Chez les Rukuba: Parenté et mariage (Etat Benue-Plateau, Nigeria) [Reprint 2019 ed.] 9783111330082, 9783110985290


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French Pages 206 [208] Year 1976

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Table of contents :
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE I. LA SOCIÉTÉ ET SON ORGANISATION SOCIALE
CHAPITRE II. L'ORGANISATION DOMESTIQUE ET LA PARENTÉ AGNATIQUE
CHAPITRE III. LES RELATIONS PRÉMARITALES
CHAPITRE IV. LES FIANÇAILLES
CHAPITRE V. LE MARIAGE PRIMAIRE
CHAPITRE VI. LE MARIAGE SECONDAIRE
CHAPITRE VII. LA CIRCULATION MATRIMONIALE
CHAPITRE VIII. LES RELATIONS MATRILATÉRALES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLES DES MATIÈRES
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Chez les Rukuba: Parenté et mariage (Etat Benue-Plateau, Nigeria) [Reprint 2019 ed.]
 9783111330082, 9783110985290

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PARENTÉ ET MARIAGE CHEZ LES REKUBA (État Benue-PIateau, Nigeria)

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

CAHIERS DE L'HOMME

"Ethnologie - Géographie - Linguistique NOUVELLE

PARIS

SÉRIE

MOUTON M C M L X X VI

XVII

LA HAYE

JEAN-CLAUDE MULLER

CHEZ LES RUKUEA PARENTÉ ET MARIAGE (État Benue-Plateau, Nigeria)

P A R I S

MOUTON M C M L X X VI

LA HAYE

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention du Conseil canadien de recherches sur les humanités, dont les fonds proviennent du Conseil des Arts du Canada.

ISBN : 2-7193-0867-6 et 2-7132-0056-3

© i ç j 6 Mouton &• Co and École des Hautes Études en Sciences Printed in France

Sociales

A Hélène A ma mère A la mémoire de mon père

REMERCIEMENTS

Le matériel du présent volume a été principalement recueilli entre septembre 1963 et août 1967 alors que j'étais employé par l'Unesco. Le poste que j'occupais, principal du Centre pilote bilingue pour la formation des techniciens des musées d'Afrique, situé à Jos (État Benue-Plateau, Nigeria), me permettait de visiter les Rukuba presque chaque jour et je pouvais facilement m'absenter pour assister ou participer aux rituels et aux cérémonies. A Jos même, j'ai eu le plaisir de pouvoir utiliser la bibliothèque du musée ainsi que ses laboratoires pour le développement des photographies et l'exécution de certains plans d'architecture rukuba. Pour toute cette aide précieuse, je remercie M. B. E. B. Fagg, Mallam Muhammadu Mayo, M. Kenneth Murray et M. E. O. Eyo, qui furent successivement directeurs du Département fédéral des Antiquités pendant mon séjour au Nigeria. Je retournai passer l'été 1968 chez les R u k u b a avec l'aide d'une bourse accordée par l'université de Rochester, New York, et une bourse du Conseil des Arts du Canada me permit d'assister au rituel kugo en janvier 1972. Il y a trop de personnes à remercier pour qu'il soit possible de les mentionner toutes, aussi me limiterai-je à quelques-unes. Il me faut remercier le professeur Jean Gabus de l'Université de Neuchâtel (Suisse) qui, le premier, éveilla mon intérêt pour les recherches anthropologiques. Je dois aussi beaucoup au professeur A. Leroi-Gourhan qui dirigea mes études au Centre de formation aux recherches ethnologiques à la Sorbonne. Les docteurs A. Harris, G. Harris, R. Merrill, W . Sangree et G. Willams, tous du Département d'anthropologie de l'université de Rochester, New Y o r k , m'aidèrent grandement dans l'organisation de mon matériel de terrain. Le professeur M. G. Smith mit très aimablement à ma disposition deux manuscrits inédits sur les Kagoro et les Kadara et le Dr Luc Bouquiaux m'aida dans la transcription des termes rukuba. Cependant, ma plus grande dette v a à l'endroit des nombreux R u k u b a qui, patiemment, ont essayé de m'enseigner ce qu'était d'être un Rukuba.

REMERCIEMENTS

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La liste en est si longue que je ne puis espérer rendre justice à chacun. Ceux à qui je suis le plus redevable sont feu le Chef administratif Adukucili Acadun (plus tard Alhaji Abdurahman), feu Adagoro du clan d'Asire, feu A y u Idi, chef du clan d'Aban, mon « père adoptif » Ammil Asantu et tous les résidents de sa concession, spécialement Adigwu, Acigak et Ibila Asantu. La famille de Ahince Asama m'offrit gîte et couvert durant l'été 1968 et l'hiver 1971-1972. Le chef du village de Kakkek, Adik Adumo, son assistant rituel, Imoso, son porte-parole, Imusuk, et son « chef du rituel », Ayiki, se sont montrés très aimables en finissant par m'accepter à participer à leurs rituels. La même reconnaissance peut s'étendre aux feus chefs de Kaza, Kasakuk, Kishi Uchara, Imbop, ainsi qu'aux chefs d'Ukosso, Ubumu, Kumyen, Opwara, Uyo, Kisaikpitek, etc. Une mention spéciale doit être réservée pour feu Alibidi Ijuku dont les connaissances de l'organisation sociale et des rituels se montrèrent plus qu'utiles ; sans son aide et sa bienveillante amitié beaucoup d'aspects importants de la vie rukuba me seraient restés fermés. Au sein de la jeune génération M. Awyla Gyang, Superintendant de la Santé rurale à l'Autorité locale à Jos, feu Bulus Adukucili, alors Officier du personnel dans la même administration, M. Asama Ahinche, ancien Maître principal de l'école primaire de Binci, M. Akpi Ude, agent de la Police nigériane à Jos m'aidèrent aussi beaucoup. M. Dominic Ajijelek Alibidi clarifia nombre de points obscurs chaque fois que j'avais besoin d'aide pour résoudre certains problèmes dont je ne voyais pas la solution. Une mention finale doit être réservée aux jeunes gens qui furent assez aimables pour me suivre à travers le district Rukuba comme interprètes : Abuga Adikaba, Adu Adukucili, Ajol Adukucili Anama, Abaniame Anama, Amati Asanato, et surtout Ahok Inkus dont l'enthousiasme dans la collecte du matériel soutint le mien pendant les deux ans et demi que nous travaillâmes ensemble.

N O T E SUR LA TRANSCRIPTION PHONÉMIQUE

Les lettres ont la même valeur qu'en français sauf : J

comme dans acheter

e

comme dans amène

g

comme dans l'anglais bring

e

comme dans été

p c

comme dans hargne

0

comme dans oiseau

comme dans Tchad

0

comme dans sot

i

comme dans a.djectii

ö

comme dans

SOM

INTRODUCTION

Le but de cette étude est de présenter une analyse du système de parenté et de mariage des Rukuba du Plateau nigérian. L'on trouve chez eux plusieurs sortes d'unions maritales dont l'une d'elles, le mariage systématique d'une fille aînée avec le fils du dernier amant de sa mère, n'a pas été étudié jusqu'à présent bien qu'une mention s'y rapportant se trouve dans l'appendice d'un rapport administratif non publié (Counsell, 1936). Parmi les relations maritales décrites dans la littérature concernant le Plateau nigérian nous nous intéresserons à l'analyse de l'institution appelée « mariage secondaire ». Si l'on se réfère à la définition donnée par M. G. Smith, le mariage secondaire est « le mariage d'une femme durant la vie de son premier mari qui ne suit ni ne précède le divorce ou l'annulation de mariages pré-existants » (Smith, 1953, p. 312). Auparavant le terme de mariage secondaire a été appliqué, de manière non rigoureuse, avec d'autres termes tels que sous-mariage, polyandrie sérielle, mariage par rapt, etc., pour couvrir les propriétés impliquées dans cette définition plus récente. A la fin de son article de 1953, M. G. Smith donne une autre définition provisoire du mariage secondaire qui serait « l'union d'une femme avec un autre homme que son mari précédent, qui ne suit ni n'implique un divorce, et qui est légalisée par des paiements de fiançailles effectués par le nouveau mari au père ou au gardien de la femme ». Cependant, la littérature publiée révèle que les Malabu se conformeraient à la première définition de M. G. Smith mais pas à la seconde puisque, chez eux, le mariage secondaire n'implique pas le paiement d'un prix de la fiancée aux parents de la femme. M. G. Smith a ajouté la clause du prix de la fiancée à sa définition du mariage secondaire pour le distinguer du sigisbéisme. Le sigisbéisme, dans les systèmes « patrilinéaires », peut être défini comme une union légalisée entre une femme mariée et un homme qui n'est pas son mari — l'épouse étant en résidence ou non avec le mari —, la possession des enfants revenant dans tous les cas au mari légal et non au sigisbée. M. G. Smith base son argumentation pour différencier le mariage secondaire du sigisbéisme sur plusieurs cas dont

INTRODUCTION

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la sélection, malheureusement, n'inclut pas les Malabu. Ceux-ci, cependant, distinguent le mariage secondaire du sigisbéisme à partir de la résidence de l'épouse qui ipso facto accorde la possession des enfants à l'homme chez qui la femme réside. Si la femme s'en v a chez un autre homme à l'intérieur de « l'unité partageuse d'épouses », comme l'appelle Meek, ce dernier acquiert automatiquement la possession des nouveaux-nés t a n t que la femme résidera chez lui et ceci sans avoir rien à payer ni au mari précédent ni au père de la femme. Comme la femme a habituellement un sigisbée en plus de son mari elle ne peut pas contracter un mariage secondaire avec son sigisbée. Meek (1931, I, p. 116) dit : « U n sigisbée reconnu ne doit pas abuser de ses privilèges en essayant de s'approprier la femme. L a femme ne peut devenir son épouse que lorsqu'il a cessé d'être un sigisbée, sa place de sigisbée a y a n t été prise par quelqu'un d'autre. C'est la règle générale des Jirai ». On voit donc que le prix de la fiancée distinguant le mariage secondaire du sigisbéisme n'est pas un critère universel. Il nous semble donc préférable d'amender légèrement la définition de M. G. Smith qui se lirait alors comme suit : « L e mariage secondaire est l'union d'une épouse avec un autre homme que son mari qui ne suit ni ne précède le divorce ». Mais les sociétés pratiquant le mariage secondaire ont toutes des règles différentes et des sous-règles au principe de base qu'une femme peut avoir plus d'un mari dans deux ou plusieurs groupes différents, la cohabitation n'étant qu'avec un des maris à la fois. Cette dernière clause et ses implications pour l'organisation sociale globale nous semblent plus importantes à analyser que d'essayer de trouver une définition exhaustive du mariage secondaire élaborée du point de vue de l'individu. C'est ce que nous avons l'intention de discuter maintenant. D u point de vue de l'organisation sociale globale, le matériel nigérian se rapportant au mariage secondaire montre l'existence d'une intégration matrimoniale plus subtile que celle utilisée habituellement par la plupart des sociétés. Ces dernières se conforment à un modèle structural où une femme lie deux groupes, un groupe donneur et un groupe receveur, en même temps. L e modèle tiré des données nigérianes diffère radicalement du premier dans son essence conceptuelle. L e principe de base de ces systèmes est de permettre ou même d'obliger une femme d'être simultanément l'épouse de deux ou plusieurs maris appartenant à des groupes différents. L a circulation des femmes ne lie pas seulement deux groupes mais trois au moins au moyen d'une seule femme. E n examinant les implications sociales de ce schème marital, « mariage primaire » signifiera le premier mariage d'une femme et « mariage secondaire » son ou ses mariages subséquents. Comme on l'a déjà dit il n ' y a pas de remboursement du prix de la fiancée par le nouveau mari lors d'un mariage secondaire, la femme restant toujours mariée à son ou ses maris désertés précédemment. Elle peut retourner chez l'un ou l'autre pour y séjourner le temps minimal à passer avec un quelconque des maris, temps minimal qui varie avec chaque population en particulier.

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INTRODUCTION

Ces données n'ont pas été jusqu'à présent reconnues à leur juste valeur théorique. F a u t e d'études suffisamment intensives, ces coutumes qui étaient connues depuis longtemps (Meek, 1925, 1931 ; Ames, 1934, passim), restaient difficiles à interpréter. Smith (1953) fit une première tentative intéressante mais ces faits, pour le moins insolites, ne sont entrés que par la petite porte, et encore bien timidement sous forme de citations seulement, dans les discussions théoriques (Leach, 1961, p. 106 ; Goody, 1962, p. 51, appendice). Cette carence est d'autant plus compréhensible que la littérature consacrée à ces populations peut laisser, pour un lecteur non habitué à ces problèmes, l'impression que ces systèmes de mariage sont des bizarreries qui sont l'apanage de sociétés peu structurées, relâchées et en fait mal intégrées. C'est ce qui revient sans cesse sous la plume des exégètes de première heure et des administrateurs, les d e u x fonctions étant le plus souvent jumelées. L a connotation résolument négative attribuée à ces pratiques persiste même chez le dernier commentateur de ces systèmes, Murdock, qui, écrivant pourtant en 1959 au sujet de ces sociétés, déclare : « Elles demeurent, pour ainsi dire, un cul-de-sac culturel, caractérisé par une série d'intéressants traits archaïques allant d'une nudité complète très répandue à certaines pratiques maritales absolument uniques » (Murdock, 1959, p. 96). Comme Murdock ne sait pas très bien où placer ces sociétés et qu'il ne comprend pas leurs systèmes de mariage, il groupe arbitrairement ces derniers avec la nudité pour s'éviter la peine de les discuter en les t a x a n t simplement de traits archaïques. Comme ils sont « uniques » selon les termes mêmes de Murdock on peut se demander quel critère comparatif l ' a amené à cette conclusion. Nous montrerons ci-dessous que ces systèmes de mariage peuvent, au contraire, être qualifiés d' « hypersophistiqués » si on les compare à la plupart des autres systèmes connus. E n dépit de son aversion pour ces coutumes l'administration britannique ne les a pas interdites dans les endroits directement soumis à sa juridiction mais elle n'a pas élevé la v o i x pour empêcher les émirs musulmans de les abolir dans leurs émirats avec pour conséquence les résultats néfastes rapportés par M. G. Smith (1953). Ces résultats montrent bien que ces systèmes de mariage sont une des articulations majeures de l'organisation sociale. Ceci avait déjà été perçu par Meek qui a v a i t remarqué que ces types de mariage formaient des systèmes en disant des K a t a b et de leurs voisins : « L e système social de toutes ces tribus suit un modèle uniforme sous deux aspects importants c'est-à-dire, que la tribu est organisée pour le propos a) du mariage avec des jeunes filles non encore mariées, et b) enlèvement des femmes mariées... (Meek, 1931, II, p. 91). U n e x a m e n critique de l a littérature consacrée a u x populations pratiquant le mariage secondaire montre que leur organisation sociale, loin de manifester u n manque de structure, peut s'articuler autour de la combinaison des éléments de deux paires contrastées, endogamie par opposition à exogamie, et mariage avec des jeunes filles non mariées (mariage primaire) par opposition à mariage avec des femmes d é j à mariées (mariage secondaire), les d e u x termes de la

INTRODUCTION

II

seconde paire étant toujours mutuellement exclusifs c'est-à-dire un groupe preneur ne peut épouser une femme mariée et une femme non encore mariée dans le même groupe donneur. Les diverses combinaisons entre les termes engendrent — en un groupe de transformations (Lévi-Strauss, 1958, p. 306) — les quatre modèles suivants attestés dans la réalité (figure I). Il serait peut-être théoriquement possible d'en engendrer d'autres mais nous ne le tenterons pas dans cet ouvrage. Modèle I L a tribu se compose d'un certain nombre de groupes endogames pour le mariage primaire. Ces groupes endogames peuvent contracter des mariages secondaires avec des femmes mariées provenant de groupes semblables. Ainsi le groupe endogame pour le mariage primaire coïncide avec le groupe preneur d'épouses défini, à l'intérieur de la structure sociale globale, comme le groupe dont les membres sont soumis à la prohibition d'épouser les femmes mariées à d'autres membres du groupe. Ces unités preneuses d'épouses doivent donc, dans ce cas et dans tous ceux qui nous occupent, être composées minimalement d'un nombre assez élevé de lignées pour que les individus qui en font partie puissent tenir compte des prohibitions du mariage — primaire et secondaire — dictées, elles, par la parenté, prohibitions qui varient de tribu à tribu. Nous ne nous occuperons pas ici de ces règles sinon pour mentionner qu'elles relèvent des structures complexes. Nous avons ainsi dans ces systèmes deux types de prohibitions du mariage radicalement différents dans leur essence conceptuelle et qui s'ajoutent l'une à l'autre : les prohibitions dictées par la parenté et celles dictées par les combinaisons des deux paires contrastées énumérées ci-dessus et qui relèvent, elles, de l'organisation sociale. C'est à ce dernier aspect, ou niveau, que nous nous intéresserons ici. Le modèle que nous venons de décrire se trouve attesté chez les Kadara (Smith, 1953, p. 301) et semble s'appliquer aux K a j e (Meek, 1931, II, p. 102-105). Modèle II L a tribu se compose d'un certain nombre de groupes exogames pour le mariage primaire, ces groupes prenant leurs épouses primaires dans n'importe quel groupe similaire et donnant de même leurs filles à d'autres groupes. Ces groupes pratiquent le mariage secondaire entre lignées à l'intérieur du groupe exogame pour les mariages primaires. C'est la situation symétrique et inverse du modèle I. Le groupe de tribus connu sous le nom de B a t a et plus spécialement le sous-groupe des Jirai (Meek, 1931, I, p.69136) en fournit plusieurs exemples caractéristiques comme les Bulai (Meek, 1931, I, p. 86-87) e t les Malabu. Les règles de mariages de ce groupe sont plus précisément étudiées pour les Malabu bien que les clans royaux jouissent de certains privilèges matrimoniaux exclusifs qui n'affectent toutefois

INTRODUCTION

C e r c l e A, B. C . Unité endogame pour te m a n a g « p r i m o i r e et exogome pour I« m a r i a g e s e c o n d a i r e (unité preneuse d'épouses) mariage

secondaire

mariage

primaire

unité exogame p o u r m a r i a g e primeur«

Cercle A, B C. Unité exogame pour (e mariage p r i m a i r e et endogome pour le m a r i a g e s e c o n d a i r e .

le

mariage

secondaire

mariage

primaire

unité e x o g a m e pour le m a r i a g e secondaire

Cercle A. B, C . Unité exogame pour le

Cercle

A • A i • A*

moitié

mariage secondaire (unité preneuse dépousés)

Cercle

B • B, • 8«

moitié

Cercle A , A , , B . B , mariage s e c o n d a i r e





mariage p r i m a i r e O

O

unité exogame pour le mariage pnmatre chez Ego et unité exogame pour le mariage primaire et s e c o n d a i r e e n d e h o r s de l'unité preneuse d ' é p o u s e s d ' E g o

FIG.



I

unités preneuses d'épouses

mariage

secondaire

mariage

primaire

unité exogame pour les relations p r é m a r i t a l e s (chez (es Rukubo seulement ) -

r e l a t i o n s prémaritales ( c h e z Rukuba seulement)

(es

INTRODUCTION

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pas le principe du modèle (Meek, 1931, I, p. 91-113 et p. 116 où Meek décrit certaines règles générales des Jirai dont font partie les Malabu). Le mariage secondaire et le sigisbéisme se trouvent côte à côte chez les Malabu à l'intérieur du groupe simultanément exogame pour les mariages primaires et endogame pour les mariages secondaires, groupe que Meek appelle « unité partageuse d'épouses ». Le sigisbéisme est différent du mariage secondaire en ce que le mariage secondaire implique la possession des enfants par le mari secondaire, alors que dans le cas de relations sigisbéennes le sigisbée n'a aucun droit sur les enfants. Une différence plus pertinente chez les Malabu est que la cohabitation de la femme avec le mari et le sigisbée est simultanée, alors que dans le cas du mariage secondaire la cohabitation n'est qu'avec un des maris à la fois. Les Malabu distinguent soigneusement entre sigisbéisme et mariage secondaire sur la base de la résidence de la femme qui assure la possession des enfants au mari chez qui la femme est établie, le sigisbée venant chez ce dernier. Lorsqu'une femme change de résidence, donc automatiquement d'époux, elle ne peut toutefois rejoindre son sigisbée en titre comme épouse secondaire qu'après avoir rompu avec ce dernier et pris un autre sigisbée à sa place (Meek, 1931, p. 116). Modèle III Le mariage secondaire peut aussi se trouver dans des sociétés où l'exogamie d'unité preneuse d'épouses et l'endogamie ne sont pas mutuellement exclusives. On trouve alors un autre modèle où le mariage primaire peut être contracté à l'intérieur de l'unité preneuse d'épouses ou à l'extérieur, dans une autre unité preneuse d'épouses. Ainsi donc, le mariage primaire peut être contracté dans n'importe quelle unité preneuse d'épouses et le mariage secondaire avec toutes les femmes mariées sauf celles qui le sont à des membres de l'unité preneuse d'épouses d'Ego 1 . Mais lorsqu'un homme contracte un mariage primaire dans une autre unité preneuse d'épouses que la sienne il ne peut plus contracter un mariage secondaire avec une femme mariée dans la lignée qui lui a déjà donné une épouse primaire. Ce modèle s'applique probablement aux Morwa (Meek, 1931, II, p. 113), aux Jaba (Meek, 1931, II, p. 121) et définitivement aux Chawai (Meek, 1931, II, p. 145-147), et aux Irigwe, pour lesquels nous possédons la description la plus complète (Sangree, 1969, passim). Modèle IV La société peut être composée d'un certain nombre de groupes exogames pour le mariage primaire et secondaire. Ces groupes, que j'appelle unités preneuses d'épouses forment deux moitiés où les unités preneuses d'épouses de chacune des moitiés épousent les jeunes filles de la moitié opposée en 1. Ego signifie la personne de référence.

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INTRODUCTION

mariage primaire et contractent des mariages secondaires avec les épouses mariées dans d'autres unités preneuses d'épouses de la même moitié. C'est le cas des R u k u b a . Les K a g o r o en sont une version plus compliquée (Smith, 1953). Cette population est divisée en deux parties ; l'une d'elle consiste en deux moitiés exogamiques qui semblent fonctionner comme le modèle simple des R u k u b a avec mariage primaire et secondaire mutuellement exclusifs entre les unités preneuses d'épouses et d'une autre partie dont les unités preneuses d'épouses ne pratiquent que le mariage secondaire entre elles et qui ne peuvent prendre que des épouses primaires dans toutes les unités preneuses d'épouses de l'autre partie. Le modèle des K a t a b semblerait aussi se conformer à ce modèle (Meek, 1931, I I , p. 1-128). L e fait est que si certains de ces systèmes permettent seulement a u x femmes d'avoir deux ou plusieurs maris simultanément dans d e u x groupes différents certains d'entre eux les obligent à en avoir au moins deux, le second mari étant épousé très rapidement après le premier mariage. Les Irigwe en sont un cas précis et bien documenté (Sangree, 1969, p. 1049-1053). O n pourrait donc diviser ces sociétés qui pratiquent le mariage secondaire en sociétés qui l'autorisent et celles qui le prescrivent. Malheureusement les documents disponibles ne nous permettent pas encore de faire une telle classification. Toutefois, le point important à retenir est que certaines de ces sociétés ont utilisé la valeur intégrative du principe « une femme deux maris simultanés dans d e u x groupes différents » et l'appliquent systématiquement ou v o n t même y ajouter certains raffinements comme nous le montreront les R u k u b a . Nous ne ferons toutefois pas l'erreur de chercher ou d'assigner des causes pseudo-« fonctionnelles » pour « expliquer » ces systèmes. Ils ne sont que l'illustration d'une série de possibilités logiques dérivées de l'application de principes conceptuels très simples qui nous semblent étranges parce que nous n'avons pas su nous-même les imaginer. Cependant, les quatre modèles du groupe de transformations que nous venons de présenter ne nous semblent pas apparus isolément ; il suffit de parcourir la littérature consacrée a u x peuples du Nigeria Central (Gunn, 1953, 1956 ; Meek, 1931, I, II, passim) pour réaliser que les questions fondamentales que ces populations se sont presque toutes posées sont comment diviser et subdiviser les droits et obligations entre les époux (et les amants), comment attribuer les enfants, comment pratiquer le sigisbéisme et comment compliquer la circulation des femmes par le mariage secondaire. Il faudra bien admettre u n jour que certaines des solutions pensées et réalisées sont le fruit d'une spéculation sociologique si sophistiquée qu'elle suffirait à rendre jaloux un Australien! Nous ne chercherons pas à comparer dans notre étude le système marital r u k u b a avec ceux des populations voisines (carte 1) mais pour placer les R u k u b a dans le contexte local restreint nous donnons ici rapidement les faits saillants de ce qui est connu de ces systèmes. Nous espérons poursuivre plus tard leur analyse comparative.

INTRODUCTION

15

i6

INTRODUCTION

a) Les Birom ont un système de mariage avec divorce et sigisbéisme ; le mari est payé par le sigisbée lorsque celui-ci ne fait pas partie du groupe de sigisbées structuralement définis par le mariage lui-même et qui, eux, n'ont rien à payer au mari. Les enfants appartiennent toujours au mari (Baker, 1954 ; Gunn, 1953, p. 89 ; Smedley, 1967). b) Les Irigwe ont un système de mariage secondaire se conformant à notre modèle III. Une comparaison entre les systèmes de mariage irigwe et rukuba a paru ailleurs (Muller et Sangree, 1973). c) Le système matrimonial des Ribam n'est pas connu. d) Les Piti semblent pratiquer le mariage secondaire, mais on ne sait trop bien sur quelles bases (Meek, 1931, II, p. 132 ; Gunn, 1953, p. 49). e) Les Amo et les Chara avaient un type de mariage secondaire où la femme devait retourner chez son mari précédent après une date fixe. La période était de trois ans chez les Amo et si la femme ne retournait pas chez son premier mari le divorce s'ensuivait. Il n'est pas clair, chez les Chara, si la femme devait contracter un mariage secondaire un an après son premier mariage. La question de la possession des enfants dans les deux populations n'est pas décrite, laissant ainsi planer le doute sur ces unions qui seraient peut-être du sigisbéisme plutôt que des mariages secondaires (Gunn, 1953, p. 23 et 47). / ) Les Buji pratiquaient un échange direct de sœurs mais si l'échange direct s'avérait impossible un échange différé pouvait être arrangé (Gunn, 1953, P- 33)g) Les Anaguta semblent avoir le même système que les Buji avec peutêtre le mariage secondaire, mais les règles concernant ce dernier et l'attribution des enfants ne sont pas données et le cas ne peut pas être tranché avec certitude (Diamond, 1967). h) Les Afusare sont censés pratiquer le mariage secondaire mais on ne sait sous quelle forme (Gunn, 1953, p. 61-62). Une importante partie de notre travail sera d'analyser l'importance relative des divers types de mariage rukuba vis-à-vis les uns des autres et vis-à-vis du système marital global. Pour ce faire la parenté agnatique rukuba sera discutée en premier avant de procéder à l'analyse des relations pré-maritales et du système matrimonial proprement dit. Les droits et les obligations entre alliés ne jouent plus un rôle important dans la vie rukuba après qu'on ait terminé les prestations requises pour un mariage primaire, mais les droits et obligations entre un individu et sa parenté matrilatérale et matrilinéaire sont importants et commencent dès la naissance. Nous nous y intéresserons également. De plus, le système marital rukuba, ou plutôt la manière d'attribuer les droits sexuels et domestiques ainsi que les droits sur les enfants, qu'ils soient effectifs ou symboliques, ont une grande importance dans la vie rituelle. Ceci sera examiné à la lumière des faits que les Rukuba m'ont permis de dévoiler. J'extrairai, d'un matériel complexe touchant bien d'autres sujets que le mariage, les éléments qui se rapportent à ce dernier.

CHAPITRE

I

LA SOCIÉTÉ ET SON ORGANISATION SOCIALE

I. L A

SOCIÉTÉ

DÉMOGRAPHIE

Les Rukuba se nomment eux-mêmes bace (plur.), unace (sing). Ils nomment leur langue kuce et la contrée qu'ils habitent kice. Cette contrée constitue le district Rukuba. Le registre des impôts (1964-1965) donne un total de 10 156 Rukuba vivant dans le district. Cependant, à en juger par la manière dont sont tenus les registres on peut tenir ce chiffre pour une sousestimation et le nombre de 12 000 est plus près de la réalité que les estimations officielles. A ce total doit être ajouté 873 « étrangers » vivant dans les camps de mines ou dans les colonies hausa situés à l'intérieur du district. Les premiers chiffres connus pour les Rukuba sont ceux du recensement de 1921 (Meek, 1925, II, p. 191) qui donne un total de 12 619. Counsell rapporte un total de 15 274 pour l'année 1935. Quelles que soient les raisons de telles fluctuations, les R u k u b a eux-mêmes n'ont pas le sentiment que leur population est en train de diminuer. Les instituteurs rukuba qui aidèrent à l'organisation du recensement de 1962 (jamais publié) n'ont pu se souvenir du chiffre exact de la population vivant dans le district mais proclament qu'il était plus élevé que celui du registre des impôts. Il faut ajouter à ce nombre les quelques Rukuba enregistrés dans des districts voisins et ceux qui vivent en ville comme employés du gouvernement. Le nom Rukuba est d'origine étrangère et plusieurs interprétations sur son sens et sa provenance ont été proposées (Gunn, 1953, p. 14), mais mes enquêtes ne m'ont rien révélé à ce sujet si ce n'est qu'actuellement certains jeunes Rukuba pensent que ce terme veut dire « pourri », mais sans savoir en quelle langue, et qu'ils veulent le changer. Ce nom est officiellement utilisé dans l'administration et comme il est aussi employé dans la littérature anthropologique nous suivrons cet usage tout en nous souvenant que les Rukuba emploient entre eux le terme bace pour se désigner. 2

LA SOCIÉTÉ

i8

ET SON ORGANISATION

SOCIALE

LANGAGE

L a langue r u k u b a n'est pas comprise des groupes voisins sauf des individus qui l'ont apprise comme une langue étrangère. Ce langage a été inclus par Westerman et, plus tard, par V a n B u l k , parmi les « langues nigérianes à classes » (Gunn, 1953, p. 15-16) ; Greenberg le met dans sa famille NigerCongo de sa première classification pour finir par la ranger dans une subdivision du groupe Benue-Congo (Greenberg, 1963, p. 8-9). D u matériel comparatif plus récent a été publié par le D r L u c B o u q u i a u x (1967). U n e affinité importante peut être ici notée ; la langue rukuba est très proche de celle des Ninzam, une population v i v a n t à quelque soixante milles au sud. Plusieurs de mes amis rukuba qui firent une partie de leur scolarité au K a g o r o Teacher's College furent très étonnés d'entendre, parlée par des étudiants ninzam, une langue qu'ils pouvaient comprendre lorsque les conversations concernaient des sujets terre à terre. Rien à propos des Ninzam ou de quelconques « R u k u b a perdus » ne survit dans la tradition orale des R u k u b a et les aînés les plus au fait des relations intertribales furent très surpris lorsqu'ils furent mis au courant de cette affinité linguistique. Cette similitude a été soulignée dans la littérature avec le fait que les R u k u b a et les N i n z a m disent être venus à leur présent habitat d'un endroit appelé Sanga, situé pour les R u k u b a près du pic Sanga dans la Province de Bauchi (Gunn, 1953, p. 15-16). Cependant, la carte en appendice du Gazetteer of the Plateau Province indique que le Sanga des Ninzam n'a rien à voir avec celui des R u k u b a (Ames, 1934, annexe). D'autres hypothèses, qui contredisent les traditions orales rukuba, se trouvent dans Ballard (1971).

MILIEU

GÉOGRAPHIQUE

L a région rukuba se situe entre 9°55' et io°o5' latitude Nord, 8°5o' et 8°37' longitude E s t (méridien de Greenwich). L a surface totale est estimée à 170 milles carrés (environ 340 km 2 ) par Counsell (1936). L e district se trouve à l'intérieur de la zone climatique guinéenne Nord, avec quelques variations dues à la relative haute altitude. L e paysage est très contrasté, allant des plateaux de Kinedik et d ' U b u m u a u x escarpements rocheux de K i k a l a et de Kishi (carte 1). L a couverture végétale n'est pas régulière ; les buissons et les arbres, qui manquent dans le sud et dans l'est du district, augmentent considérablement vers le nord-ouest et permettent ainsi a u x habitants de K i k a l a et de Kishi de vendre du bois a u x camions qui font la n a v e t t e entre la brousse et Jos. Trois « réserves forestières », en fait des pépinières d'eucalyptus, ont été établies dans le district. Les crêtes rocheuses consistent principalement en granités et quelquefois de roches basaltiques, notablement la crête A m o . Une ou deux collines volcaniques se trouvent à l'extrémité sud du district. L a plupart des crêtes

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et des collines ne sont cependant pas dénudées et la culture est pratiquée quelquefois jusqu'au sommet sans que l'on ait besoin de travaux de terrassement ni de remonter la terre. On trouve des sols peu profonds, généralement durs, et des sols profonds, plus faciles à travailler. De la latérite apparaît de proche en proche. Les dépôts alluviaux sont riches en minerais d'étain et de colombite et plusieurs petits camps de mines pratiquant l'extraction à ciel ouvert sont situés dans le district. L'altitude moyenne est de plus de 3 000 pieds (environ 914 m) avec quelques pics culminant à plus de 4000 pieds (environ 1220 m). Les nuits sont donc quelquefois froides et les journées fraîches, ceci spécialement lorsque le vent du nord — appelé harmattan — souffle de décembre à février et durant les mois froids de la saison des pluies, juillet et août, quand le brouillard ou la brume se traîne jusque tard le matin dans le fond des vallées. La région est bien arrosée. D'innombrables ruisseaux coulent durant la saison des pluies mais peu d'entre eux sont permanents. Des mares et des marigots fournissent l'eau pendant la saison sèche. La moyenne des précipitations a été calculée pour la ville de Jos durant les années 1914 à 1931 où elle s'élevait à 58,43 pouces (environ 1,46 m) par an. La proximité de Jos et du district Rukuba suggère que ces chiffres s'appliquent aussi bien au district Rukuba (Gunn, 1953, p. 21). Le début de la saison des pluies, caractérisé par des orages violents de courte durée, débute habituellement à la fin du mois de mars et se poursuit avec des périodes de pluie de plus en plus longues jusqu'au milieu de juillet. Les pluies tombent alors très fort, quelquefois pendant plusieurs jours sans interruption, jusqu'à la fin d'août ou le début de septembre, moment où les précipitations décroissent. A la mi-octobre, quelquefois plus tôt, la saison des pluies est terminée excepté, peut-être, pour un orage occasionnel. Autour du mois de décembre l'harmattan se met à souffler et amène de fins nuages de poussière qui pénètrent partout. Le vent peut s'arrêter déjà au milieu de février, laissant la place à la fin de la saison sèche où la chaleur est maximale jusqu'aux premiers orages qui apportent quelque fraîcheur.

RELATIONS

INTERTRIBALES

Les noms des populations voisines des Rukuba seront transcrits selon l'orthographe employée dans la compilation de Gunn (1953). C'est le plus récent des précis traitant des populations du Plateau et, puisque plusieurs de ces populations sont connues sous des noms différents, nous nous conformerons aux appellations et aux transcriptions de Gunn. La littérature concernant les Rukuba et leurs voisins est très pauvre et fragmentaire. La plupart des écrits ont été l'œuvre d'administrateurs dont le but principal était d'établir des unités administratives viables. Ces premiers observateurs ont essayé de grouper, sur le papier, les populations selon des critères d'interrelations tribales intenses, d'affinités rituelles, d'absence

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de guerres intertribales ainsi que de traditions « historiques » communes que leur exposaient leurs interprètes. C'est ainsi que les Rukuba se virent classés, dans la littérature, parmi le groupe Jerawa qui comprend les Chara, Gezawa, Ribina, Buji, Jere, Bujiyel, Amo, Janji, Piti et Ribam (Gunn, 1953, passim). Comme nous le verrons dans un autre travail les Rukuba ont une série de liens de nature diverse et une tradition « historique » commune avec quelques-uns des peuples ci-dessus. Bien que certaines similitudes peuvent apparaître parmi les populations du groupe Jerawa notre connaissance de celles-ci est si sommaire qu'on ne peut encore tenter aucune comparaison. Il suffit de dire ici que les Rukuba se pensent d'abord comme Rukuba et qu'ils n'ont pas de nom pour désigner le groupe dans lequel on les a inclus. Néanmoins il y a quatre groupes qu'on dit d'origine rukuba et qui font partie d'autres tribus. Leur connexion avec les Rukuba est remémorée parce que leur origine rukuba a établi ou maintenu quelques liens cérémoniels ou rituels entre ces tribus et les Rukuba. Le premier de ces groupes aurait rejoint les Jere au temps mythique de la migration rukuba. Des liens rituels sont supposés être périodiquement renouvelés entre Rukuba et Jere au moment du rituel kugo, liens qui passent par la médiation des Rukuba installés chez les Jere dont ils font maintenant partie intégrante. Le deuxième de ces groupes est maintenant un clan de la population Amo. Ce groupe est originaire soit du village d'Opwara soit du groupe d'assistants rituels d'Opwara, Uguru. Une version Amo, sans doute, de l'origine de ce clan est rapportée dans Ames (1934, p. 102-103). Le troisième groupe est issu du village d'Ubumu et est aussi assimilé à la population Amo. Le quatrième groupe provient du clan d'Aban du village de Kakkek et vit au milieu de la tribu Ribam. Ces groupes, tous assimilés depuis très longtemps, sont invités à prendre part à des rituels spécifiques. Rien de plus ne les relie à leur tribu d'origine. Gunn (1953, p. 18 et 53) rapporte qu'un petit groupe de Rukuba habite une enclave du territoire Chawai près de Fadan Chawai. Mes enquêtes sur leur origine n'aboutirent à rien car bien des Rukuba ignoraient leur existence et c'est seulement au village d'Egbak que l'on se souvenait vaguement d'avoir entendu parler d'un groupe vivant dans les collines du village, groupe qui aurait émigré chez les Chawai. Personne ne se rappelait le clan des migrants. Une fois hors du territoire rukuba et une fois séparé des liens maritaux et rituels on a cessé d'être Rukuba. Même les émigrants avec lesquels les Rukuba gardent encore des liens rituels ne sont plus considérés comme Rukuba. Les Rukuba ont des frontières communes avec onze tribus voisines, dont aucune ne comprend la langue rukuba. Un certain nombre de personnes de ces tribus parlent le rukuba, quelquefois très bien, spécialement certains Piti, Ribam, Amo, Chara et Irigwe. Les Rukuba semblent moins empressés d'apprendre la langue de leurs voisins que les voisins d'apprendre la leur. Les frontières tribales se trouvent entre des marches de brousse non cultivées et utilisées comme territoires de chasse. La possession de ces terri-

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toires de chasse est habituellement reconnue à l'une ou à l'autre tribu mais quelques cas sont contestés. Auparavant, seuls les sites d'habitation du village de Kasakuk étaient très proche de leurs voisins, les Piti, mais presque partout les possibilités de contacts journaliers étaient grandement augmentées pendant la saison des pluies alors que beaucoup de familles passaient une partie de leur temps — tout comme aujourd'hui — sur leurs champs de brousse situés assez près des frontières tribales. Les Rukuba disent avoir des liens historiques avec quelques-uns de leurs voisins ; ils ont des liens rituels et formels de diverse nature avec plusieurs d'entre eux, le plus souvent sur une base intervillageoise. Ces liens existent avec certaines sections irigwe, avec les Piti, les Ribam, les Amo et, avant la conquête britannique, avec les Chawai. Il n'existe pas de relations rituelles avec les Janji, Buji, Gurum, Chara, Afusare, Anaguta et Birom mais cela ne signifie pas un manque d'interaction dans d'autres domaines. Le commerce a toujours fait partie de la vie rukuba et, loin de vivre dans l'isolement au sommet de leurs rochers, un réseau de partenaires échangistes et cérémoniels élargissait l'horizon rukuba (Muller, 1972). En plus, les Rukuba ont des liens cérémoniels et rituels avec les Jere, comme nous l'avons indiqué, et cette population n'est pas contiguë à leur territoire. Les Rukuba avaient aussi l'habitude de rencontrer des populations vivant assez loin dans la province de Zaria lors des chasses intertribales annuelles. De cette manière les Rukuba connaissent les Gure, les Kahugu, les Kurama et probablement d'autres. Nous ne pouvons malheureusement entrer ici dans l'analyse de ces multiples réseaux. Pour terminer cette esquisse des relations intertribales nous ajouterons que les armées hausa-peul tentèrent de conquérir le district Rukuba sous le règne de Yero, émir de Zaria (1888-1892). Bien que cette attaque ait créé quelques remous dont se souviennent bien les Rukuba, les assaillants furent repoussés et plusieurs de leur crânes peuvent être admirés dans certaines huttes rituelles où ils sont conservés comme trophées (Hogben et Kirk-Greene, 1966, p. 229).

MARIAGES

INTERTRIBAUX

Bien que les contacts entre les Rukuba et plusieurs de leurs voisins aient été très cordiaux, cette cordialité n'alla jamais jusqu'à l'intermariage. Le mariage rukuba forme un système clos où il n'y a pas de place pour les étrangers. La raison en apparaîtra plus tard mais, dans un ouvrage consacré au mariage, il est nécessaire de discuter en détail ce qui a été écrit sur les mariages intertribaux. Les hommes ne se mariaient jamais en dehors de la tribu et très peu de femmes contractèrent des alliances intertribales. Gunn (1953, p. 22) rapporte que quelques mariages se sont produits entre des femmes rukuba et des hommes chara. Ceci est nié par les Rukuba concernés ; on m'expliqua que

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SON ORGANISATION

SOCIALE

les veuves du groupe rukuba vivant près des Char a eurent — et ont toujours si elles le désirent — des amants chara. Ceci n'est pas considéré comme un un mariage ; c'est une sorte de sigisbéisme avec une veuve dont nous expliquerons les modalités plus loin. Dans un « Assessment Report » daté du 26 septembre 1917, J. Finch, un assistant officier de district, dit de la tribu Chara : « La tribu est tout à fait distincte de toutes les autres tribus de païens du Plateau et ne se marie avec aucune autre tribu excepté les Rukuba et le mariage avec ces derniers n'est pas considéré comme légitime » (Finch, 1917). Cette description se réfère probablement à ce type d'union léviratique. Les aînés chara questionnés sur ce point confirmèrent la thèse de l'union sigisbéenne ; ils ajoutèrent cependant qu'ils avaient entendu dire que dans le passé des hommes chara essayèrent d'épouser des femmes rukuba. Celles-ci se montrèrent très peu fertiles et ces tentatives matrimoniales cessèrent. Ils ne purent toutefois citer de cas concrets. Les Rukuba du village de Kishi, ceux de Kishi même et ceux de leur section établis près des Chara ne partagent pas de telles réminiscences. Lors de ma dernière visite chez les Chara, en août 1968, on m'informa que deux jeunes filles rukuba de la branche de Kishi établie près des Chara épousèrent des Chara en 1967 et qu'une autre femme en avait fait de même quelques années auparavant. Ceci fut confirmé par les Rukuba qui ajoutèrent que deux jeunes filles chara se marièrent récemment avec des Rukuba. Maintenant que les Chara n'imposent plus le port des labrets à leurs filles il ne semble plus y avoir de barrière au mariage entre femmes chara et hommes rukuba. Gunn (1953, p. 39) cite que quelques mariages sont rapportés entre des hommes piti et janji et des femmes rukuba. Les cas recueillis par moi-même chez les Piti tombent dans la catégorie des unions sigisbéennes, le sigisbée visitant la femme qui vit dans la concession de feu son mari. En ce qui concerne les Janji, je n'ai pas fait de contrôle sur place mais les Rukuba du voisinage n'affirmèrent que ces mariages intertribaux étaient une introduction récente et qu'ils concernaient des mariages secondaires. La situation matrimoniale est en train de changer lentement, comme nous l'avons montré pour les Chara. Ces cas de mariages intertribaux sont cependant relativement rares pour la population non scolarisée qui forme plus de 95 % de la population. Les chrétiens, scolarisés ou non — dont le total est de moins de 5 % de la population — , sont moins fermés aux unions intertribales surtout si les deux parties sont chrétiennes. La plupart des cas concernent des jeunes filles rukuba épousant un homme d'une autre ethnie, quelques-unes d'entre elles faute de pouvoir attirer un mari rukuba. L'inverse est moins commun. ADMINISTRATION

Les Rukuba sont tous groupés administrativement sauf le groupe établi près des Chara et quelques individus qui payent leurs impôts dans l'État

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SOCIÉTÉ

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Centre-Nord (anciennement province de Zaria). Le territoire tribal forme un district à la tête duquel se trouve un chef de district. Ce district fait partie de la division de Jos, qui constitue l'une des divisions de l'État BenuePlateau, État anciennement rattaché à la région Nord du Nigeria. La situation actuelle fut précédée d'une longue série d'ajustements administratifs débutant après la conquête britannique en 1905. Vu l'absence d'un chef tribal traditionnel et suivant la croyance (probablement erronée) que certains villages payaient « tribut » à l'émir de Zaria, la population fut attribuée à deux provinces, Zaria et Bauchi. Les Rukuba de la province de Z a r i a — l e s sections de Kishi et de Kikala — furent rattachés au district de Lere pour être ensuite transférés au district de Garu pendant quelques années avant d'être ré-incorporés dans le district de Lere jusqu'en 1937, date à laquelle la frontière entre les provinces de Zaria et du Plateau fut réajustée (la province du Plateau fut crée lors de la partition de la province de Bauchi en 1926) afin de permettre à tous les Rukuba de se trouver administrativement réunis. Les Rukuba de la province de Bauchi furent administrés en un district unique jusqu'en 1937. A cette époque la tribu entière fut réorganisée sur la base de village areas, c'est-à-dire une sorte de fédération peu structurée de sept unités appelées village areas, ce terme désignant un village chef et ses villages dépendants. Depuis 1937 les frontières du district sont demeurées stables mais l'organisation interne et l'administration ont subi des changements. En 1952 le district se donna un seul chef administratif, le chef de district, qui devint chef de troisième classe en 1965. Jusqu'en avril 1968 il était président d'une cour de justice de grade D dont les juges étaient les chefs des défunts village areas qui recevaient un petit salaire. Une réorganisation du système judiciaire est présentement en cours d'essai. En 1914, très tôt après l'établissement de la pax britannica, une mission chrétienne commença l'évangélisation des Rukuba. A l'époque des enquêtes administratives de Counsell (1936), il n'y avait que très peu de convertis. En 1964, la missionnaire en charge de la congrégation en estimait le nombre à quelque 400 ou 500, soit environ 5 % de la population totale. Plusieurs de ces chrétiens, notablement les plus jeunes, sont employés en dehors du district par le gouvernement ou la mission comme prédicateurs, policiers, instituteurs, soldats, infirmiers ou cadres dans l'administration locale. La première école primaire dispensant un enseignement plus substantiel que la seule instruction biblique fut ouverte en 1945 par la mission au village de Kakkek. Deux autres s'ouvrirent à Binci et Ubumu quelques années plus tard. Les personnes les plus âgées ayant une bonne — quelquefois excellente — connaissance de l'anglais sont dans la trentaine et ont toutes été élèves soit dans des écoles techniques ou des centres de formation pour instituteurs après leur instruction primaire dans le district.

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II.

ORGANISATION

SOCIÉTÉ

ET

SON

ORGANISATION

SOCIALE

MARIAGE ET TERRITOIRE

SOCIALE

L'organisation sociale des Rukuba est difficile à comprendre sans une connaissance préalable de leur système de mariage qui en constitue un des éléments centraux. Il deviendra de plus en plus clair, à mesure que nous avancerons dans notre analyse, que les groupes sont constitués structuralement par l'allocation mutuellement exclusive des droits sur la sexualité et des divers droits matrimoniaux, eux aussi mutuellement exclusifs. Prise dans sa totalité la société rukuba est divisée en deux moitiés exogamiques ; toutes les jeunes filles d'une moitié doivent se marier dans l'autre. Ces deux moitiés ne portent toutefois pas de noms. Il faut se hâter de dire ici que la plupart des Rukuba ne raisonnent pas en termes de moitiés lorsqu'ils exposent leur système matrimonial bien que certains le fassent. Nous verrons ci-dessous les manières diverses d'exprimer les relations maritales. Une moitié est composée d'un certain nombre d'unités discrètes qui sont preneuses de filles potentielles vis-à-vis de toutes les autres unités semblables de la moitié opposée ; ces unités discrètes de la même moitié sont en relation de preneurs de femmes mariées vis-à-vis de toutes les autres unités de la même moitié. Ces unités prennent des femmes mariées en mariage secondaire, femmes qu'ils auraient été autorisés à marier précédemment en mariage primaire puisque, par définition, ces femmes proviennent de la moitié opposée. Les hommes de chacune de ces unités sont liés par l'interdiction de commettre l'adultère et de contracter des mariages secondaires avec les femmes mariées à l'un des membres du groupe. Tous les hommes appartenant à un tel groupe forment ce qu'on a appelé une « unité voleuse d'épouses » ou « une unité d'abduction d'épouses » (Gunn, 1956, passim et note 49, p. 85). Cependant nous utiliserons le terme d'unité preneuse d'épouses car unité d'abduction d'épouses suggère que les mariages secondaires sont contractés par la force, sans le consentement ni de la femme ni de ses parents, ce qui n'est pas le cas chez les Rukuba ; le terme unité voleuse d'épouses doit aussi être rejeté parce que la femme reste toujours l'épouse du mari déserté puisque le divorce n'existe pas. Les Rukuba n'ont pas de terme pour désigner une unité preneuse d'épouses. Quand une infraction à la règle d'adultère ou du mariage secondaire est commise à l'intérieur d'une de ces unités, la faute est exprimée en disant qu'il est interdit aux personnes ayant « le même rituel », ici, d'enfreindre ces règles. Le rituel en question est appelé aso et toutes les personnes ayant été initiées au même endroit lors des cérémonies aso sont sujettes à la prohibition de l'adultère et du mariage secondaire avec leurs femmes respectives.

MARIAGE

ET

TERRITOIRE

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Idéalement une unité preneuse d'épouses est localisée. Elle a un chef, une place d'initiation pour le rituel aso — initiation qui confère l'appartenance à l'unité preneuse d'épouses — , ainsi qu'une mare ou un trou d'eau servant au bien-être des enfants de femmes nées dans l'unité preneuse d'épouses et mariées dans l'autre moitié. A un niveau abstrait, la tribu rukuba consiste, pour les transactions matrimoniales, en deux moitiés exogamiques, chacune divisée en un certain nombre d'unités preneuses d'épouses. Cependant, sur le terrain, la situation s'avère plus compliquée et les unités preneuses d'épouses n'y sont pas toujours faciles à discerner. Pour le propos de notre étude l'entité locale la plus inclusive est ce que j'appelle un village ; un village n'est pas nécessairement composé d'une seule unité preneuse d'épouses, mais peut abriter des membres des deux moitiés exogamiques. Tous les villages sont connus par leur nom propre et il n'y a pas de terme générique rukuba qui corresponde au terme de village. Le terme kigbat, qui signifie littéralement « crête », peut être utilisé pour désigner un village mais il peut aussi signifier une agglomération de plusieurs concessions sur une hauteur ou même une maison isolée. Le terme kucip, lui, signifie une concentration d'habitations, un quartier, et est probablement la meilleure approximation du terme français « village » bien qu'il ne soit pas utilisé dans l'abstrait ; il est toujours suivi d'un nom de localité bien précis qui n'est pas nécessairement ce que j'appelle un village. Les noms de lieux seulement sont utilisés par les Rukuba pour définir leur univers spatial — et très souvent sociologique — et il m'a fallu maîtriser une quantité impressionnante de noms de lieux avant d'entrevoir un peu de lumière sur l'organisation sociale (voir carte 1 et figure II). Quand un village comprend des groupes des deux moitiés sur son territoire, la population majoritairement d'une moitié ne forme qu'un groupe alors que les résidents de la moitié minoritaire peuvent en former plusieurs. Ces groupes minoritaires ont aussi un nom et sont aussi différenciés pour les questions maritales. Le ou les groupes minoritaires sont aussi nommés, à l'intérieur du village, iyminace (plur.), oviace (sing.), ce qui signifie littéralement « enfants des Rukuba ». Les membres minoritaires sont communément appelés les « épouses » du groupe dominant. Cette analogie conjugale est poussée plus loin dans certains villages où les groupes minoritaires, les « épouses », appellent les membres du groupe dominant irjminatut, les « enfants de l'époux ». Ces groupes minoritaires ont la fonction d'assistants rituels et seront désignés comme tels par la suite. Pour se conformer aux règles du mariage un individu apprend dans quelle relation maritale se trouve son groupe vis-à-vis des groupes majoritaires de chaque village. Sa relation avec les assistants rituels sera l'inverse. Les Rukuba expliquent très souvent leur système marital dans l'abstrait en disant qu'aux endroits où ils peuvent épouser des jeunes filles non encore mariées ils ne peuvent épouser des femmes mariées et, corrélativement, qu'aux endroits où ils peuvent épouser des femmes mariées, uwa, en

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LA SOCIÉTÉ

ET SON ORGANISATION

DIAGRAMME DU SYSTÈME DE MARIAGE

Mariage primaire autorisé. Toutes les f i l l e s de A se marient en B et vice-versa. Mariage secondaire autorisé. Les membres d'un groupe A peuvent contracter des mariages secondaires avec les femmes mariées dans les autres groupes A. L'inverse s'applique à B.

o

Unité preneuse d'épouses.

FIG.

II

A

SOCIALE

MARIAGE

ET

TERRITOIRE

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STRUCTURE DU VILLAGE EN RELATION AVEC LE MARIAGE

Mariage primaire autorisé. Mariage secondaire autorisé. Délinéation des clans. O

Sous-clans. Les relations prémaritales sont autorisées entre les sous-clans de la même moitié à l'intérieur du village.

FIG.

II

B

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LA

SOCIÉTÉ

ET

SON ORGANISATION

SOCIALE

mariage secondaire, ils ne peuvent épouser des jeunes filles, kituy, en mariage primaire. Il existe encore une autre façon d'expliquer les contingences matrimoniales en termes géographiques parce que la population est répartie en trois sections géographiques distinctes, Kinedik, Kikala et Ujja. A Kinedik, la moitié A de ma classification prédomine alors que les B sont majoritaires dans les deux autres. Ainsi lorsqu'on demande à un homme de Kinedik où il prend ses épouses en mariage primaire, il dira le plus souvent qu'il les prend à Kikala ou à Ujja. Les assistants rituels de Kinedik prennent la position opposée et disent habituellement qu'ils épousent des jeunes filles dans les villages voisins appartenant à leur division géographique mais ils ajoutent qu'ils peuvent en faire de même avec les assistants rituels d'Ujja et de Kikala. Les règles du mariage secondaire sont exprimées d'une manière inverse ; par exemple un homme de Kinedik dira qu'il prend ses épouses secondaires dans les autres villages de Kinedik et parmi les groupes d'assistants rituels de Kikala ou d'Ujja, etc. Il n'y a aucun sentiment d'appartenir à l'une ou l'autre des moitiés. La division en moitié résulte de la manière dont l'opposition entre la possibilité d'épouser des jeunes filles non encore mariées et des femmes déjà mariées est conçue par les Rukuba. Les moitiés ne sont pas des groupes de corporation et les membres d'une moitié n'ont pas le sentiment d'avoir une origine commune. En fait, les traditions orales des Rukuba, que nous n'aborderons pas ici, ne font aucune référence, explicite ou implicite, aux moitiés. Du point de vue d'un individu, son univers marital se compose de son unité preneuse d'épouses où il ne peut se marier et d'un nombre d'endroits où il peut épouser des jeunes filles en mariage primaire et d'un nombre d'autres endroits où il peut se procurer une épouse secondaire, les deux types de mariages étant mutuellement exclusifs. Le sex-ratio, tiré du registre des impôts, est de 1,034 femme par homme. Ainsi ce n'est pas un manque global de femmes qui peut expliquer la pratique du mariage secondaire. Un écart démographique entre les moitiés pourrait peut-être l'expliquer ; la moitié la plus populeuse serait à court de femmes pendant un certain temps et pourrait pratiquer le mariage secondaire lors de son déclin démographique dû au manque de femmes alors que la moitié numériquement la plus faible s'accroîtrait rapidement, jouissant de toutes les filles de la moitié la plus populeuse qu'elle est autorisée à épouser. Un équilibre serait restauré ainsi très rapidement. Une telle idée est loin d'effleurer la pensée rukuba ; la simple mention d'un écart démographique est niée par les Rukuba des deux moitiés qui disent qu'il n'y a jamais eu de difficultés à se procurer des épouses primaires. Il se peut toutefois qu'il y ait un écart mais, si tel est le cas, il n'est pas significatif. Malheureusement il me fut impossible de vérifier complètement ce point, le recensement officiel ne faisant pas explicitement état des moitiés. Mes estimations, tirées des noms de lieux du registre des impôts (dont on connaît toujours la moitié) donnent un chiffre de 4 853 personnes de la moitié A de ma classification et

MARIAGE

ET

TERRITOIRE

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5 303 de la moitié B. Il est donc bien clair que la disparité, si disparité il y a, n'est pas significative et ne pourrait expliquer l'origine, ou la perpétuation, du système de mariage.

STRUCTURE DU VILLAGE ET DU CLAN

Nous devons maintenant tourner notre attention vers l'analyse de la structure du village en examinant en premier lieu l'organisation du groupe exogame majoritaire (Annexe I). Ce groupe est divisé en un certain nombre d'unités, généralement localisées, que j'appelle clans par manque d'un terme plus approprié et que les Rukuba nomment unko. Ce terme a plusieurs significations et peut inclure, dans des conversations, des agnats putatifs à différents niveaux de la structure sociale rukuba mais la signification la plus usuelle englobe toutes les personnes qui sont politiquement et rituellement sous la juridiction du chef de clan à l'intérieur de la structure du village. Le chef de clan, appelé atiko ou atiako, littéralement « le père des maisonnées », doit accomplir pour le bénéfice de son clan tout entier les rituels agraires annuels appelés iwyure. En outre, la plupart des chefs de clan doivent accomplir différentes fonctions pour le bénéfice soit du village dans son entier soit pour leur unité preneuse d'épouses lorsque le village ne coïncide pas avec une unité preneuse d'épouses. Chacun de ces offices est distinct et ils sont complémentaires au niveau du village. Le chef de clan est aussi appelé atiko iwyure, d'après les rituels qu'il doit, en principe, effectuer obligatoirement, ou atiko ata, « Y atiko des pierres », en connexion avec l'autel de pierres sacrées sur lequel se déroule une partie des rituels agraires. Les membres du clan se disent agnats mais sans pouvoir ni étayer leurs dires par des généalogies ni se référer à un quelconque ancêtre apical ; il n'y a pas de termes pour désigner les ancêtres qui sont appelés banati, terme qui signifie « les pères » ou « le groupe des pères ». L'agnation est sous-entendue et comme les généalogies sont courtes on ne peut pas parler de descendance au sens usuel du terme. L'organisation sociale des Rukuba est caractérisée, au niveau de la parenté, par la patrifiliation et la matrifiliation cumulatives sans que la descendance unilinéaire n'y joue aucun rôle. Les prérogatives politiques d'un chef de clan sont d'arbitrer les disputes survenant entre les membres de son clan et, si une entente ne peut se faire, il doit soumettre le cas au chef de village. En cas de litige inter-clan, le chef de village arbitre ou passe jugement, les chefs de clans des deux parties étant présents pour appuyer leurs administrés. Tous les clans du groupe majoritaire exogame d'un village disent souvent qu'ils sont « un seul peuple » et que leur groupe a été divisé, gap, en clans par leurs prédécesseurs. Mais un sentiment d'agnation commune n'est pas une condition nécessaire pour appartenir à une unité preneuse d'épouses ou au groupe majoritaire d'un village : si on laisse de côté le cas des enfants « adoptés », que nous verrons plus loin, des clans entiers sont d'origine étrangère.

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ET SON ORGANISATION

SOCIALE

Dans un cas au moins un clan consiste en descendants d'un groupe provenant d'une autre tribu, groupe qui fut incorporé dans le groupe exogame majoritaire. Un clan occupe généralement une partie définie du village. La contiguïté spatiale n'est cependant pas une règle absolue mais les clans tendent, néanmoins, à être localisés en agglomérations de plusieurs habitations, appelées kiko (sing.), ako (plur.), « maison », un terme que je transcris par « concession ». Dans notre terminologie, une concession est caractérisée par une seule porte à travers laquelle tous les habitants doivent passer pour y entrer ou en sortir. Les concessions peuvent être très proches les unes des autres et former des touts compacts assez importants. Ceci est rare toutefois et ces agglomérations ont le plus souvent plusieurs entrées et peuvent comprendre des concessions de plusieurs clans. Les membres d'une concession peuvent habituellement se réclamer d'un même ancêtre commun et tracer leurs généalogies mais ceci n'est pas nécessaire. Comme les Rukuba n'essayent pas de se souvenir de leurs liens généalogiques au-delà de la génération des grands-parents, l'agnation est simplement sentie comme très proche entre les membres d'une même concession lorsque les généalogies sont manquantes. Les mêmes concessions sont utilisées génération après génération, des huttes supplémentaires étant ajoutées au besoin pour absorber l'accroissement démographique. Les huttes laissées vacantes par un décès sont réoccupées après quelques années si elles sont encore en bon état sinon une nouvelle hutte est érigée sur le site de l'ancienne. Lorsqu'il n'est plus possible d'étendre une concession, les membres en surplus s'en vont à quelque distance et en bâtissent une nouvelle. Un clan, dans son aspect résidentiel, est composé d'un certain nombre de concessions qui s'adressent en dernier ressort pour certaines affaires judiciaires et rituelles à ce que l'on considère comme la concession aînée du clan. A côté ou dans cette dernière se trouve la hutte servant aux rituels agraires ainsi que l'autel de pierres sacrées du clan, ces dernières comprenant le plus souvent deux pierres dressées qui distinguent cet autel de pierres de ceux que peuvent avoir certaines concessions situées plus loin. La population en résidence dans un clan varie beaucoup. La population résidente des clans les plus importants est donnée ci-dessous : Clan Atashen Kahi Kishitito Kahi Usiri Kagitik Kugunkusuk Ukavu Ukaya

Village Kakkek Egbak Egbak Kishika Kishika Imbop Imbop Ebande Ebande

Population résidente

112 260 237

215 211 251 241 179 170

Adultes mâles

27 66

98 74 59

65

45 59

72

MARIAGE

ET

TERRITOIRE

31

Elle comprend les membres résidents, hommes et femmes, ainsi que les épouses des membres du clan. Ces chiffres ont été tirés du registre des impôts et comportent certaines erreurs parce qu'on peut trouver ici et là quelques concessions d'assistants rituels qui ont été inclus dans le clan à des fins administratives. Un de ces groupes se trouve à Kahi Kishika et un autre à Kahi Imbop. Ukaya et Ukavu abritent aussi une ou deux de ces concessions. Toutefois ces groupes ne s'élèvent pas à plus de dix personnes chacun. On aura peut-être remarqué que quelques noms de clans se retrouvent dans différents villages. Ceci est dû au fait qu'ils tirent leur nom de l'emplacement de la concession aînée ou de quelque particularité de l'environnement topographique ou de la couverture végétale ambiante. Certains de ces noms peuvent aussi avoir une connotation sociologique : Kahi signifie « place de danse » et comme l'on danse devant la maison du chef, le clan du chef de village est souvent désigné ainsi. Aban signifie « rocher plat » et Kuban est son pluriel. Kissaloy tire son nom de iloy, le caroubier, Asisan le tire de isan, autre espèce végétale. On pourrait multiplier les exemples. Cette manière de désigner les noms de lieux d'après des caractéristiques topographiques ou botaniques se retrouve jusqu'au niveau des concessions qui possèdent chacune un nom. Il est intéressant de noter que les anciens noms ont persisté malgré les récentes migrations des Rukuba sur leurs champs de brousse.

LE

SOUS-CLAN

Un clan peut avoir plusieurs subdivisions internes. Plusieurs concessions qui se disent agnatiquement « proches » forment ce que j'appelle un sous-clan et que les Rukuba nomment unko kiko. Un sous-clan comprend toutes les personnes qui sont liées entre elles par la prohibition de contracter des relations prémaritales en raison de leur proche agnation, agnation qui n'est pas mieux documentée que dans le cas d'une concession comprenant plusieurs lignées sans relations généalogiques. On enseigne aux enfants les diverses concessions où ils ne peuvent avoir de relations prémaritales 1 . Il n'y a pas de chef du sous-clan en tant que tel mais la concession aînée du sous-clan possède toujours un autel de pierres sacrées sans toutefois posséder les deux pierres dressées qui sont l'apanage de la concession aînée du clan. On affirme souvent qu'une ou deux de ces pierres ont été prises à l'autel du clan si le sous-clan est directement originaire de la concession aînée, ou à l'autel du sous-clan dont la concession est dérivée. A l'intérieur du 1. U n sous-clan est composé de plusieurs patrilignées qui se disent très proches mais qui ne p e u v e n t pas le prouver généalogiquement : au contraire, une patrilignée comprend tous les descendants agnatiques issus d'un ancêtre commun situé deux, rarement trois, générations plus h a u t que celle des membres v i v a n t s les plus âgés du groupe.

32

LA SOCIÉTÉ

ET SON ORGANISATION

SOCIALE

sous-clan on trouve aussi souvent des concessions qui ont des autels de pierres pour les offrandes rituelles si elles ne sont pas établies près de la concession parentale. Il se peut aussi que les membres d'un clan affirment que les sous-clans tels qu'ils sont constitués aujourd'hui étaient déjà présents sous cette forme à l'époque de leur établissement dans le territoire actuel après la migration rukuba. Les membres du sous-clan se rencontrent ensemble à la concession aînée pour accomplir certains rites mineurs du rituel de l'aso. Il faut noter ici que les relations prémaritales peuvent toujours exister entre clans mais ne peuvent pas toujours se réaliser à l'intérieur d'un clan, spécialement dans les petits villages où les clans peuvent, au point de vue des relations prémaritales, être assimilés à un sous-clan, les membres du clan, peu nombreux, alléguant une agnation très proche. A partir du registre des impôts, avec l'aide d'aînés et de mes propres recensements, j'ai tenté de donner les chiffres moyens relatifs aux membres résidents des sous-clans. Ces chiffres sont donnés ci-dessous. Village clan, ou groupe d'assistants rituels

Nombre de sousclans inclus

Population totale

Population moyenne par sous-clan

Kaza (village) Kisanshi (village) Azaguru (assistants rituels) Asinshit (clan) Atashen (clan) Kumyen (village)*

6 (tout le village) 5 (tout le village)

66 257

11 42,83

3 2 3 3

173 86 112

57.66 43 37.30

85 202 198

28,33 30,80 39.60

Imbop (village) Katakucip (clan)

(tout le groupe) (tout le clan) (tout le clan) (moitié majoritaire) 9 (échantillon) 5 (tout le clan)

* Je n'ai pas inclus le groupe d'assistants rituels de Katabintu dans le recensement de Kumyen. C'était à l'époque un groupe moribond ne consistant qu'en une famille.

Je donne ci-dessous un exemple d'un clan et de ses sous-clans. Le clan choisi est celui de Katakucip. La distribution géographique des concessions est donnée à la carte 2 et les membres des différentes concessions sont donnés à la figure III. Katakucip est un des deux clans d'Inango, un des groupes d'assistants rituels du village de Kakkek. Le chef politique et rituel d'Inango vient de l'autre clan d'Inango, Angirik. Katakucip est nominalement le groupe d'assistants rituels d'Asire, le clan du chef du village de Kakkek alors qu'Angirik est le groupe d'assistants rituels de ce qui reste du village d'Uniu. En plus, Katakucip possède un rituel curatif, pratiqué par seulement trois clans d'assistants rituels dans la tribu rukuba tout entière, rituel relatif aux blessures de léopard. Le clan possède aussi un traitement pour soigner les brûlures et les fractures.

MARIAGE

ET

TERRITOIRE

33

CLAN DE KATAKUCIP

3

LA SOCIÉTÉ

ET SON ORGANISATION

SOCIALE

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Demeure ovec mari i préférentiel

Retour au 1er mari non préférentiel Retour

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1er mari » mari préférentiel

j 3e mariage secondaire

X

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> Retour au 1er mari non préférentiel

> 2 e mariage secondaire

> Retour au 1er mari secondaire

> Mariage secondaire Retour

X

1er mari • non préférentiel

3e mariage , secondaire

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