Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen âge 9782503585512, 2503585515

Comment les hommes et les femmes du premier Moyen Age formaient-ils des communautés lorsqu'ils se trouvaient vivre

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Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen âge
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Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge

Collection Haut Moyen Âge dirigée par Régine Le Jan 38

Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge

Édité par Alban Gautier et Lucie Malbos

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Ouvrage publié avec le soutien de l’Institut universitaire de France et du Centre Michel de Boüard (Craham UMR 6273)

© 2020, Brepols Publishers n. v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2020/0095/153 ISBN 978-2-503-58551-2 E-ISBN 978-2-503-58552-9 DOI 10.1484/M.HAMA-EB.5.118007 ISSN 1783-8711 E-ISSN 2294-8473 Printed in the EU on acid-free paper.

Alban Gautier, avec la collaboration de christer westerdahl

Faire communauté par l’eau ou malgré l’eau  Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge

Approcher les communautés, entre définition et description Le colloque tenu à Boulogne-sur-Mer les 10 et 11 mars 2017, et dont on va lire ici les actes1, s’inscrit dans un cycle de manifestations scientifiques qui ont été ou seront organisées dans plusieurs pays européens, et qui relèvent toutes du programme « Communautés du haut Moyen Âge2 ». Le thème commun de ces rencontres est, on l’aura compris, l’étude des communautés pendant les premiers siècles médiévaux, et le colloque de Boulogne a constitué, à travers le prisme des communautés maritimes, insulaires et plus largement littorales, le premier volet de ces travaux au long cours. Le cycle s’était néanmoins ouvert dès le mois de juin 2016 à Paris, par un atelier préparatoire organisé par Geneviève Bührer-Thierry, dont le principal objectif était



1 Les éditeurs du volume, qui furent aussi les organisateurs du colloque, tiennent à remercier l’ensemble des personnes et des institutions qui ont permis la tenue de cette rencontre et la publication de ce livre : l’Université du Littoral Côte d’Opale et son Unité de recherche sur l’Histoire, la Littérature, les Langues et l’Interculturel (HLLI, EA 4030) ; l’Institut universitaire de France ; le Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP, UMR 8589, CNRS – Université Paris I PanthéonSorbonne) ; l’École française de Rome ; le laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société (IDHES, URM 8533, CNRS – Université d’Évry) ; l’Université Ca’Foscari de Venise ; la municipalité de Boulogne-sur-Mer et son service archéologique ; Sophie Bracqbien, Catherine Wadoux et Alexandre Bontems, qui ont assuré la logistique du colloque ; et Régine Le Jan, qui a accepté d’accueillir ce volume dans la collection Haut Moyen Âge. 2 On trouvera sur le site de l’École française de Rome une présentation succincte du programme « Communautés. À la recherche des communautés du haut Moyen Âge : formes, pratiques interactions (vie-xie siècles) » : http://www.efrome.it/en/research/research-themes/ programmes-2017-2021/communautes-a-la-recherche-des-communautes-du-haut-moyen-ageformes-pratiques-interactions-vie-xie-siecles.html. Après l’atelier de Paris en juin 2016 et le colloque de Boulogne-sur-Mer en mars 2017, ont eu lieu un colloque à Tübingen en septembre 2017 sur les « communautés menacées », et un autre à Lille et Arras en septembre 2018 sur le thème « mémoire et communauté » ; d’autres rencontres sont prévues entre 2019 et 2020. Alban Gautier • Université de Caen Normandie, Centre Michel de Boüard (CRAHAM UMR 6273). Christer Westerdahl • Norges teknisk-naturvitenskapelige Universitet, Trondheim. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 5–21 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118546

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de débroussailler le terme même de « communauté » – et bien sûr, ses équivalents dans d’autres langues modernes : en anglais community, en allemand Gemeinschaft, en italien comunità, en espagnol comunidad, en néerlandais gemeenschap ou samenleving, en portugais comunidade, etc. – et de mettre à plat ses implications, en faisant appel en particulier à des praticiens d’autres sciences humaines et sociales. Il était alors apparu qu’afin de bien saisir dans leur très grande diversité les regroupements humains du haut Moyen Âge que nous autres modernes pouvons être amenés à identifier comme des communautés, il convenait de ne pas nous enfermer dans des définitions trop rigides, et d’éviter deux écueils principaux. D’une part, la grande diversité des travaux sociologiques ou (dans une moindre mesure) anthropologiques portant sur la notion et le phénomène de la communauté propose à l’historien du premier Moyen Âge une grande diversité d’approches, plus ou moins transposables aux réalités médiévales et, surtout, à la nature de ses sources. Il était donc d’emblée exclu pour les participants du colloque de Boulogne de s’enfermer dans une définition trop rigide de la communauté, de « choisir leur sociologue » et de ne s’appuyer que sur une seule acception du terme. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que les auteurs des articles qu’on va lire ne recourent pas à d’éventuels modèles sociologiques ou anthropologiques, mais que nous avons pris acte de leur pluralité, et de la fécondité dont cette pluralité est elle-même porteuse : les sciences sociales sont restées pour nous un riche réservoir de problématiques et de regards sur les pratiques et les constructions communautaires que nous voulions approcher. D’autre part, il a bien vite été entendu qu’il serait de fort mauvaise méthode de ne repérer les communautés dans nos sources qu’en partant de l’usage d’un vocabulaire latin spécifique désignant un groupe donné : le mot communitas était bien sûr connu et utilisé dans les premiers siècles médiévaux, mais il n’était pas le seul, puisque des termes comme uniuersitas, societas ou sodalitas apparaissent aussi bien dans nos sources, tandis qu’à la fois des mots plus vagues comme grex ou coetus, et des mots en apparence plus spécialisés comme plebs, coniuratio ou consortium, peuvent aussi nous permettre de mettre le doigt sur l’existence du phénomène – sans oublier évidemment les nombreux termes vernaculaires présents dans les sources en vieil anglais, en irlandais, en norrois et dans bien d’autres langues écrites en ce haut Moyen Âge, ou intégrés au latin médiéval depuis les langues vernaculaires (songeons, pour ne donner qu’un seul exemple, à l’immense fortune de la racine germanique geld/gild et de ses dérivés3). Partir des mots des sources aurait donc présenté l’inconvénient de la variabilité extrême du vocabulaire, mais nous aurait aussi fait courir le risque,



3 À partir de l’idée de « versement » ou d’« écot » (voir l’allemand moderne Geld ou l’anglais moderne yield), se développe singulièrement, y compris en latin, l’idée d’association (souvent jurée) à laquelle chacun cotise : la « guilde » ou « ghilde » (vieil anglais gegield et gieldscipe, vieux haut allemand gilde, vieux frison jelde, norrois gildi, latin gildonia) est donc un exemple original, aux formes concrètes très variées pendant la période ici étudiée et bien au-delà, de communauté volontaire. Voir É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, t. 2, p. 70-74 ; É. Coornaert, « Les ghildes médiévales (ve-xive siècles). Définition, évolution », dans Revue historique, 199/1, 1948, p. 22-55, et 199/2, 1948, p. 208-243 ; O. G. Oexle, « Conjuratio et ghilde dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Remarques sur la continuité des formes de la vie sociale », dans Francia, 10, 1982, p. 1-19 ;

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dans des textes rares, parfois fragmentaires et souvent très laconiques, de manquer des phénomènes sous prétexte que les contemporains ne les ont pas isolés ou nommés comme tels. C’est aussi – et peut-être surtout – dénier a priori et de manière absurde à l’archéologie toute capacité à identifier et à décrire des communautés du premier Moyen Âge. Le lexique de la communauté est certes un élément important, et dans certains cas déterminant, des diverses approches et études de cas présentées dans ce livre, mais il n’est jamais l’alpha et l’oméga de l’identification du phénomène. Nous avons plutôt choisi de recourir à une approche volontairement large, qui pourra même parfois paraître assez vague, car sans définition précise, de la communauté. Plutôt que de borner strictement la notion, les auteurs ont volontiers recouru à la description – aussi « dense4 » que les sources de toutes natures permettaient de le faire – et à l’approche un rien pointilliste qu’impose souvent la documentation de ces siècles qu’on dit parfois « obscurs ». L’identification des communautés par les auteurs, c’est-à-dire la décision par l’historien d’accorder cette étiquette à un groupe humain donné, ne s’est donc pas faite à partir d’une définition préalable, mais plutôt au moyen d’une plus ou moins grande convergence de traits et d’indices, par la mise en lumière de faisceaux de critères variés. Parmi les critères possibles, quelques-uns nous ont semblé particulièrement pertinents et nous ont en quelque sorte servi de feuille de route5. 1. Une communauté a souvent (mais pas toujours) un nom qui la distingue. 2. Une conscience commune de former une communauté, un sentiment d’appartenance de la part des membres peuvent parfois être identifiés. 3. L’historien peut aussi repérer l’existence (reconnue ou non par les agents eux-mêmes) d’intérêts communs qui les poussent à coopérer, à partager des connaissances et des activités. 4. Les membres peuvent aussi manifester un « sens de l’engagement6 » envers leur communauté, par lequel ils se sentent prêts à agir pour le bien de l’ensemble du groupe. 5. Par ailleurs, une communauté entretient souvent un lien avec un territoire ; mais ce lien, pour les communautés du bord de l’eau étudiées dans ce livre, est évidemment singulier.







A. Gautier, « Discours égalitaire et pratiques hiérarchiques dans les guildes anglo-saxonnes », dans F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan (dir.), Hiérarchie et stratification sociale dans l’Occident médiéval (400-1100), Turnhout, 2009, p. 343-358 (p. 347-348). 4 On reconnaîtra évidemment ici la pratique de la thick description, préconisée par C. Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, 1973, ch. 1 ; Id., « La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture », trad. fr. A. Maury, dans Enquête, 6, 1998 [en ligne : http://journals. openedition.org/enquete/1443]. 5 Ces critères ont principalement été élaborés lors de l’atelier de Paris. Nous nous sommes aussi inspirés, sans exclusive, des critères mis en avant par Walter Pohl et son équipe dans le cadre du programme VISCOM de l’Université de Vienne (« Visions of Community. Comparative Approaches to Ethnicity, Region and Empire in Christianity, Islam and Buddhism, 400-1600 ce » : https ://sfbviscom.univie.ac.at/, consulté le 4 février 2019). 6 La notion de sense of commitment est singulièrement mise en avant par Étienne Wenger, dont les travaux nous ont été fort utiles dans l’approche du phénomène : voir la note 8.

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6. Beaucoup de communautés peuvent être identifiées grâce aux formes d’organisation que les sources laissent éventuellement entrevoir : assemblées, chefs, obligations collectives, règles internes fixées ou non par écrit, etc. 7. Elles peuvent aussi être repérées grâce à des pratiques communes à l’ensemble ou à une partie significative du groupe, et qui fondent et soudent son existence collective et les liens entre ses membres : des cultes, des rituels de tous ordres, des activités festives, des pratiques de travail en commun, etc., qui construisent au jour le jour ou à des moments exceptionnels ces émotions partagées sans lesquelles il n’est pas de véritable communauté7. 8. Ces pratiques communes peuvent aussi s’accompagner de discours par lesquels les membres de la communauté disent comment et pourquoi ils ont quelque chose en commun : il y a communauté quand ses membres croient au fait de son existence, et racontent comment elle s’est constituée. 9. Il arrive enfin que certaines communautés bénéficient d’une définition légale, voire de privilèges explicitement reconnus par une autorité supérieure et consignés dans des lois ou des chartes : c’est évidemment dans ce dernier cas que la communauté apparaît de la manière la plus flagrante. Il importe néanmoins de noter que ces divers critères sont sans aucune exclusive : en d’autres termes, il n’est pas nécessaire que tous soient présents pour que l’historien du haut Moyen Âge puisse reconnaître et étudier une communauté. Parmi les divers modèles et théories de la communauté élaborés dans le champ des sciences sociales au cours des dernières décennies, un en particulier a régulièrement été mentionné lors de l’atelier préparatoire de Paris. Sans nous y cantonner, il importe de le rappeler car il nous a été très utile dans notre approche du phénomène. La notion de « communautés de pratique » d’Étienne Wenger est apparue à partir de la fin des années 1990, et appartient d’abord au secteur des sciences de la gestion et de la sociologie de l’éducation et du travail. L’idée de « communauté de pratique » repose d’abord sur l’observation d’une concomitance entre deux phénomènes inséparables et intriqués. Le premier est la coopération d’agents d’un groupe en vue de la réalisation d’objectifs, qu’ils peuvent d’ailleurs plus ou moins bien identifier et reconnaître comme tels. Dans le modèle tel que l’a élaboré Étienne Wenger, l’objectif principal est l’apprentissage, mais on peut parfaitement l’étendre à d’autres objectifs qui parleront bien mieux aux médiévistes : exercer et conserver un pouvoir, plaire à Dieu et atteindre une forme de perfection, réaliser un profit commercial, et même simplement survivre ensemble jusqu’à la moisson, sont des objectifs en vue desquels les membres d’un même groupe peuvent être amenés à coopérer. Le phénomène concomitant est la construction de la communauté, c’est-à-dire d’un groupe qui



7 C’est pourquoi les émotions dont certains agents font part dans leurs écrits peuvent elles-mêmes servir à identifier les communautés : voir l’ouvrage désormais classique de B. H. Rosenwein, Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca (NY), 2006 ; en français, on lira aussi Ead., « Pouvoir et passion. Communautés émotionnelles en Francie au viie siècle », dans Annales. Histoire, sciences sociales, 58/6, 2003, p. 1271-1292.

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fonctionne par une interaction et des échanges d’informations réguliers entre ses membres, qui prennent ainsi conscience de leur spécificité et de leur identité distincte. C’est pourquoi une « communauté de pratique » se définit comme un groupe qui peut être identifié par son domaine (les membres partagent un intérêt et développent ensemble des compétences pour réaliser leur objectif), par son sens de la communauté (les membres interagissent et se sentent concernés par les enjeux et par l’avenir du groupe), et par sa pratique (les membres partagent des façons de faire les choses et puisent à un répertoire partagé de symboles, de ressources, de références). La communauté permet par conséquent l’instauration de liens sociaux forts entre ses membres8. Ainsi, les auteurs des articles qu’on va lire n’ont pas seulement cherché à repérer et à étudier des groupes définis par des institutions communautaires bien identifiées (même si celles-ci ont bien sûr pu exister), mais également des communautés qui se construisaient dans le quotidien de la pratique et de l’interaction partagées – en d’autres termes, des groupes que l’historien peut observer, plus ou moins distinctement, en train de « faire communauté ».

Communautés du bord de l’eau Les milieux maritimes, littoraux, insulaires, lacustres, fluviaux, et plus largement tous les milieux marqués par la proximité des eaux courantes, dormantes ou mugissantes, apparaissent comme des champs d’observation privilégiés pour l’étude de communautés de natures très diverses entre la fin de l’Antiquité et le milieu du Moyen Âge. Une assez grande variété de sources permet en effet d’observer toutes sortes de groupes en train de « faire communauté9 » près de l’eau : il y a d’abord les communautés d’habitants, telles qu’on les observe dans des hameaux, des villages, des ports, des comptoirs, des agglomérations urbaines ou proto-urbaines ; il existe ensuite des communautés cléricales ou monastiques, implantées près de la mer ou sur une île et vivant dans l’interaction permanente avec leur milieu et avec les autres





8 La principale référence est É. Wenger, Communities of Practice : Learning, Meaning and Identity, Cambridge, 1998. On trouvera des résumés commodes de ce que recouvre cette notion dans É. Wenger et B. Wenger-Trayner, « Communities of practice : a brief introduction » [en ligne : http:// wenger-trayner.com/introduction-to-communities-of-practice/, consulté le 7 janvier 2019] ; voir aussi (en français) le document pédagogique élaboré par F. Henri, « La communauté de pratique selon Étienne Wenger », Télé-Université du Québec, s. d. [en ligne : http://benhur.teluq.uquebec.ca/SPIP/ inf9013_v2/IMG/pdf/M2_ComWenger.pdf, consulté le 7 janvier 2019]. 9 Voir en dernier lieu le numéro 32 de la revue Questes intitulé Faire communauté, paru en 2016 avec un avant-propos de Joseph Morsel, mais dont les contributions portent exclusivement sur les xie-xve siècles : voir en particulier la synthèse introductive de J. Conesa Soriano et J. Pilorget, « Faire communauté : introduction », dans Questes, 32, 2016, p. 15-33 [en ligne : https ://journalsopenedition-org.janus.biu.sorbonne.fr/questes/4326]. Les auteures distinguent pour cette période quatre catégories principales : « communautés confessionnelles et ethniques », « communautés d’habitants », « communautés de métier » et « communautés religieuses et hospitalières » ; notre propre typologie n’est guère différente.

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hommes qui l’occupent et l’exploitent ; on trouve aussi des communautés d’intérêts ou d’objectifs – guildes, métiers, communautés de marchands ou de pêcheurs – pour qui la mer ou le fleuve sont l’élément où se déploie leur principale activité ; enfin, on pourrait sans doute (mais plus difficilement, et la question a pour cela été en grande partie laissée de côté dans ce livre) insérer ces communautés localisées dans de plus vastes communautés, éventuellement diasporiques, dont le fondement est à la fois dans l’ethnicité et dans les activités de leurs membres, comme ces marchands frisons dont le réseau s’est étendu sur une grande partie des mers du Nord10. Dans cette optique, l’intérêt du poste d’observation original que sont les sociétés du bord de l’eau réside dans l’interaction singulière des humains et du milieu aquatique, un milieu tantôt très hostile, tantôt porteur de prospérité et d’opportunités, qu’ils voisinent, qu’ils occupent, qu’ils parcourent, qu’ils exploitent, et auquel ils sont sans cesse amenés à se confronter. Ainsi, maintenir une existence et une expérience communautaires en milieu maritime suppose de « faire communauté » par la mer, en mer, près de la mer, face à la mer et même malgré la mer. Il n’est donc pas étonnant que les sociétés maritimes et littorales aient, souvent et peut-être plus que d’autres, vu se manifester des solidarités fortes. La documentation a permis aux auteurs des articles qu’on va lire de poser à propos de ces communautés un grand nombre de questions, qui loin de ne valoir que pour les littoraux, éclairent souvent le phénomène communautaire pour l’ensemble de la période. Le premier champ d’investigation concerne bien entendu l’existence d’une véritable vie communautaire chez les habitants des ports, comptoirs et agglomérations du littoral, et les formes que celle-ci a pu prendre. Il est sans doute vrai que la mer, plus que tout élément, peut inciter les humains à se « serrer les coudes » : les contraintes de l’environnement exigent des réponses collectives. Mais la proximité de l’eau et la rudesse des conditions de vie suffisent-elles pour pousser les habitants du littoral à « faire communauté » ? Ne leur fallait-il pas partager également une origine géographique ou ethnique, une langue ou des croyances religieuses, ou tout simplement une activité commune comme la navigation, la pêche, le commerce, voire la piraterie ? La réponse est sans doute dans une articulation de ces divers principes. La contribution de Stéphane Lebecq rappelle ainsi que la chasse aux mammifères marins demandait de gros moyens et constituait nécessairement une entreprise collective : or un tel contubernium ou consortium s’accommodait fort bien d’une diversité d’origines ethniques et même linguistiques. Sur le versant méditerranéen de l’Europe, à Venise ou à Comacchio, Sauro Gelichi explique comment les groupes humains qui occupaient les espaces lagunaires depuis l’Antiquité en sont venus à « faire communauté » en partageant non seulement des activités de commerce et d’exploitation des ressources, mais aussi des discours communs sur leur romanité,

10 Sur la pertinence de la notion de diaspora pour le monde viking et ses nombreuses communautés dispersées, voir J. Jesch, The Viking Diaspora, Londres, 2015 ; P. Bauduin, « Lectures (dé)coloniales des vikings », dans Cahiers de civilisation médiévale, 59/1, 2016, p. 1-18 ; Id., Histoire des vikings. Des invasions à la diaspora, Paris, 2019, p. 294-300.

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leur byzantinité et en fin de compte leur singularité, que l’archéologue repère entre autres par l’usage singulier des spolia. Par ailleurs, on peut légitimement se demander si ces populations souvent mouvantes, promptes à prendre la mer, étaient vraiment à même de former des communautés d’habitants stables et structurées. La mer et les fleuves sont de fait des espaces où évoluent des groupes singuliers, mobiles par nature, qui ne peuvent que difficilement être rapprochés d’homologues terriens. Difficile, en d’autres termes, de prendre racine en milieu marin, comme semblerait le suggérer la métaphore de Jan Dhondt (ici remise en contexte par Søren Sindbæk) comparant les emporia des mers du Nord à des « villes champignons11 ». Les équipages des navires de commerce, mais aussi de guerre (ou parfois les deux en même temps) peuvent-ils par conséquent être décrits comme des communautés ? La question se pose, car il n’est a priori pas certain qu’ils aient été suffisamment pérennes pour que des sentiments proprement communautaires se fassent jour entre leurs membres. Des travaux récents sur les bandes armées vikings ont néanmoins montré que quelque chose de communautaire – des serments, mais aussi une camaraderie tissée dans la vie en commun, à bord et à terre – pouvait se construire entre les guerriers12. De fait, l’organisation et la structuration internes de ces communautés ne sont pas toujours faciles à repérer, même si les sources ne sont pas toutes muettes sur ces questions. Ainsi, elles nous permettent d’entrevoir les spécificités de certaines communautés du bord de l’eau en termes de rapports entre hommes et femmes. La figure stéréotypée de la femme de marin, sur laquelle s’ouvre la contribution de Lucie Malbos, lui permet plus largement de s’interroger sur la façon dont les gens de mer organisaient leurs communautés et leurs activités communes. Stefano Gasparri montre pour sa part comment le milieu lagunaire a vu naître des formes associatives originales, par exemple autour de l’exploitation des salines, mais aussi d’autres ressources produites par les Vénitiens, ou qui transitaient par la lagune. Ces communautés ont par ailleurs pu jouer un rôle d’interfaces entre la terre et la mer, de lieux d’échanges et de métissage. Les liens avec les communautés de l’arrière-pays – de la « Terre ferme », aurait-on dit à Venise – sont une question essentielle pour qui veut comprendre celles de la côte et des îles. Il est vrai que la documentation n’est pas toujours d’une grande précision : les « communautés maritimes cachées » du versant atlantique de la péninsule Ibérique, ici étudiées par André Marques, étaient sans doute

11 J. Dhondt, « Les problèmes de Quentovic », dans Studi in onore di Amintore Fanfani (Antichita e alto medioevo), Milan, 1962, vol. I, p. 181-248 (p. 244). 12 B. Raffield, C. Greenlow, N. Price et M. Collard, « Ingroup Identification, Identity Fusion and the Formation of Viking War Bands », dans World Archaeology, 48/1, 2015, p. 35-50 ; B. Raffield, « Bands of Brothers : A Re-Appraisal of the Viking Great Army and Its Implications for the Scandinavian Colonization of England », dans Early Medieval Europe, 24/3, 2016, p. 308-337. Voir aussi S. Lebecq, « Pour une histoire des équipages (mers du Nord, ve-xie siècles) », dans A. Lottin, J.-C. Hocquet et S. Lebecq (dir.), Les hommes et la mer dans l’Europe du Nord-Ouest de l’Antiquité à nos jours, Villeneuve-d’Ascq (Revue du Nord, hors-série no 1), 1986, p. 223-255. Je me permets de renvoyer enfin à A. Gautier, « Nature et mode d’action des bandes armées vikings  : quelques réflexions sur la seconde moitié du ixe siècle », dans Revue d’histoire nordique, 23, 2018 pour 2016, p. 71-86.

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relativement marginales, et les communautés religieuses qui ont produit les sources, souvent situées plus à l’intérieur des terres, les considéraient comme telles. Dans d’autres cas, des textes plus abondants ou plus précis permettent cependant de repérer des formes de distinction, d’interaction, des tensions, qu’il convient néanmoins de ne pas essentialiser, comme le montre l’article de Chiara Provesi sur la communauté vénitienne : l’historiographie, qui a longtemps distingué de manière nette un « parti de la terre » et un « parti de la mer », doit être révisée. Par ailleurs, en un temps où les liens personnels et la rencontre entre les personnes étaient essentiels pour « faire communauté », la mer était-elle un obstacle ou au contraire un facilitateur de ces liens communautaires13 ? Søren Sindbæk montre pour sa part que les communautés polarisées par les emporia des mers du Nord s’étendaient en réalité bien au-delà des limites physiques de ces centres proto-urbains ; pourtant, cela n’empêchait pas un enracinement des groupes dans la terre des ports, ne serait-ce qu’à travers les cimetières. Une communication de Dries Tys, qui n’a malheureusement pas pu être intégrée au présent volume14, visait précisément à identifier les activités, mais aussi les cultures matérielles partagées à travers lesquelles les communautés d’habitants de la Flandre maritime se sont construites, dans une articulation constante avec le pouvoir comtal et les établissements religieux de la région. Enfin, certains types de communautés présentent des problématiques particulières. Le rapport à la mer et, plus largement, à l’eau toute proche, induisait probablement des pratiques et des discours communautaires spécifiques. Ainsi, en quoi une communauté monastique littorale ou insulaire différait-elle de communautés monastiques implantées dans le « plat pays » ? Arnaud Lestremau s’interroge, dans le cas de l’Angleterre anglo-saxonne, sur l’existence d’une anthroponymie propre aux habitants des régions côtières, ou encore sur celle de dévotions à des saints particulièrement liés à la mer. De même, la contribution de Charlotte Gaillard rapproche le monastère de l’Île-Barbe, construit au nord de Lyon sur une île de la Saône, d’autres îles monastiques, et en premier lieu de celle de Lérins15 : le discours monastique représente (avec une bonne dose d’exagération) le fleuve comme un élément hostile, remplaçant en quelque sorte la mer absente, mais il l’utilise aussi pour des processions nautiques qui permettent régulièrement aux moines de rappeler leur singularité. Quant à Isabelle Cartron, elle s’interroge sur les spécificités que pouvait impliquer la proximité de l’eau quand une communauté monastique traversait une crise : la dimension proprement littorale de la communauté de Saint-Philibert, initialement implantée sur l’île de Herio (Noirmoutier), a été recomposée au cours des déplacements successifs du groupe, qui a fini par s’installer à Tournus en Bourgogne – certes très loin de la mer mais toujours au bord de l’eau, sur les rives de la Saône. 13 F. Laget, « La mer dans l’Europe du Nord : frontière ou trait d’union  ? », dans Revue d’histoire nordique, 23, 2018 pour 2016, p. 41-55. 14 D. Tys, « The Maritimi Flandrenses : Landscape, Material Culture and Social and Cultural Dynamics of an Early and High Medieval Maritime Community », communication présentée au colloque de Boulogne-sur-Mer, samedi 11 mars 2017. 15 Sur Lérins, voir principalement Y. Codou et M. Lauwers (dir.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009.

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Un domaine de recherche en plein renouvellement Beaucoup de ces questions sont, d’une manière ou d’une autre, abordées dans les diverses contributions de ce livre. Celui-ci s’inscrit donc dans un domaine de recherche qui a connu, au cours des dernières années, un important renouvellement. En effet, les questions et les champs d’investigation qu’on vient de résumer pourront sembler familiers à des lecteurs habitués à l’histoire d’autres périodes, où elles ont été depuis plusieurs décennies balisées par des travaux nombreux et de grande qualité16 : c’est singulièrement le cas dans l’étude de la période moderne, où l’histoire maritime s’est taillé une vraie place dans le champ académique, avec des revues, des réseaux de chercheurs, des publications nombreuses dans tous les pays d’Europe17. Or le haut Moyen Âge a longtemps été, en la matière, beaucoup moins bien loti : il n’existe pas à proprement parler, dans le champ actuel de la recherche historique, d’« histoire maritime » des premiers siècles médiévaux18. Pour beaucoup d’historiens, la période serait même celle de « la mer oubliée19 ». Ce défaut tient d’abord à la nature de la documentation. Nous ne disposons pas, pour étudier les communautés maritimes et insulaires du haut Moyen Âge, de la richesse des sources des périodes ultérieures. Ainsi il n’existe pas, pour les viexie siècles, de rôles d’équipages, de listes d’inscription maritime, d’inventaires après décès de veuves de marins, ou encore de journaux de bord qui sont le pain quotidien des « maritimistes »20. Au contraire, assez peu de documents écrits permettent au haut médiéviste de décrire avec précision les populations littorales, leur organisation, leurs dévotions, leurs usages collectifs, bref tout ce qui dans le quotidien de leur existence leur permettait effectivement de « faire communauté ». Les milieux littoraux seraient-ils moins bien documentés que les autres à cette époque, et les communautés du bord de l’eau auraient-elles été moins à même de produire une documentation écrite ? Il me semble que, si les communautés côtières ont pu être plus indépendantes que leurs homologues terriennes, cette relative autonomie

16 La meilleure synthèse reste sans doute celle de M. Mollat du Jourdin, L’Europe et la mer, Paris, 1993. Mentionnons aussi, plus récemment, les quatre volumes de la collection dirigée par C. Buchet, The Sea in History / La mer dans l’histoire : voir en particulier M. Balard (dir.), The Sea in History. The Medieval World / La mer dans l’histoire. Le Moyen Âge, Woodbridge, 2017. 17 Voir, parmi une bibliographie très abondante, A. Cabantous, Les citoyens du large. Les identités maritimes en France (xviie-xixe siècle), Paris, 1995. Il est révélateur qu’en France, la question des rapports entre « les Européens et la mer au xviiie siècle » ait été proposée aux concours de l’agrégation et du Capes dès le milieu des années 1990. 18 L’ouvrage collectif issu des réflexions de l’association de jeunes chercheurs médiévistes Questes, Le Bathyscaphe d’Alexandre. L’homme et la mer au Moyen Âge, Paris, 2018, bien plus étoffé pour les xiiexve siècles que pour le haut Moyen Âge, en dépit de sa volonté de couvrir l’ensemble de la période médiévale, témoigne encore de ce net déséquilibre. 19 L’expression est de J.-C. Cassard, Les Bretons et la mer au Moyen Âge, des origines au milieu du xive siècle, Rennes, 1998, p. 126-128. 20 Je mentionnerai seulement le programme actuellement conduit à l’Université du Littoral Côte d’Opale (HLLI, EA 4030, équipe CRHAEL) sur les journaux de bord, dont le premier volume est paru : C. Borde et É. Roulet (dir.), Les journaux de bord, xive-xxie siècle, Aix-la-Chapelle, 2015.

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s’accompagnait souvent d’une forme de marginalité. Les grands centres de culture, les écoles et les scriptoria monastiques et épiscopaux qui ont produit les textes qui nous sont parvenus, étaient rarement situés directement sur le littoral, et ils ont sans doute moins été amenés à parler aux gens, ou des gens, du rivage (il y a bien sûr des exceptions – pensons au Mont-Saint-Michel). Les aristocrates francs en particulier, qui dominent une grande partie de la période et des sources, n’étaient pas des marins – et l’on pourrait en dire autant des aristocraties lombarde, irlandaise, anglo-saxonne ou asturienne. En effet, la plupart des clercs et des grands laïcs s’intéressaient plus au rendement agricole des terres céréalières qu’aux potentialités de l’espace côtier. Peut-être même contrôlaient-ils moins étroitement les communautés locales des régions côtières que celles des plaines de la Beauce ou du Pô ? Les communautés littorales, plus émancipées, souvent plus armées et plus riches que d’autres21, seraient donc pour toutes ces raisons moins présentes dans les textes, donnant naissance à ces « zones grises » dont parle Lucie Malbos22. Ainsi les polyptyques carolingiens, qui aux yeux des hauts médiévistes symbolisent de manière emblématique le contrôle des élites sur des communautés paysannes, sont en général l’œuvre de communautés terriennes (ici encore, il y a des exceptions : Saint-Victor de Marseille ou Saint-Bertin en Flandre) et, sans les négliger entièrement (pensons à nouveau à l’importance des salines), ils recensent beaucoup moins de biens et de groupes humains sur le littoral. Il est évident que d’autres groupes, y compris au sein des élites, ont été des marins et des familiers de la mer : les vikings et leurs chefs, pour ne citer qu’eux, en sont un exemple éclatant. Mais ces groupes, bien souvent, n’étaient pas eux-mêmes plongés dans la culture de l’écrit, et leur voix nous parvient plus difficilement que celle des évêques, des moines et des grands laïcs francs, ouest-saxons ou lombards. Pour les terriens qu’étaient alors les élites productrices de textes écrits, la mer, l’île, la côte, restaient en réalité des espaces regardés avec une certaine méfiance. C’est peut-être en partie pour cette raison que, quand le littoral est évoqué par les sources, il est régulièrement décrit en termes stéréotypés comme peu anthropisé, sauvage, désert. D’ailleurs, ce sont précisément des lieux communs de ce genre qui ont pu attirer des communautés monastiques en recherche d’isolement vers de toutes petites îles ou presqu’îles du littoral maritime – Lérins au large de la Provence, Noirmoutier en Poitou, Iona dans l’ouest de l’Écosse, Lindisfarne sur la côte de la Bernicie – et vers des îles fluviales ou lacustres de taille encore plus réduite – l’Île-Barbe sur la Saône, la Reichenau sur le lac de Constance23. Dans de tels cas, le discours du désert et de la marginalité a, tout autant que l’environnement, construit l’identité de la communauté24. Ajoutons que les aléas de l’histoire ont prélevé leur tribut. Ainsi les archives de la ville de Boulogne-sur-Mer ont brûlé lors du siège mené par les armées d’Henri VIII 21 C. Loveluck, Northwest Europe in the Early Middle Ages, c. ad 600-1150. A Comparative Archaeology, Cambridge, 2013, p. 98-99, 108-182 et 310-314. 22 L. Malbos, Les ports des mers nordiques à l’époque viking (viie-xe siècle), Turnhout, 2017, p. 270-271. 23 S. Lebecq, « L’insularité monastique dans l’Europe du Nord-Ouest (vie-xiie siècle) », dans Hortus Artium Medievalium, 19, 2013, p. 9-19. 24 De manière plus large, on peut renvoyer aux réflexions réunies dans G. Tallet et T. Sauzeau (dir.), Mer et désert de l’Antiquité à nos jours : approches croisées, Rennes, 2018.

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en 1542 : aujourd’hui, le plus ancien document conservé aux Archives municipales date de 1550. Combien d’autres communautés littorales ont connu le même sort, en particulier dans les régions nordiques et atlantiques ? En effet, la documentation écrite apparaît beaucoup moins lacunaire sur le flanc méditerranéen de l’Occident médiéval, et les médiévistes habitués aux mondes du Nord ne manquent jamais d’être impressionnés par la richesse documentaire des bords de l’Adriatique. Et pourtant, même du côté septentrional de l’Europe, il apparaît que certaines agglomérations littorales, en particulier les principales villes portuaires, sont parmi les premières à nous permettre (certes tardivement, en tout cas après l’an 1000) d’observer des communautés organisées et hiérarchisées interagissant, par un mélange de compétition et de coopération, avec les pouvoir politiques : ainsi des communautés portuaires de Gand, Londres, York ou Rouen récemment analysées sous cet angle par Christopher Loveluck25. Mais une telle étude n’est rendue possible que par l’articulation des sources écrites et archéologiques. C’est en effet l’archéologie qui, à Venise comme dans l’île suédoise de Birka, fournit désormais une grande partie des données qui permettent aux historiens de toutes obédiences d’aborder de manière plus approfondie la question des communautés maritimes. Près de la moitié des contributions de ce livre se fondent en priorité sur cette documentation dont la richesse va croissant, ou la font dialoguer avec les rares sources écrites. Les littoraux sont peut-être moins propices à la production de sources écrites, mais le milieu aquatique s’avère en revanche extrêmement riche en termes archéologiques. Grâce à une médiatisation assez importante, le grand public connaît de mieux en mieux la richesse des découvertes de l’archéologie subaquatique, mais il faut insister sur le fait que les milieux humides en général sont favorables à la bonne conservation des restes matériels du passé, et en particulier de certains restes organiques. On pense bien entendu à la communauté rurale et lacustre des soi-disant « chevaliers-paysans de l’an mil » dont l’habitat a été fouillé dès les années 1970 sur les bords du lac de Paladru, à Charavines dans l’Isère26. De nombreux autres groupes humains ayant vécu sur les rivages des mers, des lacs, des lagunes, des marais et des fleuves nous sont désormais connus par la fouille et l’analyse des restes mis au jour.

Partager les bateaux, partager les idées L’exemple du bateau et de la construction navale, développé par Christer Westerdahl lors du colloque de Boulogne, illustre bien la manière dont nous avons souhaité étudier les communautés, leurs pratiques et leur organisation, leurs langages et leurs interactions, et bien sûr leurs rapports avec l’élément aquatique qu’elles côtoient en

25 C. Loveluck, « Competition and Urban Worlds, c. ad 1050-1150. Archaeological and Textual Case Studies from Northwestern Europe », dans R. Le Jan, G. Bührer-Thierry et S. Gasparri (dir.), Coopétition. Rivaliser, coopérer dans les sociétés du haut Moyen Âge (500-1100), Turnhout, 2018, p. 295-319 (p. 299-307). 26 M. Collardelle et É. Verdel, Chevaliers-paysans de l’an Mil au lac de Paladru, Paris, 1993.

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permanence27. Les cultures nautiques constituent en effet un champ d’investigation original et potentiellement privilégié pour saisir l’existence et le fonctionnement de communautés marquées par l’expérience de la mer et du littoral. L’étude totale d’un moyen de transport comme le bateau suppose en effet une approche globalisante, qui tienne compte de nombreux aspects28 ; elle permet en retour d’aborder des thématiques très variées, bien au-delà de l’histoire des techniques. Le bateau est une création des communautés du bord de l’eau, qui le chargent de tout un poids culturel et de significations qu’aucun outil ne possède à un tel degré dans les cultures terriennes. Tous les habitants des littoraux ont en effet en partage, souvent depuis le plus jeune âge, la pratique du maniement personnel des bateaux et l’expérience de tout ce que l’on rencontre en naviguant : les marées et les courants, la glace qui bloque les ports en hiver, les bonnes et mauvaises prises à la pêche, les tempêtes, les voies d’eau, le naufrage et le bris du navire, le fait de secourir ou d’être secouru en mer ou sur le rivage, la récupération des pièces d’un bateau mis au rebut pour en construire de nouveaux ou pour l’incorporer aux habitations. Faire partie d’une communauté littorale, c’est aussi une pratique singulière des espaces entre terres et eaux : ainsi l’on apprend très tôt à déterminer sa position par la connaissance des amers, du vol des oiseaux, des hauts fonds et des chenaux, des secteurs où le poisson abonde, de tous les signes qui indiquent un changement de temps. Pour les membres d’une telle communauté, le navire est sans nul doute l’outil le plus important en termes matériels autant qu’immatériels, comme en témoigne sa place privilégiée dans la symbolique et l’iconographie. Des anthropologues ont montré que les communautés maritimes ont tendance à faire référence aux types de navires et à leurs caractéristiques dans de nombreux contextes : pour exprimer ou illustrer la structure de la société, ses valeurs, sa conception du monde29. Ainsi dans un voilier, le mât et son emplanture sont fortement chargés de significations symboliques : c’est là, au centre du navire, « véritable microcosme flottant30 », que l’équipage se rassemble pour discuter ou pour procéder aux punitions. Et comment, chez les navigateurs et plus largement au sein de leurs communautés, ces deux éléments du navire auraient-ils pu ne pas connoter et exprimer les rapports de genre ? De même, sur les bateaux mus principalement à la rame, les bancs de nage peuvent exprimer des sentiments de solidarité entre les hommes, une camaraderie virile que rien ne devrait venir entamer. Enfin, la proue et la poupe jouent toujours un rôle essentiel à travers

27 La section qui suit est en grande partie adaptée d’un texte intitulé « Sharing Boats, Sharing Thoughts », que Christer Westerdahl nous a envoyé à l’issue du colloque de Boulogne. 28 C. Westerdahl, « Fish and Ships. Towards a Theory of Maritime Culture », dans Deutsches Schiffahrtsarchiv, 30, 2008 pour 2007, p. 191-236. 29 P.-Y. Manguin, « Shipshape Societies : Boat Symbolism and Political System in Insular Southeast Asia », dans D. G. Marr (dir.), Southeast Asia in the 9th to 14th Centuries, Canberra, 1986, p. 187-213, montre qu’en Insulinde aux époques historiques, le navire est volontiers présenté comme un microcosme de la société. G. Larsson, Ship and Society. Maritime Ideology in Late Iron Age Sweden, Uppsala, 2007, identifie une idéologie maritime comparable dans la Suède centrale de l’Âge du Fer. 30 Questes, Le Bathyscaphe d’Alexandre…, op. cit., p. 78.

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des pratiques d’ostentation, comme le montre l’usage de figures sculptées qui – par exemple dans les sociétés nordiques du haut Moyen Âge – peuvent exprimer des contrastes structurels porteurs de fortes significations dans les cultures maritimes : noir et blanc, mort et vie, mer et terre31. Cette tendance qui confère au bateau une forte charge symbolique s’observe dans de nombreux domaines. Adriaan H. J. Prins a identifié, à partir de l’observation des cultures nautiques de l’Afrique orientale islamique, un grand nombre de marqueurs qui, pris ensemble et parfois même quantifiés, ont pu lui servir à évaluer le degré de « maritimité » d’une culture tout entière, mais aussi des communautés distinctes qui la constituent. Parmi les traits qu’il met en avant, on citera l’utilisation par les enfants de jouets en forme de bateau ; la pratique consistant à fabriquer des maquettes ou modèles réduits de bateaux pendant les temps de loisir ; l’intégration des bateaux dans des rituels variés dont les finalités ne sont pas essentiellement maritimes ; l’importance des mythes impliquant les bateaux ; le fait de passer une grande partie du temps libre face à la mer, à attendre le retour des bateaux ou à observer leur départ, les opérations d’embarquement et de débarquement32. Le même auteur mentionne aussi l’usage plus ou moins fréquent de proverbes faisant référence aux bateaux et au monde de la mer, ce qui suggère que les communautés du bord de l’eau ont aussi tendance à user d’un langage qui inclut de nombreuses métaphores et autres figures se référant aux bateaux : ce langage, comme tous les autres traits mentionnés ci-dessus, est tout aussi habituellement employé par les membres de la communauté dont l’activité principale n’est pas la navigation. Aussi les observateurs extérieurs s’attendent-ils généralement à ce que tous les membres d’une communauté connue pour être maritime, y compris ceux qui n’exercent pas le métier de marin, fasse preuve d’un comportement qui les identifie comme tels33. C’est pourquoi les épaves et fragments d’épaves fournissent aussi des informations précieuses sur les réalités cognitives et symboliques des communautés maritimes aux époques préhistoriques et historiques. On peut par exemple tenter d’identifier et de comprendre les géographies dans lesquelles ces communautés s’inscrivaient ; la diffusion des types de navires peut refléter les réseaux auxquels elles étaient reliées, au sein de ce que Christer Westerdahl appelle des « zones traditionnelles de transport » (traditional transport zones34). Celles-ci témoignent de leur adaptation aux réalités naturelles autant que culturelles. En effet, si elles correspondent d’abord à des routes maritimes et à des couloirs de circulation reliant un point à un autre, leur fréquentation ne pouvait qu’entraîner des interactions plus poussées. Surtout, elles comprennent en règle générale des « enclaves maritimes » dont les occupants

31 C. Westerdahl, « Fish and Ships… », op. cit. 32 A. H. J. Prins, Sailing from Lamu. A Study of Maritime Culture in Islamic East Africa, Assen, 1965. 33 Voir sur ce point ce que A. E. Christensen, « Boat Finds from Bryggen », dans The Bryggen Papers Main Series, Bergen, 1984, p. 47-280 (p. 243 sq.), écrit à propos de la perception des hommes du Nord en Méditerranée au Moyen Âge central. 34 C. Westerdahl, « Traditional Zones of Transport Geography in Relation to Ship Types », dans O. Olsen, J. Skamby Madsen, F. Rieck (dir.), Shipshape. Essays for Ole Crumlin-Pedersen, Roskilde, 1995, t. I, p. 213-230.

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Fig. 1. Zones traditionnelles de la géographie des transports dans l’Europe de l’Âge du Fer (© C. Westerdahl).

dépendent en majorité d’activités liées à la mer : pêche, commerce, construction navale, se trouvent donc dispersées tout au long de ces routes, et dessinent les premiers linéaments d’identités maritimes partagées. Les échanges dans le domaine des techniques et de l’artisanat, que l’archéologie documente plutôt bien, laissent entrevoir bien des interactions dans le domaine des idées. Puisqu’elles faisaient toutes usage de bateaux, les communautés maritimes européennes étudiées dans ce livre pourraient être localisées au sein des vingt-cinq ou trente « zones traditionnelles de la géographie des transports » identifiées par Christer Westerdahl (fig. 1) – même si, bien entendu, celles-ci ne sont pas superposables aux communautés elles-mêmes. Sans qu’elles puissent permettre à elles seules d’identifier les communautés maritimes, les traditions de construction navale peuvent donc illustrer leurs interactions – et donc certains aspects de leur construction en regard les unes des autres. Dans les communautés maritimes de l’Adriatique comme Venise, Comacchio ou les ports de l’Istrie et de la Dalmatie, les fouilles mettent régulièrement au jour, dans des niveaux de l’époque romaine, les restes de bateaux cousus ou ligaturés (habituellement appelés

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naues sutiles35) : cette technique, qui semble résulter d’une adaptation particulière aux eaux protégées du delta du Pô, avec ses hauts fonds sableux, témoignerait donc de traditions nautiques extrêmement localisées et d’interactions étroites entre des communautés locales ayant un même milieu en partage. En revanche, il existe en certains points du littoral de la Galice une tradition de construction de navires bordés à clin. Si, dans cette région, la plupart des bateaux sont aujourd’hui construits à francbord comme partout ailleurs en Europe (par exemple, selon la technique dite des lanchas y dornas), la construction à clin est toujours attestée, la plupart des parallèles se trouvant beaucoup plus au nord, de la Bretagne à la Scandinavie36. Si l’influence de prototypes nordiques, voire « vikings », reste du domaine de la spéculation, l’exemple galicien témoigne de la circulation de techniques et d’innovations – et donc d’idées – entre des groupes humains séparés à la fois par de très longues distances et par de véritables frontières culturelles et ethniques. C’est donc bien au niveau microsocial, celui des communautés plutôt que des cultures ou des sociétés, que de tels échanges peuvent être postulés. Un dernier exemple montrera comment l’étude des traditions navales peut nous éclairer sur la nature des communautés littorales. L’apparition de la voile dans l’espace baltique et scandinave est généralement datée des environs de 75037. Il est évidemment possible que cette innovation soit liée d’une manière ou d’une autre à l’essor des emporia, mais il est alors étonnant que les premiers emporia du Nord apparaissent dès les environs de 700, peu avant pour Ribe dans le Jutland, quelques décennies plus tard pour les autres : ceux-ci n’auraient-il accueilli que des bateaux mus à la rame ? Pour répondre à cette question, Christer Westerdahl estime qu’il faut d’abord prendre en compte la différence des deux modes de propulsion en termes de saisonnalité. Il est en effet plus facile de ramer hiver comme été vers un marché que de faire voile par tout type de temps. Après une première phase marquée par la présence presque exclusive de bateaux à rames dans les emporia de la mer Baltique et de la Scandinavie, il se pourrait donc que le développement de la navigation à voile ait rendu plus nécessaire la pratique de l’hivernage sur place ; cette évolution aurait entraîné l’installation des familles des marins, de leurs femmes et de leurs enfants, dont témoignent par exemple les cimetières attenants. Par ailleurs, le fait que le nouveau mode de propulsion se soit développé aussi tardivement pourrait tenir à des empêchements d’ordre social, tactique ou sociétal. Un équipage de rameurs peut être lui-même caractérisé comme une communauté en action, ce qui est probablement moins le cas sur un voilier. Ajoutons que l’on hissera une voile sur un mât si l’on veut être vu de loin, par exemple pour entrer « légalement » dans des eaux appropriées par une communauté donnée ; pour accoster sans se faire repérer derrière un cordon 35 S. Marlier, « Les bateaux cousus et les assemblages par ligatures dans la construction navale antique méditerranéenne : une question de terminologie », dans Empúres, 55, 2007, p. 9-25. 36 O. L. Filgueiras, « The Traditional Portuguese Boats in the Context of the Settlement Process : A General Survey », dans Id. (dir.), Local Boats : Fourth International Symposium on Boat and Ship Archaeology, Porto, 1985, Oxford (BAR International Series, 438), 1988, t. I, p. 375-414. 37 C. Westerdahl, « Society and Sail », dans O. Crumlin-Pedersen et B. Munch Thye (dir.), The Ship as Symbol in Prehistoric and Medieval Scandinavia, Copenhague, 1995, p. 41-50.

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de dunes et sa végétation, il vaut mieux approcher à la rame. Dans un même espace géographique, les deux types de bateaux ne laissent donc pas entrevoir le même type de communautés, à bord comme sur le rivage.

À la croisée des sources Le dernier chapitre de ce livre, rédigé par Pierre Bauduin, est tiré des conclusions qu’il avait généreusement accepté de donner à l’occasion du colloque. Il montre bien que l’ouvrage, comme le colloque dont il est issu, a eu pour objet de faire dialoguer sources écrites et données archéologiques à la lumière des sciences sociales, afin de poursuivre la réflexion actuellement en cours sur un sujet qui, en particulier en France, n’est pas aussi évident que pourrait le penser, par exemple, un spécialiste du xviiie siècle. En faisant cohabiter au sein d’un même volume des dossiers atlantiques, nordiques et méditerranéens, nous espérons avoir proposé un tour d’horizon relativement équilibré des sociétés littorales de l’Europe occidentale au début du Moyen Âge. En partant de la question de la communauté, ce livre permet en outre aux historiens des textes, y compris ceux des régions atlantiques, de revenir à ces sujets, que seuls quelques-uns avaient abordés au cours des décennies 1980 et 1990, avant les considérables développements archéologiques des vingt dernières années. La plupart des publications qui, dans les deux dernières décennies, se sont intéressées aux sociétés maritimes, littorales et insulaires au premier Moyen Âge, ont en effet été pilotées par des archéologues et/ou ont pris la forme de volumes collectifs où domine l’archéologie38. En dehors de contributions importantes et relativement nombreuses autour de la construction navale et, plus largement, des cultures nautiques39, les monographies sont rares – signe que le champ est encore en construction. En effet, dans les publications principalement archéologiques qui ont marqué la dernière 38 On citera entre autres, au cours des dix dernières années : B. Béthouart, S. Lebecq et L. Verslype (dir.), Quentovic. Environnement, Archéologie, Histoire, Villeneuve-d’Ascq, 2010 (qui comprend de précieuses contributions sur plusieurs autres emporia) ; S. Gelichi et R. Hodges (dir.), From One Sea to Another. Trading Places in the European and Mediterranean Early Middle Ages. Da un mare all’altro. Luoghi di scambio nell’Alto Medioevo europeo e mediterraneo, Turnhout (Seminari del Centro Interuniversitario per la Storia e l’Archeologia dell’Alto Medioevo, 3), 2012 ; A. Gautier et S. Rossignol (dir.), De la mer du Nord à la mer Baltique. Identités, contacts et communications au Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 2012 ; J. H. Barrett et S. J. Gibbon (dir.), Maritime Societies of the Viking and Medieval World, Londres, 2015 ; J. H. Barrett et D. C. Orton (dir.), Cod and Herring. The Archaeology and History of Medieval Sea Fishing, Oxford, 2016 ; L. Verslype et I. Leroy (dir.), Les cultures des littoraux au haut Moyen Âge. Cadres et modes de vie dans l’espace maritime Manche-mer du Nord du iiie au xe siècle, Villeneuve-d’Ascq (Revue du Nord, hors-série no 24), 2016 ; voir aussi Hortus Artium Medievalium, 19, 2013, numéro intitulé Le monachisme insulaire du ive à la fin du xie siècle. 39 En dehors des titres cités plus haut, on mentionnera O. Crumlin-Pedersen, Archaeology and the Sea in Scandinavia and Britain. A Personal Account, Roskilde (Maritime Culture of the North, 3), 2010 ; É. Ridel, Les navires de la conquête. Construction navale et navigation en Normandie à l’époque de Guillaume le Conquérant, Cully, 2010 ; J. Adams, A Maritime Archaeology of Ships. Innovation and Social Change in Medieval and Early Modern Europe, Oxford, 2013 ; É. Rieth, Navires et construction navale au Moyen Âge. Archéologie nautique de la Baltique à la Méditerranée, Paris, 2016.

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décennie, le travail sur la culture matérielle ou sur l’histoire du paysage n’a pas toujours été accompagné d’une réflexion sur les formes elles-mêmes des sociétés littorales : ici encore, il y a bien sûr des exceptions40. À travers l’étude du phénomène et des pratiques des communautés du bord de l’eau, s’opère de la sorte une manière de rééquilibrage vers les données textuelles, qui permet de poursuivre le dialogue fécond entre spécialistes de nos disciplines. Une dernière spécificité de ce livre est de réunir des contributions qui portent sur des communautés de natures très diverses, et en particulier de faire se rencontrer des propos sur les communautés religieuses et sur les autres communautés (d’habitants, de marchands, de pêcheurs, etc.), plus volontiers étudiées ensemble. Quand le médiéviste entend les mots « communautés maritimes et insulaires », il pense aux unes ou aux autres, mais rarement aux deux en même temps. Or il n’est pas sans intérêt de rapprocher ces groupes, de les étudier ensemble et de tenir compte dans les mêmes pages des expériences, des imaginaires, des techniques et des habitudes qu’ils avaient en partage. C’est donc délibérément que Lucie Malbos et moi-même avons décidé de convoquer dans les mêmes pages Noirmoutier et Hedeby, l’Île-Barbe et Venise. Car après tout, dans un type de lieu comme dans l’autre, des humains rassemblés tentaient de « faire communauté » au voisinage et parfois à l’épreuve des flots : comment n’y aurait-il pas des échos, peut-être insoupçonnés, entre les unes et les autres ? C’est là le sujet de ce livre.

40 Je citerai en premier lieu C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., en particulier les ch. 9 et 13. Voir aussi C. Downham, « Coastal Communities and Diaspora Identities in Viking Age Ireland », dans J. H. Barrett et S. J. Gibbon (dir.), Maritime Societies…, op. cit., p. 369-383.

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Stéphane Lebecq

En milieu littoral, sur l’eau et outre-mer Regards sur les communautés et solidarités maritimes dans le bassin des mers du Nord du viie au xie siècle

À deux reprises dans sa correspondance, saint Boniface parle des « dangers » de ce qu’il appelle la « mer Germanique » : une première fois dans une lettre écrite en 735 à l’évêque Pethelm de Whithorn (dans l’actuelle Écosse), où il évoque les périls que le Germanicum mare « fait courir aux navigateurs » ; et une seconde fois dans une lettre écrite la même année à l’abbé anglo-saxon Duddo, auquel il demande de bien vouloir soutenir par ses prières le vieil homme qu’il est devenu, « fatigué par les tempêtes de la mer Germanique qui l’assaillent de toutes parts1 ». Ce qui est intéressant dans cette double occurrence, c’est qu’après les deux voyages qu’il fit entre l’Ouest britannique et le continent entre 716 et 718, Boniface n’est plus jamais retourné en Angleterre, et que donc, quand il écrit en 735, il n’a plus été confronté aux périls de la mer depuis une petite vingtaine d’années, que cette mer fût « gauloise » ou « britannique », à savoir la Manche, ou qu’elle fût « germanique », à savoir la mer du Nord. Car le propos de Boniface est métaphorique : les périls de la « mer Germanique » sont en fait ceux auxquels le saint homme a été confronté à l’occasion de ses missions répétées en Germanie – la seule traversée qu’il dut tant de fois effectuer à partir de ses éventuelles bases gauloises étant désormais celle du Rhin ! C’est qu’avec la métaphore des « périls de la mer », on est dans le topos le plus éculé, la mer étant perçue comme l’archétype de l’élément porteur de danger par excellence, que ce danger fût d’origine naturelle (les tempêtes) ou humaine (les pirates) – un élément auquel, l’union faisant la force, ceux qui lui ont été confrontés ont cherché des réponses le plus souvent collectives, que ce fût en milieu littoral, sur mer ou outre-mer. Parlera-t-on pour autant de « communautés maritimes » dans les premiers siècles du Moyen Âge ? C’est à vérifier.

1 Briefe des Bonifatius. Willibalds Leben des Bonifatius, no 32 et 34, éd. R. Rau, Darmstadt, 1968 (Ausgewählte Quellen zur Deutschen Geschichte des Mittelalters, IV/B), p. 106 : quia Germanicum mare periculosum est navigantibus ; et p. 112 : senex Germanici maris tempestatibus undique quassantibus fatigatus. Stéphane Lebecq • Université de Lille. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 23–35 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118547

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En milieu littoral Les dangers en milieu littoral, notamment dans la plaine maritime nord-européenne qui s’étendait de la Flandre au Holstein en passant par la Frise, étaient surtout représentés par les inondations consécutives au débordement des basses rivières, et surtout aux raz-de-marée qui pouvaient se faire dévastateurs. Ainsi le 26 décembre 838, quand, suivant les Annales de Saint-Bertin : le 7e jour des calendes de janvier, jour de la passion du saint martyr Stéphane, la Frise presque entière fut touchée, contre l’usage des marées, par une inondation telle que le pays fut comme nivelé par d’énormes quantités de sable provoquant la mort d’une quantité innombrable d’hommes et d’animaux2. Les Annales Xantenses précisent qu’à cette occasion, nombre de villae et de vici ont été détruits3. C’est qu’il se trouvait des agglomérations villageoises dans la plaine submersible ! La Vita prima Liudgeri écrite par son parent Altfrid nous donne une idée de ce qu’étaient ces vici ou villae quelques dizaines d’années plus tôt, quand l’hagiographe évoque le parcours missionnaire de saint Liudger, qui, dans les années 770-780, allait de village en village pour prêcher la bonne parole dans sa Frise natale – de Helewirt (Helwerd) à Werfhem (Warffum), et de là à Wiscwirt (Usquert), dont on apercevait au loin l’oratorium qui dominait l’habitat4… Comment ne pas citer à ce propos la Vita Bonifatii écrite par Willibald, qui raconte comment le consilium plebis (j’y reviendrai) décida d’élever sur le lieu même du martyre de Boniface à Dokkum en 754 une butte (que l’auteur appelle tantôt tumulus tantôt colliculum), « protégée des marées qui font alterner le flux de la mer et le reflux de l’océan », pour qu’y fussent élevées une église et une maison pour les serviteurs de Dieu5. Ce que l’hagiographe hésite à définir entre « tertre » et « petite colline » est ce que les archéologues conviennent d’appeler un terp, à savoir une levée de terrain artificielle destinée à protéger l’habitat, les hommes, leur bétail et leurs biens, contre les assauts des plus hautes marées – et cela dans l’immensité d’une plaine littorale que nulle digue n’est venue protéger avant l’an mil, et qui consistait pour l’essentiel, en-deçà des boues de l’estran et parfois jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres, en une espèce de pré-salé inondable. Mais le mot terp, qui signifie tout village en ancien frison (cf. le néerlandais dorp ou l’allemand Dorf) n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Le mot par lequel les anciens Saxons ou Frisons désignaient ces villages sur buttes étaient en fait les mots wierde, werd, wert, wurt, ward… qu’on retrouve dans de nombreux toponymes, à commencer par ceux qu’on a vus cités dans 2 Annales de Saint-Bertin, s. a. 839, éd. F. Grat, J. Vieillard, S. Clemencet, Paris, 1964, p. 28 [sauf mention contraire, les traductions sont celles de l’auteur]. 3 Annales Xantenses, s. a. 839, éd. R. Rau, dans Quellen zur Karolingiechen Reichsgeschichte (Ausgewählte Quellen zur Deutschen Geschichte des Mittelalters, VI), Berlin, 1960, p. 342. 4 Altfrid, Vita prima Liudgeri, I, 25, éd. W. Diekamp, dans Die Vitae sancti Liudgeri, Münster, 1881, p. 30-31. 5 Willibald, Vita prima Bonifatii, 9, dans Briefe…, op. cit., p. 522-524.

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la Vita Liudgeri (Helewirt = Helwerd ou Wiscwirt = Usquert), ou encore comme le site emblématique de Feddersen Wierde, près de Bremerhaven dans la Basse-Saxe allemande, où a été réalisée la fouille exemplaire de Werner Haarnagel au début des années 19606. Mais, parlant de villages, fussent-ils élevés sur des buttes artificielles, parle-t-on pour autant de « communautés villageoises » ? Les textes des premiers siècles médiévaux sont très peu loquaces sur les cadres juridiques de la vie des villageois. Certes, on a vu la Vita Bonifatii évoquer la décision d’un consilium plebis à l’origine de l’élévation d’un terp à finalité cultuelle7, mais on sait que le mot plebs est polysémique (de « [petit] peuple » en général à « paroisse » en particulier) : il désigne sûrement ici la communauté des fidèles convertis de la région de Dokkum qui ont souhaité élever une église mémoriale en l’honneur de celui qui les a initiés à la foi du Christ. Plus que les textes, donc, c’est le plan même de la plupart de ces villages qui suggère qu’il y a une initiative collective derrière leur élévation et leur organisation parcellaire, ainsi qu’on le voit d’abord grâce à la photographie aérienne, où les terpen apparaissent comme des habitats fossiles dans un environnement qui a été complètement bouleversé par l’endiguement et la poldérisation, ensuite grâce aux plans cadastraux, comme on en a gardé de nombreux des environs de 1830, enfin grâce à la fouille. Cette dernière a révélé que, si les tout premiers habitats avaient été élevés à même le sol naturel (les archéologues allemands parlent alors de Flachsiedlungen) et que les premiers surhaussements avaient le plus souvent été liés à des initiatives individuelles, il est toujours arrivé un moment (à une époque que, bien au-delà du limes romain, on qualifie volontiers de « romaine » par référence au mobilier découvert) où le traumatisme des marées les plus destructrices a amené la décision collégiale de regrouper les forces en élevant des buttes de forme arrondie loties de façon radiale à partir de leur sommet8. Encore ce sommet est-il resté longtemps indivis, par exemple occupé par un réservoir d’eau douce, qui serait, le moment venu de la christianisation (des viie et viiie siècles en Frise jusqu’aux xe et xie siècles en Basse-Saxe), occupé par l’église et son cimetière. On a désormais une organisation idéalement concentrique de l’espace, qui part du sommet du terp et se prolonge jusqu’à sa base même, où on constate un début d’appropriation du pré-salé dans le prolongement immédiat des lots d’exploitation individuels situés sur les flancs de la butte, tandis qu’au-delà, la

6 Je me contente de renvoyer à S. Lebecq, « De la protohistoire au haut Moyen Âge, le paysage des terpen le long des côtes de la mer du Nord, spécialement dans l’ancienne Frise », dans Revue du Nord, 62 : Le paysage rural. Réalités et représentations, 1980, p. 125-154 ; et Id., « Entre terre et mer : la mise en valeur des contrées littorales de l’ancienne Frise », dans Environnement, économie et société, 16/3 : É. Crouzet-Pavan (dir.), Environnement et développement économique, 1997, p. 361-376. On trouvera dans ces deux articles toutes les références aux travaux des archéologues J. W. Boersma, W. Haarnagel, H. Halbertsma, W. A. Van Es, A. E. Van Giffen. La bibliographie allemande reste dominée par G. Kossack, K. E. Behre et P. Schmid (dir.), Archäologische und naturwissenschaftliche Untersuchungen an ländlichen und frühstadtlichen Siedlungen im deutschen Küstengebiet vom 5. Jahrhunderts v. Chr. bis zum 11. Jahrhunderts nach Chr., vol. 1 : Ländiche Siedlungen, Weinheim, 1984. 7 Willibald, Vita prima Bonifatii, 9, éd. cit., p. 522-524. 8 Voir supra, n. 6.

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plaine maritime restait dans son immensité totalement indivise, livrée à l’exploitation extensive de communautés qui étaient pastorales plus qu’agricoles. Deux observations archéologiques paraissent révéler plus que d’autres la force solidaire des sociétés villageoises. D’une part, les épaisses couches de terre rapportée entre deux niveaux d’occupation, qui témoignent de l’entreprise collective de rehaussement du terp en réponse à une récente agression de la mer, comme il en a été relevé dans les années 1930 par A. E. Van Giffen dans ses fouilles du terp d’Ezinge (province néerlandaise de Groningen). Par ailleurs, le fait qu’en de nombreux endroits, le terp a été complètement abandonné, de façon tantôt temporaire, tantôt définitive (ainsi à Feddersen Wierde), dans le courant du ve siècle, c’est-à-dire à une époque où les communautés atteignaient leur apogée démographique, et sans qu’aucune trace de destruction ou d’un quelconque traumatisme ait été relevée. Sans doute y eut-il, en cette période réputée de grandes migrations, abandon concerté et collectif des habitats – peut-être précipité par la menace des eaux et tourné vers le rêve de l’Eldorado britannique9. S’il y eut donc, selon toute évidence, des entreprises collectives, la question reste de savoir si elles procédèrent de l’initiative des communautés à proprement parler ou de la contrainte imposée par une autorité supérieure : a-t-on affaire, en somme, à des petites républiques villageoises ou à des seigneuries, qu’elles fussent locales, micro- ou macro-régionales ? Tout le droit frison des siècles médio-médiévaux montre l’existence de communautés de paysans libres. D’ailleurs, si la fouille de Feddersen Wierde a révélé le développement, dans les siècles dits romains, d’une exploitation plus grande que les autres, où a été de surcroît découvert l’essentiel du matériel romain importé, il s’avère que ce développement est resté circonscrit à un des lots, et n’a pas eu d’incidence sur l’ensemble du dispositif parcellaire. Tout suggère que, s’il a pu y avoir un processus de différenciation sociale, ou socio-économique, inscrit dans la durée, peut-être accéléré par une ouverture sur l’extérieur liée à des activités marchandes, et susceptible au final de promouvoir des chefferies villageoises, il n’y a jamais eu mainmise seigneuriale sur l’ensemble du village et de ses habitants10. Il semble enfin qu’avant la christianisation, les communautés ont pu être réunies autour de célébrations communes – je pense en particulier aux cérémonies sacrificielles révélées par la Vie de Vulfran, un missionnaire franc formé à Fontenelle qui a participé à l’entreprise d’évangélisation de la Frise voulue par les Pippinides à la fin du viie siècle, restée associée au souvenir de Willibrord. Je pense avoir réhabilité cette Vita souvent décriée11, ou du moins certains de ses chapitres nourris par une longue tradition orale, qui évoquent par exemple la façon dont de jeunes enfants étaient livrés à la marée montante, dans ce qui paraît être un rituel d’exorcisme collectif destiné à conjurer la menace des eaux, suscitant l’indignation du saint 9 Sur cette question, voir par ex. S. Lebecq, Histoire des îles Britanniques, 2e éd., Paris, 2013, p. 48-52. 10 Voir W. Haarnagel et P. Schmid, « Siedlungen », dans G. Kossack et al. (dir.), Archäologische und naturwissenschaftliche Untersuchungen…, op. cit., p. 167-236. 11 S. Lebecq, « Vulfran, Willibrord et la mission de Frise : pour une relecture de la Vita Vulframni », dans M. Polfer (dir.), L’évangélisation des régions entre Meuse et Moselle et la fondation de l’abbaye d’Echternach, Luxembourg, 2000, p. 429-452.

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missionnaire12. Reste la question de savoir à quel échelon « communautaire » ces cérémonies étaient organisées. L’hagiographe met en cause le dux incredulus (« chef incroyant ») qui les présidait : était-ce le roi du peuple tout entier (peuple frison en l’occurrence), ou, plus vraisemblablement, un chef local ou un « ancien » investi de responsabilités liturgiques ? Le jour viendrait de toutes façons où, avec la christianisation et l’élévation des premières églises au sommet des terpen, les cérémonies propitiatoires du christianisme prendraient le relais des vieux rites sacrificiels, et où l’horizon communautaire le plus prégnant serait désormais celui de la paroisse – la plebs dont la Vita Bonifatii nous a donné un exemple précurseur –, dans laquelle le cimetière désormais circonscrit autour de l’église permettrait l’intégration des morts au cœur de la communauté des vivants, exemple topographiquement le mieux achevé du phénomène d’apprivoisement de la mort propre aux communautés médiévales, qui a été naguère mis en lumière par Philippe Ariès13.

Sur mer Quand, passant de la défensive à l’offensive, l’homme décide de se lancer sur la mer, que ce soit dans une entreprise de pêche, de commerce ou de tout autre propos, la nécessité du jeu collectif paraît s’imposer plus encore que sur terre. On le voit pour commencer dans certaines pratiques halieutiques, et surtout dans la chasse aux mammifères marins qui nécessitait de très gros moyens. Ainsi au chapitre 6 des Miracles de saint Vaast d’Arras, on voit les dépendants littoraux du monastère Saint-Vaast constitués en un consortium pour aller chasser la baleine (balenam), et essayer de convaincre d’autres marins de se joindre à leur contubernium – à leur « entreprise commune14 ». On appréciera le nuancier lexical de l’auteur qui fait une distinction entre la communauté de départ qu’on pourrait appeler en forçant un peu le trait institutionnelle (en latin classique consortium signifie « communauté, confraternité ») et la communauté occasionnelle ou de circonstance formée pour une opération (en latin classique contubernium signifie « camaraderie, association »). En l’occurrence, l’entreprise commune pouvait paraître d’autant plus indispensable que la technique de chasse consistait à encercler l’animal ciblé à l’aide de plusieurs embarcations – comme on le voit très bien décrit dans les Miracles de saint Bavon

12 S. Lebecq, « Paganisme et rites sacrificiels chez les Frisons des viie-viiie siècles », dans F. J. Felten, J. Jarnut et L. E. von Padberg (dir.), Bonifatius – Leben und Nachwirken. Die Gestaltung des christlichen Europa im Frühmittelalter, Mayence 2007, p. 111-120. 13 Faut-il rappeler les ouvrages pionniers de P. Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1975, et L’Homme devant la mort, Paris, 1977 ? 14 Miracula sancti Vedasti, ch. 6, éd. O. Holder-Egger, dans Supplementa tomorum I-XII, Hanovre, 1888 (M.G.H., Scriptores, 15/2), p. 400. Voir S. Lebecq, « Scènes de chasse aux mammifères marins (mers du Nord, vie-xiie siècles) », dans É. Mornet et F. Morenzoni (dir.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 241-254 (p. 249-250) ; rééd. dans Id., Hommes, mers et terres du Nord au début du Moyen Âge, Villeneuve d’Ascq, 2011, vol. 1, p. 239-252.

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ou dans ceux de saint Arnoul d’Oudenburg15. Une fois revenus au port, sans doute quelque part sur la côte du Pas-de-Calais, les piscantes de Saint-Vaast se partagèrent le produit de la pêche ex more (« suivant la coutume »), non sans s’être engagés à donner deux sous d’argent à leur saint patron. De nombreuses sources montrent que les navires marchands partaient eux aussi groupés, surtout quand il y avait menace de piraterie, au point parfois de s’attendre mutuellement au port. C’est le cas des deux Vitae (en fait Miracula) de saint Maximin de Trèves, où l’on voit le marchand Ibbo joindre son embarcation à un convoi de navires marchands en partance pour l’Angleterre16. Et c’est le cas de la Vita Anskarii de Rimbert, où l’on voit le missionnaire Ragenbert gagner le port de Sliaswich (Haithabu), où attendaient plusieurs navires en partance pour la Suède17. Bien que cela supposât tout un système de messagerie entre les navigateurs, il s’agissait de communautés de circonstance, ce que l’auteur des Miracles de saint Vaast aurait appelé des contubernia. Mais peut-on dire des équipages de navires marchands qu’ils formaient dès le départ des communautés – communautés de travail pour le moins18 ? On arrive à cerner l’existence de petites entreprises marchandes, dirigées par ce que j’appelle des « marchands-navigateurs » ou des « marchands au long cours », à la fois negotiator(es) et dominus(i) navis (ou skipari, skibari dans les sources norroises), autant dire capitaine(s). Quelques textes, et surtout des représentations empruntées à une imagerie plus militaire que marchande, montrent le capitaine à la manœuvre, installé à la poupe du navire, main sur la barre (toujours une rame de gouverne latérale), tirant à lui les écoutes, et distribuant les ordres – en tendant son bras libre ou en pointant le doigt pour mieux les signifier19. Sous son autorité, on trouve une poignée de matelots, souvent quatre à cinq dans les équipages marchands, communément appelés nautae, mais parfois aussi (comme dans la Vie de Vulfran ou les Miracles de

15 Miracula sancti Bavonis, III, 14, éd. O. Holder-Egger, dans Supplementa…, op. cit., p. 596 ; et Gloria posthuma sancti Arnulfi confessoris, ch. 124, dans AASS, Août, t. 3, p. 256. Voir S. Lebecq, « Scènes de chasse… », art. cit., p. 250-252. 16 Vita (en fait Miracula) sancti Maximini episcopi Trevirensis, ch. 14, dans AASS Boll., Mai, t. VII, p. 24 : negotiatores alii cum navibus illi conjuncti sunt ; autre version de l’œuvre par Loup de Ferrières, ch. 19, éd. B. Krusch, dans Passiones vitaeque sanctorum aevi Merovingici et antiquiorum aliquot, Hanovre, 1896 (MGH, SS rer. Merov., 3), p. 80-81 : ita classi sex navium sociatus mare ingressus est. Voir S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, Lille, 1983, vol. 2 : Corpus des sources écrites, p. 142-145. 17 Rimbert, Vita Anskarii, ch. 33, éd. W. Trillmich, dans Quellen des 9. und 11. Jahrhunderts zur Geschichte der Hamburgischen Kirche und des Reiches, Darmstadt, 1961 (Ausgewählte Quellen zur Deutschen Geschichte des Mittelalters, XI), p. 102 : ad portum memoratum Sliaswich, in quo naves cum negotiatoribus qui cum eo ituri erabt constabant. 18 Sur cette question, voir S. Lebecq, « Pour une histoire des équipages (mers du Nord, ve-xie siècles) », dans A. Lottin, J.-C. Hocquet et S. Lebecq (dir.), Les hommes et la mer dans l’Europe du Nord-Ouest de l’Antiquité à nos jours, Revue du Nord, hors-série no 1, 1986, p. 233-255 ; rééd. dans Id., Hommes, mers et terres…, op. cit., vol. 2, p. 251-272. 19 Qu’on se reporte aux pierres gravées de Gotland (comme celles de Smiss ou de Lärbro, toutes deux du viiie siècle), ou à certaines séquences de la Broderie de Bayeux, de la fin du xie siècle.

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saint Goar20) socii ou comites navis – deux locutions qui suggèrent l’existence d’une véritable communauté de travail, sinon de vie. Il est vrai que certaines sources qualifient les membres de l’équipage de servi ou de pueri, autant dire d’esclaves, qui paraissent liés dans une étroite dépendance à leur patron dans le cadre de l’entreprise marchande. Mais ces sources (Miracles de saint Goar ou Miracles de saint Maximin) concernent plutôt la circulation dans les eaux intérieures, en l’occurrence le Rhin et la Moselle21 : renvoient-elles à une réalité sociale palpable, celle de petites entreprises esclavagistes, ou expriment-elles le système de représentation des hagiographes, suivant lequel l’image du « marinier » circulant sur les eaux intérieures serait moins valorisante que celle du « marin » confronté à l’immensité sauvage de l’océan ? Il est difficile de répondre à cette question. Si ces petites entreprises constituaient indubitablement des communautés de travail, y avait-il un marché libre de l’embauche dans les lieux d’embarquement, où les chefs d’expéditions auraient recruté leur équipage au pied levé ou au gré des circonstances, comme on peut le supposer dans les wiks ou emporia qu’on voit fleurir sur les côtes des mers du Nord à partir du viie siècle ? Malgré l’absence de sources explicites, on a toutes les raisons de le penser. Car on voit qu’en ce qui concerne les expéditions lointaines (voyages de découverte par exemple) ou les opérations militaires, la levée de matelots ad occasionem était habituelle : ainsi dans les sagas dites « du Vinland » (œuvres certes tardives, mais qui concernent des événements du xe siècle), et en particulier dans le Récit des Groenlandais, où l’on voit Leif Eriksson acheter un bateau à Brattahlið (« Raide Pente », au Groenland) et recruter sur le champ un équipage de trente-cinq hommes pour aller vers les « îles de l’Ouest », ou l’aventurier Thorfinn Karlsefni recruter soixante hommes pour aller de Brattahlið au Vinland22. Ainsi encore dans la Chronique anglo-saxonne, où l’on voit le roi Alfred mobiliser en 896 dans sa flotte de guerre aussi bien des conscrits anglo-saxons que des mercenaires venus de Frise23. On peut penser que, de la même façon, il se trouvait dans les emporia des mers du Nord un marché libre de main d’œuvre spécialisée, mais les preuves textuelles font défaut. Ce qui est sûr, c’est qu’une fois à bord et confrontés aux périls de la mer, les membres des équipages, qu’ils appartinssent à une petite entreprise marchande ou qu’ils fussent

20 Jonas, Vita Vulframni, ch. 5, éd. W. Levison, dans Passiones vitaeque sanctorum aevi Merovingici, Hanovre-Leipzig, 1910 (M.G.H., SS rer. Merov., 5), p. 665 : nautae ceterique comites navis… ; et Wandalbert, Miracula s. Goaris, ch. 26, éd. O. Holder-Egger, dans Supplementa…, op. cit., p. 369 : abba […] cum non paucis comitibus descendebat [Rhenum], et cum […] suadetur a sociis uti… 21 Wandalbert, Miracula s. Goaris, ch. 28, éd. cit., p. 370 ; et Vita (en fait Miracula) sancti Maximini episcopi Trevirensis, loc. cit. 22 Saga des Groenlandais, ch. 3 et 7, trad. R. Boyer, dans Sagas islandaises, Paris, 1987 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 360 et 369. 23 Anglo-Saxon Chronicle, ms A, s. a. 897 (recte 896), éd. et trad. angl. M. Swanton, Londres, 1996, p. 91, où sont nommément cités, parmi les victimes d’un affrontement naval entre la flotte d’Alfred et une flotte danoise, trois Frisons respectivement appelés Wulfheard, Æbbe et Æthelhere (sans doute s’agit-il des capitaines et chefs d’équipage), et anonymement évoqués une soixantaine de morts, tant anglo-saxons que frisons. Voir à ce propos S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons…, op. cit., vol. 1 : Essai, p. 212-213.

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embauchés pour la circonstance, se devaient d’être solidaires. Les brassages ethniques évoqués dans la Chronique anglo-saxonne, mais dont on peut penser qu’il s’en trouvait aussi dans les mouvements de bateaux réguliers entre les emporia, contribuèrent à la formation et à la longévité de la véritable koiné que constitua le bassin des mers du Nord à partir du viie siècle – j’emploie le mot koiné à dessein, comme la forme la plus sublime de la « communauté24 ». La caractéristique la plus palpable de cette koiné est sans doute la persistance, jusqu’en plein xe siècle, d’un Nordseegermanisch commun – idiome dans lequel, qu’il y ait eu influence déterminante d’un groupe ethnique et de sa langue sur les autres (le frison a été longtemps mis en avant), ou qu’au contraire il y ait eu développement synchrone, il est avéré que ce sont les mots de la navigation et du commerce qui, bien plus que tout autre champ du vocabulaire, exprimèrent la permanence des contacts et le parallélisme des évolutions linguistiques, en dépit des décalages, somme toute mineurs, introduits par les mutations phonétiques25. En sorte que non seulement il ne dut jamais y avoir de difficultés de communication majeures sur les quais des emporia ou dans les équipages, mais que, bien mieux, le vocabulaire des choses du commerce et de la navigation ne cessa de s’enrichir grâce à ces contacts multipliés. Autre signe de cette koiné façonnée par le face-à-face avec la mer et ses périls, on décèle un imaginaire commun, qui, sans doute pour mieux fixer, et donc mieux exorciser, l’angoisse du marin devant l’immensité sauvage de l’océan, allait puiser dans les archétypes de la tératologie marine – serpents de mer du Beowulf, griffons de saint Brendan, cyclopes d’Adam de Brême, dragons et autres figures monstrueuses de la mythologie scandinave. Avec le temps, les brassages de population sur les quais et la solidarité au sein des équipages ont sûrement joué un rôle dans la propagation du christianisme d’ouest en est. En cas de coup dur, les matelots chrétiens savaient à quel saint se vouer – tel Frison sur la route d’Angleterre à saint Maximin de Trèves, tel Franc au large de Quentovic et Boulogne-sur-Mer à saint Wandrille de Fontenelle. À bord et au port, chacun se faisait le propagandiste de ces thaumaturges26. Quand, en 852, Olaf, roi des Sueones, voulut ouvrir son pays à l’évangélisation, il laissa la parole à un ancien de Birka : Nombreux sont parmi nous ceux qui savent que ceux qui croient [dans le Dieu des chrétiens] peuvent en attendre un grand secours. Beaucoup des nôtres l’ont déjà éprouvé quand ils étaient confrontés aux dangers de la mer. Pourquoi refuserions-nous plus longtemps ce qui peut nous être si utile27 ?

24 S. Lebecq, « Pour une histoire des équipages », art. cit., p. 249-254 : « Une sphère culturelle homogène ». 25 Après la publication dans les années 1930 des nombreux travaux du Suédois E. Wadstein, qui avait tendance à voir les Frisons et le frison partout, les linguistes ont plutôt tendu à envisager un développement synchrone nourri d’influences multiples et réciproques entre Frisons, Anglo-Saxons et Scandinaves. Voir H. Kuhn, « Friesisch und Nordseegermanisch », dans Us Wurk, 4, 1955, p. 37-46 ; et T. Feitsma, « Sproglige berøringer mellem Frisland og Skandinavien », dans Sprog og Kultur, 23, 1963, p. 97-121 ; ou, pour faire court, S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons…, op. cit., vol. 1, p. 13. 26 Pour saint Maximin, Vita (en fait Miracula) sancti Maximini, loc. cit. ; pour les Miracles de saint Wandrille, ch. 7 et 15, éd. cit., p. 407-409. 27 Rimbert, Vita Anskarii, ch. 27, éd. cit., p. 90-92.

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Apparemment, les premiers ralliements à la religion du Christ furent souvent circonstanciels et opportunistes, aboutissant parfois à un syncrétisme dans lequel le nom du Christ côtoyait celui de Thor28 – non sans tension parfois, comme on le voit dans la Saga (elle aussi tardive) de Njáll le Brûlé, où Thor et le Christ se disputent le contrôle du bateau du missionnaire Thangbrand, l’un pour le couler, l’autre pour le sauver29. Il faudrait attendre encore un à deux siècles pour que les peuples scandinaves commencent à intégrer sans compromission la foi chrétienne, et que leurs équipages commencent à partager la même espérance que ceux des contrées plus occidentales. Comme on peut le lire sur une pierre runique élevée à Bornholm à la fin du xie siècle, « Sasser a fait élever cette pierre à la mémoire de son père Hallvard, qui s’est noyé au loin avec tout son équipage (ala skibara). Que sans fin le Christ aide son âme30. »

Outre-mer J’ai parlé de probables brassages de populations au sein des équipages, mais aussi sur les quais des wiks ou emporia. Cela signifie-t-il qu’une fois expatriés les marchands-navigateurs rejoignaient la vaste communauté des gens de mer et rompaient les liens avec leur patrie d’origine ? Non bien sûr, car c’est sans doute quand il y a immersion d’un groupe social dans un milieu allogène que le sentiment d’appartenance au groupe et la revendication identitaire sont les plus forts. Qu’on pense à un épisode bien connu de la Vie de Liudger racontée par son neveu Altfrid. Liudger, jeune aristocrate frison promis à la cléricature et qui avait fait son premier apprentissage religieux à Utrecht, voulut parfaire son éducation à Eboracum (York) auprès du maître Alcuin, et prit donc la route de l’Angleterre vers 770. Or voici qu’en 773, au cours d’une rixe (per rixam), un noble northumbrien fut tué a Fresone quodam negotiatore. Pour éviter l’enclenchement de la faide, tous les Frisons d’York durent aussitôt quitter la ville et rentrer chez eux. Liudger, qui pourtant aurait dû bénéficier de la protection de l’enclos cathédral, fut lui aussi contraint de partir31. Morale de l’histoire : les Frisons d’York formaient une colonie juridiquement solidaire, sans doute implantée dans le quartier marchand de ce que les sources des viiie et ixe siècles appellent Eoforwic, qui, plutôt que dans les quartiers de Coppergate ou Skeldergate précédemment avancés, se serait situé du côté de Fishergate, dans la zone de confluence des rivières Ouse et Foss au sud-est de la colonie romaine32.

28 Comment ne pas penser au moule de bronzier en stéatite, daté du xe siècle, qui a été trouvé à Trendgården (au Danemark), et qu’utilisait un artisan pour fabriquer en série le marteau de Thor et la croix du Christ ? 29 Saga de Njáll le Brûlé, ch. 102, trad. R. Boyer, dans Sagas islandaises, op. cit., p. 1370. 30 Cité et commenté par L. Musset, Introduction à la runologie, Paris, 1965, no 131, p. 430. 31 Altfrid, Vita prima Liudgeri, I, 11 et 12, éd. cit., p. 16-17. 32 R. Hall, « York 700-1050 », dans R. Hodges et B. Hobley (dir.), The Rebirth of Towns in the West (ad 700-1050), CBA Research Report 68, Londres, 1988, p. 125-132 ; R. Hodges, The Anglo-Saxon Achievement, Londres, 1989, en particulier p. 102-103.

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Y eut-il à York un « quartier frison » comme il en est attesté dans plusieurs villes de l’arrière-pays rhénan de la Frise, à Cologne, à Mayence, à Worms ? Ce n’est pas exclu – on sait en tout cas qu’ils revinrent après leur fuite précipitée de 773, puisque Alcuin, définitivement installé sur le continent, ne voyait pas d’autre moyen de correspondre avec ses anciens disciples d’York aux environs de 800 que d’utiliser le service des naves Fresonum33. Mais c’est le long de la route qui va de la Frise à la Baltique, de Dorestad à Sliaswich/ Haithabu et à Birka, avec des antennes en direction de Ribe, de Kaupang et d’ailleurs, qu’on entrevoit le mieux la présence de colonies de marchands étrangers, notamment frisons, dans les emporia. Et cela en grande partie grâce à la Vita Anskarii de Rimbert, qui évoque par exemple l’ouverture d’une église chrétienne à Sliaswich vers 850 : Nombreux étaient ici ceux qui étaient déjà chrétiens, soit qu’ils avaient été baptisés à Dorestad, soit qu’ils l’avaient été à Hambourg ; et certains parmi eux étaient tenus pour les primores du vicus. Ils se réjouirent de la faculté qui leur était donnée d’observer la religion chrétienne ; et beaucoup, imitant leur exemple, tant hommes que femmes, abandonnèrent les cultes superstitieux de leurs idoles et, convertis à la fois du Seigneur, reçurent le baptême. Ce fut une grande joie dans l’ensemble de la place, en sorte que […] les marchands, tant d’ici [de Brême, où écrit Rimbert] que de Dorestad, purent s’y rendre en toute liberté34. La suite de l’histoire montre que le « préfet » du vicus, Hovi, entêté dans son paganisme, fit fermer l’église et interdit toute manifestation du culte chrétien, jusqu’à ce que, finalement, le roi Horik le Jeune la fît rouvrir vers 85435. Ce qu’on voit ici, c’est la présence d’une communauté de marchands étrangers moins marquée par une éventuelle identité ethnique (puisqu’il peut s’agir aussi bien de Franco-Frisons de Dorestad que de Saxons de Hambourg ou de Brême) que par la revendication commune de pouvoir célébrer le culte chrétien à leur guise. Leur présence et leur puissance sont telles qu’ils suscitent des réactions de rejet orchestrées par le préfet du lieu, et qu’ils constituent un groupe de pression susceptible de faire appel auprès de l’autorité royale. Ce sont à peu près les mêmes protagonistes que, suivant la même source, on voit à Birka, dans le grand emporium suédois du lac Mälar au milieu du ixe siècle36. Ici, la première église fondée par Ansgar avec l’appui du roi des Sueones s’est étiolée faute de prêtre desservant à partir de 845. Bientôt n’en survécurent plus que le prefectus vici Herigar – un autochtone qui, à la différence du préfet Hovi, avait accepté le baptême –, une vieille femme du nom de Frideburg, et la fille de celle-ci, Catla. Sentant la mort s’approcher, Frideburg demanda à sa fille de bien vouloir vendre tout ce qu’elle possédait, et d’aller partager le produit de la vente entre les églises et les pauvres

33 Alcuin, Lettre à ses frères d’Eboracum (York), Alcuini Carmina, 59, v. 8-13, éd. E. Dümmler, dans Poetae Latini Aevi Carolini, Berlin, 1881 (M.G.H. Poetae, 1), p. 223. 34 Rimbert, Vita Anskarii, ch. 24, éd. cit., p. 80. 35 Ibid., ch. 31 et 32, p. 100-102. 36 Ibid., ch. 20, p. 64-66.

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de Dorestad – car, dit-elle, il n’y a ni pauvres ni églises à Birka37. L’intérêt de cette histoire est qu’elle montre le lien fort qui pouvait continuer d’exister entre le milieu des expatriés et leur lieu d’origine – car l’aumône testamentaire de Frideburg ne se peut expliquer que comme un choix de sépulture symbolique, que comme un retour aux sources pour cette femme vraisemblablement originaire de Dorestad. Certes ce n’est pas une communauté qu’on voit à l’œuvre ici, mais ses derniers survivants dans un contexte de forte réaction païenne. Si les fouilles nombreuses faites à Birka n’ont pas permis d’identifier la moindre trace de la première église chrétienne de Suède, elles ont peut-être permis de retrouver les lieux de sépulture de ses fidèles – ainsi, dans une première nécropole, la tombe Bj. 1079, où ont été retrouvées, dans un environnement du ixe siècle, des boucles cruciformes d’origine carolingienne ; ainsi surtout, dans la nécropole située au nord de la forteresse du Borg, un secteur où l’accumulation, parfois le chevauchement, des sépultures, par ailleurs inconnu à Birka, donne à penser que l’endroit a pu présenter au ixe siècle un caractère de sacralité tel qu’il put paraître essentiel à certains habitants d’y être inhumés38. S’agissait-il du cimetière de la communauté chrétienne ? Il est tentant de le penser. Cette communauté – celle des marchands d’origine étrangère, vraisemblablement frisons pour la plupart – avait-elle une existence juridique comme celle qu’on a entrevue à York ? On n’en sait rien. Mais ce que l’on sait, c’est qu’on a retrouvé à Sigtuna, le site qui, au nord du lac Mälar, a pris le relais d’une Birka déclinante à partir du xe siècle, deux pierres gravées d’inscriptions runiques à la fin du xie siècle qui parlent d’une « guilde des Frisons ». Sur la première il est écrit que « les [membres] de la guilde des Frisons ont fait élever cette pierre à [la mémoire de] Tor… leur compagnon. Que Dieu aide son esprit. Torbjörn a gravé ». Sur la seconde, que « les [membres] de la guilde des Frisons ont fait graver ces runes à [la mémoire d’]Albod, l’associé de Slod. Que le Christ sacré aide son esprit. Torbjörn a gravé39. » Le mot « guilde », dont l’étymologie est peut-être à rechercher du côté du vieux-frison geldan, gildan (« payer »), apparaît pour la première fois dans un capitulaire de 779, où Charlemagne dénonce « ceux qui se prêtent mutuellement des serments dans les guildes » (de sacramentis per gildonia invicem conjurantibus), c’est-à-dire dans des associations assermentées et à droit d’entrée payant, qui reposent sur trois piliers : l’entraide entre les adhérents (entre autres en cas de naufrage [de naufragio], précise le capitulaire), des beuveries rituelles et, venues avec le christianisme, des célébrations liturgiques communes40. Si ce sont presque certainement les Frisons qui en ont transporté le modèle jusqu’en Scandinavie, celle de Sigtuna concerne-t-elle vraiment les Frisons ? Les anthroponymes « Tor (…-kil ?) » et « Albod » étant plus vraisemblablement

37 S. Lebecq, « Religiosa femina nomine Frideburg. La communauté chrétienne de Birka au milieu du ixe siècle d’après le chapitre 20 de la Vita Anskarii », dans Cahiers des Annales de Normandie, 23 : Recueil d’études en hommage à Lucien Musset, 1990, p. 127-137 ; rééd. dans Id., Hommes, mers et terres…, op. cit., vol. 1, p. 141-150. 38 A.-S. Gräslund, Birka IV. The Burial Customs. A Study of the Graves on Björkö, Stockholm, 1980, en particulier p. 73-74 et 83-84. 39 S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons…, op. cit., vol. 1, p. 258-263 ; et vol. 2, p. 450-452. 40 Ibid., vol. 2, p. 431-432.

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scandinaves que frisons, on peut se demander si la guilde naguère frisonne dans son identité ne s’est pas entre-temps ouverte aux autochtones, ou, comme il n’y avait plus guère de « Frisons » en Baltique au xie siècle, si elle n’est pas devenue une association regroupant les marchands de Sigtuna familiers de la route de Frise… Voilà assurément un type de communauté qui, s’il ne fut sans doute pas que maritime, était parfaitement adapté à la confraternité et à la solidarité des gens de mer.

Conclusion En titre, j’ai parlé de communautés et de solidarités, peut-être parce que les communautés maritimes qu’on a entrevues au long de cet exposé – surtout en milieu littoral et sur mer, à un moindre degré outre-mer – étaient dans l’ensemble peu institutionnalisées et juridiquement floues, même si elles se réclamaient éventuellement de pratiques « coutumières » (ex more), et parce qu’elles étaient le plus souvent occasionnelles ou circonstancielles – sous cette forme qu’exprime à la perfection le mot contubernium employé par l’auteur des Miracles de saint Vaast, pour bien marquer la différence entre ce qui n’était qu’une campagne de pêche conduite en commun et le consortium plus institutionnel formé au port par les chasseurs de baleines41. Dans tous les cas, les liens tissés entre les hommes paraissent avoir été essentiellement fondés sur la solidarité devant l’élément marin, qui, dans l’imaginaire collectif, n’était peut-être pas seulement « un monde autre », mais aussi et surtout « le monde de l’Autre42 ». C’est sans doute pourquoi cette solidarité a trouvé son mode d’expression le plus sollicité, en tout cas le plus ostentatoire, dans la sphère religieuse – avec des cultes ou des pratiques rituelles communes. On a vu que ce put être le cas dès les temps anciens du paganisme avec le sacrifice d’enfants offerts en exorcisme à la mer, mais le christianisme lui a donné des formes nouvelles, avec le culte des saints protecteurs du groupe, invoqués sur mer et outre-mer (on a par exemple proposé d’associer la propagation de certains cultes, comme celui de l’Anglo-Saxonne Walburge, à l’initiative des marchands-navigateurs, frisons en l’occurrence43), avec l’élévation des premières églises au centre des villages de la plaine maritime, et avec cette forme d’apprivoisement de la mort qui s’en est suivie et qui, agglutinant les sépultures autour des églises, intégrait la cité des morts au cœur de la cité des vivants. Peut-être la raison pour laquelle l’intégration communautaire paraît avoir été au total si peu contraignante dans le milieu marin est-elle que, confrontés à l’élément dominateur et incontrôlable qu’ils avaient en face d’eux, les gens de mer étaient foncièrement libres. Paraphrasant la phrase d’Henri Pirenne relative à l’air de la 41 Voir supra, n. 14. 42 S. Lebecq, « Conclusions. De la mer du Nord à la mer Baltique. Représentations, contacts, échanges », dans A. Gautier et S. Rossignol (dir.), De la mer du Nord à la mer Baltique. Identités, contacts et communications au Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, 2012, p. 249-257 (p. 250). 43 S. J. Fockema Andreae, « Sint Walburg en haar wegen », dans Tijdschrift van het Koninklijk Nederlands Aardrijkskundig Genootschap, 71, 1954, p. 182-185.

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ville, Michel Mollat a écrit que l’air de la mer « rend libre44 » : voilà sans doute qui explique que, s’il y eut un lien social fort, fondé sur la solidarité, entre les gens de mer du premier Moyen Âge comme de toute époque, communauté de vie et de mode de vie ne signifiait pas nécessairement pour eux communauté institutionnelle. C’est du moins l’impression que je dégage des sources qui me sont familières – quitte à être démenti par les contributions suivantes…

44 « La mer rend libre, tout comme la ville, à qui Henri Pirenne attribuait cette vertu », dans M. Mollat, La vie quotidienne des gens de mer en Atlantique (ixe-xvie siècles), Paris, 1983, p. 50. Je profite de l’occasion pour exprimer ma reconnaissance à mon maître Michel Mollat et à son œuvre tout entière, en particulier à son magnifique ouvrage L’Europe et la mer, Paris, 1993.

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Femme de marchand ou marchande ? Présence, rôle et statut des femmes dans les emporia d’Europe du Nord-Ouest (ixe-xe siècles)

Au navire convient d’être cloué, au bouclier d’être attaché – Agile planche de tilleul –, au bien-aimé d’être accueilli, Le Frison par la femme, quand le bateau accoste. Sa barque est de retour, son homme à la maison, Celui qui la nourrit. Elle l’invite à entrer, Lave ses vêtements tachés d’algues, lui donne de nouveaux habits Et lui accorde à terre ce que son amour exige. Femme doit tenir promesses faites à l’homme, car souvent on l’accuse de turpitudes ; Beaucoup ont le cœur constant, mais beaucoup sont avides et curieuses, Prenant soin d’hommes étrangers tandis que l’autre navigue au loin1.

Dans ce poème anglo-saxon inséré dans le recueil de la fin du xe siècle que l’on nomme le Livre d’Exeter, au verso du feuillet 90, la femme du marin, frison en l’occurrence, sert au poète d’exemple pour célébrer la fidélité conjugale, louant la bonne épouse qui attend son mari à terre et doit faire preuve de fidélité et « tenir promesses faites à l’homme ». Mais il s’agit là d’un archétype et de la vision « idéale » de la bonne épouse que le poète veut véhiculer, et il n’est pas certain que ces quelques vers nous renseignent vraiment sur le statut de la femme attendant au port son époux. Les interactions des hommes avec la mer font peu de doutes, qu’il s’agisse de marins, de marchands ou encore de pirates ; celles des femmes sont plus difficiles à 1 Maximes I, v. 93-102 (traduction A. Gautier), poème tiré du Livre d’Exeter ; original vieil anglais dans The Exeter Book (Anglo-Saxon Poetic Records, 3), éd. G. P. Krapp et E. v. K. Dobbie, New York, 1936, p. 160. Je tiens à remercier Alban Gautier de m’avoir proposé cette belle traduction pour ce poème, mais aussi pour ses précieuses remarques et suggestions, venues compléter celles de Geneviève Bührer-Thierry, Isabelle Cartron, Anne-Marie Helvétius et Régine Le Jan, qui m’ont permis de considérablement étoffer et améliorer cet article. Lucie Malbos • Université de Poitiers, Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (CESCM UMR 7302). Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 37–56 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118548

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cerner, faute de sources. Dans les textes, le viking qui sillonne les mers depuis le Nord est avant tout un homme : un marchand au long cours et un pirate. Les marchands, de même que les artisans, sont majoritairement des personnages de sexe masculin, comme dans le Colloquium d’Ælfric, traité pédagogique du début du xie siècle, avec, parmi d’autres, le marchand (mercator), mais aussi le boulanger (pistor), le charpentier (lignarius) ou le forgeron (ferrarius)2. La figure de la marchande, beaucoup plus rare dans les sources du premier Moyen Âge, est plus difficile à appréhender. Mais l’histoire des ixe et xe siècles est écrite par des hommes et le rôle des femmes dans l’économie du premier Moyen Âge et dans le fonctionnement de sites commerciaux comme les emporia ou wics a donc longtemps été un objet d’étude négligé. Ces établissements portuaires, comme Kaupang, dans le Vestfold, en Norvège, ou Birka, sur l’île de Björkö, en Suède (fig. 1), sont apparus sur les rives des mers nordiques aux viie et viiie siècles, et ont perduré jusqu’au ixe ou xe siècle selon les cas. Leurs principales activités étant le commerce et l’artisanat, ils offrent un cas d’étude intéressant pour se pencher sur la place des femmes dans le domaine économique à cette époque, mais aussi sur leur rôle dans des sociétés marquées par leurs propres spécificités.

Fig. 1. Carte des lieux cités.

(Re)faire l’histoire du genre Traditionnellement, l’historiographie s’était surtout intéressée à certaines femmes exceptionnelles, en particulier les prêtresses ou sorcières (la völva des sagas 2 Ælfric, Colloquium, éd. et trad. angl. G. N. Garmonsway, dans Ælfric’s Colloquy, Londres, 1939.

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islandaises) et les reines, qu’il s’agisse d’héroïnes de la littérature norroise, comme la valkyrie Brynhildr (ou Brunehilde), figure emblématique de la poésie eddique et scaldique associée au tueur de dragon Sigurd/Siegfried, de défuntes inhumées dans des tombes somptueuses, comme à Oseberg (en Norvège) (fig. 1), où une sépulture à bateau fastueuse datée de 834 abritait les restes de deux femmes3, ou encore de figures historiques célébrées sur des inscriptions runiques, telles que Thyra, « joyau du Danemark » d’après l’inscription laissée à Jelling par son époux, le roi Gorm l’Ancien (v. 936-958), père du célèbre Harald Ier dit « à la Dent Bleue » (958-985/988). Il faut attendre les années 1990 pour que l’on commence à s’intéresser aux femmes « ordinaires », paysannes et marchandes, avec le développement des gender studies, qui visent à reconsidérer les femmes comme actrices de l’histoire, et la parution des livres de Judith Jesch et de Jenny Jochens4. De façon à peu près simultanée, Hans-Werner Goetz propose une étude fondatrice des femmes aux époques mérovingienne et carolingienne en tenant compte de l’ensemble des conditions sociales, afin de mieux cerner les femmes dans leurs différentes fonctions : religieuses, épouses, mères, reines, mais aussi paysannes, qui participaient autant que les hommes aux activités rurales et artisanales ; il met ainsi en lumière le rôle des femmes dans la société et l’économie, et cela dans différents contextes et milieux5. Plus récemment, historiens et archéologues ont remis en question les anciens modèles et la répartition traditionnelle entre activités féminines et masculines, reconsidérant la question de la frontière entre les genres. Sarah Croix, dans sa thèse sur les rapports entre travail et organisation spatiale dans les espaces ruraux en Scandinavie à l’époque viking, s’intéresse à la répartition des tâches entre hommes et femmes au sein de la ferme, en étudiant en particulier le cas des activités textiles6. Il ressort de son étude que l’opposition traditionnellement admise entre activités masculines extérieures et publiques et activités féminines intérieures et privées ne tient pas à la lumière des données archéologiques. Les analyses ostéologiques et ADN menées en 2017 sur les restes découverts dans la tombe Bj. 581 à Birka, fouillée par Hjalmar Stolpe dans les années 1870, ont également remis en question les anciens schémas traditionnellement admis : le défunt, personnage élitaire enterré avec boucliers, épée, hache, lance, flèches, couteau et les restes de deux chevaux, et interprété depuis 1889 comme un guerrier viking de haut rang du xe siècle, serait en fait une femme7. Cette découverte, qui a eu un grand retentissement à la fois dans la communauté



3 N. Bonde et A. E. Christensen, « Dendrochronological Dating of the Viking Age Ship Burials at Oseberg, Gokstad and Tune, Norway », dans Antiquity : A Quarterly Review of Archaeology, 67/256, 1993, p. 575-583. 4 J. Jesch, Women in the Viking Age, Woodbridge, 1991 ; J. Jochens, Women in Old Norse Society, IthacaLondres, 1995. 5 H.-W. Goetz, Frauen im frühen Mittelalter. Frauenbild und Frauenleben im Frankenreich, Cologne, 1995. 6 S. Croix, Work and Space in Rural Settlements in Viking Age Scandinavia – Gender Perspectives, thèse de doctorat (sous la direction d’Else Roesdahl) soutenue en 2012 à l’Université d’Aarhus (Danemark). 7 C. Hedenstierna-Jonson et al., « A Female Viking Warrior Confirmed by Genomics », dans American Journal of Physical Anthropology, 154, 2017, p. 853-860 (en ligne : https ://onlinelibrary.wiley.com/doi/ full/10.1002/ajpa.23308, consulté le 7 mai 2018).

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scientifique et auprès du grand public, soulève la délicate question de l’interprétation des tombes par le mobilier funéraire, mais aussi celle – peu abordée dans les débats soulevés par ces résultats – des méthodes de conservation et d’enregistrement des restes ostéologiques depuis le xixe siècle, avec le risque, jamais nul sur près de 150 ans, de mélange des boîtes et de leur contenu8. Mais si les restes analysés sont bien ceux de la tombe Bj. 581, cela ouvre de nouveaux horizons, poussant à reconsidérer la place des femmes dans l’emporium de Birka, tout en soulevant la question de la représentativité de cette sépulture. En effet, les ports des mers nordiques n’étaient pas des sociétés strictement masculines : dans la Vie de saint Anschaire (Vita Anskarii) qu’il rédige vers 8709, le moine Rimbert prend par exemple la peine de préciser qu’à Schleswig se trouvaient « des hommes et des femmes » (viri et feminae10), mais sans nous renseigner davantage sur le rôle de ces dernières : se contentaient-elles d’être les épouses accueillantes, serviables, aimables, attendant le retour de leur mari navigateur, et dont le rôle était avant tout de lui laver « ses vêtements tachés d’algues » (et de lui donner une descendance pourrait-on ajouter), comme le laisse entendre le poème inséré dans le Livre d’Exeter ? Et les femmes vivant dans ces ports se caractérisaient-elles par un mode de vie, des activités différents de leurs contemporaines à l’intérieur des terres ? Poser cette question revient à s’interroger sur les fonctions dévolues aux femmes dans des communautés spécifiques. En effet, une communauté se définit par des relations interpersonnelles, des valeurs communes, des pratiques partagées : les emporia des mers nordiques peuvent apparaître, à bien des égards, comme des « communautés de pratique », notion forgée par Étienne Wenger11, des groupes qui se créent une identité par leurs pratiques communes au quotidien, en partageant des façons de faire (de payer par exemple), ainsi que des symboles et références, et qui se définissent par les interactions et les échanges réguliers (de biens, de savoir-faire, de techniques ou encore d’informations)12. La communauté se caractérise ainsi par l’instauration de liens sociaux entre ses membres (masculins, mais aussi féminins), ainsi que par le rapport que ces derniers entretiennent avec un territoire : quel rôle les femmes ont-elles pu jouer dans la définition de ces valeurs et pratiques et dans l’élaboration d’un rapport spécifique à un territoire marqué par la proximité de la mer ou d’un fleuve ? Cela revient à poser la question de l’articulation de certains

8 Fedir Androshchuk rappelle que Greta Arwidsson avait déjà souligné les risques de mélange et mauvais étiquetage des boîtes d’ossements (G. Arwidsson, Birka, II.3 : Systematische Analysen der Gräberfunde, Stockholm, 1989, p. 144, citée dans F. Androshchuk, « Female Viking Revisited », dans Viking Medieval Scandinavia, 14, 2018, p. 47-60, ici p. 52 : « Verwechslungen und falsch signierte Skelettpakete »). 9 Rimbert, Vita Anskarii, éd. W. Trillmich, Quellen des 9. und 11. Jahrhunderts zur Geschichte der Hamburgischen Kirche und des Reiches, Darmstadt, 2000 [1961], p. 16-133 (pour le texte latin) ; Rimbert, Vie de saint Anschaire, trad. J.-B. Brunet-Jailly, Paris, 2011 (pour la traduction française). 10 Ibid., chap. 24, p. 80 (latin) et p. 96 (trad. fr.). 11 É. Wenger, Communities of Practice : Learning, Meaning, and Identity, Cambridge, 1998. Sur le sujet, voir également l’introduction d’Alban Gautier dans ce volume. 12 Je me permets de renvoyer à L. Malbos, Les ports des mers nordiques à l’époque viking (viie-xe siècle), Turnhout, 2017, p. 294-297.

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individus, les femmes en l’occurrence, avec le reste du groupe : les femmes ont-elles participé au processus de définition de communautés portuaires sur les rives des mers nordiques aux ixe et xe siècles ? Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, cet article montrera tout d’abord ce que les sources textuelles et archéologiques peuvent nous apprendre de la présence des femmes dans les emporia, avant de s’interroger sur les éventuelles spécificités du statut des femmes dans ces ports et de voir comment elles ont pu contribuer à définir des communautés portuaires.

La présence féminine dans les emporia : une figure textuelle fugitive reconsidérée à la lumière des données archéologiques Textes et archéologie funéraire : éclairages et limites

Si les femmes sont peu présentes dans les sources écrites à notre disposition, au détour d’une ligne, on perçoit parfois, de façon fugace, une présence féminine : dans la Vie de saint Anschaire et le poème du Livre d’Exeter, mais aussi dans les Annales de Xanten, qui nous apprennent par exemple à la lecture de l’année 837 que les vikings firent de nombreuses captives à Domburg13. Cependant, les femmes mentionnées à cette occasion n’étaient jamais qu’un objet de valeur parmi d’autres nombreuses richesses (pecunia). Il est toutefois un type de sources écrites où les femmes sont à la fois bien visibles et présentées comme des actrices et non comme de simples objets ; ce sont les pierres runiques scandinaves, particulièrement dans la province suédoise de l’Uppland (où se situe justement le port de Birka) : elles ont été bien étudiées par Anne-Sofie Gräslund14, qui a établi que des femmes sont mentionnées dans pas moins de 39 % des inscriptions de cette province. Si elles sont un peu tardives pour notre propos, datant majoritairement du xie siècle, elles n’en témoignent pas moins de la place des femmes dans la société scandinave à cette époque, une place peut-être plus ancienne que ces pierres. Finalement, ce sont surtout les nombreuses données apportées par l’archéologie, notamment funéraire, qui, depuis quelques décennies, ont permis de largement reconsidérer la présence et le rôle des femmes, en particulier dans les ports des mers nordiques, faisant apparaître une présence féminine bien plus importante qu’on ne

13 Annales Xantenses, s. a. 837, éd. R. Rau, Quellen zur Karolingischen Reichsgeschichte, Berlin, 1960, p. 339371 : Pagani vastaverunt Walicrum multasque feminas inde abduxerunt captivas cum infinita diversi generis pecunia. 14 A.-S. Gräslund, « Late Viking-Age Runestones in Uppland : Some Gender Aspects », dans J. Sheehan et D. Ó Corráin (dir.), The Viking Age : Ireland and the West, Dublin, 2010, p. 113-123 ; Ead., « Rune Stones – On Ornamentation and Chronology », dans B. Ambrosiani et H. Clarke (dir.), The Twelfth Viking Congress : Developments around the Baltic and the North Sea in the Viking Age, Stockholm (Birka Studies, 3), 1994, p. 117-131.

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le supposait. À première vue, l’étude des cimetières des emporia semble indiquer un déséquilibre des sexes, avec un surplus d’hommes, généralement de l’ordre de deux tiers d’hommes pour un tiers de femmes15, un tableau qui mérite toutefois d’être nuancé pour les ports scandinaves, où ce déséquilibre paraît souvent moins prononcé que dans les régions environnantes16. À Kaupang par exemple, le quasi-équilibre entre les deux sexes, du moins pour le ixe siècle, contraste fortement avec le reste du Vestfold et même de toute la Norvège, où les femmes représentent plutôt autour d’un quart seulement des sépultures17, ce qui soulève la question d’une éventuelle spécificité des femmes dans les emporia, mais amène également à reconsidérer certains points d’ordre méthodologique. En effet, le sexe du défunt a longtemps été déterminé, en particulier à Birka, en fonction d’objets considérés comme des marqueurs : généralement des bijoux (notamment les fameuses broches ovales scandinaves) et les objets liés aux activités textiles (pesons, fusaïoles, aiguilles, ciseaux…) pour les tombes féminines, tandis que les armes sont traditionnellement plutôt associées aux tombes masculines. Mais cette façon d’aborder et d’interpréter les sépultures est circulaire : on déduit le sexe du défunt en fonction du mobilier funéraire retrouvé à ses côtés (armes, outils, bijoux), puis on analyse ces objets en fonction du sexe du défunt… Sans compter que s’en tenir à l’étude de quelques marqueurs revient aussi bien souvent à confondre sexe et genre, caractéristiques biologiques et construction sociale ; le glissement « du féminin aux femmes » est trop systématique18. Il faut ainsi se garder de toute « association quasi systématique de l’épée avec le masculin et des bijoux avec le féminin » et être plus attentif à la polysémie de ces objets19. Les derniers résultats des analyses menées sur les restes humains de la tombe Bj. 581 à Birka montrent qu’il faut faire preuve de la plus grande prudence et recouper les informations que le mobilier funéraire peut nous livrer avec d’autres données, en particulier des données biologiques issues de l’analyse des restes ostéologiques, afin de se garder de toute interprétation trop hâtive et de tenir compte de la « complexité de l’interprétation des dépôts funéraires », qui doit prendre en compte une multiplicité de facteurs : le sexe, mais aussi l’âge,

15 60 % d’hommes contre 40 % de femmes à Birka (I. Øye, « Women in Early Towns », dans J. Sheehan et D. Ó Corráin (dir.), The Viking Age…, op. cit., p. 298-308 [p. 299]) ; 62 % d’hommes pour l’échantillon de 76 tombes analysé à Hedeby (B. J. Sellevold, U. L. Hansen et J. B. Jørgensen, Iron Age Man in Denmark, Copenhague, 1984 [p. 214]) ; ou encore deux hommes pour une femme à Hamwic si l’on se fie aux sépultures du secteur SOU 13 (M. Brisbane, « Hamwic (Saxon Southampton) : An 8th-Century Port and Production Centre », dans R. Hodges et B. Hobley (dir.), The Rebirth of Towns in the West, ad 700-1050 (CBA Research Report, 68), Londres, 1988, p. 101-108 [p. 104]). 16 J. Jesch, Women…, op. cit., p. 205. 17 F.-A. Stylegar, « The Kaupang Cemeteries Revisited », dans D. Skre (dir.), Kaupang in Skiringssal : Excavation and Surveys at Kaupang and Huseby, 1998-2003, Background and Results (Kaupang Excavation Project. Publication Series, 1), Aarhus-Oslo, 2007, p. 65-128 (p. 82-83) ; E. Høigård Hofseth, « Historien bak handelskvinnen på Kaupang : kvinnegraver fra vikingtid langs Vestfoldkysten », dans Viking. Tidsskrift for norrøn arkeologi, 62, 1999, p. 101-129. 18 C. Trémeaud, « La richesse des femmes, ou comment l’archéologie vient au genre », dans Les Nouvelles de l’archéologie, 140 : Genre et archéologie, 2015, p. 35-41. 19 V. Sebillotte-Cuchet, « Avant-propos », dans Les Nouvelles de l’archéologie, 140, op. cit., p. 3-4 (p. 4).

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le statut socio-économique, les pratiques culturelles, sans oublier la gestion de la mort, les stratégies individuelles ou collectives mises en œuvre à ce moment20. Face à l’aspect polysémique de ces dépôts, nous rappelant que « la distinction par genre peut à l’occasion n’être que la transcription d’autres formes de distinction (par statut, par âge) et n’être donc pas le déterminant essentiel21 », seul un faisceau de données peut permettre d’avancer quelques conclusions, toujours prudentes : des analyses ADN comme à Birka, ou plus couramment des observations ostéologiques lorsque les squelettes sont conservés, mais également la relecture de certains textes, en essayant de s’abstraire des schémas traditionnels et autres idées préconçues, des interprétations faites au prisme de nos « présupposés contemporains en matière de genre22 ». Les activités textiles dans les emporia : une occupation féminine ?

Plusieurs sources écrites permettent de réfléchir à l’implication des femmes dans les activités textiles. Traditionnellement, le filage et le tissage sont considérés comme des tâches féminines par excellence23, ce qui n’est propre ni aux emporia ni au monde nordique, comme le rappelle par exemple l’article 43 du capitulaire De Villis qui porte sur les genicia, ateliers de textile strictement féminins dans l’Empire carolingien24. Les sagas islandaises du xiiie siècle évoquent également à de nombreuses reprises les activités textiles, généralement associées à des figures féminines comme Guðrún dans la Laxdæla saga (ou Saga des gens du Val-au-Saumon) qui, racontant sa matinée à son époux Bolli, annonce fièrement avoir « filé douze aunes de fil25 ». Difficile toutefois de s’appuyer uniquement sur des productions littéraires tardives et sur un texte de nature normative – qui n’a donc pas vocation à décrire une situation telle qu’elle était, mais plutôt telle qu’elle devait être – et issu du monde carolingien pour étudier le statut des femmes dans les sociétés portuaires nordiques. Néanmoins, leur rôle dans ces activités pourrait être une explication à l’importante présence féminine dans les cimetières des emporia. C’est en tout cas l’explication souvent avancée, en s’appuyant également sur les objets liés à ces activités retrouvés en nombre sur les sites mêmes et qui semblent indiquer que la production textile jouait

20 C. Dubois, « Petites filles ou petits garçons ? Discours et interprétations du mobilier funéraire des tombes d’enfants en bas âge dans les nécropoles grecques classiques », dans Pallas, 97, 2015, p. 97-120. 21 F. de Polignac, « Sexe et genre dans les rites funéraires grecs : quelques aperçus », dans L. Baray et A. Testart (dir.), Pratiques funéraires et sociétés, Dijon, p. 349-356 (p. 356). 22 V. Sebillotte-Cuchet, « Avant-propos », art. cit., p. 4. 23 N. Stoodley, The Spindle and the Spear. A Critical Enquiry into the Construction and Meaning of Gender in the Early Anglo-Saxon Burial Rite, Oxford (BAR British Series, 288), 1999, notamment p. 24 ; E. Wayland Barber, Women’s Work. The First 20,000 Years : Women, Cloth, and Society in Early Times, New York, 1994 ; K. Sullivan Kruger, Weaving the Word : The Metaphorics of Weaving and Female Textual Production, Selinsgrove, 2001. 24 Capitulaire De Villis (812), § 43, éd. B. E. C. Guérard, Explication du capitulaire De Villis, Paris, 1853, p. 61 et 105. 25 Saga des gens du Val-au-Saumon, ch. 49, trad. R. Boyer, dans Sagas islandaises, Paris (Bibliothèque de la Pléiade), 1987, p. 389-571 (p. 499).

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un rôle important dans ces ports marchands. Cette interprétation soulève toutefois plusieurs questions, à commencer par le risque de circularité du raisonnement précédemment souligné. Par ailleurs, ces activités sont également présentes dans tous les sites ruraux contemporains, en particulier en Scandinavie : n’y avait-il donc aucune différence entre les emporia et leurs arrière-pays en ce qui concerne le travail du textile et la place des femmes ? Dans la plupart des emporia, particulièrement dans les sites scandinaves comme Kaupang ou Birka, les activités textiles avaient probablement un poids économique non négligeable, représentant une part importante des exportations. Menée à une échelle domestique dans les sites ruraux, la fabrication de textile a pris une toute autre ampleur dans le cadre ces ports. L’analyse de la taille, des formes et matériaux des pesons et fusaïoles de Kaupang, Birka et Hedeby a permis de souligner leur grande variété, les différentes catégories correspondant chacune à un type de textile particulier, signe d’une production variée, du fil et tissu les plus grossiers aux plus fins : le poids des 121 fusaïoles de Kaupang (en moyenne autour de 20-24 grammes) tendrait à indiquer que ces contrepoids étaient destinés à filer de la laine de qualité26 ; et la situation semble assez similaire lorsqu’on compare Birka et sa région : les objets retrouvés en contexte rural sont moins diversifiés que dans le site portuaire27. La production des emporia serait ainsi plus spécialisée et diversifiée que celle des campagnes environnantes. La quantité des pesons et fusaïoles retrouvés dans ces ports semble également indiquer une production textile menée à une échelle bien plus importante que dans les autres sites, dépassant largement les seuls besoins domestiques, et de façon « relativement spécialisée28 ». Des analyses menées sur les restes de textile de Birka ont en effet permis de constater que la production était de qualité et que la laine était choisie en fonction du tissu désiré (solide ou fin, chaud ou léger, etc.), suggérant une « approche de la production textile remarquablement sophistiquée », tandis que le tissu plus grossier dit « de Hessens/Elisenhof » ne montre aucun choix particulier de la laine29. En d’autres termes, il y aurait une différence à la fois de degré et de nature entre les activités de tissage et de filage menées à une échelle domestique dans toutes les fermes des environs et l’industrie textile se développant dans les emporia, pour répondre à des besoins toujours plus importants : il s’agissait de tisser vêtements (souvenons-nous des « nouveaux habits » que l’épouse fournit à son époux revenu au port dans le poème du Livre d’Exeter), couvertures, sacs, mais aussi des voiles pour les navires, introduites progressivement dans les mers nordiques à partir du viie siècle. Ces dernières ont facilité les communications et les échanges, tout en

26 I. Øye, « Textile-Production Equipment », dans D. Skre (dir.), Things from the Town : Artefacts and Inhabitants in Viking Age Kaupang, Aarhus-Oslo (Kaupang Excavation Project. Publication Series, 3), 2011, p. 339-372. 27 E. Andersson, Tools for Textile Production from Birka and Hedeby. Excavations in the Black Earth 19901995, Stockholm (Birka Studies, 8), 2003. 28 I. Øye, « Textile-Production Equipment », art. cit., p. 370. 29 P. Walton, « Dyes and Wools in Iron Age Textiles from Norway and Denmark », dans Journal of Danish Archaeology, 7, 1988, p. 144-158 (p. 153).

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entraînant le développement sans précédent de l’industrie textile : Sarah Croix, en s’appuyant sur les résultats tirés d’expérimentations en la matière et sur les travaux d’Erik Andersen30, estime que la voile nécessaire à un navire long de trente mètres mesurait entre 112 et 120 m2, ce qui correspondrait à la laine d’environ deux cents moutons31. Si les femmes étaient bien les principales artisanes (au féminin donc) de la fabrication des voiles, cela signifie qu’elles avaient la charge de fabriquer, au sein du foyer ou d’un atelier, un bien essentiel au bon fonctionnement des ports. Toutefois, tout le raisonnement repose sur une hypothèse et les travaux de Sarah Croix ont montré de façon convaincante que la partition entre intérieur et extérieur, tâches féminines et tâches masculines, devait être largement reconsidérée32 : la question des frontières entre les genres demande à être nuancée, en envisageant notamment la possibilité que, outre la fabrication du tissu, les femmes aient ensuite joué un rôle dans les transactions économiques, notamment dans l’écoulement de la production ; et que, inversement, certains hommes aient pu être impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans ces activités. Une production textile à grande échelle nécessitait en effet toute une organisation et une forme de supervision pour s’assurer de la qualité des productions et ensuite s’occuper de leur vente : le schéma habituellement admis veut que ces tâches aient été dévolues aux hommes, tandis que les femmes se consacraient strictement à l’aspect productif, derrière les murs de leur maison ou atelier. La présence dans quelques tombes masculines de pesons, fusaïoles et aiguilles pourrait symboliser ce contrôle des activités textiles : à Kaupang, huit des vingt-sept fusaïoles retrouvées en contexte funéraire proviennent de sépultures identifiées comme masculines33 et à Birka, neuf des 156 tombes contenant des aiguilles et des ciseaux seraient celles d’hommes34. Mais n’excluons pas non plus totalement le scénario dans lequel les hommes auraient pu se servir en personne de ces pesons et fusaïoles, en particulier durant la mauvaise saison35, alors que la mer n’est pas praticable, ou même toute l’année dans le cas peut-être d’esclaves assignés spécifiquement à cette tâche si importante pour le bon fonctionnement des ports. On sait en effet que l’esclavage était encore bien présent à cette époque, particulièrement dans les sociétés scandinaves, constituant même

30 E. Andersen, « Woolen Material for Sails », dans O. Olsen et al. (dir.), Shipshape. Essays for Ole Crumlin-Pedersen on the occasion of his 60th anniversary, February 24th 1995, Roskilde, 1995, p. 249-270. 31 S. Croix, « The Loom and the Sail », dans M. S. Sindbæk et A. Trakadas (dir.), The World in the Viking Age, Roskilde, 2014, p. 32-33. Mais Eva Andersson souligne que de tels calculs sont très problématiques, certains chiffres avancés pouvant aller jusqu’à 2 000 moutons pour une voile de 100 m2 et 14 kg (E. Andersson, Tools for Textile, op. cit., p. 49). 32 S. Croix, Work and Space…, op. cit. 33 I. Øye, « Textile-Production Equipment », art. cit., p. 371. 34 H. Arbman, Birka : Untersuchungen und Studien I. Die Gräber, 2 vol. (texte et catalogue), StockholmUppsala, 1940 et 1943. 35 Une idée également avancée par Patrycja Kupiec et Karen Milek pour la société islandaise de l’époque viking : P. Kupiec et K. Milek, « Roles and Perceptions of Shielings and the Mediation of Gender Identities in Viking and Medieval Iceland », dans M. H. Eriksen et al. (dir.), Viking Worlds : Things, Spaces and Movement, Oxford, 2015, p. 102-123.

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une part importante de la main-d’œuvre36, agricole mais pourquoi pas aussi textile. Cela pourrait alors constituer une des spécificités des emporia : activité strictement domestique et féminine dans les campagnes, la production textile, en acquérant dans ces ports une dimension commerciale, y aurait été mixte, faisant se côtoyer hommes et femmes, et éventuellement marquée par une forme de saisonnalité, lui conférant une certaine flexibilité, en fonction des circonstances, des besoins, de la saison et de la force de travail disponible. Tentons de pousser le raisonnement encore un peu plus loin. Pourquoi en effet exclure d’emblée la possibilité que les tâches administratives et organisationnelles aient pu être assumées par certaines femmes, en particulier celles ayant un statut social assez élevé, tandis que le travail lui-même était dévolu aux femmes des catégories inférieures ou à des esclaves des deux sexes37 ? Pourquoi systématiquement interpréter les outils textiles comme le symbole d’une forme de contrôle dans le cas des tombes masculines et comme un objet d’usage strictement pratique dans les sépultures féminines ? L’objet mis au jour en contexte d’habitat est souvent interprété comme ayant une valeur avant tout utilitaire, tandis qu’en contexte funéraire, il revêt une portée spirituelle et symbolique. Cela n’exclut pas toute connotation fonctionnelle du mobilier déposé dans les sépultures : toute la difficulté d’interprétation tient au fait que ces objets n’ont pas, originellement, de vocation funéraire ; ils ne sont pas produits dans le seul but d’être déposés auprès d’un défunt, mais ont eu une « vie » auparavant38. Il n’y a pas non plus de raison de restreindre l’interprétation – symbolique ou fonctionnelle – au genre : une fois encore, ces tombes ne peuvent être analysées au prisme de cette seule donnée, sans tenir compte de toutes les autres – notamment le statut social du défunt – et de leur possible polysémie. La présence des outils liés à la production textile dans des tombes contenant d’autres objets, certains de valeur (pendentifs en argent, voire en or, ou perles en cornaline par exemple), et le fait que toutes les sépultures féminines n’en contiennent pas pourrait aller dans le sens d’une connotation symbolique39. Cela serait alors une autre spécificité de ces sociétés portuaires, dans lesquelles les femmes pouvaient elles aussi se lancer dans l’organisation et la gestion d’ateliers, dévolus à cette production. Certaines femmes – probablement une minorité malgré tout –, loin de n’être que de simples ouvrières

36 J.-P. Devroey et A. Nissen-Jaubert, « Family, Income and Labour around the North Sea, 500-1000 », dans E. Vanhaute, I. Devos et T. Lambrecht (dir.), Making a Living : Family, Labour and Income, Turnhout, 2011, p. 5-44. 37 I. Øye, « Textile-Production Equipment », art. cit. 38 I. Kopytoff, « The cultural biography of things: commoditization as process », dans A. Appadurai (dir.), The Social Life of Things : Commodities in Cultural Perspective, Cambridge/New York, 1986, p. 64‑91. 39 À Birka, 156 tombes des 1 100 tombes étudiées par Holger Arbman ont livré des aiguilles et ciseaux (H. Arbman, Birka…, op. cit., voir notamment le tableau de synthèse final, p. 490-529). La plupart contiennent d’autres objets (clés en fer, broches en bronze, perles, pendentifs…), comme beaucoup de tombes féminines à Birka : sans faire partie des plus pauvres, elles n’ont donc rien d’exceptionnel. Quelques-unes toutefois se distinguent par la présence de bijoux en or ou de perles en cristal de roche, en cornaline, en agate (Bj. 543, 642, 660 par exemple).

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textiles, auraient ainsi pu accéder au statut de marchandes ou gestionnaires et ne seraient ainsi pas uniquement des épouses de marchands40.

Un statut particulier pour les femmes dans les communautés portuaires ? Femmes de marchands ou marchandes ?

Quelques traces dans plusieurs sources, à la fois textuelles et archéologiques, suggèrent en effet que certaines femmes pouvaient exercer des activités commerciales, en particulier les tombes comprenant des instruments commerciaux, essentiellement des poids et pièces de monnaie, les balances de Birka ayant été retrouvées dans des tombes dont le sexe reste indéterminé (Bj. 359, 369 et 644). L’étude des espaces funéraires de l’île de Björkö, qui compte au total plus de 3 000 tombes, est l’une des plus complètes, et en même temps l’une des plus anciennes41. Les informations, pour nombreuses qu’elles soient, n’en sont pas moins fragmentaires ; les datations en particulier font cruellement défaut : on ne dispose notamment d’aucune donnée stratigraphique pour les fouilles effectuées par Hjalmar Stolpe au xixe siècle. Sur les 1 100 tombes étudiées par Holger Arbman, 132 ont livré des poids et des balances (soit plus d’une sur dix), parmi lesquelles 43 sont interprétées comme étant celles de femmes (37 d’hommes, quatre de couples, le reste étant indéterminé), des chiffres à manier toutefois avec la plus grande précaution : le récent revirement concernant le genre de la tombe Bj. 581, qui fait précisément partie de ces 132 tombes, nous invite à la plus grande prudence dans le traitement de ces données et les interprétations que l’on peut en tirer, surtout lorsqu’on considère des tombes dont le sexe des individus a été déterminé entre la fin du xixe siècle et les années 1940 à partir du mobilier funéraire. D’autres critères que le sexe (pour autant que l’on puisse le déterminer) interviennent toutefois dans la définition du statut et de l’identité des défunts. L’étude de la répartition spatiale des tombes et du détail du mobilier funéraire, permise par le précieux travail de Holger Arbman en matière de cartographie et d’inventaire de l’ensemble des sépultures qu’il a étudiées, semble ainsi faire ressortir deux ensembles : les tombes Bj. 835 à 839 (voire 840, si l’on inclut cette tombe, au sexe indéterminé) et Bj. 960 et 963 à 968 (en incluant éventuellement les tombes Bj. 972 et 973, pas très

40 I. Øye, « Women in Early Towns », art. cit. Paula Clarke en arrive à une conclusion assez similaire pour la société vénitienne de la fin du Moyen Âge, en montrant l’implication des femmes dans le commerce et l’organisation de la production, notamment dans l’industrie de la soie et le travail des fils d’or (P. Clarke, « Le “mercantesse” di Venezia nei secoli XIV e XV », dans A. Bellavitis et L. Guzetti (dir.), Donne, lavoro, economia a Venezia e in Terraferma tra medioevo ed età moderna, Venise, 2012, p. 67-84). 41 H. Arbman, Birka…, op. cit. Les données tirées de ces deux volumes sont également consultables en ligne, sur le site du Historiska museets (Stockholm) : http://mis.historiska.se/mis/sok/birka.asp?sm= 10_7. Voir aussi A.-S. Gräslund, Birka : Untersuchungen und Studien, t. IV : The Burial Customs : A Study of the Graves on Björkö, Stockholm-Uppsala, 1980.

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éloignées du reste du groupe : la 962 est interprétée comme masculine et la 961 ne comporte pas ce genre de mobilier). Ces sépultures interprétées comme féminines ont toutes livré des poids, en association pour dix d’entre elles avec des monnaies. Certaines ont également révélé des éléments de parure assez luxueux : les tombes Bj. 835, 838, 963, 965, 966, 967 contenaient des broches et pendentifs en argent (pas moins de six dans la seule tombe Bj. 965), voire en or (Bj. 967), et pas seulement en bronze comme dans la plupart des autres tombes, mais aussi des perles en cornaline et en cristal de roche, et pas uniquement en verre comme ailleurs. En d’autres termes, il s’agit là de sépultures ostentatoires, ce qui n’a rien de spécifique aux tombes féminines. Dès lors, les monnaies et poids s’y trouvant peuvent apparaître comme des marqueurs de pouvoir (peut-être plus économique que politique) parmi d’autres. Le fait que certaines monnaies déposées dans ces sépultures étaient en réalité portées en pendentif (Bj. 835, 963, 967, 968) pourrait aller dans ce sens : ainsi transformées en bijoux, elles ont perdu leur valeur économique et sont devenues des « signes de prestige social42 » ; comme le souligne Florent Audy, « un pendentif monétaire n’est plus une monnaie43 ». Il faut toutefois nuancer. Parmi cette quinzaine de tombes, environ la moitié se caractérise par un mobilier plus ordinaire : quelques restes de tissu, les traditionnelles broches ovales en bronze, quelques objets en fer, pas d’objet en or et pas ou peu en argent, ce qui invite à la plus grande prudence quant à toute tentative de généralisation sur le sujet. Dans ces tombes plus modestes, les monnaies ont, contrairement à celles d’un niveau de richesse plus élevé, majoritairement été retrouvées sous formes de fragments (Bj. 837, 964, 966, 968), ce qui plaide cette fois en faveur d’un usage économique (au poids, ce qui est l’usage classique à Birka à cette époque), au moins du vivant de la défunte, avant peut-être de revêtir une dimension symbolique une fois déposées dans la tombe44. Au contraire, la distribution des poids ne semble pas faire ressortir de distinction comparable à celle des monnaies : ni leur nombre ni leur matériau ne semble corrélé au niveau de richesse de la tombe. S’ils symbolisent des fonctions économiques, cela pourrait indiquer que se côtoyaient à Birka des marchandes plus ou moins riches. Autant de conclusions qui restent malgré tout dépendantes d’une identification en termes de sexe très hasardeuse et qui inciteraient à reprendre l’analyse des collections ostéologiques conservées au Musée historique de Stockholm. Au plan spatial, les deux groupes de sépultures étudiées se concentrent dans deux secteurs du cimetière le plus important de l’île, au nord-est de la zone d’habitat : Hemlanden 1A (pour Bj. 960 et 963 à 973) et 1C (pour Bj. 835 à 840) (fig. 2). Peut-on aller jusqu’à en conclure qu’il s’agissait là de secteurs privilégiés pour inhumer des 42 I. H. Garipzanov, « Carolingian Coins in Ninth-Century Scandinavia : A Norwegian Perspective », dans Viking and Medieval Scandinavia, 1, 2005, p. 43-71 (p. 44). 43 F. Audy, « Pour une étude méthodique des pendentifs monétaires : le cas des sépultures de Birka (Suède) », dans Revue numismatique, 168/169, 2012, p. 403-425 (p. 404). 44 C. Hedenstierna-Jonson et A. Kjellström, « The Urban Woman. On Role and Identity of Women in Birka », dans N. L. Coleman et N. Løkka (dir.), Kvinner i vikingtid: Vikingatidens kvinnor, Oslo, 2014, p. 183-204 (p. 191).

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Fig. 2. Les espaces funéraires et le rempart de Birka, sur l’île de Björkö.

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marchandes ? Cela tient peut-être aussi à la chronologie, avec une période durant laquelle de telles femmes auraient été plus nombreuses qu’à d’autres. Mais, une fois encore, les données font cruellement défaut en la matière : le groupe Bj. 835 à 840 se trouve sous le rempart qui entoure la ville, dont la date post quem se situerait dans les années 910 ou 920, mais qui pourrait remonter, pour ses phases les plus anciennes, à la fin du viiie siècle. Cet ensemble de sépultures est donc antérieur à la construction de cette structure, mais il est reste très difficile d’en tirer la moindre conclusion dans la mesure où, ici encore, les datations avancées sont circulaires : cette date post quem s’appuie sur la tombe Bj 834 (qui contient un dirham frappé entre 913 et 932) ; difficile dans ces conditions de dater ensuite les tombes à partir de cette structure… On ignore par ailleurs tout de l’impact de la construction du rempart sur l’usage du cimetière45. Les monnaies retrouvées dans ces tombes, lorsqu’elles sont identifiables, fournissent elles-aussi un terminus post quem pour dater la tombe (de la fin du viiie siècle pour la tombe Bj. 964 au premier quart du xe siècle pour nombre d’entre elles), sans qu’on ne puisse déterminer combien de temps la pièce a pu circuler avant de finir au fond de la tombe ou depuis combien de temps elle était portée en pendentif : la combinaison d’un dirham des années 910 et d’une monnaie de Birka ou Hedeby des années 825 dans la tombe Bj. 835 semble indiquer que la seconde, majoritairement retrouvée sous forme de pendentif, pouvait être conservée longtemps, voire se transmettre sur plusieurs générations, comme une amulette ou un signe de prestige. Au total, pas moins de 19 % des poids et balances découverts en Scandinavie proviendraient de sépultures féminines46. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre au monde scandinave : quelques balances ont également été retrouvées dans des tombes en Angleterre (moins nombreuses il est vrai), essentiellement pour les vie et viie siècles dans la région du Kent (à Douvres, Sarre, Broadstairs sur l’île de Thanet, Gilton47…), c’est-à-dire dans une région engagée dans des contacts transmanche très tôt48. Parmi ces quelques tombes ayant livré des balances, deux au moins ont été identifiées comme féminines (à Broadstairs sur l’île de Thanet et à Long Wittenham dans l’Oxfordshire). On interprète traditionnellement ces sépultures comme celles d’épouses de marchands, employant toujours ce terme au masculin et ne parlant jamais de « marchandes » ; ce qui revient à exclure d’emblée l’hypothèse de tombes de femmes ayant des responsabilités économiques, comme peser l’argent lors des transactions49. Or, le choix des objets accompagnant le défunt (ou la défunte) dans sa tombe n’a rien d’anodin et n’est jamais gratuit : le mobilier funéraire est toujours le résultat

45 L. Holmquist-Olausson, Aspects on Birka. Investigations and Surveys 1976-1989, Stockholm (Theses and Papers in Archaeology, B :3), 1993, p. 66-83. 46 J. Jesch, Women…, op. cit., p. 36. 47 C. Scull, « Scales and Weights in Early Anglo-Saxon England », dans Archaeological Journal, 147, 1990, p. 183-215. 48 I. Wood, The Merovingian North Sea, Alingsas, 1983. 49 A. Stalsberg, « Women as Actors in North European Viking Age Trade », dans R. Samson (dir.), Social Approaches to Viking Studies, Glasgow, 1991, p. 75-83 ; C. Hedenstierna-Jonson et A. Kjellström, « The Urban Woman… », art. cit., p. 193-194.

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d’une sélection opérée par la famille et revêt donc une dimension symbolique. C’est le cas des armes, en particulier des épées, symbole statutaire plus que simple attribut guerrier, mais cela a aussi probablement été aussi le cas d’objets aux fortes connotations commerciales, tels que les balances et poids. Dans une tombe féminine, ces objets pourraient donc symboliser les fonctions de la défunte dans l’économie du port, ce qui indiquerait que certaines femmes pouvaient jouer un rôle dans les activités commerciales, dans la mise en circulation des liquidités. La concentration de certaines de ces sépultures (comme le groupe Bj. 835 à 840) dans des secteurs spécifiques des cimetières de Birka pourrait également témoigner du statut particulier de ces défuntes aux yeux de leurs proches, qui choisissent de les inhumer en un point précis ; à moins qu’il ne s’agisse que d’un effet de fouilles et une surinterprétation de notre part, faute de données précises. La plus grande prudence s’impose en effet dans l’interprétation de ce mobilier : Anne Nissen soulignait que les sépultures renfermant balances et poids ou outils de forgeron ont parfois été trop rapidement qualifiées de tombes « de marchands » ou « de forgerons50 », réduisant l’individu en question à une seule fonction et négligeant un peu trop la « polyvalence » des élites masculines51 ; une remarque qui vaut en réalité pour l’ensemble des élites, masculines comme féminines. Ces femmes, en particulier celles enterrées dans les sépultures les plus richement garnies (comme la Bj. 835 ou encore la Bj. 965, dans laquelle ont également été retrouvés les restes d’un cheval), ont pu exercer des fonctions commerciales ; mais peut-on pour autant les réduire à des « tombes de marchandes » ? On ne peut pas plus caractériser un individu par une seule fonction que par son seul sexe ou genre : une « multiplicité de variables […] influent sur sa place dans la société52 ». Les tombes les plus richement garnies plaident en faveur de femmes ayant eu une place importante, une influence dans la société de Birka, peut-être en raison de leurs fonctions économiques, sans qu’il ne soit possible pour autant de les réduire à des tombes de marchandes. La désormais célèbre tombe Bj. 581 illustre parfaitement la polysémie de ces tombes élitaires, dans lesquelles différents objets se retrouvent combinés : des armes, mais aussi trois poids en bronze et un quart de dirham du premier tiers du xe siècle ; autant d’artefacts qui iraient dans le sens d’une femme ayant des liens avec la vie martiale et économique de Birka, nous rappelant à la fois que ce port abritait d’importantes activités commerciales, mais aussi militaires53. S’agit-il de la

50 M. Müller-Wille, « Der frühmittelalterliche Schmied im Spiegel skandinavische Grabfunde », dans Frühmittelalterliche Studien, 11, Berlin, 1977, p. 127-140 ; H. Steuer, « Gewichtsgeldwirtschaften im frühgeschichtlichen Europa », dans K. Düwel et al. (dir.), Untersuchungen zu Handel und Verkehr der vor- und frügeschichtlichen Zeit in Mittel- und Nordeuropa, t. IV : Der Handel der Karolinger- und Wikingerzeit, Göttingen, 1987, p. 405-527. 51 A. Nissen-Jaubert, « Pouvoir, artisanat et échanges dans le sud de la Scandinavie durant les iiie-xe siècles », dans A. Gautier et C. Martin (dir.), Échanges, communications et réseaux dans le haut Moyen Âge. Études et textes offerts à Stéphane Lebecq, Turnhout, 2011, p. 73-88 (p. 77-78). 52 C. Trémeaud, « La richesse des femmes… », art. cit. 53 C. Hedenstierna-Jonson, The Birka Warrior. The Material Culture of a Martial Society (PhD Dissertation), Stockholm, 2006.

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tombe d’une guerrière ? D’une marchande ? Une telle tentative de catégorisation paraît assez vaine, incitant à reconsidérer la question sous un angle plus multidimensionnel, voire « intersectionnel », qui tienne compte du statut social autant que du sexe du défunt54. Cette femme, enterrée en un lieu stratégique, sur une terrasse en position surélevée, entre la ville et la colline fortifiée de Borg (fig. 2), était de toute évidence un personnage ayant un rang social élevé, appartenant à l’élite – guerrière et économique, peut-on supposer – de Birka. Toutefois, certaines voix ont pu s’élever contre les conclusions hâtives et toute forme de « sensationnalisme » concernant les récentes analyses menées sur les restes humains de cette tombe55 : Fedir Androshchuk rappelle fort à propos les problèmes, aussi lourds que nombreux, que soulèvent les techniques de fouille et d’enregistrement des données à Birka depuis le xixe siècle. Sa conclusion, pour être moins bruyante que celle de l’équipe suédoise à l’origine des analyses, n’en est pas moins édifiante : tout porte à croire, à commencer par la relecture des notes prises par Hjalmar Stolpe lors des fouilles et certaines remarques d’Holger Arbman par la suite, que cette sépulture contenait en fait deux corps, celui d’un homme avec ses armes et celui d’une femme. Comme le souligne Fedir Androshchuk, cela ne remet en rien en question la nécessité de reconsidérer les « présupposés concernant le rôle passif des femmes durant époque viking », mais, pour autant, il n’y a toujours « aucune preuve solide qui confirme l’existence de femmes guerrières à l’époque viking »56. En somme, c’est toute l’histoire à succès tissée autour de la « guerrière de Birka » qui se trouve ainsi remise en question. Rien ne permet donc d’exclure les femmes des fonctions économiques, rien ne permet non plus de les y résumer. La diversité de la quinzaine de tombes étudiées et de leur niveau de richesse plaide d’ailleurs en faveur de situations multiples : Birka a probablement accueilli des femmes exerçant des fonctions de marchandes, selon les cas de façon peut-être durable ou plus occasionnellement, seules ou aux côtés de leur mari, des fonctions leur apportant une fortune et un prestige variables, pouvant venir s’ajouter à d’autres sources de richesse et de statut social élevé. Les sources écrites manquent cruellement sur le sujet et ne permettent guère d’y voir beaucoup plus clair : on ne dispose d’aucun texte mentionnant explicitement l’implication de femmes dans le commerce. Le chapitre 20 de la Vie de saint Anschaire est toutefois consacré à un personnage féminin très intéressant : une riche veuve, Frideburg, accompagnée de sa fille Catla. Rimbert emploie des termes assez vagues, mais il semble que la fortune de cette femme n’était pas négligeable, soulignant que les femmes pouvaient posséder des biens importants dans le port marchand de Birka57 et

54 C. Hedenstierna-Jonson et al., « A Female Viking Warrior », art. cit., p. 859. 55 F. Androshchuk, « Female Viking Revisited », art. cit., p. 48. 56 Ibid., p. 58 (trad. fr. personnelle). 57 Le terme census qu’il emploie renvoie selon toute vraisemblance à une somme d’argent assez importante ( J. F. Niemeyer, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, Leyde, 1976, art. « census », p. 167-168, sens 8 et 9).

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qu’une veuve pouvait disposer librement de ses biens58. De fait, les pierres runiques suédoises attestent que les femmes pouvaient hériter en Scandinavie. La longue inscription gravée dans la pierre de Hillersjö (U 29) retrouvée en Uppland et datant probablement du xie siècle raconte par exemple comment la fille de Geirlaug, Inga, après avoir perdu son époux puis son fils, a hérité de ce dernier, et comment Geirlaug a finalement hérité de sa fille59. Dans le cas de Frideburg, on peut se demander d’où provenaient ses biens. Rimbert ne le précise malheureusement pas, mais, dans un lieu tel que Birka, on peut supposer un lien entre cette richesse et des activités commerciales60. Un éventuel mari déjà mort (et jamais mentionné dans le texte) en était-il à l’origine ? À moins que Frideburg ait été la seule artisane de cette fortune. Le texte ne permet pas de trancher, mais montre que, dans tous les cas, cette femme en était la seule gestionnaire peu avant sa mort. Frideburg est d’ailleurs qualifiée par Rimbert de matrona, c’est-à-dire une femme respectée, généralement d’un certain âge, et surtout dotée d’une position sociale assez importante. La dimension exemplaire de cet épisode (Frideburg faisant don de toute sa fortune aux pauvres sur son lit de mort61), peut faire douter de l’authenticité de ce personnage, mais il n’en reste pas moins que cet épisode montre « comment Rimbert a choisi de dépeindre Birka62 », préférant, pour incarner un personnage riche et vieux qui renonce à ses biens à l’article de la mort, une figure féminine à un personnage masculin : le portrait que Rimbert peint de Frideburg, au-delà de sa dimension littéraire, s’inspire très vraisemblablement de figures féminines qu’il a dû rencontrer à Birka. Il est vrai que les femmes furent probablement les premières touchées par la christianisation63, mais c’est peut-être également un signe de leur implication dans la vie économique des emporia. 58 L. H. Dommasnes, « Women, Kinship, and the Basis of Power in the Norwegian Viking Age », dans R. Samson (dir.), Social Approaches…, op. cit., p. 65-73 (p. 70). Le rôle privilégié des veuves n’est spécifique ni à cet espace ni à cette période, comme le montre notamment Paula Clarke avec l’exemple de la riche veuve vénitienne Benvenuta, qui, après s’être enrichie, enseigne à sa fille Franceschina, également veuve, l’art du négoce (P. Clarke, « Le “mercantesse” di Venezia… », art. cit., p. 75). 59 « Geirmundr prit la jeune fille Geirlaug [pour femme]. Puis ils eurent un fils, avant qu’il [Geirmundr] se noie. Et ensuite le fils mourut. Puis elle eut [pour époux] Guðríkr. [Ici l’inscription est mutilée]. Ils eurent ensuite des enfants. Et une fille survécut ; elle fut nommée Inga. Ragnfastr de Snotastaðir l’eut [pour femme]. Puis il mourut, et ensuite le fils. Et la mère en vint à hériter de son fils. Puis elle [Inga] eut [pour époux] Eiríkr. Ensuite elle mourut. Alors Geirlaug en vint à hériter d’Inga, sa fille. Le scalde Thorbjǫrn a gravé ces runes. » (texte sur http://skaldic.abdn.ac.uk/db.php?id= 16866&if= srdb&table= mss, consulté le 7 mai 2018, trad. fr. personnelle). Pour une localisation, voir fig. 1. 60 J. Jesch, Women…, op. cit., p. 90-91. 61 Cet épisode est rapproché, à juste titre, par Jean-Baptiste Brunet-Jailly de la parabole du riche notable relatée en Lc 18:22 (Rimbert, Vie de saint Anschaire, op. cit., p. 186, n. 152). 62 I. Wood, The Missionary Life. Saints and the Evangelization of Europe, 400-1050, Harlow, 2001, p. 131. 63 A.-S. Gräslund, « The Christianization of Central Sweden from a Female Perspective », dans M. Müller-Wille (dir.), Rom und Byzanz im Norden. Mission und Glaubenswechsel im Ostseeraum während des 8.-14. Jahrhunderts, t. 1, Stuttgart, 1997, p. 313-329 ; Ead., « The Role of Scandinavian Women in Christianisation : The Neglected Evidence », dans M. Carver (dir.), The Cross Goes North : Processes of Conversion in Northern Europe, ad 300-1300, York, 2003, p. 483-496 ; B. Sawyer, « Women and the Conversion of Scandinavia », dans U. Vorwerk (dir.), Frauen in Spätantike und Frühmittelalter. Lebensbedingunge, Lebensnormen, Lebensformen, Sigmaringen, 1990, p. 263-281 ; Ead., « Women as Bridge-Builders : The Role of Women in Viking-Age Scandinavia », dans I. Wood et N. Lund (dir.),

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Des médiatrices au cœur des communautés portuaires

La participation des femmes, du moins de certaines d’entre elles, à la vie économique de la communauté semble donc probable, pour des raisons avant tout pratiques : comme nous le rappelle le poème anglo-saxon cité en ouverture de cet article, l’épouse du navigateur frison est présente en permanence dans le port, pendant que son époux sillonne les mers. Or, l’organisation et la gestion des ateliers textiles exigeaient une certaine continuité afin que les voiles en particulier, une des parties les plus fragiles du bateau, qui nécessitaient donc d’être changées plus fréquemment (après une traversée un peu houleuse par exemple), ne viennent pas à manquer. La participation des femmes aux échanges pouvait par conséquent permettre de pallier un certain nombre de difficultés pratiques durant l’absence de leur époux, une absence parfois longue – on ne fait pas un aller-retour Suède-Frise en trois jours – et parfois même définitive – la mer est capricieuse et l’issue d’un raid toujours un peu aléatoire. Les femmes étaient même très vraisemblablement incitées par leur époux à s’occuper pendant leur absence : la femme laissée seule ne doit pas rester oisive, et exercer une activité (artisanale ou marchande) restait probablement le meilleur moyen de ne pas risquer d’être « accus[ée] de turpitudes ». Les femmes assuraient ainsi une forme de continuité dans le port, où elles étaient présentes en permanence, tandis que les hommes étaient en mer (pour commercer ou piller). Elles contribuaient à créer une certaine stabilité, indispensable à la définition d’un sentiment communautaire, dans un espace marqué par la mobilité et diverses formes de mélanges64. En cela, elles participaient pleinement à la structuration de ces communautés portuaires : leur présence dans ces ports était essentielle pour y former des communautés d’habitants stables et un sentiment d’appartenance commune, qu’elles contribuaient à créer en servant également d’intermédiaires entre la communauté et l’extérieur. En effet, les femmes habitant et travaillant dans les ports des mers nordiques ont pu y jouer le rôle de médiatrices, d’« articulatrices », pour reprendre la terminologie – ici féminisée – de l’étude sociologique des réseaux65, en assurant des liens à plusieurs niveaux. Elles servaient de trait d’union entre le port et son arrière-pays : comme elles restaient majoritairement à terre, une partie des contacts avec l’arrière-pays a pu passer par elles, l’absence fréquente des hommes leur conférant des responsabilités accrues66. Elles ont ainsi pu se charger des relations avec les fournisseurs et de la People and Places in Northern Europe 500-1600. Essays in honour of Peter Hayes Sawyer, Woodbridge, 1991, p. 211-224 ; N. L. Wicker, « Christianization, Female Infanticide, and the Abundance of Female Burials at Viking Age Birka in Sweden », dans Journal of the History of Sexuality, 21/2, 2012, p. 245-262. 64 F. L. Bates et L. Bacon, « The Community as a Social System », dans Social Forces, 50/3, 1972, p. 371-379. 65 A. Degenne et M. Forsé, Les réseaux sociaux : une analyse structurale en sociologie, Paris, 1994, p. 8 ; R. V. Gould et R. M. Fernandez, « Structures of Mediation : A Formal Approach to Brokerage in Transactions Networks », dans Sociological Methodology, 19, 1989, p. 89-126 (p. 92-93). 66 C’est également la conclusion que tire Mari Høgestøl de son étude des sépultures de l’ouest de l’Agder (sud de la Norvège), mettant en lumière une hausse de la proportion de sépultures féminines à l’époque viking, qu’elle relie à l’augmentation du travail textile dans une région où les importations

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gestion des stocks et des achats de denrées alimentaires et, très important dans un lieu qui abrite de nombreuses activités artisanales, de matières premières (bois, argile, laine, bois de cervidés…). Mais elles assuraient aussi le lien entre monde extérieur et intérieur des terres, en raison de la nature même de ces ports, où se mêlaient différentes cultures : les emporia des mers nordiques étaient des melting-pots ; et les femmes ont vraisemblablement joué un rôle important dans la fusion des éléments exogènes et indigènes, notamment par le mariage de certaines d’entre elles avec des étrangers. Après tout, le poème anglo-saxon ne dit pas autre chose : « curieuses », elles n’hésitent pas à « pren[dre] soin d’hommes étrangers » et contribuent donc à les intégrer dans leur communauté, en les accueillant – et, pour certaines d’entre elles peut-être, en les épousant. L’exemple de la veuve Frideburg a également permis de rappeler leur place essentielle dans le processus de diffusion du christianisme en Scandinavie, c’est-à-dire d’intégration dans la culture scandinave d’un élément exogène, un processus qui a commencé précisément dans les ports. En ces lieux si particuliers, la femme n’était donc pas seulement la gardienne du foyer, symbolique porteuse des clés, c’était aussi un pont entre le port et le monde extérieur, et ce à plusieurs échelles : locale, en faisant le lien avec la région environnante, et suprarégionale, en faisant le lien entre différentes cultures. C’était peut-être là une des spécificités majeures du rôle des femmes dans ces communautés portuaires, une spécificité que pourrait traduire la richesse du dépôt funéraire accompagnant certaines d’entre elles dans l’autre monde. Dans les emporia, les différents acteurs et actrices économiques ont défini un mode de rapport spécifique au territoire, constitutif de la définition de l’identité de la communauté qu’ils étaient en train de constituer : ce territoire était une charnière, un trait d’union et les femmes y ont probablement joué un rôle non négligeable (quoiqu’impossible à déterminer avec précision), en tant qu’articulatrices à demeure. Elles ont vécu, travaillé et ont été enterrées dans le sol de ce territoire spécifique, marqué par la proximité de l’élément marin, autant de pratiques par lesquelles elles contribuèrent activement à l’appropriation de cet espace67.

Conclusion : des créatrices de stabilité Finalement, difficile de dire si beaucoup de femmes ont pris la mer, élément constitutif de la définition des communautés établies dans les ports des mers nordiques, mais il paraît en revanche assez certain qu’elles prenaient part aux activités de ces lieux, à commencer par la fabrication de voiles, essentielles pour que les hommes puissent, à bord de leur navire, traverser les mers.

de matière première étaient vraisemblablement importantes : une femme pour sept hommes à l’époque romaine ; une femme pour trois hommes à l’époque migratoire ; trois femmes pour deux hommes à l’époque viking (M. Høgestøl, Gravskikk og kjnnsrelasjoner, Masters degree non publié, université d’Oslo, 1983, cité par L. H. Dommasnes dans « Women, Kinship… », art. cit., p. 67-69). 67 J. Morsel, « Appropriation communautaire du territoire, ou appropriation territoriale de la communauté ? Observations en guise de conclusion », dans Hypothèses, 9, 2006, p. 89-104.

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Les traces restent ténues, mais les femmes semblent bien prendre part à des transactions économiques, acheter et vendre, contribuer, par leur travail, au développement d’activités plus spécialisées que dans l’arrière-pays, en particulier en matière de production textile, et, de façon générale, exercer des responsabilités, économiques, mais peut-être aussi dans d’autres domaines, militaire par exemple, comme pourrait l’indiquer la tombe Bj. 581. À ce titre, elles jouaient vraisemblablement un rôle important dans ces communautés portuaires, que les interactions entre genres ont pleinement contribué à définir, avec leurs spécificités : les femmes étaient bien plus que de simples épouses de marchands, du moins certaines d’entre elles. En effet, il reste délicat, faute de sources, de déterminer dans quelle mesure un personnage féminin comme la veuve Frideburg peut être considéré comme représentatif de la condition féminine dans ces lieux : le caractère exceptionnel de cet épisode textuel plaiderait plutôt en faveur du caractère également exceptionnel de cette femme, si elle exista jamais. La défunte de la tombe Bj. 581 reste elle aussi un cas plutôt extraordinaire, même à Birka, site lui-même peu ordinaire ; mais c’est l’ensemble des tombes étudiées par Hjalmar Stolpe et Holger Arbman qui mériterait désormais d’être reconsidéré, pas seulement la Bj. 581. L’histoire est essentiellement faite par les hommes : quelques bribes nous permettent d’entrevoir la place des femmes dans les emporia. Tout porte à croire que ces femmes ne furent pas que des artisanes de voiles : elles contribuèrent aussi à tisser toute une toile de relations sociales. Elles apportaient à ces sociétés marquées par le changement une forme d’équilibre, à l’image des poids de balance accompagnant certaines d’entre elles dans l’au-delà ; elles équilibraient les valeurs matérielles mais aussi humaines, créant une certaine stabilité qui permet peut-être de parler de communautés portuaires pour ces lieux si spécifiques, marqués par le changement et l’hétérogénéité. « Beaucoup ont le cœur constant » nous dit le poète anglo-saxon68, et même, pourrait-on dire, créèrent de la constance par leur présence et leur implication dans la vie du port.

68 Fela bið fæsthȳdigra (poème extrait du Livre d’Exeter cité en ouverture de cet article, v. 102).

Stefano Gasparri

Une communauté à la fois maritime et territoriale Venise jusqu’à l’an 1000

L’intérêt de l’histoire de Venise pendant le haut Moyen Âge ne dépend pas seulement du fait que Venise est une ville nouvelle, ce qui est exceptionnel en Italie, mais du fait que, à ce moment-là de son histoire, elle n’est pas encore une ville. En réalité, Venise est née comme un duché byzantin, construit après l’invasion de la péninsule italienne par les Lombards sur les vestiges de l’ancienne province romaine de Venetia et Histria, dont les limites étaient l’Istrie à l’est et le fleuve Adda à l’ouest1. Cela signifie que, appliqué aux origines de Venise, le concept de communauté est ambigu. Selon les périodes, il peut renvoyer à des réalités en partie différentes. En bref, nous sommes confrontés à une communauté en construction : dans les premiers siècles médiévaux, la ville elle-même, centre politique du duché, et sa structure sociale, politique et institutionnelle se construisent2. Une autre réflexion préliminaire s’impose. En raison de la pauvreté des sources écrites vénitiennes du haut Moyen Âge, il n’est pas facile de réfléchir sur la nature de la communauté vénitienne dans la première période de son existence jusqu’aux environs de l’an 1000, lorsque l’expédition de Pierre II Orseolo en Dalmatie marqua le début d’une nouvelle phase de l’histoire de Venise. Dans les sources, sa nature spécifiquement maritime n’apparaît qu’avec difficulté. La cohésion interne semble être principalement due à la nécessité de répondre à la fois aux défis militaires posés par le pouvoir du continent, lombard puis carolingien, et à la nécessité d’organiser le commerce fluvial (le long du Pô) et maritime3. Le problème de l’histoire ancienne de Venise, cependant, n’est pas seulement l’extrême rareté des sources écrites, mais aussi la quantité de légendes, formées à partir de la fin du Moyen Âge, et qui procèdent des succès exceptionnels de la ville dans

1 S. Gasparri, « The Formation of an Early Medieval Community : Venice between Provincial and Urban Identity », dans V. West-Harling (dir.), Three Empires, Three Cities : Identity, Material Culture and Legitimacy in Venice, Ravenna and Rome, 750-1000, Turnhout, 2015 (SCISAM, 6), p. 35-50. 2 S. Gelichi, « La storia di una città attraverso l’archeologia : Venezia nell’alto medioevo », ibid., p. 51-89. 3 S. Gasparri, « The First Dukes and the Origins of Venice », dans S. Gelichi et Id. (dir.), Venice and Its Neighbors from the 8th to 11th Century. Through Renovation and Continuity, Leyde-Boston, 2017, p. 5-26. Stefano Gasparri • Università Ca’ Foscari, Venise. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 57–66 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118549

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les siècles suivants4. L’étude des origines de Venise est profondément affectée par cette situation, qui plus est renforcée par une historiographie moderne très centrée sur elle-même, qui ne veut pas envisager les nouveaux résultats de la recherche. Dans l’ensemble, les nouvelles tendances historiographiques dépassent la veille théorie selon laquelle Venise, depuis ses origines, fut une réalité purement maritime, dépourvue de liens significatifs avec le continent, tant du point de vue politique que du point de vue social et économique. Les importantes relations de Venise avec la société du regnum Italiae sont désormais bien connues5. Mais le problème de l’identification de la nature de la communauté vénitienne reste. Il faut donc établir ce qui fait une communauté, et plus précisément une communauté de pratique. Dans ce but, en plus des défis militaires et de l’engagement dans le commerce, et avant d’examiner le rôle des institutions politiques, il convient d’observer le conditionnement profond exercé sur la communauté vénitienne par l’environnement particulier dans lequel elle s’est formée : la lagune.

Une communauté lagunaire On peut commencer avec un texte très célèbre. En 536 ou 537, Cassiodore, ministre du roi des Ostrogoths, écrit une lettre aux tribuni maritimorum – fonctionnaires civiles ou officiers militaires de l’armée gothique, responsables des ports et du trafic commercial de la Venetia et Histria – parce qu’ils s’inquiètent du fait que les denrées provenant de l’Istrie et requises par les autorités ostrogothiques (vin, huile, blé) n’arrivent pas assez rapidement à Ravenne. Nous sommes alors au milieu de la guerre entre les Ostrogoths et les Byzantins pour la possession de l’Italie6 ; la lettre se réfère explicitement à la Venetia et à sa partie côtière, où, selon Cassiodore, « le mouvement des marées soit la couvre d’eau soit montre l’étendue des champs7 ». L’auteur de la lettre exalte les aptitudes maritimes des tribuns, qui sont habitués à traverser des espaces infinis et qui n’auront donc aucune difficulté à se rendre en un lieu aussi proche que Ravenne, naviguant par mer ou, quand la mer n’est pas navigable à cause des vents, sur les cours d’eau ; Cassiodore écrit que « de loin on peut croire que [leurs bateaux] sont amenés à travers les prairies, quand ne sont pas visibles les canaux qu’ils parcourent. Ils se déplacent tirés par les cordes […] et les hommes les aident à poursuivre avec leurs pieds8 ». Même leurs maisons sont

4 A. Carile, « Le origini di Venezia nella tradizione storiografica », dans Storia della cultura veneta, t. I : Dalle origini al Trecento, Vicence, 1976, p. 135-166. 5 S. Gelichi et S. Gasparri (dir.), The Age of Affirmation. Venice, the Adriatic and the Hinterland between the 9th and the 10th Centuries, Turnhout, 2017 (SCISAM, 8) ; Id. (dir.), Venice and Its Neighbors…, op. cit. 6 G. Halsall, « The Ostrogothic Military », dans J. J. Arnold, M. S. Bjornlie et K. Sessa (dir.), A Companion to Ostrogothic Italy, Leyde-Boston, 2016, p. 173-199. 7 Cassiodore, Variae, XII, 24, éd. A. Giardina, Rome, 2015, vol. 5, p. 108-111 : alternus aestus egrediens modo claudit, modo aperit faciem reciproca inundatione camporum. 8 Ibid. : putantur enim quasi per prata ferri, cum eorum contigit alveum non videri. Tractae funibus ambulant […] pedibus iuvant homines naves suas.



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spéciales : elles ressemblent aux nids des oiseaux aquatiques et sont « dispersées à travers la mer sur des étendues très larges, et elles sont l’œuvre de la nature, mais ce sont les hommes qui s’en occupent. En effet, dans ces endroits, le sol est rendu plus solide grâce à un tressage de tiges d’osier flexible et on n’hésite pas à opposer cette défense fragile aux vagues de la mer9 ». La société que décrit Cassiodore est une société pauvre, mais égalitaire, parce que la seule chose qu’il y a en abondance, ce sont les poissons, qui nourrissent tout le monde. La seule richesse est la production du sel : « vous tournez les rouleaux au lieu des faucilles et de la charrue », écrit-il, parce qu’« il n’y a personne qui ne souhaite avoir le sel, et à juste titre, parce que toute nourriture a bon goût grâce au sel10 ». Cassiodore termine par une dernière exhortation aux tribuns à agir rapidement, les incitant à réparer « les bateaux que vous gardez attachés aux murs de vos maisons comme des animaux11 » : c’est une image forte qui, en un mot, décrit une société fondée sur l’eau et non pas sur la terre, comme toutes celles situées à proximité de Venise. La hâte du ministre du roi des Ostrogoths était liée aux événements de la guerre. Cassiodore avait donc une raison précise pour s’exprimer ainsi, mais la description qu’il nous a laissée du milieu de la lagune est extraordinaire : les maisons, dispersées dans l’eau comme des nids d’oiseaux, sur un terrain constamment recouvert par les vagues, et laborieusement consolidées avec du bois et des branches ; les bateaux attachés devant les maisons, à fond plat et adaptés à la navigation fluviale, parfois traînés à terre par les marins ; les tâches de transport ; la production du sel. On comprend clairement pourquoi cette lettre de Cassiodore est, inévitablement, le premier texte qui, encore aujourd’hui, est présenté par tous les historiens qui écrivent sur les origines de Venise12. En réalité, il est difficile pour l’historien de l’utiliser correctement. Il ne convient pas, par exemple, de la mobiliser comme on le fait habituellement, pour évoquer une soi-disant « origine sauvage » de Venise, en décrivant une communauté vénitienne déracinée de son passé, totalement nouvelle, le résultat de l’évolution d’un groupe de marins et de pauvres pêcheurs agrandi, à partir d’un certain moment, par les exilés du continent occupé par les barbares. Cette manière de présenter l’origine de Venise permet surtout d’insister sur ce qui comptait pour l’historiographie vénitienne : affirmer l’indépendance absolue de Venise par rapport à tous les pouvoirs extérieurs, de l’Orient comme de l’Occident13. Or le texte ne peut pas être interprété de cette manière, parce

9 Ibid. : per aequora longe patentia domicilia videntur sparsa, quae natura protulit, sed hominum cura fundavit. Viminibus enim flexibilibus illigatis, terrena illic soliditas aggregatur et marino fluctui tam fragili munitio non dubitatur opponi. 10 Ibid. : pro aratris, pro falcibus cylindris volvitis ; nemo est qui salem non desiderat invenire, merito, quando isti debet omnis cibus quod potest esse gratissimus. 11 Ibid. : naves, quas more animalium vestris parietibus alligatis. 12 Voir par ex. G. Ortalli, « Venezia dalle origini a Pietro II Orseolo », dans P. Delogu, A. Guillou et Id., Longobardi e Bizantini, Turin, 1980 (Storia d’Italia UTET, 1), p. 343-345. 13 Les origines de cette interprétation sont médiévales : voir Andrea Dandolo, Chronica per extensum descripta, éd. E. Pastorello, Bologne, 1938-1958 (Rerum Italicarum Scriptores, series 2, XII, 1), p. 69.

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que, comme toutes les lettres de Cassiodore, il est fortement rhétorique14. Aux vie et viie siècles, Venise ne comptait pas que des marins et des pêcheurs. Il est cependant évident que certains des éléments fournis par Cassiodore sont crédibles : ils sont d’ailleurs comparables à diverses observations contenues dans l’œuvre contemporaine de Procope15. Ils nous présentent un milieu très particulier, la lagune de Venise, qui a un caractère liminal, parce qu’il est entre la terre et l’eau. Il est certain que ce milieu a influencé la formation de la communauté lagunaire. Depuis la plus ancienne source vénitienne conservée, une donation du duc Agnello Particiaco au monastère de Saint-Hilaire datée de 819, le conditionnement dû à l’environnement semble très fort. L’abbé obtient de quitter l’île de San Servolo, parce qu’elle était infra paludes, en un lieu où il ne pouvait pas se procurer de la nourriture pour ses moines, et de se déplacer sur la terre ferme, en bordure de la lagune, à proximité de l’embouchure de la Brenta16. La construction de la géographie ecclésiastique est donc déterminée par la nature du milieu. En même temps, la structure de la richesse des élites semble être conditionnée par le milieu. À côté de la terre, des serfs, des animaux – bref, de tout ce qu’il était normal de posséder pour un grand propriétaire –, l’analyse du plus ancien patrimoine vénitien connu, celui présenté dans le testament du duc Justinien Particiaco en 829, met au premier plan l’or, l’argent, les monnaies, les épices. Toutes ces richesses proviennent d’une activité commerciale que le texte mentionne explicitement, car le duc attend le retour d’une expédition commerciale pour connaître la quantité de capital qu’il pourra accorder dans son testament. Bien sûr, le duc possède aussi des bateaux, des étangs où sont bâtis des moulins à eau (aquimoli) et des terrains réservés à la pêche et à la chasse aux oiseaux (piscationes ; avium captiones)17. Nous sommes confrontés au même milieu que celui qui est décrit de manière rhétorique dans la lettre de Cassiodore aux tribuns ; cependant, le document de 829 nous montre une société socialement hiérarchisée et non pas égalitaire, comme le voulait la rhétorique de Cassiodore. Au contraire, l’élite politico-militaire au pouvoir dans le duché vénitien est très riche. Cette élite doit faire face à l’absence de certains matériaux dans la lagune : Justinien et plus tard son frère Jean sont contraints d’utiliser les pierres qu’ils possédaient à Jesolo, sur la terre ferme, pour terminer la construction du monastère de Saint-Hilaire ; avec les pierres restantes, et avec d’autres provenant de la maison d’un certain Théophylacte de Torcello, ils

14 A. Giardina, Cassiodoro politico, Rome, 2006. 15 Procope de Césarée, Guerres, V, 1, éd. M. Craveri, Procopio di Cesarea : Le guerre. Persiana, vandalica, gotica, Turin, 1977, p. 344-345. 16 Tous les documents sont cités d’après l’édition électronique d’A. Pazienza pour le site du « Centro Interuniversitario di Storia e Archeologia del’alto medioevo » : on y trouvera les références des éditions imprimées [en ligne : www.saame.it/fonte/documenti-veneziani-venezia]. Document pour Saint-Hilaire : Documenti veneziani, no 2 (copie du xive siècle). Sur la documentation vénitienne de cette période, voir A. Pazienza, « Archival Documents as Narrative : The Sources of the Istoria Veneticorum and the Plea of Rižana », dans S. Gasparri et S. Gelichi (dir.), Venice and Its Neighbors…, op. cit., p. 32-36. 17 Documenti veneziani, no 4.

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vont bâtir l’église Saint-Marc18. Le fait que la société vénitienne possède un profil différent des autres sociétés de son temps n’est donc pas seulement dû à l’activité commerciale, mais aux conditions mêmes créées par ce milieu, entre la terre et l’eau, qui impose sa marque. D’autres indices de cette situation émergent à des moments différents de la documentation vénitienne du haut Moyen Âge, ce qui nous permet parfois de voir comment les particularités du milieu produisent des formes associatives spécifiques. En 958, le duc Pierre III Candiano donne une saline à un certain Martin qui, avec quelques consortes, avait été chargé de bâtir des salines sur le marais situé ad Arcones, propriété du palais ducal. La seule obligation de la part de Martin consiste à payer un loyer en nature (en sel) et une redevance en argent. De plus, le duc permet à Martin de prendre de la terre des propriétés ducales et de la boue (lotus) du marais du palais pour restaurer le fond de ces salines. Comme l’avait dit Cassiodore, le sel est la richesse de Venise et, pour cette raison, le palais contrôle sa production : le duc stipule l’obligation pour Martin d’entretenir le fondement de la saline, constamment menacé d’être englouti par le marais. À son tour, le duc s’engage à entretenir sa partie des digues qui entourent toute la zone des salines, où évidemment le palais entretenait beaucoup de salines en gestion directe ainsi que d’autres accordées en concession, mais toujours en conservant le droit de les racheter, un fait qui atteste leur importance19. Le palais est propriétaire des marais salants et des marécages, mais le document montre aussi un réseau dense de relations économiques, d’intérêts et de pratiques de travail commun entre le palais et les travailleurs des salines, qui sont quant à eux des consortes réunis en associations.

Une communauté encadrée par des coutumes Dans la lagune, la présence du palais est imposante : il contrôle de près les ressources naturelles spécifiques au milieu lagunaire, ce qui limite l’autonomie des petites communautés locales qui constituent les unités de la communauté vénitienne. Celle-ci en effet, comme l’indique le pactum concédé par l’empereur Lothaire Ier en 840 au duc Pierre Tradonico, est formée par un grand nombre de populi20. L’intervention du pouvoir ducal est clairement visible en 999, lorsque Pierre II Orseolo obtient de la communauté de Fossone, juste au sud de la lagune, la reconnaissance que les canaux et les marais qu’elle revendiquait sont bien la propriété du palais21. Le monastère de Saint-Zacharie, qui est un monastère ducal étroitement lié au palais, possède aussi

18 Ibid. : De petra que habemus in Equilo compleatur hedifficia monasterii Sancti Illarii. Quicquid exinde remanserit de lapidibus et quicquid circa hanc […] e […] iacet et de casa Theophilato de Torcello hedifficetur baxilicha Beati Marci Evangeliste, sicut supra imperavimus. 19 Documenti veneziani, no 17. 20 « Pactum Lotharii », dans Capitularia regum Francorum II, éd. A. Boretius et V. Krause, Hanovre, 1897 (M.G.H., Capit., 2), no 233, p. 130-135. Sur les populi, voir A. Castagnetti, « Insediamenti e “populi” », dans Storia di Venezia, vol. I : Origini, Età ducale, Rome, 1992, p. 577-612. 21 Documenti veneziani, no 35.

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marécages et canaux, qu’il concède (en 996) aux familles qui les utilisent pour pêcher et chasser les oiseaux, payant des loyers en nature : poissons, oiseaux et anguilles22. Ce milieu difficile conditionne aussi bien le comportement du palais que celui des individus qui composent la communauté vénitienne. À côté de l’exploitation des ressources locales, les activités des Vénitiens se tournent naturellement en direction de la mer et des fleuves, et donc vers le commerce, même si en la matière leurs débuts ont été plus lents et plus incertains qu’on a pu le dire et n’ont pas atteint un niveau significatif avant le ixe siècle23. Ici aussi, le palais ducal intervient pour coordonner les activités, imposant un contrôle assez serré. Cela est dû aux relations difficiles avec les voisins de Venise, et d’abord avec ses ennemis, Sarrasins et Slaves, dont la menace est bien présente dans le testament de l’évêque Orso Particiaco, daté de 853, où une partie de ce qu’il lègue est destiné au rachat des prisonniers24. Toutefois, les relations ne sont pas faciles non plus avec Byzance, dont Venise dépend en théorie, et qui impose de l’extérieur des règles aux Vénitiens. Cela conduit, dans la seconde moitié du xe siècle, à des décisions dictant des normes communes à l’activité commerciale, tant en ce qui concerne le commerce des esclaves que celui des armes et du bois. À côté du sel, les esclaves, les armes et le bois sont les principales sources de richesse de l’ancienne communauté vénitienne. L’interdiction du commerce des esclaves (960) s’accompagne de règles restrictives pour le service postal que les bateaux marchands vénitiens effectuent au nom du palais, à destination de Byzance25. Très précises sont également les réglementations portant sur la vente aux Sarrasins d’armes, qui viennent clairement du monde franc, et de bois (en 971) : on spécifie par exemple la taille maximale des pièces de bois qui peuvent être transportées sur les navires et qui proviennent de la terre ferme du duché26. Il est clair que les activités commerciales s’effectuent sous le contrôle très strict du palais ducal. Ces activités ont un impact profond sur la communauté, dont elles contribuent à encadrer les comportements. Dans un placitum ducal de l’année 900, Jean, abbé du monastère de Saint-Étienne d’Altino, après avoir dénoncé les dommages causés à son monastère par les Hongrois, obtient du duc Pierre Tribuno d’être exempté de la rente que le monastère devait payer à l’évêque de Torcello pour l’exploitation d’un bois ; l’obligation est cependant maintenue pour l’abbé de préparer le jour de la fête des saints Côme et Damien, selon la coutume, un déjeuner cum duodecim sedentibus et navigantibus sex tantum27. Dans les documents du royaume d’Italie, on trouve souvent une obligation, pour les donateurs, d’offrir à certains moments de l’année

22 Documenti veneziani, no 30. 23 S. Gasparri, « The First Dukes… », art. cit. p. 19-21 ; Id., « Venezia fra i secoli viii e ix. Una riflessione sulle fonti », dans G. Ortalli e G. Scarabello (dir.), Studi Veneti offerti a Gaetano Cozzi, Venise, 1992, p. 3-18. 24 Documenti veneziani, no 5. 25 Documenti veneziani, no 18. 26 Documenti veneziani, no 19. 27 Documenti veneziani, no 7.

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un repas aux pauvres, qui sont en nombre variable28. Ici, les pauvres sont remplacés par ceux qui semblent être deux catégories typiques de la société vénitienne. En fait, sur la base de la documentation plus tardive concernant le commerce vénitien, qui nous montre les sociétés commerciales réparties entre l’associé « qui reste » (stans) et l’associé « qui voyage », ou mieux « qui combat » (procertans), nous sommes probablement confrontés à la même division29. On notera que, dans le placitum de 971 sur l’interdiction du commerce des armes et du bois avec les Sarrasins, il est précisé qu’elle ne concerne pas trois bateaux de « pauvres » prêts à partir vers l’Afrique du Nord. Il s’agit bien sûr de « pauvres » dans un sens relatif, puisqu’ils sont en mesure d’armer des navires ; mais le mot désigne certainement des gens appartenant à des couches assez modestes de la société vénitienne, comme le suggère la liste de ce qui leur est permis de transporter : planches, bois et caetera minutalia30. Le document de 900 se réfère peut-être plus précisément aux marins pauvres : en tous cas, il est certain que même le déjeuner rituel organisé par l’abbé est conditionné par la relation de la communauté avec la mer, comme l’indique l’allusion évidente aux navigantes. Les coutumes de la plus ancienne communauté vénitienne, auxquelles le placitum pour Saint-Étienne fait seulement allusion, sont en partie mentionnées dans un texte important, déjà cité : le « pacte de Lothaire ». Autrefois considéré comme la preuve de l’indépendance de Venise, ce pactum est en fait une concession faite par l’empereur, qui est aussi le souverain du royaume d’Italie, au duc Pierre Tradonico31. Le pacte met un terme définitif à une période d’hostilités, qui ont laissé des traces importantes : fugitifs, incursions, restitution des prisonniers. Ce pacte confirme également les coutumes en usage depuis longtemps, qui concernent – et c’est là le point intéressant – non seulement l’activité commerciale, mais aussi la vie des populi vénitiens, en particulier (mais pas seulement) de ceux qui vivent à la frontière du royaume d’Italie. La frontière politique séparait anormalement des communautés nécessairement intégrées les unes aux autres ; le pacte intervient pour résoudre les conflits éventuels et établir en même temps les moyens d’intervention des juges32. Le pacte, se référant toujours à une ancienne coutume, protège les troupeaux de la saisie (en particulier ceux de cochons sauvages), interdit le vol de chevaux et

28 S. Gasparri, « I testamenti nell’Italia settentrionale fra viii e ix secolo », dans F. Bougard, C. La Rocca et R. Le Jan (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut moyen âge, Rome, 2005 (Collection de l’École française de Rome, 351), p. 97-113. 29 G. Cracco, « Venezia nel medioevo : un “altro mondo” », dans G. Cracco, A. Castagnetti, A. Vasina, M. Luzzatti (dir.), Storia d’Italia, VII/1, Turin, 1987, p. 56-57. 30 Documenti veneziani, no 19 : Et notum siquidem facimus, quia hoc tempore, antequam missus sancti imperii ad nos venisset, erant conzatae tres naves ad ambulandum, duae ad Megadia et una ad Tripolim, considerantes itaque paupertatem illorum hominum, licentiam eis tribuimus portandi insublos et asses et conchas atque scutellas et caetera minutalia. 31 « Pactum Lotharii », éd. cit. ; G. Ortalli, « Il ducato e la “civitas Rivoalti” », dans Storia di Venezia…, op. cit., p. 746-747. 32 S. Gasparri, « Venezia fra i secoli viii e ix… », art. cit., p. 5-7 ; G. B. West, « Communities and pacta in Early Medieval Italy : Jurisdiction, Regulatory Authority and Dispute Avoidance », dans Early Medieval Europe, 18/4, 2010, p. 374-379.

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d’autres animaux et indique les zones où les troupeaux peuvent paître. Il établit, dans un chapitre très long et précis, les règles de la collecte du bois et du transport par voie d’eau, sur les fleuves et sur la mer, et indique les zones où il est permis de ramasser le bois et celles où c’est interdit, en signalant toujours quels sont les habitants des établissements concernés : ces sites ne sont pas seulement sur la terre ferme, comme Jesolo, mais aussi sur les îles de Rialto, Olivolo, Malamocco et autres. Le pacte indique aussi la quantité de bois qui peut être transporté ou dans une charrette ou ad collum portandum, et enfin protège les arbores portantes : il est donc possible de couper des branches, mais pas d’abattre des arbres, une disposition qui vise à protéger les forêts du duché, dont on pourrait tirer les matériaux pour le commerce, comme on le voit dans le placitum de 971. Au contraire, le bois mentionné dans le pactum est surtout destiné aux besoins matériels des communautés du duché. Tous ces éléments sont des normes pour la vie agricole et pastorale des Vénitiens. Mais le pactum reprend aussi des règles, également coutumières, qui ont trait au commerce : il interdit par exemple la vente comme esclaves des habitants du royaume, mais aussi leur castration – les eunuques étant la catégorie d’esclaves pour laquelle la demande était la plus forte33. En règle générale, le pactum se réfère à l’ancienne coutume qui régissait tout le mouvement commercial des Vénitiens dans le royaume d’Italie, en particulier les droits (le ripaticum) qu’ils devaient payer quand ils commerçaient le long des cours d’eau de la plaine du Pô : une coutume qui découlait d’un pacte beaucoup plus ancien (715), initialement signé par les habitants de Comacchio. Ce pacte, qui avait été étendu aux Vénitiens, conditionnait l’ensemble de leur activité dans le royaume d’Italie34.

Des institutions communautaires L’ensemble de coutumes, agricoles et commerciales, que le « pacte de Lothaire » met par écrit et confirme, était commun à tous les habitants du duché – même si chaque établissement pouvait avoir des règles en partie différentes – et renforçait le tissu communautaire déjà créé par un milieu difficile. La défense de ces pratiques était l’intérêt commun de tous les populi Veneticorum. Pour les défendre efficacement, les Vénitiens avaient des institutions qui s’étaient développées très tôt, à partir de l’ancien duché byzantin. C’étaient des institutions militaires, comme le montre l’inscription de l’église de Sainte-Marie, dans l’île de Torcello, à partir de laquelle on déduit la présence dans la lagune d’un magister militum byzantin en 63935. La présence de troupes byzantines dans la lagune, due à la nécessité pour le duché de se défendre contre la pression des Lombards, peut avoir été le fondement original

33 « Pactum Lotharii », éd. cit., § 3 et 33. 34 « Pactum Lotharii », éd. cit., § 17 ; S. Gasparri, « Venezia fra i secoli viii e ix… », art. cit., p. 8-13. 35 A. Pertusi, « L’iscrizione torcellana dei tempi di Eraclio », dans Id., Saggi veneto-bizantini, éd. G. B. Parente, Florence, 1990, p. 1-31. Voir aussi la contribution de S. Gelichi dans le présent volume, p. 84-85 et 88.

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de l’importance de Venise – bien plus en tout cas que les activités commerciales qui n’ont pas « décollé » aussi tôt qu’on a pu le dire –, et ce n’est peut-être qu’au cours du viiie siècle que le duché est devenu de facto indépendant de Byzance. À ce caractère militaire de la plus ancienne société vénitienne doit être ajoutée la dimension communautaire : l’assemblée, attestée dans les sources du ixe siècle, semble d’origine romaine tardive. Elle est tout à fait semblable aux institutions que nous connaissons en Istrie où, dans un placitum de l’année 804, les Istriens, qui s’appellent parentes des Vénitiens, rappellent l’assemblée à laquelle, dans le passé récent, participaient tous les notables des cités d’Istrie36. La plus ancienne Venise semble bien avoir fait partie d’une communauté nord-Adriatique, qui comprenait l’Istrie et la Dalmatie ; on peut donc supposer que, comme en Istrie, existait dans le duché une assemblée, formée des primates locaux, qui secondaient à l’origine le duc byzantin et ses officiers, et qui devint par la suite un instrument d’autogouvernement37. Nous voyons l’assemblée vénitienne en action pour la première fois à la fin du ixe siècle, à l’occasion d’une passation de pouvoir très troublée. Le duc Jean Particiaco étant malade, les Vénitiens se réunissent dans sa domus pour choisir son successeur, Pierre Tribuno, auquel Jean transmet les symboles du pouvoir : une épée (spata), un sceptre (fustis) et une chaise (sella). Dans l’épée, et même dans le sceptre, on peut reconnaître des symboles provenant du monde italique ; la sella a quant à elle une origine romaine, puisqu’il s’agit du siège sur lequel le magistrat prononçait ses jugements. Les plus anciens symboles – militaires, politiques, judiciaires – du pouvoir ducal que nous connaissions possèdent donc un caractère mixte, romano-byzantin et italique38. La communauté politique qui élut Pierre avait déjà une identité distincte : c’était la patria Venecia, dont Orso Particiaco avait parlé quelques années auparavant dans son testament39. Cette même communauté avait été définie d’une manière particulièrement solennelle dans la donation pour Saint-Hilaire en 819 : le notaire ducal avait écrit que tous les peuples qui vivaient à Venise étaient la plebs Christo dilecta eiusque precioso sanguine acquisita, « le peuple aimé du Christ et racheté par son sang précieux ». La communauté de Venise, ou plutôt sa classe dirigeante, exprimait ainsi haut et fort une conscience de soi proche de celle développée à Rome, où, au cours du siècle précédent et dans un même contexte italien-byzantin, les Romains avaient été qualifiés dans les sources pontificales de populus peculiaris de l’Église, son « peuple particulier40 ». Même les rituels d’élections ducales sont très anciens et ont des liens d’une part avec le continent et de l’autre avec la tradition romaine-byzantine.

36 Plea of Rižana, éd. H. Krahwinkler, Koper, 2004 ; F. Borri, « The Waterfront of Istria : Sea and Identity in the Post-Roman Adriatic », dans S. Gasparri et S. Gelichi (dir.), Venice and Its Neighbors…, op. cit., p. 51-67. 37 S. Gasparri, « Venezia nei secoli viii e ix… », art. cit., p. 14-18. 38 Jean Diacre, Istoria Veneticorum, III, 32, éd. L. Berto, Bologne, 1999, p. 147 ; G. Ravegnani, « Insegne del potere e titoli ducali », dans Storia di Venezia…, op. cit., p. 829-831. 39 Documenti veneziani, no 5. 40 Documenti veneziani, no 2 ; pour les sources romaines, voir S. Gasparri, « L’identità dell’Italia nordorientale e Venezia », dans C. La Rocca et P. Majocchi (dir.), Urban Identities in Northern Italy (800-1100 ca.), Turnhout, 2015 (SCISAM, 5), p. 65-68.

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Mais la mer en tant que telle n’est pas encore présente. Il faut attendre le xie siècle, lorsque le décollage maritime vénitien a déjà eu lieu, pour que la mer trouve sa place dans le rituel d’élection ducale. Nous le voyons pour la première fois en 1071, quand, à la mort de Domenico Contarini, Domenico Silvo est élu duc : la flotte constitue alors l’élément central de la cérémonie. Dans le récit du clerc Domenico Tino, tout le peuple de Venise, sur les navires armés, se rend sur l’île du Lido pour élire, more solito, le nouveau duc. L’assemblée se réunit dans l’église Saint-Nicolas où la foule, manipulée par les partisans de Domenico Silvo, l’acclame comme duc. Porté sur les épaules par les nobles, Silvo est hissé sur un navire et, accompagné par tout le peuple sur les autres bateaux, parmi les chants et le bruit des rames, il arrive à Saint-Marc. Il entre pieds nus dans la basilique, où il est investi de la charge ducale et prend le sceptre sur l’autel du saint. Accompagné par l’armée, le duc se rend au palais pour recevoir les serments du peuple et pour l’échange rituel de dons41. Deux siècles se sont écoulés depuis la nomination de Pierre Tribuno par Jean Particiaco ; entre temps, la mer a acquis une place centrale dans le rituel de l’élection ducale, les bateaux traversent la lagune et, par ce bref parcours, marquent les frontières internes du duché. Après l’an 1000, entre la terre et la mer, cette dernière décidément a pris le dessus, marquant définitivement la nature même de la communauté vénitienne.

41 A. Pertusi, « Quaedam regalia insignia. Ricerca sulle insegne di potere ducale a Venezia durante il medioevo », dans Studi Veneziani, 7, 1965, p. 67-68 pour le texte de Domenico Tino.

Chiara Provesi

La terre et la mer La construction de la mémoire de Venise dans l’Istoria Veneticorum de Jean Diacre

L’objectif de cet article n’est pas tant d’essayer de comprendre si la proximité de la mer a contribué à créer une identité particulière pour Venise que de voir si l’on peut déceler quelques allusions à cette identité dans la plus ancienne chronique du duché, l’Istoria Veneticorum, attribuée à Jean Diacre, homme de cour au temps de Pierre IV Candiano (959-976), Pierre II Orseolo (991-1009) et Otton Orseolo (1009-1026), et datée au plus tard de la deuxième décennie du xie siècle1. L’historiographie, qui s’est longtemps interrogée sur l’identité vénitienne, a souvent appliqué les résultats de ses réflexions à la lecture de l’Istoria. Ainsi, l’interprétation proposée au milieu du xxe siècle par Roberto Cessi2 ou Gina Fasoli3 insistait sur l’indépendance de Venise par rapport aux empereurs occidentaux et orientaux : Venise, fière de sa diversité, se serait adressée aux uns et aux autres comme à des pairs. Cette interprétation se fondait sur la lecture de l’œuvre de Jean Diacre selon laquelle les ducs vénitiens, et surtout Pierre II Orseolo, auraient entretenu avec les grandes puissances de l’époque des relations faites à la fois de confiance et de désinvolture4. Pour reprendre les mots de Gina Fasoli : Aucun autre État – Rome comprise – n’a eu un départ si peu prometteur, dans un environnement aussi pauvre et désolé ; il n’existe aucun peuple qui, en partant d’une base territoriale si exiguë, ait gagné un empire colonial aussi vaste, qui ait mené une action aussi efficace en faveur du développement économique d’un

1 G. Monticolo, « I manoscritti e le fonti della cronaca del diacono Giovanni », dans Bullettino dell’Istituto Storico italiano, 9, 1890, p. 37-328. 2 R. Cessi, Storia della Repubblica di Venezia, vol. I, Milan-Messine, 1944 ; Id., Le origini del Ducato Veneziano, Naples, 1951. 3 G. Fasoli, La storia di Venezia. Lezioni tenute nella Facoltà di Magistero di Bologna durante l’anno accademico 1957-1958, Bologne, 1958. 4 G. Arnaldi et L. Capo, « I cronisti di Venezia e della marca travigiana dalle origini alla fine del secolo xiii », dans G. Arnaldi et G. Folena (dir.), Storia della cultura veneta, vol. I : Dalle origini al Trecento, Venise, 1976, p. 387-432 (p. 392).

Chiara Provesi • Università Ca’ Foscari, Venise. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 67–77 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118550

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continent entier, qui ait combattu pendant des siècles un ennemi, en se défendant lui-même ainsi que toute la chrétienté5. Plus récemment, certains historiens comme Antonio Carile6 et Gherardo Ortalli7 ont entièrement révisé l’idée d’une autonomie complète à une date aussi ancienne. Selon eux, le duché vénitien au haut Moyen Âge était encore fortement subordonné à l’Empire byzantin, dont il dépendait au plan politique. Ici, ce sont donc Byzance et ses relations avec l’Orient qui rendent Venise différente du royaume d’Italie : « Comme on le sait, Venise est un autre monde, un monde unique, un monde qui a une relation particulière avec Byzance », écrivait Reinhard Härtel en 19988. L’identité maritime de Venise, dans cette perspective, se résumerait donc entièrement à ses liens étroits avec Byzance et l’Empire romain d’Orient, face à l’Occident barbare représenté par les différents gouvernements qui se succèdent en Italie depuis les Lombards. L’histoire des conflits qui tourmentent le duché au haut Moyen Âge est alors interprétée comme une lutte entre deux factions politiques qui seraient demeurées en substance identiques pendant des siècles : d’un côté, le « parti de la mer », loyal envers Byzance, dont les représentants sont des membres de l’aristocratie qui fondent leur richesse sur les entreprises maritimes et commerciales ; de l’autre côté, le « parti de la terre », composé de grands propriétaires fonciers, dont la richesse repose sur les territoires du royaume et qui sont en bons termes avec les pouvoirs occidentaux. Selon cette perspective, la guerre entre ces deux factions aurait pris fin autour de l’an 1000 avec le triomphe des Orseolo, champions du parti de la mer, qui aurait permis à Venise de commencer l’évolution qui allait la mener au statut de puissance commerciale.

Au ixe siècle : l’identité vénitienne entre terre et mer, entre Francs et Byzantins L’Istoria Veneticorum est donc souvent interprétée comme le récit de l’opposition entre ces deux partis : selon cette interprétation, Jean Diacre, homme de confiance de Pierre II Orseolo et de son fils, était naturellement favorable au parti de la mer, et son récit, de ce point de vue, visait à dénigrer la partie adverse. Dans quelle mesure est-il effectivement possible de retrouver cette opposition binaire dans l’œuvre de Jean Diacre ? C’est à cette question je tenterai de répondre dans les pages qui suivent.

5 G. Fasoli, La storia di Venezia…, op. cit., p. 5 (sauf mention contraire, les traductions des sources et des propos de chercheurs sont les nôtres). 6 A. Carile, « Venezia e Bisanzio », dans Le relazioni internazionali nell’alto medioevo, Spolète, 2011 (Settimane di Studio del CISAM, 58), p. 629-689. 7 G. Ortalli, « Pietro II Orseolo dux Veneticorum et Dalmaticorum », dans N. Fiorentin (dir.), Venezia e la Dalmazia. Anno Mille. Secoli di vicende comuni, Trévise, 2002, p. 13-27. 8 R. Härtel, « I documenti pubblici di Venezia fra Occidente e Bisanzio », dans G. De Gregorio et O. Kresten (dir.), Documenti medievali greci e latini. Studi comparativi, Spolète, 1998, p. 327-338.

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Prenons par exemple les relations, cordiales ou plus distantes, que les ducs entretenaient au ixe siècle avec les souverains carolingiens. Gherardo Ortalli écrit ainsi : En substance, la politique vénitienne voyait s’affronter deux grandes orientations, aux frontières longtemps mal définies, mais dont les principales caractéristiques étaient claires : l’une pro-byzantine, loyaliste et héritière la plus directe de l’ancienne tradition de bonne entente avec Byzance ; l’autre fondamentalement pro-franque, hostile aux liens avec Byzance9. Comme on le voit, selon cette interprétation, le parti de la mer incarnerait l’identité vénitienne la plus authentique et la plus ancienne, tandis que le parti de la terre, dangereusement attiré par la nouveauté de l’administration carolingienne, chercherait à s’émanciper de Byzance. Ainsi interprété, le récit de Jean Diacre fait de l’histoire des rapports entre Venise et le pouvoir carolingien en Italie un combat entre deux mondes très différents. Fidèles à la nature maritime et orientale du duché, les deux ducs Jean et Maurice Galbaio (797-803) provoquent la mort du patriarche de Grado, politiquement proche des Francs. Mais le patriarche suivant, Fortunat, s’avère être un partisan bien plus convaincu des Francs. Avec l’élection de Christophe, un évêque très favorable à Byzance, au siège épiscopal d’Olivolo, les ducs (toujours selon cette interprétation) doivent faire face au parti de la terre, qui choisit de leur opposer un duc favorable aux Francs, Obelerio (804-810), bientôt flanqué de son frère Beato. Mais l’arrivée de la flotte byzantine, inquiète de la victoire du parti de la terre, pousse immédiatement les ducs à repenser leurs positions, ce qui leur permet d’obtenir des autorités orientales des titres byzantins prestigieux. Pépin, roi d’Italie, lance alors une contre-attaque militaire contre Venise et arrive jusqu’à Pellestrina10. Bien que Jean Diacre rapporte que les ducs se sont vigoureusement opposés à cette attaque et qu’ils en sont ressortis vainqueurs, l’historiographie s’appuie plutôt sur les Annales Regni Francorum qui, pour l’année 809, rapportent que Paul de Céphalonie, commandant de la flotte byzantine, essaya de conclure un accord avec les Francs11. Mais ses efforts auraient été constamment contrecarrés par le comportement factieux des ducs. Gherardo Ortalli estime en effet que, ces derniers appartenant au parti de la terre, ils ne peuvent accepter une paix « dans les termes voulus par Byzance12 ». Les Byzantins, cependant, sont vainqueurs et Obelerio et Beato doivent s’enfuir. Ils cherchent du soutien en Francie, mais sont renvoyés à Constantinople. On les remplace alors par le duc Agnello (811-827) et ses fils Justinien (827-829) et Jean (829-836), de la famille des Particiaci, et représentants du parti de la mer, comme le prouveraient leurs fréquents voyages en Orient. Sous leur autorité, le centre du duché se déplace de Malamocco à Rialto, où se concentraient les familles originaires

9 G. Ortalli, « Il ducato e la civitas Rivoalti : tra carolingi, bizantini e sassoni », dans L. Cracco Ruggini (dir.), Storia di Venezia, vol. I : Origini – Età ducale, Rome, 1992, p. 725-790 (p. 727). 10 Istoria Veneticorum, II, 22-27, éd. L. A. Berto, Bologne, 1999, p. 106-112. 11 Annales Regni Francorum inde ab a. 741 usque ad a. 829, s. a. 809, éd. F. Kurze (M.G.H., SS rer. Germ., 6), Hanovre, 1895, p. 127. 12 G. Ortalli, « Il ducato… », art. cit., p. 727.



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de Cittanova (Eraclea), « qui est traditionnellement présentée comme le gardien fidèle de la tradition pro-byzantine13 ». Qu’est-ce qui, dans l’Istoria Veneticorum, pourrait effectivement venir appuyer cette interprétation ? Pas grand-chose en réalité. Jean Diacre n’évoque pas l’existence de deux factions politiques opposées, qui incarneraient l’identité de Venise du côté de « la terre » ou de « la mer ». Ainsi, quand Jean et Maurice Galbaio abandonnèrent le duché face à la menace que représentait l’élection d’Obelerio, ils ne fuirent pas vers Constantinople, mais en territoire franc : l’un à Mantoue, l’autre en Francie. Au contraire, le nouveau duc pro-franc Obelerio, une fois la paix signée entre Byzantins et Francs, se rendit précisément à Constantinople14. L’Istoria ne dit pas, contrairement aux Annales Regni Francorum, qu’Obelerio fut envoyé par Charlemagne en Orient « par perfidie15 » ; à la différence des Annales, elle rapporte la courageuse résistance des ducs face à l’attaque lancée par Pépin, en contradiction avec leur prétendue appartenance au parti de la terre16. Les titres prestigieux qu’Obelerio et Beato obtinrent de Byzance ne sont pas, dans la version relatée par Jean Diacre, une tentative tardive pour s’assurer la bienveillance d’un empereur qu’ils avaient trahi : il s’agit tout simplement d’une forme de reconnaissance obtenue à l’occasion de la rencontre avec le patrice byzantin Nicétas. En d’autres termes, il n’y a là aucune condamnation du comportement de deux prétendus représentants d’un parti – celui de la terre – présenté comme antagoniste à celui qui aurait eu la sympathie de Jean Diacre. Cette dichotomie est d’autant plus éloignée du récit de l’auteur qu’il n’hésite pas à révéler que le patriarche de Grado, Fortunat, identifié comme un champion du parti de la terre, lie son destin à celui de Christophe, l’évêque pro-byzantin choisi par les ducs précédents, Jean et Maurice17. Il ne manque également pas de parler du conflit entre le patriarche de Grado et le duc Obelerio. Lorsque, finalement, Fortunat est chassé par les Particiaci, la justification invoquée par Jean Diacre n’est pas sa proximité avec les Francs, mais plutôt l’habitude qu’il avait de s’éloigner fréquemment de son siège18. La comparaison avec d’autres sources suggère également une réalité beaucoup plus complexe, qu’on ne peut vraisemblablement pas réduire à une simple dichotomie entre un refus méprisant de dialoguer avec les Carolingiens et une ouverture totale et aveugle à ces derniers. Le plaid tenu à Risano (Rižana) en Istrie en 804, dont il nous reste un célèbre compte-rendu19, nous montre le patriarche Fortunat de Grado, qui selon de nombreuses sources avait de la sympathie pour les Francs, jouer le rôle de médiateur entre les structures du gouvernement carolingien et les représentants

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Ibid., p. 728. Istoria Veneticorum, II, 29, éd. cit., p. 112-114. Annales Regni Francorum, s. a. 811, éd. cit., p. 134 : propter perfidiam. Istoria Veneticorum, II, 27, éd. cit., p. 110-112. Ibid., II, 25, p. 108-110. Ibid., II, 33, p. 116. I placiti del Regnum Italiae, vol. I, éd. C. Manaresi, Rome, 1955 (Fonti per la storia d’Italia, 92), n. 17 ; H. Krahwinkler, In loco qui dicitur Riziano… Zbor v Rižani pri Kopruleta 804. Die Versammlung in Rižana/Risano bei Koper/Capodistria im Jahre 804, Koper, 2004.

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de l’aristocratie istrienne qui, passée de la sphère d’influence byzantine à celle des Francs, cherchait à négocier pour son propre compte une position acceptable. Mais ce que Fortunat fit en cette occasion ne profita pas seulement à la cour : par son attitude conciliante, et en reportant le poids de la faute sur le duc Jean, accusé de nombreuses violences, il parvint à s’assurer personnellement un réseau de relations et de soutiens qui se révélèrent très utiles lorsque, après avoir perdu temporairement son siège, il se réfugia à Pola20. Le plaid de Risano témoigne en outre d’une réalité locale marquée, comme l’a souligné Francesco Borri21, par une situation frontalière et un héritage byzantin partagés avec le duché vénitien, où l’on connaissait et utilisait aussi avec discernement le vocabulaire permettant d’exprimer le prestige social dans la culture carolingienne. Par exemple, comme l’a remarqué Janet Nelson, les capitanei istriens reprochaient au duc Jean l’habitude qu’il avait de détourner à son profit leurs relations avec Charlemagne, en espérant créer un lien qui pouvait le légitimer aux yeux du souverain franc : ainsi Jean se serait approprié les chevaux des capitanei et les aurait offerts en son propre nom, excluant ainsi l’aristocratie istrienne d’une relation prestigieuse avec le pouvoir central ; mais ce conflit montre aussi combien le langage symbolique du pouvoir était partagé entre les acteurs22. De même, les études archéologiques récentes ont montré que le choix de transférer le centre ducal de Venise à Rialto fut influencé par la proximité du siège épiscopal d’Olivolo et par des considérations pratiques, comme la possibilité d’accéder plus aisément à la mer, plutôt que par les origines des familles du parti de la mer23. Enfin, l’idée que ce parti ait pu fonder sa richesse sur le commerce, tandis que celui de la terre se serait appuyé sur ses possessions foncières, ne concorde pas, par exemple, avec le testament de Justinien Particiaco (829), dans lequel il apparaît que ce duc, partisan de l’Orient, avait à sa disposition une grande fortune sous forme de terres dans le royaume24.

Au xe siècle : luttes pour la fonction ducale et intervention ottonienne Cette lecture dichotomique de l’Istoria Veneticorum inspire également les reconstructions proposées par plusieurs chercheurs à propos d’événements plus proches de l’époque de l’auteur, et pour lesquels son récit devient plus développé et détaillé. Tous les faits qui concernent Venise au xe siècle – changements de régime, choix matrimoniaux, luttes à l’intérieur du duché – sont ainsi interprétés soit comme autant

20 D. Rando, « Fortunato », dans Dizionario biografico degli Italiani, vol. 49, Rome, 1997, p. 235-239. 21 F. Borri, « Neighbors and Relatives : The Plea of Rižana as a Source for Northern Adriatic Elites », dans Mediterranean Studies, 17, 2008, p. 1-26. 22 J. L. Nelson, « Charlemagne and Empire », dans J. R. Davis et M. McCormick (dir.), The Long Morning of Medieval Europe. New Directions in Early Medieval Studies, Aldershot, 2008, p. 223-234. 23 S. Gelichi, « Venice in the Early Middle Ages. The Material Structures and Society of “civitas aput Rivoaltum” between the 9th and the 10th Centuries », dans C. La Rocca et P. Majocchi (dir.), Urban Identities in Northern Italy, 800-1100 ca., Turnhout, 2015, p. 251-272. 24 R. Cessi, Documenti relativi alla storia di Venezia anteriori al mille, vol. I, Padoue, 1942, n. 53.

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de manifestations de soutien au parti de la mer – censé refléter l’identité vénitienne la plus authentique et incarné, en fin de compte, par la famille des Orseolo – soit au contraire comme autant de formes d’adhésion au parti de la terre – représenté par la famille des Candiano. Ces deux familles se disputent en effet la charge ducale dans la seconde moitié du xe siècle, en particulier lors d’un des moments les plus critiques de cette période de l’histoire vénitienne, qui voit s’affronter les deux familles aristocratiques des Coloprini et des Morosini. Ce conflit fit des morts et entraîna l’intervention de la cour impériale d’Otton II, qui décréta un embargo sur la lagune. Cet épisode conflictuel est habituellement interprété selon le même schéma : afin de l’emporter sur ses adversaires, la famille des Coloprini, fidèles alliés des Candiano, aurait vendu le duché à l’empereur d’Occident, tandis que les Morosini, alliés des Orseolo, aurait énergiquement défendu la patrie contre l’envahisseur germanique25. Mais là encore, on ne trouve dans l’œuvre de Jean Diacre aucune allusion à un attachement des Morosini à l’identité maritime de Venise, ni à une proximité des Coloprini avec la cause occidentale. Les critiques concernant l’empereur Otton II sont uniquement motivées par son acte violent contre le duché, Jean Diacre mettant par ailleurs en avant le courage du souverain à l’occasion de son expédition en Italie du Sud26. On ne perçoit aucune critique des exilés vénitiens, pas même lorsqu’ils offrirent le duché à Otton : le « forfait infâme » (nequissimus scelus) dont parle le texte est celui accompli par l’empereur et non celui des aristocrates vénitiens27. La comparaison avec d’autres témoignages documentaires montre qu’une querelle au sujet du partage de l’héritage du défunt duc Pierre IV Candiano était probablement à l’origine du conflit. Dans cette affaire furent impliqués, comme nous l’apprend le récit de Jean Diacre, d’un côté la famille de Waldrade, veuve du défunt duc, et par son intermédiaire son frère Hugues de Tuscie, homme de confiance des impératrices Adélaïde et Théophano ; et d’autre part l’abbaye ducale de Saint-Zacharie, théâtre des actes les plus violents au cours de l’affrontement entre les Coloprini et les Morosini. Grâce à une utilisation habile du vocabulaire et à une reconstruction de l’ordre chronologique des événements, Jean Diacre parvient à représenter l’affaire comme une attaque militaire lancée par Otton II contre les territoires vénitiens, et non, comme cela fut plus probablement le cas, comme le soutien offert par la cour vénitienne – mais aussi par Hugues de Tuscie, personnellement impliqué – à l’une des factions en conflit, qui bloquait les liaisons entre Venise et l’intérieur en contrôlant les centres névralgiques de l’arrière-pays28.

25 S. Romanin, Storia documentata di Venezia, Venise, 1972, p. 187 ; A. Battistella, La repubblica di Venezia ne’ suoi undici secoli di storia, Venise, 1921, p. 68 ; R. Cessi, Venezia ducale, vol. I, Venise, 1940, p. 345. 26 Istoria Veneticorum, IV, 23, éd. cit., p. 170-172 ; J. Banaszkiewicz, « Ein Ritter flieht, oder wie Kaiser Otto II. sich vom Schlachtfeld bei Cotrone rettete », dans Frühmittelalterliche Studien, 40, 2006, p. 145-165. 27 Istoria Veneticorum, IV, 24, éd. cit., p. 172. 28 C. Provesi, « Il conflitto tra Coloprini e Morosini : una storia di fiumi, di terre e di persone », dans S. Gasparri et S. Gelichi (dir.), I tempi del consolidamento. Venezia, l’Adriatico e l’entroterra tra ix e x secolo, Turnhout, 2017, p. 177-213. On trouvera dans cet article l’ensemble des références aux sources, ainsi qu’une argumentation qui montre la connexion entre la querelle et l’héritage du duc Candiano.

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En fin de compte, si dans la reconstruction faite dans l’Istoria on ne perçoit pas l’existence des deux partis « de la terre » et « de la mer », la chronique crée néanmoins un récit et une mémoire officiels des événements. L’auteur ne dénigre pas explicitement ceux que l’on considère en général comme ses adversaires, mais il choisit de garder le silence sur quelques détails : il fournit certaines informations, mais en omet d’autres, sans jamais mentir, simplement en manquant de précision le cas échéant.

Les femmes dans l’Istoria Veneticorum Cette stratégie narrative est particulièrement visible à travers la manière dont l’auteur décrit les personnages féminins. Contrairement à d’autres sources à peu près contemporaines, comme l’Antapodosis29 ou le Chronicon Salernitanum30, l’Istoria Veneticorum ne contient pas de portraits de femmes très vivants et détaillés. Leurs rares apparitions dans le récit se trouvent majoritairement dans le dernier des quatre livres de l’œuvre, qui contient le récit des faits les plus proches dans le temps. Dans ces rares cas, l’auteur s’attarde peu sur la description des personnages féminins : les informations fournies restent assez maigres et laconiques. Waldrade, la femme du duc Pierre IV Candiano, en est un parfait exemple. Traditionnellement, ce mariage est considéré la preuve évidente de l’intérêt de Pierre pour les affaires occidentales, et de nombreux ouvrages, y compris relativement récents, rappellent ses sympathies dans ce sens31. Le choix d’épouser Waldrade, qui appartenait à une famille très importante du royaume d’Italie, et de répudier à cette occasion sa première épouse, aurait été, selon cette interprétation, la principale raison de la ruine de Pierre IV et de son assassinat. Toutefois, Jean Diacre ne semble pas partager cette condamnation du comportement du duc. L’auteur se limite à dire qu’il gagna ainsi de grandes richesses territoriales dans le royaume, qu’il entendait défendre avec le soutien de « soldats venus de l’extérieur32 ». En recoupant les sources, on apprend que ces 29 Liutprandi episcopi Cremonensis Antapodosis, éd. J. Becker, Hanovre, 1915 (M.G.H., SS rer. Germ., 41) ; voir aussi Liudprand de Crémone : Œuvres, éd. et trad. F. Bougard, Paris, 2015. 30 Chronicon Salernitanum. A Critical Edition with Studies on Literary and Historical Sources and on Language, éd. U. Westerbergh, Stockholm, 1956. 31 E. Musatti, Storia di Venezia, vol. I, Venise, 1968, p. 35-36 ; M. Pozza, « Vitale-Ugo Candiano. Alle origini di una famiglia comitale del regno Italico », dans Studi veneziani, n. s., 5, 1981, p. 15-32 ; L. Marjetič, « Le cause della spedizione in Dalmazia nel 1000 », dans A. Margetic (dir.), Histrica et Adriatica. Raccolta di saggi storico-giuridici e storici, Trieste, 1983 ; G. Ortalli, « Il mercante e lo stato : strutture della Venezia altomedievale », dans Mercati e mercanti nell’alto medioevo : l’area euroasiatica e l’area mediterranea, Spolète, 1993 (Settimane di Studio del CISAM, 40), p. 85-138. L. A. Berto, éditeur de l’Istoria Veneticorum, en fait lui aussi mention, p. 251, n. 20. 32 Istoria Veneticorum, IV, 11, éd. cit., p. 160-162 : milites exteros. Sous la plume de Jean Diacre, l’expression n’est pas porteuse de condamnation, mais souligne plutôt le lien prestigieux avec Hugues, grâce à qui le duc Pierre a obtenu terres, servantes et hommes armés du royaume. Jean Diacre affirme d’ailleurs quelques lignes plus loin que Pierre était terrible envers les étrangers (extraneosque sibi obsistentes ulciscendo devinceret). Les mots exteros et extraneos désignent donc tout autant les alliés que les ennemis du duc. Ce que l’auteur met principalement en lumière, c’est surtout la soif de pouvoir et la sévérité de Pierre, ses alliances stratégiques et la dure répression des opposants.

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richesses, probablement situées en Vénétie du Sud, furent restituées à Waldrade peu après la mort de son mari33. Malgré son implication dans la querelle née autour de l’héritage de Pierre IV – qui, comme nous l’avons souligné, se déroulait en parallèle de la dispute entre les Coloprini et les Morosini –, le patrimoine que la veuve gagna à cette occasion ne fut pas affecté. Mais l’Istoria ne fait pas la moindre allusion à ces événements successifs : Jean Diacre semble ainsi suggérer que Venise et son duc disposaient encore des terres obtenues grâce au mariage avec Waldrade. La duchesse n’est donc pas considérée dans l’Istoria comme l’incarnation des ambitions et tentations du royaume ; son personnage est plutôt utilisé pour décrire les avantages obtenus grâce à la prestigieuse alliance avec la famille du marquis de Tuscie. Afin de confirmer que le récit de Jean Diacre ne cherche pas à distinguer une identité « de terre » et une identité « de mer » pour Venise, on peut se pencher sur la façon dont un autre personnage féminin important, Felicia, la femme de Pierre Ier Orseolo (976-978), est présenté dans le texte. On a vu que contrairement aux Candiano, les Orseolo incarnent dans l’historiographie traditionnelle le parti de la mer. Or, à propos de Felicia, Jean Diacre se contente de dire qu’elle n’eut qu’un fils, le futur duc Pierre II Orseolo, et de préciser qu’elle était aussi vertueuse que son mari34 : après la conception de leur fils, le couple décida de cesser toute relation sexuelle, afin d’assurer l’unicité et la légitimité de la succession. Bref, l’auteur, ne s’attarde pas à dresser un portrait flatteur d’une Felicia « de la mer », et ne fait aucun parallèle avec l’épouse de Pierre IV Candiano, prétendument « de la terre ». La mention de son unique grossesse est importante, car nous connaissons au moins deux autres enfants de Pierre Ier Orseolo. Une reconstruction prosopographique fondée sur l’analyse de certains documents notariaux nous apprend en effet l’existence de Dominique Orseolo, fils de Pierre Ier, qui s’unit à un important groupe familial de l’arrière-pays en épousant une fille du comte Vital-Hugues Candiano35. Jean Diacre lui-même sous-entend également la présence d’une fille de lorsqu’il précise que, lors de son retrait du monde, le duc – qui termina ses jours à l’abbaye Saint-Michel-de-Cuxa –, était accompagné par son gendre Jean Morosini36. On peut supposer avec Luigi Andrea Berto que Jean Diacre dit la vérité, et que les autres enfants seraient illégitimes37. L’affirmation selon laquelle Felicia – et non pas Pierre – aurait eu un seul fils apparaît donc correcte. Par conséquent, sur ce sujet aussi, l’Istoria fournit seulement certaines informations, l’auteur choisissant d’en taire d’autres, peut-être plus gênantes. En effet, dans les premières décennies du xie siècle au plus tard, la famille de Vital-Hugues, dont Jean oublie de mentionner le lien de parenté avec les ducs, semble être une

33 I placiti del Regnum Italiae, vol. II, éd. C. Manaresi, Rome, 1957 (Fonti per la storia d’Italia, 96), n. 181 ; C. Provesi, « Le due mogli di Pietro IV Candiano (959-976) : le donne e i loro gruppi parentali nella Venezia del x secolo », dans Reti Medievali Rivista, 16/2, 2015, p. 21-51. 34 Istoria Veneticorum, IV, 14, éd. cit., p. 164 : sibi conjux Felicia nomine et merito. 35 A. Castagnetti, La società veneziana nel Medioevo, t. II : Le famiglie ducali dei Candiano, Orseolo e Menio e la famiglia comitale vicentino-padovana di Vitale Ugo Candiano (secoli x-xi), Vérone, 1993, p. 45-46. 36 Istoria Veneticorum, IV, 18, éd. cit., p. 166-168 ; M. Stoffella, « Giovanni Morosini », dans Dizionario biografico degli Italiani, vol. 77, Rome, 2012, p. 138-140. 37 Istoria Veneticorum, éd. cit., p. 252-253.

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rivale inquiétante, trop proche des possessions de l’abbaye de Saint-Zacharie : les membres de ce groupe essayèrent laborieusement de renégocier leur position de manière plus favorable. Ici aussi, le but ne semble pas être de magnifier les vertus des femmes du parti de la mer, porteuses de l’identité vénitienne « authentique », face aux épouses des ducs davantage liés au monde occidental. Il en va de même pour la femme peut-être la plus importante de tout l’ouvrage, Marie Argyropoulina. Selon le récit de Jean Diacre, afin de sceller son alliance avec l’empereur byzantin, le duc Pierre II Orseolo décida de répondre à la suggestion, faite par les co-empereurs Basile II et Constantin VIII en personne, d’envoyer à Constantinople son fils Jean afin de négocier un mariage avec une princesse byzantine38. On choisit Marie, que l’Istoria présente, avec peut-être un peu d’exagération, comme la « nièce des empereurs ». Le lien qui l’unissait aux souverains était en réalité plus complexe, mais il n’en demeure pas moins que Marie appartenait à l’un des groupes familiaux les plus importants de la cour impériale, puisqu’elle était l’arrière-petite-fille de Romain Ier Lécapène39. Cette union occupe une place importante dans l’Istoria, à travers le récit des très longues réjouissances qui suivirent à Constantinople et à Venise, mais aussi celui de la mort de Marie, emportée par la peste avec son mari et son jeune fils : selon Jean Diacre, toute la cour ducale interrompit alors ses activités. Pierre II rédigea son testament, dans lequel il réaffirma le droit des fils qu’il lui restait, dont Otton, qui succéda à son père à la tête du duché. Les filles encore célibataires furent envoyées au monastère, afin d’empêcher l’apparition de toute éventuelle ligne collatérale. Enfin, le duc et son épouse Marie décidèrent de s’abstenir désormais de tout rapport sexuel40. Autrement dit, la mort de l’héritier désigné et de sa jeune épouse conditionne, dans le récit de Jean Diacre, la nécessaire transmission de la charge à Otton. Ici non plus, on ne trouve donc pas la représentation idéalisée de l’identité maritime de Venise, que Marie aurait pu incarner en raison de ses liens de parenté avec l’empereur byzantin. Au contraire, dans le récit qu’il fait de ces événements, Jean Diacre ne manque pas de souligner avec insistance le lien très étroit qui unissait également Pierre II Orseolo à l’empereur Otton III, et qui fut scellé par une relation de parenté, ici spirituelle : l’empereur fut en effet le parrain d’un des fils du duc41. Jean Diacre choisit donc avec le plus grand soin les informations à passer sous silence, ce que l’on peut vraisemblablement interpréter comme une stratégie de défense dans un contexte d’insécurité politique. Dans ce cadre, son principal objectif est de soutenir la politique des Orseolo, et non de célébrer les actions d’un quelconque parti de la mer. L’Istoria elle-même suggère l’existence de tensions à Venise, déjà présentes à l’époque du mariage entre Jean Orseolo et Marie. En effet, lorsque les nouveaux époux revinrent de Constantinople, la chronique raconte qu’une petite flotte fut envoyée vers eux pour les escorter jusqu’au palais sains et saufs (incolomes), sous-entendant donc que leur sécurité était menacée42.

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Ibid., IV, 71, p. 206. A. Carile, « Venezia e Bisanzio », art. cit., p. 658-659. Istoria Veneticorum, IV, 77, éd. cit., p. 210-212. Ibid., IV, 70, p. 206. Ibid., IV, 73, p. 208.

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Par ailleurs, l’image idéalisée qu’offre Jean Diacre de l’alliance matrimoniale entre Byzantins et Vénitiens n’est pas la seule version des faits dont nous disposons : en 1066, dans une lettre remplie d’arguments moralisateurs à l’intention d’une certaine Blanche, Pierre Damien dresse un portrait très différent de Marie43. Selon lui, c’est parce qu’elle était excessivement attachée au soin de son corps, se lavant avec de l’eau de pluie et se parfumant sans modération, que l’aristocrate byzantine mourut d’une terrible maladie, présentée comme un châtiment divin, qui détériora sa chair et la rendit terriblement malodorante. Peu de temps après, Pierre Damien propose donc une version diamétralement opposée à celle de Jean Diacre. Mais il est peu probable qu’il se soit contenté de lire l’Istoria et d’en inverser de façon polémique les arguments : on trouve en effet dans la lettre adressée à Blanche des éléments qui ne sont pas présents dans la chronique vénitienne, comme l’allusion à l’habitude qu’avait Marie de manger avec une fourchette. Pierre Damien a donc dû avoir recours à d’autres sources d’informations, en particulier pour la mention de l’eau de pluie utilisée pour le bain44. Il s’agissait en effet d’un mode d’approvisionnement en eau habituel dans la lagune et, comme l’ont montré des études archéologiques récentes sur les citernes domestiques employées à cet usage, l’eau ainsi recueillie devait être gérée avec parcimonie. Dans un tel contexte, le gaspillage frivole de cette ressource précieuse a pu être particulièrement mal perçu, comme l’a observé Cristina La Rocca45. Cela pourrait alors indiquer, de façon indirecte, que l’auteur de la lettre tenait cette information d’une source que nous pouvons supposer vénitienne. Il est donc possible qu’ait circulé, en milieu vénitien, une description diffamatoire de Marie Argyropoulina, la « Byzantine ». Le parti de la terre serait-il à l’origine de cette version des faits différente de celle proposée par l’Istoria Veneticorum ? Cela paraît peu probable. À la lecture de la lettre de Pierre Damien, il semble en fait que le principal reproche adressé à Marie n’était pas tant son identité orientale que le fait qu’il s’agissait d’une étrangère, qui ne connaissait pas les traditions locales. Le cliché littéraire qui fait des origines étrangères des femmes un motif de discrédit est assez courant46. Il semble donc que la représentation des épouses des ducs dans l’Istoria Veneticorum – avec son insistance sur le contrôle du lit conjugal, visant à établir une ligne de descendance légitime – et la version de l’histoire de Marie telle que la rapporte Pierre Damien témoignent plutôt de l’influence que la réflexion sur le mariage, élaborée à l’époque carolingienne et poursuivie jusqu’à la réforme ecclésiastique du xie siècle, a eue en milieu vénitien47 : celui-ci apparaît donc comme un milieu certes maritime et de tradition byzantine, mais aussi frontalier du royaume d’Italie.

43 Die Briefe des Petrus Damiani, n. 66, éd. K. Reindel, Munich, 1988 (M.G.H., Briefe d. dt. Kaiserzeit, IV, 2), vol. 2, p. 270. 44 Pierre Damien parle de la « rosée du ciel » (rorem caeli). 45 C. La Rocca, « Foreign Dangers : Activities, Responsabilities and the Problem of Women Abroad », dans Early Medieval Europe, 23, 2015, p. 410-435. On trouvera dans cet article une plus ample bibliographie sur le sujet. 46 Ibid. 47 R. Le Jan, « Le couple aristocratique au haut Moyen Âge », dans Médiévales, 65, 2013, p. 33-46, comporte une bibliographie assez riche.

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Conclusion Pour conclure, l’Istoria Veneticorum semble avoir été écrite afin de créer rapidement une mémoire historique permettant à Otton Orseolo, fils et héritier de Pierre II, de conserver la position politique de son père. Autant d’aspects qui paraissent liés aux nécessités du moment, probablement marqué par une certaine instabilité, et entraînant une renégociation des rapports de force à l’intérieur comme à l’extérieur du duché48. En définitive, le projet de l’Istoria Veneticorum n’est probablement pas de célébrer ouvertement l’identité maritime de Venise ou sa puissance commerciale : les marchands sont d’ailleurs très peu présents dans le récit49, ce qui est étonnant, surtout lorsque l’on compare ce texte avec d’autres sources contemporaines, comme la Translatio sancti Marci, dans lesquelles leur présence est très importante50. Walter Pohl nous a mis en garde contre le danger de concevoir des groupes sociaux et politiques faisant l’objet de récits d’origine à la fois cohérents, homogènes et dotés de caractères distinctifs51. En tenant compte de cette recommandation fort raisonnable, l’histoire de Venise ne doit pas être interprétée de façon à faire entrer de force ses événements politiques complexes, les choix opérés par ses familles et son contexte culturel dans une grille trop rigide, qui distinguerait nettement deux partis (« de la terre » et « de la mer »), statiques et en perpétuelle opposition. Par conséquent, tous les efforts visant à voir dans l’Istoria Veneticorum une défense de la nature la plus ancienne et authentique du duché, une nature orientale et maritime, courent le risque de déformer sérieusement le texte.

48 Sur ce contexte, qui correspond en particulier au grave conflit qui oppose, à partir de 1019, le patriarcat d’Aquilée et le duc Otton Orseolo, voir Istoria Veneticorum, IV, 33-35, éd. cit., p. 178-182 ; I placiti del Regnum Italiae, vol. II, éd. cit., n. 224, 238, 240 et 241. Voir aussi S. Gasparri, « Dagli Orseolo al Comune », dans L. Cracco Ruggini (dir.), Storia di Venezia…, op. cit., p. 791-826 (p. 793). 49 G. Fasoli, « I fondamenti della storiografia veneziana », dans A. Pertusi (dir.), La storiografia veneziana fino al secolo xvi : aspetti e problemi, Florence, 1970, p. 11-44. 50 E. Colombi, « Translatio Marci evangelistae Venetiae », dans Hagiographica, 17, 2010, p. 73-129. 51 W. Pohl, « History in Fragments : Montecassino’s Politics of Memory », dans Early Medieval Europe, 10/3, 2001, p. 343-374 (p. 353) ; Id., « Aux origines d’une Europe ethnique. Transformations d’identités entre Antiquité et Moyen Âge », dans Annales H.S.S., 60/1, 2005, p. 183-208.

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Communautés lagunaires dans l’Adriatique pendant le haut Moyen Âge Venise et Comacchio comparées

Habiter des terres insolites et inhospitalières Dans un rapprochement audacieux, mais plausible, Richard Hoffmann a pu comparer l’histoire des Frisons à celle des Vénitiens – et des Comacchiens (fig. 1)1. Une histoire d’adaptation réussie à des conditions environnementales peu attractives par des populations européennes dont le régime alimentaire était essentiellement fondé sur les céréales (grain-eating oriented). Une adaptation qui a poussé les communautés à modifier leur milieu naturel et, plus tard, à développer d’autres aptitudes, comme un sens aigu du commerce. Dans le cas des Frisons, « la dimension commerciale […] fut anéantie au ixe siècle […] par la compétition commerciale nordique autour de la mer du Nord », mais surtout par la modification du mode de vie entraînée par les travaux de remblayage et de drainage qui ont mené vers « la normalité que représentent la production et la consommation de céréales2 ». En revanche, les Vénitiens se tournèrent majoritairement vers les activités commerciales, sur lesquelles fut bâtie la fortune de la future Sérénissime. Toutefois, vivre dans une lagune n’était probablement pas considéré comme quelque chose de « normal » : encore au début du xie siècle, les préposés du palais royal de Pavie trouvaient surprenante l’existence d’un peuple qui ne laboure pas, ne sème pas et ne récolte pas, mais qui satisfait ses besoins grâce aux ports du Pô3. Par conséquent, adapter des espaces apparemment inhospitaliers – c’est-à-dire les adapter au problème de l’approvisionnement alimentaire et, peut-être encore plus important, hydrique –, était sûrement une entreprise complexe et, ajoutons, par certains aspects malaisée. Dans le cas de Venise, il est traditionnellement admis que les raisons de ce choix étaient liées à la sécurité4. Cette lecture découle des

1 R. C. Hoffmann, An Environmental History of Medieval Europe, Cambridge, 2014, p. 71-78. 2 Ibid., p. 74 : « grain-growing, grain-eating normalcy » (traduction des éditeurs). 3 Ibid., p. 77. 4 É. Crouzet-Pavan, Venise triomphante. Les horizons d’un mythe, Paris, 1999, p. 19-24. Sauro Gelichi • Università Ca’ Foscari, Venise. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 79–96 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118551

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Fig. 1. Comacchio (FE), Venise et les principaux lieux mentionnés dans le texte (dessin : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

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sources narratives qui mettent l’accent, dans des formes de toute évidence dramatisées et amplifiées, sur des épisodes de transfert systématique des habitants – de villages entiers, pourrait-on dire – depuis la terre ferme vers la lagune5. Même en admettant la pertinence de cet argument, on se demande pour quel motif, une fois les vicissitudes passées, la population aurait continué à vivre dans la lagune si cela n’avait pas été jugé utile. Comacchio, l’autre nouveau centre apparu au viiie siècle près de l’embouchure du Pô, s’est elle aussi développée dans un environnement lagunaire, et dans des conditions, nous le verrons, semblables à celles de Venise6. Mais la trajectoire de Comacchio est beaucoup plus courte que celle de Venise. Dès le ixe siècle, des sources écrites et archéologiques concordantes laissent apercevoir le début d’une crise, qui aboutit au xe siècle au déclin définitif de la ville7. Comacchio n’eut pas, contrairement à Venise, le temps de développer son propre récit des origines. Elle n’a pas eu un chantre bien à elle, comparable à l’auteur de l’Istoria Veneticorum, qui qu’il fût8. Les historiens ont donc dû rechercher les raisons de l’émergence de ce site dans les rares sources écrites qui le mentionnaient et, dans celles-ci, ils ont cru déceler avant tout des fonctions militaires. Comacchio aurait été un castrum de frontière, construit pour assumer une fonction défensive contre les Lombards9. Mais si ces raisons peuvent être plausibles dans une péninsule traversée entre le vie et le viie siècle par des tensions continues – et même par de véritables guerres –, quelles auraient été les raisons justifiant le développement de l’habitat sur le même lieu durant le viiie siècle, lorsque la situation politique rendait sa position moins stratégique et moins utile ? Cet article vise ainsi à préciser dans quels espaces géographiques ces deux agglomérations se sont développées ; à expliquer ensuite comment ce choix







5 De tels événements, ainsi que les rapprochements entre villes de la terre ferme et nouveaux centres nés dans la lagune semblent être des « ajustements » successifs qui expliquent les abandons (ou crises) des villes de la terre ferme et la légitimité des implantations dans la lagune. Sur la complexité du phénomène inscrit dans un cadre plus général, voir C. La Rocca, « “Castrum vel potius civitas”. Modelli di declino urbano in Italia settentrionale durante l’alto medioevo », dans R. Francovich et G. Noyé (dir.), La storia dell’alto medioevo italiano (vi-x secolo) alla luce dell’archeologia, Florence, 1994, p. 546-550. 6 La littérature historique et archéologique sur Comacchio est vaste. Pour une approche générale du site et de son histoire, voir le récent S. Gelichi, « Comacchio : A Liminal Community in a Nodal Point », dans Id. et S. Gasparri (dir.), Venice and Its Neighbors from the 8th to 11th Century, Leyde, 2017, p. 142-167. 7 S. Gelichi, D. Calaon, E. Grandi et C. Negrelli, « The History of a Forgotten Town : Comacchio and Its Archaeology », dans S. Gelichi et R. Hodges (dir.), From One Sea to Another. Trading Places in the European and Mediterranean Early Middle Ages, Turnhout, 2012, p. 169-205. 8 Sur le possible auteur de l’Istoria Veneticorum, voir Giovanni Diacono, Istoria Veneticorum, éd. L. A. Berto, Bologne, 1999, p. 7-12 (Istituto Storico Italiano per il Medioevo. Fonti per la Storia dell’Italia medievale). 9 Il s’agit là de la position traditionnelle, étayée par des arguments (y compris archéologiques) à notre sens faibles, défendue par S. Patitucci Uggeri, « Il “castrum Comiacli” : evidenze archeologiche e problemi storico topografici », dans La civiltà comacchiese e pomposiana dalle origini preistoriche al tardo medioevo, Bologne, 1986, p. 263-302 ; Id., « I castra e l’insediamento sparso tra v e vii secolo », dans N. Alfieri (dir.), Storia di Ferrara, vol. III : L’età antica, IV a.C.-VI d.C., Ferrare, 1989, p. 408-516.

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n’a pas été dicté par des agents extérieurs, mais par une série de facteurs internes ; à enquêter sur la façon dont ces communautés ont élaboré leur propre identité, sujette à certaines controverses et présentant quelques ambiguïtés ; à définir enfin ce qui les unit et ce qui les divise. En substance, ce texte tente de comprendre leurs évolutions et de tirer quelques enseignements de leur comparaison.

Des communautés amphibies Au cours des dernières années, la possibilité de confronter les données géo-archéologiques (abondantes mais générales) et archéologiques (plus rares mais plus ciblées) nous a permis de mieux comprendre le développement environnemental de l’habitat lagunaire vénitien10 – au sens large car on ne peut désigner Venise comme une ville qu’à partir du ixe-xe siècle11. C’est désormais un fait acquis que la lagune de Venise était déjà fréquentée et peuplée à l’époque romaine, bien qu’il reste des incertitudes considérables quant à la nature matérielle, à la taille et au nombre de ces occupations12. Le centre politique et

10 Le récent F. Zezza, Venezia città d’acqua. Le incidenze geologiche su origini, evoluzione e vulnerabilità, Venise, 2014, s’avère particulièrement utile. Les données historiques et archéologiques de ce travail ont été intégrées dans S. Gelichi, M. Ferri et C. Moine, « Venezia e la laguna tra ix e x secolo : strutture materiali, insediamenti, economie », dans S. Gasparri et S. Gelichi (dir.), The Age of Affirmation. Venice, the Adriatic and the Hinterland between the 9th and 10th Centuries, Turnhout, 2017, p. 97-218. 11 Sur les origines de Venise, réinterprétées également du point de vue archéologique, voir les récents S. Gelichi, « La storia di una nuova città attraverso l’archeologia : Venezia nell’alto medioevo », dans V. West-Harling (dir.), Three Empires, Three Cities : Identity, Material Culture and Legitimacy in Venice, Ravenna and Rome, 750-1000, Turnhout, 2015, p. 51-98 ; Id., « Venice in the Early Middle Ages. The Material Structures and Society of ‘civitas apud rivoaltum’ between the 9th and 10th Centuries », dans C. La Rocca et P. Majocchi (dir.), Urban Identities in Northern Italy (800-1100 ca.), Turnhout, 2015, p. 251-271. Voir aussi le récent mais discutable A. Ammerman, C. L. Pearson, P. I. Kuniholm, B. Selleck et E. Vio, « Beneath the Basilica of San Marco : New Light on the Origins of Venice », dans Antiquity, 91/360, 2017, p. 1620-1629. 12 Naturellement le problème de la romanité de la lagune a été, et est encore, très controversé, notamment parmi les archéologues. Ce sujet a été recontextualisé et étayé par de nouvelles données archéologiques, par Wladimiro Dorigo dans l’un de ses ouvrages monumentaux et fondamentaux (W. Dorigo, Venezia Origini. Fondamenti, ipotesi, metodi, Milan, 1983), qui s’appuyait lui-même sur les recherches menées par Ernesto Canal, qui n’ont été publiées de façon exhaustive que tout récemment (E. Canal, Archeologia della laguna di Venezia 1960-2010, Venise, 2015). L’hypothèse d’un espace qui ne serait pas à proprement parler lagunaire – au point que W. Dorigo pensait encore reconnaître des traces de centuriation dans le tracé de certaines calli vénitiennes – et surtout l’idée que ce territoire était caractérisé par la présence d’habitats stables, ont été contestées au fil des ans : voir par ex. L. Leciejewicz (dir.), Torcello. Nuove ricerche archeologiche, Rome, p. 87-98 ; Id., « Italian-Polish Researches into the Origin of Venice », dans Archaeologica Polona, 40, 2002, p. 51-71. Ces questions sont rediscutées et analysées de manière critique dans S. Gelichi, « Venezia tra archeologia e storia : la costruzione di un’identità urbana », dans A. Augenti (dir.), Le città italiane tra la Tarda Antichità e l’Alto Medioevo, Florence, 2006, p. 151-183 (p. 164).

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Fig. 2. Limites probables de la lagune de Venise dans l’Antiquité (les points rouges indiquent les sites archéologiques de l’époque impériale) (dessin : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

administratif auquel se rattache cet habitat dispersé est clairement la ville d’Altino13. Mais la lagune avait dans l’Antiquité un aspect et une étendue différents de ceux d’aujourd’hui (fig. 2). Des études géologiques ont permis de préciser la subdivision du littoral vénitien actuel en différentes unités géologiques. La formation de ces cordons a évolué au fil du temps et la lagune nord semble être celle où sont intervenus les 13 La bibliographie sur la cité romaine d’Altino est abondante, mais on peut encore consulter avec profit B. M. Scarfì et M. Tombolani, Altino Romana e Preromana, Venise, 1985. Des travaux plus récents et actualisés figurent dans G. Cresci Marrone et M. Tirelli (dir.), Altino dal cielo. La città telerivelata : lineamenti di forma urbis, Rome, 2011. Sur la ville tardo-antique et du haut Moyen Âge, voir notamment D. Calaon, « Altino (VE) : strumenti diagnostici (GIS e DTM) per l’analisi delle fasi tardoantiche e altomedievali », dans A. Zaccaria Ruggiu (dir.), Missioni archeologiche dell’Università Ca’ Foscari di Venezia, Venise, 2006, p. 143-158 ; E. Possenti, « L’età tardoantica e altomedievale (iv secolo d.C.-639 d.C.) », dans M. Tirelli, Altino dai Veneti a Venezia, Venise, 2011, p. 172-183.

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changements les plus importants, avec notamment la formation de cordons sableux qui devaient séparer la lagune de la mer. La partie centrale de la lagune, en revanche, n’a pas connu les transformations radicales que l’on peut observer dans la partie septentrionale, et la position de l’entrée du port à proximité de Venise est restée relativement stable. Le bassin lagunaire romain était certainement moins grand que celui d’aujourd’hui, comme on peut le déduire des traces archéologiques de sites de l’époque impériale dans des zones aujourd’hui submergées. À l’intérieur de cet espace géographique et écologique, se développent entre le ve et le viie siècle plusieurs secteurs habités qu’on peut hiérarchiser selon des fonctions et des tailles assez diverses. Il est encore difficile de reconstituer l’histoire de chacune de ces agglomérations, mais il est plus facile de comprendre les évolutions générales : au moins pour la lagune nord, le viie siècle est un moment déterminant où un habitat de type dispersé a dû évoluer vers des situations plus complexes et mieux structurées au plan social, certaines de ces localités étant dotées de fonctions institutionnelles, comme dans le cas de Torcello, qui devient siège épiscopal14. En substance, on passerait d’une lagune – d’époque romaine et tardo-romaine – fréquentée et épisodiquement habitée, où l’économie des communautés était fondée sur l’exploitation des ressources naturelles (chasse, pêche, peut-être sel), à une lagune occupée de façon plus permanente, avec la formation d’un habitat groupé. Le changement de statut de l’habitat est-il associé à un changement dans l’orientation politique et économique ? La réponse est, très probablement, oui. Trois facteurs sont ici à prendre en considération, qui expliquent cet intérêt accru pour la lagune et, par conséquent, ce changement fonctionnel. Le premier réside dans une meilleure exploitation des ressources de la lagune elle-même, comme le sel15. Il est vrai que les sources écrites ne mentionnent qu’assez tardivement l’exploitation des salines, mais quel poids convient-il d’accorder à une documentation écrite qui est jusqu’au xe siècle, aux dires mêmes des historiens, d’une pauvreté désarmante ? Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’on trouve une référence explicite à la production de sel dans une célèbre lettre de Cassiodore, de 537-538, aux tribuni maritimorum des Venetiae16. Le second facteur est politico-militaire. À partir du vie siècle, la lagune devint le théâtre d’opérations de la flotte byzantine, et peut-être d’un magister militum provinciae Venetiarum, comme en témoigne l’inscription de Mauricius à Torcello (639)17. Il existe des témoignages archéologiques indirects mais révélateurs de ces 14 La bibliographie sur Torcello est également abondante. Citons l’excellent travail de synthèse d’É. Crouzet-Pavan, La mort lente de Torcello. Histoire d’une cité disparue, Paris, 1995. 15 Sur le sel et son rôle dans le cadre de l’économie vénitienne, encore que se référant principalement à des époques plus tardives, voir J.-C. Hocquet, Le sel et la fortune de Venise, vol. I : Production et monopole, et II : Voiliers et commerce en Méditerranée, Lille, 1978 et 1979. 16 Cassiodore, Variae, XII, 24, éd. A. J. Fridh, Magni Aurelii Cassiodori Senatoris opera : Variarum libri XII, Turnhout, 1973 (Corpus Christianorum, Series Latina, 96), p. 491-492. 17 A. Pertusi, « L’iscrizione torcellana dei tempi di Eraclio », dans Studi veneziani, 4, 1962, p. 9-39 ; G. Cuscito, « L’alto adriatico paleocristiano », dans G. Caputo et G. Gentili (dir.), Torcello alle origini di Venezia tra Occidente e Oriente, Venise, 2009, p. 46-47. Bien entendu, quelques incertitudes persistent sur le lien entre l’inscription et l’église de Torcello : ainsi Roberto Cessi (R. Cessi, Le origini del ducato veneziano, Naples, 1950) estimait déjà que l’inscription constituait un réemploi

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fonctions politiques, comme les bulles retrouvées dans les fouilles d’Olivolo18, qui expliquent notamment le motif de la colonisation de l’archipel de Rivoalto. Le troisième facteur, enfin, est constitué par les fonctions commerciales. Il s’agit d’un sujet controversé, sur lequel nous reviendrons. Il semble cependant assez évident qu’au moins dans la lagune nord, qui semble avoir été plus active et plus dynamique, une série de localités telles que Torcello, Ammiana et, en bordure de lagune, Equilo, ont hérité des fonctions commerciales qui, à l’époque romaine, étaient celles de la ville d’Altino19. La documentation archéologique de l’époque tardo-antique est très claire à ce sujet, comme en témoignent les découvertes de poteries, d’amphores et de pièces de monnaie. Le centre de Comacchio est né dans un environnement assez similaire, à plusieurs kilomètres plus au sud, près de l’embouchure du Pô. Une reconstitution audacieuse réalisée en 2007 l’imaginait très semblable à Venise20, mais cette image a objectivement besoin d’être révisée. Les terres émergées devaient être nettement plus étendues que celles qui y sont représentées, y compris à proximité de l’habitat

provenant de Cittanova. Les données de la découverte imposent une prudence raisonnable, comme cela a été souligné à juste titre : l’inscription a de fait été réutilisée dans une partie de mur postérieure au viie siècle. D’autres considérations encore, de nature historique et archéologique, recommandent la prudence. Sur tous ces aspects, voir F. Baudo, « Elementi per una revisione della sequenza architettonica di Santa Maria Assunta di Torcello », dans A. Zaccaria Ruggiu (dir.), Missioni archeologiche…, op. cit., p. 137-139. 18 Sur les fouilles ayant permis la découverte des sceaux, voir S. Tuzzato, « Venezia. Gli scavi a San Pietro di Castello (Olivolo). Nota preliminare sulle campagne 1986-1989 », dans Quaderni di Archeologia del Veneto, 7, 1991, p. 92-103 ; S. Tuzzato et al., « San Pietro di Castello a Venezia. Nota preliminare dopo la campagna 1992 », dans Quaderni di Archeologia del Veneto, 9, 1993, p. 72-80. Plus spécifiquement sur les sceaux, voir B. Callagher, « Sceaux byzantin et vénitiens découverts aux environs de Venise », dans Revue Numismatique, 152, 1997, p. 409-420. J’ai récemment repris certaines questions afin de valider la fonction publique de ce lieu avant l’installation de l’évêché (S. Gelichi, « La storia di una nuova città… », art. cit., p. 72-80). 19 Sur Ammiana, voir notamment S. Gelichi et C. Moine (dir.), « Isole fortunate ? La storia della laguna nord di Venezia attraverso lo scavo di San Lorenzo di Ammiana », dans Archeologia Medievale, 39, 2012, p. 9-56. Pour Torcello, l’édition des fouilles de 1961-1962 (L. Leciejewicz, E. Tabaczyńska et S. Tabaczyński, Torcello. Scavi 1961-1962, Rome, 1977) est peu utile en ce qui concerne les matériaux, car ceux-ci ne sont pas toujours correctement identifiés, tandis que les données portant sur les fouilles successives sont dispersées dans plusieurs publications : voir au moins E. Grandi, « Ceramiche fini da mensa dalla laguna veneziana. I contesti di San Francesco del Deserto e di Torcello », dans S. Gelichi et C. Negrelli (dir.), La circolazione delle ceramiche nell’Adriatico tra Tarda Antichità e Altomedioevo, Mantoue, 2007, p. 127-154. Quant à Equilo, des indications préliminaires mais significatives figurent dans S. Gelichi et al., « Importare, produrre e consumare nella laguna di Venezia dal iv al xii secolo », dans S. Gelichi et C. Negrelli, Adriatico altomedievale (vi-xi secolo). Scambi, porti, produzioni, Venise, 2017, p. 23-113 (p. 37-51). Ce dernier ouvrage est également un bon point de départ pour se renseigner sur les importations vers la lagune d’après les données archéologiques. 20 Le dessin, emprunté à Riccardo Merlo, a été souvent publié : voir notamment S. Gelichi (dir.), « Comacchio e il suo territorio tra la Tarda Antichità e l’Alto Medioevo », dans F. Berti, M. Bollini, S. Gelichi et J. Ortalli (dir.), Genti nel Delta da Spina a Comacchio. Uomini, territorio e culto dall’Antichità all’Alto Medioevo, Ferrare, 2007, tableau 9.

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Fig. 3. Reconstruction du territoire de Comacchio (FE) au début du Moyen Âge (dessin : Alessandro A. Rucco).

(fig. 3)21. Un nouveau dessin, sans doute moins suggestif mais plus précis, donne une meilleure idée de l’aspect que pouvait le secteur de Comacchio durant le haut 21 Nous devons aux recherches d’Alessandro Rucco la possibilité de redessiner un profil plus fiable du territoire de Comacchio au cours du Haut Moyen-Âge : A. A. Rucco, Comacchio nell’alto medioevo. Il paesaggio tra topografia e geoarcheologia, Florence, 2015 ; Id., « Dalle “carte” alla terra. Il paesaggio comacchiese nell’alto medioevo », dans S. Gelichi (dir.), Costruire territori / Costruire identità. Lagune archeologiche a confronto tra antichità e medioevo, Reti Medievali, 16/2, 2015, p. 216-221.

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Moyen Âge (fig. 4). Néanmoins, cette reconstitution montre elle aussi clairement que la localité se trouvait dans un espace fortement marqué par la présence de canaux, marais et marécages, à proximité de la côte, et contaminé par l’eau salée : on a bien là des conditions écologiques proches de celles de la lagune nord de Venise. Cependant, contrairement à la lagune vénitienne, Comacchio n’est pas située sur un espace précédemment peuplé, mais sur une formation géologique récente : les colonies romaines attestées aux époques antérieures étaient situées à une certaine distance du nouveau site22.

Fig. 4. Comacchio (FE) au début du Moyen Âge : reconstruction (dessin : Simone Boni).

Les raisons qui ont déterminé la réussite de cette implantation, sur la base de ce que nous pouvons déduire entre autres des sources archéologiques, sont vraisemblablement liées, encore une fois, à l’exploitation des ressources naturelles, en particulier le poisson et le sel. Dans ce cas aussi, les sources écrites parlant de l’exploitation du sel sont assez tardives, mais l’importance accordée à ce produit dans le Capitulaire de Liutprand de 715 est suffisante pour lever tout doute éventuel en la matière23. Mais le sel – et dans une moindre mesure la pêche – furent-ils des éléments suffisants pour permettre le développement de l’habitat côtier et le 22 Sur le territoire de Ferrare à l’époque romaine, on peut toujours consulter avec profit G. Uggeri, La romanizzazione dell’antico delta padano, Ferrare, 1975. 23 Le Capitulaire dit « de Liutprand », daté en général de 715 (mais une datation en 730 est également possible), a été édité et débattu à plusieurs occasions : L. M. Hartmann, Zur Wirtschaftsgeschichte Italiens im frühen Mittelalter, Gotha, 1902, p. 123-124, n. 1 ; M. Montanari, « Il capitolare di Liutprando : note di storia dell’economia e dell’alimentazione », dans La Civiltà Comacchiese e Pomposiana dalle origini preistoriche al tardo medioevo, Bologne, 1986, p. 461-475.

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transformer en ce que nous pourrions définir, aujourd’hui, comme un comptoir commercial ? Comacchio s’est développée dans une zone peu peuplée dans l’Antiquité et l’Antiquité tardive : il n’existait pas dans ce secteur de sites d’habitat ayant un profil social et politique clair. Dans ces conditions, comment le Capitulaire de Liutprand, première source écrite qui mentionne Comacchio, peut-il être considéré, en soi, comme le texte qui ratifie l’existence de cette communauté et confirme pour la première fois un rôle social et un statut légal ? Enfin, la position marginale de Comacchio par rapport aux pouvoirs forts, en particulier l’exarchat puis l’archevêché de Ravenne, a activement contribué à son développement et à sa réussite momentanée. Ce n’est pas par hasard si la date retenue pour l’institution d’un diocèse de Comacchio, subordonné à Ravenne, se situe après le pacte avec les Lombards de 715 et non avant celui-ci24. En revanche, les motifs politiques et militaires, admis dans le cas de Venise, semblent moins forts pour Comacchio. L’idée que Comacchio était un castrum limitaneum byzantin se fonde sur des preuves fragiles. Même sa relation avec l’exarque Isacio, évoquée par une inscription trouvée sur place, reste à notre avis douteuse25. Le fait que le nom « Comacchio » dérive (peut-être) de commeatus – un terme qu’il convient de rapprocher de l’expression conventus navium26 – fait explicitement écho à la présence de navires, mais n’implique pas nécessairement une référence à une flotte militaire. Enfin, la présence dans le Capitulaire d’un magister militum, tout comme la qualification de milites pour les Comacchiens, découle d’une pratique langagière commune à l’Italie du haut Moyen Âge, plus qu’elle ne fait référence spécifiquement à des fonctions militaires.

Des marchands dès le début ? On a souligné à juste titre que les communautés côtières ont initialement colonisé ces territoires marginaux pour des raisons liées à l’exploitation des ressources maritimes locales ; et que ce n’est que dans un second temps qu’elles ont évolué vers d’autres fonctions, notamment commerciales. Tant la lagune de Venise que celle de Comacchio semblent avoir connu une telle évolution. Plutôt que sur les phases initiales, nous voudrions maintenant réfléchir sur la période

24 Sur le problème du diocèse de Comacchio et pour des références à une bibliographie plus ancienne, voir S. Gelichi, « Lupicinus presbiter. Una breve nota sulle istituzione ecclesiastiche comacchiesi delle origini », dans G. Barone, A. Esposito et C. Frova (dir.), Ricerca come incontro. Archeologi, paleografi e storici per Paolo Delogu, Rome, 2013, p. 48-52. 25 Pour une édition moderne de l’inscription, voir M. Bollini, Le iscrizioni greche di Ravenna, Faenza, 1975, p. 44-45 ; pour une discussion récente de celle-ci, voir S. Gelichi, « Comacchio : A Liminal Community… », art. cit. 26 L’expression commeatus navium se trouve chez Jordanès, Gaetica, XVIII, 143. Voir G. B. Pellegrini, « Osservazioni sulla toponomastica del delta Padano », dans La Civiltà comacchiese e pomposiana dalle origini preistoriche al tardo medioevo, Bologne, 1996, p. 49-89 (p. 84-86).

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suivante, durant laquelle ces communautés ont développé des comportements commerciaux. Sur ce sujet, il n’existe pas de consensus de la part des chercheurs. Certains, comme Michael McCormick, font remonter aux viiie et ixe siècles les prémices d’un rôle commercial actif des Vénitiens, en insistant entre autres sur la vitesse à laquelle le phénomène s’est produit27. D’autres défendent une interprétation plus prudente, en renonçant à l’idée, certainement un peu naïve et souvent utilisée par les historiens locaux, de faire remonter à un passé quasi ancestral des caractéristiques qui se sont certainement formées et consolidées beaucoup plus tard. La même hypothèse mesurée a été avancée, y compris récemment, pour expliquer l’essor de Comacchio28. Ces positions plus nuancées, dont on peut admettre le bien-fondé, reposent principalement sur la documentation écrite, où les références aux pratiques commerciales seraient quasiment inexistantes et qui, au contraire, ferait ressortir le rôle important de la propriété foncière. Pour Venise, un texte révélateur serait, entre autres, le Pactum Lotharii (v. 840), tandis que pour Comacchio il s’agirait d’une notice de plaid du ixe siècle (entre 850 et 859) se rapportant à un litige entre les Comacchiens et l’évêque de Ravenne pour la possession d’une massa, c’est-à-dire d’une propriété foncière29. Sur la base de ces quelques textes, il n’est pas facile de se faire une idée précise des orientations économiques prévalant dans ces deux communautés du viie au ixe siècle. Voyons donc si la documentation archéologique, qui a l’avantage de produire des sources toujours nouvelles, peut nous en apprendre davantage. Si nous comparons les données fournies par les fouilles vénitiennes et comacchiennes à celles d’autres sites de la même époque – tant à l’intérieur des terres que sur la côte –, nous sommes confrontés à des caractéristiques incontestablement différentes, que l’on peut rappeler brièvement : la présence abondante d’amphores méditerranéennes (fig. 5)30 ; la présence d’activités artisanales locales permettant la fabrication de produits spécifiques, comme les petites amphores, dont l’utilité ne s’explique que si le lieu produisait des biens ou s’il les acheminait ; le développement d’un artisanat spécialisé, tel que celui lié au verre, ce qui suppose l’arrivée de matière première de

27 M. McCormick, Origins of the European Economy : Communications and Commerce ad 300-900, Cambridge, 2001, p. 523-531 ; Id., « Where Do Trading Towns Come From ? Early Medieval Venice and the Northern Emporia », dans J. Henning (dir.), Post-Roman Towns, Trade and Settlement in Europe and Byzantium, t. 1 : The Heirs of the Roman West, Berlin-New York, 2007, p. 41-68. 28 S. Gasparri, « Un placito carolingio e la storia di Comacchio », dans L. Jégou et al. (dir.), Faire lien. Aristocratie, réseaux et échanges compétitifs. Mélanges en l’honneur de Régine Le Jan, Paris, 2015, p. 179-190. 29 Pour le Pactum Lotharii, voir « Pactum Hlotharii I », dans Capitularia regum Francorum II, éd. A. Boretius et V. Krause, Hanovre, 1897, no 233, p. 130-135 (M.G.H., Capit., 2). Sur le plaid de Comacchio, voir S. Gasparri, « Un placito carolingio… », art. cit. 30 Sur les amphores de Comacchio, voir C. Negrelli, « Produzione, circolazione e consumo tra v e viii secolo : dal Padovetere a Comacchio », dans F. Berti et al. (dir.), Genti nel Delta da Spina…, op. cit., p. 437-472 ; Id., « Towards a Definition of Early Medieval Pottery : Amphorae and other Vessels in the Northern Adriatic Area between the 7th and the 8th Centuries », dans S. Gelichi et R. Hodges (dir.), From One Sea to Another…, op. cit., p. 415-438.

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Fig. 5. Un exemplaire d’amphore globulaire de Comacchio (FE) (cliché : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

l’extérieur, par exemple sous forme de produits semi-finis (fig. 6 et 7)31 ; enfin, dans le cas de Comacchio, la réalisation d’ouvrages comme le canal artificiel d’environ cinq kilomètres de long qui, du Padus Vetus, mène directement au site – et qui ne servait probablement pas qu’au modeste transport local des embarcations32. Tous ces éléments, datés du viie au ixe siècle, indiquent que tant Comacchio que la lagune de Venise étaient des espaces à vocation – également – commerciale. Si nous revenons maintenant aux différents récits, nous pouvons noter qu’émergent de la documentation fragmentaire disponible des histoires où différents éléments s’imbriquent, où plusieurs orientations et tendances coexistent ou se succèdent, avant qu’une direction plus claire et plus précise ne soit prise. La propriété foncière constitue certainement un espace d’action tant pour l’aristocratie vénitienne naissante que pour celle de Comacchio. En témoigne l’intérêt que porte une des premières grandes familles vénitiennes, celle des Particiaci, à l’installation d’un monastère – celui de Sant’Ilario e Benedetto di Mira – sur des terrains lui appartenant en bordure de

31 Sur l’atelier artisanal de l’époque, voir S. Gelichi (dir.), L’isola del vescovo. Gli scavi archeologici intorno alla Cattedrale di Comacchio, Florence, 2009, p. 30-35. 32 Sur ce canal, voir A. A. Rucco, Comacchio nell’alto medioevo…, op. cit., et E. Grandi, « Un delta in movimento. Il caso di Comacchio tra tarda antichità e alto medioevo », dans S. Gelichi (dir.), Costruire territori…, op. cit., p. 245-248.

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Fig. 6. Atelier artisanal découvert à Comacchio (FE) (viie siècle) (cliché : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

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Fig. 7. Comacchio (FE), atelier artisanal, produits finis en verre et déchets (cliché : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

la lagune sud33. Le rôle de plaque tournante des communications entre la lagune et l’intérieur des terres que cette institution a ensuite joué est indéniable – un rôle attesté non seulement par sa situation géographique, mais aussi par les traces archéologiques. La notice de plaid comacchienne du ixe siècle peut d’ailleurs être lue dans le même sens. Cet intérêt pour la terre n’a rien de surprenant ; il peut aussi être justifié par la nécessité d’organiser un territoire autour d’un habitat situé sur les eaux, tant pour satisfaire les besoins de nature alimentaire que pour des questions de contrôle politique. En somme, ces politiques pourraient refléter une évolution de ces lieux, passant du statut de « nœuds » (nodal points) à celui de « lieux centraux » (central places)34. Une évolution que seule Venise réussit à accomplir, mais beaucoup plus tard.

33 Sur le monastère de Sant’Ilario et sur son territoire, à la lumière également des dernières recherches archéologiques, voir C. Moine, E. Corrò et S. Primon, Paesaggi artificiali a Venezia. Archeologia e geologia nelle terre del monastero di Sant’Ilario tra alto Medioevo ed Età Moderna, Florence, 2017. Les politiques patrimoniales de la famille des Particiaci, toutefois, visaient aussi les territoires situés à proximité de la lagune nord, notamment les territoires d’Equilo, comme indiqué dans le testament de Giustiniano Particiaco [en ligne : http://saame.it/fonte/documenti-veneziani-venezia-4/, consulté le 1er mars 2018]. 34 Sur ces notions, voir S. Sindbæk, « Open Access, Nodal Point, and Central Places », dans Estonian Journal of Archaeology, 13/2, 2009, p. 98-99 ; Id., « Networks and Nodal Points : The Emergence of Towns in Early Viking Age Scandinavia », dans Antiquity, 81/311, 2007, p. 126-127. Une discussion plus détaillée et ayant spécifiquement trait à Comacchio se trouve dans S. Gelichi, « Comacchio : A Liminal Community… », art. cit.

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Une identité construite, une identité exhibée et une identité cachée Venise et Comacchio, ou plus exactement les communautés qui se développent, environ à la même période, dans les deux espaces lagunaires, suivent donc une évolution similaire. Les Comacchiens et les Vénitiens se sont par ailleurs rencontrés, en voyageant sur les mêmes embarcations, ou se sont combattus, comme le relatent les sources narratives35. Il ne s’agit toutefois pas ici de discuter de leurs relations, plus ou moins troublées, mais plutôt de la construction de leur identité. Dans le cas de Venise, nous avons la chance de disposer d’un texte, l’Istoria Veneticorum, très révélateur en la matière. Rédigée entre la fin du xe et le début du xie siècle, cette histoire, en plus de décrire certains épisodes, lieux et personnages, laisse transparaître sa mission à peine voilée d’indiquer les voies empruntées pour construire une identité sociale et culturelle qui a pu s’implanter durablement et résister jusqu’à nos jours. On peut schématiquement résumer cette identité à trois grands traits : la « byzantinité », la « romanité » et l’« unicité ». En réalité, byzantinité et romanité peuvent aussi être regroupées, la première étant une déclinaison de la seconde. Le lien avec l’Antiquité est perçu et développé dans l’Istoria par une série d’indications directes et indirectes : directes à travers l’explicitation des relations entre Venise et l’Empire, malgré de nombreuses vicissitudes. Ce lien transparaît aussi à travers certaines traces matérielles évoquées dans l’Istoria, comme la présence de murs d’enceinte et d’une chaîne qui marquent très nettement le paysage urbain36. Aux yeux de Jean Diacre, auteur probable de l’Istoria, leur présence détermine le statut urbain de Venise – comme dans le monde antique, où les murs d’enceinte étaient synonymes de ville – et met en lumière le lien étroit avec la capitale de l’Empire, dont elle reprend le modèle des murs d’enceinte qui longent la Corne d’Or et de la chaîne qui la barre. En se fondant sur ce rapprochement, l’histoire de Venise a pu être interprétée comme une variante mineure de celle de Byzance ; même les productions artistiques, singulièrement dans le domaine de la sculpture, sont présentées comme héritières de ce monde. La réalité archéologique semble pourtant raconter une autre histoire. Car toutes les traces de la culture matérielle, depuis les bâtiments d’habitation et les équipements domestiques jusqu’aux rites funéraires, trouvent des parallèles dans l’arrière-pays de la plaine du Pô37. De la même manière, la sculpture renvoie à une koinè carolingienne et post-carolingienne qui embrasse une grande partie de l’Europe continentale et de l’Adriatique, et qui est au contraire totalement étrangère au monde byzantin. Dans

35 Istoria Veneticorum, III, 28 et III, 44, éd. cit., p. 144-145 et p. 152-153. 36 Ibid., III, 39, p. 150-151. 37 Une discussion critique des traces archéologiques associées par exemple à l’espace bâti, avec des rappels précis concernant les constructions sur la terre ferme, figure dans S. Gelichi, « L’archeologia nella laguna veneziana e la nascita di una nuova città », dans Reti Medievali, 11/2, 2010, p. 1-31. Sur l’adoption de comportements spécifiques de la part des élites en matière de rites funéraires et d’utilisation de sarcophages (fig. 8), voir S. Gelichi, « Venice in the Early Middle Ages… », art. cit., p. 260-266, qui comporte la bibliographie antérieure.

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Fig. 8. Jesolo (VE), sarcophage fragmentaire d’Antoninus tribunus et son épouse (ixe siècle ?) (cliché : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

cette perspective, même les expériences architecturales, habituellement associées à des prototypes byzantins, devraient être reconsidérées. Par conséquent, la byzantinité dont Venise est porteuse est, tout au plus, une sorte de byzantinité italique (et adriatique), qui, par certains aspects, la rapproche plus de l’expérience d’autres villes, comme Ravenne. Même les habitudes alimentaires et les comportements conviviaux renvoient à des horizons bien différents de ceux des Constantinopolitains. La célèbre fable de Pierre Damien suffit à le confirmer38. Elle évoque l’histoire d’une princesse byzantine mariée au fils d’un doge et qui – nous sommes au début du xie siècle – était

38 C. Frugoni, Medioevo sul naso. Occhiali, bottoni e altre invenzioni medievali, Rome-Bari, 2001, p. 114.

communautés lagunaires dans l’adriatique pendant le haut moyen âge

perçue par la population locale comme singulière et étrangère tout simplement parce qu’elle se servait d’une fourchette pour manger ; et elle était si sophistiquée qu’elle refusait d’utiliser l’eau de pluie – qui, on peut le supposer, était conservée dans des réservoirs peu hygiéniques. Les traces matérielles le confirment également, car elles documentent la rareté des produits importés de Constantinople, que, provenant ou non du commerce, on s’attendrait à trouver en plus grand nombre dans des lieux liés à Byzance : c’est le cas, en particulier, des récipients en céramique39. Finalement, ce lien direct ou indirect avec le monde byzantin et, à travers celui-ci, avec le monde classique, ne s’est progressivement développé qu’à partir du xie siècle, afin de définir les frontières sociales et culturelles d’une ville qui ne venait de nulle part. Nous en trouvons la confirmation non seulement dans l’Istoria, mais aussi à travers une évolution du rapport ostentatoire à l’Antiquité – avec une autre utilisation des spolia40 – et à Byzance – on ne commence à afficher les prises de guerre sur les bâtiments de la ville, de façon toujours plus spectaculaire et embarrassante, qu’à cette période, et plus encore à partir de la quatrième croisade. Nous parlions d’une ville venue de nulle part. Ce concept a dû marquer les esprits, au point d’être à l’origine d’un autre paradigme exploité par les Vénitiens, celui des « origines sauvages », qui faisait de Venise une ville unique en son genre, et par lequel ils expliquaient son autonomie substantielle41. Mais, là aussi, il faut se montrer très prudent : être situé au milieu d’une lagune ne veut pas dire être isolé. En effet, l’autre risque pour les historiens serait d’expliquer le développement de la ville et sa culture par un raisonnement circulaire. On en vient alors à placer Venise soit trop loin – ce qui la fait ressembler à Byzance – soit trop près – ce qui lui permet de ne pas ressembler à autre chose qu’elle-même, et de voir en elle le fruit d’une évolution autarcique. En réalité, un travail minutieux de déconstruction des rares sources écrites vénitiennes et le concours de l’archéologie – qui, quand elle le veut, sait porter un regard neuf sur la documentation – nous décrivent une réalité pleinement intégrée à la société et à la culture de l’Italie du Nord, c’est-à-dire de la plaine du Pô et de l’Adriatique. L’expérience de Comacchio peut-elle nous aider à corroborer ou à préciser ces éléments ? Comme nous l’avons déjà dit, Comacchio n’a pas duré assez longtemps pour développer son propre récit ; ou, si elle l’a fait, nous n’en n’avons conversé aucune trace. Ainsi le cas de Comacchio, pour lequel nous ne pouvons raisonner qu’à partir de la documentation matérielle, pourrait aussi être lu, sans trop forcer le trait, comme une expérience proche de celle de la Venise des premiers temps (avant le xie siècle). Cela concorde pour ce qui est de la présence conjointe de certains

39 S. Gelichi et al., « Importare… », art. cit., p. 88-111. 40 Sur la relation de Venise à l’Antiquité, il est encore utile de consulter P. Fortini Brown, Venice & Antiquity. The Venetian Sense of the Past, New Haven, 1999. Plus spécifiquement sur l’utilisation des spolia, voir M. Centanni et L. Sperti (dir.), Pietre di Venezia. Spolia in se e spolia in re, Rome, 2015. 41 Sur le problème des « origines sauvages » attribuées à Venise, voir G. Ortalli, « Il problema storico delle origini di Venezia », dans Le origini di Venezia. Problemi esperienze proposte, Venise, 1981, p. 87-88 ; Id., « Torcello e la genesi di Venezia », dans G. Caputo et G. Gentili (dir.), Torcello alle origini di Venezia, op. cit., p. 26-27 ; A. Carile, « Il problema delle origini di Venezia », dans Le origini della chiesa di Venezia, Venise, 1987, p. 77.

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s auro ge l ich i

Fig. 9. Comacchio (FE), fragments d’une enceinte de presbytère (ixe siècle) réutilisés dans un mur du xie siècle (cliché : Laboratoire d’archéologie médiévale, Venise).

matériaux dans différents contextes, par exemple pour la production sculpturale, ainsi que pour l’utilisation des spolia – qui reste essentiellement pratique et non idéologique (fig. 9)42. Abordée sous cet angle, et avec toutes ces distinctions qu’il convient de faire pour éviter d’être trop simpliste, la réalité matérielle comacchienne a beaucoup d’éléments en commun avec celle de la lagune de Venise. Comment interpréter ces analogies ? Nous pouvons y voir en premier lieu une réponse de la part de sociétés similaires vivant dans des régions marginales – et qui répondent par conséquent par des attitudes socioculturelles analogues. Dans le même temps, néanmoins, elles apparaissent également comme le résultat d’une évolution culturelle qui se réfère d’une part au monde byzantin-adriatique, et d’autre part à la culture carolingienne continentale, engendrant ces caractéristiques à la fois originales et similaires que nous pouvons justement reconnaître comme propres à ces deux réalités de l’Italie médiévale.

42 Sur l’utilisation des spolia à Comacchio, voir S. Gelichi, R. Belcari, D. Calaon et E. Grandi, « “Spolia” in contesto. Il riuso nell’episcopio medievale di Comacchio », dans Hortus Artium Medievalium, 17, 2011, p. 49-59.

André Evangelista Marques

An Emerging Periphery Maritime Activities and Communities in Northern Iberia (850-1100)*

Rethinking the “periphery” paradigm The northern seaboard of Iberia is generally regarded as a peripheral area before the late Middle Ages, whether one looks at it from beyond the Pyrenees or from Iberia itself. It is generally accepted that there was a marked contrast between the remote Atlantic and Cantabrian Sea coasts, epitomised by the name of Cape Finisterre in Galicia, and the Mediterranean shores of the Peninsula, where urbanization, commerce and a general pattern of connectivity with the wider world never fully ceased from before Roman times to the age of the Crusades.1 Between the eighth and mid-thirteenth century, while the southern half of Iberia was under Muslim control, this contrast was reinforced by the political divide between North and South.2 For most of the twentieth century, Iberian historiography was mainly concerned with the processes of conquest and colonization (the so-called Reconquista and Repoblamiento) that opposed the Christian kingdoms to the successive polities of al-Andalus. Historians often saw these processes as being driven, in the long run, by the expansionist impetus of Christian kings, lords, and “pioneers”, according to a





* I wish to thank José Carlos Quaresma, José Carlos Sánchez Pardo, José Miguel Andrade Cernadas, Mário Barroca, Rui Morais and Wendy Davies, who generously offered bibliographic guidance and shared their expertise on some of the topics touched upon in this article. The editors of the volume bore with patience my delays and provided invaluable assistance in making the text more palatable, for which I owe them a great debt. All errors remain my own. I am also grateful to Álvaro Carvajal Castro and Maria Inês Marques for kindly providing me with bibliography that I would not have seen otherwise. The abbreviations used in this paper for quoting charters and narrative sources are listed in the appendix. 1 J. M. Lacarra, “Panorama de la historia urbana en la Península Ibérica desde el siglo v al x”, in La città nell’alto medioevo, Spoleto (Settimane di studio del CISAM, 6), 1959, p. 319-358; S. I. Mariezkurrena, “Puertos y comercio marítimo en la España visigoda”, in POLIS, 11, 1999, p. 135-160 (p. 152-153). 2 It should be noted that al-Andalus encompassed not only the Mediterranean coasts to the east of the Strait of Gibraltar, but also the Atlantic coasts of modern Andalusia and southern Portugal up to an unstable parallel drawn between the estuaries of the rivers Tagus and Douro. André Evangelista Marques • Universidade Nova de Lisboa, Instituto de Estudos Medievais. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 97–125 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118552

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somewhat teleological perspective.3 A more complex view emerged from the 1970s onwards, but such a strong focus on inland conquest and colonization continued, which helps to explain why little attention has been paid to the coastlands of modern Portugal, Galicia, Asturias and Cantabria (all part of the Asturian-Leonese kingdom), as to those of the Basque Country (closer to the sphere of influence of the kingdom of Pamplona).4 Some form of colonization is thought to have taken place along the northern shores, ensuing the emergence of the Asturian kingdom and its expansion to Cantabria and northern Galicia from the late eighth century, and then on to southern Galicia and northern Portugal from the mid-ninth century.5 Very little can be said, though, before the mid-twelfth century, when the emergence of several small seaside towns testifies to the growing attention paid by kings and lords to the littoral, as a result of the growing integration of Atlantic Iberia in international routes of travel and trade.6 Unsurprisingly, the mainstream historiographical view still implies that the sea repelled rather than attracted settlement during the early Middle Ages. There is no easy way around this notion, as the evidence dated before the twelfth century is still too meagre to support an alternative view. More than 22,000 charters dated to 1100 are extant in northern Iberian archives – a remarkable figure when compared to most European areas –, but as we shall see, they pose several problems







3 For a conventional account of conquest and colonization, see M. Á. Ladero Quesada, La formación medieval en España. Territorios, regiones, reinos, Madrid, 2004. 4 For two influential Spanish surveys, see J. Á. García de Cortázar, La época medieval, Madrid (Historia de España, dir. M. Artola, 2), 1999 [1973]; J. M. Mínguez Fernández, La España de los siglos vi al xiii. Guerra, expansión y transformaciones: en busca de una frágil unidad, San Sebastián, 2008 [1994]; on Portugal, see J. Mattoso, “Portugal no reino asturiano-leonês”, in Id. (ed.), História de Portugal, 1: Antes de Portugal, Lisbon, 1992, p. 438-565; J. Mattoso, “1096-1325”, in Id. (ed.), História de Portugal, 2: A Monarquia Feudal (1096-1480), Lisbon, 1993, p. 9-309. 5 J. Á. García de Cortázar (ed.), Organización social del espacio en la España medieval: la Corona de Castilla en los siglos viii a xv, Barcelona, 1985; Id., “Movimientos de población y organización del poblamiento en el cuadrante noroeste de la Península Ibérica (ca. años 700-1050)”, in Movimientos migratorios, asentamientos y expansión, siglos viii-xi, Pamplona, 2008, p. 105-154. 6 C. González Mínguez, “La urbanización del litoral del norte de España (siglos XII-XIV)”, in J. I. de la Iglesia Duarte (ed.), III Semana de Estudios Medievales, Logroño, 1993, p. 43-62; J. A. Solórzano Telechea, “Medieval Seaports of the Atlantic Coast of Spain”, in International Journal of Maritime History, 21/1, 2009, p. 81-100. For regional surveys, see B. Arízaga Bolumburu and J. Á. Solórzano Telechea (eds), El fenómeno urbano medieval entre el Cantábrico y el Duero: revisión historiográfica y propuestas de estudio, Santander, 2002; A. A. Andrade, “A estratégia régia em relação aos portos marítimos no Portugal medieval: o caso da fachada atlântica”, in B. Arízaga Bolumburu and J. Á. Solórzano Telechea (eds), Ciudades y villas portuarias del Atlántico en la Edad Media, Logroño, 2005, p. 57-90; Á. Solano Fernández-Sordo, “Historia urbana en la Galicia medieval. Balance y perspectivas”, in Cuadernos de estudios gallegos, 123, 2010, p. 59-90; J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana medieval en la costa de Cantabria: ¿Creación original o herencia del pasado?, Santander, 2010. On integration in Atlantic routes, see Á. Rozas Español, “La ruta atlántica (siglos XIII-XIV): análisis de la formación de una ruta comercial”, in Espacio, tiempo y forma. Serie III, Historia medieval, 30, 2017, p. 485-504.

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regarding coastal areas.7 Narrative sources are scarce and hardly mention the sea and the seaside, save as geographical markers or literary topoi,8 with the littoral frequently depicted as a “desert9”. Finally, and despite some significant progress in recent years, especially in the Basque Country, medieval archaeologists have paid little attention to the northern Iberian coastlines.10 A striking contrast can be drawn with al-Andalus (and the Maghreb), where the results of intensive archaeological research (in both urban and rural contexts) has been combined with a rich body of Arabic historical and geographical texts that teach us a great deal about coastal areas and maritime activities.11 The archaeology of early medieval Christian Iberia has so far failed to live up to the standards set up by its Roman and late antique counterparts over the past thirty years. The view that northern Iberia was a remote periphery both within Roman Hispania and the whole Empire has been challenged by an ever-growing body of work on pottery, urban and maritime archaeology.12 This has shown not only the development of several seaports (Porto, Vigo, A Coruña, Gijón, Santander, Irún and other smaller coastal settlements), but also their integration within the

7 For a brief overview of Iberian charters and narrative texts dated before 1000, see W. Davies, Windows on Justice in Northern Iberia, 800-1000, Abingdon, 2016, p. 10-17. The most comprehensive survey of the charter material to 1100 was carried out by the PRJ project (PI: I. Alfonso), and is now available online at http://prj.csic.es/ (accessed 26/06/2018). 8 For a brief survey of historiographical and hagiographical texts, see V. Valcárcel Martínez, “La historiografía latina medieval de Hispania”, in Historia. Instituciones. Documentos, 2005, p. 329-362. On literary representations of the sea, see: M. C. Díaz y Díaz, Visiones del más allá en Galicia durante la Alta Edad Media, Santiago de Compostela, 1985; J. Mattoso, “O imaginário marítimo medieval”, in Naquele tempo: ensaios de história medieval, Rio de Mouro, 2000 [1998], p. 231-244; J. M. Andrade Cernadas, “The Stones That Sailed Across the Sea in Galician Culture”, in A. M. Pazos (ed.), Translating the Relics of St James: From Jerusalem to Compostela, New York, 2017, p. 140-158. 9 E.g. Chronicle of Albelda (dated c. 883), XV, § 12, and Chronicle of Alfonso III (two different versions, Rotense and Ad Sebastianum, dated between 884 and 910), § 14: CA, p. 177 and 132-133, respectively; Chronica Gothorum (a Portuguese text, probably dated twelfth century, that incorporates text chunks from the Chronicle of Albelda): SS, p. 9. The same topos can be found in the account of the capture of Lisbon (1147) written by an Anglo-Norman priest not long after the conquest: Expugnatio, p. 78-79. 10 See J. A. Quirós Castillo, “Medieval Archaeology in Spain”, in R. Gilchrist and A. Reynolds (eds), 50 Years of Medieval Archaeology in Britain and Beyond, London, 2009, p. 173-189; J. A. Quirós Castillo and B. Bengoetxea Rementeria, Arqueología III: Arqueología medieval y posmedieval, Madrid, 2010; M. Valor and J. A. Gutiérrez González (eds), The Archaeology of Medieval Spain, 1100-1500, Sheffield, 2014. 11 C. Picard, La mer et les musulmans d’Occident au Moyen Âge, viiie-xiiie siècle, Paris, 1997; Id., La mer des califes: une histoire de la Méditerranée musulmane (viie-xiie siècle), Paris, 2015. 12 J. L. Naveiro López, El comercio antiguo en el N. W. peninsular: lectura histórica del registro arqueológico, A Coruña, 1991; C. Fernández Ochoa and Á. Morillo Cerdán, De Brigantium a Oiasso. Una aproximación al estudio de los enclaves maritimos cantábricos en época romana, Madrid, 1994; C. Fernández Ochoa, Los finisterres atlánticos en la antigüedad: época prerromana y romana, Madrid/ Gijón, 1996; M. M. Urteaga Artigas and M. J. Noain Maura (eds), Mar exterior: el Occidente atlántico en época romana, Roma, 2005; C. Carreras and R. Morais (eds), The Western Roman Atlantic Façade: A Study of the Economy and Trade in the Mar Exterior from the Republic to the Principate, Oxford, 2010; A. Fernández, El comercio tardoantiguo (ss. IV-VII) en el noroeste peninsular a través del registro cerámico de la Ría de Vigo, Oxford, 2014.

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Atlantic long-distance trade routes linking the Mediterranean and the North Sea (up to the mouth of the Rhine). A whole new understanding of northern Iberia as an integrated periphery from the first century ad, if not slightly earlier, has come to light;13 although the real impact of the coastal route from the Mediterranean to the English Channel and North Sea is still under discussion, with some authors espousing a minimalistic view that tends see it as a “secondary route, an alternative to the sea and river routes that extended across Europe and across the English Channel14”. No less relevant, we gained a reliable scenario against which to assess the scanty early medieval evidence. This cannot be done without acknowledging the major changes wrought by the demise of the Roman exchange system during late Antiquity, and by the Muslim conquest of Iberia (711-714).15 However, accepting such changes does not imply that all of that burgeoning world of maritime settlements and communities was lost once both texts and material finds related to maritime activities turned silent in the second half of the sixth century.16 There seems to have been a revival of trade with both the Mediterranean and north-west Europe from the late fifth to the mid-seventh century in the case of Vigo, where imported wares (both from the Mediterranean and Aquitaine) are present until the mid-seventh century. Vigo’s contacts with western Britain seem to have ceased by the mid-sixth century, but those with Aquitaine lasted for nearly another century;17 as might have been the case with the Basque site of Cape Higuer.18

13 C. Carreras and R. Morais, “The Atlantic Roman Trade during the Principate: New Evidence from the Western Façade”, in Oxford Journal of Archaeology, 31/4, 2012, p. 419-441. 14 Á. Morillo, C. Fernández Ochoa and J. Salido Domínguez, “Hispania and the Atlantic Route in Roman Times: New Approaches to Ports and Trade”, in Oxford Journal of Archaeology, 35/3, 2016, p. 267-284 (p. 281); see also B. W. Cunliffe, On the Ocean: the Mediterranean and the Atlantic from Prehistory to ad 1500, Oxford, 2017, p. 353-354. 15 For a nuanced analysis of exchange systems in Iberia between 400-800, stressing the localization of distribution, see C. Wickham, Framing the Early Middle Ages: Europe and the Mediterranean 400-800, Oxford, 2005, p. 741-759. No reference is made to the Atlantic and Cantabrian Sea coasts, on which new evidence has surfaced after the book was published. 16 See S. I. Mariezkurrena, “Puertos y comercio…”, op. cit.; J. C. Sánchez Pardo, “Late Antique Atlantic Contacts through the Case of Galicia”, in M. Duggan, S. Turner and M. Jackson (eds), Ceramics and Atlantic Connections: Late Roman and Early Medieval Imported Pottery on the Atlantic Seaboard, forthcoming (I thank the author for kindly allowing me to read this paper in advance of publication); J. A. Gutiérrez González, “Arqueología tardoantigua en Asturias: una perspectiva de la organización territorial y del poder en los orígenes del Reino de Asturias”, in J. I. Ruiz de la Peña and J. Camino Mayor (eds), La Carisa y La Mesa: causas políticas y militares del orígen del Reino de Asturias, Oviedo, 2010, p. 52-82 (p. 58-59 and p. 69-70). 17 A. Fernández Fernández, O comercio tardoantigo no Noroeste Peninsular: unha análise da Gallaecia sueva e visigoda a través do rexistro arqueolóxico, Noia, 2013, p. 179-209, who goes as far as to suggest that Vigo might have kept contacts with the Mediterranean and, especially, with north-west Europe until the early eighth century, but not later. 18 A. Erkoreka, “‘A furore Normanorum, libera nos Domine’. Previkingos y vikingos asolando la costa vasca (siglos V-X)”, in Itsas Memoria. Revista de estudios marítimos del País Vasco, 5, 2006, p. 15-31 (p. 17).

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Some recent research has been calling for a renewed, “non-catastrophist” approach to this period, on the premises that one must look beyond the written record and pay attention to different types of archaeological evidence, other than pottery.19 As happens with texts, there are many problems with archaeological evidence itself. It becomes more blurred because, among other things, urban life recedes, wooden construction progresses, and pottery is no longer an indicator of shipping and trade, as the late-Roman wares associated with long-distance commerce are replaced by regional or local production, not to mention the use of other types of container made of perishable materials.20 However, neither is this sufficient as an explanation of the poor archaeological evidence, nor does it tell the whole story. The fact that urban life declined and the Roman exchange system disappeared cannot be equated with a complete absence of maritime activities and communities, let alone of coastal settlement, before the twelfth century.21 Taking both textual and material evidence at face value is part of the reason why we are still stuck with vague descriptions of coastal areas as being sparsely inhabited by small rural communities hardly engaging in maritime activities;22 and why northern Iberia is absent from the wider debate on seaborne travel and exchange in the early Middle Ages.23

19 A. González García, “La proyección europea del reino de Asturias: política, cultura y economía (718910)”, in El Futuro del Pasado. Revista electrónica de historia, 5, 2014, p. 225-298 (p. 230-231 and p. 263); I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón y el puerto de Avilés (Asturias). La génesis de un mar feudal entre la Antigüedad Tardía y la Edad Media”, in Anejos de Nailos. Estudios interdisciplinares de arqueología, 3, 2016, p. 119-157 (p. 129, 135-137 and 150-152). 20 P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, 2000, p. 164; P. Arthur and S. M. Sindbæk, “Trade and Exchange”, in J. Graham-Campbell and M. Valor (eds), The Archaeology of Medieval Europe, 1: Eighth to Twelfth Centuries ad, Aarhus, 2007, p. 289-315 (p. 308); C. Loveluck, Northwest Europe in the Early Middle Ages, c. ad 600-1150: A Comparative Archaeology, Cambridge, 2017, p. 203. 21 See the strong case for the vitality of early medieval maritime communities along the North Sea shores made by C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit. 22 E.g. J. Mattoso, “Portugal no reino…”, op. cit., p. 502 and 532; E. Ferreira Priegue, Galicia en el comercio marítimo medieval, A Coruña, 1988, p. 71-72; J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La apertura de la fachada costera cantábrica a las rutas de la navegación atlántica (siglos XII-XIII)”, in Actas del II Congreso Internacional de Estudios Jacobeos: Rutas Atlánticas de Peregrinación a Santiago de Compostela, s.l., 1998, p. 21-31 (p. 24); I. García Camino, Arqueología y poblamiento en Bizkaia, siglos vi-xii: la configuración de la sociedad feudal, Bilbao, 2002, p. 277 and p. 291-292. 23 E.g. H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris, 2005 [1937]; R. S. Lopez, The Commercial Revolution of the Middle Ages, 950-1350, Cambridge, 1976; M. McCormick, Origins of the European Economy: Communications and Commerce, A.D. 300-900, Cambridge, 2001; A. Verhulst, The Carolingian Economy, Cambridge, 2002; J. Bill and E. Roesdahl, “Travel and Transport”, in J. Graham-Campbell and M. Valor (eds), The Archaeology…, op. cit., p. 261-288; P. Arthur and S. M. Sindbæk, “Trade and Exchange”, op. cit., p. 289-315; C. Wickham, The Inheritance of Rome: A History of Europe from 400 to 1000, London, 2009; R. Hodges, Dark Age Economics: A New Audit, London, 2012; S. Gelichi and R. Hodges (eds), From One Sea to Another: Trading Places in the European and Mediterranean Early Middle Ages, Turnhout, 2012; B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 375-469. The notable exception in this regard is C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 203-204, 306, 309 and 320-325.

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Notwithstanding all the recent work on western Europe’s two most dynamic maritime areas (the North-Sea/Channel and the Mediterranean), very little has been said about Atlantic seafaring, and even less about the part Iberia might have played in connecting those two areas.24 They are seen as not communicating by sea on a regular basis before Italian merchants opened direct sea routes to La Rochelle, Southampton, and Bruges in the late thirteenth century;25 although Portuguese, Castilian, Basque, French, English, Flemish, and Dutch ships were sailing the Atlantic across short stretches beforehand.26 Yet, a number of well-documented viking incursions in Christian and Muslim Iberia (and, occasionally, the Maghreb), between the mid-ninth and mid-eleventh centuries, testify to some sort of connectivity, as we shall see, and even raise the possibility of blue-water sailing across the Bay of Biscay. Above all, coastal cabotage is known to have taken place for most of the early Middle Ages along the shores of the North Sea, the Irish and Celtic Seas, and the Bay of Biscay.27 In spite of the scanty evidence, one should not exclude the possibility that Iberian seafarers (including Muslims), and others besides vikings, were also sailing the Cantabrian Sea, the Atlantic coasts of western Galicia and Portugal, then on to western al-Andalus, North Africa and into the Mediterranean, and the other way round.28 In fact, coastal sailing must have been part of a much wider pattern of small-scale maritime activity and coastline occupation along the western rim of Europe – Barry Cunliffe’s “Atlantic façade” – that archaeologists have traced back to the Bronze Age, and that may have never fully disappeared before regular connections were established in the late thirteenth century.29 Commenting upon the “connectivity” traceable in the late third and second millennia BC, Cunliffe notes that “this does not mean that people moved along the whole of the Atlantic façade from one end to the

24 C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 204. On the intermediary role of Galicia as a “safe stepping stone” in between the Bay of Biscay and the Portuguese shores, see B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 57, 298 and 352. 25 E.g., M. Mollat du Jourdin, L’Europe et la mer, Paris, 1993; B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 472, 484 and 502-506; M. Balard (ed.), The Sea in History / La mer dans l’histoire, 2: The Medieval Word / Le Moyen Âge, Paris, 2017. Note that B. W. Diffie, Prelude to Empire: Portugal Overseas before Henry the Navigator, s.l., 1960, p. 1-27 and p. 92 (n. 9), overstates the evidence of late eleventh- and early twelfth-century contacts. 26 R. S. Lopez, The Commercial Revolution…, op. cit., p. 112. 27 B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 375-469; A. Verhulst, The Carolingian Economy…, op. cit., p. 93-113; J.-C. Cassard, “Les navigations bretonnes aux temps carolingiens”, in L’Europe et l’Océan au Moyen Age. Contribution à l’histoire de la navigation, Nantes, 1988, p. 19-36; C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 178-212 and p. 302-327. 28 J.-C. Cassard, “Les navigations bretonnes…”, op. cit., p. 31, suggesting that some material finds and hagiographical texts point to maritime connections between Brittany and the Mediterranean (via northern Iberia) in the Carolingian period; C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 194-195 and p. 202-204. On Muslim coastal sailing on the Atlantic, see C. Picard, “La navigation médiévale des musulmans entre Méditerranée et océan Atlantique (ixe-xiie siècles)”, in Arqueologia Medieval, 9, 2005, p. 13-20; A. M. Carballeira Debasa, Galicia y los Gallegos en las fuentes árabes medievales, Madrid, 2007, p. 140-141, 164-167; see n. 34 below. 29 B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit.; see also C. Carreras and R. Morais (eds), The Western Roman Atlantic Façade…, op. cit., p. 264; J. M. Andrade Cernadas, “The Stones…”; op. cit., p. 150-151.

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other, but rather that incremental movements between neighbouring communities led to a degree of cultural convergence”; and in Roman times “the Atlantic offered a series of linked cabotage routes, with nodal ports like Brigantium [A Coruña] and Burdigala [Bordeaux] serving as major hubs for transhipment between different legs of the maritime system30”. This could hardly not have been the case during the early Middle Ages. Despite the harsher sailing conditions, it is hard to see why the Atlantic seaboard would have differed, in this respect, from the “high degree of transmarine interaction generally to be expected in the pre-modern Mediterranean” (also during the seventh- to ninth-century “depression” period), as well as in the early medieval North Sea and Baltic basins.31 New research on maritime societies in north-west Europe has uncovered several small nuclei engaged in sailing and commerce, operating at a different level from that of the politically controlled emporia and wics. This research has strengthened the case for non-elite agency, calling into question the still-widely accepted view of elite demand as the primary driver of early medieval exchange; and it has shown the mixed social and economic profile of such small communities, at once maritime and rural.32 Nonetheless, there is a twofold problem of invisibility with such communities: most of the commodities they exchanged and/or produced were perishable; and their activities tended to escape taxation and the conventional system of property-transfer recording, which means that these communities are difficult to trace both in the material and written records. It will take some time before archaeological research has produced enough evidence to help us understand what kind of communities were living along the northern Iberian shores, what sort of economy they were involved in, and what differences can be traced across time and place. Before that time comes, one should contribute to the discussion by considering the limits and possibilities of the wellknown textual sources, especially charters. The fact that coastal communities make a late appearance in the written record, being nearly invisible during the early Middle Ages, forces consideration of what exactly can be learned from the texts – what they can and cannot tell us. Whether they match the growing sense that maritime communities did experience some kind of continuity during the early Middle Ages is what I will try to assess here, starting with a brief overview of seafaring along the coasts of northern Iberia before the mid-twelfth century.

30 B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 254 and 353. 31 P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 153; P. Arthur and S. M. Sindbæk, “Trade and Exchange…”, op. cit. 32 C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 17-18 and p. 191-192, and passim. See also S. M. Sindbæk, Ruter og rutinisering: Vikingetidens fjernhandel i Nordeuropa, Copenhagen, 2005, esp. ch. 6; R. Hodges, Dark Age Economics: a New Audit…, op. cit., p. 10 and p. 91-115; L. Malbos, Les ports des mers nordiques à l’époque viking (viie-xe siècle), Turnhout, 2017. On elite demand, see C. Wickham, “Rethinking the Structure of the Early Medieval Economy”, in J. R. Davis and M. McCormick (eds), The Long Morning of Medieval Europe. New Directions in Early Medieval Studies, Aldershot, 2008, p. 19-31 (p. 22-24, 26 and 31). For a classical discussion of the Frisian “trader/farmer” (“marchand/paysan”), see S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, Lille, 1983, vol. 1, p. 249-254.

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Maritime networks Information on coastal life becomes gradually sparser during late Antiquity and almost disappears from the eighth to tenth centuries, when northern Iberia purportedly became a largely disconnected periphery. This reinforces the contrast between the small coastal communities in the North, engaged at best in small-scale sailing, and the port cities of al-Andalus, with strong ties to the Atlantic shores of the Maghreb and to the Mediterranean: trade between al-Andalus and North Africa (involving also Radhanite Jews, and Catalan and Italian merchants) is documented from the ninth and, more consistently, tenth century.33 We know that al-Andalus also had connections with the Carolingians from the late eighth century, but these took place mostly overland.34 The same is probably true of the exchanges between Christian Iberia and Europe north of the Pyrenees, although seaborne communication on the Atlantic approaches should have been far more important than the available texts and archaeology suggest. This has been claimed by some Spanish scholars advancing a new interpretation of the relatively poor written evidence of political, diplomatic, religious, and cultural contacts between the Asturian-Leonese kingdom (not to mention the Pyrenean kingdom of Pamplona) and Frankish lands during the eighth to eleventh centuries.35 Such contacts are overwhelmingly associated with kings and clerics involved in gift-giving and the exchange of luxury goods (textiles, books, jewellery, weapons, relics, etc.). Furthermore, the few surviving texts in this regard are not only highly exceptional, but bear the burden of suspicion, or at least of interpolation at a later date, as happens with the letter sent by Alfonso III of Asturias to the clergy and people of Tours in 906, communicating his intention of sending ships to Bordeaux in order to collect a crown he was willing to purchase from St Martin’s treasury.36 Yet, if diplomats, pilgrims, and other travellers were moving around the Atlantic seaways, 33 O. R. Constable, Trade and Traders in Muslim Spain. The Commercial Realignment of the Iberian Peninsula, 900-1500, Cambridge, 1994, p. 86-87; C. Picard, La mer…, op. cit., p. 43-55 and 90; M. McCormick, Origins…, op. cit., p. 688-695; P. Sénac, Le monde carolingien et l’Islam. Contribution à l’étude des relations diplomatiques pendant le haut Moyen Age (viiie-xe siècles), Paris, 2006, p. 71-93. For a database of Muslim seaports, see http://www.orient-mediterranee.com/spip.php?article1535&lang= fr (accessed 26/06/2018). 34 O. R. Constable, Trade and Traders…, op. cit., p. 38-42, 62-67 and 96-97. H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne…, op. cit., p. 188 and 194, refuses any kind of seaborne contacts. M. McCormick, Origins…, op. cit., p. 674-678, acknowledges the possibility of occasional sailing from the Mediterranean to northern Gaul through the straits of Gibraltar, but notes that before 900, “only the Vikings crossed from the North Sea into the Mediterranean, and that was exceptional even for them”; although “the growth of Cordova nonetheless indicates traffic through the strait of Gibraltar” (ibid., p. 539, n. 56). On the Frankish import of garum (fish sauce), whose “great export region in Antiquity had straddled the strait of Gibraltar”, see ibid., p. 634. 35 A. González García, “La proyección…”, op. cit.; I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón…”, op. cit. 36 A. C. Floriano, Diplomática española del período astur (718-910), Oviedo, 1949-1951, vol. 2, no. 185, suggests that the final section was added in the twelfth century, but does not consider the letter to be plainly false. Its authenticity has been defended in stronger though perhaps not always convincing

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that certainly implied some kind of maritime structure that would also accommodate commerce (or at least barter) of non-luxury goods.37 Combining both material and textual evidence (the latter dated twelfth century), Christopher Loveluck has also suggested the existence of maritime commercial links between Iberia and the Atlantic coast of France, the English Channel and southern North Sea before 1100. Three sets of evidence underpin his argument. First, the presence of small numbers of late eighth- and mid-ninth-century Cordoba-minted coins in Aquitaine, seen as probably reflecting the “vibrancy of Atlantic maritime trade routes between the Bay of Biscay and Spain by this time, possibly in commodities such as salt and slaves”; second, the late tenth- to early twelfth-century finds of silks, figs and red pigment vermilion in London’s Silk Street excavation, as well as Pamela Nightingale’s work on a London merchant family that allegedly built a strong connection to Iberia from the late eleventh century, all suggesting “the involvement of London merchants in the exchange of gold, spices, silks and other luxuries from the Islamic Mediterranean, funnelled through the Christian kingdoms of northern Spain, facing the Bay of Biscay”; and third, the late eleventh- and twelfth-century archaeological evidence found along the Atlantic coast of France and in Flemish ports, indicating “the vibrancy of Spanish trade38”. Loveluck goes as far as to suggest that, for eleventh- and twelfth-century London merchants, the “Atlantic trade networks across the Bay of Biscay with northern and Islamic Spain [were] as important as connections with the Mediterranean, via the Rhine valley, the Alps and Venice39”. The prospects opened up by these new assessments are indeed enticing, and one can only expect that Iberian archaeology will soon start to yield evidence that can strengthen the case for a livelier maritime life along the shores of the Atlantic and Cantabrian Seas. However, and judging from the existing evidence, Loveluck and the Spanish authors cited above seem to be pushing their argument a bit too far. On the one hand, links with Iberia may well have been established (at least partially) overland; on the other, and despite the important role Christian Iberia must have played in channelling Andalusian commodities northward, the possibility of direct shipping between al-Andalus and northern Europe must not be ruled out. We have yet to find sound evidence of seaborne transport and exchange in northern Iberia during the early Middle Ages, let alone to gauge how relevant long-distance sailing and commerce may have been for local maritime communities.

terms by R. A. Fletcher, Saint James’s Catapult. The Life and Times of Diego Gelmírez of Santiago de Compostela, Oxford, 1984, p. 317-323. On the plausibility of the whole episode, see A. González García, “La proyección…”, op. cit., p. 250-257. 37 Ibid., p. 227-228, 257, 263 and 271-272. This argument was convincingly built for the Mediterranean by M. McCormick, Origins…, op. cit.; it was recently invoked by B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 407-408, about the travels of Irish monks from the fifth to the eighth century. 38 C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 203-204, 306, 309, 320-325, 366. See P. Nightingale, A Medieval Mercantile Community: the Grocers’ Company and the Politics and Trade of London, 10001485, New Haven, 1995. 39 Ibid., p. 366.

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Nonetheless, textual sources leave no doubt that these communities were in touch, if only at times, with foreign seafarers, who were certainly attracted by the resources produced or exchanged across the northern Iberian coastline.40 British or Breton, and possibly Irish, missionaries, as well as Frankish merchants, were sailing to Iberia in the sixth and seventh centuries, if not later.41 Muslim pirates, soldiers, and perhaps also merchants – chroniclers are less prone to write about non-military enterprises – were also visiting the northern shores;42 although Muslim maritime attacks seem to gain momentum from the mid-eleventh century only.43 Contrary to a still widely-accepted view, political and religious differences should not have prevented exchange between Christian and Islamic coastal communities along the Atlantic seaboard; even if the evidence available (from the tenth century onwards) points to land routes only.44 Finally, viking seafarers, whether they came from Scandinavia or some viking colony in western Europe, were also a regular presence in Iberia from the mid-ninth to the mid-eleventh century.45 Although al-Andalus and its riches were the main focus of their attention, we know of several viking incursions along the northern shores of Iberia, especially in Galicia, from 844-45; and other non-recorded expeditions must have taken place. It is generally accepted that viking activity in Iberia “was probably small-scale, although perhaps more frequent than our sources admit46”; and that it did not exert much influence other than prompting both Christian and Muslim rulers to improve their defences.47 But we have just started to realise that the impact of viking raiders on

40 A. González García, “La proyección…”, op. cit., p. 245. 41 S. Young, Britonia: Camiños novos, Noia, 2002; J. N. Hillgarth, “Ireland and Spain in the Seventh Century”, in Peritia, 3, 1984, p. 1-16; S. I. Mariezkurrena, “Puertos y comercio…”, op. cit., p. 152-160. 42 We know of Muslim attacks on the Christian shores from as early as the mid-ninth century (in Galicia) (Chronicle of Albelda, in CA, XV, 12, p. 176); see C. Baliñas Pérez, “El territorium saliniense y los orígenes altomedievales de la comarca de Arousa”, in J. M. Monterroso Montero and A. Guedes Castro (eds), Arousa medieval y románica, Vilargarcía de Arousa, 2014, p. 1-35 (p. 30-31); A. Christys, Vikings in the South: Voyages to Iberia and the Mediterranean, London, 2015, p. 73, suggests this fleet might have sailed on to the Bay of Biscay. 43 A. Sampaio, Estudos históricos e económicos, II: As Póvoas Marítimas, Lisbon, 1979 [1923], p. 35 and 75; C. Picard, “La navigation médiévale…”, op. cit., p. 14; Id., La mer…, op. cit., p. 132-136. For references to major sieges and battles, possibly involving Muslim manpower brought by sea, see e.g. Expugnatio, p. 76-79 (northern Portugal and Galicia, c. 1067); Chronica Gothorum: SS, p. 11, and APV, p. 302 (Coimbra, ad 1117). 44 O. R. Constable, Trade and Traders…, op. cit., p. 44-50. See also the perceptive remarks by P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 154-156; and P. Sénac, Le monde carolingien…, op. cit., p. 8-9. 45 E. Morales Romero, Historia de los vikingos en España: ataques e incursiones contra los reinos cristianos y musulmanes de la Península Ibérica en los siglos ix-xi, Madrid, 2006; N. Price, “The Vikings in Spain, North Africa and the Mediterranean”, in S. Brink and N. Price (eds), The Viking World, London, 2012, p. 462-469; A. Christys, Vikings in the South…, op. cit.; H. Pires, Os Vikings em Portugal e na Galiza. As Incursões Nórdicas no Ocidente Ibérico, Sintra, 2017. 46 A. Christys, Vikings in the South…, op. cit., p. 95. 47 C. Sánchez-Albornoz, “Invasiones normandas a la España cristiana durante el siglo ix”, in I normanni e la loro espansione in Europa nell’alto medioevo, Spoleto (Settimane di studio del CISAM, 16), 1969, p. 367408 (p. 405-408); C. Picard, La mer…, op. cit., p. 7 and 20-25; Id., Le Portugal musulman, viiie-xiiie siècle: l’Occident d’al-Andalus sous domination islamique, Paris, 2000, p. 141-142, 209 and 217.

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coastal communities might have had other dimensions, namely the exchange of goods in the context of ship provisioning, or in connection to ransoms of local captives taken by vikings.48 Piracy must be seen as “the continuation of cabotage by other means”, and as “another form of redistribution in an economic environment where markets are often scarce”, hence the “symbiosis between piracy and trade” signalled by Peregrine Horden and Nicholas Purcell in the early medieval Mediterranean.49 Viking voyages to Iberia – and occasionally to North Africa, southern France, and at least once to Italy, as early as 859-861 – certainly paved the way for more frequent seaborne connections between northern Europe and the Mediterranean, in which northern Iberian ports must have played a part since, at least, the late eleventh century.50 A well-known travel itinerary from Ribe in Denmark to Acre in the Holy Land, associated with Adam of Bremen’s History of the Archbishops of Hamburg (written in the 1070s), is frequently invoked, as it mentions several Iberian ports.51 It should be noted, however, that this itinerary is a later addition to Adam’s work: it appears in a single family of manuscripts and has been dated 1200-1230,52 when the Atlantic route was no novelty to crusaders and merchants alike. This text is thus even later than the description of European (and Iberian) coasts attributed to Roger of Howden and dated from the 1190s by Patrick Gautier-Dalché.53 Still, there is sound evidence of crusader fleets calling at Iberian ports from the late eleventh century onwards, as must have been the case with two English (and one Flemish?) fleets that took part in the sieges of Port St Symeon, Laodicea (modern Latakia), Antioch and Jerusalem, during the First Crusade (1097-1099).54 From the 48 H. Pires, Os Vikings…, op. cit., p. 122; the same is suggested about the coasts of al-Andalus by N. Price, “The Vikings in Spain…”, op. cit., p. 464-465. 49 P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 156-158. See also C. Picard, La mer…, op. cit., p. 132-136; and the similar remarks on the North Sea and Baltic areas by C. Wickham, The Inheritance of Rome…, op. cit., p. 478 and 548; A. Gautier, “La piraterie dans les mers du Nord au haut Moyen Âge (ve-xiie siècle)”, in G. Buti and P. Hrodej (eds), Histoire des pirates et des corsaires, de l’Antiquité à nos jours, Paris, 2016, p. 77-90. 50 C. W. David, “Introduction”, in Expugnatio, p. 15-26; A. H. de O. Marques, Hansa e Portugal na Idade Média, Lisbon, 1993, p. 25 and 28; B. W. Diffie, Prelude to Empire…, op. cit., p. 6-8, to whom viking voyages were “continuous and greatly influential”, hence able to “restore the economic ties between northern and Mediterranean Europe”, although the author presents little evidence supporting this view. 51 Adam of Bremen, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, IV, 1, scholium 99, ed. B. Schmeidler, Hannover, 1917 (MGH SRM, 2), p. 228-229; transl. F. J. Tschan, History of the Archbishops of HamburgBremen, Adam of Bremen, New York, 2002 [1959], p. 187. Text cited, among others, by K. V. Jensen, Crusading at the edges of Europe: Denmark and Portugal, c. 1000-c. 1250, London, 2017, p. 97-102, who notes that this itinerary was included in a thirteenth-century Danish codex (Kong Valdemars Jordebog, f. 127r) and in Albert of Stade’s Chronica, and recognizes that this scholion might be “more recent”. 52 For a full discussion and references, see P. Gautier-Dalché, Carte marine et portulan au xiie siècle: le Liber de existencia riveriarum et forma maris nostri Mediterranei (Pise, circa 1200), Rome, 1995, p. 41-42. 53 De viis maris et de cognitione terrarum et montium et de periculis diversis in eisdem, in P. Gautier-Dalché (ed.), Du Yorkshire à l’Inde : une « géographie » urbaine et maritime de la fin du xiie siècle (Roger de Howden ?). Genève, 2005, p. 173-229, 253-286. 54 C. W. David, “Introduction…”, op. cit., p. 23-25; A. H. de O. Marques, Hansa e Portugal…, op. cit., p. 28-30; J. France, “The First Crusade as a Naval Enterprise”, in The Mariner’s Mirror, 83/4, 1997, p. 389-397.

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very early twelfth century, we see crusader ships calling at multiple ports along the Cantabrian, Atlantic and Mediterranean shores of Iberia, and occasionally attacking Muslim cities and even taking part in sieges conducted by the local Christian kings. The earliest example is the famous expedition led by the Norwegian king Sigurðr Jórsalafari (“the Crusader”) in 1108-1109, who took Sintra (perhaps in collaboration with Count Henrique of Portugal) and attacked Lisbon and other nearby places, after having wintered in Galicia.55 A case in point, given its scale and enduring consequences, is the joint conquest of Lisbon in 1147 by King Afonso Henriques of Portugal and a fleet of Anglo-Norman, Flemish and Rhinelander crusaders, amongst whom merchants and other seafarers seem to have been prominent.56 We know, from a detailed contemporary account allegedly written by an Anglo-Norman priest (De expugnatione Lyxbonensi),57 and from the Portuguese Chronica Gothorum, that this fleet, which sailed along the coast from Gauzón in Asturias to Lisbon, was following on the footsteps of a previous attempt at conquering Lisbon ca. 1142; and there were certainly earlier contacts.58 It seems unlikely that the well-documented late eleventh- and twelfth-century maritime enterprises were the outcome of a whole new dynamic prompted by the Crusades and the Iberian Reconquest only. José Mattoso has listed several indicators that hint at an “old practice” – already by the twelfth century – of local sailing along the coasts of Galicia and Portugal.59 And, in a recent article, José Andrade mentions, among other things, the maritime pilgrimage to the shrine of Santiago in Compostela, whose role in the period before the thirteenth century, he reckons, is “underestimated”; as well as the references to north-west Iberia in a few eleventh-century erudite texts and maps produced both in the Peninsula and elsewhere, which testify to a growing interest in this area, as a consequence of its integration in long-distance routes.60 One has to wait for the second half of the twelfth century for written evidence of formal seaborne contacts between northern Iberia and England, Aquitaine or 55 G. B. Doxey, “Norwegian Crusaders and the Balearic Islands”, in Scandinavian Studies, 68/2, 1996, p. 139-160 (p. 100-102); A. Christys, Vikings in the South…, op. cit., p. 100-101; H. Pires, Os Vikings…, op. cit., p. 160-179; K. V. Jensen, Crusading…, op. cit., p. 131-132. 56 For a strong assertion of the role of “seafarer merchant citizens from major ports in England and Normandy”, see C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 26 and 325-327. 57 On the text, its author and context, see the introductory material by C. W. David and J. Phillips, in Expugnatio; and the introduction by M. J. V. Branco, in A conquista de Lisboa aos Mouros: relato de um Cruzado, eds. A. A. Nascimento and M. J. V. Branco, Lisbon, 2001. See also H. Livermore, “The ‘Conquest of Lisbon’ and its Author”, in Portuguese Studies, 6, 1990, p. 1-16; and J. Wilson, “Enigma of the De expugnatione Lyxbonensi”, in Journal of Medieval Iberian Studies, 9/1, 2017, p. 99-129. 58 Expugnatio, p. 96-97, 102-103 and 120-121; Chronica Gothorum: SS, p. 13-14. See V.-A. Lucas, “Revisiting the Anglo-Norman Crusaders’ Failed Attempt to Conquer Lisbon c. 1142”, in Portuguese Studies, 29/1, 2013, p. 7-20; also C. W. David, “Introduction…”, op. cit., p. 26: “The first half-century of the crusades was a period during which maritime intercourse between the English Channel, the Spanish Peninsula, and the eastern Mediterranean was more active than has commonly been realized”. 59 J. Mattoso, “O imaginário marítimo…”, op. cit., p. 241-242; for a more detailed analysis, see Id., “Os antepassados dos navegadores”, in Naquele tempo…, op. cit., p. 245-264. 60 J. M. Andrade Cernadas, “The Stones…”, op. cit., p. 149-152. A similar claim about maritime pilgrimage is made by A. Rucquoi, Mille fois à Compostelle. Pèlerins du Moyen Âge, Paris, 2014.

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Flanders.61 But research on both the Mediterranean and the North Sea has shown how multifaceted maritime communication would be in the early Middle Ages.62 Although most of the sources will only throw light on political and military events, ships sailing between the Bay of Biscay and the Mediterranean must have served other purposes. In sum, before 1150, pirates, crusaders, pilgrims, and most likely merchants, were already reconnecting northern Europe and the Mediterranean. Northern Iberia had become a middle-point between both areas, as small-scale coastal sailing along the Atlantic shores gradually evolved into long-distance travelling. More importantly, some Iberian seaports and other landing places would probably function not only as stopping and provisioning points but also as commercial sites, in either case affecting their hinterlands and the communities living there.

Coastal settlement As we have seen, historiography is still largely stuck with the view that coastal settlement was insignificant in northern Iberia. This must be put down, first, to documentary geography: coastlines are marginally covered by the extant records, as a result of being less relevant to the interests of those behind the production and transmission of charters and other types of text.63 Although from the ninth century coastal areas were progressively brought under the authority of regional powers associated with the Asturian-Leonese kingdom, all major political centres (and archives) were locked away from the sea. In fact, and this is another reason for seeing these areas as peripheral, there is virtually no major littoral town during the early Middle Ages.64 Very little is known of the urban world at large in northern Iberia, with a few exceptions: Santiago de Compostela, León, and, to a much lesser extent, Oviedo,

61 W. R. Childs, Trade and Shipping in the Medieval West: Portugal, Castile and England, Turnhout, 2013, p. 9-27; B. W. Diffie, Prelude to Empire…, op. cit., p. 24-27; Y. Renouard, “Les relations du Portugal avec Bordeaux et La Rochelle au Moyen Âge”, in Revista Portuguesa de História, 6/1, 1955, p. 239-255; F. Miranda, “Before the Empire: Portugal and the Atlantic Trade in the Late Middle Ages”, in Journal of Medieval Iberian Studies, 5/1, 2013, p. 69-85; E. Ferreira Priegue, Galicia en el comercio…, op. cit., p. 574-575; see bibliography in n. 38 above. 62 See bibliography in n. 23 above; and P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 172 and passim. 63 Depopulated areas or lands “without lords”? This question, raised in 1982 about Guipúzcoa by J. Á. García de Cortázar y Ruiz de Aguirre, “La sociedad guipuzcoana antes del fuero de San Sebastián”, in Investigaciones sobre historia medieval del País Vasco (1965-2005), Bilbao, 2005, p. 282312 (p. 283), still awaits an answer. See, on northern Portugal, A. E. Marques, M. J. Barroca and L. C. Amaral, “As incursões vikings no Norte de Portugal”, in M. J. Barroca and A. C. F. da Silva (eds), Mil anos da Incursão Normanda ao Castelo de Vermoim, Porto, 2018, p. 143-184 (p. 149-154). 64 J. A. Gutiérrez González, “Procesos de formación de ciudades altomedievales en el norte peninsular”, in A. M. da Costa, A. A. Andrade and C. Tente (eds), O papel das pequenas cidades na construção da Europa medieval, Lisbon, 2017, p. 19-85, lists only two coastal towns, Porto and Gijón (p. 32, and map on p. 42), and denies that any Iberian town may have originated in an emporium or wic (p. 71-72); see also A. Christys, Vikings in the South…, op. cit., p. 6, suggesting this “may reflect the current state of archaeology” only.

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Zamora, Vitoria-Gasteiz and Pamplona.65 Urban archaeology has hardly paid attention to this period so far, thus being unable to counter the focus on written sources and their royal and seigneurial frameworks, and to challenge the traditional view of an urban “revival” from the late eleventh century only.66 But the picture gets even blurrier when it comes to coastal towns.67 The first documentary references to such nuclei date, in most cases, from the late eleventh, twelfth, and sometimes thirteenth, or even fourteenth centuries, usually in charters of privilege given by kings, and occasionally by a lay or ecclesiastical lord.68 Archaeology, on the other hand, is nearly silent about the early medieval occupation of port sites.69 Again, text-based narratives of royal and seigneurial control, largely associated with the development of long-distance trade in the twelfth and thirteenth centuries, are still prevalent.70 For a decade or so, archaeologists have been paying slightly more attention to the littoral, both in Portugal and especially Galicia, on the western front,71 and

65 J. A. Quirós Castillo and I. Santos Salazar, “Territorios sin ciudades y complejidad social. El Cantábrico oriental en la Alta Edad Media”, in F. Sabaté and J. Brufal (eds), La ciutat medieval i arqueologia: VI Curs Internacional d’Arqueologia Medieval, Lleida, 2014, p. 139-174 (p. 141-143); J. A. Gutiérrez González, “Procesos de formación…”, op. cit., p. 25. 66 J. A. Quirós Castillo, “Medieval archaeology in Spain…”, op. cit., p. 181; J. A. Gutiérrez González, “Procesos de formación…”, op. cit., p. 20-21. According to W. Davies, Windows on Justice…, op. cit., p. 7, Northern Iberia “was an overwhelmingly rural economy, and urban development was late by western European standards”. 67 For the scanty evidence on late ninth- and early tenth-century major port sites from Portugal to Cantabria, see A. González García, “La proyección…”, op. cit., p. 257-263. 68 See bibliography in n. 6 above. These charters’ rhetoric tends to present them in a “foundational” light, although in many cases the king or lord who granted them was only trying to (re)frame the rules of his relationship with a pre-existing, well-established community. 69 A well-researched place like Gijón seems to have been largely abandoned by the end of the eighth century at the latest: see C. Fernández Ochoa, A. Orejas Saco del Valle, P. García Díaz and F. Gil Sendino (eds), La Fábrica de Tabacos de Gijón. Arqueología e Historia de un espacio milenario, Gijón, 2015; also A. Vigil-Escalera Guirado, “Relectura arqueológica del pozo-cisterna de la fortaleza de Gijón (Asturias, Norte de España): la civitas Gegionem durante el primer siglo del Reino de Asturias (720-840 ad)”, in MUNIBE (Antropologia-Arkeologia), 69, 2018, p. 265-282. 70 I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón…”, op. cit., p. 122. 71 M. J. Barroca, “Prope litore maris: O sistema defensivo da orla litoral da Diocese do Porto (séc. IX a XII)”, in L. C. Amaral (ed.), Um poder entre poderes: nos 900 anos da restauração da Diocese do Porto e da construção do Cabido Portucalense, Porto, 2017, p. 197-243; C. A. B. de Almeida, “A realidade arqueológica do litoral entre o Neiva e o Cávado: da romanização à formação das paróquias”, in Revista da Faculdade de Letras – Ciências e Técnicas do Património, 12, 2013, p. 99-111; Á. Rodríguez Resino, Do Imperio Romano á alta Idade Media: arqueoloxía da tardoantigüidade en Galicia (séculos v-viii), Noia, 2005, p. 31-86; A. Fernández Fernández, O comercio tardoantigo…, op. cit., p. 203-209; X.-L. Armada et al., “El yacimiento de Santa Comba (Covas, Ferrol): investigaciones arqueológicas en un enclave de la ruta marítima atlántica”, in Gallaecia, 34, 2015, p. 83-124; E. CarlssonBrandt Fontán et al., “Prospección arqueológica en San Vicente de Meá (Mugardos). Un territorio costero entre la Antigüedad y la Edad Media”, in Gallaecia, 35, 2016, p. 129-156; D. Fernández Abella, “El Puerto de Bares. Nuevas aportaciones acerca de su configuración y orígen”, in P. Diarte-Blasco (ed.), Cities, Lands and Ports in Late Antiquity and the Early Middle Ages: Archaeologies of Change, Rome, 2017, p. 207-218.

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astride the Cantabrian Sea coastline.72 However, very few sites with eighth- to eleventh-century occupation have been identified so far; and the period before 900 remains something of a blank, for which a definite explanation is yet to be found: actual hiatus or archaeological and textual invisibility, as several authors now tend to think?73 Paleoenvironmental research is also emerging, but it has yet to present a clear picture of how coastal climate, environment and landscape evolved in different areas during the early Middle Ages.74 Coastal settlements, their morphology and economic profile are thus still largely unknown. In most cases, their existence is only revealed because they were connected in some way or another with ecclesiastical or lay lords, often based inland, who had property or church patronage interests in coastal areas. Not unsurprisingly, what texts – and most of the archaeology – clearly show as dominating the seaside is: 1. Fortified sites, from minor structures, as the numerous fortifications making up a dense network in the area around Porto in Portugal, to castles such as that of Gauzón overseeing the Asturian town of Avilés;75 2. Churches and monasteries, some of which were built as early as the seventh century on sites previously occupied by maritime villae, fish factories, salterns and ports – e.g. Adro Vello (O Grove) and Eirexa Vella de Bares (Mañón) in Galicia –, and others (especially monasteries) playing a key role in transforming very small early medieval settlements into maritime towns later on – e.g. San Emeterio de Santander and Santa María del Puerto/Santoña in Cantabria;76

72 J. A. Gutiérrez González, “Arqueología tardoantigua…”, op. cit.; A. Miranda Duque and J. I. Santos Rodríguez, “Análisis del territorio de Ranón de la Arena: génesis y desarrollo medieval”, in Arqueología y territorio medieval, 9, 2002, p. 85-104; N. Alonso Rodríguez, “Nuevas aportaciones sobre un poblamiento con restos romanos y ocupación medieval en Asturias: el valle de Eres y su porto de Bañugues (Gozón)”, in J. A. Quirós Castillo (ed.), The Archaeology of Early Medieval Villages in Europe, Vitoria, 2009, p. 181-190; I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón…”, op. cit.; J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit.; I. García Camino, Arqueología y poblamiento…, op. cit.; N. Sarasola Etxegoien, “El poblamiento medieval de Gipuzkoa: revisión crítica del registro arqueológico”, in MUNIBE (Antropologia-Arkeologia), 61, 2010, p. 339-393 (esp. p. 374). 73 E.g. B. Bengoetxea and J. A. Quirós Castillo, “Las villas vascas antes de las villas: la perspectiva arqueológica sobre las génesis de las villas en el País Vasco”, in J. Á. Solórzano Telechea and B. Arízaga Bolumburu (eds), El espacio urbano en la Europa medieval, Nájera, 2006, p. 146-165 (p. 157-158); C. Baliñas Pérez and C. A. González Paz, “Del castro al puerto: la villa de Burela y los orígenes del poblamiento medieval del litoral cantábrico gallego”, in En la España Medieval, 40, 2017, p. 375-407 (p. 377, 382 and 400). 74 E.g. R. Tallón Armada, M. Costa-Casais and T. Taboada Rodríguez, “Evolución de un sector costero durante la alta edad media en el NW de la Península Ibérica”, in Estudos do Quaternário, 12, 2015, p. 27-38. 75 M. J. Barroca, “Prope litore maris…”, op. cit.; C. Baliñas Pérez, “El territorium…”, op. cit., p. 31-34; I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón…”, op. cit., p. 133-134, lists several eighth- to ninth-century coastal fortifications in Asturias and Cantabria. 76 J. López Quiroga, El final de la Antegüedad en la “Gallaecia”. Transformación de las estructuras de poblamiento entre Miño y Duero (siglos V al X), A Coruña, 2004; J. Mattoso, O monaquismo Ibérico e Cluny, Rio de Mouro, 2002 [1968], p. 115-130; A. de J. da Costa, O Bispo D. Pedro e a Organização da Arquidiocese de Braga, Braga, 1997-2000 [1959]; L. C. Amaral, Formação e desenvolvimento do domínio da diocese de Braga no período da Reconquista (séc. IX-1137), unpublished thesis, Porto, 2007; F. López Alsina, La ciudad de Santiago de Compostela en la Alta Edad Media, Santiago de Compostela, 2013,

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3. Ports, mostly evidenced by incidental references in boundary clauses and – more problematically – by place-names, as archaeological traces of early medieval harbour facilities remain largely unidentified,77 not least because they were often built in wood and other materials with reduced archaeological visibility.78 The wooden jetty uncovered next to the primitive village of Guernica (dated 640-780 through radiocarbon analysis) is an exceptional example.79 Javier Añíbarro has called attention to castra, monasteria and portus – together with churches and cemeteries – as key “pre-urban elements” underpinning the emergence of Cantabrian port towns in the eleventh and twelfth centuries.80 But, again, one must not forget that records were largely preserved by monasteries, that literary texts are prone to mention castles, given their role in political and military narratives, and that early medieval seafaring could do without complex port infrastructure, using simpler solutions such as watermills combined with jetties, beach landing places, river boats connecting land with offshore moored seagoing ships, etc.81 The absence of broad surveys of textual evidence, and of archaeological gazetteers, prevents us from drawing a map with time and space distributions of coastal settlements across the whole northern Iberia; let alone to distinguish between densely and sparsely populated areas, which in some cases means differentiating fixed settlements from non-permanent ones, occupied by people involved in short-term or seasonal maritime activities.82 One indicator has been thoroughly investigated in recent years,

p. 160-174; J. C. Sánchez Pardo, “Los contextos de fundación de las iglesias tardoantiguas en Galicia (ss. V-VIII): substratos arqueológicos, distribución y significados”, in Antiquité Tardive, 20, 2012, p. 255273 (p. 258-259); Id., “Power Strategies in the Early Medieval Churches of Galicia (ad 711-910)”, in Id. and M. G. Shapland (eds), Churches and Social Power in Early Medieval Europe: Integrating Archaeological and Historical Approaches, Turnhout, 2015, p. 227-268 (p. 239-240, and map on p. 231); M. Calleja Puerta, La formación de la red parroquial de la diócesis de Oviedo en la Edad Media, Oviedo, 2000; I. Muñiz López and A. García Álvarez-Busto, “El castillo de Gauzón…”, op. cit., p. 134, 142 and 153; J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit.; I. García Camino, Arqueología y poblamiento…, op. cit. (esp. pl. II-IV); B. Bengoetxea and J. A. Quirós Castillo, “Las villas vascas…”, op. cit., p. 152. 77 For examples of documentary references to ports (in Santander and San Vicente de la Barquera), and for the toponym Portus associated with present-day Santoña, see J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit., p. 125, 142 and 155. 78 On archaeological invisibility, see M. L. P. Blot, Os portos na origem dos centros urbanos: contributo para a arqueologia das cidades marítimas e flúvio-marítimas em Portugal, Lisbon, 2003, p. 140-141; S. F. Ramallo Asensio, F. Cerezo Andreo and J. Vizcaino Sánchez, “Puertos y espacios portuarios entre la antigüedad y la alta edad media: nuevos escenarios de investigación”, in P. Diarte-Blasco (ed.), Cities, Lands and Ports in Late Antiquity and the Early Middle Ages: Archaeologies of Change, Rome, 2017, p. 159-174 (p. 162). 79 I. Pujana and A. Díez, cited by B. Bengoetxea and J. A. Quirós Castillo, “Las villas vascas…”, op. cit., p. 160. 80 J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit., p. 166-168 and p. 144 for Santander (a classical instance). 81 M. L. P. Blot, Os portos…, op. cit., p. 17, 22, 139-140 and 155-156; P. Arthur and S. M. Sindbæk, “Trade and Exchange…”, op. cit., p. 304; C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 191, 193 and 200. 82 Salt production would come to a halt in the autumn and winter: E. Peña Bocos, La atribución social del espacio en la Castilla altomedieval: una nueva aproximación al feudalismo peninsular, Santander, 1995, p. 79; M. J. V. B. M. da Silva, Aveiro Medieval, Aveiro, 1991, p. 103. So did long-distance seafaring:

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though: the places where extant documentary records were preserved – but not necessarily produced, as many places and institutions where records were originally written remain unknown. Region

Institution

Distance from the sea (km)

Records (n)

Dates

Portugal

São Salvador de Moreira São Simão da Junqueira São Pedro de Pedroso São Salvador de Grijó São Salvador de Leça São Salvador de Vairão São Cristóvão de Rio Tinto São Martinho de Aldoar São Romão de Neiva

6 7 8 6 7 6 10 1,5 4

209 49 38 36 26 10 10 2 1

907-1100 973-1100 947-1100 922-1100 1003-1095 921-1100 1058-1100 944-1044 1087

Galicia

San Salvador de Lourenzá San Juan de Caaveiro San Martín de Xubia Mondoñedo Cathedral San Salvador y S. Nicolás de Cís San Pedro de Soandres

8 6 2 15 8 10

40 31 15 12 8 2

922-1100 714-1100 977-1096 867-1096 911-1099 990-1032

Asturias

San Juan Bautista de Corias San Salvador de Cornellana

12 15

8 1

944-1046 1024

Cantabria Santillana del Mar Santa María del Puerto

3 >1

67 61

870-1100 863-1096

Basque Country







none

Table 1. Northern Iberian institutions located less than 20 km away from the seashore that kept pre-1100 records.83

Among the 163 institutions that kept records dated before 1100 in northern Iberia (Catalonia excluded), only 19 are located less than 20 km away from the seashore. It should be noted, though, that some places located further inland were easily J.-C. Cassard, “Les navigations bretonnes…”, op. cit., p. 24; A. González García, “La proyección…”, op. cit., p. 257; B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 64. 83 Source: PRJ Project (n. 7 above). The methodology underpinning this survey of pre-1100 Iberian records is fully detailed in http://prj.csic.es/base_datos_en.php?m= 1&c= 6 (accessed 26/06/2018). The data presented in the table include minor corrections vis-à-vis the PRD database, in which São Salvador de Moreira counts 201 documents only and the records from São Martinho de Aldoar were counted under those from Coimbra Cathedral, in whose cartulary they were transmitted.

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connected to the sea by river routes.84 On the contrary, in Asturias and Cantabria a narrow coastal strip abuts the Cantabrian Mountains, thus hindering the connection between the seashore and places located not far inland. Considering a straight-line distance, institutions like Oviedo Cathedral and the Cantabrian monasteries of San Toríbio de Liébana and Santa María de Piasca, for instance, were all located less than 30 km away from the sea.85 Portugal stands out as the region with the largest number of littoral institutions (nine) and records (381), but the latter are rather late (all dated after 900, and in a couple of institutions after 1000). Cantabria comes next, with 128 records (from two institutions only), closely followed by Galicia (108 records from six institutions), where the oldest records are to be found. Asturias lags way behind (nine records from two institutions), showing that charters were massively kept by inland institutions in the region. When considered individually, Galician documentary collections are relatively small – the largest, Lourenzá, comprises only 40 records. Overall, only three collections include more than 50 records, and these are located in Portugal (São Salvador de Moreira) and Castile (Santillana del Mar and Santa María del Puerto). Apart from Moreira, which is actually the largest early medieval charter collection in Portugal, none of the remaining 18 collections can match the much bigger ones kept by some powerful monasteries and cathedrals located inland, either in Galicia, Asturias-León or Cantabria-Castile. To judge by these figures, littoral institutions and the documentary collections they preserved seem to share the peripheral status traditionally attributed to coastal settlement. These were by and large small- to medium-size monasteries whose records offer some insight into a few coastal areas only, with notable concentrations around the mouth of the Douro in Portugal, and around the Rías of A Coruña, Betanzos, Ares and Ferrol in Galicia. There is much more information – on these and other littoral areas – in records preserved by inland institutions, either because these institutions had property interests on the coast, or because they ended up archiving records of other proprietors with such interests. But this material, which is too vast and fragmentary to be fully grasped in the present state of research, does not seem to change the overall characterization of coastal settlement as “peripheral”. One must bear in mind, though, that charter distributions are by no means a direct indicator of settlement, since documentary geography is mostly dependant on socio-political and cultural factors, if not on pure chance dictating the preservation of some records but not others. This entails a geographical bias that should prevent us from drawing settlement maps based on charter evidence only, but it also entails a socio-political bias that differentiates coastal communities from others – better-documented – living inland. Despite these biases, charters do give us some insight into coastal settlement and maritime communities at a micro scale.

84 I am grateful to José Carlos Sánchez Pardo for pointing this out to me apropos of Santiago de Compostela and Tui in Galicia. 85 On the geomorphology of the northern Iberian seaboard, see C. Fernández Ochoa and Á. Morillo Cerdán, De Brigantium a Oiasso…, op. cit., p. 13-24.

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Fig. 1. Northern Iberian institutions where records dated before 1100 were kept. Map drawn by Antonio Uriarte (Laboratorio de Arqueología del Paisaje y Teledetección. CSIC-Instituto de Historia. Madrid). Reproduced with the permission of the PRJ project, CSIC (PI: Isabel Alfonso).

Maritime communities? Being unable to go through all the charter material available, I chose two of the largest littoral collections as arguably allowing for a close analysis of coastal communities: the monasteries of São Salvador de Moreira (situated 12 km north-west of Porto and 6 km away from the seashore) and Santa María del Puerto (at the heart of Santoña, only 300 m away from the waterside). Apart from having a different topographical relation with the sea,86 the two monasteries display other differences that make comparison worthwhile. First, the provenance of the records and the type of power and proprietary relations they mirror: whereas lay records prevail in the case of Moreira, because the monastery preserved many of its patrons’ documents as title deeds (munimina), in the case of Puerto all the records were transmitted in a cartulary that includes documents directly related to the monastery or its dependent churches only.87 Secondly, Puerto, unlike Moreira, does not seem to have had direct interests in maritime activities, or at least did not care to record such interests, which makes it difficult to trace any maritime features of the communities portrayed in its documentation. Finally, while records from Puerto (61) show a gap in the period 927-1047 and focus on a relatively small area around Santoña, those from Moreira (209) show a steady growth over time (with major rises after 1030 and 1070) and cover a long coastal strip stretching more than

86 This is why I chose Santa María del Puerto instead of Santillana del Mar (located 3 km away from the sea), whose documentary collection is slightly larger than that of Puerto. 87 For the latter, see e.g. SMP 58 (1091), SMP 66 (1120).

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50 km on both sides of the river Douro.88 No wonder that Moreira’s collection is more plentiful than Puerto’s when it comes to information about coastal communities. To compensate for the imbalance, the material from Puerto considered here runs up to 1150, while that from Moreira is all pre-1100, as the bulk of Moreira’s records after that date remain unpublished.89 Getting this material to shed some light on basic issues concerning the life and identity of communities living on the coast is not easy. Still, it is worth devising a basic questionnaire in order to gauge the extent to which these communities can be regarded as “maritime”, in the sense of being defined by their relationship with the sea. What follows is partially inspired by the questionnaire drawn by Wendy Davies to study different types of community: “elementary communities”, i.e. household and village; “communities of patronage networks”; “communities of reputation”; “communities of county, diocese and of the regnum”.90 I will be focusing on the first two only, and will address three main aspects: the way in which such communities, or at least those writing on their behalf, perceived their own territory as distinctively littoral; the maritime resources these communities drew on and the forms of economic cooperation underpinning their exploitation; and the very mechanisms of community definition created either through intra- or extra-community relationships (endogenous and exogenous definition). Territoriality and representations of space

In the records from Moreira, the seashore is frequently used by scribes to locate the property conveyed (40 documents out of 209).91 A typical example reads: uendimus

88 This strip runs from the modern municipality [henceforth mun.] of Vila do Conde southward, to the municipalities of Ovar, Oliveira de Azeméis, and Vale de Cambra; although it occasionally stretches 50 km northward, up to the estuary of the river Miño: DC 778 (1092), and 50 km inland: e.g. DC 86 (964), parish of Várzea do Douro (mun. Marco de Canaveses). Well-documented areas include the parishes of Moreira da Maia, Gemunde (mun. Maia), Vilar de Pinheiro (mun. Vila do Conde) and Perafita (mun. Matosinhos), as well as Pedroso (mun. Vila Nova de Gaia). 89 On Moreira and its patronal family of lesser aristocrats (infanzones), some of whom performed important administrative and judicial functions in the coastal area around Porto from the early eleventh century, see J. Mattoso, “A nobreza rural portuense nos séculos xi e xii”, in Anuario de Estudios Medievales, 6, 1969, p. 465-520, repr. in Id., A nobreza medieval portuguesa: a família e o poder, Rio de Mouro, 2001, p. 117-189; S. C. Ferreira, “Trutesendo Guterres, um infanção portucalense do século xi”, in Mirabilia. Revista electrônica de história antiga e medieval, 8, 2008, p. 136-168. On Santa María del Puerto and the port town of Santoña, see J. Abad Barrasús, El monasterio…, op. cit., p. 9-280; C. Díez Herrera, “El monasterio de Santa María del Puerto en la Edad Media”, in Monte Buciero, 1, 1997, p. 51-66; J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit., p. 69-77, 125-134 and 161-168. 90 W. Davies, “Introduction. Community Definition and Community Formation in the Early Middle Ages: Some Questions”, in Ead., G. Halsall and A. Reynolds (eds), People and Space in the Middle Ages, 300-1300, Turnhout, 2006, p. 1-12. 91 Different texts and scribes might, however, either include or omit a reference to the seashore when locating the same villa: e.g. DC 12 (978) and DC 588 (1080), both referring to the villa Moraria (modern parish of Moreira, mun. Maia).

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eriditate [sic] nostra propia que auemus in uila que uocidant quitones subtus mons aluarelios discurente riuulo quitones prope litore maris territorio portugalensi.92 This is a complex location system that includes a variable combination of different elements: first, the villa – sometimes a locus, or a place name without categorisation – within whose boundaries the property lies, as well as the administrative district (terra or territorium) to which that villa belongs; and second, physical markers, such as rivers, hills (sometimes castra), and the seashore, if applicable, usually used to locate the whole villa territory, and by extension the units of property therein contained. The proximity to the seashore is mentioned in descriptions of property located up to 10 km inland, and only exceptionally up to 20 km.93 This denotes a relatively fluid perception of distances, explained partly by the varying types and scales of property described, partly by the standing-point of the scribe. Only seldom does the sea appear as a marker in boundary clauses, that is, denoting physical confrontation.94 Perhaps this should be ascribed to a lesser degree of littoral land appropriation, unsurprising given the seashore topography. In the records of Puerto, conversely, the few references to the sea (not the seashore) as a physical marker occur precisely in boundary clauses, as a consequence of Puerto’s seaside location.95 Strikingly, not even once is the monastery itself located by reference to the sea, perhaps because such connection is implied in its very name (Sancta Maria de Portum). In sum, both small and large property units, as well as village territories and “central places” and “focal points” (to use Wendy Davies’s words) might be associated with the sea. If references to the seashore as a boundary marker express little more than a topographical relation, those that convey a vaguer notion of proximity to the sea – within a broader location system – may have wider implications. Could it be that coastal populations actually identified themselves as living prope litore maris, and saw this as a somehow differentiating spatial identity? Even if one chooses to put it all down to the technicalities of notarial language and its uses by people looking at coastal areas and communities from the outside – which was by no means always the case –, it can hardly be disputed that the sea prompted the association of such communities with distinctive areas and landscapes.

92 DC 413 (1059). Variants of the formula expressing a littoral location include: non longe lidore maris, DC 98 (968), DC 355 (1047), DC 364 (1048); rriba de mar, DC 571 (1079); intrante in mare, DC 731 (1090). The same formula occurs in records from Galicia: e.g. iuxta litore maris, TC 518 (931); circa aula maris, Cor 59 [956]; and from Asturias: see examples cited by I. González García and J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La economía salinera en la Asturias medieval”, in Asturiensia medievalia, 1, 1972, p. 11-155 (p. 78). 93 E.g. DC 788 (1092): parish of Arnoso (Sta. Maria), mun. Vila Nova de Famalicão. 94 One single example identified, concerning the boundaries of a casal (peasant holding or small hamlet): DC 140 (984). 95 This is the case, for instance, with the delimitation of properties belonging to two monasteries that Puerto annexed on the orders of King García Sánchez III of Pamplona: SMP 9 (1047). Other twelfthcentury examples: SMP 66 (1120), SMP 70 (1122), SMP 73 (1135).

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Maritime resources

Laying at the heart of everyday life and often demanding different forms of cooperation between people, maritime resources were probably even more important in forging these communities, which brings us to Étienne Wenger’s notion of “communities of practice”, as based on shared interests, activities and experiences of learning.96 Unfortunately, the extant material is nearly silent about maritime activities such as shipping and commerce or fishing, rather focusing on littoral activities associated with landholding: salt production and farming. Records from Moreira and Puerto – as those from other collections – say virtually nothing about sailing, save for occasional references to ships and harbours, some implied in place names (Puerto is a case in point), others explicit in boundary clauses.97 Most of these ships and ports, however, seem to belong to estuarine or riverine environments, as confirmed by the very few archaeological remains of boats discovered so far: this is the case with three dugouts dated by radiocarbon between the late eighth and the early eleventh century, which were recovered from the Lima riverbed (Portugal) on two different sites less than 13 km upstream from the river’s mouth.98 Several references to ports and ships on the river Mondego (close to Coimbra and the frontier with al-Andalus) can be found in tenth- to twelfth-century documents from the monastery of Lorvão,99 and the record of a dispute between the monastery of Guimarães and an aristocratic family provides a remarkable vignette of how these river ports might function.100 For the time being, we are left mostly with textual references to foreign seafarers that sailed and moored along the northern Iberian shores, their activities being, by and large, portrayed in a military light. To avoid stereotyped accounts, it is worth turning to the highly unusual descriptions of ransoms payed to vikings that can be found in a couple of Portuguese charters kept by the littoral monasteries of Moreira and S. Pedro de Pedroso.101

96 See the Introduction to this volume; É. Wenger, Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity, Cambridge, 1998; É. Wenger-Trayner and B. Wenger-Trayner, “Communities of Practice: A Brief Introduction”, 2015, available online at http://wenger-trayner.com/introduction-tocommunities-of-practice/ (accessed 26/06/2018). 97 E.g. DC 359 (1047) and SMP 29 (1085), referring to, respectively, Gemunde (mun. Maia), which is situated less than 10 km away from the seashore, and Liendo (a mun. in Cantabria), located by the sea. It should be noted that these may not be seaports; on the different meanings of the word portus, which encompasses both maritime or fluvial ports and inland crossing places, see A. E. Marques, Da representação documental à materialidade do espaço: território da diocese de Braga (séculos IX-XI), Porto, 2014, p. 312. 98 F. J. S. Alves, “A piroga monóxila de Geraz do Lima”, in O Arqueólogo Português (Série IV), 4, 1986, p. 210-234; F. J. S. Alves and É. Rieth, As pirogas 4 e 5 do rio Lima, Lisbon, 2007 (Trabalhos do CNANS, 21), p. 6 and 43. 99 DC 22 (919 – but interpolated in the twelfth century), LTL 40 (927), LTL 7 (933), LTL 34 (938), LP 56 ([961?]), LTL 25 (978), LTL 30 (c. 982), LTL 48 (984), LTL 10 (1016-1017), LT 14 (1089), LTL 77 (1131). 100 DC 183 (999): filauit [Egica] nostro porto et parauit ibidem suo barco et nauuabit nostros homines et maliauit nostro barcario. 101 Aze 2 (1018); DC 261 (1026). On these charters, see H. Pires, Os Vikings…, op. cit., p. 118-123 and 143-147; A. E. Marques et al., “As incursões vikings…”, op. cit. (with further bibliography). C. Baliñas Pérez, “El territorium…”, op. cit., p. 28 (n. 77), has suggested that the ransom referred to in DC 81 (960) might also be viking-related, but this is highly conjectural.

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Taking hostages was not the friendliest way to make contact, but there was certainly more to the interaction between vikings and locals than piracy and plunder. A telling example is that of an Asturian man who, at the beginning of the eleventh-century, left the land ad alias terras in barcas de Lodmanos after having provoked the king’s anger.102 The fact that some vikings did take hostages does not mean that others – or sometimes the same men – were not seeking provisions along the shores of northern Iberia, or engaging in other forms of exchange, namely slave trade.103 This may have been exceptional, as there is little evidence of Iberian (Islamic) coins in Scandinavia or elsewhere in northern Europe.104 But neither are coins a safe indicator of commerce, as they could travel for several other reasons, nor was money the only means of payment.105 Viking imports could well be paid for with salt, metals, foodstuffs (oil, wine, dried fruits, fish-sauce), slaves and luxury commodities imported from al-Andalus (silk, leather goods, spices, etc.), all of which were available in northern Iberia. The two collections under analysis here are also largely silent about fishing: information on that topic is very scarce before the twelfth and thirteenth centuries for all northern Iberian regions, which has led to the impression that early medieval fishing was marginal, both in its yields and technology.106 A few references to fisheries could be found, but, 102 P. Floriano Llorente (ed.), Colección diplomática del Monasterio de San Vicente de Oviedo, I: Parte 1 (Años 781-1200), Oviedo, 1968, p. 72-74 (1028). According to this charter, upon his return in Asturias the man (Felix) acquired, through an exchange with Queen Velasquita, the villa of Heres (mun. Gauzón, Asturias) and its associated portus of Bañugues, that might be used for commercial purposes, according to N. Alonso Rodríguez, “Nuevas aportaciones…”, op. cit., p. 185-186; see F. J. Fernández Conde and I. Torrente Fernández, “Los orígenes del monasterio de San Pelayo (Oviedo): aristocracia, poder y monacato”, in Territorio, Sociedad y Poder, 2, 2007, p. 181-202 (p. 190); and E. Morales Romero, Historia de los vikingos…, op. cit., p. 205. 103 Vikings are well-known as slave suppliers to al-Andalus: R. Collins, Early Medieval Spain: Unity in Diversity, 400-1000, New York, 1995, p. 192; for tenth-century evidence on Rouen as a “key centre for slave trading with Islamic Iberia”, see C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 306 and 320-321, citing P. Nightingale, A Medieval Mercantile Community…, op. cit., p. 9. But they might as well have taken Muslim captives and sold them (as other heathen slaves) in the markets of northern Iberia. There is some ninth-century evidence in the Irish Fragmentary Annals of captives taken by vikings in the Maghreb and traded on to Ireland; and captives taken in Ireland would, likewise, be sold by vikings in the markets of the Arab world: A. Christys, Vikings in the South…, op. cit., p. 11 and 56; B. W. Cunliffe, On the Ocean…, op. cit., p. 442 and 446. Viking exchange clearly cut across the political divide. 104 A. Kromann, “Finds of Iberian Islamic Coins in the Northern Lands”, in D. M. Metcalf and M. Gomes Marques (eds), Problems of Medieval Coinage in the Iberian Area 3, Santarém, 1988, p. 243-253; E. Morales Romero, Historia de los vikingos…, op. cit., p. 112-114 and 224-225; O. R. Constable, Trade and Traders…, op. cit., p. 40-41; A. Christys, Vikings in the South…, op. cit., p. 6 and 8. 105 See, respectively, O. R. Constable, Trade and Traders…, op. cit., p. 39; P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 160. 106 E.g. A. Sampaio, As Póvoas Marítimas…, op. cit.; R. Pastor de Togneri, “La sal en Castilla y León: Un problema de la alimentación y del trabajo y una política fiscal (siglos X-XIII)”, in Cuadernos de Historia de España, 37-38, 1963, p. 42-87 (p. 46-51); E. Ferreira Priegue, “O desenvolvemento da actividade pesqueira desde a Alta Idade Media ó século xvii”, in C. Fernández Casanova (ed.), História da pesca en Galicia, Santiago de Compostela, 1998, p. 51-86 (p. 51-57); I. González García and J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La economía salinera…”, op. cit., p. 77-79; J. Á. García de Cortázar y Ruiz de Aguirre, “La sociedad guipuzcoana…”, op. cit., p. 298-299.

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again, these seem to point to fluvial rather than maritime fisheries.107 Traces of sea fishing boats or techniques are virtually non-existent: one is left with a few dry references to fishing traps set up in beaches or isles,108 although there is evidence of whale fishing (and whale oil extraction) before 1200 in Cantabria (Santoña and Laredo), at least.109 It is difficult to know whether deep-sea fishing had any real impact on the economy of coastal communities, let alone to gauge the level of cooperation it demanded from them. But riverine, estuarine, and coastal fisheries, often mentioned alongside salterns, must have played a bigger economic role – at least locally – than records imply.110 Best documented among maritime activities is salt production, as a consequence of a steady transfer of salt pans ownership from large and small lay proprietors to monastic houses and cathedrals (most of them landlocked).111 This movement, which is apparent from the late ninth and early tenth centuries, should be put down, first and foremost, to the constraints imposed by the extant records, kept by ecclesiastical institutions only. Although such transfer might have entailed a significant change in the volume of salt produced and its distribution, as a result of seigneurial exploitation, it did not necessarily lead to a monastic monopoly after the tenth and eleventh centuries, as is often claimed.112

107 DC 493 (1070), DC 702 (1088). The earliest reference to fisheries in the Puerto records dates 1190 (SMP 85), although we know of fisheries owned by the monastery since at least 1165: J. Abad Barrasús, El monasterio…, op. cit., p. 259-260. Their existence in Santoña is attested in 1068: A. González García, “La proyección…”, op. cit., p. 258. 108 E.g. on the island (nowadays peninsula) of O Grove in Galicia: TC 4 (938); on the estuaries of the rivers Cávado (Fão, mun. Esposende), Ave (mun. Vila do Conde), and in a nearby beach (Quintela, Argivai, mun. Póvoa de Varzim): DC 420 (1059); on the lagoon area around Aveiro: DC 549 (1077) – all in Portugal. The latter document provides a brief description: de ganantia lali quomodo diuide cum pignero et cum saualanes per illa insula ubi illa conbona sollen facere – a conbona being a fishing fence that would open while the tide was flowing, and close when it was ebbing: D. B. Ferreira, A Terra de Vouga nos séculos ix a xiv: território e nobreza, Aveiro, 2008, p. 60-61. Compare the fishing weirs unearthed in Ireland, associated with both sea and river fishing “on a semi-industrial, if not industrial scale”, as early as the later eighth and early ninth century: W. Davies, “Economic Change in Early Medieval Ireland: The Case for Growth”, in L’Irlanda e gli Irlandesi nell’alto Medioevo, Spoleto (Settimane di studio del CISAM, 57), 2010, p. 111-133 (p. 118 and 130). 109 J. Añíbarro Rodríguez, La implantación urbana…, op. cit., p. 131. 110 A growing body of archaeological research on northern Europe has identified “an increase in the importance of sea-fish” between 850 and 1050, which can be associated in some areas (but not others) with open-sea fishing: J. H. Barrett and D. C. Orton (eds), Cod and Herring: The Archaeology and History of Medieval Sea Fishing, Oxford, 2016. Thanks are due to Wendy Davies, who drew my attention to this body of research. 111 A. Sampaio, As Póvoas Marítimas…, op. cit.; V. Rau, Estudos sobre a história do sal português, Lisbon, 1984 [1951], p. 54-57; C. A. B. de Almeida, “Salinas medievais entre o Cávado e o Neiva”, in Bracara Augusta, 75-76 (87-88), 1979, p. 391-402; Id., “A exploração do sal na costa portuguesa a Norte do Rio Ave: da Antiguidade Clássica à Baixa Idade Média”, in I. Amorim (ed.), I Seminário Internacional sobre o sal português, Porto, 2005, p. 137-170; R. Pastor de Togneri, “La sal…”, op. cit.; E. Ferreira Priegue, “O desenvolvemento…”, op. cit., p. 58-60; C. Baliñas Pérez, “El territorium…”, op. cit., p. 12-20; I. González García and J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La economía salinera…”, op. cit., p. 21-33; E. Peña Bocos, La atribución…, op. cit., p. 72-85. 112 E.g. R. Pastor de Togneri, “La sal…”, op. cit., p. 63, 67, 69; D. B. Ferreira, A Terra de Vouga…, op. cit., p. 163; see E. Peña Bocos, La atribución…, op. cit., p. 79-80 and 83, stressing the social diversity of the proprietors of salt pans and wells.

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Part-time peasant and professional salters – in any case specialist workers – would continue setting up new salterns that they would convey to monasteries, churches and lay lords, often remaining in charge of the production under (or in partnership with) the new owners, as happened in other coastal areas within Carolingian lands.113 A telling example is that of a dispute triggered by Count Pelayo González and his sister Queen Aragonta (wife of Ordoño II of León, r. 910-924), who claimed their rights over salt pans and fields opened up by a group of local peasants in three villae that had been taken ad presura by the ancestors of Pelayo and Aragonta in the territory of O Salnés (Galicia). The siblings handed their share of the salt pans (1/5) to several monasteries the family was bound to by patronage ties, but acknowledged the peasants’ right to 4/5 of both salt and grain yields, on account of their work, although Pelayo and Aragonta retained for themselves and their heirs a further 1/5 of the peasants’ share.114 We find some detailed references to salterns in documents from Moreira, showing a complex landscape made up of collective units where individual salt pans or exploitation rights were frequently conveyed.115 Such units could extend over large areas and involve quite a sophisticated technical apparatus, thus demanding joint efforts not only in setting them up but also in keeping them productive in the face of the damaging action of the tides.116 On the other hand, the fact that monastic houses, among other ecclesiastical and lay lords, were interested in owning salt pans shows that coastal communities were producing an important commodity, which was certainly an aspect of distribution circuits connecting the seaside with the hinterland,117 and might even be shipped, as one can surmise from a ransom payed to vikings in salt, cloth and cattle.118 For all the references to maritime activities one could gather, the bulk of documentary evidence on the economy of coastal areas points, first and foremost, to farming: ordinary land transactions are legion. In the case of Puerto, in particular, charters portray an economy based on mixed farming, with some references to animal husbandry.119 The possibility of transhumance movements of stock between the highlands and the coastline must be raised, as the phenomenon is known in Asturias,

113 A. Verhulst, The Carolingian Economy…, op. cit., p. 80-81; O. Bruand, “Pénétration et circulation du sel de l’Atlantique en France septentrionale (viiie-xie siècles)”, in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115/3, 2008, p. 7-32 (p. 8-9). 114 Cor 59 (956). Thanks are due to Wendy Davies for drawing my attention to this document. 115 E.g. DC 35 (929), DC 495 (1071), DC 487 (1070), DC 516 (1074), DC 584(a) (1080), DC 706 (1088). 116 On such large units, frequently termed cortes in Portuguese records, see A. E. Marques, Da representação…, op. cit., p. 292-293 and 297. A good example of a large saltern is that of Esgueira (Aveiro), where a couple and their sons possessed alone 51 salt pans that they gave to the monastery of Vacariça: LP 110 (1057). On salt production technology see V. Rau, Estudos…, op. cit., p. 39-53; I. González García and J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La economía salinera…”, op. cit., p. 30-31; C. A. B. de Almeida, “A exploração…”, op. cit., p. 145-150 and 161-163. 117 E. Peña Bocos, La atribución…, op. cit., p. 82; A. Verhulst, The Carolingian Economy…, op. cit., p. 80-81 and 98. 118 DC 261 (1026). 119 E.g. SMP 8 (1047), SMP 40 (1086), SMP 61 (1096), SMP 70 (1122); see J. Abad Barrasús, El monasterio…, op. cit., p. 257-259.

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Cantabria and later in northern Portugal.120 It has been argued about north-west Europe that “the poor quality of coastal landscapes for large-scale arable cultivation promoted the development of specialist activities, especially salt production and animal husbandry of cattle and sheep121”. This sort of specialization seems to have taken root along the northern Iberian shores, but one can also find large tracts of good arable land here, which certainly increased the potential for economic complexity: the areas around the Vouga and Douro estuaries and the district of O Salnés, between the Rías of Arousa and Pontevedra, are good examples.122 The overall impression is that coastal communities resembled other rural inland communities, but there is no doubt that at least some engaged in a mixed economy, combining farming and maritime activities.123 Community definition

The same resemblance to inland rural communities emerges from the third aspect considered here: community definition through relationships either within the community or with the wider world, including networks of lordship and patronage over individuals and groups. I shall briefly address two dimensions of local communities in which both intra- and extra-community relationships play a part: assemblies and access to common resources. Going through the material from both Moreira and Puerto, references to concilia (and occasionally boni homines) show no distinctive character when compared to records kept by non-littoral institutions. As one would expect elsewhere, they point to different types of assembly, most of which seem to act in a judicial capacity, as is also the case with the concilia mentioned in formulaic sanction clauses, quite common in Moreira material;124 while some eleventh-century texts from Puerto point to more permanent local and supra-local assemblies.125

120 I. González García and J. I. Ruiz de la Peña Solar, “La economía salinera…”, op. cit., p. 91-94; C. Díez Herrera, La formación de la sociedad feudal en Cantabria: la organización del territorio en los siglos ix al xiv, Santander, 1990, p. 109; J. Mattoso, S. Daveau and D. Belo, Portugal – o sabor da terra. Um retrato histórico e geográfico por regiões, Lisbon, 2010, p. 313-314 and 351 (the Portuguese evidence dates from the sixteenth century). 121 C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 183. 122 J. Mattoso, L. Krus and A. Andrade, O castelo e a Feira: a Terra de Santa Maria nos séculos xi a xiii, Lisbon, 1989, p. 69-116; D. B. Ferreira, A Terra de Vouga…, op. cit., p. 40-42 and 129-133; C. Baliñas Pérez, “El territorium…”, op. cit., p. 12-20. 123 M. L. P. Blot, “Problemáticas da arqueologia náutica e portuária no quadro do estudo de portos antigos e medievais em Portugal”, in Arqueologia Medieval, 9, 2005, p. 207-220 (p. 213); C. Baliñas Pérez and C. A. González Paz, “Del castro al puerto…”, op. cit., p. 383: “ecosistema productivo mixto de carácter agropecuario y marino”. 124 Actual judicial assemblies: DC 160 (991), DC 167(b) (995?), Aze 2 (1018); concilia mentioned in sanctions: DC 21 (915), DC 72 (957), DC 266 (1029), DC 778 (1092), among many other examples. 125 SMP 7 (973); SMP 8 (1047); SMP 25 (1085): concilio de bonorum hominum de Trasmiera; SMP 29 (1085): concilio de bonorium hominum de Liemdo et de Kolindres; SMP 32 (1085): concilio de Nogga; SMP 38 (1086) and SMP 47 (1086): concilio de Anero; SMP 55 (1090); SMP 70 (1122); SMP 73 (1135): Concilio de Portu (all assemblies with judicial attributions, except nos. 7, 32 and 73). On concilia and local meetings, see W. Davies, Windows on Justice…, op. cit., p. 213-217 and 231.

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Another indication of how coastal communities functioned along the same lines as other inland communities lies in the fact that in many transactions from both monasteries people are not conveying individual units of land with clearly defined boundaries, but a hereditas equivalent to a fraction (or share) of property rights within one (or more) villa territory. Hence the frequent use of words like ratio and quinion in conjunction with, or instead of, hereditas.126 These “abstract” hereditates are broadly located within a villa: the formulas used to describe them often underline a wide topographical and social context for the property and rights conveyed. The hereditas might, then, encompass various pieces of land dispersed through the villa territory, as well as rights over common lands, not to mention the various cases in which proprietary rights over the local church are also included in the transaction.127 So, although coastal communities were defined by littoral landscapes and did engage in distinctively maritime activities, they seem to have functioned along the same lines as inland communities. The vast majority of coastal settlements were small and located at some distance from the waterside. Some must have functioned as (or in articulation with) seaports or beach or estuarine landing places, but there is still little evidence of economic differentiation, let alone of demographic growth or social diversity. In general terms, and as far as written evidence can tell us, northern Iberia seems to have been a region of rural, rather than urban, maritime communities.

Conclusion: a hidden maritime world Although large littoral tracts in northern Iberia might have been underpopulated, coastal settlement was not as sparse as the historiography suggested until recently. The littoral area around Porto – where several monasteries preserved significant documentary collections – is a case in point. This area, stretching over both sides of the Douro estuary, possessed rich maritime and agrarian resources and was close to the frontier with al-Andalus. All this must have stimulated the circulation of wealth and prompted higher levels of political control, which helps to explain the exceptionally high density of settlement and ecclesiastical institutions in the area.128 Yet, we know nearly nothing of the city’s history before the mid-twelfth century, and very little of the maritime communities living along this coast. Maritime communities do pose a problem of invisibility in northern Iberia, as elsewhere in Europe, and beyond. They were often of little interest to kings and lords (lay or ecclesiastical), thus being largely excluded from the written record. This is especially true of the activities and resources that defined them as “maritime”: first, because such activities seem to have escaped taxation until late, and second, because 126 E.g. SMP 6 (973), mun. Rasines, and Carasa (mun. Voto), Cantabria. Among many examples: DC 90 (965), DC 319 (1042), DC 881 (1098); SMP 12 (1068), SMP 60 (1095), SMP 71 (1123). 127 E.g. DC 814 (1095); other examples: DC 182 (999), DC 281 (1033); SMP 32 (1085), SMP 41 (1083), SMP 74 (1147). On the word hereditas and its meanings, see A. E. Marques, Da representação…, op. cit., p. 336-341. 128 A. E. Marques et al., “As incursões vikings…”, op. cit.

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shipping, commerce and fishing did not give way to formal transactions (nor, often, to individual appropriation), as happened with salt pans and arable land. As Christopher Loveluck recently remarked, maritime and merchant-oriented societies in north-west Europe were excluded from the written record until the late tenth to eleventh century as a consequence of social status being equated with office- and landholding only. Despite displaying at times considerable “portable wealth” (not always apparent in the material culture), these communities lived in marginal environments, characterized by weak political control.129 It can be argued that maritime communities were less concerned than other communities with writing charters and other property-related records, as a result of their different socio-economic framework and of a weaker concern with agriculture and landholding. This does not mean, however, that they were alien to the written word, nor that the dissociation between maritime communities and land-based royal and lordly powers is sufficient as an explanation for the former’s documentary invisibility. As a growing body of research is showing, not least in Iberia, early medieval documentary culture was more widespread than previously acknowledged, and the connection between high social strata and the written word rests upon record transmission, more than production.130 Records about littoral areas were preserved by often less powerful ecclesiastical institutions in northern Iberia, and arguably fewer records were actually produced by maritime communities. Nevertheless, to judge by the documentary collections of Moreira and Puerto analysed in this paper, such records were not substantially different in form, formulas, language and contents, from the material produced and preserved inland. The weight of land transactions being equally overwhelming among littoral documentary collections, quantity, not quality, is the differentiating element. This does not mean, however, that coastal communities necessarily resembled any other rural community. A silent record does not imply that maritime activities were nonexistent or kept at subsistence level, as has been claimed, nor that they had no bearing on the way those communities organised themselves and related to the wider world.

129 C. Loveluck, Northwest Europe…, op. cit., p. 25-26, 182, 205, 212, 361 and 364. On the invisibility of small coastal proprietors in O Salnés (Galicia), see C. Baliñas Pérez, “El territorium…”, op. cit., p. 20. Low-level connectivity “leaves few traces in the official record”, as remarked by P. Horden and N. Purcell, The Corrupting Sea…, op. cit., p. 160. For as distant a parallel as late medieval Japan, see P. D. Shapinsky, “With the Sea as Their Domain: Pirates and Maritime Lordship in Medieval Japan”, in J. H. Bentley, R. Bridenthal and K. Wigen (eds), Seascapes. Maritime Histories, Littoral Cultures, and Transoceanic Exchanges, Honolulu, 2007, p. 221-238 (p. 223), and his distinction between “land tenure” and “sea tenure”, the latter understood as “control over access to the sea and the tools of maritime production such as ships, salterns, and fishing gear”. 130 W. Brown, M. Costambeys, M. Innes and A. Kosto (eds), Documentary Culture and the Laity in the Early Middle Ages, Cambridge, 2012 (see the contributions of N. Everett and A. Kosto on Iberia); W. Davies, “Local Priests and the Writing of Charters in Northern Iberia in the Tenth Century”, in J. Escalona and H. Sirantoine (eds), Chartes et cartulaires comme instruments de pouvoir: Espagne et Occident chrétien (viiie-xiie siècles), Toulouse, 2013, p. 29-43.

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There is still much work to be done before we can gauge the extent to which coastal communities were shaped by their “maritime experience” before the central Middle Ages. However, there is a growing awareness among Iberian historians and archaeologists that the debate must now move beyond arguments a silentio, to build on a closer reading of extant charters and, above all, on material evidence that is yet to emerge. One thing seems certain already: acknowledging how much we ignore about maritime communities is perhaps the best way to stop portraying them as primitive and peripheral.

Appendix: List of abbreviations for editions of sources referred to in this paper Charters are referred to by the abbreviation of the edition, number in the edition, and year in brackets, e.g. DC 86 (964). APV

P. David, “Annales Portucalenses Veteres”, in Études historiques sur la Galice et le Portugal du vie au xiie siècle, Lisbon, 1947, p. 257-340. Aze R. P. de Azevedo, “A expedição de Almançor a Santiago de Compostela em 997, e a de piratas normandos à Galiza em 1015-1016 (Dois testemunhos inéditos das depredações a que então esteve sujeito o Território Portugalense entre Douro e Ave)”, in Revista Portuguesa de História, 14, 1974, p. 73-93. CA Crónicas asturianas Crónica de Alfonso III (Rotense y “A Sebastián”), Crónica albeldense (y “Profética”), ed. J. Gil Fernández, J. L. Moralejo and J. I. Ruiz de la Peña, Oviedo, 1985. Cor C. Sáez and M. del V. González de la Peña (eds.), La Coruña. Fondo Antiguo (788-1065), 2 vols., Alcalá de Henares, 2003, 2004. DC Portugaliae Monumenta Historica a saeculo octavo post Christum usque ad quintumdecimum. Diplomata et chartae, 1, Lisbon, 1867-1873. Expugnatio De expugnatione Lyxbonensi (The conquest of Lisbon), eds. C. W. David and J. Phillips, New York, 2001 [1936]. LTL Liber testamentorum ceonobii laurbanensis, eds. J. M. Fernández Catón and A. A. Nascimento, León, 2008. LP Livro Preto. Cartulário da Sé de Coimbra, eds. M. A. Rodrigues and A. de J. da Costa, Coimbra, 1999. SMP J. Abad Barrasús, El monasterio de Santa María de Puerto (Santoña), 863-1210, Santander, 1985. SS Portugaliae Monumenta Historica a saeculo octavo post Christum usque ad quintumdecimum. Scriptores, Lisbon, 1856-1861. TC O Tombo de Celanova Estudio introductorio, edición e índices (ss. IX-XII), ed. J. M. Andrade Cernadas, 2 vols., Santiago de Compostela, 1995.

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Søren M. Sindbæk

Communities on the Edge Retracing the Northern Emporia

Emporia and maritime communities Names such as Quentovic, Hamwic, Dorestad, Ribe, Hedeby or Birka first caught the attention of modern historians because they recur repeatedly in written sources between the seventh and ninth century ce, designating places where unusual activities and events took place (fig. 1). They were places where sea journeys began or ended, where rulers issued coinage and gathered revenue from trade, where missionaries travelled, or where pirates targeted raids. Almost invariably, they have also proven to be sites of exceptional archaeological significance. Their size and complexity set them apart from other coastal settlements, as do the copious finds associated with long-distance trade flows and crafts. Specialized crafts were practiced by skilled artisans, and non-local people and goods arrived in great number. “Emporia”, the term by which modern research has collated these sites, stand out among the maritime communities of early medieval Northern Europe.1 From the point of view of populations in the surrounding countryside, the North Sea emporia must have been places marked by unusual activities and strange cultural affiliations. These activities, which typify the role of these places as gateways for travel beyond a site or region, were almost certainly the most distinctive aspect of these sites, and their most important feature to communities living in or interacting with them. In the High Middle Ages, such would have been the activities and affiliations that marked out towns and cities. Yet, emporia have struck many researches as being different from towns. In terms of plans and topography, buildings and monuments,



1 The alternate term wic/wik has also been used, often with an implication to stress independent Germanic development, separate from Mediterranean urbanism. R. Hodges, Dark Age Economics: The Origins of Towns and Trade A.D. 600-1000, London, 1982; L. Malbos, Les ports des mers nordiques à l’époque viking (viie-xe siècle), Turnhout, 2017. Søren M. Sindbæk • Aarhus Universitet. Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, éd. par Alban Gautier et Lucie Malbos, Turnhout : Brepols, 2020 (HAMA 38), p. 127–141 © FHG10.1484/M.HAMA-EB.5.118554

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Fig. 1. The Northern seas and their emporia in the Early Middle Ages.

emporia are strikingly unassuming. In some cases, it has been legitimately questioned whether places of such modest size and complexity could have been home to stable communities.2 Would they have been large and permanent enough to be of any consequence to wider society? Some researchers have deemed the emporia a short-lived and eventually unsuccessful strategy by elites to control trade and production. Modelled on the cities of Classical Antiquity, but lacking the elaborate elite residences, ritual centres and monuments, public buildings and spaces of the latter, they were, perhaps, a flare



2 S. Croix, “Permanency in Early Medieval Emporia: Reassessing Ribe”, in European Journal of Archaeology, 18/3, 2015, p. 497-523.

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of failed “experiments in urbanism”.3 The fact that many sites had been abandoned by the end of the first millennium confirms to some that “the early medieval town is fundamentally different from the towns dating from after ad 1000”.4 To others, the range and intensity of activities characterizing emporia call for an understanding as more than failed experiments. The communities gathered in these places included merchants and craftspeople, who seem to have been instrumental in a profound transformation of social networks.5 Could these have been formed and maintained, sometimes for several centuries, if they were only gathered by a temporary, failing policy? The frames of this debate are rooted in a tradition of research, which is still marked by its initial assumptions. This paper argues that the ambivalence can be traced back to a historical conception, which has prioritized social hierarchy over connectivity in research on urbanism. It reviews the conceptual basis of research and outlines how archaeology may advance the exploration of network aspects of urbanism. Discussing what bound the inhabitants of North Sea emporia, it suggests that emporia were hubs of dynamic maritime communities, but communities for whom long-distance travel reaching beyond the site or region may have been as important to inhabitants in these places as links connecting them to a locality: they were communities forged along the edges of communication, as much as on regional relations.

The predicament of emporia Emporia have perplexed scholars for long. The Belgian historian Jan Dhondt struck upon a lingering remark in a discussion about the renowned Austrasian portus Quentovic: …cities are terribly grounded realities: they can wither away, dwindle, move in a regional setting, but it is exceedingly rare to see them disappear so completely. But





3 J. Schofield, “Urban Settlement. Part 1: Western Europe”, in J. Graham-Campbell and M. Valor (eds), The Archaeology of Medieval Europe, vol. 1, Aaarhus, 2007, p. 111-128 (p. 121); R. Hodges, Dark Age Economics: A New Audit, London, 2012, p. 215; see also R. Hodges, Towns and Trade in the Age of Charlemagne, London, 2000, p. 122; F. Theuws, “Exchange, Religion, Identity and Central Places in the Early Middle Ages”, in Archaeological Dialogues, 10/2, 2004, p. 121-138 (p. 134); C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean, 400-800, Oxford, 2005, p. 685. 4 A. Verhulst, “The Origins and Early Development of Medieval Towns in Northern Europe”, in The Economic History Review, 47/2, 1994, p. 362-373 (p. 370). 5 M. McCormick, “Where Do Trading Towns Come From? Early Medieval Venice and the Northern Emporia”, in J. Henning (ed.), Post-Roman Towns, Trade and Settlement in Europe and Byzantium, Berlin and New York, 2007 (The Heirs of the Roman West, 1), p. 41-68 (p. 44-46); D. Skre, “PostSubstantivist Towns and Trade ad 600-1000”, in Id. (ed.), The Means of Exchange, Aarhus, 2008 (Kaupang Excavation Project publication series, 2), p. 339-341; C. Loveluck, Northwest Europe in the Early Middle Ages, c. ad 600-1150: A Comparative Archaeology, Cambridge, 2013, p. 204.

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this exceptional fate was that of all these “mushroom towns” of the Merovingian period.6 Many researches have echoed Dhondt’s appellation of emporia as “mushroom towns”.7 The phrase is quoted with the usual modern implication of the term: that these were settlements which appeared suddenly in places of no particular prior significance and which sometimes disappeared just as quickly. Often, this also implies a perception that these were not places which would foster a sense of community. As this paper will show, Dhondt may have meant to imply something rather more interesting. The dismissal of emporia as ephemeral places, however, has a long tradition. Such reservations were unknown to the earliest generation of researchers in the field. When Hjalmar Stolpe presented his findings from Birka in 1874 to the delegates of the Seventh International Congress of Anthropology and Prehistoric Archaeology, then convened in Stockholm, he had no doubt that he had found the ruins of an ancient town or city. He argued so in spite of the apparent paradox implied: This is then, if I may say so, a ruined prehistoric city. This phrase has a particularly seductive sound, likely, to be sure, to excite in our foreign guests coming from ancient civilized states of the South, the idea of mighty ruins with debris scattered all about them, the artistic and industrial creations of a dead civilization. Instead of all this, you see nothing but a small island with a modest hamlet and a big field, which has received the name “The Black Earth”.8 In support of his view, Stolpe pointed to evidence for a large and dense occupation, concentrated trade and the practice of specialized crafts. He also noted Birka’s defensive rampart and hillfort and the sprawling necropolis. Yet later scholars were often to disagree with Stolpe’s judgement. The renowned urban historian Edith Ennen thus

6 J. Dhondt, “Les problèmes de Quentovic”, in Studi in onore di Amintore Fanfani (Antichità e alto Medioevo), Milan, 1962, vol. I, p. 181-248 (p. 244), English translation by the author: “les villes sont des réalités terriblement ancrées au sol: elles peuvent dépérir, s’amenuiser, se déplacer dans un cadre régional, mais il est excessivement rare de les voir disparaître aussi complétement. Or ce sort exceptionnel a été celui de toutes ces ‘villes champignons’ de l’époque mérovingienne.” 7 A. Verhulst, The Rise of Cities in North-West Europe, Cambridge, 1999, p. 46; T. Dutour, La ville médiévale, Paris, 2003, p. 86; J. Henning, “Early European Towns: The Development of the Economy in the Frankish Realm between Dynamism and Deceleration ad 500-1100”, in Id. (ed.), Post-Roman Towns…, op. cit., p. 3-40 (p. 30); F. Theuws, “Where Is the Eighth Century in the Towns of the Meuse Valley”, ibid., p. 153-164 (p. 161); R. Hodges, Dark Age Economics…, op. cit., p. 91; cf. also critique of the term by L. Malbos, Les ports…, op. cit., p. 24. 8 H. Stolpe, “Sur les découvertes faites dans l’île de Björkö”, in Congrès International d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques 1874, Stockholm, 1876, vol. 2, p. 619, English translation by the author: “C’est donc, si je puis m’exprimer ainsi, une ville préhistorique détruite. Cette expression a un son particulièrement séducteur, bien propre, surtout, à exciter chez nos hôtes étrangers venus des antiques États civilisés du Sud, l’idée de ruines puissantes et de débris, épars tout autour d’eux, des productions artistiques et industrielles d’une civilisation qui n’est plus. Au lieu de tout cela, vous ne voyez qu’une petite île avec un modeste hameau, un grand champ, qui a reçu le nom de ‘terre noire’.”

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separated the emporia from true towns. The chief difference, she claimed, was in their social matrix: The Viking and Frisian emporia are not there in order to dominate a region, they are not the crystallisation points of a territorial state, they are not the natural centres of the surrounding countryside and its population.9 Ennen was aware of archaeological results from Birka and Hedeby, and she can be seen to struggle to explain away the fortifications of both sites in order to defend her point; but in the end, she maintained that the emporia remained “slender and undeveloped”.10 She offered a surprising explanation: “because they are created by people who were reluctant and hostile towards the city as a settlement”.11 One needs to trace Ennen’s footnotes in order to grasp the fuller meaning of this statement. Albeit avoiding allusions to ethnic groups, Ennen reiterated an influential belief in German historiography that the Germanic peoples had been emphatically disinclined to urban settlement. As expressed by Walther Vogel, whose arguments Ennen cited and paraphrased, “Germanic people were farmers […]. The adventurous merchants – as one might aptly call them – pursued trade without towns for as long as possible.”12 The vision of an ancient Germanic civilization, unspoiled by the decadence of Mediterranean and Middle Eastern urbanism, was widely accepted in German scholarship in the 1930s. Hedeby’s excavator Herbert Jankuhn, for example, could state that the people of northern Germany “developed on a domestic basis and preserved its patrimony much more faithfully”.13 The ethnocentrism inherent in this view was not limited to national socialists like Jankuhn,14 but were shared by many European academics, including liberals such as Max Weber or Henri Pirenne.15 It was this lingering assumption of an early twentieth-century, ethno-cultural paradigm of thought, which induced scholars like Ennen to militate against con 9 E. Ennen, Frühgeschichte der europäischen Stadt, Bonn, 1953, p. 63, English translation by the author: “Die wikingischen und friesischen Emporien sind nicht dazu da, ein Gebiet zu beherrschen, sie sind nicht Kristallisationspunkte eines Flächen Staates, sie sind nicht der natürliche Mittelpunkt des sie umgebenden Landes und seiner Bevölkerung.” 10 Ibid., p. 64: “schmächtig und unentwickelt”. 11 Ibid.: “weil sie von Menschen geschaffen sind, die der Stadt als Siedlung ablehnend und feindlich gegenüberstanden”. 12 W. Vogel, “Wik-orte und Wikinger: eine Studie zu den Anfängen des germanischen Städtewesens”, in Hansische Geschichtsblätter, 60, 1935, p. 5-48 [reprinted in C. Haase, Die Stadt des Mittelalters, I, Darmstadt, 1935 (Wege der Forschung, 243), p. 203-245 (p. 244)], English translation by the author: “die Germanen waren ein Bauernvolk […]. Die abenteurnden Kaufleute – so könnte man sie mit Fug nennen – haben den Handel solange wie möglich ohne Städte betrieben”. 13 H. Jankuhn, Haithabu: eine germanische Stadt der Frühzeit, Neumünster, 1938, p. 1, English translation by the author: “entwickelte sich aus heimischer Grundlage weiter und bewahrte das Vätererbe sehr viel treuer”. 14 W. Pape, “Zehn Prähistoriker aus Deutschland”, in H. Steuer (ed.), Eine hervorragend nationale Wissenschaft. Deutsche Prähistoriker zwischen 1900 und 1945, Berlin and New York, 2001. 15 E.g. M. Weber, Die Stadt, 1921, new ed. Tübingen, 1966, p. 80-81; H. Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Paris and Brussels, 1937, transl. Mohammed and Charlemagne, London, 1939, passim.

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sidering places such as Hedeby and Birka as true urban settlements. While Ennen was to modify her assessment in later work, partly due to a growing acquaintance with archaeological data, including Jankuhn’s results from Hedeby, she continued to emphasize that emporia were only “a first tentative step in bringing new towns into existence which did not always prove successful”.16 For Ennen, the core of this distinction was the relation between places and their inhabitants. The emporia, she asserted, were not home to well-defined, stable communities: “The irregular and wandering life of these leading merchants meant that they were not so firmly bound to the wik as later town dwellers were to be to their settlements”.17 While merchants might form an identifiable group, this was not an urban community in the way of medieval towns and cities. This propensity to consider emporia as ephemeral sites without permanent communities is even more pronounced in another researcher, whose opinion has come to have a long-lasting influence on the subject. In a 1963 essay, the economic anthropologist Karl Polanyi remarked on what he called the “ports of trade in early societies”. The emporia of Northern Europe figured as prominent examples: …emporia with their semicircle of low stone walls open towards the river, lake, or sea were found more recently in northern Europe and have been named wik. Three are on record: Durstede [Dorestad] in the Waal delta of the Rhine, Haithabu [Hedeby] on the River Schlei in Eastern Schleswig, and Birka on the Lake Mälar [sic], near Stockholm. They are credibly attributed to roving traders of Norse origin, who erected the walls for protection of their meetings with other overseas traders’ caravans.18 The concept of “ports of trade” was to enter archaeological debates on the emporia, promulgated by the general esteem of Polanyi’s scholarship.19 Published the year before Polanyi’s death, the “ports of trade” easily took on an air of a crowning achievement to his oeuvre. In fact, though, the concept was rather an afterthought designed to counter an uncomfortable anomaly noted by (or pointed out by critics of) Polanyi. In many ancient or medieval societies, sources could be seen to document a vigorous and patently commercial exchange in major markets or settlements. This conflicted with Polanyi’s model of economic history, according to which exchange was allegedly conducted through socially embedded forms of gifts or reciprocal obligations until the advent of modern capitalism. His solution to the anomaly was to stipulate the exception of “ports of trade”. He claimed that such places had existed in societies across the world as institutions facilitating the limited but necessary exchange, which took place between societies – and thus outside social norms. With 16 E. Ennen, The Medieval Town, Amsterdam, 1979 (quoted from the English translation of 1979, p. 44 sq.). 17 Ibid., p. 45. 18 K. Polanyi, “Ports of Trade in Early Societies”, in Journal of Economic History, 23, 1963, p. 30-45 (p. 34). 19 E.g. R. Hodges, “Ports of Trade in Early Medieval Europe”, in Norwegian Archaeological review, 11, 1978, p. 97-101; M. Bogucki, “Viking Age Ports of Trade in Poland”, in Estonian Journal of Archaeology, 8/2, 2004, p. 100-127; see critique in D. Skre, “Post-substantivist Towns…”, op. cit.

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this amendment, the body of his theory would seem, at first glance, to withstand the questions arising from findings from places like Quentovic, Hedeby or Birka. It takes but a fleeting look, however, to see that Polanyi’s sketch of the northern sites was manifestly inaccurate, even relative to the limited data available at that time. The vision of “low stone walls” arranged around empty spaces to accommodate traders’ caravans finds no basis in excavations. As sources, he cited Ennen 1953 and Jankuhn’s 1938 work on Hedeby. Comparing the texts, one may wonder if he read the latter or simply carried the reference over from Ennen, where the same work is cited. Polanyi’s chief inspiration for this description, however, is not cited in the essay, albeit alluded to in passing. It is given away by the notion of “roving traders”: this was none other than Henri Pirenne’s (1925) favourite description of early medieval merchants, used repeatedly in his famous book on “Medieval Cities”.20

The hindsight of Pirenne We may guess that it was another text by the great Belgian historian of the Middle Ages that served as the direct inspiration for Polanyi. In “The Stages in the Social History of Capitalism”, published in The American Historical Review in 1914, Pirenne passes the following verdict on emporia, the wording of which prefigures Polanyi’s remarks strikingly. It has not previously, to my attention, been cited in discussions of emporia, and deserves to be quoted in full: Nevertheless commercial intercourse produced even then, in certain places particularly favored by their geographical situation, groups of some importance. We find them along the sea-coast – Marseilles, Rouen, Quentovic – or on the banks of the rivers, especially in those places where a Roman road crosses the stream, as at Maastricht on the Meuse or at Valenciennes on the Scheldt. We are to think of these portus as wharves for merchandise and as winter quarters for boats and boatmen. They differ very distinctly from the towns of the following period. No walls surround them; the buildings which are springing up seem to be scarcely more than wooden sheds, and the population which is found there is a floating population, destitute of all privileges and forming a striking contrast to the bourgeoisie of the future. No organization seems to have bound together the adventurers and the voyagers of these portus.21 Similar assertions can be found in later writings by Pirenne, including several passages in Medieval Cities; but never so concisely stated as here. The only significant point in Polanyi’s sketch missing in “The Stages…” is the reference to “semicircle 20 H. Pirenne, Medieval Cities: Their Origins and the Revival of Trade, Princeton, 1925, p. 114; see also Id., “The Stages in the Social History of Capitalism”, in The American Historical Review, 19/3, 1914, p. 494515 (p. 498). The reluctance of both Ennen and Polanyi to quote Pirenne directly probably reflects the fact that the discussion on Pirenne’s thesis, which had dominated historical debates in the 1940s, was regarded as outmoded by the 1950s: see A. Verhulst, “The Origins…”, op. cit., p. 363. 21 H. Pirenne, “The Stages…”, op. cit., p. 499.

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of low stone walls […] erected […] for protection of their meetings”. A similar description can be found in Medieval Cities, perhaps in recognition of some partial knowledge of Birka and Hedeby’s fortifications; but ultimately this image may reflect the familiarity of both authors with Fustel de Coulanges’s famous dictum that ancient cities were first founded as sanctuaries, rather than settlements.22 Pirenne does not provide any sources for his sketch; indeed, he readily admits that “of the period preceding the middle of the eleventh century, we know too little to permit ourselves to tarry there”.23 His views on the emporia appear to have developed with reference to the brief glimpses in contemporary written documents and, more importantly, as a hypnotized contrast to the medieval cities which he saw as emerging in the eleventh century. This was a creation of hindsight, an imagined picture of primitive origins, reverse-engineered from later periods on the expressed assumption that “the steady progress of economic activity from the end of the tenth century would result in […] aggregations of like character but much more important and more stable”.24 We may recognize in Pirenne’s phrases the germ of many fixtures in Ennen’s, Polanyi’s, and Dhondt’s views on emporia: the flimsy structures; the lack of organization; the itinerant, impoverished populations. Regardless of the paucity of evidential basis, this image was accepted as a component of Pirenne’s persuasive narrative of the European medieval cities. When first articulated, there was little evidence to either sustain or dispute the view. Yet as time wore on, the details of the image conflicted with an increasing body of evidence (fig. 1). When Ennen wrote in the 1950s, Quentovic, Truso, or Reric, were names known in written sources, but which could not be placed firmly on a map. Other sites had been located, though their character and topographic outline were only suggested in outline. Yet Hedeby, Birka, and to some extent Dorestad and Staraja Ladoga, had seen substantial excavations as well as published syntheses or overviews.25 Archaeologists knew by this time that Hedeby had a dense settlement, formed of well-constructed, heated dwelling houses, and was a centre for highly specialized artisans.26 Evidence from Birka in particular pointed to similar conditions in this site. The urban complexity, which Stolpe had sensed in Birka in 1874, remained firmly in view for practicing archaeologists such as Herbert Jankuhn and Holger Arbman, who 22 H. Pirenne, Medieval Cities, op. cit., p. 35-37; N. D. Fustel de Coulanges, La Cité antique, Paris, 1866, p. 43. 23 H. Pirenne, “The Stages…”, op. cit., p. 498. 24 Ibid., p. 501. 25 See research overview in C. von Carnap-Bornheim and V. Hilberg, “Recent Archaeological Research in Haithabu”, in J. Henning (ed.), Post-Roman Towns…, op. cit., p. 199-218; B. Ambrosiani, “Birka 16802011: Research History and Future”, in C. von Carnap-Bornheim (ed.), Quo vadis? Status and Future Perspectives of Long-Term Excavations in Europe, Hamburg, 2014, p. 211-224; S. Kuz’min, “Ladoga, le premier centre proto-urbain russe”, in M. Kazanski, A. Nercessian and C. Zuckerman (eds), Les centres proto-urbains russes entre Scandinavie, Byzance et Orient, Paris, 2000, p. 123-142; A. Willemsen, “Welcome to Dorestad: A History of Searching and Finding ‘the Dutch Troy’”, in Ead. and H. Kik (eds), Dorestad in an International Framework, Turnhout, 2010, p. 7-16. 26 H. Jankuhn, Haithabu…, op. cit., p. 97-99 and p. 199.

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