Construire en permanence la prévention des cancers professionnels 9782759818068

À l’occasion d’un colloque organisé en 2009 par l’INRS avec onze partenaires, un point complet de la prévention des risq

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French Pages 261 [260] Year 2015

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Construire en permanence la prévention des cancers professionnels
 9782759818068

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AVIS D’EXPERTS

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS Sous la direction de Michel Héry et Pierre Goutet

17, avenue du Hoggar Parc d’Activités de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Couverture : www.eric-sault.com, illustration : © Eva Minem/INRS.

Mise en pages : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-1195-3

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2015

1

Table des matières

1. Introduction 1. Construire en permanence la prévention des cancers professionnels

7 7

Michel Héry (Direction des applications, INRS), Pierre Goutet (expert)

2. Les principes réglementaires de l’organisation de la prévention des risques cancérogènes en milieu de travail

18

Olivier Calvez (Direction générale du travail)

2. Apport des études expérimentales et épidémiologiques dans la connaissance et la prévention des cancers professionnels 1. Connaissances actuelles des facteurs étiologiques certains et probables pour les différents types de cancer

21 21

Bernard Fontaine (médecin du travail, toxicologue ERT, Pôle santé travail, Lille)

2. Les classifications et les réglementations : des leviers pour l’action

32

Henri Bastos (adjoint au directeur de l’évaluation des risques, chargé de la thématique santé travail, Anses)

3. Connaissance des expositions en milieu de travail 1. Modalités d’exposition et principe d’évaluation des expositions : estimations et apport de la métrologie

45 45

Jean-François Certin (expert)

2. Traçabilité et évaluation rétrospective des expositions

52

Irina Guseva-Canu (InVS), Maylis Telle-Lamberton (IRSN)

3

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

4. Gestion du risque dans l’entreprise 1. Repérage, suppression, substitution

68 68

Jean-François Certin (expert)

2. Conception d’équipements de travail

74

Michel Pourquet, Jean-Raymond Fontaine, Éric Silvente (Département Ingénierie des procédés, INRS)

3. Prévention de l’exposition aux cancérogènes professionnels des personnels des entreprises extérieures

91

Michel Héry (Direction des applications, INRS)

4. Prévention des cancers professionnels dans les filières déchets et recyclage

104

Pierre Goutet (expert)

5. De la perception du risque à sa prévention 1. Les travailleurs face aux expositions à des cancérogènes : perception et représentation. Influence sur les comportements de prévention

118 118

Michel Héry (Direction des applications, INRS)

2. Spécificité de la prévention des risques cancérogènes dans les TPE

132

Marc Malenfer (mission TPE/PME, INRS), Mathilde Risse-Fleury (RSI), Antoine Lepocreau (RSI), Michèle Guimon (département Expertise et conseil technique, INRS), Patrick Laine (mission TPE/PME, INRS)

6. Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes, convergences et éventuelles différences d’approche 1. Le régime général

141 141

Jean-François Certin (expert)

2. Politique de prévention des cancers professionnels du Fonds national de prévention pour les fonctions publiques territoriales et hospitalières (FNP)

146

Omar Brixi (médecin épidémiologiste, enseignant et consultant en santé publique) et Nadim Farès (responsable du FNP)

3. Prise en charge des cancers en maladie professionnelle par les régimes agricoles de protection sociale

153

Christine Hermouet (médecin conseiller technique national, Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole)

7. Prise en charge et réparation 1. Le suivi et la réparation médico-légaux et leurs limites

165 165

Bernard Fontaine (médecin du travail, toxicologue ERT, Pôle santé travail, Lille)

2. Prise en compte des inégalités face aux cancers d’origine professionnelle dans les politiques publiques. Constats et pistes d’action

175

Claire Chauvet (Institut national du cancer)

3. Cancers d’origine professionnelle : quelle reconnaissance en Europe ? Raphael Haeflinger (Eurogip) 4

187

Table des matières

4. Examen critique de la politique européenne de prévention des cancers professionnels

204

Laurent Vogel (Institut syndical européen)

5. De la reconstitution des parcours de travail à la reconnaissance en maladie professionnelle : enseignements du dispositif d’enquête du Giscop93 sur la question des multi-expositions cancérogènes

222

Émilie Counil (EHESP, IRIS UMR 8156-997, Giscop93), Mélanie Bertin (IRSET UMR INSERM 1085, Giscop93), Annie Thébaud-Mony (IRIS UMR 8156-997, Giscop93) et l’équipe du Giscop93

Mot du Directeur général : poursuivre l’effort commun

251

Glossaire

253

5

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

Introduction

11

1. Construire en permanence la prévention des cancers professionnels Michel Héry (Direction des applications, INRS), Pierre Goutet (expert) À l’occasion d’un colloque organisé en 2009 par l’INRS avec onze partenaires1, un point complet de la prévention des risques cancérogènes avait été fait à travers plusieurs dizaines d’exposés oraux (et autant de communications affichées). Cette manifestation voulait poser un état de l’existant et a rempli son rôle. Cependant, certains aspects, moins stabilisés à l’époque ou faisant encore l’objet de débats, ont été abordés de façon plus allusive. L’idée est venue ensuite de rassembler, sous la forme d’un ouvrage collectif, des contributions à cet état de l’art in progress. En effet, la prévention des risques cancérogènes évolue sans cesse parce que les modes de production, les technologies et les procédés industriels évoluent eux-mêmes, que le débat social est fructueux, que des initiatives naissent fréquemment de la part de scientifiques, de préventeurs institutionnels ou d’entreprises, etc.

1. Liste des partenaires : Anses, CCMSA, CNRACL, DGT, DRP (CNAMTS), INCa, InVS, IRSN, Pôle santé travail, RNV3P, RSI.

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CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Dans cette introduction, nous voulons indiquer, à travers des exemples précis, à quel point les initiatives sont diverses et à quel point cette diversité s’inscrit dans la droite ligne des besoins du monde de l’entreprise dans toutes ses composantes, à travers tous ses acteurs et plus globalement de la société. Le panorama n’est évidemment pas exhaustif, mais les exemples ont été choisis de façon à montrer à quel point les besoins sont importants et les réponses qui y sont apportées lourdes d’enjeux.

1.1. L’amiante, une prévention toujours en évolution La question de la prévention des cancers professionnels se pose toujours avec autant d’acuité. Certes, les années passant, les dernières utilisations massives de l’amiante en France s’éloignent, mais l’omniprésence du matériau dans notre environnement, l’invisibilité d’une partie du risque, la difficulté d’appliquer certaines mesures de la réglementation, le manque de conviction de certains acteurs, ainsi, bien sûr, que le temps de latence très long avant l’apparition de certaines pathologies (cancers pulmonaires et mésothéliomes) font que le sujet reste d’actualité. Cette actualité a encore été renforcée par les avis de l’Anses sur la prise en compte des fibres fines dans l’évaluation des valeurs limites d’exposition. La campagne, dite Meta1, qui a suivi, consacrée à l’évaluation des niveaux d’exposition dans différents types de travaux, a apporté son lot de connaissances nouvelles, en réévaluant certaines données insuffisamment documentées dans la littérature internationale. Les modifications réglementaires qui ont découlé des avis de l’Anses et de cette campagne de mesurage n’ont pas fini d’impacter durablement les politiques de prévention : – modification de la méthode de comptage des fibres (de la microscopie optique à la microscopie électronique) et de la définition des fibres prises en compte ; – fort abaissement de la valeur limite d’exposition (d’un facteur nominal de 10, mais en pratique bien supérieur en raison de la prise en compte des fibres fines) ; – réévaluation des facteurs de protection assurés par les appareils de protection respiratoire ;

1. Du nom de la technique d’analyse utilisée : microscopie électronique à transmission analytique.

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Introduction 1

L’objectif de la campagne Meta était d’évaluer qualitativement et quantitativement les expositions des travailleurs intervenant lors d’opérations de retrait de l’amiante en place. Pilotée par la DGT, avec le concours de l’INRS et de l’OPPBTP, elle a été menée sur différents types de chantiers visant à décrire la réalité de l’exposition dans toute sa diversité : enlèvements de flocages, de dalles, de joints, de plâtres amiantés, etc. Parmi les résultats les plus remarquables1, on citera : – les concentrations de fibres fines. Leur prise en compte revient dans la plupart des cas à multiplier d’un facteur de l’ordre de 2 le niveau des expositions puisque leurs concentrations sont du même ordre que celles des fibres classiquement mesurées jusqu’à présent (dites fibres OMS). Cependant, pour certaines activités, ces fibres fines sont beaucoup plus nombreuses que les fibres OMS ; – des niveaux d’exposition revus à la hausse par rapport à ce qui était classiquement (mais insuffisamment) décrit dans la littérature, par exemple pour les retraits de plâtres amiantés. Cela peut nécessiter dans certains cas une révision des méthodes et des moyens de prévention.

– certification de qualification des entreprises chargées du traitement de l’amiante en place (retrait, confinement) étendue à des activités non couvertes jusqu’à présent : opérations réalisées sur des matériaux considérés comme non friables par exemple qui peuvent pourtant générer de fortes expositions. Le principe de cette extension et les modifications des règles correspondantes visent à mieux adapter le niveau de prévention : en fonction du caractère émissif du matériau plutôt qu’en fonction de son classement dans une catégorie arbitraire. Il s’agit en particulier de renforcer l’évaluation des risques ;1 – renforcement des mesures de soutien apportées aux laboratoires chargés de l’évaluation des concentrations atmosphériques de fibres ; – mise en place de dispositifs de formation mieux adaptés à la nature des travaux effectués. Cette liste, évidemment, n’est pas limitative, mais elle montre bien l’ampleur des modifications en cours. Le chemin parcouru depuis l’interdiction de l’amiante au 1er janvier 1997 est considérable. On en retiendra bien sûr les modifications réglementaires, mais elles ne constituent, selon la formule consacrée, que la partie émergée de l’iceberg. Celles et ceux qui ont accompagné les entreprises tout au long de la période peuvent témoigner des changements intervenus. Pour ne prendre que quelques exemples : les discussions si vives du milieu des années 1990 sur la nécessité ou non de procéder à l’imprégnation humide des matériaux amiantés avant de procéder à leur retrait ou la question du nombre de sas et de leur équipement paraissent aujourd’hui hors du temps. 1. http://www.inrs.fr/accueil/header/actualites/campagne-META.html.

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CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Les pratiques des entreprises ont évolué de façon notable. Pour autant, même pour un matériau sur lequel on croyait tout savoir, l’acquisition de nouvelles connaissances sur les nuisances que son éradication induit amène à réfléchir de façon continue à la prévention des risques professionnels et à la reconstruire en permanence. L’ensemble des acteurs (organismes de prévention scientifiques et techniques, entreprises, centres techniques, partenaires sociaux, etc.) doit se mobiliser en permanence pour actualiser la connaissance, pour la rendre accessible à tous, pour emporter la conviction de ceux qui construisent la prévention au quotidien, chefs d’entreprise et travailleurs. Cette construction de la prévention doit prendre des formes adaptées à la réalité et aux contraintes du terrain : on en donnera pour exemple ici la campagne de détection des expositions à l’amiante menée chez les plombiers-chauffagistes [1]. Un badge amiante permettant la mise en évidence semi-quantitative d’expositions a été mis à la disposition de volontaires pendant une semaine. Dans 35 % des cas, des expositions ont été mises en évidence dont la moitié n’avait pas été identifiée au cours du travail. Certes, cette identification est a posteriori, mais elle contribue indubitablement à la sensibilisation de l’ensemble des acteurs : donneurs d’ordre, chefs d’entreprise, travailleurs. Comme les expositions avant l’interdiction de l’amiante (et hélas certaines intervenues depuis cette date, même si elles sont moins nombreuses et moins fortes) sont susceptibles de causer des maladies pendant encore quelques dizaines d’années, il a été nécessaire de réévaluer les pratiques de dépistage et de suivi. C’est ainsi que la Haute autorité de santé (HAS), en 2010, en liaison avec plusieurs sociétés savantes et associations (dont une association de victimes), a proposé un rapport d’orientation pour le suivi post-professionnel après exposition à l’amiante. Il s’agissait de rendre plus opérationnel un dispositif prévu par les textes qui n’avait été jusqu’alors que peu appliqué et de façon très disparate malgré les recommandations issues d’une conférence de consensus tenue en 1999. De façon explicite, il s’agissait au-delà du suivi médical d’améliorer l’information des personnes ayant été exposées sur les circonstances de ces expositions, leurs conséquences possibles et les modalités de la surveillance prévue, ainsi que de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles et l’accès aux dispositifs de réparation existants. Comme on le voit, la prévention du risque amiante a évolué fortement et favorablement au cours de ces vingt dernières années. Mais des progrès restent à faire au prix d’une forte mobilisation permanente de tous les partenaires impliqués.

1.2. Les évolutions industrielles au service de la prévention Pour d’autres produits ou branches d’activité, les choses ont évolué plus rapidement : c’est le cas en particulier des cancérogènes de la vessie. Bien que la part attribuable 10

Introduction 1

à des expositions professionnelles s’élève vraisemblablement encore à plusieurs centaines de nouveaux cas chaque année en France, les évolutions de l’industrie et certaines décisions réglementaires d’interdiction d’utilisation prises assez précocement font qu’il semble raisonnable d’espérer que ce nombre diminuera rapidement. En effet, deux types de produits ont été identifiés comme les principaux responsables de la cancérogénicité vésicale en milieu professionnel : certaines amines aromatiques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Concernant les premières, l’interdiction de mise sur le marché et d’utilisation de la benzidine, de la 2-naphtylamine, du 4-aminodiphényle et du 4-nitrodiphényle (ce dernier n’est pas une amine, mais est aussi un cancérogène de la vessie), prise en 1993, a permis de diminuer très fortement le risque. Pour d’autres amines aromatiques, soupçonnées de cancérogénicité ou dont la cancérogénicité est avérée, comme la MBOCA, la mise en place de règles de prévention strictes (procédés aménagés, dispositifs d’aspiration de la pollution au plus près de son émission, contrôle des niveaux d’exposition atmosphériques ou biologiques) a aussi permis de limiter les risques. Dans le second cas, c’est le passage progressif pour la production d’huiles ou de produits utilisés pour les revêtements routiers de la carbochimie (basée sur l’utilisation du charbon comme matière première) à la pétrochimie (avec pour source de matière première le pétrole ou le gaz) qui a permis la réalisation de progrès significatifs. Les produits fabriqués sont, sauf exception, beaucoup moins riches en HAP, avec des conséquences évidentes favorables en santé au travail. Compte tenu du temps de latence entre les expositions et le déclenchement des pathologies cancéreuses de la vessie, ces mesures réglementaires ou ces évolutions industrielles devraient aujourd’hui porter leurs fruits. Cela ne signifie pas pour autant que l’attention doit se relâcher : entre ces interdictions d’utilisation et la mutation progressive des sources d’approvisionnement pour les huiles et produits routiers, on a identifié plusieurs procédés susceptibles d’exposer les travailleurs à des niveaux de HAP élevés. Certes, des activités comme la fabrication des pigeons d’argile ou l’entretien des fours à cémentation peuvent paraître marginales par rapport aux populations très larges qui étaient encore massivement exposées il y a quelques dizaines d’années, mais de temps à autre des alertes sont encore enregistrées notamment pour des encres d’imprimerie ou des fluides d’usinage utilisés en mécanique, ou encore des revêtements de tuyaux [2]. Il convient donc de ne pas relâcher la vigilance, d’autant que les voies d’exposition ne sont pas toujours facilement identifiées : c’est par exemple le cas de pénétrations percutanées que seul le développement récent de techniques de surveillance biologique performantes a permis de mettre en évidence. On voit donc bien tout l’intérêt du développement des recommandations pour le suivi médical de travailleurs exposés (ou ayant été exposés) à des cancérogènes vésicaux, telles 11

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

que celles édictées par la Société française de médecine du travail (SFMT) (avec une labellisation de la HAS et de l’Institut national du cancer [INCa]) [3]. Une reconstitution éclairée des carrières professionnelles effectuée par exemple à 50 ans permet de repérer les éventuelles expositions susceptibles de se traduire à terme par le développement de pathologies cancéreuses et de proposer la mise en place d’un suivi médical adapté.

1.3. Élargissement de la prévention à des agents étiologiques et des procédés moins couramment associés aux cancers professionnels Les pathologies cancéreuses liées à l’exposition à l’amiante (mésothéliomes et cancers pulmonaires) représentent une part écrasante des cancers professionnels reconnus : de l’ordre de 1 500 cas par an. Si l’on y ajoute les différents cancers liés à l’exposition aux poussières de bois (selon les années, de l’ordre de 80 à 100 carcinomes des fosses nasales, de l’ethmoïde et des autres sinus de la face), quelques dizaines de cancers de la vessie et un nombre équivalent de leucémies, on obtient la quasi-totalité des cancers professionnels reconnus en France. Inévitablement, par la visibilité qu’elle induit, la reconnaissance de la maladie professionnelle oriente fortement les politiques de prévention. En outre, la réglementation spécifique de prévention du risque amiante est particulièrement prescriptive et précise. Par contraste, la réglementation générale qui s’applique pour les autres cancérogènes laisse beaucoup plus de place à l’évaluation des risques et implique donc plus d’initiative de la part des préventeurs. La pression sociale et médiatique est également plus faible pour ces autres cancérogènes moins clairement identifiés comme tels. Il s’agit en outre de toxiques à effet différé pour lesquels des phénomènes de déni ou d’euphémisation sont à l’œuvre : compte tenu des temps de latence avant l’apparition de la maladie, il est rare que les malades soient encore dans l’entreprise. Au bilan, il n’est donc pas surprenant que la prévention des risques cancérogènes soit essentiellement centrée sur le risque amiante. Par contraste, l’action menée entre 2009 et 2012 par l’Assurance maladie - risques professionnels qui visait à soustraire 100 000 travailleurs au risque CMR (cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction) avait un spectre beaucoup plus large [4]. En effet, centrée sur quatorze cibles prioritaires d’activités industrielles (de la chaudronnerie ou la fonderie aux laboratoires d’anatomopathologie ou les ateliers de prothésistes dentaires en passant par les pressings et les blanchisseries), elle n’excluait pas non plus que des actions soient menées dans des entreprises hors cible, mais identifiées par les agents des services Prévention des risques professionnels des Carsat comme 12

Introduction 1

utilisatrices de composés CMR. Vingt-trois produits (ou familles de produits), classés 1, 2A ou 2B par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), étaient également particulièrement ciblés (en cohérence avec le choix des quatorze secteurs d’activité). Mais, là aussi, une large place était laissée à l’initiative des agents directement en prise avec les entreprises. Au niveau de l’Assurance maladie, ce dispositif était en effet centré sur l’action des agents de terrain (contrôleurs et ingénieurs). Les formations initiales de ces agents sont diverses. Certains d’entre eux interviennent plus particulièrement dans des secteurs d’activité spécialisés, comme le BTP ou la métallurgie. Même si la prévention technique des risques cancérogènes n’est, dans la plupart des cas, pas très éloignée de celle des risques chimiques, la majorité des agents n’avait pas au départ une connaissance développée des questions posées par la prévention des risques CMR aux postes de travail, malgré le soutien possible de collègues plus spécialisés et plus compétents dans ce domaine. Mais l’ambition du projet (une des priorités de la Convention d’objectifs et de gestion [COG] sur la période) et la taille de l’objectif défini imposaient de donner une compétence de base à un nombre significatif d’agents. Un dispositif de formation dédié a donc été conçu par l’INRS, en liaison avec le pilotage national de l’action, pour donner cette connaissance de base et, dans le même temps, emporter la conviction de certains agents sur la nécessité de mener une action sur le sujet. Ce dispositif de formation a depuis été édité par l’INRS et mis à la disposition d’un public plus large. Si la forme a été légèrement modifiée, l’esprit reste le même : donner à un public non spécialiste les éléments de base de compréhension de la problématique et de premières pistes pour une action de prévention. Les actions ultérieures ne peuvent bien sûr être menées qu’avec des spécialistes, mais il s’agit d’initier un travail de prévention. Des formations régionales ont donc été organisées, selon des modalités propres à chaque caisse sur la base des besoins identifiés localement, en s’appuyant sur ce support élaboré par l’INRS. Au bilan, près de 80 % des agents ont été formés et ont pu s’insérer dans le dispositif. Pour qu’un travailleur soit considéré comme soustrait au risque, il fallait que des modifications soient apportées à ses conditions de travail dans la logique à l’œuvre dans la réglementation : c’est-à-dire prioritairement par une suppression ou une substitution du (ou des) produit(s) cancérogène(s) présent(s) au poste de travail. Quand cette substitution se révélait impossible, une réduction de l’exposition au plus bas niveau techniquement possible était acceptable : pour apprécier cette réduction, des objectifs chiffrés avaient été donnés en fonction des valeurs limites d’exposition professionnelle ou de la qualité des dispositifs de captage de la pollution (modulés selon les produits). L’intervention des laboratoires de chimie et des centres de mesures physiques des Carsat était possible pour valider ces améliorations. Des dispositions spécifiques étaient également prévues pour juger de la pertinence de la soustraction au risque quand il s’agissait d’expositions cutanées. 13

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

À l’origine, cette action devait être menée conjointement avec les services interentreprises de santé au travail (Sist) : 50 000 travailleurs (dans environ 5 000 entreprises) soustraits au risque devaient l’être à l’initiative des Carsat et 50 000 (dans également 5 000 entreprises) à celle des Sist. Pour différentes raisons, le démarrage de l’action des médecins du travail a été retardé et leur contribution à l’objectif a été relativement marginale puisque seulement environ 5 000 travailleurs ont été touchés par l’opération. En revanche, pour les Carsat, l’objectif a été quasiment atteint puisqu’environ 45 000 travailleurs ont été soustraits au risque. Cette expérimentation offre un exemple d’une campagne de prévention ambitieuse, menée sur le terrain par des agents qui ne sont pas tous spécialistes de la question mais que leur connaissance des entreprises (et la connaissance qu’ont ces mêmes entreprises de leur action sur leur secteur géographique) qualifie particulièrement pour initier des modifications des conditions de travail. Le fait que les résultats restent en dessous des objectifs initiaux n’est en rien une remise en cause de la méthode utilisée puisqu’ils ont été quasiment atteints pour la part attribuée initialement à l’Assurance maladie. Un examen attentif des changements opérés dans les entreprises montre également l’efficacité de l’opération dans des secteurs d’activité ou des entreprises qui n’auraient pas été a priori choisis si l’on en était resté à la démarche habituelle consistant à cibler a priori des secteurs d’activité ou des produits à partir de listes limitatives.

1.4. Détection de « nouveaux cancérogènes » En 2007, le CIRC a classé le travail posté de nuit dans la catégorie 2A (probablement cancérogène pour l’Homme) sur la base des résultats de méta-analyses constituées à partir d’études consacrées notamment aux excès de cancers du sein chez des personnels navigants aériens et chez des infirmières. Ces excès de cancer sont probablement associés aux perturbations du rythme circadien (production de mélatonine en particulier) induites par le travail de nuit. D’autres études, parfois contradictoires, associent d’autres types de cancers à ces perturbations du rythme circadien comme les cancers de la prostate, ceux de l’endomètre, les cancers colorectaux ou les lymphomes non hodgkiniens. En règle générale, la détection de ces « nouveaux1 » produits, procédés, métiers ou formes d’organisation du travail cancérogènes intervient bien tard, particulièrement quand il s’agit d’excès relativement faibles, à la faveur de la réalisation de métaanalyses. Si le travail de nuit, particulièrement chez les femmes en France, se développe actuellement, il ne s’agit pas à proprement parler d’une nouveauté, les personnels de santé y étant assujettis depuis longtemps. Pour utile qu’elle soit, cette prévention des 1. La « nouveauté » réside la plupart du temps davantage dans la mise en évidence du caractère cancérogène du procédé, produit, etc. que dans l’action productive elle-même.

14

Introduction 1

risques professionnels peut quand même être considérée comme intervenant plus tard qu’il n’aurait été souhaitable. L’utilisation de biomarqueurs d’effet précoce en épidémiologie pourrait permettre de fournir des éléments pour argumenter de façon préventive l’éventuel caractère cancérogène de molécules ou de procédés sans attendre le déclenchement de la maladie et le dénombrement des cas (ou des morts). Ces indicateurs d’effet précoce sont en effet définis comme une « mesure et évaluation d’effets biologiques précoces de substances de l’environnement, dont le lien avec une altération de la santé n’est pas nécessairement établi, dans un but d’appréciation de l’exposition ou du risque sanitaire, par comparaison avec des valeurs de référence » [5]. Cette mise en évidence permettrait aussi de déclencher préventivement les modifications organisationnelles et/ou techniques nécessaires. Il s’agit d’un autre type de démarche que celles déjà utilisées à l’échelon individuel dans le cadre d’un suivi post-expositionnel (dépistage) pour mettre en évidence de façon précoce l’apparition d’un cancer, telle que, par exemple, les recommandations de bonne pratique pour les cancérogènes vésicaux déjà citées le préconisent, même si les marqueurs peuvent être les mêmes. Dans les deux cas, les modifications du marqueur doivent bien sûr être détectées à un stade subclinique quand les effets sont encore réversibles. Cette utilisation en épidémiologie reste pour l’instant théorique : elle est soumise à plusieurs types de contraintes. Le choix de ce marqueur impose un minimum de connaissances sur les modes d’action et l’organe cible de la substance ou du procédé soupçonné de cancérogénicité : il n’existe pas d’indicateur biologique universel en ce domaine. De façon évidente, la complexité des expositions (passées ou présentes), le fait que des polluants différents peuvent avoir un organe cible identique, l’existence de sensibilités individuelles et d’autres paramètres compliquent l’utilisation de ces indicateurs. Une exploitation en termes statistiques, comme c’est le cas en épidémiologie, avec comparaison des résultats de la mesure de cet indicateur chez une population exposée par rapport à une population témoin peut aider à maîtriser, au moins partiellement, ces difficultés. L’utilisation de ces marqueurs soulève aussi d’importantes questions éthiques. On ne prétendra pas ici à une vision exhaustive du sujet et on se contentera de quelques considérations. Même si les marqueurs sont mesurés dans une logique d’exploitation épidémiologique, donc agrégés, chaque participant peut avoir connaissance des résultats le concernant directement. La communication de ces résultats n’est-elle pas, pour certaines personnes, une source potentielle de préoccupation, même si les marqueurs sont choisis pour leur capacité à signer des effets à un stade subclinique ou si, dans le cas de l’utilisation de techniques de biogénotoxicologie, il convient de tenir compte du fait que les modifications de l’ADN mises en évidence ne sont pas systématiquement associées au développement d’un processus carcinogénique ? 15

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

À travers ces considérations se pose évidemment aussi la question d’une possible dérive conduisant à l’utilisation des résultats dans une logique de médecine prédictive, voire sélective. Le recours à ces techniques et l’utilisation qui peut être faite des résultats devront faire l’objet d’un encadrement déontologique précis.

1.5. De nouveaux acteurs de la prévention. Retour sur l’amiante Ce chapitre d’introduction a commencé par quelques considérations à propos de l’amiante et il se terminera de la même façon. La crise de l’amiante intervenue en France au milieu des années 1990 se poursuit à travers l’évolution constante de la réglementation ayant trait à la prévention des cancers professionnels, et à travers une forte sensibilité de la société civile à cette question. Elle a aussi eu pour effet de faire apparaître un acteur important d’abord dans le domaine de la réparation des maladies professionnelles (sur lequel elles pèsent fortement au niveau institutionnel comme, plus directement, sur le terrain), puis par ricochet, et de façon encore moins visible, dans la prévention des risques : les associations de victimes. Il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’action de ces associations dans ce domaine, mais la compétence qu’elles ont acquise (seules, ou en liaison avec des équipes universitaires) dans la reconstitution des expositions passées en fait des partenaires utiles dans des démarches de prévention de tout ordre. Les techniques qu’elles ont développées, le plus souvent de façon très empirique, en termes de maillage du terrain pour trouver ou conserver le contact avec des travailleurs retraités ou leurs ayants droit, les modes d’interrogation qu’elles ont mis au point pour la description des activités et l’évaluation rétrospective (qualitative et semi-quantitative) des expositions professionnelles sont encore insuffisamment exploités. Il y a là une ressource importante dont pourraient bénéficier les acteurs de la prévention à différents niveaux d’intervention (de la recherche appliquée à l’intervention concrète sur les conditions de travail). Même si l’expertise acquise actuellement concerne principalement l’amiante, il ne fait aucun doute qu’elle pourrait être facilement mise à profit pour d’autres agents cancérogènes et d’autres pathologies cancéreuses. Il est probable que cette influence de la « société civile » dans les affaires de santé et de sécurité au travail sera durable et risque d’impacter les politiques de prévention à différents niveaux. Même si les acteurs des associations de victimes ont souvent, ou ont souvent eu, un engagement auprès des syndicats de travailleurs, la nature de cette intervention pourrait se situer sur un autre registre, avec également une portée différente vis-à-vis de l’opinion publique. C’est en tout cas une nouvelle donnée qu’il faudra probablement considérer dans le futur. 16

Introduction 1

1.6. Conclusion À travers cette introduction, nous avons essayé de montrer la diversité et l’importance des modifications qui interviennent en matière de prévention des risques cancérogènes. Certes, et c’est heureux, la prévention des risques professionnels est en évolution permanente, parce que la production et les modes de production changent, parce que ce qui était acceptable en matière de conditions de travail il y a vingt ou trente ans ne l’est plus forcément aujourd’hui. Mais le rapport aux cancérogènes semble avoir changé profondément, notamment en raison de la crise de l’amiante dont, comme nous l’avons indiqué précédemment, nous ne sommes pas encore sortis. Il reste aussi à écrire les pages sur la prise en compte des agents cancérogènes (à travers les agents chimiques dangereux) dans la prévention de la pénibilité au travail. Une fois les principes posés (« La pénibilité au travail se caractérise par une exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé », article L. 4121-3-1 du Code du travail), reste l’épineuse question de la mise en œuvre de sa prévention à travers sa mesure, sa traçabilité, les plans d’action, etc. C’est à travers la prise de conscience toujours à renouveler et la réflexion et l’action commune de tous les acteurs que l’on améliorera la gestion des risques cancérogènes dans l’entreprise. Merci donc aux auteurs qui ont bien voulu rédiger les chapitres de cet ouvrage. Qu’ils fassent le point sur la situation dans un secteur, qu’ils mettent en évidence des carences ou de nouveaux besoins, ils contribuent dans leur domaine à cette construction permanente de la prévention des cancérogènes qui a donné son titre à cet ouvrage.

Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5.

Eypert-Blaison C, Fréville L, et al. Amiante : un badge pour améliorer la perception du risque. HST, 2014, 234, p. 46-50. Brasseur G. Maintenance sous haute protection. Travail et sécurité, septembre 2007, p. 32-34. http://www.chu-rouen.fr/sfmt/autres/Fiche_de_synthese_recos_cancers_vessie.pdf Agir pour prévenir les cancers professionnels d’origine chimique. INRS, 2006, document multimédia, CD0371. Garnier R, Poupon J. Biomarqueurs de l’exposition aux métaux. Congrès de la Société française de toxicologie, 23-24 novembre 2004, Paris. www.sftox.com/congres/sft2004/ programme/R Garnier ppt.pdf

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CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

2. Les principes réglementaires de l’organisation de la prévention des risques cancérogènes en milieu de travail Olivier Calvez (Direction générale du travail) Le risque chimique et plus particulièrement les risques liés aux agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) sont des sujets majeurs en matière de sécurité sanitaire et de prévention des risques professionnels. Face aux enjeux cruciaux attachés à cette question de la prévention des risques CMR, la mise en œuvre de politiques efficaces constitue une préoccupation essentielle des pouvoirs publics et en particulier du ministère chargé du Travail. En 2010, d’après l’enquête Sumer, 10 % de l’ensemble des salariés, soit près de 2,2 millions de salariés, ont été exposés à au moins un produit chimique cancérogène au cours de la dernière semaine travaillée. Les ouvriers et les salariés travaillant dans des activités de maintenance ou dans le secteur de la construction sont les plus concernés, y compris par la multi-exposition. Les expositions sont plus fréquentes chez les jeunes et concernent beaucoup plus souvent des hommes que des femmes. Les cancérogènes les plus souvent cités sont les gaz d’échappement diesel, les huiles minérales entières, les poussières de bois et la silice cristalline. En matière de prévention du risque CMR en milieu professionnel, un arsenal juridique très complet assure un haut niveau de protection. Le principe de substitution participe largement à cet objectif. En effet, l’obligation de substitution dès que cela est techniquement possible, par un produit ou un procédé non ou moins dangereux, constitue l’un des piliers de la démarche de prévention imposée par la réglementation tant au niveau communautaire qu’au plan national. Cette démarche est une obligation qui prévaut sur toutes les autres mesures de réduction du risque. Cette obligation est énoncée par la directive 2004/37/CE pour les agents cancérogènes et mutagènes. Au plan national, la réglementation va au-delà des dispositions de la directive européenne, puisqu’elle s’applique non seulement aux agents cancérogènes et mutagènes, mais aussi aux agents toxiques pour la reproduction. Cependant, l’application du principe de substitution n’est pas toujours possible, par exemple quand les substances concernées sont techniquement indispensables dans 18

Introduction 1

un procédé industriel. Toutefois, seule l’impossibilité technique dûment motivée par l’employeur permet d’y déroger et l’employeur doit être en capacité de justifier des démarches fructueuses ou infructueuses qu’il a entreprises. Le résultat de ses investigations doit, notamment, figurer dans le document unique d’évaluation des risques. C’est aussi la vocation du règlement Reach qui est entré en vigueur le 1er juin 2007 que d’inciter à substituer les substances les plus préoccupantes. C’est notamment l’un des objectifs de la procédure d’autorisation. Pour autant, sur le terrain, l’enjeu principal réside dans l’application effective des dispositions existantes. Dans ce but, l’un des objectifs prioritaires du Plan santé au travail 2 (2010-2014) est d’accroître la pertinence des actions de contrôle du respect des normes, en insistant tout particulièrement sur le développement de la culture de prévention en renforçant l’accompagnement des entreprises. C’est dans cette logique que le ministère chargé du Travail organise des campagnes de contrôle ciblées, en liaison avec la CnamTS et avec l’appui technique de l’INRS, depuis maintenant plusieurs années. En 2006, une campagne de contrôle sur l’utilisation de certains agents CMR de catégorie 1 ou 2 a ainsi été menée. Si les résultats de cette campagne peuvent être jugés préoccupants en ce qui concerne le respect de la réglementation renforcée relative aux agents CMR de catégorie 1 ou 2, ils nous donnent néanmoins un motif de satisfaction sur la question de la substitution. La campagne a montré que l’absence de substitution est principalement motivée par des critères d’ordre technique. Toutefois, dans certains cas, il a été relevé que l’absence de substitution était justifiée par des exigences économiques. Or, seul, un argumentaire technique, fondé, est recevable pour justifier de la non-substitution. En outre, y compris d’un point de vue économique, la substitution devrait être positive car, au-delà de son objectif prioritaire et essentiel de réduction des risques pesant sur la santé des travailleurs, ce principe présente de nombreux avantages complémentaires. Il peut, par exemple, être un moteur d’innovation industrielle et contribuer à limiter la production de déchets dangereux dont le traitement représente un coût important. À cet égard, il peut, dans certains cas, devenir un élément de compétitivité commerciale. Dès lors, la substitution est une priorité juridique, elle doit aussi constituer une priorité d’action pour l’ensemble des acteurs de la prévention. 19

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

C’est la raison pour laquelle l’action 11 du PST2 vise à promouvoir la substitution des substances CMR par la sensibilisation des entreprises grâce à la diffusion d’outils d’intervention et l’élaboration d’outils pédagogiques fondés sur les bonnes pratiques identifiées. Toujours dans cet objectif d’amélioration de la prévention, à la suite de la campagne de contrôle, des conventions sectorielles d’objectifs entre le ministère chargé du Travail, la CnamTS, l’INRS et certaines fédérations professionnelles particulièrement concernées ont été signées. Ces conventions fixent des objectifs en matière de prévention du risque CMR, en particulier en ce qui concerne la réalisation de l’évaluation des risques et la substitution. Dans le cas des risques à effets différés à long terme, il s’agit de tout mettre en œuvre pour éviter aujourd’hui les maladies graves de demain. Dès lors, un point essentiel est le développement de la culture de prévention en entreprise qui nécessite une importante mobilisation de tous les acteurs de la prévention : entreprises, branches professionnelles, services de l’État, médecins du travail, organismes de prévention et partenaires sociaux.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques dans la connaissance et la prévention des cancers professionnels

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques

1. Connaissances actuelles des facteurs étiologiques certains et probables pour les différents types de cancer Bernard Fontaine (médecin du travail, toxicologue ERT, Pôle santé travail, Lille)

Depuis 1991, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a décidé de classer un agent dans le groupe 1 (cancérogène pour l’Homme) en cas de preuves suffisantes dans les modèles animaux et si, de plus, il existe une forte preuve chez les hommes exposés que cet agent opère via un mécanisme pertinent de cancérogénicité. La preuve suffisante chez l’animal signifie qu’une relation causale a pu être établie par la constatation d’une incidence élevée de tumeurs bénignes ou malignes dans deux espèces (ou plus), soit dans des études indépendantes, soit dans une seule étude au vu d’une constatation inhabituelle d’incidence élevée, de site, de type de tumeur, d’âge de début ou de sites multiples. 21

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Depuis l’automne 2008, le CIRC, dans les six volumes de la monographie 100, a passé en revue les agents précédemment classés dans le groupe 1, agents pour la plupart classés avant que les études mécanistiques ne deviennent des outils majeurs dans l’évaluation. Les conclusions des monographies renseignent donc sur les sites de cancer pour lesquels une preuve humaine suffisante/limitée est établie, les sites pour lesquels le risque de cancer est réduit, et les mécanismes de cancérogénicité établis/probables. Les conclusions des réunions ultérieures de groupes d’experts ont suivi le même schéma, permettant ainsi l’établissement d’un tableau synoptique des étiologies évitables des différents sites de cancers humains (tableau 2.1). Ce tableau a été complété par les informations issues des conclusions des groupes d’experts réunis depuis, jusqu’à la monographie 108 incluse (juin 2013), mises en ligne sur le site www.thelancet.com/oncology. Sans entrer dans le détail, les points mécanistiques marquants vont être soulignés. Antérieurement au volume 100, le volume 98 avait classé en 2A le travail en équipes alternantes impliquant une perturbation du rythme circadien, montrant un mécanisme nouveau de cancérogénicité dans son énoncé. Les travaux publiés depuis vont dans ce sens, en particulier l’étude Nocca [1] et l’étude Cécile [2]. Le volume 100A [3] ne concerne pas les expositions professionnelles, mais considère probable une synergie entre un traitement hormonal (les contraceptifs œstroprogestatifs) et un papillomavirus via une stimulation hormonale de l’expression de ces gènes viraux. Il permet aussi, dans les leucémies induites par les agents cytostatiques, de prendre en compte les « signatures » biologiques que constituent la perte totale ou partielle d’un chromosome donné ou un type identifié de translocation. Le volume 100C1 traite essentiellement d’expositions professionnelles. – arsenic : dommages oxydatifs à l’ADN, instabilité génomique, aneuploïdie, amplification génique, inhibition de la réparation de l’ADN entraînant une mutagenèse, effets épigénétiques ; – béryllium : aberrations chromosomiques, aneuploïdie, atteinte de l’ADN ; – cadmium : inhibition de la réparation de l’ADN, altération des protéines suppresseurs de tumeur, instabilité génomique ; – chrome hexavalent : altération directe de l’ADN après réduction intracellulaire en chrome 3, mutations, instabilité génomique, aneuploïdie, transformation cellulaire ; – composés du nickel : altération de l’ADN, aberrations chromosomiques, instabilité génomique, micronoyaux, inhibition de la réparation de l’ADN, altération de la méthylation de l’ADN, modification des histones ; 1. Volume 100C : arsenic, métaux, fibres et particules.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

– amiantes : altération de la clairance des fibres aboutissant à une activation des macrophages, inflammation, genèse d’espèces activées de l’oxygène et de l’azote, génotoxicité, aneuploïdie et polyploïdie, altérations épigénétiques, résistance à l’apoptose, activation de voies métaboliques ; – silice : altération de la clairance des particules, d’où activation des macrophages et inflammation persistante. Le volume 100D1 traite des radiations. Les mécanismes responsables sont la mort cellulaire, les aberrations chromosomiques, les mutations, l’instabilité génomique, la transformation cellulaire et l’effet by stander. La part de risque attribuable au radon est estimée entre 8 à 15 % en Europe ou en Amérique du Nord et la radiotoxicité forte des neutrons est rappelée2. Enfin, il faut rappeler le manque de réparation [4]1 de cassures double brin sur l’ADN de fibroblastes humains exposés à des doses aussi faibles qu’un mGy. Pour les UV, le fait nouveau est que la création de dimères pyrimidine cyclobutane, aboutissant à une transition CT, qui était considérée comme spécifique des UVB jusqu’à peu, est maintenant objectivée aussi dans les mutations de p53, tant chez les souris traitées par UVA que dans les mutations observées chez l’Homme dans les kératoses actiniques et/ou les tumeurs cutanées. À noter le niveau de preuve de niveau 1 pour le mélanome oculaire des soudeurs. Le volume 100E3 montre la possibilité prouvée chez l’Homme de cancer transgénérationnel, avec le rôle du tabagisme parental, démontré pour l’hépatoblastome de l’enfant, et probable pour la leucémie lymphocytaire aiguë de l’enfant. Les expositions professionnelles du peintre en bâtiment (classées fortement mutagènes par l’Iarc dans le volume 984) avaient été jugées probablement cancérogènes transgénérationnelles pour les leucémies de l’enfant. L’étude cas témoin multicentrique Setil [5] retrouve un risque relatif d’environ 4 pour les leucémies aiguës de l’enfant et les lymphomes non hodgkiniens en cas d’exposition préconceptionnelle de la mère aux solvants aliphatiques ou aromatiques. Le volume 100F5 concerne différents agents chimiques d’intérêt en médecine professionnelle.

1. Volume 100D : radiations. 2. Attention aux générateurs portatifs de neutrons (fonctionnant avec une source d’américium 241 dont le rayonnement doit traverser une plaque de béryllium froid avant utilisation. Ces générateurs sont utilisés comme humidimètres de chantier). 3. Volume 100E : facteurs liés au style de vie. 4. Volume 98 : le travail posté, le travail de peintre et le travail de pompier. 5. Volume 100F : produits chimiques et risques professionnels associés.

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Il apporte la preuve humaine du caractère cancérogène humain de la dioxine de Seveso, qui devient ainsi le premier agent, classé antérieurement pour des raisons mécanistiques, à voir cette classification confirmée par l’épidémiologie. Le formaldéhyde, déjà classé en 1 pour les cancers du nasopharynx devient aussi un agent leucémogène humain certain, avec les résultats d’une étude de cohortes de thanatopracteurs couplée à la mise en évidence d’un caractère génotoxique indéniable : aberrations chromosomiques dans les cellules médullaires précurseurs de la lignée myéloïde (monosomie 7, trisomie 8). Les colorants métabolisés en benzidine, et la Moca sont dans le groupe 1, avec des preuves suffisantes chez l’animal associées à une forte preuve de génotoxicité. Le volume 1011 montre le passage du groupe 3 au groupe 2A du 2-nitrotoluène, en raison d’un profil toxicologique inquiétant : chez le rongeur, l’activation métabolique en un composé électrophile donne des adduits au niveau du foie, adduits que l’on retrouve dans le sang des salariés exposés (2-méthylaniline hémoglobine). Les salariés ont également une activité mutagène urinaire augmentée, et présentent des aberrations chromosomiques des lymphocytes circulants. Les mutations habituellement observées dans le cancer colique humain (Catnb, p53 et K-Ras) sont présentes dans le cæcum du rat traité. Le phtalate de diéthylhexyle (DEHP) est antégradé du groupe 3 en groupe 2B, par la mise en évidence d’un mécanisme autre que l’induction de peroxysomes (non pertinent chez l’Homme), l’activation de PPAR alpha, qu’on ne peut ignorer plus longtemps car présent chez l’Homme. Les bitumes de distillation directe et leurs émissions (volume 1032 ) lors de travaux de revêtement routier génèrent tant dans les systèmes expérimentaux qu’en observation humaine les mêmes effets génotoxiques et cytogénétiques. Une synergie entre un parasite, le Plasmodium falciparum et le virus Epstein Barr est à l’origine du lymphome de Burkitt (volume 1043 ). Le volume 1064 classe le trichloréthylène dans le groupe 1, avec preuves épidémiologiques humaines (cancer du rein), cancer lié à la génotoxicité des métabolites formés par conjugaison au glutathion, avec mise en évidence d’un polymorphisme génétique. 1. Volume 101 : certains produits chimiques industriels ou retrouvés dans des produits de consommation courante, contaminants alimentaires et agents aromatisants, et sous-produits de désinfection chlorés dans l’eau. 2. Volume 103 : bitume et fumées de bitume, et certains hydrocarbures aromatiques polycycliques hétérocycliques. 3. Volume 104 : paludisme et quelques polyomavirus. 4. Volume 106 : trichloroéthylène et certains agents chlorés.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

Enfin, le volume 1071 classe tous les PCB dans le groupe 1, que ce soit via la liaison au récepteur AhR pour les plus chlorés d’entre eux, ou par un mécanisme indépendant de AhR pour les moins chlorés, avec possible activation métabolique. Le mélanome cutané malin devient un cancer potentiellement lié à une exposition professionnelle aux PCB, avec preuves épidémiologiques humaines et identification du rôle de AhR dans la modulation de la mélanogenèse. Au total, ces dernières années ont permis d’identifier de nouveaux mécanismes de cancérogenèse, dont des possibilités synergiques entre différents agents, ainsi que l’apparition de cancérogenèse transgénérationnelle. Les progrès à accomplir en prévention imposeront donc de plus en plus une parfaite caractérisation, associée à une traçabilité sans faille, des expositions. Tableau 2.1. Agents cancérogènes chez l’Homme, des groupes 1, 2A, 2B du CIRC jusqu’à la monographie 108 incluse. Preuves suffisantes et limitées selon les sites. Sites des cancers

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Lèvres

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B Rayonnement solaire Hydrochlorothiazide Triamtérène associé à l’hydrochlorothiazide HPV 18

Bouche

Boissons alcoolisées Usage de tabac, qu’il soit ou non fumé Chiques de bétel, avec ou sans tabac HPV 16

Amygdales

HPV 16

Glandes salivaires

Rayons X et γ

Iodes radioactifs, dont Iode131

Pharynx

Boissons alcoolisées Usage de tabac fumé Chiques de bétel avec tabac HPV 16

Amiante (toutes formes) Procédés d’impression Courant secondaire de la fumée de tabac Ingestion de maté chaud

Nasopharynx

Poussières de bois Formaldéhyde Virus d’Epstein Barr Poisson salé (méthode chinoise)

1. Volume 107 : polychlorobiphényles et polybromobiphényles.

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Sites des cancers

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Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B

VADS

Exposition professionnelle Acétaldéhyde associé à la consommation de boissons alcoo- aux bitumes oxydés en travaux d’étanchéité lisées (VADS hautes)

Œsophage

Rayons X et γ Boissons alcoolisées Acétaldéhyde associé à la consommation de boissons alcoolisées Tabac fumé Tabac prisé ou chiqué Chique de bétel avec ou sans tabac

Nettoyage à sec Perchloréthylène Fabrication du caoutchouc Ingestion de maté chaud Légumes au vinaigre (méthode asiatique)

Estomac

Rayons X et γ Fabrication de caoutchouc Tabac fumé Helicobacter pylori

Amiante (toutes formes) Composés minéraux du plomb Ingestion de nitrates ou nitrites dans des conditions favorisant la nitrosation endogène Légumes au vinaigre (méthode asiatique) Poisson salé (méthode chinoise) Virus d’Epstein Barr

Côlon et rectum

Rayons X et γ Boissons alcoolisées Tabac fumé

Amiante (toutes formes) Schistosoma japonicum

Anus

HIV 1, HPV 16

HPV 18 et 33

Foie et voies biliaires

Plutonium Aflatoxines Chlorure de vinyle Boissons alcoolisées Tabac fumé (chez fumeurs et enfants de fumeurs) Clonorchis sinensis Opisthorchis viverrini VHB. VHC Thorium232 et produits de filiation Contraceptifs OP

Rayons X et γ Arsenic et composés inorganiques de l’arsenic PCB Perchloréthylène Trichloréthylène Chique de bétel sans tabac HIV 1 Schitosoma japonicum Stéroïdes androgéniques anabolisants

Vésicule biliaire

Thorium232 et produits de filiation

Pancréas

Tabac fumé ou non

Rayons X et γ Boissons alcoolisées Thorium232 et produits de filiation

Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

Sites des cancers

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B Radio-iodes dont iode131

Autres sites du tube digestif Appareil respiratoire Cavité nasale et sinus para-nasaux

Radium226, radium228 et leurs produits de filiation Poussières de bois Poussières de cuir Composés du nickel Production d’isopropanol par le procédé à l’acide sulfurique Tabac fumé

Composés du chrome 6 Formaldéhyde Fabrication de textiles Métiers de charpentier et de menuisier

Larynx

Brouillards d’acides forts minéraux Amiante Boissons alcoolisées Tabac fumé

Fabrication de caoutchouc Courant secondaire de la fumée de tabac Ingestion de maté chaud HPV 16 Moutarde soufrée

Poumon

Rayons X et γ Plutonium, radon222 et ses produits de filiation Primo-métallurgie de l’aluminium Arsenic et composés minéraux Amiantes (toutes formes) Béryllium et composés Bichlorométhyléther et chlorométhylméthyléther de qualité technique Cadmium et composés Composés du chrome 6 Gazéification du charbon Brai de houille. Fabrication du coke. Mines souterraines d’hématite Fe2O3 Fonderies de fer et d’acier Composés du nickel Métier de peintre Fabrication du caoutchouc Inhalation de silice cristalline pulvérulente Suies Tabac fumé Courant secondaire de la fumée de tabac Fumées de combustion de charbon (en intérieur)

Brouillards d’acides forts minéraux Fabrication de récipients en verre et de verre plat, verrerie d’art Fabrication d’électrodes de carbone Expositions combinées aux toluènes α-chlorés et au chlorure de benzoyle Co-exposition au cobalt métallique et au carbure de tungstène Créosotes Application et/ou pulvérisation professionnelles d’insecticides non arsenicaux Procédés d’impression 2,3,7,8-TCDD (dioxine de Seveso) Fumées de soudage Exposition professionnelle aux bitumes oxydés en travaux d’étanchéité Émissions dues à la friture à haute température Fumées de combustion de végétaux (en intérieur)

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Sites des cancers

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Fumées d’échappement diesel Protocole MOPP Moutarde soufrée Os, peau, mésothéliome, endothélium et tissus mous Os Rayons X et γ Plutonium Radium224 et ses produits de filiation Radium226 et ses produits de filiation Radium228 et ses produits de filiation Mélanome cutané PCBs Rayonnement solaire Appareil de bronzage aux UV Autres formes de Rayons X et γ cancer de la peau Arsenic et composés minéraux Distillation du goudron de houille Brai de houille Huiles minérales non ou peu raffinées Huiles de schiste Suies Rayonnement solaire Méthoxalène associé aux UVA Cyclosporine Azathioprine Mésothéliome (plèvre et péritoine) Endothélium (sarcome de Kaposi) Sarcome des tissus mous

Radio-iodes dont iode131

Créosotes Métiers du raffinage du pétrole Appareils de bronzage aux UV HIV 1 HPV 5 et 8 chez patients atteints d’épidermodysplasie verruciforme MCV (virus du carcinome de Merkel) Moutarde azotée Hydrochlorothiazide Triamtérène associé à l’hydrochlorothiazide

Amiante (toutes formes) Erionite Métier de peintre HIV 1 Herpes virus du sarcome de Kaposi

Sein et appareil génital féminin Sein Rayons X et γ Boissons alcoolisées Traitement substitutif OP de la ménopause Contraceptifs OP Diéthylstilbestrol (DES)

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Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B

Radio-iodes dont iode131 Expositions aux polychlorophénols et/ou à leurs sels sodiques 2,3,7,8,-TCDD (dioxine de Seveso) Travail en équipes modifiant le rythme circadien Oxyde d’éthylène PCBs Tabac fumé Traitement œstrogénique de la ménopause Digoxine

Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

Sites des cancers

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B

Vulve

HPV 16

HIV 1, HPV 18 et 33

Vagin

HPV 16 Diéthylstilbestrol (DES) (quand exposition in utero)

HIV 1

Col utérin

Tabac fumé HIV 1 HPV 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59 Diéthylstilbestrol (DES) (quand exposition in utero) Contraceptifs OP

Perchloréthylène HPV 26, 53, 66, 67, 68, 70, 73, 82

Endomètre

Traitement œstrogénique ou OP de la ménopause Tamoxifène

Diéthylstilbestrol (DES)

Ovaire

Amiante (toutes formes) Tabac fumé Traitement œstrogénique de la ménopause

Rayons X et γ Usage périnéal de talc en poudre

Organes génitaux masculins Pénis

HPV 16

HIV 1 HPV 18

Prostate

Rayons X et γ Fabrication du caoutchouc Cadmium et composés Arsenic et dérivés minéraux Thorium232 et produits de filiation Stéroïdes androgéniques anabolisants

Testicules

Exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES)

Rein

Rayons X et γ Trichloréthylène Tabac fumé

Arsenic et composés minéraux Cadmium et composés du cadmium Perchloréthylène Procédés d’impression

Bassinet et uretère

Tabac fumé Plantes contenant de l’acide aristolochique Phénacétine et analgésiques en contenant

Acide aristolochique

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Sites des cancers

Vessie

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B

Rayons X et γ Primo métallurgie de l’aluminium 4-aminobiphényle Arsenic et composés inorganiques Fabrication d’auramine Benzidine et colorants métabolisés en benzidine Fabrication de magenta 2-naphtylamine Ortho-toluidine Métier de peintre Fabrication de caoutchouc Tabac fumé Schistosoma haematobium

4, chloro-ortho-toluidine Brai de houille Perchloréthylène Nettoyage à sec Fumées d’échappement diesel Métiers de coiffeur et barbier Procédés d’impression Suies Fabrication de textiles Café (quelques preuves de diminution concomitante de risque pour le cancer du côlon) Proglitazone

Œil, cerveau, système nerveux central Œil

Soudage à l’arc Appareils de bronzage à UV HIV 1

Rayonnement solaire

Cerveau et SNC

Rayons X et γ

Champs électromagnétiques RF-EM (30 kHz à 300 GHz)

Thyroïde

Rayons X et γ Radio-iodes dont iode131

Tissus lymphoïdes, hématopoïétiques et corrélés Leucémie et/ou lymphome

30

Rayons X et γ Phosphore32 Produits de fission, y compris strontium90 Benzène 1,3 butadiène Formaldéhyde Fabrication de caoutchouc Tabac fumé Virus d’Epstein Barr Helicobacter pylori VHC, HIV 1, HTLV type 1 Herpes virus du sarcome de Kaposi Thorium232 et produits de filiation Tréosulfan Thiotepa Sémustine Protocole MOPP Melphalan Etoposide avec cisplatine et bléomycine

Radio-iodes dont iode131 Radon222 et produits de filiation Champs magnétiques extrêmement basse fréquence ELF (50 à 60 Hz) (pour les leucémies de l’enfant) Oxyde d’éthylène Métier de peintre (pour les leucémies de l’enfant, en cas d’exposition maternelle avant, ou pendant la grossesse, ou les deux) Métiers du raffinage du pétrole Exposition aux polychlorophénols et/ou leurs sels sodiques (LNH) Styrène Perchloréthylène (LNH) Trichloréthylène (LNH) 2,3,7,8 TCDD (dioxine de Seveso) PCBs (LNH) Tabac fumé (pour les leucémies de l’enfance de la descendance de fumeurs)

Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

Sites des cancers

Preuves suffisantes chez l’Homme Groupe 1

Preuves limitées chez l’Homme Agents des groupes 1, 2A, 2B

Cyclosporine Cyclophosphamide Chlorambucil Busulfan Azathioprine

VHB Plasmodium falciparum BCNU Chloramphénicol Etoposide Téniposide Mitoxantrone Moutarde azotée

Sites multiples, ou sites non spécifiés

Rayons X et γ (pour exposition in utero) Produits de fission dont strontium90 Cyclosporine

Plutonium Herbicides chlorophénoxy

Tous sites

2,3,7,8 TCDD (dioxine de Seveso)

Légende couleur : Agents physiques – radioactivité / champs électromagnétiques Expositions professionnelles Alimentation, habitudes, mode de vie

Agents infectieux ou parasitaires Médicaments

Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5.

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2. Les classifications et les réglementations : des leviers pour l’action Henri Bastos (adjoint au directeur de l’évaluation des risques, chargé de la thématique santé travail, Anses) Dans le texte ci-après, il est fait une brève description des prescriptions des deux principales règlementations sur les substances chimiques, le règlement CE n° 1907/2006 Reach et le règlement CE n° 1272/2008 CLP, qui sont entrées en vigueur respectivement en 2007 et 2009 et qui sont étroitement liées. Identifiées comme des modifications majeures du système règlementaire préexistant jugé inefficace, et anticipées, à l’occasion entre autres du colloque INRS de 2009, comme des leviers majeurs probables des politiques européenne et française de prévention des cancers professionnels, il est déjà possible d’en apercevoir les premiers bénéfices.

2.1. La classification et étiquetage des substances chimiques dangereuses : le règlement CLP Le règlement européen n° 1272/2008/CE ou règlement CLP (Classification, Labelling and Packaging) qui encadre les règles spécifiques de classification, étiquetage et emballage des substances chimiques ainsi que de leurs mélanges, a pour vocation d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, en particulier celle des travailleurs mais aussi de l’environnement. Il est entré en vigueur en janvier 2009 et les principes de classification et d’étiquetage des produits chimiques qu’il contient sont basés sur le système général harmonisé des Nations unies (SGH) destiné à unifier les différents systèmes nationaux en vigueur et à donner des outils « clés en main » aux pays ne disposant pas encore de système de classification. La classification et l’étiquetage des substances chimiques dangereuses constituent l’un des outils principaux d’évaluation et de gestion des dangers et des risques chimiques. Il permet en effet de communiquer aux travailleurs mais également aux consommateurs qui utilisent des substances chimiques une information claire sur les dangers que représentent ces substances, permettant ainsi que prendre toute mesure appropriée afin d’éviter une exposition et des risques pour la santé. Cette communication se fait à travers les étiquettes qui contiennent des informations normalisées permettant d’appréhender rapidement les dangers et les risques des substances. Parmi ces informations, on trouve l’identité de la (ou des) substance(s), des pictogrammes de danger (losange à fond 32

Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

blanc bordé de rouge) en fonction de la classification, des mentions d’avertissement indiquant la gravité du danger (« Danger », pour les produits les plus dangereux, et « Attention »), des mentions de danger H (H350 : « Peut provoquer le cancer »), et des conseils de prudence P pour la prévention, l’intervention, le stockage ou l’élimination (par exemple, P262 : « Éviter tout contact avec les yeux, la peau ou les vêtements »). On retrouve également ces informations dans les fiches de données de sécurité qui seront brièvement évoquées dans les prochains chapitres. Pour chaque catégorie de dangers considérée par le règlement CLP (cancérogénicité, mutagénicité sur les cellules germinales et toxicité pour la reproduction), on distingue deux catégories qui sont fonction du niveau de preuve de l’effet observé (fig. 2.1) : – la catégorie 1, qui regroupe les effets avérés ou possibles pour l’Homme et qui est elle-même divisée en deux sous-catégories : 1A, effet avéré pour l’Homme et 1B, effet possible pour l’Homme (avéré pour l’animal) ; – la catégorie 2 : effet supposé pour l’Homme (preuves insuffisantes pour classer en 1A ou 1B). Classification

Catégorie 1A ou catégorie 1B

Catégorie 2

Danger

Attention

Pictogrammes SGH

Mention d’avertissement Mention de danger

H350 : peut provoquer le cancer H351 : susceptible de provoquer le (indiquer la voie d’exposition cancer (indiquer la voie d’exposition s’il est formellement prouvé s’il est formellement prouvé qu’aucune voie d’exposition qu’aucune voie d’exposition ne conduit au même danger) ne conduit au même danger)

Figure 2.1. Éléments d’étiquetage pour la cancérogénicité tirés du règlement CLP, tableau 3.6.3, p. 107.

2.1.1. L’autoclassification La responsabilité de l’identification des dangers des substances et des mélanges et de leur classification incombe, en premier lieu, aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval1 de ces substances ou mélanges. Ces derniers doivent identifier les 1. Toute personne, physique ou morale, établie dans la Communauté, autre que le fabricant ou l’importateur, qui utilise une substance, telle quelle ou contenue dans un mélange, dans l’exercice de ses activités industrielles ou professionnelles.

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dangers des substances et mélanges, les évaluer et les classer selon les règles du CLP avant toute mise sur le marché. Pour cela, les entités responsables de la classification d’une substance ou d’un mélange doivent collecter les informations disponibles sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des substances, évaluer l’adéquation et la fiabilité de l’information, analyser les données au regard des critères du CLP et prendre une décision concernant la classification de la substance. Par ailleurs, les fabricants, importateurs et utilisateurs en aval doivent constamment se tenir informés des nouvelles données scientifiques ou techniques relatives aux substances et aux mélanges qu’ils mettent sur le marché et susceptibles d’en modifier la classification.

2.1.2.

La classification harmonisée

Dans certains cas, la décision relative à la classification d’une substance est prise au niveau de l’Union européenne. L’article 36 du règlement CLP indique que, lorsqu’une substance satisfait aux critères de classification CMR ou sensibilisant respiratoire, elle « fait généralement l’objet » d’une classification et d’un étiquetage harmonisés. Une procédure de classification harmonisée peut tout à fait être mise en œuvre pour des substances non CMR ou sensibilisant respiratoire, au cas par cas, dès lors que « la nécessité d’une telle action au niveau communautaire est démontrée ». Dès que la décision est prise au niveau européen, les entreprises qui mettent la substance sur le marché sont alors tenues d’appliquer cette classification et l’étiquetage adéquat pour la substance concernée. La procédure harmonisée ne s’applique qu’aux substances et pas aux mélanges de substances chimiques. Ce sont principalement les autorités compétentes des États membres qui sont à l’initiative des demandes de classification harmonisée des substances mais les industriels qui produisent, importent ou mettent sur le marché ces substances peuvent être, sous certaines conditions, à l’initiative d’une procédure de classification harmonisée. Lorsqu’un État membre ou un industriel décident de déclencher la procédure de classification harmonisée, ils doivent alors préparer un dossier de proposition de classification contenant les différentes informations physico-chimiques, toxicologiques et/ ou épidémiologiques disponibles ainsi qu’une analyse de ces données au regard des critères de classification du règlement CLP et proposer une classification. Ce dossier est alors envoyé à l’Agence européenne des produits chimiques (acronyme anglais : Echa1). Le Comité d’évaluation des risques de l’Agence adopte un avis sur toute proposition soumise dans un délai de dix-huit mois à compter de la réception de la proposition, en donnant aux parties concernées l’occasion de formuler des observations, dans

1. Echa : European Chemicals Agency.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

le cadre d’une consultation publique. L’Agence transmet cet avis et toutes les observations à la Commission européenne qui statuera sur la classification et proposera l’inclusion de cette substance et des éléments de classification et d’étiquetage pertinents dans l’annexe VI du règlement CLP à laquelle doivent dorénavant se référer les fabricants, importateurs ou distributeurs de ces substances pour étiqueter leurs substances. Près de 4 500 substances ont fait l’objet d’une classification harmonisée et sont par conséquent inscrites à l’annexe VI. Parmi celles-ci, environ 1 500 substances sont classées C et/ou M et/ou R. On retrouve cependant dans ces 1 500 substances un grand nombre de substances dérivées du pétrole classées cancérigènes.

2.1.3. L’inventaire des classifications et des étiquetages des substances chimiques Le règlement CLP exige que tous les importateurs et fabricants de substances dangereuses mises sur le marché européen et de toute substance soumise à enregistrement en vertu du règlement Reach, notifient la classification et l’étiquetage de leurs substances à l’Echa dans le mois qui suit leur mise sur le marché. L’Agence européenne met ainsi à disposition un inventaire européen des classifications et des étiquetages des substances chimiques dangereuses sur son site Internet et en anglais. Les substances non classées y figurent également. Les données sont rendues publiques. Cet inventaire établit la classification de toutes les substances chimiques utilisées dans l’Union européenne et permet ainsi d’identifier celles qui sont potentiellement dangereuses et susceptibles de nuire à la santé et à l’environnement. À ce jour, l’inventaire répertorie plus de 100 000 substances provenant de plus de 5 millions de notifications soumises par les fabricants et les importateurs. Il est important de noter que cet inventaire peut contenir des informations divergentes pour des substances identiques puisque deux entreprises différentes peuvent classer différemment une même substance pour diverses raisons. Cette base de données permet dorénavant aux entreprises d’accéder facilement aux informations relatives à la dangerosité d’une substance et d’en faciliter le classement et l’étiquetage mais également la cohérence des classifications, en incitant les industriels à convenir d’une classification uniforme pour une substance donnée, comme l’exige le règlement CLP. De plus, la diffusion des informations permet un accès plus aisé des utilisateurs, travailleurs et consommateurs aux informations concernant la dangerosité des substances chimiques.

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2.1.4. La classification du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) À la différence du système de classification européen qui ne s’applique qu’aux substances et produits chimiques et englobe l’ensemble des propriétés toxicologiques, le système de classification du CIRC porte sur des agents cancérogènes, qu’ils soient chimiques, biologiques ou physiques ainsi que sur des situations d’exposition (métiers/ activités) et sur certains procédés industriels. Ces classements sont établis par des commissions d’experts internationaux. Ils n’ont pas de caractère réglementaire mais permettent d’apporter des informations utiles à l’évaluation pour des substances non classées au niveau européen dans le cadre de la classification harmonisée. Cette classification est parfois à l’origine d’une proposition de classification harmonisée par un État membre ou peut contribuer aux débats scientifiques du comité d’évaluation des risques qui statue sur la classification des substances chimiques. Le CIRC classe les agents cancérogènes en cinq groupes : – groupe 1 : l’agent est cancérogène pour l’Homme ; – groupe 2A : l’agent est probablement cancérogène pour l’Homme ; – groupe 2B : l’agent est peut-être cancérogène pour l’Homme ; – groupe 3 : l’agent est inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme ; – groupe 4 : probablement non cancérogène pour l’Homme. Il existe d’autres systèmes de classification comme celui du NTP (National Toxicology Program) du ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis ou de l’ACGIH (American Conference of Governmental Industrial Hygienists) qui est un organisme privé, plus connu pour l’élaboration et la diffusion de valeurs limites d’exposition et qui évalue également la cancérogénicité dans le cadre de l’évaluation plus large des risques professionnels de produits chimiques. D’autres pourraient être cités mais ils ont tous une portée plus limitée que la classification du CIRC. Quant à la classification CLP, étant règlementaire, c’est celle qui prédomine, de fait, au moins en Europe. La classification est un outil et un levier très importants pour l’évaluation et le contrôle des produits chimiques dans la mesure où, en plus de l’information sur les dangers et les risques qu’elle permet de communiquer aux utilisateurs de substances chimiques, un grand nombre de prescriptions règlementaires découlent directement de cette classification. En premier lieu, les règles de prévention du risque chimique mais également les principales dispositions du règlement européen Reach.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

2.2. Le règlement Reach 2.2.1.

Les principales dispositions

Le règlement CE n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques (Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals, Reach), est entré en vigueur le 1er juin 2007. Son objectif est d’améliorer la protection de la santé humaine et de l’environnement, tout en maintenant la compétitivité et en renforçant l’esprit d’innovation de l’industrie chimique européenne. En cela, Reach poursuit clairement les objectifs de la stratégie globale de l’Union européenne en faveur du développement durable. Ce nouveau cadre règlementaire est né du constat de dysfonctionnement des principaux outils juridiques régissant les substances chimiques dans les différents États membres de l’Union, mais surtout du déficit d’informations sur les propriétés de la majorité des 100 000 substances présentes sur le marché communautaire ne permettant pas, ainsi, une évaluation et une gestion appropriée des risques. Il a constitué une véritable refonte du système règlementaire européen en remplaçant une quarantaine de règlements et directives existants. Il vise également à favoriser la substitution progressive, dans l’Union européenne, des substances chimiques les plus dangereuses, en particulier les substances très préoccupantes comme les cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Pour atteindre ces objectifs, le règlement prévoit plusieurs dispositions ainsi que des obligations à l’égard des producteurs et des importateurs de substances chimiques qui ont pour effet de renverser la charge de la preuve des autorités publiques vers l’industrie. Il appartient dorénavant à l’industriel de démontrer que l’utilisation de sa substance peut se faire sans risques pour la santé humaine ou pour l’environnement. Parmi les dispositions importantes prévues dans le règlement Reach, figure la création d’une Agence européenne des produits chimiques (AEPC ou Echa), basée à Helsinki en Finlande, dont le rôle est d’assurer la mise en œuvre, la gestion et la coordination administrative, scientifique et technique du système.

2.2.2. L’enregistrement des substances : « pas de données, pas de marché » La responsabilité de la gestion des risques liée aux substances chimiques relève dorénavant des industriels qui fabriquent, importent, commercialisent ou utilisent ces substances dans le cadre de leurs activités professionnelles. Pour continuer à mettre sur le marché des substances chimiques produites en quantité égale ou supérieure à une tonne 37

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par an, les producteurs ou importateurs de la substance doivent procéder à l’enregistrement de celle-ci. Cela signifie qu’ils doivent fournir un certain nombre d’informations sur la fabrication, les usages identifiés, les propriétés toxicologiques et écotoxicologiques et utiliser ces données pour en évaluer les dangers et les risques en vue d’élaborer et de recommander des mesures de gestion des risques appropriées. Sans cela, ils ne peuvent plus mettre leur substance sur le marché, c’est le principe : « pas de données, pas de marché ». Le niveau d’exigences en matière d’informations à fournir varie en fonction du tonnage produit ou importé. L’enregistrement doit être effectué avant la fabrication, l’importation ou la mise sur le marché d’une substance. Toutefois, pour la plupart des substances qui sont déjà fabriquées ou importées, dites substances existantes, un régime transitoire spécial autorisant la poursuite de leur fabrication ou de leur importation est applicable. Les deux premières échéances, sur trois au total, étaient respectivement fixées au 30 novembre 20101 et au 31 mai 2013 (substances produites ou importées entre 100 et 1 000 tonnes). De plus, au-delà d’une quantité égale ou supérieure à 10 tonnes mise sur le marché, le producteur ou l’importateur de la substance doit fournir un rapport sur la sécurité chimique (CSR pour Chemical Safety Report, en anglais), c’est-à-dire une évaluation des risques assortie de propositions de mesures de gestion des risques adéquates pour garantir la sécurité des personnes et de l’environnement. Dans le cas des substances dangereuses et en particulier pour les CMR, les informations relatives à ces évaluations sont transmises le long de la chaîne d’approvisionnement à travers les fiches de données de sécurité. Lorsqu’il existe une évaluation sur la sécurité chimique, la fiche de données de sécurité doit contenir, en annexe, les scénarios d’exposition pour chaque usage identifié pour la substance. Un scénario d’exposition est un ensemble de conditions (durée et fréquence d’utilisation, quantités utilisées…) qui décrit la manière dont une substance est fabriquée ou utilisée tout au long de son cycle de vie (y compris son utilisation dans un article et jusqu’au stade de déchet), ainsi que la façon dont le fabricant, l’importateur ou l’utilisateur en aval recommande d’utiliser cette substance pour maîtriser l’exposition des êtres humains (travailleurs, consommateurs) et garantir une utilisation sûre. Pour renforcer la communication au sein de la chaîne d’approvisionnement et garantir la couverture de l’ensemble des usages en vigueur par les responsables de

1. Devaient être enregistrées avant le 30 novembre 2010 : les substances classées cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) de catégorie 1A ou AB et produites ou importées à plus de 1 tonne, les substances classées comme très toxiques pour les organismes aquatiques et pouvant entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement aquatique (H410) produites ou importées à plus de 100 tonnes et les substances produites ou importées à plus de 1 000 tonnes.

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

l’enregistrement, les utilisateurs d’une substance doivent informer leurs fournisseurs de l’usage qu’ils font de leur substance. À la fin de l’année 2013, la base de données de l’Echa comprenait plus de 41 000 dossiers enregistrés concernant environ 10 600 substances. La dernière date limite d’enregistrement est fixée au 30 mai 2018 et concerne les substances produites ou importées à plus de 1 tonne. Une source considérable d’informations sur les propriétés des substances chimiques est désormais disponible. En vertu du principe de transparence, certaines informations concernant les substances, et en particulier les propriétés physico-chimiques ainsi que les résultats des études toxicologiques et écotoxicologiques, doivent être rendues accessibles gratuitement au public. L’ensemble des informations concernant notamment les propriétés des substances enregistrées est consultable sur le site Internet de l’Echa.

2.2.3. L’évaluation des dossiers et des substances En tant qu’acteur principal de cette étape, l’Agence européenne des produits chimiques doit effectuer des contrôles de la qualité et de la conformité des dossiers d’enregistrement pour vérifier si les informations appropriées sont disponibles et présentées de manière adéquate, c’est l’évaluation de dossiers (Compliance Check). Le déclarant peut ainsi être obligé de mettre à jour son dossier si nécessaire. L’Echa doit évaluer au moins 5 % de dossiers par tranche de tonnage. Reach prévoit également une évaluation approfondie des substances pour lesquelles il existe un doute ou une préoccupation concernant les dangers ou les risques, afin de lever ou de confirmer ce doute, en permettant, le cas échéant, de demander à l’industriel des informations supplémentaires par rapport à ce qui est déjà exigé dans le cadre du règlement. L’Agence européenne des produits chimiques élabore, avec la collaboration des États membres, un programme de travail triennal, actualisable chaque année, des substances à évaluer en priorité selon une approche fondée sur le risque (informations relatives aux dangers, aux expositions, aux quantités…). C’est le CoRAP (Community Rolling Action Plan ou plan glissant d’action communautaire) dont le premier a été publié le 28 février 2012. Il comporte actuellement plus de 150 substances devant être évaluées par différents États membres, sur une base volontaire. Ces évaluations peuvent conduire, en fonction des conclusions, à des demandes d’informations ou à des études supplémentaires. Si l’État membre évaluateur considère que les mesures de gestion des risques proposées dans le rapport sur la sécurité chimique ne permettent pas d’assurer 39

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la protection des personnes et de l’environnement, il peut proposer des mesures de gestion des risques comme l’autorisation ou la restriction mais également la classification et l’étiquetage harmonisé.

2.2.4. L’autorisation des substances les plus préoccupantes L’autorisation, selon le règlement Reach, doit permettre d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de l’utilisation des substances extrêmement préoccupantes (SVHC) seront valablement maîtrisés et qu’elles seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables. Cette procédure s’articule en plusieurs étapes, la première consistant à identifier les substances éligibles à la procédure d’autorisation selon les critères de l’article 571. Pour cela, un État membre ou l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), sur demande de la Commission européenne, réalise un dossier conforme à l’annexe XV du règlement. Cette procédure d’identification débouche sur l’établissement d’une liste de substances prioritaires (la « liste candidate »), laquelle est régulièrement mise à jour et publiée par l’Echa. Dès que la substance est incluse dans la liste candidate, un certain nombre d’obligations incombent déjà aux industriels : obligation de communication d’informations aux consommateurs, obligation de notification des articles auprès de l’Echa. C’est sur la base de cette liste de substances candidates que l’Echa formule régulièrement une recommandation concernant les substances à inclure en priorité dans l’annexe XIV des substances soumises à autorisation. Une fois reprises dans cette annexe, elles ne pourront plus être mises sur le marché ou utilisées, après une date fixée par la Commission européenne, si l’entreprise n’a pas demandé et obtenu une autorisation. Des autorisations seront octroyées si le demandeur peut prouver que le risque associé à l’utilisation de la substance est valablement maîtrisé. Si le risque n’est pas valablement maîtrisé, une autorisation pourra néanmoins être octroyée s’il est démontré que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques et qu’il n’existe pas de substances ou technologies de remplacement appropriées.

1. Les substances très préoccupantes incluent les substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) de catégorie 1 ou 2, les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (PBT) ou très persistantes et très bioaccumulables (vPvB) ainsi que les substances qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui des substances ci-dessus (par exemple les substances perturbant le système endocrinien).

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Apport des études expérimentales et épidémiologiques 2

En constante évolution, fin 2013, un peu plus de quinze substances figuraient sur la liste candidate et 22 étaient inscrites à l’annexe XIV et formellement soumises à autorisation. Les premiers avis rendus par le comité d’évaluation des risques et le comité d’analyse socio-économique de l’Echa ont été rendus fin décembre 2012 et concernaient une demande d’autorisation pour des usages spécifiques de DEHP (phtalate de bis(2éthylhexyle)), un phtalate classé toxique pour la reproduction de catégorie 1B, dans la fabrication de moteurs d’avions. Dans leurs avis, les comités concluent qu’un contrôle adéquat de l’usage spécifique de la substance a été démontré et que, compte tenu des risques posés par l’utilisation en question, de l’analyse des solutions de remplacement et du plan de substitution fournis par le demandeur, les comités proposent de réviser l’autorisation dans un délai de sept ans. C’est la Commission européenne qui prend in fine la décision d’accorder ou non l’autorisation en se basant sur les avis des deux comités.

2.2.5. La restriction Enfin, la procédure de restriction, permet aux États membres ou à la Commission européenne d’intervenir pour gérer les risques pour toute substance, sans condition de tonnage, dès lors qu’ils estiment que la mise sur le marché ou l’utilisation de cette substance entraîne un risque inacceptable pour la santé humaine ou l’environnement. L’État membre, à l’origine de la proposition, fait part de ses intentions, pouvant aller jusqu’à proposer l’interdiction pure et simple de la production et de l’utilisation de la substance, dans le cadre d’un dossier de restriction qui est envoyé à l’Echa. Cette proposition doit identifier les usages et les risques à restreindre et prendre en compte les informations concernant les possibilités de remplacement, l’impact socio-économique des mesures proposées et la consultation des parties intéressées.

3. Conclusion Comme le prévoit l’article 138 du règlement Reach, la Commission européenne devait présenter un rapport sur l’expérience acquise dans le fonctionnement de ce règlement cinq ans après son entrée en vigueur c’est-à-dire en 2012. Dans le rapport général sur le règlement Reach publié en février 2013, la Commission indique que, cinq ans seulement après l’entrée en vigueur de Reach, il est encore trop tôt pour en quantifier les avantages. S’étant intéressée aux tendances initiales, la Commission indique dans ce rapport qu’elle constate que « l’accroissement des informations a entraîné une 41

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modification des classifications, qui deviennent pour la plupart plus strictes et que la qualité des informations disponibles aux fins d’évaluation des risques s’est déjà améliorée, si on la compare à celle qui prévalait avant Reach1 ». De même, les informations acquises à l’intérieur de la chaîne d’approvisionnement et dans les fiches de données de sécurité se seraient améliorées, permettant l’adoption de mesures de gestion des risques plus appropriées, contribuant ainsi à la réduction observée des risques en termes nominaux (sic), au bénéfice des utilisateurs finaux, tels que les producteurs d’articles. Enfin, les obligations renforcées relatives aux substances extrêmement préoccupantes introduites par les dispositions concernant la liste des substances candidates et l’autorisation de celles-ci ont visiblement entraîné, d’après la Commission européenne, une plus grande tendance à remplacer ces substances dans toute la chaîne d’approvisionnement. Le constat, dressé par l’exécutif européen, de ces signes positifs vers la réalisation des objectifs de Reach en matière de santé humaine et d’environnement, ne l’empêche pas d’identifier par la même occasion certaines insuffisances qualifiées de « fondamentales » et susceptibles d’entraver la concrétisation des avantages de cette nouvelle règlementation, comme la transmission à l’Echa de nombreux dossiers d’enregistrement non conformes ou le contenu et le format des fiches de données de sécurité étendues (c’està-dire incluant les scénarios d’exposition) comportant de nombreux problèmes. Malgré cela, c’est un bilan plutôt positif qui a été publié par la Commission européenne, au regard des objectifs pouvant être évalués à l’heure actuelle. De son côté, la Confédération européenne des syndicats, si elle reconnaît que, techniquement, les opérations d’enregistrement se sont bien déroulées, est plus critique sur le bilan des autres phases de Reach et de leur bénéfice en matière de prévention des risques professionnels. Selon l’Institut syndical européen (Etui)2, les lacunes significatives concernant la qualité des dossiers déposés par les industriels compromet l’évaluation et la maîtrise des risques des substances concernées. L’Institut déplore également la lenteur du système, notamment concernant la procédure d’autorisation. Il estime qu’au rythme actuel, il faudrait plus de 100 ans pour inciter les industriels à remplacer leurs substances chimiques les plus préoccupantes par des alternatives plus sûres en indiquant que sur les 1 500 substances extrêmement préoccupantes, parmi lesquelles une majorité de CMR 1A et 1B, seules 22 substances ont été soumises à autorisation et environ 150 sont identifiées comme candidates à l’autorisation.

1. Rappelons qu’en vertu du renversement de la charge de la preuve introduit par Reach, il appartient dorénavant aux industriels qui produisent ou importent les substances de fournir, via la procédure d’enregistrement, des informations sur leurs propriétés et d’en évaluer les risques afin de ne mettre sur le marché que des substances qui ne présentent pas de risques pour la santé humaine ou l’environnement. 2. European Trade Union Institute : l’Institut syndical européen est le centre indépendant de recherche et de formation de la Confédération européenne des syndicats (CES).

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Cette critique est également reprise par de nombreuses associations de défense des consommateurs ou de l’environnement si bien que le Parlement européen a rappelé en 2009, dans le cadre préparatoire à l’audition des commissaires nouvellement désignés, que l’« un des objectifs principaux de la régulation Reach [était] la substitution de substances hautement préoccupantes (SVHC) » et que « la liste […] de substances candidates ne [contenait] qu’un faible pourcentage des SVHC existantes et par conséquent [nuisait] à l’objectif de substitution et au processus de priorisation établi par Reach ». Cependant, plusieurs paramètres ont poussé les autorités européennes à faire preuve d’une grande prudence dans leur choix de substances et leur stratégie d’inclusion de substances à la liste candidate. Tout d’abord, du côté des industriels, on a beaucoup mis en garde contre l’effet « liste noire » de la liste candidate qui inciterait visiblement nombre de leurs clients à annuler leurs commandes ou à se désintéresser de leurs produits, conduisant inéluctablement à l’élimination de leurs substances du marché, sans qu’ils puissent s’organiser pour trouver des substituts. Il convient de rappeler que, bien que l’inscription d’une substance sur la liste candidate soit un préalable à son inclusion à l’annexe XIV, cela n’a rien d’automatique. Ensuite, l’autorisation est l’un des outils de Reach avec la restriction qui permet de limiter voire d’interdire l’utilisation ou la mise sur le marché de substances dans le but de contrôler les risques qu’elles peuvent induire. Le choix de l’un des deux outils n’est pas toujours évident. Ce choix est pourtant essentiel car il peut avoir des conséquences importantes pour tous les acteurs impliqués dans ces processus ainsi que sur l’efficacité avec laquelle les objectifs de protection pourraient être atteints. Entre autres exemples, il faut savoir qu’une substance incluse dans l’annexe XIV ne peut faire l’objet d’une nouvelle restriction ou que les risques liés à la fabrication d’une substance ne sont pas gérés par l’autorisation. Les autorités européennes se sont donc accordées sur la nécessité de développer, précédemment à toute inclusion d’une substance à l’annexe XIV, mais également, par extension, à toute décision sur une mesure de gestion des risques, une analyse de la meilleure option de gestion des risques disponible (best-RMO1). Cette analyse s’appuie sur un bilan des informations disponibles sur les dangers et les risques, mais également des mesures de gestion applicables ou déjà appliquées en fonction des usages concernés. Un bilan des alternatives existantes est également demandé. Cet exercice informel permet aux États membres de baser leur décision sur une vision transversale et objective de la problématique et de maximiser l’efficacité des mesures tout en optimisant leurs ressources forcément limitées par rapport à des enjeux aussi importants. En tout état de cause et suite à l’impulsion donnée par les commissaires européens répondant aux principales critiques concernant l’autorisation, l’Echa a publié, le 9 décembre 2013, une feuille de route à l’horizon 2020. Celle-ci est destinée à prévoir 1. Best Risk Management Option.

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l’identification et la gestion (via l’autorisation ou la restriction) des substances les plus préoccupantes parmi lesquelles les CMR. Enfin, chacun s’autorisera à reconnaître que, malgré quelques imperfections, des progrès importants ont été réalisés en matière de dissémination des données et de participation des parties prenantes, entraînant un véritable bénéfice, en particulier pour les travailleurs. Si les analyses d’impact menées à la fois par la Commission européenne et l’Institut syndical européen s’avèrent exactes, les avantages pour la santé humaine de cette nouvelle règlementation devraient commencer à se faire sentir à partir de 2018 et devraient permettre d’éviter plusieurs milliers de maladies professionnelles liées à l’utilisation de substances chimiques dangereuses, dans lesquelles il faut inclure des cancers professionnels.

Bibliographie Règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (Reach), instituant une Agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission. Règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006. Prévenons les cancers professionnels. Paris, 18-20 novembre 2009 INRS, 2010, Notes de congrès, TD 167. Site web Echa : www.echa.europa.eu Echa. SVHC Roadmap to 2020 Implementation Plan, December 2013. Reach : quel bilan pour les travailleurs à mi-parcours ? HsaMag #08, 2e semestre 2013. Rapport général sur le règlement Reach. COM, 2013, 49 final, 5 février 2013.

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1. Modalités d’exposition et principe d’évaluation des expositions : estimations et apport de la métrologie Jean-François Certin (expert)

L’évaluation des risques est nécessaire et réglementaire (document unique d’évaluation des risques). Elle sert à argumenter l’action : elle prend donc en compte la connaissance des expositions en milieu de travail. Cette connaissance des expositions en milieu de travail est utile à l’entreprise pour dégager ses priorités d’actions et l’est également aux pouvoirs publics et aux préventeurs en général, pour orienter la politique de prévention des risques. L’entreprise connaît en fait plus ou moins les agents cancérogènes qui peuvent être présents. Leur repérage est aujourd’hui encore souvent partiel et il l’était encore bien plus il y trente ou quarante ans. L’étiquetage des substances et produits dangereux relevant de la directive européenne et les fiches de données de sécurité sont de plus en plus exploités. En revanche, les agents cancérogènes, produits ou procédés visés par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) et non par l’Union européenne sont le plus souvent ignorés comme l’exposition aux fumées diesel ou aux fumées de 45

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vulcanisation du caoutchouc. Le plus souvent, l’estimation des expositions aux agents cancérogènes se fait intuitivement, sans discernement et sans faire appel à la métrologie. Cela conduit à ne pas prendre en compte ou à sous-estimer certains risques pourtant bien réels. Malgré les obligations réglementaires, seule une minorité des entreprises connaît de façon satisfaisante les expositions de son personnel. Les pouvoirs publics et les organismes de prévention recherchent des données fiables : celles-ci sont nécessaires aux travaux scientifiques, épidémiologiques en particulier, qui serviront à l’orientation des politiques de prévention en milieu de travail. Les prélèvements sont, presque tout le temps, effectués afin de comparer leurs résultats avec des valeurs limites d’exposition professionnelles (VLEP), des valeurs guides ou d’autres valeurs de référence. Les valeurs de référence existent essentiellement pour les expositions par inhalation mais le nombre de substances concernées reste limité. Ces valeurs de référence nécessitent d’être fortement argumentées pour recueillir un fort consensus. Cela n’est pas toujours le cas. On constate des distorsions pouvant aller jusqu’à un facteur 10 suivant les pays et les organismes. Toutes les voies d’exposition doivent être examinées mais, dans les faits, ce sont surtout les expositions par inhalation qui sont documentées. Les suivis biologiques les intègrent toutes mais leur mise en œuvre et leur interprétation sont délicates. L’évaluation spécifique des expositions par voie cutanée, prépondérantes pour certains agents cancérogènes comme les amines aromatiques, reste en cours de développement et n’est pas de pratique courante. Ce sont des données partielles et de qualité variable qui sont à disposition.

1.1. Les sources de données 1.1.1. La réglementation impose des mesurages pour certains agents cancérogènes comme le benzène, l’amiante, le plomb par exemple. Les pouvoirs publics collectent depuis quelques années seulement ces données dans la base de données nationale Scola. À noter qu’une certaine connaissance des expositions s’appuie sur des évaluations de risque sans métrologie. Cette connaissance est difficilement exploitable, voire inexploitable au-delà des entreprises concernées. L’effectivité de cette réglementation concernant les cancérogènes reste limitée [1, 2]. Lors de la campagne de contrôle de 2006, le ministère du Travail a relevé que seulement 23 % des établissements contrôlés effectuaient un suivi régulier des expositions atmosphériques de leur personnel [3]. 46

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1.1.2. Depuis 1985, l’INRS gère la base de données Colchic, alimentée par les laboratoires interrégionaux de chimie des services Prévention des risques professionnels des Carsat/Cram et les laboratoires spécialisés de l’INRS. Cette base de données est particulièrement riche : plus de 900 000 lignes de résultats depuis 1985. Les pouvoirs publics font régulièrement appel à cette base pour disposer d’éléments conséquents sur les expositions professionnelles. 1.1.3. Les services de santé au travail effectuent de plus en plus des mesures d’exposition, en particulier depuis qu’ils disposent d’IPRP, intervenants en prévention des risques professionnels. Leurs résultats de mesure restent le plus généralement au niveau de l’entreprise, même si certaines campagnes concertées font l’objet de communications écrites et/ou orales. 1.1.4. Les entreprises font aussi appel à des laboratoires privés pour faire le point, parfois de façon concertée pour une branche professionnelle. Ceux-ci sont de plus en plus accrédités pour divers polluants, assurant ainsi une meilleure fiabilité des résultats. Ces données sont parfois communiquées aux pouvoirs publics, mais elles font rarement l’objet de publication.

1.2. La qualité des données La qualité des mesures d’exposition dépend d’une part de la qualité des mesurages, prélèvements et analyses, et d’autre part de la pertinence des circonstances de prélèvements. Chaque donnée doit être accompagnée de précisions sur le contexte de l’échantillonnage : procédés, production, aménagements des postes… 1.2.1. Les prélèvements effectués par des laboratoires accrédités dans le cadre réglementaire doivent répondre à l’arrêté du 15 décembre 2009 [4]. Le nombre de campagnes et d’échantillonnages successifs nécessaire y est précisé, cela pour assurer une représentativité statistique satisfaisante pour estimer la probabilité de dépassement de la VLEP. L’application stricte de ces mesures conduit à des campagnes qui peuvent être particulièrement onéreuses. C’est certainement un des facteurs qui explique l’application partielle de cette réglementation. 1.2.2. La base de données Métropol de l’INRS est la source française de référence quant aux aspects méthodologiques des prélèvements et aux dispositions techniques pour chaque polluant ou famille de polluants. Elle est mise à jour régulièrement lors de travaux concertés entre l’INRS et les laboratoires des Carsat/Cram.

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1.3. La représentativité des données 1.3.1. Les expositions par inhalation Celles-ci, de loin les plus fréquemment documentées, sont essentiellement des données de prélèvements individuels d’air au poste de travail, sur longue durée afin de permettre une comparaison aux valeurs limites sur huit heures. Les durées d’échantillonnages varient du fait des techniques (seuil de sensibilité ou saturation du support) et des phases de travail exposantes. Dans la réalité, un opérateur est généralement exposé de façon très irrégulière pendant son travail. Une étude préalable doit être réalisée pour bien analyser les phases de travail avec et sans échantillonnage. Même si ces visites initiales sont réalisées avec soin, la réalité de la production rend souvent nécessaire une adaptation à la stratégie initialement prévue. L’objectif majeur est de n’ignorer aucune phase exposante. La recherche de groupes d’exposition homogène, GEH, permet de n’équiper qu’une partie des salariés. Ces GEH doivent faire, en principe, l’objet d’un accord entre les parties concernées au sein de l’entreprise (direction, mission prévention des risques professionnels, CHSCT). Cela devrait être le cas au sein de l’entreprise pour tous les travailleurs concernés, y compris les entreprises extérieures et les intérimaires.

1.3.2. Les pics d’exposition Les pics d’exposition sont beaucoup moins bien documentés. À cela deux raisons : – les pics d’exposition accidentelle ne donnent lieu qu’à une estimation a posteriori souvent très délicate à réaliser ; – les pics d’exposition prévisibles (démarrage, entretien, maintenance, nettoyage…) sont plus ou moins programmés, mais leur durée n’est pas toujours compatible avec la sensibilité des méthodes de prélèvement et de dosage. Certains organismes préconisent des valeurs de référence pour les pointes (instantanées). Citons en particulier les TLV-C (Treshold Limit Value-Ceiling) de l’ACGIH. Le plus souvent, les valeurs de références sont établies pour 15 minutes. Mais les pics effectifs peuvent durer quelques secondes ou 30 minutes. La durée de l’échantillonnage doit donc être calée au mieux pour ne pas sous-estimer ces pointes. L’utilisation possible dans certains cas d’analyseurs en continu permet d’appréhender de façon satisfaisante ces pics, l’intégration de l’exposition pendant les 15 minutes les plus exposantes étant alors techniquement tout à fait possible.

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1.3.3. Les prélèvements à points fixes C’est un troisième type d’échantillonnage. Ils sont globalement difficiles à exploiter car ils peuvent avoir des finalités très diverses. Certains ont comme objectif d’estimer l’exposition de personnes dans une ambiance de travail, si celles-ci n’influencent pas leur exposition du fait de leurs propres tâches. Les prélèvements à point fixe peuvent également servir à mieux apprécier l’efficacité des ventilations en place en examinant la répartition de la pollution dans un atelier. Parfois, ils sont utilisés à défaut de pouvoir équiper l’opérateur dans le cas de multi-expositions nécessitant plusieurs dispositifs d’échantillonnage. À titre d’exemple, l’évaluation de l’exposition d’un opérateur aux poussières de silice et aux vapeurs de formaldéhyde nécessite le recours à deux supports de prélèvement différents (et donc à deux pompes de prélèvement) : pour des raisons au minimum de confort, voire de sécurité, on comprend bien qu’il n’est pas toujours possible de demander à cet opérateur de porter simultanément les deux dispositifs.

1.3.4. Les éléments de contexte Chaque donnée doit donc être enregistrée avec des indications précises sur les méthodes de prélèvement et d’analyse. Les éléments relatifs à l’environnement de travail sont précieux, ils doivent être codés de façon aussi explicite que possible. Toute exploitation de masse de ces données se fera avec des critères de tri relatifs à tous ces paramètres. À défaut d’information suffisante, beaucoup de résultats s’avèrent inexploitables.

1.4. Les cancers et expositions professionnelles L’étude de la relation entre les cancers, dont l’apparition est différée par rapport aux périodes d’exposition, et le travail nécessite de connaître la succession des expositions aux différents facteurs professionnels sur toute la période d’activité du salarié. Il s’agit de préciser pour une profession ou une activité les périodes d’exposition et les niveaux d’exposition (par tranches). Des matrices emplois-expositions sont ainsi réalisées comme celles de Matgéné de l’InVS [5].

1.4.1. La complexité et l’évolution Cette recherche va se heurter à de nombreuses difficultés liées aux changements d’entreprises, aux changements d’emplois, à l’évolution des techniques de travail et surtout au repérage très incomplet de la nature et de l’intensité des expositions à tous les agents cancérogènes auxquels le salarié aura été soumis. À ces difficultés s’ajoutent l’évolution et la disparité des méthodes de mesures. Si l’on prend l’exemple des travaux 49

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routiers, le risque lié à l’emploi des produits houillers, brai, goudron, huile anthracénique, a été repéré depuis longtemps. Dès les années 1970, des données sont disponibles avec, comme traceur d’exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le benzo(a)pyrène. Ce seul paramètre de suivi apporte des indications sur les expositions par inhalation aux HAP cancérogènes. L’emploi des produits houillers a laissé progressivement la place à celui de produits du pétrole (bitume) beaucoup moins riches en HAP. Il n’est cependant pas possible de préciser quand, dans les années 19801990, les produits houillers n’ont vraiment pratiquement plus été utilisés : selon les entreprises, selon les fournisseurs, selon les usages, la transition a été plus ou moins rapide, plus ou moins complète. Ce n’est qu’au début des années 2000 que le suivi biologique intégrant les expositions cutanées a été pris en compte. Or, cette voie de pénétration dans le corps humain n’est pas du tout négligeable. Aujourd’hui, les travaux routiers mettant en œuvre les bitumes sont classés cancérogènes possibles (2B) par le CIRC. Des travaux sont en cours pour mettre au point une méthode harmonisée prenant en compte la globalité des expositions aux vapeurs et fumées émises lors de ces travaux. À cela s’ajoute la nécessité de prendre en compte d’autres facteurs cancérogènes (pour les expositions passées, mais aussi parfois pour les plus récentes) pour cette activité, parfois sur certains chantiers spécifiques. Par exemple, la formulation d’enrobés couche mince renforcés avec de l’amiante a été réalisée par certaines entreprises et non toutes, durant plusieurs années pendant les années 1980. Aujourd’hui, le rabotage des chaussées expose aux poussières de silice cristalline, mais aussi dans certains cas à l’amiante et/ou aux HAP, mais il est difficile de trouver l’historique des travaux qui ont été effectués précédemment par tronçon. La prévention des risques sur ces chantiers de rabotage impose donc au préalable la réalisation d’analyses complexes et coûteuses, dans un contexte de représentativité des échantillonnages difficile. Autre exemple, le nettoyage au fioul, aujourd’hui classé cancérogène possible, a été la « règle » dans la profession : heureusement, cela est en train de changer. Cela illustre bien la complexité de l’exposition sur une carrière entière. De très nombreux secteurs d’activité sont aussi concernés par cette évolution et cette complexité des expositions. Citons également l’industrie du caoutchouc et les problématiques amines aromatiques, les nitrosamines et, dans une moindre mesure, les HAP, voire l’amiante. La variété des formulations dans le caoutchouc est extrêmement grande, dépendant du type de caoutchouc mis en œuvre et du cahier des charges auquel devaient répondre les pièces fabriquées, avec une évolution dans le temps importante [6]. Autre exemple, les peintures avec les pigments aux chromates de zinc, de plomb, de strontium, certains abandonnés durant les années 1990-2000, d’autres toujours utilisés (par exemple, le chromate de strontium en aéronautique). Cela concerne les fabricants et les applicateurs mais aussi les entreprises qui font de l’entretien (décapage) ou de la démolition. 50

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L’évolution des moyens de protection est un facteur supplémentaire influençant, parfois fortement, les expositions. Dans le secteur de l’ameublement, peu de mesurages étaient effectués dans les années 1970 où les dispositifs d’aspiration des poussières étaient rarement efficaces. Des expositions aux poussières de bois dépassant les 10, voire 20 mg/m3 étaient fréquentes sans que pour autant elles aient fait l’objet de mesurages. L’exploitation de la base de données Colchic permet d’appréhender cette évolution dans le temps à partir de 1985.

1.4.2. Les limites de la protection individuelle Les pics d’exposition surviennent régulièrement, de façon programmée ou non. Pour les opérations de courte durée considérées comme fortement exposantes, les entreprises préconisent souvent le port d’équipements de protection individuelle (EPI). Il s’agit de gants, de protections respiratoires ou de vêtements de travail. Ceux-ci, pour être efficaces, doivent être adaptés et portés correctement. Le choix des gants est une question parfois difficile en cas de multi-expositions et/ou de contraintes de résistance mécanique ou de dextérité. Seul un suivi biologique est à même d’apprécier la maîtrise ou non de l’exposition à travers ces EPI. Pour les protections respiratoires, outre l’efficacité théorique de la protection (par exemple, facteur 10), il convient de prendre en compte la rigueur avec laquelle l’équipement est porté : port réel durant la globalité des périodes exposantes, étanchéité au visage, entretien et nettoyage de l’équipement. Les enquêtes menées par le ministère du Travail indiquent que l’employeur ne satisfait généralement pas à ses obligations d’information et de formation sur le port des EPI. Diverses études sur des chantiers d’enlèvement d’amiante ont montré combien il est difficile d’assurer une maîtrise des risques sur le port des EPI dans des conditions optimales. La connaissance des expositions brèves de type maintenance ou chantier reste donc très insuffisante du fait, d’une part, du manque de mesurages, et, d’autre part, de la façon dont on prend en compte le port des EPI.

Bibliographie 1.

http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Le-controle-du-risque-chimique-sur.html

2.

http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2010/04/cir_30897.pdf

3.

http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Bilan_des_campagnes_de_controles_2006_de_l_ inspection_du_travail_sur_les_produits_cancerogenes_et_l_amiante_.pdf

4.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021487566

5.

http://www.invs.sante.fr/publications/2006/js_dst_2006/matgene_Fevotte 2011 2006.pdf

6.

Barbillon P. Cancérogènes dans l’industrie du caoutchouc, quelles évolutions sur les trente dernières années ? In : Cancers de la vessie et risques professionnels, EDP Sciences, 2009, 346 p.

Luce

DST

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2. Traçabilité et évaluation rétrospective des expositions Irina Guseva-Canu (InVS), Maylis Telle-Lamberton (IRSN)1 Le rapport de Daniel Lejeune, remis à la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP) de la CnamTS, à la demande du ministre du Travail, en octobre 2008, a analysé en profondeur la question de la traçabilité des expositions professionnelles et les enjeux associés [1]. Ce rapport préconisait de s’appuyer sur les dispositions règlementaires et les outils d’évaluation des risques existants en optimisant leur utilisation et en impliquant davantage les services de santé au travail (SST) dans la prévention et la traçabilité des expositions. Une expérimentation était proposée pour définir les modalités de généralisation d’un dispositif confidentiel de traçabilité avant le 1er janvier 2013. La Haute autorité de santé (HAS) et le Grenelle de l’environnement, par la loi n° 2009-967 du 3 août 2009, ont également inscrit en tant que priorité la traçabilité des expositions professionnelles dans une démarche stratégique de prévention des risques conduite par l’entreprise avec tous les acteurs. Après une définition de la traçabilité et de ses enjeux, les différentes démarches et les outils de traçabilité sont passés en revue. Entre les outils existants et ceux en développement, quelques outils d’évaluation rétrospective incluant les expositions sur l’ensemble de la carrière professionnelle sont présentés. En reprenant la définition de la traçabilité de la CATMP et en changeant le terme risque, polysémique, en celui de danger, nous adoptons la définition suivante : tracer, c’est identifier le danger, évaluer l’exposition à ce danger et conserver les données relatives à cette exposition. Les enjeux associés à la traçabilité peuvent être examinés selon les dimensions suivantes : scientifique, sanitaire et de santé publique, économique et enfin juridique, tant pour l’employeur que pour le salarié. En effet, la mise en relation des données sanitaires avec les données sur des expositions professionnelles dans les études épidémiologiques permet d’améliorer les connaissances scientifiques sur les effets des expositions. Le calcul de fractions de risque attribuable à une exposition à partir d’études épidémiologiques et sa mise en rapport avec des coûts en matière d’arrêt maladie et de prise en charge aident à la prise de décision et à la priorisation des actions préventives en incluant éventuellement la dimension économique. À titre d’exemple, les coûts des arrêts maladie tous cancers pour les entreprises (arrêts maladie × durée × valeur de travail) sont évalués à 525 millions d’euros par l’Inca pour l’année 2004 [2] et les coûts des soins à 1. Actuellement à l’ORS Île-de-France.

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10 milliards d’euros. En appliquant une fraction attribuable entre 5 et 10 %, on obtient un ordre de grandeur de 20 à 50 millions d’euros pour les coûts des arrêts maladie et de 500 millions à 1 milliard d’euros pour les soins. Enfin, les enjeux juridiques passent par une bonne organisation des informations sur les expositions professionnelles et par leur conservation, pour permettre un traitement optimal des demandes de réparation ou de retraite anticipée tout en incluant les éléments attestant d’une démarche de prévention. La traçabilité des expositions professionnelles revêt un intérêt à tous les stades de la prévention : primaire, puisque pour réduire les expositions et prévenir l’apparition de leurs effets sur la santé, il faut pouvoir les décrire ; secondaire, notamment dans le cas de suivis individuels par des indicateurs biologiques, frontières entre marqueurs d’exposition et marqueurs d’effet et qui permettent de dépister le plus précocement possible des effets sanitaires ; tertiaire enfin, la connaissance des expositions permettant de prévenir le risque de désinsertion professionnelle pour des personnes dont la santé a déjà été atteinte par l’environnement de travail. La traçabilité doit être lisible à la fois aux niveaux individuel et collectif afin de garantir autant un suivi spécifique à chaque salarié tout au long de sa carrière que la constitution de données utilisables à un niveau macroscopique (études épidémiologiques, surveillance des expositions, évaluation du risque sanitaire). Selon le niveau considéré, la traçabilité est assurée à l’aide d’outils différents, dont les plus importants sont présentés ci-après.

2.1. Les outils de traçabilité individuelle 2.1.1. Le dossier médical en santé au travail (DMST) et les fiches d’exposition Ils constituent des outils essentiels de la traçabilité individuelle du fait de leur caractère réglementaire obligatoire. Le médecin du travail doit constituer un DMST lors de la visite d’embauche et le compléter lors de chaque examen médical ultérieur comme le précise l’article D. 4624-46 du Code du travail. Le modèle de DMST fixé par l’arrêté du 24 juin 1970 a donné lieu à de multiples supports disponibles sous forme papier ou informatique (progiciels, logiciels et thésaurus). Variables d’un SST à l’autre et remplis de façon hétérogène d’un médecin du travail à l’autre, la majorité de ces supports avait en commun des lacunes dans le recueil des expositions professionnelles : rubrique manquante ou en fin de dossier par exemple [3]. Après la publication des recommandations de bonnes pratiques concernant le DMST par la HAS en mars 2009, la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant la réforme des retraites précise que le DMST doit retracer « dans le respect du secret médical les informations relatives à 53

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l’état de santé du travailleur, [et] aux expositions auxquelles il a été soumis […] ». Elle insère également dans le Code du travail l’article L. 4121-3-1 : « Pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels déterminés par décret et liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé, l’employeur consigne dans une fiche, selon des modalités déterminées par décret, les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période […] ». Le décret no 2011-354 du 30 mars 2011 définit ces facteurs de risques : manutention de charge, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux (ACD), poussières et fumées, températures extrêmes, bruit, travail de nuit, travail posté et travail répétitif. Les décrets n°s 2012-134 et 136 du 30 janvier 2012 précisent les modalités de traçabilité de ces expositions et instaurent la fiche de prévention des expositions aux travaux pénibles, en vigueur depuis le 1er février 2012 et applicable aux expositions reçues à partir du 1er janvier 2012. Le modèle de cette fiche est fixé par arrêté [4]. Celle-ci supprime l’ancienne fiche d’exposition aux agents chimiques dangereux, mais ni la fiche d’exposition à l’amiante, ni la fiche de sécurité obligatoire pour les travaux en milieu hyperbare. Deux types d’exposition sont également réglementés en dehors de ce dispositif : le risque biologique et le risque rayonnements ionisants. Le dispositif réglementaire de suivi individuel des expositions est donc étroitement lié à la réforme des retraites de 2010 qui instaure des dispositions spécifiques pour les travaux qualifiés de pénibles par la réglementation. Cette évolution réglementaire récente atteste des préoccupations importantes associées à la traçabilité et permet d’espérer une production de données d’expositions professionnelles de qualité et homogènes au niveau national. En revanche, elle ne permet pas de combler les lacunes du passé en matière de données d’exposition. Pour cela, des outils expérimentaux originaux se sont développés et certains continuent d’exister en attendant les changements énoncés et leur application sur le terrain.

2.1.2. L’historique d’exposition professionnelle, curriculum laboris L’historique d’exposition professionnelle, curriculum laboris, est un outil de traçabilité assez ancien, bien connu des épidémiologistes. Il a été évoqué dans le cadre de l’expérimentation du Grenelle de l’environnement pour faire partie du carnet de santé du travailleur inclus dans un volet spécifique du DMST [3]. Le curriculum laboris a pour 54

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objectif de retracer toutes les expositions du travailleur, y compris celles antérieures à l’embauche, par interrogatoire du salarié et consultation de son dossier médical précédent. Ces informations sont ensuite enrichies de données supplémentaires, comme les mesures collectives des expositions issues du document unique ou de la fiche d’entreprise, les informations issues des fiches de données de sécurité (FDS), des rapports, des études de poste, de contrôle des expositions ou de la littérature scientifique. Ces éléments, s’ils sont bien renseignés et si les risques sanitaires associés aux expositions sont documentés, peuvent permettre une appréciation du risque individuel du travailleur et/ou donner des éléments sur le lien entre une pathologie diagnostiquée et son origine professionnelle éventuelle. Si l’intérêt de cet outil paraît évident, sa mise en pratique a toujours paru difficile aux médecins du travail. L’utilisation de l’historique des expositions ne peut être utile, pertinente et exploitable que si une mise à jour est régulièrement effectuée à l’occasion des changements d’affectation et à chaque modification importante constatée dans le document unique. Elle nécessite un investissement du médecin du travail et de la disponibilité, ainsi qu’une implication de la direction de l’établissement dans la transmission de données indispensables. Face à cette problématique, le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (Giscop-93) a proposé une démarche originale [5, 6]. Cette équipe de recherche et les médecins volontaires prenant en charge des nouveaux patients atteints de cancer dans les trois hôpitaux de la Seine-Saint-Denis (CHU Avicenne, hôpital de Montfermeil, hôpital Robert-Bellanger à Aulnay-SousBois) ont fait le choix de considérer que la reconstitution du parcours professionnel ne pouvait s’inscrire dans le temps clinique ni relever de la compétence du médecin. Elle a donc été confiée à des professionnels de la production de connaissances sur le travail, sociologues et psychologues. Les entretiens sont menés selon les méthodes qualitatives utilisées en sociologie (récits de vie), en ergonomie et psychologie du travail (approche de l’activité et du vécu du travail), centrées sur la reconstitution la plus complète possible du parcours-travail dans le cadre d’un entretien semi-directif. Cette démarche s’appuie essentiellement sur le retour subjectif du travailleur sur sa propre expérience. Celle-ci est ensuite croisée avec une expertise pluridisciplinaire (toxicologues, médecins du travail, ingénieurs de prévention, délégués du CHSCT) pour une qualification systématique de l’exposition aux cancérogènes permettant de tracer l’histoire de l’exposition professionnelle aux cancérogènes subie par le patient. Les experts se prononcent également sur la possibilité pour le patient d’engager une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle, le médecin-clinicien étant alors informé des éléments lui permettant d’établir le certificat médical initial. Depuis 2002, Giscop-93 a réalisé l’analyse qualitative de plus de 1 100 parcours professionnels recueillis. Récemment, ces parcours ont été réunis dans un répertoire des activités de travail susceptibles d’exposition à des substances ou des procédés cancérogènes. Ce répertoire 55

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qualitatif comporte des rubriques détaillées sur l’activité de travail et sur les expositions. La principale finalité est la mise en visibilité des expositions à des cancérogènes dans l’activité de travail en tenant compte de l’évolution des procédés de travail, de la réglementation et des transformations des conditions et de l’organisation du travail. Cette démarche permet de tenir compte de la dimension temporelle particulièrement importante en ce qui concerne les cancers professionnels et constitue également un exemple de traçabilité collective des expositions. D’autres supports et initiatives de traçabilité existent sans qu’ils soient explicités dans ce chapitre, tels le document unique d’évaluation des risques en entreprise [7] ou le cadastre des postes de travail en cause dans les cas de cancers du bassin Fos-Martigues [8], que le lecteur pourra découvrir dans des rapports cités.

2.1.3. Le système d’information de la surveillance de l’exposition aux rayonnements ionisants (Siseri) Il a été mis en service en février 2005, à la demande et avec le soutien de la Direction générale du travail (DGT) avec un double objectif de registre national et d’outil de gestion de la surveillance des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants. Le registre doit permettre (i) de connaître à tout moment les doses d’un travailleur (surveillance, vérification des valeurs limites d’exposition…) ; (ii) d’avoir une visibilité sur l’ensemble de sa carrière (historique dosimétrique) ; (iii) de fournir des données pour des études statistiques. Siseri est également un outil de gestion opérationnel de contrôle et d’optimisation des expositions pour les médecins du travail (MDT) et les personnes compétentes en radioprotection (PCR). La volonté de tracer l’exposition professionnelle aux rayonnements ionisants date au minimum de l’année 1957 avec la publication d’une circulaire du secrétariat d’État à la Santé publique et à la population dans laquelle tous les éléments de la traçabilité sont inclus : (i) évaluation de l’exposition : « il est indispensable que les doses de rayonnement externe reçues en permanence par les travailleurs susceptibles d’être exposés aux radiations ionisantes soient mesurées… » et « le dépistage individuel de la contamination interne doit être effectué périodiquement pour les travailleurs exposés en particulier par la détection de la radioactivité dans les excreta » ; (ii) prévention primaire : « ce contrôle individuel permet de repérer le personnel le plus exposé […]. On peut dès lors rectifier les erreurs. » ; (iii) enregistrement et conservation des données et préventions secondaire et tertiaire : « il est essentiel que l’exposition aux radiations fasse l’objet de relevés précis car ceux-ci fournissent non seulement des renseignements précieux sur le bon fonctionnement des installations et les conditions de sécurité des 56

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travailleurs mais présentent une valeur indéniable du point de vue médical dans le cas où apparaîtraient des troubles pathologiques imputables à l’exposition aux radiations ionisantes ». En 1968, l’arrêté du 19 avril précise que « les résultats mensuels nominatifs [de dosimétrie] doivent […] être adressés au service médical du service central de protection contre les rayonnements ionisants ». Enfin, la traçabilité entre entièrement dans la règlementation quand en 1975 le décret du 28 avril ajoute « le service central de protection contre les rayonnements ionisants enregistre les résultats de la surveillance de l’exposition à ces rayonnements, en liaison avec les médecins du travail, et il assure l’exploitation et la conservation de ces résultats ». En 2013, la traçabilité associée au système Siseri franchit une nouvelle étape avec l’arrêté du 17 juillet qui, d’une part, instaure la carte individuelle dématérialisée de suivi médical et, d’autre part, oblige l’employeur à renseigner le secteur d’activité et le métier du travailleur concerné selon des nomenclatures précisées en annexe de l’arrêté [9]. Siseri est également un outil de gestion opérationnel de contrôle et d’optimisation des expositions pour les médecins du travail (MDT) et les personnes compétentes en radioprotection (PCR). Les données incluent : l’identification du travailleur (nom, prénom, n° RNIPP), son activité professionnelle et son statut d’emploi ; l’identification de l’employeur (n° Siret, nom clé, adresse, secteur d’activité) et les données d’exposition (doses, période et lieu d’exposition). Elles sont transmises, soit par les organismes agréés pour la réalisation du suivi dosimétrique réglementaire des travailleurs, soit directement par les établissements où sont reçues les doses (dosimétrie opérationnelle). Les données sont restituables : (i) aux travailleurs, sur demande, sous pli confidentiel ; (ii) aux MDT et aux PCR, par accès à Siseri sur 12 mois et sur demande pour l’historique dosimétrique ; (iii) aux inspecteurs du travail et de radioprotection sur demande ; (iv) aux organismes de recherche par l’intermédiaire de convention et sur des données non nominatives. Le détail, dose externe-dose interne, n’est accessible qu’aux MDT et au travailleur concerné. Depuis peu, les données de Siseri peuvent être utilisées par des chercheurs-épidémiologistes de l’IRSN [10, 11].

2.1.4. L’enregistrement des travailleurs potentiellement exposés aux nanomatériaux, EpiNano L’enregistrement des travailleurs potentiellement exposés aux nanomatériaux est un autre outil d’identification et de traçabilité des expositions professionnelles [12]. Actuellement en cours de développement, il est porté par l’InVS, à la demande de la Direction générale de la santé (DGS) et de la DGT sur la problématique des risques émergents en lien avec des nouvelles technologies. En l’absence de connaissances précises sur les 57

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effets biologiques et sanitaires possibles des nano-objets, leurs agrégats et agglomérats (NOAA) chez l’Homme, l’objectif du dispositif EpiNano est d’identifier les travailleurs potentiellement exposés aux poudres des NOAA, de caractériser cette exposition puis d’inclure les travailleurs exposés dans un suivi épidémiologique prospectif généraliste [13]. Conçu comme un système intégré de surveillance et de recherche, ce dispositif sera mis à jour régulièrement via le système de déclaration annuelle obligatoire des substances à l’état nanoparticulaire centralisé par l’Anses [14], le Système national d’informations inter-régimes d’assurance maladie (Sniiram), le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et le réseau des registres français de cancer (Francim), pour surveiller et, le cas échéant, décrire des événements de santé pouvant apparaître en parallèle à l’exposition auxnNOAA. Dans ce dispositif, l’évaluation de l’exposition aux NOAA aux postes du travail sera réalisée suivant le Guide de caractérisation de l’exposition aux aérosols des NOAA [15] à l’aide des outils développés en commun avec des experts en métrologie des aérosols du CEA, de l’INRS et de l’Ineris pour identifier tous les postes exposants au sein des entreprises mettant en œuvre des NOAA. Dans un second temps, l’évaluation de l’exposition sera affinée individuellement à l’aide d’un auto-questionnaire détaillé pour chaque travailleur affecté à un poste exposant ayant accepté de participer au dispositif.

2.1.5. Le cas de l’exposition au plomb Dans le cas de l’exposition au plomb, qui a été l’objet du premier tableau des maladies professionnelles, en 1919, la situation est différente. Il s’agit du seul toxique avec valeur biologique d’exposition réglementaire et un suivi systématique des travailleurs exposés doit être réalisé annuellement, semestriellement ou trimestriellement selon les niveaux de plombémie mesurés. D’autres situations peuvent entraîner la prescription d’un dosage : en cas de signes cliniques évoquant une exposition au plomb ou avant affectation à un poste potentiellement exposé par exemple. Les prescripteurs sont des médecins du travail ou des généralistes. Les laboratoires agréés qui effectuent ces dosages réalisent chaque année un rapport d’activité comportant la liste des établissements contrôlés, le nombre et les résultats de ces contrôles. On évalue à près de 130 000 le nombre de salariés exposés et suivis au moins annuellement, ce qui représente donc une quantité exceptionnelle de données accumulées depuis des années. Toutefois, sans politique associée de recueil et de centralisation de ces données, une partie du bénéfice de cette collecte est perdue pour le suivi individuel et collectif de cette exposition. Le dispositif expérimental de centralisation des mesures de plombémie professionnelle recueillies dans le cadre de la médecine du travail a été proposé par l’InVS à la demande de la DGT. L’étude de faisabilité a débuté en septembre 2012 dans deux 58

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régions pilotes, l’Île-de-France et le Nord-Pas-de-Calais. L’ensemble des médecins du travail ont été sollicités pour participer. Pour chaque prescription d’un dosage de plombémie, le médecin du travail initiera une fiche de suivi en remplissant la partie 1 (informations concernant le salarié, l’entreprise et le prescripteur). À réception des résultats, le médecin complètera la partie 2 de la fiche (résultat du dosage) et la retournera à l’InVS par fax sur un numéro sécurisé ou par courrier. L’InVS assurera l’anonymisation et la saisie des fiches, ainsi que le codage des informations professionnelles et l’exploitation statistique des données. Afin d’estimer l’exhaustivité du système, des listings des dosages de plombémie réalisés chez des adultes seront demandés aux laboratoires agréés pour le dosage des plombémies des zones pilotes. Le rapport de faisabilité sera rédigé en 2014 et permettra de prendre une décision quant à une extension de ce système de surveillance au niveau national en 2015. En cas d’extension, le dispositif permettra une exploitation statistique nationale des données des plombémies afin de développer des méthodes d’évaluation des expositions professionnelles à partir des données de biométrologie recueillies en médecine du travail et de proposer des recommandations pour la surveillance des travailleurs des secteurs les plus exposés. Un objectif secondaire sera de connaître la proportion de femmes exposées au plomb, en particulier celles en âge de procréer et d’évaluer la pertinence des différentes limites biologiques.

2.1.6. Le cas de l’amiante Comme pour tout produit CMR, l’employeur a l’obligation de constituer pour tout travailleur susceptible d’être exposé à l’amiante une fiche d’exposition et de lui remettre au départ de l’entreprise une attestation d’exposition. En plus, la fiche d’exposition réglementaire amiante doit préciser les procédés de travail et les équipements de protection collective et individuelle utilisés. Pour exercer les activités de traitement de l’amiante en place (retrait, confinement…), les entreprises doivent être certifiées. Ces entreprises certifiées respectent leurs obligations en matière de fiches d’exposition et d’attestations d’exposition. Au départ, elles les respectent parce que ces points sont vérifiés lors des audits et peuvent créer des non-conformités, puis elles les respectent car elles comprennent qu’il en va de leur intérêt. Si leur responsabilité pour faute inexcusable est recherchée dans le futur, les entreprises peuvent apporter la preuve qu’elles ont mis en place les mesures de protection adaptées et considérées comme les bonnes pratiques de l’époque en présentant les fiches d’exposition. En revanche, les fiches d’exposition ne sont pas toujours établies pour les activités n’exigeant pas le recours à des entreprises certifiées, en particulier dans les petites entreprises intervenant en entretien, maintenance sur des matériaux contenant de l’amiante. 59

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Une extension du périmètre de la certification permettrait d’accroître le nombre de salariés disposant de fiches d’exposition même si l’exhaustivité ne sera jamais atteinte ou approchée. Remarquons que l’argument de la preuve en cas de procès pour faute inexcusable ne touche pas les très petites entreprises (TPE) en raison du fort turn-over de leurs salariés (citation d’un employeur TPE : « on ne pourra jamais prouver que c’est moi »). Comme nous le verrons plus loin, la base Scola centralise les résultats de contrôle d’exposition à l’amiante, dont ceux nécessaires à la réalisation des fiches d’exposition. En revanche, l’identification des salariés n’est pas saisie. Les laboratoires agréés ne sont pas favorables à cette saisie. Un système nominatif centralisé n’est pas envisagé aujourd’hui. Il permettrait un recensement des désamianteurs pour lesquels le système de fiches et d’attestations d’exposition fonctionne bien. Il serait beaucoup plus difficile à mettre en place dans les autres secteurs et métiers exposant à l’amiante et notamment dans les TPE du bâtiment.

2.2. Les outils de traçabilité collective ou indirecte Parallèlement aux outils et aux supports de traçabilité directe des expositions, il existe de nombreux outils de traçabilité indirecte tels que les bases de données ou les matrices emplois-expositions. Chacun de ces outils possède une large richesse de données mais concerne la plupart du temps certains risques et/ou branches professionnelles spécifiques. Ils ne sont donc pas toujours généralisables. Par ailleurs, ils sont rarement articulés entre eux. Pour ces raisons, ils ne permettent pas d’atteindre directement les objectifs généraux d’une traçabilité systématique. Néanmoins, ils peuvent alimenter une démarche de traçabilité plus globale. La base Colchic regroupe, depuis 1985, les résultats des mesures d’exposition professionnelle aux agents chimiques réalisées par les laboratoires de chimie des Carsat et Cram et par l’INRS lors de leurs interventions [16]. Il s’agit de mesures résultant de prélèvements et d’analyses de l’air sur les lieux de travail. C’est un outil de gestion et d’archivage géré par l’INRS au profit des laboratoires des Carsat et Cram. Chaque dossier d’intervention archivé dans Colchic comprend des informations codifiées qui permettent de mettre en relation le résultat de la mesure d’exposition avec différents critères : (i) secteur d’activité de l’établissement ; (ii) métier et tâches effectuées par les salariés contrôlés ; (iii) description des circonstances d’exposition (ventilation, procédé, type de lieu de travail, fréquence d’exposition…) ; (iv) description précise des conditions de prélèvement et d’analyse. Il convient également de préciser que Colchic 60

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ne permet pas d’assurer une traçabilité individuelle dans la mesure où le nom des salariés et le n° de sécurité sociale ne sont pas saisis. La base Colchic renferme actuellement 900 000 résultats pour 700 agents chimiques. Environ 120 000 résultats (15 %) correspondent à des mesures d’exposition à une centaine d’agents chimiques cancérogènes. Parmi les cancérogènes les plus fréquemment mesurés figurent : les métaux (Ni, Be, Cr VI…), le formaldéhyde, les poussières de bois, l’amiante, les solvants chlorés, les HAP, le benzène. Les données ne sont pas directement accessibles et exploitables par tout un chacun. Afin de diffuser largement ces résultats, l’INRS a développé les bases Solvex et Fibrex qui sont des extractions de la base Colchic et regroupent des données d’expositions professionnelles respectivement à des solvants et à des fibres organiques ou inorganiques. Elles sont disponibles sur le site web de l’INRS [17]. La principale utilisation des données Colchic correspond à des opérations d’évaluation des risques menées au niveau national, notamment avec l’Anses, ou plus rarement au niveau international : Carex, Wood Risk, Synergy… Depuis 2007, la base Scola développée et exploitée à la demande de la DGT centralise les résultats confidentiels des contrôles d’exposition à l’amiante [18]. À terme, les mesures d’exposition effectuées par des laboratoires accrédités, pour les agents chimiques ayant une valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) réglementaire devront être saisies dans Scola. Le système de codification des descripteurs d’exposition (activité, métier, tâche…) est identique à celui utilisé dans Colchic. Chaque année, l’INRS remet à la DGT un rapport circonstancié sur l’exploitation des données archivées dans Scola. Les laboratoires agréés sont également informés de cette exploitation qui permet de définir, entre autres, les secteurs ou métiers pour lesquels les niveaux d’exposition semblent préoccupants. L’objectif de cette base est de fournir une information objective et validée sur des situations d’exposition professionnelle afin de définir des priorités d’actions. Le caractère « objectif » de l’information recueillie reste à évaluer. L’utilisation à des fins de traçabilité collective de l’ensemble de ces données doit être faite en ayant à l’esprit qu’elles ne sont pas construites dans l’objectif d’être fidèle à l’ensemble de la réalité des situations de travail, à l’exception de certaines données recueillies lors de campagnes bien définies par l’INRS. Toutefois, elles peuvent être exploitées à des fins d’évaluation des expositions des travailleurs sous la maîtrise d’œuvre de l’INRS qui, en relation avec les laboratoires de chimie des Carsat/Cram, vérifie la représentativité et la qualité des données au cours du temps, notamment en prenant en compte l’évolution des performances des méthodes de mesurage. 61

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Evalutil est un projet coordonné par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et financé par le ministère du Travail et la CnamTS. La responsabilité scientifique est assurée par l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped). L’outil est composé de trois bases de données : deux bases documentaires, l’une concernant l’amiante et l’autre les FMA, et une matrice emplois-expositions concernant l’amiante uniquement [19, 20]. Les bases de données documentaires peuvent être considérées comme un outil de traçabilité collective indirecte dans la mesure où elles documentent les niveaux des expositions dans de nombreuses situations professionnelles qui y sont décrites. Les données compilées dans ces bases sont issues de la littérature scientifique internationale et d’observations de terrain, principalement réalisées par les laboratoires des Carsat et Cram. La matrice amiante quant à elle, comme toute matrice emploisexpositions, peut être considérée comme un outil de traçabilité. Une matrice emplois-expositions est un tableau croisé de données où les lignes représentent des emplois (combinaison entre profession et secteur d’activité) et les colonnes des paramètres d’exposition estimés le plus souvent par des experts en hygiène industrielle [21]. Afin de tenir compte des variations temporelles des expositions, certains emplois sont évalués selon des périodes historiques définies par une année de début et de fin. Pour chaque « emploi-période », les paramètres d’exposition fournis sont les suivants : proportion d’individus exposés dans l’emploi pendant une année au cours d’une période historique déterminée ; concentration moyenne de fibres sur une journée de travail pendant laquelle se produit l’exposition ; fréquence de l’exposition (proportion de journées de travail pendant laquelle l’emploi est exposé). Les évaluations réalisées dans la matrice amiante expriment des valeurs « moyennes » pour des emplois donnés. Elles s’appuient sur les données de la base documentaire amiante et également sur l’expérience et les connaissances des auteurs. Les données de la base documentaire sont en partie issues de la base Colchic décrite plus haut. Les limites évoquées précédemment doivent donc être gardées à l’esprit. Dans la même optique, le programme Matgéné de réalisation de matrice emploisexpositions en population générale, est un outil de traçabilité indirecte. Les matrices réalisées sont spécifiques d’une nuisance, et donnent pour toutes les professions et branches d’activité exposées, codées en nomenclatures françaises et internationales, des indices semi-quantitatifs de probabilité et de niveau d’exposition [22]. Ces matrices, appliquées aux données professionnelles de la population française (recensements, échantillons d’histoires professionnelles) permettent de suivre les risques professionnels sous des aspects très divers : prévalence d’exposition à une nuisance donnée, par région, tranche d’âge, secteur d’activité, dans une population malade… Ils sont mis à disposition des professionnels de terrain et des chercheurs sur un portail Internet dédié (portail Exp-Pro, ST1728). Dix-huit matrices réalisées dans le cadre de ce programme 62

Connaissance des expositions en milieu de travail 3

concernent : les poussières organiques (farine, céréales, cuir, bois) ou minérales (ciment, silice cristalline), les fibres minérales (laines minérales, amiante, fibres céramiques réfractaires), les solvants pétroliers et chlorés, et les produits phytosanitaires en milieu agricole (programme MatPhyto) [23]. Les nuisances pour lesquelles des matrices sont en cours ou envisagées sont essentiellement de nature chimique (six matrices pour les solvants oxygénés et une pour le formaldéhyde), mais le programme explore également les poussières de bois, une nuisance physique (le bruit) et une contrainte organisationnelle (le travail de nuit). De plus, une matrice MatPuf a été réalisée par l’Essat de Bordeaux, en collaboration avec l’InVS pour des particules ultrafines non intentionnellement produites. Le croisement de ces matrices avec les échantillons de population représentatifs de la population française permet de documenter les prévalences d’exposition à certaines nuisances suivant différents paramètres, voire, quand les données existent, de documenter la part de fraction de risque d’une pathologie attribuable à l’exposition professionnelle. Ces données permettent d’identifier et de suivre des populations exposées ciblées, et donc à risques, et contribuent à la surveillance de la santé des populations au travail d’une manière générale. À côté des matrices généralistes citées, il existe des matrices emplois-expositions spécifiques, propres à une entreprise ou un site industriel donné. Construites selon une méthodologie similaire à celles des matrices généralistes, souvent en combinant l’évaluation d’experts et les données d’exposition disponibles au sein de l’entreprise, ces matrices spécifiques servent davantage d’outil de reconstitution rétrospective de l’exposition dans des études épidémiologiques ad hoc. Focalisée sur une entreprise, la matrice spécifique permet une description plus détaillée et par conséquent plus précise des différents postes de travail et leur regroupement en fonction des conditions de travail et d’exposition homogènes dans le temps et l’espace. Il est également possible via ces matrices d’évaluer plusieurs types d‘exposition, voire les expositions associées pouvant être des facteurs d’interaction ou des facteurs de confusion potentiels dans l’étude de la relation entre l’exposition et la maladie ou la relation dose-effet. Par exemple, les matrices spécifiques des établissements de l’industrie nucléaire prennent en compte simultanément l’exposition aux divers types de composés uranifères et l’ensemble des expositions associées, notamment les CMR I et II, le travail posté, le bruit et la contrainte thermique [24-27]. Étant donné la fréquente mobilité du personnel entre les établissements de l’industrie nucléaire, il est important de disposer des matrices spécifiques pour chaque établissement, établies selon une méthodologie et une qualité des données communes. La combinaison de l’historique professionnel de chaque travailleur avec les matrices spécifiques des établissements où il a eu l’occasion de travailler durant sa carrière permet de retracer l’historique d’expositions et de le quantifier, afin d’analyser statistiquement l’effet de ces expositions sur la santé. Un volet spécifique du programme d’intérêt commun entre l’IRSN et le groupe Areva en épidémiologie a 63

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été dédié à la construction des matrices pour l’ensemble des établissements du cycle du combustible appartenant à Areva en France, afin de réaliser une étude nationale des travailleurs à risque d’exposition interne à l’uranium. Cette étude comptera environ 12 500 travailleurs repartis sur neuf établissements [28]. Dans cet exemple d’étude, les données individuelles d’exposition externe aux rayonnements ionisants proviennent à l’origine des archives dosimétriques puis, depuis 2005, de Siseri [28]. Cela illustre la convergence pratique de plusieurs sources de données d’exposition disponibles, ici dans un but scientifique, mais pouvant avoir des retombées organisationnelles et réglementaires. Citons par exemple la révision récente de la position de la Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants (CIPR) concernant la valeur limite de la dose au cristallin [29] sur la base des publications d’études épidémiologiques mettant en évidence le risque accru d’opacité cristallinienne radio-induite chez les cardiologues interventionnels [10]. En conclusion, l’ensemble des outils existants atteste d’une préoccupation croissante portée à la traçabilité des expositions professionnelles relevant aussi bien du législateur que de l’employeur, du médecin de travail ou des milieux scientifiques. En 2009, le constat dressé au regard de l’organisation générale de la traçabilité en France était assez critique [30], se résumant à quelques « expériences ponctuelles de recensement et de stockage des expositions professionnelles » et évoquant la lourdeur de l’arsenal règlementaire des mesures inscrites dans le droit, la juxtaposition d’obligations des différents acteurs sans véritable stratégie politique globale et l’inefficacité de ces obligations par manque de clarté mais aussi de contrôle de leur mise en œuvre et de sanction en cas d’abstention. Aujourd’hui, la loi vient de marquer un tournant en matière de répartition des responsabilités et des obligations de traçabilité systématique entre l’employeur et les services de santé au travail. Une homogénéisation et une modernisation des supports de traçabilité sont désormais engagées dans tous les domaines des risques rattachés au dispositif de pénibilité, cette traçabilité est devenue exemplaire dans le domaine des rayonnements ionisants. Malgré ce contexte politique et social favorable, de nombreuses questions restent à résoudre sur : (i) les difficultés techniques de mise en place des outils standardisés de recueil et de centralisation des données d’exposition ; (ii) les questions éthiques de conciliation du droit à la santé des salariés, de leur droit au travail et du respect de leur liberté individuelle, qui renvoient aux questions de l’utilisation, de l’accès et de la diffusion des données collectées ; (iii) le contrôle du respect de la réglementation sur la traçabilité ; (iv) enfin, les questions jurisprudentielles de la responsabilité de l’employeur et du médecin du travail puisque, menant à bien leur démarche de traçabilité ou s’abstenant, ils peuvent être sanctionnés civilement ou pénalement. Ces difficultés et enjeux pratiques, politiques, scientifiques et sociologiques sont parfois opposés mais ne doivent pas être occultés au-delà des objectifs principaux de la prévention 64

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primaire, secondaire et tertiaire. L’intérêt serait, sinon de faire converger ces différents enjeux dans une démarche de traçabilité, de faire en sorte qu’elle puisse être bénéfique à chacune des parties.

Remerciements Les auteurs tiennent à remercier pour leurs contributions scientifiques et rédactionnelles les membres du groupe de travail du colloque Prévenir les cancers professionnels de 2009 : Daniel Lejeune, Christine Boust, Anne Chevalier, Nathalie Guillemy, Michèle Guimon, Xang Le Quang, Ewa Orlowski, Éric Samson et Raymond Vincent.

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CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

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Gestion du risque dans l’entreprise

1. Repérage, suppression, substitution Jean-François Certin (expert) Comment les entreprises gèrent-elles le risque CMR ? La première étape, cruciale, est de bien repérer le risque. Dès lors qu’il est repéré, conformément aux principes de prévention inscrits dans la loi, article L. 4121-2 du Code du travail, l’employeur doit remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux. Pour les cancérogènes, cela revient à supprimer l’agent cancérogène ou le procédé de travail dangereux, ou, à défaut, à utiliser un produit ou un procédé non classé cancérogène. Quand ce n’est pas possible ou pas encore réalisé, l’entreprise doit réduire les expositions au plus bas. Des mesures organisationnelles complètent ces actions. Il s’agit de la formation et de l’information du personnel, des contrôles des expositions du personnel, des contrôles de l’efficacité des dispositifs de prévention en place, de la traçabilité des expositions. Ces éléments contribuent à mettre en place un suivi médical professionnel et un suivi post-professionnel adaptés. Les entreprises, dans la mesure où elles engagent une démarche d’évaluation du risque cancérogène, ont, le plus souvent, besoin d’être accompagnées, de disposer de documents méthodologiques ou d’aides pratiques, les compétences internes à l’entreprise en hygiène industrielle étant le plus souvent limitées, voire absentes dans les TPE et nombre de PME. Cette gestion du risque nécessite des moyens propres mis à disposition 68

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et une volonté de faire avancer les choses. Les partenaires de prévention des entreprises (Assurance maladie, inspection du travail, services de santé au travail…) proposent des prestations en ce sens. Dans ce contexte, la branche AT/MP de la Sécurité sociale a inscrit en 2004 dans ses priorités la prévention des cancers professionnels et elle a engagé une action coordonnée de l’ensemble des vingt caisses régionales, Carsat/Cram/CGSS, à destination des entreprises. Pour la période 2009-2012, un programme coordonné de suivis d’établissements, dans le cadre des actions de conseil et de contrôles des services prévention, a eu pour objectif de soustraire 50 000 salariés au risque. Des démarches similaires ont été menées par certains services de santé au travail. En fait, les soustractions au risque ne sont réelles que s’il y a suppression du risque par abandon du procédé ou du produit cancérogène, ou substitution par un procédé ou un produit non cancérogène. Pour autant, dans le cadre de ce programme, ont été aussi considérés soustraits les salariés exposés à des cancérogènes non substituables (les fumées de soudure, les poussières de bois, les émissions diesel…) dès lors que des mesures de prévention optimales avaient été prises, réduisant de façon très significative leur niveau d’exposition et par conséquent leur risque, même si nous savons que, pour la majorité des cancérogènes, il n’est pas établi de seuil au-dessous duquel le risque n’existe plus. L’action coordonnée par la CnamTS des Carsat/Cram/CGSS a concerné 5 087 établissements où 73 134 salariés ont été repérés exposés à au moins un agent cancérogène. Fin 2012, globalement 46 432 salariés ont été considérés soustraits au risque, soit près de deux sur trois. Pour 10 % des établissements, les actions de prévention étaient toujours en cours, cela étant dû au temps nécessaire à l’entreprise pour mettre en œuvre concrètement les mesures de prévention, en particulier pour les dispositifs de ventilation des postes de travail et les actions de substitution les plus complexes. Pour 5 %, il y a cessation ou transfert d’activité, cela incluant parfois le transfert du risque dans une autre entreprise non identifiée. Ce bilan montre que la prévention progresse, mais de façon partielle. L’engagement des entreprises, la volonté de leurs directions, sont des éléments incontournables pour que la prévention se mette en place efficacement et de façon pérenne.

1.1. Repérage Dans toutes les branches d’activité, des agents ou procédés cancérogènes sont présents. Certains secteurs (métallurgie, BTP, filière bois) sont particulièrement concernés : ils ont représenté environ les trois quarts des établissements suivis par les Carsat/Cram/ CGSS. Les agents cancérogènes sont très divers : plus de 70 agents ou regroupements d’agents cancérogènes ont été répertoriés. Dans la métallurgie, les principaux sont les fumées de soudage, 805 fois sur 2 755 suivis d’entreprises, le chrome hexavalent 69

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235 fois, les composés du plomb 194, les émissions diesel 154, la silice 143, le trichloréthylène 132 et le toluène 105. Dans le BTP, les poussières de bois ont fait l’objet de 413 suivis sur 1 340, les fumées de soudage 178, la silice 173, les fumées de bitume 108, les composés de plomb 103. Ce repérage réalisé par les agents des Carsat/Cram a été l’occasion d’informer les entreprises sur les sources d’information à utiliser. En particulier, s’il s’avère que, au travers de l’étiquetage et des fiches de données de sécurité, le repérage des cancérogènes classés par l’Union européenne, substances ou produits, est relativement facilement réalisé, il l’est beaucoup plus rarement pour les substances et procédés uniquement classés par le CIRC. Cela est particulièrement flagrant pour les poussières de silice et les émissions diesel, cela l’est aussi dans une moindre mesure pour les fumées de soudage. Le caractère cancérogène des poussières de bois semble, lui, globalement connu. Pour aider les entreprises, les services Prévention des risques professionnels des caisses et l’INRS ont réalisé des fiches d’aide au repérage, Far. Chaque Far est rédigée pour une activité donnée, par exemple garage de réparation automobile. Pour chaque phase de travail, par exemple réglage moteur, on mentionne le (ou les) agent(s) cancérogène(s) présent(s) ou susceptible(s) d’être présent(s), en précisant s’il s’agit d’un cancérogène avéré ou suspecté et la probabilité qu’il faille le prendre en compte, présence certaine, très probable, possible ou exceptionnelle. Un commentaire de quelques lignes apporte quelques précisions sur les circonstances de présence et, le cas échéant, les pistes de substitution du risque. Cinquante-quatre Far sont téléchargeables aujourd’hui sur les sites de l’INRS et des Carsat/Cram. Ces fiches servent aujourd’hui tant aux entreprises qu’aux préventeurs, médecins du travail, IPRP… Bien sûr, de nombreux autres documents ont été élaborés par des services de santé au travail (par exemple, Pôle santé travail Métropole Nord), des Direccte, des organismes (par exemple Institut national du cancer, fiches repères), des associations (par exemple Ligue contre le cancer) pour aider les entreprises et les salariés à repérer ces risques. Les repérages les plus difficiles se situent dans les produits naturels ou les matériaux, y compris pour ceux en place. Des analyses sont nécessaires pour déterminer la teneur en silice cristalline, il en est de même pour la présence de fibres d’amiante, voire de fibres céramiques réfractaires. Concernant l’amiante, de nombreux outils d’aide sont disponibles (cf. www.amiante. inrs.fr) avec des fiches métiers. La réglementation impose d’exploiter le DTA, document technique amiante, avant toute intervention. Ce document regroupe la localisation des matériaux directement accessibles contenant de l’amiante, l’enregistrement de l’état de conservation de ces matériaux, l’enregistrement des travaux de retrait et de confinement effectués, les consignes de sécurité établies (procédures d’intervention et d’élimination des déchets), une fiche récapitulative. La mauvaise qualité du DTA, voire son absence, sont encore trop souvent à déplorer. 70

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Lors du repérage, se pose parfois la question du seuil à partir duquel on doit prendre en considération le cancérogène. Les cancérogènes à l’état de traces nécessitent une évaluation du risque pour déterminer s’il faut ou non les prendre en compte. À titre d’exemple, le benzène doit toujours être pris en compte dans le carburant SP95 ou 98 (présence significative même si inférieure à 1 %), mais, à l’inverse, il ne le sera pas dans un xylène technique où il est présent à l’état de très faibles concentrations, inférieures à 0,01 %. Ces considérations techniques mettent en évidence qu’une personne sans compétence particulière ne pourra généralement pas faire un repérage complet.

1.2. Suppression/substitution Cette action de prévention doit être systématiquement étudiée. La suppression est la plus radicale. La substitution implique nécessairement de faire l’évaluation des risques associés au nouveau produit ou au nouveau procédé pour tous les types de risques : cancérogénicité, toxicité humaine en général, atteinte à l’environnement, incendieexplosion. La réglementation interdit l’usage d’un très faible nombre de cancérogènes, comme l’amiante ou comme le benzène dans les solvants. Pour appréhender l’action de suppression/substitution, l’entreprise doit examiner d’une façon à la fois très large et très précise l’usage du produit ou le procédé cancérogène dans son processus de fabrication ou sa prestation pour bien caractériser le cahier des charges auquel elle doit satisfaire. La solution recherchée sera pérenne si l’entreprise réussit à toujours satisfaire les exigences de ces clients. En réalité, il existe toute une gamme d’exigences, plus ou moins contraignantes. Les qualités anti-corrosion avec garanties à la clé font partie des plus exigeantes, en particulier dans le domaine de l’aéronautique, de la construction ou du nucléaire. Le moindre coût ne devrait pas être un critère de choix puisque la substitution des cancérogènes s’impose réglementairement dès lors qu’elle est techniquement possible. Dans la réalité, les considérations financières sont toujours prises en compte. Le surcoût de la substitution est souvent avancé a priori sans examen global et à moyen terme. La concurrence entre entreprises est également évoquée pour garder un produit ou un procédé ayant fait ses preuves, la substitution étant alors perçue comme une opération à risque fragilisant la compétitivité. En fait, la substitution est une innovation de l’entreprise. Ainsi, l’abandon d’un procédé dangereux peut devenir un argument marketing. Les pressings qui ont abandonné le perchloréthylène utilisent tous cet argument vis-à-vis de leur clientèle : pressings « écologiques ». Concrètement, la substitution fait jouer deux autres acteurs autour de l’entreprise : ses fournisseurs et ses clients. Les fournisseurs apportent des offres techniques, les clients 71

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précisent et valident le cahier des charges qui doit être respecté. Dans les cas les plus simples, c’est la suppression pure et simple d’une étape de fabrication comme l’abandon d’un dégraissage au trichloréthylène entre deux usinages de pièces métalliques qui s’avère à l’examen superflu. Parfois c’est toute une technologie qui est abandonnée au profit d’une autre, par exemple l’aquanettoyage en remplacement des nettoyages aux solvants organiques. Changer une fabrication qui donne techniquement et économiquement satisfaction est toujours une prise de risque, mais souvent ce risque est très faible voire nul. Aujourd’hui, la très grande majorité des laboratoires de prothèses dentaires ont abandonné les alliages au béryllium sans aucune conséquence économique négative et aucune remise en cause de la qualité des prothèses. Certaines entreprises doivent satisfaire à des cahiers des charges très spécifiques. La démarche de substitution doit alors être menée comme un projet sur des mois, voire des années. Cela passe par l’étude préalable du besoin, des différentes solutions envisageables, le choix des produits ou procédés à tester, le choix final et sa validation avec la prise en compte de tous les changements techniques et organisationnels que cela entraîne, en particulier, la formation des opérateurs. D’autres usages de produits cancérogènes sont typiques de certaines professions et des solutions de substitution possibles. C’est pourquoi des fiches d’aide à la substitution, Fas, ont été élaborées dans le même but que les fiches d’aide au repérage. Elles apportent une aide aux entreprises en leur indiquant que tel agent cancérogène dans tel type d’application peut être substitué. Les différentes solutions sont présentées avec un bref commentaire. Charge à l’utilisateur d’orienter son choix comme il l’entend. À titre d’exemple, des Fas ont été établies pour la substitution des électrodes de soudage TIG à base d’oxyde de thorium (type WT) émettant des rayonnements ionisants par des électrodes à l’oxyde de lanthane (WL) ou d’oxyde de cérium (WC). Trente-quatre Fas sont téléchargeables sur les sites de l’INRS et des Carsat/Cram/CGSS. Une autre source d’information est le site de l’Anses, www.substitution-cmr.fr, qui apporte des informations techniques et réglementaires sur les agents CMR et surtout des exemples de substitution, fournis par des industriels. Ces témoignages apportent la preuve concrète que des substitutions sont possibles. Un des arguments souvent mis en avant pour ne pas engager ou retarder la substitution des cancérogènes est la connaissance incomplète des risques liés à l’utilisation des nouveaux produits envisagés. Des précédents existent, telle la substitution de l’amiante par les fibres céramiques réfractaires durant les années 1980. Ces fibres furent finalement classées, dans les années 1990, cancérogènes pour l’Homme. Un soin particulier doit donc être apporté pour éviter cet écueil. Les classements UE et CIRC apportent un premier niveau d’information, mais un avis sur les connaissances toxicologiques les plus récentes est utile. L’INRS et l’Anses jouent un rôle d’alerte en ce sens. 72

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De nombreuses entreprises sont vigilantes à l’évolution du règlement Reach qui va conduire à l’interdiction ou la restriction d’usage de certaines substances qui seront alors soumises à autorisation sur dossier dûment argumenté. Beaucoup d’entre elles anticipent ces décisions « couperets » en engageant dès que possible la démarche de substitution. Quand elle est réalisée, certaines d’entre elles valorisent leur action en témoignant en public de l’avancée qu’elles ont réalisée. L’action menée par la branche AT/MP auprès de plus de 5 000 entreprises a permis de constater que certains cancérogènes sont substitués en forte proportion. Le trichloréthylène a été substitué à 78 %, le dichlorométhane à 68 %, contrairement à d’autres comme le formaldéhyde qui ne l’est qu’à 38 %. Des difficultés techniques, l’attente de solutions validées et économiquement pérennes, ainsi que le manque de volonté de certaines branches d’activité expliquent cette situation. Un changement de produit ou de procédé implique toujours des changements dans les pratiques de travail. La recherche de la solution alternative à l’usage d’un cancérogène sera d’autant plus efficace qu’elle associera le personnel concerné. Cela ira des raisons pour abandonner le produit ou le procédé en cours, à la concertation lors du choix des solutions alternatives possibles et à la validation du choix final. L’information sur les risques du nouveau produit et les dispositions de prévention à prendre est absolument nécessaire. Les changements techniques (mode opératoire) et organisationnels doivent être anticipés autant que possible. À défaut, les spécificités techniques attendues peuvent ne pas être au rendez-vous et l’organisation du travail en amont et en aval perturbée. Un examen dans les mois qui suivent ce changement est nécessaire pour s’assurer de la pérennité de la solution retenue. À titre d’exemple, deux entreprises dans le secteur des couvoirs ont abandonné le formaldéhyde au profit d’une même substance, l’une est revenue au formaldéhyde dans les six mois et l’autre a obtenu toute satisfaction avec ce changement. La première a été confrontée à des problèmes d’allergie à répétition et non la seconde. Les modes opératoires et la formation du personnel sont les éléments pour expliquer cette différence entre ces deux entreprises. La substitution est donc possible, mais elle nécessite toujours d’être étudiée avec beaucoup de soin.

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2. Conception d’équipements de travail Michel Pourquet, Jean-Raymond Fontaine, Éric Silvente (Département Ingénierie des procédés, INRS)

2.1. Principes de prévention appliqués aux CMR L’approche de prévention du risque chimique s’appuie sur les principes généraux définis dans l’article L. 4121-1 du Code du travail. Dans le cas particulier des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, ces principes généraux de prévention doivent être adaptés au caractère « sans seuil de dose » des effets de ces substances qui impose la recherche de niveaux d’exposition sur les lieux de travail les plus bas possibles. Cette spécificité fait l’objet d’un certain nombre de dispositions règlementaires dédiées (Dispositions particulières aux agents chimiques dangereux cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, articles R. 4412-59 à R. 4412-93). En particulier, après une phase de repérage et de hiérarchisation des risques liés à des agents CMR, la recherche, en premier lieu, de solutions de suppression ou de substitution est une obligation réglementaire (Sous-section 3 : Mesures et moyens de prévention, article R. 4412-66) et l’employeur doit pouvoir justifier de l’impossibilité technique de solutions de suppression ou substitution pour ne pas les mettre en œuvre. Par ailleurs, les mesures de prévention et les moyens de protection à mettre en œuvre par les entreprises lors d’opérations comportant un risque d’exposition à l’amiante sont encadrées par une réglementation spécifique (Section 3 : Risques d’exposition à l’amiante, articles R. 4412-94 à R. 4412-148) dont le décret du 4 mai 2012 définit les dernières dispositions applicables compte tenu des avis de l’Anses parus en 2009 sur la toxicité des fibres d’amiante et du rapport de l’INRS suite à la campagne Meta menée entre novembre 2009 et octobre 2010.

2.1.1. Substitution La notion de substitution ne se limite pas au remplacement d’agents CMR, elle recouvre également la substitution de procédés par des procédés moins dangereux. La substitution ne peut être envisagée que dans le cadre d’une approche globale intégrant les contraintes de procédé, l’impact sur les équipements et les postes de travail, 74

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les phases transitoires et de maintenance ainsi que les coûts de mise en œuvre. Il est bien évident que le critère de toxicité est essentiel dans le choix de la nouvelle substance. Certaines opérations de substitution se sont avérées être de « mauvaises » solutions en raison de la méconnaissance sur la toxicité de la nouvelle substance au moment du changement (par exemple, la N-méthylpyrrolidone a été largement utilisée en substitution de solvants de dégraissage, nettoyage, décapage ou de certains adhésifs jusqu’à son classement CMR reprotoxique de catégorie 2 en 2009). Exemples : substitutions du trichloréthylène par white spirit, chromate de plomb contenu dans les peintures par pigments organiques, remplacement de procédés de sablage de surfaces (silice) par des techniques de projection de grenaille d’acier ou d’autres produits abrasifs non siliceux (microbilles plastique), nettoyage/dégraissage de pièces à l’aide de biofluides… Lorsqu’il n’a pas été possible de supprimer ou de substituer l’agent CMR, les actions doivent porter sur la réduction des expositions en recherchant les niveaux les plus faibles possibles. Elles se traduisent en mesures techniques de prévention qui doivent être associées à des mesures organisationnelles, de contrôle des installations et d’information et formation des salariés. Les mesures techniques de prévention peuvent se décliner selon trois approches qui sont par ordre décroissant d’efficacité et donc de priorité : – suppression/réduction des émissions de polluants : travail en système clos, réduction à la source des émissions… ; – mise en place de dispositifs de protections collective : assainissement des lieux de travail par systèmes de captage des polluants à la source, encoffrement… ; – utilisation d’équipements de protection individuelle lorsque les autres mesures de réduction du risque ne sont pas suffisantes ou ne peuvent pas être mises en œuvre. Dans le cas des agents CMR, cette hiérarchie dans la recherche de solutions de réduction du risque d’exposition est règlementairement imposée par les articles R. 4412-61 à 70 du Code du travail.

2.1.2. Suppression/réduction des émissions de polluants Les systèmes clos (ou travail en vase clos) permettent de confiner totalement les polluants ou les procédés dangereux et d’éviter ainsi tout risque d’exposition pour les opérateurs. Ce confinement suppose la plupart du temps une automatisation des opérations émissives (remplissage, vidange, mélange, broyage, nettoyage…). Afin que la solution 75

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soit totalement efficace, toutes les étapes et phases du procédé doivent être considérées. En particulier, il ne faut pas négliger les opérations transitoires telles que nettoyage, maintenance, échantillonnage… Exemples : mélangeur mécanique dans un récipient fermé pour la préparation de peintures, encoffrement d’opérations d’usinage de pièces, robotisation d’opérations de peinture ou de soudage, manipulation de produits cytotoxiques dans un isolateur… Le confinement des opérations polluantes peut être rendu impossible par la dispersion des émissions (travaux extérieurs…) ou l’impossibilité d’automatiser certaines tâches (utilisation d’outils portatifs…). Certaines actions sur les paramètres de procédé ou opératoires peuvent cependant conduire à la réduction, de manière intrinsèque, de l’émissivité en agents dangereux. Cette approche suppose une analyse approfondie des mécanismes et paramètres influents sur la formation des produits, elle ne peut bien entendu être abordée que de manière globale en prenant en compte tous les autres aspects relatifs au changement envisagé : impact sur l’efficacité du procédé ou de l’opération, sur les postes de travail, sur les opérations de maintenance, sur l’environnement… Par exemple, dans le cas de produits volatils, la température de mise en œuvre est primordiale sur l’émissivité. Un abaissement de 10 degrés peut permettre de diviser par deux la tension de vapeur d’un composé et par là même le débit évaporé. L’humidité est un paramètre très influent sur la pulvérulence des poudres : des techniques d’humidification ou de pulvérisation réduisent de manière très significative la mise en suspension de poudre dans les atmosphères des lieux de travail. La sous-production de composés cancérogènes par les opérations de combustion peut également être notablement atténuée en agissant sur les paramètres tels que la température, le temps de séjour ou la stœchiométrie. Exemples : réduction des émissions de poussières lors d’opérations de découpage de matériaux (travail à l’humide par arrosage ou brumisation), diminution de la température de mise en œuvre de solvants, traitement à la source des émissions de fumées diesel, action sur certains paramètres de procédés de combustion pour réduire la production d’hydrocarbures aromatiques polycycliques…

2.1.3. Mise en place de dispositifs de protection collective Lorsque les voies précédentes n’ont pu aboutir ou pour les compléter, la mise en place de dispositifs d’assainissement de l’air doit être envisagée afin d’éviter la propagation des polluants dans les lieux de travail. Les dispositions règlementaires concernant la ventilation et le captage à la source des émissions dangereuses (articles R. 4222-10 à R. 4222-17) s’appliquent au cas des agents CMR. 76

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Ces textes prévoient des règles très précises pour les locaux dans lesquels sont émis des polluants sous forme de gaz, de vapeurs, de poussières ou d’aérosols liquides. Afin de réduire au maximum les concentrations en polluants, il est indispensable de combiner les techniques de captage des polluants au plus près des sources d’émission à celles d’une ventilation générale des locaux. Le captage à la source permet de canaliser les polluants émis vers une installation de ventilation et d’élimination, évitant ainsi leur diffusion dans l’atmosphère du local de travail. Il doit être positionné au plus près du point d’émission afin d’obtenir une efficacité maximale et de réduire les débits nécessaires. L’air pollué doit être épuré avant rejet. S’agissant de composés CMR, le recyclage est proscrit pour éviter tout risque supplémentaire d’exposition et minimiser les niveaux de concentrations dans les locaux. On distingue, par ordre de préférence décroissante, trois types principaux de dispositifs de captage : – dispositifs de captage enveloppant : un dispositif de captage enveloppant est un élément qui entoure le point d’émission de telle sorte que toute l’action dispersive initiale du polluant ait lieu à l’intérieur de celui-ci. Il est possible d’en distinguer trois types : les enceintes, les cabines fermées et les cabines ouvertes ; – dispositifs de captage inducteurs : au contraire des dispositifs enveloppants, qui contiennent la source de polluants, les dispositifs de captage inducteurs, placés à proximité de la source, doivent générer des vitesses d’air dans la zone d’émission pour entraîner l’air pollué à l’intérieur du réseau d’aspiration et de transport ; – dispositifs de captage récepteurs : les dispositifs de captage récepteurs, comme les dispositifs inducteurs, ne contiennent pas la source de pollution, mais sont placés à proximité. Toutefois, ils ne sont utilisables que dans le cas où les polluants sont entraînés spontanément vers le dispositif de captage par le processus de travail, le rôle d’un ventilateur se limitant à évacuer l’air pollué au fur et à mesure. La ventilation générale ne doit être envisagée qu’en complément aux dispositifs de captage. En effet, elle opère par dilution des polluants à l’aide d’un apport d’air neuf afin de diminuer les concentrations des produits dangereux pour les amener à des valeurs aussi faibles que possible, mais elle ne réduit pas la quantité totale de polluants émis dans un atelier. Exemples : captage à la source sur machines fixes ou portatives utilisées dans les secteurs du bois, de la fabrication et usinage de fibres céramiques réfractaires, de la fabrication de panneaux de bois, de la plasturgie…

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2.1.4. Utilisation d’équipements de protection individuelle Dans certaines situations particulières, les techniques de prévention décrites précédemment sont insuffisantes ou ne peuvent être mises en œuvre. C’est le cas notamment de certaines activités de maintenance, d’intervention dans des espaces confinés ou de travaux ponctuels en présence de composés très toxiques tels que l’amiante. Le recours à l’utilisation d’équipements de protection individuelle (appareils de protection respiratoires, gants, vêtements) s’avère être l’ultime solution pour garantir un niveau minimal d’exposition des opérateurs. Pour le cas des CMR, l’article R. 4412-75 du Code du travail prévoit cette possibilité sous réserve que toutes les autres mesures techniques aient été épuisées et que leur utilisation soit limitée pour chaque travailleur au strict nécessaire.

2.2. Exemple 1 : prévention de l’exposition aux poussières de bois, la démarche adoptée pour les machines portatives 2.2.1. Introduction À court et à moyen termes, l’exposition professionnelle aux poussières de bois peut déclencher des pathologies cutanées et respiratoires : eczéma, conjonctivite, rhinite, asthme, fibrose pulmonaire. À long terme, elle peut être à l’origine de cancers primitifs des fosses nasales, de l’ethmoïde et des autres sinus de la face. En France, la population exposée aux poussières de bois au cours d’activités professionnelles est supérieure à 310 000 travailleurs. Les maladies professionnelles associées sont reconnues au titre du tableau n° 47 du régime général de la Sécurité sociale et du tableau n° 36 pour le régime agricole. En moyenne, plus de 120 cas de maladies professionnelles liées aux poussières de bois dont 85 cancers sont répertoriés chaque année pour le régime général. Du point de vue réglementaire, les poussières de bois sont classées au niveau national sur la liste des procédés cancérogènes et le décret du 23 décembre 2003 fixe une valeur limite d’exposition professionnelle contraignante pour les poussières de bois de 1 mg ⋅ m–3 depuis le 1er juillet 2005. Des mesures de prévention renforcées sont imposées au titre du décret CMR du 1er février 2001 : évaluation des risques, substitution par un agent moins dangereux (rarement applicable pour le bois), travail en système clos et mesures de protection collective (captage à la source), formation du personnel, 78

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évaluation régulière de l’exposition (contrôle annuel de la VLEP), suivi des expositions, surveillance médicale… Dans ce paragraphe, seules les mesures de prévention technique, captage à la source des poussières, ventilation des ateliers et épuration de l’air chargé en polluant seront considérées. De mars à juin 2008, une campagne Poussières de bois a été initiée par le ministère du Travail et le ministère de l’Agriculture en collaboration avec la CnamTS, l’INRS et l’OPPBTP, dans le but de sensibiliser les professions au risque CMR et de contrôler l’application de la réglementation. Un questionnaire accompagné d’une notice explicative a été élaboré à cette fin. Les secteurs d’activité visés ont été choisis en tenant compte de l’importance des effectifs et de la connaissance disponible des niveaux d’exposition : la première transformation du bois (scieries, fabrication de panneaux de bois…), l’ameublement, le bâtiment (charpente, menuiserie, parquets, aménagements de magasins…), le commerce (vente et débit de bois), la construction navale de plaisance. Les données ont été recueillies directement dans les entreprises par les agents de l’inspection du travail et des services de prévention des Carsat. 3 105 établissements ont été visités. Les principales conclusions concernant la prévention technique sont les suivantes : – alors que 60 % des établissements ont toutes les machines fixes raccordées à un système d’aspiration centralisé, cette proportion tombe à 5 % dans le cas des machines portatives ; – la centrale d’aspiration et de traitement de l’air se situe à l’extérieur de l’atelier dans 70 % des cas pour les machines fixes et dans 40 % des cas pour les machines portatives ; – toujours concernant la ventilation, le dossier d’installation n’existe que dans 25 % des établissements ; ces équipements ne sont vérifiés annuellement que dans 25 % des cas également ; – enfin concernant l’exposition aux poussières de bois dans plus de 60 % des cas, il y a un dépassement de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP). Au terme de cette étude, les machines portatives apparaissent comme un point noir dans la prévention de l’exposition aux poussières de bois. D’un point de vue technique, trois aspects sont à considérer : les performances du système de captage de la machine, les performances du système centralisé d’aspiration et l’adéquation des deux éléments (y compris la facilité de raccordement). Une étude INRS conduite de 2005 à 2007 en collaboration avec la CnamTS, la Carsat de Bretagne et les organisations professionnelles (OPPBTP, Capeb) a permis de réaliser un état des lieux des performances de captage de ces équipements. 79

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Cette étude concernait trois types de machines (scies circulaires, défonceuses et ponceuses orbitales) pour lesquels les matériels de quatre fournisseurs ont été comparés : une quarantaine de configurations a été évaluée en laboratoire à l’INRS. Les principaux résultats font apparaître que : – une seule scie circulaire sur huit, équipée d’une lame plongeante, possède de très bonnes performances de captage. Dans la majorité des cas, la conception des capots de protection aspirants n’est pas efficace ; – les petites défonceuses présentent, globalement, de bonnes performances de captage ; en revanche, même avec des débits d’aspiration élevés, trois grosses défonceuses sur quatre génèrent des niveaux d’empoussièrement trop importants ; – trois ponceuses orbitales sur quatre possèdent des dispositifs de captage satisfaisants. Une seule machine était équipée d’un simple sac de collecte des poussières et ne pouvait être reliée au réseau à haute dépression, situation à proscrire ; la migration des fines particules à travers le sac a été mise en évidence. Un seul constructeur a pris en compte de manière efficace la prévention de l’exposition aux poussières de bois sur la quasi-totalité de son matériel. Des essais en entreprises ont été effectués pour évaluer l’exposition professionnelle de salariés utilisant les matériels les plus performants identifiés durant les essais de laboratoire. Les prélèvements individuels ont été réalisés sur 22 salariés de 13 menuiseries de bâtiment : fabrication de charpentes, de portes, d’escaliers… Les résultats montrent que, dans les situations où de bonnes pratiques professionnelles sont respectées – nettoyage fréquent des ateliers à l’aide d’un système centralisé d’aspiration, utilisation exclusive d’outils aspirants –, l’exposition professionnelle mesurée varie de 0,4 à 1,1 fois la VLEP de 1 mg/m3 pour les opérations de ponçage et de 0,6 à 1,3 fois la VLEP pour le sciage. Tous les résultats de l’étude sont conditionnés par le respect des débits d’aspiration recommandés pour chaque type de machine. Ces débits ne peuvent être assurés durant toute la période de travail qu’à condition d’utiliser des aspirateurs industriels performants et régulièrement nettoyés.

2.2.2. Actions entreprises • Informer les fabricants des pistes de progrès concernant la prévention des émissions de poussières des machines portatives à bois. 80

Gestion du risque dans l’entreprise 4

Pour chaque type de machine, des pistes de progrès ont été identifiées et communiquées aux représentants des fabricants de matériel (Fédération des entreprises internationales de la mécanique et de l’électronique ) : prévoir des dispositifs de captage plus enveloppants, améliorer la conception et l’implantation des buses ou orifices de raccordement de ces machines au réseau d’aspiration, normaliser les diamètres des conduits de raccordement au réseau d’aspiration, optimiser l’aérodynamique du dispositif de captage de la machine pour réduire les pertes de charge, renforcer la résistance mécanique des capots de la machine. • Réaliser une brochure d’aide à la rédaction d’un cahier des charges pour les installations d’aspiration de poussières pour des machines à bois portatives et pour le nettoyage. Le captage des poussières sur les machines portatives exige une installation d’aspiration spécifique, différente de celle destinée au captage des poussières sur les machines fixes. En effet, les machines fixes nécessitent la mise en œuvre des débits d’aspiration élevés (700 à 5 000 m3/h) dans des dispositifs générant des pertes de charge faibles, de l’ordre de 1 000 Pa. À l’inverse, le captage sur les machines portatives ne nécessite que de faibles débits (80 à 250 m3/h) mais avec des pertes de charge élevées de l’ordre de 10 000 à 50 000 Pa. L’installation d’aspiration à haute dépression comporte les éléments suivants pour lesquels des spécifications sont fournies dans la brochure : – les machines portatives elles-mêmes et les systèmes de captage intégrés pouvant être raccordés au réseau centralisé d’aspiration ; – des outils de nettoyage également raccordables au réseau ; – un réseau collecteur de conduits pourvu de prises de raccordement ; – une centrale d’aspiration et de dépoussiérage. Un chapitre concerne également les conditions de réception et de mesurage des débits d’air extraits au niveau de chaque machine. • Mettre au point et diffuser une méthode de mesure des débits des réseaux à haute dépression. Une méthode de mesure des débits d’air pour des réseaux à haute dépression a été élaborée et diffusée sous forme d’annexe à la brochure INRS ED 6052 Installations d’aspiration de poussières pour des machines à bois portatives et pour le nettoyage. Aide à la rédaction d’un cahier des charges. 81

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La particularité de ces installations est que la mesure est réalisée à une pression très différente de la pression atmosphérique (plusieurs kPa) et dans des conduits de faible diamètre (< 100 mm). • Conduire une étude nouvelle pour mettre au point une méthode d’évaluation des émissions des machines portatives. Les industriels de la profession sont confrontés au choix d’une machine sans avoir d’information sur les caractéristiques de celle-ci en ce qui concerne les émissions de poussières. En effet, les fournisseurs et les fabricants de machines électroportatives ne sont pas tenus actuellement d’informer les utilisateurs du niveau d’empoussièrement occasionné par leurs appareils. De plus, la directive machines reste vague au sujet des émissions de poussière et les normes européennes ne sont pas forcément réutilisables pour les outils portatifs. Les machines portatives font partie de celles qui sont le plus émissives et les systèmes de captage de poussières ne sont pas, dans la plupart des cas, dimensionnés efficacement. Une étude nouvelle portant sur les machines portatives et leurs systèmes de captage intégrés a été initiée par l’INRS en 2011. L’objectif est de développer une méthodologie pour la mesure des émissions de poussières de bois autour des appareils et pour caractériser leur dispositif de captage. Une méthode de mesure du débit d’aspiration et de la perte de charge est également intégrée à cette démarche. En parallèle du déroulement de l’étude, des travaux de normalisation sont entrepris pour imposer au minimum un étiquetage des machines avec une indication de la valeur du débit d’aspiration recommandé et de la perte de charge associée et pour uniformiser les valeurs des diamètres des conduits de raccordement au réseau d’aspiration. À terme, les retombées de l’étude devraient conduire à compléter l’étiquetage des machines en fonction des émissions de poussières qu’elles génèrent (classes A, B, C, D par exemple). • Conclure un nouveau partenariat entre les organisations professionnelles (FCBA, FNB, UIB), la CnamTS, la CCMSA, le ministère de l’Agriculture, le ministère du Travail et l’INRS pour améliorer le respect de la réglementation CMR dans les entreprises. Les résultats de la campagne de 2008 mettent en évidence une prise en compte partielle de la réglementation relative à la prévention du risque cancérogène des poussières de bois notamment dans les petites entreprises. Suite à ce constat, l’ensemble des acteurs concernés (pouvoirs publics, préventeurs, organisations professionnelles) a décidé de conduire des actions afin d’améliorer le respect, par les entreprises, de leurs 82

Gestion du risque dans l’entreprise 4

obligations. Il est prévu que les partenaires conjuguent leurs efforts sur la période 20122016 en vue : – d’améliorer, dans les entreprises, l’information et la sensibilisation aux dispositions relatives à la réglementation visant à la prévention des risques liés aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) ; – d’apporter un appui technique aux petites entreprises, d’une part, en matière d’évaluation des risques et, d’autre part, en matière de conception, de contrôle et de maintenance des installations.

2.2.3. Conclusions L’INRS et le réseau Prévention des risques professionnels de la Cnamts (DRP et caisses régionales) ont développé depuis de nombreuses années des travaux en prévention technique dans le but de réduire l’exposition professionnelle aux poussières de bois. Ces développements ont surtout concerné les machines fixes (mise au point de méthodologies de conception de capteurs, réalisation de prototypes, rédaction des guides pratiques sur la conception de la ventilation des ateliers de la seconde transformation du point, suivi de l’efficacité des dépoussiéreurs…). L’objet de ce paragraphe était de présenter les travaux récents concernant les machines portatives largement utilisées dans le secteur du bâtiment. Ces machines figurent parmi les plus émissives en poussières de bois. Une campagne de terrain a montré qu’elles étaient rarement connectées à la centrale d’aspiration et une étude INRS a mis en évidence leurs défauts majeurs : dispositifs de captage rarement efficaces, circuits aérauliques internes mal conçus créant de fortes pertes de charge et générant des bruits aérauliques trop importants, absence de normalisation des diamètres de raccordement au circuit d’aspiration centralisé. De nouveaux travaux sont actuellement en cours à l’INRS en vue de mettre au point une méthodologie d’évaluation des émissions de poussières de ces matériels. L’objectif à terme est d’obtenir une normalisation de ces équipements avec un étiquetage en vue d’informer l’utilisateur sur les niveaux d’émissions de poussières générés, le débit d’aspiration à mettre en œuvre et la perte de charge associée. Cette dernière information est nécessaire pour permettre à l’installateur de dimensionner la centrale d’aspiration adaptée aux machines connectées au réseau.

83

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2.3. Exemple 2 : prévention de l’exposition aux émissions diesel, une illustration de réduction à la source 2.3.1. Contexte D’après l’enquête Sumer 2010, la pollution diesel est la source d’exposition à un agent cancérogène la plus recensée chez les salariés, avec une population exposée estimée à près de 800 000 [3]. La réduction des émissions diesel est ainsi un enjeu majeur de prévention du risque cancérogène en milieu professionnel. En 2012, les fumées et gaz d’échappement diesel ont été reclassés de cancérigènes probables à cancérigènes certains pour l’Homme (groupe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Il estimait qu’il existait des preuves suffisantes de leur impact sur la survenue de cancers du poumon et potentiellement de cancers de la vessie. L’exposition à la pollution diesel est aussi à l’origine de pathologies cardiovasculaires et d’allergies respiratoires. Cependant, malgré cette toxicité avérée, aucune maladie professionnelle associée à l’exposition aux échappements diesel n’est, à l’heure actuelle, reconnue par les différents régimes de la Sécurité sociale française. Regroupée sous le terme générique « émissions diesel », la pollution diesel est en réalité un cocktail complexe de produits chimiques composé : – de gaz tels que les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone, le dioxyde de soufre, des hydrocarbures imbrûlés et des composés acides ; – de particules dotées d’une partie minérale avec un noyau carboné, des sulfates, des traces métalliques sur lesquelles sont adsorbées des hydrocarbures pour la plupart aromatiques qui constituent la fraction organique. Ces particules de tailles initiales variant de 10 à 80 μm s’agglomèrent pour aboutir à des agrégats dont la taille varie de 20 à 200 μm [4]. La nature du carburant, l’adjonction d’additifs, le type de motorisation ont un impact majeur sur la composition des émissions [9] et par conséquent sur leur degré de toxicité. Cette nature complexe rend d’autant plus difficile l’identification du rôle respectif de ces différents composants dans le caractère toxique des émissions diesel et par conséquent la définition d’un traceur permettant d’évaluer de manière pertinente les performances des solutions de réduction de la pollution diesel. Malgré ces limitations, le carbone présent dans la fraction alvéolaire des particules diesel est le traceur 84

Gestion du risque dans l’entreprise 4

actuellement considéré par la communauté des préventeurs. Il se décompose en une fraction organique et une fraction élémentaire. En l’absence de valeur limite d’exposition, l’INRS préconise actuellement de se référer à la valeur seuil de 100 μg/m3 de carbone élémentaire adoptée par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva). Basée sur un critère de masse, la valeur recommandée ne tient pas compte du fait que les particules les plus fines sont les plus toxiques de par leur pouvoir de pénétration dans les alvéoles pulmonaires. La pertinence du référentiel massique peut alors être remise en question. Les moteurs diesel équipent un très grand nombre de machines telles que des engins mobiles non routiers, des chariots automoteurs ou des groupes électrogènes. La quasitotalité des secteurs industriels se retrouve ainsi concernée par la pollution diesel. Les conducteurs d’engins et le personnel évoluant à proximité de l’échappement des moteurs sont plus particulièrement affectés par cette pollution dont les effets sont exacerbés en milieu semi-fermé (entrepôts, ateliers…) ou souterrain (galerie, tranchées…). Pour faire face à cette problématique d’exposition, les industriels doivent mettre en place des mesures de prévention adéquates conformément à la réglementation du travail, en privilégiant notamment la réduction de la pollution à la source. De telles solutions ont été développées et sont disponibles, commercialement aidées en cela par une réglementation environnementale de plus en plus contraignante. Dans la suite du document, cette réglementation sera rappelée de manière succincte et l’approche de cette problématique par deux pays dont la France sera décrite dans le cas de la pollution des engins mobiles non routiers.

2.3.2. Aspects réglementaires L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal réglementaire ayant comme objectif premier de lutter contre la pollution photochimique. Cet effort s’est traduit notamment par l’édiction de plusieurs directives fixant des calendriers de réduction des émissions des moteurs thermiques équipant les véhicules routiers. Épargnés dans un premier temps par ces mesures réglementaires, les engins mobiles non routiers ont plus récemment été concernés par ces évolutions. Ainsi, la directive européenne 2004/26/CE, amendement de la directive 97/68/CE, établit un échéancier de réduction des émissions de polluants par les engins mobiles non routiers en fonction de leur puissance (tableau 4.1). Par ailleurs, elle s’accompagne de procédures de vérification du respect des exigences en termes d’émissions. Cet objectif d’amélioration de la qualité de l’air à des fins de politiques de santé publique s’est révélé favorable à la préservation de la santé des 85

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salariés évoluant dans un environnement contaminé par la pollution diesel. Cependant, l’absence de référence au nombre de particules émises s’avère préjudiciable en termes de santé au travail et de santé publique. Cet aspect est d’autant plus regrettable que cet objectif de réduction du nombre de particules émises a été pris en compte par le législateur dans le cas de l’évolution des normes d’émissions pour les véhicules routiers et les véhicules utilitaires légers (hors poids lourds) à l’horizon 2014. Tableau 4.1. Réglementation des émissions des moteurs diesel pour les engins non routiers. Phase

Puissance moteur (kW)

Date d’application

CO (g/kWh)

HC+NOx (g/kWh)

HC (g/kWh)

NOx (g/kWh)

Particules (g/kWh)

130-560

31/12/2005

3,5

4,0

/

/

0,2

75-130

31/12/2006

5,0

4,0

/

/

0,3

37-75

31/12/2007

5,0

4,7

/

/

0,4

19-37

31/12/2006

5,5

7,5

/

/

0,6

130-560

31/12/2010

3,5

/

0,19

2,0

0,02

Étape IIIA

75-130

31/12/2011

5,0

/

0,19

3,3

0,02

37-75

31/12/2011

5,0

/

0,19

3,3

0,02

19-37

31/12/2012

5,0

4,7

/

/

0,025

130-560

31/12/2013

3,5

/

0,19

0,4

0,025

56-130

31/12/2014

5,0

/

0,19

0,4

0,025

Étape IIIB

Étape IV

2.3.3. Problématique diesel : un cas exemplaire de réduction à la source de l’émission Pour respecter des normes d’émissions de plus en plus sévères, plusieurs leviers ont été actionnés au travers de la nature et de la formulation des carburants, la technologie de motorisation ou la mise en place de dispositifs de traitement à l’émission. Certaines solutions permettent de respecter, par exemple, les seuils d’émissions en hydrocarbures ou en oxydes d’azote, mais peuvent s’avérer néfastes vis-à-vis de l’émission de particules fines. La mise en place de filtres à particules (Fap) est alors la seule solution actuellement disponible qui permet de réduire le nombre de particules émises. Elle est d’autant plus séduisante qu’elle peut être installée sur des engins neufs, mais aussi en post-équipement des engins existants. Le fonctionnement des Fap repose sur la capture des particules sur un média filtrant, particules qui sont éliminées ensuite durant une phase de régénération. Deux grandes technologies de filtres à particules sont actuellement disponibles : les filtres à régénération passive permettent d’éliminer en continu par voie chimique les particules de suie ; les filtres à régénération active sont dotés d’un dispositif de chauffe qui permet de déclencher la combustion des suies. Ces différentes solutions sont matures, mais plus ou moins bien adaptées aux engins mobiles non 86

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routiers, qui se caractérisent par un fonctionnement discontinu induisant une température de l’échappement dépassant rarement les 300 °C nécessaires à des régénérations fréquentes. Les filtres à particules permettent ainsi de réduire le nombre de particules à l’émission d’un facteur 10 000 (fig. 4.1).

concentration [cm–3]

108

avec filtre à particules

sans filtre à particules

107 106 105 104 103 102 10 régime ralenti faible à 1 160 tours par minutes

régime ralenti fort à 2 650 tours par minutes

régime établi à 1 500 tours par minute

régime établi à 2 430 tours par minute

Figure 4.1. Réduction de l’émission de particules lors de l’installation d’un Fap sur une chargeuse pour quatre régimes moteur [1].

2.3.4. Démarche adoptée par la Suisse En 1994, la Suisse s’est engagée dans un important programme de creusement de tunnels ferroviaires. En vue de réduire les risques associés à l’émission de particules diesel par les engins évoluant dans ces chantiers, la Suva a initié une expérience pilote intitulée Vert1. Cette expérimentation visait à tester différentes solutions de réduction des émissions. Les filtres à particules se sont ainsi révélés un moyen efficace de diminuer les émissions des particules diesel avec un taux de réduction estimé à 95 %. Sur la base des résultats obtenus, la Suva a rendu obligatoire en 2000 l’équipement en Fap de tous les moteurs diesel utilisés dans les tunnels. Fort des enseignements de ce projet, l’Office fédéral de l’environnement (Ofev), en association avec les industriels, les pouvoirs publics, les associations, les laboratoires de recherche et les organismes de contrôle, a bâti le référentiel Vert [7]. Basé sur une approche normative, Il définit les méthodes de tests et les exigences de performances que doivent respecter les filtres à particules. Une liste Vert de filtres à particules conforme à ce référentiel est ainsi disponible pour les utilisateurs et est régulièrement mise à jour. Les procédures ainsi définies incluent des essais en laboratoire sur les filtres à l’état 1. VERT : Verminderung der emissionen von Realmaschinen im Tunnelbau (réduction des émissions de machines réelles dans la construction des tunnels).

87

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neuf complétés par des mesures en exploitation après 1 000 heures de fonctionnement caractéristique. Actuellement, la réglementation suisse définissant les exigences imposées aux machines de chantiers en termes d’émissions stipule un seuil à ne pas dépasser de 1012 particules/ kWh, qui ne peut être respecté sans l’installation d’un filtre à particules efficace. Ce caractère obligatoire a ainsi permis d’équiper près de 100 % des engins de chantier en Fap, mais ce succès n’aurait pu être garanti sans un effort de réflexion approfondie sur la mise en place d’un outil ou d’une structure performants de contrôle, de certification, de conseil sur la maintenance et l’utilisation des Fap (fig. 4.2). Ce processus à permis de passer de plus de 100 Fap installés en 1990 à plus de 35 000 en 2012 [8]. Ordonnance générale 100 %

Nombre Fap

30 000

Différentes étapes durant deux décades de zéro à 100 % Guide chantier du FOEN

20 000

10 000

Travaux Initiatives des villes

1990

publics VERT pour tunnels 1995

2000

2005

2010

Figure 4.2. Évolution de l’implantation de Fap en Suisse [10].

2.3.5. Démarche de la Cramif et de l’INRS En 2006, la Cramif associée à l’INRS a décidé de mener une démarche visant à réduire l’exposition des salariés aux émissions diesel par les engins de travaux publics [1]. L’accent a porté en particulier sur la promotion des filtres à particules auprès des professionnels comme moyen de prévention en s’inspirant du retour d’expérience suisse. Les différentes technologies ont été évaluées sur plusieurs terrains d’opération, en coopération avec des fabricants de filtres, des producteurs d’engins et des utilisateurs (industriels du BTP, loueurs…). Cette démarche d’évaluation des techniques disponibles a permis de mieux cerner les limites de l’un ou l’autre des systèmes disponibles face aux conditions particulières de fonctionnement d’un engin non routier et à certaines spécificités françaises. En effet, jusqu’en 2011, les engins de chantiers et les tracteurs utilisaient du fuel à teneur en soufre élevée (< 1 000 ppm) et doté d’une fiscalité avantageuse. L’utilisation 88

Gestion du risque dans l’entreprise 4

de ce carburant s’est rapidement révélée rédhibitoire à l’utilisation de technologie de type filtration à régénération passive, largement répandue par exemple dans les flottes de bus urbains ou de poids lourds. Néanmoins, ce frein a été levé par l’obligation réglementaire d’utiliser un gazole non routier à basse teneur en soufre (< 10 ppm) en 2011, notamment pour les engins de chantiers. Les essais menés conjointement par la Cramif et l’INRS ont démontré que les filtres à particules permettaient au minimum une réduction globale d’un facteur 100 de l’émission en particules. Les filtres à régénération active sont les mieux adaptés aux engins de chantier. Cependant le maintien de leur efficacité dans le temps passe par une nécessaire information auprès des utilisateurs d’engins. Ces travaux ont abouti à la publication d’un guide à destination des industriels désirant s’équiper en filtres à particules. Il vise à les aider dans le choix et la mise en place d’un suivi nécessaire au maintien des performances dans le temps [2]. Malgré la maturité de ces technologies et les actions de sensibilisation conduites par le réseau prévention, leur déploiement dans les entreprises françaises est encore très largement insuffisant, en l’absence d’une réelle contrainte réglementaire.

2.3.6. Conclusion La prévention de l’exposition aux échappements diesel est un exemple probant de traitement à la source de l’émission. Les dispositifs tels que les filtres à particules disponibles sur le marché permettent ainsi de réduire à l’échappement le nombre de particules émises par les moteurs diesel de plus de 99 %. En Suisse, l’installation obligatoire de filtres à particules sur toutes les machines de chantier s’est accompagnée d’une mise en place de toute une filière incluant fabricants de filtres, constructeurs d’engins, organes de contrôle et de conseil. La France pourra largement s’inspirer de cette démarche pour aboutir à une mise en place généralisée de filtres à particules. Les moteurs diesel sont en constante évolution afin de réduire par exemple leur consommation de carburant ou leurs émissions. Il est ainsi nécessaire de réévaluer régulièrement la toxicologie de ces émissions et la pertinence du traceur utilisé pour quantifier l’exposition des salariés. Par ailleurs, le développement d’outils métrologiques portables ou embarqués permettant de contrôler l’efficacité de dispositifs de dépollution et d’avertir l’utilisateur d’un dysfonctionnement doit être poursuivi. Si les filtres à particules permettent de soustraire les salariés à la pollution en particules, l’adéquation des solutions de traitement des gaz d’échappement (NO2 par exemple) avec les engins non routiers doit être vérifiée. 89

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5.

6.

7. 8. 9. 10.

90

Bemer D, Subra I, et al. Émission diesel. Performances des filtres à particules pour engins non routiers. HST, 2010, ND 2323. Bemer D, Depay JP, et al. Guide pour le choix et l’installation d’un filtre à particules sur les engins de chantier. Cramif, Guide DTE 222, 2012, 35 p. (P2012-055). Cavet M, Léonard M. Les expositions aux produits chimiques cancérogènes en 2010. Dares Analyses, 54, septembre 2013. Courtois B, Le Brech A, et al. Moteurs diesels et pollution en espace confiné. HST, 2005, ND 2239. Directive 97/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1997 sur le rapprochement des législations des États membres relatives aux mesures contre les émissions de gaz et de particules polluants provenant des moteurs à combustion interne destinés aux engins mobiles non routiers, JO L 59 du 27 février 1998. Directive 2004/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 modifiant la directive 97/68/CE sur le rapprochement des législations des États membres relatives aux mesures contre les émissions de gaz et de particules polluants provenant des moteurs à combustion interne destinés aux engins mobiles non routiers. D’Urbano G, Mayer A. Liste VERT des filtres OFEV/SUVA. Systèmes de filtres à particules testés et éprouvés pour l’équipement des moteurs diesels. Ofev, 2007. Jordi B. Moins de suie de diesel, comment la Suisse a réduit ses émissions. Ofev, 2012. Matti Maricq M. Chemical characterization of particulate emissions of Diesel engines: a review. J Aerosol Science, 2007, 38:1079-1118. Mayer A. Les émissions diesel et l’efficacité des filtres à particules. Journée Émissions Diesel et santé au travail, Paris, juin 2012.

Gestion du risque dans l’entreprise 4

3. Prévention de l’exposition aux cancérogènes professionnels des personnels des entreprises extérieures Michel Héry (Direction des applications, INRS)

3.1. Contexte réglementaire Dans le cadre de l’évaluation des risques professionnels, une attention particulière doit être portée aux cancérogènes : nombre d’entre eux ne présentent pas de caractère toxique immédiat, mais à terme leurs effets peuvent être redoutables. Même si les chiffres des différentes estimations peuvent varier de façon significative, il s’agit au minimum de plusieurs milliers de décès annuellement en France qui résultent d’une exposition à un ou plusieurs cancérogènes, parfois plusieurs dizaines d’années avant le déclenchement de la maladie (3 000 décès tous les ans dus à l’exposition à l’amiante par exemple). Cette évaluation des risques revêt une importance et des modalités particulières dans le cas d’opérations réalisées dans un contexte d’intervention de travailleurs dans des locaux d’entreprises donneuses d’ordres. Dans ce cadre, des travailleurs d’entreprises extérieures (EE) sont appelés à intervenir sur le site d’entreprises utilisatrices (EU). Les modalités de ces interventions sont très variées. Il peut s’agir d’opérations ponctuelles, appelées ou pas à se reproduire de façon inopinée, ou bien d’interventions régulières dans plusieurs entreprises (opérations de maintenance particulières effectuées sur plusieurs sites industriels), voire d’une « externalisation sur site » d’opérations qui font partie intégrante du procédé ou qui lui sont connexes (maintenance, conditionnement, nettoyage, effectués à longueur d’année exclusivement par une EE, qui détache une équipe en permanence sur le site de l’EU). Chaque entreprise est bien évidemment tenue de procéder à une évaluation des risques, régulièrement actualisée, pour son propre personnel, qui doit être formalisée sous la forme du document unique. Cependant, l’intervention d’EE peut modifier de façon significative les données qualitatives et quantitatives d’exposition de tous les salariés présents sur le site, indépendamment de leur employeur et de leur statut : risques d’expositions croisées entre travailleurs intervenant simultanément et en parallèle, mais aussi risques d’interférences entre travailleurs, installations et procédés des différentes entités présentes sur le site, qui auront pour résultat de modifier significativement la cartographie des polluants présents sur les surfaces ou dans l’air. 91

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La réglementation a prévu cette situation en rendant obligatoire la réalisation d’un plan de prévention, établi sous la responsabilité du chef de l’entreprise utilisatrice, qui doit évaluer les risques résultant de l’intervention d’entreprises extérieures et prévoir la mise en place des mesures de prévention des risques qui en découlent [2]. Dans le cas particulier des opérations de bâtiment et de travaux publics et pour des chantiers clos et indépendants, au-dessus d’un certain volume de travaux, cette évaluation prendra la forme particulière d’un PGCSPS (plan général de coordination de sécurité et de protection des salariés), décliné par les entreprises participant au chantier sous la forme de PPSPS (plans particuliers de sécurité et de protection des salariés) [3]. Si les modalités de réalisation et de fonctionnement sont différentes, l’esprit est le même : il s’agit bien d’évaluer les risques résultant des possibles interférences entre travailleurs, installations et procédés et de mettre en place les mesures de prévention permettant de les prévenir. Pour autant, les deux réglementations sont exclusives : le choix d’application de l’une ou de l’autre doit être fait en fonction de différentes modalités (en particulier, l’existence ou non d’un chantier clos et indépendant pour la réglementation BTP). Dans le cas de l’intervention d’EE sur le site d’une EU, la réglementation prévoit un certain nombre de circonstances pour la formalisation par écrit du plan de prévention (volume annuel minimal de travaux, réalisation de travaux spécifiques ou exposition potentielle à certains produits particuliers, figurant sur une liste ad hoc). La présence de procédés ou de produits cancérogènes constitue un des éléments impliquant cette formalisation [4].

3.2. Principales dispositions de la réglementation dans le contexte particulier de la présence ou de l’utilisation de cancérogènes Comme on l’a vu précédemment, il s’agit pour le chef de l’entreprise utilisatrice de réaliser, ou de faire réaliser sous sa responsabilité, une évaluation des risques résultant de la coactivité de travailleurs de sa propre entreprise (EU) et des différents EE présents sur le site (y compris entre ces derniers). Si les modalités de la formalisation sont laissées à son choix, un certain nombre de dispositions s’imposent à lui : – il est responsable de la coordination des activités ; – à ce titre, il doit organiser la coordination de l’organisation et de la gestion des secours sur le site ; 92

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– il a également la responsabilité de l’évaluation commune des risques qui consistera par exemple en la comparaison des modes opératoires des différentes entreprises qui interviennent et en l’évaluation des risques correspondants en cas d’interférences des activités ; – chaque chef d’entreprise conserve la responsabilité de son propre personnel, y compris pour la prévention des risques professionnels ; – un devoir d’alerte s’impose à toutes les entreprises en cas de mise en évidence de dysfonctionnements chez d’autres acteurs, susceptibles d’entraîner des conséquences en matière de santé et de sécurité au travail ; – des actions d’information et/ou d’information doivent être prévues en direction du personnel des EE en fonction des risques particuliers du site : de la même façon, il est de la responsabilité des responsables des EE de faire en sorte que les mesures de prévention soient présentées au plus près de l’intervention aux équipes qui devront intervenir. S’agissant d’évaluation des risques, il importe d’insister sur le caractère permanent et continu de la démarche. Même si la réglementation prévoit la formalisation de la réflexion sous la forme d’un plan de prévention annuel, cette évaluation doit être continue et réalisée au plus près des différentes opérations entreprises. Des évolutions dans les installations, un changement dans un mode opératoire, la présence exceptionnelle d’autres entreprises, etc., peuvent modifier de façon ponctuelle ou permanente les conditions de réalisation d’une opération par rapport à la façon dont elle était considérée dans ce plan de prévention annuel ; il convient d’en tenir compte dans les conditions de réalisation de l’opération visée et dans les mesures de prévention des risques professionnels correspondantes. En d’autres termes, la fonction principale du plan de prévention annuel est d’organiser les règles générales de fonctionnement en commun, établies afin de limiter les risques liés aux interférences à travers l’élaboration de scénarios possibles, mais la dernière analyse qui conditionne une éventuelle évolution des mesures de prévention doit être effectuée au plus près de l’intervention visée. La réglementation sur l’intervention des entreprises extérieures prévoit par ordre de priorité les dispositions suivantes : – la suppression ou la substitution des cancérogènes ; – des mesures organisationnelles et l’intégration de la prévention des risques professionnels dès la conception des équipements afin d’éviter ou de réduire au minimum les risques d’exposition : par exemple, les zones dans lesquelles des cancérogènes sont utilisés doivent être d’accès limité, ou les équipements de travail doivent être conçus de telle façon que l’exposition des personnels de maintenance sera maintenue à un niveau très bas ; 93

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– l’utilisation de dispositifs de protection collective qui limiteront l’émission des cancérogènes dans les atmosphères de travail ; – en complément, l’utilisation d’équipements de protection individuelle (EPI) permettant de diminuer les niveaux d’exposition résiduelle après gestion par les équipements de protection collective ou en cas de carence ponctuelle de ces derniers. Elle impose également qu’une information et une formation appropriées soient délivrées aux travailleurs : tant sur les risques généraux liés à l’utilisation ou à la présence d’agents cancérogènes et les conséquences possibles sur la santé que sur les moyens de s’en protéger.

3.3. Les différentes modalités d’intervention des entreprises extérieures Cette question a déjà été évoquée brièvement. Elle est liée à un choix de mode d’organisation de la production de plus en plus présent au fil des années, même s’il ne s’agit pas d’une progression linéaire et que certaines entreprises ont fait le choix à un moment ou à un autre de revenir au moins partiellement en arrière : il s’agit du recentrage sur le cœur du métier. En d’autres termes, une EU dont la spécialité est la chimie confiera à des EE tout ou partie des tâches qui ne relèvent pas directement de son métier principal : le gardiennage du site, la maintenance et le nettoyage des installations, les approvisionnements, le conditionnement des produits finis, etc. Dans certains cas, cette externalisation des tâches peut aller assez loin dans la mesure où des activités comme le bureau d’études ou même l’établissement des plans de prévention peuvent être soustraités à des entreprises extérieures. Outre des raisons économiques (la rémunération des travailleurs des EE pouvant être inférieure à celle de travailleurs des EU, en particulier pour des raisons de rattachement à des conventions collectives différentes), cette sous-traitance peut permettre aux EU davantage de souplesse dans leur fonctionnement à travers ses aspects : – de spécialité : l’EU n’a, d’une part, pas besoin de développer des compétences dans des domaines dans lesquels les interventions sont rares sur son site et, d’autre part, ces compétences étant régulièrement utilisées dans les EE, on peut supposer qu’elles seront maintenues à un meilleur niveau ; – de capacité : à l’occasion d’opérations spéciales, comme des gros arrêts par exemple, l’EU peut mobiliser par l’intermédiaire d’EE des volumes de maind’œuvre supplémentaires uniquement pour la durée dont elle a besoin. 94

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Sans prétention à l’exhaustivité, si l’on veut établir une typologie simplifiée des activités exercées par les EE au sein des EU, on peut distinguer les situations suivantes : – les activités pérennes, intégrées dans les opérations de production des EU, mais effectuées par des travailleurs d’EE. Il s’agit par exemple d’opérations comme les approvisionnements, la logistique, le conditionnement, le gardiennage, la restauration… donc des opérations récurrentes, effectuées dans des installations pérennes : le statut du travailleur (EU ou EE) n’a pas vraiment d’importance. Une prévention des risques basée sur une bonne conception des équipements de travail, la mise en place d’équipements de protection collective et des règles d’organisation permettant d’éviter les occasions de contact entre polluants et travailleurs doivent être envisagées ; – d’autres activités pérennes, comme la maintenance ou le nettoyage, en ce qu’elles s’effectuent souvent sur des équipements complètement ou en partie démontés ou qu’elles ont un caractère mobile, ne permettent pas qu’y soit apporté le même type de réponse de prévention. En effet, la mise en place d’équipements de protection collective s’avère plus difficile (mais pas impossible). C’est donc le plus souvent une réponse en termes de masques qui est apportée pour protéger les travailleurs au niveau respiratoire. On verra plus loin les limitations de cette démarche. De même pour les autres EPI (vêtements, gants), il est important que les équipements soient choisis de façon à intégrer convenablement les spécificités et les risques particuliers (pénétration des solvants à travers les tissus par exemple) du chantier sur lequel les travailleurs interviennent ; – d’autres activités représentant un certain volume de travail qui interviennent régulièrement comme les arrêts périodiques dans l’industrie et qui représentent un véritable enjeu en matière économique (durée aussi réduite que possible de l’arrêt, mais aussi enjeux industriels lourds puisque la réussite de ces arrêts conditionne le bon fonctionnement du procédé). C’est dans ce contexte qu’intervient une population souvent relativement spécialisée, dont l’activité s’exerce sur des chantiers parfois éloignés les uns des autres, la contraignant à un certain « nomadisme professionnel ». Ces entreprises peuvent disposer de certains équipements de protection spécifiques. Se pose alors la question de leur capacité à les utiliser dans des installations souvent significativement différentes les unes des autres ; – enfin des interventions ponctuelles liées souvent à la survenue de pannes ou liées au procédé de travail lui-même, mais effectuées de façon épisodique, pour lesquelles il est rare que des moyens de prévention spécifiques aient été prévus.

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3.4. Spécificités de la prévention des risques cancérogènes dans le cas de l’intervention d’entreprises extérieures Les principales dispositions prévues dans la réglementation régissant l’intervention d’entreprises extérieures ont été listées précédemment. Il s’agit dans cette partie du chapitre de voir à quelles mesures concrètes possibles ces dispositions correspondent dans le cas de travailleurs confrontés à l’utilisation de procédés ou de produits cancérogènes. La réflexion portera bien sûr sur l’ensemble des travailleurs, indépendamment de leur statut (EU comme EE).

3.4.1. Suppression, substitution L’employeur doit procéder à la substitution de tout produit cancérogène chaque fois que cela est techniquement possible. On voit bien la difficulté d’application de cette disposition pour les EE quand le cancérogène est un composé lié au process ou s’il est présent dans les installations (amiante, fibres céramiques réfractaires, benzène ou hydrocarbures aromatiques polycycliques dans les produits pétroliers, peintures aux chromates et/ou au plomb utilisées il y a plusieurs décennies, voire plus récemment…). En revanche, il est indispensable pour l’EE d’avoir connaissance de la présence de ce cancérogène afin d’être en mesure de mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires. À ce titre, le rôle d’EU dans la transmission des informations en direction des EE est crucial : une parfaite connaissance de ses installations et des produits qui y sont employés demeure indispensable à l’EU pour qu’elle puisse assurer le rôle de coordination des activités qui lui revient. Quoi qu’il en soit, le fait que l’activité ait été sous-traitée à une EE ne dispense par l’EU de rechercher des solutions de substitution pour les composés cancérogènes qui subsistent dans les procédés qu’elle met en œuvre ou fait mettre en œuvre par d’autres. La logique de substitution devient plus opératoire quand le produit ou le procédé cancérogène sont directement associés à l’activité de l’EE. Pour autant, s’il est presque toujours possible de remplacer un solvant chloré par un autre produit non suspecté de cancérogénicité, quitte à modifier la façon de procéder, la tâche peut devenir plus difficile dans d’autres cas. Elle sera même impossible s’il s’agit, par exemple, d’opérations de soudage auxquelles il n’existe pas d’alternative. Dans l’hypothèse où l’EE identifie l’utilisation d’un produit cancérogène dans l’un de ses modes opératoires et souhaite procéder à une substitution, divers obstacles peuvent apparaître : – des spécifications techniques imposées par certaines EU ne permettent pas cette substitution ; 96

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– les contraintes économiques (en particulier dans le cas d’une durée de chantier limitée pour en réduire le coût) peuvent par exemple empêcher l’emploi d’un produit moins toxique mais d’action plus lente ou dont la mise en œuvre requiert un temps d’intervention trop long par rapport au cahier des charges. Le recours croissant des EU à la sous-traitance a eu pour effet de faire monter en ressources et en compétences les EE : dans certains cas, ces dernières sont devenues les dépositaires uniques d’un savoir-faire et d’une connaissance technique que les EU ont perdu au fil des années en n’effectuant plus le travail elles-mêmes. À ce titre, elles ont acquis un rôle prescriptif prééminent dans la définition des conditions de définition et d’exécution des travaux commandés. C’est, par exemple, le cas des travaux de nettoyage et de désinfection dans l’industrie agroalimentaire. Une étude de l’INRS menée auprès d’une EE, acteur majeur du secteur, a montré que, dans 80 % des cas, c’est cette EE qui est à l’origine de la conception des plans de nettoyage, responsabilité qui devrait normalement incomber à l’EU (et qui lui incombe juridiquement). Ce recours à l’EE, qui a développé un vrai savoir-faire dans cette activité et qui s’est dotée des moyens humains nécessaires, notamment en termes de capacité de réalisation des études préalables, a permis d’accélérer et d’amplifier l’abandon de la plupart des cancérogènes. Elle a su développer les techniques de nettoyage qui permettent l’abandon de ces produits (qu’elles aient recours à des agents physiques ou qu’elles soient basées sur la substitution). Pour autant, à cette substitution peuvent correspondre des contraintes supplémentaires : le produit de remplacement peut agir moins rapidement (c’est le cas de certains produits de substitution du formol) et demander un temps plus long d’application, ce qui se traduit par des besoins accrus en main d’œuvre. Il faut également tenir compte du mode d’organisation particulier de certaines EE. Le fonctionnement de ces entreprises, quelle que soit leur taille (qui peut dans certains cas atteindre plusieurs milliers d’employés) est souvent calqué, au niveau opérationnel, sur celui d’une PME, voire d’une TPE. Si des orientations générales sont prises au niveau des structures HSE centrales de ces entreprises, c’est bien au niveau des agences locales et par les acteurs de ces agences qu’elles sont déclinées plus ou moins fidèlement. C’est dire que des décisions de bannissement prises au niveau des directions centrales peuvent ne pas être suivies d’effet immédiat au niveau des agences (pour les raisons précitées de dispositions techniques ou de modes opératoires imposés par les clients ou d’efficacité d’action plus rapide d’un produit cancérogène par rapport à son substitut). C’est pourquoi certains groupes ont mis en place des listes limitatives de produits autorisés à l’utilisation que les agences ne peuvent se procurer qu’auprès de certains fournisseurs eux-mêmes référencés sur une liste fermée. 97

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3.4.2. Mesures organisationnelles et intégration de la prévention dès la conception On imagine bien la difficulté de limiter l’accès des travailleurs des EE aux postes exposant potentiellement à des composés cancérogènes : c’est parfois pour intervenir sur ces postes-là que leur présence est requise, en particulier pour les activités de maintenance et de nettoyage. Les logiques d’intervention à distance ou de robotisation des interventions trouvent pour l’instant rapidement leurs limites tant pour des raisons techniques que pour des raisons économiques. Elles peuvent néanmoins constituer une piste de développement. Parmi les principales pistes de développement actuellement identifiées figure notamment la prévention du risque amiante. En effet l’abaissement de la valeur limite d’un facteur 10 d’ici 2015, ainsi que la modification du système de numération des fibres avec intégration dans la méthode de comptage des fibres dites fines (à la faveur du passage à la microscopie électronique à transmission électronique) vont avoir pour résultat de rendre les conditions d’intervention des travailleurs en milieu amianté beaucoup plus restrictives [5]. Il y aura donc la nécessité de développer des méthodes de travail plus automatisées, voire robotisées. L’utilisation d’équipements de protection individuelle, habituelle dans le cas de l’amiante, se révélera probablement insuffisante dans certains cas pour garantir un niveau d’exposition compatible avec les nouvelles exigences. Le développement de ces nouvelles techniques de traitement de l’amiante pourrait avoir des conséquences pour la prise en charge d’interventions exposant potentiellement à d’autres cancérogènes à travers la mise au point d’autres équipements de travail. C’est cependant bien en amont de ces interventions, au niveau de la conception des installations, que se situe la solution la plus efficace pour diminuer le niveau des expositions professionnelles. C’est au niveau de la bonne « maintenabilité » et de la bonne « nettoyabilité » des installations et donc de leur conception qu’il faut faire porter l’effort principal. Trop souvent encore, les installations sont principalement conçues pour assurer la meilleure performance possible en production sans prendre en compte le fait qu’elles devront être maintenues et nettoyées régulièrement. En conséquence, on peut noter des carences dans l’accessibilité aux différents éléments qui les constituent, ou dans la facilité de leur démontage. Pourtant, la prise en compte en amont de ces paramètres permettrait de diminuer le niveau des expositions professionnelles, voire de les éviter complètement. Elle se traduirait aussi par des gains de temps significatifs, permettant ainsi de diminuer les durées des interventions et par conséquent les pertes de production liées aux immobilisations pour les arrêts de nettoyage et de maintenance. 98

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3.4.3. Protections collectives Les protections collectives conçues pour les phases de production ne sont le plus souvent pas opérantes pour des activités comme le nettoyage ou la maintenance. En effet, une des premières actions des équipes de l’EE quand elles interviennent pour effectuer ces tâches est de procéder aux démontages de ces équipements. On voit donc bien tout l’intérêt du développement d’équipement de protection collective pour la prévention des risques lors de ces opérations connexes à la production : des dispositifs mobiles d’aspiration de la pollution à la source par exemple, qui permettent de limiter l’exposition du travailleur avec une contrainte minimale pour lui. Venant en complément d’une logique de conception intégrant les phases d’arrêt et de maintenance, ils permettent de limiter les concentrations de polluants à proximité des voies aériennes supérieures des travailleurs. Dans ce cas également, l’exemple de l’amiante est éclairant. En effet l’utilisation de sacs à manches ou la mise en place de confinements dynamiques ont permis le confinement de la pollution par rapport au travailleur. Ces dispositifs constituent autant d’équipements de protection collective (utilisés simultanément, dans ce cas précis, avec des équipements de protection individuelle de bonne qualité, masques à ventilation assistée, voire à adduction d’air) dont on pourrait s’inspirer pour la prévention de l’exposition à d’autres composés cancérogènes. De fait, la crise de l’amiante a créé un climat particulier qui a souvent permis un relatif desserrement des contraintes temporelles et économiques pesant sur les EE au niveau de la passation des marchés, afin de leur permettre de respecter les obligations réglementaires particulières à ces activités. Or, plus que les capacités techniques à traiter la question de la prévention, ce sont souvent les critères économiques de la passation des marchés et la concurrence qui apparaissent comme des facteurs limitants pour un traitement efficace de la protection de la santé et de la sécurité au travail. En bonne logique, ce qui est possible pour l’amiante devrait également l’être pour d’autres cancérogènes non moins nocifs pour le travailleur, même s’ils n’ont pas bénéficié du même éclairage médiatique.

3.4.4. Protections individuelles La réglementation prévoit clairement que la priorité doit être donnée à la protection collective par rapport à la protection individuelle. Cette dernière n’intervient donc qu’en complément, dans la mesure où les performances des équipements de protection collective ne permettent pas de garantir un niveau d’exposition suffisamment bas, compatible avec le respect de l’intégrité du travailleur. L’exposition aux cancérogènes peut représenter un cas d’espèce dans la mesure où il est évidemment souhaitable de maintenir les 99

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expositions à ce type de produits à un niveau le plus faible possible, particulièrement pour les cancérogènes réputés ne pas avoir d’effet de seuil. Le choix de cette protection respiratoire représente donc un enjeu important. Il ne peut s’opérer qu’après la réalisation d’une étude spécifique visant à déterminer précisément la nature des polluants dont il faudra protéger le travailleur, et chose particulièrement importante dans le cas de l’intervention de travailleurs d’EE, les conditions précises dans lesquelles le travail sera effectué : contraintes posturales, intensité du travail à effectuer et donc du travail respiratoire qui devra être fourni par le porteur de l’EPI, etc. En effet, l’efficacité théorique de l’EPI sera diminuée en situation réelle, le plus souvent en raison des problèmes d’étanchéité au visage, liés à la forme de celui-ci, à la transpiration, au risque de mauvais ajustement, notamment en cas d’effort physique important : soit que les postures entraînent un déplacement, soit que le travail respiratoire à fournir soit trop important pour permettre au travailleur de maintenir ce bon ajustement. Le port d’équipements à ventilation assistée, voire à adduction d’air, permet généralement de résoudre une partie de ces contraintes même si la protection apportée n’est pas absolue. La protection individuelle des travailleurs ne doit évidemment pas se limiter au niveau respiratoire. Un soin particulier doit aussi être apporté à déterminer les modalités et la qualité de la protection cutanée (vêtements, gants), afin d’éviter que la peau ne constitue une voie de pénétration de la pollution du poste de travail. Les réticences liées au caractère relativement encombrant de ces équipements particuliers sont souvent levées par une bonne information sur le risque et une bonne formation au port. Il est de toute façon indispensable d’associer le travailleur au choix de l’équipement : un équipement trop inconfortable ou inadapté au travail effectué ou dont le travailleur ne comprend pas la nécessité ne sera pas porté ou ne le sera pas de façon efficace. Il convient également d’intégrer la modification de la vision et de l’appréhension du poste de travail liée à ce port ainsi que les éventuelles contraintes thermiques (dans un sens ou dans l’autre) lors de l’étude préliminaire. En résumé, le port d’un équipement de protection respiratoire, comme de tout équipement de protection individuelle, demande que soient réévalués la façon de travailler, ainsi que son intensité et ses rythmes.

3.4.5. Formation et information Tout personnel (membre d’une EU comme d’une EE) doit être formé au travail qu’il effectue. Il doit être également formé à l’évaluation critique des risques auxquels il peut être confronté lors de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Les articles R. 4412-86 et suivants du Code du travail précisent la nature des informations mises à 100

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disposition des travailleurs et les objectifs de la formation à la sécurité qui doit leur être dispensée en cas d’exposition potentielle à des agents cancérogènes. Cependant des carences ont été mises en évidence dans la pratique des entreprises. Elles tiennent notamment aux contraintes du « travailler ensemble » (EU + EE) en intégrant toutes les règles de santé et de sécurité. C’est cette capacité des EU et EE à procéder à des évaluations de risques communes intégrant toutes les entreprises et tous les risques, qui constitue à la fois l’enjeu majeur et le principal point faible actuellement. C’est à partir de ce constat qu’ont été conçus, sous les auspices de la Carsat de Normandie et de l’Union des industries chimiques (UIC) régionale, les stages organisés régulièrement à l’intention d’une EU et de ses EE. Ces stages revêtent une importance particulière pour la prévention des risques cancérogènes pour lesquels les mesures immédiates de prévention (pour lutter contre les risques de brûlures, d’accidents, de surdité…) sont souvent insuffisantes. Ils visent à mettre en place une démarche plus aboutie dans l’évaluation en commun des risques. La capacité à mener une réflexion intégrant les risques inhérents à l’activité des autres entreprises présentes sur le site et tenant compte des risques qu’on peut soi-même faire courir aux travailleurs d’une autre entreprise, nécessite de toute évidence un apprentissage, encore renforcé quand le risque est « invisible » comme c’est souvent le cas en présence de cancérogènes. Ces stages qui existent depuis près d’une dizaine d’années ont rassemblé plus de mille travailleurs issus de divers niveaux de l’encadrement (y compris l’encadrement de proximité). Leur existence a permis de structurer la réflexion commune. Au niveau des opérateurs, l’apprentissage du travail en commun sur le site ne peut pas non plus se limiter à donner une information générale sur les caractéristiques du site et les risques associés au travail qui y est réalisé, ni des indications sur les points de rassemblement, consignes d’évacuation… Le respect des dispositions prévues dans la réglementation suppose une information au plus près de la réalisation des opérations (présentation du plan de prévention et des consignes en découlant, au plus près géographiquement et temporellement de ces opérations). Elle doit permettre notamment de sensibiliser les travailleurs au risque CMR. L’invisibilité de ce risque en fait une priorité.

3.5. Traçabilité des expositions et surveillance médicale En application de l’article L. 4123-3-1 du Code du travail, l’employeur doit établir une fiche dite de « prévention des expositions à certains facteurs de risques professionnels » pour chacun de ses salariés exposé à un environnement susceptible de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé. 101

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Cette obligation, inscrite dans le dispositif mis en œuvre au titre de la pénibilité du travail, est venue se substituer à la fiche d’exposition prévue par les articles R. 4412-40 et suivants du Code du travail, désormais abrogés. Compte tenu des évolutions récentes et à prévoir concernant la gestion de la pénibilité, il est possible que ces dispositions évoluent. Ces évolutions sont plutôt susceptibles de toucher la lettre de la réglementation plutôt que son esprit. Le principe de la traçabilité des expositions a en effet été réaffirmé à plusieurs reprises, tant à des fins de prévention que dans une optique de réparation d’éventuels dommages à la santé. Pour les salariés d’EE exposés à des CMR, l’établissement de cette fiche par l’employeur renvoie clairement aux questions d’évaluation des risques et d’information apportée par l’EU, lorsque la présence de cancérogènes résulte de l’activité de l’EU. Elle renvoie également aux conditions habituelles d’intervention de ces salariés. En effet, lorsque les salariés de l’EE effectuent leur activité habituelle dans une EU déterminée, l’employeur de l’EE sera mieux à même d’apprécier et de tracer, au vu du poste occupé et de l’environnement de travail connu, une éventuelle exposition à un ou plusieurs CMR. Sur ce point, on rappellera que le diagnostic de l’exposition aux cancérogènes des travailleurs de l’EE, exerçant habituellement leur activité dans une EU comptant au moins 50 salariés, aura été réalisé par l’EU, celle-ci devant prendre en compte ces salariés pour déterminer la proportion de salariés exposés à des facteurs de pénibilité dans son établissement. En revanche, pour ce qui concerne l’activité des travailleurs des EE dont l’activité s’exerce sur les sites de nombreuses EU, la connaissance et la traçabilité des expositions aux différents cancérogènes se révèlent sans doute plus difficiles. C’est pourtant cette traçabilité réalisée au vu de l’évaluation des risques, réactualisée sur chaque site lors des différentes opérations confiées à l’EE, qui devrait permettre d’assurer au mieux la surveillance médicale des travailleurs des EE. Sur cette question de la surveillance, on soulignera qu’une coopération doit être organisée entre les médecins du travail des différentes entreprises concernées pour faciliter l’échange d’informations. D’autant que, même si le Code du travail prévoit que le médecin du travail de l’EE a accès aux postes de travail occupés par les travailleurs dont il assure la surveillance dans des conditions déterminées entre l’EU et l’EE, l’expérience montre qu’il ne se rend dans l’EU que très exceptionnellement.

3.6. Conclusion Il faut donner de la visibilité aux activités des EE pour qu’elles-mêmes puissent acquérir la connaissance suffisante sur les expositions auxquelles leurs personnels sont soumis 102

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et organiser la prévention adéquate. Cette disposition est particulièrement pertinente dans le cas de l’exposition à des produits cancérogènes puisque, le plus souvent, aucun élément particulier dans le travail effectué susceptible d’exposer à ces produits ne permet de les identifier comme tels. Cela passe en particulier par une meilleure organisation de ces chantiers, qui s’appuie plus précisément sur : – une intégration plus en amont (au niveau de la consultation) de la sécurité : il sera plus facile aux EE de mettre en place une politique de sécurité si elles peuvent l’intégrer à leur politique industrielle dès sa conception ; – une réévaluation en continu des conditions de réalisation des tâches effectuées par les EE qui permette d’adapter l’évaluation des risques au plus près de la réalisation des opérations : cette réévaluation passe en particulier par l’inclusion dans les bons (permis) de travaux d’un volet santé/sécurité qui implique qu’une réflexion (même rapide) sera conduite avant le démarrage des travaux ; – un meilleur encadrement des opérations par l’EU et des informations mieux ciblées sur les problématiques de travail auxquelles les EE sont confrontées quotidiennement au cours de leurs interventions. Cette approche plus systématique et plus complète de la prévention des risques professionnels est particulièrement importante dans le cas de l’exposition à des nuisances « à bas bruit » immédiat mais aux potentielles lourdes conséquences à moyen et long terme.

Bibliographie 1.

Imbernon E. Estimation du nombre de cas de certains cancers attribuables à des facteurs professionnels en France. Saint-Maurice, Institut de veille sanitaire, 2003, 28 p.

2.

Code du travail, articles R. 4511-1 à R. 4515-11.

3.

Code du travail, articles R. 4532-1 à R. 4532-98.

4.

Héry M, Guillemy N. Prévention des expositions aux cancérogènes. Les conditions d’intervention des entreprises extérieures. HST, 2012, 229:3-7.

5.

Romero-Hariot A, Eypert-Blaison C, et al. Évaluation des expositions aux fibres d’amiante en milieu de travail par microscopie optique à transmission analytique (Meta). International conference on monitoring and surveillance of asbestos related diseases. Espoo, 11 février 2014. Disponible en français sur : www.inrs.fr/accueil/recherche/etudes-publications-communications/doc/communication.html?refINRS=NOETUDE%2FC2013-118

6.

Guillemy N, Triopon S. Intervention d’entreprises extérieures. Démarche pour une mise en œuvre opérationnelle de la prévention. HST, 2013, 231:23-26. 103

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4. Prévention des cancers professionnels dans les filières déchets et recyclage Pierre Goutet (expert)

4.1. Introduction Les déchets et leur traitement représentent actuellement une part importante, et toujours croissante, de l’économie. Après un court rappel sur la définition des déchets et la gestion de ceux-ci, nous examinerons les problèmes généraux d’identification des cancérogènes dans les filières de traitement de déchets, leur prise en compte dans quelques filières types, ainsi que quelques situations problématiques. Cet article traite des cancérogènes au sens large, c’est-à-dire les cancérogènes de la classification européenne et ceux retenus par le CIRC, mais non des déchets radioactifs gérés spécifiquement par l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Il n’était pas possible dans le cadre de cet article de traiter de façon exhaustive les multiples filières d’élimination des déchets, nous nous sommes limités à quelques filières types, la méthodologie présentée pour celles-ci étant généralisable aux autres.

4.2. Principe de gestion des déchets 4.2.1. Aspects juridiques La gestion des déchets est encadrée par deux systèmes juridiques distincts, l’un relevant de textes relatifs à l’environnement, et issus de conventions internationales et de directives communautaires, l’autre relevant de textes du droit du travail, issus également de directives communautaires. Il s’agit en fait de réglementations dont les buts ne sont pas au départ comparables : – les textes relatifs à l’environnement visent à prévenir la production de déchets, à favoriser leur valorisation et leur recyclage et, ainsi, à réduire les risques pour l’environnement. L’atteinte de ces objectifs passe par la classification des déchets 104

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et le contrôle des circuits de traitement, la responsabilité de l’élimination du déchet incombant sans ambiguïté au producteur du déchet ; – les textes du droit du travail ont pour but de garantir la santé et la sécurité des travailleurs, en les soustrayant aux risques d’accidents et de maladies professionnelles. Ils mettent l’accent sur l’évaluation des risques pour la santé. La mise en œuvre de ces réglementations n’incombe pas aux mêmes acteurs : le respect de la réglementation environnementale est du ressort des pouvoirs publics, le respect de la réglementation du droit du travail relève de l’employeur. Il s’ensuit des niveaux de prise en compte différents de ces textes. Récemment, la politique de gestion des déchets a subi de profonds remaniements. Elle est désormais encadrée par la directive 2008/98/CE du Parlement européen, adaptée en droit français par l’ordonnance du 17 décembre 2010. Cette politique introduit une hiérarchie dans la gestion de déchets, privilégiant par ordre de priorité : – la prévention de la production de déchets ; – leur réemploi et leur recyclage ; – leur valorisation, éventuellement sous forme de valorisation énergétique ; – et enfin leur élimination définitive sous forme de stockage sécurisé. L’objectif est de réduire les quantités de déchets produits annuellement, et donc le gaspillage énergétique et les dégradations environnementales qui s’ensuivent.

4.2.2. Classement des déchets La gestion des déchets est organisée à partir de leur classification, qui présente un caractère obligatoire. Au départ, les déchets sont classés selon leur origine, par exemple : – déchets des ménages et des collectivités ; – déchets des entreprises ; – déchets de l’agriculture et de la sylviculture ; – déchets de la construction et de la déconstruction ; – déchets de l’automobile ; 105

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– déchets des activités de soins ; – déchets des équipements électriques et électroniques (DEEE). Ils sont ensuite répartis dans différentes catégories, prévues réglementairement selon la nomenclature des déchets. Ce classement tient compte de la dangerosité des déchets, ce qui détermine ensuite leur traitement. La réglementation distingue actuellement : – les déchets dangereux présentant une ou plusieurs caractéristiques bien spécifiées de danger ; – les déchets non dangereux ne présentant aucune caractéristique de danger spécifiée ; – les déchets inertes. À signaler aussi que les dernières dispositions sur les déchets (octobre 2010) permettent de différencier un sous-produit d’un déchet, le sous-produit faisant l’objet (entre autres) d’une utilisation certaine, donc échappant alors aux filières de traitement des déchets. Définition d’un déchet dangereux Un déchet est considéré comme dangereux s’il présente une ou plusieurs propriétés de danger : explosif, comburant, inflammable, irritant, nocif, toxique, cancérogène, infectieux, mutagène ou reprotoxique, écotoxique. Ces propriétés de danger sont énumérées à l’annexe I du décret du 18 avril 2002. Les déchets dangereux sont signalés comme tels dans la nomenclature des déchets (présence d’un astérisque). On constate ainsi que figurent bien dans cette catégorie les déchets qui contiennent des agents cancérogènes correspondant à la catégorie H7 : substance qui, par inhalation, ingestion ou pénétration cutanée, peut produire le cancer ou en augmenter la fréquence. La nomenclature des déchets classe aussi en déchets dangereux un grand nombre de déchets de composition imprécise, mais dont l’origine laisse à penser qu’ils peuvent être dangereux. Ces déchets sont regroupés en vingt chapitres, chacun correspondant à une origine bien précise : mines et carrières, agriculture, industries de transformation du bois, industries organiques… Définition d’un déchet non dangereux Entrent dans cette catégorie les déchets qui ne présentent aucune des caractéristiques de danger énumérées ci-dessus. 106

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Cependant, si l’on raisonne en termes de cancérogènes, un certain nombre de déchets considérés réglementairement comme non dangereux sont susceptibles d’en contenir. Il s’agit par exemple : – de déchets contenant des cancérogènes en faibles quantités, inférieures au seuil d’étiquetage ; – de déchets contenant des cancérogènes non repérés ; – de déchets contenant potentiellement des cancérogènes, mais non étiquetables, par exemple des déchets du BTP contenant de la silice cristalline ou du bois ; – de déchets contenant des cancérogènes néoformés, comme des nitrosamines dans des fluides d’usinage. Définition d’un déchet inerte Il s’agit de déchets inertes pour l’environnement ou pour la santé humaine. Comme dans le cas précédent, ils peuvent potentiellement contenir des cancérogènes (bois, silice cristalline). Ces déchets relèvent d’un simple stockage en Installation de stockage de déchets inertes (ISDI). À signaler que jusqu’à une date récente, il était possible de stocker en ISDI des déchets d’amiante liés, comme des déchets de broyage de chaussées. Ce stockage est désormais interdit depuis l’arrêté du 12 mars 2012.

4.3. Évaluation du risque cancérogène dans le traitement des déchets 4.3.1. Principe d’évaluation du risque cancérogène Tout traitement de déchet peut être décomposé en une succession de process unitaires : – production du déchet : sur le site du producteur ; – collecte et tri : entreprises spécialisées et centres de tri ; – traitement : sur le site du traiteur de déchets ; – valorisation/recyclage : sur plate-forme ou en usine ; 107

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– destruction du déchet : incinération et valorisation énergétique dans le cas de déchets dangereux, stockage du déchet ultime. Il faut donc procéder à une évaluation du risque cancérogène dans chacun de ces process unitaires, ce qui nécessite d’étudier les cancérogènes possibles : – dans les produits entrants ; – dans les produits sortants ; – dans les produits néoformés au cours du process. Comme indiqué ci-dessus, ces process n’ont pas lieu sur les mêmes sites, et ne font pas appel aux mêmes acteurs.

4.3.2. Collecte des informations sur les produits entrants L’évaluation du risque cancérogène dans n’importe lequel des process nécessite l’identification des cancérogènes en entrée. Dans le cas des déchets, et en attente de nouvelles règles d’étiquetage des déchets, l’approche habituelle utilisant l’étiquetage des produits et les fiches de données de sécurité est inapplicable, puisque ces documents ou informations n’existent pas pour les déchets. Il existe cependant un certain nombre de documents en partie utilisables pour une identification des cancérogènes dans un déchet, il s’agit du bordereau de suivi de déchets (BSD), obligatoire, et des documents descriptifs du déchet que le producteur fournit au traiteur qui accepte de le prendre en charge. Il faut rappeler en effet que c’est le producteur du déchet qui définit la dangerosité de celui-ci, et qu’il doit en particulier préciser si le déchet qu’il produit est susceptible de contenir des cancérogènes. Ces informations du producteur du déchet sont transmises au traiteur du déchet. Cependant il apparaît que les renseignements fournis par le producteur sont souvent insuffisants en termes de risque chimique, en particulier en ce qui concerne la composition du déchet. Le sujet a été étudié par Chollot en 2009 [1]. Il a comparé pour vingt catégories de déchets les évaluations de présence de cancérogènes que l’on pouvait établir à partir des informations recueillies auprès : – des producteurs ; – des traiteurs. 108

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Selon les résultats de cette enquête, plusieurs catégories de déchets sont bien caractérisées en termes de cancérogènes à la fois par les producteurs et par les traiteurs. Il s’agit : des solvants usés, des déchets de préparation chimiques, des dépôts et résidus chimiques, des déchets contenant des PCB et les déchets de bois (dans lesquels sont identifiés l’arsenic, le chrome VI, la créosote et les poussières de bois). Les résidus d’opérations thermiques sont bien caractérisés par les producteurs, mais moins bien par les traiteurs. En revanche, une vigilance particulière s’impose pour des déchets dont les degrés d’identification des CMR sont très différents entre les producteurs et les traiteurs : – les huiles usées ; – les déchets acides, alcalins ou salins ; – les dépôts et résidus chimiques ; – les boues d’effluents industriels ; – les matériaux mélangés et indifférenciés. C’est encore plus le cas pour d’autres catégories pour lesquelles l’identification commune des CMR est très faible (voire nulle) pour les producteurs et les traiteurs : – les déchets métalliques ; – les déchets de verre ; – les catalyseurs chimiques usés ; – les équipements hors d’usage ; – les résidus de tri ; – les résidus d’opérations thermiques ; – les terres et boues de dragage polluées. Il est important de noter que les informations obtenues auprès des producteurs de déchets ne recouvrent pas celles obtenues auprès des traiteurs. Les producteurs de déchets ont un bon niveau de connaissance des déchets qu’ils génèrent. En revanche, les traiteurs ne semblent pas avoir d’informations suffisantes concernant les déchets qu’ils doivent éliminer. Cela est d’autant plus grave qu’il s’agit de volumes importants. 109

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Ce manque d’information est en fait caractéristique de la filière déchets. Il convient donc d’utiliser une approche pragmatique pour évaluer le risque cancérogène dans le traitement du déchet et faire appel à la connaissance que l’on a de ce déchet et de sa provenance pour objectiver la présence de cancérogène. On trouvera de nombreux exemples de caractérisation des risques chimiques (dont les risques cancérogènes) dans les filières de traitement de déchets décrits par Savary et al. [2]. Exemples de cancérogène dans des déchets dangereux On trouve dans les déchets dangereux de nombreuses catégories de déchets, dans lesquelles il faut soupçonner la présence de cancérogènes. En pratique, il existe une forte probabilité de présence de cancérogènes dans les catégories suivantes de déchets (liste non exhaustive) : – les huiles noires (huiles de moteur et huiles industrielles) : celles-ci sont classées dans les déchets dangereux, du fait de la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques ; – les déchets de laboratoire : présence possible de nombreux produits chimiques, type solvants, réactifs, substances pures ; – les aérosols : présence possible de cancérogène comme le dichlorométhane ; – les déchets phytosanitaires ; – catégorie 05 01 08* goudrons et bitumes : présence de HAP ; – catégorie 06 07 01* déchets contenant de l’amiante provenant de l’électrolyse ; – catégorie 13 02 04* huiles de moteur, de boîte de vitesse et de lubrification à base minérale : présence de HAP ; – catégorie 02 01 08* déchets agrochimiques contenant des substances dangereuses ; – catégorie 06 13 02* charbon actif usé ; – catégorie 07 03 01* eaux de lavage et liqueurs mères aqueuses. Récemment, la filière de traitement des bois dangereux a fait l’objet d’une étude par P. Poirot et F. Clerc [3] qui ont pu mettre en évidence une exposition avérée des opérateurs de cette filière à différents agents cancérogènes (poussières de bois, benzo(a) pyrène et chrome VI). 110

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Exemples de cancérogènes dans des déchets non dangereux Les déchets peuvent contenir des cancérogènes en dessous du seuil entraînant leur classement dans les déchets dangereux. Par suite, des cancérogènes peuvent parfaitement être présents dans des filières de traitement de déchets non dangereux. Dans ce cas, la présence de cancérogènes est généralement ignorée aussi bien du producteur que du traiteur. Par exemple : – les métaux : présence possible de béryllium dans les déchets de métaux cuivreux (bronze, laitons) ; – les huiles alimentaires : présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ; – les huiles claires : présence d’HAP ; – les boues de station d’épuration industrielles (présence de métaux lourds).

4.3.3. Collecte d’information sur les produits néoformés Une démarche de repérage des cancérogènes lors d’un process quelconque nécessite l’identification des cancérogènes pouvant apparaître au cours du process, que l’on appelle généralement cancérogènes néoformés. Le traitement des déchets n’échappe pas à cette logique, des composés cancérogènes peuvent apparaître au cours du traitement de déchets pratiquement inoffensifs. En pratique, il s’agit le plus souvent : – de dégradations thermiques de matières ; – de réactions chimiques indésirables. Ces problèmes sont à traiter au cas par cas, en examinant attentivement les températures atteintes au cours des traitements thermiques.

4.4. Exemples pratiques de filières de traitement de déchets Le terme de filière est pris ici au sens large, du lieu de production du déchet jusqu’à sa disparition définitive. 111

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4.4.1. Génération du déchet La vie d’un déchet commence sur son lieu de production. Le producteur peut être une entreprise ou un particulier. L’exposition à un cancérogène contenu dans un déchet est possible dans le lieu même où il apparaît (atelier, carrière, lieu de soin, etc.), et concerne toute personne impliquée dans le process générateur du déchet. Exemples : – garagistes récupérant les huiles de vidange des moteurs, chargées en hydrocarbures polycycliques aromatiques ; – agents d’entretien collectant des big-bags sous des cyclones d’épuration de fumées ; – recyclage interne de sables usagés en fonderie ; – récupération de déchets formolés dans les laboratoires d’anatomo-pathologie.

4.4.2. Collecte et transport La collecte d’un déchet peut recouvrir des situations extrêmement différentes. On distingue en général les déchets des ménages et les déchets des entreprises : – les déchets des particuliers sont apportés en déchetteries, ou directement dans les UIOM, ou sont collectés au travers de filières REP ; – les déchets des entreprises sont en général collectés par des entreprises spécialisées, circulant dans les usines pour récupérer des résidus de fabrication, sous forme solide, liquide ou pâteux. Les exemples de collecte sont nombreux : – huiles alimentaires ; – fluides d’usinage ; – déchets verts ; – résidus. Dans certains cas, l’exposition aux cancérogènes peut être négligeable, voire nulle, si le déchet a été convenablement isolé à sa production, et si sa collecte ne nécessite pas d’ouverture de contenant. 112

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Dans d’autres cas, la collecte d’un déchet est potentiellement exposante, il s’agit par exemple de la collecte et de l’évacuation de liquides accumulés dans des fosses ou des citernes, et plus ou moins bien identifiés. Souvent les circonstances de production du déchet ne sont pas connues (dépôts anciens, fûts oubliés à vider…) et la présence d’un cancérogène ne peut pas, la plupart du temps, être exclue. Il faut remarquer ici que la collecte et le transport du déchet sont souvent réalisés par une entreprise, qui n’est ni le producteur ni le traiteur du déchet, et que cette situation conduit souvent à un manque d’information du collecteur sur la nature de déchet qu’il collecte.

4.4.3. Centres de regroupement et de tri Après collecte, les déchets sont en général transportés vers des plateformes de regroupement et de tri. Les déchets y sont triés, traités. L’exposition à des composés cancérogènes doit être envisagée lors de ces opérations, d’autant plus qu’à ce stade peuvent avoir lieu des opérations de regroupement de déchets, conduisant à des ouvertures de récipients, des transvasements et du reconditionnement. Une partie des déchets ainsi triés peut partir dans une filière de recyclage permettant leur valorisation.

4.4.4. Traitement avant valorisation Déchets inertes Ces déchets sont stockés en décharge spécialisée (ISDI). À signaler que ces décharges étaient autrefois autorisées à accueillir les déchets d’« amiante lié ». Cette notion n’existe plus désormais, et tous les déchets d’amiante doivent désormais être stockés en centre de stockage de déchets dangereux. Déchets non dangereux Certains déchets non dangereux doivent subir un traitement particulier avant d’être valorisés. Ainsi le tri des bouteilles en plastique en amont des usines d’incinération des ordures ménagères permet d’isoler les bouteilles en PET pouvant faire l’objet d’un recyclage dans des usines spécialisées. 113

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Cette dernière opération de recyclage peut faire appel à des composés du cobalt classés cancérogènes (cobalt). Déchets dangereux Les centres de traitement des déchets dangereux sont nombreux, ils correspondent au type de filière retenu pour le traitement du déchet, notamment les déchets entrant dans le cadre des filières REP. On peut citer (liste non exhaustive) : – les centres de démantèlement des DEEE : exposition au cadmium (composés du cadmium classés CLP 1B) et au plomb (CIRC 2B) ; – les centres de traitement des VHU (véhicules hors d’usage) ; – le traitement des déchets dangereux de type solvants : ces solvants, plus ou moins liquides ou pâteux, sont destinés à être incinérés et peuvent nécessiter un traitement destiné à permettre leur envoi dans des brûleurs de fours par exemple. Ainsi les solvants usés sont mélangés à des sciures et le mélange est expédié en cimenterie. Il existe donc dans ces usines de traitement de sciures et de solvants un risque d’exposition aux solvants et aux poussières de bois. Les déchets dangereux destinés à être enfouis sont aussi l’objet d’un traitement visant à les stabiliser. Ainsi les résidus d’électrofiltres d’incinération d’ordures ménagères (REFIOM) sont incorporés à un coulis argileux avant d’être enfouis, d’où un risque d’exposition aux poussières de REFIOM.

4.4.5. Transport Après le tri et le prétraitement, les déchets doivent être transportés vers les sites de traitement. Ici encore, exposition possible lors du chargement et du déchargement des contenants (produits liquides en particulier).

4.4.6. Centres de valorisation Valorisation des déchets non dangereux Ces déchets doivent être recyclés. Dans certains cas, ils doivent subir des traitements préalables. Au plan du risque cancérogène, deux problèmes se présentent : 114

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– des cancérogènes peuvent être présents dans le déchet non dangereux, mais non repérés, car en faibles concentrations ; – le traitement du déchet avant valorisation peut être à l’origine de cancérogènes. Parmi les exemples de valorisation de déchets non dangereux, on peut citer : – le recyclage des bouteilles de verre : ne semble pas poser de problème particulier au plan cancérogène ; – le recyclage des bouteilles de PET : utilisation possible de composés cancérogènes au cours du process ; – le recyclage des métaux cuivreux : présence possible de béryllium dans les alliages ; – la valorisation en technique routière : présence possible de silice cristalline ; – la valorisation de déchets de bois non souillés par des produits dangereux : exposition des opérateurs à des poussières de bois ; – la valorisation de déchets verts par compostage : apparition de mycotoxines. Valorisation des déchets dangereux Les moyens autorisés de valorisation des déchets dangereux sont en nombre limité. • Le traitement thermique (incinération) : les installations classiques comprennent en général un incinérateur, fonctionnant à des températures de 1 250 °C. Les produits entrants doivent être traités préalablement à leur incinération. Il peut s’agir : – de déchets solides, qui doivent être broyés (opération génératrice de poussières) ; – de produits liquides, reçus en citernes, auquel cas ils sont dépotés, stockés en cuve et injectés dans l’incinérateur ; – de produits pâteux, en vrac ou en fûts. L’installation doit permettre le traitement de ces derniers, qui passe par leur ouverture, puis leur vidange, et enfin le broyage des fûts vides. Rappelons que ces composés arrivent dans le centre de traitement sans signalétique particulière indiquant un éventuel caractère cancérogène. Par suite, l’exposition aux composés présents dans ces déchets, notamment aux cancérogènes doit être envisagée systématiquement, y compris pour l’entretien des installations et les fréquents nettoyages nécessaires. 115

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Les usines d’incinération comprennent aussi fréquemment une installation permettant le traitement des DASRI. Enfin, l’incinération produit des fumées, qui doivent être filtrées et traitées. Les poussières retirées des rejets d’incinération (REFIDI pour les déchets industriels) sont enfouies en décharge de classe 1. Exemple : l’exposition à des cancérogènes est avérée dans la filière de traitement des bois dangereux [3]. • La valorisation par co-incinération : les mêmes opérations de prétraitement que ci-dessus sont à envisager. • L’évapo-incinération.

4.4.7. Stockage Déchets dangereux Les déchets dangereux non susceptibles de traitement sont stockés dans des centres de stockage de déchets dangereux. Déchets non dangereux Les déchets non dangereux sont stockés dans des centres de stockage de déchets non dangereux. Il existe un risque d’exposition à des cancérogènes présents en faibles quantités lors de la manutention des déchets.

4.5. Prévention du risque cancérogène 4.5.1. Suppression La politique générale de prévention de l’exposition aux ACD, et en particulier aux cancérogènes, passe en priorité par la suppression du cancérogène. La récente politique de gestion des déchets, qui vise à supprimer le déchet chaque fois que cela est possible, s’inscrit parfaitement dans cette logique. Il convient donc en priorité de travailler à minimiser la production de déchets. Si cette politique n’est pas évidente à mettre en œuvre au niveau des particuliers, elle doit être privilégiée en milieu industriel. 116

Gestion du risque dans l’entreprise 4

Il est à remarquer que la politique de suppression des agents cancérogènes dans les entreprises conduit aussi à supprimer les cancérogènes dans les déchets.

4.5.2. Substitution La politique de substitution d’un déchet contenant un cancérogène par un déchet ne contenant pas ce cancérogène ne paraît applicable que dans un nombre limité de cas. En revanche, la substitution d’un procédé de traitement émissif par un traitement non émissif est envisageable.

4.5.3. Protection Si le déchet soupçonné de contenir un cancérogène ne peut être supprimé, il convient alors de prendre des précautions maximales pour son traitement. Les règles habituelles en la matière sont applicables.

Bibliographie 1. 2.

3.

Chollot A. Étude des composés cancérogènes dans les déchets dangereux. HST, 2007, 209:73-88. Savary B., Vincent R, et al. Caractérisation des risques chimiques professionnels de la filière de gestion de déchets : analyse a priori des risques potentiels. INRS, Notes scientifiques et techniques, 2004, n° 240, 120 p. Poirot P, Clerc F. Approche des risques chimiques dans le secteur du traitement des déchets de bois dangereux. HST, 2013, 230:37-53.

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De la perception du risque à sa prévention

1. Les travailleurs face aux expositions à des cancérogènes : perception et représentation. Influence sur les comportements de prévention Michel Héry (Direction des applications, INRS)

1.1. La banalisation des propriétés cancérogènes de l’arsenic À la demande de la Cram locale (aujourd’hui Carsat), l’INRS a mené il y a une quinzaine d’années, une action dans une entreprise de pyrométallurgie dans laquelle les travailleurs étaient susceptibles d’être exposés à de nombreux composés cancérogènes. Installations vieillissantes, procédés ayant subi de multiples évolutions pas toujours pleinement maîtrisées, difficultés économiques récurrentes, dialogue social difficile marqué par les résultats d’une étude épidémiologique ayant montré un fort excès de cancers pulmonaires dans la population de l’usine, tel était le contexte dans lequel s’inscrivait cette intervention menée sur plusieurs années. Il s’agissait notamment 118

De la perception du risque à sa prévention 5

d’identifier l’ensemble des polluants, les niveaux d’exposition, de proposer des modifications dans les méthodes et pratiques de travail permettant de réduire ces niveaux d’exposition, d’aider l’entreprise dans sa recherche d’équipements de protection individuelle (EPI), notamment des masques respiratoires, adaptés au caractère particulier du travail (souvent à proximité de sources de chaleur importantes) qui pouvait faire exister certains polluants sous deux formes : gazeuse et particulaire. L’entreprise traitait à la fois des minerais et des déchets, ce qui multipliait le nombre de polluants susceptibles de se retrouver dans les atmosphères de travail. Bien que la finalité du procédé soit de produire un métal particulier, la composition des minerais (et d’une partie des déchets co-traités) faisait que le polluant de loin le plus présent dans les atmosphères de travail était un coproduit également commercialisé par l’entreprise : le trioxyde de diarsenic. Les concentrations mesurées dans l’atmosphère de ce cancérogène avéré se situaient à des concentrations plusieurs fois supérieures à la valeur limite d’exposition pour la quasi-totalité des postes de travail, voire plusieurs dizaines de fois pour certains postes ou certaines opérations particuliers. Il est rapidement apparu aux institutionnels de la prévention impliqués dans l’opération (Cram, INRS, médecine du travail) que, compte tenu des niveaux mesurés (dans l’atmosphère et au niveau biologique) et de sa dangerosité (cancérogène, mais également irritant puissant ayant entraîné la déclaration de plusieurs cas de maladies professionnelles chez le personnel de l’entreprise ou d’entreprises extérieures), le trioxyde de diarsenic constituait la cible prioritaire d’une action de prévention. Afin d’avoir une vision globale de la situation de l’entreprise, le travail prévu de recensement des expositions a été mené à bien. Il a confirmé le diagnostic établissant que le trioxyde de diarsenic était le produit le plus préoccupant, mais il a également mis en évidence le fait que des expositions au plomb significatives, mais généralement inférieures à la valeur limite de l’époque, concernaient une partie non négligeable du personnel, en particulier celui le plus impliqué dans la partie pyrométallurgique du procédé. Il a donc été recommandé de mettre en place le suivi réglementaire pour les travailleurs exposés à cet élément. De façon très surprenante, cette « découverte » et ses conséquences réglementaires ont eu pour effet de modifier complètement l’attitude du CHSCT quant à la prévention du risque trioxyde de diarsenic. Le débat s’est immédiatement déplacé sur le sujet du plomb qui ne constituait pourtant pas une priorité pour les préventeurs institutionnels, pourvu que le nécessaire soit fait en matière de suivi des expositions et, de façon paradoxale, il est devenu très difficile, voire quasiment impossible, d’aborder la question de l’arsenic au cours des réunions. Toutes les tentatives visant à relativiser les risques (de très fortes expositions à l’arsenic vs des expositions « dans les normes » pour le plomb, qui n’a jamais été présenté comme cancérogène au cours des discussions) se sont dès 119

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lors heurtées à une fin de non-recevoir de la délégation des travailleurs revenant sans arrêt sur la nécessité de traiter prioritairement la question des expositions au plomb. Aucune explication à ce revirement n’a été trouvée. Quelques pistes d’explication ont été explorées sans parvenir à une réponse satisfaisante : – la nouveauté du risque plomb dont les travailleurs n’avaient pas conscience jusqu’à sa mise en évidence dans le cadre de l’étude, alors que le trioxyde de diarsenic était l’un des produits majeurs de l’entreprise (constitutif du minerai utilisé depuis des dizaines d’années dans le procédé) et à ce titre s’était banalisé au cours des années. Un suivi biologique des expositions à l’arsenic était d’ailleurs effectué depuis plusieurs années sans qu’il ait suscité de réels débats d’opportunité au sein des instances représentatives du personnel, non plus que les résultats ; – l’intérêt économique du trioxyde de diarsenic qui constituait un des sous-produits majeurs du procédé de fabrication : la forte expertise de l’entreprise (en grande difficulté économique) dans ce domaine était d’ailleurs identifiée par tous comme une des pistes possibles de pérennisation de l’activité par le biais du traitement de déchets arséniés ; – conséquence des deux éléments précédents : le déni du risque cancérogène. On peut en effet s’interroger sur la capacité des travailleurs à exercer leur activité dans un environnement identifié comme dangereux, surtout quand il s’agit de produits susceptibles de provoquer une maladie « pas comme les autres ». Les défenses mentales du type « Ça n’arrive qu’aux autres » ou « C’est une maladie qui se déclenchera dans 10 ou 20 ans » peuvent ne pas être suffisantes. Les travailleurs préféreront alors ne pas évoquer spécifiquement un composé qui fait partie de leur environnement quotidien depuis des années et pour lequel les méthodes de prévention, passant par une rénovation profonde du procédé de fabrication, n’étaient pas accessibles en raison de la mauvaise santé économique de l’entreprise. Il faut en plus rajouter le contexte d’un bassin d’emploi particulièrement sinistré dont l’entreprise était pratiquement le seul élément industriel et, en tout cas, le plus employeur ; – l’époque : cette étude a été conduite avant la crise sanitaire de l’amiante à une époque où les pensées et la parole ne s’étaient pas encore libérées, comme elles le feront dans la deuxième moitié des années 1990. D’ailleurs, s’il n’a pas été isolé dans l’étude épidémiologique consacrée à l’usine qui montrait un fort excès de cancers pulmonaires, il est probable que le risque amiante n’y était pas pour rien pour une activité pyrométallurgique marquée par le travail à la chaleur.

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1.2. Des règles administratives pour protéger contre l’utilisation de cancérogènes Dans cette société de propreté intervenant tant en milieu industriel que pour le nettoyage de bureaux, la décision a été prise d’interdire l’utilisation de tout produit cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction de catégories 1 et 2. Subsistent seulement, à titre transitoire, quelques produits contenant des composés de catégorie 3, dans l’attente de l’identification de produits de substitution d’un niveau d’efficacité au moins comparable. L’utilisation de ces produits est alors particulièrement encadrée et fait l’objet de mesures de prévention spécifiques. Ces décisions ont été prises au niveau de la direction centrale sur proposition du service interne de prévention des risques professionnels. Elles ont été ensuite communiquées aux différentes agences locales pour action, le mode de fonctionnement de ce type d’entreprise étant fortement décentralisé et organisé principalement par les différentes agences. Un bilan effectué quelques mois après la prise de décision a montré qu’elle n’avait eu qu’un effet marginal sur l’utilisation des produits proscrits, les agences mettant à profit la large décentralisation dont elles bénéficient en termes de gestion pour continuer à s’approvisionner. Il s’agit là d’une banalisation de l’utilisation du produit cancérogène (ou mutagène ou toxique pour la reproduction). Les considérations pour la santé humaine passent après la commodité d’utilisation ou les considérations économiques : le produit de substitution peut être moins efficace, ou plus coûteux, ou bien son utilisation implique un recours accru à la main d’œuvre et donc un prix de revient de la prestation plus élevé. Cet exemple ne fournit pas d’enseignement sur ce que peut être la perception et la représentation du risque de la part des travailleurs (dont on n’est pas certain que l’information leur ait été transmise) mais montre qu’au niveau de l’encadrement, le danger signalé n’est pas considéré comme susceptible de se concrétiser sous la forme de risques effectifs pour le personnel. Suite à ce dysfonctionnement, des dispositions ont été prises pour limiter les possibilités de commande des agences locales à un nombre limité de produits fournis par des fournisseurs identifiés.

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1.3. La perception des risques lors de l’élaboration des documents uniques d’évaluation des risques (DU) En 2006, une campagne de contrôle a été menée conjointement par l’inspection du travail et les services Prévention des risques professionnels des Cram (devenues Carsat) sur l’utilisation dans l’industrie de certains agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (trichloroéthylène, composés du plomb, chromates, phtalates, fibres céramiques réfractaires) [1]. Cette campagne était également plus particulièrement centrée sur la mécanique industrielle, la fabrication de peintures et la plasturgie. Sur 1 919 établissements recensés sur les critères d’appartenance aux catégories sélectionnées et de plausibilité d’utilisation de CMR de classe 1 ou 2, 904 utilisaient effectivement de tels composés. Parmi ces 904 établissements, 684, soit 76 %, avaient rédigé leur document d’évaluation des risques professionnels (DU), ce qui constitue une proportion analogue à celle qui était observée dans l’industrie française à l’époque. Cependant, seulement 54 % de ces 684 établissements avaient pris en compte l’utilisation des CMR dans leur évaluation. Cela équivaut donc à environ 60 % des 904 établissements utilisant des CMR, qui n’ont pas réalisé d’analyse des risques correspondant à cette utilisation ou qui, s’ils l’ont malgré tout réalisé, n’ont pas jugé utile de la formaliser. Il est bien sûr très probable qu’une partie des entreprises n’ayant pas fait figurer les risques CMR dans leur DU ont malgré tout réalisé des opérations de prévention des risques liés à l’utilisation de ces produits et que c’est plus en termes d’enregistrement que de prévention réelle que les défaillances se sont produites. Cette assertion se base en particulier sur le pourcentage des établissements ayant déclaré avoir essayé de mettre en œuvre une substitution des composés CMR qu’ils utilisent : plus de 60 % des établissements. Il n’en reste pas moins qu’on peut avoir des doutes sur le fait que la démarche globale et construite de prévention des risques liés à l’utilisation des cancérogènes ait été parfaitement construite. La revue de la littérature, à suivre, montre pourtant toute l’importance que revêt le fait de construire de façon cohérente l’articulation entre perception et représentation des risques, notamment cancérogènes, d’une part, et efficacité réelle des mesures portées par la politique de prévention de l’entreprise, d’autre part. Ces trois exemples (arsenic et plomb dans la pyrométallurgie, utilisation de produits de nettoyage et de désinfection contenant des cancérogènes malgré des instructions de prohibition, déphasage entre l’action de prévention spécifique des cancérogènes et son inscription « officielle » dans la politique de santé et de sécurité au travail de l’entreprise) montrent bien toutes les difficultés rencontrées dans l’articulation entre la perception des risques et la mise en œuvre des mesures de prévention.

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1.4. Le déni, l’euphémisation Ces pratiques de déni ou d’euphémisation des risques peuvent apparaître, on le voit, à tous les niveaux de l’entreprise. Elles ne sont pas spécifiques des cancérogènes : elles ont été décrites pour d’autres nuisances ou d’autres risques et peuvent concerner aussi bien les accidents du travail que les maladies professionnelles. Mias et al. [2] relèvent cependant un certain nombre de spécificités dans l’appréhension du risque cancer : – méconnaissance et objectivation du risque ; – questionnement de l’approche savante ; – mise à distance du risque.

1.4.1. La méconnaissance et l’objectivation du risque Tout d’abord, la banalisation du risque d’un produit utilisé abondamment, régulièrement, sans précautions particulières depuis de nombreuses années et surtout sans dommages constatables immédiatement. C’est probablement en partie à un phénomène de ce type auquel on a assisté lors des travaux de prévention menés dans l’installation de pyrométallurgie : il n’est tout simplement pas possible de venir travailler, si on ne prend pas de distance vis-à-vis d’un risque présent en permanence dans tout l’environnement immédiat. Mercieca et al. [3] insistent en particulier sur toute la difficulté qu’il y a, à tous les niveaux de l’entreprise, à aborder le sujet du cancer et à établir un lien possible entre maladie et travail : – les CMR entre omerta et communication maîtrisée : il est difficile dans l’entreprise de discuter d’un risque « invisible » qui, le plus souvent, ne touche pas les actifs ou, a priori, si c’est le cas, avec un temps de latence significatif ; – les solutions sont le plus souvent coûteuses et complexes à mettre en place. Donc les chefs d’entreprise peuvent être réticents à aborder le sujet pour lequel ils perçoivent la responsabilité qui est la leur, mais ils sont aussi conscients des difficultés qui les attendent dans la recherche de solutions. Le sujet y est plutôt abordé sous l’angle de la mise en place de dispositifs de protection, soit au niveau collectif, soit au niveau individuel. C’est, en particulier, le cas dans les activités de traitement de l’amiante en place. Cette activité a pour particularité, depuis le milieu des années 1990, de bénéficier d’une forte prescription réglementaire allant même jusqu’à la définition de modes opératoires particuliers (confinement des zones, humidification des matériaux, conditionnement des déchets, etc.) et jusqu’à 123

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l’orientation relativement précise du choix des dispositifs de protection collective (aspiration, ventilation, etc.) et individuels (masques à ventilation assistée, à adduction d’air, etc.). Même si un alignement de cette réglementation sur celle plus générale régissant la protection contre les risques cancérogènes a été opéré ces dernières années, cette prévention reste à bien des égards très spécifique et beaucoup plus précise dans sa formulation que les principes généraux s’appliquant aux autres cancérogènes (ou mutagènes, ou toxiques pour la reproduction) en général. Cette spécificité apparaît clairement dans une étude consacrée à la perception des risques sur ces chantiers de traitement de l’amiante en place [4]. À tous les niveaux de l’entreprise (encadrement, encadrement de proximité, opérateurs), la référence aux dispositifs de protection et en particulier les plus « visibles », les appareils de protection respiratoire (APR), est permanente. Elle conduit à deux attitudes majoritaires différentes : – une banalisation du risque : certains opérateurs en sont conscients, mais ne se considèrent pas pour autant en danger ; – une relativisation de ce risque liée, d’une part, à l’existence de cette réglementation stricte et, d’autre part, à l’utilisation permanente des APR, l’efficacité de ces derniers n’étant questionnée que sur des aspects relativement marginaux liés à des conditions particulières d’utilisation (forte humidité). Cette banalisation et cette relativisation sont d’autant plus étonnantes a priori qu’elles interviennent après des cycles de formation et de recyclage obligatoires de relativement longue durée, au cours desquels des informations sont données aux opérateurs sur l’efficacité relative des différents APR, rapportée à des valeurs limites d’exposition professionnelle qui se situent à un niveau extrêmement faible (et qui seront d’ailleurs encore abaissées fortement d’ici le 1er juillet 2015). Des modules spécifiques et des exercices sont pourtant prévus lors de ces formations (y compris les recyclages) insistant notamment sur la complémentarité nécessaire entre dispositifs de protection collective et individuelle, sur les facteurs de protection assurée par les APR comparés aux niveaux d’empoussièrement des atmosphères de travail et sur la nécessité d’une vigilance particulière et critique pour tout ce qui touche aux risques d’exposition à l’amiante. Autant d’éléments qui devraient limiter ces phénomènes de relativisation et de banalisation dont on voit pourtant qu’ils sont fortement à l’œuvre parmi les travailleurs enrôlés dans l’étude Il semble donc que malgré tous ces efforts faits pour amener les acteurs des chantiers à considérer l’amiante comme un risque majeur, différent des autres1 et qui ne doit 1. Même si un effort est fait en parallèle par les différentes instances chargées de la prévention en milieu de travail pour que des risques comme les chutes de hauteur ou de plain-pied, le risque électrique, le bruit soient toujours considérés comme des éléments majeurs et que l’évaluation des risques (et sa traduction concrète sous la forme du plan de retrait) ne néglige pas la prévention des accidents correspondants.

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en aucun cas être banalisé, l’enseignement ne soit pas toujours parfaitement efficace puisque des utilisations des équipements de protection individuelle (combinaisons, APR…) respectant faussement la lettre des recommandations et pas du tout leur esprit sont encore constatées sur des chantiers. On voit donc bien toute la difficulté de transmettre efficacement l’information pour d’autres cancérogènes qui ne bénéficient pas d’un appareil réglementaire aussi organisé et aussi formalisé que celui mis en place pour l’amiante et qui n’ont pas été l’objet d’une aussi forte médiatisation au cours des vingt dernières années.

1.4.2. Le questionnement de l’approche savante La toxicité des différents produits est réévaluée régulièrement par les différentes instances (dépendant par exemple, pour la santé au travail de l’Union européenne ou de l’Organisation mondiale de la santé) en fonction des travaux (toxicologiques, épidémiologiques, etc.) menés en permanence par les différentes équipes de recherche dans le monde entier. Ce processus de réévaluation est mené à intervalles plus ou moins rapprochés en fonction de la sensibilité des sujets, de l’abondance et du caractère novateur des différents travaux de recherche. Ces décisions de classement peuvent être différentes selon les instances. Elles sont parfois sujettes à controverse : certains résultats ou certaines études étant parfois remis en cause pour des questions de méthodologie ou d’interprétation des résultats, dans le cadre de débats purement scientifiques ou de controverses plus axées sur les aspects médico-légaux (reconnaissance de maladies professionnelles en particulier). La diffusion rapide de l’information via Internet a eu pour effet d’amplifier quelque peu ces modes de fonctionnement. Au bilan, dans les entreprises, la multiplication d’informations contradictoires ou au moins divergentes ne facilite pas les démarches de prévention puisqu’elle introduit du doute. Ces démarches de prévention sont souvent particulièrement difficiles puisqu’elles concernent des sujets comme la substitution ou bien la réduction des expositions potentielles à des niveaux très bas. Elles correspondent souvent à des investissements financiers significatifs dont ces incertitudes ne favorisent pas l’obtention. Ces phénomènes sont amplifiés par l’apparition des « marchands de doute » [5] dont le fond de commerce est la réalisation de synthèses d’études ou le financement de travaux scientifiques dont les résultats contrediront (dans un sens positif ou négatif) les conclusions du point de vue majoritaire de la communauté scientifique. Il ne s’agit pas là du débat normal et habituel sur les résultats à travers le questionnement des protocoles, mais d’une volonté délibérée d’introduire du doute, afin de retarder, voire d’obérer, une 125

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prise de décision, voire de maintenir ultérieurement des incertitudes sur sa légitimité. On lit encore aujourd’hui des études scientifiques visant à établir une distinction entre la toxicité du chrysotile et des autres variétés d’amiante. Fondées ou non d’un point de vue scientifique (la pertinence de certaines méthodes et protocoles utilisés a été sévèrement critiquée [6]), ces études peuvent avoir pour résultats que des décisions de santé publique majeures et indispensables ne sont pas prises ou sont retardées au nom du débat scientifique. Ce n’est pas le débat scientifique qu’il convient ici de mettre en cause, mais son instrumentalisation par certains [7]. À l’échelle d’une entreprise, si les enjeux sont moindres quantitativement, les résultats peuvent être les mêmes : en raison de l’incertitude, voire de la confusion, régnant à propos de certains sujets, certaines entreprises peuvent être amenées à différer des prises de décision en matière de santé et de sécurité au travail, au détriment de la santé de leurs travailleurs.

1.4.3. La mise à distance du risque Selon Mias et al., « elle se manifeste par la comparaison temporelle ou spatiale, par le report du risque sur des catégories censées être plus exposées ou encore en incriminant les comportements individuels ». Ces phénomènes n’apparaissent pas seulement chez les travailleurs mais aussi, de façon relativement paradoxale, chez les médecins du travail, qui ont pourtant tous les éléments de connaissance et de compréhension de ces maladies. Ainsi, une étude consacrée aux attitudes, opinions et pratiques des médecins du travail à propos des cancers professionnels montre plusieurs phénomènes de mise à distance du risque [8]. Certains médecins indiquent que l’exposition aux cancérogènes est plus vraisemblable au domicile et dans l’environnement que sur les lieux de travail. En effet, aucune mesure de prévention n’y est mise en place. À terme, le développement d’une éventuelle maladie ressortit donc plus vraisemblablement de la sphère domestique que de la sphère professionnelle. Dans un autre ordre d’idées, certains médecins du travail citent même dans cette étude le BTP comme un secteur d’activité dans lequel les populations qu’ils suivent ne sont pas ou peu exposées au risque de cancer. Pour une étude menée en 2008, donc à une période où les organismes de prévention mettaient l’accent sur les risques encourus par les travailleurs du second œuvre du bâtiment à travers leur exposition potentielle à l’amiante, ce résultat semble surprenant. Ces médecins citent la métallurgie et la chimie/pétrochimie comme des secteurs industriels dans lesquels des expositions aux cancérogènes sont beaucoup plus vraisemblables. Mais à l’interrogation, les médecins du travail de ces secteurs précis citent eux-mêmes également d’autres activités dans lesquelles les risques d’exposition seraient plus grands. Les auteurs de l’article évoquent un « biais d’optimisme comparatif » qui entraîne une minimisation du risque de cancer professionnel. 126

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Dans l’ensemble, les médecins interrogés donnent d’ailleurs majoritairement la priorité au traitement des risques immédiats au détriment des risques différés. Et concernant ces derniers, la priorité est donnée aux troubles musculosquelettiques et aux risques psychosociaux. Une étude cas-témoin a été consacrée aux Pays-Bas à la perception des causes de leur maladie chez des patients atteints d’un mésothéliome, d’un cancer des cavités nasales ou des sinus ou d’un cancer de la vessie [9]. À l’exception du mésothéliome, dont l’origine professionnelle est identifiée par les trois quarts des malades qui en sont atteints, mais par très peu de témoins, le lien possible entre exposition professionnelle et maladie n’est généralement pas fait. Les résultats sont peu différents entre les malades et les témoins. Un lien éventuel avec les habitudes tabagiques et l’environnement n’est également fait que par une faible proportion des malades et des témoins sans différence significative entre les deux populations comme dans le cas du travail. Concernant les habitudes tabagiques, ce résultat est étonnant, dans la mesure où les campagnes d’information ont été nombreuses et font clairement le lien avec les différents types de cancer associés, et pas seulement les cancers du poumon. Ces phénomènes montrent bien la difficulté, chez tous les acteurs de l’entreprise, à établir le lien entre travail et cancer : la part attribuable respectivement au manque d’information (relativement difficile à imaginer chez les médecins du travail) et aux phénomènes de déni ou d’euphémisation est bien sûr difficile à déterminer, d’autant qu’il y a vraisemblablement interaction entre les deux facteurs. Ces aspects ne sont pas anodins dans la mesure où, comme on le verra dans la partie suivante, l’efficacité d’une politique de prévention des risques professionnels et l’adhésion qu’y apporteront les travailleurs dépendent beaucoup de l’efficacité de l’information sur les risques qui leur aura été donnée préalablement.

1.5. De l’importance d’associer politique d’information sur les risques et politique de prévention La prévention d’un risque quel qu’il soit, qu’elle passe par une modification organisationnelle, la mise en place d’un dispositif de protection collective ou le port d’un équipement de protection individuelle, correspond souvent à ce qui sera vécu comme une contrainte, au moins dans un premier temps, par les travailleurs concernés. Cela vaut évidemment pour la prévention des risques cancérogènes avec, dans ce cas particulier, le fait que ce risque qui ne se manifeste le plus souvent par aucune conséquence immédiate, qui est donc différé, n’est pas toujours perçu comme en étant réellement un. 127

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Plusieurs études, souvent d’origine anglo-saxonne [10, 11], donc très centrées sur la protection individuelle établissent clairement la nécessité, non seulement d’informer et de former les travailleurs en amont, mais aussi d’emporter leur conviction de la nécessité de la démarche, pour que les équipements mis à disposition soient effectivement et correctement utilisés et donc réellement efficaces. Cependant, l’adhésion n’est acquise que si cette démarche d’alerte s’accompagne d’une action de prévention perçue comme réellement capable de protéger ceux qui la mettront en œuvre. En d’autres termes, alerter sur des risques sans mettre en regard une solution de prévention perçue comme adaptée est contre-productif, en ce sens que la pertinence et la crédibilité de la démarche sont obérées par ce qui apparaît comme un manque de cohérence : si le risque est aussi grand, il est logique de mettre en place des mesures de protection à la hauteur de l’enjeu. Et s’il existe une antériorité d’action peu satisfaisante, ces mesures doivent marquer une rupture significative par rapport à ce qui était fait avant, afin d’asseoir leur crédibilité. Une étude néerlandaise [12] a en outre montré toute l’importance de gagner la conviction à l’échelle de toute l’entreprise ou au moins de l’ensemble du groupe au sein duquel intervient le travailleur. Un travailleur ne sera durablement convaincu du risque, de la nécessité de s’en protéger et de l’efficacité des moyens de protection qui sont mis à sa disposition que s’il est en phase avec la majorité de ceux qui l’environnent. En ce sens, chacun est non seulement l’acteur de sa propre protection, mais aussi de celle de ses voisins. C’est à travers les échanges au sein de ce groupe et par l’exemplarité affichée par tous que se décide le fait de commencer et de continuer à porter un équipement de protection individuelle qui peut représenter une certaine gêne. Ce soutien social concerne aussi, bien sûr, l’encadrement en tant que concepteur de la politique de prévention, mais aussi en tant qu’accompagnateur et utilisateur au quotidien. Cette influence du groupe et la nécessité de l’accompagnement apparaissent clairement dans une étude américaine consacrée à un groupe de travailleurs fortement exposé à un cancérogène vésical majeur et identifié comme tel par les personnes concernées [13]. À la fermeture de l’atelier de production concerné, une information détaillée fut donnée à tous les travailleurs insistant sur trois éléments essentiels : le rôle du tabac dans l’apparition du cancer de la vessie, le caractère différé de l’apparition de la maladie après l’exposition à ce cancérogène vésical et la nécessité de réaliser un dépistage annuel permettant de traiter précocement avec de bonnes chances de succès une éventuelle tumeur. Cette information avait en outre été largement relayée par les médias en raison du caractère conflictuel de l’arrêt de la production, ce qui avait eu un large impact sur l’entourage des travailleurs concernés. Plus d’une dizaine d’années après cette campagne d’information, un bilan a été réalisé auprès des travailleurs. Il est apparu que, bien que le souvenir de la campagne d’information soit encore vivace dans les mémoires et que les données transmises à l’époque puissent globalement encore être 128

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considérées comme acquises, le suivi médical n’avait été effectué, dans le meilleur des cas, que de façon épisodique. Cela dans un contexte où : – un nombre non négligeable de ces travailleurs de la chimie ont poursuivi leur carrière dans un environnement de travail susceptible de les exposer à d’autres agents cancérogènes ; – la réalisation de ce suivi n’entraînait pas de dépense particulière puisque, après les quatre premières années où il était pris en charge automatiquement par un dispositif spécifique, les travailleurs bénéficiaient majoritairement d’une assurance sociale qui aurait assuré la continuité de la prise en charge de ce suivi sans coût supplémentaire pour l’assuré. Les auteurs concluent que, parmi les raisons concourant à cette carence dans le suivi, l’absence d’un soutien à travers un programme organisé joue un rôle significatif. De multiples raisons sont avancées par les travailleurs et leurs familles pour « justifier » leur abstention, mais ce qui apparaît surtout c’est leur réticence à prendre eux-mêmes cette initiative. En comparaison, une partie de la population concernée par des considérations médico-légales et qui est invitée régulièrement à faire l’examen, y répond effectivement dans de très larges proportions. La perception de la dangerosité des expositions à un cancérogène « naturel » comme les UV (plus généralement à la lumière solaire) et ses conséquences en termes de volonté et de capacité de prise en charge par les individus des mesures de prévention ne diffèrent pas sensiblement de ce qu’elles sont pour des cancérogènes chimiques plus impliqués dans un procédé de fabrication [14]. Les attitudes de prévention adoptées au cours du travail (port de vêtements couvrants protecteurs, utilisation de crèmes solaires barrières) le seront également lors des loisirs en plein air (sports, autres activités récréatives, etc.). Elles sont souvent corrélées au niveau de l’éducation sanitaire et les environnements (encadrement pour le travail, familiaux et sociaux pour la vie privée) jouent un rôle fondamental dans la prise de conscience et l’adoption de mesures de prévention. Elles semblent même conserver un rôle important pour des populations a priori sensibilisées comme des travailleurs ayant déjà eu un épisode de cancer cutané (d’un type autre qu’un mélanome) [15] : les actions de protection y demeurent plus fréquentes chez les personnes bénéficiant d’un environnement professionnel ou privé attachant une grande importance aux questions de santé.

1.6. Conclusion Que ce soit pour la prévention d’un risque cancérogène ou pour tout autre type de risques, l’accent a été mis de longue date sur la nécessité de mettre en place des actions 129

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construites et élaborées, intégrées dans une politique globale et cohérente, susceptibles d’obtenir l’adhésion sur une longue période de l’ensemble de la population concernée. Les contraintes liées aux modifications de procédés, aux changements des méthodes de travail qu’elles entraînent, ou celles liées à la mise en œuvre des équipements de protection (particulièrement individuels), font qu’il est important de se placer dans une dynamique de meilleure connaissance des risques et de faire des travailleurs les acteurs convaincus de leur propre sécurité (et de celle de leur environnement). Il faut emporter la conviction et être en mesure de proposer des solutions de prévention efficaces, reconnues comme telles par les travailleurs eux-mêmes. Dans le cas spécifique de la prévention des risques liés à l’utilisation ou à la présence naturelle de cancérogènes (rayonnement solaire), la cohérence et la force de ces politiques apparaît comme devant encore être renforcées. En effet, le cancer reste une pathologie pour laquelle les phénomènes de déni et d’euphémisation (à travers la remise en cause des connaissances, la distanciation face aux risques, voire leur négation, etc.) semblent jouer à plein, non seulement chez les travailleurs eux-mêmes et donc dans l’ensemble de la communauté de travail, mais aussi dans une certaine mesure dans leur environnement familial et social. Au niveau de la société tout entière, malgré les progrès récents de la prévention, de la prise en charge et du traitement de maladie et de son pronostic, le sujet du cancer n’est toujours pas abordé volontiers. C’est donc à travers des actions volontaristes de prévention (technique et médicale) bien construites que les progrès nécessaires seront réalisés.

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2. Spécificité de la prévention des risques cancérogènes dans les TPE Marc Malenfer (mission TPE/PME, INRS), Mathilde Risse-Fleury (RSI), Antoine Lepocreau (RSI), Michèle Guimon (département Expertise et conseil technique, INRS), Patrick Laine (mission TPE/PME, INRS) Les petites entreprises constituent une cible que les institutionnels de la prévention souhaitent mieux atteindre. Cette cible figure en bonne place dans tous les programmes nationaux consacrés à la santé au travail : plans Santé travail 1 et 2, conventions d’objectifs et de gestion (COG) de la branche accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale, etc. L’objet de ce texte est de fournir quelques éléments de repère sur la prise en compte de la santé et de la sécurité dans les très petites entreprises (TPE), d’expliquer les difficultés particulières que pose le risque cancérogène et d’exposer des axes de travail pour une meilleure prévention de ce risque dans les TPE.

2.1. Contexte de prévention dans les TPE 2.1.1. Caractéristiques de la TPE, proximité employeurs/salariés La France compte environ 1,8 million d’entreprises employant au moins un salarié (uniquement pour le régime général de la Sécurité sociale). 92 % de ces entreprises comptent moins de 20 salariés. 50 % des salariés français travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés. Il est important de signaler le dynamisme et la fragilité des TPE dans le contexte économique actuel, chaque année de nombreuses entreprises sont créées et beaucoup disparaissent, rendant le paysage très fluctuant. Le terme générique de TPE regroupe une grande variété de statuts et de situations. Mais que l’on soit dans une entreprise artisanale, dans un commerce ou dans une profession libérale (mais également dans une exploitation agricole), on constate que l’exposition aux risques du chef d’entreprise est très proche, voire identique, à celle du (ou des) salarié(s). Ce premier élément plaide en faveur d’une bonne coordination des acteurs. En effet, le chef d’entreprise de TPE est généralement couvert par le Régime social des indépendants (RSI) alors que ses salariés sont assurés pour ce qui relève des risques professionnels 132

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auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). De même, en termes de suivi médical, si les seconds sont soumis à des visites périodiques assurées par un service de santé au travail, l’employeur lui n’y est pas assujetti.

2.1.2. Absence de préoccupation en santé au travail Si on constate que le chef de petite entreprise connaît généralement les risques professionnels en lien avec son activité, notamment lorsque le risque est source d’accident du travail, pour les maladies professionnelles, la corrélation avec le risque est plus lointaine. Il ne fait souvent pas le lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle. C’est particulièrement vrai pour les cancers professionnels pour lesquels un possible lien entre le travail et la maladie fait souvent l’objet d’un déni [1] (nous détaillerons cet aspect plus loin). La faiblesse de représentation du personnel dans ces entreprises ne facilite pas l’implication du personnel sur le champ de la prévention des risques professionnels. Pour pallier le manque de relais dans l’entreprise, le Code du travail a récemment instauré une fonction de « référents sécurité » qui auront à animer les activités de protection et de prévention des risques professionnels (article L. 4644-1).

2.1.3. Déficit de compétence et besoin d’accompagnement La mise en œuvre de la prévention dans l’entreprise, qui se traduit par l’existence d’un système de gestion de la santé et de la sécurité, ou d’un plan d’action (aménagement de poste de travail ou d’équipement, formation, changement d’organisation…), est rarement effective dans les petites entreprises comme le montre l’enquête européenne Esener de 2009. Des marges de progression sont possibles autour des constats relevés dans l’enquête, à savoir par ordre d’importance : la perception que l’activité ne comporte pas de risques, le manque de compétence interne, le manque de temps, l’absence d’intérêt et, dans une moindre mesure, le manque de ressources financières [2]. Ces éléments ressortent également dans une enquête réalisée par LH2 pour l’INRS auprès d’entreprises de moins de 50 salariés en 2010 [3] qui met en évidence une préoccupation de la prévention reléguée derrière d’autres priorités plus immédiates liées à la pérennité de l’activité (financement, développement commercial…). À ces éléments, s’ajoute un certain isolement des petites entreprises par rapport aux organismes de prévention. Pour le cas des caisses de sécurité sociale, malgré les efforts effectués – 15 à 20 % 133

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des interventions directes en entreprises se font dans des établissements de moins de 10 salariés –, moins de 1 % de ces entreprises sont couvertes par une action directe [4]. Une caractéristique importante de la petite entreprise réside dans son organisation : une centralisation de la gestion autour du dirigeant, une grande polyvalence des salariés et l’absence de fonctions supports. La prévention, sujet complexe, nécessitant des connaissances d’ordres divers (réglementaires, techniques, sanitaires…) est difficile à appréhender. La petite entreprise se trouve ainsi dans une situation d’absence de compétence interne, qui ne lui permet pas de s’approprier des messages de prévention trop conceptuels. Il en résulte le plus souvent une absence d’organisation et de planification de la prévention [4]. En contrepartie, la centralisation de la gestion autour du dirigeant peut être un atout pour entraîner toute l’entreprise dans une action de prévention. Le chef d’entreprise apparaît donc comme la première cible à convaincre pour faire évoluer la situation dans une TPE. La petite entreprise exprime peu de besoins sur le sujet de la prévention. Néanmoins, dans un souci de conformité réglementaire où sa responsabilité civile ou pénale pourrait être engagée, les demandes du chef d’entreprise portent souvent sur un appui ou des outils opérationnels permettant de répondre aux obligations réglementaires (par exemple pour la réalisation du document unique). Ainsi des demandes relatives à l’obligation de traçabilité des expositions des salariés aux agents cancérogènes peuvent être judicieusement utilisées dans l’initiation d’une démarche de prévention dans l’entreprise.

2.2. Un exemple, la perception du risque amiante dans les TPE du second œuvre Afin d’évaluer la connaissance et la perception des risques différés tels que les maladies liées à l’amiante, l’INRS a fait réaliser, en septembre 2005, une étude qualitative auprès de dirigeants et de salariés de petites entreprises du second œuvre du BTP. Cette étude a permis d’objectiver un grand nombre d’éléments sur la perception et la prise en compte du risque cancérogène dans les TPE [5]. La conscience du risque amiante s’avère être très faible chez les professionnels du second œuvre du bâtiment. Plusieurs raisons expliquent cette faible sensibilité. Tout d’abord, les tâches de maintenance et de rénovation impliquent une prise de risque quasi quotidienne et les risques fortement présents à l’esprit sont les accidents et non les maladies. Les chutes, les coupures, les électrocutions, les accidents liés au maniement de certains outils ou à la conduite de véhicules ont des conséquences souvent visibles et immédiates, car ils peuvent entraîner une interruption de l’activité et engager la responsabilité de l’employeur. 134

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Au contraire, pour tous les professionnels rencontrés, les maladies liées à l’amiante manquent singulièrement de réalité et de proximité, car l’élément pathogène n’est pas visible (le diamètre des fibres est de 0,1 à 2 μm) et ses conséquences sont largement différées dans le temps. Le risque amiante est donc très peu présent à l’esprit des professionnels concernés. Un certain fatalisme, voire un rejet, est également constaté face à des maladies qui se développent sur le long terme et contre lesquelles il aurait fallu se prémunir alors même que l’on en ignorait les causes voire l’existence. Le risque amiante est donc largement sous-estimé par les professionnels du second œuvre qui ne le considèrent pas comme un danger spécifique pouvant être évité.

2.2.1. Connaissance et minimisation des risques liés à l’amiante Quels que soient leur âge et leur expérience, les professionnels du second œuvre ne bénéficient pas encore d’un niveau d’information suffisant concernant l’amiante. Les plus anciens considèrent que les risques liés à l’amiante sont limités, essentiellement en raison du décalage entre leurs pratiques anciennes et une information récente sur ce sujet. Mal informés, ils ne semblent pas non plus chercher à s’informer sur quelque chose qui, selon eux, « passera » et qu’ils ont tendance à assimiler à une tracasserie administrative de plus. Les professionnels les plus jeunes et d’une façon générale les chefs d’entreprise font une assimilation immédiate entre amiante et cancer. Pour autant cette connaissance correcte du risque ne se traduit pas automatiquement par une adaptation des comportements. Globalement, peu d’entre eux considèrent que leur corps de métier est concerné et continuent à véhiculer l’idée selon laquelle seuls les professionnels très fortement exposés sur une longue période courent un réel danger. D’où une faible implication dans la prévention d’un risque déjà pris pour les plus anciens ou très lointain pour les plus jeunes. De plus, nombre de professionnels pensent que la loi oblige à désamianter avant tous travaux, les déchargeant ainsi de toute recherche d’amiante. Il persiste donc un réel amalgame entre l’interdiction d’utiliser de l’amiante depuis 1997 et le retrait total de l’amiante dans l’ensemble des bâtiments. Et pourtant la majeure partie des matériaux contenant de l’amiante utilisés des années soixante aux années quatre-vingtdix est encore en place dans les bâtiments. Parce que le risque amiante est mal connu et que sa prise en compte est perçue comme très complexe, un réflexe de « tout ou rien » est constaté chez certains professionnels 135

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rencontrés, notamment les plus jeunes. Pour ceux-là, la meilleure façon d’éviter les problèmes liés à l’amiante est de refuser les chantiers sur lesquels il s’en trouve ou, pour les entreprises importantes, de ne les accepter qu’après désamiantage par un spécialiste. Le frein sans doute le plus important à l’utilisation des moyens de protection est le sentiment que les maladies liées à l’amiante ne sont pas pour soi et que ces maladies, lorsqu’elles surviennent, ne le font que très tardivement. Dès lors, c’est le sentiment « d’obligation » qui prévaut : on se protège pour ne pas être en infraction et non pour ne pas être malade. Enfin, la médiatisation des questions liées à l’amiante, au travers notamment des procès, n’a pas permis de refléter cet aspect du problème. En effet, les affaires les plus retentissantes ont concerné des victimes issues de grandes entreprises de secteurs industriels dont les salariés ont pu s’organiser pour mener des actions collectives. Les 30 % de victimes du BTP, souvent issues de très petites structures ne bénéficient pas d’une telle visibilité dans l’actualité. Ce phénomène conforte, chez ces professionnels, le sentiment qu’ils ne sont pas concernés par ce risque.

2.2.2. Enquête chez les plombiers chauffagistes Tous ces constats mis en évidence dans cette étude de 2005 restent malheureusement d’actualité en 2014 comme le montrent les résultats d’un autre travail très complémentaire conduit sur la cible des plombiers chauffagistes [6]. Cette étude a consisté à croiser les résultats d’exposition à l’amiante de professionnels volontaires recueillis à l’aide de badges de prélèvements innovants et les réponses à un questionnaire renseigné par ces mêmes personnes. Ces volontaires étaient majoritairement des chefs d’entreprises artisanales avec plus de 20 ans d’expérience professionnelle. Les résultats mettent en évidence que 41 % des opérateurs ayant effectivement été exposés à l’amiante (badges positifs) pensaient ne jamais avoir été au contact de matériaux contenant de l’amiante. Près de deux tiers des volontaires exposés n’ont jamais mis en œuvre de moyens de prévention contre 14 % qui l’ont fait systématiquement.

2.3. Faire avancer la prévention Face au contexte particulier des TPE et à leur grand nombre, quelles actions les acteurs institutionnels peuvent-ils conduire pour améliorer la prévention des risques cancérogènes dans les TPE ?

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2.3.1. Agir le plus en amont possible pour limiter l’utilisation de substances ou de procédés cancérogènes Il est important de ne pas perdre de vue les principes de prévention, qui, concernant des TPE, peuvent être abordés non pas uniquement à l’échelle de l’entreprise elle-même, mais aussi de manière plus macro, à l’échelle d’une profession ou d’une filière selon les contextes. Dans ce cadre, la première action à conduire visera la suppression du risque, par exemple par l’interdiction des produits ou des procédés les plus problématiques. En effet, il apparaît à travers les études conduites auprès de TPE que le chef d’entreprise dispose rarement de l’expertise et de la marge de manœuvre lui permettant de gérer une utilisation maîtrisée d’un produit supposé cancérogène. Sa réaction sera bien souvent d’évacuer la question en se réfugiant derrière l’autorisation du produit. Une étude BVA conduite auprès de garagistes montre leurs difficultés face à des formulations « trop précautionneuses » évoquant des soupçons ou des probabilités [7]. Leur réaction est de dire : si ce produit est dangereux, il doit être interdit ; s’il est autorisé, c’est qu’ils peuvent l’utiliser (au même titre que leurs concurrents). Même si l’interdiction de substances est une mesure rarement mise en œuvre, les processus d’arrêt de production des substances les plus préoccupantes doivent être encouragés. Ils peuvent notamment l’être par une communication sur la dangerosité de ces produits. Bien qu’à réaffirmer comme principe important, cette approche se heurte évidemment à la réalité. Il suffit de considérer deux des principaux cancérogènes rencontrés en milieu professionnel, l’amiante et les poussières de bois, pour en comprendre les limites.

2.3.2. Actions partenariales par métier ou par filière Une des caractéristiques de la TPE est qu’elle évolue dans un environnement fortement contraint. Généralement, la petite entreprise est un maillon dans une chaîne de production dans laquelle existent des rapports de forces qui ne lui sont pas favorables en raison d’un contexte concurrentiel. Ainsi, le garagiste se voit imposer des contraintes par les constructeurs automobiles et par les assureurs, ou la petite entreprise du second œuvre intervient sur des chantiers dont la maîtrise d’œuvre est assurée par un autre opérateur. De même, le sous-traitant se voit imposer de la part de son donneur d’ordre des exigences sur lesquelles il ne peut pas négocier. Ce rapport de force défavorable à la TPE est la conséquence d’une concurrence importante, qui fait craindre en permanence perte de clientèle ou révision des prix à la baisse. Ce contexte plaide largement en faveur d’actions concertées à l’échelle d’une filière, d’un métier, d’un bassin économique. 137

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Pour qu’il ait une chance d’aboutir, ce type d’action doit impliquer les acteurs parmi lesquels figurent, selon les contextes, les organisations professionnelles, les principaux donneurs d’ordres, les acteurs qui visitent effectivement les TPE. Ainsi, il sera difficile pour un garage seul de supprimer l’usage du trichloréthylène, mais si la profession (organisations professionnelles) et les acteurs de prévention (Carsat, services de santé au travail…) se mobilisent collectivement à l’échelle d’un territoire, l’action devient possible car ce n’est plus un garage isolé qui prend cette décision, mais les garages de tel territoire qui collectivement font évoluer leurs pratiques. Cela limite fortement les risques de distorsion de concurrence. Il en va de même pour la suppression du perchloroéthylène dans les pressings : une fois que l’action de substitution sera conduite par une masse critique d’établissements, elle s’imposera naturellement aux autres en les privant des arguments justifiant le maintien de l’utilisation d’une substance réputée dangereuse. Dans ce cas, s’ajoute un argument d’image qui joue un rôle vis-à-vis du client, à savoir la possibilité de communiquer sur l’utilisation d’un procédé à l’eau ne faisant plus appel à un produit cancérogène. Cet argument est valable pour les clients, mais aussi (et surtout) pour les salarié(e)s qui, dans certains contextes, sont en mesure de choisir de quitter une entreprise qui ne respecterait pas un minimum d’exigence en matière de conditions de travail.

2.3.3. Besoin d’accompagnement de l’entreprise Bien qu’elles expriment avant tout une absence de préoccupation en santé au travail, ne se sentant pas concernées, dès que le sujet est évoqué de manière plus concrète, les TPE manifestent un besoin d’accompagnement. Seules, elles ont du mal à inscrire le sujet de la prévention à l’ordre du jour et surtout elles déplorent un manque de compétence pour aborder un sujet qu’elles jugent technique et complexe. En matière de produits cancérogènes, ce besoin de compétence n’est pas uniquement un prétexte pour ne pas faire, mais bien souvent une réalité. Il est en effet souvent compliqué pour une TPE seule d’engager une démarche de substitution, par exemple. Ce besoin d’accompagnement pose un problème aux acteurs en raison du nombre important de petites entreprises qu’il leur faudrait suivre. Les solutions doivent donc être à rechercher dans la mutualisation d’une personne ressource commune aux entreprises d’un territoire et éventuellement d’un métier. Certaines expériences conduites notamment dans la profession de garagiste montrent que de tels dispositifs permettent de faire évoluer la situation dans des petits garages [7]. Le montage institutionnel permettant la mise à disposition de telles personnes ressources est à construire mais la récente obligation d’avoir un référent Santé et sécurité est une opportunité à saisir pour les acteurs les plus proches des TPE (organisations professionnelles, services de santé au travail et leurs intervenants en prévention des risques professionnels). 138

De la perception du risque à sa prévention 5

2.3.4. Des campagnes de mobilisations ciblées Les pistes d’action évoquées ci-dessus nécessitent comme préalable une conscience du risque de la part des acteurs. Cela nécessite l’organisation de campagnes de mobilisation ciblées et intégrées à des dispositifs opérationnels. Messages ciblés Nous l’avons vu, le risque cancérigène est fréquemment nié dans les TPE, c’est pourquoi il faut au préalable lever le tabou en rendant le risque visible. Les professionnels ayant une forte propension à juger que leur métier n’est pas concerné contrairement à celui de leurs collègues de telle ou telle autre profession, il convient d’éviter les slogans trop généraux et de privilégier des messages ciblés sur un métier, sur un cancérogène dans ce métier, voire sur une tâche précise que l’on souhaite voir bannie (par exemple l’utilisation de la soufflette dans les menuiseries). L’objectif étant que le professionnel visé par l’action ne puisse pas dire « je ne suis pas concerné », il faut donc qu’il reconnaisse son métier, son entreprise et se dise qu’il a déjà rencontré la situation qui lui est présentée. L’enjeu étant de convaincre, il peut être opportun selon les cas d’apporter des informations précises sur le risque encouru, la nature de la pathologie, le nombre de professionnels de ce métier qui sont concernés… Les messages seront conçus pour impacter la profession dans son ensemble : employeurs, salariés, organisations professionnelles…, un des objectifs étant d’installer le sujet dans les préoccupations des acteurs, pour qu’il soit abordé à l’initiative des uns ou des autres. Dispositifs opérationnels L’objectif des acteurs de la prévention n’est pas uniquement la prise de conscience du risque par le professionnel mais bien d’aboutir à la mise en œuvre d’actions de prévention dans l’entreprise. Il est donc important de construire des dispositifs qui soient en capacité de guider l’entreprise. Une fois celle-ci convaincue de la nécessité d’agir, il faut qu’elle sache très concrètement quoi faire, à qui s’adresser, par quoi commencer. Les campagnes doivent donc être intégrées à des dispositifs opérationnels, elles servent à capter l’entreprise qui doit très rapidement être orientée vers des actions concrètes adaptées à sa situation. Pour des TPE que l’on cherchera à faire évoluer collectivement, certaines solutions peuvent être prescrites. Ces solutions doivent être réalistes, adaptées au contexte de la TPE. Par exemple, si le message vise la suppression de l’utilisation de telle substance pour effectuer telle tâche, il sera nécessaire de proposer des solutions alternatives, comme préférer tel produit moins dangereux. S’il est recommandé d’utiliser des équipements de protection individuels, comme c’est le cas pour l’amiante par exemple, on ira jusqu’à fournir aux entreprises les coordonnées des fournisseurs. L’objectif est de supprimer toutes les occasions ou excuses pour « ne pas faire ». Certaines 139

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situations plus complexes nécessiteront de faire appel à un conseil extérieur de type IPRP. L’acteur vers lequel il est le plus naturel d’orienter les TPE sur ces sujets est le service de santé au travail. En effet, en matière de prévention, le premier acteur de proximité est le service interentreprises de santé au travail. Cela pose immédiatement la question de la mobilisation collective de ces services (environ 300 en France), généralement interprofessionnels, pour une série d’actions ciblées vers des professions précises. Pourtant c’est bien eux, avec leurs équipes pluridisciplinaires et leur proximité avec les entreprises dont ils suivent les salariés, qui sont l’acteur de proximité compétent pour accompagner la TPE dans sa démarche de prévention du risque cancérogène.

2.4. Conclusion Compte tenu du contexte dans lequel évoluent les TPE et de la forte tendance des acteurs de ces entreprises à nier les risques, la prévention du risque cancérogène y est plus compliquée. Il est nécessaire pour être efficace d’adopter une approche métier, d’être pragmatique, voire prescriptif pour voir évoluer ces entreprises. Dans ce but et afin d’arriver à atteindre ces entreprises, il faut envisager des dispositifs très proches de leurs préoccupations et de leur mode de fonctionnement : pour y parvenir, une approche partenariale avec notamment deux acteurs clés : – les acteurs métier, crédibles auprès de la profession ; – les services interentreprises de santé au travail, acteur de proximité de l’entreprise en matière de prévention.

Bibliographie

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Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes, convergences et éventuelles différences d’approche

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Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes

1. Le régime général Jean-François Certin (expert) La branche AT/MP de la Sécurité sociale doit, parmi ses missions, mettre en place une politique de prévention des risques professionnels. À cette fin, elle arrête une stratégie et des priorités dans le cadre d’une Convention d’objectif et de gestion (COG) avec l’État. Depuis 2004, la prévention des cancers professionnels est l’une de ces priorités. Cette action a, dès le départ, englobé tous les agents cancérogènes classés par l’Union européenne ou le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), cancérogènes avérés, probables et possibles. La Direction des risques professionnels de la CnamTS a pour rôle de piloter le réseau des Carsat/Cram/CGSS pour la mise en œuvre des actions correspondantes de façon concertée et coordonnée. Concernant les risques cancérogènes, comme les autres risques, cette politique de prévention doit se traduire concrètement au sein des entreprises et conduire à une réduction des risques aux postes de travail. Néanmoins, les acteurs du réseau prévention de la branche AT/MP, ingénieurs-conseils et contrôleurs de sécurité des caisses et l’INRS sont les acteurs directs de cette politique. Ils vont inciter les entreprises à agir. Les partenaires sociaux, représentés à la Commission accidents du travail-maladies professionnelles (CATMP) et dans les Comités techniques nationaux (CTN) à la Cnamts ainsi que dans les Commissions régionales accidents du 141

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travail-maladies professionnelles (CRATMP) et Comités techniques régionaux (CTR) en régions, sont systématiquement informés et associés aux programmes engagés. Les branches professionnelles sont également sollicitées. Outre l’aspect technique des actions engagées, il importe que leur objectif soit clairement affiché et promu. Pour inciter les entreprises à agir, il faut disposer du meilleur argumentaire possible. Celui-ci doit être véritablement porté par chaque acteur. Cela est d’autant plus nécessaire que le risque n’est souvent pas à l’agenda des entreprises. C’est pourquoi, dès 2004, les premières actions ont été internes pour mettre au même niveau tous les intervenants dans un souci d’efficacité et surtout pour assurer une cohérence optimale à l’action nationale menée par des centaines de préventeurs au contact direct des entreprises. En 2006, un CD-ROM1 a été élaboré pour être le document source du réseau AT/MP dans un premier temps, et pour les entreprises et tout préventeur dans un second temps. Citons, en particulier, quatre spots vidéo qui ouvrent la discussion sur des aspects méconnus des cancers d’origine professionnels : la connaissance des facteurs de risque (Clichés), l’effet différé des cancérogènes (Le pot de départ), la perception du risque (Le Grain de sable), la responsabilité du chef d’entreprise (L’Affaire Berthier). Ces spots sont diffusés par l’INRS mais sont également directement accessibles sur YouTube. En appui à ces actions, il est nécessaire de mieux connaître le niveau d’attente des entreprises sur le sujet pour leur tenir un discours qu’elles entendent et leur proposer des accompagnements. Des enquêtes d’opinion ont donc été menées à cette fin. Les entreprises ayant divers interlocuteurs en prévention, la branche AT/MP a développé un partenariat avec la Direction générale du travail (DGT) au ministère du Travail, celui-ci ayant aussi le risque cancérogène comme priorité d’action. Des enquêtes conjointes, à l’initiative de la DGT, sont donc menées régulièrement. En particulier, l’enquête CMR de 2006, dont les résultats montraient une application partielle de la réglementation, a conduit le ministère2 à signer des conventions quadripartites avec des branches professionnelles, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), l’Union des industries chimiques (UIC) et les Fédérations des industries des peintures, encres, couleurs, colles et adhésifs, préservation du bois et Syndicat national des industries des peintures, enduits et vernis (Fipec et Sipev), la CnamTS et l’INRS. Cela pour porter ensemble les mêmes messages de prévention. En particulier, cela a donné lieu à la rédaction par le Sipev d’un document de prévention du risque CMR, Guide CMR du repérage à la substitution, à

1. Agir pour prévenir les cancers professionnels – INRS, 2006, CD 0371. 2. Gérard Larcher, ministère du Travail, point presse du 8 février 2007.

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l’attention de tous ses adhérents. Ce document reprend les mêmes arguments et conseils que ceux portés par les organismes de prévention. En y apposant leurs logos, comme partenaires, la DGT, la CnamTS et l’INRS ont donné plus de poids à ce document. L’appui d’une branche professionnelle est précieux car l’entreprise reçoit alors un message qui vient de son secteur d’activité et non des institutionnels pouvant être jugés moins au fait de leurs problématiques quotidiennes. Les médecins du travail sont parmi les principaux interlocuteurs en prévention des entreprises. Les services Prévention des risques professionnels des caisses régionales ont mené beaucoup d’actions en partenariat à destination des entreprises. Souvent les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) ont été associées à ces actions. Concrètement, cela s’est traduit par des réunions d’information et de sensibilisation. Ces réunions ont bien sûr un impact mais il reste limité, souvent circonscrit à des entreprises en relation régulière avec ces organismes, démarchées par leurs interlocuteurs habituels. Les TPE, en particulier, restent peu touchées. Le relais dans la presse locale est toujours recherché, mais cette thématique est jugée peu porteuse par les médias. Les atteintes à l’environnement sont en proportion beaucoup plus médiatisées. Néanmoins, quand la presse ou la télévision régionale, les journaux techniques font état de réalisations exemplaires avec le témoignage du chef d’entreprise, cela crédibilise le message de prévention. Outre les actions de communication, la mise à disposition d’informations pratiques est un autre volet pour faire évoluer les entreprises. Aujourd’hui, Internet facilite cet accès : énormément d’informations sont disponibles. Encore faut-il qu’elles correspondent au besoin. De nombreuses caisses régionales ont mis en place, tout comme l’INRS, des dossiers thématiques CMR ou cancers professionnels avec un classement, une hiérarchisation des documents. À cette fin, en 2008, la DRP/CnamTS a décidé une action vers les TPE avec un dossier type répondant aux questions de ce type d’entreprise1. Des fiches techniques très synthétiques, des témoignages illustrent le dossier pour le rendre aussi attractif que possible. Des documents d’aide plus techniques, donc relativement plus complexes, sont mis à disposition, les Fiches d’aide au repérage (Far) et les Fiches d’aide à la substitution (Fas) : cf. chapitre 3, « Connaissance des expositions en milieu de travail ». Malgré le souci des rédacteurs de rendre ces documents aussi accessibles que possible, une enquête auprès de TPE a montré qu’ils sont encore jugés trop complexes et donc

1. Par exemple : http://www.carsat-pl.fr/risques/dossiers/chimique/risque_cancers_professionnels_tpe. html

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inexploitables. Pour autant, un document technique ne peut pas être simplifié à l’extrême au risque de perdre de sa pertinence. Cette collection de fiches est en fait surtout utilisée par des professionnels de la prévention, au sein des entreprises (services HSE) ou partenaires (médecins du travail, IPRP). Les conseillers des entreprises sont donc des acteurs clés. À cette fin, l’Institut national du cancer (INCa), dans le cadre d’un groupe de travail interinstitutionnel très large, a mis en place un système d’accès à l’information sur les cancers professionnels avec deux volets : Cancers Pro Doc, un guide de ressources documentaires sur la prévention primaire des cancers professionnels et Cancers Pro Actu, un bulletin trimestriel de veille documentaire sur la prévention des cancers professionnels1. Toutes ces actions en amont doivent contribuer à inciter l’entreprise à agir. Le message global de prévention est de dire que c’est possible. Oui, mais comment ? Le programme engagé par la branche AT/MP a conduit de façon très nette à amplifier les actions pour la prévention du risque cancérogène. Pour autant, ce sujet a toujours été partie intégrante de l’activité des services prévention mais jusqu’alors de façon plus ciblée sur certains cancérogènes : amiante, poussières de bois, amines aromatiques, fibres céramiques réfractaires… Ces dernières années, l’approche est plus globale, avec une attention plus particulière sur les agents cancérogènes plus méconnus : fumées de diesel, styrène, silice. Pour la période 2009-2012, il s’agissait d’une action de masse touchant tous les secteurs d’activité avec, néanmoins, une dizaine de cibles prioritaires : usinage des métaux, traitements de surfaces, fonderies, soudage, laboratoires de prothèse dentaire, travaux routiers, peinture dans le BTP, fabrication de peintures et vernis, secteur du caoutchouc, seconde transformation du bois, pressings, laboratoires d’anatomopathologie, magasins de bricolage/débit de bois, recyclage des déchets. Un tiers des entreprises concernées n’était pas dans ces secteurs précités. L’exploitation du bilan exprimé en nombre de salariés soustraits a montré que les deux tiers des effectifs exposés suivis avaient été soustraits au risque, soit du fait de la substitution, soit du fait de mesures de prévention optimales. Les critères d’appréciation comportent une part de subjectivité et sont sujets à discussion, mais il est certain que le bilan obtenu montre des avancées concrètes substantielles aux postes de travail. Les incitations financières mises en place, contrats de prévention, aides financières simplifiées, voire injonctions pouvant entraîner un relèvement du taux de cotisation AT/MP, ont été fréquemment utilisées, lors d’un quart des suivis des entreprises enrôlées dans le dispositif (1 273/5 087). Les incitations positives, 85 %, se sont réparties en contrats de prévention pour les deux tiers et aides financières 1. http://www.e-cancer.fr/prevention/expositions-professionnelles/espace-professionnels-de-sante/ ressources-et-veille-documentaires

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simplifiées pour un tiers. Ces actions ont été menées en partenariat pour près d’un suivi sur quatre (992/5 087), essentiellement avec un service de santé au travail. Cette action d’envergure a globalement porté ses fruits mais un tiers des salariés est resté exposé, ce qui est important. Parmi les causes d’échec, outre le manque de volonté d’agir de certains chefs d’entreprise, on relève des problématiques techniques très complexes nécessitant des recherches longues pour aboutir, des difficultés de trésorerie freinant les investissements nécessaires, une crainte de prise de risque vis-à-vis de la substitution. Les actions jugées toujours non en cours fin 2012 ont représenté 9 % des suivis. On relève en faible proportion 5 % de cessations d’activité et, également, que des entreprises ont externalisé le risque sans qu’il soit possible de déterminer l’ampleur de ce phénomène. La DRP/CnamTS souhaite pour les actions à suivre obtenir des bilans d’efficacité plus exploitables, plus ciblés, moins généraux.

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2. Politique de prévention des cancers professionnels du Fonds national de prévention pour les fonctions publiques territoriales et hospitalières (FNP) Omar Brixi (médecin épidémiologiste, enseignant et consultant en santé publique) et Nadim Farès (responsable du FNP) Politique de prévention du Fonds national de prévention (FNP) ou politique de prévention des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers ? Ou politique des deux et de leurs interactions ? Car ce qui importe, c’est de situer les problématiques liées aux cancers professionnels dans ces secteurs de services publics et leur niveau de prise en compte par les employeurs, les salariés, leurs représentants et les autres acteurs concernés, dont la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) et le FNP.

2.1. Rappelons ce qu’est le FNP Le FNP est le dispositif mis en place en 2003 pour les personnels relevant des fonctions publiques, territoriale et hospitalière, afin de mobiliser des financements et de soutenir ou de susciter des actions et des politiques de prévention des risques professionnels. À l’instar du fonds du régime général, qui, lui, est adossé à la branche AT/MP. À l’initiative des acteurs des fonctions publiques territoriale et hospitalière, ce fonds, abrité et géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), parmi les nombreux que regroupe cette institution publique, est sous la responsabilité des administrateurs de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL.

2.1.1. Des secteurs professionnels très diversifiés au sein des services publics Avec des effectifs de l’ordre de 3,5 millions d’agents, ces fonctionnaires et agents contractuels sont regroupés dans des statuts spécifiques avec une caractéristique commune, leur grande diversité : plus de 200 métiers, de nombreuses catégories professionnelles, près de 50 000 collectivités territoriales (mairies, communautés de communes, départements, régions) de tailles différentes, plus d’un millier d’hôpitaux publics, sans compter les 240 000 sapeurs-pompiers, volontaires et professionnels, organisés en services départementaux, les SDIS. 146

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L’autre caractéristique dans ces secteurs, c’est le poids des activités multitâches et des profils polyvalents exposant les personnes à de nombreux risques. Les collectivités sont ainsi concernées, selon des modalités à la fois similaires et différentes des entreprises (moins d’effectifs, polyvalence, faibles et multiples expositions…). Les hôpitaux sont plus familiers, si l’on peut dire, avec les expositions à risques : des rayons X aux cytotoxiques en passant par toute la gamme des risques biologiques et chimiques, et actuellement la montée des risques dits psychosociaux.

2.1.2. Vers la centralisation du recueil des AT/MP : la Banque nationale de données (BND) Une des raisons de la création du FNP et un de ses grands apports résident dans la base de données (la BND) qu’il a organisée et qui est alimentée à partir des déclarations des accidents de service et du trajet ainsi que des maladies professionnelles, transmises par les assureurs et un outil de recueil et d’analyse, Prorisq. Le FNP est devenu ainsi l’interlocuteur de ces secteurs pour réaliser la centralisation des données nationales AT/MP à travers un outil commun1 et pour alimenter la base européenne des données (Eurostat). La BND publie tous les ans les données recueillies dans des rapports statistiques disponibles en données générales et en données déclinées pour les secteurs hospitaliers, les collectivités territoriales ainsi que pour les SDIS2. Comme pour le régime général, les données produites sont plus significatives pour les accidents (de service et de trajet, ici) que pour les maladies dont on sait l’expression différée dans le temps. Cela est encore plus vrai pour les maladies liées aux CMR ou plus largement à tous les cancers d’origine professionnelle. En 2012, à peine 12 maladies pour les CMR ont été reconnues chez les territoriaux et 4 chez les hospitaliers3. 146 cancers dus à l’amiante ont été reconnus comme maladies professionnelles chez des agents territoriaux entre 2007 et 2012. « Mais sans être alarmiste, les problèmes de l’amiante sont encore devant nous. Car ce matériau est présent partout au sein des bâtiments, des équipements et de l’aménagement

1. Vers un entrepôt national de données : http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=6931 2. https://www.cdc.retraites.fr/portail/spip.php?page=article&id_article=2160&cible=_employeur 3. https://www.cdc.retraites.fr/portail/spip.php?page=article&id_article=2647

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urbain et représente encore un risque professionnel et qui concerne tous les services techniques. C’est d’autant plus inquiétant que les collectivités vont devoir entreprendre d’énormes chantiers pour la mise en accessibilité des locaux qui accueillent du public… »1 Si le nombre de cas repérés et déclarés est limité, les risques existent dans chaque collectivité et cela ressort assez nettement des comparaisons permises par l’effort de mise en commun des données entre les trois grands régimes (régime général, fonction publique, Mutualité sociale agricole). D’un point de vue global, on estime néanmoins qu’il existe sans doute assez de données pour avancer dans leur dépistage et leur prévention, et que des données plus fines permettraient de mieux renseigner et suivre sur les niveaux d’exposition, les substances et les modes de prise en charge.

2.1.3. Que dire des prises en compte et prises en charge de ces cancers ? Précoce au niveau du FNP, la prise en compte des risques liés aux cancers d’origine professionnelle a été plus diffuse et inégale dans le temps et selon les types d’établissement et de métier. Leur identification est plus ou moins avancée selon les acteurs concernés (corps médical, entreprise, assurances, instances de prévention…). Et là aussi, la reconnaissance des maladies professionnelles se heurte à la problématique de la traçabilité. Au niveau des personnels et de leurs représentants Cette faible prise en compte est à rechercher aussi du côté de l’approche historique des conditions de travail au sein des services publics : dominantes des revendications de réparation, des compensations en nature ou en espèces, une information basée sur la mise en garde… Les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail s’en emparent mais de manière progressive et inégale, de plus en plus pour l’amiante, plus difficilement pour les cancers professionnels, un peu plus pour les CMR, du fait de la réglementation existante. La sensibilisation et la formation des membres des CHSCT sont sous cet angle un enjeu majeur tout en mettant l’accent sur la nécessité d’un dialogue social de qualité. On peut penser et dire, encore, que l’approche par les risques, peu mobilisatrice, l’expression différée dans le temps et la représentation mortifère des cancers encouragent 1. « Dalles de sol, colles, mastics, l’amiante est omniprésente. Les problèmes de l’amiante sont devant nous ». Interview de Nadim Farés, responsable administratif du Fonds national de prévention de la CNRACL dans La Gazette des Communes, mai 2014.

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plus le déni que leur prise en compte raisonnée, en amont, d’autant que ces risques et maladies sont invisibles et incertains dans leurs survenues. Au niveau des employeurs et tutelles Dans les établissements hospitaliers, les gestionnaires sont soumis à une réglementation plus proche du régime général, et ont une autre perception de leur rôle. Les tutelles ont pour ces établissements publics un rôle effectif en termes de pouvoir réglementaire, voire de contrôle, bien plus que pour les collectivités territoriales. Mais les uns et les autres sont passés de la phase d’ignorance à la phase de déni puis vers celle d’une prise de conscience, de plus en plus assumée. Cette évolution est à relier avec les efforts des salariés, de leurs organisations représentatives mais aussi de l’évolution des règlementations et surtout celle de la conscience sociale et sociétale, suite aux drames de l’amiante et à l’amorce de prise de conscience du risque chimique. Pour exemple, en 2008, en réponse à une lettre du président du CA de la CNRACL, une note de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) rappelait aux employeurs « la protection qu’ils doivent à leurs agents en la matière et l’appui que le FNP peut leur apporter ». Sans être aux niveaux de vigilance et d’intervention souhaités, on peut dire qu’aujourd’hui, la levée du voile sur les origines professionnelles de certains cancers est engagée. On peut toutefois craindre les excès en termes de « protectionnisme » des employeurs, du fait d’une judiciarisation, plus médiatisée que réelle, et d’une lecture caricaturale du principe de précaution. Mais l’obstacle principal, selon nous, aujourd’hui et demain, se situe au niveau des pressions sur l’emploi et sur le travail. Au niveau des différents opérateurs et acteurs de prévention Les actions, initiatives et mises en œuvre en termes d’évaluation a priori des risques, d’établissement des documents uniques (DU) et de plans de prévention connaissent une progression notable à la mesure du poids de la règlementation et des prises de conscience, mais aussi, avec les mêmes pesanteurs et limites que celles relevées dans le régime général. De nombreux exemples illustrent une réelle dynamique en cours : celles des centres départementaux de gestion (CDG), plateformes de services mutualisés au niveau des collectivités territoriales de moins de 350 agents, et ceux à l’initiative des nombreux acteurs de prévention dans les hôpitaux, dont les services de médecine de travail. Dans le cadre du réseau CHU soutenu par le FNP, cinq CHU (Grenoble, Brest, Limoges, Lyon, Reims) ont participé au groupe risques chimiques de 2005 à 2007. Du fait de la 149

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

toxicité et de la large utilisation de substances CMR au sein des établissements de santé, les enjeux de maîtrise de ces risques sont importants et concernent aussi bien l’identification, l’évaluation des risques, la traçabilité des expositions professionnelles que la substitution et la protection des agents1. Le FNP en témoigne amplement à travers un dossier thématique dans le Bulletin n° 3 en octobre 20102. La journée d’information santé sécurité au travail sur le thème « Les cancers professionnels : identifier et évaluer les risques pour mieux les prévenir », organisée le 22 juin 2010 par le CIG Petite Couronne, en est une illustration parmi les plus productives. Cette première approche a été suivie d’une demande du conseil d’administration, invitant les ministères concernés à rappeler aux employeurs leurs obligations en matière d’évaluation des risques. Au niveau du FNP Dès 2007, les membres du conseil d’administration de la CNRACL ont abordé la problématique des cancers professionnels et souhaité évaluer le poids relatif des cancers dans l’invalidité. C’est ainsi que la question des cancers professionnels est un des points réguliers et récurrents des ordres du jour du Comité scientifique et technique (CST), instance d’appui scientifique et technique aux administrateurs et équipe de gestion du FNP. Il y a consacré trois sessions d’une journée chaque fois. S’appuyant sur les données et les recommandations de ce conseil scientifique, cette thématique figurait au rang des priorités du plan d’action 2007-2009. C’est ainsi qu’un programme d’action « cancers professionnels » a été défini dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières en lien et en application avec les plans et programmes nationaux et européens définis (PST 2, Plan cancer 2, PNSE 2) autour de trois axes stratégiques : – améliorer la connaissance à partir des données issues de la BND organisée par la CNRACL et celles produites par la CnamTS et l’InVS ; – informer en s’appuyant sur la réglementation et ce qu’elle permet déjà en termes de droits et d’obligations. Une campagne a été jugée urgente et nécessaire sur la responsabilité des employeurs quant à la protection de la santé des salariés ; – agir auprès des collectivités pour les aider à mieux repérer les expositions. 1. https://www.cdc.retraites.fr/portail/spip.php?page=article&id_article=4390&cible=_employeur 2. https://www.cdc.retraites.fr/portail/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=4367#pos

150

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Pour soutenir sur la durée la mise en œuvre de ce programme d’action, le FNP a mis en place en juin 2007 un groupe de travail, associant des membres de son conseil scientifique et des représentants et experts de diverses institutions et horizons (CnamTS, Anses, INRS, InVS, RNV3P, des CDG, et les réseaux hôpitaux…). Une stratégie sur la durée et en plusieurs étapes a été définie et mise en œuvre : – l’établissement d’un panorama général d’un diagnostic spécifique à la FPT et à la FPH, permettant notamment de repérer les principaux CMR auxquels peuvent être exposés les agents territoriaux et hospitaliers ; – un travail d’information ciblé avec, dans une première étape, la sensibilisation, l’information et l’alerte des employeurs publics sur leur niveau de responsabilité (argumentaire autour de la responsabilité pénale et civile des employeurs) ; – un soutien méthodologique à travers la mise au point de deux grilles d’aide au repérage et à l’action, l’une pour la Fonction publique territoriale (FPT) et une autre pour la Fonction publique hospitalière (FPH)1 ; – un soutien financier aux démarches de prévention CMR engagées par les employeurs publics.

Conclusion Comme on le voit, nous sommes là en présence de deux grands acteurs de la vie nationale et des services publics, les collectivités territoriales dont les SDIS et les établissements hospitaliers. La question des cancers professionnels s’est imposée à eux comme dans le régime général ou le secteur agricole avec une mise en avant de l’employeur public dans ses responsabilités vis-à-vis de la protection de la santé de ses agents. 1. Le dispositif développé a consisté en l’utilisation de la méthode Delphi, fondée sur le recueil d’avis d’experts. Deux groupes Delphi ont été mis en place, l’un abordant la problématique dans le secteur hospitalier, l’autre dans les collectivités locales. Le recueil des informations a été réalisé à partir d’une méthode de consensus (sur la base d’un contact individuel avec chacun des experts, et de réunions de mise en commun). Il a abouti à la réalisation d’une liste des CMR présents dans les collectivités territoriales ou établissements de santé et une description des populations ou des services exposés. Ces supports sont mis à la disposition des employeurs, et acteurs de la prévention, pour les aider à repérer les risques auxquels sont exposés les agents. https://www.cdc.retraites.fr/portail/IMG/pdf/CMR-EtsSante_Juin2012.pdf https://www.cdc.retraites.fr/portail/IMG/pdf/CMR-CollTerr_Juin2012.pdf

151

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

La problématique de l’amiante et notamment de la phase du désamiantage a, là aussi, joué un rôle de catalyseur et de révélateur, en notant quand même que les établissements hospitaliers étaient déjà confrontés aux risques biologiques et aux irradiations. La prégnance de l’usage des produits chimiques et l’éveil des consciences sur le risque ainsi que la construction d’un véritable arsenal juridique ont modifié les données au sein de ces secteurs. Est-ce la mise en mouvement ou la valorisation des actions et des opérateurs locaux, des institutions nationales, de l’impulsion et de soutiens multiformes du FNP, ou probablement un peu de chaque ? L’essentiel est que la prévention des cancers d’origine professionnelle est en train de s’organiser dans les services publics et que le FNP y joue son rôle et y tient sa place. On peut même dire que l’expérience des autres organismes partenaires et celle des victimes ainsi que les luttes qui ont émaillé ces dernières décennies en particulier nous permettent de dire que le FNP a très vite su, dans des secteurs très morcelés, construire une politique de prévention de ces cancers aux rendez-vous des connaissances, de l’expérience sociale et de la réglementation nationale et européenne. Un dispositif centralisé de ce type a cet intérêt. Réparer les cancers professionnels d’aujourd’hui pour prévenir ceux de demain dans les fonctions publiques, territoriale et hospitalière, n’est pas un slogan sans contenu.

Bibliographie Site FNP : https://www.cdc.retraites.fr/portail/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=140 Articles Le service de la médecine préventive du CIG de Petite Couronne a élaboré un guide opérationnel, sur les cancers professionnels liés à l’amiante : www.cig929394.fr/actualite/20140120/ cancers-professionnels-collectivites-territoriales-risque-amiante Solvants et peinture, poussières de bois, amiante, pesticides. En juin 2012, le Fond national de prévention a adressé une lettre d’information aux employeurs des fonctions publiques territoriale et hospitalière pour les informer sur leurs responsabilités et les mesures à mettre en place pour protéger les agents de ces quatre CMR les plus fréquemment rencontrés. www.cdc. retraites.fr/portail/spip.php?page=article&id_article=7071 Maladies respiratoires, suspicions de cancers et d’atteintes coronariennes : les professionnels exposés au bitume courent des risques non négligeables. www.lagazettedescommunes. com/194273 Cancers du sang, de la prostate, maladie de Parkinson : l’usage professionnel des pesticides augmente significativement le risque. www.lagazettedescommunes.com/171387 152

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

3. Prise en charge des cancers en maladie professionnelle par les régimes agricoles de protection sociale Christine Hermouet (médecin conseiller technique national, Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole)

3.1. Les affections reconnues en maladies professionnelles dans la population agricole 3.1.1. La population agricole protégée pour le risque accidents du travail-maladies professionnelles Les assurés sociaux salariés agricoles (SA) ou non-salariés agricoles (NSA) bénéficient d’une couverture du risque accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) à compter du premier jour de leur affiliation du fait de leur exercice professionnel (fig. 6.1). Graphique n°1 : nombre moyen d’assurés agricoles pris en charge sur le risque AT-MP 2 000 000 1 800 000 1 600 000 1 400 000 1 200 000

Non-salariés Salariés Total

1 000 000 800 000 600 000 400 000 200 000 0 2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Figure 6.1. Nombre moyen d’assurés agricoles pris en charge sur le risque AT-MP.

153

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

La population agricole protégée sur le risque AT-MP a connu une lente décroissance annuelle entre 2002 et 2009 (données non encore disponibles en 2010 pour les salariés agricoles). À noter que les demandes de reconnaissance en maladie professionnelle (MP) sont effectuées auprès du régime auquel était affilié l’assuré lors de la dernière période d’exposition au risque. Dans ce cadre, doit être pris en considération le délai de prise en charge après la cessation d’exposition au risque, qui peut atteindre 50 ans. En conséquence, la demande de prise en charge en MP peut être déposée auprès d’un organisme local ou d’un régime qui peut ne plus être celui qui prend en charge l’assuré au jour de sa demande.

3.1.2. Les maladies professionnelles des régimes agricoles Les modalités de reconnaissance d’une MP sont semblables pour les salariés et les nonsalariés agricoles. La liste et la nature des tableaux de MP, communes pour les deux régimes agricoles, sont différentes de celles du régime général (fig. 6.2).

Graphique n°2 : nombre de maladies professionnelles prises en charge par les régimes agricoles 6 000

5 000

4 000

3 000

4 300

5 025

4 979

3 349

3 337

5 257

5 159

5 044

4 859

4 346

3 205 2 984

3 013

1 316

1 333

3 304

3 445

3 333

3 389

1 711

1 868

2 781

2 000 1 676

1 000

1 642

1 714 1 555

Non-salariés

Salariés

Total

424

0 2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Figure 6.2. Nombre de maladies professionnelles prises en charge par les régimes agricoles. 154

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Le nombre de prises en charge en MP a crû annuellement entre 2002 et 2010, tant pour les salariés que pour les non-salariés agricoles. Pour rappel, les dispositions de la loi Atexa (Accidents du travail des exploitants agricoles), généralisant pour les assurés agricoles non-salariés la couverture des risques professionnels, s’applique depuis le 1er avril 2002.

3.1.3. Prise en charge des cancers en maladies professionnelles dans le cadre des tableaux Elles sont reconnues avec le bénéfice de la présomption d’imputabilité si elles remplissent l’ensemble des conditions fixées dans l’un des tableaux de MP des régimes agricoles. Une prise en charge est également possible après avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) dans le cadre de l’alinéa 3 de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale, s’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel, mais qu’au moins une condition tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux n’est pas remplie (tableau 6.1).

Tableau 6.1. Liste des tableaux de MP des régimes agricoles comportant au moins une affection cancéreuse. N° tableau RA

RG

10

20, bis et ter

Arsenic

Exposition

Organes cibles Peau, poumons, voies urinaires, foie

19

4

Benzène

Sang

20

6

Rayonnements ionisants

Sang, poumons, os

22

25

Silice

Poumons

25 bis

36 bis

Suies (produits pétroliers)

Peau

33

45

Virus des hépatites

Foie

35 bis

16 bis

36

47

47 et 47 bis

30 et 30 bis

Charbons

Peau, poumons

Poussières de bois

Sinus

Amiante

Poumons, plèvre Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Une ou plusieurs affections cancéreuses figurent dans 10 des 65 tableaux de MP des régimes agricoles (tableau 6.2). 155

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 6.2. Liste des organes siège d’une affection cancéreuse citée dans au moins un tableau de MP des régimes agricoles. RG

N° tableau RA

Organes cibles

Exposition

10, 25 bis, 35 bis

20, 36 bis, 16 bis

Peau

Arsenic, suies pétrolières, charbons

10, 20, 22, 35 bis, 47, 47 bis

20 bis et ter, 6, 25, 16 bis, 30, 30 bis

Poumons

Arsenic, rayonnements ionisants, silice, charbons, amiante

47

3

Plèvre

Amiante

Voies urinaires

Arsenic

10 10, 33

20, 45

Foie

Arsenic, virus HV

19, 20

4, 6

Sang

Benzène, rayonnements ionisants

20

6

Os

Rayonnements ionisants

36

47

Sinus

Poussières de bois Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Seules quelques localisations de tumeurs cancéreuses (8) sont concernées par les tableaux des MP des régimes agricoles. Résultats : la population Au sein de la population assurée agricole, 80 affections cancéreuses ont été reconnues en MP dans le cadre des tableaux de MP entre 2002 et 2010. Ont été pris en charge 38 non-salariés et 42 salariés agricoles (tableau 6.3). Le nombre de cancers reconnus en MP dans le cadre des tableaux a varié entre 8 et 12 cas par an entre 2004 et 2010. La prise en charge directe a eu lieu par concordance avec les tableaux pour 76 cas, et après avis du CRRMP, dans le cadre de l’alinéa 3, pour 4 dossiers. La répartition selon le sexe était : 77 hommes et 3 femmes. Les affections cancéreuses ne représentent qu’une infime partie des MP prises en charge par les régimes agricoles dans le cadre des tableaux, tant pour les salariés que pour les non-salariés. Ainsi, sur une période de 9 ans, elles ne représentent que 0,2 % de l’ensemble des MP (42 275 prises en charge durant la période) : 0,1 % pour la population salariée et 0,3 % pour la population non-salariée. 156

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Tableau 6.3. Répartition des affections cancéreuses reconnues en MP selon l’année de prise en charge et le régime agricole. Année de prise en charge en M

NSA

SA

Total

2002

5

2

7

2003

2

4

6

2004

2

7

9

2005

5

4

9

2006

5

5

10

2007

3

5

8

2008

6

5

11

2009

4

8

12

2010

6

2

8

38

42

80

Total

Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Les trois régions de résidence regroupant le plus de cancers pris en charge en MP étaient l’Aquitaine (10), Midi-Pyrénées (9) et le Languedoc-Roussillon (7). À noter que parmi les 26 cas pris en charge dans ces trois régions, 12 concernaient des viticulteurs. Ce secteur professionnel était numériquement le plus important (19 cas) dans la population prise en charge en MP pour cancer (tableau 6.4). Tableau 6.4. Répartition des affections cancéreuses reconnues en MP selon la région de résidence.1 Région administrative

NSA

SA

Total

-

-

-

Aquitaine

2

8

10

Auvergne

1

0

1

Basse-Normandie

1

2

3

Bourgogne

1

2

3

Bretagne

2

2

4

Centre

3

2

5

Champagne-Ardennes

1

2

3

Corse

0

0

0

Franche-Comté

0

0

0

Alsace

1

1. Les assurés agricoles des deux départements d’Alsace ainsi que de la Moselle dépendent d’un régime local et sont pris en charge par les caisses d’assurance accidents agricoles.

157

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 6.4. (suite). Région administrative

NSA

SA

Total

3

1

4

Haute-Normandie Île-deFrance

1

1

2

Languedoc-Roussillon

5

2

7

Limousin

1

2

3

1

Lorraine

1

2

3

Midi-Pyrénées

7

2

9

Nord-Pas-de-Calais

1

1

2

PACA

3

1

4

Pays de la Loire

1

5

6

Picardie

1

1

2

Poitou-Charentes

1

3

4

Rhône-Alpes

2

3

5

38

42

80

Total

Tableau 6.5. Répartition des affections cancéreuses reconnues en MP selon l’âge à la prise en charge. Âge à la date de prise en charge en MP

NSA

SA

Total

< 30 ans

1

0

1

de 30 à 39 ans

2

0

2

de 40 à 49 ans

12

3

15

de 50 à 59 ans

19

21

40

de 60 à 69 ans

4

14

18

de 70 à 79 ans

0

4

4

38

42

80

Total

Source : CCMSA/DERS, août 2011.

L’âge de prise en charge de ces pathologies cancéreuses en MP était plus bas pour les non-salariés agricoles (85 % avaient entre 40 et 60 ans) que pour les salariés agricoles (83 % avaient entre 50 et 70 ans) (tableau 6.5).

158

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Résultats : la répartition par tableau Tableau 6.6. Répartition des affections cancéreuses reconnues en MP aux régimes agricoles selon le tableau. Tableaux MP

NSA

SA

RA Total SA + NSA 2002 à 2010

N° 10 - Affections provoquées par l’arsenic

7

Dont 5 cancers broncho-pulmonaires et 2 cutanés

5

Cancers bronchopulmonaires

12

N° 19 - Hémopathies provoquées par le benzène

17

Dont 13 leucémies et 4 syndromes myéloprolifératifs

1

Leucémie

18

N° 20 - Affections pro- 1 voquées par les rayonnements ionisants

Sarcome osseux

1

N° 22 - Affections consécutives à l’inhalation de poussières de silice

0

N° 33 - Infections par les virus des hépatites

2

Hépatocarcinomes

N° 36 - Affections provoquées par les poussières de bois

5

Cancers de l’ethmoïde

14

Cancers de l’ethmoïde

19

N° 47 et 47 bis Affections consécutives à l’inhalation d’amiante

4

2 cancers bronchopulmonaires et 2 mésothéliomes

21

18 cancers bronchopulmonaires et 3 mésothéliomes

25

N° 25bis - Affections cutanées cancéreuses provoquées par les suies de produits pétroliers

1

Épithéliomas

N° 35bis - Affections cancéreuses provoquées par les goudrons et charbons

1

Cancer bronchopulmonaire

Total

38

0

0

2

1

1

42

Cancer bronchopulmonaire

2

80

Source : CCMSA/DERS, août 2011 et http ://www.risquesprofessionnels.ameli.fr , consulté en août 2011.

159

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Les cancers reconnus en MP dans le cadre des tableaux étaient principalement : – des hémopathies malignes par exposition au benzène (17/38) pour la population non-salariée ; – des cancers de l’ethmoïde par exposition aux poussières de bois (14/42) et des cancers broncho-pulmonaires ou des mésothéliomes par exposition à l’amiante (21/42) pour la population salariée. À noter que l’exposition à l’amiante est celle qui a généré au total le plus de cancers pris en charge en MP (25 sur 80 entre 2002 et 2010). Pour le régime général, la part des cancers reconnus en MP du fait d’une exposition à l’amiante représentait 89,5 % de l’ensemble des cancers reconnus en MP en 2009 (1 578 sur 1 764 cancers) (86 % en 2002). Si l’on exclut l’influence des cancers reconnus en MP du fait d’une exposition à l’amiante : – 65 cancers ont été pris en charge en MP entre 2002 et 2010 pour les assurés agricoles parmi 42 250 MP (0,15 %) ; – 186 cancers ont été pris en charge en MP pour la seule année 2009 pour les mêmes expositions pour les assurés du régime général parmi 47 763 MP (0,4 %). Résultats : la répartition par organe atteint Tableau 6.7. Répartition des affections cancéreuses reconnues en MP selon l’organe ou l’appareil atteint. Organes cibles

NSA

SA

Total

Broncho-pulmonaires

8

24

32

Plèvre

2

3

5

Ethmoïde

5

14

19

Hématologiques

17

1

18

Cutanés

3

3

Hépatiques

2

2

Osseux

1

1

Total

38

42

80 Source : CCMSA/DERS, août 2011.

Seules quatre localisations différentes d’affections cancéreuses ont été reconnues en MP chez les salariés agricoles entre 2002 et 2010 et sept chez les non-salariés. Les localisations broncho-pulmonaires et pleurales représentaient 40 % des cancers pris en charge en MP. Les cancers de l’ethmoïde et les hémopathies malignes sont également nombreux. 160

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Les assurés agricoles reconnus en MP pour affections cancéreuses exerçaient dans des secteurs professionnels variés (tableau 6.8). Tableau 6.8. Répartition des assurés agricoles atteints d’affections cancéreuses reconnues en MP selon leur secteur d’activité professionnelle. Secteurs professionnels agricoles

Nombre de MP

Viticulture

19

Cultures spécialisées et grandes cultures

10

Cultures et élevages

11

Élevage

10

Scieries fixes

7

Exploitations de bois

2

Artisans ruraux

8

Entreprises de jardins, paysagistes

4

Entreprises de travaux agricoles

1

Maraîchage, floriculture

1

Produits laitiers

1

Sucrerie, distillation

2

Traitement de la viande

1

Approvisionnement

1

Coopératives diverses

1

Autres organismes professionnels (bureau

1

Total

80

3.1.4. Prise en charge des cancers en maladie professionnelle en dehors des tableaux En dehors des tableaux, déterminant une liste d’affections limitée et des critères d’exposition à des facteurs de risque précis, une MP peut être reconnue après avis du CRRMP dans le cadre de l’alinéa 4 de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale à condition qu’il soit établi au vu du dossier présenté (tableau 6.9) : – que la maladie non désignée dans un des tableaux soit caractérisée ; – qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel ; – qu’elle entraîne le décès ou une incapacité permanente prévisible au moins égale à 25 %. 161

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Résultats : les demandes de reconnaissance La CCMSA a analysé l’ensemble des avis rendus par les CRRMP depuis 2004 pour les salariés et les non-salariés agricoles. Entre 2004 et 2010, les CRRMP ont examiné 85 demandes de reconnaissance d’affections cancéreuses en maladies professionnelles (41 salariés et 44 non-salariés) et donné 13 avis favorables (9 salariés et 4 non-salariés) (tableau 6.9). Tableau 6.9. Répartition des demandes de prises en charge en MP d’affections cancéreuses au titre de l’alinéa 4 selon l’organe ou le système (2004-2010). Appareil ou système Système hématopoïétique

Appareil respiratoire ORL

Pathologie 31

11 11

Appareil génito-urinaire

Appareil digestif

11

11

Lymphome

13

Leucémie

6

Myélome

5

Maladie de Hodgkin

2

Myélodysplasie

2

Aplasie médullaire

2

Maladie de Vaquez

1

Cancer broncho-pulmonaire

10

Cancer de la plèvre

1

Cancer du larynx

6

Cancer du pharynx

5

Cancer de la vessie

4

Cancer du testicule

4

Cancer de la prostate

2

Cancer du rein

1

Cancer de l’estomac

4

Cancer du foie et des voies biliaires

3

Cancer du pancréas

3

Cancer du côlon

1

Système nerveux

8

Cancer du cerveau

8

Autres

2

Mélanome

1

Tumeur maligne du tissu conjonctif

1

Total

85

85 Source : CCMSA/DS/ENCM, août 2011.

162

Stratégies d’action et secteurs professionnels : approches inter-régimes 6

Plus d’une demande sur trois concernait une hémopathie maligne (en particulier des lymphomes). Un nombre de dossiers importants se rapportait également à un cancer broncho-pulmonaire ou une tumeur maligne du cerveau. Parmi ces 85 dossiers, 73 dossiers étaient suffisamment renseignés concernant les risques professionnels. Résultats : les cancers reconnus en MP hors tableau Hors tableau, seuls 13 cas de cancers ont été reconnus en maladie professionnelle pour les assurés agricoles entre 2004 et 2010. Onze dossiers sont renseignés concernant l’exposition retenue ; il s’agit toujours de produits phytosanitaires. Tableau 6.10. Répartition des affections cancéreuses prises en charge en MP au titre de l’alinéa 4 selon l’organe ou le système (2004-2010). Appareil ou système Hémopathies malignes

SA + NSA (2004-2010) 7 Lymphome 3 Leucémie 2 Myélome 1

Myélodysplasie 1 Cancer digestif (foie, pancréas)

2

Cancer uro-génital (rein)

1

Cancer du cerveau

1

Cancer ORL (pharynx)

1

Cancer broncho-pulmonaire

1

Total

13 Source : CCMSA/DS/ENCM, août 2011.

Le lien avec l’exposition aux produits phytosanitaires a été retenu pour les 7 hémopathies malignes reconnues en MP (3 non-salariés et 4 salariés agricoles) (tableau 6.10). Ces 7 cas d’hémopathies malignes s’ajoutent aux 18 cas d’hémopathies reconnus en MP dans le cadre des tableaux décrits plus haut. À titre de comparaison, pour les assurés du régime général, les CRRMP ont donné un avis favorable pour la prise en charge de 37 affections cancéreuses en 2009.

163

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

3.2. Conclusion La reconnaissance de certaines affections cancéreuses en maladie professionnelle est possible pour les salariés ou les non-salariés agricoles, avec le bénéfice de la présomption d’imputabilité lorsqu’elles correspondent aux critères d’un des dix tableaux concernés ou après avis du CRRMP sur dossier individuel. Alors que le nombre de prises en charge en maladie professionnelle augmente, le nombre d’affections cancéreuses reconnues dans ce cadre reste faible : en moyenne, moins de 9 nouveaux cas reconnus par an pour l’ensemble des assurés agricoles entre 2002 et 2010 (80 prises en charge dans le cadre des tableaux durant la période). Cette reconnaissance intervient à un âge jeune, en particulier pour les non-salariés agricoles. L’amiante, le benzène et le bois apparaissent comme les principales expositions retenues. La part des affections cancéreuses reconnues en MP par exposition à l’amiante est bien plus faible pour les assurés du régime agricole (31 %) que pour ceux du régime général (80 à 90 % des cancers reconnus en MP selon les années depuis 2002). Trois groupes d’affections cancéreuses sont à l’origine de plus de 90 % de ces cas : les cancers broncho-pulmonaires ou de la plèvre (dont 2/3 reliés à l’exposition à l’amiante), les cancers de l’ethmoïde et les hémopathies malignes. Hors tableau de MP, 13 assurés agricoles souffrant d’une pathologie maligne ont été pris en charge en MP entre 2004 et 2010, dont 7 atteints d’une hémopathie maligne. Pour ces dossiers examinés par les CRRMP, le lien avec une exposition à des produits phytosanitaires est retenu dans tous les dossiers bénéficiant d’un avis favorable. Concernant la population agricole, ces résultats démontrent l’intérêt d’études sur la recherche de facteurs de risques professionnels des hémopathies malignes. Des études de cohortes sont actuellement en cours pour préciser le lien entre la mortalité ou l’incidence des cancers et les expositions professionnelles à des cancérogènes.

164

Prise en charge et réparation

1 7

1. Le suivi et la réparation médico-légaux et leurs limites Bernard Fontaine (médecin du travail, toxicologue ERT, Pôle santé travail, Lille) Comme il sera détaillé plus loin dans ce chapitre, l’essentiel de la réparation médicolégale passe par les fourches caudines des tableaux de maladies professionnelles (TMP) [1], ces derniers étant promulgués par décret. Il reviendra donc aux CRRMP, lorsqu’ils estiment qu’une pathologie cancéreuse relève d’une exposition professionnelle, et qu’il n’existe pas de TMP permettant sa reconnaissance, de la déclarer en MP hors tableau, s’il existe un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’exposition. De nombreuses pathologies cancéreuses, liées scientifiquement à des expositions professionnelles, ne sont pas (encore ?) reprises dans un TMP (tableaux 7.1, 7.2).

165

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 7.1. Lien certain démontré chez l’Homme [2-4] (pour des expositions typiquement professionnelles). Site de cancer Glandes salivaires

Exposition Rayonnements ionisants

Estomac

Fabrication du caoutchouc

Sinus de la face

Poussières de cuir Production de l’isopropanol par le procédé à l’acide sulfurique

Larynx

Brouillards d’acides forts minéraux, amiante

Poumons

Béryllium Métier de peintre Fabrication du caoutchouc Fumées d’échappement de moteurs diesel

Plèvre

Métier de peintre

Peau

Ultraviolets solaires Polychlorobiphényles (PCBs) Antécédents de brûlure cutanée Huiles de schiste

Ovaire

Amiante

Rein

Trichloréthylène

Vessie

Arsenic et composés minéraux Colorants métabolisés en benzidine Métier de peintre Fabrication de caoutchouc

Œil

Soudage à l’arc

Tissus lymphoïdes/hématopoïétiques

1,3 butadiène Formaldéhyde Fabrication de caoutchouc

Tous sites

2,3,7,8 TCDD (dioxine de Seveso)

Tableau 7.2. Lien probable/possible [2-4] (pour des expositions typiquement professionnelles). Site de cancer

166

Exposition

Lèvres

Rayonnement solaire

Pharynx

Amiante Procédés d’impression

Voies aérodigestives supérieures

Exposition professionnelle aux bitumes oxydés en travaux d’étanchéité

Œsophage

Nettoyage à sec Perchloréthylène Fabrication du caoutchouc

Prise en charge et réparation 7

Site de cancer

Exposition

Estomac

Amiante inhalé

Côlon/rectum

PCBs Perchloréthylène Trichloréthylène

Foie

PCBs Perchloréthylène Trichloréthylène

Nez et sinus de la face

Fabrication de textiles

Larynx

Fabrication de caoutchouc

Poumon

Brouillards d’acides forts minéraux Métiers du verre Exposition combinée aux toluènes alphachlorés et au chlorure du benzoyle Créosotes Utilisation d’insecticides non arsenicaux procédés d’impression 2,3,7,8 TCDD (dioxine de Seveso) Fumées de soudage Travaux d’étanchéité avec exposition aux bitumes oxydés Émissions dues à la friture à haute température

Peau

Créosotes Métiers du raffinage du pétrole

Tissus mous (sarcome)

Polychlorophénols et/ou leurs sels sodiques

Sein

Travail en équipe modifiant le rythme circadien Oxyde d’éthylène PCBs

Col utérin

Perchloréthylène

Prostate

Fabrication du caoutchouc Cadmium et composés, arsenic (et composés minéraux)

Rein

Arsenic (et composés minéraux) Cadmium et composés, perchloréthylène Procédés d’impression

Vessie

4 chloro-orthotoluidine Perchloréthylène Nettoyage à sec Fumées d’échappement de moteurs diesel Métiers de coiffeur et barbier Procédés d’impression Fabrication de textiles

167

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Site de cancer

Exposition

Cerveau et système nerveux central

Champs électromagnétiques radiofréquence (30 kHz à 300 GHz)

Tissus lymphoïdes/hématopoïétiques

Oxyde d’éthylène Métiers du raffinage du pétrole Polychlorophénols et/ou leurs sels sodiques Styrène Trichloréthylène Perchloréthylène PCBs

Sites multiples

Herbicides chlorophénoxy

On verra plus bas que des recommandations de bonnes pratiques pour le médecin du travail (MDT) parlent d’une visite de fin de carrière1. Une autre visite médicale, d’un intérêt capital pour l’information du travailleur, et pour la pertinence et la qualité de son suivi ultérieur, serait une visite médicale obligatoire à 50 ans. L’expérience montre que très peu de cancers professionnels surviennent avant l’âge de 50 ans. Cette visite serait complètement désolidarisée de l’aptitude, et son but consisterait uniquement en la réalisation d’un curriculum laboris (incluant la période de formation professionnelle), permettant de recenser de manière qualitative et si possible semi-quantitative les expositions encourues, ainsi que leurs dates de début et leur longueur. Hélas, la dernière loi promulguée [5] ne rend pas ces visites obligatoires. Le MDT, pour cette reconstitution nécessaire des expositions, a réglementairement à sa disposition des informations : – les fiches d’exposition, pour les expositions antérieures au 31 janvier 2012 ; – les fiches de prévention des expositions, pour celles encourues depuis le 1er février 2012 [6]. Mais tout ceci reste très théorique ! Pour les fiches d’exposition, en dehors des rayonnements ionisants pour lesquels le recours à Siseri permet une excellente traçabilité, les expositions dont une appréciation est parfois possible se résument pratiquement, et encore dans les cas de manipulation délibérée, essentiellement à l’amiante, à la silice cristalline, au benzène et au chlorure de vinyle monomère. Les poussières de bois sont exceptionnellement mesurées par des laboratoires agréés, comme le voudrait la réglementation. Quant aux fiches de prévention des expositions, 1. Haute autorité de santé (HAS) : recommandation R3 pour le suivi post professionnel amiante - http:// www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-05/amiante_suivi_post-professionnel_-_ recommandations_-_version_finale.pdf

168

Prise en charge et réparation 7

en fin 2013, dans un service interentreprises surveillant 450 000 salariés, moins de 10 000 étaient renseignées, malgré tous les efforts déployés par ledit service pour rendre conviviale et simple leur réalisation par les employeurs (établissement et actualisation en ligne). De plus, ces fiches sont encore plus exceptionnellement renseignées pour les apprentis et les travailleurs intérimaires, pourtant souvent plus exposés aux agents cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) [7] que les travailleurs en contrat à durée indéterminée (CDI). Le dossier médical en santé travail est donc très souvent incomplet. C’est donc à partir de la connaissance des emplois occupés, du tissu industriel régional, et de l’historique des process industriels que cette reconstitution des expositions se fait le plus souvent, avec le recours possible aux matrices emploi/exposition disponibles : on citera en particulier le portail Exppro de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Dans de rares cas, il existe des données croisant code PCS-ESE1 d’une profession et/ ou codes NAF de secteurs d’activité, avec l’odds ratio (OR) d’un cancer donné ; par exemple [8], les données issues du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) de l’InVS montrent un OR de 10 pour les secteurs de l’extraction/transformation de l’amiante, de 17 pour les tuyauteurs et de 1,15 pour les mécaniciens automobiles (cela pour un an au moins d’exercice du métier en question). À l’issue de cette reconstitution des expositions, le médecin du travail peut envisager une stratégie de suivi. Quand le salarié est encore en activité, ce suivi est assuré par le médecin du travail et prend le nom de suivi postexpositionnel. Les anciens textes réglementaires concernant le contenu de ce suivi ont été abrogés par un arrêté du 2 mai 2012, applicable au 1er juillet 2012 : actuellement, c’est donc le médecin du travail qui décide de la nature du suivi, en se basant sur les recommandations de bonnes pratiques existantes, recommandations dont les principales seront détaillées plus bas. Le coût financier des examens complémentaires nécessaires pour ce suivi est pris en charge par le service de santé au travail. Quand le salarié n’est plus en activité, ce suivi n’est plus assuré par le médecin du travail car le contrat de travail n’existe plus. Il prend le nom de suivi postprofessionnel et c’est donc la médecine libérale et/ou hospitalière qui le prend en charge, en se basant quant à son contenu sur l’arrêté publié le 6 décembre 2011, modifiant l’annexe II de l’arrêté du 28 février 1995 précisant les modalités de suivi postprofessionnel pour les agents cancérogènes visés à l’article D. 461-25 du Code de Sécurité sociale. La prise en charge financière de ce suivi n’incombe plus aux services de santé au travail. 1. PCS-ESE : professions et catégories socioprofessionnelles des emplois salariés d’entreprise.

169

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

– Quelles sont les principales recommandations de bonnes pratiques existantes ? Suivi postprofessionnel amiante (29-4-2010) recommandation HAS. – Surveillance médico-professionnelles des travailleurs exposés à l’action cancérigènes des poussières de bois (1er novembre 2011) (label HAS/Inca). – Suivi des travailleurs exposés ou ayant été exposés à des cancérogènes pour la vessie (label HAS/Inca).

1.1. Recommandation amiante La recommandation HAS amiante suivi postexpositionnel s’applique de fait aux médecins du travail depuis le 1er juillet 2012 vu l’abrogation par l’arrêté sus-cité du 2 mai 2012 des dispositions réglementaires antérieures. De façon schématique, la pratique des radiographies pulmonaires et épreuves fonctionnelles respiratoires est à bannir, au profit de la pratique à intervalles réguliers d’un scanner pulmonaire spiralé, de dépistage, réalisé sans injection de produit de contraste, dont les protocoles méthodologiques de réalisation et d’interprétation sont décrits dans la recommandation. Le droit à l’information du patient est préservé. En fonction de l’importance de l’exposition, ce scanner est réalisé pour la première fois 20 ans après la première exposition, puis avec une périodicité de 5 ans si exposition forte. En cas d’exposition autre, le premier scanner sera prescrit 30 ans après la première exposition, puis avec une périodicité de 10 ans. Cela se heurte quand même à des difficultés non prévues lors de l’établissement de ces recommandations (prévues initialement pour le suivi postprofessionnel, et non pour des salariés en activité) : – refus par l’employeur actuel de « libérer » un salarié pour la réalisation du scanner quand l’exposition à l’amiante était le fait d’un employeur précédent ; – absence d’unanimité sur le bénéfice, en termes de santé, du diagnostic précoce d’un nodule pulmonaire ; – irradiations des salariés considérablement différentes suivant l’endroit où le scanner est pratiqué, et pouvant être conséquentes en termes de détriment de santé (tableau 7.3) ; – nombre très insuffisant de radiologues formés à la lecture de ce type de scanner dans cette indication ; ainsi, l’actualisation au 5 décembre 2003 de la liste des radiologues experts acceptant de rendre publiques leurs coordonnées (site sfrnet.org) pour deuxième lecture des examens de scanner thoracique de surveillance postexpositionnelle amiante ne comprend que douze noms sur la région Nord-Pas-deCalais pourtant très touchée par la pathologie asbestosique. 170

Prise en charge et réparation 7

1.2. Recommandation poussières de bois (label HAS-INCa) Même si l’examen idéal dans cette indication de suivi postexpositionnel serait l’imagerie par résonance magnétique (IRM), pour des raisons d’insuffisance du parc français en IRM, et donc de manque de disponibilité, l’examen prôné par cette recommandation est la nasofibroscopie périodique (tous les deux ans), en débutant ce suivi 30 ans après la première exposition, sous réserve d’une exposition cumulée de plus de 12 mois. La difficulté prévisible de l’application de cette recommandation a mené les instigateurs de cette recommandation (Société française de médecine du travail et Inca) à monter une étude d’évaluation de la mise en pratique de cette recommandation, étude nommée Cerbois (Cohorte d’évaluation des recommandations bois) avec l’aide du CHU de Nancy et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cette étude est en cours de réalisation, et ses résultats serviront à actualiser en 2016 les dites recommandations. Elle bénéficie d’un financement direct par l’Inca, le RSI et les hôpitaux de Nancy, Bordeaux et Toulouse. D’ores et déjà, les résultats partiels font apparaître une nette insuffisance des remontées vers l’Inserm des médecins ORL libéraux versus leurs collègues hospitaliers ; il est donc probable qu’à l’avenir ce type de suivi, pour une efficience meilleure, devrait être organisé en consultation hospitalière. Une autre difficulté réside dans la faible cotation de l’acte technique qu’est la nasofibroscopie, le coût et le temps à consacrer pour la désinfection correcte d’un nasofibroscope rendant peu attrayante pour le médecin libéral la pratique de cet examen de dépistage.

1.3. Recommandation cancérogènes de vessie Elle sera étudiée plus loin. Il importe toutefois de signaler que, cette fois, c’est le terme « pour le suivi médico-professionnel » qui est utilisé, permettant une appropriation par les praticiens tant en suivi postexpositionnel qu’en suivi postprofessionnel. Il reste néanmoins l’écueil que la périodicité conseillée de pratique du cytodiagnostic urinaire, quand son indication est posée, est tous les six mois, alors que dans l’arrêté du 6-12-2011, non amendé sur ce point, cette périodicité est de deux ans.

1.4. Que donnent les programmes en place de suivi postexpositionnel ? Un aperçu de l’utilité de la démarche peut être apprécié, via les deux exemples suivants. Le premier exemple, issu de la région Nord-Pas-de-Calais, concerne une cohorte de retraités d’une usine de fabrication d’engrais où l’isolant thermique était constitué 171

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

d’amiante et de magnésie, isolant régulièrement démonté manuellement, séché, « cardé », puis remis en place, toutes ces opérations étant manuelles. Ce suivi a débuté en 1998 et continue à être effectué au CHRU de Lille, une thèse récente [10] fait le bilan de ces 14 années de suivi, avec une population initiale de 120 retraités. Trente-trois étaient déjà reconnus en MP 30 à l’inclusion dans l’étude ; depuis, 59 sur les 61 à qui cette démarche a été conseillée au cours du suivi ont été reconnus en MP 30. Cela montre l’importance de la réalisation de ce type de suivi, quand la constitution d’une cohorte de travailleurs de la même entreprise peut être effectuée. Le deuxième exemple porte sur une population plus difficilement « recrutable ». C’est le programme Espri, Épidémiologie et surveillance des professions indépendantes, lancé depuis 2005 par l’InVS et le Régime social des indépendants (RSI), dont les premiers résultats ont été publiés en février 2013. Quinze mille artisans ont été invités à participer à ce programme, initié dans 7 régions, et 9 125 artisans retraités ont été inclus, dont 6 000 considérés par les experts comme potentiellement exposés, avec 127 expositions considérées comme fortes. Sur les 1 810 bilans médicaux effectués, 295 présentaient une pathologie ayant un lien potentiel avec l’amiante. Un suivi épidémiologique est proposé auprès des volontaires parmi l’ensemble des artisans inclus. Cela a déjà permis de montrer l’importance de la prévalence de l’exposition à l’amiante parmi les artisans (65 % des hommes et 3 % des femmes au moins une fois pendant leur carrière). Cette importance est devenue encore plus évidente depuis la publication de l’étude conjointe1 INRS/Capeb/Iris-ST sur l’exposition à l’amiante des plombiers chauffagistes à l’amiante [11]. Cette exposition était mesurée par un moyen innovant, le badge « passif ». Les résultats ont montré que 41 % des artisans dont le badge a prouvé une exposition pensaient ne pas avoir été exposés et que 63 % d’entre eux n’avaient pas mis en œuvre de méthode préventive ! En conclusion, il importe de tout mettre en œuvre pour une meilleure caractérisation des expositions, indispensable tant pour l’amélioration de la prévention primaire que pour une organisation efficiente des suivis perexpositionnels, postexpositionnels et postprofessionnels. Il est urgent que la profession s’organise pour réaliser rapidement un plus grand nombre de référentiels de bonnes pratiques, et que les dits référentiels prennent en compte encore plus, et cela dès leur mise en ligne, les aspects pratiques de leur réalisation (disponibilité, acceptabilité, effets collatéraux, financement…). 1. INRS : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Capeb : Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Iris-ST : Institut de recherche et d’innovation sur la santé et la sécurité au travail.

172

Prise en charge et réparation 7

Par ailleurs, et ce, sans donner de travail administratif supplémentaire aux employeurs, il devrait être possible de mieux utiliser les informations qu’ils doivent déjà fournir à l’Urssaf et aux Carsat/Cram : par exemple, il n’y a pas moyen actuellement pour les Carsat d’identifier toutes les personnes ayant exercé un an le métier de tuyauteur ou de plombier ! Seuls les salariés ayant exercé récemment ces professions seront retrouvés, puisque les codes PCS-ESE ne sont pas historisés et sont supprimés rapidement, ces codes n’étant pas exploités dans le système report aux comptes en vue de la retraite. À n’en pas douter, les débats actuels sur la pénibilité vont créer une nouvelle opportunité pour relancer cette historisation, mais il faudra aussi, et simultanément, créer les conditions nécessaires pour rendre cette donnée disponible pour les services de santé au travail, afin qu’ils puissent assurer pleinement les suivis postexpositionnels.

Tableau 7.3. Niveau de référence diagnostic (NRD).

nombre de scanners

Produit dose longueur (PDL) en mGy.cm suivant les endroits où sont réalisés les scanners de dépistage amiante. Échantillon de 80 scanners réalisés entre 2010 et fin 2012 dans le Nord-Pas-de-Calais, sur 29 installations différentes, signés par 53 médecins différents. Niveau de référence diagnostique (NRD) recommandé dans le rapport de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) pour ce type d’examen

475 mGy·cm

12 11

10 9

9

8 7 4

3 2

1 100

200

300

400

500

600

700

800

900

1 000

> 1 000

mGy·cm

À noter : 2 PDL exprimés en m6y/cm et 2 scanners réalisés sans indications de mention dosimétrique. Pour mémoire, un PDL de 475 correspond à une dose efficace moyenne de 475 × 0,014 = 6,65 mSv (0,014 étant le facteur de conversion global pour la zone pulmonaire).

173

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

9. 10.

11.

174

INRS, Les Maladies professionnelles, ED 835. http://www.inrs.fr/accueil/produits/ mediatheque/doc/publications.html?refINRS=ED%20835 Cogliano VJ, Baan R, et al. Preventable Exposures Associated with Human Cancers. J Natl Cancer Inst, 2011, 103(24):1827-39. Institut national du cancer, module de formation Cancers de la peau. http://www.e-cancer. fr/formation/modules/accueil/index.php?m_id=1 Centre international de recherche sur le cancer. Monographies 104 à 109. http://monographs.iarc.fr/indexfr.php Loi 2011-867 du 20 juillet 2011. Code du travail, article L. 4121-3-1. Léonard M, Cavet M. Les expositions aux produits chimiques cancérogènes en 2010 (Sumer). RST, 2013, 135:60-72. Bulletin épidémiologique hebdomadaire. Surveillance épidémiologique des effets dus à l’amiante : actualités françaises, 41-42, 23 octobre 2007. http://www.invs.sante.fr/ beh/2007/41_42/beh_41_42_2007.pdf www.infectio-lille.com/protocoles/nasofibro.pdf Caudrelier J. Intérêt du suivi postprofessionnel amiante pour les retraités d’une entreprise de fabrication d’engrais du Nord-Pas-de-Calais en termes de bénéfices médicaux et socioadministratifs. Thèse pour le doctorat en médecine, Lille, octobre 2013. Eypert-Blaison C, Fréville L., et al. Amiante : un badge pour améliorer la perception du risque. HST, 2014, 234:46-50.

Prise en charge et réparation 7

2. Prise en compte des inégalités face aux cancers d’origine professionnelle dans les politiques publiques. Constats et pistes d’action Claire Chauvet (Institut national du cancer)

La situation française face aux inégalités sociales de santé est désormais bien connue au regard de ce qui existe dans les autres pays d’Europe de l’Ouest : malgré de bons indicateurs généraux de santé, la France fait état de fortes inégalités de santé, définies comme des « écarts d’états de santé socialement stratifiés » [1]. Ces inégalités ont même tendance à s’accroître. En matière de cancers, elles se traduisent, notamment, par l’existence d’un gradient social dans la mortalité ou l’incidence de ces pathologies. Ainsi, à titre d’exemple, il a été montré que les ouvriers meurent trois fois plus du cancer du poumon que les cadres et que 50 % de la surmortalité des ouvriers serait liée aux expositions professionnelles [2, 3]. Les facteurs liés à l’environnement professionnel et aux conditions de travail contribuent donc pleinement aux inégalités en matière de cancers et de santé, d’autant plus que c’est, en effet, en milieu professionnel que les expositions aux substances, agents et procédés cancérogènes sont souvent les plus longues, intenses et diverses. La prévention des cancers d’origine professionnelle, ainsi que la prise en compte des inégalités dans ce domaine, sont désormais inscrites dans différentes actions publiques. Les constats concernant les inégalités face aux cancers professionnels ne peuvent être exhaustifs. Ils sont établis à partir des connaissances des cancérogènes avérés et connus, laissant ainsi dans l’ombre les effets des substances, agents ou procédés dont les effets cancérogènes sont encore méconnus et/ou débattus. Ils ne prennent également pas en compte les effets des cumuls d’exposition ou des expositions aux faibles doses qui sont rarement considérés dans la littérature. Enfin, ils ne préjugent pas des effets sur la santé des travailleurs, qu’ont pu engendrer les modifications profondes des procédés de production et d’organisation du travail survenues au cours des dernières décennies (instabilité, précarisation, sous-traitance). Par ailleurs, du fait du caractère plurifactoriel du cancer, il reste méthodologiquement difficile de distinguer la part des cancers relevant d’expositions professionnelles de celle imputable à des facteurs individuels (âge, polymorphisme génétique) ou à d’autres types d’exposition (liées à l’environnement et aux modes de vie). 175

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Plusieurs constats sur les inégalités sociales face aux cancers professionnels peuvent être posés, notamment en termes : – d’exposition des travailleurs aux cancérogènes et de mise en œuvre de mesures de prévention dans les entreprises ; – de reconnaissance en maladie professionnelle et d’indemnisation des cancers liés aux expositions professionnelles, ainsi que de suivi médical des travailleurs exposés (avant, pendant et après les expositions, y compris après la vie professionnelle) ; – de diffusion d’information et de mise en œuvre de la formation concernant la prévention des cancers professionnels. Après avoir dressé quelques constats, le bilan d’actions mises en œuvre pour lutter contre les expositions aux cancérogènes en milieu de travail ainsi que les perspectives d’actions pour l’avenir seront ébauchés.

2.1. Les inégalités face aux cancers d’origine professionnelle : quelques constats 2.1.1. Les inégalités face aux expositions et aux cumuls d’exposition Différentes études épidémiologiques et sociologiques ont, depuis les années 1980, mis en lumière l’existence d’importantes inégalités en termes d’exposition aux cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) en milieu de travail. Même si les données restent incomplètes, renforçant ainsi l’invisibilité du phénomène, il est reconnu que les catégories les moins favorisées de travailleurs sont de manière générale beaucoup plus exposées que les autres. D’après les données de l’enquête Sumer 2010, 2 180 000 millions de salariés, soit 10 % de l’ensemble des salariés, ont été exposés à au moins un produit chimique cancérogène au cours de la dernière semaine travaillée. Entre 2003 et 2010, la proportion des salariés exposés à au moins un cancérogène au cours de la semaine précédant l’enquête a diminué, en passant de 13 % à 10 % sur le champ commun aux enquêtes Sumer 2003 et Sumer 2010 [4]. Parmi les salariés concernés, les hommes restent plus exposés que les femmes au cancérogènes. Ils sont 16,1 % à être exposés à au moins un produit cancérogène (contre 2,8 % des femmes) dans la mesure où les secteurs les plus exposés sont essentiellement masculins. Toutefois, les expositions des femmes aux cancérogènes en milieu professionnel ont fait l’objet de peu d’investigations. Les données de Sumer 2010 montrent néanmoins que certains domaines professionnels 176

Prise en charge et réparation 7

majoritairement féminins exposent notablement leurs salariées comme les domaines de la santé-action sociale et les services aux particuliers et aux collectivités (6 % des salariées de ces domaines sont exposées) [4]. Du point de vue des catégories socio-professionnelles, il apparaît que les populations les moins favorisées sont globalement les plus exposées aux cancérogènes. Sur les 2,2 millions de travailleurs exposés aux cancérogènes en 2010, plus des deux tiers sont des ouvriers (alors qu’ils ne constituent que 29 % des salariés). Cette même enquête établit qu’il n’y a pas de secteurs épargnés, mais que cinq grands domaines professionnels (parmi 22 au total) exposent particulièrement leurs salariés : la maintenance (43 %), le BTP (32 %), la mécanique travail des métaux (31 %), le domaine des matériaux souples, bois, industries graphiques (30 %) et l’artisanat (29 %) [4]. Fait notable issu de l’enquête Sumer 2010, les plus jeunes sont les plus exposés. 16 % des salariés de moins de 25 ans sont exposés à au moins un cancérogène chimique (contre 7 % pour les plus de 50 ans). Ce taux monte à 24 % pour les apprentis et les stagiaires, et ce, en raison de leur âge et non de leur statut [4]. Si une même législation s’applique à toutes les entreprises pour tous les salariés, la mise en œuvre effective de la prévention est variable et reste à parfaire, ce qui génère des iniquités entre travailleurs. La mise en œuvre de la prévention des expositions aux cancérogènes, qui comprend l’évaluation, la réduction et la protection des travailleurs, peut être liée aux types d’entreprise et aux branches d’activité. Il existe ainsi dans ce domaine des différences marquées entre les grandes entreprises, les PME-TPE (petites et moyennes entreprises et très petites entreprises), les entreprises de sous-traitance et les sociétés d’intérim. Les données de Sumer 2010 montrent que les salariés des petits établissements sont plus exposés (13 %) que ceux des établissements de plus de 500 personnes (8 %) [4]. Cela illustre le fait que les grandes entreprises disposent généralement de moyens plus importants pour prévenir, traiter et limiter les expositions aux cancérogènes [5]. De plus, elles ont plus facilement recours à l’externalisation des activités à risque, par le biais de la sous-traitance (en France ou à l’étranger). Les expositions sont alors déplacées vers des entreprises qui n’ont pas toujours les moyens de les prévenir. Toutefois, peu de données chiffrées sont disponibles. Malgré tout, la taille de l’entreprise et l’appartenance à une branche d’activité ne préjugent pas d’une culture de prévention au sein même de l’entreprise. En outre, ces inégalités vis-à-vis des expositions sont inscrites dans des processus cumulatifs qui, le plus souvent, les aggravent et les multiplient. Les expositions à plusieurs cancérogènes professionnels sont parfois associées : l’exposition à au moins trois produits cancérogènes au cours de la semaine précédant l’enquête Sumer 2010 concerne 1 % de l’ensemble des salariés et respectivement 8 % et 5 % des salariés de la 177

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maintenance et du BTP [4]. Ces cumuls ne sont pas pris en compte dans le calcul des valeurs moyennes d’exposition, qui sont établies de façon indépendante pour chaque produit. Enfin, les différenciations sociales des parcours professionnels, les inégalités géographiques, les plus grandes expositions de certaines populations à d’autres facteurs de risque de cancer (tabac, alcool, alimentation, sédentarité...) [6] ou les perceptions variables des risques, s’inscrivent également dans ces processus cumulatifs et contribuent aux inégalités.

2.1.2. Les inégalités dans le repérage, le suivi des expositions et la réparation des cancers liés aux expositions professionnelles Différentes dispositions réglementaires encadrent la traçabilité des expositions tout au long des parcours professionnels et le décret 2001-97 de février 2001 impose la tenue de fiches d’exposition individuelle et d’attestations d’exposition dans chaque entreprise. Toutefois, ces dispositions réglementaires sont diversement appliquées. Par exemple, les résultats d’une campagne de contrôle européenne menée en 2010 concernant la prise en compte des agents chimiques dangereux pour la santé des salariés montrent que, dans les secteurs de la réparation automobile et du nettoyage, très peu de fiches d’exposition sont effectivement dressées (respectivement 5 % et 9 %) et que peu d’attestations d’exposition sont remises aux travailleurs lorsqu’ils quittent l’entreprise (respectivement 3 % et 5 %) [7]. Néanmoins, de manière générale, dans ces deux secteurs, la taille influence le respect des obligations de traçabilité des expositions, dans la mesure où celles-ci sont mieux respectées dans les entreprises de plus de 50 employés que dans les plus petites. Dans ce rapide panorama des difficultés de la mise en place d’une traçabilité effective des expositions, les salariés en sous-traitance et les intérimaires présentent une situation spécifique, du fait, notamment, de la multiplicité des employeurs, des interlocuteurs médicaux et de la distance avec la société donneuse d’ordre, qui peuvent entraîner une dilution de la perception du risque. La situation des retraités est également particulière en raison des longs délais de latence d’apparition d’un cancer qui survient après l’arrêt de la vie professionnelle, d’autant plus que le suivi postprofessionnel des personnes exposées est largement sous-utilisé [8]. L’indemnisation des cancers en maladies professionnelles fait également état d’importantes inégalités. Seule une faible part des cancers d’origine professionnelle serait reconnue et donc indemnisée [9]. La sous-déclaration et la sous-reconnaissance des 178

Prise en charge et réparation 7

cancers professionnels en maladies professionnelles sont régulièrement constatées et contribuent à l’invisibilité dans le monde professionnel et plus généralement dans la société [10], même si le nombre de cancers reconnus comme maladies professionnelles a augmenté ces dernières années. En 2012, 1 902 cancers ont été reconnus et indemnisés au titre des maladies professionnelles, soit une augmentation de 5 % par rapport à 2011 (2,9 % pour les cancers de l’amiante et 16,6 % pour les cancers hors amiante). Sur la période de 2008-2012, en moyenne annuelle, 1 779 cancers ont été reconnus comme maladie professionnelle et ont donné lieu à une première indemnisation par l’Assurance maladie. Cela correspond à une augmentation moyenne annuelle de 3,6 % (2,5 % pour les cancers liés à l’amiante et 10,6 % pour les cancers hors amiante) [11]. Outre le fait que le système de reconnaissance, de réparation et de suivi postexposition reste largement sous-utilisé, tous les cancérogènes avérés ne sont pas inscrits dans les tableaux des maladies professionnelles. En conséquence, seule une part des cancers liés à des expositions professionnelles est effectivement reconnue, ce qui renforce les inégalités. Les modalités de reconnaissance et de réparation des cancers liés à des expositions professionnelles varient d’une branche d’activité à une autre, selon le régime de Sécurité sociale et peuvent, de ce fait, générer des inégalités. Ainsi, au sein des entreprises, le chef d’établissement est pénalement responsable alors que, dans la fonction publique, l’État et les collectivités locales assument cette responsabilité en tant que personne morale. En ce qui concerne l’accessibilité et la mise en œuvre des procédures de reconnaissance, dans le régime général, la reconnaissance se base sur une présomption d’origine (tableau et existence d’un système de reconnaissance hors tableau) alors que, dans la fonction publique, l’imputabilité de la preuve revient à la victime. En outre, les travailleurs indépendants ne sont pas couverts pour les risques liés au travail. Du point de vue des patients, de nombreuses difficultés sont rencontrées dans leur parcours pouvant mener à la reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie. Elles tiennent, notamment, à la méconnaissance des patients, mais également à celle des médecins de soins, des dispositifs existants ainsi qu’aux difficultés que peuvent rencontrer certaines personnes dans les démarches administratives [12]. Cette situation s’inscrit dans le contexte spécifique des réformes de la médecine du travail initiées en 1989 et qui s’est prolongé en 2011 avec le vote d’une nouvelle réforme de la médecine du travail1 et dont certains textes d’application ont été publiés en 2012. Cela s’ajoute à une démographie peu favorable des médecins du travail entraînant, pour certains services, des difficultés à remplir la totalité de leurs missions [13]. Toutefois, 1. 953 médecins du travail (en ETP) exercent en 2011 en services autonomes et 4 594 (en ETP) en services interentreprises, soit une baisse de près de 9,8 % par rapport à 2010.

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si le suivi reste imparfait dans toutes les branches, certains secteurs sont en plus grande difficulté. Ainsi, en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises (PME-TPE), la situation est très complexe. En effet, faute de moyens, le tiers temps accordé à la visite des entreprises par le médecin du travail n’est pas toujours accompli dans les TPE selon la périodicité réglementaire. De plus, les travailleurs des TPE ne sont pas toujours suivis par le même médecin du travail, entraînant ainsi potentiellement des inégalités dans les échanges avec les salariés (difficultés à établir et maintenir une relation de confiance avec l’interlocuteur). Ces entreprises disposent néanmoins de la possibilité de mutualiser leurs efforts et leurs moyens par le biais des services de santé interentreprises (qui couvrent environ 20 % des salariés) et de reporter la responsabilité des visites sur ces services et non sur les entreprises.

2.1.3. Les inégalités dans la prévention, la formation et l’information Un troisième axe d’inégalités identifié concerne l’accès à l’information et la formation des entreprises et des travailleurs face aux risques CMR dans l’environnement professionnel ainsi qu’à leur prévention. En effet, l’organisation de la prévention est fortement liée à la connaissance des risques cancérogènes et de leur présence au sein de l’établissement. Elle dépend ainsi du métier et du niveau technologique de l’entreprise, de l’existence d’un risque spécifique ou diffus, de la possibilité de mettre en œuvre ou non des procédés alternatifs ou de substitution présentant un danger moindre pour la santé des travailleurs. Parmi les divers facteurs de risque cancérogène, les mieux connus sont généralement les mieux encadrés ou appréhendés, comme les rayonnements ionisants ou l’amiante. Toutefois, la connaissance de risques ne débouche pas forcément sur la mise en œuvre de mesure de prévention. C’est notamment ce que montrent les résultats de la campagne de contrôle européenne réalisée en France dans le secteur du nettoyage en 2010 : si 47 % des entreprises de ce secteur forment et informent leurs travailleurs au risque chimique, ces derniers sont plus nombreux à être informés à mesure que la taille de l’entreprise est importante [7]. Les inégalités les plus criantes concernent les CMR encore débattus. Une grande entreprise mettra plus facilement en œuvre des mesures de précaution, alors qu’une TPE n’aura pas forcément la connaissance ni les moyens de mettre en place de telles dispositions. L’accès et la diffusion des connaissances des risques CMR auprès des entreprises sont compliqués par divers éléments. Ainsi, les divergences entre classifications des CMR existantes – entre la classification européenne et celle du Centre international de 180

Prise en charge et réparation 7

recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé – et leurs mises à jour régulières sont parfois peu lisibles et pas toujours concordantes. Enfin, la connaissance souvent partielle de la toxicité des produits, des mélanges de produits ou des composés intermédiaires générés au cours des procédés industriels, l’existence ou non de procédés de substitution, l’évaluation de la contribution des facteurs professionnels dans la survenue de cancers par ailleurs liés à certains modes de vie (notamment tabac et cancer du poumon, tabac et alcool pour les cancers des VADS), le polymorphisme génétique individuel, ajoutent à la complexité de la mise en application de mesures de prévention visant à réduire la survenue des cancers professionnels.

2.2. La prise en compte des inégalités face aux cancers d’origine professionnelle dans les politiques publiques. Éléments de bilan et pistes d’action 2.2.1. Une meilleure prise en compte des inégalités face aux cancers professionnels Même si de nombreuses inégalités subsistent face aux expositions, la baisse du nombre de salariés exposés aux produits chimiques cancérogènes entre 2010 et 2013 montre l’efficacité de la mise en œuvre des mesures de prévention, notamment par le biais de la substitution. Différents éléments de bilan des politiques publiques récentes peuvent être tirés. Le premier élément est celui d’une meilleure prise en compte des cancers professionnels et des inégalités qui leurs sont liées par les organismes publics, ainsi que la recherche d’une meilleure synergie entre les acteurs publics. Ainsi, au cours de la dernière décennie, les politiques publiques ont de plus en plus pris en compte les cancers professionnels et leur prévention : la loi de santé publique (objectif 17), le Plan cancer 2003-2007, avec notamment l’action 13 « visant à renforcer la lutte contre les cancers professionnels et environnementaux », le Plan national santé environnement 1 et son axe 2 visant à prévenir les pathologies d’origine environnementale, dont les cancers et enfin le Plan santé travail 2005-2009 dont l’axe 4 a pour objectif de réduire les effets sur la santé des travailleurs des expositions aux agents cancérogènes (catégories 1 et 2) par la diminution des niveaux d’exposition. Plus récemment, la réduction des inégalités sociales de santé, spécifiquement dans le domaine des cancers professionnels, constitue désormais un des axes structurants de 181

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divers plans et programmes nationaux de santé publique arrivant à terme et qui ont cherché à agir en synergie. Si le bilan des objectifs opérationnels de ces différentes politiques publiques reste difficile à faire, cette inscription de la réduction des cancers professionnels dans les politiques permet de progressivement sortir de l’invisibilité dans laquelle ces pathologies se trouvent. Ainsi, le Plan national santé environnement 2 (2009-2013) a inscrit comme axe principal la réduction des inégalités environnementales et a élaboré des mesures (11 et 12), notamment concernant la substitution des produits cancérogènes et le suivi des expositions en milieu de travail. L’évaluation de ce plan par le Haut conseil de santé publique [14] ainsi que les bilans de la mise en œuvre des actions ont fait état d’avancées dans la connaissance de l’imprégnation des produits chimiques dans l’organisme. Il est fait également mention d’un meilleur contrôle sur les produits chimiques et de la restriction ou de la nécessité d’autorisation de certains produits chimiques, même si de fortes inégalités persistent selon les secteurs d’activité et les métiers concernés. Le Plan cancer 2009-2013 a inscrit la réduction des inégalités sociales face aux cancers, ainsi que la prévention des expositions en milieu professionnel comme des priorités pour l’action. Différentes actions ont visé l’amélioration de la connaissance et de la surveillance des cancers professionnels. Ainsi, les mésothéliomes (essentiellement dus à une exposition à l’amiante), quel que soit le site anatomique (plèvre, péritoine, péricarde…), s’ajoutent à la liste officielle des maladies à déclaration obligatoire (DO) (décret n° 2012-47 du 16 janvier 2012). Cette DO vient compléter le Programme national de surveillance des mésothéliomes (PNSM), établi en 1998. Par ailleurs, une expérimentation et une évaluation de l’intérêt de la mise en place de consultations spécifiques cancers professionnels pour améliorer le diagnostic des étiologies et la déclaration des cancers professionnels est en cours (projet Net Keep). Enfin, le Plan santé travail 2 (2010-2014) a fait porter ses efforts sur la prévention des risques CMR. Une mesure conjointe du PST 2 avec le Plan cancer 2009-2013 consistait en l’élaboration, à l’attention des médecins du travail et des médecins traitants, de recommandations de bonnes pratiques pour améliorer la surveillance médicale des travailleurs exposés à des CMR. Plusieurs recommandations de bonnes pratiques ont donc été élaborées par la Société française de médecine du travail. En février 2011, elles concernaient la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés à l’action cancérigène des poussières de bois (label conjoint HAS-INCa), afin d’optimiser la prévention du risque cancérigène des poussières de bois (cancers naso-sinusiens) et le suivi médical des travailleurs exposés à ce risque [15]. Ces recommandations, émises pour la période 2011-2015, seront actualisées et évaluées, notamment à la lumière des études cliniques en cours. À cet effet, l’étude de faisabilité de l’application de ces recommandations (étude Cerbois) est en cours. En mars 2012, elles traitaient de la surveillance 182

Prise en charge et réparation 7

médico-professionnelle des travailleurs exposés ou ayant été exposés à des agents cancérogènes chimiques : application aux cancérogènes pour la vessie (label HAS-INCa) [16]. Ces recommandations concernent la traçabilité des expositions (l’inscription des informations dans le dossier médical, une visite médicale des travailleurs exposés lors de la sortie de l’entreprise et la délivrance d’une attestation d’exposition), le dépistage ciblé des tumeurs de la vessie (cytologie urinaire) et la surveillance de la population exposée (dépistage 20 ans après l’exposition). Celles qui ont été publiées en mai 2012 concernent la surveillance médico-professionnelle des travailleurs postés et/ou de nuit (label HAS) [17]. Il est, notamment, recommandé d’informer les femmes sur le fait que le travail posté et/ou de nuit est un facteur de risque probable pour le cancer du sein, ne justifiant pas de dépistage spécifique par rapport au dépistage organisé du cancer du sein. Du côté de l’Assurance maladie, le programme cancers professionnels de la branche AT/MP de la Cnamts, lancé en 2009, a permis à plus de 6 500 entreprises de bénéficier d’une intervention. Ces actions devaient mener au repérage d’environ 100 000 salariés exposés et ont abouti à la soustraction de 45 000 d’entre eux à l’exposition à au moins un produit cancérogène [12]. Ces dispositions nationales s’inscrivent dans un contexte européen avec l’entrée en vigueur en 2008 du règlement européen Reach qui a pour objectif une meilleure protection de la santé et de l’environnement à l’égard des substances chimiques. Il vise à réglementer leur mise sur le marché selon leurs risques, à accroître la connaissance sur la toxicité de produits non encore évalués à ce jour et à promouvoir la substitution des substances dangereuses pour la santé. Toutefois, il est à noter que ce règlement ne s’applique pas aux composés intermédiaires générés au cours des procédés industriels. Après plus de cinq ans de mise en œuvre, 6 000 substances ont été enregistrées au niveau européen, mais des inégalités apparaissent entre les entreprises, avec des difficultés de mises en œuvre pour les PME.

2.2.2. Des pistes d’action à renforcer et à élaborer À partir de ces orientations générales, différentes pistes d’action peuvent être envisagées en concertation avec les institutions et organismes concernés et dans le cadre de programmes et de plans en cours d’élaboration. Dans un premier temps, il apparaît que, bien qu’essentielle, l’existence de la réglementation seule n’est pas suffisante pour qu’elle soit appliquée. Les dispositifs existants devraient, tout d’abord, être mieux appliqués et systématisés, comme, notamment 183

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l’utilisation du dispositif de suivi postprofessionnel. Une meilleure promotion auprès des entreprises et des travailleurs pourrait en être faite. Par ailleurs, une meilleure synergie entre les acteurs et, notamment, entre les médecins du travail et les médecins traitants, devrait être organisée afin d’assurer une continuité de la prévention et de la prise en charge autour des personnes exposées. La transmission des informations concernant les agents cancérogènes auxquels le travailleur a été exposé, l’organe cible et le suivi postprofessionnel à effectuer pourrait constituer un axe fort de coopération entre ces professionnels de santé. Comme l’a montré une enquête récente, les médecins généralistes se disent plutôt mal informés sur les maladies professionnelles et les problèmes de santé au travail : 61 % se déclaraient mal informés et 13 % très mal informés [18]. Les médecins généralistes constituent des acteurs clés de la prise en charge des cancers professionnels, notamment du fait du temps de latence long entre les expositions et l’apparition de la maladie. Mieux sensibiliser les médecins généralistes aux dispositifs existants pourrait être une piste. L’appropriation des recommandations HAS à destination des médecins du travail pour un nouveau dossier santé au travail constitue un des outils utilisables. Des protocoles pour le suivi médical des expositions professionnelles pour les cancérogènes non prévus dans l’article R. 241-50 du Code du travail sur la surveillance médicale professionnelle, doivent être élaborés. Enfin, l’opportunité et la faisabilité d’une visite de sortie de l’entreprise par le médecin du travail avec un relais effectif vers le médecin traitant devraient être évaluées, afin de savoir si elles permettraient de renforcer le dispositif et les modalités de surveillance des personnes exposées. Enfin, des pistes spécifiques doivent également être envisagées et négociées à destination des PME et des TPE ainsi que pour les travailleurs les plus exposés et/ou les moins protégés (travailleurs en sous-traitance, précaires, travailleurs étrangers, apprentis…). La mise en œuvre de structures de soutien et l’élaboration d’outils à destination des TPE, en termes de formation et d’information des chefs d’entreprise et des personnels exposés pourraient être étudiée. La mutualisation des moyens dans le cadre de services interentreprises rendrait ainsi possible une meilleure couverture des TPE. Il faut également mettre en avant l’importance de chaque élément de la chaîne, y compris les donneurs d’ordre dans le cas de la sous-traitance. Enfin, au vu notamment, des résultats de l’enquête Sumer 2010, une action plus particulière auprès des jeunes devrait être mise en œuvre et être déployée en concertation et en synergie entre différents acteurs du monde de l’entreprise, de la santé au travail et de l’Éducation nationale.

184

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CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

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Prise en charge et réparation 7

3. Cancers d’origine professionnelle : quelle reconnaissance en Europe ? Raphael Haeflinger (Eurogip)

Introduction Cette étude d’EUROGIP a été menée en collaboration avec les organismes d’assurance contre les risques professionnels de quatorze pays : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Suisse et Suède. Publiée en 2010, elle vise à mettre en évidence les cancers susceptibles d’être reconnus comme professionnels par les organismes d’assurance et à comparer le nombre de cancers professionnels qui sont effectivement reconnus dans les pays couverts par l’enquête. Un point est également fait sur les dispositifs de suivi postprofessionnel pour les travailleurs ayant été exposés à des agents cancérogènes durant leur carrière.

3.1. Cancers susceptibles d’être reconnus comme professionnels Presque tous les pays européens couverts par l’étude possèdent une liste nationale de maladies professionnelles qui confère aux pathologies inscrites une présomption d’origine professionnelle plus ou moins forte selon le pays. Sur ce point, il est renvoyé aux différentes publications d’Eurogip en particulier sur les maladies professionnelles1, 2. Il existe par ailleurs dans presque tous les pays un système complémentaire de reconnaissance, dans le cadre duquel la victime doit prouver le lien entre sa pathologie et son activité professionnelle.

1. Les maladies professionnelles liées à l’amiante en Europe. Reconnaissance, chiffres, dispositifs spécifiques, mars 2006. http://www.eurogip.fr/fr/produits-information/publications-d-eurogip/48-les-maladies-professionnellesliees-a-l-amiante-en-europe-reconnaissance-chiffres-dispositifs-specifiques 2. Les maladies professionnelles en Europe, janvier 2009. http://www.eurogip.fr/fr/produits-information/publications-d-eurogip/89-les-maladies-professionnellesen-europe-statistiques-1990-2006-et-actualite-juridique

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3.1.1. Reconnaissance au titre du système de liste Les tableaux ci-après recensent la quasi-totalité des cancers inscrits à ce jour sur les différentes listes nationales de maladies professionnelles, par localisation de la tumeur et avec une déclinaison selon l’agent causal. Il est très difficile de répertorier avec une exhaustivité absolue tous les types de cancers couverts par toutes les listes, car ces dernières sont structurées de manière totalement hétérogène (de la liste très générale d’agents causaux suivie de quelques pathologies particulières en Suisse à des tableaux très précis associant pour chaque pathologie un agent causal et des critères de reconnaissance en France). Sont de fait exclus des tableaux ci-après certains cancers spécifiquement inscrits sur la liste de peu de pays – voire d’un seul – et qui représentent très peu de cas de personnes atteintes. Ces informations ont été fournies par les organismes d’assurance contre les maladies professionnelles des pays considérés. L’inscription sur une liste n’exclut pas que chaque pays possède ses propres critères de reconnaissance à satisfaire pour permettre de reconnaître le caractère professionnel du cancer considéré (dénomination de la pathologie, durée et/ou intensité de l’exposition…). Précisons que les cancers marqués d’un astérisque ont été inscrits récemment sur la liste des maladies professionnelles du pays concerné. Ces tableaux mentionnent également si les cancers sont inscrits ou non sur la liste européenne issue de la recommandation du 19 septembre 2003, qui n’a qu’une valeur indicative. Tableau 7.4. Recensement des cancers susceptibles d’être reconnus au titre des listes nationales de maladies professionnelles. Suisse

Liste européenne

Luxembourg





















































Portugal

Italie

France

Finlande

Espagne

Danemark

Belgique

Autriche

Pathologie et/ou agent

Allemagne

Pays

































Cancers de la vessie

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Arsenic et composés minéraux











Brais de houille









Dérivés du pétrole









Goudrons de houille







Huiles de houille





Suies de combustion du charbon







Prise en charge et réparation 7











Anthracène











Résines









Bitume







Radiations ionisantes







Huiles minérales





























Carbazol et ses composés

Liste européenne

Paraffine et ses composés



Suisse

●*

Portugal

Espagne



Luxembourg

Danemark



Italie

Belgique



France

Autriche



Pathologie et/ou agent

Finlande

Allemagne

Noir de fumée

Pays

● ●







●*





































Cancers de la vessie Amines aromatiques et leurs sels









N-nitroso-dibutylamine et ses sels ●*, 1

Goudrons, huiles et brais de houille (1. sauf pour les huiles)

●*





●*



●*





● ● ●

●1



Suies de combustion du charbon

Cancers broncho-pulmonaires Cancer primitif provoqué par : les rayonnements ionisants







l’acide chromique, les chromates, les bichromates alcalins ou alcalino-terreux, les chromates de zinc









les goudrons, huiles, brais de houille et suies de combustion du charbon







l’inhalation de poussières ou de vapeurs d’arsenic et de ses composés









● ●



● ●









● ●































189

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS



























Liste européenne

●*

Suisse



Portugal

Finlande



Luxembourg

Espagne



Italie

Danemark



France

Belgique

l’inhalation de poussières de béryllium l’inhalation de poussières d’amiante l’inhalation de poussières ou de fumées de nickel l’inhalation de poussières ou de fumées d’oxyde de fer l’inhalation de poussières de cadmium l’inhalation de poussières de cobalt associées au carbure de tungstène avant frittage le bis(chlorométhyle) éther Dégénérescence maligne pulmonaire consécutive à : l’inhalation de poussières d’amiante une silicose ou silituberculose

Autriche

Pathologie et/ou agent

Allemagne

Pays



























































●*



●*

●*













●*

















●*









●*







(pour cancer primitif)

Cancers osseux Sarcome dû aux rayonnements ionisants Cancer de l’ethmoïde et des sinus de la face dû aux poussières de bois Cancer de l’ethmoïde et des sinus de la face dû au nickel Cancer des fosses nasales dû au chrome Cancer des fosses nasales dû aux poussières de cuir

190

























●*

















































●*













Prise en charge et réparation 7







Arsenic et composés minéraux





Chlorure de vinyle monomère





Virus des hépatites



Liste européenne



Suisse

Rayonnements ionisants

Portugal



Luxembourg



Italie

Espagne



France

Danemark



Finlande

Belgique

Autriche

Allemagne

Benzène

Pays











































B et C reconnus comme

Pathologie et/ou agent Leucémies ●

Cancers hépatiques ● ●

● B, C et delta





● B et C



● ●

B

AT

Rayonnements ionisants





Autres types de cancers Cancers liés à l’inhalation de poussières d’amiante (autres que cancers du poumon) : cancer du larynx









mésothéliome pleural











mésothéliome du péritoine











mésothéliome du péricarde









●*







●*







































● ●









Autres cancers Cancer de la thyroïde dû à des radiations ionisantes



Cancer du larynx/ cavités orales dû aux goudrons/brais de houille Cancer du pancréas lié à l’inhalation d’arsenic













191

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Liste européenne

Suisse

Portugal

Cancer du poumon lié au tabagisme passif

Luxembourg

Cancer du larynx lié au chrome



Italie

Cancer du rein lié au trichloréthylène

France

Pathologie et/ou agent

Finlande

Espagne

Danemark

Belgique

Autriche

Allemagne

Pays

● ●









On constate qu’il y a peu de changements majeurs, en termes de cancers, entre les listes nationales de 2002 et celles en vigueur actuellement. Deux pays se distinguent quelque peu – l’Espagne et le Danemark –, dans la mesure où ils ont profité de la publication d’une nouvelle liste de maladies professionnelles, respectivement en 2006 et en 2005, pour y inclure plusieurs nouveaux types de cancers ou nouveaux agents susceptibles de provoquer un cancer professionnel. L’absence d’évolutions notables s’explique d’une part par le fait que l’origine professionnelle de nombreux cancers ne fait pas de doute depuis plusieurs dizaines d’années et qu’ils sont inscrits de longue date sur les différentes listes. On constate de surcroît que lorsqu’une évolution est constatée, ce sont de nouveaux types de cancers qui sont ajoutés aux listes et non pas retirés de celles-ci. D’autre part, ce tableau ne reflète pas les évolutions qui ont pu avoir lieu dans différents pays en matière de critères de reconnaissance relatifs à ces cancers. Danemark : révision générale de la liste de maladies professionnelles en 2005 Après plusieurs années sans modification de la liste danoise des maladies professionnelles concernant les cancers, une révision générale a eu lieu en août 2005 sur la base des résultats des recherches les plus récentes du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC ou IARC en anglais) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La nouvelle liste applicable aux cas déclarés à partir de l’année 2005 comporte 24 nouvelles entrées au total, incluant de nouveaux types de cancers ou de nouvelles expositions susceptibles de provoquer certains cancers. En outre, la structure de la nouvelle liste de maladies professionnelles a été simplifiée, puisque tous les cancers ont été regroupés dans une seule catégorie.

192

Prise en charge et réparation 7

3.1.2. Reconnaissance au titre du système complémentaire ou hors liste Théoriquement, lorsque la législation nationale prévoit l’existence d’un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles (ce qui est le cas dans tous les pays considérés à l’exception de la Suède qui ne connaît pas de système mixte, mais uniquement un système de la preuve, et de l’Espagne qui n’a qu’un système de liste), toutes les pathologies sont susceptibles d’être admises in fine au titre de l’indemnisation du risque professionnel sous les conditions propres à chaque pays. En pratique, puisque c’est à la victime d’apporter la preuve de l’origine professionnelle de sa pathologie, le nombre de cas de maladies professionnelles reconnus au titre de ce système est faible. Cela est particulièrement vrai pour les cancers car, d’une part, les types de cancers les plus fréquents en volume sont généralement déjà listés, d’autre part, il existe une difficulté d’objectivation de l’origine des cancers. Il existe peu de données disponibles sur les cancers reconnus au titre du système complémentaire (ou système de la preuve) dans les différents pays. Certains pays ont communiqué les informations qui suivent sur la base des cas effectivement reconnus au cours de la dernière décennie. En Allemagne, les principaux types de cancers susceptibles d’être reconnus comme professionnels au titre du système complémentaire sont le cancer cutané causé par l’exposition aux rayonnements ultraviolets, le cancer de l’œsophage causé par les nitrosamines et le cancer pulmonaire causé par l’exposition au 1,3-propanesulfone. En France, plusieurs dizaines de cancers non désignés dans la liste nationale des maladies professionnelles sont reconnues chaque année. Leur diversité est telle qu’il n’est pas possible d’en dresser une liste exhaustive. L’Italie n’est pas en mesure de fournir des informations sur la typologie des cancers pouvant être reconnus au titre du système complémentaire, mais précise qu’entre 2001 et 2008, sur les 6 247 cas de cancers reconnus comme professionnels, 957 l’ont été au titre du système complémentaire (soit 15 % des cas). En Suisse, un seul cas de cancer a été reconnu hors liste entre 2000 et 2007 ; il s’agissait d’une tumeur maligne des fosses nasales. L’Autriche ne relève que deux cas d’adénocarcinome reconnus au titre du système complémentaire depuis 2002, l’un chez un carrier et l’autre chez un travailleur du secteur de la chimie. Au Danemark, suite à la classification par l’OMS du travail de nuit posté comme « agent probablement cancérogène pour l’Homme » (groupe 2A), l’organisme d’assurance contre les maladies professionnelles a décidé en novembre 2007 de reconnaître 193

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

comme maladie professionnelle (au titre du système complémentaire) et d’indemniser les femmes présentant un cancer du sein lié à l’exercice d’un travail de nuit posté. Cette reconnaissance est possible sous certaines conditions et les dossiers sont étudiés au cas par cas : le travail de nuit doit avoir été de longue durée (au moins 1 nuit par semaine pendant 20 à 30 ans) et tout cas présentant un risque héréditaire de cancer du sein est rejeté. Mi-2009, une quarantaine de femmes avaient reçu une indemnisation (de 13 000 à 134 000 euros) ; la plupart avaient travaillé dans le secteur hospitalier. La Belgique et le Luxembourg ne mentionnent aucun cas de cancer reconnu hors liste récemment, malgré l’existence d’un système complémentaire.

3.2. Analyse des données nationales de reconnaissance Des données avérées sont disponibles sur le nombre de cancers dont le caractère professionnel a été reconnu par les organismes nationaux d’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il est toutefois admis que les cas recensés sont bien en deçà de la réalité du phénomène. Les raisons pour expliquer cette sous-déclaration des cancers professionnels sont principalement à rechercher dans la difficulté pour le corps médical à identifier l’origine professionnelle ou non des cas de cancers rencontrés, et dans la longueur de la période de latence des cancers qui rend difficile l’identification des facteurs de risque et de l’éventuelle exposition professionnelle. Cet aspect de la sous-déclaration est à distinguer de la question de la reconnaissance dans la mesure où, généralement, les taux de reconnaissance des cancers comme maladies professionnelles sont élevés.

3.2.1. Évolution du nombre de cancers professionnels (2000-2008) Ces statistiques représentent le nombre de nouveaux cas de cancers reconnus comme professionnels entre 2000 et 2008 par l’organisme d’assurance compétent dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, République tchèque, Suède et Suisse. Seuls la Belgique, le Danemark et la Suisse ont été en mesure de fournir également des statistiques sur les demandes de reconnaissance en cancer professionnel. Par conséquent, l’exploitation des statistiques en vue d’une comparaison entre pays a porté sur les cas de cancers reconnus, à l’exception de la Finlande qui n’a pu fournir que des données relatives aux demandes de reconnaissance (tableau 7.5). 194

Prise en charge et réparation 7

Tableau 7.5. Récapitulatif des cas de cancer reconnus comme professionnels entre 2000 et 2008. Nombre de cancers reconnus

2000

2001

2002 2003 2004

2005

2006

Allemagne







2 173 2 107

2 194

2 054 2 240

Autriche

28

29

47

Belgique

114

118

148

41

53

70

84

76

91

178

144

178

245

168

219

Danemark

154

100

105

110

112

136

135

153

187

Espagne

6

4

14

7

6

13

4

15

62

Finlande

138

114

140

145

167

148

139

150

168

France

1 033 1 400 1 511

1 734 1 951

2 051

1 896*

Italie

nr

625

750

755

783

876

911

853

694*

Luxembourg

2

6

5

5

10

16

13

15

16

République tchèque

50

55

49

45

26

39

38

37

24

Suède











33

43

34

19

Suisse

55

56

62

69

89

99

128

116



1 856 1 894

2007

2008

– : non renseigné. * Données provisoires à l’époque de la parution du rapport donc légèrement sous-estimées.

Les données communiquées par les organismes montrent une tendance quasi généralisée à l’augmentation du nombre de cancers professionnels reconnus, à quelques exceptions près. Les évolutions doivent toutefois être interprétées avec prudence pour les pays où le nombre absolu de reconnaissances est faible et pour lesquels quelques cas en plus ou en moins d’une année sur l’autre peuvent générer de fortes variations.

3.2.2. Les types de cancer les plus reconnus en 2008 Sont recensées dans le tableau ci-après les statistiques relatives aux cinq types de cancers les plus reconnus dans chaque pays en fonction de leur localisation. Le regroupement des cancers les plus fréquents par organe atteint n’est pas aisé dans la mesure où les structures de présentation des statistiques nationales diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. La disponibilité uniquement par agent causal des statistiques issues des systèmes d’information espagnol et suisse ne permet pas d’inclure ces pays dans cette analyse. Le tableau 7.6 présente les statistiques de l’année 2008 qui sont les statistiques disponibles les plus récentes sur ce point. 195

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 7.6. Les types de cancers les plus reconnus en 2008. Pays

Cancers Broncho- Sinus reconnus pulmonaire

Vessie

Sang

Peau

Autres

Allemagne

2 240

1 907

38

106

89

31

69

Autriche

91

84

6

0

0

0

1

Belgiquer

219

195

19

2

1

0

2

Danemark

187

112

6

9

1

13

46

Finlande

168

160

2

2

1

0

3

France*

1 898

1 681

82

48

39

9

39

Italie

694

556

33

72

0

5

28

Luxembourg

16

12

3

0

0

0

1

République tchèque

24

11

0

3

0

7

3

Suède Total

19

15

1

0

0

0

3

5 556

4 733

190

242

131

65

195

* Données provisoires à l’époque de la parution du rapport donc légèrement sous-estimées.

Les cinq types de cancers les plus reconnus en 2008 (pourcentages) Les cancers broncho-pulmonaires (plèvre, péritoine et péricarde compris), des sinus, de la vessie et du sang représentent la presque totalité des cancers reconnus en 2008 dans les 10 pays considérés, à savoir 97 % (soit 5 361 cas sur les 5 556 cancers reconnus). À eux seuls, les cancers broncho-pulmonaires représentent 86 % des cancers reconnus, suivis de loin par les autres cancers identifiés (vessie 4 %, sinus 3 %, sang 2 % et peau 1 %). Les cancers professionnels reconnus touchant d’autres organes ne représentent que 4 % du total reconnu. Le cancer broncho-pulmonaire, de la plèvre, du péritoine et du péricarde domine de loin tous les cancers reconnus (l’agent causal amiante étant à l’origine de la plupart d’entre eux) (fig. 7.1). En effet, il représente de 60 % des cancers reconnus au Danemark à 92 % en Autriche (95 % des cancers déclarés en Finlande). Si l’on considère pour l’année 2008 les cinq cancers les plus fréquemment reconnus par pays, on remarque également que l’Autriche, le Luxembourg, la République tchèque et la Suède se caractérisent par une absence d’hétérogénéité des types de cancers reconnus : exclusivement des cancers du poumon et des sinus en Autriche, au Luxembourg et en Suède, auxquels on peut ajouter quelques cas de cancers de la peau en République tchèque. 196

Prise en charge et réparation 7

86 %

4% 1% 2%

3%

4%

Broncho-pulmonaire

Sinus

Vessie

Sang

Peau

Autres

Figure 7.1.

Cela peut s’expliquer principalement par le fait que ces quatre pays sont aussi ceux qui reconnaissent très peu de cancers en valeur absolue (pour 2008 : 91 en Autriche, 16 au Luxembourg, 24 en République tchèque et 19 en Suède). Une « diversification » du type de cancers reconnus est donc moins aisée que dans les autres pays. Pour les pays qui reconnaissent plusieurs centaines de cas de cancers par an (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Italie), la structure est identique : on retrouve dans chacun d’entre eux au moins quatre des cinq types de cancers identifiés comme les plus fréquemment reconnus, avec une part moindre pour les cancers du sang et de la peau. 26,6 %

Santé et éducation

39,3 % 4,6 %

Industries textiles

40,7 %

Transports/communications

27,9 %

Autres industries

28,3 %

41,7 % 44,1 % 33,1 %

Industrie électronique

50,7 % 35,5 %

Industrie chimique

54,0 % 29,4 %

Industries extractives et minières

68,6 % 58,9 %

Imprimerie

71,8 % 48,5 %

Industrie automobile

73,0 % 63,3 %

Industrie métallurgique

78,4 % 71,5 %

Commerce et réparation automobile

81,0 % 64,4 %

Construction

87,7 % 0

10

20

30

40

Emplois multi-exposés

50

60

70

80

90

100

Emplois exposés

Figure 7.2. Proportion d’emplois mono- et multi-exposés selon le secteur d’activité (n = 5 479). Note : seuls ont été retenus les secteurs présentant un taux d’exposition supérieur ou égal à 35 %. Les secteurs suivants ne sont donc pas reportés sur le graphique : agriculture et pêche (32,6 % d’emplois exposés), commerce et réparation d’articles (20,7 %), hôtels et restaurants (25,0 %), administration publique (22,9 %), activités financières-immobilières-informatiques (14,5 %), services personnels et domestiques (33,3 %), services aux entreprises (31,4 %) et services aux collectivités (20,6 %).

197

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

On peut enfin noter que la part des autres cancers (autres que les cancers bronchopulmonaires, de la plèvre, du péritoine et du péricarde, des sinus, de la vessie et du sang) est relativement variable, entre 0,9 % en Belgique et 25 % au Danemark. Toutefois, à l’exception de ce dernier pays, tous les pays se situent à moins de 15 %. Prépondérance de l’élément causal amiante dans les cancers reconnus La plupart des statistiques nationales, quelle que soit leur structure de présentation (classification uniquement par agent causal, uniquement par localisation de la tumeur, combinaison de ces deux critères ou présentation distincte selon ces deux critères), per mettent d’isoler les cas de cancers professionnels causés par l’amiante1. Le cas échéant, les cas reconnus au titre du système complémentaire ont été ajoutés (même lorsque l’amiante n’est que l’un des agents à l’origine du cancer reconnu) (tableau 7.7). Tableau 7.7. Prépondérance de l’élément causal amiante dans les cancers reconnus. Pays

Nombre total de cancers reconnus

Cancers reconnus causés par l’amiante

2 240

1 768

Autriche

91

85

Belgique

219

193

Danemark*

187

112

Allemagne

Espagne

82

21

Finlande*

168

160

1 898

1 625

694

507

Luxembourg*

16

12

République tchèque

24

5

Suède*

19

15

France* Italie*

Suisse* Total

116

104

5 734

4 607

1. Pour des informations plus détaillées : Les maladies professionnelles liées à l’amiante en Europe, Eurogip, mars 2006. http://www.eurogip.fr/fr/produits-information/publications-d-eurogip/89-les-maladies-professionnellesen-europe-statistiques-1990-2006-et-actualite-juridique

198

Prise en charge et réparation 7

* Remarques : – Pour le Danemark, le Luxembourg et la Suède, le chiffre correspondant à l’élément causal amiante recouvre les cas de mésothéliomes et tous les cas de cancers broncho-pulmonaires reconnus ; il est donc probable qu’il soit légèrement surestimé dans la mesure où des cancers broncho-pulmonaires causés par d’autres agents ont pu être comptabilisés (même cas de figure pour la Finlande concernant ses demandes de reconnaissance) ; puisque nous raisonnons sur des chiffres de l’ordre de 1 cas pour la Suède, la surestimation ne peut qu’être faible pour ce pays ; l’assimilation de tous les cancers broncho-pulmonaires à des cancers causés par l’amiante peut avoir un impact plus important sur les taux obtenus pour le Luxembourg (9 cas sont concernés) et le Danemark (32 cas sont concernés). – Pour la France et l’Italie, le nombre de cas est peut-être légèrement sous-estimé car seuls les cas reconnus au titre de la liste ont été considérés, les données issues du système complémentaire ne permettant pas d’isoler l’agent causal. À noter également que pour la France, ce sont les données provisoires de 2008 qui ont été prises en considération, mais que les données consolidées de 2007 affichent une même proportion. – Pour la Suisse, les données disponibles sont celles de l’année 2007.

3.2.3. Comparaison entre pays (2006) Les cas de cancers reconnus ont été rapportés à la population assurée par les organismes concernés. L’année 2006 a été choisie compte tenu de la meilleure exhaustivité des informations pour les deux critères de population et de cas reconnus. Le tableau 7.8 laisse apparaître une certaine hétérogénéité entre les pays puisque les ratios obtenus varient de 0,85 pour la République tchèque à 10,44 pour la France. À noter le cas spécifique de l’Espagne, où l’analyse des statistiques se heurte en effet au très faible nombre des cancers reconnus par rapport à la population assurée. Les pays où le ratio est très faible sont vraisemblablement confrontés à un problème de sous-déclaration des cancers professionnels plus prégnant que dans les autres pays. Il est également possible que la nature ou les spécificités de chaque système de reconnaissance des maladies professionnelles impactent le ratio (exemple de la Suède où il n’existe pas de système de liste mais un système où la victime doit apporter la preuve de l’origine professionnelle de sa maladie). 199

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 7.8. Cancers reconnus rapportés à la population assurée en 2006. Pays

Cas reconnus

Allemagne

2 194

Population assurée

Reconnaissance pour 100 000 assurés

33 382 080

6,57

Autriche

84

3 089 167

2,72

Belgique

245

2 483 948

9,86

Danemark

135

2 710 462 (en 2005)

4,98

Espagne*

4

15 502 738

0,03

Finlande*

139

2 129 000

6,53

1 894

18 146 434

10,44

France Italie

911

17 686 835

5,15

Luxembourg

13

279 810

4,65

République tchèque

38

4 497 033

0,85

Suède

43

4 341 000

0,99

Suisse

128

3 651 709

3,51

3.3. Suivi postprofessionnel des travailleurs exposés Tous les pays prévoient que les salariés exposés à des cancérogènes bénéficient d’un suivi médical dans le cadre des services de santé au travail financés par l’entreprise. Mais cette surveillance cesse de fait dès lors que les travailleurs deviennent inactifs, soit parce qu’ils sont au chômage, soit parce qu’ils partent à la retraite. Or la période de latence des cancers étant de plusieurs dizaines d’années, c’est souvent lorsque les travailleurs ont cessé leur activité professionnelle que les cancers surviennent. Quelques rares pays européens ont ainsi mis en place un dispositif systématique de suivi des retraités ayant été exposés à des agents cancérogènes (à ne pas confondre avec le suivi postexposition) et quelques autres un dispositif spécifique aux anciens exposés à un cancérogène, en particulier l’amiante.

3.3.1. Dispositifs portant sur les agents cancérogènes En France, il existe depuis 1995 un dispositif de suivi postprofessionnel pour les travailleurs ayant été exposés à des agents cancérogènes. Il prévoit une surveillance médicale 200

Prise en charge et réparation 7

spécifique gratuite ainsi que des examens complémentaires (radiographies, scanners…) tous les deux ans, et ce, afin de dépister précocement un éventuel cancer. Dans les faits, ce dispositif reste peu usité. En 2002, seulement 3 300 personnes en bénéficiaient, alors qu’au vu des données d’exposition, il devrait y en avoir près de 20 fois plus selon une estimation conjointe Inserm/Cnamts. La principale raison vient de la non-connaissance par les intéressés de l’existence de ce dispositif ; l’application du dispositif est en effet très liée aux actions de communication des CPAM1 (entités chargées de l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles) en direction des salariés, des retraités, des entreprises, des médecins du travail et des médecins libéraux. C’est pourquoi les pouvoirs publics ont mis en place deux programmes, Spirale pour les travailleurs salariés et Espri pour les travailleurs indépendants, qui ont pour but de repérer les retraités ayant été exposés à des agents cancérogènes. La phase pilote de chacun de ces programmes, limitée à l’amiante pour Espri et à l’amiante et aux poussières de bois pour Spirale, a déjà montré qu’il est possible de rendre plus efficient le dispositif de suivi postprofessionnel. En Suisse, le suivi médical des travailleurs exposés dans le passé à des substances cancérogènes est réglementé depuis 1984 (ordonnance sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles du 19 décembre 1983, article 74). Ce suivi s’étend aux personnes ayant été exposées à des cancérogènes C1 (substances que l’on sait être cancérogènes/mutagènes pour l’Homme). D’autres agents cancérogènes des catégories C2 (substances devant être assimilées à des substances cancérogènes/mutagènes pour l’Homme) et C3 (substances préoccupantes pour l’Homme en raison d’effets cancérogènes/mutagènes possibles) sont également surveillés (tableau 7.9). C’est la Suva (principal assureur contre les accidents professionnels ou non et les maladies professionnelles) qui contacte par courrier les retraités ayant été exposés à des CMR (produits cancérogènes, mutagènes et/ou toxiques pour la reproduction) en fonction d’un recensement fait sur la base des déclarations obligatoires des employeurs exposants. Actuellement, près de 7 000 personnes sont suivies, dont 4 500 pour une exposition à l’amiante.

1. CPAM : Caisse primaire d’assurance maladie.

201

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau 7.9. Caractéristiques du suivi postprofessionnel en Suisse. CIBLE DU SUIVI Agent cancérogène concerné

Type de cancer concerné

ORGANISATION DU SUIVI Fréquence des examens

Durée du suivi

Benzène

Leucémie

Chaque année Selon le souhait du patient

Jusqu’à l’âge de 75 ans Après 75 ans

Amiante

Cancer du poumon

Tous les 5 ans Tous les 2 ans Selon le souhait du patient

Pendant les 15 premières années suivant le début de l’exposition Jusqu’à l’âge de 75 ans Après 75 ans

Amines aromatiques

Cancer de la vessie Chaque année

Tout au long de la vie

Goudron, poix, hydrocarbures aromatiques polycycliques

Cancer de la peau

Tous les 5 ans Tous les 2 ans

Pendant les 15 premières années suivant le début de l’exposition Tout le reste de la vie

Chlorure de vinyle

Cancer du foie

Tous les 2 ans Selon le souhait du patient

Jusqu’à l’âge de 75 ans Après 75 ans

À noter qu’à l’exception d’une exposition à l’amiante, seules les expositions qui excèdent six mois sont prises en compte.

3.3.2. Dispositifs spécifiques aux maladies causées par l’amiante En Allemagne, le suivi médical des travailleurs exposés ou ayant été exposés à l’amiante (dont les retraités) est organisé par la Zentrale Erfassungsstelle Asbeststaubgefährdeter Arbeitnehmer – ZAs (Agence centrale d’enregistrement des travailleurs exposés aux poussières d’amiante), qui a été créée en 1972 et qui est financée par les Berufsgenossenschaften (organismes chargés de l’assurance des risques professionnels du secteur privé). Les informations relatives aux travailleurs exposés ainsi qu’au type et à l’intensité de l’exposition parviennent à la ZAs par l’intermédiaire des Berufsgenossenschaften, qui les reçoivent des employeurs (c’est une obligation depuis 1984) et les vérifient. La ZAs enregistre ensuite ces données, organise des dépistages (en particulier après l’exposition et après le départ en retraite) et collecte les données médicales aussi bien pour la procédure de reconnaissance que pour la recherche scientifique. 202

Prise en charge et réparation 7

Les examens médicaux sont dispensés tous les 12 à 36 mois, selon le niveau d’exposition, le temps écoulé depuis la première exposition et l’âge de la personne. Ces examens, dispensés par des médecins spécialement formés, consistent en l’étude des antécédents médicaux, du parcours professionnel et du comportement tabagique, un examen clinique, une spirométrie et un examen des voies respiratoires aux rayons X. Grâce à ce système, un certain nombre de cancers professionnels liés à l’amiante ont pu être détectés et déclarés. On estime ainsi que les examens de la ZAs aboutissent chaque année à environ 890 présomptions supplémentaires d’imputation d’une maladie professionnelle causée par l’amiante (pas uniquement des cancers). En Norvège, tous les salariés qui ont travaillé au moins 2 ans au contact de l’amiante avant 1980 passent un examen radiographique au moment de leur départ en retraite et reçoivent un document écrit de la part de leur employeur les informant qu’ils devront renouveler cet examen tous les 2 à 5 ans en fonction de l’exposition. Ces personnes sont identifiées grâce au registre des salariés qui ont travaillé au contact de l’amiante, tenu obligatoirement par chaque employeur et qui, en cas de fermeture de l’entreprise, est transmis à l’inspection du travail. Ce dispositif a été mis en place dès 1976. En Espagne et en Italie, pays qui ont pour caractéristique d’être très décentralisés, on compte quelques initiatives régionales récentes qui prévoient un suivi postprofessionnel des personnes ayant été exposées à l’amiante, mais sous la forme de projets pilotes. En Finlande, les services de santé au travail sont compétents pour suivre, au moyen d’examens radiographiques dispensés tous les trois ans, les travailleurs exposés ou ayant été exposés à l’amiante. Les retraités ne bénéficient toutefois pas de ce dispositif. Mais un programme comparable incluant les personnes de moins de 70 ans a existé entre 1987 et 1992, date à laquelle la Finlande a interdit l’utilisation de l’amiante.

Bibliographie Cancers d’origine professionnelle : quelle reconnaissance en Europe ? http://www.eurogip.fr/ fr/produits-information/publications-d-eurogip/111-cancers-d-origine-professionnellequelle-reconnaissance-en-europe Carton M, Rolland P, et al. Surveillance postprofessionnelle des personnes ayant été exposées à l’amiante : programmes Spirale et Espri. Revue d’épidémiologie et de santé publique 56S, 2008, S259-S294. 203

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4. Examen critique de la politique européenne de prévention des cancers professionnels Laurent Vogel (Institut syndical européen) Les cancers constituent la première cause de mortalité liée à de mauvaises conditions de travail en Europe. Ils déterminent d’importantes inégalités sociales de santé. S’il existe des évaluations divergentes sur le nombre de décès attribuables à des cancers provoqués par des expositions professionnelles, l’ampleur du problème reste incontestable et suggère que les politiques de prévention dans ce domaine sont loin de répondre à l’état des connaissances et des techniques. Par ailleurs, partout en Europe, les systèmes d’indemnisation des maladies professionnelles ne reconnaissent qu’une très faible fraction de l’ensemble des cancers liés aux conditions de travail. Cette contribution analysera brièvement les éléments suivants : l’évolution des législations communautaires concernant la mise sur le marché et la protection de la santé des travailleurs et les obstacles principaux rencontrés dans l’application de ces règles dans différents États membres. Elle n’abordera que les cancers causés par des substances chimiques. Les autres facteurs susceptibles de causer des cancers comme le travail de nuit, l’exposition au rayonnement solaire, les rayonnements ionisants ou des agents biologiques ne seront pas examinés ici.

4.1. Évolution de la réglementation du marché Pendant longtemps, l’Union européenne a ignoré l’importance des cancers professionnels et a négligé de créer un cadre législatif cohérent en vue de leur prévention. Dans ce domaine, l’évolution communautaire n’a pas été très différente de l’évolution nationale de ses États membres. Dès la création de la Communauté économique européenne, la question de l’harmonisation des législations concernant la mise sur le marché des substances chimiques s’est posée. En effet, la diversité des législations nationales était considérée comme un obstacle potentiel à la création du marché commun. Les règles communautaires ont été adoptées avec l’objectif prioritaire de la libre circulation des marchandises. Ce n’est qu’assez lentement que d’autres préoccupations ont été prises en compte : santé publique, santé au travail et protection de l’environnement. Il n’est donc pas surprenant que, sur la base du traité de Rome (1958), les premiers développements législatifs concernent les règles du marché. 204

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La première directive adoptée remonte à 1967 (directive 67/548). Elle déterminait des règles concernant la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances chimiques. Elle instituait une autorégulation par les producteurs et n’établissait, à l’origine, aucun contrepoids à ce principe. Il appartenait à l’industrie chimique de déterminer les risques liés à l’usage des substances qu’elle produisait. La classification dépendait donc principalement de données recueillies et sélectionnées par l’industrie même si la directive a progressivement ouvert la voie à une classification harmonisée pour les substances les plus dangereuses. Une telle approche néglige le conflit d’intérêts entre une évaluation correcte des risques et le profit économique lié à la commercialisation des substances. Face à l’insuffisance manifeste de ce cadre législatif, trois stratégies étaient possibles en ce qui concerne le niveau de régulation : renforcer la réglementation nationale (c’est ce qu’a fait la France avec la loi du 12 juillet 1977 sur le contrôle des produits chimiques), miser sur une réforme de la législation communautaire (option principale de l’Allemagne soucieuse de garantir l’accès au marché européen pour sa production chimique), attendre d’hypothétiques accords internationaux (il y eut de longues négociations dans le cadre de l’OCDE qui débouchèrent en 1982 sur un texte purement optionnel concernant les données que les États pouvaient demander aux producteurs avant une mise sur le marché). La réforme du droit communautaire s’est faite par petites touches. Elle a multiplié les instruments législatifs tant en ce qui concerne le marché général des substances chimiques qu’en ce qui concerne des utilisations spécifiques (pesticides, cosmétiques…) ou la sécurité des installations dangereuses (première directive Seveso en 1982). Reach n’a résolu que partiellement les inconvénients d’un cadre législatif très fragmenté. La directive de 1967 a dû être modifiée à maintes reprises et il a fallu la compléter par d’autres instruments législatifs destinés à mitiger les inconvénients d’une autorégulation par l’industrie chimique. En 1976, la directive 76/769 a prévu la possibilité de limiter la mise sur le marché par des mesures de restriction. Cinquante-neuf mesures ont été adoptées en 33 ans1. L’interdiction de l’amiante, décidée seulement en 1999, montre la lenteur de ce processus. En 1979, le sixième amendement de la directive de 1967 a imposé la notification préalable des nouvelles substances mises sur le marché par le fabricant ou toute autre personne établie dans la Communauté auprès de l’autorité compétente de l’un des États membres. La procédure prévoyait quatre éléments : un dossier technique concernant l’évaluation des risques ; une déclaration relative aux effets suivant les différentes utilisations envisagées ; une proposition de classification et étiquetage si le produit est dangereux d’après les critères de la directive ; des propositions concernant les précautions à prendre pour une utilisation et une élimination 1. Depuis l’adoption de Reach, le rythme des restrictions s’est ralenti. On est passé de deux nouvelles mesures en moyenne par an à une mesure par an [2].

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sûres de la substance. Les informations exigées étaient variables en fonction du volume de production calculé individuellement (par producteur ou importateur et par an), de manière indépendante d’une estimation globale des volumes de production sur le marché européen. Cet inconvénient était tempéré par le fait que le volume de production à partir duquel la notification était exigée était de 10 kg par an par producteur. Sur ce point, les règles combinées de Reach et de la nouvelle réglementation CLP1 représentent une régression qu’illustre leur incapacité à fournir un cadre adéquat pour la régulation des nanomatériaux. Désormais, la notification peut se faire après la mise sur le marché (dans un délai de trente jours) et elle comporte une classification plutôt qu’une proposition de classification. L’obligation de notification a été formulée dans un contexte particulier. Les États-Unis venaient d’adopter en 1976 une législation fédérale TSCA (loi sur le contrôle des substances toxiques) après cinq années de débats intensifs qui rappellent à bien des égards les polémiques qui ont entouré la négociation de Reach. À l’époque, les États-Unis s’orientaient vers une politique plus ambitieuse que l’Union européenne en matière de risques chimiques. La réforme intervenue en Europe en 1979 est apparue comme une réaction contre cet activisme réglementaire des États-Unis qui suscitait l’hostilité de l’industrie chimique européenne [1]. Les débats de cette époque fournissent une sorte d’image inversée de ce qui s’est produit au moment de l’élaboration de Reach, du moins en ce qui concerne les positions des acteurs étatiques. En 1993, le règlement 793/93 a organisé l’évaluation par les autorités publiques des risques présentés par les substances existantes. Ce règlement a été complété par des dispositions concernant les substances nouvelles (c’est-à-dire les substances mises sur le marché après septembre 1981). Le processus d’évaluation n’a produit que des résultats décevants. L’insuffisance des ressources accordées aux organismes publics d’expertise toxicologique, combinée avec les réticences de l’industrie chimique à communiquer l’ensemble des données pertinentes, n’a pas permis de surmonter l’énorme déficit de connaissance sur les effets des substances mises sur le marché. À peine 141 substances furent inscrites sur la liste des substances prioritaires à évaluer. Trente-neuf évaluations furent effectivement réalisées. Au fil du temps, différentes réglementations européennes ont été adoptées pour des catégories plus spécifiques comme les médicaments, les additifs alimentaires, les biocides, les déchets, les produits cosmétiques, les détergents… Ces réglementations ne seront pas examinées dans cet article.

1. Règlement 1272/2008 concernant la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges.

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Dès 1995, avec l’adhésion de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche1, la nécessité d’une réforme radicale a été reconnue. Les candidats à l’adhésion (principalement la Suède) avaient une réglementation beaucoup plus avancée que la réglementation communautaire. Leur opinion publique n’aurait pas admis un alignement pur et simple sur le niveau des règles communautaires. Au cours des négociations qui préparèrent cet élargissement de l’Union européenne, la nécessité d’une réforme globale de la législation en vigueur fut reconnue. L’acte d’adhésion comportait des dispositions permettant à l’Autriche et à la Suède de maintenir, pendant une période transitoire, des conditions plus strictes en ce qui concerne certains aspects de la réglementation du marché des substances chimiques. De façon très symbolique, la première commissaire suédoise dans la Commission européenne, Mme M. Wallstrom, a reçu le portefeuille de l’environnement entre 1999 et 2004. Elle devait jouer un rôle très important dans l’impulsion de Reach. En 1998, la Commission publia un rapport sur l’application des règles existantes. Ce rapport montrait que la réglementation était peu cohérente, lacunaire et mal appliquée. On peut cependant observer que la Commission européenne était loin d’adopter un point de vue unanime sur cette question. Les formulations prudentes du rapport de 1998 avaient la fonction diplomatique de dissimuler des divergences de fond. Ces divergences apparurent de façon manifeste dans le courant de l’année 1999. La Commission prit le parti de soutenir un entrepreneur suédois qui remettait en cause sa législation nationale. L’affaire portait sur l’interdiction de principe d’utiliser du trichloréthylène à des fins professionnelles. L’entreprise suédoise Toolex Alpha AB fabriquait des disques compacts et utilisait du trichloréthylène pour éliminer la graisse provenant des résidus de fabrication. L’inspection suédoise des produits chimiques lui avait refusé une autorisation de continuer à utiliser cette substance, parce que l’entreprise n’avait pas présenté un plan de substitution du trichloréthylène. En juillet 2000, la Cour de justice européenne rejeta le point de vue de la Commission et justifia son soutien à la législation suédoise par un principe général de substitution consacré dans le droit communautaire (arrêt Toolex Alpha AB, 11 juillet 2000). Audelà de l’argumentation juridique, ce procès montrait que la Commission restait divisée sur la nécessité impérative d’une réforme de la régulation des produits chimiques et sur son contenu. De façon constante, on observe depuis 15 ans une volonté politique beaucoup plus déterminée de la part de la DG environnement en faveur de politiques favorables à la santé humaine et à l’environnement. La DG entreprises tend à concevoir son propre rôle comme une sorte de porte-parole des intérêts des entreprises privées et elle entend 1. Les négociations pour l’élargissement ont également concerné la Norvège. L’adhésion de la Norvège a été rejetée par référendum pendant l’automne 1994.

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être considérée comme l’instance décisionnelle centrale pour les produits chimiques1. La DG affaires sociales reste passive. Les moyens dont elle dispose sont dérisoires par rapport à l’enjeu des risques chimiques pour les travailleurs en Europe (moins de cinq personnes travaillent sur ces questions). Les tensions internes se sont manifestées à de nombreuses reprises, tant au cours de la négociation de Reach que pendant sa mise en œuvre. Au cours des deux mandats de la commission sous la présidence de M. Barroso, la DG entreprises a pu consolider ses positions grâce à des alliances entre deux commissaires successifs (le socialiste allemand G. Verheugen entre 2004 et 2009 et le conservateur italien A. Tajani entre 2009 et 2014) et le président de la Commission européenne. Ces alliances ont parfois mis à mal le principe de collégialité, sur la base duquel la Commission doit adopter des positions. Le Livre blanc de la Commission du 27 février 2001 sur la Stratégie pour la future politique dans le domaine des substances chimiques (COM(2001)88 final) procéda à une évaluation critique du dispositif mis en place et proposa des changements importants. Les différentes étapes de la négociation ont été marquées par d’âpres conflits2. Finalement, les aspects les plus novateurs du Livre blanc ont été affaiblis. L’’offensive contre Reach ne s’est pas déroulée uniquement en Europe. L’administration Bush aux États-Unis a multiplié les pressions sur l’Union européenne pour éviter l’adoption d’une réglementation renforçant les obligations de sécurité des producteurs de produits chimiques. En octobre 2003, la Commission a présenté sa proposition de règlement. Désigné par l’acronyme Reach (Registration, Evaluation, Autorisation of CHemicals), ce texte est moins ambitieux que les premières propositions du Livre blanc et du projet soumis à une consultation publique en mai 2003. Le compromis final, qui a fait l’objet d’un accord entre le Parlement et le Conseil en décembre 2006, constitue une version au rabais par rapport aux projets initiaux. Il permet à l’industrie de ne fournir que des données très fragmentaires pour les deux tiers des substances couvertes par Reach (pour les volumes de production inférieure à 10 tonnes par an et par producteur). Il fixe des conditions trop laxistes pour l’autorisation des substances les plus préoccupantes. Il exclut les polymères du champ d’application des dispositions principales concernant l’enregistrement et l’évaluation des substances. Reach est entré en vigueur le 1er juin 2007. L’enregistrement des substances CMR (catégories 1 et 2 suivant les règles alors en vigueur pour la classification communautaire) 1. Geert Dancet, le premier directeur de l’Agence européenne des produits chimiques (EchaA) basée à Helsinki, provient du personnel de la DG entreprises. Après l’expiration d’un premier mandat de cinq ans, il a été reconduit dans ses fonctions en 2012. 2. De vifs débats ont également traversé le mouvement syndical européen. La Confédération européenne des syndicats mettait en avant la nécessité d’une réforme profonde tandis que la Fédération syndicale européenne de l’énergie, des mines et de la chimie (EMCEF) adoptait des positions proches de celles de l’industrie chimique.

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devait être effectué avant l’échéance du 1er décembre 2010. De façon surprenante, les substances enregistrées ne correspondent qu’à 60 % des substances ayant fait l’objet d’une classification harmonisée comme CMR. L’Echa (Agence européenne des substances chimiques) suggère que ces substances pourraient avoir été retirées du marché. Une vision plus réaliste suggère que, si certaines substances ont bel et bien été retirées du marché, d’autres continuent à être utilisés de façon illégale et passent à travers les mailles trop larges des systèmes nationaux de contrôle, d’inspection et de sanctions. Des incertitudes majeures concernent les substances qui n’ont pas fait l’objet d’une classification communautaire harmonisée comme CMR. Jusqu’à présent, aucun contrôle systématique n’a été effectué sur le contenu des dossiers et sur la cohérence des mesures de prévention qui y sont proposées. La période actuelle correspond à la mise en œuvre progressive de Reach. C’est une étape décisive. C’est maintenant que seront fixées des orientations cruciales pour l’avenir. L’évaluation de la qualité des dossiers d’enregistrement doit encore être mise en place pour l’essentiel. Un premier tri est effectué de façon électronique pas l’Echa. Il se limite à vérifier que l’ensemble des rubriques pertinentes contient une information indépendamment du contenu de celle-ci. La qualité du contenu de nombreux dossiers semble très problématique. D’après Client Earth, une organisation de défense de l’environnement, qui a passé en revue les dossiers de différentes substances dont les effets comme perturbateurs endocriniens sont connus, de nombreuses informations scientifiques disponibles et pertinentes ne seraient pas mentionnées dans les dossiers. La liste des substances candidates, susceptibles d’être soumises à des procédures d’autorisation, reste très limitée par rapport à l’ensemble des substances hautement préoccupantes sur la base des critères de Reach. Cent cinquante et une substances ou groupes de substances y figuraient en décembre 2013. Le rôle central joué par l’Echa suscite également des préoccupations légitimes [3]. Dans quelle mesure adoptera-t-elle une ligne de conduite indépendante par rapport aux pressions de l’industrie ? L’interprétation qu’elle adopte du contenu de Reach correspond-elle aux objectifs d’ensemble de ce texte ? Trois exemples montrent l’actualité de ces questions. Des controverses importantes ont déjà éclaté en ce qui concerne la définition très restrictive que l’Echa propose pour la notion d’article1. En décembre 2013, une trentaine de substances seulement avaient été notifiées comme étant présentes dans des articles. Dans la majorité des cas, le nombre de notifications pour chaque substance se limite à 1. Ce conflit oppose l’Echa, soutenue par la Commission européenne, à six États qui interprètent la notion d’article de façon plus conforme aux finalités de Reach. Il s’agit de l’Autriche, de la Belgique, du Danemark, de la France, de l’Allemagne et de la Suède.

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moins de cinq articles. C’est un pan entier du dispositif prévu par Reach qui ne fonctionne pas. Dans une certaine mesure, les critères définis par l’Agence ont contribué à cette paralysie. La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie par une organisation de défense de l’environnement (Client Earth) qui considère que l’Echa ne respecte pas le droit à l’information tel qu’il est consacré par le droit communautaire et par différents instruments internationaux comme la convention d’Aarhus de 1998. L’introduction d’un concept de niveau minimal d’exposition dérivée (DMEL) ne trouve aucune justification dans le texte de Reach. L’Agence a développé ce concept dans des guidance documents. Un examen des DMEL déterminés par des producteurs en ce qui concerne des CMR montre que les niveaux de protection de la santé qu’ils assurent sont très variables et que la notion de « risque tolérable » qu’ils reflètent est nettement moins favorable que les VLEP définies en Allemagne pour les mêmes substances [4].

4.2. Évolution des règles européennes de protection des travailleurs La législation européenne concernant la protection des travailleurs a été mise en place plus tardivement que les règles du marché. Paradoxalement, la question a été abordée à partir d’une situation très spécifique. À la fin des années 1970, a éclaté le scandale du chlorure de vinyle monomère [5-7]. Il a pu être établi que l’industrie chimique avait dissimulé volontairement des informations essentielles concernant les risques de cancer parmi les travailleurs exposés. Cela explique que, dès 1976, la première directive adoptant des mesures de limitation de la mise sur le marché incluait le chlorure de vinyle. En 1978, la directive 78/610 était adoptée pour la protection des travailleurs. Comme la base juridique d’une telle directive restait incertaine dans le cadre du traité communautaire en vigueur à cette époque, la justification de la directive reposait sur le constat que des niveaux inégaux de protection des travailleurs avaient une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun. La directive-cadre 80/1107 du 27 novembre 1980 définissait une nouvelle approche pour la santé et la sécurité au travail. Elle était centrée sur l’hygiène industrielle. Elle prévoyait l’adoption d’un ensemble de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) qui auraient un caractère contraignant pour les États membres, tout en permettant à ceux-ci d’adopter des règles assurant une meilleure protection des travailleurs. Ces VLEP devaient être régulièrement mises à jour de manière à tenir compte de l’expérience acquise et des progrès techniques et scientifiques. La directive prévoyait l’adoption à court terme de VLEP pour neuf agents ou familles d’agents chimiques : 210

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l’acrylonitrile, l’amiante, l’arsenic et ses composés, le benzène, le cadmium et ses composés, le mercure et ses composés, le nickel et ses composés, le plomb et ses composés, les hydrocarbures chlorés (chloroforme, paradichlorobenzène et tétrachlorure de carbone). Entre 1980 et 1988, seules deux VLEP furent définies pour des agents chimiques. Elle concernait le plomb (1982) et l’amiante (1983). L’impossibilité de trouver un accord sur une proposition de directive concernant le benzène a bloqué l’ensemble du processus. En 1988, la directive cadre de 1980 fut révisée par la directive 88/642. Désormais, on adopterait des valeurs limites indicatives, sans portée contraignante pour les États membres. L’élaboration de VLEP indicatives a été laborieuse. Sur la base de la directive de 1980, deux listes ont été élaborées (directives 91/322 et 96/94). Après l’adoption de la directive sur les risques chimiques 98/24, trois listes ont été adoptées sur cette nouvelle base juridique : la première en 2000, la deuxième en 2006, la troisième en 2009. En tout, il existe une centaine de substances pour lesquelles une VLEP indicative communautaire a été définie. Après l’adoption de la directive cadre 89/391 de 1989, la question de la prévention des cancers a été abordée de façon plus systématique. En 1990, une directive spécifique fut adoptée (directive 90/394). Ce texte reste à la base de la législation actuellement en vigueur. Il n’a été modifié que de façon très partielle en 1997 et 19991. Mon propos n’est pas de présenter de façon exhaustive les différentes dispositions de cette législation. Il s’agit plutôt de pointer les éléments problématiques et de souligner la nécessité d’une révision de cette directive sur la base de l’expérience acquise et des progrès des connaissances existantes. Le champ d’application actuel de la directive concerne les travailleurs exposés à des substances ou des préparations cancérogènes et mutagènes2. Lorsque des substances ont fait l’objet d’une classification harmonisée de catégories 1 ou 2 (depuis 2008, la nouvelle terminologie est 1A et 1B, la directive sera amendée sur ce point au début de l’année 2014), le champ d’application de la directive est clairement déterminé. Lorsqu’elles répondent aux critères pour une éventuelle classification, l’incertitude juridique est majeure. Elle se traduit par des différences considérables dans les pratiques de prévention entre les pays et, dans chaque pays, entre les entreprises. La directive n’aborde pas la question des substances qui ont été classées ou répondent aux critères de classification comme cancérogène suspecté (l’ancienne catégorie 3 qui est devenue la catégorie 2). Dans la pratique, on observe parfois un écart entre les évaluations du Centre international de recherche sur le cancer et celles qui ont été retenues pour la classification communautaire. C’est le cas notamment du formaldéhyde que le CIRC 1. La version actuellement en vigueur est la directive 2004/37 du 29 avril 2004 qui représente une codification de la directive originale avec les amendements adoptés en 1997 et 1999. 2. Les substances mutagènes ont été ajoutées dans le champ d’application par la directive 1999/38.

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considère comme un cancérogène confirmé pour l’Homme (groupe 1) alors qu’il n’est considéré dans la classification communautaire que comme un cancérogène suspecté (actuelle classe 2) et n’entre donc pas dans le champ d’application de la directive pour la protection des travailleurs. La directive s’applique également à des substances, préparations ou procédés spécifiques qui font l’objet d’une liste (annexe 1 de la directive). Cette liste se limite à cinq éléments. L’écart avec les connaissances scientifiques est aussi beaucoup plus considérable. À titre d’exemple, la liste mentionne les poussières de bois dur alors qu’il existe des données concernant le caractère cancérogène de toutes les poussières de bois. Elle ne mentionne ni la silice cristalline, ni les émissions de particules diesel, pas plus que les poussières de cuir ou les poussières et les fumées de caoutchouc… Les insuffisances de l’annexe 1 déterminent également de très grandes inégalités en matière de prévention. La terminologie utilisée est plus restrictive que pour les substances et les préparations. L’on ne tient pas compte de procédés qui correspondraient aux critères identifiant un risque de cancer professionnel. Les VLEP obligatoires déterminées par la directive ne concernent que trois substances : le chlorure de vinyle monomère, le benzène et les poussières de bois dur (auxquelles il faut ajouter l’amiante et le plomb pour lesquels des valeurs limites contraignantes ont été définies dans d’autres directives). Cela pose deux problèmes. D’une part, ces valeurs limites sont éloignées des exigences de prévention que les techniques permettraient aujourd’hui. Leur révision s’impose. D’autre part, le catalogue des VLEP communautaires obligatoires ne couvre qu’une très faible proportion des travailleurs exposés à des substances cancérogènes ou mutagènes. Si l’on se réfère aux données de l’enquête Sumer 20101, on peut constater que sur les dix agents chimiques cancérogènes correspondant aux expositions les plus massives en France, seuls deux font l’objet d’une VLEP communautaire contraignante. Il s’agit des poussières de bois (la VLEP communautaire ne concerne que les bois durs) et du plomb (qui n’est pas considéré comme cancérogène dans la classification communautaire et fait l’objet d’une valeur limite beaucoup trop élevée du point de vue de la protection de la santé). Si l’on élargit l’échantillon aux vingt agents correspondant aux expositions les plus fréquentes, la liste des VLEP communautaires ne contribue guère à la prévention. Aux deux VLEP déjà mentionnées, on peut ajouter l’amiante et le benzène. Un calcul effectué sur la base des données de Sumer permet de considérer que les VLEP obligatoires communautaires couvrent moins de 20 % des situations d’exposition enregistrées pour des

1. On ne dispose pas de données européennes comparables à Sumer. Le programme Carex destiné à évaluer le nombre de travailleurs exposés à des substances cancérogènes en Europe a fourni des données pour les années 1990 [9]. Il a ensuite été interrompu. Depuis 2000, la Commission européenne ne fournit plus aucune donnée statistique sur cette question. L’enquête européenne sur les conditions de travail ne permet pas de distinguer les expositions à des agents cancérogènes des autres expositions à des risques chimiques.

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agents cancérogènes1. Au niveau national, on observe des disparités très importantes entre le nombre de substances cancérogènes qui font l’objet d’une VLEP nationale et les niveaux de protection de la santé qui ont été pris en compte. Une étude comparative de l’Agence européenne pour la santé et la sécurité de Bilbao sur les VLEP concernant des CMR montre que les blocages qui se sont accumulés au niveau communautaire débouchent sur des politiques de prévention des cancers professionnels très divergentes entre les États membres [8]. La révision de la directive sur les expositions professionnelles aux agents cancérigènes est à l’ordre du jour depuis plus de dix ans. Cet objectif était déjà inscrit dans la stratégie communautaire pour la santé au travail de la période 2002-2006. Dans le cadre de la mise en œuvre progressive de Reach, il aurait été logique de considérer cette révision comme une priorité centrale pour la stratégie 2007-2012. Conformément aux procédures prévues par le Traité, les organisations syndicales et patronales ont été consultées à deux reprises en 2004 et en 2007. Pour sa part, le Comité scientifique pour la définition de VLEP au niveau européen (SCOEL) a accompli un travail important et a formulé des recommandations pour plusieurs dizaines de CMR. Les principaux points que devrait aborder la révision de la directive sont les suivants. • Extension de son champ d’application aux substances toxiques pour la reproduction. C’est déjà le cas dans la législation nationale de six États membres : Allemagne, Autriche, Finlande, France, Pays-Bas et République tchèque. Cette situation montre que l’argument suivant lequel une telle extension représenterait un fardeau insupportable pour les entreprises est dénué de toute pertinence. Cette extension rendrait la législation sur la protection des travailleurs plus cohérente avec le concept de substances hautement préoccupantes qui est utilisé par Reach. Elle permettrait d’intégrer dans la politique de prévention les connaissances concernant le risque transgénérationnel de certaines expositions professionnelles, notamment en ce qui concerne des cancers [10]. À terme, il conviendrait d’inclure les perturbateurs endocriniens dans le champ d’application de la directive. • Révision des VLEP déjà définies au niveau communautaire. La plupart d’entre elles remontent à plus de quinze ans (plus de 30 ans dans le cas du plomb). L’expérience de différents États européens montre que des VLEP beaucoup plus efficaces du point de vue de la prévention sont techniquement possibles 1. Sur 3 316 000 situations d’exposition relevées par Sumer 2010, environ 600 000 sont couvertes par une VLEP communautaire obligatoire. Le pourcentage réel est plus bas si l’on considère que la VLEP communautaire ne concerne que les poussières de bois dur tandis que Sumer recense l’ensemble des situations d’exposition à des poussières de bois.

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et n’ont jamais entraîné les catastrophes économiques annoncées par les consultants du monde patronal. • Définition de nouvelles VLEP communautaires pour les CMR les plus préoccupants (en particulier, pour ceux pour lesquels des quantités importantes de travailleurs sont exposés comme la silice cristalline, les fumées de diesel, le formaldéhyde, les fibres céramiques réfractaires, le chrome VI, le trichloréthylène…). Si l’on tient compte des retards qui se sont accumulés, un objectif minimal à court terme pourrait être de couvrir une trentaine de CMR correspondant aux expositions les plus préoccupantes (en tenant compte de leur fréquence et de leur impact sanitaire). • Définition de critères plus cohérents pour la détermination de VLEP obligatoires dans la législation communautaire. Jusqu’à présent, chaque VLEP a été définie au cas par cas, sans aucune cohérence d’ensemble en termes de protection pour la santé. Dans ses évaluations d’impact, la Commission européenne privilégie une approche coûts-bénéfices qui aboutit à des inégalités importantes1. En effet, le coût réel ou présumé des mesures de prévention peut varier énormément d’une substance à l’autre en fonction des utilisations. Dès lors, l’argument économique aboutit à tolérer des risques de santé beaucoup plus importants pour certaines VLEP que pour d’autres. Une majorité d’États membres est en faveur d’une révision de la directive. Ils considèrent qu’il serait dangereux d’organiser la concurrence entre les différentes économies nationales au détriment de la protection de la vie des travailleurs. Ils sont également conscients de l’importance des dépenses de santé publique liées aux cancers et du caractère particulièrement efficace d’une prévention ciblée sur les expositions professionnelles. Même le patronat a fini par nuancer son refus d’une révision. Les organisations patronales des pays où il existe des législations plus développées considèrent qu’elles subissent un désavantage concurrentiel sur le marché européen. C’est ce qui explique la position très ferme du patronat des Pays-Bas en faveur d’une révision de la directive. Cette inflexion des positions patronales a permis au Comité consultatif pour la santé et la sécurité d’adopter des positions favorables à la révision de la directive. Ces avis reflètent aussi certaines divergences quant au contenu concret de cette révision (notamment en ce qui concerne la nécessité d’inclure les substances toxiques pour la reproduction et la silice cristalline dans le champ d’application de la directive). Il existe 1. La Commission européenne a confié à un organisme privé le soin de réaliser des études d’impact sur l’adoption de nouvelles VLEP. Cet organisme (Institute for occupational medicine) a suivi les instructions de la Commission et a appliqué un modèle coûts-bénéfices où les extrapolations sont décisives par rapport à des données très peu nombreuses. Ces extrapolations sont marquées par des marges d’incertitude considérables. L’étude officielle d’impact de la Commission devrait être achevée en 2014.

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déjà un consensus sur une vingtaine de VLEP qui pourraient être adoptées1. Le Parlement européen s’est prononcé de façon très catégorique à plusieurs reprises en faveur d’une révision de la directive. La surprise est venue de la Commission. Le 2 octobre 2013, elle a annoncé qu’elle ne soumettrait aucune proposition de révision de la directive jusqu’à la fin de son mandat (Communication 2013 (685) final). Cette position n’est argumentée que de façon très vague par le souci de ne pas alourdir le « fardeau réglementaire des entreprises ». Le président Barroso a tenu à donner à cette décision un caractère programmatique pour l’avenir : d’après lui, « le programme Refit préfigure avec pragmatisme l’avenir de la réglementation en Europe ». Le fardeau que représentent autour de 100 000 décès par an attribuables à des cancers causés par les conditions de travail n’est pas même évoqué par cette communication de la Commission européenne. Le droit communautaire confère à la Commission européenne un monopole des initiatives législatives. En dernière instance, ni une majorité de parlementaires européens, ni une majorité d’États membres, ni une pétition de citoyens ne peuvent la contraindre à agir. En termes politiques, cette situation exceptionnelle par rapport aux principes habituels des démocraties parlementaires devrait inciter la Commission à ne pas la considérer comme un simple privilège et à agir avec un sens majeur de ses responsabilités.

4.3. Éléments pour un bilan commun : les obstacles à la prévention des cancers professionnels dans les États membres La prévention des cancers professionnels implique un ensemble de conditions qui déterminent l’efficacité de toute politique de prévention. Celles-ci jouent un rôle renforcé par rapport à des risques qui sont à la fois extrêmement diffus et peu visibles socialement. L’expérience acquise dans le domaine de la prévention permet d’identifier deux éléments centraux d’un bilan commun, au-delà de l’extrême variété des pratiques nationales. Ils portent sur la nécessité d’instances de socialisation et sur une meilleure prise en compte de la grande diversité des activités impliquant des expositions dangereuses. Un cadre législatif cohérent est une condition première. Une recherche menée par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail sur les moteurs de la prévention indique que l’existence d’une législation est le facteur le plus souvent cité par les employeurs pour expliquer la mise en place de mesures de prévention [11]. En règle 1. Trois opinions ont été adoptées par le CCSS en décembre 2012, en mai 2013 et en novembre 2013. Voir www.etui.org > Thèmes > Santé et sécurité > Cancers professionnels > Santé et sécurité > Cancers professionnels

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générale, tant au niveau communautaire que dans les différents pays, la législation mise en place concerne essentiellement le premier cercle de la prévention. Elle formule des obligations à la charge des employeurs et fournit un cadre pour les activités de prévention dans les entreprises. Au-delà de cette dimension indispensable, il convient de s’interroger sur la faiblesse des dispositifs publics, principalement en ce qui concerne la socialisation et le contrôle. Les données éparses en provenance de différents États membres suggèrent que la substitution n’est mise en œuvre que par un nombre réduit d’entreprises et par rapport à un nombre limité de substances. Elle est plus fréquente pour les substances qui sont identifiées comme CMR, parce qu’elles entrent dans le cycle de production, que pour les CMR qui se dégagent en fonction de réactions chimiques durant le cycle de production. Un des obstacles à la substitution est la faiblesse des dispositifs publics permettant d’avoir accès à des données précises sur les solutions qui pourraient être mises en place. Au niveau communautaire, la législation n’a jamais été complétée par de tels dispositifs de socialisation. Dans les États membres, les expériences sont variées mais restent globalement insuffisantes. Des instances publiques de socialisation ne présentent pas qu’un intérêt dans le domaine de la substitution. Elles sont appelées à jouer un rôle dans l’ensemble des mesures de prévention : meilleure connaissance des risques liés à des procédés, utilité et limites des VLEP, performances réelles des équipements de protection individuelle, méthodologies pour intégrer la prévention des cancers dans l’évaluation des risques, rôle des services de prévention et apport d’une approche pluridisciplinaire notamment à travers l’ergotoxicologie. Le statut des services de prévention dans la presque totalité des pays communautaires pose également des problèmes. Seules quelques très grandes entreprises disposent en interne de spécialistes de prévention disposant de l’ensemble des compétences nécessaires pour la lutte contre les cancers professionnels. La majorité des services sont des services interentreprises qui interviennent sur un marché concurrentiel. Ils conçoivent généralement leurs interventions dans un cadre contractuel avec les entreprises qui sont conçues comme des clients. Le contrôle exercé sur leur indépendance à l’égard du patronat et sur la qualité de leur travail, tant par les organisations de travailleurs que par l’inspection du travail, est faible. Les services tendent à négliger leur rôle en tant qu’acteurs de santé publique (ou, pire, ils confondent ce rôle avec une vague promotion de la santé individuelle dans un cadre totalement étranger à leur mission de transformation des conditions de travail). Ils contribuent peu à la mise en place de systèmes collectifs de veille, qu’il s’agisse de toxicovigilance ou d’une cartographie des expositions réelles en fonction des activités de travail. Les autorités publiques ont également une responsabilité dans ces carences. Elles ont accès à un ensemble d’informations défini par la directive communautaire mais 216

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prennent peu d’initiatives pour que les informations soient effectivement recueillies, analysées et utilisées afin d’améliorer la prévention. Il n’y a pas de véritable articulation entre les services de prévention sur les lieux de travail et les dispositifs de santé publique qui interviennent dans la lutte contre le cancer. À l’exception des pays nordiques [12], les registres nationaux de cancer ne sont pas utilisés systématiquement pour établir des liens entre les activités professionnelles exercées tout au long de leur vie par les patients et les localisations de cancer. La surveillance de la santé post-emploi n’est généralement pas mise en place. La mise en place de dispositifs publics d’information est un enjeu important. La pratique montre que de nombreuses entreprises utilisatrices de produits chimiques ne disposent que d’une information souvent parcellaire, parfois contradictoire. Les données qu’elles obtiennent des fournisseurs ne répondent que partiellement à leurs besoins en prévention. Certaines données sont inexactes, d’autres sont formulées dans des termes trop peu spécifiques. Une amélioration de l’information fournie est une des conséquences attendues de la mise en œuvre de Reach mais cela ne suffira pas. Une lutte plus efficace contre les cancers professionnels passe donc aussi par des stratégies de prévention qui permettent de surmonter les inconvénients d’une approche atomisée, entreprise par entreprise. Une stratégie européenne dans ce domaine permettrait d’atteindre une plus grande efficacité mais, dans le contexte politique actuel, elle est peu probable. Des stratégies nationales, accompagnées par des coopérations entre les institutions publiques de prévention de différents pays, sont plus susceptibles d’être mises en place. Le développement de la recherche est également un élément important. La prévention des cancers professionnels reste largement modelée par des connaissances et des représentations qui remontent, pour l’essentiel aux années 1970 et 1980. Elle n’intègre pas de manière cohérente les données scientifiques nouvelles sur la cancérogenèse [13] et, notamment, la recherche épigénétique et l’étude du rôle joué par les perturbateurs endocriniens ainsi que les effets transgénérationnels de certaines expositions professionnelles. Au-delà de l’intégration de données scientifiques nouvelles, il convient aussi d’interroger la construction sociale des pratiques de prévention et les représentations qui les sous-tendent. En particulier, la représentation suivant laquelle les conditions de travail ne joueraient qu’un rôle assez marginal pour les cancers chez les femmes mériterait une analyse critique. S’il est exact que la division sexuelle du travail a concentré un pourcentage majeur d’hommes dans certaines activités où les expositions sont très importantes (notamment dans la construction), cela ne signifie pas pour autant que les femmes soient à l’abri d’autres modalités d’exposition qui entraînent un risque de cancer professionnel. Il est probable qu’il existe un cercle vicieux entre la priorité accordée à des collectifs masculins dans l’épidémiologie des risques professionnels de cancer, la faiblesse des dispositifs de prévention dans des activités fortement féminisées et les 217

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niveaux particulièrement dramatiques de sous-reconnaissance des cancers professionnels parmi les femmes. Un autre élément important pour améliorer les stratégies de prévention doit partir du constat que les législations, tant au niveau européen que dans les différents pays, formulent l’essentiel des obligations à charge de l’employeur. Dans de nombreux cas, la réalité des risques est plus complexe. Ils tendent à se concentrer et, en tout cas, à faire l’objet d’une prévention moins systématique tout au long des chaînes de sous-traitance. Une approche élargie qui ne se limite pas à l’employeur et qui formule des obligations de prévention à l’égard des donneurs d’ordre pourrait améliorer de façon considérable l’efficacité de la prévention. Parmi les données significatives des résultats de l’enquête Sumer 2010, on peut observer que les deux domaines d’activité professionnelle où les salariés sont les plus exposés à des agents cancérogènes sont la maintenance (43 %), le bâtiment et les travaux publics (32 %). Ce sont des domaines dans lesquels la division des risques est liée à la sous-traitance. De façon complémentaire, une approche sectorielle pourrait également apporter une contribution utile, notamment en développant des mesures de prévention qui tiennent compte de la fréquence des expositions multiples et de l’identification de « cocktails » relativement typiques pour certaines activités.

4.4. Conclusions Dans un domaine aussi complexe, les règles du marché sont en interaction permanente avec les règles de la santé au travail. La réglementation doit s’appuyer sur des recherches publiques dans de nombreux domaines différents et des outils de socialisation sont indispensables pour améliorer les pratiques de prévention. La valeur ajoutée d’une politique communautaire semble évidente. Il suffit d’observer qu’avant l’adoption de la directive sur les expositions professionnelles aux agents cancérogènes de 1990, les législations nationales étaient morcelées et purement réactives. Elles intervenaient, sans aucune cohérence d’ensemble, sur quelques risques spécifiques (amiante, chlorure de vinyle, benzène…). En 1990, la majorité des États membres de l’Union européenne n’avaient toujours pas ratifié la convention n° 139 adoptée par l’OIT en 1974, alors même que ses dispositions étaient minimalistes1. Les obstacles à une politique communautaire sont considérables. C’est ce que montre l’expérience de plus de 40 ans. L’enjeu est beaucoup plus conflictuel que pour les accidents du travail. Une prévention efficace des cancers professionnels remettrait en cause un déterminant important des inégalités sociales de santé et irait à l’encontre de la tendance actuellement dominante vers l’augmentation des inégalités dans la plupart des 1. La France a attendu 1994 pour la ratifier.

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domaines. Au-delà de cet enjeu de société, on peut aussi relever qu’il existe peu d’incitants économiques qui pousseraient les employeurs à se mobiliser pour la prévention. La morbidité et la mortalité causées par les cancers professionnels n’impliquent que les coûts marginaux pour les entreprises, notamment en raison des périodes de latence souvent très longue entre les expositions et l’apparition des pathologies. Dans la grande majorité des cas, l’exposition à des agents cancérigènes n’est pas liée à un dysfonctionnement du processus de production et ne le désorganise pas. Les pressions exercées par le mouvement syndical sont également moins fortes que dans d’autres domaines de la prévention. Différents facteurs contribuent à cette situation : une moindre visibilité sociale, de fortes différenciations des niveaux de risque suivant les secteurs, les difficultés d’appuyer une intervention collective sur un niveau approprié d’expertise, la tendance à déléguer les questions les plus complexes de la prévention à des spécialistes. Ajoutons à cela que, si dans certains pays, dont la France, la question de l’amiante a enclenché une prise de conscience aiguë de l’importance de la prévention des cancers professionnels [14], l’Union européenne a un fonctionnement institutionnel qui la rend beaucoup plus distante à l’égard des attentes sociétales. La catastrophe sanitaire n’a pas été moindre dans les autres pays d’Europe mais, sur la scène politique européenne, on ne trouve pas de trace significative du scandale de l’amiante. Il suffit d’observer la relative indifférence qui a accompagné la décision de la Commission européenne de rendre possible jusqu’à présent la poursuite d’importations de quelques dizaines de tonnes d’amiante chaque année vers deux États membres (Allemagne et Pologne). Il a suffi d’un travail modeste et discret de lobbying des entreprises intéressées (principalement Dow Chemical) pour que la Commission européenne repousse sine die la date d’une interdiction totale prévue initialement pour 20051. L’impact sanitaire éventuel de cette mesure est sans doute infime (sauf, peut-être, pour les travailleurs des mines d’amiante des pays exportateurs) mais sa portée symbolique est considérable : elle entrave les efforts visant à une interdiction mondiale de l’amiante. Au-delà des questions de santé au travail, un autre facteur intervient de façon croissante. Les institutions communautaires partagent, à des degrés divers, l’idéologie selon laquelle la légitimité ultime du droit serait son efficacité économique. Il s’agit d’un socle commun de croyances des différentes institutions de la Commission à la Cour de justice européenne. Cette vision instrumentale du droit exprime une convergence entre les apologistes des lois du marché de tradition libérale et les élites politiques et économiques d’Europe centrale et orientale, formées dans la tradition stalinienne. Certes, elle n’exclut pas des débats entre différentes options politiques, mais elle les appauvrit de manière considérable, et surtout elle les rend très peu perméables aux mobilisations 1. L’Echa devra formuler une proposition concernant la fin éventuelle de cette dérogation dans le courant de l’année 2014.

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sociales et aux débats sur des projets de société. L’on peut repérer cette tendance, de manière souvent caricaturale, dans la mise en place d’une stratégie de régulation dont les maîtres mots sont les évaluations d’impact, la réduction des charges administratives et la simplification des obligations des entreprises [15]. La légitimité d’une législation sur les cancers professionnels se situe dans la réduction des inégalités sociales de santé et dans la cohérence de règles qui entendent soustraire la vie, le corps et la santé des salariés à un statut de marchandises échangeables contre un salaire. Une telle légitimité justifie que l’on limite de façon significative la liberté d’entreprendre et les prérogatives patronales dans les choix technologiques et l’organisation du travail. Il s’agit d’un de ces domaines où il semble évident que la somme des égoïsmes individuels n’aboutit jamais au bonheur collectif, quelle que soit la confiance que l’on veuille accorder à la main invisible du marché. Le blocage de la politique européenne concernant les cancers professionnels implique un risque évident de renationalisation de cet élément central de toute stratégie de prévention. Cela comporte deux inconvénients majeurs : une perte d’efficacité liée à une dispersion des efforts entre les vingt-huit États membres (c’est déjà visible dans la production de VLEP ou dans les campagnes en faveur de la substitution) et une spirale négative de mise en concurrence qui entraverait les efforts entrepris dans les pays qui ont le plus progressé au cours de ces dix dernières années. À terme, la question posée est de savoir si l’Union européenne qui a été dans les années 1990 un facteur de stimulation des politiques de prévention pour la santé au travail ne risque pas de se transformer en un obstacle à de nouveaux progrès dans ce domaine.

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5. De la reconstitution des parcours de travail à la reconnaissance en maladie professionnelle : enseignements du dispositif d’enquête du Giscop931 sur la question des multiexpositions cancérogènes Émilie Counil (EHESP, IRIS UMR 8156-997, Giscop93), Mélanie Bertin (IRSET UMR INSERM 1085, Giscop93), Annie Thébaud-Mony (IRIS UMR 8156-997, Giscop93) et l’équipe du Giscop93

5.1. Contexte et objectifs 5.1.1. L’accès des patients atteints de cancer à la reconnaissance en maladie professionnelle La reconnaissance des cancers professionnels s’est certes améliorée en France entre le milieu des années 1980, où à peine plus de 100 patients atteints de cancer avaient obtenu réparation financière au titre de la maladie professionnelle, et le début des années 2010, où les chiffres oscillent autour de 1 700 cas reconnus. Cependant, la marge de progression est encore considérable – le mot est faible –, puisque les estimations déjà anciennes de l’Institut de veille sanitaire indiquaient au milieu des années 1990 un nombre jusqu’à 4,5 fois plus important de cas incidents de cancers « attribuables » à des facteurs professionnels. Cette estimation haute ne concernait que les hommes, et ne considérait qu’un nombre limité de combinaisons d’expositions professionnelles et de localisations de tumeurs [1]. Or la réglementation européenne Reach (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) permet aujourd’hui de mesurer de manière encore plus frappante l’étendue de l’« ignorance toxique » [2] dans laquelle se trouvent les pays les plus avancés en matière de recherche et de législation relative à la santé au travail. Les estimations de fractions attribuables les plus généreuses ne représentent ainsi probablement que la partie visible d’un phénomène de bien

1. Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (Giscop93).

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plus grande ampleur, tel que cela a été discuté par plusieurs auteurs dès les années 1980 dans le cas de la France [2-4]. De plus, bien que 22 tableaux de maladies professionnelles du régime général de l’Assurance maladie fassent mention d’une ou plusieurs localisations de cancer, les deux tableaux relatifs à l’amiante totalisaient à eux seuls, en 2010 encore, plus de 86 % des cas reconnus. En outre, si le nombre de cancers reconnus sur ces deux tableaux a été multiplié par un facteur avoisinant six entre 1995 et 2010 (passant de 247 à 1 453 cas), le nombre de cas reconnus au titre d’un autre tableau, ou hors tableau, n’a que doublé sur la même période, et les effectifs étaient encore incomparablement faibles en 2010, avec 233 cas reconnus seulement.

5.1.2. Un modèle de réparation fondé sur la mono-exposition Outre la question de la quasi-invisibilité des cancérogènes professionnels autres que l’amiante dans les pratiques de reconnaissance des cancers en maladie professionnelle, on constate un décalage persistant entre les connaissances accumulées sur les mécanismes de cancérogenèse et les critères légaux de l’accès au droit à réparation. Le cancer est en effet reconnu depuis plusieurs décennies comme une maladie multifactorielle, nécessitant l’intervention de séquences complexes de facteurs (endogènes et exogènes) et d’événements durant les phases d’« initiation » et de « promotion » de la maladie [5]. À l’ère de l’épigénétique, les interactions entre génome et conditions environnementales sont de plus en plus étudiées [6], tandis qu’est reconnue l’importance de l’étude des mixtures d’agents chimiques dans la compréhension fine des mécanismes de cancérogenèse et des modalités opérantes de leur prévention [7, 8]. Ces mixtures ne sont qu’un reflet de situations et de parcours complexes d’exposition, dans lesquels se conjuguent et s’articulent au cours de la vie des facteurs professionnels, paraprofessionnels et environnementaux, ainsi que des pratiques de consommation telles que le tabagisme – pour ne parler que des facteurs exogènes et proximaux1. Or, le système légal de réparation des cancers d’origine professionnelle est, encore aujourd’hui, essentiellement fondé sur une conception monofactorielle de la cancérogenèse, retenant dans la survenue de chaque cas de cancer la participation d’un seul agent cancérogène, comme en témoigne le système des tableaux. Le système complémentaire de reconnaissance du régime général de l’Assurance maladie – les comités 1. Le terme « proximal » est utilisé pour désigner les « causes » immédiates des maladies, par opposition aux facteurs « distaux » qui désignent généralement les « causes des causes », en particulier les déterminants sociaux de la santé [9].

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régionaux de reconnaissance en maladie professionnelle (CRRMP) – n’enregistrait en 2010 que 63 tumeurs reconnues hors tableau, sans qu’il soit possible de documenter les motifs retenus, dont la présence de multi-expositions. Entre autres explications à cet effectif insignifiant, on peut avancer l’inexistence ou l’inaccessibilité des sources d’information sur les expositions multiples aux postes de travail, du moins jusqu’à la mise en place des enquêtes Sumer – surveillance médicale des risques professionnels – au milieu des années 1990 et à la récente mise en ligne de matrices emplois-expositions multi-nuisances par l’Institut de veille sanitaire.

5.1.3. Une méconnaissance des situations de multi-expositions antérieures aux années 1990 Si l’initiative Carex avait permis d’estimer les effectifs et la proportion d’actifs exposés à une liste de 139 agents cancérogènes évalués par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) au début des années 1990 en Europe [10], les enquêtes Sumer fournissent depuis 1994 des données de qualité croissante sur la mono- et la multiexposition professionnelle à partir d’un échantillon d’actifs avoisinant maintenant la représentativité à l’échelle métropolitaine. Cependant, la dernière en date – enquête Sumer 2010 – ne documentait que 25 cancérogènes classés 1 (cancérogènes avérés) ou 2A (cancérogènes probables) par le CIRC [11]. La base de données Colchic de l’INRS recense les expositions professionnelles mesurées dans les entreprises françaises par les caisses régionales d’assurance maladie. Les informations ont été numérisées à partir de l’année 1986, mais ne sont pas accessibles en ligne. Les archives papier remontent quant à elles à 1969 et ne sont pas exploitées. Enfin, le programme Matgéné – matrices emplois-expositions en population générale –, conduit par l’Institut de veille sanitaire, a permis de construire une matrice emplois-expositions multinuisances portant spécifiquement sur la population générale française [12]. Parmi les 17 nuisances prises en compte, on dénombre 10 agents cancérogènes : deux catégories de fibres (amiante, classé 1 par le CIRC ; fibres céramiques réfractaires, classées 2B), la silice cristalline (classée 1), cinq solvants chlorés (deux classés 2A : trichloroéthylène et tétrachloroéthylène ou perchloroéthylène ; trois classés 2B : dichlorométhane ou chlorure de méthylène, tétrachlorométhane ou tétrachlorure de carbone, trichlorométhane ou chloroforme), le benzène (classé 1), et les poussières de cuir, en considérant que la fabrication et la réparation de chaussures sont classées comme cancérogènes pour l’Homme. Il faut en outre souligner qu’aucun des outils de connaissance des expositions précités ne peut rendre compte de la précarisation du travail à l’œuvre depuis trente ans, 224

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marquée en particulier par un recours croissant à la sous-traitance et au travail temporaire. Or cette précarisation des parcours aggrave les inégalités d’exposition, tout en rendant leur traçabilité de plus en plus improbable [13-15]. Il n’existe donc pas à proprement parler de mémoire institutionnelle, centralisée et facilement accessible, des expositions professionnelles aux agents cancérogènes qui ont été utilisés – ou produits lors des procédés – en France avant la première enquête Sumer conduite en 1994. Or, étant donné les temps de latence de plusieurs dizaines d’années entre exposition et survenue du cancer, le recours au droit à réparation nécessite non seulement que les patients aient considéré comme possible l’existence d’un lien entre leur activité de travail passée et leur état de santé actuel, mais encore qu’ils soient en mesure de produire les preuves de leurs expositions, le cas échéant.

5.1.4. Un dispositif d’enquête pour mettre en visibilité l’origine professionnelle des cancers Ainsi, la prédominance de l’amiante dans les pratiques de reconnaissance des cancers professionnels est-elle le reflet de la présence prépondérante de cet agent cancérogène puissant dans un nombre important de situations de travail durant les périodes précédant son interdiction ? Ou le miroir de la visibilité sociale de ce cancérogène conjuguée aux difficultés inhérentes à la reconstitution d’expositions professionnelles survenues il y a plusieurs dizaines d’années, en l’absence de conscience des dangers du côté des (ex)travailleurs et de mémoire constituée du côté des institutions en charge de la surveillance, l’inspection et l’assurance des risques professionnels ? Face à ces questions et à la mise en évidence de mécanismes puissants d’invisibilisation des liens entre travail et cancer, un dispositif de recherche-action a été mis en place dès le début des années 2000 dans le département de la Seine-Saint-Denis (SCOP93) [2, 16]. Porté par des chercheurs en santé publique, en lien avec des médecins hospitaliers, une collectivité territoriale et un collectif d’experts en santé au travail, ce dispositif s’est doté d’une méthodologie d’enquête originale, afin de produire des connaissances sur les situations d’expositions – anciennes aussi bien que contemporaines –, mais aussi d’identifier les facteurs (dé)favorisant l’accès au droit à réparation financière au titre de la maladie professionnelle de patients atteints de cancer. Le corpus inédit d’informations recueillies au cours de près de dix années d’enquête permet aujourd’hui de documenter un large éventail de parcours et de situations d’exposition et de multi-expositions survenues depuis les années 1940 jusqu’à la période 225

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contemporaine, et d’interroger les règles et pratiques actuelles de la reconnaissance des cancers en maladie professionnelle.

5.2. Matériel et méthodes 5.2.1. Population et méthodologie d’enquête Depuis mars 2002, trois services hospitaliers d’oncologie et de pneumologie1 collaborent étroitement à l’enquête en signalant au Giscop93 des patients atteints de tumeurs. Le recrutement repose sur quatre critères d’inclusion : résider dans le département de la Seine-Saint-Denis, être atteint d’une tumeur primitive, diagnostiquée à l’une des localisations considérées (voies respiratoires, urinaires ou hématologiques), et ce, sans récidive (cas incidents). Les patients à inclure sont repérés, soit au cours des réunions de concertation pluridisciplinaire, soit par le biais du programme de médicalisation du système d’information (PMSI). Les médecins partenaires leur proposent ensuite de participer à l’enquête, dans la limite des opportunités dont ils disposent, entre les consultations d’annonce, la priorité à donner aux soins, et l’état de santé plus ou moins dégradé du patient. En cas de proposition, le médecin recueille le consentement éclairé du patient, conformément aux exigences éthiques de la recherche et de la CNIL. En cas de non-proposition ou de nonconsentement, une fiche anonymisée est renvoyée à l’équipe du Giscop93, indiquant le motif de la non-proposition ou du refus de participer. En cas de consentement, une fiche nominative est établie, précisant les coordonnées du patient, qui est alors contacté par un enquêteur du Giscop93 en vue de la reconstitution du parcours professionnel. L’entretien de reconstitution du parcours professionnel a lieu soit au domicile, soit à l’hôpital. Il est conduit par un(e) sociologue et vise d’une part à reconstituer la chronologie du parcours, et d’autre part à documenter l’activité réelle de travail exercée à chaque poste, y compris l’environnement dans lequel elle était réalisée [17]. La reconstitution du cursus laboris s’appuie autant que faire se peut sur les relevés de carrière, les relevés de retraite complémentaires et les fiches de paie. L’interrogatoire sur les activités de travail est orienté vers l’explicitation de situations possiblement exposantes, sans pour autant nommer directement les cancérogènes qui pourraient avoir été présents aux postes de travail ou dans l’environnement direct. Il s’appuie sur un guide évolutif des 1. CHU Avicenne à Bobigny (jusqu’à juillet 2012), Centre hospitalier intercommunal du Raincy-Montfermeil, et hôpital Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois ; depuis juillet 2013, la fédération d’urologie de Seine-Saint-Denis (Centre hospitalier intercommunal André Grégoire de Montreuil) signale également des patients atteints de tumeurs des voies urinaires.

226

Prise en charge et réparation 7

métiers, élaboré et entretenu conjointement par les experts (cf. ci-après) et les enquêteurs de l’équipe.

5.2.2. Méthodologie d’expertise des expositions L’entretien de reconstitution du parcours professionnel est par la suite retranscrit et soumis à un comité d’experts pluridisciplinaire qui se réunit de manière mensuelle et dont la composition varie d’une séance à l’autre (trois à cinq experts mobilisés). Parmi eux, des médecins du travail, des ingénieurs de prévention, un hygiéniste industriel, un toxicologue, une sociologue de la santé au travail, et occasionnellement des membres de CHSCT. Plusieurs d’entre eux ont été ou sont encore actifs dans le bassin d’emploi dans lequel la plupart des patients ont exercé leur profession : la Seine-Saint-Denis, Paris et plus largement l’Île-de-France. Pour chaque participant, les experts examinent la description de chaque poste de travail au regard d’une liste de 54 agents cancérogènes reconnus pour être présents en milieu professionnel. L’examen des expositions est réalisé en aveugle du diagnostic, afin de ne pas orienter le jugement des experts vers tel groupe de cancérogènes dont la cible est connue. Chaque exposition potentielle repérée fait l’objet d’une cotation semi-quantitative en termes de probabilité, fréquence, intensité et présence de pics. La durée d’exposition est ensuite déduite des dates d’exercice du poste, éventuellement corrigées en fonction de changements réglementaires, ou de toute autre indication de cessation d’exposition eu égard à la description faite par le (la) patient(e). Une exposition correspond donc à un cancérogène retrouvé à un poste donné, et présente des caractéristiques propres de probabilité, fréquence, intensité, durée et présence de pics. Chaque parcours de travail est examiné par un binôme d’experts présentant des compétences complémentaires. L’ensemble des parcours est alors discuté collectivement, afin d’aboutir à un consensus sur le nombre et les caractéristiques des expositions à retenir. Suite à la restitution des conclusions de l’expertise aux membres de l’équipe, la localisation tumorale et tout autre élément médical d’intérêt sont communiqués aux experts, qui s’engagent alors dans une seconde phase d’expertise. Ils examinent en effet l’éligibilité du patient à une déclaration en maladie professionnelle, au regard des données médicales, des expositions retrouvées, des critères de reconnaissance énoncés dans les tableaux des maladies professionnelles, et des pratiques observées dans le cadre du système complémentaire (CRRMP). En cas de recommandation de déclarer, un résumé d’expertise est établi par la personne chargée du suivi des parcours de réparation. Ce document est envoyé au patient d’une part, et au médecin l’ayant signalé d’autre part, ce dans l’objectif de favoriser la 227

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

rédaction d’un certificat médical initial (CMI) en maladie professionnelle. Cette pièce médicale, certifiant le diagnostic clinique de la maladie et indiquant éventuellement des pistes de recherche vis-à-vis des expositions professionnelles, devra impérativement être jointe par le (la) patient(e) à sa déclaration en maladie professionnelle, le cas échéant. C’est à partir de l’envoi de ce résumé d’expertise que s’engage le suivi prospectif des patients éligibles à une déclaration. Ce suivi a fortement évolué depuis le lancement de l’enquête. Il s’articule aujourd’hui avec une recherche interventionnelle visant à réduire les inégalités sociales d’accès au droit à réparation. L’identification et la modification des obstacles à la déclaration [18] et à la reconnaissance impliquent un accompagnement personnalisé des patients, mais aussi un partenariat étroit avec la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, et depuis quelques années, la coopération d’un cabinet d’avocats spécialisés.

5.2.3. Analyses statistiques L’ensemble des informations relatives aux caractéristiques des patients1, aux parcours de travail2, et aux expositions3, est consigné dans la base de données du Giscop93. Des informations sur les parcours de reconnaissance sont également enregistrées. Dans le cadre de la présente analyse, ont été retenus les patients dont le dossier a été examiné par le groupe d’experts entre mars 2002 et décembre 2010. Les analyses ont été réalisées à l’échelle des patients d’une part, et des postes de travail d’autre part. Dans un premier temps, des analyses descriptives ont été réalisées en fonction du genre, du secteur d’activité et de la catégorie socio-professionnelle. Le test exact de Fisher a été utilisé pour les comparaisons de proportions (test bilatéral), et un risque d’erreur de 5 % a été retenu. Afin d’analyser les parcours d’expositions des patients dans leur dimension diachronique et cumulative, indépendamment du type d’agent cancérogène concerné, une typologie des trajectoires d’exposition aux cancérogènes a été élaborée. Pour ce faire, seuls ont été retenus les patients qui avaient un parcours professionnel d’une durée minimale de 30 ans, avec troncature à 45 ans. Un pas de temps de 6 mois a été choisi. La moyenne du nombre d’expositions différentes a été calculée sur les 6 mois précédant chaque temps t. La typologie a été élaborée à l’aide de la procédure Proc traj appelée dans 1. Date de naissance, sexe, localisation tumorale, stade au diagnostic… 2. Emplois codés par secteurs d’activité selon la classification NAF, postes codés suivant la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelle ou PCS, dates de début et de fin, lieu d’exercice… 3. Nom du cancérogène, probabilité, fréquence, intensité, pics, durée, dates.

228

Prise en charge et réparation 7

le logiciel SAS® 9.2. Cette procédure utilise des modèles de mixture pour la modélisation de trajectoires à partir de données longitudinales renseignant des variables continues. Les analyses ont été conduites sur l’ensemble de l’échantillon d’étude, puis stratifiées selon le genre. Par ailleurs, afin d’analyser les « affinités » potentielles entre cancérogènes présents sur divers postes de travail, une analyse en composante principale suivie d’une classification ascendante hiérarchique a été réalisée sur l’ensemble des agents cancérogènes pris en compte dans l’enquête (54 agents), en ne considérant que les postes multi-exposés (au moins deux cancérogènes identifiés par les experts). Ces résultats ont ensuite été croisés avec le genre, le secteur d’activité et les catégories socio-professionnelles. Enfin, afin d’identifier le(s) tableau(x) de maladies professionnelles sur lequel (ou lesquels) les patients auraient été éligibles, au moins en théorie, au regard des expositions retrouvées, l’exemple du cancer broncho-pulmonaire primitif a été retenu. Tel que rapporté au tableau 7.10, il est en effet mentionné dans 13 tableaux différents, parmi les 17 tableaux du régime général faisant mention de tumeurs respiratoires, urinaires ou hématologiques. Pour les besoins de la comparaison, chaque tableau a été considéré comme la combinaison d’un cancérogène-une tumeur-une durée minimale d’exposition. Le classement théorique d’un(e) patient(e) reposait ainsi sur la dénomination de la tumeur primitive, la présence d’une probabilité non nulle d’exposition au cancérogène considéré, et une durée d’exposition compatible avec les critères du tableau. Les critères médicaux complémentaires (délai de prise en charge, lésions associées aux tableaux 25 et 30C), et les éventuelles listes limitatives de tâches (tableaux 10ter, 16bis, 37ter, 61bis, 70ter, et 81) n’ont pas été pris en compte. Tableau 7.10. Tableaux de maladie professionnelle du régime général relatifs aux tumeurs prises en compte dans l’enquête du Giscop931 (n = 17). Tableau

Pathologie

Agent cancérogène

Durée d’exposition

Liste limitative de travaux

RG4

Syndromes myélodysplasiques acquis et non médicamenteux. Leucémies aiguës myéloblastique et lymphoblastique à l’exclusion des leucémies aiguës avec des antécédents d’hémopathies.

Benzène et tous les produits en renfermant.

Aucune 6 mois

NON NON

RG6

Leucémies. Cancer broncho-pulmonaire primitif par inhalation.

Rayonnements ionisants.

Aucune

NON NON

RG10ter

A. Cancer broncho-pulmonaire primitif. B. Cancer des cavités nasales.

Acide chromique, chromates et bichromates alcalins ou alcalinoterreux, chromate de zinc.

A. 5 ans B. 10 ans

NON

229

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Tableau

Pathologie

Agent cancérogène

Durée d’exposition

Liste limitative de travaux

RG15ter

Tumeur primitive de l’épithélium urinaire (vessie, voies excrétrices supérieures) confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique.

Amines aromatiques et leurs sels (liste fermée).

5 ans

NON

RG16bis

B. Cancer broncho-pulmonaire primitif. C. Tumeur primitive de l’épithélium urinaire (vessie, voies excrétrices supérieures) confirmée par examen histopathologique ou cytopathologique.

Goudrons de houille, huiles de houille, brais de houille et suies de combustion du charbon.

B. 10 ans C. 10 ans

OUI

RG20bis

Cancer bronchique primitif.

Poussières ou de vapeurs arsenicales.

Aucune

OUI

RG20ter

Cancer bronchique primitif.

Poussières ou de vapeurs renfermant des arseno-pyrites aurifères.

10 ans

OUI

RG25

A2. Cancer bronchique primitif associé à des signes radiologiques ou des lésions de nature silicotique.

Poussières de silice cristalline : quartz, cristobalite, tridymite.

5 ans

NON

RG30

C. Dégénérescence maligne broncho-pulmonaire compliquant les lésions parenchymateuses et pleurales bénignes citées dans le tableau. D. Mésothéliome malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde. E. Autres tumeurs pleurales primitives.

Poussières d’amiante.

C. 5 ans D. Aucune E. 5 ans

NON NON NON

RG30bis

Cancer broncho-pulmonaire primitif.

Poussières d’amiante.

10 ans

OUI

RG37ter

Cancer primitif de l’ethmoïde et des sinus de la face. Cancer bronchique primitif.

Opérations de grillage des mattes de nickel.

Aucune Aucune

OUI

RG43bis

Carcinome du nasopharynx

Aldéhyde formique.

5 ans

OUI

RG44bis

Cancer broncho-pulmonaire primitif.

Travail au fond dans les mines de fer.

10 ans

OUI

RG47

B. Cancer primitif : carcinome des fosses nasales, de l’ethmoïde et des autres sinus de la face.

Poussières de bois.

5 ans

OUI

RG61bis

Cancer broncho-pulmonaire primitif.

Poussières ou fumées renfermant du cadmium

10 ans

OUI

RG70ter

Cancer broncho-pulmonaire primitif.

Poussières de cobalt associées au carbure de tungstène avant frittage.

5 ans

OUI

RG81

Cancer bronchique primitif.

Bis(chlorométhyle)éther (fabrication).

Aucune

OUI

1 : pour chaque tableau, seules ont été rapportées les pathologies appartenant aux groupes des tumeurs respiratoires, urinaires et hématologiques.

230

Prise en charge et réparation 7

5.3. Résultats 5.3.1. Caractéristiques des participants Le tableau 7.11 rapporte les principales caractéristiques de l’échantillon d’étude (n = 1 009) selon le genre des participants. Les patients hommes (n = 831) et femmes (n = 178) étaient atteints en quasi-totalité de tumeurs primitives de l’appareil respiratoire (94,2 % des localisations), diagnostiquées à un stade avancé (métastases chez 45,7 % des patients).

Tableau 7.11. Caractéristiques des participants de l’enquête (n = 1 009). Hommes N 831

% 82,4

Femmes N 178

% 17,6

Total N 1009

% 100

Localisation tumorale Respiratoire Urinaire Hématologique

p = 0,16 782 35 14

94,1 4,2 1,7

168 4 6

94,4 2,3 3,4

950 39 20

94,2 3,9 2,0

Stade métastatique Oui Non Indéterminé

p = 0,91 380 352 99

45,7 42,4 11,9

81 74 23

45,5 41,6 12,9

461 426 122

45,7 42,2 12,1

Âge au diagnostic2 < 50 ans de 50 à 64 ans 65 ans ou plus

p = 0,001 64 378 375

7,8 46,3 45,9

30 79 66

17,2 45,1 37,7

94 457 441

9,5 46,1 44,4

201 239 249 142

24,2 28,8 30,0 17,1

32 37 49 60

18,0 20,8 27,5 33,7

233 276 298 202

23,1 27,4 29,5 20,0

1,2 24,0 38,3 36,6

2 3 117 56

1,1 1,7 65,7 31,5

12 202 435 360

1,2 20,0 43,1 35,7

Période d’entrée en emploi Avant 1950 Entre 1950 et 1959 Entre 1960 et 1970 Après 1970

p < 0,0001

Secteur d’activité prédominant Agriculture, pêche Construction Services3 Industries4

Test de Fisher1

10 199 318 304

p < 0,0001

231

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Hommes

Femmes

Total

PCS prédominante Ouvrier(e) Employé(e) Prof. intermédiaire Prof. libérale/cadre Artisan-commerçantchef d’entreprise Agriculteurs, inactifs

p < 0,0001 567 84 125 30

68,2 10,1 15,0 3,6

41 102 26 6

23,0 57,3 14,6 3,4

608 186 151 36

60,3 18,4 15,0 3,6

23 2

2,8 0,2

3 0

1,7 0,0

26 2

2,6 0,2

149 422 438

14,8 41,8 43,4

Nombre de cancérogènes différents Aucun retrouvé 1à2 3 ou plus

86 323 422

p < 0,0001 10,4 38,9 50,8

63 99 16

35,4 55,6 9,0

Nombre d’années de travail exposées à au moins un cancérogène Aucune retrouvée Moins de 1 an à 9 ans 10 ans et plus

Test de Fisher1

85 90 655

10,2 10,8 78,8

63 41 74

35,4 23,0 41,6

148 131 729

p < 0,0001 14,7 13,0 72,3

1 : test de comparaison de la distribution de chaque caractéristique considérée chez les hommes et les femmes ; 2 : date de diagnostic inconnue pour 17 patients ; 3 : dont transports, éducation, santé ; 4 : dont extractives et minières.PCS : catégorie socio-professionnelle.

Les hommes et les femmes se distinguaient en revanche en matière d’âge au diagnostic (davantage de femmes âgées de moins de 50 ans, davantage d’hommes âgés de 65 ans ou plus), de période d’entrée dans l’emploi (plus précoce chez les hommes), de secteur d’activité dominant sur le parcours professionnel (en particulier s’agissant de la construction chez les hommes et des services chez les femmes), de PCS prédominante (hommes ouvriers, femmes employées), de nombre de cancérogènes retrouvés dans le parcours de travail (exposition et multi-expositions plus fréquentes chez les hommes), et enfin de nombre d’années travaillées présentant une exposition à au moins un agent cancérogène (hommes plus fréquemment exposés pendant 10 ans ou plus). Les parcours professionnels de ces 1 009 patients comportaient 5 479 emplois, répartis en 6 096 postes, dont 7 % seulement avaient débuté après 1975. Parmi les emplois exercés, 87 % étaient localisés en Île-de-France, dont 45 % en Seine-Saint-Denis et 35 % à Paris. Un total de 8 256 expositions a été identifié par le groupe d’experts.

5.3.2. Trajectoires d’exposition des participants Les figures 7.3 et 7.4 rapportent les deux typologies de trajectoires d’exposition retenues respectivement chez les hommes et chez les femmes. Les types de trajectoires des 232

Prise en charge et réparation 7

5 Nombre d’expositions

4 3 2 1 0 0

200

400

600

Période travaillée (mois depuis le début du premier emploi) 1 3 5 7 9

10,8 % 15,8 % 17,6 % 9,6 % 8,3 %

2 4 6 8

3,6 % 11,5 % 12,5 % 10,2 %

Figure 7.3. Trajectoires d’expositions professionnelles aux cancérogènes de la liste Giscop93 chez les hommes ayant eu un parcours d’une durée comprise entre 30 et 45 ans (n = 739).

2,5

Nombre d’expositions

2

1,5

1

0,5

0 0

200

400

600

Période travaillée (mois depuis le début du premier emploi) 1

47,7 %

3

13,7 %

2

38,6 %

Figure 7.4. Trajectoires d’expositions professionnelles aux cancérogènes de la liste Giscop93 chez les femmes ayant eu un parcours d’une durée comprise entre 30 et 45 ans (n = 132). Note : pour chaque temps (pas de temps de six mois) est rapportée la moyenne du nombre d’expositions identifiées au cours des six derniers mois.

233

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

hommes étaient relativement variés, alors que les femmes se différenciaient uniquement suivant trois groupes de trajectoires d’expositions. Chez les hommes (n = 739), on distinguait 9 groupes de trajectoires. Si 10,8 % des hommes avaient tout au long de leur parcours exercé des activités non exposantes (groupe 1), 10,2 % (groupe 8) d’entre eux avaient été soumis de manière constante à 4 expositions différentes ou plus, 17,6 % à 1 à 2 expositions différentes (groupe 5) et 15,8 % à une exposition cancérogène en moyenne (groupe 3). Par ailleurs, 17,9 % des patients avaient rencontré de 2 à plus de 3 expositions de manière précoce au cours de leur parcours, et cette période de multi-expositions de plusieurs années avait été suivie d’une période de décroissance (groupes 7 et 9). Enfin, 12,5 % des hommes avaient débuté leur parcours professionnel en étant soumis à une seule exposition, période qui avait été suivie d’une augmentation progressive du nombre d’expositions, atteignant plus de 3 expositions en moyenne pendant la seconde moitié du parcours (groupe 6). Chez les femmes (n = 132), 47,7 % des parcours étaient globalement considérés comme non exposés, malgré quelques épisodes d’exposition parfois relevés en début de carrière (groupe 1), tandis que 38,6 % avaient connu moins d’une exposition, en moyenne, au cours de leur parcours, suggérant une alternance de périodes mono-exposées et de périodes non exposées (groupe 2). Enfin, un groupe de femmes (13,7 %) se détachait comme ayant rencontré de 1 à plus de 2 expositions en moyenne au cours de leur parcours, avec un pic en milieu de carrière (groupe 3).

5.3.3. Agents cancérogènes le plus souvent retrouvés Parmi les 54 agents cancérogènes considérés dans l’enquête, la majorité (n = 30, 55,6 %) sont classés comme cancérogènes certains par le CIRC et/ou l’Union européenne (UE)1, 13 (24,1 %) sont classés comme cancérogènes probables (classe 2A du CIRC et/ou 2 de l’UE), 6 (11,1 %) sont classés comme cancérogènes possibles (classes 2B du CIRC et/ou 3 de l’UE), et 5 (9,3 %) n’étaient pas classés par ces instances, bien que repérés dans la littérature internationale. Le type de cancérogènes rencontrés était significativement lié au secteur d’activité et à la catégorie socio-professionnelle (p < 0,001). Ainsi, les cancérogènes certains se retrouvaient-ils plus souvent dans les emplois des secteurs de la construction, de l’industrie métallurgique, chimique et automobile. De même, les agents rencontrés 1. Lorsque les classifications CIRC et UE différaient, la classification la plus haute a été retenue. De même lorsqu’une famille de cancérogènes comportait des classements variés (exemple : solvants chlorés, plomb et composés inorganiques…).

234

Prise en charge et réparation 7

aux postes d’employés étaient plus souvent classés comme cancérogènes possibles, comparativement aux postes d’ouvriers et d’artisans, plus souvent associés à des cancérogènes certains ou probables. L’amiante était le cancérogène le plus fréquemment retenu aux postes de travail des patients interrogés. Ce cancérogène était en effet identifié par les experts dans 28,7 % des postes répertoriés. Les autres cancérogènes fréquemment retenus étaient la silice (16,7 % des postes), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (14,1 %), le benzène dans les mélanges (9,9 %), les solvants chlorés (9,0 %) et les fumées de soudage (7,6 %). Par ailleurs, 78,7 % des expositions répertoriées avaient été considérées comme présentant une probabilité certaine. Les expositions identifiées chez des femmes étaient cependant plus souvent associées à des probabilités jugées faibles (16,1 % contre 5,6 % chez les hommes, p < 0,01).

5.3.4. Postes et secteurs d’activité mono- et multi-exposés Sur l’ensemble des 6 096 postes expertisés, 56,1 % présentaient une exposition à au moins un cancérogène. Deux tiers de ces postes étaient en outre exposés à au moins deux cancérogènes (n = 2 255). La multi-exposition était plus fréquente dans les emplois exercés dans les secteurs du commerce et de la réparation automobile (71,5 %), de la construction (64,4 %), de l’industrie métallurgique (63,3 %) et de l’imprimerie (58,9 %) . Elle était également plus fréquente aux postes occupés par des hommes (41,8 % versus 9,8 % pour les femmes), ainsi que pour certaines catégories socio-professionnelles : 51,2 % des postes d’ouvrier qualifié, 48,6 % des postes d’ouvrier non ou peu qualifié, 27,2 % des postes de profession intermédiaire, et 26,8 % des postes d’artisan (fig. 7.5). La figure 7.6 rapporte l’évolution de la proportion de postes mono- et multi-exposés en fonction de la période d’exercice de l’emploi. On constate une tendance à la diminution de la proportion de postes exposés au cours du temps (près de 20 % en moins entre la période antérieure à 1950 et celle postérieure à 1975).

235

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

26,8 %

Artisans/commerçants Prof. libérale/cadres

47,4 % 4,4 % 13,3 % 27,2 %

Prof. intermédiaires Employés Q

43,1 % 6,2 % 19,7 % 8,0 %

Employés NQ

23,8 % 51,2 %

Ouvriers Q

69,1 % 48,6 %

Ouvriers NQ

71,8 %

Postes multi-exposés

Postes exposés

Figure 7.5. Proportion de postes mono- et multi-exposés selon la catégorie socio-professionnelle (n= 6 096). Note : en raison d’un très faible nombre de postes (n = 6), les données relatives aux agriculteurs n’ont pas été rapportées sur le graphique. La catégorie des inactifs n’a pas non plus été rapportée.

100 80

39,5 %

30,4 %

34,0 %

41,0 %

60

12,0 %

18,4 %

22,3 %

19,4 %

38,0 %

47,6 %

Avant 1950 (n = 1 389)

1950-1960 (n = 1 684)

40 20

57,6 %

47,6 %

0

Aucun cancérogène retrouvé

1960-1975 (n = 2 575)

1 cancérogène

Après 1975 (n = 448)

2 cancérogènes ou plus

Figure 7.6. Évolution temporelle de la proportion de postes mono- et poly-exposés (n = 6 096).

5.3.5. Profils de multi-exposition aux postes de travail Le tableau 7.12 présente les quatre profils retenus à partir de l’analyse des 2 255 postes exposés à au moins deux cancérogènes différents. Les cancérogènes fréquemment associés sur différents postes de travail caractérisent un profil type d’exposition. Un même cancérogène peut se retrouver associé à plusieurs profils d’exposition. 236

Prise en charge et réparation 7

Tableau 7.12. Profils de cancérogènes retrouvés au sein des postes multi-exposés (n = 2 255) et description des postes concernés. Profil construction (n = 585)

Profil bois (n = 202)

Profil métaux (n = 1 291)

Silice Amiante Benzène pur Bitume HAP

Chrome Nickel Plomb Cobalt Acides minéraux Cadmium Radiations ionisantes Styrène Révélateur Acrylonitrile Acrylamide Matériaux composites Fibre céramique Hydrazine

Poussières de bois Formol Pesticides Arsenic Nitrosamines Chlorure Mycotoxines

Poussières métalliques Fumées de soudage Solvants Huile de coupe Gaz essence Huile minérale Gaz diesel Huile aqueuse HAP Béryllium Tabagisme passif

Chef de chantier, maçon, manœuvre, conducteur d’engins de chantier, ferrailleur, briqueteur

Ajusteur, tourneur, chaudronnier, fraiseur, électromécanicien, chef d’atelier, mécanicien, soudeur, plombier-chauffagiste-installeur, tôlier, carrossier

Menuisier, ébéniste, boiseur, poseur de revêtement de sol (parquets), ouvrier agricole, aide forestier, bûcheron

Peintre, mastiqueur, massicotier, photograveur, polisseur, carrossierpeintre, plasturgiste, graveur

Cancérogènes fortement associés

Types de postes

Profil peinture (n = 177)

Le profil construction (n = 585, 25,9 % des postes multi-exposés) était généralement rencontré dans le secteur du BTP (gros œuvre). Il recouvrait des tâches de terrassement, démolition, construction de bâtiments et de maçonnerie générale. Le profil peinture (n = 177, 7,8 %) était retrouvé dans l’industrie métallurgique, la réparation d’articles et la fabrication d’équipements thermiques et automobiles. Il était également retrouvé dans les activités artisanales d’installation et de réparation de ces équipements. Le profil bois (n = 202, 9,0 %) était typiquement celui rencontré dans le travail du bois (ébénisterie et menuiserie). On le retrouvait autant dans le milieu industriel qu’artisanal (ébénisterie et menuiserie). C’était également un cocktail rencontré dans le milieu agricole et forestier. 237

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

Le profil métaux (n = 1 291, 57,3 %), enfin, était fréquemment retrouvé dans l’industrie chimique, dans le secteur de l’imprimerie ou encore dans l’industrie automobile (carrosserie peinture), mais aussi dans le second œuvre du BTP, dans le cadre de travaux d’isolation et de décoration (peinture). Ces profils d’exposition, bien qu’associés préférentiellement à un certain type de secteur d’activité (tableau 7.13), dépendaient en premier lieu de l’activité réelle de travail, c’està-dire non seulement des tâches effectivement réalisées – qui peuvent différer des tâches prescrites –, mais également de l’environnement de travail dans lequel elles étaient effectuées. Ainsi, un carrossier-peintre, en fonction de son activité réelle de travail réalisée en garage ou en industrie, pouvait être soumis à un profil d’exposition orienté métaux (redressage, débosselage uniquement) ou peinture (masticage, peinture de la carrosserie). Enfin, la distribution des postes multi-exposés dans les quatre profils dépendait du genre du patient ayant occupé ce poste. Ainsi, les postes occupés par des hommes (n = 2 173) se retrouvaient plus souvent dans le profil construction (26,7 % contre 7,3 % pour les femmes), tandis que la majorité des postes multi-exposés occupés par des femmes (n = 82) se retrouvait dans le profil métaux (79,3 % contre 56,4 % chez les hommes).

Tableau 7.13. Proportion de postes classés dans les quatre profils de multi-expositions selon le secteur d’activité (n = 2 255). Profil de multi-expositions (%) Secteur d’activité Construction Terrassement Gros-œuvre Maçonnerie Isolation Installation de ventilation Menuiserie Peinture (intérieur et extérieur) Industrie métallurgique Industrie chimique et caoutchouc Commerce et réparation automobile Industrie équipementière Industrie automobile Industries extractives et minières Imprimerie Autres industries

Construction 48,5 91,8 96,7 88,0 6,9 24,1 0,0 32,5 12,1 15,0 7,1 11,5 11,9 41,1 0,9 10,2

Peinture 10,0 0,0 0,0 0,0 51,7 0,0 0,0 34,2 5,0 18,8 9,5 6,6 9,2 0,0 13,9 5,1

Bois 11,9 2,1 3,3 0,0 10,3 0,0 100,0 7,0 3,1 13,8 4,8 1,6 4,6 11,8 1,9 38,8

Métaux 29,6 6,1 0,0 12,0 31,1 75,9 0,0 26,3 79,8 52,4 78,6 80,3 74,3 47,1 83,3 45,9

Note : les pourcentages rapportés sont des pourcentages en ligne. Ainsi, parmi les postes multi-exposés exercés dans le secteur de la construction, 48,5 % étaient classés dans le profil construction,

238

Prise en charge et réparation 7

5.3.6. Comparaison entre expositions retrouvées et tableaux théoriques Le tableau 7.14 rapporte la distribution des tableaux auxquels les patients atteints de cancer broncho-pulmonaire (n = 881) auraient en théorie été éligibles, au regard des critères de durée minimale d’exposition. Si les tableaux 30 et 30bis étaient globalement les plus fréquemment identifiés, les tableaux 16bis et 25 étaient également identifiés chez respectivement 20,7 % et 30,2 % des hommes. Les autres tableaux apparaissaient rarement. Au total, 12,9 % des patients étaient théoriquement éligibles sur un tableau et un seul, et 48,1 % sur 2 tableaux ou plus. Cependant, de fortes différences étaient observées entre hommes et femmes, seulement 24,2 % des femmes étant éligibles à au moins un tableau, contre 69,1 % des hommes (p < 0,0001). Tableau 7.14. Distribution des tableaux théoriques d’instruction en maladie professionnelle pour les seuls patients atteints de cancer broncho-pulmonaire (n = 881). Hommes (n = 724) N

Femmes (n = 157) %

N

Total (n = 881) %

Test de Fisher

N

%

16 54 154 17 7 220 420 369 15 3 10 11 1

1,8 6,1 17,5 1,9 0,8 25,0 47,7 41,9 1,7 0,3 1,1 1,2 0,1

Tableau théorique de maladie professionnelle RG6 RG10ter1 RG16bis RG20bis RG20ter RG252 RG303 RG30bis RG37ter RG44bis RG61bis RG70ter RG81

15 51 150 16 6 219 389 344 14 3 10 10 0

2,1 7,0 20,7 2,2 0,8 30,2 53,7 47,5 1,9 0,4 1,4 1,4 0,0

1 3 4 1 1 1 31 25 1 0 0 1 1

0,6 1,9 2,5 0,6 0,6 0,6 19,7 15,9 0,6 0,0 0,0 0,6 0,6

Nombre de tableaux théoriques 0 1 2 ou plus

224 104 396

30,9 14,4 54,7

p = 0,33 p = 0,02 p < 0,0001 p = 0,33 p=1 p < 0,0001 p < 0,0001 p < 0,0001 p = 0,49 p=1 p = 0,22 p = 0,7 p = 0,18 p < 0,0001

119 10 28

75,8 6,4 17,8

343 114 424

38,9 12,9 48,1

1. Deux agents cancérogènes de la liste du Giscop93 sont associés à ce tableau : le chrome hexavalent (acide chromique, chromates) et la fabrication et réparation de bottes et de chaussures. 2. Le cancer bronchique primitif doit être associé à des signes radiologiques ou des lésions de nature silicotique, condition qui n’a pas pu être prise en compte ici. 3. La dégénérescence maligne broncho-pulmonaire doit compliquer une ou des lésions parenchymateuses ou pleurales bénignes citées dans le tableau. Note : à l’exception des tableaux RG6, RG25 et RG30, tous les tableaux relatifs au cancer broncho-pulmonaire contiennent une liste limitative de tâches qui n’a pas été prise en compte ici.

239

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

5.4. Discussion 5.4.1. Principaux résultats Les résultats de cette enquête révèlent l’importance du phénomène de multi-expositions à des cancérogènes professionnels chez des patients atteints de cancers majoritairement broncho-pulmonaires. Il s’agissait principalement d’hommes ayant occupé des postes d’ouvrier pendant la plus grande partie de leur parcours professionnel. Ces multi-expositions ont été mises en évidence à l’échelle des postes de travail, mais aussi dans une perspective diachronique, en prenant en compte l’ensemble des parcours professionnels exercés des années 1940 à aujourd’hui. L’étude met par ailleurs en évidence de fortes inégalités sociales d’exposition en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, ainsi que des disparités entre secteurs d’activité, et entre hommes et femmes. Si les postes d’ouvrier présentaient les taux de mono- et de multi-expositions les plus élevés, les postes appartenant aux professions intermédiaires ainsi que les postes d’artisans/commerçants étaient également fortement touchés. Pour ces derniers, le statut d’indépendant rend encore moins probable l’accès à la réparation financière du cancer au titre de la maladie professionnelle, sauf dans les cas où le patient aurait été affilié au régime général pour une partie, en tous les cas en fin de carrière. L’inégalité sociale face aux expositions se double en ce cas d’une inégalité d’accès à la reconnaissance en maladie professionnelle en fonction des régimes assurantiels. Au niveau national, les inégalités sociales d’expositions cancérogènes professionnelles semblent non seulement persister mais aussi s’être creusées entre 2003 et 2010, comme en témoignent les résultats des enquêtes Sumer. En effet, à champ constant et liste commune de cancérogènes (24 agents classés 1 ou 2A par le CIRC), le rapport de la prévalence d’exposition chez les ouvriers qualifiés sur la prévalence chez les cadres et professions intellectuelles supérieurs est passé de 9,3 en 2003 à 13,2 en 2010 [10]. Ces inégalités d’expositions sont à mettre en perspective avec les inégalités sociales d’incidence et de mortalité par cancer. Dans tous les pays disposant de données statistiques sur la mortalité par catégorie socioprofessionnelle, la mortalité précoce par cancer est en effet plus élevée chez les ouvriers que chez les cadres et professions intellectuelles. En France, les différences de mortalité par cancer du poumon selon le niveau d’instruction se sont même creusées dans les années 2000, et ce, aussi bien chez les hommes que chez les femmes [19]. Une partie du secteur primaire (extraction minière), le secteur secondaire dans son ensemble – avec toutefois d’importantes variations – et les services de commerce et 240

Prise en charge et réparation 7

réparation automobile présentaient les plus fortes proportions d’emploi mono- et multiexposés dans notre enquête, en cohérence avec les données des enquêtes nationales. Au niveau des postes de travail multi-exposés, les profils dégagés pouvaient être caractérisés par 5 et jusqu’à 14 agents cancérogènes différents. De plus, bien que l’on ait noté une diminution au cours du temps, respectivement 12 % et 30 % des postes expertisés dans l’enquête du Giscop93 demeuraient mono- et multi-exposés après 1975. On ne dispose pas à proprement parler de points de comparaison dans les enquêtes publiées. Une analyse statistique spécifique des bases de données relatives aux enquêtes Sumer 1994, 2003 et 2010 serait nécessaire, ainsi que l’accès aux données métrologiques de la base Colchic gérée par l’INRS. Toutefois, en ne retenant que les postes documentés dans l’enquête du Giscop93 comme ayant été occupés dans les années 2000 à 20061, on observait une proportion plus importante de postes exposés que dans la population générale française en 2003 (45,5 % versus 13,5 %) [20]. Le même constat pouvait être fait en comparant, pour cette même période, les postes d’ouvriers qualifiés de l’enquête du Giscop932 et de l’enquête Sumer 2003 (62,0 % versus 30,9 %) [20]. Le cancer étant considéré dans notre enquête comme un événement sentinelle vis-à-vis des expositions cancérogènes passées, dans et hors travail, il n’est pas étonnant de retrouver des fréquences d’exposition plus élevées. Ce biais de sélection se conjugue toutefois avec un nombre presque deux fois plus important de cancérogènes pris en compte dans l’enquête du Giscop93, comparativement à l’enquête Sumer 2003 (54 contre 28). Par ailleurs, une postenquête qualitative a été conduite auprès d’un échantillon raisonné de 27 participants de l’enquête Sumer 2003 issus des régions Île-de-France et Pays-deLoire [21]. Cette étude a montré que les histoires d’exposition d’enquêtés Sumer exposés aux cancérogènes, caractérisées par une multi-exposition importante et de longue durée, étaient très semblables à celles des patients atteints de cancer de l’enquête du Giscop93. On observait, comme dans cette dernière enquête, une concentration des situations d’exposition dans le secteur de la construction et dans les fonctions, habituellement sous-traitées, de la maintenance, du nettoyage et de la gestion des déchets et des équipements industriels en fin de vie, concentration correspondant à des logiques structurelles de division sociale du travail et des risques. Ces situations d’exposition persistaient souvent dans le temps. Elles s’inscrivaient dans un mouvement de précarisation de l’emploi, s’accompagnant d’une absence d’information et de protection des salariés face aux risques, et ce, même dans les périodes récentes pour lesquelles le principe de substitution devrait s’appliquer en première intention au regard du décret CMR.

1. Date de fin de poste supérieure ou égale au 1er janvier 2000 et date de début de poste inférieure ou égale au 31 décembre 2006, n = 661. 2. n = 129.

241

CONSTRUIRE EN PERMANENCE LA PRÉVENTION DES CANCERS PROFESSIONNELS

S’agissant de la question du genre, bien que présentant des expositions moins fréquentes, aux caractéristiques plus incertaines et de moins longue durée en moyenne que ce qui avait été observé chez les hommes, les femmes participant à l’enquête du Giscop93 avaient, dans près de deux tiers des cas, été exposées à au moins un agent cancérogène au cours de leur parcours professionnel. De plus, plus de 13 % d’entre elles présentaient un parcours d’expositions multiples sur une période importante de leur carrière. En l’absence de matrice emploi-exposition comprenant un nombre suffisant d’agents cancérogènes et, de surcroît, construite de manière sensible au genre, il serait utile de réaliser une analyse genrée détaillée des bases de données nationales mobilisables afin de fournir des points de comparaison externes. Enfin, si les critères de durée d’exposition des tableaux de maladie professionnelle relatifs à l’amiante étaient le plus souvent compatibles avec les expositions retrouvées chez les patients de l’enquête, hommes et femmes, atteints de cancer broncho-pulmonaire, une proportion non négligeable de patients hommes aurait en théorie pu être orientée vers un tableau relatif aux HAP (RG16bis) et au chrome hexavalent (RG10ter). En outre, plus de la moitié des patients hommes étaient théoriquement éligibles à deux tableaux différents ou plus, et un peu moins de 1 femme sur 5. Ce constat, qui devrait être nuancé par une analyse approfondie de la concordance de tous les critères des tableaux et des caractéristiques des patients concernés, questionne les pratiques actuelles de réparation, dans lesquelles les tableaux amiante prédominent très largement1. Le suivi prospectif des patients de l’enquête auxquels le comité d’experts a recommandé de faire une déclaration en maladie professionnelle nous apportera bientôt des éléments d’objectivation et de compréhension des écarts entre tableaux théoriques, tableaux d’instruction, et accès à la réparation au titre de tel tableau ou du système complémentaire.

5.4.2. Apports de la méthodologie d’enquête pour l’évaluation des multi-expositions Outre les principales spécificités par rapport aux approches épidémiologiques usuelles (tableau 7.15), la méthodologie d’enquête mise en place repose sur la recherche active de patients atteints de cancer, sans application d’aucun filtre relatif à l’activité professionnelle. Le dispositif permet ainsi d’identifier des patients qui n’auraient pas nécessairement été orientés vers une consultation de pathologie professionnelle et environnementale, et ce, grâce à la coopération étroite de cliniciens et d’attachés de recherche intégrés aux équipes hospitalières.

1. Pour rappel, 86 % de tous les cancers reconnus en maladie professionnelle en 2010.

242

Prise en charge et réparation 7

Tableau 7.15. Spécificités de l’enquête du Giscop93 au regard des approches épidémiologiques usuelles. Divergences par rapport aux approches usuelles

Avantages en termes de production de connaissances

Cohorte de patients, sans groupe témoin Ne permet pas d’étudier l’étiologie de la maladie

Cancer comme sentinelle vis-à-vis des expositions passées et de l’accès au droit

Patients pris en charge dans des hôpitaux publics de Seine-Saint-Denis Peu de gradient social : 60 % de parcours ouvriers, 18 % d’employés

Effet loupe sur une population socialement moins favorisée, qui est aussi la plus touchée par le cancer

Étude exclusive de la vie professionnelle Pas d’estimation de risques attribuables

Accès à l’activité réelle de travail

Étude exclusive de cancérogènes connus Pas d’identification de nouveaux facteurs de risque

Identification de situations d’échec de la prévention

Grande majorité de patients exposés Sous-représentation des personnes et situations de travail non exposées

Gradient en termes de durée, intensité, multi-expositions…

Approche longitudinale, rétrospective et prospective Effets de sélection (inclusion des seules personnes ayant survécu)

Dimension diachronique des parcours

Par ailleurs, le recueil d’information sur les expositions professionnelles ne repose pas sur un questionnaire portant directement sur des cancérogènes nommés, ni sur le croisement des cursus laboris avec une ou plusieurs matrices emplois-expositions. L’approche retenue se fonde en effet sur le double constat d’un manque d’information reçue par les patients de la part de leur employeur lorsqu’ils étaient en activité, et de différences connues entre travail prescrit et travail réel. Elle s’appuie ainsi sur la combinaison d’un entretien détaillé de reconstitution de l’activité réelle de travail et de l’expertise collective de professionnels de la santé au travail. Cette approche, dans laquelle le patient est considéré comme expert de son activité de travail passée, reconnaît également les difficultés inhérentes à l’évaluation rétrospective d’expositions datant pour certaines de plusieurs décennies, en confrontant les connaissances de médecins, d’ingénieurs, de chercheurs et d’acteurs de terrain. Elle favorise en particulier la mise en évidence d’expositions de probabilité et d’intensité modérée – typiquement les expositions indirectes survenues du fait des activités exercées dans l’environnement du poste de travail –, et permet de tenir compte, dans une certaine mesure, des variations importantes de pratiques entre entreprises et entre travailleurs. 243

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Enfin, les approches statistiques appliquées dans l’étude des multi-expositions permettent de dégager des profils ou typologies de parcours et de postes multi-exposés et d’en déterminer la fréquence au sein de l’échantillon d’étude. Cette approche quantitative vient compléter les travaux qualitatifs réalisés sur la base de cette même enquête et ouvre des perspectives d’articulation entre analyse qualitative du corpus recueilli, analyse quantitative de la base de données y étant associée, et analyse quantitative des bases de données nationales. Elle vient alimenter l’étude de l’étiologie sociale des expositions cancérogènes professionnelles et s’inscrit dans le courant de l’épidémiologie sociale [22], dans laquelle les expositions cancérogènes professionnelles sont considérées comme l’un des facteurs intermédiaires entre situation sociale et cancer. Étant donné le bassin de recrutement de l’enquête, des analyses pourraient être réalisées en fonction du pays de naissance, ce dans l’optique d’étudier les questions d’intersectionnalité entre situation sociale, race et genre [23, 24], au-delà des approches multi-variées ajustant les mesures d’association sur des cofacteurs davantage susceptibles d’interagir entre eux que de s’additionner.

5.4.3. Limites de l’étude L’échantillon d’étude est constitué uniquement de patients atteints de cancer – principalement des cancers broncho-pulmonaires –, pris en charge dans des hôpitaux publics de Seine-Saint-Denis, un département marqué par des indicateurs socio-économiques défavorables par rapport au reste de la région Île-de-France et de la France métropolitaine. En outre, la proportion de patients recevant exclusivement des soins hors de la Seine-Saint-Denis s’élevait, d’après le programme médicalisé du système d’information, à plus de 61 % en 2010, indiquant de forts taux de fuite pour les localisations de cancer considérées, en particulier vers les centres de lutte contre le cancer (CLCC) parisiens. Les états de santé très dégradés dans lesquels se trouvent souvent les patients au moment du diagnostic représentent une cause importante de non-proposition de l’enquête de la part des médecins partenaires. Même après obtention du consentement éclairé, le (la) patient(e) peut décéder avant que l’enquêteur n’ait pu convenir d’un rendez-vous de reconstitution du parcours. Dans ce cas, le conjoint survivant et éventuellement d’anciens collègues peuvent être interrogés. La fatigue des patients en cours de traitement s’ajoute aux difficultés de remémoration des situations de travail anciennes et aux éventuels obstacles linguistiques. Ces réalités impactent forcément la qualité des informations recueillies. Ainsi, la chronologie des parcours, tout comme les durées des expositions reconstituées, sont-elles à interpréter comme des ordres de grandeur, en l’absence fréquente de relevés de carrière complets, d’attestations d’exposition délivrées par les employeurs, et d’accès direct aux réalités du terrain. 244

Prise en charge et réparation 7

Il est également important de préciser que les seules expositions qui sont retenues dans le cadre de l’instruction d’une déclaration en maladie professionnelle par l’Assurance maladie sont celles correspondant aux périodes de travail déclarées à l’Urssaf, pour lesquelles le (la) patient(e) dispose de preuves (bulletins de salaire). L’identification des tableaux sur lesquels les patients étaient théoriquement éligibles à une déclaration en maladie professionnelle ne pouvait prendre en compte cette dimension. Les expositions « probables mais indéterminées » parfois retenues par les experts reflétaient en outre l’impossibilité de nommer un cancérogène, alors même que les conditions de travail décrites orientaient leur jugement vers la présence de ce type de nuisances. Dans ce contexte, l’absence d’exposition retrouvée n’impliquait pas nécessairement une absence d’exposition. À ce sujet, il est important d’insister sur le fait que l’enquête sous-estime elle-même le nombre d’expositions différentes rencontrées à un poste donné et dans les parcours de travail. Les expositions accidentelles ou associées à des aléas ou incidents non recensés dans les récits des patients, ne sont, de fait, pas prises en compte. Mais surtout, trois dimensions structurelles concourent à l’invisibilité des risques cancérogènes professionnels : l’« ignorance toxique », l’absence de traçabilité des expositions et le transfert des risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) des travailleurs stables aux travailleurs précaires. L’ignorance toxique demeure abyssale, et l’enquête du Giscop93 n’a évidemment aucune prise sur ce qui reste inconnu. Dès 1998, un rapport de l’Epa montrait que des informations sur la toxicité étaient disponibles pour seulement 7 % des substances chimiques produites ou importées aux États-Unis. Depuis lors, aucune mesure drastique n’est venue modifier cette situation. La récente évaluation du Government Accountability Office (organisme public américain, équivalent de la Cour des comptes française) indique qu’en février 2012, l’Agence pour l’environnement (Epa) avait identifié 83 substances chimiques prioritaires pour une évaluation des risques. L’Agence a commencé avec 7 substances en 2012 et a depuis annoncé qu’elle prévoyait d’engager l’évaluation des risques de 18 autres substances en 2013 et 2014. À ce rythme, il faudra au moins dix ans à l’Epa pour mener à bien l’évaluation des risques concernant ces 83 substances [25]. Quant aux informations concernant la toxicité des quelque 100 000 produits figurant, en 2000, dans l’inventaire européen des substances chimiques commercialisées, elles étaient encore rares ou inexistantes dans au moins 90 % des cas à la fin des années 2000 [26]. Enfin, en référence au règlement européen Reach adopté en 2007, le département Santé travail de l’Institut syndical européen a publié une liste de plus de 500 substances « extrêmement préoccupantes ». Ce qualificatif désigne les substances dont l’Agence européenne sur les produits chimiques (Echa) devrait se saisir en priorité en raison de leurs propriétés toxiques avérées. Or, au 245

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cours des deux premières années de son fonctionnement, seules 30 substances ont été mises à l’ordre du jour [27]. L’absence de traçabilité des expositions et de délivrance d’attestation d’exposition aux travailleurs en cours ou à l’issue de leur parcours professionnel représente un deuxième facteur structurel de sous-estimation. Alors que la délivrance d’une attestation d’exposition aux CMR figure dans le Code du travail depuis 2001, dans des formes ayant évolué récemment (2012), aucun participant n’a pu fournir aux enquêteurs de l’équipe une quelconque attestation. Or, dans le cas de certaines fonctions systématiquement soustraitées et assumées par des travailleurs souvent en emploi précaire, cette attestation serait indispensable à l’identification des expositions dans les postes de travail occupés. Enfin, le transfert des risques CMR des travailleurs stables aux travailleurs précaires, par la sous-traitance des fonctions de maintenance, de nettoyage et de gestion des déchets, rend particulièrement difficile, voire impossible, l’identification des expositions. Bien que les données relatives à la sous-traitance et à l’intérim ne soient pas exploitables sur le plan statistique en raison de nombreuses données manquantes, l’étude du Giscop93 révèle une proportion importante de parcours instables et peu qualifiés (près d’un quart des patients), particulièrement chez les patients entrés sur le marché du travail après 1970. Ainsi le droit à la reconnaissance en maladie professionnelle pour les travailleurs malades du cancer, dont les limites avaient déjà été mises en évidence avant l’adoption du système complémentaire de reconnaissance [28], apparaît, à la lumière des résultats présentés dans ce chapitre, toujours aussi peu accessible aux travailleurs ayant pourtant été lourdement exposés à des cancérogènes dans le cadre de leur activité professionnelle. Pour ces derniers, l’écart semble en outre se creuser entre les caractéristiques des parcours et des expositions, d’une part, et le modèle de référence de la reconnaissance en maladie professionnelle des cancers, d’autre part.

5.5. Conclusion Les parcours professionnels recueillis auprès de patients atteints de cancer dans le cadre de l’enquête du Giscop93 font apparaître une multi-exposition de très longue durée, chez des travailleurs manuels ayant pour beaucoup été exposés dès leur entrée dans la vie active, ce qui renforce la probabilité de survenue d’un cancer précoce. Ces expositions cancérogènes multiples et documentées constituent un critère de pénibilité du travail [29], dont l’implication dans la survenue à moyen terme ou à long terme d’un cancer ne peut être écartée. Ces résultats sont à mettre en perspective avec la « double peine des ouvriers » [30], c’est-à-dire la persistance de l’inégalité sociale devant la 246

Prise en charge et réparation 7

mort, laquelle se double d’une inégalité de survie sans incapacité. Ils posent de manière aiguë la question de l’extension de la cessation anticipée d’activité – prévue par la loi pour les travailleurs de l’amiante – à tous ceux dont l’exposition professionnelle à un ou plusieurs cancérogènes est une dimension permanente de l’activité de travail. De plus, l’absence de prise en compte des situations très prépondérantes de multi-expositions dans certaines catégories socio-professionnelles et certains secteurs d’activité demeure un point aveugle, et injuste – au sens d’injustice sociale – du système de réparation des cancers d’origine professionnelle. À la lumière de ces constats, plusieurs propositions peuvent être formulées afin d’améliorer la connaissance, la prévention et la réparation des cancers d’origine professionnelle. En matière de prévention comme de réparation, une véritable traçabilité des expositions devrait être mise en place au niveau national. De manière rétrospective, les archives papier de l’INRS pourraient être intégrées à la base de données Colchic afin d’étendre la période couverte actuellement (1986 à aujourd’hui) à la période 1969-1985. De manière prospective, les listes d’agents CMR et les listes de salariés exposés, listes que l’employeur est dans l’obligation légale d’établir, pourraient être centralisées, en lien avec l’inspection du travail, par un organisme indépendant placé sous la tutelle de l’État. Afin de favoriser la déclaration en maladie professionnelle, des cellules de reconstitution des parcours de travail et d’expertise des expositions cancérogènes professionnelles pourraient être mises en place, soit au sein même des hôpitaux prenant en charge des patients atteints de cancer, soit au sein des caisses primaires d’assurance maladie. Dans ce dernier cas, l’enquête professionnelle pourrait être déclenchée par la déclaration en affection longue durée (ALD) au titre du cancer. Elle devrait s’articuler avec l’intégration de modules de formation spécifiques aux risques professionnels dans les cursus médicaux, ce afin d’améliorer les pratiques de rédaction des certificats médicaux initiaux. L’application par les employeurs de la loi relative à la délivrance de l’attestation d’exposition est également à ce titre tout à fait essentielle. Enfin, après avoir actionné le levier de la déclaration en maladie professionnelle, la lutte contre les inégalités d’accès à la réparation financière des cancers d’origine professionnelle passe par la prise en compte des multi-expositions et des effets de synergie entre facteurs professionnels et extra-professionnels. Dans cette optique, la création d’un tableau relatif aux situations de multi-expositions professionnelles devrait être encouragée. Un point de vigilance particulier concerne les facteurs extra-professionnels qui devraient être non pas considérés comme des facteurs compétitifs mais aggravants, et ce, d’autant que les liens entre conditions de travail, organisation du travail et conduites addictives – dont la consommation de tabac – restent encore largement inexplorés [31, 32]. 247

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Prise en charge et réparation 7

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Mot du Directeur général : poursuivre l’effort commun

On comprendra sans peine que le Directeur général de l’INRS ait décliné l’invitation qui lui a été faite de « conclure » un ouvrage qui insiste sur la nécessité de construire en permanence la prévention des cancers professionnels. En revanche, c’est très volontiers que j’insisterai sur l’importance que j’attache au fait que nous ayons associé à la réalisation de cet ouvrage une douzaine d’organismes différents qui ont pour point commun de tous œuvrer (chacun dans son domaine d’activité, chacun avec ses compétences particulières, à partir des techniques qu’il maîtrise) à une tâche commune : celle de prévenir les cancers professionnels. Certes l’INRS, comme ses partenaires réunis pour la rédaction de cet ouvrage, a l’habitude des coopérations : la sécurité et la santé au travail en général nécessitent l’apport de nombreuses disciplines scientifiques et l’intégration de nombreux points de vue (partenaires sociaux, chercheurs, préventeurs institutionnels et d’entreprise, sans oublier celui des travailleurs eux-mêmes à travers l’observation du travail réel). Il semble cependant à la lecture de cet ouvrage que l’importance et la complexité de l’enjeu rendent ce travail en commun encore plus indispensable quand il s’agit de prévention de cancers professionnels. C’est l’invisibilité immédiate de la nocivité de l’exposition à des cancérogènes qui est au cœur de la problématique. À partir de là, avec un temps de latence d’apparition des pathologies pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines d’années, c’est tout un travail spécifique pour emporter la conviction de tous les acteurs de la prévention, cités précédemment, qu’il faut entreprendre. Je voudrais, après bien d’autres, revenir ici sur le cas de l’amiante. En vingt ans, la France a su passer d’une crise sanitaire majeure à un système évolutif de gestion du 251

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passif lié à plusieurs décennies d’erreurs basées sur un présupposé fautif : celui d’une possibilité d’un usage contrôlé de l’amiante. Une fois les principes posés (interdiction d’utilisation, création d’un dispositif cohérent encadrant le traitement de l’amiante en place, suivi médical bien conçu et correctement encadré…), la volonté politique au sens large a tracé le chemin. Il n’a certes pas été linéaire, mais tous, toxicologues, épidémiologistes, spécialistes du prélèvement au poste de travail, de la mesure au laboratoire, de la conception aéraulique, du conseil aux entreprises et bien d’autres, ont œuvré à la construction d’un système cohérent. Le bilan humain est déjà douloureux et va encore s’alourdir, mais la réglementation continue à évoluer et le dialogue entre tous les partenaires se poursuit. La décision d’abaissement de la valeur limite d’exposition professionnelle en 2015 nous incite à l’humilité mais montre que le système de prévention est vivant et que chacun sait prendre ses responsabilités. L’INRS, à son niveau, contribue au débat et aux réalisations tant dans le cadre français qu’international : il est important de communiquer auprès de tous ceux qui n’ont pas encore fait le pas de l’interdiction. Et pour ceux qui l’ont déjà franchi, il n’est pas inutile d’avoir conscience des découvertes récentes de ces dernières années, telles l’importance quantitative des fibres d’amiante fines dans l’exposition des travailleurs. Certes, l’amiante n’est pas le seul cancérogène et je ne voudrais pas qu’une lecture trop rapide des paragraphes précédents laisse penser que, dans mon esprit, la seule solution de prévention des risques cancérogènes réside en une interdiction pure et simple de leur utilisation. Pour certains produits particulièrement virulents ou susceptibles de se diffuser largement dans les lieux de travail ou l’environnement général, cette interdiction est très probablement la seule solution, mais, pour d’autres, la protection des travailleurs passe par la mise en place d’une prévention rigoureuse et inventive : imagine-t-on un bannissement de l’utilisation du bois ou de la silice ? On sait également toutes les difficultés liées à la substitution de certaines molécules. Cette solution radicale et élégante doit bien sûr être privilégiée. Elle peut cependant être aussi, dans certains cas, la source d’incertitudes quant à la gestion au quotidien de la prévention au poste de travail : évolution pas toujours parfaitement maîtrisée des procédés, connaissance insuffisante des propriétés toxicologiques des molécules de substitution ou de leurs produits de dégradation, absence de recul en matière d’épidémiologie. C’est donc à une mobilisation des compétences analogue à celle dont nous avons été capables pour gérer la crise de l’amiante que nous devons procéder pour que plusieurs milliers de nouveaux cas de cancers soient évités tous les ans. Les acquis de tous les travaux effectués depuis vingt ans (évolution de la réglementation, progrès dans la prévention technique, meilleure compréhension de la perception des risques, formation renforcée…) doivent être utilisés pour améliorer la prévention des risques des autres cancérogènes. Cela passe bien sûr par un renforcement du travail en réseau que j’évoquais au début de ce texte. 252

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Glossaire

9 ACD : Agent chimique dangereux ACGIH : American Conference of Governmental Industrial Hygienists ADN : Acide désoxyribonucléique ALD : Affection de longue durée ANDRA : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail APR : Appareil de protection respiratoire AT/MP : Accidents du travail/maladies professionnelles ATEXA : Accident du travail des exploitants agricoles BND : Banque nationale de données BSD : Bordereau de suivi des déchets BTP : Bâtiment et travaux publics BVA : Institut d’études de marché et d’opinion CA : Conseil d’administration CAPEB : Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment CAREX : Carcinogen exposure database CARSAT : Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail CARSAT/CRAM : Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail/Caisse régionale d’assurance maladie CATMP : Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles CCMSA : Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole 253

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CDC : Caisse des dépôts et consignations CDG : Centre départemental de gestion CDI : Contrat à durée indéterminée CEA : Commissariat à l’énergie atomique CERBOIS : Cohorte d’évaluation des recommandations bois CGSS : Caisse générale de Sécurité sociale CHRU : Centre hospitalier régional universitaire CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail CHU : Centre hospitalier universitaire CIG : Centre interdépartemental de gestion CIPR : Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants CIRC : Centre international de recherche sur le cancer CLCC : Centre de lutte contre les cancers CLP : Classification, labelling and packaging (Classification, étiquetage et emballage) CMR : Cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction CNAMTS : Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés CND : Cahier de notes documentaires CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés CNRACL : Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales COG : Convention d’objectifs et de gestion CoRAP : Community Rolling Action Plan (Plan glissant d’action communautaire) CPAM : Caisse primaire d’assurance maladie CRAMIF : Caisse régionale d’assurance maladie Île-de-France CRATMP : Commission régionale accidents du travail - maladies professionnelles CRRMP : Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles CSR : Chemical safety report (Rapport sur la sécurité chimique) CST : Comité scientifique et technique CTN : Comité technique national CTR : Comité technique régional DEHP : Phtalate de diéthylhexyle DES : Diéthylstilbestrol DG : Direction générale des affaires sociales DGCL : Direction générale des collectivités locales DGOS : Direction générale de l’offre de soins DGS : Direction générale de la santé DGT : Direction générale du travail DIRECCTE : Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi DMEL : Derived minimal effect levels (Niveau minimal d’exposition dérivée) 254

Glossaire

DMST : Dossier médical en santé travail DO : Déclaration obligatoire DRP/CNAMTS : Direction des risques professionnels/Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés DTA : Document technique amiante DU : Document unique d’évaluation des risques ECHA : European Chemicals Agency (Agence européenne des produits chimiques) EE : Entreprise extérieure EEE : Équipement électrique et électronique EHESP : École des hautes études en santé publique EMCEF : European Mine, Chemical and Energy Workers’ Federation (Fédération européenne des syndicats des mines, de la chimie et de l’énergie) EPA : Environmental protection agency (Agence de protection de l’environnement) EPI : Équipement de protection individuelle ERT : European Registered Toxicologist (Toxicologue accrédité ERT) ESENER : European survey of enterprises on new and emerging risks (Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents) ESPRI : Épidémiologie et surveillance des professions indépendantes (programme) ETUI : European trade union institute (Institut syndical européen) EU : Entreprise utilisatrice EUROGIP : Groupement d’intérêt public œuvrant sur différents aspects liés à la santé et la sécurité au travail au plan européen EVALUTIL: Base de données pour l’évaluation des expositions à l’amiante des utilisateurs de matériaux en contenant FAP : Filtre à particules FAR : Fiche d’aide au repérage FAS : Fiche d’aide à la substitution FCBA : Institut technologique forêt cellulose bois-construction-ameublement FDS : Fiche de données de sécurité FIBREX : Base de données regroupant plus de 10 000 données d’exposition professionnelle à des fibres inorganiques ou organiques, d’origine naturelle ou artificielle FIPEC : Fédération des industries des peintures, encres couleurs, colles et adhésifs, préservation du bois FMA : Fibres minérales artificielles FNB : Fédération nationale du bois FNP : Fonds national de prévention (pour les fonctions publiques territoriales et hospitalières) FPH : Fonction publique hospitalière FPT : Fonction publique territoriale 255

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Francim : France-cancer-incidence et mortalité (Réseau des registres français de cancer) GEH : Groupe d’exposition homogène Giscop-93 : Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis HAP : Hydrocarbures aromatiques polycycliques HAS : Haute autorité de santé HIV : Human immunodeficiency virus (Virus de l’immunodéficience humaine) HPV : Human papillomavirus (Papillomavirus humain) HSE : Hygiène, sécurité, environnement HTLV : Human T-lymphotropic virus (Virus T-lymphotropique humain) IARC : International agency for research on cancer (cf. CIRC) INCa : Institut national du cancer INERIS : Institut national de l’environnement industriel et des risques INRS : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale InVS : Institut de veille sanitaire IPRP : Intervenant en prévention des risques professionnels IRIS : Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux IRIS/ST : Institut de recherche et d’innovation sur la santé et la sécurité au travail IRM : Imagerie par résonance magnétique IRSET : Institut de recherche santé environnement et travail IRSN : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ISDI : Installation de stockage de déchets inertes ISPED : Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement LH2 : Nom de l’ancien institut de sondage d’opinion et d’études de marché français connu avant 2005 sous le nom de Louis Harris, qui a rejoint le groupe BVA en 2014 MATGENE : Programme de l’InVS Matrices emplois-expositions en population générale MDT : Médecin du travail META : Campagne expérimentale de prélèvements et de mesures des fibres d’amiante par microscopie électronique à transmission analytique en milieu professionnel, à l’initiative du ministère chargé du Travail, du 15 novembre 2009 au 15 octobre 2010. METROPOL : Recueil de méthodes de prélèvement et d’analyse de l’air pour l’évaluation de l’exposition professionnelle aux agents chimiques mGy : Milligray MOPP : Protocole MOPP (moutarde azotée, oncovin, procarbazine, prednisolone) MP : Maladie professionnelle 256

Glossaire

NOAA : Nano-objets, agrégats et agglomérats NRD : Niveau de référence diagnostique NSA : Non salariés agricoles NTP : National Toxicology Program OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques OFEV : Office fédéral de l’environnement OIT : Organisation internationale du travail OMS : Organisation mondiale de la santé OPPBTP : Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics OR : Odds ratio ORL : Oto-rhino-laryngologiste PCB : Polychlorobiphényle PCR : Personne compétente en radioprotection PCS : Professions et catégories socio-professionnelles PCS-ESE : Professions et catégories socio-professionnelles des emplois salariés d’entreprise PDL : Produit dose longueur PET : Polyethylene terephthalate (polytéréphtalate d’éthylène) PGCSPS : Plan général de coordination de sécurité et de protection des salariés PME : Petite et moyenne entreprise PMSI : Programme de médicalisation des systèmes d’information PNSE : Plan national santé environnement PNSM : Programme national de surveillance du mésothéliome PPSPS : Plan particulier de sécurité et de protection des salariés Prorisq : Outil de gestion des accidents du travail et maladies professionnelles mis gratuitement au service des collectivités PST 2 : Plan santé au travail 2012-2014 REACH : Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) REFIDI : Résidus d’épuration des fumées d’incinération des déchets industriels REFIOM : Résidus d’électrofiltres d’incinération d’ordures ménagères REFIT : Regulatory Fitness and Performance Programme REP : Responsabilité élargie du producteur (les filières REP) RF-EM : Radio-Frequency Electromagnetic (Radiofréquence électromagnétique) RNIPP : Répertoire national d’identification des personnes physiques RNV3P : Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles RSI : Régime social des indépendants SA : Salarié agricole 257

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SCOEL : Scientific Committee on Occupational Exposure Limits (Comité scientifique en matière de limites d’exposition professionnelle à des agents chimiques) SCOLA : Système de collecte des informations des organismes accrédités SDIS : Service départemental d’incendie et de secours SFMT : Société française de médecine du travail SGH : Système général harmonisé des Nations unies SIPEV : Syndicat national des industries des peintures, enduits et vernis SIRET : Système d’identification du répertoire des établissements SISERI : Système d’information de la surveillance de l’exposition aux rayonnements ionisants SiST : Services interentreprises de santé au travail SNIIRAM : Système national d’information interentreprises d’assurance maladie SOLVEX : Solvex est une base de données regroupant plus de 350 000 données d’exposition professionnelle aux solvants et autres composés organiques volatils (COV) utilisés en milieu de travail SST : Service de santé au travail SUMER : enquête nationale dont l’objectif est de décrire les contraintes et nuisances auxquelles sont soumis les salariés, permettant de disposer d’une cartographie des expositions par type d’activité économique, taille d’entreprise, caractéristique des salariés SUVA : Schweizerische Unfallversicherungsanstalt (Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents) SVHC : Substance of very high concern (Substances préoccupantes) TCDD : Tétrachlorodibenzo-p-dioxine, type de dioxine appelée aussi « dioxine de Seveso » TLV C : Treshold Limit Value-Ceiling (Valeur limite maximale d’exposition) TMP : Tableau de maladie professionnelle TPE : Très petite entreprise TSCA : Toxic Substances Control Act (Loi sur le contrôle des substances toxiques) UE : Union européenne UIB : Union des industries du bois UIC : Union des industries chimiques UIMM : Union des industries et métiers de la métallurgie UMR : Unité mixte de recherche URSSAF : Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales UV : Ultraviolet UVA : Ultraviolet A UVB : Ultraviolet B VADS : Voies aéro-digestives supérieures 258

Glossaire

VERT : Verminderung der Emissionen von Realmaschinen im Tunnelbau (Réduction des émissions des machines réelles dans la construction des tunnels) VHC : Virus de l’hépatite C VHU : Véhicule hors d’usage VLEP : Valeur limite d’exposition professionnelle ZAs : Zentrale Erfassungsstelle asbeststaubgefährderter Arbeinehmer (Agence centrale d’enregistrement des travailleurs exposés aux poussières d’amiante)

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