Alors soudain, Hector s’est dressé devant mes yeux […]  Alors, secouant la tête, il me dit  : «  chasse ton sommeil et prends ton fils, ô ma fidèle épouse  ; trouve-lui une cachette, c’est son unique salut.  » (Troy., 443 et 451-453)

Enfin, Hélène est mandatée par les Grecs pour convaincre Hécube d’offrir Polyxène en sacrifice au fantôme d’Achille, pour pouvoir quitter Troie. Pour parvenir à ses fins, elle invente un mariage avec Pyrrhus devant Andromaque, pour la piéger plus facilement  : [Hel.]  Ego Pyrrhi toros narrare falsos iubeor, ego cultus dare habitusque Graios. Arte capietur mea meaque fraude concidet Paridis soror. [Hél.]  Je reçois l’ordre de conter l’histoire du mariage avec Pyrrhus, d’offrir parures et habits grecs  ; par mon artifice sera trompée, par ma ruse tombera la sœur de Pâris. (Troy., 864-867)

Dans la seconde catégorie, Médée tente de reprendre contact avec Jason afin de le détourner de son mariage avec la princesse Créuse. Dans le prologue, elle essaie de se réapproprier le nom même de «  Jason  » (v. 8, 118 et 141), avant de s’adresser directement à lui pour le faire changer d’avis (v. 447). Elle n’est pas entendue par Jason et la communication entre les deux époux est définiti­ vement rompue, ce qui conduit la magicienne à la vengeance. On observe un essai similaire de communication manquée entre Phèdre et Hippolyte. La reine cherche, à chaque occurrence d’ «  Hippolyte  », la meilleure position d’énonciation à adopter à son égard. F. Dupont a analysé ces change­ ments de posture dans la scène, dite «  de l’aveu  »  : L’analyse de cette scène de Phèdre montre l’importance des postures d’énoncia­ tion dans le progrès de l’action. Car les relations entre les personnages sont ainsi visibles. Elles préexistent aux paroles échangées, elles les conditionnent et n’en

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sont pas l’effet, jusqu’au moment où l’action bascule, où le héros, ou l’héroïne, entre en furor. 146

Cette question semble aussi étroitement liée à la prononciation orale du nom du héros et se pose dès le vers 98. À la manière des héroïnes d’Ovide, Phèdre comprend la puissance de nommer son interlocuteur pour rendre son message effectif 147. Dans un dialogue entre la Crétoise et sa nourrice, la première pré­ sente Thésée comme Hippolyti pater. Cette formule révèle une première fois l’ambiguïté de sa relation envers son époux et envers son beau-fils. Thésée devient avant tout le créateur du chasseur admiré, Hippolyte, et l’attention du public est déjà détournée vers cet objet de désir pour Phèdre. Ensuite, dans un plus court échange avec le chœur, Phèdre cherche à devenir amazone, moins pour répondre aux goûts du sauvage Hippolyte que pour ressembler à sa mère  : [Phaed.]  Sic temere iactae colla perfundant comae umerosque summos, cursibus motae citis uentos sequantur. Laeua se pharetrae dabit, hastile uibret dextra Thessalicum manus. Talis seueri mater Hippolyti fuit. [Phèd.]  Que ma chevelure, jetée ainsi au hasard, recouvre mon cou et le haut de mes épaules, agitée par ma course rapide, qu’elle suive les caprices du vent. Ma main gauche s’occupera du carquois, ma main droite brandira la javeline thessalienne. Telle fut la mère de l’austère Hippolyte. (Phèd., 394-398)

Puis, une fois confrontée directement au jeune homme, la matrone rejette le statut de mère pour celui de sœur et ensuite de servante 148  : [Phaed.]  me uel sororem, Hippolyte, uel famulam uoca [Phèd.]  Appelle-moi ta sœur, Hippolyte, ou plutôt ta servante. (Phèd., 611)

Elle continue jusqu’à «  trouver une juste position d’énonciation et Hippolyte d’ac­ cepter d’entamer le dialogue  » 149. Finalement, Phèdre arrive à délivrer son message  : [Phaed.]  Hippolyte, sic est : Thesei uultus amo [Phèd.]  Hippolyte, c’est bien cela  : ce qui enflamme mon amour, c’est ce Thésée jeune. (Phèd., 646)

Toutefois, le jeune prince tente de mettre un terme directement à leur échange, causant ainsi leur perte à tous les deux. Citons encore l’exemple de Clytemnestre dans l’Agamemnon, qui ne pro­ nonce le nom de son amant que dans des formules de reproche ou d’ordre, avec   Dupont (1995), p. 138.   Trinacty (2014), p. 83-87. 148   Sur les procédés stylistiques de variation développés dans l’extrait, voir plus pré­ cisément le commentaire de Billerbeck (1988), p. 107-108. 149   Dupont (1995), p. 136. 146 147

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une nuance d’humiliation, pour le modeler à son image. Au vers 260, avec ou sans intention de manipulation 150, la reine mycénienne questionne Égisthe sur le mode de la réprimande. Elle l’accuse de l’inciter au meurtre, alors qu’elle est souveraine et qu’elle est l’épouse d’un roi vainqueur. À la fin de la tragédie, le mode verbal de l’impératif est même employé par la fille de Tyndare pour s’adresser à son complice  : Aegisthe, gradere (v.  979  : «  Égisthe, avance-toi  »). Elle cherche alors à obliger Électre à révéler la cachette d’Oreste en agitant la menace d’un Égisthe meurtrier  : [Cly.]  Aegisthe, cessas impium ferro caput demetere ? Fratrem reddat aut animam statim. [Cly.]  Égisthe, hésites-tu à trancher avec le glaive une tête impie  ? Qu’elle rende tout de suite son frère ou son dernier souffle. (Agam., 986-987)

L’amant refuse toutefois d’assassiner la jeune fille et la condamne à un mariage misérable, montrant par là, soit son manque de courage, soit au contraire sa volonté de s’affirmer comme une identité indépendante de celle de Clytemnestre. Que l’on choisisse l’une ou l’autre interprétation, le décalage communicationnel entre les deux partenaires est présent. Finalement, dans l’Hercule sur l’Œta, la sur-utilisation du nom Hercules par Déjanire (+ 4,5) ne semble ni matérialiser le héros sur scène, ni chercher à établir une communication avec lui, puisqu’elle ne s’adresse jamais à lui direc­ tement 151. Le nom d’Hercule est utilisé par Déjanire pour se définir elle-même par rapport aux autres femmes et, plus précisément, en opposition à Iole. J. Fabre‑Serris a déjà montré le processus de réalisation de Déjanire au travers d’Hercule dans son étude de l’Heroïde IX d’Ovide 152. Chez Sénèque, ce proces­ sus de dépendance réapparaît lorsqu’est employée l’expression coniux / nupta Herculis plusieurs fois (Herc. Œt., 291  ; 332  ; 344  :  «  l’épouse d’Hercule  ») ou bien nostro Hercule (Herc. Œt., 345  :  «  notre Hercule  ») ou encore uiro Hercule (Herc. Œt., 406  : «  le mari Hercule  »). Cette attention particulière accordée par Déjanire à son statut d’«  épouse du héros Hercule  » n’étonne point, puisque le ressort dramatique de la pièce repose sur le risque de perdre ce statut. L’installation de l’esclave Iole dans le foyer familial par Hercule menace l’épouse légitime et l’incite à reconquérir le héros avec des moyens magiques, provoquant sa perte dans un premier temps, mais aussi et surtout sa divinisation ensuite. Ne supportant pas de perdre à la fois son époux et sa raison d’exister, Déjanire préfère quitter la vie  : [Dei.]  //Quo fugam praeceps agam ? Mors sola portus dabitur aerumnis meis. Testor nitentis flammeam Phoebi rotam   Croisille (1964a), p. 464-472.   Les deux époux ne partagent pas une seule scène de l’Hercule sur l’Œta. 152   Fabre-Serris (2010), p. 13. 150 151

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superosque testor : Hercvlem in terris adhuc moritura linquo.// [Déj.] Où pourrais-je fuir en vitesse  ? Seule la mort se présentera comme un refuge à mes souffrances. Je prends à témoin le disque de feu de l’éclatant Phébus, je prends à témoin les dieux d’en haut  : j’abandonne Hercule encore sur terre pour mourir. (Herc. Œt., 1020-1024)

Sans nier cette utilisation du nom Hercules par son épouse, il est important de noter également que les formules citées ci-dessus fonctionnent bilatéralement  : elles définissent à la fois le statut de la reine, mais également celui d’Hercule, puisque le mariage engage les deux parties. Déjanire cherche donc à réaffirmer sa propre identité, mais aussi – tout comme les exemples cités plus haut – à se recréer un Hercule qui lui appartiendrait. b)  Noms propres chez les personnages masculins Pas un seul personnage masculin ne présente de noms de femme dans son vocabulaire spécifique. Les héros sénéquéens ne ressentent pas le même besoin de récréer un lien discursif et personnel aussi fort avec leurs homologues fémi­ nines, qui occupent pourtant un rôle central dans le déroulement de l’action tragique. Contrairement aux personnages féminins, ils insistent sur le statut de leur interlocutrice plutôt que sur leur identité propre. À titre d’exemples, Amphitryon voit en Mégare la socia nostri sanguinis ou la miseranda coniux Herculis magni (Herc. Fur., 309  : «  compagne de notre sang  » et 439  : «  misérable épouse du grand Hercule  »). Elle n’est donc pas simplement Mégare aux yeux de son beau-père, mais bien l’épouse du sang de ce dernier, Hercule. Ulysse s’adresse à Andromaque en tant que parens (Troy., 785)  ; Égisthe interpelle la regina Clytemnestre, mais humilie Électre, la furibunda uirgo (Agam., 303  : «  la reine  » et 981  : «  la jeune fille délirante  »). Il est également intéressant d’examiner les cas inverses  : douze 153 protago­ nistes masculins, sur les vingt-deux que compte le corpus, sur-utilisent au moins un autre nom d’homme dans des contextes différents de ceux dégagés pour les femmes. En premier lieu, les héros font souvent appel à d’autres hommes – vivants ou morts – dans le but de légitimer leurs actes ou leurs demandes. Dans les Troyennes, Pyrrhus invoque le rôle décisif de son père, Achille, dans la guerre de Troie pour solliciter le sacrifice d’une vierge (par ex.  : v. 244-245). Agamemnon se cache ensuite derrière l’avis de Calchas pour confirmer cette arrogante exigence (v. 349-352). De même, Ulysse met en avant le don de clair­ voyance du devin pour réclamer le jeune Astyanax à sa mère Andromaque, sans s’impliquer personnellement dans la démarche (v. 529-533). La répétition de ce  Atrée, Thyeste, Œdipe, Agamemnon, Pyrrhus, Ulysse, Créon, Hercule, Jason, Hyllus, Thésée, Philoctète. 153

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nom masculin, garantie de la validité de la demande, fonctionne comme un argument supplémentaire. Dans l’Œdipe, le roi rejette les soupçons de faute derrière l’idée que son père, Polybe, est encore en vie, au lieu d’affronter son passé (v. 659-664). Jason, de son côté, avance le pouvoir de Créon pour justifier son refus de suivre Médée dans sa fuite (Méd., 490-491). Le deuxième cas concerne la figure d’Hercule qui, dans ce cadre, possède une particularité. En effet, le héros de l’Hercule Furieux manifeste son amitié envers Thésée en faisant appel à lui à chacun des moments critiques de son retour au foyer (combat contre le tyran Lycus, meurtre de ses propres enfants, combat pour continuer à vivre). Dans l’Hercule sur l’Œta, c’est Philoctète qui prouve son affection à Hercule en l’accompagnant jusqu’à ses derniers moments terrestres (v. 1756). Par la répétition des noms (Theseus, + 5,2 et Hercules, + 3,5), un lien fort entre les deux paires de héros, Philoctète-Hercule et Her­ cule-Thésée 154, s’établit et fait de ces échanges avec le fils de Jupiter le meilleur exemple d’amitiés viriles dans le corpus tragique de Sénèque. Troisièmement, le nom de l’ennemi peut devenir spécifique chez certains personnages. Le lemme en excédent, Lycus, dans le discours d’Hercule (+ 4,7) montre l’obsession de l’époux de Mégare à l’encontre du tyran sanguinaire. La répétition (v. 635 et 639) du nom de l’usurpateur fonctionne d’abord comme un catalyseur de la force d’Hercule pour terrasser Lycus (v. 895). Au moment de se purifier de ce crime, il est pris de folie et il massacre sa propre famille, pensant combattre alors le Lyci nefandum semen (v. 988  : «  le rejeton abomi­ nable de Lycus  »). Même après avoir recouvré ses esprits, le héros pense encore que le tyran ou ses partisans sont responsables du bain de sang (v. 1161 et 1181). Finalement, la paire Atrée-Thyeste illustre également cet usage, puisque ­chacun des deux frères occupe l’esprit de l’autre au point que cela se reflète dans leur discours  : Thyestes (+ 4,2) chez Atrée et Atreus (+ 3,2) chez Thyeste. Mais une particularité différencie les deux cas de figure. Contrairement aux adversaires Hercule-Lycus, les deux frères ne s’opposent pas seulement dans un cadre politique, mais aussi dans un cadre familial. En effet, Thyeste a détourné le trône de son frère et il a également séduit son épouse, Érope, perturbant l’équilibre fragile, mais indispensable de la famille. Il a humilié son jumeau à tous les niveaux de valeurs des civilisations anciennes (publique, privé, familial et filial), en jetant le trouble sur la légitimité de la descendance royale. En réponse à l’injure et après avoir repris le pouvoir, Atrée cherche à se venger de son frère et chaque occurrence de son nom marque les étapes de sa machination  : il trouve un crime à la hauteur de sa haine (v. 271)  ; il met en place un piège (v. 300)  ; Thyeste se laisse duper (v. 495)  ; le piège se referme sur lui (v. 901). De son côté, Thyeste se méfie d’Atrée au plus haut point (v. 412), mais il se   En outre, sur l’interprétation du rôle de Thésée comme un exemple du stoïcisme, voir Auvray (1987), p. 158-166. 154

70

CHAPITRE I

laisse néanmoins persuader par son fils de retourner à Mycènes (v. 486) où il demande pardon à son frère (v. 513). Ce schéma familial, en plus de la structure même de la tragédie 155, est proche de celui de la Médée. Le trio Médée-Jason-Créuse peut être mis en parallèle avec celui du Thyeste  : Atrée-Érope-Thyeste. Les deux histoires semblent pré­ senter une inversion des sexes (femme-homme-femme vs homme-femmehomme), mais C. A. Littlewood a démontré dans deux articles 156 que les frères sont féminisés pour montrer qu’ils ont perdu leur statut d’homme  : The similarity between Atreus and Thyestes was established in Atreus’ first speeches as he and Thyestes alternated the roles of king and exile. Atreus’ desire is to break free of the cyclical trap and, once and for all, to establish his superiority. The means by which he sought to achieve this have been discussed above, but the price to be paid undermines the achievement  : in transforming Thyestes into an animal and a woman Atreus suffers a similar degeneration. 157

Une comparaison entre Atrée et Médée, tous deux délaissés par leur conjoint(e) pour quelqu’un d’autre, ne semble pas incohérente. Dès lors, ne pourrait-on pas rapprocher l’utilisation particulière des noms Thyestes et Atreus de l’emploi des noms de femmes par les personnages féminins relevé précédemment  ? Cette caractéristique commune entre le discours des jumeaux et celui de personnages féminins (une sur-utilisation du nom de la personne qui s’élève en menace de l’équilibre familial) participerait donc à la féminisation des deux héros, ce qui renforce la proposition de C. A. Littlewood. I.4.3.  Le cas particulier des noms propres des entités non-humaines L’utilisation des noms propres ne varie pas seulement entre hommes et femmes pour les cas de noms de héros, mais également pour les noms d’entités «  non-humaines  ». Alors, même si le nom de certaines d’entre elles est commun à des acteurs masculins et féminins, comme Juppiter spécifique à Alcmène (+ 3,1) et Hercule (+ 3,6) – sans doute en raison du lien de parenté qui les unit –, seules des héroïnes sur-emploient les noms des divinités privées comme les Manes (+ 3 chez Alcmène et + 2,2 chez Hécube), les Lares (+ 2,2, chez Mégare) et les Penates (+ 2,7 chez Jocaste). Même si pour les Mânes il est possible de penser, sur la base des témoignages des anciens comme Ovide (Fastes, V, 429444), que «  Men control their relationship with their departed (presumably male) ancestors in the context of a patriarchal religion and society. With the help of Ovid, it is not difficult, even when we turn to the private sphere, to erase   Chaumartin (éd.) (2002), p. 101-102.   Littlewood (1997, 2004, p. 194-209, 2008), mais aussi Aygon (2003), p. 281. 157   Littlewood (1997), p. 82.

155 156

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS71

women  » 158, H.‑F. Mueller a bien montré que les femmes participaient aussi à certains rites ou à certaines croyances relatives au culte de ces divinités. Il apparaît que, si les premiers désignent bien in situ les âmes des morts dans un contexte de deuil, les Lares et les Penates sont eux utilisés par métonymie pour la maison ou le foyer. Dans le premier cas, Alcmène pleure son fils qui – croit-elle – vient de rejoindre le monde d’en bas  : [Alcm.]  //Vadis ad habiturus unum.//

manes

iter

[Alcm.]  Tu prends le chemin des mânes, cette fois sans retour. (Herc. Œt., 17731774)

Hécube mène le chant du chœur de Troyennes à la mémoire des hommes tom­ bés à Troie  : [Hec.]  Felix Priamus dicite cunctae : liber manes uadit ad imos, nec feret umquam uicta Graium ceruice iugum ; [Héc.]  Heureux Priam  ! Dites-le toutes ensemble  : il s’en va libre au plus bas parmi les Mânes, jamais il ne supportera le joug grec sur sa nuque vaincue. (Troy., 145-147b)

Lares et Penates ne sont jamais employés dans leur sens original de divinités domestiques, mais bien comme synonymes du «  foyer  ». Jocaste et Mégare associent d’ailleurs toujours Lares/Penates à la patria pour mettre en balance le domaine privé avec la sphère publique. Cette mise en rela­ tion donne plus de poids à l’argument développé par les deux héroïnes et parti­ cipe à la dramatisation de leurs propos. Ainsi, l’épouse d’Hercule cherche à insister sur la cruauté de Lycus en répétant qu’il l’a privée à la fois de sa maison et de sa patrie (Herc. Fur., 379 et 381). De son côté, Jocaste tente en vain de convaincre Polynice (Phén., 503 et 556), et ensuite Étéocle (v. 663), de renoncer à la guerre qui se prépare au risque de perdre et leur foyer et leur patrie. Médée a une préférence pour deux autres entités «  non-humaines  » tradition­ nellement attachées aux sphères féminines  : Hecate (+ 3,7) et Furia (+ 2,2). Pour la première, Sénèque l’intègre dans son œuvre en accord avec la version tradition­ nelle du mythe 159. Cependant, tandis qu’Euripide ne fait allusion à cette divinité qu’une seule fois pour insister sur la place qu’elle occupe dans le foyer de Médée (Eur., Méd., 395-398) 160, le Tragique latin met plutôt l’accent sur le pouvoir magique accessible à l’épouse de Jason par l’intermédiaire d’Hécate. Dès les   Mueller (2011), p. 227-228.   Ohlander (1989), p. 22-23  ; Glaser (2001), p. 22. 160   Sur les liens entre Hécate et le foyer, voir Annequin (1973), p. 83-85 et aussi Zografou (2010), p. 176-179. 158 159

72

CHAPITRE I

premiers vers, l’héroïne invoque la déesse afin de réclamer justice pour la trahison de Jason. Elle fait ainsi appel à elle à quatre reprises (Méd., 7  ; 577  ; 833  ; 841) 161 avec ses attributs traditionnels  : Hecate triformis (v.  7  : «  la triple Hécate  »)  ; ter latratus / audax Hecate (v. 840-841  : «  Hécate l’audacieuse qui aboie trois fois  »). D’après N. T. Pratt 162, ces incantations permettent à Médée de devenir une «  Hécate vivante  » pour rendre la scène plus terrifiante. Plus modérément, S. Ohlander 163 propose que ce rituel offre à Médée le pouvoir de réaliser sa vraie nature, tout en faisant croître la tension au sein de l’auditoire. La répétition, à intervalles toujours plus rapprochés 164 et dans un mètre plus rapide, de cette figure connotée négativement 165, participe à part entière au processus de dramatisation de l’épisode. Peut-être a-t-elle également pour but de reproduire sur scène le caractère particulier d’une formulation magique dont la forme et le rythme jouaient un rôle de premier ordre 166. Le climax est atteint au vers 843 où Médée, au sommet de sa puissance, clôture la phase d’incantation par  : Peracta uis est omnis («  toute ma force est désormais mise en marche  »). À cet instant précis, le rythme du texte redevient plus lent en repassant au trimètre iambique. Souvent associées à Hécate, les Furies chez Sénèque ne sont pas invoquées par Médée pour avoir la force d’accomplir sa vengeance, comme chez Euripide (Eur., Méd., 1059), mais elles se rappellent à la magicienne incapable de maî­ triser sa colère (v. 951). Elles lui réclament le sacrifice d’un premier fils pour effacer le meurtre de son frère (v. 964-970). Elles apparaissent donc plutôt comme le résultat d’un débordement d’émotion haineuse devenue, à un point de non-retour, incontrôlable. Par ailleurs, il n’est pas étonnant que la figure des Furies soit ici choisie, car non seulement elles sont les divinités féminines de la vengeance par excellence, mais elles sont aussi particulièrement concernées par les désordres au sein de la famille, dont la femme est le membre central 167. C’est précisément le cas de Médée, qui a assassiné celui qui partageait, par sa mère, le même sang qu’elle, son frère  ; et ce n’est pas un hasard si la victime exigée est aussi le fruit de son propre sang. Après avoir apaisé les esprits de cette manière, elle peut poursuivre son plan sans obstacle, par le meurtre de son deuxième fils  : [Med.]  O placida tandem numina, o festum diem, o nuptialem ! Vade, perfectum est scelus, uindicta nondum : perage, dum faciunt manus.   Par exemple les verbes  : precor ou uocare.   Pratt (1983), p. 88. 163   Ohlander (1989), p. 266-273. 164   Il y a 570 vers entre la première et la seconde occurrence, 256 entre celle-ci et la troisième et seulement 8 avant la dernière. 165  Voir Henrichs (2012), art. «  Hecate  », p.  651-653. 166   Dangel (2001b), p. 287-290. 167   Zelenak (1998), p. 68-69. 161 162

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS73

[Méd.]  Ô divinités enfin paisibles, ô jour de fête, ô jour de noces  ! Allons, le crime est terminé, la vengeance pas encore  : agis tant que tes mains en sont capables. (Méd., 985-987)

Cette intervention des Furies fonctionne comme le ressort dramatique qui per­ met à Médée d’acquitter ses méfaits passés pour assouvir sa vengeance présente, sans peur des représailles des déesses vengeresses. En effet, à la fin de la pièce, la magicienne n’a plus de membre direct, par le sang, de sa famille. L’impor­ tance de cette puissance divine semble donc manifeste dans le développement tragique du personnage de Médée. Dans le Thyeste, le terme «  Hécate  » ne fait pas partie des spécificités des rôles, mais Atrée est le seul autre personnage sénéquéen à entrer en contact direct avec les Furies. 168 Il n’a pas encore atteint le niveau de colère nécessaire à l’accomplissement de son crime. C’est pourquoi il fait appel aux Furies pour l’y aider  : [Atr.]  //Dira Fvriarvm cohors discorsque Erinys ueniat et geminas faces Megaera quatiens.// [Atr.]  Que viennent la funeste cohorte des Furies, l’Erinys qui divise ainsi que Mégère qui secoue deux torches. (Thy., 250-252)

Malgré une action des Furies de nature et de chronologie différentes dans le Thyeste et la Médée, le contexte de leur action est, quant à lui, similaire. Dans les deux situations, il s’agit de punir le héros coupable de ne pas respecter les liens sacrés du sang par la mère. Médée a tué son frère et Thyeste a charmé sa belle-sœur, ce qui provoque une incertitude inacceptable dans la culture antique sur la paternité des enfants de l’un et de l’autre. Le processus est bien décrit par A. Schiesaro 169. Dans les deux mythes, ces divinités chthoniennes garantes de la famille par la mère interviennent alors pour rétablir l’ordre perturbé. Du côté des personnages masculins, le dieu Phoebus apparaît comme lemme spécifique d’Hercule (Herc. Fur., + 2,6), Créon et Œdipe (Œd., + 2,8 et + 3,1). Pour les deux derniers, il n’est pas surprenant que le dieu des oracles occupe une place significative dans leur discours. C’est vers lui qu’Œdipe envoie Créon pour découvrir comment sauver Thèbes frappée par la peste 168   Le terme Furia apparaît également dans l’Hercule Furieux, au vers 1221, dans l’expression dira Furiarum loca. Celle-ci désigne l’endroit où Hercule aimerait se cacher pour se punir du massacre de sa famille. 169   Schiesaro (2003), p. 4-7  : «  Atreus’ anxiety about his paternity helps to explain why he plans and executes his revenge in such a way as to ascertain in the process his sons’ instinctive allegiance  : in the end they do not inform their uncle of the impen­ ding slaughter, and by their deeds they show to Atreus that he is, in fact, their father, as he finally realizes with joy  : “now I am convinced that my children are my own” (1098-9).  »

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CHAPITRE I

(v. 109). Phébus joue donc un rôle, certes indirect, mais capital dans le dérou­ lement de l’intrigue  : [Cre.]  « Mitia Cadmeis remeabunt sidera Thebis, si profugus Dircen Ismenida liqueris hospes regis caede nocens, Phoebo iam notus et infans. » [Cré.]  Des cieux cléments reviendront à Thèbes si une fois banni, le voyageur coupable du meurtre du roi quitte Dircé la thébaine, coupable déjà connu enfant par Phébus. (Œd., 233-235)

Comme après la naissance du héros (v. 16-25), c’est la réponse ambiguë de Phébus qui déterminera les actes des protagonistes du mythe, bien que l’Œdipe de Sénèque semble déjà douter de sa propre culpabilité dès le prologue (v. 1-109) 170. Quant à Hercule, il fait plutôt référence au dieu solaire pour mettre en évidence ses propres exploits (v. 595 et 607). Ces quelques exemples montrent donc que personnages féminins et mascu­ lins n’entretiennent pas un même rapport avec les noms propres, ce qui révèle des interactions différentes avec l’Autre selon le sexe du locuteur. Ainsi, les premières accordent une valeur particulière à nommer les femmes qu’elles redoutent et les hommes qui comptent pour elles, parfois pour les rendre réels. Les seconds ne ressentent pas le même besoin de prononcer le nom des femmes, mais plutôt la place ou le statut qu’elles occupent. Par exemple, dans l’extrait de l’Hercule sur l’Œta déjà cité, Hercule mourant sous le poison de Nessus ne voit qu’une chose  : son meurtrier est une femme, peu importe son identité propre (Herc. Œt., 1176-1178). En revanche, les personnages masculins n’ont pas peur de répéter le nom des hommes qui peuvent aider à justifier leur position, qui sont leur ami ou encore leur adversaire politique. * *   * Cette section, centrée sur la base Personae a montré que les facteurs de la thématique et de l’œuvre jouent un rôle important dans la composition des dis­ cours des personnages. Le sujet d’une même pièce influence en profondeur le choix du vocabulaire et des prises de positions des différents héros, au point d’apparaître clairement dans les procédés statistiques mis en œuvre ci-dessus. De plus, bien que la datation de ces œuvres soulève encore de nombreuses questions 171, il est pertinent de penser que Sénèque a conçu chacune d’entre elles – peu importe son moment précis d’écriture – comme un ensemble cohérent entre les rôles qui les constituent. 170  Sur le pressentiment de culpabilité d’Œdipe, voir l’analyse détaillée de Boyle (1997), p. 92-102. 171   Notamment  : Fitch (éd.) (2002), p. 10-14.

LA LOGOMÉTRIE, LA FEMME ET LE DISCOURS DES PERSONNAGES FÉMININS75

Il est plus intéressant de constater que le thème n’intervient qu’en deuxième position dans la caractérisation des discours, après les modes d’énonciation. Ces derniers, plutôt dialogués ou monologués des personnages, définissent donc principalement les contraintes d’écriture avant même l’unité thématique de l’œuvre. Ce second facteur, bien qu’assurément effectif, n’a pas le même poids dans toutes les tragédies du corpus. Par exemple, l’homogénéité est très forte entre les discours des personnages de l’Hercule sur l’Œta ou de l’Agamemnon. Le thème de ces deux tragédies imprègne donc plus en profondeur le contenu des rôles mis en scène que dans d’autres pièces du corpus. Ces résultats ne mettent pas en avant une caractérisation des personnages selon leur sexe, même après avoir retiré de la base statistique les chœurs, les messagers et les nourrices. On n’est donc manifestement pas en présence de deux types de discours différents quand le locuteur n’a pas le même sexe. ­Toutefois, d’autres outils statistiques permettent d’entrer davantage en détail dans la réalité textuelle comme la fonctionnalité Spécificités. Grâce à celle-ci, de réelles différences ont pu être dégagées entre les deux groupes dans leur utilisation des noms propres et des noms de divinités. Nous ne sommes donc pas en présence de deux systèmes linguistiques différents selon les sexes, mais confrontés à une série de traits de langage subtils qui caractérisent localement le discours des unes et des autres.

CHAPITRE II

Discours et catégories de personnages In the plays of Seneca, the drama is all in the word, and the word has no further reality behind it. His characters all seem to speak with the same voice, and at the top of it  ; they recite in turn. Eliot (1932b), p. 7.

II.1.  Comment aborder les

catégories de personnages  ?

Dans le chapitre précédent, puisque les procédures logométriques ont mis en évidence l’existence de spécificités dans les discours féminins, sans doute gommées dans les AFC par d’autres facteurs statistiquement plus lourds (stylistique, thématique…), des ensembles de personnages ont été réunis pour constituer cinq catégories génériques 1  : les chœurs, les messagers, les nourrices, les héros et les héroïnes tragiques. Ces deux derniers ensembles sont composés des personnages masculins et féminins identifiés par un nom propre, contrairement aux nourrices et à la plupart des messagers. Notons que les chœurs ne font pas l’objet d’une distinction selon leur sexe 2 en raison de leur langue homogène 3. Ainsi, la base Rôles est obtenue et permet de confronter, non plus chacun des personnages les uns aux autres, mais les cinq entre eux 4. Les outils statistiques de l’analyse arborée appliqués aux lemmes comme aux codes grammaticaux confirment les résultats obtenus sur la base Per­ sonnages  :

  Seuls les Satelles, les divinités et les vieillards n’ont pas été intégrés dans ce corpus car ils soulèvent des problèmes de catégorisation et ne représentent qu’un faible volume de texte. 2   Chœurs masculins dans Médée, Œdipe, Phèdre et Thyeste et chœurs féminins dans Hercule sur l’Œta, Agamemnon, les Troyennes, les Phéniciennes et Hercule Furieux. 3   Voir les résultats dans le premier chapitre (cf. I.3.). 4   Les messagers présentent le moins d’occurrences (2957)  ; les héros masculins en comptent le plus (24390). 1

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES77



Fig. 1 : Analyse arborée des lemmes dans la base Rôles

Fig. 2 : Analyse arborée des codes grammaticaux dans la base Rôles

Dans les deux analyses arborées, les configurations sont similaires. Elles distinguent les héros et les héroïnes tragiques, réunis sur la branche supérieure, des messagers et des chœurs associés à l’extrémité inférieure. Les nourrices font l’objet d’une branche indépendante issue du centre de l’arbre. Les étapes de regroupement, représentées par les nœuds (6 pour les chœurs et les messagers et 7 pour les héros masculins et féminins), semblent similaires dans les deux graphiques. Les chœurs et les messagers sont ainsi d’abord liés dans l’arbre, ce qui indique leur grande proximité. Comme dans le premier chapitre, apparaît donc le facteur de l’énonciation (narration vs interaction) déjà analysé précédemment (cf. I.3.). En revanche, la fonction Spécificités 5 peut mettre en évidence des particularités plus ciblées, invisibles dans un procédé de calcul global comme l’analyse arborée ou l’AFC. L’outil calcule ce qui est statistiquement sur-utilisé par l’un ou l’autre groupe de textes. Il est ensuite nécessaire de retourner aux contextes pour analyser les nuances d’utilisation. Cinq listes brutes de lemmes sont donc produites (Annexe II, 1) 6. Les catégories de personnages ne présentent pas de terme à très haut degré de spécificité. Seul cum, chez les chœurs, possède un écart au-dessus de 7. Le premier lemme spécifique des messagers, os1, «  la bouche  », a quant à lui, un écart de + 3,9. Ceci s’explique par le fait qu’il s’agit   Fonction déjà utilisée pour le vocabulaire de chacun des personnages (calculée sur la base Personae). 6   Le logiciel Hyperbase fournit les résultats à partir d’un écart réduit de 2. Néanmoins, nous préférons un seuil de spécificité plus sévère de 2,5, même si nous ferons appel ponctuellement à des données en dessous de cette limite théorique et en fonction du nombre d’occurrences. 5

78

CHAPITRE II

d’un même auteur qui écrit dans un même genre littéraire. De plus, en raison de cette relative faiblesse de spécificité et de ce seuil limité à + 2,5, proportionnellement peu de lemmes peuvent être pris en compte dans la recherche. Dans un but d’exhaustivité, le vocabulaire spécifique des trois catégories de personnages sans identification précise (les nourrices, les messagers et les chœurs) est brièvement abordé. En effet, les caractéristiques de ces types de personnages sont connues et identifiées par la critique 7 et les analyses arborées les isolent distinctement des autres héros associés à des personnages mythologiques. C’est pourquoi nous nous concentrons sur les héros et les héroïnes tragiques. II.2. Les

nourrices

Le vocabulaire spécifique des nourrices présente des termes liés à leur statut générique 8  : l’objet de leur dévouement (alumna, «  l’enfant  »  ; nupta, «  l’épouse  »  ; regina, «  la reine  »), leur propre statut (famula, «  l’esclave  ») et leur action principale au sein de la famille (cura, «  le soin  »). Ceci correspond à l’image de la nourrice véhiculée dans la culture romaine. Mais se dessine aussi un lexique lié à leur fonction au sein même des tragédies. Par exemple, les verbes d’empêchement sisto, coerceo, comprimo, freno, ou encore resisto, souvent accompagnés de noms chargés sémantiquement comme mens, «  l’esprit  », furor, «  la fureur  », impetus, «  l’élan  », dolor, «  la douleur  », sont autant d’indices lexicaux de leur rôle dramatique de «  modérateur  » joué auprès de leur maîtresse en furor. Certains spécialistes ont d’ailleurs vu en elles les symboles de la contenance morale prônée par la philosophie stoïcienne 9. Personnages philosophiques ou non, les nourrices interviennent auprès de leur maîtresse en proie au désespoir pour tenter de les ramener à la raison. En témoigne cette réplique au début de l’Hercule sur l’Œta adressée à Déjanire rongée par une jalousie maladive envers Iole  : [Nvt.]  Pectoris sani parum aestus, Alvmna, comprime et flammas doma ; Frena dolorem. Coniugem ostende Herculis. [Nour.]  Tu n’as plus toute ta raison, mon enfant, réprime tes agitations et dompte tes flammes  ; réfrène ta douleur. Montre-toi l’épouse d’Hercule. (Herc. Œt., 275-277)   Sur les caractéristiques des discours des messagers, voir par exemple  : Liebermann (1974), p. 14-84 et Winter (2014), p. 152-168. 8   Sur le statut historique de la nourrice à Rome, voir entre autres  : Corbier (1999), p. 1274-1275. 9   Leeman (1976). Voir aussi, sur la rhétorique des nourrices  : Mader (2014), p. 589590. 7

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES79



Néanmoins, malgré leurs efforts de dissuasion, elles ne réussissent jamais à se faire entendre. Au contraire, lorsque Déjanire et Phèdre sont sur le point de se suicider, leur nourrice préfère participer à un méfait moins grave pour préserver la vie de leur maîtresse. Ainsi, la nutrix obéit à Déjanire dans sa volonté de préparer un philtre d’amour destiné à reconquérir Hercule  : [Nvt.]  Ocius iussa exequar, alumna, precibus tu deum inuictum aduoca, qui certa tenera tela dimittit manu. [Nour.]  Je m’empresse d’exécuter tes ordres, mon enfant  ; de ton côté, invoque le dieu invincible qui envoie ses flèches inévitables de sa main délicate. (Herc. Œt., 538-540)

Après un échange avec Phèdre sur ses sentiments suicidaires, la nourrice informe Hippolyte de l’amour de sa belle-mère, sans approuver la démarche de sa maîtresse  : [Nvt.]  Haud est facile mandatum scelus audere […] [Nour.]  Il n’est pas facile d’oser un crime sur demande. (Phèd., 427-428)

Le rôle des nourrices, presque figé, est crucial dans le déroulement de l’action tragique, puisqu’elles sont les traits d’union indispensables entre la naissance de la passion destructrice et son accomplissement final. Dans l’Hercule sur l’Œta, S. Marcucci propose même que «  le parole della nutrice risultano dunque fortemente programmatiche  » 10. L’importance de cette catégorie de personnages pour le développement émotionnel et dramatique de leur protégée est donc manifeste. Ce premier exemple confirme que l’étude du vocabulaire spécifique offre une information de type thématique, mais aussi dramatique. Il éclaire à la fois la représentation des nourrices en général, mais également leur place dans la tragédie de Sénèque. II.3. Les

messagers

Les messagers présentent un vocabulaire spécifique moins significatif, en comparaison avec les autres groupes. Cette liste n’en demeure pas moins riche d’informations. Trois catégories de lemmes s’y dessinent. En premier lieu, le discours des messagers est, d’un point de vue lexical, très marqué par son caractère descriptif, avec une série de mots-outils et d’adverbes liés à la fonction de leurs interventions  : atque, et, ac, postquam, deinde, in, qualis, passim, etc. Il s’agit de passages construits selon les procédés rhétoriques de la descriptio détaillés 10

  Marcucci (1997), p. 241.

80

CHAPITRE II

et analysés par J.‑P. Aygon 11. Ensuite, un second groupe est composé de termes concrets et techniques qui permettent de construire, par le discours, le cadre matériel de l’action décrite  : currus, murus, turris, humus, frenum, scopulus, sonipes, etc. Un exemple de description provient du retour des Grecs de Troie à Mycènes, devant Clytemnestre impatiente de connaître le sort de son époux  : [Evr.]  Vt Pergamum omne Dorica cecidit face, diuisa praeda est, maria properantes petunt. Iamque ense fessum miles exonerat latus, neglecta summas scuta per puppes iacent ; [Eur.]  Lorsque les torches grecques eurent anéanti tout Pergame et que le butin fut partagé, ils se hâtèrent de prendre la mer. Bientôt, les soldats déchargent leur épée de leur flanc fatigué, ils déposent leur bouclier délaissé sur le sommet de la poupe. (Agam., 421-424)

Enfin, une attention particulière est accordée par les messagers au corps et à ses altérations  : os, truncus, oculus, corpus, deformis, uulnus, bustum, morsus, uena. L’exemple le plus marquant est l’épisode de la boucherie sacrificielle d’Atrée dans le Thyeste rapporté par le messager aux vers 691-788 12. La tragédie comporte encore d’autres de ces terribles récits, locus horridus 13, comme la description de la mort d’Hippolyte dans Phèdre (v. 1060-1114) ou celle d’Astyanax dans les Troyennes (v. 1110-1117). La liste de termes liés au corps et à sa destruction révèle non seulement l’un des angles sous lesquels les hérauts perçoivent les événements, à savoir leur sensibilité sensorielle de rapporteur, mais témoigne également de l’intérêt potentiel du public pour cette approche. En effet, les messagers rapportent en priorité ce qu’ils considèrent comme important aux yeux de leur entourage, et par conséquent, de manière indirecte, aux yeux du public. E. Varner relève cet aspect dans son article sur le grotesque dans la tragédie de Sénèque  : Seneca himself was profoundly interested in the effects of the bloody spectacles on Roman viewers and it is important to consider them as possible influences and sources as he conceived his very visually oriented and descriptive tragedies. Seneca discusses the ways in which audiences were directly implicated in the gruesome events of the amphitheater and comments on the bloodthirsty nature of Roman audiences with special emphasis on the reactions of spectators. 14

Ces spécificités révèlent non seulement une particularité des nuntii, mais également un centre d’intérêt important pour Sénèque 15. En bref, à travers le regard des messagers sur leur environnement, le regard de Sénèque se découvre.   Aygon (2004).   Voir entre autres Schiesaro (2003), p. 85-98. 13   Schiesaro (1985). 14   Varner (2000), p. 125. Voir aussi Kroppen (2008), p. 56-86. 15   Dupont (1997), p. 275-288. 11 12

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES81



II.4. Les

chœurs

Comme confirmé par les deux analyses arborées, le discours des chœurs, comme des messagers, se décrit par opposition aux héros et héroïnes tragiques. Les tests ont montré que les chœurs ont une emprise indirecte sur l’action 16, alors que les discours des protagonistes masculins et féminins s’insèrent plutôt dans l’interaction. Sans vouloir refaire une étude approfondie des chœurs chez Sénèque 17, parcourons néanmoins le vocabulaire spécifique 18 obtenu pour ce troisième groupe de textes de la base Rôles. Le lemme le plus particulier est la conjonction de subordination, cum, avec un écart très significatif de + 7,2. Soixante-six des 149 occurrences que compte le corpus sont utilisées dans ces parties chorales. Ainsi, les chœurs, moins ancrés que les personnages tragiques dans le présent de l’action dramatique, accordent plus d’importance à marquer les circonstances dans leurs répliques. Ces circonstancielles précisent certes le propos, mais elles participent surtout à peindre l’univers mythique dans lequel s’intègre l’action tragique. Par définition, celui-ci est lointain chronologiquement et géographiquement pour le public romain. C’est la raison pour laquelle il est important que le chœur, en léger retrait par rapport au mouvement de l’action, dresse, par son discours, les contours du cadre mythologique de la pièce. L’extrait suivant de l’Agamemnon illustre cette fonction particulière du chœur lorsqu’il célèbre le retour des Grecs de Troie  : [Ch.] nil acre uelim magnumque modis    intonet altis, sed quale soles leuiore lyra    flectere carmen simplex, lusus cvm docta tuos    Musa recenset ; licet et chorda grauiore sones,    quale canebas cvm Titanas fulmine uictos    uidere dei […] [Ch.]  J’aimerais que rien de vif ni de grandiose ne retentisse sur de hautes tonalités, mais ce chant simple que tu as coutume de réinterpréter plus légèrement à la lyre 19 lorsque la savante Muse rappelle tes jeux. Il t’est aussi permis de célébrer en musique, un ton plus grave, ce que tu chantais lorsque les dieux virent les titans vaincus par la foudre […]  (Agam., 332-341) 16   Il n’est pas question de nier le rôle du chœur, mais de nuancer son influence par rapport aux autres personnages. Ses fonctions sont différentes, mais bien effectives dans les pièces  : Dangel (2001b), p. 185, Davis (1989), Mazzoli (2014), p. 573-574. 17   Voir par exemple le travail de Davis (1993) ou encore l’ouvrage collectif de ­Castagna (1996) qui réunit neuf travaux sur les chœurs chez Sénèque. 18   Voir aussi le travail de Denooz (2005b). 19   On est ici en présence d’un passage technique sur la poésie sous le patronage d’Apollon  : Tarrant (éd.) (1976), p. 234-237.

82

CHAPITRE II

Alors que les faits se déroulent dans le contexte héroïque du cycle mycénien, la geste des Pélopides, le chœur fait référence à une époque encore antérieure, celle de la vie des dieux et des titans. Par ce second niveau de temporalité introduit par le cum répété, le chœur insère le moment dans le passé de la mythologie. D’autres termes signalés par le logiciel mettent aussi en évidence le caractère mythique des parties chantées, comme de nombreux noms propres, dont la coloration poétique n’est plus à démontrer  : Orpheus, Boreas, Eurydice, Fortuna, Pelion, Hesperus, Caurus, Rhodope, Aurora 20. Notons plus particulièrement la répétition du topos d’ «  Orphée vainqueur des enfers grâce à sa lyre et ses chants  » repris dans l’Hercule Furieux (v. 569-591), la Médée (v. 346-359) et l’Hercule sur l’Œta (v. 1031-1101). L’épisode, inspiré, entre autres, de Virgile (Géorg., IV, 467-503) et d’Ovide (Mét., X, 11-63) 21, intervient localement dans l’argumentation développée par le chœur, comme dans la comparaison entre la catabasis d’Orphée et celle d’Hercule 22 dans les deux œuvres du même nom. Il contribue également à colorer de lyrisme les trois passages, puisqu’Orphée est le modèle mythologique de cet art poétique. Par ailleurs, l’on trouve des lemmes qui rappellent le rôle premier du chœur au sein même de la tragédie (cantus, cano, chorus, carmen). Par exemple, le chœur des Œchaliennes décrit sa propre fonction sous les traits d’un berger à venir  : [Ch.]  Illo Thessalicus pastor inops loco indocta referens carmina fistula cantv nostra canet tempora flebili  ; [Ch.]  Dans cet endroit, un pauvre berger thessalien qui reprend des airs avec une rustique syrinx chantera notre temps dans une triste mélodie. (Herc. Œt., 128-130)

Ces jeunes filles opèrent un chant plaintif (v. 104-106  ; 119-125), mais la mise en scène du berger leur permet d’insister davantage sur leur propre situation malheureuse, puisqu’elles pleurent leur désespoir présent et à venir. Finalement, notons encore les nombreux noms utilisés pour définir le cadre spatio-temporel de leurs propos, qu’ils soient poétiques (pontus, pelagus, carina…) ou non (flumen, ora, litus, nox, saeculum…). Cette particularité, présente également chez les messagers, permet de les mettre encore une fois en parallèle avec les chœurs. II.5. Les

héros tragiques

L’étude du vocabulaire spécifique des héros et héroïnes tragiques montre en premier lieu que les premiers présentent moins de termes qui leur sont caractéristiques. Ensuite, apparaît une série de lemmes qui ne sont pas liés à un sexe,   Dans l’ordre décroissant du niveau de spécificité.   Billerbeck (éd.) (1999), p. 395-396. 22   Davis (1993), p. 70-72. 20 21



DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES83

mais bien à un personnage précis ou au contenu du mythe mis en scène. Par exemple, fera, «  la bête sauvage  », appartient principalement aux discours d’Hippolyte (en référence à sa vie sauvage de chasseur) et d’Hercule (en référence à ses travaux)  ; les termes caelum, «  le ciel  », rogus, «  le bûcher  », Iuno ou encore labor, «  le travail, l’épreuve  », sont, eux, associés au second héros en raison de leur place à la fois dans le mythe et dans les deux tragédies dédiées à Hercule, tandis que des mots comme daps, «  le banquet sacré  », et mensa, «  la table  », sont attachés aux personnages d’Atrée et de Thyeste. II.5.1.  La paternité D’autres termes peuvent être considérés, en raison du nombre de leurs occurrences et de leur dispersion dans le corpus, comme spécifiques des discours des personnages masculins. Signalons un ensemble révélateur de l’intérêt porté par les hommes tragiques à la filiation paternelle 23 (pater, paternus, parens, genitor, gigno, infans), alors qu’aucun lemme spécifique ne se rapporte à la relation maritale. La tragédie sénéquéenne est donc traversée par l’importance de la paternité et les conséquences dramatiques de sa remise en cause  : Astyanax est assassiné parce qu’il est le fils d’Hector et parce qu’à ce titre, il représente une menace pour les Grecs 24  : [Vli.]  //Magna res Danaos mouet, futurus Hector : libera Graios metu. [Uly.]  Une grande question agite les Danéens, un Hector en devenir  : libère les Grecs de cette crainte. (Troy., 550-551)

Médée sacrifie ses enfants pour atteindre leur père (scelus est Iason genitor, v. 933  : «  leur crime est d’avoir Jason pour père  »)  ; le meurtre des fils de Thyeste est la conséquence d’une confusion dans les liens de sang entre Atrée et son frère  ; le plus bel exemple reste évidemment les deux pièces construites sur le mythe d’Œdipe, comme le montrent les premiers vers de l’Œdipe où le héros redoute les nouvelles apportées par l’oracle de Delphes  : [Œd.]  Infanda timeo : ne mea genitor manu perimatur ; hoc me Delphicae laurus monent, aliudque nobis maius indicunt scelus. Est maius aliquod patre mactato nefas ? [Œd.]  Je redoute ce qui ne peut se dire  : à savoir que mon géniteur ne périsse sous ma main  ; cette atrocité, les Delphiques lauriers me le prédisent et ils m’annoncent un autre crime encore plus grand. Y a-t-il sacrilège plus grave que le meurtre de son père  ? (Œd., 15-18) 23   À titre d’exemple, citons le recueil d’actes de Andreau / Bruhns (1990) et les articles de Saller (1999) et de Thomas (2005). 24   Fantham (éd.) (1982), p. 294.

84

CHAPITRE II

II.5.2.  Le vocabulaire négatif Un autre ensemble de lemmes se dessine dans la liste du vocabulaire spécifique. Il est composé de termes négatifs, parfois même avec une dimension de violence  : perimo, malum, scelus, arma, odium, occido, impius, clades. Les héros masculins ne sont pas les seuls à utiliser un lexique sombre, mais à la lecture des extraits, une particularité apparaît par rapport à celui de leurs homologues féminines  : miser, hostis, perpetior, fuga, misereor, lugeo, dolor, pereo… En effet, même s’il ne s’agit pas toujours de verbes, une dimension plus active (agency) 25 est perceptible dans le chef des lemmes mis en évidence pour les hommes et un aspect plus passif pour la liste des femmes (affectedness). La différence est claire quand les verbes transitifs (cause/agent), perimo (à sens poétique) et occido, «  tuer  », chez les premiers sont opposés à ceux intransitifs (effect/patient) chez les secondes  : pereo, «  mourir  », perpetior, «  supporter, souffrir  » et lugeo, «  être en deuil  ». Le verbe perimo 26 spécifiquement suremployé par ces personnages masculins (+ 3) en est un exemple intéressant à commenter plus avant. Les héros l’utilisent pour indiquer une mort très violente à la guerre (Hector dans les Troyennes), au cours d’un combat singulier (Laïos dans Œdipe) ou contre des bêtes sauvages (un des travaux rapportés dans l’Hercule Furieux). Les occurrences moins nombreuses de ce verbe rencontrées chez les héroïnes apportent également des éléments. Alors que certaines d’entre elles, comme Cassandre ou Électre dans l’Agamemnon, ne font que prédire ou rapporter des événements causés par des hommes, deux autres se positionnent manifestement comme les sujets de cette action meurtrière  : Médée et Déjanire. La première s’en prend à ses enfants (v. 1009-1011) et la seconde à son époux (v. 435-440). Dans les deux cas et comme dans les contextes masculins, le verbe perimo désigne bien l’action de tuer un être physique de sexe masculin – ici, un fils ou un mari –, mais une fois considéré dans son environnement textuel plus global, il prend une dimension particulière. En effet, Médée, en mettant fin à la vie de ses enfants, entend non seulement punir Jason, mais aussi détruire tout pignus maternel présent et à venir (v. 1012-1013) 27. Contre toutes les conventions sociales romaines, Médée rejette définitivement son statut de mère et donc de femme pour se centrer uniquement sur son

  Rutger (2003), p. 6-13.   Ce verbe n’est par ailleurs utilisé que deux fois dans la prose sénéquéenne, en Apocol., VII, 2 et Ad Luc., 95, 11. Relevons encore que les deux occurrences apparaissent d’une part dans le discours fictif et en vers d’Hercule et d’autre part dans une citation de Lucrèce (De Nat., I, 54-57) confirmant son utilisation strictement poétique chez Sénèque. 27   Elle utilise par ailleurs des termes du lexique de l’avortement comme indiqué entre autres par Hine (éd.) (2000), p. 207. 25 26



DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES85

principe intrinsèque de destruction 28, contrairement à la Médée d’Euripide, qui échange sa fertilité contre la protection d’Égée à son départ de Corinthe (v. 708718). Cette utilisation du verbe est comparable à celle de Déjanire dans ­l’Hercule sur l’Œta. Cette dernière projette d’assassiner Hercule pour ne pas être dépossédée de son titre d’épouse légitime. Dans les faits, pourtant, le résultat est identique, puisqu’elle aura perdu son conjoint et par conséquent son statut d’épouse. Déjanire a bien conscience de cette réalité sans espoir, puisqu’elle s’apprête à mourir une fois son crime accompli (Herc. Œt., 332-335). Dans les deux emplois de perimo par des femmes, le verbe indique un meurtre concret, mais également par voie de conséquence la destruction plus globale du caractère féminin des meurtrières. Ce mot du vocabulaire masculin prend donc une orientation différente selon le sexe du locuteur. Citons encore un cas intéressant au vers 567 des Troyennes. Il s’agit de la tentative avortée d’Andromaque de faire croire à Ulysse qu’Astyanax est mort et qu’il est donc inutile de chercher à le sacrifier pour le retour des Grecs  : [Andr.]  //Nate, quis te nunc locus, fortuna quae possedit ? Errore auio uagus arua lustras ? Vastus an patriae uapor corripuit artus ? Saeuus an uictor tuo lusit cruore ? Numquid immanis ferae morsu peremptvs pascis Idaeas aues ? [Andr.]  Mon enfant, quel lieu, quel sort te retient maintenant  ? Dans une course égarée, parcours-tu indéfiniment les campagnes  ? La vaste fumée sur ta patrie s’est-elle emparée de tes membres  ? Le cruel vainqueur s’est-il amusé avec ton sang  ? Meurtri par la morsure d’une bête sauvage, sers-tu de pâture aux oiseaux de l’Ida  ? (Troy., 562-567)

Comme A. J. Keulen l’a relevé dans son édition commentée des Troyennes 29, plusieurs éléments du texte reproduisent l’anxiété ressentie par Andromaque à ce moment critique de l’action dramatique, comme l’utilisation de l’adverbe interrogatif numquid et la description en crescendo des fortunes possibles d’Astyanax. Serait-il possible d’ajouter à ces marqueurs discursifs de stress l’emploi du verbe perimo  ? En effet, le recours maladroit par Andromaque à un terme, même s’il est à la voix passive, appartenant plutôt au domaine masculin pourrait participer au manque de crédibilité de son mensonge, qui sera immédiatement détecté par le rusé Ulysse  : simulata remoue uerba (v. 568  : «  arrête ces feintes paroles  »).

28   Sur le principe de Médée comme symbole de la destruction, voir par exemple  : Nussbaum (1997), p. 223 et McAuley (2012), p. 51. 29   Keulen (éd.) (2001), p. 346-347.

86

CHAPITRE II

II.5.3.  Le vocabulaire positif a)  Salus Dans le vocabulaire spécifique aux héros masculins, sont également présents des termes positivement connotés, voire des valeurs morales importantes à Rome  : salus, uirtus, fides, dignus et laus. Le plus significatif, salus (+ 2,7), apparaît une fois avec le sens de «  santé physique ou morale  », contre treize fois avec celui de «  salut, survie  » 30. Les deux acceptions, quoique proches, recouvrent pourtant des réalités différentes. De la première, la seule occurrence (Phèd., 374) survient dans une réplique de la nourrice. Conformément à son rôle mythologique et dramatique, elle s’inquiète du manque de joie de vivre de sa maîtresse, qui ne se soucie même plus de sa propre santé. Dans sa seconde acception, le terme est utilisé à dix reprises par des héros masculins, contre trois seulement du côté féminin. Néanmoins, une des trois occurrences survient dans le discours du fantôme d’Hector rapporté par Andromaque (Troy., 453)  ; il s’agit donc d’un extrait à rapprocher des usages masculins, ce qui renforce la spécificité du terme. À travers ces emplois, il ressort que le salus tragique est non seulement une préoccupation masculine, mais qu’il semble aussi toujours dépendre d’un homme. Il peut être question de la survie du personnage lui-même (Œdipe a son propre salut en main dans les Phéniciennes), de ses enfants (Astyanax dépend de la protection d’Hector dans les Troyennes), de son peuple (Œdipe peut sauver les Thébains dans l’Œdipe) ou encore de captifs (Hercule tient le destin de toute sa famille dans l’Hercule Furieux). Un des seuls extraits effectivement prononcés par une femme, les vers 498-504 des Troyennes, illustre bien le rapport complexe entre salus et virilité. À cette étape de la pièce, Andromaque, inspirée par une vision d’Hector, cherche à protéger Astyanax en le cachant dans le tombeau de son défunt mari. De cette manière, elle espère confier son fils au souvenir de son géniteur afin qu’il le protège  : [Andr.]  Hector, tuere : coniugis furtum piae serua et fideli cinere uicturum excipe. [Andr.]  Hector, protège les tiens  : le larcin de ta pieuse épouse, sauve-le  ; de tes fidèles cendres, aide-le à vivre. (Troy., 501-502)

Le fantôme d’Hector ne pourra pourtant pas assumer ce rôle masculin face au dangereux Ulysse  : il n’a plus de contrôle sur le salus des siens et n’est plus en mesure d’assurer leur protection, ce qui aura pour conséquence la destruction totale de sa famille, après celle de sa patrie.

 Voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  salus  », p.  591-592.

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DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES87



b)  Virtus Le second terme, uirtus 31 (+ 2,4), est plus largement utilisé que le précédent, avec quarante-quatre occurrences dans le corpus 32. Or, les deux pièces consacrées au cycle herculéen en comptabilisent la plupart  : 17 dans l’Hercule Furieux et 14 dans l’Hercule sur l’Œta. La uirtus est donc une préoccupation importante pour le fils de Jupiter et une attention particulière lui est accordée. L’évidente dimension philosophique 33 et la spécificité herculéenne du terme ont déjà fait l’objet de plusieurs études 34. Elles analysent la manière dont Sénèque a réinterprété le mythe d’Hercule pour lui donner une tonalité néo-stoïcienne  : le héros est confronté à une série d’obstacles divins (la passion de Junon dans l’Hercule Furieux) ou humains (la passion de Déjanire dans l’Hercule sur l’Œta) qu’il doit parvenir à surmonter. C’est en dépassant son indomita uirtus 35 originelle pour s’approcher de la Virtus, qu’Hercule peut atteindre un certain idéal de contrôle de l’irrationnel et de la déraison. Le vers suivant tiré de la fin de l’Hercule Furieux, où le héros se résout à surmonter l’épreuve du massacre de sa famille, l’illustre  : [Herc.]  Eat ad labores hic quoque Herculeos labor : uiuamus. [Herc.]  Que cette épreuve rejoigne aussi les autres travaux d’Hercule  : vivons  ! (Herc. Fur., 1316-1317)

Le héros touche à la perfection humaine dans l’Hercule Furieux et à la transcendance divine dans l’Hercule sur l’Œta. Il est correct de s’interroger sur la pertinence d’attacher uirtus au vocabulaire masculin, dans la mesure où ses occurrences ne sont pas réparties de manière équilibrée entre les héros des tragédies. Mais, tout comme salus précédemment, uirtus n’est jamais utilisé – même prononcé par des personnages féminins – en référence à une femme  : aucune d’entre elles ne possède de uirtus dans le corpus tragique 36. Dans les Troyennes comme dans l’Œdipe, il désigne avant tout la valeur guerrière des héros, bellica uirtus (Troy., 751), et ne peut donc s’appliquer à une femme. Lorsqu’Andromaque cherche à humilier Ulysse, elle invoque naturellement ses faiblesses sur le champ de bataille. Pour garder 31  Voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  uirtus  », p. 739. Pour une introduction générale sur la uirtus à Rome, voir McDonnell (2006). 32   Il y a au total 589 occurrences de uirtus dans les écrits de Sénèque. 33  Sur uirtus chez Sénèque voir, entre autres, Bodson (1967), Eisenhut (1973), p. 136152, Evenepoel (2014) et Küppers (1996). 34   Bishop (1966), p. 216-224, Clark / Motto (1981), p. 101-117, Lawall (1983), p. 6-26, Pratt (1983), p. 115-128, Miyagi (1995), p. 87-96 et Köves-Zulauf (2000), p. 247-266. 35   Billerbeck (éd.) (1999), p. 206. 36   Sur les rares attributions de uirtus à des femmes dans la littérature latine de la République romaine voir McDonnell (2006), p. 161-165.

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CHAPITRE II

le contrôle discursif sur la suite des événements, le roi d’Ithaque répond directement à cette attaque ad personam par la menace (v. 757-759). De même, suite à la lassitude d’Œdipe causée par la peste thébaine et devant la remise en question de son statut d’homme par son épouse  : haud est uirile terga Fortunae dare (v. 86  : «  ce n’est pas digne d’un homme de tourner le dos au destin  »), le héros tient, avant de poursuivre, à réaffirmer sa virilité par un rappel de son courage au combat (v. 87-103). Dans les quatre autres tragédies, uirtus entend une qualité morale plutôt que physique ou militaire. Il est utilisé dans des sentences morales 37 relatives au pouvoir (Thy., 529) ou aux malheurs de la vie (Phén., 190)  ; mais là encore, il ne s’applique toujours pas aux personnages féminins. Dans Phèdre, au retour de Thésée des enfers à Athènes, le mot est attaché au contexte spécifique du mythe d’Hercule  : [Thes.]  //Finis Alcides fuit, qui cum reuulsum Tartaro abstraheret canem, me quoque supernas pariter ad sedes tulit. Sed fessa virtvs robore antiquo caret trepidantque gressus.// [Thés.]  Alcide marqua la fin, lui qui, alors qu’il traînait le chien arraché au Tartare, m’a ramené aussi vers des séjours supérieurs. Mais fatigué moralement, je n’ai plus mon ancienne force et mes pas sont hésitants. (Phèd., 843-847)

Il est vrai que l’Athénien et le Thébain partagent cet épisode mythologique, évoqué à la fois dans ce passage de Phèdre et dans l’Hercule Furieux (v. 762-829), mais l’utilisation de uirtus à cet endroit précis du texte n’est pas un hasard. L’emploi de labor 38 au vers suivant renforce encore la connotation herculéenne de l’extrait. Tous ces éléments, allusions à Hercule, à la uirtus et au labor, mettent en évidence le caractère héroïque de Thésée, qui cherche à faire un retour triomphal dans sa cité après avoir vaincu la mort. Par ailleurs, son aveu de faiblesse apparent (fessa uirtus) n’est pas dénué d’intérêt. En effet, cette référence à Hercule évoque chez le lecteur une autre des répliques de Thésée, prononcée cette fois dans l’Hercule Furieux et qui est antérieure dans la chronologie mythologique 39  : [Thes.]  //Surge et aduersa impetu perfringe solito. Nunc tuum nulli imparem animum malo resume, nunc magna tibi virtvte agendum est : Herculem irasci ueta. 37   Pour une étude générale sur les sentences dans l’Antiquité, voir Mauduit / Paré‑ Rey (2011) et plus précisément dans la tragédie de Sénèque, voir Paré‑Rey (2012). 38   Labor est le terme latin pour désigner les Travaux d’Hercule et il est fréquemment utilisé dans la tragédie de Sénèque avec une légère spécificité dans les discours masculins (+ 2,3). 39   Thésée, piégé aux enfers avec Pirithoos, a été sauvé par Hercule qui était descendu pour chercher Cerbère. Il a ensuite accompagné le fils de Jupiter à Thèbes avant de rentrer à Athènes.

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES89



[Thés.]  Lève-toi et dans un élan qui t’est ordinaire, brise les obstacles. Là, maintenant, reprends ton courage qui résiste à tous les maux  ; là, maintenant, tu dois agir avec la plus grande bravoure  : interdis la colère à Hercule. (Herc. Fur., 1274-1277)

De cette manière, Sénèque établit un parallélisme inversé entre les deux épisodes à l’avantage de Thésée 40. Alors que dans Phèdre, le roi raconte sa sortie des enfers grâce à Hercule, il rappelle subtilement à son public, par un jeu de renvois lexicaux (malum, uirtus, labor…), qu’il a lui-même sauvé Hercule, alors suicidaire suite à sa rage meurtrière, et qu’il l’a amené à atteindre la uirtus. Thésée, par son amitié envers son ami, a permis au héros le plus attaché à la uirtus d’y accéder. Un renvoi interne existe donc entre les deux passages, avec un haut niveau de lecture interconnectée  : le lecteur ou l’auditeur attentif peut mettre en relation les mises en scène de Thésée dans l’Hercule Furieux et dans Phèdre, avec tout le potentiel dramatique que ce processus mental peut initier chez lui. Le procédé a déjà été mis en évidence dans plusieurs travaux, qui insistent tantôt sur les points communs, tantôt au contraire sur les oppositions entre différents passages de l’œuvre tragique de Sénèque, mais toujours dans une perspective comparative. Ainsi en 1982, dans un article sur les noms dans Médée, Ch. Segal parle de modèle 41. R. Trombino lui préfère la «  struttura dell’inversione  » 42 qu’il étudie plus particulièrement dans le Thyeste. M.‑H. Garelli choisit de mettre l’accent sur la dualité des structures développées par Sénèque pour les personnages de Médée et d’Hécube 43. Dans tous les cas, les auteurs s’attachent davantage à souligner les liens au sein d’une même œuvre qu’à insister sur les références qui traversent des pièces différentes. Il s’agit en fait d’une forme d’intertextualité interne à Sénèque. Tel qu’il est décrit ici, ce processus fonctionne en réalité comme l’intertextualité externe 44 très présente dans tout le corpus tragique. Il est analysé dans l’ouvrage d’A. Schiesaro sur la dynamique des passions dans le Thyeste, dont voici un extrait pertinent pour le présent propos  : Intertextuality, at any rate, can never be a neutral operation in either its contents or in the dynamics of its perception. It will offer the well-read reader the pleasure of recognition, a chance to share with the author control over the text and its signification […] The text provokes both pleasure and pain  ; its poetics invite us to rejoice in agnition and to recoil in horror as intertextual memories exhibit their violent, confusing potential. 45   Du point de vue de la chronologie de la rédaction des œuvres, il est compliqué d’assurer l’antériorité de Phèdre par rapport à l’Hercule Furieux, même si cette hypothèse est répandue  : Fitch (éd.) (2002), p. 10-14. 41   Segal (1982), p. 242-243. 42   Trombino (1990). 43   Garelli‑François (1996). 44  Sur l’intertextualité externe, voir aussi Segal (1986), p. 202-214, Schiesaro (1992), Littlewood (2004), p. 259-301 et Trinacty (2009). 45   Schiesaro (2003), p. 224-225. 40

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Dans le cas de Thésée, l’intertextualité active la mémoire du lecteur, afin de susciter une certaine admiration pour le personnage, ou du moins d’attirer son attention sur ses qualités. Arrêtons-nous enfin sur le cas de Médée. Lors d’une conversation très vive avec la nourrice (v. 150-178), elle débat de l’attitude à adopter devant la trahison de Jason  : [Med.]  Fortuna fortes metuit, ignauos premit. [Nvt.]  Tunc est probanda, si locum virtvs habet. [Med.]  Numquam potest non esse virtvti locus. [Nvt.]  Spes nulla rebus monstrat adflictis uiam. [Méd.]  «  La fortune craint les courageux, elle s’acharne contre les lâches.  » [Nour.]  «  Il y a lieu de faire preuve de bravoure seulement si l’occasion se présente.  » [Méd.]  «  Jamais on ne peut manquer une occasion d’exercer sa bravoure.  » [Nour.]  «  Aucun espoir ne fait voir d’échappatoire aux impasses.  » (Méd., 159-162)

À la nourrice qui lui demande de garder le silence au vers précédent, Médée répond par une sententia qu’elle a détournée 46 pour servir son argumentation  : le destin n’aide plus les courageux, mais il les craint. S’en suit alors un échange de répliques de type gnomique remporté in fine par la magicienne. Plus précisément, H. M. Hine note dans son commentaire au sujet de uirtus 47  : «  Here and in the next line the moral sense is hardly present.  ». Le philologue relève également la difficulté de traduire uirtus dans ce dialogue, en raison de son lien étymologique avec uir. Ainsi, ce n’est pas un hasard si la nourrice utilise ce terme, dont le sens moral peut aisément s’expliquer. Dans sa tentative de dissuasion, elle cite une maxime qui s’oppose, sur le plan logique, à la position de Médée selon deux aspects. En premier lieu, comme la uirtus ne peut se pratiquer que lorsqu’une occasion se présente, Médée ne peut, à ce stade du déroulement dramatique, mettre son plan en action. Ensuite, la uirtus elle-même ne peut être exercée par la magicienne, car il s’agit d’une qualité masculine, d’une part, et d’autre part, en raison de son sens moral, en totale contradiction avec un désir de vengeance. La nourrice emploie donc un terme en décalage complet avec le contexte et avec le sujet auquel il devrait s’appliquer. Par cette impasse discursive, elle espère faire comprendre à Médée que celle-ci fait fausse route. La Colchidienne fait peu de cas de cette sententia supplémentaire et la retourne, une fois de plus, pour qu’elle corresponde à sa propre démarche, non sans une pointe de provocation, puisqu’elle reprend presque mot pour mot les propos de sa nourrice dans un sens opposé. Elle utilise le langage logique du sapiens pour servir 46   Pour la version traditionnelle de cette sententia, voir par exemple Tér., Phorm., 203, Virg., Én., X, 284, Plin., Ep., VI, 16, 11. 47   Hine (éd.) (2000), p. 134-135.

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des intérêts contraires à la sapientia 48. Elle sait par ailleurs que le mot uirtus lui-même ne convient pas à la position qu’elle défend et reformule plus justement son état d’esprit à la fin de la scène, juste avant l’arrivée de Créon  : [Med.]  Fortuna opes auferre, non

animvm

potest ;

[Méd.]  La fortune peut prendre mes biens, pas ma force de caractère. (Méd., 176)

Ce n’est plus uirtus, mais bien animus que Médée choisit cette fois d’employer. Ce dernier terme, quoique parfois proche du premier, correspond mieux à une démarche plus personnelle du locuteur et surtout, il n’est pas réservé au domaine masculin. c)  Fides Le prochain lemme pris en compte, fides, possède également une dimension morale, bien que plus proche, à l’origine, du domaine religieux 49. Il peut toutefois être utilisé dans beaucoup de domaines, comme le note G. Freyburger  : «  les concepts que le terme véhicule relèvent des registres les plus divers  : moral, social, juridique, religieux, institutionnel  » 50. En raison de cette polysémie du terme et d’un nombre élevé d’occurrences (73 occurrences), il est difficile de percevoir avec précision d’éventuels usages plutôt masculins ou féminins. Mais il est possible de relever un intérêt plus marqué de la part des héroïnes pour la fides envers leur mari (Mégare envers Hercule  : Herc. Fur., 301 et 420  ; Médée envers Jason  : Méd., 11  ; Phèdre envers Thésée  : Phèd., 92 et Clytemnestre envers Agamemnon  : Agam., 111) ou leurs enfants (Andromaque  : Troy., 561  ; Médée  : Méd., 145). Cet intérêt peut également être exprimé par des personnages masculins (par exemple, Jason envers Médée  : Méd., 436 et envers ses enfants  : Méd., 437). Relevons toutefois avec G. Freyburger que la «  fides de l’époux consiste surtout à protéger et, plus particulièrement, à ne pas abandonner sa compagne  » alors qu’ «  il est plus souvent question de fidélité de l’épouse  » 51. Dès l’origine, dans la culture romaine, l’on perçoit dans un même contexte d’utilisation, à savoir l’engagement par le mariage, une différence de sens selon le sexe de la personne à qui le terme s’applique. Cette nuance apparaît également dans les usages de fides entre hommes et femmes. Jason ne regrette pas sa liaison avec Créuse alors que l’abandon de Médée et de ses enfants l’occupe au plus haut point. Le héros ne se sent donc pas concerné par le devoir de fidélité stricto   Pour une analyse de l’emploi des sententiae de Médée inverse à la sagesse, voir Paré‑Rey (2012), p. 236-237. 49   Cette dimension morale provient de son sens premier lié au contexte religieux, voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  fides  », p.  233. 50   Freyburger (1986), p. 15. 51   Freyburger (1986), p. 168. 48

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sensu envers son épouse. À l’inverse, comme signalé précédemment, les femmes de Sénèque attendent de leur mari le même investissement et la même loyauté qui leur sont imposés et qui demandent parfois un réel effort dans une société où les remariages étaient particulièrement fréquents. Devant ce malentendu et ce différend communicationnel entre les deux sexes, des situations complexes pouvaient survenir. Dans un autre registre, citons encore l’échange bref sur le mode de la stichomythie 52 entre Égisthe et Clytemnestre dans l’Agamemnon  : [Aeg.]  Non dant exitum repudia regum. Spe metus falsa leuas. [Cly.]  Delicta nouit nemo nisi fidvs mea. [Aeg.]  Non intrat umquam regium limen fides. [Cly.]  Opibus merebor, ut fidem pretio obligem. [Aeg.]  Pretio parata uincitur pretio fides. [Ég.]  Les divorces des rois n’offrent pas d’issue. Tu apaises tes craintes par un faux espoir. [Cly.]  Personne ne connaît ma faute si ce n’est un fidèle. [Ég.] Jamais la loyauté ne franchit un seuil royal. [Cly.]  Avec de l’argent je saurai m’attacher sa loyauté. [Ég.]  La loyauté achetée se vend au plus offrant. (Agam., 282-287)

L’amant s’inquiète de voir Clytemnestre hésiter à reprendre sa place de reine auprès d’Agamemnon et tente de la convaincre de maintenir leurs plans initiaux. Égisthe laisse planer une menace quant à sa loyauté envers sa maîtresse en cas de revirement de situation. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre utilisent le terme fides avec la même acception, traduisible en français par «  loyauté  », car comme le remarquent D. Henry et B. Walker, «  as we see in the inter-change on fides between Clytemnestra and Aegisthus different characters adopt and re-echo not only the phrases and words but even the style of the other.  » 53 d)  Dignus Tout comme fides, l’adjectif dignus se rencontre dans des contextes divers, ce qui rend l’analyse difficile. Néanmoins, les occurrences du terme laissent apparaître une particularité  : aucun personnage féminin ne l’utilise dans un cadre favorable. Même si localement dignus revêt un sens positif, son contexte plus général ne peut se comprendre que de manière péjorative. Par exemple, l’amertume et la rancœur de Clytemnestre envers Agamemnon sont encore accentuées ici par dignus, qui se rapporte à thalamus  : [Cly.]  Reuoluit animus uirginis thalamos meae quos ille dignos Pelopia fecit domo, 52   La rapidité de l’échange permet de mettre le thème de la discussion en évidence  : Tarrant (éd.) (1976), p. 225. 53   Henry / Walker (1963), p. 5.

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cum stetit ad aras ore sacrifico pater quam nuptialis !// [Cly.]  Je repasse dans mon esprit les noces de ma jeune fille que cet homme a rendues dignes de la maison de Pélops lorsqu’il s’est dressé, lui, son père, devant l’autel à la façon d’un sacrifiant, ô combien nuptial  ! (Agam., 164-167)

Le fait que chacun des mots choisis par la reine appartient à un lexique heureux et positif (thalamus, ille, dignus, nuptialis) souligne, par un effet d’opposition radicale, l’horreur du sacrifice d’Iphigénie exigé par Agamemnon 54. Bien entendu, il y a également des passages où dignus a une connotation négative chez les personnages masculins (Œd., 878, morte dignus : «  mérité de mourir  »  ; Phèd., 684, dignus stupris : «  digne des déshonneurs  » ou encore Thy., 271, dignum Thyeste facinus : «  un méfait digne de Thyeste  »), mais, contrairement à leurs homologues féminines, des acceptions positives du terme peuvent aussi être dégagées. Illustrons ce cas par un extrait du prologue de l’Hercule sur l’Œta prononcé par Hercule, qui regrette d’être négligé par les dieux malgré ses travaux  : [Herc.]  //Parui certe Ioue ubique dignvs teque testata est meum patrem nouerca. Quid tamen nectis moras ? [Herc.]  Jusqu’aujourd’hui, je me suis montré assurément digne de Jupiter et ma belle-mère a confirmé ta paternité. Pourquoi cependant temporises-tu  ?  (Herc. Œt., 8-10)

La différence d’utilisation entre les deux groupes n’est pas très marquée, mais une fois associée à d’autres éléments développés ici, elle ne peut être mise de côté. e)  Laus Pour terminer, intéressons-nous au terme polysémique 55, laus. Bien que principalement associé dans la tragédie – comme uirtus – à la figure d’Hercule (sur 26 occurrences, 6 dans l’Hercule Furieux et 13 dans l’Hercule sur l’Œta), le nom se présente dans tous les textes comme un concept lié au masculin. Ainsi, même s’il apparaît aussi dans des répliques féminines, c’est toujours en relation avec un homme  : par exemple, Andromaque (Troy., 769), pour encourager Astyanax sur le point de mourir, lui rappelle les laudes parentis bellicas, les hauts faits guerriers d’Hector. Laus est donc sur-utilisé par les personnages masculins pour désigner une qualité de leur sexe. De plus, si la recherche est 54   Sur l’ironie de dignus chez Sénèque, voir Tarrant (éd.) (1985), p. 96 et 129 et Mader (2014), p. 579. Voir aussi Seidensticker (1985), p. 123-124. Dans l’exemple, le terme pater à côté de sacrifico met aussi l’accent sur le rôle inversé que joue Agamemnon dans l’épisode rapporté par Clytemnestre  : Tarrant (éd.) (1976), p. 206. 55   Sur la polysémie de laus, voir le travail de Thomas (2002).

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étendue à l’ensemble de l’œuvre du précepteur de Néron (68 occurrences), uir est sans surprise un cooccurrent spécifique de laus 56. Un de ces passages mérite une attention plus particulière. Dans sa correspondance avec Lucilius (102, 14-19), Sénèque aborde la définition morale de laus en détail  : Licet enim uir bonus taceat, sed aliquem iudicet dignum lavde esse, laudatus est. Praeterea aliud est lavs, aliud laudatio, haec et uocem exigit. Itaque nemo dicit lavdem funebrem, sed laudationem, cuius officium oratione constat. L’homme de bien peut se taire mais juger un autre digne de louange, il est l’objet de louange. En outre, la louange est une chose, l’éloge une autre, celle-ci a besoin d’une voix  : c’est pourquoi personne ne dit une louange funèbre mais plutôt un éloge funèbre, dont la réalisation nécessite un discours. (Ad Luc., 102, 14-15)

Le philosophe utilise le terme uir pour déterminer à quel homme le laus, en tant que concept moral 57, pourrait ou non s’appliquer. De plus, la citation qui suit, probablement du tragédien Naevius 58, laudari a laudato uiro (Ad Luc., 102, 16  : «  être loué par l’homme qu’on loue  »), renforce encore l’impression que Sénèque envisage la louange comme un acte principalement masculin, accordé ou refusé par d’autres hommes. Jamais la femme n’est envisagée dans le raisonnement définitoire et seul le terme uir (et non homo) apparaît dans la lettre à Lucilius, comme chez Naevius. A priori, cette observation ne prouve pas que Sénèque pense, à titre personnel, que les femmes ne sont jamais dignes de laus. Mais dans une œuvre aussi formatée qu’un texte philosophique, l’auteur reproduit l’usage en cours 59  : la philosophie est une affaire d’hommes. Or, la proximité entre homme et laus se retrouve aussi dans la tragédie, où l’auteur a plutôt tendance à laisser libre cours à sa plume et à libérer sa pensée créatrice. Sénèque semble donc attacher laus ainsi que d’autres termes vus ci-dessus, comme salus ou encore uirtus, à la sphère masculine. Il est peu probable que l’auditoire des pièces remarque directement ces nuances et que le texte résonne «  à la façon des hommes  », à plus forte raison si elles faisaient intégralement partie de leur façon de percevoir et de penser le monde. Mais malgré tout, les schémas discursifs traditionnellement répandus semblent présents aussi dans les tragédies de Sénèque. * *   * 56   Dans une base statistique réunissant l’ensemble de l’œuvre de Sénèque appelée Sénèque, on a recherché, grâce à la fonction Thèmes du logiciel Hyperbase, les cooccu­ rrents spécifiques de laus. Sur une liste de 41 cooccurrents avec un écart supérieur à 2,5, uir obtient un résultat de 3,02 qui confirme sa spécificité. 57  Voir Thomas (2002), p. 258-265. 58   Noblot / Prichac (éd.) (1962), p. 149, n. 1. 59   Sur le double discours au sujet de la femme voir Centlivres  Challet (2013), p. 1-19.

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En résumé, trois groupes de lemmes définissent les discours masculins  : ceux qui sont attachés à la paternité, ceux qui portent un sens négatif et enfin ceux qui portent un sens positif. La première catégorie met en lumière l’importance de la filiation pour les hommes de Sénèque et, en même temps, leur désintérêt pour les réalités du mariage. La deuxième montre que héros masculins et féminins n’utilisent pas la même palette de termes négatifs (une dimension active est perceptible dans le discours masculin alors qu’elle est plutôt passive dans le discours féminin) et qu’ils ne font pas un même usage du vocabulaire qui leur est commun. Le troisième ensemble mène à des conclusions similaires  : le lexique positif et à coloration morale est employé différemment selon le sexe du locuteur. Ces valeurs positives romaines (salus, uirtus et laus) sont principalement attachées aux personnages masculins et leurs homologues féminines en sont exclues la plupart du temps.

II.6. Les

héroïnes tragiques

Le groupe des héroïnes tragiques présente le plus de mots spécifiques après les chœurs. Sénèque caractérise donc le discours de ces personnages féminins par un vocabulaire qui leur est étroitement attaché. II.6.1.  La famille La famille occupe une place importante dans les discours féminins. Alors que seule la paternité semblait préoccuper les hommes, les femmes accordent de l’importance à tous les niveaux de parenté (coniux, «  l’épouse  »  ; mater, «  la mère  »  ; pellex, «  la maîtresse  »  ; nurus, «  la belle-fille  »  ; socer, «  le beaupère  »  ; gener, «  le gendre  »  ; uiduus, «  veuf  »  ; germanus, «  fraternel  »  ; soror, «  la sœur  »), aux différentes étapes de la vie féminine (nuptialis, «  nuptial  »  ; anus, «  la vieille femme  ») ou encore aux statuts qu’elles occupent au sein de la société (captiua, «  la captive  »  ; domina, «  la maîtresse  »). En lien avec les deux derniers ensembles, relevons encore l’apparition d’un autre terme, fax, «  le flambeau  » (+ 3,4). Au pluriel, il désigne aussi régulièrement les torches nuptiales et, par extension, la cérémonie du mariage. Dans ces conditions, il est impossible d’affirmer que fax, avec son sens de «  mariage  », est un terme spécifique du discours des personnages féminins. En s’ajoutant à d’autres termes comme coniux ou nuptialis, il atteste néanmoins d’un intérêt marqué des héroïnes pour l’union matrimoniale et ne doit pas être négligé. Chacun des termes n’est pas ici systématiquement passé en revue, mais une sélection des réalités langagières qui marquent une différence entre hommes et femmes est analysée afin de mieux comprendre le système de caractérisation des personnages par Sénèque.

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CHAPITRE II

a)  Coniux Coniux (+ 6,7) est le lemme le plus spécifique du groupe féminin et l’un des plus spécifiques des cinq listes. Ses occurrences se répartissent entre les différents personnages féminins 60. Le terme est fréquemment utilisé dans le ­corpus tragique, avec 110 occurrences 61 alors qu’à l’opposé, mulier 62 ne s’y rencontre qu’une seule fois dans la bouche de la nourrice de Médée, dans son sens premier de «  femme  » (Méd., 193). La difficulté réside ici dans la double acception de coniux, à la fois masculine, «  l’époux  », et féminine, «  l’épouse  ». En ce qui concerne les héroïnes, le terme, dans son sens d’«  épouse  », semble être un moyen pour la locutrice de s’auto-définir vis-à-vis des autres, et plus particulièrement de son mari. L’importance de se définir comme «  épouse  » peut sans doute expliquer la spécificité du mot dans leur discours. La question est abordée dans la section sur la sur-utilisation des noms propres par les personnages féminins, comme Déjanire dans l’Hercule sur l’Œta (cf. I.4.2.). Bien que plus rare, coniux, dans son acception masculine, est utilisé dans la majeure partie des occurrences dans le cadre d’une adresse directe ou indirecte des héroïnes à leur conjoint. Le terme fonctionne comme un marqueur d’intimité dans leur communication, afin d’indiquer à leur interlocuteur non seulement qui prend la parole, mais aussi, à quel niveau d’échange le propos se situera. Dans la plupart de ces cas, il survient dans des situations compliquées pour les sujets mis en scène. C’est par ce terme que Mégare invoque Hercule, parti depuis trop longtemps (Herc. Fur., 279), ou qu’elle le supplie de l’épargner dans sa colère (Herc. Fur., 1015)  ; qu’Andromaque invoque son mari disparu, pour la protection de leur fils Astyanax (Troy., 519 et 645)  ; ou encore, que Jocaste essaie de raisonner Œdipe, désemparé devant la peste qui s’abat sur Thèbes (Œd., 81). Sur 48 occurrences, les héros masculins n’utilisent jamais le terme coniux pour exprimer la position d’«  époux  », qui est pourtant la leur dans bien des contextes, sauf dans une seule exception abordée plus bas (Phèd., 865). C’est donc l’«  épouse  » que désignent au contraire toutes les occurrences rencontrées dans leurs discours. Il est remarquable que le nom opère dans les deux sens pour les femmes, alors qu’il est strictement limité à son sens féminin chez les hommes. Comment expliquer une telle différence d’usage entre les deux sexes  ?

60  Seuls trois personnages féminins (Mantô, Antigone et Hélène) ne présentent aucune occurrence du terme, contre douze personnages masculins. 61   Le contexte poétique de coniux, pour lequel voir Adams (1972), p. 252-255, est confirmé par notre corpus, puisque le terme n’apparaît que quinze fois dans la prose de Sénèque. En revanche, en raison de sa fréquence dans la tragédie et du faible nombre d’occurrences d’autres termes, il semble perdre sa dimension laudative. 62  Pour mulier chez Sénèque, cf. I.1.3.

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Au contraire de mulier 63 ou de uir, qui peuvent désigner de manière plus spécifique l’«  épouse  » ou le «  mari  », le nom coniux 64 est étymologiquement construit pour signifier la relation matrimoniale en associant le préfixe cum, «  avec  », et le thème iug-, «  le lien, l’union  ». Sur la même racine, se rencontre aussi coniugium, le «  mariage  », utilisé à douze reprises 65 dans la tragédie, mais rarement dans son sens figuré d’époux ou épouse. Selon J. Hindermann, l’emploi de coniux par Cicéron se définit ainsi  : «  Dies erklärt sich vielleicht daher, dass sich coniux von con-iugum (‚unter demselben Joch‘) herleitet und somit auf die besondere Verbundenheit der Eheleute in Krisensituationen zielt.  » 66 Une telle remarque pourrait s’appliquer aux emplois de «  mari  » par les personnages féminins, comme vu ci-dessus, mais pas pour les personnages masculins. Si, pour les héroïnes, les liens du mariage sont bilatéraux – à savoir que les deux parties sont liées par une union – les héros ne voient dans ce contrat qu’un engagement de la part de leur promise  ; elles seules sont liées à l’homme, ainsi que le montre le passage suivant, où Atrée se désole auprès de son courtisan d’avoir perdu son épouse, pour justifier la haine qui l’amène à la vengeance  : [Atr.]  Quid enim reliquit crimine intactum aut ubi sceleri pepercit ? Conivgem stupro abstulit regnumque furto : specimen antiquum imperi fraude est adeptus, fraude turbauit domum. [Atr.]  En effet, qu’a-t-il laissé dépourvu de crime et où a-t-il épargné un forfait  ? Mon épouse, il me l’a arrachée par un adultère et mon pouvoir par un vol  : il a obtenu l’antique emblème du pouvoir par une tromperie, et par une tromperie il a jeté le trouble sur ma maison. (Thy., 221-224)

Il place sa femme sur le même plan que son pouvoir royal grâce au verbe abstulit dans son sens littéral et figuré  : coniugem et regnum sont coordonnés par -que et mis en parallèle avec les compléments de moyen à l’ablatif stupro et furto 67. Il les considère donc tous deux comme des biens qui lui ont été injustement volés. La seule occurrence de coniux avec le sens d’«  époux  » dans un discours masculin est en fait un cas particulier  : [Thes.]  O socia thalami, sicine aduentum uiri et expetiti conivgis uultum excipis ?   Il n’y a qu’une seule occurrence de mulier dans la tragédie de Sénèque (dans une réplique de la nourrice de Médée en Méd., 193), contre cinq dans la prose (Ad Luc., 97, 3-6  ; Marc., XVI, 1  ; De Breu., IV, 4-6  ; De Const., XIV, 1-2  ; De Ira, II, 30, 1-2). 64  Voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  iungo  », p.  326. 65  Voir Herc. Fur., 497  ; 501  ; Troy., 59  ; 89  ; 874  ; Méd., 144  ; 481  ; Phèd., 341  ; Agam., 80  ; 155  ; 245  ; Herc. Œt., 453. 66   Hindermann (2013), p. 151. 67   Sur cette construction, voir Tarrant (éd.) (1985), p. 122. 63

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CHAPITRE II

[Thés.]  Ô toi qui partages mes noces, est-ce ainsi que tu reçois le retour de ton mari et le visage de ton conjoint tant désiré  ? (Phèd., 864-865)

Thésée vient de rentrer des enfers à Athènes et trouve Phèdre sur le point de mettre fin à ses jours. Pour tenter de l’en dissuader, il multiplie les références à leur union (socia thalami, uiri, coniugis). Le recours à coniux par Thésée n’a donc pas pour but de se définir lui-même en tant que conjoint, comme le font les héroïnes, car l’homme de Sénèque ne semble pas devoir se définir dans la sphère familiale et amoureuse. En effet, l’homme romain se construit dans des cercles de société différents de ceux des femmes  : dans la vie publique, politique ou religieuse. Dans ce cas, l’Athénien tente plutôt de rappeler à Phèdre avec insistance à quel point ils sont attachés l’un à l’autre. Dans le passage cité, l’étude de la répétition avec uariatio 68 du mariage permet d’aborder deux aspects. Le premier dépend plutôt de la sphère textuelle  : il s’agit de la préférence des personnages masculins pour uir pour signifier «  le mari  », comme par exemple dans l’Agamemnon au vers 805. Les hommes de la tragédie choisissent un nom lié à leur statut premier d’homme, indiquant ainsi leur place au sein de l’union plutôt que l’union elle-même comme avec coniux : un homme est avant tout un mâle et une femme est d’abord une épouse. La même réalité n’est donc pas perçue de manière similaire par les personnages de sexe opposé et les mots pour la décrire ne sont par conséquent pas identiques. Le second aspect appartient plutôt au contexte de la réplique elle-même. Comme le rappelle Phèdre dans sa première intervention de la pièce (v. 85-128), Thésée est descendu aux enfers pour respecter son pacte avec Pirithoos, identifié dans le texte par la formule audacis proci (v.  94  :  «  un audacieux amant  »). Or, la promesse entre les deux héros mettait en gage une aide mutuelle pour l’enlèvement de deux filles de Zeus  : Hélène pour Thésée, et Perséphone pour Pirithoos 69. Phèdre ne fait pas mention ici de l’épisode antérieur avec Hélène, mais bien de celui avec Perséphone, qualifié de stupra et d’illicitos toros (v.  97  : «  faits honteux  » et «  couches illégitimes  »). Elle marque ainsi ouvertement son désaccord avec la démarche des deux héros. Néanmoins, la reine n’est pas dupe quant aux infidélités passées de Thésée lorsqu’elle prononce les vers 70  : [Phaed.]  //Profugus en coniux abest praestatque nuptae quam solet Theseus fidem. [Phèd.]  Voici que, fugitif, mon époux est absent et qu’il témoigne à son épouse une fidélité dont Thésée a l’habitude. (Phèd., 91-92)   Le procédé est illustré en détail et défini par Billerbeck (1988), p. 101-108, comme «  Die sprachlich-stilistische Variation wird von Seneca in unterschiedlicher Breite gehandhabt und reicht von der Wiederholung eines einzelnen Wortes oder eines Ausdrucks durch Synonyme bis zur Abwandlung eines Themas  ». 69   Grimal (2007), s.v. «  Thésée  », p.  450-455. 70   Brandt (1986), p. 18-19 et Roisman (2005), p. 75-76. 68

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L’ironie de cette remarque et, plus généralement, de toute l’intervention de Phèdre est encore accentuée a posteriori avec les premiers mots que Thésée lui adresse à son retour. L’effet est renforcé par l’utilisation par la Crétoise de furoris socius (v. 96  : «  l’allié de la fureur  ») pour désigner son mari qui, à son tour, reprendra plus tard l’expression socia thalami (v.  864  : «  alliée de ma couche  »). Sénèque établit donc un parallèle entre deux passages importants de la pièce  : la première réplique de Phèdre sur scène et la première de Thésée à son épouse. Cette mise en relation jette le doute sur la sincérité du roi, ou vise du moins à donner à sa réplique également une note d’ironie  : lui, qui est parti affronter la mort pour une autre femme, invoque le mariage pour reconquérir Phèdre. Les mots confiants du héros, expetiti coniugis, résonnent d’un écho d’autant plus artificiel que Phèdre avoue dès le départ que crescit malum et ardet intus (v. 101-102  : «  un mal grandit et brûle en moi  »). L’expression de Thésée montre qu’il ne peut imaginer ne pas être attendu impatiemment par son épouse et soulève, de manière plus globale, une question au cœur de la tragédie de Sénèque  : la fidélité au sein du couple marié. La problématique est abordée dans la plupart des pièces avec une confrontation permanente entre l’adultère 71 masculin toléré et la fidélité des femmes attendue par la société mise en scène par Sénèque 72  : Jason abandonne Médée pour Créuse  ; Hercule délaisse Déjanire pour Iole  ; Agamemnon revient de Troie avec Cassandre  ; Thyeste détourne l’épouse de son frère Atrée. L’historienne S. Treggiari, dans son ouvrage de référence sur le mariage à Rome 73, propose même d’appliquer à la civilisation romaine le concept de «  Double Standard  » initialement défini et développé par K. Thomas pour la société anglaise des XVIIe et XIXe siècles comme suit  : Stated simply, it is the view that unchastity, in the sense of sexual relations before marriage or outside marriage, is for a man, if an offense, none the less a mild and pardonable one, but for a woman a matter of the utmost gravity. 74

Un décalage est présent entre la tolérance envers les infidélités masculines, qui est accordée par l’environnement social présenté au public, et le sentiment éprouvé par les épouses concernées.   Le vocabulaire latin est un bon indicateur de ces usages. Le latin utilise adultera pour une épouse infidèle, alors que pour l’époux  : «  Normal usage does not define as adulter the married man who has a paelex. As long as the mistress was not herself married or was of low social status, her existence has no impact on the terminology applied to him  ». Treggiari (1991), p. 264. Sur les différences de perception entre l’adultère masculin et féminin, voir aussi le témoignage de Valère Maxime (Faits et dits mémorables, VI, 7, 1-3) commenté par Shelton (1998), p. 296-297. 72   Sur les qualités de la femme idéalisée voir aussi Foubert (2010), p. 344-349. 73   Treggiari (1991), p. 299-309. 74   Thomas (1959), p. 195. 71

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CHAPITRE II

Si l’infidélité ne semble pas être réellement reprochée aux hommes de la période impériale, elle fait l’objet d’un traitement dramatique propre à l’univers du théâtre, où les femmes ne tolèrent aucunement les écarts de leurs maris. Cela apparaît avec pellex/paelex, «  la maîtresse  », dans le vocabulaire spécifique des personnages féminins, avec un écart réduit important de + 3,5. Le mot apparaît quinze fois dans le discours féminin (contre vingt-deux occurrences au total) et presque toujours dans des contextes où la concurrente est décriée  : paelex inuisa (Méd., 495 et Herc. Œt., 290  : «  une détestable maîtresse  ») ou bien paelice barbara (Agam., 185  : «  une maîtresse barbare  »). Dans Phèdre, alors qu’il cautionne l’infidélité en soutenant l’entreprise de Pirithoos, Thésée ne semble pas concevoir qu’il soit lui-même trompé par Phèdre. Un topos similaire est mis en scène dans l’Agamemnon, où le roi grec, tout en ramenant une maîtresse à Mycènes, n’imagine pas trouver un concurrent au palais. À l’inverse, alors qu’Hercule est parti depuis longtemps pour ses travaux, Mégare, restée seule à la maison, est louée pour sa loyauté envers son époux à la fois par Lycus qui désire l’épouser (Herc. Fur., 410-413) et par son beau-père  : [Amph.]  O socia nostri sanguinis, casta fide seruans torum natosque magnanimi Herculis, meliora mente concipe atque animum excita. [Amph.]  Ô compagne de notre sang, toi qui, avec une irréprochable fidélité, gardes la chambre et les enfants du noble Hercule, vise un meilleur état d’esprit et réveille ton courage. (Herc. Fur., 309-311)

De même, dans les Troyennes, le fantôme d’Hector s’adresse à son épouse avec la formule o fida coniux (v. 453  : «  ô fidèle épouse  ») pour lui demander de sauver leur fils. Après avoir été tué par Achille, le prince revient sous la forme d’un rêve et a recours à ces trois termes pour entrer en contact avec Andromaque. L’importance de cette qualité pour Hector ne peut échapper au lecteur. Les exemples de Mégare et d’Andromaque illustrent à quel point les personnages masculins attendent de leurs épouses une fidélité infaillible. Lorsque cette valeur, présumée chez les héroïnes par leurs maris, est bafouée par une femme, le choc est d’autant plus brutal pour les époux, comme dans l’épisode de l’Agamemnon rapporté par Cassandre  : [Cas.]  Detrahere cultus uxor hostiles iubet, induere potius coniugis fidae manu textos amictus – horreo atque animo tremo : regemne perimet exul et adulter uirum ? [Cas.]  Ses parures ennemies, sa femme lui demande de les retirer et de revêtir plutôt la toge tissée par la main de sa fidèle compagne  ; je suis prise d’horreur et je tremble d’effroi  : l’exilé assassinera-t-il le roi, et l’amant, le mari  ? (Agam., 881-884)

À la place d’un messager qui rapporterait les événements a posteriori, la princesse troyenne est prise de visions et raconte au chœur le drame qui se joue à

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l’intérieur du palais. Elle rapporte d’abord les paroles de Clytemnestre (v. 881883) avant de donner son sentiment (v. 883-884). Même si, selon la formule de M. Paschalis, «  as an eyewitness account, her “vision” appears reliable in the eyes of the audience and, most importantly, it gives her absolute control over her enemies  » 75, Sénèque multiplie des associations de termes a priori difficilement compatibles, non seulement pour accentuer l’horreur de la scène décrite, mais aussi pour conférer à l’intervention de Cassandre une dimension oraculaire. Ainsi, il détermine un nom de vêtement connoté positivement, cultus, «  la parure  », par l’adjectif négatif hostilis, «  ennemi  ». Le décalage entre les deux mots est renforcé par la présence de uxor enclavé, qui représente la seule menace pour Agamemnon. De même, le verbe iubet, dont le sujet est uxor, semble mal adapté quand il s’applique à un roi, préparant de la sorte la suite des événements. Les propos de Clytemnestre, rapportés par Cassandre, révèlent donc la position dominante et fallacieuse de la reine, ce qui crée un sentiment de malaise chez les spectateurs. De retour à Mycènes, Agamemnon n’est plus le maître de l’armée grecque, mais paradoxalement, c’est Clytemnestre, sa femme, qui commande. Cette dernière atteint le comble de l’hypocrisie avec la mention coniugis fidae, fidèlement rendue par la devineresse. Par ces paroles mensongères, les auditeurs détectent directement la manœuvre de la reine pour parvenir à ses fins. Cassandre ne connaît peut-être pas les desseins de la reine 76. Lorsqu’elle fait part de ses sentiments, elle semble hésiter un instant sur l’issue finale de l’épisode. Elle choisit alors des termes qui s’opposent afin de dramatiser le récit (regem vs exul et adulter vs uirum). Les amants vont-ils sombrer dans l’atrocité  ? À ce moment de l’action, un point de non-retour est atteint dans la tension dramatique  : le maître des sphères publique (rex) et privée (uir) sera-t-il renversé par l’immoral exul et adulter ? Puis, tout bascule et Cassandre conclut par la formule  : uenere fata (v. 885  : «  le destin est là  »). Les deux amants mettent fin au suspense de l’action en même temps qu’aux jours d’Agamemnon (v. 885905). À l’instar de Thésée, le roi de Mycènes n’a pas anticipé la trahison de son épouse. Dès lors, si pour les héros tragiques la fidélité doit être absolue de la part des épouses, il est difficile de percevoir la position de Sénèque, puisque les hommes infidèles sont autant condamnés que leurs épouses  : Jason perd sa fiancée et ses enfants  ; Agamemnon est assassiné  ; Hercule est empoisonné par erreur  ; Thyeste mange ses propres fils. Faut-il chercher une position morale du philosophe sur ce point de vue  ? Il soumet ses personnages à une large palette d’épreuves et de passions pour lesquelles il est compliqué de distinguer quelle   Paschalis (2010), p. 222.   Il est ici difficile de savoir de manière assurée si Cassandre, qui a des talents de prédiction, connaît les intentions de Clytemnestre. 75 76

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CHAPITRE II

est la cause ou la conséquence des événements. Par exemple, alors qu’Agamemnon, responsable du sacrifice d’Iphigénie, revient à Mycènes avec Cassandre après dix ans d’absence, Clytemnestre s’est laissé charmer à la fois par Égisthe et par le pouvoir, en négligeant son rôle de mère auprès d’Électre et d’Oreste. Sénèque ne met jamais en scène des conflits manichéens  : chacun de ses personnages peut à la fois provoquer soit l’adhésion, soit la répulsion de l’auditoire. Sur cet aspect, la tragédie reflète la complexité de la nature humaine. b)  Mater Le lemme mater (+ 3,6) est fréquemment utilisé dans la tragédie, avec 157 occurrences. Pour traiter le nombre élevé d’extraits, la fonctionnalité Thèmes 77 a été appliquée au groupe des personnages féminins et ensuite masculins. L’opération permet de dessiner l’environnement thématique du mot-pôle, mater, en pointant ses cooccurrents spécifiques 78, dans les deux groupes de textes (annexe II, 2). Dans la première liste, mater en cooccurrence avec pater (+ 2,18) indique un maillage étroit entre la mère et le père dans le discours féminin. D’autres lemmes de cette liste font également partie du vocabulaire spécifique des héroïnes, comme par exemple  : placeo, uester, miser, precor ou encore osculum. Ceci confirme que, dans les rôles féminins, Sénèque associe le statut de «  femme  » à celui de «  mère  ». De manière plus inattendue, osculum, «  le baiser  », se présente comme un des cooccurrents les plus spécifiques de mater (+ 3,6). Comme indiqué ci-dessus, le terme fait également partie du vocabulaire spécifique féminin 79 puisque, sur sept occurrences 80, il est utilisé six fois par une héroïne (Andromaque, Hécube, Médée et Jocaste), contre une seule fois par le chœur masculin du Thyeste. Sur ces six occurrences en contexte féminin, il se rencontre quatre fois dans l’environnement du mot-pôle, mater  : Méd., 289 et 950  ; Phén., 486  ; Troy., 959. Un lien entre osculum et la maternité est aussi présent dans les deux autres contextes féminins, puisqu’il s’agit des adieux d’Andromaque à son jeune fils sacrifié pour le départ des Grecs. Il n’est pas a priori surprenant de rencontrer cette association puisqu’osculum désigne un baiser entre un parent et son enfant 81, comme l’illustre la réplique du chœur du Thyeste  : [Ch.]  Dum currit patrium natus ad

oscvlvm

[Ch.]  Tandis que son fils courait vers les baisers de son père. (Thy., 145)   Fonctionnalité utilisée pour le terme femina (cf. I.1.2.).   Comme pour femina nous nous sommes limité à l’étude de l’environnement thématique du seul lemme «  mater  » et non de chacune de ses formes déclinées. 79   Alors qu’inversement, amplexus n’est jamais utilisé par un personnage féminin contre cinq occurrences chez les chœurs et six chez les personnages masculins. 80  Voir Thy., 145  ; Troy., 799, 809 et 959  ; Méd., 289, 950  ; Phén., 486. 81   Moreau (1978), Flury (1988), Dupont / Éloi (2001), p. 245-248. 77 78

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Mais, alors que la pratique était dans la réalité partagée par les deux sexes, pourquoi Sénèque associe-t-il principalement femmes, mères et baisers  ? Il apparaît qu’osculum survient dans des moments critiques de l’action dramatique  : Médée ment à Créon pour gagner du temps  ; elle hésite ensuite à mener son plan à bout  ; Andromaque fait ses adieux à Astyanax et Hécube à Polyxène  ; Jocaste tente de réconcilier ses deux fils. Dans un contexte violent, elle met en contraste les concepts de guerre et de paix, en s’associant elle-même à cette dernière  : [Joc.]  Si pacis odium est, furere si bello placet, inducias te mater exiguas rogat, ferat ut reuerso post fugam nato oscvla uel prima uel suprema. Dum pacem peto, audite inermes. Ille te, tu illum times ? [Joc.]  Si tu as de la haine envers la paix, si la fureur de la guerre te plaît, ta mère te demande une courte trêve, pour apporter à son fils revenu d’exil ses premiers ou ses derniers baisers. Pendant que je cherche à obtenir la paix, écoutez-moi désarmés. Celui-là te craint-il  ? Toi, le redoutes-tu aussi  ? (Phén., 484-488)

L’extrait démontre comment Jocaste fait appel à son statut de mère (mater – nato) et à un niveau plus émotionnel, à son affection maternelle (oscula). La reine joue sur un argument de type autoritaire, mais aussi affectif  : l’osculum est le lien intime qui l’unit à son fils et qui peut difficilement lui être refusé. Jocaste insiste sur cette seconde dimension par l’utilisation des adjectifs uel prima uel suprema pour déterminer oscula, mis en évidence par leur renvoi au vers suivant 82. Avec les prima oscula, elle fait allusion à une nouvelle naissance qui serait offerte, en cas de paix, à son enfant revenu d’exil, alors qu’avec les suprema oscula 83, elle renvoie à une issue funeste en cas de conflit armé. Avec ces vers où vie/paix et mort/guerre s’opposent sous le prisme de l’amour maternel, Jocaste augmente la tension dramatique déjà importante, dans l’espoir de se faire entendre. Les personnages féminins, qui sont aussi des mères, mettent ainsi en avant à la fois leur rôle maternel, mais également l’attachement fort qui les lie à leurs enfants dans un but de dramatisation du message. Cet effet peut être poursuivi dans un objectif de persuasion (Médée à l’adresse de Créon, Jocaste à l’adresse de ses deux garçons) ou bien de deuil (Andromaque devant Astyanax, Hécube devant Polyxène). Cette cooccurrence spécifique de mater a donc permis de mettre au jour l’une des stratégies de communication des mères mises en scène dans la tragédie. Chez les héros masculins, l’environnement thématique de mater présente un maillage similaire entre le mot-pôle et la famille au sens large  : paternus   Frank (éd.) (1995), p. 208.   Pour ce rituel lors des funérailles voir Prieur (1986), p. 18 ou Prescendi (2008), p. 301. 82 83

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CHAPITRE II

(+ 2,55), puer (+ 2,84) et frater (+ 2,07)  ; avec une attention plus particulière pour sa fonction originelle de génitrice  : uterus (+ 3,18) et uber (+ 2,98). Arrêtons-nous sur le terme femineus, cooccurrent de mater (+ 3,18). Il se rencontre trois fois dans le même contexte que le mot-pôle, sans jamais le déterminer directement. Il apparaît deux fois dans la description du bûcher d’Hercule par Philoctète au chœur (Herc. Œt., 1618-1690) et une fois dans la réaction d’Hippolyte face au secret de Phèdre (Phèd., 671-697). Dans le premier cas, l’ami du héros raconte la démonstration de deuil d’Alcmène devant le bûcher de son fils  : [Phil.]  //Mater//in luctum furens […] superosque et ipsum uocibus pulsans Iouem impleuit omnem uoce feminea locum. [Phil.] Sa mère en deuil et en fureur, […] pressant d’accusations les dieux d’en haut et Jupiter en personne, remplit de sa voix de femme tout l’endroit. (Herc. Œt., 1668-1672, partim)

Philoctète, après avoir décrit la réaction de la foule (v. 1667  : omnis turba, «  toute la foule  »), s’intéresse à celle d’Alcmène. Il introduit l’épisode maternel avec le mot mater mis en évidence par sa place entre les césures penthémimère et hephthémimère du trimètre iambique 84. En deuil, mais surtout hors d’elle (furens), la mère d’Hercule s’en prend aux divinités. Pour rendre compte de sa colère et de la précipitation de son élocution, le messager croise dans son récit une première assonance en «  p/b  » (superos, ipsum, uocibus, pulsans et impleuit) avec une seconde en «  m/n  » (ipsum, pulsans, Iouem, impleuit, omnem, feminea et locum). À ce processus formel et sonore, il mentionne uoce feminea. Quelle en est la raison, alors que le public sait qui s’exprime (une mère, donc une femme)  ? Plutôt que d’insister sur le sexe d’Alcmène, il est probable que l’auteur ait voulu ajouter à la double assonance développée dans ces vers une nouvelle indication sur la performance du passage. Une série de clichés, souvent négatifs, sur la façon de parler des femmes étaient répandus chez les anciens 85. Si des témoignages antiques au sujet de mots ou de registres associés à la femme ont été conservés, ceux qui concernent les questions de prononciation sont plus rares 86. Pour se faire une idée de ces différences, il est nécessaire de prendre en compte les observations des anciens, non plus directement sur le discours féminin, mais bien sur le discours de certains hommes, considérés comme efféminés. D. Bain utilise une remarque de ce type chez Aristophane (Thesm., 192) pour relever une nuance de ton entre hommes et femmes grecques 87. La voix   Irigoin (1959).   Sur ces clichés dans les Satires de Juvénal, voir Fögen (2014). 86   Sur la question, voir Moreau (1995), p. 53-54. 87   Bain (1984), p. 29-30. 84 85

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des femmes romaines était également perçue comme aiguë et indolente, comme le conclut J. N. Adams  : Categorizations of the speech of homosexuals as “effeminate” contain an indirect recognition that there exists a distinctive female manner of speech. […] There is a good deal of comment in ancient writers on the “soft” or “broken” intonation of homosexuals. 88

Il cite, parmi d’autres exemples latins, l’extrait suivant d’un traité technique anonyme sur les liens entre apparence physique et qualité morale  : Qui acutam et mollem habent uocem, effeminati sunt. (De Physiognomonia Liber, 78  : «  Ceux qui ont une voix aigüe et indolente, ceux-là sont efféminés  ») 89. De cette manière, Sénèque précise une modalité dans l’attitude d’Alcmène qui correspond à ce qu’on attendait d’une femme en deuil, à savoir l’expression de la douleur 90. L’expression uoce feminea devait résonner chez les auditeurs comme une indication quant à la représentation de ces paroles. Dans le second cas, Philoctète, toujours sur un mode descriptif, mais en discours direct, rapporte la réponse d’Hercule sur le bûcher au comportement passionnel de sa mère  : [Phil.]  « Deforme letum, mater, Herculeum facis, compesce lacrimas, » inquit, « introrsus dolor feminevs abeat ; Iuno cur laetum diem te flente ducat ? »// [Phil.]  Mère, tu rends laide la mort d’Hercule  ; retiens tes larmes, dit-il, que cette douleur de femme reste en toi  ; Junon, pourquoi passerait-elle un jour heureux pendant que toi, tu pleures  ? (Herc. Œt., 1673-1676)

Hercule tient à s’adresser directement à Alcmène. Afin d’attirer son attention, il place le mot mater en incise au centre du vers, comme Philoctète l’avait fait plus haut. La vox n’est plus qualifiée de feminea, à l’inverse du dolor exprimé par une mère en deuil. Hercule reproche à Alcmène, non pas d’éprouver de la peine, mais bien de laisser libre cours à ses émotions en public par des cris (uocibus) et des larmes (lacrimas). Le héros ne dénonce pas ici la douleur ellemême, mais critique son expression avec un débordement de passions. Une fois de plus, l’adjectif femineus revêt un sens négatif. Hercule, par l’intermédiaire de Philoctète, va même plus loin  : [Phil.] « mater : nefas est ubera atque uterum tibi laniare, qui me genuit. »// [Phil.]  Mère, c’est un sacrilège de te lacérer la poitrine et le ventre qui m’a engendré. (Herc. Œt., 1678-1679)   Adams (1984), p. 53.   Texte latin de l’édition proposée par André (éd.) (1981), p. 111. 90   Sterbenc Erker (2004), p. 269-279. 88 89

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CHAPITRE II

Pourtant, ces manifestations de tristesse sous la forme de lamentations (cris, larmes, coups…) faisaient partie des traditions romaines. Il s’agissait de passer d’une émotion personnelle et privée à un rite collectif et public partagé par la communauté 91. Quel sens revêt cette intervention d’Hercule  ? Deux interprétations sont possibles. Premièrement, grâce aux Lettres de consolation, la position philosophique de Sénèque se lit entre les lignes  : confrontées au deuil, les femmes seraient plus fragiles que les hommes et plus enclines à sombrer dans la tristesse, en raison d’un manque général de connaissance (Marc., VII, 3). À Marcia, la destinataire d’une de ces lettres, il propose une démarche volontariste (Marc., VIII, 3), tout comme Hercule invite sa mère à le faire. Ensuite, du point de vue du développement dramatique de l’action, le deuil d’Alcmène semble opérer comme un élément déclencheur, dont dépendra ­l’issue de la pièce. En effet, le héros est vivant lorsqu’il monte sur le bûcher et emporte avec lui une volonté féroce, non pas de mourir, mais bien de s’élever au niveau des dieux. Or, si l’expression de la tristesse de sa mère dépasse le cadre d’une émotion personnelle en se propageant à la cité, elle risque de se transformer en un rite public de funérailles. Dans ce cas, Hercule serait reconnu par la communauté comme définitivement mort. Dans ce contexte, accomplir le rite ancestral des morts rend le décès effectif, comme le conclut J. Scheid  : Ainsi les diverses positions dans le rite sacrificiel qu’assument les défunts au cours des rites funéraires construisent-elles progressivement leur nouveau statut de défunts et de membres de la collectivité de dieux Mânes. 92

Le deuil d’Alcmène fonctionne ici comme un opérateur performant du passage de son fils de la vie aux enfers. C’est pour repousser la mort que le héros tente de convaincre sa mère de contenir ses sentiments de deuil  : [Phil.]   //Ipsa quam sexus iubet maerere, siccis haesit Alcmene genis stetitque nato paene iam similis parens. [Phil.]  Alcmène, en personne, que son sexe invitait à s’apitoyer, se tint droite avec les yeux secs et se présenta comme le parent presque semblable à son enfant. (Herc. Œt., 1688-1690)

Sénèque, par l’intermédiaire de Philoctète, rappelle l’effort accompli par Alcmène, une femme, pour résister à ses émotions suite à la prière d’Hercule. De plus, Philoctète clôture ce long récit descriptif, non pas par mater comme attendu après nato, mais bien par le terme parens, «  le parent  », qui n’établit pas de distinction de sexe. De cette manière, l’ami d’Hercule gomme lexicalement qu’Alcmène est une femme. Par sa force de caractère et en dépit de son sexe, elle peut être comparée au grand Hercule, mais en perdant un peu de sa féminité.   Sur le rite communautaire du deuil, voir De Martino (1958) et Prescendi (2008).   Scheid (2005), p. 276.

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DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES107

Selon Philoctète, Hercule, debout sur le bûcher, s’adresse ensuite à son père, Jupiter, sous la forme d’une prière (v. 1696-1715). Le héros insiste pour que le rite du deuil ne soit pas accompli de manière publique, puisqu’il a réussi à éviter qu’il le soit dans le cadre privé. Il formule d’ailleurs la supplication au moyen d’une conditionnelle  : si aucune ville ne pleure Hercule, il ne passera pas par les enfers et pourra alors être admis dans les astres. Ce passage renforce le lien mis en évidence entre le deuil d’Alcmène et le processus de divinisation d’Hercule  : [Phil.]  //si nullae gemunt urbes nec aras impias quisquam inquinat, si scelera desunt, spiritum admitte hunc precor in astra. [Phil.]  Si aucune cité ne me pleure, si personne ne déshonore les autels impies et si les crimes manquent, alors accueille mon âme, je t’en prie, dans les astres. (Herc. Œt., 1701-1704)

Philoctète et Hercule associent donc à la maternité une palette d’attitudes (la voix, des émotions, des manifestations de deuil) liées à la féminité qui comportent une connotation négative. En plus du rapport entre «  mère  » et «  femme  », les deux passages ont montré la subtilité avec laquelle Sénèque assemble ou oppose les mots entre eux. En ce qui concerne les questions de sexe, l’auteur adapte les discours en fonction du locuteur, du contenu du message et de leurs évolutions pendant l’action. Ainsi, Alcmène est d’abord décrite par les deux hommes comme revêtant toutes les caractéristiques traditionnelles de la femme en deuil (uox feminea, dolor femineus…). Ensuite, lorsque la posture physique et émotionnelle liée au sexe change (Alcmène est presque semblable à Hercule), le vocabulaire est modifié pour correspondre à ce nouveau statut  : Alcmène n’est plus une mater endeuillée, mais bien un parens courageux. Nous sommes donc en présence d’une métamorphose du discours calquée sur l’évolution sexuée du personnage. Le dernier passage de cooccurrence entre mater et femineus survient dans un contexte différent. Il s’agit de la réaction d’Hippolyte à l’aveu par Phèdre de ses sentiments  : [Hip.]  O scelere uincens omne femineum genus, o maius ausa matre monstrifera malum, genetrice peior !// [Hip.]  Ô vainqueur par le crime de toute la race des femmes, ô tu as osé un malheur plus grand que ta mère créatrice de monstre, tu es pire que ta génitrice  ! (Phèd., 687-689)

Une fois de plus, l’adjectif femineus prend une coloration négative. Pour Hippolyte, l’amour d’une femme représente un crime en soi, mais les sentiments de sa belle-mère le dépassent.

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CHAPITRE II

Dans la Méditerranée antique, la question de savoir si le désir de Phèdre pour son beau-fils était considéré comme de l’inceste n’est toujours pas réglée 93. En revanche, il est admis qu’à la période augustéenne, la loi romaine connut un durcissement visant à limiter l’inceste, en y incluant, entre autres, les relations au sein de la belle-famille 94. M. McAuley confirme l’importance du tabou autour de cette catégorie d’inceste à cette époque, en s’appuyant sur une étude de l’emploi fréquent du terme nouerca, «  la belle-mère  », dans Phèdre  : Yet even as Seneca works to deconstruct and ironize the nouerca stereotype, its persistent evocation in the play forces to the surface the Roman anxiety of stepmaternal incest and renders Phaedra’s moral anguish twofold. Not only is Phaedra consumed with lust for a man not her husband, but the man is also her son, at least in the true sense that sexual relations with him would be contra naturam (contrary to nature), as if she was his natural, true mother, rather than simply contra morem (socially transgressive). 95

De plus, en utilisant matre et genetrice, Hippolyte souligne les rapports générationnels dans lesquels il s’inscrit. En effet, il insiste d’abord sur le femineum genus, en plaçant l’amour de Phèdre parmi les pires crimes commis par la gent féminine. Par là, il établit une hiérarchie entre les fautes masculines et féminines qui sont plus condamnables. À ce titre, l’épouse de Thésée est donc doublement méprisable. Ensuite, en inscrivant Phèdre dans l’ensemble de son sexe, le prince l’introduit dans le cycle global des générations de femmes abominables. Cette idée est renforcée lorsqu’il évoque la mère de Phèdre, Pasiphaé, qualifiée de monstrifera. L’adjectif fait référence à la monstruosité du Minotaure, mi-humain, mi-taureau, mais peut également renvoyer aux défaillances morales de Phèdre. Celle-ci est donc monstrueuse aux yeux d’Hippolyte, qui va plus loin en prononçant les mots genetrice peior. Phèdre dépasse alors sa mère en produisant, à son tour, une monstruosité  : un amour pour son beau-fils. Ainsi, bien que la reine ne soit pas la mère biologique d’Hippolyte, dans ce raisonnement d’héritage maudit, le prince devient lui-même un monstre  : Pasiphaé/monstrifera matre – Phèdre/ genetrice peior – Hippolyte. L’amour de Phèdre, un sentiment maternel perverti, jaillit donc sur Hippolyte en même temps qu’il détruit l’amante. L’importance accordée par Hippolyte à la filiation et à l’hérédité renforce l’ambiguïté de leur relation et incite le lecteur à l’interpréter comme un inceste. En même temps, l’analyse de l’extrait montre qu’une mère, insérée dans plusieurs générations de femmes, devient un maillon important de la transmission d’un patrimoine à la place du père, même si, dans l’exemple, l’héritage est négatif. En résumé, bien que les personnages masculins associent, à l’instar de leurs homologues féminines, le terme mater à la famille et à la femme, ils l’utilisent   Voir les positions divergentes chez Bonnard (2002) et McAuley (2012).   Gardner (1986), p. 35-37 et Thomas (2005). 95   McAuley (2012), p. 43. 93 94

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES109



avec une nuance plus péjorative. Cette observation est renforcée par la présence de nombreux cooccurrents à valeur négative  : lanio, «  lacérer  » (+  2,98), cruentus «  ensanglanté  », (+  2,55), ico, «  blesser  » (+  2,43), gemo «  se plaindre  » (+ 2,4) et occido, «  tuer  » (+ 2,25). Ces termes offrent un aperçu de l’environnement thématique de mater, qui semble plus funeste que celui qui se dégage de l’analyse du discours des personnages féminins. c)  Nuptialis L’adjectif nuptialis demande une attention particulière dans la mesure où il est utilisé uniquement par des personnages féminins  : Mégare, Médée, Clytemnestre et Déjanire. Il se rencontre quatre fois  : Herc. Fur., 496, Méd., 986, Agam., 167 et Herc. Œt., 348. A priori, le terme appartient à un domaine positif, puisqu’il concerne le mariage  ; mais à la lecture des extraits, la conclusion inverse s’impose  : nuptialis revêt un caractère funeste dans les quatre cas. Mégare fait appel aux nuptiales impii Oedipodae faces (v. 496  : «  les torches nuptiales de l’impie Œdipe  ») dans une malédiction à l’encontre de Lycus, son bourreau  ; après avoir expié ses crimes d’autrefois par le sacrifice de son premier enfant, Médée exulte de joie, comme lors d’un jour de fête  ; Clytemnestre rappelle les prétendues noces d’Iphigénie pour justifier son adultère avec Égisthe  ; finalement, Déjanire se désespère de l’union possible d’Hercule avec son esclave, Iole. Dans ces extraits, il n’est pas question de mariage dans l’absolu, mais de «  mariage en danger  ». Dans tous les cas, l’union est bousculée par une menace, soit extérieure (Lycus, Iole, Créuse), soit intérieure (Égisthe). Le mariage n’est plus un espace de confiance mutuelle 96, mais, au contraire, une source de danger pour les deux parties. La réaction de Déjanire à l’arrivée d’une seconde femme dans son foyer est révélatrice  : [Dei.]  //Si quid ex nostro Hercule concepit Iole, manibus euellam meis ante et per ipsas paelicem iuadam faces. Me nvptiali uictimam feriat die infestus, Iolen dum supra exanimem ruam. [Déj.]  Si de mon Hercule Iole a conçu quelque chose, de mes mains, je l’arracherai et je me jetterai sur sa maîtresse au milieu des torches nuptiales. Qu’en colère il me frappe le jour de son mariage, moi la victime, pourvu que je m’écroule sur Iole mourante. (Herc. Œt., 345-349)

Pour Déjanire, le jour des noces devient un moment funeste lorsqu’elle en est exclue et que la légitimité de son propre statut est remise en cause. Cet exemple rappelle l’importance du retour au texte pour saisir le sens exact et montre comment un terme, apparemment lié à une réalité, peut, dans le texte, renvoyer 96  Voir Treggiari (1991), p.237-238 et Gourevitch / Raepsaet-Charlier (2001), p. 104-105.

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CHAPITRE II

à son contraire. Ainsi, l’adjectif nuptialis mène du mariage à la destruction du mariage, tout en restant une spécificité des personnages féminins. d)  Captiua La particularité du substantif captiua, «  la captive, l’esclave  » (+ 2,5), appelle aussi un examen plus attentif. En premier lieu, il importe de le mettre en parallèle avec l’adjectif captiuus, «  captif  » (+ 2,5), lui aussi spécifique du vocabulaire des personnages féminins. Les huit occurrences de l’adjectif renvoient toujours, de manière directe ou indirecte, à une femme et jamais à un homme. L’adjectif et le substantif sont donc considérés ensemble avec les effectifs observés suivants  : la paire captiua/captiuus offre quatorze occurrences 97, parmi lesquelles onze se rapportent à des rôles féminins contre trois à d’autres personnages (chœur, nourrice et messager). Pour une raison thématique évidente, la plupart des extraits proviennent des Troyennes 98. D’après l’examen des textes, deux utilisations différentes des termes se profilent. En premier lieu, captiua/captiuus est une injure dans la bouche de la locutrice. Par exemple, à la fin de l’Agamemnon, Clytemnestre ordonne l’exécution de Cassandre  : [Cly.] At ista poenas capite persoluet suo captiva coniux, regii paelex tori. Trahite, ut sequatur coniugem ereptum mihi. [Cly.]  Elle subira la peine capitale, cette esclave d’épouse, la maîtresse du lit du roi. Emmenez-la pour qu’elle suive le mari qu’elle m’a arraché. (Agam., 1001-1003)

La reine utilise l’adjectif dans un sens dégradant. L’effet insultant est renforcé par l’opposition entre captiua vs regii et coniux vs paelex. La formulation met en avant à la fois l’ambiguïté, mais aussi et surtout la médiocrité de Cassandre par rapport à Agamemnon. Le même cas de figure se présente dans l’Hercule sur l’Œta, entre Déjanire et Iole (Herc. Œt., 278 et 335). En deuxième lieu, il est question des personae qui sont elles-mêmes captives, ou qui redoutent de le devenir. L’exemple le plus connu est celui d’Hécube dans les Troyennes  : [Hec.]  Lamenta cessant ? Turba captivae mea, ferite palmis pectora et planctus date et iusta Troiae facite.// [Héc.]  Vos lamentations s’arrêtent  ? Ma troupe en désordre de captives, frappez de vos paumes vos poitrines et offrez votre douleur et rendez à Troie ce qui est juste. (Troy., 63-65) 97   Captiua  : Troy., 63  ; 508  ; 974  ; 911  ; 1178 et Herc. Œt., 335. Captiuus  : Troy., 90  ; 988  ; Phén., 575  ; Agam., 206  ; 1002 et Herc. Œt., 109  ; 219  ; 278. 98   Agamemnon, Hercule sur l’Œta et les Phéniciennes.

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Une connotation dépréciative est présente ici, mais dans une orientation différente. Dans un moment d’attention portée vers elles-mêmes – alors qu’inversement, l’injure est adressée à l’encontre d’un tiers – les femmes-esclaves constatent, avec tristesse 99, qu’elles ont tout perdu. Elles ne sont plus ni reine, ni princesse, ni même citoyenne. À la place, ces femmes sont devenues de simples captives à la merci des vainqueurs, qui se les répartissent entre eux par un simple tirage au sort (Troy., 974, uersata urna  :  «  après avoir agité l’urne  »). Les deux usages, insulte et autodépréciation, dévoilent deux aspects d’une même réalité. D’une part, il s’agit dans tous les cas d’une préoccupation typiquement féminine. Ici, l’on touche à une particularité du domaine féminin qui transparaît dans le discours  : jamais un personnage masculin ne met de nom sur la réalité de ces femmes captives. Au contraire, ils s’adressent à elles avec une certaine forme de respect dans la formulation. Ainsi, le roi Agamemnon parle de Cassandre en la qualifiant de uates (Agam., 786) 100. De même, lorsqu’Ulysse échange avec Andromaque, il l’appelle soit par son prénom (Troy., 533), soit avec le nom parens (v. 785). Dans le même esprit, les captiuae n’intéressent pas les autres femmes si elles ne sont pas directement concernées. Les interventions d’Électre en fin de pièce illustrent cette observation. La fille d’Agamemnon accorde peu d’importance à Cassandre, alors que toutes deux partagent une scène où elles sont menacées de mort, l’une après l’autre, par Clytemnestre. D’autre part, la question des hommes captifs est absente de la tragédie. Sénèque opère donc un choix thématique dans la matière qu’il traite, puisque, dans la civilisation romaine, l’esclavage concernait autant les hommes que les femmes 101. Le cas des hommes vaincus à la guerre est peu évoqué chez Sénèque, car ils semblent tous morts au combat, comme dans les Troyennes. Il y a donc un déséquilibre entre les deux sexes dans la présentation d’un phénomène qui pourtant les concerne tous les deux dans les realia. Cette conclusion dépend en réalité des mythes grecs choisis par l’auteur, qui offrent peu de place aux vaincus 102. Le topos à la fois mythologique et littéraire de la captive est plus répandu et a inspiré de nombreux auteurs anciens latins et grecs 103,

  Keulen (éd.) (2001), p. 121.   Plus loin, il utilise aussi le nom famula, non pas avec une nuance péjorative, mais parce qu’il oppose ce statut à celui de domina :  Ne metue dominam, famula (Agam., 796  : «  Ne crains pas ta maîtresse, servante  »). 101   Voir, par exemple, Oakley (1993), p. 22-28 et Scheidel (2012b). 102  Euripide également ne présente que deux cas de prisonniers de guerre (Eur., Phén., 708  ; Iphi. Taur., 584-585). De plus, leur situation est différente de celle des femmes, comme examiné ici  : Serghidou (2010), p. 62-63. 103   Alors que le topos est absent de l’iconographie grecque (Ducrey [2007], p. 11), il a largement été traité dans la littérature par les tragiques grecs  : Agamemnon, Sept 99

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comme le note C. Dué dans son ouvrage sur la lamentation des captives dans la tragédie grecque  : Nevertheless, as I investigate the place of the captive woman’s lament in Athenian tragedy, I hope to show that the exploration of sorrow through the eyes of the enemy is at the heart of ancient Greek literary, performative, and artistic expression. 104

De plus, à l’instar des tragiques grecs, ce lieu commun a sans doute intéressé Sénèque en raison du malheur qui touche les femmes captives. En effet, choisir ce point de vue concentre autour d’un seul groupe de population une série de douleurs telles que la perte de proches sur le champ de bataille, l’arrachement à sa patrie et enfin, la servitude. Ces femmes frappées par le destin concentrent en elles un potentiel de tension dramatique pour un traitement tragique de la passion. Centrer l’attention sur les veuves de guerre permet, par un effet en creux, de mettre en évidence la nation sacrifiée et, de manière individualisée, chacun des soldats morts pour la patrie. L’accent est mis sur la détresse des épouses et des enfants abandonnés aux mains des ennemis pour faire monter l’effet tragique à son paroxysme. La cité assiégée est donc présentée de manière dichotomique entre hommes-soldats valeureusement tués au combat et femmes-esclaves réparties entre les vainqueurs. Les vaincus se divisent ainsi en deux catégories qui s’opposent pour participer au processus de dramatisation de l’action. Cassandre montre dans une réplique la cruauté et la force poétique de la confrontation entre la felix turba fraterni gregis et les uiduas nurus  : [Cas.]  Quid illa felix turba fraterni gregis ? Exhausta nempe : regia miseri senes uaca relicti, totque per thalamos uident praeter Lacaenam ceteras uiduas nurus. [Cas.]  Qu’en est-il de l’heureuse troupe de mes nombreux frères  ? Elle est évidemment anéantie  ; les malheureux vieillards abandonnés dans des palais vides, ils voient dans les chambres nuptiales tant de leurs brus veuves excepté la Laconienne. (Agam., 701-704)

En bref, la paire captiua/captiuus peut donc être considérée comme l’indice d’une réalité qui concerne uniquement les femmes dans les tragédies de Sénèque. Son étude a aussi permis de mettre en lumière un procédé de dramatisation fondé sur la confrontation entre des univers traditionnellement associés à l’homme et à la femme dans la civilisation romaine.

contre Thèbes, les Suppliantes d’Eschyle ou les Troyennes, Andromaque et Hécube chez Euripide, mais aussi parfois dans la littérature latine comme dans l’Héroïde III d’Ovide. 104   Dué (2006), p. 29.

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II.6.2.  Le vocabulaire négatif Comme dans le vocabulaire spécifique des héros masculins, un second groupe de lemmes peut être constitué chez les héroïnes, les termes négatifs  : miser (+ 3,8), hostis (+ 3,5), perpetior (+ 3), fuga (+ 2,9), misereor (+ 2,8), ah (+ 2,8), lugeo (+ 2,6), dolor (+ 2,5), paeniteo (+ 2,5), pereo (+ 2,5), hostilis (+ 2,2), precor (+ 2,2), rapio (+ 2,1), poena (+ 2,1) et funus (+ 2). Bien que certains d’entre eux soient, en partie, liés à la thématique des sujets traités, une telle abondance de termes négatifs spécifiquement féminins ne peut relever du seul hasard de composition. Notons la présence de mots à rattacher au ton plaintif (comme miser, perpetior, misereor, ah, lugeo ou encore dolor). Cet ensemble évoque les stéréotypes qui circulaient dans la Rome antique sur la façon de parler des femmes (cf. II.6.1.b). Il convient de mettre en relation le groupe de termes ici mis en évidence avec ce commentaire de Donatus aux Adelphes de Térence 105  : « Miseram me » proprium est mulierum, cum loquuntur, aut aliis blandiri « Annam, cara m. n., h.s.s. », aut se commiserari ut « miserae hoc tamen unum exsequere, Anna, mihi ». Nam haec omnia muliebria sunt, quibus pro malis ingentibus quasi in aceruum rediguntur et enumerantur nullius momenti querelae. «  Malheur à moi  » c’est le propre des femmes, quand elles parlent, ou bien d’enjôler les autres, comme dans «  nourrice chère à mon cœur, va chercher ma sœur Anna  », ou bien de se lamenter sur elles-mêmes, comme  : «  obéis-moi, malheureuse que je suis, en cela seulement, Anna  ». Car tout cela constitue des manières de femme, par lesquelles, en guise de grands malheurs, des plaintes sans aucune portée sont ramassées comme en tas et énumérées. (Ad., 291) 106

La signification exacte de cet extrait est, pour les modernes, difficile à déterminer. Toutefois, J. N. Adams remarque que ce ton plaintif est présent chez Térence, qui associe principalement miser et misera au discours de ses personnages féminins 107. Dans le même esprit, D. M. Dutsch, dans son enquête sur Térence, s’intéresse également aux usages de miser et en conclut que  : Women are not only associated with exuberant vocalizations of pain, but are also represented as especially linked to look upon themselves with pity and, in giving voice to this pity, to request the assistance of others. 108

Une telle impression se confirme, dans le cas de Sénèque, par l’emploi, en plus de miser, d’autres termes spécifiques au langage féminin.

  Reich (1933), p. 91-92, Gilleland (1980), p. 181, Adams (1984), p. 44.   Texte et traduction de l’édition en ligne  : http://hyperdonat.tge-adonis.fr/editions/ html/DonAde.html 107   Adams (1984), p. 3-74. 108   Dutsch (2008), p. 110. 105 106

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Le philosophe aurait-il adapté le lexique de ses personnages féminins pour correspondre à certains stéréotypes  ? Cherche-t-il à faire parler ses héroïnes «  comme des femmes  »  ? Il est difficile de répondre, dans la mesure où il est impossible de déterminer ce qui, dans un discours joué, évoquait le féminin pour le public romain. Par ailleurs, hommes et femmes ne sont pas soumis aux mêmes épreuves, comme remarqué avec l’exemple des captives. Iole illustre cet aspect avec la réplique suivante, qui survient à son arrivée dans la maisonnée d’Hercule  : [Iole] Quae prima querar ? Quae summa gemam? Pariter cuncta ah deflere iuuat nec plura dedit pectora Tellus ut digna sonent uerbera fatis. […] Mea me lacrimas fortuna rogat. iam iam dominae captiua colus fusosque legam. [Iole]  Pour quels malheurs me plaindrai-je en premier et sur lesquels gémirai-je en dernier  ? Ah, il est utile que je les pleure tous de la même manière et la terre ne m’a pas donné plusieurs poitrines, pour que de dignes coups résonnent sur mon destin. […]  C’est ma fortune à moi qui demande des larmes  : aujourd’hui, désormais, de ma maîtresse je suis captive et je filerai sa quenouille et ses fuseaux. (Herc. Œt., 180-184 et 217-219)

Le discours de la nouvelle conquête d’Hercule est caractérisé par une dimension plaintive, comme l’attestent de nombreux termes appartenant au champ lexical de la lamentation. Ils se répètent en peu de lignes, créant un effet pathétique à la complainte d’Iole (querar, gemam, ah, deflere, lacrimas…), qui n’est plus qu’une dominae captiua. Le pathos qui se dégage atteint presque les limites du grotesque devant le déploiement d’émotions exprimé par la princesse  : elle refuse de pleurer sa propre famille, pour se concentrer sur son seul chagrin (mea me lacrimas). Cet excès d’auto-apitoiement pourrait correspondre aux idées antiques sur le discours féminin, mais aussi sur le caractère féminin en général 109. Néanmoins, cette lecture paraît un peu simpliste au regard de la complexité de la pensée de Sénèque. Devant l’indifférence d’Hercule, l’intensité de la plainte d’Iole contraste, d’un point de vue discursif, avec la colère tout aussi démesurée de l’épouse trompée, Déjanire (v.  256-275  : malum, dolori, odiis, ira). Plus la princesse se présente en victime, plus la violence du ressentiment de la reine à son égard est mise en évidence, car injustifiée. De part et d’autre, l’expression de l’émotion portée au paroxysme dramatise le cours de l’action, en l’amplifiant. L’affrontement est ici féminin, puisqu’il oppose deux jeunes femmes qui se partagent un seul homme. En revanche, la situation inverse n’est pas mise en scène par Sénèque  : jamais 109

  Un être dépourvu de contrôle sur lui-même et sur ses affects.

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES115



un héros ne doit reconquérir son épouse 110. Dans ces conditions, il s’avère difficile d’établir une comparaison des usages entre les deux sexes. a)  Lugeo Le verbe lugeo, «  être dans le deuil  », est uniquement utilisé par des personnages féminins (10 occurrences), si les chœurs sont omis (6 occurrences). Le verbe apparaît principalement dans l’Hercule sur l’Œta, dans le cadre de la mort d’Hercule, dans les Troyennes, ou dans le discours de Cassandre dans l’Agamemnon lorsque les femmes pleurent leurs proches morts à la guerre  : [Ch.] Ite ad planctus, miseramque leua, regina, manum. uulgus dominam uile sequemur : non indociles lvgere sumus. [Ch.]  Entrons dans une douleur bruyante, lève ta pauvre main, ma reine  ; nous, ton peuple sans valeur, nous suivrons notre maîtresse  : nous ne sommes pas ignorantes dans l’art du deuil. (Troy., 79-82)

De nouveau, la multiplication des termes liés à l’expression du deuil (planctus, miseram, lugere), participe à augmenter la tension dramatique nécessaire à la réalisation d’un rite communautaire comme les funérailles. Une fois encore, les personnages masculins ne sont pas présentés en deuil, alors qu’ils participaient, selon leurs codes, aux cérémonies funéraires 111. De même, dans l’Hercule sur l’Œta, il est significatif que, après un bref échange entre Alcmène et Hyllus (v. 1402-1431), seule la mère d’Hercule intervienne pendant le bûcher funèbre de son fils. Ces deux exemples, qui touchent à la captivité et à l’expression du deuil, montrent comment l’étude du vocabulaire chez les personnages féminins aide à comprendre comment Sénèque a construit leur discours. Elle permet aussi de mieux distinguer quelles sont les épreuves attachées principalement à l’un ou l’autre sexe. b)  Miser L’adjectif miser, «  malheureux, misérable  », fait aussi l’objet d’une attention particulière 112. 54 occurrences sont comptées chez les héroïnes, contre 118 dans la tragédie  :   Agamemnon est assassiné par Clytemnestre avant de découvrir son adultère et Thésée n’apprend les sentiments de Phèdre qu’après avoir perdu son fils et son épouse. 111   Sur les rites funéraires, voir Prieur (1986), p. 18-24 et Sterbenc Erker (2011), p. 44-47. 112   Voir aussi Salat (1967) sur miser chez Plaute et Térence et Salat (1982) sur les tragédies de Sénèque. 110

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CHAPITRE II

Figure 3 : Histogramme de la distribution du lemme miser entre les 71 personnages de la base Personnages

Même si l’adjectif est spécifique au discours des héros féminins, l’histogramme sur la base Personnages montre les accointances du mot avec certains personnages. Sans surprise, Alcmène de l’Hercule sur l’Œta, Andromaque et le chœur des Troyennes sur-utilisent miser. L’adjectif peut déterminer la locutrice, comme dans l’intervention d’Andromaque qui s’adresse à Hécube  : [Andr.]  At misera luctu mater audito stupet ; labefacta mens succubuit. Assurge, alleua animum et cadentem, misera, firma spiritum. [Andr.]  Mais la malheureuse mère reste muette de stupeur à l’annonce de ce deuil  ; son esprit ébranlé a succombé. Debout  ! Allège ton cœur et affermis, malheureuse, ton souffle prêt à tomber. (Troy., 949-951)

Une fois encore, il est question de deuil, non seulement parce que les héroïnes subissent la perte d’un proche, mais également car elles sont les agents volontaires (Hécube et le chœur) ou non (Alcmène) de ce rite communautaire 113. Elles occupent donc une position émotionnelle proche de la thématique qui les concerne. Il est plus inattendu que miser soit spécifique au rôle de Thyeste 114. Dès les premiers vers, Thyeste se présente comme un des miseris exulibus (v.  405  : «  misérables exilés  ») et qui miserum iuuat (v. 427  : «  je me plais dans ma 113   Pour une analyse du lyrisme dans ces deux passages de lamentation, voir Cattin (1963), p. 52-57. 114  Voir Thy., 405, 427, 934, 938, 953, 1036, 1073.

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misère  »). De cette manière, il met en place le comportement passionnel qui le caractérisera au long de la pièce. Ensuite, le terme revient à trois reprises pendant le festin organisé par Atrée (v. 934, 938 et 953). Thyeste y est pris d’un malaise malgré le retour apparent de la fortune. Il lutte contre ce sentiment, mais ne parvient pas à le contrôler. Finalement, miser est encore utilisé deux fois, lorsqu’Atrée révèle la nature du crime commis (v. 1036 et 1073). À ce moment, Thyeste redevient miser plus intensément qu’auparavant. À côté d’autres thématiques 115, Thyeste représente le combat quotidien de l’homme entre le bonheur et le malheur. Au début de la pièce, le malheur est préféré par Thyeste, qui le considère comme un mode de vie, à la manière peutêtre des sages ascétiques 116, sinon stoïciens 117. En revanche, au moment où le prince cède au mirage d’une réconciliation, le malheur lui est violemment imposé par Atrée. Dès le moment où Thyeste mange ses enfants, une longue transformation physique et psychologique s’initie et trouve son paroxysme lorsqu’Atrée remarque  : nec satis menti imperat (v. 919  : «  il ne commande plus à son esprit  »). À partir de ce moment, le frère piégé parvient à décrire lui-même les symptômes qui l’affectent  : [Thy.]  Maeror lacrimas amat assuetas, flendi miseris dira cupido est. Libet infaustos mittere questus, libet et Tyrio saturas ostro rumpere uestes, ululare libet. [Thy.]  Le chagrin aime les larmes auxquelles il s’est habitué, les malheureux ont un désir morbide à pleurer. J’éprouve du plaisir à envoyer de funestes plaintes, du désir à déchirer ma toge imprégnée de pourpre tyrienne, du désir à hurler. (Thy., 952-956)

Thyeste, sans savoir ce qui se joue devant lui et en lui, tente de mettre des mots sur sa métamorphose en femme/animal 118. Encore inconscient du sacrilège qu’il vient de commettre, il utilise des termes attachés à plusieurs champs lexicaux  : le domaine féminin (miser, questus, lacrima…) et animal (ululare 119, fera…). Il échange avec son frère jusqu’à découvrir, en apprenant son crime, son nouveau statut. Le père s’est transformé en mère, puisqu’il porte désormais ses enfants  : uoluuntur intus uiscera (v. 1041  : «  ils remuent dans mes entrailles  »). La répétition de   Voir ordre vs chaos, raison vs passion, paix vs violence ou encore reconnaissance vs déception dans l’introduction de Schiesaro (2003), p. 1-7. 116   Gigon (1938), p. 182 et Poe (1969), p. 360-361. 117   Cette interprétation est critiquée par Schiesaro (2003), p. 147-150, mais on ne peut nier les rapprochements entre la position de Thyeste et la philosophie stoïcienne. 118   Littlewood (1997, 2004, p. 194-209 et 2008) ainsi que Aygon (2003), p. 281. 119   Tarrant (éd.) (1985), p. 225, voit plutôt dans l’utilisation de ce verbe une ­référence aux gémissements des fantômes qui hantent le palais d’Atrée pour mieux renvoyer aux esprits des enfants qui sont dans son ventre. Mais sont-ils déjà morts dans l’inconscient de Thyeste, alors qu’il les sent encore bouger en lui  ? 115

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CHAPITRE II

miser s’intensifie au cours de l’œuvre et participe donc à créer la confusion sur la place qu’occupe Thyeste au sein de la communauté mise en scène. Les autres personnages masculins font un usage différent de l’adjectif. En premier lieu, il détermine souvent une femme soumise aux épreuves de la tragédie  : Mégare assassinée par Hercule chez Amphitryon (Herc. Fur., 1008 et 1012)  ; Déjanire poussée au suicide chez Hyllus (Herc. Œt., 1463)  ; Iole arrachée à sa famille chez Hercule (Herc. Œt., 1493)  ; Médée expulsée du royaume de Créon chez Jason (Méd., 513) et Andromaque contrainte de livrer son fils aux Grecs pour Ulysse (Troy., 620). Contrairement à d’autres passages, il n’est pas question, dans ces répliques masculines, de moquer les mères ou les épouses confrontées à la mort, la soumission ou la trahison. En revanche, l’emploi du terme constitue l’expression d’une certaine forme de pitié envers ces femmes malheureuses. Il est tout à fait remarquable que miser, en dehors de Thyeste, ne soit presque jamais accordé avec un sujet masculin. Les hommes ne veulent probablement ni se présenter comme l’objet d’un sentiment de pitié, à leurs yeux déshonorant, ni en être le sujet pour d’autres membres de la gent masculine. En revanche, certains d’entre eux, lorsqu’ils sont confrontés à la mort, font tout de même état des difficultés de leur situation. Dans ce cas, par un processus de détournement, ils rapportent l’adjectif, non pas à eux-mêmes, mais à la seule partie de leur corps ou de leur esprit qui se trouve affectée par les événements. Ainsi, on trouve miserum cor dans la bouche d’Amphitryon (Herc. Fur., 1298  : «  misérable cœur  »), misera uirtus chez Hercule (Herc. Œt., 1171  :  «  misérable courage  ») ou encore misera pietas chez Hyllus (Herc. Œt., 1027  :  «  misérable piété  ») et Œdipe (Œd., 19). En évitant lexicalement de s’associer complètement avec miser, les hommes refusent de se présenter en position totale de complainte. Une exception apparaît, qui ne s’oppose toutefois pas aux observations émises ci-dessus. Cette occurrence survient dans le prologue des Phéniciennes. Le roi a quitté Thèbes après les révélations sur son passé et il erre de ville en ville avec Antigone comme seule compagne  : [Œd.] Omitte poenae languidas longae moras mortemque totam admitte ; quid segnis traho quod uiuo ? Nullum facere iam possum scelus ? Possum miser, praedico – discede a patre, discede, uirgo. Timeo post matrem omnia. [Œd.]  Renonce au report mou d’une longue peine, reçois une mort totale  ; pourquoi, paresseux, traîner ce que je vis  ? Ne puis-je plus désormais faire aucun crime  ? Misérable, je le peux et le proclame – va-t’en loin de ton père, va-t’en, jeune fille  : après ma mère, j’ai peur de tout. (Phén., 46-50)

Dans la diatribe qu’Œdipe s’adresse à lui-même en vue de persuader Antigone de le laisser poursuivre seul, il n’est pas surprenant de trouver l’adjectif miser. Le ton du prologue est particulièrement véhément. Le roi a perdu toute estime



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de lui-même après s’être découvert meurtrier et coupable d’inceste. Désormais, il cherche le châtiment le plus dur pour expier ses crimes 120. Il ne s’est pas rendu aveugle dans le seul but de ne plus apercevoir le noxae conscium nostrae diem (v. 9  : «  le jour complice de mon crime  »), mais il vise aussi à s’exposer publiquement à la critique, uideor (v.  10  : «  je suis vu  ») 121. Œdipe ne cherche pas uniquement à souffrir physiquement, il vise en plus à subir une souffrance psychologique, causée par le regard des autres. Une volonté de se dévaloriser transparaît de ses premières lignes (v. 1-50  : fessus, infaustus, spiritus inimicus, desertor), dans le but de quitter le rang des hommes. Miser utilisé par Œdipe participe donc, en plus des autres termes négatifs, non pas à une forme de «  féminisation  », mais à une campagne d’auto-dévaluation en vue de devenir un «  non-homme  ». Lui, vainqueur de la sphinge et puissant roi de Thèbes, symbole de la puissance virile 122, n’a plus peur de susciter la pitié et le rejet de sa communauté. Dans un contexte différent, miser se trouve dans des répliques de type gnomique, peut-être à coloration stoïcienne, comme suggéré par M. Billerbeck 123. Ces sentences morales ont une portée plus générale que personnelle, et ne sont pas affectées par les questions de sexe, mais concernent l’ensemble de l’humanité. Par exemple, alors que Lycus a usurpé le pouvoir, Amphitryon argumente contre le tyran dans un échange de type agonistique sur la valeur morale de l’homme courageux qui est confronté au malheur 124  : [Amph.]  Quemcumque fortem uideris,

miservm

neges.

[Amph.]  Quel qu’il soit, l’homme courageux que tu vois, ne dis pas qu’il est misérable. (Herc. Fur., 464)

L’analyse de l’adjectif miser est éclairante du point de vue de la différenciation d’emploi entre les protagonistes de sexe opposé. Elle révèle une attitude différente des hommes et des femmes devant une seule émotion, qui est la pitié. Les premiers ont tendance à l’accorder facilement aux femmes, mais à la refuser pour eux-mêmes. Ou du moins, ils la minimisent en la concentrant sur une cible précise  : la partie misérable du corps ou de l’âme. À l’opposé, les secondes n’hésitent pas à se l’approprier à de multiples reprises. L’analyse d’un extrait de Médée referme ce volet  : [Med.]  //Paenitet facti, pudet. Quid, misera, feci ? Misera ? Paeniteat licet, 120  Peut-être Œdipe redoute-t-il de commettre un nouvel inceste, envers sa fille  : Frank (éd.) (1995), p. 93-94. 121   Frank (éd.) (1995), p. 80-81. 122   Delcourt (1981). 123   Billerbeck (éd.) (1999), p. 359. 124   Pour un commentaire sur la construction de ce type de sententiae, voir Paré‑Rey (2012), p. 318-320.

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CHAPITRE II

feci – uoluptas magna me inuitam subit, et ecce crescit.// [Méd.]  Je me repens de mon acte, j’ai honte. Qu’ai-je fait, misérable  ? Misérable  ? J’aurais le droit de me repentir, je l’ai fait  ; - sans le vouloir un grand plaisir m’envahit et voici qu’il grandit. (Méd., 989-993)

Médée vient de sacrifier son premier fils pour assouvir la volonté des Furies. À l’arrivée de Jason, elle hésite à accomplir sa vengeance jusqu’au bout par le meurtre de son deuxième enfant 125. Dans sa réaction, une vague de regret se perçoit pour le meurtre de son garçon (paenitet facti), mais il y a aussi un élan d’auto-apitoiement pour sa situation (quid misera feci ?). Rapidement, la magicienne se ressaisit. Par la répétition de «  misera  ?  », elle marque une distance par rapport à sa position initiale et prend le recul nécessaire pour poursuivre sa démarche. Tout en rejetant son statut de mère et de femme 126, Médée écarte de son lexique les émotions qui sont liées à son expression 127. c)  Misereor Le verbe, proche étymologiquement et sémantiquement de l’adjectif miser, misereor, «  prendre pitié de  », renforce les conclusions établies ci-dessus. Les personnages féminins l’utilisent sept fois, contre deux fois pour les masculins et la plupart des occurrences sont au mode de l’impératif. Celles-ci prennent la forme de prières en vue de susciter la pitié d’un tiers. L’utilisation du verbe est un indice plus sensible que les femmes n’ont pas peur de se présenter en être «  pitoyable  » dans le sens littéral de l’adjectif en français  : «  qui suscite la pitié  ». Dans les sept cas à l’impératif, il s’agit de femmes qui supplient un homme puissant de prendre leur parti  : Andromaque implore Ulysse de renoncer au sacrifice d’Astyanax  ; Médée prie Jason de partir en exil avec elle et Phèdre réclame l’amour d’Hippolyte. Un homme a pourtant recours à cette forme de misereor  : Hercule dans l’Hercule Furieux, requérant la pitié de son père (v. 1192) 128. Après le meurtre de sa famille, le héros se réveille et cherche à savoir ce qui est arrivé à son foyer, à peine retrouvé. Après le massacre où toute la force brute et virile traditionnellement attachée au héros est détaillée 129, un échange entre le fils de Jupiter et son père mortel est imaginé par Sénèque. Contrairement à la scène de   Sur la logique de la vengeance par la mort des deux garçons, voir Arcellaschi (1990), p. 401-403. 126   McAuley (2012), p. 47. 127   Miser était fréquemment utilisé par les mères ou les épouses en deuil (cf. II.6.2.). 128   En revanche, aucun personnage masculin ne se rencontre avec cette posture devant une femme. 129   Voir «  Héraklès  : le surmâle et le féminin  » dans Loraux (1989), p. 142-170 et Harder (2010). 125



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la folie, la puissance et la confiance d’Hercule vacillent maintenant à chaque question posée à Amphitryon. À la vue de sa famille assassinée et devant le silence des siens, Hercule interroge son père plus de trente fois sur moins de soixante vers (v. 1138-1190), soit en moyenne une question toutes les deux lignes. Cette particularité stylistique a pour but de reproduire, par le discours, la nervosité et la fragilité du héros. Dans l’impasse, lassé de ne pas avoir de réponse claire, Hercule se positionne en suppliant (supplices manus) devant son père. Ce cas particulier montre comment une posture de communication qui mêle à la fois lexique (ici, un verbe à l’impératif) et jeu physique (les suppliants se mettaient à genou) 130 des acteurs, statistiquement attachée à un sexe, peut prendre une autre dimension dans le contexte du sexe opposé. En effet, il n’est pas pertinent de considérer cette expression comme «  féminine  » dans les propos d’Hercule. En revanche, il est évident qu’elle est une des marques discursives qui visent à insister sur la faiblesse du héros au moment le plus sordide de son existence. L’analyse est confirmée par le deuxième emploi masculin de misereor, qui n’est plus à l’impératif. Il survient dans le long échange entre Ulysse et Andromaque dans les Troyennes  : [Vly.]  //Misereri tui utinam liceret. Quod tamen solum licet tempus moramque dabimus.// [Uly.]  Prendre pitié de toi, ah, si seulement cela m’était permis  ! Ce qu’il m’est cependant permis, c’est de te donner du temps et un délai. (Troy., 762-764)

Avant le passage cité, Andromaque a déjà prié Ulysse à deux reprises (miserere matris, v. 694 et 703) de préserver son fils de la mort. Elle finit toutefois par révéler la cachette de son fils, mais demande pour l’embrasser une dernière fois 131. À ce moment, Ulysse est dans une position de toute-puissance face à la princesse 132, mais ne peut pas, selon les règles d’usage, se laisser convaincre par la femme d’un ennemi vaincu. Pour garder son rang, il doit rester indifférent à ses appels à la pitié et poursuivre son objectif sans montrer de réaction. Toutefois, il lui accorde ce délai. En résumé, les exemples négatif d’Hercule et positif d’Ulysse illustrent comment l’expression d’une émotion comme la pitié peut polariser les rapports entre hommes et femmes, sur une opposition de type non pas masculin vs féminin, mais plutôt fort vs faible. 130   Sur la position du suppliant à Rome et plus précisément chez Virgile et Ovide, voir Anderson (1993). 131   A. J. Keulen note qu’Ulysse accepte le délai demandé, car Andromaque «  has shifted from insults to supplication  », mais c’est sans compter que le héros a obtenu ce qu’il désirait  : Keulen (éd.) (2001), p. 397. 132   Ulysse est un homme, un Grec, un guerrier, un roi et un vainqueur devant Andromaque qui est une femme, une étrangère, une civile, une esclave et une vaincue.

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CHAPITRE II

d)  Perpetior La pitié, analysée ici sous les formes de miser et de misereor, n’est pas la seule émotion négative présente dans les discours féminins. L’étude du verbe déponent, perpetior, «  endurer, supporter  », est aussi éclairante. Le terme est caractérisé par un haut degré de spécificité (+3) et son utilisation par des femmes uniquement lui confère une valeur particulière. Contrairement à miser dont les occurrences sont nombreuses, le verbe survient dans cinq contextes, dans lesquels trois schémas différents sont présents  : il est prononcé à trois reprises dans les Troyennes (411, 653 et 937), dans le discours d’Andromaque et elle-même – ou par assimilation le groupe des captives – en est le sujet  ; dans les Phéniciennes, Jocaste prononce ce verbe en référence à un homme, son fils  : qui tot labores totque perpessus mala (v. 465  : «  toi qui as enduré tant d’épreuves et tant de malheurs  »)  ; dans l’Œdipe, chez Mantô, l’occurrence est attachée à un animal, le taureau sacrifié pour interroger les morts  : taurus duos perpessus ictus (v. 343  : «  le taureau a supporté deux coups  »). Le verbe n’est donc pas lié par les trois femmes à l’un ou l’autre sexe. En revanche, l’emploi du verbe, typique pour les femmes, indique une sensibilité féminine à la souffrance, qu’elle soit physique ou psychologique. Cette réplique d’Andromaque à Hélène, venue annoncer que Pyrrhus avait demandé Polyxène en mariage pour Achille, le montre  : [Andr.]  Leuiora mala sunt cuncta, quam Priami gener Hecubaeque Pyrrhus. Fare, quam poenam pares exprome et unum hoc deme nostris cladibus falli : paratas perpeti mortem uides. [Andr.]  Les malheurs sont tous plus légers que d’avoir, pour Priam et Hécube, Pyrrhus comme gendre. Dis-nous ce que tu prépares comme punition, révèle-le nous et retire de nos fléaux celui d’être trompées  : tu vois, nous sommes prêtes à endurer la mort. (Troy., 934-937)

La réplique d’Andromaque illustre cette sensibilité conduite à son paroxysme, puisque les femmes sont désormais prêtes à mourir après tant de souffrances vécues après la chute de la ville. e)  Dolor Évoquons encore le cas du substantif dolor. Les travaux de F. Dupont 133 ont analysé la structuration des tragédies de Sénèque, composées selon les trois axes dolor, furor et nefas, et le concept de dolor a déjà fait l’objet d’une attention particulière des spécialistes du théâtre latin 134. Toutefois, la spécificité 133 134

  Citons, par exemple, Dupont (1997), Dupont / Letessier (2011).   Par exemple, on peut encore citer Pötscher (1977) et Molero Alcaraz (2006).

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féminine de ce terme très chargé sémantiquement et dramatiquement justifie une relecture de ses occurrences dans le corpus, cette fois sous le prisme de l’opposition masculin vs féminin. Sans vouloir refaire le travail de nos prédécesseurs, l’histogramme de la distribution du lemme dolor entre tous les personnages 135 est un bon outil de visualisation des données lorsqu’on est confronté à un grand nombre de textes différents.

Figure 4 : Histogramme de la distribution du lemme dolor entre les 71 personnages de la base Personnages

Les écarts par rapport à la moyenne apportent quelques indications intéressantes. Par exemple, l’on retrouve nettement les paires de personnages où le dolor fonctionne comme un opérateur du tragique  : Clytemnestre et la nourrice dans l’Agamemnon, Déjanire et la nourrice dans l’Hercule sur l’Œta, Médée et la nourrice, et enfin Atrée et le courtisan. Le rôle de ce dernier a d’ailleurs été mis en parallèle par F. Dupont avec celui des nourrices des autres tragédies  : Cette rupture se réalise lors d’un affrontement l’opposant à un autre personnage qui actualise pour lui les règles de l’humanité, touchant aussi bien à la prudence qu’à la morale. Ce type de scène qu’on appelle couramment “domina-nutrix” se situe après un monologue douloureux-furieux. On la retrouve dans Thyeste entre Atrée et le courtisan… 136   Ce calcul est produit sur la base Personnages.   Sur le rôle du courtisan en parallèle non plus avec les nourrices des autres tragédies, mais bien avec les autres personnages du Thyeste, voir Schiesaro (2003), p. 46-55 et plus particulièrement p. 47  : «  The whole tragedy thus hinges on the antithesis of two sets of functionally similar characters  : on the one hand, the Fury, Atreus and Tantalus, 135

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Junon se détache aussi du graphique, en accord avec sa position de passion dans l’Hercule Furieux, où elle initie le furor d’Hercule. Les femmes sont présentées comme de meilleurs «  réceptacles  », comme des sujets plus sensibles aux émotions, dont la nocive «  douleur tragique  » abordée ici. Toutefois, contrairement aux trois mots précédents (miser, misereor et perpetior), dolor ne participe pas à la tonalité plaintive des propos féminins. Au contraire, les femmes ont besoin de répéter le nom pour prendre conscience du sentiment qui les saisit. Dire le dolor est d’abord un moyen de comprendre le mal, de l’identifier. En second lieu, la répétition du nom lui permet de devenir opérant chez les locutrices, jusqu’à se transformer en furor. Serait-ce une forme de performativité, à rapprocher de celle décrite pour les noms propres 137  ? Prononcer le dolor sur scène le rend-il plus sensible pour ces héroïnes  ? C’est par son expression que le dolor va pouvoir se réaliser pour atteindre le furor. À l’opposé de la pitié, il est question d’une force qui pousse à l’action, et non aux lamentations  : [Phaed.]  Quis me dolori reddit atque aestus graues reponit animo ? Quam bene excideram mihi ! [Phèd.]  Qui ramène en moi la douleur et qui provoque en mon âme de graves agitations  ? Comme c’était bien d’être repliée sur moi-même  ! (Phèd., 589-590)

Phèdre décrit les émotions qui l’animent et la manière dont la douleur, provoquée par son amour pour Hippolyte, met son âme en mouvement, ce qui va à l’encontre de son attitude avant que se manifestent les sentiments amoureux. Toutefois, le terme dolor ne s’intègre pas dans tous les cas dans le schéma dramatique tripartite «  dolor, furor, nefas  ». Il peut aussi revêtir son sens premier de «  douleur  », au lieu de prendre la forme plus conceptuelle rappelée ci-dessus. Il est ainsi moins attendu de trouver, parmi les meilleurs résultats, Ulysse et Alcmène. Le premier présente une fréquence du lemme supérieure à la moyenne, tandis que la seconde dépasse le seuil statistique des 5 %. Ulysse, lorsqu’il utilise dolor (3 occurrences), ne parle pas d’une émotion personnelle et le cadre discursif est différent du précédent. Le prince utilise le terme pour structurer son argumentation face à Andromaque, au sujet du sacrifice d’Astyanax. À chaque fois, il est question du dolor de la princesse. En premier lieu, Ulysse, en bon orateur, essaie de montrer à Andromaque comment accepter la mort de son fils. Il met en avant un processus de rationalisation des raisons qui justifient cette décision (v. 545-555). Ensuite, après cette première approche intellectuelle de la nécessité de mourir et devant le refus de la mère de coopérer, il décide d’augmenter la pression psychologique à l’encontre de son interlocutrice. Il a alors recours à des menaces, cette fois physiques on the other, Tantalus’ shadow, the satelles and Thyestes. The two groups possess different degrees of textual knowledge and stand in different positions vis-à-vis the meta­dramatic aspects of the play  ». Voir aussi Dupont (1995), p. 172-173. 137   Cf. I.4.2.

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(v.  578-581  : uerberibus, igni, morte, cruciatu et aussi dolor), sur la personne d’Andromaque, puis sur le tombeau d’Hector. Finalement, après avoir découvert le jeune prince sous la tombe de son père, Ulysse tente d’encadrer les effusions de sentiments d’Andromaque. [Vly.]  //Rumpe iam fletus, parens : magnus sibi ipse non facit finem dolor. [Uly.]  Cesse désormais ton chagrin, parent  : une grande douleur ne se termine pas d’elle-même. (Troy. 785-786)

Par la triple utilisation de dolor, Ulysse tente de manipuler les émotions d’Andromaque pour l’amener à se soumettre à sa volonté. Il suit un schéma argumentatif construit selon une structure traditionnelle en trois parties  : raison (Astyanax doit mourir pour la communauté) – émotion (peur de souffrir) – retour à la raison (après une période de chagrin, il faut y mettre un terme). Pour arriver à ses fins, le Grec maîtrise son discours et surtout les émotions qu’il peut provoquer par la parole chez son interlocutrice. Ce n’est donc pas sans raison qu’il fait appel à ce sentiment devant Andromaque, qu’il sait réceptive à ce type d’argument émotionnel. Dans le discours d’Alcmène, sept occurrences sont à relever 138. Dans l’Hercule sur l’Œta, la mère d’Hercule ne fait référence qu’une seule fois à sa propre douleur de mère en deuil (v. 1854) et une fois à la rancœur de Junon (v. 1792). En revanche, dans les cinq autres contextes, Alcmène se soucie de la souffrance de son fils, torturé par les flammes. Le cadre est donc différent de celui décrit pour Ulysse. En effet, il n’est plus ici question de manipulation, mais bien de l’expression de l’empathie d’une mère pour son enfant  : [Alcm.]  //Si mihi gnatum inclutum miserae negastis, uindicem saltem precor seruate terris. Abeat excussus dolor corpusque uires reparet Herculeum suas. [Alcm.]  Si, à moi qui suis malheureuse, vous refusez un illustre fils, sauvez au moins, je vous en prie, pour la terre son protecteur. Puisse la douleur le quitter après avoir été expulsée, et que le corps d’Hercule puisse recouvrer ses forces. (Herc. Œt., 1415-1418)

Cette dernière utilisation renvoie les auditeurs à l’image traditionnelle de la mère qui souffre davantage de la douleur de son fils que de la sienne propre. Cette image était déjà présente chez Euripide dans une réplique du chœur des femmes de Calchis de l’Iphigénie à Aulis (Eur., Iph. Aul., 917-918). Elles insistent en effet sur la souffrance d’une mère devant les malheurs de ses enfants pour soutenir l’appel à l’aide de Clytemnestre à Achille pour sauver sa fille, Iphigénie. En résumé, le dolor a deux principales utilisations, toujours en lien avec la féminité  : il peut désigner cette émotion puissante qui pousse les héroïnes au 138

 Cf. Herc. Œt., 1403, 1407, 1413, 1417, 1429, 1792 et 1854.

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CHAPITRE II

furor (dolor – furor – nefas), ainsi que la peine ressentie dans l’adversité. Dans les deux cas, il est l’indice d’une sensibilité particulière des personnages féminins pour l’émotion, qu’elles la vivent directement (Médée, Déjanire ou Clytemnestre), ou qu’elles la partagent avec le proche qui souffre (Alcmène). Ainsi, même si dolor n’exprime pas directement, comme les termes précédents, une forme de lamentation, il montre avec eux une émotivité tout à fait spécifique aux personnages féminins. II.6.3.  L’amour L’émotivité plus présente dans le discours des héroïnes ne se limite pas au vocabulaire à tonalité négative. Trois lemmes se dégagent des spécificités des héroïnes autour d’une émotion centrale dans la tragédie  : l’amour au travers du substantif amor (+ 3,5), du verbe amo (+ 2,8) et du nom propre Amor 139, soit au total 79 occurrences. Pour une raison thématique, certains personnages ont une affinité avec l’un ou plusieurs des trois mots, comme Phèdre ou Déjanire. Mais, de manière générale, les termes sont répartis dans plusieurs rôles et dans des pièces différentes. Qu’il s’agisse du verbe ou du nom commun, il n’est pas toujours question de sentiment amoureux. Commençons par le seul cas où amo 140 est utilisé dans le cadre d’une affection entre deux amis, à la fin de l’Hercule Furieux, dans l’échange entre Hercule et Thésée : [Herc.]  //sceleris alieni arbiter amas nocentes// [Herc.]  Témoin des méfaits d’un autre, tu as de l’amitié pour les coupables. (Herc. Fur., 1336-1337)

La pièce finit ainsi avec une note d’espoir, puisque le compagnon du héros accueille ce dernier à Athènes après son terrible crime. Ensuite, le verbe et le substantif peuvent désigner l’attachement filial entre parents et enfants, et inversement. Plusieurs exemples de cet usage se rencontrent  : Troy., 589 (amor…paruis liberis  : «  l’amour envers les jeunes enfants  ») et Méd., 549 (sic natos amat ?  : «  c’est ainsi qu’il aime ses enfants  ?  »). En dehors de ces deux exemples, l’émotion est principalement abordée sous l’angle de ses dérèglements avec le mythe d’Œdipe. Dans le sens de l’affection parentale, une seule occurrence d’amo apparaît dans l’Œdipe  : [Cr.]  //maximum Thebis scelus maternus amor est.// [Cr.]  Le plus grand crime de Thèbes est l’amour d’une mère. (Œd., 629-630) 139   Le nom propre Amor n’est pas techniquement spécifique au discours des personnages féminins, mais il est utilisé à quatre reprises par des héroïnes et deux fois par des nourrices, contre seulement deux dans le chœur de Phèdre. 140   OLD (2012), s.v. «  amo  », p.  132.



DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES127

Créon rapporte à Œdipe les paroles de Laïos, consulté dans le célèbre épisode de nécromancie (v. 530-658), seul moment de cette tragédie où des mots sont posés sur le crime d’Œdipe. Pourtant, comme toute parole de type oraculaire, le message délivré par le fantôme du roi est ambivalent. En effet, le terme amor est utilisé à la fois dans le cadre amoureux et dans le contexte familial. En plus, le maternus amor peut désigner soit l’amour maternel (adjectif subjectif), soit l’amour envers une mère (adjectif objectif). Il y a donc une confusion sur la nature du sentiment évoqué par Laïos. Dès lors, même si Œdipe ne comprend pas l’avertissement de son père, la souillure est effective dans les deux sens, puisque l’inceste pollue à la fois le sentiment de la mère (amour charnel envers son fils), mais aussi, celui de son fils (amour charnel vis-à-vis de sa mère). L’ambiguïté autour du sentiment amour/affection persiste dans la seconde pièce consacrée au cycle œdipien, Les Phéniciennes, postérieure dans la chronologie du mythe. Elle y est même renforcée, lorsqu’Œdipe s’adresse à sa fille Antigone. Le crime est désormais connu des intervenants et l’incertitude est levée sur la nature de la relation Œdipe-Jocaste, lorsqu’Œdipe prononce l’expression, matrem amaui (v. 262  : «  j’ai aimé ma mère  »). Dans le même contexte, des noms au sens univoque ne laissent plus de place au doute  : hymenaeum, «  hyménée  », et taedas nostras, «  nos torches nuptiales  ». En revanche, le couple amor/amo semble désormais entaché de suspicions sur sa nature profonde. Profondément meurtri, Œdipe s’inquiète de l’affection que lui porte Antigone, pestifero amore uinctum (v. 39  : «  enchaîné par ton amour funeste  ») 141, et rejette toute capacité d’éprouver des sentiments d’affection père-fille selon la norme et les valeurs de sa société (v. 295 et 330). Plus précisément, dans les vers 313-319, l’expression même d’Œdipe est pervertie car, comme le remarque M. Frank dans son édition commentée des Phéniciennes  : Seneca employs a convention of love poetry – the lover offering to undergo great ordeals as proof of his devotion to his beloved. His application of this topos to a father-daughter relationship is more than a literary parody  : in the context of Oedipus’ unnatural family relationships, it is subtly suggestive. 142

Il en va de même pour Jocaste, qui ne peut désormais plus éprouver d’amour filial sans une certaine forme de perversion, puisque le destin a fait de ses fils ses propres ennemis  : [Ioc.]  //Hoc quoque etiamnunc leue est : peperi nocentes. Derat aerumnis meis, ut et hostem amarem.// [Joc.]  C’est encore trop léger  : j’ai enfanté des coupables. Il manquait à mes malheurs que je puisse même aimer un ennemi. (Phén., 368-370) 141   Cette suspicion a aussi été émise dans d’autres passages de la tragédie, comme aux vers 46-50 avec l’opposition entre uirgo et mater. Voir Frank (éd.) (1995), p. 93-94. 142   Frank (éd.) (1995), p. 161.

128

CHAPITRE II

Par le terme hostis, la reine désigne Polynice. Mais le fait d’aimer cet ennemi (amarem) la rend hostile à son second fils, Étéocle, selon les traditions morales de l’Antiquité 143. Lequel choisira-t-elle de soutenir  ? L’amour amène donc les acteurs du mythe dans une impasse émotionnelle et morale qu’il leur est impossible de surmonter. Il devient à ce point un poison dans la famille des Labdacides que les enfants eux-mêmes ont un rapport altéré avec ce sentiment. Par exemple, Étéocle cherche à exclure de son exercice du pouvoir (v. 654-659) toute forme d’amour à l’encontre de son frère. P. Paré‑Rey identifie cette position politique et la compare à celle d’un autre tyran de la tragédie, Lycus de l’Agamemnon  : Lycus et Étéocle sont les deux personnages qui énoncent clairement le même principe de gouvernement par la terreur et par la force. Odium et regnum sont liés indissolublement, alors qu’amor est exclu définitivement. 144

L’amor dépasse le cadre familial et intervient en tant que concept politique. Il peut être associé à la figure du tyran qui traverse l’œuvre tragique de Sénèque avec des caractéristiques propres 145. Dans le Thyeste, le couple amor/amo se rencontre pour qualifier l’affection entre les deux frères  : amat Thyesten frater ? (v. 476  : «  mon frère aime Thyeste  ?  »). Comme dans le cycle œdipien 146, l’émotion est pervertie dès le début de la pièce, mais cette fois, par une force externe personnifiée. Celle-ci se présente dans les personnages de la Furie et du fantôme de Tantale, qui ­s’associent contre les autres personnages de l’action. Au lieu d’exhorter ses descendants à la réconciliation, le second les invite à se complaire dans les peines (v.  82  : amate poenas). En réponse, la Furie renchérit en envoyant l’ombre de Tantale semer la discorde à Mycènes  : [Fvr.]  //Ante perturba domum inferque tecum proelia et ferri malum regibus amorem, concute insano ferum pectus tumultu. [Fur.]  Avant, perturbe leur maison et apporte avec toi à ces rois la guerre et l’amour infect du glaive, secoue leur cœur sauvage d’une agitation malsaine. (Thy., 83-86)

143

225.

  Frank (éd.) (1995), p. 179, Mader (2010), p. 305-307, Ginsberg (2015), p. 222-

  Paré‑Rey (2012), p. 111.   Sur l’image du tyran chez Sénèque, voir Malaspina (2009) et plus largement dans l’historiographie latine, voir Dunkle (1971). 146   Dans l’Œdipe, la force extérieure qui pousse Œdipe vers son destin n’est pas personnifiée, Davis (1991). 144 145

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES129



Le piège d’Atrée fonctionne et son neveu, Tantale, croit à une issue positive. Il pense que la fraternité est la base d’un iustus amor (v.  475  : «  un juste amour  ») et que, sur ce fondement moral et familial, peut se reconstruire une relation de confiance. Pourtant, le roi met son plan à exécution pour assouvir sa vengeance. Après avoir dévoré ses enfants, Thyeste prend conscience du méfait commis involontairement. Comme Médée se réalise par le meurtre de ses fils 147, il accomplit le destin que lui a souhaité l’ombre de Tantale dans le prologue. Le dialogue entre la Furie et le fantôme de Tantale, qui préfigure la suite de l’action, fonctionne comme un procédé de dramatisation externe 148  : Tantale «  prononce  » et Thyeste «  réalise  » l’action tragique. Ainsi, à la formule amate poenas (v. 82  : «  aime les peines  ») lancée en début de pièce par le premier comme une malédiction, le second répond à la fin de l’action  : [Thy.]  Maeror lacrimas amat assuetas [Thy.]  Le chagrin aime les larmes auxquelles il s’est habitué. (Thy., 952)

Par l’accomplissement du crime, Thyeste devient le personnage voulu initialement par Tantale. Ce procédé est mis en évidence par le parallèle entre les deux répliques citées, amate poenas (v. 82) et lacrimas amat (v. 952). Ainsi le Thyeste et l’Œdipe mettent en scène les conséquences de la perversion de l’amor par les membres d’une famille rongée par un passé trouble  : l’adultère pour l’un et l’inceste pour l’autre. Enfin, le trio amor/Amor/amo concerne le sentiment amoureux dans les pièces de Phèdre, Médée, l’Hercule sur l’Œta et Agamemnon. Dans les quatre pièces, l’amour est vécu comme un exercice douloureux  : l’héroïne est repoussée par la personne qu’elle aime, soit parce que cette dernière en aime une autre (Jason, Hercule et Agamemnon), soit parce qu’elle refuse l’amour (Hippolyte). Dans l’Hercule sur l’Œta, cet amour blessé devient une obsession pour Déjanire. Elle considère qu’il risque de lui faire perdre son statut d’épouse, car elle associe les deux. Sur l’ensemble de son rôle, elle n’utilise pas moins de six fois amo, sept fois amor et Amor à deux reprises 149. La reine semble uniquement concernée par les sentiments d’Hercule, parce qu’ils ne lui sont plus adressés. En mettant l’accent sur la conquête de son époux, elle indique indirectement sa propre souffrance. Alors que l’esclave est ramenée de force, le rejet par Hercule de Déjanire devient pour elle un sujet obsessionnel qui transparaît dans son discours. La répétition du terme en devient presque grotesque,

  Sur les vers 171 (Medea fiam : «  Médée, je le deviendrai  ») et 910 (Medea nunc sum : «  Médée, maintenant je le suis  »), voir les travaux de Galimberti Biffino (1996, 2000 et 2001). 148   À l’inverse du procédé de self-dramatisation observé chez Médée  : Curley (2013), p. 228-229. 149  Voir Herc. Œt., 474 et 580. 147

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CHAPITRE II

comme dans l’extrait suivant où la reine se demande pourquoi Hercule est tombé sous le charme d’Iole  : [Dei.]  Fortuna amorem peior inflammat magis : amat uel ipsum quod caret patrio lare, quod nudus auro crinis et gemma iacet, ipsas misericors forsan aerumnas amat ; hoc usitatum est Herculi : captas amat. [Déj.]  Son triste sort a encore plus enflammé son amour  : il l’aime, ou bien parce qu’elle n’a plus de foyer paternel, ou bien parce que sa chevelure reste sans dorure ni pierres précieuses, peut-être, sensible, aime-t-il ses malheurs eux-mêmes  ; c’est habituel pour Hercule  : les captives, il les aime. (Herc. Œt., 358-362)

En cinq vers, Déjanire emploie une fois amor et trois fois amo qu’elle met en évidence par ses places initiale et finales dans les lignes 2, 4 et 5. La répétition a pour but de reproduire l’émotion dans le discours d’un amant abandonné. Déjanire parle au moyen de phrases courtes ou entrecoupées de ponctuations qui reflètent la précipitation et la fragilité de sa pensée. Un effort de réalisme est présent dans la mise en scène de l’émotion. En caractérisant ainsi les répliques de l’épouse d’Hercule, Sénèque s’intègre dans la tradition des poetae noui, qui furent les premiers auteurs latins à décrire et à utiliser comme matériau littéraire les sentiments intimes liés à l’amour 150. Bien qu’il s’agisse de poètes masculins, ils mettent en vers chaque facette du désir. À leur suite, Ovide traite de l’amour dans les Amores ou l’Ars Amatoria, et présente, comme Sénèque, des femmes sous l’emprise de l’amour dans ses Héroïdes. Dans son édition des lettres d’Ovide, D. Robert note un commentaire qui pourrait s’appliquer à la Déjanire de Sénèque  : Quant aux femmes délaissées, trahies, abandonnées, toutes victimes de l’inconstance masculine, elles sombrent dans le désespoir le plus profond et, suivant leur personnalité, passent de la soumission à la révolte, des menaces aux supplications […] leur main est défaillante, les larmes coulent sur les mots qu’elles tracent, leur faiblesse est extrême, leur désarroi total. 151

Le procédé de répétition de l’amor, utilisé par Déjanire dans la réplique de Sénèque est comparable avec celui proposé dans l’Héroïde IX, Déjanire à Hercule, v. 49-55. Même si la Déjanire de Sénèque ne fait pas une liste avec les mêmes éléments que celle d’Ovide (charmes d’Iole contre le nombre de maîtresses d’Hercule), les deux textes, l’un joué sur scène, l’autre écrit, développent un même effet d’accumulation pour reproduire le désespoir de la reine. Au sein de l’Hercule sur l’Œta, nous avions mis en évidence une exagération dans l’expression de l’émotion 152. Elle intervenait dans la tonalité plaintive   Citons, à titre d’exemple, Veyne (1983) ou encore Laigneau (1999).   Robert (éd.) (2006), p. 20. 152   Cf. II.6.2. 150 151



DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES131

d’Iole qui contrastait avec la haine démesurée de Déjanire, dans un but de ­dramatisation de l’action. Un processus similaire serait en application dans le discours de Déjanire, mais en opposition, cette fois, non plus avec Iole, mais avec Hercule et Hyllus. En effet, la surreprésentation de l’émotion dans le ­discours de l’épouse abandonnée tranche avec son absence totale, en dehors de la nourrice, chez les autres personnages  ; à l’exception des deux femmes, personne ne tient compte des sentiments des deux époux, éléments pourtant déclencheurs des événements de la tragédie. Alors que l’amor est mis en évidence dans les propos de Déjanire par une stratégie de «  leitmotiv  » 153, son importance est niée par les autres personnages. L’isolement discursif de la reine met en exergue sa dépendance du bon vouloir d’Hercule et sa fragilité psychologique, qui la mènera au suicide (v. 1023-1024). Le constat est similaire dans Phèdre, même si la thématique y est différente. Alors qu’il était question d’un amour perdu chez Déjanire, il s’agit d’une passion naissante chez Phèdre, délaissée par son époux. Une nuance apparaît également dans le traitement poétique du désir chez la Crétoise. Dans Phèdre, Sénèque a choisi de mettre en scène une femme qui, dans l’échange avec sa nourrice, procède, d’une certaine manière, à un examen réflexif 154 de son sentiment intérieur. H. M. Roisman a commenté ce processus dans son étude sur la femme chez Sénèque  : He introduces his Phaedra directly, without any preamble that would cue the audience to regard her as anything other than what she seems. He shows her speaking of her feelings half to herself, half to the Nurse, without any of the histrionic madness that her predecessor feigns and without any pretense of being unwilling to divulge her love. 155

Dès le départ, Phèdre s’inquiète de ses sentiments avec une répétition spécifique de amor et amo. Elle les perçoit comme une menace et une maladie (malum, «  le malheur  », toruus, «  menaçant  », adulter, «  adultère  », nefandus, «  abominable  », nefas, «  sacrilège  »). Dans sa démarche semi-intérieure, elle remarque qu’elle est en train de rejeter, plus ou moins consciemment, tous les niveaux de la société humaine à laquelle elle appartient. Ainsi, elle ne s’occupe plus ni de la gestion domestique de sa maison, Palladis telae uacant (v.  103  : «  les métiers à tisser de Pallas sont inoccupés  ») 156, ni de ses obligations religieuses, non colere donis templa uotiuis libet (v. 105  : «  il ne me plaît pas d’honorer les temples de mes offrandes votives  »), ou encore sociales, en ne 153   La répétition marque à la fois l’importance du sujet pour Déjanire mais aussi la fragilité du personnage. 154   Brandt (1986), p. 19. 155   Roisman (2005), p. 75. 156   Sur l’importance du tissage et de sa représentation symbolique dans la société gréco-romaine, voir Gourevitch / Raepsaet‑Charlier (2001), p. 183-204, D’Ambra (2007), p. 59.

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CHAPITRE II

participant plus aux Atthidum mixtam choris (v. 106  : «  mêlée aux chœurs des Athéniennes  ») 157. En s’excluant de la société humaine, elle se rapproche du monde sauvage, qui lui est pourtant étranger. Avec Aetnaeo antro (v. 102  : «  la caverne de l’Etna  »), elle pressent le basculement qui se joue en elle d’un univers civilisé dont elle est le centre 158 vers un inconnu bestial, excitatas feras (v.  110  : «  les fauves excités  ») qui lui échappe. L’élément déclencheur de la métamorphose psychologique et discursive se trouve dans ses sentiments envers Hippolyte, ce qui explique la forte présence de son nom dans son discours. Dès le début, Phèdre est lucide sur la passion qui la tourmente, contrairement à l’avis de H. M. Roisman 159. De plus, dès le départ, cette forme d’amour est lexicalement contextualisée en marge des conventions humaines  : [Phaed.]  Quo tendis, anime ? Quid furens saltus amas ? Fatale miserae matris agnosco malum : peccare noster nouit in siluis amor. [Phèd.]  Vers où te tends-tu, mon âme  ? Pourquoi, folle, tombes-tu amoureuse des bois  ? Le mal fatal de ma misérable mère, je le reconnais  : c’est dans les bois que notre amour a appris à commettre ses méfaits. (Phèd., 112-114)

Les deux premières occurrences d’amor/amo de la tragédie sont associées avec le monde sauvage (saltus et siluis) et mises en évidence par leur place en fin de ligne. Phèdre met peu à peu des mots sur ce sentiment qui échappe aux conventions sociales et arrive à la conclusion que seule la mort peut la délivrer de la passion amoureuse qui la ravage (v. 1183-1190). Il faut remarquer aussi l’évolution de l’utilisation du terme amor, au moment où elle s’adresse à ses interlocuteurs  : d’abord avec la nourrice et ensuite avec Hippolyte. L’héroïne commence par évoquer ses sentiments comme une partie d’elle-même, comme une maladie qui la ronge. Elle introduit donc la problématique en parlant en «  tu  » quand elle s’adresse à elle-même, en présence de la nourrice (v.  112  : «  amas  »), ou en «  je  », lorsqu’elle s’entretient avec Hippolyte (v.  595  : «  pudor  » ou v.  596  : «  amauimus  »). Ensuite, lorsque ceux-ci montrent une résistance, Phèdre présente l’amour comme une force indépendante et extérieure. Elle ne fait plus seulement appel au sentiment en lui-même, mais aussi à sa forme divinisée 160  : [Phaed.]  Amoris in me maximum regnum puto reditusque nullos metuo.//   Gazich (2000b), p. 122-124.   Phèdre est en effet la reine d’Athènes, symbole, même à Rome, de culture et de civilisation. 159   Roisman (2000), p. 75  : «  It is only after the Nurse has put her “pain” and “worries” into the realm of purity of thought and passion that Phaedra starts to refer to her passion as furor (178)  ». 160   Pour l’échange avec Hippolyte, voir v. 634. 157 158

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES133



[Phèd.]  Je suis soumise au règne le plus puissant, celui de l’Amour, et je ne crains aucun retour. (Phèd., 218-219)

De cette manière, Phèdre personnalise l’émotion qui l’occupe pour s’en distancier autant que possible. Ainsi, même si elle est consciente de sa responsabilité, elle n’hésite pas à faire appel à une entité supérieure pour justifier les sentiments qui la préoccupent. Comme dans l’Hercule sur l’Œta, alors que l’amor est le thème central de la tragédie et qu’il prend presque part 161 à l’action dramatique, seules Phèdre et la nourrice l’utilisent à profusion, à l’opposé des autres personnages. Dans le discours de Thésée, il n’apparaît pas une seule fois, alors que le héros est descendu aux enfers pour une histoire d’amour et qu’à son retour, il a perdu fils et épouse. De même, Hippolyte ne l’utilise qu’à une seule reprise, au moment où il tente de comprendre le message de sa belle-mère et l’interprète alors comme une déclaration d’amour envers son père, amore Thesei (v.  645  : «  l’amour pour Thèsée  »). Ainsi, c’est sur la nature des sentiments de la reine qu’il s’interroge, sans jamais évoquer ses propres émotions. L’unique occurrence du verbe amo apparaît chez le jeune homme pour marquer son appartenance au monde primitif, dans sa première réponse à la nourrice, siluas amat (v. 485  : «  il aime les forêts  »). De cette manière, il se positionne directement en marge de la société civilisée, dont il pourrait être le représentant, en tant que fils de Thésée 162. Amo est même mis en évidence par sa position à la fin de sa première phrase. Le jeune homme ne fait qu’une seule allusion à ses désirs, qui sont liés à la vie sauvage vers laquelle Phèdre commence aussi à tendre (v. 112-114). Seuls les deux personnages féminins de la pièce sont donc concernés par la problématique de l’amour. À l’opposé, Hippolyte ne semble pas seulement étranger à l’émotion en question, il s’oppose avec férocité à tout sentiment amoureux de Phèdre ou des autres femmes, detestor omnis (v.  566  : «  je les maudis toutes  »). La répétition de amor et amo caractérise donc uniquement les discours de deux femmes, à la fois pour montrer le sujet principal de leurs préoccupations en contraste avec Hippolyte, mais, aussi et surtout, pour dramatiser les prises de parole de Phèdre. Chaque occurrence participe au développement émotionnel et intellectuel de la reine jusqu’au climax de la tension dramatique de l’action, où elle révèle enfin ses sentiments à Hippolyte  : [Phaed.]  finem hic dolori faciet aut uitae dies. Miserere amantis. [Phèd.]  Ce jour sera la fin de ma souffrance ou de ma vie. Prends pitié de celle qui t’aime. (Phèd., 670-671)   Voir les cinq occurrences de Amor, sentiment personnalisé  : vers 218, 349, 354, 574 et 634. 162   Fils de Thésée et d’Antiope, une Amazone, Hippolyte a des liens avec le monde sauvage par sa mère et, par son père, avec le monde civilisé dont Thésée est l’un des symboles  : Grimal (2007), s.v.  «  Thésée  », p.  450-455. 161

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CHAPITRE II

Nous rejoignons ainsi les conclusions de R. Gazich, dans un article sur la stratégie de communication dans Phèdre  : Mater soror famula, ancora travestimenti, ancora strategie di tratti indirizzanti e depistanti, fino a che ogni maschera cade, la costruzione elevata a fatica si sfalda, resta solo una donna che vuol essere amata in sé e per sé  : Miserere amantis (v. 671) E sarà tragedia. 163

Avant de clore cette section, examinons le cas de Médée. Bien que l’amour à sens unique constitue à nouveau un thème central dans cette tragédie, il y est traité différemment. Alors que le vocabulaire associé à l’amour était répété par Déjanire (amour d’Hercule et envers le héros) et Phèdre (amour envers Hippolyte) jusqu’à l’obsession, il est utilisé moins fréquemment par Médée 164. Même si la magicienne a encore des sentiments pour son époux 165, chaque occurrence d’amo/amor est mise en parfait parallèle avec la haine et la fureur ressentie. Cet usage est illustré dans l’extrait suivant, qui s’insère dans une réflexion de Médée sur ses sentiments envers Jason  : [Med.]  Si quaeris odio, misera, quem statuas modum : imitare amorem. Regias egone ut faces inulta patiar ?// [Méd.]  Si tu cherches, malheureuse, la mesure à donner à ta haine, calque-la sur ton amour. Vais-je, moi, supporter non vengée les noces royales  ? (Méd., 397-399)

Plus précisément, du vers 136 au vers 897, Médée fait appel au souvenir de son amour pour exciter en elle les sentiments qui la dominent, à savoir la colère et la fureur. Le sentiment amoureux, même s’il est à l’origine de cette haine vengeresse, n’est pas le point central qui occupe Médée, à la différence de Déjanire et de Phèdre. Par ailleurs dans Médée, les autres personnages utilisent très peu amor et amo, même la nourrice. Le sujet n’est donc pas une priorité  : la tension de l’action est concentrée sur la colère de l’héroïne, de sa naissance à son explosion finale. Néanmoins, dans une discussion entre le prince et son épouse sur les responsabilités de chacun, le premier utilise une seule fois amor. La réplique présente aussi la seule occurrence du nom Medea chez Jason 166  : [Ias.]  Medea

amores

obicit ?

[Jas.]  Médée me reproche mes amours  ? (Méd., 496)

Ce vers, simple en apparence, occupe une place importante dans le déroulement de la tragédie.   Gazich (2000b), p. 147.   Deux occurrences de amo (v. 549 et 897) et trois de amor (v. 136, 398 et 416). 165   Ohlander (1989), p. 242. 166   Hine (éd.) (2000), p. 163. 163 164

DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES135



Après que Médée a reproché à Jason sa lâcheté politique (v. 486-489), elle aborde aussi la raison de sa rancœur  : sa répudiation (v. 494-495). À cette remontrance, Jason répond par une nouvelle question. Il préfère utiliser le nom de son épouse et la troisième personne plutôt que la deuxième, plus directe et plus personnelle, comme dans les répliques précédentes (te aux vers 490 et 493). L’on assiste donc à une rupture communicationnelle entre le héros et Médée, au moment où ses amours avec Créuse sont abordées. Pour répliquer à cette attaque sur ses sentiments, Jason choisit de prendre du recul vis-à-vis de son inter­ locutrice, peut-être pour détourner l’attention vers des sujets où sa responsabilité est moins en cause. Cette distance dans les mots lui permet de montrer son détachement par rapport aux choses de l’amour et, donc, à Médée 167. La réplique de Jason est un parfait exemple de l’utilisation différente d’amor/ amo entre les héros masculins et féminins. Elle montre par sa rareté (pas une seule occurrence chez Hyllus et Hercule ou encore chez Hippolyte et Thésée) et par sa particularité à quel point les hommes ne se sentent pas concernés par le sentiment amoureux qui devrait les attacher à leurs épouses. À l’inverse, ces dernières sont sous son emprise, au point que cela transparaît lexicalement dans leur discours. Tandis que chez Déjanire et Phèdre, la répétition du terme révèle une certaine fragilité émotionnelle, Médée utilise, au contraire, le souvenir de ce qu’elle a ressenti pour Jason pour nourrir son ressentiment nécessaire à la vengeance. Alors que les héroïnes sur-utilisent amor/amo, leurs homologues masculins n’évoquent jamais leur sentiment amoureux. Nous observons donc un choix délibéré de Sénèque d’associer strictement l’amour entre époux aux discours des héroïnes, avec un traitement littéraire et discursif plus ou moins différent pour chacune d’elles. À ce stade, la question de savoir pourquoi le poète a différencié l’usage de amor/amo entre les personnages de sexe opposé se pose, question à laquelle il est difficile de proposer une réponse catégorique. Comme observé dans l’étude du vocabulaire négatif, les occurrences des termes indiquent que les héroïnes ont une sensibilité plus prononcée pour les émotions que les hommes qui partagent leur vie. En dehors du cadre théâtral, dans la civilisation romaine, l’émotivité était l’une des caractéristiques relevant de la description stéréotypée des femmes. Il était reconnu par les anciens que la femme était plus sujette aux émotions que l’homme, naturellement plus enclin à la maîtrise de soi 168. Cette idée est illustrée dans la prose de Sénèque, par exemple, dans le passage du De Const., XIV, 1 déjà cité. Par ailleurs, rappelons que l’amor, en tant que sentiment amoureux, n’était pas dans la civilisation gréco-romaine un impératif du mariage. Au contraire,  Pour Ohlander (1989), p. 243-245, Jason évite d’expliquer son remariage pour éviter de mettre ses enfants en danger. 168   Sur ces représentations, voir Fögen (2014), p. 87-89, van Mal-Maeder (2003), p. 98 et von Gemünden (1999). 167

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CHAPITRE II

l’amour pouvait être considéré comme une passion dangereuse qu’il était parfois préférable d’éviter 169. La question de l’amour était presque complètement exclue de l’union matrimoniale, qui relevait de l’union de deux familles plutôt que de deux individus 170. À la place, le concept de concordia, décrit entre autres par S. Treggiari, lui était préféré  : «  An ideal marriage was ensured by harmony, concordia, or even identified with it. Concord was the result of a balance of forces, and it took two to produce it.  » 171 La concordia est très différente de l’amor, a fortiori de type sénéquéen. Il s’agit presque d’une démarche réfléchie par les deux acteurs du mariage, même si elle garde un lien fort avec l’affect. À l’opposé, l’amor est vécu par les personnages de la tragédie comme une émotion davantage irrationnelle. Comparé à la concordia, l’amor se présente comme une passion brute sans intervention de l’intellect. L’intention de l’auteur était-elle dès lors de représenter des personnages féminins à l’image des stéréotypes en vigueur à Rome, à savoir comme des êtres soumis à leurs pulsions premières, au contraire des personnages masculins plus posés  ? Les occurrences de amor et amo montreraient plutôt que les héroïnes sont plus sensibles aux émotions en opposition avec les héros masculins 172  : non pas parce que ceux-ci font preuve d’absolue rationalité, mais parce qu’ils sont sensibles à d’autres priorités. Par exemple, dans l’Hercule sur l’Œta, Hercule n’a qu’un objectif en tête  : la divinisation. Il n’accorde aucune importance aux réalités du cœur, qui sont pourtant primordiales pour Déjanire. Dans Phèdre, Hippolyte met toute son énergie en œuvre pour quitter la société des hommes et, plus encore, tout sentiment qui l’y attacherait. Finalement, dans Médée, Jason met en avant sa sécurité politique et peut-être aussi celle de ses enfants. Mais dans les trois pièces, les intérêts divergents entre hommes et femmes rendent impossible toute communication. Par conséquent, nous ne sommes pas en présence d’une opposition manichéenne et stéréotypée entre rationalité (hommes) et irrationalité (femmes). En effet, Phèdre est peut-être éprise d’un amour déjouant la raison, mais la haine d’Hippolyte est tout aussi irraisonnée. De même, la peur de Jason vis-à-vis de son beau-père peut paraître déraisonnée devant le processus méthodique de vengeance de Médée. Il s’agit plutôt d’une confrontation qui se construit ou se déconstruit autour d’un axe homme-femme. Mais le discours de la femme présente des caractéristiques permanentes face à celui des hommes, qui varie d’une tragédie à l’autre. 169   Entre autres dans la philosophie stoïcienne, comme présenté dans la synthèse suivante  : Fiasse (1999). 170   Gourevitch / Raepsaet‑Charlier (2001), p. 104-105. 171   Treggiari (1991), p. 251-253. 172   On connaît depuis longtemps le goût de l’opposition pour Sénèque comme figure rhétorique et dramatique  : Marouzeau (1931), Pratt (1963) ou encore dans le Thyeste, Schiesaro (2003), p. 1-7.



DISCOURS ET CATÉGORIES DE PERSONNAGES137

Les héroïnes ne sont pas stigmatisées, puisqu’elles sont aussi coupables que les personnages masculins. En revanche, Sénèque présente un vif intérêt pour l’opposition comme objet d’étude dramatique, surtout lorsqu’elle se joue entre le masculin et le féminin. La collision de différents niveaux de rationalité, attachés à l’un ou l’autre sexe, permet de mettre en scène une intensité émotive inédite. Sur la question précise de l’utilisation de la paire amor/amo, l’auteur semble donc avoir adapté le discours de ses personnages selon leur sexe. D’abord d’un point de vue thématique, les femmes parlent souvent de l’amour, à l’opposé des hommes, qui le nient. Ensuite, d’un point de vue du traitement du thème lui-même, les héroïnes amoureuses présentent une stratégie commune de communication, malgré leur différence de réaction. * *   * En conclusion, deux groupes de lemmes se sont détachés  : un premier consacré à la famille au sens large (mariage, membres de la famille et statut au sein de la domus), et un second lié aux émotions (termes négatifs et les termes de l’amour). Le discours des héroïnes se construit autour des sujets qui les concernent directement. Il est ainsi marqué par les statuts qu’elles occupent au sein de la communauté dans la tragédie (coniux, mater, captiua…) et par les membres de leur entourage (natus, nurus, socer…). Les femmes de Sénèque accordent une importance de premier ordre à ces questions. Par conséquent, elles n’utilisent pas les mêmes termes que les hommes (par exemple, l’adjectif nuptialis n’est jamais utilisé par les personnages masculins) et à d’autres, elles donnent un sens différent. L’étude du nom coniux a souligné comment ce terme prenait un sens différent chez l’un et l’autre sexes (époux et épouse chez les femmes, mais seulement épouse chez les hommes). Enfin, le lexique féminin de la famille met également en lumière les choix thématiques émis par Sénèque. Citons l’exemple de l’homme prisonnier de guerre complètement absent de la tragédie, contrairement au topos de la captive, qui est très présent. Le second volet, le vocabulaire des émotions (négatif et amoureux), a dégagé une tonalité plaintive – qui cherche la pitié – particulière au discours féminin (miser, misereor). Celle-ci correspondait probablement aux idées reçues des anciens sur la manière des femmes de parler. Plus globalement, une inclinaison plus marquée a été mise au jour chez les personnages féminins pour les émotions et leur verbalisation. Elles sont présentées comme des personnages plus attentifs aux souffrances, au point que cette sensibilité imprègne lexicalement leur discours. Leurs interlocuteurs masculins sont conscients de cette particularité et en profitent pour s’imposer. Les occurrences de dolor d’Ulysse devant Andromaque sont de bons exemples. La sensibilité des héroïnes se marque également dans l’expression du sentiment amoureux. Car si l’un et l’autre sexes utilisent de manière similaire amor/amo dans les relations amicales ou familiales,

138

CHAPITRE II

ils n’emploient pas les mêmes mots pour les relations de couples. Cette dimension paraît même absente des discours masculins, alors qu’elle occupe une place de premier ordre dans les répliques féminines. II.7.  Conclusion  :

héros et héroïnes tragiques

En étudiant le vocabulaire spécifique des cinq catégories de personnages, il est apparu qu’en plus des termes différents qui permettaient de mieux comprendre la caractérisation des discours masculins et féminins, une série plus limitée d’entre eux étaient communs. Ils font partie des lemmes les plus fréquents du corpus, comme le verbe sum, «  être  », le possessif meus «  mon, mien  », le personnel ego, «  moi  », ou encore le point. Il s’agit d’éléments usuels que les personnages utilisent abondamment pour marquer leur emprise sur le discours et sur l’action. La dernière de ces quatre spécificités est présente chez les hommes et chez les femmes avec un haut degré de significativité (+ 4,5 chez les premiers et + 4,4 chez les secondes). Même si la ponctuation actuelle pose de nombreuses questions dans les éditions latines et grecques, puisqu’elle était inexistante dans leur version originale, elle peut indiquer un rythme présent dans le texte. Nos résultats démontrent une nette préférence des héros masculins et féminins pour des phrases plus courtes et donc plus nombreuses que chez les nourrices, mais surtout que chez les messagers ou les chœurs 173. Cette caractéristique révèle un discours dont le rythme est plus rapide et par conséquent, plus dynamique et plus direct 174 que celui des trois autres groupes pris en compte. Pour illustrer cette différence, renvoyons à l’Ode 3 du chœur de Phèdre, dont certaines phrases se prolongent sur plus de dix vers (v. 959-970), ou bien aux vers 851 à 857 du chœur des Troyennes, où les signes de ponctuation sont rares. L’utilisation du point peut aussi être comparée à celle des pronoms possessif, meus, et personnel, ego. Ces éléments sont liés à la présence, dans ces rôles, de parties dialoguées plus nombreuses, comme démontré précédemment (cf. I.3.). Dès lors, si des spécificités lexicales font partie de ces deux ensembles, ces derniers s’opposent statistiquement au reste du corpus, à savoir les nourrices, les messagers et les chœurs, comme validé par les analyses arborées sur la distribution des lemmes et des codes grammaticaux appliquée à la base Rôles (Fig. 1 et 2). Les grandes différences de style entre héros masculins et féminins d’un côté, et chœurs, messagers et nourrices de l’autre pourraient dissimuler d’autres particularités.

  Les nourrices ne présentent pas d’usage particulier du point.   Le procédé est connu et utilisé par les auteurs latins  : Chausserie‑Laprée (1969), p. 440-448. 173 174

CHAPITRE III

Héros masculins vs féminins Médée au chœur  : ἀλλ’ οὐ γὰρ αὑτὸς πρὸς σὲ κἄμ’ ἥκει λόγος Euripide, Médée, 252 1

Pour approcher d’éventuelles différences entre personnages masculins et féminins, nous avons constitué une base statistique bipartite, discours féminins réunis ensemble contre discours masculins rassemblés également  : deux entités sont ainsi obtenues pour construire la base Lex_Spec 2. Le fait de ne confronter de la sorte que deux ensembles de textes limite le choix des opérations statistiques disponibles sur Hyperbase 3. Néanmoins, d’autres fonctionnalités offrent des pistes de réponse. Grâce à la base Lex_Spec, il est possible d’interroger le corpus de manière simple, avec des questions du type  : cet élément (lexical ou morphosyntaxique) est-il, d’un point de vue statistique, caractéristique du discours des héros masculins ou féminins  ? Il s’agit ensuite d’analyser les résultats en contexte pour déterminer leur pertinence. Par exemple, la fonction Spécifi‑ cités 4 présente une liste brute de lemmes et une liste de codes grammaticaux spécifiques pour les personnages masculins d’une part et les personnages féminins d’autre part (Annexes III, 1 et III, 2) 5. Comme dans la base Rôles, les éléments sélectionnés par Hyperbase ont un faible degré de spécificité. Le premier lemme chez les héroïnes est toujours coniux (+ 5,8). En revanche, chez les hommes, le pronom personnel ego n’occupe plus la première place de la liste. À la place, caelum, qui était déjà spécifique dans la base Rôles, se place en première position (+ 4). Du côté des codes grammaticaux, les personnages masculins sur-utilisent les substantifs à l’ablatif singulier (+ 3,5), tandis que leurs homologues féminines suremploient les substantifs au vocatif singulier (+ 4). De ces séries de résultats, plusieurs éléments sélectionnés parmi les lemmes et les codes peuvent être   «  Mais à toi et moi ne convient pas le même langage.  »   18775 occurrences chez les personnages féminins contre 24390 chez les personnages masculins. 3   Par exemple, les analyses factorielles ou arborées ne fonctionnent qu’à partir de quatre sous-corpus  : voir Lebart / Salem (1994), p. 81-97. 4   Cf. I.4.1. et II.1. 5   Nous laissons de côté la syntaxe qui n’apporte pas de résultat convaincant, pour nous concentrer sur le lexique et la morphosyntaxe. 1 2

140

CHAPITRE III

mis en parallèle et analysés ensemble pour expliquer un phénomène langagier commun. III.1.  Héros masculins  : un

discours plus descriptif

En premier lieu, les héros masculins présentent moins de particularités que les femmes. Ainsi, les écarts constatés semblent définir les contours d’une caractéristique principale  : les discours masculins seraient plus descriptifs que ceux des héroïnes. En effet, les hommes ont une préférence spécifique pour le cas de l’ablatif, la catégorie des adjectifs, et aussi de manière secondaire la suite figée des catégories «  adjectifs et substantifs  ». III.1.1.  L’ablatif Pour mieux comprendre la spécificité de l’ablatif chez les héros, il convient d’entrer plus dans le détail de la réalité textuelle, grâce à la distribution de ce cas dans la base Personae  :

Figure 1 : Histogramme de la distribution de l’ablatif entre les 38 personnages de la base Personae

Cet histogramme montre les variations de fréquence entre les personnages féminins à gauche (jusque Hel_T) et masculins à droite. Les héros sont plus nombreux à dépasser la moyenne d’utilisation de l’ablatif. De plus, Lycus et Thésée de l’Hercule Furieux, Hyllus de l’Hercule sur l’Œta, Créon de l’Œdipe et Hippolyte sur-emploient statistiquement le cas latin.



HÉROS MASCULINS VS FÉMININS141

La haute spécificité de l’ablatif chez Thésée et Créon s’explique par leur posture de messager. Ils ont besoin de nombreux ablatifs pour construire les circonstances de leur récit. En exemple, citons un extrait de l’intervention de Thésée qui expose à Amphitryon l’épisode de la descente aux enfers  : [Thes.]  Est in recessu Tartari obscuro locus, quem grauibus umbris spissa caligo alligat. A fonte discors manat hinc uno latex. [Thés.]  Il y a un endroit du Tartare, dans un recoin obscur, qu’une dense obscurité enchaîne à des ombres graves. Là, d’une seule source coule un double fluide. (Herc. Fur., 709-711)

Le motif de «  est locus  » (ἔκφρασις τόπου) repris ici était présent chez Homère jusqu’à Virgile (Én., I, 159) 6. Les compléments à l’ablatif sont nombreux (in recessu obscuro ; a fonte uno) et permettent au héros de recréer dans la narration un décor physique et géographique, pour faciliter la visualisation du cadre et des événements chez le public. Hippolyte présente la même caractéristique que ces deux héros. Bien que nous revenions plus en détail sur le rôle du jeune homme dans le chapitre suivant, l’on peut déjà rappeler l’originalité de son intervention, composée de deux parties principales  : un prologue chanté sous la forme d’une monodie anapestique (v. 1-84) 7 et ensuite deux échanges dialogués, l’un avec la nourrice, et le second avec Phèdre. Même si plusieurs interprétations ont été proposées sur la nature des premiers vers de Phèdre 8, il est vrai que leur langue poétique influence l’ensemble du rôle. Ainsi, le prologue prend la forme d’une longue description de chasse nécessitant nombre d’ablatifs qu’il est inutile de citer ici. Même si cette partie chantée semble détachée du reste de l’action dramatique, elle a pourtant une fonction importante, comme le décrit Ch. Segal  : «  it reveals Hippolytus in and through the landscape appropriate to him  » 9. Il n’est pas question pour Hippolyte de rapporter un événement passé, ou bien caché au public, mais plutôt de montrer son univers extérieur (la nature, la chasse, la forêt) de même que sa psychologie intérieure (la pureté, la violence). De cette manière, la partie chantée préfigure l’orientation de la pièce et introduit l’action comme les autres prologues 10. Par ailleurs, la nécessité pour Hippolyte de présenter un environnement qui s’écarte de celui de sa communauté peut 6   Pour une analyse détaillée du passage cité et des parallèles dans la littérature antérieure, voir Fitch (éd.) (1987), p. 304-305 et Billerbeck (éd.) (1999), p. 439-440. 7   Tous les spécialistes ne s’accordent pas sur la nature de cette première scène de la pièce, voir Brasme (2010), p. 1036, n. 5 sur la communication dans Phèdre. 8   Citons les travaux suivants  : Dupont (1991), Garbarino (1980) et Paré‑Rey (2009), p. 76-79. 9   Segal (1986), p. 60. 10   Pour une analyse plus approfondie du rôle des vers 1-84 en tant que prologue, voir Brasme (2010).

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CHAPITRE III

justifier également cette intervention. Aucun autre personnage de Sénèque, et encore moins une femme, n’a besoin d’expliciter le cadre dans lequel il évolue. En effet, les autres intervenants de la tragédie vivent dans les sphères, soit publique de la cité, soit privée de la maison. Ces deux univers sont connus et figurés sur scène par des décors reconnus par le public romain 11. À travers ces trois exemples (Créon, Thésée et Hippolyte), il apparaît qu’un même élément, ici l’ablatif, est utilisé pour un procédé identique, à savoir une description. En revanche, il participe à des effets différents et sert des fonctions dramatiques distinctes. En dehors de ces trois cas particuliers, la sur-utilisation de l’ablatif chez les personnages masculins représente une tendance dont il est compliqué de dessiner les stricts contours. Ces passages de description semblent moins fréquents chez les personnages féminins. En dehors de Mantô, pour qui une proximité avec les messagers a été démontrée précédemment (cf. I.3.), peu de femmes proposent des interventions de type descriptif. L’auteur préfère en effet attribuer aux hommes la fonction de «  rapporteur  ». Le statut de messager était traditionnellement attribué à l’homme dans la tragédie grecque et latine. Ceci s’explique par l’influence de la réalité historique, puisque toutes les fonctions publiques étaient occupées par les hommes. La charge de messager, qui demandait voyages, rencontres, discussions avec des responsables des différentes sphères de la société (privée, politique, religieuse et militaire) 12 et représentations de la communauté, ne dérogeait pas à la règle. Ainsi les nuntii de la tragédie sont des personnages masculins, mais Sénèque va plus loin en associant plus généralement le procédé rhétorique de la description aux hommes. Par exemple, dans un échange entre Hyllus et Déjanire de l’Hercule sur l’Œta (v. 743-841), la mère questionne son fils sur l’empoisonnement d’Hercule. Le jeune homme adopte alors un ton plus descriptif pour construire l’arrière-plan de son récit. Il est intéressant de remarquer le transfert d’Hyllus entre deux sphères initialement séparées  : le monde extérieur où son père est en train de mourir 13 et l’univers familial de la maison. Avant de rejoindre sa mère, le jeune homme devait être auprès de son père, à l’extérieur. Il se trouvait du côté de l’Œta afin de recueillir les dernières réactions d’Hercule. Déjanire relève d’ailleurs l’arrivée de son fils auprès d’elle  : [Dei.]  Natum pauentem cerno et ardenti pede gressus ferentem. Prome quid portes noui. [Déj.]  Je vois mon fils troublé qui s’approche d’une démarche pressée. Dis-moi ce que tu apportes comme nouvelle. (Herc. Œt., 740-741)

11   Les décors et les accessoires présents sur scène participaient à la création d’un univers fictif pour le public. Pour des exemples concrets, voir Beare (1968), p. 178-183. 12   Sur la place du messager dans la civilisation romaine, voir, entre autres, Pérez (1994). 13   Sur l’exclusion de la mort hors de la cité, voir Patterson (2000).

HÉROS MASCULINS VS FÉMININS143



Où se trouve la reine à ce moment de l’action  ? La rencontre se joue soit dans la chambre nuptiale (thalamis meis, v. 717), comme Déjanire le rapporte au chœur, mais ceci est contraire aux conventions littéraires et de représentation. Soit, plus probablement, la reine est sortie à l’entrée du palais 14. En effet, le chœur suggère aux vers 700-702 qu’elle est arrivée vers lui. L’une et l’autre hypothèses se rejoignent, puisque Déjanire n’a pas quitté complétement la sphère privée de la domus, malgré la peur qu’elle ressent. Elle attend donc que son fils revienne vers le domaine privé pour le questionner au sujet de son père. Ceci nous amène à deux remarques. D’abord, les passages narratifs présents chez les personnages masculins sont souvent le fruit d’un transfert entre deux univers distincts, par exemple  : entre Troie et Mycènes dans l’Agamemnon (Eurybate à Clytemnestre) ; entre Delphes et Thèbes dans l’Œdipe (Créon à Œdipe) ; entre les enfers et le monde des vivants dans l’Hercule Furieux (Thésée à Amphitryon) et dans Phèdre  ; entre le palais et la cité dans le Thyeste (le messager au chœur). La frontière est d’abord physique, mais aussi culturelle dans une certaine mesure, puisque les règles ne sont pas identiques entre guerre et vie civile pour l’Agamemnon, entre monde des dieux et des hommes dans l’Hercule Furieux, ou encore entre vie publique et privée dans le Thyeste. Par conséquent, le héros emporte avec lui une connaissance que les autres personnages restés sur place ne possèdent pas. Le déficit de savoir ainsi créé amène ceux-ci à interroger le «  voyageur  » pour leur apprendre ce qu’ils ne connaissent pas. Les récits de messager sont construits selon des principes narratifs figés (cf. I.3.). Déjà évoqués, les cas précis de loci horridi suivent des schémas identiques d’une pièce à l’autre. De plus, les éléments nécessaires à leur création sont présents à chaque fois 15, conformément aux traditions littéraires, pour orienter le public dans l’interprétation de la scène. Mais l’étude de l’ablatif montre que l’ensemble des récits de description, non plus limités aux seuls messagers, s’inscrivent dans un canevas à la fois situationnel, mais aussi discursif. Dans tous les cas, il est question d’une mise en scène d’un transfert entre deux mondes séparés. Dans le texte, l’arrivée sur scène du personnage en transfert est signalée par une phrase du personnage immobile, comme Déjanire et son fils (v. 740-741). L’échange est ensuite initié par une série de questions. Le personnage «  mobile  » change d’univers en rapportant l’expérience vécue dans la sphère antérieure au moyen d’un discours marqué par la narration (vocabulaire et morphosyntaxe).   Sur scène, l’action se joue traditionnellement dans un espace public (une rue ou une place), mais attaché à la sphère privée qui est représentée par le décor d’une maison ou d’un palais. Plusieurs portes marquent physiquement l’interconnexion entre les deux domaines  : Beacham (1991), p. 60-62 et Kugelmeier (2014a). 15   Quatre étapes sont définies  : 1. Le messager refuse de témoigner en raison de l’effroi qu’il éprouve à l’évocation du souvenir. 2. Son interlocuteur l’encourage à poursuivre. 3. Il débute son récit avec précaution. 4. Le locuteur est lui-même apeuré à l’écoute du témoignage. 14

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CHAPITRE III

Ensuite, de ces scènes de narration, il apparaît que les femmes – à l’exception de Mantô 16 – ne sont jamais présentées comme «  opérateurs de transfert  ». Au contraire, dans la plupart des cas, elles sont spécifiquement attachées à la sphère privée. Dans notre exemple, Déjanire reste cloisonnée à son univers domestique, même si elle est le moteur de l’action tragique. Pour cette raison, elle n’assiste pas à la mort d’Hercule. De même, Médée ne quitte pas la maison pour assister aux conséquences de sa vengeance à l’encontre de Créon et de Créuse. C’est le messager qui lui rapporte les événements, comme dans les autres tragédies. Les femmes de Sénèque ne sont donc jamais amenées à quitter leur univers traditionnel, rendant impossible tout transfert de connaissance. De plus, elles ne sont jamais invitées à expliquer à un homme ce qui se passe dans la sphère privée. En d’autres mots, elles ne sont pas en possession d’un savoir inconnu pour un personnage masculin, alors que la configuration inverse existe  : un homme mobile peut apporter une nouvelle à un personnage masculin immobile. Les différentes configurations peuvent être représentées sous la forme d’un tableau  : Personnage mobile

Personnage immobile

Exemples

Messagers

Femmes

Messager aux Troyennes (Troy., 1056-1179)

Hommes

Femmes

Hyllus à Déjanire (Herc. Œt., v. 743-841)

Messagers

Hommes

Messager à Œdipe (Phén., 320-362)

Hommes

Hommes

Thésée à Amphitryon (Herc. Fur., 645-829)

Figure 2 : Configurations des rencontres entre personnages émetteurs et récepteurs dans les scènes dites de transfert

Sénèque ne présente pas un seul personnage féminin en posture de messager, pas même une nourrice. Même si les femmes avaient plus de place dans l’espace public à Rome qu’à Athènes 17 par exemple, la représentation majoritaire les associait à la sphère privée. Mais en adoptant ce schéma qui répond à l’inconscient collectif, Sénèque cherche à éveiller un sentiment de reconnaissance intellectuelle et émotionnelle. Ainsi les familles, et en particulier les mères et les épouses, ont sans doute connu l’attente de nouvelles de l’extérieur  : nouvelles de la guerre (l’Agamemnon ou les Troyennes), nouvelles de proches mourants (l’Hercule sur l’Œta), nouvelles de la situation politique (le Thyeste) ou encore d’un parent parti en voyage (l’Hercule Furieux ou Phèdre).   La jeune fille n’opère aucun transfert, elle est les yeux de Tirésias, le devin aveugle. 17   Sur la place des femmes à Rome, voir, entre autres, Balsdon (1962), p. 45-62 et sur leur influence sur la politique de Rome, voir Bauman (1992). 16

HÉROS MASCULINS VS FÉMININS145



De cette manière, le public s’investit émotionnellement dans l’action grâce à un sentiment d’identification ou de rejet plus ou moins intense. Dans la recherche de variation, l’auteur crée des situations complexes et surtout puissantes d’un point de vue dramatique. De ces contradictions émotionnelles naît l’intensité tragique de la performance. Par exemple  : Clytemnestre est impatiente de savoir si son époux a survécu à la guerre, mais dans le but d’accomplir sa vengeance  ; Déjanire cherche à savoir si son époux est mort du poison qu’elle a elle-même donné  ; Mégare désire le retour de son mari, alors qu’elle résiste aux avances de Lycus. À chaque fois, Sénèque superpose les structures dramatiques dans le but de rendre chaque moment de transfert important, mais aussi intense dans le déroulement de l’action. III.1.2.  L’adjectif Il est pertinent de s’arrêter un moment sur l’utilisation des adjectifs par les héros masculins et féminins 18  :

Figure 3 : Histogramme de la distribution de l’adjectif entre les 38 personnages de la base Personae

L’adjectif connaît une répartition similaire à l’ablatif. Seuls deux personnages féminins le sur-utilisent légèrement, parmi lesquelles Mantô, dont la particularité a déjà été évoquée. Du côté des personnages masculins, Thésée, Créon et Hippolyte sont une nouvelle fois mis en évidence.   Un histogramme très similaire est également obtenu pour la structure syntaxique «  adjectifs-substantifs  ». C’est pourquoi nous ne le reproduisons pas ici. 18

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CHAPITRE III

Les hautes fréquences sont les indices de passages de descriptions qui sont une particularité du discours des hommes. Pour les construire, ces personnages masculins utilisent donc les éléments de la langue qui leur permettent de recréer, par le discours, l’expérience vécue antérieurement. L’extrait suivant est un exemple de cette utilisation de l’adjectif. Il provient du rôle de Créon de l’Œdipe, qui rapporte à Œdipe la consultation de l’oracle delphique  : [Cr.]  Vt sacrata templa Phoebi supplici intraui pede et pias numen precatus rite summisi manus, gemina Parnasi niualis arx trucem fremitum dedit ; [Cr.]  Lorsque je suis entré dans le temple sacré de Phébus d’une démarche suppliante et que, en priant selon le rituel la puissance divine, j’ai levé mes mains pieuses, le double sommet neigeux du Parnasse a émis un grondement sauvage. (Œd., 225-227)

Créon plonge en quelques vers Œdipe, et le public, dans l’univers de Delphes. Dans ce cas précis, le sanctuaire d’Apollon était connu des anciens. La consultation d’oracle à Delphes faisait partie de leurs coutumes religieuses et culturelles 19. Dès lors, le prince décrit le cadre physique (sacrata templa, gemina niualis arx) et sa propre attitude (supplici pede, pias manus) pour expliquer sa démarche, mais probablement aussi pour prouver au roi qu’il a suivi les procédures nécessaires. * *   * La spécificité d’éléments de langue calculée à partir de la base Lex_Spec, ici l’ablatif et l’adjectif, a permis de découvrir une particularité du discours des personnages masculins. Cette spécificité ne se retrouve pas dans le discours de chacun des hommes du corpus tragique, mais elle n’apparaît jamais chez les personnages féminins  ; il s’agit donc d’un élément strictement associé au discours des hommes. Les deux facteurs mis en évidence par la statistique participent à construire des récits de description, pouvant eux-mêmes servir des intérêts dramatiques différents. Ceux-ci se dégagent, par exemple, lorsque sont comparées les interventions d’Eurybate (description du retour de l’armée grecque de Troie) et d’Hippolyte (description d’un environnement différent de la communauté traditionnelle). À l’exception d’Hippolyte, nous avons défini un schéma dramatique et narratif propre aux héros, «  transfert d’un personnage masculin entre deux univers distincts  ». Le passage d’un monde à l’autre confère une connaissance unique  ; l’arrivée du héros mobile est marquée par une réplique du personnage immobile  ; des questions permettent au héros de délivrer son message, sous la forme  Voir Parke / Wormell (1956), p. 283-291 et Pouilloux (1986b).

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HÉROS MASCULINS VS FÉMININS147

d’une narration descriptive. Le schéma est ensuite adapté par des ajouts, des suppressions ou des modifications nécessaires à son intégration dans le déroulement de l’action. Ces récits sont associés aux personnages masculins en raison des codes de représentation de la société romaine et pour répondre aux besoins dramatiques des mythes mis en scène. Ainsi, en présentant les hommes comme des entités mobiles, Sénèque met en relief l’immobilité des personnages féminins attachés à la sphère de la domus. Mais, comme son prédécesseur Euripide, ces héroïnes présentent des caractères très forts, peu conformes à l’idée romaine de la féminité 20. Et cette opposition crée l’intensité tragique chère au précepteur de Néron. III.2.  Héros féminins  : entre demandes et refus III.2.1.  Le mode verbal de l’impératif De manière inattendue, la base bipartite Lex_Spec, fait apparaître que les personnages féminins sur-utilisent largement le mode verbal de l’impératif, mode latin de l’ordre, par rapport aux hommes 21. De plus, selon R. Risselada, qui a étudié l’impératif en latin, «  on stage, intonation and paralinguistic gestures played, of course, an important role  ; however, even without them we are able to interpret the specific value of these directives correctly on the basis of the context  » 22. Il est donc important de comprendre à qui sont destinés ces ordres, comment ils fonctionnent et dans quelle stratégie discursive ils s’intègrent. D’abord, il est possible de réunir les impératifs destinés à soi-même dans le cadre de réflexions intérieures. Dans ce cas, il est principalement question d’autoexhortation pour accomplir une action difficile jusqu’à son terme. Cette catégorie peut être opposée à toutes les autres configurations où l’ordre est adressé à un interlocuteur externe. Le cas des auto-exhortations ne sera pas abordé ici, parce qu’il est relativement limité chez l’un et l’autre sexes (moins de 10 % des impératifs). Lorsqu’on étudie les autres contextes, trois grands schémas de communication se dégagent. Dans les couples locuteur-interlocuteur, indépendamment de l’origine sociale de la personne qui performe l’impératif, l’injonction peut être adressée à des personnes de qualité sociale différente  : inférieure, égale ou supérieure. De plus, ces rapports de force peuvent s’exprimer dans plusieurs contextes  : guerrier (vainqueurs – vaincus), social (serviteurs – maîtres) et familial (parents – enfants). 20   Sur la particularité du traitement des personnages féminins chez Euripide, voir, par exemple, March (1990). 21   Ce résultat est confirmé par le test de Pearson qui calcule un χ2 très significatif de 10,33. 22   Risselada (1993), p. 113.

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CHAPITRE III

En premier lieu, intéressons-nous à l’environnement de guerre des Troyennes. Sans surprise, Andromaque, désormais captive des Grecs, n’est pas écoutée, lorsqu’elle tente de détourner Ulysse de sa recherche d’Astyanax. La princesse utilise le mode de l’ordre à 73 reprises et se positionne, après Médée, comme le rôle qui présente le plus d’impératifs dans la tragédie 23. Cet extrait illustre la posture d’injonction proposée par Andromaque lorsqu’elle s’adresse à Ulysse  : [Andr.]  Gavdete, Atridae, tuque laetifica, ut soles, Refer Pelasgis : Hectoris proles obit. [Andr.]  Réjouissez-vous, fils d’Atrée  ; et toi, comme tu en as l’habitude, rapporte l’heureuse nouvelle aux Pélasges  : la descendance d’Hector a péri. (Troy., 596-597)

En revanche, Ulysse contraint avec subtilité la veuve d’Hector à révéler l’endroit où le jeune prince se cache. Il parvient à ses fins et à celles de l’armée grecque bloquée sur les rivages de Troie. Cette réplique à résonnance solennelle peut illustrer la démarche discursive mesurée du Grec  : Exhibe natum et roga (v. 704  : «  montre l’enfant et ensuite fais ta demande  ») 24. Andromaque ne peut qu’obéir à Ulysse. Néanmoins, en s’adressant à lui en suppliante (supplex), elle obtient un dernier moment pour embrasser son fils  : Breuem moram largire (v. 760  : «  accorde-moi un bref délai  »). L’extrait est un exemple de confrontation entre les membres de deux camps qui se sont affrontés et dont l’issue du combat est fixée. Dans les faits, les rapports entre Ulysse et Andromaque sont régis par une relation de type vainqueur vs vaincu et non masculin vs féminin, qui détermine quel interlocuteur a un pouvoir sur l’autre. En effet, Andromaque n’a aucun moyen de s’opposer à celui qui est désormais son maître et ses tentatives de résistance sont balayées par la menace. Un exemple de rapport de force similaire confirme cette réalité  ; il s’agit de la confrontation de deux femmes. Elle montre la puissance du gagnant d’un conflit militaire, même transposé dans la sphère domestique. La condamnation à mort de Cassandre par Clytemnestre illustre ce rapport de force indifférent au sexe des locuteurs. Non plus sur un champ de bataille, comme dans les Troyennes, mais au sein du palais, la reine a tout pouvoir sur sa nouvelle esclave  : [Cas.]  Nihil moramur, rapite, quin grates ago. Iam, iam iuuat uixisse post Troiam, iuuat. [Cly.]  Furiosa morere. [Cas.] Je ne retiens rien, saisissez-moi, bien mieux, je vous rends grâces  : aujourd’hui désormais, il m’est heureux de vivre après Troie, oui, c’est heureux. [Cly.]  Folle furieuse, meurs  ! (Agam., 1010-1012)

  Par ailleurs, si l’on calcule l’histogramme de la distribution de l’impératif entre les 71 rôles de la base Personnages, Andromaque présente une sur-utilisation très significative de ce mode verbal. 24   Sur le sens juridique et solennel de exhibe, voir Keulen (éd.) (2001), p. 386. 23



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Certains suggèrent même que Clytemnestre poignarde Cassandre sur scène, joignant le geste à la parole 25. Les extraits des Troyennes et de l’Agamemnon montrent à quel point le vainqueur – homme ou femme – s’impose aux perdants d’un conflit armé. Ensuite, beaucoup plus de cas de figure se présentent dans le cadre civil. En premier lieu, il semble qu’une personne de condition inférieure obéisse toujours à un interlocuteur de condition supérieure, peu importe son sexe. Ainsi, Phèdre, sans surprise, commande à ses servantes  : [Phaed.]  Removete, famulae, purpura atque auro inlitas uestes […] [Phèd.]  Retirez, servantes, ces tissus teintés de pourpre et d’or […]  (Phèd., 387388)

La régente Clytemnestre s’impose aussi au messager de l’armée grecque, Eurybate (Agam., 417), et Agamemnon au devin Calchas (Troy., 358-359). Citons encore l’exemple du prologue des Troyennes (v. 1-163). Hécube impose le respect à ses compagnes qui forment le chœur de la pièce. Sénèque élabore un jeu d’ordres et de réponses entre la reine et les autres esclaves  : [Hec.]  Vertite planctus : Priamo uestros fvndite fletus, satis Hector habet. [Ch.]  Accipe, rector Phrygiae, planctus, accipe fletus, bis capte senex. [Héc.]  Tournez vos lamentations  : versez vos larmes pour Priam  ; Hector en a reçu suffisamment. [Ch.]  Reçois nos lamentations, maître de la Phrygie, accepte nos pleurs, vieil homme deux fois captif. (Troy., 130-133)

Cette scène se déroule dans un contexte propre au domaine féminin 26. Il ne s’agit donc pas de proposer à ce chœur de femmes une entreprise différente de son champ d’action habituel. La tragédie offre toutes les configurations d’opposition hommes vs femmes de conditions sociales inférieures ou supérieures. À nouveau, le facteur de sexe n’intervient pas quand une différence de niveau social sépare les interlocuteurs. Une exception peut toutefois être signalée  : la nourrice de Phèdre (Phèd., 854864). Elle résiste à Thésée qui est non seulement le roi, mais aussi son maître et, secondairement, un homme. En fait, elle refuse de lui expliquer les raisons du désespoir de sa maîtresse, malgré ses ordres (v. 859, 875, 879). Le roi 25   Cette pratique était proscrite de la tragédie grecque, mais la tragédie romaine était plus souple  : W. Calder, citant K. Anliker  : «  The difficult last verse (1012) remains. Clytemnestra cries in rage, furiosa, morere. Anliker has suggested (comparing nunc morere at Verg. Aen. 2. 550, where Neoptolemos stabs Priam) that with these words Clytemnestra stabs Cassandra  ». Voir Calder (1976), p. 35 et Anliker (1960), p. 122, n. 267. 26   Cf. II.6.2., sur la lamentation et le deuil.

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CHAPITRE III

menace la nourrice de torture pour que la reine se confie à lui. Phèdre est impuissante devant la menace de violence physique. Avec cet argument, l’Athénien obtient ce qu’il veut. En deuxième lieu, dans une situation qui présente deux locuteurs de même condition, une femme peut être entendue quand elle s’adresse à un homme  : l’échange entre Électre et Strophius illustre ce cas de figure  : [Elec.]  Per te parentis memoriam obtestor mei, per sceptra terris nota, per dubios deos : recipe hunc Oresten ac pium furtum occvle. [Str.]  Etsi timendum caesus Agamemnon docet, aggrediar et te, Oresta, furabor libens. [Élec.]  Par la mémoire de mon père, je t’en supplie, par les sceptres illustres à travers les terres, par les dieux indécis  : accueille Oreste que voici et cache ce pieux vol. [Str.]  Même si le meurtre d’Agamemnon montre qu’il faut craindre, je l’affronterai et toi, Oreste, je te déroberai avec joie. (Agam., 929-933)

Toutefois, plusieurs indices doivent mettre en garde sur son interprétation. En premier lieu, Électre construit sa demande en suscitant une tension toujours plus grande. Elle atteint le climax avec le verbe, occule, «  cache  » 27. Il est encore mis en évidence par sa position en fin de phrase, de vers et de réplique. Ainsi, Électre fait appel à la mémoire de son père (per parentis memoriam mei) et se positionne ensuite en suppliante avec le verbe obtestor, «  supplier  ; conjurer  ». Elle invoque également un symbole de pouvoir royal (per sceptra nota) et les dieux (per deos dubios). Elle termine sa demande à Strophius en expliquant qu’elle aimerait lui confier Oreste, le seul héritier légitime du trône de Mycènes. Notons qu’avec pium furtum, elle utilise une formule similaire à celle d’Andromaque dans les Troyennes pour parler d’Astyanax. Les deux situations sont en effet similaires, puisqu’il s’agit dans les deux cas de cacher un enfant pour lui éviter de mourir. L’héroïne formule une requête avec beaucoup d’humilité, mais en l’appuyant sur des arguments attachés au domaine masculin  : son père, la royauté et enfin son frère. Toutefois, la réponse de Strophius vient contredire notre hypothèse. Le héros ne répond pas à Électre, mais à la place il interpelle son jeune frère  : te Oresta. L’on pourrait même supposer que Strophius se penche physiquement vers le garçon présent sur scène pour s’adresser à lui au lieu d’Électre qui vient de lui parler. Au sujet de cette scène, T. D. Kohn note d’ailleurs  : «  The king, addressing his nephew with the vocative (te Oresta, 933), not only accepts the boy from Electra and lifts him into the chariot, but also gives his victory wreath to Orestes  » 28. Par là, le roi de Phocide semble ignorer la jeune fille, ou du moins la considérer comme la porte-parole d’Oreste, encore trop jeune pour   Tarrant (éd.) (1976), p. 348.   Kohn (2013), p. 62-63.

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exprimer ses propres intérêts. Par conséquent, Strophius répond positivement à la princesse mycénienne, parce qu’elle représente les intérêts de son frère. Dans une conversation entre deux hommes, notons qu’Hercule ne cède pas à la tentation du suicide après son moment de folie. À la place, il suit les encouragements de Thésée. Celui-ci l’invite à persévérer dans la vaillance et à mettre fin à son inclinaison vers la colère, qu’elle soit justifiée, comme lorsqu’il combat le crime, ou injustifiée, lorsqu’il est pris de furor 29 : [Thes.]  //Svrge et aduersa impetu perfringe solito. Nunc tuum nulli imparem animum malo resume, nunc magna tibi uirtute agendum est : Herculem irasci veta. [Thés.]  Lève-toi et dans un élan qui t’est ordinaire, brise les obstacles. Là, maintenant, reprends ton courage qui résiste à tous les maux  ; là, maintenant, tu dois agir avec la plus grande bravoure  : interdis la colère à Hercule. (Herc. Fur., 12741277) 30

Cet extrait est comparable à celui d’Hécube. La reine y invitait le chœur vers une activité féminine. Dans cet échange, Thésée incite Hercule vers un domaine associé au masculin, la uirtus, dans la culture romaine, mais aussi dans la tragédie de Sénèque (cf. II.5.3.). En troisième lieu, intéressons-nous aux personnages confrontés à des protagonistes de niveau social supérieur. Par exemple, Médée, l’exilée, interpelle le roi Créon pour quitter Corinthe avec Jason et ses enfants. Elle appuie d’ailleurs son propos par un procédé anaphorique, en répétant la forme du verbe reddo à l’impératif 31  : [Med.]  Profugere cogis ? Redde fugienti ratem uel redde comitem – fugere cur solam iubes ? Non sola ueni. Bella si metuis pati, utrumque regno pelle.// [Méd.]  Tu me forces à fuir  ? Rends à celle qui fuit son bateau ou rends-lui son partenaire  : pourquoi m’ordonnes-tu de fuir seule  ? Je ne suis pas venue seule. Si tu redoutes de subir des guerres, renvoie-nous tous les deux de ton royaume. (Méd., 272-275)

Devant le refus du roi, Médée fait une dernière demande. Mais elle change de mode de communication en prenant une posture de suppliante (supplex  ; precor) dans le but de bénéficier d’un bref moment, afin d’embrasser ses enfants. Elle utilise d’ailleurs la formule breuem largire fugienti moram (v.  288  : «  accorde un bref délai à une exilée  »), proche de celle d’Andromaque implorant Ulysse   Billerbeck (éd.) (1999), p. 595.   Extrait cité dans la comparaison entre le Thésée de Phèdre et celui de l’Hercule Furieux (cf. II.5.3.). 31   Sur le procédé anaphorique, voir Hine (éd.) (2000), p. 145. 29 30

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(v. 760)  ; comme dans les Troyennes, Créon cède à cette dernière faveur. Néanmoins, pour échapper à la volonté du roi  : imperium pati / Vade ueloci fuga / iamdudum auehe (v.  189-191  : «  subis le pouvoir  » / «  va-t’en rapidement  » / «  pars sans délai  »), Médée n’a d’autre choix que de recourir à la ruse et de s’imposer un nouvel exil sans mari et sans enfants. La Colchidienne réussit donc à s’opposer au pouvoir royal, mais en perdant tout. Pour être complet, il convient d’aborder le cas des nourrices qui suremploient l’impératif, alors qu’elles sont, pour la plupart, de condition humble ou servile 32. Dans la réalité textuelle, il apparaît que les quatre nourrices du corpus (Hercule sur l’Œta, Médée, Phèdre, Agamemnon) ont une fonction de «  modérateur  » auprès de leur maîtresse (cf. II.2.). En effet, chacune d’elles tente d’apaiser l’amour destructeur dans le cœur des reines délaissées. Le long de leurs dialogues avec les héroïnes, elles multiplient les conseils, les ordres et les suggestions afin d’empêcher ces dernières de commettre l’irréparable  : le meurtre pour Médée et Clytemnestre, ou le suicide pour Déjanire et Phèdre. Les nourrices se montrent catégoriques et font souvent appel à leur qualité de mère nourricière pour appuyer leur propos  : [Nvt.]  Siste furialem impetum, alumna : uix te tacita defendit quies. [Nour.]  Mets un terme à cet élan de folie furieuse, mon enfant  : un calme silencieux peut à peine te défendre. (Méd., 157-158)

Néanmoins, malgré la répétition de ces stratégies qui mélangent autorité et affectivité, elles n’arrivent jamais à contrôler le dolor et ensuite le furor de leur maîtresse. Dans ce passage, la nourrice de Médée perçoit dès le début de la pièce que l’appel aux Furies, lancé par la reine dans les premiers vers (13-18), est déjà effectif. Pour décrire le comportement de sa protégée, elle préfère en effet l’adjectif furialis, «  qui ressemble aux Furies  », à furiosus, «  pris de fureur  » 33. Au contraire, comme vu précédemment, les nourrices finissent par participer activement au nefas tragique pour rester fidèles à l’objet de leur protection. Même si les nourrices représentent la sage modération et font appel à nombre d’impératifs (en plus d’autres procédés rhétoriques comme la suasoria) pour essayer de convaincre leurs maîtresses, leur autorité demeure nulle. Après les contextes guerrier et civil, celui de la famille doit être pris en compte au travers de deux cas de figure  : les rapports parents-enfants et épouxépouse. Pour le premier, examinons un extrait intéressant de l’Agamemnon. En fin de pièce, Clytemnestre trouve Électre dans l’espace public et lui en fait le reproche. Dans les faits, la jeune fille venait de confier Oreste à Strophius.   Sur la condition des nourrices, voir Corbier (1999), p. 1274-1275.   Selon le commentaire de Hine (éd.) (2000), p. 135. En effet, à l’origine l’adjectif furiosus appartient au domaine juridique pour désigner une personne «  furieuse  », sens différent de furialis : Ernout (1949), p. 19. 32 33

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Elle est horrifiée par le meurtre de son père et provoque sa mère en quittant le palais familial. Clytemnestre ordonne à sa fille de se comporter plus modestement, mais celle-ci persévère  : [El.]  Adulterorum uirgo deserui domum. [Cly.]  Quis esse credat uirginem ? [El.]    Natam tuam ? [Cly.]  Modestius cum matre. [El.]    Pietatem doces ? [Cly.]  Animos uiriles corde tumefacto geris ; sed agere domita feminam disces malo.[…] [El.]  Vt uidua loqvere : uir caret uita tuus. [Él.]  Moi, jeune fille, je viens de quitter la maison des adultères.  » [Cly.]  «  Qui croirait que tu es vierge  ? [Él.]  Je suis ta fille  ? [Cly.]  Sois plus modérée avec ta mère. [Él.] Tu m’enseignes la piété  ? [Cly.] Tu portes des sentiments d’homme dans ton cœur gonflé d’orgueil, mais tu apprendras à te conduire en femme, une fois soumise par le malheur. […]  [Él.]  Parle comme une veuve  : ton mari a perdu la vie. (Agam., 955-959 et 963)

Tous les stades de la vie féminine sont successivement abordés (uirgo/nata, mater et uiduus), mais en y attachant les valeurs contraires  ; aucun code n’est plus respecté  : la fille quitte la maison et envahit l’espace public, la mère est adultère et la veuve n’accepte pas de porter le deuil. L’autorité maternelle est sapée par l’assassinat d’Agamemnon et Électre ne s’y soumet plus, comme la tradition le voudrait 34. Clytemnestre fait alors remarquer que cette attitude est propre aux hommes. Selon elle, la jeune fille ne deviendra pleinement une femme, ou du moins elle ne «  jouera  » son rôle de femme conformément aux codes de sa société (avec agere dans un sens théâtral 35), que par la soumission au mal qui semble être causé par les hommes. L’utilisation par Clytemnestre du verbe domare, «  dompter, apprivoiser  » renforce son affirmation. Ce terme fort est chargé négativement, puisqu’il s’appliquait, à l’origine, aux animaux 36, mais aussi à la torture, comme dans l’Œdipe (v. 518) et les Troyennes (v. 349). Elle conçoit donc la féminité, femina, comme une soumission aux hommes et la virilité, animos uiriles, comme l’orgueil, corde tumefacto. Une nuance d’ironie est perceptible en raison de la position ambivalente de Clytemnestre. En effet, même si la reine a souffert du sacrifice d’Iphigénie, elle est à l’origine du meurtre d’Agamemnon et commande désormais à Égisthe. Dès lors, son comportement, comparé à la rébellion d’Électre, semble plus proche d’une position empreinte de virilité que celle de la jeune princesse. Encouragée par cette comparaison avec les hommes, cette dernière va plus loin   Sur l’autorité des femmes au sein de la famille, voir Hemelrijk (1999), p. 10-11.   Tarrant (éd.) (1976), p. 352. 36  Voir OLD (2012), s.v. «  domo  », p.  627-628. 34 35

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et se permet de donner des ordres à sa mère, comme l’illustre le vers 963. Elle ne pourra imposer sa volonté à Clytemnestre, mais elle lui résistera sans jamais révéler la cachette d’Oreste. Même si les règles tacites du respect parental sont remises en question, les deux héroïnes en confrontation sont conscientes des normes de la société dans laquelle elles vivent. À l’opposé, comme le relève M. Frank dans son édition commentée 37, les Phéniciennes présentent une intrigue où l’ordre des valeurs est inversé par rapport à la tradition. Même si la pièce ne traite pas directement de l’inceste, elle expose le dysfonctionnement profond dans les relations entre les membres des Labdacides. Il est, en effet, étonnant de trouver Antigone donnant des ordres à son père (v. 77-78). De plus, ce dernier lui obéit avec une ferveur inhabituelle pour un père envers sa fille (voir aussi iubente te aux vers 314, 318 et 319)  : [Œd.]  //Nil graue aut miserum est mihi quod te sciam uoluisse ; tu tantum impera. [Œd.]  Rien ne m’est pénible ou malheureux quand je sais que c’est toi qui le veux  ; toi, donne seulement tes ordres. (Phén., 311-312)

Et la même situation se reproduit plus loin avec sa mère  : [Ant.]  Perge, o parens, et concita celerem gradum, compesce tela, fratribus ferrum excute, [Ant.]  Va, ma mère, élance-toi d’un pas rapide, arrête les traits, retire leur glaive à mes frères. (Phén., 403-404)

Jocaste obtempère également aux injonctions de sa fille (v. 407)  ; de plus, même en position d’autorité devant ses enfants, elle ne parvient pas à raisonner ses fils, ni à arrêter le combat fratricide qui les oppose. L’étude des Phéniciennes ne permet donc pas d’apporter de nouveaux éclairages à la compréhension des rapports entre parents et enfants. Toutes les pistes sont brouillées par Sénèque, qui présente la tragédie d’une famille gangrenée par l’inceste. Seules deux scènes de dialogue présentent une relation conjugale  : Clytemnestre et Égisthe ainsi que Médée et Jason. L’union des deux amants mycéniens n’est pas légitime. Le passage, précédant le meurtre d’Agamemnon, est révélateur de l’ambiguïté de leur relation  : [Cly.]  Facesse propere ac dedecus nostrae domus asporta ab oculis : haec uacat regi ac uiro. [Aeg.]  Exilia mihi sunt haud noua, assueui malis. Si tu imperas, regina, non tantum domo Argisue cedo : nil moror iussu tuo aperire ferro pectus aerumnis graue. 37

  Frank (éd.) (1995), p. 161.



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[Cly.]  Dépêche-toi et retire de ma vue le déshonneur de notre maison  : celle-ci est libre pour le roi et le mari. [Ég.]  Les exils ne me sont pas nouveaux  : j’ai l’habitude des malheurs. Si tu l’ordonnes, ma reine, je ne quitte pas seulement le palais et Argos  : sur ton ordre, je n’accorde aucun délai à ouvrir par le fer mon cœur lourd de peines. (Agam., 300-305)

Clytemnestre débute par une formule archaïque, facesse propere, pour marquer le ton orgueilleux de son propos. L’effet est renforcé par la mention nostrae domus 38 qui la place dans la tradition d’une lignée royale. Ensuite, elle insiste elle-même sur le caractère illégitime de son union avec Égisthe, puisqu’elle mentionne la maison vide de son regi et de son uiro. Elle isole son amant, qui n’est ni l’un ni l’autre. Étonnamment, sur un simple ordre, facesse, asporta (v. 300), Égisthe obéit et se soumet à la volonté de Clytemnestre, si tu imperas (v. 303). Un examen plus large de l’échange révèle que l’héroïne a d’abord reproché à son amant son niveau social inférieur, puisqu’il est un exilé, exuli, à Mycènes (v. 239-309). Ensuite, elle l’a blâmé de ne pas être un homme, en dehors de la chambre à coucher, avec une expression très péjorative  : Venere tantum scimus inlicita uirum (v. 299  : «  nous savons que tu n’es un homme que dans les amours interdites  »). Cette assertion est doublement insultante pour Égisthe, car son rôle d’homme est limité, dans la domus, à l’amour. Or à Rome, dans un couple, cette place était attachée à la femme et non à l’homme. Clytemnestre associe donc deux notions initialement opposées, uenere et uirum, pour mettre en évidence la position d’Égisthe. Mais en plus, celui-ci ne peut accéder complètement à cette fonction humiliante pour un homme, mais néanmoins «  officielle  », puisque leur relation est illégitime. Le prince n’est donc même pas comparable à une épouse  : il n’est personne. C’est Clytemnestre qui détient le pouvoir, à la place de son époux. Par le discours, elle nie donc le statut de son amant, à la fois dans la vie publique 39 et dans la sphère privée. Elle pose un acte fort à l’encontre d’Égisthe, qui se trouve désormais en position de faiblesse et d’isolement. Par conséquent, ce premier exemple ne représente pas le schéma traditionnel de communication entre deux époux, mais il offre un schéma inverse, perverti par une situation illégitime. De leur côté, Médée et Jason sont mariés officiellement, mais soumis à l’autorité du roi en tant qu’exilés  : Alta extimesco sceptra (v. 529  : «  je crains les sceptres supérieurs  »). Même si l’héroïne converse avec son époux sur un pied 38   Les éditeurs hésitent entre nostrae et clarae  : Tarrant (éd.) (1976), p. 229. Le second correspondrait mieux à la stratégie d’humiliation à l’encontre d’Égisthe minutieusement mise en place par Clytemnestre. 39   Même si, à Rome, les étrangers pouvaient occuper différentes places (Noy [2000], p. 4), dans le passé mythique de Mycènes, ils devaient posséder un statut proche des métèques, à savoir inférieur aux citoyens et donc en retrait par rapport à la communauté qui les accueille.

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d’égalité, elle n’est pas écoutée par Jason, qui se retranche derrière sa peur des rois pour justifier son refus de suivre son épouse  : [Med.]  …innocens mecum fuge. [Ias.]  Et quis resistet, gemina si bella ingruant, Creo atque Acastus arma si iungant sua ? [Méd.]  Encore innocent, fuis avec moi. [Jas.]  Et qui s’opposera si deux guerres fondent sur nous et si Créon et Acaste joignent leurs armes  ? (Méd., 524-526)

Médée ne parvient pas à convaincre Jason de quitter Corinthe et, à l’inverse, l’Argonaute ne soumet pas la magicienne  : [Ias]  //Si quod ex soceri domo potest fugam leuare solamen, pete. [Jas.]  Si quelque consolation de la maison de ton beau-père peut alléger ton exil, demande-la. (Méd., 538-539)

Dès lors, si Jason sait qu’il a l’appui de l’autorité royale pour imposer son avis à Médée et pour l’obliger à se soumettre, cette dernière n’a aucun moyen de s’opposer à son mari. C’est cette impasse mêlée au désir de vengeance qui pousse Médée à recourir à la violence. Ses seules armes dans la confrontation sont la magie et les intrigues. Ce parcours à travers les occurrences des verbes à l’impératif montre que la femme exerce une certaine autorité sur des personnages, hommes ou femmes, mais dans des cadres très limités de performance. En premier lieu, la femme est entendue par un interlocuteur de condition inférieure dans les trois sphères abordées (militaire, civile et familiale). En second lieu, face à ses pairs, elle n’est prise en considération que dans de strictes conditions, à savoir si elle représente les intérêts d’un personnage masculin. Cette configuration n’apparaît qu’une seule fois, lors de la rencontre Électre-Strophius. A contrario, Médée, qui s’élève contre Jason et le roi, n’est absolument pas écoutée. Finalement, l’analyse des situations confrontant une héroïne avec un personnage de pouvoir (un guerrier vainqueur, le roi ou encore la maîtresse pour une nourrice) montre qu’elle ne possède jamais les moyens de fléchir l’avis de son interlocuteur. Seule une demande en position de suppliante lui permet d’obtenir une ultime requête, infime compensation devant la volonté des hommes. III.2.2.  Le nom et l’adjectif supplex Il est intéressant de s’arrêter sur le traitement du suppliant dans la tragédie. Si le nom et l’adjectif de même forme, supplex, «  suppliant  », sont pris en compte simultanément (au total 25 occurrences en dehors des chœurs et des messagers), le couple est utilisé à la fois par les héros masculins et féminins, mais aussi les nourrices. En revanche, le fonctionnement de cette posture de communication, tant discursive que physique, mérite une approche plus détaillée. En premier lieu,



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un ensemble de termes permet de construire les contextes 40 de cette pratique codifiée qui, dans la plupart des cas, prend la forme de demande. Pour structurer la procédure, les verbes de requête adoro, precor, submitto sont utilisés, de même que les noms numen, dominus, fortuna, minae ou encore le pronom personnel de la deuxième personne, tu, qui indique le destinataire de la prière. Les textes sont également marqués par les mots de l’attitude corporelle du suppliant, nécessaire pour délivrer correctement le message, pour que la demande soit performative 41  : pes, «  le pied  », ou genu, «  le genou  » (que le suppliant doit toucher en signe de soumission), manus ou dextera, «  la main  » (tendue vers l’interlocuteur cible), ara, «  l’autel  » (devant lequel le demandeur se positionne s’il s’adresse à une divinité). Citons encore les termes coma, «  la chevelure  », uber, «  le sein  », et pectus, «  la poitrine  », caractéristiques des nourrices. Il est remarquable que la nourrice de Phèdre (v. 246-248) et celle de Déjanire (v. 925-927) utilisent une formule similaire pour calmer leur maîtresse. Dans Phèdre, elle cherche à la dissuader de révéler son amour à Hippolyte  : [Nvt.]  Per has senectae splendidas supplex comas fessumque curis pectus et cara ubera precor, furorem siste teque ipsa adiuua. [Nour.]  Par ces cheveux brillants de vieillesse, en suppliante, par ce cœur lassé par les soucis et par cette chère poitrine, je t’en supplie, mets un terme à ta fureur et aide-toi, toi-même. (Phèd., 246-248)

Dans l’Hercule sur l’Œta, la nourrice essaie de convaincre Déjanire de ne pas mettre fin à ses jours suite au désamour d’Hercule  : [Nvt.]  Per has aniles ecce te supplex comas atque ubera ista paene materna obsecro : depone tumidas pectoris laesi minas. [Nour.]  Par mes cheveux de vieille femme, me voici en suppliante devant toi et par mes seins qui sont presque ceux d’une mère, je t’en conjure  : laisse de côté les menaces gonflées de colère de ton cœur blessé. (Herc. Œt., 925-927)

Les deux demandes s’articulent en deux temps autour d’un verbe «  pivot  » qui exprime la prière elle-même (precor pour Phèdre et obsecro pour l’autre). La première partie consiste en un rappel du rôle de nourrice auprès de l’enfant qui lui est confié. Cette fonction est symbolisée par la coma blanche de la nourrice (senectae splendidas ou aniles) qui témoigne du temps passé auprès de l’objet de leurs soins, mais elle est figurée aussi par les ubera. L’appel aux «  seins nourriciers  » évoque le lien fort – à comparer avec la maternité qui passe par les liens du sang (paene materna) – qui s’établit entre l’esclave et 40   Termes issus de la fonctionnalité Thèmes appliquée à l’adjectif supplex (22 occurrences) dans la base Sénèque, mais limitée au corpus tragique. 41   Ceci confirme que la tragédie de Sénèque dit ce qu’elle joue devant son public.

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CHAPITRE III

sa protégée par le vecteur physique du lait maternel 42. En plus d’invoquer une relation longue (coma) et étroite (ubera), les deux nourrices se positionnent, sur scène et dans le texte, en suppliantes. Ensuite, la demande est formulée par un second verbe, cette fois à l’impératif (siste et adiuua dans Phèdre et depone dans la seconde pièce), qui invite, dans les deux cas, à mettre un terme à une émotion destructrice (respectivement l’amour et le suicide). Ces éléments (l’appel aux sentiments, la position de suppliant, le verbe de prière) ont pour but de donner plus de poids à la demande et fonctionnent comme une stratégie de persuasion. La surenchère émotionnelle participe aussi à la dramatisation du récit, puisque les efforts développés par les nourrices se révèlent inefficaces. En dehors des nourrices, trois héroïnes prennent, sincèrement ou non, une position de suppliante  : Médée (Méd., 282) et Andromaque (Troy., 692) pour dire au revoir à leurs enfants, et Phèdre (Phèd., 666) pour communiquer ses sentiments à son beau-fils. L’interlocuteur masculin à qui la demande est adressée détient une forme de pouvoir sur la femme. Il est question d’une autorité physique et légitime pour Créon, qui est le roi de Corinthe devant une exilée, et Ulysse, qui est un guerrier vainqueur devant une princesse vaincue. Pour Hippolyte, il est plus juste de parler d’une emprise émotionnelle et involontaire, car il est le seul à posséder les clefs pour délivrer sa belle-mère de son amour destructeur. L’issue est malheureuse dans tous les cas. Du côté des personnages masculins, la position du suppliant présente des applications plus variées. En premier lieu, trois situations de supplication devant des divinités se rencontrent  : Eurybate et Agamemnon en remerciement pour leur retour à Mycènes (Agam., 392-396 et 802-807) et Hercule pour mettre fin à ses douleurs (Herc. Œt., 1314-1318). Un espace sacré et visuel est mis en place avant la prière (ara, «  l’autel  », delubrum, «  le sanctuaire  », pecus, «  la victime  », fibra, «  les entrailles  ») par les héros pour fixer le cadre et l’objet de la démarche intégrée dans un processus religieux. Bien qu’il s’agisse de per­ sonnalités importantes (deux rois et le messager de l’armée grecque), dans ce contexte strict et codifié de la religion romaine 43, il n’est pas surprenant de les voir prendre une position de soumission devant une entité supérieure qui détient un pouvoir absolu sur les mortels. Cette procédure peut même se révéler opérante, puisqu’Hercule obtient la divinisation après de longs moments de souffrance sur le bûcher de l’Œta. En deuxième lieu, une réplique d’Agamemnon dans les Troyennes fait figure de cas particulier. Le roi débat avec Pyrrhus de la nécessité d’honorer la mort d’Achille par un sacrifice  :   La relation entre la nourrice et les enfants élevés est intense au point de définir également des liens entre deux individus nourris aux mêmes seins, les frères ou sœurs de lait  : Dasen (2012). 43   Sur l’importance du respect du rite pour la religion romaine, voir Scheid (2007b). 42



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[Agam.]  //Haud equidem nego hoc esse Pyrrhi maximum in bello decus, saeuo peremptus ense quod Priamus iacet, supplex paternus. [Agam.]  Certes non, je ne vais pas nier que la plus grande gloire de Pyrrhus dans cette guerre est d’avoir abattu Priam, assassiné par sa cruelle épée, lui, le suppliant paternel. (Troy., 310-313)

Dans cet échange 44, Agamemnon s’en prend à Pyrrhus en lui rappelant qu’il a sauvagement mis à mort le roi de la cité, alors qu’une relation de protection s’était établie entre Achille et le vieillard 45. Ce dernier était venu réclamer le corps de son fils mort sur le champ de bataille. En évoquant le passé de Pyrrhus, Agamemnon cherche à se moquer du héros, mais il réactive également la mémoire du spectateur en lui rappelant l’histoire du fils d’Achille. Mais en plus, Sénèque renvoie le public à d’autres passages de la littérature qui relatent l’épisode en question. Dans la tragédie, citons l’allusion dans l’Agamemnon (v. 656-658). Le chœur de Troyennes fait ainsi référence au meurtre de Priam auquel elles ont assisté  : uidi, uidi… (v. 656  : «  j’ai vu, j’ai vu…  »). En plus, l’intervention d’Agamemnon renvoie, entre autres, à un célèbre passage du chant II de l’Énéide. Dans ces vers, Priam invective Pyrrhus sur le point de le poignarder  : At non ille, satum quo te mentiris, Achilles talis in hoste fuit Priamo ; sed iura fidemque supplicis erubuit […] Et non, l’illustre Achille dont tu dis mensongèrement être issu ne se comporta pas ainsi envers son ennemi Priam  ; mais il eut la pudeur de respecter les droits et la parole donnée du suppliant. (Én., II, 540-542) 46

L’auteur procède chez le public à un double renvoi  : à la fois à sa large connaissance mythologique, mais aussi, de manière plus précise, à son érudition littéraire avec le procédé de l’intertextualité 47. Par là, Sénèque montre que le présent et le futur de ses personnages sont modelés par le passé, mais pas n’importe lequel 48. Au moment de la performance dramatique, ils se construisent en fonction du passé que leur a choisi Sénèque. Dans notre cas, par la référence à l’Énéide, qui expose un point de vue défavorable aux Grecs et, plus précisément, par la mention de ce passage où 44   Pour une analyse de la violence verbale présente dans cet échange, voir Wessels (2014), p. 263-264. 45   Keulen (éd.) (2001), p. 244. 46   Édition du texte  : Conte (éd.) (2009). 47   Voir Segal (1986), p. 202-214, Schiesaro (1992), Littlewood (2004), p. 259-301 et Trinacty (2009). 48   Sur les liens entre intertextualité et passé, voir Schiesaro (2003), p. 221-224.

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CHAPITRE III

Pyrrhus est sévèrement dépeint par Virgile, Sénèque présente un personnage doublement critiqué. Ainsi, dans la réponse d’Agamemnon chargée des sousentendus du passé, le faisceau de l’argument n’est pas orienté vers la position de faiblesse de Priam, mais bien vers l’abus de faiblesse commis par Pyrrhus. L’exemple montre l’habileté argumentative du roi. Celui-ci utilise un événement a priori humiliant pour son ennemi troyen pour, au contraire, mettre en évidence les défauts moraux de son adversaire discursif, Pyrrhus. En troisième lieu, deux autres personnages masculins prennent la posture du suppliant devant deux hommes. La figure d’Hercule en supplex (Herc. Fur., 1192) a déjà été étudiée en détail (cf. II.6.2.). Dès lors, une dernière scène de supplication est à relever dans le Thyeste, à l’arrivée au palais de Thyeste, qui cherche le pardon de son frère. Comme il le remarque lui-même, il est question d’une démarche humiliante pour l’exilé, qui touche les genoux de son frère 49  : [Thy.]  Lacrimis agendum est : svpplicem primus uides ; hae te precantur pedibus intactae manus ; [Thy.]  Il faut agir avec force de larmes  : tu es le premier à me voir en suppliant  ; ces mains qui n’ont jamais touché de pieds t’en font la prière. (Thy., 517-518)

R. J. Tarrant interprète ce passage comme une figuration de cérémonie de soumission des rois à l’empereur à l’époque néronienne, comme évoqué par Suétone (Nér., XIII, 2) lors de la réception de Tiridate à Rome en 66. 50 Il s’agit donc à nouveau d’un cadre codifié qui régit les relations entre deux hommes de conditions sociales différentes. Les occurrences du nom et de l’adjectif supplex mettent en lumière une structure hiérarchique entre les personnages  : les nourrices sont en posture de suppliantes devant des femmes de haute condition (nourrices de Phèdre et de Déjanire), celles-ci ne le sont que devant des personnages masculins puissants (Médée devant Créon et Andromaque devant Ulysse) et ces derniers uniquement devant des divinités ou d’autres héros (Agamemnon vers Jupiter et Junon, Priam vers Hyllus ou encore Hercule vers Amphitryon). Ce rapport allie à la fois les dimensions d’humiliation ressentie par le suppliant, mais aussi de respect et de protection de la part de la personne sollicitée. De plus, la demande est accomplie dans un cadre codifié par la posture physique et discursive des deux parties. Elle se construit sur un équilibre fragile entre soumission volontaire et domination «  bienveillante  ». Notons que la relation antinomique (mortel vs immortel, vaincu vs vainqueur, exilé vs roi, fils vs père…) du suppliant avec son interlocuteur peut être pervertie par l’un et l’autre membres, au péril des parties. La tragédie propose deux exemples avec une configuration inversée  : alors que Thyeste est venu en suppliant demander la réconciliation (Thy., 512-521), Atrée profite de la faiblesse de son frère et transgresse les règles tacites de protection du suppliant pour mettre sa vengeance à exécution. À l’opposé, dans Médée,   Kohn (2013), p. 128.   Tarrant (éd.) (1985), p. 165.

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l’héroïne, qui est la suppliante, met à profit le délai accordé par Créon pour organiser la destruction de ses ennemis. Du point de vue des rapports hommes-femmes, les rôles se répartissent nettement entre femme/supplex et homme/cible de la demande. À travers les différentes configurations, une gradation dans les rapports de force s’observe nettement du personnage le plus faible (la nourrice) au plus puissant (la divinité). Ainsi, tandis que les personnages féminins font appel aux hommes, l’inverse n’est jamais mis en scène par Sénèque. Nous pourrions avancer que le poète ne présente aucune femme ayant du pouvoir et que ce schéma opposé est donc impossible dans la tragédie de Sénèque  ; mais plusieurs exemples contredisent cette hypothèse. Dans l’Agamemnon 51, Clytemnestre est toute puissante face au roi emprisonné dans sa toge. Mais le tragédien choisit, d’une part, de ne pas représenter la scène, peut-être pour laisser le public imaginer ce combat qui pourrait se révéler grotesque sur scène. Il la raconte par l’intermédiaire de Cassandre sous la forme d’une vision d’une grande clarté 52. D’autre part, la prophétesse décrit un Agamemnon combatif fidèle à l’image du guerrier  : hispidus siluis aper (v.  892  : «  comme un sanglier hérissé des forêts  »)  ; furit (v.  894  : «  il enrage  »)  ; hostem quaerit (v. 896  : «  il cherche son ennemi  »). Même aux prises avec la furieuse Clytemnestre, le roi n’est pas en position de soumission devant son épouse. L’auteur ne présente donc jamais un personnage masculin dans une situation de dépendance envers un personnage féminin. En revanche, les héros peuvent obtenir l’objet de leur demande avec une fin heureuse. C’est le cas des deux Hercule  : l’Hercule de l’Hercule Furieux obtient le soutien de son père au sortir de sa période de folie et celui de l’Hercule sur l’Œta parvient à la divinisation après un passage sur le bûcher de l’Œta. Le déséquilibre entre les deux sexes pourrait refléter une certaine réalité de la société romaine, telle qu’exprimée par E. D’Ambra dans sa synthèse sur la femme à Rome 53  : Gender fits into a hierarchical system in which the male was superior, the female inferior and likened to other weak and wayward creatures, such as the non-Roman, the young, and the untamed animals, all of whom required the firm hand of Roman male authority. 54

À l’époque néronienne et surtout dans les catégories sociales supérieures, les codes étaient plus nuancés que dans la Rome républicaine ou dans les couches inférieures de la population  : As a wife and a (potential) mother an upper-class woman occupied a position of authority in the house and participated in all its social activities […] Behind the 51   Médée est aussi puissante, puisqu’elle a en main la vie de ses enfants et Jason n’est pas présenté en suppliant. 52   Paschalis (2010), p. 222. 53   Sur le sujet, voir aussi Balsdon (1962) et Cenerini (2002). 54   D’Ambra (2007), p. 12.

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CHAPITRE III

scenes a wife might be involved in her husband’s business, the management of his estates and his political career. 55

Il est plus probable que Sénèque ait reproduit un des schémas traditionnels de représentation des rapports hommes-femmes plutôt qu’une image réaliste de ce qui se jouait sous ses yeux 56. * *   * Ce parcours entre le mode verbal de l’impératif et le nom et adjectif supplex aide à comprendre comment l’auteur positionne, avec beaucoup de précision, ses personnages dans des contextes discursifs différents selon leur sexe et leur catégorie sociale. Ces configurations déterminent le contenu et la forme de leurs interactions (répétition de l’impératif, posture du suppliant avec formulation et demande différente selon les contextes…). Malgré la diversité de cas, des postures de communication sont associées à l’un ou l’autre sexe. Par exemple, le mode de l’ordre est strictement inopérant chez les personnages féminins lorsqu’il est à destination de personnages masculins de condition sociale égale (Médée vs Jason) ou supérieure (Andromaque vs Ulysse), alors que le contraire n’est pas clairement défini. Il a également été mis au jour que les hommes sont supplices devant une divinité (Agamemnon vs Junon) ou un autre homme (Hercule vs Amphitryon), mais jamais devant une femme, alors que la situation inverse se rencontre à plusieurs reprises (Phèdre vs Hippolyte). Le philosophe introduit donc, à travers les échanges de ses personnages, une mise en scène dramatisée des interactions entre hommes et femmes. III.3.  Les

héroïnes, personnages d’échanges

III.3.1.  Un aperçu graphique de la question Une autre série de lemmes et de codes semble participer à un même fait de langue plus développé chez les personnages féminins  : l’interaction et l’échange. Les héroïnes ont une préférence pour le vocatif, le cas latin de l’interpellation dans les passages d’interlocution, pour la deuxième personne au sens large, et en particulier pour tu et tuus, et enfin pour les pronoms possessifs. Tous ces éléments sont ensemble spécifiques des discours féminins. Tu et tuus étaient déjà présents dans les spécificités de la base Rôles, mais la présence d’autres pronoms chez les personnages masculins avait conduit à les laisser de côté. À présent, seuls les héros de sexe opposé sont mis en comparaison, dès lors il est nécessaire de les inclure dans le développement.   Hemelrijk (1999), p. 7-16.  Sur la représentation des rapports hommes-femmes, voir Centlivres Challet (2013), p. 151-160. 55

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En raison d’un nombre élevé d’occurrences, il est impossible de les passer toutes en revue. Nous faisons donc appel à d’autres tests statistiques pour mettre en évidence les tendances propres aux personnages d’un même sexe, mais également ses exceptions  ; par exemple, en comparant les trois graphiques suivants 57.

Figure 4 : Histogramme de la distribution des formes verbales à la 2ème personne dans la base Personae

Figure 5 : Histogramme de la distribution du vocatif entre les 38 personnages de la base Personae

57   À gauche, les personnages féminins (jusque Hel_T) et à droite les personnages masculins.

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CHAPITRE III

La spécificité de la deuxième personne chez les personnages féminins est principalement provoquée par une sur-utilisation par trois héroïnes (Antigone et Jocaste des Phéniciennes et Andromaque des Troyennes) et un sous-emploi marqué chez trois hommes (Thésée de l’Hercule Furieux, Créon de l’Œdipe et Hippolyte de Phèdre). De manière plus globale, la seconde personne est sous-utilisée par les personnages qui ont une langue proche de celles des messagers (par exemple  : Mantô de l’Œdipe ou Thésée de l’Hercule Furieux) ou des chœurs (Cassandre de l’Agamemnon). Dans le deuxième graphique, moins de rôles féminins montrent une forte affinité statistique avec le vocatif, mais beaucoup dépassent la moyenne. Seule Jocaste des Phéniciennes présente un déficit marqué du vocatif. Du côté des personnages masculins, la répartition du vocatif est fort similaire à celle de la deuxième personne. Malgré tout, Thésée de Phèdre se démarque avec un degré de spécificité élevé qui mérite un examen plus attentif. Le troisième graphique met en relation la deuxième personne verbale (gris foncé) avec tu et tuus qui ont été considérés ensemble (gris clair)  :

Figure 6 : Histogramme de la distribution, entre les 38 personnages de la base Personae, de la 2ème personne et de tu et tuus réunis

La distribution de tu et tuus est proche de celle de la seconde personne dans les verbes, avec un indice de corrélation significatif de 0,34 58. La différence est un peu plus nette entre les personnages des deux sexes du point de vue de leur   Pour plus de précisions sur l’indice de corrélation, voir Glossaire, s.v. «  Histogramme  ». 58

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utilisation de tu et tuus, confirmant la dimension plus interactive et plus interpersonnelle dans l’expression des héroïnes. L’extrait suivant, entre Phèdre et Hippolyte, illustre le recours à ces éléments dans le discours des femmes (vocatif, deuxième personne, pronoms de la deuxième personne). La reine les utilise pour rentrer en communication avec son beau-fils et établir un lien interpersonnel avec lui  : [Phaed.]  Te uel per ignes, per mare insanum sequar rupesque et amnes, unda quos torrens rapit ; quacumque gressus tvleris hac amens agar – iterum, svperbe, genibus aduoluor tvis. [Phèd.]  Toi, ou bien par les flammes ou par la mer déchaînée, je te suivrai et par les rochers et les fleuves que des eaux torrentueuses emportent  ; de quelque côté que tu portes tes pas, là-bas, insensée, j’y serai conduite – à nouveau, être magnifique, je me jette aux genoux qui sont tiens. (Phèd., 700-703)

Phèdre débute le vers 700 par le pronom personnel de la deuxième personne, te, et termine la réplique par la deuxième personne de l’adjectif possessif, tuis. Elle encadre son aveu entre deux signaux d’interaction. De cette manière, elle rappelle à Hippolyte qu’il est la cible de son message et lui montre son obsession amoureuse. L’effet est renforcé par la répétition de termes de la nature (ignis, mare, rupes, amnis, unda et torrens) qui se clôture par une balance entre quacumque… tuleris et hac… agar. Le parallélisme entre la seconde et la première personne a pour but de soutenir, par le discours, la démarche physique décrite par Phèdre (elle le suivra où qu’il se rende). Enfin, la locutrice dépasse pour la seconde fois (iterum) la posture discursive de «  l’entrée en communication  » pour y superposer un jeu physique  : elle se jette à ses pieds 59. Pour marquer ce changement, elle utilise l’adjectif superbus au vocatif, sans doute au moment même d’initier son mouvement vers les genoux d’Hippolyte. De cette manière, elle prend devant son beau-fils une position de soumission comparable à celle de suppliante. En même temps, elle entre de force dans la sphère du garçon, par un contact physique non voulu par ce dernier. Les tentatives de Phèdre pour transmettre son message par le discours et par l’action sont vaines et la réaction du jeune homme ne se fait pas attendre. Il lui répond  : procul impudicos corpore a casto amoue / tactus (v.  704  : «  en arrière, retire de mon corps chaste tes attouchements impurs  »). Hippolyte initie probablement un mouvement de recul pour interrompre le contact établi par Phèdre. Phèdre cherche à échanger avec Hippolyte, à lui faire partager ses émotions. Mais la communication est impossible entre les deux héros, et la reine commet l’erreur de brusquer le sauvage chasseur. Celui-ci se renferme alors sur lui-même avant de quitter Athènes à la hâte. 59

  Kohn (2013), p. 72.

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CHAPITRE III

III.3.2.  Le vocatif et la deuxième personne Avant d’examiner les particularités, il convient de définir le traitement féminin, et masculin, du vocatif et de la deuxième personne (personne verbale, pronoms personnel et possessif). Pour commencer, intéressons-nous aux formes en ­cooccurrence spécifique avec le vocatif au moyen de la fonctionnalité Thèmes appliquée à la base Lex_Spec, d’abord sur les ensembles féminins et ensuite masculins (cf. Annexe III, 3) 60. En premier lieu, se dégage une série de formes communes aux deux groupes de personnages. Par exemple, il n’est pas étonnant de retrouver l’interjection o parmi les mots les plus spécifiques des deux listes. De même, le pronom personnel, tu, apparaît dans l’une et l’autre. Remarquons aussi la présence de l’interjection pro, «  oh  », qui se construit avec le vocatif pour ajouter une nuance expressive. Elle est utilisée dans les demandes, les supplications ou encore les regrets, comme dans l’extrait de l’Hercule sur l’Œta où Hercule se lamente sur le bûcher  : [Herc.]  Flentem gementem, summe pro rector poli, me terra uidit, quodque me torquet magis, nouerca uidit.// [Herc.]  Ô très grand maître du ciel, la terre m’a vu pleurer et me lamenter et ce qui me tourmente encore plus, c’est que ma marâtre m’a vu. (Herc. Œt., 1275-1277)

Enfin, une série de verbes employés dans ces passages d’interaction intervient à la fois chez les hommes et chez les femmes, par exemple  : precor, «  je prie  » et recipe, «  accepte, reçois  ». Dans les deux listes, le nom anime peut encore être dégagé. Son cas est différent, car il ne concerne pas des conversations entre deux personnages. Il intervient dans des répliques adressées à soi-même, dans les passages de monologue. Ces extraits sont utiles pour la compréhension de l’action par le public. Anime apparaît dans la plupart des cas dans des contextes d’auto-exhortation chez les hommes, Atr.  : hoc, anime, occupa (Thy., 270  : «  empare-t’en, mon âme  »), comme chez les femmes, Cas.  : Anime, consurge et cape / pretium furoris ; (Agam., 868-869  : «  déchaîne-toi, mon âme, et prends la récompense de ta fureur  ;  »). Les personnages s’encouragent pour accomplir l’action jusqu’à son terme  : vengeance, vision oraculaire, crime. Sur ce nom, il n’y a donc pas de différence d’usage entre les personnages de sexe opposé. Le facteur en jeu repose plutôt dans l’opposition entre personnages touchés par le furor et ceux qui en sont dénués. Comme l’expliquent F. Dupont et P. Letessier, «  accéder au furor demande aux personnages tragiques des efforts héroïques, il leur faut lutter contre leur humanité  ». 61 C’est pourquoi les héros en fureur ont besoin de   Cf. I.1.2. et mater, cf. II.6.1.   Dupont / Letessier (2011), p. 207.

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s’exhorter, ce qui explique la présence d’anime dans leur discours. En dehors d’anime, ces éléments communs font partie intégrante de la formulation habituelle de l’interpellation en latin, et même dans d’autres langues. En travaillant sur les formes, de subtiles différences entre les deux groupes sont identifiables. Un mot peut faire partie des deux ensembles, mais au masculin chez les héroïnes (fide) et au féminin chez les autres (fida). En revanche, pour une même notion, les deux groupes utilisent parfois des termes différents. Par exemple, dans leurs adresses au vocatif, les personnages féminins sur-utilisent coniux (+ 8,03), toujours dans le sens d’«  époux  ». À l’opposé, les personnages masculins n’emploient pas coniux pour interpeller leur épouse, mais ils lui préfèrent des adjectifs au féminin comme fida «  fidèle  », socia «  compagne  » ou cara «  chère  ». Dans cet extrait de l’Hercule sur l’Œta, le héros se rappelle sa première épouse assassinée  : [Herc.]  O cara Megara, tune cum furerem mihi coniux fuisti ? Stipitem atque arcus date, dextra inquinetur, laudibus maculam imprimam, summus legatur femina Herculeus labor. [Herc.]  Ô ma chère Mégare, n’as-tu pas été mon épouse, alors que j’étais déchaîné par la colère  ? Ma massue et mon arc, donnez-les moi, je veux souiller mes mains, je veux faire une tache sur mes honneurs, tuer une femme doit être le dernier travail d’Hercule. (Herc. Œt., 1452-1455)

Entre époux, les deux membres du couple ne s’adressent pas l’un à l’autre exactement avec les mêmes mots ou les mêmes expressions. Mais ce ne sont pas les seules différences. Chez les héroïnes, le vocatif est utilisé dans un cadre qui est souvent familial. En effet, ce cas latin se rencontre en cooccurrence spécifique avec nate, coniux, domus, dominum et dominam, parentis, matri ou encore genitor et patri 62. L’extrait suivant illustre cette utilisation dans la sphère familiale. Il survient au début du troisième Acte des Troyennes, après la visite du fantôme d’Hector  : [Andr.] O nate sero Phrygibus, o matri cito, eritne tempus illud ac felix dies quo Troici defensor et uindex soli recidiua ponas Pergama// [Andr.]  Ô toi qui es né trop tard pour les Phrygiens et trop tôt pour ta mère, ne viendra-t-il pas ce moment-là et le jour heureux où, défenseur et vengeur du sol troyen, tu fonderas une Pergame renaissante  ? (Troy., 469-472)

L’adjectif natus, «  né pour, âgé de  », est au vocatif en cooccurrence avec le nom mater. L’adjectif possède également une forme nominalisée qui signifie «  l’enfant  ». Ainsi, même s’il prend un sens spécifique dans certains contextes, il reste 62

  Avec un écart positif de 12,47 pour nate à 4,82 pour patri.

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attaché au verbe duquel il est issu  : nascor, «  naître  » 63. Andromaque utilise donc nate et mater en parallèle pour insister sur le lien qui l’unit à son fils. Par ailleurs, elle avait interpellé Astyanax par les mots o nate quelques vers plus tôt, en 462. La mère s’adresse à son enfant, non pas par son prénom propre, mais par une formulation qui marque son attachement dans un moment de forte tension dramatique, après le funeste présage d’Hector. De cette manière, elle réactive les liens filiaux, mais aussi émotionnels qui l’attachent à Astyanax pour les faire apparaître au public et pour accentuer la dramatisation de la scène 64. De plus, cette interpellation répétée permet à Andromaque de rendre présent sur scène le personnage 65 presque muet d’Astyanax 66. De cette manière, elle lui donne une existence discursive, mais aussi physique, car il est probable, selon T. D. Kohn, qu’à ce moment de l’action, elle «  gestures toward him repeatedly  ». 67 Par son discours et ses gestes, Andromaque crée un espace de communication avec son fils qui est structuré par les codes traditionnels des relations mèrefils  : insistance sur le lien familial, utilisation de mots plus intimes et tendresse dans l’expression ainsi que dans les gestes. En plus, il est possible d’aller plus loin, lorsque ce passage est mis en parallèle avec la remarque de P. Letessier pour le théâtre de Plaute  : Enfin, le mouvement de sortie n’est pas seulement commenté par une voix extérieure, il se fait sous le regard d’un autre personnage. Cela n’a rien d’anodin  : l’acteur qui braque son regard sur son partenaire attire ainsi l’attention du public sur ce dernier et place au premier plan l’acte même de la sortie de scène. 68

Même si Astyanax ne prend pas la parole pendant cette scène et qu’ensuite il est caché dans le tombeau de son père, il devient le centre de l’attention d’Andromaque et du public. Il est en effet l’unique objet d’inquiétude de la part de sa mère, mais il est aussi le centre d’intérêt d’Ulysse, qui a besoin de lui pour faire partir l’armée grecque de Troie. Désiré à la fois par la famille troyenne et par le camp grec, tous les regards sont tournés vers ce personnage presque muet et invisible (une fois caché dans le monument), mais pourtant bien présent à l’esprit de chacun. Les personnages masculins présentent également des cooccurrents spécifiques du vocatif attachés au domaine de la famille. Comme nous avions montré une préférence des hommes pour la filiation et la paternité (cf. II.5.1.), ces  Voir Ernout / Meillet (1994), s.v. «  nascor  », p.  429-430.   Sur l’activation des liens familiaux comme caractéristique du discours féminin, voir Valette (2012), p. 5. 65   Ce procédé rappelle celui mis en évidence pour les noms propres (cf. I.4.2.). 66   Le prince n’a qu’une réplique au vers 792  : Miserere matris, «  Prends pitié, mère  !  » 67   Kohn (2013), p. 118. 68   Letessier (2008), p. 52. 63

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cooccurrents sont attachés, eux aussi, à la relation père-fils  : pater, genitor, nate, paternis et enfin parens. De nombreuses occurrences proviennent de l’Hercule sur l’Œta. La plupart d’entre elles sont prononcées par le héros qui interpelle son père biologique, le dieu Jupiter. Celui-ci n’est pas présent sur scène et les paroles d’Hercule sont probablement émises comme une prière orientée vers le ciel. Dans l’extrait suivant, le héros pressent la mort arriver avant de monter lui-même sur le bûcher (v. 1484)  : [Herc.]  Conuerte uoltus ad meas clades, pater : numquam ad tuas confugit Alcides manus, non cum per artus hydra fecundum meos caput explicaret ; inter infernos lacus possessus atra nocte cum Fato steti nec inuocaui  ;// [Herc.]  Tourne ton visage vers mes peines, père  : jamais vers tes mains Alcide ne s’est réfugié, pas même lorsque vers mes membres l’hydre déployait sa multiple tête  : au milieu des lacs infernaux, aux prises avec la nuit noire, je me suis dressé face au Destin et je n’ai pas fait d’appel. (Herc. Œt., 1290-1295)

Mis en évidence par sa position en fin de vers, le nom pater est lui-même au vocatif. Contrairement aux Troyennes, cette interpellation, peut-être appuyée par la gestuelle de l’acteur, ne met pas en évidence son destinataire, la divinité. Au contraire, elle montre l’absence de Jupiter, mais aussi, par effet de renvoi, met en évidence, la solitude d’Hercule face à son destin. Le cadre de communication n’est pas personnalisé ni intime comme entre une mère et son fils. À la place, l’absence de Jupiter est renforcée par le recours d’Hercule à la première personne dans ce passage, meos, possessus (qui se rapporte au sujet de la phrase), steti et inuocaui, et dans la suite de son intervention (v. 1295-1304)  : uici, meos, nobis et me. Il n’est donc pas question d’un rapport d’échange entre un fils et son père, mais plutôt d’une prière de l’humain vers le divin. Les usages du vocatif dans le cadre de la filiation dans l’Hercule sur l’Œta, ne constituent pas un mode habituel de communication entre un père et son fils. Du côté des autres tragédies, même si les personnages masculins utilisent le vocatif avec des termes qui touchent à la parenté, le lecteur trouve rarement la tendresse exprimée par leurs homologues féminines, comme Andromaque. Un cas particulier peut cependant être soulevé, la relation Œdipe-Antigone dans les Phéniciennes. Le roi déchu est attendri par l’attention de sa fille à son égard. Toutefois, il a déjà été démontré que cette liaison était pervertie par le soupçon d’inceste (cf. II.6.2.). L’extrait suivant, issu de la discussion entre Œdipe et Antigone du début de la pièce, présente cette particularité  : [Œd.]  Desiste coepto, virgo […] //si fida es comes, ensem parenti trade, sed notum nece ensem paterna. Tradis ? An gnati tenent

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cum regno et illum ? Facinore ubicumque est opus, ibi sit ; relinquo. Natvs hunc habeat meus, sed uterque.// [Œd.]  Renonce à ce que tu as commencé, jeune vierge. […]  Si tu es une fidèle compagne, remets une épée à ton père, mais l’épée connue à cause du meurtre de mon père. Tu me la donnes  ? Mes fils la tiennent-ils avec mon royaume  ? Où qu’elle soit, elle accomplit son travail, qu’elle reste là-bas  ; je la laisse. Que mes fils possèdent celle-ci, mais tous les deux. (Phén., 103  ; 105-109)

Dans l’interpellation directe d’Œdipe adressée à sa fille, remarquons d’abord les deux formules d’adresse  : uirgo et fida comes. Nous avons déjà évoqué la remarque de M. Frank sur l’utilisation tachée de doutes du terme uirgo dans la bouche du roi 69. La formulation fida comes est-elle de son côté plus neutre  ? Il est difficile de l’affirmer avec certitude. Quoi qu’il en soit, Œdipe crée une sphère de communication intime avec Antigone, qui correspond à sa posture physique très proche de celle de sa fille qui le soutient par le bras 70. En plus de l’intimité qui fait la particularité de ces rapports, l’on est surtout frappé par l’accent accordé au lien parent-enfant dans ce passage, et plus généralement dans la tragédie toute entière 71. Ici, du côté du père, les deux mots parenti et paterna sont renforcés par l’anaphore dont ils font partie (ensem… ensem). Du côté des enfants, Œdipe utilise gnati et natus meus. En plus de l’importance accordée à ce lien familial, il transmet une épée à sa descendance, comme un cadeau empoisonné. En effet, l’arme a servi à commettre le meurtre «  aveugle  » de Laïos. Ce transfert intergénérationnel concret est une image pour l’héritage maudit qu’Œdipe confie à ses fils  : la discorde et la guerre. En fait, ce point précis semble rapprocher Œdipe des autres personnages masculins dans leur utilisation du vocatif dans le cadre de la filiation  : la transmission. Même si, sur la forme, Œdipe s’adresse à sa fille de manière décalée par rapport aux autres hommes, il s’en rapproche sur le fond par son insistance pour l’héritage du patrimoine, qui est ici plus moral que matériel. Le roi s’inscrit donc dans le schéma traditionnel d’une société patrilinéaire, puisqu’il transmet à ses fils, et non à ses filles, l’héritage d’une souillure passée. La configuration inverse se rencontre aussi  : celle d’un fils à son père. Elle se joue dans l’Hercule sur l’Œta, qui est une tragédie centrée sur la transmis  Frank (éd.) (1995), p. 93-94.   Kohn (2013), p. 135. 71   Sur l’utilisation des noms de parenté dans les Phéniciennes, voir Frank (2014), p. 455  : «  A striking feature of the language of Phoenissae is the rhetorical use of family terms. The tangled web of relationships in the Theban royal house is underscored by the avoidance of proper names in direct address and the emphatic use of family terms in both halves of the play […] It also reinforces Seneca’s interpretation of the traditional curse on the house of Laius as a hereditary taint passed on within the family.  » 69 70

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sion du caractère divin de Jupiter à son fils, Hercule. Pour démontrer que cet intérêt traverse l’ensemble de la tragédie, citons encore l’extrait suivant du Thyeste. Tantale tente de convaincre son père de faire la paix avec Atrée  : [Tant.]  Pater, potes regnare.   [Thy.]  Cum possim mori. [Tant.]  Summa est potestas.   [Thy.]  Nulla : si cupias nihil. [Tant.]  Gnatis relinques. [Tant.]  Père, tu peux régner. [Thy.]  Puisque je peux mourir. [Tant.]  Le pouvoir est le plus haut. [Thy.]  Aucunement si tu ne désires rien. [Tant.]  Tu le laisseras à tes enfants. (Thy., 442-444)

Alors que Thyeste est réticent à l’idée de rentrer à Mycènes, Tantale tente de le persuader de reprendre le pouvoir. Son plus puissant argument est l’héritage du royaume à sa descendance. À travers les cooccurrents différents du vocatif entre les héros féminins et masculins, des spécificités de formulation et de contenu apparaissent chez les uns et les autres. Si de manière générale, les deux groupes interpellent souvent dans un cadre familial, les premiers créent plutôt une sphère de proximité avec leur interlocuteur où l’émotion prédomine. En revanche, cette sensibilité disparaît dans la plupart des contextes masculins pour laisser place à un intérêt différent  : la transmission de génération en génération. Dans les différences de cooccurrents, les hommes associent volontiers le vocatif avec le nom Lares, alors que les personnages féminins lui préfèrent Manes. Nous avons pourtant montré que les deux termes sont spécifiques des discours féminins (cf. I.4.2.). Nous avons alors mis en évidence une sensibilité de ces derniers pour la famille et plus particulièrement pour le foyer. Sans contredire ces observations, il s’agit ici d’une question différente, à savoir l’utilisation des deux noms dans le cadre particulier d’une interpellation. Il est étonnant de voir les deux termes répartis entre l’un et l’autre groupes. Pourquoi les hommes appuient-ils leur interaction en faisant appel aux Lares, alors que les femmes évoquent plutôt les Manes  ? Les personnages masculins font mention des Lares pour marquer, une fois encore, la filiation ou le patrimoine. En effet, tandis que les Mânes englobent généralement l’ensemble des esprits des humains décédés, les Lares désignent plus précisément les défunts d’une famille en particulier, en d’autres mots, les ancêtres de la familia 72. De plus, les hommes de Sénèque s’inscrivent dans la tradition de leurs prédécesseurs dans un objectif précis  : la mise en évidence de leurs qualités et de leurs valeurs guerrières. Par exemple, dans les premiers vers

  Pour le lar familiaris, voir Boehm (1924), s.v. «  Lares  », col. 806-833 et pour les Mânes, voir Marbach (1928), s.v. «  Manes  », col.  1050-1060. 72

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d’Agamemnon à son retour à Mycènes, le roi s’adresse au public et au chœur des Troyennes en ces termes  : [Agam.]  Tandem reuertor sospes ad patrios lares ; o cara salue terra. Tibi tot barbarae dedere gentes spolia, tibi felix diu potentis Asiae Troia summisit manus. [Agam.]  Enfin, je reviens vivant auprès de mes Lares paternels  ; ô, je te salue, chère terre. À toi de si nombreuses nations barbares ont offert des dépouilles, devant toi la Troie de la puissante Asie, heureuse pendant longtemps, a baissé les bras. (Agam., 782-785)

Agamemnon renforce la filiation dans laquelle il s’inscrit avec patrios et cara terra. En opposant la tradition de sa famille à la puissante Troie vaincue, le roi insiste sur sa valeur personnelle. Ajoutons un exemple similaire, extrait du début de l’Hercule sur l’Œta. Dans le prologue, Hercule, au retour de ses travaux, demande à son ami Lichas de vanter ses hauts faits  : [Herc]  Sed tu, comes laboris Herculei, Licha, perfer triumphos, Euryti uictos lares stratumque regnum.// [Herc.]  Mais toi, compagnon des travaux d’Hercule, Lichas, annonce mes triomphes  : les foyers d’Eurytus ont été vaincus, son royaume terrassé. (Herc. Œt., 99-101)

Comme Agamemnon, Hercule cherche la valorisation de ses exploits. Comme lui, il fait appel aux Lares, mais cette fois-ci, à ceux de son adversaire. Il annonce d’ailleurs l’anéantissement des foyers d’Eurytus avant son royaume, c’est-àdire, la sphère privée avant le domaine public. De cette manière, il fait savoir qu’il a détruit son ennemi jusque dans la domus. Il n’a pas seulement battu Eurytus sur le plan politique, il a aussi effacé sa famille et la continuité dans laquelle il s’inscrivait. Dans les deux cas, les personnages masculins interpellent le monde extérieur pour mettre en avant les valeurs masculines que sont l’héroïsme guerrier et la victoire militaire. L’utilisation de Manes, en cooccurrence avec le vocatif chez les personnages féminins, est différente des cas masculins de Lares. Tout d’abord, alors que les Lares sont évoqués par les hommes comme une partie du monde des vivants 73 73  Ils sont représentés par des masques à l’entrée des maisons  : Wiles (1991), p. 129-131. Ils sont une marque concrète d’une tradition d’ancêtres. Cette matérialité apparaît dans le Thyeste  : moti lares / uertere uultum (v. 264-265  : «  les Lares ont bougé / leurs visages se sont détournés  »). Ici, uultus désigne l’objet concret du masque, même si le terme technique est plutôt imago (sur les termes pour exprimer le «  masque  » à Rome, voir Dupont [1998]). Atrée préfère insister sur la mobilité de ces visages pour conserver leur attachement au monde vivant.



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– ce sont les esprits des défunts qui restent sur terre –, les Mânes font, chez les femmes, partie du monde des morts. Ces héroïnes, qui ne sont ni devineresses ni prophétesses, deviennent donc aussi des traits d’union potentiels entre la terre et les enfers. Elles font appel aux Mânes dans des contextes de mort. Dans le prologue des Troyennes, Hécube invoque les Mânes de Priam, tuos Manes, (v. 31  : «  tes Mânes  ») dans les manifestations funèbres en l’honneur des Troyens morts au combat. Plus loin, Andromaque prend les Mânes d’Hector à témoin pendant les adieux à son fils  : coniugis Manes mei (v.  645  : «  les Mânes de mon mari  » et 802). Dès les premiers vers de Médée, l’héroïne prie les Manes impios (v. 10  : «  les Mânes impies  ») pour l’aider à accomplir ses envies de mort. Une fois son crime terminé, elle les enjoint de regagner les territoires ad imos (v. 968  : «  [le monde] d’en bas  »). Enfin, dans l’Hercule sur l’Œta, Déjanire sollicite l’accueil du monde d’en bas pour annoncer son prochain suicide (v. 949) et Alcmène interroge son fils sur le monde des morts (v. 1923). Ainsi, alors qu’avec Lares les hommes cherchent à s’intégrer dans la tradition de leur famille pour mettre en évidence leurs propres exploits, les personnages féminins sont plutôt dans une démarche de communication avec les morts en s’adressant aux Mânes dans leur ensemble ou bien de manière plus ciblée (les Mânes de Priam ou d’Hector  ; les Mânes impies). Enfin, relevons la présence de «  Hécate  » dans les cooccurrents spécifiques du vocatif chez les personnages féminins et de «  Phébus  » chez les personnages masculins. Ces deux noms de divinités étaient apparus dans les spécificités des personae (cf. I.4.2.). Le premier faisait partie du vocabulaire spécifique de Médée et le second caractérisait le discours d’Hercule de l’Hercule Furieux, Créon et Œdipe de l’Œdipe. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette différence, puisque l’un et l’autre sont invoqués lors de demandes, comme détaillé précédemment. En résumé, la sur-utilisation du cas de l’interpellation par les personnages féminins démontre une inclinaison vers l’interaction. Son environnement thématique fait apparaître aussi qu’il existe des écarts d’usage entre hommes et femmes. En effet, même si certains traits sont communs aux deux groupes (verbes de demande, pronoms et interjections), des dissemblances sont présentes au niveau du vocabulaire associé (par exemple  : Mânes et Hécate pour les femmes et Lares et Phébus pour les hommes), des contextes (famille au sens large pour les premières et filiation pour les seconds) et des objectifs (communication chez les unes et mise en valeur chez les autres). Par ailleurs, deux personnages s’écartent spécifiquement en opposition avec leur groupe de référence  : Jocaste des Phéniciennes avec un sévère déficit contrairement aux personnages féminins, et Thésée de Phèdre avec l’écart ­positif le plus élevé du corpus à l’opposé des autres personnages masculins. Comment expliquer de telles différences  ? Les personnages à posture de messager présentent, comme Jocaste, la particularité d’un déficit de vocatifs qui s’explique par leur rôle de rapporteurs plutôt que d’acteurs. Pourtant, la reine

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de Thèbes participe activement aux événements, puisqu’elle se rend sur le champ de bataille pour parler avec Étéocle et Polynice 74. Pour comprendre cette particularité, il est important de retourner au rôle de Jocaste dans son contexte global. Dans les Phéniciennes, G. Mader a décrit le paradoxe des discours d’Œdipe et d’Antigone, qui oscillent entre passivité et persuasion, entre inaction et direction de l’action  : The first movement of Phoenissae (1-319) turns on the grand rhetorical agon between Oedipus and Antigone, he overwhelmed with self-loathing and madly bent on self-destruction, she arguing strenuously against it. The contest explores the tensions between a range of competing registers, and self-consciously calls attention to the rhetorical nature of the “antilogy”. 75

À la lecture des répliques de la reine, il apparaît que cette grille de lecture pourrait lui être appliquée également. Dans sa première intervention (v. 363-386), elle émet une longue plainte décrite par le garde comme des flebiles questus (v. 387  : «  des gémissements affligeants  »). Ensuite, c’est seulement sous l’impulsion d’Antigone (v. 403-406) que Jocaste décide d’intervenir  : ibo ibo et armis obuium opponam caput, (v. 407  : «  j’irai, j’irai et j’opposerai ma tête devant leurs armes  »). C’est donc avec cette attitude semi-active, semi-passive que la mère s’interpose entre ses deux fils. Ainsi, durant l’échange entre les trois parties (Jocaste, Étéocle et Polynice), Jocaste n’utilise le vocatif que deux fois, aux vers 500 et 515-516, avec la forme nate, «  mon enfant  ». C’est pourquoi, même si la mère se veut persuasive auprès de ses deux fils, son discours présente une faiblesse dans sa stratégie de communication  : elle n’interpelle pas suffisamment les héros avec le cas de l’interpellation pour être efficace d’un point de vue discursif. Dès lors, même si elle essaie de les impliquer dans l’échange au moyen de la seconde personne au sens large (verbale et pronominale), elle manque son objectif en n’insistant pas suffisamment sur leur identité propre. Qu’en est-il de Thésée dans Phèdre  ? Le héros présente les caractéristiques opposées à celles de Jocaste. Non seulement, il sur-utilise le vocatif contrairement à la moyenne des autres personnages masculins, mais également la seconde personne dans son ensemble. Faut-il pour autant avancer que Thésée présente une particularité féminine  ? Il est préférable de ne pas franchir ce pas, au risque de procéder à un raccourci logique circulaire. À la lecture, il apparaît que le rôle de Thésée lui-même explique ces sur-utilisations de marqueurs d’échange. En effet, à son retour des enfers, le roi revient dans un noyau familial dont il a été exclu non seulement par son absence, mais aussi parce qu’il est le seul à ne pas connaître le secret de la famille  : les amours interdites de Phèdre. Le roi est en rupture complète de communication avec le reste de son   Frank (2014), p. 451.   Mader (2010), p. 289.

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entourage. Pendant l’ensemble de son intervention, il va donc essayer de reconstruire les liens perdus, et surtout d’obtenir de ses interlocuteurs la vérité sur les événements passés. Il s’adresse à la nourrice afin d’obtenir les raisons du désespoir de Phèdre (v. 850-863). Devant son refus, il se tourne vers son épouse. Celle-ci ment en accusant Hippolyte de viol au moyen de l’image de l’épée 76. Thésée réclame vengeance auprès de son père divin, Poséidon  : [Thes.]  Fer abominandam nunc opem gnato, numquam supremum numinis munus tvi consumeremus, magna ni premerent mala ;

parens :

[Thés.]  Apporte maintenant une aide abominable à ton fils, père  : jamais je n’aurais épuisé la dernière faveur de ta puissance divine si de grands maux ne m’y pressaient pas. (Phèd., 948-950)

Plusieurs éléments favorisent la communication  : à la fois la deuxième personne verbale avec l’impératif fer, le vocatif avec parens et enfin le possessif, tui. En plus, il faut noter la position de gnato à côté de parens en fin de vers pour insister sur le lien qui unit les deux interlocuteurs. Mais à juste titre, le philologue T. D. Kohn propose l’analyse suivante de cette intervention  : First, the wishes serve to portray Theseus as an older, more experienced hero. […] Presumably, Theseus has been on many adventures, at least two of which were dangerous enough that he needed his divine father’s help in getting through them alive. […] So, the fact that he is using his third and final wish helps Seneca paint Theseus as older and towards the end of his heroic career. 77

Il n’est donc pas question d’une féminisation du personnage. Après, le héros doit encore questionner le messager pour apprendre ce qui est arrivé à Hippolyte. Finalement, il interroge Phèdre pour qu’elle lui avoue la vérité, découvrant ainsi le secret de la famille. C’est donc par la répétition des marqueurs d’interaction qu’il met au jour ce que Phèdre et la nourrice lui cachaient. Ainsi, la première partie de la pièce est consacrée, à travers Phèdre, à la thématique de la révélation du secret avec les problèmes qui y sont liés (Faut-il le dire  ? Comment le dire  ? Par quel «  canal  » de communication  ?). En revanche, la seconde partie est concentrée sur la découverte du secret sous l’angle de vue de Thésée. Il est donc question d’une nécessité thématique et dramatique d’exposer sur scène un personnage qui interpelle, qui interroge et qui tente de rentrer en communication avec son environnement. Remarquons également que le besoin de confession de Phèdre est aussi néfaste pour le noyau familial que la recherche de vérité de Thésée. À la fin de la pièce, les deux obsessions amènent à la destruction de la famille. 76 77

  Sur une étude de la symbolique de l’épée, voir Segal (1986), p. 150-179.   Kohn (2008), p. 389.

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III.3.3.  Forte présence de la deuxième personne À présent, nous nous concentrons sur la forte présence, chez les personnages féminins dans un même contexte, de la seconde personne, à prendre au sens large, à savoir dans les formes verbales, du pronom personnel et du possessif. En effet, il est apparu que les héroïnes de Sénèque, en plus de les sur-utiliser de manière générale, possédaient également une autre caractéristique  : elles présentent de nombreux passages où elles répètent un ou plusieurs de ces éléments. Pour illustrer cette utilisation, citons un premier exemple. Dans l’Acte 2 de l’Hercule Furieux (v. 285-300), Mégare prie Hercule de revenir pour les sauver de l’usurpateur Lycus. La répétition de la deuxième personne a pour but de se rapprocher, par le discours, de son époux qui est parti depuis trop longtemps. Elle lui donne ainsi une présence auprès d’elle, sans doute pour l’aider à affronter les malheurs survenus dans la cité et dans la famille. En plus de la forte présence de tu et de tuus (8 occurrences), cette réplique prend la forme d’une prière (v. 279, emerge, coniux : «  montre-toi, époux  »). Cet usage donne plus de valeur à la requête émise par Mégare, qui cherche à prendre contact avec ce mari absent. Dans Médée, l’héroïne a recours à la répétition de la seconde personne avec Jason  : [Med.]  Tva illa, tva sunt illa : cui prodest scelus is fecit – omnes coniugem infamem arguant, solus tvere, solus insontem voca : tibi innocens sit quisquis est pro te nocens. [Méd.]  Ils sont tiens, ils sont tiens  : à qui profite le crime l’a fait – que tous inculpent ton épouse décriée, seul défends-la, seul appelle-la innocente  : que soit pour toi innocent tout qui est coupable pour ton intérêt. (Méd., 500-503)

L’insistance avec laquelle Médée s’adresse à lui se perçoit bien. Elle utilise tuus et tu, chacun à deux reprises, dans des structures parallèles  : tua illa / tua… illa et tibi innocens / te nocens. La deuxième personne des verbes à l’impératif avec la même double construction  : solus tuere / solus… uoca participe à cet effet. Ainsi, même si Médée est la locutrice, toute l’attention est portée vers son destinataire, Jason. En effet, avec six occurrences de la deuxième personne dans le passage, c’est vers lui que toute la détresse de l’héroïne se porte. Médée cherche à susciter chez son époux une émotion qui l’amènerait à revenir vers elle. Elle fait comprendre à Jason, mais aussi au public, que c’est lui qui possède les clefs de la suite des événements. Mais le héros balaye d’une sententia les tentatives de Médée de faire passer son message (v. 504). Dans Phèdre, la nourrice possède cette caractéristique lorsqu’elle cherche à atteindre Hippolyte. Dans les premières lignes de sa réplique, elle multiplie le recours à la deuxième personne pour capter l’attention du jeune homme avant de lui adresser l’objet de son message (v. 435-440). Après la mort de ce dernier, Phèdre rejette la faute sur Thésée en pointant un doigt accusateur sur son époux.

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Enfin, citons cet extrait des Phéniciennes choisi dans l’échange entre Antigone et Œdipe  : [Ant.]  //ab aspectu omnium fortuna te summouit, et quicquid potest auferre cuiquam mors, tibi hoc uita abstulit ; regni tumultus ? Turba fortunae prior abscessit a te iussa. Quem, genitor, fvgis? [Ant.]  De la vue de tous, la fortune t’a retiré et tout ce que la mort peut enlever, la vie t’a repris ces choses-là  ; le bruit du pouvoir  ? L’ancienne foule de la fortune s’est éloignée sur ton ordre. Père, qui fuis-tu  ? (Phén., 211-215)

La présence de nombreuses occurrences de la seconde personne (te, tibi, te et fugis) dans ces cinq lignes est l’indice de la volonté d’Antigone de mettre ­l’accent sur le destinataire de son message, son père. Il est interpellé personnellement dans le dernier vers par le terme genitor, au vocatif. Elle cherche à provoquer une réaction chez son interlocuteur pour le faire changer d’avis. Ces exemples permettent de comprendre comment les personnages féminins utilisent la seconde personne 78 – soit diffusée le long de leurs répliques, soit concentrée dans certains passages  : Mégare prie son époux de revenir  ; Médée souhaite que Jason ne l’abandonne pas  ; Phèdre accuse Thésée de la mort d’Hippolyte et Antigone cherche à déclencher une réaction chez Œdipe. Dans tous les cas, le procédé est identique, la sur-utilisation ponctuelle de la deuxième personne met l’interlocuteur en avant pour susciter l’interaction et l’impliquer discursivement. * *   * Les trois histogrammes (vocatif, deuxième personne verbale et deuxième personne du pronom personnel et possessif), montrent que les héros masculins et féminins n’utilisent ces éléments du langage ni avec la même fréquence, ni de la même manière. Les femmes sont présentées comme des personnages d’échange, d’interaction avec les autres intervenants. Elles utilisent et répètent ces marqueurs de dialogue pour donner une place à leur interlocuteur dans le but de se faire entendre. Elles intègrent souvent leur message dans un cadre familial et personnalisé qui insiste sur les liens et favorise l’émotion. Les personnages masculins, sans doute plus habitués à être entendus de leurs auditeurs, produisent moins fréquemment cet effort discursif. Par ailleurs, ils préfèrent insérer leur message dans un schéma de filiation intergénérationnelle. De cette manière, ils insistent sur la transmission de l’héritage familial par le père, qu’il soit positif ou négatif. De plus, ces contextes sont souvent un lieu d’autoglorification. 78

  L’on en rencontre dans toutes les tragédies et il serait trop long de les lister tous ici.

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CHAPITRE III

III.4.  L’approche

par cooccurrents

Il convient de s’intéresser aussi aux relations entre les mots qui composent les discours masculins et féminins. Pour approcher d’éventuelles différences de textualité 79 entre les deux groupes, la fonctionnalité Corrélats calcule et représente sous la forme d’une AFC les «  réseaux de mots associés  » 80. L’outil «  établit des corrélations entre mots du lexique qui se trouvent rapprochés dans l’espace du texte  » 81 et permet de visualiser graphiquement ces associations. Il est ainsi possible de percevoir comment le locuteur – ici les héros masculins ou féminins – associe les éléments du texte dans la perspective d’appréhender les différences d’association lexicale. La première AFC présente donc les corrélats sur les 105 substantifs les plus fréquents des discours masculins réunis ensemble  :

Figure 7 : AFC des corrélats sur les discours des personnages masculins

À partir de la répartition des lemmes, il est possible d’observer l’influence du texte d’origine sur le regroupement des items. Le facteur de la thématique intervient, puisque beaucoup de lemmes du côté gauche sur l’axe 1 se justifient 79   La textualité est comprise comme l’ensemble des cooccurrences qui forment le texte lui-même, comme défini par Mayaffre (2008a) ou Mayaffre / Viprey (2012), p. 7-19. 80   Sur ce procédé statistique, voir Brunet (2007), p. 3-5. 81   Magri-Mourgues (2008), p. 759.

HÉROS MASCULINS VS FÉMININS179



par les discours des hommes de l’Hercule sur l’Œta et de l’Hercule Furieux. Le cycle d’Hercule détermine donc la position de plusieurs lemmes. En plus de la thématique, un autre facteur se discerne sur l’axe 1, qui oppose un réseau lexical plus concret à un second plus abstrait. À gauche sur l’axe, l’on trouve des termes comme fulmen, «  la foudre  », mundus, «  le monde  », ou encore flamma, «  la flamme  », et nemus, «  le bois  », tandis que du côté droit, apparaissent des concepts ou des sentiments comme pietas, «  la piété  », odium, «  la haine  » ou encore imperium, «  le pouvoir  », et metus, «  la crainte  ». Le côté gauche présente des termes participant aux mêmes isotopies, issues de séquences descriptives de la vie d’Hercule  : sa place dans le monde (mundus, astrum, orbis, caelum) et son bûcher sur l’Œta (rogus, flamma, ignis). L’axe 2 met plutôt en contraste une sphère privée avec le domaine public. Ainsi, la partie supérieure regroupe des émotions (par ex.  : decus, «  la gloire  », dolor, «  la douleur  ») et des membres de la famille (par ex.  : nouerca, «  la belle-mère  », frater, «  le frère  »), alors que la partie inférieure présente des notions plutôt publiques (par ex.  : populus, «  le peuple  », ou regnum, «  le pouvoir  »). Les corrélats des personnages masculins montrent une structuration du discours profondément influencée par son contenu. Un message concret attire à lui d’autres termes concrets, pour construire ensemble un récit plutôt descriptif et imagé. Ce type de description se rencontre par exemple dans le prologue d’Hercule  : [Herc]  Quid astra, genitor, quid negas ? Mors me tibi certe remisit, omne concessit malum quod terra genuit, pontus aer inferi. [Herc.]  Pourquoi, père, pourquoi me refuses-tu les astres  ? La mort m’a assurément rendu à toi, tout ce que la terre, la mer, les airs et les enfers ont engendré comme malheur s’en est allé. (Herc. Œt., 13-15)

Le héros, déçu de ne pas voir ses efforts récompensés par Jupiter, lui adresse une longue prière pour solliciter sa générosité. Le discours est à double sens  : l’un s’inscrit dans la mythologie, et le second, dans la philosophie stoïcienne 82. Toutefois, les termes utilisés sont concrets et directement repris du cycle herculéen. Ils servent à donner aux propos une tonalité cosmopolite et universelle. À l’opposé, un discours plus conceptualisé concentre plutôt des noms ­abstraits nécessaires à la formulation d’une pensée avec un plus haut degré d’abstraction. Ces parties des discours sont souvent associées à une dimension morale. Illustrons cet usage par une sententia d’Œdipe. Le roi cherche à faire parler son beau-frère, Créon, dans un échange rapide (v. 510-529) à rapprocher de la stichomythie  : Imperia soluit qui tacet iussus loqui (Œd., 527  :  «  Celui qui se tait alors qu’on lui a ordonné de parler sape l’autorité  »). Le héros   Sur l’interprétation stoïcienne de l’Hercule sur l’Œta, voir Auvray (1989) et Chaumartin (1998). 82

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CHAPITRE III

cherche à imposer sa volonté à Créon par un raisonnement de type logique et moralisant 83.

Figure 8 : AFC des corrélats sur les discours des personnages féminins

L’AFC construite à partir des discours féminins présente des mots communs avec la première, puisque les personnages proviennent des mêmes pièces. En revanche, il apparaît que les réseaux lexicaux obtenus ne sont pas identiques à ceux de la première AFC. Comme dans la première AFC, se trouve un facteur thématique avec des mots issus de l’Hercule sur l’Œta et de l’Hercule Furieux à gauche du graphique. Notons donc l’importance statistique du cycle d’Hercule chez les personnages des deux sexes. Mais cette fois, des termes liés aux Troyennes apparaissent aussi, dans le quadrant supérieur droit. L’on y trouve de nombreux noms propres (Priam, Hector, Troie ou encore les Danéens), mais aussi des termes liés à l’intrigue mythologique  : tumulus, umbra, bellum, ignis et patria. Il est plus complexe de mettre au jour les autres facteurs représentés, en raison, entre autres, du nombre élevé de substantifs concentrés dans le quadrant inférieur droit. Il est néanmoins possible de tirer une conclusion d’ordre général de ces deux AFC et de leurs particularités  : hommes et femmes de la tragédie ne structurent pas leurs discours de la même manière. Il s’agit d’une différence subtile, puisque beaucoup de mots sont communs aux deux groupes et puisque   Sur les sententiae liées au pouvoir dans l’Œdipe, voir Paré‑Rey (2012), p. 149-151.

83

HÉROS MASCULINS VS FÉMININS181



le thème des pièces a une certaine importance. Mais la distinction principale réside dans le mélange abstrait-concret caractéristique du discours des personnages féminins. En effet, nous ne retrouvons pas chez elles de contexte plutôt spécifié par l’un ou l’autre domaine. Dans le quadrant supérieur gauche de l’AFC, lacrima et fortuna se côtoient, en bas furor et saxum. Cinis et fatum se partagent le quadrant supérieur droit et pietas et corpus l’inférieur. Ainsi, même si les facteurs un et deux ne sont pas clairement identifiés pour les personnages féminins, ils sont différents de ceux mis au jour pour les hommes. Sénèque propose un discours masculin plutôt divisé entre moments abstraits et concrets, ce qui indique une recherche de structuration chez les personnages masculins. En revanche, il compose un discours féminin plutôt diversifié. Afin de compléter ces observations, il est intéressant de mettre en avant certaines particularités et de comparer des réseaux précis entre les deux AFC proposées. Tout d’abord, insistons sur la place centrale des noms de la famille sur le graphique. D’ordinaire, dans l’interprétation statistique, les points au centre des graphiques sont laissés de côté, car ils ne représentent pas d’écart par rapport à la norme. Ici, non seulement leur densité est élevée, mais le nuage central est surtout composé de plusieurs noms de parenté (coniux, mater, parens, socer). Ainsi, la position de ces noms illustre que ceux-ci partagent beaucoup de liens entre eux, mais aussi avec les autres substantifs du corpus. Cette réalité démontre une certaine permanence du thème de la famille dans les textes des personnages féminins. Il convient d’ailleurs de s’arrêter un moment sur la place de coniux. Le nom est au centre de l’AFC, dans le réseau de la famille, proche de mater. Il est également entouré de valeurs positives comme fides, sacrum ou encore regnum. Du côté des personnages masculins, l’on ne retrouve pas un réseau aussi serré autour de la famille. De plus, coniux fait partie d’un ensemble lexical négatif  : nefas, scelus, caedes, dolus, luctus et dolor. Hommes et femmes n’utilisent donc pas ce terme précis exactement dans les mêmes réseaux lexicaux. Les résultats ne montrent pas que les rôles masculins ou féminins limitent tel ou tel mot à un strict environnement contextuel, il est plus prudent de parler de tendance. Pour le cas de coniux, l’extrait suivant du Thyeste est un bel exemple  : [Atr.]  Fas est in illo quicquid in fratre est nefas. quid enim reliquit crimine intactum aut ubi sceleri pepercit ? Coniugem stupro abstulit regnumque furto. [Atr.]  Il est juste envers celui-là ce qui est injuste envers un frère. En effet qu’a-t-il laissé intact de crime et où a-t-il épargné l’atrocité  ? Mon épouse, avec violence, il l’a prise, et le pouvoir avec le vol. (Thy., 220-223)

Le passage provient de l’échange entre Atrée et son courtisan, où le premier se rappelle les offenses de son frère et excite ainsi sa vengeance 84. 84

 Voir Chaumartin (éd.) (2002), p. 120, n. 13.

182

CHAPITRE III

L’épouse d’Atrée n’est pas directement visée par les attaques du roi, même si coniux est dans un environnement péjoratif  : nefas, crimen, scelus, stuprum ou encore furtum. En effet, Thyeste est, lui, considéré comme l’acteur principal de l’adultère et la haine d’Atrée lui est consacrée. Néanmoins, l’association ne peut être ignorée, même si elle est indirecte, entre l’épouse et le crime commis. Elle est incontestablement et définitivement souillée par Thyeste. Les termes utilisés par Atrée sont forts, mais le public ne peut pas déterminer clairement le rôle joué par cette épouse. Par ailleurs, le roi ne nomme jamais sa femme en personne, qui est absente de la scène. Elle est réduite à sa simple qualité d’épouse sans identité propre. Il est possible de faire un pas de plus en proposant que son rôle, dans le développement de l’intrigue, est limité par Sénèque à un prétexte de passion. Cette épouse n’est nécessaire à la pièce que parce qu’elle a été séduite par Thyeste. L’exemple du Thyeste permet ainsi de comprendre comment fonctionnent les réseaux apparents dans les deux AFC. Chez les personnages féminins, l’auteur a construit autour de coniux un environnement lié à la famille, mais aussi à des valeurs importantes de la culture romaine. Chez les hommes, il lui a accordé une place moins centrale dans les discours et lui a associé un univers négatif en raison de leur rôle qui est, pour eux, funeste  : l’épouse adultère pour Atrée, Phèdre incestueuse pour Hippolyte, Médée matricide pour Jason, Déjanire meurtrière pour Hercule et Clytemnestre pour Agamemnon. Relevons encore la présence particulière de luctus et de dolor. Si les propos des femmes sont caractérisés par les sentiments, les hommes associent également femmes-émotions-deuil. Les personnages masculins de Sénèque sont donc conscients de cette différence avec les femmes. Le tissu textuel des hommes et des femmes de la tragédie n’est donc pas identique. Comme démontré dans les chapitres précédents, les deux groupes présentent bien des points de contact, mais leurs discours ne sont néanmoins pas structurés de la même manière. Des différences sont perceptibles dans le choix de leur vocabulaire, mais aussi dans la contextualisation de celui-ci. III.5. Conclusion Pour clore ce chapitre, il est opportun de revenir avec une vue globale sur les résultats mis au jour. Grâce aux méthodes développées, nous avons dégagé un schéma dramatique et narratif spécifique aux personnages masculins, une posture de communication. Cette dernière intervient lorsqu’un héros passe d’un univers à l’autre. Il peut ainsi décrire ce qu’il a vécu par un récit descriptif détaillé (avec une spécificité de l’ablatif et de l’adjectif). De ce schéma est apparu qu’une opposition existe dans la tragédie, entre personnages masculins mobiles et féminins immobiles. Il résulte de ce contraste une intensité tragique puissante. En ce qui concerne les héroïnes, les éléments dégagés – impératif, supplex (nom et adjectif), vocatif, tu et tuus – participent à un processus de caractérisation du

HÉROS MASCULINS VS FÉMININS183



discours féminin plus ou moins développé selon la tragédie et le personnage 85  : l’interaction pour faire passer un message. Les héroïnes de Sénèque sont plus souvent dans une posture discursive de demande et d’échange que leurs homologues masculins. Par ailleurs, un topos survient fréquemment dans la tragédie  : une demande féminine envers un personnage masculin. Des stratégies sont mises en œuvre par les premières pour se faire entendre. Mais en raison d’un décalage d’utilisation des marqueurs d’échange entre hommes et femmes, une rupture s’établit et cette dislocation est à l’origine d’impasses tragiques  : Jason refuse de s’exiler avec Médée (Médée), Jocaste ne parvient pas à détourner ses fils de la guerre (Phéniciennes), Phèdre manque sa déclaration à Hippolyte et sa réconciliation avec Thésée (Phèdre), Andromaque ne peut convaincre Ulysse de sauver Astyanax (Troyennes). Enfin, l’étude des réseaux lexicaux atteste également des différences entre les personnages de sexe opposé. Même si hommes et femmes partagent des points communs, il existe de subtiles différences dans leurs associations de mots. En résumé, nous avons dégagé, pour les héroïnes, un réseau centré autour de l’épouse et des valeurs morales de la société romaine sans distinction de type abstrait-concret. Chez leurs homologues masculins, l’opposition abstrait vs concret est plus nette et l’épouse est plutôt associée à des termes connotés négativement. Devant ces résultats, l’on comprend l’importance accordée par Sénèque au discours dans lequel se cristallise l’enjeu tragique et dramatique de son œuvre théâtrale.

  La caractérisation des discours des personnages peut dépendre, en plus des choix posés par l’auteur, de contraintes mythologiques ou littéraires. 85

CHAPITRE IV

Discours féminin ou discours féminins  ? Although we speak of “tragedy” in general, each tragedy is different  ; in each the dramatist creates a poetic world with a particular character, and this can best be seen by examining a drama from the beginning. Rutherford (2012), p. 84.

Les trois chapitres précédents ont montré des différences entre héros masculins et féminins, tant sur le lexique que sur la morphosyntaxe 1, mais il s’agit d’éléments ponctuels qui ne constituent pas ensemble des systèmes discursifs indépendants. Au contraire, le langage des chœurs ou des messagers, par exemple, s’est distingué des autres personnages dès les premiers essais statistiques et l’observation s’est répétée dans les deux premiers chapitres. À ce stade, il serait sans doute plus juste de parler de «  discours féminins  » au pluriel pour rendre apparente cette multiplicité de caractéristiques qui identifient les femmes par rapport aux hommes. Il convient donc de laisser de côté l’approche globalisante. Ainsi, chaque pièce est abordée comme un ensemble. De cette manière, il est plus aisé de mettre au jour les interactions entre les personnages et les stratégies de communication qui régissent leurs rapports. À un niveau plus local, il faut déterminer si des synergies apparaissent également entre les personnages de même sexe et si nos observations sur l’ensemble du corpus se vérifient au premier niveau, celui de la pièce. Chacune d’elles est passée en revue pour illustrer des phénomènes du lexique et de la morphosyntaxe, susceptibles de participer à la construction de notre connaissance des discours hommes-femmes chez Sénèque. IV.1.  Agamemnon L’enquête débute par l’Agamemnon, construite autour de treize personnages 2 dont deux muets, Oreste et Pylade. La tragédie est probablement l’une des  En revanche, nous n’avons pas dégagé d’éléments de la syntaxe qui interviendraient dans le processus de caractérisation sur un facteur de sexe. 2   Clytemnestre, le fantôme de Thyeste, Égisthe, Agamemnon, Strophius, Cassandre, la nourrice, Eurybate, Électre, le chœur des Mycéniennes et le chœur des Troyennes. 1

DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?185



premières composées par Sénèque, avec l’Œdipe et Phèdre, avant 49 3. Néanmoins, la chronologie, souvent douteuse, n’a pas déterminé l’ordre de traitement des œuvres proposé dans ce chapitre. Nous avons privilégié les critères méthodologique (les pièces sont regroupées selon les types de personnages mis en scène) et thématique (les pièces sur les mêmes thèmes sont réunies). Ainsi, nous commençons par l’étude de cette pièce, car elle a l’avantage de comporter plusieurs rôles féminins (Clytemnestre, Électre et la nourrice) et masculins, ainsi que deux chœurs (un chœur des femmes mycéniennes et un chœur de jeunes filles troyennes). L’Agamemnon se présente donc comme un terrain d’exploration favorable à la mise en place de notre méthodologie.

Figure 1 : AFC des lemmes dans l’Agamemnon (tableau lexical entier)

Sur cette AFC, les axes 1 et 2 4 ne permettent pas de mettre en évidence un facteur de sexe dans la caractérisation des discours, puisque les personnages féminins sont répartis avec leurs homologues masculins entre les quatre quadrants du graphique. En revanche, le premier axe (horizontal) fait apparaître une opposition entre les personnages dont la nature de l’intervention est plus proche du récit (à droite  : les chœurs, le messager de l’armée grecque, Eurybate, la nourrice et Cassandre) que de l’interaction (à gauche  : tous les autres personnages). Du point de vue de ce facteur, l’ombre de Thyeste se positionne entre les deux ensembles. Clytemnestre et Cassandre, comme Thyeste, présentent sans doute aussi peu de spécificités par rapport aux deux grandes tendances illustrées   Selon la chronologie proposée par Fitch (éd.) (2002), p. 10-14. Elle est toutefois contestée par Dingel (2009), p. 104-114, qui en fait la sixième pièce composée par Sénèque. 4   L’axe 3 qui n’intervient que pour 10 % dans le graphique ne fait pas apparaître de facteur de sexe. 3

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CHAPITRE IV

par l’axe 1. L’axe 2 (vertical) semble plutôt séparer les rôles touchés de près ou de loin par le furor (en bas  : Clytemnestre, l’ombre de Thyeste, Cassandre et Égisthe) 5 des héros moins concernés par la transformation dramatique en furiosus (dans les deux quadrants supérieurs  : les six autres personnages). L’analyse arborée, calculée sur le même critère, permet de comprendre plus précisément ce qui distingue ou rapproche les personnages dans le lexique de leur discours, à savoir la nature de leur rôle (plus proche du récit ou du dialogue) et le thème de leur intervention sur scène  :

Figure 2 : Analyse arborée des lemmes dans l’Agamemnon

Comme dans l’AFC, la nourrice, Eurybate et les deux chœurs se présentent sur une branche de l’arbre indépendante, ce qui atteste leur proximité. En plus, les deux chœurs sont réunis par un même nœud. Ensuite, une seconde branche démarre du nœud central de l’arbre et se divise en deux ramifications. D’un côté, Clytemnestre et Égisthe sont réunis, et de l’autre, Strophius, Électre et Agamemnon composent la deuxième sous-branche. Les premiers semblent offrir un discours proche, en raison de leur position commune dans l’action de la pièce contre le pouvoir, incarné par Agamemnon. En effet, les deux amants proposent une même posture de passion, comme le décrit F. Dupont  : «  luimême [Égisthe] ne réussit pas à démarrer, il échoue à être Atrée comme Clytemnestre à être Déjanire dans l’invention de nefas  » 6. Ch. Kugelmeier propose un parallélisme entre les deux héros  : «  but we must also not forget the character to whom she [Clytemnestre] is inseparably bound, her lover Aegisthus. At the end both appear together as the embodiment of arbitrary tyranny that has broken through the barriers of reason and morality.  » 7   Dupont (1995), p. 213-218 et Dupont / Letessier (2011), p. 211.   Dupont (1995), p. 215. 7   Kugelmeier (2014b), p. 495. 5 6

DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?187



Lorsque sont comparés les échanges entre la reine et son amant, il est remarquable que les deux héros suivent le même cheminement émotionnel jusqu’au retour de l’armée grecque de Troie. Ainsi, ils passent par une phase de questionnement sur la fermeté de leurs intentions. L’amant doit assurer sa propre détermination, mais aussi celle de sa maîtresse, qui semble faillir un moment 8. Clytemnestre s’interroge ainsi  :  Quid, segnis anime, tuta consilia expetis ? (v. 108  : «  Pourquoi, esprit mou, cherches-tu un conseil sans danger  ?  »), alors qu’Égisthe se demande  : Quid terga uertis, anime ? (v.  228  : «  pourquoi tournes-tu le dos, mon esprit  ?  »). Ensuite, pour se donner du courage, la reine se rappelle le sacrifice d’Iphigénie (v. 162-168) et ensuite les différentes maîtresses d’Agamemnon jusqu’à Cassandre (v. 175-191). Égisthe reprendra ce second argument pour entretenir la rancœur de Clytemnestre envers son mari (v. 253-259). Enfin, après de multiples encouragements de part et d’autre, ils envisagent tous les deux la mort comme la solution à leur détresse, aux vers 199-202 pour Clytemnestre et 304-305 pour Égisthe. À travers ces exemples, l’on comprend comment les deux personnages sont construits de manière similaire par Sénèque, parce qu’ils ont le même destin dans la pièce, celui de «  prendre place dans leur famille mythologique  » 9. Par ailleurs, le traitement analogue d’Égisthe permet à l’action de se dérouler jusqu’à son terme, puisque Clytemnestre, seule, est incapable d’accomplir le meurtre d’Agamemnon. En présentant l’amant comme une «  seconde Clytemnestre  », Sénèque offre un soutien dramatique à l’héroïne, qui se présente comme le vrai moteur de l’action. Ensuite, le tragédien a choisi de présenter un couple meurtrier sur scène, plutôt que la seule Clytemnestre, dans le but à la fois de rendre complexe l’interaction entre les personnages, mais aussi d’intensifier l’action dramatique exposée sur scène. En effet, la reine ne peut accomplir le meurtre d’Agamemnon que grâce à la force obtenue par la confrontation avec la nourrice et par les encouragements d’Égisthe. Pour réussir le parallélisme entre les deux personnages, Sénèque a caractérisé leur discours de manière similaire pour renforcer le jeu de comparaison, renforcée par les autres personnages, comme dans cette remarque de Cassandre prononcée après sa description du meurtre d’Agamemnon  : [Cas.]  Vterque tanto scelere respondet suis : est hic Thyeste gnatus, haec Helenae soror. [Cas.]  Et chacun des deux répond aux siens par un si grand crime  : celui-ci est le fils de Thyeste, celle-ci la sœur d’Hélène. (Agam., 906-907)

Strophius, Électre et, dans un deuxième temps Agamemnon, partagent aussi suffisamment de points de contact pour apparaître proches dans la partie inférieure de l’arbre. En effet, les deux premiers présentent un même intérêt pour la protection d’Oreste. Ensuite, tous les deux déplorent le meurtre du roi et appartiennent 8 9

  Dans un but ou non de manipulation  : Croisille (1964a).   Dupont (1995), p. 215.

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CHAPITRE IV

à ses fidèles. La thématique influence donc le discours de ces personnages. Enfin, Cassandre et le fantôme de Thyeste, probablement en raison du caractère oraculaire et prophétique de leur discours, apparaissent sur la même branche du graphique. Ils ont la particularité de faire partie d’un monde différent des autres personnages. La prophétesse et le fantôme sont présents dans l’espace tragique qui appartient au domaine des vivants, mais ils conservent un lien fort avec le monde des morts et des dieux. Cette ambivalence affecte leur discours, puisqu’en plus de participer à l’action dramatique comme les autres personnages, ils posent un regard différent sur les événements, grâce à leur connaissance de l’avenir. Pour illustrer la proximité entre Thyeste et Cassandre, l’extrait suivant du prologue, prononcé par l’ombre de Thyeste, peut être mis en parallèle avec la description de Cassandre, qui survient plus loin dans la pièce (v. 867-909)  : [Thy. Vm.]  Iam scelera prope sunt, iam dolus caedes cruor – parantur epulae. Causa natalis tui, Aegisthe, uenit. [Ombre de Thy.]  Désormais les crimes sont proches, désormais le piège, le meurtre, le sang – le festin se prépare. La raison de ta naissance, Égisthe, arrive. (Agam., 47-49)

Ces paroles du fantôme qui ouvrent l’action résonnent comme une annonce de ce qui se déroule dans la pièce. Ensuite, au moment du meurtre d’Agamemnon, la vision de Cassandre se présente comme la description des événements annoncés dans le prologue. Les vers de Thyeste sont donc programmatiques des propos de la fille de Priam. Ces extraits de Cassandre sont à comparer avec le passage sélectionné  : epulae instructae (v.  875  : «  un festin dressé  »)  ; perfida neci (v.  887  : «  par un meurtre trompeur  »)  ; cruor / exundat (v.  902-903  : «  le sang s’écoule  »)  ; uterque tanto scelere respondet suis (v. 906  : «  et chacun des deux répond aux siens par un si grand crime  »). À travers ces exemples, la proximité des deux rôles apparaît et illustre le résultat de l’analyse arborée. Les deux graphiques indiquent donc que, dans leur utilisation du vocabulaire, les personnages de l’Agamemnon ne sont pas identifiés selon leur sexe, puisqu’une femme est présente dans les quatre groupes mis ici en évidence. À la place, deux facteurs interviennent pour expliquer leur caractérisation  : la nature de leur discours, mais aussi leur contenu thématique. L’AFC, calculée sur la distribution des fréquences codes grammaticaux, montre que les quatre personnages, déjà comparés pour leurs similitudes dans l’emploi du lexique, sont une nouvelle fois réunis. Leurs discours présentent donc des points de contact à la fois sur le vocabulaire et sur la morphosyntaxe. En revanche, il est difficile de comprendre quel est le facteur précis représenté sur l’axe 1, pourtant lourd dans la justification de la position des personnages sur le graphique (45 %). Peut-être oppose-t-il les rôles plus interactifs aux rôles plus réflexifs ou récitatifs  ? 10   L’AFC sur les différentes parties du discours n’offre pas plus de réponse.

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De manière plus assurée, l’axe 2 oppose les personnages qui font avancer l’action dramatique (en haut) aux personnages qui participent plutôt au support de l’action (en bas). Par exemple, l’extrait suivant de l’intervention de Strophius pourrait illustrer les deux aspects mis en exergue par l’AFC  : [Str.]  Tuque o paternis assidens frenis comes, condisce, Pylade, patris exemplo fidem. Vos Graecia nunc teste ueloces equi infida cursu fugite praecipiti loca. [Str.]  Et toi, ô compagnon assis sur l’attelage de ton père, apprends, Pylade, la parole donnée par l’exemple de ton père. Et vous, par le témoignage de la Grèce, rapides coursiers, fuyez maintenant d’une course rapide cet endroit peu sûr. (Agam., 940-943)

Le roi Strophius s’adresse à son fils avec les marqueurs d’échange de la langue latine  : la deuxième personne (tu et uos) et le vocatif (Pylade). Mais, le rôle de Strophius ne fait pas avancer lui-même l’action de l’Agamemnon. Sa conduite est dictée par Électre, qui a sollicité son aide pour la protection d’Oreste après le meurtre de leur père (v. 929-933). Il arrive donc en appui à la trame de l’histoire et son intervention est limitée à la protection d’Oreste. Pour contourner la difficulté d’interprétation de l’AFC, il est possible de sélectionner un axe de recherches particulier  : par exemple, une AFC sur la distribution des personnes entre les rôles de l’Agamemnon (personnes verbales, pronoms personnels et possessifs).

Figure 3 : AFC des trois personnes dans l’Agamemnon

Les personnages se répartissent nettement sur le graphique selon leurs préférences entre les trois personnes. D’abord, la sensibilité du messager, Eurybate, pour la troisième personne est très marquée. Ceci s’explique par la nature de

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CHAPITRE IV

son discours, qui rapporte les événements et les actes de l’armée grecque depuis le départ de Troie. La différence est importante et elle isole le personnage sur l’extrémité droite du graphique. C’est d’ailleurs probablement ce facteur qui est révélé par l’axe 1, puisqu’il oppose le messager à presque tous les autres personnages. L’axe 2 met en contraste les héros plus sensibles à la première ou à la seconde personne. Ensuite, les deux chœurs de l’Agamemnon, qui sont pourtant proches dans leur utilisation plus globale de la morphosyntaxe, se distancient ici sur l’utilisation des personnes. Ainsi, le chœur des Troyennes utilise plutôt la première personne et la troisième, tandis que celui des Mycéniennes présente une affinité pour la seconde personne. À la lecture des textes, la nature de leurs interventions paraît effectivement différente avec des conséquences sur la construction de leur discours. Le rôle du chœur des Mycéniennes, qui intervient en premier dans la pièce, se divise en deux temps essentiels. Le premier survient dans le premier Acte, après le prologue de l’ombre de Thyeste, sous la forme d’une invocation à la Fortuna (v. 57-107). Et dans le deuxième Acte (v. 310-411), le second consiste en une longue prière adressée principalement à Phébus 11, à Pallas et enfin à Jupiter. En raison de l’échange hostile entre Clytemnestre et Égisthe, en décalage total avec les propos élogieux du chœur, il est probable, selon W. M. Calder 12, que le groupe de femmes se soit retiré entre les deux prises de parole. Les deux invocations sont construites comme des adresses directes aux divinités, avec une répétition particulièrement importante de la seconde personne sous ses différentes formes. Dans le second passage d’une centaine de vers, pas moins de dix-huit occurrences du pronom personnel tu, six du possessif tuus et dix-sept de la seconde personne verbale sont comptées. Les quatre vers suivants sont représentatifs de cette sur-utilisation de la deuxième personne  : [Ch.]  //tv bella manu pacemque regis ; tv nunc laurus Agamemnonias accipe uictrix. [Ch.]  Toi, tu tiens de la main les guerres et la paix  ; toi, maintenant, reçois les lauriers d’Agamemnon, victorieuse. (Agam., 354-357)

À travers l’abondance de la seconde personne, les femmes de Mycènes tentent d’établir le contact avec le monde divin pour remercier les dieux de la victoire grecque. Sénèque a sans doute cherché à reproduire un schéma formulaire et figé de prière ou d’invocation envers les dieux 13.   Notons que la prière du chœur à Apollon correspond à la prière du messager dans l’Agamemnon d’Eschyle aux vers 509-513  : Chaumartin (éd.) (2002), p. 73, n. 48. 12   Calder (1975). 13   La prononciation des noms et des titres des divinités occupait une place importante dans les formulations de prière à Rome  : North (2000), p. 45 et Prescendi (2007), p. 36 et 80-81. 11

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La fonction du chœur de Troyennes diffère du premier groupe. En effet, les femmes de Troie sont dorénavant des esclaves. D’abord, elles apparaissent sur scène comme les témoins directs de la défaite de Troie 14, sur le motif littéraire de l’Ilioupersis, tiré du modèle virgilien. Dans un second temps, elles accompagnent Cassandre lors de son arrivée dans la maisonnée du roi Agamemnon. Elles occupent ainsi les fonctions de témoins de la guerre et de soutiens de la princesse. Ce double rôle explique assurément leur préférence pour la première et la troisième personnes. Elles entrent en scène après le long rapport d’Eurybate à Clytemnestre. Le messager détaille à la reine le retour mouvementé des Grecs de Troie, avec la tempête, en mer comme un récit dont il ne fait pas partie, avec une distance entre lui et les événements. Le chœur prend ensuite la parole pour apporter sa propre vision sur les dernières heures de la cité de Priam  : [Ch.]  Vidimvs simulata dona molis immensae Danaumque fatale munus dvximvs nostra creduli dextra… [Ch.]  Nous avons vu le faux présent d’une taille immense et nous avons conduit le fatal cadeau des Danaens, crédules, de notre main… (Agam., 627-629)

À la différence du messager, les femmes s’impliquent émotionnellement, avec la répétition de la première personne dans le témoignage qu’elles apportent 15. Devant le malheur qui a touché les membres du chœur, le chant prend une coloration de lamentation. L’utilisation du «  je  » donne un caractère personnel au récit. Dans le passage, il faut aussi noter plus particulièrement la répétition de uidimus (v. 612, 627 et 648) et de uidi (deux fois au vers 656) dans le but d’insister sur le caractère direct du témoignage  : elles étaient bien présentes lors de la destruction de la cité. L’opposition est très nette entre les deux descriptions, qui ont pourtant un même objectif dramaturgique  : expliquer aux autres personnages (et bien entendu, au public) un fait antérieur au moment de l’action dramatique. Cette différence entre le messager et le chœur de Troyennes a pour but de créer une distance entre le public et les épreuves subies par l’armée grecque sur mer, et, inversement, de susciter l’adhésion et l’émotion autour des femmes troyennes. Cette caractérisation différenciée pourrait également s’interpréter comme une recherche de construire par le discours deux rôles de nature distincte. Le messager, qui est ici   La précision du chœur dans sa description et son implication dans le témoignage a même incité Aricò (1996), p. 140, à parler d’autopsia pour qualifier ce passage de l’Agamemnon. Voir aussi La Penna (1987). 15   Il est plutôt rare que le chœur prenne le parti de rapporter ce qu’il ressent comme le note Aygon (2004), p. 298-300. L’auteur relève l’exception que constitue le chœur des Troyennes dans son échange avec Hécube. 14

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plus précisément le héraut de l’armée grecque, propose un récit plus descriptif, avec un accent sur l’action plutôt que sur l’émotion. À l’opposé, le discours du chœur de Troyennes est construit en accord avec l’image traditionnelle de la femme, plus émotive et impliquée dans le rite communautaire de la lamentation. Il est également probable qu’il renvoie au traitement de la captive proposé par Euripide dans les Troyennes 16. Inscrit dans une longue tradition de présentation de la femme, Sénèque crée un chœur dont le témoignage est très personnel pour une émotivité plus développée. Cassandre, qui devait faire partie de la troupe des captives 17, prend ensuite la parole et définit parfaitement la démarche du groupe  : [Cas.]  Troades, et ipsae uestra lamentabili lugete gemitu funera// [Cas.]  Troyennes, versez sur vos propres deuils un gémissement de lamentation. (Agam., 660-661)

Après le premier passage de Cassandre (v. 659-663), la nature de l’intervention du chœur des Troyennes va se transformer graduellement. Le rôle collectif de lamentation laisse la place à une fonction de miroir du comportement sur scène de la prophétesse. Cette nouvelle posture s’opère jusqu’au moment important de la possession divine de Cassandre par Apollon et de l’arrivée d’Agamemnon annoncée par la mention  : Agamemnon adit (v.  779  : «  Agamemnon arrive  »). À la fin de cet épisode, les femmes se retirent définitivement de la scène pour que l’attention soit portée sur l’échange entre la prophétesse et le roi grec. Dans la seconde partie du chœur de Troyennes, le discours devient descriptif et détaille avec précision les gestes de Cassandre  : [Ch.]  Silet repente Phoebas et pallor genas creberque totum possidet corpus tremor ; [Ch.]  Elle se tait soudainement, la prophétesse, et la pâleur envahit ses joues et un rapide tremblement possède son corps en entier. (Agam., 710-711)

L’attention portée par les Troyennes pour rapporter les caractéristiques physiques de Cassandre (pallor, genas, corpus et tremor) est très marquée. Chacun des mouvements de la prophétesse est finement retracé par le groupe de femmes. Sénèque alterne la parole de Cassandre, orientée vers son intériorité, pour recevoir le message d’Apollon, avec les répliques du chœur qui décrit l’attitude extérieure de la jeune fille. De cette manière, l’auteur offre au public une com-

16   Sur le traitement du chœur de captives dans les Troyennes, voir Grube (1973), p. 100-101, et surtout Serghidou (2010), p. 62-65. 17   Il est probable que la princesse fasse partie du chœur, peut-être avec des signes distinctifs dans son costume, et qu’elle ne s’en détache qu’au moment de prendre la parole  : Calder (1975) et Kohn (2013), p. 58.

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préhension globale du personnage complexe de Cassandre  ; en d’autres mots, une description externe et physique dans la bouche du chœur – ce qui explique une forte utilisation de la troisième personne – et une vision interne et axée sur le ressenti par le personnage de Cassandre. D’ailleurs, remarquons que cette dernière présente une affinité encore plus marquée que le chœur des Troyennes pour la première personne. Ceci est un indice statistique clair d’une posture discursive orientée vers l’introspection. Sans surprise, les personnages du fantôme de Thyeste et de Clytemnestre apparaissent attachés à l’utilisation de la première personne. Le premier a déjà été mis en parallèle avec Cassandre grâce aux explorations sur l’utilisation des lemmes. Ces résultats avaient mis en évidence un rôle prophétique similaire. À présent, ajoutons un point de contact supplémentaire  : tous les deux centrent leur discours sur leur propre intériorité. Ils ont besoin de revenir à leur émotion personnelle pour être capables de voir ou de savoir ce que les autres personnages ne connaissent pas encore. Par ailleurs, même si le rôle informatif du prologue ne doit pas être nié, l’accent est mis par le locuteur sur la première personne. Cette observation renforce les analyses qui voient dans le prologue des tragédies du philosophe un espace dédié à l’émotion et à la passion. Dans son édition commentée de l’Agamemnon, R. J. Tarrant note ainsi au sujet du prologue en général  : «  In Seneca, the affectus of the speaker rather than the information he can impart is the centre of interest. Prediction is provoked and shaped by emotion, and as a result is often imperfect or distorted.  » 18 Malgré une approche du texte différente, F. Dupont partage ce postulat, développé dans les Monstres de Sénèque 19. La première personne est aussi une caractéristique discursive du personnage de Clytemnestre. Comme signalé plus haut, elle est au centre de l’action contre Agamemnon. Sénèque cherche à reproduire cet effet par son discours, en le mettant à la première personne. C’est la passion contre son époux, intrinsèquement personnelle et intime, qui est le moteur de l’intrigue de l’Agamemnon. D’ailleurs, ego et meus font partie du lexique spécifique de Clytemnestre, ce qui confirme la présence marquée de la première personne dans le discours de la reine. Il est d’autant plus intéressant d’insister sur cette particularité lorsqu’elle est mise en parallèle avec la préférence d’Égisthe pour la seconde personne. Ainsi, même s’ils sont proches quant à leur distribution des lemmes, ils s’opposent dans leur utilisation des personnes. Dès lors, autant Clytemnestre est centrée sur elle-même, autant Égisthe se concentre non pas sur sa propre ­personne, mais sur son interlocuteur qui est la plupart du temps sa maîtresse. Le rôle de l’amant est orienté vers Clytemnestre, et ceci aide à comprendre

18 19

  Tarrant (éd.) (1976), p. 158.   Dupont (1995), p. 154-155.

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comment le héros est construit. L’extrait suivant, sélectionné au début de l’échange entre la reine et le héros, illustre cet effet  : [Aeg.]  Quo raperis amens ? Credis aut speras tibi Agamemnonis fidele coniugium ? […] [Ég.]  Où-te laisses-tu entraîner, insensée  ? Crois-tu ou bien espères-tu pour toi un mariage fidèle avec Agamemnon  ? (Agam., 244-245)

Le héros, apeuré par les doutes et un potentiel abandon de Clytemnestre, tente d’abord de comprendre les émotions de celle-ci et ensuite de la convaincre de conserver leur plan initial, à son avantage. Pour susciter chez elle une réaction de retour vers lui, il répète la deuxième personne pour centrer son attention, et celle du public, sur le ressenti de son interlocutrice. Il nie presque sa propre identité pour laisser la place à la personne qui mène réellement l’action. Le discours d’Égisthe présente donc une tendance à renvoyer vers le personnage de Clytemnestre, ce qui confirme la complémentarité des deux rôles dans le déroulement dramatique de la pièce. L’amant n’est pas le seul personnage de la tragédie à accorder une importance particulière à Clytemnestre. Le discours de la nourrice est, lui aussi, caractérisé par une utilisation plus fréquente de la deuxième personne. Comme dans l’échange d’Égisthe avec Clytemnestre, le sentiment de la nourrice importe peu. Dramatiquement, elle existe pour ce qu’elle met en lumière chez Clytemnestre. Le rôle de modérateur de la nourrice a déjà été rappelé 20, mais l’utilisation de la deuxième personne montre également sa fonction de miroir pour sa maîtresse. En renvoyant sans cesse Clytemnestre à sa propre démarche, la nourrice lui permet de prendre conscience de la nature de ses émotions, ce qui l’amène à accomplir sa passion. Enfin, abordons encore le cas plus particulier d’Agamemnon. Contrairement à la nourrice ou à Égisthe, la forte présence de la seconde personne peut s’expliquer selon plusieurs facteurs. Il n’est possible de les définir que par un retour permanent au texte. Ainsi, elle est présente dans la conversation entre le roi et Cassandre (v. 782-807) orientée vers la jeune fille, puisqu’Agamemnon lui donne une série de conseils pour vivre à Mycènes  : ne metue dominam (v.  796  : «  ne crains pas ta maîtresse  »), secura uiue (v.  797  : «  vis en sécurité  ») et nullum est periculum tibimet (v. 798  : «  il n’y a pas de danger pour toi  »). Ensuite, des ordres du roi envers ses serviteurs sont à relever (v. 800-801) et enfin, le rôle d’Agamemnon se clôture sur une prière à Jupiter et à Junon adressée à la deuxième personne. * *   *   Cf. II.2.

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Dans cette tragédie, Sénèque n’a pas cherché à caractériser les discours dans le but de polariser l’action entre personnages masculins et féminins. Devant la proximité des interventions d’Égisthe et de Clytemnestre, il n’est pas pertinent de se demander si c’est l’amant qui présente des caractéristiques du discours féminin ou inversement. Il est plus important d’insister sur la volonté de Sénèque de présenter des personnages proches discursivement, parce qu’ils sont eux-mêmes proches thématiquement, mais aussi «  idéologiquement  » dans l’action mise en scène. En effet, si le couple parle des mêmes sujets, il poursuit également des objectifs identiques  : la mort d’Agamemnon et le pouvoir sur Mycènes. La même stratégie s’observe chez Électre, Agamemnon et Strophius. Dans l’Agamemnon, l’accent est donc mis, non pas sur une opposition de sexe entre personnages, mais plutôt sur une opposition de type thématique et moral entre deux clans d’intervenants. IV.2.  Médée Le mythe et la tragédie de Médée ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires et études 21. Néanmoins, il semble important d’appliquer nos méthodes à cette pièce datée de la période intermédiaire de composition 22 et composée de différents types d’intervenants  :  23

Figure 4 : AFC des graphies dans Médée (tableau lexical entier)23   Sur le mythe, voir, par exemple  : Bartel / Simon (2010), Corti (1998) et Glaser (2001). Sur la tragédie, voir par exemple  : Arcellaschi (1990), Dangel (2001c), Garelli‑François (1996), Frisch (1941), Galimberti Biffino  (1996, 2000 et 2001), Moreau (1996), Ohlander (1989), Trinacty (2007). 22   Sur cette chronologie relative, Dingel (2009), p. 90-97 et Fitch (éd.) (2002), p. 10-14. 23   La graphie est la forme du mot telle qu’elle apparaît dans l’édition. 21

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Figure 5 : AFC des codes grammaticaux dans Médée (tableau grammatical entier)

Sur l’AFC calculée sur la fréquence des graphies 24, l’axe 1 (51 %) met en contraste, d’un côté, les deux personnages masculins, Jason et Créon, ainsi que le messager (à gauche sur l’axe) avec, de l’autre côté, les deux femmes et le chœur (à droite sur l’axe). L’axe 2 (26 %) oppose les personnages en fonction de leur degré d’action dans la tragédie. En haut du graphique, se retrouvent les héros qui prennent directement part à l’action dramatique, alors qu’en bas, les deux témoins des événements sont réunis, à savoir le messager et le chœur. Leur intervention est moins directe dans le déroulement de la pièce. Indépendamment de ces deux rôles, il est remarquable que Médée et la nourrice soient isolées par la statistique des autres personnages présents dans le quadrant supérieur droit de l’AFC. Du côté des codes grammaticaux, le résultat est similaire lorsque le troisième axe est pris en compte. Il est moins lourd statistiquement que le premier (Créon, messager et Jason vs chœur, Médée et la nourrice) et le second (narration vs interaction), puisqu’il intervient à raison de 6 % dans la position des textes sur l’AFC. Néanmoins, sa participation dans la construction du graphique ne peut pas être niée. Les deux analyses factorielles opposent donc Jason, Créon et le messager d’une part, à Médée, la nourrice et le chœur d’autre part. Au niveau du sexe des locuteurs, il est vrai que le chœur de Médée est composé de citoyens de Corinthe. Il ne s’agit donc point d’une opposition nette entre hommes d’un côté et femmes de l’autre. La proximité entre Médée, la nourrice et le chœur pose question  : pourquoi celui-ci semble-t-il proche des deux femmes barbares, alors qu’il est composé   L’AFC sur la distribution des lemmes présente une opposition entre personnages masculins et féminins, mais moins marquée. 24

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d’hommes citoyens de Corinthe défavorables à Médée  ? Tout semble a priori les opposer. Pour comprendre les liens entre le discours du chœur et celui de la magicienne, il convient d’examiner en détail ses interventions. Ses quatre principales prises de parole sont de nature différente (v. 56-115  ; 301-379  ; 579-669 et 849-878) et structurent les grands mouvements de la pièce. La première est une invocation aux dieux du mariage pour célébrer les noces entre Jason et Créuse. Elle est construite sur le modèle des invocations et des prières. Elle suit le prologue de Médée, lui aussi produit sous la forme d’une invocation, mais sur le ton de la malédiction. Médée rencontre ensuite la nourrice, qui tente de l’apaiser, et Créon, qui souhaite faire acter son exil. Les seconde et troisième prises de parole du chœur sont des odes à sujet argonautique. Entre les deux, Médée revoit la nourrice et s’entretient ensuite avec Jason, venu appuyer la demande de Créon. Après la deuxième ode, la nourrice revient une troisième fois pour exprimer ses craintes. La servante est suivie par la longue invocation magique de Médée, qui précède le meurtre des enfants. La dernière intervention du chœur décrit le comportement de Médée avant que le messager ne lui rapporte l’incendie de Corinthe. La pièce se termine par un échange entre l’héroïne et son époux autour des corps des deux garçons. L’assemblée des Corinthiens représente la cité qui a accueilli Jason et sa première épouse. En plus de rythmer l’action tragique, elle suit en parallèle l’évolution dramatique du personnage de Médée. Alors que le chœur s’oppose assurément à celle-ci dans sa prière nuptiale inaugurale, il est peu à peu conquis par la force de l’héroïne. Ainsi, au début de la pièce, il l’ignore pour se concentrer sur la célébration des noces. Mais déjà, comme remarqué par H. M. Hine, son discours présente avec elle certains points communs  : «  The conflict is highlighted by correspondences between the two prayers. Some of the gods included in each prayer are identical.  » 25 Le spécialiste conclut que l’héroïne l’emporte sur le chœur dans ce combat discursif. Les deux passages suivants du chœur formulent une critique (301-379  ; 579669), au départ assez générale, sur la recherche des Argonautes. Elle se précise ensuite sur Médée, qui est citée par son nom, lui-même mis en évidence par une allitération en m au vers 362  : [Ch.] Quod fuit huius pretium cursus ? aurea pellis maiusque mari Medea malum, merces prima digna carina. [Ch.]  Quel fut le prix de cette entreprise  ? La toison dorée et Médée, un mal plus grand que la mer, une récompense digne de la première carène. (Méd., 361-363)

Une nouvelle allusion caractérise la deuxième ode  : coniux uiduata (v.  581  : «  une épouse répudiée  »). Pour F.‑R. Chaumartin, les Argonautes ont déséquilibré 25

  Hine (1989), p. 413.

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l’ordre de la nature par l’invention de la navigation et Médée serait une figure de leur châtiment 26. La dernière intervention qui précède le dénouement de la tension tragique est «  entirely concerned with Medea  », comme le remarque A. J. Boyle 27, à la fois d’un point de vue thématique, mais aussi discursif (849-878). La stratégie de la cité d’exclure Médée pour autoriser le mariage de Jason a échoué, puisqu’elle est désormais totalement attentive à l’héroïne. Dès lors, si le chœur tente d’ignorer malgré lui Médée, alors qu’ils sont ensemble sur scène dès le premier Acte 28 et que leur discours présente déjà des similitudes dans la première intervention, il lui est totalement acquis à la fin de la pièce. En effet, pendant que le chœur décrit avec précision la posture physique et émotionnelle de la mère, il se demande  : Quis credat exulem ? (v. 857  : «  Qui la croirait exilée  ?  »). La question posée par l’assemblée confirme la victoire de Médée. Le discours du chœur est donc caractérisé de manière à ce qu’il possède des points de contacts avec celui de Médée pour montrer son rattachement progressif à la figure de la magicienne. Par le discours du chœur, l’auteur veut illustrer la force de Médée. Celle-ci prend possession physiquement de la cité de Corinthe par l’anéantissement du pouvoir royal (meurtre de Créon et de sa descendance et incendie du palais), mais aussi idéologiquement, par la soumission discursive du chœur. Néanmoins, c’est avec la nourrice que Médée présente le plus de similitudes. Dans les deux AFC, les deux femmes de la pièce apparaissent toujours dans le même quadrant – ce qui distingue la nourrice du chœur – révélant une forte proximité entre elles par rapport aux autres personnages, tant au niveau du vocabulaire que de la morphosyntaxe. Au regard de leurs échanges, l’opposition idéologique de la nourrice face à Médée est perceptible  : la première représente le bon sens et la modération et la seconde le désespoir et la démesure 29. Cependant, pour un effet rhétorique plus puissant, elles partagent à certains moments de l’action des répliques similaires, avec un jeu de renvois et de parallèles au moyen de phrases très courtes 30. Citons, par exemple, le passage où elles débattent de la nature et des conditions du courage  : v. 150-178 (cf. II.5.3.). Elles s’y échangent des sententiae contradictoires, proches de la stichomythie grecque, 31 mais de thématique similaire, ce qui explique une formulation commune. Ce qui semble rapprocher la nourrice, Médée et, dans une moindre mesure, le chœur, c’est un intérêt pour l’émotion. Ces préoccupations sont au centre des répliques de Médée, du chœur et de la nourrice. Mais cette dernière, dans   Chaumartin (éd.) (2008a), p. 152.   Boyle (1997), p. 123-124. 28   Kohn (2013), p. 83. 29   Sur l’opposition entre les deux héroïnes, voir Martina (1988-1989), p. 120. 30   Hine (éd.) (2000), p. 135. 31   Martina (1988-1989), p. 122. 26 27

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sa description de l’émotion chez Médée (par exemple  : v. 380-440), fait transparaître son propre sentiment, la peur, comme l’observe J.‑P. Aygon  :  C’est pourquoi une passion bien différente étreint la Nourrice elle-même  : il ne s’agit plus de pitié, mais de terreur, directement exprimée, puisque c’est sur ce mot de commentaire que se termine son discours, après la descriptio. 32

La nourrice, à l’inverse du chœur dans sa dernière intervention, ne propose pas une description détachée des événements, mais elle s’implique émotionnellement dans l’action dramatique, comme dans l’extrait suivant, où elle décrit la cérémonie magique initiée par Médée  : [Nvt.]  Pauet animus, horret, magna pernicies adest. Immane quantum augescit et semet dolor accendit ipse vimque praeteritam integrat. [Nour.]  Mon esprit s’effraie, il s’horrifie, un grand désastre est sur nous. De manière extraordinaire, sa douleur s’accroît et s’embrase elle-même et retrouve sa violence d’autrefois. (Méd., 670-672)

La nourrice décrit avec précision l’évolution de la passion ressentie par Médée. Cette analyse de la nourrice est comparable à celle de Médée lorsqu’elle s’apprête à sacrifier son premier fils  : [Med.]  //Rursus increscit dolor et feruet odium, repetit inuitam manum antiqua Erinys. Ira, qua ducis, sequor. [Méd.]  À nouveau la douleur grandit et la haine s’enflamme, l’antique Érinys reprend ma main contre mon gré. Colère, là où tu mènes, je te suis. (Méd., 951-953)

Une fois mis en parallèle, les points de contacts entre le discours de Médée et celui de la nourrice apparaissent distinctement. Une attention particulière est accordée par les deux femmes à la description de la passion pour elle-même, avec des mots tels que dolor, odium ou encore ira, mais également de son fonctionnement, avec des verbes tels que augesco, accendo ou bien incresco ou ferueo. Relevons encore la récurrence du motif du feu ardent pour définir les sentiments éprouvés. D’une certaine manière, Médée est le sujet de la passion, de l’acte tragique en lui-même, et son discours est teinté de cette particularité. De l’autre côté, la nourrice se positionne comme le reflet de Médée, tantôt pour lui renvoyer l’image d’elle-même – comme dans cet extrait – tantôt pour lui montrer son contraire, comme dans le premier échange à sujet moral (v. 150-178). La différence principale entre les deux passages est la mention de la première personne chez Médée  : sequor. La nourrice prend soin de ne pas s’exprimer à la première personne, même quand elle aborde ses propres émotions, comme 32

  Aygon (2004), p. 111.

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avec une formule de type pauet animus. D’ailleurs, en recherchant les occurrences de la première personne dans le rôle de la nourrice, on en dénombre cinq, contre 139 chez Médée. En effet, si Sénèque s’intéresse au regard personnel de la nourrice sur les événements, il n’insiste pas sur son vécu émotionnel. C’est Médée qui est enveloppée dans le tourbillon de ses émotions et qui les expose en sur-utilisant la première personne. Par le discours, l’auteur nous fait entrer dans l’intériorité de cette mère abandonnée. Le public, qu’il approuve ou qu’il rejette la position de Médée, ne peut rester indifférent à l’intimité d’une femme délaissée de la sorte. Par ailleurs, cette caractéristique des personnages pris de furor a déjà été démontrée dans l’Agamemnon : Clytemnestre, Cassandre et le fantôme de Thyeste. La paire furor-première personne présente donc une certaine permanence. La sensibilité à l’émotion est sans doute ce qui distingue le chœur, la nourrice et Médée des trois hommes de la pièce. À l’opposé du premier groupe, Créon, Jason et le messager proposent un discours dépouillé de sentiment et surtout de passion. Le roi s’exprime dans une langue presque juridique. Il répète des termes techniques de la plaidoirie, comme dans un procès  : fraus, «  la tromperie  » (v. 181 et 290), imperium, «  l’autorité  » (v. 189 et 195), causa, «  le motif  » (v. 193, 202 et 262) ou encore constituto decreto (v.  198  : «  puisque la résolution est décrétée  »). De cette manière, Créon se positionne en représentant de l’autorité. Médée en a bien conscience, mais elle essaie encore d’orienter le roi vers la raison  : si iudicas, cognosce, si regnas, iube (v. 194  : «  si tu juges, renseigne-toi, si tu règnes, ordonne  »). Par cette réplique, l’héroïne cherche à montrer à Créon qu’il a le choix d’ordonner une procédure de justice plutôt qu’une condamnation arbitraire 33. Mais Créon, même s’il a peur de Médée, ne s’inquiète pas de ses sentiments. Il raisonne avec une logique de stricte théorie politique sans prendre en compte la dimension du pathos ressenti, qualité pourtant importante dans l’exercice du pouvoir. Il se laisse seulement convaincre de postposer le départ de Médée d’un seul jour. Ainsi, le personnage est l’image même du pouvoir, mais aussi probablement du masculin. À l’instar de beaucoup d’hommes de la tragédie, il ne se laisse pas porter par l’émotion. P. Larrieu examine d’ailleurs ce rôle comme suit  : De la même façon, face à Médée, Créon se comporte comme le roi trop royal, le mâle trop viril, le grec imbu de sa supériorité sur les barbares. En excluant l’élément étranger, le sauvage, l’esclave, le féminin et l’indéterminé, en refusant de l’intégrer à la cité, la cité elle-même finit par basculer dans le chaos et s’effondre. 34

  Costa (éd.) (1973), p. 90-91  ; Németi (éd.) (2003), p. 180-181.   Larrieu (2012), p. 93.

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De son côté, Jason, même s’il fait preuve de plus d’empathie vis-à-vis de Médée et de son propre sort, se range du côté de l’idéologie officielle. Comme Créon, il cherche à faire taire son épouse en l’envoyant en exil, dans le but d’épouser Créuse librement. À propos de ce mariage, il n’est nullement question de senti­ ment de la part de Jason. Il l’a accepté dans un but politique, mais aussi familial. Contrairement au chœur, il n’est pas gagné par la passion destructrice de son épouse. Il semble avoir accepté la proposition de Créon pour mettre ses enfants en sécurité. Après le meurtre du premier, il se propose d’ailleurs pour remplacer le second  : [Ias.]  //si quod est crimen, meum est : me dedo morti ; noxium macta caput. [Jas.]  Si quelque crime il y a, c’est le mien  : je me donne à la mort  ; mets à mort une tête coupable. (Méd., 1004-1005)

Dès le départ, Jason est préoccupé par sa descendance, en accord avec les valeurs romaines traditionnelles. Il procède avec raison, même si la solution d’exclure Médée n’est pas la meilleure. Finalement, le messager intervient de manière ponctuelle et son rôle se limite à rapporter l’incendie du palais. Il s’agit d’un récit détaché de tout aspect émotionnel sous la forme d’un rapport des événements. En raison de cette caractéristique, il se rapproche de Créon et de Jason. Ces résultats nous conduisent à faire un pas dans l’interprétation de cette pièce. En effet, les deux AFC relèvent qu’un facteur de sexe du locuteur intervient dans la caractérisation des discours des personnages de Médée. Il en résulte une dynamique différente de celle mise en lumière dans l’Agamemnon. Ici, Sénèque oppose les personnages féminins, assaillis par l’émotion, à leurs homologues masculins, représentants de la logique et de la raison. Il est donc difficile de soutenir que le personnage de Médée est une femme virile, comme le propose G. Galimberti Biffino  : «  Médée a toutes les caractéristiques du héros mâle, elle est forte, dominante, active, elle pousse en avant l’action, elle combat en défense de sa propre arété, c’est-à-dire en défense de son propre honneur et de sa propre respectabilité offensée  » 35. La création de l’auteur semble plus complexe et il est important de nuancer toute proposition trop catégorique. De fait, même si la statistique semble montrer une recherche pour distinguer les discours hommes-femmes dans Médée (en dehors du messager et du chœur), il serait incorrect de nier la présence de toute caractéristique masculine chez Médée et féminine chez Jason. Nos observations statistiques et livresques tendent plutôt à soutenir que Médée présente des qualités de l’univers masculin parce qu’elle est «  trop femme  » et Jason de l’univers féminin parce qu’il est «  trop homme  ». En effet, l’héroïne représente la passion poussée à son extrême et c’est cette émotivité, 35

  Galimberti Biffino (2001), p. 26.

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CHAPITRE IV

plutôt féminine et caractérisant son discours, qui lui procure un courage typiquement masculin, comme le remarque Créon  : robur uirile (v.  268  : «  une force virile  »). Dans un processus similaire, le strict respect de l’autorité et une inquiétude toute paternelle pour ses enfants incitent Jason à l’inaction et à la passivité, deux postures plutôt attachées à la féminité 36. Sénèque joue donc à la fois sur le fond et la forme du discours pour brouiller les repères et les codes traditionnels du lecteur. L’homme de raison devient soumission et la femme de passion se redéfinit en révolution, avec un effet de croisement entre valeurs et discours. Pour illustrer l’ambiguïté entre émotion et courage, l’utilisation de l’impératif chez les différents personnages de la pièce est un bon exemple  :

Figure 6 : AFC des modes verbaux dans Médée

Sur l’utilisation des modes verbaux, l’AFC oppose sur l’axe 1 (61 %) Médée, Jason et Créon, d’une part, aux personnages sans identification précise, d’autre part  : la nourrice, le messager et le chœur. Le procédé indique sans surprise une préférence du messager pour l’indicatif, mode par excellence de la narration, et une prédilection du chœur pour le participe (cf. I.3.2.). La position de Médée est révélatrice d’une proximité avec l’impératif (102 occurrences). Dans le troisième chapitre, une sur-utilisation du mode de l’ordre par les personnages féminins a été mise en évidence. Dans le cas particulier de Médée, c’est une particularité de son personnage par rapport aux autres acteurs de la pièce. D’une part, l’émotion pousse Médée à se mettre en action lorsqu’elle s’adresse des encouragements  : [Med.]  Incumbe in iras teque languentem excita penitusque ueteres pectore ex imo impetus   Galimberti Biffino (2001), p. 26.

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uiolenter hauri. Quicquid admissum est adhuc, pietas uocetur. […] [Méd.]  Applique-toi dans la colère et, toi qui languissais, réveille-toi et au plus profond de ton cœur, va puiser violemment tes anciens élans. Tout ce qui a été commis jusqu’ici, qu’on l’appelle devoir. (Méd., 902-905)

La répétition de l’impératif (incube, excita, hauri), soutenue par le subjonctif uocetur, illustre comment Médée, motivée par l’émotion, ici l’ira, s’encourage pour accomplir son plan de vengeance jusqu’au bout. De plus, la présence de pietas est plutôt inattendue. Il s’agit d’un moment charnière très intense émotionnellement dans l’action tragique. Médée vient de mettre fin à la vie de Créuse et de Créon, et la cité prend feu. Il est désormais question de savoir s’il est nécessaire de poursuivre la vengeance avec le meurtre des deux enfants ou bien de partir avec eux. C’est pourquoi la mère rappelle que ses méfaits précédents (abandon de son père, meurtre de son frère, magie, poisons, meurtre de Créuse) ont été motivés par une forme de pietas, et non par une passion aussi destructrice que celle qui l’anime, à savoir l’ira. La valeur de la pietas, chère aux Romains, relève à la fois du sentiment (respect de la famille et des dieux) et de la raison (accomplissement des rites). Son application au comportement de Médée devait interpeller les anciens. Elle propose en effet sa propre interprétation de la pietas, éloignée de la morale romaine traditionnelle. Chez Médée, une affection non pas pieuse, mais passionnelle pourrait la définir. Pour l’héroïne, ses crimes précédents (v. 907, commodaui scelera : «  j’ai rendu service par des crimes  ») ont été perpétrés pour respecter sa fidélité envers Jason et ses enfants. Ils constituent donc un type de moralité qui lui est propre et qui l’unit dans une relation forte à sa famille. Nous nous éloignons ici de la proposition de J.‑P. Aygon, qui voit dans la pietas de Médée «  ce plaisir presque charnel que leur présence [de ses enfants] lui procure  » 37. Mais selon nos observations sur les vers 902-905, ce sentiment ne lie pas seulement Médée à ses enfants, mais également à Jason. La pietas doit donc être rapprochée d’une notion de devoir ou de respect plutôt que de plaisir. Or, à ce stade de la pièce, Jason ne mérite plus la pietas de Médée, puisqu’il l’a abandonnée. C’est pourquoi l’ira prend peu à peu l’ascendance sur la pietas, car elle est la seule qui permettra à Médée d’aller au bout du processus de vengeance  : le meurtre de ses enfants. L’héroïne passe donc d’une action antérieure motivée par la pietas, qui est une forme rationalisée d’un sentiment du devoir, à une démarche initiée par une passion qui est plus puissante. Sur ce point, l’on rejoint J.‑P. Aygon qui note que la pietas «  est présentée comme capable de lutter contre une passion, à la manière d’une autre passion  » 38. 37 38

  Aygon (2008), p. 199.   Aygon (2008), p. 200.

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CHAPITRE IV

Médée est consciente de ce rapport de force entre les deux sentiments, puisqu’elle a besoin d’activer ce ressentiment en prononçant  : incube in iras. Quelques vers plus loin, l’hésitation entre pietas et ira devient même très claire  : [Med.]  //Ira pietatem fugat iramque pietas – cede pietati, dolor. [Méd.]  La colère met en fuite l’affection, et l’affection, la colère – douleur, cède la place à l’affection. (Méd., 943-944)

Médée repense à ses enfants et hésite entre laisser la place à la pietas et arrêter le massacre, ou bien laisser libre cours à l’ira et assassiner ses deux garçons. L’élan d’affection pour ses enfants à l’origine de son hésitation sera aussi l’élément déclencheur de sa décision, avec la réplique déjà citée ci-dessus  : v. 953, ira, qua ducis, sequor. La pietas, qui a contenu momentanément l’ira, cède définitivement à la passion destructrice qui possède désormais totalement Médée, jusqu’au meurtre de son premier fils. Même si elles sont parfois contradictoires, les émotions jouent un rôle en tant que moteur de la pensée, et ensuite de l’action de l’héroïne. Ce sont elles qui lui permettent de trouver la force nécessaire pour dépasser, d’une certaine manière, sa féminité. Cette émotivité exacerbée peut inviter Médée à bousculer les autres personnages. L’utilisation de l’impératif est ainsi plutôt inattendue lorsqu’il est adressé à Créon et Jason. Médée s’élève contre le roi avec force d’impératifs (cf. III.2.1.), comme dans ce nouvel extrait  : [Med.]  Quodcumque culpa praemium ex omni tuli, hoc est penes te. Si placet, damna ream ; sed redde crimen. Sum nocens, fateor, Creo. [Méd.]  Quel que soit le prix que j’ai reçu pour tant de fautes, il est entre tes mains. Si cela te plaît, condamne l’accusée, mais rends-moi mon crime. Je suis coupable, je l’avoue, Créon. (Méd., 244-246)

Elle tente de négocier avec Créon les conditions de son départ de Corinthe. Ce dernier est d’ailleurs mis en évidence par la place de son nom en fin de vers. Elle choisit d’admettre la culpabilité de ses crimes précédents, mais elle lui demande l’autorisation de repartir avec Jason. C’est son émotion qui la pousse à affronter de la sorte le roi Créon. Toutefois, malgré le courage de la démarche, ses demandes répétées sont refusées, avec les conséquences que l’on connaît. Ce schéma de communication avortée se répète une seconde fois avec Jason. Même si la notion de courage est moins puissante, puisqu’elle s’adresse à son époux, c’est toujours la même passion qui la motive à s’opposer à Jason et à l’interpeller à de multiples reprises. Toutefois, comme les AFC l’ont montré, l’époux présente une position discursive proche de celle de Créon. Ainsi, devant ce flot d’émotions, il offre une posture proche de l’immobilisme, animée par une volonté raisonnée de protéger la vie de ses enfants.

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* *   * Alors que l’étude de l’Agamemnon a mis au jour des schémas de communications caractérisés par des positions thématiques différentes, celle de Médée apporte de nouveaux éléments. Sénèque a cherché à mettre en contraste les personnages masculins et féminins grâce à un travail sur l’émotion et son expression dans les discours  : la passion personnelle chez Médée et la passion racontée de Médée chez la nourrice. Elles s’opposent ainsi à la raison et à la logique de Créon et de Jason. Nous avons noté également, au travers du discours de la mère, que la passion, plutôt attachée au domaine féminin par les anciens, est un moteur puissant d’actions hors du commun proche du comportement masculin. À l’inverse, le strict raisonnement logique du roi et de son beau-fils semble freiner toute initiative, avec pour résultat une passivité indirecte dans leurs prises de parole. Sénèque a donc cherché, par ce croisement émotion-féminité/ action-virilité vs raison-virilité/passivité-féminité, à éviter toute lecture unilatérale de l’action théâtrale, mais aussi, par la confrontation de ces forces en mouvement, à intensifier la tension dramatique. Le facteur du sexe n’est donc pas opérant dans chaque œuvre. En revanche, l’auteur travaille selon la tragédie, pour mettre en valeur des oppositions différentes selon la dynamique recherchée. Ce qui importe, c’est de varier les confrontations entre personnages pour mettre en évidence les émotions nécessaires à la réalisation du tragique, qui peut passer par une opposition de type hommes-femmes. IV.3.  Phèdre Après Médée, Phèdre mérite de s’y attarder, en raison des points communs entre les deux tragédies 39  ; elle aussi a déjà été largement commentée 40. Probablement antérieure à Médée, Phèdre met également en scène une héroïne barbare emmenée dans une cité étrangère par amour. Elle a suivi Thésée et est devenue reine d’Athènes, loin de sa patrie. Lorsque le roi quitte la ville pour les enfers dans le but de conquérir une femme pour son ami Pirithoos, Phèdre se sent abandonnée par son époux  ; ce qui n’est pas sans rappeler le nœud dramatique de la Médée. Elle se retrouve seule au palais, et naît alors chez elle une passion amoureuse pour son beau-fils, Hippolyte.

  Par exemple, sur les «  emotional women  », voir Pratt (1983), p. 91 et sur la place de l’ekphrasis dans les deux tragédies, voir Aygon (2004), p. 104-118. 40   À titre d’exemple  : Brandt (1986), Croisille (1964b), Gazich (2000b), Mellet / Rollinat-Levasseur (1989), Roisman (2000) et Segal (1986). 39

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CHAPITRE IV

La pièce est composée de six personnages  : Phèdre et sa nourrice, Hippolyte, un messager, Thésée et un chœur d’Athéniens, qui se répartissent comme suit dans les deux AFC suivantes  : 41

Figure 7 : AFC des graphies dans Phèdre (tableau lexical entier)41

Figure 8 : AFC des codes grammaticaux dans Phèdre (tableau grammatical entier)

Du côté de la distribution des graphies, l’axe 1 (70 %) oppose les rôles plus interactifs (à gauche sur l’axe  : Phèdre, la nourrice et Thésée) à ceux plus descriptifs (le messager) ou plus poétiques, comme le chœur et Hippolyte (à droite 41   L’AFC produite sur les fréquences de lemmes ne met pas autant en évidence l’oppo­ sition hommes-femmes.

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sur l’axe). Ces deux derniers partagent, par exemple, un emploi similaire des hapax de formes. Ils sont fréquents chez l’un et l’autre, contrairement aux autres personnages. L’axe 2, avec 15 %, sépare à gauche du graphique les deux personnages féminins de Thésée et, à droite, le messager d’Hippolyte, mettant probablement en contraste la nature de récit du messager et la qualité poétique d’Hippolyte. Le chœur, lui, se situe entre les deux. Au niveau des graphies, Phèdre et sa nourrice proposent un usage proche l’une de l’autre. Au niveau de la distribution des fréquences des codes grammaticaux, la répartition est similaire à la première AFC, à l’exception de Phèdre, qui est plus proche de Thésée que de la nourrice. La place qu’occupe Hippolyte sur les deux graphiques interpelle également. Le héros, qui prend directement part à l’action dramatique, devrait se rapprocher plutôt de Phèdre, Thésée et la nourrice. À la place, il possède plus de points communs avec le chœur, tant sur le vocabulaire que sur la morphosyntaxe. Pour expliquer cette position, l’argument de la forme de l’expression est convaincant. En effet, une partie du rôle d’Hippolyte repose sur le prologue (v. 1-84, soit environ 30 % du rôle) composé en dimètres et monomètres anapestiques. Le chœur est le seul qui s’exprime aussi dans cette versification en 325-357, 959-988, 1123-1127, 1132-1139 et 1141-1148. Or, à partir de l’exemple du distique élégiaque latin, G. Purnelle a démontré qu’«  il n’en reste pas moins établi que la forme peut être un facteur de détermination et de différenciation lexicales et morphologiques puissant, plus fort même que le genre, la thématique ou l’auteur  » 42. Ce n’est pas le seul facteur à intervenir dans la caractérisation des deux rôles. Le personnage d’Hippolyte a fait l’objet de différentes interprétations, résumées par R. Mayer 43. Les spécialistes semblent toutefois s’accorder sur une particularité du personnage  : son ambivalence. Elle se définit entre haine pour les femmes et courage devant la mort chez H. M. Hine 44  ; entre nature et civilisation chez A. J. Boyle 45  ; entre chasse et vie en accord avec la nature chez H. M. Roisman 46. Il n’est pas indispensable de préférer une proposition, car, ensemble, elles reflètent autant d’aspects de la complexité du rôle du jeune homme. Cette ambivalence multidimensionnelle s’exprime en fait dès le prologue dans une langue poétique particulière, puisque Phèdre est la seule tragédie conservée à débuter par un prologue en monomètres et dimètres anapestiques 47, traditionnellement associés aux passages des chœurs. C’est un signal qu’envoie Sénèque quant à la représentation de l’action sur scène et à la particularité de ce personnage.   Purnelle (2012), p. 818.   Mayer (2014), p. 479. 44   Hine (2004), p. 194-198. 45   Boyle (1997), p. 60. 46   Roisman (2000), p. 77-83. 47   Pour une étude générale sur l’anapeste dans les tragédies de Sénèque, voir Fitch (1987). 42 43

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CHAPITRE IV

D’après F. Dupont, cette spécificité, mêlée aux propos d’Hippolyte, en fait un «  chasseur sauvage  » rejeté par la civilisation 48. Pourquoi présente-t-il alors autant de points communs, du point de vue du lexique et de la morphosyntaxe, avec le chœur qui représente la communauté  ? Par ailleurs, le chœur semble favorable au jeune homme. L’auteur cherche en fait à mettre en contraste les deux entités, mais non pas selon un axe qui oppose nature et culture. En effet, bien qu’Hippolyte fasse assurément partie d’un univers sauvage, il ne répond toutefois pas aux règles de chaos incontrôlé du monde barbare. Le jeune homme est plutôt un être «  pré-civilisé  » qui cherche à soumettre son environnement 49. N. T. Pratt relève cette caractéristique  : «  The effort of Hippolytus to control his horses panic-struck by the sea-monster is a miniature of human struggle to master sub-human force  » 50. Sur ce point, la figure d’Hippolyte pourrait être mise en parallèle avec le personnage du Cyclope du chant IX de l’Odyssée. Bien que ce dernier ne fasse pas partie de la civilisation grecque, représentée par Ulysse, il présente un besoin excessif d’ordonner son environnement 51. Les deux personnages sont dans un état qui précède la civilisation. Chez Hippolyte, le contrôle sur les éléments est à ce point démesuré que le jeune homme se sent lui-même coupable de n’avoir pu maîtriser son pouvoir de séduction, comme il l’exprime à Phèdre  : [Hip.]  //sum nocens, merui mori : placui nouercae. Dignus en stupris ego ? Scelerique tanto uisus ego solus tibi materia facilis ? Hoc meus meruit rigor ? [Hip.]  Je suis coupable, j’ai mérité de mourir  : j’ai plu à ma belle-mère. Moi, ai-je jamais paru digne de tes débauches  ? Et moi seul ai-je jamais paru être une matière facile pour toi pour un si grand crime  ? Ma droiture a-t-elle mérité ceci  ? (Phèd., 683-686)

Devant cette recherche de la maîtrise, il est difficile de le qualifier d’être uniquement sauvage. Le chœur n’éprouve pas d’inimitié envers le jeune homme, comme le confirme ce vers prononcé à l’annonce de sa mort  : quam magna lacrimis pars adhuc nostris abest ! (v. 1261  : «  combien grande est la partie encore absente pour nos larmes  !  »). Ceci permet de rejeter une opposition dichotomique entre Hippolyte-barbare et chœur-civilisation. Au contraire, l’assemblée partage des sujets avec le chasseur comme la nature dans une vision plus globalisante. Sur cet aspect, nous rejoignons A. J. Boyle, qui voit ce point de contact thématique entre les deux rôles 52. En revanche, nos avis s’opposent sur la place du contrôle   Dupont (1995), p. 205-206.   Chaumartin (éd.) (2008a), p. 199. 50   Pratt (1963), p. 220. 51   Sur l’ambiguïté chez Homère du personnage du Cyclope qui évolue entre nature et culture et entre barbarie et civilisation, voir Kirk (1971), p. 162-171. 52   Boyle (1997), p. 60-65. 48 49

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des hommes sur la nature. Le prince, comme évoqué, cherche à dominer l’univers des bêtes sauvages. À l’opposé, le chœur reconnaît la force absolue de la nature sur l’humanité, comme dans l’ode qu’il prononce après le mensonge de Phèdre  : [Ch.]  Res humanas ordine nullo Fortuna regit sparsitque manu munera caeca, peiora fouens ; uincit sanctos dira libido, fraus sublimi regnat in aula. [Ch.]  Les réalités humaines, le Destin les commande sans ordre et il répand de sa main d’aveugles faveurs, en encourageant les pires  ; un funeste désir vainc d’honnêtes gens, la fourberie règne dans les cours supérieures. (Phèd., 978-982)

Hippolyte et le chœur ne s’accordent pas sur la place de l’homme au sein de la nature. En revanche, ils s’interrogent sur des sujets communs. L’on comprend donc mieux pourquoi et dans quelle mesure Hippolyte et le chœur partagent des similitudes dans leur expression. Même s’ils s’opposent sur le fond, ils proposent un discours proche dans la forme – expression poétique marquée par l’utilisation des mètres anapestiques – et dans la thématique qui est similaire. Le rôle d’Hippolyte est marqué à la fois par son attitude, mais aussi par son discours pour montrer l’incompatibilité entre son mode de vie et celui du reste de la communauté. Ceci s’exprime sur scène par une véritable rupture communicationnelle entre le jeune homme et l’ensemble de son environnement. Dans l’utilisation des graphies, des affinités sont présentes entre Phèdre et sa nourrice. Nous avons déjà montré que les nourrices peuvent présenter des points communs avec leur maîtresse, comme dans Médée. Elles sont parfois très proches, car elles sont des femmes de même origine ethnique. Dans le cas de Médée et de Phèdre, ce sont donc des étrangères en territoire grec  : Médée vient de Colchide et est en exil à Corinthe et Phèdre est arrivée de la Crète du Minotaure pour suivre Thésée à Athènes. Le déracinement vécu par les duos nourrices-jeunes femmes a certainement renforcé le lien du lait et de l’éducation déjà puissant. La nourrice de Phèdre est particulièrement fidèle à sa maîtresse et sa loyauté est une particularité importante de son rôle dans l’action dramatique 53. C’est d’ailleurs en raison de ce dévouement que la nourrice partage des points de contact avec Phèdre au niveau des thématiques. Ainsi, la première intervention de la nourrice consiste en une description des émotions de la reine (v. 129-177). Elle cherche à montrer qu’un amour envers Hippolyte est une impasse et qu’il faut y renoncer. Dans la tradition philo­ logique, d’aucuns ont vu dans le rôle de la nourrice un représentant des idées stoïciennes 54. Dans Phèdre, il est difficile de nier que la nourrice utilise certains principes de la philosophie du Portique. Mais ces arguments sont souvent proches du bon sens populaire, qui correspond mieux à un personnage de rang inférieur.   Sur la loyauté de la nourrice dans Phèdre, voir Mayer (2002), p. 58.   Par exemple, voir Armisen-Marchetti (1990), p. 32-33 et Pratt (1983), p. 92-93.

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CHAPITRE IV

De plus, la nourrice n’est pas un modèle à suivre dans la suite de la pièce. En effet, devant les menaces de suicide de Phèdre, elle entreprend elle-même de parler à Hippolyte au nom de sa maîtresse. Ainsi, la conversation avec Phèdre et ensuite celle avec Hippolyte, qui ont toutes les deux pour objet la passion amoureuse de la reine, expliquent la proximité thématique entre les deux femmes. En revanche, l’AFC sur la distribution des codes grammaticaux indique que Phèdre est plus proche de Thésée. Ainsi, même si cette dernière parle des mêmes sujets que la maîtresse, elle ne s’exprime pas de la même manière. Pour comprendre les différences entre les deux femmes, l’AFC sur la distribution des fréquences des principales catégories grammaticales est produite  :

Figure 9 : AFC des catégories grammaticales dans Phèdre

Le chœur et Hippolyte sont à nouveau isolés, avec une préférence pour les adjectifs et les substantifs. Ceci confirme la nature plus conceptuelle, donc plus nominalisée, des discours de ces deux rôles. À l’opposé, en haut de l’AFC, se trouvent les personnages qui soutiennent l’action – la nourrice et le messager – et en bas les moteurs du déroulement dramatique  : Phèdre et Thésée. Ces deux derniers présentent une proximité avec les prépositions et les interjections, indices d’une langue plus directe, plus dynamique et plus adaptée à l’interaction. L’extrait suivant est un exemple du caractère plus spontané du discours de Thésée  : [Thes.]  Pro sancta Pietas, pro gubernator poli et qui secundum fluctibus regnum moues, unde ista uenit generis infandi lues ? [Thés.]  Ah sainte Piété, ah pilote du ciel qui influences le second royaume de tes flots, d’où vient ce malheur d’un genre néfaste  ? (Phèd., 903-905)

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Suite à l’accusation de viol par Phèdre à l’encontre d’Hippolyte, Thésée invoque le respect qui devrait unir une famille, la Pietas. Ensuite, il jure par la divinité majeure non nommée, gubernator poli, qui est Jupiter 55. Il utilise une formule expressive, avec la répétition de l’interjection pro. Il est choqué au point de ne jamais remettre en question les paroles de son épouse. Cette caractéristique est présente aussi chez Phèdre. Alors que Thésée est marqué par l’horreur qui s’abat sur sa maison, la reine est sous l’emprise de l’amour qui provoque chez elle des élans passionnés (v. 634-635) ou des pulsions suicidaires à l’annonce de la mort d’Hippolyte  : [Phaed.]  O mors amoris una sedamen mali, o mors pudoris maximum laesi decus, confugimus ad te : pande placatos sinus. [Phèd.]  Ô mort, seul soulagement pour un amour mauvais, ô mort, ce qui sied le plus à mon honneur blessé, nous nous réfugions vers toi  : ouvre-moi ton sein bienveillant. (Phèd., 1188-1190)

En plus de l’interactivité renforcée par plusieurs interjections, l’émotion joue un rôle important dans ce type de caractérisation des discours  : le dégoût et la colère chez Thésée et l’amour et la passion chez Phèdre 56. Une forte association réunit donc émotion, interjection et interactivité. Il est d’ailleurs remarquable que dans la tragédie, qui présente une langue éloignée du latin parlé (lexique, morphosyntaxe et versification), l’interjection intervienne précisément aux moments les plus intenses dramatiquement. Dans Phèdre et dans l’Hercule sur l’Œta, elle est un élément spécifique de la pièce, ce qui confirme son importance dans le rythme du drame 57. À chaque étape dans l’évolution émotionnelle des deux personnages, l’interjection est utilisée pour marquer les périodes, mais aussi pour dramatiser ­l’action. Le rôle de Phèdre s’ouvre, par exemple, sur une prière à la Crète  : o magna uasti Creta dominatrix freti (v. 85  : «  ô grande Crète, maîtresse de la vaste mer  »). Cette première intervention, sous la forme d’une invocation, prend une tonalité plaintive, initiée par le désespoir de Phèdre devant son mariage malheureux. Ensuite, Phèdre ponctue son intervention avec des interjections  : lors de son échange avec la nourrice (par exemple  : v. 85), lors de son aveu à Hippolyte qui comptabilise à lui seul cinq des treize interjections (par exemple  : v. 666 dans l’échange des vers 549 à 735), lors des révélations à Thésée, et enfin avant de mettre fin à ses jours suite à la mort du jeune homme (v. 1173). L’interjection participe à l’expressivité du discours des deux personnages centraux. Pour Thésée, ceci rejoint les observations de R. Mayer, qui voit en lui   Boyle (éd.) (1987), p. 191-192.   Amor est d’ailleurs le lemme le plus spécifique du rôle de Phèdre. 57   L’interjection est spécifique de Phèdre et de l’Hercule sur l’Œta dans une base des tragédies de Sénèque. 55 56

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CHAPITRE IV

un héros franc qui n’est pas insensible aux sentiments 58  : la déception de son fils, la peine après sa mort et le ressentiment envers son épouse. Les deux rôles sont travaillés pour paraître plus en prise avec la réalité de la communauté humaine, dont Hippolyte ne fait pas partie. En plus des interjections, le cas du vocatif participe aux mêmes procédures. Sur l’axe 2, une opposition entre les deux souverains et les personnages de condition inférieure, le messager et la nourrice, est également perceptible. Ce n’est pas le facteur de la condition sociale en lui-même qui est déterminant dans la construction des discours, mais le critère de «  rôle dans la pièce  », qui justifie à la fois le fond et la forme. Ils soutiennent l’action des personnages principaux. Ainsi, le messager doit rapporter les événements de la mort d’Hippolyte. C’est pourquoi il utilise une langue descriptive, où l’exécution (verbes) et les modalités (adverbes) de l’action l’emportent sur les concepts et les développements plus théoriques  : [Nvn.]  At ille, qualis turbido rector mari ratem retentat, ne det obliquum latus, et arte fluctum fallit, haud aliter citos currus gubernat : ora nunc pressis trahit constricta frenis, terga nunc torto frequens uerbere cohercet.// [Mes.]  Mais celui-là, tel un capitaine qui retient son navire sur une mer agitée pour ne pas donner son flanc en oblique et qui, avec art, trompe le flot, il ne gouverne pas autrement ses coursiers empressés  : tantôt, leurs bouches pressées, il les tire avec les mors resserrés, tantôt il les maîtrise en répétant les coups de fouet. (Phèd., 1072-1077)

Ces vers illustrent comment le messager utilise nombre de verbes et d’adverbes pour rendre son récit visuel. Il utilise aussi l’anaphore renforcée par la mise en parallèle ora nunc… terga nunc… L’accent est donc sans cesse orienté sur le déroulement de l’action rapportée par le messager. La nourrice, même si elle partage les thématiques de Phèdre, les exprime différemment. L’AFC montre une préférence pour les coordinations. Comme pour le messager, cette particularité s’explique par la nature du rôle de la nourrice. En effet, une partie de son intervention consiste en une longue tentative de persuasion de Phèdre de renoncer à son amour pour Hippolyte. Dans sa première prise de parole (v. 129-177), la nourrice s’engage dans une suasoria 59 savamment construite par une argumentation logique détaillée par J. Brandt, qui note en conclusion  : «  Die Beurteilung von Phaedras Fall hat in der Erörterung der Amme ganz neue Dimensionen gewonnen  : Die Diskussion ist auf ein allgemeineres, abstraktes, ethisch-philosophisches Niveau gehoben.  » 60   Mayer (2002), p. 58-59.   Armisen-Marchetti (1990), p. 32-33. 60   Brandt (1986), p. 32. 58 59



DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?213

Cette recherche de persuasion, poursuivie jusqu’au moment où elle renonce (v. 267-273), explique en partie l’importance de la coordination dans son discours. Elle permet d’associer plusieurs arguments pour un effet rhétorique plus puissant  : [Nvt.]  Cur sancta paruis habitat in tectis Venus mediumque sanos uulgus affectus tenet et se coercent modica ? [Nour.]  Pourquoi un Amour pur habite-t-il sous des toits pauvres et le peuple moyen garde-t-il des sentiments sains et les gens modestes se contrôlent-ils  ? (Phèd., 211-213)

L’extrait plus large (v. 195-217) montre comment la nourrice, par trois questions, elles-mêmes parfois développées en propositions coordonnées, cherche à mettre en valeur le principe moral qu’elle soutient  : quod non potest uult posse qui nimium potest (v. 215  : «  ce qu’on ne peut pas, celui qui peut trop veut en être capable  »). Elle avance ainsi ce précepte de conduite théorique, mis en évidence par le développement précédent. Elle conclut en explicitant la sententia par son application dans la vie de la reine  : craindre et vénérer le pouvoir de son mari absent (v. 217). * *   * Ce parcours de Phèdre a mis une nouvelle fois au jour, après Médée, un facteur de sexe dans la caractérisation des discours des personnages. Il est toutefois moins puissant que dans la tragédie de Médée, puisqu’il n’opère que sur le lexique utilisé par les deux femmes de la pièce. La construction des discours varie donc selon les pièces pour répondre aux orientations dramatiques et poétiques voulues par Sénèque. De même, les moyens de langage pour opérer cette caractérisation ne semblent pas identiques d’une pièce à l’autre. Nos résultats par tragédie montrent que Médée et la nourrice ne se distinguent pas des autres personnages avec les mêmes critères que ceux utilisés dans Phèdre. Ainsi, la nourrice de Médée fait corps, d’un point de vue discursif, avec sa maîtresse pour mettre un double accent sur la passion de la magicienne. En revanche, la nourrice de Phèdre, bien qu’elle partage avec elle ses préoccupations, s’en éloigne. En effet, la distribution des codes grammaticaux montre une certaine distance entre les deux femmes. Phèdre est plutôt inscrite dans l’émotivité du présent, en opposition avec la nourrice, plutôt marquée par les procédés de l’argumentation, comme la suasoria. Néanmoins, même si le travail de caractérisation est moins puissant dans Phèdre que dans Médée, les deux pièces marquent une opposition entre les femmes et le reste de la communauté. De surcroît, elles ne sont pas que des femmes, elles sont aussi des étrangères, des mères, et elles sont livrées à elles-mêmes. Cette configuration se retrouve dans les Troyennes, qui oppose les captives barbares aux vainqueurs grecs.

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CHAPITRE IV

IV.4.  Les Troyennes La pièce réunit treize personnages dont un muet, Polyxène. Ils appartiennent soit au camp grec, composé de soldats  : Ulysse, Talthybius, Agamemnon, Pyrrhus, Calchas, soit au camp troyen, constitué majoritairement de femmes captives  : Andromaque, Hécube, le chœur de Troyennes, Hélène, Astyanax et le vieillard. Ces deux derniers ainsi que Calchas ont été exclus dans la composition de la base statistique car leurs rôles sont trop courts 61  :

Figure 10 : AFC des lemmes dans les Troyennes (tableau lexical entier – axes 1 et 3)

Figure 11 : AFC des codes grammaticaux dans les Troyennes tableau grammatical entier – axes 1 et 2) 61   L’intervention d’Astyanax compte un seul vers (v. 792) et celle du vieillard présente une dizaine de vers (de 424 à 514) comme celle de Calchas (de 360 à 370).



DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?215

Du côté de la distribution des lemmes, l’axe 3 est certes moins lourd statistiquement que les deux premiers (7 %), mais il distingue effectivement les personnages masculins (en bas) des personnages féminins (en haut). À gauche, le troisième facteur oppose même le chœur composé de Troyennes aux deux messagers masculins. Du côté des codes grammaticaux, le résultat est plus assuré encore, car l’axe 2 (18 %) sépare hommes et femmes. L’axe 1 représente le facteur du mode de l’énonciation, narration vs interaction. Les deux AFC, sur les lemmes et sur les codes, prouvent que le sexe du locuteur a une importance dans la caractérisation de son discours au niveau du vocabulaire et de la morphosyntaxe. Certes, au long des scènes, les sujets changent  : lamentations en groupe avec Hécube, échanges autour d’Astyanax entre Andromaque et Ulysse, échanges au sujet de Polyxène entre Hélène et les autres captives. Toutefois, les points de contacts entre personnages masculins d’une part, et les personnages féminins d’autre part, sont permanents. De même, si le fond du message diffère selon le locuteur, la forme conserve une certaine «  continuité grammaticale  » tout au long de l’action. À présent, il convient de s’intéresser plus en détail à l’utilisation des principales catégories grammaticales, comme effectué pour Médée  :

Figure 12 : AFC des catégories grammaticales dans les Troyennes

La répartition est proche de celle obtenue pour l’ensemble des codes grammaticaux  : les personnages masculins principalement en haut du graphique et les féminins en bas. Du côté des hommes de la pièce, les discours sont caractérisés principalement par des catégories-outils  : pour Pyrrhus et le messager, les coordinations et prépositions et pour Agamemnon et Ulysse, les adverbes et les subordinations. À l’opposé, les personnages féminins préfèrent les substantifs et les adjectifs pour le chœur et Hécube, et les verbes pour Hélène et Andromaque. Le discours des hommes est donc plus marqué par les modalités de l’action que

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CHAPITRE IV

par l’action en elle-même. Il n’est pas étonnant, par exemple, de trouver les prépositions, nécessaires à la description circonstanciée des événements rapportés, associées au messager. De même, le discours de Pyrrhus est marqué par la présence de coordinations, sans doute pour refléter la nervosité du fils d’Achille devant le mépris manifesté par Agamemnon. L’utilisation des substantifs et des adjectifs par le chœur et Hécube est également intéressante. Ainsi, leur discours est principalement composé d’un long échange dans le premier Acte. Comme signalé précédemment, il s’agit d’une performance collective de lamentations, sous la forme d’un kommos 62 mené par la reine déchue et consacré aux héros morts à la guerre. Comme le note W. Stroh  : «  Hecuba’s lament, rehearsed and presented with the chorus is by no means a spontaneous cry of pain, but a ritual “dirge”  » 63. Elles accomplissent ensemble ce rite en décrivant ce qu’elles font, mais aussi ce qu’elles sont désormais pour aller au bout du processus. De cette manière, elles pleurent les disparus, mais aussi leur propre destin  : [Ch.]  Coma demissa est libera nodo sparsitque cinis feruidus ora. Cadit ex umeris uestis apertis imumque tegit suffulta latus ; [Ch.]  Nos cheveux défaits sont libres de leur nœud et se répand la cendre chaude sur notre visage. Tombe de nos épaules découvertes notre vêtement et il couvre le bas de notre flanc soutenu. (Troy., 101-104)

Dans le premier Acte, la récurrence remarquable des noms propres participe au nombre des substantifs comptabilisés dans le traitement statistique. Ainsi, tous les grands hommes de la cité (Pâris, Hector, Priam) et la ville elle-même sont évoqués à plusieurs reprises par les femmes pour les pleurer et finalement pour plaindre leur propre sort de survivantes  : v. 161-162. Elles présentent donc une description de l’action qu’elles sont en train de réaliser. D’une certaine manière, elles ont une distance par rapport au contenu, puisqu’elles le décrivent tout en le produisant. Cette forme d’échange est proche de certains textes utilisés dans les rites religieux. La procédure de dévotion au sens large est un bon exemple, car elle nécessite la lecture d’une prière par le pontife, qui est ensuite répétée par le deuotus 64. Pour accomplir l’acte religieux, le célébrant doit passer par la parole pour le rendre effectif. Plus particulièrement encore, Macrobe rapporte le cas de la deuotio hostium, qui est une pratique uniquement orale (Saturnales, III, 9, 9-12). Les ennemis sont voués aux dieux infernaux par la formule spécifique de dévotion 65. Dans le   Scherer (1999), p. 572.   Stroh (2014), p. 437. 64   Nous avons conservé ce témoignage grâce à Tite-Live (VIII, 9). 65   Sur l’importance des pratiques orales dans l’acte religieux et magique, voir Anne‑ quin (1973) et Fugier (1963) ou encore Porte (1989), p. 33-36. 62 63

DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?217



contexte des Troyennes, les femmes ont besoin de dire ce qu’elles font pour rendre réelle leur démarche aux yeux des vivants, mais aussi au nom des morts. De cette manière, même si le chœur de femmes et Hécube peuvent présenter des points de contact avec Talthybius et le messager, elles s’en distancient néanmoins de par leur emprise sur le présent. Dans la partie inférieure de l’AFC, Hélène et surtout Andromaque montrent une préférence pour les verbes. Même si elles possèdent des similitudes avec le chœur et Hécube, elles n’en présentent pas moins aussi des différences. Les deux princesses de Troie ont un rôle différent des lamentations prononcées dans l’Acte 1. D’un côté, Hélène doit convaincre les captives d’offrir Polyxène en mariage à Pyrrhus au moyen d’un mensonge. Sur ce sujet, elle échange d’ailleurs avec Andromaque. De l’autre, cette dernière essaie de protéger Astyanax en le cachant d’Ulysse. Dans les deux cas, il est question d’une démarche de persuasion fondée sur la tromperie. Cette proximité entre Hélène et Andromaque se reflète dans les trois AFC produites jusqu’ici, sur les lemmes, sur les codes et sur les catégories grammaticales. Les deux femmes préfèrent les verbes aux substantifs pour vider les discours de leur contenu, qui pourrait les trahir plus facilement. Les deux princesses cherchent à remplacer les substantifs par de l’action exprimée par les verbes. Cette stratégie discursive a pour but de détourner l’interlocuteur de l’objet même du débat qui doit rester caché. Citons l’exemple du vers 574  : [Andr.]  Tuta est, perire quae potest debet cupit. [Andr.]  Est en sécurité celle qui peut, doit ou veut mourir. (Troy., 574)

Andromaque répond aux menaces proférées par Ulysse pour la contraindre à parler (v. 573). Elle utilise cette sententia sur l’opportunité de la mort, dont le sens simple est mis en évidence par l’asyndète de trois verbes 66. Ce vers illustre la stratégie discursive de la mère pour s’opposer à Ulysse. Elle cherche à appauvrir le contenu de ses interventions en utilisant plus de verbes. De même, lorsqu’Hélène s’adresse à Polyxène, elle ne développe pas d’argumentation sur le bien-fondé de ce mariage inattendu. Elle poursuit avec une succession de verbes à l’impératif pour enjoindre à la jeune fille de se préparer aux noces  : [Hel.]  Depone cultus squalidos, festos cape, dedisce captam ; deprime horrentis comas… [Hél.]  Dépose tes vêtements de deuil, prends ceux de fête, désapprends ton rôle de captive  ; coiffe tes cheveux hérissés… (Troy., 883-884)

Les exemples indiquent comment les deux héroïnes cherchent à leur façon à produire un discours moins descriptif que ceux du chœur et d’Hécube. Elles ne 66

  Sur les autres triples asyndètes chez Sénèque, voir Keulen (éd.) (2001), p. 350.

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CHAPITRE IV

sont pas dans la performance d’une pratique collective qui demande la narration de l’action. De même, elles évitent de mettre leur pensée en mots, elles ne nominalisent pas leurs émotions, qui pourraient les trahir. À la place, elles cherchent à détourner l’attention du locuteur  : Andromaque en l’orientant vers sa propre personne à la place d’Astyanax et Hélène en la retournant contre sa cible, Polyxène. Cette stratégie mise au jour chez Andromaque peut être comparée avec les résultats obtenus pour Ulysse, puisqu’ils partagent presque tout le troisième Acte. En effet, même si l’intervention du héros dans la pièce est limitée à cet échange avec Andromaque, elle présente des différences importantes avec celle-ci au niveau des fréquences des codes grammaticaux 67. Le discours d’Ulysse est en effet caractérisé par son utilisation des subordinations et des adverbes. Le héros, envoyé par les Grecs, a pour mission de retrouver Astyanax. Pour y parvenir, il ne lui est pas nécessaire de développer une argumentation fondée sur une idéologie particulière. Il n’a aucun message de fond, ce qui explique un déficit de substantifs. Son but est de convaincre Andromaque, peu importe son adhésion partielle ou totale à la démarche. Une concordance sur les adverbes chez Ulysse illustre cette volonté de modaliser le propos, pour atteindre Andromaque. Les premiers adverbes interviennent après sa présentation en durae minister sortis (v.  524  : «  en serviteur d’un oracle inébranlable  »). Semper est répété en anaphore au vers 530 pour insister sur le caractère permanent de l’incertitude du danger pour les Grecs si le jeune garçon restait vivant. Ensuite, il utilise en abondance des adverbes pour appuyer la pertinence de son propos. Celui-ci est ponctué d’adverbes de valeur comme male (v. 544) ou bene (v. 549), ou de renforcement comme magis (v. 618) ou certe (v. 631). Devant la résistance d’Andromaque, le héros s’autoencourage également  : [Vly.]  Nunc aduoca astus, anime, nunc fraudes, dolos, nunc totum Vlixen ; ueritas numquam perit. [Uly.]  Maintenant, mon esprit, fais appel à tes astuces, maintenant à tes tromperies, à tes pièges, maintenant à Ulysse tout entier  ; la vérité ne meurt jamais. (Troy., 613-614)

Ulysse fait une nouvelle fois appel à l’anaphore, avec nunc répété trois fois. Ces adverbes sont les indices d’une évolution dans la stratégie du héros, qui vise à persuader  : d’abord avec des astuces (nunc…astus), ensuite avec des pièges (nunc…fraudes, dolos), et enfin en faisant appel à toutes ses compétences (nunc totum Vlixen). La comparaison entre les personnages apprend

  Au contraire, les deux personnages présentent des similitudes dans leur emploi des lemmes, ce qui confirme leur proximité thématique. 67

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comment ils choisissent une stratégie de communication pour remporter le combat discursif. * *   * L’étude des Troyennes prouve que cette pièce présente aussi (avec Médée et Phèdre) une caractérisation des discours de ses personnages en fonction de leur sexe. Certes, il s’agit d’un facteur secondaire par rapport à l’interaction ou la thématique, mais il est effectif. L’AFC produite sur les principales catégories grammaticales confirme que les mêmes outils langagiers ne sont pas utilisés pour différencier les personnages masculins des féminins d’une pièce à l’autre. Ces nuances expliquent pourquoi nos procédures statistiques sur l’ensemble du corpus n’ont pas pu définir un seul et même facteur. Chaque pièce requiert une mise en place de stratégies discursives différentes selon la thématique de la pièce elle-même. Ainsi, le topos de l’échange «  nourrice-maîtresse  » n’a pas lieu d’être dans les Troyennes. Sénèque met en place d’autres configurations  : chœur-Hécube, Pyrrhus-Agamemnon ou encore Andromaque-Hélène. IV.5.  Les Phéniciennes Avec 664 vers, les Phéniciennes est la pièce la plus courte du corpus. La brièveté de l’œuvre a suscité plusieurs hypothèses  : tantôt la version conservée serait inachevée 68, tantôt il s’agirait d’un exercice d’écriture 69, tantôt il manquerait les parties chorales, puisque les Phéniciennes est la seule pièce sans chœur 70. En dehors de l’édition de M. Frank 71, peu de recherches sur l’ensemble de l’œuvre ont été menées récemment 72. C’est pourquoi cette tragédie récente mérite un nouveau regard 73. Sept personnages sont mis en scène  : Œdipe, Jocaste, Antigone, Étéocle, Polynice, le messager et un garde. La pièce présente l’association de deux thèmes du cycle œdipien  : l’exil d’Œdipe et les débuts de la guerre entre Étéocle et Polynice. Les deux épisodes sont coordonnés par l’intervention du garde (v. 398-402) et d’Antigone (v. 403-406). Ceci fait l’originalité de cette œuvre par rapport aux précédents traitements du mythe. Pour l’étudier, l’analyse arborée illustre clairement la distance entre les personnages  :

  Frank (2014), p. 449.   Tarrant (1978), p. 251-253. 70   Fitch (éd.) (2002), p. 275-276. 71   Frank (éd.) (1995). 72   Au début du siècle précédent, voir Moricca (1917 et 1918). 73   Fitch (1981). 68 69

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Figure 13 : Analyse arborée des lemmes dans les Phéniciennes

Figure 14 : Analyse arborée des codes grammaticaux dans les Phéniciennes

L’arbre sur la distribution des fréquences des lemmes est construit de trois grandes branches distinctes qui déterminent trois groupes de personnages. En bas à droite, deux personnages secondaires sont réunis  : le messager et le garde. Ensuite, Étéocle et Polynice, qui pourtant s’affrontent militairement, semblent proposer un discours proche du point de vue de leur utilisation du vocabulaire. Enfin, les trois derniers personnages sont localisés sur la branche supérieure  : Antigone et, encore plus rapprochés, Œdipe et Jocaste. Sur l’arbre de la distribution des codes grammaticaux, Jocaste et Œdipe semblent plus proches. Mais Antigone reste sur la même branche que ses parents. Étéocle et Polynice sont une nouvelle fois associés par le même nœud. Seuls le messager et le garde ont une position moins claire, proche du centre de l’arbre, ce qui marque une certaine neutralité dans l’expression. Ces résultats ne peuvent soutenir un rapprochement entre personnages de même sexe. En revanche, une proximité entre les deux membres du couple royal est évidente à la fois sur le lexique et sur la morphosyntaxe. De même, les deux princes ont des points de contact sur les deux niveaux de langue. A priori, il est plutôt inattendu de trouver réunis Jocaste et Œdipe, qui ne partagent pas une seule scène de la pièce. Il est donc difficile de trouver un facteur thématique pour justifier leurs similarités. De plus, leur rôle au sein même de l’action dramatique semble différent, comme le remarque J. G. Fitch dans l’introduction qu’il propose du texte  : «  The two segments of the play present a strong contrast between the characters of the two parents  » 74. En effet, Œdipe, aveugle et perdu dans la campagne, discute longuement avec sa seule compagne, Antigone, sur la validité morale du suicide. Ensuite, il maudit ses deux fils en utilisant son épée comme symbole de son héritage. De l’autre côté, Jocaste est toujours la   Fitch (éd.) (2002), p. 276.

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reine de Thèbes et entreprend avec beaucoup d’énergie de convaincre ses deux enfants de renoncer à la guerre. Devant ces conditions thématiques (suicide vs paix), idéologiques (abandon vs combat) et matérielles (exilé vs pouvoir), comment expliquer cette proximité  ? Par ailleurs, en raison de sa présence sur une branche plutôt féminine, pourrait-on avancer qu’Œdipe fait l’objet d’une féminisation  ? Tout d’abord, avant de s’intéresser à cette branche tripartite, abordons la question du garde et du messager à l’autre extrémité de l’arbre sur la distribution des lemmes. Ils ont un rôle similaire dans le déroulement de la pièce. Ils interviennent entre les deux grands moments de l’action, d’abord le messager auprès d’Œdipe et ensuite le garde auprès de Jocaste. C’est sans doute la raison pour laquelle Th. Hirschberg et ensuite M. Frank ont proposé de diviser la tragédie en quatre parties  : 1-319, Œdipe-Antigone  ; 320-362, Œdipe-Antigone-messager  ; 363-442, Jocaste-le garde-Antigone  ; 443-664, Jocaste-Étéocle-Polynice 75. Le messager intervient auprès d’Œdipe pour le prévenir de la guerre à venir et pour le convaincre d’intervenir auprès de ses fils. Mais le roi encourage plutôt ses enfants vers le malheur, en signe de la honte qu’il éprouve pour lui-même. Ensuite, dans un décor très différent, puisque le public passe de la forêt où Œdipe se cache à la ville de Thèbes, le garde procède à une intervention de même type, mais auprès de Jocaste. Il l’informe d’abord de la situation qui se présente et l’invite ensuite à prier les deux garçons de ramener la paix  : [Sat.]  I, redde amorem fratribus, pacem omnibus, et impia arma matris oppositu impedi. [Gard.]  Va, rends l’amour aux frères, la paix à tous, et par l’opposition d’une mère, empêche les armes impies. (Phén., 401-402)

Par ces deux vers, le garde fait référence à la fois aux propos précédents ­d’Antigone, aux vers 290-294, et à ceux à venir, telle une projection, de Jocaste, au vers 407 76. Ainsi, le garde, comme le messager, a un rôle de transition dans la pièce. L’un et l’autre préviennent de ce qui est invisible pour les autres personnages, et en même temps ils introduisent la suite des événements. Après cet appel à Jocaste, le garde décrit la réaction de la mère partie vers ses fils  : v. 427-442. Devant leur proximité discursive et fonctionnelle, il est probable que le garde soit en fait une deuxième version du messager. L’auteur a préféré introduire un garde avec une fonction de messager. De cette manière, les deux personnages participent à créer une impression d’unité dans l’ensemble de la pièce. Cette impression est soutenue par une recherche de parallélisme entre les structures des deux grandes parties étudiées par J. Mesk dès 1915 77 et par d’autres renvois   Hirschberg (éd.) (1989), p. 1-3 et Frank (éd.) (1995), p. 2.   Hirschberg (éd.) (1989), p. 105. 77   Mesk (1915), p. 299. 75 76

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internes développés par M. Frank 78. Ce rôle important et commun aux deux personnages explique probablement leur proximité du point de vue de l’utilisation du vocabulaire et leur position plus neutre dans leur usage de la morphosyntaxe. Du centre du premier arbre se détache la branche associant Étéocle à Polynice. Les deux ont des rôles plutôt courts dans la pièce, mais l’analyse arborée permet de montrer leur proximité. L’un et l’autre sont deux jeunes guerriers prêts pour le combat. Même si la cause de Polynice semble plus juste que celle de son frère en raison de son exil, il n’en recherche pas moins le pouvoir. Bien que leur vision de la royauté soit divergente – Polynice la voit comme une juste compensation de son exil et Étéocle comme l’occasion d’exercer son autorité 79 – ils visent tous les deux à atteindre le pouvoir sans compromis éventuel, comme dans la version d’Euripide, où ils alternent le trône une année sur deux (Eur., Phén., 476-478). La réponse d’Étéocle aux demandes de sa mère est d’ailleurs sans appel  : [Ete.]  Numeret, est tanti mihi cum regibus iacere. Te turbae exulum ascribo. [Été.]  Qu’il le compte, tant il est important pour moi d’être étendu avec les rois. Je t’inscris à la multitude des exilés. (Phén., 651-653)

Le prince oppose sa propre position du côté des puissants, mihi cum regibus, à celle de son frère, qui est exclu de la communauté, te turbae exulum. Il insiste ainsi sur la distance entre les deux pour conclure, quelques vers plus loin, que le pouvoir n’est jamais trop cher (v. 664). Les deux princes s’opposent idéologiquement, mais ils représentent tous les deux un même type de personnage, le «  guerrier  », construit en contraste avec les autres protagonistes des Phéniciennes. De plus, comme l’a montré A. J. Boyle 80, ensemble, ils renvoient aux réalités fratricides du monde romain du Ier siècle de notre ère. Ils forment ainsi un archétype de confrontation à la fois familiale et politique qui, après les guerres civiles de la fin du Ier siècle avant notre ère, faisait partie de la culture romaine. Ceci renforce la nécessité de construire les deux princes avec les mêmes éléments, pour mettre leur confrontation en évidence. En effet, s’ils sont frères et s’ils sont semblables, lequel aurait une légitimité supérieure à détenir le pouvoir  ? Du côté des trois derniers personnages, dont les interventions sont les plus longues, une étroite proximité s’observe entre les deux membres du couple. Quant à Antigone, elle possède des points de contact avec ses deux parents,   Frank (éd.) (1995), p. 4-8.   Par exemple, se trouvent dans les spécificités du personnage des lemmes comme regnum, imperium ou regno. 80   Boyle (1997), p. 102-103. 78 79

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mais dans une moindre mesure. Son rôle est complexe et présente deux fonctions principales. En premier lieu, en compagne fidèle de son père, elle cherche à le détourner du désespoir. D’une certaine manière, ce rôle de «  modératrice  » est comparable à celui des nourrices 81, comme le propose à juste titre M. Frank 82. L’extrait suivant illustre comment certains passages d’Antigone font écho aux nourrices  : [Ant.]  Sed flecte mentem, pectus antiquum aduoca uictasque magno robore aerumnas doma ; resiste : tantis in malis uinci mori est. [Ant.]  Mais change d’esprit, fais appel à ton ancien cœur et dompte tes élans de tristesse vaincus par une grande force  ; résiste  : dans d’aussi grands malheurs, mourir, c’est être vaincu. (Phén., 77-79)

Les caractéristiques du discours de la nourrice, déjà mises au jour, sont présentes ici  : verbes d’empêchement à l’impératif (flecte, doma et resiste) pour tenter de modérer les pulsions suicidaires d’Œdipe et compléments directs des objets à contrôler  : mentem et aerumnas. Enfin, Antigone termine par une sententia sur la valeur morale du sens à donner à la mort. De plus, comme démontré ci-dessus pour Médée et Phèdre, les nourrices ont souvent des similitudes avec leur maîtresse, comme ici Antigone avec Œdipe, puisqu’ils partagent une même branche de l’analyse arborée. Ceci pourrait confirmer l’hypothèse d’une féminisation du rôle d’Œdipe, placé ainsi avec sa fille dans une relation de type femina-nutrix. Toutefois, malgré les points de comparaison présents entre les nourrices et Antigone (modération et dévouement), la relation de cette dernière avec son père est plus ambiguë. En effet, l’idée selon laquelle un rapport amoureux s’installe entre les héros a été confirmée précédemment et est généralement acceptée par les spécialistes 83. C’est pourquoi le cadre de l’affection de la nourrice envers sa protégée est dépassé. De plus, le rapport d’âge entre les deux personnages est inversé par rapport au topos femina-nutrix. La relation entre Œdipe et Antigone évolue ainsi d’une opposition de type désespoir-modération vers une de type soumission-domination. Mais ceci n’est qu’une étape dans l’évolution du personnage du père. Grâce à Antigone, Œdipe abandonne ses idées de suicide et passe de l’état de personnage douloureux à celui de furiosus. Nous abordons ainsi la deuxième fonction d’Antigone, celle de la transition  : transition au sein de la première partie, qui permet la transformation d’Œdipe, mais aussi transition avec la seconde partie, puisqu’elle est également présente à Thèbes pour inciter sa mère à intervenir auprès des deux frères. Dans la première section de la pièce,   Médée, Phèdre, Agamemnon et Hercule sur l’Œta.   Frank (2014), p. 455. 83   Boyle (1997), p. 103, Frank (éd.) (1995), p. 93-94, Mader (2010), p. 306-307. 81 82

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par sa présence et par son rôle de modération protectrice, elle offre l’occasion à Œdipe de s’accomplir complètement dans son crime mythologique de l’inceste 84. En effet, au début de la pièce, le roi lutte contre l’inceste, qu’il a peur de reproduire avec sa fille. Aux vers 103-109, ses propos n’ont pas encore pris une connotation amoureuse 85 (cf. III.3.2.), comme aux vers 311-319, où il exprime une forme de seruitium amoris envers Antigone, à la manière des poètes élégiaques 86. La présence de la jeune fille auprès de son père a finalement eu raison de ses réticences, avec un lent basculement de l’ordre établi. Par exemple, la jeune fille donne des ordres à son père et le père se soumet à sa fille. Cette longue évolution d’un Œdipe qui souffre vers un Œdipe en fureur voit son tournant décisif au vers 319, où il prononce  : iubente te uel uiuet («  si tu l’ordonnes, eh bien il vivra  »). De cette manière, il refuse la mort, mais il assume en même temps son destin de héros incestueux. À ce moment, le messager intervient pour le prévenir de la situation à Thèbes. Ce sera pour lui l’occasion d’exprimer la fureur qui le possède désormais  : [Œd.]  Tumet animus ira, feruet immensus dolor, maiusque quam quod casus et iuuenum furor conatur aliquid cupio. Non satis est adhuc ciuile bellum. [Oed.]  Mon cœur se gonfle de rage, une immense douleur me brûle et je désire quelque chose de plus grand que ce que le destin et la fureur des jeunes gens préparent. Une guerre civile, ce n’est pas encore assez. (Phén., 352-355)

Par l’intervention d’Antigone, Œdipe est parvenu à l’état de fureur nécessaire pour projeter sa douleur sur la génération suivante, en la condamnant au crime tragique. De cette manière, il introduit la seconde partie de l’action avec une transition soutenue par Antigone, qui est présente à Thèbes pour encourager sa mère à intervenir (v. 403-406). En résumé, la jeune fille, par son rôle à la fois de modération et de transition, présente des points communs au niveau de son discours avec Œdipe et avec Jocaste, mais pas suffisamment pour en être étroitement rapprochée. Il reste à aborder la question de la proximité discursive entre les deux souverains. Jocaste intervient pour la première fois par une «  pitoyable lamentation  », flebiles questus, selon les mots du garde (v. 387). Ensuite, encouragée par ce dernier et par sa fille, elle trouve l’énergie nécessaire pour descendre auprès de   Ou bien «  crime tragique  », pour le catalogue de ces crimes, voir Dupont (1995), p. 199-230. 85   Le nom uirgo apparaît pour la première fois au vers 50 où Œdipe exprime sa peur de l’inceste envers sa fille, timeo post matrem omnia (v. 50  : «  après la mère, je crains tout  »). 86   Mader (2010), p. 306-307 et Ginsberg (2015), p. 222-225. 84

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ses fils dans le but de les convaincre (v. 443-664). La pièce s’arrête là, mais A. J. Boyle suggère sur la base des Phéniciennes d’Euripide «  an ending to the play, in which the Theban brothers’ mutual slaughter is followed by Jocasta’s suicide with the sword of one of her dead or dying sons  » 87. Qu’il manque ou non une fin à la pièce, il était évident pour le public que l’histoire ne pouvait se terminer positivement. Le suicide de Jocaste, raconté ou non par Sénèque, est déjà évoqué par Œdipe dans la pièce, lorsqu’il souhaitait un crime plus grand qu’une guerre fratricide  : date arma matri (v. 358  : «  donnez les armes à votre mère  »). Comme dit ci-dessus, il y a un contraste important entre les deux personnages. L’on pourrait presque avancer qu’ils suivent un schéma inverse  : en exil, Œdipe cherche à se suicider puis, sous l’impulsion d’Antigone, il renonce pour assister à la dégénération de sa famille. À l’opposé, Jocaste à Thèbes déplore la situation, puis de nouveau grâce à Antigone, espère convaincre ses fils, mais devant l’échec, se suicide. Or, malgré ces différences, les analyses arborées montrent une cohésion discursive tant sur le lexique que sur la morphosyntaxe. À la lecture, les oppositions entre les deux héros semblent mises en évidence par un parallélisme inversé entre l’un et l’autre. Pour établir cet effet, les passages qui se font écho les uns aux autres entre Œdipe et Jocaste sont multipliés. M. Frank 88, dans l’introduction de son édition commentée, a mis au jour certains de ces passages en résonance, comme l’intervention d’Œdipe sur la piété filiale (v. 295-302), à comparer avec celle de Jocaste (v. 408-414). La statistique confirme donc cette impression dégagée par nos prédécesseurs, en démontrant que Sénèque cherche à construire en parallèle les discours des deux grands protagonistes de l’action. Par conséquent, l’hypothèse de deux morceaux de pièces différentes collationnées ensemble tardivement peut être à présent définitivement rejetée 89. Les Phéniciennes, par la similitude des rôles d’Œdipe et de Jocaste, constituent une seule et même œuvre composée dans un but de dramatisation  : la reine, même si elle affronte les événements avec détermination, contrairement à son époux, ne peut échapper au malheur qui frappe désormais la famille sur les générations présentes et à venir. Après avoir parcouru les personnages des Phéniciennes, il est intéressant d’examiner certains codes en particulier, par exemple, les quatre temps verbaux les plus fréquents à l’indicatif  : le présent, le futur, le parfait et l’imparfait. Leur examen démontre une nouvelle proximité entre Jocaste et Œdipe. Jocaste sur-utilise l’indicatif futur de manière significative. Même si elle est moins puissante, cette tendance se dessine également chez Œdipe à l’inverse des autres   Boyle (1997), p. 104.   Frank (éd.) (1995), p. 3-6. 89   L’hypothèse d’une collation tardive a été développée par exemple chez Peiper (1863), p. 38. 87 88

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personnages. Ils présentent tous deux une préoccupation pour l’avenir, à la fois pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs descendants. Nous abordons ici un des thèmes majeurs de cette tragédie  : l’héritage transmis aux générations à venir. L’indicatif futur, calculé sur l’ensemble du corpus tragique, est d’ailleurs une spécificité des Phéniciennes et de l’Hercule sur l’Œta. Ainsi, dans la première partie de la pièce, Œdipe cherche à retourner sur le lieu de son abandon pour y mourir  : [Œd.]  Ibo, ibo qua praerupta protendit iuga meus Cithaeron// [Oed.]  J’irai, j’irai là où mon Cithéron étend ses abruptes crêtes. (Phén., 12-13)

Œdipe en exil n’entrevoit d’autre solution que le suicide (v. 46-47). Comme signalé, ce n’est qu’avec l’appui d’Antigone que le héros trouve la force de se réaliser comme être incestueux et de rejeter sur ses fils sa propre malédiction  : et saeua fratrum bella, quod possum, audiam (v. 362  : «  et les cruels combats des frères, ce qui m’est possible, je les entendrai  »). Par la transformation du roi, la première partie prépare thématiquement la suivante et met en place le destin des personnages. Encore plus qu’Œdipe, Jocaste est concernée par son avenir et celui de ses enfants. Une fois «  réveillée  » par le garde et Antigone, elle met tout en œuvre pour tenter de détourner ses fils de la guerre. Et d’une attitude passive de lamentations (v. 363-386), elle passe à une approche plus combative, comme le montre l’extrait suivant, symbole de son changement d’esprit  : [Ioc.]  Ibo ibo et armis obuium opponam caput, stabo inter arma ;// [Joc.]  J’irai, j’irai et j’opposerai ma tête aux armes, je m’interposerai entre les armes. (Phén., 407-408)

Par la répétition du verbe ibo et par la place de la réplique dans le processus dramatique, le passage de Jocaste a été mis en parallèle avec celui d’Œdipe par J. Mesk, pour soutenir la thèse d’une seule pièce 90. Les deux passages présentent une utilisation comparable du futur, mais qui, en plus, est exprimée avec les mêmes termes. Dans les Phéniciennes, avec les temps verbaux, des mécanismes de caractérisation liés au genre semblent inexistants. En revanche, d’autres facteurs interviennent dans la construction des discours. L’inscription d’Œdipe et de Jocaste dans le cycle tragique d’un héritage funeste est un bel exemple. Néanmoins, nous avons mis au jour un élément de langue probablement déterminé par un facteur de sexe. Il s’agit de l’utilisation des trois personnes  :

  Mesk (1915), p. 299.

90

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Figure 15 : AFC des personnes dans les Phéniciennes

À gauche sur l’axe 1, l’AFC réunit autour de la deuxième personne Antigone et Jocaste. Ensuite, la position plus centrale du messager démontre un usage sans grande particularité des personnes. À droite sur l’axe 1, Œdipe et Polynice indiquent une préférence pour la première personne. Nous avons montré que la deuxième personne est sur-utilisée par les personnages féminins (cf. III.3.). Les données sont ici confirmées au sein des Phéniciennes. Les deux femmes s’opposent aux autres personnages, parce qu’elles ont un rôle de persuasion  : Antigone doit empêcher le suicide de son père et envoyer sa mère auprès d’Étéocle et Polynice  ; Jocaste doit convaincre ses fils de renoncer à la guerre. Dans les deux cas, il s’agit d’un processus de persuasion d’un tiers, concerné personnellement par la demande. Les héroïnes ont besoin d’entrer en interaction avec leur cible et de lui rappeler que le pouvoir reste entre leurs mains. [Ant.]  Tu impii belli minas auertere unus tuque uaecordes potes inhibere iuuenes, ciuibus pacem dare, patriae quietem, foederi laeso fidem. [Ant.]  Toi seul, les menaces d’une guerre impie, tu peux les détourner et tu peux contenir ces jeunes fous, donner la paix aux citoyens, la quiétude à la patrie et le respect au traité violé. (Phén., 290-293)

L’extrait est un exemple de la stratégie d’Antigone, qui insiste sur le destinataire de son message, son père. Elle lui rappelle que tout dépend de lui avec une anaphore de tu pour renforcer l’effet 91. 91

  Hirschberg (éd.) (1989), p. 89.

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CHAPITRE IV

Œdipe et ensuite Polynice sont principalement concernés par leur propre destinée. Ils font ainsi écho à la deuxième personne utilisée par Antigone et Jocaste. Le passage suivant de Polynice illustre le caractère autocentré de son discours  : [Pol.]  Vt profugus errem ? Semper ut patria arcear opemque gentis hospes externae sequar ? quid paterer aliud, si fefellissem fidem ? si peierassem ?// [Pol.]  Pour que j’erre en fugitif  ? Pour que je sois toujours écarté de ma patrie et qu’en hôte d’un peuple étranger, je cherche son soutien  ? Quoi d’autre souffrirais-je si j’avais trompé ma parole  ? Si je m’étais parjuré  ? (Phén., 586-589)

La répétition de la première personne montre que Polynice s’implique dans cette guerre pour des motivations d’ordre personnel (six fois en quatre vers  : errem, arcear, sequar, paterer, fefellissem et peierassem). Il n’est pas ici question de moralité ou de justice en tant que concept, mais plutôt d’émotion et de ressenti – comme le sentiment d’exclusion – intimement liés à l’individu. Le maillage interpersonnel est intense entre les personnages  : les deux héroïnes envers Œdipe et Polynice et les deux héros envers eux-mêmes. Un déséquilibre dans la tension dramatique s’installe même entre les deux groupes. En effet, les deux hommes constituent le centre de la parole féminine focalisée et, en même temps, de leur propre parole. Cette disparité est à la fois l’indice d’un dysfonctionnement au niveau de la communication entre les parties, mais aussi l’une des raisons de l’échec des tentatives féminines. Ainsi, faire prendre conscience à Œdipe par Antigone de son identité propre comme héros mythologique l’a amené à se réaliser comme tel en rejetant son crime sur les générations futures. Et chez Jocaste, ce déséquilibre s’ajoute au déficit du vocatif analysé comme un premier élément participant à l’échec discursif de la reine envers son fils (cf. III.3.2.). Les femmes des Phéniciennes sont des éléments «  révélateurs  », des «  Autres  » pour les deux hommes. Non pas pour les réintégrer à la communauté, mais pour leur permettre de se réaliser comme héros dignes des Labdacides. * *   * Les Phéniciennes mettent en scène un cadre différent des pièces qui opposaient un univers grec plutôt masculin à un domaine féminin plutôt étranger (Médée, Phèdre et les Troyennes). Il s’agit d’une pièce jouée dans le cadre d’une famille nécrosée par les effets de l’inceste. Par conséquent, les différences entre les discours des personnages présentent une autre configuration  : il n’y a pas d’opposition de type homme-femme. À la place, la logométrie

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montre à quel point les deux parties de la pièce ont été construites dans un esprit de parallélisme et d’unité. Sénèque expose le destin des deux membres du couple royal, qu’il traite de manière similaire d’un point de vue dramatique et discursif. Il étudie comment deux êtres, intimement liés par le destin (descendance – mariage – parenté) et par leur traitement dramatique, réagissent pourtant différemment à l’adversité  : après une période de désespoir, Œdipe assume sa nocivité et il la rejette sur ses fils. À l’opposé, Jocaste consacre son énergie à convaincre Étéocle et Polynice, mais finit probablement par se suicider. Une seule caractéristique commune a été mise en évidence chez les deux femmes de la pièce, une préférence pour la deuxième personne. Elle indique qu’Antigone et Jocaste se présentent comme des moteurs d’interaction et de questionnement pour leurs interlocuteurs. Leur stratégie est pourtant inefficace et la rupture de communication est effective entre les deux groupes.

IV.6.  Hercule Furieux Avant de s’intéresser à l’Hercule sur l’Œta, qui met en scène un nombre important de personnages, il convient de s’arrêter un moment sur l’Hercule Furieux. Sept personnages participent à l’action de la pièce  : Junon et Mégare, Amphitryon, Hercule, Lycus, Thésée et le chœur de Thébains. L’œuvre a déjà fait l’objet de nombreuses interprétations sur ses origines grecques 92, sur ses orientations philosophiques possibles 93, sur la valeur morale du personnage d’Hercule 94 ou encore sur son intégration dans une vision du monde plus globale 95. J. Denooz est le premier à avoir étudié l’œuvre consacrée à la folie d’Hercule avec des méthodes statistiques. Il cherchait alors à démontrer que les «  variations de style influent fortement sur la répartition des catégories grammaticales  » 96. Sur la base des catégories grammaticales et du test de Pearson, puisque peu de logiciels avaient alors été développés, le spécialiste avait obtenu des résultats en faveur de son hypothèse. Aujourd’hui, nous disposons d’outils plus performants  :   Auvray (1987).   Sur les liens avec le stoïcisme, voir Grimal (1986), Auvray (1989) et AuvrayAssayas (1995). 94   Pour une interprétation en faveur d’Hercule, voir Clark / Motto (1981) et Lawall (1983). Au contraire, pour une compréhension négative du héros, voir principalement Fitch (éd.) (1987), p. 28-44. 95   Voir, par exemple, la tragédie d’Hercule dans la cosmologie proposée par Sénèque  : Rosenmeyer (1989), p. 160-203 ou voir la dimension cosmique dans la tragédie  : Schmitz (1993). 96   Denooz (1974), p. 25. 92 93

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Figure 16 : AFC des lemmes dans l’Hercule Furieux (tableau lexical entier)

Sur l’axe 1 (79 %), l’AFC partage l’Hercule Furieux en deux groupes  : le chœur et Thésée en contraste avec les autres personnages. L’axe 2 (14 %) isole Junon des autres héros. Thésée semble proche du chœur. Or, il a été démontré que ce rôle est plus proche des messagers et que ce mode d’énonciation précis définit sa proximité avec le chœur (cf. I.3.). Le premier axe représente donc le facteur déjà commenté de la narration en opposition avec l’interaction. Junon semble également isolée des autres personnages. Il faut donc noter ici qu’elle présente une intervention un peu différente, puisqu’elle consiste en un prologue de type furieux 97. Cette caractéristique apparaît, par exemple, dans le vocabulaire spécifique de la déesse avec des termes comme ferox, odium, dirus ou encore uiolentus. L’extrait suivant, organisé comme un plan des événements à venir, démontre également cet aspect  : [Iun.]  //Veniet inuisum Scelus suumque lambens sanguinem Impietas ferox Errorque et in se semper armatus Furor. [Jun.]  Ils viendront, le Crime odieux et l’Impiété sauvage qui lèche son propre sang et l’Erreur et la Fureur toujours armée contre elle-même. (Herc. Fur., 96-98)

Junon présente la folie d’Hercule comme une suite de concepts personnalisés à venir (ueniet), à la manière d’Ovide dans un passage des Métamorphoses 97   Sur les prologues douloureux ou furieux, voir Dupont (1995), p. 154-168 et sur la place de la fureur dans le prologue de Junon, voir González Vásquez (1995), p. 145147.

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(IV, 484-485). De cette manière, elle indique également son sentiment par rapport au héros. L’impression est renforcée par la position de furor en fin de vers. Sur ce point, nous nous distançons de C. Auvray-Assayas  : La haine de Junon qui résonne dès le prologue ne peut être assimilée aux vengeances divines de la tragédie grecque  : il est remarquable, en effet, que, sous l’apparence d’une fureur aux ampleurs mythologiques, le prologue de Junon annonce qu’Hercule sera victime d’un mal qu’il porte en lui. 98

Il est vrai que Junon ne se décrit pas elle-même comme furiosa, à l’instar de Médée (Méd., 930) ou d’Atrée (Thy., 885-895). Toutefois, c’est elle qui envoie les famulae Ditis, les «  servantes de Dis  », conduites par Mégère (v. 100102), pour que l’action tragique se réalise de manière complète. Même si Hercule possède une inclinaison à la fureur, Junon n’en reste pas moins l’élément déclencheur. Sénèque a probablement repris cette configuration de son prédécesseur Euripide qui fait intervenir les personnages d’Héra, Iris et Lyssa. L’origine divine de la folie d’Héraclès a longtemps été discutée, mais elle semble attestée par l’auteur grec lui-même, comme le confirment plusieurs études 99. Par ailleurs, Junon semble s’opposer plus particulièrement à Mégare. Bien que nous revenions ci-dessous en détail sur l’épouse d’Hercule, notons qu’elle propose un rôle très différent de celui de Junon, avec d’évidentes conséquences sur leur discours. Ainsi, la première est préoccupée par les malheurs de sa famille et attend avec impatience le retour de son mari. Elle lutte également contre Lycus, qui cherche à l’épouser. Malgré les revers du destin, elle reste attachée à la uirtus et procède plutôt selon la raison. La seconde cède plutôt au pathos pour laisser libre cours à sa vengeance envers son beau-fils. Les deux contenus thématiques, mais aussi, dans une certaine mesure, les deux postures émotionnelles sont très différentes. Du côté droit de l’AFC, le deuxième axe distingue légèrement Hercule des trois autres personnages  : Lycus, Mégare et Amphitryon. Junon et Hercule se retrouvent associés dans la partie supérieure du graphique. Les deux personnages principalement concernés par le furor 100 présentent donc des caractéristiques communes liées à des thématiques similaires. Junon résume d’abord la vie d’Hercule, comme ses travaux (v. 30-42), et explique ensuite pourquoi elle le déteste à ce point. Elle annonce également les grands événements de la pièce. Évidemment, le héros rappelle aussi certains épisodes de son passé tout en vivant les prédictions de la déesse.   Auvray-Assayas (1995), p. 48.   Voir les avis d’Aélion (1983), p. 239 et de Papadopoulou (2004), p. 83. 100   L’on pourrait également discuter du furor chez Lycus, comme le propose Dupont (1995), p. 168-169, mais les personnages les plus concernés dans l’Hercule Furieux par ce sentiment sont Junon et Hercule. 98

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Afin de mieux comprendre quels lemmes en particulier participent à la justification de la première AFC, une seconde a été produite sur la base de la distribution des fréquences des vingt substantifs les plus fréquents  : 101

Figure 17 : AFC des 20 substantifs les plus fréquents dans l’Hercule Furieux101

En premier lieu, notons qu’Hercule et le chœur se situent au centre de l’AFC, affichant ainsi une position plutôt neutre par rapport à l’ensemble des noms en présence. Les deux rôles principaux utilisent les substantifs les plus fréquents dans la norme. En effet, les deux sont concernés par les trois grands champs lexicaux de la tragédie  : le domaine des hommes (arma, «  les armes  », rex, «  le roi  », coniux, «  l’époux ou l’épouse  », regnum, «  le royaume  »), le domaine du suprahumain (caelum, «  le ciel  », tellus, «  la terre  », mundus, «  l’univers  » et umbra, «  l’ombre  ») et enfin le domaine de l’individu (pectus, «  le cœur  », scelus, «  le crime  » et labor, «  le travail  »). En bas, Lycus et Mégare sont réunis. Leur position reflète une proximité avec le premier champ lexical, le domaine des hommes. Ainsi, même s’ils sont en désaccord, ils s’affrontent dans un échange vif de stichomythie sur les mêmes sujets, qui influencent inévitablement le contenu de leur propos  : le mariage de Lycus avec Mégare (coniux), la guerre (arma) et le pouvoir (regnum et rex). Junon et Thésée se trouvent à l’opposé. Tous deux proposent un discours plus orienté vers des réalités non humaines. La remarque est évidente pour Junon, mais elle l’est moins pour le héros. C’est la description de la descente aux   À savoir  : manus, regnum, pater, locus, domus, caput, dies, rex, deus, caelum, terra, scelus, labor, tellus, arma, umbra, pectus, mundus, coniux et animus. 101

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enfers de Thésée, qui justifie la proximité avec ces noms (v. 658-829), introduite par cette adresse, sans doute, à Cérès 102  : [Thes.]  Fas omne mundi teque dominantem precor regno capaci teque quam amotam inrita quaesiuit Enna mater, ut iura abdita et operta terris liceat impune eloqui. [Thés.]  Toi, toute-puissance divine de l’univers, je t’en prie, et toi qui commandes sur un royaume étendu et toi, éloignée, que ta mère a cherchée en vain à Henna, qu’il soit permis de révéler impunément les règles cachées et recouvertes par la terre. (Herc. Fur., 658-661)

La descente aux enfers de Thésée l’a, en effet, rapproché du monde d’en bas. Sur l’axe 1, Amphitryon s’oppose à Junon et Thésée. Il occupe une place légèrement à part des autres intervenants. Il semble davantage sensible à une dimension personnelle des événements et, en particulier, à Hercule. D’abord dans sa controverse avec Lycus, Amphitryon se défend en mettant en évidence les exploits de son fils. Plus qu’un simple catalogue, il cherche à montrer l’implication personnelle d’Hercule dans chacune de ses épreuves pour montrer qu’il dépasse les simples mortels 103. Ensuite, c’est lui qui invite Thésée à ouvrir son cœur au sujet de son expérience du monde des morts afin d’en extérioriser le traumatisme encore présent (v. 654-657). De la sorte, Amphitryon dépasse d’ailleurs le topos traditionnel du «  messager apeuré, mais sollicité par un interlocuteur  » (cf. I.3.2.). Le père apporte une touche de psychologie supplémentaire qui lui est propre et qui lui permet de parvenir à ses fins. Enfin, il est le premier à décrire en direct la fureur d’Hercule et après, le premier à tenter de la comprendre  : [Amph.]  Quis nomen usquam sceleris errori addidit ? [Amph.]  Qui a donné quelque part le nom de crime à une erreur  ? (Herc. Fur., 1237)

Le père d’Hercule apporte une dimension plus «  réflexive  ». Il se positionne dans une recherche de conceptualisation de son environnement. Dans un premier temps, il tente de connaître le monde des morts par l’intermédiaire de Thésée et, dans un second temps, il espère découvrir un des aspects les plus sombres de la nature humaine, la folie. Il est également pertinent de s’intéresser à l’utilisation des codes grammaticaux  :   Fitch (éd.) (1987), p. 291, et Billerbeck (éd.) (1999), p. 424-425, s’accordent sur une invocation à Cérès qui, comme Thésée, relie d’une certaine manière les deux mondes. 103   Descroix (1948), p. 301. 102

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CHAPITRE IV

Figure 18 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule Furieux (tableau grammatical entier)

L’axe 1 (83 %) distingue principalement Thésée et le chœur – Junon ayant une position plutôt neutre, proche de l’axe en lui-même – des autres personnages. L’axe 2, avec 11 %, met en contraste Mégare et Hercule d’une part, avec Amphitryon et Lycus, d’autre part. Remarquons également que l’opposition entre Junon et Mégare est beaucoup moins importante, alors que l’épouse d’Hercule se place à l’opposé de Lycus, dont elle était proche dans la première AFC. Mégare ne propose donc pas les mêmes proximités dans les deux AFC. Elle peut ainsi être éloignée de Junon quant à ses thématiques, mais proche d’elle dans certaines de ses expressions. Ceci nous amène à l’AFC suivante, calculée sur les principales catégories du discours  :

Figure 19 : AFC des catégories grammaticales dans l’Hercule Furieux



DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?235

En accord avec les résultats précédents, l’axe 1 oppose le chœur et Thésée aux autres personnages, mais l’axe 2 distingue Junon et Mégare du chœur, et secondairement d’Hercule et des autres personnages masculins. Avant de revenir sur cette dernière observation, il faut noter les positions du chœur et de Thésée distinguées par l’axe 2. Le premier est caractérisé par son emploi des substantifs et des adjectifs. De même, le discours de Thésée est défini par une fréquence caractéristique des coordinations mise en évidence précédemment pour les messagers. Ceci renforce encore le parallèle entre le héros et les messagers. Par ailleurs, les personnages féminins et masculins seraient peut-être dissociés entre Junon et Mégare, qui préféreraient les verbes et les adverbes, et Hercule suivi par Lycus et Amphitryon, qui seraient plutôt sensibles aux prépositions, interjections et subordinations. Cependant, même si l’opposition entre masculin et féminin n’est pas assurée avec certitude, il est intéressant de formuler plusieurs observations. Au regard de ces résultats, les deux femmes ne semblent pas être les voix d’une idéologie ou d’un exposé conceptualisant, mais elles insisteraient plutôt sur l’exécution de l’action. Ainsi, Junon rapporte dans le prologue les actions d’Hercule, sans insister sur leurs circonstances. Par là, elle amène les raisons de son courroux. Ensuite, les verbes donnent à ses propos une dimension performative qui lui permet d’atteindre un niveau de fureur nécessaire à la condamnation d’Hercule  : [Ivn.]  Perge ira, perge et magna meditantem opprime, congredere, manibus ipsa dilacera tuis : quid tanta mandas odia ?// [Jun.]  Continue ma colère, continue et fais fléchir celui qui médite ces grands plans, combats-le, mets-le toi-même en pièces, de tes propres mains  : pourquoi délègues-tu de si grandes haines  ? (Herc. Fur., 75-77)

La formule perge ira, perge, que l’on peut comparer avec d’autres passages de la tragédie 104, ainsi que les autres verbes à l’impératif participent au processus de développement du furor, qui est le principe initiateur de la pièce. L’aspect performatif des verbes se retrouve dans la première intervention de Mégare, sous la forme d’une prière adressée d’abord à Hercule, pour qu’il revienne (v. 279-298) et ensuite à Jupiter pour solliciter sa protection (v. 299-308). La prière se révèle efficace, puisque le héros ne tarde plus à revenir. Dans ce passage, la fréquence de verbes à l’impératif est importante. Il s’agit d’un code grammatical spécifique au discours de Mégare par rapport aux autres personnages 105. Il se retrouve dans son débat avec Lycus sur la tyrannie  : [Meg.]  Dominare tumidus, spiritus altos gere : sequitur superbos ultor a tergo deus. 104  Cf. Phèd., 862  ; Troy., 993  ; Méd., 332, pour plus de détails sur ces éléments rhétoriques, voir Billerbeck (éd.) (1999), p. 222. 105   Grâce à la fonctionnalité Spécificités applicable aux lemmes comme aux codes tels que l’impératif.

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CHAPITRE IV

[Még.]  Commande avec orgueil, conduis-toi avec un esprit de supériorité  : un dieu vengeur suit de derrière les insolents. (Herc. Fur., 384-385)

Dès le départ, l’épouse d’Hercule se montre combative malgré les malheurs et fait preuve de résistance devant Lycus. L’évolution de l’attitude du tyran face à Mégare mérite l’attention. D’abord impressionné par sa combativité, Lycus invite courtoisement la jeune femme à le rejoindre sur le trône, en utilisant un verbe au subjonctif qui exprime une volonté polie  : sociemus toros (v.  413  : «  associons nos couches  »). Ensuite, devant le refus de Mégare, Lycus révèle son vrai visage, celui du tyran qui utilise la force pour parvenir à ses fins. Il a recours alors au futur à deux reprises pour montrer qu’il a la main sur l’avenir de la jeune femme  : Cogere (v.  426  : «  Tu y seras poussée de force  ») et Moriere demens (v.  429  :  «  Tu mourras, folle  »). Sénèque s’efforce donc de soigner les discours de ses personnages dans les moindres détails, ce qui démontre une fois de plus l’influence de la rhétorique sur l’auteur 106. Ainsi, le discours de Lycus et de Mégare n’est pas différencié au niveau d’un vocabulaire commun, puisqu’ils débattent du retour d’Hercule et du pouvoir, mais bien au niveau de la morphosyntaxe. Sans spécifiquement représenter la féminité, Junon et Mégare se positionnent comme les Autres par rapport aux autres personnages. Junon représente l’Autre par rapport à l’ensemble des mortels, tandis que Mégare est l’Autre par rapport à la violence virile de Lycus. Dans la culture et la littérature grecques 107, ce concept de représentation, qui considère la femme comme l’Autre par rapport à l’homme à tous les niveaux, est très structurant dans la société. S’il est moins puissant dans l’œuvre de Sénèque, l’étude des rapports hommes-femmes dans l’Hercule Furieux, comme dans les Phéniciennes, indique que ce facteur est opérant dans certains contextes précis de performance. Dans la partie supérieure du graphique, les trois personnages masculins sont regroupés autour des conjonctions, subordinations et interjections. Il ne s’agit pas non plus de catégories du discours rattachées à l’un ou l’autre sexe. Au contraire, les interjections pourraient participer à intensifier l’aspect émotif, plutôt proche de pratiques discursives féminines 108. Mais dans le cas d’Hercule, l’utilisation de l’interjection intervient à part entière dans le processus de dramatisation de son personnage. Son premier mot sur scène est l’interjection «  o  », lorsque le héros sort des enfers vers la lumière du jour  : o lucis almae rector (v.  592  : «  o maître de la lumière nourricière  »). Ensuite, chaque étape de son évolution est ponctuée par une interjection. La suivante est positionnée au moment précis où il sombre dans l’égarement provoqué par Junon  : le héros est en train d’adresser une prière de remerciement pour son retour, lorsqu’il est frappé par les ténèbres   Billerbeck (2014), p. 430-431.   Sur ces questions sur la femme comme l’ «  otherness  » dans la société grecque, voir le travail fondateur de F. I. Zeitlin et, en particulier, Zeitlin (1996b). 108   cf. II.7. 106 107



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(v. 939-940). Sa première réaction est de s’interroger sur ce phénomène avant d’être emporté par la fureur. C’est à ce moment qu’il prononce la seconde interjection  : primus en noster labor (v. 944  : «  voici mon premier travail  »). Il a une vision du lion de Némée pervertie par ses sentiments. Deux autres se succèdent jusqu’à l’accomplissement de son crime (v. 961 et 987). Une fois la fureur passée, Hercule commence à retrouver ses esprits. Démarre alors un long moment de récupération à la fois des sens, mais aussi du corps. C’est une phase remplie d’incertitude, marquée par de nombreuses questions adressées à Thésée et Amphitryon. C’est grâce à cette période de réappropriation qu’Hercule se retrouve lui-même à partir de sa propre existence physique  : en nudus asto (v. 1172  : «  me voici nu, debout  »). Pendant ce temps, il réalise sa responsabilité dans la mort de ses enfants (v. 1126). Dans un troisième temps, le héros est décidé à mettre fin à ses jours avec une nouvelle série d’interjections, aux vers 1236, 1281 et 1296. Finalement, il s’adresse à Thésée pour le supplier de le renvoyer dans le monde d’en bas. L’utilisation des interjections ne souligne donc pas le caractère interactif du discours d’Hercule, mais vise plutôt à mettre en relief l’évolution émotionnelle et dramatique du héros. L’interjection ponctue chacun de ces moments  : la joie du retour, l’épisode furieux, la récupération de soi et enfin le désespoir. * *   * Si, dans un premier temps, l’Hercule Furieux ne semble pas présenter de caractérisation des discours selon le sexe de l’interlocuteur, le facteur pourrait s’avérer pertinent sur les parties du discours. En dehors de cette particularité, l’opposition n’est pas aussi évidente que dans Médée, Phèdre ou les Troyennes. Comme dans l’Agamemnon, le sexe des personnages n’est pas un facteur déterminant dans l’Hercule Furieux. Malgré des personnages très différents et dont les discours ont été finement construits, le héros central reste assurément Hercule. Les autres intervenants, avec leurs propres contradictions, participent à mettre en avant le drame de la pièce  : Hercule arrive à mettre Junon hors d’elle au point d’atteindre une fureur nécessaire à la vengeance  ; Amphitryon et Mégare résistent à la tyrannie de l’usurpateur Lycus  ; Thésée, qui a vaincu les enfers, offre une amitié pure au héros souillé par le massacre de sa famille. À l’opposé de Phèdre ou de Médée, construites autour d’un rapport manqué entre homme et femme, l’Hercule Furieux s’intéresse à la déchéance physique et mentale d’un héros pourtant empreint de virilité au sens noble du terme. IV.7.  Hercule sur l’Œta Après la première pièce consacrée à la légende d’Hercule, il convient de s’intéresser à l’Hercule sur l’Œta. Rédigée probablement après 54, elle s’inspire,

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CHAPITRE IV

parmi d’autres sources, des Trachiniennens de Sophocle 109. Elle est composée de dix personnages dont deux chœurs distincts, celui des jeunes filles œchaliennes et celui des femmes étoliennes. Le personnage de Lichas est muet. Philoctète a fait l’objet de plusieurs interprétations, car les didascalies ne sont pas assurées dans la tradition  : ce rôle doit-il être attribué à Philoctète ou à un messager  ? R. Peiper et G. Richter choisissent l’hypothèse d’un messager et conservent Philoctète sous la forme d’un personnage muet, au même titre que Lichas 110. À l’opposé, F.‑R. Chaumartin propose un rôle unique, sans se prononcer pour l’une ou l’autre proposition, tandis que J. G. Fitch préfère accorder ce rôle à Philoctète 111. Nous avons montré que d’autres personnages occupent une posture de messager, à l’instar de Thésée dans l’Hercule Furieux (cf. I.3.), Créon ou encore Mantô dans l’Œdipe. Dès lors, nous considérons ce rôle comme celui de Philoctète. L’étude logométrique des personnages permet de compléter notre connaissance des constructions des discours dans l’Hercule sur l’Œta :

Figure 20 : AFC des lemmes dans l’Hercule sur l’Œta (tableau lexical entier)

Les personnages se répartissent sur l’axe 1  : à gauche, les deux chœurs et Iole  ; à droite, les autres intervenants. L’axe 2 distingue les chœurs, Philoctète et Hyllus des autres personnages. L’Hercule sur l’Œta présente le plus de personnages féminins et seuls trois hommes y sont actifs. Malgré ce déséquilibre, l’AFC met à part Hyllus et Philoctète, tandis qu’Hercule est proche des héroïnes.   Carlsson (1947).   Peiper / Richter (éd.) (1921), p. 320. 111   Fitch (éd.) (2004), p. 335 et Chaumartin (éd.) (2008b), p. 16.

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Il est attendu que les deux ensembles choraux montrent des similitudes dans leur discours. Dans l’Hercule sur l’Œta, les deux chœurs interviennent l’un comme l’autre dans un but de lamentation. Le premier s’apitoie sur son sort servile après avoir été ramené par Hercule. Le second pleure Hercule qui monte sur le bûcher. Ainsi, même si le sujet n’est pas partagé par les deux groupes, tous deux produisent un discours marqué par leur position de lamentations, en retrait de l’action dramatique. Iole présente avec les chœurs suffisamment de points de contact pour leur être associée par le premier axe. Cette position se justifie par un rôle limité à exposer au public les malheurs subis depuis l’arrivée d’Hercule dans sa cité  : [Iol.]  Vidi, vidi miseranda mei fata parentis, cum letifero stipite pulsus tota iacuit sparsus in aula. [Iol.]  J’ai vu, j’ai vu les destins misérables de mon père, lorsque, frappé par le pieu mortel, il tomba à terre, éparpillé dans tout le palais. (Herc. Œt., 207-210)

En plus Iole prend la parole directement après la première intervention des jeunes filles œchaliennes, faisant presque partie de leur groupe. Elle aussi est une esclave rapportée par Hercule. S’avance-t-elle du chœur pour prendre la parole  ? Il est probable qu’elle soit rentrée sur scène avec le chœur pour s’en détacher ensuite au moment d’apporter son témoignage 112. La différence est qu’elle est choisie par le héros comme sa favorite. Sénèque a donc caractérisé son discours en continuité avec le groupe dont elle est issue. De plus, elle s’exprime en dimètres et monomètres anapestiques, langue utilisée par le chœur (par ex.  : v. 583-705). La versification, la thématique, la fonction et le moment de l’intervention d’Iole montrent la volonté de l’auteur d’associer la jeune fille aux chœurs de la tragédie, et spécialement au premier groupe. Par cette stratégie, Iole est mise en évidence parce qu’elle a été choisie parmi ce groupe d’esclaves. Elle concentre en elle toutes les voix et, en même temps, tous les malheurs des autres jeunes filles. Dans le quadrant supérieur droit, Hyllus et Philoctète ont été réunis. Alors que le rôle de Philoctète a déjà été mis en parallèle avec celui de messager, au sein de l’Hercule sur l’Œta, il semble aussi proche de celui d’Hyllus. Ce dernier, tout comme Philoctète, occupe une place de témoin au cœur de l’action, principalement auprès de sa mère. Il lui rapporte des nouvelles de son père dans une longue description (v. 775-841), dont voici un extrait  : [Hyl.]  //Vix pestem indicat et saeuit : artus ipse dilacerat suos

  Marcucci (1997), p. 111, compare cette partie de la pièce avec l’intervention du chœur et de Cassandre dans l’Agamemnon. 112

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et membra uasta carpit auellens manu. Exuere amictus quaerit.// [Hyl.]  À peine a-t-il nommé le mal, qu’il enrage  : ses membres, il les lacère luimême et ses membres, il les arrache de sa vaste main. Il cherche à retirer sa tunique. (Herc. Œt., 825-828)

La narration du récit justifie la présence d’un lexique et d’une morphosyntaxe communs qui rapprochent Hyllus et Philoctète. Les quatre personnages qui soutiennent l’action se trouvent dans le quadrant inférieur. C’est probablement le facteur mis en évidence par l’axe 2, puisqu’il distingue les rôles plutôt inscrits dans la narration de ceux plutôt dans l’(inter) action  : Hercule et Déjanire ainsi qu’Alcmène et la nourrice, qui présentent une posture similaire. Elles occupent un rôle de modération et de support  : la nourrice auprès de Déjanire et Alcmène auprès de son fils  : [Alcm.]  Compesce lacrimas saltem et aerumnas doma malisque tantis Herculem indomitum refer mortemque differ : quos soles, uince inferos. [Alcm.]  Retiens au moins tes larmes et dompte tes épreuves 113 et ramène Hercule, qui n’est pas soumis à tant de malheurs, et reporte la mort  : ce dont tu as l’habitude, vaincs les enfers. (Herc. Œt., 1374-1376)

Les éléments traditionnels du discours de la nourrice, tels que définis précédemment, se retrouvent ici  : des verbes d’empêchement (compesce, doma, differ, uince) à l’impératif pour encourager l’interlocuteur et les sentiments négatifs à repousser (lacrimas, aerumnas, mortem) dans un contexte à dimension morale (malis, indomitum). Sénèque joue avec le topos de la nourrice qu’il a développé dans d’autres tragédies. Même s’il n’y a pas deux grandes parties aussi distinctes que dans les Phéniciennes, deux unités thématiques différentes sont présentes, mais elles sont développées en parallèle dans l’Hercule sur l’Œta : la première avec l’échange nourrice-Déjanire autour d’une douleur psychologique – l’amour rejeté – et la seconde avec Alcmène-Hercule autour d’une douleur physique, le poison et ensuite le bûcher. Ce schéma explique sans doute la proximité thématique de Déjanire et d’Hercule  : naissance et développement de la douleur, combat pour la surmonter et, enfin, abandon avec ses conséquences (tandis que Déjanire se suicide, Hercule est divinisé). Il est important de s’attarder un moment sur la place particulière occupée par Hercule sur le graphique. En effet, même si le facteur narration-(inter)action participe à justifier la disposition des personnages, il n’en est pas moins surprenant 113   Alcmène emploie ici un terme qui désigne les travaux d’Hercule (par exemple  : Cic., De Fin., II, 118). Elle inscrit le bûcher parmi les épreuves que le héros doit supporter en raison de sa destinée mythologique.

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de trouver Hercule rapproché des personnages féminins. Faut-il en conclure que le héros est féminisé  ? Dans la culture classique, Hercule est un symbole de virilité et d’héroïsme 114. Dans la pièce, le héros arrive à dépasser les erreurs de son humanité (adultère, orgueil, violence) pour atteindre, par la douleur, le statut divin. Par ailleurs, dans l’Hercule Furieux, le discours d’Hercule ne semble pas avoir été caractérisé dans un but de féminisation. Au contraire, l’étude des parties du discours avait plutôt montré une proximité avec les autres personnages masculins  : Amphitryon, Lycus et Thésée. Comment expliquer alors le traitement du héros de cette seconde pièce consacrée à Hercule ? Une piste de réponse est apportée par N. Loraux qui avance que le héros «  suffers like a woman before resolving to die like a man  » 115. Pour les anciens, la négation de la virilité, mais aussi de l’humanité, trouvait sa réalisation dans un processus complexe de féminisation 116. Par exemple dans le Thyeste, les discours d’Atrée et de Thyeste ont été travaillés pour répondre à des standards de féminité (cf. I.2.2.). De cette manière, la transformation des héros en entités non-humaines s’expose au public. Si le procédé développé dans le Thyeste a des conséquences négatives, dans l’Hercule sur l’Œta, il a une issue positive  : Hercule quitte le domaine des hommes pour rejoindre les dieux. Si, pour C. Auvray-Assayas, le héros est dépossédé de la uirtus héroïque 117, M. Lentano a étudié comment fonctionne le passage par la féminité d’Hercule, nécessaire à sa divinisation. À partir du vers 1131, commence une phase où le héros connaît une rupture de son identité virile en subissant une mors indigna, «  une mort honteuse  », puisqu’il a été empoisonné par une femme. Malgré cette rupture, le philologue insiste surtout sur la double identité du héros  : Forse questa duplicità così inscritta nel racconto su Ercole, nel suo personaggio mitologico e letterario, questa capacità di obliterare e di attraversare i confini, affonda le sue radici ultime proprio nella duplicità “ontologica” dell’eroe  : figlio di una donna e di un dio, gemello semidivino del “troppo umano” Ificle, Ercole resta il più divino fra gli uomuni e il più umano fra gli dei, sempre in bilico fra la terra e il cielo – o, se si preferisce, fra Giove e Anfitrione. 118

Sénèque cherche donc à construire un personnage ambivalent jusqu’à sa divinisation  : entre humanité et divinité, mortel et immortel, mais aussi virilité et non virilité (égale à féminité). L’ambivalence du héros se marque aussi au niveau de son discours, puisqu’il est plutôt proche de ceux des personnages féminins et, plus particulièrement encore, de son épouse Déjanire. Il est intéressant de mettre en évidence les similitudes entre Hercule et Déjanire, alors que les recherches précédentes ont   Loraux (1990), p. 24-25.   Loraux (1990), p. 28. 116   Sur cette question, voir par exemple Cawthorn (2008), p. 9-12 et 79-97. 117   Auvray-Assayas (1991), p. 31. 118   Lentano (2004), p. 132. 114 115

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plutôt insisté sur les points communs entre la reine et ses nourrices ou encore entre la reine et ses modèles latins, plus particulièrement élégiaques 119. Le rôle d’Hercule se définit en trois temps  : un prologue (v. 1-103) sous la forme d’une invocation à Jupiter, un échange avec sa mère pendant une lente mort (v. 11311517) et enfin l’annonce de sa divinisation (v. 1963-1976). Quand le rôle est comparé à celui de Déjanire, les points de contact entre les structures sont nombreux. Une évolution en trois phases émerge également des interventions de l’épouse d’Hercule. Sa première prise de parole consiste en une prière adressée à Junon pour trouver l’ardeur nécessaire à sa vengeance (v. 256-266). S’ensuit un échange avec la nourrice où s’exprime toute la douleur de cette femme rejetée et où le plan de vengeance est mis en place (v. 278-582). Enfin, elle réalise la méprise et se donne la mort (v. 984-1024). Chez les deux époux, se trouve donc l’invocation à la divinité, chez l’un pour faire reconnaître le bienfait de son action, et chez l’autre pour posséder suffisamment de force pour s’opposer à son mari. Une conversation avec un proche au rôle de modération – la nourrice pour l’une et la mère pour l’autre 120 – leur permet d’atteindre le stade émotionnel nécessaire à l’aboutissement de leur action. En troisième lieu, tandis qu’Hercule s’abandonne à la mort en raison de la douleur, il transcende sa nature mortelle. De même, Déjanire renonce à vivre en raison de la souffrance vécue, d’abord par le rejet d’Hercule, et ensuite par sa mort dont elle est responsable. Mais contrairement à Hercule, la jeune femme passe de la vie, non pas à l’immortalité, mais aux enfers. Même si les sujets abordés par les deux personnages au long de leur développement tripartite ne sont pas identiques, la structure de leur évolution dramatique influence le vocabulaire qu’ils utilisent  : bien que le fond diffère, une prière est construite sur des éléments discursifs similaires. De même, Déjanire et Hercule sont confrontés tous deux à la douleur  : l’une psychologique et l’autre physique. Pour renforcer ces similitudes de structure et de discours, Sénèque introduit des répliques qui se font écho et renforce ainsi la cohérence de l’action dramatique. Par exemple, Déjanire prend conscience de la mort prochaine d’Hercule et déclare avec cynisme  : [Dei.]  //Laus tibi erepta incluta est, ingens triumphus : aemuli, Iuno, tui mortem occupaui. [Déj.]  Une gloire illustre t’a été arrachée, un très grand triomphe  : de ton rival, Junon, j’ai ravi la mort. (Herc. Œt., 882-884)

  Marcucci (1997), p. 231-265, démontre l’influence de l’élégie, et plus spécifique­ ment d’Ovide, sur la construction du rôle de Déjanire. 120   Nous venons de montrer ci-dessus le parallèle évident entre ces deux personnages, renforcé tant par leur action que par leur discours. 119



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À ce moment, elle ignore que sa tromperie est l’occasion pour Hercule de se réaliser en tant que divinité. Il saisit volontairement cette opportunité de révéler sa nature proche des dieux  : [Herc.]  Nunc mors legatur clara memoranda incluta, me digna prorsus. Nobilem hunc faciam diem. [Herc.] Maintenant, la mort, choisissons-la éclatante, mémorable, glorieuse, digne de moi, vraiment. Ceci, j’en ferai un jour illustre. (Herc. Œt., 1481-1482)

Le thème et le vocabulaire des deux passages présentent des points communs (mors et inclutus). Le jeu de résonance entre ces deux moments intenses renforce la comparaison entre les deux héros, mais également l’ironie de la pièce, qui permet à une erreur de trouver une issue positive.

Figure 21 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule sur l’Œta (tableau grammatical entier)

La configuration de l’AFC sur les codes grammaticaux est similaire à celle produite pour les lemmes. La principale différence repose sur la position de la nourrice, qui désormais n’est plus proche d’Alcmène, mais plutôt de Déjanire. Nous avons vu qu’Hyllus et Philoctète utilisent un lexique commun pour décrire la scène qui se déroule devant eux. La seconde AFC confirme qu’ils emploient également des codes communs nécessaires à la structuration de la narration. Toujours à gauche du graphique, les trois autres personnages, qui se construisent plutôt dans l’interaction, sont une seconde fois réunis  ; Hercule est à nouveau associé aux personnages féminins. Alcmène, qui partage une portion de vocabulaire avec la nourrice, est ici proche d’Iole. Le ton plaintif et de lamentations, présent chez les deux femmes, explique probablement leur proximité dans l’utilisation des codes grammaticaux. En effet, Alcmène occupe plusieurs postures au sein de la pièce, selon les circonstances. Ainsi, lorsqu’Hercule se

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tord de douleur devant le poison envoyé par son épouse, elle prend la posture d’une nourrice, identifiée ci-dessus. Mais une fois son fils trop avancé dans la mort, son rôle de mère se réactive avec l’expression évidente de lamentation dans un cadre de deuil  : [Alcm.]  Cessate, matres, pertinax si quas dolor adhuc iubet lugere, quas luctus grauis in saxa uertit ; cedite his cunctae malis. [Alcm.]  Arrêtez, mères, si une douleur constante vous enjoint de pleurer jusque maintenant, si un deuil pénible vous transforme en rocher  ; cédez, toutes, à ces malheurs. (Herc. Œt., 1854-1856)

Pour mener la posture de lamentation à terme, Alcmène entame plus loin un long chant funèbre (v. 1863-1939). Pour marquer le passage vers cette phase finale du processus de deuil 121, elle passe en dimètres anapestiques 122, mètre qui convient mieux à l’expression du pathétique 123. Durant ce chant, il est probable qu’elle s’adresse aux femmes du chœur pour faire appel à la communauté et partager ainsi sa douleur. L’aspect communautaire du rituel est mis en évidence par la répétition de certains verbes à l’impératif qui interpellent les autres mères  : flete, «  pleurez  » 124 ou encore plangite, «  lamentez-vous  » 125. Même s’il n’y a pas d’interaction directe entre le chœur et Alcmène, ce passage rappelle la scène des Troyennes où Hécube, en premier membre du chœur, invite ses sujets à pleurer avec elle les hommes morts au combat. Il est également pertinent de comparer la scène à l’échange entre Cassandre et le chœur de Troyennes dans l’Agamemnon (v. 664-677). Les mêmes schémas discursifs configurent des événements communs à plusieurs pièces, comme les expressions de deuil. Par ailleurs, ces représentations structurées devaient évoquer une réalité pour le public romain. Il devait y retrouver des codes – ou du moins les symboles de ces codes – repris de la vie quotidienne. Au départ, le chant semble ritualisé, puis Alcmène laisse peu à peu libre cours à ses émotions, remplie de questions quant à la mort de son fils. Enfin, elle cède à la tristesse  : fallor, fallor uaesana furens (v. 1930  : «  je suis tombée, je suis tombée, insensée dans la fureur  »). Au comble de la tension dramatique de cette célébration funèbre, au moment même où elle reconnaît la disparition de son fils (uadis inermis, nate, per umbras, v. 1938  : «  tu erres, désarmé, mon fils, parmi les ombres  »), Hercule lui fait savoir qu’il a atteint le ciel (v. 1940-1943). 121   La procédure de rites funéraires est figurée sur scène. Il n’est pas question pour Sénèque de reproduire les actes posés lors de la mort d’un proche. La phase de lamentations suivie d’un chant funèbre était sans doute soutenue par un dispositif visuel (costume, masque, accessoires) difficile à déterminer. 122   Tout comme Iole qui s’adresse en monomètres et dimètres anapestiques. 123   Dangel (2001b), p. 216-217. 124   Répété aux vers 1863, 1883, 1891, 1896 et 1904. 125   Répété aux vers 1864, 1868, 1880, 1901.



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Revenons enfin un moment sur Hercule et Déjanire. Leur proximité sur la seconde AFC confirme nos observations émises pour l’utilisation des lemmes. Le héros présente une nouvelle fois des points communs avec les personnages féminins, et plus particulièrement, Déjanire. La structure tripartite de leur rôle influence leur utilisation du lexique, mais cette seconde AFC confirme qu’elle intervient également dans le choix des codes. Ainsi, tout comme la prière et l’expression de la douleur nécessitent une base commune dans le vocabulaire, il en est de même pour les codes grammaticaux. De cette manière, Sénèque renforce le parallèle entre les deux personnages qui concentrent toute l’énergie dramatique nécessaire à l’avancée de l’action  : Déjanire, par la puissance de son amour douloureux, tente de reconquérir son époux et Hercule essaie de se dépasser par la douleur physique provoquée par le poison. * *   * Dans les deux pièces consacrées à Hercule, Sénèque ne cherche pas à montrer les mêmes émotions. Chaque œuvre est le spectacle d’une démesure humaine différente. Dans l’Hercule Furieux, il expose la fureur passagère comme une forme de virilité non maîtrisée proche de la bestialité, en travaillant un Hercule désorienté, mais masculin. En libérant cette force brute, le héros se découvre une autre forme d’humanité, plus humble et plus proche des autres mortels. À l’opposé, l’Hercule sur l’Œta met en scène un héros symbole de la virilité, avec une forte dimension érotique lorsqu’il est présenté par Déjanire  : en plus de ses travaux, il conquiert de nombreuses jeunes filles dans les villes grecques et il risque de donner une descendance ailleurs qu’au sein de sa famille. Mais ensuite, empoisonné par son épouse, il connaît une rupture brutale dans cette identité masculine, avant de pouvoir seulement connaître l’immortalité. Pour mettre en évidence l’équilibre instable sur lequel repose l’essence d’Hercule, les interventions de son personnage répondent, dans une certaine mesure, à celles de Déjanire. De cette manière, le héros est arraché à la sphère masculine à laquelle il appartient au début de la pièce pour connaître une mort à tous les niveaux de la société romaine  : physique, mentale, sociale et discursive. Mais par l’anéantissement, Hercule a le droit de devenir un dieu. IV.8. L’Œdipe

et le

Thyeste

L’Œdipe et le Thyeste font figure d’exceptions  : d’une part, l’Œdipe ne présente que deux personnages féminins, Mantô et Jocaste. Or, nous avons montré que Mantô occupe une posture de messager (cf. I.3.). Dans ces conditions, il est compliqué de mettre au jour des points communs entre personnages de l’un ou l’autre sexe. D’autre part, le Thyeste ne présente aucun personnage féminin en dehors de la Furie, dont l’identité sexuelle est difficilement définissable.

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CHAPITRE IV

IV.8.1.  L’Œdipe Néanmoins, dans un but d’exhaustivité, il est important d’aborder ces deux pièces. Dans un premier temps, nous allons parcourir l’Œdipe au moyen des deux AFC suivantes  :

Figure 22 : AFC des lemmes dans l’Œdipe (tableau lexical entier)

Figure 23 : AFC des codes grammaticaux dans l’Œdipe (tableau grammatical entier)

La pièce est composée de neuf personnages, dont un chœur de Thébains. Seul Phorbas est exclu de la base statistique, en raison de la brièveté de son intervention, à savoir onze lignes réparties entre les vers 847 et 867. Le thème

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général de la pièce est celui traité par Sophocle dans l’Œdipe-Roi 126 : Œdipe cherche à découvrir les raisons de la peste et est confronté à son passé meurtrier et incestueux. En revanche, Sénèque propose un traitement poétique et dramatique différent. Celui-ci a donné lieu à plusieurs interprétations. La thèse d’une copie ratée de la source grecque 127 est aujourd’hui définitivement rejetée, mais il est plus compliqué de trouver un consensus sur l’orientation à donner à cette tragédie. Par exemple, G. Müller propose de considérer l’Œdipe comme une pièce consacrée au destin  : «  Auf Selbstenthüllung des Fatums also ist die Handlung von Anfang an angeordnet. Wenn Ödipus im Prolog die Pest beschreibt, nicht in bloßen Fakten, sondern in affektbezogenen Symptomen des Widernatürlichen, so ist schon das eine erste Spiegelung des Fatums.  » 128. Notons que le terme fatum fait bien partie du vocabulaire spécifique de la pièce, calculé sur l’ensemble de l’œuvre sénéquéenne 129. La statistique renforce la thèse d’une grande place accordée au destin dans cette tragédie. L’idée a d’ailleurs été reprise et développée par plusieurs chercheurs, comme P. J. Davis, qui met le concept de «  destin  » en contraste avec celui de «  responsabilité humaine  » 130. D. Henry et B. Walker l’envisagent plutôt comme une peinture de la société néronienne présentée 131. Plus récemment, les chercheurs ont insisté sur l’unité et la poésie de la pièce comme lieu d’exploration des sentiments de culpabilité 132. Il a aussi été démontré que la pièce est empreinte de réalités romaines 133, dont la scène de l’haruspicine est un exemple. Elle fait dire à F. Dupont que «  la chaîne latine est le spectacle ludique – la musique, la danse, les jeux avec les mots –, la trame grecque est l’histoire.  » 134 La diversité de ces études participe à la compréhension d’une œuvre aussi complexe que l’Œdipe. En plus des recherches précédentes, l’approche logométrique permet d’obtenir une représentation objectivée de la distance entre les discours des personnages et d’éclairer ainsi les mécanismes de leur construction. Les deux AFC démontrent une nouvelle fois une opposition de type narration vs interaction avec, à droite sur l’axe 1, les quatre personnages qui interviennent peu dans les interactions  : Mantô, Créon, le messager et le chœur. À gauche, Œdipe, Jocaste, le vieillard et Tirésias prennent position. Cette répartition se reproduit pour les lemmes et pour les codes grammaticaux, illustrant le poids   La comparaison entre les deux auteurs a intéressé beaucoup de spécialistes, par exemple  : Ahl (éd.) (2008). 127   Voir, par exemple, Mendell (1941). 128   Müller (1953), p. 451. 129   Avec un écart réduit positif de 7,6 qui montre un haut niveau de spécificité. 130   Davis (1991). Voir aussi plus récemment le travail de Cordes (2009), p. 444-447. 131   Henry / Walker (1983). 132   Mastronarde (2008). 133   Chaumartin (éd.) (2002), p. 4-5. 134   Dupont (1995), p. 48. 126

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CHAPITRE IV

du facteur dans la caractérisation des textes. En revanche, le deuxième axe ne produit pas les mêmes résultats. Dans la première AFC, à gauche, il isole en bas le messager qui s’éloigne thématiquement des trois autres personnages en haut, puisqu’il intervient en fin de pièce pour rapporter la réaction d’Œdipe à l’annonce de ses origines réelles (v. 915-979). À droite, il rassemble Tirésias et le vieillard, en haut, et Jocaste et Œdipe, en bas. Dans la seconde, Mantô est rapprochée du messager, tandis que Tirésias l’est d’Œdipe et de son épouse. Devant ces données, il est difficile d’entrevoir une distinction de sexe. Du point de vue de l’utilisation du vocabulaire, Mantô est proche de Créon. Ils rapportent en effet tous les deux un épisode destiné à expliquer l’arrivée de la peste à Thèbes et surtout à trouver une solution pour purifier la ville. Mantô est chargée par son père, Tirésias, de lui expliquer le sacrifice et Créon doit raconter d’abord l’oracle qu’il est allé consulter à Delphes et ensuite sa rencontre avec l’âme de Laïus. Il est clair que la narration des trois rites romains – la consultation d’oracle, l’extispicine et la nécromancie – nécessite l’utilisation d’un vocabulaire commun, non seulement parce qu’il s’agit de trois procédés similaires (procédures ritualisées à réaliser de manière structurée, le but de la démarche est de recevoir une réponse à des interrogations et la réponse est inquiétante), mais aussi parce que le message rapporté est lui-même inscrit dans un schéma similaire  : Mantô et Créon sont en possession d’un savoir dangereux et effrayant et ont peur de le rendre public en s’intégrant dans le topos traditionnel du locus horridus (cf. I.3.2.). La proximité, dans l’utilisation des lemmes et, dans une moindre mesure, des codes entre les deux personnages 135, montre aussi une inclinaison à produire des discours qui se répondent. Se crée ainsi une unité thématique, mais aussi dramatique à travers plusieurs personnages. Sans insister sur la construction en résonance entre Mantô et Créon, les philologues avaient déjà mis ces épisodes en parallèle. J. G. Fitch les associe volontiers en notant que  : «  These Senecan scenes do not advance the plot, but rather magnify and intensify the horror of the situation  » 136. La même association est proposée par L. Galán, qui explique la présence et la rhétorique des passages de divination dans l’Œdipe comme un processus pour provoquer l’affectus dans l’audience 137. À ce stade, la position sur les deux AFC du messager interpelle également. Bien que plus distant de Créon et de Mantô, il semble néanmoins partager avec eux une base commune de vocabulaire et de morphosyntaxe. Elle est justifiée par la fonction du messager, également narrative. Toutefois, nous aimerions mettre cette proximité discursive en parallèle avec les résultats de l’étude d’A. Busch sur l’instabilité naturelle et linguistique dans les passages de l’extispicine et de   Bien que l’axe 2 de la seconde AFC sépare les deux personnages, ils sont néanmoins très caractérisés par l’axe 1 qui est, de loin, le plus déterminant. 136   Fitch (éd.) (2004), p. 9-10. 137   Galán (2007), p. 47-48. 135

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l’aveuglement volontaire d’Œdipe 138. Il décèle une problématique commune entre l’épisode de consultation des exta – et plus largement des récits de divination – et le passage du messager qui rapporte la réaction d’Œdipe. Pour le spécialiste, la lecture des entrailles révèle une prise de conscience par le roi d’une nature désordonnée et la volonté de celui-ci de se crever les yeux, racontée par le messager, démontre une tentative de rétablir l’ordre traditionnel du monde. Il met d’ailleurs directement les deux épisodes en comparaison dans sa conclusion  : An unresolved dialogue between conflicting elements of the drama – “voices” insisting that nature makes sense, and “voices” challenging that conviction – emerges with especial clarity in the scene of the extispicium and in the messenger’s report of Oedipus’ self-blinding. 139

Manifestement, des rôles qui interviennent à des moments différents de l’action dramatique se répondent les uns les autres. La statistique confirme ici la recherche livresque entreprise par A. Busch, puisqu’elle démontre une proximité discursive entre les personnages en question. Le rôle de Mantô est très éloigné des personnages féminins que nous avons rencontrés dans les pièces précédentes. Son identité sexuelle influence peu son discours, qui renvoie à d’autres rôles masculins  : Créon ou le messager. Il n’y a pas que le discours de la jeune fille qui est comparable à celui des hommes  : Mantô joue sur scène une action qui relève du domaine masculin. En effet, même si elle renvoie à l’image traditionnelle de la jeune fille qui s’occupe de son père âgé 140, elle procède néanmoins à une action typiquement masculine à Rome  : le rite sacrificiel de l’extispicine 141. Dans l’Œdipe, Mantô dépasse le rôle d’un assistant éventuel dans une procédure réservée aux hommes. Bien entendu, Tirésias est physiquement incapable de procéder au rituel seul, il guide de manière stricte les actes posés par Mantô et il se réserve l’interprétation. Toutefois, c’est la jeune fille qui accomplit le sacrifice  : elle jette l’encens sur les foyers (v. 306), elle observe les flammes (v. 314-323), elle abat la génisse et le taureau (v. 340) et elle détaille la procédure, à savoir le comportement des victimes, leur sang et leurs exta (v. 341-383). Par les injonctions de Tirésias, Mantô devient le célébrant. Remarquons d’ailleurs la différence de nature de leur rôle. La jeune fille perd son identité propre pour devenir l’acteur   Busch (2007).   Busch (2007), p. 264. 140   Il est question d’un topos répandu avec Antigone et Œdipe comme exemple le plus connu. Par ailleurs, chez Sophocle, l’identité de l’enfant qui accompagne Tirésias n’est pas mentionnée (Œd., 444  ; Ant., 1012 et 1087)  ; en revanche, Euripide indique qu’il s’agit d’une jeune fille (Phén., 834). 141   Sur les origines et l’importance de l’extispicine dans la religion romaine, voir Schil‑ ling (1962) ou Prescendi (2007), p. 39-42. 138 139

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CHAPITRE IV

du sacrifice, avec un langage technique précis et sans doute proche de la réalité des rituels sanglants romains. À chacune de ses interventions, Tirésias prend le relais pour proposer son interprétation. Il se détache de la performance vers une démarche d’intellectualisation du phénomène. De cette manière et avec une approche originale, les deux aspects du rite sacrificiel sont répartis en deux personnages distincts. Pour expliquer cette mise en scène, l’on rejoint H.  M.  Roisman  : In short, what Seneca has Teiresias do in this scene is to preside over a dramatic ceremony, which involves the audience, keeps them intellectually and emotionally focused, and creates and steadily augments a sense of tension. Also keeping the tension level – and dramatic interest – high is the fact that each interpretation is progressively more ominous. 142

À l’opposé de Mantô se trouve Jocaste, elle-même associée à Œdipe. Sénèque insiste donc sur une rupture de type discursif entre le couple royal et les autres personnages. Thématiquement, il est attendu que les deux époux partagent des points communs, puisqu’ils cherchent l’un comme l’autre l’origine de la peste à Thèbes. Du point de vue de la morphosyntaxe, la proximité des deux personnages pourrait se justifier par l’inversement de posture qui intervient entre Œdipe et Jocaste au cours de la pièce. En effet, lors du prologue prononcé par Œdipe, le public découvre un héros fuyant ses responsabilités, a fortiori lorsqu’il clôture sa première prise de parole par  : profuge iamdudum ocius – / uel ad parentes (v. 80-81  : «  fuis rapidement et sans délai – même chez tes parents  »). Son attitude passive peut être analysée comme une forme de féminisation, surtout lorsqu’on la met en contraste avec la réponse énergique de Jocaste, qui l’invective de la sorte  : haud est uirile terga Fortunae dare (v. 86  : «  tourner le dos à la Fortune n’est pas digne d’un homme  »). Mais lorsque l’action évolue par la rencontre de Créon, Tirésias et Mantô, Œdipe trouve la force nécessaire pour mener sa recherche à son terme. Nous assistons alors à un renversement de posture, car Œdipe ne veut plus renoncer quoi qu’il en coûte, alors que Jocaste entreprend de le détourner de sa quête  : Ne te parentis pigeat inuenti uide (v. 836  : «  fais attention de ne pas regretter d’avoir trouvé ton père  »). De même, après avoir pris conscience de leur passé incestueux, alors que Jocaste avance la responsabilité du destin (v. 1019), Œdipe, en se crevant les yeux, affronte sa culpabilité (v. 976). Le couple connaît donc un traitement dramatique comparable, car la pièce expose leur réaction devant la découverte du tabou le plus terrible. L’un parvient à se réaliser en héros tragique par la souffrance psychologique et physique, tandis que la seconde préfère y échapper par la mort. L’Œdipe est en fait une tragédie de la fuite, vécue en même temps, mais différemment, par un homme et une femme. 142

  Roisman (2003), p. 17.

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Pour renforcer le propos, citons l’idée de «  retour circulaire  » proposée par F.‑R. Chaumartin 143, puisque l’ensemble de la pièce est encadré par cette notion de fuite. Œdipe cherche d’abord à fuir la cité pour échapper à ses malheurs. Et à la fin de la pièce, après s’être réalisé en héros incestueux, il quitte la ville  : en fugio, exeo (v. 1053  : «  je fuis, je sors  »). Mais il ne s’agit plus de fuite honteuse, comme dans les premiers vers, mais plutôt d’une démarche volontaire de purification salvatrice pour la cité de Thèbes. Le facteur de sexe n’est donc pas pertinent dans le cadre de cette tragédie. Ce qui importe à Sénèque, ce n’est pas une opposition entre deux univers étrangers et initialement distincts qui peut se représenter par une confrontation de type homme-femme, comme dans Médée, Phèdre ou les Troyennes. Dans l’Œdipe, il est question d’une opposition entre deux sphères qui sont cette fois à l’intérieur même des deux personnages centraux, Œdipe et Jocaste 144. Sans le savoir, les époux renferment deux identités inconciliables  : Œdipe est à la fois roi et meurtrier, fils et époux, tandis que Jocaste est avorteuse (par l’exposition d’Œdipe) et mère, génitrice et épouse. C’est pourquoi l’auteur cherche à dramatiser cette fracture par la caractérisation des discours de ses personnages. IV.8.2.  Le Thyeste Pour refermer le quatrième chapitre, abordons le Thyeste. La pièce est une des plus violentes du corpus, puisqu’elle présente une scène de cannibalisme involontaire. L’intérêt des Romains pour ce thème est connu, puisqu’il fut traité par plusieurs auteurs latins comme Ennius et Varius 145. En revanche, nous n’avons conservé aucun modèle grec, contrairement à la plupart des autres tragédies de l’auteur 146. Comme l’Œdipe, la pièce a fait l’objet de nombreuses recherches. Citons les éditions commentées de C. Monteleone et de R. J. Tarrant 147. Dans les ouvrages récents, l’on ne peut ignorer le travail d’A. Schiesaro sur la théâtralisation des passions dans le Thyeste. En ouverture, il résume ainsi l’essence de la pièce  : «  Thyestes embodies a tragic conflict, and an even more tragic contradiction, between a desire to speak and the need to remain silent. Or, for us, between the desire to watch and the repulsiveness of what is on display.  » 148 Pour mettre cette action en scène, Sénèque a recours à neuf personnages dont un muet, Plisthène. La pièce s’ouvre de manière peu habituelle, non par un   Chaumartin (éd.) (2002), p. 5.  Pour une étude de la rupture intérieure qui se produit chez les héros, voir Kirichenko (2013), p. 119-146. 145   Sur le Thyeste et ses modèles, voir Pociňa (2003). 146   Par exemple, on sait que Sophocle a écrit une pièce de ce titre. 147   Monteleone (éd.) (1991) et Tarrant (éd.) (1985). 148   Schiesaro (2003), p. 1. 143

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prologue monologué, mais par un échange entre la Furie et le fantôme de Tantale (v. 1-121). Après une première intervention du chœur, s’ensuit alors un dialogue entre Atrée et le courtisan (v. 176-335). Une seconde prise de parole du chœur fait la transition avec la discussion entre Thyeste et son fils, Tantale (v. 404-490). Enfin, Atrée et son frère se retrouvent jusqu’à la révélation du piège (v. 491-1112). Il n’y a pas de personnages féminins dans le Thyeste. Ceci ne signifie pas qu’il n’y a aucune volonté de caractérisation masculine ou féminine des discours. Les travaux de C. A. Littlewood 149 ont prouvé la féminisation des personnages d’Atrée et de Thyeste, qui explique comment l’humanité quitte peu à peu les deux héros. Dans ces conditions, comment aborder une pièce comme celle du Thyeste  ? Les procédures statistiques touchent ici à leurs limites. Néanmoins, même s’il est compliqué de dégager des constructions autour du féminin, il est intéressant de découvrir comment les personnages ont été caractérisés les uns par rapport aux autres. Les huit personnages se répartissent sur une AFC calculée sur la distribution des lemmes, selon le facteur de la narration vs (inter) action avec, à gauche sur l’axe 1, le chœur, le messager, la Furie et le fantôme de Tantale et à droite, Thyeste et Atrée ainsi que Tantale et le courtisan. L’axe 2, lui, sépare principalement Thyeste et Atrée (en bas) de Tantale et du courtisan (en haut)  :

Figure 24 : AFC des lemmes dans le Thyeste (tableau lexical entier)

149

  Littlewood (1997, 2004, p. 194-209 et 2008).

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Figure 25 : AFC des codes grammaticaux dans le Thyeste (tableau grammatical entier)

Du côté des codes grammaticaux, le premier axe est une nouvelle fois le plus important et distingue les deux mêmes groupes de personnages. Sur le second axe, le fantôme de Tantale semble plus isolé, tandis que Tantale est dissocié du courtisan. Au vu de ces résultats, mettons en évidence la proximité de Tantale et du courtisan (pour les lemmes) ainsi que celle d’Atrée et de Thyeste (pour les lemmes comme pour les codes). Les deux premiers personnages occupent une même posture dans le Thyeste, celle traditionnellement adoptée par une nourrice lorsque le sujet de l’action est féminin. Comme la posture du messager peut être occupée par des personnages identifiés masculins (Thésée ou Créon) ou même féminins (Mantô), celle de nourrice peut se retrouver chez d’autres intervenants, ici de sexe opposé. Le sexe du locuteur n’est pas un critère déterminant, mais il importe de mettre en place des schémas de communication qui permettent à la passion d’atteindre son aboutissement tragique. Les échanges de type héros-nourrice font partie de ces canevas efficaces d’un point de vue dramatique. La posture de nourrice du courtisan avait déjà été définie 150, mais pas encore pour Tantale. Il est vrai que le jeune homme n’occupe pas exactement une position de modération par rapport aux émotions de Thyeste, comme le courtisan ou les autres nourrices. Mais son intervention permet à son père de céder à son désir de revenir à la cour de Mycènes et, à l’instar du courtisan, Tantale a recours à des sentences morales  : [Tant.]  Redire pietas unde submota est solet reparatque uires iustus amissas amor. 150

  Dupont (1995), p. 172-173.

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CHAPITRE IV

[Tant.]  Il est habituel que la piété revienne d’où elle a été chassée et un amour juste retrouve ses forces perdues. (Thy., 474-475)

Le parallélisme entre les scènes «  Atrée-courtisan  » et «  Thyeste-Tantale  » renforce la comparaison entre les deux personnages secondaires. De plus, les deux dialogues, même s’ils sont présentés dans une chronologie linéaire inévitable dans une représentation scénique, se déroulent simultanément dans la chronologie de l’histoire. J.‑A. Shelton a souligné cette simultanéité entre l’Acte 1, constitué du prologue entre le fantôme de Tantale et la Furie, et l’Acte 2 entre Atrée et le courtisan  : «  In fact, Acts 1, ff. repeat the events of the prologue. One temporal point or moment receives dramatic treatment twice  : first in the opening scene, and then in a later act.  » 151. Mais il serait pertinent d’étendre cette simultanéité à la première scène de l’Acte 3 152. Le public ne prend donc pas connaissance de deux points de vue, mais bien de trois, avant que les deux frères, rejoints peutêtre par le fantôme de Tantale 153, ne se retrouvent enfin au palais mycénien pour accomplir ensemble le drame de la pièce. Pour J.‑A. Shelton, la production de points de vue différents permet à Sénèque de dissocier l’intervention des divinités de celle des hommes pour mettre en évidence leur propre responsabilité devant le destin. Bien que cette hypothèse puisse subir la critique, la dissociation temporelle participe effectivement à la dramatisation de l’action, puisque le public connaît, grâce à cette technique, le sentiment de chacun des intervenants. Arrêtons-nous un moment sur le deuxième couple  : Atrée et Thyeste. Les deux graphiques montrent que les frères ont fait l’objet d’une caractérisation similaire, en opposition aux autres personnages. Les deux aspects de ce résultat – recherche d’une similarité entre les deux héros et distanciation par rapport aux autres personnages – attirent l’attention. Leur proximité discursive amène une question importante  : pourquoi Sénèque a-t-il construit deux héros si proches, alors qu’ils semblent à première vue si différents  ? 154 Malgré leur opposition politique 155, centrale pour la compréhension de l’action, les deux frères possèdent de nombreux points communs  : tout d’abord d’un point de vue mythologique, les deux héros sont frères  ; Thyeste a partagé la couche de l’épouse d’Atrée  ; par conséquent, il y a une confusion dans leur descendance. D’un point de vue dramaturgique, nous avons mis en évidence un parallélisme entre le deuxième et le troisième Acte. Ensuite, les deux héros se retrouvent sur scène pour partager   Shelton (1975), p. 258.   D’autres chercheurs ont aussi mis en évidence l’effet de répétition présent d’une scène à l’autre plutôt qu’une succession chronologique traditionnelle  : Owen (1968), p. 296-300 et Schmidt (2014), p. 541. 153  D’après Shelton (1975), p. 263, Tantale est une représentation physique de la Faute présente à travers toute la pièce. 154   Par exemple, Dupont (1995), p. 107, voit en Thyeste un héros aussi différent d’Atrée que Jason l’est de Médée. Davis (2003), p. 45, insiste plutôt sur les valeurs qui sont différentes entre les deux héros. 155   Davis (2003), p. 57-61 et Sideri-Tolia (2004). 151 152

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l’action jusqu’à son dénouement. Enfin, l’examen de l’évolution dramatique des deux invite à rejoindre A. Marchetta  : «  Lo scelus che lui cercava doveva essere tale da poter ammettere come auctor indifferentemente, altrettanto bene o Atreo o Tieste, con perfetta intercambiabilità di ruoli.  » 156 L’extrait suivant, qui clôture la pièce, illustre la confusion qui règne entre les deux hommes  : [Atr.]  Fuerat hic animus tibi instruere similes inscio fratri cibos et adiuuante liberos matre aggredi similique leto sternere – hoc unum obstitit : tuos putasti. [Atr.]  Ceci était ton intention  : servir un repas semblable à ton frère ignorant et approcher de mes fils avec l’aide de leur mère et les abattre d’une même mort – une seule chose t’a retenu  : tu pensais que c’était les tiens. (Thy., 1106-1110)

Les points de contact entre les deux frères surgissent donc à la conscience du public, malgré la violente confrontation qui les oppose. Ajoutons aussi la composante du discours qui renforce encore la ressemblance entre les deux héros  : tous deux s’expriment de manière similaire. Ne pourrait-on d’ailleurs pas interpréter cet effort de parallélisme comme une volonté de Sénèque d’accentuer l’horreur de la pièce  : comment deux hommes si semblables peuvent-ils se faire autant de mal  ? L’effet participe certainement à l’intensité particulièrement forte du drame qui se joue, mais il intègre également la pièce dans une réflexion plus large, très présente chez les Stoïciens  : d’où vient le mal  ? 157 La proximité entre Atrée et Thyeste est d’autant plus sensible qu’ils sont différents des autres personnages. De cette manière, Sénèque met les deux héros en évidence, mais il marque en même temps la rupture entre les frères et le reste de la communauté qui les entoure. Ils se positionnent d’ailleurs eux-mêmes peu à peu en dehors de la société, jusqu’à l’accomplissement du mythe, où ils cherchent à quitter le domaine des hommes. La réplique suivante de Thyeste en est un exemple  : [Thy.]  Si nihil superos mouet nullumque telis impios numen petit, aeterna nox permaneat et tenebris tegat immensa longis scelera. Nil, Titan, queror, si perseueras. [Thy.]  Si rien n’émeut les dieux d’en haut, si aucune puissance n’atteint de ses flèches les impies, qu’une nuit éternelle demeure et recouvre d’épaisses ténèbres d’aussi grands crimes. Pour rien, Titan, je ne me plains si tu persévères. (Thy., 10921096)   Marchetta (2010), p. 128.   Pour une réflexion sur le concept du mal chez Chrysippe, voir Glibert‑ Thirry (1977). Chez les stoïciens en général, voir Rist (1969), p. 81-96 ou Muller (2006), p. 96-104. 156 157

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CHAPITRE IV

Poussés, l’un par l’envie de vengeance, et l’autre, par les conséquences du piège mis, les deux héros se positionnent en marge des normes de la société des hommes, mais aussi de celle des dieux. Il est toutefois possible de dégager un élément que les frères n’utilisent pas de la même manière  : la temporalité 158. En parcourant les quatre temps principaux à l’indicatif (parfait, imparfait, présent et futur), il apparaît que Thyeste présente plus de points de contact avec son fils Tantale. Tous deux, dénués de sentiments de vengeance et rejetés en exil, sont principalement préoccupés par le temps présent. Il est difficile pour eux de se projeter dans le futur. De même, lorsque Thyeste est amené à manger ses enfants sans le savoir, il ne peut qu’exprimer ce qu’il ressent au moment où il est en train de le vivre  : [Thy.]  Voluuntur intus uiscera et clusum nefas sine exitu luctatur et quaerit fugam. [Thy.]  Les entrailles en moi ondulent et mon crime enfermé et sans issue lutte et cherche une fuite. (Thy., 1041-1042)

Atrée ne présente pas cette caractéristique. Il a déjà quitté le monde présent, et d’une certaine manière, il ne fait plus partie du monde des mortels. Nous rejoignons ainsi l’analyse de F. Dupont sur la différence de dolor entre Thyeste et Atrée. Pour la spécialiste, Thyeste souffre d’un dolor «  humain  » qui pourrait trouver sa résolution dans la société des hommes, alors que celui d’Atrée est excessif. Dès lors, le dolor va «  lui faire renouer avec ses ancêtres furieux, Pélops et Tantale, afin de conquérir une autre gloire, une autre immortalité dans la mémoire des hommes sans avoir besoin de fils.  » 159 Cette hypothèse pourrait expliquer pourquoi Thyeste s’inscrit durablement dans le présent à la différence de son frère. Cette section sur le Thyeste a donc mis en évidence à quel point les discours sont travaillés pour répondre à des besoins dramatiques précis. Ainsi, Thyeste et Atrée sont présentés comme similaires jusque dans leur façon de s’exprimer, mais en opposition aux autres intervenants. Ici, l’auteur fait correspondre les discours avec d’autres éléments (dramaturgique, mythologique) pour renforcer la puissance et l’impact de l’œuvre sur son public. IV.9. Conclusion En conclusion, les concepts logométriques appliqués pièce par pièce permettent de montrer qu’il est compliqué de définir des permanences dans la caractérisation des discours des personnages et, plus particulièrement, au sujet de la catégorie 158   Pour une étude différente de la notion de temps dans le Thyeste, voir Heil (2013), p. 13-69. 159   Dupont (1995), p. 101-102.

DISCOURS FÉMININ OU DISCOURS FÉMININS  ?257



du sexe. Seul le facteur du mode d’énonciation semble déterminant, puisqu’il apparaît dans les neuf textes 160. Néanmoins, notre démarche a ouvert la voie à une analyse plus détaillée et plus précise de la place accordée à chaque personnage dans l’action par le vecteur de son discours. Il ressort que la caractérisation des discours sert constamment l’intensité dramatique. C’est pourquoi le critère du sexe du locuteur n’est pas toujours pertinent pour le tragédien. Ainsi, dans l’Agamemnon, les Phéniciennes, l’Œdipe ou encore le Thyeste, l’opposition de type homme-femme est secondaire, voire inexistante, car elle ne participe pas, ou très peu, à dramatiser l’action représentée sur scène. Dans l’Agamemnon, par exemple, Sénèque insiste plutôt sur des confrontations thématiques et morales entre les différents clans de la pièce. En revanche, dans les Phéniciennes ou dans l’Œdipe, une fracture interne chez les protagonistes (Œdipe et Jocaste) est mise en évidence par leur franche opposition aux autres personnages. Lorsque cela répond à un besoin dramatique, un choc entre personnages masculins et féminins peut alors se dessiner. Il est développé dans Médée, Phèdre, les Troyennes et, dans une moindre mesure, dans l’Hercule sur l’Œta. Dans ces tragédies, le drame oppose les hommes et les femmes d’un point de vue discursif, en plus des autres stratégies théâtrales mises en place. Mais l’opposition n’est pas toujours construite avec les mêmes éléments de langage. Sénèque ne crée donc pas de discours «  féminisés  » ou «  virilisés  » utilisés uniformément par les femmes et les hommes du corpus. Ceci explique d’ailleurs la présence d’éléments à rattacher plutôt au domaine masculin dans des interventions de femmes, et vice versa. Néanmoins, ces pièces où le facteur du sexe intervient dans le discours des personnages présentent le même point commun  : les femmes sont aussi étrangères (Médée et Phèdre), esclaves ou les deux (les Troyennes, Iole). De cette manière, la femme devient sur scène une figuration de l’Autre, souvent par le vecteur d’une passion par laquelle elle se réalise  : Médée, Phèdre et Déjanire par l’amour rejeté  ; les Troyennes, Iole et Alcmène par le deuil. Devant elles, les personnages masculins se dressent en représentants de la norme acceptée par la cité décrite par Sénèque dans la pièce. Ce cadre, aux frontières du passé mythique et fictionnel (mythologie grecque), du passé ancien et idéalisé (versions antérieures de la tragédie comme chez Euripide) et du présent de Sénèque, n’est pas nécessairement un reflet de la société néronienne en elle-même. Mais il est certain que l’essence même du tragique naît de la rencontre entre ces deux univers très différents et inconciliables, l’un, masculin, et l’autre, féminin.

  Le facteur est puissant, puisqu’il permet de distinguer plusieurs genres littéraires entre eux, comme le signale Genette (1966) (poésie narrative et poésie dramatique) et le précise ensuite Rastier (2011), p. 92-95 (théâtre et poésie). Il apparaît dans ces chapitres qu’il est également effectif au sein d’un même genre littéraire. 160

CHAPITRE V

Discours masculins et féminins en contexte d’énonciation Un texte, considéré comme un ensemble, peut aussi être traité comme formé de plusieurs sous-ensembles. On peut soit en considérer les divisions naturelles, soit y créer des divisions artificielles. Muller (1992a), p. 15.

Les chapitres précédents ont abordé les discours des personnages de Sénèque comme des unités, ou comme les parties d’ensembles plus larges  : messagers, chœurs, nourrices, héros et héroïnes. Il convient maintenant de s’interroger sur l’influence du contexte de production de ces discours. En effet, K. Gilhuly note, dans son introduction sur le féminin dans la tragédie grecque, que  : «  Discourse is inherently unstable. It is both the means and effect of power, but it also can be the starting point of resistance to power  » 1. Il est donc pertinent de se demander si, chez Sénèque, le discours d’un personnage est constant tout au long de l’action. Médée, par exemple, s’exprime-t-elle de la même manière en début ou en fin de pièce  ? Il est compliqué de mettre en place une méthodologie pertinente et efficiente pour répondre à ces questions. Comment comparer les discours de début et de fin de pièce  ? Quel critère choisir pour constituer des sous-corpus en évitant les choix malheureux  ? Devant cette problématique, deux aspects sont sélectionnés pour lesquels les critères de composition sont précisément identifiables  : en premier lieu, l’opposition prologue vs rôle et, en second lieu, le sexe de l’interlocuteur à qui le discours est adressé. Ces angles d’approche posent questions  : un prologue féminin possède-t-il des caractéristiques propres par rapport aux prologues ­masculins et par rapport à la suite du rôle  ? Dans un dialogue, un personnage s’exprime-t-il différemment en fonction du sexe de son interlocuteur  ? Ce chapitre tente d’y répondre, en appliquant les outils logométriques à de nouvelles bases statistiques.

1

  Gilhuly (2009), p. 3.



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION259

V.1.  Prologues vs

rôles

Dans un premier temps, il est intéressant d’étudier la caractérisation des prologues par Sénèque. L’auteur s’est sans aucun doute inspiré de l’un de ses prédécesseurs grecs, Euripide. Il semble avoir repris une des formes de prologue du tragique grec, celle qui est prononcée par un personnage plus ou moins directement lié à l’action dramatique, pour attacher le public à la trame développée dans la pièce 2. G. Mazzoli résume l’héritage d’Euripide comme la «  technique du monologue introductif sans conserver leur fonction très nette d’expositioninformation  » 3. Les philologues s’accordent sur la particularité de la fonction des prologues chez Sénèque. Comme le synthétise P. J. Davis, ces scènes d’ouverture ont pour but d’annoncer les grands thèmes qui traverseront la pièce 4. Ces caractéristiques semblent également déterminer la forme de l’expression de ces vers. Néanmoins, les chercheurs se sont souvent intéressés au prologue d’une seule tragédie 5, et peu de travaux sont consacrés à leur étude dans leur ensemble 6. Par exemple, O. Zwierlein se penche brièvement sur le rôle de Junon dans l’Hercule Furieux  ; F. Dupont s’est interrogée sur la première intervention d’Hippolyte dans Phèdre. A. Marchetta intègre également une section sur le prologue dans son étude du Thyeste 7. À quel point ces interventions sont-elles travaillées pour indiquer au public qu’il assiste à l’ouverture d’une tragédie  ? D’après F. Dupont 8, le prologue nécessite une posture d’énonciation et de performance différente de celles occupées dans la suite de l’action. Il est donc pertinent de se demander si tous les personnages occupent cette position avec les mêmes éléments discursifs, s’ils sont masculins ou féminins. C. Bernal Lavesa arrive à une conclusion de ce type  : «  Los rasgos caracterizadores de los personajes principales de las tragedias de Séneca, que el autor resalta en los prólogos, permiten establecer ciertas diferencias entre los masculinos y los femeninos  » 9. L’auteur oppose ainsi les prologues masculins, inscrits dans un sentiment d’hubris, à ceux prononcés par 2   Sur l’influence d’Euripide sur les prologues de Sénèque et, plus particulièrement, sur celui de l’Agamemnon, voir Tarrant (éd.) (1976), p. 157-161. Sur l’influence d’Euripide sur le prologue du Thyeste, voir Monteleone (1980), p. 77-79, et sur celui de l’Hercule Furieux, voir Novara (1987), p. 313-315. 3   Mazzoli (1998), p. 121. 4   Davis (2003), p. 39. 5   À titre d’exemple, citons pour les Troyennes : Keulen (éd.) (2001), p. 12  ; pour la Médée : Ohlander (1989), p. 202-207  ; pour l’Agamemnon : Bernal Lavesa  (2010a)  ; pour l’Œdipe  : Cordes (2009), p. 427-428  ; pour les Phéniciennes  : Frank (éd.) (1995), p. 12-16. 6   Le travail de Mazzoli (1998) étudie principalement la fonction dramatique du prologue. 7   Zwierlein (2004), p. 9-18, Dupont (1991), Marchetta (2010), p. 7-64. 8   Dupont (1995), p. 154. 9   Bernal Levasa (2010b), p. 51.

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CHAPITRE V

des femmes et marqués par les passions que sont la haine et la colère. Il convient de découvrir si cette opposition transparaît dans le discours de ces passages. Relevons aussi le caractère spécifique des prologues de divinité ou, du moins, d’entité non-humaine, sans distinction de sexe, appelés parfois prologues externes 10. Sans doute également inspirés d’Euripide 11, ces personnages n’interviennent plus dans le reste de l’action. G. Mazzoli a identifié une structure en quatre temps, différente des autres prologues  : «  présentation de soi – narration des faits antérieurs – annonce des événements scéniques à venir – formule de congé  » 12. Pour les prologues humains, le philologue décèle une structure plus souple  : Par un puissant effet de raccourci, la tragédie sénéquienne nous plonge, dès l’ouverture, in media res  : son incipit représente en réalité l’échange serré et la confrontation du προλογίζων avec ses propres pulsions pathétiques, ou mieux, pathologiques, étroitement liées à l’issue «  catastrophique  ». 13

La différence entre prologues internes vs externes pourrait donc également jouer un rôle dans la composition des prologues. Pour approcher cette problématique, la base statistique Prol est constituée de quinze unités de textes  : les trois prologues externes (le fantôme de Thyeste de l’Agamemnon, l’ombre de Tantale du Thyeste et Junon de l’Hercule Furieux) et les six rôles complets découpés en deux parties, d’une part le prologue, et d’autre part les autres interventions réunies  : Hécube, deux Œdipe (Phéniciennes et Œdipe), Hippolyte, Médée et Hercule de l’Hercule sur l’Œta. Grâce à cette sélection, la comparaison entre le prologue et le reste du rôle est facilitée et mise en valeur par les procédures statistiques. Le choix de ce corpus repose sur une réflexion sur la nature, la forme et la place même du prologue dans les tragédies. Par définition, il participe à la construction du premier Acte, qui suit une structure-type. Celle-ci est constituée de l’intervention d’un personnage qui expose sa passion – c’est le prologue stricto sensu –, et d’une réponse du chœur. L’ensemble est composé en trimètres iambiques. Néanmoins, force est de constater que seules trois pièces suivent ce schéma de base  : l’Hercule Furieux, Médée et Agamemnon. Il est ainsi possible de trouver plusieurs variations sur la trame initiale  : un prologue suivi de l’intervention d’un autre personnage, puis seulement du chœur, comme dans l’Œdipe ou l’Hercule sur l’Œta ; un prologue poursuivi par un échange direct avec le chœur (Hécube et le chœur) dans les Troyennes  ; un prologue constitué d’un   Heldmann (1974), p. 56-62, a étudié la distinction entre ces deux types de prologues externes (Agamemnon, Thyeste et Hercule Furieux) et internes (Troyennes, Médée et Phèdre). 11   Sur les prologues de divinités chez Euripide, voir Mastronarde (2010), p. 174-181. 12   Mazzoli (1998), p. 123. 13   Mazzoli (1998), p. 125-126. 10

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échange entre deux personnages (l’ombre de Tantale et la Furie) qui est suivi par une réplique du chœur dans le Thyeste. Mais ces variantes constituent toujours le premier Acte de la tragédie. Dans ce canevas, deux pièces s’intègrent difficilement  : Phèdre et les Phéniciennes. En effet, la première met en scène le personnage d’Hippolyte, qui propose un prologue en dimètres et monomètres anapestiques, faisant des vers 1 à 84 une exception chez Sénèque. En utilisant ce vers construit sur un rythme de marche militaire, l’auteur cherche peut-être à reproduire l’univers de la chasse du héros. Toutefois, cet usage se trouve aussi chez d’autres auteurs latins et serait une innovation d’Eschyle 14. Hippolyte fait ainsi une longue intervention chantée, qui constitue l’ensemble de l’Acte 1. De plus, le sujet développé, a priori détaché de l’action, a suscité des doutes chez les philologues sur la nature de l’intervention 15. Mais nous avons vu que, même si Hippolyte s’exprime différemment, il présente un environnement qui lui est propre et qui préfigure les difficultés à s’insérer dans la communauté (cf. III.1.1.) 16. Nous rejoignons C. Brasme, qui voit dans la monodie du jeune homme un prologue, en raison de son rapport avec l’action de la pièce 17. Dès lors, il a été décidé de conserver le rôle d’Hippolyte, divisé selon ses deux parties principales – prologue (v. 1-84) et reste du rôle. En ce qui concerne les Phéniciennes, la structure même de la pièce interpelle. L’enchaînement des scènes est inhabituel et l’absence de partie chorale complique la compréhension de l’ensemble (cf. IV.5.). Sur la question du prologue, M. Frank a résumé les différentes hypothèses, sans nette préférence pour l’une ou pour l’autre. Elle confirme seulement que la section 1-319 doit être interprétée comme le premier mouvement de la pièce 18. Nous prenons le parti de suivre U. Moricca, qui analyse les vers 1 à 50 comme un prologue 19. À partir de là, l’on considère que cette phase est suivie par l’échange avec Antigone (v. 51-319). Enfin, le chœur intervient pour clôturer le premier Acte. Cette proposition pourrait correspondre à la structure du premier Acte de l’Œdipe  : prologue d’Œdipe, échange entre Œdipe et Jocaste, intervention du chœur. Ces éléments ont conduit à conserver le rôle d’Œdipe, qui a été réparti entre le prologue (1-50) et les autres interventions (v. 51-319). Ceci permet de travailler sur un corpus exhaustif, composé de représentants des neuf tragédies, et de soumettre la problématique à des procédés statistiques  :   Dangel (2001b), p. 210-213.   Brasme (2010), Dupont (1991), Garbarino (1980), Paré‑Rey (2009), p. 76-79 et Segal (1986), p. 60-72. 16   Pour une argumentation en ce sens, voir Aricò (2012). 17   Brasme (2010), p. 1052. 18   Frank (éd.) (1995), p. 12-16. 19   Moricca (1918), p. 508-509. Plus récemment, U. Moricca est suivi, entre autres, par Landolfi (2012b). 14 15

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CHAPITRE V

Figure 1 : AFC des graphies dans la base Prol (tableau lexical entier)20

Figure 2 : AFC des codes grammaticaux dans la base Prol (tableau grammatical entier)

Sur l’axe 1, les deux AFC mettent en évidence un facteur du type prologue vs autres parties des rôles. En effet, une majorité de prologues se trouve à droite sur cet axe, à l’inverse des autres unités, situées à gauche. Le facteur déterminé par l’axe 2 est plus difficilement identifiable, mais semble relever de la thématique, puisqu’il réunit les deux Œdipe (Œdipe et Phéniciennes) et les deux Hercule (Hercule Furieux et Hercule sur l’Œta) dans les mêmes quadrants. 20 20   Dans les AFC de la base Prol, les prologues sont signalés par la mention _P et les autres unités de texte par la mention _R. Sont également distingués l’Œdipe de l’Œdipe par «  Oed_P  » de l’Œdipe des Phéniciennes, «  Oep_P  ».

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION263



De manière assez inattendue, le facteur de la nature de l’intervention semble plus puissant que celui de l’identité du personnage. Ainsi, les prologues de Médée, d’Œdipe (de l’Œdipe) et d’Hécube sont plus proches des autres prologues que de leurs propres interventions ultérieures. De plus, aucun facteur de sexe ne se distingue. Un prologue constitue une unité de l’intervention d’un personnage, avant même son identité ou son sexe. Ces résultats confirment la nature particulière du prologue. Ouvrir une tragédie nécessite donc un ensemble d’éléments textuels communs – le vocabulaire et la morphosyntaxe – nécessaires à la création d’un cadre discursif précis. Par ailleurs, dans ces deux AFC, l’opposition décrite par G. Mazzoli entre prologues humains et non humains n’apparaît pas. Les différences de structures analysées par le philologue ne sont pas suffisamment marquées au point d’apparaître dans les essais statistiques. Par conséquent, nous considérons les prologues comme un ensemble de textes à étudier. Avant d’essayer de les définir, il convient de signaler deux exceptions, à savoir Hercule et Hippolyte. Sur les graphiques, le prologue d’Hercule de l’Hercule sur l’Œta est plus proche de ses interventions suivantes que des autres prologues (à gauche sur l’axe 1). À l’inverse, le rôle d’Hippolyte présente plus de points de contact avec son prologue qu’avec les autres rôles (à droite sur l’axe 1). D’une part, Hercule propose un prologue très proche, lexicalement et morpho-syntaxiquement, du reste de ses interventions. La langue de l’Hercule sur l’Œta est très homogène entre les différents personnages et en opposition avec les autres tragédies. Cette unité se retrouve une fois encore lorsque le rôle d’un héros est divisé en deux parties. Le prologue est une longue prière d’Hercule à Jupiter pour solliciter son accession au monde divin (v. 1-103). De même, dans le cadre d’un échange avec le chœur (v. 1131-1336), la seconde intervention d’Hercule prend également la forme d’une invocation à Jupiter, qui est intensifiée par la mort imminente du héros. Son rôle se clôture par un dernier entretien avec sa mère, Alcmène (v. 1345-1982). Hercule utilise non seulement la forme de la prière dans le prologue et dans sa deuxième intervention, mais l’unité du personnage pourrait s’expliquer aussi par le facteur suivant  : le héros n’est pas le moteur de l’action tragique de manière directe (comme Médée ou Œdipe) ou même indirecte (comme le fantôme de Tantale ou de Thyeste). En raison du rejet de son père, il éprouve un certain sentiment de dolor, comme les autres personnages principaux 21. Mais il ne suit pas le même processus dramatique. Il ne passe pas par l’étape du furor 22, puisqu’il ne doit pas accomplir de nefas. En effet, le sujet de la pièce, façonné selon ce déroulement tragique, est son épouse Déjanire. Elle est le personnage de la pièce soumis à la démesure émotionnelle. Celle-ci, rongée par la jalousie, est conduite au furor nécessaire à la réalisation d’un 21 22

  Dupont (1995), p. 63-107.   Le terme n’apparaît pas une seule fois dans le rôle d’Hercule.

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CHAPITRE V

philtre d’amour (suite à une discussion avec sa nourrice). Ensuite, Déjanire découvre que la potion est un poison fatal à Hercule. De la sorte, l’épouse accomplit un nefas, même s’il est involontaire. L’Hercule sur l’Œta présente donc un schéma de construction un peu différent, puisque le prologue ne préfigure pas l’évolution tragique du personnage principal. Ainsi, la prière d’Hercule adressée à Jupiter expose l’univers extérieur (travaux à travers la Grèce, parcours entre domaine humain et divin) et intérieur du héros (courage, orgueil, déception), en annonçant sa réaction à la douleur du poison. Cependant, elle se distingue des autres prologues, car elle n’introduit pas directement l’objet de la pièce, à savoir l’amour destructeur de Déjanire. Par ailleurs, l’unité créée entre les deux parties participe à construire, par le discours, un héros stable devant les turbulences provoquées par les autres personnages, qui sont les objets de leurs émotions. Le rôle d’Hercule est travaillé pour refléter sa constance morale et physique nécessaire pour atteindre l’apothéose 23. D’autre part, Hippolyte présente un cas de figure inverse  : les deux parties du rôle semblent proches des autres prologues. La particularité du rôle du prince a déjà été signalée (cf. IV.3.). La nature de prologue des vers 1-84 se voit confirmée par les résultats statistiques. Ainsi, la première intervention du jeune homme possède suffisamment de caractéristiques communes avec les autres prologues pour leur être associée par les deux AFC. En revanche, il est plus inattendu que ses autres interventions soient également à mettre en relation avec la langue des prologues. Cette proximité s’explique par une forte unité thématique, comme pour Hercule, sauf que l’on est en présence d’un procédé inversé. Tandis que le discours d’Hercule a été façonné pour mettre en évidence l’intégration du héros dans sa communauté, celui d’Hippolyte a probablement pour but de marquer sa singularité. En effet, tandis que le prologue du prince correspond aux règles du genre, le reste de son rôle devait surprendre le public par sa tonalité descriptive différente des autres personnages. Ainsi, Sénèque a produit un héros dont le discours se démarque, dans le but d’insister sur sa différence et son incompatibilité avec la cité. V.1.1.  Le vocabulaire  : un facteur de caractérisation Il convient de chercher plus précisément quels éléments lexicaux et morphosyntaxiques participent à définir un prologue. Deux facteurs semblent opérants  : le choix du vocabulaire et l’utilisation des modes verbaux. L’AFC, calculée selon les fréquences des dix substantifs les plus utilisés de la base Prol, le démontre  : 23   Sur l’interprétation morale de la figure d’Hercule, voir Fitch (éd.) (1987), p. 15-20, Loraux (1990), p. 24 et Papadopoulou (2004), p. 257-259. Pour sa dimension philosophique, voir Detienne (1960).

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION265



Figure 3 : AFC des dix substantifs les plus fréquents dans la base Prol24

Les unités sont une fois encore réparties selon le facteur prologues vs rôles. Ceux-ci (partie supérieure de l’AFC) semblent définis par leur utilisation d’abord de manus, «  la main  », et ensuite de mater, «  la mère  », et de pater, «  le père  ». Le prologue de l’Œdipe des Phéniciennes fait figure d’exception, en raison de l’importance particulière des thématiques liées à la famille pour l’ensemble de la pièce. Mais de manière plus générale, la famille, représentée par mater et pater, occupe une place importante dans les rôles de la tragédie. En effet, même si chaque pièce expose un sujet différent, le thème de la famille est abordé dans chacune d’elles, plus ou moins directement. 24 Dans la partie inférieure, il est possible de distinguer deux groupes de prologues, avec à gauche, les deux tragédies d’Hercule (Hercule Furieux et Hercule sur l’Œta) et Phèdre. Pour les trois pièces, fera, «  la bête sauvage  », occupe une place importante dans la scène d’ouverture. Elle est combattue par Hercule durant ses travaux et elle fait partie de l’univers cynégétique d’Hippolyte. Caelum, «  le ciel  », semble plus attaché au mythe herculéen, en raison de son importance pour le héros qui cherche à gagner le monde des dieux  : [Herc.]  Fregimus quicquid fuit tibi fulminandum. Sed mihi caelvm, parens, adhuc negatur ? [Herc.]  J’ai brisé ce qui devait être foudroyé par toi. Mais à moi, père, le ciel m’est encore refusé  ? (Herc. Œt., 6-8)   Liste des dix substantifs les plus fréquents de la base Prol dans l’ordre décroissant des fréquences  : manus, «  la main  », scelus, «  le crime  », pater, «  le père  », regnum, «  la royauté  », malum, «  le mal  », mater, «  la mère  », dies, «  le jour  », caelum, «  le ciel  », deus, «  le dieu  », et fera, «  la bête sauvage  ». 24

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CHAPITRE V

Le facteur de la thématique intervient donc sensiblement sur le choix du vocabulaire des prologues. La même remarque peut être formulée pour le second groupe, à droite sur l’axe 1. Ainsi, les prologues de Médée, Hécube et Œdipe sont caractérisés par leur utilisation de regnum, «  la royauté  », comme dans cet extrait des Troyennes  : [Hec.]  Quicumque regno fidit et magna potens dominatur aula nec leues metuit deos animumque rebus credulum laetis dedit, me uideat et te, Troia.// [Héc.]  Celui qui fait confiance à son pouvoir et qui gouverne avec puissance une grande cour et qui ne craint pas les dieux inconstants et qui laisse son esprit crédule aux affaires heureuses, qu’il me voie et toi aussi, Troie. (Troy., 1-4)

Le deuxième mot d’Hécube est le substantif regno. Il permet à la reine de se définir dès les premiers mots, même si son nom, Hecuba, n’est pas prononcé avant le vers 36. Il met aussi directement le public dans le contexte de la pièce, à savoir la chute d’une famille de pouvoir. Dans la tragédie, après la famille, le politique occupe une place particulière 25. Pour A. J. Keulen, il s’agit d’ailleurs d’un «  key substantive in Senecan tragedy  » 26. Le tragédien nous informe dès les prologues de certaines de ces clefs. De manière plus globale, l’AFC indique que les substantifs les plus fréquents sont déterminés par la thématique des œuvres étudiées, et que ce même critère permet de distinguer les prologues des autres interventions. En effet, les sujets abordés ne sont pas identiques, ou, du moins, ils ne sont pas traités de manière similaire selon les parties de la tragédie. Ainsi les prologues ont pour fonction, en plus d’introduire la problématique principale de la pièce, de dessiner plus largement le contexte dans lequel le héros s’inscrit 27. Par exemple, dans l’Hercule sur l’Œta, même si les passions traitées dans la pièce sont l’amour de Déjanire et la douleur d’Hercule, Sénèque utilise le prologue pour présenter le cadre psychologique de ce dernier. De même, dans les Troyennes, bien que le thème principal soit le deuil, l’auteur contextualise la scène au travers du prologue dans le cadre politique d’une défaite militaire. Citons encore l’Œdipe, où l’accent est mis dans le prologue sur les origines politiques de la crise thébaine 28. La tension dramatique est ensuite déplacée vers la sphère privée de la famille dans la suite de l’action. Mais les deux aspects sont inextricablement liés, puisque, sans la dégénérescence de la communauté, le mal profond de la famille ne serait pas apparu. [Œd.]  Sperne letali manu contacta regna, linque lacrimas, funera,   Par exemple, voir Grewe (2001) et Malaspina (2004).   Keulen (éd.) (2001), p. 73. 27   Mastronarde (2008), p. 222. 28   L’aspect politique de l’Œdipe semble d’ailleurs sous-estimé par la critique par rapport à celle de la famille  : Cordes (2009), Davis (1991) et Mastronarde (2008). 25 26



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION267

tabifica caeli uitia quae tecum inuehis infaustus hospes, profuge iamdudum ocius – uel ad parentes. [Œd.]  Repousse les royaumes touchés par ta main qui apporte la mort, laisse les larmes, les vices infectieux du ciel que tu apportes avec toi, hôte funeste, fuis maintenant et vite – même vers tes parents. (Œd., 77-81)

L’extrait reprend les derniers vers du prologue d’Œdipe, avant la réponse de Jocaste (v. 81-86). Il illustre le glissement du thème politique, introduit par le prologue, vers la problématique même de la pièce  : l’inceste familial. Du point de vue du texte, le roi débute sa phrase par l’aspect politique de son existence, regna, l’orientant ensuite vers le cadre privé de la famille. De plus, il clôture le prologue par le terme parentes, indiquant par là le développement de la suite de la tragédie. À ce stade, Œdipe ne connaît pas encore l’identité de ses parents. Mais de cette manière, Sénèque crée une réplique d’une ironie tragique, puisqu’Œdipe pense échapper aux malheurs de la cité en retrouvant ses parents, alors qu’ils sont eux-mêmes au centre de la souillure. V.1.2.  Les modes verbaux  : un second facteur de caractérisation À présent, il est nécessaire de procéder à une sélection de codes grammaticaux pour approcher plus en détail la distinction entre les deux groupes. Ainsi, l’AFC suivante permet d’étudier les modes verbaux  :

Figure 4 : AFC des modes verbaux dans la base Prol

Une nouvelle fois, les prologues s’opposent aux autres parties tragiques sur l’axe 1 (50 %). Le facteur illustré par l’axe 2 (qui en analyse 28 %) est plus difficilement identifiable. Comme auparavant, le rôle d’Hippolyte constitue une exception, puisqu’il est à droite sur l’axe 1, avec les autres prologues. En

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CHAPITRE V

revanche, le prologue de Médée semble montrer des affinités avec les rôles en raison de son emploi du subjonctif (à gauche sur l’axe 1). Les prologues ont sans surprise une préférence pour des modes verbaux moins utilisés dans l’interaction (indicatif et participe). À l’opposé, les autres parties de la tragédie sont plus marquées par l’échange (impératif et subjonctif). Ces résultats confirment la nature introductive du prologue exprimé 29, la plupart du temps, dans une intervention monologuée laissant peu de place à l’inter­ action. De plus, l’introduction d’un univers physique et psychologique nécessite un certain degré de description, peu favorable à l’impératif et au subjonctif. Une fois encore, les méthodes statistiques renforcent les interprétations livresques. Ainsi, le personnage procède à une peinture plus ou moins proche et plus ou moins détaillée de son environnement intérieur et extérieur, pour mettre en place le cadre physique et émotionnel de la pièce, comme ci-dessous  : [Thy. Vmb.]  Fvgio Thyestes inferos, superos fvgo. En horret animus et pauor membra excvtit : video paternos, immo fraternos lares. [Ombre de Thyeste]  Je fuis, moi Thyeste, ceux d’en bas, ceux d’en haut, je les fais fuir. Voici que mon cœur est horrifié et que la peur fait trembler mes membres  : je vois le foyer paternel, ou plutôt fraternel. (Agam., 4-6)

Les premiers vers présentent à la fois le personnage complexe du fantôme de Thyeste, mais déjà aussi le sujet du reste de la pièce, à savoir les malheurs d’Agamemnon. Le vers 4 est un exemple de la subtilité de la langue de l’auteur. Par une formulation de type chiastique, Sénèque met en évidence le statut ambigu du fantôme, à la fois mort (inferos), mais encore vivant (superos), et à la fois fragile (fugio), mais aussi puissant (fugo) 30. Pour dessiner les lignes directrices de la pièce, l’ombre de Thyeste utilise de nombreux verbes à l’indicatif dans le but de rapporter les éléments de sa propre réalité  : fugio, fugo, horret, excutit et uideo. À l’inverse, les rôles sont plutôt composés d’échanges internes (lors de monologues) ou externes (lors des discussions). Pour être complet, cet extrait contient les deux types d’échange  : [Med.]  Perge, nunc avde, incipe quicquid potest Medea, quicquid non potest. Tu, fida nutrix, socia maeroris mei uariique casus, misera consilia adivva. [Méd.]  Persiste, ose maintenant, entreprends ce qui est possible à Médée et ce qui ne l’est pas. Toi, fidèle nourrice, compagne de ma peine et d’épreuve variée, apporte-moi ton aide dans mes tristes plans. (Méd., 566-569)

  Cf. V.1.   Sur le double statut du fantôme de Thyeste, voir Tarrant (éd.) (1976), p. 163.

29 30

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION269



Médée est d’abord dans un processus interne où elle s’encourage à persévérer. Elle se tourne ensuite vers sa nourrice, sans doute physiquement en plus des marqueurs textuels  : tu et fida nutrix. La forte présence de l’impératif relève le caractère direct et plus interactif de l’échange. Mais Médée fait aussi figure d’exception  : le prologue de l’héroïne possède les mêmes caractéristiques que ses autres interventions du point de vue de l’utilisation des modes verbaux. Le prologue est très marqué par la forme de la prière qui le compose. Pourtant, l’introduction d’Hercule (dans l’Hercule sur l’Œta) se présente aussi comme une invocation. Dès lors, pourquoi la prière de Médée est-elle plus éloignée des prologues que celle d’Hercule  ? La différence se situe au niveau de la forme de la requête formulée par les deux héros. Hercule débute sa demande assez brièvement (v. 1-14), puis il la justifie en rappelant ses exploits précédents (v. 15-103). L’évocation des hauts faits appelle plutôt l’utilisation de l’indicatif. De cette manière, le jeune homme dresse indirectement ses traits de caractère, tout en présentant l’orientation de la pièce. Il y a aussi cette dimension de rappel chez Médée, mais elle est moins présente. La mère préfère dresser la liste de ses souhaits, comme dans l’extrait suivant  : [Med.]  iam notus hospes limen alienum expetat, me coniugem optet// [Méd.] Hôte déjà connu, qu’il cherche à atteindre un seuil étranger, qu’il me choisisse comme épouse… (Méd., 22-23)

Hercule formule moins de demande directe, mais expose plutôt ses souffrances. En revanche, Médée, en détaillant ce qu’elle souhaite, fait savoir en même temps ce qui lui manque, dressant par là un état de la situation sociale et émotionnelle dans laquelle elle se trouve. Les deux prologues possèdent une même fonction d’information, mais leur forme diffère. Hercule procède de manière plus rationnelle en proposant une demande motivée par son passé glorieux. Par son expression, il fait preuve d’une certaine maîtrise de son sentiment, la déception. Au contraire, Médée propose une invocation plus directe et plus émotive, à l’image de son personnage 31, grâce à l’utilisation fréquente du subjonctif de souhait. Ces deux exemples illustrent que la dimension introductive du prologue se joue sur plusieurs niveaux entrelacés par Sénèque  : le thème de la tragédie, ensuite l’univers moral du héros et, enfin, ses dispositions émotionnelles. Le second cas particulier est une nouvelle fois Hippolyte. Dans ce cadre-ci, ses interventions sont, une fois encore, proches des prologues du point de vue de l’utilisation des participes. Ceci indique une langue plus descriptive, qui

31

  Voir, par exemple, l’analyse des vers 893-971 de Médée par Aygon (2000).

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CHAPITRE V

serait plus proche de celle des prologues. L’exemple suivant éclaire cet aspect du discours d’Hippolyte  : [Hip.]  //Omnis impvlsvs ruat aether et atris nubibus condat diem, ac versa retro sidera obliquos agant retorta cursus.// [Hip.]  Que le ciel tout entier, une fois frappé, s’écroule et qu’il ensevelisse le jour de ses noirs nuages et que les astres tournés en arrière et, refoulés, poussent leurs courses obliques. (Phèd., 674-677)

L’extrait survient juste après la révélation des sentiments de Phèdre. En réponse, Hippolyte ne fait pas part au public de ses propres émotions, il ne met pas un nom sur son dégoût. Les sentiments du jeune homme sont perceptibles à travers ses répliques, mais celui-ci ne laisse jamais libre cours à son expression. Comparé à Phèdre et à Thésée, le prince utilise peu la première personne 32. Il préfère ce type de phrase détournée, plus descriptive que spontanée. Hippolyte en utilise plus fréquemment que ses homologues, au point d’en faire une particularité de son expression. Le jeune homme est donc dans une posture de la retenue plus marquée que les autres personnages. Nous rejoignons ici nos observations qui relevaient la volonté d’Hippolyte de garder un contrôle sur l’ensemble de son environnement, des forces de la nature jusqu’à ses propres émotions (cf. IV.3.). * *   * Dans la tragédie de Sénèque, le prologue présente une langue différente des autres interventions. Ce critère est à ce point déterminant qu’il l’emporte, le plus souvent, sur d’autres facteurs, comme la thématique ou l’identité même du personnage qui prend la parole. A fortiori, le facteur prologue vs rôle est plus efficient que celui du sexe du locuteur. Avant tout autre processus de différenciation, le prologue des personnages est donc caractérisé par rapport à la suite des rôles. Le procédé intervient tant sur le vocabulaire que sur la morpho­ syntaxe. Ouvrir une tragédie est donc une fonction à part entière qui régit ses propres règles de création de discours. Deux exceptions sont toutefois apparues  : le prologue d’Hercule de l’Hercule sur l’Œta est à comparer avec ses interventions suivantes et celles des autres personnages. Ensuite, l’ensemble du rôle d’Hippolyte possède des points communs avec la langue des prologues. Le discours d’Hercule a été travaillé pour insister sur sa stabilité en tant que

 Hippolyte utilise la première personne dix-neuf fois seulement contre 56 pour Phèdre et 44 pour Thésée. 32



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION271

héros, tandis que celui d’Hippolyte a été modelé pour faire apparaître la différence du héros par rapport à son environnement familial et social. Enfin, le jeune homme, malgré les hypothèses précédentes, propose effectivement un prologue aux vers 1-84 de Phèdre. La fonction introductive du prologue est aussi confirmée, entre autres, par la préférence de l’indicatif et du participe dans ces parties. Ces passages ne sont peut-être pas des présentations aussi systématiquement construites que chez Euripide 33, mais ils participent à la mise en contexte du public, voire plutôt à sa «  mise en émotion  ». Sénèque procède de manière plus indirecte que son prédécesseur grec, car il crée, par le prologue, l’atmosphère nécessaire à la compréhension émotionnelle de l’action. Comme ailleurs dans la tragédie 34, l’auteur fait preuve de uariatio. Les différentes constructions de l’Acte 1 participent à ce procédé, de même que les différentes formes de prologues euxmêmes. Ainsi, Médée propose une prière vive imprégnée de son émotion directe  ; l’ombre de Tantale s’entretient quant à lui avec la Furie  ; Hippolyte présente son univers sauvage, qui reflète ses propres orientations  ; Hécube prononce un discours de lamentations. Mais, au-delà de cette variation, une constante demeure  : le héros ouvre son intériorité devant le public, dans le but d’ouvrir la pièce elle-même. V.2. Locuteur

vs interlocuteur

Dans un échange dialogique, interrogeons-nous à présent sur l’influence du sexe de l’interlocuteur sur le discours du locuteur  : un personnage parle-t-il de manière identique quand il s’adresse à un homme ou à une femme  ? En effet, la définition même du discours reconnaît l’influence du destinataire sur sa construction, comme le formule É. Benveniste dans un article fondateur sur l’énonciation  : Mais immédiatement, dès qu’il se déclare locuteur et assume la langue, il implante l’autre en face de lui, quel que soit le degré de présence qu’il attribue à cet autre. [...] Ce qui, en général, caractérise l’énonciation est l’accentuation de la relation discursive au partenaire, que celui-ci soit réel ou imaginé, individuel ou collectif. 35

33   Les prologues d’Euripide sont depuis longtemps étudiés par les chercheurs et leurs caractéristiques principales ont été mises en évidence dès le début du XXème siècle. Voir par exemple Méridier (1911). 34   Sur le procédé de la uariatio chez Sénèque, voir Billerbeck (1988), p. 101-108. Voir aussi Billerbeck (2014), p. 431 pour l’Hercule Furieux ou Corsaro (1991) pour le traitement de Polyxène dans les Troyennes. 35   Benveniste (1970), p. 14-16.

272

CHAPITRE V

De plus, D. M. Dutsch a démontré que les personnages masculins et féminins des auteurs comiques latins, Térence et Plaute, n’utilisent pas de manière identique, par exemple, l’expression polie amabo, «  j’aimerais  », ou les possessifs au vocatif mi et mea, selon la cible du message. Elle intègre ces éléments dans le procédé de séduction de blandimenta, lui aussi analysé chez les personnages de sexe opposé. L’auteur remarque que ces expressions sont plutôt présentes chez les personnages féminins et qu’elles leur sont adressées dans les répliques masculines. 36 Ainsi, ces hommes n’utilisent pas les mêmes éléments selon le sexe de leur interlocuteur, puisqu’ils ont tendance à réserver aux femmes les termes amabo et mea. Il est donc pertinent de se demander si ce type de mécanismes est également présent dans la tragédie de Sénèque. Comment dégager d’éventuelles différences chez les personnages de Sénèque  ? En effet, l’auteur présente relativement peu de cas où un même héros s’adresse à un homme et à une femme. Dans les tragédies où la configuration survient, peu de personnages parlent suffisamment avec les deux pour produire une analyse statistique valide. Une sélection parmi les personnages est donc nécessaire pour opérer une comparaison entre eux. Malheureusement, nous ne trouvons pas d’exemple de personnages masculins dialoguant tantôt avec une femme, tantôt avec un homme, dans une proportion de texte équilibrée. Par exemple, Hercule de l’Hercule sur l’Œta ne propose que deux répliques vers son fils, Hyllus (v. 1459-1463 et 1488-1496), alors qu’il converse plus longuement avec Alcmène. Et Œdipe de l’Œdipe présente peu d’échanges avec Jocaste (v. 87-102 et 1012-1024), en comparaison avec les autres personnages masculins  : Créon, Tirésias et le vieillard. En revanche, nous pouvons constituer des ensembles comparables pour les personnages féminins en conversation soit avec des hommes soit avec des femmes. Les échanges entre personnages féminins sont en effet bien représentés dans la tragédie de Sénèque contrairement, par exemple, à la comédie latine, où les femmes sont plus rarement exposées entre elles seules, comme le remarque M. Faure-Ribreau 37. Pour approcher la problématique, nous choisissons quatre pièces hors desquelles des couples de personnages sont extraits  : un personnage masculin et un personnage féminin, lui-même divisé selon le sexe de son interlocuteur, masculin ou féminin. Se trouvent donc Ulysse et Andromaque, dont le rôle est réparti selon ses répliques, d’une part avec le vieillard, Ulysse et le messager, et d’autre part avec les autres Troyennes (Hécube et Hélène)  ; Jason et les échanges de Médée, soit avec les hommes (Créon et Jason), soit avec les femmes (sa nourrice)  ; Hippolyte et les répliques de Phèdre, séparées en deux groupes, celles avec le jeune homme et Thésée et celles avec la nourrice  ; enfin, Hercule   Dutsch (2008), p. 49-58.   Faure‑Ribreau (2012), p. 2.

36 37



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION273

accompagné de Déjanire conversant, tantôt avec Hyllus, tantôt avec sa nourrice. L’AFC suivante peut alors être produite  :

Figure 5 : AFC des lemmes dans la base Interlocuteurs (tableau lexical entier)38

Il est compliqué de dégager d’autres facteurs que celui de l’œuvre de laquelle sont extraits les textes. Sur le graphique, en effet, les personnages des Troyennes sont réunis en haut à gauche, ceux de Phèdre en bas à gauche, et ceux de Médée et de l’Hercule sur l’Œta à droite. Dans ces conditions, les résultats apportent peu de réponses. Il est donc nécessaire de neutraliser le facteur thématique pour tenter d’atteindre d’éventuelles différences provoquées dans les dialogues par le sexe des interlocuteurs. Pour y parvenir, il est indispensable de recentrer l’exploration statistique au niveau de l’œuvre elle-même. 38 V.2.1.  Médée Médée constitue un point de départ adapté en raison des résultats positifs obtenus dans le quatrième chapitre. Deux AFC sont produites, décomposées selon ses personnages, mais avec la particularité d’avoir le rôle de la magicienne divisé selon le sexe de son interlocuteur  : Med_F (avec la nourrice) et Med_H (avec Jason, Créon et le messager). La première AFC est calculée sur la distribution des lemmes, et la seconde, sur celle des codes grammaticaux  :

38   Les personnages féminins qui parlent à un homme ont la mention _H et les personnages féminins qui parlent à une femme ont la mention _F. Les personnages sans l’un ni l’autre sont les personnages masculins.

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CHAPITRE V

Figure 6 : AFC des lemmes dans Médée (tableau lexical entier)

Figure 7 : AFC des codes grammaticaux dans Médée (tableau grammatical entier)

Dans la première AFC, le rôle de Médée constitue un ensemble cohérent, puisque ses deux parties sont réunies par l’axe 1. En revanche, les deux groupes se répartissent de part et d’autre sur l’axe 2. Le premier groupe de textes, constitué des répliques échangées avec des interlocuteurs masculins, se situe dans la partie supérieure du graphique avec les autres personnages masculins (Jason, Créon et le messager). Le second groupe occupe la partie inférieure avec la nourrice et le chœur. De manière remarquable, le choix des lemmes effectué par Médée varie donc en fonction de la personne à qui elle s’adresse. Dans la seconde AFC, les deux parties du rôle de Médée se trouvent réunies dans le quadrant supérieur droit. Ce résultat indique que, dans la distribution des codes,



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION275

le facteur du sexe de l’interlocuteur intervient peu, à l’opposé de l’identité du personnage. En résumé, Sénèque a façonné le discours de Médée en fonction du sexe de ses interlocuteurs plutôt au niveau du vocabulaire qu’à celui de la morphosyntaxe. Nous sommes donc en présence d’un facteur de fond dans la construction des interventions de Médée  : elle n’aborde pas les mêmes sujets selon son interlocuteur. La différence est marquée par l’AFC, alors qu’il s’agit d’une seule et même tragédie qui traite d’une problématique globale. Pour définir ces différences thématiques, il est nécessaire d’étudier les spécificités des deux ensembles 39. Du côté du vocabulaire spécifique des répliques envers la nourrice, signalons le verbe pario, «  enfanter  », le possessif de la première personne meus, «  mien  » et le nom scelus, le «  crime  ». Avec pario, Médée semble insister auprès de sa nourrice, une autre femme, sur son statut premier de mère, et même plus précisément sur l’aspect de l’accouchement, qui est une réalité typiquement féminine. D’ailleurs, elle n’utilise le terme que dans ses répliques prononcées en présence d’un interlocuteur féminin 40. Des six occurrences (v. 25, 26, 55, 922 et 957), Médée emploie le verbe avec ses deux sens pour créer un jeu entre eux, à savoir «  enfanter  » physiquement, mais aussi «  engendrer, produire  » intellectuellement ou matériellement 41. L’héroïne entremêle les deux sens pour parler de ses enfants et de sa vengeance à l’encontre de Jason. Dès le début de l’action, elle s’ouvre sur ses sombres sentiments. L’extrait suivant illustre l’utilisation du verbe avec l’un et l’autre sens dans un même contexte  : [Med.]  //Parta iam, parta ultio est : peperi. Querelas uerbaque in cassum sero ? Non ibo in hostes ?// [Méd.]  Elle est déjà conçue, ma vengeance est conçue  : j’ai enfanté. Est-ce que j’enchaîne plaintes et paroles en vain  ? Ne vais-je pas aller vers l’ennemi  ? (Méd., 25-27)

H. M. Hine a analysé les différents niveaux de signification entre la naissance métaphorique de la vengeance et la maternité littérale de Médée 42. Sans que l’héroïne pense à la forme que prendront ses représailles, cette réplique préfigure la suite de l’action tragique. Il est surprenant que Médée ait choisi ce terme lié à la maternité pour décrire le processus de la naissance de sa vengeance. De plus, elle ne l’utilise que dans un contexte féminin. Sénèque cherche sans doute à créer un contraste dans un 39   Pour le lexique spécifique de Médée, Phèdre, les Troyennes et l’Hercule sur l’Œta, cf. Annexe V, 1. 40   La nourrice est présente sur scène pendant les cinq Actes  : Kohn (2013), p. 81. 41  Voir OLD (2012), s.v. «  pario  », p.  1428-1429. 42   Hine (éd.) (2000), p. 116-117.

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CHAPITRE V

univers strictement féminin  : les interlocutrices, le sujet et le vocabulaire. De cette manière, la maternité, qui est une valeur positive de création et de bienveillance, s’entrechoque avec son contraire, à savoir la vengeance associée à la destruction et la malveillance 43. De plus, c’est auprès de la nourrice que Médée fait part de ses plus intimes émotions, qui allient inévitablement ce qu’elle aime (ses enfants) et ce qu’elle déteste (Jason). Elle se présente à cœur ouvert, sans aucun artifice devant cette femme qui est son seul soutien. L’utilisation de pario se compare dans une certaine mesure à celle de scelus. En effet, tout comme le verbe, le substantif fait partie d’un procédé réflexif de la part de Médée sur ses propres actions. De même qu’elle sent naître la vengeance, elle connaît également la nature de ce qu’elle met en place intérieurement. Elle partage plutôt avec la nourrice les étapes de son action  : [Med.]  Grauior exurgat dolor : maiora iam me scelera post partus decent. [Méd.] Que ma douleur se soulève plus pénible  : de plus grands crimes me conviennent, désormais que j’ai enfanté. (Méd., 49-50)

Médée n’a pas encore mis sa vengeance au point, mais les émotions nécessaires à sa réalisation se mettent en place progressivement. L’héroïne se confie à la nourrice, et c’est avec elle qu’elle intellectualise son ressenti. L’intériorité de Médée révélée à la nourrice est encore renforcée par la présence du possessif de la première personne, meus. Devant cette femme, Médée peut se présenter telle qu’elle est, sans précaution. Sénèque a donc choisi la nourrice de Médée comme confidente, conformément à la tradition littéraire de la tragédie 44, mais aussi parce que, dans les représentations romaines, seule une femme peut supporter le rôle de confidente pour une autre femme. De plus, la nourrice représente la sphère privée 45. Elle fait partie de ce noyau familial rattaché dans l’inconscient collectif à la domus, son rôle, très intime, étant d’allaiter les enfants de la famille. D’ailleurs, seul ce rôle nourricier compte dans la tragédie, puisque ce personnage n’est jamais identifié par son propre nom. À l’inverse, en contexte masculin, Médée utilise un vocabulaire plutôt formel et sa posture de communication change. Parmi les lemmes spécifiques à cet ensemble de textes, deux groupes se distinguent  : un premier lié à la formulation de demandes officielles (reddo, «  rendre  », supplex, «  suppliant  » et peto, «  demander  ») et un second constitué de termes à rapprocher du domaine politique (licet, «  il est permis  », dux, «  le chef  », decus, «  la gloire  », et regnum, «  la royauté  »). Le premier groupe est justifié par une certaine contrainte thématique, 43   Le remariage de Jason avec Créuse aurait perverti le rôle de mère et d’épouse de Médée en fonction de destruction  : Fyfe (1983), p. 77-78. 44   Sur les origines de la nourrice dans la littérature classique, voir Castagna (2007). 45   Même à Rome, les femmes sont attachées à l’univers privé de la domus et doivent privilégier les relations publiques avec d’autres femmes  : Hemelrijk (1999), p. 9-11.

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION277



car les interventions de Médée envers Créon et envers Jason prennent la forme de requêtes en vue de récupérer son époux. Néanmoins, Médée choisit un vocabulaire plutôt détaché de l’émotivité, dans le but de proposer une demande motivée par des arguments raisonnés et rigoureux, comme dans cet extrait  : [Med.]  //Si placet, damna ream ; sed redde crimen. Sum nocens, fateor, Creo : talem sciebas esse, cum genua attigi fidemque svpplex praesidis dextrae peti ; [Méd.]  Si cela te paraît bon, condamne l’accusée  ; mais rends-moi l’accusation. Je suis coupable, je le reconnais, Créon  : tu savais que je l’étais lorsque j’ai touché tes genoux et que j’ai sollicité ta parole en suppliant les protections de ta main. (Méd., 245-248)

L’héroïne n’est plus à cœur ouvert comme devant la nourrice et n’exprime plus sa demande en des termes personnels. Nous sommes en présence d’un vocabulaire plutôt détaché de l’émotion. Et plus précisément encore, le propos de l’héroïne peut s’inscrire dans un contexte juridique en raison du vocabulaire technique utilisé, comme damnare, «  condamner  », dans son sens juridique, reus, «  accusé  », crimen, «  l’accusation  », et nocens, «  coupable  ». Pourtant, la justice à Rome était un domaine plutôt réservé aux hommes de l’Empire, puisque l’accès à certains actes juridiques était interdit aux femmes et des procédures particulières leur étaient refusées 46. Ici, Médée a compris la situation délicate dans laquelle elle se trouve et elle adapte son discours pour lui donner une tonalité juridique, dans le but de faire passer son message de manière efficace. Le second groupe de termes indique que Médée intègre son message dans un contexte plus politique, comme dans l’extrait suivant, où elle supplie Jason de repartir avec elle  : [Med.]  Per spes tuorum liberum et certum larem, per uicta monstra, per manus, pro te quibus numquam peperci, perque praeteritos metus, per caelum et undas, coniugi testes mei, miserere, redde supplici felix uicem. Aliena quaerens regna deserui mea. [Méd.]  Par l’espoir de tes enfants et d’un foyer assuré, par les monstres vaincus, par les mains que je n’ai jamais épargnées en ta faveur, par tes anciennes craintes, par le ciel et les eaux, témoins de mon mariage, prends pitié, paie en retour une suppliante, toi qui es heureux. En cherchant un autre royaume, j’ai perdu le mien. (Méd., 477-482) 47   Sur les restrictions subies par les femmes dans le domaine juridique dans l’Empire romain, voir Gardner (1993), p. 100-101 et Evans Grubbs (2002), p. 60-63. 47  L’ordre des vers pose ici question, mais n’altère pas le sens du message, voir Chaumartin (éd.) (2008a), p. 175 et Peiper / Richter (éd.) 1921, p. 135. 46

278

CHAPITRE V

Ce passage est intéressant, surtout en comparaison avec le précédent, adressé à Créon. Alors que celui-ci était ancré dans un environnement lexical à rapprocher du droit et de la justice, la seconde citation fait écho à d’autres référents proches des domaines masculins. Médée débute ainsi sa demande par une référence à ses enfants. Mais elle insiste plutôt sur leur attachement à Jason en utilisant le possessif de la deuxième personne, tuorum. Nous avons déjà soulevé l’importance de la filiation paternelle pour les personnages masculins 48. Médée enchaîne ensuite avec les exploits accomplis par Jason, en lui rappelant les uicta monstra et les praeteritos metus, tout en évoquant sa propre participation. En revanche, le mariage arrive en dernier lieu dans les arguments de Médée. Elle l’associe prioritairement à elle-même, plutôt qu’à Jason, avec le possessif de la première personne, mei. Par ailleurs, elle ne met pas en avant son statut d’épouse dans son argumentation, mais fait appel à celui de supplex, qu’elle oppose à dessein à celui, plus général, occupé par Jason, de felix. Enfin, l’héroïne ne regrette pas son foyer, mais le regna qu’elle a perdu en suivant Jason, montrant ainsi qu’elle a compris les intérêts et les inquiétudes de son époux. Par l’utilisation d’un vocabulaire adapté à la cible de son message, Médée espère convaincre Jason sur la base d’arguments auxquels les hommes sont sensibles  : la paternité, l’héroïsme et la politique. L’étude du vocabulaire spécifique des interventions de Médée en contexte féminin ou masculin permet de comprendre comment Médée choisit les sujets qu’elle aborde en présence de sa nourrice ou en présence d’hommes. Avec la première, Médée montre sa vraie nature et fait part sans filtre de ses émotions, de leur développement et de leurs aboutissements futurs. Dans ces passages, l’on est à la fois dans le ressenti, mais également dans l’intellectualisation de ce sentiment. Devant la nourrice, Médée est donc émotionnelle et réflexive. Avec les hommes, l’héroïne cache ce qu’elle ressent et tente de persuader Créon, et ensuite Jason, de quitter Corinthe avec sa famille. Médée occupe ainsi devant les hommes une posture qui oscille entre argumentation et persuasion. Ce choix thématique et de posture de communication conditionne le vocabulaire utilisé. De plus, ce facteur est suffisamment puissant pour influencer le texte au point d’apparaître dans les résultats statistiques. Ainsi, l’on assiste à un basculement discursif entre les répliques adressées à la nourrice et celles destinées à Créon et à Jason. Au cours de ce procédé, Médée passe de l’univers de l’émotion personnelle à celui de la communication formelle. V.2.2.  Phèdre Il convient de prolonger la recherche en appliquant nos méthodes à Phèdre. Là aussi, le rôle de l’héroïne a été divisé en deux ensembles, le premier, Phed_F, constitué des répliques en présence des femmes (à savoir la nourrice  : v. 85-266 et 387-403) et le second, Phed_H, en contexte masculin (avec Hippolyte  :   Cf. II.5.1.

48



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION279

v. 589-712 et 868-902 et avec Thésée  : v. 1159-1198). La nouvelle division des rôles permet d’obtenir les AFC suivantes  :

Figure 8 : AFC des lemmes dans Phèdre (tableau lexical entier)

Figure 9 : AFC des codes grammaticaux dans Phèdre (tableau grammatical entier)

Dans les deux graphiques, Phèdre propose un discours dont le vocabulaire et la morphosyntaxe varient selon le sexe de ses interlocuteurs. Du côté de la fréquence des lemmes, les deux parties du rôle de Phèdre se situent de chaque côté de l’axe 1 et 2, ce qui démontre une différence importante. Pour définir cette opposition, nous étudions le vocabulaire spécifique des deux groupes de textes. Dans les répliques en contexte féminin, se discerne une série de lemmes qui concernent les émotions. Citons amor, «  l’amour  », et amo, «  aimer  », furens, «  furieux  » et malum, «  le mal  ». Du côté des contextes masculins, trois groupes de lemmes se dégagent  : les pronoms de la première (ego) et de la

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CHAPITRE V

deuxième personne (tu et tuus), deux statuts de femme, soror, «  la sœur  » et famula, «  la servante  », et des termes à connotation positive, comme pudor, «  la réserve  » et domus, «  la maison  ». Lorsqu’on compare les résultats en contexte féminin pour Phèdre et ceux de Médée, des points communs apparaissent. Ainsi, comme la magicienne s’ouvrait sur ses sentiments à la nourrice, la reine d’Athènes en fait autant. Toutefois, alors que Médée insistait sur la naissance de ses enfants et de sa vengeance (pario), Phèdre focalise son attention sur son sentiment amoureux  : [Phaed.]  Paremus, altrix. Qui regi non uult amor uincatur. Haud te, fama, maculari sinam. Haec sola ratio est, unicum effugium mali : uirum sequamur, morte praeuertam nefas. [Phèd.]  J’obéis, nourrice. Que soit vaincu l’amour qui ne veut pas être maîtrisé. Je ne permettrai pas, ma réputation, que tu sois souillée. Ce raisonnement est le seul, ceci est la seule échappatoire au mal  : je suivrai mon époux, je précéderai le sacrilège par la mort. (Phèd., 251-254)

À la fin d’un échange avec la nourrice (v. 85-266), ce passage concerne l’amour de Phèdre pour Hippolyte. Pour mettre un terme à ses sentiments, qu’elle sait incontrôlables (v.  251  : regi non uult) et nocifs (v. 253  : mali), Phèdre se résout à mettre un terme à sa vie. Ces vers illustrent la manière dont la reine se confie sur ses émotions les plus profondes à sa nourrice, mais également le processus de réflexion qui est en cours 49. Phèdre connaît la nature et la qualité morale de ses sentiments, mais aussi l’attitude à adopter pour les combattre. Sur ce point, Phèdre est comparable à Médée, qui trouvait également, en la personne de la nourrice, un lieu d’expression libre et d’introspection réflexive. Lorsqu’elle s’adresse à des interlocuteurs masculins, Phèdre se positionne plutôt dans une recherche d’interaction, comme l’attestent les pronoms personnels et possessifs ego, tu et tuus. Alors que la nourrice semble être acquise à sa cause, Phèdre est, au contraire, face à des interlocuteurs sinon hostiles, du moins étrangers à ses intérêts. C’est pourquoi elle a besoin de se les attacher discursivement, afin de transmettre son message dans les meilleures conditions de communication possibles. Nous avons déjà mis en évidence l’importance de l’interaction pour les personnages féminins (cf. III.3.). Dans Phèdre, il apparaît désormais que la recherche d’interaction s’oriente principalement vers leurs homologues masculins, mettant en exergue les problèmes de communication présents entre les personnages des deux sexes. Cette même difficulté explique aussi probablement la présence, dans le vocabulaire, spécifique des termes soror et famula (cf. I.4.2.). Ainsi, si la reine ne s’interroge pas sur la posture de communication à prendre avec sa nourrice, elle   Sur l’intériorité et l’intimité de Phèdre exposées dans ce passage, voir Casamento (éd.) (2011), p. 163-163. 49

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION281



cherche au contraire le meilleur vecteur pour s’ouvrir à son beau-fils 50. Dans cet objectif, elle propose plusieurs statuts dont celui, surprenant pour une reine et une matrone 51 du rang de Phèdre, de famula  : [Phaed.]  Mandata recipe sceptra, me famvlam accipe : te imperia regere, me decet iussa exequi. Muliebre non est regna tutari urbium. [Phèd.]  Reçois le sceptre qui m’a été confié, accepte-moi comme servante  : il te sied d’exercer le pouvoir et à moi d’exécuter les ordres. Protéger le pouvoir des cités ne convient pas aux femmes. (Phèd., 617-619)

Phèdre fait savoir qu’elle remplace Thésée sur le trône d’Athènes (mandata… sceptra). Sur ce point, Sénèque s’écarte d’Euripide, chez qui la reine ne peut même pas parler de chasse en public. À cette évocation, elle est directement réprimandée par la nourrice (Eur., Hip., 214-238) 52. L’auteur latin propose donc une héroïne créée selon les standards culturels en vigueur à l’époque néronienne, puisque les femmes, en l’absence de leur mari, ou les veuves, pouvaient occuper des fonctions relativement importantes 53. Mais Phèdre, devant la puissance de son amour envers Hippolyte, rejette cette position dominante pour l’offrir au jeune homme et se soumettre à lui 54. Pour elle, c’est donc également une manière d’exprimer ses sentiments, sans devoir les nommer directement. Alors que Phèdre aborde sans filtre ses émotions profondes devant la nourrice, elle est obligée de passer par différentes postures de communication pour transmettre son message à son beau-fils. Il est remarquable qu’elle choisisse la figure du statut social, plutôt que la vérité de l’émotion, pour tenter de se livrer à lui. La déclaration de Phèdre est même comparable au motif du seruitium amoris, cher aux élégiaques 55. En revanche, la reine omet à dessein de rattacher explicitement ses propos au contexte amoureux, brouillant par là la compréhension. C’est parce qu’Hippolyte ne comprend pas – ou ne veut pas comprendre – que Phèdre se voit contrainte de révéler la vraie nature de son sentiment. Malgré ses efforts, elle clôture la révélation sans plus d’ambiguïté avec le terme amantis, «  l’amante  », au vers  671. Le troisième groupe de termes révèle le même procédé de détournement de l’attention. Devant un public masculin, Phèdre choisit de ne pas insister sur la   Brasme (2010), Dupont (1995), p. 138 et Gazich (2000b).   Sur le statut de la femme de l’élite romaine, voir Hallett (1984), p. 3-34. 52   Dans l’Heroïde IV d’Ovide, Phèdre ne précise pas si elle assure elle-même la régence ou non. 53   Sur le rôle toujours plus important de la femme dans les affaires de son époux présent ou parti, voir Balsdon (1962), p. 45-67 et Gardner (1986), p. 257-266. 54   Sur ce passage, voir le commentaire de De Meo (éd.) (1990), p. 184. 55   Sur ce passage comme un exemple de seruitium amoris, voir Fitch / McElduff (2002), p. 32-33. Pour une étude du motif chez les élégiaques, voir par exemple Olin Copley (1947). 50 51

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CHAPITRE V

dimension émotionnelle de son message, mais plutôt sur des valeurs importantes pour les hommes  : [Phaed.]  //Gnatus et genitor nece reditus tuos luere ; peruertis domvm amore semper coniugum aut odio nocens. [Phèd.]  Le fils et le père ont payé par leur mort tes retours  ; tu anéantis ta maison en nuisant toujours à tes épouses par l’amour ou par la haine. (Phèd., 1165-1167)

Alors que les époux viennent d’apprendre la mort d’Hippolyte, Phèdre s’adresse à Thésée pour lui reprocher ses absences. De manière inattendue, elle n’insiste pas sur l’émotion que pourrait ressentir Thésée devant la perte de son fils. Elle met l’accent sur la destruction du foyer au sens large, peruertis domum, sur plusieurs générations  : Égée, Thésée et enfin Hippolyte 56. Pour Phèdre, Thésée a brisé la continuité naturelle de la transmission patriarcale. Présenter la mort d’Hippolyte sous cet angle devait avoir plus d’impact sur le roi que d’autres accents plus personnels. Comme Médée, Phèdre semble choisir son vocabulaire en fonction de ses interlocuteurs, car ils modifient les conditions de communication. La nourrice est une personne de confiance intégrée à l’univers discursif de Phèdre. Cela permet à cette dernière de délivrer son message sans précaution de langage particulière. À l’opposé, Hippolyte et Thésée, par leur nature d’homme, sont étrangers à l’univers féminin de Phèdre. Ils lui imposent des contraintes thématiques indispensables pour que la communication soit effective. Mais qu’en est-il des différences de morphosyntaxe mises en évidence par la seconde AFC  ? Trois codes grammaticaux semblent participer à la caractérisation des deux parties du rôle de Phèdre. En effet, l’impératif, le vocatif et la deuxième personne 57 sont des spécificités des répliques de Phèdre en contexte masculin 58. Dans le troisième chapitre, ces éléments ont déjà été mis en évidence comme spécifiques aux discours féminins. Mais cette section sur Phèdre démontre qu’au sein d’un même rôle, leur utilisation peut varier suivant les moments de l’action. Ici, Phèdre vise l’échange en priorité avec les personnages masculins. Ces observations confirment aussi les résultats obtenus pour les différences d’utilisation du vocabulaire  : Phèdre n’a pas besoin de susciter l’attention de sa nourrice, mais elle doit sans cesse réactiver celle de ses interlocuteurs masculins  : [Phaed.]  Quacumque gressus tvleris hac amens agar – iterum, svperbe, genibus aduoluor tuis.   Sur ce passage, voir Casamento (éd.) (2011), 246-247.   Le code grammatical «  deuxième personne  » renforce les lemmes spécifiques tu et tuus mis en évidence dans notre recherche sur les différences de vocabulaire. 58   Ceci ne signifie pas qu’ils sont absents des interventions en contexte féminin, mais bien qu’ils sont particulièrement fréquents dans les environnements masculins. Voir par exemple l’extrait cité ci-dessus (Phèd., 251-254), et plus particulièrement l’utilisation d’altrix. 56 57



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION283

[Phèd.]  Partout où tu auras avancé tes pas, j’y serai conduite sans esprit  : encore une fois, magnifique, à tes genoux je tombe. (Phèd., 702-703)

L’extrait illustre la nécessité pour Phèdre de recentrer l’attention d’Hippolyte vers elle, même aux moments les plus dramatiques de la pièce, comme lors de la révélation de ses sentiments. Elle tente ainsi en vain de détourner le jeune homme de sa réaction de rejet et de dégoût. Grâce à ce parcours à travers le vocabulaire et la morphosyntaxe du rôle de Phèdre, réparti selon ses répliques en contexte masculin ou féminin, il est apparu que la reine, comme Médée, adapte une partie de son vocabulaire selon le sexe de son interlocuteur. À la différence de la magicienne, elle modifie aussi certains éléments de la morphosyntaxe. Ainsi, même si les deux héroïnes sont intimement préoccupées par la même problématique tout au long de la pièce, elles choisissent de l’exprimer différemment selon le contexte dans lequel elles parlent. Elles opèrent une subtile sélection de l’angle d’approche, en fonction de la cible de leur message. V.2.3.  Les Troyennes Après Médée et Phèdre, il convient à présent de s’intéresser aux Troyennes, décomposées en neuf personnages dont celui d’Andromaque, qui a été lui-même divisé en deux unités selon le sexe de ses interlocuteurs (Andr_H  : avec le vieillard de 409 à 523, avec Ulysse de 524 à 812, et avec le messager de 1065 à 1117 d’un côté, et de l’autre Andr_F  : avec Hélène et Hécube  : de 861-1008). Comme précédemment, deux AFC sont produites  :

Figure 10 : AFC des lemmes dans les Troyennes (tableau lexical entier – axes 1 et 3)

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CHAPITRE V

Figure 11 : AFC des codes grammaticaux dans les Troyennes (tableau lexical entier – axes 1 et 2)

Ces deux graphiques montrent que le personnage d’Andromaque présente des différences à la fois sur le lexique et la morphosyntaxe en fonction du sexe de son interlocuteur. La première AFC, calculée sur la distribution des fréquences des lemmes, est produite selon les axes 1 et 3 (cf. IV.4.). L’axe 3 oppose les répliques devant les personnages masculins (le vieillard, Ulysse et le messager) et féminins (Hécube et Hélène). Cette différence entre les deux ensembles peut se justifier par un facteur thématique, puisqu’Andromaque n’aborde pas les mêmes sujets avec les hommes ou les femmes. Avec les premiers, elle parle de la survie d’Astyanax et de la continuité de la lignée troyenne. Avec les secondes, il est question du mariage de Polyxène et de son immolation exigée par les Grecs. Dans les deux cas, un membre de la famille doit être sacrifié pour répondre à un besoin de l’armée grecque  : Astyanax pour que les bateaux ennemis puissent reprendre la mer, et Polyxène pour apaiser l’âme d’Achille, mort sur le champ de bataille. Ainsi, chacun d’eux a une fonction similaire dans le développement de l’action. Néanmoins, ils représentent des symboles différents pour les deux camps en présence, mais aussi pour le public de la pièce. D’un côté, Astyanax est le symbole de la puissance de la race troyenne, pour lequel Ulysse et Andromaque se combattent discursivement. Sa mort est une représentation supplémentaire de l’anéantissement de Troie, comme chez Euripide (Troy., 716) 59. De l’autre côté, Polyxène représente l’innocence sacrifiée sur l’autel de la démesure et de la

  Wessels (2014), p. 55.

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DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION285



brutalité humaine 60. Il n’y a plus de tentative d’opposition chez les Troyennes, soumises dorénavant à la volonté grecque. Ces femmes ne sont plus que deuil et objet, puisqu’elles sont réparties entre les rois grecs par tirage au sort, comme les autres parts du butin de guerre (v. 974). Alors que la version de Sophocle, Polyxène, n’a pas été conservée, dans l’Hécube, Euripide a particulièrement insisté sur le rôle de Polyxène en la présentant comme une femme courageuse 61 et indifférente à la mort 62. Chez Sénèque, cette orientation n’est présente ni dans le personnage de Polyxène, qui est muet, ni dans l’entourage de la jeune fille, constitué d’Hélène, Hécube et Andromaque. Le nom même de la princesse n’apparaît ni chez sa mère, ni chez sa sœur. Ainsi, en contexte féminin, Andromaque insiste moins sur le sacrifice lui-même que sur les héroïnes qui survivront à ces deuils répétés. Polyxène n’incarne donc plus, comme chez Euripide, un exemple de moralité à la fois masculine et féminine 63, mais une figuration physique du malheur des Troyennes. Sénèque utilise sa présence sur scène et ce qu’elle représente grâce à la version d’Euripide, pour offrir un support à la douleur des femmes de Troie. À l’annonce de l’immolation de Polyxène, Andromaque s’exclame d’ailleurs ainsi  : [Andr.]  Nos Hecuba, nos, nos, Hecuba, lugendae sumus, quas mota classis huc et huc sparsas feret ; hanc cara tellus sedibus patriis teget. [Andr.]  C’est nous Hécube, nous, nous, Hécube, qu’il faut pleurer, que la flotte en mouvement emportera une fois dispersées çà et là  ; celle-ci, une terre chérie la recouvrira sur le sol de ses ancêtres. (Troy., 969-971)

Andromaque recentre l’attention, non pas sur le sacrifice de Polyxène, mais sur sa propre situation. Celle-ci semble personnifiée en la personne d’Hécube 64, qui ouvre et clôture la tragédie en pleurant d’abord les hommes morts au combat, et enfin ses enfants et petits-enfants sacrifiés pour les Grecs. D’ailleurs, le nom Hecuba fait partie du vocabulaire spécifique d’Andromaque, alors que le sujet principal des échanges est l’immolation de Polyxène. D’autres termes sont liés aux malheurs des Troyennes, comme mors, «  la mort  », ou encore malum, «  le malheur  ».   Sur les symboles de Polyxène, voir Fontinoy (1950) et Sorkin Robinowitz (1993), p. 54-56. 61   Euripide a particulièrement développé ces personnages féminins qui s’offrent à la mort en sacrifice avec courage et détermination. Signalons encore Iphigénie dans Iphigénie à Aulis et Iphigénie en Tauride, la fille d’Hercule dans les Héraclides ou encore Ménécée dans les Phéniciennes. 62  Pour les différents traitements du mythe de Polyxène dans le monde grec, voir Mossman (2009), p. 31-34. 63   Sur les codes moraux des domaines masculins et féminins chez Polyxène dans l’Hécube d’Euripide, voir Mossman (2009), p. 160-161. 64   Sur les symboles représentés par Hécube des Troyennes, voir par exemple Clark / Motto (1984). 60

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CHAPITRE V

À l’inverse, ces mots de désespoir ne font pas partie des spécificités des répliques adressées à des personnages masculins. En revanche, la liste des lemmes spécifiques contient des termes comme spes, «  l’espoir  », et audeo, «  oser  », ou encore lateo et condo 65, «  cacher  », qui confirment que la princesse n’a pas tout à fait renoncé à l’espérance  : [Andr.]  Vix spei quicquam est super : quid proderit latuisse redituro in manus ? [Andr.]  Il reste à peine quelqu’espoir  : en quoi cela sera-t-il utile d’être caché pour celui qui sera de nouveau entre leurs mains  ? (Troy., 490-491)

L’espoir est peut-être mince, mais il est ancré chez Andromaque. Pour cette dernière, Astyanax reste l’unique raison de combattre. Tant qu’il est vivant, il représente une source d’espérance et de courage pour la princesse, mais aussi, indirectement, pour l’ensemble du camp troyen. Une série de lemmes est également constituée de noms de la famille  : natus, «  l’enfant  » 66, pater, «  le père  », coniux, «  l’époux ou l’épouse  » et mater, «  la mère  ». Une attention particulière pour les membres de la famille se perçoit dans les répliques envers les hommes, alors qu’elle était peu présente dans les contextes féminins. Andromaque ressent le besoin de se repositionner comme une mère et comme une épouse, pour éviter d’être perçue comme une simple esclave-objet. C’est la seule voie accessible pour tenter de prendre une posture d’autorité devant Ulysse. Elle essaie en vain de faire valoir cette position pour être entendue du héros grec  : [Andr.]  Miserere solamen hic est.

matris :

unicum adflictae mihi

[Andr.]  Prends pitié d’une mère  : celui-ci est l’unique consolation de ma tristesse. (Troy., 703-704)

Andromaque utilise le nom matris dans ces deux vers, qui clôturent une de ses répliques adressées à Ulysse (v. 686-704) avec le déterminant démonstratif, hic. Celui-ci renvoie à natus, utilisé lui-même à trois reprises (v. 686, 690 et 691). Sur scène, Andromaque devait probablement faire un geste vers Astyanax. Elle prend donc une posture de mère à la fois pour être reconnue par Ulysse, mais aussi comme argument de persuasion pour sauver son fils. À travers ces différences entre les interventions d’Andromaque en présence masculine ou féminine, plusieurs facteurs de caractérisation émergent. Le premier est, comme dit précédemment, de nature thématique. Ensuite, il est possible de 65   Ces deux verbes relèvent moins directement de l’espoir, mais ils témoignent de la tentative de cacher Astyanax à Ulysse qui, elle, démontre la dernière chance d’Andromaque de sauver son fils. 66   Dans cette liste de substantifs, on conserve natus bien qu’il soit originellement un adjectif, parce qu’il se rencontre souvent dans le sens nominalisé de «  l’enfant  ».



DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION287

dégager un facteur d’évolution du personnage. En effet, le vocabulaire reflète une posture dramatique qui évolue entre les répliques devant le vieillard et Ulysse 67 et celles en présence d’Hélène et Hécube. Dans la première partie, Andromaque garde espoir grâce à son fils. Elle se montre combative en réactivant les valeurs qui pourraient convaincre Ulysse. En revanche, dans la seconde partie, Andromaque sait son fils condamné et renonce au courage au profit de l’auto-lamentation. Enfin, malgré la présence de ces facteurs puissants, il convient aussi de prendre en considération le sexe de l’interlocuteur, puisque des différences de stratégie de communication interviennent entre les deux groupes. Dans le premier ensemble, la spécificité de nombreux noms de la famille participe certes à l’argumentation d’Andromaque auprès du vieillard et d’Ulysse, mais apparaît aussi comme un marqueur de statut – principalement mater et coniux – nécessaire à la transmission du message. Andromaque a besoin de repréciser la raison de sa présence dans le débat avant de délivrer son message  : elle est l’épouse de l’héritier de Troie et la mère de leur enfant, et c’est à ce titre qu’elle prend la parole devant ces hommes. De fait, ces noms très présents et spécifiques au discours d’Andromaque en contexte masculin sont presque totalement absents dans un cadre féminin  : une seule occurrence pour mater et aucune pour coniux. Ainsi, devant d’autres femmes, Andromaque ne ressent pas le besoin de se redéfinir. De plus, Sénèque propose une héroïne combative devant les héros grecs, car elle doit montrer sa valeur morale pour être entendue par un public d’hommes. À l’opposé, une fois devant les femmes de sa cité, elle quitte cette posture d’opposition et adopte une attitude de soumission devant les revers du destin, comme dans les vers 926-937. Elle répond à Hélène qu’elle est désormais prête à perpeti mortem (v.  937  : «  souffrir la mort  »). En contexte féminin, Andromaque n’est plus que deuil et souffrance. Sa posture et son discours sont construits en fonction du contexte, à savoir celui des interlocuteurs masculins ou féminins. Du côté des codes grammaticaux, la seconde AFC indique aussi une opposition entre les deux parties du rôle d’Andromaque, puisqu’elles se répartissent de part et d’autre de l’axe 2. Si nous comparons cette AFC avec celle calculée dans le chapitre 4, le personnage d’Hélène se situe désormais dans le quadrant inférieur. En effet, dans l’AFC du quatrième chapitre, Hélène, Andromaque et Hécube occupaient un seul quadrant, en contraste avec les personnages masculins. Maintenant que le rôle d’Andromaque est divisé selon les contextes masculins et féminins, les répliques de la princesse adressées à des hommes semblent «  attirer  » le rôle d’Hélène. Ceci met en évidence les liens privilégiés entre 67   Les répliques adressées au vieillard et à Ulysse constituent la majorité de l’ensemble Andr_H, qui est peu influencé par les quelques interventions en présence du messager en fin de pièce.

288

CHAPITRE V

Hélène et Andromaque, mais ne remet pas en cause les observations formulées dans le quatrième chapitre, qui rapprochaient Hélène des autres personnages féminins. Quand on s’intéresse aux différences morphosyntaxiques entre les deux ensembles de répliques d’Andromaque, il est important d’insister sur deux aspects. Dans un premier temps, une série de codes sont communs aux deux groupes et certains d’entre eux correspondent à nos observations générales sur le discours féminin. Par exemple, l’utilisation du mode de l’impératif est spécifique, de même que la deuxième personne, ou encore les pronoms interrogatifs. Les deux parties du rôle d’Andromaque possèdent cette même tendance propre aux personnages féminins. En revanche, il est aussi possible de mettre en évidence les codes utilisés différemment dans l’un et l’autre ensembles. Les répliques en contexte masculin (Andr_H) semblent être caractérisées par le cas du vocatif, les pronoms-déterminants possessifs, les interjections et le temps du futur. Le vocatif confirme qu’Andromaque cherche à susciter plus le contact lorsqu’elle s’adresse à des interlocuteurs masculins. Ensuite, la spécificité des pronoms-déterminants possessifs 68 éclaire un nouvel aspect. Andromaque a besoin de marquer, dans son discours, les sphères des participants de l’action  : elle-même, son interlocuteur ou encore Astyanax, présent sur scène, mais muet. Ainsi, par l’utilisation de la deuxième personne, elle désigne Ulysse comme son ennemi, comme la figure de l’Autre. Cette réplique où elle cherche à isoler le héros grec constitue un excellent exemple  : [Andr.]  Hoc est pectoris facinus tvi. Nocturne miles, fortis in pueri necem iam solus audes aliquid et claro die. [Andr.]  Ce crime est celui de ton cœur. Soldat de la nuit, courageux pour la mort d’un enfant, tu oses seul désormais quelque chose et au grand jour. (Troy., 754-756)

À cette sphère ennemie matérialisée en la personne d’Ulysse, Andromaque oppose la sienne, constituée d’elle-même, de son fils et de son époux. Par exemple, elle s’adresse à Hector avec des formules du type meus Hector, «  mon Hector  » (v. 464-465 et 654-655) ou meum coniugem, «  mon époux  » (v. 418) et à Astyanax avec meo nato, «  mon fils  » (v. 646). En revanche, Andromaque n’insiste pas sur ces sphères quand elle s’adresse à des interlocutrices. Pourquoi cette différence  ? À ce stade de l’action, Andromaque a perdu les deux membres de sa famille auxquels elle tenait le plus, son fils et son mari  ; elle n’a donc plus de raison d’insister sur ces membres de sa famille. De plus, elle se trouve dans un environnement familier qui connaît   On compte 14 occurrences de pronoms possessifs dans les répliques en contexte masculin, contre une seule dans les échanges féminins. 68

DISCOURS MASCULINS ET FÉMININS EN CONTEXTE D’ÉNONCIATION289



les frontières de sa sphère personnelle. Il ne lui est donc plus nécessaire de se les attacher par l’utilisation du possessif. Le troisième élément est l’interjection. En contexte masculin, quatorze occurrences se comptent, contre une seule dans l’environnement féminin. Au moyen de l’interjection, Sénèque cherche à dramatiser l’expression d’Andromaque, à lui donner une dimension plus émotive. L’interjection est un amplificateur de l’émotion 69 exprimée par la princesse de Troie  : elle peut renforcer la tendresse d’une mère envers son fils, o nate (v. 469  : «  oh mon fils  »), le ressentiment éprouvé à l’encontre d’Ulysse, o machinator fraudis (v.  750  : «  oh artisan du mensonge  »), ou encore la tristesse de perdre son enfant, o dulce pignus (v. 766  : «  oh doux gage d’amour  »). Pour expliquer cette différence entre les deux ensembles, nous pouvons avancer un niveau d’intensité dramatique distinct. Andromaque est en train de perdre son fils devant les ruses d’Ulysse, alors qu’il est question du mariage de Polyxène dans la scène féminine. Toutefois, elle pressent que les noces ne sont qu’un subterfuge, car la seule interjection en contexte féminin participe à la tonalité ironique du passage, o coniugale tempus ! (v. 890  : «  oh beau temps pour un mariage  !  »). Andromaque exprime son émotivité face à des interlocuteurs masculins, probablement en raison des événements, mais aussi pour soutenir sa position de femme et de mère devant Ulysse  : elle souffre et le fait savoir par l’utilisation d’interjections pour obtenir une reconnaissance de la part du héros. À l’inverse, elle n’a pas besoin de faire reconnaître sa douleur par les autres Troyennes, qui sont elles-mêmes concernées par le malheur. Finalement, les répliques en contexte masculin préfèrent le temps du futur. À l’opposé, le temps présent est spécifiquement utilisé dans les environnements féminins. Ici, la différence se justifie par le moment des interventions. Dans l’ensemble masculin, Andromaque conserve l’espoir de sauver son fils. Ce point rejoint nos observations formulées ci-dessus pour les différences de vocabulaire. L’espérance incite Andromaque à se projeter dans l’avenir ou, du moins, à s’en soucier. L’extrait suivant, en présence du vieillard, illustre cette inquiétude  : [Andr.]  Quis te locus, quae regio seducta, inuia tuto reponet ? Quis feret trepidis opem ? Quis proteget ? [Andr.]  Quel endroit, quelle région éloignée, sans chemin, te gardera en sécurité  ? Qui portera secours à l’objet de mes inquiétudes  ? Qui te protégera  ? (Troy., 498500)

  Sur l’émotion entendue dans l’interjection, voir Biraud (2010), p. 107-146 pour le théâtre grec et Denooz (2005a) chez les auteurs latins. 69

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CHAPITRE V

Dans les répliques destinées à Hécube et à Hélène, Andromaque s’inscrit dans le présent. À ce stade de l’action et du développement dramatique du personnage, seuls importent les événements immédiats, comme l’évanouissement d’Hécube devant l’immolation de Polyxène (v. 949-954). Dans les Troyennes, le facteur du sexe de l’interlocuteur intervient effectivement dans la construction des discours d’Andromaque. Il n’est pas le plus puissant par rapport à ceux de la thématique et de l’évolution dramatique du personnage, qui semblent les plus opérants. Néanmoins, il ne peut pas être nié, puisqu’il influence, dans une certaine mesure, à la fois le choix du vocabulaire et de la morphosyntaxe. Les éléments mis en évidence sont utilisés par Andromaque pour insister devant les hommes sur son statut de mère et d’épouse (par l’utilisation spécifique des noms de la famille, des possessifs et de l’interjection, qui lui permettent de marquer ses priorités). À Rome, les femmes ne peuvent mettre en avant que ces seuls arguments pour obtenir une certaine reconnaissance de la part du public masculin. À l’opposé, la spécificité de ces éléments disparaît en contexte féminin, puisqu’Andromaque n’a plus besoin de faire valoir ces réalités qui sont reconnues par les autres femmes. V.2.4.  L’Hercule sur l’Œta Il reste à aborder l’Hercule sur l’Œta. Nous avons produit une base composée des neuf personnages de la tragédie d’Hercule. Le rôle de Déjanire est décomposé en deux groupes de répliques. Le premier est constitué des interventions devant des interlocutrices, Dej_F (devant la nourrice  : v. 233-582 et 706-741), et le second, de répliques en contexte masculin, Dej_H (avec Hyllus  : v. 742-1030). Deux AFC ont ensuite été produites  :

Figure 12 : AFC des lemmes dans l’Hercule sur l’Œta (tableau lexical entier)



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Figure 13 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule sur l’Œta (tableau grammatical entier)

Comme dans Médée, Phèdre et les Troyennes, les deux graphiques présentent des résultats similaires à ceux obtenus dans le quatrième chapitre. Dans les deux AFC, les deux ensembles du rôle de Déjanire sont dissociés, puisqu’ils se trouvent séparés par l’axe 2. En comparant le vocabulaire spécifique des deux unités, Dej_F et Dej_H, des orientations différentes apparaissent. La première unité semble en effet caractérisée par un lexique du mariage et du sentiment amoureux, composé de termes comme coniux, «  l’époux ou l’épouse  », torus, «  le lit nuptial  », ou encore thalamus, «  la chambre nuptiale  ». Le verbe amo, «  j’aime  », se retrouve ainsi que le substantif amor, «  l’amour  ». Déjanire se confie à cœur ouvert à la nourrice sur ce qui la préoccupe, à savoir son statut d’épouse en péril et le rejet de son amour par Hercule  : [Dei.]  //toris caruisse regnantis leue est : alte illa cecidit quae uiro caret Hercule. [Déj.]  Avoir été privée de la couche d’un puissant est peu de chose  : mais elle tombe de haut celle qui est privée d’un mari comme Hercule. (Herc. Œt., 405406)

L’héroïne insiste sur ce qui compte le plus à ses yeux, son mariage, grâce auquel elle se définit, et ses émotions, qui trouvent un public attentif chez la nourrice. Le terme altrix, «  nourricier  », fait d’ailleurs partie de son vocabulaire spécifique. Cet adjectif est un indice de l’importance de cette femme de confiance dans le développement émotionnel et dramatique de la reine 70. La nourrice est 70   Pour le rôle de la nourrice dans le développement du héros tragique chez Sénèque, voir Delpeyroux (2001), p. 38-39, Dupont (1995), p. 172-176 et Pérez Gómez (2011), p. 382-384.

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CHAPITRE V

la seule personne vers qui Déjanire peut se tourner et avec qui elle peut partager ses sentiments. Par conséquent, son vocabulaire est influencé par le message qu’elle cherche à transmettre et il laisse transparaître une inclinaison à la passion 71. Une fois encore, un facteur thématique intervient dans la composition de son discours. C’est vers la nourrice, et non vers un autre membre de l’action, que se tourne Déjanire pour confier ses sentiments les plus intimes. Elle se montre ainsi à découvert avec toutes les caractéristiques qui la définissent  : son époux, son amour, sa sensibilité, sa jalousie. Cette discussion permet à Sénèque de présenter son héroïne en détail. En même temps, il prépare le public à la suite de l’action, puisque ce sont ces composantes morales et comportementales qui poussent Déjanire à mettre son plan à exécution. Face à Hyllus, le discours de Déjanire change. Elle a pris conscience de son méfait, en empoisonnant par erreur Hercule, et elle affronte maintenant les conséquences de son plan avorté. Ainsi, son discours est caractérisé par une série de lemmes liés à la démarche de compréhension de la situation, et ensuite d’autopunition. Elle met des mots sur ses actes et cherche à les assumer. L’on découvre ainsi des termes comme scelus, «  le crime  », mors, «  la mort  », poena, «  la punition  », uindex,  «  vengeur  », morior, «  mourir  », ou encore damno, «  condamner  ». Déjanire ne se situe plus dans un cadre de révélation, comme dans l’épisode précédent, mais bien dans un processus de responsabilité et de jugement. L’émotion laisse désormais la place à la réflexion qui mène l’héroïne au suicide, comme dans la réplique suivante, adressée à Hyllus  : [Dei.]  Damnat meas deuictus Alcides manus : placet scelvs punire. [Déj.]  Alcide anéanti condamne mes mains  : je veux punir le crime. (Herc. Œt., 910-911)

Déjanire fait savoir que sans sa raison d’exister, être l’épouse d’Hercule, la vie n’a plus d’intérêt. Son statut change en raison de la mort du héros. Elle passe de coniux à uidua, «  une veuve  », comme elle le souligne à Hyllus, aux vers 756-757. Cette lente prise de conscience opérée par Déjanire en présence de son fils influence le choix de son vocabulaire et l’amène vers le suicide. En résumé, entre les deux ensembles de répliques, Déjanire passe d’une posture liée à l’émotion à une seconde plus posée et plutôt inscrite dans la conscientisation. Dans ses échanges avec la nourrice, elle est habitée par un mélange de sentiments rationnels, promus dans le mariage idéalisé 72 (comme la fidélité, l’amour, le respect mutuel), et d’amour passionnel et destructeur provoqué par la jalousie. De cette manière, elle expose sa plus profonde intimité. Ceci permet à Sénèque de construire une héroïne source d’intensité dramatique et de préparer   Carlsson (1947), p. 69-71 et Zanobi (2014), p. 118-120.   Sur les sentiments promus dans un mariage idéalisé, voir, par exemple, Canta‑ rella (2002). 71 72

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l’audience à l’évolution de l’action. Dans un deuxième mouvement, il montre également une femme capable de raison et même de courage, puisqu’elle se résout à mourir pour racheter la mort de son époux. Cette différence de posture de communication s’explique par une contrainte thématique et dramaturgique, mais le choix de Sénèque ne semble pas uniquement motivé par ces critères. De même que dans Médée et Phèdre, l’auteur a choisi la nourrice de Déjanire comme confidente, parce qu’elle représente la sphère privée. Dans la pièce, comme souvent dans les tragédies de Sénèque, elle occupe une fonction de miroir. Elle permet à Déjanire de regarder à l’intérieur d’elle-même et de mettre des mots sur ses émotions. À l’inverse, Hyllus est un jeune homme qui appartient, par essence, à la sphère publique. Parmi les personnages de l’Hercule sur l’Œta, il est le seul à pouvoir rapporter à Déjanire l’évolution de la situation 73. Il joue donc un rôle de messager pour Déjanire  ; il lui permet, par ses yeux, de découvrir les conséquences du philtre d’amour empoisonné. Les variations dans le choix du vocabulaire selon le locuteur se justifient par plusieurs facteurs dont les frontières sont difficilement identifiables. Néanmoins, il est assuré qu’ils interviennent chacun dans la composition de ces discours. Les codes grammaticaux présentent également une série de différences dans leur fréquence d’utilisation. Ainsi, Déjanire n’utilise pas les codes gram­ maticaux avec la même intensité selon son interlocuteur. Le déséquilibre le plus important s’opère autour des codes du mode verbal de l’impératif, de la deuxième personne, du cas du vocatif et des déterminants-pronoms possessifs. Les quatre codes sont spécifiques aux répliques en présence d’un interlocuteur de sexe masculin. Déjà mis au jour dans les pièces précédentes, ils se retrouvent une fois de plus dans l’Hercule sur l’Œta. Il apparaît une fois encore que Déjanire ne cherche à obtenir, ni l’adhésion, ni des informations de la part de la nourrice. Elle s’ouvre à elle sans rien attendre en retour, car elle sait par avance que la vieille femme lui est dévouée. Par conséquent, cette posture marque la formulation de ces répliques qui ne s’intègrent pas tout à fait dans une démarche d’échange interpersonnel, mais plutôt dans un processus cathartique. Ici, le message de Déjanire est délivré sans réponse spécifique attendue de la part de la nourrice, mais il lui permet d’obtenir un retour indirect sur ses propres sentiments. En revanche, la relation de Déjanire avec son fils est différente. L’étude du lexique démontre qu’il n’est plus question d’une discussion à cœur ouvert avec Hyllus, mais plutôt d’une conversation de type réflexif sur la mort accidentelle d’Hercule. Dans cet échange, Déjanire a besoin d’obtenir des réponses pour connaître d’abord le destin de son époux. Le jeune homme est le seul membre de la famille à avoir un accès illimité au domaine public 74 et donc à la connaissance   Sur ce point, cf. III.1.   D’aucuns pourraient penser que le cas d’Alcmène qui accompagne Hercule sur le bûcher contredit cette affirmation. Néanmoins, la mère se trouve dans une position de deuil qui justifie sa place dans l’espace public  : Treggiari (1991), p. 489-501. 73 74

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CHAPITRE V

des événements extérieurs à la communauté (cf. III.1). Ensuite, elle sollicite son fils pour mener son plan d’autopunition à son terme. Elle aimerait en effet qu’Hyllus la tue pour que son processus de condamnation soit conduit jusqu’au bout. Elle a besoin d’Hyllus pour réaliser ses plans. C’est pourquoi les trois codes grammaticaux sélectionnés – impératif, deuxième personne et vocatif – sont spécifiques à la première position de communication. En effet, l’épouse d’Hercule a besoin de ces éléments de morphosyntaxe pour entrer en communication avec son fils, et ensuite pour exprimer ses demandes. L’extrait suivant illustre l’envie de Déjanire de connaître le destin d’Hercule  : [Dei.]  Ad fata et umbras atque peiorem polum praecedere illum dicis ? An possum prior mortem occupare ? Fare, si nondum occidit. [Déj.]  Vers la mort et les ombres et le funeste pôle il me précède, dis-tu  ? Pourrais-je m’emparer de la mort en première  ? Dis-moi s’il n’est pas encore mort. (Herc. Œt., 772-774)

Le passage cité constitue la quatrième et dernière interrogation formulée par Déjanire à Hyllus pour apprendre ce qui est arrivé à Hercule (v. 748, 754-757 et 764-765). À chaque fois, elle utilise l’impératif d’un verbe de déclaration pour l’inciter à parler  : effare, fare et même ede, répété deux fois. Ce procédé de questions multiples permet de rendre la narration d’Hyllus plus dynamique et plus directe. Il participe à reproduire l’anxiété de Déjanire, qui comprend peu à peu sa responsabilité dans la mort d’Hercule. En même temps, le procédé est un indice de la dépendance de cette femme par rapport aux informations de son fils. Enfin, Déjanire utilise spécifiquement les déterminants-pronoms possessifs lorsqu’elle s’adresse à son fils. Alors que la sphère de communication créée avec la nourrice se concentre sur Déjanire, celle-ci n’a pas besoin de marquer discursivement les limites entre son univers et celui de la nourrice. Ensemble, elles forment une seule unité communicationnelle et dramatique, puisque la vieille femme participe au plan conçu par Déjanire. À l’opposé, il est important pour elle de distinguer sa démarche de celle d’Hyllus pour épargner à son fils ses erreurs 75. Pour ce faire, elle utilise nombre de possessifs délimitant ainsi précisément son action de celle de son fils  : [Dei.]  //Non erit tantum scelus a te peractum : dextera sternar tva, sed mente nostra. Natus Alcidae, times ? [Déj.]  Le méfait ne sera pas réalisé seulement par toi  : par ta main, je serai terrassée, mais je le serai par ma volonté. Enfant d’Alcide, tu as peur  ? (Herc. Œt., 994-996) 75   La démarche de distinction est la même que celle opérée par Andromaque avec Ulysse, mais dans un but opposé, puisque dans les Troyennes, l’héroïne cherche à condamner Ulysse. Ici au contraire, Déjanire veut épargner à son fils ses propres erreurs.

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Déjanire insiste sur le rôle limité d’Hyllus dans son suicide grâce aux déterminants possessifs tua et nostra, mis en parallèle. Elle utilise la voix passive du verbe sterno, «  terrasser, renverser  », pour encore diminuer la responsabilité de son fils. Finalement, Sénèque résout le conflit du jeune homme innocent par l’intervention d’une force extérieure. Elle fait disparaître Déjanire sans détail complémentaire. Hyllus note seulement  : fugit attonita (v.  1024  : «  elle fuit foudroyée  »). Pour résumer, Déjanire n’utilise pas de manière identique le lexique et la morphosyntaxe selon la personne à qui elle s’adresse. Les éléments de communication dégagés dans l’un et l’autre groupes semblent correspondre à une démarche de distinction sur le critère du sexe. L’étude des spécificités lexicales et morphosyntaxiques a démontré que Déjanire forme avec la nourrice une seule unité de communication  : l’épouse se positionne dans une posture de confidence totale sans les filtres habituellement respectés par une femme du rang de l’héroïne 76. Elle n’hésite pas à partager avec la nourrice ses sentiments les plus intimes et elle n’installe aucune frontière discursive avec la vieille femme  ; elle ne cherche même pas à provoquer l’échange, puisqu’elle la sait acquise à sa cause. Selon les standards romains 77, il semble peu probable que Déjanire puisse se confier de la sorte à un homme en le confinant à un rôle de «  miroir discursif  ». D’ailleurs, aucun exemple ne se rencontre dans la tragédie de Sénèque. Devant Hyllus, Déjanire occupe une posture à la fois de dépendance à sens unique envers son fils et à la fois de rationalisation. Il ne s’agit plus d’un parcours d’exploration interne, mais d’un processus d’analyse sur le cours des ­événements. De plus, elle s’inscrit dans le cadre d’un échange où les frontières discursives entre les deux interlocuteurs sont définies  : chacun des deux intervenants possède sa propre identité d’expression et d’intervention dans l’action de la pièce. Chez Déjanire, Sénèque associe deux positions de communication en fonction du sexe de son interlocuteur. L’une, plutôt féminine (confidence, émotion et union avec l’interlocuteur), est réservée à la nourrice et la seconde, plutôt masculine (réserve, rationalisation et disjonction avec l’interlocuteur), à Hyllus. * *   * En conclusion, si nous mettons en relation les résultats des quatre tragédies, certaines permanences se dégagent. D’abord, la première AFC (Fig. 5) a montré   Sur le devoir de réserve d’une matrone, voir le commentaire de Shelton (1998), p. 294-295, sur un passage de Pline le Jeune (Lettres, III, 16, 3-6). 77   Il est probable que dans la réalité de la vie romaine, les femmes communiquaient avec les hommes de leur entourage direct assez ouvertement, mais les standards officiels véhiculés par la littérature et la culture romaines étaient différents  : Culham (1987) et Centlivres Challet (2013), p. 151-160. 76

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CHAPITRE V

qu’il n’était pas possible de mettre au jour un discours féminin adressé aux hommes et un autre adapté pour les femmes. Le facteur thématique est plus puissant et il réunit les discours en fonction des tragédies dont ils sont issus  : Médée, Phèdre, les Troyennes et l’Hercule sur l’Œta. Dans un deuxième temps, pour contourner l’influence du thème sur la caractérisation des discours en contexte de dialogue, les quatre pièces décomposées en autant de personnages ont fait l’objet d’une étude logométrique. La démarche appliquée est identique à celle développée dans le quatrième chapitre, sauf que les rôles féminins principaux (Médée, Phèdre, Andromaque et Déjanire) ont été divisés en fonction du sexe de leur interlocuteur. Deux facteurs semblent intervenir à chaque fois dans la différenciation des discours des héroïnes, à savoir la thématique et l’évolution dramatique du personnage. Ainsi, il est attendu qu’un héros n’aborde pas les mêmes sujets avec deux interlocuteurs différents. De même, il ne se trouve pas dans la même situation de communication en début ou en fin de pièce, tandis que l’action a évolué. En revanche, le choix de la thématique, ou du moins de son orientation, semble dépendre du sexe de l’interlocuteur. D’abord par le vocabulaire et ensuite par la morphosyntaxe, les héroïnes donnent à leur discours une inclinaison différente si elles parlent en contexte féminin ou masculin. Dans le premier cas, les femmes proposent toujours un échange centré sur l’émotion  : l’amour rejeté pour Médée et Déjanire, l’amour coupable pour Phèdre et le deuil pour Andromaque. Elles sont à cœur ouvert devant d’autres personnages féminins en qui elles ont naturellement confiance. Ce cadre communicationnel rassurant leur permet de délivrer leur message sans précaution discursive particulière. Elles ne ressentent pas le besoin de réactiver sans cesse leur attention. En revanche, en contexte masculin, le propos est plus attaché à la raison, avec un accent particulier sur les valeurs chères aux hommes  : le courage, la justice et la famille. Pour transmettre leur message, elles ont tendance à réaffirmer leur statut de mère ou d’épouse qui seul les autorise à prendre parole. De plus, elles encadrent le message au moyen de codes grammaticaux qui cherchent à faciliter le contact avec ces hommes  : le vocatif, la deuxième personne ou encore l’impératif. À travers ces différences entre contextes masculins et féminins très stables d’une pièce à l’autre, Sénèque reproduit un schéma traditionnel de la communication entre hommes et femmes. Il s’inscrit dans la représentation idéalisée de ces rapports présents chez ses prédécesseurs grecs 78, mais encore en vigueur à l’époque néronienne. Sans surprise, les personnages féminins de la tragédie abordent plus facilement leurs sentiments avec les nourrices et les autres femmes, alors qu’ils contrôlent strictement leurs messages adressés à

78   Sénèque utilise les modèles de Sophocle  : Carlson (1947), p. 70-71, d’Euripide  : Delpeyroux (2001) et Pérez Gómez (2001), et peut-être aussi de l’Odyssée d’Homère  : Castagna (2007).

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des interlocuteurs masculins 79. Mais la statistique a permis de montrer comment ce schéma est mis en place dans le discours des héroïnes. Ainsi, Sénèque n’utilise pas seulement la thématique pour différencier le discours des femmes. Grâce à d’autres stratégies, il crée deux postures discursives différentes en fonction du contexte de performance  : l’une ouverte et intime et l’autre plus réservée et plus officielle. V.3.  Conclusion Ce chapitre a conduit à étudier des différences discursives au sein d’un même rôle, divisé selon deux critères distincts. Le premier reposait sur l’opposition prologue vs rôle et le second sur le sexe de l’interlocuteur à qui le message était adressé. Dans les deux cas, il était question de montrer la pertinence de tels critères pour la composition des discours. Il s’agissait également d’étudier leur relation avec les différences discursives entre personnages masculins et féminins. Pour le premier aspect, la comparaison entre les prologues et les autres rôles de la tragédie a permis de déterminer une caractérisation effective des passages d’ouverture par rapport aux autres interventions. Les explorations statistiques prouvent que le facteur dépasse celui de la tragédie d’origine, celui du sexe du locuteur et même celui du personnage (Fig. 1 et 2). Il était intéressant de le mettre en exergue pour une meilleure compréhension de la structure d’une tragédie. Cela a permis, par exemple, d’observer que d’un point de vue discursif, le prologue de Médée est plus proche des autres prologues (Œdipe, Hécube, Hippolyte, les fantômes de Thyeste et Tantale) que de ses autres répliques. Ouvrir une tragédie nécessite une série de lemmes (Fig. 3) et de codes grammaticaux (Fig. 4) communs. En dehors de quelques exceptions étudiées dans la première section, introduire le cadre mythico-passionnel d’une pièce constitue une procédure à part, qui est régie par ses propres règles de composition et d’expression. La deuxième partie a mis en contraste deux ensembles de répliques extraites d’un même rôle, mais sur la base du sexe de l’interlocuteur. Par rapport au facteur du prologue, ce second aspect est apparu moins opérant dans la composition des discours, et plus complexe à cibler en raison du caractère incomplet des situations à notre disposition. La tragédie d’origine intervient avant tout autre facteur dans le processus de rédaction. Ensuite, nous n’avons trouvé aucun exemple de personnage masculin qui dialogue suffisamment avec un homme et avec une femme pour supporter une analyse statistique (Fig. 5). Néanmoins, la recherche dans le cadre restreint d’une pièce et concentrée sur les personnages féminins (Médée, Phèdre, Andromaque et Déjanire) a démontré que le sexe de   Sur le devoir de retenue des femmes en public, voir, par exemple, Fögen (2004), p. 223-226. 79

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CHAPITRE V

l’interlocuteur est aussi un facteur de caractérisation. Mais il intervient parmi d’autres éléments, comme la thématique ou l’évolution dramatique du per­ sonnage. Des tendances entre les quatre pièces ont pu être dégagées pour les répliques en contexte masculin ou féminin. Ainsi, Sénèque ne fait pas parler ses héroïnes de la même manière selon le sexe de leur interlocuteur. En contexte féminin, elles laissent libre cours à leurs émotions dans un cadre de confiance et de parole libre. En contexte masculin, elles s’intègrent plutôt dans une démarche de rationalisation exprimée avec les filtres discursifs nécessaires à leur statut de femme. De cette manière, une certaine image idéalisée de la communication homme-femme est reproduite sur scène en accord avec la tradition mise en place par les prédécesseurs grecs, comme Euripide. Ce chapitre a démontré que Sénèque pouvait rechercher la différenciation au sein d’un même rôle. Les procédures logométriques ont également participé à comprendre comment et pourquoi ce travail sur la langue est effectué. De cette manière, les discours ciselés selon le contexte de performance fournissent au public une série d’informations qui font écho chez lui aux codes de production et de représentation des tragédies  : l’audience les repère et comprend dans quel cadre précis le héros où l’héroïne intervient (prologue, discussion entre un homme et une femme, discussion entre deux femmes). Sénèque y mêle également les spécificités de chacun de ses personnages, eux-mêmes influencés par la fugacité de l’instant. Ainsi, Médée ne propose pas un discours similaire lorsqu’elle ouvre la tragédie, quand elle se confie à la nourrice ou bien quand elle s’adresse à Créon. Dans chaque scène, le héros se redéfinit à travers la trame stable de la tragédie pour faire apparaître la complexité et la profondeur de son existence au sein de la communauté représentée sur scène.

CONCLUSION Hoc uiro hoc feminae, hoc marito hoc caelibi conuenit. Sén., Ad Luc., 94, 8 1

Au terme de cette enquête, nous sommes en mesure de mieux évaluer les processus de caractérisation des personnages en fonction de leur sexe dans les tragédies de Sénèque. Nous avons abordé l’objet d’étude selon différentes approches  ; chacune d’elles a fait l’objet d’une exploration statistique dans le but de déterminer, de manière objectivée, si l’auteur a traité différemment le discours des personnages masculins et féminins. Ces procédures techniques, appliquées pour la première fois à un corpus de théâtre, avaient aussi pour but de comprendre comment et pourquoi s’opère une différenciation discursive sur la base du sexe. Dans un premier temps, après avoir parcouru la question de la position de Sénèque au sujet de la femme, le discours de chaque personnage des tragédies a été traité comme autant d’unités textuelles indépendantes. À partir de cette division, nous avons cherché des points communs du point de vue du lexique, de la morphosyntaxe et de la syntaxe entre les rôles masculins d’une part, et les rôles féminins d’autre part (Chap. I). En deuxième lieu, l’ensemble des personnages a été réparti en cinq catégories génériques  : les chœurs, les messagers, les nourrices, les héros et les héroïnes. De cette manière, on a cherché à dégager des caractéristiques plus générales pour chaque catégorie (Chap. II). Ensuite, nous avons recentré la recherche sur deux d’entre elles, les héros masculins et les féminins, pour mettre en évidence des oppositions de détail et de nuance (Chap. III). Nous nous sommes également intéressé aux différences de discours développées au sein des pièces. Après les avoir décomposées en autant de rôles, nous les avons passées en revue une à une pour découvrir des usages similaires entre personnages de même sexe (Chap. IV). Enfin, nous avons tenté de démontrer que le discours d’un même personnage, homme ou femme, pouvait varier en fonction des conditions d’émission (Chap. V). Dans l’ensemble des chapitres, nous avons mis l’accent sur les observations qui permettaient de développer une argumentation cohérente. C’est pourquoi nous nous sommes concentré sur le lexique et la morphosyntaxe en raison des très faibles résultats obtenus sur la syntaxe seule 2. Pour d’autres raisons, nous 1   Traduction  : «  Ceci convient à l’homme, cela à la femme, ceci au mari, cela au célibataire  ». 2   C’est également la raison pour laquelle nous n’avons pas abordé la question des segments répétés. Ils sont en effet très rares dans l’ensemble de la tragédie.

300

CONCLUSION

avons également laissé de côté les questions de métrique, de sonorité et de rythme. Bien que ces aspects puissent participer à la caractérisation des discours de théâtre, l’ampleur du travail à réaliser, la complexité du sujet et le manque d’outil informatique adapté nous ont amené à ne pas les approfondir dans le cadre du présent travail 3. Néanmoins, l’on a fait ponctuellement appel à ces composantes pour renforcer les analyses de certains passages. I.  Discours masculins

et féminins chez

Sénèque

Ce parcours à travers la tragédie de Sénèque par les approches logométriques et contrastives conduit à une double conclusion. Tout d’abord, notre connaissance du discours féminin se voit renforcée à l’issue de cette recherche multimodale. Ainsi, nous pensons avoir prouvé qu’il n’existe pas un discours féminin unique et homogène opposé à un discours masculin, lui-même uniformisé. Chez Sénèque, nous ne sommes pas en présence de deux systèmes discursifs différents et indépendants, selon le sexe du personnage. Il est impossible de réunir un ensemble de caractéristiques lexicales et morphosyntaxiques qui définiraient le discours de l’un ou l’autre sexe. Les tests statistiques ont démontré que, sur l’ensemble des personnages, le critère du sexe n’intervient que faiblement dans la composition des discours, en comparaison avec celui du mode d’énonciation (locution vs interlocution) 4, celui de la thématique (influence de l’œuvre d’origine) ou du moment de l’énonciation (prologue vs rôle). C’est pourquoi, si les pièces ont un jour été représentées 5, il paraît peu probable que le discours participait directement à créer une tonalité masculine ou féminine dans la performance du comédien. Le costume, les accents de la voix et peut-être le masque 6, devaient être plus déterminants dans cet objectif. Dans une production artistique aussi codifiée que la tragédie latine, inscrite dans la tradition grecque, ce résultat surprend. Toutefois, cette première remarque ne doit pas minimiser l’importance des conclusions suivantes. En effet, s’il n’existe pas un discours unifié masculin ou féminin utilisé dans l’ensemble de la tragédie, la recherche a mis au jour trois types de procédé de différenciation présents chez Sénèque.   Ces questions mériteraient de faire l’objet d’un travail systématique pour les examiner en détail. 4   Par exemple, voir, à ce sujet, les observations de Rastier (2011), p. 92-95. 5   Même si les tragédies de Sénèque ont été composées pour la scène, ou du moins pour une audience habituée au théâtre, on n’a toujours aucune preuve qu’elles ont été effectivement jouées du temps de l’auteur. Voir Aygon (2014) et Harrison (2000). 6   Pour l’utilisation de ces paramètres au théâtre, voir, pour la gestuelle  : Garelli (2010b) et Dutsch (2013)  ; pour les effets sonores  : Dupont / Letessier (2011), p. 63-68  ; et pour les masques et leurs usages  : Méautis (1923), Dupont (1998), Mader (2002) et surtout Frontisi‑Ducroux (2012). 3

CONCLUSION301

I.1.  Variations dans le lexique En premier lieu, des éléments de langue ainsi que des usages particuliers ont pu être associés à des personnages de l’un ou l’autre sexe. Par exemple, une préférence des femmes pour les noms propres masculins ainsi que pour les termes de la famille (en lien avec la maternité et le mariage) et de l’émotion, ressentie et partagée (le deuil, la souffrance et l’amour), s’est dégagée des textes. Du côté des personnages masculins, les tests ont relevé un goût pour certains noms de valeurs romaines (le courage, le salut, la confiance) et de la famille (en lien avec la paternité et la transmission). Même si hommes et femmes utilisent la plupart du temps un lexique commun 7, ils présentent ainsi quelques différences ponctuelles. De plus, d’autres termes, rencontrés dans les deux groupes, peuvent prendre une signification particulière, en fonction du sexe du locuteur. L’utilisation différenciée de coniux – «  l’épouse  », chez les hommes et «  l’époux ou l’épouse  », chez les femmes – a mis en évidence cette réalité. Bien que ces variations dans le vocabulaire soient peu nombreuses, elles illustrent une orientation thématique et un traitement du masculin et du féminin propre à la tragédie de Sénèque. L’auteur a tendance à construire des discours féminins traversés par des inquiétudes sur la famille et sur la place à occuper en son sein. Ces thèmes sont fondamentaux dans la construction des personnages féminins. La femme y est manifestement un animal domesticum 8 dont le statut, limité à celui de mère et d’épouse, est remis en question dans l’espace tragique  : Médée peut-elle être mère si elle n’est plus épouse  ? Déjanire peut-elle garder sa légitimité si une autre femme la remplace auprès d’Hercule  ? Andromaque a-t-elle encore une raison d’exister après la mort de son fils  ? Quel rôle Jocaste doit-elle jouer pour préserver sa famille d’une guerre fratricide  ? Leur expression semble également profondément marquée par l’émotion  : le deuil, l’amour, la souffrance, ou encore l’espoir. Non seulement le vocabulaire lié à ces sentiments est le témoin d’une sensibilité particulière, mais il participe également au traitement littéraire et dramatique des personnages féminins. L’expression de l’émotion est souvent un moment clef dans le processus tragique. Elle permet à l’héroïne de passer de l’état passif et intérieur du ressenti à une démarche active et orientée vers l’extérieur. Cette transformation est nécessaire au développement du personnage, qu’il soit positif ou négatif. Par exemple, dans les Troyennes, la lamentation collective menée par Hécube lui offre la possibilité de retrouver momentanément une place au sein de sa communauté.   Dans le premier chapitre, les critères du mode d’énonciation et de la thématique étaient beaucoup plus efficients dans la différenciation des discours. Par conséquent, les discours des personnages masculins et féminins sont construits sur la même base commune et seules des variations ponctuelles interviennent. 8  La femme n’est donc pas seulement un animal inprudens comme Sénèque le remarque en De Const., XIV, 1. 7

302

CONCLUSION

L’espoir d’Andromaque la pousse à protéger son fils des attaques des Grecs. Dans l’Agamemnon, la rancœur de Clytemnestre l’incite à abandonner Agamemnon pour Égisthe. Dans la tragédie, l’émotion en elle-même n’est pas un moteur suffisant à l’action. Elle doit passer par la parole pour devenir effective et puissante. Pour les femmes, dire l’émotion la rend réelle 9. Dans les discours des personnages masculins, la famille occupe aussi une place importante, mais dans une orientation différente. Les hommes semblent assez peu concernés par le mariage ou la maternité, alors que beaucoup de pièces sont centrées sur ces thématiques (Médée, Phèdre, Hercule sur l’Œta, Œdipe). Ils traitent ces questions avec leur propre approche de la famille. Le point essentiel à leurs yeux se situe dans la paternité et la continuité de leur lignée. En effet, tandis que les femmes existent parce qu’elles sont mères dans le moment présent, les hommes ne se réalisent qu’en assurant une descendance pour l’avenir. Ils ne peuvent trouver l’accomplissement que dans la transmission de leur patrimoine à la génération suivante. Leurs discours, comme leurs actions, sont dès lors durablement influencés par leurs propres valeurs. Par exemple, dans Médée, Jason ne veut pas quitter Corinthe pour assurer un avenir à ses fils. Dans le Thyeste, Atrée ne peut tolérer l’incertitude qui règne sur la paternité de ses enfants et de ceux de Thyeste 10. Après avoir perturbé l’ordre naturel de la famille, Œdipe condamne ses fils à une vie de malheurs pour se punir lui-même, dans les Phéniciennes. Après le massacre de ses enfants, l’Hercule de l’Hercule Furieux cherche à mettre fin à ses jours. En parallèle à cette attention pour la paternité, une distinction a été mise au jour dans l’utilisation de valeurs romaines, comme la uirtus, la fides ou la laus 11. Alors que les hommes se sentent plus concernés par ces qualités morales, les femmes semblent totalement exclues de certaines d’entre elles. Par exemple, les concepts de uirtus et de laus ne sont jamais utilisés au sujet d’une femme, même celles qui en seraient dignes. Dans l’Hercule Furieux, Mégare repousse avec courage les avances du tyran, Lycus. Dans l’Hercule sur l’Œta, Alcmène accompagne son fils dans la mort avec force et dignité. Ainsi, à travers les préférences lexicales des personnages, une répartition des valeurs sur la base du sexe se dessine clairement. Ces premiers résultats, obtenus sur la base du lexique spécifique et des associations lexicales, sont assez éclairants sur le travail de composition réalisé par l’auteur autour de l’axe masculin vs féminin. Dans ce processus complexe, l’on voit que le discours individuel, le thème de la pièce et l’identité mythologique   Le pouvoir du langage a été mis en évidence pour Médée par Fyfe (1983), p. 83-84, et de manière plus générale, pour les pratiques magiques par Annequin (1973), Fugier (1963) et Porte (1989), p. 33-36. 10   Schiesaro (2003), p. 4-7. 11   Pour des études plus générales sur ces concepts, voir McDonnell  (2006) pour uirtus, Freyburger (1986) pour fides et Thomas (2002) pour laus. 9

CONCLUSION303

de chaque personnage sont intimement liés, les uns influençant la construction des autres, et inversement. Parmi ces facettes qui composent la persona tragique, le critère de sexe influence aussi le choix de certains codes de représentation. I.2.  Variations de postures En deuxième lieu, au-delà des variations lexicales, nous avons défini des postures de communication plus globales, attachées à l’un ou l’autre sexe. Il s’agit de moments précis dans l’action, où un personnage masculin ou féminin est amené à occuper une position discursive particulière, propre à son sexe. Celles-ci ne concernent jamais l’ensemble des interventions d’un protagoniste et n’interviennent pas dans tous les rôles d’hommes ou de femmes. Grâce à un ensemble d’éléments lexicaux et grammaticaux communs, une posture de messager apparaît chez les personnages masculins. En revanche, chez leurs homologues féminines, il est plutôt question d’une posture de requête. Par exemple, dans les Troyennes, Andromaque prend cette position auprès d’Ulysse, mais ne la conserve pas lorsqu’elle s’adresse à Hélène et à Hécube. Le premier cas a été défini en mettant en parallèle des éléments statistiquement spécifiques aux discours masculins, comme les adjectifs ou le cas de l’ablatif. Ces particularités, proches de celles des messagers identifiés comme tels (les nuntii, Eurybate et Talthybius), ont permis de découvrir que les personnages masculins pouvaient momentanément, dans un contexte donné, occuper cette posture discursive. Ensuite, à partir de ces spécificités morphosyntaxiques, une structure de communication plus large a été dégagée dans tous ces passages. En effet, quand un personnage masculin passe d’un univers à l’autre (des enfers à la vie  ; d’une ville à une autre  ; du domaine public à la sphère privée  ; de la vie militaire à la vie civile), il peut en emporter avec lui une connaissance. À son arrivée sur scène, il se crée un décalage d’information entre le personnage en transfert (personnage mobile) et son nouvel entourage (personnage immobile). Celui-ci lui réclame un partage de l’expérience par une série de questions figées. Ainsi exhorté, le personnage mobile raconte ce qu’il a vécu sur un mode de la narration, proche de la description et nécessitant nombre d’adjectifs et d’ablatifs. Cette structure, au-delà des variations inhérentes à la thématique, est stable entre les différentes pièces et nécessite un nombre d’éléments communs, tant du point de vue de la morphosyntaxe que des étapes du processus. Ces passages de description permettent à l’auteur de raconter au public des épisodes qui ne lui sont pas connus, mais nécessaires à l’évolution de l’histoire 12. En effet, certaines 12   Voir l’étude complète sur les messagers chez Euripide, et plus particulièrement sur cette fonction, de  Jong (1991), p. 9-19. Dans l’Agamemnon de Sénèque plus précisément, voir Baertschi (2010).

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CONCLUSION

aventures appartiennent au passé, par rapport au présent de la pièce. Citons, par exemple, le passage aux enfers de Thésée et d’Hercule dans l’Hercule Furieux qui a eu lieu avant le retour des deux héros à Thèbes. D’autres événements se déroulent simultanément à l’action sur scène, comme dans l’Hercule sur l’Œta où l’empoisonnement d’Hercule survient pendant un échange entre Déjanire et sa nourrice. Ce topos, assez fréquent dans la tragédie, se rencontre entre deux ou plusieurs personnages masculins (Thésée à Amphitryon  : Herc. Fur., 645-829) ou bien entre un personnage masculin et un ou plusieurs personnages féminins (Hyllus à Déjanire et la nourrice  : Herc. Œt., 743-841). Un seul personnage féminin, Mantô dans l’Œdipe, qui est en fait une exception, occupe cette posture de messager. À travers différents exemples, nous avons démontré que la femme ne prend pas cette position de connaissance par rapport aux autres intervenants. Elle n’est jamais présentée comme un personnage de transfert. Sénèque la limite à un seul environnement, qui se trouve attaché à la sphère privée. Ainsi, même si des exemples de femmes hors-norme sont présents dans la tragédie, l’auteur insiste sur leur immobilité et leur attachement à la domus, en accord avec une vision traditionnelle de la femme. Cette posture discursive, spécifique aux personnages masculins, met donc en lumière une opposition de discours, mais aussi de traitement entre personnages masculins et féminins. De plus, elle participe à mettre les femmes en position de dépendance par rapport aux hommes  : Clytemnestre désire connaître le sort d’Agamemnon, Déjanire cherche à savoir si elle est responsable de la mort d’Hercule, Andromaque et Hécube veulent apprendre comment Polyxène a été sacrifiée après Astyanax. Cette remarque amène à la posture suivante, identifiée comme spécifique aux personnages féminins  : la requête. Cette étiquette désigne des sollicitations importantes qui ont des conséquences durables pour les deux parties. Nous l’avons mise au jour en croisant des éléments présents significativement dans les discours féminins, comme le mode verbal de l’impératif, le nom et l’adjectif supplex, ou encore le cas du vocatif. Comme précédemment, ces spécificités sont les indices de moments de communication plus globaux. Par ailleurs, non seulement la posture de demande est spécifique aux discours féminins, mais en plus, elle n’est jamais adressée à une femme les rares fois où elle intervient chez un personnage masculin. Sénèque a donc choisi de ne pas présenter de héros en position de requête auprès d’une femme. Une mise en série de ces scènes indique que les différentes configurations sont strictement codifiées en fonction de plusieurs facteurs  : les statuts de la locutrice et de son interlocuteur et l’objet de la demande. Ainsi, une femme en posture de requête devant un homme n’obtient satisfaction que si ce dernier est de condition sociale inférieure (Clytemnestre à Eurybate dans l’Agamemnon), ou si elle représente un membre masculin de la famille (Électre représentant son frère devant Strophius dans la même pièce). Dans tous les autres cas, malgré les arguments avancés, la requête se révèle inefficace  : dans Médée, la magicienne

CONCLUSION305

doit quitter Corinthe  ; dans les Troyennes, Andromaque doit livrer son fils à Ulysse  ; dans les Phéniciennes, Jocaste échoue dans sa tentative de réconciliation entre Étéocle et Polynice. Pourquoi un tel déséquilibre entre personnages masculins et féminins  ? Il semble, comme le sous-tendait déjà l’étude de la posture précédente, que les femmes de Sénèque sont en situation de dépendance ou de faiblesse par rapport aux hommes, dans les domaines les plus divers, du champ de bataille (Troyennes) à la relation de couple (Médée). Ainsi, alors que l’auteur mettait en contraste sphère privée et publique avec l’utilisation du topos de messager, il souligne ici une opposition qui se joue sur un autre plan, entre dépendance féminine et emprise masculine. I.3.  Variations dans les stratégies de communication En troisième lieu, dans certaines tragédies (Médée, Phèdre, les Troyennes et l’Hercule sur l’Œta), nous avons dégagé que l’opposition entre les discours masculins et féminins pouvait constituer un ressort tragique à part entière. Dans la performance théâtrale, ce contraste est un des moyens de matérialiser, par la parole, le nœud de l’action. Il n’est pas systématiquement développé par Sénèque lorsque celui-ci cherche à mettre en évidence d’autres types de conflits. Par exemple, dans l’Agamemnon, l’auteur s’intéresse plutôt aux mécanismes de clans. Il y étudie la confrontation entre Clytemnestre et Égisthe d’une part, et Agamemnon, Électre et Strophius d’autre part. Dans les deux pièces consacrées à Œdipe, l’Œdipe et les Phéniciennes, il examine les conséquences d’une fracture interne chez les personnages sur l’ensemble du noyau familial. Le critère du sexe n’est donc qu’une variable parmi d’autres dans la recherche de la dramatisation de l’action. De plus, dans les pièces où le critère est effectif, il peut prendre différentes formes. Par exemple, l’opposition entre les discours des femmes et des hommes dans Médée ne repose pas sur les mêmes stratégies que celles développées dans les Troyennes. Sénèque caractérise les discours de Médée et de la nourrice, inscrits dans l’expression de la passion, en contraste avec ceux de Jason et de Créon, plutôt marqués par la raison. Par le vecteur du discours également, ces deux univers de pensée s’affrontent. La seconde pièce, qui réunit des scènes différentes 13, présente également une continuité dans l’expression des femmes de Troie divergente de celle des hommes grecs. Les héroïnes offrent un discours de femmes vaincues à l’opposé de celui des soldats, en position de vainqueurs. C’est la raison pour laquelle, comme le critère n’est pas mis en scène dans toutes les tragédies et change de forme de l’une à l’autre, il est difficile de l’identifier comme une seule et même unité et d’en définir les caractéristiques avec précision. Néanmoins, grâce à l’analyse systématique de chaque tragédie,   Hécube – chœur  ; Agamemnon – Pyrrhus  ; Andromaque – Ulysse  ; Andromaque – Hélène – Hécube. 13

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CONCLUSION

des éléments stables sont apparus. Ainsi, malgré la diversité des thèmes et des formulations, l’opposition entre les discours masculins et féminins repose sur un même principe  : la femme est une figuration de l’Autre par rapport à l’homme 14, et c’est pourquoi elle ne s’exprime pas exactement comme lui. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur de la part de Sénèque 15. Ce dernier utilise le féminin pour questionner le masculin, et inversement. Cette fonction a été analysée dans le théâtre grec grâce aux recherches fondatrices de H. P. Foley et de F. I. Zeitlin 16, mais elle n’avait pas encore été suffisamment mise en évidence dans la tragédie de Sénèque. Dans la plupart des pièces où le critère entre en jeu, les femmes peuvent aussi être des esclaves (les nourrices, Iole), des étrangères (Phèdre et Andromaque), des magiciennes (Médée et Déjanire), voire occuper plusieurs statuts à la fois. Par leurs différences, elles remettent en question les comportements masculins et féminins, et donc plus généralement les rapports humains  : est-il juste d’abandonner son épouse pour protéger ses enfants  ? La passion peut-elle venir à bout de la rigueur  ? Le sacrifice d’un enfant est-il vraiment nécessaire à la survie d’un peuple  ? Un homme a-t-il le droit d’abandonner son épouse pour une autre femme, sans conséquence  ? À travers ces textes, cette fonction d’«  altérité  » se marque dans les discours des femmes par une sur-utilisation des noms propres d’hommes, du cas du vocatif et de la deuxième personne sous ses différentes formes (deuxième personne verbale, pronoms personnels et possessifs). Bien qu’ils soient relativement discrets, ces éléments permettent aux femmes d’interpeller les personnages masculins. Elles donnent une existence sur scène à leurs homologues, mais elles espèrent aussi leur faire partager leur univers. Tout en provoquant le contact, elles marquent la frontière entre elles et leurs interlocuteurs, mais toujours dans un même objectif  : être entendues et respectées des hommes. Cette réalité a été mise en évidence lorsque sont comparés les discours de femmes adressés à des femmes ou à des hommes. Dans les quatre pièces où l’opposition entre masculin et féminin est développée par Sénèque (Médée, Phèdre, les Troyennes, l’Hercule sur l’Œta), les frontières discursives sont moins marquées en contexte féminin que masculin. Les héroïnes ne mettent donc pas en place les mêmes stratégies de communication en fonction du sexe de leur interlocuteur. Dans un cadre féminin, elles ne ressentent pas le besoin de se dissocier du groupe, elles peuvent délivrer leur message sans précaution discursive particulière. Ces conditions permettent d’ailleurs aux femmes de partager sans filtre leurs sentiments et leurs opinions. En revanche, devant un homme, elles cherchent à trouver le meilleur canal de communication possible 14   Voir les différents travaux de F. I. Zeitlin sur la question, notamment  : Zeitlin (1996a). 15   Sénèque propose une vision traditionnelle de la femme, mais en lui accordant des qualités aussi importantes que celles des hommes (cf. I). 16   Foley (1981b) et Zeitlin (1996b).

CONCLUSION307

en multipliant les outils d’interaction à leur disposition. De cette manière, elles se positionnent inévitablement comme une interlocutrice de statut différent, ce qui complique la transmission du message. I.4.  Pas un discours féminin, mais une pluralité de discours féminins Ces observations sur le vocabulaire, les postures et les stratégies amènent à une conclusion plus générale. Comme nous l’avons rappelé, Sénèque n’a pas cherché à construire un discours féminin comme une unité homogène, indépendante du discours masculin. En revanche, il a travaillé les textes dans le détail pour composer une variété de discours féminins qui contrastent ponctuellement avec les discours masculins. Nous utiliserons donc la formule «  discours féminins  » pour refléter la diversité des approches de Sénèque plutôt que «  discours féminin  » au singulier, comme l’avaient préféré D. M. Dutsch pour la comédie latine et L. K. McClure pour la tragédie grecque 17. La tragédie latine met effectivement en scène une multitude de configurations dans les jeux d’opposition qui se construisent et se déconstruisent selon les besoins de l’action. Par ailleurs, en raison de la variété de traitement, les frontières entre discours masculins et féminins deviennent perméables. Dans certaines conditions, des personnages masculins peuvent posséder des caractéristiques féminines, et inversement. Les deux principaux exemples sont l’Hercule de l’Hercule sur l’Œta et Mantô, la fille du devin Tirésias, de l’Œdipe. Le premier présente un discours proche de Déjanire, Alcmène et sa nourrice. En s’intégrant dans les analyses de N. Loraux sur l’Héraclès grec 18, cette position discursive peut s’interpréter comme un indice de l’anéantissement total du héros, nécessaire à sa divinisation. Dans cette pièce, le statut d’Hercule est nié sur tous les plans afin d’accéder à l’immortalité (humanité, virilité, santé physique et mentale). Dans l’Œdipe, Mantô tient une posture de messager, associée dans les autres cas aux personnages masculins. En réalité, la jeune fille occupe une place particulière dans la pièce. Elle accompagne son père aveugle pour être ses yeux lors de sacrifices ou de cérémonies. Son sexe n’a donc pas d’influence sur son discours par rapport à sa fonction. I.5.  Interprétations En parcourant les différentes variations, on cherche inévitablement à en comprendre les raisons. Tout au long de nos développements, deux pistes de réponses se sont dessinées. La première hypothèse soulève beaucoup de questions. La 17   Ainsi, malgré la précision de «  on Echoes and Voices  », le titre principal de l’ouvrage de Dutsch (2008) reste Feminine Discourse in Roman Comedy. De même, McClure (1999a) a pour son ouvrage choisi le titre Spoken Like a Woman : Speech and Gender in Athenian Drama. 18   Loraux (1989).

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CONCLUSION

caractérisation des personnages masculins et féminins par leur discours répond, dans une certaine mesure, aux représentations en cours à l’époque néronienne, et semble en accord avec celles de Sénèque. En effet, le premier chapitre a étudié la position du philosophe par rapport à la femme et certains de ces aspects se retrouvent en filigrane dans les différentes tragédies. Mais, même à ce stade, il est ardu de faire précisément la part entre l’apport personnel de Sénèque, l’héritage de la tradition littéraire (modèles grecs, comme Euripide, et latins comme Ovide) 19 et mythologique (le fonds mythologique des cultures grecque et romaine) et l’influence de la société elle-même. Cependant, l’on ne peut nier que Sénèque produit des discours féminins à l’image d’une certaine représentation de la femme répandue dans la culture gréco-romaine. À travers les discours, les grandes oppositions traditionnelles transparaissent. D’abord, nos recherches ont mis au jour des centres d’intérêts différents selon les deux groupes  : la maternité et le mariage chez les femmes et la paternité et la transmission chez les hommes 20. De même, les personnages féminins n’abordent pas les mêmes sujets lorsqu’elles s’adressent à un homme ou à une autre femme. Avec les premiers, elles se concentrent sur des sujets plus officiels, tandis qu’avec les secondes, elles échangent plus facilement sur leurs sentiments. Les discours des femmes sont également beaucoup plus marqués par l’émotion, contrairement à leurs homologues masculins, qui font preuve de plus de réserve. Enfin, grâce à l’étude de la posture du messager, nous avons mis en évidence que les femmes de la tragédie restent attachées à la sphère privée, contrairement aux personnages masculins présentés en mouvement entre domaine public et privé. Au moyen des variations discursives, le système de communication entre personnages masculins et féminins semble fidèle aux représentations généralement en vigueur à Rome. Ainsi, Sénèque emploie des codes que le public est capable de décrypter et d’analyser pour s’approprier le contenu de la pièce. Néanmoins, il ne semble pas utiliser la tragédie dans un but didactique auprès du public. En effet, même si des aspects de sa propre représentation de la femme émergent de la tragédie, le lecteur est dans l’impossibilité de tirer des conclusions morales de ces œuvres. La seule certitude qui se dégage de l’ensemble tient dans l’affirmation qu’hommes et femmes appartiennent à des sphères de communication différentes 21. Pour le reste, les effets d’opposition entre les discours tendent plutôt, au contraire, à éviter toute interprétation morale directe. 19   Par exemples, Dangel (2004) pour les sources grecques et Trinacty (2014), pour les sources latines. 20   Sur les domaines associés à l’homme ou à la femme, voir Centlivres-Challet (2013), p. 21-32. 21   On rejoint ici les conclusions plus générales de Vidén (1993), p. 137-139, sur la position de Sénèque par rapport à la femme  : «  Seneca’s philosophical world is a world where the division into a male and a female sphere is firmly established  ».

CONCLUSION309

Dans le théâtre, le philosophe s’autorise à jouer avec les personnages et avec le public. Ceci nous amène à la seconde piste de réponse. Grâce à plusieurs moyens discursifs, différents niveaux de divergence se mettent en place entre les personnages masculins et féminins. Nous venons de rappeler l’opposition entre sphère privée et domaine public, entre mariage et paternité, entre émotion et réserve, et finalement entre faiblesse et puissance. Au moyen de ces multiples «  opérateurs de contraste  », utilisés ensemble ou séparément, l’auteur cherche à créer de la tension dramatique de degrés variés et de formes différentes. Au-delà d’une simple reproduction des codes de sa société, l’on espère avoir aussi montré qu’il y a un vrai travail de la part de Sénèque autour de ces notions pour les intégrer à son œuvre et pour les mettre au service de la poésie et du tragique 22. La communication entre hommes et femmes est un des aspects, à part entière, du drame humain représenté sur scène. Avec d’autres ressorts – comme le caractère des héros, le destin, ou le mythe lui-même – elle participe à amener les héros dans une impasse sur laquelle repose chaque pièce  : dans Médée, Médée et Jason n’obtiennent pas d’accord sur le moyen de sauver leur famille  ; dans les Troyennes, Andromaque n’arrive pas à persuader Ulysse d’épargner Astyanax  ; dans les Phéniciennes, Œdipe ne trouve pas la posture de communication appropriée pour s’adresser à Antigone. Hommes et femmes de la tragédie, parce qu’ils sont différents selon plusieurs aspects, présentent ainsi, dans leurs discours, des disparités qui engendrent ces problèmes de communication, sources privilégiées de tension dramatique.

II. Validité

des méthodes logométriques dans un corpus théâtral

Le deuxième apport fondamental de ce travail concerne les principes logométriques mis en place dans les différents chapitres 23. Il s’agissait d’appliquer des concepts de recherche éprouvés dans d’autres domaines 24 à un nouveau champ d’application et de développer une méthode de travail pertinente et efficiente. De ce point de vue aussi, nous pensons avoir démontré l’intérêt d’assister la recherche par une approche textométrique. Nous pouvons mettre en évidence trois avantages importants pour l’étude d’un corpus de textes, et plus précisément de théâtre. D’abord, cette méthode permet d’objectiver la démarche herméneutique en apportant une base de travail quantifiée et confirmée par les   Sur l’utilisation du contraste comme ressort tragique, voir Garelli‑François (1996). 23   Rappelons ici que cette méthode d’analyse des discours fait partie des dernières évolutions de la statistique textuelle sous l’impulsion, entre autres, de D. Mayaffre  : Mayaffre (2005 et 2010). 24   Histoire, littérature comparée, linguistique. 22

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CONCLUSION

procédés statistiques. À chaque étape, nous avons fondé nos interprétations sur des données significatives d’un point de vue statistique, ce qui permet de renforcer la validité de la démarche et des résultats. Ensuite, des éléments invisibles à la lecture seule sont mis ainsi en évidence, ce qui ouvre des pistes d’exploration supplémentaires. Par exemple, aurions-nous pu découvrir que les personnages féminins présentent une utilisation particulière de l’impératif avec la simple lecture du texte  ? Enfin, les outils statistiques permettent de prendre une distance critique avec le texte étudié. Nos prédécesseurs avaient, par exemple, mis en évidence les caractéristiques masculines du discours de Médée 25. Or, notre étude a démontré que, même si l’héroïne présente une attitude virilisée, elle propose un discours plus proche de la nourrice que de Jason ou de Créon. Notre recherche a aussi permis de montrer qu’il est pertinent d’appliquer les concepts logométriques à un corpus de théâtre pour en étudier les différents types de personnages. Ces méthodes sont opérantes et des avancées importantes ont pu être dégagées, tant du point de vue de l’opposition masculin vs féminin que de la catégorisation des discours de personnages en particulier. Le découpage original du corpus tragique, non pas par œuvre, mais par personnages ou par catégories de personnages est donc concluant. Il serait d’ailleurs intéressant à l’avenir de tester ce type de découpage sur d’autres corpus de domaines différents. Par exemple, dans les études politiques, le chercheur pourrait décomposer des débats politiques en fonction des intervenants. En littérature, les discours directs des différents personnages d’un roman pourraient également être l’objet d’une étude logométrique. De plus, pour analyser les discours en détail et en nuance, il est également apparu qu’il est important de varier les approches du corpus, représentées dans le présent travail par les bases constituées (Personnages, Personae, Lex_Spec, Prol), et les outils statistiques qui y sont appliqués (Spécificités, Thèmes, AFC, Analyse arborée). En effet, c’est en multipliant les approches qu’il est possible de saisir la complexité des processus de différenciation. De même, cette démarche doit être croisée avec un retour constant au texte afin de confronter les données chiffrées à la réalité textuelle. De cette manière, on peut proposer une interprétation solide, qui repose à la fois sur des observations comptables et sur une connaissance approfondie des textes. En ce qui concerne le théâtre, la qualité des résultats obtenus pour les tragédies de Sénèque grâce aux méthodes de logométrie suggère que cette approche devrait également être appliquée à d’autres corpus de textes. Après cette première étude qui marque le point de départ d’une nouvelle lecture du théâtre, étendre la recherche à Euripide pour le comparer à l’auteur latin serait une priorité. L’exploration du modèle grec de Sénèque dans cette perspective serait une avancée majeure dans le domaine et permettrait de poursuivre l’adaptation   Par exemple, voir Galimberti Biffino (2000), p. 92-93.

25

CONCLUSION311

des outils statistiques aux textes de langue grecque 26. S’il est encore impossible de traiter informatiquement et statistiquement un corpus bilingue – ici, Sénèque et Euripide –, il serait néanmoins intéressant d’analyser les deux auteurs avec les mêmes procédures logométriques afin de comparer les résultats. De manière plus générale, l’intérêt de la logométrie pour l’étude du théâtre justifierait également que ces concepts soient utilisés pour l’ensemble des dramaturges latins et grecs, voire même pour des pièces en langue moderne. Il faudrait commencer par le théâtre classique français et anglais, encore très attaché à l’héritage grécolatin, afin de valider les procédures. Mais en refermant ce travail, il semble qu’il n’y ait pas d’obstacle majeur à l’exploration par la logométrie de tout texte de théâtre.

  Pour un état de la question sur le développement des outils statistiques applicables aux textes grecs, voir Denizot / Vandersmissen (2018). 26

GLOSSAIRE Concepts et outils statistiques 1 ADT  : l’Analyse de Données Textuelles est une approche méthodologique dans les sciences humaines née de la rencontre de la statistique textuelle et de l’analyse du discours. Elle associe ainsi les approches quantitative et qualitative. Elle aborde le texte comme un ensemble organisé de données que l’on peut analyser par une recherche assistée par ordinateur. Analyse arborée  :  méthode d’analyse qui permet de calculer et de représenter, sous la forme d’un arbre, des distances, mais aussi des proximités, entre des textes mis en comparaison selon un critère préalablement défini (l’ensemble des lemmes ou des codes ou une sélection parmi eux). L’analyse arborée opère une classification hiérarchique dans les étapes de regroupements (représentés par les nœuds, à savoir les embranchements de l’arbre) à partir du centre de l’arbre qui fait apparaître très distinctement les groupes de textes et les oppositions. Il réunit d’abord les textes les plus proches, puis les suivants et ainsi de suite. Voici un exemple d’analyse arborée proposée par le logiciel Hyperbase sur les œuvres de Tacite  :

Analyse arborée classant les œuvres de Tacite selon leur utilisation des lemmes La présente analyse arborée figure la distance intertextuelle entre les œuvres de Tacite en fonction de leur utilisation des lemmes. Pour interpréter le graphique, il ne faut 1   Le présent glossaire a été conçu, entre autres, à l’aide des ouvrages méthodologiques suivants  : Barthélemy  / Luong  (1998), Brunet  / Mellet (2004), Delatte / Denooz / Govaerts (1978), Évrard / Mellet (1998), Lebart / Salem (1994), Luong (1994), Mayaffre  (2004, 2008a)  ; Mayaffre  / Viprey  (2012)  ; Muller (1992a, 1992b) et Poudat (2011).



GLOSSAIRE  : CONCEPTS ET OUTILS STATISTIQUES313

pas tenir compte de la distance à vol d’oiseau, mais bien de la longueur du segment qui relie un texte à un autre. Ici, l’analyse associe les différentes parties des Annales autour du centre de l’arbre, alors qu’on voit se regrouper sur deux branches distinctes les Histoires d’une part, et ensuite la Germanie, l’Agricola et le Dialogue des orateurs. Notons que les Annales 3, 4 et 5-6 sont regroupées de manière très proche, ce qui indique une particularité qu’il conviendra de définir par une recherche complémentaire et un retour au texte. Analyse Factorielle des Correspondances (AFC)  : méthode d’analyse dont le résultat est donné sous forme graphique. Il s’agit d’une cartographie de la distance entre les textes en fonction de paramètres présélectionnés. Elle est produite à partir d’un tableau à double entrée. Chaque colonne représente une partition du corpus et chaque ligne indique un élément étudié dans cette partition. Il peut s’agir de l’ensemble du vocabulaire ou de la morphosyntaxe ou bien d’une sélection particulière. Ce tableau est ensuite soumis à une matrice multidimensionnelle qui permet de transposer cette synthèse chiffrée en un graphique en deux dimensions. L’espace ainsi délimité est divisé en quatre quadrants par deux axes (1, horizontal des abscisses  ; 2 vertical des ordonnées) qui représentent chacun un des facteurs qui interviennent dans le résultat graphique. Les textes et les paramètres d’étude sont représentés sur le graphique par des points. La figure s’interprète en prenant en compte la distance entre les points, mais aussi leur distribution par rapport aux deux axes. Le premier axe, qui représente le premier facteur, justifie généralement la part la plus importante dans la disposition des points. C’est donc l’opposition entre la droite et la gauche qu’il convient d’interpréter en premier lieu. Vient ensuite l’opposition entre haut et bas sur l’axe des ordonnées, qui représente le deuxième facteur. Hyperbase offre également le pourcentage du poids de l’intervention des deux axes et la possibilité de produire un nouveau graphique avec l’axe du troisième facteur. Voici un exemple d’analyse factorielle produite sur les œuvres de Sénèque en fonction de leur utilisation des temps verbaux. Dans le tableau préalable à l’AFC, les

AFC sur les œuvres de Sénèque selon leur utilisation des temps verbaux

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GLOSSAIRE  : CONCEPTS ET OUTILS STATISTIQUES

colonnes représentent chaque œuvre de Sénèque et les lignes contiennent les fréquences de chaque temps verbal dans ces œuvres. L’axe 1 (horizontal) isole très bien les tragédies de Sénèque, par leur utilisation du parfait, de la plupart des autres œuvres en prose. Il représente donc très probablement un critère de forme opposant prose et poésie. Le deuxième axe (vertical) met en contraste les œuvres qui utilisent plus les temps passés de celles qui emploient plutôt les temps présents. En revanche, les axes 1 et 2 n’expliquent ensemble que 80 % de l’AFC, il serait donc intéressant de prendre aussi en compte le troisième axe. Analyse morphosyntaxique  :  l’analyse morphosyntaxique d’un mot est l’ensemble des éléments qui définissent sa morphologie (forme du mot dans le texte) et ses rapports avec les autres mots de la phrase (syntaxe). APN  :  les textes lemmatisés par le LASLA sont enregistrés sous un format .DAT. Ils sont ensuite convertis en format .APN pour pouvoir être exploités sous Hyperbase. Base statistique sous Hyperbase  :  il s’agit d’un corpus de textes sélectionnés par le chercheur. La base est exploitable par les méthodes informatiques et statistiques, car les textes ont été préalablement lemmatisés et enregistrés sous un format spécifique de données. Par exemple, la base Sénèque produite et diffusée par le LASLA est composée des œuvres de Sénèque à l’exception des Questions naturelles. Il est également possible de la découper en plusieurs sous-corpus pour se consacrer uniquement à une partie de l’ensemble. Code grammatical  :  dans un texte lemmatisé par le LASLA, un code grammatical est chacun des éléments qui constituent l’analyse morphosyntaxique complète d’un mot d’un texte. Chaque partie de cette analyse est un code grammatical. Cooccurrence spécifique (corrélats – thèmes)  :  ce procédé a pour but de définir quels éléments d’un texte sont les cooccurrents spécifiques d’un mot-pôle ou d’un code-pôle. En d’autres mots, il est question de déterminer, sur la base d’un calcul d’écart réduit, quels lemmes ou quels codes sont présents dans le même contexte que celui du mot-pôle ou code-pôle (souvent limité au paragraphe) suffisamment de fois pour faire partie de son environnement spécifique. Cet outil fournit dès lors une liste de lemmes ou de codes qui définissent son contexte d’utilisation dans un texte donné. Corpus  :  un corpus est une sélection de données dans laquelle les recherches seront menées. Il présuppose une réflexion de la part du scientifique pour être le plus pertinent et le plus représentatif possible pour la recherche. Au sein d’un corpus, il est possible de former des sous-corpus en fonction des besoins de la recherche. Corrélats  :  Fonctionnalité du logiciel Hyperbase qui vise à représenter graphiquement, par une AFC, les «  réseaux de mots  » ou «  réseaux de cooccurrences  » présents dans un corpus donné. Pour ce faire, le logiciel regroupe les mots les plus utilisés (substantifs, adjectifs et verbes) et enregistre la fréquence de leurs rencontres dans un même paragraphe. Il s’agit de la fréquence relative, car le programme tient compte aussi de la fréquence de chaque élément dans l’ensemble du corpus. Ce procédé prend la forme d’un tableau carré à double entrée où les mêmes mots sont portés sur les lignes et les colonnes. Ce tableau chiffré est ensuite soumis à une matrice multidimensionnelle qui permet de produire une AFC. Le programme prend en compte les 400 mots les plus fréquents du corpus, mais la recherche peut être affinée en écartant les mots très courts qui produisent souvent du bruit dans le résultat. Nous obtenons alors une AFC sur laquelle se répartissent entre eux les mots pris en compte en fonction de leur tendance à se retrouver dans le même contexte. Comme exemple, nous avons produit l’AFC des corrélats sur la base Discours qui contient les discours des orateurs latins  :



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Analyse factorielle des corrélats dans la base Discours Avec autant de mots pris en compte, l’AFC pose des problèmes de lisibilité, mais l’interprétation semble assez claire. L’axe 1 oppose deux réseaux de mots  : à gauche, des termes plus concrets (par ex.  : mulier, sribo, signum) et, à droite, plus abstraits (dolor, memori, libertas). Le deuxième axe distingue les termes plutôt liés au domaine du droit et du procès en haut (crimen, defensio, oratio, mors), de ceux des institutions politiques et militaires en bas (princeps, quirites, legatus, publicus). Écart réduit  :  En statistique textuelle, ce concept est important, car il intervient dans plusieurs processus, comme les histogrammes, les spécificités ou encore les cooccurrences. Il repose sur la notion d’écart entre la fréquence réelle d’un phénomène dans une partition de texte (un lemme, une forme, un code grammatical, une structure) et sa fréquence attendue théoriquement. Ainsi, l’écart réduit vise à mesurer objectivement la probabilité que cet écart se produise, après avoir neutralisé l’influence de la longueur du texte. Plus précisément, il se calcule en divisant l’écart absolu (différence entre la fréquence observée d’un phénomène dans la partition de texte et sa moyenne d’utilisation) par l’écart-type (racine carrée de la fréquence observée multipliée par la probabilité de rencontrer le phénomène dans le texte et par la probabilité de ne pas le rencontrer). Le résultat devient significatif au-dessus de 2 (les effectifs excédentaires) et en dessous de -2 (les effectifs déficitaires). Entre cette fourchette, il est possible que l’écart soit le résultat du hasard. Forme – lemme  :  en textométrie, la forme est le mot tel qu’il apparaît dans un texte donné. Le lemme correspond à l’entrée de cette forme dans un dictionnaire donné au-delà des accidents de la flexion ou des éventuelles élisions. Pour les textes grecs, le LASLA se fonde sur A Greek-English Lexicon  ; pour les textes latins, sur le Totius latinitatis lexicon de Forcellini. Histogramme  :  Hyperbase permet de produire l’histogramme de la répartition d’un élément donné dans les différentes partitions d’un corpus. Il offre une liste des effectifs

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observés de l’élément pour chaque texte (dans la marge à droite). Mais il propose également une représentation graphique, sous la forme de bâtonnets, des écarts réduits calculés à partir de la fréquence de l’objet étudié pour chaque partition. Cet outil permet ainsi de visualiser quelles parties du corpus sur-utilisent ou sous-emploient significativement l’objet en question. Le seuil de 5 %, symbolisé par un trait en pointillé, représente la limite en deçà de laquelle il y a plus de cinq chances sur cent que le résultat soit le fruit du hasard. Les résultats dans cette fourchette seront donc considérés comme non significatifs. En haut du graphique, Hyperbase mentionne un indice de corrélation (Corrél.). Si le graphique est simple (un seul paramètre est présenté) et s’il est construit sur un corpus chronologique, cet indice évalue l’impact de la chronologie sur l’évolution du paramètre dans le corpus. Il évolue entre –1 et 1 et son seuil de significativité (fixé à 5 %) est indiqué en dessous. Si l’histogramme est double (deux paramètres représentés simultanément), l’indice de corrélation évalue le parallélisme de distribution entre les deux paramètres. Plus les deux éléments sont répartis de manière similaire, plus l’indice s’approche de 1. Si c’est l’inverse, l’indice tend vers –1 et, si aucun lien n’existe entre les deux distributions, il s’approche de 0. Voici un exemple d’histogramme calculé sur mater dans les tragédies de Sénèque  :

Histogramme de la répartition du lemme mater dans les tragédies de Sénèque Cet exemple indique que l’Hercule sur l’Œta, les Phéniciennes et les Troyennes présentent une sur-utilisation du terme. À l’opposé, l’Agamemnon, l’Hercule Furieux et le Thyeste présentent un déficit significatif de mater. Des contraintes thématiques doivent expliquer assez probablement cette répartition des écarts. Hyperbase 2  :  logiciel d’exploration et de traitement statistique des corpus textuels. Il a été développé par É. Brunet et son équipe de l’Université de Nice pour le français. Il a ensuite été adapté à d’autres langues, comme le latin. Grâce à deux ensembles de 2

 http://logometrie.unice.fr/pages/logiciels/



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fonctionnalités (documentaires et statistiques), il permet d’étudier les textes sélectionnés grâce à une approche automatisée. Lemmatisation  :  au sens strict du terme, la lemmatisation désigne la procédure qui vise à rattacher une forme du texte à son lemme, au-delà des accidents de la flexion ou de l’insertion dans le tissu textuel. Par exemple, le premier mot de la Médée de Sénèque est di. Pour ce mot, on retient un lemme deus et une forme di (et non dei, car il faut conserver toutes les particularités orthographiques ou grammaticales du texte). Certains laboratoires, comme le LASLA, ajoutent des données complémentaires, comme la référence dans le texte et une analyse morphosyntaxique la plus complète possible pour chaque forme. Cette procédure permet ensuite une exploitation statistique riche des données ainsi enregistrées. Lexicométrie – textométrie – logométrie  :  il s’agit de trois méthodes d’analyse informatisées des textes développées successivement dans le sillage de l’ADT. Elles s’appuient sur l’étude statistique des unités de textes comparées dans un corpus prédéfini. Elles aident le chercheur à décrire les objets linguistiques étudiés et à proposer des pistes d’interprétation confirmées par un aller-retour permanent entre les données chiffrées et la réalité textuelle. D’abord, la lexicométrie permet de mesurer les différences de lexique entre plusieurs sous-corpus de manière objectivée et précise. Ensuite, la textométrie prend également en compte l’étude de la morphosyntaxe et de la syntaxe pour considérer le texte dans sa globalité. Aujourd’hui, la logométrie vise à étudier les discours plutôt que les textes en prenant aussi en compte les contextes d’utilisation des éléments sélectionnés, du mot à la grammaire. Modèle théorique  :  le modèle théorique est un principe très important en statistique, car c’est sur lui que repose la plupart des tests statistiques présentés ici. Il s’agit de formuler une hypothèse selon laquelle la répartition dans le corpus d’un élément est aléatoire et homogène, en fonction de la proportion de chaque texte dans l’ensemble du corpus. Les données réellement observées dans le corpus sont ensuite comparées avec celles calculées selon le modèle théorique. L’on évalue ensuite l’écart entre les deux données pour déterminer s’il est significatif. Mot-pôle ou code-pôle  :  il s’agit d’un lemme ou d’une forme (ou même d’un code) sélectionné par le chercheur. L’on cherche à définir son environnement spécifique dans un texte donné, c’est-à-dire à calculer quels lemmes ou quels codes sont en cooccurrence spécifique avec lui. De cette manière, il est possible de comprendre comment l’élément étudié est utilisé en contexte. L’environnement spécifique d’un même mot-pôle peut également être produit dans plusieurs textes pour comprendre les différences d’utilisation en fonction des contextes d’utilisation. Seuil  :  en statistique, le seuil est un niveau au-delà duquel la valeur d’une donnée devient significative. En d’autres mots, en dépassant cette limite, elle ne peut plus être le résultat du hasard. Le chercheur devra dès lors en tenir compte dans son interprétation. Spécificités positives ou négatives  : quand un corpus est composé de différents textes, appelés aussi partitions du corpus, il est possible de définir, à partir de la loi normale, quels éléments (formes, lemmes ou codes grammaticaux) sont spécifiques à une partition, par rapport à l’ensemble du corpus. Cette procédure permet ainsi de déterminer ce qui est caractéristique à un texte du corpus, c’est-à-dire de calculer les éléments qui sont présents suffisamment de fois dans la partition pour être statistiquement représentatifs vu la proportion de la partition dans le corpus et le nombre total de l’élément dans le corpus. Le procédé fonctionne pour les éléments qui sont sur-utilisés, ou inversement, sous-utilisés. L’on parle alors de spécificités positives ou négatives. L’écart

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réduit, calculé pour chacun des éléments, devient significatif lorsqu’il est supérieur à 2 (spécificité positive) ou inférieur à -2 (spécificité négative). Tableau lexical entier  :  dans une AFC, cette mention signifie que le graphique a été produit à partir d’un tableau à double entrée dont les lignes contiennent l’ensemble du lexique, une ligne par mot. Tableau grammatical entier  :  dans une AFC, cette mention signifie que le graphique a été produit à partir d’un tableau à double entrée dont les lignes contiennent l’ensemble de la morphosyntaxe, une ligne par code grammatical. Test de Pearson (du chi-2)  : en statistique, le test de Pearson a été développé pour évaluer la probabilité qu’un écart se produise entre une observation et un modèle théorique, quel que soit le nombre de variables. En statistique textuelle, il sera souvent question de déterminer si la répartition d’un élément entre différentes partitions de texte est le résultat du hasard. Le test de Pearson se fonde sur le calcul de la somme des différences au carré entre les occurrences effectives d’un élément et ses occurrences théoriques divisée par la somme des occurrences effectives. Le résultat obtenu s’interprète grâce à une table de distribution diffusée dans beaucoup d’ouvrages sur la statistique. Selon le nombre de partitions étudiées et au-delà d’une certaine valeur, il est possible de déterminer s’il y a une grande probabilité que la distribution d’un élément soit aléatoire ou non.

Test de Pearson appliqué à la distribution de coniux entre les personnages masculins et féminins chez Sénèque Voici un exemple  : le chi-2 est calculé à partir de la distribution de coniux entre les personnages masculins et féminins de la tragédie de Sénèque 3. Selon la table de distribution, avec un résultat de 33,2 pour deux partitions, il y a largement moins d’une chance sur mille que la distribution de coniux entre les personnages masculins et féminins soit l’effet du hasard. TXM 4  :  TXM est un logiciel conçu pour l’analyse documentaire et statistique de grands corpus de textes. Son développement a vu le jour à l’ENS de Lyon grâce à un projet ANR, Textométrie. Il permet d’analyser tout type de corpus textuel éventuellement encodé sous format XML selon les standards de la TEI. 3   Le chi-2 a été calculé à l’aide du logiciel Estella développé par Y. Deschamps et S.  Mellet  : Mellet (1994). 4  http://textometrie.ens-lyon.fr/spip.php?rubrique96

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XML-TEI  :  XML et TEI sont les deux faces d’un même projet. Le XML (Extensible Markup Language) est un langage informatique qui permet de baliser un texte en fonction de toute une série d’informations. Il s’agit d’une syntaxe commune pour structurer un texte selon différents critères. La TEI (Text Encoding Initiative) 5 est le projet international qui vise à répandre l’utilisation de ce format pour un meilleur échange des textes dans le monde et à développer la richesse du XML pour offrir de nouvelles possibilités de traitement et d’exploitation.

5

 http://www.tei-c.org/index.xml

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Indices Index locorum

Héroïde IX  : 67 Héroïde IX, 49-55  : 130 Mét., IV, 484-485  : 230 Mét., X, 11-63  : 82

Anonyme De Physiognomonia Liber, 78  : 105

Ov., Ov., Ov., Ov.,

Aristophane Ar., Thesm., 192  : 104

Pline le Jeune Plin., Ep., VI, 16, 11: 90

Cicéron Cic., De Orat., III  : 42

Quintilien Quint., De Inst. Orat., XI: 42

Donatus Don., Ad., 291  : 113

Sénèque Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc., Sén., Ad Luc.,

Eschyle Eschl., Agam., 509-513  : 190 Euripide Eur., Hip., 214-238  : 281 Eur., Iph. Aul., 917-918  : 125 Eur., Méd., 252  : 139 Eur., Méd., 395-398  : 71 Eur., Méd., 708-718  : 85 Eur., Méd., 1059  : 72 Eur., Phén., 476-478  : 222 Eur., Phén., 834  : 249 Eur., Troy., 716  : 284 Homère Hom., Od., IX  : 208 Tite-Live Liv., VIII, 9  : 216 Lucrèce Lucr., De Nat., I, 54-57  : 84 Macrobe Macr., Sat., III, 9, 9-12  : 216 Ovide Ov., Fastes, V, 429-444  : 70

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

41, 8  : 33 41, 9  : 34 49, 8  : 31 63, 13  : 31 94, 8  : 32 95, 11  : 84 95, 20-21  : 31 97, 3-6  : 97 97, 4  : 22, 32 102, 14-15  : 94 102, 16  : 94 110, 14  : 31 122, 7  : 31

Agam., 4-6  : 268 Agam., 47-49  : 188 Agam., 57-107  : 190 Agam., 108  : 187 Agam., 111  : 91 Agam., 162-168  : 187 Agam., 164-167  : 93 Agam., 167  : 109 Agam., 175-191  : 187 Agam., 185  : 100 Agam., 198-199  : 30 Agam., 199  : 31 Agam., 199-202  : 187 Agam., 228  : 187 Agam., 244-245  : 194 Agam., 253-259  : 187

342 Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

INDICES

Agam., 260  : 67 Agam., 282-287  : 92 Agam., 299  : 155 Agam., 300-305  : 155 Agam., 303  : 68 Agam., 304-305  : 187 Agam., 310-411  : 190 Agam., 332-341  : 81 Agam., 354-357  : 190 Agam., 392-396  : 158 Agam., 392-578  : 56 Agam., 417  : 149 Agam., 421-424  : 80 Agam., 627-629  : 191 Agam., 656-658  : 159 Agam., 660-661  : 192 Agam., 664-677  : 244 Agam., 701-704  : 112 Agam., 710-711  : 192 Agam., 779  : 192 Agam., 782-785  : 172 Agam., 782-807  : 194 Agam., 802-807  : 158 Agam., 867-909  : 188 Agam., 868-869  : 166 Agam., 875  : 188 Agam., 881-884  : 100 Agam., 885  : 101 Agam., 887  : 188 Agam., 892-896  : 161 Agam., 902-903  : 188 Agam., 906  : 188 Agam., 906-907  : 64, 187 Agam., 917  : 65 Agam., 929-933  : 150, 189 Agam., 940-943  : 189 Agam., 955-963  : 153 Agam., 958-960  : 30 Agam., 979  : 67 Agam., 981  : 68 Agam., 986-987  : 67 Agam., 1001-1003  : 110 Agam., 1006-1009  : 30 Agam., 1009  : 30 Agam., 1010-1012  : 148

Sén., Apocol., VII, 2  : 84 Sén., De Ben., I, 11, 6  : 32

Sén., De Breu. IV, 4-6  : 97 Sén., De Breu., IV, 6  : 22, 32 Sén., Sén., Sén., Sén.,

De De De De

Const., Const., Const., Const.,

I, 1  : 32, 34 XIV, 1  : 22 XIV, 1, 22  : 135, 301 XIV, 1-2  : 97

Sén., De Ira, II, 30, 1  : 22 Sén., De Ira, II, 30, 1  : 32 Sén., De Ira, II, 30, 1-2  : 97 Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Helu., Helu., Helu., Helu., Helu., Helu.,

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Herc. Fur., 30-42  : 231 Herc. Fur., 75-77  : 235 Herc. Fur., 96-98  : 230 Herc. Fur., 100-102  : 231 Herc. Fur., 279  : 96, 176 Herc. Fur., 279-298  : 235 Herc. Fur., 285-300  : 176 Herc. Fur., 299-308  : 235 Herc. Fur., 301  : 91 Herc. Fur., 309  : 68 Herc. Fur., 309-311  : 100 Herc. Fur., 352-354  : 63 Herc. Fur., 379  : 71 Herc. Fur., 381  : 71 Herc. Fur., 384-385  : 236 Herc. Fur., 413  : 236 Herc. Fur., 420  : 91 Herc. Fur., 426  : 236 Herc. Fur., 429  : 236 Herc. Fur., 439  : 68 Herc. Fur., 464  : 119 Herc. Fur., 496  : 109 Herc. Fur., 569-591  : 82 Herc. Fur., 592  : 236 Herc. Fur., 635  : 69 Herc. Fur., 639  : 69 Herc. Fur., 645-829  : 144, 304 Herc. Fur., 650-651  : 56 Herc. Fur., 654-657  : 233 Herc. Fur., 658-661  : 233

XIV, 2  : 26, 27 XIV, 3  : 27 XVI, 5  : 25 XVI, 7  : 25 XIX, 2  : 27 XIX, 7  : 26, 27

INDICES343

Sén., Herc. Fur., 709-711  : 141 Sén., Herc. Fur., 762-829  : 52, 88 Sén., Herc. Fur., 895  : 69 Sén., Herc. Fur., 944  : 237 Sén., Herc. Fur., 1008  : 118 Sén., Herc. Fur., 1012  : 118 Sén., Herc. Fur., 1015  : 96 Sén., Herc. Fur., 1161  : 69 Sén., Herc. Fur., 1172  : 237 Sén., Herc. Fur., 1181  : 69 Sén., Herc. Fur., 1192  : 120 Sén., Herc. Fur., 1218  : 52 Sén., Herc. Fur., 1235-1236  : 52 Sén., Herc. Fur., 1237  : 233 Sén., Herc. Fur., 1274-1277  : 89, 151 Sén., Herc. Fur., 1316-1317  : 87 Sén., Herc. Fur., 1341  : 52 Sén., Herc. Fur., 1493  : 118 Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Herc. Œt., 1-103  : 242, 263 Herc. Œt., 1-14  : 269 Herc. Œt., 6-8  : 265 Herc. Œt., 8-10  : 93 Herc. Œt., 13-15  : 179 Herc. Œt., 15-103  : 269 Herc. Œt., 99-101  : 172 Herc. Œt., 104-106  : 82 Herc. Œt., 119-125  : 82 Herc. Œt., 128-130  : 82 Herc. Œt., 180-184  : 114 Herc. Œt., 207-210  : 239 Herc. Œt., 217-219  : 114 Herc. Œt., 233  : 30 Herc. Œt., 233-234  : 29 Herc. Œt., 256-266  : 242 Herc. Œt., 256-275  : 114 Herc. Œt., 275-277  : 78 Herc. Œt., 278  : 110 Herc. Œt., 278-279  : 64 Herc. Œt., 278-582  : 242 Herc. Œt., 290  : 100 Herc. Œt., 291  : 67 Herc. Œt., 332  : 67 Herc. Œt., 332-335  : 85 Herc. Œt., 335  : 110 Herc. Œt., 344  : 67 Herc. Œt., 345  : 67 Herc. Œt., 345-347  : 64 Herc. Œt., 345-349  : 109

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Herc. Œt., 348  : 109 Herc. Œt., 358-362  : 130 Herc. Œt., 405-406  : 291 Herc. Œt., 406  : 67 Herc. Œt., 435-440  : 84 Herc. Œt., 538-540  : 79 Herc. Œt., 583-705  : 239 Herc. Œt., 717  : 143 Herc. Œt., 740-741  : 142 Herc. Œt., 743-841  : 142, 304 Herc. Œt., 756-757  : 292 Herc. Œt., 772-774  : 294 Herc. Œt., 825-828  : 240 Herc. Œt., 882-884  : 242 Herc. Œt., 910-911  : 292 Herc. Œt., 925-927  : 157 Herc. Œt., 949  : 173 Herc. Œt., 984-1024  : 242 Herc. Œt., 994-996  : 294 Herc. Œt., 1020-1024  : 68 Herc. Œt., 1023-1024  : 131 Herc. Œt., 1024  : 295 Herc. Œt., 1027  : 118 Herc. Œt., 1031-1101  : 82 Herc. Œt., 1131  : 241 Herc. Œt., 1131-1336  : 263 Herc. Œt., 1131-1517  : 242 Herc. Œt., 1171  : 118 Herc. Œt., 1176-1178  : 29, 74 Herc. Œt., 1275-1277  : 166 Herc. Œt., 1290-1295  : 169 Herc. Œt., 1295-1304  : 169 Herc. Œt., 1314-1318  : 158 Herc. Œt., 1336-1337  : 126 Herc. Œt., 1345-1982  : 263 Herc. Œt., 1374-1376  : 240 Herc. Œt., 1402-1431  : 115 Herc. Œt., 1415-1418  : 125 Herc. Œt., 1452-1455  : 167 Herc. Œt., 1459-1463  : 272 Herc. Œt., 1463  : 114 Herc. Œt., 1481-1482  : 243 Herc. Œt., 1488-1496  : 272 Herc. Œt., 1668-1672  : 104 Herc. Œt., 1673-1676  : 105 Herc. Œt., 1678-1679  : 105 Herc. Œt., 1688-1690  : 106 Herc. Œt., 1696-1715  : 107 Herc. Œt., 1701-1704  : 107

344

INDICES

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Herc. Œt., 1756  : 69 Herc. Œt., 1773-1774  : Herc. Œt., 1792  : 125 Herc. Œt., 1854  : 125 Herc. Œt., 1854-1856  : Herc. Œt., 1863-1939  : Herc. Œt., 1923  : 173 Herc. Œt., 1930  : 244 Herc. Œt., 1938  : 244 Herc. Œt., 1940-1943  : Herc. Œt., 1963-1976  :

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Marc., II, 2  : 25 Marc., III, 4  : 25 Marc., VII, 3  : 106 Marc., VII, 4  : 26 Marc., VIII, 3  : 106 Marc., XVI, 1  : 97 Marc., XVI, 1  : 22 Marc., XVI, 1  : 33 Marc., XVI, 2  : 27

71 244 244

244 242

Sén., Méd., 7  : 72 Sén., Méd., 8  : 65 Sén., Méd., 10  : 173 Sén., Méd., 11  : 91 Sén., Méd., 13-18  : 152 Sén., Méd., 22-23  : 269 Sén., Méd., 25-27  : 275 Sén., Méd., 49-50  : 276 Sén., Méd., 51  : 63 Sén., Méd., 52  : 31 Sén., Méd., 56-115  : 197 Sén., Méd., 118  : 65 Sén., Méd., 141  : 65 Sén., Méd., 145  : 91 Sén., Méd., 150-178  : 198, 199 Sén., Méd., 157-158  : 152 Sén., Méd., 159-162  : 90 Sén., Méd., 171  : 129 Sén., Méd., 176  : 91 Sén., Méd., 189-191  : 152 Sén., Méd., 193  : 32, 96 Sén., Méd., 194  : 200 Sén., Méd., 198  : 200 Sén., Méd., 244-246  : 204 Sén., Méd., 245-248  : 277 Sén., Méd., 266-269  : 30 Sén., Méd., 268  : 11, 43, 202

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd., Méd.,

272-275  : 151 282  : 158 288  : 151 289  : 102 301-379  : 197 346-359  : 82 361-363  : 197 380-440  : 199 397-399  : 134 436  : 91 437  : 91 447  : 65 477-482  : 277 486-496  : 135 490-491  : 69 495  : 100 496  : 134 500-503  : 176 504  : 176 507-508  : 64 513  : 118 524-526  : 156 529  : 155 538-539  : 156 549  : 126 566-569  : 268 579-669  : 197 581  : 197 670-672  : 199 840-841  : 72 843  : 72 849-878  : 197 857  : 198 902-905  : 203 907  : 203 910  : 129 930  : 231 933  : 83 943-944  : 204 950  : 102 951  : 72 951-953  : 199 964-970  : 72 968  : 173 985-987  : 73 986  : 109 989  : 63 989-993  : 120 1004-1005  : 201

INDICES345

Sén., Méd., 1009-1011  : 84 Sén., Méd., 1012-1013  : 84 Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Œd., 1-109  : 74 Œd., 15-18  : 83 Œd., 16-25  : 74 Œd., 19  : 118 Œd., 77-81  : 267 Œd., 80-81  : 250 Œd., 81  : 96 Œd., 86  : 88, 250 Œd., 87-102  : 272 Œd., 87-103  : 88 Œd., 223  : 56 Œd., 225-227  : 146 Œd., 233-235  : 74 Œd., 306  : 249 Œd., 314-323  : 249 Œd., 323  : 56 Œd., 340  : 249 Œd., 341-383  : 249 Œd., 343  : 122 Œd., 510-529  : 179 Œd., 518  : 153 Œd., 530-658  : 127 Œd., 595  : 74 Œd., 607  : 74 Œd., 629-630  : 126 Œd., 659-664  : 69 Œd., 836  : 250 Œd., 847-867  : 246 Œd., 878  : 93 Œd., 915-979  : 248 Œd., 976  : 250 Œd., 1012-1024  : 272 Œd., 1019  : 250 Œd., 1053  : 251

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Phèd., 1-84  : 125, 207, 261 Phèd., 85  : 211 Phèd., 85-128  : 98 Phèd., 91-92  : 98 Phèd., 92  : 91 Phèd., 94  : 98 Phèd., 97  : 98 Phèd., 98  : 66 Phèd., 101-102  : 99 Phèd., 102-110  : 132 Phèd., 112-114  : 132

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Phèd., 129-177  : 209, 212 Phèd., 195-217  : 213 Phèd., 218-219  : 133 Phèd., 246-248  : 157 Phèd., 250-252  : 63 Phèd., 251-254  : 280 Phèd., 267-273  : 213 Phèd., 309-313  : 55 Phèd., 325-357  : 207 Phèd., 374  : 86 Phèd., 387-388  : 149 Phèd., 394-398  : 66 Phèd., 427-428  : 79 Phèd., 435-440  : 176 Phèd., 485  : 133 Phèd., 559  : 29 Phèd., 559-564  : 29 Phèd., 560  : 30 Phèd., 564  : 29 Phèd., 566  : 133 Phèd., 566-573  : 29 Phèd., 589-590  : 124 Phèd., 595  : 132 Phèd., 611  : 66 Phèd., 617-619  : 281 Phèd., 634-635  : 211 Phèd., 645  : 133 Phèd., 646  : 66 Phèd., 666  : 158 Phèd., 670-671  : 133 Phèd., 671  : 281 Phèd., 671-697  : 104 Phèd., 674-677  : 270 Phèd., 683-686  : 208 Phèd., 684  : 93 Phèd., 687-689  : 107 Phèd., 700-703  : 165 Phèd., 702-703  : 283 Phèd., 704  : 165 Phèd., 824  : 29, 30 Phèd., 843-847  : 88 Phèd., 854-864  : 149 Phèd., 859-863  : 175 Phèd., 864  : 99 Phèd., 864-865  : 98 Phèd., 865  : 96 Phèd., 903-905  : 210 Phèd., 948-950  : 175 Phèd., 959-970  : 138

346 Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

INDICES

Phèd., 959-988  : 207 Phèd., 978-982  : 209 Phèd., 991-1122  : 56 Phèd., 1060-1114  : 80 Phèd., 1072-1077  : 212 Phèd., 1123-1139  : 207 Phèd., 1141-1148  : 207 Phèd., 1165-1167  : 282 Phèd., 1183-1190  : 132 Phèd., 1188-1190  : 211 Phèd., 1261  : 208

Sén., Phén., 1-319  : 221, 261 Sén., Phén., 1-50  : 261 Sén., Phén., 9  : 119 Sén., Phén., 12-13  : 226 Sén., Phén., 39  : 127 Sén., Phén., 46-50  : 118 Sén., Phén., 50  : 224 Sén., Phén., 51-319  : 261 Sén., Phén., 77-78  : 154 Sén., Phén., 77-79  : 223 Sén., Phén., 103-109  : 170 Sén., Phén., 190  : 88 Sén., Phén., 211-215  : 177 Sén., Phén., 262  : 127 Sén., Phén., 290-293  : 227 Sén., Phén., 295  : 127 Sén., Phén., 295-302  : 225 Sén., Phén., 311-312  : 154 Sén., Phén., 311-319  : 224 Sén., Phén., 313-319  : 127 Sén., Phén., 320-362  : 144, 221 Sén., Phén., 352-355  : 224 Sén., Phén., 358  : 225 Sén., Phén., 362  : 226 Sén., Phén., 363-387  : 174 Sén., Phén., 363-442  : 221 Sén., Phén., 368-370  : 127 Sén., Phén., 387  : 224 Sén., Phén., 398-402  : 219 Sén., Phén., 401-402  : 221 Sén., Phén., 403-404  : 154 Sén., Phén., 403-406  : 219, 224 Sén., Phén., 403-497  : 174 Sén., Phén., 407  : 154 Sén., Phén., 407-408  : 226 Sén., Phén., 408-414  : 225 Sén., Phén., 427-442  : 221 Sén., Phén., 443-664  : 221, 225

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Phén., Phén., Phén., Phén., Phén., Phén., Phén., Phén., Phén., Phén.,

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy., Thy.,

465  : 122 484-488  : 486  : 102 503  : 71 556  : 71 586-589  : 651-653  : 654-659  : 663  : 71 664  : 222

103

228 222 128

1-121  : 252 82  : 128 83-86  : 128 145  : 102 176-335  : 252 220-223  : 181 221-224  : 97 250-252  : 73 264-265  : 172 270  : 166 271  : 69, 93 300  : 69 404-490  : 252 405  : 116 412  : 69 427  : 116 442-444  : 171 474-475  : 254 475  : 129 476  : 128 486  : 70 491-1112  : 252 495  : 69 513  : 70 517-518  : 160 529  : 88 691-788  : 80 885-895  : 231 901  : 69 919  : 117 934  : 117 938  : 117 952  : 129 952-956  : 117 953  : 117 965-969  : 43 1036  : 117 1041  : 117 1041-1042  : 256

INDICES347

Sén., Thy., 1073  : 117 Sén., Thy., 1092-1096  : 255 Sén., Thy., 1106-1110  : 255 Sén., Troy., 1-4  : 266 Sén., Troy., 1-163  : 149 Sén., Troy., 31  : 173 Sén., Troy., 63-65  : 110 Sén., Troy., 79-82  : 115 Sén., Troy., 101-104  : 216 Sén., Troy., 130-133  : 149 Sén., Troy., 141-155  : 65 Sén., Troy., 145-147b  : 71 Sén., Troy., 161-162  : 216 Sén., Troy., 244-245  : 68 Sén., Troy., 310-313  : 159 Sén., Troy., 349  : 153 Sén., Troy., 349-352  : 68 Sén., Troy., 358-359  : 149 Sén., Troy., 411  : 122 Sén., Troy., 443  : 65 Sén., Troy., 451-453  : 65 Sén., Troy., 453  : 86, 100 Sén., Troy., 462  : 168 Sén., Troy., 469-472  : 167 Sén., Troy., 490-491  : 286 Sén., Troy., 498-500  : 289 Sén., Troy., 501-502  : 86 Sén., Troy., 519  : 96 Sén., Troy., 524  : 218 Sén., Troy., 529-533  : 68 Sén., Troy., 533  : 111 Sén., Troy., 545-555  : 124 Sén., Troy., 550-551  : 83 Sén., Troy., 561  : 91 Sén., Troy., 562-567  : 85 Sén., Troy., 568  : 85 Sén., Troy., 573  : 217 Sén., Troy., 574  : 217 Sén., Troy., 578-581  : 125 Sén., Troy., 589  : 126 Sén., Troy., 596-597  : 148 Sén., Troy., 613-614  : 218 Sén., Troy., 620  : 118 Sén., Troy., 645  : 96, 173 Sén., Troy., 653  : 122 Sén., Troy., 679  : 29, 30 Sén., Troy., 686-704  : 286 Sén., Troy., 692  : 158 Sén., Troy., 694  : 121

Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén., Sén.,

Troy., 703  : 121 Troy., 703-704  : 286 Troy., 704  : 148 Troy., 750  : 289 Troy., 751  : 87 Troy., 754-756  : 288 Troy., 757-759  : 88 Troy., 760  : 148, 152 Troy., 762-764  : 121 Troy., 766  : 289 Troy., 769  : 93 Troy., 785  : 68, 111 Troy., 785-786  : 125 Troy., 792  : 168 Troy., 851-857  : 138 Troy., 864-867  : 65 Troy., 883-884  : 217 Troy., 890  : 289 Troy., 924-926  : 64 Troy., 934-937  : 122 Troy., 937  : 122, 287 Troy., 949-951  : 116 Troy., 949-954  : 290 Troy., 959  : 102 Troy., 969-971  : 285 Troy., 974  : 111, 285 Troy., 1056-1179  : 56, 144 Troy., 1110-1117  : 80

Sophocle Soph., Ant., 1012  : 249 Soph., Ant., 1087  : 249 Soph., Œd., 444  : 249 Suétone Suet., Nér., XIII, 2  : 160 Térence Tér., Phorm., 203  : 90 Valère Maxime Val.-Max., Faits et dits mémorables, VI, 7, 1-3  : 99 Virgile Virg., Én., I, 159  : 141 Virg., Én., II, 540-542  : 159 Virg., Én., X, 284  : 90 Virg., Géorg., IV, 467-503  : 82

348

INDICES

Index nominum Accius, 12 Agamemnon (Agam.), 12, 46, 91, 93, 99, 101, 110, 111, 129, 153, 158, 161, 172, 182, 185, 186, 268, 302, 305 Agamemnon (Troy.), 68, 149, 159, 160, 214, 215, 216, 219 Agrippine, 14, 26 Alcmène, 60, 70, 104, 105, 106, 107, 115, 116, 124, 125, 173, 240, 243, 244, 257, 263, 272, 302, 307 Amphitryon, 56, 68, 118, 119, 121, 141, 143, 144, 160, 229, 231, 233, 237, 304 Andromaque, 29, 30, 50, 61, 64, 65, 68, 85, 86, 87, 91, 93, 96, 100, 102, 111, 112, 116, 118, 120, 121, 122, 124, 137, 148, 150, 151, 158, 160, 162, 164, 168, 169, 173, 183, 214, 215, 217, 218, 219, 272, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290, 296, 297, 301, 302, 303, 309 Antigone, 49, 118, 127, 154, 164, 169, 170, 174, 219, 220, 222, 228, 261, 309 Astyanax, 12, 29, 41, 50, 68, 80, 83, 85, 86, 93, 96, 103, 120, 124, 125, 148, 150, 168, 183, 214, 215, 217, 218, 284, 286, 288, 304 Atrée, 12, 43, 50, 59, 61, 69, 70, 73, 80, 83, 97, 99, 117, 123, 129, 160, 171, 181, 182, 186, 252, 253, 254, 255, 302 Calchas, 41, 68, 149, 214 Cassandre, 29, 59, 61, 62, 63, 84, 99, 100, 101, 110, 111, 112, 115, 148, 161, 164, 184, 185, 188, 191, 192, 200, 244 Chœur (Herc. Fur.), 229, 230, 232, 234 Chœur (Méd.), 196, 197, 198 Chœur (Œd.), 246, 247 Chœur (Phèd.), 206, 207, 208, 210 Chœur (Troy.), 214, 215, 216, 260 Chœur d’Étoliennes (Herc. Œt.), 238, 239 Chœur d’Œchaliennes (Herc. Œt.), 82, 238, 239 Chœur de Mycéniennes (Agam.), 185, 190 Chœur de Troyennes (Agam.), 159, 164, 185, 190 Cicéron, 38, 97, 240 Claude, 14

Clytemnestre, 14, 30, 31, 50, 56, 60, 62, 64, 66, 67, 80, 91, 92, 101, 102, 109, 110, 111, 115, 123, 143, 145, 148, 152, 153, 154, 161, 182, 185, 186, 190, 191, 193, 194, 302, 304 Courtisan, 97, 123, 181, 252, 253 Créon (Méd.), 11, 30, 32, 69, 91, 103, 118, 144, 151, 156, 158, 160, 196, 197, 200, 201, 202, 203, 204, 205, 273, 274, 277, 278, 298, 305, 310 Créon (Œd.), 47, 56, 59, 60, 61, 73, 127, 140, 141, 143, 145, 164, 173, 179, 238, 247, 250, 272 Créuse, 64, 65, 70, 91, 99, 135, 144, 197, 201, 203, 276 Déjanire, 29, 30, 46, 47, 61, 62, 67, 78, 79, 84, 96, 109, 114, 118, 123, 126, 129, 130, 131, 134, 135, 136, 142, 143, 144, 152, 173, 182, 240, 241, 243, 257, 263, 264, 273, 290, 292, 293, 294, 295, 296, 297, 301, 304, 307 Donatus, 38, 113 Égisthe, 49, 61, 67, 92, 102, 109, 153, 154, 155, 184, 187, 190, 302, 305 Électre, 30, 61, 62, 64, 65, 84, 102, 111, 150, 152, 153, 185, 186, 189, 195, 304, 305 Ennius, 12, 251 Érope, 69 Eschyle, 112, 190, 261 Étéocle, 12, 41, 71, 128, 174, 219, 220, 221, 222, 227, 305 Euripide, 37, 71, 72, 85, 111, 125, 147, 192, 222, 225, 231, 249, 257, 259, 260, 271, 281, 284, 285, 296, 298, 308 Eurybate, 46, 50, 56, 62, 143, 146, 149, 158, 185, 186, 303, 304 Fantôme d’Hector, 65, 86, 100, 167 Fantôme de Tantale, 129, 252, 253, 254, 263, 297 Fantôme de Thyeste, 184, 188, 193, 200, 260, 268, 297 Furie, 51, 128, 245, 252, 261 Hécate, 71, 72, 173 Hécube, 56, 61, 64, 70, 89, 102, 103, 110, 112, 149, 151, 173, 214, 215, 216, 219, 244, 260, 263, 266, 271, 272, 283, 284, 287, 290, 297, 301, 304, 305

INDICES349

Hélène, 30, 60, 64, 65, 122, 214, 215, 216, 218, 272, 283, 284, 285, 287, 303 Helvie, 25, 27 Hercule (Herc. Fur.), 12, 52, 60, 63, 68, 69, 73, 82, 87, 88, 89, 91, 96, 118, 120, 121, 124, 126, 151, 160, 161, 162, 173, 176, 229, 230, 232, 233, 234, 236, 237, 262, 301, 304 Hercule (Herc. Œt.), 12, 29, 61, 67, 68, 74, 79, 82, 85, 87, 88, 93, 99, 101, 104, 105, 106, 108, 109, 114, 115, 118, 125, 129, 130, 134, 136, 142, 157, 160, 161, 166, 169, 171, 172, 179, 180, 182, 211, 224, 238, 240, 242, 243, 260, 262, 263, 264, 265, 271, 272, 290, 291, 292, 293, 304, 307 Hippolyte, 12, 28, 47, 59, 63, 65, 66, 79, 83, 104, 107, 108, 120, 124, 132, 133, 134, 135, 136, 140, 141, 145, 157, 162, 164, 175, 176, 178, 182, 183, 205, 206, 208, 259, 260, 261, 263, 265, 269, 270, 271, 278, 280, 281, 282, 297 Homère, 141, 208, 296 Hyllus, 61, 115, 118, 131, 135, 140, 142, 160, 238, 240, 272, 273, 290, 293, 294, 295, 304 Iole, 29, 59, 61, 64, 67, 78, 99, 109, 110, 114, 118, 130, 131, 238, 243, 257, 306 Iphigénie, 93, 102, 109, 125, 153, 187, 285 Jason, 12, 62, 64, 65, 69, 70, 83, 90, 91, 99, 101, 118, 120, 129, 134, 135, 136, 151, 154, 155, 156, 162, 176, 177, 182, 183, 196, 197, 198, 200, 201, 202, 203, 204, 272, 273, 274, 275, 278, 303, 309 Jocaste (Œd.), 50, 61, 96, 246, 247, 248, 261, 267, 272 Jocaste (Phén.), 61, 62, 102, 103, 122, 127, 154, 164, 173, 183, 219, 220, 224, 301, 305 Junon, 12, 87, 124, 125, 160, 194, 229, 230, 231, 232, 234, 237, 259, 260 Juvénal, 38, 104 Laïos, 12, 84, 127, 170 Le garde, 174, 219, 220, 221, 224 Le vieillard (Œd.), 247, 272 Le vieillard (Troy.), 65, 214, 272, 283, 287, 289

Lichas, 172, 238 Lycus, 50, 62, 63, 69, 71, 100, 109, 119, 128, 140, 145, 176, 229, 231, 232, 233, 234, 302 Mantô, 47, 56, 59, 61, 96, 122, 142, 144, 145, 238, 245, 247, 248, 249, 304, 307 Marcia, 25, 27, 28, 106 Médée, 11, 12, 62, 63, 64, 65, 69, 70, 71, 72, 73, 82, 83, 89, 90, 91, 96, 99, 102, 109, 118, 119, 123, 126, 129, 134, 135, 136, 144, 148, 151, 152, 154, 155, 156, 160, 173, 176, 178, 195, 196, 198, 199, 202, 209, 213, 251, 257, 258, 260, 263, 266, 268, 269, 271, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 280, 291, 293, 296, 297, 301, 302, 305 Mégare, 61, 68, 69, 91, 96, 100, 109, 118, 145, 176, 177, 229, 231, 232, 234, 235, 236, 302 Messager (Méd.), 196, 201, 202, 273, 274 Messager (Œd.), 247 Messager (Phèd.), 206, 212 Messager (Phén.), 219, 220, 221 Messager (Troy.), 216, 272, 284 Naevius, 94 Nourrice (Agam.), 123, 185, 194 Nourrice (Herc. Œt.), 29, 79, 123, 157, 240, 242, 291, 292, 293, 294, 295, 304, 306 Nourrice (Méd.), 90, 96, 123, 134, 152, 196, 197, 205, 213, 269, 275, 276, 277, 278, 293, 305, 310 Nourrice (Phèd.), 66, 79, 86, 131, 132, 141, 149, 157, 175, 176, 206, 210, 211, 213, 280, 282, 293 Octavie, 12 Œdipe (Œd.), 12, 73, 83, 86, 88, 96, 126, 143, 146, 173, 179, 247, 249, 260, 261, 262, 263, 267, 272, 297, 305 Œdipe (Phén.), 86, 118, 127, 169, 170, 174, 177, 219, 220, 221, 223, 226, 229, 260, 262, 265, 302, 305, 309 Oreste, 64, 102, 150, 153, 154, 184, 189 Ovide, 12, 38, 66, 67, 70, 82, 112, 122, 130, 230, 242, 281, 308 Pacuvius, 12 Phèdre, 12, 29, 31, 62, 63, 65, 66, 76, 79, 91, 98, 99, 100, 104, 107, 108, 120, 124, 126, 131, 132, 133, 134, 135,

350

INDICES

141, 149, 158, 165, 174, 175, 176, 182, 183, 205, 206, 207, 209, 211, 257, 270, 273, 279, 280, 281, 283, 296, 297, 306 Philoctète, 57, 61, 68, 104, 105, 106, 107, 238, 239, 243 Phorbas, 41, 246 Pirithoos, 88, 98, 205 Plaute, 38, 115, 168, 272 Plisthène, 251 Polybe, 69 Polynice, 12, 71, 128, 174, 219, 220, 221, 227, 228, 305 Polyxène, 12, 50, 65, 103, 122, 214, 215, 217, 218, 271, 284, 290, 304 Pylade, 184 Pyrrhus, 61, 65, 68, 122, 158, 159, 214, 215, 219 Sophocle, 238, 247, 249, 251, 285, 296 Strophius, 46, 65, 150, 151, 156, 186, 187, 189, 195, 304

Suétone, 160 Talthybius, 46, 214, 303 Tantale, 58, 129, 171, 252, 253, 254 Térence, 38, 113, 115, 272 Thésée (Herc. Fur.), 47, 52, 56, 59, 61, 69, 89, 126, 140, 145, 151, 164, 229, 230, 233, 238, 241, 253, 304 Thésée (Phèd.), 51, 56, 66, 88, 89, 98, 99, 100, 133, 135, 149, 173, 174, 177, 205, 210, 270, 272, 279, 281, 282 Thyeste, 12, 50, 57, 58, 68, 73, 76, 99, 101, 116, 123, 124, 160, 171, 181, 246, 251, 252, 253, 303 Tirésias, 46, 56, 144, 247, 248, 249, 272, 307 Ulysse, 29, 68, 85, 86, 87, 111, 118, 120, 121, 124, 125, 137, 148, 151, 158, 160, 168, 183, 208, 214, 215, 217, 218, 272, 283, 284, 286, 303, 305, 309 Varius, 12, 251 Virgile, 82, 121, 141, 160

INDICES351

Index Rerum Acteur/comédien, 11, 13, 37, 42, 121, 169, 300 Adultère, 99, 109, 129, 153, 182, 241 AFC, 19, 45, 58, 77, 178, 180, 188, 189, 195, 206, 227, 230, 232, 234, 238, 243, 246, 262, 273, 279, 290, 295, 310, 317 Amor, 126, 133, 211, 279, 280, 291 Analyse arborée, 19, 76, 186, 219, 310 Anapeste, 141, 207, 239, 261 Bûcher, 57, 104, 115, 158, 161, 166, 179, 239, 293 Chœurs, 16, 46, 47, 49, 50, 52, 81, 138, 159, 184, 200, 258, 260, 299 Corps, 31, 37, 80, 118, 197, 237 Critère thématique, 58, 74, 75, 178, 179, 180, 185, 207, 219, 262, 266, 270, 284, 286, 292, 296, 300, 302, 303 Datation, 12, 74, 195 Descente aux enfers, 52, 82, 98, 133, 141, 233, 236, 303 Deuil, 31, 71, 103, 104, 115, 125, 153, 244, 257, 266, 285, 296, 301 Divinisation, 12, 67, 107, 136, 158, 161, 241, 307 Dolor, 78, 84, 105, 113, 122, 137, 152, 179, 181, 199, 256, 263 Domus, 24, 30, 49, 137, 143, 147, 155, 167, 172, 276, 280, 304 Dramaturgie, 65, 191, 254, 256, 293 Émotion, 15, 30, 38, 72, 105, 114, 120, 124, 125, 128, 130, 131, 133, 158, 165, 171, 176, 177, 179, 182, 191, 192, 193, 194, 198, 199, 209, 218, 228, 231, 237, 242, 253, 263, 264, 268, 270, 271, 276, 278, 281, 289, 291, 295, 296, 301 Extispicine, 248, 249 Furor, 24, 29, 30, 63, 78, 99, 122, 125, 151, 152, 166, 181, 186, 200, 224, 230, 235, 263 Grotesque, 80, 114, 129, 161 Héritage, 108, 170, 177, 220, 226 Histogramme, 22, 116, 177 Inceste, 12, 108, 119, 127, 129, 154, 169, 224, 228, 247, 250, 267 Influence/inspiration, 15, 82, 111, 237, 242, 259, 300, 308 Intertextualité, 89, 159

Justice, 72, 200, 228, 277, 296 Lamentation, 38, 106, 112, 124, 126, 191, 192, 215, 226, 239, 243, 271, 287, 301 Locus horridus, 56, 80, 141, 248 Magie, 67, 71, 72, 156, 197, 199, 203, 302 Mal (le), 153, 255, 266 Mariage, 65, 67, 68, 91, 92, 95, 109, 136, 137, 194, 197, 201, 211, 217, 229, 278, 284, 289, 291, 301, 302, 308 Maternité, 102, 107, 157, 275, 301, 308 Messagers, 16, 42, 46, 47, 49, 50, 52, 55, 75, 76, 138, 141, 158, 175, 247, 258, 272, 293, 299, 303 Mètre, 46, 72, 244 Métrique, 300 Mode d’énonciation, 60, 75, 215, 230, 300 Nefas, 122, 124, 131, 152, 181, 186, 263 Nourrices, 16, 48, 54, 75, 77, 123, 138, 149, 152, 156, 205, 219, 253, 258, 293, 298, 304 Parenté, 70, 95, 169, 181, 229 Paternité, 73, 83, 95, 168, 278, 301, 302, 308 Pathétique, 114, 244 Performance, 36, 42, 104, 145, 156, 159, 216, 218, 236, 250, 259, 297, 300, 305 Performativité, 64, 124, 235 Pietas, 179, 181, 203, 211 Politique, 12, 69, 74, 128, 135, 136, 142, 172, 200, 201, 222, 254, 266, 276, 278 Posture, 38, 141, 144, 148, 151, 156, 160, 162, 165, 170, 173, 182, 186, 192, 198, 202, 231, 238, 240, 243, 244, 245, 270, 276, 278, 280, 286, 287, 292, 293, 295, 297, 303, 304, 305 Pouvoir (le), 26, 63, 69, 88, 97, 102, 119, 128, 150, 152, 156, 171, 179, 186, 195, 198, 200, 213, 221, 222, 227, 236, 266 Prologue, 17, 51, 65, 74, 93, 118, 129, 141, 149, 172, 173, 179, 188, 190, 193, 197, 207, 230, 235, 242, 250, 252, 254, 258, 259, 300 Public (le), 14, 34, 38, 42, 49, 56, 63, 66, 80, 90, 104, 106, 114, 141, 142, 143, 159, 161, 168, 172, 191, 200, 221, 225, 239, 241, 250, 254, 255, 259, 264, 266, 270, 284, 287, 290, 298, 303

352

INDICES

Réalisme, 14, 20, 130, 142, 161, 222, 244, 247 Rhétorique, 13, 79, 136, 142, 198, 213, 236, 248 Rituel, 72, 244, 249 Sacrifice, 12, 50, 56, 65, 68, 72, 93, 102, 109, 120, 124, 153, 158, 187, 248, 249, 306 Sententia, 90, 176, 179, 198, 213, 217, 223, 253 Source, 14, 238, 247 Spécificités, 19, 22, 61, 75, 139, 282, 303 Spectacle, 16, 38, 42, 245, 247 Stichomythie, 92, 179, 198, 232 Stoïcisme, 21, 30, 32, 34, 69, 78, 87, 117, 119, 136, 173, 209, 255

Suasoria, 152, 212 Tension dramatique, 101, 103, 112, 115, 133, 134, 150, 168, 198, 205, 228, 244, 266, 309 Thème, 23, 102, 166, 310 Transmission, 108, 170, 177, 282, 301, 302, 308 Trimètre iambique, 72, 104, 260 Tyran, 63, 69, 119, 128, 235, 302 Vengeance, 12, 72, 129, 135, 144, 156, 160, 166, 175, 203, 231, 237, 242, 256, 275, 280 Voix, 13, 38, 105, 300

Table des figures Chapitre I Figure 1 : Histogramme de la distribution de femina dans la base Sénèque...................................................................................  22 Figure 2 : AFC des lemmes entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau entier)........................................................ 45 Figure 3 : AFC des codes grammaticaux entre les 71 personnages de Personnages (tableau entier).................................................. 46 Figure 4 : AFC des 20 lemmes les plus fréquents entre les 71 personnages de la base Personnages...............................................  48 Figure 5 : AFC des 20 substantifs les plus fréquents entre les 71 personnages de la base Personnages..........................................  49 Figure 6 : Analyse factorielle des modes verbaux entre les 71 personnages de la base Personnages...............................................  51 Figure 7 : AFC des 4 temps verbaux principaux entre les 71 personnages de la base Personnages...............................................  52 Figure 8 : Analyse factorielle des pronoms entre les 71 personnages de la base Personnages...............................................................  53 Figure 9 : Analyse factorielle des personnes entre les 71 personnages de la base Personnages..........................................................  54 Figure 10 : Analyse factorielle des cas entre les 71 personnages de la base Personnages...................................................................  54 Figure 11 : AFC des lemmes (fréquences) entre les 38 personnages de la base Personae (tableau entier).......................................... 58 Figure 12 : AFC des lemmes (présence/absence) entre les 38 personnages de Personae (tableau entier).................................................. 59 Figure 13 : AFC des codes grammaticaux (présence/absence) entre les 38 personnages de Personae..................................................  60 Figure 14 : AFC des codes grammaticaux (fréquences) entre les 38 personnages de la base Personae. ..............................................  61 Chapitre II Figure 1 : Analyse arborée des lemmes entre les cinq catégories de personnages de la base Rôles. ....................................................  Figure 2 : Analyse arborée des codes grammaticaux entre les 5 catégories de personnages de la base Rôles.................................... 

77 77

354

TABLE DES FIGURES

Figure 3 : Histogramme de la distribution du lemme miser entre les 71 personnages de Personnages.................................................  116 Figure 4 : Histogramme de la distribution du lemme dolor entre les 71 personnages de Personnages.................................................  123 Chapitre III Figure 1 : Histogramme de la distribution de l’ablatif entre les 38 personnages de la base Personae. ..............................................  140 Figure 2 : Configurations des rencontres entre personnages émetteurs et récepteurs dans les scènes dites de transfert..................... 144 Figure 3 : Histogramme de la distribution de l’adjectif entre les 38 personnages de la base Personae. ..............................................  145 Figure 4 : Histogramme de la distribution des formes verbales à la 2ème personne entre les 38 personnages de la base Personae......  163 Figure 5 : Histogramme de la distribution du vocatif entre les 38 personnages de la base Personae. ..............................................  163 Figure 6 : Histogramme de la distribution, entre les 38 personnages de la base Personae, de la 2ème personne et de tu et tuus réunis.164 Figure 7 : Analyse factorielle des corrélats sur les discours masculins.178 Figure 8 : Analyse factorielle des corrélats sur les discours féminins... 180 Chapitre IV Figure 1 : Analyse factorielle des lemmes dans l’Agamemnon (tableau lexical entier)........................................................................... 185 Figure 2 : Analyse arborée des lemmes dans l’Agamemnon.................. 186 Figure 3 : Analyse factorielle des trois personnes dans l’Agamemnon.189 Figure 4 : Analyse factorielle des graphies dans Médée (tableau lexical entier)...................................................................................... 195 Figure 5 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans Médée (tableau grammatical entier).................................................. 196 Figure 6 : Analyse factorielle des modes verbaux dans Médée.............. 202 Figure 7 : Analyse factorielle des graphies dans Phèdre (tableau lexical entier)................................................................................ 206 Figure 8 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans Phèdre (tableau grammatical entier).................................................. 206 Figure 9 : Analyse factorielle des catégories grammaticales dans Phèdre...................................................................................... 210 Figure 10 : Analyse factorielle des lemmes dans les Troyennes (tableau lexical entier – axes 1 et 3)..................................................... 214 Figure 11 : AFC des codes grammaticaux dans les Troyennes (tableau grammatical entier – axes 1 et 2)........................................... 214



TABLE DES FIGURES355

Figure 12 : Analyse factorielle des catégories grammaticales dans les Troyennes................................................................................ 215 Figure 13 : Analyse arborée des lemmes dans les Phéniciennes.............. 220 Figure 14 : Analyse arborée des codes grammaticaux dans les Phéniciennes..................................................................................... 220 Figure 15 : Analyse factorielle des personnes dans les Phéniciennes...... 227 Figure 16 : Analyse factorielle des lemmes dans l’Hercule Furieux (tableau lexical entier)............................................................ 230 Figure 17 : Analyse factorielle des 20 substantifs les plus fréquents dans l’Hercule Furieux.................................................................... 232 Figure 18 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule Furieux (tableau grammatical entier)................................................................. 234 Figure 19 : Analyse factorielle des catégories grammaticales dans l’Hercule Furieux............................................................................. 234 Figure 20 : Analyse factorielle des lemmes dans l’Hercule sur l’Œta (tableau lexical entier)............................................................ 238 Figure 21 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule sur l’Œta (tableau grammatical entier).................................................. 243 Figure 22 : Analyse factorielle des lemmes dans l’Œdipe (tableau lexical entier)...................................................................................... 246 Figure 23 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans l’Œdipe (tableau grammatical entier).................................................. 246 Figure 24 : Analyse factorielle des lemmes dans le Thyeste (tableau lexical entier)........................................................................... 252 Figure 25 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans le Thyeste (tableau grammatical entier).................................................. 253 Chapitre V Figure 1 : Analyse factorielle des graphies dans la base Prol (tableau lexical entier)........................................................................... 262 Figure 2 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans la base Prol (tableau grammatical entier)......................................... 262 Figure 3 : Analyse factorielle des dix substantifs les plus fréquents dans la base Prol............................................................................  265 Figure 4 : Analyse factorielle des modes verbaux dans la base Prol. ..  267 Figure 5 : Analyse factorielle des lemmes dans la base Interlocuteurs (tableau lexical entier)............................................................ 273 Figure 6 : Analyse factorielle des lemmes dans Médée (tableau lexical entier)...................................................................................... 274 Figure 7 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans Médée (tableau grammatical entier).................................................. 274

356

TABLE DES FIGURES

Figure 8 : Analyse factorielle des lemmes dans Phèdre (tableau lexical entier)...................................................................................... 279 Figure 9 : Analyse factorielle des codes grammaticaux dans Phèdre (tableau grammatical entier).................................................. 279 Figure 10 : Analyse factorielle des lemmes dans les Troyennes (tableau lexical entier – axes 1 et 3)..................................................... 283 Figure 11 : AFC des codes grammaticaux dans les Troyennes (tableau grammatical entier – axes 1 et 2)........................................... 284 Figure 12 : Analyse factorielle des lemmes dans l’Hercule sur l’Œta (tableau lexical entier)............................................................ 290 Figure 13 : AFC des codes grammaticaux dans l’Hercule sur l’Œta (tableau grammatical entier).................................................. 291 Annexes Annexe I, 3 : AFC des lemmes entre les 71 personnages de Personnages (tableau entier – axes 1 et 3)................................... 360 Annexe I, 4 : AFC des codes grammaticaux entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau grammatical entier – axes 1 et 3)...................................................................................... 360

ANNEXES Annexe I, 1 :  Environnement thématique de femina dans la base Sénèque Femina dans les lettres de consolation

Femina dans les tragédies

Lemmes

Écarts

Occ.

Cooc.

Lemmes

Écarts

Occ.

Cooc.

uir

3,81

46

8

mitis

3,95

13

3

muliebris

3,79

9

4

uirilis

3,52

5

2

exemplum

3,68

27

6

cohibeo

3,25

8

2

Lucretia

3,25

2

2

stuprum

2,96

13

2

Cloelia

3,25

2

2

uir

2,70

61

3

secretus

2,95

3

2

furor1

2,67

63

3

familia

2,95

3

2

gero

2,56

71

3

ambitiosus

2,95

3

2

Iuno

2,55

25

2

tu

2,81

318

20

turpis

2,41

31

2

impono

2,81

11

3

domo

2,34

34

2

Brutus

2,81

11

3

manus1

2,33

332

6

uro

2,74

4

2

nouerca

2,28

37

2

patrimonium

2,74

4

2

dux

2,22

40

2

comes

2,74

4

2

odium

2,19

42

2

noster

2,73

36

5

pateo

2,17

43

2

potentia

2,73

12

3

cado

2,16

107

3

mater

2,53

27

4

gens

2,15

44

2

refero

2,33

18

3

herculeusa

2,04

51

2

libertas

2,33

7

2

o

2,02

122

3

maeror

2,23

8

2

urbs

2,01

53

2

debeo

2,02

24

3

358

ANNEXES

Annexe I, 2  :  liste des personnages par tragédie et abréviations Noms des personnages

Codes P ersonnages Codes P ersonae

Agamemnon Clytemnestre Cl_A Cly_Ag Le Fantôme de Thyeste TU_A Égisthe Eg_A Aeg_Ag Agamemnon Ag_A Ag_Ag Strophius St_A Cassandre Ca_A Cas_Ag Nourrice N_A Eurybate Eu_A Électre El_A Elect_Ag Chœur des Mycéniennes CI_A Chœur des Troyennes CII_A Hercule Furieux Hercule H_HF Herc_HF Lycus L_HF Lyc_HF Amphitryon Am_HF Amph_HF Junon J_HF Thésée Th_HF Thes_HF Mégare M_HF Meg_HF Chœur C_HF Hercule sur l’Œta Hercule H_HO Herc_HO Iole Io_HO Iol_HO Nourrice N_HO Déjanire D_HO Dej_HO Hyllus Hy_HO Hyl_HO Alcmène A_HO Alc_HO Philoctète Ph_HO Phil_HO Chœur des femmes Étoliennes CI_HO Chœur des jeunes filles Œchaliennes CII_HO Médée Médée Md_M Med_Med Nourrice N_M Créon Cr_M Cre_Med Jason J_M Jas_Med Messager Ms_M Chœur Ch_M Œdipe Œdipe Jocaste Créon

Oe_O Oed_Oed Jc_O Joc_Oed Cr_O Cre_Oed

ANNEXES359

Tirésias Tr_O Mantô Mn_O Mant_Oed Le vieillard Corinthien Sx_O Messager Ms_O Chœur C_O Phorbas (muet) Phèdre Hippolyte Hp_F Hip_Ph Phèdre Ph_F Phed_Ph Nourrice N_F Chœur C_F Thésée Th_F Thes_Ph Messager Ms_F Phéniciennes Œdipe Oe_P Oed_Po Antigone An_P Antig_Po Messager Ms_P Jocaste Jc_P Joc_Po Garde Sa_P Polynice Po_P Étéocle Thyeste Thyeste Th_Th Thy_Th Atrée At_Th Atr_Th Le fantôme de Tantale TU_Th Furie Fu_Th Courtisan Sa_Th Tantale TA_Th Tant_Th Messager Ms_Th Chœur C_Th Troyennes Andromaque An_Tr Andr_Tr Pyrrhus  Py_Tr Pyr_Tr Hécube Hc_Tr Hec_Tr Agamemnon Ag_Tr Ag_Tr Ulysse Ul_Tr Uly_Tr Talthybius Ta_Tr Calchas Vieillard Sx_Tr Hélène Hl_Tr Hel_Tr Messager Ms_Tr Astyanax Chœur C_Tr

360

ANNEXES

Annexe I, 3  :  Analyse factorielle des lemmes entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau lexical entier – axes 1 et 3)

Annexe I, 4  :  Analyse factorielle des codes grammaticaux entre les 71 personnages de la base Personnages (tableau grammatical entier – axes 1 et 3)

ANNEXES361

Annexe I, 5  : Lemmes spécifiques des 38 personnages de la base Personae1 1.  HERCULE FURIEUX Amphitryon (HF) N° Écart Corpus Texte Mot 19 3.6 19 3.5 19 3.1 19 3.0 19 3.0 19 3.0 19 3.0 19 2.7 19 2.7 19 2.7 19 2.6 19 2.6 19 2.6 19 2.6 19 2.6 19 2.6 19 2.6 19 2.5 19 2.5 19 2.5 19 2.5 19 2.5 19 2.5 19 2.4 19 2.4 19 2.4 19 2.3 19 2.3 19 2.3 19 2.3 19 2.3 19 2.3 19 2.3 19 2.2 19 2.2 19 2.2 19 2.2 19 2.2 19 2.2 19 2.1 19 2.1 19 2.1

34 25 24 8 8 8 8 11 11 10 74 4 4 4 4 161 108 5 5 5 5 23 13 39 15 15 6 6 6 41 29 28 239 7 7 31 31 17 110 8 8 8

7 6 5 3 3 3 3 3 3 3 8 2 2 2 2 13 10 2 2 2 2 4 3 5 3 3 2 2 2 5 4 4 16 2 2 4 4 3 9 2 2 2

POST2 QVO3 FESSVS OPVS1 INFANS1 FRVCTVS BIS SVBITVS STATVO FAMA PECTVS PASTOR MAGNANIMVS DEPREHENDO DECORVS NATVS1 AVT SVPERO STABVLVM SANVS BLANDVS TIMOR RECTOR LABOR1 LVMEN FINIS MOTVS MANO AMPLECTOR SEMPER TREMO SOLEO MANVS1 OBVIVS INTVEOR MONSTRVM ASSVM1 EDO1 AD2 VISVS TENER SOLLICITVS

19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.1 19 2.0 19 2.0 19 2.0 19 2.0 19 2.0 19 2.0

8 8 8 8 8 8 8 32 20 20 19 9 9 9 84 35 21

2 2 2 2 2 2 2 4 3 3 3 2 2 2 7 4 3

REMOVEO MISERANDVS IVSTVS IGNEVS DECIPIO ASPECTVS ACIES CAREO PARVM2 NOBILIS2 THEBAE@ PRONVS OPPRIMO ABSVM1 CAPVT HERCVLEVSA IVS1

Hercule (HF) N° Écart Corpus Texte Mot 20 5.2 20 4.7 20 3.5 20 3.5 20 3.4 20 3.3 20 3.3 20 3.2 20 3.1 20 3.1 20 3.1 20 2.8 20 2.8 20 2.6 20 2.6 20 2.6 20 2.6 20 2.6 20 2.5 20 2.5 20 2.5 20 2.5 20 2.5 20 2.5 20 2.5 20 2.5

15 10 59 39 23 5 34 26 58 470 12 80 70 38 18 134 10 10 78 54 4 4 4 4 4 4

8 6 10 8 6 3 7 6 9 37 4 10 9 6 4 13 3 3 9 7 2 2 2 2 2 2

THESEVS@ LYCVS@ ARMA LABOR1 VNDE2 DIFFERO CVR VBI2 GENITOR QVIS1 SPATIVM CAELVM1 DEXTERA PHOEBVS@ ARCVS NOSTER VICTIMA CREMO LOCVS OS1 TERTIVS REVOCO PORTA OBERRO2 INIMICVS2 CERBERVS@

  Dans l’ordre de l’édition des Belles Lettres et ensuite dans l’ordre alphabétique des personnages. 1

362

ANNEXES

20 2.5 4 2 ARBOR 20 2.5 4 2 AMPLVS 20 2.5 11 3 REFVGIO 20 2.5 11 3 ORTVS 20 2.5 11 3 NVMQVID 20 2.4 56 7 TELLVS 20 2.4 5 2 SECVNDVS1 20 2.4 5 2 OPIMVS 20 2.4 5 2 OBTINEO 20 2.4 5 2 NERVVS 20 2.4 5 2 ARVNDO 20 2.4 3169 173 . 20 2.4 12 3 SAGITTA 20 2.3 88 9 QVISQVIS1 20 2.3 59 7 TELVM 20 2.3 48 6 MVNDVS1 20 2.3 46 6 QVIS2 20 2.3 24 4 DIGNVS 20 2.3 23 4 LATEO 20 2.3 14 3 INFERI 20 2.3 14 3 ETIAM 20 2.3 13 3 PROPE1 20 2.2 6 2 LERNAEVSA 20 2.2 51 6 IVPPITER@ 20 2.2 15 3 TRVX 20 2.2 15 3 CAEDO 20 2.1 7 2 VINDICO 20 2.1 7 2 STIPES 20 2.1 53 6 TANTVS 20 2.1 41 5 HVC 20 2.1 39 5 IMPIVS 20 2.1 27 4 VACO 20 2.1 17 3 INFERNVS 20 2.1 17 3 IGNOTVS 20 2.1 16 3 PVER 20 2.1 16 3 FVNDO2 20 2.0 8 2 SEV2 20 2.0 8 2 REVERTOR 20 2.0 8 2 CITHAERON@ 20 2.0 165 13 OMNIS Lycus (HF) N° Écart Corpus Texte Mot 21 3.2 21 3.1 21 2.9 21 2.8 21 2.8 21 2.8 21 2.7 21 2.7 21 2.6

4 86 43 7 7 46 51 27 150

2 6 4 2 2 4 4 3 7

PERTINAX REX SCEPTRVM REGALIS INVIDIA GENVS1 BELLVM REGO SED

21 2.5 21 2.5 21 2.5 21 2.5 21 2.5 21 2.4 21 2.3 21 2.3 21 2.2 21 2.2 21 2.2 21 2.1 21 2.1 21 2.1 21 2.1 21 2.1 21 2.1

59 59 12 11 11 34 41 16 44 334 116 51 21 21 21 20 20

4 4 2 2 2 3 3 2 3 10 5 3 2 2 2 2 2

PREMO ARMA FAMVLVS1 STRINGO ABNVO SCIO VICTOR DISCO PATIOR NON ANIMVS IVPPITER@ VESTIS PRO1 INCLVTVS NOBILIS2 LOQVOR

Mégare (HF) N° Écart Corpus Texte Mot 4 2.9 6 4 2.8 8 4 2.8 8 4 2.8 49 4 2.6 58 4 2.6 30 4 2.5 34 4 2.5 12 4 2.4 412 4 2.4 146 4 2.4 14 4 2.3 191 4 2.3 17 4 2.3 17 4 2.3 109 4 2.2 81 4 2.2 20 4 2.2 20 4 2.2 20 4 2.1 92 4 2.1 54 4 2.1 23 4 2.1 22 4 2.1 21 4 2.0 56 4 2.0 24 4 2.0 24 4 2.0 24 4 2.0 24 4 2.0 134 21 2.0 90

2 2 2 4 4 3 3 2 12 6 2 7 2 2 5 4 2 2 2 4 3 2 2 2 3 2 2 2 2 5 4

DOMINOR SOLITVS REDITVS VIA CVM2 LONGVS VIRTVS VT2 TV REGNVM PRIVS TVVS TENDO LENTVS AC1 FRATER LOQVOR LAR@ ITER CONIVX SANGVIS PAX RVMPO QVALIS1 TRAHO TALIS RES GEMINVS CLAVDO1 NOSTER EX

ANNEXES363

Thésée (HF) N° Écart Corpus Texte Mot 22 4.5 22 4.0 22 3.8 22 3.1 22 3.0 22 2.9 22 2.9 22 2.9 22 2.9 22 2.9 22 2.9 22 2.8 22 2.8 22 2.7 22 2.7 22 2.7 22 2.7 22 2.6 22 2.6 22 2.6 22 2.6 22 2.6 22 2.6 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.5 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.4 22 2.3 22 2.3 22 2.3 22 2.3 22 2.3 22 2.3 22 2.3 22 2.2 22 2.2

27 51 20 10 804 4 4 4 4 4 12 27 13 5 16 16 15 6 6 6 6 6 32 7 7 7 7 7 55 35 35 20 19 8 8 8 8 8 8 38 22 9 9 9 9 9 84 24 27 11

7 8 5 3 35 2 2 2 2 2 3 4 3 2 3 3 3 2 2 2 2 2 4 2 2 2 2 2 5 4 4 3 3 2 2 2 2 2 2 4 3 2 2 2 2 2 6 3 3 2

SEDEO VMBRA CANIS PVPPIS QVE RESVMO NITOR1 IRRITVS HORRENDVS AER SPATIVM INGENS SERVS LETHE@ VADVM AMNIS LVMEN PALVS2 OPACVS ILLIC2 FOEDVS2 ANTRVM GRADVS TORPEO RICTVS LVDO LATEX FAVX QVOQVE VASTVS HIC2 LAETVS2 DIS@ SVBMITTO INERS HVMANVS CAPAX ASPECTVS ACIES VNDA TVM PRONVS IMMINEO FONS ATTOLLO ABDITVS CAPVT DOMINVS SOLVO PENDEO

22 2.2 22 2.2 22 2.2 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.1 22 2.0 22 2.0 22 2.0 22 2.0

11 10 10 51 30 30 28 13 13 12 12 12 12 12 31 14 14 14

2 2 2 4 3 3 3 2 2 2 2 2 2 2 3 2 2 2

DENSVS VACVVS FACIES GERO TEGO LONGVS SOLEO SEGNIS LITVS TVNC TERREO STYGIVSA PRAEBEO FVRENS OCVLVS VBI1 IMMENSVS FRONS1

2.  LES TROYENNES Agamemnon (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 18 3.3 12 2 FAMVLVS1 18 2.9 412 6 TV 18 2.8 28 2 SPOLIVM 18 2.7 32 2 TROIA@ 18 2.6 41 2 VICTOR 18 2.2 3169 18 . 18 2.1 85 2 TERRA Andromaque (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 14 7.1 14 5.3 14 5.0 14 4.5 14 4.1 14 3.8 14 3.6 14 3.6 14 3.5 14 3.4 14 3.4 14 3.3 14 3.2 14 3.2 14 3.2 14 3.2

33 18 21 15 32 6 19 12 20 88 14 23 5 24 16 10

16 9 9 7 9 4 6 5 6 13 5 6 3 6 5 4

HECTOR@ DANAI@ TVMVLVS VLIXES@ TROIA@ SVMO PHRYGES@ CELSVS CONDO MISER STERNO PES PERPETIOR CINIS PVER HECVBA@

364 14 3.0 14 2.9 14 2.9 14 2.9 14 2.9 14 2.8 14 2.7 14 2.7 14 2.7 14 2.7 14 2.6 14 2.6 14 2.6 14 2.6 14 2.6 14 2.5 14 2.4 14 2.4 14 2.4 14 2.4 14 2.4 14 2.4 14 2.3 14 2.3 14 2.3 14 2.3 14 2.3 14 2.2 14 2.2 14 2.2 14 2.2 14 2.2 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.1 14 2.0 14 2.0 14 2.0 14 2.0 14 2.0 14 2.0

ANNEXES

6 39 21 20 13 7 91 8 23 15 35 26 17 16 133 10 53 4 4 4 4 19 54 5 5 5 470 57 24 23 23 14 6 6 6 6 6 6 6 6 6 6 26 15 15 15 116 100 90 7 7 7 16 16

3 7 5 5 4 3 11 3 5 4 6 5 4 4 14 3 7 2 2 2 2 4 7 2 2 2 35 7 4 4 4 3 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 4 3 3 3 11 10 9 2 2 2 3 3

PASSIM PARVVS2 QVALIS1 FLETVS PYRRHVS@ IDAEVSA O SPARSVS LATEO SOMNVS VASTVS AVDEO QVIDEM SPES MAGNVS GRAIVSA SIC TROICVSA PATIENS MORSVS LACRIMO PATRIVS HABEO BVSTVM BELLICVS ACCIDO1 QVIS1 AN TALIS SEDES QVISQVAM GAVDEO TRANSEO1 SVBEO1 REGIO PROFVNDVS OSCVLVM NECTO MINOR INDOLES CELEBRO ANDROMACHA@ NEX MATERNVS CARVS AFFLICTVS2 ANIMVS TIMEO EX TORPEO SERVIO HEV PONDVS OPS

14 2.0 16 14 2.0 134

3 12

EVERTO MATER

Hécube (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 15 5.0 15 4.4 15 3.9 15 3.8 15 3.8 15 3.8 15 3.3 15 3.3 15 3.0 15 3.0 15 3.0 15 3.0 15 2.8 15 2.8 15 2.8 15 2.8 15 2.7 15 2.7 15 2.7 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.6 15 2.5 15 2.5 15 2.5 15 2.4 15 2.4 15 2.4 15 2.4 15 2.4 15 2.4 15 2.3 15 2.3 15 2.3 15 2.3 15 2.3 15 2.2 15 2.2 15 2.2 15 2.2 15 2.2 15 2.2 15 2.2

21 32 10 5 5 33 30 18 58 273 24 23 5 29 15 14 32 17 17 6 6 6 6 6 55 19 18 7 7 7 9 9 8 8 334 110 46 46 26 25 10 29 28 27 12 12 11 11

7 7 4 3 3 6 5 4 6 15 4 4 2 4 3 3 4 3 3 2 2 2 2 2 5 3 3 2 2 2 2 2 2 2 15 7 4 4 3 3 2 3 3 3 2 2 2 2

PRIAMVS@ TROIA@ HECVBA@ CASSANDRA@ ACCIDO1 HECTOR@ FLEO FERIO STO MEVS DOMINVS ACHILLES@ ITHACVSA PATRIA VLIXES@ PLANCTVS TVRBA NATA ARDEO VRNA TEPIDVS PALMA CAPTIVVS2 AGE SOLVS PHRYGES@ PRAEDA MACVLO LACERTVS1 INIQVVS2 FALLAX DIVIDO ILIVM@ CONIVGIVM NON AD2 VENIO QVICVMQVE1 QVAM2 LVCTVS CLASSIS MANES@ COMES RATIS MILLE HVMERVS MVRVS DECEM

ANNEXES365

15 2.1 15 2.1 15 2.1 15 2.1 15 2.1 15 2.1 15 2.1 15 2.0 15 2.0 15 2.0 15 2.0

55 32 14 14 13 13 105 57 15 15 15

4 3 2 2 2 2 6 4 2 2 2

SEQVOR CAEDES VETVS OPTO PYRRHVS@ INFELIX VINCO AN RVINA REMITTO QVIES

Hélène (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 16 4.1 16 3.6 16 3.3 16 3.3 16 3.2 16 3.2 16 3.0 16 3.0 16 2.9 16 2.9 16 2.8 16 2.8 16 2.7 16 2.6 16 2.6 16 2.6 16 2.5 16 2.5 16 2.5 16 2.5 16 2.4 16 2.4 16 2.4 16 2.3 16 2.3 16 2.3 16 2.3 16 2.1 16 2.1 16 2.0

7 13 5 5 6 22 8 59 9 10 11 11 43 90 44 17 20 20 19 18 60 23 21 27 26 24 24 412 133 37

3 3 2 2 2 3 2 4 2 2 2 2 3 4 3 2 2 2 2 2 3 2 2 2 2 2 2 8 4 2

IVDEX PYRRHVS@ PARIS@ CAPTIVA ANDROMACHA@ SORS HELENA@ CAPIO2 CVLTVS1 LVGEO DEA CAMPVS1 CAVSA GRAVIS PATIOR NVRVS INVISVS1 ANTE2 SINE PRAEDA IVBEO ACHILLES@ PRIAMVS@ FLECTO CASVS MAGIS2 DOMINVS TV MAGNVS COGO

Pyrrhus (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 37 6.4 37 3.5 37 3.1 37 2.9 37 2.8

23 53 21 52 59

8 5 3 4 4

ACHILLES@ TANTVS PRIAMVS@ METVS NE2

37 2.8 37 2.7 37 2.7 37 2.7 37 2.6 37 2.6 37 2.6 37 2.6 37 2.4 37 2.4 37 2.3 37 2.3 37 2.3 37 2.3 37 2.3 37 2.2 37 2.1 37 2.1 37 2.1 37 2.1 37 2.1 37 2.0

216 99 33 11 13 12 12 109 18 17 86 513 51 48 20 23 62 59 27 27 25 29

8 5 3 2 2 2 2 5 2 2 4 12 3 3 2 2 3 3 2 2 2 2

DO SVVS HECTOR@ IDEM PYRRHVS@ MERITVM FACTVM AC1 ANNVS NATA REX QVI1 BELLVM DVM2 NOBILIS2 ROGO CADO CAPIO2 PAR2 FORTIS CLADES NOSCO

Ulysse (Troy.) N° Écart Corpus Texte Mot 38 5.4 38 4.6 38 4.4 38 4.4 38 3.7 38 3.5 38 3.1 38 3.0 38 3.0 38 2.9 38 2.8 38 2.8 38 2.8 38 2.7 38 2.7 38 2.7 38 2.6 38 2.6 38 2.6 38 2.6 38 2.5 38 2.5 38 2.5 38 2.4 38 2.4 38 2.4 38 2.3 38 2.3

8 15 9 18 33 10 4 36 35 6 7 23 100 8 8 8 53 29 10 10 58 11 11 34 133 12 16 134

5 5 4 5 5 3 2 4 4 2 2 3 6 2 2 2 4 3 2 2 4 2 2 3 6 2 2 6

CALCHAS@ VLIXES@ ERVO DANAI@ HECTOR@ CLASSIS QVONIAM VERBVM MOVEO CELO STATIM DICO2 TIMEO SOLLICITVS PELASGVSA MAEREO TAMEN QVOD2 RESPICIO ADMOVEO FIDES2 MVRVS DECEM POST2 MAGNVS STIRPS PVER MATER

366 38 2.2 38 2.2 38 2.2 38 2.2 38 2.1 38 2.1 38 2.1 38 2.1 38 2.1 38 2.1 38 2.0 38 2.0

ANNEXES

501 18 17 17 21 21 20 20 20 19 52 22

14 2 2 2 2 2 2 2 2 2 3 2

HIC1 INFERVS QVIDEM DE TVMVLVS FRAVS PERGO MANEO FLETVS PHRYGES@ METVS SORS

3.  LES PHÉNICIENNES Antigone (Phén.) N° Écart Corpus Texte Mot 12 3.8 12 3.8 12 3.6 12 3.4 12 3.3 12 3.2 12 3.1 12 2.8 12 2.8 12 2.8 12 2.7 12 2.7 12 2.6 12 2.6 12 2.6 12 2.6 12 2.6 12 2.5 12 2.4 12 2.4 12 2.2 12 2.1 12 2.1 12 2.1 12 2.1 12 2.1 12 2.1 12 2.0

58 412 44 107 4 35 40 9 334 162 29 10 34 12 11 11 11 501 74 15 52 26 24 23 146 143 140 27

6 16 5 7 2 4 4 2 11 7 3 2 3 2 2 2 2 13 4 2 3 2 2 2 5 5 5 2

GENITOR TV VOLO3 VT4 QVARE2 HIC2 VITA OBSTO NON POSSVM1 PATRIA ROBVR AVFERO PRIOR SIGNVM QVO2 INVITVS HIC1 PECTVS NVDVS MORIOR NEMO CVPIO QVISQVAM REGNVM MALVM1 PETO REGO

Jocaste (Phén.) N° Écart Corpus Texte Mot 13 4.7 51

11

BELLVM

13 4.0 13 3.9 13 3.7 13 3.5 13 3.5 13 3.4 13 3.2 13 3.2 13 3.1 13 3.1 13 3.0 13 3.0 13 3.0 13 2.9 13 2.9 13 2.8 13 2.8 13 2.7 13 2.7 13 2.7 13 2.7 13 2.7 13 2.7 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.6 13 2.5 13 2.5 13 2.5 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.4 13 2.3 13 2.3 13 2.3 13 2.3 13 2.3 13 2.3 13 2.2 13 2.2

59 29 81 50 134 20 33 146 7 140 8 8 16 9 55 73 10 4 22 11 11 11 109 51 36 24 23 23 13 12 12 12 5 39 14 6 6 6 6 6 6 6 6 40 28 7 7 7 513 29 29 8 8

10 7 11 8 14 5 6 14 3 13 3 3 4 3 7 8 3 2 4 3 3 3 10 6 5 4 4 4 3 3 3 3 2 5 3 2 2 2 2 2 2 2 2 5 4 2 2 2 28 4 4 2 2

ARMA PATRIA FRATER HINC MATER LICET3 VTERQVE VIDEO MARS@ PETO THEBANVSA FAVEO EXSILIVM MILES NEFAS SVI1 OPPONO GLADIVS DVO PENATES@ CIVIS ALTER FACIO GERO NOCENS BONVS ROGO DICO2 PROPE1 NE3 ERROR ALIENVS2 COMITOR PONO GENER QVASSO PASSIM PALMA MOENIA IS CERES@ CADMVS@ AFFECTVS1 FIO PIETAS SVI2 PAENE DECERNO QVI1 SOLVM1 QVOD2 REDITVS AVXILIVM

ANNEXES367

13 2.2 13 2.2 13 2.2 13 2.2 13 2.2 13 2.1 13 2.1 13 2.1 13 2.1 13 2.0 13 2.0 13 2.0 13 2.0 13 2.0

8 64 33 19 18 9 9 9 34 501 191 10 10 10

2 6 4 3 3 2 2 2 4 26 12 2 2 2

ACIES FERRVM PLACEO THEBAE@ PIVS NIX AVERTO ABSVM1 TOT HIC1 TVVS OCCVRRO ANTE1 ADMOVEO

Œdipe (Phén.) N° Écart Corpus Texte Mot 32 4.9 32 4.5 32 3.8 32 3.4 32 3.4 32 3.3 32 3.2 32 3.0 32 3.0 32 3.0 32 2.9 32 2.8 32 2.8 32 2.7 32 2.7 32 2.7 32 2.7 32 2.7 32 2.7 32 2.6 32 2.6 32 2.6 32 2.6 32 2.6 32 2.5 32 2.4 32 2.4 32 2.3 32 2.3 32 2.3 32 2.3 32 2.3 32 2.3 32 2.3 32 2.3

14 38 26 17 103 5 426 7 7 22 8 26 17 9 28 28 27 18 149 4 4 4 273 11 161 5 5 96 6 6 6 513 501 50 36

7 10 7 5 13 3 33 3 3 5 3 5 4 3 5 5 5 4 14 2 2 2 21 3 14 2 2 9 2 2 2 33 32 6 5

VBI1 QVA1 NEMO NATA MORS OCCIDO2 EGO OEDIPVS@ AEQVVM PATERNVS CITHAERON@ DVCO HAEREO ERVO FACINVS BENE SOLVO EXIGO PATER HAVSTVS DIRIGO ABSTRVDO MEVS QVO2 SCELVS VBICVMQVE1 ADITVS PARENS1 NOXIVS EXTRAHO ABICIO QVI1 HIC1 NOVVS VERBVM

32 2.3 32 2.2 32 2.2 32 2.2 32 2.2 32 2.2 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.1 32 2.0 32 2.0 32 2.0

24 67 55 54 27 26 7 7 7 7 56 30 18 18 8 8 31

4 7 6 6 4 4 2 2 2 2 6 4 3 3 2 2 4

TANDEM POENA QVOQVE ALIQVIS ADHVC NEX SPHINX@ LIBENS INFANS2 CONSCIVS ALTVS VLLVS RVPES PIVS INERS DISCEDO1 VIRGO

4. MÉDÉE Créon (Méd.) N° Écart Corpus Texte Mot 26 3.4 26 3.0 26 2.9 26 2.9 26 2.8 26 2.7 26 2.7 26 2.7 26 2.7 26 2.6 26 2.6 26 2.5 26 2.4 26 2.4 26 2.4 26 2.3 26 2.2 26 2.1 26 2.1 26 2.1 26 2.0

5 11 43 12 14 17 17 17 16 21 21 23 28 27 26 34 35 41 107 106 49

2 2 3 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 3 3 2

LIBERO QVEROR CAVSA EQVIDEM GENER SVPPLICIVM PROCVL NOTVS2 VADO2 FRAVS FOR PES IMPERIVM TEMPVS1 AVDEO MALVS3 PREX PARO2 NVLLVS DIES VOCO

Jason (Méd.) N° Écart Corpus Texte Mot 27 3.4 4 27 3.4 4 27 3.0 58

2 2 4

PERVRO OBICIO FIDES2

368

ANNEXES

27 3.0 186 7 SI2 27 2.8 107 5 VT4 27 2.7 164 6 IPSE 27 2.7 12 2 CREON@ 27 2.6 41 3 HVC 27 2.6 14 2 QVIN1 27 2.5 90 4 EX 27 2.5 86 4 REX 27 2.5 18 2 SOCER 27 2.5 18 2 INFESTVS 27 2.3 3169 43 . 27 2.3 23 2 CRIMEN 27 2.3 22 2 NVMEN 27 2.3 161 5 NATVS1 27 2.2 28 2 PIETAS 27 2.2 27 2 FVGA 27 2.1 71 3 CVM3 27 2.1 32 2 CAREO 27 2.0 35 2 PREX 27 2.0 35 2 PERIMO 27 2.0 34 2 MALVS3 Médée (Méd.) N° Écart Corpus Texte Mot 8 6.8 12 8 4.7 10 8 4.0 4 8 3.9 7 8 3.9 48 8 3.7 5 8 3.7 5 8 3.7 12 8 3.4 6 8 3.4 6 8 3.4 25 8 3.3 15 8 3.1 57 8 3.1 4 8 3.1 4 8 3.1 4 8 3.1 4 8 3.0 8 8 3.0 273 8 2.8 27 8 2.8 27 8 2.8 21 8 2.7 50 8 2.7 22 8 2.7 16 8 2.6 6 8 2.6 6 8 2.6 6

11 7 4 5 13 4 4 6 4 4 8 6 12 3 3 3 3 4 36 7 7 6 10 6 5 3 3 3

IASON@ MEDEA@ CREVSA@ ADICIO IRA PHASIS@ HECATE@ CREON@ PONTVS@ PAENITEO LIBERI PARIO2 MARE VLTRIX SOL@ COLCHI@ AEETES@ DISCEDO1 MEVS TEMPVS1 FVGA PRO1 NOVVS EXTER CVLPA NVBO CRESCO CANTVS

8 2.6 23 8 2.6 23 8 2.6 17 8 2.6 161 8 2.6 11 8 2.6 11 8 2.5 71 8 2.5 7 8 2.5 7 8 2.5 7 8 2.5 55 8 2.5 18 8 2.5 12 8 2.4 67 8 2.4 57 8 2.4 216 8 2.4 138 8 2.4 13 8 2.3 8 8 2.3 8 8 2.3 8 8 2.3 8 8 2.3 8 8 2.3 513 8 2.3 21 8 2.2 9 8 2.2 9 8 2.2 9 8 2.2 54 8 2.2 4 8 2.2 4 8 2.2 4 8 2.2 4 8 2.2 4 8 2.2 22 8 2.2 22 8 2.2 15 8 2.2 15 8 2.2 109 8 2.1 74 8 2.1 67 8 2.1 32 8 2.1 17 8 2.1 162 8 2.1 16 8 2.1 16 8 2.1 16 8 2.1 10 8 2.0 59 8 2.0 41 8 2.0 33

6 6 5 22 4 4 12 3 3 3 10 5 4 11 10 27 19 4 3 3 3 3 3 55 5 3 3 3 9 2 2 2 2 2 5 5 4 4 15 11 10 6 4 20 4 4 4 3 9 7 6

SACRVM NVMQVAM PELLO SCELVS STATVO EXITIVM FVGIO REGALIS RAPIDVS AGITO SOLVS PROLES PROFVGIO DOLOR FAX DO PER DESERO2 RIPA PIGNVS PELASGVSA INGERO FERVEO QVI1 MVNVS VARIVS LVO DIVIDO HABEO VINDICTA SCYTHAE@ PERVRO LIGO2 FVRIA@ DVX DVO SVPPLEX2 LVMEN FACIO ISTE POENA CAEDES AVRVM POSSVM1 VICIS OPS CVRRVS ANTIQVVS EO1 PARO2 PLACEO

ANNEXES369

5. PHÈDRE Hippolyte (Phèd.) N° Écart Corpus Texte Mot 30 4.2 30 4.1 30 3.7 30 3.4 30 3.3 30 3.2 30 3.2 30 3.2 30 3.1 30 3.0 30 2.9 30 2.9 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.8 30 2.6 30 2.6 30 2.6 30 2.6 30 2.6 30 2.6 30 2.5 30 2.5 30 2.5 30 2.5 30 2.5 30 2.4 30 2.4 30 2.4 30 2.3 30 2.3 30 2.3 30 2.3 30 2.3 30 2.2 30 2.2 30 2.2 30 2.2 30 2.1 30 2.1 30 2.1 30 2.1

20 40 38 6 7 67 39 16 8 9 10 10 4 4 4 4 4 4 4 4 37 5 5 5 27 15 15 29 16 16 16 16 7 17 17 8 8 8 20 108 9 9 39 22 41 40 25 24

6 8 7 3 3 8 6 4 3 3 3 3 2 2 2 2 2 2 2 2 5 2 2 2 4 3 3 4 3 3 3 3 2 3 3 2 2 2 3 8 2 2 4 3 4 4 3 3

SIVE2 SILVA QVA1 SALTVS2 DVLCIS FERA ALIVS FEMINA HAC STVPRVM SOSPES LIBER2 VERSOR ROSTRVM LARGVS LAQVEVS DIVES CAPTO BOS AMBIGVVS EN VELOX RITVS NIVEVS VACO NVDVS AVRA NOSCO CINGO CASTVS2 AMNIS AETHER LAEVA1 PROCVL AVRVM RIPA MITIS CELER CANIS AVT VANVS FONS PARVVS2 TVM IVGVM LVX VERTO VAGVS

30 2.1 30 2.1 30 2.1 30 2.1 30 2.1 30 2.1 30 2.0

11 11 10 10 10 10 43

2 2 2 2 2 2 4

SIGNVM CAMPVS1 VACVVS ODI LATVS2 FACILIS POPVLVS1

Phèdre (Phèd.) N° Écart Corpus Texte Mot 11 5.4 11 5.0 11 4.6 11 4.2 11 3.7 11 3.6 11 3.5 11 3.4 11 3.3 11 3.1 11 3.0 11 2.9 11 2.9 11 2.8 11 2.7 11 2.7 11 2.7 11 2.7 11 2.7 11 2.6 11 2.6 11 2.5 11 2.4 11 2.4 11 2.4 11 2.4 11 2.4 11 2.3 11 2.3 11 2.3 11 2.3 11 2.3 11 2.3 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2 11 2.2

8 36 138 25 24 10 5 19 6 15 8 9 55 20 4 4 4 4 4 35 12 26 6 6 6 27 16 7 7 7 18 17 134 8 8 8 8 8 8 34 33 19

6 10 18 7 6 4 3 5 3 4 3 3 7 4 2 2 2 2 2 5 3 4 2 2 2 4 3 2 2 2 3 3 10 2 2 2 2 2 2 4 4 3

HIPPOLYTVS@ AMOR PER PVDOR TALIS FAMVLA INSANVS AMO RATIO THESEVS@ REDITVS MISEREOR SEQVOR POTENS TORREO EXSEQVOR ASSYRIVSA AMOR@ AMANS1 PREX FVRENS SOROR PIGET INCESTVS2 AMENS REGO CASTVS2 VINDICO INVOCO INCVBO2 POTIVS TACITVS NOSTER VAPOR TORVVS MOLLIS MEMORO LACVS DECOR COMA SINVS AVRIS

370 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.1 11 2.0 11 2.0 11 2.0 11 2.0 11 2.0 11 2.0 11 2.0 11 2.0

ANNEXES

9 9 9 21 20 20 108 105 91 38 37 23 10 10 10 10

2 2 2 3 3 3 8 8 7 4 4 3 2 2 2 2

INDOMITVS CORRIPIO ADEO1 RECIPIO NEFANDVS LOQVOR AVT DOMVS O VNDA EN DICO2 VENA TENTO REMEO CVRSVS

Thésée (Phèd.) N° Écart Corpus Texte Mot 31 3.2 31 3.0 31 2.8 31 2.8 31 2.7 31 2.7 31 2.6 31 2.6 31 2.6 31 2.5 31 2.5 31 2.5 31 2.5 31 2.4 31 2.4 31 2.4 31 2.4 31 2.4 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.3 31 2.2 31 2.2

29 21 4 12 5 5 44 29 16 6 6 6 18 91 7 7 7 7 9 9 9 9 8 8 8 58 39 22 22 22 21 42 41

5 4 2 3 2 2 5 4 3 2 2 2 3 7 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 5 4 3 3 3 3 4 4

MANES@ MVNVS PHLEGETHON@ EFFOR PRORSVS2 LONGINQVVS CORPVS QVOD2 CASTVS2 RESTITVO OBEO1 EXPROMO PLAGA2 O VENVS@ INVOCO HEV FINGO SENSVS PRONVS FALLAX ASPER REPONO IVSTVS HIPPOLYTVS@ GENITOR VOTVM VE SORS NVMEN RECIPIO VOS VIR

31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.2 31 2.1 31 2.1 31 2.1 31 2.1 31 2.0 31 2.0

41 40 24 23 23 10 10 10 10 46 44 25 11 29 12

4 4 3 3 3 2 2 2 2 4 4 3 2 3 2

HVC VITA CLAVDO1 MAESTVS DONVM FACILIS FACIES ANTIQVVS AMITTO GENVS1 REDEO1 LETVM PROFVGVS2 TRISTIS NE3

6. ŒDIPE Créon (Œd.) N° Écart Corpus Texte Mot 28 3.7 28 3.5 28 3.5 28 3.0 28 2.9 28 2.8 28 2.8 28 2.8 28 2.8 28 2.7 28 2.7 28 2.7 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.6 28 2.5 28 2.5 28 2.5 28 2.5 28 2.5 28 2.4 28 2.4 28 2.4

19 34 13 819 34 90 4 4 38 56 14 14 5 5 5 5 5 5 5 5 29 28 6 6 6 6 17 7 7 7

5 6 4 39 5 8 2 2 5 6 3 3 2 2 2 2 2 2 2 2 4 4 2 2 2 2 3 2 2 2

TVTVS COMA VATES ET2 NEMVS GRAVIS PERPLEXVS PARNASVS@ PHOEBVS@ TRAHO TACEO GELIDVS SVSTINEO SVADEO LAVRVS FRONS2 ERINNYS@ COGNATVS2 CARMEN1 ARTVS2 SOLVM1 SONO1 RABIDVS NIGER LIBO CELO SONVS VALLIS SPHINX@ PHOEBEVSA

ANNEXES371

28 2.4 28 2.3 28 2.3 28 2.3 28 2.3 28 2.3 28 2.3 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.2 28 2.1 28 2.1 28 2.1 28 2.1 28 2.1 28 2.1 28 2.0 28 2.0

7 8 8 8 73 21 20 9 9 9 9 9 58 40 23 10 10 10 10 86 45 43 27 11 11 12 12

2 2 2 2 6 3 3 2 2 2 2 2 5 4 3 2 2 2 2 6 4 4 3 2 2 2 2

LAEVVS RAMVS LAIVS@ LACVS SVI1 FOR ITER STATVS1 PVRVS FONS EFFERO2 CVLTVS1 STO SILVA PES VBI3 LINQVO LIBER2 FVNESTVS REX LICET1 SCEPTRVM MINAE PENDEO ORTVS DAPS ARVVM

Jocaste (Œd.) N° Écart Corpus Texte Mot 9 3.1 161 5 NATVS1 9 2.7 501 8 HIC1 9 2.7 23 2 SENEX1 9 2.5 33 2 HAVD 9 2.4 103 3 MORS 9 2.3 42 2 PEREO1 9 2.2 49 2 VOCO 9 2.2 49 2 VIA 9 2.1 59 2 TELVM 9 2.1 3169 25 . 9 2.0 64 2 FERRVM Mantô (Œd.) N° Écart Corpus Texte Mot 10 3.9 10 3.4 10 3.3 10 3.2 10 3.1 10 3.1 10 3.1

10 4 22 6 7 7 7

3 2 3 2 2 2 2

VENA RIGOR RETRO1 SANGVINEVS TREPIDO SVBITO FIBRA

10 3.1 10 3.0 10 3.0 10 2.8 10 2.8 10 2.8 10 2.7 10 2.7 10 2.5 10 2.5 10 2.5 10 2.5 10 2.4 10 2.4 10 2.3 10 2.2 10 2.1 10 2.1 10 2.1 10 2.0 10 2.0

7 8 64 38 11 11 84 13 20 19 18 150 24 22 25 73 87 34 33 90 39

2 2 4 3 2 2 4 2 2 2 2 5 2 2 2 3 3 2 2 3 2

COLOR ICTVS PARS CRVOR FOCVS DENSVS CAPVT COR ANIMA VISCVS2 TAVRVS SED SACER DVO VERTO SVI1 VNVS ARA SINVS GRAVIS PONO

Œdipe (Œd.) N° Écart Corpus Texte Mot 29 4.5 29 4.3 29 3.8 29 3.7 29 3.5 29 3.1 29 3.1 29 3.0 29 3.0 29 2.9 29 2.9 29 2.8 29 2.8 29 2.6 29 2.6 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.5 29 2.4 29 2.4 29 2.4 29 2.4

4 8 12 7 59 38 19 88 30 7 22 8 8 18 146 54 4 4 4 4 4 4 4 4 96 21 12 12

4 5 5 4 10 7 5 11 6 3 5 3 3 4 14 7 2 2 2 2 2 2 2 2 10 4 3 3

POLYBVS@ LAIVS@ SALVS VERVM1 NE2 PHOEBVS@ THEBAE@ FATVM VLLVS NVM FVNVS MEMORO AEGER2 GRESSVS REGNVM ALIQVIS VAGOR2 STRAGES SONS1 SERENVS QVIETVS PENES CERTVM1 CALLIDVS PARENS1 FOR OS2 INFANDVS

372 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.3 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.2 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.1 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0 29 2.0

ANNEXES

5 5 5 5 5 5 5 35 35 23 13 62 6 6 6 6 6 6 37 25 15 109 7 7 7 7 7 7 7 41 16 86 8 8 8 8 29 29 18 100

2 2 2 2 2 2 2 5 5 4 3 7 2 2 2 2 2 2 5 4 3 10 2 2 2 2 2 2 2 5 3 8 2 2 2 2 4 4 3 9

TREMOR PLACATVS PARRICIDA ELOQVOR CONTRA1 CARMEN1 AREO PERIMO MOVEO SENEX1 VATES CADO TENVIS QVISNAM MORBVS INCIDO1 EXPROMO DIRIMO VOX RVO REPETO AC1 VITIVM OSTENDO OEDIPVS@ OBVIVS INCOLVMIS DEPONO COLOR NEGO VEL1 REX INFANS1 HOSPES FAS BIS NOSCO NE4 TRADO TIMEO

7. AGAMEMNON Agamemnon (Agam.) N° Écart Corpus Texte Mot 18 3.3 12 2 FAMVLVS1 18 2.9 412 6 TV 18 2.8 28 2 SPOLIVM 18 2.7 32 2 TROIA@ 18 2.6 41 2 VICTOR 18 2.2 3169 18 .

18 2.1 85

2

TERRA

Cassandre (Agam.) N° Écart Corpus Texte Mot 1 4.8 19 1 4.7 32 1 3.3 11 1 3.3 11 1 3.1 4 1 3.1 27 1 2.8 6 1 2.8 38 1 2.7 21 1 2.7 21 1 2.6 8 1 2.6 22 1 2.5 9 1 2.5 27 1 2.5 26 1 2.4 78 1 2.3 31 1 2.3 31 1 2.3 12 1 2.2 34 1 2.2 15 1 2.2 14 1 2.1 68 1 2.1 17 1 2.1 16 1 2.1 16 1 2.0 19 1 2.0 18

6 7 3 3 2 4 2 4 3 3 2 3 2 3 3 5 3 3 2 3 2 2 4 2 2 2 2 2

PHRYGES@ TROIA@ MYCENAE@ INDVO SVBLIMIS IVVO MEI FVROR1 VESTIS PRIAMVS@ HELENA@ FVNVS CVLTVS1 RATIS SOROR IACEO OCVLVS ECCE DAPS ARA TERGVM VINCIO AGO GENA RECEDO1 EVERTO VINCVLVM SPECTO

Clytemnestre (Agam.) N° Écart Corpus Texte Mot 2 4.4 31 2 4.0 41 2 3.8 5 2 3.5 27 2 3.2 34 2 3.1 36 2 3.0 58 2 3.0 39 2 3.0 24 2 3.0 12 2 2.9 4 2 2.9 13 2 2.8 5 2 2.8 5 2 2.8 5 2 2.8 5 2 2.7 92

7 7 3 5 5 5 6 5 4 3 2 3 2 2 2 2 7

VIRGO VIR AEGISTHVS@ RATIS TORVS AMOR FIDES2 IMPIVS RES CONSILIVM LAETOR VIDVVS PROBRVM PHRYGIVSA IVGALIS FRENVM CONIVX

ANNEXES373

2 2.7 6 2 2.7 17 2 2.5 7 2 2.5 59 2 2.4 9 2 2.4 9 2 2.4 24 2 2.4 23 2 2.4 109 2 2.3 27 2 2.3 25 2 2.3 116 2 2.3 10 2 2.3 10 2 2.3 10 2 2.3 10 2 2.3 10 2 2.2 470 2 2.2 30 2 2.2 29 2 2.2 11 2 2.2 11 2 2.2 11 2 2.1 14 2 2.1 13 2 2.1 13 2 2.1 13 2 2.1 105 2 2.0 58 2 2.0 15 2 2.0 15 2 2.0 15

2 3 2 5 2 2 3 3 7 3 3 7 2 2 2 2 2 18 3 3 2 2 2 2 2 2 2 6 4 2 2 2

PROSPER MOS VENVS@ CAPIO2 PECCO INDOMITVS BONVS ACHILLES@ AC1 IVNGO PVDOR ANIMVS VENIA RESPICIO REMEO DOLEO CLASSIS QVIS1 DVBIVS DECET QVO2 PANDO2 DECEM GENER MOROR1 LEX COR DOMVS CVM2 VENTVS FLVCTVS ADDO

Égisthe (Agam.) N° Écart Corpus Texte Mot 17 3.4 17 3.2 17 3.0 17 3.0 17 2.8 17 2.6 17 2.6 17 2.6 17 2.6 17 2.5 17 2.5 17 2.4 17 2.4 17 2.3 17 2.2 17 2.2 17 2.2 17 2.1

4 116 8 7 11 44 42 15 15 45 18 20 19 59 67 412 27 32

2 6 2 2 2 3 3 2 2 3 2 2 2 3 3 9 2 2

ATRIDES@ ANIMVS CARCER SOCIVS1 MYCENAE@ NIHIL CREDO TYRANNVS PRETIVM LICET1 EXIGO TANTVM2 PELLEX NE2 POENA TV VLTIMVS TVRBA

17 2.1 17 2.1 17 2.0 17 3.4

32 31 33 4

2 2 2 2

TROIA@ VIRGO HAVD ATRIDES@

Électre (Agam.) N° Écart Corpus Texte Mot 3 3.6 4 2 ORESTES@ 3 3.5 5 2 IVGVLVM 3 3.3 7 2 CONCEDO1 3 3.1 3169 34 . 3 3.1 191 6 TVVS 3 2.9 161 5 SCELVS 3 2.8 16 2 CVRRVS 3 2.7 19 2 TVTVS 3 2.6 22 2 PATERNVS 3 2.6 22 2 METVO 3 2.6 21 2 VESTIS 3 2.5 28 2 VVLNVS 3 2.5 138 4 PER 3 2.4 32 2 CAEDES 3 2.3 96 3 PARENS1 3 2.3 39 2 HOSTIS 3 2.3 34 2 ARA 3 2.2 41 2 VIR 3 2.2 105 3 DOMVS 3 2.2 103 3 MORS 3 2.0 54 2 SANGVIS

8. THYESTE Atrée (Thy.) N° Écart Corpus Texte Mot 33 4.3 33 4.2 33 3.9 33 3.9 33 3.8 33 3.7 33 3.6 33 3.6 33 3.5 33 3.4 33 3.3 33 3.1 33 2.9 33 2.9 33 2.8 33 2.8 33 2.8

678 10 81 7 13 22 4 16 25 11 29 7 8 16 9 40 161

51 5 12 4 5 6 3 5 6 4 6 3 3 4 3 6 14

SVM1 THYESTES@ FRATER MENSA NOLO NISI PELOPS@ NESCIO LIBERI AMPLEXVS SATIS1 ATREVS@ MISERIA SPES IMPLEO FIO SCELVS

374 33 2.7 33 2.7 33 2.7 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.6 33 2.5 33 2.5 33 2.5 33 2.5 33 2.5 33 2.5 33 2.4 33 2.4 33 2.4 33 2.3 33 2.3 33 2.3 33 2.3 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.2 33 2.1 33 2.1 33 2.1 33 2.1 33 2.0 33 2.0 33 2.0 33 2.0 33 2.0 33 2.0 33 2.0

ANNEXES

30 273 10 59 58 4 4 4 4 12 12 5 5 5 5 5 24 501 25 116 6 28 27 15 93 7 7 7 7 7 44 44 29 17 146 8 64 20 19 9 9 9 35 34 34 21

5 20 3 7 7 2 2 2 2 3 3 2 2 2 2 2 4 30 4 10 2 4 4 3 8 2 2 2 2 2 5 5 4 3 11 2 6 3 3 2 2 2 4 4 4 3

TEGO MEVS FESTVS CAPIO2 FIDES2 VERSOR PATRVVS1 DETEGO ABVNDE DAPS BIBO2 PARVM1 MINISTER1 ENIM2 CARPO ATTINGO RES HIC1 MODVS ANIMVS AGE ODIVM IVVO BACCHVS@ TOTVS SVI2 SPERO LAVDO COLOR ASPICIO RELINQVO PARCO QVOD2 SIMILIS REGNVM FAS PARS QVATIO TVTVS RVDIS2 OBSTO BONVM MVLTVS TOT SCIO FRAVS

Tantale (Thy.) N° Écart Corpus Texte Mot 34 3.3 15 34 2.8 32 34 2.6 44

2 2 2

REGNO GRADVS REDEO1

34 2.5 58 2 GENITOR 34 2.5 162 3 POSSVM1 34 2.4 3169 17 . 34 2.2 81 2 FRATER 34 2.1 804 6 QVE 34 2.1 100 2 TIMEO Thyeste (Thy.) N° Écart Corpus Texte Mot 35 4.5 35 4.1 35 3.4 35 3.3 35 3.3 35 3.3 35 3.2 35 3.0 35 2.9 35 2.8 35 2.8 35 2.7 35 2.6 35 2.6 35 2.6 35 2.6 35 2.6 35 2.5 35 2.5 35 2.5 35 2.5 35 2.5 35 2.5 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.4 35 2.3 35 2.3 35 2.3 35 2.3 35 2.3 35 2.3 35 2.2 35 2.2 35 2.2 35 2.2 35 2.2

81 19 12 71 44 13 7 17 43 45 21 12 24 24 24 13 13 5 5 5 5 15 15 6 6 6 58 42 42 16 16 150 7 7 7 31 17 100 8 8 8 34 20

13 6 4 9 7 4 3 4 6 6 4 3 4 4 4 3 3 2 2 2 2 3 3 2 2 2 6 5 5 3 3 11 2 2 2 4 3 8 2 2 2 4 3

FRATER SINE IMPONO FVGIO NIHIL NOLO ATREVS@ TECTVM CAVSA NOX PRO1 DAPS RES MAGIS2 BONVS PROHIBEO INFELIX VELVM SVSTINEO IMPROBVS EXPERIOR VENTVS BACCHVS@ SVPRA2 FOEDVS1 CELEBRO CVM2 VOS CREDO PONDVS FLVO SED MENSA MAEROR INTVS1 AVDIO MONS TIMEO TVMVLTVS CIRCA2 AESTVS MALVS3 LIBET

ANNEXES375

35 2.2 35 2.2 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.1 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0 35 2.0

20 166 9 9 9 9 9 88 22 22 22 22 334 23 10 10 10 10 10 10 10

3 11 2 2 2 2 2 7 3 3 3 3 18 3 2 2 2 2 2 2 2

LAETVS2 IAM VIOLENTVS NOTA INFAVSTVS IMMANIS ASPER MISER VE TENEBRAE RVMPO CERNO NON ROGO THYESTES@ SVRGO QVESTVS OCCVRRO MOLES ANTE1 AETHERIVS

9.  HERCULE SUR L’ŒTA Alcmène (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 5 6.1 12 5 5.4 161 5 4.8 4 5 4.6 470 5 4.5 71 5 4.4 5 5 4.0 30 5 3.8 43 5 3.8 140 5 3.7 26 5 3.6 88 5 3.6 48 5 3.6 18 5 3.5 93 5 3.5 5 5 3.5 5 5 3.4 12 5 3.3 23 5 3.2 35 5 3.2 35 5 3.2 14 5 3.1 8 5 3.1 8 5 3.1 51

8 22 4 37 12 4 7 8 15 6 11 8 5 11 3 3 4 5 6 6 4 3 3 7

ALCMENA@ NATVS1 PLANGO QVIS1 ALCIDES@ ANVS2 FLEO POPVLVS1 PETO VBI2 MISER MVNDVS1 NIMIS TOTVS QVANDO2 BRACHIVM TERREO VESTER HIC2 HERCVLEVSA PLANCTVS SALTEM FORSITAN VMBRA

5 3.1 51 5 3.0 29 5 2.9 30 5 2.9 122 5 2.9 10 5 2.8 46 5 2.8 11 5 2.7 79 5 2.7 4 5 2.7 4 5 2.7 23 5 2.7 12 5 2.7 12 5 2.6 67 5 2.6 53 5 2.6 39 5 2.6 37 5 2.6 13 5 2.5 91 5 2.5 5 5 2.5 5 5 2.5 5 5 2.5 5 5 2.5 5 5 2.5 5 5 2.5 14 5 2.5 14 5 2.5 14 5 2.4 77 5 2.4 6 5 2.4 6 5 2.4 6 5 2.4 6 5 2.4 412 5 2.4 30 5 2.4 30 5 2.4 17 5 2.4 16 5 2.4 16 5 2.4 16 5 2.4 16 5 2.3 7 5 2.3 7 5 2.3 7 5 2.3 31 5 2.3 18 5 2.3 18 5 2.2 85 5 2.2 33 5 2.2 20 5 2.1 9 5 2.1 9 5 2.1 426

7 5 5 11 3 6 3 8 2 2 4 3 3 7 6 5 5 3 8 2 2 2 2 2 2 3 3 3 7 2 2 2 2 23 4 4 3 3 3 3 3 2 2 2 4 3 3 7 4 3 2 2 22

IVPPITER@ MANES@ GREX SVM2 LVGEO QVIS2 COMPESCO HERCVLES@ QVOT2 ANTAEVS@ VNDE2 PVLSO MERITVM DOLOR TANTVS PARVVS2 ORBIS FALLO O VBINAM2 STABVLVM RELIQVIAE QVOTIENS2 INHIBEO CARPO RVRSVS LATEBRA DEFENDO TENEO SOPOR OBEO1 MORBVS EI TV GENS CRVENTVS DE VEL1 STYX@ PONDVS LEO SEPVLCRVM MORTALIS2 COMPLECTOR ECCE PLAGA2 FERIO TERRA SVPERI ITER SEPELIO ALES1 EGO

376 5 2.1 37 5 2.1 22 5 2.1 22 5 2.1 22 5 2.1 10 5 2.1 10 5 2.1 10 5 2.1 10 5 2.1 10 5 2.0 40

ANNEXES

4 3 3 3 2 2 2 2 2 4

MEMBRVM NVMEN FVNVS ABEO1 TONANSA REMEO QVESTVS LIBER2 ITERVM LVX

Déjanire (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 6 5.7 92 6 4.6 25 6 4.5 79 6 4.5 71 6 4.4 17 6 4.2 19 6 4.1 7 6 3.7 25 6 3.6 6 6 3.6 6 6 3.6 40 6 3.6 32 6 3.6 10 6 3.6 10 6 3.3 37 6 3.2 8 6 3.2 19 6 3.1 122 6 3.0 9 6 3.0 59 6 3.0 5 6 3.0 5 6 3.0 239 6 2.9 46 6 2.9 30 6 2.9 10 6 2.8 6 6 2.8 6 6 2.8 56 6 2.8 24 6 2.8 24 6 2.8 17 6 2.8 11 6 2.7 67 6 2.7 59 6 2.7 19 6 2.7 18 6 2.6 36 6 2.6 20

24 10 18 17 8 8 5 8 4 4 10 9 5 5 9 4 6 18 4 11 3 3 29 9 7 4 3 3 10 6 6 5 4 11 10 5 5 7 5

CONIVX PERDO HERCVLES@ ALCIDES@ NVRVS PELLEX IOLE@ CESSO FORTE ALTRIX FIO VT1 THESSALVSA NESSVS@ ORBIS INTENDO AMO SVM2 ARCANVM TELVM TABES REPOSCO MANVS1 QVICVMQVE1 HORRIDVS NVPTA TEPIDVS ILLINO LEVIS1 VAGVS TITAN@ TACITVS ROTA FERA EO1 OCCVPO2 ARCVS AMOR LICET3

6 2.6 20 6 2.6 164 6 2.5 8 6 2.5 8 6 2.5 8 6 2.5 46 6 2.5 38 6 2.5 38 6 2.5 29 6 2.5 21 6 2.5 182 6 2.5 14 6 2.4 57 6 2.4 15 6 2.3 9 6 2.3 9 6 2.3 52 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 4 6 2.3 24 6 2.2 18 6 2.2 18 6 2.2 18 6 2.2 105 6 2.2 10 6 2.2 10 6 2.2 10 6 2.1 5 6 2.1 5 6 2.1 5 6 2.1 5 6 2.1 5 6 2.1 46 6 2.1 28 6 2.1 27 6 2.1 12 6 2.1 12 6 2.1 11 6 2.1 11 6 2.1 11 6 2.0 59 6 2.0 357 6 2.0 20 6 2.0 103

5 20 3 3 3 8 7 7 6 5 21 4 9 4 3 3 8 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 5 4 4 4 13 3 3 3 2 2 2 2 2 7 5 5 3 3 3 3 3 8 33 4 12

LIBET IPSE SEV2 FORMA DECOR QVIS2 MITTO ERIPIO ERRO2 POSCO ILLE INQVIO FAX SCINDO TVMEO LASSVS MORIOR VECTOR1 VALEO RESPERGO REMOTVS PRAECEDO1 MEGAERA@ IMPVNE EXTENDO DEPREHENDO CREPO AMOR@ $ FVLMEN SOCER GRESSVS FERIO VINCO TONANSA FORSAN ARDENS VIRVS INFERO ELIGO3 DISCVTIO CLAVA DIRVS NOVERCA ADHVC VINDEX HYDRA TRIVMPHVS LAXO DAMNO CAPIO2 IN AERVMNA MORS

ANNEXES377

Hercule (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 23 7.4 23 7.2 23 5.3 23 5.3 23 5.3 23 4.9 23 4.4 23 4.1 23 4.0 23 3.9 23 3.9 23 3.9 23 3.8 23 3.6 23 3.6 23 3.6 23 3.4 23 3.4 23 3.4 23 3.3 23 3.3 23 3.3 23 3.2 23 3.2 23 3.2 23 3.0 23 3.0 23 2.9 23 2.9 23 2.8 23 2.8 23 2.8 23 2.8 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.7 23 2.6 23 2.6 23 2.5 23 2.5 23 2.5 23 2.5 23 2.5 23 2.5 23 2.4 23 2.4

67 426 80 79 34 28 71 16 22 85 18 18 32 6 51 143 7 24 12 4 26 19 42 20 14 22 16 48 11 6 6 18 18 7 7 7 7 7 470 20 149 273 14 91 8 8 50 122 103 9 9

25 69 20 20 13 11 16 7 8 16 7 7 9 4 11 21 4 7 5 3 7 6 9 6 5 6 5 9 4 3 3 5 5 3 3 3 3 3 44 5 18 28 4 12 3 3 8 15 13 3 3

FERA EGO CAELVM1 HERCVLES@ ASTRVM NOVERCA ALCIDES@ FEMINA IVNO@ TERRA PESTIS GIGNO POLVS AXIS IVPPITER@ MALVM1 MORTALIS2 FVLMEN HYDRA PALAM1 CLARVS PRO2 FRANGO LAVS MEREO IRATVS STYX@ MVNDVS1 EXCIDO1 EI DEFICIO SPECTO PLAGA2 VBIQVE STYMPHALIS@ RICTVS QVOTVS FERVIDVS QVIS1 SIVE2 PATER MEVS CONCIPIO O SALTEM MEDVLLA HINC SVM2 MORS PINDVS@ INVADO2

23 2.4 23 2.4 23 2.4 23 2.4 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.3 23 2.2 23 2.2 23 2.2 23 2.2 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.1 23 2.0 23 2.0 23 2.0 23 2.0 23 2.0

34 25 24 107 56 46 44 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 18 134 10 10 10 37 28 19 11 5 5 5 5 5 5 5 5 412 39 21 12 12 6 6 357 22 13

6 5 5 13 8 7 7 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 4 15 3 3 3 6 5 4 3 2 2 2 2 2 2 2 2 36 6 4 3 3 2 2 31 4 3

VIRTVS SPARGO2 TITAN@ NVLLVS TELLVS QVICVMQVE1 PARCO SYMPLEGAS@ SCYTHICVSA PROCEDO1 NEMEAEVSA INVICTVS INDE CVTIS CONVERTO COMPAGES CENTVM CAELESTIS CADAVER AVSTER SERPENS NEC2 CVRRO ARDENS AETHERIVS ORBIS ODIVM SENTIO NVMQVID SVFFICIO PENSO HISTER@ HESPERIVSA EVINCO EREBVS@ ELIDO ADITVS TV SVPERVS NASCOR STYGIVSA EMITTO SVBIGO CAVCASVS@ IN CERNO VLTRA1

Hyllus (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 24 4.2 8 24 4.1 88 24 4.0 10

4 10 4

MAEREO FATVM NESSVS@

378 24 3.9 24 3.6 24 3.5 24 3.5 24 3.5 24 3.2 24 3.2 24 3.1 24 3.0 24 3.0 24 2.9 24 2.9 24 2.9 24 2.7 24 2.7 24 2.6 24 2.6 24 2.6 24 2.6 24 2.6 24 2.6 24 2.6 24 2.5 24 2.5 24 2.5 24 2.5 24 2.4 24 2.4 24 2.4 24 2.4 24 2.4 24 2.3 24 2.3 24 2.3 24 2.3 24 2.3 24 2.2 24 2.2 24 2.2 24 2.2 24 2.2 24 2.2 24 2.2 24 2.1 24 2.1 24 2.1 24 2.1

ANNEXES

79 14 7 27 182 53 134 11 59 12 4 4 14 50 17 7 7 37 36 35 20 19 8 8 22 105 9 9 41 24 165 71 26 11 10 10 99 52 30 30 12 12 12 78 57 56 34

9 4 3 5 13 6 10 3 6 3 2 2 3 5 3 2 2 4 4 4 3 3 2 2 3 7 2 2 4 3 9 5 3 2 2 2 6 4 3 3 2 2 2 5 4 4 3

HERCVLES@ INQVIO LICHAS@ GEMO ILLE TAMEN MATER DAMNO QVAERO ERROR EVBOICVSA ACERBVS OCEANVS@ HINC PONTVS VRGEO IGNOSCO MEMBRVM NOCENS VASTVS SVPERSVM1 PRO2 SAEVIO FORSITAN PATEO VINCO TRVNCVS1 PALLA VICTOR VETO OMNIS ALCIDES@ PERAGO COMPESCO EXVO DOLEO SVVS MORIOR REFERO HORRIDVS VERTEX SAGITTA GEMITVS IACEO ET1 TRAHO AVFERO

Iole (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 7 4.2 88 7 4.2 26

6 4

FATVM VEL2

7 4.1 11 7 3.8 41 7 3.5 5 7 3.4 6 7 3.4 6 7 3.4 28 7 3.4 27 7 3.2 9 7 3.2 8 7 3.1 40 7 3.1 10 7 2.9 14 7 2.7 19 7 2.6 23 7 2.4 426 7 2.4 30 7 2.4 30 7 2.3 37 7 2.3 36 7 2.3 36 7 2.0 58

3 4 2 2 2 3 3 2 2 3 2 2 2 2 7 2 2 2 2 2 2

QVEROR LACRIMA VOLVCER DOMINA AH SONO1 GEMO ALES1 FORMA SILVA FLEBILIS VBI1 TEMPLVM NONDVM EGO FORTVNA FLEO SAXVM FELIX CVNCTVS GENITOR

Philoctète (HO) N° Écart Corpus Texte Mot 25 5.5 25 5.2 25 4.8 25 4.6 25 4.4 25 3.6 25 3.5 25 3.3 25 3.3 25 3.2 25 3.1 25 3.1 25 3.0 25 3.0 25 3.0 25 3.0 25 2.9 25 2.8 25 2.8 25 2.7 25 2.7 25 2.7 25 2.7 25 2.6 25 2.6 25 2.6 25 2.6 25 2.6

24 64 17 68 14 6 79 9 34 165 11 11 4 4 4 4 27 5 5 75 35 18 17 7 57 20 182 106

8 11 6 10 5 3 8 3 5 11 3 3 2 2 2 2 4 2 2 6 4 3 3 2 5 3 10 7

ROGVS FLAMMA ARDEO IGNIS INQVIO PINVS HERCVLES@ CORRIPIO ASTRVM OMNIS TRABS PANDO2 RIGIDVS QVERCVS LANIO2 AIO GEMO VOLVCRIS OETA@ VVLTVS HERCVLEVSA ARCVS DE INTREPIDVS FAX TANTVM2 ILLE DIES

ANNEXES379

25 2.5 25 2.5 25 2.5 25 2.5 25 2.5 25 2.5 25 2.4 25 2.4 25 2.4 25 2.3 25 2.3 25 2.3 25 2.3 25 2.3 25 2.3 25 2.2

8 41 23 23 22 21 9 9 501 28 26 26 11 11 10 31

2 4 3 3 3 3 2 2 19 3 3 3 2 2 2 3

IECVR LACRIMA NVBES MAESTVS TVM POSCO IMPLEO FEMINEVS HIC1 MEDIVS FEROX DVCO VRO REFVGIO ARDENS OCVLVS

25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.2 25 2.1 25 2.1 25 2.1 25 2.1 25 2.1 25 2.1 25 2.0

30 29 13 13 12 12 12 12 12 59 58 55 34 166 14 37

3 3 2 2 2 2 2 2 2 4 4 4 3 8 2 3

FLEO TREMO MINAX FALLO VTERVS IMPONO IMPELLO ALCMENA@ ADMITTO TELVM STO QVOQVE NEMVS IAM FRONS1 VOX

380

ANNEXES

Annexe II, 1 :  Lemmes spécifiques des cinq groupes de la base Rôles A.  LES NOURRICES N° Écart Corpus Texte Mot 3 6.1 7 7 ALVMNA 3 5.4 17 9 VENVS@ 3 3.9 10 5 SISTO 3 3.6 7 4 COERCEO 3 3.5 8 4 CREO 3 3.5 129 17 SVI1 3 3.4 64 11 MENS 3 3.3 9 4 SANVS 3 3.3 58 10 FVROR1 3 3.2 51 9 ASSVM1 3 3.2 5 3 TAVRVS@ 3 3.2 42 8 TVTVS 3 3.2 24 6 CVRA 3 3.2 23 6 CVLPA 3 3.2 16 5 FAMVLA 3 3.1 17 5 TENER 3 3.1 11 4 AGGREDIOR 3 3.0 6 3 SECRETVM 3 3.0 6 3 PERPETVVS 3 3.0 6 3 MORTIFER 3 2.9 47 8 VIS 3 2.9 28 6 IMPETVS 3 2.9 20 5 NEMPE 3 2.9 153 17 ANIMVS 3 2.9 13 4 REGINA 3 2.9 1203 85 ET2 3 2.8 7 3 NAMQVE 3 2.8 7 3 FRIGVS 3 2.8 7 3 DILIGO3 3 2.8 14 4 VLTRO 3 2.8 14 4 SVBEO1 3 2.8 14 4 DEPONO 3 2.7 8 3 IMMITIS 3 2.7 8 3 COMPRIMO 3 2.7 23 5 CANTVS 3 2.7 15 4 FAVEO 3 2.6 9 3 AFFECTVS1 3 2.6 35 6 QVO3 3 2.6 16 4 NVPTA 3 2.5 49 7 AMOR 3 2.5 47 7 CVR 3 2.5 27 5 SERPENS 3 2.5 264 23 ILLE 3 2.5 18 4 MARITVS1 3 2.5 10 3 SECRETVS 3 2.4 63 8 CREDO 3 2.4 4 2 SVCVS

3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 4 3 2.4 39 3 2.4 28 3 2.4 11 3 2.3 66 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 5 3 2.3 12 3 2.2 57 3 2.2 22 3 2.2 22 3 2.1 87 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 6 3 2.1 59 3 2.1 35 3 2.1 35 3 2.1 15 3 2.1 15 3 2.1 15 3 2.1 15 3 2.1 15 3 2.1 14

2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 6 5 3 8 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 3 7 4 4 9 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 7 5 5 3 3 3 3 3 3

SVBOLES RELVCEO QVOT1 PVRPVREVS LACESSO GRAMEN FRENO FERE EXSVLTO AGGERO2 FACINVS PERGO FINGO GENVS1 SVCCIDO2 SANO REGERO PALLADIVSA NIVALIS LIBIDO LIBERTAS INTERIM CALEO AVGEO STVPRVM GRADVS FACILIS CASTVS2 DOLOR VERGO RVBOR RECTVS PHAEDRA@ MODICVS MEMINI MANDO2 IVSSVM IMPATIENS DARDANIVSA COLCHI@ CAELEBS TRISTIS PRAECEPS2 ODIVM TENTO RESISTO PROFVGIO MEDEA@ HIPPOLYTVS@ DEMENS

ANNEXES381

3 2.1 14 3 2.0 7 3 2.0 7 3 2.0 7 3 2.0 7 3 2.0 7 3 2.0 63 3 2.0 16

3 2 2 2 2 2 7 3

ATTOLLO VIRVS REPARO2 PROBO LAEDO EXVNDO VITA NATVRA

B.  LES MESSAGERS N° Écart Corpus Texte Mot 2 3.9 87 14 OS1 2 3.6 98 14 STO 2 3.5 4 3 VOMO 2 3.5 37 8 CVRRVS 2 3.5 1203 85 ET2 2 3.4 91 13 ATQVE1 2 3.3 10 4 ALTE 2 3.2 11 4 TVRRIS 2 3.1 498 40 IN 2 3.1 46 8 OCVLVS 2 3.1 37 7 MAGIS2 2 3.1 12 4 ATREVS@ 2 3.0 6 3 POSTQVAM 2 3.0 6 3 MIROR 2 3.0 6 3 CIEO 2 3.0 6 3 AMPVTO 2 3.0 50 8 SOLVO 2 3.0 13 4 TRVNCVS1 2 2.9 76 10 CORPVS 2 2.9 62 9 SVPERVS 2 2.9 22 5 PAVIDVS 2 2.9 22 5 MVRVS 2 2.8 8 3 SCOPVLVS 2 2.8 8 3 HVMVS 2 2.8 8 3 DEFORMIS 2 2.8 129 14 SVI1 2 2.7 9 3 PASSIM 2 2.7 9 3 CONTRA1 2 2.7 70 9 HINC 2 2.7 57 8 GRADVS 2 2.7 36 6 QVALIS1 2 2.7 16 4 VVLGVS 2 2.7 16 4 OBVIVS 2 2.6 85 10 PARS 2 2.6 49 7 MONSTRVM 2 2.6 28 5 HAEREO 2 2.6 18 4 PENITVS2 2 2.6 17 4 FRENVM 2 2.6 10 3 LIGO2

2 2.6 10 2 2.5 40 2 2.5 4 2 2.5 4 2 2.5 4 2 2.5 4 2 2.5 4 2 2.5 39 2 2.5 11 2 2.4 42 2 2.4 31 2 2.4 166 2 2.4 12 2 2.3 5 2 2.3 5 2 2.3 5 2 2.3 5 2 2.3 5 2 2.3 46 2 2.3 45 2 2.3 23 2 2.3 22 2 2.3 13 2 2.3 13 2 2.3 13 2 2.3 13 2 2.2 6 2 2.2 6 2 2.2 6 2 2.2 6 2 2.2 6 2 2.2 6 2 2.2 37 2 2.2 36 2 2.2 36 2 2.2 25 2 2.2 227 2 2.2 15 2 2.2 15 2 2.2 15 2 2.2 15 2 2.2 15 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 7 2 2.1 39 2 2.1 38 2 2.1 27

3 6 2 2 2 2 2 6 3 6 5 15 3 2 2 2 2 2 6 6 4 4 3 3 3 3 2 2 2 2 2 2 5 5 5 4 18 3 3 3 3 3 2 2 2 2 2 2 2 2 5 5 4

ERIGO INGENS SPVMO SONIPES1 INCVRRO IMMVGIO ARDVVS PVER LVCVS FLEO SAEPE SVVS CAPAX VINVM TENAX NVTO LIQVOR1 ALITER SOLEO VVLNVS TRVX SPATIVM TERROR SAEVIO MINOR CRESCO RECTVS MORSVS FVMVS DEINDE COLLIS CAVVS2 FLVCTVS RVO FVRO FLVO IPSE VIOLENTVS VENA NAM HIPPOLYTVS@ CITATVS PROPRIVS PELOPS@ IVBA IMBER HOSTIA FREQVENS CONVERTO BVSTVM VTERQVE GEMO TANGO

382 2 2.1 27 2 2.0 40 2 2.0 28 2 2.0 17 2 2.0 142

ANNEXES

4 5 4 3 12

ARDEO RVMPO VICIS ICTVS AC1

C.  LES CHŒURS N° Écart Corpus Texte Mot 1 7.2 149 66 CVM3 1 5.7 48 27 PONTVS 1 5.2 1250 309 QVE 1 5.1 9 9 HORA 1 5.1 9 9 CANDIDVS 1 4.7 14 11 RESONO1 1 4.7 14 11 FLVMEN 1 4.3 38 19 SIDVS 1 4.3 11 9 AVREVS2 1 4.2 39 19 PROPERO 1 4.0 8 7 RARVS 1 4.0 8 7 ORPHEVS@ 1 4.0 6 6 AESTAS 1 3.9 18 11 AGITO 1 3.8 13 9 MOBILIS 1 3.7 11 8 PROFVNDVM 1 3.7 11 8 LONGE 1 3.7 11 8 BOREAS@ 1 3.6 89 31 NOX 1 3.6 7 6 REMVS 1 3.6 7 6 RELIGO2 1 3.6 7 6 PLAVSTRVM 1 3.6 7 6 COHIBEO 1 3.6 7 6 CARINA 1 3.6 5 5 VIRGINEVS 1 3.6 5 5 PAVPER 1 3.6 5 5 FABVLA1 1 3.6 5 5 EVRYDICE@ 1 3.6 5 5 EOVSA 1 3.5 23 12 CANTVS 1 3.5 12 8 ALTVM 1 3.3 8 6 SAECVLVM 1 3.3 8 6 CHORVS 1 3.3 28 13 LITVS 1 3.3 16 9 DIVES 1 3.3 13 8 TARDVS 1 3.3 13 8 LANGVIDVS 1 3.3 13 8 BRACHIVM 1 3.2 68 24 PONO 1 3.2 6 5 PELION@ 1 3.2 6 5 HESPERVS@ 1 3.2 6 5 CAVRVS@

1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 4 1 3.2 39 1 3.2 11 1 3.2 11 1 3.1 40 1 3.1 37 1 3.1 37 1 3.1 37 1 3.1 23 1 3.1 23 1 3.1 17 1 3.0 9 1 3.0 9 1 3.0 76 1 3.0 57 1 3.0 21 1 3.0 18 1 3.0 18 1 3.0 12 1 3.0 12 1 2.9 77 1 2.9 7 1 2.9 7 1 2.9 7 1 2.9 7 1 2.9 66 1 2.9 499 1 2.9 166 1 2.8 76 1 2.8 5 1 2.8 5 1 2.8 5 1 2.8 5 1 2.8 48 1 2.8 33 1 2.8 26 1 2.8 13 1 2.8 13 1 2.8 13 1 2.8 10 1 2.8 10 1 2.8 10 1 2.7 8

4 RHODOPE@ 4 RESIDEO 4 REDIMIO 4 QVANTVS1 4 NOTVS1 4 LVCIFER@ 4 LAVO1 4 DIGITVS 4 CERVVS 4 CARBASA 4 AVRORA@ 16 PVER 7 NITIDVS 7 CADMEIVSA 16 NONDVM 15 SENTIO 15 NASCOR 15 FLVCTVS 11 ORTVS 11 FORTVNA@ 9 CARMEN1 6 PROCELLA 6 CVRVVS 25 VENIO 20 MEDIVS 10 CANO 9 PELAGVS 9 MOLLIS 7 SENEX2 7 PORTVS 25 DVM2 5 STABILIS 5 POMVM 5 PALLIDVS 5 ORA 22 VNDA 119 NON 46 SVVS 24 MVNDVS1 4 GARRVLVS 4 EQVES 4 COLONVS1 4 ALA 17 SVB 13 FERIO 11 SOL 7 VELVM 7 LVCIDVS 7 COMITOR 6 STELLA 6 SORDIDVS 6 NAVTA 5 TYRIVSA

ANNEXES383

1 2.7 8 1 2.7 8 1 2.7 8 1 2.7 8 1 2.7 740 1 2.7 46 1 2.7 42 1 2.7 30 1 2.7 27 1 2.7 23 1 2.7 20 1 2.7 20 1 2.7 17 1 2.7 17 1 2.6 87 1 2.6 62 1 2.6 59 1 2.6 54 1 2.6 32 1 2.6 28 1 2.6 28 1 2.6 11 1 2.5 99 1 2.5 72 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 6 1 2.5 40 1 2.5 37 1 2.5 36 1 2.5 22 1 2.5 18 1 2.5 18 1 2.5 18 1 2.5 15 1 2.5 12 1 2.4 9 1 2.4 9 1 2.4 9 1 2.4 9 1 2.4 9 1 2.4 41 1 2.4 26 1 2.4 167 1 2.3 7

5 THRACIVSA 5 MVRMVR 5 MORS@ 5 DOCTVS 167 QVI1 16 DVCO 15 TVTVS 12 VENTVS 11 TANGO 10 CVRRO 9 FORMA 9 BIS 8 DVLCIS 8 CORNV 26 NOVVS 20 TVRBA 19 TRISTIS 18 SVPERI 12 AVIDVS 11 NIMIVM2 11 CVRSVS 6 CONCIDO1 28 MARE 22 POPVLVS1 4 RIGEO 4 RADIO 4 OTIVM 4 NEBVLA 4 NAVIS 4 HABITO 4 FERVENS 4 DOMITOR 4 CYMBA 4 CVSPIS 4 ATTICVSA 14 PATEO 13 CVRRVS 13 COLLVM 9 ITERVM 8 RESPICIO 8 MODO1 8 MARITVS1 7 AEQVOR 6 NIVEVS 5 VER 5 TIGRIS 5 SITIS 5 OCCASVS 5 CONSTO 14 METVO 10 LEX 43 NVLLVS 4 MAENAS

1 2.3 7 1 2.3 7 1 2.3 7 1 2.3 7 1 2.3 7 1 2.3 51 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 4 1 2.3 39 1 2.3 20 1 2.3 13 1 2.3 13 1 2.3 13 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.2 69 1 2.2 45 1 2.2 40 1 2.2 29 1 2.2 28 1 2.2 17 1 2.2 14 1 2.2 14 1 2.2 14 1 2.2 14 1 2.2 14 1 2.2 14 1 2.2 135 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8

4 4 4 4 4 16 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 13 8 6 6 6 5 5 5 5 5 5 5 5 5 20 14 13 10 10 7 6 6 6 6 6 6 35 4 4 4 4

LIMES HEBRVS@ GLACIALIS CVSTOS ARCTOVSA TEMPVS1 TIPHYS@ THREICIVSA TEPEO STAMEN SONITVS SIDONIVSA ROSCIDVS RIVVS RELEVO1 POCVLVM PLECTRVM OBITVS META EVRVS@ CONFIDO ALVMNVS1 COLO2 BREVIS LIMEN CAERVLEVS AVLA1 VNDE1 ROTO REVOCO RAPAX MALE LENIS2 IMPROBVS DIVVS1 COLVS NIHIL SONO1 SPARGO2 IVVENIS1 LEO VBI3 TENVIS SOLLICITVS PHARETRA CARPO AXIS ARGOS@ TERRA ZEPHYRVS@ VRSA TERTIVS SPICVLVM

384 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 8 1 2.1 59 1 2.1 38 1 2.1 37 1 2.1 26 1 2.1 26 1 2.1 26 1 2.1 26 1 2.1 22 1 2.1 18 1 2.1 120 1 2.1 11 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 5 1 2.0 43 1 2.0 43 1 2.0 39 1 2.0 19 1 2.0 15 1 2.0 15 1 2.0 122

ANNEXES

4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 17 12 12 9 9 9 9 8 7 31 5 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 13 13 12 7 6 6 31

SOLLEMNIS SCOPVLVS QVISQVE2 QVILIBET PROFERO PERVIVS IVVENCVS1 DEFLEO CENTVM ARMENTVM COMA NVBES TITAN@ SECO LABOR2 AVRA AETERNVS FACILIS FONS TENEO ARBOR VOLO2 VEXO SAVCIVS RVBEO RADIVS QVAMVIS1 NIMIVS MAGISTER LVNA@ FERAX DRACO DONEC DISPONO DEVINCO CHELYS CALIDVS ANNOSVS FORTIS DVRVS GEMINVS FACIES VILIS TIMIDVS REX

D.  LES PERSONNAGES MASCULINS N° Écart Corpus Texte Mot 5 6.4 441 243 EGO 5 4.5 167 96 PATER

5 4.3 4083 1766 . 5 4.2 21 18 SIVE2 5 3.6 64 40 GENITOR 5 3.5 601 282 HIC1 5 3.5 27 20 ROGVS 5 3.4 8 8 LAIVS@ 5 3.4 14 12 NOLO 5 3.3 152 81 NOSTER 5 3.2 84 48 FERA 5 3.2 116 63 CAELVM1 5 3.1 91 51 HERCVLES@ 5 3.1 108 59 PARENS1 5 3.1 10 9 LYCVS@ 5 3.0 39 25 PERIMO 5 3.0 28 19 VETO 5 3.0 24 17 IVNO@ 5 2.9 9 8 ERVO 5 2.9 843 377 SVM1 5 2.8 53 31 PARCO 5 2.8 37 23 NOCENS 5 2.8 287 137 MEVS 5 2.8 18 13 TYRANNVS 5 2.8 11 9 THYESTES@ 5 2.8 11 9 REFVGIO 5 2.8 11 9 CITHAERON@ 5 2.7 72 40 TELLVS 5 2.7 24 16 FATEOR 5 2.7 22 15 FOR 5 2.7 20 14 PRO2 5 2.7 20 14 FINIS 5 2.7 13 10 SALVS 5 2.6 8 7 OPVS1 5 2.6 8 7 MENSA 5 2.6 8 7 CALCHAS@ 5 2.6 5 5 VBICVMQVE1 5 2.6 5 5 OCCIDO2 5 2.6 5 5 OBTINEO 5 2.6 117 60 GRAVIS 5 2.5 49 28 LABOR1 5 2.5 37 22 SOLVM1 5 2.5 37 22 SCIO 5 2.5 35 21 ODIVM 5 2.5 25 16 QVAM1 5 2.5 25 16 GIGNO 5 2.5 23 15 VNDE2 5 2.5 23 15 POSCO 5 2.5 10 8 INERS 5 2.5 10 8 CREMO 5 2.4 85 44 DEXTERA 5 2.4 7 6 IMPRIMO 5 2.4 7 6 CELO 5 2.4 42 24 VIRTVS 5 2.4 176 85 MALVM1

ANNEXES385

5 2.4 16 5 2.4 16 5 2.4 14 5 2.3 9 5 2.3 73 5 2.3 66 5 2.3 47 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 4 5 2.3 32 5 2.3 28 5 2.3 28 5 2.3 260 5 2.3 26 5 2.2 72 5 2.2 69 5 2.2 63 5 2.2 41 5 2.2 37 5 2.2 31 5 2.2 29 5 2.2 25 5 2.2 23 5 2.2 19 5 2.2 17 5 2.2 17 5 2.2 17 5 2.2 15 5 2.2 15 5 2.2 15 5 2.2 13 5 2.2 13 5 2.2 11 5 2.2 11 5 2.1 64 5 2.1 6 5 2.1 6 5 2.1 6 5 2.1 6 5 2.1 6 5 2.1 6 5 2.1 44

11 VLTRA1 11 ETIAM 10 FACTVM 7 SVBMITTO 38 FIDES2 35 TAMEN 26 ALIVS 4 VERSOR 4 RESVMO 4 QVONIAM 4 POLYBVS@ 4 PERPLEXVS 4 PALAM1 4 MALO 4 ICO 4 ETSI2 4 COMPAGES 4 ASTO 4 AMPLVS 4 ABSTRVDO 19 DIGNVS 17 TENEBRAE 17 CLADES 121 DO 16 LAVS 37 ARMA 36 NE2 33 IVPPITER@ 23 NOSCO 21 AVFERO 18 BENE 17 PATERNVS 15 PARVM2 14 PLAGA2 12 AMNIS 11 QVIDEM 11 QVANTVS2 11 CONCIPIO 10 NVMQVID 10 IMPELLO 10 DAPS 9 INFANDVS 9 AMITTO 8 IMMINEO 8 ABDITVS 33 QVOQVE 5 SVCCENDO 5 LERNAEVSA 5 HORRENS 5 EXPIO 5 DIRIMO 5 DEGENER 24 VERBVM

5 2.1 38 5 2.1 38 5 2.1 195 5 2.1 117 5 2.0 8 5 2.0 8 5 2.0 8 5 2.0 8 5 2.0 8 5 2.0 56 5 2.0 32 5 2.0 32 5 2.0 30 5 2.0 26 5 2.0 128 5 2.0 10 5 2.0 10 5 2.0 10 5 2.0 10 5 2.0 10

21 21 91 57 6 6 6 6 6 29 18 18 17 15 61 7 7 7 7 7

TOT NE4 SCELVS CAPVT PABVLVM NOXIVS MISERIA LAEVA1 FOEDVS2 PHOEBVS@ TANDEM DEBEO TVM CERNO FACIO SOSPES RICTVS LIBENS INFANS1 EXEMPLVM

E.  LES PERSONNAGES FÉMININS N° Écart Corpus Texte Mot 4 6.7 110 68 CONIVX 4 5.9 287 136 MEVS 4 4.9 239 110 TVVS 4 4.7 441 183 EGO 4 4.5 23 18 VESTER 4 4.4 4083 1386 . 4 4.3 529 209 TV 4 4.2 37 24 HECTOR@ 4 4.2 12 11 IASON@ 4 4.1 584 226 QVIS1 4 4.1 175 80 NATVS1 4 3.9 26 18 DVO 4 3.9 22 16 PHRYGES@ 4 3.8 35 22 PATRIA 4 3.8 15 12 PARIO2 4 3.8 112 54 MISER 4 3.6 41 24 TROIA@ 4 3.6 157 70 MATER 4 3.5 49 27 AMOR 4 3.5 44 25 HOSTIS 4 3.5 22 15 PELLEX 4 3.5 22 15 NVRVS 4 3.5 20 14 SOCER 4 3.4 72 36 FAX 4 3.3 843 303 SVM1 4 3.3 6 6 PONTVS@ 4 3.3 6 6 FORTE

386 4 3.3 41 4 3.3 197 4 3.3 13 4 3.2 26 4 3.2 224 4 3.2 170 4 3.1 601 4 3.1 55 4 3.0 5 4 3.0 27 4 3.0 14 4 2.9 33 4 2.9 17 4 2.9 17 4 2.8 9 4 2.8 9 4 2.8 9 4 2.8 7 4 2.8 7 4 2.8 7 4 2.8 46 4 2.8 24 4 2.7 94 4 2.6 90 4 2.6 4 4 2.6 4 4 2.6 4 4 2.6 4 4 2.6 30 4 2.6 28 4 2.6 16 4 2.6 16 4 2.6 16 4 2.6 14 4 2.5 87 4 2.5 8 4 2.5 8 4 2.5 8 4 2.5 8 4 2.5 73 4 2.5 6 4 2.5 6 4 2.5 6 4 2.5 6 4 2.5 6 4 2.5 6 4 2.5 57 4 2.5 26 4 2.5 21 4 2.5 154 4 2.5 12 4 2.5 10 4 2.5 10

ANNEXES

23 PLACEO 82 PER 10 HECVBA@ 16 TVMVLVS 91 SI2 72 PETO 220 HIC1 28 THALAMVS 5 PERPETIOR 16 PRIAMVS@ 10 GENER 18 FVGA 11 FALLO 11 EVERTO 7 REDITVS 7 MISEREOR 7 HELENA@ 6 SEPVLCRVM 6 OSCVLVM 6 AH 23 VOTVM 14 AMO 41 ISTE 39 FERRVM 4 STIMVLVS 4 RESPERGO 4 NVPTIALIS 4 CREVSA@ 16 TALIS 15 CINIS 10 VIDVVS 10 RECEDO1 10 LVGEO 9 ALCMENA@ 37 DOLOR 6 IDAEVSA 6 FERVEO 6 CAPTIVVS2 6 AVXILIVM 32 SOLVS 5 PAENITEO 5 ILLINO 5 CASSANDRA@ 5 CAPTIVA 5 ANVS2 5 ANDROMACHA@ 26 PEREO1 14 VESTIS 12 DESVM1 61 SVM2 8 INDOMITVS 7 INTENDO 7 INSONS

4 2.4 80 4 2.4 69 4 2.4 22 4 2.4 204 4 2.4 15 4 2.3 38 4 2.3 33 4 2.3 260 4 2.3 18 4 2.3 18 4 2.3 13 4 2.3 13 4 2.3 13 4 2.3 11 4 2.3 11 4 2.2 9 4 2.2 9 4 2.2 9 4 2.2 9 4 2.2 9 4 2.2 74 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 7 4 2.2 60 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 5 4 2.2 47 4 2.2 26 4 2.2 111 4 2.1 89 4 2.1 81 4 2.1 78 4 2.1 75 4 2.1 48 4 2.1 42 4 2.1 40 4 2.1 34

34 30 12 78 9 18 16 96 10 10 8 8 8 7 7 6 6 6 6 6 31 5 5 5 5 5 5 5 5 5 26 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 21 13 44 36 33 32 31 21 19 18 16

AGO HABEO VADO2 POSSVM1 THESSALVSA FORTVNA CESSO DO VLIXES@ ADDO PENATES@ CERTE ALIENVS2 FORSAN DECEM THEBANVSA MACVLO IOLE@ FORSITAN ADICIO QVAERO SOPOR IVGVLVM IVDEX HOSTILIS GERMANVS1 ELIGO3 DOMINA ALTRIX ACCIDO1 PRECOR VECTOR1 TROICVSA TANTVM1 SCYTHAE@ REPOSCO PRAECEDO1 IVGALIS FIDELIS2 COMMODO1 BELLICVS AEGISTHVS@ MEMBRVM RETRO1 VNVS RAPIO LEVIS1 POENA CAPIO2 VT1 SINVS TORVS SOROR

ANNEXES387

4 2.1 34 4 2.1 32 4 2.1 29 4 2.1 27 4 2.1 24 4 2.1 19 4 2.1 12

16 15 14 13 12 10 7

ADHVC IVVO VBI2 ACHILLES@ DANAI@ SCINDO EXSTINGVO

4 2.0 97 4 2.0 38 4 2.0 308 4 2.0 30 4 2.0 17 4 2.0 17 4 2.0 17

38 AB 17 VIVO 109 MANVS1 14 FVNVS 9 PYRRHVS@ 9 PRIOR 9 INNOCENS

388

ANNEXES

Annexe II, 2 :  Environnement thématique1 de mater Mater chez les personnages féminins pius

Écarts

Occ.

Cooc.

3,94

8

5

prex

3,60

6

4

fleo

2,92

16

5

2,92

16

5

memini

2,89

23

6

2,83

2

2

afflictus

2,83

2

2

grex

2,78

6

3

2,6

13

4

incolumis

2,5

3

2

2,5

3

2

similis

2,5

3

2

nomen

2,47

8

3

2,47

8

3

Phryges

2,47

8

3

2,33

16

4

tener

2,33

16

4

signum

2,26

4

2

2,26

4

2

notus

2,26

4

2

2,26

4

2

pater

2,26

4

2

miser

2,18

54

8

2,18

54

8

sinus

2,09

16

5

uester

2,52

19

4

2,17

18

4

uincio

2,07

5

2

Lemmes

osculum

placeo

fetus

ultrix

concito

celsus

malus

plaga

leuo

precor

toruus

2,07

5

2

leo

2,07

5

2

frons

2,07

5

2

recipio

2,24

30

3

Mater chez les personnages masculins uterus

Écarts

Occ.

Cooc.

3,18

5

3

Iuppiter

3,18

5

3

uber

3,15

33

7

2,98

2

2

puer

2,98

2

2

2,84

7

3

parco

2,84

7

3

transcendo

2,78

31

6

2,66

3

2

exsurgo

2,66

3

2

2,66

3

2

cruentus

2,55

17

4

ico

2,55

17

4

2,43

4

2

occido

2,4

19

4

2,25

5

2

perago

2,25

5

2

crimen

2,19

13

3

2,11

14

3

mille

2,1

6

2

2,1

6

2

fas

2,1

6

2

frater

2,1

6

2

2,07

47

6

dolus

2,03

15

3

2,03

15

3

Lemmes

femineus

lanio

compesco

fetus

paternus

gemo

mortalis

pulso

flebilis

satis

1   Les mots-outils et les noms propres ont été retirés pour une meilleure lecture des résultats.

ANNEXES389

Annexe III, 1 :  Lemmes spécifiques des deux groupes de la base Lex_Spéc A.  LES PERSONNAGES MASCULINS N° Écart Corpus Texte Mot 1 4.0 81 1 3.2 20 1 3.0 15 1 2.8 24 1 2.7 9 1 2.7 67 1 2.7 20 1 2.7 13 1 2.6 85 1 2.6 8 1 2.6 8 1 2.6 8 1 2.6 38 1 2.6 29 1 2.6 19 1 2.5 34 1 2.5 34 1 2.5 25 1 2.5 15 1 2.5 15 1 2.5 108 1 2.4 7 1 2.4 7 1 2.4 7 1 2.4 56 1 2.4 36 1 2.4 24 1 2.4 24 1 2.4 11 1 2.3 29 1 2.3 29 1 2.3 20 1 2.3 14 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.3 10 1 2.2 90 1 2.2 85 1 2.2 6 1 2.2 6 1 2.2 6 1 2.2 6 1 2.2 58 1 2.2 45 1 2.2 40 1 2.2 31

63 18 14 20 9 48 17 12 59 8 8 8 29 23 16 26 26 20 13 13 73 7 7 7 40 27 19 19 10 22 22 16 12 9 9 9 9 60 57 6 6 6 6 40 32 29 23

CAELVM1 SIVE2 FINIS ROGVS CITHAERON@ FERA CANIS NOLO TERRA VERVM1 LAIVS@ INERS PHOEBVS@ NOSCO GIGNO NEMVS ASTRVM MODVS TYRANNVS SIDVS NVLLVS RICTVS MENSA ATREVS@ TELLVS MOVEO VETO DIGNVS NVMQVID TREMO SOLVM1 LAVS FALSVS THYESTES@ MACTO LYCVS@ AMITTO GRAVIS CAPVT SECVNDVS1 PABVLVM NOXIVS CELO GENITOR NOX SILVA MONSTRVM

1 2.2 28 1 2.2 22 1 2.2 22 1 2.2 22 1 2.2 22 1 2.2 16 1 2.2 16 1 2.2 16 1 2.2 13 1 2.2 13 1 2.1 9 1 2.1 9 1 2.1 9 1 2.1 9 1 2.1 9 1 2.1 44 1 2.1 39 1 2.1 150 1 2.0 64 1 2.0 35 1 2.0 24 1 2.0 18 1 2.0 15 1 2.0 15 1 2.0 12 1 2.0 12 1 2.0 12 1 2.0 12 1 2.0 12

21 17 17 17 17 13 13 13 11 11 8 8 8 8 8 31 28 96 43 25 18 14 12 12 10 10 10 10 10

ODIVM TVM TENEBRAE LAETVS2 IVNO@ FEMINA AETHER AETERNVS VLTRA1 SILEO IMMINEO FONS ERVO BONVM ABDITVS PARCO LABOR1 PATER ATQVE1 PERIMO TANDEM PLAGA2 TRVX BACCHVS@ SALVS PECVS1 FAMVLVS1 FACTVM DAPS

B.  LES PERSONNAGES FÉMININS N° Écart Corpus Texte Mot 2 5.8 93 2 3.9 192 2 3.8 36 2 3.7 17 2 3.6 32 2 3.6 22 2 3.6 140 2 3.6 10 2 3.6 10 2 3.5 29 2 3.5 19 2 3.4 88 2 3.4 33 2 3.3 23 2 3.3 12

68 CONIVX 110 TVVS 27 AMOR 15 NVRVS 24 TROIA@ 18 DVO 82 PER 10 LVGEO 10 HECVBA@ 22 PATRIA 16 PHRYGES@ 54 MISER 24 HECTOR@ 18 VESTER 11 IASON@

390 2 3.1 19 2 3.0 57 2 3.0 415 2 3.0 33 2 3.0 21 2 3.0 21 2 3.0 13 2 2.9 18 2 2.9 10 2 2.8 65 2 2.8 15 2 2.7 9 2 2.7 6 2 2.7 6 2 2.7 6 2 2.7 6 2 2.7 6 2 2.7 6 2 2.7 39 2 2.7 19 2 2.6 32 2 2.6 21 2 2.6 16 2 2.6 16 2 2.5 8 2 2.5 8 2 2.5 8 2 2.5 8 2 2.5 56 2 2.5 42 2 2.5 27 2 2.5 27 2 2.5 13 2 2.4 55 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 5 2 2.4 26 2 2.4 24 2 2.3 273 2 2.3 17

ANNEXES

15 PELLEX 36 FAX 209 TV 23 PLACEO 16 TVMVLVS 16 PRIAMVS@ 11 FALLO 14 SOCER 9 THESSALVSA 39 FERRVM 12 PARIO2 8 INDOMITVS 6 PONTVS@ 6 OSCVLVM 6 MEMOR 6 FORTE 6 CAPTIVVS2 6 AH 25 HOSTIS 14 AMO 21 VT1 15 QVALIS1 12 VADO2 12 DESVM1 7 REDITVS 7 INTENDO 7 INSONS 7 HELENA@ 33 LEVIS1 26 PEREO1 18 FVGA 18 FLECTO 10 VIDVVS 32 SOLVS 5 PERPETIOR 5 IVGVLVM 5 INSANVS 5 ELIGO3 5 CASSANDRA@ 5 CAPTIVA 5 BRACHIVM 5 ANVS2 5 ACCIDO1 17 CASVS 16 TALIS 136 MEVS 12 PARITER

2 2.3 134 2 2.3 12 2 2.3 12 2 2.3 10 2 2.3 10 2 2.2 7 2 2.2 7 2 2.2 7 2 2.2 7 2 2.2 7 2 2.2 7 2 2.2 48 2 2.2 471 2 2.2 25 2 2.2 21 2 2.2 14 2 2.1 9 2 2.1 9 2 2.1 67 2 2.1 41 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 4 2 2.1 39 2 2.1 22 2 2.1 18 2 2.1 18 2 2.1 16 2 2.1 140 2 2.0 54 2 2.0 30 2 2.0 26 2 2.0 24 2 2.0 11 2 2.0 11

70 MATER 9 PRIOR 9 ALCMENA@ 8 VENA 8 FAMVLA 6 VERSO 6 SEPVLCRVM 6 MACVLO 6 IOLE@ 6 IDAEVSA 6 ADICIO 28 THALAMVS 226 QVIS1 16 CESSO 14 VESTIS 10 GENER 7 MISEREOR 7 EXSTINGVO 37 DOLOR 24 VIR 4 VITTA 4 VESANVS 4 VECTOR1 4 TROICVSA 4 STIMVLVS 4 SOL@ 4 SCYTHAE@ 4 RESPERGO 4 PRAECEDO1 4 PLANGO 4 NVPTIALIS 4 FVLVVS 4 CREVSA@ 4 AMOR@ 23 VOTVM 14 FVNVS 12 FERIO 12 DANAI@ 11 EVERTO 72 PETO 30 HABEO 18 FORTVNA 16 SOROR 15 CINIS 8 PENATES@ 8 DEA

ANNEXES391

Annexe III, 2  :  Codes grammaticaux spécifiques des deux groupes de la base Lex_Spéc A.  Les Personnages masculins N° Écart Corpus Texte Code 1 1

3.5 3.2

472 59

303 45

1

3.2

24

21

1

2.9

75

54

1

2.9

14

13

1 1 1

2.8 2.7 2.6

404 768 82

254 468 57

1

2.5

111

75

1

2.5

48

35

1

2.4

53

38

1

2.4

11

10

1 2.4

7

7

1

2.3

10

9

1 1

2.3 2.2

10 111

9 73

1 1

2.2 2.2

19 6

15 6

1 1

2.1 2.1

91 9

60 8

1 1

2.0 2.0

24 12

18 10

_a261 _b3_2_111300

Substantif, 2e déclinaison, Ablatif, Singulier, Verbe, 3e conjugaison, Pluriel, Indicatif, Présent, Actif, 3e personne, _b3_1_1112ln Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 2e personne, _b1_1_141300 Verbe, 1re conjugaison, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 3e personne, _b3_1_113300 Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Déponent, 3e personne, _c13112 Adjectif, 1re classe, Accusatif, Singulier, Positif, _a361 Substantif, 3e déclinaison, Ablatif, Singulier, _b3_1_141100 Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 1re personne, _c43112 Adjectif, 2e classe type -is, Accusatif, Singulier, Positif, _c56112 Adjectif, 2e classe imparisyllabique, Ablatif, Singulier, Positif, _b361_442 Verbe, 3e conjugaison, Ablatif, Singulier, Participe, Parfait, Passif, _b5_1_111100 Verbe, Conjugaison mixte, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 1re personne, _b5___713_ag Verbe, Conjugaison mixte, Infinitif, Présent, Déponent, _b1_1_3113ln Verbe, 1re conjugaison, Singulier, Subjonctif, Présent, Actif, 3e personne, _h_62 Pr. possessif réfléchi, Ablatif, Pluriel, _b311_411 Verbe, 3e conjugaison, Nominatif, Singulier, Participe, Présent, Actif, _b3___741 Verbe, 3e conjugaison, Infinitif, Parfait, Actif, _b6_1_1413na Verbe, Conjugaison anomale, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 3e personne, _a112 Substantif, 1re déclinaison, Nominatif, Pluriel, _b512_442 Verbe, Conjugaison mixte, Nominatif, Pluriel, Participe, Parfait, Passif, _a142 Substantif, 1re déclinaison, Génitif, Pluriel, _l_52 Pr. indéfini, Datif, Pluriel.

B.  Les Personnages féminins N° Écart Corpus Texte Code 2 4.0 94 2 3.5 36 2 3.5 19 2 3.2 14

60 26 16 12

_a221 Substantif, 2e déclinaison, Vocatif, Singulier, _a322 Substantif, 3e déclinaison, Vocatif, Pluriel, _d132. Numéral, Cardinal, Accusatif, Pluriel, _b2_1_213200 Verbe, 2e conjugaison, Singulier, Impératif, Présent, Déponent, 2e personne,

392

ANNEXES

2

3.1

31

22

2

2.9

103

59

2 2 2 2 2 2

2.8 2.8 2.7 2.7 2.7 2.6

159 44 97 9 6 80

86 28 55 8 6 46

2

2.6

16

12

2

2.5

27

18

2

2.5

20

14

2 2.5 8

7

2

2.5

8

7

2 2 2 2 2

2.4 2.4 2.3 2.3 2.3

77 5 453 326 19

43 5 218 160 13

2 2

2.2 2.2

216 14

108 10

2

2.2

7

6

2 2 2

2.1 2.1 2.1

109 72 57

57 39 32

2 2

2.1 2.1

39 20

23 13

2

2.1

20

13

2 2 2

2.1 2.1 2.1

20 16 9

13 11 7

2

2.1

4

4

2 2

2.1 2.0

4 30

4 18

_b511_442

Verbe, Conjugaison mixte, Nominatif, Singulier, Participe, Parfait, Passif, _b3_1_131100 Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Futur, Actif, 1re personne, _a141 Substantif, 1re déclinaison, Génitif, Singulier, _a412 Substantif, Nominatif, Pluriel, _j_32 Pr. relatif, Accusatif, Pluriel, _b1___741 Verbe, 1re conjugaison, Infinitif, Parfait, Actif, _a532 Substantif, 4e déclinaison, Accusatif, Pluriel, _b1_1_111200 Verbe, 1re conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 2e personne, _b3_1_311100 Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Subjonctif, Présent, Actif, 1re personne, _b5_1_141100 Verbe, Conjugaison mixte, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 1re personne, _b2_2_211200 Verbe, 2e conjugaison, Pluriel, Impératif, Présent, Actif, 2e personne, _b6_1_3113xk Verbe, Conjugaison anomale, Singulier, Subjonctif, Présent, Actif, 3e personne, _b3_1_1113mg Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 3e personne, _a352 Substantif, 3e déclinaison, Datif, Pluriel, _d2323 Numéral, Ordinal, Accusatif, Pluriel, _a111 Substantif, 1re déclinaison, Nominatif, Singulier, _a432 Substantif, Accusatif, Pluriel, _b6_1_1413ln Verbe, Conjugaison anomale, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 3e personne, _k_31 Pr.interrogatif, Accusatif, Singulier, _b6_1_121300 Verbe, Conjugaison anomale, Singulier, Indicatif, Imparfait, Actif, 3e personne, _b3_1_1413sx Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Parfait, Actif, 3e personne, _f_11 Pr.possessif, Nominatif, Singulier, _f_41 Pr.possessif, Génitif, Singulier, _b3_2_211200 Verbe, 3e conjugaison, Pluriel, Impératif, Présent, Actif, 2e personne, _f_62 Pr.possessif, Ablatif, Pluriel, _b362_442_ad Verbe, 3e conjugaison, Ablatif, Pluriel, Participe, Parfait, Passif, _b2_1_1113sx Verbe, 2e conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 3e personne, _a122 Substantif, 1re déclinaison, Vocatif, Pluriel, _j_51 Pr. relatif, Datif, Singulier, _b3_1_132100 Verbe, 3e conjugaison, Singulier, Indicatif, Futur, Passif, 1re personne, _b2_1_1113xd Verbe, 2e conjugaison, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 3e personne, _c_1212 Adjectif, Nominatif, Pluriel, Positif, _b6_1_1113ln Verbe, Conjugaison anomale, Singulier, Indicatif, Présent, Actif, 3e personne.

ANNEXES393

Annexe III, 3  :  Environnement thématique du vocatif chez les personnages masculins et féminins1 Le vocatif chez les personnages féminins

Le vocatif chez les personnages masculins

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

o

28,66

106

40

o

26,29

98

53

tu

17,65

58

28

pro

15,55

46

26

nate

12,47

36

18

uos

13,49

19

36

pro

10,8

29

14

qui

12,38

74

74

Phrygibus

10,49

25

8

soror

9,50

19

6

spes

9,18

22

9

audite

9,38

18

4

uos

8,93

23

12

rector

8,46

18

9

Manes

8,59

24

15

mundi

8,34

20

13

date

8,59

20

8

semper

8,31

28

25

superis

8,29

18

5

potens

8,21

16

6

nimium

8,19

19

8

arbiter

8,01

16

7

coniux

8,03

32

28

precor

7,91

23

19

Titan

7,98

19

9

per

7,31

58

49

demens

7,97

18

7

adeste

7,20

13

4

saeue

7,73

16

3

nostris

7,06

15

9

flete

7,49

16

5

uocibus

6,88

12

3

precor

7,05

24

20

rapite

6,73

12

4

domus

7,03

30

28

agis

6,73

12

4

precari

6,98

14

2

Lares

6,6

13

7

superi

6,93

16

8

uides

6,57

14

9

patriae

6,91

15

6

tellus

6,56

38

34

dominum

6,66

14

5

uentorum

6,51

11

2

maris

6,23

13

5

Phoebe

6,41

11

3

Iason

6,16

16

11

meae

6,34

13

8

profundi

6,14

12

2

deorum

6,34

13

8

dominator

6,14

12

2

Laius

6,26

11

4

aeternae

6,14

12

2

ferat

6,26

11

4

  En raison du nombre très important des résultats, nous ne reproduisons en annexe que les résultats avec un écart réduit supérieur à 3,5. 1

394

ANNEXES

Le vocatif chez les personnages féminins

Le vocatif chez les personnages masculins

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

noctis

6,07

12

3

rota

6,07

11

5

dominam

6,07

12

3

impia

6,07

11

5

iubar

5,95

12

4

Theseu

5,83

12

8

ceruice

5,95

12

4

poli

5,83

12

8

Troiae

5,83

13

7

pater

5,82

46

37

tuos

5,6

19

17

socia

5,77

10

4

anime

5,61

19

17

ducat

5,77

10

4

umbrae

5,59

12

6

cursu

5,77

10

4

fide

5,59

12

6

tecta

5,58

11

7

parentis

5,58

13

8

Lethes

5,54

9

2

tristis

5,51

11

4

celeri

5,54

9

2

Hecate

5,51

11

4

maximum

5,52

12

9

sacris

5,36

12

7

genitor

5,45

33

28

nomen

5,36

12

7

ueni

5,43

9

3

felix

5,31

17

15

specus

5,43

9

3

tacitis

5,27

10

2

penes

5,43

9

3

raptam

5,27

10

2

Titan

5,39

13

11

orbi

5,27

10

2

nube

5,29

11

8

meliore

5,27

10

2

recipe

5,26

9

4

genialis

5,27

10

2

me

5,12

123

75

freta

5,27

10

2

signa

5,04

9

5

fas

5,27

10

2

lacus

5,04

9

5

cito

5,27

10

2

fatidica

5,04

8

2

uana

5,19

10

3

domos

4,94

11

9

tori

5,19

10

3

stirpis

4,92

8

3

clarum

5,19

10

3

nate

4,78

9

6

Chaos

5,19

10

3

fortis

4,78

9

6

adeste

5,19

10

3

fatum

4,78

9

6

matri

5,18

14

11

impium

4,73

8

4

magni

5,13

11

6

finem

4,73

8

4

funus

5,13

11

6

tuum

4,72

10

8

tempus

5,1

12

8

Phoebus

4,72

10

8

ANNEXES395

Le vocatif chez les personnages féminins

Le vocatif chez les personnages masculins

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

uoce

5,06

10

4

anime

4,72

10

8

ratem

5,06

10

4

solo

4,59

11

10

peior

5,06

10

4

torpentes

4,52

7

2

letum

5,06

10

4

sontem

4,52

7

2

certa

5,06

10

4

solio

4,52

7

2

genitor

5,05

18

17

senium

4,52

7

2

Phrygum

4,87

10

5

securus

4,52

7

2

fallax

4,87

10

5

reliqui

4,52

7

2

patri

4,82

14

12

quieta

4,52

7

2

Hector

4,82

14

12

Polybi

4,52

7

2

Pergama

4,82

9

2

placatus

4,52

7

2

credula

4,82

9

2

perpetuis

4,52

7

2

umeris

4,73

9

3

perimat

4,52

7

2

regni

4,65

13

11

penetrales

4,52

7

2

magis

4,6

11

8

Pallas

4,52

7

2

suum

4,59

9

4

mouens

4,52

7

2

afflictae

4,59

9

4

mersum

4,52

7

2

deos

4,41

21

20

Merope

4,52

7

2

manus

4,35

8

2

fugi

4,52

7

2

uestrae

4,35

8

2

cuspidem

4,52

7

2

similes

4,35

8

2

currus

4,52

7

2

Danaum

4,35

8

2

iners

4,50

8

5

ueteris

4,26

8

3

iecur

4,50

8

5

fronte

4,26

8

3

faces

4,50

8

5

reditus

4,15

9

6

unda

4,48

7

9

minax

4,11

8

4

comes

4,39

12

12

ciues

4,11

8

4

uatis

4,38

7

3

uota

4,07

10

8

summum

4,38

7

3

Alciden

4,07

10

8

hospes

4,38

7

3

te

4,03

101

70

gratia

4,38

7

3

sequor

3,89

8

5

fluctu

4,38

7

3

Troici

3,88

7

2

eripiet

4,38

7

3

396

ANNEXES

Le vocatif chez les personnages féminins

Le vocatif chez les personnages masculins

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

Formes

Écarts

Occ.

Cooc.

summe

3,88

7

2

altum

4,38

7

3

sparsos

3,88

7

2

telis

4,21

8

6

soli

3,88

7

2

lux

4,21

8

6

sero

3,88

7

2

grauius

4,21

8

6

reddas

3,88

7

2

alto

4,21

8

6

nouae

3,88

7

2

sagittis

4,19

7

4

inclita

3,88

7

2

miseris

4,19

7

4

incessu

3,88

7

2

facem

4,19

7

4

celsus

3,88

7

2

exulem

4,19

7

4

uestra

3,85

9

7

aequor

4,19

7

4

sceleribus

3,85

9

7

astris

4,13

9

8

recipe

3,85

9

7

summe

3,98

6

2

turba

3,83

13

13

ignaue

3,98

6

2

genus

3,83

13

13

dexterae

3,98

6

2

uector

3,78

7

3

dehisce

3,98

6

2

lucis

3,78

7

3

occidit

3,93

7

5

herculeos

3,78

7

3

nocentes

3,93

7

5

fortes

3,78

7

3

genus

3,92

21

17

miserae

3,71

10

9

iura

3,88

8

7

poli

3,62

8

6

tela

3,83

18

15

cape

3,62

8

6

tantum

3,83

18

15

regibus

3,61

7

4

uolui

3,83

6

3

plangite

3,61

7

4

relictus

3,83

6

3

mundum

3,61

7

4

paternis

3,83

6

3

greges

3,61

7

4

parens

3,82

32

23

fida

3,61

7

4

nato

3,7

12

11

deum

3,61

7

4

thalamis

3,61

7

6

comitem

3,61

7

4

luce

3,61

7

6

mihi

3,55

58

42

deum

3,61

7

6

ANNEXES397

Annexe V,1 :  Spécificités lexicales des quatre héroïnes étudiées 1. MÉDÉE

2. PHÈDRE

Médée en contexte féminin

Phèdre en contexte féminin

N° Écart Corpus Texte Mot

N° Écart Corpus Texte Mot

4 04 11 4 03 6 4 03 44 4 03 28 4 02 8 4 02 6 4 02 47 4 02 4 4 02 4 4 02 34 4 02 18 4 02 14

6 03 6 6 03 4 6 03 16 6 03 14 6 02 9 6 02 56 6 02 4 6 02 4 6 02 4 6 02 4 6 02 4 6 02 4 6 02 21 6 02 17 6 02 13

10 FAX 6 PARIO2 24 MEVS 17 SCELVS 6 AGO 5 VOS 23 QVIS1 4 IVVO 4 ADHVC 18 DO 11 FACIO 9 ISTE

Médée en contexte masculin N° Écart Corpus Texte Mot 5 04 12 5 03 8 5 03 6 5 03 5 5 03 5 5 03 5 5 03 4 5 03 19 5 03 10 5 02 97 5 02 9 5 02 7 5 02 7 5 02 7 5 02 7 5 02 7 5 02 6 5 02 6 5 02 59 5 02 4 5 02 4 5 02 4 5 02 26 5 02 25 5 02 19 5 02 17 5 02 13

10 FVGIO 6 NOS 5 PRO1 5 REDDO 4 NOCENS 4 ADICIO 4 SVPPLEX2 9 PETO 7 SOLVS 30 SVM1 5 QVA1 4 NVMQVAM 4 LICET1 4 DVX 4 DECVS 4 CAEDES 4 PLACEO 4 EXTER 20 HIC1 3 PVTO 3 NE4 3 FVLGEO 10 PER 10 REGNVM 8 NATVS1 8 QVISQVIS1 6 IVBEO

3 COGO 3 RATIO 5 SEQVOR 5 AMOR 3 AMO 10 IN 2 REMEO 2 QVALIS1 2 IVVO 2 INCVBO2 2 FVRENS 2 AN 5 MALVM1 4 NOSTER 4 VINCO

Phèdre en contexte masculin N° Écart Corpus Texte Mot 7 04 26 7 03 75 7 03 7 7 03 5 7 03 43 7 03 42 7 03 4 7 03 4 7 03 25 7 03 17 7 03 12 7 03 11 7 02 9 7 02 7 7 02 7 7 02 7 7 02 7 7 02 18 7 02 18 7 02 18 7 02 17 7 02 17 7 02 14

11 TVVS 17 TV 4 PREX 4 SOROR 13 EGO 12 PER 3 POTIVS 3 FAMVLA 8 SI2 6 NOSTER 5 PVDOR 5 FACIO 4 TALIS 3 VERBVM 3 RECIPIO 3 INSANVS 3 IMPERIVM 6 DOMVS 5 MORS 5 MEVS 5 PECTVS 5 AD2 5 AMOR

398

ANNEXES

3.  LES TROYENNES

4.  HERCULE SUR L’ŒTA

Andromaque en contexte féminin

Déjanire en contexte féminin

N° Écart Corpus Texte Mot

N° Écart Corpus Texte Mot

2 04 9 4 THALAMVS 2 03 8 3 NOS 2 03 70 8 QVIS1 2 03 5 3 FOR 2 03 11 4 HECVBA@ 2 02 8 2 QVISQVAM 2 02 8 2 HVC 2 02 6 2 PVTO 2 02 6 2 PARO2 2 02 6 2 HELENA@ 2 02 6 2 FLVO 2 02 5 2 TEGO 2 02 5 2 AVDIO 2 02 490 31 . 2 02 18 3 MORS 2 02 13 3 MALVM1

4 04 7 6 AMO 4 04 31 13 CONIVX 4 04 15 10 FIO 4 04 10 7 NVRVS 4 03 9 5 TORVS 4 03 9 5 IOLE@ 4 03 8 5 THALAMVS 4 03 8 5 LICET3 4 03 7 5 TACITVS 4 03 7 4 IVNGO 4 03 6 4 VESTIS 4 03 6 4 GRESSVS 4 03 4 4 ARCANVM 4 03 4 4 ALTRIX 4 03 4 3 TVMEO 4 03 4 3 TIMOR 4 03 4 3 TABES 4 03 4 3 PROMO 4 03 4 3 PENITVS2 4 03 4 3 FORTE 4 03 4 3 FORSAN 4 03 4 3 DECOR 4 03 20 9 EO1 4 03 19 8 CAPIO2 4 03 138 32 QVI1 4 03 13 7 PELLEX 4 03 11 6 AMOR 4 02 9 4 SANGVIS 4 02 9 4 NESSVS@ 4 02 8 4 THESSALVSA 4 02 6 3 FORMA 4 02 55 14 IPSE 4 02 5 3 TEPIDVS 4 02 5 3 LIBET 4 02 5 3 INTENDO 4 02 207 42 ET2 4 02 17 6 LEVIS1 4 02 14 5 EX 4 02 122 28 HIC1 4 02 12 5 VAGVS

Andromaque en contexte masculin N° Écart Corpus Texte Mot 3 03 7 3 03 5 3 03 4 3 03 19 3 03 18 3 03 15 3 03 11 3 03 11 3 02 9 3 02 8 3 02 8 3 02 70 3 02 7 3 02 6 3 02 6 3 02 6 3 02 6 3 02 5 3 02 5 3 02 5 3 02 36 3 02 25 3 02 24 3 02 21 3 02 13

6 PES 5 LATEO 4 SOMNVS 12 NATVS1 10 PATER 10 O 8 CONIVX 7 HABEO 6 CONDO 5 PONO 5 ALIQVIS 27 QVIS1 5 QVALIS1 4 TALIS 4 REFERO 4 QVIDEM 4 ERIPIO 4 SVMO 4 SPES 4 AVDEO 16 HECTOR@ 11 MATER 12 SI2 10 TIMEO 7 SIC

Déjanire en contexte masculin N° Écart Corpus Texte Mot 5 04 5 5 04 31 5 04 29 5 04 11

4 PLACEO 11 CONIVX 10 SCELVS 6 ERIPIO

ANNEXES399

5 03 818 95 . 5 03 81 17 MANVS1 5 03 43 9 MORS 5 03 4 3 SEV2 5 03 27 7 TELVM 5 03 25 7 AB 5 03 24 7 DEXTERA 5 03 23 7 QVICVMQVE1 5 03 21 6 HINC 5 03 19 6 PARCO 5 03 16 5 ANIMVS 5 03 15 5 FERRVM 5 03 14 5 CESSO 5 03 13 6 POENA 5 03 13 5 VT1 5 02 8 3 VINDEX

5 02 8 5 02 8 5 02 8 5 02 7 5 02 61 5 02 57 5 02 4 5 02 4 5 02 4 5 02 4 5 02 21 5 02 21 5 02 16 5 02 15 5 02 13 5 02 13

3 TORQVEO 3 ROTA 3 MALVS3 3 DAMNO 10 SVM2 10 TVVS 2 VERBER 2 TESTOR 2 INTREPIDVS 2 EDO1 5 MORIOR 5 DIRVS 4 ISTE 4 MITTO 4 LVX 4 AVFERO

COLLECTION LATOMUS OUVRAGES DISPONIBLES   21. Deonna W., De Télésphore au “moine bourru”. Dieux, génies et démons encapuchonnés, 1955, 168 p. + 50 pl.   23. Hommages à Max Niedermann, 1956, 352 p.   27. Van Weddingen R., Favonii Eulogii Disputatio de Somnio Scipionis, 1957, 72 p.   28. Hommages à Waldemar Deonna, 1957, 548 p. + 69 pl.   30. Bolaffi E., La critica filosofica e letteraria in Quintiliano, 1958, 64 p.   32. Astin A.E., The Lex Annalis before Sulla, 1958, 47 p.   33. Favez C., Saint Jérôme paint par lui-même, 1958, 56 p.   35. Paladini M.L., A proposito della tradizione poetica sulla battaglia di Azio, 1958, 48 p.   36. Richter G.M.A., Greek Portraits II. To what extent where they faithful likenesses?, 1959, 49 p. + 16 pl.   39. Tsontchev D., Monuments de la sculpture romaine en Bulgarie méridionale, 1959, 44 p. + 24 pl.   40. Deonna W., Un divertissement de table. “À cloche-pied”, 1959, 40 p.   41. Stengers J., La formation de la frontière linguistique en Belgique ou de la légitimité de l’hypothèse historique, 1959, 56 p.   42. Van Essen C.-C., Précis d’histoire de l’art antique en Italie, 1960, 152 p. + 71 pl.   43. Bodnar E.W., Cyriacus of Ancona and Athens, 1960, 256 p.   44. Hommages à Léon Herrmann, 1960, 815 p. + 52 pl.   47. Balty J.C., Études sur la Maison Carrée de Nîmes, 1960, 204 p. + 27 pl.   51. Harmand J., Les origines des recherches françaises sur l’habitat rural gallo-­ romain, 1961, 52 p. + 6 pl.   52. Cambier G., Embricon de Mayence. La vie de Mahomet, 1961, 94 p.   53. Chevallier R., Rome et la Germanie au Ier siècle de notre ère, 1961, 49 p.   55. Vandersleyen C., Chronologie des préfets d’Égypte de 284 à 395, 1962, 202 p.   56. Le Glay M., Les Gaulois en Afrique, 1962, 43 p. + 1 carte   58. Renard M. (ed.), Hommages à Albert Grenier, 1962, 1679 p. + 338 pl. (3 vol.)   59. Herrmann L., Perse: Satires, 1962, 55 p.   61. Joly R., Le Tableau de Cébès et la philosophie religieuse, 1963, 92 p.   62. Deonna W., La Niké de Paeonios de Mendé et le triangle sacré des monu­ ments figurés, 1968, 220 p.   63. Brown E.L., Numeri Vergiliani. Studies in “Eclogues” and “Georgics”, 1963, 146 p.   64. Detsicas A.P., The Anonymous Central Gaulish Potter known as X-3 and his ­Connections, 1963, 73 p. + 16 pl.   65. Bardon H., Le génie latin, 1963, 264 p.   67. Herrmann L., Le rôle judiciaire et politique des femmes sous la République romaine, 1964, 128 p.   69. Herrmann L., Les fables antiques de la broderie de Bayeux, 1964, 62 p. + 42 pl.

30 € 50 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 40 € 60 € 40 € 30 € 30 € 30 € 40 € 30 € 90 € 30 € 30 € 40 € 30 € 30 € 40 € 30 € 30 €

  71. Fletcher G.B.A., Annotations on Tacitus, 1964, 108 p.   72. Decouflé P., La notion d’ex-voto anatomique chez les Étrusco-Romains. Analyse et synthèse, 1964, 44 p. + 19 pl.   73. Fenik B., “Iliad X” and the “Rhesus”. The Myth, 1964, 64 p.   75. Pascal C.B., The Cults of Cisalpine Gaul, 1964, 122 p.   76. Croisille J.-M., Les natures mortes campaniennes. Répertoire descriptif des peintures de nature morte du Musée National de Naples, de Pompéi, Herculanum et Stabies, 1965, 134 p. + 127 pl.   77. Zehnacker H., Les statues du sanctuaire de Kamart (Tunisie), 1965, 86 p. + 17 pl.   78. Herrmann L., La vision de Patmos, 1965, 150 p.   79. Pestalozza U., L’éternel féminin dans la religion méditerranéenne, 1965, 83 p.   80. Tudor D., Sucidava. Une cité daco-romaine et byzantine en Dacie, 1965, 140 p. + 30 pl.   81. Fitz J., Ingenuus et Régalien, 1966, 72 p.   82. Colin J., Les villes libres de l’Orient gréco-romain et l’envoi au supplice par acclamations populaires, 1965, 176 p. + 5 pl.   84. des Abbayes H., Virgile: Les Bucoliques, 1966, 92 p.   85. Balty J.C., Essai d’iconographie de l’empereur Clodius Albinus, 1966, 70 p. + 10 pl.   86. Delcourt M., Hermaphroditea. Recherches sur l’être double promoteur de la fertilité dans le monde classique, 1966, 76 p. + 10 pl.   87. Loicq-Berger M.-P., Syracuse. Histoire culturelle d’une cité grecque, 1967, 320 p. + 21 pl.   89. Newman J.K., The Concept of Vates in Augustan Poetry, 1967, 132 p.   92. Cambier G. (ed.), Conférences de la Société d’Études Latines de Bruxelles. 1965-1966, 1968, 132 p.   93. Balil A., Lucernae singulares, 1968, 98 p.   97. Cambier G., La vie et les œuvres de Gislain Bulteel d’Ypres 1555-1611. Contribution à l’histoire de l’humanisme dans les Pays-Bas, 1951, 490 p. + 1 pl. 101. Bibauw J. (ed.), Hommages à Marcel Renard I. Langues, littératures, droit, 1969, 840 p. + 14 pl. 102. Bibauw J. (ed.), Hommages à Marcel Renard II. Histoire, histoire des religions, épigraphie, 1969, 896 p. + 41 pl. 104. Veremans J., Éléments symboliques dans la IIIe Bucolique de Virgile. Essai d’inter­prétation, 1969, 76 p. 105. Benoit F., Le symbolisme dans les sanctuaires de la Gaule, 1970, 109 p. 106. Liou B., Praetores Etruriae XV populorum. Étude d’épigraphie, 1969, 118 p. + 16 pl. 107. Van den Bruwaene M., Cicéron: De Natura Deorum. Livre I, 1970, 191 p. 111. Mansuelli G.A., Urbanistica e architettura della Cisalpina romana fino al III sec. e.n., 1971, 228 p. + 105 pl. 113. Thevenot E., Le Beaunois gallo-romain, 1971, 292 p. 114. Hommages à Marie Delcourt, 1970, 454 p. + 17 pl. 115. Meslin M., La fête des kalendes de janvier dans l’empire romain. Étude d’un rituel de Nouvel An, 1970, 138 p. 117. Dulière W.L., La haute terminologie de la rédaction johannique. Les vocables qu’elle a introduits chez les Gréco-Romains: Le Logos-Verbe, le Paraclet-Esprit-Saint et le Messias-Messie, 1970, 83 p.

30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 50 € 75 € 78 € 30 € 30 € 30 € 30 € 40 € 40 € 50 € 30 € 30 €

118. Bardon H., Propositions sur Catulle, 1970, 160 p. 119. Righini V., Lineamenti di storia economica della Gallia Cisalpina. La produttività fittile in età repubblicana, 1970, 102 p. 120. Green R.P.H., The Poetry of Paulinus of Nola. A Study of his Latinity, 1971, 148 p. 122. Fitz J., Les Syriens à Intercisa, 1972, 264 p. 123. Stoian L., Études Histriennes, 1972, 176 p. 124. Jully J.J., La céramique attique de La Monédière, Bessan, Hérault. Ancienne collection J. Coulouma, Béziers, 1973, 362 p. 125. De Ley H., Macrobius and Numenius. A Study of Macrobius, In Somn., I, c. 12, 1972, 76 p. 126. Tordeur P., Concordance de Paulin de Pella, 1973, 122 p. 128. Mortureux B., Recherches sur le “De clementia” de Sénèque. Vocabulaire et composition, 1973, 88 p. 129. Broise P., Genève et son territoire dans l’Antiquité. De la conquête romaine à l’occupation burgonde, 1974, 370 p. 131. Piganiol A., Scripta Varia I – Généralités. Éditées par R. Bloch, A. Chas­ tagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 564 p. 132. Piganiol A., Scripta Varia II – Les origines de Rome et la République. Éditées par R. Bloch, A. Chastagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 384 p. 133. Piganiol A., Scripta Varia III – L’Empire. Éditées par R. Bloch, A. Chastagnol, R. Chevalier et M. Renard, 1973, 388 p. 134. Amit M., Great and Small Poleis. A Study in the Relations between the Great Powers and the Small Cities in Ancient Greece, 1973, 194 p. 136. Hierche H., Les Épodes d’Horace. Art et signification, 1974, 212 p. 138. Gramatopol M., Les pierres gravées du Cabinet numismatique de l’Académie Roumaine, 1974, 131 p. 139. Hus A., Les bronzes étrusques, 1975, 164 p. 140. Priuli S., Ascyltus. Note di onomastica petroniana, 1975, 67 p. 143. Sauvage A., Étude de thèmes animaliers dans la poésie latine. Le cheval – les oiseaux, 1975, 293 p. 144. Defosse P., Bibliographie étrusque. Tome II (1927-1950), 1967, 345 p. 145. Cambier G. (ed.), Hommages à André Boutemy, 1976, 452 p. 146. Hus A., Les siècles d’or de l’histoire étrusque (675-475 avant J.-C.), 1976, 288 p. 147. Cody J.V., Horace and Callimachean Aesthetics, 1976, 130 p. 148. Fitz J., La Pannonie sous Gallien, 1976, 88 p. 150. Desmouliez A., Cicéron et son goût. Essai sur une définition d’une esthé­tique romaine à la fin de la République, 1976, 937 p., ISBN: 978-2-87031-000-7 154. Van den Bruwaene M., Cicéron: De Natura Deorum. Livre II, 1978, 224 p., ISBN: 978-2-87031-004-5 158. Cambier G., Deroux C., Préaux J. (eds), Lettres latines du Moyen Âge et de la Renaissance, 1978, 249 p., ISBN: 978-2-87031-008-3 160. Le bucchero nero étrusque et sa diffusion en Gaule Méridionale. Actes de la Table-Ronde d’Aix-en-Provence (21-23 mai 1975), 1979, 170 p. 161. Develin R., Patterns in Office-Holding, 366-49 B.C., 1979, 109 p., ISBN: 978-2-87031-101-1 162. Olmsted G.S., The Gundestrup Cauldron. Its Archaeological Context, the Style and Iconography of its Portrayed Motifs, and their Narration of a Gaulish Version of Táin Bó Cúailnge, 1979, 306 p., ISBN: 978-2-87031102-8

30 € 30 € 30 € 40 € 30 € 50 € 30 € 30 € 30 € 50 € 57 € 50 € 50 € 30 € 40 € 30 € 30 € 30 € 40 € 50 € 50 € 40 € 30 € 30 € 63 € 40 € 40 € 30 € 30 €

50 €

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