De Bâle - Herzog & de Meuron 9783035606935, 9783035608304

The local roots of a global success the global success story of the Basel architects Jacques Herzog and Pierre de Meur

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French Pages 256 [259] Year 2016

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Table of contents :
Contents
Local/global
1. L’agence
2. Orientations
3. Commandes et adresse, la question sociale
4. L’invention vernaculaire
5. Le cube
6. L’image du corps
7. Intimité territoriale et échelle de mobilité
8. Ornement(s)
9. La nature comme modèle de complexité
La fabrique d’une biographie urbaine
Conversation
Crédits
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De Bâle - Herzog & de Meuron
 9783035606935, 9783035608304

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de Bâle Herzog & de Meuron

Les photographies de George Dupin et de Pierre de Meuron sont signalées par des initiales entre crochets dans les légendes correspondantes : [], [] Conception de l’ouvrage et rédaction : Jean-François Chevrier, Élia Pijollet En collaboration avec Herzog & de Meuron : Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Aliénor de Chambrier, Stefanie Manthey, Esther Zumsteg Maquette : Filiep Tacq Coordination éditoriale : Petra Schmid Relecture et correction : Nicolas Rüst Production : Katja Jaeger, Amelie Solbrig Ce livre est aussi paru en e-book (ISBN ----) et en versions allemande (ISBN ----) et anglaise (ISBN ----). Library of Congress Cataloging-in-Publication data A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress. Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.dnb.de. Les droits d’auteur de cet ouvrage sont protégés. Ces droits concernent la protection du texte, de l’illustration et de la traduction. Ils impliquent aussi l’interdiction de réédition, de conférences, de reproduction d’illustrations et de tableaux, de diffusion radiodiffusée, de copie par microfilm ou tout autre moyen de reproduction, ainsi que l’interdiction de divulgation, même partielle, par procédé informatisé. La reproduction de la totalité ou d’extraits de cet ouvrage, même pour un usage isolé, est soumise aux dispositions de la loi fédérale sur le droit d’auteur. Elle est par principe payante. Toute contravention est soumise aux dispositions pénales de la législation sur le droit d’auteur. Imprimé sur papier sans acide, composé de tissus cellulaires blanchis sans chlore. TCF ∞ Imprimé en Allemagne ISBN : ---- Édition originale ©  Birkhäuser Verlag GmbH, Bâle Case postale ,  Bâle, Suisse Membre de Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston 987654321 www.birkhauser.com

de Bâle Herzog & de Meuron Jean-François Chevrier avec la collaboration d’Élia Pijollet et  photographies inédites de George Dupin

Birkhäuser Basel

p. 

I.

Local/global – 1. L’agence –

2. Orientations – 3. Commandes et adresse, la question sociale – 4. L’invention vernaculaire – 5. Le cube – 6. L’image du corps – 7. Intimité territoriale et échelle de mobilité – 8. Ornement(s) – 9. La nature comme modèle de complexité

p. 

II. Portraits croisés. La fabrique d’une biographie urbaine. Montage textes/images

p. 

III. Conversation. Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Jean-François Chevrier. Bâle, les  et  juin 

 ,    : Trois étapes de la conception du revêtement en cuivre embouti pour la paroi extérieure du de Young Museum, San Francisco (concours , projet -, réalisation -) : modélisation à partir d’une photographie de feuillage

Local/global

Les propos de Jacques Herzog et de Pierre de Meuron cités dans ce texte proviennent de divers entretiens que nous avons eus

depuis une dizaine d’années, publiés (dans la revue El Croquis, en  et ) ou demeurés inédits.

1.

’

Comme son nom l’indique, l’agence Herzog & de Meuron est issue de la rencontre de deux personnes, Jacques Herzog et Pierre de Meuron, tous deux Bâlois, nés en , et dont les biographies présentent une étonnante similitude. Implantée à Bâle, l’agence répond aujourd’hui à des commandes venues de toutes les régions du monde ou presque (l’Afrique est une exception de taille). Herzog & de Meuron emploie à ce jour (juin ) trois cent cinquante architectes. Les fondateurs ont neuf partenaires, qui détiennent des parts de l’entreprise, dont trois partenaires principaux (Senior Partners) : Christine Binswanger, Ascan Mergenthaler et Stefan Marbach, qui travaillent avec Jacques Herzog et Pierre de Meuron depuis plus de vingt ans. Une structure hiérarchique ramifiée a été progressivement adaptée au développement de l’agence. Pierre et moi, dit Jacques Herzog, étions très jeunes quand nous avons commencé à travailler ensemble. Nous avons pris l’habitude d’être deux. Cela crée déjà une certaine différence, d’intérêts, de caractères, etc. C’est peut-être la raison pour laquelle nous pouvons travailler avec des partenaires. Pour la plupart des projets, un partenaire responsable est désigné, avec qui Jacques Herzog et Pierre de Meuron développent le projet. Les partenaires suivent le projet quotidiennement et organisent le travail des équipes. Le choix des nouveaux projets est fait de manière collégiale, mais Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont conservé une voix prépondérante. Nous devons avoir envie de travailler sur chacun des projets retenus, et d’y travailler dans le contexte des autres projets en cours. Notre travail, c’est l’ensemble des projets. C’est le contexte de l’agence qui permet de juger de l’intérêt des propositions qu’on reçoit. Comme un vin dépend de son terroir, un projet présente un certain potentiel, qui dépend du client, du budget, du paysage, du programme, de la possibilité de faire évoluer ce programme. Plus largement, la direction de l’agence est restée essentiellement bipolaire : les deux fondateurs ont conservé leur liberté initiale dans la définition des options stratégiques de l’entreprise. Pierre de Meuron assure la direction effective de l’agence. Jacques Herzog est le pôle mobile. Il est vain d’essayer de définir ce qui revient à l’un ou à l’autre dans l’initiative et le cours des projets. Notre rôle, à Pierre et à moi, est d’apporter concepts et inspiration à tous les projets. Nous pensons différemment, mais on voit instantanément ensemble



 ⁄  ce qui manque à un projet. Cela vient aussi de l’indépendance que nous conservons à l’égard de chaque projet : quelquefois ils ont besoin d’empathie, comme des êtres humains, mais on doit aussi pouvoir être intransigeant, et les détruire, les attaquer, les transformer. C’est un rythme proche de l’université ou de l’école : dans les phases intenses de conception, nous voyons chaque équipe une fois par semaine ou tous les quinze jours, plus tard, moins fréquemment. On ne fait pas de « thérapie de groupe », tous les partenaires ne se retrouvent pas pour le suivi de chacun des projets. Ce serait absurde, cela créerait une sorte de démocratie participative qui serait fausse : la création architecturale n’est pas démocratique, pas plus que la création artistique. En revanche, il est important de travailler avec des partenaires qui ont du talent et des cultures distinctes qu’ils peuvent investir dans les projets. C’est un mode de fonctionnement qui garantit des différences à l’intérieur même de l’agence. L’agence retient en moyenne une vingtaine de projets par an. Cela implique des choix draconiens. Un projet ne peut être retenu que s’il intéresse Jacques Herzog et Pierre de Meuron ; il faut aussi qu’un(e) des partenaires soit prêt(e) à en prendre la conduite. Il semble qu’un consensus se soit établi sur les critères commerciaux : l’agence évite de s’engager avec des promoteurs sans scrupule ou avec des administrations trop bureaucratiques. Sont également régulièrement écartées des propositions qui conduiraient à des redites par déclinaison d’un savoir-faire, surtout quand les conditions financières apparaissent fragiles ou quand le profil du commanditaire peut inspirer des inquiétudes sur le développement futur du projet. Depuis le début des années , les projets d’urbanisme ont pris de l’importance dans l’activité de l’agence, en même temps que s’est confirmée une attention plus soutenue à la teneur urbaine des projets d’architecture, en Europe mais aussi dans les centres dits « émergents » de l’économie mondiale (en Asie et au Brésil). Il est significatif que cet investissement dans les questions d’aménagement et de développement urbains soit p. -, - apparu à propos de Bâle, avec le projet « Bâle : une ville en devenir ? » de , - -. Aujourd’hui encore, et plus que jamais, les propositions bâloises sont reçues avec une attention particulière. On peut remarquer que la multiplication des projets construits depuis une trentaine d’années dans le territoire de l’agglomération trinationale a produit un effet d’inscription assez spectaculaire de l’agence dans son environnement historique. Cet aspect est traité dans la partie centrale de ce livre. L’architecture est un métier opportuniste, qui exige une grande lucidité dans un processus d’adaptation nécessaire aux circonstances de la commande. La production de plus-value à laquelle contribue l’architecte n’est pas quantifiable dans les stricts termes d’une balance comptable, elle est



’ largement symbolique ; elle l’a toujours été. Mais, dans le contexte d’un processus de métropolisation stimulé par l’expansion libérale du marché, les architectes sont plus que jamais des producteurs d’image ; selon un rôle traditionnel, l’architecture dite « iconique » participe à la symbolique du pouvoir, mais elle contribue aussi à la concurrence que se livrent les territoires (villes, régions) en termes d’attractivité. Herzog et de Meuron en sont évidemment conscients. Une agence qui opère sur le plan international est engagée dans des jeux de pouvoir très sensibles, qui concernent des populations importantes ; elle est exposée à toutes sortes de manipulations mais aussi à des compromissions, qui peuvent affecter la réception du projet : le stade de Pékin, par exemple, a été suspecté de légitimer un régime autoritaire. L’intérêt de l’agence pour la dimension urbaine de l’architecture s’est accentué à mesure que son activité gagnait en visibilité, avec des projets comme la Tate Modern (-) et le Stade olympique de Pékin (- p. , , , ). Dans les années , la sociologie urbaine avait pris un dévelop-  pement considérable qui a fini par entraver l’invention formelle. Herzog et de Meuron ont alors choisi de concentrer leur effort sur la création d’objets autonomes. Mais la situation s’est renversée : les architectes stars fabriquent des objets spectaculaires amnésiques, sans inscription urbaine. L’agence Herzog & de Meuron a réagi à cette tendance en développant son champ d’action (et d’étude) dans le domaine de l’urbanisme. Le choix des projets et la manière dont ils sont conduits à l’intérieur de l’agence sont donc les points clés du fonctionnement de l’agence. Tout projet est évolutif et peut comprendre une part d’invention programmatique. Cette possibilité est d’ailleurs un des critères selon lesquels les propositions d’intervention reçues par l’agence sont évaluées. La dimension évolutive du projet correspond à la direction expérimentale qui a été posée au principe de l’agence par ses deux fondateurs. Jacques Herzog remarque : Comme des chercheurs ou des sportifs, les architectes ont parfois des baisses d’énergie. Idéalement, un partenaire apporte beaucoup à un projet, sans que Pierre ou moi n’ayons à intervenir. Nous avons parfois connu la situation d’une équipe qui se ferme à notre critique. C’est là qu’il faut vraiment intervenir, ajouter quelque chose de nouveau ou même détruire tout ce qui avait été déjà développé. Il est parfois insupportable de voir un projet quasiment achevé, comme s’il était déjà construit et qu’on ne pouvait plus rien changer. L’architecte ne travaille pas de ses propres mains, et il arrive toujours un moment où il ne peut plus détruire ce qu’il a fait, tout recommencer à zéro. Beaucoup d’argent, beaucoup de personnes sont impliqués dans la planifica-



  : Croquis de Jacques Herzog pour le Bâtiment 1 de Roche, site de Bâle (premier projet, -, non construit). Texte manuscrit : « montrer la structure à l’extérieur ? / lignes de structure orientées dans différentes directions – éventuellement visibles à l’extérieur comme les contours d’un profil ? c.-à-d. surface vitrée légèrement en retrait ? »   : Visualisation du plan de développement du site Roche, avec le Bâtiment 1 à l’arrière-plan (projet -, réalisation -) et les projets en cours d’étude depuis  : Bâtiment 2 et pRED Center



 tion du projet. Cette inertie est une menace, mais aussi une condition intéressante. Il est parfois difficile pour ceux qui travaillent tous les jours sur un projet de le voir attaqué. Ils ont tendance à le défendre. Je comprends ça très bien. Quand j’étais étudiant, j’étais très affecté quand le professeur détruisait mon projet. Je n’avais pas encore compris qu’il faut toujours créer une distance entre soi et l’œuvre pour lui donner une qualité autonome.

2.



L’histoire de l’agence depuis  a connu des tournants, des changements d’orientation. On peut déceler une alternance ou des allers-retours entre un parti pris initial de simplicité, qui a été qualifié de « minimaliste », et une recherche de complexité, particulièrement visible dans la Philharmonie de Hambourg. Les surcoûts générés, dans ce cas, notamment par l’articulation d’un programme multifonctionnel, ont révélé la nécessité d’un retour à la simplicité, appelé également par le contexte de la crise financière qui s’est installée en  (avec la faillite de Lehman Brothers). Il se trouve que c’est en cette même année  que la tour conçue pour les bureaux de Roche à Bâle fut rejetée par la direction de la firme. Il fallut réviser le projet, le simplifier. Pierre de Meuron racontait en août  : Le projet que nous avions proposé, avec deux spirales enlacées, a été rejeté par la direction de Roche. Alors que la construction était sur le point de commencer, ils se sont rendu compte qu’ils ne souhaitaient pas être représentés par une architecture qui contrastait trop avec leur patrimoine architectural, surtout par un bâtiment de grande hauteur très visible dans le contexte urbain bâlois. Leur message était clair et net, nous l’avons vite compris et avons pu poursuivre le dialogue – heureusement. Finalement, la tour est plus haute, mais plus modeste dans son expression formelle. Pour la majeure partie des gens, le second projet a gagné en se simplifiant. Aux p. -, -, yeux de quelques-uns, il s’est banalisé. La forme moins spectaculaire a été -, , dans ce cas la bonne approche, car elle a permis et généré une solution , ,  convaincante pour la phase suivante du développement à la verticale du site. Certains cas de figure permettent des solutions formelles plus spectaculaires ; dans ce cas-là il a été préférable de chercher la retenue et la modestie dans l’apparence extérieure, aussi en raison de la complexité de l’espace interne. En effet, le Bâtiment 1 offre à l’intérieur comme à l’extérieur des qualités spatiales et fonctionnelles inédites et peu communes pour un bâtiment de cette hauteur, notamment des terrasses avec accès à l’air libre pour les employés ainsi que des zones de communication sur trois étages, réparties dans tout l’édifice.



  : Maquette du premier projet pour le Parrish Art Museum (projet -)   : Parrish Art Museum, Water Mill, Long Island, État de New York (projet -, réalisation -)



 Un autre projet, celui du Parrish Art Museum, a connu une évolution similaire, bien qu’à moindre échelle et pour des raisons essentiellement budgétaires. Selon Pierre de Meuron, le projet a gagné à être revu à la baisse : Le premier projet du Parrish Art Museum était assez spectaculaire, mais il n’a pas pu être réalisé pour des raisons financières à la suite des troubles boursiers de . La direction du musée nous a demandés si nous étions prêts à développer une nouvelle proposition avec un budget trois fois plus petit. Le projet qui a été réalisé depuis est une solution très forte, tout aussi convaincante, que je considère comme une réponse pertinente à toutes sortes de projets contemporains exubérants et tape-à-l’œil – musées en particulier. Le premier projet a finalement été une sorte d’étude, il nous a permis de découvrir et d’étudier les multiples ateliers d’artistes de Long Island, leurs dispositions spatiales ainsi que leur éclairage naturel et artificiel. Ce fut une étape instructive et indispensable pour le travail sur le second projet. Si nous avions travaillé d’emblée sur le projet réalisé, il lui aurait manqué sa clarté conceptuelle et sa force d’expression manifeste. Lors du même entretien, Jacques Herzog signalait un changement de cap de l’agence, correspondant à l’évolution de ces deux projets : Pour la plupart, les nouveaux projets de l’agence sont devenus beaucoup plus géométriques et plus clairs. Nous sommes de nouveau attirés par cette idée de la clarté géométrique, après en avoir eu un peu peur pour les bâtiments à grande échelle. Entre la clarté, la pureté, et l’héroïsme monumental, la limite est ténue. Avec notre background de la « Suisse modeste », une certaine monumentalité est toujours séduisante et en même temps repoussante. Nous avons cependant toujours cherché une simplicité et une immédiateté dans nos projets. Cette nouvelle simplicité est apparue dans un mouvement en spirale plutôt que par un effet de retour aux options initiales de l’agence. L’évolution des projets pour la tour Roche et le Parrish Art Museum participe d’une flexibilité nécessaire, à l’intérieur même de l’agence. Les difficultés et les éventuels changements de cap, poursuit Pierre de Meuron, n’interviennent pas seulement dans les relations avec les commanditaires. Il y a aussi le fonctionnement interne au sein de l’agence. Nous misons sur la capacité et les compétences de chaque équipe et de chaque collaborateur. L’agence est suffisamment flexible pour sa taille, mais parfois j’observe une sorte d’inertie, une sorte d’immobilité intellectuelle manquant d’inspiration, d’esprit critique et autocritique. C’est comme pour manœuvrer un paquebot : Jacques et moi émettons des directives de conception,



 ⁄  esquissons des idées, celles-ci sont reprises dans l’agence, se diffusent dans divers projets, et tout à coup, on se rend compte que tout le monde se met à faire carré parce qu’il ne faut pas faire rond… Alors il faut rééquilibrer, il faut réajuster, il faut dissoudre les malentendus, et ça prend du temps. Cela représente un grand défi que de diriger un paquebot avec pour cap la qualité architecturale au plus haut niveau. Nous pourrions décider de nous concentrer sur les grandes lignes, de déléguer beaucoup plus par exemple la mise en œuvre et le suivi de chantier. Mais nous ne voulons pas avoir un seul mode de travail et d’intervention, nous souhaitons quelque chose de plus flexible et de plus ouvert. De surcroît, les projets présentent une diversité, voulue, qui interdit une orientation univoque. L’expérimentation ne peut pas se réduire à un strict programme de recherche. Herzog & de Meuron est parvenu à mettre en place des procédures qui autorisent une marge d’expérimentation assez large. Mais l’agence est une entreprise. Malgré des similitudes, ce n’est pas un atelier d’artiste ni un laboratoire (même si les ateliers et les laboratoires peuvent prendre une dimension industrielle ou semi-industrielle). Il faut imaginer un laboratoire intégré à une stratégie d’entreprise. L’expérimentation se situe sur plusieurs plans, stratégie comprise. Finalement, nous travaillons dans un spectre très large. Un extrême est p.  VitraHaus [-], où nous avons tout suivi, tout maîtrisé, jusqu’au

moindre détail ; s’il y a des erreurs, nous en sommes seuls responsables. L’autre extrême, ce sont les projets urbains en Chine : nous apportons une idée, et celle-ci est réalisée par d’autres. Dans le meilleur des cas, le projet est réalisé par un architecte local et suivi et assisté par une de nos équipes sur place. Pour nous, ce cas de figure est un défi : car nous voulons voir si nous sommes capables de travailler de cette façon-là, non seulement à distance géographique et culturelle, mais aussi à distance physique. Certains collègues architectes choisissent de se concentrer uniquement sur des projets où ils peuvent tout contrôler (comme nous l’avons fait pour Vitra). Néanmoins cette perspective nous paraît trop restreinte puisque nous voulons élargir notre champ d’action et notre domaine d’expérience. Pour en revenir aux projets chinois, dans le cas de Qingdao, notre concept a malheureusement été repris par le mandataire et remis à notre insu et sans notre accord à une quelconque agence chinoise. Une des particularités de l’orientation actuelle de l’agence est une recherche d’équilibre entre les exigences de liberté et les possibilités d’improvisation propres à l’activité artistique, et les contraintes de fonctionnement d’une entreprise qui doit répondre à des normes de production. Cette réponse varie selon les projets, il n’y a ni règle ni recette. Jacques Herzog



  ,    et Pierre de Meuron considèrent que l’architecture est une manière de composer avec des incertitudes et des données souvent chaotiques ; ils ont évité d’adopter une position de maîtrise a priori. Ils ont intégré une échelle de production industrielle en essayant de conserver la dimension « artisanale » de leurs premiers projets. Depuis une vingtaine d’années, le volume d’activité de l’agence a été constamment revu à la hausse, pour permettre des interventions à grande échelle (métropolitaine, territoriale) ; la prospérité financière a permis également de libérer une marge de manœuvre pour des projets difficiles, peu rentables, voire déficitaires. Les difficultés rencontrées lors de la construction de la Philharmonie de Hambourg ont pu être ainsi absorbées. Au Brésil, le gymnase construit dans une favela de p. ,  Natal s’inscrit dans un projet d’action solidaire mené depuis  en collaboration avec les habitants, un centre social, les autorités municipales, l’université et une fondation. L’originalité de ce montage s’est avérée un intérêt déterminant pour l’agence, dans la mesure où il participe d’une réflexion sur les conditions de l’invention programmatique. L’activité d’enseignement de Jacques Herzog et Pierre de Meuron leur a permis de garder le contact avec une approche anthropologique de l’architecture.

3.

  ,   

Jacques Herzog rappelle volontiers que la plupart des bons projets de l’agence ont bénéficié de bons commanditaires, c’est-à-dire d’une relation de confiance avec le client ; il mentionne VitraHaus (pour lequel ils ont bénéficié de la totale confiance de Rolf Fehlbaum), les commandes de Miuccia Prada, la Tate Modern (avec Nicholas Serota), le chai Dominus (Christian et Cherise Moueix), le Schaulager (Maja Oeri), Actelion (JeanPaul Clozel), ou les suites de projets construits pour Ricola et Roche, grâce à des échanges suivis avec les directeurs de ces entreprises de la région bâloise, qui ont conservé un noyau familial. Cette observation a une valeur générale, elle vaut pour toutes les agences qui ont maintenu une exigence d’innovation et d’expérimentation artisanale malgré la standardisation productive (et productiviste) de la construction. Toutefois, l’assurance d’une implication personnalisée de la part du commanditaire reste un luxe. Herzog et de Meuron refusent de transformer une condition peut-être optimale en garantie nécessaire.

p.  p.  p. ,  ⁄ p.  p. , - ⁄ p. , -, -, -, -, -, 

Le risque zéro fondé sur une pleine entente avec le commanditaire comme l’idéal de la carte blanche sont des fictions asociales. Dans l’histoire de l’architecture, le rêve du commanditaire idéal s’est généralement réalisé dans un jeu de miroir narcissique entre art et pouvoir. Le culte de



 ⁄  l’invention géniale, démiurgique, suppose une image de l’artiste qui s’accorde mal avec l’idée de l’art pour le public telle qu’elle s’est mise en place dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. L’idée que l’art a pour destinataire le public en général, indéfini, et non une communauté, une institution ou une personnalité, est une invention des Lumières. Elle n’est pas incompatible avec l’idée de l’activité artistique comme recherche, expérimentation, travail de laboratoire. DanielHenry Kahnweiler, le marchand de Braque et de Picasso, par exemple, était convaincu que les œuvres de ces deux artistes, d’abord accessibles à quelques happy few, allaient transformer la culture ambiante et concernaient de ce fait le public en général. La stratégie de l’agence Herzog & de Meuron peut être rattachée, du moins partiellement, à ce raisonnement. Il faut évidemment faire la part des contraintes de la commande dans le domaine de l’architecture. Mais la position libérale de Kahnweiler a son répondant dans une conception progressiste du design (et du projet) qui lie l’innovation formelle et l’intervention sur les modes et les normes de la culture (travail compris). Dans les années , les architectes postmodernes ont parfois rêvé à une restauration de la discipline architecturale telle qu’elle avait été formalisée à l’intérieur du système des beaux-arts, quand l’architecture était apparentée à la peinture et à la sculpture. Herzog et de Meuron se sont tenus à l’écart de ce mouvement de revival académique. Ils ont de bonnes raisons de penser que l’architecture a besoin de commanditaires éclairés pour survivre à la banalisation affairiste de la construction et se démarquer des standards du « haut de gamme ». Mais l’idéal du commanditaire éclairé n’est pas seulement en contradiction avec l’idée de l’art pour le public ; il contredit également le principe de l’architecture pour tous. En Allemagne, dans les années , les militants de l’architecture sociale ont imaginé un standard d’Existenzminimum. L’expression est encore mal comprise aujourd’hui. Il s’agissait de fonder une éthique constructive sur une base de confort commun, à l’opposé des sophistications réservées à une minorité de privilégiés. Le critère hygiéniste était une composante de la doctrine. Mais le principe d’organisation rationnelle du logement était fondé sur une exigence d’optimisation de l’espace domestique en vue d’un maximum de qualité de vie pour tous, aux moindres frais. On a dénoncé à satiété un idéal d’ergonomie puritaine calqué sur la rationalisation du travail industriel. Mais la critique s’est concentrée sur la doctrine au détriment de l’examen des bâtiments. Herzog et de Meuron ont, au contraire, étudié de près les Siedlungen p. , - bâlois et les maisons prototypes de Hans Schmidt et Paul Artaria.



’  L’idéal d’une (bonne) architecture pour tous a permis une expérimentation sur le logement que l’agence, depuis le projet de la rue des Suisses à Paris à la fin des années , n’a malheureusement pas pu développer pour diverses raisons, la principale étant l’impossibilité d’adapter les critères de l’agence aux normes constructives, financières et techniques, du logement social. Toutefois, les éléments publiés dans le cahier central de ce livre signalent l’importance dans l’histoire de l’agence de l’intérêt porté aux formes rationalisées de l’habitat commun. Une attention précise, détaillée, aux constituants de base de la construction est demeurée jusqu’à ce jour une constante dans la démarche de l’agence. Ces constituants sont des éléments, au sens pris par ce terme dans le langage constructiviste du vingtième siècle. En tant que tels, ils traversent les catégories hiérarchiques de l’art de bâtir prôné par les doctrines académiques ; ils concernent tout type de bâtiment, sans exclure l’habitation unifamiliale standardisée. Herzog et de Meuron peuvent être difficilement suspectés de démagogie dans leur approche sociale de l’architecture. En revanche, ils se sont intéressés à la mise en œuvre des standards de qualité du logement populaire. Il semble même que ce soit par le biais d’un intérêt constant pour la maison comme forme primaire ou primordiale de l’habitat qu’ils aient pu perpétuer à leur façon une tradition dite « moderniste », sans invoquer, comme l’ont fait certains idéologues postmodernes, un « art de bâtir » prémoderne. Le principe de la variété des matériaux, c’est-à-dire, selon la formulation initiale de John Ruskin, la vérité due aux matériaux (truth to materials) peut être invoquée comme une norme traditionaliste, hostile à l’artifice ; Herzog et de Meuron n’ont pas souscrit à cette norme, mais ils se sont formés, sur la base d’une observation minutieuse des éléments constructifs, une discipline ergonomique propre, qui doit beaucoup à l’exemple des expérimentateurs dans le domaine du logement social.

4.

’ 

Herzog et de Meuron ont, chose rare chez les architectes les plus en vue, une compréhension du vernaculaire et de son potentiel dans une perspective de recherche technologique. Cette compréhension participe d’une méthode d’expérimentation plus que d’un attachement à des valeurs traditionnelles. Le discours sur les « valeurs » est aujourd’hui un des traits marquants d’une réaction culturelle et politique qui se nourrit des inquiétudes provoquées par la mondialisation. Mais ce discours n’a pas lieu d’être dans une agence qui est devenue une des enseignes les plus prestigieuses et les plus respectables de l’architecture mondialisée. La méthode Herzog & de Meuron est faite de pragmatisme et de sobriété, elle suppose quelques principes finalement assez simples, qui n’ont



Immeuble de logements sociaux rue des Suisses, Paris (concours , projet -, réalisation -), septembre  [].   : façade sur la rue des Suisses.   : vue de l’intérieur de l’îlot



’  d’ailleurs jamais donné lieu à de grandes déclarations théoriques. Le préalable à tout projet est une analyse du « contexte », c’est aussi et surtout une réflexion sur le programme jusque dans ses éléments les plus immatériels (la psychologie du commanditaire en particulier) et une imprégnation des données territoriales, au-delà du site immédiat d’intervention. Cette attitude permet d’intervenir dans les situations les plus variées, en évitant que les éléments typologiques et la syntaxe qui ont été progressivement mis en place se figent en formules passe-partout. Le développement de l’agence peut être comparé à celui de la firme Ricola qui exporte un savoir-faire fondé sur des ressources locales (l’analogie expliquant d’ailleurs en partie le succès, sur tous les plans, communication comprise, des bâtiments conçus pour cette firme). Avec son treillage de pierres extraites du site, le chai Dominus est un autre exemple d’invention vernaculaire. L’idée que le matériau de construction lui-même puisse contribuer à l’inscription du bâtiment dans son environnement a été mise en œuvre à plusieurs reprises, en particulier dans le territoire de Bâle, avec le Schaulager (-) et, récemment, avec p. , - p. - le Kräuterzentrum (la Maison des plantes) de Ricola (-). Comme le signale Pierre de Meuron, la conception de ce bâtiment interprète le métier propre à Ricola, à l’encontre des (mauvaises) habitudes qui déterminent généralement la conception de bâtiments industriels : Le processus de préparation des herbes est proche de celui du vin : c’est une chaîne linéaire de transformation d’un produit naturel. Les herbes sont livrées par les agriculteurs, passent en quarantaine, suivent les étapes du séchage et sont finalement mises en sac. Elles sont ensuite mélangées selon les différentes recettes, et stockées à nouveau. Tout est automatisé et ne nécessite pas plus de cinq employés. Les ingénieurs ne pensent pas forme globale, ils conçoivent une succession de fonctions et de machines, une sorte de diagramme concrétisé. Le résultat est un monstre bâti informe. De notre côté, nous avions proposé une forme épurée – un prisme rectangulaire. Nous avons tenu bon et avons pu convaincre le maître d’ouvrage et les utilisateurs. Une structure simple à grands volumes neutres est le propre d’un bâtiment industriel : vingt ou cinquante ans après il peut être vidé et changer de fonction. La dimension agricole et locale de la production Ricola allait dans notre sens. Sachons qu’il s’agit d’un bâtiment industriel de dimensions considérables. Pour la construction du mur extérieur, nous avons choisi la terre crue, aussi appelée « pisé », un matériau dont nous avions déjà à plusieurs reprises considéré l’emploi, mais sans jamais jusqu’ici trouver le projet le justifiant pleinement. Comme le béton, le pisé est composé de différents liants



Schaulager, Fondation Laurenz, Bâle/Münchenstein, canton de Bâle-Campagne (projet -, réalisation -), septembre  [].   : entrée principale sur la Ruchfeldstrasse.   : détail du mur en béton et d’une porte en treillis métallique



  et agrégats naturels, qui en l’occurrence ont tous été extraits de carrières locales. Le mur a été construit avec des blocs de pisé fabriqués sur place. Nous avons pu ainsi économiser considérablement sur les transports. Les qualités physiques du pisé sont de plus très intéressantes, notamment son inertie thermique, qui atténue les différences de température à l’intérieur du bâtiment et réduit ainsi les besoins en climatisation. L’énergie nécessaire est produite principalement par des panneaux solaires posés sur le toit. Par rapport à un matériau ordinaire de façades industrielles, le surcoût du pisé est de moins de 5 % de l’enveloppe financière globale. Cela représentait un investissement supplémentaire acceptable pour le maître d’ouvrage compte tenu des avantages évidents, tant qualitatifs que quantitatifs. La similitude avec le processus de construction du Schaulager est manifeste. Les deux faces du mur, intérieure et extérieure, sont visibles. L’effet de porosité rappelle les gabions du chai Moueix. On peut rattacher partiellement à cette veine constructive l’élaboration des équipements culturels de Santa Cruz de Tenerife (réalisés sur une dizaine d’années, entre  et p.  ) et la conception de la Cité du flamenco de Jerez (dont le projet est suspendu depuis ). Dans ces diverses situations, l’inscription géographique, à commencer par les données géologiques, est très prononcée. En Chine, à Jinhua, Herzog & de Meuron a combiné une intervention à p. -,  l’échelle urbaine (la planification d’un nouveau quartier d’habitation sur des rizières aux abords de la ville) avec la proposition d’un mode constructif qui devait réactiver un savoir technique local : la construction en briques. Mais, jusqu’à l’action menée dans la favela Mãe Luíza de Natal, et à l’exception des workshops menés avec des étudiants de l’ETH p. ,  Studio Basel au Caire, à Casablanca, Damas, Beyrouth, Belo Horizonte ou Calcutta, l’agence n’a pas cherché à favoriser les méthodes d’autoconstruction ou de recyclage qui intéressent aujourd’hui les architectes engagés dans des régions périphériques de l’économie mondiale (ou des pays dits « en voie de développement »).

5.

 

Jacques Herzog et Pierre de Meuron se méfient de la « représentation » et du symbolisme. Ils se sont formés à l’école du littéralisme et de la forme simple, dénuée d’effets de composition mais à structure complexe. Tout en s’intéressant à la dramatisation des matériaux chez Joseph Beuys, ils se sont p. - inspirés de l’art « minimaliste », en considérant notamment l’œuvre de Donald Judd, observée par Rémy Zaugg. Cet écart fut déterminant dans leur formation. Grâce à Zaugg, ils ont évité de recevoir la prétendue imperson-



  : TEA, Tenerife Espacio de las Artes, Santa Cruz de Tenerife, îles Canaries (projet -, réalisation -)

  : Gymnase et centre de loisirs Arena do Morro, Mãe Luíza, Natal, Brésil (projet -, réalisation -)



  nalité « minimale » comme une forme de simplicité géométrique hypermoderne (ou inframoderne !). Leur méfiance à l’égard des dogmes leur a permis de surmonter la norme puritaine avec laquelle, vivant à Bâle, ils ont dû nécessairement composer : ils ne croient pas qu’une forme moderne doive être épurée, délivrée de tout pathos et de toute résonance psychologique. Nous avons souvent parlé de la composante psychologique. L’expérience perceptive suscitée par l’objet les a toujours intéressés autant et plus que la forme elle-même, réduite trop souvent à un géométrisme sans substance. Depuis les analyses de Maurice Merleau-Ponty dans Phénoménologie de la perception (), largement lu et cité par les artistes et théoriciens de l’art minimaliste, le cube est devenu une sorte de forme idéale analogue à ce qu’avait été le cercle dans la littérature théologique. Pour Herzog et de Meuron, il n’y a pas de figure géométrique supérieure aux autres ; ils ne poursuivent pas le rêve d’une mise en ordre mathématique du monde physique. Peut-être faut-il rappeler que Galilée lui-même refusait de hiérarchiser les figures géométriques (même s’il se sentait obligé de privilégier le cercle). Pour Herzog et de Meuron, le cube est d’abord une forme plus qu’une figure, qui correspond à une découpe, un volume, une éventuelle mobilité (le dé). Et, plus qu’une forme architecturale type correspondant à l’idée d’un pur volume géométrique, le cube est un module de perception. La description donnée par Rémy Zaugg de l’alignement des six cubes de Donald Judd présenté au musée de Bâle fut pour eux un antidote aux prétendues épures des architectes en mal de sublime 1. Zaugg insistait sur la rudesse constructive des boîtes métalliques : « L’œuvre, d’emblée, évoque des produits usinés plus qu’une sculpture. Des boîtes construites au moyen de vulgaires plaques d’acier simplement soudées les unes aux autres sont en effet inusitées en art. Ni le matériau ni le mode de construction ne prêtent à ces objets l’allure d’une œuvre d’art. Leur caractère n’est pas celui d’une sculpture, mais celui de produits de l’industrie métallurgique. » Puis il remarquait : « L’œuvre, qui évoque des objets usinés en série, fait également penser à des éléments de construction préfabriqués. Les objets cubiques tiennent donc non seulement de l’objet sériel quelconque, mais aussi de l’élément de construction. Ils pourraient être le maillon d’un processus dont l’aboutissement, par exemple un pont, un édifice ou une usine, seul compterait. Ceci leur prête un caractère de produits intermédiaires [je souligne], de choses en suspens, de choses provisoires et inachevées en somme, avec lesquelles tout reste à faire et tout peut encore être fait. »2 Évidemment, l’architecture peut difficilement présenter cet aspect. L’architecte est tenu de livrer un produit fini, et l’agence Herzog & de



 ⁄  Meuron est réputée précisément pour le soin apporté à ses prestations techniques ainsi qu’au « fini » de la plupart de ses réalisations. L’image de « produits intermédiaires » leur convient assez mal. Toutefois, la série de Judd décrite par Zaugg induit une idée du processus qui contredit la clôture de l’œuvre-objet. Dans l’art contemporain, depuis les années , cette idée a été souvent mise en avant de manière ostentatoire, sur un mode quasiment illustratif, à la manière d’un fétiche. Pour les architectes, elle renvoie ou devrait renvoyer à la réalité du tâtonnement (bricolage ?) conceptuel qui caractérise le développement d’un projet. Le risque est de produire un équivalent maniériste des formes intermédiaires en juxtaposant des formes high-tech et des matériaux « pauvres », vernaculaires, ou prélevés dans quelque catalogue de produits industriels standardisés. Ce maniérisme est commun dans l’architecture contemporaine. Pour des architectes comme Herzog et de Meuron, la forme accomplie procède d’une suite de réglages, d’approximations, qui doit rester perceptible dans le résultat final, sans être pour autant exhibée de manière ostentatoire : l’effet « processus » des cubes de Judd est une composante de la démarche expérimentale qui accompagne l’ensemble des projets (et non tel ou tel projet pris séparément).

6.

’  

Il fut un temps où des artistes, aux États-Unis comme ailleurs, produisaient des objets qui n’étaient ni de la peinture ni de la sculpture ; ces objets, qualifiés par Judd de « spécifiques » (), se situaient au croisement de l’assemblage, de l’imagerie pop et d’une géométrie libérée, pour le meilleur et pour le pire, des visées utopiques du Mouvement moderne européen. Ces objets n’étaient pas nécessairement « abstraits ». Ils présentaient souvent une teneur figurative. Ils ne donnaient pas de représentation du corps, mais ils en étaient des équivalents, dans la mesure où ils traitaient des rapports constitutifs de l’organisme et de l’image du corps : le partage et l’interaction entre intérieur et extérieur, la sensibilité de la surface comme peau tendue, la tension entre totalité (fonctionnelle) et fragments plus ou moins dissociés, etc. En Europe, Herzog et de Meuron ont créé une situation analogue, pour eux-mêmes, à leur usage, sans chercher des équivalents dans la production architecturale contemporaine. En travaillant sur le cube et sur la boîte, ils ont été amenés à redéfinir la façade comme une pénétration de la surface dans le volume, avec des effets variables d’épaisseur et d’irradiation (par la couleur), de creusement et de transparence. Leurs recherches actuelles, en particulier sur les matériaux, participent encore



’   de cette investigation de l’image du corps, au sens que cette notion a pris dans le langage de la psychanalyse depuis l’ouvrage de Paul Schilder, The Image and Appearance of the Human Body () 3. La culture de la représentation sur laquelle s’est fondé l’art occidental pendant des siècles liait le modèle de la nature et la structure du corps humain comme modèle du beau et paradigme d’un système de proportions. Rattachée aux beaux-arts, l’architecture était pensée, théorisée et mise en œuvre comme un discours (ou une forme de langage). Herzog et de Meuron ont intégré la faillite de ce système ; Jacques Herzog est parfois très critique à l’égard des textes théoriques et des manifestes d’architectes. Mais ils ne cessent de remettre en œuvre les deux paramètres fondateurs du système des beaux-arts, le corps et la nature, et cela dans une perspective de recherche technologique fondée sur les avancées de la biochimie et de la biogénétique. Le REHAB (centre pour paraplégiques et traumatisés cranio-cérébraux, p.  -), en périphérie de Bâle, et le Laban Center (-), une p.  école de danse dans la banlieue de Londres, entre autres projets, sont des lieux conçus pour le corps. Le Laban Center est la réalisation d’un programme où tout a été pensé pour l’exercice du corps. Dans les deux cas, la lumière est un facteur déterminant, et les volumes sont conçus comme des extensions d’une mobilité à restaurer ou à travailler. Au Laban Center, les vitres semi-réfléchissantes de la cafétéria sont une transposition de la porosité de la surface corporelle : elles mettent le bâtiment dans une relation à son environnement analogue à celle du corps dans la matière ambiante. La référence aux pavillons de Dan Graham confirme la dimension psychique du dispositif architectural. Il ne s’agit pas seulement de confort. Le plaisir s’accompagne d’un effet d’étrangeté, de perturbation des repères spatiaux, car l’étrangeté est la condition nécessaire d’un rapport reconstitué, retrouvé, de naïveté au monde. Les malades accueillis au REHAB, dit Jacques Herzog, ont vu d’un jour à l’autre leur monde se rétrécir énormément, leur espace physique est limité. On a essayé de comprendre et d’imaginer ce qui se passe quand, subitement, tes mouvements se trouvent tellement réduits. Avec les boules transparentes qui, comme des lucarnes, éclairent les chambres par le plafond, nous avons essayé de concentrer le monde et la nature dans un petit espace, via les jeux de reflets. C’est comme un LSD architectural ! Le bâtiment joue le rôle d’un instrument qui redonne un peu de mouvement, une liberté : pouvoir respirer, voir, bouger, retrouver une indépendance en redécouvrant le monde. On rejoint ici une dimension archaïque de l’architecture. Dieter Koepplin a parlé de « prothèses » à propos des œuvres de Beuys.



Centre de danse Laban, Londres (concours , projet -, réalisation -)



’   Au REHAB, l’architecture transpose effectivement la dimension thérapeutique de l’art affirmée par Beuys. L’image de la prothèse est toutefois contestable. Une prothèse compense un manque ou une défaillance organique, elle modifie directement l’état du corps. Au REHAB, comme au Laban Center et de manière encore plus sensible, la qualité de l’architecture tient à des effets de lumière, un environnement, une respiration. On est ici devant le cas exemplaire d’une architecture qui ne peut être que spécifique, en termes de programme et de situation. L’architecture doit absorber tout le potentiel du lieu. La concentration respire parce que l’environnement immédiat est absorbé, transformé en une « ambiance », favorable à une restauration ou « réhabilitation » physiologique. Les éléments d’« ambiance » ne sont pas des substituts organiques. Ils ne s’ajoutent pas à la structure anatomique car ils ne sont pas de même nature. En revanche, ils interviennent dans la relation métabolique du corps avec son environnement. La fabrique des formes est ici une affaire d’interprétation physiologique et psychophysiologique de l’environnement. Pour le système (évolutif) des beaux-arts qui s’est perpétué de la Renaissance jusqu’à la seconde moitié du dix-neuvième siècle, l’anatomie a joué un rôle clé de support scientifique, à l’instar de l’optique (et de la perspective). Mais, au dix-neuvième siècle, le tournant de la médecine expérimentale a introduit un autre paramètre d’observation, quand Claude Bernard a mis en avant l’étude du « milieu intérieur » du corps. L’auteur de l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale () rappelait que « l’anatomie est la base nécessaire de toutes les recherches médicales théoriques et pratiques », il rendait hommage au grand savant suisse Albrecht von Haller (-). Mais il remarquait : « Toute la partie humorale ou physico-chimique de la physiologie, qui ne se dissèque pas et qui constitue ce que nous appelons notre milieu intérieur, a été négligée et mise dans l’ombre. Le reproche que j’adresse ici aux anatomistes qui veulent subordonner la physiologie à leur point de vue, je l’adresserai de même aux chimistes et aux physiciens, qui ont voulu en faire autant […] En un mot, je considère que la physiologie, la plus complexe de toutes les sciences, ne peut pas être expliquée complètement par l’anatomie. L’anatomie n’est qu’une science auxiliaire de la physiologie […]. » 4 Claude Bernard situait ensuite la physiologie dans l’ensemble des « sciences biologiques » en la distinguant de la zoologie et de l’anatomie comparée. Celles-ci étudient les êtres vivants en cherchant « les lois morphologiques de leur évolution et de leur transformation ». La physiologie ne classe pas des formes : « Le physiologiste se place à un tout autre point de vue ; il ne s’occupe que d’une seule chose, des propriétés de la matière vivante et du



Piscine du REHAB, Centre pour paraplégiques et traumatisés cranio-cérébraux, Bâle (concours , projet -, réalisation -), juillet  []



’   mécanisme de la vie, sous quelque forme qu’elle se manifeste [je souligne]. Pour lui, il n’y a plus ni genre ni espèce ni classe, il n’y a que des êtres vivants, et s’il en choisit un pour ses études, c’est ordinairement pour la commodité de l’expérimentation. »5 Le physiologiste devait donc lier l’étude de la mécanique du vivant avec celle du « milieu intérieur » du corps humain. Il serait intéressant de comparer deux périodes passées de la production d’Herzog & de Meuron en fonction des modèles scientifiques, en gardant à l’esprit le critère de l’image du corps, étroitement lié, dans le domaine des arts visuels, depuis Cézanne, à l’interprétation picturale des sensations. Jacques Herzog et Pierre de Meuron rappellent volontiers leur dette à l’égard de Rémy Zaugg pour son insistance sur la perception et son œuvre testamentaire, les Esquisses perceptives, consacrées à l’analyse d’un tableau de Cézanne (La Maison du Pendu). Il est probable que leur intérêt initial pour l’architecture-objet provient, sur le versant morphologique, de leur formation auprès d’Aldo Rossi, même s’ils ont été influencés par la méthode de l’architecte-théoricien et pédagogue plus que par ses projets. Zaugg les a introduits principalement à la pensée du tableau. Un tableau n’est pas une image peinte mais le champ d’exercice d’une pratique qui implique l’ensemble du corps. Pour Rémy Zaugg interprète de Cézanne, le tableau est un équivalent du monde, non parce qu’il serait un programme complet de représentation mais parce qu’il absorbe toutes les sensations, devient le sujet sensible, percevant. Chez Cézanne, il n’y a pas de programme, il y a une expérience et un sujet, qui s’écrit dans la peinture. Dans le projet pour Roche p. - mené par l’agence en collaboration avec Zaugg, le premier mur peint à l’entrée du bâtiment contient la phrase « Ich, das Bild, ich fühle… » (« Moi, le tableau, je sens »). En somme, le tableau est le sujet, il ressent et il parle. Toutefois, ce langage n’est pas celui de l’architecture. Un bâtiment peut constituer un motif pictural (ou pittoresque), il peut être conçu selon un mouvement centripète et sembler effectivement tourné sur lui-même, détaché de son environnement. Mais l’architecture ne peut prétendre à l’autonomie du tableau. Ce qui compte pour nous, disait Jacques Herzog en , c’est la densité de perception sensuelle contenue dans un tableau qui se manifeste dans le processus de perception du spectateur. La « vie » s’exprime dans différents modes de perception. Rémy Zaugg distinguait la perception artistique des autres modes de perception, et notamment de la perception quotidienne. Créativité, vitalité, qu’importe le nom donné à cette énergie de vie ; la vitalité créative s’exprime dans l’énergie perceptive qui est plus riche, plus



  : Collection Goetz, lieu d’exposition pour une collection privée d’art moderne, Munich (projet -, réalisation -)

  : Coupe montrant la partie enterrée (dessin de Jacques Herzog)



’   intense en face d’une œuvre qu’en face d’une publicité, par exemple, qui n’a qu’un seul but et qui a tendance à fermer la perception du spectateur. Dans les années , plusieurs projets de l’agence ont traité la façade comme une image matérialisée, c’est-à-dire comme une surface épaissie et ornée, une peau. C’était l’époque où se développa en Allemagne, notamment à Düsseldorf (la ville de Beuys et de Bernd et Hilla Becher) un art de l’objet-image, distinct de la tradition pop. Herzog et de Meuron ont été associés logiquement à cette tendance, représentée par des artistes comme Thomas Schütte, Reinhard Mucha… Un livre publié par la galerie Peter Blum à New York en , Architectures of Herzog & de Meuron. Portraits by Thomas Ruff, témoigne de cette conjonction. Le bâtiment de la collection Goetz (Munich, -) fut le projet charnière de la fin des années . Gerhard Mack a résumé son efficacité en termes d’expérience de perception spatiale : « Le règlement de construction pour la zone résidentielle où se trouve le site restreignait la hauteur et l’emprise au sol du bâtiment, ce qui ne laissait d’autre alternative pour atteindre la surface d’exposition requise que de construire un niveau en sous-sol. Herzog & de Meuron ont fondé leur projet sur cette restriction. La première étape fut d’éviter délibérément la solution traditionnelle de mettre l’art vidéo et les dessins au sous-sol, en visant au contraire la même qualité spatiale pour les deux niveaux d’exposition. La hiérarchie conventionnelle des salles est inversée. Les tentatives d’éclairage par le haut, visibles dans les premières esquisses, ont été rapidement abandonnées, et la grande salle d’exposition, qui est le plus souvent mise en valeur dans le parcours et dotée d’un éclairage zénithal, a été placée au sous-sol. À l’étage supérieur se trouvent trois salles d’exposition plus petites. Les bandes de verre dépoli prolongent les murs de plâtre hauts de  à , mètres, diffusant une lumière du jour indirecte et uniforme. De l’intérieur des salles, le visiteur ne peut savoir à quel étage il se trouve 6. » Le bâtiment en verre translucide, inscrit dans un écrin de verdure, est un objet de haute précision. À la fois simple et déroutant, il fut et reste un rare accomplissement d’une architecture-objet qui tranchait avec les tendances high-tech comme avec les maniérismes postmodernes, tout en rappelant les pavillons et autres « folies » de l’Ancien Régime. Après tout, Munich fut un des haut-lieux de cette tradition (l’agence y a mené par la suite deux autres projets, dont celui du stade Allianz Arena). Dan Graham, dont les Pavilions (conçus à partir de ) se profilent derrière plusieurs projets de l’agence, se référait lui-même au décor rococo de François de Cuvilliés pour le salon de l’Amalienburg, petit pavillon de chasse construit en  dans le parc du château de Nymphenburg.



De Young Museum, Golden Gate Park, San Francisco (concours , projet -, réalisation -)



7.

     

Le Laban Center est l’architecture type d’une intimité territoriale. Par son p.  apparence de hangar décoré (mais sans les effets signalétiques qui caractérisent l’architecture pop), par la qualité « technique » des matériaux, le bâtiment est ajusté à son environnement : une banlieue plane, avec des canaux et sans autre relief que des bâtiments industriels dispersés et un pont de chemin de fer. Les bandes claires de couleurs, suaves et acides (citron vert, magenta et turquoise) donnent à l’enveloppe en polycarbonate une vibration lumineuse plutôt aérienne, à la fois proche et lointaine. À l’intérieur, le détail néo-brutaliste des escaliers en béton ancre au sol un espace de circulation verticale, alors que le parti pris général est une combinaison fluide de plans inclinés, interrompue elle-même par des failles découpées depuis le toit dans l’épaisseur du bâtiment. Ces éléments ambigus et contrastés peuvent être mis en rapport avec les caractères du site. S’il y a une idéalisation de l’existant, elle opère par concentration des caractères diffus de l’environnement. Mais cette concentration opère à partir des qualités d’introversion et de rayonnement du bâtiment. Le Laban Center requalifie un morceau de territoire quasiment en friche en affirmant son autonomie. Des projets plus récents témoignent de cette recherche d’une définition territoriale du bâtiment. Il s’agit d’exalter la teneur psychologique de la géographie en stimulant l’expérience de perception proposée à l’usager, habitant, regardeur et au visiteur. Les musées sont évidemment des bâtiments tout désignés pour ce type de recherche. Les points communs entre le Schaulager et le musée de Young (-) tiennent moins à des p. , - variations sur une syntaxe qu’à l’articulation voulue dans les deux cas entre l’effet d’apparition du bâtiment à distance et l’expérience d’une complexité programmatique. La tour du musée de Young se détache des arbres du Golden Gate Park dans lequel elle apparaît. L’abord pédestre, par le parc, prépare d’ailleurs idéalement à la visite du musée : on peut faire l’expérience d’un paysage architecturé dans l’esprit d’Olmsted (l’auteur du Central Park de Manhattan). Jacques Herzog raconte : La monumentalisation du bâtiment, grâce à la grande tour, nous paraissait très importante pour marquer le rôle socioculturel et urbanistique de l’institution, à la charnière de la ville et du Golden Gate Park. Dans un long débat, très animé, Pierre a mis toute son énergie à défendre la tour. Nous avons dit au client que la tour de l’ancien bâtiment avait permis au musée de devenir un symbole pour la ville. Mais pour nous, c’était beaucoup plus



 ⁄  simple : le bâtiment aurait été invisible si aucun élément n’avait émergé des arbres. Le musée aurait été une architecture purement intérieure. La tour est un élément intéressant de l’extérieur, mais elle permet aussi de voir la ville depuis le musée, comme une grande fenêtre. On voit la ville de façon nouvelle et inattendue. p. , - Dans une banlieue industrielle de Bâle parsemée d’entrepôts, le Schaulager

se distingue immédiatement, en évitant toutefois la clarté spectaculaire et high-tech qui signale souvent les bâtiments culturels implantés dans les zones d’activités plus ou moins denses. Conçu comme la réserve active d’une collection d’art contemporain, le Schaulager n’est pas un musée, ni même un centre d’art traditionnel, mais une institution d’un nouveau type, qui peut s’apparenter aux bâtiments de stockage environnants : le nom même de l’institution souligne l’idée d’un lieu de dépôt, d’un magasin. Herzog & de Meuron avait déjà travaillé sur des entrepôts et des musées (ou des lieux d’exposition). Ce nouveau programme a permis de combiner les deux typologies. Dans son aspect global, le bâtiment semble littéralement surgir du sol, tel un paysage vertical, la terre excavée pour le chantier ayant fourni le matériau du béton de construction. On retrouve ici l’utilisation des matériaux du site mise en œuvre pour le chai Dominus. En façade, le pan taillé de l’entrée monumentale, aligné sur la rue, apparaît à son tour, comme creusé dans le bloc. Précédée d’une petite maison en « avant-corps », qui est à la fois un point d’ancrage pour le bâtiment et un seuil détaché pour le visiteur, cette entrée monumentale ouvre sur l’atrium intérieur, qui se déploie sur toute la hauteur. Ici, un nouveau renversement de perspective se produit, déduit logiquement du programme : les salles d’exposition occupent le rez-de-chaussée et le sous-sol, tandis que les réserves, qui constituent la raison d’être principale du bâtiment, sont logées dans les hauteurs. La traduction de cette rupture des habitudes muséales produit un effet inédit, aux antipodes de la rampe ascendante du musée Guggenheim de New York : les niveaux supérieurs du grand volume intérieur révèlent au visiteur, non des espaces de galeries plus ou moins ouverts sur un vide central, mais une superposition régulière et vertigineuse de coursives impénétrables au regard, uniformément éclairées et comme aveuglées par des lignes de néons. Dans la conception laïque et fonctionnelle qui domine désormais, le monument s’est dépouillé du sacré en se détachant du modèle commémoratif. C’est essentiellement un édifice de grandes dimensions et un repère urbain ou territorial, doté éventuellement d’une « grandeur » supplémentaire, qui le distingue de l’architecture ordinaire (et des bâtiments environnants s’il n’est pas posé dans un no man’s land périurbain). Cette



() grandeur supplémentaire est esthétique plus que spirituelle. La cathédrale gothique était édifiée au cœur de la ville médiévale, au plus près des habitations, dont elle se détachait, tel le symbole du Dieu incarné. Elle signalait aussi le surgissement de la ville dans son paysage. Les grands équipements de la ville contemporaine, conçue pour des foules motorisées, nécessitent de vastes espaces de dégagement. L’échelle de mobilité, qui correspond à la perception du bâtiment depuis une voie de circulation rapide, a remplacé l’échelle du monument édifié en cœur de ville. Le stade de Munich est exemplaire à ce titre. Signal de la ville, vu depuis l’autoroute, c’est aussi et surtout un signe avancé d’urbanité. Il ne se dresse pas dans le ciel, il semble plutôt y flotter, comme une bulle ; la nuit, il illumine le ciel en y projetant ses propres couleurs ; à l’intérieur, il le découpe et le transforme en une vaste coupole. Ce stade n’est pas une machine grandiloquente vouée aux messes sportives. La dimension spectaculaire est absorbée dans une forme intérieure qui suggère un cratère ouvert sur le ciel. En accord avec la courbe extérieure, l’enveloppe est une épaisseur continue et ondulante, constituée de coussins en résine thermoplastique (ETFE). La forme globale a été calculée pour produire à l’extérieur un effet d’allègement et donner aux spectateurs, à l’intérieur, la plus grande proximité avec le terrain de jeu. De surcroît, le programme dictait une organisation flexible du bâtiment. Il fallait assurer l’accueil d’un public segmenté (pour une rentabilité optimale de l’équipement), et aménager des espaces multiples, qui puissent être utilisés en dehors même des rencontres sportives. Le toit convexe du parking (de plus de dix mille places) étend l’emprise du bâtiment et déploie sa courbe à l’horizontale.

8.

ornement(s)

En , au cours d’une première longue suite d’entretiens avec Jacques Herzog, deux mots, deux questions sont revenus avec insistance : l’ornement et le sacré. J’évoquai Henri Matisse et Adolf Loos. Nous avions parlé auparavant de l’exemple du tableau, nous avions évoqué l’œuvre du peintre Rémy Zaugg et les projets menés par l’agence en collaboration. Voici un moment charnière de notre échange : JFC : L’ornement est expansif, il excède les limites. Comme l’herbe, il se diffuse, ne veut pas être limité, il est envahissant. L’ornement est barbare. Les grandes cultures ornementales sont les cultures barbares, et l’Islam. JH : L’architecture musulmane utilise l’ornement pour masquer la surface nue. Pour les musulmans, le divin se manifeste dans la surface nue, et doit donc être pudiquement couvert par l’ornement. Dans les cultures catholique



 ⁄  et orthodoxe, les surfaces peintes et ornées – souvent des images de signification iconique – sont toujours porteuses d’un message spirituel et religieux. Je suis né dans une culture protestante et j’ai toujours admiré l’utilisation de l’image et de la décoration dans l’orthodoxie russe et grecque. Plus tard, comme architectes, nous avons découvert le potentiel des sculptures ornementées comme outil pour détruire la forme « valable » : dans des cas où nous avions du mal à considérer que telle ou telle forme que nous allions donner à un bâtiment était valable en tant que telle, nous avons du mal à dire : « voilà la forme que je veux sans doute aucun ». L’ornement nous a souvent aidés à surmonter cet obstacle de la forme. Quand nous avons découvert l’architecture arabe, nous avons tout de suite compris que l’ornement était un moyen de « supprimer » la forme. L’ornement permet d’introduire le doute. Un lien était ainsi établi entre l’usage de l’ornement et le sens du sacré. On pense à la position polémique d’Adolf Loos, qui condense et exacerbe la conception puritaine de l’austérité anti-ornementale. L’auteur d’Ornement et Crime () opposait l’art, aligné sur le sacré, à l’ornementation bourgeoise de la vie quotidienne. Mais il ne condamne pas l’ornement en lui-même. Il dénonce un ornement éclectique, profane, bourgeois, gemütlich… Son propos est dandy, aristocratique, antibourgeois, sans être révolutionnaire. Il veut remettre l’ornement en relation avec la nature et le sacré. Dans l’esprit de Loos, on peut avancer que l’ornement se distingue de la décoration, au sens bourgeois du terme, par un effet de rupture analogue à l’intrusion du sacré dans la vie profane. Jacques Herzog récuse ce double partage. Il ne méprise pas la décoration, et il se refuse à opposer la noblesse du sacré à la vulgarité profane. L’ornement, dit-il, peut être intégré à la structure et contribuer à la fabrique de l’espace architectural. L’intégration de l’ornement à la structure renvoie à la surface vivante, pensée par analogie avec la peau : Nos premières commandes ne nous permettaient pas encore d’agir sur le programme et de définir comme nous l’entendions la structure, l’espace intérieur et « l’ornement ». Mais nous avons toujours essayé, d’une manière ou d’une autre, de créer un rapport entre espace et peau. Au début, on se p. - préoccupait moins de la structure. Dans le cas de l’entrepôt Ricola, il y a un rapport d’analogie structurelle entre la stratification apparente du rocher et celle de la façade du bâtiment. Certains bâtiments, comme Prada à Tokyo, le stade de Pékin, ou le Centre de flamenco de Jerez, mettent en œuvre l’idée que la peau crée une unité, et qu’elle a une profondeur. Nous avons toujours recherché cette unité, mais c’est seulement au cours des années que des possibilités d’intégration des différentes composantes du



      projet se sont ouvertes à nous. À défaut de cette unité, on crée des architectures sur lesquelles sont plaquées des décorations, comme un papier peint. On comprend comment le travail de l’ornement peut être une manière de surmonter « l’obstacle de la forme ». En fin de compte, ce qui est généralement considéré comme un luxe, comme le supplément d’un effet d’enveloppe ajouté à la structure constructive, fut et demeure pour Herzog & de Meuron le vecteur d’une nouvelle conception plastique et dynamique de l’architecture. On leur a parfois reproché de privilégier la surface, l’image. Mais l’histoire de l’agence montre que leur traitement de l’ornement participe d’une conception plastique globale et non de la recherche d’une exubérance décorative. La façade décorée fait image. L’image, tournée ostensiblement vers l’extérieur, peut être un leurre, mais celuici, comme le précise Jacques Herzog, peut être intégré au jeu complexe de rapports qui définit l’entité architecturale : Quand l’ornement et la structure deviennent une seule chose, bizarrement, cela crée un nouveau sentiment de liberté. Tout à coup, il n’y a plus à s’expliquer ou à s’excuser d’avoir créé telle ou telle décoration : elle est une structure, un espace. En réalité, je ne m’intéresse particulièrement ni à la structure, ni à l’ornement, ni à l’espace en tant que tels. Cela devient intéressant quand on rassemble tous ces éléments en une seule chose, et si on peut en faire l’expérience, en traversant le bâtiment, en le pratiquant. Nous essayons de répondre à des questions et des antithèses simples et presque archaïques : haut-bas, ouvert-fermé, loin-proche, sombre-clair. Finalement, nous préférons ne pas parler d’ornement, de structure, ou d’espace. Ce sont des termes techniques, que nous avons appris, mais auxquels nous n’accordons pas de valeur. En les intégrant dans un ensemble, on les élimine plus facilement.

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     

Depuis l’aménagement de la Tate, l’activité d’Herzog & de Meuron s’est p.  considérablement étendue. L’activité et les performances de l’agence portent logiquement sur les composantes monumentale et urbaine de l’architecture, mais dans la continuité des recherches antérieures. Cette continuité repose largement sur la permanence d’une référence à la nature comme modèle, qui n’est certainement pas un des principes normatifs de l’architecture contemporaine. Herzog et de Meuron se défient du conservatisme pastoral, mais ils n’ont pas oublié l’exemple de Joseph Beuys, avec qui ils ont eu l’occasion de travailler, au début de leur carrière, en , sur l’installation Feuerstätte II. Ils prennent en considération le p. -



Ricola Europe SA, bâtiment de production et de stockage, Mulhouse-Brunstatt (projet , réalisation )



      facteur écologique, en particulier dans leur réflexion sur le phénomène p. -, de métropolisation, qu’ils ont étudié longuement à propos de Bâle. - Leur intérêt pour l’écologie ne se résume pas à une économie des matériaux ni à un souci du contexte environnemental. Il s’exprime aussi et d’abord dans la prise en compte d’une multisensorialité de la perception, opposée à l’inconsistance envahissante du design et des effets d’image de type publicitaire. Comme le signale avec insistance Jacques Herzog, cette multisensorialité inclut l’odorat, qui est le sens du diffus et du subtil, mais aussi du pénétrant, de l’incontrôlable et des réminiscences (distinctes de la mémoire volontaire et des souvenirs). Les deux entrepôts construits pour l’entreprise Ricola au début des années p. -  ont révélé que la qualité monumentale peut constituer une sorte de seconde nature, quand la rigueur de l’architecture industrielle acquiert une physionomie et une épaisseur qui l’apparentent aux formes naturelles. Ces deux bâtiments ont mis au jour un principe d’intégration ornementale de la nature et de la rationalité technique (fonctionnelle). Les parois vitrées de l’entrepôt de Mulhouse sont d’ailleurs ornées d’une image de Karl Blossfeldt, qui représente exemplairement les spéculations menées depuis la fin du dix-neuvième siècle sur les croisements entre formation naturelle et fantaisie ornementale. Il n’est pas indifférent de remarquer que la forme de l’auvent monumental épaissi mise en œuvre à Mulhouse se retrouve dans le bâtiment du musée de Young à San Francisco. De même, le jeu avec l’eau de pluie a été repris pour l’atelier de Rémy Zaugg (dans la même ville de Mulhouse). L’eau retenue sur le toit conforte l’inertie thermique du bâtiment et laisse, en débordant, des traces sur les murs aveugles. Cet effet de capture d’un processus naturel correspond en réalité à une tendance de fond dans les projets de l’agence. Pour Herzog & de Meuron, le territoire, dès lors qu’il est fabriqué, habité, urbanisé, est l’expression d’un double processus : le paysage est gagné de plus en plus par la culture urbaine, mais la ville, en retour, se transforme en paysage. Cette observation est probablement une des clés de la pensée architecturale développée dans l’agence. L’étude sur Bâle, « ville en devenir ? », menée au début des p. -, années , fut déterminante. Après avoir longtemps travaillé sur la forme , - conventionnelle de la boîte (et du cube) puis privilégié la dimension horizontale de l’architecture – de nombreux projets perpétuent ces deux options – Herzog & de Meuron se sont appliqués récemment à travailler sur des formes monumentales érigées, en s’intéressant notamment aux tours et aux immeubles de grande hauteur. L’extension du bâtiment de la Tate (préfigurée par la tour du musée de Young) ou, de manière plus spectaculaire, la tour Roche de Bâle et le projet Triangle de Paris procèdent de

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Plaza de España, Santa Cruz de Tenerife, îles Canaries (concours , masterplan -, projet -, réalisation -)

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      cette tendance. Ces projets, qui se situent à l’échelle d’un territoire urbanisé, supposent un imaginaire et une imagination géographiques. En août , Jacques Herzog évoquait un bâtiment conçu comme une sculpturepaysage, accordée à la puissance géologique de l’île : L’île de Tenerife apparaît comme une chose façonnée ; elle donne l’idée des forces telluriques qui ont formé la planète. C’est un terrain idéal, une leçon sur la diversité du sculptural ou comment la sculpture peut se former. La nature s’y manifeste dans des formes tellement extraordinaires qu’il faut vraiment réfléchir à comment nous pouvons construire quelque chose sur cette île, comment et quoi mettre sur ce « sol », ce terrain artificiellement créé. L’émergence volcanique de l’île est un geste sculptural d’une violence inouïe. Je l’ai ressenti comme totalement différent du paysage suisse. Par contraste, la Suisse paraît immuable ; ni le paysage ni les lois, ni la forme de la nature, rien ne semble changer. Dans nos pays voisins, en France et en Allemagne, c’est différent, il y a d’autres forces monumentales, politiques et non géologiques, qui forment le territoire du pays. Comme Beuys, je crois que les processus de la nature ont un équivalent dans la société. La générosité de la mer et de l’éruption volcanique m’ont ouvert à un nouveau monde. Quand tu es un jeune architecte, tu es attaché à certains matériaux, à certaines formes et à certaines préférences. Découvrir que les formes peuvent se créer d’elles-mêmes, par la loi de la nature, est une expérience importante. À la place des forces naturelles, mais de manière comparable, nous mettons dans chaque projet une stratégie conceptuelle de laquelle émerge – quasiment d’elle-même – la forme architecturale. Il en résulte une liberté et une ouverture qui nous permettent de penser dans toutes les directions.

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L’œuvre de Donald Judd a été acquise par le Kunstmuseum de Bâle en  : Sans titre,  ; acier laminé à froid, six éléments de  ×  ×  cm alignés et espacés de  cm. Rémy Zaugg, La Ruse de l’innocence. Chronique d’une sculpture perceptive (), Dijon, Les Presses du réel, , p.  et . Paul Schilder, L’Image du corps. Étude des forces constructives de la psyché,

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5 6

trad. François Gantheret et Paule Truffert, Paris, Gallimard, , coll. « Tel ». Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, GarnierFlammarion, , p. . Ibid. Gerhard Mack, Herzog & de Meuron -. Das Gesamtwerk Band 2, Bâle, Birkhäuser, , p. .



La fabrique d’une biographie urbaine

Le quartier de Kleinbasel depuis le Bâtiment 1 en construction sur le site Roche, juin . Au premier plan la cheminée du Bâtiment 97 pour la recherche et le développement ; à gauche le Landhof, les bâtiments de la Foire, et à l’arrière-plan le Campus Novartis.

À droite la Kunstgewerbeschule, les voies de la gare allemande, le nœud routier est-ouest/nordsud et à l’arrière-plan les installations portuaires le long du Rhin [] 

Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont nés dans le quartier de Bâle situé sur la rive droite du fleuve, nommé Kleinbasel (le Petit Bâle). Cette appellation remonte au moins au e siècle. Elle désignait alors l’agglomération qui faisait face au cœur historique de la ville. Un pont fut construit en . Pierre de Meuron raconte : « Au début du e siècle, la construction du Mittlere Brücke [littéralement le “pont central”, ou “pont du centre”] a été déterminante pour le développement de la ville. Il n’y avait à l’époque que deux ou trois ponts sur le Rhin. La voie Nord-Sud suivait le Rhin, traversait Bâle, passait par Lucerne puis Flüelen [le port situé à l’extrémité du lac de Lucerne] et se poursuivait par le fameux pont du Diable (Teufelsbrücke), construit quelques années plus tard sur la route du Saint-Gothard ; les Romains ne connaissaient pas le col du Gothard. Ces deux ponts, celui qui traverse le Rhin à Bâle et celui qui ouvre une voie pour traverser les Alpes, ont permis le développement des échanges entre le nord et le sud de l’Europe au cours du e siècle ; Bâle est devenue alors un important centre de commerce et de crédit. Ils ont également permis la naissance de la Confédération suisse, à la fin du e siècle (). En , le territoire de Kleinbasel fut intégré à la commune de Bâle par acquisition auprès de son propriétaire, l’évêque de Strasbourg. Aujourd’hui, le quartier est délimité par le Rhin au sud et à l’ouest, 

et de l’autre côté par un double seuil, les deux voies Nord-Sud : l’autoroute reliant Hambourg à l’Italie – qui heureusement est enterrée à cet endroit –, et la voie de chemin de fer. C’est au-delà de la voie ferrée qu’ont été construits les quartiers modernes dans les années . »

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1. Maison d’enfance de Pierre de Meuron 2. Immeuble d’enfance de Jacques Herzog 3. Stade du Landhof

5. Kunstgewerbeschule / École d’arts et métiers (arch. Hermann Baur,

de l’école primaire Rosental (déplacée en ) )

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Plan du quartier de Kleinbasel

4. Parking de la Foire (arch. Suter + Suter, ) / ancien emplacement

6. Messe Basel / Foire de Bâle, Halle 2 (arch. Hans Hofmann, )

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

Élargi à l’échelle de la métropole trinationale, le territoire de Bâle est défini par cinq Belchen ou « ballons » : au nord-ouest (dans les Vosges) le Ballon d’Alsace, le Grand Ballon et le Petit Ballon, au nord-est le Badischer Belchen (au cœur de la Forêt-Noire) et au sud-ouest le Schweizer Belchen (en limite du Jura suisse). La théorie du « Système des Ballons » (Belchen­system) a été développée par différents scientifiques, en particulier par Rolf D’Aujourd’hui, qui fut l’archéologue du canton de Bâle de 1982 à 1998. Elle est fondée sur des observations géographiques, astronomiques et géométriques, mais aussi sur l’étymologie : l’allemand Belchen et le français « ballon » dériveraient l’un et l’autre de la racine celtique bhel – « brillant », « brûlant », « resplendissant »,

« éclatant » –, qui a donné notamment le nom du dieu Bélénos. Les axes visuels entre les trois ballons (BA, BB, SB) forment un triangle rectangle, qui peut être interprété comme un système de référence astronomique lié aux cycles solaire et lunaire, défini par les Celtes autour de ce qui était déjà à l’époque un site important, et qui est actuellement le cœur de la métropole bâloise. Ainsi, aux équinoxes, on peut voir, depuis le Ballon d’Alsace (BA), le soleil se lever au-dessus du Badischer Belchen (BB), et, depuis le Badischer Belchen, le soleil se coucher au-dessus du Ballon d’Alsace. L’orientation dans les dimensions du temps et de l’espace est dans toutes les cultures l’un des fondements élémentaires de l’environnement de la vie humaine. (P.d.M., février 2011)



La colline de Sainte-Chrischona depuis Kleinbasel (vue depuis le Bâtiment 1 en construction, site Roche), juin  []



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Ballond’Alsace / Elsässer Belchen GrandBallon / Großer Belchen PetitBallon / Kleiner Belchen BallonBadois / Badischer Belchen BallonSuisse / Schweizer Belchen

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Schémas de Pierre de Meuron, octobre . - : esquisse représentant le Belchensytem ou « Système des Ballons », plan de la région de Bâle ; - : manifestation urbaine du Belchensystem à Bâle





Alentour, au plus proche, la ville de Bâle est entourée de trois collines, chacune surmontée d’une chapelle : Sainte-Odile, sur la colline de Tüllingen, au nord de Riehen, côté allemand ; Sainte-Chrischona à l’est, à la frontière avec l’Allemagne ; SainteMarguerite au sud, sur la rive gauche du Rhin. Trois collines, trois sœurs saintes, trois chapelles. En relation visuelle les unes avec les autres, elles permettent, comme le système des Ballons, de lier différents points de la

ville et du paysage : des repères qui font apparaître des relations topographiques et culturelles. Jusqu’au 19e siècle, les zones habitées étaient plutôt restreintes, mais s’inscrivaient dans un territoire beaucoup plus vaste, où les données du site façonnaient l’imaginaire. Sainte-Chrischona et ses sœurs sont aujourd’hui des lieux de promenade populaires, on vient y courir, ou y faire de la luge. (P.d.M., février 2011)



  : Les collines de Tüllingen (au fond à gauche) et de Sainte-Chrischona (au fond à droite) depuis le clocher de la cathédrale, mai  []   : L’église Sainte-Marguerite, sur la colline de Binningen, canton de Bâle-Campagne, juillet  []



Les collines de Tüllingen (au fond à gauche) et de Sainte-Chrischona (au fond à droite) depuis l’église Sainte-Marguerite, mars  []



Le canton de Bâle-Campagne est méconnu et son paysage est généralement sous-estimé, mais c’est à mon avis un des plus beaux cantons de Suisse. Ces photos montrent la rencontre de deux morphologies géologiques très différentes, le Jura tabulaire [voir dessin double page suivante] et la rencontre du Jura tabulaire avec le Jura plissé ; elles documentent le résultat des forces géologiques et hydrauliques dans les formes du paysage. D’un point de vue formel c’est fantastique. On y reconnaît deux types de villages (sur les plateaux, dans les vallées) ainsi que le rapport entre l’agriculture sur les plateaux et les forêts sur les versants en pente. Cette échelle permet une compréhension du paysage qui déborde la ville et permet de la réinscrire dans le territoire. Avec Studio Basel, on a essayé de comprendre, définir et

développer la ville non plus à partir d’elle-même, c’est-à-dire à partir du bâti, du centre vers l’extérieur, selon l’approche traditionnelle, mais à partir du non­bâti. Il s’agissait de comprendre Bâle et les vallées de la Birse, de l’Ergolz ou de la Wiese, à partir de la campagne, du paysage – en allemand le nom du canton est BaselLandschaft, littéralement « Bâle Paysage ». Nous avons élaboré cette méthode pour la région métropolitaine bâloise, où elle s’est révélée efficace et convaincante. Dans les années qui viennent, nous allons continuer à l’appliquer avec plus de rigueur. La Suisse en général se prête fort bien à cette approche et à cet exercice ; c’est un mouchoir de poche, on peut facilement l’observer au microscope et la viser au télescope. (P.d.M., avril 2015)



Paysages du canton de Bâle-Campagne, octobre  []



Dessin de Pierre de Meuron, daté du  octobre . En bas à gauche : « Jura tabulaire : -M d’années environ / Jura plissé : M d’années environ (!) / “Horste” [soulèvements] (H) / “Gräben” [effondrements] (G) »



La salle du Grand Concile, attenante à la cathédrale, juin  []



Dans le bâtiment attenant à la cathédrale (Basler Münster), au-dessus de la chapelle Saint-Nicolas, on peut encore voir la salle du Grand Concile [le 17e concile œcuménique de l’Église catholique, 1431-1449]. Elle est fermée au public, mais je connais l’ancien pasteur, qui de temps en temps me donne la clé. La visite de cet endroit, l’un de mes préférés à Bâle, est toujours une expérience particulière. On entre dans une salle où le temps est resté suspendu, on voit les bancs sur lesquels les Pères de l’Église se sont assis, dans la première moitié du 15e siècle. C’était avant la Réforme, un siècle avant Luther, mais les tendances réformatrices étaient déjà fortes : le concile a tenté de régler, entre autres, les questions de la lutte contre le mouvement révolutionnaire des Hussites, l’accord de foi entre Rome et Byzance, qui à l’époque était sous la menace permanente des Ottomans. Mais avant tout, le concile

prétendait être reconnu comme le seul et unique représentant de la Chrétienté ; cette controverse a débouché sur l’élection d’un antipape qui s’est maintenu dix ans contre le pouvoir de Rome. Comme ville de conciles – aujourd’hui on dirait « ville de congrès » – Bâle se plaçait au centre du monde chrétien, ce qui lui a donné un grand essor économique et culturel. Ainsi avec la fabrication de papier l’imprimerie se développa, des artistes renommés comme Konrad Witz s’installèrent dans la ville, et la première université sur sol helvétique y fut fondée dans la foulée du concile en 1460. La charge historique de la salle du Grand Concile est impressionnante, mais c’est surtout un lieu d’une force incroyable, un accès direct, immédiat, à une architecture intérieure restée inchangée depuis plus de cinq siècles. (P.d.M., février 2011)



Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont appris auprès d’Aldo Rossi – ils ont suivi son enseignement à Zurich – à articuler dans leurs projets d’architecture géographie et mémoire urbaine, autant que psychologie et morphologie. Rossi s’intéressait à l’architecture urbaine, c’est-à-dire aussi à la ville comme architecture. Il identifiait des « faits urbains » qui pouvaient valoir comme œuvres d’art. Pour surmonter les effets réducteurs du fonctionnalisme, il cherchait des éléments de permanence et de continuité. Dans L’Architecture de la ville, il affirme que « la ville est quelque chose qui perdure au-delà de ses transformations et que les fonctions, simples ou plurielles, qu’elle remplit au cours du temps ne sont dans la réalité de sa structure que des moments. » Cette position le conduit à mettre en avant la valeur du monument comme condensation durable de la forme urbaine. Il distingue « la permanence historique comme forme d’un passé qui fait encore partie de notre expérience, et la permanence comme élément pathologique, comme un élément isolé et aberrant. » Herzog et de Meuron ont appris à observer l’épaisseur historique des faits urbains inscrits dans un territoire. Rossi se référait lui-même à la notion de « mémoire collective » élaborée par Maurice Halbwachs, auteur de Les Cadres sociaux de la mémoire (). Pour Rossi, « la mémoire est le fil conducteur de toute la structure complexe de la ville. » Il en arrivait même à affirmer que « la 

mémoire est la conscience de la ville ». Rossi pensait la ville comme « artefact » et comme œuvre d’art. Il privilégiait donc le monument. Mais il prenait en compte la dimension sociohistorique et politique des transformations urbaines. Il se réfère à l’étude d’Halbwachs sur les expropriations à Paris dans la seconde moitié du e siècle, ainsi qu’à la théorie de l’architecte bâlois Hans Bernoulli sur le parcellaire et la propriété du sol (Die Stadt und ihr Boden [La ville et son sol], , ). Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont transposé cette approche réaliste et confiante de la ville historique au cas bâlois et à l’état actuel du phénomène urbain en général. Pour eux, l’architecte-urbaniste est homéopathe plus que chirurgien. Jacques Herzog disait récemment à propos de Bâle : « Les villes se ressemblent, des choses comparables y sont mises en œuvre. Mais nous ne croyons pas à la ville générique. Chaque ville a ses propres qualités et ses propres maladies, qui constituent des paysages. » [référence : Aldo Rossi, L’architettura della città, ,  ; trad. allemande,  ; trad. française, , rééd.  ; citations p. , p. , p. ].



  : La cour du Kunstmuseum avant  (architectes Paul Bonatz et Rudolf Christ, ) ; carte postale   : La maison d’Érasme depuis la Luftgässlein, septembre  []



1. Cathédrale - 2. Muraille est (vestiges archéologiques) 3. Muraille sud et douves - 4. Antistitium (vestiges archéologiques) - 5. n° de la montée de Münsterberg 6. Mur ouest (vestiges actuels) - 7. Puits - 8. Horreum (grenier) - 9. Caves, Augustinergasse - 10. Caves, archives de l’État - 11. n° de la ruelle Augustinergasse 12. Place de l’Église Saint-Martin [Martinskirchplatz] (vestiges archéologiques) - 13. Tête de pont 14. Muraille le long de la Kellergässlein (vestiges actuels) 15. Réseau de rues - 16. Caves le long de la Luftgässlein 17. Caves, quartier de Aeschen - 18. Munimentum (fortification) Voies antiques A. et B. Époques celte et romaine C. Bas-Empire romain (IVe siècle)

Dans le cadre de notre diplôme d’architecture, en 1974, nous avons mené une étude historique approfondie du développement de la ville de Bâle, depuis le premier établissement gaulois du 1er siècle avant J.-C. jusqu’à la période contemporaine. Nous étions étudiants auprès d’Aldo Rossi, nous avons mis en pratique sa théorie de la ville, en la prenant au pied de la lettre : nous avons étudié la forme de la ville en considérant les strates successives de son développement. L’analyse débouchait sur une intervention sur la Barfüsserplatz, un projet d’aménagement urbain. L’étude s’intitule « Architektonische Elemente der Stadtenwicklung Basels » [Éléments architectoniques du développement urbain de Bâle], elle est parue à l’époque dans la revue d’histoire de la ville, le Basler Stadtbuch. Nous avons passé des jours entiers dans les

archives, en essayant de remonter aussi loin que possible dans l’histoire du parcellaire. Sur la base d’un plan cadastral du milieu du 19e siècle, nous avons finalement essayé de retracer l’état du parcellaire au 4e siècle (fin de la période romaine) et au début du 12e siècle. Sur chacun des plans sont figurés en rouge les quelques îlots et structures de l’époque connus de manière sûre, scientifique, par des fouilles archéologiques. On tâchait de comprendre la façon dont les couches historiques s’étaient succédé : le palimpseste de la ville et la permanence de certaines formes, de certaines lignes qui marquent une continuité dans le plan de la ville. Par exemple l’alignement de la cathédrale, ou la ruelle diagonale dans laquelle se trouve la maison d’Érasme, la Luftgässlein, dont le tracé remonte très probablement à la période 

A

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C

Bâle au temps du Bas-Empire romain, e siècle. Plan établi par Jacques Herzog et Pierre de Meuron dans le cadre de leur diplôme de fin d’étude à l’ETH de Zurich, 



Jacques Herzog et Pierre de Meuron, plan du projet d’aménagement de la Barfüsserplatz, diplôme de fin d’étude à l’ETH de Zurich, 



romaine. Mais la permanence principale est le parcellaire et donc la propriété ; c’est lui qui fait le « tissu » d’une ville à travers les siècles. L’importance du parcellaire était aussi un enseignement de Rossi, qui le tenait notamment de l’architecte bâlois Hans Bernoulli. Nous avons identifié des phases d’évolution, représentée chacune par un plan correspondant à l’état du parcellaire à un moment précis : 1356 (le grand tremblement de terre), milieu du 17e siècle (plan à vue d’oiseau de Matthäus Merian, 1654), 1862 (plan Löffel), 1913 (avant-guerre), 1974 (le présent de l’époque). La première transition est celle de la ville romane à la ville du haut Moyen-Âge. Cette dernière perdure en grande partie dans la morphologie actuelle du centre. Le bâti s’est bien entendu constamment transformé. Par exemple, les plans des fondations et les caves montrent qu’au 14e siècle les bâtiments n’étaient pas implantés sur le front de rue mais à l’arrière des parcelles et ont successivement rempli l’espace libre au fil du temps. Dans la seconde partie du diplôme, nous nous sommes concentrés sur le

quartier de la Barfüsserplatz, qui était en bordure de la ville romaine et à l’intérieur de la ville médiévale, et qui est aujourd’hui un des hyper-centres de la ville. Le 19e siècle a fait du quartier le centre culturel de la ville, avec le Stadtcasino (salle des fêtes municipale et salle de concert), la Kunsthalle, le théâtre, qui ont marqué l’esprit de leur époque avec de nouveaux programmes et de nouveaux types de bâtiments. Après l’analyse des transformations du 20e siècle (notamment la « Innenstadtkorrektion » des années 1930), nous avons conclu qu’elles avaient fortement altéré les qualités des espaces fermés et ouverts des rues et des places. Vue sous l’angle de l’état existant d’alors, notre proposition de projet consistait à fermer la Barfüsserplatz avec deux nouveaux bâtiments latéraux (en rouge) et de la redéfinir autour de l’église. L’idée de ramener l’église sur la place nous était déjà très chère il y a quarante ans. Finalement, nous allons pouvoir entreprendre une première intervention concrète dans ce périmètre en réhabilitant et agrandissant le Stadtcasino. (P.d.M., avril 2015)



Jacques Herzog et Pierre de Meuron, projet d’aménagement de la Barfüsserplatz, diplôme de fin d’étude à l’ETH de Zurich, .   : arcades aveugles sur le côté nord de la place ;   : façades sur la rue Steinenberg



Escalier de la maison d’Érasme, « Haus zum Luft », dans la Bäumleingasse, mars  []



  : L’escalier central du Kunstmuseum (architectes Paul Bonatz et Rudolf Christ, ), juillet  []   : Les Bourgeois de Calais, d’Auguste Rodin (-, bronze de -, achat en ), dans la cour du Kunstmuseum. Carte postale de 



La particularité du Kunstmuseum (Musée des beauxarts) de Bâle tient d’abord à l’histoire de la ville. Le musée abrite l’Öffentliche Kunstsammlung Basel, qui fut la première « collection publique » européenne. Le noyau d’œuvres conservées et présentées aujourd’hui remonte à l’acquisition par la ville en , avec des crédits du Conseil municipal et de l’Université, du cabinet constitué par Bonifacius Amerbach (-) et augmenté par son fils Basilius (-), tous deux acteurs de la culture humaniste. Basilius Amerbach était juriste et fut recteur de l’Université. L’histoire du Kunstmuseum correspond à l’institution de l’espace public bourgeois (Öffentlichkeit) sur les bases de l’humanisme européen, antérieures à l’idéologie des Lumières (qui inspira les musées du e siècle). Le Cabinet Amerbach fut présenté au public à partir de , soit dix ans après son acquisition, dans une maison du Vieux Bâle dite « zur Mücke », à proximité de la place de la Cathédrale. En , la collection, qui n’avait cessé de croître, déménageait dans un premier bâtiment conçu spécialement, nommé simplement « Museum ». Ce processus aboutit en  à la construction d’un bâtiment pour le musée des Beaux-arts. Le bâtiment de Paul Bonatz et Rudolf Christ présente un aspect monumental qui procède d’une orientation plutôt antimoderniste de l’architecture européenne après le tournant de la fin des années . L’histoire du Kunstmuseum est indisso

ciable de l’évolution sociologique d’un patriotisme bourgeois, municipal et cosmopolite, amplifié par le développement industriel de la ville. En , un cercle d’amateurs et mécènes, le Kunstverein, se forma pour soutenir la culture artistique et la création locales ; il est à l’origine de la Kunsthalle inaugurée trente ans plus tard. L’idée d’une défense de l’art moderne se confirma à partir de la fin des années  sous la direction de Georg Schmidt, en réponse à la condamnation de « l’art dégénéré » en Allemagne. Fils d’un Bâlois et d’une mère originaire de Hambourg, celui-ci était le frère de l’architecte communiste Hans Schmidt. Il fut nommé à la direction du musée en , après s’être signalé pour ses opinions socialistes et son action en faveur des réfugiés du nazisme. Un autre facteur déterminant dans le développement des collections du musée fut l’action menée par Maja Sacher-Stehlin, avec la Fondation Emanuel Hoffmann (Emanuel Hoffmann-Stiftung), qu’elle avait créée en  à la mémoire de son premier mari, le fils du fondateur de l’entreprise pharmaceutique HoffmannLa Roche, dite « Roche ». L’ouverture du Schaulager en  a inscrit ce réseau institutionnel dans le développement de l’agglomération.



Photographies de l’action de Joseph Beuys, Celtic + ~~~~, Bâle, le  avril 

Nous avons beaucoup profité de l’intérêt de Bâle pour l’art. Des artistes importants y ont été visibles très tôt, comme Judd, ou Beuys. Je n’avais pas de formation en art ou en histoire de l’art, mais c’était important pour moi de voir les œuvres d’artistes contemporains dans les musées. Pour un artiste, c’est à travers l’œuvre que s’expriment les idées. L’édifice de la

théorie ne vaut rien si l’œuvre ne peut servir de modèle d’expérience, à l’échelle 1:1. C’est la même chose en architecture. J’ai assisté à l’action de Beuys, Celtic + ~~~~, dans l’abri antiatomique du stade St. Jakob, à Bâle. Beuys fascinait autant par son personnage que par son œuvre, profondément marquée par la performance. (J.H., décembre 2008)





Photographies de l’action de Joseph Beuys avec la clique « Alti Richtig », Feuerstätte II [Foyer II], carnaval de Bâle,      : l’œuvre exposée dans la collection du Kunstmuseum (don de l’artiste et de la clique « Alti Richtig » en )



Nous avions fait pendant plusieurs années des costumes et des masques pour une « clique », un groupe de tambours et de fifres, la clique Alti Richtig. Traditionnellement, les costumes et les masques du carnaval produisent des caricatures de la vie politique locale et internationale. Dans le passé, des artistes importants, comme Jean Tinguely, qui était bâlois, ont conçu des costumes pour le carnaval. En 1977, le Kunstmuseum avait acheté une œuvre de Beuys, une grande sculpture intitulée Feuerstätte­I [Foyer I]. Son prix d’achat, 300 000 francs suisses, une somme énorme à l’époque, avait fait scandale. Nous

avons pensé qu’il fallait utiliser le carnaval pour intervenir dans cette affaire, au-delà de la simple caricature. Nous voulions nous servir du carnaval pour produire une deuxième sculpture et tenter de réconcilier l’artiste et le public. Les traditions alémaniques et celtiques sont importantes dans l’œuvre et la pensée de Beuys ; nous avons imaginé que l’idée de participer au carnaval pourrait lui plaire, qu’il pourrait faire quelque chose de cette situation. Et c’est ce qui s’est passé. Nous sommes allés lui rendre visite à Düsseldorf ; ce fut vraiment pour nous une découverte et une ouverture. 

Nous avions vingt-six ans, et nous étions encore dans la fascination d’Aldo Rossi ; Beuys a produit une coupure. Nous n’avons jamais été fascinés par le Nord ou l’Allemagne en particulier. Mais Beuys avait un côté très sensuel, intelligent et radical, exactement comme Rossi. C’était un monde esthétique magnifique. Ça sentait la graisse dans son atelier, il y avait d’énormes blocs de graisse, le sol était couvert de plaques de cuivre. Cet événement avec Beuys fut aussi formateur pour nous que l’enseignement de l’École polytechnique. Nous avons inventé un défilé pour le carnaval de Bâle, qui a mené à la produc-

tion d’une deuxième sculpture de Beuys (Feuerstätte­II ), qui est maintenant au musée des beaux-arts de Bâle. Les costumes de feutre ont été produits en grand nombre, ce sont des répliques autorisées d’une série limitée de Beuys. C’est lui qui a proposé que les objets en cuivre et en fer portés par les membres de la clique pendant le défilé soient réunis ensuite autour d’un anneau, comme des clés, de manière à exprimer le moment collectif. Il utilisait les matériaux de manière symbolique, ce qui était pour nous totalement nouveau. (J.H., décembre 2008)



Joseph Beuys, Haus (Filzplastik) [Maison (plastique de feutre)], . Huile sur papier, , × , cm. Berlin, Nationalgalerie



Maison bleue, Oberwil, canton de Bâle-Campagne (projet , réalisation -)



Maison à Leymen, Alsace (projet , réalisation ). - : croquis de Jacques Herzog : « Toit identique à la façade ??! » ; -   : []



Schaudepot, entrepôt pour le Vitra Design Museum, Campus Vitra, Weil am Rhein, Allemagne, agglomération de Bâle (projet , réalisation -), août 



Maison Lego, -. Maquette (plexiglas, texte sérigraphié, pièces de Lego, tiroir en bois, modèles réduits de meubles) et deux photogrammes noir et blanc encadrés



En 1985, nous avons participé à une exposition au Centre Georges Pompidou, dont l’argument – « L’architecture est un jeu magnifique » – était inspiré d’une phrase de Le Corbusier*. Trente jeunes architectes européens étaient invités à proposer la maquette d’une « architecture imaginaire » construite en briques Lego. Nous avons répondu en créant la réplique d’une chambre mansardée – comme celles de notre enfance – dans une maison indéfinie, générique, au toit à deux pentes. Deux photographies de grand format, qui rappellent les photos en noir et blanc de l’aprèsguerre, représentent l’intérieur de la mansarde et une vue sur la chambre voisine, avec une jeune femme assise sur le lit. Le mobilier de la chambre, reproduit également en modèle réduit, est rangé dans un tiroir encastré au bas de la boîte en plexiglas. Nous avons réservé les Lego à la représentation du volume extérieur de la chambre. Nous n’avons pas utilisé les nombreuses pièces mises à notre disposition mais les pièces originales qui nous restaient de notre enfance, avec lesquelles nous avions construit autrefois nos premières architectures. (J.H. & P.d.M., avril 2015)

Nous offrons des vues sur et depuis l’intérieur d’une pièce spécifique, des images d’une chambre d’enfant, des images liées à notre jeunesse, aux souvenirs de nos fantasmes diurnes et nocturnes. Des images de peur, de sommeil et d’érotisme. Le travail sur ces images est un travail d’architecture. […] nous avons donné à la maison en modèle réduit une forme générale, ordinaire et aussi familière que possible : n’importe quelle maison, n’importe où dans le monde. En réalité, elle devrait être un bâtiment spécifique, unique, très particulier, avec une couleur, des odeurs, un voisinage affreux, une façade en contreplaqué et des éléments en asphalte que nous ne pouvons ni ne voulons montrer ou rendre sensibles dans une maquette. Une maquette reste une maquette. (Herzog & de Meuron, « One specific room » ; extrait du texte imprimé sur la Maison Lego, 1984)

* La phrase de Le Corbusier est : « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière » (Vers­une architecture, 1923).



Poste d’aiguillage « Auf dem Wolf » (projet , réalisation -)



VitraHaus (Maison Vitra), Campus Vitra, Weil am Rhein, Allemagne, agglomération de Bâle (projet -, réalisation -), avril 



  : Dessin de Jacques Herzog pour la Maison pour un collectionneur d’art, Therwil, canton de Bâle-Campagne (projet , réalisation ). Texte manuscrit : « Abstraction dans l’architecture ? avant : L’architecture est abstraction / aujourd’hui : images d’architecture “abstraites + figuratives” / notre tâche : …amener ceci à une réalité vivante et diverse. Donc une façon de synthétiser les images “abstraites + figuratives” disponibles et éparses »



- : Steinhaus [Maison en pierre], Tavole, Italie (projet , réalisation -) -   : Esquisses de Jacques Herzog pour la Steinhaus [Maison en pierre], . Texte manuscrit : « “croix” intérieure / “orange-rouge” // squelette en béton (structure unitaire ?) / sans couleur »



  : Poste d’aiguillage central (concours , projet , réalisation -), septembre  []   : Poste d’aiguillage « Auf dem Wolf » (projet , réalisation -) []



Actelion Business Center, Allschwil, canton de Bâle-Campagne (projet -, réalisation -), septembre  []



Bâtiment 1 en construction sur le site Roche (projet -, réalisation -) ; à l’arrière-plan, la colline de Sainte-Chrischona, juin  []



Kleinbasel depuis le toit du parking de la Foire, avril . Derrière le bâtiment au premier plan, le stade du Landhof ; à l’arrière-plan, le site Roche []



Vue aérienne du Landhof, années  : au premier plan, l’école primaire Rosental (après le déménagement de l’école en , le bâtiment fut détruit pour laisser place au parking de la Foire, inauguré en ) ; à l’arrière-plan, le Rhin



Le contact qu’on a, enfant, avec le territoire est déterminant. On ne choisit pas son territoire d’enfance, il nous est donné. Ce contact immédiat, nécessairement naïf, est une imprégnation qui permet ensuite d’agir dans le monde, c’est la source de la vitalité individuelle. Beaucoup de gens ne comprennent pas ça. Ils pensent qu’il faut envoyer les enfants dans des écoles internationales, qu’ils apprennent trois langues, qu’ils développent très tôt un bon réseau de relations, etc. Mais tout ça c’est de la merde. Je crois au contraire que cette chose un peu pauvre, très simple, qui sent la province, est une expérience fondamentale. Sans cela Beuys n’aurait jamais pu faire une œuvre comme Strassenbahnhaltestelle [Arrêt de tramway, 1976]. (J.H., février 2011)

Depuis la terrasse on voyait le stade de football, le Landhof ; à l’époque c’était le terrain officiel du FC Bâle. Il a été utilisé comme stade jusque dans les années 2000 ; j’y ai vu ma fille jouer un match international dans l’équipe suisse des moins de 17 ans. Au début des années 1970, le FC Bâle a commencé à être très bien placé dans la ligue nationale, et depuis une quinzaine d’années c’est presque le

seul club suisse qui se situe au niveau européen. À l’époque, le Landhof était un des terrains homologués pour les matches internationaux, et on ne ratait pas un match. C’étaient the good old days of football, des joueurs de la sélection nationale habitaient le quartier, on les côtoyait. Enfants, on jouait tout le temps au foot, tous les jours, dès qu’on avait un moment. Dans les années 1950 le quartier était habité principalement par des familles qui avaient emménagé après la guerre, il y avait beaucoup d’enfants, c’était très vivant. Aujourd’hui la génération de mes parents est en train de disparaître. Dans les années 1950, Kleinbasel était encore le quartier industriel et populaire, avec par exemple la brasserie Warteck, les usines pharmaceutiques Roche. Le site de Roche s’est beaucoup transformé, aujourd’hui il abrite principalement le siège social et les départements de recherche, mais à l’époque c’était vraiment un centre de l’industrie chimique. Les odeurs des différents sites de production se mélangeaient, des odeurs très intenses, notre quartier sentait quelque chose de particulier, un mélange d’odeurs de chimie et du malt de la production de la bière. (J.H., mai 2013)



Immeuble de la Peter Rot-Strasse depuis le stade du Landhof, avril  []



Vue vers le nord depuis l’angle entre la Peter Rot-Strasse et la Chrischonastrasse, avril  []



Ma maison natale est à l’angle des rues Chrischonastrasse et Peter RotStrasse. La fontaine blanche où, en tant que fils cadet, j’allais chaque jour chercher l’eau fraîche est encore là, de même que le hêtre rouge, qui a dû être planté en 1934, au moment de la construction de la maison. Mes parents y ont emménagé en 1946 ; à l’époque on pouvait voir la colline Chrischona, car il y avait moins de constructions. Les bâtiments sur la droite datent également des années 1930 ; un promoteur très entreprenant, un certain Baumgartner, a répandu dans la ville le même modèle d’immeuble néobaroque. Les laboratoires Roche sont au bout de la rue. Ils étaient déjà là dans les années 1950, mais c’était moins étendu. En face de la maison, il y avait un parking et

quelques baraques en bois. À l’époque, les terrains de Roche étaient un site de production majeur et très actif, d’où s’échappaient des bruits et des odeurs. Je suis en train de vider la maison pour y faire des travaux de rénovation et de transformation. Je suis maître d’ouvrage et je travaille avec un jeune bureau d’architectes qui conduit le projet. Si j’avais cherché la rentabilité, j’aurais démoli et construit le double de surface. Mais j’ai voulu conserver la maison et surtout l’arbre. De plus, il me semblait difficile d’implanter un bâtiment d’architecture contemporaine dans ce quartier. Nous allons conserver la maison et ajouter de nouveaux éléments sur ses trois côtés. (P.d.M., février 2011)



-, -    : Vues de la Kunstgewerbeschule (École d’arts et métiers, architecte Hermann Baur, ), avril  []





Notre école primaire, le Rosentalschulhaus, était à l’emplacement actuel du parking de la Foire. Je garde en mémoire le grand escalier d’accès, les trois étages surdimensionnés en hauteur, un avant-corps central avec son plan symétrique, à gauche les garçons, à droite les filles. Jacques et moi avions été placés dans la seule classe mixte – un essai, il semblait. L’école a été démolie en 1966 pour faire place au parking. Au début des années 1960, notre environnement immédiat a été radicalement transformé par la construction de la Kunstgewerbeschule entre la Vogelsangstrasse, la Peter Rot-Strasse et la Riehenstrasse, sur un grand terrain

qui avait été jusqu’alors occupé par une ferme. Elle a disparu et c’est devenu un immense chantier, bordé par une palissade que nous longions pour aller à l’école. Les bâtiments ont été conçus par Hermann Baur, c’est une bonne architecture bâloise, d’une qualité hors du commun, où l’on peut reconnaître une influence du bâtiment de Le Corbusier pour le couvent de La Tourette. Pendant des mois, tous les jours, nous avons suivi la construction. Dans la cour est apparue une sculpture en béton de Jean Arp, que nous avons beaucoup admirée. Ce fut notre premier contact avec l’art moderne. (P.d.M., mai 2013)





Vue de l’arrière de la nouvelle halle et du parking de la Foire construit en  par Suter + Suter AG (Bâle), depuis le débouché du Landhof sur la Riehenstrasse, avril  []



Il y a eu des peintres dans ma famille, mais un seul architecte, à Hambourg, au 19e siècle. Mes parents auraient préféré que je fasse des études d’ingénieur civil, c’était moins « artistique », plus solide et donc moins risqué. Alors j’ai choisi l’architecture, un peu par esprit de contradiction. Finalement tout ce processus d’orientation a été assez stupide ; je ne répondais pas vraiment à une « vocation ». Le choix de l’école s’est fait un peu tout seul. Jacques et moi ne voulions pas aller au Poly à Zurich et nous avons choisi l’École d’Architecture de Lausanne. Pour moi, bilingue, c’était une façon

de retourner dans la francophonie, j’avais besoin d’avoir un nouvel accès à la langue française. Le fait d’étudier à Lausanne a été très bénéfique. La première année était une approche pratique, un accès à l’architecture assez banal et assez facile : relevés d’architectures traditionnelles de l’arrière-pays vaudois, les premiers plans, les premières coupes, les premières maquettes, beaucoup de bricolage, sans grands fondements théoriques, et par-dessus tout, un esprit très scolaire. Finalement ce n’est pas si bête de s’initier à l’architecture comme ça. (P.d.M., février 2011)



Nouvelle halle de la Foire (projet -, réalisation -). - : façade le long du Riehenring, avril  [] ;   : le « trou » dans le bâtiment au-dessus de la Messeplatz, mars  []





L’agence Herzog & de Meuron a construit récemment à Bâle des bâtiments (l’extension de la Foire et la tour Roche en particulier) qui ont un fort impact visuel dans la ville et constituent autant de nouveaux points de repère dans un paysage urbain élargi. Les postes d’aiguillage implantés aux abords de la gare dans les années , et le Schaulager, inauguré en , avaient déjà joué ce rôle. Une nouvelle phase s’est ouverte. Ces objets architecturaux, aussi situés et délimités soient-ils, interviennent dans le tissu urbain au-delà de leur valeur iconique. L’effet de repère suppose une clarté formelle qui tranche avec une typologie sclérosée ou un brouillage de l’environnement. Mais la forme inventée entre aussi en dialogue avec diverses composantes de la vie urbaine. Le bâtiment de la Foire est une coupure, un réflecteur et un piège à lumière ; il suggère également une continuité architecturale, analogue aux voies de circulation : la bande blanche suspendue semble traverser la ville. Ce qui agit dans le sens de la clarté urbaine est simultanément le vecteur d’une sensation de merveilleux ou de fantastique. La dynamique du bâtiment agit sur un plan imaginaire qui relie l’échelle de proximité à celle de la mobilité territoriale. Les vues prises par Pierre de Meuron restituent l’imaginaire qui sous-tendait l’épure du projet.



Vues de la nouvelle halle de la Foire.   : au premier plan, le parking de la Foire (Suter + Suter AG, -), mars  [] ;   : façade le long du Riehenring, septembre  []



Nouvelle halle de la Foire, Messeplatz, mars  []



Vue de la nouvelle halle de la Foire depuis la Clarastrasse, avril 



Vue vers le sud-est depuis un bâtiment de la Sperrstrasse, mars  : émergent de Kleinbasel la nouvelle halle de la Foire, la Messeturm (Morger & Degelo Architekten, -), les bâtiments du site Roche []



La ville de Bâle n’existerait pas sans le coude que décrit le Rhin. […] Le coude du Rhin est un événement plastique, une espèce d’idée urbanistique de la nature. L’espace urbain coudé le long du Rhin caractérise donc l’urbanisme à Bâle. […] Une partie de la ville reste toujours cachée derrière le coude, mais de n’importe quel point de vue, la ville apparaît comme un conglomérat d’architectures de toutes les époques de l’histoire de la ville. Une telle expérience spatiale n’est possible que parce que la ville s’est construite volontairement le long du Rhin. L’espace architectonique coudé qui en est né reproduit les contours du cours du fleuve. L’architecture de

la ville devient l’expression géométrique d’une forme naturelle, celle du Rhin. La ville de Bâle est reconnaissable, identifiable, compréhensible et saisissable grâce au lien urbanistique clair et évident qu’entretiennent les différents quartiers urbains avec le Rhin. […] Là où les rives du fleuve ne sont pas bâties, la ville semble se disloquer, se dissoudre ou se retirer dans l’arrière-pays. Il semble que ce soit la fin de la ville. Est-ce la campagne, le faubourg ou la nature qui commence ici ? La ville se retire du fleuve, loin de l’eau, de la circulation fluviale, des péniches. Pourquoi ? (Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Rémy Zaugg, « Bâle, une ville en devenir ? », 1991-1992)



Propositions pour construire le long du Rhin, deux planches extraites de l’étude urbaine « Bâle, une ville en devenir ? » (en collaboration avec Rémy Zaugg), commande de l’Union pour les Arts et métiers du canton de Bâle-Ville, -



Le Bâtiment 1 de Roche depuis le Schwarzwaldbrücke, mars  []



Le site Roche le long de la Grenzacherstrasse. - : vue vers l’est, septembre  [] ; - : vue vers l’ouest, septembre . À droite, le laboratoire de recherche (Bâtiment 92), Herzog & de Meuron en collaboration avec Rémy Zaugg, projet -, réalisation - []





Vue vers l’ouest le long de la Grenzacherstrasse, avril  : le site Roche, à droite le Bâtiment 92 []





-, -    : Site Roche, laboratoire de recherche (Bâtiment 92)



L’avant-projet définitif pour la nouvelle construction destinée à la recherche date de mai 1996. Les architectes Pierre de Meuron et Jacques Herzog évoquent la possibilité d’une intervention picturale. […] Dans ce type de collaboration, l’architecte est au début. L’artiste vient ensuite. À l’artiste, donc, de s’adapter et de réagir, de comprendre et d’interpréter. À lui de combler son retard et d’assimiler ce qui est déjà pour devenir un partenaire à part entière, apte à dialoguer. L’intervention picturale doit naître de l’architecture. Plus, elle doit donner à croire que l’acte artistique et l’architecture ont été conçus simultanément

et que l’un est impensable sans l’autre. L’art sera donc intimement lié à l’architecture et paraîtra irréductiblement nécessaire. Une fois achevé, le travail du peintre donnera l’impression d’avoir été désiré, appelé et voulu par l’architecture qui, sans l’art, n’aurait pu devenir ce qu’elle devait être et serait restée à jamais inachevée. C’est à cette seule condition que le travail de l’artiste est légitime, fondé et sensé. Si sa contribution est réussie, l’artiste n’aura rien fait en apparence, puisque son œuvre fut voulue et dictée par l’architecture. L’artiste disparaîtra dans l’évidence de la nécessité de l’œuvre. […] 

Rémy Zaugg, projet de peinture murale pour le laboratoire de recherche (Bâtiment 92) de Roche, vue en coupe de la façade sur la Grenzacherstrasse, -. Typographie Michèle ZauggRöthlisberger, infographie Loïc Raguénès





Le mur est orienté. Il a un devant et un arrière. Sa face antérieure est visible, sa face postérieure se fond dans l’anonymat des parois des laboratoires hautes d’un étage chacune. À l’arrière de la paroi, donc, les laboratoires ; à l’avant, des espaces pour les fonctions centrales ou vitales de la recherche : la bibliothèque, la salle de conférences. À l’arrière, l’effort analytique quotidien ; à l’avant, le stockage des connaissances, la consultation des savoirs, l’échange des hypothèses et des thèses en devenir. À l’arrière, un lieu clos et réservé ; à l’avant, un lieu semi-ouvert, un lieu où l’on va, un lieu où l’on passe ou reste, le temps de rencontrer et de communiquer. À l’arrière, l’évidence horizontale quasi

inexistante ; à l’avant, la conscience verticale d’une fonction de médiation toute de transparence. À l’arrière, l’humilité de la non-visibilité ; à l’avant, l’affirmation de soi interpellant le monde. Le mur de la tour de verre s’offre aux regards. Il est présent à l’intérieur et il est visible depuis la rue. Il s’impose, mais sans allure solipsiste, puisqu’il s’ouvre au monde en se donnant à voir à la ville. Avant d’entrer, on l’aura déjà vu ou, du moins, on aura perçu une présence verticale. Rémy Zaugg, « Genèse de l’œuvre. Journal, 1998-2000 », dans Une architecture de Herzog & de Meuron. Une peinture murale de Rémy Zaugg. Une œuvre pour Roche Bâle, Bâle, Birkhäuser, 2001.



Vue vers l’est depuis le Bâtiment 1 de Roche en construction, juin . À l’arrière-plan, le barrage sur le Rhin et la centrale hydroélectrique []

Barrage sur le Rhin et centrale hydroélectrique (architecte Hans Hofmann, ) ; à l’arrière-plan, le Bâtiment 1 de Roche, août  []



Le barrage de Birsfelden a été construit en 1953-1954. C’est, avec la Halle 2 de la Foire, l’un des deux projets les plus intéressants de l’architecte zurichois Hans Hofmann. Le barrage comprend une usine hydroélectrique. Le grand hall abritant les turbines hydrauliques est attractif au plein sens du mot : avec ses poutres en Y prises dans la façade vitrée et son toit plissé, il invite le regard du passant à admirer l’intérieur généreux et astiqué. Le barrage a créé une retenue d’eau en amont de la ville ; j’y fais de l’aviron. Les petits édicules sont ingénieux ; ils permettent d’éviter l’effet massif et la lourdeur du cube en béton. La peinture verte, le toit à deux pans inversés, les deux hublots circulaires et la porte blanche sur la même face, tous ces

détails sont intéressants. Les six cubes en béton sont transformés en six hiboux. Les cabanes de pêcheurs en bois au bord de l’eau avec leurs longues antennes sont aussi des petits êtres qui regardent l’eau, ils font face aux hiboux. Depuis ce site, on peut imaginer la future tour Roche, telle qu’elle apparaîtra dans le panorama urbain. Elle va se dresser à côté du bâtiment rectangulaire, qui donne avec ses 56 mètres une mini-copie du siège des Nations Unies à New York ; la cheminée, un peu plus loin sur le site, fait 100 mètres de haut. Le futur Bâtiment 1 de Roche en mesurera 178. Pour Bâle, cela représentera un saut d’échelle magistral. (P.d.M., février 2011)



Barrage sur le Rhin et centrale hydroélectrique (architecte Hans Hofmann, ), juillet  [] et février 



La réputation de Herzog & de Meuron s’est constituée initialement sur des petits projets. L’aménagement du Turbine Hall pour la Tate Modern à Londres marqua un changement d’échelle. En réalité, cette transformation d’un vestige industriel en musée-monument a révélé une empreinte, une mémoire bâloise (et européenne) des fondateurs de l’agence. Bâle fut toujours une ville de commerce mais aussi un centre industriel. La concentration actuelle de grandes entreprises pharmaceutiques provient, rappelle Jacques Herzog, d’une spécialisation dans l’industrie de la teinture au e siècle. « L’importance de l’industrie a permis le développement d’agences d’architecture comme Suter + Suter ou Burckhardt & Partner, qui sont devenues les plus grandes de Suisse. Nous participons de cette tradition. Les commandes des firmes industrielles nous ont permis de garder un pied dans la ville. » L’expression est un euphémisme. L’agence a, de toute évidence, plus qu’un « pied dans la ville », comme le souligne l’omniprésence de la tour Roche dans le paysage bâlois. À Bâle, le langage des formes industrielles a trouvé une expression monumentale dans des bâtiments liés au Rhin, à l’industrie pharmaceutique, à la Foire, au commerce transfrontalier : le silo de Hans Bernoulli dans le port, les bâtiments d’Otto Salvisberg pour Roche, les projets d’Hans Hofmann – la halle de la Foire avec l’horloge et le barrage sur le Rhin... L’église Saint-Antoine de Karl 

Moser a marqué le ralliement à la modernité d’un grand représentant de l’éclectisme. Herzog et de Meuron ont étudié ces jalons du paysage architectural bâlois. Ils se sont également intéressés aux manifestations de la recherche menée dans le domaine de l’habitat social. Un des premiers projets du bâlois Hannes Meyer, qui dirigea ensuite le Bauhaus, fut la cité-jardin Freidorf, réalisée entre  et  ; il témoigne des derniers moments de l’époque préindustrielle du logement social et coopératif. Herzog et de Meuron admirent aussi l’œuvre d’Hans Schmidt qu’ils ont connu alors qu’ils étaient étudiants, et dont Pierre de Meuron a réhabilité la maison Schaeffer pour son propre usage. La rationalisation de l’habitat populaire selon des critères hygiénistes participait d’un projet de rupture avec la tradition pittoresque et patrimoniale, au nom de l’idéal communiste. La visibilité monumentale des grands équipements industriels est d’un autre ordre. Mais les deux échelles, qui coexistent sur le plan urbain, peuvent être reliées par des homologies ou correspondances formelles.



-  - : Vues intérieure et extérieure de la tour-silo, port de Bâle (architecte Hans Bernoulli, ), juin  []





-, -    : L’Église Saint-Antoine (St. Antoniuskirche) sur la Kannenfeldstrasse (architecte Karl Moser, -), avril  []







L’auteur de l’église Saint-Antoine, Karl Moser, a réalisé également la gare allemande de Bâle. Moser était de Zurich, c’est l’un des architectes les plus importants du début du 20e siècle en Suisse. À Zurich, il a construit le Kunsthaus. À Bâle, l’église SaintAntoine est son projet le plus important. Le bâtiment est une contribution au modernisme, il est inspiré de l’église Notre-Dame du Raincy [1922-1923],

des frères Perret. Mais, trente ans plus tôt, Moser avait fait, dans sa phase historiciste, la gare allemande et la Pauluskirche, intéressantes l’une pour son grand hall notamment, et l’autre pour son implantation urbaine. Les deux églises, construites à trente ans d’intervalle, sont situées sur le même boulevard, à moins d’un kilomètre de distance. (J.H., février 2011)



Vue du quartier de la gare allemande (Badischer Bahnhof), juillet . Le long des voies ferrées, en haut à droite (toits gris), WoBA et lotissement Schorenmatten ; dans la courbe à droite (toits en tuile), cité-jardin Im Vogelsang



Cité-jardin Im Vogelsang, Paracelsusstrasse, quartier de Hirzbrunnen (architecte Hans Bernoulli, ) ; - : avril  [] ;   : mars  []



Des lotissements populaires ont été construits à partir des années 1920 à l’est et à l’ouest de la ville. Quand nous étions enfants nous n’en avions aucune idée, ce n’étaient pas des lieux où on allait. Nous en avons entendu parler à l’École d’architecture. Ce sont parmi les premiers projets de ce type en Europe. Ces architectures ont été construites dans des champs, il n’y avait rien autour. Elles créaient toutefois un morceau de ville, elles formaient un nouveau type de quartier, urbain et rural en même temps. Aujourd’hui elles sont intégrées dans l’agglomération, mais la plupart conservent leur unité. (J.H., septembre 2014)

Tout près du Petit Bâle, mais au-delà des voies du chemin de fer allemand, dans le quartier de Hirzbrunnen, se trouve le lotissement construit par

Hans Bernoulli en 1926. C’est un endroit recherché. Ce n’est pas très cher mais ce n’est pas très grand non plus. Les proportions sont belles. Et il y a les jardins à l’arrière. Dans les années 1920, il y eut à Bâle trois architectes modernes, des personnalités hors du commun : Hans Bernoulli (1876-1959), Hannes Meyer (1889-1954) et Hans Schmidt (1893-1972). Ils ont travaillé tous les trois sur le logement social et les lotissements sociaux. Hannes Meyer a commencé avec le Freidorf, en 1919-1921, qui fut un modèle pour le mouvement international des coopératives. Construit en pleine campagne, à Muttenz, au sudest de la ville, le Freidorf est aujourd’hui intégré dans le tissu urbain, près du stade St. Jakob. Bernoulli était socialiste. Il a écrit des traités sur le droit foncier. Il considérait que la terre, ressource limitée, devait appartenir à 

la communauté, à l’État, et que seuls les bâtiments pouvaient relever de la propriété privée. Mais il n’a pas été entendu. Il a pourtant été élu au Conseil national. Il a été professeur à l’ETH mais il en fut exclu pour raisons politiques ; il était trop à gauche. La cité-jardin Im Vogelsang est une coopérative : tu es propriétaire, et tu fais partie d’une communauté. Grâce à un règlement strict, il n’y a eu que très peu de transformations au fil des quatre-vingt-dix années d’usage. Heureusement les murs en brique n’ont pas été isolés, comme cela avait été envisagé un temps. Les portes d’entrée sont toutes peintes en rouge pourpre, les cadres des fenêtres en blanc, leurs couleurs d’origine. La seule transformation problématique est l’ajout de fenêtres dans les grandes surfaces en tuiles des toitures. Cela

permet de faire entrer plus de lumière, mais cela dérange vu de l’extérieur. L’ensemble se distingue par l’utilisation systématique d’une maçonnerie en briques apparentes, qui lui donne une unité peu commune pour la Suisse et une force d’expression caractéristique ; on se sent transplanté en plein milieu de la banlieue londonienne. Les murs de couleur rougeâtre et les tuiles du toit à deux pans accentuent le caractère monolithique et monochrome de l’endroit. Les gouttières en cuivre disparaissent dans le profil du petit avant-toit, ce qui intensifie cet aspect. Le quartier fonctionne comme un minicosmos, les logements sont petits, avec un jardin adjacent ; la qualité de vie y est remarquable, il continue d’être très apprécié. (P.d.M., février 2011)





Cité-jardin Freidorf, Muttenz, canton de Bâle-Campagne (architecte Hannes Meyer, -).   : vue aérienne, années  ; le bâtiment le plus grand est la maison coopérative commune.   : vue des potagers, avril  ; au centre à l’arrière-plan, le haut de la tour St. Jakob []



La tour St. Jakob (projet -, réalisation -), sur une berge de la Birse dans le quartier de St. Alban, juin  [] 

Vue du lotissement Schorenmatten, quartier de Hirzbrunnen (architectes Hans Schmidt et Paul Artaria, -), avril  []



  : Lotissement Schorenmatten, vue depuis la voie ferrée, avril  []   : Plan de la Wohnausstellung (WoBA) / Exposition Suisse de l’Habitat, quartier Eglisee, . Le lotissement Schorenmatten de Schmidt et Artaria – le plus grand – est constitué des six alignements (en noir) à droite de la voie ferrée.



Des historiens, des sociologues ont critiqué les cités-jardins, qu’ils considèrent comme des créations antiurbaines, des négations de la ville. Mais la ville a besoin de propositions et de typologies différentes ; la vérité n’est pas monolithique. Ces lotissements sont des typologies peu denses. Ils ont été construits en dehors de la ville, il y avait de l’espace. Au cours du 19e siècle la ville s’était beaucoup densifiée, un peu à la manière du Paris haussmannien. Dans les années 1920 le centre était devenu en partie insalubre. La ville s’est étendue audelà de ses limites pour trouver l’air, la lumière, le soleil et des terrains. La suite est bien connue : dans l’esprit du mouvement moderne et grâce aux nouvelles possibilités du transport individuel, l’étalement urbain a pris un cours expansif et inexorable tout au long de la seconde moitié du 20e siècle. C’est ce phénomène-là qui nous amène à repenser le bâti et le non-bâti d’une manière novatrice et à développer de nouvelles stratégies par rapport aux typologies, par exemple en superposant ou en combinant

différentes typologies sur un même site. C’est un peu ce que nous avons fait rue des Suisses [à Paris] : constructions en bordure d’îlots, bâtiments linéaires sur cour, petits pavillons isolés. (P.d.M., février 2011)

À cinq cents mètres de la cité-jardin de Bernoulli, le long des voies ferrées, Hans Schmidt, Paul Artaria et August Künzel ont construit les premiers bâtiments à toit plat à Bâle : d’abord la cité Schorenmatten entre 1927 et 1929, puis une partie de la Siedlung Eglisee en 1929-1930, dans le cadre de la Wohnausstellung Basel : une exposition grandeur nature de logements collectifs, semblables à celles du Werkbund à Stuttgart, Vienne ou Zurich. Quand nous étions étudiants, ces quartiers nous ont beaucoup impressionnés. Nous avons préparé un parcours de visite pour le groupe qui suivait le séminaire d’Aldo Rossi. Nous avons réalisé une brochure, Neues Bauen, qui rassemblait les différentes typologies, les plans, et des documents d’époque. Hans Schmidt 

et la revue ABC [Zurich, 1924-1928] étaient des références très importantes pour Rossi. Mais aujourd’hui, il est devenu difficile d’apprécier le site, car certains bâtiments ont été restaurés il y a une vingtaine d’années d’une façon douteuse et irresponsable ; c’est un vrai gâchis. Quasiment aucun détail n’est conforme à l’état original. Ces bâtiments n’étant pas protégés à l’époque, le service de la protection des bâtiments n’a pas pu intervenir. Il y a encore peu de temps, on n’accordait pas beaucoup d’attention à ce type d’architecture. Néanmoins, la majeure partie a été miraculeusement sauvegardée dans son état original – certainement grâce au règlement interne toujours en vigueur.

La « restauration » a détruit ce qui se distinguait de la banalité constructive actuelle. À l’époque, une maison abstraite et plate, radicalement novatrice, était applaudie par la gauche et l’avant-garde. Le modernisme s’est banalisé en perdant la radicalité et la clarté formelle qu’il avait à l’époque. Avant la production en série des éléments de construction, les architectes concevaient les détails au plus juste, le crépi, les profils des fenêtres, les huisseries. Si tu détruis ça, tu détruis tout. Rénover coûte cher. Définir les caractères qui doivent être préservés est un choix politique : un habitat populaire peut-il avoir une qualité historique ? (J.H., février 2011)

(P.d.M., février 2011)



Lotissement Schorenmatten, architectes Hans Schmidt et Paul Artaria, dans le cadre de la Wohnausstellung, dite WoBA, Exposition Suisse de l’Habitat, . Vues des jardins, années  (-) et avril  (-) []



Lotissement Schorenmatten, vues des années  ( ) et de septembre , après rénovation []. On peut observer divers types de rénovation : certaines façades ont été repeintes de différentes couleurs (-,  ), d’autres ont été recouvertes par



des panneaux (-,  ) ; -   : juxtaposition d’une maison dans l’état original et d’une maison rénovée : la façade est épaissie par une isolation et recouverte de crépi



Hans Schmidt et Paul Artaria, dessins parus dans la revue ABC en .   : projet de maisons en rangée à structure métallique,  ;   : adaptation pour une maison individuelle (maison Schaeffer, Riehen, )



Hans Schmidt et Paul Artaria, maison Schaeffer à Riehen, canton de Bâle-Ville.   : vue de  ;   : vue de , après restauration par Pierre de Meuron 

En 1977, dans une revue bâloise, The Village Cry, nous comparions deux projets qui ont été déterminants dans notre formation : le projet de Hannes Meyer et Hans Wittwer pour la Petersschule dans le centre historique de Bâle, en 1926, et la maison Schaeffer, construite à Riehen par Hans Schmidt et Paul Artaria en 19271928. Ce sont deux projets très différents l’un de l’autre, mais ils ont tous les deux une valeur de manifeste pour l’architecture moderne. Le projet de la Petersschule n’a pas été réalisé. En revanche, la maison de Schmidt existe. Elle devait être l’élément de base d’un lotissement en rangées. La composition est très intéressante, ce sont deux volumes posés l’un sur l’autre, perpendiculairement : en bas les pièces de vie, et en haut les chambres à coucher. Schmidt était radical, il a fini par émigrer en Union soviétique dans les années 1930, dégoûté par la Suisse bourgeoise. À la même époque, certaines maisons « modernes » de Bâle respectaient les conventions de l’habitat bourgeois. Dans la maison de Schmidt, il n’y a pas d’entrée de service pour les

domestiques ; cela n’avait rien d’évident. En 1990, la maison était à vendre et personne n’en voulait, Dominique et moi l’avons finalement achetée. La maison sur les photos de 1929 était devenue méconnaissable, car elle était complètement enfouie dans les arbres et avait été transformée au fil du temps, et même défigurée dans certaines parties. C’est vrai qu’il n’était pas facile d’y vivre, par exemple, il n’y avait ni stores ni avant-toit. Plus tard, à Zurich, Schmidt a fait des avant-toits, mais ici il n’y en avait pas, même sur la façade exposée plein sud. Il faisait très chaud l’été et froid en hiver. Les propriétaires précédents avaient fait des transformations en agissant contre la maison d’origine. J’ai essayé de la rendre habitable tout en retrouvant la pureté des volumes. L’espace ouvert et couvert a été transformé en un vestibule vitré, qui n’est ni isolé ni chauffé, dans lequel il ne fait souvent pas plus de cinq degrés l’hiver, mais qui atténue les écarts de température à l’intérieur de la maison. Ce qui sans doute défigurait le plus la radicalité architecturale de la maison était une verrière ajoutée 

côté jardin et les fenêtres en PVC brun qui avaient été appliquées lors d’une restauration problématique. J’ai mis un double vitrage aux fenêtres, en les dessinant de manière à ce qu’elles soient dans la continuité de la façade. À l’époque, la taille des panneaux vitrés était limitée, c’est pourquoi les grandes fenêtres sont composées de quatre panneaux. J’ai conservé les proportions, avec la croix centrale, car ce dessin contribue à la qualité de la façade. Le rectangle des panneaux était le module de base pour la conception de toute la façade. Dans le cadre d’un séminaire, Arthur Rüegg a pris un relevé précis de la maison Schaeffer. En particulier, il a fait une analyse approfondie de l’emploi des couleurs de Schmidt et Artaria, basée sur la théorie des couleurs positives (rouge, bleu, jaune) et négatives (blanc, gris, noir). Le résultat de cette enquête est décrit dans une brochure remarquable qui reflète la biographie captivante de cette œuvre. Quinze ans plus tard, nous avons eu besoin de plus de place pour nos enfants adolescents ; l’unique salle de

bains était minuscule, la maison entière très sonore – le logement pour le « minimum vital » (Existenzminimum) nous salue ! J’ai voulu agrandir la maison et j’ai déposé un projet d’extension, que je considérais comme compatible avec le concept des architectes. Je proposais de mettre une sorte de table par-dessus la maison existante, une nouvelle strate indépendante. Cette proposition a été refusée par les autorités pour des raisons de protection du patrimoine – à raison, comme nous l’admettons avec le recul. En fin de compte, nous avons déménagé dans deux maisons conçues par moi. (P.d.M., août 2010)

Références : J. Herzog et P. de Meuron, « Rationale Architektur und historische Bezugnahme » [Architecture rationnelle et référence historique], The Village Cry, n°3, 1977 ; Arthur Rüegg, Artaria & Schmidt Wohnhaus Schaeffer, Riehen-Basel, 1927/1928. Erneuerung : Herzog & de Meuron, 1990/1991 [La Maison Schaeffer d’Artaria & Schmidt, Riehen-Bâle, 1927/1928. Rénovation : Herzog & de Meuron, 1990/1991], Zurich, Institut GTA/ETH, 1993.



  : Deux vues de l’intérieur de la maison Schaeffer après restauration   : Page du livre d’Arthur Rüegg, Artaria & Schmidt Wohnhaus Schaeffer, Riehen-Basel /. Erneuerung : Herzog & de Meuron /



Hans Schmidt et Paul Artaria, maison Schaeffer à Riehen.   : vue de  ;   : vue de , après restauration par Pierre de Meuron 

Vue du lotissement Zu den Drei Linden depuis la Bäumlihofstrasse, entre Bâle et Riehen, février 



Pour la visite avec le groupe du séminaire de Rossi, nous avions également étudié le lotissement Zu den Drei Linden, construit au début des années 1940 par Ernst Mumenthaler, Otto Meier et August Künzel. Nous sommes entrés dans les logements, nous avons rencontré les habitants. Il en est ressorti que l’usage quotidien des habitations faisait encore ses preuves. La construction, la matérialisation et les détails constructifs étant de haute qualité artisanale, l’état des bâtiments est remarquable. En faisant ces observations, je ne peux m’empêcher de penser à Mario Meier, le fils d’Otto Meier et l’un de nos tout premiers collaborateurs au sein de l’agence, au début des années 1980. Il avait la passion de la construction et une grande sensibilité pour les matériaux, ce sont des qualités de plus en plus rares. Son père avait construit Zu den Drei Linden pendant la Seconde Guerre mondiale. Il réagissait aux avant-gardes en se faisant l’écho de la politique du Réduit national. La façade nord évoque une forte-

resse ; au sud, il y a des balcons et des jardins. Dans la cité Im Vogelsang de Bernoulli, on passe entre les jardins, les parcelles privatives se prolongent dans des espaces communs, de circulation et d’échange. Ici, intérieur et extérieur sont clairement distincts, les jardins sont clos et chacun d’entre eux n’est accessible qu’à son propriétaire. L’aspect fortifié tient de la réaction historique, on y retrouve une image de la situation de la Suisse dans l’Europe en guerre. En même temps, il y a une grande qualité. Il n’y a pas de vis-à-vis, les deux façades nord et sud sont très différenciées : crépi et fermeture, aspect minéral au nord, chaleur du bois et ouverture au sud. Les jardins sont assez grands ; pendant la guerre, ils répondaient clairement à un besoin d’autosubsistance, les habitants y plantaient des pommes de terre. Chaque entrée individuelle est marquée par une niche, creusée par la cage d’escalier qui forme une sorte de tourelle accolée à la façade. Et au bout de la rangée, à l’angle avec la rue, un petit retour de 

mur ferme l’ensemble. La couleur aussi est intéressante. L’architecture moderne bâloise n’est pas blanche, elle est grise ou ocre. Ce n’est pas le jeu corbuséen – méditerranéen – des volumes sous la lumière. Et le plus étonnant est peut-être la coexistence de caractères urbains et d’éléments ruraux. L’ensemble est fonctionnel, mais le travail sur la volumétrie, la composition et les rythmes est remarquable. Les lucarnes semblent d’époque mais il n’y en a pas sur toutes les tourelles. Les toits avancent plus que nécessaire, cela accentue l’alignement. À distance, notamment depuis la route entre Bâle et Riehen, on ne voit que le toit, le bâtiment tend à disparaître dans l’ombre de l’avant-toit. Le lotissement est séparé de la route par une grande étendue non constructible, le Baümlihof. C’étaient des terrains à bâtir qui appartenaient à une famille de grands propriétaires. Ils habitent toujours dans le domaine mais dans

les années 1960, ils ont voulu réaliser un projet de logements sur une partie des terres. Un groupe d’habitants a alors lancé une initiative populaire pour que la zone soit classée non constructible et achetée comme telle par la ville. C’était début des années 1970, j’étais étudiant à Zurich et je venais de lire le livre d’Hans Bernoulli Die Stadt und ihr Boden [La ville et son sol]. Une seconde votation a eu lieu en 1983, et la ville a dû payer des millions à la famille, en dédommagement. Si le système de Bernoulli avait été adopté, l’État n’aurait pas eu besoin de payer. En tout cas, cette zone verte crée une césure entre Bâle et Riehen, et elle fait partie de la plus vaste zone de loisirs en pleine ville. C’est bien que le bâti s’arrête net, mais je pense qu’il faudrait marquer plus fortement la limite avec une dernière rangée de bâtiments plus haute, comme autour de Central Park à New York. (P.d.M., février 2011)



Vues du lotissement Zu den Drei Linden (architectes Ernst Mumenthaler et Otto Meier, ), février 



Le lotissement Zu den Drei Linden depuis la Bäumlihofstrasse, mars  []



Isolé par le Bäumlihof, Zu den Drei Linden est un peu une île, ou une arche. Le travailleur n’est pas exposé à une esthétique d’avant-garde qu’il ne comprend pas, comme c’était le cas dans la Weissenhofsiedlung de Stuttgart, construite en 1927 sous l’égide de Mies van der Rohe. Les architectes ont choisi de construire des bâtiments aux formes familières, comme « autrefois ». Mais l’histoire peut être racontée autrement. Otto Meier était protestant et communiste. Il s’est résolument engagé pour la classe ouvrière. Au début du 20e siècle, pour les architectes comme lui, l’utopie sociale allait de pair avec une

remise en cause des formes traditionnelles, une volonté de rupture. En 1944 la situation avait beaucoup changé. Ce qui se manifeste dans les Drei Linden, nous le connaissons de l’histoire postrévolutionnaire : la visée d’une révolution sociale qui ne doit pas être menée par une élite culturelle, qui ne s’inscrit pas dans une innovation formelle, mais prône un égalitarisme qui s’oppose à l’émergence d’une esthétique indépendante conçue par une élite. C’est une vision de l’avenir fondée sur une humilité vis-à-vis de la tradition. (J.H., février 2011)



- : Zu den Drei Linden, plan-masse et plans des différents types de logements,  - : Vue de mars  []



Zu den Drei Linden, vue des jardins, mars  []



Ai Weiwei nous a introduits au projet de développement du quartier de Jindong à Jinhua, une ville de quatre millions d’habitants à trois cents kilomètres au sud-ouest de Shanghai. La ville lui avait demandé de concevoir un parc en mémoire de son père, le poète Ai Qing, qui était né à Jinhua. Il a eu l’occasion de voir le master plan qui avait été adopté pour le nouveau quartier, et il a convaincu la ville de repartir à zéro en nous proposant d’y travailler. Jindong devait devenir un nouveau centre avec des commerces, des équipements culturels et de loisirs, des bureaux mais aussi des logements pour 100 000 personnes. Le master plan de cet immense quartier était en fait un projet d’architecture, car ni les délais ni les façons de faire en Chine ne permettaient de mettre en œuvre un projet urbain avec

attribution des lots à divers architectes. Nous avons cherché à concevoir une architecture proposant différentes typologies qui produiraient un mélange, et un ensemble urbain riche. Nous voulions une richesse typologique et une homogénéité des matériaux. Nous avons suggéré par exemple d’utiliser la brique, ce qui a beaucoup surpris les Chinois, car c’est un mode de construction traditionnel qu’ils ont tendance à rejeter comme « archaïque » ou « obsolète ». Il y a à Jinhua quelques magnifiques maisons en briques ; on les a engagés à réutiliser cet héritage et ils ont été finalement convaincus. Nous avons donc construit sur place des maquettes en briques grandeur nature, tout en développant le master plan. (J.H., décembre 2008)



Jindong, planification urbaine d’un nouveau quartier à Jinhua, province du Zhejiang, Chine (projet -).   : dans les bureaux d’Herzog & de Meuron à Bâle, maquette du plan-masse, décembre  ; - : Mario Meier, Roman Aebi (qui ont initié au cours de ce projet l’usage de la brique cassée) et Ascan Mergenthaler, février 



Essais d’appareillages de briques pour la construction des bâtiments du nouveau quartier de Jindong, à Jinhua. - : prototype conservé dans le Jacques Herzog et Pierre de Meuron Kabinett, Helsinki Dreispitz, avril  [] ; - : construction de prototypes à Jinhua, février et août 





Finalement notre travail à Jinhua a été interrompu avant le début de la construction. Quelque chose a sans doute été construit, peut-être en suivant certaines de nos indications. C’est difficile d’avoir des informations, il faudrait aller sur place. Étonnamment, ce qui a pris forme à partir de ce projet est un objet sculptural que nous appelons Jinhua Structure. Ai Weiwei avait été chargé par la ville de concevoir un parc d’architecture présentant des pavillons expérimentaux. Nous travaillions depuis plus d’un an sur le plan d’urbanisme et nous avons décidé d’utiliser le répertoire de motifs développé pour les bâtiments comme une structure moléculaire ou un code génétique. Jinhua Structure est notre

seule tentative visant à générer une forme architecturale de manière quasi-artificielle, à partir d’un programme informatique. En ont surgi des formes inattendues, inconnues, une variation infinie comme dans la nature, comme une formation de nuages ou un paysage rocheux. Dans les images de nuages, les formations rocheuses, nous avons découvert des espaces qui semblent être une invitation à s’asseoir ou à se coucher, comme dans une grotte ou sous un avant-toit. Ces lieux se retrouvent dans Jinhua Structure ; une première version en béton teinté a été réalisée, elle est maintenant utilisée régulièrement par les visiteurs du parc. (J.H., décembre 2008)



Structure de Jinhua, version II verticale (bois lamellé-collé), dans le parc de la Fondation Beyeler, Riehen, 



Goetheanum (architecte Rudolf Steiner, -), siège de la Société anthroposophique universelle, Dornach, canton de Soleure. - : vues de l’escalier central, février  et juillet  [] ; - : vue extérieure, juillet  []





À l’échelle de la vallée de la Birse, le Goetheanum a une dimension urbaine, comme le Schaulager en aval vers Bâle. Ce sont deux objets-jalons, des bâtiments massifs qui évoquent un crâne et un visage. (P.d.M., février 2011)

Le Goetheanum est l’expression d’une sorte d’anti-fonctionnalisme. C’est un bâtiment assez laid, mais intriguant. Et il a marqué durablement l’architecture du 20e siècle. Les moments les plus réussis sont à l’intérieur, là où l’architecture est la plus abstraite, comme la grande salle, qui semble être faite d’une seule pièce. C’est une construction internalisée, qui évoque un volume creusé. Le mouvement de l’escalier central est formidable. Il monte en spirale, alterne ombre et lumière… et entre dans le vide. Il dis-

paraît dans l’ombre et la masse. Sur le palier le plus large, le cadrage de la vue sur la colline contribue à l’espace intérieur. C’est de la scénographie. Au deuxième palier on tombe sur un grand vitrail rouge qui a tous les caractères d’une entrée monumentale, il diffuse de la couleur. Steiner travaillait comme un sculpteur et s’inscrivait dans une tradition théâtrale plutôt que dans une logique structurelle. Selon lui, le travail de la forme est celui de l’âme qui s’exprime vers l’intérieur de ce corps. Le haut de l’escalier est une des réussites de l’architecture anthroposophique. L’architecture de Steiner est à son meilleur quand elle atteint une qualité non-narrative presque abstraite qui va au-delà de l’idéologie anthroposophique. (J.H., février 2011)



Vue vers Bâle depuis le toit du Goetheanum : au loin, la Messeturm et le Bâtiment 1 de Roche en construction, juillet  []



Bâtiment 1 de Roche, un des escaliers en construction, juin  []



Musée Unterlinden, Colmar, escalier principal en cours de chantier, avril , et escalier des Bains (salle événementielle, anciens bains municipaux), septembre  []



Vue de la nouvelle aile du Musée Unterlinden, Colmar (concours , projet -, réalisation -), en cours d’achèvement, automne  []



Entrepôt Ricola, Laufon, canton de Bâle-Campagne, - []



Ricola est une entreprise familiale, dirigée en troisième génération par les petits-fils du fondateur. Notre premier projet pour l’entreprise, la rénovation des bureaux, remonte à 1983. Nous avons construit deux entrepôts, l’extension d’une usine, le bâtiment du service marketing. À l’exception de l’entrepôt de Mulhouse, ces projets sont situés à Laufon, une petite ville sur la Birse, en amont de Dornach, à une vingtaine kilomètres au sud de Bâle. Nous y construisons le Kräuterzentrum [Maison des plantes] à l’extérieur de la ville, dans les champs. Sur le même site se trouve l’usine de fabrication des bonbons, conçue et construite par des ingénieurs, sans architectes. Les commanditaires ont pensé que la conception d'un bâtiment de production, purement fonctionnel, pouvait se passer d’esthétique. Mais ils nous ont demandé d’intervenir pour le bâtiment suivant, consacré au traitement des herbes. Il nous a paru évident qu’il fallait faire entrer toutes les fonctions (triage, séchage, mélange et stockage des herbes) dans une grande boîte prise dans l’enceinte d’un mur, autonome et autoportant. Il a fallu combiner cette logique d’une forme à géométrie simple avec la rationalisation des fonctions définie par les processus de production. Rapidement nous avons développé l’idée d’un mur en pisé, fabriqué avec la terre extraite du site. C’était un défi technique. Pour le Schaulager, en 1998, nous avions déjà envisagé d’utiliser ce matériau, mais avons dû y renoncer, les murs de vingt mètres étant trop hauts. Le pisé est une tech-

nique habituellement utilisée dans les pays en développement. Le Kräuterzentrum est le plus grand bâtiment en terre crue en Europe (111 × 29 × 11 m), et surtout c’est le premier bâtiment industriel en pisé. On n’associe pas spontanément ce matériau millénaire avec l’industrie. Le choix du matériau s’est effectué à partir du contexte – du programme (les herbes) et du lieu (Laufon). Si ce n’est pas ici et maintenant, alors où et quand ? Le mur est littéralement construit à partir de son propre sol. Tous les composants, liants et agrégats, proviennent d’un périmètre de 10 kilomètres autour du site. Le mur est un assemblage de blocs préfabriqués : des grandes briques coulées en coffrage dans une halle louée le temps du chantier. Les bandes horizontales plus claires sont faites de ciment, plus dur que le pisé, ce qui empêche l’érosion de la surface. La lumière naturelle pénètre par quatre ouvertures circulaires surdimensionnées. Alors que les qualités statiques du pisé sont faibles en tension, mais d’autant plus performantes en pression, la partie du mur au-dessus de la grande fenêtre fonctionne comme une fausse voûte. Les caractéristiques du pisé sont : un faible besoin d’énergie grise pour la fabrication (dix à vingt fois moins que pour le béton), une faible consommation de ressources naturelles, un traitement facile des déchets, une bonne inertie thermique (ce qui permet d’économiser sur les coûts d’opération, comme c’était le cas déjà avec le mur en gabions de la Dominus Winery). (P.d.M., mai 2013)



Kräuterzentrum [Maison des plantes] de Ricola, à Laufon, canton de Bâle-Campagne (projet -, réalisation -), juillet  []



-  - : Vues du Kräuterzentrum de Ricola, Laufon, juillet  []





Depuis le projet pour la Tate Modern de Londres (inaugurée en ), l’aire d’intervention de l’agence s’est progressivement élargie. Des projets aboutis, suspendus, en attente de réalisation, ont été menés aux États-Unis, en Asie (Japon, Chine, Inde), en Amérique latine (Mexique, Brésil), au Proche-Orient (Liban). Ce changement d’échelle correspond à une réflexion sur la planification urbaine, initiée en  par l’étude sur l’agglomération bâloise, « Bâle : une ville en devenir ? » réalisée en collaboration avec Rémy Zaugg. Christine Binswanger, qui est aujourd’hui, avec Ascan Mergenthaler et Stefan Marbach, l’une des trois Senior Partners de l’agence Herzog & de Meuron, a commencé à travailler pour l’agence sur ce projet : « C’était en , j’avais vingt-sept ans, je sortais de l’école ; je n’avais aucune connaissance en urbanisme. Il y avait une quinzaine d’architectes dans l’agence. Pendant neuf ou dix mois ça a été mon seul projet. On était une petite équipe de quatre : Jacques, Pierre, Rémy et moi. Je venais de Zurich, je ne connaissais pas la ville. On était devant les plans et ils parlaient de tous ces endroits qui ne me disaient rien du tout. Alors j’ai pris ma moto, je suis allée voir, j’ai fait des photos. À l’époque la conscience d’un territoire trinational n’était pas encore vraiment formulée. La commande partait d’un constat : nous avons un territoire limité par des frontières nationales, cantonales, communales ; comment envisager le développement de la ville ? Nous avons commencé 

par une analyse des frontières physiques et mentales qui limitent le développement. Cela fait à peine un an qu’une ligne de tramway va jusqu’en Allemagne. À l’époque c’était presque impensable. On avait ce type de discussions : pourquoi est-il facile pour des lignes de bus de traverser la frontière, et très difficile pour des lignes de tram ? Le bus ne fait que passer, tandis que le tram nécessite d’agir physiquement sur le territoire de l’autre, d’y poser des rails. Contrairement au train, le tram est destiné à des trajets de proximité, de voisinage, au quotidien. Il gomme un peu la frontière. Rémy amenait ce type d’approche, ce n’est pas la façon habituelle de parler d’urbanisme. Il nous a aussi aidés à développer un langage visuel pour les plans d’urbanisme ; nous continuons d’utiliser ces principes, même si les moyens ont changé, de la sérigraphie et des autocollants à l’ordinateur. » Une des aires de développement identifiées à l’époque est le quartier de Dreispitz, une vaste zone d’entrepôts et d’activités qui se déploie en pointe au sud de la ville, le long des voies ferrées, au début de la vallée de la Birse. C’est là qu’a été implanté le Schaulager, au tournant des années . Quinze ans plus tard, un nouveau bâtiment-repère a été édifié par Herzog & de Meuron : un immeuble de bureaux et logements locatifs dont les quatre niveaux de la base abritent les archives de l’agence. La décision d’installer sur ce site la mémoire de l’agence est un geste significatif.



Plan de l’agglomération de Bâle avec indication des frontières nationales, cantonales et communales et localisation du quartier de Dreispitz, 



Vue vers le centre de Bâle depuis le bâtiment Helsinki Dreispitz, juillet  []



- : Vue de la façade sud du bâtiment Helsinki Dreispitz, Helsinki-Strasse, quartier de Dreispitz, commune de Münchenstein, canton de Bâle-Campagne (projet -, réalisation -), mars  []. - : « Nouveaux points forts », carte-synthèse de l’étude urbaine sur l’agglomération trinationale de Bâle, . Légendes, rive droite : « Nouveaux quartiers le long du Rhin / Campus du savoir / Bande du savoir / Campus des sports / Campus de l’image / Port sur le Rhin (habiter) » ; rive gauche : « Port sur le Rhin (habiter) / Quartier de la gare allemande / habiter / travailler / Habiter au bord du Rhin »



Nos concepts ne reposent pas sur des théories inventées ou des conceptions urbanistiques précises comme c’était par exemple le cas de la ville des Lumières ou de la Modernité. Nous n’avons pas de véritable idée urbanistique ou d’objectif a priori ; une telle idée serait de toute façon toujours trahie par la réalité politique, culturelle et économique de la ville. Elle n’était d’ailleurs pas nécessaire puisque cette ville du futur, c’est-à-dire l’image potentielle de cette ville, se dévoilait d’elle-même au fur et à mesure que nous avancions dans nos observations et nos descriptions de la réalité urbanistique. Nous avons découvert les différentes structures des quartiers qui apparaissent comme des formes de cristallisation dans le processus du devenir ville. Nous avons découvert les réseaux de voies ferrées qui, tel un système fluvial artificiel, semblent

imiter le cours du Rhin. Nous avons découvert les faubourgs nichés dans les vallées transversales du Rhin dont la structure est très lâche et qui sont peu denses. […] L’espace futur de la ville qui s’inscrit dans les structures floues et encore hésitantes des quartiers, faubourgs et banlieues, a surgi presque tout seul, pour ainsi dire naturellement, comme une image se révèle peu à peu sur le papier photo dans la chambre obscure du photographe. L’image urbaine qui commençait à s’ébaucher a ressemblé de plus en plus à l’image qui est dessinée par l’espace donné par la nature. L’espace naturel a commencé à disparaître pour réapparaître sous une forme différente, architectoniquement structurée, exprimée par les structures urbaines qui devenaient de plus en plus claires. (Jacques Herzog, Pierre de Meuron, Rémy Zaugg, « Bâle, une ville en devenir ? », 1991-1992)

Propositions pour le développement urbain le long de la vallée de la Birse, planche extraite de l’étude urbaine « Bâle, une ville en devenir ? », en collaboration avec Rémy Zaugg, -



Vue du Schaulager depuis la Emil Frey-Strasse, quartier de Dreispitz, Bâle/Münchenstein, canton de Bâle-Campagne (projet -, réalisation -), mars  []



Depuis le bâtiment Helsinki Dreispitz, vue sur la vallée de la Birse, vers Arlesheim et Dornach, juillet  []



Vue du bâtiment Helsinki Dreispitz, juillet  []



Jacques Herzog et Pierre de Meuron Kabinett, bâtiment Helsinki Dreispitz : vue de l’un des niveaux dédiés aux archives de l’agence, avril  []



Jacques Herzog et Pierre de Meuron Kabinett, bâtiment Helsinki Dreispitz : vues des éléments archivés de divers projets, avril  []. - : dans l’armoire vitrée à droite, maquettes pour la façade de l’extension de la Tate Modern (The Tate Modern Project, -) ; derrière, sur la palette, prototype pour l’appareillage de briques du projet de nouveau quartier Jindong, à Jinhua (Chine, -). - : maquettes de la Maison Lego (-) et du projet d’aménagement de la Marktplatz, au centre de Bâle, non réalisé (troisième proposition, , après le concours gagné en )





Conversation Jacques Herzog Pierre de Meuron Jean-François Chevrier Bâle, les  et  juin 

Jean-François Chevrier : Un peu par provocation, j’ai avancé dans le texte qui ouvre ce livre que l’architecture est un « métier opportuniste ». Vous inventez des formes, en supposant qu’elles peuvent s’adresser au public, dans sa généralité, du moins quand elles présentent une qualité qui leur permet de contribuer à l’environnement commun, quand elles peuvent faire l’objet d’une appropriation par le public au-delà de leur fonction initiale. Comme Aldo Rossi, vous considérez qu’un monument est une forme de permanence dans l’environnement urbain, susceptible de changer d’affectation. C’est en fonction de cette idée que vous avez pu concevoir le stade de Pékin. Jacques Herzog : Oui, on constate aujourd’hui que le Bird’s Nest [« nid d’oiseau »] fonctionne particulièrement bien dans la période postolympique, il est utilisé pour accueillir différents événements mais aussi comme un parc public. On l’a conçu dans cette visée. JFC : Mais vous avez dû négocier. Vous ne dépendez pas, pieds et poings liés, d’intérêts politiques ou financiers. Vous vous êtes donné une marge de manœuvre, vous pouvez même, dans des limites variables, infléchir le programme. Mais vous agissez nécessairement dans un système de contraintes, vous devez répondre à des intérêts politiques ou des critères de rentabilité qui ne correspondent pas nécessairement aux vôtres ; la commande du stade de Pékin est un bon exemple, et je ne pense pas que le programme, très commercial, d’Unibail pour la tour Triangle à Paris vous ait complètement satisfaits. JH : En tant qu’architecte, à la différence d’un artiste, tu travailles dans des conditions très définies : il y a un sujet, un programme et un lieu. Dans ce cadre-là, nous ne pouvons pas nous permettre d’être « opportunistes ». Pourquoi ? Un opportuniste est prêt à tous les compromis pour assurer un profit personnel. Nous avons une perspective et une idée claires du potentiel de chaque projet, et nous mettons tout en œuvre pour le réaliser. Pas pour nous, mais pour mieux servir les besoins de tout le monde. Le succès d’une architecture est qu’elle soit aimée, acceptée et utilisée par les gens et cela pendant des générations. Pour atteindre ce but, il faut souvent manipuler et retravailler le programme donné. Ce travail est un moment clé dans la genèse d’un projet. Plutôt que d’opportunisme, on pourrait parler de ruse. Pierre de Meuron : Afin de se repérer dans des contextes et des plannings de jour en jour plus complexes et imprévisibles, il est parfois approprié d’intégrer la ruse dans notre système mental d’orientation et d’intelligence stratégiques. Le développement d’un projet avance



 O rarement de façon frontale et rectiligne comme l’eau d’un fleuve canalisé, mais au contraire par contre-courant, par déviations du courant normal, par perturbations latérales. Progressions et régressions se suivent, les doutes font place aux acquis et vice versa. Ces déviances, volontaires ou imprévues, peuvent être néanmoins propices au projet. Confrontés à toutes sortes de réalités politiques, économiques et culturelles, il nous faut constamment agir et réagir par rapport à ces réalités, qui sont cependant rarement lisibles avec évidence ; ainsi toutes les parties impliquées dans le projet s’en font leur propre idée. C’est là qu’apparaissent les différences d’interprétation, nombreuses, et leurs suites inévitables, les malentendus, les désaccords, les controverses, les disputes, les conflits. Il importe à ce moment-là de ne pas être réaliste sur un mode opportuniste, mais au sens complexe du terme, c’est-à-dire de comprendre les imprévisibles et les ambiguïtés du projet et de savoir développer des stratégies de rapport à l’autre – semblable aux techniques de combat japonaises. Il s’agit de saisir à temps les cas de figure qui n’avaient pas été détectés initialement, et de les mettre au service du projet. Je parlerais dans ce cadre d’opportunités. JH : Prenons l’exemple de Roche. Est-ce par opportunisme que nous p.  avons accepté de développer un nouveau projet plus simple, moins

iconique, un bâtiment qui s’intègre plus dans la tradition du langage moderniste qui caractérise l’architecture du site de Roche à Bâle ? L’opportuniste serait satisfait de pouvoir tout simplement construire des bâtiments. Dans le cas des projets pour Roche, il s’agit de repenser tout p.  ce qui est autour : un nouveau boulevard très fréquenté, un nouveau parc, une nouvelle relation avec le Rhin. p.  JFC : Pierre disait en substance le  août  : « le client a voulu simpli-

fier le projet ; nous étions déçus, mais finalement c’est mieux. » Pouvezvous préciser ? PdM : Tout le monde s’accorde à dire que le premier projet était plus innovant, du moins au premier regard. Mais finalement, l’innovation n’est pas le seul et unique critère. Le client ne se retrouvait pas dans cette forme trop tape-à-l’œil. Le président de Roche ne voulait pas voir son entreprise représentée par un bâtiment qui à ses yeux était trop spectaculaire ; il voulait quelque chose de plus « modeste », de plus « retenu », de plus « classique », voici les termes qu’il a employés. Le maître d’ouvrage est intervenu sur un plan esthétique, qui est conventionnellement du ressort de l’architecte, mais dans ce cas-ci, il se trouve qu’il avait raison. En l’occurrence se ranger à l’opinion du client n’était pas de l’opportunisme, mais c’était opportun. Si la tour avait été



 construite telle que nous l’avions dessinée à l’origine, certes elle serait apparue comme une forme innovante, belle et complexe, mais elle serait restée solitaire. Entourée de bâtiments à géométries plus simples, elle aurait été mal intégrée dans son environnement. Sa forme aurait été difficilement déclinable et aurait fonctionné plus difficilement dans le développement urbain de Roche, qui est en cours. p. , -, JH : L’aspect général de la nouvelle tour fait penser au modernisme de - l’après-guerre. Les bandes horizontales appartiennent au vocabulaire des années  et . Cette forme conventionnelle, à la fois simple et iconique, est voulue ; l’auteur, c’est-à-dire l’architecte, se retire à l’arrière-plan. À l’intérieur, les skylobbies sont des espaces ouverts sur trois étages, qui s’empilent l’un sur l’autre. Sur ce point, très novateur, nous avons dépassé le premier projet. Littéralement, presque à chaque étage, tu peux sortir à l’extérieur sur une terrasse, à l’air libre. Cet aspect de la vie intérieure de la tour est finalement plus important et radical que la forme de la première version, qui était plus iconique mais spatialement moins novatrice que la version construite. Nous savions que le site Roche allait se développer, mais nous ne savions pas dans quelle dimension, avec quelle densité. C’est un projet dont l’échelle urbaine est hors catégories en Suisse. Il y aura entre autres un bâtiment plus haut que la tour actuelle. Nous avons toujours p. - plaidé nous-mêmes pour une densification le long du Rhin. Le projet Roche produit justement cette densification le long du fleuve et c’est pourquoi il est si important pour nous. En revoyant toutes les petites brochures que nous avons produites sur les différents projets au fil des années, nous nous sommes aperçus, Pierre et moi, que nous étions en train de perdre le contrôle, que nous appliquions nos propres conventions sans les repenser dans le contexte de la ville. Il a toujours été clair dans cette collaboration avec Roche que les nouveaux bâtiments devaient s’inscrire dans le prolongement du travail d’Otto Salvisberg, qui a développé le premier plan directeur dans les années , et de son élève Roland Rohn qui l’a poursuivi et actualisé dans les années . Le traditionalisme moderne de Salvisberg est le fondement architectonique du site de Roche à Bâle. Le masterplan de base, avec ses îlots carrés, est donné. Mais la densité et la hauteur des bâtiments qui vont être réalisés dans les dix ans à venir sont uniques à Bâle et en Suisse. Le cadre du masterplan était insuffisant, il fallait penser une architecture de dimension métropolitaine : c’est une nouvelle topographie qui va surgir du centre de la ville.

PdM : Au début des années , la direction de Roche nous a demandé de développer un nouveau masterplan pour l’ensemble du site et de



KREIS K KREISVERKEHR "AUS- & EINBLICKE"

RASENFLÄCHE WEITERFÜHREN SOLITUDEPARK

MOORE SKULPTUR EINZELBÄUME

GRENZACHERSTRASSE

BAUMGRUPPEN

CAMPUS

SOLITUDE-PARK

BESTEH ENDE ALLEE

VORGARTEN

BAUMGRUPPEN

RHEINPROMENADE

  : « Amplification des espaces verts », graphique extrait de l’étude urbaine sur le site Roche, Bâle, -

  : Sculpture de Peter Fischli et David Weiss, Rock on Top of Another Rock [Rocher posé sur un autre rocher], , sur le parvis du Bâtiment 1 de Roche, site de Bâle, le long de la Grenzacherstrasse, septembre  []



 définir l’emplacement du Bâtiment 1. L’un des bâtiments était vétuste et condamné à être démoli. Nous avons défini le site sud « corporate », le site nord « pharma ». Nous avons considéré l’ensemble du quartier, au-delà du site Roche stricto sensu. Il nous a paru évident qu’il fallait travailler dans la continuité du parc Solitude, qui borde l’avenue depuis le musée Tinguely. Ainsi le parc se prolonge maintenant dans l’enceinte du site Roche, où nous l’appelons « jardin », et il se prolonge également sur le boulevard lui-même, qui a été élargi et où de nombreuses plantations vont être réalisées. Nous avons essayé de fondre en une seule entité le parc public, la rue et le bâti. Dans un premier temps, le client était réticent à investir dans l’espace public et l’architecte cantonal n’était pas favorable à cette proposition, il préférait une allée classique avec des arbres alignés. p. -,  La rue qui traverse le site, la Grenzacherstrasse, suit le Rhin depuis la frontière allemande et, après avoir croisé l’important axe nord-sud transeuropéen, traverse et longe les terrains de Roche, qui aurait pu demander, comme l’a fait Novartis, de l’intégrer à son site propre et de détourner la circulation. Au contraire, nous avons proposé de reculer les limites de l’enceinte de quelques mètres. Le site reste fermé pour des raisons de sécurité, mais les trois mètres gagnés sur la rue libèrent tout. Les bâtiments sont maintenant posés sur le sol public. C’est un petit geste avec une grande portée. On a convaincu le client d’introduire des petits îlots de verdure. Et puis nous avons commencé à comprendre qu’il y avait là une séquence urbaine, marquée par des sculptures, qui existait partiellement et qui va être substantiellement élargie par l’installation de la nouvelle sculpture de Fischli et Weiss. La sculpture de Fischli et Weiss au bas de la tour, sous le porte-à-faux, répond à celles de Tinguely et de Bernhard Luginbühl aux abords du musée Tinguely, ainsi qu’à celles d’Henry Moore et de Hans Arp dans le jardin du siège historique d’Hoffmann-La Roche, visibles depuis la rue. La rue devient une voie vivante qui traverse un parc. Cette perception remonte à notre première intervention sur le site p. - Roche en  avec le Bâtiment 92. Déjà, à l’époque, nous nous étions rendu compte que la Grenzacherstrasse était plus qu’une simple infrastructure traversant le site et le coupant en deux, qu’elle portait en elle un potentiel d’espace public. Le programme du bâtiment laboratoire comprenait des espaces communautaires, tels un café, une bibliothèque, un auditorium, le foyer de l’auditorium, mais ces éléments du programme étaient prévus pour l’intérieur du site. Nous avons suggéré un roque [Rochade en allemand] : se servir de la Tour pour protéger le Roi, comme aux échecs ! Nous avons orienté, à la manière d’une vitrine, les espaces communautaires vers la rue, afin que le bâtiment présente une face vivante, au lieu de tourner le dos à la rue.



 JH : La ville, c’est la rue, et la rue, ce sont les magasins, les restaurants, les bars, même en Suisse qui n’est pas un pays connu pour le dynamisme de sa vie urbaine. Douze mille personnes vont travailler sur le site de Roche, c’est la population d’une petite ville. Le site de Novartis, aussi à Bâle, comprend un ensemble complet d’équipements pour la vie quotidienne du personnel : des magasins, des pressings, une dizaine de restaurants haut-de-gamme. Mais le site est clos. Nous avons cherché à mettre Roche au contact de la ville en rapprochant ces équipements de la rue. Aujourd’hui, les bâtiments sont sur la rue, les barrières qui longeaient les bâtiments ont été supprimées, la limite est marquée par les bâtiments eux-mêmes. Ce simple geste a permis de restaurer une continuité entre l’architecture et l’espace urbain, comme partout ailleurs dans la ville. C’est un geste de sculpteur, comme de supprimer le socle d’une statue pour la placer sur le sol de la vie quotidienne. PdM : En outre, nous avons dès le début avancé le concept de conserver certains bâtiments existants. Afin de ne pas être piégé par la suite, Roche refuse toute protection patrimoniale officielle, mais a néanmoins repris l’idée qu’il est important de conserver certaines couches historiques pour maintenir son identité culturelle. Par la suite, il s’est avéré que cette réflexion a beaucoup compté lors des négociations avec la ville au sujet de la délimitation et de la qualification des espaces publics, ainsi que d’autres éléments urbains et architecturaux du projet. JFC : Nous (Élia Pijollet et moi-même) avions admiré le projet réalisé en collaboration avec Rémy Zaugg, qui nous avait notamment convaincus que la couleur peut avoir un extraordinaire impact dans la définition d’un espace architectural, entre intérieur et extérieur, espace privé et espace public. Le bâtiment était ouvert sur la ville tout en affirmant son autonomie spatiale. Cet équilibre est une clé pour toute architecture qui doit être à la fois un abri, un lieu tourné sur lui-même et un « élément urbain » (au sens où l’entendait Aldo Rossi). C’est pourquoi le musée constitue un cas exemplaire, et vous le montrez dans le projet d’extenp. -,  sion du Musée Unterlinden à Colmar ; ce sera un écrin pour le retable de Grünewald et les collections complémentaires, un espace de parcours combinant des bâtiments de nature hétérogène, correspondant à des strates historiques assez contrastées, mais aussi un élément de requalification du paysage urbain qui avait été, en cet endroit, très malmené. Des opérations de ce type, où l’intervention urbaine est aussi importante que la forme propre du bâtiment, supposent des conditions particulières. Vous dites souvent que le rôle du commanditaire est un facteur décisif dans le processus du projet et que la plupart de vos bons projets ont bénéficié d’un dialogue avec le commanditaire.



 p.  JH : Beaucoup de ces projets sont devenus très visibles : Tate, Prada Aoyama, le chai Dominus... Les clients étaient exigeants et sophistiqués. Dans le cas de Roche, c’est une culture de l’entreprise qui a joué. Rétrospectivement, le rejet du premier projet pour la tour était évident. En tout cas, la relation idéale avec un client n’est pas la carte blanche, mais plutôt une expérience « radicale », qui sert à épuiser le potentiel de savoir des deux côtés.

JFC : Il ressort de votre récit que le président de Roche a eu raison de refuser votre premier projet de tour en spirale parce qu’il pensait à une logique de son entreprise qui correspond finalement aux perspectives de développement souhaitable du site et de la ville en général. Vous vous êtes finalement entendus sur une vérité urbaine, comme vous vous êtes entendus avec le maire de Colmar. PdM : À Colmar, c’était différent, puisque « l’entente » entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre s’est effectuée sur la base d’une décision prise par le jury d’un concours public. Dans le cas de Roche, il s’agit d’une commande directe, c’est-à-dire que le mandataire a délibérément choisi un architecte et non un projet présenté initialement sous le couvert de l’anonymat. JH : À vrai dire, nous avions rencontré une difficulté dans le projet de la tour en spirale. La forme s’était mal développée, le bâtiment avait enflé, il finissait par ressembler à une saucisse ! S’il avait été construit ainsi, nous aurions dû inventer plus tard une forme de spirale pour la seconde tour, alors que le projet actuel pour le Bâtiment 2 va se compléter de manière p.  plus simple et plus juste dans le paysage bâlois : nous allons construire un deuxième bâtiment, plus haut, qui rappelle la forme de la pyramide actuelle du Bâtiment 1. Avec le premier projet, nous aurions produit un effet sculptural spectaculaire à la manière de Shanghaï, d’Abou Dabi, de Dubaï. Mais Bâle, avec son empreinte protestante, a une autre histoire. L’aspect spectaculaire aurait plu, du moins au début, mais on aurait sans doute pensé que c’était étranger à l’esprit de la ville. Comment savoir ? En tout cas, le projet actuel vise à créer une nouvelle topographie autant qu’une nouvelle image, tout en interprétant un langage architectural familier. En un sens, cela confirme notre idée que les villes sont « spécifiques » et en aucun cas « génériques », comme il a été affirmé un peu prématurément dans le sillage du débat sur la globalisation 1. JFC : En somme, ce qui apparaît dans le dialogue avec le commanditaire permet parfois de faire apparaître une qualité du projet, qui est propre à la situation et aux circonstances socio-culturelles. Le concept clé d’un



Visualisation numérique de l’implantation urbaine du nouveau Musée Unterlinden, Colmar (concours , projet -, réalisation -)



 projet peut venir très vite mais, dans le cas du projet Roche, la solution s’est imposée à l’encontre du projet initial, en fonction d’une tradition et d’un savoir inscrits dans le territoire, dans la mémoire géographique, dont le commanditaire fut le vecteur. Faut-il parler d’une vérité, ou d’une qualité objective, qui tiendrait au « génie du lieu », et qui s’impose au travers des acteurs du projet ? JH : Nous ne laissons pas nos bâtiments « plantés là », nous parlons d’eux. Il existe un côté verbal de l’architecture chez Herzog & de Meuron, les nombreux textes, conversations et essais (publiés par l’agence) le prouvent. Nous parlons de ce que nous faisons et nous voulons le mettre sur la table pour en débattre ouvertement et sans a priori. Nous insistons toujours sur le côté physique, immédiat, de l’architecture. Mais l’architecture a aussi un côté intellectuel au sens où elle permet de lancer des termes, des idées qui s’expliquent par la réalité concrète d’un projet ; parler permet de faire surgir des éléments et des détails susceptibles de définir ce qu’on a fait, ou des termes plus généraux, comme nous avons essayé de le faire tout à l’heure avec le mot « opportunisme », que tu as lancé un peu à la légère. On peut débattre à l’infini du sens des mots, mais en les interrogeant à propos de projets concrets on s’en approche. Il est intéressant d’utiliser les projets pour définir les termes, les mots – plutôt que l’inverse. PdM : Pour cerner la question de l’objectivité, je dirai que dans le cas de Roche, un terrain d’entente a été trouvé au fur et à mesure. Le président de Roche a toujours exprimé le besoin d’une démarche rationnelle : il veut pouvoir suivre une chaîne d’arguments saisissables et perceptibles qui puissent le mener de A à Z, jusqu’à la solution. Il en a besoin, non seulement comme aide à la décision après délibération collective, mais aussi pour être à même d’informer, d’expliquer et de communiquer le projet à autrui. Il ne veut et ne peut pas imposer une décision subjective. De même, nous ne voulons pas décider seulement en fonction du goût du jour. Nos décisions doivent avoir une base rationnelle, qui permette de les communiquer et de les remettre en question, si nécessaire. p. - JFC : À Colmar, la force du nouveau bâtiment, avec son pan coupé, son revêtement de briques, la façon dont il répond à la chapelle, tient à une invention architecturale. Mais la force du projet est urbaine. Quand, au début du concours, en août , nous sommes allés ensemble visiter le site, vous avez immédiatement vu la nécessité de rendre au site du musée l’emprise de la gare routière, d’intégrer un passage et un espace public entre les bâtiments. Il y a là, dans le mécanisme du projet, une analogie avec Roche. Cette qualité urbaine, associée à l’invention formelle, explique l’adhésion enthousiaste du commanditaire. J’appelle objectivité,



 ou vérité, l’adéquation à une mémoire urbaine. Le bâtiment n’est pas seulement une performance morphologique, il est aussi la révélation d’une force urbaine, qui est une force collective à laquelle on peut s’identifier. JH : Ces forces urbaines souvent cachées à cause de transformations au cours des années nous intéressent beaucoup, comme le montrent des p.  projets dès le début de notre carrière, tel celui pour la Marktplatz de Bâle, en . Mais cette pensée urbaine et architecturale qui concerne la réalité physique et l’énergie des villes est totalement contraire aux discussions qui avaient lieu dans les années  et , surtout en France, sur la disparition de la « réalité ». L’exposition de Lyotard au Centre Pompidou, « Les Immatériaux », était magnifique, mais le transfert de ces idées dans le domaine de l’architecture a produit des effets dévastateurs ; de nombreux architectes se sont retrouvés dans une impasse. Ils croyaient pouvoir créer une nouvelle architecture sans accepter ses conditions les plus basiques et banales : sa matérialité, sa réalité, sa pesanteur, bref son archaïsme. Les attentats du  septembre  ont mis fin à tout ça. Tout à coup, la réalité en tant que telle et la fragilité des villes sont revenues dans la conscience des gens, elles sont réapparues avec la violence. JFC : J’aimerais maintenant aborder la question du risque, ou des risques. On entend souvent dire que les architectes font n’importe quoi, qu’ils prennent des risques inconsidérés et ne font pas suffisamment attention à la technique. On peut par exemple considérer que construire une galerie souterraine sous un canal, comme vous le faites à Colmar, est un risque inconsidéré, qui a d’ailleurs beaucoup déplu au Service des Musées de France. Il y a effectivement un risque : les garanties que l’eau n’entrera jamais ne peuvent être réunies. Mais on peut justifier cette prise de risque par le fait que la galerie est indispensable au projet et à sa signification urbaine. PdM : Tu abordes un risque bien particulier de Colmar. Comme je l’ai expliqué auparavant, c’était un concours. Notre projet initial prévoyait un musée avec deux entrées, mais nous avons vite compris que l’impératif de l’entrée unique n’était pas négociable. Nous avions bien entendu envisagé d’autres possibilités, comme une passerelle en surface audessus de la rue, qui aurait certainement eu un impact discutable dans l’espace public de la nouvelle place. Pour finir, nous avons développé la proposition d’un espace souterrain reliant les deux parties du musée sous forme de galerie d’exposition et non de corridor monofonctionnel. Cet espace d’exposition remplit les données du programme qui stipule que les deux parties du musée doivent être reliées l’une à l’autre de



 telle manière qu’il n’y ait qu’une entrée, une billetterie, un vestiaire, ceci pour des raisons économiques et opérationnelles bien évidentes. En cours de chantier, la galerie souterraine a été submergée par la crue du Logelbach. Cet incident malheureux a sans doute été salutaire, car il a créé un précédent qui a permis d’étudier le risque d’inondation et les solutions possibles à leur gestion. Plusieurs défauts humains étaient apparus : les services techniques de la ville auraient pu fermer le circuit, auraient pu ouvrir la vanne de dérivation ; par ailleurs, il existait un système de contrôle électronique qui n’a pas fonctionné et le chantier s’en est trouvé inondé. Ce que nous avons fait pour minimiser le risque ultérieur, c’est analyser la situation, évaluer les différents dispositifs à mettre en œuvre afin de donner une garantie maximale de protection aux parties souterraines du musée et en conséquence aux œuvres d’art. JH : Ce sont des questions techniques. Elles peuvent être en grande partie résolues, non pas en garantissant une sécurité totale, mais en réduisant l’impact à des dégâts minimes. Sans aucune maintenance, l’eau finira par entrer dans la galerie, mais il finira aussi par y avoir des fuites dans le toit de la chapelle. Il y avait autrefois – alors que les traditions des architectes se transmettaient de génération en génération – des solutions claires et standardisées à toutes ces questions techniques. Il y avait peu d’expérimentation, peu de risque, mais d’autant plus de connaissances et d’expérience. Un monde de l’architecture parfait. La fable est magnifique et elle correspond même largement à la réalité. Dans ce monde idéal, cet état d’innocence, tout était fondé sur l’expérience technique, fonctionnelle et esthétique, personne ne cherchait à être différent. Avec l’industrialisation et la modernité, un nouveau type d’artistes et d’architectes est apparu. Le Corbusier, Mies et les autres protagonistes du modernisme ont rompu avec la tradition. La qualité de l’architecte s’est définie comme celle de l’artiste par la capacité d’innover, de créer quelque chose de nouveau, de différent et de spécifique. Cette tendance s’est radicalisée dans les vingt dernières années. Aujourd’hui, il semble qu’on soit arrivés au bout de cette logique. Aux États-Unis, depuis une génération, la plupart des jeunes architectes disparaissent dans les grandes agences. Les lois, les normes réduisent la « liberté artistique » au minimum tout en rehaussant les risques et les responsabilités des agences d’architecture. On tend au risque zéro, le processus d’innovation est stoppé. Cela marque à la fois la fin de l’innovation et la fin de la starchitecture. Si on considère les années , le pop, la révolution sexuelle, la drogue etc., tout ça c’était du risque. Nous avons, Pierre et moi, bénéficié de cet environnement et de cette liberté tout en acceptant ses limites. Aujourd’hui, même s’ils le souhaitent, les jeunes ne peuvent

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 plus se définir de cette manière parce que l’esprit de risque est freiné par l’esprit du temps. Comme la vérité du territoire, certains climats culturels sont une réalité immuable. La tendance au risque zéro est une dimension déterminante et un frein à l’innovation. PdM : Il faut distinguer plusieurs catégories de risques. Il y a le risque, difficile à cerner au départ, mais contrôlable par la suite, dans notre cas, de développer un projet architectural dont tu ne connais pas l’aboutissement en amont. C’est tout du moins une de nos conditions pour une collaboration productive, que nos clients soient prêts et aptes à prendre ce risque au moins pendant la phase de conception : en travaillant avec Herzog & de Meuron, ils acceptent un moment de franchise dans la phase de définition du concept, un moment pendant lequel une chance est donnée au projet de découvrir un potentiel inespéré et inattendu. Il me semble qu’il y a là une psychologie spécifique à la ville de Bâle, qui fait qu’il y a plus d’architectures de qualités qu’ailleurs : certains commanditaires sont prêts à prendre un risque important, mais à portée de p.  vue. Par exemple le PDG d’Actelion a pris un risque, laissant ouvert le type de bâtiment dans lequel il emménagerait. Une banque ou une compagnie d’assurances ne s’exposerait pas si facilement à cette prise de risque. À mon avis, une différence de ce type persiste entre Bâle (ville de recherche) et Zurich (ville des banques et des compagnies d’assurances). Comme autre exemple, je citerais Hans Schmidt qui a construit dans les deux villes. À Zurich il a fait des avant-toits pour protéger les p. - façades et les fenêtres, à Bâle il n’en a pas fait et a conçu une forme plus pure à ses yeux. Il a pu prendre – je suppose en commun accord avec son maître d’ouvrage – plus de risques. JFC : Le capitalisme dans sa forme actuelle, néolibérale, prend des risques à grande échelle par la spéculation, la dérégulation sans fin qui détruit le travail, etc. Mais, au moment où les responsables prennent ces risques dont les effets destructeurs sont considérables pour la collectivité (pas pour eux, du moins dans l’immédiat), on traque le risque à petite échelle : il faut empêcher tout accident, produire un confort standard, tout mettre aux normes ; les effets sont également catastrophiques. Où se situe l’architecte entre ces deux tendances ? JH : Nous allons vers un monde de plus en plus conventionnel et normé. Le risque tend à disparaître. Les mêmes qui spéculent sur la finance, les banques, les assurances, et donc prennent un risque maximal, sont ceux qui tentent de mettre fin au risque dans les arts ou le social. Le monde de la finance représente un immense danger de destruction mais il est en grande partie virtuel et dématérialisé. Le monde de l’architecture est

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 archaïque, physique. C’est le monde dans lequel on vit, mais les conditions sont définies par les lois du capitalisme global : personne n’est responsable, il n’y a personne à qui s’adresser. La mondialisation a créé une situation à peu près incontrôlable, c’est la boîte de Pandore. PdM : En matière de risque, le pire est l’inconscience. Une fois la conscience du risque établie, il faut évaluer à quel degré il se situe et définir les mesures à prendre. Au niveau des modes de construction et du détail, il faut considérer l’usage, la persistance et la durabilité du matériau : comment faire en sorte que tel bâtiment, dans telle ville ou tel pays, soit adapté à ses usages et à ses usagers ainsi qu’à son exposition aux éléments naturels. Pour ce qui est des bâtiments construits par l’agence, le taux de dommages est très faible. Pour un certain nombre de risques, nous souscrivons bien sûr des assurances, les dépassements de coûts et les retards n’étant jamais couverts. Nous y avons heureusement très rarement recours, à tel point que notre agence a été remboursée de certaines de ses cotisations, et qu’elle est soumise à un taux très bas pour la profession. C’est un détail de nature opérationnelle, mais il est significatif. Dans le quotidien, nous faisons beaucoup de tests préalables, de prototypes, de maquettes à grandeur réelle. Pour le dernier projet Ricola, nous p. - avons utilisé la terre crue comme matériau de construction, à une échelle inhabituelle pour ce matériau. Déjà, pour le Schaulager, nous avions envisagé une construction en pisé, mais à l’époque, le risque ne nous semblait pas négociable. Cette fois-ci, nous l’avons pris en nous donnant le maximum de garanties possible, avec toutes sortes de tests à l’échelle 1:1 et une assistance professionnelle du plus haut niveau. Le risque peut être tout autant formel : les choix et les décisions de formes sont aussi des prises de risque qu’il faut savoir tenir et légitimer. Si tu te laisses guider par une mode ou par tes goûts et préférences personnels, il y a toutes les chances que le bâtiment vieillisse très vite et qu’il paraisse daté après quelques années. L’approche critique ne peut être qu’individuelle, mais il faut mettre en place des processus de mise à l’épreuve collectifs. JFC : Au cours de l’un de nos entretiens, en , Jacques a fait une déclaration remarquable et qui a été effectivement remarquée : « Nous avons du mal à dire : “voilà la forme que je veux, sans aucun doute”. L’ornement nous a souvent aidés à surmonter cet obstacle de la forme. Quand nous avons découvert l’architecture arabe, nous avons tout de suite compris que c’était un moyen de ne pas exposer la forme. L’ornement permet d’introduire le doute. » Surmonter l’obstacle de la forme : il y a dans cette phrase une ambiguïté que je n’avais pas entendue à l’époque. On peut entendre « surmonter la difficulté de fixer une forme » mais aussi « surmonter l’obsession de la forme ».

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 Lincoln Road, Miami : parking, boutique et logement (projet -, réalisation -)

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 JH : Les deux sens coexistent. On a effectivement parfois de la difficulté à arrêter une forme une fois pour toutes. Dans de nombreux projets, il y a des irritations dans la surface ou la structure, qui aident à définir l’extérieur de la forme, mais créent également un moment d’incertitude. L’expérimentation pour développer une surface dans la « profondeur » a commencé très tôt, cette direction est apparue dans les tout premiers projets. Récemment, dans des formes plus nues (le parking à Miami, p.  Pékin, le stade de Bordeaux, Novartis, Ricola…), la surface, l’espace, la structure et l’ornement sont une seule et même chose. Chaque élément est structurel, il contribue à définir l’espace et, dans la vision d’ensemble, peut aussi être perçu comme ornement. JFC : Il me semble que les bons architectes, aujourd’hui, comme d’ailleurs les bons artistes, sont des gens pour qui il ne va pas de soi d’ajouter encore des objets dans le monde, mais qui sont obligés de le faire, par nécessité personnelle. Il y a donc une tension, fondamentale. PdM : Prenons l’exemple du dernier projet pour Vitra, le Schaudepot. Au p.  départ, Rolf Fehlbaum a déclaré qu’il ne voulait pas de forme iconique, qu’il voulait éviter que le bâtiment ne se définisse par sa forme. Il voulait pour ainsi dire un bâtiment invisible. Nous avons tout d’abord envisagé une architecture souterraine, puis une architecture préfabriquée, sans auteur. Cela nous a fait réfléchir à la question qu’il n’est possible ni de nier, ni de se dérober à l’expression formelle. On ne peut pas ne rien faire : si tu as besoin de quatre murs et un toit, tu es obligé de leur donner forme. Nous avons choisi un archétype, une des formes de base de l’architecture : quatre murs, un toit à deux pans. Le choix du matériau et de sa mise en œuvre – la brique cassée – a défini la matérialisation et la dimension ornementale. Le même volume construit en tôle ondulée apparaîtrait de manière très différente. JH : Le Corbusier était peintre, sculpteur et architecte à la fois. On dit qu’il consacrait ses matinées à l’invention formelle. Cela a produit Ronchamp, Chandigarh ou La Tourette : l’architecte auteur de formes. Mais il me semble difficile aujourd’hui de procéder de cette façon. Que faire ? Dès le début, avec la Maison bleue, nous avons compris que l’archétype peut être utilisé comme une excuse vis-à-vis de la forme. Cela a été pour nous une découverte. C’est pourquoi je dis souvent que nous sommes des architectes conceptuels : c’est toujours le concept qui engendre la forme ; la forme ne procède pas d’un besoin immédiat de sculpter ou de ciseler. C’est la réflexion qui génère la forme. Je ne veux cependant pas exclure le comportement du sculpteur qui taille, modèle, assemble. Il est parfois intéressant de renverser un processus. Si tu

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Nouveau Stade de Bordeaux (concours -, projet -, réalisation -)

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 utilises la pyramide pure, la sphère pure, tu mets en avant une forme très forte, avec un caractère symbolique fort, mais tu n’en es pas l’auteur : tu la choisis, tu ne la crées pas. Pour le pavillon de la Serpentine Gallery à Londres, le projet réalisé était fondé sur l’archéologie, c’était une excuse pour ne pas créer une forme. JFC : Cette réticence à l’égard de la forme et de l’invention formelle est quasiment une loi de l’art moderne. C’est la réponse de Duchamp à Picasso. Mallarmé avait déjà écrit : « La Nature a lieu, on n’y ajoutera pas ; que des cités, les voies ferrées et plusieurs inventions formant notre matériel. » (La Musique et les Lettres, ). Depuis la fin du dix-neuvième siècle, une tension fondamentale caractérise la posture moderne, entre une réticence à ajouter quoi que ce soit au monde existant et la nécessité de produire tout de même de nouveaux objets (ne serait-ce que de nouveaux équipements, comme l’admettait d’ailleurs Mallarmé). Dans le domaine de l’architecture, la nécessité anthropologique est probablement celle de l’abri. L’abri devient maison, et, comme vous l’avez montré vous-même, la forme la plus simple de la maison est déjà un argument architectural. JH : L’architecte ajoute presque toujours quelque chose. La pensée écologique de « l’intervention minimale » nous a été enseignée par le sociologue Lucius Burckhardt qui était notre professeur à Zurich en -. Burckhardt était radical et avait une pensée très politique. Cela nous fascinait et nous repoussait en même temps. Nous sommes conscients d’avoir bénéficié au cours de nos études des deux influences très contradictoires de Lucius Burckhardt et d’Aldo Rossi. Ce conflit d’idées s’est avéré très productif au cours des années. JFC : L’idée qu’il est absurde d’ajouter des choses a pris de l’ampleur récemment car l’être humain ne cesse d’ajouter sur la planète des choses destructrices pour cette même planète. L’encombrement est un risque majeur ; il suffit de penser au stockage des déchets nucléaires. Celui qui pense la nature comme une force dynamique, observe aujourd’hui que l’homme s’oppose à cette force. PdM : Mais un volcan aussi a une force destructrice. De même que le jeu des plaques tectoniques. JFC : Il se trouve que Sade prend l’image du volcan pour définir la capacité de destruction humaine, qu’il met en avant, contre les Lumières. Mais cette capacité de destruction est positive. Il est évident que la destruction peut être un moment nécessaire du processus créatif, mais ce n’est pas la destruction opérée malencontreusement par des gens qui

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 pensent addition, accumulation. Ce qui est aujourd’hui destructeur c’est une accumulation aveugle qui n’est même pas portée par un désir de destruction. Mais j’aimerais qu’on revienne à cette tension qui me semble fondamentale pour l’époque moderne : Duchamp contre Picasso. Sur cette base, comment cela fonctionne-t-il aujourd’hui pour vous, concrètement ? Vous avez désormais des capacités beaucoup plus importantes pour mettre de nouvelles choses dans le monde, au point que vous changez la physionomie de votre ville natale. JH : La visibilité qu’implique un bâtiment comme la tour Roche était une grande responsabilité. Maintenant on sait que ça fonctionne. Honnêtement, j’aurais préféré transformer la ville en la développant à l’horizontale, vers le nord, avec de nouveaux quartiers. Cela se fera un jour, mais j’aurais aimé apporter un changement dans cette direction horizontale, davantage que ce qu’on fera probablement à cause de la lenteur des processus de décision dans notre démocratie. Nous avons également contribué à ouvrir des possibilités de développement urbain p. - horizontal au sud, dans le quartier de Dreispitz. La tour Roche est différente, la verticalité de la tour est une solution pour un problème concret, celui d’une entreprise privée qui a un grand besoin d’expansion mais souhaite rester sur le même site. Le projet est l’expression directe de ce fait. JFC : Vous avez écrit que New York et Venise sont des villes qui sont devenues paysage. C’est ce que vous faites à Bâle avec ces deux projets : vous produisez la ville comme un paysage ; les formes qui sont fortes produisent du paysage qui, finalement, les absorbe. Le bâtiment de la Foire est un nouvel élément dynamique du paysage urbain. Vu de la p. - Clarastrasse, il semble traverser la ville, comme une ligne continue. C’est une apparition, une forme imaginaire, plutôt hallucinatoire. JH : Je crois que cet effet a contribué à faire accepter la dimension exceptionnelle du bâtiment. Au lieu d’être statique et lourd, le bâtiment p. - est comme un train qui passe là où se trouvait l’ancienne gare allemande. Ce n’est pas un objet qui se détache sur un fond ni un objet p. -, , dans le paysage, mais plutôt quelque chose qui est à la fois forme et - paysage. Un nouveau morceau de paysage urbain. p. , - JFC : Il me semble qu’il se passe quelque chose de similaire à Dreispitz.

Le bâtiment est très surprenant. C’est un bloc taillé, avec un immense socle qui abrite les archives de l’agence. La forme est forte, elle contredit de nombreux éléments actuels du site, mais elle n’est pas agressive. Pourquoi ?

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 PdM : C’est un quartier d’entrepôts, de fret, une zone d’activité industrielle, p. -, commerciale et artisanale. L’échelle et le caractère sont autres par rapport - à un quartier traditionnel qui combine logements, bureaux et commerces. C’est le monde des poids-lourds et des chemins de fer. Le bâtiment associe deux mondes superposés : un monde industriel, logistique, et un monde domestique, résidentiel. Nous démontrons que c’est un concept intéressant et plus que valable, et je parie que le quartier, et par extension la ville en général, va dans les temps à venir pouvoir se développer sur ce mode d’empilement de fonctions diverses. En ce qui concerne le matériau choisi, le béton pourrait paraître agressif et oppressant, mais, de toute évidence, il ne l’est pas. Je pense que c’est dû en partie à la courbe, qui était donnée par la parcelle, et à la coupe trapézoïdale du bâtiment. JFC : Le bâtiment se présente comme un socle avec quelque chose dessus : ce n’est pas un objet aveugle présent en tant que tel, comme une sculpture de Tony Smith. Il y a une composante figurative, en rapport avec un grand paysage alentour, comme un effet de miroir du paysage. On se demande ce qu’il y a dans le socle. On se pose d’autant plus la question qu’on est dans une zone d’entrepôts. On ne peut pas penser que c’est un simple entrepôt, mais cela ne peut pas non plus être des logements. Cette énigme, la question de l’intérieur, humanise le rapport au bâtiment. Comme la Foire, c’est finalement l’exemple d’une forme très affirmée qui se dissout dans le paysage. PdM : Le socle n’est pas complètement aveugle, il y a quelques fenêtres qui créent une relation entre intérieur et extérieur et évitent que le bâtiment soit trop imposant ou monumental. Quand on veut photographier le bâtiment, ou faire un croquis, il y a des distorsions qui sont difficiles à cerner. La cage de la partie haute, si on peut l’appeler ainsi, a en plan une autre géométrie que le socle. C’est là que la courbe du socle entre en jeu, en se combinant avec les pans inclinés sur les côtés nord et sud. JFC : Mais toutes ces remarques nous ramènent à la question du logep. - ment. Vous avez étudié l’architecture sociale des années  et , particulièrement à Bâle. Ces architectes voulaient faire de l’architecture (de qualité) pour tous. Pierre a réhabilité une maison d’Hans Schmidt et p. - y a vécu. Mais vous ne faites pas de logement social. Pourquoi ? JH : Le logement social est confisqué par les investisseurs. La configuration de la commande que nous avons remportée en  pour des logep. ,  ments sociaux à Paris, rue des Suisses, était assez proche de celles des années  et  ; nous avions une certaine liberté pour créer un lieu de vie vraiment beau et abordable en plein Paris. Les investisseurs ne

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Gymnase et centre de loisirs Arena do Morro, Mãe Luíza, Natal, Brésil (projet -, réalisation -)

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 sont généralement prêts qu’à bien payer des architectes pour des tours de standing, car ils utilisent la signature pour vendre des produits de luxe. Mais le logement social concerne des gens qui n’ont pas d’argent. Nous avons été poussés dans le monde de l’architecture iconique. L’apparition de l’architecture iconique correspond à la croissance de l’investisseur comme acteur principal de la production architecturale globale. Nous sommes toutefois en train de faire quelques petits projets de logements, comme à Uster, près de Zurich, dans un parc : c’est un immeuble avec quelques appartements, destinés à la classe moyenne, le projet est porté par un investisseur privé, un particulier. Ce cadre permet une marge d’invention intéressante. PdM : Nous revenons à la question du risque et à son rapport à l’innovation. Au niveau du logement social, malheureusement l’innovation est pour ainsi dire nulle, particulièrement ici, en Suisse. Par ailleurs, il n’y a pas de quota imposé, comme au Royaume-Uni. À Bâle, la plupart des logements à loyer modéré sont situés dans des bâtiments du dix-neuvième siècle le long d’axes routiers très fréquentés. La création de logements sociaux est quasi inexistante. De plus, le logement social, en France particulièrement, mais aussi dans d’autres pays européens, est totalement réglementé. La porte, la hauteur sous plafond, le nombre de douches, de toilettes, tout est défini, tout est figé, il n’y a plus aucune marge de manœuvre. JFC : Vous ne pouvez donc pas hériter : vous pouvez regarder cette architecture, y habiter comme l’a fait Pierre, l’étudier de près, mais il y a une rupture d’héritage. C’est triste. PdM : À Natal, dans le nord du Brésil, nous avons développé conjointement avec une fondation suisse un projet au centre d’une favela, qui crée un endroit public de rencontre et d’échanges. Si, selon un mode d’aide au développement similaire, on nous proposait de projeter des logements sociaux au Brésil ou ailleurs, on accepterait sans doute.

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JFC : En termes urbains, il s’agit peut-être surtout de combiner la densité avec le vide. Il s’agit de créer des espaces de respiration, des ouvertures, de faire tomber les barrières. Faute d’architecture sociale, on peut faire de l’espace social, des trous dans le tissu urbain, de l’ouvert, des espaces sans nom. Je pense par exemple à la Voltaplatz, ici, près de l’agence, qui est un endroit très vivant, entre la ville, un peu défaite, et l’enceinte Novartis. PdM : Il est remarquable que cet endroit ait attiré ton attention et je suis entièrement d’accord que dans les villes, aussi denses soient-elles, il est important de ménager des espaces inattendus, non programmés et sans fonction attribuée.

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Voltaplatz, Bâle, juin  []

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 JFC : Cela correspond à une thématique de l’ouvert et du fermé, de l’intérieur et de l’extérieur, qui est omniprésente dans votre architecture et qui, me semble-t-il, se combine avec le modèle de la nature. Vous avez d’abord interprété l’exemple de la forme cristallisée, qui rappelle l’inspiration romantique de Beuys, mais vous l’avez associée à un travail sur la p. - surface, comme peau, qui renvoie plutôt à l’image picturale. Or, la peau n’est pas une surface posée sur un intérieur, elle qualifie l’abri et suppose un échange avec l’intérieur. p. - JH : La Maison en pierre, en Ligurie, était déjà une architecture où intérieur et extérieur correspondent étroitement. Nous avons malheureusement peu de photos de l’intérieur. La composition spatiale en quatre parties sans espaces de services reflète l’extérieur. Dans le projet de la Maison bleue, également, l’intérieur est très travaillé, comme un meuble. p.  La conscience que l’intérieur est aussi intéressant et important que l’extérieur était là dès le début, mais on ne nous en a donné vraiment les moyens que plus tard. Il est vrai que nous sommes encore connus aujourd’hui pour le travail sur la surface. Je ne peux pas contester que nous avons parfois privilégié l’extérieur. Le bâtiment vraiment spectaculaire dans cette veine est le premier entrepôt Ricola. Nous n’avions pas accès à l’intérieur : l’entrepôt p. - était entièrement automatisé, tout était réglé selon des paramètres techniques. Nous n’avons eu à concevoir que l’enveloppe car la machinerie industrielle et tout le fonctionnement interne étaient déjà définis par des ingénieurs. Mais nous avons découvert l’incroyable qualité du site, et nous avons compris que nous pouvions inventer un nouvel espace à l’extérieur, entre le rocher et le bâtiment. Ils nous ont laissés développer cette enveloppe, qui est beaucoup plus qu’une simple peau ; c’est une sculpture minimale. Je ne sais plus à quel moment nous nous sommes rendu compte que l’espace que nous voulions créer n’était pas à l’intérieur mais à l’extérieur. C’était l’écart entre l’entrepôt et la paroi rocheuse. Nous avions créé un espace qui pouvait être perçu par tous, sans entrer dans le bâtiment.

PdM : Dans la ville médiévale ou classique, l’extérieur des bâtiments, les façades, contribuent à définir les espaces « intérieurs » de la ville : les rues et les places. En règle générale, nous préférons ces espaces traditionnels contenus aux espaces ouverts et non contenus qui partent dans toutes les directions. JFC : Il est très difficile pour l’être humain de se penser en mouvement dans l’espace et de penser à la fois qu’il a un espace (un « milieu ») intérieur. L’architecture peut jouer sur ces deux registres.

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Turbine Hall, hall d’entrée de la Tate Modern, Londres (concours -, projet -, réalisation -)

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 JH : C’est ce qui fait de l’architecture une forme d’art très intéressante par rapport à la sculpture, qui n’est traditionnellement pas spatiale ; c’est pourquoi les artistes s’y sont intéressés. Tu mentionnais la Voltaplatz, un espace urbain difficile à nommer, qui tient sa qualité, en partie, de cette indéfinition. Mais je suis sûr qu’on peut aussi produire le même effet avec un espace urbain défini plus traditionnellement. Dans le centre des villes, les espaces beaux et anciens sont souvent inertes ou altérés par des aménagements laids et des éléments de design qui brouillent tout. Nous sommes finalement assez peu intervenus jusqu’alors dans le centre historique de Bâle. Nous travaillons depuis quelques mois sur un projet qui nous tient à cœur car il porte sur le site que nous avions choisi pour le projet de notre diplôme d’architecture, en , la Barfüsserplatz, au cœur de la ville. Il s’agit du réaménagement du Stadtcasino – une salle de musique du dix-neuvième siècle –, sur la Barfüsserplatz. Notre intervention – en même temps destruction et simulation – sur cette salle de musique va ouvrir des espaces nouveaux et inattendus. Une fois réalisé, le projet fera apparaître un nouveau potentiel urbain et révèlera des endroits jusqu’alors invisibles sur cette place au cœur de la ville. Ce geste urbanistique sera comparable à celui que nous avons produit pour le projet du Musée Unterlinden, à Colmar.



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PdM : Le premier geste est d’amener sur la place l’entrée de la salle de concert, qui donne actuellement sur une rue adjacente. C’est aussi un peu la même configuration que sur le site Roche, où nous avons orienté l’entrée et les endroits vivants vers la rue. JFC : Vous travaillez sur des échelles très différentes. L’intérieur est généralement associé à l’intimité. Mais vous avez produit avec le projet de la Tate un intérieur immense, monumental, qui correspond à l’effet du bâtiment dans le paysage plutôt chaotique des rives de la Tamise. JH : Le projet de la Tate a été déterminant, il nous a poussés à travailler pleinement à l’échelle de la ville. La vraie qualité du projet est l’invention d’un espace interne d’échelle urbaine, le Turbine Hall, qui ne figurait pas au programme du concours. Nous avons décidé de creuser cet espace, de le dégager entièrement pour le faire apparaître en tant que tel et l’utiliser comme un immense hall d’entrée qui serait aussi la première salle d’exposition. Le projet de la Tate Modern nous a fait comprendre qu’à l’échelle d’un monument urbain d’une telle visibilité et d’une telle dimension, on ne peut pas se contenter de faire de la cosmétique de surface. Le projet demandait une prise de position radicale et précise des architectes,



 comme un chirurgien pour l’intervention décisive au cours d’une opération. L’invention du Turbine Hall est venue comme un geste courageux dont nous n’avons pas tout de suite mesuré l’importance. Dans une autre ville, cet espace aurait été inadéquat et disproportionné. Cette expérience très importante nous a aussi permis de comprendre la différence entre les villes. Une preuve supplémentaire de notre thèse : les villes sont spécifiques et non pas génériques.

1

Voir Roger Diener, Jacques Herzog, Marcel Meili, Pierre de Meuron, Manuel Herz, Christian Schmid, Milica Topalovic,

The Inevitable Specificity of Cities, éd. ETH Studio Basel, Zurich, Lars Müller Publishers, .



Jetzt Du Hier [maintenant / toi / ici], - : œuvre de Rémy Zaugg dans la salle de réunion de Jacques Herzog et Pierre de Meuron, Bâle, juin  []



 : Photographie de couverture : vue de Bâle depuis le bâtiment Asklepios  (-), Campus Novartis, mars . © George Dupin. Plan agglomération de Bâle : Eidgenössisches Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport VBS, Bundesamt für Landestopografie swisstopo. Photographie double page suivante : la façade du TEA (Tenerife Espacio de las Artes) le long de l’Avenida de San Sebastián, Santa Cruz de Tenerife, îles Canaries (projet -, réalisation -). © Iwan Baan. Toutes les photographies qui ne sont pas mentionnées ci-dessous ont été réalisées par George Dupin spécifiquement pour cet ouvrage. © George Dupin. Nous nous sommes efforcés de rechercher tous les ayants droit des illustrations reproduites dans le présent ouvrage. Dans l’hypothèse où une rectification ou l’ajout de mentions se révéleraient nécessaires, merci d’en informer les auteurs. p. , , , , , , -, , , -, , , , ,  : © Herzog & de Meuron ; p.  : ©  Mark Darley ; p. , , , , , -, , , -, , , , ,  : © Jacques Herzog et Pierre de Meuron Kabinett (Fondation) ; p. , , ,  : © Iwan Baan ; p.  : © Hufton+Crow ; p. , , , , , , , -,  : Photos Margherita Spiluttini, © Architekturzentrum Wien, Sammlung ; p. h : © Thomas Ruff ; p.  : © Duccio Malagamba, Barcelona ; p. , , -, , , ,  : © Jean-François Chevrier & Élia Pijollet ; p. - : © Bau- und Verkehrsdepartement des Kantons Basel-Stadt ; p. , , , , , , , , -, , , -,  : © Pierre de Meuron ; p. ,  : © Kunstmuseum Basel ; p.  : © Peter Stöckli ; p. ,  : © Kurt Wyss, Nadelberg A,  Bâle, Suisse ; p. 86 : © bpk / Kupferstichkabinett, SMB / Jörg P. Anders ; p.  : © Kunstmuseum Basel, Kupferstichkabinett, Photo : Herzog & de Meuron ; p.  : © Succession Rémy Zaugg ; p. - : © Erich Meyer ; p.  : © ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv/Siftung Luftbild Schweiz / Photo : Friedli, Werner ; p.  : © gta Archiv / ETH Zürich, Nachlass Ernst F. und Elsa Burckhardt-Blum ; p. , ,  : © gta Archiv / ETH Zürich, Nachlass Hans Schmidt ; p.  : © gta Archiv / ETH Zürich ; p. ,  : © Martin Gasser ; p.  : © gta Archiv / ETH Zürich, Nachlass Sigfried Giedion ; p.  : © Kantonale Denkmalpflege Basel-Stadt, Photo Bruno Thüring,  ; p.  : © Arthur Rüegg ; p.  : © Hisao Suzuki ; p.  : © Hufton+Crow et MBEACH1, LLLP ; p.  : © , Iwan Baan et MBEACH1, LLLP ; p.  : © Francis Vigouroux ; p. -,  : droits réservés.



005

318

094

133

128

165

008

019

031

032

J

038

053

154

A

369

025

029

140

046 362

005 Maison bleue, Oberwil (projet 1979, réalisation 1979-1980) 008 Réaménagement d’une maison individuelle, Laufon (réalisation 1980) 014 Studio photographique Frei, Weil am Rhein (projet 1981, réalisation 1981-1982) 019 Conversion de bureaux pour Ricola, Laufon (réalisation 1983) 025 Immeuble de logements et commerces Schützenmattstrasse (concours 1984-1985, projet 1991, réalisation 1992-1993) 027 Maison en contreplaqué, Bottmingen (projet 1984, réalisation 1985) 029 Immeuble de logements le long d’un mur mitoyen, Hebelstrasse (concours 1984, réalisation 1987-1988) 031 Immeuble de logements et bureaux Schwitter (concours 1985, projet 1985, réalisation 1987-1988) 032 Conversion et rénovation d’un bâtiment, centre historique de Laufon (projet 1985, réalisation 1986) 034 Maison pour un collectionneur d’art, Therwil (projet 1985, réalisation 1986) 035 Pavillon E, D, E, N, Hôtel Eden, Rheinfelden (concours 1986, réalisation 1987) 038 Entrepôt Ricola, Laufon (projet 1986, réalisation 1987) 039 Conversion et rénovation de deux maisons (projet 1986, réalisation 1987) 045 Réaménagement du Bloc Gaba (divers projets : 1982, 1983, 1985, 1988) 046 Centre de développement technologique Sandoz, aire industrielle Novartis (projets 1988, 1991, réalisation 1993) 048 Dépôt des locomotives « Auf dem Wolf » (projet 1989, réalisation 1991-1995) 049 Poste d’aiguillage « Auf dem Wolf » (projet 1989, réalisation 1991-1994) 050 SUVA Haus, extension et transformation d’un immeuble de logements et de bureaux (projet 1988-1990, réalisation 1991-1993) 053 Extension et auvent vitré pour l’usine Ricola, Laufon (projet 1989, réalisation 1989-1991) 055 Centre sportif Pfaffenholz, Saint-Louis (projet 1989-1990, réalisation 1992-1993) 094 Ricola Europe SA, bâtiment de production et de stockage, Mulhouse-Brunstatt (projet 1992, réalisation 1993)

Le numéro en début de ligne renvoie à la nomenclature chronologique des projets de l’agence.

Réalisations de l’agence Herzog & de Meuron dans la région de Bâle

284

055

Agglomération de Bâle

F

034

402

G

200

D

214

E

I

H

050

379

419

131

213

119

225

289

049

L

169

345

Q

312

048

100

O

148

096 Maison Koechlin, Riehen (réalisation 1993-1994) 100 Roche Bâtiment 92, site Roche (projet 1993-1995, réalisation 1998-2000) 113 Maison Landolt, Riehen (projet 1994, réalisation 1994) 119 Poste d’aiguillage central (concours 1994, projet 1995, réalisation 1998-1999) 128 Maison à Leymen (projet 1996, réalisation 1997) 131 Musée de la caricature et de la bande dessinée, conversion et extension (projet 1994, réalisation 1994-1996) 132 Pharmacie de l’hôpital, Rossettiareal (projet 1995, réalisation 1997-1998) 133 Atelier Rémy Zaugg, Mulhouse (projet 1995, réalisation 1995-1996) 140 Poste d’aiguillage satellite (projet 1995-1996, réalisation 1998-1999) 148 St. Jakob-Park, stade de football, centre commercial et résidence pour personnes âgées (projet 1996, 1998, réalisation 1998-2002) 154 Ricola, bâtiment du service marketing, Laufon (projet 1997, réalisation 1998-1999) 165 REHAB Basel, Centre pour paraplégiques et traumatisés cranio-cérébraux (concours 1998, projet 1998-1999, réalisation 1999-2002) 169 Schaulager, Fondation Laurenz, Bâle/Münchenstein (projet 1998-1999, réalisation 2000-2003) 180 Elsässertor II, bâtiment de bureaux et commerces (projet 2000, réalisation 2002-2005) 193 St. Johanns-Vorstadt, réaménagement de bureaux (projet 2001, réalisation 2002) 195 St. Johanns-Rheinweg, logements et bureaux (projet 2001-2007, réalisation 2005-2007) 200 Musée des Cultures (projet 2001-2010, réalisation 2008-2010) 213 Foire de Bâle, Nouvelle halle (projet 2004-2012, réalisation 2010-2013) 214 Ensemble Baufeld D, Südpark (concours 2002, projet 2004-2011, réalisation 2008-2012) 225 Roche Bâtiment 95, site Roche (projet 2003-2005, réalisation 2004-2006) 245 Tour St. Jakob (projet 2003-2005, réalisation 2006-2008) 284 Actelion Business Center, Allschwil (projet 2005-2009, réalisation 2007-2010) 289 Roche Bâtiment 97, site Roche (projet 2006-2008, réalisation 2008-2011) 294 VitraHaus, Campus Vitra, Weil am Rhein (projet 2006-2009, réalisation 2007-2009)

027

418

180

039

132

193

195

045

K

014

417

294

S

N

319

096

035

N O P Q R S

A B C D E F G H I J K L M

Église Sainte-Marguerite, colline de Binningen Église Sainte-Chrischona, Bettingen Église Sainte-Odile, colline de Tüllingen Mittlere Brücke [pont central] Basler Münster [cathédrale] Marktplatz [place du marché] Barfüsserplatz Maison d’Érasme Kunstmuseum Basel Église Saint-Antoine (arch. K. Moser, 1925-1927) Tour-silo (arch. H. Bernoulli, 1923) Badischer Bahnhof [gare allemande] (arch. K. Moser, 1913) Barrage et centrale hydroélectrique, Birsfelden (arch. H. Hofmann, 1953-1954) Cité-jardin Freidorf, Muttenz (arch. H. Meyer, 1919-1921) Cité-jardin Im Vogelsang (arch. H. Bernoulli, 1926) Maison Schaeffer (arch. P. Artaria, H. Schmidt, 1928) Lotissement Schorenmatten (arch. H. Schmidt, 1927-1929) Lotissement Zu den Drei Linden (arch. O. Meier, 1944) Goetheanum, Dornach (arch. R. Steiner, 1925-1928)

Principaux lieux et bâtiments mentionnés dans l’ouvrage

B

P

312 Helsinki Dreispitz, Münchenstein (projet 2007-2013, réalisation 2012-2014) 318 Actelion, Centre de recherche et laboratoire, Allschwil (projet 2007-2010, réalisation 2009-2013) 319 Bains naturels de Riehen (projet 2007-2008, réalisation 2010-2014) 345 Roche Bâtiment 1, site Roche (projet 2009-2011, réalisation 2011-2015) 362 Asklepios 8, immeuble de bureaux, Campus Novartis (projet 2010–2015, réalisation 2012–2015) 369 Ricola Kräuterzentrum, Laufon (projet 2010-2013, réalisation 2013-2014) 379 Volkshaus Basel, bar, brasserie (projet 2011, réalisation 2011-2012) 402 Agrandissement du Stadtcasino (projet 2012, achèvement prévu 2019) 417 Vitra Schaudepot, Campus Vitra, Weil am Rhein (projet 2013, réalisation 2014-2016) 418 Tour Meret Oppenheim (concours 2002, projet 2013) 419 Helvetia Campus Bâle (projet 2013- )

245

M

R

C

113