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French Pages 260 [256] Year 2018
Complexité Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Complexité Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Jean-Yves Rossignol
Illustration de couverture. La forme étonnamment simple de ce nuage lenticulaire est l’expres‑ sion de phénomènes physiques et météorologiques d’une extrême complexité. Photographie Jean‑Yves Rossignol, Montagne de Banasse (64 Les Forges d’Abel), 24 août 2014, 14:54.
Imprimé en France
ISBN (papier) : 978-2-7598-2194-5 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2236-2 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consente‑ ment de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2018
«…ils prenaient conscience que découvrir le monde, c’était entrer dans la complexité et sentir que l’univers était un trou noir d’où sourdaient le mystère, le danger et la mort, c’était découvrir qu’en vérité seule existait la complexité, que le monde apparent et la simplicité n’étaient que des tenues de camouflage pour elle. Comprendre serait donc impossible, la complexité saurait toujours trouver la simplification la plus attirante pour l’empêcher. » Boualem Sansal 2084. La fin du monde Gallimard, 2015, p. 171
Remerciements Depuis une dizaine d’années, l’auteur a pu cultiver la pensée en complexité au contact des intellectuels brillants et bienveillants de l’Association européenne modé‑ lisation de la complexité, rencontrés en 2010, grâce à l’un d’eux, Michel Adam. Les échanges stimulants et conviviaux engagés avec Jean-Louis Le Moigne, pré‑ sident de l’association et mentor émérite, ainsi qu’avec les animateurs principaux, non moins virtuoses de la pensée complexe, ont été source de grande inspiration et facteur incommensurable de progrès : je pense à Marie-José Avenier, Philippe Fleurance, Georges Garcia, Dominique Genelot, Michel Paillet, Marc Péna, François Pissochet et bien sûr Michel Adam, déjà cité, qui a eu la gentil‑ lesse de relire minutieusement la totalité du manuscrit avec un esprit critique aussi avisé que bienveillant. Qu’ils soient sincèrement et chaleureusement remerciés pour leur influence bénéfique. Sur le plan de l’action de terrain, je dois à mon fidèle ami, Christophe Gourdon, de m’avoir entraîné, en 2007, dans la concrétisation de son idée de consolider le développement durable dans l’enseignement des écoles d’ingénieurs de l’Institut national polytechnique de Toulouse et de m’avoir introduit et soutenu dans cette institution pour co-construire ce projet ambitieux de rénovation de l’ingénierie. Ce fut une expérience enrichissante, fructueuse, pleine d’embûches aussi, où la com‑ plexité n’a cessé de se déployer en offrant un théâtre pour l’exercice de la pensée complexe au service de l’action et réciproquement. Je lui exprime ma gratitude, ma grande et indéfectible amitié pour sa compréhension, sa confiance et son soutien, et pour l’atmosphère joyeuse qu’il communique partout dans son sillage. Je le remercie également, et avec lui tout le noyau des pionniers engagés, passionnés, à l’esprit ouvert, Stéphan Astier, Catherine Azzaro-Pantel, Vincent Gerbaud, Didier Kleiber, Claude Monteil, Pascal Roggero, Roman Teisserenc, Bruno Sareni… pour leur collaboration enrichissante, autour de valeurs partagées, qui permit la création du mastère spécialisé Éco-ingénierie, avec le soutien de deux
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
présidents successifs de l’Institut national polytechnique de Toulouse, Gilbert Casamatta et Olivier Simonin. Je n’oublie pas non plus les quatre premières promotions de cette formation, auprès desquelles je me suis exercé à la pédagogie pour et par la complexité, où j’ai ren‑ contré de formidables jeunes mus par des valeurs éthiques. Qu’ils me pardonnent de ne pas pouvoir les citer tous et de les représenter par trois d’entre eux, Anastasia Roth, Arnaud de Maria et Vincent Cathelineau, brillants étudiants, y compris dans cette matière difficile de la complexité, qui ont marqué la première promotion et influencé les suivantes. Je dois à Aline Framarin l’aboutissement de cet ouvrage, grâce aux nombreuses heures de jardinage qu’elle m’a concédées ! Elle a en outre assuré la relecture minu‑ tieuse du manuscrit : je l’en remercie chaleureusement. Je tiens enfin à rendre hommage à Edgar Morin pour son œuvre colossale, inspi‑ rante et renouvelante, et pour sa vision humaniste, qu’il a inlassablement promues, avec beaucoup de sensibilité et d’humanité. La relecture par les personnes citées ne vaut pas approbation des opinions émises dans cet ouvrage, qui n’engagent que l’auteur.
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Table des matières Préface 15 Avant-propos 19
Première partie – Fondamentaux sur la complexité
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Chapitre 1 • Introduction à la complexité : La complexité est notre berceau
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• Le développement durable en toute simplicité • Du fractal au florilège • La complexité est notre berceau • Bibliographie
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Chapitre 2 • Qu’est-ce que la complexité ? Simple, compliqué, complexe
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• Apprivoiser l’ambivalence • Le désordre est-il néfaste et indésirable ? • Simple / compliqué / complexe • La complexité de la complexité • Ambivalence de la complexité • Versatilité de la complexité • Relativité de la complexité • Bibliographie • Corrigés des exercices
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Chapitre 3 • Fondements de la complexité : Une conception émancipatrice de la connaissance
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• Quelques paradigmes épistémologiques • Paradigme du réalisme • Paradigme du constructivisme • Constructivisme et complexité • Paradigme de l’anarchisme épistémologique • Observations sur les paradigmes épistémologiques • Bibliographie
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Chapitre 4 • Systèmes (perçus) complexes : Propriétés fondamentales 61
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• Modélisation linéaire • À propos du contexte… • Propriétés des modèles linéaires • Modélisation non linéaire • Exemple d’incidence de la manière de modéliser une société • Propriétés générales des systèmes vus en complexité • Non-linéarité • Irréversibilité • Dialogique • Causalité circulaire • Récursivité • Percolation et bifurcation • Imprédictibilité • Principe hologrammique • Émergence • Auto-éco-réorganisation • Écologie de l’action • Tentative de définition d’un système (perçu) complexe • Étude de cas : Le principe de précaution • Bibliographie • Corrigés des exercices
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Deuxième partie – La complexité en actes
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Chapitre 5 • Modéliser et concevoir : Science et philosophie
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• Qu’est-ce que modéliser ? • Diversité et sophistication de la modélisation
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Table des matières
• Première approche : La modélisation analytique ou réductionnisme Exemple de modélisation analytique. Modélisation mathématique et algorithmique • Deuxième approche : La modélisation de la complexité Exemples de modélisation de la complexité
94
Chapitre 6 • Ingénieries : Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
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96 97 98 Modélisation par analogie 98 Modélisation par automates cellulaires 99 Modélisation en réseau de neurones 99 Modélisation multi-agents 100 Limites de la modélisation de la complexité 101 102 Les mégadonnées • Troisième approche : La modélisation complexe 106 Déduction 107 Induction 107 Abduction 107 Élargir la notion de raisonnement valable 109 Modéliser en vue de faire avec une intention 110 Exemple de modélisation : le système général 114 • Bibliographie 116 • Corrigés des exercices 121
125 • Une nouvelle conception du rôle de l’expert • Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs 125 • Légitimité et compétence des non-experts 126 • La culture du lien 127 128 • L’éco-ingénierie : ingénierie en complexité • Deux cas contrastés de conception de projets : El Hierro et Sivens 132 • Étude de cas. Création d’un parc éolien 133 • Les activités à vocation humanitaire et humaniste en complexité 134 • Recherche ouverte 134 Sciences participatives et citoyennes 135 Recherche-action 136 • Conception de projet et prospective 137 La modélisation d’accompagnement 137 138 • Éducation humaniste • Médecine systémique 140 • Agriculture écosystémique 143 • Et pour finir, la géo-ingénierie 145 • Bibliographie 147 • Corrigés des exercices 152
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Chapitre 7 • Organisations et gouvernance : Le vivre ensemble en complexité
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• Les présupposés de l’économie orthodoxe • Vers une économie bio-socio-physique • Nouvelle conception du politique • Territoires : lieux du sens et des liens • Nouvelles finalités des entreprises • La responsabilité environnementale • La responsabilité sociale Gouvernance et management Les procédures normatives La résolution de problème en management systémique Dimension psychosociale complexe de l’intelligence collective Deux approches de gouvernance libérée : sociocratie et holacratie Étude de cas. L’entreprise FAVI • Bibliographie
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Troisième partie – La complexité en pratique
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Chapitre 8 • Expérimentations : Découvrir seul les chemins de la complexité
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• En filigrane dans les écrits • Étude de cas. Relance de l’activité d’une entreprise manufacturière • Étude de cas. Création d’un parc éolien : Exemple de résolution • Étude de cas. Relance de l’activité d’une entreprise manufacturière : Proposition d’une résolution • Bibliographie
185 186 190 207 211
Annexes 213 • Annexe 1. La notion de complexité peut-elle être objectivée en tant que limite de la cognition ? 213 • Annexe 2. Implication psychosociale, éthique et politique de l’option épistémologique 215 • Annexe 3. Complément sur la notion d’émergence 217 • Annexe 4. Les automates cellulaires 220 • Annexe 5. Le caractère normal de la déviance comme processus dialogique : Émergence de l’irrationnel et des pseudo-sciences 225 • Annexe 6. La méthode cartésienne 227 • Annexe 7. Approche statistique de la simulation 229
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Table des matières
• Annexe 8. L’évaluation en complexité : Cas de l’évaluation des compétences • Annexe 9. Procédure d’autorisation des installations classées • Annexe 10. Pluri-/ inter-/ trans-/ disciplinarité • Annexe 11. La modélisation d’accompagnement : fondements et éthique d’une démarche de concertation pour un développement durable • Annexe 12. Penser en complexité la gouvernance d’une entreprise : Le cas FAVI • Annexe 13. Causalité et dualité en complexité • Annexe 14. La modélisation graphique en complexité • Bibliographie des annexes
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Glossaire 257 • Bibliographie du glossaire
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Préface
« La Complexité est notre berceau… Elle invite au détachement, à l’empathie, à la souplesse… » écrit Jean-Yves Rossignol en une séduisante invitation à sa découverte tout au long d’un parcours subtilement formateur. La complexité perçue, pressen‑ tie, déclarée, pensée, agie, incarne aussi, dès le premier pas, l’épreuve de l’entrée dans l’univers digital 1 – par les signes numérisables qui engendrent le texte que vous lisez – sans renoncer à la dimension analogique du sens que vous y trouve‑ rez. Il s’agit alors de considérer et de vivre ce fait déroutant, que suggère le tao : il y a de l’analogique dans le digital (la date qui réveille un souvenir très fort, par exemple) et du digital dans l’analogique (le dénombrement involontaire des détails dans une vue d’ensemble, la main et les cinq doigts par exemple) et ce, en boucle, version Watzlawick, Palo Alto, 1972. On parle aujourd’hui de l’incalculable qui se niche dans le calcul humain (sa finalité, l’erreur, la panne, etc.) et, réciproquement, du calcul potentiel qui se cache dans l’incalculable (la matérialité en partie chif‑ frable, mesurable, de son expression, artistique notamment 2), c’est la version 2017, époque COP21 et monde « fini » (Valéry). Dit autrement, la complexité invite à (re)connaître le qualitatif dans le quantitatif et réciproquement, dans et à travers la spatialité qui les méta-relie.
1. On préfère aujourd’hui dire « numérique » ; digital est un terme plus riche car témoignant de son origine humaine, les doigts pour compter… dans les bases 10 ou 20 chez les Celtes. 2. Ou tout simplement biologique. Je pense au processus du nombre d’or que Dame Nature a mis dans l’architecture de nombreuses plantes (tournesol, etc.) et que Fibonacci a fini par cal‑ culer dans sa célèbre suite. On l’appelle aussi proportion dorée et il est plaisant de découvrir que l’étymologie de « proportion » renvoie à « ce qui convient ». Nouvelle passerelle entre qualitatif et quantitatif.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Prenons par exemple le nombre de zéros. Selon que ce signe est à droite d’un autre que lui, il pèse et concrétise (cum crescere, ce qui croît ensemble) des changements d’échelle entre personnes, groupes, organisations, nations, monde ou au contraire, s’il est à gauche et même en grand nombre, il n’est plus rien que l’absence de quelque chose, passé ou à venir. Les joueurs des machines à sous dans les casinos savent y lire très vite leur bonheur ou leur malheur. Ces changements d’échelle résonnent avec le concept d’émergence d’un nouveau tout, issu de parties qui étaient déjà des « touts ». La partition musicale, le texte littéraire ou scientifique, le schéma fonctionnel portent pour leurs lecteurs un sens (à déclinaison multiple) qui engendre une assomption des caractères qui les forment. Plus il y a de digital organisé, plus se lève l’analogique… pour le meilleur et pour le pire ! Utopie, science-fiction, récit, diagnostic… le ballet des signes et du sens jamais ne cesse. Dans l’analogique et sa continuité vibrante, les sens repèrent pourtant et sans cesse la multiplicité du premier niveau (digital) des choses, leur dénombrement. Les cor‑ beaux arrivent à compter jusqu’à six ! Un arbre, deux arbres… une forêt. Deux en un et réciproquement. Parfois l’arbre cache la forêt, le Un cache un autre Un issu de la multiplicité du premier. La réalité est une et multiple (A et non-A), à la fois émergence donc discontinuité, celle qui a fait ce que nous sommes, puis celles que nous enfantons à travers de multiples symbioses dans notre milieu, et en même temps continuité par la préservation de son soubassement. Les symboles unissent inlassablement les humains et leurs choses « associées » dans notre univers bio-techno-symbolique. Dans le complecti (tisser avec) de la complexité aux mille aspects, se multiplient en reliances secrètes, tissages subtils des fibres végétales, tissages à risque des relations sociales, tissages créatifs des concepts intellectuels, comme autant de figures appa‑ remment distinctes. Tissages ou saucissonnage ? Selon le moment de la journée, la fin ou la faim qui nous tenaille, le mois, l’époque, il faut savoir choisir… à ses risques et périls. Le tissu coloré des fils teintés, le réseau invisible des liens chargés d’affects, le texte libre des pensées nouvelles, trois dimensions de la vie que chacun ne peut explorer sans mobiliser les tissus spécifiés et entrelacés de sa propre chair en sa singulière complexité. C’est cette présence constante de l’auteur dans son texte que réussit l’ouvrage que vous tenez entre vos mains. Pour plonger en ce monde de l’ingénierie si « simple » en apparence car bien struc‑ turé, le livre passionnant de Jean-Yves Rossignol construit une solide passerelle pour nous aider à quitter – toujours provisoirement – le continent de la simplicité ras‑ surant par ses œillères, ses recettes et ses certitudes, si pratique parfois, si incom‑ préhensible souvent, et passer alors dans celui de la perplexité et des questions pour l’action efficace, dans l’action effective et par l’action peut-être pertinente, l’avenir le dira. À bien y regarder, ce continent de la complexité englobe en fait le premier comme la bouteille de Klein, comme l’étoile « contient » ses atomes en folie, comme la Nature englobe l’être humain, du dehors au dedans et réciproquement. Jean-Yves Rossignol a conçu un livre indispensable et pratique par un usage judicieux des exercices, des exemples et le rythme équilibré des schémas dont la complexité
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Préface
a besoin, ces figures que la pratique élabore depuis des millénaires, de l’artisan pri‑ mitif à l’ingénieur moderne. Comme le disait Jean Monnet 3 dans ses Mémoires, ce pratiquant pragmatique de la complexité du monde, cinquante ans avant l’appari‑ tion du mot « pensée complexe » sous la plume d’Edgar Morin : « je n’ai jamais pu séparer la réflexion de l’action. » Soit un tissage complexe et fragile entre l’éthique et la technique, dont l’humanité a d’urgence besoin pour un avenir durable, vivable mais incertain. Ce livre nous y entraîne dans les deux sens du mot.
Michel Adam Champéroux, le 8 mai 2017
3. Dont l’éthique forte et le goût de la Paix lui ont fait réussir – mais pas seul, en grande coopéra‑ tion – la naissance de la réconciliation des peuples d’Europe de l’Ouest. Un certain 9 mai 1950…
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Avant-propos
Une étudiante de la première promotion du mastère spécialisé Éco-ingénierie de l’Institut national polytechnique de Toulouse, qui relatait, dans le cadre du cours introductif à la complexité en ingénierie, un vécu difficile en tant que médiatrice dans un conflit entre les anciens élèves et la relève, au sein d’une junior-entreprise, et qui espérait beaucoup du cours pour trouver une solution à son problème, fut fort déçue lorsqu’elle réalisa que l’enseignant n’avait pas d’outil ni de protocole tout fait à appliquer dans sa situation complexe. Pas de méthodes ni d’outils standard et il n’en faut pas davantage pour inquiéter, voire rebuter, et assister à la désaffection de bien des esprits façonnés par les auto‑ matismes de la pensée moderne, rationalisante, prioritairement utilitariste et, il faut bien le dire, déresponsabilisante. La complexité 1 n’est pas maîtrisable ! Et pourtant, il faut l’apprivoiser… La pensée complexe ne se laisse pas enfermer dans des schémas préconçus, des méthodes, des outils, des recettes, sans pour autant s’en interdire l’usage, mais elle recherche une nouvelle rationalité de l’action orientée vers un but. Qu’est-ce donc que penser en complexité ? C’est activer une pensée reliante, nouvelle pour les Occidentaux contempo‑ rains, mais ancestrale pour les peuples originels, Chinois, Aborigènes d’Australie, Amérindiens, etc., qui pensent le réel comme interconnexions de catégories que 1. On ne peut pas dire que la complexité caractérise le réel en soi, mais plutôt notre manière de percevoir ou/et de concevoir les réalités du monde. Le terme « complexité », en lieu et place de « complexité de la représentation », est donc ici un raccourci de langage, mais qui sera maintes fois réitéré dans la suite, par commodité d’écriture.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
nous considérons comme disjointes : le cosmos et l’organisation de la vie en société ; le temps, les évènements passés et les lieux ; la nature et la culture ; etc. (Granet, 1934 ; Glowczewski, 1989). Dans notre culture, cela peut sembler devoir mettre en œuvre des principes diffus et mobiliser des schémas de pensée moins rigou‑ reux. Ces impressions ne sont cependant imputables qu’au sentiment d’étrangeté face à la nouveauté, car la pensée en complexité, qui colore différemment la cogni‑ tion consciente, génère des trames d’intelligibilité robustes et efficaces, mais moins rigides et plus créatrices que dans le paradigme cartésien. Cette aptitude nécessite d’avoir assimilé des postulats, des concepts, et en fin de compte, une culture, que le présent ouvrage se propose de commencer à vulgariser. La pensée complexe représente un changement de paradigme conceptuel pour une autre rationalité. Elle nous demande de prendre du recul vis-à-vis de ces vérités sur la bonne manière de raisonner qui ont été transmises depuis l’avènement des Lumières que devança Descartes. Il n’existe pas de continuité entre deux paradigmes, c’est-à-dire qu’on ne peut pas penser dans un nouveau paradigme avec les termes de l’ancien. Un changement de paradigme renouvelle le système de croyances des postulats fondateurs, à l’aune desquels de nouvelles idées s’élaborent. Lorsque les nouveaux postulats sont incom‑ patibles avec les anciens, la pensée est obligée de faire un « saut quantique », qui fait si peur, en général. Ce constat pose toute la difficulté pédagogique de la trans‑ mission sur la complexité. Il faut en effet provoquer un « déclic » à partir duquel il devient possible de changer sa façon de raisonner et à partir duquel expérimenter et construire. Quelques « déclics » ont incité l’auteur à explorer la complexité : la lecture, au début des années 1980, de deux ouvrages : Le macroscope (Joël de Rosnay, 1975) et Une logique de la communication (Paul Watzlawick et coll., 1972), ainsi que, plus récem‑ ment, la découverte de l’œuvre d’Edgar Morin, puis la rencontre de Jean-Louis Le Moigne et de ses proches du Réseau Intelligence de la Complexité. Grâce à eux, la complexité s’est progressivement imposée comme une manière de penser, de faire et d’être. Le plus difficile, sans doute, est de faire en complexité au sein des collectifs de la vie courante, professionnelle, militante, associative, etc. Penser et agir en complexité est déroutant pour quiconque n’a pas de culture dans ce domaine et tenter de trans‑ mettre cette culture comme préalable engendre pour le moins des réticences intellec‑ tuelles en présence de concepts jugés difficiles. Les porteurs de ces idées nouvelles se heurtent de manière constante à cette difficulté. Il convient de s’efforcer d’inventer des méthodes pédagogiques pragmatiques pour expérimenter et faire expérimenter l’agir-penser en complexité et pour transmettre une compétence implicite à acquérir par le vécu répété de situations. Il sera cependant utile que les « expérienceurs » les plus curieux, ou les plus motivés, puissent s’appuyer sur des écrits synthétiques et vulgarisés pour étayer théoriquement les fondements de la pratique : telle est l’ambi‑ tion du présent ouvrage.
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Avant-propos
Bibliographie de
Rosnay, Joël (1975). Le macroscope. Vers une vision globale. Le Seuil, 1975.
Glowczewski, Barbara (1989). Les rêveurs du désert. Peuple warlpiri d’Australie. Actes Sud, 1996. Granet, Marcel (1934). La pensée chinoise. Albin Michel, 1999. Watzlawick, Paul, Helmick Beavin, Janet, Jackson, Don D. (1972). Une logique de la communication (traduit par J. Morche). Le Seuil, 1972. Les nombreux ouvrages d’Edgar Morin et de Jean-Louis Le Moigne ne peuvent pas être tous cités ici, mais le seront au fil des pages suivantes.
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1 Introduction à la complexité La complexité est notre berceau
Le développement durable est une entrée en matière concrète et parlante sur la complexité. Sa conception classique, additive, propose une prise en compte conjointe des questions économiques, environnementales et sociales. La juxtaposition des trois champs dans le traitement séquentiel des problèmes posés à l’intérieur de chacun débouche sur des solutions-compromis dominées par l’économie, fragiles et peu durables. Dans une vision complexe et intégrative de l’économie, de l’environnement et du champ social, les interdépendances et les interactions constituent le matériau premier de la réflexion et de la conception dans la recherche de solutions satisfaisantes, plus appropriées aux principes et aux valeurs du développement durable.
Le développement durable en toute simplicité Chacun connaît probablement la définition stéréotypée du développement durable qui fait référence aux « trois piliers ». Le développement durable est censé instau‑ rer une nouvelle vision de l’économie, couplée avec les considérations environ‑ nementales et sociales. Le concept est souvent représenté schématiquement par
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
l’intersection de trois cercles symbolisant ces champs. Selon cette conception, le développement durable est l’intersection des « trois piliers », c’est-à-dire la portion congrue (figure 1.1). Quelques jalons de l’avènement du développement durable 1972 Rapport Meadows (Club de Rome) 1972 Conférence des Nations unies sur l’environnement humain (CNUEH) (Stockholm) Relation entre développement et environnement 1980 Mention du sustainable development par l’UICN World conservation strategy : living resource conservation for sustainable development 1987 Définition du sustainable development par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (Onu) : Our Common Future, Gro Harlem Brundtland, WCED 1992 Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro) L’environnement et le développement définitivement liés (officialisation des « 3 piliers »). Plan d’action : Agenda 21 2002 Sommet mondial sur le développement durable (Johannesburg) Proclamation de la décennie des Nations unies pour l’éducation au développement durable 2012 Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio de Janeiro) Bâtir une économie verte et améliorer la coordination internationale
ENVIRONNEMENT
ÉCONOMIE
DD SOCIAL
Figure 1.1 Conception classique du développement durable comme le croisement de domaines indépendants.
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1. Introduction à la complexité: La complexité est notre berceau
Avec quelques décennies de recul et malgré le colossal édifice normatif mis sur pied par les institutions, il faut bien reconnaître que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, pas même à la hauteur des enjeux, si l’on fait référence au réchauf‑ fement climatique ou au partage des richesses, par exemple. Ainsi, en France, on pouvait dresser, en 2014, le constat suivant : – la consommation d’énergie ne baisse pas significativement (Medde, 2014, p. 163) ; – l’artificialisation des sols continue d’augmenter (elle représente approximative‑ ment la superficie moyenne d’un département tous les sept ans) (Medde, 2014, p. 148) ; – les émissions de gaz à effet de serre totales de la France croissent (émissions imputables aux importations comprises) (Medde, 2014, p. 94) ; – les inégalités (mesurées par l’indice de Gini) augmentent depuis 20 ans (Insee, 2016a) ; – l’espérance de vie en bonne santé stagne pour les hommes et diminue chez les femmes depuis 10 ans (Insee, 2016b) ; – les maladies professionnelles augmentent régulièrement (Medde, 2016) ; – les tentatives de suicide sont chaque année un peu plus nombreuses (IVS, 2014, p. 9). On pourrait encore évoquer les maladies environnementales ou l’évasion fiscale mas‑ sive pratiquée par les très grandes entreprises, mais passons à une bonne nouvelle : les Français sont résilients, car malgré toutes ces calamités, l’indice de satisfaction ne décroît pas depuis au moins quarante ans, résolument constant ! (Morel, 2012, p. 75). Un bilan similaire pourrait être fait à l’échelle mondiale d’après les statis‑ tiques de l’Onu et des grandes institutions internationales. Comment se fait-il que l’on constate encore la dérive de divers phénomènes socié‑ taux vers des risques majeurs, malgré la prise de conscience généralisée ? Est-ce une question de temps ? de volonté ? Malheureusement, il faut craindre que le problème soit plus profond, plus fonda‑ mental, puisqu’il pourrait bien se lover dans les arcanes de nos modes de pensée, ina‑ daptés à la résolution des problèmes qui se posent désormais à l’humanité. La pensée moderne a permis le développement d’une technostructure au service de l’économie dont l’efficacité, mais aussi l’ampleur des conséquences, sont sans commune mesure avec l’idée que nous nous en faisons traditionnellement. Ainsi, le contexte global change, tandis que la pensée stagne dans une configuration ancienne : la maîtrise des effets de l’évolution récente nous échappe. Il y a donc urgence à revoir la manière de penser pour espérer atténuer les régula‑ tions spontanées de grande ampleur qui se profilent, aussi brutales qu’aveugles. Par le passé, la pensée avait pris l’habitude de simplifier les représentations des phénomènes et des situations, par souci d’efficacité utilitariste ciblée, pour obtenir plus, pour avancer plus vite. La simplification néglige des pans entiers des systèmes concernés par nos actions, au point de provoquer des incohérences croissantes entre
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ce que nous construisons et les contextes. Cet écart est tension et lorsque la tension est excessive, le système se fissure et s’effondre brutalement. Nous sommes invi‑ tés à renverser le point de vue, à complexifier nos représentations pour une meil‑ leure adéquation des activités avec tout ce qui existe autour d’elles. Il s’agit bien de concevoir une révolution économique. Et cela fait peur… L’humain a la curieuse et néfaste tendance à avoir plus peur du changement que des risques, même majeurs, dès lors qu’ils sont familiers. À notre époque, on trouve encore des économistes affirmant qu’il faut simplifier davantage les problèmes qui se posent. Autant dire que le Soleil tourne toujours autour de la Terre ! Bel exemple du « toujours plus de la même chose ! », si bien décrit et étudié par Paul Watzlawick et coll. (1972) dans les blocages psychologiques. Une autre révolution copernicienne salutaire est en cours, avec la pensée complexe. Comment cette révolution peut-elle générer une nouvelle approche du développe‑ ment durable ? Le développement durable est souvent pensé comme le vernis écologique que l’on ajoute à l’activité dans les conjonctures favorables, souvent considéré comme une contrainte, volontaire ou subie sous le coup de la réglementation. Il s’agit alors avant tout d’ajouter un nouveau champ technique, en particulier écologique, beaucoup plus rarement humain, aux considérations économiques et techniques habituelles. Des experts conçoivent une couche supplémentaire de prescriptions en utilisant des méthodes et des outils spécifiques. Et on se congratule pour sa participation à la construction de l’économie verte. Se demande-t-on si l’économie verte est une économie humaniste ? Se préoccupe-t-on de savoir si l’économie verte est capable d’enrayer la déqualification des travailleurs et le stress, de réduire les inégalités, d’améliorer les conditions de travail et le respect de la dignité humaine ? Pas sûr ; comme si on se rassurait en se persuadant que tout cela était censé venir par surcroît, de soi-même. Selon cette vision minimaliste, le développement durable est un coin que l’on fait entrer dans les activités et les métiers existants. Mais la greffe est souvent rejetée et, pire, le développement durable est instrumentalisé à des fins purement mer‑ cantiles. Une grande banque française est capable d’envoyer à ses clients une lettre signée de la directrice « marketing, communication et développement durable » : c’est tout dire ! Renversons la vision. Et si le développement durable était une vaste trame de valeurs et de principes dans laquelle devraient se fondre les activités et les métiers ? S’il était principalement question de donner du sens aux pratiques professionnelles, au-delà de la seule subsistance matérielle qu’elles permettent, au-delà même de la question égocentrée de l’intérêt du travail pour son propre épanouissement (ce qui est déjà un privilège dont beaucoup sont exclus) ? Et si l’enjeu était principalement de délibérer sur le « vivre ensemble », dans l’entreprise comme à l’extérieur ? Il s’agirait alors de concevoir une économie à la fois circulaire et solidaire (une économie « bleue » selon l’expression de Gunter Pauli (2016)). Selon cette vision, le développement durable est intégrateur (figure 1.2). Il n’est plus réduit à l’intersection des trois domaines économique, environnemental et
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social, mais il en fait une synthèse dans laquelle toute question posée dans un champ résonne en synergie avec les considérations relevant des autres champs. Économie, environnement et social forment un seul et même domaine de questionnement dans tout projet, dans toute réalisation.
ENVIRONNEMENT ÉCONOMIE
Développement durable SOCIAL
Figure 1.2 Conception intégrative du développement durable.
Par conséquent, la manière adéquate de concevoir les projets, dans l’optique du développement durable, semble être d’appréhender d’emblée toutes les probléma‑ tiques d’un projet, techniques, économiques, réglementaires, sociales, environne‑ mentales, éthiques, etc., comme étant reliées et interdépendantes. L’interdisciplinarité est donc requise. Oui, mais c’est compliqué, direz-vous… En fait, c’est pire : c’est complexe ! Heureusement, des pionniers ont frayé des sentiers qui ne demandent qu’à être empruntés. Le mot sentier est d’ailleurs faible, si l’on s’en réfère, en France, à Edgar Morin et à Jean-Louis Le Moigne, dont les œuvres magistrales de toute une vie, édifiées contre les vents et les marées de la pensée orthodoxe, peuvent être considé‑ rées comme des nourritures aussi vivantes qu’essentielles. Les idées fondamentales développées ici leur sont dues 1. La complexité, c’est simple dans le principe : cela signifie que les choses ne sont pas isolées (Morin, 2014 ; Le Moigne, 2008). Certes, la mise en œuvre concrète, en situation professionnelle par exemple, peut être ardue, mais tout dépend aussi de la manière dont on se saisit de la complexité et, quoi qu’il en soit, quel défi motivant ne nous propose-t-elle pas ! 1. Les références explicites manqueront sans doute souvent, tellement l’imprégnation a rendu inconsciente de nombreux emprunts auprès de ces grands intellectuels dont nous espérons l’indul‑ gence.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
En matière de développement durable, comment penser l’intrication de l’économie, de l’environnement et des questions sociales, comment faire avec l’entrelacement des phénomènes sans couper ce qui les relie, sans les isoler les uns des autres, sans négliger abusivement ce qui génère de la difficulté ? La question classique que nous nous posons devant un projet ou face à une difficulté est « pourquoi ? ». Et pour y répondre, on vise généralement l’exhaustivité dans la description du problème et l’on invoque des explications causales. Mais dès lors que le système en jeu n’est pas une construction de laboratoire, qu’il est un système du « vaste monde », avec des limites floues, des acteurs innombrables, parfois non identifiés, avec une histoire mal connue, l’exhaustivité et la causalité deviennent illusoires. Répondre à la ques‑ tion « pourquoi ? » est tout bonnement une mission impossible… Alors que faire ? À défaut de simplifier, faut-il abdiquer ? Non, bien entendu, car peut-être la question est-elle mal posée… Et s’il s’agissait de répondre à celle-ci : « pour quoi ? » (Le Moigne, 2006). On peut considérer ce petit déplacement comme une entrée en matière de la pensée complexe. Cela change tout, car au lieu de regar‑ der en arrière pour expliquer pourquoi les choses sont ainsi, ici et maintenant, on se propose de regarder vers l’avant, de focaliser sur un projet : non pas « pourquoi cela est », mais « pour quoi faire ? ». Ce changement minime dans la forme est une vraie révolution de la pensée et comme toujours en telle situation, la subversion s’invite : accueillons-la sans réti‑ cences ! Si l’on veut conduire des projets avec intelligence, n’a-t-on pas avantage à s’interroger ainsi : – la volonté de pousser loin l’explication causale des processus en jeu est-elle bien nécessaire ? – s’il faut comprendre pour agir, ne faut-il pas agir pour comprendre ? – quelle est la légitimité des préconisations des experts ? – quels processus de validation des projets doivent être mis en œuvre ? Ces quelques questions laissent entrevoir de profondes remises en cause des idées et des pratiques établies et jusque-là considérées comme tout à fait fondées et éprou‑ vées. La pensée complexe s’accommode mal des dogmes ! En matière de développement durable, comme dans tout autre champ de préoccu‑ pations, nous sommes invités à désapprendre la simplification et à introduire plus de complexité dans les raisonnements et les pratiques. C’est une nouvelle manière de poser les questions et de rechercher des solutions, pour désinhiber la créativité, développer l’esprit critique, décloisonner les disciplines, créer lien social et sens autour des projets.
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Du fractal 2 au florilège L’hyperspécialisation a permis d’atteindre des sommets de technicité et de sophis‑ tication et les professionnels ont besoin d’outils pointus pour des savoir-faire pré‑ cis, élaborés, codifiés. Cependant l’hyper-spécialisation renferme les concepteurs, les chercheurs, les experts, les formateurs, dans la complication et la déconnexion. Le sillon est sans cesse creusé selon les mêmes présupposés, les mêmes logiques, les mêmes objectifs : toujours plus de la même chose ! Le système technicien se construit comme un fractal (figure 1.3). La pensée complexe propose une « sortie de route ». Le changement de point de vue semblera a priori hors sujet, inappro‑ prié et peu crédible aux spécialistes, quand il proposera de relativiser les méthodes et les outils sophistiqués pour adopter des approches moins rigides, moins codi‑ fiées, moins compliquées. C’est le prix à payer pour explorer des perspectives et des compétences nouvelles, qui pourraient démultiplier la créativité et la sociabilité en cultivant la faculté de relier. Ce qui est sophistiqué dans cette voie, c’est la manière de regarder. Elle confère une plus grande habileté à connecter des réalités éloignées, à changer d’échelle, à contextualiser, à intégrer, en ouvrant le champ des possibles. enrichissement, diversification des points de vue, des concepts et des méthodes
Appréhension complexe changement de point de vue
Complication Simple
Sophistication croissante selon des axes hyperspécialisés et cloisonnés Figure1.3 • La manière complexe d’appréhender la connaissance et sa mise en œuvre,
et les modalités question l’hyperspécialisation à remettre en qui consiste Figure 1.3 La manière complexe d’appréhender la connaissance etdesasophistimise en œuvre, et selon la même logique technicienne réitérées l’hyperspécialisation indéfiniment cation desàsystèmes, qui consiste remettre en question et les modalités de réductrice, pourra être considérée comme peu pertinente, peu sérieuse, peu efficace, sophistication des systèmes, indéfiniment réitérées selon la même logique etc. Cependant le regard nouveau et décalé est riche de possibles insoupçonnés. technicienne et réductrice, pourra être considérée comme peu pertinente, peu sérieuse, peu efficace, etc. Cependant le regard nouveau et décalé est riche de possibles insoupçonnés.
Le concept de complexité propose de faire passer du fractal technicien à un florilège méthodologique, d’une forme de pensée monolithique à une pensée chatoyante, libre et exploratrice. 2. Un fractal ou une fractale : forme obtenue par répétition d’un même motif à différentes échelles (exemple de la figure 1.3 : en « greffant » un carré plus petit sur chaque face disponible des carrés précédents).
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L’évocation de la complexité suscite généralement la question « qu’est-ce ? ». Elle révèle que la complexité n’est pas conscientisée ou bien elle cache la question subsidiaire « pourquoi m’y intéresserais-je, puisque je n’ai aucune prise sur elle ? ». Et pourtant, chacun s’ébat en complexité dans la vie depuis la naissance ! L’éducation apprend à simplifier, en décalage total avec l’expérience et le vécu individuel. Il suffit de penser à la nutrition, à la santé, à l’éducation de ses enfants et aux relations avec son partenaire ou ses collègues de travail pour avoir une édifiante vue surplombante de la complexité. Elle est notre berceau. Il n’y a aucun avantage à le quitter pour une simple planche. Le bénéfice pourrait bien, au contraire, résulter de la complexification intentionnelle…
La complexité est notre berceau Il convient de ne pas se laisser abuser par le langage, qui segmente la perception du réel en mots et linéarise leur assemblage pour communiquer du sens. Un arbre est une manifestation locale d’un tout écosystémique, et même cosmosystémique, qui implique la planète et l’univers. Désigner l’arbre comme une entité est une manière de l’isoler du monde par la pensée. L’arbre en tant qu’objet n’est qu’un concept commode pour raisonner et agir. L’habitude de segmenter la représentation du réel en collections d’objets plus ou moins reliés a ancré profondément la croyance au caractère discret du monde et elle a justifié l’accaparement de ce qui ne représente pour nous que des fragments, choses et êtres, pour leur contrôle et leur exploitation. Tout ce qui est perçu comme entité est néanmoins un chatoiement de l’univers qui met en jeu toute l’épaisseur de l’espace et du temps, infiniment mêlé à l’ensemble de l’existant. C’est pourquoi les interventions forcenées d’Homo sapiens sapiens pour tenter de maîtriser les processus naturels à son profit matériel et immédiat ont des répercussions insoupçonnées, bien au-delà de l’intention initiale, et génèrent des réponses en retour tout à fait imprévisibles, souvent indésirables, qui peuvent inciter à poursuivre la téméraire logique interventionniste. Nous sommes complexité tissée dans la complexité du monde et il n’est pas anodin de prétendre tirer quelques fils tout simplement parce que l’on est capable de le faire. La capacité n’emporte pas de fait la pertinence ni même la légitimité, comme on devrait le savoir si l’épistémo logie était enseignée et pratiquée. L’écologie, la médecine, l’agriculture offrent manifestement la complexité à notre émerveillement ou à notre perplexité. L’expérience de la complexité est en fin de compte la plus banale et la plus familière des expériences, comme chacun le sait de sa vie en société. Les sciences naturelles ont récemment progressé en concevant plus de liens entre les choses et les êtres que par le passé, donnant naissance, par exemple, à la science écologique. On s’est aperçu à nos dépens que toute modification de l’écosystème, comme l’atteinte à un biotope, à une population végétale ou animale, avait des répercussions en chaîne considérables via des processus non linéaires, liés à des effets
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de seuil, des oscillations amplificatrices, des effets domino, des synergies concou‑ rantes, des équilibres dynamiques méta-stables, etc. « En interférant massivement avec ces oscillations, ces équilibres dynamiques, nous les rendons instables, nous risquons de provoquer leur effondrement et de faire disparaître d’autres populations que celles que nous prélevons. » (Ameisen, 2016). Le caractère diffus et les constantes de temps longues des processus écologiques actionnés par des perturbations anthropiques mettent au défi le simplisme de nos raisonnements… Par nos actions indépendantes, « Nous coupons des liens invisibles qui relient entre elles des espèces différentes » et « Plus encore que les extinctions d’espèces, ce qui échappe aujourd’hui au regard, c’est une forme d’extinction beaucoup plus insidieuse, c’est l’extinction des interactions écologiques. » (Ameisen, 2016). Bien des exemples de ruptures catastrophiques sur les écosystèmes ont été mis en évidence et étudiés, mais également des cas d’inversion de tendance avec la réha‑ bilitation de certains milieux ou la réintroduction d’espèces. Citons par exemple, le cas du loup dans le parc national de Yellowstone (Sustainable Man, 2016), aux États-Unis, réintroduit en 1995, après 70 ans d’absence. Ce changement a engendré des effets bénéfiques en cascade, jusque dans les rivières. La pression des cerfs sur la végétation a diminué, moins par la mortalité due au loup qu’à leur désaffection des secteurs où ils pouvaient plus facilement être piégés, comme le fond des val‑ lées. La régénérescence consécutive des arbres a eu plusieurs incidences profondes, biologiques et géomorphologiques. Les populations d’oiseaux et leur diversité ont augmenté. Les castors, qui ont besoin d’arbres pour créer leurs habitats, ont pu se réinstaller, créant des habitats pour d’autres espèces. La prédation des loups sur les coyotes a permis l’augmentation des populations de rongeurs et celles de leurs autres prédateurs, rapaces et petits carnivores. La végétation recrudescente a offert davantage de baies convoitées par les ours, qui ont conforté la prédation des loups. Le développement des arbres a permis la consolidation des berges et la stabilisation du cours des rivières. Un organisme vivant est lui-même un éco-système d’une incroyable complexité. À l’échelle moléculaire, les protéines sont constituées de segments d’acides aminés en chaînes articulées qui se recroquevillent selon une configuration particulière d’énergie minimale, récurrente et stable, bien qu’il existe des milliers d’autres struc‑ tures ayant la même énergie. Ce qui ne semble relever a priori que de la complica‑ tion est en fait une expression de la complexité, puisque le pliage de la protéine se fait quasi instantanément dans sa configuration habituelle alors qu’il lui faudrait un temps infini (de l’ordre de milliards de milliards d’années) pour explorer toutes les configurations possibles, tellement elles peuvent être nombreuses, et encore, pour atteindre aléatoirement l’une quelconque des configurations de moindre énergie possibles (Sheldrake, 2013, p. 167-169). L’émergence de ce comportement ne semble pas totalement inscrit dans les propriétés physico-chimiques des consti‑ tuants moléculaires, et des relations avec d’autres niveaux du système ou d’autres phénomènes encore inexpliqués, comme le suggère R. Sheldrake, restent à mettre en évidence. À l’échelle de l’organisme, les mécanismes d’une très grande com‑ plexité également assurent et régulent les nombreuses fonctions vitales. L’organisme
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humain comprend quelques grands systèmes (cardio-vasculaire, respiratoire, diges‑ tif, urogénital, musculo-squelettique, nerveux, endocrinien, immunitaire, sanguin) coordonnés et en interaction avec l’extérieur via les sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher et équilibre). Les fonctions de coordination, de digestion, d’élimination des déchets et des intrus, de reproduction, etc., mettent en jeu d’innombrables organes communiquant grâce aux signaux chimiques véhiculés par les hormones produites par les glandes endocrines et aux signaux électro-chimiques de l’influx nerveux. Le fonctionnement n’est pas de type hiérarchique, car même les organes qui semblent centraux, comme le cerveau (avec ses cent milliards de neurones pourvus chacun en moyenne de dix mille connexions synaptiques), ou l’hypophyse (petite glande de moins d’un gramme situé à la base du cerveau qui régule la fonction d’autres glandes hormonales), dépendent de processus rétro-actifs mettant en jeu les autres organes. Ajoutons que de nombreuses espèces de micro-organismes, bactéries et virus, vivent en symbiose dans l’organisme et contribuent à certaines fonctions (mais le système immunitaire sait reconnaître et éliminer les intrus). Un être vivant est un écosys‑ tème de cellules et de micro-organismes tissé et entretenu par des réseaux de com‑ munications physico-chimiques internes et externes. La matière d’un organisme est incessamment dégradée et restaurée 3, de sorte que la seule permanence physique est celle d’une forme (au vieillissement près) et donc d’une information organisante. Représenté dans l’espace-temps, un être vivant est un vortex organisé et stable où transite matière et énergie depuis et vers l’environnement. La vision classique d’une entité immergée dans un environnement est caduque. L’organisme vivant et son environnement jusqu’aux confins de l’univers forment un tout, c’est pourquoi il n’est pas anodin de changer brutalement notre environnement planétaire, comme nous le faisons actuellement en le saturant de molécules nouvelles qui n’ont pas coévolué avec l’organisme humain. L’écologie et la biologie ne sont évoquées ici qu’à titre d’exemples illustrant le fait que la complexité est familière et, plus encore que notre berceau, qu’elle est la nature intime de tout ce qui existe 4. Tout est relié à tout dans le temps et l’espace et c’est notre entendement, via le langage, qui discrétise et linéarise le réel perçu. Cela per‑ met l’action, en tant que forçage local, sur ce que nous prenons pour des choses ou des sous-ensembles relativement isolés ou indépendants. L’évolution récente de l’humain suggère un renouvellement de nos conceptions vers plus d’habileté à s’insérer dans les rouages de Gaïa pour « faire avec la nature », et non pas contre elle, en ne sous-estimant pas son avance de quelques milliards d’années dans l’expé‑ rimentation. L’humain adolescent actuel, excité, impétueux, irresponsable et dévoré par un rêve désordonné de grandeur doit apprendre à concevoir le lien comme propriété fondamentale de l’existant : la pensée en complexité a l’ambition d’y contribuer. Parfois casse-tête ou angoissante, la très familière complexité est aussi 3. Le corps humain est ainsi totalement renouvelé en assez peu de temps, de quelques jours à quelques années selon les organes. 4. À ce stade, nous ne rentrons pas dans les considérations épistémologiques débattant du statut de la complexité, comme propriété fondamentale du réel ou bien comme concept posé pour rendre intelligible le monde, considéré comme inconnaissable en soi.
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l’aiguillon de la curiosité, la pourvoyeuse d’opportunités insoupçonnées, le beau dans l’inintelligibilité.
Bibliographie Ameisen, Jean-Claude (2016). Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps. Émission du 20 février 2016. France Inter. Disponible à l’adresse : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1240323 Insee (2016a). Indice de Gini des niveaux de vie des individus. Dans Institut natio‑ nal de la statistique et des études économiques. Mesurer pour comprendre [en ligne]. [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.bdm.insee.fr/bdm2/affichageSeries.action?idbank=001687249&pa ge=tableau&codeGroupe=1517&recherche=criteres Insee (2016b). [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.insee.fr/fr/ffc/dossiers/dev-durable/dev-durable-711.xls IVS (2014). Institut de veille sanitaire. Hospitalisations et recours aux urgences pour tentative de suicide en France métropolitaine à partir du PMSI-MCO 2004-2011 et d’Oscour® 2007-2011, sept. 2014. Le Moigne, Jean-Louis (2006). La théorie du système général. Théorie de la modélisation. PUF, 1977 ; RIC, 2006. Disponible à l’adresse : http://www.intelligence-complexite.org/fr/bibliotheque/bibliotheque-du-ric/ ouvrage/la-theorie-du-systeme-general.html?tx_mcxapc_pi1%5Baction%5D=o uvrageDetail&cHash=7f57246ec0fda3d4f83bd5613db99b84 Le Moigne, Jean-Louis (2008). Edgar Morin, le génie de la Reliance. Synergie Monde, 2008, n° 4, p. 177-184. Medde (2014). Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. L’environnement en France : Rapport 2014. Medde (2016). Développement durable : Indicateurs de développement durable nationaux 2010-2013 : Les maladies professionnelles. Dans : Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/ indicateurs-indices/f/1935/1339/maladies-professionnelles.html Morel, Julien (2012). Beyond GDP Use Analysis of alternatives in order to go beyond the role of GDP in our society. Master of Science Thesis. Stockholm : Royal Institute of Technology, 2012. ISSN 1402-7615. Morin, Edgar (2014). Le défi de la complexité [vidéo]. USI. Unexpected Sources of Inspiration : Talks précédents. [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.usievents.com/fr/talks/54-le-defi-de-la-complexite-edgar-morin
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Pauli, Gunter (2016). Zero Emissions Research Initiative [enligne]. [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.zeri.org/ZERI/Home.html Sheldrake, Rupert (2013). Réenchanter la science. Albin Michel, 2013. Sustainable Man (2016). How wolves change rivers [vidéo]. [Consulté le 12/09/2016]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=Vbp7pqolp3U Watzlawick, Paul, Helmick Beavin, Janet, Jackson, Don D. (1972). Une logique de la communication. Le Seuil, 1972.
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2 Qu’est-ce que la complexité ? Simple, compliqué, complexe
« Le vrai voyageur n’a pas de plan établi et n’a pas l’intention d’arriver. » Lao Tseu
Il est utile de savoir distinguer ce qui relève de la simplicité, de la complication et de la complexité pour adopter les méthodes de modélisation et d’action appropriées. Au moyen d’exemples, les propriétés spécifiques sont mises en exergue dans chacun des cas. L’ambivalence et le désordre, considérés comme indésirables par la pensée rationnelle cartésienne, sont des phénomènes normaux au sein de la complexité, qu’il convient d’apprivoiser pour prétendre agir avec plus d’à-propos dans les environnements sociaux et naturels.
Apprivoiser l’ambivalence La pensée occidentale n’accepte pas les demi-teintes : il faut qu’une chose soit vraie ou fausse, positive ou négative, blanche ou noire. Et pourtant la vie nous dit sans cesse : « ça dépend ». Qui peut dire si le bien l’emporte sur le mal chez l’humain, si l’évolution technologique est bénéfique ou néfaste, si la médecine allopathique
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résout plus de problèmes qu’elle n’en pose ? Tout dépend de l’angle d’observation et de l’intention de l’observateur. La chose et son contraire peuvent être simultané‑ ment vrais. Pour la pensée traditionnelle orientale, la juxtaposition des contraires va de soi et n’est pas conflictuelle. Il n’est que de penser au tao (figure 2.1) ou d’évo‑ quer quelques textes fondateurs : « Cela s’active et ne s’active pas ; Cela est loin, Cela est près ; Cela est intérieur à tout, Cela est extérieur à tout. » (Varenne, 1981)
Figure 2.1 Le tao est le symbole du principe qui engendre le monde, où la génération de la dualité s’exprime et en même temps se résorbe dans l’unité.
Développer la pensée complexe peut commencer par un entraînement à l’accepta‑ tion sans tension ni frustration, de l’ambivalence et de l’indécidable, y compris dans les situations où la rationalité est de mise. Exercice 2.1 La bille posée au fond du cube à parois de verre ci-dessous va-t-elle rouler vers l’avant ou vers l’arrière ? (Réponse en page 48)
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
Cet intermède est une allégorie de l’aptitude à changer de point de vue, à savoir mettre en question et en débat son point de vue. Elle suggère également l’intérêt de s’entraîner à : – – – – – – –
observer sous plusieurs angles ; mettre en relief la face cachée ; accepter le paradoxe ; recueillir les avis contradictoires ; synthétiser les controverses ; remettre en question le dogmatisme ; oser le non-conformisme.
Une telle attitude intellectuelle incite à considérer qu’il y a toujours une alternative (contrairement à ce qu’affirment les fossoyeurs de l’humanisme…), que les divers points de vue sont légitimes et qu’il convient d’en délibérer. Exercice 2.2 Les débats économiques sur la relance de la croissance proposent des mesures contradictoires de ce type : – diminuer les salaires pour dynamiser l’activité productive ; – augmenter les salaires pour stimuler la consommation.
↑
↑ PRODUCTION NATIONALE
CONSOMMATION
↑
EMPLOI, SALAIRES
↑
Ces débats sont souvent passionnés et sans issue. Diagnostiquez le mode de raisonnement et tentez de reformuler le questionnement en déplaçant les enjeux. (Réponse en page 48)
Le désordre est-il néfaste et indésirable ? Après ce qui vient d’être exposé sur la dualité, le lecteur anticipera sans doute la réponse ! Considérons un phénomène physique ordinaire, comme le vortex (tourbillon) qui se forme dans l’eau d’une rivière, au détour d’un obstacle, racine ou élément d’ou‑ vrage. Ce phénomène, en apparence simple, possède de bien étranges propriétés !
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La forme est pérenne, mais la matière est incessamment renouvelée. La forme est immobile, mais le flux est dynamique. La forme Fermée Permanente Statique
Le processus Ouvert Transitoire Dynamique
Le vortex est donc ambivalent. La forme est générée par la confrontation du flot uniforme et permanent avec un élément hétérogène plongé dans l’eau. Le milieu est ordonné et l’obstacle introduit une perturbation, crée du désordre. L’« organisation-vortex » naît en quelque sorte de la confrontation de l’ordre et du désordre. Le désordre ne correspond donc pas à des propriétés indésirables, qu’il faudrait à tout prix tenter d’éradiquer. Les organisations se créent dans l’univers grâce à la confrontation de phénomènes poussant vers le désordre ou vers l’ordre. Il n’est pas opportun de scinder les systèmes pour en rejeter ce qui relève du désordre, y compris par la pensée. « La mission de la science n’est plus de chasser le désordre de ses théories, mais de la traiter. » (Morin, 1994). Exercice 2.3 Trouvez, dans votre environnement immédiat et familier, un exemple d’organisation de type vortex. (Réponse en page 49)
Simple / compliqué / complexe La confusion règne souvent entre ces notions de simplicité, de complication et de complexité. Dans la littérature, on peut relever bien des exemples : « …exécuter une chaîne d’opérations incluant des racines carrées et des logarithmes était une tâche difficile, complexe, avant l’émergence de l’ordinateur. Elle ne l’est plus maintenant. » (Deffuant et coll., 2015). Avant l’avènement de l’ordinateur, la tâche était ardue, longue, fastidieuse, sans doute compliquée, bref, elle était tout sauf complexe, puisqu’elle obéissait à un protocole d’opérations circonscrit et univoque. Cet exemple illustre aussi un amalgame courant entre « complexe » et « difficile » ou entre « simple » et « facile ». Des tâches complexes sont souvent difficiles à effectuer, mais pas toujours, et des opérations simples peuvent être difficiles aussi, selon l’exigence sur le résultat ou le niveau de compétence de l’opérateur. Réaliser un avion miniature en papier nécessite d’exécuter une série assez brève de plis élémentaires, mais il peut être néan‑ moins difficile d’obtenir un excellent planeur.
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
Considérons donc, par exemple, trois systèmes volants : – un avion miniature en papier confectionné avec une feuille A4 ; – un airbus A380 ; – un aigle royal. Du point de vue structurel (et non de la constitution microscopique), l’avion en papier est un objet simple, l’avion de ligne est un objet compliqué et l’oiseau est un être complexe. Quelles sont les propriétés distinctives de chacun de ces systèmes ? Avion en papier (simple) • L’objet peut être reproduit par l’humain (avec peu de technicité). • Son comportement est prévisible (en fonctionnement normal). • Le tout est la somme des parties (selon le type de confection, il peut n’y en avoir qu’une). Avion de ligne (compliqué) • • • •
L’objet peut être reproduit par l’humain (avec beaucoup de technicité). Son comportement est prévisible (en fonctionnement normal). Le tout est la somme des parties. La défectuosité d’un organe essentiel est fatale.
Aigle royal (complexe) • Les oiseaux se reproduisent de manière endogène. • L’aigle royal n’est pas reproductible par l’humain. • Son comportement est grandement imprévisible. • Il existe des liens entre les individus. • L’oiseau s’adapte de lui-même au contexte. • Le tout est plus que la somme des parties (instinct, intelligence, etc.). • La défectuosité d’un organe essentiel n’est pas obligatoirement fatale. Il y a une différence de degré entre l’objet simple et l’objet compliqué, mais dans le cas de « l’objet » complexe, des propriétés tout à fait extraordinaires apparaissent, avec l’auto-reproductibilité spécifique (la fonction de reproduction), l’auto- adaptation, les connexions inter-individuelles modulables, la non-prédictibilité (hors des grandes tendances, comme le fait que si l’oiseau a faim, il est somme toute aisé de prédire qu’il se mettra à rechercher de la nourriture ; quant à prédire sa stra‑ tégie de chasse, c’est en revanche assez illusoire…). On remarque également que « l’objet » complexe possède en quelque sorte une « plasticité » intrinsèque, étant capable de voler avec quelques rémiges en moins, par exemple, et également une plasticité relativement à son environnement, puisqu’il s’adapte aux changements climatiques saisonniers ou au comportement de ses congénères. L’aigle reste performant dans une gamme étendue d’états, alors que l’avion auquel il manquerait un aileron ou une roue perdrait d’un coup la totalité de sa fonctionnalité (figure 2.2).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
SYSTÈME COMPLEXE
SYSTÈME SIMPLE OU COMPLIQUÉ
Performance du système
États possibles du système
Figure 2.2 Un système complexe peut rester performant, ou du moins viable, sur une large gamme d’états, tandis qu’un système compliqué est très sensible à tout écart à l’état optimal.
La complexité de la complexité Ambivalence de la complexité Une même chose peut-elle être simple ou/et complexe ? Selon les exemples précé‑ dents de l’avion en papier et de l’oiseau, la réponse est non. Et pourtant, ce n’est pas si simple ! Un couteau est un objet simple. Imaginez un couteau, simple donc, dans la poche (trouée) d’un explorateur. Le cou‑ teau glisse hors de la poche et tombe à terre sans que l’explorateur ne s’en aperçoive. Quelque temps plus tard, l’objet est trouvé par un peuple premier non acculturé, qui n’a jamais été en contact avec notre civilisation. Pour ces gens, le couteau est un objet étrange, merveilleux, jeté là par les dieux à leur intention. Il devient un objet de culte ; il est incorporé à la mythologie, est mis en scène dans des rituels spécifiques ; il en arrive même à modifier la représentation que ce peuple se fait du monde. Peut-on toujours dire que le couteau est simple ? Oui et non… Oui en tant qu’objet matériel ; non par ce qu’il représente. Il est désormais perçu comme complexe par le peuple qui l’a découvert. On voit par là que la complexité n’est pas une caractéristique intrinsèque des choses. Est complexe ou simple notre entendement sur les choses.
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
Exercice 2.4 Par qui cette orchidée sauvage (Ophrys scolopax), que l’on trouve dans les prairies de la campagne française, sera-t-elle considérée comme complexe parmi les personnes suivantes qui peuvent la ren contrer ou s’y intéresser : un agriculteur-éleveur, un poète, un biochimiste, un botaniste, un écologue, un randonneur, un bouddhiste ? (Réponse en page 49)
La complexité dépend de l’intention de l’observateur-acteur. Une autre propriété ambivalente liée à la complexité tient à son caractère non cumu‑ latif. Ajouter de la complexité peut accroître la complexité perçue, comme cela peut la résorber intégralement par élargissement du champ des possibles, par un effet que l’exercice suivant pourra faire comprendre. Exercice 2.5 Pouvez-vous joindre toutes les croix du carré ci-dessous, en traçant une ligne brisée continue (sans lever le crayon) et comportant au maximum quatre segments ? (Réponse en page 50)
Versatilité de la complexité Un système complexe (pour « système perçu comme complexe ») par excellence est le cerveau (cent milliards de neurones, établissant chacun dix mille connexions avec d’autres ! (Changeux, 2003, p. 73)). Sans entrer dans le débat entre les tenants de la théorie localisationniste ou de la théorie holiste (Chapelle, 2003, p. 59), il est possible de croiser des spécificités cognitives agissant en interaction et en
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
synergie. On sait désormais que les émotions participent pleinement aux processus de la pensée rationnelle. La civilisation occidentale, cartésienne, a survalorisé le volet rationnel de la cognition, en dénigrant les autres aptitudes liées à l’intuition et aux émotions notamment, trop rapides, et dont les protocoles échappent à la conscience. Néanmoins, elles constituent bien des ressources et non des tares, dès lors qu’on apprend à s’en servir avec bienveillance et circonspection : « Pour prendre de bonnes décisions, la personne a besoin à la fois de la logique, de connaissances et de son expérience émotionnelle passée » (Damasio, 2003, p. 371-378). La pensée froide et le cynisme de notre culture et de l’économie sont grandement les effets de cette mutilation de la pensée. On pourrait rétorquer que si les problèmes sont déjà diffi‑ cilement solubles avec la pensée rationnelle, comment ne le seraient-ils pas d’autant moins en faisant entrer dans le jeu ces trublions de l’intuition et des émotions, qui viendraient complexifier encore la donne. Ceci est une croyance erronée. Si la sphère non rationnelle de la cognition n’était atrophiée à force de relégation, on aurait maîtrisé et cultivé une aptitude intellectuelle complémentaire (par ailleurs, le refoulement des émotions est dangereux et engendre des « éruptions » tragiques à l’échelle collective, comme à l’échelle individuelle). Mais il n’est pas trop tard pour apprendre : écoutez vos émotions sans vous laisser submerger, écoutez vos intuitions sans lâcher la bride critique, et vous apprendrez à résorber la complexité par ajout de complexité, en sortant des cadres !
Relativité de la complexité La complexité dépend du contexte, donc du regard, et du projet que l’on se propose. Elle n’est pas une propriété intrinsèque d’un système – les choses ne sont ni simples ni complexes – mais elle est un attribut affecté au percept ou au concept, en fonc‑ tion de nos intentions. Le 12 janvier 2016, le Tribunal correctionnel d’Amiens a condamné huit ex-salariés de l’entreprise Goodyear à neuf mois de prison ferme et quinze mois avec sursis 1 pour avoir, en janvier 2014, sur un site menacé de fermeture, retenu sans violence, durant vingt-quatre heures, deux cadres qui avaient ultérieurement retiré leurs plaintes. Les magistrats s’en remettent à un code normatif pour juger les écarts, mais ils disposent d’une certaine latitude dans la gradation de la peine prononcée. La comparaison des actes à la norme procède d’une logique purement interne qui peut faire abstraction des circonstances et des contextes. Le processus de jugement est alors simple. Néanmoins, ce ne sont pas des machines qui calculent et distri‑ buent les peines, mais des humains censés exercer un jugement et qui dit « juge‑ ment » dit « interprétation ». Dès lors, le champ élargi des faits qui vient nuancer l’appréciation de l’acte incriminé est plus ou moins étendu. Dans l’affaire Goodyear, ce champ aurait pu englober les peines constatées antérieurement pour des cas 1. Le Parquet, qui conduit l’action pénale au nom de l’intérêt général, avait requis deux ans de prison dont un an ferme.
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
similaires de séquestration ; la prise en compte des motifs (ici, la défense de l’intérêt collectif des salariés menacés de licenciement) ; les fermetures d’usine pour conve‑ nance financière assujettie à la rentabilité inconditionnelle ; les peines encourues et constatées pour les responsables de fermetures frauduleuses ; etc. La représentation du cas à traiter par les juges est dépendante du contexte qu’ils décident de prendre en compte, consciemment ou non. La complexité du cas à juger dépend de la lar‑ geur de la focale, c’est-à-dire de l’étendue des contextes pris en considération. Au sujet de cette affaire exemplaire, un professeur de Droit a d’ailleurs constaté que « D’ordinaire, dans les conflits sociaux, les magistrats prennent en compte le contexte des événements et ne prononcent pas de prison ferme, au pire, du sursis » et que « nous sommes ici face à des magistrats totalement déconnectés du monde du travail auxquels on demande de juger des conflits sociaux et qui les jugent à la chaîne entre un vol de Mobylette et un trafic de stupéfiants, en les isolant du contexte social dans lequel ils ont lieu. » (Dockès, 2016). Cet exemple montre que la complexité d’une situation dépend du regard porté sur elle. Elle dépend du projet, qui, en l’occurrence, pouvait être de se débarrasser d’une affaire de plus dans une activité judiciaire surchargée, de faire un exemple, etc. La complexité est une propriété conférée par le sujet, lorsqu’il qualifie sa représentation du réel en fonction de ses intentions. Ce constat est très important, car il donne déjà quelques pistes pour dépasser des blocages en situation complexe : – changer de perspective (adopter le point de vue de l’autre, par exemple) ; – changer de contexte (si ça ne marche pas là, qu’est-ce que ça donne en déplaçant le projet ailleurs ?) ; – changer le projet, voire changer de projet (si ça ne marche pas comme ça, est-ce que j’entreprends de « changer le monde » pour le conformer à mon projet, ou bien est-ce que je modifie mon projet pour l’adapter au contexte ?). La complexité est donc l’école du détachement (mon projet, ce n’est pas moi), de l’empathie (voir depuis le point de vue de l’autre), de la souplesse (se fondre dans l’environnement au lieu de le façonner). La complexité est une école humaniste. Changer la représentation que l’on se fait des situations, des phénomènes, des évè‑ nements, modifie l’impression de complexité. Le mouvement rétrograde apparent des planètes nécessitait des raisonnements alambiqués dans le système géocentrique. La proposition du système héliocentrique par Nicolas Copernic (1473-1543) en a soudain rendu beaucoup plus aisée la compréhension. La complexité est celle de la représentation de l’observateur-modélisateur. Est consi‑ déré comme simple ce qui est intelligible. Rendre intelligible ce que nous percevons, ressentons, vivons, imaginons, est l’action de modéliser. Agencer des symboles pour formaliser et communiquer une expérience constitue une trame re-présentative du réel. Aucune trame n’est a priori plus valable, plus fiable qu’une autre. On en juge a posteriori (ou en cours de route), selon son aptitude à générer des moyens en
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
adéquation avec une intention, un projet. Par conséquent, ce qui prime est la ratio‑ nalité du cheminement eu égard à l’intention, plus que la rationalité intrinsèque de la trame d’intelligibilité. L’empirisme, l’analogie, les méthodes heuristiques, sont des approches tout à fait légitimes et utiles dans le traitement d’un problème complexe. Sur un ton plaisant, une citation attribuée à Albert Einstein nous rappelle qu’il ne faut pas réduire la rationalité du cheminement vers un projet à la rationalité d’un formalisme méthodologique. Nous reviendrons ultérieurement sur ce sujet. « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Quand la pratique et la théorie se rejoignent, rien ne fonctionne et on ne sait pas pourquoi. » Concevoir, c’est modéliser avec une intention, rendre intelligible en vue d’un projet. La modélisation est inépuisable (non univoque) et projective (associée à un dessein). Exercice 2.6 Pour chaque terme, ou groupe de termes exprimant des idées proches, de la liste suivante, recherchez une ou plusieurs notions en contrepoint, n’exprimant pas obligatoirement une opposition stricte, comme dans le cas des antonymes (vérité | mensonge, par exemple), mais qui proposeraient un autre point de vue (exemple : sécurité | liberté). (Réponse en page 50) Chose, objet
Prédiction
Juxtaposition, individuation
Certitude
Régularité
Preuve
Ordre
Nécessité
Homogénéité
Séparer, isoler, classer
Fixité, constance, stabilité
Réduire (simplifier)
Tendance, évolution
Maîtriser, contrôler
État (dans le sens de configuration d’un système)
Raison
Évidence
Objectivité
Univocité Dualité Concordance
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Rationalité Vérité Dogmatisme Sécurité
2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
Bibliographie Changeux, Jean-Pierre (2003). Le cerveau et la complexité. Dans : Dortier, Jean-François (dir.). Le cerveau et la pensée. Le nouvel âge des sciences cognitives. Sciences Humaines, 2003. Chapelle, Gaëtane (2003). Neurosciences : L’exploration d’un continent, le cer‑ veau. Dans : Dortier, Jean-François (dir.). Le cerveau et la pensée. Le nouvel âge des sciences cognitives. Sciences Humaines, 2003. Damasio, Antonio (2003). Les émotions, source de la conscience : La révolution des sciences cognitives. Dans : Dortier, Jean-François (dir.). Le cerveau et la pensée. Le nouvel âge des sciences cognitives. Sciences Humaines, 2003. Deffuant, Guillaume, Banos, Arnaud, Chavalarias, David, Bertelle, Cyrille, Brodu, Nicolas, Jensen, Pablo, Lesne, Annick, Müller, Jean-Pierre, Perrier Édith, Varenne, Franck. Visions de la complexité. Le démon de Laplace dans tous ses états. Natures Sciences Sociétés, vol. 23, n° 1, janvier-mars 2015, p. 42-53. Dockès, Emmanuel (2016). Dans : El Azzouzi, Rachida. Goodyear : prison ferme pour avoir retenu deux cadres. Mediapart, mercredi 13 janvier 2016. Morin, Edgar (1994). Sur l’interdisciplinarité. Bulletin interactif du centre international de recherches et études transdisciplinaires, n° 2, 1994. Varenne, Jean (1981). Sept Upanishads. Traduction de Jean Varenne. Éditions du Seuil, 1981. Coll. Inédit/Sagesses.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Corrigés des exercices Exercice 2.1 (le cube facétieux)
Retour à l’énoncé : page 38
Cette figure est connue sous le nom de « cube de Necker », du physicien Louis Albert Necker (1786-1861). La bille posée au fond du cube en verre peut rouler vers l’avant ou vers l’arrière, selon que l’on voit le cube en perspective gauche ou droite. Cela apparaît bien si l’on suppose dépolie la face avant, comme le montre le schéma ci-dessous dans les deux configurations. Vous pouvez vous entraîner, avec le dessin initial, à alterner successivement les deux visions. Si vous transposez cette faculté à la pensée, alors la complexité n’aura pas de secret pour vous !
Exercice 2.2 (économie réductrice)
Retour à l’énoncé : page 39
Dans le système économique, les relations causales sont multiples et interconnec‑ tées. Chaque tenant d’une thèse en extrait un « chemin » différent, un sous-système de processus linéaires, limité et déconnecté. Les raisonnements construits sur ces réductions, bien que rigoureux, aboutissent à des conclusions contradictoires. Ainsi posée, la question est indécidable, le problème n’est pas soluble. Les économistes s’obstinent dans une guerre de tranchées bien illusoire où les per‑ dants sont la multitude. On peut donc préconiser de s’obliger à considérer le système dans son entièreté et pour pouvoir avancer, à formuler un autre type de questionnement, par exemple : – quel projet poursuit la collectivité à travers l’économie ? – les experts en économie détiennent-ils la vérité pour tous ? – les processus de décision sont-ils satisfaisants au regard de l’intérêt général ? Reformuler le questionnement en ces termes permettrait de dépasser le point de blocage, mais il remet en question des dogmes et des pouvoirs. On voit apparaître par là une nouvelle complexité : comment obliger le système à changer sans trop de dégâts ? La suite de l’exposé proposera différents éléments de réponse.
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
IMPORTATIONS
↑
↑
PRODUCTION NATIONALE
CONSOMMATION RECETTES FISCALES
↑
CHÔMAGE
EMPLOI, SALAIRES
↑
SOUTIEN À L’EMPLOI OU/ET À LA CONSOMMATION Figure 2.3 Le système comporte bien d’autres interactions occultées dans les débats, mais qui sont néanmoins actives (couplage avec l’offre étrangère, la délocalisation des activités, le chômage, etc.). Les bouclages peuvent générer des effets inverses à ceux escomptés.
Exercice 2.3 (vortex familier)
Retour à l’énoncé : page 40
Vous-même ! Vos cellules constitutives sont presque toutes renouvelées en un temps relativement court (de quelques jours à quelque années selon les organes). Votre forme pérenne (sur un laps de temps pas trop long !) est le siège d’un flux permanent de matière et d’énergie, puisées dans les aliments fournis par l’environnement dans lequel sont rejetés les déchets du métabolisme. Vu dans l’espace-temps, un individu est l’équi‑ valent d’un vortex. Pour cette raison, on peut considérer que l’humain et l’environ‑ nement sont « un » et que la percolation toxique que celui-ci subit du fait de nos activités ne peut pas, à terme, ne pas se traduire par de fâcheuses conséquences de santé à grande échelle.
Exercice 2.4 (orchidée)
Retour à l’énoncé : page 43
Le regard de chacun sur la fleur est considéré ici du seul point de vue de la spécificité socio-professionnelle énoncée (mais évidemment, l’agriculteur peut être bouddhiste et poète, et l’écologue, botaniste et randonneur…). Une fleur est un organisme vivant qui peut être perçu comme complexe du point de vue constitutif et fonc‑ tionnel interne et pour ses relations multiples et diffuses avec les éléments et les organismes vivants d’alentour, ce qui correspond au regard du biochimiste et de l’écologue. Le botaniste n’a pas à rentrer dans ce genre de considérations pour identifier la plante ; il se borne à établir une correspondance entre ce qu’il voit et un nom dans une nomenclature. La plante n’est pas elle-même considérée dans une échelle de complexité. En revanche, l’identification peut être facile ou difficile selon que le botaniste est expérimenté ou non.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Pour le poète, la fleur est une évidence, source d’inspiration, perçue comme belle, étrange, etc., mais non évaluée dans une échelle de complexité. Selon le cas, l’écri‑ ture inspirée par l’orchidée sera facile ou difficile. Pour le randonneur et l’agriculteur-éleveur en tant que tels, l’orchidée est une plante parmi d’autres, remarquée ou non et la notion de complexité ne les effleure pas ! Le bouddhiste considère que le réel n’a pas d’existence propre et que ce qui se mani‑ feste à la conscience est totalement interdépendant du restant de l’univers : ceci est éminemment une vision en complexité, mais dont l’évidence, inhérente à la com‑ préhension globale non explicative, n’invoque pas le concept de complexité. La complexité n’est pas la propriété d’un système, mais une appréciation sur son intelligibilité. En outre, il faut être attentif à ce que l’on caractérise : le degré de complexité perçu d’une situation ou d’un phénomène, ou bien l’aisance ou la dif‑ ficulté de l’exercice que l’on se propose de réaliser à partir de la situation ou du phénomène.
Exercice 2.5 (sortir du cadre)
Retour à l’énoncé : page 43
La solution est impossible sans sortir du cadre. La difficulté tient à ce qu’aux consignes de l’énoncé on en ajoute de soi-même une autre, implicite, en s’obligeant à ne pas déborder du carré. Dès lors que l’on s’autorise à en sortir, la solution devient facile à trouver. Un système plus vaste ouvre des possibilités.
Exercice 2.6 (sémantique orpheline)
Retour à l’énoncé : page 46
La plupart des notions proposées sont idéelles ou idéales et correspondent plutôt à une représentation magnifiée du réel ou à une quête d’esthétique ou d’efficacité fantasmées (l’ordre, la certitude, etc.). Il est possible d’associer les termes suivants à la liste proposée. Chose, objet Relation, lien, interaction Juxtaposition, individuation Imbrication, entrelacement, hybridation Régularité Irrégularité, diversité, singularité Ordre Désordre, confusion, imbroglio Homogénéité Hétérogénéité, disparité
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2. Qu’est-ce que la complexité Simple, compliqué, complexe
Fixité, constance, stabilité Mouvement, fluidité, instabilité, dynamique Rupture, bifurcation, révolution Tendance, évolution État Processus Flou, indétermination Évidence Univocité Plurivocité, ambivalence Dualité Tiers inclus, coopération Contradiction, paradoxe, antagonisme Concordance Imprédictibilité, imprévu Prédiction Certitude Incertitude, doute Preuve Argument Nécessité Contingence Séparer, isoler, classer Distinguer, nuancer Questionner Réduire (simplifier) Maîtriser, contrôler Lâcher prise, se distancier, accepter Raison Expérience, émotion, sens Rationalité Irrationnalité, intuition, mysticisme Objectivité Subjectivité Illusion, plausibilité Vérité Empirisme, anarchie Dogmatisme Sécurité Liberté Question subsidiaire : Une colonne vous semble-t-elle mieux caractériser le concept de complexité ? (réponse ci-dessous)
Il est probable que le choix de la colonne de droite se soit imposé. Ce faisant, vous avez paradoxalement suivi les injonctions de certains termes de la colonne de gauche (homogénéité, fixité, état, univocité, dualité, séparer, réduire, etc.). En complexité, on tenterait plutôt d’établir des liens entre les opposés, de faire des « allers et retours » en souplesse et en nuance, en pondérant les notions au gré des circonstances et des projets.
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3 Fondements de la pensée complexe Une conception émancipatrice de la connaissance
Caractériser les modalités de production des connaissances pour leur validation et leur légitimation relève de l’épistémologie (la connaissance sur les connaissances). Diverses approches épistémologiques sont possibles et conditionnent les méthodes de pensée, plus ou moins libre, plus ou moins créative, plus ou moins apte à créer du lien, etc. Le paradigme épistémologique constructiviste, par exemple, peut légitimer plus aisément la remise en cause du statut et du rôle de l’expert, ou bien l’instauration des logiques collaboratives dans le fonctionnement des organisations et la construction des projets.
Tout le monde conviendra de ce que le carré ci-contre est noir. Mais c’est abusif. Il faudrait sans doute se borner à dire que chacun perçoit une même couleur, phénomène physique déclenchant dans le cerveau la même interprétation que, par convention, nous nous accordons à appeler « noir ». Il nous est évidemment impossible de voir sans le média du cerveau qui fait sa « petite cuisine » à partir du rayonnement électromagnétique transmis par l’œil. Le carré matériel a des propriétés inconnues qui déclenchent dans le cerveau une impression et le mot « noir ». Il est abusif de conclure quoi que ce soit sur ce qu’est réellement, en lui-même, ce carré d’encre ou de pixels.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Ce parti pris, consistant à affirmer que nous ne connaissons pas le réel tel qu’il est, mais que la cognition en fabrique des représentations, est la thèse épistémologique du constructivisme. La thèse opposée est celle du réalisme.
Quelques paradigmes épistémologiques Avec ces deux mots « paradigmes épistémologiques », voilà bien de quoi décourager tout « débutant en complexité » ! Un paradigme est un fonds culturel implicite et partagé, une trame, consciente ou non, de postulats, de croyances, d’idéologies, de dogmes, de théories, de normes, qui orientent les représentations que nous faisons du monde, de la société, etc. Citons deux définitions plus autorisées : « …un paradigme est constitué par une relation spécifique et impérative entre les catégories ou notions maîtresses au sein d’une sphère de pensée, et il commande cette sphère de pensée en déterminant l’utilisation de la logique, le sens du discours, et finalement la vision du monde… » (Morin, 1986, p. 160) ; « Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. » (CNRTL, 2016). Quant à l’épistémologie, elle constitue un domaine de la pensée qui s’intéresse au phénomène de la connaissance. Il s’agit d’une connaissance sur la connaissance. Un paradigme épistémologique est donc un « creuset » conceptuel dominant, sur les questions de la nature et de la validité des connaissances. La distinction entre deux paradigmes pourra sembler un futile débat philosophique : il n’en est rien et les incidences en sont aussi importantes que nombreuses. Les réticences que nous constatons à l’accueil de ces notions abstraites sont un symptôme de la résistance au changement dans un système socio-techno-scientifique où la demande porte exclu‑ sivement sur l’application de méthodes et d’outils par souci exclusif d’efficacité. Ce processus déshumanisant et déresponsabilisant, où l’humain devient en quelque sorte un prolongement de la techno-structure, est néanmoins sécurisant. Le chan‑ gement de regard est donc ardu et l’exposé des fondements épistémologiques a jus‑ tement pour objet de le faciliter, en révélant sa légitimité et son caractère rationnel.
Paradigme du réalisme Dans le paradigme du réalisme, l’essence des choses est supposée accessible à la connaissance, qui est en correspondance isomorphe avec le donné objectif que constitue le monde (figure 3.1). Dans la mesure où l’on croit que le monde serait comme caché derrière le voile de l’ignorance, il faut d’abord soulever ce voile, c’està-dire connaître pour pouvoir agir. On se propose donc de déplier la carte du réel pour pouvoir la lire : il s’agit d’ex-pliquer (du latin « plicare » : plier). Pour ensei‑ gner les autres, on dé-montre, comme s’il s’agissait de « montrer en démontant » l’édifice caché.
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3. Fondements de la pensée complexe: Une conception émancipatrice de la connaissance
Paradigme du
Paradigme du réalisme
constructivisme Réel = donné à dé-couvrir
Acquisition
Interaction
Représentation
Représentation
« miroir »
construite
et constructiviste. Figure 3.1 Comparaison schématique des deux paradigmes épistémologiques, réaliste et constructiviste.
Paradigme du constructivisme (1) Dans le paradigme du constructivisme, la connaissance est une représentationdu construite par l’esprit en 1interaction avec le réel : elle ne Paradigme constructivisme dit rien de ce «réel-source», car nous ne pouvons connaître que Dans le paradigme du constructivisme, la connaissance est une représentation l’expérience de la en confrontation auleréel, le dit réelrien ende soi. construite par l’esprit interaction avec réel :pas elle ne ce « réel-source », Puisqu’il construire représentations du réel, au nous car nous ne s’agit pouvonsdeconnaître que des l’expérience de la confrontation réel,allons pas le tester leur pertinence par des actions et être à l’écoute des réponses réel en soi. renvoyées le réel. des Cette interactiondudonne la allons possibilité de Puisqu’il s’agitpar de construire représentations réel, nous tester leur comprendre (com-prendre : prendre avec) une situation et de mesurer pertinence par des actions et être à l’écoute des réponses renvoyées par le réel. Cette interaction donne la possibilité de comprendre (comprendre prendre l’adéquation d’une situation avec une intention. La démarche: est une avec) situation et de mesurer l’adéquation d’unedusituation avec intention. sorteune d’«écholocation cognitive», à l’instar système deune perceptionLa démarche est sorte d’« écholocation cognitive », à l’instar du système de locomotion deune la chauve-souris, qui émet des ondes sonores que les perception-locomotion de la chauve-souris, qui émet des ondes sonores que les obs‑ obstacles réfléchissent et que l’animal capte pour se représenter, malgré tacles réfléchissent et que l’animal capte pour se représenter, malgré l’obscurité, le l’obscurité, le paysage environnant. Il faut donc agir pour penser, comme 1. Dans le cadre de cet exposé de vulgarisation, nous ne rentrerons pas dans les arcanes des épisté‑ mologies constructivistes qui ont donné lieu à un foisonnement d’acception du terme « construc‑ tivisme ».
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
paysage environnant. Il faut donc agir pour penser, comme la chauve-souris doit émettre des cris pour recueillir des informations utiles à ses « projets ». Le partage des connaissances ne passe pas ici par la démonstration, mais par l’argumentation, puisque, le réel en soi ne constituant pas une référence normative, ce qui est vrai ou faux n’est pas « inscrit dans le marbre », mais à décider ensemble.
Constructivisme et complexité Au chapitre précédent, un élément de conclusion était que la complexité est une propriété du système observant, lorsqu’il qualifie sa représentation du réel en fonc‑ tion de ses intentions. On voit donc désormais apparaître la cohérence entre le paradigme constructiviste et la complexité : nous forgeons des représentations aux‑ quelles nous attribuons un degré de complexité en fonction de leur intelligibilité. La complexité ne nous est pas imposée par le monde 2, elle caractérise notre enten‑ dement et rien ne nous empêche de changer nos représentations pour contourner la complexité si elle nous gêne dans l’action. Nous verrons, dans la suite de l’exposé, les conséquences majeures que cette vision induit, en ingénierie, en management, en économie et en politique, par exemple. Donnons, à ce stade, juste quelques exemples. Dans le réalisme, où le réel est consi‑ déré comme univoque, dès lors qu’un expert compétent a dit ce qu’est ce réel, les profanes ne peuvent qu’accepter comme vérité sa parole d’expert qui vaut pour tous. Point n’est besoin de débats pour statuer, les évidences sont là, mais pas le lien social ! Selon le paradigme constructiviste, il est nécessaire de délibérer pour se mettre d’accord sur la représentation du réel : les non-experts peuvent légitimement dialoguer avec les experts dans un exercice de co-construction. Le lien est beaucoup plus étroit entre les catégories socio-professionnelles. L’adoption de cette approche de la conception des projets devrait révolutionner l’ingénierie. Le lien social est tributaire de notre paradigme sur la relation au réel et cela a bien des incidences du point de vue politique et managérial. En vision réaliste, lever le voile du réel, univoque et objectif, ne nécessite qu’une méthode, car une fois éprouvée, elle devient universelle, potentiellement appli‑ cable à la totalité du réel. C’est ainsi que la méthode de Descartes, la Méthode, est toujours très largement considérée comme la seule valable pour l’acquisition de connaissances et la conception de projets. La Méthode garde sa pertinence en certaines circonstances, mais elle n’est pas universelle. On suivra avec profit les pré‑ ceptes de Descartes pour rechercher une panne et réparer une automobile, mais s’en distancier dans l’exercice de la médecine serait assez raisonnable et bénéfique au patient, qui est un peu plus qu’un assemblage d’organes.
2. Le statut ontologique de la complexité peut cependant être questionné dans le cadre de la limitation cognitive de l’humain (voir annexe 1, La notion de complexité peut-elle être objectivée en tant que limite de la cognition ?).
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3. Fondements de la pensée complexe: Une conception émancipatrice de la connaissance
L’option constructiviste dit seulement que la connaissance est un construit qui s’éprouve dans l’interaction avec le réel. On l’interpréterait mal en concluant que les connaissances ne seraient pas fondées et que, par conséquent, tout serait égale‑ ment probable, possible, souhaitable, ce qui engendrerait une inutilité à se déter‑ miner, à juger, à choisir une cause, à s’engager. Bien au contraire, délibérer pour construire la connaissance est l’expression même de l’exigence et de la responsabilité sous-tendues par un engagement fort. Par ses implications éthiques et politiques (au sens premier de « vie de la cité »), le paradigme constructiviste complexifie le processus d’acquisition et de validation des connaissances, ce qui constitue un enri‑ chissement collectif, un renforcement de la cohésion sociale (voir complément en annexe 2 sur l’Implication psychosociale, éthique et politique du choix épistémologique).
Paradigme de l’anarchisme épistémologique Selon le constructivisme, point n’est besoin de poser des hypothèses sur le réel pour produire de la connaissance. Il est considéré qu’elle résulte de l’expérience des inte‑ ractions avec le réel. En revanche, cette affirmation constitue une hypothèse fon‑ datrice, mais ici à un méta-niveau, car relative au processus de constitution de la connaissance. Paul Feyerabend, philosophe des sciences (1924-1994), ne pose, quant à lui, aucune hypothèse ni aucun principe méthodologique à ce méta-niveau pour la construction du savoir. En effet, la raison, même dans son expression la plus rationnelle, fut-elle scientifique, naît dans une tradition où ne règne pas la seule objectivité, avec ses valeurs et sa mythologie. « …les rationalistes aussi ont leurs autorités ; mais en parlant d’une manière objectiviste, en omettant soigneusement toute référence aux gens qu’ils essayent d’imiter et aux décisions qui les ont conduits à adopter leurs techniques, ils créent l’impression que la nature elle-même ou la raison elle-même sont de leur côté. » (Feyerabend, 1989, p. 105). Selon Feyerabend, il n’est pas non plus opportun d’objecter les faits à l’encontre d’une théorie qui n’en rendraient pas compte. En effet, les faits ne sont pas un donné brut, ils sont l’interprétation des percepts à l’aune des fondamentaux para‑ digmatiques conjoncturels. Il n’est pas anormal qu’une nouvelle théorie soit pro‑ visoirement en désaccord avec les faits (entendre « la lecture contemporaine des faits »), le temps que les schémas mentaux se réajustent selon la nouvelle théorie au fur et à mesure qu’elle gagne du crédit (Feyerabend, 1979) 3. Les visions du monde, même scientifiques, sont affaire de croyance et relèvent de la pensée magique. « On peut supposer encore que la Raison et la Rationalité sont des pouvoirs de même nature [que celle des rois ou des dieux] et qu’ils sont entourés d’une aura identique à celle
3. Lorsque Galilée promouvait l’idée de mouvement de la Terre, on lui objectait les faits, puisqu’une pierre lâchée du haut d’une tour n’eut pas dû tomber verticalement si la Terre se mou‑ vait durant le temps de la chute. À l’époque, sans la connaissance du principe d’inertie, les faits n’étaient pas interprétés de manière appropriée (Feyerabend, 1979, p. 71).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
dont jouirent les dieux, les rois, les tyrans et leurs lois sans pitié. Le contenu s’est évaporé ; l’aura reste et permet aux pouvoirs de survivre. » (Feyerabend, 1989, p. 18). La Raison est contraignante, voire coercitive, et elle ne manque pas d’être instrumentalisée par les pouvoirs : « La Raison a connu un grand succès auprès des philosophes qui n’aiment pas la complexité, et auprès des politiciens (technocrates, banquiers, etc.) qui ne voient pas d’inconvénient à donner une certaine classe à leur lutte pour la domination du monde. C’est un désastre pour les autres, à savoir, pratiquement pour nous tous. Il est temps de lui dire adieu. » (Feyerabend, 1989, p. 25). En fin de compte, « …la science a besoin de gens adaptables et inventifs, et non d’imitateurs rigides de modes de comportement ’établis’. » (Feyerabend, 1979, p. 238). Dans l’optique de l’anarchisme épistémologique, une bonne idée est une idée féconde et pas nécessairement une idée issue de l’obéissance à un protocole de pensée ou à une norme culturelle sur la bonne manière de penser. Du foisonnement des idées, jailli‑ ront celles que les contemporains reconnaîtront comme plaisantes, belles, utiles, etc. L’anarchisme épistémologique est une conception complexe de la création intellec‑ tuelle en tant qu’écosystème d’idées, qui ouvre de fabuleux horizons pour la culture et les mœurs.
Observations sur les paradigmes épistémologiques Une difficulté peut apparaître dans le paradigme constructiviste, lorsque le maté‑ rialisme, au-delà de simple hypothèse, devient une option métaphysique, ce qui est de fait une affirmation explicative fondamentale sur la nature du réel. Cette ambivalence est néanmoins fort répandue, tant le matérialisme est hégémonique et implicite dans notre culture. Le constructivisme et l’anarchisme épistémologique sont régulièrement accusés de justifier le relativisme renvoyant à la « confusion et à la posture du tout se vaut » (Diemer et Marquat, 2014, p. 19). Ce jugement est injuste, car le relativisme « …représente une tentative pour donner sens au phénomène de la diversité culturelle. » (Feyerabend, 1989, p. 27). L’extension de la liberté de pensée permise par les épis‑ témologies ouvertes représente au contraire une plus grande liberté de choix et d’action et n’a vraiment aucune raison d’induire un amoindrissement de la volonté ou une érosion du sens de l’engagement, écueils sur lesquels peuvent effectivement buter les esprits mal préparés à l’autonomie et à la créativité. Le problème n’est donc pas celui du paradigme épistémologique, mais celui de l’éducation, qui enferme la raison dans des cadres trop étroits et n’apprend pas à assumer l’émancipation ni l’autonomie intellectuelle. Les trois cas envisagés ici, réalisme, constructivisme et anarchisme, sont loin de représenter toutes les options épistémologiques existantes. Une des plus connues est le positivisme, qui postule que seule est valable la connaissance des faits véri‑ fiés par l’expérience scientifique. Le paradigme constructiviste est traversé par de nombreux courants épistémologiques et méthodologiques, constructivisme mathématique, socioconstructivisme, constructivisme pragmatique (ou radical) et
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3. Fondements de la pensée complexe: Une conception émancipatrice de la connaissance
constructivisme pragmatique selon Guba et Lincoln (Avenier, 2011), etc. Mieux vaut donc, en première approche, en rester aux épistémologies constructivistes en général (Le Moigne, 1995). Chacun pourra choisir sa propre philosophie sur la connaissance et la méthode qui en découle pour penser le monde et ses actions, mais en sachant désormais que ce choix a des incidences profondes sur la créativité et la relation aux autres.
Bibliographie Avenier, Marie-José (2011). Les paradigmes épistémologiques constructivistes : post-modernisme ou pragmatisme ? Management & Avenir, 2011, vol. 3, n° 43, p. 372-391. CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2016). Paradigme. [Consulté le 15/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/definition/paradigme Diemer, Arnaud, Marquat, Christel (2014). Éducation au développement durable. Enjeux et controverses. de boeck, 2014. Feyerabend, Paul (1979). Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance. Le Seuil, 1979. Feyerabend, Paul (1989). Adieu la Raison. Le Seuil, 1989. Le Moigne, Jean-Louis (1995). Les épistémologies constructivistes. Presses Universitaires de France, 1995. Que sais-je ? Morin, Edgar (1986). La méthode : tome 3, La connaissance de la connaissance. Le Seuil, 1986.
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4 Systèmes (perçus) complexes Propriétés fondamentales
La complexité est en fait une appréciation sur l’intelligibilité des systèmes, que l’on peut modéliser soit linéairement (systèmes simples ou compliqués), soit non linéairement (systèmes complexes). Des propriétés générales caractérisent la représentation non linéaire des systèmes : reliance, irréversibilité, dialogique, causalité circulaire, récursivité, percolation et bifurcation, imprédictibilité, principe hologrammique, auto-éco-réorganisation, émergence, écologie de l’action (Morin, 1977-2004).
Raisonner sur un système passe par une représentation de ce système : un modèle. Nous allons examiner deux grandes classes de modélisation : linéaire et non linéaire.
Modélisation linéaire Soit un système modélisé comme un ensemble d’éléments, représentés ci-dessous par des billes immobiles sur une surface plane. Imaginons une action perturbatrice, qui consisterait à donner une impulsion à l’une d’elles. Elle va se mettre à rouler, elle va percuter une autre bille, puis une seconde. Les trois billes roulent et finissent par s’arrêter.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Exercice 4.1 Pouvez-vous simplifier la représentation du système ci-contre (billes sur un plan ; l’une d’elle reçoit une impulsion) sans dénaturer la description des évènements ? (Réponse en page 85)
Une telle représentation d’un système par ses éléments est simplificatrice, voire réductrice, si elle néglige exagérément d’autres phénomènes. La modélisation de l’économie est un exemple évident de simplification excessive d’un système, réduit à ce qui possède une valeur d’échange, appréhendé du seul point de vue de la rationalité et de la culture occidentale. Par conséquent, le contexte phy‑ sique et ses principes fondamentaux thermodynamiques sont ignorés ; le contexte naturel n’a pas de valeur ; le contexte psychique est tronqué (la non-rationalité est évacuée, et pourtant, quoi de moins rationnel qu’un marché ! ?) ; le contexte culturel est sans épaisseur et les lois de l’économie mondialisée s’imposent à tous les peuples. Cette vision a instauré des croyances qui s’avèrent de véritables chimères : croissance matérielle infinie, vertu du marché pour la régulation de toutes les affaires humaines.
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Elle a également débouché sur des théories fausses (Keen, 2014). L’économie est comme une bulle conceptuelle qui, dérivant au milieu d’environnements ignorés, mais interagissants et changeants, ne peut que finir par éclater. « Une intelligence incapable d’envisager le contexte et le complexe planétaire, rend aveugle, inconscient et irresponsable. » (Morin, 1986)
À propos du contexte… Exercice 4.2 Déterminez l’abscisse que recoupera l’avion quand il sortira du champ de vision ci-dessous. (Réponse en page 86)
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Exercice 4.3 Connectez-vous sur cette page : http://www.enigme-facile.fr/illusion-optique-la-spirale-6527 et déterminez combien de couleurs vous voyez. (Réponse en page 86)
Propriétés des modèles linéaires Les évènements sont décrits selon des chaînes de relations de cause à effet (linéarité causale fonctionnelle). Les effets sont proportionnés aux causes (linéarité causale quantitative) : si E est l’effet et C la cause, alors : E = lC. Le système est réversible (dans le cas des billes, des impulsions sur les deux billes percutées par la première, dans la direction et avec l’intensité requises, permettent un retour des trois billes à leur position initiale).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Cependant, « La décomposition analytique en éléments décompose aussi le système, dont les règles de composition ne sont pas additives, mais transformatrices. » (Morin, 1977, p. 106), c’est pourquoi il est pertinent d’envisager un autre type de modélisation, non linéaire.
Modélisation non linéaire Les objets peuvent être considérés comme moins essentiels et prégnants que les relations qui les façonnent. Les mathématiques, la physique quantique, l’art, l’eth‑ nologie, la sociologie, etc., révèlent que « C’est la relation qui fait l’objet, et non pas l’objet qui fait la relation. » (Heinich, 2016). Nous considérerons qu’objets et rela‑ tions se font mutuellement, selon un processus circulaire. Nous invitons à délaisser notre habituel tropisme pour les objets au profit d’un élargissement conceptuel où les objets n’ont d’intelligibilité qu’au travers de leurs relations. Si donc nous repré‑ sentons maintenant un système, non pas en mettant l’accent sur les entités consti‑ tutives, mais sur les relations qu’elles établissent entre elles, alors nos raisonnements sur le système vont changer considérablement. L’interconnexion généralisée détruit la linéarité causale : un effet résulte de causes multiples et enchevêtrées (le réseau d’interactions d’un système quelconque sera désormais symbolisé par un « filet », caricature dont la puissance évocatrice est néanmoins intéressante) (figure 4.1).
Figure 4.1 Alors que la représentation analytique tend à focaliser sur les éléments, les composants d’un système, la représentation systémique éclaire tout particulièrement les inter-relations qui s’établissent entre eux.
Exemple d’incidence de la manière de modéliser une société Si les billes sont les individus d’une société (modélisation linéaire), on conçoit aisé‑ ment que chacune s’agitera de manière relativement indépendante, pouvant générer un désordre généralisé, un « mouvement brownien » social. Si l’on est convaincu de
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
l’atomisation d’une société individualiste, on légitimera la gouvernance d’un régime très centralisé et autoritaire, parce que de puissants moyens d’incitation et de coer‑ cition seront jugés nécessaires pour guider les individus dans la direction voulue. Au contraire, dans la vision non linéaire, en réseau, il semblera plus aisé d’impulser un mouvement d’ensemble, grâce à des actions d’ampleur modiques ou locales, du moment que les individus auront été informés du but poursuivi. Dès lors, chacun, dans l’expression de son autonomie, saura immédiatement comment orienter ses actes dans le sens collectif et chacun y sera incité par son proche réseau, grâce à la force des liens. L’affichage du but poursuivi est essentiel : ce peut être un projet de société, une utopie. L’utopie, même en tant qu’idéal impossible à atteindre, invite à tendre collectivement vers quelque chose. Le cap indiqué à moyen ou long terme pour la collectivité guide les actions individuelles dans une évolution cohérente et coordonnée. Rien ne sert de disposer de la meilleure des boussoles si l’on n’a pas fixé de cap ! L’utopie forge l’intelligence collective (figure 4.2). La modernité, avec ses maîtres mots « utile », « rationnel », « efficace », « rentable », « immédiat », « individuel », ne propose pas de projet de société ni de sens. Le sys‑ tème dérive vers ce que Jacques Généreux nomme la dissociété (Généreux, 2006) : le lien social se dégrade et la gouvernance devient coercitive pour maintenir la cohésion. La modélisation non linéaire d’un système social sera reprise plus loin au sujet du management participatif et des formes nouvelles de gouvernance, comme la socio‑ cratie et l’holacratie.
Figure 4.2 Avec le système modélisé linéairement (à gauche), pour faire fonctionner une société, on se persuade de la nécessité d’une organisation qui demande des corps institués puissants, beaucoup de réglementations et de normes, beaucoup d’énergie, ce qui génère du gaspillage, des contraintes, des frustrations, du ressentiment et des résistances contre-productives. Dans la vision non linéaire (à droite), le collectif s’auto-organise avec beaucoup moins de moyens, dès lors que des projets, des utopies, des valeurs, sont affichés, entretenus pour garantir la cohésion sociale. Quand chacun porte une même vision stratégique, les actions disparates, indépendantes, peuvent concourir de manière coordonnée et cohérente au but de l’organisation pour faire émerger le projet collectif.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Propriétés générales des systèmes vus en complexité Désormais, nous considérerons comme équivalentes les expressions « système modélisé de manière non linéaire » et « système entendu comme complexe », que par commodité, nous réduirons parfois à l’expression « système complexe ». Des observations récurrentes sont faites pour de tels systèmes, qui ont donné quelques principes fondamentaux, en plus de celui que nous avons introduit impli‑ citement avec l’image du réseau : la reliance. Ces principes, largement développés par Edgar Morin (1977-2004), et qui sont présentés ci-après, sont les suivants : – – – – – – – – – – –
la non-linéarité ; l’irréversibilité ; la dialogique ; la causalité circulaire ; la récursivité ; la percolation et la bifurcation ; l’imprédictibilité ; le principe hologrammique ; l’auto-éco-réorganisation ; l’émergence ; l’écologie de l’action.
Ces notions pourront être approfondies avec les classiques d’Edgar Morin et la syn‑ thèse excellemment vulgarisée de Dominique Genelot (2011).
Non-linéarité La non-linéarité est d’ordre causal (réseau diffus de causes interférantes) et d’ordre quantitatif. Ainsi, les interconnexions et les interdépendances peuvent générer des effets multiplicateurs ou inhibiteurs dans le réseau, de sorte que l’ampleur de la cause et celle de l’effet puissent ne pas être en adéquation : – une petite cause pourra générer de grands effets ; – une grande cause pourra donner de petits effets. Une petite cause en cohérence avec « l’orientation » globale du système, sa tendance évolutive, peut être relayée et amplifiée grâce aux multiples interactions. Une action modeste, en synergie avec les contextes est plus puissante qu’une action ambitieuse et indépendante. L’humanité « adolescente » et fougueuse du siècle passé a eu de grandes ambitions pour tout maîtriser, la nature et l’Homme, en posant des actions non pensées dans une vaste globalité. Le résultat est calamiteux. Il s’agit désormais de renverser cette manière de voir : agir avec des ambitions à l’échelle de l’organisation qui les pose, mais penser l’action comme connectée à l’ensemble des réalités du système plané‑ taire et anthropique. De là, vient la pertinence de l’adage pour la durabilité intro‑ duit par Jacques Ellul : « Pensée globale pour action locale ».
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Irréversibilité Après une perturbation locale du système, des effets exactement inverses ne per‑ mettent pas de le ramener à son état initial : il conserve une trace de son histoire (figure 4.3).
Figure 4.3 En vision complexe, la non-linéarité peut être imagée par la déformation rémanente d’un maillage auquel on aurait appliqué, localement, une force, puis une force exactement opposée en intensité et en direction.
Dialogique Parabole Si, les yeux bandés, vous deviez atteindre impérativement un lieu précis, votre situation serait beaucoup moins précaire sur un sentier sinueux bordé de buissons épineux que sur une plage déserte. Les épines et vous-même, dans une confrontation certes peu amène, concourraient néanmoins à la réalisation du but. Sur une plage agréable de sable fin, vous seriez condamné à divaguer et aucune décision constructive, aucun mouvement pertinent ne seraient possibles. La dialogique exprime que des phénomènes concurrents, antagonistes, sont néan‑ moins complémentaires et générateurs d’organisation 1 (Morin, 1977, p. 217) (figure 4.4). Un jeu de ballon collectif offre des figures sophistiquées, voire esthétiques, du fait de la confrontation de deux équipes concurrentes. Elles génèrent, dans l’affrontement codifié, une organisation d’un ordre supérieur : le match. Nonobstant la thermodynamique, s’il n’y avait que des phénomènes générateurs d’ordre, l’univers tendrait vers l’état de cristal monolithique mort. S’il n’y avait que des phénomènes générateurs de désordre, l’univers tendrait vers un plasma élémen‑ taire homogène, autre forme de mort. La confrontation de phénomènes générateurs d’ordre et de phénomènes qui tendent à le détruire produit des équilibres dyna‑ miques locaux plus ou moins stables, des formes organisées. L’organisation n’est possible que grâce à la désorganisation, qui donnent lieu ensemble à un ballet créa‑ teur. Les deux se nourrissent mutuellement. 1. La dialogique diffère de la dialectique de Hegel, car elle ne résorbe pas l’antagonisme en une synthèse supérieure.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Figure 4.4 Des forces contraires génèrent une Figure dans le réseau (La confrontation d’antagonismes génère de l’organisation).
Il est parfois souhaitable que cesse le « ballet » ! Ainsi, vaut-il mieux ne pas s’opposer frontalement à ce que l’on veut contrer, sous peine de lui donner corps, de nourrir et renforcer sa capacité antagoniste, en générant une « organisation » (dans ce cas, une confrontation durable). Toute velléité d’hégémonie et d’ordre total (par exemple, l’impérialisme, le totalitarisme, l’accaparement des richesses, la pensée unique, etc.) est le ferment du désordre, de la dissidence, de la rébellion. Dans le principe, tout cela est naturellement systémique, mais on attendrait de l’intelligence humaine au moins une ritualisation ou un déplacement des antagonismes sur des plans où le tri‑ but ne serait plus la souffrance ni la misère. Inversement, tout projet magnifique et désirable s’offre aux forces destructrices (deuxième principe de la thermodynamique) et les deux tendances co-évoluent en formant un système auto-organisé. Nos esprits dualistes, voire manichéens, se désespèrent que le bien et le mal se côtoient indéfini‑ ment. Résistons, construisons inlassablement, bien que sachant l’idéal inatteignable. La dialogique est l’école du détachement.
Causalité circulaire Du fait des interconnexions multiples, les relations de cause à effet se bouclent sur elles-mêmes en produisant des effets multiplicateurs ou bien des effets inhi‑ biteurs. On parle de « rétro-action positive » lorsque le bouclage génère une autoamplification, un emballement, et de « rétro-action négative » dans le cas contraire (figure 4.5). La rétro-action négative est mise à profit dans la régulation des machines : les paramètres sont mesurés en sortie de processus pour réévaluer les variables d’entrée (consignes), en vue de stabiliser un fonctionnement. Il s’agit d’un « changement dans la continuité », du moins tant que le processus ou le système lui-même n’est pas détruit par une dérive excessive. Plusieurs boucles de rétro-action positives, par lesquelles les conséquences d’un phénomène vont renforcer leur propre cause, sont malheureusement tapies dans le
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
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processus actuel du réchauffement climatique. Un exemple réside dans le fait que le réchauffement des océans diminue la solubilité du dioxyde de carbone dans l’eau de mer, ce qui provoque sa désorption, donc un surcroît d’augmentation de la concen‑ tration atmosphérique de ce gaz à effet de serre qui, finalement, génère encore plus de réchauffement, et ainsi de suite…
paramètres de sortie
variables d’entrée Figure 4.5 Rétro-action mise en œuvre pour réguler un processus, une machine. La roue de Deming de l’amélioration continue (prévoir, déployer, contrôler, améliorer) en est un exemple.
Récursivité La récursivité est une rétro-action à un méta-niveau, qui transforme le processus lui-même (figure 4.6). La récursivité est donc un « changement de changement » : le système se réorganise.
Figure 4.6 La rétro-action peut affecter le processus lui-même, qui peut se transformer. Cette rétro-action de second ordre est dite « récursivité ».
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Dans le domaine de la pensée discursive, on fait des hypothèses, qui permettent un raisonnement à l’intérieur du système logique, et par lequel on sera amené à les modifier, en cas d’incohérence avec l’observation. Il s’agit là d’une rétro-action, mais si l’observation incite à modifier les postulats fondamentaux, c’est le système logique lui-même qui est affecté dans un processus que l’on peut qualifier de récur‑ sif : la pensée entre dans un nouveau paradigme. Il est fortement souhaitable de ne pas confondre la rétro-action et la réorganisation récursive, sous peine de tenir des raisonnement biaisés, comme l’économie en fait si bien la démonstration. Un postulat de l’économie libérale est que l’autorégulation de l’économie par le marché, sans norme externe, du seul fait des actions guidées par l’intérêt individuel, génère un optimum pour le bien-être des individus. Cependant, le bien-être est confondu avec le confort matériel. L’homéostasie d’une économie parfaitement autorégulée (régulation de niveau 1) – si tant est qu’elle puisse jamais le devenir – n’a, a priori, rien à voir avec le bien-être du plus grand nombre, qui dépend largement de paramètres non marchands. La question du bien-être relève de l’éthique et de la politique, c’est-à-dire des règles du jeu imposées à l’économie. Il s’agit d’une méta-régulation (régulation de niveau 2), en position récursive par rap‑ port à la régulation de premier niveau par le marché. La confusion de deux niveaux, sans doute pas tout à fait innocente, amène son lot de déboires environnementaux, sociaux et sanitaires.
Percolation et bifurcation Un système offre une configuration de traits dominants et une tendance évolu‑ tive. Cependant, la configuration n’est pas homogène ni uniforme. La résultante présente une diversité qui s’accommode d’anomalies. Ces singularités sont des épi‑ phénomènes anecdotiques, temporaires, marginaux, sans réelle importance pour le système. Il peut arriver que certaines anomalies se répètent et gagnent du terrain : elles percolent lentement. Si la percolation se confirme, le système atteint un seuil critique et il devient instable. À partir de ce seuil d’instabilité, le système devient très sensible à la variation des paramètres qui gouvernent l’anomalie et, soudainement, il change de configuration à grande échelle : l’anomalie devient la norme. Cette brusque transition, après la longue percolation, est désignée par le terme évocateur de « bifurcation ». La pensée linéaire habituelle a la fâcheuse propension à extrapo‑ ler tendanciellement dans le futur sur la base du constat effectué dans le passé. Le résultat escompté est attendu dans le prolongement de l’histoire et proportionnel à la cause. Cette vision linéaire est généralement erronée et elle provoque en outre soit la désespérance, car l’objectif souhaité apparaît très éloigné dans le futur, soit le déni, en reportant d’éventuelles limites également à de lointains horizons. En général, le système n’évolue pas linéairement et les désagréments arrivent plus tôt que prévu, avant que l’on ne s’y soit préparé, ou bien au contraire, la situation se dénoue sou‑ dainement vers l’objectif convoité (figure 4.7). Une remarque très importante concerne le fait que le seuil critique peut être atteint, et la bifurcation s’opérer, avec des contributions minoritaires, des phénomènes
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
non dominants, grâce aux effets de levier, aux boucles de rétro-action positives. Ce constat peut être encourageant dans la mesure où il signifie qu’un changement glo‑ bal peut surgir dans un contexte, par exemple sociétal, apparemment peu enclin aux actions appropriées à ce changement. On peut trouver là une bonne raison de per‑ sévérer contre vents et marées, même si notre action semble dérisoire et non suivie d’effets. Toute action, même mineure, est potentiellement porteuse d’un change‑ ment global, car elle alimente la percolation vers le seuil critique. « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens réfléchis et engagés puisse changer le monde. En fait, c’est toujours comme cela que ça s’est passé » (Margaret Mead (1901-1978), anthropologue).
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Figure 4.7 Les habitudes de la pensée biaisent la représentation des évolutions en faiFigure4.7• Les habitudes de la pensée sant abstraction des signaux faibles, de la probabilité de la survenue de l’imbiaisent représentation des évolutions prévisible, et enla préférant les projections tendancielles sécurisantes.
en faisant abstraction des signaux faibles, de la probabilitéa de survenue Un bel exemple de percolation-bifurcation été la révélé par l’archéologie. Homo fut très une espèce sapiens sapiens de (apparu en Afrique vers –100 000 ans) l’imprévisible, et en préférant longtemps les nomade de chasseurs-cueilleurs, jusqu’à une époque récente (–9 000 au Procheprojections tendancielles sécurisantes.
Orient), où il se sédentarisa et se mit à développer des techniques nouvelles, comme le polissage de la pierre, fait retenu pour désigner cette nouvelle période, dite « néo‑ lithique » (étymologiquement « nouvelle pierre »), par opposition à l’ancienne, dite « paléolithique » (ancienne pierre). Avec le polissage de la pierre, les humains se mirent également à pratiquer l’élevage et la culture, à tisser des fibres végétales, à cuire l’argile. Du moins c’est ce que les archéologues ont bien longtemps cru. Cependant, des vestiges récemment découverts ont révélé que les populations paléo‑ lithiques antérieures avaient déjà vécu en sédentaires, avaient déjà élevé le loup, inventé le tissage et la céramique, poli la pierre 2 ! Les peuples néolithiques n’ont pas inventé toutes ces pratiques, qui furent des innovations restées très longtemps 2. La céramique, le tissage (ou la vannerie), le polissage de la pierre, étaient connus en Moravie il y a 27 000 ans (Soffer et coll., 1996) ; l’Europe centrale a également livré des groupes d’habita‑ tions sédentaires au Gravettien (Cauvin, 1997, p. 41) ; de nombreuses figurines féminines furent créées dès l’Aurignacien ; le loup était domestiqué il y a 14 000 ans (Hauzeur, 1998).
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marginales durant le paléolithique. Elles se sont brusquement généralisées, en quelques siècles au Proche-Orient et en quelques millénaires à l’échelle du monde entier, ce qui, somme toute, est fulgurant à l’échelle de l’évolution humaine. Ce processus est typique de l’évolution d’un système non linéaire qui connaît sou‑ dainement une bifurcation. Le système humain paléolithique possédait une solution avec le modèle dominant du nomadisme, de la chasse, de la cueillette, mais aussi avec des fragments anecdotiques de modes de vie autres. Il adopte soudainement, à grande échelle, un nouvel équilibre dynamique, une deuxième solution fondée sur une symbolique et des techniques différentes, celles qui, marginales et dérisoires, percolaient dans le système antérieur. De nos jours, de multiples expériences innovantes et marginales peuvent préfigurer une nouvelle civilisation, à la suite de l’actuelle, qui montre désormais des signes d’instabilité symptomatiques de la criticité du système anthropique.
Imprédictibilité « S’attacher à la complexité… C’est reconnaître que la modélisation se construit comme un point de vue pris sur le réel, à partir duquel un travail de mise en ordre, partiel et continuellement remaniable, peut être mis en œuvre. Dans cette perspective, l’exploration de la complexité se présente comme le projet de maintenir ouverte en permanence, dans le travail d’explication scientifique lui-même, la reconnaissance de la dimension de l’imprédictibilité. » (CNRS, p. 13). Au seuil critique, le système est instable, puis il bifurque vers une configuration parmi plusieurs possibles. Le sens des bifurcations n’est pas prévisible (figure 4.8). Le système socio-économique actuel est probablement dans une configuration instable qui pourra déboucher sur une nouvelle économie responsable, circulaire et solidaire, ou bien sur un chaos généralisé. Le chemin suivi peut dépendre de conditions antérieures présentant des écarts infimes, ce que l’on résume habituelle‑ ment par la célèbre métaphore de « l’effet papillon » introduite par le météorologue Edward Lorenz (1972) : « …le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». La prévision est impossible, bien que le système soit strictement déterministe (relations de cause à effet obéissant à des lois connues), comme le représente schématiquement la divergence des réflexions de particules sur des sphères à partir d’un faisceau initial caractérisé par des écarts infimes entre les directions des particules (figure 4.9). L’imprédictibilité des systèmes dynamiques très sensibles aux conditions initiales donne l’apparence de phénomènes chaotiques qui ont inspiré l’expression de « chaos déterministe ».
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SEUIL CRITIQUE
4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Figure 4.8 Bifurcation imprédictible déterminée par un écart minime de configuration initiale.
Figure 4.9 Dans ce système simple obéissant à des lois connues de rebond élastique sur des surfaces courbes réfléchissantes, les trajectoires des projectiles divergent rapidement et très différemment selon d’infimes écarts affectant la première partie du trajet.
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Exercice 4.4 Qu’inscrivez-vous dans la 4e cellule de la suite ? (Réponse en pages 86 et 87)
1
2
3
?
Principe hologrammique Dans les systèmes complexes, la relation entre la partie et le tout est ambivalente (Morin, 1977, 2014). En guise de préambule, il faut préciser que la notion de totalité est elle-même floue. En effet, un « tout » est relatif et provisoire. Il traduit la manière de tracer une frontière fictive dans le continuum du réel perçu, qui dépend de la libre focalisation de l’observateur pour générer de l’intelligibilité. Un « tout » est toujours une par‑ tie d’un système plus vaste et englobant. Dans la suite, il faudra donc entendre le « tout » comme représentation arbitrairement bornée d’un système dont on estompe ou néglige provisoirement les interdépendances avec un supra-système, une vue de l’esprit ad hoc qui sert un propos ou un projet. En général, le réglage de la focale fait coïncider l’enveloppe du « tout » avec un seuil d’émergence de propriétés nouvelles à cette échelle systémique. • La partie est inscrite dans le tout ET le tout est inscrit dans la partie. Les cellules constituent le corps humain ET l’individu est présent dans chacune de ses cellules, avec l’ADN. Les individus constituent la société ET la société est présente dans l’individu avec l’acculturation (imprégnation culturelle) et l’incorporation des règles de vie commune. • La partie est plus qu’une fraction du tout. Une cellule intègre les signaux chimiques de ses voisines. Un individu socialisé ne se comporte pas indépendamment, mais en fonction des autres. • Le tout est plus (autre) que la somme des parties ET le tout est moins que la somme des parties. Un corps vivant est plus que ses cellules constitutives, dans le sens où il agit différemment d’un simple amas de cellules, ET il est moins que l’ensemble de ses cellules, à cause des contraintes qu’elles opèrent les unes sur les autres, en se limitant mutuellement. Une population est plus qu’une collection d’individus, puisqu’ils « font société », ET la société est moins que la somme des individus, qui n’expriment pas, cha‑ cun, la totalité de leur potentiel, pour respecter la place et l’intégrité des autres. Un postulat de l’économie libérale est que la somme des intérêts particuliers est l’intérêt général. Au vu du principe hologrammique, il est permis d’en douter.
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Dans un autre registre, on remarquera que l’interdisciplinarité est plus que la pluri‑ disciplinarité, simple juxtaposition de disciplines, du fait qu’elle cherche à dévelop‑ per des méthodologies résultant d’échange de concepts, de modèles, d’outils. Mais elle est moins aussi, à cause des contraintes qu’impose chaque discipline aux autres (figure 4.10).
Pluridisciplinarité Interdisciplinarité
Figure 4.10 L’interdisciplinarité est indiquée dans les situations complexes. Les disciplines impliquées sont mobilisées dans le cadre d’une réflexion collective, depuis des points de vue particuliers, pour rechercher une convergence méthodologique, exprimant la complémentarité, les interactions, les liens disciplinaires, articulés autour d’un projet.
Émergence « acdeeeeeeeeeeeéghlmnnnprrcsssstttu. » Les lettres de cette liste peuvent être lues et chacun sait qu’une lettre est un symbole qui associe un phonème à un signe lin‑ guistique élémentaire. En agençant ces lettres d’une certaine manière, il est possible de construire des mots, par exemple : « cette de émergence est le phrase sens une. » Il est encore possible d’organiser les mots pour ajouter la syntaxe à la sémantique et obtenir la phrase suivante : « le sens de cette phrase est une émergence. » Quelque chose de nouveau et d’incommensurable sépare les deux mêmes listes de mots. De la liste de lettres à la phrase, il émerge un sens. Chaque mot recèle une signification qui concourt au sens de la phrase, mais le sens de la phrase n’est pas divisible et réparti dans chaque mot. Le sens forme un tout qui est autre, au-delà, plus, que la somme des significations de chaque mot. Le sens est une émergence (le sens de chaque mot est également une émergence au sein de l’alphabet). « On peut appeler émergences les qualités ou propriétés d’un système qui présentent un caractère de nouveauté par rapport aux qualités ou propriétés des composants considérés isolément ou agencés différemment dans un autre type de système. » (Morin, 1977, p. 106). « …une propriété ou un processus sont émergents à un niveau donné d’un système physique si, bien que réductibles en principe aux propriétés des constituants de niveau inférieur, il semble impossible de prédire leur survenue a priori à partir de la connaissance, même complète, de ces propriétés. » (Zwirn, 2006, p. 196).
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L’émergence caractérise une propriété d’un système, non déductible par intégra‑ tion des propriétés des parties. Les propriétés du tout sont irréductibles à celles des parties agrégées. Ainsi, la molécule d’eau (assemblage moléculaire par liaisons inter-atomiques hydrogène-oxygène) donne une image de l’émergence, car les pro‑ priétés de l’eau ne sont en rien celles de l’hydrogène ou de l’oxygène (Morin, 1977, p. 107). On caractérisera cet exemple d’émergence faible, car la dynamique causale va des parties vers le tout. En effet, ce sont les propriétés des atomes d’hydrogène et d’oxygène qui font celles de la molécule d’eau. Dans le cas de l’émergence forte, se surajoute une dynamique causale descendante, du tout vers les parties. Ainsi, la vie, la conscience, la société, modèlent certaines propriétés ou comportements des parties constitutives de l’organisme : par exemple, la somatisation, transformation d’un trouble psychique en un dysfonctionnement physiologique ; la culture, qui modèle la façon de penser des individus ; la peur des animaux-proies en cas de prédation forte, qui inhibe la reproduction (Ameisen, 2016). En revanche, dans le cas de l’eau, les propriétés de la molécule ne déterminent quasiment pas celles des atomes d’hydrogène et d’oxygène. On peut dire que l’émergence est un phénomène global non interprétable dans les termes qui régissent la compréhension des échelles inférieures d’un système. Cependant, pour la pensée scientifique, l’émergence semble par trop « magique » et ce qui apparaît comme émergent ne le serait qu’au regard de l’insuffisance des théo‑ ries explicatives du moment. Le caractère émergent d’un sentiment, d’une nouvelle idée, etc., serait censé se dissiper, à l’avenir, avec l’accroissement des connaissances en neurosciences. L’émergence serait un concept palliatif des limites techniques à la collecte et au traitement des données. Cette critique ne résiste cependant pas au contre-argument sur le nombre des données qu’il faudrait collecter et sur la puissance de calcul nécessaire pour les traiter, dont les ordres de grandeur astrono‑ miques rendent tout à fait illusoire la description exhaustive d’un système complexe (Zwirn, 2006, p. 210). Le phénomène d’émergence n’est tout simplement pas réductible par accroissement de la puissance de calcul. Il faut sans doute le considérer plutôt comme le corol‑ laire de la limite cognitive à l’explication causale (voir annexe 3, Compléments sur la notion d’émergence). Le hasard est au moins autant que l’émergence une notion ad hoc étrange, pallia‑ tive de la limitation cognitive, mais, curieusement, elle est admise par l’idéologie scientifique qui en fait un principe causal (exemple avec la théorie de l’évolution) 3. 3. L’idéologie ambiante, et en particulier la science, place l’humain et la cognition au sommet d’une échelle arbitraire et anthropocentrée. Tout phénomène qui évoque une intelligence supé‑ rieure fait l’objet d’un déni. En revanche, tout phénomène qui s’apparente à un ordre considéré comme inférieur est admis, en dépit de son caractère parfois « magique ». Le hasard évoque la force aveugle de la nature et se situe très bas dans l’échelle des valeurs. Le hasard fait des miracles dans la représentation scientifique du monde sans que cela ne perturbe la plupart des esprits scientifiques. En revanche, la notion d’émergence, évoquant une sorte d’intelligence organisatrice qui dépasserait l’intelligence humaine, est rejetée, car elle est suspectée de connotation mystique. L’idéologie scientifique n’est pas rationnelle.
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Auto-éco-réorganisation Une machine-artefact n’est pas réductible à sa fonction. La machine fait la fonc‑ tion, mais la réciproque est fausse : la machine est machine indépendamment de son fonctionnement, même à l’arrêt. En revanche, une organisation n’est telle qu’à travers ses fonctions. Celles-ci n’étant pas immuables ni constantes, l’organisation complexe est malléable, douée de plasticité. Une organisation complexe est un processus de réorganisation permanent inhérent à la dialogique des phénomènes générateurs d’ordre et destructeurs d’ordre. Ainsi, un organisme vivant fabrique en permanence des cellules pour remplacer celles qui meurent et se réajuste sans arrêt dans un réseau de relations avec ses congénères, ses proies, ses prédateurs. (a)
(b)
(c)
Figure 4.11 Exemples de systèmes évoluant de l’ordre vers le désordre : à gauche, deux compartiments étanches contenant chacun un gaz différent ; à droite une allumette. (a) La dissymétrie, l’hétérogénéité, la concentration, l’ordre, caractérisent l’état initial de chacun des deux systèmes. (b) L’ouverture d’un orifice entre les deux compartiments ou l’inflammation de l’allumette font évoluer les systèmes vers un autre état. (c) Lorsqu’un équilibre est atteint : mélange homogène des gaz et disparition de l’allumette sous forme de gaz de combustion dilués dans l’atmosphère, le désordre est maximal ; l’entropie des systèmes s’est accrue au passage de l’état (a) vers l’état (c). Pour séparer les gaz mélangés et retrouver l’état initial (a), il faudrait un dispositif de tri et de pompage qui demanderait un apport d’énergie.
L’entropie est une grandeur thermodynamique liée à l’auto-éco-réorganisation (figure 4.11). Elle exprime la diminution de la disponibilité de l’énergie libre et utile au cours d’une transformation. La quantité d’énergie se conserve, mais pas
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sa qualité, car une part est toujours dissipée sous forme de chaleur perdue ou qu’il est impossible de convertir intégralement en énergie utile, mécanique, électrique ou autre. Livré à lui-même, sans apport d’énergie, un système tend vers un état homogène de désordre maximal : son entropie augmente. L’ordre du système peut augmenter et son entropie diminuer si de l’énergie lui est fournie : c’est ce que font les organismes vivants en ingérant de la nourriture pour contrer la propension à mourir, à l’échelle cellulaire, voire globale. Les organisations évoluent dans l’univers de sorte à dissiper l’énergie de plus en plus efficacement (Roddier, 2012, p. 50). Un système homéostatique (système dynamique en régime de croisière) dissipe de l’énergie pour s’opposer aux forces antagonistes et possiblement destructrices. Pour survivre, l’organisation doit incessamment auto-compenser l’augmentation interne spontanée d’entropie (chaleur, désordre, usure, etc.) par des processus endogènes (auto-réorganisation) et par des processus exogènes (éco-réorganisation). Elle péren‑ nise ainsi son état ordonné, mais elle évacue dans son environnement des résidus, énergie dégradée sous forme de chaleur et déchets, provoquant une augmentation du désordre externe. Ainsi, l’entropie interne du système n’augmente pas, voire diminue, mais au prix de l’augmentation de l’entropie (désordre) de l’environne‑ ment. De ce fait, le système et son environnement évoluent l’un et l’autre selon des trajectoires potentiellement divergentes. Le système, qui tente de garder le cap sur son « projet », peut voir diminuer la compatibilité avec son environnement, en évolution propre. Celui-ci génère de plus en plus de perturbations, ce qui demande une dissipation d’énergie croissante de la part du système pour s’en défendre. Le processus va crescendo jusqu’à ce que le système ne puisse plus trouver la ressource pour s’opposer aux antagonismes de l’environnement. Soudainement, il flanche et le désordre l’envahit, à la manière du tas de sable qui s’écroule soudainement en ava‑ lanche, à force de déverser du sable au sommet. Le désordre oblige alors le système à se réorganiser dans une nouvelle configuration plus en adéquation avec l’environne‑ ment, abaissant du même coup son énergie interne et son effort pour se maintenir. Et le processus recommence. Les systèmes complexes évoluent par brusques transi‑ tions en générant l’émergence d’innovations non prédictibles.
Écologie de l’action Edgar Morin (1996, p. 107) définit l’écologie de l’action ainsi : « Dès qu’un individu entreprend une action, quelle qu’elle soit, celle-ci commence à échapper à ses intentions. Cette action entre dans un univers d’interactions et c’est finalement l’environnement qui s’en saisit dans un sens qui peut devenir contraire à l’intention initiale… ». La vision en complexité est une école de l’humilité et du détachement : elle nous invite à agir en conscience, à notre échelle, en cohérence avec les contextes, et à ne pas conditionner l’action à l’obtention d’un résultat, qui échappe au désir et à la volonté, en accord avec l’adage « Fais ce que tu dois, advienne que pourra ». Cependant, gardons-nous de n’y voir que restriction et adversité : il arrive également que des conjonctions imprévues fassent déboucher les projets plus vites ou mieux que prévu !
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Tentative de définition d’un système (perçu) complexe Les propriétés attribuées aux systèmes difficilement intelligibles, dits « complexes », examinées supra sont les suivantes : non-linéarité, ambivalence, confrontation d’ordre et de désordre, irréversibilité, dialogique, causalité circulaire, récursivité, percolation et bifurcation, imprédictibilité, principe hologrammique, émergence, auto-éco-réorganisation, écologie de l’action. Ces propriétés hétérogènes per‑ mettent-elles de cerner de manière univoque ou fiable ce qu’est un système « difficilement intelligible, dit ’complexe’ » ? Considérons le cas d’un automate cellulaire, dont l’archétype peut être le Jeu de la vie (voir annexe 4, Les automates cellulaires). Les cellules d’un vaste damier peuvent changer de couleur d’après une règle établie en fonction de la couleur des voisines. De tels systèmes ne sont pas prédictibles et il faut réellement passer par toutes les étapes pour connaître la configuration à un rang quelconque. Pour autant, le système (un damier de cellules pouvant prendre deux états chacune) et la règle de transfor‑ mation sont d’une simplicité enfantine. L’imprédictibilité n’est donc pas un critère fiable pour caractériser la complexité. L’existence de processus rétro-actifs n’est pas non plus systématiquement associée à la complexité. Un régulateur ne confère pas à une machine le statut d’organisme complexe. Dans ce cas, la rétro-action résulte d’un programme externe implanté par le créateur de la machine. Il en irait diffé‑ remment si la rétro-action régulatrice était auto-générée par des processus internes. On voit par là qu’il est hasardeux de s’en tenir à une seule des propriétés énumérées pour caractériser la complexité, si l’on excepte l’auto-éco-réorganisation et l’écologie de l’action, qui englobent implicitement toutes les autres propriétés. Les automates cellulaires sont des systèmes peu sophistiqués et néanmoins leur description néces‑ site une exhaustivité, puisqu’il faut connaître toutes les configurations antérieures pour connaître la suivante. Modéliser ce système revient finalement à en faire une copie. L’exercice est envisageable pour un automate cellulaire avec les moyens infor‑ matiques, mais on comprend aisément que cela devienne illusoire dans les cas des êtres vivants, du système climatique et de l’univers ! L’espoir que peuvent susciter les capacités de mémorisation et de traitement numériques des ordinateurs actuels, et même futurs, est dans ces conditions bien illusoire. La caractérisation quantitative de la complexité, et du degré de complexité lui-même, est impossible, puisqu’on ne peut pas obtenir de vue surplombante quantitative sur un système complexe. Cela condamne-t-il aussi toute tentative de caractérisation qualitative ? Autrement dit, une description générique de la complexité est-elle pos‑ sible ? Selon Hervé Zwirn (2006, p. 168), « Une définition qualitativement et quantitativement adéquate de la complexité… reste à trouver, si elle existe. ». Finalement, la complexité caractérise moins le système considéré que la cognition lorsqu’elle ne peut pas l’appréhender à l’aune de schémas mentaux pré-établis recou‑ vrant toutes sortes de méthodes analytiques ou stochastiques. La complexité est en quelque sorte le constat de la non-intelligibilité, en l’état de nos représentations !
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Rien n’empêche cependant de caractériser les situations qui génèrent de l’inintelligi‑ bilité, à l’aide d’une définition générale. Les tentatives de définition sont nombreuses et controversées (Berry et Beslon, 2013). Nous en retenons les deux suivantes : (1) « …un système est un système complexe dès lors qu’il est composé d’un grand nombre d’éléments en interaction et que la dynamique de ces interactions dirige le comportement du système en lui donnant une apparence d’unité aux yeux d’un observateur extérieur. » (Berry et Beslon, 2013, p. 333). (2) « …représentation d’un phénomène actif perçu identifiable par ses projets dans un environnement actif, dans lequel il fonctionne et se transforme téléologiquement. » (Le Moigne, 1999, p. 40). Ces définitions ont en commun de rapporter la complexité au sujet percevant, de s’en référer à des phénomènes dynamiques et à la notion de cohérence (organisationnelle pour la première et fonctionnelle pour la seconde). Une synthèse peut être tentée : Un système est dit « complexe » quand il est perçu comme une dynamique d’interactions non exhaustivement dénombrables d’où émerge un ordre qui s’exprime par une cohésion structurelle et une cohérence fonctionnelle durables, au sein d’un environnement évolutif et actif sur le système. Cette définition est un éclairage parmi d’autres tout aussi valables. Elle privilégie les interactions, leur multiplicité, d’où émergent le « un » synchronique (l’entité) et le « un » diachronique (l’organisation pérenne), malgré le champ de perturbations environnant. La permanence adaptative caractérise ce qu’en d’autres termes on peut désigner par un projet, un but (téléologie), ou comme l’expression de la rétrocausa‑ lité d’un attracteur, du futur vers le présent (Sheldrake, 2013, p. 153-182). Exercice 4.5 Dans la liste suivante, quel est l’intrus du point de vue de la complexité ? Vortex – Chat – Automate – Marché financier – Ouragan – Orchestre (Réponse en page 87) Exercice 4.6 L’interprétation des évènements tragiques récurrents (conflits, attentats, etc.) fait appel à des phénomènes évidents, liés de façon flagrante au résultat, ou bien à des causes indirectes, plus profondes et moins visibles, voire occultes. Les tenants de cette seconde option sont contestés au motif que leur représentation s’apparente au mécanisme du complot. Examinez la « théorie du complot » à l’aune de la complexité. (Réponse en page 87)
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Étude de cas
Le principe de précaution Le principe de précaution peut être examiné sur la base d’arguments relevant de la complexité. À l’échelle internationale et française, le principe de précaution est fondé par les textes suivants. Déclaration de Rio, 1992 « Principe 15 Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 01 mars 2005 (loi constitutionnelle relative à la Charte de l’environnement) « Art. 5. – Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » La connaissance exhaustive d’un système complexe est illusoire. Le laboratoire de nos expériences collectives est le système réel, en vraie grandeur, c’est-à-dire la pla‑ nète Terre, où sont impossibles : – le confinement expérimental pour maîtriser l’ampleur des conséquences, au stade de l’observation précoce ; – l’anticipation de l’évolution du système ; – la réversibilité des actions en cas de constat négatif. Le principe mortifère de la preuve Il faut généralement un nombre assez élevé de victimes pour constituer une preuve de nocivité et déclencher une action corrective. La toxicité de l’amiante avait été démontrée en 1906 par Denis Auribault. En Europe, l’interdiction totale est intervenue en 2005. La toxicité du DDT a été mise en évidence par Rachel Carson, en 1962. L’interdiction est entrée en vigueur en 2004. Toute exigence de preuve d’un risque revient à s’en remettre à un constat a posteriori, mais lorsque l’expérience est terminée, il est trop tard pour corriger ! Il faut donc : – agir dans l’incertitude ; – décider sans preuve à l’appui ; – et… assumer le choix.
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Tel est le sens du principe de précaution, qui met en œuvre des logiques floues pour agir sans preuve. Il prend acte de la non-prédictibilité des systèmes complexes et replace la décision dans la sphère politique. L’absence de certitude scientifique ne doit pas empêcher la décision politique. À l’heure actuelle, cette responsabilité politique est mal assumée et de grands enjeux de société font l’objet de longues ter‑ giversations pour étayer la véracité des risques, avec un renvoi incessant aux études scientifiques pour obtenir les preuves tant convoitées 4. Le constat de la complexité, avec le caractère multifactoriel des causes, est commo‑ dément mis en avant pour ne pas décider. Ainsi, bien que l’impact des facteurs envi‑ ronnementaux sur les cancers ne fasse plus aucun doute pour les agences de santé nationales et internationales, les mesures concrètes ne suivent pas, par impossibilité de pointer des causes précises et univoques, que l’on espère obtenir un jour… Les citations suivantes sont significatives de l’incapacité à agir en complexité. Une relation statistique significative est mise en évidence entre l’exposition aux panaches d’incinérateurs et l’incidence, chez la femme, des cancers toutes localisations réunies… Un lien significatif est également retrouvé pour les lymphomes malins non hodgkiniens chez les deux sexes confondus et pour les myélomes multiples chez l’homme uniquement. Cette étude ne permet pas d’établir la causalité des relations observées, mais elle apporte des éléments convaincants au faisceau d’arguments épidémiologiques… (IVS, 2008, p. 139). D’où le positionnement peu engagé des institutions : « Il n’y a pas d’argument solide à ce jour permettant de conclure à un risque accru de cancer, quel qu’en soit le type, pour les résidents à proximité d’un incinérateur » (Ademe, 2016). L’enjeu n’est pas de prouver scientifiquement un risque, mais d’organiser la délibé‑ ration pour définir collectivement quels risques nous voulons ou non assumer. La question est scientifique et politique, mais lui dénier cette deuxième dimension fait bien évidemment l’affaire de certains grands acteurs économiques rétifs au change‑ ment. Par la remise en question de la facilité offerte par les solutions habituelles, le principe de précaution peut être considéré comme une incitation à la créativité et à l’innovation.
4. Le test probatoire consiste en la définition d’un protocole destiné à emporter un consensus sur le réel. Il s’agit de constater ou non un écart entre un phénomène et une modélisation du phé‑ nomène (en général une chaîne causale). La modélisation linéaire habituelle ne peut pas rendre compte de la complexité du système modélisé et l’écart résultant est considéré comme un déficit de preuve. Selon ce schéma, la preuve ne pourra jamais être autre chose qu’un constat d’une nui‑ sance avérée, a posteriori, après d’innombrables études non concluantes !
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Bibliographie Ademe (2016). L’essentiel de l’incinération. Dans : Ademe. Mis à jour le 18/08/2016. [Consulté le 26/09/16]. Disponible à l’adresse : http://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-energe‑ tique/dossier/lincineration/lessentiel-lincineration Ameisen, Jean-Claude (2016). Sur les épaules de Darwin. Les battements du temps. Émission du 20 février 2016. France Inter. Disponible à l’adresse : http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1240323 Berry, Hugues, Beslon, Guillaume (2013). De la modélisation comme poé‑ sie : La modélisation de systèmes biologiques complexes vue par deux modé‑ lisateurs. Dans : Varenne, Franck et Silberstein, Marc (dir.). Modéliser et simuler. Épistémologie et pratiques de la modélisation et de la simulation. Éditions Matériologiques, 2013, tome 1, p. 328-387. Berry, Michael (1978). Regular and Irregular Motion, dans Topics in Nonlinear Mechanics. American Institute of Physics Conference Proceedings 46, p. 16-120. S. Jorna ed., 1978 ; cité par Taleb, 2008, p. 238. Cauvin, Jacques (1997). Naissance des divinités. Naissance de l’agriculture. Flammarion, 1997. Coll. Champs. CNRS (2002). Projet d’établissement du CNRS. CNRS, Mission de la stratégie, fév. 2002. Genelot, Dominique (2011). Manager dans la complexité. Réflexions à l’usage des dirigeants. Insep Consulting Édition, 4e édition, 2011. Généreux, Jacques (2006). La Dissociété. Le Seuil, 2006. Hauzeur, Anne (1998). L’élevage et l’agriculture : et le chasseur devint paysan. L’Archéologue, 37, août 1998. Heinich, Nathalie (2016). De l’objet à la relation : une révolution copernicienne. Dans : Caillé, Alain et Chainal, Philippe (dir.). Au commencement était la relation… mais après ? Revue du MAUSS, 2016, n° 47, vol. 1, p. 30-31. La Découverte. ISBN : 9782707190512. IVS (2008). Étude d’incidence des cancers à proximité des usines d’incinération d’ordures ménagères. Institut de veille sanitaire, mars 2008. Keen, Steve (2014). L’imposture économique (Debunking Economics). Les Éditions de l’Atelier, 2014. Le Moigne, Jean-Louis (1999), La modélisation des systèmes complexes. Dunod, 1990, 2e édition, 1999) Lorenz, Edward N. (1972). Predictability: Does the Flap of a Butterfly’s Wings in Brazil Set Off a Tornado in Texas? Conférence à l’American Association for the Advancement of Science, 29 décembre 1972.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Morin, Edgar (1977). La méthode : tome 1, La nature de la nature. Le Seuil, 1977. Morin, Edgar (1980). La méthode : tome 2, La vie de la vie. Le Seuil, 1980. Morin, Edgar (1986). La méthode : tome 3, La connaissance de la connaissance. Le Seuil, 1986. Morin, Edgar (1995). La méthode : tome 4, Les idées. Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation. Le Seuil, 1995. Morin, Edgar (1996). Introduction à la pensée complexe. ESF éditeur, 1990, 6e édi‑ tion, 1996. Communication et complexité. Morin, Edgar (2001). La méthode : tome 5, L’humanité de l’humanité. L’identité humaine. Le Seuil, 2001. Morin, Edgar (2004). La méthode : tome 6, Éthique. Le Seuil, 2004. Morin, Edgar (2014). Le défi de la complexité [vidéo]. USI : Unexpected Sources of Inspiration : Talks précédents. [Consulté le 09/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.usievents.com/fr/talks/54-le-defi-de-la-complexite-edgar-morin Roddier, François (2012). Thermodynamique de l’évolution : Un essai de thermobio-sociologie. parole éditions, 2012. Sheldrake, Rupert (2013). Réenchanter la science. Albin Michel, 2013. Soffer, Olga, Adovasio, James M., Klima, Bohuslav (1996). Les tissus paléoli‑ thiques de Moravie. L’Archéologue, 25, oct. 1996, 9-11. Taleb, Nassim Nicholas (2008). Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible. Les Belles Lettres, 2008. Watzlawick, Paul, Helmick Beavin, Janet, Jackson, Don D. (1972). Une logique de la communication (traduit par J. Morche). Le Seuil, 1972. Zwirn, Hervé P. (2006). Les systèmes complexes. Mathématiques et biologie. Odile Jacob, 2006. Coll. sciences.
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
Corrigés des exercices Exercice 4.1 (Retirer ses billes)
Retour à l’énoncé : page 62
Il est tout à fait possible de négliger toutes les billes non affectées par le mouvement communiqué à la première (dans les configurations initiale et finale, ci-contre). 3 1 3 2 2
1
Le système a été réduit en ses quelques éléments significatifs du point de vue qui nous intéressait, à savoir son devenir après perturbation. Cependant, il faut remarquer que des effets sur le reste du système ont été négli‑ gés : des vibrations ont pu affecter d’autres billes ; le déplacement et les nouvelles positions des trois billes ont pu perturber leur voisinage, selon les matières et leur densité, à cause de l’électricité statique, du déplacement d’air, par exemple. Nous avons choisi de négliger ces épiphénomènes pour une représentation simpli‑ fiée, mais réductrice. L’approximation est acceptable pour la transformation élémentaire considérée, en deux étapes. En revanche, si les billes rebondissaient en cascade de nombreuses fois les unes sur les autres, pour la raison explicitée par le schéma du paragraphe « Imprédictibilité » (page 72), la prédiction de l’état final du système demanderait une prise en compte de plus en plus précise des conditions initiales. L’influence d’interactions de plus en plus ténues avec les billes devrait être introduite dans les calculs, au fur et à mesure que l’on voudrait prévoir l’état du système plus avant dans le futur. Anticiper la trajectoire d’une bille au neuvième impact nécessiterait de prendre en compte l’effet gravitationnel généré par le joueur ; pour le cinquantesixième impact, il faudrait introduire dans les calculs l’interaction générée avec la bille par toutes les particules élémentaires de l’univers (Berry, 1978) !
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Exercice 4.2 (contexte météorologique de l’avion)
0
1
2
3
4
5
6
7
Retour à l’énoncé : page 63
8
9 10 11
Le réflexe de simplification par omission du contexte peut provoquer des erreurs importantes. Dans cet exemple, le contexte est la masse d’air en mouvement que traverse l’avion. Un vent de travers régulier, suggéré par l’étirement transversal des cirrus, déplace la traînée de vapeur d’eau. La distance d’éloignement de cette vapeur par rapport au point d’émission est d’autant plus importante que l’éjection est ancienne. La traînée et la trajectoire de l’avion ne sont pas colinéaires. Sans la connaissance de la direction et de la vitesse du vent à l’altitude de l’avion, il est impossible de répondre à la question posée. « …un phénomène demeure incompréhensible tant que le champ d’observation n’est pas suffisamment large pour qu’y soit inclus le contexte dans lequel ledit phénomène se produit. » (Watzlawick et coll., 1972, p. 15).
Exercice 4.3 (illusion d’optique due au contexte)
Retour à l’énoncé : page 63
Il n’y a que trois couleurs. C’est l’environnement du vert, par l’orange ou le magenta, qui le fait paraître vert ou bleu. Le contexte est généralement important à considérer.
Exercice 4.4 (1, 2, 3 suite naturelle)
Retour à l’énoncé : page 74
Très probablement, vous aurez pensé « 4 » ! La question est en fait indécidable, parce qu’il existe une infinité de possibilités de passer de 2 à 3, partant de 1, comme le montre le tableau donné en page suivante. Un système simple peut néanmoins générer de l’imprédictibilité (voir annexe 4, Les automates cellulaires). Remarquez que vous vous êtes précipité sur une solution avant de « questionner » la question ! En situation réelle, nous procédons souvent ainsi, ce qui ferme d’emblée la possibilité de trouver une réponse plus satisfaisante.
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4. Systèmes (perçus) complexes: Propriétés fondamentales
1 1 1 1 1 1
2 2 2 2 2 2
3 3 3 3 3 3
1 1 1 1 1 1
2 2 2 2 2 2
3 3 3 3 3 3
? an + 1 an + an–1 ∑ai (i = 1 à n) an2 – an–1 an–1 (an + 1) (an–1)x + an x=2 x=3 x=4 x=5 x=6 x=…
Exercice 4.5 (l’intrus)
4 5 6 7 8
5 8 12 46 27
6 13 24 2 109 224
7 11 19 35 67 …
16 65 38 1 369 100 130 421 … … … … … …
… … … … … … … … … … …
Retour à l’énoncé : page 80
Seul dans la liste, l’automate n’est pas un système complexe, car : – ses éléments interactifs sont dénombrables ; – il ne tient pas sa cohésion organisationnelle de processus endogènes (la cohésion a été conférée par le concepteur-créateur humain) ; – la cohérence fonctionnelle est, certes, liée aux interactions internes, mais comme expression d’un plan pré-établi par l’ingénieur.
Exercice 4.6 (complot systémique)
Retour à l’énoncé : page 80
Le complot peut prendre sens selon une vision systémique, en tant que conjonc‑ tion d’intérêts, comme émergence de phénomènes, de comportements, de raison‑ nements, économiques et politiques assez stéréotypés, dont aucun n’est en soi un complot, mais dont la résultante débouche sur des conséquences semblables à celles d’un complot, du fait du caractère obscur des causes qui engendrent des dégâts à de vastes échelles. L’activité des grandes banques peut tout à fait être assimilée à un complot systémique. Pour un développement de la question du complot et des pseudo-sciences qui peuvent en alimenter la théorisation, se reporter à l’annexe 5 sur Le caractère normal de la déviance comme processus dialogique.
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5 Modéliser et concevoir Science et philosophie
« Voyageur, le chemin c’est les traces de tes pas C’est tout ; voyageur, il n’y a pas de chemin, Le chemin se fait en marchant… » Antonio Machado
Trois approches majeures de la conception sont possibles : le réductionnisme (modélisation cartésienne) est un cas particulier de la modélisation, valable pour les systèmes dits simples ou compliqués ; la modélisation de la complexité prise comme objet (« complexité restreinte ») est largement mise en œuvre dans le monde scientifique depuis l’avènement des puissants moyens de calcul ; la modélisation complexe (« complexité générale ») insère le sujet dans le système modélisé, transformant la conception ordinaire en « processus de conception de systèmes d’interactions fins-moyens » (Le Moigne, 1999). Cette troisième approche élargit la notion de raisonnement valable et privilégie la rationalité du projet par rapport au conformisme méthodologique. Il s’agit de mobiliser une intelligence de l’action intentionnelle et collective, qui dépasse la stricte intelligence méthodologique et résolutoire cadrée par des procédures et des règles. La modélisation complexe trouve une expression dans les démarches de co-construction et de gouvernance collaborative.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Qu’est-ce que modéliser ? « L’intelligibilité du compliqué se fait par simplification… L’intelligibilité du complexe se fait par modélisation (Nous ne raisonnons que sur des modèles assurait P. Valéry) ; la question dès lors devient : quelles méthodes pour modéliser la complexité. » (Le Moigne, 1999, p. 10). Pour rendre le réel intelligible, la cognition traite l’information issue de la per‑ ception selon des modalités qui dépendent notamment de l’intention du sujet et du langage qu’il adopte, commun, scientifique, mystique, etc. La cognition forge des représentations du réel. Une représentation devient un modèle lorsque celle-ci constitue elle-même un sytème défini, réduit, isomorphe à la représentation du réel perçu, et qui se prête à la manipulation mentale ou expérimentale, grâce à la maîtrise des paramètres, moins nombreux, moins interconnectés, plus directement accessibles que dans le réel. Cette définition peut se résumer par la formule conden‑ sée de Minsky (1965) : « Pour un observateur B, un objet A* est un modèle d’un objet A dans la mesure où B peut utiliser A* pour répondre aux questions qu’il se pose sur A ». À ce stade, la modélisation est cependant réduite à la construction d’une image du réel pour acquérir de la connaissance. Or, la maîtrise et le contrôle des systèmes, avec lesquels s’établit un dialogue dans le cadre des activités économiques, est une quête majeure d’Homo sapiens sapiens moderne. Un projet d’action peut s’appuyer sur un modèle de connaissance du système qu’il s’agit d’actionner, mais il peut faire lui-même l’objet d’une modélisation. Jean-Louis Le Moigne (1999, p. 5) propose la définition suivante de la modélisation. Action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier le raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant notamment à anticiper les conséquences de ces projets d’actions possibles. Les modèles peuvent avoir pour fonction d’expliquer, de prédire, d’éclairer la déci‑ sion, offrant une palette assez variée pour faciliter, selon Franck Varenne (2013, p. 11-49) : – une expérience (ex. : expérimentation sur les drosophiles, faciles à élever et au cycle de vie court) ; – une formulation intelligible (ex. : un schéma explicatif (Adam, 1999, et annexe 14), une analogie électrique) ; – une théorisation : modèle de fonctionnement (ex. : modèle planétaire pour l’atome) ; – la communication et la co-construction des savoirs (ex. : modélisation d’accom‑ pagnement (voir page 137) ; – la décision et l’action (ex. : modèles de prévision et de décision (ex. : modèle de gestion de crise)). Le modèle est un spectre du réel et tout l’art du modélisateur consiste à façonner un spectre qui ne soit ni trop épais (type modèle de mégadonnées) ni trop diaphane
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
(type modèle économique classique déconnecté des contextes) pour laisser transpa‑ raître, juste en filigrane, la représentation première du réel. La modélisation selon Descartes se voulait universelle et consiste à disjoindre l’objet d’étude en un nombre réduit de parties élémentaires supposées indépendantes. La Méthode a porté ses fruits jusqu’à la prise de conscience de l’interdépendance des causalités dans les systèmes réels. La rigueur méthodologique ne reposait plus désor‑ mais sur l’évidence (Descartes), mais sur la cohérence des diverses représentations d’un même système, ou modèles, qui correspondent à autant de points de vue et « il faut en adopter plusieurs sur un même système complexe, et du côté des modèles il faut se rappeler que le modèle-instrument n’a pas de vertu propre. Si l’expérimentateur se sert d’un modèle pour éviter de répondre expérimentalement à certaines questions, alors ce modèle devient dangereux. » (Legay, 1997, p. 31). La nature d’un modèle, « …objet médiateur qui a pour fonction de faciliter une opération cognitive dans le cadre d’un questionnement orienté… » (Varenne, 2013, p. 13,14) ne préjuge en rien de sa fonction et peut s’étendre dans un registre étendu. Il peut s’agir d’un modèle formel faisant appel à des symboles et à une syntaxe, comme les équations mathématiques, à des entités fictives, comme des agents d’un système multi-agents, ou bien il peut s’agir d’un modèle physique, constitué d’entités réelles, comme des automates, des macromolécules, des micro-organismes. Disposer d’un modèle, système transposé du système réel, permet d’observer les réponses qu’il donne quand on l’actionne. On considère le fonctionnement du modèle comme un simu‑ lacre des phénomènes réels dans cette phase expérimentale dite de « simulation ». La conception d’un modèle offre la liberté de simuler le réel dans ses réponses à des variations de paramètres ou des perturbations intentionnellement explorées. Mais cette liberté est plus fondamentale encore, comme le rappellent Olivier Godard et Jean-Marie Legay (1992a) : L’épistémologie constructiviste fait du système une représentation, construite par le chercheur, qui se révèle être féconde pour comprendre et agir sur une réalité. Le système est donc dans la tête du chercheur. Il participe d’un mode de connaissance d’une réalité dont l’essence nous demeure inaccessible, mais qui se manifeste à nous au travers de nos facultés de perception et de nos instruments d’observation et de manipulation. Dès lors, le chercheur est libre, a priori, de construire son système en fonction de son projet, et en particulier de placer les frontières là où cela lui paraît le plus pratique. C’est au vu des résultats prédictifs du modèle qu’il jugera si ses choix étaient, pour son projet, satisfaisants. C’est donc en complexité que le concepteur pourra s’évertuer à rechercher un modèle ad hoc du système auquel il est confronté, imprégné de l’idée que les régularités observées ne sont aucunement gage de véracité. Après l’introduction des mathéma‑ tiques en économie, qui maquillent des visions d’experts derrière l’écran d’un for‑ malisme rigoureux et rassurent le monde politique, l’avènement de la modélisation pourrait ne faire que changer l’habit de l’idéologie sous-jacente qu’il conviendrait sans doute de rendre explicite pour remettre au cœur du politique les questions fondamentales non réductibles à la rationalité formelle. Les modèles sont utiles si le modélisateur garde la conscience de sa subjectivité en relation avec celle des autres.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
L’objectivité ne réside aucunement dans la méthode, mais elle peut être considérée comme la résultante de la confrontation des subjectivités, processus dans lequel les modèles bien compris peuvent nourrir utilement la réflexion. La notion de système complexe objectivé et la pensée en complexité peuvent être envisagées en dualité et complémentarité, à des fins pragmatiques et heuristiques (Rodriguez Zoya et Roggero, 2011). La suite du texte cheminera sur trois registres, de la modélisation analytique à la pensée en complexité (ou modélisation com‑ plexe), en passant par la modélisation des systèmes complexes (ou modélisation de la complexité).
Diversité et sophistication de la modélisation Première approche La modélisation analytique ou réductionnisme La modélisation cartésienne classique consiste en la recherche de lois, déterministes ou stochastiques, descriptives des phénomènes du réel. Elle a fait faire un bond à la connaissance dans la période historique récente. Cependant, des conditions sont requises pour pouvoir « extraire » une loi de l’observation : …le phénomène est décrit par un petit nombre de variables décisives ; celles-ci sont accessibles à la mesure et en tout cas à l’expérience ; au moins un état peut être complètement exploré et servir de conditions initiales ; les hypothèses générales de fonctionnement du système incluant le phénomène étudié sont parfaitement stables, ce qui autorise une prédiction par extrapolation. Il ne peut donc s’agir que de situations exceptionnellement simples. C’est d’elles que s’est nourri le développement scientifique et technique des deux siècles derniers. (Godard et Legay, 1992b) La Méthode explicative de Descartes (voir annexe 6, La méthode cartésienne) est appropriée à l’établissement de lois. En effet, elle offre une représentation en sys‑ tème fermé, constitué de parties évidentes et exhaustivement dénombrables, soumis à la causalité linéaire et à la croyance en l’objectivité du percept. La méthode et l’établissement de lois résultent d’une pensée disjonctive, qui sépare pour expliquer. L’esprit moderne se satisfait de l’établissement de relations de causes à effets pour décider de l’intelligibilité du réel (voir annexe 13, Causalité et dualité en complexité). C’est un peu comme si l’on se bornait à décrire les attelages entre les wagons d’un train, expliquant leur enchaînement linéaire, pour tenter de comprendre le train : que saurions-nous du contenu des wagons et de leur destination ? Rien. La causalité explique, mais ne donne rien à comprendre. « La croyance au rapport de cause à effet est la superstition. » (Wittgenstein, p. 109, 5.1361). F. Nietzsche disait (1982, p. 142, § 112) : …et nous concluons : telle chose doit se produire d’abord pour que telle autre suive, – mais quant à comprendre quoi que ce soit, nous n’en sommes pas plus
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
avancés […] Un intellect capable de voir la cause et l’effet non pas à notre manière en tant que l’être arbitrairement divisé et morcelé, mais en tant que continuum, donc capable de voir le fleuve des évènements – rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait toute conditionnalité. Daniel Kahneman (2012) a montré le tropisme de la cognition pour la causalité et mis en évidence les illusions et les biais qui en découlent. Ce qu’il désigne par le Système 1, au fonctionnement rapide, intuitif et émotionnel, par opposition au Système 2, plus logique, mais plus lent, construit avec insistance des interprétations causales, là où il n’y a que relation statistique ou simple corrélation. Le traitement analytique d’un problème posé par un système complexe dégrade cependant l’intelligibilité du système. C’est en quelque sorte comme si l’on privi‑ légiait quelques fils plus gros et plus rectilignes dans un écheveau, en négligeant les autres, considérant qu’ils constituent une charpente suffisante pour la compréhen‑ sion du tout. Cependant, la multitude des petits liens transversaux sont actifs et conditionnent aussi le comportement des fils décrétés maîtres. La coupure, la hié‑ rarchie et l’isolement conceptuels de certains brins exposent le raisonnement à des carences pourvoyeuses de très mauvaises surprises. Ce risque est avéré en médecine, en agriculture, en éducation, lorsque le vivant et en particulier l’humain sont consi‑ dérés comme des juxtapositions d’organes et de fonctions autonomes, peu ou pas liées entre elles. Les résultats spectaculaires obtenus en première instance masquent tragiquement une couche de phénomènes plus profonds, plus diffus, à constante de temps plus longue, qui dégradent l’homéostasie des systèmes avec menace d’effon‑ drement brutal. Selon la modélisation ternaire proposée par Jean-Louis Le Moigne (2006, p. 64), la pensée analytique disjoint trois pôles de questionnement relatif à un objet d’étude, avec la focalisation sur (figure 5.1) : – l’objet en soi : de quoi est-il fait ? – le fonctionnement de l’objet : comment « ça marche » ? – le contexte diachronique/synchronique de l’objet : que devient-il ? OBJET De quoi c’est fait ?
FONCTIONNEMENT DE L’OBJET Comment ça marche ?
VISION DIACHRONIQUE DE L’OBJET Ça devient quoi ?
Figure 5.1 Vision analytique pluridisciplinaire d’un objet prétendu connaissable en soi (d’après J.-L. Le Moigne (2006, p. 64).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Chaque pôle est abordé dans une optique ontologique, c’est-à-dire que l’histoire de l’objet, par exemple, est étudiée comme un « objet-histoire » connaissable en soi. Pour un organisme vivant, par exemple, les disciplines scientifiques mobili‑ sables pour chaque pôle, anatomie (de quoi c’est fait), physiologie (comment ça marche), évolution (ce que ça devient) sont déconnectées ou juxtaposées dans une pluridisciplinarité. Cependant, pour la plupart des systèmes, les pôles sont à considérer en interaction : il est admis que l’anatomie et la physiologie sont interdépendantes, que l’histoire d’un organisme affecte son fonctionnement, mais l’interaction peut aller beaucoup plus loin, avec notamment l’épigénétique 1. Nous allons voir que la modélisation peut porter sur un continuum entre chaque pôle de la représentation ternaire, deve‑ nant alors modélisation de la complexité. La modélisation analytique, qui va rechercher une loi descriptive, déterministe ou stochastique, formalisable mathématiquement, est entachée de divers inconvénients. La causalité, supposée linéaire, nécessite la connaissance des conditions initiales qui ne sont pas forcément accessibles. En outre, sont négligées : les petites variations (éventuellement aléatoires) de certains paramètres pouvant générer des effets consé‑ quents ; l’éventuelle instabilité du système ; les interactions avec un contexte évo‑ lutif, etc. Enfin, pour un système d’entités diversifiées, le raisonnement et le calcul portent sur un individu moyen qui n’a pas de signification réelle.
Exemple de modélisation analytique Modélisation mathématique et algorithmique
La modélisation mathématique recherche, dans les systèmes, des régularités qui se prêtent à une description générique formelle : E = mc2 pour l’équivalence de l’éner‑ gie et de la masse ; F = mg pour l’expression de la force en jeu sur une masse soumise à une accélération. Un problème est décrit par des équations différentielles dont la résolution fournit des expressions concentrées décrivant le phénomène de manière continue, dès lors que les conditions initiales sont connues. Pour un réservoir d’eau tampon connecté à une alimentation, on dira que la variation du volume d’eau disponible par unité de temps est égale à la différence des débits entrant et sortant : dV/dt = De – Ds. La résolution est plus ou moins compliquée selon que les débits dépendent ou non du temps. Dans le cas le plus simple de débits constants, V0 étant le volume à l’instant initial, la solution est : V = (De – Ds) t + V0. Les équations n’étant pas toujours solubles, des méthodes de calcul numérique peuvent être mises en œuvre pour approcher les solutions. Des systèmes aussi complexes que les végétaux peuvent ainsi être modélisés au moyen d’algorithmes de calcul pour rendre compte de leur croissance et de leur architecture (Reffye et Jaeger, 2013). Ce champ de modélisation très vaste imprègne notre culture, non pas que les compétences mathématiques requises soit particulièrement répandues, mais 1. Modulation de l’expression des gènes par des facteurs environnementaux, pouvant aller jusqu’à l’hérédité de caractères acquis (de Rosnay, 2016).
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
du fait qu’il résonne avec la représentation dominante que nous nous faisons de la science, basée sur les enseignements fondamentaux en physique et en mathéma‑ tiques que la plupart ont reçus.
Deuxième approche La modélisation de la complexité La complexité est ici envisagée comme objet. Selon le refrain d’Edgar Morin, « Relier, toujours relier », la question posée dans un but de modélisation sera désormais « qu’est-ce que cela fait avec son contexte ? » (figure 5.2). OBJET De quoi c’est fait ?
Qu’est-ce que cela fait, avec son contexte et pour quoi ?
FONCTIONNEMENT DE L’OBJET Comment ça marche ?
CONTEXTE DIACHRONIQUE ET SYNCHRONIQUE DE L’OBJET
Ça devient quoi ?
Figure 5.2 Une organisation fonctionne avec un contexte et en vue d’un projet, c’est pourquoi la modélisation peut relier les pôles du questionnement (d’après J.-L. Le Moigne, 2006, p. 64).
La vision reliante, qui ne coupe pas le système étudié pour le simplifier, qui consi‑ dère le grand nombre des variables et les interactions, oblige à reconsidérer la méthodologie scientifique. Les systèmes complexes sont « irréductibles à un modèle unique et complètement calculable. » (Le Moigne, 1999, p. 9). La sophistication des méthodes, des outils et des langages informatiques accroissent considérablement la capacité de traitement des données, qui peuvent être « massives », mais au prix de la compréhension globale, notamment par manque de vision transdisciplinaire (Deffuant et coll., 2015). Néanmoins, pour « réduire » la complexité, il faudrait pouvoir collecter et traiter une infinité de données et obtenir une précision infinie sur les conditions initiales, à cause de la divergence rapide des évolutions, très sen‑ sibles à ces conditions (voir § Imprédictibilité, en page 72). En rupture par rapport à la voie de l’extension calculatoire, une sophistication dans l’examen des systèmes complexes consiste à renoncer à ce qui prévalait dans l’ap‑ proche réductrice : recherche de lois fixes, inventaire et quantification de toutes les variables, caractérisation de l’état initial, indépendance des causes et stabilité
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
du système. En conséquence, il existe une pluralité des constructions possibles (modèles) pour représenter et comprendre un phénomène ou une organisation. La compréhension du système s’obtient par l’observation du comportement du modèle soumis à un jeu varié d’hypothèses et d’évènements, à même de cerner la dimension téléologique de l’organisation, qui fonctionne toujours en vue d’un projet. Une seconde sophistication du questionnement est alors envisageable : « qu’est-ce que cela fait avec son contexte » et « pour quoi ? ».
Exemples de modélisation de la complexité Les méthodes de modélisation de la complexité sont nombreuses. Elles dépendent du champ d’investigation (physique, social, agronomique, écologique, etc.), des buts poursuivis (description, explication, prédiction, action, etc.), des moyens dispo‑ nibles (outils numériques, automates, etc.), des options épistémologiques adoptées (réalisme, constructivisme, anarchisme épistémologique, etc.)… Cette diversité peut faire l’objet de typologies dont un panorama exhaustif sortirait de l’ambition limitée du présent ouvrage (on pourra se référer par exemple à Legay, 1997 et Varenne, 2013). À titre d’exemples, les ouvrages Complexité et désordre (Lévy, 2015) et Modéliser et simuler (Varenne et Silberstein, 2013) proposent de nombreux cas intéressants de modélisation de systèmes complexes dans des domaines variés : physique, cosmo‑ logie, géographie, biologie, écologie, urbanisme, sociologie, etc. Mentionnons aussi le chapitre introductif de l’ouvrage intitulé Conception systémique pour la conversion d’énergie électrique 1 ; Gestion, analyse et synthèse (Astier et coll., 2012), qui propose une revue épistémologique synthétique de la systémique et qui éclaire sur la façon dont les univers techniciens se saisissent de la notion de complexité. La conception d’un modèle nécessite de le tester pour des situations connues afin de légitimer l’exploration des réponses en situation floue ou inconnue (prospective, par exemple). Cette phase est appelée « simulation ». En général, la simulation ne donne pas une solution unique, mais une famille de solutions plus ou moins pertinentes en fonction de l’objectif poursuivi. De nombreuses méthodes ont été inventées pour rechercher la meilleure solution, ou plus probablement, la meilleure solution accep‑ table (dont on ne saura pas si elle est effectivement la meilleure de toutes). Cette phase est l’optimisation, qui s’appuie sur des techniques pouvant être analytiques, combinatoires (ex. théorie des jeux), heuristiques (ex. recuit simulé, algorithmes génétiques), (entrée en matière sur Wikipédia (2016a), rubrique Optimisation). Modélisation par analogie
Un système complexe peut être représenté comme l’analogue d’un autre système pour lequel des raisonnements sont classiques, voire des lois sont connues. Ainsi, on peut assimiler le système économique ou une organisation (entreprise, ville, par exemple), à un système thermodynamique. Les grandeurs du système à étudier sont mises en correspondance avec des homologues thermodynamiques, volume, pres‑ sion, température, énergie interne, entropie, etc. La cohérence thermodynamique doit être vérifiée : quelles sont les variables d’état, les grandeurs sont-elles intensives
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
ou extensives, se retrouvent-elles impliquées de manière cohérente dans les diffé‑ rentes équations thermodynamiques qui lient les grandeurs entre elles ? Un exemple intéressant où l’économie est traitée comme un système thermodynamique est pré‑ senté par François Roddier (2016a,b,c), auteur de Thermodynamique de l’évolution (Roddier, 2012). Une fois l’analogie construite, on est ramené au cas précédent de modélisation avec le traitement mathématique des équations. Modélisation par automates cellulaires
Modéliser selon un automate cellulaire consiste à faire évoluer un système d’entités discrètes sur la base d’une règle pré-établie qui conditionne le devenir des entités et s’applique, à chaque pas de temps, à chacune d’elles. L’automate s’organise peu à peu vers des configurations imprédictibles, comportant des arrangements d’entités plus ou moins stables, ou des configurations à évolution cyclique, à l’instar des systèmes réels auto-organisés (pour plus de détail sur les automates cellulaires, se reporter à l’annexe 4). Les propriétés de comportement des automates cellulaires se prêtent ainsi à la modélisation de divers phénomènes réels relevant de la physique, de la biologie, de l’écologie, etc. En écologie, les automates cellulaires sont utilisés dans divers champs de recherche, pour modéliser, par exemple, l’évolution de la répartition d’es‑ pèces en compétition en fonction de la configuration initiale des populations (Rácz et Karsai, 2006) ou le devenir des populations animales soumises à la fragmentation anthropique des paysages (Cairns, 2001). En physique, les automates cellulaires ont permis de modéliser l’oxydation du silicium par diffusion d’oxygène pour la fabrication de composants élec‑ troniques de circuits imprimés, dans le cas complexe de surfaces non planes avec frontières et en présence de distribution de température non constante ou de contamination du silicium inhibitrice de la diffusion d’oxygène (Sirakoulis et coll., 1999). Modélisation en réseau de neurones
Le principe consiste à faire transiter une information initiale dans un réseau numé‑ rique constitué de cellules de calcul (les neurones, nœuds du réseau) interconnec‑ tées, et de recueillir l’information transformée, en sortie de réseau. Chaque neurone collecte les informations de tous les neurones de la couche d’amont pour les agréger selon une loi mathématique simple. Une pondération de l’information intervient au niveau de chaque liaison. Ces pondérations sont ajustées par des méthodes d’optimi‑ sation de telle sorte que les paramètres de sortie (vecteur des sorties) correspondent à ce qui est attendu à partir des paramètres d’entrée choisis. Ce réglage est la phase d’apprentissage du réseau. Ensuite, il suffit de faire varier les paramètres d’entrée pour explorer les réponses du système modélisé. Le réseau de neurones est tout à fait approprié aux systèmes non linéaires, présentant par exemple des effets de seuil, mais il constitue une « boîte noire » qui n’offre pas d’apport dans la compréhension
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des processus en jeu dans le système modélisé, bien qu’il soit cependant possible « d’ouvrir la boîte » pour conférer une signification au fonctionnement d’un neu‑ rone en le reliant à des régularités du système (Monteil et coll., 2005). La modélisation des systèmes non linéaires par réseau de neurones trouve des applications très diverses en recherche et en ingénierie. À titre d’exemple, le colmatage des membranes à fibres creuses dans le procédé d’ultrafiltration de l’eau potable a pu être étudié de la sorte (Delgrange et coll., 1998). En effet, il est assez complexe de maximaliser la durée de fonctionnement des mem‑ branes sans dépasser un niveau de colmatage excessif et irréversible pour des eaux naturelles chargées de matières organiques et dont la turbidité fluctue au cours du temps et des saisons. La modélisation par réseau de neurones de ces installations tributaires de nombreux paramètres interdépendants per‑ met de prédire l’évolution des membranes et d’améliorer la conduite des installations. Modélisation multi-agents
Il convient de revenir sur les notions d’objet et de propriété pour mieux comprendre la pertinence des modèles multi-agents. La tradition veut que le réel soit consti‑ tué d’objets (planète, arbre, table, etc.), pourvus de propriétés (massique, irrégulier, dense, vivant, inerte, etc.). Les objets sont des entités, mais pas les propriétés. Un courant de la physique moderne propose d’inverser cette vision en considérant que les propriétés ont une existence propre, mais pas les objets, qui sont à interpréter comme des faisceaux de propriétés (Kuhlmann, 2014). Cette conception du réel peut inspirer l’approche concrète des systèmes écologiques ou anthropiques. La modélisation multi-agents a pu se développer grâce à la « programmation par objets » ou « programmation orientée objet » qui manipule des entités informa‑ tiques autonomes, opaques pour l’utilisateur, qui n’en connaît que les manifesta‑ tions externes, au travers des relations qui s’établissent entre des entités déterminées par leurs propriétés. En première approche, on peut considérer un système multiagents comme un automate cellulaire plus sophistiqué, où la règle de transforma‑ tion n’est pas unique et valable pour toutes les entités (ou agents), mais où chacune est pourvue de sa propre règle de fonctionnement. Il peut subsister une méta-règle « universelle » qui définira, en quelque sorte, les conditions de l’environnement. Dans un système donné, imaginons avoir identifié une corrélation entre des phé‑ nomènes mettant en jeu des agents (par exemple, entre le taux de chômage et le nombre de suicides, entre des populations animales liées par des relations de préda‑ tion, etc.). La modélisation « individus-centrés », ou « modélisation multi-agents », va raisonner sur les objets ou agents du système. L’agent n’est pas considéré du point de vue de sa nature, de sa constitution, de son fonctionnement interne, mais en tant qu’entité discrète appréhendée au travers de ses propriétés et interactions externes. Un agent perçoit de l’information, communique avec les autres et peut apprendre. Ses actions sont tributaires de ressources, d’informations, de rôles, et justifiées par des objectifs. Les agents interagissent directement ou via l’environnement, vecteur
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d’information. Chaque nouvelle configuration du système oriente les comporte‑ ments mutuels des agents dont le modèle rend compte au fil du temps. Alors que les modèles mathématiques à équations moyennent les propriétés des populations d’objets, la modélisation multi-agents rend compte de ce que la variabilité du com‑ portement particulier d’un agent peut engendrer des répercussions majeures, à l’échelle du système entier. Il est possible d’examiner les incidences d’hypothèses locales à l’échelle globale. La modélisation individus centrés a pu être mise en œuvre pour comprendre les mécanismes du vivant, notamment par la simulation de la formation de structures multiprotéiques (Gandrillon, 2013). En sciences humaines, on pourra se reporter à un ouvrage dédié de Amblard et Phan (2006). La modé‑ lisation multi-agents est, par exemple, utilisée pour déterminer la stratégie commerciale sur un marché, à propos de conflit militaire, pour étudier l’évo‑ lution de l’usage des terres et de la propriété, et bien d’autres cas évoqués par Juliette Rouchier dans un article qui examine diverses méthodes de validation de modèles par la communauté scientifique en sciences sociales (Rouchier, 2013). Claude Monteil a mis en œuvre la modélisation individus-centrés ou multi-agents, en rappelant la distinction que l’on peut en faire (Monteil, 2011, p. 50) dans l’étude de la dynamique hivernale d’insectes de la famille des Syrphidae en fonction des caractéristiques paysagères (Monteil, 2011, p. 50-55) et dans l’examen de la colonisation spontanée des espaces agropastoraux de montagne par le frêne (Monteil, 2011, p. 55-63). Bien que spécialisés, les travaux de Claude Monteil présentent néanmoins un intérêt méthodologique et épistémologique, avec l’examen comparé de la pertinence de divers types de modélisation et par une réflexion d’ordre général sur la modélisation de la complexité.
Limites de la modélisation de la complexité Un engouement pour la modélisation de la complexité existe notamment en sciences sociales afin de pallier le simplisme des modèles économiques classiques (agents uniformes et rationnels, notamment). Cependant, il convient de garder à l’esprit qu’un modèle est une construction qui recèle de l’arbitraire : « l’avantage ’décisif ’ des modèles multiagents, leur « flexibilité extrême », représente également leur inconvénient le plus fort. Car en l’absence de théorie sous-jacente validée (comme il en existe en sciences naturelles), cette flexibilité permet d’introduire des mécanismes arbitraires, ajustables dans une large mesure et difficiles à valider empiriquement. » (Jensen, 2015). La simu‑ lation peut révéler qu’un modèle est extrêmement sensible aux petites variations d’un paramètre et donner facilement des résultats divergents. Elle peut également faire converger les résultats vers un optimum local, trompeur s’il n’est pas reconnu comme tel. En effet, dans le cas d’une organisation complexe, un optimum global peut exister sans que le fonctionnement ne soit optimal à aucune des échelles inter‑ médiaires. Les limites de la modélisation multi-agents, en particulier dans le champ social, résident dans le nombre limité des comportements des agents, dans le fait
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qu’ils n’ont pas de représentation de l’environnement, dans la prédétermination des règles d’action des agents, qui ne laisse pas place à l’aléa, au libre-arbitre ni à la subjectivité observables dans les systèmes humains. Ainsi, « il faudra surtout retenir les vertus heuristiques de ces modélisations SMA plus que leurs interprétations prescriptives. » (Le Moigne et Garcia, 2012). C’est pourquoi il convient d’être très prudent dans l’utilisation des modèles, notamment en sciences sociales. On croit actuellement pouvoir améliorer la fiabilité des modèles et de leurs prédic‑ tions grâce à diverses sophistications faisant intervenir un traitement statistique des scénarios générés par la simulation ou grâce à l’accroissement des données prises en compte que permettent les progrès informatiques. Ces deux voies sont commen‑ tées ci-après. Cependant, il se pose toujours la question du domaine de validité du modèle, qui dépend du modélisateur (périmètre du système, hypothèses, but poursuivi, etc.), ce qui justifie une approche de la modélisation, non pas « de la complexité », mais « en complexité » et qui fera l’objet du chapitre suivant.
Les mégadonnées 2 Les progrès informatiques et le développement des médias numériques permettent de collecter, de stocker et d’exploiter un nombre de données toujours plus consi‑ dérable. Les algorithmes de plus en plus sophistiqués, capables d’apprentissage et pouvant traiter statistiquement de grandes quantités de données rapidement, voire en temps réel, semblent offrir des perspectives affinées et fiables d’analyse et de prédiction (voir annexe 7, Approche statistique de la simulation). Les mégadon‑ nées confortent la croyance en la possibilité de démontrer certaines affabulations scientistes : rien n’étaye l’explication de la conscience comme sécrétion physicochimique du cerveau, mais la perspective d’accroître indéfiniment les données peut faire perdurer le mythe (Sheldrake, 2013, p. 134). Cependant, on note parfois un certain regain de lucidité après l’engouement suscité par les mégadonnées. Ainsi, la génomique laissait entrevoir la possibilité d’une médecine personnalisée, mais M. J. Khoury déplorait à ce sujet, en 2010, soit dix ans après la première carte du génome humain, que « Never before has the gap between the quantity of information and our ability to interpret it been so great » 3. L’augmentation des données rapproche le modèle de la complexité qu’il prétend réduire, mais ce faisant, il acquiert luimême une complexité qui le rend inutile. Selon Berry et Beslon (2013, p. 327) : 2. « Mégadonnées », en lieu et place de l’expression anglaise « big data », selon les recomman‑ dations de l’Académie française (Académie fr., 2016). La viabilité des organisations complexes dépend de leur aptitude à créer du lien dans la diversité. Pour cette raison notamment, la diversité culturelle est souhaitable pour l’humanité future. La langue anglaise, qui s’est imposée comme langue internationale, favorise le lien, mais elle ne doit pas estomper la diversité culturelle. C’est pourquoi chaque culture doit s’efforcer de préserver sa propre langue (la moitié des quelque 7 000 langues parlées aujourd’hui disparaîtront d’ici la fin du siècle (Elf, 2016)). C’est dans cette conception complexe de la richesse culturelle que l’auteur s’interdit l’emploi abusif de l’anglais, que d’aucuns véhiculent par négligence, laxisme, conformisme, snobisme ou fascination pour le monde anglo-saxon des affaires. 3. Jamais l’écart n’a été aussi grand entre la quantité d’information et notre capacité d’interpré‑ tation.
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La masse de données accumulée sur les éléments constituant les systèmes biologiques a indirectement ouvert une boîte de Pandore : contrairement à ce qui a été prétendu, par exemple dans le projet Human Genome, il n’est plus possible de considérer que la compréhension de l’activité d’un système biologique proviendra de cette accumulation, pour la bonne et simple raison que l’organisation des constituants n’est pas contenue dans la description de ces mêmes constituants, aussi détaillée soit-elle. Les mégadonnées incitent les décideurs à s’affranchir de la subjectivité, à légitimer des choix politiques par la rationalité instrumentale, tandis que les consommateurs sont choyés par des stimuli de plus en plus personnalisés. Ce monde numérique nouveau, qui peut paraître enchanteur, pose cependant des questions importantes et graves. Il est notoire que le traitement des informations numériques demande une quantité croissante d’énergie et que la liberté apparente du consommateur se paie en libertés civiques, dans l’allégeance au monde marchand et politique (Ramonet, 2016 ; Fleurance, 2015). En fin de compte, derrière les mégadonnées et les super-ordinateurs, fussent-ils quantiques, se cache, sciemment ou non, de l’intel‑ ligence humaine concentrée, ce qui met en question la dimension politique d’une société livrée au diktat numérique (Supiot, 2015 ; Cardon, 2015). Quoi qu’on en dise, un algorithme n’est pas intelligent, car dénué de sensibilité émotive, d’ordre affectif ou esthétique, et dénué de dimension symbolique, propres à l’humain. Pour cette raison, les ruptures innovantes issues de processus cognitifs non rationnels (sensibilité, émotion, intuition) n’ont pas d’équivalent pour les machines (les irrégularités aléatoires n’étant d’aucun intérêt). Plus les données sont prégnantes, plus la tradition s’incruste, à cause de la stricte rationalité des processus algorith‑ miques. Les données, comme l’indique leur nom, expriment ce qui relève du fait et de l’antériorité. Ainsi, l’usage massif des données dans la prévision ne fait que renfor‑ cer le système établi, selon des perspectives tendancielles obtenues par extrapolation du passé vers le futur, générant un cercle vicieux d’autovalidation. La « prospective libre » (Courrège et coll., 1982), associant créativité et libre-arbitre dans la défini‑ tion collective d’un projet de société, risque bien, malheureusement, de perdre son attrait par la prise de risque qu’elle suggère, au regard de la sécurité méthodologique de la prévision algorithmique – nonobstant la confusion entre la sécurité méthodo‑ logique et la sûreté des solutions. On oublie un peu vite que se tromper est légitime et que c’est une condition de l’apprentissage et du progrès, à condition de savoir reconnaître l’erreur pour y remédier. Le dogme de l’infaillibilité qui prévaut chez les décideurs prête évidemment un grand charme à la gouvernance algorithmique. Les mégadonnées offrent également prise à la critique scientifique et épistémo‑ logique. Un modèle est une approximation et sa sophistication pour tenter de le « faire coller » à la réalité est illusoire, en raison du deuxième principe de la thermo‑ dynamique et son corollaire sur les rendements décroissants (figure 5.3-1). Ainsi, il faut investir toujours plus d’énergie, de temps et d’argent, pour accroître de moins en moins significativement les données collectées nécessaires à l’affinement d’un modèle. Inéluctablement, plus la quantité de données augmente, plus elles contiennent de bruit tenu pour de l’information pertinente. La performance du modèle (précision,
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fiabilité, etc.) peut s’en trouver affectée. En revanche la croyance en la performance du résultat augmente ! (figure 5.3-2) Gain
Figure 5.3-1 • Un re
être modélisé par un gain, quel qu’il so consenti (énergie, te
effort Figure 5.3-1 Un rendement décroissant peut être modélisé par une fonction asymptotique du gain, quel qu’il soit, par rapport à l’effort consenti (énergie, temps, argent, etc.)
Gain Confiance dans les résultats Effort Figure 5.3-2 Le sentiment que l’accroissement indédini du nombre ou de la qualité des données destinées à façonner un modèle renforce sa fiabilité est une croyance répandue, mais infondée.
Dans une logique de reproduction explicative du réel, il s’agit de rechercher un compromis entre l’effort fourni et la complétude ou/et la fiabilité du modèle (nous verrons, au prochain chapitre, que dans une logique projective, la question se pose en d’autres termes). Les hypothèses et les approximations permettent d’améliorer le rendement de la modélisation, par augmentation de la puissance du modèle, avec moins de données, donc moins d’effort de collecte. Cependant, en-deçà d’un certain seuil, le rende‑ ment se paie en fiabilité. La modélisation de la complexité requiert une recherche de la meilleure combinai‑ son possible entre l’effort à fournir pour construire le modèle, le rendement en qua‑ lité/quantité de données, les hypothèses et approximations simplificatrices. Au-delà
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d’un certain seuil, l’effort consenti est exorbitant et il faut savoir se contenter d’une situation à peu près satisfaisante (figure 5.4). puissance du modèle Phénomène réel + Hypothèses, approximations données d’entrée (énergie investie)
Figure 5.4 • Les hypoth
mations permettent de ré dans la collecte des don puissance de description du modélisateur est de t satisfaisant entre la complexification excess conditions, une modélis aussi constituer une répo
Figure 5.4 Les hypothèses et les approximations permettent de réduire l’investissement dans la collecte des données pour une même puissance de description ou de prédiction. L’art du modélisateur est de trouver un compromis satisfaisant entre la simplification et la complexification excessives. Sous certaines conditions, une modélisation modulaire peut aussi constituer une réponse (Astier, 2012).
combinaison possible entre l’effort à fournir pour con le rendement en qualité/quantité de données, l approximations simplificatrices. Au-delà d’un cert consenti est exorbitant et il faut savoir se contenter d’ N’oublions jamais que la carte n’est pas le territoire, et restons vigilants quant au près satisfaisante. risque de dérive démiurgique de la technoscience, dans sa tentation de faire de la carte une copie conforme du territoire, vue de la maîtrise toujours plus pas poussée N’oublions en jamais que la carte n’est le territoire, e des systèmes (Xsys, 2017, p. 2) : « Le monde numérique […] a permis de produire une quant au risque de dérive démiurgique grande quantité de données sur la façon dont ces systèmes fonctionnent, ce qui, combiné àde la techn l’augmentation des puissances de calculde et defaire stockage, accès copie renouveléconforme vers tentation dealaautorisé carteunune du te la compréhension et la maîtrise de la complexité. ». la maîtrise toujours plus poussée des systèmes (xSYS Au sujet de la modélisation multi-agents, Pierre Bommel (2009, p. 225), dans une monde numérique a permis de produire une g thèse consacrée à la méthodologie de la conception[…] des modèles multi-agents et à leur évaluation, nous rappelle à la lucidité : données sur la façon dont ces systèmes fonctionnent, N’imposant pas de limites, les SMA [système offrentdela calcul possibilité et de stock l’augmentation desmulti-agents] puissances de complexifier sans fin les modèles. Ceci est problématique car les chances de faire renouvelé vers lalacompréhension et la maîtrise d apparaître des erreursaccès ou des artéfacts augmentent avec complexification. En outre, la description claire du impossible.multi-agents, Il est très difficile dePierre Bomm Aumodèle sujetdevient de larapidement modélisation communiquer les concepts et de les partager avec d’autres. L’absence de transparence dans une thèse consacrée à la méthodologie de l empêche alors toute critique. Mais c’est surtout le rêve de « représenter la réalité » multi-agents et àvirtuel leursemblable évaluation, qui pose problème. Ilmodèles est vain de vouloir recréer un monde au réel. nous rappe Au-delà de la question de la complexité, il est illusoire de chercher la neutralité car N’imposant de subjectif. limites, les SMA [système un modèle est un point de vue sur le monde, pas forcément
mul possibilité sans fin modèles. Ceci e Quand le modélisateur prétend concevoirde descomplexifier modèles qui tendent vers les la com‑ de faire apparaître des erreurs plexité de ce qu’il modélise, à les quoichances bon modéliser, puisqu’aucune connaissance n’estou des artéfa s’il a oublié la question posée et son sens ? produite ; à quoi bon modéliser, la complexification. En outre, la description claire rapidement impossible. Il est très difficile de commun de les partager avec d’autres. L’absence de transparence critique. Mais c’est surtout le rêve de "représenter 105 problème. Il est vain de vouloir recréer un monde virtu Au-delà de la question de la complexité, il est illus
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Troisième approche La modélisation complexe La complexité est ici envisagée comme mode d’appréhension d’un objet. Il y a toujours une intention derrière l’acte de modéliser. Cette intention peut viser à expliquer le système ou à expliquer pour agir, ou encore à agir sans chercher à expli‑ quer. Le premier cas est celui de la recherche non utilitariste, dédiée à la connaissance (cosmologie, histoire de l’art, etc.). Le deuxième concerne la recherche appliquée et la médecine, qui n’accepte pas les méthodes, même efficaces et non dangereuses, dont les mécanismes ne sont pas scientifiquement expliqués (voir § Médecine systémique en page 140). Le troisième cas est celui des bricoleurs, des ingénieurs, qui ne se conçoivent pas comme des applicateurs de connaissances produites par d’autres, mais comme des experts de la conception, et c’est aussi le cas de tout un chacun confronté à la complexité ordinaire de la vie. Les deux premières approches, réductionnisme et modélisation de la complexité, ont négligé une dimension essentielle, à savoir le sujet lui-même ! La modélisation de la complexité a constaté que le sujet devait tester le modèle pour confirmer sa validité, mais l’objectivité du sujet est illusoire. D’aucuns y verraient un biais ; nous proposons en revanche d’assumer maintenant totalement la subjectivité en faisant entrer le sujet lui-même dans la représentation du système. « Au-dessus du sujet, au-delà de l’objet immédiat, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l’objet par le sujet prend toujours la forme du projet. » (Bachelard, 1934, p. 14). Le sujet choisit la manière de modéliser un système en fonction de son projet, lequel sera également tributaire de la modélisation, selon un processus récursif. Deux modélisateurs indépendants modéliseront depuis deux points de vue différents en fonction du but qu’ils poursuivent. Chacun d’eux est représenté par un barycentre différent dans le diagramme ternaire de la figure 5.5. OBJET (ÊTRE)
Représentation non univoque qui dépend du projet du modélisateur Sujet modélisateur 2 Sujet modélisateur 1 FONCTIONNEMENT DE L’OBJET (FAIRE)
CONTEXTE DIACHRONIQUE ET SYNCHRONIQUE DE L’OBJET
(DEVENIR)
Figure 5.5 Une fois reliés les pôles du questionnement, le modélisateur adopte un point de vue sur le système en pondérant chacun des pôles en fonction du but qu’il poursuit (d’après J.-L. Le Moigne, 2006, p. 64).
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Un modèle est un point de vue particulier sur le réel et sa pertinence dépend de l’in‑ tention du modélisateur. Dans la modélisation complexe, le modélisateur s’inclut dans la représentation. Il ne découvre pas le réel, mais il invente des représentations en fonction des buts qu’il poursuit. Cette approche désinhibe le raisonnement et la créativité. La rigueur logique du raisonnement syllogistique n’est pas une garantie d’innovation, laquelle en revanche s’accommode fort bien de raisonnements consi‑ dérés comme moins ou peu solides. Selon Paul Valéry, « Qu’est-ce qui nous force à tirer la conclusion d’un syllogisme ? Rien dans la Logique ne répond, et nous ne la tirons pas toujours. » (Le Moigne, s.d.1, p. 9). Voyons tout d’abord quelques procédés du raisonnement logique.
Déduction La déduction propose une représentation particulière à partir de faits généraux. Quand il fait beau et jour, le ciel est bleu, donc le ciel est bleu à Toulouse quand il fait beau et jour dans cette ville. La conclusion est aussi certaine que la prémisse. Le raisonnement est solide, mais on ne crée pas de connaissance par déduction, puisque la conclusion est implicitement comprise dans la prémisse.
Induction L’induction part d’un fait particulier pour en tirer une généralité. Le ciel est bleu à Toulouse quand il fait beau et jour. Or Toulouse est un lieu ordinaire, donc le ciel en général est bleu quand il fait beau et jour. La conclusion est moins certaine que la prémisse. Le raisonnement est moins solide que dans le cas de la déduction, mais il y a production de connaissance nouvelle.
Abduction L’abduction propose une interprétation de faits sur la base d’une hypothèse. La conclusion est incertaine, le raisonnement peu solide, mais le procédé peut ame‑ ner une autre vision du monde, une nouvelle théorie. Par exemple, l’hypothèse de la double causalité (Guillemant, 2014a, 2014b), (voir annexe 13, Causalité et dualité en complexité) induit une représentation du monde et de la conscience qui insère des phénomènes considérés jusque-là comme mystérieux (synchronicités, par exemple), et auxquels certains leur dénient même toute réalité à cause de cela. Le raisonnement peut procéder selon d’autres modalités, mais qui sont générale‑ ment déconsidérées, voire jugées non sérieuses. La comparaison est l’une d’elles. « Comparaison n’est pas raison » dit le proverbe (Gruter, 1610). Et pourtant, de grands penseurs l’ont mise en œuvre avec brio et succès ! Pensons à Léonard de Vinci. De fait, la comparaison est également une forme de raisonnement rationnel. Mais qu’est-ce que la rationalité ? La citation suivante (Wikipédia, 2016b) est-elle rationnelle ?
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« Toutes les créatures à dents sont kleptomanes, Or les poules ont des dents, Donc les poules sont kleptomanes. » Sur la forme, s’agissant d’un syllogisme, où la syntaxe et la logique déductive sont correctes, nous pouvons affirmer que la citation est rationnelle. En revanche, sur le fond, il s’agit d’un sophisme, car les prémisses sont fausses. Par conséquent, il convient d’apprécier la rationalité de manière nuancée, différenciée. Ici, il faut dis‑ tinguer le fond de la forme pour porter un jugement sur le caractère rationnel de l’affirmation sur les poules. De même, il est souhaitable de distinguer le raisonne‑ ment mis en œuvre et le projet qu’il permet de construire. Ainsi, un projet rationnel peut s’échafauder sur un raisonnement non strictement syllogistique. Une anecdote savoureuse, rapportée par Paul Armer (1960) et citée par Jean-Louis Le Moigne (1999, p. 106), montre bien qu’un raisonnement non rationnel peut conduire à un résultat correct : Paul Armer (directeur du département Informatique de la Rand Corp.) évoque une conversation avec un de ses amis, le Dr Ware, au cours de laquelle ils furent conduits à évoquer une personne qu’ils avaient rencontrée à un congrès quelque temps auparavant. Ses propos et son allure générale leur revenaient en mémoire mais l’un et l’autre ne parvenaient pas à retrouver son nom. P. Armer soudain déclare : – Son nom commence par un Z. – Tu as raison, lui réplique aussitôt le Dr Ware, c’est Frizell ! C’était Frizell, bien sûr ! Des raisonnements non rationnels peuvent conduire au résultat escompté ! Le rai‑ sonnement est un cheminement et, comme en forêt ou en montagne, les chemi‑ nements – et non les chemins – sont innombrables pour atteindre le lieu voulu, nonobstant le risque réel de se perdre ou de tomber sur une barre rocheuse. Cependant, le risque impose la prudence et son évitement requiert de l’expérience, mais pas forcément le détour par la route goudronnée ! Le randonneur expérimenté peut gagner du temps sans se presser, découvrir des merveilles et vivre de riches expériences inaccessibles à d’autres. Il en va de même pour le penseur. Le penseur qui met en œuvre une pensée complexe expérimente des chemins pour des projets sensés. Bien qu’il ne se les interdise pas, les sentiers battus n’ont pas forcément sa prédilection, tant il est mu par un projet plus que par une méthode. L’épigraphe d’Antonio Machado « Voyageur, le chemin c’est les traces de tes pas… » trouve ici tout son sens. La pensée en complexité est en somme l’apologie de la « déraison » efficace ! La pensée conditionnée par la rationalité restreinte d’une méthode codifiée, géné‑ ralement considérée comme seule valable et sérieuse, débouche parfois sur des conclusions et des résultats non rationnels. La modélisation mathématique peut conférer à l’économie une dimension irréaliste, comme l’a judicieusement relevé
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un chroniqueur, Hubert Huertas (2013) : « …qu’il ait fallu s’apercevoir que quelque chose clochait dans une équation pour découvrir que quelque chose n’allait pas dans la vraie vie. Un peu comme si on assistait à des accidents de la route en chaîne et qu’on ne donnait pas l’alerte tant qu’un modèle mathématique ne disait pas que c’était des accidents. ». De manière générale, la théorie économique néoclassique, qui se dit rationnelle, n’en n’est pas moins fondée sur des théories fausses, comme l’a révélé Steve Keen (2014) au grand public. Le dogmatisme méthodologique ne fait pas la rationalité d’une pensée ; il est sans doute lui-même l’expression de la non-rationalité. La solidité et la cohérence interne d’un modèle n’est pas un gage de validité. La vali‑ dité est affaire d’appréciation du point de vue du collectif concerné par la concep‑ tion et l’usage du modèle. Un autre niveau de complexité apparaît alors et c’est la démarche de modélisation qui devient elle-même complexe, au-delà de la com‑ plexité attribuée aux objets étudiés. Dire qu’un modèle est valable parce que la méthode de modélisation est rigoureuse et reconnue, c’est confondre deux registres de légitimation, entre la méthode et la finalité, et c’est conférer une sorte d’autonomie aux outils relativement au modé‑ lisateur. Le risque est de confier le choix et la décision au modèle, de le rendre dépositaire d’une dimension épistémologique, voire éthique ou politique tout à fait illégitime.
Élargir la notion de raisonnement valable La rationalité « parfaite » porte sur une représentation complète du système et une résolution algorithmique exhaustive. Elle permet un raisonnement unique pour atteindre la solution dans un champ de contraintes décrit par un ensemble de don‑ nées accessibles et dénombrables (la rationalité substantive selon Herbert A. Simon (2004, p. 62-65)). Cependant, cette rationalité « parfaite » est impossible lorsque les variables sont trop nombreuses (ou/et les capacités de computation trop limitées). Dès lors, une ratio‑ nalité « limitée », mais entière du point de vue des procédures cognitives, doit être mise en œuvre. Ceci est permis du fait que le processus cognitif rationnel n’est pas univoque. Il s’agit alors de passer « d’un raisonnement privilégiant la déduction à partir d’un strict système d’axiomes, à un raisonnement privilégiant l’exploration empirique des procédures complexes de la pensée. » (Simon, 1982, p. 442), cité par Jean-Louis Le Moigne (1995). On ne déraisonne pas au simple motif qu’on ne met pas en équation ! La comparaison est raison. Léonard de Vinci avait imaginé un certain nombre de machines en observant la nature. L’exercice est devenu une science, le biomimé‑ tisme, qui s’inspire de fonctions des organismes vivants pour les inventions techno‑ logiques ou le fonctionnement des organisations. L’ouvrage de J. M. Benyus (2011) donne de nombreux exemples de réalisations inspirées du biomimétisme.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Figure 5.6 L’extrémité du fruit de la bardane (Arctium sp.) est pourvue de crochets qui favorisent la dissémination par les fourrures animales et qui est à l’origine de l’invention du Velcro.
Modéliser en vue de faire avec une intention « Je n’ai jamais cru aux ’explications’… mais j’ai cru qu’il fallait chercher des ’représentations’ sur lesquelles on pût opérer comme on travaille sur une carte ou l’ingénieur sur épures, etc. et qui puissent servir à faire. » (Valéry, 1973 ; cité par Le Moigne, s.d.2). La modélisation permet de concevoir l’action en vue d’un projet et c’est en agissant que s’affine la modélisation. En s’inspirant des idées promues par Jean-Louis Le Moigne, il est utile de faire quelques rappels et préconisations pour « agir/penser en complexité ». « Si on ne peut sans doute plus définir universellement la notion de modèle, on peut concevoir la fonction téléologique de modélisation, production intelligible de représentations opératoires par le modélisateur-acteur » (Le Moigne, 1987). « Action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles artefacts susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier alors la capacité de raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant notamment à anticiper les conséquences, tant synchroniques que diachroniques, de ces projets d’actions possibles. » (Le Moigne, 1999, p. 5) Il s’agit de mobiliser une intelligence de l’action intentionnelle qui dépasse la stricte intelligence méthodologique et résolutoire cadrée par des procédures et des règles. On se rappellera avec profit les idées suivantes. • La connaissance n’est pas un état (édifice de données), mais un système dynamique. • Un modèle est un point de vue particulier sur le réel. • On ne peut résoudre que des problèmes que l’on sait poser.
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
• Les solutions qui conviennent à la situation ne sont pas forcément subordonnées à des lois. • Les modèles « prêt-à-porter », les recettes, ne sont pas transposables d’une situation complexe à l’autre (changement de contexte, par exemple). • La recherche d’une solution peut être satisfaisante sans être optimale. Dans le cadre de la pensée complexe, la validation des modèles n’est jamais acquise a priori du seul fait de la qualité et de la reconnaissance d’une méthode (cartésienne). La validité ne s’apprécie pas en fonction de la méthode mise en œuvre, mais à l’aune du projet. Or, le projet ne constitue pas une référence intangible, acquise a priori et partagée par défaut. La délibération s’invite donc dans les modalités de conception, y compris en ingénierie. C’est pourquoi l’ingénierie est la science de la conception argumentée des projets et aucunement une sous-discipline d’application des autres sciences. En sciences d’ingénierie, la trame procédurale suivante peut être proposée à titre indicatif (et non à titre normatif !). Examiner le problème et reformuler la question
Il s’agit de repérer et d’expliciter les solutions implicites que contient la question, pour les évacuer éventuellement. Reformuler un problème permet à un collectif de faire converger des points de vue et de clarifier les objectifs. Le piège de la recherche immédiate de solutions En présence d’un problème, individuellement ou collectivement, le réflexe premier est de rechercher une solution. En agissant précipitamment par souci d’efficacité, mais souvent dans la douleur et pour des solutions qui s’avèrent inadaptées, précaires et non durables, on procède à l’inverse d’une rationalité supérieure, qui relève de l’anthropologie cognitive, dans sa dimension intellectuelle, affective, inconsciente. La proposition hâtive de solutions pose des actes et des réalisations qui ne s’intègrent pas dans la trame symbolique et affective des humains. Avant de proposer une solution à un problème, il convient de préparer le terrain psycho-social, socio-technique, politique. Cela consiste à parler du problème, à questionner la question posée, à délibérer sur les attendus, afin de débloquer les schémas mentaux pour permettre l’acceptation du changement, et de faire converger les imaginaires vers une direction partagée. Une question taboue, un problème jugé impossible à résoudre, se transmueront alors en croyance collective à la possibilité de résolution. Avant de proposer une solution, il est préférable de créer un paradigme dans lequel tomberont naturellement et aisément des réponses plus riches et plus appropriées. Là réside une authentique efficacité. Du temps est requis…
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Penser un projet dès le départ comme complexe, multidimensionnel
Les questions techniques, économiques, juridiques, sociales, politiques, environ‑ nementales, sanitaires, sont l’expression entrelacée d’une même problématique. Il s’agit d’apprendre à résoudre sans désentrelacer. Connecter les problématiques à leurs contextes
Un projet n’est pas seulement conditionné par des attributs intrinsèques (un objec‑ tif, par exemple), mais aussi par ses contextes qui viennent façonner « en creux » l’espace dans lequel il peut se déployer. Conduire un projet « au fil de l’eau »
Penser pour agir et agir pour penser ; mettre à profit les aléas. « …il lui [l’espèce humaine] faudrait accepter que son prochain pas se fasse sans le borner entièrement, et sans les boussoles qu’elle connaît. D’où le recours à une technique toute-puissante parce que l’homme la croit maîtrisée… Il nous faudrait bien plutôt admettre l’imperfection de notre devenir en faisant le pari de l’aléatoire. » (Biausser, 2014). Établir des liens pour comprendre
Il ne s’agit pas de séparer pour expliquer mais de relier dans l’interdisciplinarité. Le lien génère du sens. Diversifier les modes de raisonnement
Ne pas idéaliser ni se contenter systématiquement de la modélisation mathématique et des procédures algorithmiques formelles. Modélisation et simulation
Concevoir un modèle (formel, analogique, etc.) du système pour tester ses réponses au changement de paramètres. Rechercher des solutions satisfaisantes (délibération)
« De progrès en progrès l’autonomisant, l’individu ne sait plus agir aujourd’hui sans modèle ni solution optimum, sans garantie de maîtriser le pas suivant et sa trajectoire. » (Biausser, 2014). Une solution optimale suppose l’exhaustivité dans la connaissance des données, ce qui est impossible en vision complexe (système ouvert, évolutif, etc.). On recherchera une solution sur laquelle s’accordent les protagonistes, même si l’on sait qu’elle peut ne pas être la meilleure du point de vue technique ou économique. Récursivité des moyens et des fins
Les moyens ne sont pas valables par principe ni les fins intangibles : le raisonnement sur les moyens peut remettre en question la finalité d’un projet, comme celle-ci peut influer sur les méthodes appropriées.
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
Évaluer pour légitimer un projet
La validité des connaissances acquises (épistémologie), la pertinence d’un projet du point de vue éthique, sont des considérations essentielles pour guider l’action. En complexité, la méthodologie inclut l’examen critique et se dote de méthodes d’évaluation appropriées, mises en œuvre tout au long du processus de conception. Concevoir le temps comme un allié
Un problème à résoudre génère une certaine fixation cognitive, or le contexte cogni‑ tif et le contexte extérieur changent incessamment, ce qui modifie le sens du pro‑ blème. Il arrive que le temps, à lui seul, défasse le nœud cognitif et révèle une solution ! La co-évolution du problème posé avec ses contextes favorise la rencontre de solutions de moindre énergie. Agir/penser en complexité En guise de récapitulation (non exhaustive), nous pouvons dégager quelques notions caractérisant l’agir/penser en complexité. • Agir et penser récursivement (penser pour agir, et tout aussi essentiellement, agir pour penser). • Adopter des logiques récursives en évitant la fixation sur un des pôles de la boucle. • Créer et favoriser le lien en toute circonstance. • Développer l’autonomie intellectuelle et le libre arbitre, soit la responsabilité. • Élargir la notion de raisonnement valable (spectre méthodologique non strictement cartésien). • Relativiser les notions idéelles d’objectivité, de rationalité, de vérité et de preuve. • Développer l’agilité cognitive pour traiter l’information de manière non linéaire (croisement d’idées, analogies, changement de croyances, etc.) et pour diversifier les points de vue. • Dépasser les considérations sur des configurations statiques (états) pour raisonner sur les processus. • Concevoir dans l’interdisciplinarité ou la transdisciplinarité. • Contextualiser (à différentes échelles d’espace et de temps). • Inclure le sujet dans la modélisation et assumer la subjectivité. • Concevoir les solutions comme des émergences en évitant la fixation précoce sur un résultat. • Savoir complexifier intentionnellement des représentations ou des situations déjà perçues complexes (par exemple en élargissant les contextes) pour ouvrir le champ des possibles. • S’accommoder du flou, de l’ambivalence, du paradoxe, de l’indécidable, du désordre. • Évaluer les processus de modélisation et d’action à l’aune du projet (des points de vue technicien, épistémologique, éthique, psycho-social, etc.).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
• Garantir la cohérence du processus par rapport au projet plutôt que la conformité des procédures par rapport à une référence normative. • Relativiser le statut d’expert, qui ne détient pas la vérité pour tous (tous les points de vues sont légitimes). • Délaisser la recherche prioritaire de maîtrise et de contrôle au profit des synergies de réseau, de « l’écologie de l’action », de la dissémination du pouvoir. • Acter que la qualité d’une décision dépend d’abord de la qualité du processus de décision. • Naviguer hors des orthodoxies et des dogmes, tout en gardant la souplesse de dialoguer avec leurs représentants. • Intégrer une représentation du moi d’autrui dans ses propres réflexions et comportements. • Développer la pratique réflexive pour agir en conscience et en reliance (pour apaiser l’ego et les relations). • Éprouver les émotions et l’intuition avec bienveillance pour les mettre à profit lorsqu’elles s’immiscent dans l’action ou la réflexion (voir Dimension psychosociale complexe de l’intelligence collective, au chapitre 7). • Penser et agir en lien (reliance) et agir avec détachement (du fait de l’écologie de l’action). Il est en somme question de donner du sens à ses actes (constance de l’agir/penser en vue d’un méta-projet éthique et de développement personnel). Finalement, agir/penser en complexité, est plus que «raisonner pour actionner» en complexité, c’est un mode complexe d’être.
Exemple de modélisation : le système général Jean-Louis Le Moigne (2006, p. 126-149) a proposé une modélisation du sys‑ tème général comme « intervention finalisante dans un environnement ». Le modèle, adapté de Kenneth Ewart Boulding, considère qu’un objet-système peut être appré‑ hendé en neuf niveaux d’organisation de plus en plus sophistiqués (on le considère comme un réseau de processeurs élémentaires traitant des flux de matière, d’énergie, d’information (de commande ou de représentation)). N 1 : l’objet passif et sans nécessité (l’objet est). N 2 : l’objet actif (l’objet fait ou intervient). N 3 : l’objet actif et régulé (régularité de fonctionnement). N 4 : l’objet s’informe (computation de symboles). N 5 : l’objet décide de son activité (information de commande contingente). N 6 : l’objet actif a une mémoire (information stockée consultable). N 7 : l’objet actif se coordonne (les décisions sont interactives et cohérentes). N 8 : l’objet actif imagine, donc s’auto-organise (génération de méta-information contigente). • N 9 : l’objet actif s’auto-finalise (il imagine ses propres projets).
• • • • • • • •
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5. Modéliser et concevoir: Science et philosophie
Exercice 5.1 Testez votre propension à la rationalité et à l’autonomie méthodologique ! Vous vivez dans une communauté installée sur un plateau montagneux bordé de précipices, lieu idéalement protégé d’éventuels envahisseurs, difficile d’accès. Une éruption volcanique menace et vous devez quitter votre territoire par le seul passage possible, une passerelle au-dessus d’un abîme. Vous savez que l’effondrement de cette passerelle ancienne est probable. Quelle action mettriez-vous en œuvre dans cette situation ?
• S’accrocher au câble • Rêver d’une passerelle idéale • Attendre que quelqu’un traverse • Fermer les yeux • Passer le plus lentement possible • Invectiver les oiseaux
• Tester de proche en proche la solidité • Marcher sur le câble • Passer le plus vite possible • Repeindre le garde-corps • Sauter dans le vide (Réponse en page 121)
Exercice 5.2 Dans un article intitulé La dynamique des systèmes complexes ou la systémique de l’ingénieur, Michel Karksky (s.d.) propose une typologie de la complexité et se livre à une critique de la modélisation des systèmes dits « chaotiques ». Examinez l’argumentaire du point de vue épistémologique (ce que dit le texte sur la modélisation en rapport avec les systèmes étudiés ?). On s’appuiera plus particulièrement sur le passage de la page 2 de la publication en ligne
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
(https://sites.google.com/site/stephanecopin/cours-dynamique-dessystemes/DSCparMichelKarsky.pdf?attredirects=0&d=1) borné par les deux propositions suivantes : « Mathématiquement très intéressants, très surprenants aussi, ces phénomènes… Par ailleurs, un comportement chaotique empêche la mise en évidence de relations invariantes entre variables, donc toute interprétation causale – structurelle – des phénomènes. » (Réponse en page 121)
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Corrigés des exercices Exercice 5.1 (passerelle)
Retour à l’énoncé : page 115
Aucune des actions proposées n’est pertinente, quand elles ne sont pas fantaisistes, voire saugrenues (bien qu’en réalité le comportement de gens qui se croient ration‑ nels confine parfois à certaines de ces propositions !). Vous êtes-vous demandé si vous aviez une corde dans votre sac à dos pour descendre dans le ravin (et sinon, avez-vous pensé à en confectionner une avec des lianes !) ? Il s’agit d’une allégorie pour l’idée que la ressource se trouve en soi… Une invitation à faire lucidement sa part dans l’intelligence collective, même si cela paraît décalé et peu important (voir paragraphe Percolation et bifurcation, page 70), car il est assez probable que les gens se ruent sur la passerelle en espérant passer parmi les premiers, avant qu’elle s’effondre…
Exercice 5.2 (l’explication et la prédiction président-elles à la décision et à l’action ?) Retour à l’énoncé : page 115 Selon M. Karsky (s.d.) : Mathématiquement très intéressants, très surprenants aussi, ces phénomènes [chao‑ tiques] qui semblent parfois correspondre à des comportements statistiquement constatés, présentent un danger : ils autorisent et justifient un refuge dans une incertitude fataliste. Ne sachant pas prédire une bifurcation, un changement d’état ou une modification fondamentale de comportement, même lorsque celle-ci est déterministe, on tend à se satisfaire de considérations générales et philosophiques, certainement enrichissantes pour l’esprit, mais qui ne constituent pas véritablement une aide à la compréhension des phénomènes, ni aux décisions qui devraient en résulter. Sans le pouvoir de prédiction de la modélisation, l’action serait moins efficace, voire compromise, puisque les acteurs seraient condamnés à des discours philosophiques
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oiseux. Et pourtant, c’est bien la délibération qui permet de prendre des décisions. Quand bien même la modélisation mènerait à une prédiction, il faut bien philoso‑ pher sur la méthode, le choix des paramètres, les hypothèses, les approximations. Un modèle n’est pas une entité autonome et objective qui imposerait ses conclu‑ sions à la société. La non-prédictibilité n’empêche pas d’agir, elle est même source d’un surcroît d’action en incitant à organiser des modalités de réflexion et de déci‑ sion plus complexes, dans une vision non technocratique des choix technologiques et sociétaux. Toujours selon M. Karsky (s.d.) : – il n’existe guère d’explication théorique formelle à un comportement individuel ou de groupe, de type chaotique ; – la sensibilité de ces modèles « chaotiques » à toute variation des paramètres est très forte. Lorsque ces paramètres résultent d’observations statistiques, cellesci ne peuvent pas être suffisamment précises pour assurer une stabilité et un mode répétitif de comportement chaotique ou bifurcatoire des modèles en question. Par ailleurs, un comportement chaotique empêche la mise en évidence de relations invariantes entre variables, donc toute interprétation causale – structurelle – des phénomènes. Ces justifications portent sur la faiblesse des modèles théoriques, stochastiques ou autres, et sur la difficulté d’établissement de relations de cause à effet. L’imperfection des modèles à rendre compte du phénomène chaotique n’autorise pas à mettre en doute le phénomène lui-même – ici, le comportement chaotique des systèmes sociaux – sauf à confondre la carte et le territoire.
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6 Ingénieries Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
« …co-construire un sens partagé par une communication fondée sur le partage, l’échange, le débat… » Marie-José Avenier
L’éco-ingénierie s’inscrit dans une conception nouvelle de l’ingénierie, mode complexe de conception et de conduite des projets qui met en œuvre l’interdisciplinarité, qui s’oblige à une réflexion simultanée sur la conception ellemême, sur les relations entre les participants, sur le sens et l’éthique de la démarche. Dans cette nouvelle approche de l’ingénierie, il convient de penser et d’évaluer la médiation interdisciplinaire, l’implication des acteurs, l’apprentissage collectif de la conception.
Le paradigme constructiviste nuance le statut de l’expert, qui ne détient pas la vérité pour tous, mais seulement des connaissances spécialisées qu’il peut mettre au service de tous. En outre, puisque toute représentation est construite, la modélisation de l’action est l’expression du collectif, qui délibère sur les fins et les moyens en vue d’un projet. Les considérations sociétales et éthiques émergent alors naturellement dans le champ du questionnement et de l’investigation. Le collectif de concepteurs inclut les experts facilitateurs des solutions techniques, ainsi que les usagers, experts de l’usage, et les experts amateurs. Par conséquent, dans cette définition des rôles autour de l’éthique et de la participation, l’ingénieur se fait citoyen (ISF, 2017 ; IESF, 2016) et le citoyen devient ingénieur. L’innovation se déplace du champ strictement technique vers le processus de conception lui-même : « Plutôt que l’innovation, c’est l’invention
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associée à la coopération des esprits et à la diffusion qui est à la source de la valeur… » (Martinet, 2014). L’innovation, qui n’est pas un but en soi, attendue pour faire face aux défis contemporains, relève prioritairement de l’innovation sociale pour déve‑ lopper l’intelligence collective d’un système socio-technique (Jonchères, 2016) avant d’être innovation technique. Dans la vision collaborative de construction de projets, la détention des connaissances est utile, voire importante et indispensable, mais elle n’est plus centrale ni exclusive, comme l’expose Paul Feyerabend (1989, p. 72) : En vue de l’examen d’une situation particulière (telle que le danger d’une fusion du cœur dans une centrale nucléaire proche – pour citer un exemple moderne), les citoyens devront bien entendu étudier de nouvelles choses – mais ils ont acquis une certaine aisance à aborder des problèmes inhabituels et, surtout, ils ont suffisamment de recul pour voir les points forts et les limites des propositions à examiner. Sans doute les citoyens commettront des erreurs – comme tout le monde – et ils en souffriront. Mais en payant pour leurs erreurs, ils deviennent également plus sages, tandis que les erreurs des spécialistes, comme elles sont bien camouflées, créent des ennuis à tout le monde pour n’éclairer que quelques privilégiés… Les citoyens, et non des groupes d’experts, ont le dernier mot pour décider de ce qui est vrai ou faux, utile ou inutile pour leur société. La pensée complexe invite à repenser le statut et le rôle de l’expert non seulement parce que la conception est légitimement une affaire collective, mais aussi parce que les systèmes réels, complexes, ne sont pas prédictibles. Les prédictions d’experts rassurent et dédouanent les décideurs, mais elles sont généralement illusoires. « Si l’on se base sur leurs résultats, ils n’en savent pas plus sur leur sujet que le commun des mortels, mais ils sont beaucoup plus doués pour inventer des histoires – ou pire, pour nous enfumer avec des modèles mathématiques complexes. » (Taleb, 2008, p. 13). Les prédictions à moyen terme de l’Agence internationale de l’énergie sur le prix du pétrole sont totalement revues d’une fois à l’autre et aucune évolution projetée ne correspond à ce qui est observé rétrospectivement (figure 6.1). 150 140 130 120 110 100 90 80 (2) 70 60 (1) 50 40 30 20 10 0 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035
Figure 6.1 • Projections successives du prix du pétrole par l’Agence internationale de l’énergie (courbes grises), en comparaison du prix effectif, exprimé en dollar constant 2009 jusqu’en 2011 (1), selon Manicore (2016), et en dollar courant de 2011 à 2015 (2) (pour plus de détails et de lisibilité, se reporter à la source).
Figure 6.1 Projections successives du prix du pétrole par l’Agence internationale de l’énergie (courbes grises), en comparaison du prix effectif, exprimé en dollar constant 2009 jusqu’en 2011 (1), selon Manicore (2016), et en dollar courant de 2011 à 2015 (2) (pour plus de détails et de lisibilité, se reporter à la source).
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6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
À l’inverse, les évènements majeurs pour le cours de l’Histoire échappent géné‑ ralement à toute prévision, comme, pour ne mentionner que quelques exemples récents, l’effondrement de l’URSS à la fin des années 1980, la crise économique de 2008, le Printemps arabe à partir de décembre 2010, etc. La foi en les modèles mathématiques des experts donne parfois des situations ubuesques et néanmoins tragiques. Les instances européennes ont imposé l’austérité à l’Europe sur la base d’un modèle mathématique qui visait le désendettement des pays. Un paramètre du modèle (multiplicateur fiscal corrélant la baisse des recettes fiscales à l’augmentation du PIB), qui était censé valoir en tout temps et pour tous les pays, avait été largement surestimé. Le simplisme du système expert a enfoncé l’Europe, et en particulier la Grèce, dans la récession, sans que les gouvernants ne corrigent, plus confiants dans les préconisations des experts économistes que dans l’observation du système réel. Fin 2012, c’est l’économiste en chef du Fond monétaire international lui-même, Olivier Blanchard (2013), qui pointe la fausseté du calcul et invite les économistes à la prudence. La connaissance de l’erreur n’a pas pour autant donné lieu à un changement de cap de l’économie européenne, parce qu’en fin de compte, les dires d’experts sont largement des alibis aux options idéologiques. L’idéologie se nourrit d’expertises, mais les experts ne sont enten‑ dus que s’ils adoptent un point de vue conforme à l’idéologie. Il s’instaure une boucle rétro-active d’auto-validation difficile à désamorcer, sauf à faire reconnaître une autre conception du rôle de l’expert, vivement critiqué par Paul Feyerabend (1989, p. 69) : Les philosophes définissent ce que veut dire « savoir » et ce qui est bon pour la société. Beaucoup d’intellectuels ont cette approche autoritaire en faveur. Ils peuvent toujours exprimer une préoccupation débordante pour leurs concitoyens, ils peuvent toujours parler de « vérité », de « raison », d’« objectivité » et même de « liberté », en fait, ce qu’ils veulent réellement, c’est le pouvoir de refaçonner le monde à leur propre image.
Une nouvelle conception du rôle de l’expert Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs Les changements systémiques s’accélèrent et la prédictibilité des évolutions est nulle, même à court terme. Dans ce contexte, l’ingénierie ne peut plus n’être qu’une ingé‑ nierie technicienne, de spécialité, car elle ne soumet pas ses modalités de concep‑ tion au « test des perturbations » inhérentes aux interactions multiples et au « test de la résilience » au changement. Fini est le temps où l’on pouvait concevoir des systèmes centralisés et massifs engageant la société sur le long terme, voire le très long terme (cas de l’énergie électronucléaire notamment). Une certaine conception technocratique du développement considérant comme figés les contextes est dépas‑ sée. C’est pourquoi une nouvelle manière de pratiquer l’ingénierie doit être déve‑ loppée et promue, à l’instar de l’éco-ingénierie, qui constitue une méta-ingénierie en tant qu’ingénierie des pratiques d’ingénierie.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
La pensée cartésienne revendique la Méthode comme seule valable dans la conduite rationnelle des investigations et des affaires. Dans ces conditions, la conformité du moyen (le mode de pensée cartésien) se suffit à elle-même et valide de fait toute praxis qui s’en revendique : « La confiance dans le procédé valide implicitement la confiance que l’on accorde au résultat de son usage. » (Le Moigne, 1995, p. 22). Le moyen devient la fin et tout projet se trouve donc validé a priori dès lors que la Méthode est requise. Les finalités ne sont pas assujetties à un contrôle, car la conformité à la méthode est censée procurer toute légitimité et toute garantie. Les conduites peuvent ainsi s’affranchir de tout regard épistémique et éthique. Comble de l’imposture : la science se dit amorale ! En revanche, l’ouverture méthodologique de la modélisation en complexité ne confère aucune légitimité prédéterminée aux démarches intellectuelles et aux appli‑ cations qui découlent du choix d’une méthode parmi d’autres. La pertinence de la pensée et de l’action orientées vers un but ne peut être établie que « chemin fai‑ sant », par la confrontation des idées et par la confrontation du projet aux résultats obtenus, c’est-à-dire par l’exercice de l’évaluation. Dans le paradigme de la com‑ plexité, l’évaluation inscrit l’éthique au cœur de la pensée discursive appliquée aux sciences et aux techniques (voir annexe 8, L’évaluation en complexité). L’ingénieur est ingénieur-citoyen. L’innovation sociale et le développement de l’intelligence collective peuvent égale‑ ment apparaître comme dépendant d’un savoir-faire en ingénierie de la complexité. Loin de transférer la question politique dans un champ technicien, cette approche considère au contraire qu’aucune élite politicienne ou technicienne ne possède une légitimité ou une compétence supérieure pour discerner l’intérêt général par-dessus les citoyens. On peut considérer que l’intérêt général est justement l’expression du débat collectif (ce sujet est abordé dans le chapitre 7). Exercice 6.1 Les installations classées (sites industriels, exploitations agricoles, susceptibles de créer des risques, de provoquer des pollutions ou nuisances) sont soumises à déclaration, enregistrement ou autorisation, selon l’importance du risque. En vous appuyant sur l’organigramme donné en annexe 9, proposez une amélioration de la procédure dans l’esprit du développement durable. (Réponse en page 152) Cet exercice met en évidence le besoin d’organiser, d’accompagner et de faciliter la participation des non-experts. La co-construction avec les usagers, qui sont des experts de l’usage, nécessite des compétences spécifiques chez l’ingénieur.
Légitimité et compétence des non-experts En complexité, le concepteur ne se distancie pas de son projet, qu’il appréhende comme une expérience apte à renouveler son système de pensée dont dépend le projet. Les destinataires du projet, usagers par exemple, sont ainsi partie prenante
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6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
du processus de conception, qui comporte de fait une dimension sociale et éthique. La sphère technicienne est une composante du système ; les citoyens ordinaires éga‑ lement (figure 6.2). L’érudition et la spécialisation techniques ne confèrent pas de légitimité supérieure dans les choix de société. Les logiques propres (même non rationnelles) des non-experts – en fait, experts de l’usage qu’ils maîtrisent – sont légitimes dans la conception des projets. En complexité, les choix de société et les choix technologiques font appel, en fin de compte, à l’éthique et à la délibération de la cité, qui ne relèvent pas seulement de la rationalité scientifique. La civilisation occidentale possède une conception « plate » de l’espace-temps, selon laquelle seul le présent existe entre un passé révolu, périmé, et un futur qui se crée ex nihilo à chaque instant. Dans une conception plus conforme aux connaissances scientifiques modernes, l’espace-temps est un bloc quadridimensionnel où passé, présent et futur co-existent. Nous cheminons sur des sentiers qui se prolongent devant et que nous ne connaissons pas, qui offrent des bifurcations et des possibilités de choix, mais qui existent « de tout temps ». Selon cette conception, le lien existe aussi dans l’épaisseur du temps et les générations futures, bien qu’« acteurs faibles », entrent légitimement dans le jeu actuel, via les porte-parole que nous sommes.
Figure 6.2 Le tissu socio-technicien est composé d’experts techniciens (imagés par la trame) et de non-experts (chaîne) où toutes les catégories sont pareillement légitimes pour décider des choix de société, des choix économiques et technologiques.
La culture du lien Mais qu’est-ce qui détruit la solidarité et la responsabilité ? C’est le mode compartimenté et parcellaire dans lequel vivent non seulement les spécialistes, techniciens, experts, mais aussi ceux qui sont compartimentés dans les administrations et les bureaucraties. Si nous perdons de vue le regard sur l’ensemble, celui dans lequel nous travaillons et bien entendu la cité dans laquelle nous vivons, nous perdons ipso facto le sens de la responsabilité… (Morin, 1998). En matière de conception, le lien social est tributaire du paradigme adopté sur la relation au réel.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Dans le paradigme du réalisme, l’accord avec les détenteurs des savoirs spécialisés et pointus est implicite, tacite, puisque le réel perçu par chacun serait univoque. La vérité de l’expert vaut pour tous : le lien est faible. La démesure technoscienti‑ fique, qui débouche par exemple sur le transhumanisme et la géo-ingénierie, fait recette. En revanche, dans le paradigme constructiviste, le réel n’est pas connaissable et il est nécessaire de délibérer pour se mettre d’accord sur sa représentation. Le réel social est donc à imaginer ensemble ; les experts et les non-experts, usagers, experts « profanes », co-construisent leurs projets. Cette vision privilégie la culture du lien. La révolution des rapports socio-économiques qu’elle appelle sera difficile, car elle demandera aux « élites » scientifiques, économiques et politiques de renoncer par‑ tiellement à leurs pouvoirs, leurs prérogatives et leurs privilèges. Le changement est plus difficile encore en France, pays sclérosé par le centralisme et la concentration du pouvoir. En revanche, dans d’autres pays, comme au Danemark, depuis une vingtaine d’années, ont été mises en place des conférences de citoyens où une quin‑ zaine de personnes tirées au sort sont formées à la controverse sur un sujet à traiter pour fournir des propositions visant l’intérêt général. Selon Jacques Testard (2014) : Les observateurs de conférences de citoyens, même imparfaites, relatent souvent avec étonnement la mutation qui s’opère quand une personne ordinaire devient un citoyen investi d’une mission pour la recherche du bien commun. Pourquoi cette soudaine conscience de sa responsabilité par celui qui est sollicité pour contribuer effectivement à construire l’avenir ? Peut-être par la révélation qu’il peut comprendre mieux qu’il n’osait imaginer ? Ou encore par l’empathie partagée dans un groupe où des gens très différents sont amenés à résoudre ensemble un problème avec l’objectif unique du bien commun ?
L’éco-ingénierie : ingénierie en complexité L’éco-ingénierie s’inscrit dans la conception nouvelle de l’ingénierie qui vient d’être présentée, ingénierie éthique de la médiation et de la concertation. Elle est double‑ ment une science éco-systémique, car elle appréhende son objet en tant qu’écosys‑ tème et dans le sens où elle fait appel à un écosystème de méthodes et de spécialités « bricolé » au cas par cas. Elle n’appréhende pas les problèmes posés seulement à l’aide de méthodes et d’outils reconnus pertinents par les experts d’un champ disciplinaire technicien. Elle exerce en premier lieu son art sur la conception de méthodologies métissées et souples, selon un schéma d’assemblage inédit, dépen‑ dant de considérations contextuelles, et modulable en fonction des aléas affectant les contextes et les projets eux-mêmes. Il est maintenant pertinent d’enrichir le tableau en invoquant l’argumentaire de l’introduction de cet ouvrage. Il avançait que, dans l’optique du développement durable, il est nécessaire d’appréhender d’emblée toutes les problématiques d’un
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6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
projet, techniques, économiques, réglementaires, sociales, environnementales, éthiques, etc., comme étant reliées et interdépendantes. Pour ce faire, l’interdis‑ ciplinarité en ingénierie est requise, voire idéalement, la trans-disciplinarité (voir annexe 10, Pluri-/inter-/trans-/ disciplinarité). L’éco-ingénierie est donc une écologie de disciplines scientifiques et techniques et elle constitue une véritable science de la conception. Dans le processus classique de la conception et de la décision (figure 6.3-1), un collectif de concepteurs-prescripteurs hyper-spécialisés interprète de manière pluridisciplinaire le problème posé en le simplifiant (non prise en compte des contextes, de l’éthique, etc.), puis il recherche une solution optimale pour les usagers ou les consommateurs, selon un processus descendant. L’éco-ingénierie, en revanche, consiste à co-concevoir de manière interdisciplinaire, selon un pro‑ cessus participatif intégrant les usagers (figure 6.3-2). Experts de l’usage, experts amateurs et experts professionnels de la conception ont à délibérer pour formuler un problème et un projet communs, puis pour ajuster la résolution jusqu’à la définition d’une proposition satisfaisante (pas forcément optimale du seul point de vue technique). L’expertise est collégiale, interdisciplinaire, transparente et indépendante.
Décideurs
Concepteurs prescripteurs
Pl u r xperts, in id
projet
sés
ee
i ial
linarité ci p is nieurs spé é c g
Solution technique et économique optimale
enquête publique
usagers Consommateurs
Figure 6.3-1 • Les procédures classiques de conception et de mise en œuvre des projets Figure Les procédures conception et de mise en œuvre des projets sur6.3-1 un territoire procèdent classiques de manière de descendante où les décideurs politiques, relayés sur unprescripteurs, territoire procèdent deleur manière descendante où les décideurs polipar les experts imposent conception au collectif. L’information tiques, relayés par lespas experts prescripteurs, imposent leurles conception réglementaire tardive ne permet aux usagers-citoyens d’influer sur choix. En au collectif.important, L’information réglementaire ne permet pas auprès aux usagerscas de désaccord la seule possibilité esttardive de contester les projets des d’influerun surréel les gâchis choix. En cas deetdésaccord seule postribunaux,citoyens ce qui constitue de temps d’argent. important, Ce schéma la classique est deentre contester les projets des tribunaux, ce des quiprojets. constitue entretient sibilité une défiance les acteurs et induitauprès une mauvaise acceptation un réel gâchis de temps et d’argent. Ce schéma classique entretient une défiance entre les acteurs et induit une mauvaise acceptation des projets.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Collectivité médiatrice Collectif
Délibération
interdisciplinaire d’experts et d’ingénieurs (non prescripteurs)
Problématisation Définition projet
Usagers acteurs (co-concepteurs)
Recherche d’une solution satisfaisante Figure 6.3-2 Le processus de co-construction organise une expertise collégiale, interdisciplinaire, transparente, indépendante, pour concevoir des projets selon une approche évolutive et adaptative. L’influence des lobbies et la « vision du monde » des experts sont ainsi atténuées. Les solutions résultantes ne sont pas forcément optimales du point de vue technicien, mais elles sont satisfaisantes pour l’ensemble des acteurs.
Dès lors qu’un projet prétend s’inscrire dans les valeurs et les principes du dévelop‑ pement durable, il relève de l’éco-ingénierie, interdisciplinaire et complexe d’em‑ blée, puisqu’il est attentif aux questions humaines et sociales, qu’il s’inscrit dans des contextes, économique, social, culturel, environnemental, dans une filière et un territoire, et que toutes les échelles spatiales (locale, régionale, globale) et tempo‑ relles sont considérées. L’éco-ingénierie recherche une solution satisfaisante pour les parties prenantes, qui décident ensemble de la méthodologie. La plus haute technicité n’est plus forcément le gage de la meilleure réponse et le raisonnement qualitatif est également tout à fait approprié, si l’on ne perd pas de vue les notions essentielles de la conception : « pour quoi » et « agir et penser ensemble ». L’éco-ingénierie est un mode complexe de conduite des projets qui nécessite une réflexion simultanée sur la conception elle-même, sur les relations entre les par‑ ticipants, sur le sens et l’éthique de la démarche. Il faut donc penser et évaluer le déploiement de la transdisciplinarité, l’implication des acteurs, l’apprentissage col‑ lectif de la conception. Les questions suivantes sont pertinentes pour engager et conduire l’éco-ingénierie d’un projet. • • • •
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Quelle est la question posée ? Quel est le projet affiché ? S’inscrit-il dans un projet plus fondamental et implicite ? Quels sont les contextes ?
6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
• Les usagers expriment-ils un besoin, une attente, un souhait ? • Quelles sont les parties prenantes (sans oublier les acteurs faibles) ? • Quels acteurs constitueront le collectif de concepteurs ? (chercheurs, experts, usagers, responsables institutionnels, etc.) • Quelles seront les modalités de participation et de délibération ? • Quelles disciplines mobiliser ? • Quelle sera la méthode de gestion et d’évaluation du projet ? Chaque question peut récursivement amener à reconsidérer les autres problématiques. Une formation professionnalisante à l’ingénierie complexe Le mastère spécialisé Éco-ingénierie a été créé en 2014, par l’Institut national polytechnique de Toulouse1. Il propose une année de formation à des professionnels désireux d’acquérir de nouvelles compétences d’ingénierie dédiée au développement durable, ainsi qu’aux étudiants de dernière année des écoles d’ingénieur de l’INPT. Cette formation pilote met en œuvre des modalités d’enseignement originales pour une nouvelle pratique de l’ingénierie en vue de la Transition. Le mastère spécialisé Éco-ingénierie propose une pédagogie systémique et interdisciplinaire qui repose sur des unités d’enseignement transversales comme la conception de projet (commande externe d’études) et le portefolio (exercice réflexif sur le cheminement et la progression dans l’acquisition des compétences, sur le vécu en conscience et en reliance de l’expérience de formation). Les étudiants sont mis en situation pour développer la capacité à agir/penser en complexité, à concevoir en interdisciplinarité, pour développer l’engagement éthique, l’agilité cognitive, l’ancrage psychosocial, l’aptitude à la médiation et au pilotage systémique des projets. Ces compétences spécifiques font l’objet d’une auto-évaluation par les étudiants eux-mêmes et d’une co-évaluation avec les enseignants. Le mastère spécialisé Éco-ingénierie est un laboratoire au sein de l’INPT où sont conduites des actions de recherche pédagogique autour de l’interdisciplinarité, de l’agir/penser en complexité, de l’évaluation des compétences, etc. Les contenus pédagogiques dispensent une culture sur les contextes et les enjeux du développement durable, sur la notion de complexité en ingénierie, sur diverses approches de modélisation, sur des méthodes et des outils de l’ingénierie « durable », en sciences humaines et sociales pour une intégration de la dimension humaine dans les pratiques de l’ingénieur. Pour plus d’informations : Rossignol et coll. (2016) et page dédiée sur le site de l’INPT, http://www.inp-toulouse.fr/fr/formations/l-offre-de-formation/mastereet-dhet/msei.html
1. L’auteur a animé la conception et la création de la formation et assuré la responsabilité péda‑ gogique au démarrage ; il est notamment chargé des cours sur l’introduction à la complexité en ingénierie et participe à la recherche-action pédagogique.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Deux cas contrastés de conception de projets : El Hierro et Sivens Une étude originale (Roth et coll., 2017) a modélisé et comparé deux processus de développement de projets d’énergies renouvelables, avec les cas de l’île d’El Hierro, aux Canaries, et de Sivens, en France, dans le département du Tarn. La méthode s’est appuyée sur les outils de la modélisation d’entreprise basés sur la norme ISO 19440, selon laquelle construire un méta-modèle décrivant un processus requiert de s’intéresser aux aspects statiques et dynamiques du système, siège du processus. Du point de vue statique, l’architecture des éléments constitutifs du système recense leurs interactions et les catégorise en se focalisant sur les contextes (géographique, économique, politique, écologique, social, etc.), sur les acteurs et sur les processus de décisions, remis en perspectives dans tous les cas selon trois échelles, micro-, méso- et macro-. Du point de vue dynamique, la modélisation s’est intéressée à la fonctionnalité – dans le cas présent, les missions du développeur – et au diagramme des activités relatant le comportement du système à travers les actions, les évène‑ ments et leur chronologie. Cette modélisation met en évidence que l’exemplarité d’El Hierro et le fiasco dra‑ matique de Sivens sont liés à la manière d’envisager la conception et l’implantation des projets. Selon Roth et coll. (p. 173, trad. de l’auteur) : Du point de vue fonctionnel, il est évident que les intentions du maître d’ouvrage doivent être intégrées à une approche holistique incluant tous les agents de la sphère informationnelle. Ceci est particulièrement important au stade initial : dans le cas d’El Hierro, le maître d’ouvrage a mieux défini les besoins et les contraintes que dans le projet de barrage de Sivens. En outre, soutenu par la volonté politique à tous les niveaux, le maître d’ouvrage d’El Hierro a insisté sur la satisfaction de toutes les parties prenantes et leur participation à toutes les phases. Pour le barrage de Sivens, le soutien politique se réduisait à celui du Conseil départemental, au niveau méso, en collusion avec le maître d’ouvrage au stade de l’initialisation du projet et du choix. Cela illustre le fait qu’il faille prendre en compte l’acceptation sociale d’un projet à toutes les étapes du processus de développement. Elle est cependant difficile à évaluer, en tant que résultante complexe de la culture, de l’histoire, du respect de l’identité et des valeurs de la population par le processus de développement. […] Nous pensons que promouvoir une participation active de toutes les parties prenantes à toutes les étapes du processus de développement, et particulièrement au début, est obligatoire pour conduire un projet que l’on qualifierait de « durable », notamment sur toute la phase d’exploitation à long terme.
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6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
Étude de cas Création d’un parc éolien
Une communauté de communes rurales, dont l’économie est essentiellement liée à l’agriculture et à l’industrie agro-alimentaire, vise l’autonomie énergétique et étudie un projet de parc éolien sur son territoire, avec la construction de 5 éoliennes* de puissance unitaire 3 MW. Sur ce territoire, où l’habitat est dispersé, un seul secteur est propice et offre un potentiel éolien suffisant. Il s’agit d’un secteur boisé (éloigné d’au moins 500 mètres de toute habitation**), ce qui permettra, en outre, de ne pas figer de terre cultivable. Les propriétaires fonciers concernés ont donné leur accord, sauf un, qui possède une parcelle de bois devant supporter l’implantation de 2 éoliennes (0,5 ha) et qui demande un nouveau délai de réflexion. Ce propriétaire indécis est en fait un GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun), personne morale constituée de deux associés qui dirigent une exploitation de 150 ha consacrée à l’élevage bovin (80 têtes) et à la culture de fourrage, d’oléagineux (colza sur 10 ha), de maïs grain (20 ha, séché au gaz naturel à la ferme) et de céréales (100 ha). Toute la production de biomasse sert à l’alimentation animale et les déjections sont épandues comme amendement. L’économie de l’exploitation est saine et les capacités d’investissement existent. L’un des agriculteurs voit avec enthousiasme le projet éolien comme une opportunité de gain, avec le loyer payable par l’exploitant du parc éolien et même plus, avec l’investissement dans le parc lui-même (projet à investissement mixte avec épargne citoyenne). Mais son associé, attaché au paysage, plus sensible aux questions environnementales, s’oppose fermement à l’implantation des éoliennes. Il est soutenu par une association de défense de l’environnement locale qui a déjà montré la pertinence de ses objections (à l’occasion de la création d’une ligne électrique haute tension et du renforcement d’un gazoduc). La question engendre une situation tendue, voire conflictuelle, au sein du GAEC et avec les élus locaux. Que pouvez-vous proposer ? * À l’époque de la conception du projet, la loi n’autorisait pas la construction de parcs de moins de 5 éoliennes. ** La réglementation interdit l’implantation d’éoliennes à moins de 500 m des habitations. Une résolution « interactive » par étapes où vous pourrez solliciter ou non de l’aide est proposée en page 190.
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Les activités à vocation humanitaire et humaniste en complexité La production des connaissances peut être l’apanage des spécialistes cultivés, mais dans ce cas, elle n’est pas partagée et les connaissances sont admises parce que les concepteurs font autorité. Si cela n’est pas trop problématique en cosmologie ou en physique quantique, la question de la co-conception devient cruciale pour les connaissances en jeu dans la « vie de la cité » : développement économique, aména‑ gement des territoires, conception des biens manufacturés, choix des filières énergé‑ tiques, et en général dans tous les domaines qui appellent des choix sociétaux. Dans ce cas, il est plus judicieux et avantageux de considérer la production de connais‑ sances comme une émergence qui naît de l’interaction de cultures, d’individus, de professions, autour de projets communs, même controversés. La production de connaissances n’est pas dissociée de leur application. Le projet travaillé produit sa propre connaissance. La suite de ce chapitre examine sommairement les implications du renouveau de la pensée en complexité dans des secteurs d’activité essentiels, recherche, enseigne‑ ment, médecine, agriculture. On peut considérer que chacun d’eux est un domaine d’exercice de l’éco-ingénierie, en tant que pratique de la conception de projet inter‑ disciplinaire et systémique à forte connotation éthique 2.
Recherche ouverte La recherche est une notion générique qui désigne une large palette d’activités de production de connaissances, théoriques ou appliquées, au service de la culture, à but humanitaire, ou au service des activités industrielles et commerciales, avec d’ailleurs plus ou moins d’interpénétration de ces diverses finalités. Les considéra‑ tions épistémologiques et éthiques évoquées plus haut à propos de la modélisation, de l’éco-ingénierie, etc., peuvent tout à fait être étendues à tout le champ de la recherche, à savoir : (1) la validité méthodologique n’emporte pas la pertinence épis‑ témologique et éthique ; (2) la recherche est hébergée et nourrie par une société qui doit pouvoir exprimer ses aspirations et participer à ses orientations, voire même à ses travaux ; (3) les praticiens sont aussi des producteurs de connaissances, pratiques et théoriques. Ces constats, issus du paradigme de la complexité, mettent en lumière certaines pratiques de la recherche, nouvelles ou peu répandues, qui relèvent de la recherche-action ou des sciences participatives et citoyennes. Plus généralement, ce type d’activité scientifique s’inscrit dans le courant de la science post-normale, nou‑ veau paradigme pertinent lorsque « les faits sont incertains, les valeurs sont polémiques, les enjeux sont importants et les décisions sont urgentes. » (Funtowicz et Ravetz, 1994). Dans ce cas, les piliers de la science normale sont fortement remis en question (objec‑ tivité des faits, vérité univoque, reproductibilité, possibilité de la réfutation, etc.). 2. La notion de projet est à décliner dans chaque cas. Par exemple, restaurer le bien-être d’une personne souffrante est le projet d’un thérapeute.
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Nous avons vu que la pensée complexe est antinomique du dogmatisme et n’exclut pas la subjectivité, le choix et l’expression de préférences. La fermeture dogma‑ tique maintient un système dans une permanence qui voit l’écart se creuser avec son contexte, provoquant tension et finalement rupture. À ce compte-là, la posture idéologique de la science orthodoxe, qui dénie toute réalité aux phénomènes inex‑ plicables et refuse toute considération aux courants marginaux, est dangereuse. Il serait pourtant facile à la science de réfuter de réelles impostures, mais elle préfère traiter indistinctement tout le champ extra-scientifique par l’ignorance en contri‑ buant ainsi à sa vitalité. La science laisse le champ libre à une contre-culture pseudoscientifique qu’elle juge déviante en lui opposant le mépris et la tabouisation (voir annexe 5 Le caractère normal de la déviance comme processus dialogique). L’attitude scientifique authentique n’est-elle pas de trouver un mobile de questionnement à tout phénomène, aussi étrange ou dérangeant soit-il, ou bien la mission de la science n’est-elle que de servir et reproduire un système dominant ?
Sciences participatives et citoyennes Le grand nombre des personnes potentiellement intéressées, voire érudites, sur tel ou tel sujet, ainsi que les outils numériques, permettent d’élaborer de nouvelles modalités de production de connaissances. Des amateurs volontaires participent à des programmes de recherche, lorsqu’il est nécessaire de collecter d’innombrables données diluées dans le temps et/ou l’espace, ou d’effectuer de nombreux essais, comme en écologie, en astronomie, en biologie, en physique des particules, etc. Des problèmes ardus peuvent ainsi être résolus. À titre d’exemples, citons Foldit, jeu vidéo en ligne sur le repliement des protéines pour déterminer leur struc‑ ture tridimensionnelle (foldit, 2016) ; HiggsHunters, proposé par le Cern, pour contribuer à rechercher les membres de la famille du boson de Higgs (Kalderon, 2016) ; VigieNature, programme du Musée national d’Histoire naturelle, qui consiste à suivre les espèces communes, animales et végétales, à l’échelle nationale (VigieNature, 2016) ; ou encore NutriNet-Santé (2016), vaste enquête permanente sur les comportements alimentaires et les relations entre la nutrition et la santé des Français. Des plate-formes internet, comme Scistarter (2016), The Zooniverse (2016), European Citizen Science Association (Ecsa, 2016), etc., sont spécialisées dans l’offre de projets scientifiques participatifs. Le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer (MEEM, 2016) a mis sur pied le programme Repere (Réseau d’échange et de projets sur le pilotage de la recherche et de l’Expertise). Cette initiative concrétise l’axe 6 (Orienter la production de connaissances, la recherche et l’innovation vers la transition écologique) de la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable, qui avait défini quatre priorités : « • Impliquer les parties prenantes dans l’orientation de la recherche. • Faciliter les démarches d’innovation avec tous les acteurs. • Associer les parties prenantes à une production efficace de données et de connaissances. • Faciliter et favoriser l’accès aux données et aux résultats scientifiques. »
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Le programme Repere conduit une réflexion prospective et concertée sur l’implica‑ tion de la société civile dans l’orientation de la recherche : « Le programme REPERE est une plate-forme de dialogue, de propositions et de projets explorant les voies de la participation des associations qui portent les enjeux environnementaux et du développement durable à la programmation de la recherche et aux activités de recherche. »
Recherche-action On peut difficilement connaître un phénomène humain de l’extérieur, parce que les subjectivités qui s’expriment ne peuvent être comprises qu’activement, dans une implication. Dans l’intention de rendre compte le plus fidèlement possible, c’est-àdire par souci d’objectivité, le chercheur se voit contraint au paradoxe d’entrer dans la subjectivité de son champ d’étude. Ainsi, pour les questions à dimension sociale, un type de recherche, appelée « recherche-action », consiste à conjoindre l’action transformatrice du groupe social impliqué et la production de connaissances à son sujet. Le chercheur s’immerge dans le groupe qu’il étudie et participe au projet collectif en tant qu’acteur lui-même, tandis que les acteurs du groupe deviennent contributeurs dans la recherche. Selon Michel Bataille (1983, p. 33) : On peut dire que la R.-A. [recherche-action] n’est ni de la recherche, ni de l’action, ni l’intersection des deux, ni l’entre-deux, mais la boucle récursive entre recherche et action : se situer dans la complexité, c’est d’abord se situer dans cette boucle et non dans l’un ou l’autre des termes qu’elle boucle. C’est dans l’action et par l’action que se dessine la problématique de recherche et que celle-ci génère des connaissances, tant théoriques que pratiques, qui sont mises à profit par l’action : « Connaître un objet, c’est agir sur lui et le transformer, pour saisir les mécanismes de cette transformation en liaison avec les actions transformatrices elles-mêmes. » (Piaget, 1969, p. 48). La méthode et la déontologie de la rechercheaction sont conditionnées au fait que « Le chercheur cherche dans l’action ; il n’attend pas toujours que toutes les significations émergent avant d’agir… » (Cardinal et Morin, 1993). Ces auteurs promeuvent l’articulation de la recherche-action et de la modé‑ lisation systémique (Le Moigne, 2006), afin de coupler l’aptitude au changement dans la réflexion et l’action, à la démarche projective, téléologique, permise par la modélisation en complexité. La liberté créatrice et l’ouverture du champ des pos‑ sibles complètent ainsi la souplesse et l’adaptabilité. La modélisation d’accompagnement est un exemple de recherche-action où les cher‑ cheurs modélisent récursivement le projet d’un collectif recherchant une solution satisfaisante à un problème, en s’appuyant sur la connaissance évolutive produite par le collectif, chercheurs compris.
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Conception de projet et prospective La modélisation d’accompagnement Les idées exposées ici sont inspirées d’un ouvrage fondamental sur la modélisation d’accompagnement (Étienne, 2010). Même valable pour l’intérêt général, le résultat d’une décision faiblement partagée ne présente pas la même garantie d’adhésion pour le collectif que la recherche d’un processus de décision satisfaisant, quand bien même son résultat ne serait pas optimal du point de vue technico-économique. La modélisation d’accompagnement s’appuie sur des méthodes de modélisation en complexité (jeu de rôles, simulation multi-agents 3) pour accompagner un collec‑ tif d’acteurs dans une démarche de délibération, de décision et de co-construction participative (Bousquet et coll., 1999). Des acteurs multiples, politiques, institu‑ tionnels, citoyens, associations, scientifiques, experts, etc., sont invités à confronter leurs points de vue pour faire émerger une représentation partagée du système en question. Dans la modélisation d’accompagnement, les chercheurs sont des acteurs à part entière du processus délibératoire, ce qui en fait un cas de recherche-action. La finalité est donc double et la production de connaissances est intimement liée à la « transformation des formes d’interactions socio-économiques » (Étienne, 2010, p. 12). Les participants apprennent en raisonnant et en délibérant sur des modèles. La représentation du système par le collectif de participants est modélisée, généra‑ lement via la modélisation multi-agents ou le jeu de rôles, pour simuler son évo‑ lution. Les scénarios servent de base à un nouveau cycle d’échanges des points de vue et de modélisation, selon un protocole itératif qui se veut parfaitement trans‑ parent. La démarche est validée par l’observation des conséquences au sein du col‑ lectif et non pas à l’aune de la qualité technique et scientifique intrinsèque des modèles. La modélisation n’est ni un objectif ni une référence normative, mais une aide à la construction collective d’un projet. La modélisation d’accompagnement a été conceptualisée et expérimentée par un collectif de chercheurs interdiscipli‑ naire, ComMod, qui a notamment publié un texte synthétique sur les fondements et l’éthique de la démarche (voir annexe 11, La modélisation d’accompagnement, et adresse du site internet ComMod (Cirad, 2015)). De nombreuses expériences ont été conduites dans différents pays (l’ouvrage cité décrit vingt-sept cas d’études (Étienne, 2010, p. 305-340)), en particulier pour la prospective territoriale, dans des situations de conflits d’usages pour les espaces, la ressource en eau, la ressource halieutique, en matière de gestion des espaces et d’urbanisation, etc. Selon la même approche utilisant des outils calculatoires dans le but de faire modéliser en complexité le devenir d’un système sociotechnique par un col‑ lectif, signalons le projet SEPT, porté par le GAREP, qui s’appuie sur le modèle 3. La modélisation multi-agents, qui repose sur des procédures algorithmiques, décrit une « complexité restreinte », à toute fin d’aider à construire une représentation d’une situation en complexité non réductible à tout formalisme (« complexité générale »), ce qui est bien le cas pour un système d’acteurs humains où se déploient les interactions psycho-sociales et les subjectivités. Remarque : les expressions « complexité restreinte » et « complexité générale » ou « complexité généralisée », en référence à la théorie de la relativité, ont été introduites par Edgar Morin (2005).
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ATHEMA 4. Celui-ci est original, car il repose sur la représentation macro-écono‑ mique d’un territoire du point de vue de ses flux physiques, leur expression monétaire n’intervenant qu’en second lieu. La production de scénarios macro-économiques est destinée à fournir la matière à une réflexion prospective pour un avenir souhaité par les acteurs d’un territoire, dans le cadre de la démocratie participative où les habi‑ tants pourraient prendre leur destin en main (Garep, 2017).
Éducation humaniste Dans le paradigme du réalisme, la représentation du réel est objectivée, par consé‑ quent, la connaissance revêt un caractère de vérité. Bien qu’elle soit évolutive, la connaissance à un moment donné est considérée comme un édifice qu’il s’agit de faire visiter aux jeunes générations. L’enseignement a pour mission de perpétuer la culture, cumulable et transmissible à l’identique. Il n’est pas dans la vocation de l’enseignant de se distancier des connaissances académiques, mais de reproduire une configuration culturelle. L’apprentissage opère en « recueillant » le savoir, dispensé jusqu’à saturation, au détriment du sens, de l’entraînement du raisonnement, de la logique, du questionnement, de la pensée critique et du goût d’apprendre et de chercher. Une telle conception instrumentale du savoir et de sa transmission a dévoyé l’enseignement hors d’une trajectoire humaniste, car l’enfant lui-même est considéré comme un outil au service d’un système. Selon Jean-Pierre Lepri (2016, p. 42), l’enfant est mis en demeure d’intérioriser les préceptes suivants : J’apprends à ne pas poser de questions, j’apprends à y être soumis (à la question) et à exécuter scrupuleusement les consignes que je reçois, à être loyal, à obéir aux ordres. J’apprends qu’il n’y a qu’une seule bonne réponse à toute question, qu’elle préexiste, nécessairement, et que ce n’est pas moi qui la construis mais que je la reçois. Je n’ai pas à juger de l’exactitude de la question de mon éducateur, comme de ma réponse, mais à être jugé sur mon exactitude par rapport à la réponse attendue. Quant à l’Université, non seulement elle prolonge ce conditionnement, mais elle confie l’enseignement à des chercheurs plutôt qu’à des pédagogues, au prétexte de dispenser des connaissances de pointe, comme si l’intelligence ne pouvait pas être entraînée aussi avec des connaissances datées, comme si l’information brute n’était pas désormais accessible ailleurs. L’enseignement est grandement déconnecté de l’action ordinaire, de la vie des enfants et des étudiants, à qui l’on demande de se conformer, de connaître le pour‑ quoi des choses, de maîtriser méthodes et recettes pour pouvoir agir de manière reproductive. L’intelligence créatrice, l’intelligence collective et l’esprit critique demeurent sous-développés dans le système d’enseignement conventionnel. Dans cette vision, l’enseignement est une activité ordinaire qui peut être conçue et 4. SEPT : Structure d’études et de prospective territoriale GAREP : Groupe aquitain de recherches en économie prospective ATHEMA : Approche technologique et heuristique en macroéconomie appliquée
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organisée selon la rationalité des activités marchandes et entrer dans les mêmes logiques de productivité et de rentabilité. Cette tendance s’affirme actuellement en France (Bouchet, 2014). En revanche, dans l’optique constructiviste, lorsque le « pour quoi » motive l’action, dans une compréhension débattue et partagée du réel, l’idéal abstrait de La Raison s’efface au profit d’une raison construite et d’une pédagogie émancipatrice. Dans ce paradigme, l’enseignement poursuit le projet de transmettre l’envie et l’aptitude à façonner collectivement des représentations satisfaisantes 5. L’enseignement est au service de l’éducation. L’apprentissage se déroule « en faisant », au contact de la vie, voire hors école ! L’éducation scolaire et l’éducation populaire, si nécessaire à la vie collective apaisée et à la démocratie, ne devraient-elles pas se confondre ? Le meilleur lieu pour l’instruction n’est-il pas la société et le monde ? Renfermer les jeunes dans des lieux dédiés (écoles, collèges, lycées, universités) n’est sûrement pas la meilleure façon d’apprendre à vivre, à vivre ensemble, d’apprendre les fondamentaux culturels et la créativité. Nous avons une conception productiviste, donc simpliste, de l’édu‑ cation. La complexité suggère une éducation qui suscite l’épanouissement de chacun et son émancipation créative et politique : « La personne est en permanence, non pas un vide à remplir, mais un plein de potentiel qui ne demande qu’à s’exprimer si les conditions favorables lui sont offertes : liberté, exemple, bienveillance. » (Rossignol, 2017). À la différence de la fixation institutionnelle sur les méthodes, l’enseignement en complexité vise la totalité de l’être, intellectuel, psycho-affectif et moral, selon un processus nourri par la relation et la qualité d’être de l’enseignant. Dès lors, la mis‑ sion éducative, plus seulement au service de l’économie productiviste, se propose d’intégrer des ambitions entrelacées dans les champs politique, éthique, esthétique, psychologique, social, sanitaire, etc. L’enseignement en complexité place l’épistémologie et l’éthique au premier plan pour légitimer les connaissances et leur transmission dans la société, au service de l’humain et de la vie collective, non pas tant du point de vue utilitaire que du point de vue moral. L’enseignement humaniste est en cours de percolation dans la société, au moins dans les esprits, sinon sur le terrain. Edgar Morin a magistralement exposé, dans Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000), les principes de base d’une éducation éthique. Les expériences originales des écoles où l’on éduque sans ensei‑ gner, Summerhill au Royaume-Uni (Neil, 1960) et Sudbury Valley aux États-Unis, en sont des exemples célèbres et probants qui peuvent inspirer les éducateurs et les enseignants pour tous les âges de la vie. Des personnes témoignent avec force de ce que l’éducation et l’instruction peuvent s’accomplir sans scolarisation, et même sans enseignement, dès lors que « la disposition naturelle » de l’enfant pour le jeu et l’enthousiasme est confortée et accompagnée avec bienveillance (Stern, 2011). La généralisation de l’éducation humaniste est évidemment problématique, mais elle pourrait être source d’inspiration dans la nécessaire remise en question de l’ensei‑ gnement institutionnel. 5. Un des corollaires est la totale remise en question du sens et de la pratique de l’évaluation, considérée, en complexité, comme un processus qui doit donner lieu à une expérience enrichis‑ sante et formative (voir annexe 8, L’évaluation en complexité).
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Médecine systémique Que pourrait être la médecine en complexité ? Un exercice prospectif est possible sur la base des grands principes évoqués supra. L’être humain peut être considéré comme l’expression infiniment entrelacée de la génétique, de la physiologie, de la psyché, de l’acculturation, de la socialisation, de l’environnement, etc. L’individu pourrait ne pas être appréhendé comme le porteur d’une maladie, mais comme une personne globalement en souffrance utilisant le langage du corps pour l’exprimer. La complexité du vivant se traduit par la diversité des organismes et des individus au sein d’une même espèce. Chaque individu est singulier et l’acte thérapeutique a toutes les raisons de l’être également. L’art du thérapeute serait donc de co-construire avec la personne souffrante une connaissance fine de son fonctionnement et de ses failles pour proposer du sens à l’être en souffrance. La relation avec le thérapeute ne serait pas distante, mais activante, dans le processus de changement de la personne souffrante (ni patiente ni cliente…). La pensée complexe, nuancée et agile, compose avec de nombreux points de vue. Elle suggère de privilégier le « projet », c’est-à-dire de se mettre en chemin pour retrouver le bien-être, avant de se focaliser sur le rétablissement d’un hypothétique « état de santé ». Elle conseille également de donner la priorité à ce projet plutôt qu’au conformisme, relativement à toute école de pensée médicale. La validité de l’acte thérapeutique ne serait pas seulement évaluée à l’aune de l’orthodoxie des méthodes, mais à ses résultats sur la personne globale. Ainsi, on ne peut pas se contenter d’enrayer une maladie selon les règles de l’art si c’est au prix de l’ad‑ ministration à vie de médicaments aux effets secondaires redoutables, ou bien si l’arrière-plan du symptôme n’a pas été pris en compte. La méthode analytique de la médecine scientifique est puissante et utile pour identifier et localiser un symptôme dans le diagnostic de l’expression d’un dysfonctionnement (pas nécessairement de son origine), mais elle néglige beaucoup trop d’interactions dans l’organisme, son psychisme et ses environnements, pour rétablir l’équilibre global de la personne souffrante (sauf cas particulier de réparations mécaniques de dégâts accidentels, par exemple). Les interventions médicales ou chirurgicales ciblant des organes, des fonctions spécifiques, négligent des effets indirects dans les équilibres distants, sub‑ tils ou méconnus. Avec le processus de somatisation ou l’effet placebo, il est notoire que le psychisme peut générer des effets physiologiques et physiques, et inverse‑ ment, le corps physique semble pouvoir modifier les états psychologiques 6. Il s’agit donc de dépasser une vision analytique, sectorielle, spécialisée. En psychothérapie, une remarquable pratique a été développée pour une « clinique de la complexité », « ouverte, plurielle et multiréférentielle » (de Gaulejac, 2017). La personne y est consi‑ dérée comme « totalité bio-psycho-sociale » et des « stratégies thérapeutiques combinées » proposent « une démarche multipolaire qui consiste à croiser plusieurs points de 6. Voir par exemple, la méthode dite Technique d’identification sensorielle des peurs inconscientes (Tipi, 2017).
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vue théoriques issus de disciplines différentes, à adopter plusieurs perspectives, à éclairer les phénomènes étudiés à partir de problématiques issues de théories différentes, voire divergentes. » Avec le Réseau international de sociologie clinique, la médecine dis‑ pose d’exemples thérapeutiques qui « favorisent la coexistence de démarches et de pratiques différentes ». En complexité, les méthodes médicales seraient variées, puisées à tout le savoir humain, à toutes les cultures et à toutes les traditions, du chamanisme à la technoscience de pointe. Peu importe que la méthode soit issue de la science ou non, pourvu qu’elle soulage et guérisse sans effets secondaires. L’orthodoxie actuelle n’entend pas cela, mais les temps changent, puisqu’il est désormais connu que des médecins humanistes et pragmatiques (et courageux…) orientent leurs patients atteints de zona ou dont la peau est brûlée par la radiothérapie chez des guérisseurs « coupeurs de feu » qui les soulagent avec efficacité (Quaireau, 2010). Beaucoup de médecins connaissent ces pratiques et les tolèrent, à condition de le taire ! Les inquiétudes sur les dérives possibles de l’élargissement méthodologique sont légi‑ times, mais partiales. Malheureusement en effet, l’orthodoxie méthodologique ne prémunit en rien contre les abus et les dérives, comme le révèlent divers scandales sanitaires et financiers impliquant corporations et firmes industrielles 7. Le dog‑ matisme n’a aucune raison de protéger contre l’usage malhonnête de la médecine, même au sein des institutions officielles ou agréées 8. C’est pourquoi une méthode « qui marche » pour quelqu’un (aucune méthode n’est universelle), c’est-à-dire qui guérit et rétablit la personne dans son bien-être, mais que l’on n’explique pas avec la connaissance scientifique du moment, doit être considérée comme digne et utile. L’agir-penser en complexité pose l’autocritique comme indissociable de tout projet. Ainsi, l’épistémologie, la déontologie et l’éthique n’ont pas moins de chance d’être effectives dans une médecine pragmatique systémique à large spectre méthodolo‑ gique que dans une médecine scientiste dogmatique et exclusive. Cela suggère une révolution de l’enseignement de la médecine. L’organisme humain est une structure dissipative qui oscille au voisinage d’un état critique par des successions de petites crises surmontées, jusqu’à ce que, par accumulation multifactorielle de processus néfastes, il dépasse cet état métastable pour subir une bifurcation, en l’occurrence un effondrement, avec la déclaration d’une maladie. Pour chaque individu, l’effondrement est fréquent ou non, précoce ou non, définitif ou non, selon l’intensité des stress subis, selon la sensibilité aux conditions initiales (due, par exemple, à la génétique ou à la percolation toxique
7. La possibilité de réfutation constitue la charpente épistémologique de la science. Malheureusement, pour de purs motifs de profit financier, l’industrie instrumentalise les contro‑ verses qui en découlent normalement, dans une stratégie du doute bien documentée par Naomi Oreskes et Erik M. Coway (2012). Dans le registre pharmaceutique, la bataille des statines dans le traitement contre le cholestérol est une, parmi bien d’autres, des batailles financières qui se livrent à l’ombre de la science. 8. Quelques exemples en France : (a) selon le collectif conduit par André Grimaldi et Irène Frachon (2017), « les prescriptions injustifiées et les hospitalisations évitables » représentent plus de 20 % des dépenses la Sécurité sociale ; (b) l’obligation vaccinale de fait par des vaccins non obli‑ gatoires, mélangés aux trois vaccins obligatoires (DTP) ; etc.
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environnementale précoce). Cette vision en système thermodynamique auto-écoorganisé met en évidence que la médecine conventionnelle vise plutôt la personne souffrante après la rupture de symétrie (la maladie déclarée) de la structure dissipa‑ tive, tandis que les médecines alternatives dites « naturelles » ou « douces » cherchent préférentiellement à modifier l’équilibre dynamique avant la crise 9. Les médecines alternatives sont décriées par la médecine conventionnelle, sans doute pas seulement en raison de la concurrence qu’elles leur infligent, mais aussi parce qu’elles mettent en lumière la faiblesse de l’approche symptomatique et curative, dans la mesure où le système biologique humain est le siège de transformations brusques et irréver‑ sibles. La médecine systémique est une médecine « du terrain » où plus l’action est pensée et mise en œuvre dans le courant normal de la vie, par l’écoute attentive et attentionnée du langage du corps, plus elle peut être subtile et douce et se cantonner principalement à l’hygiène de vie pour limiter considérablement les risques patho‑ logiques – mais pas tous, malheureusement, à cause des accidents, des antécédents génétiques et des causes environnementales notamment. L’approche préventive systémique évite les processus dialogiques où l’antagonisme peut renforcer ce à quoi il s’oppose. Ainsi, plutôt que de chercher à éradiquer un agent pathogène, on préférera conforter l’aptitude de l’organisme à lui résis‑ ter. Cela suppose d’envisager les phénomènes complexes de la nature comme des alliés et d’abandonner la méfiance qui prévaut dans la sphère de la technoscience médicale dès lors que la rationalité scientifique n’a pas d’explication à proposer, au point même de recommander le bannissement des mots « nature » et « naturel » en médecine, au motif qu’ils véhiculent des croyances et des valeurs ! (Martucci et Barnhill, 2016). Les techniques systémiques devraient cependant se développer. Donnons un pre‑ mier exemple, à titre d’illustration, avec la phagothérapie. Il est préférable de com‑ poser avec un écosystème pour qu’il déplace son homéostasie afin d’inhiber ou d’exprimer le caractère attendu, plutôt que de vouloir en éradiquer une composante par une action indépendante. Ainsi, l’usage des antibiotiques, excessif à cause de la facilité offerte par cet artefact, a-t-il accru le risque en favorisant la sélection de souches résistantes de bactéries pathogènes. Dans une logique écosystémique, il est possible d’envisager d’utiliser des virus bactériophages inoffensifs pour l’Homme, afin de décimer les populations de bactéries pathogènes (la phagothérapie est une méthode anciennement connue). La phytopharmacie est un deuxième exemple d’art thérapeuthique systémique. Les processus chimiques sont beaucoup plus faciles à comprendre et à mettre en œuvre que les processus écosystémiques, c’est pourquoi la chimie s’est imposée comme
9. Il ne faut pas confondre ici le dépistage précoce avec l’authentique prévention. Sans doute faudrait-il distinguer la maladie latente (processus de criticalité auto-organisée) de la maladie déclarée (processus de rupture de symétrie), sachant qu’une maladie latente peut ne jamais s’ex‑ primer, ce qui pose parfois le problème du dépistage précoce dans la rupture d’équilibre, avec l’effondrement psychique qu’il provoque. La subtilité requise pour la prescription requiert alors une grande compétence systémique pour appréhender la personne globale…
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technique facile à maîtriser dans la conception des médicaments. En revanche, le procédé thérapeutique est souvent brutal, non sélectif, déclencheur d’effets indési‑ rables collatéraux 10. Les molécules actives fournies par le vivant, en particulier par les plantes, sont, quant à elles, « contextualisées », c’est-à-dire associées à d’innom‑ brables autres molécules qui opèrent subtilement dans des processus synergiques ou régulateurs bénéfiques. Une conception complexe de la médecine doit s’accompagner d’une approche cohérente et également systémique des interactions avec l’environnement. Il suffit d’évoquer le cas particulier de l’effet cocktail des substances chimiques. Il s’agit d’un effet non linéaire maintenant démontré (Graillot et coll., 2012 ; Delfosse et coll., 2015), qui confère une toxicité à un mélange de composants, bien qu’isolément non toxiques, intrinsèquement, ou du fait de leur faible concentration. L’effet cock‑ tail mine le système des seuils réglementaires de polluants admissibles sur lesquels s’appuient les autorités pour légitimer l’acceptabilité du risque. La vision de la santé en complexité devrait devenir une priorité dans l’éducation des jeunes, au titre de la prévention, en recherche et pour la formation des étudiants en médecine, afin de rétablir et consolider l’état sanitaire des populations (l’espérance de vie en bonne santé tend à diminuer en France depuis 2006 (INSEE, 2015)) et de renforcer la dimension éthique et humaniste du secteur économique médical et pharmaceutique. Cependant, « Aucune activité humaine, pas même la médecine, n’a autant d’importance pour la santé que l’agriculture. » (Delbet, cité par Lance, 2006, p. 188).
Agriculture écosystémique Bien que soumis aussi aux intérêts des firmes industrielles, mais secteur moins sensible que la médecine sur les plans symbolique et idéologique, l’agriculture a pu expérimenter divers systèmes de production, en particulier des systèmes agro- écologiques, dont les performances sont intéressantes à comparer à celles de l’agri‑ culture industrielle. Comme dans le cas de la médecine, l’agriculture a fait des progrès fulgurants, malgré l’extrême simplification conceptuelle qui sous-tend les pratiques, car le potentiel d’amélioration était colossal, grâce à l’utilisation sans compter de l’énergie fossile et à la formidable richesse des écosystèmes. Cependant, la maximisation du flux d’énergie qui traverse le système agro-socio-écologique en équilibre dynamique peut déboucher sur l’atteinte d’un seuil critique. À force d’indépendance dans les raison‑ nements agronomiques et les pratiques agricoles relativement aux processus com‑ plexes de la nature, le système de production génère une « bulle thermodynamique » 10. Selon le docteur Bernard Bégaud, membre de la commission de pharmacovigilance de 1982 à 2000, « Il y a chaque année 18 000 morts directement liées à la prise de médicaments. Parmi eux, beaucoup de cas sont inévitables, mais un tiers de ces décès correspondent à des prescriptions qui ne sont pas justifiées. » (Le Monde, 2013).
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(Roddier, 2012, p.149). De fait, l’agriculture est de moins en m performante du point de vue énergétique. Solagro (2007) a montr l’agriculture fortement lorsq et sera contraint del’efficacité les intégrer, énergétique sous peine de de s’effondrer. « …plusdécroît un domaine [d’Ising] dissipe d’énergie, plus vite il fait évoluer son environnement et plus vite il consommation d’énergie augmente (figure 6.4). De s’effondre. » (Roddier, 2012, p. 149). fait, l’agriculture est de moins en moins La recherche de puissance mécanique et le simplisme méthodologiq performante du point de vue énergétique. Solagro (2007) a montré que l’efficacité l’ingénierie chimique, qui cherche à éradiquer des espèces ravage énergétique de l’agriculture décroît fortement lorsque la consommation d’énergie sont en train de tuer la vie des sols et appauvrissent drastiqueme augmente (figure 6.4). écosystèmes, eux-mêmes bénéfiques à l’agriculture. Il est inuti La recherche de puissance mécanique et le simplisme méthodologique de l’ingénie‑ s’étendre sur ledes désastre de l’agriculture rie chimique, qui cherche à éradiquer espèces ravageuses, sont en industrielle train de tuer laproductiviste les écosystèmes et la les santé des populations. tout cela est bien docum vie des sols et appauvrissent drastiquement écosystèmes, eux-mêmes bénéfiques à l’agriculture. Il estetinutile de s’étendre sur le désastre de l’agriculture industrielle connu de tous, mais le redressement volontaire d’un sys productiviste pour monolithique les écosystèmes àetl’échelle la santé des populations. Tout cela est bien difficile, d’a mondiale est particulièrement documenté et connu de tous, mais le redressement volontaire d’un système mono‑ que la modernisation est freinée par tous les bénéficiaires du systèm lithique à l’échelle mondiale est particulièrement difficile, d’autant que la moder‑ Mieux vaut donc qui évoquer quelques pistes et que nisation est freinée aparprévalu. tous les bénéficiaires du système a prévalu. Mieux vaut alternatives qui préfigurent l’agriculture de demain. donc évoquer quelques pistes et quelques alternatives qui préfigurent l’agriculture de demain. efficacité énergétique 20 16 12 8 4 0
0
50
100 150 200 250 consommation énergétique
Figure 6.4 • Efficacité énerg d’un échantillon de fermes de g culture en France, exprimée rapport de l’énergie brute produits agricoles à la consomm totale d’énergie, en fonction d consommation exprimée en é lent fuel par tonne de matière produite, d’après Solagro (20 35) (les points expérimentaux n pas reportés ici).
Figure 6.4 Efficacité énergétique d’un échantillon de fermes de grande culture en France, exprimée par le rapport de des l’énergie brute des produits agricoles à la Les territoires sont éco-socio-systèmes dont l’homéostasie du consommation totale d’énergie, en fonction de cette consommation expripasse avant tout par la «culture» de la diversité, avec la diversit mée en équivalent fuel par tonne de matière sèche produite, d’après Solagro cultures et expérimentaux la diversité génétique des (2007, p. 35) (les points ne sont pas reportés ici). espèces domestiques
polyculture-élevage permet la rotation des cultures, la présen et de haies,dont l’interaction avec des passe forêtsavant et des cours d Les territoires sont prairies des éco-socio-systèmes l’homéostasie durable tout par la « culture » avec la diversité des cultures et la diversité Les sols n de la diversité, vivants, qui participent favorablement à l’agriculture. génétique des espèces la rotation des pasdomestiques. seulement La despolyculture-élevage supports, mais permet de véritables écosystèmes rich cultures, la présence de prairies et de haies, l’interaction avec des forêts et des cours microflores et de microfaunes indispensables à la d’eau vivants, qui participent favorablement à l’agriculture. Les sols n’étant passanté des pl (Bourguigon, 2010), une agriculture véritable commencera par fav seulement des supports, mais de véritables écosystèmes riches de microflores et de ce milieu, grâce à des 2010), pratiques culturales douces microfaunes indispensables à la santé des notamment plantes (Bourguigon, une agricul‑ ture véritable commencera favoriser ce et milieu, grâce notamment des pratiques apportspar organiques le bannissement des àproduits de synthèse toxi culturales douces, des apports organiques et le bannissement des produits de syn‑ La santé des sols est le garant de la résistance des plantes aux mal thèse toxiques. La santé des sols est le garant de la résistance des plantes aux maladies et aux ravageurs que la diversité écologique contribue à contenir. La nature n’est pas
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une rivale qu’il faudrait maîtriser, mais bien au contraire, une alliée de l’agriculture en tant que facteur de complexité précieux dans une relation de type symbiotique. Trop peu de recherches ont été conduites sur l’agroécologie, qui offre certainement un potentiel de développement important pour la production alimentaire et la régé‑ nération des écosystèmes. Une démonstration de viabilité des exploitations agricoles a été faite dans le cas de l’agriculture biologique qui s’interdit d’utiliser tout intrant de synthèse. L’épouvantail de la pénurie alimentaire avec la généralisation de l’agriculture bio‑ logique relève de la désinformation, car la FAO elle-même a affirmé que ce type d’agriculture était en capacité de nourrir tous les Terriens (FAO, 2007). Le chan‑ gement de régime alimentaire, vers une nutrition moins carnée, doit accompagner favorablement une reconversion agricole généralisée. Ces questions complexes ne peuvent être détaillées ici et on pourra consulter la synthèse d’un chercheur de l’INRA (Benoît et coll., 2015) pour plus de détails 11, ainsi que le rapport prospectif de Solagro, Afterres 2050 (2017). Un rapport spécial sur le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (De Schutter, 2010) montre que l’agroécologie accroît très significativement la productivité et les ressources alimen‑ taires dans les pays pauvres. Plus avancée encore dans la logique écosystémique et même éco-socio-systémique, la permaculture a démontré ses bienfaits dans la fourniture de denrées saines, tant pour les équilibres naturels que pour la productivité et le bien-être de l’agriculteur. La permaculture s’inspire du fonctionnement des écosystèmes naturels. Elle crée des agro-éco-systèmes où les interactions entre organismes sont mutuellement béné‑ fiques tout en minimisant le travail et l’énergie à fournir. La diversité des espèces associées, comprenant aussi arbres et arbustes, recrée biotopes et micro-climats favorables. Cette agriculture paysanne intensive est une vraie ingénierie de la com‑ plexité de très haute technicité et très productive. À titre d’exemple, la ferme du Bec Helloin, en Normandie, a montré que 1 000 m2 de maraîchage peuvent procurer un revenu à une personne (il faut cependant tenir compte de la nécessaire présence d’un territoire naturel environnant) (Guégan et Léger, 2015).
Et pour finir, la géo-ingénierie Les actions puissantes et de grande échelle pensées dans la simplification ont été per‑ mises par l’énergie fossile, énergie concentrée, abondante et facile à utiliser, via les ingénieries chimique, électronique et mécanique. Leur développement a été expo‑ nentiel dans un système éco-socio-technique presque vierge qui offrait un énorme potentiel. Désormais cependant, le processus génère ses propres phénomènes anta‑ gonistes régulateurs, avec les rendements décroissants par exemple (expression du second principe de la thermodynamique), car l’artificialisation et le productivisme 11. Ajoutons que le Conseil économique social et environnemental a massivement voté, le 23 novembre 2016 un avis qui préconise de réformer la totalité du système agricole français pour une transition agroécologique.
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entraînent trop loin les systèmes éco-socio-techniques dans leurs oscillations homéostatiques. L’ère techno-scientifique a été fulgurante, éblouissante, mais ne peut qu’être éphé‑ mère. Néanmoins, cela n’apparaît pas encore comme une évidence et le tropisme des raisonnements simplistes pour des actions faciles de grande ampleur provoque la poursuite de la logique de forçage et de maîtrise des environnements. On pense désormais à la géo-ingénierie, avec la régulation du climat à l’échelle planétaire. La tentation démiurgique de manipuler le climat est ancienne (Newell, 1966 ; House et coll., 1996), à des fins guerrières 12, en donnant lieu à des applications, notam‑ ment par les États-Unis au Viêt Nam (Lévy, 2015), et désormais aussi, dans le but déclaré de limiter le réchauffement planétaire 13. Les propositions de gérer l’inten‑ sité du rayonnement solaire sont diverses, plus ou moins réalistes, et l’une d’elles, par exemple, nécessiterait la dispersion annuelle, dans la stratosphère, de plusieurs dizaines de millions de tonnes de soufre sous forme de dioxyde, précurseur d’aérosols sulfatés qui absorberaient le rayonnement solaire. Certaines propositions consistent à fertiliser les océans avec du fer pour stimuler le développement du phytoplancton opérant la photosynthèse qui consomme du dioxyde de carbone. Dans un système complexe, du fait des innombrables interactions, toute action génère des effets imprévus, qui peuvent être indésirables, voire engendrer des désa‑ gréments pires que ceux auxquels on tente de remédier… Les réponses indésirables renvoyées par le système peuvent être assujetties à l’ampleur de l’action perturba‑ trice. Quelle serait l’importance des effets secondaires de la géo-ingénierie à l’échelle planétaire, dans le couplage avec les géo-bio-cycles ignorés par les concepteurs des techniques d’intervention ? La recrudescence récente de l’intérêt pour la géo-ingénierie montre que la civilisa‑ tion technicienne : (1) trouve plus facile les actions palliatives indéfiniment réitérées que l’approche préventive et curative ; (2) n’a toujours pas tiré les leçons du réduc‑ tionnisme des activités industrielles, agricoles, médicales, etc., confirmant de nou‑ veau le constat d’Hegel (1822) : « Ce que nous enseignent l’expérience et l’histoire, c’est que ni le peuple ni les gouvernements n’ont jamais appris quoi que ce soit par l’Histoire, ou agi selon des principes déduits de l’Histoire. » On pourra toujours objecter que l’évolution techno-scientifique est condamnée à dépendre de l’expérimentation en milieu ouvert à l’échelle réelle, dans le seul labo‑ ratoire disponible, la Terre. Soit, mais on peut rétorquer deux choses : (1) l’éthique 12. Des conventions internationales ont tenté d’encadrer l’instrumentalisation de l’environne‑ ment à des fins militaires : le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, adopté le 8 juin 1977 ; la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, adoptée le 10 décembre 1976. Ce sont néanmoins des ins‑ truments juridiques faibles et lacunaires (Mampaey, 2008). 13. Le fait que l’on trouve de farouches partisans de la manipulation climatique chez les climatosceptiques n’est pas le moindre paradoxe de la pensée simpliste et dit sans doute autre chose sur les mobiles réels (Lévy, 2015).
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impose de ne pas laisser la décision à quelques grandes compagnies internationales opportunistes et cupides sur des questions aussi importantes et sensibles, et elle requiert d’impliquer les populations dans la recherche des solutions qui déterminent leur avenir : (2) quel que soit le contexte technicien, développé ou non, évolu‑ tif ou figé, le progrès peut être envisagé autrement que dans l’ordre matérialiste de la techno-science et concerner la conscience, qui stagne dans un état primitif (Rossignol, 2017). Le documentaire intitulé Les derniers jours de l’Homme (Sjöström, s.d.) n’évoque cependant pas la géo-ingénierie comme la plus grande menace pour la survie de l’espèce humaine, devancée par trois autres ! Mais pour clore ce chapitre sur les ingénieries systémiques par une note encourageante et même enthousiasmante, il faut mentionner le film Demain (Dion et Laurent, 2015). Ce documentaire de belle facture présente des actions dans divers domaines, agriculture, enseignement, banque, etc., envisagées pour et avec des collectifs portés par des valeurs humani‑ taires et humanistes. Les cas évoqués constituent autant de signaux faibles sur un processus en percolation qui préfigure peut-être l’humanité d’après la crise générée par le simplisme matérialiste et productiviste.
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Corrigés des exercices Exercice 6.1 (enquête publique)
Retour à l’énoncé : page 126
Dans l’esprit du développement durable, c’est-à-dire en particulier, du point de vue de la cohésion sociale, il est souhaitable d’obtenir le consentement le plus large pos‑ sible autour des projets d’aménagement territorial et de développement industriel. L’organigramme révèle le caractère tardif de l’enquête publique, après que le projet soit défini par le maître d’ouvrage et validé par les institutions. Lorsque le projet est contestable, parce qu’il a négligé les nuisances environnementales ou sociales par exemple, il est extrêmement difficile de le réviser en profondeur. Des ajustements, des compensations à la marge, peuvent être demandées par la préfecture, mais rare‑ ment l’issue représente le meilleur compromis pour toutes les parties. Très souvent, le Tribunal administratif est saisi et les procédures innombrables représentent un coût colossal pour les protagonistes et la collectivité. La pratique traditionnelle consistant à obtenir l’assentiment des élus en catimini, puis à informer a minima le territoire pour forcer l’acceptabilité des projets est de moins en moins acceptée. En ajoutant un peu de complexité à la procédure compliquée d’autorisation, il serait possible d’améliorer considérablement le déroulement des affaires. Il suffirait d’impliquer les parties prenantes, riverains, associations d’environnement, très en amont, au stade de la définition du projet, pour rechercher une solution satisfaisante. Ce n’est mal‑ heureusement pas dans la culture des entreprises, habituées à imposer leurs projets à la collectivité, au motif qu’elles alimentent l’économie et l’emploi. Cependant, la loi Grenelle 2 (2010) a récemment adopté une disposition allant dans le sens requis par la protection de l’environnement et l’apaisement social :
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6. Ingénieries: Ingénieurs-citoyens et citoyens-ingénieurs
Titre VI GOUVERNANCE, Chapitre IV Dispositions diverses relatives à l’information et la concertation Article 246, Section 4 ; Autres modes de concertation préalable à l’enquête publique « Art. L.121-16.–I.– À défaut de dispositions plus précises prévues par le présent chapitre ou par les dispositions législatives particulières applicables au projet, la personne responsable d’un projet, plan ou programme ou décision mentionné à l’article L.123-2 peut procéder, à la demande le cas échéant de l’autorité compétente pour prendre la décision, à une concertation préalable à l’enquête publique associant le public pendant la durée d’élaboration du projet, plan, programme ou décision. »
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7 Organisations et gouvernance Le vivre ensemble en complexité
Penser en complexité revient à décliner le principe de reliance de toutes les manières possibles et en particulier à connecter tout projet à ses contextes. Cette vision permet de refonder l’économie, qui devient une économie politique et biophysique, d’élargir les finalités de l’entreprise, avec la culture de la responsabilité environnementale et sociale ; de reconsidérer la gouvernance et le management. Penser en complexité la gouvernance passe par la déstructuration des organisations verticales, pyramidales, concentrées et centralisées. La dissémination du pouvoir, plus ou moins poussée selon les expériences, libère la motivation et la créativité en conciliant bonheur au travail et performance. Les organisations, confrontées aux perturbations et aux changements de contextes, deviennent plus résilientes.
Les présupposés de l’économie orthodoxe Les théories économiques postulent que les individus sont rationnels, autonomes et égoïstes. La fausseté de cette affirmation tient à son caractère exclusif. L’humain est évidemment tout cela, mais il est aussi un être non rationnel, dépendant, sociable et altruiste. On note que les fondements de l’économie sont profondément réducteurs
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
en générant des ruptures de liens dans la représentation de l’humain : une seule facette est prise en considération, qui plus est, celle qui met en exergue la coupure sociale, avec l’autonomie et l’égoïsme. Cette vision a prévalu dans l’établissement des règles du « vivre ensemble » et déterminé les modalités de gouvernance des orga‑ nisations et des échanges à toutes les échelles. La poursuite et l’intensification de processus qui ne sont pas en adéquation avec ce qu’est réellement l’humain (sans considération de ce que l’on en sait) génère un risque cataclysmique, à cause d’une tension croissante accumulatrice d’énergie. À l’heure actuelle, de ce point de vue, le personnel politique est trop souvent encore dans l’ignorance (ou le déni), ce qui alimente le phénomène redouté, la prochaine bifurcation socio-économique et peut-être même civilisationnelle. La non-pertinence des postulats de l’économie sur l’humain a pourtant été démontrée. Citons, par exemple les contributions de Daniel Kahneman (2012) pour la rationalité et de Jacques Généreux (Généreux, 2006) sur la question de la sociabilité. Le lien social est constitutif d’Homo sapiens sapiens (voir encadré). L’individu est une singularité du collectif, à la fois nœud d’un réseau et expression du tout. La société est l’état fondamental de l’humain et ne résulte pas strictement d’un « contrat » culturel ou politique. Le réalisme éco‑ nomique serait donc de considérer les dialogiques suivantes pour l’instauration des règles : (1) coopération / compétition ; (2) altruisme / égoïsme ; (3) solidarité / indi‑ vidualisme. Les consciences évoluent sur ces questions et des expériences nouvelles sont tentées dans la conduite des organisations, tant sur le plan fonctionnel que sur le plan de la gouvernance. La nature sociable du genre Homo Il y a environ 1,8 million d’années, en Afrique, le genre Homo (Homo ergaster) a adopté la savane comme milieu de vie. L’absence d’hyper-adaptation spécifique, conférant des avantages sur les prédateurs, fut compensée avec succès par une hyper-spécialisation singulière : la sociabilité. La dépendance de l’enfant, l’état précaire et vulnérable qui en découle pour la mère, ont ainsi été surmontés grâce à l’entraide au sein du groupe. D’après J. Généreux (2006, p. 363-370), La Dissociété. Processus apparu avec Homo ergaster, à cause de l’adaptation du bassin à la marche, avec son étroitisation, le petit humain naît « prématuré », à 9 mois, au lieu de 15, par comparaison au ratio [durée de gestation/taille] des autres animaux. Par conséquent, à la naissance, le cerveau humain ne dispose que du matériel neuronal et les connexions se réduisent à celles qui assurent les seules fonctions vitales : le cerveau est « plastique » et sujet à l’imprégnation sociale. Les connexions s’établissent dans un « champ » relationnel, car le bébé se développe cognitivement en interaction avec les autres. D’après J. Généreux (2006, p. 363-370), La Dissociété. De façon dialogique, on pourrait aussi considérer que cette intégration consti tutive du non-soi en soi génère un processus de rejet de l’altérité qui pourrait aussi expliquer l’agressivité et la cruauté de l’humain, tout à fait exceptionnelle dans le règne animal.
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
Vers une économie bio-socio-physique L’économie actuelle est fondée sur des théories simplistes déconnectées des contextes naturels, physiques, biologiques, psychosociaux. Pensée hors des interactions systé‑ miques, elle s’est fixé un but d’accroissement matériel indéfini, d’ordre quantitatif, avec l’accumulation de biens, de richesses et de confort matériel. Cependant, les conséquences indésirables des activités, rejetées vers les contextes que constituent les milieux naturels et les organismes vivants, n’étant pas prises en considération, un écart croissant se fait jour entre l’idéologie économique et la réalité du monde qu’elle affecte. Comme pour tout système thermodynamique non linéaire complexe, la tension croît jusqu’au déclenchement d’une « avalanche », qui fait diminuer l’éner‑ gie interne du système. L’anticipation raisonnée de ce processus potentiellement destructeur à grande échelle devrait inciter les politiciens à moins relayer les désirs de la sphère financière, et les citoyens à prendre en charge leur devenir collectif pour inventer une nouvelle économie sociale, solidaire, circulaire. Économie de fonctionnalité
SymbioSE t
Symbiose territoriale
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lE Ria to Ri
biomimétisme
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mutualisation, partage partage des connaissances (sur l’utilisation des biens de consommation, leur réparation, etc.)
réutilisation
reconversion réparation
Figure 7.1 • L’économie circulaire minimise les flux entrants de matière et d’énergie et les Figure rejets7.1 fatals, sur le mode de fonctionnement de l’écosystème naturel.et d’énergie et les L’économie circulaire minimise les flux entrants de matière rejets prend fatals, en sur compte le modela de consommation fonctionnement l’écosystème • L’écoconception desderessources et naturel. les impacts • L’écoconception prend en compte la consommation des ressources et les environnementaux des produits sur tout leur cycle de vie, depuis l’extraction des matières impacts environnementaux des produits sur tout leur cycle de vie, depuis premières jusqu’à là fin de vie. l’extraction matières des premières jusqu’à là au fin point de vie. • Le biomimétisme consistedes à s’inspirer «solutions» mises par le vivant quant à • Le biomimétisme des « solutions » mises au point par leur performance conjointe sur lesconsiste plans de àlas’inspirer fonctionnalité et de l’économie des ressources. le vivant quant àconsiste leur performance conjointe surpar lesun plans fonctionnalité • L’économie de fonctionnalité à vendre le service rendu biende dela consommation de lui-même, l’économie plutôt que ceetbien cedes qui ressources. transfère l’intérêt du fabricant vers la plus grande durée de vie possible pour ses produits. • L’économie de fonctionnalité consiste à vendre le service rendu par un bien • L’écologie industrielle, et plus largement la symbiose territoriale,ceconçoit le fonctionnement de consommation plutôt que ce bien lui-même, qui transfère l’intérêt du matériel des fabricant organisations des organismes vivant en symbiose oùproduits. les déchets des verscomme la pluscelui grande durée de vie possible pour ses uns sont des •ressources pour les autres. et plus largement la symbiose territoriale, conçoit L’écologie industrielle, le fonctionnement matériel des organisations comme celui des organismes vivant en symbiose où les déchets des uns sont des ressources pour les autres.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Pour transformer la présente économie dogmatique et opportuniste en une nouvelle économie plus pragmatique et humaniste, il est possible de s’appuyer sur certains principes fondamentaux de la complexité (figure 7.1). Ainsi, la diversité est un bon guide pour la conception d’organisations socio-économiques résilientes. La diversité peut concerner les modalités de l’économie, la monnaie étatique, les expériences de gouvernance et d’éducation, etc. Le corollaire est bien évidemment de ne pas négli‑ ger de construire inlassablement du lien dans cette diversité pour éviter l’écueil de l’atomisation et du communautarisme, c’est-à-dire le conflit. Le cynisme en économie Après la tragédie du Tsunami qui a ravagé le Japon le 11 mars 2011, on pouvait lire, le 2 mai 2011, sur la page d’accueil du site de L’OCDE1, la phrase suivante : « JAPON : L’économie est affaiblie mais la reconstruction devrait relancer l’activité ». Toutes les catastrophes sont les bienvenues dans une logique économique qui réduit le bienfait à la quantité d’activité. La connexion des processus économiques aux contextes culturels et naturels néces‑ site la mise au point d’une métrique appropriée, en substitution de l’indicateur PIB actuel, qui ne renseigne en rien sur ce qui importe au bonheur humain. Le PIB n’étant que la somme de valeurs ajoutées, il s’accroît avec l’activité induite par n’importe quel désastre ou fléau… À titre d’exemple, le rendement énergétique ou mieux, exergétique, des entités économiques serait bien plus pertinent qu’un indi‑ cateur monétaire pour piloter l’économie dans le sens d’une gestion patrimoniale des ressources. En outre, les modalités de conception et de décision partagées de la démocratie participative à l’échelle des territoires s’imposent pour intensifier les interactions, renforcer les liens, et ainsi souder la cohésion globale du système.
Nouvelle conception du politique Selon Pierre Calame (2016) : « l’art de la démocratie et de la gouvernance, aujourd’hui, c’est l’art d’appréhender la complexité et de la gérer. » En effet, l’agir-penser en com‑ plexité permet de concevoir un renouveau salvateur dans l’organisation de la vie col‑ lective, la « vie de la cité », c’est-à-dire la chose politique 2. La démocratie achoppe notamment sur deux écueils, avec l’assimilation de la représentation politique à la délégation, et avec la grande porosité qu’offrent les instances politiques aux acteurs dominants de l’économie. Beaucoup de citoyens considèrent que leurs aspirations pour l’intérêt général ne sont pas entendues par les représentants politiques, que 1. Organisation de coopération et de développement économiques comprenant les 34 pays parmi les plus développés de la planète. 2. Il est bien entendu que, dans cet ouvrage, le terme « politique » est utilisé dans son sens noble et n’a rien à voir avec les agissements politiciens des appareils partisans et de leurs personnels.
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
les changements liés à l’environnement, à la raréfaction des ressources, à la santé, aux inégalités, à la surpopulation, etc., sont sans effets sur la manière de conduire la politique, réduite à la politique économique néolibérale. De fait, diverses pros‑ pectives ont alerté sur le risque d’effondrement si la mesure des enjeux n’est pas prise et si des actions correctives ne sont pas envisagées résolument et précocement (Diamond, 2006 ; Meadows et coll., 2012 ; Roddier, 2012). Nombreux aussi sont ceux qui ont décroché de la vie politique, qui subissent sans se sentir concernés ou qui expriment par principe une protestation provocatrice canalisée par certains courants politiques totalitaires. En matière politique, comme dans le domaine culturel et en particulier scientifique, les responsables, les intellectuels, la société aisée et cultivée, se sont coupés du socle populaire, peu ou pas instruit, ou désaccul‑ turé. La culture et la vie de la cité se construisent au-dessus de cette base exclue du processus. Les deux univers se côtoient, mais tendent à diverger en produisant une tension connotée de mépris réciproque, de déni pour les uns et de défiance pour les autres. Le système oscille et maintient son équilibre dynamique, mais il tend vers un seuil critique. La complexité suggère de créer du lien, incessamment, réso‑ lument, infatigablement. Selon le principe de légitimité plurielle prôné par Michel Adam (2008), « Chacun a le droit de cité mais nul ne peut se prendre à lui tout seul pour la Cité. » Ainsi, l’intérêt général est une émergence qui, comme l’affirmait Jean Monnet au sujet de la modernisation et de la reconstruction de la France en 1946 (Adam, 2011, p. 59), nécessite « …d’associer toutes les forces du pays à la recherche de cet intérêt général dont personne n’avait la recette en propre, mais dont chacun détenait une partie ? » L’organisation méritocratique que forme la société intellectuelle et nantie pourrait reconsidérer le progrès humain dans le lien, avec tous, en partant de la population telle qu’elle est, dans son état de délabrement socio-professionnel et moral, en consi‑ dérant ceci comme un processus social et non comme un état, une propriété catégo‑ rielle, une donnée intangible. L’association ATD Quart Monde (2017) a une longue expérience de restitution de dignité parmi les plus démunis qui devrait nous éclairer, nous-autres intellectuels, immergés dans une modernité élitiste, fermée, avide de performance déshumanisante, et qui devrait inspirer des représentants dignes de ce nom. Dans le meilleur des cas, l’action politique à but social se borne à concevoir des dispositifs, certes bien intentionnés, mais dénués d’humanité : les usagers sont traités comme des catégories objectives, où les personnes sont assimilées et réduites à leur symptôme, et dont l’état justifie un traitement qui passe par des solutions construites dans la plus grande neutralité. Au contraire, François Pissochet (2017) préconise de se distancier de la démarche de type « résolution de problème » pour adopter « une posture de compassion professionnelle », envers des individus-sujets, de manière à « offrir un espace relationnel où chacun, au-delà d’une vision réductrice, peut s’exprimer et être reconnu dans sa multiplicité et sa singularité, mais où il est également possible de construire de nouveaux agencements faits de co-expertises élaborées ensemble pour une nouvelle lecture des situations. » Ainsi, un bénéfice mutuel émerge d’une telle conception de l’action sociale, car les usagers, en devenant des sujets humani‑ sés, « …participent à rendre compétents les professionnels en s’investissant ou non dans la relation, en adhérant ou non aux projets proposés. »
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Beaucoup de citoyens attendent l’avènement de politiciens providentiels pour impulser le changement par le haut, ce qui revient, en somme, à attendre le change‑ ment des autres, posture dont la réciprocité condamne d’emblée toute transforma‑ tion. D’autres s’auto-organisent pour construire des alternatives locales et enclencher une percolation, mais sans profiter de la synergie des initiatives homologues et sans engendrer rapidement des effets à grande échelle. Les défis sociétaux ne pourront sans doute être relevés que dans la conjonction des deux processus, l’un mis en œuvre par la base pour expérimenter localement et démontrer la faisabilité des solutions alternatives, l’autre impulsé par les gouvernants pour faciliter, coordonner, harmoni‑ ser les innovations. Au-delà, il serait probablement judicieux de créer du lien entre la population et ses représentants, dans de nouveaux rapports de collaboration et de co-construction entre citoyens et élus. Aucun des deux corps n’aurait de prérogatives sur l’autre dans la conception des solutions, dans le respect des missions respectives, sachant que « Décider ce n’est pas choisir, décider c’est mettre en œuvre un ’Processus d’élaboration des décisions’ » (Simon, 1978). Plus, précisément (Daré et Venot, 2016) : La qualité des décisions dépend surtout de la qualité du processus de décision et de celle du dialogue produit. Ainsi, il est plus important d’obtenir un accord sur les règles ayant conduit à produire la décision que sur la décision elle-même car, le contexte changeant, une solution trouvée aujourd’hui peut ne plus être valide demain. Il s’agirait en somme de disséminer le pouvoir dans le corps social pour le responsa‑ biliser et rendre moins facilement manipulables les instances décisionnelles par les groupes d’intérêt financier. Une telle complexification des rapports sociaux serait à même d’élargir le champ des possibles et de calmer les tensions qui s’exacerbent. Rien de moins que libérer l’intelligence collective des systèmes socio-techniques par l’instauration d’une démocratie délibérative. La démocratie représentative et la démocratie participative ne sont pas exclusives : elles peuvent se nourrir et s’enrichir mutuellement. Une éco-ingénierie politique et une pédagogie-action populaires restent à inventer et à développer pour créer du lien et du sens dans chaque terri‑ toire. La loi n° 2015-991 portant nouvelle organisation territoriale de la République (07/08/2015) confortant les Conseils de développement est une avancée notable dans ce sens (CNCD, 2016).
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
Territoires : lieux du sens et des liens Un territoire « n’est pas seulement, n’est pas avant tout, un terroir délimité par des frontières administrativo-politiques ou géographiques. C’est avant tout une communauté humaine qui se définit par des systèmes de relations. » (Calame, 2015, p. 23). La nouvelle politique dessinée supra se conçoit non seulement comme fédératrice de réseaux par le tissage de liens, mais aussi comme ancrée dans des territoires susceptibles de représenter pour le collectif une matrice et un projet. Motivation, engagement et bienveillance président alors à l’appréhension du territoire qui, dès lors, peut-être considéré comme un bien commun, notion étudiée et réhabilitée par Elinor Ostrom (2010) 3. Selon Violaine Hacker (2015, p. 8) : Le Bien commun ne renvoie pas seulement à une finalité – ce qui reviendrait seulement à penser « pour » le Bien commun. Cette philosophie se concentre surtout sur le processus de délibération éthique – penser « par » le Bien commun. Celui-ci doit permettre de gouverner des ressources mises en commun, les biens communs, en conciliant épanouissement de la Personne et utilité sociale au sein de la Communauté. Aucune instance (politique, administrative, techno-scientifique) ne peut prétendre à une légitimité supérieure dans la recherche du bien commun et de l’intérêt général. C’est pourquoi la société civile peut revendiquer la définition de l’avenir de son territoire en nourrissant l’intelligence collective du système socio-technique. Cette vision éthique du bien commun en tant que processus fondé sur la délibération est bien l’expression d’une pensée en complexité. Plus qu’un espace, aussi riche soit-il de ressources, « Le territoire naît de la vie et de la pratique sociale, il fait sens. » (Hacker, 2015, p. 9). Par conséquent, les acteurs du territoire sont invités à penser un projet, un devenir, dans le cadre d’une « délibération éthique permanente » (Hacker, 2015, p. 10). Dans une vision démocratique et non strictement technicienne, l’exercice de la prospective libre 4 peut permettre d’engager un territoire sur une trajectoire, en vue de la résilience, par exemple. Insistons sur le fait que l’important est le processus mis en œuvre, plus que les réalisations auxquelles il aboutit, en rompant avec l’utilita‑ risme matérialiste qui a envahi les imaginaires modernes. Dans une nouvelle optique humaniste, ce sont moins les ressources que les mécanismes de décision qui pri‑ ment dans l’organisation et le devenir de la communauté. Les solutions ne relèvent pas seulement de la technicité et des normes, mais de l’expérimentation de nou‑ velles formes de gouvernance territoriale adossées à la société civile et à l’innovation 3. Travail qui lui a valu, avec Oliver Williamson, le prix en sciences économiques de la Banque de Suède (dit « prix Nobel d’économie »), en 2009, dont elle fut la première femme récipiendaire. 4. La prospective libre est ainsi définie par Philippe Courrège (1985, p. 6) : « …la prospective contemporaine, l’exploration du futur, est dominée et fortement orientée par les pressions concomitantes de la prévision normative au niveau macroéconomique et de la planification technologique pratiquée par les grands acteurs au niveau sectoriel […] présenter un instrument de prospective macroéconomique susceptible de pondérer ces pressions en permettant l’étude exploratoire quantitative d’alternatives multiples aux diverses échelles territoriales (de la commune à l’ensemble multinational) : plutôt que ’ce que risque d’être l’avenir, ’historiquement’, il s’agit d’explorer librement ’ce que pourrait être l’avenir, techniquement et fonctionnellement’. On appellera ’prospective libre’ ce type d’exploration. »
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
culturelle, organisationnelle et sociale. À défaut, les sempiternelles préconisations d’experts relayées mécaniquement par les administrations et les collectivités dans un simulacre de consultation des habitants ne font qu’ajouter une couche de technicité, voire de technocratie et de bureaucratie, sur un problème fondamental de déshuma‑ nisation et de déresponsabilisation qui demeure ignoré ou incompris. À partir de 1995, la réglementation a instauré une nouvelle entité territoriale, le pays, constitué par regroupement de communes ou de communautés de communes. À propos des études pour la mise en place de ces pays, Pascal Roggero (2006, p. 87) constate que « de ces happenings quelque fois grotesques, sont plus souvent ressortis de la légitimation de l’existant, de la bonne vieille manipulation au service du commanditaire que de l’imagination appuyée sur un « sens vif » du territoire », mais que « de renouveau, fort peu, dans des procédures pilotées par des ’experts’ », trahissant ainsi « l’atonie de notre imaginaire démocratique ». L’approche du territoire se devrait d’être autant poétique que scientifique (Roggero, 2006, p. 104), tant la rationalité ne peut épuiser notre repré‑ sentation du réel. Le territoire, extension de soi autant que matrice intériorisée, est le lieu d’expression de l’intelligence sensible et symbolique à l’intention du collectif. En ce qui concerne l’harmonisation du territoire et des humains qui l’habitent – plu‑ tôt que l’aménagement réificateur –, l’approche complexe invite à rompre avec la dualité simpliste où la sanctuarisation locale de certains biotopes côtoie, voire jus‑ tifie, la banalisation généralisée des espaces, où la campagne est considérée par la ville comme une source foncière, un réservoir de main-d’œuvre et de ressources, ou comme une annexe pour les déchets et les loisirs. Elle suggère de reconsidérer les valeurs liées à l’urbanité et à la ruralité pour déconstruire la domination urbaine et inventer une convergence ville / campagne qui valorise la nature, les paysages et des modes de vie paysans. Les habitants et leurs représentants peuvent également s’attacher à concrétiser une organisation et une économie moins tributaires des ressources extérieures ou épui‑ sables, en recherchant l’autonomie alimentaire, l’autonomie énergétique et toute autre autonomie interdépendante, comme l’autonomie sanitaire, monétaire, etc. Il va sans dire que l’autonomie n’est pas synonyme d’autarcie ni d’isolement. Comme pour tout écosystème durable, c’est le lien dans la diversité qui fait la résilience et la durabilité. Les relations entre les territoires, en particulier culturelles et politiques, sont le pendant de l’autonomie réellement conçue en complexité. Le lien social, en soi facteur de résilience, peut se construire sur des projets fédérateurs et enthousias‑ mants, eux-mêmes facteurs de résilience alimentaire, énergétique, etc., comme le démontre le mouvement de la Transition (Hopkins, 2010), où des groupes s’autoorganisent autour de projets concrets destinés à anticiper les futures crises. En lien également avec les acteurs économiques et institutionnels, il peut s’agir de co-conce‑ voir et de co-construire des Pôles territoriaux de coopération économique (Le Labo de l’ESS, 2017), tant « …dans bien des domaines, la coopération est plus efficace que la compétition et le marché » (Calame, 2014) et, plus largement, l’ambition peut être d’organiser la symbiose territoriale, selon des principes d’économie physique, circulaire et sociale. On ne peut pas clore cet aperçu sur la notion de territoire sans évoquer la disparition des paysans, co-producteurs de ressources alimentaires et de l’éco-système, inscrits dans une culture, dans une économie locale et dans
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
une temporalité pourvoyeuse de sens, entre racines et attention au long terme. En isolant la fonction de production, en coupant ses liens au territoire, culturels, sym‑ boliques, sociaux, affectifs, écologiques, historiques, etc., l’agriculture productiviste a provoqué, selon Pierre Bitoun et Yves Dupont (2016), une véritable « catastrophe sociale et anthropologique ». La vie et la résilience du territoire appellent une agroécologie paysanne. C’est une nouvelle conception du progrès qu’il s’agit sans doute de développer en lien avec les contextes bio-physiques : délaisser la fascination technicienne, la per‑ formance quantitative et l’accaparement matériel, socialement discriminants, pour donner la priorité au lien social et à l’ancrage territorial, dans des projets moins ambitieux selon les critères actuels, pourvu qu’ils soit pensés et faits pour et par le collectif, dans le respect de sa diversité et dans un esprit de solidarité.
Nouvelles finalités des entreprises « Le seul profit n’est pas une finalité suffisante pour l’entreprise. » (Afnor, 2003, p. 52). La fonction première de l’entreprise est de générer du profit sous forme de salaires et de rentes. Cependant, réduire sa vocation à la production de richesse débouche sur des logiques de prédation, sur la consommation du capital naturel et humain, sur la délinquance financière, etc. (figure 7.2). La recherche prioritaire de la maximalisa‑ tion du profit est devenue une fin en soi et les moyens mis en œuvre s’affranchissent de l’éthique, comme l’attestent le brevetage du vivant, les expulsions de populations pour l’appropriation de terres destinées aux cultures industrielles, la spéculation sur les denrées ou sur les cataclysmes, l’évasion fiscale, etc.
Privatisation
entrePrise
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Soc ialisa tio
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du profit
Figure 7.2 • L’entreprise
représente comme un système où seules les relations extern contribuer à l’accroissemen entretenues.
Figure 7.2 L’entreprise traditionnelle se représente comme un système relativement isolé où seules les relations externes susceptibles de contribuer à l’accrois sement du profit sont entretenues.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Zero Emissions Research and Initiatives (ZERI) ZERI (Zeri, 2016) est une fondation créée par Gunter Pauli (2016), entrepreneur ayant fondé dix entreprises (avec seulement deux échecs ; la première fut Ecover) qui milite pour une économie humaniste, équitable et sans nuisances environnementales, « l’économie bleue » (Blue Economy, 2016). Selon lui, réduire la production d’émissions et de déchets est absolument insuffisant, il faut, et l’on peut, la rendre nulle. Pour cela, il convient de s’inspirer des mécanismes que la nature a développé et de travailler avec, et non contre elle. Le pouvoir et le contrôle – sur la nature ou les gens – ne sont plus de bons principes pour l’entreprise, qui doit aussi créer de la valeur sociale. « Réseau mondial d’esprits créatifs, ZERI recherche des solutions soutenables aux problèmes croissants du monde et relève des défis que beaucoup considèrent comme impossibles ou trop complexes. » La complexité imprègne la philosophie, les principes et les actions de ZERI, comme en atteste assez explicitement le passage suivant. « ZERI believes in working with many problems simultaneously. This approach not only facilitates the synergy of multiple solutions, but also requires different organizational approaches. Institutions are challenged to think ’out of the box’, facilitating inter-departmental operations. Moreover, our solutions are constantly evolving, continually shaped by changing contexts. This approach brings real transformation, often in unexpected and very positive ways. » Concevoir l’entreprise comme une organisation responsable et en totale interaction avec son environnement naturel et humain implique l’internalisation des impacts, qui est la garante de leur réduction à la source 5. Les organisations peuvent se conce‑ voir comme indéfiniment responsables de leurs activités. Un système ouvert et relié est en interaction avec son environnement et, de ce fait, soumis en permanence à des perturbations. L’entreprise systémique est une organisation apprenante qui s’oblige à s’adapter et à s’améliorer sans cesse (figure 7.3).
5. L’effacement des impacts pourrait relever de mesures faciles à préconiser, comme l’obligation, pour une activité consommatrice de l’eau d’un cours d’eau, de prélever en aval de son point de rejet ! selon une idée astucieuse d’Yves d’Amécourt (communication personnelle, 2004).
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l’internalisation des impacts, qui est la garante de leur réduction à la source (4). Les organisations peuvent se concevoir comme indéfiniment responsables de leurs activités. un système ouvert et relié est en 7. Organisations vivreenensemble en complexité interaction avec son environnementet gouvernance: Le et, de ce fait, soumis permanence à des perturbations. L’entreprise systémique est une organisation apprenante qui s’oblige à s’adapter et à s’améliorer sans cesse.
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Figure 7.3 • L’entreprise représentée en complexité étend les relations à tous les contextes
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Figure 7.3 L’entreprise représentée en complexité étend les relations à tous les même système aux intérêts concourants non strictement financiers. Les coûts externes contextes etetabandonne la dualitésystémique stricte interne/externe. sont internalisés assumés par l’entreprise responsable, afin deL’entreprise minimiser, et ses forment système aux intérêts concourants non stricteet contextes si possible, de supprimerun lesmême nuisances de l’activité. ment financiers. Les coûts externes sont internalisés et assumés par l’entreprise systémique responsable, afin de minimiser, et si possible, de supprimer Laresponsabilitéenvironnementale les nuisances de l’activité.
L’économie de prédation génère l’épuisement des ressources et des atteintes graves à la biosphère. La recherche prioritaire de la maximalisation du profit reporte sur des La responsabilité environnementale acteurs externes, généralement la collectivité, les coûts des conséquences de l’activité dus à la détérioration de l’environnement et de la santé (5). L’économie de est prédation génère ressources et desévalués, atteintes graves Il s’en suivi une dérivel’épuisement au point que,des même partiellement
à la biosphère.
La recherche prioritaire de la maximalisation du profit reporte sur des acteurs externes, généralement la collectivité, les coûts des conséquences de l’activité dus à la détérioration de l’environnement et de la santé 6. Il s’en est suivi une dérive au point que, même partiellement évalués, ces coûts s’avèrent exorbitants. L’internalisation des coûts externes est censée être une incitation forte à la réduction des impacts des activités, mais la contrainte financière est importante, d’où l’idée de valoriser économiquement les efforts en les regroupant, en les conjuguant, en créant du lien entre activités et entreprises. Le biomimétisme est dès lors une source d’inspiration majeure, car les organismes vivants se sont ajustés les uns aux autres sur ce type de 6. On peut également considérer comme coût externe des activités bancaires l’endettement des États qui soutiennent les banques d’affaire lors des crises qu’elles provoquent avec leurs activités spéculatives inconséquentes : « Un principe sur lequel s’appuie tout le système bancaire : il socialise les pertes en les faisant reposer sur nous tous, et privatise les profits, qui bénéficient quasi exclusivement à quelques milliers de personnes, actionnaires, traders et dirigeants bancaires. » (Attac, 2015, p. 13).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
fonctionnement coopératif. Ainsi, les fourmis rousses se nourrissent des excrétions des pucerons, le miellat. Sur ce modèle, des initiatives sont prises pour mettre en relation les activités d’un territoire de telle sorte que les déchets des uns soient les ressources des autres. Dans cette logique de symbiose territoriale, le terme « déchet » devrait d’ailleurs ne plus être usité… (figure 7.4).
RESSOURCES RESSOURCES (ÉNERGIE MATIÈRE)
RENOUVELABLES
ENTREPRISE RESPONSABLE
PRODUITS DÉCHETS FUITES
NON TOXIQUES RECYCLABLES DÉGRADÉS RAPIDEMENT
Figure 7.4 L’entreprise responsable conçoit son activité dans la logique de l’économie circulaire et de la symbiose territoriale.
La responsabilité sociale Gouvernance et management L’intensification de l’activité utilise des méthodes généralement coercitives, cepen‑ dant pourvues de limites à bien percevoir, sous peine de devenir contre-productives. Le raisonnement sous-jacent de la gouvernance coercitive est caduc, parce que linéaire. En effet, ce mode de gouvernance projette par extrapolation tendancielle à partir de l’expérience passée. On pense à tort qu’en accroissant indéfiniment l’ef‑ fort, des résultats proportionnels seront obtenus. Cette croyance repose sur une méconnaissance de la thermodynamique, qui veut que l’accroissement d’ordre nécessite une augmentation elle-même croissante d’énergie. On finit par épuiser les ressources du système pour une amélioration dérisoire, voire une régression (figure 7.5).
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
Constat à améliorer
Gain escompté
GAIN
Résultat effectif
EFFORT CONSENTI
Figure 7.5 À cause du rendement décroissant imposé par le second principe de la thermodynamique, le résultat augmente de moins en moins significativement à mesure que les efforts sont accrus. Au-delà d’un certain seuil, la coercition du système ne représente que pure perte d’énergie, de temps, d’argent et d’information.
Dans toute société, un pourcentage d’irréductibles paresseux ou tricheurs est iné‑ luctable et cela engendre une certaine perte. La situation est jugée intolérable par les responsables imprégnés de culture managériale, avec la volonté de maîtrise totale qui la caractérise. Des mesures coercitives sont mises en place, mais si elles ne réduisent pas significativement la déviance, elles démotivent en revanche la grande majorité des gens de bonne volonté. Cela engendre une spirale infernale de stress, de rancœurs, de déconvenues et de pertes (figure 7.6). Selon Jean-François Zobrist (2005), « Le coût du contrôle est supérieur au coût total des déviances qui pourraient survenir en l’absence de contrôle. » « La stratégie d’investissement dans un avenir de qualité ne doit pas être réduite à une stratégie de compétitivité économique au seul bénéfice de quelques-uns. Afin de redonner sens aux stratégies économiques, il s’agit de leur définir une finalité, qui doit être d’améliorer la qualité de vie des Français. » (Palier, 2011). déqualification du travail
Sress mesure pour intensifier la productivité
démotivation Somatisation
absentéisme, baisse de productivité
compression des coûts
disqualification des personnes
baisse de productivité
Figure 7.6 La non-linéarité du fonctionnement des organisations engendre des effets pervers qui peuvent s’auto-amplifier si l’on ne comprend pas les mécanismes rétro-actifs assez tôt.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Les procédures normatives La démarche qualité est basée sur un processus cyclique incluant le contrôle et la correction des écarts par rapport aux attentes, schématisé par la roue de Deming, prévoir, déployer, contrôler, améliorer (PDCA) (figure 7.7). La démarche est judi‑ cieuse pour éviter des dérives, mais elle a généré des procédures normatives que beaucoup ont considéré comme des outils universels et suffisants, bien qu’on se soit souvent satisfait de procédures formelles et bureaucratiques.
déployer prévoir
contrôler
améliorer
Figure 7.7 La démarche qualité constitue une boucle de rétro-action négative tendant à stabiliser l’équilibre dynamique vers un objectif.
Dans le paradigme du réalisme, le réel serait ontologiquement connaissable et, à ce titre, il constituerait un référentiel univoque. Cette idée de référentiel absolu a per‑ mis de penser le fonctionnement collectif comme pouvant être modélisé de manière univoque au moyen de procédures intangibles, désincarnées et universalisantes. Il suffirait alors de garantir la conformité des processus à une référence normative pour atteindre forcément les objectifs assignés : accroître l’efficacité et la producti‑ vité, par exemple. Mais, quand bien même cet accroissement est effectif, il apparaît des phénomènes antagonistes et contreproductifs : la sociabilité se dégrade, puisque la norme se substitue au débat et à la délibération ; la déresponsabilisation gagne, dans la mesure où la normalisation des actions cherche à éviter la prise de risque inhérente à l’appréciation subjective. Les processus bureaucratiques et les logiques comptables en arrivent ainsi à se substituer à la stratégie, à la politique et au mana‑ gement. Selon Philippe Lorino (2009, p. 32-33) : N’est-il pas plus simple de contrôler une mesure quantitative et de comparer des chiffres que de trouver les voies et moyens de construire collectivement, parfois dans la controverse et le doute, un jugement en situation, prenant en compte une multiplicité complexe d’objectifs et de contraintes ? …le dialogue avec les parties prenantes, l’importance d’horizons de temps éloignés, la prévention opérationnelle du risque et le management des processus transverses dessinent une alternative cohérente également, quoique plus complexe par la multiplicité des langages, des objectifs et des angles de vue.
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
Certaines normes, comme l’ISO 14000, dédiée au management environnemen‑ tal, peuvent aider à élaborer des processus normatifs, mais elles n’engendrent pas automatiquement l’instauration de dispositifs déshumanisants. Cela dépend gran‑ dement de l’intelligence d’appropriation et de mise en œuvre par les responsables. Il existe d’ailleurs des référentiels non certifiables, comme l’ISO 26000 (2010), des‑ tiné à guider les organisations dans la mise en œuvre de la responsabilité sociétale. Il convient donc de relativiser l’intérêt des procédures normatives et d’apprivoiser la complexité ! Les procédures sont censées organiser les processus, or un processus est relatif, valable dans un contexte particulier ; il est évolutif, donc valable dans un temps donné ; il est contingent, c’est-à-dire discutable collectivement. En tout état de causes, les finalités du projet ne devraient jamais être sacrifiées au respect de pro‑ cédures figées. Plutôt que de se focaliser prioritairement, voire exclusivement, sur la conformité du processus relativement à une procédure normative, l’essentiel serait plutôt de garantir la cohérence du processus par rapport au projet. La complexité du réel « dépassera toujours celle des modélisations formelles qui tentent de la cerner. On ne fera jamais l’économie du jugement risqué et faillible. Mais se préoccuper du jugement risqué et faillible est plus difficile que se préoccuper d’un chiffrage… » (Lorino, 2009, p. 33). Concrètement, on veillera à faire la différence entre le contrôle et l’évaluation dans leur mise en œuvre complémentaire. Le contrôle est une procédure de vérification de la conformité : il consiste à mesurer l’écart d’une situation ou d’un résultat par rapport à une référence prédéfinie et figée de la situation ou du résultat. L’évaluation n’est pas une procédure, mais un processus. Elle ne s’appuie pas sur une norme et le référentiel doit être construit au cours d’une négociation. Les représentations, les valeurs, les objectifs implicites de chacun doivent converger pour déboucher sur une appréciation qualitative de la situation ou du résultat. La finalité et les moyens sont ainsi questionnés lors du processus évaluatif et possiblement redéfinis en cours de route, c’est pourquoi l’évaluation est dite « chemin faisant » (Avenier, 1997). Tout changement véritable qui n’est pas illusion de changement s’avère difficile, voire douloureux, car il s’agit d’une rupture qui demande d’abandonner des habi‑ tudes sécurisantes. Le changement de paradigme de la gouvernance oppose ainsi ses propres difficultés (Amato, 2002, p. 64-65) : « – remise en cause de la relation d’autorité ; – vision élargie dans l’espace et dans le temps ; – prise en compte des conséquences d’un comportement égocentré ; – intégration de la dynamique émotionnelle des systèmes [humains] ; – pratique du lâcher-prise. » Le changement peut être plus ou moins profond et fondamental, allant de la réso‑ lution de problème dans une organisation qui demeure classique, à la sociocratie et l’holacratie, formes nouvelles d’organisation, en complexité, des relations, du fonc‑ tionnement, des responsabilités.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
(a)
(b)
objectif problème
problème
La résolution de problème en management systémique Comment procède-t-on, généralement, lorsqu’un problème empêche l’atteinte de l’objectif ? La logique analytique recherche des causes et des responsabilités et vise la suppres‑ sion du problème. Cette méthode est intrusive, car elle fouille dans le vécu et les affaires des individus, et elle est perçue comme illégitime, voire agressive. Elle est réductrice, et donc culpabilisante, car elle focalise sur des individus, alors que l’indi‑ vidu fait corps avec un collectif, dans un jeu relationnel partagé. Enfin, la méthode est dissymétrique, donc injuste, puisqu’elle pointe un responsable, qui n’en est pas moins aussi l’expression du tout. L’analyse des causes et leur suppression sont coû‑ teuses en « énergie » et pénalisantes par leurs conséquences psychosociales. Dans la résolution systémique pratiquée par Dominique Bériot (2006), il est inu‑ tile de rechercher les causes du dysfonctionnement et tout l’art consiste à modi‑ fier la configuration du système concerné pour obliger les acteurs à changer. Concrètement, après avoir identifié les acteurs-clés (freins ou moteurs) du système, il s’agit de clarifier le projet commun en reformulant un méta-objectif, de sorte que chaque protagoniste y retrouve sa vision particulière et y adhère, puis d’induire un changement judicieux en ne faisant parfois que modifier un contexte ou provoquer une petite « perturbation » à un nœud bien choisi du système pour générer un effet de levier. La méthode est rapide et elle revient à contourner le problème sans qu’il ait été nécessaire de l’expliquer. Contrairement à la méthode analytique qui cherche à expliquer les raisons des com‑ portements pour tenter de les faire changer, la résolution systémique s’intéresse aux interactions entre personnes et tente d’agir sur les relations en les régulant selon un objectif explicité et partagé (figure 7.8).
objectif
(a)
(b)
(c)
(c)
Figure 7.8 La méthode analytique de résolution de problème s’intéresse au « pourquoi » en investiguant dans le passé (a), en vue de supprimer les causes du dysfonctionnement (b). La méthode systémique reformule l’objectif (le « pour quoi »), provoque une modification du système pour contourner l’obstacle (c).
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
Dimension psychosociale complexe de l’intelligence collective L’expression « pensée complexe » est un raccourci de langage commode pour dési‑ gner la pensée discursive rationnelle 7 fondée sur des représentations complexes du réel. Elle ne caractérise pas les processus cognitifs, toujours complexes, mais le contenu informatif conscient, mis en œuvre selon des modes complexes. Cette manière de penser sophistiquée peut cependant sembler se situer principalement, voire exclusivement, dans le registre intellectuel et rationnel. Il n’en est rien, car « …il n’y a pas d’étage supérieur de la raison dominant l’émotion, mais une boucle intellectaffect ; et par certains côtés la capacité d’émotion est indispensable à la mise en œuvre de comportements rationnels. » (Morin, 2000, p. 6). Les neurosciences ont effectivement révélé que les émotions participent à l’intelligence rationnelle (Damasio, 2003, p. 371-378), mais ce processus n’est pas conscientisé. Il est cepen‑ dant possible de mobiliser consciemment les émotions, les sentiments, l’intuition, la pensée symbolique 8, les synchronicités, etc., pour complexifier le raisonnement. Au cours d’une réflexion, l’affect envoie-t-il des signaux ? Un sentiment diffus posi‑ tif ou une sourde inquiétude viennent-ils colorer le raisonnement ? Un évènement fortuit, indépendant, mais dont la conjonction avec la situation présente apparaît comme hautement signifiante, nous interpelle-t-il ? L’éducation nous apprend à négliger ce type de signaux, que nous ne savons pas mettre à profit, quand ils ne nous submergent pas. L’irrationnel n’est pas inconvenant et s’avère même fort utile dans la conduite des affaires rationnelles, encore faut-il accepter de sortir de l’idéo‑ logie rationaliste pour expérimenter, progresser et instruire selon une autre voie. La dialogique rationnel/irrationnel est une manifestation de l’intelligence et ce qui pose problème est la focalisation sur un des pôles au détriment de l’autre. En effet, l’irrationnel peut devenir déraison, mais au même titre que la rationalité et pour la même cause : l’enfermement dans des systèmes de pensée clos et autovalidés, sur le mode irrationnel pratiqué par les organisations sectaires politiques ou religieuses, ou bien sur le mode de l’hyper-rationalité des scientistes. Ainsi, la réussite des projets collectifs ne tient pas qu’aux méthodes de management et de gestion de projet, fussent-elles complexes : elle est grandement tributaire de qualités d’être qui ne relèvent pas strictement de la rationalité et qui, loin de la para‑ siter, viennent la nuancer. La démocratie délibérative et le management collaboratif montrent en quoi une qualité d’être comme le détachement facilite un processus complexe de conception collective en dépassionnant les enjeux. Par exemple, le management collaboratif consiste à co-construire et à co-piloter des projets. L’exercice est difficile, car les représentations et les buts de chacun diffèrent et le processus de délibération nécessite du temps qui ne doit pas trop pénaliser
7. Ou cogitation, sans parler des processus cognitifs et des processus physico-chimiques du cer‑ veau, eux-mêmes perçus comme extrêmement complexes. 8. Mode de pensée par systèmes métaphoriques, qui ne se conforme pas nécessairement à la logique (sens très différent de l’adjectif issu de « symbole » en tant que signe computé par la pensée logique).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
l’efficacité. Les difficultés relevées par Marie-José Avenier (2017) sont de divers ordres et portent sur : La constitution d’une équipe-projet favorisant le pilotage effectif du projet dans son contexte : cette opération fondamentale est délicate, et il importe notamment de s’assurer du pouvoir de représentation dont les membres de l’équipe-projet sont dotés au sein de leurs institutions d’origine. La fonction d’animateur demande des compétences multiples rarement réunies chez une même personne et il n’est guère possible d’animer des processus de décision en restant détaché du fond. Les participants de l’équipe-projet ont à faire face à un surcroît temporaire de travail et souffrent fréquemment de ne pas obtenir de reconnaissance de la part de leur institution d’origine pour ce travail. Il est souvent difficile de collaborer effectivement au sein de l’équipeprojet et il y a un risque important de prise du leadership par un acteur particulier qui œuvre à imposer sa vision aux autres. En outre… il est apparu que le principe de construction de représentations partagées du projet était un idéal difficilement réalisable, même en s’astreignant à adapter ces représentations périodiquement. S’il ne s’agissait que d’harmoniser intellectuellement les représentations que cha‑ cun se fait d’un objectif ou des méthodes pour l’atteindre, la co-construction serait relativement facile à mettre en œuvre. En pratique, l’exercice est plus exigeant. Sans doute n’attache-t-on pas assez d’importance au fait que deux conditions, à première vue antinomiques, doivent être réunies simultanément chez tout participant à un projet collaboratif, à savoir la motivation et le détachement 9. La motivation consiste en l’enthousiasme et la volonté qui permettent le dépasse‑ ment des difficultés et la ténacité. Cependant, la cognition opère insidieusement un glissement avec l’investissement affectif de l’ego qui se projette dans la construction collective. Dès lors, le projet est vécu comme étant un peu de soi et les remises en question par des tiers sont reçues, par identification du sujet avec son objet de tra‑ vail, comme désapprobation intime. La confusion entre l’objet et le sujet brouille la perception des signaux envoyés par autrui et génère des incompréhensions, des tensions, voire des conflits. En revanche, le détachement, qui consiste à ne pas confondre l’être avec ses manifestations (intentions-actions), augmente la récep‑ tivité au changement et aux contributions d’autrui. Un projet peut ainsi évoluer sans que les ego ne se sentent en rien dépossédés. Le détachement affectif permet l’investissement bienveillant. La démocratie délibérative et le management collabo‑ ratif sollicitent l’intelligence émotionnelle et affective au moins autant que l’intel‑ ligence intellectuelle. Le développement personnel, le développement de la pleine conscience par exemple, qui permettrait un progrès sur le registre non intellectuel, n’est malheureusement pas encore ressenti comme suffisamment important dans les formations académiques ou professionnelles. Dès que le groupe place l’essentiel dans le résultat ou dans les méthodes pour l’at‑ teindre, il s’instaure une rigidité et des tensions. En effet, la jauge (à savoir le résultat) 9. Ces deux notions ne sont pas à proprement parler en relation dialogique, au sens défini en page 67 de phénomènes antagonistes, néanmoins complémentaires et générateurs d’organisation. En effet, le vécu d’une confrontation entre détachement et motivation révélerait la non-effectivité du détachement.
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
est placée dans le futur et il faut s’engager dans un pari dont le bien-fondé ne se révé‑ lera qu’a posteriori. L’enjeu et les risques sont démultipliés et les divergences n’ont pas de base tangible pour la régulation. Des conflits s’en suivent inévitablement. La culture ambiante « du résultat » méconnaît le sens de l’action, alors que « C’est dans l’itinérance que s’inscrit l’acte vécu. L’itinérance implique la revalorisation des moments authentiques, poétiques, extatiques de l’existence, et également, puisque tout but atteint nous relance sur un nouveau chemin et que toute solution ouvre un nouveau problème, une dévalorisation relative des idées de but et de solution. » (Morin et Kern, 2010) ; et, « Selon Kierkegaard, nous avons le choix : nous pouvons nous mettre à penser objectivement, produire des résultats et cesser d’exister en tant qu’êtres humains responsables, ou nous pouvons renoncer aux résultats et rester « constamment dans le cheminement qui nous fait être » (Feyerabend, 1989, p. 178-179). Si donc l’essentiel est de che‑ miner ensemble, la démocratie délibérative et le management collaboratif peuvent s’installer. En effet, l’enjeu dominant étant la relation, il se situe dans un « ici et maintenant » qui rend la régulation permanente et fluide. Le développement de l’intelligence collective a donc tout intérêt à procéder par petits pas en multipliant les ajustements intermédiaires, à reformuler régulièrement la vision pour en vérifier la compréhension partagée, à évaluer fréquemment l’adéquation des méthodes, et enfin à s’autoriser une souplesse importante dans la redéfinition des objectifs et des moyens. Il s’agit en somme de penser en complexité les projets et l’on voit que penser en complexité, c’est remettre au cœur des motivations les relations humaines. Dans notre société utilitariste et obsédée par la maîtrise et le contrôle, où l’harmonie des relations n’est pas une priorité ni un objectif en soi, on privilégie le résultat en rigidifiant les procédures. Il ne faut pas s’étonner de ce que beaucoup de gens ne s’épanouissent pas au travail. La démocratie délibérative et le management collaboratif sont une amorce de rup‑ ture, mais ne seront pleinement probants qu’avec la remise en question de certains fondamentaux du pacte social : l’utilité matérielle, quantitative, est-elle le seul but de l’économie ? Ils élargissent inévitablement le champ de la remise en question à des considérations d’ordre éthique, psychologique, anthropologique. Ainsi, l’ouvrage (R)évolution collaborative (Frontera, 2015, p. 21-35) invite-t-il à réhabiliter le long terme, à reconsidérer la compétition pour la coopération, mais aussi à décoloniser l’imaginaire, à dépasser les peurs, à réaffirmer le principe féminin dans la société. Lorsque la logique collaborative devient la culture centrale d’une organisation, son déploiement donne des formes de gouvernance connues, par exemple, sous les vocables de sociocratie ou d’holacratie.
Deux approches de gouvernance libérée : sociocratie et holacratie La sociocratie
La sociocratie, mode de gouvernance imaginé par Gerard Endenburg, ingénieur électronicien et chef d’entreprise hollandais, est présentée en ligne par un site dédié (Sociocratie, 2017), dont les principales notions sont résumées ci-après. Les entreprises classiques sont dominées par un but économique, le capital et l’indi‑ vidualisme. Les décisions politiques et opérationnelles sont concentrées dans les
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
mains de personnes élues, désignées, cooptées, et l’information de commande est descendante. En revanche, la proposition de la sociocratie est de mettre au premier plan la fonction sociale, le travail, la communication ascendante et le collectif. En sociocratie, chaque niveau de l’organisation hiérarchique classique constitue un cercle qui définit et met en œuvre ses objectifs, pilote l’évaluation et l’amélioration. Tout membre de l’organisation doit appartenir à au moins un cercle. Une décision n’est prise par un cercle que si elle recueille le consentement de tous. Une objection n’est recevable que si le plaignant peut montrer qu’il est empêché d’effectuer son travail et s’il participe à la recherche de solutions. Un cercle (C) est relié au cercle supérieur (C + 1) par deux personnes qui participent aux deux cercles : – l’une est mandatée par le cercle C + 1 et le responsable opérationnel du niveau C ; – l’autre est mandatée par le cercle C pour le représenter au niveau C + 1. Chaque cercle choisit par consentement les personnes exerçant des responsabilités particulières à la suite d’une discussion ouverte. Ainsi, les leaders ont la confiance de leur cercle et le choix se fait sur la compétence nécessaire à la fonction. Il n’y a donc pas d’élection avec son gagnant et son lot de perdants… (figure 7.9).
GÉNÉRALE
DÉPARTEMENT
SERVICE
Décisions politiques et opérationnelles
DIRECTION
CERCLE N+1
Décision opérationnelle
CERCLE N
Figure 7.9 Contrairement au cas classique (à gauche), en sociocratie, chaque niveau organisationnel est doté d’un cercle qui prend les décisions politiques liées à son fonctionnement (remarque : les flux d’information ne sont pas représentés ici).
La sociocratie vise la co-responsabilité et l’intelligence collective et pour cela, elle installe la complexité au cœur de la gouvernance, en faisant participer tout le monde aux décisions, en créant des modes de fonctionnement fondés sur le lien et la délibération. Une diversité importante d’organisations, entreprises, associations, établissements publics, a instauré ce mode de fonctionnement et il apparaît de nombreux avan‑ tages pour l’organisation et pour le personnel. Pour l’organisation, le contrôle des coûts et la qualité sont améliorés, la créativité et la réactivité au changement sont plus importantes, les réunions sont plus efficaces et l’absentéisme décroît. Pour les personnels, on a constaté l’amélioration de l’image de soi, une plus grande écoute
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
et de meilleures relations, un sentiment d’appartenance et d’utilité, ainsi qu’une meilleure santé avec la réduction du stress (Sociocratie, 2017). La sociocratie est simple à mettre en œuvre, moyennant une implication forte de la direction, une planification, une formation courte des personnels, l’accompagnement des premiers cercles et la gestion des émotions induites par le changement. L’holacratie
Le texte qui suit résume l’essentiel du site internet du diffuseur européen de l’hola‑ cratie, iGi Partners (2017). Les organisations conventionnelles captent les aptitudes des gens pour servir leurs projets, sans plus de considération sur les projets des gens eux-mêmes, supposés se satisfaire d’un salaire. C’est un gâchis incommensurable ! Aligner le but des organisations avec les aspirations des gens qui les composent procurerait un bénéfice mutuel conséquent. Tel est le projet de l’holacratie, qui, selon Brian Robertson (2016), s’apparente à un « système d’exploitation organisationnel » par analogie informatique. Sont-elles viables les organisations sans hié‑ rarchie ni planification, où tout le monde participe à la répartition des tâches ; où les augmentations de salaire sont proposées par les intéressés eux-mêmes ; où les décisions d’investissement peuvent être prises par quiconque a préalablement consulté toutes les personnes aptes à une expertise sur le sujet et toutes les personnes dont l’activité est concernée par la décision ? Oui, comme en témoignent des entre‑ prises comme Buurtzorg (2016), aux Pays-Bas, entreprise qui dispense des soins à domicile, créée en 2006 et qui regroupe désormais 7 500 infirmier(e)s de proximité (75 % des infirmier(e)s du pays), avec des résultats excellents, puisque les patients redeviennent autonomes plus rapidement (40 % seulement des heures de soins prescrites sont utilisées) ; ou comme Morning Star (2016a), aux États-Unis, entre‑ prise agro-alimentaire spécialisée dans la transformation de la tomate, qui cumule 70 % du transport et 50 % de la transformation, dont le « self management » est détaillé sur un site dédié (Morning Star, 2016b) ; comme Zappos (2016), spécialisé dans la vente en ligne de chaussures et de vêtements, dont l’ascension fulgurante a suscité le rachat par Amazon ; etc. Dans le mode de gouvernance holacratique, ni la hiérarchie ni le consensus ni le chaos n’imposent leur tyrannie. L’holacratie (2016a) prend le contre-pied des organisations pyramidales en disséminant les mécanismes décisionnels, en distribuant le pouvoir à travers toute l’organisation, à des cellules auto-organisées et interdépendantes, selon le mode fonctionnel des organismes vivants. Les personnes ne s’identifient pas par leurs titres ni par leur rang hiérar‑ chique, mais au rôle qu’elles remplissent (Robertson, 2016). La hiérarchie n’est plus celle des personnes, mais celle des missions et des territoires, et le pouvoir est conféré à des rôles et non détenus par des personnes. Le système est capable de s’adapter sans cesse aux perturbations et aux opportunités. L’holacratie ne dicte pas le « com‑ ment faire » : elle montre comment s’organiser pour que chacun puisse exprimer son « savoir (comment) faire ». L’holacratie ne dit pas quoi décider pour autrui, elle organise les conditions de la décision. Selon Wikipedia (2017) : Ceci permet d’assurer un pilotage dynamique de l’action tandis qu’elle est en train de se déployer. Contrairement à la prévision-contrôle qui élabore un plan d’action,
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lance l’opération pour analyser ensuite les indicateurs qui avaient été préalablement déterminés en vue d’éventuellement modifier le plan initial par boucle de rétroaction, l’holacratie considère chacun des individus qui la composent comme un capteur, un senseur, susceptible d’émettre des signaux. Chacun des individus est orienté vers la production des redevabilités et par là, participe à la raison d’être de l’organisation. Chacun peut tenir plusieurs rôles à différents niveaux de l’organisation selon ses aspirations et ses compétences. Chaque rôle est assorti d’une raison d’être, d’un périmètre et de « redevabilités ». Un ensemble cohérent de rôles constituent un cercle, qui, pas plus que les rôles, n’est assimilable aux humains qui les « habitent ». Les rôles, le pouvoir et les responsabilités qu’ils confèrent sont définis, attribués et rediscutés selon un processus de gouvernance basé sur des réunions de gouvernance dont le protocole permet d’éviter les écueils classiques des stratégies de manipula‑ tion, des abus de pouvoir, des facultés de blocage, des communications implicites, etc., dans des atmosphères tendues et improductives. L’influence découle de l’apport effectif à la collectivité et de la réputation et non plus sur la position hiérarchique et les titres. Les gens ont tout simplement besoin de clarification sur les autorités conférées par les rôles, sur leurs limites, pour savoir sur qui et sur quoi compter. Ils sont autonomes et créatifs dans l’espace qui leur est alloué et peuvent, si besoin, faire évoluer les règles de la gouvernance et les rôles si les limites sont pénalisantes dans la poursuite des objectifs. Il est considéré comme normal d’avoir à sortir de cadres définis, « car l’holacratie nous encourage précisément à laisser libre cours à notre gouvernance, à la laisser évoluer dans le temps, selon une trajectoire qui lui est propre, au lieu de chercher à suivre à tout prix un modèle prédéfini. » (Robertson, 2016). Transgresser la règle fait aussi partie de la règle ! Le principe de l’holacratie met en œuvre une conception complexe de l’action, qui consiste à « prendre en considération toutes les informations disponibles, en incluant les règles existantes, et [à] choisir de poser en bonne intelligence l’action la plus porteuse de sens. » (Robertson, 2016). On trouvera des compléments sur l’holacratie dans l’ouvrage (2014) et une confé‑ rence en ligne (2017) de Frédéric Laloux, ainsi que sur le site d’iGi Partners déjà cité (2017). La constitution de l’holacratie est disponible en ligne, dans sa dernière version 4 en anglais (Holacratie, 2016c) et en français pour la version 3 (Holacratie, 2016b). Un documentaire intéressant (Meissonnier, 2014) présente des cas variés d’organi‑ sations libérées, moyennes et grandes entreprises, administrations, qui ont adopté des modes de gouvernances s’apparentant à l’holacratie. L’un des cas est l’entreprise emblématique et pionnière FAVI. La liberté d’initiative proposée par la sociocratie et l’holacratie, propice à l’épanouis‑ sement des personnes, nécessite des dispositions organisationnelles garantes de la cohésion du groupe et de la cohérence de son projet. De ce fait, des contraintes s’imposent aux individus : assumer la responsabilité, auto-réguler la propension de l’ego, etc. Différentes de celles qui s’exercent dans les organisations coercitives ou/et fondées sur la compétition, ces contraintes peuvent être plus ou moins bien vécues et considérées aussi comme des inconvénients par les personnes plus individualistes,
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7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
plus passives ou plus expansives. Aucune organisation n’est idéale dans la recherche d’un équilibre dynamique psycho-social. L’important est sans doute cette recherche elle-même, au sein de l’irréductible dialogique entre le singulier et le pluriel, entre l’individu et le collectif, entre la compétition et la coopération. Pour clore le sujet des organisations, il reste à inviter le lecteur à prendre connaissance de l’ouvrage de Dominique Genelot (2017) (postface de Jean-Louis Le Moigne), intitulé Manager dans (et avec) la complexité. Son propos est d’« Éclairer le concept de complexité, montrer en quoi les apports des sciences de la complexité renouvellent totalement nos façons de penser et nous ouvrent la possibilité de concevoir l’entreprise autrement. » Il est également de « Proposer aux dirigeants de nouvelles conceptions et méthodes dans le domaine du management, de l’organisation, de la stratégie, de la gouvernance, de l’innovation, élaborées sur ces nouveaux fondements et s’avérant plus pertinentes en univers complexe que les méthodes traditionnelles. » L’ouvrage se termine par dix recommandations dont les intitulés suivants synthé‑ tisent et structurent les idées qui innervent le présent chapitre : 1. Remontez à la source de vos représentations 2. Pilotez par les finalités – Mettez en question les structures 3. Pensez et organisez l’entreprise comme un système ouvert 4. Multipliez les connexions, créez des réseaux d’intelligence 5. Intégrez l’incertitude dans les processus de pilotage 6. Développez l’autonomie – Ouvrez des espaces à l’invention 7. Sachez reconnaître et articuler des logiques différentes 8. Donnez du sens, construisez sur la culture 9. Placez l’homme au centre 10. « Détruisez les idoles qui sont dans vos têtes »
Étude de cas L’entreprise FAVI
Bien avant que l’holacratie soit formalisée, une entreprise française (Favi, 2009) avait instauré, dès 1983, une gouvernance en tous points conforme aux principes de l’holacratie, à l’instigation de son dirigeant humaniste, visionnaire et charisma‑ tique, Jean-François Zobrist. Les principes mis en œuvre sont l’expression-même de la pensée complexe, déroulée de manière naturelle et pragmatique dans tous les champs de l’entreprise, sans référence particulière à un système théorique. Des fiches thématiques et synthétiques sur la philosophie de l’entreprise libre FAVI et sa mise en œuvre sont disponibles en ligne 10. Quelques-unes font l’objet d’un examen à l’aune de la complexité en annexe 12, Penser en complexité la gouvernance d’une entreprise. Le cas FAVI.
10. http://www.favi.com/management-favi/comment-un-petit-patron-naif-et-paresseux-innove
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Exercice 7.1 Le site de FAVI (2017) propose de nombreuses fiches décrivant les principes de gouvernance et de management de l’entreprise10. À titre d’exercice, on pourra lire tout ou partie des fiches pour se livrer à l’interprétation des contenus au regard des principes de la complexité, selon les exemples traités en annexe 12, page 242.
Bibliographie Adam, Michel (2008). L’association. Image de la société… Le modèle associatif et ses enjeux. L’Harmattan, 2e éd., 2008. ISBN : 978-2-296-05208-6. Adam, Michel (2011). Jean Monnet. Citoyen du monde. Une pensée pour aujourd’hui. 2e édition revue et augmentée. L’Harmattan, 2014. Coll. Questions contempo‑ raines. Afnor (2003). FD X 30-02, SD 21000, Développement durable – Responsabilité sociétale des entreprises. Guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise, 2003. Amato, Albino (2002). Vers un management systémique des organisations. Les Cahiers de l’Actif, janv.-fév. 2002, n° 308-309, L’approche systémique en travail social, p. 47-65. ATD Quart Monde (2017). ATD Quart Monde [en ligne]. [Consulté le 02/02/2017]. Disponible à l’adresse : https://www.atd-quartmonde.fr Attac & Basta ! (2015). Le livre noir des banques. Éditions Les Liens qui Libèrent, 2015. Avenier, Marie-José (1997). La stratégie « Chemin faisant ». Éditions Economica, 1997. Avenier, Marie-José (2017). Communication personnelle d’un texte à paraître chez Economica, 2017. Avec son aimable autorisation. Bériot, Dominique (2006). Manager par l’approche systémique. S’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité. Éditions Eyrolles, 2006. Bitoun, Pierre, Dupont, Yves (2016). Le sacrifice des paysans : Catastrophe sociale et anthropologique. Éditions l’Échappée, 2016. ISBN : 978-2373090130. Blue Economy (2016). Blue Economie [En ligne]. [Consulté le 30/12/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.blueeconomy.eu Buurtzorg, 2016. Buurtzorg [En ligne]. [Consulté le 30/12/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.buurtzorgnederland.com Calame, Pierre (2014). L’économie sociale et solidaire : un moyen privilégié de construire le capital immatériel des territoires. Dans : Le Labo de l’Économie Sociale
178
7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
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180
7. Organisations et gouvernance: Le vivre ensemble en complexité
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8 Expérimentations Découvrir seul les chemins de la complexité
En filigrane dans les écrits La bibliographie des chapitres précédents invite à lire quelques ouvrages et articles qui traitent de la complexité ou de divers sujets explicitement reliés à la notion de complexité. Cependant, certaines œuvres nous donnent une fabuleuse occasion d’exercer, sans artifices, sans méta-discours sur la complexité, notre propre pensée complexe, à propos de sujets divers que les auteurs ont traité en complexité sans y faire référence. Il est donc intéressant de lire aussi ces ouvrages dont le sujet n’est pas la complexité en soi, mais qui l’exprime et la donne à comprendre et à ressentir. À titre d’exemple, citons les quelques ouvrages suivants (les références détaillées sont données dans la bibliographie du chapitre). • Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, de Jérôme Baschet (2014). • Jean Monnet. Citoyen du monde. Une pensée pour aujourd’hui, de Michel Adam (2e éd., 2014). • (R)évolution collaborative. La richesse de votre entreprise c’est le nous, de Céline Frontera (2015). • Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, de Nassim Nicholas Taleb (2008). • Aux contraires. L’exercice de la pensée et la pratique de la science, de Jean-Marc Levy-Leblond (1996). • La fin de l’éducation ? Commencement…, de Jean-Pierre Lepri (2016). • De la vérité dans les sciences, d’Aurélien Barrau (2016).
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Étude de cas Relance de l’activité d’une entreprise manufacturière Étude de cas Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Relance de l’activité d’une entreprise manufacturière Exposéducas(fictif)d’unebriqueterieetproblématique Exposé du cas (fictif) d’une briqueterie une briqueterie exploite deux carrières pour fabriquer, sur un seul site et problématique
de production, des briques selon le procédé général décrit ci-dessous
Une briqueterie exploite deux (environ 200000 tonnes decarrières produitpour fini fabriquer, par an). sur un seul site de produc‑ tion, des briques selon le procédé général décrit ci-dessous (environ 200 000 (1) à l’extérieur pour tonnes subir La «terre» extraite des carrières est entreposée de produit fini par an).
une maturation. Elle est ensuite broyée, homogénéisée, malaxée avec
1 est entreposée à l’extérieur pour subirséchées une matu‑ La (2)carrières . Les briques sont extrudées, découpées, à 2 de« terre » la sciureextraite de boisdes . ration. Elle est ensuite broyée, homogénéisée, malaxée avec de la sciure de bois (3) basse température pendant environ 48 heures et cuites à 1000 °C Les briques sont extrudées, découpées, séchées à basse température pendant environ durant 24 heures. Elles durant subissent un usinage de finition avant 3. Elles subissent 24 heures un usinage de 48 heures et cuites à 1 000 °C conditionnement et expédition. finition avant conditionnement et expédition.
Extraction et préparation de la matière première
extraction des argiles en carrière
Stockage à l’air libre «pourrissement de la terre» Préparation de la pâte
malaxage
Homogénéisation
broyage
dosage des argiles
Fabrication des briques
extrusion et découpe
Séchage (5 % hum.) (Gaz nat., 30-55 °c, 48 h)
cuisson (Gaz naturel, 1000 °c, 24 h)
Conditionnement
palettisation
rectification
Avertissement Intentionnellement, la pagination de la suite n’est pas linéaire. Les pages consacrées à 1. Terme en le usage dans le des secteur désigner brute. Dans le cas présent, les terres l’aide pour traitement deuxpour études de casl’argile Relance de l’activité d’une briqueterie extraites des carrières marnes sont (85 %alternées d’argile et 15 % calcaire (carbonate de calcium, et Création d’un sont parcdeséolien pour de éviter que l’œil ne tombe CaCO pourdefabriquer de briques. À la! cuisson, le carbonate de 3)). Il faut 105 prématurément sur kg desd’argile éléments réponse100 de kg l’une ou l’autre calcium se transforme en chaux avec dégagement de dioxyde de carbone, à raison de 440 g de Des codes visuels et des renvois de pages rigoureux sont prévus : merci de bien vous CO2 par kg de CaCO3. y conformer.
2. La sciure de bois incorporée à la pâte confère des propriétés isolantes supérieures à la terre cuite, grâce à la porosité qu’elle laisse après combustion. 3. La quantité de gaz naturel consommée représente 3,10 MJ * par kg de produit fini et génère des émissions de dioxyde de carbone, à raison193 de 67 kg CO2/GJ. * PCI gaz naturel = 13 MWh/t (PCI bois = 3 MWh/t ; 1 kWh = 3,6 MJ)
186
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Avertissement Intentionnellement, la pagination de la suite n’est pas linéaire. Les pages consacrées à l’aide pour le traitement des deux études de cas Relance de l’activité d’une briqueterie et Création d’un parc éolien sont alternées pour éviter que l’œil ne tombe prématurément sur des éléments de réponse de l’une ou l’autre ! Des codes visuels et des renvois de pages rigoureux sont prévus : merci de bien vous y conformer.
Données économiques internes L’usine appartient à un groupe dont les activités couvrent divers secteurs de pro‑ duction de matériaux minéraux. À l’échelle du groupe, l’économie est saine et les capacités d’investissement sont importantes. La briqueterie a accru ses moyens de production en 2002, avec des équipements robotisés pour une production annuelle maximale de 250 000 t. Cependant, à partir de 2007, la crise de la construction, puis la crise économique, ainsi que la concurrence très vive de la filière terre cuite allemande, ont affecté les ventes. La production stagne, voire tend à décroître. En 2005, la briqueterie a obtenu une autorisation préfectorale pour l’ouverture et l’exploitation pendant 30 ans d’une carrière d’argile dans un site forestier, mais le gisement ne présente pas la richesse escomptée, avec des matériaux trop calcaires en profondeur. Production annuelle (kt/an)
effectif des salariés
200
100
190
90
180
80
effectifs
70
170 160
60
Production
50
150 1998
2002
2006
2010
2014
(1) terme en usage dans le secteur pour désigner l’argile brute. Dans le cas présent, les terres extraites des carrières sont des marnes (85 % d’argile et 15 % de calcaire (carbonate de calcium, CaCo3)). Il faut 105 kg d’argile pour fabriquer 100 kg de briques. A la cuisson, le carbonate de calcium se transforme en chaux avec dégagement de dioxyde de carbone, à raison de 440 g de Co2 par kg de CaCo3.
(2) La sciure de bois incorporée à la pâte confère des propriétés isolantes supérieures à la terre 187 cuite, grâce à la porosité qu’elle laisse après combustion.
(3) La quantité de gaz naturel consommée représente 3,10 MJ* par kg de produit fini et génère
Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Énoncé du problème Vous avez été embauché(e) par la briqueterie dans une mission transversale pour innover en vue de redresser une situation de déclin (diminution des ventes). La direction vous a posé la question suivante : comment pouvons-nous innover sur le plan communicationnel et commercial pour augmenter nos ventes ? Consignez les questions que vous vous posez et le cheminement du raisonnement que vous allez mettre en œuvre pour résoudre le problème. N’omettez surtout pas de noter les réflexions décalées, les questions sans réponses, les impasses du raison‑ nement, etc. Il s’agit moins de mettre en exergue la pertinence de vos vues sur la question que de garder une trace du tâtonnement et des aléas de la pensée. Des éléments pour un processus de résolution sont proposés en page suivante.
188
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Proposez une solution
Sort-elle du domaine du marketting et de la communication ?
oui
Allez à la page 191
non
Listez les problèmes rencontrés par la briqueterie
Cette vision élargie sur les problèmes perturbe-t-elle votre solution ?
oui
Allez à la page 191
non
Allez à la page 207
189
Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Étude de cas Création d’un parc éolien Suite de l’étude de cas proposée en page 133.
Proposez une solution
Voulez-vous consulter le corrigé ?
oui
Allez à la page 198
non
Votre solution donne-t-elle satisfaction à tous les acteurs ?
oui
non
Pensez-vous qu’il existe une solution satisfaisante pour tous ?
non
oui non
190
Voulez-vous un « coup de pouce » ?
oui
Allez à la page 192
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Voulez-vous des informations sur les thèmes suivants ?
Le marketting et la communication
oui
Allez à la page 193
non
Les relations sociales internes et externes
oui
Allez à la page 195
non
L’économie du secteur de la terre cuite en France
oui
Allez à la page 197
non
La réglementation environnementale pouvant concerner la briqueterie
oui
Allez à la page 199
non
Les caractéristiques environnementales des produits
oui
Allez à la page 203
non
Le contexte territorial
oui
Allez à la page 206
non
Allez à la page 207
191
Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Étude de cas Création d’un parc éolien
Le coup de pouce pour reconsidérer le problème Essayez de mettre à profit l’enseignement de l’exercice dont la solution était la sui‑ vante (pensez à sortir du cadre !)
Voulez-vous reconsidérer la question ?
non
Allez à la page 198
oui
Voulez-vous une aide pour concrétiser le conseil ci-dessus ? non
Allez à la page 198
192
oui
Allez à la page 194
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Marketing et communication L’activité jouit du prestige et de l’ancrage d’une industrie traditionnelle bien assise. L’usine bénéficie principalement de la communication faite à l’échelle du groupe pour la filière terre cuite. La stratégie de développement durable est résolument affichée dans la communication. Les arguments promotionnels portent principalement sur le caractère naturel du matériau et sur ses bonnes performances thermiques et mécaniques. Néanmoins, la production de briques de terre cuite doit faire face à la pénétration du marché national par des fabricants étrangers, et à la concurrence des matériaux à base de ciment, comme le bloc de béton. L’usine distribue ses produits à des grossistes revendeurs régionaux, et nationaux dans une moindre mesure.
Êtes-vous satisfait(e) de votre solution ?
oui
Voir corrigé en page 207
non
Retour à la page 191
193
Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Étude de cas Création d’un parc éolien
Le coup de pouce pour reconsidérer le problème (suite) La pensée en complexité adopte quelques principes qu’il est souvent fructueux de tester en situation (voir en pages 111-113 et 130-131 notamment) : – quelle est la question posée ? – quel est le projet ? – quel est le contexte ? On répondra classiquement aux trois questions de la manière suivante : – quelle est la question posée ? Débloquer la situation. – quel est le projet ? Un parc éolien. – quel est le contexte ? On se posera rarement cette question et si c’est le cas, il y a une forte probabilité que les éléments du contexte soient choisis parmi les agents du problème (contexte éolien, contexte associatif, contexte naturel, etc.). Et c’est là que le petit exercice des neufs points devient utile pour penser à « sortir du cadre ». Cela incitera à formuler d’autres réponses, du type suivant. • Quelle est la question posée ? Débloquer la situation ou déplacer le problème (changer la perspective sur le problème). • Quel est le projet ? Une production locale d’énergie renouvelable dans une optique d’autonomie énergétique à l’échelle du territoire (élargissement aux motivations fondamen‑ tales). • Quel est le contexte ? Un territoire de polyculture-élevage ; une industrie agro-alimentaire ; une biodi‑ versité (secteur boisé) ; la présence d’un gazoduc.
Retour à la page 190
194
oui
Avez-vous de nouvelles idées ?
non
Voir corrigé en page 198
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Relations sociales internes et externes Données sociales internes Le dégraissage des effectifs avec la modernisation de l’outil de production, puis le marasme économique ont dégradé les relations sociales au sein de la briqueterie. Certains salariés se plaignent de leurs conditions de travail ou mettent en cause la sécurité, notamment à propos du stock de sciure séchée, hautement inflammable. La direction rétorque que la réglementation et les normes sont respectées, que la période n’est pas favorable à l’instauration d’un plus grand confort de travail. Le turn over et les arrêts maladie sont en augmentation. Les relations entre les responsables et les instances représentatives sont données par le diagramme suivant (inspiré de la représentation préconisée par D. Bériot (2006)).
Directeur d’usine Chef d’atelier terre cuite
Directeur technique
CHSCT
Relation intense Relation conviviale Relation symétrique Blocage unilatéral
Directeur marketing, com., dév. durable
Rupture Responsable syndical
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Données sociales externes Les riverains et les associations locales de défense de l’environnement ont contesté le projet de carrière d’argile et porté l’affaire devant le Tribunal administratif qui, après des années de procédure, a consolidé l’autorisation du préfet. Les principaux motifs portaient sur : – l’atteinte à la biodiversité à cause du défrichement de la forêt, bien que la for‑ mation argileuse soit largement représentée dans le secteur, bien au-delà du site convoité ; – la description géologique simpliste et erronée en profondeur, faisant valoir une réserve d’argile surestimée ; – la minimisation des risques de pollution de la nappe compte tenu de l’examen simpliste de la perméabilité du sous-sol et du fonctionnement hydrologique de type karstique. Bériot, Dominique (2006). Manager par l’approche systémique. S’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité. Éditions Eyrolles, 2006.
Êtes-vous satisfait(e) de votre solution ? non
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196
oui
Voir corrigé en page 207
8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
600 500 400 300
Économie du secteur en France
Juin 2006
Juin 2008
Juin 2010
Juin 2012
Les statistiques nationales donnent les tendances suivantes pour la construction de logements et l’économie de la filière terre cuite. 600
600
500
500
400
400
300
300
104 96 88 Juin 2006
Juin 2006
80 Juin 2010
Juin 2008
Juin 2008
Juin 2010
72
Juin 2012
Juin 2012
Juin 2014
Juin 2014
Nombre de logements autorisés (cumulés sur 12 mois).
64 Source : Commissariat général au développement durable (2014). Chiffres & statistiques ; 1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013 Construction de logements, n° 571, oct. 2014, d’après données SOeS, Sit@del2. 104 96 88 80 72
104 96
140
88
120
80
100
72
80
64
64
1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013 60
1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013
1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013
Indice de prix de production de française pour le marché français (base 100 en 2010) 120 140 l’industrie
Source : INSEE 100 http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/bsweb/graph. asp?idbank=001652059 80
Indice de chiffre d’affaires en valeur (base 100 en 2010) – Marché intérieur et export – Fabrication de matériaux de construction en terre cuite.
ou
Source : INSEE. http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/bsweb/graph. asp?idbank=001659591
60 1995 1998 2001 2004non 2007 2010 2013 satisfait(e) de votre Êtes-vous
Retour à la page 191
oui
solution ?
Voir corrigé en page 207
oui
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Étude de cas Création d’un parc éolien
Exemple de résolution Cette mini-étude de cas proposée à des étudiants de diverses formations révèle quasi systématiquement l’obstination (et parfois l’inventivité !) avec laquelle ils cherchent à débloquer le projet éolien. La pensée en complexité adopte quelques principes qu’il est souvent fructueux de tester en situation (voir en pages 111-113 et 130-131) et notamment il est recom‑ mandé de toujours se demander : – quelle est la question posée ? – quel est le projet ? – quel est le contexte ? On répondra classiquement aux trois questions de la manière suivante : – quelle est la question posée ? Débloquer la situation. – quel est le projet ? Un parc éolien. – quel est le contexte ? On se posera rarement cette question et si c’est le cas, il y a une forte probabilité que les éléments du contexte soient choisis parmi les agents du problème (contexte éolien, contexte associatif, contexte naturel, etc.). On peut formuler d’autres réponses, du type suivant. • Quelle est la question posée ? Débloquer la situation ou déplacer le problème (changer la perspective sur le problème). • Quel est le projet ? Une production locale d’énergie renouvelable dans une optique d’auto‑ nomie énergétique à l’échelle du territoire (élargissement aux motivations fondamentales). • Quel est le contexte ? Un territoire de polyculture-élevage ; un secteur d’activité agro-alimentaire ; une biodiversité (secteur boisé) ; la présence d’un gazoduc. Suite en page 202
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Éléments réglementaires Remarque • La législation évolue sans cesse et les textes donnés ci-dessous peuvent ne pas être à jour. Néanmoins, ils demeurent pertinents pour orienter le raisonnement dans le cadre de la présente étude de cas, fictive, bien que réaliste. Dispositions découlant de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle 2) Bâtiments existants • Réduction de 38 % de la consommation énergétique du parc de bâtiments et réduction de 50 % des émissions de GES d’ici 2020. • Rénovation de 400 000 logements par an dès 2013. • Réduction de 40 % de la consommation énergétique du parc de bâtiments publics entre 2012 et 2020. • Rénovation thermique des 50 millions de m2 des bâtiments de l’État et des 70 mil‑ lions de m2 des principaux établissements publics. • Rénovation de 800 000 logements sociaux (passer de 230 kWhep/m2/an à 150 kWhep/m2/an). Bâtiments neufs • Norme bâtiment basse consommation (BBC) (50 kWhep/m2/an) à partir de 2010 pour les bâtiments publics et tertiaires et à partir de 2012 pour toutes les autres constructions neuves. • Norme bâtiment à énergie positive pour toutes les constructions neuves à partir de 2020 (consommation d’énergie des bâtiments inférieure à la quantité d’énergie produite à partir de sources renouvelables). Système d’échange de quotas d’emission de gaz à effet de serre (SEQE) Le SEQE impose aux entreprises fortement émettrices de restituer les quotas alloués l’année précédente. Initialement gratuite, l’allocation devient progressivement payante à partir de 2011. Le SEQE consiste à attribuer des quotas d’émission aux entreprises les plus forte‑ ment émettrices de GES, qui peuvent ensuite soit revendre les quotas d’émission qu’elles n’ont pas consommés, soit, au contraire, acheter les quotas d’émission dont elles ont besoin pour respecter leur dotation initiale.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Principaux textes La directive n° 2003/87 du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne a été transpo‑ sée en France aux articles L229-5 à L229-19 et R229-5 à R229‑37 du Code de l’environnement. Décret n° 2007-979 du 15 mai 2007 portant approba‑ tion annuelle du plan national d’affectation des quotas d’émission de gaz à effet de serre établi pour la période 2008‑2012 (PNAQ 2). Entreprises concernées par le SEQE Le système d’échange de quotas d’émission de GES s’applique aux installations clas‑ sées pour la protection de l’environnement (ICPE) : • • • • •
produisant ou transformant des métaux ferreux ; produisant de l’énergie ; produisant des produits minéraux ; produisant du papier ou de la pâte à papier ; et répondant aux critères fixés par le Code de l’environnement au titre de leurs rejets de CO2 dans l’atmosphère, à l’exception des installations ou parties d’ins‑ tallations utilisées pour la recherche, le développement et l’expérimentation de nouveaux produits et procédés.
Affectation et délivrance des quotas d’émission de GES La directive n° 2003/87 du 13 octobre 2003 prévoit que, à compter de 2020, l’allo‑ cation des quotas s’effectuera à titre onéreux, essentiellement par voie d’enchères. Jusqu’à cette date, des régimes transitoires permettront de maintenir une partie des allocations de quotas à titre gratuit, voire totalement gratuites pour certains secteurs ou sous-secteurs d’activité. Cinq périodes peuvent donc être distinguées : • 2005-2007 (PNAQ 1) : allocation gratuite des quotas d’émission de GES ; • 2008-2012 (PNAQ 2) : diminution de l’enveloppe de quotas d’émission de GES et maintien du principe d’allocation gratuite ; • 01/07/2011-31/12/2012 : en France, 10 % des quotas d’émission de GES seront alloués à titre onéreux ; • 2013-2020 (futur PNAQ 3) : principe de la mise aux enchères avec maintien de la gratuité pour certaines installations ; • à compter de 2020 : allocation à titre onéreux sans dérogation possible.
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Décret n° 2011-610 du 31 mai 2011 relatif au diagnostic portant sur la gestion des déchets issus de la démolition de catégories de bâtiments
Extrait « Art. R. 111-45. − Le maître d’ouvrage d’une opération de démolition de bâtiment réalise un diagnostic portant sur les déchets issus de ces travaux dans les conditions suivantes : « a) Préalablement au dépôt de la demande de permis de démolir si l’opération y est soumise ; « b) Préalablement à l’acceptation des devis ou à la passation des marchés relatifs aux travaux de démolition dans les autres cas. « Art. R. 111-46. − Le diagnostic mentionné à l’article R. 111-45 fournit la nature, la quantité et la localisation dans l’emprise de l’opération de démolition : « – des matériaux, produits de construction et équipements constitutifs des bâtiments ; « – des déchets résiduels issus de l’usage et de l’occupation des bâtiments. Ce diagnostic fournit également : « – les indications sur les possibilités de réemploi sur le site de l’opération ; « – l’estimation de la nature et de la quantité des matériaux qui peuvent être réemployés sur le site ; « – à défaut de réemploi sur le site, les indications sur les filières de gestion des déchets issus de la démolition ; « – l’estimation de la nature et de la quantité des matériaux issus de la démolition destinés à être valorisés ou éliminés. « Le diagnostic est réalisé suite à un repérage sur site. »
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Étude de cas Création d’un parc éolien
Exemple de résolution Suite de la page 198 Le projet éolien est compromis du fait de son implantation contrainte par le poten‑ tiel éolien et l’éloignement des habitations, et du fait de ses caractéristiques phy‑ siques, avec des tours d’environ 100 mètres de hauteur, très visibles dans le paysage. En se reposant la question de la nature réelle du projet, qui vise la production locale d’énergie renouvelable, il vient à l’idée de ne plus se focaliser sur la solution éolienne. L’élargissement des considérations contextuelles révèle l’importance de la production de biomasse, en particulier les déchets organiques des fermes et de l’industrie agro-alimentaire. Le croisement de ces deux constats met sur la voie de la méthanisation des déchets organiques pour produire du biogaz, qui peut être converti en énergie électrique ou injecté dans le réseau après purification, puisqu’un gazoduc est présent sur le territoire. Il est probable que la contrainte sur le choix du site s’en trouve desserrée. Avec quelques mesures paysagères appropriées, l’impact visuel sera moindre, à distance. Bien entendu, il faudra veiller à ne pas détruire de terres cultivables et à quantifier la quantité de déchets agricoles exportable sans compromettre le retour du carbone aux sols, étudier les questions logistiques, etc., mais la proposition semble a priori pouvoir offrir une alternative sérieuse au projet éolien. En outre, cela permettrait de réconcilier les exploitants du GAEC entre eux. La dimension humaine est importante aussi à intégrer dans la recherche d’une solu‑ tion qui prétend relever du développement durable.
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Caractéristiques environnementales de quelques matériaux Brique terre cuite rectifiée à haute performance thermique (37 cm) Selon Briques de France (2006)
Unité fonctionnelle : 1 m2 de paroi et une isolation thermique (résistance thermique : 2,9 Km2 W–1) Durée de vie typique de 100 ans Impact environnemental Valeur total cycle de vie/UF pour la DVT Consommation de ressources énergétiques Énergie primaire totale 1 169 MJ Énergie renouvelable 131 MJ Énergie non renouvelable 929 MJ Consommation d’eau 737 l Déchets valorisés 4,0 kg Déchets traités (DIS, DIB) 5,2 kg Déchets inertes 315 kg Changement climatique 147 kg CO2e Acidification atmosphérique 0,51 kg SO2e Pollution de l’air 2 989 m3 Pollution de l’eau 20,5 m3 Destruction de la couche d’ozone 0 stratosphérique Formation d’ozone photochimique 0,009 kg C2H4e
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Mur en maçonnerie de blocs en béton Selon le Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton (2006)
Unité fonctionnelle simplifiée : 1 m2 de mur en blocs de béton de 20 cm d’épaisseur (résistance thermique : 0,21 Km2 W–1) Durée de vie typique de 100 ans Impact environnemental Valeur total cycle de vie/UF pour la DVT Consommation de ressources énergétiques Énergie primaire totale 174,3 MJ Énergie renouvelable 15 MJ Énergie non renouvelable 157,8 MJ Consommation d’eau 82,9 l Déchets valorisés 0,62 kg Déchets traités (DIS, DIB) 0,88 kg Déchets inertes 236,54 kg Changement climatique 15,67 kg CO2e Acidification atmosphérique 0,0716 kg SO2e Pollution de l’air 1 673 m3 Pollution de l’eau 7,83 m3 Destruction de la couche d’ozone 0 stratosphérique Formation d’ozone photochimique 0,00665 kg C2H4e
Complexe blocs de béton et doublage d’isolation thermique PSE Th 38 Épaisseur du complexe : 200 + (10 + 80) (résistance thermique : 2,37 Km2W–1) ou 200 + (10 + 100) (résistance thermique : 2,87 Km2W–1) Selon le Centre d’Études et de Recherches de l’Industrie du Béton (2005)
Unité fonctionnelle simplifiée : 1 m2 de produit Durée de vie typique de 100 ans
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Impact environnemental
Valeur total cycle de vie/UF pour la DVT 10 + 80 10 + 100 Consommation de ressources énergétiques Énergie primaire totale 472 517,5 MJ Énergie renouvelable 26,2 26,6 MJ Énergie non renouvelable 445,5 490,4 MJ Consommation d’eau 144,34 149 l Déchets valorisés 0,866 0,874 kg Déchets traités (DIS, DIB) 19,514 20,023 kg Déchets inertes 232,8 232,8 kg Changement climatique 30,46 32,17 kg CO2e Acidification atmosphérique 0,13 0,15 kg SO2e Pollution de l’air 3 654,1 4 030,8 m3 Pollution de l’eau 22,54 22,83 m3 Destruction de la couche d’ozone e e stratosphérique Formation d’ozone photochimique 0,0662 0,0792 kg C2H4e Sources Briques de France (2006). Déclaration environnementale et sanitaire ; Monomur Terre Cuite 37 rectifié pour pose à joint mince. INIES, 26 juillet 2006. Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton (2005). Fiche de déclaration environnementale et sanitaire ; mur en maçonnerie de blocs de béton associé au complexe de doublage d’isolation thermique PSE Th38 conforme à la norme NF P 01-010. INIES, Réf. 45.E, octobre 2005. Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton (2006). Fiche de déclaration environnementale et sanitaire du mur en maçonnerie de blocs de béton, conforme à la norme NF P 01-010. INIES, Réf. 86.E, septembre 2006.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Étude de cas Relance de l’activité d’une briqueterie
Contexte territorial La briqueterie est située en zone rurale, en secteur viticole. La ressource en argile est difficile à atteindre, dans un terroir très protégé dont le foncier est onéreux. Les terrains plus facilement accessibles sont boisés, où l’habitat est suffisamment distant et dont le prix est bien inférieur. La viticulture intensive à l’échelle du pays est pratiquée sur les plateaux et les pentes (les vallées sont peu cultivées, en prairies, friches ou bois, bien que très productives jadis (polyculture-élevage, avec le chanvre, en particulier, cultivé pour sa fibre et la confection de tissus et de cordes)). Depuis quelques années, le secteur viticole est en crise : les prix de vente ont chuté et les exploitations les plus fragiles font faillite. Or, l’essentiel de l’économie locale repose sur cette filière. Selon une étude réalisée en 2010, 20 % des exploitations viticoles du département sont déficitaires, tandis que 20 % ne parviennent pas à dégager l’équivalent d’un SMIC pour l’exploitant. Un syndicat inter-territorial regroupant plus de 100 communes a été créé pour la mise en œuvre d’une politique de l’habitat. Ses compétences se sont progressive‑ ment élargies aux questions énergétiques, avec des initiatives visant la sobriété éner‑ gétique et les énergies renouvelables. L’ambition du syndicat est de développer un « territoire à énergie positive » (production d’une quantité d’énergie locale au moins égale à celle consommée sur le territoire), grâce à l’amélioration des performances thermiques de l’habitat, la production de bois énergie et la valorisation énergétique des déchets, notamment agricoles et agro-alimentaires, sans oublier de se préoccu‑ per des usagers menacés de précarité énergétique.
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Étude de cas
Relance de l’activité d’une entreprise manufacturière
Proposition d’une résolution Le propos est davantage d’exposer un processus de raisonnement qu’une solution. Celle proposée ci-après n’est pas unique et n’est pas forcément la meilleure. Nous pouvons nous inspirer des principes énoncés au chapitre « L’éco-ingénierie : ingénierie de la complexité » notamment, pour tenter une résolution. La démarche intellectuelle peut être représentée schématiquement comme suit. Données initiales du problème :
COnStAtS Et PrObLèMES
ChAMPS D’InVEStIgAtIOn
bRiQuEtERiE baisse des ventes
Marketing, communication
On identifie immédiatement le caractère fermé de la question qui oriente implicite‑ ment vers un type de réponse en pointant le champ d’action, sur « le plan communicationnel et commercial ». En outre, la communication effectuée par le groupe pour sa filière terre cuite, avec beaucoup de moyens, n’offre pas d’opportunité d’action pour la briqueterie. Mais, dès que l’objectif d’augmenter les ventes est réinterprété en termes plus généraux, comme stabiliser, voire augmenter le profit de l’entreprise, on pressent que la recherche de solution peut, et sans doute doit, sortir du cadre assigné. Avant de poser des a priori sur le « comment faire », avant même de rechercher une solution, nous pouvons observer davantage le système et en particulier inventorier tous les problèmes qui se posent à l’entreprise.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
La briqueterie doit faire face à divers handicaps qui ont tous des répercussions sur la finance : le coût de l’énergie fossile est élevé et expose dangereusement au renché‑ rissement du pétrole ; la réduction des émissions de gaz à effet de serre, obligatoire pour ce type d’activité industrielle, ou l’achat compensatoire de quotas d’émissions représentent également une charge financière ; le climat social dégradé nuit à la pro‑ ductivité ; la mauvaise image environnementale peut lentement éroder la confiance des clients ; enfin, le secteur de la terre cuite semble globalement et durablement en difficulté.
bRiQuEtERiE baisse des ventes • consommation d’énergie fossile (charge financière importante) • Émissions de GeS (combustion du fuel, décarbonatation de l’argile) • qualité médiocre de l’argile (présence de carbonate de calcium) • climat social dégradé (allègement des effectifs, marasme) • mauvaise image locale (à cause de l’impact environnemental) • impact des carrières (sur paysage et écosystème forestier) • perspectives de la filière médiocres
ChAMPS D’InVEStIgAtIOn Stratégie Marketing, communication Ingénierie environnementale (énergie, gES, biodiversité) Ingénierie technique Management
Éco-inGÉnierie
COnStAtS Et PrObLèMES
Une réponse peut consister à diminuer les charges d’exploitation et à augmenter ainsi la marge bénéficiaire en substituant tout ou partie du combustible fossile par une source d’énergie issue de la biomasse (sciure de bois en provenance de forêts régénérées ou biogaz, selon disponibilité locale). Les émissions de dioxyde de car‑ bone dues à la combustion en seraient considérablement réduites, voire annulées, puisque le carbone biogénique du cycle court n’engendre pas d’effet de serre addi‑ tionnel (le CO2 émis est l’équivalent du CO2 prélevé à l’atmosphère pour la photo‑ synthèse de la biomasse). Les coûts imputables aux émissions seraient ainsi réduits. Cependant, les émissions de dioxyde de carbone dues à la décarbonatation de l’ar‑ gile durant la cuisson des briques demeurent. Ce constat peut néanmoins mettre sur une autre piste…
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Il s’avère qu’un deuxième niveau de complexité peut être examiné : quel est le contexte local de la briqueterie ? Il apparaît que, dans le territoire, on peut détec‑ ter des signaux faibles favorables qui peuvent mettre sur la voie d’innovations plus radicales et plus prometteuses. Le problème technico-économique initial devient alors une question à examiner dans le cadre plus vaste d’un système socio-technique. Par exemple, un consortium pourrait être monté, avec l’aide des instances locales, intéressées par le développement d’un habitat performant, en impliquant le secteur agricole, les entreprises du bâtiment, etc., pour étudier la création d’une nouvelle filière d’activités locales autour des matériaux de construction biosourcés. À terme, la briqueterie pourrait développer une nouvelle ligne de production de briques à base de paille, de chanvre, etc., avec mise en œuvre à froid (chaux comme liant dans le cas du chanvre), provoquant moins de pollutions à la fabrication, au transport et au traitement en fin de vie. Un atelier de fabrication pilote de briques chaux-chanvre ne nécessitant que le mélange, le moulage et le séchage à température ambiante, ne demanderait que peu d’investissements. Au fil des ans, selon les résultats, la filière terre cuite pourrait progressivement être réduite au profit de la nouvelle. On pour‑ rait profiter de cette innovation majeure pour revoir complètement l’organisation interne et améliorer les relations, les conditions de travail, par l’instauration d’une gouvernance de type sociocratique ou holacratique. L’amélioration de la filière terre cuite comme indiqué plus haut et le développement d’une filière biosourcée permettraient de prémunir l’entreprise contre le renchérissement du pétrole et les contraintes réglementaires croissantes en matière d’émissions de gaz à effet de serre. La communication pourrait légitimement et efficacement faire valoir ces innova‑ tions pour améliorer l’image de l’entreprise et les relations avec certains acteurs locaux engagés dans la veille environnementale. Enfin, la dynamique économique du territoire serait renouvelée et consolidée, grâce à la diversification de la production agricole et l’ouverture d’un nouveau débouché local, avec la culture du chanvre.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Agriculture en difficulté
CONSTATS ET PROBLÈMES BRIQUETERIE Baisse des ventes Consommation d’énergie fossile Émissions de GES Qualité médiocre de l’argile Climat social interne dégradé Mauvaise image locale Impact environnemental local Perspectives de la filière médiocres
Symbiose territoriale
CHAMPS D’INVESTIGATION
Stratégie Marketing, communication Ingénierie environnementale (énergie, GES, biodiversité) Ingénierie technique Management
ÉCO-INGÉNIERIE
TERRITOIRE ENVIRONNEMENT SYSTÈME SOCIO-TECHNIQUE
POTENTIEL TERRITORIAL Opportunité agricole Biomasse (pour énergie, matériaux) Opportunité politique (habitat performant, EnR)
Au lieu de simplifier le problème, selon une approche sectorielle et spécialisée, nous avons au contraire envisagé une résolution complexe et transdisciplinaire, en conce‑ vant d’emblée toutes les difficultés de la briqueterie comme entrelacées et interdé‑ pendantes (voir figure ci-dessus). La résolution en complexité ouvre l’horizon des possibles et favorise l’innovation dans une optique de développement durable, par la prise en compte de toutes les dimensions connexes à l’activité. La solution propose des améliorations non seulement pour la briqueterie, mais également pour le secteur agricole et le territoire, dans une approche synergique des actions.
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8. Expérimentations: Découvrir seul les chemins de la complexité
Bibliographie Adam, Michel (2011). Jean Monnet : Citoyen du monde. Une pensée pour aujourd’hui. 2e édition revue et augmentée. L’Harmattan, 2014. Coll. Questions contempo‑ raines. Barrau, Aurélien (2016). De la vérité dans les sciences. Dunod, 2016. Baschet, Jérôme (2014). Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes. Éditions La Découverte, 2014. Frontera, Céline (2015). (R)évolution collaborative. La richesse de votre entreprise c’est le nous. Afnor Éditions, 2015. Lepri, Jean-Pierre (2016). La fin de l’éducation ? Commencements… Éditions Myriadis, 2e éd., 2016. ISBN : 978-10-93408-14-9 Levy-Leblond, Jean-Marc (1996). Aux contraires. L’exercice de la pensée et la pratique de la science. Éditions Gallimard, 1996, coll. Nrf Essais. Taleb, Nassim Nicholas (2008). Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, Les Belles Lettres, 2008.
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9 Annexes
Annexe 1 La notion de complexité peut-elle être objectivée en tant que limite de la cognition ? La complexité est-elle un attribut de la perception de l’observateur ou une propriété du réel ? L’option épistémologique, entre réalisme et constructivisme, offre de tran‑ cher clairement pour l’une ou l’autre des alternatives. Dans le paradigme construc‑ tiviste, il est postulé que l’on ne peut connaître que l’expérience de l’interaction avec le réel et non le réel en soi, à l’instar de l’inconscient, inconnaissable en soi, mais qui s’actualise par ses manifestations dans la conscience. La connaissance n’est pas l’image en miroir d’un donné exogène, mais elle s’élabore dans les arcanes de la cognition par transformation d’informations incidentes en provenance du réel. En outre, notre entendement à propos du réel est entièrement réécrit lors des change‑ ments épisodiques de paradigmes scientifiques interprétatifs. On ne peut donc pas même affirmer, idéalement, que la connaissance tendrait asymptotiquement vers la description du réel. Si donc la complexité est considérée comme une appréciation de l’observateur sur sa représentation d’un système plutôt qu’appréhendée comme une propriété du système observé lui-même, alors l’inintelligibilité brute peut être dépassée par l’exercice de modélisation, dans un continuum de représentations pos‑ sibles 1, entre simplisme et (idéalement) stricte description en réplique du réel. L’art du modélisateur consiste à ajuster la sophistication de la transcription (analogie, 1. Le continuum est l’ensemble des possibles, mais la modélisation procède généralement par sauts discontinus dans ce continuum.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
schéma, équations mathématiques, modélisation multi-agents, jeu de rôle, etc.) en fonction de son projet et de ses moyens. L’intelligibilité restituée par la modélisation est considérée comme satisfaisante, voire totale, par le modélisateur, du fait de la cohérence interne du modèle, et par le fait qu’il lui confère une capacité d’action intentionnellement finalisée dans le réel. Néanmoins, du point de vue même de l’acteur, l’action est une perturbation qui ne conserve pas, à l’échelle du système réel, l’ubiquité de pertinence propre au modèle. Un certain courant de pensée postule que cette disharmonie entre les pré‑ dictions du modèle et les effets de l’action serait réductible avec l’accroissement des connaissances. Sans même invoquer l’inconnaissance ontologique, la sophistica‑ tion d’un modèle par inflation des données collectées en vue d’atteindre une repré‑ sentation complète d’un système réel nécessiterait des moyens infinis et une infinie précision tout à fait illusoires. Cette limite est celle de la cognition, qui ne peut pas intégrer ni organiser exhaustivement les informations du monde, quand bien même elle serait relayée par la puissance informatique. L’incomplétude potentielle des processus cognitifs dans leur relation au réel est une méta-propriété anthropo‑ logique, un attribut constitutif, indépassable à un stade évolutif donné, une limite que le langage traduirait par la notion substantivée et objectivée de complexité. Il faut insister ici sur la nature de cette limite, relative à l’information exploitable et non à la production cognitive, car la modélisation est inépuisable, à l’instar des innombrables possibilités de circuits passant par toutes les villes d’un territoire n’en comportant qu’un nombre fini et relativement peu élevé (avec 60 villes, le nombre de chemins possibles est de l’ordre de la quantité d’atomes présents dans l’univers !). Dès lors que le réel en soi et la conscience sont appréhendés comme des réalités duales dont la nature est différente, l’incommensurabilité de ces deux catégories est consommée et elle légitime l’expression du hiatus par un substantif objectivant : la complexité. Au-delà de la caractérisation de l’inintelligibilité des idées brutes géné‑ rées par la perception et l’interprétation spontanée du réel, la notion de complexité n’entrerait-elle pas dans cette catégorie sémantique exprimant l’inconcevable, impu‑ table à la limite cognitive, au même titre que les notions d’infini et d’origine (cos‑ mologique) ? À ce compte-là, la complexité ne serait ni une propriété du réel en soi ni premièrement une qualification de sa représentation quand elle est éprou‑ vée comme peu ou pas intelligible, mais elle désignerait, en filigrane, la finitude constitutive et principielle de la cognition qui s’actualise (sans cette limitation, la conscience et le monde seraient une seule et même catégorie, une identité, ou pour le moins une symétrie). C’est justement la limite de la cognition dans son rapport au réel qui suscite le potentiel indéfini des déclinaisons de l’interprétation du réel. En voici une proposition métaphorique : les rives d’un étang bornent le plan d’eau et réfléchissent les ondes initiées par la brise en générant des figures d’interférence, en variété potentielle indéfinie. L’atmosphère est « inconnaissable » pour l’étang, mais il peut néanmoins l’appréhender grâce aux rides issues de l’interaction avec le vent. Ce sont les berges, en tant que limite (la complexité), qui génèrent l’infini richesse des interférences d’ondes (les interprétations du réel).
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9. Annexes
Annexe 2 Implication psychosociale, éthique et politique de l’option épistémologique Au sein d’une culture, les représentations se construisent sur des croyances, des idées, des théories, des idéologies, etc., largement partagées, implicites ou explicites, qui constituent un socle paradigmatique commun dans l’acculturation. Ces bases ne sont pas figées, mais leur inertie est assez grande pour permettre d’échafauder une culture. Par ailleurs, l’individu puise à son expérience et aux informations qui cir‑ culent tout ce qui conforte sa trame symbolique, affective, intellectuelle, c’est-à-dire tout agrégat d’informations qui consolide ses constructions mentales (figure A2.1). Le noyau commun garantit la commensurabilité des représentations et la commu‑ nicabilité entre les personnes. L’enrichissement particulier du noyau par les indivi‑ dus génère l’infinie diversité créative, la prolifération des expressions singulières. Il permet l’échange de vues, les complémentarités, l’harmonie, mais aussi les antago‑ nismes et les conflits. L’individu ayant besoin et de reconnaissance et d’apaiser sa peur existentielle, il recherche la similitude dans la représentation d’autrui. Il peut aller jusqu’à tenter de déformer le réseau de représentation de l’interlocuteur pour en rapprocher la configuration de la sienne propre, c’est-à-dire tenter de convaincre. On voit par là que l’option épistémologique n’est pas neutre dans la construction du « vivre ensemble ». En effet, à travers ce qu’elle implique pour le statut de la connais‑ sance, elle détermine des modalités d’être différentes dans le système socio-cognitif. En particulier, il convient de noter que l’adoption d’un paradigme épistémologique n’est pas une option morale et que tant le réalisme que le constructivisme peuvent engendrer des postures extrêmes anti-sociales. Dans le cas du réalisme, si la science est censée dévoiler un réel connaissable et univoque, le noyau paradigmatique commun est vaste et tend à se développer. La croyance en l’aptitude humaine à accéder au réel en soi peut nourrir la posture dog‑ matique d’un système autovalidé qui dicte la bonne manière de penser. Au nom de la légitimité supérieure inhérente à la connaissance rationnelle, conférée par le statut ontologique du réel comme absolue référence, on en vient à penser qu’est déviante toute connaissance produite hors de la science orthodoxe. Ainsi les tenants du ratio‑ nalisme fondamentaliste croient, sans être eux-mêmes conscients de leurs propres croyances, que l’irrationnel doit être pourchassé, car générateur d’idées absurdes et d’obscurantisme (c’est en fait l’instrumentalisation – très rationnelle, elle – de l’irra‑ tionnel qui pose problème, pas la dimension irrationnelle en soi de l’humain). Le réalisme ainsi dévoyé conduit à un certain totalitarisme techno-scientiste. À l’opposé, dans le cas du constructivisme, si la connaissance est celle de l’expérience de la confrontation au réel, alors la liberté de penser est légitime par principe, en l’absence de norme ontologique. Cependant, la tolérance aux idées d’autrui peut induire une posture distanciée, pour ne pas dire indifférente. Le constructivisme ne devrait pas justifier le confort du non-engagement, qui fait le lit du totalita‑ risme. Comme quoi, les dérives d’idéologies opposées peuvent conduire aux mêmes risques (dialogique des antagonismes complémentaires)…
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
La pensée en complexité offre la possibilité de demeurer sur le fil du rasoir et conseille de naviguer sans dogmatisme dans l’incertain épistémologique et d’en assumer les contradictions que ne manqueront pas de pointer les tenants d’un pôle ou de l’autre. Elle vient rappeler que les thèses épistémologiques sont des outils de pensée et non des systèmes justificateurs d’idéologies. Enfin, la pensée complexe suscite la tolérance aux idées d’autrui, mais dans certaines limites éthiques, et n’ex‑ clut pas, bien au contraire, l’engagement et ses risques.
Figure A2.1 Sur la base des éléments des fondamentaux paradigmatiques partagés au sein d’une culture (en noir), chacun tisse un réseau conceptuel différent à partir de son expérience et des informations qu’il choisit de manière à conforter paradoxalement et son ego et son acculturation. Les réseaux sont suffisamment ressemblants pour permettre la communication, mais, tous différents, ils alimentent une incroyable richesse (en complexité, ce schéma demeure, mais on pourrait représenter les liens par des segments en pointillé).
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9. Annexes
Annexe 3 Complément sur la notion d’émergence Expliquer le réel consiste à projeter sur les phénomènes des chaînes de relations causales (voir annexe 13, Causalité et dualité en complexité). Cependant, avec la phy‑ sique quantique, la perspective objectivante de la rationalité scientifique achoppe sur le bouclage du sujet avec l’objet. L’explication objective révèle donc un paradoxe, puisque la science postule l’indépendance du sujet et de l’objet dans le processus d’acquisition de connaissance sur l’objet. Si cette base axiomatique de la science n’est pas pertinente, il n’est pas surprenant que la compréhension causale et dualiste du monde se heurte à des incohérences ou des lacunes. Le concept d’« émergence » ne viendrait-il pas combler certains défauts explicatifs ? Peut-être cette notion, et plus largement celle de complexité, est-elle la manière dont l’intellect exprime, par défaut et à son insu, le caractère non dualiste de l’existant, impossible à envisager dans la rationalité scientifique explicative. L’intellect se satisfait d’une compréhension des choses basée sur l’établissement de chaînes de causes à effet entre des parties privilégiées de la chose considérée. Dans le cas d’un système, la compréhension résulte de la construction d’un réseau de chaînes de causalités entrecroisées. Ainsi, de l’atome à la molécule, de la molécule à l’ADN, de l’ADN à la cellule, puis aux organes et au corps entier, ont été identi‑ fiées des relations causales. Transversalement, d’innombrables liens causaux ont été trouvés, entre cellules, entre organes, etc. Une multitude de brins de relations de cause à effet entrelacés convergeant vers un tout restitue une impression de compré‑ hension du système macroscopique, l’être vivant dans notre exemple. Le tout forme une organisation dynamique, cohérente et homéostatique, pourvue de propriétés qu’aucun de ses constituants ne possède isolément, mais qu’ils expriment ensemble. C’est en cela que la vie est une émergence. La notion d’émergence se rapporte à des propriétés caractérisant des objets ou des êtres. Rappelons la définition d’Edgar Morin (1977, p. 106) : « On peut appeler émergences les qualités ou propriétés d’un système qui présentent un caractère de nouveauté par rapport aux qualités ou propriétés des composants considérés isolément ou agencés différemment dans un autre type de système. » Parlant des propriétés émergentes, Hervé Zwirn (2006, p. 196) affirme qu’« il semble impossible de prédire leur survenue a priori à partir de la connaissance, même complète », des « propriétés des constituants de niveau inférieur ». Il y a ici un glissement sémantique, des propriétés vers la causalité, avec la notion d’imprédictibilité, donc vers des relations causales entre objets de différents niveaux d’organisation. Au-delà des propriétés, le concept d’émergence pointe donc quelque singularité à propos des relations. D’ailleurs, Edgar Morin (1977, p. 108) l’exprime implicitement, lorsqu’il fait remarquer que les propriétés émergentes, manifestées par le système, ne se retrouvent pas lorsque les parties sont isolées : « Ainsi, des qualités inhérentes aux parties au sein d’un système donné sont absentes ou virtuelles quand ces parties sont à l’état isolé ; elles ne peuvent être acquises et développées que par et dans le tout. » En effet, c’est donc en relation au tout que certaines qualités, dites « émergentes », s’expriment.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Contrairement à l’idée classique qui prévaut, l’investigation scientifique nous fait accéder à des relations, à des corrélations, et non aux propriétés des objets ellesmêmes. Ainsi, selon Michel Bitbol (2016) : …le désir de la science classique, largement exaucé dans son domaine de validité, consistait à extraire des faisceaux convergents de relations suffisamment stables pour pouvoir les traiter comme s’ils correspondaient à des propriétés, et de rendre le comme si assez parfait pour ne même plus avoir à l’expliciter. (Bitbol, 2016, p. 72-73). Un phénomène par définition relationnel, mais qui reste invariant quelle que soit sa position dans une séquence de rapports expérimentaux, et quelle que soit la manière dont il est associé avec d’autres rapports expérimentaux, peut être détaché sans inconvénient de ses conditions cognitives de manifestation et tenu pour le simple reflet d’une propriété. (Bitbol, 2016, p. 74). Ainsi, le réalisme structurel propose d’abandonner la notion d’objet, jusqu’à consi‑ dérer un monde de propriétés comme seule et unique catégorie fondamentale où les objets seraient des faisceaux de propriétés ou tropes (Kuhlmann, 2014). De ces considérations, nous déduisons que l’émergence peut être interprétée comme l’observation d’une discontinuité des modes de relations lors d’un changement d’échelle systémique. La pensée bouddhiste considère qu’à toutes les échelles, les choses et les êtres sont intimement et totalement reliés à l’univers entier. La pensée scientifique dualiste ne conçoit pas les relations, locales ou distantes, comme un continuum généralisé. Cependant, elles pourraient bien être telles 1 et dès lors se rappeler à notre entende‑ ment réducteur en certains endroits, au sein des systèmes enchevêtrés que nous déli‑ mitons par des seuils où apparaissent les singularités désignées par « émergences ». « Même lorsqu’on peut la prédire à partir de la connaissance des conditions de son surgissement, l’émergence constitue un saut logique, et ouvre dans notre entendement la brèche par où pénètre l’irréductibilité du réel… » (Morin, 1977, p. 109). Nous retombons encore sur l’idée que la notion d’émergence serait la manière d’ex‑ primer, par défaut, l’hermétique caractère « un » de l’existant. « L’émergence serait donc une propriété dépendant des capacités intellectuelles humaines » (Zwirn, 2006, p. 196). Plus exactement, selon nous, la notion d’émergence serait moins due à une limite cognitive qu’à celle de la méthode de pensée discursive de type explicatif, qui se représente le monde en systèmes et sous-systèmes, découpage qui semble n’avoir aucune correspondance dans le réel et qui nécessite quelques artifices de pensée avec la notion d’émergence pour opérer les raccords. Il existe d’autres systèmes de pensée, non scientifique, mais tout aussi cohérents, dans lesquels la vie et la conscience ne sont pas des étrangetés de type émergence. On remarque également qu’au changement d’échelle, le concept d’émergence se couple à la question du sens. Dans l’examen d’un sous-système nous posons plutôt 1. Ou « acceptées comme telles », selon le paradigme épistémologique adopté.
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9. Annexes
des questions du type « pourquoi ? », afin d’expliquer. Lorsqu’apparaît un seuil d’émergence, au changement d’échelle, le questionnement devient aussi du type « pour quoi ? ». Quel projet nouveau se manifeste alors ? Il faut entendre « projet » non pas au sens d’intention, mais au sens d’organisation de processus coordonnés vers un attracteur. La notion d’attracteur (au sens thermodynamique) est fonda‑ mentale, car elle génère l’idée du sens d’un projet 2, sa cohérence évolutive. On peut observer, au seuil d’émergence, que lorsque les faisceaux de relations changent de registre, que la causalité devient plus floue, que l’explication se fait « molle », alors la notion de sens fait irruption et semble s’étoffer 3. La vision fractale du monde génère l’émergence et le sens.
2. Le sens désigne ici la cohérence synchronique et diachronique, ce qui peut générer du sens pour le sujet, en tant que compréhension intuitive. 3. L’entendement serait tributaire d’une sorte de principe d’indétermination, analogue à celui de la physique quantique, mais ici entre les deux notions de causalité et de sens. Quand l’un est maximal, l’autre est minimal.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Annexe 4 Les automates cellulaires Un déterminisme simple peut générer l’imprédictibilité Le concept d’automate cellulaire a été pensé par le mathématicien von Neumann (1903-1957) (Neumann et Burks, 1966). Considérons un réseau de cellules bidi‑ mensionnel, chaque cellule pouvant être soit blanche, soit noire. Dotons le réseau d’une règle d’évolution par itération. Partant arbitrairement du cas n° 1 ci-dessous, posons la règle suivante : une cellule change de couleur si elle a au moins une voisine de couleur différente. On construit aisément la succession des configurations 2 à 5 ci-dessous. 1
2
3
4
5
Avec des moyens informatiques, il est aisé de traiter une succession colossale de configurations. Dans le cas présent, la puissance numérique n’est pas nécessaire pour anticiper le schéma qui se répète, comme une onde qui prendrait naissance au centre de la figure et se propagerait vers l’extérieur. La règle considérée est élémentaire, mais on peut imaginer des règles plus sophis‑ tiquées. L’une des plus connues est celle du Jeu de la vie imaginé par John Horton Conway (Gardner, 1970). La règle, qui s’inspire du vivant où, en général, on a besoin de ses semblables pour survivre, mais où la surpopulation est fatale, s’énonce comme suit : – une cellule est vivante (noire) ou morte (blanche) ; – une cellule vivante reste vivante si elle possède deux ou trois voisines vivantes (une voisine est une cellule adjacente par un côté ou un angle) ; si elle a moins de deux voisines vivantes ou plus de trois, elle meurt ; – une cellule morte prend vie si, et seulement si, elle possède trois voisines vivantes.
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9. Annexes
À titre d’exemple, partons de la configuration n° 2 du cas précédent. Les confi‑ gurations obtenues en appliquant le Jeu de la vie sont données ci-après jusqu’à l’étape n° 8. 1
2
3
4
5
6
7
8
Dans ce cas très particulier, nous remarquons que les cas 6 et 7 se répètent indéfiniment. Généralement, les configurations évoluent sans jamais se répéter. Pour une présentation plus détaillée des automates cellulaires, on pourra se reporter à divers écrits d’Hervé Zwirn (2006, p. 65-108 ; 2015).
0
10
100
1 000 (état stable)
Figure A4.1 Il existe des applications en ligne du Jeu de la vie. (l’exemple ci-dessus a été traité par http://jean-paul.davalan.pagespersoorange.fr/divers/jeuvie/index.html)
Les automates cellulaires sont des artefacts, mais la nature révèle aussi des systèmes au comportement complexe déterminé par des règles d’interaction simples. Ainsi, les particules élémentaires (électrons, noyaux atomiques, etc.) sont porteuses d’un moment magnétique (pour simplifier, on peut les considérer comme des « nanoaimants »). Ces « nano-aimants » sont soumis à plusieurs types d’interactions conjuguées qui déterminent des motifs complexes d’orientation des moments magnétiques. L’interaction dipolaire à longue distance entre les « nano-aimants » dans le champ magnétique global qu’ils génèrent tend à les orienter selon un vortex. Se surajoute une interaction à courte distance, l’interaction d’échange, qui tend à
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
aligner les « nano-aimants » proches voisins entre eux. La compétition entre les deux types d’interaction, que l’on peut simuler par ordinateur, génère une dynamique complexe d’évolution du vortex, qui dépend de l’intensité respective des couplages en jeu (dipolaire/échange) et aussi de divers autres perturbations comme l’agitation thermique (Depondt et Lévy, 2015). Dans les matériaux à aimantation permanente, les « nano-aimants » électroniques s’organisent en configurations stables de vortex qui diffèrent d’une région à l’autre, formant des motifs dendritiques, labyrinthiques, connus sous le nom de « domaines de Weiss » (Lévy, 2015). Les automates cellulaires ne sont pas inversibles comme le montre l’exemple cidessus du Jeu de la vie dans la configuration n° 6, qui, si elle nous était présentée d’emblée avec la question « quel en était la configuration antérieure ? » pourrait donner deux réponses : soit la configuration n° 5 (comme dans le cas traité), soit la configuration n° 7 (puisqu’elle génère la n° 8, identique à la n° 6). En outre, l’évolution des configurations d’un automate cellulaire est très sensible aux conditions initiales. Une infime différence de la configuration originelle peut donner lieu à des évolutions très différentes (figure A4.2).
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9. Annexes
Deux configurations initiales identiques à une cellule près
Étape 100
Étape 1 000
Figure A4.2 Cet exemple montre deux évolutions différentes du Jeu de la vie à partir de deux configurations initiales qui ne diffèrent que par une unique cellule (cellule absente, dans la configuration de droite, au centre des cercles, repris dans les « loupes »).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Plus généralement, diverses propriétés des automates cellulaires ne sont pas pré‑ dictibles. C’est-à-dire que, partant de la connaissance de l’état initial, on ne peut pas trouver de fonction mathématique qui puisse prédire de manière conforme toute l’évolution de l’automate cellulaire. Il est nécessaire d’effectuer concrètement chaque étape (à la main, ou de préférence avec un ordinateur !) pour savoir si telle configuration est stable, cyclique, etc. En revanche, il est possible de modéliser des systèmes complexes réels par des automates cellulaires, dès lors que les phénomènes à modéliser ne peuvent pas être décrits par des lois mathématiques. Ce type de modélisation par des entités discrètes inter-reliées pourvues de propriétés et de règles de fonctionnement a diversement été sophistiqué. Citons, par exemple, les réseaux de neurones formels (voir au chapitre 5).
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9. Annexes
Annexe 5 Le caractère normal de la déviance comme processus dialogique Émergence de l’irrationnel et des pseudo-sciences Quand un système s’engage sur une voie d’évolution, il génère des processus anta‑ gonistes qui s’y opposent en provoquant des oscillations qui maintiennent le sys‑ tème dans un équilibre dynamique ou le font dériver vers un seuil critique et une bifurcation. La théorie du complot et tous les sujets afférents dont elle s’alimente, créationnisme, énergie libre, aliens, Terre plate et géocentrisme, géo-ingénierie clan‑ destine, etc., entrent en résonance dialogique avec la pensée orthodoxe, scientifique et rationaliste. Il faut comprendre que ces avatars constituent un méta-langage (au même titre que le vote d’extrême droite dans le registre politique), pour une masse de gens à l’écart de la culture élitiste dominante (ou tenus écartés par les proces‑ sus insidieux de l’ordre économique). La pensée rationnelle orthodoxe, condescen‑ dante, quand elle n’est pas arrogante, ne fait qu’alimenter ce qu’elle veut combattre. En effet, le caractère outrancier des thèses souterraines est proportionné au caractère hégémonique et rigide de la doctrine dominante sur la bonne manière de penser. Chaque faction est convaincue de détenir la vérité… Les rationalistes fondamenta‑ listes, pourfendeurs des croyances qu’ils jugent déviantes (voire pourfendeurs de la croyance elle-même, inconscients de leurs propres croyances) sont indirectement, et à leur insu, les artisans efficaces des croyances qu’ils combattent. La science a colonisé les esprits en inculquant son dogme matérialiste et sa doctrine rationaliste, en façonnant les représentations du monde, en impressionnant par ses applications technologiques, pourvoyeuses de bienfaits mais aussi de désastres à grande échelle. Cette science, qui se pense comme définitive et aboutie dans sa méthode, va devoir faire face à une lame de fond irrationnelle en miroir dialogique, à laquelle elle ne se sera pas du tout préparée, par excès de confiance et simplisme idéologique. Une des pauvretés de la pensée scientifique est la culture de l’impensabilité, avec l’exclusion méticuleuse et acharnée, hors du questionnement digne, de tous les phénomènes étranges qui ne découlent pas de ses propres déductions. Le Big-Bang et la matière noire sont des notions parfaitement magiques (Pour la Science, 2014), mais considé‑ rées comme sérieuses, car issues des équations, tandis que sont niés les phénomènes subtils (mémoire de l’eau, protéodies, phénomènes aérospatiaux non identifiés 1, etc.), car impossibles à insérer dans le corpus des connaissances classiques. Et pour‑ tant, toute incongruité ne peut-elle pas être étudiée, au moins en tant que phéno‑ mène psycho-social ou sociologique ? Par ailleurs, même quand elle prétend se démocratiser, la culture orthodoxe demeure élitiste, car elle est surplombante et descendante. Les musées, les expositions, les conférences, etc., sont les extractions charitables d’un corpus de connaissances 1. Le cas des phénomènes aéro-spatiaux non identifiés est révélateur de la sclérose intellectuelle tant le déni du monde scientifique est grand, malgré les nombreux témoignages documentés, accrédités, et les rapports officiels.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
auquel les gens ordinaires n’ont pas contribué. C’est la raison pour laquelle, avec les formidables moyens de communication (ironie du sort : issus de la techno-science !), les gens ordinaires construisent leur propre culture, de bric et de broc, sans rigueur méthodologique, hors de toute réflexion épistémologique (mais ils ne sont pas les seuls…), hors même de la rationalité. Cependant, cette culture foisonnante, libre et délirante, est endogène et non factice. à ce titre, et quelles qu’en soient les produc‑ tions, elle n’est absolument pas méprisable 2. En vision complexe, la sécrétion d’une contre-culture déviante est un processus nor‑ mal, voire légitime, qui devrait susciter le dialogue plutôt qu’une guerre de tran‑ chées aussi illusoire que dangereuse. L’impossibilité pour la science matérialiste et réductionniste de dialoguer avec les méta-sciences et les pseudo-sciences prolifé‑ rantes provoquera probablement une tension extrême, puis une bifurcation, dont un des scénarios (pas le moins inquiétant) pourrait faire advenir une épistémolo‑ gie anarchiste pour de nouvelles méthodes de production de connaissances, où les options métaphysiques rationnel/irrationnel ne seraient plus discriminantes.
2. Elle peut cependant cacher des projets malveillants, mais la culture scientifique orthodoxe n’est pas exempte de ce risque, notamment quand elle se marie ou se soumet à la finance (d’aucuns affirmeront en substance qu’il y a déviance et déviance, évidemment…). De fait, des dérives sont d’ores et déjà constatées dans la communauté scientifique, à cause de la compétition exacerbée et du tarissement des fonds publics, qui poussent les chercheurs à sortir des limites déontologiques (Labarre, 2017). Selon Richard Horton (2015), rédacteur en chef de la prestigieuse revue scien‑ tifique médicale The Lancet : « The case against science is straightforward : much of the scientific literature, perhaps half, may simply be untrue. Afflicted by studies with small sample sizes, tiny effects, invalid exploratory analyses, and flagrant conflicts of interest, together with an obsession for pursuing fashionable trends of dubious importance, science has taken a turn towards darkness. ».
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9. Annexes
Annexe 6 La méthode cartésienne « Je pense, donc je suis » (René Descartes) René Descartes (1596-1650), mathématicien, physicien, philosophe, est l’un des fondateurs de la philosophie moderne, qui met fin à la scolastique (pensée aristoté‑ licienne revue par la théologie chrétienne). Il est l’auteur des œuvres suivantes. • Le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637) • Méditations métaphysiques (1641) • Traité des Passions de l’âme (1649) Éditions post mortem • Traité du monde et de la lumière (1664) • Règles pour la direction de l’esprit (1701) Dans le Discours de la méthode, Descartes énonce quatre principes fondateurs de la pensée rationnelle moderne.
Le principe d’évidence « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention [préjugé] ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. » • La vérité s’impose lorsque le raisonnement est clair. • Il existe des invariants qui confèrent un caractère définitif à la certitude.
Le principe d’analyse « Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. » • Le tout est réductible à ses éléments et peut s’examiner par parties. • Les parties sont compréhensibles isolément.
Le principe de causalité « Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. » • Les relations de cause à effet sont linéaires. • Le tout se déduit des parties et la synthèse est exhaustive.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Le principe d’exhaustivité et de fermeture « Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. » • La représentation du système (modèle) est fermée et exhaustive. La Méthode est un point de vue particulier sur le réel, réductionniste, ontolo‑ gique (censé donner la connaissance de la chose en soi), descriptif et explicatif. La Méthode est puissante et efficace pour l’appréhension des systèmes mécaniques ou assimilables à des mécanismes machinaux. Rien de tel que la Méthode pour réparer un moteur d’avion, mais piètre approche pour comprendre la dynamique relation‑ nelle de l’équipe de maintenance !
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9. Annexes
Annexe 7 Approche statistique de la simulation Parmi les stratégies possibles pour améliorer la performance de la modélisation, Céline Guivarch et Julie Rozenberg (2013) présentent une démarche intéressante, condensée ci-après. Considérons comme deux espaces l’ensemble des hypothèses et l’ensemble des scé‑ narios construits avec ces hypothèses : le premier est l’espace-source du choix et le second, l’espace-cible des représentations. Une stratégie classique consiste à choisir un jeu d’hypothèses contrastées de manière à construire des scénarios considérés comme représentatifs. On postule « qu’un pavage correct du champ des incertitudes à l’entrée », au moyen d’hypothèses variées, « produira un éventail de scénarios représentatif des possibles en sortie » (figure A5.1a). Néanmoins, la non-linéarité peut révéler des bifurcations qui font « exploser » l’es‑ pace des représentations des scénarios – futurs possibles, par exemple (figure A5.1b). Pour pallier les effets de la non-linéarité, une méthode statistique peut être mise en œuvre. La multiplication des combinaisons dans l’espace-source des hypothèses génère un spectre de scénarios qui couvrent l’espace des incertitudes identifiées a priori comme importantes pour l’objet étudié. L’espace du choix n’est plus l’espacesource, mais devient l’espace des scénarios (figure A5.2). Cette méthode permet : – d’évaluer la sensibilité aux incertitudes ; – d’identifier des comportements émergents sur l’ensemble des scénarios ; – de sélectionner a posteriori un petit nombre de scénarios pertinents pour une étude détaillée.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
(a)
Espace source des hypothèses Espace du choix
(b)
Espace cible des scénarios
Scénarios dits représentatifs
Éventail de scénarios possiblement divergents
Figure A7.1 Simulation basée sur un choix d’hypothèses contrastées censé générer une couverture de scénarios satisfaisante pour modéliser les possibles d’un système (modélisé linéairement (a) ou non (b)). La non-linéarité propre aux systèmes complexes génère de larges lacunes dans la couverture des scénarios, malgré le pavage resserré dans l’espace des hypothèses.
Espace source des hypothèses
Base de données de scénarios Espace du choix
Figure A7.2 Simulation statistique pour constitution d’une base de données de scénarios. La génération statistique d’hypothèses permet d’étendre la couverture des scénarios, qui devient l’espace où le modélisateur pourra choisir un échantillon de représentations pertinent.
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9. Annexes
Annexe 8 L’évaluation en complexité Cas de l’évaluation des compétences La pensée cartésienne s’affranchit de la critique épistémique et du regard éthique sur ses applications, qui n’ont pas à être mises en débat, dans la mesure où elle reven‑ dique la Méthode comme seule capable d’exprimer le vrai, par essence. En revanche, l’ouverture méthodologique de la modélisation de la complexité ne confère aucune légitimité prédéterminée aux démarches intellectuelles et aux applications qui découlent du choix d’une méthode parmi d’autres. La pertinence de la pensée et de l’action orientées vers un but ne peut être établie que « chemin faisant », par la confrontation du projet aux résultats obtenus, c’est-à-dire par l’exercice de l’évalua‑ tion. Le paradigme de la complexité inscrit l’éthique au cœur de la pensée discursive appliquée aux sciences et aux techniques et il donne quelques pistes pour poser les bases de l’exercice d’évaluation des compétences. Traditionnellement, la vérification de l’acquisition des connaissances opère par des procédures de contrôle. Celles-ci procèdent par confrontation du savoir d’un indi‑ vidu à une référence externe détenue par des experts, dépositaires de la norme et délégataires de la procédure d’évaluation, selon une méthodologie qui se prétend objective. Le résultat est traduit par une appréciation, voire une simple note, qui sert généralement de critère de sélection. Un amalgame est fait entre le résultat du test, c’est-à-dire la performance, et les compétences de la personne. Tant pis pour les postulants émotifs, pour ceux que la vie a chargé de handicaps peu ou pas visibles, qui sont obligés de satisfaire aux mêmes critères que les autres, et tant pis pour les personnes motivées et douées pour un métier qui n’excellent pas dans l’acquisition et la restitution scolaire du savoir. En fait, dommage aussi pour la collectivité, qui en arrive ainsi à se priver de compétences et de bonnes volontés. Le contrôle confine à l’absurde avec les tests en français et en mathématiques, initialement imposés en 2010 par le ministère de l’Éducation nationale en école élémentaire, qui devaient conclure de manière binaire en « acquis/non acquis », comme si l’acquisition par‑ tielle n’avait aucune valeur ! 1 (figure A8.1) Le contrôle des connaissances cherche à caractériser une réalité présumée objective, indépendante du sujet connaissant : ce qui est ou n’est pas acquis ; constat qui est assimilé à ce qu’est ou n’est pas la personne : instruite, motivée, intelligente, travail‑ leuse, etc. ou non. Il s’opère alors un glissement pervers, du contrôle des connais‑ sances vers un jugement 2.
1. L’indignation des enseignants pour ces évaluations à visée statistique et comptable a poussé le ministère à proposer deux degrés intermédiaires : « réussite partielle, avec ou sans erreur »… 2. Pour un examen approfondi de l’évaluation et des diverses modalités qu’elle revêt, on pourra se référer à Adam et Georgel (2004).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
PROJET Caractérisation des progrès restant à effectuer au-delà de l’évaluation, en vue d’un projet Caractérisation des progrès effectués par rapport à la situation de départ, en vue d’un projet e: ectiv proj n o i S t ua SU Éval ROCES P UN
Prévision des moyens à mettre en œuvre pour parcourir le chemin restant Évaluation classique :
Un état
(note, appréciation, etc.)
SITUATION ORIGINELLE
Figure A8.1 L’évaluation en complexité cherche à caractériser une évolution pour donner une perspective sur un projet, contrairement à l’évaluation classique, qui sanctionne un résultat constaté à un moment donné.
Ce mode d’évaluation est polarisé sur « ce qui est », sur « la chose en soi », sur un état. Il nécessite un « contrôleur » distant pour apprécier les écarts à la norme. Cependant, les compétences ne reposent pas uniquement sur la connaissance expli‑ cite (connaissance-état selon Jean Piaget), mais au moins autant sur la connaissanceprocessus, dite aussi « tacite » ou « implicite », mémoire des expériences vécues et incorporées. La connaissance explicite est une « boîte à outil » : on peut en faire l’inventaire, contrairement aux compétences, que l’on ne peut pas cerner entière‑ ment sur un mode analytique, parce que : – la connaissance-processus n’est pas totalement consciente ; – une compétence n’est pas isolable des autres compétences 3 ; – les compétences ne deviennent réalité que dans le « faire », par l’actualisation d’un potentiel, dans un contexte donné et en vue d’un objectif. Évaluer des compétences, c’est mettre en situation la personne pour qu’elle agisse, en réponse à ses connaissances, certes, mais aussi eu égard à son contexte et à son histoire. Cela revient à modéliser en complexité la mise en situation active d’une personne en devenir, relativement à des objectifs, compte tenu de son contexte interne et externe. Dans ce cas, l’évaluation s’éloigne du pôle « être » pour se situer quelque part dans le triangle de la modélisation complexe que forment, avec le pré‑ cédent, les pôles « faire » et « devenir » (figure 5.5, p. 106). Dans ces conditions, la
3. L’expression d’une compétence est une émergence d’un système complexe de compétences. Pour cette raison, les nombreuses taxonomies figées de compétences sont à considérer avec beau‑ coup de circonspection… On trouve, par exemple, une taxonomie (Paquette, 2002) qui étale une arborescence d’habiletés séparant « planifier » de « mémoriser », « prédire », « classifier », « simu‑ ler », etc., comme si l’acte de planifier ne sous-entendait pas en même temps de savoir mémoriser, prédire, classifier, simuler…
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9. Annexes
personne qui se livre à une évaluation est partie prenante et ne peut que participer à la modélisation de l’évaluation, selon un processus de co-évaluation où l’apprenant et l’enseignant ont à délibérer sur les modalités à mettre en œuvre 4. Le référentiel est à construire dans une négociation (Couix, 1997). Si, en effet, la compétence exprime un processus dynamique dans l’action, comment serait-il possible de l’éva‑ luer au regard d’un référentiel indépendant et figé ? En outre, puisque l’expression des compétences dépend du « contexte interne », c’est-à-dire de la psychologie et du vécu subjectif de la personne, il est également pertinent d’instaurer le principe de l’auto-évaluation. L’évaluation, qui permet de se projeter dans un devenir, vise l’amélioration et à ce compte-là, elle peut être conçue comme un moyen de consolider les acquis. Techniquement, il sera intéressant de concevoir des modalités d’évaluation stimu‑ lantes qui puissent offrir à l’apprenant de parfaire ses connaissances et ses aptitudes. Dans ce cas, l’évaluation, qu’elle soit co-évaluation ou auto-évaluation, devient éva‑ luation formative (figure A8.2), selon une dynamique récursive, où les actes et le projet se transforment mutuellement dans une immanence plastique et fluente 5. Le processus d’auto-évaluation s’inscrit dans une continuité d’allers et retours entre l’action, la réflexion, la redéfinition des objectifs, que N. Couix (1997) nomme « l’évaluation ’chemin faisant’ ». L’auto-co-évaluation formative 6 continue, projec‑ tive et délibérative, constitue un nouveau socle conceptuel et méthodologique de l’évaluation des compétences. Pratiquement, l’évaluation complexe des compétences peut bénéficier des outils numériques comme les plates-formes de travail partagé où les étudiants seraient invités à exercer des activités de pensée réflexive, critique, créative, métacognitive (tests, exercices, réflexions, etc.). Les contenus didactico-évaluatifs seraient conçus pour mettre les étudiants dans l’obligation de franchir des étapes nécessitant un tra‑ vail personnel d’acquisition et d’entraînement. Les exercices devraient aussi mettre l’étudiant face à des difficultés qui lui demanderaient de faire preuve de logique, de ténacité, d’ingéniosité, de créativité, d’initiative, de rigueur, de « reliance », etc. Quant à la co-évaluation, elle ne devrait pas laisser face à face l’enseignant et l’étudiant, mais introduire un tiers régulateur, expert dans le domaine de compétence ciblé.
4. La co-évaluation est formative à un méta-niveau, sur l’apprentissage de l’évaluation elle-même. 5. « …des buts subjectifs, qu’on place dans le futur mais qui façonnent les actions présentes… liés à des croyances et à des anticipations, rétroagissent sur l’action au fur et à mesure que celle-ci s’en rapproche ou s’en éloigne, cependant que l’action, en se développant, modifie les buts. Il en résulte une dynamique complexe dépendante de sa propre histoire et du contexte et qui requiert une approche cognitiviste et évolutionniste. » (Mugur Schächter, 1997). 6. Jean-Louis Le Moigne suggère « auto-éco-évaluation », voire même « géno-évaluation », tant l’histoire des évaluations antérieures affecte l’évaluation en cours.
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logique, de ténacité, d’ingéniosité, de créativité, d’initiative, de rigueur, de «reliance», etc. Quant à la co-évaluation, elle ne devrait pas laisser faceComplexité. à face l’enseignant et l’étudiant, mais introduire un tiers régulateur, Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels expert dans le domaine de compétence ciblé. pôle «être» connaissance-résultat tiers évaluateur
Évaluation sommative
auto-coÉvaluation (formative délibérative) pôle «faire» Expérience incorporée connaissance-processus
auto-évaluation
pôle «devenir»
Évaluation formative
Figure A8.2 Les diverses formes de l’évaluation des connaissances et des compétences
La rationalitémodélisées qui prévaut les affaires humaines et en dansactuellement le paradigme dedans la complexité. particulier assez fréquemment encore dans les institutions d’enseignement et de recherche se considère commehumaines amorale, fait de La rationalité qui prévaut actuellement dans les affaires et du en particulier l’hégémonie de son encore absoludans méthodologique cartésien. Cela entraîne la se assez fréquemment les institutions d’enseignement et de recherche considère comme amorale, du fait de l’hégémonie de son absolu méthodologique civilisation occidentale vers une forme de barbarie où toutes les
cartésien. Cela entraîne la civilisation occidentale vers une forme de barbarie où toutes les fonctions du corps social sont progressivement assujetties aux logiques réductrices de la rationalité économique. On en vient ainsi à perdre de vue la dimension humaniste de l’enseignement, à force de soumettre l’institution à l’idéo‑ logie de l’économie dominante, dans sa logique exclusive de maximalisation du profit immédiat. Dans ce contexte, l’évaluation classique des connaissances peut 241 et de ségrégation sociale à seule fin de gérer dériver vers un pur exercice de sanction des flux vers le monde du travail. Un renouveau salvateur de l’économie appelle (6) Jean-Louis Le Moignedesuggère même d’autres manières penser,«auto-éco-évaluation», en s’efforçant de se voire placer dans«géno-évaluation», les registres de latant com‑ l’histoire antérieures affecte l’évaluation cours.d’imaginer des modalités plexité. des En évaluations matière éducative, il s’agira donc, entreenautres, d’évaluation subtiles, nuancées, projectives, participatives et délibératives, pour en faire l’occasion d’une maïeutique, à la fois formatrice, éducative et émancipatrice. La modélisation dans le paradigme de la complexité donne des pistes concrètes pour la définition de principes méthodologiques qui proposent à tous les protagonistes, étudiants, enseignants, experts, de faire de l’évaluation un exercice partagé et profi‑ table, créateur de lien et de sens.
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9. Annexes
Annexe 9 Procédure d’autorisation des installations classées (MEDDE, 2006) L’exploitant dépose le dossier de demande d’autorisation à la préfecture du lieu d’implantation Le préfet donne acte du dépôt au demandeur et transmet le dossier au service instructeur (DRIRE, STIIC, DDSV…) (art. R512-11 CE)
Saisine du préfet de Région (art. R512-11 CE)
Le service instructeur formule un avis sur la forme et sur le fond
Dossier conforme
Dossier non conforme Demande de compléments au demandeur
Le préfet transmet dans les 2 mois le dossier au Tribunal administratif (TA) (art. R512-14 CE) Le président du TA désigne le commissaire enquêteur dans les 15 jours (art. R512-14 CE) Le préfet prend un arrêté d’ouverture de l’enquête publique (EP). Cet arrêté est affiché en mairie et dans 2 journaux (15 jours avant l’EP – art. R512-15 CE) • Enquête administrative (45 jours maxi) (art. R512-21 CE) • Avis des conseillers municipaux (45 jours, dont 15 avant clôture de l’EP) (art. R512-20 CE) • Avis de la C.L.I. sur l’étude d’impact (activités de stockage de déchets) (art. R512-19 CE) • États voisins et ministres des Affaires étrangères (45 jours dont 15 après clôture de l’EP (art. R512-22 CE) • Ministre chargé des hydrocarbures (3 mois après le début de l’EP) (art. R512-23 CE) • Conseil général / régional (art. R512-40 CE) • Institut national de l’origine et de la qualité (3 mois) (L512.6)
Enquête publique (1 mois prolongeable)
Réunion avec le demandeur sous 8 jours après la fin de l’EP – (art. R512-17 CE) Mémoire en réponse transmis par l’exploitant sous 12 jours Envoi du rapport et conclusion du commissaire enquêteur au préfet sous 15 jours (art. R512-17 CE)
Copie au TA, au demandeur, aux mairies du rayon d’affichage (art. R512-17 CE)
Rapport de synthèse et propositions de l’Inspection des IC (art. R512-25 CE) Préfecture (art. R512-25 CE) Information au demandeur des propositions, au moins 8 jours avant le CODERST* (art. R512-25 CE) Avis du CODERST* (art. R512-25 CE)
* Commission départementale de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques
Observations du demandeur sur les propositions sous 15 jours (art. R512-26 CE) Le préfet statue sous 3 mois ou sursis à statuer (art. R512-26 CE) Information des tiers (art. R512-39 CE)
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Annexe 10 Pluri-/ inter-/ trans-/ disciplinarité Afin d’imager ces différentes notions souvent confon‑ dues, le schéma ci-contre représente les disciplines par des carrés et l’objet d’étude par un cercle.
Pluridisciplinarité Juxtaposition de méthodes spécifiques autour d’un objet En pluridisciplinarité, chaque discipline s’approprie indé‑ pendamment une facette de l’objet commun d’étude, approché avec des outils propres, en vue de l’étudier selon plusieurs optiques complémentaires. Les approches spécialisées, faiblement articulées, sont juxtaposées, sous l’angle méthodologique du paradigme cartésien.
Interdisciplinarité Convergence méthodologique sur une problématique L’interdisciplinarité organise une réflexion collective depuis des points de vue disciplinaires particuliers pour construire une articulation forte autour d’une problématique. Les disciplines conservent leur iden‑ tité. Le partage des savoir-faire permet de développer des méthodologies similaires résultant de l’échange de concepts, de modèles et d’outils. L’interdisciplinarité s’organise autour d’une problématique. Un défi méthodologique majeur de l’inter‑ disciplinarité consiste en la définition des objectifs partagés, la reformulation en commun du problème à résoudre, l’évaluation de l’apprentissage de l’interdiscipli‑ narité en cours de projet. L’interdisciplinarité permet de modifier le regard sur sa propre discipline, en relati‑ visant ses représentations et ses méthodes.
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9. Annexes
Transdisciplinarité Co-création d’outils de pensée en vue d’un projet La transdisciplinarité procède à l’intégration dis‑ ciplinaire par co-construction des objets d’étude et d’outils de pensée communs. Il s’agit de construire de nouveaux points de vue pour produire des connaissances au-delà des dis‑ ciplines, de co-créer de nouveaux savoir-faire. La transdisciplinarité se construit sous l’angle d’un projet, dans le paradigme de la complexité. Dans son projet d’établissement de 2002, le CNRS a affirmé que « La construction coopérative d’objets transdisciplinaires doit notamment permettre de redonner toute leur place aux sciences humaines et sociales, au-delà d’une simple contribution aux autres secteurs de la recherche en termes d’humanisation de la science… [Les sciences humaines et sociales] entrent de plain-pied dans la construction des objets de recherche eux-mêmes. » (CNRS, 2002). La transdisciplinarité peut engendrer de nouvelles disciplines, comme l’anthropolo‑ gie préhistorique fondée par André Leroi-Gourhan, par exemple. Il n’existe pas de définitions normalisées ni sans doute même unanimement parta‑ gées de ces trois modes de relations entre disciplines. La limite entre la pluridisci‑ plinarité et l’interdisciplinarité est assez nette, car il n’y a pas de transition continue entre les deux approches : la pluridisciplinarité, même intensive, ne mène pas progressivement à l’interdisciplinarité, qui demande à être décrétée d’emblée. En revanche, la limite peut être assez floue entre l’interdisciplinarité et la transdiscipli‑ narité, par fusion progressive des représentations et des méthodes.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Annexe 11 La modélisation d’accompagnement : fondements et éthique d’une démarche de concertation pour un développement durable Association ComMod 1, janvier 2013 La démarche de modélisation d’accompagnement utilise la modélisation comme un outil d’accompagnement des processus de production de connaissances et des processus de décision collective. Depuis son apparition en 1996 [1], un collectif de chercheurs et praticiens nourrit des réflexions sur les enjeux éthiques qui y sont liés. Historiquement, cette démarche est née dans le champ de la gestion des res‑ sources naturelles renouvelables et de l’environnement. Cet objet d’étude est com‑ plexe car il implique des acteurs diversifiés, porteur de multiples enjeux (sociaux, politiques, économiques et environnementaux), à des niveaux de décisions variés. Cette complexité fait qu’il existe de nombreuses incertitudes sur le fonctionnement et l’évolution de la situation. La démarche de modélisation d’accompagnement a été construite afin de permettre à des acteurs de partager leurs points de vue sur une question qui les concerne collectivement, afin qu’ils puissent s’engager ensemble dans le processus de prise en charge de ces incertitudes. Dans cette démarche expé‑ rimentale, la qualité d’une décision dépend alors de la qualité du processus qui a amené à cette décision. Un texte présentant les fondements et les principes de la démarche a été publié en anglais [2] en 2003. En 2005, une version en français, plus élaborée et accompagnée de commentaires provenant de différentes disciplines, a été publiée dans la revue Natures Sciences Sociétés [3]. La démarche étant alors portée par des chercheurs, ce texte était essentiellement destiné à la communauté scientifique. Aujourd’hui, dans une volonté de faire découvrir la démarche au-delà du monde de la recherche, ce nouveau texte a été produit par le collectif actuel regroupé au sein de l’association « ComMod ». Il a vocation à présenter, de manière accessible à tous, les fondements et l’éthique de la démarche. Il complète 4 éléments de référence élaborés depuis 2005 : un texte sur les référents théoriques [4], un guide méthodologique sur la mise en œuvre de la démarche [5], un ouvrage collectif sur l’application de la démarche en appui au développement durable [6], les supports de trois écoles chercheurs [7]. Les principes de la démarche de modélisation d’accompagnement concernent à la fois ceux qui la conçoivent et ceux qui la mettent en œuvre. Ils sont de deux ordres : des principes épistémologiques définissant les fondements du raisonnement scienti‑ fique, et des principes éthiques définissant des choix de posture.
1. Article reproduit avec l’aimable autorisation de ComMod, association de loi 1901, ayant pour but la recherche et le développement de la Modélisation d’Accompagnement. Site internet : http://www.commod.org. Auteur correspondant : E. Leteurtre, [email protected]
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9. Annexes
• La démarche se structure autour d’une question qu’un ensemble d’acteurs s’approprient pour la traiter collectivement. • La mise en œuvre de la démarche est réalisée par un groupe de personnes, les « porteurs » de la démarche, qui facilitent les échanges entre les « participants ». Il est important d’avoir un questionnement sur la responsabilité sociale du ou des porteurs de la démarche. Le fait que la démarche soit portée par un groupe plutôt qu’individuellement stimule ce questionnement. • L’objectif de la démarche est de permettre le partage des points de vue lors de temps d’échanges collectifs et de temps d’échanges en sous-groupes. Les notions de collectif et d’interactions individu-collectif sont reconnues comme essentielles. • Tous les points de vue et savoirs identifiés doivent être considérés. Les point de vue et savoirs des scientifiques, comme ceux des groupes dominants, ne doivent pas prévaloir a priori sur ceux des autres. • La modélisation est utilisée pour expliciter et formaliser les points de vue. Sa mise en œuvre collective vise à produire une représentation partagée du fonctionnement du système étudié et offre un espace de discussion des limites et des incohérences éventuelles de chaque point de vue. Cette représentation se matérialise sous la forme d’un ou de plusieurs modèles centrés sur les individus et leurs interactions (entre eux et avec l’environnement) 2. Les motivations et décisions individuelles qui s’expriment au sein d’un collectif sont légitimes. • Les modèles sont utilisés pour simuler l’évolution du système étudié. La discussion collective des résultats de la simulation permet d’accompagner la confrontation entre les divers points de vue et la réalité des situations. Cette confrontation est mise en œuvre régulièrement lors des temps d’échanges en organisant les débats suivant un format cyclique de : temps de questionnement → temps de conceptualisation → temps de simulation → temps de bilan sur le questionnement initial. Si un cycle ouvre de nouveaux questionnements, un nouveau cycle peut être entamé. • Le processus de modélisation se veut transparent : toutes les idées mobilisées dans la construction du modèle doivent être explicitées et volontairement soumises à la réfutation collective des participants (experts et acteurs de terrain). Les choix actés à un moment donné sont documentés. Ce principe suppose aussi que les participants à la démarche soient en capacité d’argumenter leurs points de vue. La mise en œuvre de ce principe est un
2. Les modèles multi-agents sont le plus fréquemment utilisés. Ils s’attachent à identifier les enti‑ tés décisionnelles (agents) qui jouent un rôle majeur dans la gestion du système, à préciser leurs entités de gestion, leur degré d’autonomie et leurs modalités d’interaction avec l’environnement et les autres agents.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
« levier » pour donner ou redonner un espace de parole aux acteurs du terrain à qui l’on offre ainsi la possibilité de réfuter les idées des experts. • La démarche dans son ensemble est conduite de manière à faciliter l’expression de son caractère adaptatif. Les porteurs de la démarche, ainsi que les participants (experts et acteurs locaux) affirment leur volonté de considérer des éléments nouveaux ou exprimés de manière différente et reconnaissent la possibilité que ces éléments fassent évoluer le processus dans une direction non anticipée. • Les effets de la mise en œuvre de la démarche sur le terrain sont à prendre en considération dès les premières étapes, en se dotant d’une procédure de suivi de ces effets, qui sont de 5 types : – la production de connaissances individuelles et collectives ; – la modification des perceptions (en faisant évoluer les représentations préexistantes ou en permettant la prise de conscience de représentations non explicites) ; – la modification des façons d’interagir ; – la modification des actions entreprises par les acteurs ; – la constitution de nouveaux collectifs. Conscients des impacts que peut avoir la démarche, ceux qui la mettent en œuvre s’engagent à les appréhender et à les révéler dès lors qu’ils sont perçus. • L’évaluation des effets produits par la mise en œuvre de la démarche détermine sa validité. Celle-ci ne se résume donc pas à la seule validation technique des modèles. L’évaluation est un processus collectif et réflexif qui n’est pas uniquement du ressort des porteurs de la démarche ou d’un seul type de participants (scientifiques notamment). La démarche de modélisation d’accompagnement est un processus d’apprentissage collectif qui se réalise dans l’interaction entre les participants et les modèles que ces participants co-construisent. La mise en œuvre de tels processus requiert la maîtrise de multiples compétences. L’appropriation de la démarche de modélisation d’ac‑ compagnement n’en est que plus difficile. Lorsque la constitution d’un collectif pour porter la démarche est possible, la complémentarité des compétences de chacun au sein de ce noyau porteur permet de dépasser cette contrainte. Quoi qu’il en soit, la transmission de cette démarche passe par la responsabilisation des futurs porteurs.
Références citées [1] Bousquet F., Barreteau O., Mullon C., Weber J. (1997). Modélisation d’accompagnement : systèmes multi-agents et gestion des ressources renouve‑ lables. Dans : Quel environnement au 21e siècle ? Environnement, maîtrise du long terme et démocratie. Abbaye de Fontevraud, 8-11 septembre 1996.
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9. Annexes
[2] Barreteau O., Antona M., d’Aquino P., Aubert S., Boissau S., Bousquet F., Daré W., Étienne M., Le Page C., Mathevet R., Trébuil G., Weber J. (2003). Our Companion Modelling Approach, Journal of Artificial Societies and Social Simulation 6(1). http://jasss.soc.surrey.ac.uk/6/2/1.html [3] ComMod (2005). La modélisation comme outil d’accompagnement. Natures Sciences Sociétés 13(2), p. 165-168. [4] ComMod (2009). La posture d’accompagnement des processus de prise de décision : les références et les questions transdisciplinaires. Dans : Hervé D. et Laloë. Modélisation de l’environnement : entre natures et sociétés. Versailles : Quae Éditions, 2009, p. 71-89. [5] Daré W., Ducrot R., Botta A., Étienne M. 2009. Repères méthodologiques pour la mise en œuvre d’une démarche de modélisation d’accompagnement. Laudun : Cardère éditions. [6] Étienne M. (2010). La modélisation d’accompagnement : une démarche participative en appui au développement durable. Quae Éditions, 2010. [7] Écoles-Chercheurs « La modélisation d’accompagnement : mettre les acteurs en situation pour partager des représentations et simuler des dynamiques » : 23-27 novembre 2009 (Balaruc-Les-Bains, France), 31 mai-4 juin 2010 (Châteauneuf-de-Gadagne, France), 23-27 mai 2011 (Châteauneuf-deGadagne, France). http://www.commod.org/fr/training/sessionsComMod.htm
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Annexe 12 Penser en complexité la gouvernance d’une entreprise Le cas FAVI Nous allons passer en revue quelques affirmations de Jean-François Zobrist, consi‑ gnées sur le site de l’entreprise FAVI (2017), afin de les interpréter à l’aune de la pensée complexe. Nous verrons que FAVI a totalement intégré l’agir/penser en complexité. L’entreprise FAVI, créée en 1957, à Hallencourt, dans la Somme, est spécialisée dans la fonderie sous pression et l’usinage de pièces en alliages cuivreux. L’activité se déploie sur les trois volets de la conception, du développement et de la production. L’entreprise emploie 400 personnes et réalise un chiffre d’affaires d’environ 75 mil‑ lions d’euros. Un slogan de FAVI résume bien la situation : « Dans un monde carré, Favi est rond ». Dans cette entreprise, le management est celui de l’incertain, mais « Ce n’est pas un incertain soumis, c’est un incertain espéré ! ». Une anecdote donne le ton (FAVI, 2005a, p. 2) : Un jour un client automobile « carré », vient procéder à un audit logistique. Deux ingénieurs, un homme et une femme de la quarantaine, passent 3 jours dans l’entreprise et à l’issue de leur audit voient le patron en disant : – Ça ne va pas du tout : vous n’avez aucun indicateur de suivi des retards, ni d’indicateurs de ruptures de flux, vous n’avez aucune structure, pas de planning, pas de lancement, pas d’ordonnancement, pas de gestion des retards, etc. Ce à quoi le patron répond : – D’après vos dossiers, depuis combien d’années nous vous fournissons 100 % de vos besoins ? Les auditeurs regardent, fouillent leurs papiers et répondent : – Onze ans ! – En onze ans, a-t-on livré une seule fois en retard ou en avance ? – Non ! – En onze ans, est-il arrivé qu’on livre une fois pas assez de pièces ou trop de pièces ? – Non ! – Alors pourquoi voulez-vous que je mette en place un indicateur de quelque chose qui n’existe pas ? Réponse : « … ».
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9. Annexes
Un réseau de petites unités autonomes et interdépendantes L’usine FAVI est une agrégation d’une vingtaine de mini-usines où « chacune est rattachée directement à son client et reçoit directement de son client, sans intermédiaire, au quotidien, les commandes et, sachant parfaitement pour quoi elles travaillent, sont libres d’organiser leur production. Chaque mini-usine est autonome et décide avec son leader des congés, des RTT, du nombre d’équipes, de qui travaille la nuit, etc. » (Favi, 2005b, p. 1). L’autonomie, la diversité et le lien entre les entités et les acteurs permettent la créa‑ tivité, la responsabilité, la réactivité et le bonheur au travail. Dans toute la suite, deux schémas symboliseront la configuration de l’entreprise classique (à gauche) et complexe, telle FAVI (à droite). Dans le cas présent, le carac‑ tère monolithique de l’organisation pyramidale des entreprises standard engendre une grande sensibilité aux perturbations du contexte, par exemple, pour l’ensemble de l’entité.
Le sens : des valeurs et un projet « Il faut tout à la fois une très grande autonomie, garante d’une réactivité d’adaptation à l’environnement, et une cohérence qui repose sur des valeurs connues et reconnues par tous, dont une majeure : L’ESSENTIEL. » « Mais un essentiel qui soit beau, qui soit… une « cause noble » ! » (Favi, 2005c) Des valeurs, honnêteté, loyauté, empathie… (boucles de rétroaction de second ordre ou récursivité) sont nécessaires pour que la synergie du système humain tende vers un but (un idéal). Chacun peut prendre des initiatives et organiser son activité à bon escient pour l’entreprise, puisque le cap est clairement indiqué. À défaut, le « mouvement Brownien » dilue l’énergie et brouille le sens, ce qui oblige la hié‑ rarchie à descendre très en profondeur dans les affaires de chacun, à qui il devient nécessaire d’indiquer le « comment faire ».
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Organisation conventionnelle (allocation des « comment faire » multiples)
Organisation complexe (indication du sens)
Le sens permet la liberté « L’entreprise carrée est basée sur la maîtrise du comment… La hiérarchie tient son pouvoir de la maîtrise du comment. Plus personne ne sait pourquoi ni même où on va… Pour être motivé, il faut être responsable » (Etchegoyen). Au niveau de l’opérateur, être responsable, c’est être libre du « comment faire ». Par contre, il faut, pour qu’il oriente ses actions dans le sens de l’intérêt collectif qu’il sache pour quoi et/ou pour qui il travaille ! » (Favi, 2005b, p. 1). Contraindre les nœuds du réseau rigidifie le système. Un système rigide est inca‑ pable de s’adapter au changement de contexte. La gouvernance coercitive demande beaucoup d’énergie pour maîtriser et animer l’ensemble. À cause de la loi des rende‑ ments décroissants, l’énergie nécessaire s’accroît considérablement pour des résultats de moins en moins significatifs : l’organisation s’épuise et se fossilise. Grâce au sens, la liberté n’affecte pas la cohérence globale, mais il est à contruire sans cesse. Organisation conventionnelle (contrôle et maîtrise)
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Organisation complexe (autonomie coordonnée par un sens)
9. Annexes
L’écoute des signaux faibles « Dans le contexte de management de l’incertain, il est primordial que le chef ne fasse rien ; qu’il n’ait aucun bruit de fond pour pouvoir entendre les signaux faibles extérieurs qu’il amplifiera vers l’intérieur pour ensemble les analyser et les exploiter. » (Favi, 2005d, p. 2). Dans les organisations conventionnelles, les signaux faibles ne sont pas perçus, ou considérés comme insignifiants. Or, ils peuvent être les indices d’un changement majeur et préfigurer une configuration nouvelle, de grande portée. Être à leur écoute et les consigner peut permettre d’anticiper des évènements insoupçonnés ou hâtivement jugés improbables, mais il faut une sérénité suffisante pour les détecter dans la trépidation du monde. Organisation conventionnelle (Signaux faibles ignorés)
Organisation complexe (Signaux faibles écoutés)
Résilience et créativité « Les plus grands gains de productivité que nous avons faits résultent très souvent d’une réflexion faite par hasard par un opérateur de production. C’est pour cela que nous n’avons pas de bureau de méthode, car les méthodes ne laissent aucune chance au hasard. » (Favi, 2005e). Les grandes organisations monolithiques sont plus sensibles aux perturbations où « l’effet papillon » est potentiellement destructeur. Une fédération de petites orga‑ nisations autonomes et articulées résiste mieux aux changements de contextes et s’adaptent plus aisément aux perturbations externes en mettant à profit le hasard. Organisation conventionnelle (Fragilité sous les coups du hazard)
Organisation complexe (Résilience et opportunisme)
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Prévision du risque ou résilience « L’entreprise compliquée : l’essentiel de son énergie est consacré à se garantir contre tout ce qui pourrait arriver, toujours dans la recherche du zéro risque potentiel. Dans l’entreprise compliquée, on gère les dysfonctionnements, ce qui les pérennise ! Ce qui pourrait arriver prime sur ce qui arrive. L’entreprise complexe ignore ce qui pourrait arriver et consacre toute son énergie à ce qui arrive. Quand le problème se pose, alors se constitue un réseau qui disparaît une fois le problème réglé. Dans l’entreprise complexe, les dysfonctionnements ne sont pas gérés, on tente de les éradiquer ! » (Favi, 2005f, p. 4-5). « Les systèmes compliqués, dans la recherche de perfection et du zéro risque, ont tendance à faire de la qualité ou de la productivité ou… etc., ce qui morcelle la démarche, multiplie les pouvoirs et provoque généralement une incohérence dans la vie de l’organisme… » (Favi, 2005g). La quête indéfinie de contrôle et de maîtrise par l’ordre bureaucratique est illusoire à cause de la loi des rendements décroissants. L’avenir n’étant pas prévisible, le risque nul nécessite d’anticiper et de se prémunir contre tout ce qui peut arriver. Cela coûte plus cher que ce qui arrivera possiblement. Et si l’on se borne à cibler le risque élevé, on néglige la non-linéarité des systèmes complexes, les signaux faibles qui pointent l’évènement improbable et néanmoins dévastateur, le « cygne noir » selon Nassim Nicholas Taleb (2008). L’organisation qui fonctionne en complexité fait preuve de souplesse et d’adaptation face à l’aléa et sait rapidement créer du lien pour dépasser ou contourner le problème. Le pragmatisme rationaliste impose de circonscrire des processus contrôlables, ce qui provoque un morcellement dans l’organisation, néfaste aux synergies et à la motivation des acteurs. Or, d’un certain point de vue, chaque opérateur, à l’instar de l’hologramme, « contient » la totalité de l’entreprise. Chacun est un processus intégrateur qui peut assumer, à son niveau, toutes les fonctions de l’entreprise, dès lors que le pouvoir est disséminé. organisation conventionnelle (anticipation autoréalisatrice des problèmes)
organisation complexe (adaptation aux problèmes)
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«Énergie»
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problème
problème
9. Annexes
Prévision ou anticipation « Agir à 1 jour, penser à 20 ans, c’est de fait retrouver nos racines ancestrales rurales… Vous imaginez un paysan qui prévoirait un an à l’avance de labourer le 15 février, non, le paysan laboure le jour qui va bien, par contre quand il achète ou vend une terre, quand il plante un arbre, il pense à 20 ans ! ! » (Favi, 2005h). L’action programmée table sur un horizon temporel borné et un contexte invariant. En complexité, la vision à long terme et l’action, locale mais adaptative, s’accom‑ modent ou mettent à profit l’évolution des contextes. organisation conventionnelle (action programmée, horizon temporel borné, contextes perçus invariants)
organisation complexe (action locale, vision à long terme, contextes perçus évolutifs)
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Perdre le temps « Il y a une sorte de lâcheté facile à systématiquement se réfugier dans la préparation du futur !… Nous, Faviens, nous sommes plus simples. Nous pensons qu’il n’y a pas de futur sans présent, que le présent peut modeler le futur et qu’il convient donc d’observer, de s’adapter en permanence au présent pour effectivement préparer le futur. » (Favi, 2005i). La fixation obsessionnelle sur un futur meilleur est une fuite en avant qui hypo‑ thèque l’avenir en sapant sa base : le présent. Considérer le futur comme une émer‑ gence implique une attention au présent, un présent digne, admirable, garant d’un futur souhaitable. organisation conventionnelle (le présent sacrifié à un futur fuyant)
Aujourd’hui
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organisation complexe (un présent vivable pour un futur enviable)
9. Annexes
Annexe 13 Causalité et dualité en complexité Une main appuie sur un levier qui soulève un rocher, lequel s’ébranle et se met à dévaler une pente. Cet épisode contient trois macro-évènements qui se succèdent selon une chaîne linéaire où chacun est la cause du précédent. Ainsi décrite, la scène est intelligible et nous prétendons la comprendre. La description causale de l’évè‑ nement est cependant très réductrice. En effet, il faudrait intégrer des notions sur les propriétés mécaniques des matériaux pour expliquer les rebonds du rocher sur le sol et le freinage induit par les irrégularités topographiques, par exemple, et donc invoquer des considérations sur les molécules, les atomes, etc. L’explication causale sélectionne un nombre fini de faits parmi une infinité interconnectée. De longue date, cette observation a été faite par le bouddhisme pour qui : …les causes et leurs possibilités d’interactions sont si nombreuses qu’il est impossible de concevoir une causalité linéaire, donc déterministe, selon laquelle il devrait être théoriquement possible de remonter à une cause première. Dans ce cas, toute créativité serait exclue. En effet, le déterminisme strict ne peut exister que si les facteurs impliqués dans une relation de cause à effet sont en nombre fini. Or, dans un système global, le nombre d’éléments qui entrent en jeu est indéfini et inclut également la conscience ; un tel système échappe donc par nature au déterminisme absolu et dépasse l’entendement de la pensée discursive. (Ricard et Thuan, 2000, p. 202) De manière générale, la compréhension se satisfait de la représentation explicative de type causal d’un ensemble d’évènements que nous pouvons relier linéairement les uns aux autres. Cependant, ne confondons-nous pas explication et compréhension ? L’explication organise la représentation des faits en chaîne causale. La compréhen‑ sion implique le sujet, pour qui l’observation des évènements fait sens. La science pure explique, mais ne donne pas à comprendre. C’est un peu comme si l’on se bor‑ nait à décrire les attelages entre les wagons d’un train, expliquant leur enchaînement linéaire, pour tenter de comprendre le train ; mais que saurions-nous du contenu des wagons et de leur destination ? Rien. Pour l’esprit scientifique moderne, un système est intelligible dès lors que l’on réus‑ sit à segmenter la représentation de ce système en séquences et à « accrocher » les segments les uns aux autres avec des relations causales. « La croyance au rapport de cause à effet est la superstition. » (Wittgenstein, 1961, p. 109, 5.1361). Selon Nietzsche (1982) : « …et nous concluons : telle chose doit se produire d’abord pour que telle autre suive, – mais quant à comprendre quoi que ce soit, nous n’en sommes pas plus avancés… » (p. 142, § 112) ; « Un intellect capable de voir la cause et l’effet non pas à notre manière en tant que l’être arbitrairement divisé et morcelé, mais en tant que continuum, donc capable de voir le fleuve des évènements – rejetterait la notion de cause et d’effet, et nierait toute conditionnalité. » (p. 142, § 112).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
C’est bien le sujet qui génère et organise sa représentation du réel, mais paradoxale‑ ment, il s’exclut du système, parce que la pensée matérialiste se vit elle-même dans la dualité causale, comme conséquence de processus biologiques matériels. Le proces‑ sus d’explication achoppe sur un paradoxe lorsque le sujet se conçoit comme séparé de l’objet, car la physique quantique a montré la fondamentale interdépendance du sujet et de l’objet, dépassant ainsi l’explication pour aller vers la compréhension. Dans la perspective objectivante de la rationalité scientifique, l’explication causale linéaire ne résiste pas à un tel bouclage sur le sujet et se heurte à la conception dualiste de l’existant. Cependant, dès lors que l’on conçoit le sujet comme indisso‑ ciable de l’objet, on n’est plus enfermé dans la causalité – mais sans l’exclure pour autant – ni dans le déterminisme exclusif. La causalité explicative dans le paradigme de la dualité n’est qu’un mode particulier d’intelligibilité, sans doute désormais quelque peu simpliste. Peu à peu, la pensée scientifique s’émancipe de la causalité stricte. Un pas avait été franchi par Olivier Costa de Beauregard, avec l’idée de causalité inverse, du futur vers le passé (Costa de Beauregard, 1953), que Philippe Guillemant a récemment développée dans le cadre de la théorie de la double causalité (Guillemant, 2015). Cette théorie (controversée, voire réfutée par l’orthodoxie scientifique) tente de rendre compte des phénomènes acausaux regroupés sous le terme de « synchronici‑ tés », étudiés par Carl Gustav Jung (1988) et que même des physiciens de renom, dont Wolfgang Pauli lui-même, ont vécu et rapportés (Theodorani, 2010) : La synchronicité n’est pas plus énigmatique ou plus mystérieuse que les discontinuités de la physique. Ce qui provoque des difficultés de compréhension et fait paraître impensable qu’il puisse se produire des évènements sans cause, c’est seulement la croyance invétérée en la toute-puissance de la causalité. Mais si de tels événements existent, il nous faut les considérer comme des actes de création, dans le sens d’une creatio continua, d’un ordre qui pour une part se perpétue depuis toujours et pour une part se renouvelle en des occasions ponctuelles, et ne peut être déduit d’aucune cause antécédente. (Jung, 1988, p. 942) Le déterminisme engendre une récurrence infinie de recherche de causes antérieures que les physiciens interrompent arbitrairement au Big Bang. À défaut de suppo‑ ser une cause première, la causalité comme principe explicatif cohérent, complet et exclusif n’est-elle pas contradictoire et compromise ? Poser l’énigme de l’origine (ou l’énigme de l’infini), c’est poser le principe de sa non-résolution. La causalité non exclusive autorise les évènements acausaux, résorbe la contradiction interne du déterminisme de la science matérialiste. Il appartient à chacun d’expérimenter en pensée complexe, sur la base des connaissances actuelles, un postulat qui nierait la notion d’origine. La récursivité causale sujet-objet révélée par la physique moderne ne pose plus pro‑ blème si l’univers et la conscience sont considérés comme des entités de nature informationnelle interdépendantes où la dualité sujet-objet n’a plus cours. En passant de la dualité sujet-objet stricte à la dualité contingente et à la causalité non exclusive, la cogitation franchit un pas dans la complexité en dépassant l’expli‑ cation vers la compréhension. Cette perspective offre de vastes horizons pour la
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9. Annexes
connaissance (co-naissance de l’humain et du monde) et ouvrirait une voie huma‑ niste dans le rapport au monde et à soi-même. Il s’agit peut-être d’une perspective renouvelante au sein de la pensée contemporaine, qui touche désormais aux limites de l’explication du monde. Selon Hervé Zwirn (2006, p. 205) : Si, comme cela est possible, le seul moyen de connaître le comportement d’un système est de le simuler et d’observer l’évolution du modèle, alors il faudra renoncer à l’espoir de comprendre, au sens actuel du terme, pourquoi le système se comporte comme il le fait. De manière générale, cela pourrait vouloir dire que nous ne comprendrons jamais ce qu’est la vie ou la conscience. La causalité restitue une cohérence diachronique des évènements. L’harmonie resti‑ tue une cohérence synchronique du tout relativement aux parties, des parties entre elles et relativement au tout. Il conviendrait désormais sans doute de développer une autre intelligibilité du monde en relativisant la causalité au profit de l’harmonie.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Annexe 14 La modélisation graphique en complexité La lecture d’un texte est strictement linéaire. Le processus est par ailleurs très lent, puisqu’il passe par la subvocalisation, c’est-à-dire l’activation des cordes vocales et la mémoire auditive, qui relaient la perception visuelle de l’écriture. En revanche, une illustration graphique mobilise prioritairement la vision, globale et multidimen‑ sionnelle, ce qui permet l’assimilation instantanée d’une grande quantité d’infor‑ mations, dans plusieurs registres sémantiques simultanément (Rossignol, 1998). Le caractère global et multi-échelles du contenu informatif graphique : se prête donc bien à : – l’exposé de la complexité (ensembles à éléments nombreux, imbriqués, interactifs…) ; – la présentation d’un contexte au phénomène expliqué (mais non-dit textuel, par souci de clarté) ; – la comparaison des phénomènes ; – l’appréciation de quantités relatives. (id., p. 26). Un graphique (ou schéma) est particulièrement efficace pour modéliser en com‑ plexité, parce qu’il ne cible pas seulement la rationalité intellectuelle, mais égale‑ ment, dans le meilleur des cas, la sphère cognitive intuitive et émotionnelle. En suscitant l’émerveillement par son caractère esthétique, l’image graphique contri‑ bue à abaisser le « niveau d’énergie » que requiert l’assimilation par le récepteur. Celui-ci peut en outre être immédiatement rassuré par l’organisation graphique, sur sa capacité à comprendre le message, ce qu’un texte ne peut montrer qu’a posteriori. Le remarquable ouvrage de Michel Adam (1999) expose la théorie et la pratique du schéma, véritables science et art de la modélisation qui ne s’apprennent malheu‑ reusement pas dans le cursus d’enseignement standard. Le plan de l’ouvrage est le suivant. Préface, introduction Première partie – Comprendre les schémas • 1 – Qu’est-ce qu’un schéma ? • 2 – L’information et ses deux visages analogique et digital • 3 – Les systèmes de représentation visuelle (SRV) • 4 – Les fonctions des systèmes de représentation visuelle • 5 – Les propriétés des schémas • 6 – Les atouts des schémas • 7 – Les limites des schémas
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9. Annexes
Deuxième partie – Caractériser les schémas • 8 – Identifier les schémas par leurs composants • 9 – Identifier les schémas par leur forme • 10 – Comparaison de sept classifications Troisième partie – Construire des schémas • 11 – Quel type de schéma choisir ? • 12 – Réussir un schéma • 13 – L’analyse critique des schémas • 14 – Ils ont communiqué par le schéma Index, Liste des tableau, Liste des schémas, Liste des ouvrages cités pour un schéma, Bibliographie L’ouvrage va être réédité avec de nouveaux apports, notamment sur un type de schéma développé par Michel Adam (2017) pour favoriser l’exercice de la pensée en complexité et inciter le récepteur à prolonger le raisonnement au-delà de ce que montre explicitement le schéma. Avec son aimable autorisation, nous donnons cidessous un exemple de cette schématisation par association de couples dialogiques (voir page 67) dans un espace de dimension deux ou trois, selon le nombre de couples (figures A14.1 et A14.2). Au pays de l’
unité
Tout > parties
Zone des asservissements
e par on
e
Z
moi d’abord
oxale ad
créativ
antagonisme
Zone des accords uniformisants
nous d’abord
Zone des accords personnalisants
Zone des conflits
Au pays de la
coopération
multiplicité
parties > tout
Figure A14.1 Le croisement de deux axes polarisés autour de notions dialogiques constitue une architecture au sein de laquelle la pensée peut naviguer en pondérant chaque pôle dans un continuum bi-dimensionnel. Cette navigation évoque ou génère des notions plus complexes et nuancées. À titre d’exemple, un modèle générique de l’action collective est ainsi proposé par Michel Adam (2017).
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Unité
Servage
Paternalisme Coopérativisme
Entreprise Bureaucratie
Entreprise développante Mutualisme
dévorante Lutte des classes
Coopération
Antagonisme
Esclavage
Corporations
Multiplicité
Figure A14.2 Diverses notions plus ou moins distantes peuvent être réparties dans l’espace quadripolaire en fonction de leur « affinité » pour chaque pôle pour rendre compte des rapports économiques entre classes sociales (Adam, 2017). La structuration sous-jacente crée entre les notions des liens implicites qui révèlent comment il peut y avoir évolution d’une situation à une autre.
Bibliographie des annexes Adam, Michel (1999). Les schémas. Un langage transdisciplinaire. L’Harmattan, 1999. ISBN : 2-7384-8641-X. Adam, Michel, Georgel Alain (2004). L’évaluation et ses bases. 30 fiches pour une pratique à risque indispensable, entre connaissance et action, pour plus de lisibilité et de confiance. Cahiers du Creahi, n° 10, 01/2004. Adam, Michel (2017). Les schémas. Un langage transdisciplinaire. L’Harmattan, 2e édition (à paraître). Bitbol, Michel (2016). La mécanique quantique comme théorie essentiellement relationnelle. Dans Alain Caillé, Philippe Chanial (dir.), Au commencement était la relation… mais après ? Revue du MAUSS, n° 47, premier semestre 2016, p. 65-86. Paris, La Découverte, ISBN : 9782707190512. CNRS (2002). Projet d’établissement du CNRS. CNRS, Mission de la stratégie, fév. 2002. Costa de Beauregard, Olivier (1953). Mécanique quantique. Une réponse à l’argument dirigé par Einstein, Podolsky et Rosen contre l’interprétation bohrienne des phénomènes quantiques ; Note de M. Olivier Costa de Beauregard, présenté par M. Louis de Broglie, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Acadé‑ mie des sciences, 236, 1953, p. 1632-1634.
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9. Annexes
Couix, Nathalie (1997). Évaluation « chemin faisant » et mise en acte d’une stra‑ tégie tâtonnante. Dans Marie-José Avenier, La stratégie « chemin faisant », Economica, 1997, Chapitre 6, p. 165-187. Collection Stratégies et organisations. Depondt, Philippe, Lévy, Jean-Claude S. (2015). Dynamique d’un carré magné‑ tique nanométrique. Dans Jean-Claude S. Lévy (dir.), Complexité et désordre : Éléments de réflexion. Edp Sciences, 2015, p. 35-43. Favi (2005). Innovation ? Une autre philosophie de management ? (2005a) INNOVATION ? Une autre philosophie de management ? L’HOMME et la DURÉE (2005b) 15 Privilégier le pour quoi, le pour qui / Privilégier le comment (2005c) 31 avoir un essentiel (cause noble) / avoir un règlement (2005d) 10 manager l’incertain / manager le certain (2005e) 27 Laisser des chances au hasard / prétendre maîtriser le hasard (2005f ) 22 Système Complexe / Système Compliqué (2005g) 24 ET / OU (2005h) 12 Agir à 1 jour, penser à 20 ans / agir à 1 an, penser à 5 ans (2005i) 11 s’adapter au présent / vouloir maîtriser le futur Favi (2017). Fournisseur de solutions techniques [En ligne]. [Consulté le 09/01/2017]. Disponible à l’adresse : http://www.favi.com. Gardner, Martin (1970). Mathematical Games : The fantastic combinations of John Conway’s new solitaire game « life ». Scientific American, 223, octobre 1970, p. 120-123. Guillemant, Philippe, Morisson, Jocelin (2015). La physique de la conscience. Guy Trédaniel, 2015. Guivarch, Céline, Rozenberg, Julie (2013). Produire des scénarios par centaines : vers un renouvellement des approches prospectives ? Futuribles International, Note d’analyse prospective n° 148, 27 décembre 2013. Horton, Richard (2015). Offline : What is medicine’s 5 sigma ? Dans : The Lancet [en ligne]. Date de parution : 11 avril 2015. [Consulté le 11/05/2017]. Disponible à l’adresse : http://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/ PIIS0140-6736 %2815 %2960696-1.pdf Jung, Carl Gustav (1988). Synchronicité et Paracelsica. Albin Michel, 1988. Kuhlmann Meinard (2014). Particules et champs sont-ils réels ? Où va la phy‑ sique ? Pour la Science, n° 85, oct.-déc. 2014, p. 54-61. Labarre, Jean (2017). L’inefficacité de la recherche est-elle programmée ? Nexus, mai-juin 2017, n° 110, p. 24-37. ISSN : 1296-633x.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Lévy, Jean-Claude S. (2015).Complexité et désordre des structures magnétiques, application aux réseaux neuronaux. Dans Jean-Claude S. Lévy (dir.), Complexité et désordre. Éléments de réflexion. Edp Sciences, 2015, p. 45-62. MEDDE (2006). Procédure d’autorisation. Ministère de l’Écologie, du Dévelop pement durable et de l’Énergie, 27 novembre 2006. [Consulté le : 30/07/2014]. Disponible à l’adresse : http://www.installationsclassees.developpement-durable. gouv.fr/Procedure-d-autorisation,14900.html Morin, Edgar (1977). La méthode : tome 1, La nature de la nature. Le Seuil, 1977. Mugur-Schächter Mioara (1997). Les leçons de la mécanique quantique : vers une épistémologie formalisée. Le Débat, n° 94, mars-avril 1997. Nietzsche, Friedrich Wilhelm (1982). Le gai savoir. Gallimard, 1982. folio/essais. Paquette, Gilbert (2002). L’ingénierie pédagogique. Pour construire l’apprentissage en réseau. Presses de l’Université du Québec, 2002. Pour la Science (2014). Les mystères du cosmos. Du Big Bang aux trous noirs. Dossier hors série n° 83, avril-juin 2014. Ricard, Matthieu, Thuan, Trinh Xuan (2000). L’infini dans la paume de la main. NiL Éditions, Fayard, 2000. Rossignol, Jean-Yves (1998). La diffusion de la culture scientifique. Éthique, déontologie, méthodes. Auto-édition, 1998, ISBN : 2-9501901-8-9. Taleb, Nassim Nicholas (2008). Le cygne noir. La puissance de l’imprévisible, Les Belles Lettres, 2008. Theodorani, Massimo (2010). Synchronicité : Le rapport entre physique et psyché de Pauli et Jung à Chopra. Macro Éditions, 2010. Von Neumann, John, Burks, Arthur Walter (1966). Theory of Self-reproducing Automata. University of Illinois Press, 1966. Wittgenstein, Ludwig (1961). Tractatus logico-philosophicus. Gallimard, 1961. Idées. Zwirn, Hervé (2006). Les systèmes complexes. Mathématiques et biologie. Odile Jacob, 2006. Coll. sciences. Zwirn, Hervé (2015). Les systèmes déterministes simples sont-ils toujours pré‑ dictibles ? Dans Jean-Claude S. Lévy (dir.). Complexité et désordre. Éléments de réflexion. Edp Sciences, 2015, p. 25-34.
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Glossaire Constructivisme Option épistémologique affirmant que seule est connaissable notre expérience dans l’interaction avec le réel (voir développement au chapitre 3, page 55).
Déterminisme Principe affirmant que les évènements s’enchaînent causalement dans le temps. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, les régularités observées peuvent être décrites par des lois. Ce principe correspond au sens commun de l’appréhension du réel, mais il est mis en défaut par la physique quantique. Certains phénomènes d’apparence chaotique et imprédictibles peuvent néanmoins obéir strictement au déterminisme.
Dogme « Proposition théorique établie comme vérité indiscutable par l’autorité qui régit une certaine communauté » (CNRTL, 2017a). Les religions, la science, l’économie, la médecine, constituent des systèmes d’idées qui entretiennent des dogmes. Le dogme de l’infaillibilité, par exemple, est un dogme largement partagé, car il étaie tous les autres dogmes.
Épistémologie Branche de la philosophie traitant de la validité des connaissances et des méthodes de leur élaboration.
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Gouvernance La gouvernance est l’art de l’élaboration de processus complexes de décision poli‑ tique, ouverts, pluralistes, participatifs.
Humanisme « Attitude philosophique qui tient l’homme pour la valeur suprême et revendique pour chaque homme la possibilité d’épanouir librement son humanité, ses facultés proprement humaines » (CNRTL, 2017b, déf. B).
Imprédictibilité, imprévisibilité Un système est dit « imprédictible » quand on ne peut en faire aucune projection probable dans le futur, bien que les phénomènes en jeu soient déterministes (rela‑ tions de cause à effet selon des lois connues). Il est dit « imprévisible » quand les phénomènes en jeu sont aléatoires ou déterminés par des lois inconnues.
Modèle Construction intellectuelle et son expression formelle censés représenter le réel. Une représentation constitue un modèle lorsqu’elle est elle-même organisée en un sytème défini, réduit, isomorphe au réel perçu, se prêtant ainsi à la manipulation mentale ou expérimentale, grâce à la maîtrise des paramètres, moins nombreux, moins interconnectés, plus directement accessibles que dans le réel. « Si on ne peut sans doute plus définir universellement la notion de modèle, on peut concevoir la fonction téléologique de modélisation, production intelligible de représentations opératoires par le modélisateur-acteur » (Le Moigne, 1987). « Action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles artefacts susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier alors la capacité de raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant notamment à anticiper les conséquences, tant synchroniques que diachroniques, de ces projets d’actions possibles. » (Le Moigne, 1999, p. 5)
Paradigme Fond culturel implicite et partagé, conscient ou non (postulats, idéologies, dogmes, théories, normes) qui oriente les représentations du monde, de la société, etc. « …un paradigme est constitué par une relation spécifique et impérative entre les catégories ou notions maîtresses au sein d’une sphère de pensée, et il commande cette sphère de pensée en déterminant l’utilisation de la logique, le sens du discours, et finalement la vision du monde… » (Morin, 1986, p. 160)
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Glossaire
« …le paradigme effectue la sélection et la détermination de la conceptualisation et des opérations logiques. Le paradigme désigne les catégories fondamentales de l’intelligibilité et il opère le contrôle de leur emploi. Ainsi, les individus connaissent, pensent et agissent selon les paradigmes inscrits culturellement en eux. » (Morin 2000, p. 9) « Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. » (CNRTL, 2016a)
Positivisme Doctrine méthodologique affirmant que seule est valable l’expérience scientifique, pour la connaissance des phénomènes (rejet de l’intuition et de la symbolique, par exemple).
Réalisme Option épistémologique affirmant que le réel est connaissable en soi (voir dévelop‑ pement au chapitre 3, page 54).
Réductionnisme « Réductionnisme, subst. masc., log. Le réductionnisme consiste dans la théorie ou la tendance, principalement en psychologie et en sociologie, à expliquer les faits complexes par une de leurs composantes, laquelle suffirait à rendre compte des autres (Foulq. Sc. soc. 1978). En partic. Le réductionnisme consiste à affirmer que le couple formé par la logique et les mathématiques pures peut être réduit à l’unité simple de la logique mathématique, forme moderne, pure et pleinement rationnelle de la logique (Log. et connaissance sc., 1967, p. 334 [Encyclop. de la Pléiade]) » (CNRTL, 2016b).
Système complexe Un système est dit « complexe » quand il est perçu comme une dynamique d’inte‑ ractions non exhaustivement dénombrables d’où émerge un ordre qui s’exprime par une cohésion structurelle et une cohérence fonctionnelle durables, au sein d’un environnement évolutif et actif sur le système (voir discussion en page 79).
Téléologie Du grec telos, but et logos, discours. « Doctrine qui considère que dans le monde tout être a une fin, qui conçoit le monde comme un système de relations, de rapports entre des moyens et des fins. » (CNRTL, 2017c)
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Complexité. Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels
Selon notre acception, il s’agit de la régularité d’une organisation orientée vers sa permanence. Cela ne signifie pas la prédétermination vers un but qui serait déjà tracé, mais qu’une organisation fonctionne en vue de perdurer dans des contextes évolutifs. Le projet est de maintenir une homéostasie, malgré le bouillonnement des phénomènes internes et externes qui tendent à détruire l’organisation. La téléologie exprime la propension d’un système à tendre vers un des attracteurs potentiels situés dans le futur (il faut ici raisonner dans l’espace-temps global) qui, selon certaines théories en gestation (Guillemant, 2015), génère une rétrocausalité depuis le futur vers le présent (Sheldrake, 2013, p. 153-182).
Bibliographie du glossaire CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2016a). Paradigme. [Consulté le 15/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/definition/paradigme CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2016b). Réductionnisme. [Consulté le 15/09/2016]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/definition/réductionnisme CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2017a). Dogme. [Consulté le 03/02/2017]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/ definition/dogme CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2017b). Humanisme. [Consulté le 03/02/2017]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/definition/humanisme CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) (2017c). Téléologie. [Consulté le 03/02/2017]. Disponible à l’adresse : http://www.cnrtl.fr/definition/téléologie Guillemant, Philippe, Morisson, Jocelin (2015). La physique de la conscience. Guy Trédaniel, 2015. Le Moigne, Jean-Louis (1987). Qu’est-ce qu’un modèle ? Confrontations psychiatriques, 1995, n° spécial Modèles. Disponible à l’adresse : h t t p : / / a r c h i v e . mcxapc.org/docs/ateliers/lemoign2.pdf Le Moigne, Jean-Louis (1999), La modélisation des systèmes complexes. Dunod, 1990, 2e édition, 1999. Morin, Edgar (1986). La méthode : tome 3, La connaissance de la connaissance. Le Seuil, 1986. Morin, Edgar (2000). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil, 2000. Sheldrake, Rupert (2013). Réenchanter la science. Albin Michel, 2013.
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« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » René Char, Fureur et mystère
PROfil
Complexité Fondamentaux à l’usage des étudiants et des professionnels Jean-Yves Rossignol
L es défis que doit désormais relever l’humanité sont pléthoriques et colossaux. Albert
Einstein a dit en substance que les problèmes ne peuvent pas être résolus avec le mode de pensée qui les a engendrés. Tout cela laisse entrevoir le formidable changement que nous devons opérer dans le registre intellectuel et même cognitif. Les esprits contemporains sont conditionnés par l’impératif de maîtrise et de contrôle, pour gagner en efficacité, pour obtenir toujours plus en toujours moins de temps. Cela fut possible grâce à la simplification des considérations sur les systèmes impliqués. Le simplisme a décuplé la puissance, mais l’indépendance conceptuelle, qui ne retient que certains fils de l’écheveau du monde actionné, génère un écart qui se creuse, entre les systèmes artefacts et la matrice du réel. La tension induite et croissante menace d’effondrement la civilisation. Il convient donc de reconsidérer résolument la pensée simplificatrice qui génère les problèmes et d’apprendre à penser différemment, en complexité. Le présent ouvrage se propose d’exposer les justifications de la pensée complexe, ses modalités de mise en œuvre dans la conception et le pilotage des projets, ainsi que ce qu’il est permis d’en attendre dans tous les champs culturels, économique, scientifique, politique, et dans tous les domaines d’activité. L’ambition est véritablement de sensibiliser et d’entraîner la pensée à une autre rationalité, à même de renouveler l’intelligence collective.
Jean-Yves Rossignol, ingénieur-conseil, enseignant et chercheur indépendant, médiateur interdisciplinaire, travaille à l’émergence d’une conscience éthique active dans les univers de l’entreprise, de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il est membre du conseil d’administration du Réseau Intelligence de la Complexité, réseau européen de recherche et d’échanges sur les sciences de la complexité.
978-2-7598-2194-5 9 782759 821945
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Les ouvrages de la collection PROfil ont pour vocation la transmission des savoirs professionnels dans différentes disciplines. Ils sont rédigés par des experts reconnus dans leurs domaines et contribuent à la formation et l’information des professionnels.