Centrafrique 1993-2003: La politique du changement d'Ange Félix Patassé 229656920X, 9782296569201

Pourquoi et comment Ange Felix Patassé a-t-il sombré dans le tragique avec des conséquences funestes pour la République

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French Pages 282 [269] Year 2012

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Centrafrique 1993-2003: La politique du changement d'Ange Félix Patassé
 229656920X, 9782296569201

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CENTRAFRIQUE 1993-2003 La politique du Changement d’Ange Félix Patassé

Études Africaines Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa

Dernières parutions Elliott Anani SITTI, Investir en Afrique pour gagner, 2012. Edgard GNANSOUNOU, En finir avec le franc des économies françaises d’Afrique, 2012. Philippe NKEN NDJENG, L’idée nationale dans le Cameroun francophone, 1920-1960, 2012. Pierre Esaïe MBPILLE, Les droits de la femme et de l’enfant : entre universalisme et africanisme, 2012. Michel BOURGEOIS, Senghor et la décolonisation. Radio Dissóó, la révolte paysanne, 2011. Abderrahmane M’ZALI, La coopération franco-africaine en matière de Défense, 2011. Aly Gilbert IFFONO, Naître, vivre et mourir en pays kisi précolonial, 2011. E. Libatu LA MBONGA, Espoirs déçus en République démocratique du Congo, 2011. Paulin KIALO, Parcs nationaux et diplomatie environnementale au Gabon, 2011. Justine DIFFO TCHUNKAM, Droit des activités économiques et du commerce électronique, 2011. Kouadio A. ASSOUMAN, Le rôle des Nations Unies dans la résolution de la crise ivoirienne. Tome 1 : Soutien aux initiatives françaises et africaines. Tome 2 : Soutien à l’accord politique de Ouagadougou, 2011. Adrien DIAKIODI, La société kongo traditionnelle. Modèle pour l’Union africaine, 2011. Divine Edem Kobla AMENUMEY, Les Éwé aux temps précoloniaux. Une histoire politique des Anlan, des Guin et des Krépi, 2011. Joseph ITOUA, Otwere et justice traditionnelle chez les Mbosi (Congo-Brazzaville), 2011. Alfa Oumar DIALLO, Pratiques et recherches éducatives en chimie en Guinée-Conakry, 2011.

Clotaire SAULET SURUNGBA

CENTRAFRIQUE 1993-2003 La politique du Changement d’Ange Félix Patassé

Préface de Mathias Gonéyo-Répago Postface de Dédé Massamba

Du même auteur Plaidoyer pour l’initiation et la vulgarisation scientifiques en Centrafrique Cahiers du Centre Protestant pour la Jeunesse-Banguinovembre 1982 Assumons notre centrafricanité, ici et maintenant… sozoala.com, janvier 2005 Pour une nouvelle approche du développement en Afrique Afrique Diagnostic, mensuel N° 506-Paris- juin 2005 Les « laïcités africaines » face au défi de l’intégration Présence africaine et valeurs républicaines : Apport des Groupes et Eglises issus de l’immigration Colloque Eglises et Immigration - Paris, mars 2006

© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-56920-1 EAN : 9782296569201

Je dédie cette œuvre... ...à mon regretté père, Michel SAULET, brave fils de Mbindo, dans la sous-préfecture de Satéma, préfecture de la Basse-Kotto, ...à ma regrettée mère, Pauline KOUGUET, brave fille de Kaga - Bandoro, dans la préfecture de la Nana-Grébizi, ...à toute la Famille Zin Monga, ...à toutes les victimes innocentes de la folie humaine en Centrafrique.

PRÉFACE A la lecture de cet opuscule riche en enseignements à la fois historiques et pédagogiques, on pourrait accorder crédit à l’assertion de cet homme : les sciences mènent à tout. En effet, venu du fin fond d’études scientifiques, féru des équations de Maxwell, des lois de Newton ou du théorème de Pythagore, l’auteur, Clotaire Saulet Surungba, refuse pourtant de se cantonner dans son domaine de prédilection, les sciences physiques. Depuis des décennies, tel un fouineur indécrottable, il comptabilise, dissèque, analyse les moindres évènements attenant à l’histoire de notre pays, la République centrafricaine. Il accroche tout, voire les histoires que d’aucuns qualifieraient volontiers d’épiphénomènes. Son vieux carnet décrépit, aux pages noires et saturées de griffures multicolores, contient une floraison de faits et gestes de nos concitoyens, du césar à la tête chargée de couronne au paysan dépenaillé. Nous y voyons aussi défiler la colonisation, le travail forcé, la lutte de libération, l’indépendance, la liberté, la trahison, la mal gouvernance, la désillusion, la révolte, bref, la marche à pas cadencés mais trop souvent tragique de notre peuple. Nous voyons émerger de l’ombre des figures mythiques, Baram Bakeï, Karinu, SambaNgoto, Zin Monga, Rafai, Senoussi, Bangassou, Boganda, Goumba ; d’autres, ubuesques mais tyrannique : Bokassa, d’autres encore, bellicistes, éminemment tribaliste mais revêtu du manteau de populisme : Patassé. Toujours dans ce carnet décrépit, on croise le destin mipacifiste, mi-mystique d’un certain Kolingba et celui plus folklorique de Bozizé, confondant les épitres de Paul aux articles de la Constitution. Un ramassis d’individus dont certains auraient dû n’avoir jamais existé, mais qui, hélas, marquent à jamais l’histoire de notre pays d’un sceau indélébile. Dans Centrafrique 1993-2003. La politique du Changement d’Ange Félix Patassé, Clotaire Saulet Surungba s’efforce de faire œuvre d’historien quand bien même certains passages

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cachent mal ses relents partisans. Nous l’excuserons en essayant pour notre part de nous attacher uniquement à sa démarche rigoureuse et qui consiste à remonter à la source des évènements pour ensuite les disséquer point par point. Il s’intéresse ici à la période s’étalant de 1993 à 2003, la décennie du règne d’Ange Félix Patassé. Il essaie autant que faire se peut, de comprendre comment cet homme, élevé au rang des dieux par ses partisans, a pu sombrer dans le tragique avec les conséquences funestes que nous connaissons encore aujourd’hui, à savoir, l’insécurité permanente avec la prolifération des groupes armés et des rebellions étrangères qui ont élu domicile en terre centrafricaine. Clotaire Saulet Surungba prend pour point de départ, un quiproquo ou plutôt, la dualité de l’homme Patassé, tribun rompu, mais aussi démagogue et menteur des plus achevés. Face à des paysans incultes, n’importe quel escroc à la verve facile pourrait apparaître comme le messie. Ce fut le cas en 1993, une année où tous les compteurs économiques de la RCA furent remis à zéro après trois ans de conflits larvés ponctués par des marches, sit-in et grèves. De tout le gratin politique qui promettait monts et merveilles, Patassé apparaissait comme le seul faiseur de miracles. Lui-même se disant descendant des anges et donc, envoyé de Dieu, il n’en fallait pas plus pour que les laissés pour compte fasse de lui leur porte étendard. L’auteur qualifie la période post électorale d’euphorique, période où toute hache de guerre était enterrée et où, syndicats, ouvriers, patrons, hommes politiques fumaient le calumet de la paix. On chantait l’hymne à la concorde nationale, chacun calculait déjà les millions de CFA qui tomberaient à la fin de chaque mois dans sa corbeille. Le président Patassé avait récupéré la machine à sous cachée au Cameroun, et l’avait installée à Fouh, au fin fond du quartier. Marabéna servait de grand argentier et à chaque meeting, comptabilisait les grosses coupures qu’on acheminerait bientôt à la Bourse du travail, là où les braves travailleurs tout euphoriques battaient le tamtam…Même les paysans dansaient dans les champs après la promesse de versement des prébendes de leurs récoltes de coton

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et café. L’euphorie, cette illusion de plénitude où l’on se prélasse dans un état de jouissance sans borne, au-delà de l’espace et du temps, totalement déconnecté du réel. 1993, année de bonheur, année de rêve pour un peuple à qui on avait tout promis. Et le rêve se transforma en cauchemar. Clotaire Saulet Surungba nous fait revivre pas à pas cette grande désillusion après seulement une année des élections. Désenchantement des travailleurs lassés des promesses fumeuses du ‘‘grand camarade’’ Patassé, accumulation de trois nouveaux mois d’arriérés de salaires en sus des onze du précédent régime, recrutement et promotion dans la fonction publique sur des bases régionalistes, d’appartenance au parti MLPC ou au syndicat OSLP. Du côté des scolaires, la bourse des étudiants, qualifiée par le messie de goutte d’eau, se transformait en marécage de sable mouvant. Les coupeurs de route et autres bandits de grand chemin paradaient au grand jour, rançonnant et détroussant sans vergogne les pauvres voyageurs. Et, pour couronner le tout, l’éclatement de l’Armée par la volonté délibérée de renvoyer dans leur foyer tous les éléments issus des régions sud, sud-est et centre du pays. Ce qui déclencha en 1996 la série de mutineries et acheva de consumer le maigre tissu de l’unité nationale. Dans une analyse méthodique, emprunt d’accent patriotique, Clotaire Saulet Surungba nous fait entrer dans l’univers sombre de la politique. Nous revivons avec lui notre propre histoire, celle à laquelle nous avons participé, parfois à notre corps défendant. Nous y prenons notre part de responsabilité, nous y assumons notre part d’acteur ou de simple spectateur. Nous nous sentons interpellés dans notre for intérieur, parfois par notre silence coupable, notre trahison ou encore notre implication directe dans certains évènements décrits dans l’ouvrage. L’erreur fatale aura été d’avoir placé à la tête de l’état un homme que nous savions issu du sérail de Bokassa, un individu qui, pendant douze ans, a partagé toutes les frasques du tyran,

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un individu qui a traversé toutes ces années de crimes d’état sans une égratignure. Il fallait se voiler la face pour ne pas voir dans les yeux de cet homme les prémisses de l’holocauste qu’il préparait. Le réveil a été douloureux. C’est justement ce péché que Clotaire Saulet Surungba a voulu jeter à la conscience de chaque Centrafricain tout en proposant une autre voie possible du développement à travers ce qu’il appelle le Changement endogène. Chacun appréciera. Mathias Gonéyo-Répago Ecrivain, journaliste

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PROLOGUE L’histoire de la République centrafricaine indépendante peut être décomposée en trois grandes périodes, caractérisées par des manifestations de liesse populaire suivies d’une grande désillusion. La première période, celle de l’euphorie de l’Indépendance dans l’interdépendance, a été marquée par la signature, en juillet 1960, des accords non négociés de transfert de compétences et de coopération avec la France. Le territoire de l’OubanguiChari venait d’accéder à la souveraineté internationale depuis le 1er décembre 1958, sous l’appellation de République centrafricaine. Du début des années 60 au début des années 90, en passant par la fin de la monarchie anachronique de 1976-1979, le nouvel Etat qui a perdu sa boussole le 29 mars 1959 par la disparition tragique de son Fondateur, Barthélemy Boganda, n’a pas pu s’asseoir sur des bases qui consolident l’avènement d’un état de droit. Trente années n’auront pas suffi à sécher les larmes de tous ceux et de toutes celles qui, dans le plus grand anonymat, s’emploient à donner vie à cette terre bénie des dieux et que la folie des hommes ne cesse d’inscrire sur la voie du non - développement… La deuxième période a été celle des élections pluralistes de septembre 1993. Ces dernières consultations ont été accueillies avec un très grand espoir. Espoir de corriger fondamentalement la manière de conduire un pays qui s’est donné démocratiquement un Président de la République. Pour le peuple, le 1er janvier 1966 qui a vu l’arrivée du colonel Jean-Bedel Bokassa, le 21 septembre 1979 avec l’opération Barracuda qui a remis en selle David Dacko, tout comme le 1er septembre 1981, apparition du Comité militaire de redressement national (CMRN) avec le général André Kolingba, sont apparus dorénavant comme des méthodes que le pays s’était décidé de renvoyer aux oubliettes, pour rentrer fièrement dans le concert des nations démocratiques. Mais ce « CHANGEMENT » qui devrait permettre au pays de s’engager avec efficacité dans la guerre économique dont les prémices auront été la dévaluation du

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CFA en janvier 1994, n’a été qu’un mirage…Durant dix années, la République centrafricaine a défrayé la chronique avec son cortège de discours pseudo - révolutionnaires, pseudo -panafricanistes entraînant dans son sillage assassinats, empoisonnements des opposants politiques et des citoyens de la société civile, et ne s’arrêtant devant aucun scandale politico-financier. Très tôt, l’euphorie du « CHANGEMENT » a tourné au cauchemar… Troisième période. L’entrée triomphale à Bangui des Libérateurs avec le général François Bozizé Yangouvonda. Depuis le 15 mars 2003 et l’euphorie de la Transition consensuelle, où va le Centrafrique dans sa quête perpétuelle ? Se dirige-t-on vers une troisième ou quatrième désillusion ? Dans cet aperçu historique, je me propose d’apporter une contribution à la compréhension de certains faits qui, hélas, justifient encore aujourd’hui l’absence de notre pays sur l’échiquier international. Je voudrais surtout faire écho à tous ceux qui ont perçu très tôt l’homme Patassé comme le facteur déterminant de toute politique ségrégationniste en Centrafrique et expliquer ainsi son échec à la tête du pays. Je ne suis pas un historien patenté pour prétendre fixer pour l’avenir, tout un pan de l’histoire du Centrafrique. Toutefois, je m’en voudrais, en tant que citoyen responsable, de ne pas témoigner de ce que j’ai vu, de ce que j’ai entendu, de ce que j’ai perçu et modestement fait. « Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements ». Tout en partageant cette pensée d’Honoré de Balzac, j’affirme tout de suite que je n’ai nullement l’intention de remuer le couteau dans une plaie qui se cicatriserait, ni aller à contre-courant des efforts que nous devons tous entreprendre pour parvenir à une véritable réconciliation nationale. Ma préoccupation est celle d’un citoyen lambda qui veut lutter contre l’oubli, lutter contre le mensonge et lutter contre la manipulation ou toute forme de revisionnisme. A ma manière... Car, comme le dit le poète américain Santayana, tout peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre. J’ai voulu enfin répondre à l’appel de toutes ces personnes qui, à la lecture de « Devoir de mémoire » publié en janvier

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2005, ont souhaité une large diffusion de ce texte en un petit livre. Qu’il me soit permis de les remercier encore une fois de plus ici pour leurs soutiens et témoignages, notamment sur le site « centraficanophile » Vouko Moundjou1 à cette occasion. J’ose également apporter quelques éléments de réponse aux multiples interrogations que d’aucuns se poseraient sur certains évènements qui ont ponctué la décade 1993-2003, règne de Patassé en Centrafrique. Que ces pages puissent informer davantage sur quelques aspects de la gouvernance de Patassé avec son parti le MLPC qu’une conception de la social-démocratie dans le contexte centrafricain, a contribué à la destruction du pays à tous les niveaux. Gageons que Martin Ziguélé, ancien et dernier Premier ministre de Patassé, saura se départir radicalement de cette « social-démocratie des Tropiques » dans son action de reconstruction de ce parti, car les mêmes causes ont toujours produit les mêmes effets… 1

Louis Gelin, administrateur du site www.sozoala.com et ami du Centrafrique et des Centrafricains, a adopté le surnom de Vouko moundjou qui signifie littéralement en sango, noir blanc ou mieux, ‘‘blanc dehors noir dedans’’. A l’origine, l’expression Moundjou vouko ou ‘‘noir dehors blanc dedans’’ que les linguistes puristes écrivent Munzu vuko, signifie littéralement, blanc à la peau noire. Comme l’indique Jean -Bosco Péléket dans « Bambari, pour une nouvelle capitale de la RCA-Paris, juillet 2003 », les Ngbandi ont utilisé ce sobriquet pour affubler les miliciens et les supplétifs Noirs au service des colons dans les années 1910. Ces Munzu vuko étaient aussi brutaux et arrogants à l’égard des populations autochtones que les colons en quête de caoutchouc, de l’or ou du diamant. Le sens de l’expression a évolué par la suite et sont appelées « Munzu vuko », toutes ces personnes d’origine centrafricaine qui ont fait des études et, au lieu de préserver une identité propre, s’emploient à singer le blanc, en raison de l’acculturation. Louis Gelin a inversé les termes de cette expression en Vouko moundjou ou Vuko munzu.

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CHAPITRE I Le fou du roi Le 16e Sommet des Chefs d’Etat de France et d’Afrique de juin 1990 de La Baule a mis l’accent sur les défis que devra relever l’Afrique au cours de la dernière décennie du 20ème siècle. En dehors du sempiternel problème de développement, l’un de ces défis a été la Démocratie et le président François Mitterrand, en liant l’aide à la démocratisation des régimes de partis uniques africains, a apporté un appui implicite aux démocrates du continent… En République centrafricaine, le régime du général André Kolingba avait proclamé une adhésion de principe à un pluralisme politique et syndical. Le caractère « multi tendanciel » du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), obtenu au congrès de Berberati, constituait ce virage. Sur le plan syndical, à la Confédération nationale des travailleurs de Centrafrique (CNTC) qui a survécu durant la trêve imposée par le Comité militaire de redressement national (CMRN) en 1981 sont venues s’ajouter l’Union syndicale des travailleurs de Centrafrique (USTC), la Confédération chrétienne des travailleurs de Centrafrique (CCTC) et la Confédération syndicale des travailleurs de Centrafrique (CSTC). Le paysage politique va s’étoffer avec la réactivation du Front patriotique Oubanguien-Parti du travail (FPO-PT) devenu Front patriotique pour le progrès (FPP), du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), de l’Union pour la démocratie centrafricaine (UDC), du Pardi social-démocrate (PSD), du Mouvement de l’évolution sociale en Afrique Noire (MESAN), du Mouvement pour la démocratie, l’indépendance et le progrès social (MDI-PS), de l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP), du Forum civique (FC), de la Convention Nationale (CN), du Mouvement démocratique pour la Renaissance de Centrafrique (MDREC) et d’une multitude de petits partis et associations politiques dont l’Effort Libéral en Afrique Noire (ELAN)…

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Partout en Afrique, la « conférence nationale souveraine » va apparaître comme la voie incontournable pour parvenir à une véritable démocratie. Pourtant, en 1980 déjà, le génie centrafricain avait initié le « séminaire national de réflexion », véritable « conférence nationale souveraine »…En effet, la République centrafricaine, restaurée après l’Opération Barracuda qui a mis un terme à la monarchie constitutionnelle de Bokassa 1er, s’est engagée déjà sur la voie de la démocratie et de l’état de droit, objectifs de ces conférences nationales souveraines… Pour le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), ses alliés d’une partie de la société civile et du Forum civique (FC) du général Timothée Maléndoma, le grand débat national était le type de forum approprié, au regard de la spécificité du contexte politique centrafricain. L’opposition politique radicale, la société civile et les travailleurs organisés dans les centrales syndicales, vont engager des luttes pour l’instauration de la démocratie. Le cadre de travail et de lutte a été le Comité de coordination pour la convocation de la conférence nationale (CCCCN ou 4CN). Le CCCCN, présidé par Aristide Sokambi et appuyé par la communauté internationale - comme en témoigne la forte implication de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Bangui, Simpson, muté plus tard au Zaïre de Mobutu -, s’est employé à tout mettre en œuvre pour faire échec à la tenue du grand débat national (GDN). En cette matinée du samedi 1er août 1992, la République centrafricaine allait vivre un moment capital de son existence. Depuis la vague des conférences nationales souveraines qui avaient balayé plusieurs régimes politiques sur le continent africain, le pouvoir vacillant du général André Kolingba tenait à se démarquer d’une sorte de « suivisme politique » en vogue, en inaugurant le grand débat national. Ce forum national que d’aucuns avait baptisé, « grand dégât national », comme pour conserver le sigle « GDN », avait été la réponse du pouvoir de Bangui à l’opposition politique qui réclamait depuis des mois, la tenue d’un « séminaire national de réflexion bis » à savoir, une conférence nationale souveraine. Il convient de rappeler que Jean-Paul Ngoupandé avait été le premier Secrétaire

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exécutif du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), le parti du général André Kolingba, instigateur de ce forum national. Toute la classe politique centrafricaine et la société civile s’étaient données rendez-vous dans cette partie de la ville de Bangui qui englobe la cité OCAM abritant le ministère des affaires étrangères, l’université de Bangui, le stade Barthélemy Boganda, la Bourse du travail et les vestiges du stade omnisports, siège du couronnement de l’empereur Bokassa 1er. L’avenir du pays allait se jouer dans ce quadrilatère irrégulier délimité par l’avenue des Martyrs, l’avenue de France, l’avenue de l’Indépendance et la bretelle joignant l’avenue des Martyrs à l’avenue de l’Indépendance et qui passe au niveau du Centre national de basket-ball "Martin Ngocko". Cette zone, en l’espace d’une matinée, rassemblait tout le gratin de ce que le pays comptait comme militants politiques, militants associatifs, hommes et femmes d’églises, militaires et gendarmes…Les plus hautes autorités de l’Etat, toute la société civile ainsi que les centrales syndicales proches du pouvoir ou de l’opposition s’affrontaient à distance, les unes en participant à la cérémonie d’ouverture du grand débat national à l’intérieur de la grande salle de conférence du ministère des affaires étrangères, les autres, en manifestant contre cette rencontre, aux alentours de la Bourse du travail et du palais omnisports… Ce fut à l’appel du Comité de coordination pour la convocation de la conférence nationale souveraine (CCCCN) que les travaux du grand débat national, présidés par Jacques Mbosso qui avait eu à conduire la phase préparatoire, allait donner lieu à cette surchauffe politique en ce premier jour du mois d’août… Après des semaines de travail préparatoire pour les uns et de lutte pour faire capoter la tenue des travaux du grand débat national pour les autres, le camp de l’opposition politique modérée et une partie de la société civile s’étaient retrouvés aux côtés du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) et de l’administration dans la grande salle de l’hémicycle des affaires étrangères. Les membres de l’opposition radicale et l’autre partie de la même société civile étaient maintenus à quelques encablures du lieu de ce forum national par les forces

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de l’ordre. Une marée humaine avait pris d’assaut la Bourse du travail jusqu’au niveau de l’immeuble de la société centrafricaine des télécommunications (SOCATEL). La circulation automobile et autres étaient perturbées sur la portion de l’avenue de France, bordée de part et d’autre par l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), la Faculté de théologie évangélique de Bangui (FATEB) et le palais des sports. Le déploiement des éléments de l’escadron blindé autonome (EBA), les redoutables « bérets bleus », ne laissait aucun doute de la détermination des pouvoirs publics à faire tenir ce forum dans la sérénité. Les taxis « jaune -noir » et les minibus de transport en commun en provenance du « Kilomètre 5 » par l’avenue de France, étaient systématiquement déviés au carrefour du lycée des Martyrs vers l’avenue Boganda. Pour aller au centre national hospitalier universitaire de Bangui par exemple, il fallait emprunter la portion de l’avenue qui mène à l’avenue Boganda et accéder au quartier Saïdou au niveau du pont Dékongo et passer ensuite du côté du National Hôtel par les ruelles qui longent le lycée Marie Jeanne Caron. Avec les survols des bimoteurs estampillés MOCAF sous les ailes et que les Banguissois ont coutume d’appeler « Air Bangui », une atmosphère de crise régnait, en cette matinée, sur «Bangui, ville de Pari »… Les nombreux participants au grand débat national, depuis la salle climatisée de « Da ti gugu », comme aiment le dire les journalistes de Radio Centrafrique, ne pouvaient pas imaginer que ça chauffait dehors, au sens propre comme au sens figuré... Les hautes herbes, pendant cette saison des pluies, avaient envahi les alentours du stade Boganda et du palais des sports. Et il était impossible de voir tout ce qui se passait au-delà de la Faculté des Sciences jouxtant les vestiges de ce qui fut le temple du sport. Aujourd’hui, le nouveau stade de 20 000 places se dresse en ces lieux. Les éléments de l’escadron blindé autonome (EBA) avaient naturellement eu pour instruction d’interdire l’accès de l’université et du ministère des affaires étrangères à tout véhicule non autorisé et de tenir à distance les manifestants qui, eux, mettaient tout en œuvre pour faire le contraire. Au cours des échauffourées dans les hautes herbes, un manifestant fut

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mortellement touché. C’était le docteur Claude Conjugo…La mort du docteur Conjugo, ce brave fils du Mbomou, allait ternir les assises de ce forum. A l’intérieur de l’hémicycle du ministère des affaires étrangères, une autre partition était en train d’être jouée. Un délégué syndical qui ne comprenait pas que, depuis toujours, une « laïcité moderne et partagée » qui, tout en reconnaissant à la centrafricaine un type de séparation des Eglises et de l’Etat, était en phase avec cette habitude de faire précéder toutes les grandes cérémonies officielles par des prières, dites par un pasteur, un prêtre ou un imam, n’avait pas été observée lors de l’ouverture des travaux, s’agitait dans son fauteuil. Cette « laïcité » spécifique, en raison de la grande religiosité propre au Centrafricain, signifiait non seulement une cohabitation entre les principales confessions religieuses que sont le protestantisme, le catholicisme et l’islam, mais aussi il était normal que le nom de Dieu ou Allah fût évoqué dans les bureaux ou les discours officiels sans pour autant risquer de tendre vers une quelconque théocratie... Curieusement, ce matin-là, à l’ouverture du grand débat national, on avait oublié de placer cette importante cérémonie sous la protection divine. On avait oublié de demander à un pasteur, à un prêtre ou à un imam de prier. Et pourtant, dans ce pays, le chef de l’Etat, le général d’armée André Kolingba avait décrété le 30 juin de chaque année, journée nationale de jeûne et de prières… « Monsieur le Président, je demande une motion d’ordre ! Monsieur le Président, motion d’ordre ! » Les délégués au grand débat national s’étaient sans doute demander, en ce début de cette réunion capitale, ce que ce « trublion » allait dire... D’autres s’étaient probablement interrogé sur ce que voulait faire « le petit frère de l’autre ». Car nous sommes dans un pays où on a toujours tendance à nommer même une personne majeure, par les liens qu’elle pourrait avoir avec une personnalité…Alors que j’assumais complètement les responsabilités de mes actes, nombre de gens avaient pris cette sale habitude de me nommer en faisant un rapprochement avec mon frère aîné, le député Hubert Saulet-Yavro.

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Visiblement, ma sortie était inattendue et bien des délégués ne verraient pas d’un mauvais œil que les services de sécurité interviennent pour me faire sortir de la salle. En tout cas, avec mon badge de la Confédération chrétienne des travailleurs de Centrafrique (CCTC), j’avais les mêmes droits que n’importe qui dans cette grande salle de l’hémicycle du ministère des affaires étrangères qui doit abriter les travaux historiques du grand débat national, convoqué en lieu et place de la conférence nationale souveraine, au grand dam de l’opposition radicale centrafricaine. Ma centrale syndicale m’avait désigné ainsi que Louis-Salvador Ngho, Carlos Feyangaï Mobé Alla, Jeanne Agou, Jean Damossa-MBamba, Victor Koyadéké et Pierrot Ngazzit, pour prendre part à ce forum. « Motion d’ordre ! Monsieur le Président ! », répétai-je à nouveau... J’imaginai la grande gêne du député Hubert Saulet-Yavro, dont l’implication dans la préparation et la tenue de ce forum avait été déterminante, surtout au niveau de la commission politique... Jacques Mbosso, président du grand débat national, face à mon insistance, finit par me donner la parole. Un membre du service technique m’amena le microphone-baladeur. Je me levai et de ma place, je récitai le plus calmement du monde, le Notre Père qui es aux cieux… Après cette prière, je fus invité à monter à la tribune. Une occasion en or m’était ainsi offerte pour dénoncer, du haut de cette tribune, tous les profito- situationnistes présents nombreux dans la salle. M’inspirant des thèses de la glorieuse FEANF, je pourfendais les anciens camarades de lutte qui, une fois revenus au pays, avaient avalé toutes leurs belles rhétoriques révolutionnaires pour se muer en suppôts zélés de l’Impérialisme international, le même qu’ils avaient dénoncé quelques années auparavant. Je n’eus pas fini mon intervention que le président m’intimait l’ordre de rejoindre ma place. Je réalisai, à travers cette vive réaction, que ma place n’était plus dans cette enceinte…Mon badge me fut retiré et je fus exclu de la salle avec à la clé, l’interdiction de prendre part à la suite des travaux. Toutefois, en raison de ma participation à la phase préparatoire de ce forum,

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j’avais conservé mon droit aux perdiems, grâce à Joseph Mabingui. Cependant, les tristes réalités centrafricaines me contraignirent à une drôle bataille pour que le gestionnaire Mokoto me reconnaisse ce droit qui compensait mon éviction. Je fus amené, malgré moi, à poser un acte que d’aucuns qualifieraient de crapuleux, face à la tentative de ce fonctionnaire qui voulait me rouler dans la farine. Il essayait en effet, de me faire croire que mon nom ne figurait pas sur la liste des ayant droits à qui il devait verser les frais de participation. Quelques jours plus tard, je crevai les deux pneus avant de sa voiture de fonction, dans l’enceinte même de la présidence de la République, pour attirer l’attention des autorités afin que justice me soit rendue. Cela me fait penser aujourd’hui à ces problèmes que les fonctionnaires centrafricains rencontraient à l’époque du CMRN au moment de la perception des salaires en espèces, au niveau du Trésor public. En effet, j’étais de ces fonctionnaires numéraires qui devaient faire la queue pendant des jours et des heures, avant de percevoir leurs émoluments. Beaucoup de fonctionnaires, sinon la plupart contournaient la difficulté grâce aux relations tissées avec certains agents du Trésor public. Ayant choisi de ne pas me faire ponctionner une partie du fruit de mon travail par un agent dont la tâche consiste naturellement à verser les salaires, je dus un jour, en raison de l’urgente nécessité de satisfaction des besoins vitaux de ma famille, contraint de briser avec le manche de mon parapluie, les vitres d’un guichet du Trésor public. Quelle que fût la réaction que cela pouvait susciter au niveau des autorités, j’étais disposé à expliquer le sens de ce geste, quitte à supporter les frais de réparation dudit guichet ou me faire arrêter éventuellement. Je me tirai à bon compte de cette affaire qui provoqua un attroupement approbateur de certains travailleurs au niveau du guichet dégradé, car surprise et désolation étaient la réaction du Trésorier payeur général, Jean-Baptiste Koyassambia, alerté par ses services et qui découvrait que le fonctionnaire qui venait de poser cet acte n’était que l’un de ses neveux ! Il fallait ce malheureux incident, pour que nous autres, fonctionnaires numéraires, paradoxalement des laissés-pour-compte d’un

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« système de paiement des salaires », ayons gain de cause... Arsène Congé, un collègue enseignant, depuis ce jour-là, ne cesse de me remercier pour ce geste tout en me le rappelant sous forme de blague… Je ferme cette parenthèse pour revenir aux frais de participation au grand débat national d’août 1992 que le gestionnaire avait fini par me verser. Ils avaient constitué une véritable bouffée d’oxygène pour le fonctionnaire que j’étais, eu égard à mes importants arriérés de salaires. A la date d’aujourd’hui, je suis encore de ces rares personnes qui accusent des arriérés de salaires de cette époque. Et rien ne me dit qu’un jour, je pourrais percevoir mes treize mois d’arriérés de salaire d’enseignant. La « motion de prière » - appelons la ainsi - qui m’avait permis de fustiger maladroitement, j’en conviens, tous ces cadres et intellectuels qui étaient dans les allées du pouvoir, m’avait énormément coûté. En effet, mon image avait été durablement ternie…Toutefois, je pense honnêtement avoir mis le doigt sur la gangrène qui rongeait, qui ronge et qui rongera encore notre pays, à savoir la boulimie de nos cadres pour les postes juteux dans la fonction publique et dans les entreprises d’état et d’économie mixte.

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CHAPITRE II Les chimères du Changement Le grand débat national a été marqué par la mobilisation d’importants moyens financiers mis en jeu pour permettre aux délégués de participer de manière sereine aux assises. Le montant des perdiems vont de dix mille francs (10 000 FCFA) pour le simple délégué, à presque cent mille francs (100 000 FCFA) par jour, pour chaque membre du Bureau. Au point où certains voudraient bien voir ces assises se prolonger indéfiniment... Malgré les recommandations pertinentes que les délégués avaient adoptées après une analyse assez sérieuse de la situation politique, économique et sociale du pays, la volonté manifeste de l’opposition politique pour un véritable changement au niveau des institutions n’avait pas été altérée. Après l’échec de la convocation de la conférence nationale souveraine, une lutte allait donc être menée pour que le général Kolingba soit battu à l’issue des élections qui devraient suivre la tenue de ce grand débat. Fer de lance dans cette lutte, les travailleurs, sous la direction des responsables syndicaux les plus en vue, Théophile Sonny-Colé et Jacquesson Mazette, engagèrent des actions multiformes. Les grèves illimitées eurent pour conséquences la désorganisation de l’économie, l’assèchement des ressources de l’état et la destruction du système éducatif. Les fonctionnaires et agents de la fonction publique, à la veille des élections du 25 octobre 1992, accusèrent treize mois d’arriérés de salaires. Le front syndical, miné par une guerre de leadership vit voler en éclat son unité et Jacquesson Mazette, secrétaire général de la Fédération syndicale des enseignants de Centrafrique (FSEC USTC), membre du Bureau politique du MLPC et ses amis se retirèrent de l’Union syndicale des travailleurs de Centrafrique (USTC), la première centrale syndicale du pays. L’Organisation des syndicats libres du secteur public (OSLP) naquit de cette scission. Le secrétaire général de l’USTC, Théophile Sonny-Colé

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ne pouvait que prendre acte des conséquences de l’alignement politique de l’un de ses secrétaires généraux de fédération… L’opposition politique ne fut pas non plus épargnée par des velléités hégémoniques au niveau de ses principaux leaders. David Dacko, Abel Goumba et Ange Félix Patssé, face au régime RDC du général Kolingba, évoluaient en ordre dispersé. Le manque de confiance entre ces trois personnalités de l’opposition avait atteint un point tel qu’elles ne s’adressaient même plus la parole, ce qui était préjudiciable à toute action politique concertée, gage de victoire aux futures élections. Grâce à l’habileté et la perspicacité d’Olivier Gabirault et de Maître Nicolas Tiangaye, président de la LCDH, ces trois leaders furent amenés à privilégier l’intérêt supérieur du pays à l’issue d’une rencontre au Centre protestant pour la Jeunesse (CPJ) au cours de laquelle l’Union des forces acquises au Changement (UFAC) avait été mise en place. Ce qui permit à l’opposition de négocier avec le pouvoir et le pays put ainsi aller aux élections de manière apaisée en 1993. La grande pagaille observée dans l’organisation des élections présidentielle et législatives de 1992, amena toute la classe politique à demander leur annulation. Elles le furent par une décision de la Cour suprême, rendue le 29 octobre 1992. Le consensus national observé à l’issue de ces consultations eut pour corollaires la prolongation du mandat du président de la République et la création, le 17 janvier 1993, du Conseil national politique provisoire de la République (CNPPR). La République centrafricaine, en cette année 1993, vivait une situation inédite. Le chef de l’état, le général André Kolingba était pratiquement secondé par ce que l’on pourrait appeler, trois « vice-présidents non constitutionnels » : Abel Goumba, David Dacko et Ange Félix Patassé. Le gouvernement était dirigé par le Premier ministre Dérant-Enoch Lakoué, président du Parti social-démocrate (PSD), dès le 26 février 1993. Le CNPPR qui a été l’organe exécutif de la Transition, en faisant cohabiter le général André Kolingba, le professeur Abel Goumba, le président David Dacko et Ange Félix Patassé, a eu le mérite de permettre au pays d’attendre dans un calme relatif

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l’organisation des nouvelles élections dont le premier tour eut lieu le 22 août 1993. La création de ce Conseil national politique provisoire de la République signifiait l’agonie du CCCCN et le coup de grâce à la démarche unitaire de l’opposition aux élections présidentielles. La majorité des partis politiques de l’opposition et des organisations de la société civile mirent alors en place un nouveau cadre de travail, la Concertation des forces démocratiques (CFD), placée sous la présidence du professeur Abel Goumba. Le MLPC, représenté au plus haut sommet de l’Etat avec Ange Félix Patassé au CNPPR, et, avec son prolongement au sein du monde des travailleurs à travers la centrale syndicale OSLP de Jacquesson Mazette, la route du Changement était tout ouverte… Les élections présidentielles de 1993 avaient permis de jauger le militantisme et l’activisme des membres des partis politiques. Alors que les quatre grands partis distribuaient des tee-shirts et avaient des grandes affiches en couleur, le plus souvent importés, les militants du MLPC très actifs, se faisaient confectionner eux-mêmes des tee-shirts à l’effigie de leur leader ou photocopiaient, en noir et blanc, sur du papier A4, la photo de Patassé, pour la placarder sur les arbres ou les portes des maisons. Cet engagement n’était pas loin de cet autre fanatisme de l’ayatollah Khomeiny en Iran, lors de la chute du Shah. Je revois encore ce compatriote du quartier Sara qui, après avoir affiché une photographie de Patassé sur un manguier, s’est mis dans une position de prière, les deux mains jointes sous le menton, à genoux, pour contempler l’image de son leader. Ainsi, on peut affirmer que le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) du général André Kolingba, le Parti socialdémocrate (PSD) de Dérant-Enoch Lakoué, le Front patriotique pour le progrès (FPP) du professeur Abel Goumba, le Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD) de David Dacko avaient des budgets conséquents alors que le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) d’Ange Félix Patassé pouvait, en plus des dons peut-être aussi conséquents de pays étrangers dont la Libye, compter sur le

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sacrifice et la détermination de ses militants pour se doter de gadgets électoraux. Le discours populiste du leader du MLPC avait galvanisé une importante frange de la population… Parmi les faits majeurs qui avaient marqué la campagne électorale en 1993, on retiendra le fameux cri messianique « mbi ga awè ! » de Patassé, sa promesse de faire battre la monnaie en Centrafrique que reprenait en écho Marabéna avec le « nguinza ayèkè ga panh ! » qui peut être traduit par « l’argent coulera à flot », l’exaltation de la paix ou « siriri » de Kolingba et la longue diatribe philosophique en sango, contre « la paix qui n’est pas une denrée alimentaire » d’Elois Anguimaté, président de la Convention nationale (CN), n’y feront pas le poids. Grâce à Nestor Kombot-Naguémon, précédemment ambassadeur de la République centrafricaine en Allemagne et président du Parti libéral démocrate (PLD), le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), entra en possession d‘un film réalisé en Allemagne, faisant état des accointances de Patassé avec des milieux mafieux…Des images de Patassé assorties de la croix gammée, éditées en grand nombre, furent distribuées afin d’attirer l’attention des électeurs sur la nécessité de faire le bon choix. Quant au président du PSD, Dérant-Enoch Lakoué, affublé du sobriquet « kugbé ti mango » ou feuilles de manguier, il eut en effet la maladresse, en sa qualité de Premier ministre, de dire en sango, aux travailleurs en grève qu’il ne pouvait pas payer les salaires avec des « kugbé ti mango », car les caisses de l’Etat étaient désespérément vides. Le général André Kolingba au pouvoir ainsi que son prédécesseur David Dacko furent éliminés dès le premier tour et le candidat du MLPC affronta, au second tour, Abel Goumba, candidat de la Concertation des forces démocratiques (CFD). Ange Félix Patassé, candidat du Mouvement de la libération du peuple centrafricain (MLPC), de retour au pays en 1992, après dix années d’exil au Togo, remporta au second tour les élections présidentielles du 19 septembre 1993 avec 53,49% des suffrages exprimés. Il était opposé au professeur Abel Goumba, candidat de la CFD et qui avait recueilli 46,51% des voix.

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Candidats

Pourcentages de Partis ou voix Groupement PATASSE Ange Félix 37,3 % MLPC GOUMBA Abel 21,7 % CFD DACKO David 20,1 % MDD KOLINGBA André 12,1 % RDC LAKOUE Dérant Enoch 2,4 % PSD MALENDOMA 2,0 % FC Timothée BOZIZE François 1,5 % Indépendant ROLLAND Ruth 1,0 % PRC Résultats du 1er tour des élections présidentielles du 22 août 1993 A ce stade d’analyse, on peut affirmer sans crainte que l’un des premiers fruits de la Démocratie aura été ce premier changement au plus haut sommet de l’Etat et qui a eu lieu dans le calme. La République centrafricaine connut ainsi la première alternance politique et un président sortant, régulièrement battu à l’issue d’élections démocratiques, allait organiser la cérémonie d’investiture d’un président entrant. L’avènement de Patassé à la magistrature suprême de l’Etat était porteur d’espoirs : • Espoir des travailleurs qui, par des grèves et malgré des souffrances consécutives aux treize mois d’arriérés de salaire, avaient non seulement pris une part décisive à la victoire, mais étaient déterminés à relever le défi du développement et avaient repris le travail, sans conditions ; • Espoir des étudiants dont les arriérés de bourse avaient été assimilés à une « goutte d’eau » par Patassé ; • Espoir des travailleurs à la retraite dont les pensions n’étaient plus une priorité du Trésor public ;

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• Espoir dans les villages, dans les provinces qui attendaient l’enlèvement des produits agricoles récoltés depuis des mois ; • Espoir pour tout le peuple qui aspirait à conjuguer au présent de l’indicatif, et chaque jour que Dieu fait, les cinq verbes du Mouvement de l’évolution sociale de l’Afrique noire (MESAN) de Barthélemy Boganda, à savoir : se nourrir, se soigner, se vêtir, s’instruire et se loger. Après les illusions de l’indépendance de 1960, enfin l’espoir pouvait être permis avec le « CHANGEMENT » de 1993. Même ceux qui n’avaient pas voté pour Patassé, espéraient une vie meilleure. Car l’avènement de Patassé n’était pas consécutif à un coup d’Etat. Démocratiquement élu, il était le président de toutes les Centrafricaines et de tous les Centrafricains. Les réserves, du reste légitimes, exprimées par Abel Goumba le 14 août 1960 devant l’Assemblée nationale, ne pouvaient-elles pas être levées, grâce au Changement ? En effet, ce leader disait : « l’indépendance ne nous permettra pas de résoudre les problèmes complexes que pose l’évolution des territoires africains, surtout lorsqu’il s’agit d’une indépendance nominale, surtout lorsqu’il s’agit d’une indépendance qui ne repose sur aucun développement économique viable, sur aucune structure administrative et technique issue du pays. » Les compétences nationales, dans le Centrafrique du Changement en 1993, étaient sans commune mesure avec la situation au lendemain de l’Indépendance nominale de 1960. Des cadres, le pays en comptait, dans tous les domaines et ils provenaient de toutes les régions. Si le nouveau pouvoir avait su faire montre d’une réelle volonté politique de développement social, économique et culturel, concrétisée par une utilisation rationnelle de toutes les compétences nationales, le Centrafrique aurait pu s’octroyer un bon départ…après les ratés de 1960 ! En 1993, le peuple de Centrafrique avait témoigné de sa maturité politique à travers cette première alternance politique. Les faits et évènements qui allaient pourtant émailler la vie politique nationale au lendemain de la victoire du président Patassé, participent à la compréhension du tort que les filles et

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fils du Centrafrique, à des degrés divers et de manière consciente ou inconsciente, avaient causé à leur pays. Une semaine après l’attribution du prix Nobel de la paix à Nelson Mandela et à Frederik De Kerk, le 15 octobre 1993, la République centrafricaine, à la faveur de la prise de fonction du président Patassé, aurait pu marquer l’actualité mondiale…En effet, le vendredi 22 octobre 1993, le général André Kolingba, président battu et sortant, organisait l’investiture de Ange Félix Patassé, président élu et entrant. Cet évènement devrait constituer, non seulement une avancée démocratique, mais aussi et surtout, l’inscription de la Nation de manière irréversible sur le chemin du renforcement de la paix et la consolidation de l’unité nationale. Si Nelson Mandela et Frederik De Klerk étaient rentrés par la grande porte dans l’histoire de l’Afrique du Sud, voire mondiale, pour avoir été les artisans de la démocratisation dans leur pays, Ange Félix Patassé et André Kolingba allaient, quant à eux, malgré l’évènement historique de la passation de pouvoirs dans le calme, par contre symboliser « les principales sources de tension » en République centrafricaine. Alors que les vingt et neuf années d’emprisonnement à Roben Island n’avaient pas développé un relent de revanche chez Mandela, les dix années d’exil de Patassé à Lomé au Togo allaient sous - tendre le règne de terreur et de règlement de comptes du chantre du Changement… Et ce fut peut être ce qui l’avait poussé à violer la loi, le jour même de son investiture, en levant la main gauche, au lieu de la main droite, pour prêter serment sur la Constitution de la République. Sous d’autres cieux, on aurait pu reprendre cette cérémonie de prestation de serment pour que les dispositions constitutionnelles soient respectées à la lettre. Au lendemain de la prise de fonction effective du nouveau président, Radio Centrafrique diffusait quotidiennement la liste des nouveaux « patrons du pays. » Le sport favori de l’homme de la rue et surtout des fonctionnaires et agents de l’état, était de suivre le « journal parlé » de 13H00 où une large part était consacrée à la lecture des décrets de nomination et de

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révocation de responsables dans l’administration et les conseils d’administration des sociétés d’état et sociétés d’économie mixte. Les nouveaux critères de responsabilisation dans la Fonction publique ainsi que les sociétés d’économie mixte ou sociétés d’Etat étaient : • Avoir la carte du MLPC, • Militer syndicalement à l’OSLP ou appartenir à une région ou à un parti favorable au nouveau pouvoir, au détriment des critères objectifs. Au niveau du département de l’Education nationale, des surveillants généraux des lycées et collèges qui étaient des instituteurs ou instituteurs-adjoints et qui, pour la plupart, avaient abandonné l’enseignement pour des tâches administratives depuis plusieurs années, furent renvoyés dans les salles de classe dans les écoles. La plupart de ces fonctionnaires étaient surtout, originaires des régions considérées favorables à l’ancien régime. Dans les quartiers et sur les marchés, du jour au lendemain, certaines compatriotes se muèrent en vendeuses d’huile de palme. Car la « victoire » du MLPC leur avait conféré le droit absolu de pouvoir s’approvisionner en cette matière première produite localement à Bossongo. Les traditionnelles vendeuses d’huile de palme, issues naturellement des régions du Sud et du Sud-Est, classées hostiles au nouveau pouvoir, devaient traverser l’Oubangui pour s’en approvisionner dans la ville frontalière de Zongo, au Zaïre ou République démocratique du Congo. Les Forces de défense et de sécurité furent mises au pas du Changement. Les Forces armées centrafricaines (FACA) connurent une profonde purge : dissolution de l’Escadron blindé autonome (EBA) dont les éléments, formés pour la plupart à Gbadolité au Zaïre de Mobutu, étaient dispersés dans les autres régiments et surtout, détachés dans l’arrière-pays pour combattre les zaraguina ou coupeurs de route. Selon une rumeur largement répandue, sous l’ancien régime, les éléments de cet escadron ou « bérets bleus » recevaient des instructions d’un chef de corps qui ne s’exprimait que dans sa langue maternelle… Ceci serait sans doute l’une des causes de la dissolution de ce corps…

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La nouvelle génération d’officiers issus des académies militaires de Bouaké en Côte-d’Ivoire, de Saint-Cyr en France, de West -Point aux Etats-Unis, était confinée dans les seconds rôles au profit de la génération de l’Ecole spéciale de formation des officiers d’active (ESFOA) de Bouar. Car ces jeunes officiers, ‘‘intellectuels’’, formés à l’extérieur du pays, fruit de la politique de l’ancien régime qui voulait changer la physionomie de l’armée nationale, constituaient à tort ou à raison, un danger pour le nouveau régime. Les nominations des chefs de corps, des adjoints aux chefs de corps ou des chefs de bureau se faisaient après consultation et/ou proposition du Bureau politique du MLPC. Le 12 janvier 1994 à Dakar, quatorze (14) pays africains de la zone franc décidaient de dévaluer de 50% le franc CFA. Ce changement de parité entre le franc CFA et le FF frappa de plein fouet la moribonde économie centrafricaine. Mais contrairement aux autres travailleurs de la zone CFA qui avaient manifesté pour demander des mesures d’accompagnement en raison de cette dévaluation, les travailleurs centrafricains ne réagirent pas, en toute responsabilité... Un véritable dialogue social aurait pu être engagé sérieusement avec les partenaires sociaux en vue de conclure un pacte social qui inclurait une modalité d’apurement des arriérés de salaires. On avait assisté par contre, à des manœuvres dilatoires consistant à faire des promesses pour troquer les arriérés des salaires contre les matériaux de construction (sacs de ciment, fers à béton etc). Parallèlement, les fonctionnaires proches du pouvoir se faisaient payer leurs arriérés de salaires grâce à un circuit savamment mis en place. Fer de lance dans la lutte pour le Changement, les travailleurs mobilisés au sein de toutes les centrales syndicales furent récompensés lors de la première fête du travail du Changement, le 1er mai 1994. En raison de l’appétence du nègre pour la médaille, et les travailleurs centrafricains ne faisaient pas exception, les stratèges du régime MLPC décidèrent de faire décorer un très grand nombre de responsables syndicaux pour leur implication dans l’avènement du Changement. Quand bien même les récipiendaires devaient s’endetter quelquefois

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pour acheter ces médailles et festoyer, ce choix tactique permettait au pouvoir de noyer momentanément l’épineux problème des arriérés de salaires. Toutefois, les responsables syndicaux l’avaient tout de même compris et demeuraient vigilants… Au début de l’année 1995, la Bourse du travail, lieu de rassemblement des travailleurs, chômeurs diplômés ou non, révoqués et retraités, et qui avait été désertée depuis le Changement, allait commencer à ne plus désemplir aux assemblées générales des samedis. Car « le lait et le miel ne coulaient pas dans tous les gosiers », selon la célèbre formule du sociologue et homme politique, le regretté Alphonse Blagué. En plus des treize mois d’arriérés de salaires, « héritage » du régime Kolingba, trois nouveaux mois ouvrés et non payés étaient venus aggraver la situation sociale des travailleurs. En vue de désamorcer la tension sociale, très perceptible au niveau des enseignants au milieu de cette année 1995, des pourparlers tactiques furent initiés par le gouvernement. Le Premier ministre Gabriel Jean-Edouard Koyambounou, ancien syndicaliste et succédant au professeur Jean-Luc Mandaba et son gouvernement que d’aucuns qualifient de gouvernement de soûlards, crut devoir conduire personnellement les débats à la fin du mois d’août 1995. L’objectif inavoué consistait à garder aussi longtemps que possible les représentants syndicaux autour de la table des négociations afin d’éviter une grève lors de la rentrée scolaire 1995-1996…Objectif atteint ou presque… On se rappellera que le 17 mai 1995, le nouveau chef du gouvernement, Gabriel Jean-Edouard Koyambounou, comme pour annoncer une rupture d’avec son prédécesseur Jean-Luc Mandaba, déclarait : « Mon gouvernement entend résolument consolider les acquis démocratiques par une gestion concertée des grands problèmes de la Nation dans un esprit de dialogue, de tolérance, de solidarité et surtout de responsabilité partagée ». On n’oubliera pas non plus que dès sa prise de fonction, il avait séduit par une certaine humilité qui l’avait conduit à recevoir tous les anciens Premiers ministres de la République, afin de leur demander conseils.

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Très rapidement, la primature était devenue, le recours de la société. Des problèmes des travailleurs « redéployés » du défunt Office centrafricain des postes et télécommunications (OCPT) aux petits litiges relatifs à la paillote de l’ex-UDFC en passant par les problèmes des bénéficiaires du « projet de départ volontaire assisté – PDVA » et du personnel de l’ADECAF, le chef du gouvernement était sollicité et il ne se privait pas de descendre dans l’arène. Il était descendu à plusieurs reprises dans le bourbier de l’Education nationale où la forte politisation de l’administration était source de tension permanente et de démotivation du personnel. Toutes ces démonstrations de recherche de solution de problèmes par une approche participative n’avaient été qu’une stratégie savamment élaborée pour piéger les partenaires sociaux et redonner du souffle au Changement… La mise en place par l’Assemblée nationale de la Commission d’enquête et d’audit pour faire la lumière sur la gestion du régime Kolingba pouvait-elle, à elle seule, justifier ce qui allait advenir ? La mise en place de cette Commission, aussi légitime fut-elle, n’était-elle pas un stratagème pour détourner l’attention sur les véritables problèmes de l’heure ? Pourquoi cette Commission d’enquête et d’audit n’avait-elle pas été envisagée dès la prise de fonction de Patassé en novembre 1993 ? Ou comment pouvait-on expliquer l’enrichissement rapide de certains dignitaires dès les premiers mois du Changement ? Certains titres du quotidien Le Novateur de Marcel Mokwapi, premier quotidien privé indépendant, parus à l’époque, résumaient assez éloquemment l’état du pays : « Epuration ethnique à l’Education nationale », « Malaise au sein des FACA », « Marche de protestation des enseignants » etc.…

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CHAPITRE III La surchauffe du Changement Lors des négociations Gouvernement-Syndicats qui avaient eu lieu la veille de la rentrée scolaire 1995-1996, les deux principaux points de revendication étaient le paiement des salaires à terme échu et le paiement des arriérés de salaire. Pendant que les négociations étaient en cours, le chef de l’Etat, contre toute attente, signait un décret qui instituait les bons du trésor comme modalité d’apurement de ces arriérés de salaire. Il convient de préciser ici que nous, représentants des travailleurs à ces négociations n’avaient jamais entendu le Premier ministre Koyambounou évoquer, avant la déclaration radiodiffusée du président Patassé, l’éventualité de cette curieuse « recette » pour apurer les arriérés de salaires. Et quelle n’avait été notre surprise de découvrir par la voie des ondes, cette décision qui augurait mal l’issue de ces négociations ! Ces bons du trésor, non conformes aux réalités économiques de l’heure et qui rappelaient l’emprunt national obligatoire des années Dacko 1, ainsi que le troc « matériaux de construction arriérés de salaire » proposé par le chef du gouvernement, avaient mis au grand jour, non seulement l’absence d’une démarche cohérente du pouvoir mais aussi et surtout, le pilotage à vue en matière de règlement de cet épineux problème social. Les travailleurs, à travers leurs représentants, refusèrent naturellement de devenir les dindons de cette farce et le document officiel qui devait sanctionner ces négociations ne fut jamais signé… Les travailleurs centrafricains sont peut-être les seuls au monde à accuser des dizaines de mois d’arriérés de salaires avant de réagir. Et les grèves, en République centrafricaine, ne portent généralement que sur les paiements des mois ouvrés et non sur l’amélioration des conditions et/ou outils de travail. La rentrée scolaire d’octobre 1995 eut lieu avec une grève diversement suivie en raison de l’effritement du front syndical.

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Car l’OSLP, la centrale syndicale issue du pouvoir MLPC, incitait ses adhérents à ne pas observer la grève et à défendre leur régime. Ce qui n’avait pas amoindri la détermination de la majorité des travailleurs qui allaient, dans les semaines suivantes, envisager des actions de revendication multiformes. En République centrafricaine, les mouvements de contestation ont toujours été initiés par les élèves, les étudiants et les enseignants. Conscient de cette réalité, le nouveau régime s’employa à mettre au pas, non seulement les élèves, les étudiants et les enseignants, mais également, les partenaires du système éducatif que sont les parents d’élèves organisés dans la Fédération nationale des associations des parents d’élèves. Les responsables administratifs qu’étaient les chefs d’établissement, les inspecteurs de l’enseignement fondamental 1 et les inspecteurs d’Académie, allaient, tels les « tontons macoutes » des Duvalier en Haïti, organiser la chasse aux grévistes, aux meneurs de grève, considérés comme les « saboteurs » du Changement. Une illustration de cet état de fait fut la situation vécue par les élèves des classes terminales du Lycée Barthélemy Boganda de Bangui, au lendemain de la grève de février 1996. Détaché comme conseiller pédagogique à l’Institut national de recherches et d’animation pédagogiques (INRAP) à l’époque, je devais continuer à dispenser les cours dans une classe de terminale D dans cet établissement en raison de la rareté d’enseignants de sciences physiques. Et mon engagement au sein de la Confédération chrétienne des travailleurs de Centrafrique (CCTC) m’avait amené tout naturellement à observer cette grève de février 1996, du reste légitime. A l’issue de cette grève d’avertissement, des mesures de représailles furent prises à l’encontre des enseignants qui avaient observé un arrêt de travail. Au niveau du lycée Barthélemy Boganda, j’étais la « brebis galeuse » qu’il fallait extirper du corps enseignant afin de briser toute velléité de contestation future. Des instructions furent données au chef d’établissement pour me coller une faute administrative ou professionnelle. L’inspection générale de l’éducation nationale avait été également sollicitée pour cette recherche d’éventuelle

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carence pédagogique qui justifierait une quelconque mesure disciplinaire à mon encontre. Ni le rapport du proviseur Abdon Ningha, ni celui de Jean Mboliguipa, inspecteur pédagogique des sciences physiques, ne donnèrent des éléments nécessaires à mon accusation aux « décideurs » du Changement. Tout au contraire, je bénéficiai d’une sympathie de ces deux responsables administratif et pédagogique…Et ce n’était pas par hasard que le proviseur avait été muté dans un autre établissement l’année suivante… Décidé à me tenir éloigné du lycée Barthélémy Boganda, l’inspecteur d’Académie de Bangui-Vakaga, Fidèle Mboro, contre toute attente et en violation flagrante de la déontologie professionnelle, fit une descente au lycée afin de mettre un terme à mes activités professionnelles. Ainsi, le vendredi 23 février 1996, monsieur l’inspecteur d’Académie se transporta devant la salle pour perturber mon cours de chimie. Il m’invita solennellement à déguerpir de la salle, avec une manière qui cachait mal une impéritie, alliée à une impolitesse caractérielle, renforcée par un éthylisme et un tabagisme hors pair…C’était ça aussi, le Changement… Dès que la nouvelle de mon éviction eut gagné tout l’établissement, un mouvement spontané de solidarité s’organisa au niveau des élèves des classes terminales. Ceux-ci, mobilisés par une équipe conduite par les élèves Joseph Vickola, Léopold Bara et bien d’autres, exprimèrent ouvertement leur mécontentement, le mardi 27 février 1996, en paralysant le fonctionnement du lycée dès que la notification de cessation d’activités me fut adressée le lundi 26 février. Cette révolte des élèves donna lieu à des mesures de pacification et d’intimidation. Les parents des élèves, supposés fortement impliqués dans le mouvement de soutien au professeur Saulet furent convoqués et des menaces voilées de les faire échouer lors des examens du baccalauréat étaient proférées ! C’était encore çà aussi le Changement … Cette brimade professionnelle que j’avais subie au lycée Barthélemy Boganda de Bangui n’était pas sans doute la plus représentative ni la plus significative de l’ère du Changement. Toutefois, elle était symptomatique de la gestion du pays depuis 1993…

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Dans la ville de Bangui, on se croirait à l’époque impériale, au sens propre comme au sens figuré. Les cortèges officiels « à la Bokassa » avec des sirènes hurlantes étaient maintenant d’actualité. Les folkloriques cérémonies organisées à chaque départ et à chaque retour de voyages officiels, disparues et oubliées, réapparurent au salon d’honneur de l’aéroport international de Bangui-Mpocko…Et la transformation du pays en un état policier s’opérait de manière inexorable avec les multiples services de renseignements qui pondaient des fiches policières, le plus souvent, dans le seul souci de nuire. Les établissements d’enseignement scolaire étaient truffés d’indicateurs, tant parmi les élèves que parmi les enseignants et le personnel administratif. Rares furent les collègues nationaux à conserver des liens d’amitié avec moi, par crainte de se faire réprimander par des éléments zélés de la hiérarchie. J’avais bien conscience de cela au point où je n’évoluais que dans le milieu des collègues enseignants expatriés de la coopération égyptienne et française. J’étais « étranger » dans mon propre pays et surtout au quartier Sara, sur l’avenue de France, où ma famille s’était pourtant installée depuis le début des années 60… Au début de l’année 1996, la surchauffe était perceptible sur tous les fronts. La situation sociale était explosive. La politisation de l’administration avait mis sur le carreau tout le gratin des compétences nationales. Le panier de la ménagère centrafricaine était pratiquement vide. La grande muette commençait de son côté à donner de la voix. Longtemps considérée comme la « Suisse Africaine », la République centrafricaine, depuis le début des années 80 avec l’attaque armée de l’agence SOCADA dans l’Ouham-Péndé, était devenue le terrain de prédilection de ces bandits de grand chemin, les coupeurs de route ou zaraguina. Ces bandes de malfaiteurs armés qui détroussaient sans vergogne les populations rurales, les éleveurs et les voyageurs, avaient également pour mission de déstabiliser politiquement le pays et préparer l’avènement du Changement. Ceci était d’autant plus vraisemblable car, le président Patassé, nouvellement élu avait lancé un appel en leur direction, en novembre 1993 pour qu’ils cessent de semer la terreur dans les régions Nord du pays … « Je vous

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demande, camarades, car je vous connais, d’arrêter vos activités et de vous atteler à la construction du pays », tel avait été en substance le message du « grand camarade » Patassé, nouvellement élu et investi président de la République.

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CHAPITRE IV Les premiers « fruits » du Changement L’Armée nationale centrafricaine, issue de la transition entre le pouvoir colonial et le pouvoir national au lendemain de l’indépendance formelle, a évolué à l’instar du pays au point où les contraintes et les sujétions que subissent les militaires et gendarmes n’ont pas toujours été bien prises en compte par l’Etat. Si les militaires et gendarmes affectés à la protection des chefs d’Etat ont pu jouir d’une bonne condition militaire, la plus grande partie est confrontée aux problèmes d’habillement, d’alimentation, de logement, de campement et de moyens de travail en cas de mission à l’intérieur du pays. Depuis leur création en 1961, les Forces armées centrafricaines ont connu de graves dysfonctionnements dans leur gestion. La dégradation progressive du camp Kassaï, ainsi que celle des camps Henri Izamo et Fidèle Obrou, sont à l’image de l’armée nationale. Les militaires et gendarmes ont fini, depuis bien longtemps, par habiter dans les quartiers. Si dans les années 60, leur acheminement au niveau des casernes s’est toujours fait par des véhicules de ramassage, c’est depuis longtemps qu’ils ont pris l’habitude de prendre le transport en commun ou à faire la marche à pied. Comme pour pallier un manque, le militaire ou le gendarme en tenue est autorisé, même encore aujourd’hui, à surcharger la cabine des taxis ou des minibus. Si dans les années 60-70, le militaire était impeccablement habillé et forçait l’admiration de la population et que lors des bals de fin d’année scolaire ou surprise-party, les jeunes filles n’avaient des yeux que pour les enfants de troupe des prytanées militaires de Bangui, de Bingerville (Côte d’Ivoire) ou de Saint-Louis (Sénégal), c’est depuis longtemps que le « turugu » ou militaire n’était plus ou n’est plus une vedette… En 1996 et même peu avant cette année-là, les problèmes auxquels étaient confrontés les militaires et gendarmes se situaient à plusieurs niveaux, notamment :

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• l’habillement, • l’armement, • le transport, • la transmission, • la santé, • le logement, • l’alimentation, • l’avancement, • la mise en position de stage, • la retraite, • les salaires et arriérés de salaire etc. La révision générale du statut du militaire et du gendarme figurait également au centre des préoccupations fondamentales. En effet, cette révision était de nature à permettre à l’Etat de trouver des compensations appropriées aux dures et contraignantes conditions de vie de ces citoyens qui avaient choisi le métier des armes. Cette profession, faut-il le rappeler, est caractérisée par de nombreuses contraintes. En effet, le militaire n’a pas le droit d’appartenir à un parti politique, ni à un syndicat et est assujetti au devoir de réserve. Il peut être séparé de sa famille et il est amené à pratiquer des activités comportant des risques, et jusqu’au risque majeur… L’avènement du Changement en octobre 1993, loin de changer en bien la situation de ces militaires et gendarmes, n’avait fait qu’aggraver la gestion des forces de défense et de sécurité. Les Forces armées, la gendarmerie nationale et la garde républicaine étaient devenues le lieu de tous les antagonismes politiques. Comment défendre l’intégrité du territoire national et assurer la sécurité des populations si le militaire doit se nourrir luimême, acheter lui-même ses tenues camouflées et ses chaussures de travail, en bref se doter lui-même de son paquetage et gérer avec parcimonie les munitions quand il est amené à avoir en face de lui des zaraguina munis d’armes de guerre et dont les parrains sont quelquefois des personnalités proches du pouvoir à Bangui ? Que peuvent faire les troupes affectées dans l’arrière-pays et qui, devant combattre les

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coupeurs de route, ne reçoivent pas régulièrement leur prime globale d’alimentation ? Pourquoi des structures telles que le Centre national de recherche et d’investigations (CNRI) a-t-il plus de moyens et pourquoi le Régiment de défense opérationnelle du territoire (RDOT) et le Régiment mixte d’intervention (RMI), malgré leur mission dans l’arrière-pays sont-ils gérés avec une déconcertante désinvolture par le commandement ? Le RDOT et le RMI doivent-ils devenir « l’abattoir » d’une catégorie de militaires ? Contrairement aux fonctionnaires civils qui peuvent exprimer ouvertement leurs revendications par les moyens prévus par la loi, les fonctionnaires des Forces armées centrafricaines (FACA), de la gendarmerie nationale et de la garde républicaine quant à eux, ont continué à boire le calice jusqu’à la lie, dans un calme trompeur… La conjugaison des problèmes sociaux, tant au niveau des fonctionnaires civils que militaires, va constituer un véritable « mélange tonnant » en ce début du deuxième trimestre de l’année 1996. Les enseignants, bravant les mesures d’intimidation et de représailles, vont sonner le tocsin, en toute légalité et à la grande satisfaction de tous les travailleurs, le lundi 15 avril 1996, par une marche de protestation. Avec cette marche des enseignants, les travailleuses et travailleurs centrafricains, principaux acteurs de l’alternance politique et de la démocratisation du pays, ont décidé de contester le Changement... Et les mises en garde du pouvoir pendant tout le week-end précédent n’ont pas atténué leur détermination. Partis de la Bourse du travail, nous empruntâmes l’avenue de France, l’avenue Conjungo, l’avenue Barthélémy Boganda avant d’arriver sur la place de la République. Après avoir chanté l’hymne national devant le Trésor public, un mémorandum avait été remis aux autorités. Une réelle volonté politique de dialoguer aurait voulu que Charles-Dieudonné Lockobo, agissant en tant que responsable syndical et porteur du mémorandum, fût reçu directement au palais de la Renaissance par les responsables gouvernementaux et non par un officier de

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la sécurité présidentielle au niveau de la guérite du palais de la Renaissance. Trois jours après la marche des enseignants, la grande muette retrouva l’usage de sa langue et se décida à parler, à son tour. Le jeudi 18 avril 1996, en début d’après-midi, les éléments du RDOT en détachement en province convergèrent au pK12, à la sortie Nord de Bangui et entrèrent dans la capitale. Leur premier objectif fut de prendre d’assaut les stations d’essence pour faire le plein de leurs véhicules. En quelques heures, les avenues de l’Indépendance, Koudoukou, Boganda, Dacko et France se vidèrent. Comme pour témoigner d’une solidarité avec les travailleurs qui avaient osé protester quelques jours plus tôt, un groupe de militaires, à bord de leurs véhicules, empruntèrent la rue qui relie le stade Barthélemy Boganda à la Bourse du travail, avant de déboucher sur l’avenue de France. Les responsables syndicaux, assis sur les bancs placés sous les manguiers et qui tenaient une permanence en cette période de crise, saluèrent à leur manière cette entrée des militaires dans cette lutte pour l’eau et le pain quotidien. C’était ce qui allait être la « première mutinerie »... Des affrontements eurent lieu le vendredi 19 avril entre les soldats entrés en rébellion et la garde présidentielle. Ils auraient fait neuf morts et une quarantaine de blessés, selon la presse internationale. Pour mémoire, il faut rappeler qu’au lendemain de l’Indépendance, le président David Dacko avait réussi à circonscrire la première mutinerie de la jeune Armée nationale quand les militaires étaient descendus du Camp du Kassaï au quartier Ngaragba en 1963... La garde présidentielle (GP) du général Kolingba s’était aussi soulevée et tout était rentré dans l’ordre en 1992 après un dialogue direct avec le chef de l’Etat. Toutefois, il y a lieu de regretter, à cette occasion, les effets collatéraux, à savoir la mort par balles de la compatriote Hermine Yakité, car la vie humaine n’a pas de prix.

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Quatre jours plus tard, la « première mutinerie » du Changement prit fin, à l’issue des négociations menées au camp Béal, grâce à l’entremise des éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO). Et le chef de l’Etat promit de ne pas engager de poursuite judiciaire contre les mutins. Une chose est de conclure des accords, une autre, est de vouloir appliquer et respecter ces mêmes accords. Cette insurrection des hommes du rang, conduite par l’adjudant Isidore Dokodo et le sergent Cyriaque Souké, aurait pu constituer un signal fort afin qu’un début de solution durable soit apporté à des revendications exclusivement corporatistes. C’était sans compter avec la duplicité du pouvoir MLPC qui projetait d’une part, de nuire physiquement aux « meneurs » de ce soulèvement militaire et d’autre part, de désarmer tous les corps qui avaient pris part, de près ou de loin, à la mutinerie du 18 avril. Les évènements de la mi-mai qui avaient provoqué une effervescence au camp militaire du Kassaï où était basé le RMI, allaient mettre de nouveau le feu à la paille. Que s’était-il passé ? Mercredi 15 mai 1996. Vers 17H00, deux véhicules bâchés, type Sovamag, hermétiquement fermés, auraient franchi la guérite du Camp militaire Kassaï et se dirigèrent vers l’armurerie du RMI. A bord du premier véhicule se trouverait le lieutenant Bokolobo, officier assurant l’intérim du capitaine Dollé-Waya, envoyé en mission à Birao deux jours plus tôt. Le sous-lieutenant Wiliko, chef du service de l’armurerie, serait dans la seconde jeep. Cette mission conjointe, initiée par la hiérarchie militaire et la garde présidentielle, aurait pour objet de récupérer des armes pour la formation des nouvelles recrues à Bouar… Les militaires en faction au niveau de l’armurerie s’opposèrent à l’enlèvement des armes, car il n’y aurait pas de notification officielle du ministre de la Défense. La procédure régulière aurait voulu, qu’en plus d’un ordre écrit, il fallût en outre la présence physique du contrôleur des armées et celle de l’officier responsable du 4ème Bureau, chargé du matériel. Cette mission fut interprétée comme le début du démantèlement de l’EBI et du désarmement progressif de tous les corps dont la majorité des éléments avaient pris part à la mutinerie. Il conviendrait d’ajouter à tout cela, les multiples

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tracasseries dont seraient victimes, non seulement l’adjudant Isidore Dokodo et le sergent Cyriaque Souké, mais aussi d’autres insurgés tels que le sergent Hermas Zingao, le caporalchef Judes Kradé ou le soldat Nestor Koyaguéret du RDOT. Ce dernier aurait été interpellé dans une pirogue de pêche sur le fleuve Oubangui, vers Kolongo… Après ce qui était convenu d’appeler « échec de la mission de l’armurerie », la tension n’avait cessé de monter au camp Kassaï. Le sous-chef d’étatmajor, le lieutenant-colonel Abel Abrou aurait été sommé de déménager de la principale caserne par les militaires du RMI et de l’EBI. Ce fait inouï, à savoir un sous-chef d’état-major qui aurait reçu l’ordre des hommes du rang, à quitter la principale caserne, ne serait-il pas la plus belle illustration de la profonde crise de confiance entre la haute hiérarchie militaire et la base des Forces armées ? Pour les mutins, ils auraient découvert à leurs dépens, la duplicité du chef de l’Etat, chef suprême des Armées qui, tout en proclamant ne pas engager de poursuites à l’issue de la mutinerie d’avril, chercherait par d’autres voies à porter atteinte à l’intégrité physique des principaux responsables identifiés lors du soulèvement ou à désarmer certains corps. L’adjudant Isidore Dokodo et le sergent Cyriaque Souké se rendirent alors compte que le président Patassé ne tiendrait jamais ses promesses. Ils engagèrent, par instinct de survie, les troupes dans un nouveau soulèvement, pour que les accords conclus préalablement soient respectés. Le samedi 18 mai 1996, les militaires entrèrent à nouveau en rébellion. Le marché central de Bangui se vida en quelques minutes et les véhicules de transport en commun devinrent de plus en plus rares dans les rues. Un mouvement « centrifuge » de la population, en cette fin de matinée, finit par rendre désert le centre-ville, transformé en champ de tirs. Alors que dans les quartiers populaires du Sud de Bangui, on pouvait noter une certaine sympathie pour ce second mouvement des militaires, dans les quartiers populaires du Nord, c’était une colère non contenue et une volonté d’en découdre avec ces «riverains» qui auraient du mal à accepter le pouvoir des «savaniers ». Selon un dicton populaire centrafricain : « Ngu Nzapa alingbi ti pika koli

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na ngonda, balaka na maboko ti lo légé usè pèpè », c’est-à-dire, un homme ne doit pas se faire surprendre à deux reprises, la machette à la main, à l’avènement de l’orage en brousse, car il doit bien couper les branchages pour se faire un abri. Le pouvoir commença alors à « rwandiser » le pays par la distribution des armes de guerre au sein de la population civile. Certains hommes d’église, proches du pouvoir, auraient pris part à cette action de distribution d’armes. Des machettes auraient été également achetées en grand nombre et un forgeron du quartier Sara, au niveau de l’avenue de France, serait mis à contribution pour les aiguiser. Au deuxième jour de ce second soulèvement, les pillages gagnèrent la plupart des commerces et les éléments français durent intervenir pour assurer la sécurité des étrangers. Les mutins, tout en récusant la médiation du commandant Gaston Gambor, prirent en otage le président de l’assemblée nationale, Hugues Dobozendi et le ministre Charles Massi. Ces deux personnalités étaient détenues au camp Kassaï. Avec le contrôle du 7e arrondissement de Bangui, les mutins n’eurent aucune peine à prendre possession de la prison centrale de Ngaragba et tous les prévenus et condamnés furent libérés. Le capitaine Anicet Saulet, premier prisonnier politique de Patassé, recouvra par cette même occasion la liberté… Il serait utile d’ouvrir ici une parenthèse pour dire qu’au profond malaise né de la non-satisfaction des besoins vitaux de la population, étaient venus s’ajouter les rancœurs et frustrations suscitées par les règlements de compte, les arrestations arbitraires et déferrements à la prison centrale de Ngaragba. En ouvrant la prison centrale, les soldats entrés en rébellion acquirent une sympathie sans borne au sein d’une large frange de la population... Quoi de plus normal qu’un détournement de deniers publics ou tout autre crime économique soit réprimé ? Quoi de plus normal que des citoyens qui se situeraient en dehors de la légalité républicaine, répondent de leurs actes devant des tribunaux compétents ? Mais le Changement de 1993, appelé à instaurer et consolider l’Etat de droit en Centrafrique, devrait-il s’identifier à ces lendemains de coup d’état durant lesquels une

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chasse aux sorcières serait nécessaire pour asseoir un nouveau pouvoir ? Il y a bien eu enrichissement illicite sous le régime Kolingba, comme il y en a eu sous Dacko, Bokassa ou Patassé. Et rien ne dit que le Centrafrique ne va plus donner naissance à ces bourgeois politico-bureaucratiques qui saignent l’économie nationale. La justice se doit de faire son travail, en toute indépendance. Mais, accuser tous les anciens dignitaires du régime précédent et tous les cadres qui n’ont fait que servir leur pays, du seul délit de détournement de denier public ne relèverait-il pas d’une stratégie visant à donner une couverture juridique et légale à des arrestations dont la plupart ne sont que des règlements de compte politiques ? Pêle-mêle, des compatriotes civils et militaires, proches de l’ancien régime tels que Mamadou Gari, notable à Mbaïki, Anicet Saulet, Chaïr Walidou, Mathias Répago-Goneyo, Constant Ngouyongbia, Christophe Grélombé, Edouard Akpékabou, Augustin Ngbanda, et bien d’autres, avaient été arrêtés et jetés en prison à partir de 1994. La population carcérale avait atteint, en quelques mois, un niveau tel que les geôles des commissariats de police et de la gendarmerie nationale étaient transformées en centres de détention. Aujourd’hui, nombreux sont les compatriotes qui pourraient se souvenir encore de ces rassemblements des parents, amis et connaissances des « prisonniers de la Victoire » devant la maison d’arrêt de Ngaragba, tous les dimanches dans la matinée. Nombreux sont les compatriotes qui devraient se souvenir encore de ces passages obligés au tribunal de grande instance de Bangui pour négocier ces sésames que sont les « permis de communiquer ». Ce sont ces documents qui doivent permettre de rendre visite aux « bannis de la République » à Ngaragba. Et on ne se souviendra jamais assez des tracasseries, des humiliations et des provocations du capitaine Yossé, véritable « seigneur » de Ngaragba... On se souviendra surtout de la terreur du lieutenant Gbéngaïna, chargé par le pouvoir de la liquidation physique de ceux qu’on dénommait les ennemis de la République. Les arrestations avaient été telles que le général Kolingba qui s’était retiré de la vie publique depuis l’investiture du

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président Patassé, avait cru devoir solliciter une audience auprès de son successeur, pour venir se constituer prisonnier… C’est ici le lieu de préciser que depuis la passation des pouvoirs à son successeur Patassé, le général Kolingba avait été littéralement séquestré dans sa propriété de Ouango, avec interdiction de se rendre dans sa ferme de Mboko, gardée par des militaires du régime. Interdiction aussi de se rendre dans ses plantations de Kémbé, dans sa ville natale. Et comme si cela ne suffisait pas, «des incendies» ravagèrent, et ce, le même jour, aussi bien lesdites plantations que la ferme, des hectares de café partis en fumée. Sur le plan financier, la famille Kolingba fut soumise à la diète avec la suspension de ses indemnités d’ancien chef d’Etat, voire de sa pension à la retraite d’officier, au point que Mireille Kolingba fut réduite à l’exploitation d’un vieux minibus. Toutes ces humiliations poussèrent donc Kolingba à demander sa propre arrestation au président Patassé. Mais ce dernier n’accéda pas à sa demande. L’insurrection des militaires avait donc mis un coup d’arrêt à la vague d’arrestations mentionnée plus haut. Ainsi, il était facile de conclure hâtivement à une conspiration du régime défunt avec les militaires en rébellion dont les revendications, au départ, n’étaient que corporatistes... Pour revenir à la deuxième mutinerie de ce mois de mai 1996, les soldats, au regard de l’hypocrisie du pouvoir MLPC qui commença à organiser la distribution sélective des armes de guerre dans la population civile afin de défendre le régime du «grand camarade», cristallisèrent leur position autour de la question de la démission du président Patassé, lors des nouvelles négociations qui s’ouvrirent au palais de l’Assemblée nationale. Et ils avaient les moyens matériels d’y parvenir. Car ils comptaient en leur sein, tous ces éléments du RDOT et du RMI, aguerris par la lutte contre les zaraguina dans l’arrière pays et ils contrôlaient la poudrière nationale du camp Kassaï. Ils étaient en mesure de prendre le pouvoir… Au cinquième jour de ce nouveau soulèvement et à la faveur de la libération du capitaine Anicet Saulet, ils allaient proclamer sur les ondes la fin du régime Patassé. Ce fut à ce moment que les jaguars et les chars de l’armée française entrèrent en action.

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Cette intervention aérienne et terrestre de l’armée française stoppa la marche des soldats sur la station de la Radio diffusion nationale et le palais de la Renaissance. La chute de Patassé, en ce 22 mai 1996, venait d’être évitée in extremis... Cette intervention de la France fut très mal accueillie par la majorité de la population banguissoise qui, dès le lendemain, protesta par une marche à l’issue de laquelle le centre culturel français (CCF) sis au quartier Saïdou, fut incendié. Des entreprises telles que la SAPS au Km 5, la SOCACIG au camp des Castors et bien d’autres, furent également saccagées. Le 27 mai 1996, cette rébellion trouva une issue, grâce encore à l’entremise du commandement français des EFAO. Un accord pour éloigner l’adjudant Isidore Dokodo, les sergents Cyriaque Souké, Kpowka, Koba et cinq autres sous-officiers fut conclu. Ces neuf sous -officiers, «cerveau» de cette insurrection armée furent conduits en France. Et le président Patassé fit voter une loi d’amnistie, promulguée le 30 mai 1996. On ne saura jamais avec précision le bilan de cette insurrection. Toutefois, certains journaux étrangers firent état de 43 morts dont 5 militaires français tués et 238 blessés. Pour l’homme de la rue, il y ’avait eu plus de victimes dans les rangs des troupes françaises.

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CHAPITRE V L’accalmie du Changement Comme les faits l’ont montré, les mutineries, les grèves, les marches de protestation n’avaient pas procédé de la génération spontanée. Elles n’étaient que les effets d’une cause : la mauvaise gouvernance. Et elles avaient fini par convaincre le régime MLPC à revoir sa copie en matière de gestion de la chose publique… Il fut mis en place le gouvernement d’union nationale (GUN) dont les membres étaient issus de tous les partis politiques ayant une représentation à l’assemblée nationale. «Si tous les fils du royaume venaient par leurs mains assemblées, boucher les trous de la jarre percée, le royaume serait sauvé»... Cette sentence du roi d’Abomey allait trouver ici toute sa force. Ainsi le MDD, le RDC, le FPP, le PSD, le PLD et la société civile firent leur entrée au gouvernement. Le Premier ministre Gabriel Jean-Edouard Koyambounou fut limogé et Jean-Paul Ngoupandé, précédemment ambassadeur de la République centrafricaine en France, prit la tête de ce gouvernement d’union nationale (GUN). Le 05 juin 1996, toute la classe politique centrafricaine et la société civile s’engagèrent à œuvrer pour sortir le pays de l’oeil du cyclone par la signature du Protocole d’accord politique (PAP). Elles élaborèrent, un peu plus tard, le Programme minimum commun (PMC) de gouvernement qui aurait dû être le vade-mecum de l’Exécutif. L’application pure et simple de ce PMC devrait, non seulement mettre un terme au pilotage à vue, mais aider le MLPC à avoir un bilan positif pour la postérité... S’il avait été mis en chantier, même partiellement, la République centrafricaine se serait bien passée de ces viols, de ces vols, de ces crimes contre l’humanité qu’elle connut plus tard avec ces hommes et femmes sans foi ni loi du MLC de JeanPierre Bemba.

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Ce fut à cette époque que j’avais cru utile d’exprimer ma centrafricanité en écrivant une lettre ouverte contre toute forme d’embrasement du pays, sous forme d’article, dans laquelle j’avais dénoncé les méfaits de ce fléau, tout en appelant à l’unité nationale, vertu cardinale du développement, cette unité prônée par Barthélemy Boganda au point d’en faire le premier mot de la devise du pays. Je conviais, à la fin de l’article, à la formation d’un collectif opposé à la guerre civile. En voici quelques extraits. « Cher compatriote, quelle que soit ta famille politique ou syndicale, tu es mon frère, tu es ma soeur avant tout et je veux te laisser parler mon coeur au lendemain de ces évènements du mois de mai 96 dont notre pays a été le théâtre. Nous avons tous failli, à des degrés divers, à notre devoir de solidarité sociale… Toi et moi, nous étions en bonne intelligence. Et je suis peiné de ce que tu me fuis maintenant du regard et que, depuis, tu fais montre d’une froideur inhabituelle. Ce changement dans ton comportement est-il dû à mes racines ? Mais mon frère, ma sœur, j’ai toujours été ce que je suis… Est-il besoin que je clame haut et fort mon aversion pour le tribalisme, l’ethnisme, le régionalisme, le racisme et la xénophobie pour que tu me comprennes ? Toutefois, je te rappelle ou je t’apprends que je suis « YakoMandja », un métis bon teint… J’ai été sidéré en apprenant que les partisans du génocide planifié t’ont demandé, à toi mon frère, de divorcer d’avec ta femme parce qu’elle est de la forêt ou du fleuve. Quelle ignominie ! … Pour terminer, mon frère, ma soeur, je souhaite avec ton concours, conjurer la guerre civile par la création du «Collectif contre la guerre civile en Centrafrique». Tu peux prendre contact avec moi par l’intermédiaire de ton journal, Le Novateur. L’interprétation de cette lettre ouverte, pour moi, est que le pays était bel et bien au bord des affrontements inter ethniques, car tous les ingrédients étaient réunis. L’unité nationale a été soumise à rude épreuve et la société centrafricaine n’était pas loin d’un enclos où devaient vivre des chiens, des chats et des souris…Et c’était aussi dans ce contexte que l’Eglise catholique, à travers la Conférence épiscopale pour la promotion de la justice sociale et la paix en Centrafrique, avait publié une lettre pour

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dénoncer la montée du tribalisme et les risques d’une guerre civile. En voici les grandes lignes : « La Commission épiscopale ‘‘Justice et paix’’ tient à attirer l’attention de toute la communauté centrafricaine et plus particulièrement des chrétiens et croyants sur l’éclatement au grand jour et la manifestation du tribalisme…De nombreux citoyens ont été inquiétés, violentés et pourchassés du seul fait de leur appartenance à une ethnie haïe. Certains ont dû quitter leurs quartiers où ils sont nés, ont construit et vécu en parfaite harmonie avec ceux qu’ils ont toujours considérés comme leurs frères. » C’est cette société, où le ressort de la conviction qu’aurait chaque citoyen d’appartenir à une même nation a été brisé, que le gouvernement d’union nationale de Jean-Paul Ngoupandé devait remettre en place. Rétablir la confiance entre les Centrafricaines et Centrafricains, organiser les Etats généraux de la Défense nationale et exécuter le Protocole d’accord politique par la mise en œuvre du Programme minimum commun, tels furent les grands axes de l’action gouvernementale…Tâche ardue, au regard des forces antagoniques en présence. Le gouvernement Ngoupandé ou le gouvernement du « donnant-donnant » n’avait pas eu les coudées franches pour mener à bien sa mission, bien qu’un coup d’arrêt fût donné aux multiples voyages de certains ministres, des déplacements sans retombées économiques pour le pays, et surtout, aux pérégrinations planétaires de Patassé, et qui saignaient le Trésor public. Cette rigueur qui aurait pu être salutaire pour le pays, fut très mal perçue par le système MLPC. Les nouveaux ministres, n’appartenant pas au parti au pouvoir, ne devaient pas réorganiser leur département par des mouvements de personnels. Ils ne pouvaient que nommer leurs chefs de cabinet... On se rappellera à cet effet, l’appel lancé sous forme d’injonction aux membres du gouvernement par le président Patassé : « Ne touchez pas à mes militants ! »... Inutile de dire que cette règle de conduite avait paralysé le fonctionnement normal des départements ministériels dont les chefs n’étaient pas membres du MLPC. Certains ministres ne s’en référaient qu’à Patassé tout en ignorant superbement

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l’existence du chef du gouvernement. Les rapports entre le Premier ministre, chef du gouvernement et les caciques du MLPC étaient si exécrables que son directeur de cabinet, Abdou Karim Méckassoua, fut victime d’un traitement vexatoire et sauvage de la part des éléments de la sécurité présidentielle... La résolution de la crise passait naturellement par un effort collectif de la population qui se devait de privilégier tout ce qui pouvait concourir à la restauration et à la consolidation de l’unité nationale. Il fallait réduire les tensions, taire les rancoeurs et résorber les haines, tout en valorisant les compétences et veiller au respect de l’équilibre ethnique et régional dans l’administration civile et militaire. Peine perdue… Le député Agba Otikpo Mézodê, membre de la Convention nationale, parti allié au MLPC, dans un pamphlet intitulé « De la responsabilité négative pendant les évènements du 18 avril au 28 mai 1996 », paru dans la livraison N° 321 du journal Le Novateur, annonça très rapidement les véritables intentions du pouvoir en matière de gestion de l’après mutinerie et une conception particulière de l’amnistie. Le député de Grimari, sur un ton péremptoire affirmait, en parlant de l’Armée nationale : «Cette exaspération de sentiment de rejet s’explique par le fait que les Forces armées centrafricaines (FACA) ont été et demeurent toujours aujourd’hui une armée d’un groupe appartenant à une ethnie minoritaire dont la seule raison d’être a été la perpétuation d’un régime de dictature de clan »... Dès lors, il ne se passait plus un seul jour où des actes de nature à saper le moral des troupes et démolir complètement ce qui pouvait rester comme esprit de corps, étaient posés. Une sournoise chasse aux mutins fut lancée. Le capitaine Jules Kogbia du régiment de soutien (RS), le lieutenant Koy Kouasset du RDOT, le lieutenant Christophe Bénza de l’EBI et le sergent-chef Kouzounguéré du RS, virent leurs logements de fonction, affectés à d’autres militaires. Quant au gendarme de 1ère classe Georges Kouaré du service mixte des transmissions de la sécurité présidentielle, il dut passer des jours et des nuits dans les geôles de la brigade de recherche et d’investigation, sans motif valable…Et il ne serait pas erroné d’affirmer que

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l’on venait de découvrir les liens de sang qui existent entre ce technicien des transmissions et le capitaine Anicet Saulet… La résolution de la question militaire impliquait l’organisation des Etats généraux de la Défense nationale. Cette instance devait juguler la crise et définir la place de l’Armée dans la démocratie centrafricaine. Mais le pouvoir, par la plume du député Agba Otikpo, s’employait insidieusement à préparer l’opinion à une purification ethnique au niveau de cette institution. Les nominations au niveau de la hiérarchie militaire du 15 juin 1996 venaient consacrer le durcissement du pouvoir MLPC qui n’appréciait que du bout des lèvres l’avènement du gouvernement d’union nationale. Le 22 juin 1996, l’effervescence observée au niveau du front syndical, notamment le mot d’ordre de grève de la Fédération syndicale des enseignants de Centrafrique (FSEC-USTC), s’estompa. Le dialogue initié par le Premier ministre en direction des cinq centrales syndicales avait permis d’éviter la grève en cette fin d’année scolaire. Les examens scolaires du brevet et du baccalauréat eurent lieu, malgré tout, mais dans des conditions très particulières… Il y a lieu de souligner ici le noyautage de la Direction des examens et concours par le MLPC et la forte politisation de l’administration scolaire qui faisaient que les diplômes nationaux furent quelquefois des récompenses pour les adhérents du Mouvement de libération de la jeunesse centrafricaine (MLJC), émanation du MLPC. Et si on ajoute à cet état de choses la corruption quasi-généralisée qui poussaient la plupart des parents à croire, à tort ou à raison, qu’il fallait soudoyer nécessairement des enseignants pour garantir la réussite de leur progéniture, on pouvait imaginer la suite... Les fuites de sujets d’examen du brevet de l’enseignement du premier cycle (BEPC) en cette session de juin 1996, eurent pour conséquence un conflit entre l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) et la Direction des examens et concours (DEC), quant à l’organisation des épreuves du baccalauréat. Toute cette ambiance de nuit noire de l’éducation nationale était chapeautée par le ministre Albert Mbério, un des caciques du MLPC. Et ce qui suit, pourrait édifier

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sur la gestion controversée et l’amateurisme dans la conduite des affaires de l’Etat, au niveau de l’éducation nationale. Pour surveiller et corriger les examens du baccalauréat de cette année 1996, le ministre promit de faire appel à des enseignants du Congo, du Gabon et du Tchad. Plusieurs enseignants nationaux furent écartés. Ils avaient en commun de ne pas appartenir, ni au MLPC, ni à l’OSLP. Sur la liste des personnes alignées pour cet examen figuraient des amis et parents de certains responsables éducatifs, des étudiants et des individus non enseignants. Les centres d’examen connurent une pagaille indescriptible. Certains présidents de centres d’examen eurent l’outrecuidance de ne pas retenir des fonctionnaires, pourtant régulièrement convoqués. Ce fut le cas par exemple, de l’enseignant Edmond Yaouili, professeur au lycée de Bossangoa qui, devant officier au centre d’examen du lycée Barthélemy Boganda de Bangui, fut prié d’aller se faire voir ailleurs… Les enseignants de l’Académie du Sud-Est avaient vécu une rocambolesque aventure. Ces fonctionnaires, malgré la conjoncture difficile, mirent tout en œuvre pour être à Bangui le lundi 22 juillet à 21 heures, c’est-à-dire avant le début des épreuves. Voici le film de leur odyssée. Le samedi 20 juillet 1996, en fin de journée, Radio Centrafrique publia les arrêtés portant convocation des enseignants retenus pour l’examen du baccalauréat. Alerté, le proviseur du lycée moderne de Kémbé, Béanam Marcel, les avisa et leur demanda de prendre la route pour Bangui et ce, sans les convocations. Il aura fallu que la providence fasse qu’un gendarme, parti à Dimbi pour le marché hebdomadaire, retrouvât par hasard les enveloppes contenant lesdites convocations et qui lui avaient été remises par un receveur de taxi-brousse. Un transporteur accepta de prendre nos examinateurs, à crédit. A Bambari, ils furent contraints de passer la nuit dans l’autocar, avec en prime, un jeûne forcé de 48 heures. Les responsables du car « Super Dynamic » leur confisquèrent leur sac de voyage ainsi que leurs cartes professionnelles à leur arrivée à Bangui, dans l’attente du règlement des frais de transport.

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Un chef de service de la Direction des examens et concours les orienta, le mardi 23 juillet au Centre d’examen du lycée Barthélemy Boganda où l’accueil fut l’étonnement des responsables dudit centre. Ils revinrent de nouveau vers les responsables de la Direction des examens et concours qui, tantôt les invitèrent à prendre contact avec l’inspection d’Académie de Bangui -Vakaga, tantôt d’attendre, sans qu’une solution concrète fût trouvée à leur préoccupation immédiate, à savoir, la prise en charge de leur frais de transport. Ce qui devait leur permettre de retirer leur sac de voyage et leurs cartes professionnelles… Dans la plupart des centres d’examen de Bangui, des individus dont le génie du Changement détenait le secret de leur sélection, étaient alignés pour la surveillance des épreuves écrites, en lieu et place de certains enseignants régulièrement convoqués… Bonjour la fraude et bienvenue aux triches ! La mise à l’écart d’une importante frange de la famille enseignante, malgré l’engagement de faire appel à des enseignants étrangers, eut pour conséquence une confusion et un désordre, tant au niveau de la conception des sujets qu’à celui de l’organisation de cet examen en cette année. A la situation des professeurs de province régulièrement convoqués mais qui furent malgré eux, en vadrouille à Bangui, étaient venus s’ajouter des problèmes de fond. Tous les candidats des séries scientifiques C et D, boycottèrent les épreuves de sciences naturelles au centre d’examen du lycée Jeanne-Marie Caron de Bangui. Au lycée scientifique Cécile Digo de Kémbé, le même problème eut lieu. En effet, des erreurs qui rendaient insolubles les questions posées, s’étaient glissées au niveau de la conception et la rédaction desdites épreuves. Ce qui amena les « éminents responsables du Changement», à faire appel à des enseignants catalogués pourtant hostiles au pouvoir, mais rompus dans cette discipline, pour tout remettre en ordre…Tout se passait alors comme si la République centrafricaine indépendante était en train d’organiser pour la première fois, un examen à ce niveau.

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Les élèves du lycée moderne et du lycée scientifique Cécile Digo de Kémbé furent les seuls à connaître une invraisemblable erreur pédagogique et organisationnelle. En effet, les épreuves d’anglais leur furent envoyées… en partie ! Erreur humaine ou sabotage ? Comment pouvait-il en être autrement pour les élèves de ces établissements qui avaient le « tort » d’être scolarisés à Kémbé, fief du général André Kolingba ? Comment pouvait-il en être autrement pour ces élèves inscrits dans ce lycée qui porte le nom de la mère du général André Kolingba ? Les précautions observées au niveau de l’administration scolaire pour éviter de prononcer « Cécile Digo » en parlant du lycée scientifique de Kémbé, n’expliqueraient-elles pas ces erreurs ou actes prémédités de sabotage de l’avenir de ces jeunes scolarisés dans cette partie du pays ? Le lycée scientifique Cécile Digo, était pratiquement le seul établissement scolaire du pays à être doté d’une salle informatique et d’un laboratoire approprié pour un enseignement expérimental de qualité. Il traduisait la volonté du général André Kolingba de promouvoir l’enseignement des sciences et de la technologie. Grâce à une coopération institutionnelle avec le Collège Lionel Groulx du Québec au Canada, cet établissement s’était hissé au rang des meilleurs établissements du pays. Ainsi, en 1995 par exemple, le taux de réussite au baccalauréat sciences expérimentales y était de 37,04 % contre 34,50% au lycée Barthélemy Boganda de Bangui et 24,80% au lycée d’Etat des Rapides. Seul le lycée Pie XII de Bangui, avec ses 66,67%, le dépassait.

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Etablissements Lycée Pie XII de Bangui Lycée Scientifique Cécile Digo de Kémbé Lycée Barthelémy Boganda de Bangui Lycée d’Etat des Rapides de Bangui

Candidats présentés 33

Candidats reçus 22

Taux de réussite 66,67%

27

10

37,04%

516

178

34,50%

125

31

24,80%

Résultats du baccalauréat, série D, en 1995 (Source INRAP-Bangui) Dans la mesure où cet établissement scolaire avait été construit grâce aux fonds publics, pourquoi les nouvelles autorités n’avaient-elles pas pris la décision de le débaptiser tout simplement et préserver toute l’infrastructure ? Ce joyau du système éducatif allait progressivement, être soumis à la merci du vandalisme, car une subtile stratégie de liquidation qui comprenait la non prise en charge du personnel d’entretien et la non-affectation de personnel enseignant et administratif par l’administration centrale, avait été élaborée et mise en œuvre. Et je suis en droit d’ajouter que le Changement, au-delà de l’exemple du lycée Cécile Digo, avait méthodiquement ‘‘tué’’ l’Ecole dans les régions Sud et Sud-Est du pays… Avec la suspension de la grève des enseignants qui avait permis l’organisation des examens en cette fin d’année 1996, la priorité gouvernementale était la tenue des Etats généraux de la défense nationale et le ramassage des armes de guerre disséminées dans la population civile. Le 17 juillet 1996, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bangui, Alain Ouaby Békaï, délivrait l’ordre de perquisition N°1828 au Comité mixte de désarmement. Des fouilles domiciliaires, bien ciblées, furent

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menées pour rechercher des armes de guerre. Un jour, pendant que je siégeais au Bureau du Comité préparatoire des Etats généraux de la Défense nationale dont l’ordre du jour portait sur le crucial problème du ramassage des armes, une équipe de ce Comité de désarmement, sur la base de fiche de renseignement mensonger, fit une descente chez moi, au domicile familial au quartier Sara-Kaba, sur l’avenue de France. Je devrais être arrêté lors de cette séance plénière si jamais des armes avaient été trouvées chez moi ! Le Comité mixte de désarmement, placé sous le commandement du général François Bozizé, ne disposait pas suffisamment de moyens de travail. Les « boîtes à suggestions » que ce responsable fit mettre à la mairie centrale de Bangui et dans les commissariats de police, n’avaient vraiment pas contribué à aider cette structure dans sa mission. Ou du moins, on donnait l’impression de vouloir ramasser des armes de guerre. Alors que la démarche raisonnable aurait été d’exploiter une liste de noms de personnalités qui avaient eu à distribuer des armes de guerre dans la population civile et que le sergent Cyriaque Souké aurait remis au chef du gouvernement de l’époque. Cette question, soulevée par les représentants des travailleurs lors d’une précédente séance des Etats généraux et qui n’avaient pas eu de réponse, ne serait-elle pas à l’origine de la descente de ce Comité de désarmement en mon domicile ?

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CHAPITRE VI Autopsie des Forces armées centrafricaines Les insurrections militaires d’avril et mai 1996 étaient l’expression d’un profond malaise dont l’origine fut, en partie, l’état de délabrement de l’Armée avec comme corollaire, la précarité des conditions de vie et de travail du militaire et du gendarme. Depuis leur création en 1961, les Forces armées centrafricaines avaient participé de manière active au développement social, économique et culturel du pays. L’une des avenues de Bangui, qui a résisté longtemps à la dégradation et à l’érosion, à savoir l’avenue Benzvi, avait été construite par le génie militaire. Sur le plan culturel, nombreux sont ces jeunes mélomanes de Bangui des années 70-80 qui peuvent encore avoir en mémoire les rythmes endiablés de l’orchestre «Commando-Jazz » à l’escadron monté… Les Etats généraux de la défense nationale furent un moment historique, au cours duquel la nation entière avait réfléchi de manière sereine et responsable sur les Forces armées et la Défense dans sa globalité. Les pouvoirs publics, les confessions religieuses, les centrales syndicales, la société civile ainsi que les soldats y avaient débattu des questions relatives à la politique extérieure de défense, la défense militaire, la défense civile ainsi que la défense économique. Ces instances furent précédées par les travaux du Comité préparatoire, placé sous la présidence du général François Bozizé, Inspecteur général des Armées. Du 29 juillet au 12 août 1996, des commissions techniques avaient déblayé le chemin de ce forum qui se déroula du 19 août au 9 septembre 1996. La phase préparatoire avait donné l’occasion aux responsables des différents corps de l’Armée de faire faire un examen clinique de tous les régiments. Les différents comptes-rendus des séances de travail au niveau des régiments permirent à la Commission défense militaire, placée sous la présidence du lieutenantcolonel Ernest Bétibangui et du Colonel Jules Ouandé, de

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préparer le volet militaire de ces Etats généraux. J’eus le privilège, au nom des centrales syndicales, d’avoir été désigné rapporteur général de cette Commission ; l’abbé Célestin Ketté, représentant l’Eglise catholique, fut mon adjoint. A ce titre, tous les comptes-rendus ou documents émanant des militaires et gendarmes, nécessaires à la compréhension du délabrement des forces de défense et de sécurité me furent communiqués. Je dois avouer ici que mon passage dans cette structure m’avait permis de connaître un peu mieux le monde des hommes en tenue. Et mon implication à ce niveau de la préparation des assises des Etats généraux de la défense nationale avait été sanctionnée plus tard, par mon élection dans le Bureau de ce grand forum national. Je ne voudrais pas donner une version édulcorée de ces comptes-rendus par une synthèse qui les priverait de leur substantifique moëlle. Ainsi, je prierai le lecteur de trouver en annexe, tous ces documents, jamais publiés et qui permettent, d’une part de donner de l’éclairage sur cet autre aspect du mal centrafricain et d’autre part, de toucher du doigt les principales causes des mutineries d’avril et mai 1996. A mon sens, ils constituent le complément au Document final des Etats généraux de la défense nationale de 1996. Qu’il me soit encore permis de souligner ici la chance historique qui m’avait été donnée de prendre une part active à cette grande rencontre, en qualité de représentant des centrales syndicales, d’abord comme rapporteur général de la commission « défense militaire » du Comité préparatoire et ensuite, comme premier rapporteur général adjoint du Bureau. Aussi et surtout, avais-je eu la charge de proposer, à la demande du général François Bozizé, l’agencement de tous les textes du Document final de ces états généraux. Un Comité de correction et de mise en forme avait adopté ledit document avant son édition par l’imprimerie centrafricaine. Le président du Bureau des Etats généraux de la défense nationale, le ministre Jean Metté-Yapendé, avait accepté de signer le texte que j’avais écrit, et qui sert d’avant-propos à ce Document final. Je ne manquerais pas d’évoquer enfin toutes les difficultés rencontrées lors de la rédaction du chapitre introductif du Document final sur l’évolution des Forces armées centrafricaines. En effet,

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il était impossible d’avoir accès aux archives du ministère de la Défense nationale et ce fut grâce à la documentation personnelle du général Xavier-Sylvestre Yangongo que j’avais pu rassembler quelques éléments d’information nécessaires. Et, en raison de la place qu’occupe le sous-lieutenant Koudoukou, non seulement dans l’histoire de la République centrafricaine mais aussi dans celle de notre Armée, je fus obligé de me déplacer, grâce au député Faustin Yérima qui mit à ma disposition son véhicule et son chauffeur, à l’école Koudoukou pour glaner, à partir des inscriptions gravées sur le monument Koudoukou, quelques renseignements sur cet illustre militaire oubanguien, compagnon de la Libération, né vers 1894 à Fort-Crampel et tombé sur le champ de bataille le 11 juin 1942 à Bir Hakeim. Il convient de noter que l’ouverture des travaux des Etats généraux de la défense nationale avait donné l’occasion à la presse privée et indépendante de s’enrichir d’un nouveau titre, à savoir le quotidien Le Citoyen, dont le directeur de publication n’était que celui de l’hebdomadaire satirique La Tortue déchaînée, Maka Gbossokoto. Il venait ainsi renforcer Le Novateur de Marcel Mokwapi, dont l’audience ne cessait de croître… Le président Georges Clémenceau disait que « la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux seuls militaires. » Je me permets de le paraphraser pour affirmer dans le même sens que la défense de la patrie ou défense nationale est si importante qu’elle interpelle autant les militaires que les civils. Ce n’était pas donc sans raison que toute la société centrafricaine, à travers ses diverses composantes, à savoir les pouvoirs publics, l’assemblée nationale, le pouvoir judiciaire, les collectivités territoriales, les partis politiques, les confessions religieuses, les travailleurs organisés au sein des centrales syndicales, les organisations de défense des droits de l’homme et toute la société civile, s’était penchée du 19 août au 9 septembre 1996, sur la problématique de la Défense nationale. Les mutineries d’avril et mai 1996 qui furent la manifestation concrète du profond malaise au sein des Armées devaient avoir une réponse adéquate pour que les filles et fils du Centrafrique s’attèlent en toute quiétude, au problème du développement.

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Le Bureau des Etats généraux de la défense nationale, à travers sa composition, reflétait les différentes entités convoquées. Avec le ministre de la Défense nationale, des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, Jean MettéYapendé, président, l’Inspecteur Général des Armées, le général François Bozizé et le magistrat Sylvain Nzas, vice-présidents, le député Faustin Yérima, le syndicaliste Clotaire Saulet Surungba et l’adjudant Mathias Kongombé, rapporteurs généraux, Anne Yamalet, trésorière, les délégués avaient travaillé d’arrache-pied pour apporter des propositions de solutions sous forme de recommandations, aux mille et un problèmes de la Défense dans sa globalité : politique extérieure de défense, défense civile, défense économique et défense militaire. Dans le domaine de la politique extérieure de défense, des carences avaient été identifiées dans la conduite des affaires au niveau du ministère des affaires étrangères. Des recommandations avaient été formulées pour rendre la diplomatie centrafricaine plus agressive, au sens noble du terme. Elles étaient relatives à : • l’adaptation des accords de défense et d’assistance militaire technique aux réalités nationales, • la contribution de la politique extérieure de défense au développement du système de défense, • la participation de l’Armée centrafricaine aux opérations de maintien de la paix, • la sécurité au niveau des frontières liée à la question de la transhumance, au braconnage et d’autres facteurs d’insécurité, • les règlements pacifiques des conflits, • le respect des frontières territoriales nationales. La défense civile qui englobe la police centrafricaine, les services des eaux et forêts, le comité national de lutte contre l’incendie, les feux de brousse et autres calamités, le bataillon des sapeurs pompiers, la douane, la police municipale, les partis politiques, les syndicats et les organisations non-gouvernementales devaient voir leurs structures administratives renforcées par des recommandations spécifiques.

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Définie comme l’ensemble des mesures qui tendent à mettre le potentiel économique du pays au service de la politique générale de défense afin d’assurer, en cas de menace contre l’intégrité territoriale et la vie de la Nation, la défense économique a été bien appréhendée dans toute sa complexité par des mesures relatives à : • l’adoption d’une loi portant organisation générale de la défense nationale, • la sécurité et la protection des voies de communication, • la participation des forces armées ainsi que des forces paramilitaires au processus de développement économique, • le contrôle de la production et de la répression de la fraude, • la participation de la population à la défense économique, • la création de zones franches, • la lutte contre le trafic de la gomme arabique et, pour finir, • le cadre juridique devant régir les pisteurs. Pour ce qui est de la défense militaire, composante fondamentale de la défense nationale, elle est exécutée par le ministère de la Défense nationale ou ministère des Armées. La mission principale d’une armée étant d’assurer en tout temps, en toute circonstance et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire ainsi que la vie de la population, il y a lieu de dire, au regard des réalités nationales, que les armées centrafricaines sont en veilleuse, voire en hibernation… Désarticulées, désorganisées, démoralisées sans doute, les armées centrafricaines doivent renaître de leurs cendres. Le diagnostic effectué a mis en exergue un certain nombre d’anomalies dont notamment : • l’absence d’une véritable gestion de ressources humaines, • la non-application des textes régissant le fonctionnement des armées, • les mauvaises conditions de travail et de vie des militaires et gendarmes, • la vétusté du matériel et de l’équipement,

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• le tribalisme et l’intrusion de la politique au sein de l’armée, • la faiblesse des effectifs engagés dans les opérations. En effet, seulement 4% des officiers, 6% des sous-officiers et 12% des militaires du rang sont opérationnels en 1996. Nombre de militaires sont utilisés à des tâches domestiques, d’aides de camp ou comme porteurs de serviettes des autorités en province. La quarantaine de recommandations adoptées couvrait des domaines aussi variés que la réforme de l’organigramme de la Défense nationale, les modalités de versement des primes globales d’alimentation (PGA), la création des caisses mutualistes, le recrutement dans les armées par voie de concours sur toute l’étendue du territoire national, ouvert aux centrafricains des deux sexes titulaires au moins du brevet d’enseignement du premier cycle (BEPC) ou brevet des collèges (BC), la participation des armées au développement économique, social et culturel etc… Le centre national de recherches et d’investigations (CNRI), la section enquêtes, recherches et documentation (SERD) et la sécurité présidentielle (SP) avaient fait l’objet de débats assez vifs. Ainsi par exemple, les délégués furent témoins de la passe d’armes entre le Commandant Charles Massi et Jean-Jacques Démafouth, responsable du centre national de recherches et d’investigations (CNRI) sur les moyens colossaux mis à la disposition de cette structure. Ils apprenaient aussi, avec stupeur que des ordres étaient donnés par le commandement aux militaires en campagne contre les zaraguina dans l’arrière-pays, pour “gérer parcimonieusement” les munitions alors qu’ils étaient souvent à court de munitions et que certaine structure, à l’instar de ce même CNRI ou la sécurité présidentielle, était toujours pourvus en moyens de travail en quantité suffisante. Il avait été proposé la dissolution du CNRI et la création d’une autre structure au sein du ministère de l’administration territoriale et de la sécurité publique, mais placée pour emploi auprès de la présidence de la République. La structure à créer devait se limiter à la collecte, au tri et à l’analyse des

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renseignements et leur regroupement éventuel en vue de faire des propositions d’action ou d’orientation à l’autorité politique. Cette mission devait exclure toute forme d’action militaire ou de police judiciaire. La SERD, à travers son fonctionnement, était une structure qui se superposait à la gendarmerie nationale et à la police nationale. Ainsi, il avait été retenu sa dissolution pure et simple et le retour de ses éléments à leurs corps d’origine. Quant à la sécurité présidentielle, il avait été suggéré de la cantonner à son rôle, comme l’indique le décret de création, à la sécurité du président de la République, de sa famille, de ses proches collaborateurs, des résidences et palais présidentiels. Elle devait abandonner la police de l’air et des frontières, la police fiscale (barrages douaniers), la surveillance territoriale de certaines zones à l’intérieur du pays et de certains points de la ville qui relèvent statutairement et respectivement de la police, de la gendarmerie, de la douane et de l’armée. L’excédent d’effectif ainsi dégagé devait retourner aux différents corps d’origine où il manquait tant d’éléments pour leur fonctionnement normal. Il faut noter que lors de ces assises, des contributions des forces armées des pays amis ont été apportées sous forme de communications. Du « rôle de l’armée dans la démocratie » du général d’armée Idriss Ngari du Gabon à « l’organisation des forces armées sénégalaises » du colonel Joseph Gomis en passant par « la condition militaire et la gestion du personnel dans une armée moderne » du lieutenant-colonel Jean-François Lafaye de l’armée de terre française et « la protection juridique des victimes de guerre dans le droit international humanitaire » du professeur Barthélemy Yangongo-Boganda, les délégués aux Etats généraux ont pu mesurer le chemin qui reste encore à parcourir pour que les forces de défense et de sécurité centrafricaines s’inscrivent dans la dynamique armée-nation en vue de participer efficacement à la bataille du développement. Le clou de ces Etats généraux de la Défense nationale aura été sans doute la communication du général de brigade Amadou Toumani Touré (ATT). En se fondant sur l’exemple malien,

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ATT a éclairé l’auditoire sur le rôle de l’Armée, garante de la démocratie et de l’ordre républicain. Un résumé succinct de cette brillante communication de ce 27 août 1996 s’impose pour nous permettre de revivre ces moments. Le président Amadou Toumani Touré, après avoir mis en exergue la nécessité pour chaque pays d’avoir une armée, bien que cette dernière soit suspectée d’avoir en son sein des militaires fossoyeurs de la démocratie en Afrique, s’est employé dans un premier temps à faire l’historique des armées en Afrique. Ensuite, l’exposé s’est articulé autour du rôle de l’armée, l’armée et l’instabilité politique et l’armée facteur de stabilité. Il est plus facile de penser simple que de penser juste. Ainsi, les évènements douloureux que les pays africains ont connu ne doivent pas amener à continuer à diaboliser l’armée qui est souvent incomprise. Car elle n’est pas nécessairement une menace essentielle à l’évolution démocratique. Il a illustré cette assertion par un proverbe malien qui dit : « Si tu tues ton chien parce qu’il est méchant, attends-toi un jour, à être mordu par le chien du voisin. » L’africanisation de l’armée française par la création des « tirailleurs sénégalais » le 21 juillet 1857 et la loi française du 7 juillet 1900 portant organisation des « troupes coloniales » ont marqué le fondement historique des armées en Afrique. A l’indépendance des Etats en 1960, les armées sont devenues le symbole de l’Etat et le symbole de la souveraineté nationale. Elles sont issues essentiellement d’une transition entre le pouvoir colonial et le pouvoir national d’une part, et d’autre part, elles proviennent des mouvements de libération ou des guerres de conquête de l’indépendance. Il en résulte, de ce fait, une diversité dans leurs fondements, une diversité par les moyens dont elles bénéficient et enfin, une diversité dans leurs relations avec le pouvoir politique. Du rôle de l’armée, l’orateur a précisé que la politique de défense a pour objectif d’assurer la sécurité du pays et de permettre la poursuite du projet politique. Quant à la politique militaire, fondée sur la politique de défense, c’est la création et l’emploi des forces.

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L’armée est apolitique et théoriquement, elle n’est ni préparée, ni apte à la gestion politique d’un Etat. Mais de 1959 à 1966, la politisation progressive de l’institution militaire et la perpétration des coups d’Etats, due à des facteurs conjoncturels compréhensibles tels la pression de rue sur l’armée appelée à mettre fin au pouvoir des dirigeants en place ou des facteurs structurels tels que l’absence d’intégration nationale, les luttes ethniques, le régionalisme, la mauvaise gestion économique, ces facteurs-là font que l’armée soit source d’instabilité politique. La force principale des armées réside dans la discipline et dans les approches humaines qui facilitent cette discipline. A cet effet, le commandement doit prendre de l’ascendance sur les hommes par l’exemple. Tout en fustigeant une armée à base ethnique, régionaliste, force prétorienne à la dévotion d’un homme ou une armée oisive et démunie du minimum vital qui est par essence un facteur de déstabilisation, le président ATT a rappelé deux règles essentielles que tout militaire doive observer. Il s’agit de la légitimité du pouvoir qui fait que l’armée n’est ni au-dessus, ni en dessous de la loi, et la subordination de la force armée au pouvoir politique. La conclusion de cette communication, par sa profondeur, devrait orienter positivement les débats de ce forum national sur les forces de défense et de sécurité. Elle interpelle tout le monde. « Aujourd’hui, il convient d’aller à l’écoute de l’armée, par la tenue de séminaires, des états généraux, de Journées Portes Ouvertes, de contrôle parlementaire et de grands rapports pour mieux la comprendre et mieux la gérer. L’armée ne peut et ne doit pas être une catégorie à part ; elle est partie intégrante de la Nation ; il ne saurait en être autrement. Une armée mal équipée, mal nourrie et mal payée est source d’instabilité ; mais l’Etat ne peut donner aussi à l’armée que ce qu’elle a, d’où nécessité d’une programmation adéquate… Il faut dans l’analyse, prendre en compte la pluralité de la société, ainsi que les caractéristiques politiques, économiques, militaires. Cependant, ces facteurs spécifiques et complémentaires ne peuvent s’épanouir que dans le cadre d’un Etat de

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droit, reposant sur le respect des valeurs africaines fondées sur l’expression de la volonté populaire, ainsi que sur la séparation et l’équilibre des pouvoirs, la liberté et la promotion des droits fondamentaux de l’Homme, la moralisation de la vie publique et politique… Pour terminer, je tiens à rappeler que pour la mise en place d’une armée crédible et motivée, il faut d’abord se convaincre que la crédibilité de toute institution militaire passe par la valorisation morale et matérielle de l’armée, si on la veut facteur de stabilité politique. » Durant un peu plus de trois semaines, les délégués civils et militaires, avaient fait une approche clinique des principaux maux qui gangrenaient les forces de défense et de sécurité dans toute leur globalité. Ils adoptèrent sept recommandations relatives à la politique extérieure de défense, dix recommandations relatives à la défense civile, treize sur les perspectives d’avenir et quarante recommandations pour la défense militaire. Ils jetèrent ainsi les bases de la nouvelle Armée centrafricaine qui devait être: • une armée républicaine, bien gérée, disciplinée, respectueuse des institutions démocratiques et capable d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire national ainsi que la vie de la population, • une armée participant pleinement à l’effort national de développement social, économique pour permettre à la R.C.A de relever le pari du développement humain durable à l’heure de la mondialisation. Puis-je me permettre d’affirmer que ces Etats généraux avaient fait l’impasse sur la « défense culturelle » ? En effet, je suis de ceux qui croient que le développement humain durable de la République centrafricaine implique la prise en compte des pratiques religieuses, des productions artistiques et littéraires, des us et coutumes des régions, des tribus et des ethnies de ce pays sans littoral, avec une influence certaine des pays limitrophes, mais dont la population est caractérisée par l’usage commun d’une langue, le sango. En

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d’autres termes, la culture centrafricaine est une richesse comme le diamant ou la faune…Elle a besoin d’être valorisée et préservée. L’hospitalité légendaire et le pacifisme qui sont les caractéristiques des populations centrafricaines, cette dimension de la « centrafricanité », ne doivent pas être dilués ou phagocytés par la mondialisation. L’identité culturelle centrafricaine doit être protégée dans le cadre d’une politique cohérente de défense nationale comprenant la défense culturelle. Car il est indéniable qu’il ne peut y avoir de développement endogène sans développement culturel.

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CHAPITRE VII La mutinerie du Collectif des officiers Avec le Protocole d’accord politique (PAP) du 5 juin 1996 assorti du Programme minimum commun (PMC) et les quatre vingt recommandations des Etats généraux de la défense nationale du 9 septembre 1996, la République centrafricaine aurait pu se targuer d’avoir tiré toutes les leçons de la crise militaire qu’elle venait de connaître. En effet, une réelle volonté politique de mettre en œuvre graduellement et méthodiquement les contenus de ces mesures, fruit d’un consensus national, aurait pu faire éviter au pays tout le drame qui va suivre… Les destructions des outils économiques et autres conséquences des mutineries d’avril et mai 1996 avait entamé la confiance des partenaires au développement de la R.C.A. Et les forces hostiles à la réconciliation entre les filles et fils du pays, n’avaient pas renoncé à entraver le fonctionnement normal du gouvernement d’union nationale. Il n’était pas erroné d’affirmer que les caciques du MLPC s’étaient sentis affaiblis par l’adoption du Programme minimum commun et par les conclusions objectives des Etats généraux de la Défense nationale qui n’étaient pas en phase avec certaines préconisations officieuses du régime et pour lesquelles le député Agba Otikpo Mèzodé avait prêté sa plume… Afin de démontrer que c’était bien lui qui était toujours aux commandes de l’Etat et pour rassurer ses camarades du MLPC, le « président-grand-camarade » Patassé, dans une déclaration radiodiffusée, lança, sur un ton ferme, l’appel suivant : «Pendant trois ans, j’ai observé les choses, j’ai été patient et parfois compatissant. Mais aujourd’hui, je te rassure que désormais, il en sera autrement… » Tout observateur averti de la vie politique centrafricaine était censé savoir que les règlements de compte, la chasse aux sorcières, l’ostracisme politique, le culte de l’impunité des militants du MLPC, la duplicité, l’intolérance, les détentions arbitraires furent le lot quotidien de la majorité des centrafricains

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qui n’avaient pas choisi de se prostituer politiquement ou syndicalement depuis le 22 octobre 1993. Cette adresse du chef de l’Etat signifiait que le régime MLPC, affaibli par la crise, venait de retrouver toutes ses forces et entendait gouverner sans partage et sévir. C’était une déclaration de guerre… Ainsi, le directeur de publication du quotidien Le Novateur, Marcel Mokwapi, fut mis aux arrêts. Ce journal, par son indépendance et son objectivité, avait été le porte-parole des voix opprimées et qui avaient pu se faire entendre sous le régime MLPC à cette époque. La brigade de gendarmerie de Landja lança des recherches pour retrouver quatorze militaires dont les sergents Rondossio, Kongbossomo, Yémbé et le capitaine Anicet Saulet. Ancien directeur général de la société centrafricaine de télécommunications (SOCATEL), le capitaine Saulet fut le premier directeur général de société à être relevé de ses fonctions au lendemain du Changement, dès le mois de novembre 1993. Quoi de plus normal que le MLPC, à l’issue de sa brillante victoire électorale, nomme de nouveaux cadres compétents à des postes de responsabilité ! Quoi de plus normal qu’une nouvelle équipe puisse présider aux destinées de la République centrafricaine si l’on peut admettre que la défense de l’intérêt national doit être placée au centre de toutes les actions. Mais là où le bât avait blessé, fut cette volonté manifeste de réduire à néant, au sens propre comme au sens figuré, tous les cadres et toutes les personnes proches de l’ancien régime. Dès le mois de janvier 1994, le capitaine Saulet croupissait dans les geôles du président Patassé à la prison centrale de Ngaragba. Bien que le contrôle de la gestion de la SOCATEL par l’inspection générale d’état (IGE) ne l’eût jamais mis en cause, le pouvoir, pour donner une couverture juridique à des représailles politiques, avait retenu, malgré tout, contre cet officier, une kyrielle de chefs d’accusation dont celui de détournement de denier public. Du fond de sa cellule de prison, il appelait de tous ses voeux un procès équitable qui devrait normalement le blanchir. Et la Saint-Cyrienne, l’association des ressortissants de l’école militaire de Saint-Cyr dont le siège est

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à Paris, était disposée à envoyer un avocat à Bangui pour sa défense. Comment interpréter le fait que la SOCATEL, quelques années plus tard, avec le Premier ministre Anicet-Georges Dologuélé, ait pu dédommager Anicet Saulet pour licenciement abusif ? Comment peut-on verser des indemnités de licenciement à un directeur général qui aurait fait preuve de malversation financière si ce n’est qu’une manière de reconnaître la nullité de tous les chefs d’accusation montés de toutes pièces ? En réalité et l’histoire le démontre aujourd’hui, l’éviction du capitaine Anicet Saulet aurait été l’oeuvre de son successeur, Joseph Zoukétia Boykota, cadre du MLPC. Il se serait vengé de son chef suite à une affectation professionnelle à Bambari, peu avant les échéances électorales de 1992. Aussi, dans les milieux proches du pouvoir, on reprocherait à l’officier Saulet, parent du général André Kolingba et, pourtant parent par alliance du président Ange Félix Patassé car son frère aîné Hubert Saulet-Yavro avait épousé Germaine Madal, nièce de Patassé, à l’époque où ce dernier fut Premier ministre de Bokassa, d’avoir intercepté au profit de la France, des communications téléphoniques du président Patassé avec des amis peu fréquentables sur le plan international… L’une des conséquences de la mutinerie de mai 1996 avait été, comme nous l’avions vu précédemment, la libération de toutes les personnes détenues à la prison centrale de Ngaragba. Cette dernière n’étant plus fonctionnelle, comment comprendre l’acharnement du pouvoir à remettre en prison tous les détenus qui avaient recouvré leur liberté, en particulier le capitaine Saulet que les services de renseignements du pouvoir, dans leur jargon, nommaient « oiseau » ou « cabri » ? La loi portant amnistie aux militaires auteurs des mutineries du 18 au 21avril et du 18 au 28 mai 1996 comportait certaines restrictions. Elle excluait de son champ d’application : • les militaires qui n’auraient pas réintégré la caserne, ceux qui auraient refusé de restituer, dissimulé ou tenté de dissimuler des armes, munitions, véhicules, engins ; ceux qui auraient refusé ou tenté de refuser de se soumettre à l’injonction des autorités civiles ou militaires ;

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• Ceux qui se seraient livré ou tenté de se livrer volontairement à des actes de vol, pillage, incendies, destructions volontaires et sabotage ; • Ceux qui auraient volontairement commis ou tenté de commettre des meurtres et viol, porté ou tenté de porter des coups ou fait des blessures, exercé ou tenté d’exercer des violences, des menaces ou toute autre atteinte à l’intégrité physique ou morale de la personne ou à la propriété ; • Ceux qui volontairement auraient incité, encouragé, aidé par fourniture de moyens, ordre ou incitations aux crimes ou délits susvisés ainsi que les complices, co-auteurs et receleurs tant civils que militaires. Cadre de l’armée et détaché à la SOCATEL et n’émargeant plus sur le budget du ministère de la défense nationale depuis mai 1990, le capitaine Saulet n’était pas visiblement concerné par les restrictions de cette loi. D’ailleurs, on pouvait même dire que la loi d’amnistie ne devrait pas s’appliquer à lui pour la simple raison que lors des mutineries d’avril et mai 1996, il était déjà en détention… La mise en garde du président Patassé qui n’entendait plus être compatissant allait, comme nous l’avions dit précédemment, se traduire par le durcissement du régime. Alors que le protocole d’accord du 1er juin 1996 entre le gouvernement et la délégation des forces armées centrafricaines (FACA) en mutinerie avait prévu, outre l’organisation des Etats généraux de la défense nationale, la mise en place d’un Comité mixte chargé du désarmement, le pouvoir s’employait de manière subtile à rendre caduques les conclusions de ces Etats généraux et des armes de guerre continuèrent d’affluer à Bangui. Dans l’entourage du chef de l’Etat, on se livra à des débats de sémantique sur les termes « recommandation » et « résolution » pour justifier la non prise en compte des conclusions des travaux des Etats généraux de la défense nationale. La recherche de la paix et une réelle volonté politique de sortir le pays de la crise ne commanderaient-elles pas de se tourner sans état d’âme, vers la restructuration de la Défense nationale, à la lumière du consensus national obtenu ? Les propos du général Moustapha Niang, chef de la délégation du

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Sénégal aux Etats généraux, étaient-ils si vite oubliés ? En effet, à l’ouverture de ce forum, cet officier supérieur sénégalais avait affirmé : « Les évènements qui ont occasionné et réuni les conditions de notre rencontre, permettront de mettre en œuvre un laboratoire de recherches approfondies, les Etats généraux, dont les résultats interpelleront la conscience africaine. » Les agents des multiples services de renseignement du pouvoir MLPC, par amateurisme, laissèrent échapper des informations relatives à l’arrestation imminente d’un certain nombre de militaires. A Bangui, à cette époque, il était difficile de faire la part des choses entre une rumeur et une vérité. C’est une ville où les rumeurs avaient droit de cité. Certaines rumeurs finissaient quelquefois par devenir réalité. Ainsi, ces militaires supposés hostiles au régime MLPC, par instinct de conservation, s’organisèrent. Et quand le ministre de la Défense nationale, Jean Metté-Yapéndé, très proche du président de la République, décida de faire arrêter le capitaine Anicet Saulet qui avait retrouvé la liberté à la faveur de la deuxième mutinerie, la section de gendarmes et de policiers commis pour cette opération fut mise en déroute à Gbangouma. Le chef du gouvernement Jean-Paul Ngoupandé n’était même pas informé de la décision de son ministre. Cependant, il lui revenait de gérer la crise qui venait ainsi de naître et dont les conséquences allaient peser sur le pays jusqu’au 18 avril 1997, date du début de réintégration des militaires et gendarmes dans les casernes... Le vendredi 15 novembre 1996, le Premier ministre recevait dans la matinée, les représentants des travailleurs dans le cadre du dialogue social. Et le président Patassé venait de quitter Bangui pour le sommet annuel de la FAO à Rome… Je me rendais à cette séance de travail avec le chef du gouvernement en tant que syndicaliste et, en traversant le marché principal de Bangui, transféré au Jardin public en raison des travaux de réhabilitation du marché central, je fus informé par un ami de la descente des militaires au domicile de mon frère cadet à Gbangouma. M’étant enquis de ses nouvelles grâce à mon téléphone portable, je continuai ma route pour aller remplir mon devoir syndical.

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Nous étions là, une quinzaine de représentants des travailleurs, réunis autour de la grande table de la salle de conférence de la primature. Le Premier ministre, alors qu’il conférait encore avec nous, reçut un coup de fil. La nouvelle paraissait grave et le chef du gouvernement devait être informé en urgence, car son aide de camp s’était permis de l’interrompre de manière intempestive, pour lui tendre l’un de ses téléphones portables. Il se tut un moment et porta l’information à notre connaissance, à sa manière. L’air grave, il nous confie grosso modo : « Je viens d’être informé de l’échec d’une opération qui vise à arrêter le capitaine Saulet ; il y a eu des victimes. » J’avais déjà cette information avant d’entrer en salle. En réalité, les pertes humaines, il en eut surtout du côté des forces de l’ordre. Mais pourquoi le chef du gouvernement, n’avait pas, non seulement été mis au courant préalablement de cette opération, mais aussi et surtout, pourquoi avait-il été informé si tardivement de son échec ? N’avait-on pas là une parfaite illustration d’un bicéphalisme que le Changement avait imposé au niveau du gouvernement d’union nationale ? La débandade des gendarmes et policiers commis pour arrêter le capitaine Anicet Saulet fut le point de départ de ce que l’on appellera la « troisième mutinerie », la plus longue, la plus politique et la plus meurtrière. Les soldats mutins étaient bien renseignés sur les intentions du pouvoir et avaient mis en place le Collectif des officiers, basé au camp Kassaï, dirigé par le capitaine Anicet Saulet alias « Autorité », le porte-parole étant le sergent Rondossio, remplacé peu après par le lieutenant Parfait Anicet Mbay. Ce qui leur avait permis de ‘‘cueillir’’ et de mettre en déroute le peloton envoyé par le ministre de la Défense nationale et les vat-en guerre du MLPC. Très vite, le Collectif des officiers activa le site de Pétévo dans le 6ème arrondissement de Bangui, placé sous le commandement du capitaine Jules Kogbia, du mythique lieutenant Zaou et du lieutenant Gilbert Koyéngba. Bangui revivait les moments de tension d’avril et mai en cet après-midi du vendredi 15 novembre 1996. Les éléments de la sécurité présidentielle, appuyés par les militaires français quadrillèrent la ville, à l’exception des 2e, 6e et 7e arrondisse-

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ments, occupés par les soldats qui venaient à nouveau d’entrer en rébellion. Dès les deux premiers jours de ce troisième soulèvement, les mutins du site de Pétévo n’avaient pu empêcher les éléments français de violer leur territoire que grâce à la ruse. Ils avaient disposé des bouteilles de gaz au carrefour des avenues David Dacko et Claude Conjugo, au niveau du quartier Sango…Ils menaçaient, non seulement de tirer dans ces bouteilles, mais aussi de faire sauter le port pétrolier, au cas où les militaires français essaieraient de franchir la ligne de démarcation. En réalité, ces grandes bouteilles en métal de la société centrafricaine des gaz industriels (SOCAGI) étaient vides et les mutins n’avaient pratiquement pas assez de munitions…La mise à sac d’un commissariat de police et le renfort en armes et munitions envoyées par le site du camp Kassaï, via le fleuve Oubangui, rendirent opérationnel le site de Pétévo quelques jours plus tard. Avec l’occupation du 6e arrondissement de Bangui et le contrôle du port pétrolier, les militaires en rébellion s’emparèrent de l’une des dernières barges de la SOCATRAF qui transportait des hydrocarbures de Brazzaville à Bangui, en cette fin de saison sèche. Ce bateau-citerne qui contenait du pétrole lampant était devenu le « butin de guerre ». Et l’on assistait à ce spectacle insolite où certains mutins, à défaut de bidons ou de fûts, remplissaient carrément les pirogues de pétrole…Beaucoup d’habitants de ces quartiers riverains du fleuve devinrent de véritables vendeurs de pétrole et les billets de banque, dans cette partie de la ville, avaient une forte odeur de pétrole… L’essentiel des forces de défense et de sécurité étant en rébellion, le pouvoir procéda rapidement au recrutement de jeunes qui, après quelques séances de maniement d’armes de guerre, allaient constituer les fameuses milices Karako et Balawa, forces supplétives des militaires loyalistes et des éléments de la garde présidentielle. Ce qui est confirmé par La Lettre du Continent N° 270 dans sa livraison du 21 novembre 1996 : « A Bangui, les milices en formation du MLPC du président, les codos mbakaras (Tchadiens) et la garde présidentielle rêvent

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d’en découdre avec les militaires Yakoma pour laver l’affront des deux précédentes mutineries. Mais Paris tient les uns et les autres à bout de bras pour que Bangui ne subisse pas un nouveau passage à tabac, au moment où la France utilise à nouveau le Centrafrique comme plaque tournante pour des opérations militaro-humanitaires au Zaïre ». Durant la première semaine de ce soulèvement, les militaires en rébellion et la garde présidentielle appuyée par les militaires français, n’osaient pas engager la bataille. On assistait par contre, à des enlèvements de personnalités proches du pouvoir par les mutins pendant que les forces loyalistes, de leur côté, enlevaient sur leur lieu de travail ou dans la rue, des citoyens originaires du Sud du pays. Le 17 novembre 1996, le commandant Guy Kolingba fut interpellé par la garde présidentielle. Tout se passait comme si les belligérants voulaient d’abord évaluer leurs forces avant de déclencher les hostilités. Toutefois, des négociations étaient initiées à l’archevêché de Bangui. Dans une intervention à Radio France Internationale (RFI) et un communiqué dans Le Novateur, le Collectif des officiers fit connaître à l’opinion publique nationale et internationale les tenants et aboutissants de leur mouvement. Leurs principaux griefs étaient la haute trahison du chef de l’Etat, chef suprême des armées qui avait bafoué l’honneur des Forces armées centrafricaines (FACA) en introduisant dans le pays des forces non conventionnelles armées, tout en dénonçant la forte politisation des structures de commandement au niveau du ministère de la défense nationale. Ces forces non conventionnelles armées étaient les rebelles « codos » de l’opposant tchadien Moïse Ketté dont un certain nombre était enrôlé au sein de l’Armée nationale. La revendication majeure des officiers fut la démission du président Patassé pour laquelle ils avaient lancé un appel à la classe politique. Le Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé, le président de l’Assemblée nationale Hugues Dobozendi ainsi que Monseigneur Joachim Ndayen, contactés par le Collectif des officiers pour conduire une transition politique, n’avaient pas accepté cette mission nationale…

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Le chef de l’Etat, de retour du Sommet mondial de l’alimentation organisée par la FAO à Rome, lors de son transit à Paris, sollicita l’aide de la France, eu égard à la déclaration des militaires en rébellion qui demandaient son départ du pouvoir. Mais le président Jacques Chirac, le 25 novembre 1996, n’accepta pas que les troupes françaises appuient la garde présidentielle pour monter à l’assaut des rebelles. Il y’a quelques semaines, le président Patassé n’avait-il pas dit que pendant trois ans, il avait observé les choses, il avait été patient et parfois compatissant et que désormais tout allait être autrement ? Face au refus de Paris d’engager ses troupes, la seule voie de sortie fut celle du dialogue et de l’apaisement. Ainsi, dès son arrivée à Bangui, le président Patassé, dans une déclaration radiodiffusée, exprima sa volonté de faire restaurer la confiance entre les Centrafricaines et les Centrafricains, en les invitant à marcher la main dans la main, dans la liberté, la fraternité et l’amour. Il se disait également disposé à privilégier le dialogue et la concertation afin d’aboutir à une véritable réconciliation nationale… Duplicité ou sincérité de Patassé ? Les militaires en rébellion apportèrent une réponse en opposant une fin de non recevoir à cet appel. De surcroît, ils l’accusèrent d’avoir violé la Constitution et déclarèrent être décidés à aller jusqu’au bout afin de libérer la population centrafricaine de la dictature. Dans la nuit du vendredi 29 au samedi 30 novembre, les premiers affrontements éclatèrent entre la garde présidentielle et les militaires insurgés… Un cessez le feu fut malgré tout conclu à l’occasion de la fête nationale du 1er décembre. Et la célébration du 38e anniversaire de la proclamation de la République centrafricaine se déroula… sous forme de journée de réflexion… Le quotidien français Libération du 4 décembre 1996, sous le titre « Le Centrafrique au bord de la guerre civile » rendait ainsi compte des évènements. De nouveaux combats, y compris à l’arme lourde, ont eu lieu hier à Bangui, la capitale centrafricaine, où, dans plusieurs quartiers, des milices tribales ont également continué à se livrer à une chasse à l’homme.

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Malgré le déploiement des forces françaises stationnées en Centrafrique pour juguler la troisième mutinerie militaire en huit mois, qui a commencé le 15 novembre, des militaires entrés en rébellion - notamment de l’ethnie Yakoma - ont attaqué des positions de la garde présidentielle, presque exclusivement recrutée au sein des Gbaya, Sara, l’ethnie du chef de l’Etat, Ange Félix Patassé. Ce dernier, dans un souci d’apaisement, a rencontré hier son prédécesseur, l’ancien président-général André Kolingba, un Yakoma. Compte tenu de la situation dans la capitale, il a également annoncé qu’il ne participerait pas au sommet franco-africain de Ouagadougou, qui s’ouvre demain matin. Coupé en deux, Bangui est depuis samedi en proie à des exactions – enlèvements aux barrages routiers selon les critères ethniques, meurtres, viols et incendies de maison - qui menacent de dégénérer en guerre civile. Le Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé, dans une interview accordée au journaliste Stephen Smith de Libération du 5 décembre 1996, reconnaissait la responsabilité de toute la classe politique centrafricaine dans la résurgence de cette nouvelle crise et avait obtenu le déploiement des troupes françaises pour maintenir l’ordre dans la capitale. Le 5 décembre, les forces loyalistes enlevèrent et liquidèrent le colonel Christophe Grélombé et son fils Martin Yando. Ce dernier, ancien enfant de troupe, en raison de son état de santé, ne pouvait pas rejoindre ses camarades qui avaient repris les armes, ce qui lui fut fatal. Les destructions des maisons, commencées dès le 18 novembre au quartier Sara par le saccage et la destruction des maisons de la famille Saulet, s’accentuèrent dans les autres quartiers, notamment aux 92 Logements, à Combattant, à Ouango, à Ucatex, à Bangui-Mpocko, à Ngongonon, au pK12 etc...Ce qui va être confirmé par le Premier ministre, quand le journaliste Stephen Smith, au cours de l’interview, lance : « Mais depuis samedi, le camp du président a formé et armé des milices qui, dans les quartiers Nord, se livrent à la chasse aux Yakoma. » Et Jean-Paul Ngoupandé de répondre : « Il s’agit de représailles à la suite des exactions commises dans les quartiers rebelles. Mais c’est jouer avec le feu et prendre le risque d’un embrasement du pays. Il est impossible de donner un bilan exact, mais des

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dizaines de personnes ont déjà été enlevées aux barrages routiers érigés par des jeunes en armes et des maisons appartenant à des Yakoma ont été brûlées. Il faut que cela cesse, c’est mon principal souci. Après la rencontre avant-hier, entre le président Patassé et son prédécesseur, le général Kolingba, j’espère que tout le monde se ressaisira. » Face à l’enlisement de la situation, le Collectif des officiers demanda une médiation des chefs d’Etat africains réunis au Sommet France-Afrique de Ouagadougou. Et le professeur Abel Goumba, en raison de sa notoriété internationale et de son rôle de leader de l’opposition, lança alors un appel dans le sens de cette médiation. Le cessez-le-feu obtenu précédemment ne dura que le temps d’une rose et les mutins lancèrent une offensive contre les positions tenues par la garde présidentielle. Ils mirent en déroute les forces loyalistes et atteignirent le « PK 0 », au centre ville à quelques encablures du palais de la Renaissance. C’est alors que les militaires français, dont le rôle était limité jusque là, au quadrillage de la ville, s’impliquèrent totalement dans les batailles aux côtés de la garde présidentielle. Le quotidien Le Monde du samedi 7 décembre 1996 en faisait l’écho en ces termes : Après une offensive des mutins, la nuit précédente, et une riposte des soldats français et des militaires centrafricains loyalistes, un calme précaire est revenu à Bangui, jeudi 5 décembre, dans la journée. Les rebelles qui tentaient de se rapprocher du palais présidentiel, avaient commencé par tirer des roquettes sur l’hôtel Sofitel, blessant légèrement deux coopérants français. Des tirs de mortier ont suivi. Les soldats français ont immédiatement répliqué, intervenant directement dans le conflit, pour la première fois depuis le début de la rébellion, le 15 novembre. Jusqu’alors les soldats français patrouillaient dans les rues et tenaient des secteurs-clés de Bangui. Un blindé français a tiré un obus qui a mis un terme aux tirs de roquettes, tandis que d’autres blindés se dirigeaient vers le camp Kassaï, place forte des mutins, d’où étaient partis les obus de mortier. Un groupe de rebelles a progressé en direction du palais du président Ange Félix Patassé, mais, arrivé à 150 mètres du bâtiment, a été repoussé par les soldats français

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et loyalistes. Le parti présidentiel a indiqué qu’un millier de soldats et 20 000 militants sont prêts à combattre les rebelles, mais ne disposent pas d’armes. De même source, on reconnaît que des « descentes punitives » ont eu lieu dans des maisons Yakoma, l’ethnie de la majorité des rebelles, dans les quartiers fidèles au président Patassé. On accuse enfin la France d’« attitude ambiguë », de ne pas avoir armé « les défenseurs de la démocratie » et de ne pas s’engager clairement contre les rebelles. Les chefs d’Etat participant au sommet France Afrique, à Ouagadougou, ont décidé d’envoyer « une mission fraternelle » en République centrafricaine. Quatre chefs d’Etat pourraient participer à cette mission, les présidents du Burkina, Blaise Compaoré, du Gabon, Omar Bongo, du Tchad, Idriss Déby et du Mali, Alpha Oumar Konaré. Bien que le ministre français de la Défense, Charles Millon ait affirmé que les troupes françaises ne s’immisceraient en aucune manière dans un conflit interne au Centrafrique, les militaires en rébellion et la population réalisèrent, à travers l’engagement des troupes françaises aux côtés de la garde présidentielle, le rôle équivoque et ambigu de Paris dans la crise centrafricaine. Le président Patassé était si impopulaire que le leader de l’opposition centrafricaine, le professeur Abel Goumba n’hésita pas à dire qu’il a gardé la mentalité d’Empire et il n’a pas compris qu’être élu démocratiquement, ce n’était pas recevoir une carte blanche lui donnant droit à tout. Et c’est dans cet esprit que l’opposition, emboîtant le pas aux militaires insurgés, demanda publiquement, enfin, la démission de Patassé le 2 janvier 1997. La communauté internationale se devait de juguler cette crise qui risquait d’emporter un président «démocratiquement élu. » Les quatre chefs d’Etat dépêchés à Bangui par le sommet France - Afrique de Ouagadougou, à l’issue de deux jours de négociation, réussirent à obtenir une trêve de quinze jours avec effet immédiat. Les grandes lignes de cet accord étaient : • la neutralité des forces françaises dont le nombre, avec les renforts en provenance du Tchad et du Gabon, avait atteint les 2000 hommes,

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• la cessation des exactions à caractère ethnique ou tribal, • le paiement des arriérés de salaires des militaires, • les forces en présence gardaient leurs positions et s’engageaient à faciliter la libre circulation des personnes et des biens, • la mise sous le contrôle de l’armée française des voies d’accès au port pétrolier de Bimbo, • la mise en place d’un comité de suivi international, • Le démantèlement des milices favorables à Patassé et le départ des mercenaires tchadiens et soudanais. Quelques jours plus tard, le président Amadou Toumani Touré (ATT) était désigné par les chefs d’Etat africains pour superviser le Comité international de suivi (CIS). Son humilité, sa simplicité, sa grande capacité d’écoute et son passé lui avaient permis d’avoir l’estime, tant des militaires en rébellion que de la population. L’avenue qui traverse le quartier des 92 logements, en partant du pont Jackson sur l’avenue Boganda, porte d’ailleurs son nom. Cette trêve aura permis au président ATT de poursuivre les négociations avec le pouvoir, les partis politiques, la société civile et les militaires insurgés. Il réussit à obtenir une nouvelle trêve de trente jours. Cette seconde suspension des hostilités fut mise à profit pour organiser, du 11 au 16 janvier 1997, la réunion du comité de concertation et de dialogue, sanctionnée par les « Accords de Bangui du 25 janvier 1997 ». La prolongation du cessez-le-feu fut très mal accueillie dans les milieux hostiles au président Patassé, notamment au niveau des mutins. Elle a été interprétée comme une ‘‘trahison” du capitaine Anicet Saulet et du lieutenant Parfait Anicet Mbay. Et il aura fallu tout un travail pédagogique d’explications et la force de persuasion de l’adjudant Mathias Kongombé, pour éviter une mutinerie dans la mutinerie. Ayant trouvé refuge au quartier Kpéténé depuis la destruction des maisons familiales au quartier Sara-Kaba dès le 18 novembre 1996, ma famille et moi avions failli payer de notre peau la conclusion de cette seconde trêve. En effet, à l’annonce de la nouvelle, des manifestants armés de gourdins et d’armes blanches, avaient décidé de lyncher les membres de la

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famille Saulet résidant à Kpéténé. Ils venaient des quartiers Lakouanga, Sango, Bakongo et Fatima… À quelques deux cent mètres de la maison que je louais, des voisins, notamment la famille Bossénga, ayant compris le danger que courait ma famille, orientèrent ces manifestants dans une autre direction. Toute la nuit, Romain Nguetto-Nzas, haut fonctionnaire de l’Ecole inter-états des douanes, organisa une ronde avec des jeunes du quartier pour nous protéger de toute éventuelle attaque… Quelle était la situation qui prévalait dans le camp du pouvoir MLPC et quel avait été véritablement le rôle des troupes françaises ? Cet extrait d’un article de La lettre du continent N° 272 du 19 décembre 1996 pourrait apporter quelques éléments de réponse. Il était écrit ceci : Le président Ange Félix Patassé « AFP » est de plus en plus isolé et Paris a peur d’être « poussé à la faute » pour le soutenir jusqu’au bout. Déjà, on prête à des éléments de la sécurité présidentielle – encadrés par dix instructeurs français du RPIMA – le tir au RPG sur le Sofitel… La présence de deux officiers français lors de l’arrestation, le 5 décembre, de l’ancien ministre Yakoma de l’intérieur Christophe Grélombé avec son fils Martin Yando est également plutôt « limite ». Les Grélombé ont été conduits sous les ordres du commandant Koualé et du capitaine Koudémon à la SERD (section enquêtes, recherches et documentation) où ils ont été torturés avant d’être amenés, toujours par la sécurité présidentielle, au quartier Boy Rabe, et exécutés à 8H40 devant la maison du chef de quartier Mandaba. Les proches du président Patassé reprochaient à Grélombé d’avoir été le principal responsable de la répression anti nordiste en 1982 qui avait entraîné la mort du capitaine Gonda et l’arrestation de toute la famille Patassé ainsi que de tous les membres du bureau du MLPC, aujourd’hui au pouvoir. L’armée française reste la principale force tampon entre les « Savaniers » (tribus du NordOuest) et les « Riverains » (tribus du Sud-Est le long du fleuve Oubangui). Le médiateur, l’ancien chef d’Etat malien Amadou Toumani Touré « ATT », a réussi à obtenir de la France le paiement de deux mois d’arriérés de salaires des mutins, mais

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en revanche ces derniers ne se sont pas retirés des principaux points stratégiques dont le port pétrolier de Bimbo. Depuis le 13 décembre, Ange Félix Patassé multiplie les contacts avec les leaders des partis politiques pour susciter un sursaut des forces démocratiques et éviter la guerre civile. Dans son ensemble, l’opposition et la frange modérée du MLPC au pouvoir sont d’accord, mais à la seule condition que le président accepte de se retirer au profit d’Hugues Dobozendi, le président de l’Assemblée nationale qui serait alors chargé d’organiser des élections présidentielles anticipées… C’était dans ce contexte où une certaine unanimité s’était fait autour de la démission de Patassé qu’une grande marche populaire de soutien aux FACA allait être organisée le 30 décembre 1996. Dès le 28 décembre, les comités de soutien aux FACA, constitués essentiellement de militants des partis politiques de l’opposition, de syndicalistes ou de simples citoyens, jeunes, femmes et hommes avaient pris la résolution de descendre massivement dans la rue. Des messages furent envoyés dans ce sens dans les quartiers Nord de Bangui où les populations avaient commencé à « lâcher » le président Patassé. En ce lundi 30 décembre, en milieu de matinée, des cortèges partirent de Bimbo, Pétévo, Miskine, Boy Rabe, Sica et convergèrent vers le marché Mamadou Mbaïki, au « kilomètre 5 ». En raison des barrages de la sécurité présidentielle au niveau de Sofitel et du danger que représentait la traversée de la ville, les populations des quartiers Ngaragba, Ouango, Kassaï, Gbangouma dans le 7ème arrondissement n’avaient pas pu prendre part en grand nombre à cette manifestation. Pour certains, cette marche devait se solder par la prise du palais de la Renaissance. Pour d’autres, elle devait servir de démonstration de l’adhésion populaire à la cause défendue par les militaires mutinés et d’appel à la démission du président Patassé. Avec des banderoles de fortune sur lesquelles on pouvait lire « Patassé, démission », « Non à l’intervention des troupes françaises », « Soutien aux FACA », le cortège s’ébranla sur l’avenue Barthélemy Boganda. C’était une

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véritable marrée humaine qui s’était répandue sur la plus belle avenue de Bangui. Dix mille personnes, cinquante mille ou cent mille ? En tout cas, pour ma part, je n’avais jamais vu une marche rassemblant tant de monde à Bangui… Encadrée par un service d’ordre, infiltré discrètement par quelques militaires armés et en tenue civile, la foule fit une halte au rond point Boganda et entonna l’hymne national avant de poursuivre vers le centre-ville. Au niveau du jardin public, les éléments de la sécurité présidentielle ouvrirent le feu sur le peloton de tête. Les militaires en charge de la sécurité de la marche répliquèrent et ordonnèrent aux manifestants de se disperser…Ce fut la grande débandade dans les rues. Des blessés étaient transportés vers le dispensaire de Bimbo, opérationnel grâce au chirurgien Anatole Kobozo et d’autres médecins et infirmiers. Cet établissement sanitaire ainsi que celui de Ouango, étaient devenus les centres de santé des populations qui appuyaient les militaires mutinés. Il aura fallu l’appui des éléments français aux forces loyalistes pour mettre un terme aux affrontements qui avaient fait une dizaine de morts et de nombreux blessés…

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CHAPITRE VIII Vers les Accords de Bangui La seconde trêve, conclue le 23 décembre 1996 et qui devait courir jusqu’au 23 janvier 1997, ne fut pas rompue par les affrontements du 30 décembre. Et c’était dans un calme précaire que les Centrafricains, en particulier ceux de la capitale, firent la fête du nouvel an. Dès le 2 janvier 1997, l’opposition centrafricaine demanda la mise en accusation du président Patassé, pour haute trahison. La procédure de destitution, initiée par le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), le Mouvement pour le développement et la démocratie (MDD), le Front patriotique pour le progrès (FPP) et l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP) reçut, non seulement l’adhésion de toute l’opposition, mais aussi et surtout, l’accord du président de l’Assemblée nationale, Hugues Dobozendi. Il y’a lieu de rappeller que lors d’une interview accordée à la presse internationale, le capitaine Anicet Saulet avait déclaré : Le fond du problème, c’est que notre pays est sans Constitution. Officiellement, elle a été promulguée en janvier 1995 mais, vingt-deux mois plus tard, la plupart des organes n’existent pas. Le pouvoir dit que nous voulons faire un coup d’état, mais nous, nous voulons simplement que les institutions soient respectées. Nous sommes légalistes et nous avons pris nos responsabilités pour éviter le pire. Aussi, le président Omar Bongo, à l’issue de la « mission fraternelle » de Bangui, avait été séduit par les explications fournies par le chef des mutins, car il affirmait sans ambages que les revendications des soldats mutins n’étaient pas celles de « rebelles » ou de « putschistes ». L’histoire commençait-elle à donner raison aux militaires en rébellion ? La gestion du pays par Patassé et la parentèle avaient fini par créer des dissensions internes au sein même du MLPC. Et l’on se souviendra du courage du député Denis Kossi-Bella, militant

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de première heure de ce parti et qui avait manifesté ouvertement son désaccord avec l’homme du Changement. On se souviendra aussi de cette période d’exil de Patassé au Togo dans les années 80, c’était les Hugues Dobozendi, Jean-Luc Mandaba, Jean Metté-Yapéndé, Jacquesson Mazette, Denis Kossi-Bella, Gabriel Jean-Edouard Koyambounou qui avaient maintenu en vie ce parti sur le territoire national dont ils sont, avec Jean Pamadou-Pamoto, les véritables fondateurs. Quelques années après la victoire électorale de 1993, ces « pionniers mlpcistes » commencèrent à douter de l’orientation que les « patassistes » avaient imprimée à cette formation politique, théoriquement d’obédience sociale-démocrate. Ce fut donc la dérive dictatoriale du régime qui avait conduit le président de l’Assemblée nationale à donner son aval à la procédure de destitution constitutionnelle de Patassé. Mais les députés ne furent jamais convoqués en session extraordinaire pour mettre un terme au mandat du président… Manque de courage politique ? Manque de cohérence et de pugnacité dans la démarche politique ? Couardise ou réalisme politique dans la mesure où le rapport de forces était en faveur de Patassé et des « patassistes » qui disposaient de tous les pouvoirs, surtout financier, et des armes ?… La tension était redevenue très vive à Bangui depuis les évènements de la fin de l’année 1996 et des barrages étaient érigés sur les grandes artères. Les forces françaises qui quadrillaient la ville démantelaient ces barricades constituées de carcasses de véhicules et de troncs d’arbres. Au fur et à mesure, les jeunes remettaient tout en place. Le samedi 4 janvier 1997, au quartier Lakouanga, des altercations éclatèrent entre les militaires français et de jeunes partisans des rebelles. Un homme fut mortellement touché par balles. Il ne faisait aucun doute que c’était les légionnaires français qui étaient responsables de cet accident qui, de toute évidence, allait envenimer la situation. Vers la fin de la matinée, une délégation du Comité international de suivi (CIS) s’était rendue sur les lieux pour constater ce meurtre. L’équipe était composée d’un colonel tchadien et d’un autre officier africain, qu’accompagnaient le capitaine Patrick René Devos et

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l’adjudant Gérard Giraldo de l’armée française. Il faut noter ici que le colonel tchadien, Mahamat Achakir, un ami d’enfance du quartier Sara-Poto-poto-ville, sur l’avenue de France, parle couramment sango et a eu à jouer un rôle positif au sein du CIS… La nouvelle de la mort de ce passant se répandit rapidement dans les quartiers environnants et un attroupement de plusieurs dizaines de personnes se forma au niveau du pont Dékongo. Lors des discussions entre la délégation du CIS et les manifestants qui voulaient, à travers le CIS, prendre à témoin la communauté internationale du comportement répréhensible des légionnaires français, des coups de feu éclatèrent. Qui étaient ceux qui avaient tiré? Etait-ce les militaires français juchés sur le toit de l’immeuble de la Transafricaine tout proche ou quelques individus incontrôlés parmi la foule ? On ne le saura jamais. Toujours est-il que les deux militaires français de la délégation furent mortellement touchés. Pendant ce temps, au quartier Kpéténé, des hommes politiques et quelques responsables syndicaux négociaient les termes d’une prochaine rencontre avec le gouvernement. Les rumeurs d’une destitution de Patassé réapparurent et se faisaient très persistantes. Alors que les participants à la réunion de Kpéténé attendaient l’arrivée du représentant du président de l’Assemblée nationale, voilà que survint cette bévue, à savoir, la mort du capitaine Patrick René Devos et celle de l’adjudant Gérard Giraldo. Ce qui allait radicalement changer le cours des évènements… Selon certaines indiscrétions provenant de milieux autorisés, les Français, conformément à une tactique militaire non écrite mais toujours pratiquée sur le terrain, n’hésiteraient pas à sacrifier un des leurs sur le champ d’opération, afin de justifier une intervention. La mort de ces deux militaires se situerait-elle dans cette logique ? Comme si les autorités politiques et militaires françaises attendaient depuis belle lurette une telle occasion, elles déclenchèrent alors de terribles représailles à la suite de la mort de ces deux militaires. Dans la nuit du samedi 4 au dimanche 5 janvier 1997, les hélicoptères Puma, les auto mitrailleuses ainsi que des blindés prirent d’assaut les quartiers Pétévo, Fatima, Kpéténé, 92

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logements, Lakouanga, Sango, Bakongo, Bruxelles, Ngaragba, Kassaï, Gbangouma et Ouango. Une pluie d’obus s’abattit, en début de soirée sur ces quartiers, particulièrement au quartier Kpéténé où ma famille et moi avions trouvé refuge depuis novembre 1996. Des balles traçantes sillonnaient le ciel comme des feux d’artifice. On entendait distinctement les sifflements de ces projectiles ainsi que les bruits de leur passage dans les feuillages des manguiers. Les bombardements et mitraillages avaient précédé les troupes terrestres qui, vers le milieu de la nuit, pénétrèrent dans les quartiers, armes au poing, prêtes à tirer. Elles avançaient lentement en empruntant les sentiers, à la quête de soldats rebelles. Au petit matin, à l’exception de quelques curieux qui s’étaient aventuré à mettre le nez dehors, il n’y avait pratiquement personne. Au quartier Kpéténé comme dans les autres quartiers, c’était un silence de mort. Partout, il n’y avait que des militaires blancs, parlant français, souvent avec un fort accent. C’était les éléments de la légion étrangère de l’Armée française. Certains cherchaient à sympathiser avec les jeunes afin d’avoir des renseignements sur l’emplacement des militaires rebelles. Peine perdue, car ceux-ci avaient reçu la consigne de se replier avant l’attaque de la nuit. Et nombre d’entre eux s’étaient déjà fondu dans la population civile. Toutefois, les fouilles domiciliaires aboutirent à quelques arrestations. L’intensité de ces opérations de vengeance était telle que ces quartiers du Sud de Bangui auraient pu être rasés de la carte. Il y eut des victimes, certes, mais leur nombre était en deçà de ce que l’on pouvait imaginer. Tout s’était passé comme si une main invisible avait protégé les populations contre les obus de mortier, les roquettes et les balles… Conséquences de ces bombardements intenses : les mutins perdirent la plupart des positions stratégiques qu’ils contrôlaient jusque là. Le port pétrolier, le centre émetteur de Bimbo ainsi que les commissariats de Ouango et de Pétévo passèrent sous le contrôle des forces françaises. En s’attaquant à la population civile, les forces françaises venaient de s’éloigner de leur mission d’interposition. Alors que

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le pouvoir faisait montre d’un silence approbateur de cette action, le professeur Abel Goumba, au nom de l’opposition politique, dénonça l’agression contre le peuple centrafricain tout en demandant à l’armée française de se retirer sur ses anciennes positions de force tampon, avant la rupture de la trêve. Le porte-parole des mutins, le lieutenant Parfait Anicet Mbay, dans une déclaration, regretta l’action de la France et exprima sa crainte pour les possibles débordements par la base. Il rappela que le capitaine Anicet Saulet avait donné l’ordre aux soldats de ne pas répondre au feu français. Ce fut à cette occasion que les femmes riveraines des quartiers sud de Bangui, à l’imagination débordante, avaient composé la chanson suivante, devenue très populaire et qu’elles fredonnaient pour se remémorer ces durs et inoubliables moments. « La ni so hélico a bi abombe na Kpètènè, La so é yèkè na fini La ni so hélico a bi abombe na Kpètènè, La so é yèkè na fini Ténè ti Nzapa ayèkè tä tènè, Lé so a ba ndo na l’Eternel Nzapa A kiri na kaméla pèpè ! Ala tö ti ala gui obus oh iyoh ! E sambéla tè é ngui Nzapa oh iyoh ! Ala tö ti ala gui roquette oh iyoh ! E sambéla tè é ngui Nzapa oh iyoh ! » Voici une traduction possible de cette chanson : Depuis le jour où les hélicoptères ont largué des bombes sur Kpéténé, Nous voici toujours en vie.

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Depuis le jour où les hélicoptères ont largué des bombes sur Kpéténé, Nous voici toujours en vie. Ce que dit la parole de Dieu est vrai Car, en portant le regard sur l’Eternel Dieu On n’est jamais confus. Pendant qu’ils envoient sur nous leurs obus, Nous, nous ne faisons que prier Dieu ! Pendant qu’ils envoient sur nous leurs roquettes, Nous, nous ne faisons que prier Dieu ! L’intervention française provoqua une vague d’indignation et de réprobation, notamment en France où la communauté centrafricaine occupa l’ambassade de la République centrafricaine à Paris, le 6 janvier 1997. Le premier secrétaire du parti socialiste français mettait également en garde le gouvernement français contre le risque d’un engrenage militaire en Centrafrique alors que le quotidien L’Humanité du mardi 7 janvier 1997, l’organe du parti communiste français, dans sa page éditoriale, fustigeait la politique française en Afrique en des termes clairs : L’opération militaire française en Centrafrique fait resurgir les vieux démons colonialistes dans le continent noir. Tous les ingrédients d’une mauvaise soupe sont réunis : un accord de défense avec un régime discrédité, une présence militaire chargée ‘‘officiellement’’ de protéger les coopérants européens et servant de rempart à un pouvoir – celui d’Ange Patassé – bien en cours à l’Elysée ; une provocation se concluant avec l’assassinat de deux militaires français ; une riposte contre les ‘‘rebelles’’ responsables d’un ‘‘crime’’ qu’il convenait de ‘‘mater’’. Un scénario connu, bien ficelé. Au nom du ‘‘droit’’, les militaires ont bombardé, tiré, tué. En fait, les soldats français sont intervenus dans les affaires d’un pays étranger, à moins que l’on considère l’Afrique comme une possession coloniale… Désorganisés en raison de l’éparpillement des combattants et affaiblis par la perte de la quasi-totalité de leur position, en

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dehors du camp Kassaï, les militaires insurgés n’avaient pas d’autre choix que négocier les conditions d’une sortie de crise honorable. Le général Amadou Toumani Touré, mandaté par les chefs d’Etat africains dans le cadre de la résolution de la crise, débarqua de nouveau à Bangui et à l’issue des contacts avec le Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé, le capitaine Anicet Saulet, les notables, les leaders des partis politiques, la société civile et les centrales syndicales, il organisa les travaux du comité de concertation et de dialogue. Les Accords de Bangui, négociés du 11 au 18 janvier 1997, furent signés au Palais de l’Assemblée nationale le 25 janvier 1997. Ils prévoyaient, sur le plan politique et social, la relecture de certaines dispositions de la loi fondamentale, le renforcement des pouvoirs du chef du gouvernement, l’organisation de la Conférence de réconciliation nationale, la prise en charge par la communauté internationale du paiement d’une partie des arriérés des salaires, la prise en compte des recommandations des Etats généraux de la défense nationale. La Déclaration relative à la fin de la mutinerie, signée le 24 janvier 1997 à l’archevêché de Bangui par le président Amadou Toumani Touré et le capitaine Anicet Saulet, constituait le volet militaire de ces accords auxquels il fallait annexer la Déclaration préalable à l’accord de fin de mutinerie, initiée par le Collectif des officiers. Dans cette seconde déclaration qui était un ensemble de onze mesures à mettre en oeuvre pour ramener la paix de manière durable, le Collectif affirmait ce qui suit. Afin de mettre un terme à la rébellion et de procéder à la résolution durable de cette grave crise qui menace les fondements de la Nation et de l’état de droit depuis plusieurs mois, et d’engager résolument le pays dans la voie de la réconciliation nationale et du redressement économique et social, les signataires du présent accord s’engagent à mettre en oeuvre dans les délais prescrits par un chronogramme dont les modalités seront définies en conseil des ministres et exécutées sous le contrôle du Comité de suivi désigné par les chefs d’Etat du Gabon, du Mali, du Tchad et du Burkina Faso mandatés par le 19ème sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de France

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et d’Afrique. Ces mesures viennent, soit en complément de celles adoptées par le Comité de concertation et de dialogue, soit en précision de certaines de leurs dispositions sans les mettre fondamentalement en cause. 1. Les mesures préalables ci-après sont extraites des recommandations unanimement adoptées par le Comité de concertation et de dialogue. Leur mise en application ne nécessite ni moyen matériel et financier important ni un long délai. Elle constitue à la fois un signe visible et un gage de la volonté commune de rechercher une solution durable à la crise actuelle. Elles sont les suivantes : a /- arrêt de toutes les perquisitions et arrestations opérées par l’armée française et ses alliés que sont la garde présidentielle, les loyalistes et le groupement opérationnel de maintien de l’ordre, b /- libération sans condition de toutes les personnes arrêtées depuis le début de la mutinerie et en relation avec cette dernière, c /- conformément aux recommandations des Etats généraux de la défense nationale, dissolution du centre national de recherche et d’investigation (CNRI) et la section enquêtes, recherche et documentation (SERD) et procéder de même à la réduction des effectifs de la sécurité présidentielle avant son intégration dans la garde républicaine, d /- rapporter le décret instituant le groupement opérationnel de maintien de l’ordre ainsi que celui transférant le régiment de défense opérationnel du territoire à Bouar. 2. Dans le but d’amorcer la restauration d’un climat de sécurité au sein de la population, il sera défini avec le Comité international de suivi des points, des conditions et des modalités de regroupement des forces armées centrafricaines en rébellion. Le schéma de ce regroupement est le suivant : a /- en référence au point 7 du communiqué final du 8 décembre 1996, les forces françaises doivent reprendre leurs positions d’avant le 5 janvier 1997, b /- les 2ème et 6ème arrondissements doivent être démilitarisés,

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c /-le regroupement des éléments FACA disséminés, en matériel et en personnel sera organisé sur le site de Bimbo. 3. Afin de garantir la sécurité et la paix dans la ville de Bangui, la force d’interposition africaine prendra position en lieu et place des forces françaises. La composition de cette force d’interposition africaine, sa mission et son équipement seront définis d’un commun accord. 4. Le retour à la caserne des éléments des forces armées centrafricaines et la réintégration de leurs armes interviendront d’un commun accord avec le Comité international de suivi et d’arbitrage. 5. En vue d’aller vers une solution durable de la crise, une révision de la Constitution du 14 janvier 1995 est indispensable. Cette révision prendra comme base les propositions de la Commission politique et institutionnelle du Comité de concertation et de dialogue. Elle devrait aussi insérer des dispositions relatives à la déchéance du président de la République de ses fonctions pour des manquements aux devoirs de sa charge autres que la trahison. 6. L’Assemblée nationale sera convoquée dès l’adoption de la présente déclaration en vue de : a /- procéder à la révision de la Constitution, b /- voter la loi portant amnistie des infractions commises depuis 1992 par des militaires dans l’exercice de leur fonction ou de celles dans lesquelles ils étaient détachés et des infractions commises par les militaires en rébellion pendant la 3e mutinerie. 7. Le gouvernement à mettre en place est un gouvernement de transition constitué sur la base d’une large union intégrant les représentants des militaires en rébellion désignés par eux. Ce gouvernement aura pour tâches essentielles : • le rétablissement de la sécurité, • le désarmement des milices armées, • le ramassage des armes disséminées, la réconciliation au sein des FACA, • la préparation des élections générales anticipées en vue de la réconciliation nationale,

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• la restauration de la confiance et la consolidation du processus démocratique. Les ministères de la Défense nationale (état-major FACA, Direction générale de la Gendarmerie) et de l’Intérieur sont confiés aux militaires en rébellion. Les ministres désignés comme ci-dessus indiqué assument leurs responsabilités conformément aux dispositions du Protocole d’accord politique (PAP) préalable à la formation du gouvernement d’union nationale, notamment l’alinéa 2 de l’article 9. 8. En application des accords de défense entre la République centrafricaine et la France, celle-ci doit être invitée par le gouvernement à procéder au regroupement et au rapatriement des forces non conventionnelles (codos) stationnant illégalement sur le territoire national. 9. Afin de sceller la réconciliation nationale, il sera érigé à Bangui en un lieu à définir, un monument à la mémoire des victimes civiles et militaires des mutineries. 10. A partir de la signature de la présente déclaration, les libertés individuelles et collectives ainsi que les droits de l’homme seront scrupuleusement garantis et respectés. 11. Pendant le processus de regroupement et la réintégration dans les casernes, aucune discrimination ne sera pratiquée à l’encontre des militaires en rébellion qui percevront leur solde et leur prime globale d’alimentation. Une analyse sommaire de ces onze mesures permet d’affirmer que le seul élément nouveau, au regard de tout ce qui avait été conclu depuis la mutinerie d’avril 1996, et qui était de nature à poser véritablement problème au pouvoir, était la désignation des ministres de la Défense nationale et de l’Intérieur par le Collectif des officiers. Dans la mesure où ces responsables devraient exercer leur fonction conformément au protocole d’accord politique préalable à la formation du gouvernement d’union nationale, il y avait donc lieu de dire que le chemin de la paix était tout de même bien tracé et balisé…Mais ce chemin n’avait pas malheureusement été emprunté, en raison de la duplicité de Patassé…

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Le gouvernement d’union nationale (GUN) du Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé céda sa place, le 30 janvier 1997, au gouvernement d’action pour la défense de la démocratie (GADD) du Premier ministre Michel Gbézéra-Bria. L’organisation de la conférence de réconciliation nationale, le ramassage des armes de guerre, le désarmement des milices et autres forces non conventionnelles armées, la restructuration des forces armées centrafricaines et la réintégration des exmutins dans les casernes furent les priorités du moment. Cette réintégration connut des retards dans son exécution en raison de l’ambiguïté du pouvoir qui, en même temps, s’employa à éliminer de manière systématique des anciens mutins. Le sergent Biamba et le caporal Azouandji alias Chabardo furent sauvagement massacrés dans les locaux de la gendarmerie nationale. Sur le plan international, les évènements de Bangui constituaient le terrain d’expérimentation d’un nouveau concept, le « RECAMP » ou renforcement des capacités des armées africaines au maintien de la paix. Selon cette nouvelle approche des questions sécuritaires et de pacification, la France s’engageait à appuyer les chefs d’Etat africains dans le règlement de la crise, en l’occurrence centrafricaine, par un apport logistique à la force interafricaine chargée de la mise en œuvre des Accords de Bangui. La Mission Interafricaine de Surveillance des Accords de Bangui (MISAB), placée sous l’autorité politique du Comité International de Suivi (CIS) et composée de contingents constitués de militaires tchadiens, gabonais, burkinabé, sénégalais, maliens et togolais, allait ainsi être installée à Bangui le 12 février 1997.

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CHAPITRE IX De la médiation africaine au Conseil de sécurité L’accalmie retrouvée grâce aux Accords de Bangui au début de l’année 1997 aurait dû donner un souffle nouveau à la gestion du pays par la mise en œuvre d’actions en faveur de la paix et de la réconciliation nationale. Mais on avait failli revenir à la case départ, car le président Patassé et son camp, en dépit de la Déclaration préalable à l’accord de fin de mutinerie, voulaient tout remettre en cause en s’opposant à l’entrée au gouvernement des personnalités recommandées par le Collectif des officiers. Le désarmement des milices et autres forces non conventionnelles et la restructuration des Forces armées étant les véritables causes de ces insurrections armées, les militaires en rébellion, en raison du manque de confiance qui existait entre eux et leur chef suprême, le président de la République, voulaient avoir des garanties quant à la gestion de ces problèmes. Ainsi, exigèrent-ils comme préalable à la signature de l’Accord de fin de mutinerie, la désignation de deux officiers supérieurs qui devraient s’occuper de ce double dossier au sein du gouvernement. Ils eurent gain de cause grâce à l’action du Comité international de suivi (CIS) et le gouvernement fut élargi le 07 avril 1997 au général de Brigade Didace N’Dayen et au colonel Evariste Martial Konzzalé. Ils furent nommés ministres délégués, chargés respectivement de la Restructuration des Armées et du Désarmement. Il convient de rappeler que la signature de l’accord mettant fin à la mutinerie n’avait pas modifié la situation sur le terrain. Les militaires entrés en rébellion avaient continué à conserver leurs armes et à occuper une partie de la ville, en attendant leur réintégration dans les casernes qui devrait se faire dans l’honneur et la dignité, selon l’expression consacrée. C’était cette situation de « ni paix, ni mutinerie » qui allait donner lieu à des tentatives de désarmement forcé des mutins, occasionnant au passage des accrochages meurtriers entre les forces

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loyalistes, appuyées par le contingent tchadien de la MISAB ainsi que les forces françaises, et les soldats mutinés. En effet, les populations des quartiers Sud de Bangui avaient vécu le martyr avec les multiples incursions des éléments enturbannés tchadiens qui, sous le fallacieux prétexte de rechercher les mutins, se livraient à de véritables chasses à l’homme. Ces descentes eurent lieu généralement les dimanches, obligeant certaines églises ou temples situés le long ou au voisinage de l’avenue Barthélemy Boganda, à fermer les portes durant des semaines. Ce fut la période des appels - a koli, ala kpè ! - les hommes, fuyez ! - qui devraient rappeler encore à beaucoup de centrafricains, ces durs moments au cours desquels des obus déferlèrent sur les quartiers Sud, obligeant certains habitants à trouver refuge dans les quartiers Nord, sur la route de MBaïki ou dans les forêts de l’Ombella-Mpoko et de la Lobaye... La stratégie adoptée par la France en République centrafricaine avait manqué de lisibilité au sortir des Accords de Bangui et au regard des interventions de la MISAB et des forces françaises. Ces dernières semblaient collaborer tant avec le pouvoir qu’avec la rébellion. Cette attitude ambiguë allait être dénoncée à travers deux lettres ouvertes. La première était adressée au président Jacques Chirac le 2 juillet 1997 par le capitaine Anicet Saulet, au nom du Collectif des officiers. La seconde, parue dans Le Perroquet du 8 juillet 1997, journal de combat, proche du pouvoir et qui serait édité au siège du MLPC, sous le titre « lettre ouverte au général ATT ». Le message du Collectif des Officiers déclare : « Monsieur le Président, Nos peuples se sont rencontrés voilà un peu plus d’un siècle, au gré des aléas de l’histoire. Nous l’assumons positivement et sans sur-dramatiser des incompréhensions ou des divergences somme toutes normales. Toutefois, nous ne pouvons taire au monde le projet de génocide programmé de tout un peuple que vous parrainez au nom de la France, pays de liberté et de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Excellence, Monsieur le Président de la République française, comme nous l’avons mentionné, notre pays, la

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République centrafricaine est entrée, après les élections générales de 1993, dans une période de crise multiforme aiguë, résultat d’une mauvaise gouvernance. Cette crise révélée par trois mutineries successives en huit mois (avril 1996- novembre 1996) ont mis à jour les tares du régime du président Ange Félix Patassé, générant un quadruple manque de confiance : • manque de confiance entre les FACA et leur chef suprême, le président de la République, • manque de confiance entre gouvernants et gouvernés, • manque de confiance au sein du peuple centrafricain, • manque de confiance au sein de la classe politique. La crise est donc globale. Sous d’autres cieux, au nom de la démocratie, on se serait mobilisé très rapidement pour y trouver une solution politique. Dans notre pays, comme si l’on niait l’universalité de l’esprit humain, l’on s’efforce d’étouffer la conscience d’un peuple. Il ne s’agit pas ici de la démocratie désirée puis conçue dans la douleur et dont nous ne sommes pas sûrs de l’avoir déjà enfantée. Non, Monsieur le Président. Il s’agit, plus humblement, de laisser survivre un peuple afin que, comme dans votre pays il y a deux siècles, les idées démocratiques s’ancrent, de nouveaux réflexes se créent à travers les expériences diverses, des tentatives multiples et plusieurs essais raisonnables. Nous pensions que la France, de par sa vocation universelle, guiderait nos pas ; mais vous l’avez engagée depuis janvier 1997, comme ce fut le cas à ces moments sombres, dans le génocide des populations du Sud de notre pays comme solution à la crise profonde que nous traversons. Ni les Accords de défense, ni les Accords de Bangui, ni les statuts de la MISAB ne contiennent des clauses autorisant l’Armée française à apporter un soutien opérationnel à la MISAB et à la garde présidentielle comme ce fut le cas du 23 au 27 juin 1997. Pourtant, ce sont des véhicules de l’avant blindé et chars français qui étaient en première ligne, ouvrant la voie aux hordes de tueurs recrutés par le président Patassé, sous le couvert du contingent tchadien de la MISAB, qui se sont déversés sur les quartiers Sud de Bangui pour égorger, massacrer et tuer plusieurs centaines d’honnêtes et innocents

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citoyens comme le chef Pani du quartier Kokoro ou l’ancien ministre Bougalama Nzoulé. Ce sont des hélicoptères français qui ont transporté des éléments de la garde présidentielle pour indiquer à leurs amis de la MISAB-Gabon au sol les points à pilonner sur Kassaï et Ouango à l’Est de Bangui ; alors que la France avait antérieurement suspendu sa coopération militaire avec cette garde prétorienne. Sans préjuger de l’avenir, ni les hélicoptères Puma à guidage infra-rouge à qui vous aviez donné l’ordre de tirer à la mitrailleuse lourde sur la population civile dans la nuit du 4 au 5 janvier 1997, ni les avions Jaguar qui ont, sur ordre, largué leurs bombes sur les quartiers Sud de Bangui, ni les chars « sagaie » qui ont tiré au canon 90 mm sur d’innocents civils ne peuvent anéantir définitivement tout un peuple qui lutte pour sa survie sur son sol. Avec votre bénédiction, Monsieur le Président de la République, les Eléments français d’assistance opérationnelle (EFAO) ont bombardé depuis leur camp Béal les quartiers Est de Bangui au mortier de 120 mm, faisant douze morts, tous civils, dont la majorité est constituée de femmes et d’enfants. Cela aurait pu susciter émotion et indignation ! Mais, comme le disait André Gide : « Ces gens là sont moins que les chiens qui méritent quelque attention ! » Monsieur le Président de la République, pour appliquer la version centrafricaine de « la solution finale » aux peuples issus du Sud de notre pays, à l’ethnie Yakoma en particulier, vos « Laval » et « Papon » locaux ont conseillé à la France et à son Armée de tenter de contourner l’obstacle juridique des textes qui les empêchent de fournir une aide opérationnelle officielle à la garde présidentielle et à la MISAB. En accord avec le président Omar Bongo, on vous a amené à décider du renforcement des effectifs de la MISAB et à favoriser le recrutement des mercenaires à la garde présidentielle. Aussi, avez-vous donné votre accord pour que 400 tchadiens, 150 gabonais et 150 sénégalais viennent grossir les effectifs de la MISAB qui passeraient du simple au double ! La mission de la MISAB est désormais de réduire les ex-mutins au cas où ces derniers ne se conformeraient pas aux conditions de reddition que vous vous apprêtez à faire édicter. Nous regrettons que la

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France prenne le parti de la violence qui ne pourra que prolonger les souffrances du peuple centrafricain. Vous usez de notre pays et de ses habitants en laboratoire et en cobayes d’une force inter - africaine d’interposition dont les orientations se précisent. Cette force est plus censée exécuter les sales besognes que le peuple français épris de justice ne peut plus tolérer, que d’aider les peuples d’Afrique à régler pacifiquement et dans la transparence leurs différends. Monsieur le Président de la République, Ce faisant, votre honneur consent au génocide des populations centrafricaines et à celui d’autres peuples africains tout en vidant de son contenu l’idéal démocratique. Dans une Afrique en mutation profonde, l’aveuglement politique n’est pas de mise. Monsieur le président de la République, certaines allusions s’imposent à nous tout naturellement qu’on ne saurait parler de mauvaise foi, ni de provocation, ni d’insulte au peuple français que nous avons appris à connaître et à aimer. Tout au plus, sommes-nous peut-être obsédés par le souvenir des évènements les plus horrifiants que l’humanité ait connus en ce vingtième siècle avec la volonté de les conjurer. Le soutien opérationnel de l’Armée française à la MISAB, de même que la mise à disposition de celle-ci et de la garde présidentielle d’importants moyens militaires et de coercition d’ordre économique permettent toutes les exactions dont se souviendront, notamment, les rescapés des jeunes mâles de 10 ans que l’on égorge sans discernement. Cette terreur favorisée par la France forme lentement dans le sang une nouvelle conscience avec le risque de modeler nos rapports futurs. Monsieur le Président de la République, Nous, militaires centrafricains n’aspirons qu’à vivre dans la paix et bénéficier de l’assistance et de la coopération technique française. Nous demandons à l’Armée française comme elle l’a fait après la deuxième mutinerie, de s’investir à travers ses conseillers et son assistance technique dans la réconciliation des Forces de défense centrafricaines entre elles et en garantissant la sécurité et l’avenir de tout un chacun. Nous pensons que la France n’a pas à soutenir une partie du peuple centrafricain

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contre une autre ou une portion des Forces de défense contre une autre. C’est pour cela que nous croyons et espérons que la France, forte de ses expériences en Afrique, aidera les Forces de défense en Centrafrique, la classe politique centrafricaine, les Centrafricaines et Centrafricains en général à s’unir autour de solutions politiques justes et constructives pour une paix durable en Centrafrique. Monsieur le Président de la République, Nous souhaitons que votre Excellence puisse, comme elle l’avait évoqué auparavant, aider le peuple centrafricain dans l’application stricte des Accords de Bangui du 25 janvier 1997 et des Recommandations des Etats généraux de la défense nationale, garants d’une paix véritable en Centrafrique »... Cette longue lettre, au ton assez courtois mais ferme, traduit la colère des populations des quartiers Sud et de l’Est de Bangui qui ne comprennent pas que la France puisse appuyer les hordes de tueurs, dissimulés au sein du contingent tchadien de la MISAB. En effet, depuis l’échec de la cérémonie officielle de réintégration des militaires dans les casernes du 18 avril 1997, des dérapages graves, dus pour la plupart aux éléments incontrôlés du contingent tchadien de la MISAB basé sur l’avenue Boganda à la MAMICA et au Marché Mamadou Mbaïki Km5, eurent lieu, faisant de nombreuses victimes parmi la population civile du 6ème Arrondissement et de Bimbo. Le camp du pouvoir prenait à partie le général Amadou Toumani Touré, président du CIS, dans le journal-tract Le Perroquet N° 55 du 8 juillet 1997. Mon Général, mbi balao mo mingui ! (Bonjour mon Général) Je vous plains, Général. Voilà depuis plus de sept mois que vous vous êtes lancé dans cette aventure délicate mais noble qui vise à faire taire les armes en Centrafrique. Comme un fou, vous avez sillonné les rues dangereuses de Bangui, derrière les militaires et autres civils égarés, le jour comme la nuit, sous la pluie et le soleil, pour tenter de ramener les troupes de Kolingba à la raison. Les risques que vous avez pris sont énormes. Mais comme tout bon pèlerin de la paix, vous avez cru à la paix, et

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vous n’avez ménagé aucun effort pour ce faire. Je vous admire et vous félicite. Les fruits de votre médiation sont nombreux, entre autres : la libération de tous les otages détenus de part et d’autre, le premier cessez-le-feu entre les rebelles et les militaires français, entrés en furie en début janvier 1997, la signature des Accords historiques du 25 janvier 1997, l’autre cessez-le-feu entre les rebelles et la MISAB en mars dernier, la cérémonie de fin de mutinerie et du retour du RMI au camp Kassaï le 18 avril 1997, le début du retour des ex-mutins dans les casernes le 2 juin 1997 après la nomination de certains officiers rebelles au gouvernement et au haut commandement de l’Armée et de la Gendarmerie…Je vous en remercie. Seulement, mon Général, vous n’êtes pas clair. L’espoir légitime, il est vrai que le peuple centrafricain et toute l’Afrique avaient fondé sur vous s’est envolé rapidement comme de la fumée. Vous savez mon général, dans des circonstances pareilles, il faut être à l’écoute du peuple et parler le langage du peuple. C’est cette leçon de l’histoire que vous avez ignorée. Je voudrais dire par-là que le peuple centrafricain ne veut plus entendre parler de mutinerie. Il faut que ça cesse, et par tous les moyens, notamment les plus durs. Or, la stratégie que vous avez mise en place depuis longtemps est de nature à faire perdurer la situation. Votre stratégie a pour noms : dialogue, concertation, table de négociation, pardon, retour aux casernes dans l’honneur et la dignité…Mais tout cela n’est que diversion et digression qui ne profitent qu’à la France, le Groupe des 11 malfaiteurs politiques parrainé par le vieil effiloché Goumba, et les mutins. Cela vous profite aussi parce que ça vous fait beaucoup d’argent. A propos, il paraît que vous avez droit à près de 800 000 CFA par jour ici à Bangui. Avec cette facilité d’enrichissement, un bon nègre qui se respecte ne peut qu’avoir, comme vous, la tentation de jouer aux manœuvres dilatoires et au Tartuffe. Pourvu que ça dure ! Raison pour laquelle vous contournez les vrais problèmes et occulter les vraies réalités. Je vous soupçonne de jouer le jeu des français, les principaux chefs d’orchestre des mutineries de Bangui, véritables coups d’Etat

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camouflés. Ces démocraticides avaient soudoyé certains responsables de la MISAB pour amener leurs éléments à ne pas mater les rebelles. Seul le contingent tchadien avait présenté le pactole aux autorités centrafricaines et dénoncé la manoeuvre française. Il n’est pas exclu que vous aussi aviez reçu votre part, mais que vous auriez promis ne pas faire ce que les Français vous ont demandé de faire. Et si ceci n’était pas cela ? Mon Général, vous êtes une illustre personnalité africaine. L’idée que les Centrafricains et Africains se faisaient de vous est incompatible avec votre comportement actuel. Pourquoi avezvous accepté que les mutins aillent remettre leurs armes à l’ambassade de France plutôt qu’aux autorités nationales ? Et de surcroît, quatre armes seulement et sans percuteur. Vous vous êtes trahi, mon Général. En effet, en acceptant ce scénario, vous avez aidé la France à récupérer les armes qu’elle avait elle-même données aux mutins pour tuer la jeune démocratie centrafricaine. En même temps, le temps mort que vous avez arrêté n’est qu’une stratégie pour permettre aux mutins et miliciens à la solde de la France de cacher les armes et de repartir à l’assaut tôt ou tard. Alors que les opérations de désarmement déclenchées par la MISAB sont applaudies par tous les Centrafricains épris de paix et la communauté internationale, vous êtes venu briser l’élan des éléments de la MISAB qui, pourtant, étaient en train de finir le travail. Les éléments de la MISAB (vos compatriotes maliens y compris) ont raison de vous huer le vendredi dernier. Finalement, vous n’êtes pas sérieux, général ATT. Les Français sont toujours avec les mutins qui s’accommodent de leur présence. Les militaires français tiennent régulièrement informés les mutins des heures, lieux et stratégies d’attaque ou de désarmement de la MISAB, des FACA et de la GP. C’est ainsi que les mutins ont déserté dernièrement avant l’arrivée de la MISAB dont la plupart des victimes de leurs attaques sont des civils, innocents de surcroît. Jusque-là, seuls les militaires français connaissent les lieux de refuge des mutins et demeurent les seuls à y avoir accès pour livraison d’informations et distribution d’armes, munitions et vivres (vers Cattin et dans la forêt de Bimbo par exemple). Mon général, c’est la

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vérité que je vous dis. Tout se passe comme si vous ne vouliez pas que ça finisse, et que vous êtes content quand les mutins et leurs milices tuent civils, loyalistes et éléments de la MISAB. Pourquoi empêchez-vous à chaque fois les éléments de la MISAB de venger leurs frères d’armes assassinés par les mutins ? Etaient-ils venus pour se laisser tuer comme des chiens ? Et pour quelles raisons retardez-vous le désarmement ? Mon général, la trêve que vous venez d’initier n’est pas ce que les Centrafricains vous demandent. Votre obsession déguisée pour les « négociations » nous énerve. Ce n’est pas sur notre dos ni sur la tombe de nos morts que vous devez négocier le Prix Nobel de la Paix. Non. Le Perroquet, porte-parole des sans voix, vous dit : NON ! En conséquence, mon général, j’ai l’honneur de vous signifier que votre arrivée à Bangui n’arrange pas les Centrafricains. Vous auriez dû rester là-bas et laisser la MISAB et les loyalistes centrafricains finir le travail. Je promets vous informer régulièrement, par fax, de l’évolution de la situation ici au pays. Au revoir et bon retour chez vous, mon général ». Cette lettre ouverte, tout en exprimant ce que le pouvoir MLPC pensait de la médiation du général Amadou Toumani Touré et de la France, confirmait les massacres opérés dans la population civile du Sud par les éléments tchadiens de la MISAB. Elle révélait aussi que les opérations de ramassage des armes de guerre qui devraient concerner toutes les parties en conflit, avaient été concentrées exclusivement dans les quartiers Sud de Bangui. Elle démontre enfin une curieuse conception du pouvoir d’Etat et la carence d’une politique de communication du MLPC qui continuait à s’exprimer en pondant des tracts anonymes, alors qu’il était au pouvoir depuis le 22 octobre 1993. Car ce N° 55 de Le Perroquet ainsi que tous les autres, ne comportait pas d’ours, cet encadré où devraient figurer les noms du directeur de publication, des rédacteurs et de l’imprimeur du journal. Mais il sortait du siège du parti au pouvoir… Plus tard, avec la mise en place de la Mission des Nations Unies en RCA (MINURCA), des actions courageuses devant conduire au démantèlement total des milices Karako et Balawa,

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les forces supplétives du pouvoir patassiste, coûteront la vie au général gabonais Mombo-Moukagni, empoisonné dans un restaurant comme tant de cadres « mlpcistes » en rupture de ban avec leur parti. Lasse de ces troubles qui avaient, non seulement paralysé le fonctionnement normal des institutions, de l’économie mais aussi et surtout la vie du citoyen, la société civile, à l’instigation des centrales syndicales et avec l’appui de la presse privée et indépendante et des organisations de défense des droits de l’homme, mirent en place l’Union des Forces Acquises à la Paix (UFAP) au milieu de l’année 1997. Elargie très tôt à l’opposition politique, cet outil n’avait pas été utilisé à bon escient pour que les élections législatives de 1998 et les élections présidentielles de 1999 reflètent la volonté du peuple souverain... La restructuration des armées, qui englobait le premier projet de modernisation des forces armées centrafricaines, à savoir, le Programme national de démobilisation et de reconversion (PNDR) des militaires et gendarmes, n’avait pas pu être exécutée. La volonté politique manifeste d’utiliser ce projet pour opérer une profonde purge au sein des forces de défense et de sécurité amena les bailleurs de fonds à se retirer. Et ce projet fut enterré... Le volet Conférence de réconciliation nationale, placé sous l’autorité de Laurent Gomina-Pampali avait abouti le 26 février 1998, à l’organisation de ladite conférence sans que des préalables soient satisfaits, notamment, le ramassage des armes de guerre, le démantèlement des milices, le dédommagement des victimes des mutineries. On se souviendra de l’ardeur de Laurent Gomina-Pampali qui voulait entrer dans l’Histoire quand il avait affirmé « philosophiquement » qu’aucun désarmement total n’était pas possible et qu’il ne fallait pas évoquer un quelconque préalable relatif à un désarmement avant la convocation de la conférence. Pour lui, toute centrafricaine, tout centrafricain dispose et disposera toujours d’une lame de rasoir ou d’un couteau qui sont tout autant des armes ! Et pourtant, l’évidence est que le désarmement ici, signifie la récupération des armes de guerre qui, dans un pays normal, ne peuvent être détenues, selon des règles bien définies, que par des éléments des forces

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de l’ordre ou de sécurité, et conservées dans des poudrières relevant de l’autorité de l’Etat, à travers le ministère de la Défense et/ou de l’Intérieur. Cette Conférence de réconciliation nationale eut lieu, malgré tout, du 26 février au 5 mars 1998. Présidée par le pasteur Isaac Zokoué, elle avait été sanctionnée par la signature du Pacte de réconciliation nationale. Dès lors que les pouvoirs publics et les partis politiques s’étaient engagés, à travers ce document, à utiliser la voie des urnes comme seule voie légale d’accès au pouvoir, à bannir l’utilisation des armes et de la force comme méthode et moyen d’accès au pouvoir de l’Etat et à régler les différends par des moyens pacifiques, les conditions pour la mise en place d’une opération de maintien de la paix par l’Organisation des Nations Unies (ONU), étaient ainsi réunies. La crise centrafricaine allait par conséquent, être inscrite dans l’agenda des Nations Unies et la MISAB fut remplacée par la 48e opération de maintien de la paix de l’ONU : la Mission des Nations Unies en RCA ou MINURCA. Etablie par le Conseil de sécurité pour une période initiale de trois mois avec effet au 15 avril 1998, la MINURCA a eu pour mandat de : • contribuer à maintenir et à renforcer la sécurité et la stabilité ainsi que la liberté de mouvement à Bangui et ses environs, • aider les forces nationales de sécurité à maintenir l’ordre et à protéger les installations clés à Bangui, • superviser et contrôler le stockage de toutes les armes récupérées dans le cadre de l’opération de désarmement et en surveiller la destination finale, • assurer la sécurité et la liberté de mouvement du personnel des Nations Unies, ainsi que la sûreté et la sécurité des biens de l’Organisation des Nations Unies, • apporter une aide, en coordination avec d’autres efforts internationaux, dans le cadre d’un programme de courte durée de formation d’instructeurs de police et d’autres efforts de renforcement des capacités de la police nationale, et fournir des

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conseils concernant la restructuration de la police nationale et des forces spéciales de sécurité, • fournir des conseils et un appui technique aux organismes électoraux nationaux en ce qui concerne le code électoral et les moyens à mettre en oeuvre pour organiser les élections législatives prévues pour août/septembre 1998. Le Conseil de Sécurité prenait ainsi le relais de la médiation africaine dans la gestion de la crise centrafricaine et Oluyemi Adeniji, un diplomate nigérian, fut nommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en République centrafricaine.

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CHAPITRE X Esquisse de la solution finale Comme nous l’avons souligné précédemment, les organisations des travailleurs, sur initiative de l’Union syndicale des travailleurs de Centrafrique (USTC) ont, de concert avec les Organisations de défense des droits de l’Homme et la Presse privée et indépendante, mis en place l’Union des forces acquises à la paix (UFAP) au milieu de l’année 1997. Son principal objectif consistait à faire sortir de leur torpeur les partis politiques, à l’aube des échéances électorales de 1998 et 1999. Malheureusement, les petites querelles de leadership des hommes politiques, le niveau de conviction et d’engagement de certains leaders et élus, allaient faire renvoyer aux calendes grecques les changements par la voix des urnes que le peuple attendait de tous ses voeux lors de ces consultations populaires. En effet, à l’issue des élections législatives de 1998, l’opposition politique, sur les 109 sièges de la nouvelle assemblée, obtint 55 élus tandis que le MLPC et ses alliés, 54. Le nomadisme politique et la corruption érigée en mode de travail firent basculer la majorité parlementaire en faveur du parti au pouvoir. Le député Koudoufara, élu sous l’étiquette du Parti social-démocrate (PSD), membre de l’opposition, monnaya son transfert dans le camp du pouvoir. Ainsi naquit le « koudoufarisme », ce néologisme propre à la classe politique centrafricaine et qui eut pour conséquence de rendre impossible la traduction de Patassé, pour haute trahison, devant la Haute cour de justice, par le nouveau Parlement. L’opposition politique centrafricaine allait-elle se ressaisir pour barrer la route à la réélection de Patassé en 1999 ? Avait-elle la volonté et la capacité de chasser démocratiquement un régime dont la gestion affairiste et désastreuse avait plongé le pays dans une profonde crise sociale, économique et morale ? En toute logique, Patassé ne pouvait pas remporter ces élections, en raison des grèves pendantes qui traduisaient l’acuité de la crise sociale due au non-paiement des salaires, des

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pensions et des bourses. Mais les stratèges du MLPC conditionnèrent l’opinion par le slogan « premier tour K.O ! » bien que la situation soit telle qu’aucun candidat ne pouvait remporter ces élections dès le premier tour. Le système de votation par le bulletin unique, recommandé par la MINURCA et l’opposition politique, en vue de garantir la transparence et limiter les fraudes, fut rejeté par le MLPC. Les milliards de CFA déversés pour acheter les consciences et les tee-shirts, les casquettes, les sous-vêtements féminins à l’effigie de Patassé, avaient-ils pu conduire les électrices et électeurs centrafricains à vendre leur âme au diable ? L’histoire retiendra qu’à la veille de la proclamation officielle de ces élections, le président de la Cour constitutionnelle, Edouard Franck et le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Oluyemi Adeniji avaient fait un tour à Libreville pour revenir proclamer Patassé vainqueur au 1er tour. Un second tour devrait pourtant avoir lieu entre Patassé et Kolingba. Ce dernier, pour ne pas envenimer encore une situation déjà explosive, avait appelé au calme et demandé à tout le monde de laisser Patassé gouverner... Candidats PATASSE Ange Félix KOLINGBA André DACKO David GOUMBA Abel POUZERE Henri N’GOUPANDE Jean-Paul LAKOUE Dérant-Enoch MASSI Charles N’GOUANDJIKA Fidèle ABOSSOLO Joseph Total

Pourcentages de voix 51,63 % 19,38 % 11,15 % 6,60% 4,19 % 3, 14 % 1,33 % 1,31 % 0,94 % 0,86 % 100,53 % !

Partis MLPC RDC MDD FPP Indépendant-Londö PUN PSD Indépendant Indépendant Indépendant

Résultats de l’élection présidentielle du 19 septembre 1999

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Un rapide examen de ces résultats montre que les chiffres ont été bel et bien trafiqués. Cela est d’autant plus vrai, car lors d’un vote à l’échelle d’une nation, il est peu probable qu’il n’y a pas de bulletins nuls. Ce qui fait que la somme des voix ou mieux, la somme des pourcentages des voix obtenus par tous les candidats en lice doive être inférieure à 100, si on tient compte des bulletins nuls et des suffrages valablement exprimés. Un seul parti politique de l’opposition, le MDI-PS, a eu à dénoncer cette anomalie qui confirme à souhait, les fraudes qui ont soustendu la réélection de Patassé dès le premier tour. Il y a peut être lieu de préciser qu’au lendemain de la proclamation de ces résultats, la population avait manifesté pour protester contre ce qu’elle considérait comme le détournement du verdict des urnes. Contre toute attente, ce fut à ce moment là que des fissures commencèrent à apparaître au niveau de l’UFAP, cet outil de lutte qui avait été conçu par les travailleurs, les défenseurs des droits de l’homme et la presse privée et indépendante et mis à la disposition des partis politiques de l’opposition afin de mettre un terme à ce que d’aucuns appelaient la « mort lente du peuple centrafricain – mlpc »… On assista alors à des manoeuvres visant à démobiliser les troupes, comme si les leaders politiques de l’opposition voulaient s’accommoder de cette seconde victoire de Patassé. Ainsi, par exemple, lorsqu’un meeting de l’UFAP était convoqué en un endroit de la ville de Bangui, les leaders politiques qui devaient prendre la parole se réunissaient en un autre lieu, abandonnant les militants à leur triste sort. La répétition de cette pratique avait fini par émousser la combativité des militants de base… La réélection de Patassé et l’avènement du gouvernement du Premier ministre Anicet-Georges Dologuélé n’avaient pas apporté le changement positif tant souhaité sur le plan social et économique, bien que certaines mesures de renforcement et de consolidation de la paix furent initiées. Parmi ces mesures, on retiendra par exemple la nomination à des postes de responsabilité des principaux leaders des soulèvements militaires ou le dédommagement financier de l’ancien directeur général de la

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SOCATEL, relevé de ses fonctions dès novembre 1993, sans que la procédure légale en matière de gestion des sociétés d’état et sociétés d’économie mixte soit respectée. Les militaires centrafricains avaient-ils fait des émules au niveau de l’Afrique francophone ? Les éléments des contingents malien, ivoirien, togolais, burkinabé, tchadien, sénégalais ou gabonais, présents en République centrafricaine dans le cadre de la médiation africaine (MISAB) ou du Conseil de sécurité (MINURCA) n’allaient-ils pas s’inspirer de l’expérience de leurs frères d’arme centrafricains ? On notera toutefois que parmi les militaires ivoiriens qui s’étaient mutinés le 29 décembre 1999 pour réclamer le paiement de leurs arriérés de salaires et qui avaient permis au général Robert Gueï de prendre le pouvoir le 31 décembre 1999 en Côte d’Ivoire, figuraient nombre de ceux qui revenaient de Bangui… A l’issue du séminaire du 17 août 2000 organisé à Bangui conjointement par le BIT et les six centrales syndicales sur la négociation collective, le tripartisme et le dialogue social, les responsables syndicaux réalisèrent que le pluralisme syndical, malgré ses avantages et ses inconvénients, ne doit pas porter atteinte ou compromettre la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs. Cette volonté d’inscrire le mouvement syndical centrafricain dans un nouveau contexte évolutif, au regard de la misère et la clochardisation des fonctionnaires et agents de l’Etat qui avaient accusé treize mois d’arriérés de salaire entre 1991 et 1993 et maintenant, une trentaine de mois de retard, était le levain d’un renouveau syndical. Ce séminaire avait été sanctionné par la « Déclaration commune », plateforme minimale devant induire l’unité d’action pour une meilleure défense des intérêts des travailleurs qui ne se résumaient, hélas, qu’à des revendications salariales. Cette déclaration avait été signée par les six centrales syndicales, à savoir l’USTC, la CNTC, la CSTC, la CCTC, l’OSLP et l’UGTC. Fort du soutien de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) à travers l’USTC et de celui de la Confédération mondiale du travail (CMT) à travers la CNTC et

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la CSTC, les travailleurs centrafricains allaient, sous l’impulsion de la Coordination nationale des centrales syndicales d’où s’était retirée l’OSLP en raison du lien ombilical qui la lie au MLPC, mener méthodiquement une lutte qui finira par mettre à genoux le régime MLPC. Un mois plutôt et au terme d’un conclave à Ngounza, sur la route de Damara, le Parti de l’unité nationale (PUN) de Jean-Paul Ngoupandé, après une analyse de la situation nationale, s’était prononcé pour la démission du Président Patassé… Comment obtenir la démission de Patassé qui avait su résister aux mutineries, trafiquer les résultats des élections législatives et présidentielle, réduire pratiquement à néant toute opposition politique tout en la décrédibilisant aux yeux de l’opinion nationale ? La mobilisation autour des questions sociales apparaissait, de toute évidence, comme la seule stratégie capable d’affaiblir le régime MLPC. Ainsi, les enseignants et tous les autres travailleurs du secteur public demandèrent le paiement de 12 mois sur les 29 mois d’arriérés de salaires, au terme de la grande assemblée générale du 30 septembre 2000. Pour conduire cette lutte sociale, les leaders syndicaux mirent en place la Coordination nationale des centrales syndicales (USTC, CNTC, CSTC, CCTC, UGTC), présidée alternativement par les secrétaires généraux et président des centrales syndicales. Une équipe restreinte, composée de Jacques Boti, Noël Ramadan, moi-même, ainsi que Marcellin Kongbowali, Michel Kpingo, Victor Koyadéké, Jean-Marie Agoutoco, fut constituée pour faire des analyses, suggérer des propositions d’action et rédiger tous les textes nécessaires au bon fonctionnement de la plate-forme de lutte. Ce comité, baptisé « groupe des experts », travaillait en étroite collaboration avec les cinq leaders syndicaux… Des grèves perlées finirent par ponctuer la vie sociale jusqu’au 23 octobre 2000, date à laquelle le président Patassé, en recevant les représentants des travailleurs, promit de verser dix (10) millions de dollars US de sa cagnotte personnelle pour éponger une partie des arriérés de salaires ! Comme dans un film de fiction, les Centrafricains allaient être tenus en haleine par des promesses mirobolantes sur les milliards de CFA d’économie de l’ingénieur Patassé, obtenus

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suite à l’invention d’un bateau nommé trimaran ou des émoluments de son brevet d’inventeur d’une variété de maïs dénommée « Ngakoutou ». Le ministre des finances Dabanga, était même envoyé en Allemagne pour ramener dans des malles la fameuse cagnotte. Mais le ministre fera juste un séjour d’agrément à Paris avant de revenir tranquillement au bercail et demander aux travailleurs de patienter encore quelques jours... Au-delà de cette anecdote oh ! combien malheureuse et triste, l’action des travailleurs, en l’absence d’une opposition politique responsable et active, était apparue comme la seule voie susceptible d’ébranler le pouvoir. La Coordination nationale des centrales syndicales en était bien consciente et la sympathie que la population lui témoignait, était source de détermination et de stimulation. L’ancien président de la République David Dacko avait même mis pied à la Bourse du travail pour apporter son soutien à l’action salvatrice des travailleurs…Les échos de ce soutien populaire à la lutte des travailleurs parvenaient jusque dans les allées du pouvoir. Galvanisés par l’espoir qu’ils suscitaient, tant à Bangui que dans le reste du pays, les leaders syndicaux engagèrent toute une série d’actions pour ébranler le pouvoir qui n’arrivait pas à apporter les réponses adéquates aux légitimes revendications sociales. Après la grande marche de protestation des travailleurs, couverte médiatiquement par un envoyé spécial de la radio panafricaine Africa N°1, le vendredi 24 novembre 2000, la Coordination nationale des centrales syndicales organisa une conférence de presse le vendredi 8 décembre 2000, suivie d’un grand meeting à la Bourse du travail le samedi 9 décembre 2000, en présence de l’opposition politique. Ces actions avaient fini par ébranler le régime MLPC. Les partis politiques d’opposition, revigorés par cette nouvelle donne, appelèrent tous ensemble leurs militants à un grand meeting au stade Bonga-Bonga le mardi 19 décembre 2000. Mais ce rassemblement, prétexte à une grande marche populaire sur le palais de la Renaissance, prit fin dans une grande confusion. Le pouvoir utilisa les grands moyens. Face à des hommes et femmes aux mains nues, les forces de l’ordre n’hésitèrent pas à tirer à balles réelles. Des députés, écharpes

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aux couleurs nationales en bandoulière, des syndicalistes, des femmes et des enfants mineurs allaient être interpellés et conduits à la gendarmerie où ils étaient embastillés pendant plus d’un mois. Cette répression sauvage entraîna l’arrestation de plus de soixante dix personnes dont quatre députés qui furent condamnés en dépit de leur immunité parlementaire. La classe politique était donc avertie : toute contestation allait être impitoyablement mâtée, et au besoin, au prix du sang. Tout en reconnaissant le rôle déterminant et positif des travailleurs dans cette lutte, un leader politique n’avait pas hésité à décrire la situation qui prévalait à cette époque sous forme imagée en disant : « Les travailleurs ont obtenu le pénalty, ils nous ont laissé tirer le ballon et nous n’avons pas pu marquer le but ! » Malgré cette répression et face à la reculade de l’opposition politique, la Coordination nationale des centrales syndicales, véritable contre-pouvoir, refusa de baisser les bras. Dès le 2 janvier 2001, elle interpella le ministre de la Défense nationale, Jean-Jacques Demafouth, sur l’introduction et la présence de forces non-conventionnelles armées dans certains quartiers de Bangui et dans l’arrière-pays. Le climat social, délétère en ce début d’année 2001, était la traduction de la déliquescence du pouvoir avec des signes visibles et palpables. On pouvait apercevoir aux abords de la villa Adrienne, la résidence du chef de l’Etat, des barrages faits de sacs remplis de sable en travers des rues adjacentes. Des mitrailleuses lourdes, des orgues de Staline s’alignaient tout autour de cette résidence. Des militaires libyens, associés à des éléments marocains ainsi que des mercenaires de tout acabit, déambulaient dans les parages, l’arme au poing, de jour comme de nuit, comme si une attaque imminente allait avoir lieu. Sur le plan politique, on assistait à des situations assez invraisemblables. Certains conseillers à la présidence de la République, en voulant débloquer la situation née de la rupture de dialogue entre le gouvernement et les représentants des travailleurs, sollicitèrent des audiences auprès de la Coordination nationale des centrales syndicales et étaient reçus sur les bancs de la Bourse du travail. La démarche patriotique

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de ces conseillers lucides, dont Eugide Gouguia, bien que torpillée par certains de leurs collègues « patassistes » va-t-en guerre, avait sauvé le syndicaliste Sabin Kpokolo qui assurait la présidence tournante de ce collectif des centrales à cette époque. Car le président Patassé n’avait pas hésité, dans ses accès de colère, à traiter ce compatriote de « zaïrois ! » et qu’il fallait le renvoyer chez lui ! Comme si la majorité des centrafricains n’avaient pas une ascendance familiale, proche ou lointaine, du côté du Zaïre ou RD Congo, du Sud-Soudan, du Soudan, du Tchad, du Cameroun ou du Congo Brazzaville. Et pourtant, il n’hésitera pas, quelques mois plus tard, à faire appel au zaïrois authentique Jean-Pierre Bemba pour le sauver ainsi que son régime… Le pourrissement de la situation sociale était la résultante de la mauvaise gouvernance et des assassinats politiques, dont les victimes n’appartenaient pas seulement à l’opposition, mais aussi au camp du MLPC. On se souviendra de la mort du tout premier Premier ministre de Patassé, le professeur Jean-Luc Mandaba ainsi que celle de son fils. Ces cas de décès demeurent non élucidés et donnent lieu à de nombreuses supputations, encore aujourd’hui. Une atmosphère de fin de régnait donc à Bangui et Charles Massi, dans une boutade, résumait éloquemment la situation en affirmant que le pouvoir est par terre, mais il n’y a pas d’homme courageux pour le ramasser. En vue de circonscrire la grève initiée par les enseignants en octobre 2000 et qui avait gagné toute la fonction publique en ce début d’année 2001, des négociations assez sérieuses eurent lieu entre le gouvernement et la Coordination nationale des centrales syndicales, grâce à la médiation de l’Archevêque de Bangui et du Représentant du Secrétaire général des Nations Unies, chef du BONUCA. Pour la première fois depuis l’avènement du Changement en 1993, des négociations GouvernementSyndicats allaient être soldées par un document écrit. Lors de ces pourparlers, les délégués des travailleurs avaient noté une certaine souplesse du gouvernement dont les représentants faisaient des pieds et des mains pour aboutir à une conclusion écrite. Au point où la structuration du texte du

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document final devait comporter des parties spécifiant les points pour lesquels un consensus avait été trouvé ou non. Cette méthode de travail permettait aux tractations de continuer, même en cas de désaccord. Car la signature d’un tel document pouvait conduire à la levée du mot d’ordre de grève. Par prudence, les représentants des travailleurs avaient exigé et obtenu la mise en place d’une structure chargée de suivre les décisions et d’aplanir les points d’achoppement. Le rapport de force sur le terrain était en faveur des travailleurs à qui leurs délégués rendaient régulièrement compte à la Bourse du travail. Ces délégués qui tiraient leur force et leur légitimité de cette base mobilisée en permanence en ce haut lieu du syndicalisme centrafricain, n’hésitaient pas à se référer à elle, avant toute nouvelle rencontre avec les pouvoirs publics. Le 6 mars 2001, le gouvernement et les centrales syndicales finirent par suspendre la grève par la signature d’un communiqué conjoint, en présence de Cheick Tidiane Sy, Représentant du Secrétaire général des Nations-Unies et de Monseigneur Joachim Ndayen, Archevêque de Bangui. On notera quelques points particuliers de ce document. En réponse à la revendication portant sur le paiement des neuf mois d’arriérés de salaires, le gouvernement s’était engagé à faire une « surprise agréable » aux travailleurs à l’issue des négociations avec des partenaires extérieurs. Il se proposait de nouveau, de transformer les arriérés de salaires en titres de paiement convertibles, en titres fonciers, matériaux de construction et autres. Il avait promis en outre rechercher des financements hors-budget en vue de réduire substantiellement les arriérés de salaires pendant la période de trêve. Pour les travailleurs, les arriérés de salaires étaient une dette que l’Etat avait contractée et leur paiement ne devait pas être assimilé à une « surprise » aussi « agréable », fût-elle. Aussi, rejetèrent-ils la titrisation, cette opération financière qui n’était pas en adéquation avec les réalités économiques du pays et, surtout, elle n’inspirait aucune confiance… Ils décidèrent malgré tout, de suspendre provisoirement la grève dans le secteur public sur toute l’étendue du territoire, pour une durée de deux mois renouvelable, une fois. Toutefois, ils repartiraient en grève à l’expiration du délai de

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trêve si un début de réponses concrètes n’était pas apporté aux engagements librement pris par le gouvernement. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le Comité de suivi et d’arbitrage (CSA) chargé de veiller à l’application de ces accords, présidé par le pasteur Isaac Zokoué et le magistrat Marcel Sérékoissé Samba, réalise que la partie gouvernementale n’a pas respecté ses engagements. Alors que le gouvernement s’était proposé de payer un mois par mois en 2001 afin de ne pas accumuler de nouveaux arriérés, deux mois seulement étaient honorés en mai 2001. Les travailleurs décidèrent alors de suspendre leur participation au Comité de suivi et d’arbitrage. Ils protestèrent par une grève d’avertissement du 14 au 18 mai, rompant ainsi la trêve. Le samedi 26 mai 2001, à la veille de la fête des Mères, les travailleurs se résolurent, à l’issue de l’assemblée générale hebdomadaire, à poursuivre la grève le lundi 28 mai... Tout observateur averti des réalités politiques centrafricaines ne pouvait pas ne pas percevoir la crispation politique et dire que tout pouvait arriver... Ou bien le pouvoir simule une révolution de palais afin de mettre à l’abri Patassé et les dignitaires MLPC ou bien une déflagration emporte le régime. Avec une opposition politique qui n’avait pas su transformer un pénalty une première fois en décembre 2000, pourra-t-elle, cette fois-ci, marquer un but sur un coup franc direct ? Rompu dans les techniques de manipulation de l’opinion et pour détourner l’attention des problèmes sociaux, Patassé décida d’organiser avec grandes pompes la Fête des Mères en ce dimanche 27 mai 2001... Le sort, un heureux sort, devrais-je dire, a voulu que je quitte Bangui pour Conakry, via Paris, ce 27 mai à 22H30 par le vol régulier d’Air France. Je devais représenter notre pays au sixième Séminaire interafricain sur l’harmonisation des programmes de sciences physiques et de technologie (HPSPT) dans les pays francophones d’Afrique et de l’Océan indien. Je souligne en passant que ce déplacement a été pris en charge par le Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de

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l’Ambassade de France à Bangui, grâce au financement du projet EDUCA 2000. Dès mon arrivée à Roissy, le chargé de mission en matière de Jeunesse à la présidence de la République, Samuel Stanislas Zoumbéti, qui était également du voyage, m’informa des évènements qui avaient eu lieu et qui étaient encore en cours à Bangui. Je portai cette nouvelle à la connaissance de Joachim Rouauld, mon vieil ami de longue date et qui avait pris le même vol. A la date d’aujourd’hui, je ne comprends pas que le général Kolingba qui avait désapprouvé, voire combattu insidieusement la troisième mutinerie dont la paternité lui avait été attribuée, à tort, se décide enfin à mettre un terme au règne de Patassé par la force. En 1999, il avait pourtant appelé à laisser Patassé gouverner malgré sa réélection frauduleuse. Pensait-il exploiter la grogne des travailleurs qui avaient décidé de repartir en grève dès le lundi 28 mai 2001, en raison du non-respect, par le gouvernement, des termes du communiqué conjoint du 6 mars 2001 ? Pouvait-il apurer les arriérés de salaires au cas où il reprendrait le pouvoir ? Et les arriérés de salaires résultant de son passage à la tête du pays jusqu’en 1993, pouvait-ils les éponger sans inaugurer un éventuel retour aux affaires par des grèves ? Pourquoi les officiers militaires qui l’avaient appuyé dans cette opération militaire avaient-ils tenu à mettre à l’écart, dans la phase de conception et de préparation de ce coup d’Etat, les Anicet Saulet, Parfait Anicet Mbay ainsi que les Guy Galloty et autres, les principaux responsables de la troisième mutinerie qui avait failli renverser Patassé quelques années plus tôt ? Comment comprendre que lors de l’exécution de ce putsch, des dispositions ne furent pas prises pour occuper militairement certains endroits stratégiques au niveau de la ville de Bangui ? Enfin, comment comprendre que le général ait revendiqué la tentative de ce coup d’Etat et demander à la fois aux militaires qui l’avaient suivi de rendre les armes au moment où ils n’avaient pas encore l’effectivité du pouvoir ? Il ne fait aucun doute que cette périlleuse et abracadabrante aventure militaire avait terni l’image du premier président centrafricain qui remit le pouvoir, dans la paix et l’unité, à un

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successeur sorti des urnes. Le nom du général Kolingba, père de la première alternance démocratique en Centrafrique, allait être malheureusement et désormais associé à la liste des putschistes que le pays connut depuis le 1er janvier 1966… Cette tentative de prise de pouvoir par la force, que certains professionnels et spécialistes du métier des armes déplorent l’impréparation, s’était soldée, non seulement par des centaines, voire des milliers de victimes humaines, mais aussi et surtout, il avait provoqué l’exil à grande échelle des populations originaires du Sud et de l’Est du pays ainsi que des destructions massives de biens mobiliers et immobiliers. Son échec patent réconcilia les uns et les autres car, Patassé avait décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière que constituaient, à ses yeux ainsi qu’à ceux des caciques du système MLPC, les populations riveraines de l’Oubangui, de tout le Sud et de l’Est du pays… Selon certaines indiscrétions recueillies quelques années plus tard, ce coup de force devait avoir lieu le dimanche 27 mai, dans la matinée, pendant le défilé sur l’avenue des Martyrs, à l’occasion de la fête des Mères. Mais le souci d’éviter un carnage dans la population civile aurait conduit les instigateurs à n’intervenir que pendant la soirée dansante prévue à la résidence du chef de l’Etat. Ainsi, dans la nuit du 27 au 28 mai 2001, vers 2H00 du matin, les militaires putschistes se seraient répartis en deux groupes. Le premier prit d’assaut la villa Adrienne où la fête battait son plein. Quant au second groupe, il aurait pour mission de s’emparer du camp de Roux afin de libérer Guillaume Lucien Ndjengbot. Le général Guillaume Lucien Ndjengbot, il faut le dire, avait cristallisé toutes les rancœurs et toute la haine du régime MLPC contre le général Kolingba. En effet, lors de la campagne pour l’élection présidentielle avortée de 1992, il était préfet de la Nana Mambéré et il avait réprimé dans le sang une manifestation populaire à Berberati. Il avait été condamné à dix ans de prison, après la victoire de Patassé en 1993. Tous ses biens avaient été saccagés et pillés et il purgeait sa peine au camp de Roux et non à la prison centrale de Ngaragba. Fidèle parmi les fidèles de Kolingba, j’avais pu me rendre compte de

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son indéfectible attachement à l’ancien chef d’Etat, lors d’une visite que je lui avais rendue, quelques années plus tôt. Dans sa cellule en béton, éclairée par la lumière du jour qui pénétrait par une petite fenêtre rectangulaire comprenant à intervalles réguliers de grosses tiges cylindriques en fer et située à la hauteur du plafond tout aussi en béton, le célèbre prisonnier arborait fièrement une chemise en pagne à l’effigie de « grand K », président du Rassemblement démocratique centrafricain. Pour le MLPC, Ndjengbot constituait un danger permanent. Bien que la justice ait décidé de sa mise en liberté provisoire, et ce, dans le cadre de la réconciliation nationale, les caciques du régime MLPC avaient tout mis en œuvre pour faire entorse à l’exécution de cette mesure. Il constituait, de ce fait, l’un des objectifs prioritaires des putschistes… La garde présidentielle, lors de l’attaque de la villa Adrienne qui aurait duré quatre heures, aurait réussi à extraire le président Patassé de sa résidence pour le mettre à l’abri à Boali. La maison présidentielle aurait été détruite en partie et on compterait dix huit morts dans le camp des forces loyalistes, dont le général François N’Djadder Bédaya. Le colonel Abel Abrou, chef d’état-major de l’armée de terre, son chauffeur ainsi que le commandant Yambi figuraient parmi les premières victimes militaires. Le lundi 28 mai au petit matin, les putschistes, croyant avoir atteint leur objectif, à savoir, l’élimination physique de Patassé, se seraient repliés au camp Kassaï et dans les quartiers Sud de Bangui. Depuis Boali et en concertation avec le colonel Bombayaké, le général François Bozizé et le ministre de la Défense nationale, Jean-Jacques Démafouth, le président Patassé aurait organisé la riposte tout en faisant appel au colonel Kadhafi et à Jean-Pierre Bemba. Les forces loyalistes se réorganisèrent autour de la sécurité présidentielle et des Forces armées centrafricaines loyales, appuyées par les milices Karako, composées essentiellement de nordistes et des ressortissants de l’ethnie Kaba. Les banyamulengé de Jean-Pierre Bemba traversèrent le fleuve Oubangui dès le mardi 29 mai pour renforcer ce dispositif militaire. Le colonel Kadhafi dépêcha des blindés légers le 30

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mai pour appuyer la sécurité présidentielle ainsi qu’une centaine de soldats. Alors que le coup d’Etat était en train d’échouer, le général André Kolingba, contre toute attente, le revendiqua à travers une déclaration sur Radio France Internationale, le mardi 29 mai. Il se permit même de signer une note qu’il adressa à l’ambassadeur de France. Il lui demandait d’intervenir auprès de Patassé, dont les rapports de force sur le terrain étaient pourtant en faveur de ce dernier, pour qu’il se rende ! En contrepartie de quoi, il s’engageait à garantir la propre sécurité et la protection de Patassé ainsi que celle de ses biens ! Par cet acte, Kolingba venait de signer, non seulement son propre arrêt de mort, mais aussi et surtout celui des Yakoma, Gbanziri, Ngbaka, Sango, Banda, Zandé, Langbassi etc. Ces populations allaient être vouées aux gémonies. L’ambassadeur de France, Jean-Marc Simon, en réponse au général qui, visiblement, avait été piégé dans cette rocambolesque tentative de prise de pouvoir, lui demanda de mettre fin aux violences. En d’autres termes, le diplomate avait invité le général à se rendre compte d’une cruelle évidence… Patassé était en train de gagner la bataille ! Avec l’appui des militaires libyens, Patassé réussit à mettre en déroute les assaillants et les forces loyalistes prirent le contrôle du camp Kassaï le 1er juin 2001. L’arrivée des troupes du rebelle Jean-Pierre Bemba, les Banyamulengé, permit à Patassé de mater définitivement ce qu’il avait appelé la gangrène Yakoma… Lorsque les troupes de Bemba débarquèrent sur les rives de l’Oubangui, du côté centrafricain, elles ne rencontrèrent aucune résistance militaire, car les putschistes avaient déjà pris le large. Ils s’étaient déjà repliés dans les forêts ou avaient traversé le fleuve pour trouver refuge à Zongo. Les hommes de Bemba, ces hordes de mercenaires illettrés, drogués, sans foi ni loi, se livrèrent aux pires exactions avec des viols, des destructions de maisons, des saccages de biens, des pillages, des meurtres…La revue de presse de l’époque ciaprès, résume assez éloquemment ces évènements douloureux. Le 6 juin 2001, le quotidien Le Citoyen, dans sa description des évènements, mentionnait la capture de militaires

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libyens par les rebelles, quelques jours plus tôt. ‘‘Deux chars libyens se sont engouffrés sous le pont avant d’atteindre le marché de Pétévo avec des troupes libyennes qui ont été faits prisonniers’’... Quant au Business Day du 6 juin, quotidien Sud-Africain, il attirait l’attention sur le pogrome qui se dessinait en Centrafrique : ‘‘des témoignages avaient fait état de massacres contre les membres de l’ethnie Yakoma, à laquelle appartient l’ancien président André Kolingba’’. Le jeudi 7 juin 2001, l’Agence panafricaine de presse (PANA) donnait la position des autorités de Kinshasa en ces termes : ‘‘Le ministre congolais de la Communication et Presse, porte-parole du gouvernement, Kibaya Bin Karubi, a récemment exprimé la surprise de Kinshasa sur les relations que le régime centrafricain entretient avec le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. Cette surprise est accentuée par le silence de la communauté internationale à propos de l’intervention à Bangui des troupes de cette fraction rebelle aux côtés de l’armée centrafricaine contre les mutins de l’ex-président André Kolingba... La situation humanitaire est des plus déplorables... 40 à 50 000 personnes sont sur les routes, fuyant les quartiers sudest vers la zone sud-ouest’’... Depuis la capitale centrafricaine, le correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) a constaté que ‘‘de nombreux cadavres jonchaient, jeudi 7 juin, les rues de Bangui où la circulation a repris, après l’annonce du contrôle total de la ville par l’armée centrafricaine... Selon des sources officieuses, le bilan avancé mercredi de 250 à 300 morts sur la base de recoupements pourrait être largement dépassé’’... Pour la La Semaine Africaine de Brazzaville, on pouvait lire le 08 juin 2001 : ‘‘Le ratissage est toujours la porte ouverte aux exactions, aux pillages, aux viols, aux tueries et autres destructions des habitations. C’est comme si par pillage, on donnait une carte blanche aux hommes en armes d’agir selon leurs humeurs et instincts’’. Et L’Observateur de renchérir, toujours le 08 juin 2001, depuis Brazzaville : ‘‘Un crime de génocide connaissant déjà des dérapages se dessine à Bangui... La RCA ressemble à

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quelques exceptions près, à la RDC devenue centre de divergences d’intérêts des grandes puissances sous-régionales et internationales’’. Toute l’opposition politique centrafricaine, au nom du respect des principes démocratiques, a condamné la prise de pouvoir par les armes tout en se démarquant des méthodes utilisées pour le « ratissage sélectif » de la population... Par un communiqué de la section FPP-Ile de France, daté du 8 juin 2001 à Paris, Simon-Pierre Koyt, coordonateur des organes régionaux du FPP en France, tout en proclamant l’attachement de son parti au rétablissement de la Démocratie en RCA, condamnait fermement les exactions criminelles sur les populations civiles et la répression à caractère tribaliste et régionaliste mise en œuvre par le régime de Patassé et du MLPC. Il demandait également l’instauration d’une sincère concertation de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux du Centrafrique pour déterminer ensemble les conditions du retour à la paix dans un délai raisonnable afin de rendre la parole au peuple pour qu’il se prononce souverainement et démocratiquement sur son avenir. Daniel Nditiféi, secrétaire général du MDI-PS, dans une déclaration officielle a eu à ‘‘réaffirmer que l’antidote le plus efficace contre la ré édition de tels évènements-(mutineries et coups d’états) est le respect strict des règles du jeu démocratique par tous les acteurs de la vie politique nationale et plus particulièrement, par ceux qui exercent le pouvoir et qui, à ce titre, doivent donner le bon exemple’’. Maître Nicolas Tiangaye, président de la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH), dans un communiqué, a estimé que ‘‘la gravité des évènements doit inciter les acteurs politiques à la retenue et à la modération et constituer le substrat qui les unira autour des valeurs de paix, de justice et de démocratie’’. Pour Jean-Paul Ngoupandé, les représailles du coup d’état manqué, comme il l’a confié le 27 juin 2001 à l’envoyé spécial de la PANA, Jules S. Gueye, ne sont que ‘‘la réponse du berger à la bergère’’...

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Tout en dénonçant le cafouillage, la désinformation et la confusion qui, selon lui, auraient entouré les douloureux évènements que le pays avaient connus depuis l’échec du coup d’Etat, l’Abbé Socrate Ngaro, le 4 juillet 2001, s’interrogeait en écrivant. « L’alternance violente serait-elle devenue le mode d’accès au pouvoir de certains citoyens centrafricains en mal notoire de pouvoir ? Pourquoi un coup d’Etat alors que l’on attendait les principaux prétendants au pouvoir à l’échéance fatidique et incontournable de 2005 ? Qu’est ce qui a bien pu décider une fraction de l’armée pour partir à l’assaut de la résidence personnelle du chef de l’Etat avec une réelle volonté de mise à mort ? S’agit-il d’un coup de l’Etat-major comme certaines rumeurs en font état, avant de tourner au vinaigre et au détriment de la frange la plus engagée des FACA ? Pourquoi l’ancien président Kolingba a-t-il voulu jouer au général Gueï en décidant de prendre la tête des putschistes qui seraient venus lui demander de prendre la direction des opérations ? Que reproche-t-il à Patassé et surtout qu’a-t-il à proposer au peuple centrafricain après avoir échoué en douze (12) ans de règne ? Aurait-il eu des assurances de la part de quelques services secrets ? A-t-il simplement été manipulé au point de se laisser piéger dans une opération aux tenants et aboutissants confus ? Des questions encore des questions qui prouvent si besoin en était, qu’on est encore loin d’avoir tout dit sur ce nouveau regain de fièvre politique sur fond de violence et de règlement de compte à caractère ethno-tribal. Des questions qui reposent tout à fait brutalement la problématique démocratique en République centrafricaine et bien mieux, la problématique de l’alternance politique dans notre pays après la restauration de la Démocratie dans les années 90…Mais y ‘ en a vraiment marre des coups d’Etat ou tentatives de coup d’Etat qui n’ont apporté que désolation dans les familles ou désorganisation du tissu économique et social. Dejean, Banza, Mandé, Kolignako, Lingoupou, Mandaba, les frères Obrou, Mbongo, Kossi, Maléyombo et maintenant N’Djadder, Abrou, Touba, Bangazoni, Omissé, Konzi… pour ne citer que ces braves fils du pays, ont laissé leur vie dans des coups d ’Etat réels ou

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imaginaires, privant ainsi leurs familles respectives de puissants appuis ». Le samedi 7 juillet 2001, un appel à manifestation fut lancé à Paris, à la Place de la République, de 14H00 à 18H00. La diaspora centrafricaine d’Europe appelait toute la communauté centrafricaine, les démocrates ainsi que toutes les personnes éprises de justice et de paix à venir massivement pour condamner les dérives observées depuis l’échec du coup d’Etat revendiqué par le général Kolingba et faire pression sur le régime de Bangui afin que les massacres en Centrafrique s’arrêtent. Nous retiendrons ici l’appel pathétique de l’association Centrafrique Solidarité – Centrasol pour cette manifestation. « Havre de paix et d’unité nationale depuis son accession formelle à l’indépendance, l’ancien Oubangui-Chari, devenu République centrafricaine, est en passe de sombrer dans les affres de la guerre civile. Celles et ceux dont la vie a été fauchée au cours de ces tragiques événements de mai et juin 2001, sont tous des enfants de ce pays, quelle que soit leur région, leur ethnie, leur tribu ou leur clan. Nous formons tous un seul peuple. C’est donc ensemble que nous portons le deuil de ces morts. Nous nous devons d’être solidaires pour affronter les multiples maux dont souffre notre pays ». Ce fut à cette occasion que j’avais fait la connaissance de Jean-Bosco Péléket dont le nom m’avait été évoqué depuis Bangui, lors d’une réunion restreinte de la Coordination nationale des centrales syndicales. Et ce n’était pas étonnant pour moi de voir ce compatriote en pointe dans ce rassemblement. Les organisateurs de la manifestation avaient pris soin d’exhiber des photographies agrandies du corps mutilé du lieutenant Antoine Bodo, assassiné à Kémbé par les tontons macoutes de Patassé. Que dire du meurtre de cet officier qui, suite à des tracasseries administratives, s’était retrouvé en geôle au camp de Roux et avait réussi à s’évader à travers les collines Gbazabangui qui surplomdent la capitale centrafricaine, avant de rejoindre le quartier Kpéténé quelques mois plus tôt ? Cet ex-mutin en cavale avait trouvé refuge à Kémbé. Sous le fallacieux prétexte de vouloir mettre un terme aux braquages et

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rackets que des ex-mutins auraient organisés dans la BasseKotto, les autorités centrafricaines procédèrent, en novembre 1998, à leur traque. Un peloton d’éxécution fut envoyé par les autorités militaires et politiques de Bangui pour abattre le lieutenant Antoine Bodot et le maréchal des logis-chef Apollinaire Hondet. Ce dernier était conduit de Kémbé vers Grimari où il fut torturé avant d’être mis à mort. Son corps, enterré dans un village situé entre Sibut et Grimari, fut exhumé par la suite par la famille pour les funérailles à Bangui. Trois autres personnes, dont un pasteur, périrent également lors de la mission punitive de Kémbé. Il convient de préciser que deux commissions d’enquête, l’une judiciaire présidée par le magistrat Joseph Bindoumi et l’autre, parlementaire, instituées pour faire la lumière sur ces meurtres, n’avaient jamais rendu publiques les résultats de leurs investigations. La note d’espoir et de fierté nationale, lors de cette manifestation de Paris, fut indubitablement la réussite du jeune Triomphant Koyamé Linga, surdoué centrafricain qui, à 14 ans, avait décroché le baccalauréat S au lycée Marie-Curie de Strasbourg. L’article du journaliste Philippe Marchegay qui vantait l’exploit de ce plus jeune bachelier de France en juin 2001, était également mis à la disposition du public avec la mention manuscrite suivante: « 100 000 autres sont pourchassés par le président Patassé et son escadron de la mort en ce moment en RCA. » Les autorités centrafricaines de l’époque avaient-elles relayé ou commenté cette prouesse scolaire et universitaire au niveau du pays ? Etait-ce un non-évènement pour la presse présidentielle, en raison de l’appartenance de cet enfant surdoué à la même ethnie que le général Kolingba, auteur du coup d’état ? Je constatai, non sans une pinte d’amertume, que notre communauté en France excellait dans les débats de salon sur la situation nationale et qu’elle n’était pas toujours prête pour se déplacer massivement dans les rues à Paris, à l’instar d’autres communautés africaines, pour les manifestations de soutien aux luttes menées en Afrique ou pour défendre leur cause dans leur

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pays d’accueil…Heureusement que des compatriotes engagés tels que Julien Lavodrama, Simon-Pierre Koyt, Charles Armel Doubane, Jean-Bosco Péléket, Christian Morouba et des amis du Centrafrique comme mon collègue Didier Carité de la coopération française, qui avait enseigné les sciences naturelles au lycée Barthélemy Boganda de Bangui, étaient là, à cette époque, pour mener des actions concrètes sur le terrain afin d’interpeller l’opinion française et internationale sur les massacres en cours en Centrafrique… C’était pendant ces périodes exceptionnelles que traversait le pays que l’organisation non-gouvernementale, « Ambassade Chrétienne » s’installait à Bangui, le 8 juillet 2001, pour venir en aide aux populations centrafricaines dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’économie tout en élargissant le paysage radiophonique avec la première station de radio protestante en Centrafrique. Cette noble action humanitaire allait être ternie par l’intrusion intempestive et prématurée en politique, du responsable local de cette ONG, en décembre 2004. En effet, le pasteur Josué Binoua n’avait-il pas confondu les églises protestantes à une formation politique sur laquelle il devait s’appuyer et n’avait-il pas espéré que tous les bénéficiaires des actions de l’ONG, de même que tous les protestants et les chrétiens d’une manière générale, étaient des potentiels partisans politiques en se propulsant, quelques années plus tard, dans la course à l’élection présidentielle de 2005 ? La confusion et le trouble apparus au sein du mouvement évangélique centrafricain, en raison de cette aventure politicohumanitaro-religieuse, ainsi que la volonté délibérée de ce compatriote, prétendument auto-désigné candidat de la société civile, de faire précéder son nom par la mention manuscrite « pasteur », écrite par lui-même, en bas du texte de l’accord politique de Libreville du 22 janvier 2005, obtenu grâce à l’entremise du président Omar Bongo Odimba et qui avait permis de valider les candidatures à l’élection présidentielle, nécessiteraient un bref rappel historique et une succincte mise au point.

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Il convient de préciser d’emblée les principes de l’action humanitaire qui, selon l’Unicef, sont la neutralité, l’impartialité et l’impératif humanitaire. Aussi, tout travail humanitaire doit reposer sur l’apolitisme et l’intégrité et ne saurait être utilisé comme un quelconque tremplin… Le premier prêtre Oubanguien, Barthélemy Boganda, Fondateur de la République centrafricaine, en s’engageant en politique avec tout le soutien de Mgr Grandin, avait officiellement tombé la soutane et s’était donné les moyens de son combat politique en créant un parti politique, le MESAN. Il avait milité pour un Etat laïc et non théocratique, quand bien même les valeurs chrétiennes pouvaient et peuvent, par nature, humaniser le monde politique et participer à la transformation positive des mentalités des citoyens. S’il est souhaitable que des chrétiens ou chrétiennes s’engagent en politique et qu’ils accèdent aux plus hautes fonctions de l’Etat pour que de bonnes décisions soient prises et exécutées dans l’intérêt des populations, par contre, un ministre du culte qui, par nature, doit s’occuper de l’intemporel et des questions spirituelles en prêchant la Bonne Nouvelle de Dieu, se doit d’être au-dessus de la mêlée et devenir, une sentinelle et un rempart contre les dérives de la Société. Car, l’action politique, d’une manière ou d’une autre, conduit inéluctablement à la compromission, à la corruption consciente ou inconsciente. Tout homme politique, pour les besoins de la cause qu’il défend, est amené, bon gré, mal gré, à poser ou faire commettre des actes contraires à l’éthique. Et le serviteur de Dieu, qu’il soit pasteur, prêtre ou imam qui voudrait cumuler les fonctions politiques et ecclésiastiques constituent un danger pour lui-même, pour sa confession ainsi que pour son propre pays… Et les Saintes Ecritures, non seulement foisonnent d’exemples de sacrificateurs corrompus et des conséquences subies par le peuple, mais aussi, elles mettent en garde contre des politico-religieux d’hier et d’aujourd’hui, à travers les Sadducéens, les Pharisiens et les Esséniens qui ont exercé, dans les temps anciens, la double oppression politique et religieuse sur leur peuple. Ce qui avait eu lieu hier, peut encore se produire aujourd’hui et il appartient aux chrétiens - et aux

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musulmans - politiquement conscients, de tirer la sonnette d’alarme… Dans la mesure où une assez bonne connaissance de la Bible, à l’instar des premiers chrétiens de Bérée en Macédoine2, constitue l’antidote à toute exploitation humaine de la divine Parole, la mise au point de l’Alliance des Evangéliques en Centrafrique (AEC) à propos de cette candidature permit de remettre de l’ordre… Je dois souligner que depuis le mois de juin 2001et compte tenu de la portée du JDA ou journal des auditeurs à Bangui et en Afrique francophone, cette émission de la radio panafricaine Africa N°1, animée par Jules Hadji Komlan , j’intervenais depuis mon refuge de Cergy-Pontoise dans le Val d’Oise, presque quotidiennement, tantôt à visage découvert pour signifier à ma famille que j’étais resté en France après la mission de Conakry, tantôt de manière anonyme pour dénoncer par exemple les incohérences et les contre-vérités de Patassé qui avaient emmaillé son interview du 17 juin 2001 sur cette même radio. Au cours de cet entretien radiophonique, Patassé évoqua les relations de bon voisinage pour justifier l’intervention du MLC de Jean-Pierre Bemba à ses côtés, car l’Equateur est voisin de la RCA. Est-ce concevable que Patassé établisse des relations de bon voisinage avec l’Equateur qui n’est qu’une province de la République Démocratique du Congo, sans passer par le pouvoir central établi à Kinshasa ? Ce faisant, est ce qu’il n’appuyait pas ainsi une partition de ce pays qui était en guerre ? L’autre contre-vérité que Patassé tenta de faire croire à l’opinion publique internationale, sans sourciller, comme à son habitude, consistait à dire que son parti, le MLPC de l’époque, 2

Les chrétiens de Bérée, comme l’indique le livre des Actes des Apôtres (XVII/11), reçurent la parole avec beaucoup d’empressement, et ils examinaient chaque jour les Ecritures, pour voir si ce qu’on leur disait était exact. Car, bien instruits et bien ancrés, « nous ne serons plus des enfants, flottants et entraînés à tout vent de doctrine, joués par les hommes avec leur fourberie et leurs manœuvres séductrices. Livre des Ephésiens IV/14. » (Cf. Bible).

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était populaire auprès des Centrafricains. Pour démonter ce gros mensonge, je rappelai les termes d’une réflexion faite sur l’état de la Nation par le président de l’assemblée nationale en février 2001. En effet, Apollinaire Dondon Konamabaye avait écrit que les slogans de « victoire, camarade ! » ou « premier tour K.O ! » avaient disparu de Bangui et dans l’arrière-pays. Et il avait dénoncé en des termes forts, la corruption, la prédation et les affaires mafieuses de « Zongo Oil », « Centrafrican Airlines » et la plus mafieuse des affaires mafieuses que constituait le transfert illicite de 325 milliards de CFA, découverte par la BEAC. Notre manque de rigueur, notre laxisme et l’absence d’imagination créatrice risquent de nous amener à la fin de notre régime sans que nous ayons marqué positivement notre passage à la tête de l’Etat avait-il conclu. Il fallait être Patassé pour dire qu’avec de telles appréciations provenant du second personnage de l’Etat, de surcroît parent et fidèle parmi les fidèles, que le MLPC était populaire auprès de la population ! La troisième contre-vérité que je dénonçai, portait sur sa responsabilité dans la distribution des armes de guerre dans la population civile et qu’il avait tenté de nier, en accusant son intime ennemi, le général Kolingba. En effet, à la faveur de la première mutinerie du 18 avril 1996, le pouvoir MLPC avait distribué des armes à ses dignitaires et aux principaux responsables du parti, tant à Bangui qu’en province. A l’issue de la deuxième mutinerie du 18 mai, cette action s’était amplifiée et le sergent Cyriaque Souké, lors des pourparlers devant conduire à la trêve, avait remis une liste des distributeurs d’armes de guerre au Premier ministre de l’époque. Et ce dernier n’aurait pas transmis cette liste au Comité mixte chargé du désarmement, présidé par le général de brigade François Bozizé. Aussi et surtout, le mouvement du 15 novembre 1996 était fondé en partie sur le ramassage des armes de guerre et la présence des « codos » du rebelle tchadien Moïse Ketté. Des députés MLPC et dignitaires du régime avaient également armé la population civile par la constitution des milices Karako à Boy-Rabe et Balawa au pK 12. Mes interventions dans le JDA d’Africa N°1 portèrent aussi sur la responsabilité de la communauté internationale dans la

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crise centrafricaine, eu égard au comportement équivoque de Oluyemi Adenedji, représentant du Secrétaire général des Nations unies, chef de la MINURCA qui, dans un passé récent, avait servi sans succès en Sierra Léone aux eaux boueuses pleines de diamant. Ce haut fonctionnaire international, en République centrafricaine, avait curieusement, pris fait et cause de manière ouverte pour le président Patassé… Non content de ne pas avoir honoré ses principaux engagements contenus dans le communiqué conjoint du 6 mars 2001, en ce qui concerne le paiement des arriérés des salaires, le pouvoir procéda à l’arrestation de Théophile Sonny-Colé à l’aéroport de Bangui, alors qu’il rentrait d’une conférence de l’ORAF/CISL de Nairobi en ce mois de juin 2001, comme si ce syndicaliste, secrétaire général de l’USTC, avait pris les armes le 28 mai 2001. Et je ne manquai pas de rappeler, dans mes interventions, que le gouvernement s’était pourtant engagé à veiller à la sécurité des travailleurs pendant et après la grève et à respecter la liberté syndicale.

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CHAPITRE XI : Sur le chemin de l’exil Que s’était-il passé au moment où j’avais quitté Bangui, dans la nuit du dimanche 27 mai 2001, non pas dans un cadre syndical, mais pour des raisons purement professionnelles ? Certaines personnes mal intentionnées n’hésitèrent pas à affirmer que mon frère Anicet Saulet avait préparé un coup d’Etat et décidé de me mettre à l’abri, à travers ce voyage... Père de famille avec de nombreux enfants à bas âge, il était impensable pour moi de fuir le pays et abandonner mon épouse et toute ma progéniture dans une situation imprévisible. Ce serait la pire irresponsabilité qu’un homme pouvait commettre. J’avais, en tant que fonctionnaire de l’Etat, régulièrement quitté Bangui pour quinze jours, muni d’un ordre de mission portant le N° 0613/SGG/CM/DTTCM/STOM, délivré le 20 avril 2001 par le secrétariat général du gouvernement. La veille de mon départ, le samedi 26 mai, mon frère m’avait rendu visite à Kpéténé, dans la soirée, pour passer la commande de certains cadeaux que je devrais lui ramener de Conakry. Depuis la fin de la mutinerie, mon frère avait pris la résolution de s’investir dans l’action humanitaire, en menant des actions, par le truchement d’une organisation nongouvernementale que nous avions créée, dans le domaine de la lutte contre l’onchocercose, les troubles dus à la carence en iode et à la protection sanitaire du couple mère-enfant. Cette ONG avait été baptisée « Fondation Pauline Kouguet », en mémoire de cette grande et belle fille de Kaga-Bandoro, dévouée totalement à notre père, et qui nous a donné naissance... Les premières actions de cette organisation nongouvernementale étaient des dons de médicaments aux dispensaires de Bimbo et de Boy-Rabe, lors de la fête des Mères en 1999… Je voudrais évoquer ici une partie de ma vie professionnelle au sein du projet HPSPT qui m’avait permis de revenir en

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France depuis juin 2001. Le projet HPSPT est l’outil, dans le domaine des sciences physiques et de la technologie, de l’association française ARCHES qui est l’acronyme de « appui aux recherches sur la contextualisation et l’harmonisation des enseignements secondaires ». Financé par la coopération française, le projet ARCHES avait apporté depuis 1997 un soutien aux activités d’adaptation et d’intégration des enseignements secondaires. L’harmonisation des programmes portait sur quatre disciplines dans les systèmes éducatifs des pays francophones d’Afrique et de l’Océan Indien : Mathématiques (HPM), Sciences Physiques et Technologie (HPSPT), Sciences de la Vie et de la Terre (HPSVT) et Français (HPF). La genèse de cet important outil de travail, en ce qui concerne les Sciences Physiques et Technologie, remonte aux Premières rencontres internationales de Sciences Physiques de Grand Bassam (Côte d’Ivoire) de mai 1995. Au sortir de ces rencontres, Luc Marboua-Bara, mon chef hiérarchique m’avait demandé, en ma qualité de conseiller pédagogique, de m’impliquer dans les activités de ce projet pour une participation active de notre pays. Car après les séminaires qui avaient suivi, notamment ceux de Yaoundé en mars 1996, Dakar en avril 1997 et Cotonou en avril 1998, une insuffisante contribution de quatre pays africains, dont la République centrafricaine était constatée. De retour au ministère de l’éducation nationale le 15 janvier 1999, après ma nomination par le général Didace N’Dayen, ministre chargé de la restructuration des Armées, comme chef de cabinet le 5 décembre 1997, je préparai, conjointement avec une collègue de l’assistance technique française (ATF), Corinne Chaussemy, le quatrième séminaire qui se tint en mars 1999 à Ouagadougou. A cette occasion, j’avais rédigé le cahier des charges des chantiers pédagogiques qui devaient être créés au niveau des lycées Barthélemy Boganda et d’Etat des Rapides. Ce document que la délégation centrafricaine présenta à Ouagadougou, constituait le début de notre implication dans HPSPT. Afin de susciter une large adhésion des rares enseignants nationaux de la discipline pour une véritable appropriation nationale de ce projet, je renonçai à participer à un stage en

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France tout en appuyant auprès de Neveu, le conseiller technique du ministre, la candidature de Alain-Pépin Loumoundji, professeur au lycée d’Etat des Rapides, pour ledit stage dans l’entreprise Pierron, spécialisée dans la fabrication de matériel didactique, à Sarreguemines, en juillet 1999. Car, avec l’ouverture effective des chantiers pédagogiques dans les établissements retenus, nous aurions à concevoir et à fabriquer du matériel didactique nécessaire à la rédaction des fiches de Mécanique de Première qui était la tâche confiée à notre pays. L’inspecteur des Sciences Physiques, Jean Mboliguipa, approuva ma démarche dont le but était de constituer une équipe d’enseignants nationaux assez motivés et qui devraient être sollicités pour la mise en œuvre desdits chantiers. Avec l’arrivée en octobre 1999 de Daniel Krauss de l’assistance technique française, l’équipe de pilotage des chantiers pédagogiques connut un véritable essor par la résurrection de la machine d’Atwood3 dont le premier prototype fut fabriqué avec du bois centrafricain, au début de l’année 2000. Cet agrégé de Physique qui était auparavant en poste au Niger, avait apporté un concours inestimable à l’équipe centrafricaine, tant par ses connaissances que par la chaleur humaine et la modestie dont il faisait montre. Officiellement ouvert dans deux établissements scolaires, la réalité du terrain avait été telle que seul le chantier pédagogique du lycée d’Etat des Rapides, grâce à l’engagement des enseignants Alain-Pépin Loumoundji et Honoré Toungouyasset, fut effectif. Au niveau du lycée Barthélemy Boganda, un seul enseignant, Maurice Alpha Moussa manifesta une disponibilité certaine, ce qui ne pouvait pas permettre de mettre en place une équipe afin de faire démarrer concrètement cette innovation pédagogique dans cet établissement. Contre toute attente, certaines autorités au niveau du département de l’éducation nationale s’interrogeaient ouvertement 3

Atwood Georges : Physicien anglais, né vers 1745, mort en 1807. Il fut professeur de physique à Cambridge et imagina, pour démontrer les lois de la chute des corps, la machine qui porte son nom.

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sur l’opportunité de cette action pédagogique au lycée d’Etat des Rapides, situé à Ouango, c'est-à-dire en zone des « rebelles ». Ce raisonnement propre aux adeptes du Changement, avait même conduit un haut responsable de l’éducation nationale à interpeller le secrétaire exécutif du Comité de suivi inter-état de HPSPT, en mission à Bangui, pour savoir s’il n’y avait pas d’autres personnes que Saulet pour ce projet ! J’étais à la fois, membre du Comité national de suivi, membre du Bureau technique national de ce projet HPSPT et conseiller pédagogique. A ce titre, j’étais la personne que tout représentant du secrétariat exécutif du projet ARCHES basé à Dakar devrait rencontrer, en dehors de l’inspecteur pédagogique, afin de s’enquérir des réalités du terrain lors d’une mission à Bangui. Malgré cela, l’évocation de mon nom posait problème au cabinet du ministre, à l’exception du conseiller technique français. Je compris de mieux en mieux le secrétaire général du département, Romain Sopio qui, à l’issue de mon incursion au niveau du ministère de la restructuration des Armées, m’avait conseillé, sur un ton amical et en toute confidence, de travailler tranquillement avec mes collègues ATF à l’INRAP…Ce fut encore cela, le Changement ! La forte tension sociale dont le pays avait été le théâtre en cette année 2000 eut pour conséquence, l’absence d’une délégation centrafricaine au cinquième séminaire de Nouakchott, en Mauritanie, malgré une montée en puissance de notre pays. L’originalité de la contribution centrafricaine, à savoir, la machine d’Atwood fabriquée avec des matériaux locaux ou localement disponibles, utilisée effectivement dans les travaux pratiques de Mécanique en classe de Première C par les enseignants Alain-Pépin Loumoundji et Honoré Toungouyasset, et qui devait être nécessairement présentée pour validation au sixième séminaire interafricain, fut donc à l’origine de la mission de quinze jours que j’effectuai en Guinée-Conakry. Cette mission se transforma par la suite, en un exil politique depuis le 5 juin 2001. Le samedi 2 juin 2001, en début d’après-midi, dans l’amphithéâtre de l’Ecole normale supérieure de Conakry, les participants au séminaire découvrirent la machine d’Atwood en

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bois « made in RCA », que j’avais transportée en pièces détachées dans une valisette. Après avoir accroché au plafond de la salle la partie supérieure du tronc de l’appareil dont la base reposait dans du sable contenu dans un sceau afin d’en assurer la verticalité et, muni de surcharges, d’objets à accrocher, de fil et de chronomètre, je restituai ce à quoi nous étions arrivés au niveau du chantier pédagogique du lycée d’Etat des Rapides de Bangui. L’initiation au chronométrage et à l’analyse statistique d’une série de mesures ainsi que l’étude cinématique d’une chute libre ralentie avaient été rendues possibles grâce à cet appareil, simple, efficace et fiable. Selon Robert Thiry, président du Comité scientifique, la contribution centrafricaine était l’une des belles réalisations d’ARCHES. Constitué de personnalités du monde scientifique et des sciences de l’éducation, ce Comité scientifique est chargé d’apporter des cautions nécessaires aux productions. Cet éminent scientifique a indiqué que la machine d’Atwood, encore en vigueur dans les pays anglo-saxons, permet de faire la mécanique expérimentale et doit être adoptée comme appareil de base pour les cours de Mécanique. Elle peut être utilisée pour établir expérimentalement la relation fondamentale de la dynamique, illustrée par le monte-charge, l’ascenseur, la munir de grandes poulies pleines pour l’étude de la rotation ; on peut également aborder la notion de changement de repères avec des machines d’Atwood successives. Pour conclure, il a insisté sur le fait que ce dispositif expérimental permet de réaliser le décrochage avec les programmes. Car, il favorise l’africanisation des programmes en raison de ce que la Mécanique est très proche de la vie en Afrique. Et ce décrochage est nécessaire et inévitable en raison de la fin de la coopération française en Afrique. Le chantier pédagogique du lycée d’Etat des Rapides venait ainsi de trouver une solution adaptée aux réalités centrafricaines, exportable dans d’autres pays africains, pour un enseignement expérimental de qualité, grâce à cette machine fiable techniquement et à faible coût. Son utilisation, de surcroît, ne nécessite pas de source d’énergie électrique…

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Il convient de rappeler ici que notre pays, la République centrafricaine avait officiellement identifié depuis avril 1991, dans le cadre du projet CAF/89/006, le manque de matériel didactique et d’infrastructures comme l’une des cinq contraintes qui freinent l’enseignement scientifique et technologique. Les autres facteurs sont : - le manque de professeurs de sciences, de technologie et de mathématiques, - les programmes non adaptés au contexte national, - le manque de suivi pédagogique des professeurs et de l’exécution des programmes en vigueur et une mauvaise gestion des établissements d’enseignement secondaire. Les conseillers pédagogiques Daniel Krauss, Corinne Chaussemy, moi-même ainsi que les enseignants Honoré Toungouyasset et Alain-Pépin Loumoundji avaient, à travers la réalisation de ce matériel didactique, apporté un début de solution à cet épineux problème de manque de matériel didactique et ouvert la voie à la mise en œuvre d’une politique de développement et d’utilisation de petit matériel en République centrafricaine. L’expérience de la machine d’Atwood en bois annonçait d’autres dispositifs expérimentaux, et le système éducatif centrafricain pouvait être renforcé, dans le domaine de l’enseignement des sciences expérimentales, par cette nouvelle approche. En effet, la politique de développement et d’utilisation de petit matériel, conçu et fabriqué localement, présente maints avantages, car : - elle est économiquement intéressante pour le pays, en raison de l’utilisation des ressources locales et permettant de diminuer la part d’importation, - elle permet de réaliser pour le même prix, plus de matériel qui peut donc être utilisé par les élèves et non seulement par les enseignants, - elle valorise le travail personnel des enseignants et des élèves et conduit ainsi à un meilleur respect du matériel, puisqu’il est de sa propre création, - elle permet que les enseignants osent plus facilement utiliser et confier aux élèves un matériel expérimental, alors que

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des appareils plus sophistiqués dorment souvent dans les placards, - elle rend l’expérimentation plus aisée pour les élèves puisque le matériel utilisé est plus simple à comprendre et enfin, elle aide à résoudre les problèmes de maintenance. En raison de mon exil en France, je ne suis pas aujourd’hui en mesure de connaître la suite qui a été donnée à cette belle aventure pédagogique dans notre pays. Tout comme je ne saurais dire ce qu’il est advenu de l’association des enseignants de sciences physiques et technologie de Centrafrique (AESPCA) que j’ai largement contribuée à mettre en place grâce au projet EDUCA 2000 et ce, conformément à sa composante relative au renforcement des capacités institutionnelles du système éducatif. En effet, lors de l’assemblée constitutive de l’AESPCA du 19 février 2000 dans l’amphithéâtre de l’Ecole Normale Supérieure de Bangui, les collègues enseignants des lycées et collèges avaient à l’unanimité, porté leur choix sur moi pour présider cette association professionnelle. Le projet PASECA qui avait précédé EDUCA 2000, avait permis de pallier la carence d’enseignants nationaux dans les disciplines scientifiques et sa version en l’an 2000, eut pour objet essentiel l’amélioration des enseignements des sciences et du français. Ainsi, les enseignants des disciplines concernées (Mathématiques, Sciences Physiques et Technologie, Sciences de la Vie et de la Terre, Français) devaient s’organiser en association professionnelle pour mener des actions susceptibles de mutualiser leur compétence et pour réfléchir sur l’amélioration de leur prestation. C’est ainsi que l’épreuve de Sciences Physiques et Technologie avait fini par être introduit au brevet des collèges (BC ex BEPC), à partir de la rentrée scolaire 20002001, par l’arrêté N° 058/MEN/CAB/IGEN du 10 octobre 2000, signé par le ministre Elois Anguimaté. Cela conduisait les élèves des classes de troisième à s’investir davantage dans les Sciences Physiques et Technologie et les enseignants devaient accorder toute l’importance qu’il convient à cette discipline au collège. Pour avoir été formateur de professeurs de lycée dans le cadre du projet PASECA, j’avais vécu une situation pour le

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moins invraisemblable. En effet, professeur de lycée de fait, j’avais toujours été pris en charge du point de vue des salaires comme un professeur de collège, hiérarchie A2 de la fonction publique. J’avais formé, au même titre que les collègues ATF, des professeurs des collèges qui furent reclassés en hiérarchie A1 et toutes les démarches que j’avais menées pour rectifier cette anomalie, notamment par une inscription pour aptitude dans le corps des inspecteurs de l’enseignement secondaire (option sciences physiques), demeurèrent lettre morte… Pourtant, dans le fondamental 1, des agents supérieurs d’enseignement deviennent des instituteurs adjoints, et des instituteurs adjoints passent instituteurs, sur liste d’aptitude... Durant mon séjour à Conakry, les responsables du projet ARCHES entreprirent des démarches auprès des autorités politiques et administratives pour que je trouve refuge en Guinée. Mais je décidai de revenir en France pour y demander le droit d’asile. Les évènements de Bangui, en ce début du mois de juin 2001, n’avaient pas été sans avoir une influence sur moi, au cours du séminaire qui venait de se tenir à Conakry du 30 mai au 05 juin 2001. A cela étaient venus s’ajouter d’autres faits que d’aucuns pourraient considérer mineurs, mais qui pouvaient traumatiser toute personne normalement constituée. En effet, un dicton populaire dit qu’un malheur ne vient jamais seul… A la chasse à l’homme à Bangui, dont les principales victimes étaient les personnes originaires du Sud, en particulier celles issues de l’ethnie « minoritaire et exogène » à laquelle appartiennent mes enfants, était venue s’ajouter une situation pour le moins dramatique que je vécus lors de mon retour en France. Je connus toutes les frayeurs du monde à l’issue du voyage Conakry-Paris, via Nouakchott. En effet, un pneu de l’avion Airbus d’Air France avait éclaté peu après le décollage de l’aéroport de la capitale mauritanienne. Le vol NouakchottParis, malgré tout, se déroula sans encombre. Nous étions presque à destination, mais l’avion ne faisait que décrire de grands cercles sur la région parisienne. Par moments il descendait, par moments il reprenait de l’altitude et

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ce, durant des heures. Une voix suave d’une hôtesse de l’air nous informa de l’incident au niveau du train d’atterrissage de l’aéronef et des instructions de sécurité furent données. L’avion devait d’abord consommer pratiquement tout le carburant de ses soutes avant d’amorcer un atterrissage forcé… Je ne saurais décrire ici l’atmosphère dans l’avion. Tout autour de moi, les yeux étaient hagards et certains passagers, tête baissée, devraient prier Dieu, Allah, Boudha ou quelle divinité je ne sais. Je ressortis mon petit « Nouveau Testament & Psaumes » de poche Gédéons et je lus et relus les Psaumes tout en m’attardant longuement sur le verset 1 du Psaume 46 et le verset 4 du Psaume 23 : « Dieu est pour nous un refuge et un appui. Un secours qui ne manque jamais dans la détresse. » « Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi : Ta houlette et ton bâton me rassurent. » Mes premières pensées furent pour mon épouse Micheline et mes enfants, la plupart encore mineure, tout en me demandant ce qui pouvait leur arriver pendant que moi-même, j’étais entre ciel et terre, dans une situation pour le moins imprévisible. Originaire pourtant de Kaga-Bandoro, je savais que ma femme ne pouvait pas trouver refuge avec mes enfants, chez ses parents, dans les quartiers Nord de Bangui. Le sang Yakoma ou YakoMandja qui coulent dans leurs veines les condamnerait à des représailles certaines. Car la situation, comme me le rapportaient les courriers électroniques reçus à Conakry de mon collègue ATF à Bangui, Daniel Krauss, était sans commune mesure avec celle qui avait prévalu lors de la troisième mutinerie au cours de laquelle mes parents maternels, l’abbé Moussa Delacroix et Alphonse Lékénewi les avaient accueillis à Boy-Rabe. La situation n’était pas non plus comparable à celle qui avait conduit mon beau-frère, Gaspard Angouré, à envoyer son fils aîné Arsène, récupérer ma mère cachée dans une masure dans les bas fonds du quartier Gobongo, pour la

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placer sous sa protection chez lui, au quartier Combattant, en novembre 1996, en plein fief du MLPC. J’imaginai mon épouse et mes enfants, munis de leurs baluchons et fuyant les atrocités de Bangui, dans les brousses de l’Ombelle-Mpocko ou de la Lobaye. Plus tard, je sus qu’il en était bien ainsi, car ils avaient pris la route de Mbaïki, à pied, pour trouver refuge dans les villages de Nzila puis de Bimon. Dans l’avion qui décrivait toujours de grands cercles sur Paris, j’entrevis plusieurs fois, au loin, par le hublot, la majestueuse Tour Eiffel et je me disais que ce n’était pas la dernière fois que je la voyais... Je pensai à mes autres fils majeurs dont l’aîné avait dû fuir pour la Côte d’Ivoire en passant par le Cameroun et le troisième qui était à Carnot. Je pensai à mon second fils qui poursuivait des études scientifiques à Tours en France depuis 1999 et que je n’avais pas encore revu avant de partir à Conakry. J’eus une pensée pour mes neveux et nièces dont l’un avait traversé l’Oubangui pour trouver refuge à Brazzaville après une longue traversée dans la forêt et sur le fleuve. Je me remémorai les nouvelles alarmantes qui m’étaient parvenues sur le sort de mes cousins, mes cousines, ma sœur et surtout mon frère qui serait dans la brousse, du côté de la République démocratique du Congo. Il chercherait à atteindre Gbadolité, dans l’Equateur, cette province de l’ex-Zaïre contrôlée par le MLC de Jean-Pierre Bemba. Plus tard, je sus que les dignitaires Ngbandi auraient intimé l’ordre aux autorités militaires de cette contrée de ne pas attenter aux vies des parents en provenance du Centrafrique… L’hôtesse nous demanda, d’un ton calme et ferme de nous agripper fortement aux accoudoirs de nos sièges. Ta houlette et ton bâton me rassurent ! Un grand bruit se fit entendre et l’avion venait de toucher le sol, sans vraiment rouler sur une longue distance ! Atterrissage forcé réussi ! Un tonnerre d’applaudissements envahit la carlingue pour saluer la maîtrise et le sang froid du commandant de bord et le professionnalisme du personnel navigant.

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Dehors une armada de camions rouges des sapeurs pompiers s’approcha très rapidement pour neutraliser tout éventuel début d’incendie. Il n’y eût rien et le gros engin fut tracté vers un hangar et nous fûmes transportés, en autocar, vers la zone d’arrivée du terminal 2 de Roissy Charles de Gaulle. Une nouvelle page de ma vie s’ouvrait et les premiers mots qui s’inscrivaient, furent : statut de réfugié politique, recherche de travail et regroupement familial. Tout en m’appuyant dans un premier temps sur la solidarité familiale que je trouvai naturellement à Pontoise avec les Grémbokolé-Nzengou, à Champigny-sur-Marne et à Corbeil-Essonnes avec les Angouré et Terrien, j’obtins une chambre au foyer AFTAM d’Osny et l’OFPRA m’accorda le statut de réfugié politique le 15 décembre 2001, six mois après le dépôt de mon dossier. Le 20 novembre 2002, mon épouse et sept de mes enfants mineurs me rejoignirent, après moult tracasseries à Bangui concernant la délivrance de passeports. Les services consulaires de l’ambassade de France à Bangui avaient été contraints, en l’absence de passeports, de leur délivrer des laissez-passer sur lesquels étaient apposés les visas, en application de la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative à la protection des réfugiés. La diaspora centrafricaine en France, au regard de l’ampleur du génocide naissant en Centrafrique, se mobilisa afin d’aider, de soutenir les familles des victimes et d’uniformiser les démarches judiciaires pour la saisine de la justice internationale. Ce fut le cas à Bordeaux, à Toulouse, à Lyon, à Montpellier avec Francis Kpignet et Thierry Maléyombo ou à Cergy-Pontoise où j’eus l’initiative de mettre en place, avec le concours de compatriotes et amis de la République centrafricaine, notamment, ma cousine Lydie Nzengou Koumat-Guéret, Didier Carité, un collègue enseignant ATF du lycée Barthélemy Boganda de Bangui, Christian Morouba et d’autres, le Collectif contre le génocide et le tribalisme en Centrafrique (CGTCA). Nous avions eu à interpeller le Secrétaire Général des Nations Unies le 26 juin 2001 à travers une lettre ouverte. Ce Collectif devint par la suite, « Collectif centrafricain d’Appel aux Liens Multi Ethniques »

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pour lequel nous jugeâmes utile de retenir l’acronyme évocateur CALME. Voici quelques extraits de cet appel lancé en date du 26 juin 2001 à Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations unies. Monsieur le Secrétaire Général, La République centrafricaine, depuis l’alternance politique consécutive aux premières élections pluralistes et démocratiques de 1993 est, contre toute attente, entrée dans une zone de turbulences qui a mis à mal et continue de mettre à mal les fondements de son unité, compromis gravement son développement politique, économique, social et culturel. La communauté internationale, sous votre houlette, depuis 1996-1997 n’a pas ménagé son énergie pour tenter de ramener et consolider la paix afin de créer les conditions d’un retour à une vie constitutionnelle normale, à travers des actions multiformes de prévention et de résolution des conflits. Les Accords de Bangui du 25 janvier 1997, la Conférence de réconciliation nationale sanctionnée par le Pacte de Réconciliation Nationale du 05 mars 1998, le Programme national de démobilisation et de reconversion des militaires et gendarmes (PNDR), volet important de la restructuration des forces de défense et de sécurité, inscrit dans le cadre du renforcement des capacités des armées au maintien de la paix (RECAMP), l’information et la sensibilisation de la société centrafricaine au respect des droits de l’homme témoignent éloquemment de la volonté de la société des nations à aider la République centrafricaine pour résoudre ses contradictions. Le coup d’Etat avorté du 28 mai 2001, au-delà de toute condamnation de principe, constitue un signal fort sur ce qui se déroule en RCA, tel un livre ouvert et il serait grave et dangereux pour les défenseurs de la paix et des libertés fondamentales, de faire une approche des questions centrafricaines à travers ces prismes déformants que sont souvent ces rapports des missions rédigés par des fonctionnaires qui se doivent d’allier les contraintes d’une carrière dans le système des Nations Unies et le souci de ne pas heurter la sensibilité des autorités établies.

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Cette tentative de putsch aura été ce mal nécessaire qui doit, ici et maintenant, conduire les Centrafricaines et les Centrafricains, avec le concours de la communauté internationale, à faire une analyse sans complaisance des causes de l’échec des actions entreprises depuis 1996 pour sortir le pays de l’oeil du cyclone… Nous sommes des filles et fils du pays, originaires du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest et nous avons voté pour Patassé, Kolingba, Goumba, Dacko, Ngoupandé, Massi, Pouzère etc…Nous nous sommes fait violence, au nom de l’unité nationale et face aux tueries, aux représailles et à la tragédie que vit le peuple centrafricain dans toutes ses composantes, pour dire NON à la « rwandisation » et à la « congolisation » de notre cher et beau pays. La crise centrafricaine a des fondements économiques. La faim, la maladie, l’impossibilité de se soigner, se nourrir, se vêtir, s’instruire, se loger, c’est-à-dire la pauvreté, sont les fléaux qui frappent de plein fouet l’écrasante majorité de la population… La gestion financière désordonnée a transformé la RCA en un pays de prédilection pour la mafia internationale, de la corruption quasi-institutionnalisée, du culte de l’impunité et de scandales politico-financiers. L’économie nationale est par terre et il serait erroné d’attribuer aux mutineries qui, en fait, n’ont été que les effets ou conséquences d’une certaine politique, toute la responsabilité de la destruction du tissu économique. En effet, il est regrettable que les maisons de commerce et certaines unités de production soient atteintes au niveau de Bangui par ces insurrections militaires. Mais la grande machine économique que sont les sociétés forestières et d’exploitation de diamant, d’or et de pierres précieuses sont demeurées intactes, voire très prospères pendant ces évènements ! …Le MLPC ou mieux, le système MLPC a cassé le « ressort patriotique» qui donne vie à la majorité de centrafricaines et de centrafricains. Ce ressort qui est ce sentiment diffus, mais fort, qu’a tout individu d’appartenir à une Nation et pour laquelle il doit suer pour la bâtir, a été brisé par l’ostracisme et le culte de la médiocrité. La responsabilisation dans l’administration ou

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l’accès aux marchés d’Etat en ce qui concerne les opérateurs économiques, obéissent à des critères non cartésiens... La politisation négative de l’Ecole, de certaines Eglises, du sport, de l’administration, de la culture et des relations humaines, une politisation érigée en mode de vie a engendré la démotivation, la reconversion ou l’exil du gratin de la fonction publique. Les scandales politico-financiers ont atteint des proportions telles que des voix se sont élevées au sein même du MLPC pour protester et réclamer des procès. Le président de l’assemblée nationale, en février 2001 a, dans une correspondance adressée au chef de l’Etat, dénoncé, selon ses propres termes, la plus mafieuse des affaires mafieuses que constitue le transfert illicite de 325 milliards de FCFA de la BEAC et les autres affaires toutes aussi mafieuses : Centrafrican Airlines, Zongo Oil. Il y a lieu de signaler l’existence des premières affaires avec le Crédit Mutuel d’Angoulême et les billets à ordre avec William Sofin…L’insécurité a été instituée et entretenue par le MLPC et le génocide naissant, programmé…Des armes de guerre ont été distribuées sélectivement dans la population civile…Patassé a toujours développé une haine viscérale contre les riverains d’une manière générale et bien des faits confirment son atavisme ethnique : • exclusion de l’Ecole militaire des enfants de troupe (EMET) du jeune Innocent Bienvenu Saulet, fils du premier député de Satéma, Hubert Saulet-Yavro et de Germaine Madal, pourtant nièce de Patassé, • assassinat du lieutenant Parfait Eugène Bida-Siombo, officier du corps des sapeurs pompiers, • assassinat de Christophe Grélombé et son fils Martin en décembre 1996, malgré l’intervention du Premier ministre JeanPaul N’goupandé, • assassinat du colonel Alphonse Réhote, ancien ministre, ses fils et toutes les personnes qui étaient avec lui à bord de son véhicule, • assassinat de Verdun, de nationalité française, directeur général de la société Bangui-Chimie,

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• assassinats de cinq personnes à Kémbé dont le lieutenant Antoine Bodo, le maréchal de logis chef Apollinaire Hondet, • assassinat du député et ancien ministre Théophile Touba, • non-assistance au professeur Alphonse Blagué, • non-assistance appropriée au général Didace N’Dayen, • génocide ou épuration ethnique en cours, pompeusement désigné par le vocable “ratissage sélectif’’. Patassé n’épargne pas dans sa folie meurtrière, ni ses propres parents, ni ses compagnons de lutte… Il est un handicap majeur pour la paix, la sécurité et la stabilité dans la sous-région de l’Afrique centrale. La politique extérieure de la RCA n’obéit à aucune logique. Patassé a entretenu des relations suivies, tant avec l’opposant tchadien Moïse Ketté de son vivant qu’avec le président du Tchad, Idriss Déby. Ses relations ambiguës avec Jean-Pierre Bemba et Laurent Désiré Kabila ont été stigmatisées lors d’une conférence de presse, tenue à Kinshasa le 22 septembre 2000 ; au cours d’un point de presse, le journaliste congolais Séverin Bamani de la Radio télévision congolaise (RTC) a dit ceci : « Mais il se fait que depuis des temps, selon les observateurs, selon votre propre opposition politique, selon la presse, les officiers de Jean-Pierre Bemba arrivent régulièrement à Bangui, ils acheminent des armes et ils sont régulièrement ravitaillés en carburant…Vous ne pensez pas que ce discours mi-figue mi-raisin traduit un peu ce qui fait en sorte que les relations ne soient pas saines ? Notre courrier se termine ainsi : Patassé porte en lui, le germe de la division, de la haine tribale, du régionalisme et ses accointances avec la mafia internationale expliquent le bilan négatif de son premier mandat et la catastrophe que nous vivons aujourd’hui. Patassé doit, non seulement partir, mais il a à répondre de tous ses forfaits...

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CHAPITRE XII Aperçu partiel de la dérive génocidaire de 2001 La une du bimensuel AfriquEducation N° 87, du 14 au 29 juin 2001, interpellait sans équivoque l’opinion internationale sur le drame qui se déroulait à Bangui et dont les images n’avaient pas été rapportées par les télévisions françaises : « Centrafrique : Epuration ethnique des Yakoma, Sango, Banziri, Banda etc.. . » Paul Tedga, le rédacteur en chef, dans la page éditoriale, enfonçait le clou en apportant des éléments d’information qui corroboraient le choix de ce titre. Ainsi écrivait-il : Conscient de l’image négative que la chasse à l’homme Yakoma provoque déjà à l’étranger, le chef de la diplomatie centrafricaine, Agba Otikpo Mézodé s’élève contre le ‘‘battage médiatique autour de la notion de génocide, inconnue (selon lui) des centrafricains et qui procède d’une manoeuvre subliminale destinée à distiller insidieusement cette notion dans l’inconscient collectif aux fins de les pousser à commettre cet acte’’. Le ministre va un peu vite en besogne car si la répression sanglante qui s’est abattue sur les habitants des quartiers hostiles au pouvoir, n’a pas conduit à une extermination systématique des Yakoma, comment qualifie-t-il les tueries massives à l’artillerie lourde ou à l’arme blanche, qui ont été organisées, pour soi-disant, mettre les putschistes hors d’état de nuire ? Un objectif que le pouvoir n’arrivera jamais à atteindre, les assaillants ayant pu opérer un repli tactique... Il n’y a peutêtre pas eu génocide au sens rwandais du terme, mais personne ne peut nier la chasse à l’homme Yakoma qui fut systématique pendant une dizaine de jours à travers les rues de Bangui : maisons pillées, voitures volées, femmes et jeunes filles violées, hommes et garçons...égorgés...Les Sango, Banziri, Nzakara, Ngbougbou, Ngbaka et Banda, bref, toutes les personnes originaires du sud et de l’Est de la Centrafrique, sont systématiquement visées...Patassé ne peut plus et ne doit plus se

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considérer comme le président de tous les Centrafricains. Le sang des innocents qu’il a fait couler lui enlève toute autorité morale à l’exercice de son pouvoir. Le meilleur service qu’il puisse rendre non seulement à la Centrafrique mais aussi à tout le continent africain, c’est qu’il démissionne de la présidence de la République et provoque une nouvelle élection à laquelle il ne se portera pas candidat... L’analyse de la situation qui prévalait en République centrafricaine par le journal de Marie-Roger Biloa, Africa International N° 344, juin 2001, apporte des éclairages sur les deux principaux protagonistes que sont Patassé et Kolingba tout en soulignant la part non moins importante jouée par les miliciens du pouvoir dans le pogrome des Yakoma : Depuis l’attaque de la résidence présidentielle dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 mai, par des éléments mutins de l’armée centrafricaine, c’est une tragique partition qui se joue sur les bords de l’Oubangui, entre un président ‘‘fou’’ mais élu, et un ancien général-président débonnaire, sans projet politique cohérent, indécis, mais qui bénéficie encore du soutien de la plupart des jeunes soldats centrafricains... Pratiquement tiré de son lit pour endosser la paternité d’une quatrième mutinerie... La riposte des partisans de Patassé ne se fait pas attendre. La folie ethnique s’empare de Bangui et s’abat sur les Yakoma... La garde de Patassé réplique. Sa milice ethnique les « Karako», composée exclusivement de ses parents du Nord entrent en jeu, chauffés par le porte-parole de la présidence, Prosper Ndouba et Serge Alain Yabouet-Bazoli, le chef de cabinet du Premier ministre... Jamais un coup d’état n’a donné lieu à des représailles d’une telle ampleur et une telle implication extérieure. Les forces rebelles du Congo et les forces gouvernementales de la Libye ont été mises à contribution pour massacrer des populations civiles et mettre en exécution un plan d’extermination des Yakoma. Sinon, comment interpréter la violente intervention du président de l’Assemblée nationale, Apollinaire Dondon Konamabaye qui qualifiait officiellement, l’ethnie Yakoma de ‘‘minorité pourtant exogène, assimilée et intégrée, imbue de

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suprématie et assoiffée de pouvoir’’ et soutient que ‘‘si on veut la paix, il faut renvoyer chez elle, cette minorité exogène’’ ? Comme pour faire écho à cette déclaration, ‘‘près de 80 000 personnes, appartenant en général à l’ethnie Yakoma, ont dû fuir leur domicile des quartiers sud de Bangui, pour raisons de sécurité. Sur la base des actes de naissance et de cartes d’identité révélant la naissance à Bangassou, Kémbé ou encore de noms à consonance Yakoma, des innocents ont été tués, humiliés pour le simple fait d’être originaires de ces régions. On a assisté à une chasse aux sorcières. Des familles ont été expropriées. Des listes de personnes suspectes ont été dressées sur la base de simples délations. Certaines listes faisaient figurer des ressortissants Yakoma suspectés d’avoir cotisé ou contribué financièrement à l’exécution du coup d’Etat. D’autres, constituées à partir de documents trouvés dans les maisons abandonnées, listaient les membres du gouvernement Yakoma. Les autorités ont pour leur part dressé des listes de personnes considérées comme dangereuses, entretenant ce fort sentiment anti-Yakoma. Face aux dérives observées à l’encontre des citoyens d’origine Yakoma, les actes d’apaisement issus du pouvoir en place ont été timorés…La présence supposée de Rwandais aux côtés des putschistes a aussi entraîné une furie des loyalistes à l’encontre des réfugiés rwandais de Bangui, causant de nombreuses victimes. Le Premier ministre, Martin Ziguélé, a justifié ces multiples atteintes aux droits de l’homme par les violences et exécutions sommaires perpétrées à l’encontre des éléments de la garde présidentielle’’. Ces extraits du Rapport de mission de la FIDH (N°324, p.16-février 2002) témoignent de l’ampleur du déchaînement de violence à l’encontre des ressortissants de l’ethnie Yakoma et assimilés, Sango, Banda, Ngbaka, Gbanziri, Nzakara, Ngbougbou, Zandé etc. Car les autres ethnies du Nord, en raison de la connotation ethnique du coup d’Etat meurtrier, se sont, quant à elles liguées contre leurs frères du Sud et ont manifesté leur soutien au président de la République.

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Grâce à la mission effectuée à Bangui du 5 au 22 juillet 2001 par une délégation de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) qui avait bénéficié du concours efficace de la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH) de Maître Nicolas Tiangaye, le voile fut levé sur les atrocités commises durant près de deux mois après la tentative du coup du 28 mai 2001. Des témoignages de victimes ou parents de personnes décédées et de l’analyse de la situation sur le terrain, cette mission avait pu mesurer le traumatisme des populations et conclure que les exécutions sommaires avaient continué longtemps après le putsch en toute impunité. Car pour les autorités centrafricaines, ces atteintes aux droits de l’Homme étaient justifiées par la politique de sécurisation consécutive à la tentative de prise de pouvoir par la force d’un groupe d’individus tout issus de la même ethnie. Alors que, en matière de droit humanitaire international, les droits de l’Homme doivent être respectés, qu’il s’agisse d’une situation de conflit, d’un état d’exception, d’un état de siège ou de guerre. Le bilan officiel des affrontements du 28 mai 2001 serait de 28 morts du côté des forces loyales au président Patassé et les autorités avaient avancé le chiffre de 59 victimes de la guerre. La mission d’enquête de la FIDH contesta ce dernier chiffre, car les victimes civiles se comptaient par des centaines. Le décompte des autorités n’avait pas pris en compte les personnes noyées ou jetées dans l’Oubangui ni celles qui furent enterrées sommairement dans des fosses communes. Et quand on sait que la crise politique avait donné l’occasion pour certains de régler des comptes personnels, non seulement à Bangui mais sur toute l’étendue du territoire national, il ne faisait aucun doute que le nombre de victimes Yakoma se comptait par milliers. On ne saura jamais, par exemple, comment l’officier de gendarmerie Fabien Banga avait trouvé la mort à cette époque alors qu’il rentrait du Cameroun… Les vieux démons de la haine tribale ayant trouvé un terreau fertile à Bangui au cours de ces tragiques évènements, nombre de personnes n’avaient dû avoir la vie sauve que grâce au courage et aux convictions politiques de certains patriotes

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sincères. Ce fut le cas de Jérôme Agoundoukoua que Maître Nicolas Tiangaye, président de la LCDH, prit sous sa protection au quartier Foûh à l’époque. Le témoignage public de reconnaissance et de remerciement, rendu par Agoundoukoua à ce grand avocat à Paris en novembre 2007, lequel s’engageait définitivement en politique en créant la CRPS, était une preuve que l’unité nationale, prônée par Barthélémy Boganda, pouvait, peut et pourra être préservée, malgré toutes les contingences… Toute la famille Lamessi avait aussi également été protégée par l’ancien bâtonnier du barreau de Centrafrique. L’émouvant et pathétique témoignage écrit par Alain Lamessi et qui se trouve en annexe, non seulement rend un vibrant hommage à Nicolas Tiangaye, ce valeureux militant des droits de l’Homme, mais aussi et surtout, pointe la responsabilité de ces pseudo militants anti-impérialistes dans la dérive génocidaire. Ces pseudo révolutionnaires livresques des campus universitaires, une fois confrontés à l’exercice du pouvoir d’Etat comme ce fut le cas en Centrafrique, furent les chefs pyromanes de tueries ethniques et brillèrent par un manque de solidarité assassin à l’égard de ceux avec qui ils avaient pourtant milité pour le socialisme, la social-démocratie, le maoïsme ou l’intégration aux masses qui favoriserait l’avènement de la RNDP, cette ‘‘révolution nationale démocratique et populaire’’ prônée par la FEANF à laquelle ils avaient appartenu, et ils avaient renoncé à tous ces concepts dès leur nomination à la mangeoire d’Etat… Et ce fut encore sur Maître Nicolas Tiangaye, ce digne fils du pays, que la FIDH s’était appuyée lors de sa mission à Bangui, permettant ainsi aux générations présentes et futures de connaître tout ou partie, des circonstances dans lesquelles des personnes, du seul fait d’être Yakoma, Sango, Banda, Gbanziri, Nzakara, Zandé ou autres populations riveraines, avaient été arrêtées, torturées, brûlées, massacrées ou enlevées… Il convient de souligner que le dimanche 3 juin 2001, c'est àdire une semaine après la tentative du coup d’Etat, le président Patassé maîtrisait totalement la situation après la fuite du général Kolingba dont l’épouse avait trouvé refuge à l’ambassade de France. Le général n’avait pu compter, dans ces

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moments difficiles que sur la témérité et le courage de ces jeunes enfants de troupe dont Rissin Régis Sikangba, et son fidèle aide de camp, le capitaine de gendarmerie Firmin Zouga, formé à West-Point (Etats-Unis), pour échapper aux forces loyalistes, avant de prendre le large de l’autre côté de l’Oubangui. Mireille Kolingba fut exfiltrée grâce à l’intervention d’un commando, échappant ainsi aux griffes du magistrat Joseph Bindoumi de la Commission mixte d’enquête judiciaire. Les enquêteurs internationaux de la FIDH, au cours de leur mission, ont eu sans doute les mots assez justes pour parler de l’exacerbation de la haine ethnique et de l’aggravation des violations des droits de l’Homme, au lendemain de la tentative de ce coup d’Etat manqué du 28 mai 2001. Les quelques exemples que nous rapportons ci-après permettent de mesurer l’ampleur de la dérive génocidaire et de faire étaler au grand jour l’« anti-Yakomalisme » primaire et une certaine « Yakomaphobie » viscérale de Patassé et de son régime. Car, comment comprendre que des militaires et gendarmes d’origine Yakoma, Sango, Banda, Gbanziri etc, qui ont pourtant fait le choix de la légalité et de la loyauté au pouvoir MLPC, aient pu subir ces pires exactions que nous allons découvrir ? Comment comprendre que de paisibles citoyens civils puissent subir ces mêmes exactions, du fait de leur seule appartenance à une ethnie ou à une région ? Le régime Patassé n’a-t-il pas tenté de mettre en œuvre une politique d’extermination de tout ou partie d’un groupe ethnique ? Oui, le génocide a bien eu lieu… • Famille Bangazoni Léon La famille Banganzoni a été la première victime après l’annonce de la mort du général François N’Djadder Bédaya et la revendication du putsch par le général Kolingba. Léon Banganzoni, retraité septuagénaire du ministère des Finances, habite depuis plus d’un quart de siècle dans sa villa dans cette partie de la ville de Bangui qui va, en 1993, accueillir l’homme du Changement. Sa maison et la résidence du chef de l’Etat se situent de part et d’autre d’une rue. Voici le récit des évènements qui vont conduire à la liquidation physique, sans autre forme de procès, des membres

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de la famille Bangazoni, de l’ethnie Sango et dont les mamans sont Sango et Gbanziri. Le mercredi 30 mai, vers 6H30, des miliciens MLPC armés jusqu’aux dents, sous le fallacieux prétexte de rechercher des gens en fuite, se sont fait ouvrir bruyamment et en force, le portail de la concession des Bangazoni. Ils vont demander à tous les occupants de la parcelle de sortir et de se mettre dans la rue. Après avoir intimé l’ordre aux femmes et aux enfants de quitter les lieux, Léon Bangazoni, son neveu Théodore Kozo, un quadragénaire résidant aux Etats-Unis et en vacances à Bangui depuis un mois, ainsi que son fils Gabriel Bangazoni, 22 ans, étudiant en deuxième année à la faculté des sciences de l’université de Bangui, vont être conduits derrière la maison et exécutés froidement, à bout portant, sous la véranda. Tous les mâles majeurs présents ce jour là ont été éliminés à l’exception d’Emmanuel Bangazoni, 18 ans, qui aura réussi à s’enfuir en sautant un mur mitoyen pour se réfugier dans la résidence de l’ambassadeur du Congo en Centrafrique. Il gagnera par la suite les locaux du HCR à Bangui. Qui a pu alerter les éléments de la Croix Rouge qui vont découvrir les corps et qui vont ensuite être déposés à la morgue de l’hôpital de l’Amitié alors que la morgue de l’hôpital communautaire était plus proche des lieux de ce triple crime ? Le samedi 2 juin, en raison de la chasse aux hommes originaires des régions sud du pays, seules les femmes de la famille, notamment Yvonne Yangombé, sœur de Léon Bangazoni, ont procédé à l’inhumation des trois corps dans la parcelle d’une maison familiale. Le ministre de la Défense, Jean-Jacques Démafouth dira, le plus simplement du monde aux enquêteurs de la FIDH que des douilles ont été retrouvées devant le portail de la concession des Bangazoni. La famille a été identifiée comme Yakoma, ce qui tenez-vous bien -, explique leur exécution ! • Docteur Noël Emmanuel Kandoro et son frère Willy Kotto Le mercredi 30 mai, le médecin vétérinaire Kandoro Noël Emmanuel, 39 ans, chef du service de santé animale de Bossembélé, revenu à Bangui depuis la mi-mai 2001, a été

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arrêté, en compagnie de son frère Kotto Willy, 42 ans et d’un beau-frère, Ndounda Alias Coco. Ils ont été conduits au commissariat central de Police. Ndounda père, informé de cette triple interpellation, va se présenter au commissariat pour intercéder en faveur de son fils Alias Coco. Celui-ci va être libéré immédiatement, car les Ndounda sont originaires d’une ethnie du Nord, alors que Kandoro et Kotto sont Yakoma. Le même jour, deux véhicules conduits par des éléments de la sécurité présidentielle, arrivent au commissariat vers 14H00. Ils réclament le docteur vétérinaire et son frère. Face aux refus des policiers du commissariat central de les livrer, les éléments de la sécurité présidentielle vont sommer Kandoro et Kotto de sortir. Ils ont à peine franchi la porte des cellules qu’une rafale d’armes automatiques va les faucher. Ces tontons-macoutes de Patassé, après leur macabre besogne, vont remonter dans leur véhicule pour regagner tranquillement leur base. Les corps seront déposés à la morgue de l’hôpital de l’Amitié, par les policiers. Les auteurs de ces forfaits, bien qu’identifiés, n’ont été ni inquiétés, ni interpellés. Les autorités judiciaires, saisies par les parents des deux victimes, n’ont fait que promettre l’ouverture d’une enquête… • Député Théophile Touba et son neveu Jorris Gnikoua Bien connu du milieu sportif centrafricain, le professeur d’université Théophile Touba a eu à occuper des fonctions gouvernementales et s’est engagé politiquement au sein du RDC, le parti du général Kolingba. Il a été élu député lors des élections législatives de 1998. Ayant quitté son domicile le 29 mai pour se réfugier auprès de Blaise Kongo, au quartier Sica 2, il va connaître le sort réservé aux Yakoma dans le cadre du ratissage sélectif de la population, mis en place par le système Patassé. Selon les informations concordantes et dignes de foi, confirmées par la FIDH, le vendredi 31 mai, trois véhicules de la garde présidentielle ont fait irruption chez lui. Les éléments de la sécurité présidentielle vont contraindre son neveu, Jorris Gnikoua, à révéler l’endroit où se trouve le député. Le neveu va

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être exécuté près du quartier Sica 2. Ils vont alors cueillir le député dont le corps mutilé à coups de couteau au cou, à la gorge, à la poitrine et avec des brûlures, va être retrouvé le 2 juin sur l’avenue de l’indépendance, non loin de la résidence présidentielle. Il a été enterré, comme à cette période, par des femmes, dans sa parcelle de Kpètènè, dans le 6ème arrondissement. Basile Kongo a réussi à traverser le fleuve pour se mettre à l’abri à Zongo. • Lieutenant-Colonel Alphonse Konzi-Mongot Ancien ministre dans le gouvernement du CMRN du général Kolingba dans les années 80, le colonel de gendarmerie Alphonse Konzi-Mongot serait encore vivant aujourd’hui, s’il n’avait pas tenu absolument à démontrer sa loyauté à ses supérieurs hiérarchiques. Habitant le quartier Ouango, l’officier aurait fui de chez lui le 28 mai pour se réfugier à l’archevêché de Bangui, sis à Ouango. Suite à l’appel lancé par le ministre de la Défense qui demandait aux populations de revenir dans la ville de Bangui et aux rebelles et loyalistes de regagner leurs camps, Alphonse Konzi-Mongot qui bénéficiait de la protection de Mgr Joachim Ndayen, exprima le désir de rejoindre son domicile. Le prélat va prendre contact avec le ministre de la Défense pour lui demander de s’assurer de la sécurité de l’officier. Le ministre Jean-Jacques Démafouth indiquera à l’archevêque qu’il ne disposait pas d’éléments pour entreprendre une telle mission. Mgr Ndayen va se charger de faire escorter le colonel Konzi-Mongot, à bord d’un véhicule de l’archevêché, en compagnie des abbés Guy Serge Vickos et Séraphin Yakanda, comme le rapportent les enquêteurs de la FIDH. La délégation s’est d’abord rendue auprès du ministre de la Défense. Ce dernier va leur demander de se rendre au Camp Béal où personne ne va les accueillir. Ils reviennent de nouveau vers le ministre qui les invite à aller au commandement de la gendarmerie nationale. Le colonel Zounématchi, adjoint au chef de corps de la gendarmerie, a été informé par le ministre de l’arrivée du colonel Konzi-Mongot. L’arrivée du colonel, accompagné par les deux abbés, provoqua de fortes excitations

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au niveau des gendarmes. Le colonel va être accusé de tous les maux, notamment, celui de complicité avec les putschistes et des menaces de mort lui sont adressées. Le vendredi 8 juin, les éléments de la sécurité présidentielle vont réussir à se faire livrer le colonel Konzi-Mongot, après plusieurs tentatives. Ils vont l’emmener à bord d’une voiture pick-up dans une direction inconnue. Sa famille, informée de son décès le samedi 9 juillet 2001, devra chercher le corps qui n’a pas été déposé dans une morgue. Le macchabée sera retrouvé dans les environs du cimetière de Ndrès. L’état dans lequel était le corps du colonel loyaliste traduisait la rage, la sauvagerie, la bestialité de ses bourreaux, l’ingratitude ineffable et le cynisme des autorités civiles et militaires de la Défense nationale. Tout indiquait que le colonel avait été torturé, gorge tranchée, bouche déchirée, sexe mutilé et tailladé et des stigmates dus à des brûlures étaient visibles sur son corps. Les responsables de ces exactions, bien que connus, n’ont jamais été interpellés, ni inquiétés, ni entendus par la Commission Bindoumi, selon la FIDH… • Capitaine Joseph Ngbotènè, maréchal des logis-chef Patrice Ngawé et Virginie Yembimon Officier gendarme, Joseph Ngbotènè, d’origine Yakoma, a toujours été du côté des forces loyales à Patassé depuis les trois mutineries de 1996 et a refusé de participer au putsch du 28 mai 2001. Malgré les tirs nourris en ville en cette matinée du lundi 28 mai, le capitaine Joseph Ngboténé s’est rendu à son bureau à la gendarmerie nationale. Vers 5 heures, les mutins entrent dans son bureau et, ne l’ayant pas vu, prennent en otage les gendarmes présents et promettent de faire la peau à l’épouse de Ngbotènè si le capitaine ne se découvre pas. Il va sortir de sa cachette et sera conduit au 6ème arrondissement par les mutins. Il va tromper leur vigilance et va se cacher durant treize jours dans l’enceinte de l’école de gendarmerie de Kolongo. De ce refuge devenu lieu de travail, il va établir des contacts avec sa hiérarchie afin d’avoir la conduite à tenir. Son épouse Laure

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Valérie, de nationalité tchadienne va servir d’intermédiaire entre lui et le colonel Guy Goze. Le capitaine va rencontrer un autre loyaliste, le maréchal des logis-chef Patrice Ngawé, luimême Yakoma, en clandestinité, le 8 juin 2001. Il va signaler la présence de ce stagiaire en formation à l’école de gendarmerie au colonel Guy Goze par une note écrite, grâce à l’entremise de son épouse. Le lundi 11 juin, une mission conduite par le maréchal des logis-chef Mbétimangué du GIGN va faire irruption à Kolongo. Patrice Ngawé va être enlevé et le capitaine alerta le colonel Guy Goze. Patrice Ngawé va être exécuté le même jour, à côté de la décharge publique, située aux abords du cimetière de Ndrès. Le mardi 12 juin, deux véhicules de marque Sovamag, vont arriver à l’Ecole de gendarmerie de Kolongo. A bord, une quinzaine de militaires sous les ordres du capitaine Dépot, assisté du même maréchal des logis-chef Mbétimangué. Cette visite impromptue va amener le capitaine Ngbotènè à en demander le but à Mbétimangué. Ce dernier répondra en sango « é ga ti fa a gnama ti é ! » entendez, nous sommes venus tuer nos gibiers ! Il va pousser le cynisme jusqu’à dire qu’il est venu, sur ordre du Camp Béal, chercher Virginie Yembimon, secrétaire de Joseph Ngbotènè. Alors que la pauvre Virginie Yembimon jurait par tous les saints ne rien connaître de l’affaire du putsch, Mbétimangué, en hurlant « tous les Yakoma doivent être tués », va tirer sur la femme à l’épaule et au cou. Cette scène aurait eu lieu en présence des gendarmes dont le sous-lieutenant Mondaye, les adjudants Mandou, Maledou, Zoubanga et du maréchal des logis-chef Bangala. Comme si le maréchal des logis-chef avait pour mission de créer un incident afin d’éliminer physiquement le capitaine Joseph Ngbotènè, il va atteindre son objectif dès que le capitaine va lui intimer l’ordre d’arrêter de tirer sur la dame Yembimon. Il retourna alors son arme et arrosa le capitaine de plusieurs rafales à bout portant, au ventre, à la poitrine et au pied. Les corps seront déposés à la morgue. Le capitaine Joseph Ngbotènè va être enterré dans la concession de son père au quartier Kpètènè.

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Nivelle Laure Valérie Ngbotènè et sa belle-famille ont mené des démarches auprès de la Commission mixte d’enquête judiciaire de Bindoumi. En réponse, leur domicile a été perquisitionné et ils sont menacés de mort s’ils persistent à suivre cette affaire, comme le rapportent les enquêteurs de la FIDH… • Cyprien Ouaratchi Ressortissant Banda, 47 ans, entraîneur national de lutte et animateur à l’Ecole des enfants de troupe, a été exécuté à Ouango par les éléments de Jean-Pierre Bemba. Il lui était reproché d’avoir gardé une tenue militaire abandonnée par un voisin militaire. Ce dernier se serait dévêtu chez lui pour s’enfuir, de peur d’être identifié comme loyaliste par les mutins. • Commissaire de police Jean-Laurent Takélépou Le commissaire central de Bangui, Sabanguélé dit « Le Téméraire », a donné ordre à ses éléments pour liquider son collègue commissaire de police, Jean-Laurent Takélépou, le lundi 4 juin au pk 13, sur la route de Damara, au motif qu’il est natif de Bangassou. • Magistrat Jacques Omissé Membre de la Cour constitutionnelle et appartenant à l’ethnie Gbaya, ce haut fonctionnaire a été exécuté le 29 mai par des éléments de la sécurité présidentielle au niveau de l’immeuble Pétroca sur l’avenue des Martyrs, à cause de son nom à consonance Yakoma. • Pasteur Jacques Mékpé Natif de Bangassou, ce serviteur de Dieu, membre des Eglises Apostoliques de Centrafrique, venait de quitter son église pour se rendre, ce mardi 29 mai, à une réunion au quartier Foûh lorsqu’il a été intercepté par des militaires loyalistes en faction au niveau du Commissariat de Police du 8ème arrondissement de Bangui. Il a été dépouillé d’une

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enveloppe remplie de billets de banque et a été fusillé dans le dos après que ces militaires lui avaient demandé de partir. • Maréchal des logis-chef Emery Koguéndé Arrêté au quartier Lakouanga alors qu’il tentait de rejoindre le commandement de la gendarmerie, ce sous-officier d’ethnie Yakoma a été exécuté le 29 mai. Son corps a été déposé à la morgue. • Sergent Mokolini Le corps mutilé de Mokolin a été retrouvé à la morgue de l’hôpital Communautaire le 29 mai. Il a été exécuté le même jour à Pétévo. • Alain Goulet Yanga De passage devant l’Université de Bangui, ce citoyen centrafricain d’origine Yakoma a été abattu froidement par les éléments de la Garde présidentielle le 31 mai. • Adjudant-chef Dieudonné Mokoli Alors qu’il regagnait l’ENAM, l’adjudant-chef Dieudonné Mokoli, d’ethnie Yakoma, a été exécuté le 29 mai. • Edouard Wanguia, Romaric Wanguia, Albert Wanguia et Olivier Kongbenguia Edouard Wanguia, bibliothécaire à l’Université de Bangui, ainsi que ses fils et Olivier Kongbenguia avaient trouvé refuge au grand séminaire de Bimbo. Ils avaient décidé de rejoindre leur domicile au quartier Kpéténé ce mercredi 6 juin. Interpellés et interrogés par les militaires de la garde présidentielle au niveau de Pétévo, ces citoyens Yakoma vont être exécutés derrière l’école primaire de Pétévo. • Cyprien Biakoro Cet infirmier militaire a été fusillé au pK9, sur la route de Mbaïki, par un militaire loyaliste le 2 juin pendant qu’il tentait de traverser le fleuve.

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• Militaire Rufin X Le 3 juin, le militaire Yakoma Rufin de l’armée de l’air a été exécuté par les éléments de la garde présidentielle sur l’avenue des Martyrs, alors qu’il voulait rejoindre son régiment. • Aristote Perrière Le citoyen Yakoma Aristote Perrière ainsi qu’un autre, ont été exécutés le 13 juin devant la brigade criminelle, au centre ville, à Bangui. Le rapport de la FIDH a pointé la complicité des autorités militaires et dénoncé l’organisation de la chasse aux Yakoma et assimilés, à savoir les Banda, les Gbanziri, les Sango etc.… Tous les militaires, gendarmes, policiers et autres hommes de rang des quartiers rebelles étaient à priori soupçonnés de participation au putsch. Les appels radiodiffusés recommandant à tous les militaires non partisans du putsch à se présenter au sein de leur unité au plus tard le 11 juin, ne furent qu’un guetapens dans lequel étaient tombés des dizaines de soldats loyalistes d’origine Yakoma, Sango, Banda et autres. • Soldat de 1ère classe Simplice Maléyombo Le 28 mai, le soldat loyaliste Maléyombo du régiment de soutien en activité au camp de Roux, s’était présenté au commissariat de police du 7ème arrondissement pour s’informer de la conduite à tenir auprès de son supérieur hiérarchique. Ce dernier va lui demander de garder sa position. Prudent, il va trouver refuge à l’archevêché de Bangui qu’il quittera par la suite, en raison des contraintes qui faisaient que l’archevêché ne pouvait qu’accepter dorénavant que des femmes et des enfants. Il va s’enfuir dans la forêt de Mboko, à plus de 12 km de Bangui. Devant se présenter le 11 juin au camp de Roux, il sortit de la forêt le 10 juin. Le lendemain, à 7H30, Simplice Maléyombo, accompagnés de ses parents et d’un autre militaire loyaliste de l’armée de l’air, décidèrent de se rendre au commissariat de police. Ils croisèrent sur leur chemin, le chef d’état-major général des FACA, le général François Bozizé. Ce dernier les prit dans son véhicule et les déposa au camp Kassaï.

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Leurs corps furent retrouvés sans vie au niveau du cimetière de Ndrès. Ils étaient Banda. A la date du 27 juin 2001, la Croix Rouge centrafricaine avait enregistré 176 personnes, majoritairement Yakoma et qui avaient trouvé la mort, suite aux exécutions sommaires perpétrées par les éléments de la garde présidentielle ainsi que les militaires et gendarmes loyalistes. Les atteintes aux droits de l’Homme s’étaient également traduites par des violations sexuelles contre les femmes dont les auteurs furent exclusivement ces paysans incultes et armés, véritables mercenaires venus de l’autre rive de l’Oubangui, les banyamulengé de Jean-Pierre Bemba. Aussi, de nombreuses personnes arrêtées n’ont jamais été retrouvées, qu’elles aient été enterrées, jetées dans le fleuve ou encore, qu’elles aient simplement disparu à la suite d’enlèvements. A la date d’aujourd’hui, beaucoup de familles centrafricaines n’ont pas de nouvelles de leurs proches disparues à cette époque. Les frères Emmanuel Kayimo, commerçants et Jacques Kirissi, ancien séminariste et instructeur au centre de ré insertion des enfants de la rue « Sara Mbi Ga Zo », appartenant à l’ethnie Zandé ont été enlevés le 7 juillet 2001 par des gendarmes. Ils n’ont jamais été retrouvés par leur sœur Aimée Nabali. Cette folie meurtrière n’aura pas épargné des étrangers, à travers l’assassinat, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2001, de JeanPierre Lhomme, colonel de la gendarmerie française, chef de la section de sécurité du PNUD. En août 2001, le compatriote Jean-Bosco Péléket, à Paris, analysait la situation dramatique de la République centrafricaine en déclarant qu’en définitive, l’histoire récente de la R.C.A sera écrite tôt ou tard, en toute objectivité, par des Centrafricains intègres. Elle jettera alors une lumière crue sur toutes les forfaitures depuis mars 1959 et en particulier sur la volonté sans précédent, la responsabilité pleine et entière d’un président de la république, A.F. Patassé, ses proches et les caciques de son parti, le MLPC, de confondre une ethnie avec l’auteur présumé d’un coup d’état manqué pour enfin réaliser un plan longtemps mûri : « à défaut de pouvoir noyer les Yakoma et les Oubanguiens dans leur sang, en éliminer le plus grand nombre

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possible en commençant par l’élite » !... Cela s’appelle génocide. La République centrafricaine a essuyé de nombreuses tentatives de prises de pouvoir par la force depuis son accession à l’indépendance en 1960. A.F. Patassé lui-même en a commandité une en 1982. Aucun des présidents en exercice y compris Jean-Bedel Bokassa, ne s’était jamais pris à ce point aux paisibles citoyens et à l’ethnie des putschistes. Oui assurément, Patassé est passible de parjure, de haute trahison, de crimes économiques, de génocide et de crimes contre l’humanité... Le souci de rétablir la vérité historique, au regard des propos de Luc-Appolinaire Dondon Konamabaye sur les Yakoma l’a conduit à écrire le texte que vous trouverez en annexe. En vertu d’une loi de 1993 qui accorde la compétence universelle aux tribunaux belges pour les crimes de guerre, de génocide et crimes contre l’humanité, quels que soient leur lieu et les nationalités et lieux de résidence des victimes et accusés, une dizaine de Centrafricains de l’association « OubanguiChari », avaient déposé une plainte, le jeudi 8 novembre 2001, devant le parquet de Bruxelles contre le président Ange Félix Patassé pour génocide et crimes contre l’humanité. Gaston Kongbré, l’un des responsables de l’association, avait précisé aux médias que cette requête visait également les plus hautes autorités politiques et militaires centrafricaines.

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CHAPITRE XIII Marche irréversible vers le 15 mars 2003 Le coup d’état manqué du 28 mai 2001 et ses conséquences furent, nous ne le dirons jamais assez, ce mal nécessaire qui permit à la communauté internationale de comprendre enfin les tristes réalités centrafricaines où un « dictateur mal recyclé » avait réussi à se faire élire démocratiquement... L’histoire retiendra que le général Kolingba avait été piégé et, en revendiquant ce putsch, il n’avait pas pu en mesurer les conséquences… Nombreux sont aujourd’hui les Centrafricaines et Centrafricains, victimes ou parents des victimes qui en veulent au président-fondateur du Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC), général d’armée de surcroît, d’avoir sacrifié, de manière consciente ou inconsciente, les populations oubanguiennes… Il aurait été mis en évidence l’implication du général François Bozizé, chef d’état major des armées, ainsi que celle du ministre de la Défense, Jean-Jacques Demafouth dans cette tentative de coup d’Etat aux conséquences effroyables. Ce que confirment les enquêteurs de la FIDH qui n’ont pas manqué d’évoquer l’existence de coup d’Etat dans le coup d’Etat… La République centrafricaine, à la faveur de cette tentative avortée de prise de pouvoir par le général Kolingba, comme nous allons le voir, va s’engager de manière irréversible et inexorable sur la voie de la fermeture de la parenthèse historique, ouverte en 1993. • 9 juin 2001 : Une commission mixte d’enquête judiciaire, placée sous l’autorité du magistrat Joseph Bindoumi, est créée. Cette structure a théoriquement pour objet de faire la lumière sur le coup d’Etat du 28 mai 2001. Mais en réalité, comme le conclurent les enquêteurs internationaux de la FIDH à l’issue de leur séjour à Bangui du 5 au 22 juillet 2001, cette commission ne s’était attelée qu’à démontrer la thèse d’un plan d’élimination physique des proches de Patassé en cas de réussite du coup d’Etat et sa base de travail n’était que délation

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et dénonciations souvent calomnieuses. Aussi et surtout, cette commission censée dire le droit, avait été responsable de graves atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Aucune des saisines de la commission mettant en cause les forces loyalistes ne fut suivie d’effet. • 15 juin 2001 : La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), depuis son siège parisien, condamnait « la chasse aux sorcières » à l’encontre de l’ethnie minoritaire Yakoma à laquelle appartient Kolingba. • 18 juillet 2001 : Une quarantaine de policiers était suspendue de leurs fonctions. La haute hiérarchie militaire rendit publique une liste de plus de deux cent militaires considérés comme déserteurs. Il y a lieu de reconnaître ici que des patriotes sincères et lucides existent dans toutes les formations politiques en Centrafrique, y compris au sein du MLPC. Mais le rapport de forces avait toujours été, depuis 1993, au niveau du pouvoir, en faveur des va-t-en guerre et autres artisans de l’ostracisme, du pilotage à vue, du sectarisme et du régionalisme. Denis KossiBella, militant de première heure de ce parti ou Alfred Poloko, conseiller de Patassé depuis 1993, ne faisaient pas partie de cette dernière catégorie des hommes du pouvoir. Le premier avait très courageusement pris ses responsabilités pour quitter le MLPC afin de dénoncer les dérives dictatoriales de Patassé au début des premières années du Changement. Le second, Alfred Poloko, avait été limogé en mai 2001, pour le motif qu’il serait proche des milieux hostiles à Patassé… Ayant trouvé refuge à l’ambassade du Tchad après la tentative du putsch du 28 mai, il avait été remis à la Commission Bindoumi le 20 juillet 2001, puis libéré après avoir été entendu. L’insécurité généralisée à Bangui à cette époque où la vie humaine n’avait aucun prix pour les génocidaires n’avait-elle pas sous-tendu la décision prise par certains sportifs centrafricains de s’éloigner définitivement du pays ? En effet, le mercredi 22 août 2001, neuf joueurs de l’équipe nationale de basket-ball, en transit à Paris pour la coupe d’Afrique des Nations (CAN-2001) au Maroc, avaient choisi de s’évanouir dans la nature en France…

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• 26 août 2001 : Le ministre de la Défense, Jean-Jacques Démafouth va être démis de ses fonctions et mis à la disposition de la justice. Le 30 août, le ministre de l’Intérieur ainsi que celui du Désarmement, vont être remplacés. La reprise en main de la situation amena Patassé à faire le ménage au sein même du système MLPC. En sa qualité de président du Mouvement de libération du peuple centrafricain, parti au pouvoir, il va dissoudre, le 18 octobre, la coordination des cadres du parti dont certains, selon le président de l’Assemblée nationale, ont été ‘‘complices des auteurs’’ du coup d’Etat. Le général François Bozizé, chef d’état-major général des armées, dans cette même logique, fut limogé le 26 octobre 2001. Avec un général Kolingba réfugié en Ouganda, dont le parti politique, le RDC venait d’être suspendu en septembre 2001, lui-même de surcroît, coupé de ses troupes éparpillées et neutralisées à Gbadolité dans l’Equateur par le MLC de Jean-Pierre Bemba et une partie, disséminée sur le territoire du Congo Brazzaville, le général Bozizé constituait le seul véritable danger pour le régime MLPC ou mieux, le régime des patassistes du MLPC. La date du 26 octobre 2001, date de limogeage de Bozizé par Patassé, consacrait ainsi la rupture entre deux hommes dont les chemins s’étaient croisés à la cour impériale de Bérengo et leur destin, lié par les évènements du 3 mars 1982 au cours desquels le général Kolingba, alors président du CMRN, avait circonscrit sans peine, ce qu’il était convenu d’appeler le coup d’Etat radiophonique du général Bozizé, alors ministre de l’Information. A l’instar de l’échec de la tentative d’arrestation du capitaine Anicet Saulet qui avait déclenché la troisième mutinerie le 15 novembre 1996, le Centrafrique allait de nouveau être le théâtre de plus graves évènements politico-militaires dès le 3 novembre 2001, par cet autre échec d’une tentative d’arrestation, celle du général Bozizé, démis de ses fonctions de chef d’état-major une semaine plus tôt. ‘‘Patassé ne dirige plus rien, il doit partir et le peuple réclame l’Armée ; or, l’Armée c’est moi’’, aurait confié Bozizé à ses proches depuis quelque temps. Il aurait affirmé

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également que les députés du MLPC lui étaient ‘‘largement acquis’’. Le Changement était enfin sur le bon chemin d’être changé... Les tristes réalités centrafricaines étant telles qu’il faille prendre en compte, malheureusement, la dimension ethnique dans certaines analyses politiques, la fin de la lune de miel entre Patassé et Bozizé va priver le chef de l’Etat de l’importante frange de la population qui l’a toujours soutenu, à savoir les Gbaya. Membre de l’ethnie Gbaya, la plus nombreuse après l’ethnie majoritaire Banda, Bozizé va jouer cette carte politicoethnique dans sa conquête du pouvoir. Dans la nuit du vendredi 2 au samedi 3 novembre 2001, des militaires vont venir arrêter l’ancien chef d’état major des FACA en vertu d’un mandat d’amener délivré par la commission mixte d’enquête judiciaire, chargée de faire la lumière sur la tentative de coup d’état du 28 mai 2001. Les enquêteurs auraient saisi, selon la présidence de la République, une importante quantité d’armes de tout calibre, comprenant 48 fusils d’assaut AK47, des armes légères diverses, un lanceroquettes, des grenades et des caisses de munitions, dans des caches et la responsabilité de Bozizé aurait été établie. Une maxime dit que le mensonge court plus vite que la vérité. Et ce fut le cas avec ces histoires d’armes, inventées par le président de la commission mixte d’enquête judiciaire, laquelle commission qui se transforma en un instrument de police politique, pour ourdir de manière éhontée, un complot contre le général Bozizé. Car les prétendues saisies d’armes de guerre ne donnèrent pas lieu à des procès-verbaux. Et pourquoi avoir choisi d’intervenir la nuit, et non dans la journée comme l’exige la loi ? Seul le Changement prôné par le MLPC peut en donner les explications… Selon les informations recueillies et/ou rapportées par la presse internationale, en particulier l’AFP, plusieurs dizaines de militaires du bataillon d’infanterie territoriale (BIT) et des habitants des quartiers Nord de Bangui, membres de l’ethnie Gbaya, se sont opposés par les armes à l’arrestation du général Bozizé en ce début de mois de novembre. Des militaires et jeunes civils, précédemment enrôlés dans les milices Karako et

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Balawa vont bloquer les quartiers Nord de la capitale. Ils vont s’en prendre à la résidence du Premier ministre Martin Ziguélé et tenter de prendre d’assaut les demeures du chef de l’Etat. Les démarches entreprises par le général Lamine Cissé, représentant du Secrétaire général des Nations Unies en Centrafrique, assisté de l’ambassadeur du Tchad, Maitine Djoumbé, pour rencontrer séparément Patassé et Bozizé dans la journée du samedi 3 novembre afin de dénouer la crise, vont se solder par un échec. Et ce n’était pas la rencontre du lundi 5 novembre entre ces médiateurs et Bozizé, en présence de la mère de ce dernier, qui pouvait empêcher la roue de l’Histoire de tourner… Dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 novembre, les soldats restés fidèles au général Bozizé vont prendre position sur la colline de Gbazabangui vers 1H00 du matin et vont pilonner à l’arme lourde, durant plus d’une heure, la résidence du président Patassé. Grâce à sa garde rapprochée, renforcée par une centaine de soldats libyens et en raison de la neutralisation des ex-mutins réfugiés à Zongo par Jean-Pierre Bemba, Patassé va encore sauver son fauteuil. Dans la situation de confusion générale, le lieutenant-colonel Georges Touanguéndé alias « Katos », assigné à résidence depuis juillet 2001, va s’échapper de son domicile de BoyRabe, dimanche 4 novembre. Cet ancien chef d’état-major adjoint des armées, proche de Bozizé, va être arrêté le lundi 5 novembre par les forces régulières en début d’après-midi. Le colonel Kadhafi vint de nouveau au secours de Patassé. Deux Antonov libyens transportant un hélicoptère, deux automitrailleuses légères AML et 140 soldats furent contraints de faire un détour par le Soudan avant d’atteindre Bangui le 5 novembre. Car le 3 novembre, le président Idriss Deby avait refusé d’accorder le droit de survol de son territoire. La crise centrafricaine allait ainsi avoir une répercussion sous-régionale dans laquelle transparaissaient des affrontements Patassé-Deby, Deby-Kadhafi ainsi que les alliances Patassé-Kadhafi, DebyBozizé et en toile de fond, le contrôle de la sous-région d’Afrique centrale par la CEMAC et la COMESSA. Les évènements se précipitèrent à partir de cette date.

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Il convient de rappeler que le général François Bozizé, exilé en 1982 au Bénin, avait été rapatrié de force en Centrafrique, sous le régime Kolingba. Il était considéré par nombre de centrafricains comme le plus grand opposant naturel à Kolingba. Et ce n’était pas étonnant que lors de cette crise, certains stratèges de Patassé aient opté pour la recherche d’une solution négociée, car les données de l’affaire Bozizé, selon eux, étaient différentes de celles du coup d’Etat du 28 mai 2001. Au point où des notables de la préfecture de l’Ouham, fief du MLPC et dont est originaire le général Bozizé, s’étaient constitués en « comité de sages » pour prendre part à la résolution de cette équation à plusieurs inconnues. La perception de la crise sous l’angle régionaliste était partagée par beaucoup, ce qui était confirmé par les propos de ce militaire, recueillis par un journaliste de l’AFP : « Les gens de Bozizé sont des loyalistes : ils étaient à nos côtés contre les mutins et les putschistes. Nous n’avons pas envie de nous tirer dessus. » En quoi les données de l’affaire Bozizé étaient-elles si fondamentalement différentes de celles qui consisteraient à mettre un terme au règne d’un dictateur mal recyclé, qui avait réussi à se faire élire démocratiquement en 1993 et qui, depuis, s’était employé à plonger le pays dans les profondeurs abyssales de la médiocrité, de la mal gouvernance, de l’indignité, de la dépravation multiforme et du non-développement ? Est-ce qu’il n’apparait pas là, en filigrane, cette déplorable catégorisation politicienne de la population centrafricaine en « savaniers » et « riverains » ou « nordistes » et « sudistes » et qu’il ne serait pas indiqué que des frères savaniers ou nordistes se tirent dessus ? Comme s’il était normal que des savaniers tirent sur les riverains et vice-versa ! La suite des évènements démontrera que ce sont bien les intellectuels et hommes politiques mal intentionnés qui ont toujours voulu exploiter à des fins bassement politiciennes cet état de fait. Les populations du Nord de Bangui avaient sans peine, trouvé refuge dans les quartiers du Sud, auprès des parents et amis, pour échapper au pilonnage aérien de l’aviation libyenne dans les jours qui allaient suivre.

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Le premier vice-président de l’assemblée nationale, JeanSerge Wafio, membre du MLPC et proche de Bozizé, fut arrêté le 6 novembre. Un autre député MLPC le suivit dans les geôles le 8 novembre. Des stocks d’armes de guerre auraient été trouvés en leur domicile... Alors que le Représentant du Secrétaire général des Nations Unies et l’ambassadeur du Tchad devaient poursuivre la médiation le mardi 6 novembre, Prosper N’douba, porte-parole du président Patassé, faisait la déclaration suivante, le même jour, sur les ondes de la radio nationale. ‘‘J’ose espérer que le général Lamine Cissé et le général Bozizé ne vont pas nous programmer des rendez-vous quotidiens pendant toute la semaine, et qu’assez rapidement, une solution pourra nous être proposée pour sortir de cette situation extrêmement désastreuse pour l’image de marque de notre pays et pour la vie économique nationale’’… Au lendemain de cette déclaration qui traduisait visiblement une lassitude des autorités, les forces loyalistes prirent d’assaut, le mercredi 7 novembre au petit matin, la caserne du BIT qui jouxte la résidence du général Bozizé, contraignant ce dernier à fuir la capitale Bangui. Avec une cinquantaine d’hommes à bord d’une dizaine de véhicules 4X4, le général Bozizé quitta Bangui et prit la route en direction de la frontière tchadienne. Selon les brigades de gendarmerie situées sur leur passage, les partisans du général les dépouillèrent de leurs armes, avec une préférence pour les fusils d’assaut kalachnikov. Ils vont braquer tout au long de leur parcours des stations-services pour s’approvisionner en carburant et prendre les recettes. Vers Sibut, une délégation du trésor public en partance pour la capitale, aurait été également dépouillée d’une importante somme d’argent. Des bureaux de recettes du Trésor public seraient braqués dans les différentes localités traversées au cours de ce repli tactique. L’ancien chef d’état-major atteindra le sud tchadien le 8 novembre et trouvera refuge à Sarh. Les autorités centrafricaines l’accusèrent de préparer un coup d’Etat ‘‘avec des appuis extérieurs’’...

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Dès le jeudi 8 novembre, Laurent N’gon Baba, ministre de la fonction publique lança un appel à tous les fonctionnaires et agents de l’Etat pour les inviter à reprendre immédiatement le travail. Progressivement, le retour à la normale va s’amorcer. Le goulot d’étranglement du pK 12 disparut et les camions de marchandises reprirent leur aller et retour au niveau de la sortie Nord de Bangui qui donne accès aux pays voisins que sont le Cameroun, le Tchad et le Soudan. Ce retour momentané à la normale aida le pays à honorer ses engagements internationaux, en particulier auprès du FMI dont une délégation était attendue à Bangui le dimanche 11 novembre 2001. Une semaine après cette fuite, un décret présidentiel était signé pour rétrograder le général Bozizé au rang de soldat de 2e classe et l’opposition politique réclama l’amnistie en sa faveur le 14 novembre et le retrait des troupes libyennes. Les premiers accrochages entre les rebelles de Bozizé et les forces gouvernementales eurent lieu le 23 novembre dans la localité de Dago, entre les villes de Kaga-Bandoro et de Kabo. Depuis la ville de Sarh où il logeait dans la villa des Hôtes, réservée aux visiteurs de marque, le général Bozizé, donna des détails sur ces combats au cours d’un entretien à Radio France Internationale (RFI). Le bilan serait très lourd du côté gouvernemental qui avait fait appel à des tchadiens ‘‘composés d’ex-soldats de Moïse Ketté Nodji et de l’ancien chef d’Etat Hissène Habré que le pouvoir en place a recrutés pour s’opposer à nous’’, avait-il déclaré. Il s’était contenté en outre de dire qu’il laissait le soin aux autorités de son pays d’accueil, le Tchad, de décider à sa place, ce qu’il conviendrait de faire lors du sommet sur la crise centrafricaine qui allait se tenir à Khartoum le 3 décembre 2001. Dans les jours qui suivirent ces premiers affrontements, les sous-préfets de Kabo et de Batangafo, les commissaires de police et d’autres cadres de l’Etat exerçant dans ces localités quittèrent précipitamment leur poste pour rejoindre Bangui. Les autorités centrafricaines décidèrent, grâce à un important appui logistique libyen, d’envoyer des forces supplémentaires dans la région Nord pour rétablir l’autorité de l’Etat. De violents combats eurent lieu le 26 novembre et l’armée régulière

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remporta une victoire militaire sur le terrain et elle parvint à repousser les partisans de Bozizé à l’intérieur des frontières tchadiennes. On apprendra par ailleurs que les forces gouvernementales étaient tombées dans une embuscade près de Wandago à 500 km au Nord-Est de Bangui. Le chauffeur qui conduisait le véhicule transportant une quarantaine de soldats avait été tué sur le coup et certains de ses compagnons grièvement blessés. Le Sud du Tchad était devenu le lieu de repli des rebelles centrafricains. Par la voix de François Rivasseau, porte-parole du quai d’Orsay, la France prôna la prudence et la modération à propos des affrontements dans le Nord du Centrafrique entre les forces gouvernementales et les partisans de l’ancien chef d’état-major des Forces armées centrafricaines. A la veille de la célébration du 43e anniversaire de la proclamation de la République centrafricaine, le président Ange Félix Patassé avait laissé entrevoir, le vendredi 30 novembre, une possible clémence après jugement pour François Bozizé. Car selon lui, l’affaire Bozizé était purement judiciaire et non politique. La fête nationale centrafricaine du 1er décembre, en cette année 2001, n’avait été marquée que par un appel solennel lancé aux Centrafricains réfugiés à l’étranger depuis le coup d’Etat manqué du 28 mai 2001 pour qu’ils regagnent leurs foyers…Il fallait faire montre de naïveté et d’inconscience politiques pour prêter une oreille attentive à cette adresse d’un Patassé qui, par nature, n’a jamais respecté sa parole… Libreville et Tripoli, à travers la CEMAC et la COMESSA, se bousculèrent au chevet de la République centrafricaine en ce mois de décembre 2001. Ainsi, un sommet fut convoqué à Khartoum dans le cadre de la Communauté des Etats SahéloSahariens (COMESSA), le 3 décembre 2001. Cette réunion à laquelle participaient les chefs d’Etat Idriss Déby du Tchad, Ange Félix Patassé du Centrafrique, Omar El Béchir du Soudan et le ministre libyen des affaires étrangères, Ali Abdel Salem Triki, ne fut pas sanctionnée par des conclusions dûment signées par les chefs d’Etat. Les projets de résolution prévoyaient l’envoi d’une force de maintien de la paix et de

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sécurité de la COMESSA en République centrafricaine et invitaient le président Patassé à faciliter une amnistie générale. La patate chaude que constituait « Patassé et son Centrafrique du Changement » allait tout naturellement, tomber entre les mains du président Omar Bongo Odimba qui, depuis 1996, n’avait ménagé aucun de ses efforts pour résoudre les multiples crises induites par la gouvernance du MLPC. Ainsi, le mardi 4 décembre s’ouvrit à Libreville, un énième sommet de la CEMAC, consacré à la crise centrafricaine. Le chef d’Etat gabonais avait reçu à cette occasion, ses collègues Ange Félix Patassé, Denis Sassou Nguesso du Congo, Idriss Déby du Tchad. Le Cameroun s’était fait représenter par François-Xavier Goubeyou, ministre d’Etat chargé des relations extérieures. La voie du dialogue était retenue pour la résolution de cette nouvelle crise... La Commission d’enquête Bindoumi fut dissoute le 11 décembre 2001 et céda la place en février 2002, au procès des putschistes du 28 mai 2001 devant la Cour criminelle. L’ancien ministre de la Défense, Jean-Jacques Démafouh et 80 autres coaccusés allaient comparaître devant cette juridiction et 600 personnes dont les généraux Kolingba et Ndjengbot, le commandant Anicet Saulet et nombre de ces officiers, sousofficiers ou hommes de rang qui étaient partis du pays, allaient être jugés par contumace. C’était également pendant ce mois de février 2002 que les forces de la COMESSA, composés de soldats libyens, soudanais et djiboutiens arrivèrent à Bangui, avec pour principale mission d’assurer la sécurité de Patassé et de sécuriser la capitale. Afin de mobiliser toutes les bonnes volontés pour le retour à la paix et consolider l’état de droit en Centrafrique, des centrafricains mirent en place le FRUD à Paris, le 24 mars 2002. Cette organisation, tout en appuyant les partis politiques de l’opposition qui, face au régime aux abois du MLPC, ne se privaient pas de prendre des initiatives positives au pays, dénonçait l’élargissement de la présence militaire aux soldats libyens, soudanais et djiboutiens, lesquels participaient de manière active aux opérations menées contre les populations

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civiles centrafricaines. Le FRUD rejetait l’apparition de la COMESSA dans le dossier politique centrafricain et apportait son soutien sans équivoque à la médiation de la CEMAC. L’organe de direction du FRUD était constitué de la manière suivante : Coordonnateur Général : Député Charles Massi Coordonnateur Général Adjoint : Pr Raymond-Max Siopathis Secrétaire Général : Eric Néris Secrétaire Général Adjoint : Simplice Zingas Trésorier Général : Mathias Kanda Délégué à la Communica-tion : Jean-Charles Bandio Délégué Affaires internationales : Député Charles-Armel Doubane Membre du Bureau : Adjudant Isidore Dokodo. En exhortant tous les Centrafricains contraints à l’exil en République démocratique du Congo, au Congo-Brazzaville, au Tchad, en Europe, aux Etats-Unis à garder le moral haut et à conjuguer leurs efforts pour la réussite de l’objectif commun, le FRUD faisait du départ de Patassé par tous les moyens possibles et imaginables, la voie obligée du retour de la paix. Cet appel, lancé à toutes les forces combattantes centrafricaines, avait été bien entendu par les partisans de Bozizé qui, le 6 août 2002, allaient renforcer leurs positions dans les régions de Sido et Kabo, frontalières du Tchad, dans le Nord-Ouest du pays, après de violents affrontements armés contre les forces du pouvoir de Bangui. La diplomatie de Patassé réussira, le 2 octobre 2002 à faire évoluer la crise centrafricano-centrafricaine vers une crise entre le Tchad et la République centrafricaine. Et les chefs d’Etat de la CEMAC emboîtèrent le pas à Patassé en signant l’Accord de Libreville dont l’une des clauses consista en l’éloignement de Koumtan-Madji Martin, alias Abdoulaye Miskine et du général François Bozizé du territoire centrafricain et tchadien ainsi que toutes les autres personnes hostiles aux deux pays. Patassé aurait dût être pris en sandwich par un front Nord, constitué par les militaires favorables à Bozizé et un front Sud, avec les quelques 1500 militaires qui avaient rejoint le camp

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Kolingba et réfugiés au-delà des frontières du pays avec les deux Congo. Quand bien même ce front Sud allait s’avérer inopérant en partie, en raison de l’alliance Patassé-Bémba, il avait été observé un manque de mobilisation des rebelles refugiés au Congo-Brazzaville…Quel avait été ce chaînon manquant à une mobilisation des troupes refugiées au Congo Brazzaville ? Le 25 octobre 2002, les troupes du général Bozizé vont entrer à nouveau dans Bangui. Après plus de six jours d’âpres combats, la garde présidentielle, soutenue par les miliciens du MLC de Jean-Pierre Bemba vont faire échec à cette nouvelle tentative de coup d’état. Les forces combattantes de Bozizé vont capturer le porte-parole de Patassé, Prosper N’douba qu’ils vont entraîner dans leur repli vers la frontière tchadienne. Il sera libéré le 2 décembre 2002. Les miliciens de Bemba se livrèrent alors à des exactions des plus abominables : femmes violées, hommes sodomisés, meurtres et tortures dans les quartiers Nord de Bangui, pourtant traditionnellement favorables au président Patassé. Des avions libyens déversèrent des bombes incendiaires à fragmentation, armes non conventionnelles, sur les populations de ces quartiers, habitées majoritairement par les populations originaires du Centre, du Nord-Ouest, du Nord et du Nord-Est du pays. Les exactions commises par les troupes du MLC, ces hordes de mercenaires, de véritables pillards, des drogués, des individus sans foi ni loi, sans tenues réglementaires, avaient été telles que la Cour pénale internationale de Justice de La Haye avait pu être saisie quelques années plus tard, pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, viols et graves atteintes aux droits de l’Homme… Patassé se décida, au lendemain de ce nouvel échec de putsch, de confier sa sécurité rapprochée aux libyens, aux miliciens du congolais Jean-Pierre Bemba et du tchadien Abdoulaye Miskine ainsi qu’à un gendarme français notoirement connu, le capitaine Paul Barril. Comme à son habitude, il tentera à nouveau de vouloir rouler tout le monde dans la farine en annonçant le 25 novembre 2002, soit un mois

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après l’échec du putsch, la tenue d’un dialogue national dont le but serait de trouver une solution à la crise ! L’opposition, sur le plan national, se réorganisa dans la perspective de cette rencontre, autour de Dérant Enoch Lakoué, président du PSD, en mettant en place la Concertation des partis politiques de l’opposition (CPPO). A Paris, suite à l’appel du Collectif des Centrafricains de France (CCF), une centaine de Centrafricains, descendit massivement dans la rue le 30 novembre 2002 pour dénoncer les massacres des populations par les mercenaires, pillards et violeurs de Jean-Pierre Bemba, d’Abdoulaye Miskine et du capiataine Paul Barril. Cette manifestation s’inscrivait dans le cadre des actions qui visaient à obtenir la démission du président Ange Félix Patassé. Les inscriptions des pancartes ne laissèrent aucun doute de l’unanimité faite autour de cette démission, seule voie de résolution de la crise centrafricaine. Le 7 décembre 2002 à Paris, se tint une réunion historique à laquelle participèrent des élus centrafricains, des membres des organisations politiques et de la société civile, des personnalités politiques indépendantes et des responsables de l’insurrection militaire du 25 octobre 2002. Cette importante rencontre que d’aucuns nommeront plus tard, « Plateforme du 7 décembre 2002 » ou « Coordination de Paris », permit de s’engager véritablement sur la voie du changement du Changement. De l’analyse de la situation dans laquelle se trouvait le pays, les participants conclurent sans équivoque que Patassé et le régime MLPC étaient les seuls responsables qui doivent répondre de la situation de misère et de souffrance des populations centrafricaines. Ils stigmatisèrent également la mauvaise gouvernance, l’intransigeance, le cynisme et le refus d’un dialogue sincère du président Patassé comme facteurs de blocage dans la résolution de la crise et comme causes des crises militaires, en particulier celle du 25 octobre 2002. En ce qui concerne la perspective de sortie de crise, ils soulignèrent que les solutions étaient multiformes, tant sur le plan politique que militaire. Tout en rejetant l’appel au dialogue du président Patassé qui en fait, ne constituait qu’un stratagème que ce dernier en avait tant usé par le passé, ils décidèrent de

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créer une Coordination et proclamer leur adhésion à un programme politique qui allait se donner pour objectif la mise en place d’une transition politique consensuelle pour reconstruire le pays dans l’unité, la paix, la sécurité et la liberté. La Coordination des Patriotes Centrafricains (CPC), l’aile politique qui allait appuyer les forces combattantes du général François Bozizé, venait ainsi de naître… Il convient de noter que le professeur Abel Goumba, l’ancien Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé, le député Charles Massi figuraient parmi les participants de ce conclave. Le 29 décembre 2002, la CEMAC déployait une force de 380 soldats en Centrafrique, en remplacement de la MINURCA. Cette force multinationale, la FOMUC, comprenait 120 soldats congolais (Brazzaville), 138 soldats gabonais, 121 soldats tchadiens, eut pour mandat initial d’assurer la sécurité du président Patassé, d’aider à la restructuration des armées, de surveiller le travail des patrouilles mixtes le long de la frontière centrafricaine avec le Tchad. Son mandat allait être prorogé plus tard et ses attributions, élargies à l’accompagnement du processus de transition pour la réconciliation nationale, au retour rapide à l’ordre constitutionnel et à la restauration d’une paix durable en RCA. Les sommets de Karthoum des 2 et 3 décembre 2001 ainsi que celui de Libreville des 4 et 5 décembre 2001, n’avaient pas pu faire comprendre à Patassé la nécessité de faire adopter une loi d’amnistie en faveur des auteurs des coups d’Etat du 28 mai 2001 et du 25 octobre 2002. Depuis le 22 octobre 1993, tout avait été fait ou presque pour que Patassé conduise le Centrafrique et les Centrafricains vers le bonheur, dans la paix et dans l’unité. Tout avait été initié ou presque, tant par les Centrafricains que par la communauté des nations, pour que le régime MLPC inscrive son nom en lettres d’or dans les annales de l’Histoire. Les travailleurs centrafricains n’avaient pas exigé de mesures d’accompagnement après la dévaluation du CFA en janvier 1994 comme leurs collègues de la zone CFA. L’opposition politique centrafricaine

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avait témoigné de sa bonne foi en signant le protocole d’accord politique tout en offrant, au passage, un programme minimum commun de gouvernement en juin 1996. Les militaires centrafricains avaient adhéré et participé aux Etats généraux de la défense nationale de septembre 1996 et n’attendaient que la mise en œuvre graduelle et méthodique des recommandations pour leur permettre de remplir leur mission dans des conditions acceptables. Les Accords de Bangui, dont les conclusions engageaient toute la société centrafricaine, avaient été signés le 25 janvier 1997. Une conférence de réconciliation nationale avait été organisée et un pacte de réconciliation nationale était adopté le 5 mars 1998. Les travailleurs centrafricains, de nouveau, avaient témoigné de leur bonne foi, en signant un communiqué conjoint le 6 mars 2001... MISAB, CIS, MINURCA, BONUCA, FOMUC, etc.…Que fallait-il encore initier, puisque la Conférence des chefs d’Etat de France et d’Afrique, l’Union africaine, la CEMAC, la COMESSA et la planète entière à travers l’Organisation des Nations Unies, avaient tout tenté pour aider Patassé et la « social-démocratie des Tropiques du MLPC » à diriger un pays ? En vain… Depuis l’accession de la République centrafricaine à la souveraineté internationale, elle n’avait jamais connu un exode massif de populations et un exil si important de ses filles et fils. L’hospitalière terre centrafricaine qui depuis toujours, avait accueilli les réfugiés soudanais, congolais, tchadiens, rwandais, burundais, devenait peu à peu, par la volonté du régime MLPC, un territoire où la vie humaine ne valait pas plus que celle d’un moustique que l’on pouvait écraser sans vergogne. Pourquoi le Centrafrique en est-il arrivé à ce niveau ? L’association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC) à travers Catherine Samba-Panza va apporter des éléments de réponse qui confortent tout ce que nous venons d’évoquer. En effet, le 12 juin 2002, à l’occasion du lancement officiel du rapport d’enquête d’Amnesty International sur la République centrafricaine, elle avait clairement listé une kyrielle de maux qui étaient à l’origine des incessants conflits : luttes pour la conquête et l’exercice du pouvoir, mauvaise gouvernance, corruption, injustice sociale, intolérance ethnique et politique,

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refus du jeu démocratique, pauvreté, violation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, impunité etc. Elle souligna que tous ces conflits et cette instabilité politique, qui étaient en fait, les effets du Changement du 23 octobre 1993, ‘‘ont infligé des souffrances spécifiques aux femmes et aux enfants ; les adolescents et les jeunes femmes ont été particulièrement vulnérables dans ces circonstances’’. Selon la vice-présidente de l’AFJC, la société civile centrafricaine avait dénoncé les graves violations des libertés fondamentales commises par la Commission mixte d’enquête judiciaire, censée faire la lumière sur les tragiques évènements de mai 2001. Le magistrat Joseph Bindoumi et ses enquêteurs avaient brillé par des arrestations désordonnées sur la base de dénonciations, le non-respect des délais de garde à vue, les violations des libertés d’aller et venir, l’impunité garantie aux auteurs identifiés des exactions commises lors des représailles, etc. Le comble de l’ignominie fut atteint plus tard, lors des travaux du Dialogue national, quand Joseph Bindoumi, ‘‘invité à s’excuser ou à demander pardon au peuple centrafricain’’, allait dire ‘‘qu’il n’en voyait pas la raison dans la mesure où il a la conscience tranquille et qu’il a fait son devoir dans une objectivité totale…’’ Le régime MLPC a toujours eu l’outrecuidance de gommer, à chaque fois, l’existence de ses forfaits, en organisant des conférences de presse tant à Bangui qu’à l’extérieur du pays. C’était ainsi que Prosper N’douba, porte-parole de Patassé, Gabriel Jean-Edouard Koyambounou, ministre d’Etat en charge de la Communication et de la Francophonie, et Joseph Bindoumi avaient essayé en vain, de mettre en doute, à travers un point de presse organisé dans un grand hôtel parisien le 27 juin 2002, les réalités des évènements rapportées par Amnesty International. Fort de tout ce qui précède, il ne fait aucun doute que le Centrafrique doit se débarrasser par tous les moyens de ce pouvoir inique dont le cynisme n’est plus à démontrer. La solution militaire n’était-elle pas la voie incontournable pour mettre un terme à ce régime qui tue et fait tuer ses citoyens, fait violer ou sodomiser ses filles et fils par des

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mercenaires, et qui de surcroît, tente de mentir honteusement devant l’Histoire, salissant ainsi la mémoire de toutes ces victimes innocentes que la folie du Changement a arraché à la Terre ? La conjugaison d’efforts multiformes, politiques et militaires, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, allait donc être la voie du salut... La « Plateforme du 7 décembre 2002 » allait-elle donc appeler à la mobilisation solidaire de tous les Centrafricains sur les fronts politique, militaire avec l’implication de la société civile, comme seule voie susceptible de chasser Patassé du pouvoir. Avec le recul, je réalise mieux la portée et le bien-fondé de la rencontre au cours de laquelle, j’avais été mis en contact avec le général François Bozizé, le dimanche 24 novembre 2002, dans une gare de la région parisienne. Car les forces combattantes éparpillées dans l’Equateur, notamment à Gbadolité où avait trouvé refuge mon frère depuis juin 2001, ne pouvaient pas ne pas être associées, de près ou de loin, d’une manière ou d’une autre, à tout ce qui allait être initié pour libérer le pays… La réunion de travail du 22 février 2003, qui avait eu lieu à Paris entre le Comité de coordination du Dialogue national et la Coordination des patriotes centrafricains (CPC) participait pleinement à cette stratégie de conquête du pouvoir. L’examen minutieux des points de convergence entre les deux parties représentées par Mgr Paulin Pomodimo, coordonnateur national du Dialogue national et Karim Méckassoua, secrétaire général de la CPC, ne laissait aucun doute de la volonté d’aboutir, au changement majeur de politique qui allait intervenir au pays peu avant la fin du premier trimestre 2003. Voici les sept points sur lesquels les deux parties avaient marqué leur accord et dont la prise en compte et la mise en œuvre ne pouvaient conduire qu’à l’affaiblissement et au dépouillement à terme, de Patassé et son régime, de l’essentiel de leur pouvoir : • la nécessité d’un dialogue sans exclusive, • le retrait de toutes les forces non conventionnelles, notamment celles de Jean-Pierre Bémba, d’Abdoulaye Miskine, de Paul Barril et des éléments tchadiens,

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• la nécessité de la tenue à l’extérieur du territoire national du Dialogue national, • l’importance de la mise en place d’un comité préparatoire du Dialogue national sur une base paritaire et équitable, • la nécessité d’élire un directoire pour la conduite des travaux du Dialogue national, • l’importance de la création d’un comité international de suivi afin de garantir la confiance des bailleurs de la communauté internationale participant à la résolution de la crise centrafricaine, • la nécessité de rendre exécutoires et immédiates les décisions découlant du dialogue national. Et ce Dialogue national se tint sans Patassé, car le 15 mars 2003, soit trois semaines plus tard, les patriotes militaires du front Nord du général François Bozizé, appuyés par le Tchad, entrèrent victorieusement dans Bangui, contraignant l’avion qui ramenait Patassé de Niamey où venait de se tenir la conférence des chefs d’Etat des pays membres de la COMESSA, à mettre le cap sur le Cameroun, puis sur le Togo… Aujourd’hui, il y a lieu de se demander pourquoi les personnalités politiques, sollicitées par le Collectif des officiers en 1996 pour conduire une transition politique et dont les identités ont été révélées par le commandant Anicet Saulet lors du Dialogue national d’octobre 2003 sans qu’il y ait eu de démenti de leur part, ont finalement accepté le départ par les armes du « démocratiquement élu ». Les révélations faites lors de ce Dialogue national ne démontrent-elles pas que finalement, le général Kolingba n’a pas été à l’origine des insurrections militaires de 1996-1997, qu’il les a même combattues et que seule la tentative de coup d’Etat du 28 mai 2001 lui est imputable ? Enfin, n’était-ce pas une mauvaise compréhension ou une mauvaise appréhension des tenants et aboutissants de l’action patriotique du Collectif des officiers des Forces armées centrafricaines (FACA) que l’opposition politique, majoritaire

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dans le pays en raison de la dérive dictatoriale du régime MLPC, n’avait pas pris le risque dès 1996, de faire épargner aux populations centrafricaines l’humiliation des banyamulenge, le pogrome des Yakoma, le bombardement aérien des quartiers Nord de Bangui, les importants déplacements de populations dans le Sud et dans le Nord et le plus grand exil des Centrafricaines et Centrafricains ? Décidément, je crois ne pas me tromper en affirmant que les militaires centrafricains qui s’étaient insurgés en 1996-1997 sont des patriotes et ont eu tort d’avoir raison trop tôt…

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ÉPILOGUE Le nom « République centrafricaine » ou « Centrafrique » que Boganda et son ami Pierre Kalck4 inventèrent et qui devait désigner les territoires de l’A.E.F comprenant le Tchad, le Congo Brazzaville, le Gabon et l’Oubangui-Chari et devant englober tous les pays de l’Afrique centrale, mais qui devint par la suite et par la force des choses, l’appellation du seul territoire de l’Oubangui-Chari, contient-il les germes de l’échec permanent ? L’histoire n’est-elle pas en train de démontrer que Boganda avait laissé des chaussures trop larges et des costumes trop grands pour Dacko, Bokassa, Kolingba, Patassé et Bozizé ? « Nous avons perdu notre chef, mais il nous a laissé en message le programme de sa doctrine et nous devons en assumer la pérennité », affirmait Abel Goumba lors des obsèques de Barthélemy Boganda, le 3 avril 1959. Le programme de la doctrine du Fondateur du Centrafrique ou mieux, l’héritage de Boganda qui ne doit pas se résumer à une simple cérémonie annuelle de dépôt de gerbes de fleurs au mausolée de Bobangui, n’a-t-il pas été bradé, ignoré voire bafoué par tous ses successeurs et la palme dans cette dérive, ne reviendrait-elle pas à Patassé ? Après le tragique évènement du 29 mars 1959, David Dacko, alors ministre de l’Intérieur, s’était fait élire président du gouvernement le 30 avril 1959, suite au désistement d’Abel Goumba, ministre des Finances et véritable héritier politique du Fondateur de la République centrafricaine. Un peu plus tard, il remporta la première élection présidentielle du 5 janvier 1964 au cours de laquelle il était l’unique candidat, avec une Constitution taillée sur mesure. 4

Selon Pierre Kalck, l’expression République centrafricaine avait le mérite d’évoquer à la fois la situation géographique de la fédération et l’intention de Boganda d’en faire le noyau d’une future Afrique unie. (cf. Barthélemy Boganga - Elu de Dieu et des Centrafricains - p.164, Editions Sépia-mars 1995)

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Il n’acheva pas son mandat de sept ans et était chassé du pouvoir le 1er janvier 1966 par le colonel Bokassa. Ramené à la magistrature suprême de l’Etat par la France en septembre 1979, il remit tous ses pouvoirs à son chef d’état-major, le général André Kolingba, le 1er septembre 1981, en raison des troubles qui avaient paralysé le pays au lendemain de son élection controversée de février 1981. Ces troubles qui rendirent le pays ingouvernable étaient entretenus d’une part, par un certain Ange Patassé et d’autre part, par une frange de l’opposition radicale qui, le 14 juillet 1981, avait fait exploser une bombe au cinéma « Le Club » de Bangui… Aujourd’hui, on peut reprocher à Dacko, à juste titre, d’avoir mis à mal la vie démocratique depuis la mort de Boganda. On se souviendra amèrement de l’emprunt national obligatoire qu’il imposa à tout le pays. Mais on doit lui reconnaitre tout de même d’avoir su placer, dans une certaine mesure, l’intérêt du pays au-dessus de ses propres ambitions, en s’éclipsant chaque fois, quand la paix, facteur déterminant du développement et de l’unité nationale, est menacée. David Dacko demeure de ce fait, pour le Centrafricain moyen, un homme de paix. On se souviendra de l’époque des « Bara Dacko » qui, au-delà de simples coiffures des femmes, symbolisait une certaine prospérité avec le lancement des grands travaux, telle que la construction de l’aéroport international de Bangui-Mpocko ou la création de la JPN ainsi que le culte du travail à travers « Kwa ti Kodro »… Quand nous parlons de Bokassa, il vient à l’esprit du Centrafricain moyen le massacre des enfants en 1979, l’anachronique avènement de la monarchie constitutionnelle en 1977 qui donna naissance à l’éphémère Empire centrafricain. Et non sans raison, l’historien Pierre Kalck qualifiait Bokassa de mégalomane qui s’était nommer tour à tour, général, président à vie, maréchal…collectionnant femmes, châteaux, voitures de luxe, uniformes, décorations, multipliant les voyages de par le

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monde, avec une prédilection marquée pour les Etats autoritaires. Toutefois, sans être monarchiste, le Centrafricain moyen ne s’empêchera pas de souligner l’essor économique que le pays connut durant les premières années de Bokassa. Les productions agricoles (coton, café) ou minières (diamant, or) avaient atteint des niveaux exceptionnels. On se souviendra de l’ONCPA et du rôle que cette structure joua en matière de création d’emplois, de soutien aux agriculteurs et aux éleveurs. L’empereur de Bérengo avait manifesté de l’amour pour son pays au point où il s’employait à vouloir transposer en Centrafrique ce qu’il découvrait à l’extérieur et qu’il pensait être utile, tant pour son pouvoir que pour le pays… L’ESFOA de Bouar dont sont issue la plupart des officiers militaires, actuellement aux commandes du pays ou l’EMET Georges Bangui, demeurent des exemples patents de son action. Nous pourrons citer encore le marché central de Bangui, le Safari hôtel, l’unique bâtiment de treize étages qui fait la fierté de notre pays à travers les cartes postales, l’hôtel Indépendance, les routes, la Télévision centrafricaine avec ses limites et, dans le domaine de la formation et de l’éducation, l’unique université du pays, l’université Jean-Bedel Bokassa, rebaptisée Université de Bangui. Il faut lui reconnaître aussi cette volonté de travailler avec tous les cadres et fils du pays, quelles que soient leurs origines ethniques, tribales, régionales ou confessions religieuses… Ange Patassé qui à l’époque, ne voyait pas d’intérêt à rendre public son deuxième prénom « Félix », a été pendant une douzaine d’années dans ses équipes gouvernementales…Grâce à Bokassa, l’Afrique Noire indépendante pouvait se targuer d’avoir participé à la promotion politique de la femme par la nomination de Elisabeth Domitien au poste de Premier ministre… Enfin, la République centrafricaine, aussi incroyable que cela puisse paraître, n’est pas beaucoup connue à l’extérieur et je pense ne pas être le seul à vouloir faire appel au nom de Bokassa pour situer quelquefois mon interlocuteur étranger sur mon pays d’origine…

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Il est possible de jeter un regard rétrospectif sur quelques activités phares de l’économie centrafricaine sous les régimes Kolingba et Patassé, grâce aux données fournies par les organismes internationaux et les études menées par des chercheurs indépendants. La particularité de la République centrafricaine est que le secteur agricole soit la locomotive de la création de la richesse - quand bien même le secteur minier est important - avec plus de 40% de PIB en 1990 et 53% en 2000. Cela démontre une baise notoire du secteur secondaire, encore moins du secteur tertiaire, alors que dans les pays développés ou émergents, ce mouvement se fait dans le sens inverse. Avec l’Opération Bokassa qui avait rendu obligatoire la culture extensive du coton dans douze préfectures, le pays avait atteint une production record de 58 743 tonnes de coton graines lors de la campagne 1969 - 70. Au milieu des années 80, la restructuration du secteur agricole, basée sur la nouvelle doctrine de « l’approche systémique », avait conduit à la création de la SOCOCA, de l’ACDA pour l’encadrement de la filière coton et de l’ICRA pour la recherche agricole. Le ministère du développement rural jouait le rôle d’appui institutionnel. Le paysan avait le choix de cultiver ou non le coton, et la SOCOCA devait limiter son espace géographique d’intervention aux zones économiquement rentables tout en délaissant les zones marginales. Cette approche eut pour conséquence la concentration de la culture cotonnière dans les préfectures de l’Ouham, l’Ouham-Péndé, la Ouaka, la Nana-Gribizi et la Kémo tout en maintenant la production à un niveau appréciable : • 45 516 tonnes de coton au cours de la campagne 1984/85, • 46 175 tonnes de coton au cours de la campagne 1990/91. A partir de 1993, une chute vertigineuse était enregistrée dans ce domaine. La meilleure production de café fut observée lors de la campagne 1984 - 85, avec 18 000 tonnes de café marchand. Les effets conjugués de la dégradation des conditions climatiques, de la mévente du café, combinés à la chute des cours sur le

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marché mondial, ne permirent pas d’atteindre l’objectif de 25 000 tonnes en 1990 - 91. Aussi, l’instrument de stabilisation des cours mondiaux du prix de café, notamment le STABEX, n’avait pas fonctionné. Les bailleurs de fonds, en l’occurrence l’Union Européenne, avaient utilisé ce mécanisme pour affaiblir le régime RDC de Kolingba qui, pour son manque d’opportunisme et de sagesse, était resté sur le quai de la gare et n’a pas pris le train de la Démocratie qui traversait l’Afrique de part en part… Depuis 1992, la production de café ne s’est plus redressée jusqu’à ce jour. Le secteur para public, dans les années 80, était à la pointe de la richesse avec les entreprises SOCADA, SOCOCA, PETROCA, ENERCA, SNE, SOGESCA, CENTRAPALM, SOCATRAF, CAISTAB, etc. Ces entreprises qui faisaient la fierté du pays commencèrent leur descente aux enfers à l’aube du Changement de 1993. Une déclaration d’un haut responsable du RDC, parti au pouvoir, faisant état de ce que 90% des directeurs généraux de ces sociétés d’état et d’économie mixte étaient Yakoma, allait jeter l’anathème sur ce secteur. L’opinion publique ne saura jamais qu’une vérification avait été faite par la Délégation aux sociétés d’état et que ce taux, en réalité, était de 45%... Mais que sont devenues ces entreprises durant la décade 1993-2003 ? A-t-on ré équilibré ces directions générales par un choix qui tienne compte des compétences techniques des responsables et du dosage ethnique, de manière à garantir la performance de ces entreprises ainsi que la distribution de la richesse ? L’indicateur de développement humain (IDH) qui n’est qu’un baromètre de l’évolution du bien être social, avec le Changement, a accusé un recul de 30 années en arrière, comme l’indique le tableau ci-après :

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Indicateur de Développement Humain (IDH) 1975 1980 1985 1990 1995 2000 0,343 0,364 0,386 0,383 0,367 0,363

2003 2004 0,351 0,336

Le second tableau montre que le Centrafricain moyen avait un revenu moyen oscillant entre 230 000 CFA et 250 000 CFA entre 1980 et 1990. Depuis, c’est la dégringolade qui se poursuit de manière inexorable. Indicateur de revenu moyen par habitant en milliers de F CFA 1980 236

1985 250

1990 232

1995 185

2000 182

2005 154

Il convient de noter qu’un effort significatif de développement fut enregistré dans les années 80 et la République centrafricaine signa à trois reprises, un programme d’ajustement structurel avec le FMI, ce qui permit aux bailleurs de fonds d’appuyer le programme de stabilisation et de relance de l’économie, en vue de réduire la pauvreté. Au-delà de tout ce qui pourra être reproché à Kolingba, notamment un tribalisme et un régionalisme, mais qui se conjugueraient avec la compétence professionnelle dans l’administration, les entreprises d’état et sociétés d’économie mixte, il peut être mis à son actif, le fait d’avoir jeté les bases de la régionalisation avec le concept de ministres résidents, comme l’avait souligné l’ambassadeur Jean Willybiro Sacko à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne le 12 février 2010, lors de la soirée organisée en mémoire du président du RDC. Ces ministres résidents étaient les référents des différentes préfectures et leur compétence couvrait tous les domaines de développement de leur zone de juridiction et ils étaient surtout les chevilles ouvrières des fêtes des moissons. Ces manifestations se déroulaient chaque année, de manière

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tournante dans les préfectures du pays et furent source de stimulation pour les agriculteurs, les éleveurs, les artisans tout en induisant la promotion de la Culture à travers les danses traditionnelles et les productions artistiques. Ce qui contribua de manière indubitable au renforcement de l’unité nationale car, pendant ces retrouvailles annuelles, les ressortissants des différentes préfectures, par une saine compétition, exposaient et vantaient les fruits de leur travail. Avec Kolingba, le chantre du « siriri » ou paix, cette paix qui est devenue depuis, une ‘‘denrée rare’’ en Centrafrique, c’était encore le développement des télécommunications avec la florissante SOCATEL du début des années 90 ainsi que la mise à la disposition de la population des infrastructures modernes telles que l’hôpital de l’Amitié, l’hôpital communautaire, le complexe pédiatrique, l’élargissement et le bitumage de l’avenue de l’Indépendance qui dessert la région Nord de Bangui et, dans la zone Sud de la capitale, l’avenue David Dacko ou encore, le symbole de la Démocratie qui est le palais de l’Assemblée nationale, édifié sur les flancs de la colline de Gbazabangui… Aussi et surtout, c’est le premier chef d’Etat centrafricain qui avait reconnu sa défaite électorale lors d’une élection présidentielle et organisé sans état d’âme, sa succession et offert ainsi au pays, la première alternance démocratique. Bien que Kolingba eût revendiqué la tentative de prise de pouvoir par les armes du 28 mai 2001 contre Patassé, c’était sous son régime, celui du RDC, parti unique multi tendanciel que la vie parlementaire avait connu, paradoxalement, de véritables avancées démocratiques, comme le soulignait encore Olivier Gabirault, ancien député et ancien ministre, le vendredi 12 février 2010, à Paris. Selon cette personnalité politique et indépendante, les débats parlementaires furent plus libres sous le monopartisme du RDC qu’à l’époque du multipartisme avec le MLPC, parti dominant…Le parlement monocolore pouvait, rejeter des projets de lois, ce qui est impensable voire impossible depuis 1993... Ainsi, à l’époque, la loi des finances de l’exercice 1991 avait été par exemple repoussée par les députés, pourtant tout issus du même parti, le RDC. Car, conscients de la cherté de la vie qui avait porté un grand coup

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au panier de la ménagère et ce, à cause du blocage des salaires dans la fonction publique depuis 1981, les élus de la Nation contraignirent le gouvernement à débloquer les salaires jusqu’en 1985. Ceci montre que les représentants du peuple, sous le monopartisme du RDC, avaient les coudées franches et privilégiaient les intérêts de la Nation plutôt que ceux d’un régime. Que retenir de la parenthèse historique ouverte en 1993 et fermée en 2003 ? Voici, par exemple, ce que le compatriote Clément Bouté-Mbamba nous dit. ‘‘Le mardi 5 avril 2011, en début de soirée, j’apprenais par SMS le décès à Douala d’Ange Félix Patassé, président de la RCA de 1993 à 2003. Après vérification, mille et un souvenirs se sont bousculés dans ma tête. Je revis les moments de « a koli a kpè », les placages au sol, les crépitements d’armes, les exécutions sommaires, les privations de liberté et ces images de milliers de centrafricains sur les chemins de l’exil, y compris ma famille pour délit d’appartenance ethnique et/ou régionale’’… Beaucoup de Centrafricaines et de Centrafricains pourraient avoir ces mêmes réminiscences, s’il leur était demandé d’évoquer quelque souvenir du passage de Patassé aux commandes du navire Centrafrique. Certains n’hésiteraient peut-être pas à rappeler les slogans « Victoire camarade ! » ou « bikitoa kamrad ! » qui furent scandés, à longueur de journée, par Patassé et ses partisans durant les premiers mois du Changement. D’autres parleraient des viols, vols, tueries, destructions de biens meubles et immeubles ou bombardements aériens… En effet, les années du Changement avec Patassé et le MLPC constituent, jusqu’au 15 mars 2003, la période la plus sombre de l’histoire de la République centrafricaine, avec son cortège de meurtres, d’assassinats politiques, de déchéance morale et intellectuelle, de régression économique et sociale, d’insécurité, de destruction de l’unité nationale, d’ouverture du pays aux forces non conventionnelles armées, de viols, de meurtres sélectifs à grande échelle ou génocide. C’est la période

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des plus graves violations des libertés fondamentales au point où des compatriotes étaient même débarqués des avions alors qu’ils devraient quitter le pays pour subir des soins de santé dans des hôpitaux étrangers. Le magistrat et ancien ministre Jean Kpowka par exemple, de son vivant, avant de quitter Bangui le 20 décembre 1996, avait été empêché à plusieurs reprises de prendre l’avion pour aller se faire soigner à l’extérieur du pays. Comme d’autres… Et comme pour obéir à la loi du talion, Patassé subira les mêmes entraves à la liberté d’aller et venir et dans les mêmes conditions, quelques années plus tard. Ceci mérite d’être souligné quand bien même il faut condamner moralement et politiquement ce type de violation des droits de l’homme… Qu’en est-il de la situation économique et sociale du pays ? Le mémorandum sur la RCA, adressé aux chefs d’Etat réunis à Yaoundé en janvier 2001, à l’occasion du sommet FranceAfrique, par quinze partis politiques centrafricains donne de précieux éléments de réponse. Ils ont décrit en ces termes, la physionomie socio-économique de la République centrafricaine : L’agriculture est sinistrée. Le régime Patassé n’a jamais conçu et mis en œuvre une quelconque politique de développement rural. Les paysans sont abandonnés à euxmêmes, faute d’encadrement. La mévente du coton, en raison de la politique de Patassé, inefficace et intéressée, notamment la fixation arbitraire des prix sur des bases électoralistes a plongé les producteurs dans le plus grand désarroi. Les structures d’élevage sont quasiment ruinées par l’incompétence, les détournements et la mauvaise gestion. La Banque mondiale a supprimé ses financements dans le secteur à cause des détournements impunis des crédits par les hommes que le président Patassé a placés. Les entreprises publiques sont quasiment en cessation de paiement du fait de la mauvaise gestion et des détournements impunis des cadres du MLPC qui se sont succédés à leur direction depuis 1993… Les richesses nationales qui auraient pu soutenir l’économie, à savoir le diamant et le bois, font l’objet d’un pillage systématique, organisé par les dirigeants du pays eux-mêmes, devenus

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trafiquants et contrebandiers, liés à la maffia…Les hôpitaux sont devenus des mouroirs par manque de médicaments de première nécessité. Les maladies qui avaient disparu ont refait leur apparition. Le taux de mortalité a augmenté. La pandémie du SIDA est devenue inquiétante surtout que certaines aides internationales ont été suspendues à cause des détournements impunis… Quelle est bien objective, cette description des tristes réalités économiques et sociales centrafricaines ! Mais, hélas ! La classe politique centrafricaine dans son entièreté, par ses atermoiements, ses incohérences, son inconsistance et les sempiternelles querelles internes de l’opposition, a largement contribué, à des degrés divers, certes, à cette descente aux enfers. La société civile qui peine à se structurer en force incontournable et indépendante ainsi que les confessions relieuses dont certains responsables et adeptes ont été instrumentalisés par le pouvoir politique et qui, en confondant l’intemporel et le spirituel au temporel, ont tous participé à la régression du pays. Il est vrai que le développement intégral d’un pays ne peut pas se mesurer seulement par des gratte-ciel ni par des réalisations de prestige. Mais on est quand même en droit de s’interroger sur le nombre d’édifices publics que l’on pourrait imputer au député de Bocaranga et chef d’Etat Patassé. En dehors du monument des Martyrs, situé à l’intersection des avenues de France et des Martyrs, quelles ont été les autres constructions publiques léguées à la postérité par le MLPC et sa politique du Changement ? Les aménagements et extensions des marchés publics de Mamadou Mbaïki au Km5, Miskine, Pétévo, Ouango ou Boy-Rabe n’ont été que la réalisation des projets conçus sous le régime précédent, par l’équipe de Marguerite Balénguélé, présidente de la délégation spéciale de la ville de Bangui. C’est aussi le cas du projet sectoriel des transports avec le bitumage de l’axe Bangui-Garamboulaï que Olivier Gabirault a eu à réactiver lors de son passage au gouvernement… Toutefois, il conviendrait de noter que le Changement donna naissance à une nouvelle bourgeoisie, non pas cette

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« bourgeoisie nationale » née de la force du poignet et de la sueur du front dont le pays a besoin, mais une vampirisante bourgeoisie politico-bureaucratique constituée de ces nouveaux riches « made in MLPC » et qui ont transformé les régies financières, les sociétés d’état et d’économie mixte en poules aux œufs d’or. Une course frénétique de construction de maisons d’habitation, de villas et qui poussèrent comme des champignons, avait transformé rapidement les quartiers Nord de Bangui… Quel contraste avec les maisons encore en banco et en paille du 7e arrondissement et que l’on peut apercevoir encore à Ouango ou à Gbangouma ! Et quelle belle leçon, malgré tout ! Il n’est peut être pas erroné d’affirmer qu’en 1992, les luttes du 4CN et de la CFD pour l’avènement de la Démocratie, ont été un arbre qui a caché la forêt du Changement ou mieux, le MLPC s’était tapi derrière ces nobles luttes pour dérouler, une fois au pouvoir, une politique de déconstruction nationale dont les conséquences pèsent et pèseront encore longtemps sur la nation centrafricaine. Nous citerons le phénomène du « repli identitaire » qui pousse des citoyens centrafricains, dans la capitale Bangui, à ne plus habiter dans certaines zones de la ville ou bien les effets conjugués de l’exode et de la déchéance intellectuelle due aux années blanches qui ont fait partie des luttes en 1992-1993, qui font que le pays soit privé de cadres en nombre suffisant, présents sur le territoire national et dans maints domaines au point où, aujourd’hui, certaines entreprises qui s’installent en Centrafrique se voient obligées de faire appel à des compétences en provenance d’autres pays africains tels que le Cameroun, le Sénégal ou le Bénin… Le Changement qui a fortement politisé le système éducatif dans un environnement de corruption quasi généralisée et qui s’est traduit, non seulement par la délivrance du baccalauréat aux jeunes camarades du parti au pouvoir, mais aussi par la démotivation d’une grande partie des enseignants, a grandement contribué à la baisse générale du niveau des élèves… Sur le plan politique, on notera tout de même que le régime MLPC eut le mérite de supprimer ce vestige de la colonisation

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que fut l’impôt de capitation, introduit en AOF et en AEF depuis 1901. Mais Patassé avait aussi, hélas, brillé par des violations répétées de la Constitution de la République. En effet, celle qu’il avait fait voter en 1995 dispose en son article 22 que les fonctions du président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute autre fonction politique, de tout autre mandat électif, de tout emploi salarié. Affairiste hors pair, il n’hésita pas à être administrateur ou personnel de direction de plusieurs sociétés, tout en percevant des salaires ! Il émargeait sans vergogne dans les entreprises CATADIAM, COLOMBESMINES, COLOMBES-BOIS, CENTRAFONDOR etc… Alors que ces prédécesseurs respectaient une certaine ‘‘répartition géopolitique nationale’’ au niveau des plus hautes fonctions politiques, pour la première fois en République centrafricaine, le régime MLPC de Patassé avait imposé au plus haut sommet de l’Etat, trois personnalités qui étaient issues de la même ethnie, voire du même sous-groupe ethnique. Ainsi, le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre pouvaient bien se passer des langues officielles que sont le sango ou le français pour mieux se comprendre…C’est encore un aspect du Changement ! Notre manque de rigueur, notre laxisme et l’absence d’imagination créatrice risquent de nous amener à la fin de notre régime sans que nous ayons marqué positivement notre passage à la tête de l’Etat, écrivait le président de l’Assemblée nationale au début de l’année 2000. Qui pourrait mieux dire ? Depuis le 15 mars 2003, ces propos d’Apollinaire DondonKonamabaye, un des caciques du régime MLPC de Patassé, devraient interpeller, non seulement les partisans du Changement de 1993, mais aussi et surtout, tous les militants et responsables du MLPC de l’après 2003… Avec l’euphorie de la « Transition consensuelle » qui a succédé au « Changement version MLPC », où va le Centrafrique depuis 2005 ? Le 17 mars 2003, la Coordination des patriotes centrafricains (CPC) publiait un communiqué de presse signé par son secrétaire général adjoint Henri Grothe, et

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qui approuvait, tout naturellement les grandes lignes du discours fondateur du nouveau président de la République, le général François Bozizé. Ce dernier disait : Il s’agit de mener dans une période qui sera définie ultérieurement, un programme d’urgence de redressement de la Nation dont les principaux axes sont la poursuite des discussions avec les institutions de Bretton Woods afin de parvenir aux programmes post-conflit, la réunification et la restructuration de notre armée nationale, un vaste programme de désarmement de toutes les provinces du pays car le Centrafrique est désormais une véritable poudrière, la restructuration et la redynamisation de notre administration, l’assainissement des régies financières, l’accentuation de la lutte contre le VIH-Sida, la préparation et la tenue dans la transparence des différentes échéances électorales... Pourquoi la CPC, la CPPO et Bozizé lui-même n’avaient-ils pas tout mis en œuvre pour que cette déclaration soit la feuille de route de la « Transition consensuelle 2003-2005 » ? Pourquoi des balises n’ont-elles pas été placées dans la conduite des affaires de l’Etat au point où le MLPC ainsi que Patassé et ses fidèles avaient réussi à se refaire une certaine virginité politique depuis 2005 tout en se réinscrivant avec une crédibilité certaine dans le paysage politique sans avoir à répondre de tous leurs forfaits et rendre compte de leur gestion calamiteuse à la tête du pays ? Le message délivré par Martin Ziguélé, actuel président du MLPC, lors de la soirée en mémoire de Kolingba à Paris le vendredi 12 février 2010 au cours duquel il invitait les militants de son parti à tendre une main fraternelle aux militants du RDC tout en se désolidarisant clairement de Patassé qui l’avait placé dans les starting-blocks de la politique centrafricaine, suffira-t-il à dédouaner le régime MLPC ? L’acceptation du MLPC dans les rangs de l’Internationale socialiste et la cohabitation du MLPC et du RDC au sein du FARE 2011, pourront-elles absoudre cette formation politique qui, sur le plan national, a le même vivier de partisans que le KNK, et dont l’extrémisme, le sectarisme et les velléités hégémoniques de la plupart des militants sont naturellement antinomiques avec la social-

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démocratie et une véritable réconciliation qui ne doit pas être une réconciliation de façade ? Pour que cette réconciliation nationale soit possible, viable et durable, ne serait-il pas fondamental qu’une Commission Vérité et Réconciliation, comme cela se fait ailleurs, soit initiée pour permettre aux bourreaux et aux victimes des folies meurtrières de se parler, se pardonner pour regarder en avant dans la même direction et le même sens, et que de justes compensations morales, matérielles et financières soient apportées à toutes les personnes qui ont fait les frais de toutes les dérives totalitaires du Changement 19932003 ? Quand nous considérons les élections présidentielles et législatives du 23 janvier 2011 dont les conditions de préparation et d’organisation sont en deçà de celles qui ont prévalu en 1992, 1993, 1998, 1999 et même en 2005 et si nous analysons la réaction incohérente et inadéquate de l’opposition politique face à ce processus électoral ainsi que l’inimaginable incident survenu sur la Place de la Réconciliation nationale à Bangui, le 27 août 2011 où des citoyens centrafricains, sans être inquiétés par les forces de l’ordre, ont empêché brutalement, sauvagement et illégalement d’autres citoyens centrafricains de s’exprimer dans des conditions prévues par la Loi fondamentale de notre pays, n’y a-t-il pas lieu de dire que le Centrafrique est décidément malade de toute sa classe politique ? Que faire ? Aujourd’hui et plus que jamais, le Centrafrique doit aller vers une véritable transformation profonde et durable dans tous les aspects de la vie. Transformation politique, transformation économique et écologique, transformation sociale, transformation culturelle et surtout, transformation des mentalités qui garantiraient ce que j’appelle le « Changement endogène » dont le pays a besoin pour son développement intégral. Aujourd’hui et plus que jamais, les Centrafricaines et les Centrafricains doivent ‘‘brandir l’étendard de la Patrie’’ comme les y invite la dernière phrase de l’hymne national, la

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Renaissance, en s’engageant résolument pour de profondes réformes multiformes. La principale réforme devrait porter sur la refondation de la classe politique en République centrafricaine. Dans la mesure où le degré de politisation des populations, au stade actuel de la scolarisation et de la conscientisation des masses, fait que les individus s’identifient majoritairement aux leaders politiques au lieu d’adhérer aux projets de société et que les idéologies auxquelles adhèrent les partis n’ont jamais été mises en œuvre, ni enseignées dans les écoles des partis qui n’existent pas et que ces idéologies, marxiste, socialiste, social-démocrate, libérale ou nationaliste ne servent que de paravent et de source de financement et de reconnaissance sur le plan international, ne serait-il pas judicieux qu’une recomposition soit courageusement initiée à travers la fusion ou regroupement de la cinquantaine des partis politiques existants en moins d’une dizaine de grandes formations autour des grandes figures ou groupes de grandes figures historiques que sont : • Barthélemy Boganda, • David Dacko - Jean-Bedel Bokassa - Auguste Boukanga, • André Kolingba - Gaston Mandata-Nguérékata - Emile Gros Raymond Nakombo, • François Bozizé - Dérant-Enoch Lakoué - Daniel Nditiféi - Jean-Paul Ngoupandé, • Ange Félix Patassé - Martin Ziguélé - Joseph Bendounga, • Abel Goumba - Henri Pouzère, • François Péhoua - Olivier Gabirault - Ruth Roland, • Nicolas Tiangaye - Crépin Mboli-Goumba ? Ces grandes formations politiques dont le but essentiel consiste à limiter la dispersion des forces, qu’elles soient conçues en fonction de ce schéma proposé ou non, devraient être présentes et actives sur toute l’étendue du territoire national ou dans la majorité des préfectures que compte le pays. Aussi et surtout, la Constitution du pays doit comporter une clause stipulant que le Centrafrique peut renoncer à certains aspects de

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sa souveraineté nationale dans le cadre de l’intégration régionale et la perspective de l’avènement des Etats-Unis d’Afrique. Cette démarche qu’imposent les réalités socio-politiques du moment, doit être perçue comme une étape intermédiaire vers l’apparition de formations politiques véritablement d’obédience libérale, socialiste, sociale-démocrate, nationaliste, panafricaniste et qui obéiraient à la classification quasi universelle de partis de gauche, de droite, du centre, d’extrême gauche, d’extrême droite, de centre-gauche, de centre-droit etc. Car aujourd’hui, il existe des libéraux, des socialistes, des sociauxdémocrates, des écologistes centrafricaines et Centrafricains qui militent sans tenir compte des idéologies dans le libéral RDC, le social-démocrate MLPC ou la socialiste CRPS, par exemple… Le « Changement endogène » ne peut être mis en chantier sans une Société civile centrafricaine responsable et crédible. Celle-ci doit s’organiser, se structurer, s’affirmer et se redéfinir en toute indépendance dans une relation dynamique avec l’Etat dont les graves manquements ont conduit à la paupérisation de plus en plus accrue des populations. Car, grâce aux organisations de la Société civile que sont les Syndicats, les Organisations de défense des droits de l’Homme, la Presse privée et indépendante, les organisations-non-gouvernementales (environnement, consommation, santé etc), les Confessions religieuses, les associations des parents d’élèves, des étudiants, des femmes juristes, des musiciens ainsi que les clubs sportifs, les associations culturelles ou les ordres des professions libérales (avocats, notaires, pharmaciens, médecins), le citoyen centrafricain pourra mieux défendre ses intérêts et se faire entendre à côté ou en opposition à ces grandes formations politiques qui, par essence, ont vocation à conquérir et à exercer le pouvoir d’Etat. La forte religiosité du Centrafricain, en raison des valeurs morales véhiculées par le Christianisme et l’Islam, doit être mise au service du développement par le renforcement de la cellule familiale et l’éradication des maux qui gangrènent la société centrafricaine tels que la corruption, les détournements des biens publics et plus généralement, la dépravation des

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mœurs. Cette inclination aux religions ne devrait pas donner lieu à la prolifération de groupuscules religieux, incontrôlés et incontrôlables, évoluant vers des sectes aux conséquences néfastes pour la famille, pour la société et pour le développement harmonieux du pays. Car, comme nous le dit Jean-Pierre Jougla, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et l’individu (Unadfi) en France, - ce qui est aussi valable pour le Centrafrique - les sectes contemporaines constituent non seulement parfois un creuset de dérives pénales pour des victimes individuelles, mais également un danger majeur pour les sociétés démocratiques en ce qu’elles préfigurent un modèle social régressif dans lequel le lien du groupe est celui de la vassalité5. Si dans un pays aussi développé que la France, de tradition chrétienne et plus démocratique que le Centrafrique, des initiatives sont prises pour protéger les familles et les individus des dérives sectaires, la République centrafricaine, avec tous les balbutiements de la vie démocratique, tout en s’employant à garantir le libre exercice des cultes protestant, catholique et musulman, doit pouvoir se donner les moyens pour ne pas tolérer une secte qui, par définition, est une association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux droits de l’Homme et à l’équilibre social. Les atrocités commises par les Tongo Tongo de l’Armée de résistance du seigneur (LRA) de l’Ougandais Joseph Kony dans l’Est centrafricain ou les récentes guerres au Congo Brazzaville avec l’implication du pasteur Frédéric Bitsamou alias N’Toumi qui tenait la Bible d’une main et de l’autre, la kalachnikov, justifient que des mesures légales soient prises pour barrer la route à toute forme d’intégrisme religieux ou politico-religieux, lequel est plus nocif, plus dangereux et plus dévastateur que le clanisme, le tribalisme ou le régionalisme. 5

Les sectes - Thomas Lardeur avec la collaboration de l’UNADFI, pp 12 & 119 - Editions Presses de la Renaissance, avril 2004 - Paris

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Ainsi, le « Changement endogène » prône-t-il sans équivoque une séparation des Eglises et de l’Etat en s’inspirant, dans une certaine mesure, de la loi du 9 décembre 1905 sur les associations cultuelles en France où des structures régies par la loi, doivent être mises en place par les églises ou les mosquées afin de subvenir dans la transparence aux frais, à l’entretien et à l’exercice public des cultes. Aussi, toute manifestation à caractère politique doit être prohibée dans les locaux destinés à l’exercice des cultes. Le caractère laïc de l’Etat doit être affirmé et devenir un impératif catégorique. Changement individuel et changement social sont indissociables, chacun seul est insuffisant. La réforme de la politique, la réforme de la pensée, la réforme de la société, la réforme du mode de vie se conjugueront pour produire une métamorphose de la société. Les avenirs radieux sont morts, mais nous fraierons la voie à un futur possible6. J’affirme pour ma part que ces propos de Stéphane Hessel et d’Edgar Morin, émis dans le contexte de la France, sont transposables au cas du Centrafrique. Leur portée quasi universelle nous interpelle. Car après l’échec sans limite du Changement de 1993 et les inquiétantes incertitudes de la Libération de 2003, nous ne pouvons nous frayer la voie d’un futur possible que si nous nous engagions dans la voie de profondes réformes dont les bases ont pourtant déjà été jetées par nous-mêmes, à travers les séminaires sectoriels, les états généraux et autre symposium organisés depuis une trentaine d’années dans notre pays et dont les conclusions dorment en paix quelque part dans les tiroirs des administrations… Puis-je terminer comme j’ai commencé, par cette pensée du poète américain Santayana qui affirme que tout peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre ?

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Le chemin de l’espérance – Stéphane Hessel, Edgar Morin, pp 56&57Fayard - octobre 2011

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POSTFACE A la lecture du titre de l’ouvrage de Clotaire Saulet Surungba, Cahier du Changement en Centrafrique, on s’attend naturellement à l’analyse de la transformation d’un ordre ancien en un ordre nouveau en République centrafricaine. On croit percevoir l’émergence d’une aube radieuse après une longue nuit d’angoisse. Espoir déçu car l’auteur, jouant avec les nerfs du lecteur, entraîne ce dernier dans les dédales d’une histoire mouvementée, celle d’un pays, le Centrafrique, dont les dirigeants semblent avoir jeté aux orties leur boussole depuis les indépendances. Au risque de réveiller certains vieux démons et même d’écorcher vif les thuriféraires du ‘‘patassisme’’, Clotaire Saulet Surungba se donne la tâche périlleuse d’interroger les auteurs de cette énorme mascarade pompeusement appelée le Changement et qui en 1993, avait entretenu l’illusion d’un gouvernement du peuple par le peuple. Pari risqué disons-nous, car les plaies, loin de se cicatriser, tendent au contraire à se gangrener. A son corps défendant, Patassé n’a pas trouvé mieux que de céder en 2003 son fauteuil à l’un de ses proches lieutenants, le général Bozizé, un parent du Nord, dont le village se situe à un jet de lance de celui de l’ancien président. Tous deux ont forgé leur destin dans l’ombre de l’Empereur Bokassa 1er, l’un comme fidèle ministre, l’autre comme aide de camp. Dès lors, comment s’étonner de la dispute sanglante des deux félins après la charogne laissée par leur maître ? Patassé parlait de Changement en 1993, Bozizé se fait aujourd’hui chantre de la Libération. Changement de quoi ? Libération de qui ? Clotaire Saulet Surungba refuse de répondre à ces questions, toutes deux surréalistes au regard de l’extrême misère dans laquelle baigne encore et toujours le peuple centrafricain. La politique se nourrit de slogans, disent les spécialistes et les meilleurs inventeurs de ces cachets d’opium du peuple ne sont rien d’autres que les intellectuels, ceux-là mêmes qui

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prétendent appartenir à l’élite du pays et qui n’éprouvent aucune honte à manger à tous les râteliers. Les « carriéristes, profito-situationnistes », comme aime les appeler Clotaire Saulet Surungba, lui-même politico-syndicaliste fieffé, issu du rang de l’ancienne FEANF et de l’UNECA. Pour qui garde le souvenir de cette période (1970-1980), la lecture de l’ouvrage rappelle les fameux débats idéologiques qu’animaient les étudiants africains, les mêmes qui quelques années plus tard, se jetteront dans les bras des dirigeants qualifiés hier de suppôts de l’Impérialisme. Patassé en faisait partie, tout comme après lui la longue liste de ces matamores intellectuels qui ont servilement mis leur compétence au service de tous les despotes de notre pays. Dacko, Bokassa, Kolingba, Patassé, Bozizé, tous ont bénéficié et bénéficient encore de l’apport précieux de ces théoriciens dont le seul mérite réside justement dans l’invention de nouveaux slogans, toujours abrutissants pour le peuple : Zo Kwè Zo, Zo ayèkè Zo, So Zo La, le même verbiage qui depuis Boganda, prétend traduire la défense des droits de l’homme alors que règne en permanence un climat de terreur. En 1993, les chevaliers de la cour du roi Patassé n’ont pas trouvé mieux que d’inventer leur propre slogan magique, le Changement. Tout comme le Sopi du Sénégal d’Abdoulaye Wade, le Changement selon ses concepteurs, se voulait le déracinement de toutes les tares de la société pour les supplanter d’avec un ordre nouveau, celui de la renaissance d’une nation solidement enracinée dans la Démocratie. Fiasco total, guerre civile, débandade du principal intéressé, Patassé, et sa clique d’inventeurs de slogans. Le Cahier du Changement en Centrafrique de Clotaire Saulet Surungba pourrait bien s’appeler le cahier de l’éternel Recommencement. Aux légitimes revendications sociales, Patassé s’écria : « J’ai immédiatement fait appel à mon fils Bémba pour qu’il m’envoie ses hommes afin de donner un coup de main à mes soldats. C’est pourquoi ils sont venus. Je sais qu’il y a des choses qui se sont passées. J’ai dit bon, on mettra en place une commission pour évaluer tout cela ».

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En lieu et place de cette fameuse commission dont on ne verra jamais la couleur, c’est la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) qui se chargera du travail d’investigation sur les évènements tragiques du 25 octobre 2002, énième tentative manquée de renversement de Patassé par Bozizé. Et les conclusions furent sans ambages : crimes de guerre et crimes contre l’humanité imputés directement à Patassé et ses hommes de main, les Banyamulengé de Bemba et les mercenaires d’Abdoulaye Miskine, un orphelin tchadien recruté avec ses trois cent hommes dans l’armée centrafricaine. De l’autre côté, le Changement économique s’était mué en une transaction de millions de CFA passée entre Bemba et Patassé dans le seul but de sauver le fauteuil de ce dernier. Dès lors, tout était permis. Comme l’écrit la FIDH : « Avec l’USP, Unité de sécurité présidentielle, les mercenaires de Bemba ont d’abord commencé par les actes d’humiliation sur les dignitaires du pouvoir et leur famille, ministre délégué à l’éducation et de l’enseignement supérieur et sa femme, le fils du ministre de la Défense, mais aussi les forces régulières accusées par Patassé de trahison. » Et comme cela ne suffisait pas, ils se sont attaqués aux civils afin justement de « changer » leur mentalité. Nous lisons dans le rapport de la FIDH. « Organisés en petits groupes, ils ‘‘les hommes de Bemba et d’Abdoulaye Miskine’’ ont assassiné des civils et procédé systématiquement à des pillages et rackets, semant la terreur sur leur passage au moyen de coups de feu et menaces. » ‘‘Le président Patassé nous a ordonnés de vous tuer’’, répondent les Banyamulengé aux milliers de femmes qu’ils violaient à même le trottoir ou au mieux en famille devant les pères, mères et enfants réunis. Des actes de barbarie gratuite, comme en témoigne cette femme du quartier Benzvi de Bangui. ‘‘Les Banyamulengé m’ont demandé de l’argent. Quand je leur ai répondu que je n’en avais pas, l’un d’entre eux m’a directement tiré sur les deux pieds. Puis ils ont pris mon bébé de sept mois et l’ont laissé en dehors de la maison jusqu’à 13 heures. Quand ils l’ont ramené, il a eu une crise de paludisme.’’ Autre témoignage bouleversant, mais cette fois d’un

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commerçant tchadien rescapé des tueries des hommes d’Abdoulaye Miskine, commandant en chef de l’Unité de sécurité présidentielle : ‘‘Nous avons, quatre amis et moi, été arrêtés et regroupés avec onze autres personnes. On nous a enlevé nos habits. Nous étions nus. Miskine était présent avec les soldats. Ensuite on nous a tirés dessus. Je suis le seul survivant. J’ai été atteint par un projectile dans la fesse droite qui est ressorti par l’aine et d’un autre qui a traversé mon flanc droit juste en dessous des aisselles et qui est ressorti par la poitrine. Je me suis évanoui. Des gens ont ramené mon corps dans la maison que nous avions louée. Ensuite, MSF s’est occupé de moi’’. Ces crimes, répertoriés par centaines par la FIDH, relèvent de la Convention de Genève, notamment en son article 8 : ‘‘Sont qualifiés de crimes de guerre, les crimes commis contre des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités.’’ Les auteurs de ces massacres, Ange Félix Patassé, JeanPierre Bemba et Martin Koumtan-Madji alias Abdoulaye Miskine ont formellement été identifiés. De nos jours, seul Bemba répond de ses actes devant la Cour pénale internationale de Justice. Abdoulaye Miskine se la coule douce en Afrique. Quant à Patassé, il n’a jamais été inquiété de son vivant par une quelconque juridiction, tant nationale qu’internationale. Il s’est éteint de sa belle mort le 5 avril 2011. C’est aussi cela le Changement... Dédé Massamba Journaliste

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ANNEXE 1 Rapports des différents Corps de l’Armée à la Commission Défense Militaire du Comité Préparatoire des Etats Généraux de la Défense Nationale I - ARMEE DE L’AIR (AA) Pour les militaires de l’Armée de l’air, l’origine de la crise réside dans la perte de confiance des hommes vis-à-vis de leur chef. Une armée reflète en général la valeur de ses chefs. Qu’en est-il de notre Armée ? On constate que depuis le milieu des années 70, les différents chefs militaires ont délibérément abandonné la mission de défense de la souveraineté de la patrie et ont utilisé l’armée qui était un outil entre leurs mains à des fins personnelles. Ce phénomène a engendré le népotisme, le favoritisme, le matérialisme et le tribalisme…On a alors assisté à un blocage du système qui a évolué graduellement vers la crise qui se traduit par le manque de respect mutuel, le manque de cohésion, la marginalisation de certains cadres, l’inexistence d’un budget de défense digne de ce nom et, enfin, une Armée abandonnée par le pays et qui ne s’y reconnaît plus. Ce qui nécessite un appel à la nation et aux chefs pour une réconciliation et une revalorisation. La crise étant partie de la base, c’est-à-dire des militaires du rang et sous-officiers, il faut d’abord leur passer la parole pour qu’ils puissent dire ce qui n’a pas marché. Pour les sous-officiers, l’Armée de l’air étant une armée à part, elle devrait avoir un statut particulier avec tout ce qu’il faut comme avantages liés à la spécificité de l’arme. Pour bien comprendre certains points, il est nécessaire de rappeler brièvement l’historique de l’Armée de l’air. De 1963 à 1974, la première Escadrille centrafricaine était une escadrille type bien cotée au niveau de l’Afrique. Il y avait beaucoup d’avions et toutes les missions étaient assurées par elle. A partir de 1974,

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elle commença à rentrer en décadence jusqu’en 1990. Depuis cette date, elle n’est restée que l’ombre d’elle-même jusqu’à ce jour. Ainsi, les militaires du rang, après concertation, ont énuméré les principaux points générateurs de mécontentement, dont : le manque de formation professionnelle ; les salaires non en adéquation au statut de l’Armée de l’air ; les allocations familiales : le soldat gagne peu, donc il ne peut joindre les deux bouts que grâce à des allocations familiales ; l’avancement : il y a eu beaucoup de brimades dans les avancements, bien que certains éléments aient la qualification requise et remplissent les conditions et il serait souhaitable qu’il n’y ait pas beaucoup de retard entre l’obtention du diplôme et le port du galon équivalent - il est inadmissible qu’un soldat conserve la distinction de 1ère classe jusqu’à son départ à la retraite et le port de galon doit aller de pair avec les effets financiers ; les décorations : il y a trop de discrimination et beaucoup de soldats partent à la retraite sans aucune décoration ; le manque de logements pour les militaires du rang : dans ce cas, il faut qu’il y ait une compensation financière pour les militaires qui logent en dehors des casernes ; le temps de service (15 ans) est court : il est souhaitable de le prolonger à vingt ans ; l’inexistence d’un centre hospitalier militaire : il est nécessaire de créer un grand centre hospitalier uniquement pour les militaires avec des unités de cession de médicaments ; la décentralisation du trésor au niveau de l’Intendance des Forces armées centrafricaines pour les salaires et pensions militaires - ce service travaillera en collaboration avec le ministère des Finances et cette décentralisation doit amener l’Armée à avoir son service informatique de traitement des salaires et pensions ; la réquisition de transport pour les militaires en permission, à mettre en place ; une assistance sociale conséquente, en cas de décès ; la présence et l’assistance d’un conseiller technique expatrié au niveau de la mutuelle du soldat ; pallier le manque de véhicule de ramassage du personnel ; le foyer du soldat pratiquement inexistant. Ce compte-rendu de l’état des lieux s’est poursuivi par des propositions concrètes dans les domaines du personnel, du matériel et des infrastructures.

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En conclusion, il convient de donner les moyens qu’il faut à l’Armée pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de garant de la sécurité et de la paix. Le recrutement doit être équitable selon les régions. Car, ce sont les recrutements de complaisance qui ont été à la base du malaise dans l’Armée (clanisme, favoritisme etc…) Il faut enfin, définir son cadre de travail en mettant l’accent sur la nature apolitique de l’Armée et la réconcilier avec le peuple au service duquel elle est appelée à tout instant. II- BATAILLON DES CENTRAFRICAINS (BSPC)

SAPEURS

POMPIERS

Les hommes du rang du Bataillon des sapeurs pompiers centrafricains ont, à l’issue de leur concertation du 27 juillet 1996, porté à la connaissance du Comité préparatoire ce qui suit. Depuis l’indépendance jusqu’en 1982, le Corps était placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur et l’effectif n’atteignait pas une section. On devait le renforcer avec les policiers. En juin 1983, après révocation de certains éléments dudit corps, comprenant des policiers, un appel patriotique a été lancé aux jeunes centrafricains de 18 à 25 ans, pour un enrôlement. Un grand nombre de candidats ont répondu favorablement. C’est ainsi qu’une promotion de plus d’une compagnie a été constituée. Tous les éléments de cette promotion ont été engagés en qualité de sapeurs-pompiers de 2ème classe, en remplacement numérique des révoqués. Théoriquement, il ne devrait pas y avoir de problème de salaire pour ces nouvelles recrues. Paradoxalement, après six mois de formation militaire et professionnelle, une bourse de 25000 CFA va leur être allouée, au titre de salaire forfaitaire, en attendant la finalisation des négociations relatives à leur statut. Cinq ans plus tard, après les efforts du général Didace N’Dayen, un décret présidentiel a fait incorporer cette promotion dans l’Armée. Et l’effectif devrait être ramené à moins de quatre-vingt personnes, avec en prime, la reprise de la formation militaire !

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Ainsi, ceux qui étaient là depuis les cinq dernières années vont perdre tous leurs acquis et vont être noyés dans le lot des nouveaux arrivants. Une vague de profanes est venue envahir le corps, dans le seul but d’être responsables et cadres militaires, reléguant au second plan le véritable sapeur-pompier dont la noble mission est celle de sauver des vies. Cet état de fait a semé, non seulement de la confusion au sein du bataillon, mais aussi et surtout, un profond mécontentement dans ce corps où le salaire de base n’est que celui d’un soldat de 2ème classe. Au niveau du fonctionnement, tous les postes de commandement de l’état-major du corps sont occupés par des officiers fantassins, moins informés des réalités des missions du sapeur-pompier. En conséquence, ils ne peuvent pas conduire avec conviction les démarches relatives à l’amélioration des conditions de vie et de travail du sapeur-pompier. Ainsi, le problème du statut particulier de ce corps est demeuré sans solution. Les sapeurs-pompiers ont tenu à dénoncer une pratique courante qui les confine dans un rôle d’agents à tout faire au sein des Forces armées centrafricaines. En effet, lorsque des partenaires au développement font des dons de véhicules à l’Etat-Major Général des Armées, ce sont les sapeurs-pompiers qui doivent les laver et les apprêter pour les cérémonies de remise officielle. Par contre, leur corps est superbement ignoré lorsqu’il s’agit d’affecter ces moyens roulants. A cela, il faut noter qu’il n’existe pas de bourses d’étude, de stages internes, de séminaires et encore moins, de dotation en effets militaires. Quand on sait que l’homme du rang au niveau de cette unité est celui qui travaille sans relâche, ne dort pas assez, et qu’il est confronté en permanence au risque, sous la pluie, dans la boue, au fond des puits, sur le fleuve, dans la fumée, dans les braises, sous les décombres, dans la nuit profonde, sous le chaud soleil, il y a lieu de reconnaître l’urgente nécessité de doter le Bataillon des sapeurs-pompiers d’un statut particulier. Les sous-officiers, quant à eux, ont déroulé un catalogue de mesures, notamment : l’autonomie du corps au sein de l’Armée ; une couverture sociale à mettre en place ainsi que la mise à disposition d’un conseiller juridique pour cette couverture

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sociale ; la formation des officiers pompiers types pour l’encadrement du corps ; l’élaboration du statut du sapeurpompier ; la construction d’une caserne des pompiers, digne de ce nom ; la création des centres de secours dans la capitale et dans les grandes villes de provinces ; l’avancement (libération de promotions selon les références) ; la prime d’installation pour les jeunes sous-officiers ; l’augmentation des primes de risques ; la dotation en matériels et engins appropriés ; la revalorisation de l’indice de fonction du sous-officier… III- ESCADRON BLINDE D’INTERVENTION (EBI) Les trois catégories de personnels de ce corps à savoir, officiers, sous-officiers et hommes du rang ont tenu leurs réunions préparatoires les 22 et 23 juillet 1996. Le compterendu, transmis par le chef de bataillon Bilal Mahamat, a été constitué en une longue énumération de mesures couvrant six principaux domaines. Il est à noter que les militaires de ce corps ont demandé que les recrutements dans l’armée se fassent sur toute l’étendue du territoire national, sans influence du pouvoir politique. Ils ont tenu également à réaffirmer le caractère apolitique de l’armée et déplorer la mauvaise orientation des renseignements par les agents du 2ème bureau de l’état-major général des armées. 1- Conditions de vie de la troupe a- Alimentation Amélioration de la qualité des repas ; augmentation de la quantité de la ration journalière toujours trop insuffisante ; équipement de l’ordinaire en matériel adéquat ; construction d’une salle à manger ; affectation de personnels qualifiés à l’ordinaire sur visite médicale systématique ; visite médicale périodique du personnel de l’ordinaire ; prise en charge complète du militaire sous-officier pendant le service de garde (petit déjeuner, déjeuner, dîner y compris le dessert).

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b- Couchage - Logement Construction de dortoirs pour les éléments de service et équipement des dortoirs en matériel de couchage dans les casernes ; dotation en matériels de campement et couchage individuel en campagne ; accès au crédit-logement sous tutelle de la Direction générale de l’intendance des Forces armées centrafricaines afin de garantir un toit après la retraite. c- Habillement Dotation complète lors de l’incorporation ; dotation supplémentaire après la FETTA ; renouvellement et re complètement périodique du paquetage ; mise en place d’un magasin de cession militaire. d- Santé Respect de la hiérarchie en salle de consultation ; dotation du service social en médicaments ; gratuité de soins aux militaires et leurs familles ; couchage réglementaire des malades dans les infirmeries ; entretien des locaux sanitaires des infirmeries par les personnels qualifiés ; suivi des militaires admis dans les hôpitaux civils et prise en charge automatique des militaires malades. e- Loisirs Mise en place des organismes d’intérêt privé ou service de restauration loisir dans les casernes ; équipement des postes de garde en moyens de distraction (audiovisuel, jeux…) ; octroi d’une permission de détente annuelle. 2 - Avancement Respect des textes relatifs à l’avancement et aux décorations ; remise de grade de caporal à la proclamation des résultats de stage de CAT1 Infanterie ou d’autres stages correspondant ; nomination au grade de sergent automatiquement après un stage de CIA ou d’autres stages de la série sousofficiers ; nomination ou promotion pour les grades intermédiaires suivant l’avancement normal ; nomination à l’emploi de 1ère classe six mois après la FETTA sous réserve

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d’une bonne conduite ; nomination ou promotion dans les différents grades, en rapport aux diplômes professionnels civils ou universitaires ; promotion des anciens 1ère classe au grade de caporal après trois années d’ancienneté ou création des échelons pour le changement d’indice, respect du décret n°83.2217 portant statut des élèves de l’Ecole Militaire des Enfants de Troupe Georges Bangui, spécialement du titre III article 15. 3 - Solde Paiement des arriérés de solde 1992-1993 ; paiement régulier des salaires ; augmentation des salaires (au moins 75000 FCFA de solde de base pour une jeune recrue) ; prime de risque de 15 000 FCFA ; prime d’alimentation à verser sur la solde ; indemnité de logement d’au moins 15000 FCFA pour les militaires non logés ; augmentation du taux de la prime d’habillement (au moins 5000 FCFA) ; révision des taux des autres primes et indemnités ; augmentation du taux de la prime globale d’alimentation à 2000 FCFA pour les hommes du rang ; 5000 FCFA pour les sous-officiers ; paiement d’une pension proportionnelle à la famille du militaire décédé en service commandé après onze années d’ancienneté ; paiement d’une pension aux militaires victimes d’accident de travail ou évacuation dans un centre spécialisé ; montant de la PGA portée à 7500 FCFA pour les missions OPS ; prise en charge des funérailles de militaire décédé par la Direction générale de l’intendance (dotation d’habillement pour l’inhumation, cercueil offert pour le militaire ou son proche parent) ; augmentation de l’assistance financière lors du décès du militaire à 200 000 FCFA. 4 - Stage Assouplissement des critères d’admission à un stage ou de proposition à un test de sélection en tenant compte des réalités du pays et respect des critères lors des désignations ; possibilité d’accéder aux établissements civils pour une formation professionnelle ou universitaire (CAP, BEP, BTS, licence, maîtrise, doctorat ou ingéniorat) ; révision du texte relatif à l’homologation et à l’attribution de prime de qualification pour

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les diplômes militaires et les diplômes civils afin d’attribuer les primes selon la hiérarchie ; création d’une école nationale des sous-officiers au Centre d’instruction militaire et du service civique national de Bouar (CIMSCN) ; détachement de certains militaires dans les services civils pour lesquels ils sont qualifiés ; création d’une école de formation d’officiers afin de diminuer les coûts de formation à l’extérieur ; formation des sous-officiers au maintien de l’ordre ; inscrire les conflits internes et internationaux, les troubles intérieurs, le droit international humanitaire (DIH) dans les programmes de formation ; dotation complémentaire pour les stagiaires en effets militaires et fournitures scolaires et ordre serré avec sabre pour les sous-officiers. 5 - Recrutement Prise en compte du taux de population par préfecture lors des recrutements qui doivent se faire sur toute l’étendue de la République centrafricaine ; non-ingérence du pouvoir politique dans les campagnes de recrutement ; préservation du caractère apolitique de l’Armée pour qu’elle joue au mieux son rôle d’arbitre national. 6- Divers Personnels du TMP exclusivement militaires ; transport des troupes ou paiement d’une indemnité de transport ; interdiction de port d’effets militaires par les civils ou par les membres des familles des militaires ; éradication de la corruption dans les différents services des corps des Forces armées centrafricaines ; remédier à la sous administration qualitative et quantitative dans les services des Forces armées centrafricaines ; affectation qualitative et quantitative des personnels dans les services des corps des FACA ; détachement des décompteurs de solde par corps à la DGIFACA ; mettre un terme à la mauvaise orientation des renseignements par les agents du 2ème Bureau de l’Etat-Major Général des Armées ; couverture juridique des militaires en service commandé ; organisation de compétitions sportives inter-corps (football, volley-ball tir…) ; réduction de la durée des détachements à trois mois ; possibilité de procéder

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au remplacement numérique du soldat décédé en service commandé par un de ses enfants ou proche parent afin de garantir à la famille endeuillée un réconfort moral et matériel. IV- GARDE REPUBLICAINE (GR) Les doléances de la Garde républicaine s’articulent autour de deux chapitres : l’administration générale de la garde, subdivisée cinq parties et le respect à l’égard des gardes et de leur corps. La gestion de ce corps, tant à Bangui qu’en province revêt des spécificités et des mesures ont été proposées dans les domaines de la formation, de l’habillement, du casernement, du matériel, des salaires, de la retraite et du statut. 1- Administration générale a- Organisation du travail Installation d’une station radio pour faciliter la communication entre les détachements des provinces et l’Etatmajor ; dotation d’un autocar pour le service d’honneur afin de protéger les éléments contre les intempéries et d’un véhicule de ramassage des gardes tous les matins ; dotation du chef de service technique d’un véhicule pour permettre le contrôle des matériels (armements) dans les détachements ; dotation du major administratif et des commandants de compagnie de véhicules de service ; mise à disposition de l’infirmerie d’une ambulance pour le transport des malades ; institution de primes d’honneur, d’escorte, d’extraction et d’habillement ; allocation d’une subvention lors des audiences des tribunaux militaires permanents ; élaboration de règles de conduite à tenir lors d’une évasion de détenu au cours d’une extraction ou d’un transfèrement ; prise en compte des propositions d’avancement faites par le chef de corps par l’Etat-Major ; réduire le retard très important dans les avancements en grade (six à dix huit ans) et instituer les nominations à titre exceptionnel comme dans les autres corps de l’Armée ; reconnaissance du travail des gardes car il arrive souvent qu’après plus de quinze années de

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service rendu à la Nation, certains partent à la retraite sans grade. b- Casernement du Bataillon de Bangui Réhabilitation du camp des Gardes, de l’ordinaire et construction de nouveaux bâtiments pour l’administration et le logement ; réaménagement du garage avec une soute de carburant ; construction d’une clôture autour du camp des Gardes et amélioration du confort dans les postes de service. c- Formation Création d’un centre de formation spéciale des élèves gardes au regard des exigences du corps ; formation des chefs de section d’honneur et des éléments de la cavalerie à l’étranger, par exemple en France. d- Durée d’affectation Iinstitution d’une durée de trois ans pour l’affectation des éléments dans une circonscription et prise en charge par l’Etat des frais de déplacement liés au service (délivrance de réquisition de transport). e- Habillement Dotation des gardes l’Intendance militaire.

d’équipements

militaires

par

2- Administration en province Dotation de tout bataillon provincial de véhicule de fonction et attribution de prime de responsabilité au commandant dudit bataillon ; cette prime doit être supérieure à celle du commandant de compagnie à l’instar de celle du commandant de groupement de la gendarmerie nationale, dotation des chefs de détachement des chefs lieux et sous-préfectures de vélomoteurs (mobylettes) pour un meilleur contrôle des activités des éléments sur le terrain, attribution de prime de responsabilité aux chefs de détachements en province, gestion des fonds des ristournes par les chefs des détachements et non par les autorités locales que sont les sous-préfets et régisseurs,

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renforcement des effectifs dans les détachements : douze éléments dans les préfectures contre huit dans les souspréfectures, construction de nouveaux logements dans les camps des Gardes en province ainsi que les maisons pénitentiaires, dotation des éléments de province qui accompagnent les préfets et sous-préfets de fusils AK47. 3- Salaire Augmentation des salaires en raison du coût de la vie élevé. 4- Retraite Modification de la limite d’âge pour la fin de carrière et l’aligner sur celle de la gendarmerie nationale, attribution de pension d’invalidité en cas d’incapacité de service, majoration de la pension d’ancienneté qui n’est pas accordée à la Garde pour les enfants majeurs. 5- Statut Revalorisation du statut de la Garde Républicaine qui doit être analogue à celui de la Gendarmerie nationale. La Garde républicaine est un corps d’élite qui a été créée depuis l’époque coloniale. Elle est la première Armée de notre pays et le symbole de toutes nos forces armées. Elle doit, à ce titre, mériter les mêmes considérations attachées à d’autres corps. Dans les provinces, les gardes qui accompagnent les autorités locales ne bénéficient d’aucune prime de risque ni de ration alimentaire. Alors qu’ils assurent leur sécurité, ils sont parfois considérés comme des domestiques. Ces autorités exercent souvent des pressions sur les gardes à propos des détenus dont ils ont la charge. V- GENDARMERIE NATIONALE (GN) Le document manuscrit fourni par la gendarmerie nationale a cette particularité d’avoir été rédigé par le chef de bataillon Roger Iceindji. Intitulé « mission de défense, place de la

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gendarmerie nationale dans la nation ». Il tranche avec les comptes-rendus des séances de travail organisés dans les autres corps. En voici le contenu. Eduquer, renseigner, protéger, secourir et réprimer sont les principes d’action de la gendarmerie nationale. Elle joue le rôle de premier ordre pour la paix nationale et individuelle, la tranquillité du pays et la sécurité par rapport aux intérêts multiformes de toutes les couches de la Nation. Elle assure de ce fait deux missions principales, à savoir : • Mission de défense civile Par le jeu du soldat de la paix de par ses attributions avec les départements de justice, de l’intérieur, des finances, des mines, de l’économie, de l’industrie etc.… • Mission de défense militaire Elle est avant tout une institution militaire. L’exécution de ces deux rôles nécessite impérativement qu’elle dispose des mêmes moyens que l’Armée de terre, en plus de ses moyens spécifiques pour lui permettre de mieux remplir lesdites missions et jouer efficacement les rôles qui sont les siennes. Elle devra bénéficier nécessairement de la totalité des solutions aux problèmes qui seront évoqués et développés ici, dans le cadre de son rôle de soldat de la paix. C’est en le jouant franchement et bien, qu’elle méritera la confiance de la population. La spécificité de son caractère demande implique une ressource humaine suffisante et qualitative, une ressource matérielle adéquate, et une formation sans contrainte extérieure. Ce document se termine par une série de huit propositions qui vont de la dotation de la gendarmerie en matériel de travail approprié à la reconversion des gendarmes admis à la retraite, en passant par la formation, le casernement, les moyens de transport de troupe, les recrutements, les affectations, les avancements et les rémunérations.

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VI- REGIMENT DE DEFENSE OPERATIONNELLE DU TERRITOIRE (RDOT) Les doléances de ce corps ont porté sur les avancements, les rémunérations, la condition sociale, la condition de travail, la formation ainsi que le problème du sous effectif. On retiendra de ce chapelet de plus d’une soixantaine de mesures destinées à rendre plus opérationnels les militaires de ce régiment, la révision du statut des enfants de troupe et anciens enfants de troupe, le réajustement de la solde par rapport au grade et à l’ancienneté, la mise en place d’une prime de risque, la redéfinition des missions du service social, la réinstauration de la visite médicale avant le départ à la retraite, la redéfinition des attributions du tribunal militaire permanent, la création du conseil supérieur de la fonction militaire ou la nécessité de mener des enquêtes de moralité pour les recrutements. Voici l’essentiel du document : 1- Avancement Mise en application des textes relatifs à l’avancement et à la décoration ; mise en place d’une commission d’avancement et de décoration au niveau de chaque corps pour un travail préliminaire ; proposition au régime d’avancement : nomination au grade supérieur. a- Pour les militaires ayant une qualification Durée d’attente maximum de 2 ans b- pour les militaires n’ayant pas de qualification Nomination au choix avec une durée d’attente maximale de 3 ans pour les militaires bien notés et de 5 ans pour le mal notés par les chefs et révision du statut des enfants de troupe et anciens enfants de troupe. 2- Rémunération Réajustement de la solde par rapport au grade et à l’ancienneté de service ; ré ajustement ou suppression de la prime d’habillement sous réserve de la mise en place d’une dotation en effets militaires avec échange tous les 2 ans ou augmentation significative de la prime d’habillement ; mise en

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place des points de vente ouverts à tous les militaires, révision en hausse de la PGA. (5000 FCFA pour les officiers, 4000 FCFA pour les sous-officiers et 3000 FCFA pour les militaires du rang) ; suppression des vivres frais payés par la DGI pour les détachements au profit de la PGA ; paiement de la solde à terme échu ; rétablissement des allocations familiales, du supplément familial de solde et de la prime de rengagement ; rétablissement des indemnités de fonction et des primes d’application toutes armes ; restauration de l’indemnité d’absence temporaire (frais de déplacement) ; mise en place d’une prime de risque pour le personnel participant aux missions (15 000 FCFA pour les officiers, 10 000 FCFA pour les sous-officiers et 5 000 FCFA pour les militaires du rang). 3-Condition Sociale Ré ajustement de la prime de logement proportionnelle aux catégories des militaires, 20 000FCFA pour les officiers, 15 000 FCFA pour les sous-officiers et 10 000 FCFA pour les militaires du rang ; redéfinition de la Direction du service social et amélioration de la gestion de la Caisse du soldat ; prise en charge et suivi sanitaire des militaires ainsi que les membres de sa famille ; remboursement des frais médicaux ; mise en place d’une pharmacie de cession au niveau de tous les corps ; approvisionnement régulier des infirmiers du corps en médicaments et matériel sanitaire ; prise en charge par l’Etat des soins des personnels militaires accidentés en service ; accès au crédit bancaire pour les militaires titulaires de compte dans les banques ; ré instauration de la visite médicale lors du départ à la retraite ; amélioration du suivi des dossiers de retraite et de pension ; reconversion éventuelle des militaires avant tout départ à la retraite ; création d’une commission de reconversion chargée d’étudier les possibilités d’emploi et de stages. 4- Conditions de travail Mise en place d’un circuit de ramassage (bus, camion) ou mise en place d’une prime de transport ; mise en place de coupons de transport gratuit pour les permissions ; mise en place d’une commission chargée de l’étude des problèmes

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d’infrastructures au niveau des corps ; réduction à deux (02) mois de la durée des détachements ; élargissement des attributions de la Gendarmerie, de la Garde républicaine et de la Police centrafricaine au profit des FACA dans le domaine de la sécurité publique. 5-Formation-Emploi Mise en place des matériels d’instruction en quantité suffisante dans les corps de troupe et centres d’instruction ; utilisation des qualifications lors des affectations et respect des armes d’appartenance ; révision des conditions d’accès au stage : sélection équitable ; cohérence dans le suivi des formations et prise en compte des qualifications, de l’ancienneté et du niveau des personnels ; amélioration des relations de travail et la coopération entre la Gendarmerie et les FACA. 6- Problème spécifique au RDOT Résoudre le problème de sous-effectif des officiers et sousofficiers en favorisant le recrutement interne au corps. 7- Divers Restructuration et redéfinition des attributions des corps de troupe, régions militaires, attachés militaires etc ; redéfinition des attributions du tribunal militaire permanent (revoir les critères de désignation des membres et formation des membres); ouverture de la coopération militaire avec les autres Etats ; création du Conseil supérieur de la Fonction militaire ; attribution du budget de fonctionnement aux corps de troupe, aux régions militaires et aux attachés militaires ; modalités de recrutement dans l’armée : enquête de moralité, conditions de sélection et répartition par région ; réhabilitation des cadres militaires mis en position hors cadre pour des raisons politiques; institutionnalisation de la Journée Militaire : fête des Armées le 17 janvier ; construction de monument aux morts, d’un musée des armées et d’un centre de documentation ; construction et/ou réfection des écoles maternelles et primaires dans les casernes militaires ; informatisation des principaux services du ministère de la Défense nationale ; remise à niveau des militaires ayant

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bénéficié d’avancement à titre exceptionnel ; promotion de l’esprit de corps ; bannissement de la politique d’exclusion et de l’arbitraire ; uniformisation des tenues par armes ou corps ; révision de la gestion de l’ENAM/DGI/Secrétariat général du Gouvernement ; révision du code des pensions militaires et paiement à la Trésorerie de la DGI ; changement de coiffure (béret vert) ; formation des officiers et sous-officiers à la conduite automobile ; suivi et lecture des notations aux militaires ; création des compagnies TAP et d’une compagnie d’appui. VII- REGIMENT MIXTE D’INTERVENTION (RMI) Les hommes du rang de ce régiment se sont réuni le mardi 24 juillet 1996 au camp Kassaï sous la présidence du capitaine Bernard Ouangao, assisté d’un lieutenant-colonel français. Voici leurs doléances. 1-Matériels a- Habillement Dotation complète des effets militaires par an ; augmentation de la prime d’habillement ; différencier les bérets au niveau des corps EBI, RMI, RDOT et CI-Bouar ; application des textes interdisant le port d’effets militaires par les civils ; différenciation de tenues des militaires, policiers et gendarmes. b- Armement Re complètement des armes individuelles du régiment ; dotation en armes de précision ; Dotation en armes collectives modernes. c- Moyens de transport Moyens aériens : dotation de deux avions de transport et deux hélicoptères de manœuvre ; moyens roulants : dotation de deux véhicules de transport de troupe et d’une jeep dans chaque détachement ; dotation en véhicules pour le ramassage des

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personnels ; paiement des frais de transport sur les salaires en cas de non-ramassage. d- Transmission Réforme des matériels de transmission et dotation en matériels modernes ; réforme de l’armoire d’autocommutateur et dotation d’un nouveau dispositif téléphonique au standard du RMI ; dotation en appareils de communication aux groupes de combat. e- Santé Construction d’un hôpital général des FACA dotés d’équipements modernes ; dotation en médicaments dans les pharmacies des FACA ; abonnement des militaires dans une pharmacie de la ville où les médicaments vont être subventionnés par l’état et payés à 20% ; renouvellement du carnet de santé pour tout militaire et sa famille avec soin gratuit dans les différents hôpitaux ; dotation des infirmeries des FACA en ambulances. f- Logement Prise en charge des loyers des militaires contraints de se loger en dehors des casernes ; construction de bâtiments et de clôtures dans les différents postes de détachement ; clôture du camp Kassaï à refaire ; réhabilitation du bâtiment du service de piquet d’intervention et du poste de garde et construction du foyer du soldat. g- Alimentation Augmentation de la PGA par rapport au coût de la vie ; paiement des frais de mission ; changement de l’appellation prime globale d’alimentation (PGA) en prime individuelle d’alimentation (PIA) en raison de la mauvaise gestion par nos chefs hiérarchiques ; gestion du service d’alimentation à l’Intendance par les conseillers techniques ; gestion des ordinaires par les conseillers techniques.

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2- Statut a- Révision générale du statut des FACA, b- Avancement Port de galons immédiat à l’issue du stage ; respect du délai de port de galon par rapport à l’ancienneté de service et par rapport aux diplômes. c- Stage Participation au stage pratique des militaires dont le niveau d’instruction est moins élevé ; participation au stage de permis de conduireà généraliser ; ré activation de l’école de formation d’officiers et sous-officiers de Bouar (ESFOA) ; reconversion de militaires à l’issue du contrat ; transparence dans la sélection des candidats pour les stages. d- Pension Respect de la durée de service pour les hommes du rang ; traitement et paiement des pensions par la direction générale de l’Intendance des FACA ; création d’une caisse autonome pour le paiement des pensions des militaires à l’Intendance. e- Recrutement Traitement égalitaire lors des campagnes de recrutement au niveau de toutes les préfectures ; reconduction du vaccin TAB lors des recrutements. 3- Conditions de vie et de travail a- Salaires Paiement des arriérés de salaires de 1992-1993 ; augmentation de l’indice de salaire au même niveau que les fonctionnaires civils ; traitement d’indice au même titre que les gendarmes ; augmentation de l’indemnité de service aérien compte-tenu des risques liés aux opérations aéroportées et paiement du brevet de parachutisme ; paiement obligatoire de frais de mission à l’intérieur du pays ; paiement des salaires des militaires par la trésorerie de l’Intendance des FACA ; institution de prime de risque pour tous les corps opérationnels.

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b- Condition de vie en détachement Respect de la durée des détachements en province ; respect des militaires en détachement par les autorités civiles et les gendarmes ; couverture médicale lors des missions. c- Postes de garde et services Suppression des servitudes à l’extérieur de la caserne à l’exception des points stratégiques ; amélioration des postes de garde dans les casernes. d- Permission de longue durée (PLD) Le caractère opérationnel du corps nécessite obligatoirement des permissions de longue durée (45 jours selon le règlement) ; délivrance de titres de transport aux bénéficiaires des permissions. e- Cas sociaux Paiement immédiat de l’aide sociale par l’Intendance en cas de décès de militaire et augmentation de cette aide à 200 000 FCFA ; prise en charge des obsèques des membres de la famille (femmes et enfants) par l’Etat ; départ à la retraite après dix années de service pour les hommes du rang ; paiement de l’allocation familiale sur la base de l’ancienne grille avec le taux unique de 3 000 FCFA ; prise en compte des victimes des accidents de travail ; remise de galon à titre posthume en cas de décès en mission commandée ; port de galons à titre posthume pour les militaires tombés lors des mutineries ; assistance aux militaires blessés lors des mutineries ; organisation d’obsèques nationales en l’honneur des morts durant les mutineries. Les sous-officiers, réunis le 22 juillet 1996 sous la direction de l’adjudant-chef Sangbaté, ont, à quelques détails près, produit un rapport faisant état des mêmes revendications. Toutefois, ils ont proposé une réorganisation technique de leur corps qui devrait prendre la dénomination de « 1er Régiment d’intervention parachutiste- (RIP). Tout en revendiquant l’exercice de leurs droits civil et civique, les sous- officiers ont mis l’accent sur les modalités de recrutement : « le recrutement doit se faire sur la base d’une enquête de moralité approfondie,

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en tenant compte des niveaux d’étude et en excluant les ségrégations ethniques et tribales. Une priorité sera donnée au recrutement des enfants des militaires à l’Ecole militaire Georges Bangui ou leur incorporation dans les FACA. » VIII- REGIMENT DE SOUTIEN (RS) Une réunion des hommes du rang, sous-officiers et officiers avec le chef de Corps, a permis de passer en revue les problèmes, notamment : Le non-respect de la durée légale dans les grades ; la révision du statut général du personnel non-officier, hommes du rang, sous-officiers et officiers ; le blocage depuis 1983 de la prime de ré engagement et d’alimentation ; l’insuffisance de la prime d’habillement ; l’absence de couverture sanitaire pour les soldats et les membres de leur famille ; le manque de logements dans les casernes et l’absence de prime de logement et de transport ; le manque de matériel de couchage dans les postes de garde ; l’inexistence de foyers et de bazars dans les casernes, Ils ont proposé la création d’une paierie pour les anciens militaires admis à la retraite et souhaité que des mesures soient prises pour faciliter leur reconversion dans la vie économique. Pour terminer, ils ont mis un accent sur le statut particulier de la Musique dans les Forces Armées Centrafricaines. En effet, après la formation commune de base, le jeune soldat, pour être musicien, doit nécessairement subir une formation professionnelle qui dure douze ou dix huit mois. Or ce temps de formation n’est pas pris en compte par l’Etat -Major qui, pourtant, reconnaît les neuf mois de formation du gendarme. Aussi, l’absence d’une école de formation des cadres de Musique sur le territoire national ne facilite pas les recrutements. Une des conséquences de cet état de fait est que les Forces Armées Centrafricaines n’ont pas dans ses rangs, un officier formé dans le domaine de la Musique, trente cinq années après l’indépendance.

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IX- REGIMENT DES TRAVAUX DE GENIE (RTG) Le mardi 9 juillet 1996, le Lieutenant-colonel Rémy Adelaye et le Capitaine Jérôme Bouba ont tenu une séance de travail avec les éléments de ce régiment. Il en est ressorti ce qui suit. 1-Doléances des officiers a- Profil de l’officier (voie directe) Baccalauréat obligatoire pour l’accès aux écoles d’officier ; à l’issue de la formation académique, faire l’application immédiatement ; passage obligatoire au centre d’instruction de Bouar pour le temps de commandement de chef de section ; trois ans plus tard, faire le cours de perfectionnement des officiers subalternes. b- Officiers issus du rang Etre au moins titulaire du brevet d’arme N°2 ou d’un diplôme technique équivalent. c- Critères de promotion au grade supérieur Distinction entre l’avancement des officiers issus d’Ecole et ceux qui sont issus du rang ; respect du délai normal de l’avancement entre les grades. d- Décorations Respect du délai normal entre chaque décoration. e- Conditions de vie Dotation complète en habillement ; différenciation des tenues selon les corps ; mise en place d’un magasin au niveau des corps ; changement du tissu kaki à long terme ; amélioration quantitative et qualitative de l’alimentation ; réhabilitation des foyers et mess ; octroi d’une prime de logement ; équipement des cadres de l’Armée en moyens logistiques ; mise à disposition de véhicules de transport de troupe aux différents points de ramassage.

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f- Commandement Instaurer un meilleur suivi des comptes-rendus de punitions au niveau du corps et au niveau du 1er Bureau ; entière responsabilisation des cadres et non caporalisation des rôles ; non à l’abus d’autorité. g- Formation Rendre importante l’enquête de moralité lors du recrutement ; étendre à six mois la durée de formation ; faire en sorte que les stages correspondent aux grades ; transparence dans le paiement des primes de responsabilisation. h- Salaires Décaissement des salaires des militaires du Trésor Public au profit de la DGIFACA ; paiement des salaires à terme échu et paiement des arriérés des années 1992 et 1993 ; création d’un organisme autonome chargé de gérer les fonds des militaires ; faire en sorte que, à grade égal, salaire égal, y compris l’ancienneté de service. i- Pension Création d’une caisse des retraités ; tenue à jour des livrets de pension. j- Armement -Sécurité Modernisation de l’armement en général ; armes automatiques d’assaut comme dotation individuelle ; dotation individuelle d’armement pour les officiers (pistolet automatique) ; ré institution des patrouilles militaires en ville. k- Divers Réhabilitation des locaux disciplinaires viables pour les différentes catégories de militaires ; réhabilitation de la base PK 22 et de la briqueterie de Boyali au profit du génie militaire ; restructuration de l’EMET Georges Bangui ; promotion au grade supérieur des militaires loyalistes.

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2- Doléances des sous-officiers a- Conditions de vie Habillement ; prime d’habillement ; prime de logement ; prise en charge alimentaire des sous-officiers durant leur service ; locaux disciplinaires à réfectionner ; agrandissement de la capacité d’accueil des infirmeries militaires. b- Finances Prime de risque pour les spécialistes du génie militaire ; faire en sorte que, à grade égal, salaire égal ; paiement des salaires des militaires par la DGIFACA ; réhabilitation de la prime de ré engagement ; révision du taux des allocations familiales ; recrutement de militaires dans toutes les contrées en vue de respecter un équilibre géo-ethnique et assorti d’une enquête de moralité ; niveau minimal requiss : cours préparatoire 2ème année à la classe de 3ème. c- Divers Mise à jour des dossiers des sous-officiers sans exception ; modernisation de l’armement ; port du grade de sergent subordonné au permis de conduire ; réfection des casernes militaires ; rafles en vue de récupérer les effets militaires ; stages de recyclage ; port réglementaire des galons ; pleine responsabilisation des sous-officiers dans le domaine du commandement. 3- Doléances des militaires du rang a- Conditions de vie Hébergement des militaires du rang à la caserne ; réfection des casernes ; réhabilitation des régions militaires ; réhabilitation des foyers dans toutes les casernes ; réfection des locaux disciplinaires ; amélioration des rations alimentaires en quantité et en qualité ; autonomie des points de cuisson. b- Finances Augmentation de la solde de base du soldat ; prime de risque à instituer ; majoration de l’allocation familiale ; prime de logement en cas de non-hébergement à la caserne ; prise en

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charge des militaires tombés sur-le-champ de bataille ; révision de la prime d’habillement ; étendre l’attribution de la prime de responsabilité aux plus bas échelons. c- Divers Autonomie du génie militaire ; transfert des éléments du régiment vers les services publics ; manque de suivi en matière d’avancement et décoration ; suppression des services de gardiennage au domicile des particuliers ; acquisition de véhicules de pompes funèbres ; dotation en ambulances ; disponibilité d’un véhicule utilitaire au service du major ; ouverture d’une adresse postale par corps… X- SECURITE PRESIDENTIELLE (SP) En raison de sa nature spécifique, le corps Sécurité présidentielle n’a pas fourni un compte-rendu de séance de travail. Toutefois, une fiche retraçant l’historique, la définition et la réorganisation de cette unité a été produite. On retiendra que la Sécurité présidentielle est organisée par des textes particuliers et a pour rôle essentiel : • d’assurer la sécurité rapprochée et éloignée du chef de l’Etat, de la Maison présidentielle, de ses plus proches collaborateurs et du Palais de la Renaissance, • de recueillir, centraliser et traiter tous les renseignements relatifs à la sécurité publique, toutes les informations susceptibles d’orienter l’action du président de la République. Elle est nécessairement destinataire des ampliations de tous les renseignements provenant de tous les services spéciaux et intéressant directement ou indirectement la sécurité publique en général et celle du président de la République, de ses plus proches collaborateurs et de la Maison présidentielle en particulier. Il faut surtout noter que cette structure, dans son fonctionnement sur le terrain, a des pouvoirs plus étendus que ne le précisent les textes…

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ANNEXE 2 LES YAKOMA ET LA RCA, REPERES D’UNE HISTOIRE VRAIE Par Jean-Bosco PELEKET La République centrafricaine est confrontée à une crise d’une gravité exceptionnelle qui menace à terme son existence si les responsables de sa faillite ne sont pas écartés des rênes du pouvoir. Le pays compte quelques dizaines d’ethnies avec cette particularité que jamais aucune ne se soit organisée comme telle pour conquérir le pouvoir politique et l’Etat. Pourtant le tribalisme est utilisé à la fois comme un moyen et une arme depuis la fin des années 80. L’échec du coup d’état revendiqué par le général Kolingba contre le président Patassé dans la nuit du 27 au 28 mai 2001 a réveillé les démons d’un régime qui espère se dédouaner à bon compte en portant tous les Yakoma au Golgotha, c’est à dire tous les membres de la tribu dont le général putschiste est issu. Dans une diatribe sans précédent, Dondon Konamabaye, président de l’Assemblée nationale, deuxième personnage de l’Etat dans l’ordre constitutionnel, qualifie, à la tribune de cette institution, l’ethnie Yakoma de “minorité pourtant exogène, assimilée et intégrée, imbue de suprématie et assoiffée de pouvoir” et estime que “si on veut la paix, il faut renvoyer chez elle, cette minorité exogène”. Pour sa part, le président Patassé ne cesse depuis le 28 mai 2001 de galvaniser ses partisans “pour un ratissage sélectif de la population”. Dans le même temps, Prosper Ndouba, son porte-parole, assuré de l’arrivée imminente des troupes libyennes au secours du régime, déclara sans ambages sur les ondes de radio “qu’il faudrait en finir avec les Yakoma”. Il mobilise depuis juin 2001, les ressources de l’Etat pour combattre cette ethnie, pour occulter la chasse aux sorcières et pour essaimer le venin tribaliste par

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tous les moyens possibles de communication. On ne saurait donc douter que les hautes autorités centrafricaines aient trouvé « la solution finale » pour une des composantes nationales, affublées de l’étiquette minorité exogène pour les besoins de la sinistre cause. Qui sont donc les Yakoma ? Répondre à cette question n’est point chercher à “tribaliser” le débat ou chercher à éclairer ou à confondre tel ou tel leader inculte, incompétent, corrompu et corrupteur qui pense abuser encore longtemps sa propre tribu et le peuple centrafricain. Ce serait lui faire trop d’honneur, de crédit et en tout état de cause, perdre son temps. Nous devons cependant, face à tous nos concitoyens et à l’opinion africaine, répondre à cette question. C’est en effet une exigence intellectuelle, un devoir moral autant que de mémoire. Le peuple Yakoma tant décrié et voué aujourd’hui aux orties par ceux là même qui ont pour mission et devoir de veiller à la sécurité physique et matérielle des Centrafricains, à l’unité et à l’intégrité de la RCA est, à ne pas douter, à la croisée des routes, des eaux et des cultures qui ont irrigué de leurs bienfaits les civilisations de cette partie d’Afrique. Les Yakoma sont issus du peuple Ngbandi dont les racines remontent jusqu’en Nubie (1). Ils se sont établis sur les deux rives des fleuves Mbomou, Uélé et Oubangui. Les Ngbandi recouvrent, au Nord les Ndongo, les Fèrogo, les Guèmbèlè, les Déndi, les Bira, les Yakoma, au Sud les Sango, les Mbangui, les Mbii, les Bouraka, les Gbanziri, etc. Les Ngbaka, les Monzombo et leurs sous-groupes plus au sud, participent de la vaste culture oubanguienne. Les liens avec le Nil et la Nubie, terre des aïeux, s’estompèrent au fil du temps en raison de leur insoumission à toute forme religieuse et d’oppression politique, à la place qu’ils accordent aux débats démocratiques, à la justice et à l’organisation sociale. La défaite infligée par les Ngbandi en 1880 à ceux qu’ils nomment Tourcs mais que les historiens des temps modernes pensent être des Soudanais et Zanzibarites, mit fin définitivement à l’axe du Nil, aux échanges avec l’Est et les pays des grands lacs.

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Le réseau commercial dense tissé par ce peuple, appelé tantôt Oubanguien, U Bangi, Gens d’Eau ou Ngbandi a conduit, bien avant la colonisation belge et française, la diffusion d’une langue véhiculaire, dite «langue d’eau» (1). «Les Yakoma constituaient par ailleurs, une forte nation. Avec le minerai de leur mine de l’Uélé, ils fabriquaient une monnaie de fer, nommée nguinza, [subdivisée-en : pata, kpâkouta ou makouta, sènguè, mia], acceptée sur une très grande partie des territoires congolais et centrafricain actuels» (2). (1) Père Benjamin Lekens, Dictionnaire Ngbandi-Français, FrançaisNgbandi, OFM cap. Musée du Congo belge, Tervuren, 1932, p 1

Les premiers colons français comprirent très vite tout l’intérêt de s’allier à ce peuple travailleur, fier, infatigable navigant qui avait su tisser des liens exceptionnels avec les tribus les plus diverses et qui non seulement contrôlait la navigation sur les fleuves Mbomou, Uélé, Oubangui mais avait su nouer des alliances leur permettant de commercer jusqu’aux confins de la mer, sur la façade atlantique, avec les Portugais présents au Cabinda dès 1482 (3). Leur langue, le sango sera utilisée et répandue à plus grande échelle par le colonisateur français, et ses auxiliaires, par les églises catholiques et protestantes à travers une bonne partie de l’Afrique Equatoriale Française. Jusque dans les années 1970, le sango était parlé couramment au sud du Tchad, à Ndjaména, à Brazzaville au Congo, à Douala au Cameroun et à Libreville au Gabon. Mais les colonisateurs venus du Sud ne furent point accueillis à bras ouverts et en maîtres, loin s’en faut. Le rapport du lieutenant-colonel Van Gèle, commandant l’expédition de l’Oubangui en juin 1886 se passe de tout commentaire sur les qualités de ce peuple intrépide et noble : «… Le 1er janvier 1888, le voyage se poursuivit au milieu d’une foule menaçante de noirs, qui nous accompagnaient en pirogue. Malgré notre tir, les guerriers noirs continuent d’avancer bravement. Alors, à cause des herbages qui limitent la vue, et craignant d’être tourné, je me rallie en tiraillant vers l’"En-

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Avant ", afin d’attirer l’ennemi sur le terrain découvert qui entoure notre campement. Cette manœuvre réussit. L’ennemi nous poursuivant est refoulé, avec de grosses pertes, par un feu tiré à bout portant de la plate-forme du steamer sur lequel s’étaient hissés Liénart et ses hommes, et par nos balles. Mais nous en n’avions pas fini. Un banc de sable précédait l’île, un peu en amont de notre campement une centaine d’hommes. Nous devons encore tirer à bout portant sur ces braves, qui ne se retirent que lorsqu’ils ont vu plusieurs des leurs couchés au sol. Enfin une attaque – la quatrième – se dessine par l’aval de l’île. Celle-ci est plus faible ; les agresseurs battent en retraite après que deux des leurs sont tombés. Est-ce l’épilogue ? Pas encore. Toutes les pirogues se sont réunies en amont. Nous entendons un roulement de tambour, et les embarcations s’apprêtent à foncer sur nous. Heureusement, à ce moment – il était trois heures et demie – nous avons suffisamment de pression pour descendre le courant. Les pirogues n’osent pas nous poursuivre. Ce combat compte parmi les plus acharnés que j’aie eu à soutenir en Afrique. Généralement, les indigènes fuient aux premiers coups de feu, surtout quand ils voient tomber leurs compagnons. Ici, rien de pareil ! Avec une audace inouïe, les Yakoma s’approchaient de nos fusils, jusqu’à vingt-cinq mètres, puis nous jetaient leurs lances. Si dans un de leurs assauts, ils étaient parvenus jusqu’à l’ « En-Avant », nous étions perdus. Leurs quatre attaques enveloppantes, opérées simultanément, nous eussent écrasés ; faites successivement, elles nous avaient permis de les repousser tour à tour. » (4) Les Belges établirent leur poste et l’administration à Yakoma dès 1889. Les Français, avec la mission d’Uzès se positionnèrent en face aux A BIRAS, non loin de Bémâ. …/… (2) Pierre Kalck, Les Centrafricains des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, Histoire de la République centrafricaine, éditions Berger-Levrault, Paris 1974, p 60, 63

A noter que l’égyptien ancien fourmille de mots Yakoma ou Ngbandi à moins que ce soit le contraire. Les égyptologues moins frileux qui voudront bien se mettre à l’ouvrage ont un

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avenir sur ce gisement. Un ami ouest -africain, médecin de formation, s’intéressant à l’égyptologie à ses heures de loisir, est subjugué par l’héritage. (3) Les grandes familles Ngbandi ont conservé des reliques et des histoires de cette période et transactions. On s’explique alors mieux pourquoi les Portugais n’ont pratiquement jamais employé de ndombès ou boutiquiers d’autre tribu que les Ngbandis avant 1970, habitués qu’ils étaient avec ce peuple travailleur et de grande rigueur. Les Portugais suivis plus tard de commerçants grecs, établirent partout en Oubangui-Chari des factoreries puis des boutiques avec le concours des Yakoma, contribuant ainsi au renforcement de la langue d’échange et de commerce qui est le sango. (4) Louis Franck, Le Congo belge, éditions La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1930, tome II, p 45-47 Par décret du 13 juillet 1894, le Territoire du Haut-Oubangui fut créé, amputé de l’ensemble Congo -Français et la capitale fixée aux A BIRAS.

Ainsi, les Yakoma et plus généralement les Oubanguiens étaient consacrés comme une pièce maîtresse dans le dispositif des puissances européennes en quête de l’Afrique équatoriale. L’antériorité de leur situation, de leur positionnement en « Afrique Centrale », « Centrafrique » ou Bê Afrika est indiscutable. Elle est historique, permanente, indéniable. « A BIRA » fut consacré chef lieu de territoire avant Bangui, Fort-Lamy et toute autre bourgade ou lieu-dit. Il est clair que la colonie française qui portera, en définitive le nom de OubanguiChari prit naissance d’abord au sud, sur les rives de l’Oubangui et Mbomou, avant de s’étendre au Nord. Le Nord après le Sud et l’Ouest enfin La volonté française de gagner rapidement les riches régions équatoriales à partir de l’Afrique du Nord se réaffirma, devint une cause nationale, soutenue notamment par Eugène Etienne, secrétaire d’état aux colonies et par un véritable «parti colonial français. La méthode était cependant loin d’être efficace. Après des déboires, Bangui fut choisi par Paul Crampel en novembre 1890, «pour être le point de départ d’une fantastique expédition

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qui se donnait pour objectif de relier l’Oubangui aux rives de la Méditerranée et de créer ainsi une Afrique française d’un seul tenant. La reconnaissance, la conquête des terres de l’intérieur et du Nord par les Français fut particulièrement laborieuse, coûteuse en vies humaines et en destruction de toute sorte. Les populations noires considérées souvent moins que des bêtes de somme, défendirent pied à pied leurs terres et cultures dans des grands combats. La victoire de Kousseri le 22 avril 1900 des forces françaises rassemblées contre Rabah marqua l’aboutissement du plan Crampel. La jonction Oubangui -Chari / Tchad était établie mais les colonnes militaires coûteuses pour la France métropolitaine avait ruiné les finances de la colonie. Le système concessionnaire adopté par la France et qui a consisté à abandonner des pans entiers du territoire aux sociétés franco belges d’exploitation privée, enflamma le pays oubanguien à cause du travail forcé, des injustices, des exactions et des meurtres commis par les colons et leurs supplétifs. La guerre de survie ou Kongo-Wara, éclata en 1928. Elle mobilisa les populations Gbaya, Mandja, Banda, ceux de la Lobaye, déborda sur les régions voisines du Moyen-Congo, du Cameroun, du Gabon, du Tchad et dura quatre ans. C’est à la suite de ce tragique épisode qu’un décret de 1932 détachait les régions de Bouar-Baboua, de la Haute-Sangha et de la Lobaye du territoire du Moyen-Congo pour les rattacher à l’Oubangui – Chari. Cf. P. Kalck, Barthélemy Boganda, éditions Sépia, Saint-Maur, 1995, p 52.

L’éveil et l’autodétermination L’administration coloniale de l’Oubangui-Chari, contrainte de lâcher du lest à la sortie de la 2ème guerre mondiale où les Africains dont les Oubanguiens s’illustrèrent dans les batailles contre le régime nazi (5), trouva dans le vivier des Gens d’Eau

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et des Oubanguiens en général les premiers «évolués» avec lesquels assurer les évolutions du pouvoir et la transition (5). Les tirailleurs oubanguiens se sont illustrés dans les combats menés par la France Libre, notamment à Alep, Bir Hakeim, à Royan, à la Rochelle. Le 18 juin 1945, ils défilaient à Paris, sous l’Arc de Triomphe, en tête des Forces françaises Libres. Que peut-on retenir de cette époque considérée comme l’âge d’or de la formation politique centrafricaine ? - une mobilisation de tous les instants pour l’existence politique, - aucune rigidité, aucune suprématie ou fermeture d’une ethnie par rapport à une autre, - une solidarité d’autant plus effective et nationale que le peuple uni par la langue sango, trouva rapidement dans ses rangs un leader authentique, Barthélemy Boganda, secondé dès les premières heures par des patriotes de grande probité parmi lesquels on peut citer Etienne Ngounio, Abel Goumba, Alphonse Maléyombo. La suite appartient à l’histoire récente de la République centrafricaine. Une histoire faite de trahisons, de turpitudes, des occasions manquées et d’un peuple pris en otage par une poignée d’individus indignes, sans loi ni foi (6). Des individus qui n’ont rien trouvé d’autre que de façonner l’alibi de la tribu pour détourner l’énergie d’un peuple ; un peuple qui ne demande pourtant qu’à se rassembler pour relever le défi du mieux être et du développement. Il me paraît important de rappeler en conclusion de ce rapide survol que l’histoire coloniale aura retenu que c’est à la suite de graves injustices, exactions, meurtres qu’éclata, en 1928, l’insurrection la plus sanglante à laquelle le régime français a eu à faire face en Afrique Centrale : la guerre de survie ou Kongo Wara. La République centrafricaine, héritière de l’Oubangui -Chari ne saurait opposer une partie de ses composantes ethniques à une autre. Elles se valent toutes. Toutes les composantes de la population de notre pays doivent pouvoir se réaliser dans leurs diversités et pour le plus grand bien de tous et toutes.

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Les Yakoma ne sont pas moins centrafricains que les autres ethnies de la RCA en particulier les Kaba dont on ignorait tout jusqu’à l’avènement de Patassé et du quatuor Ndouba – Dondon Konamabaye – Doléguélé – Bazoli. Les politiciens en mal de pouvoir, pour qui tous les moyens sont bons, y compris les manipulations, la division, la violence et le génocide doivent être démasqués, identifiés et appelés à répondre de leurs actes devant la justice. Leurs exécrables exécutants doivent savoir qu’ils n’échapperont pas non plus à la justice du peuple souverain et à la sanction de l’histoire. Ils en sont si convaincus d’ores et déjà qu’ils se dépêchent de mettre à l’abri, à l’étranger, leurs familles et les fruits de leurs détournements au détriment de la RCA. (6) Il est patent qu’un certain nombre de cadres Yakoma, avec le général Kolingba, ont participé à la décrépitude de l’Etat centrafricain à l’instar des cadres d’autres ethnies de la RCA. Affirmer le contraire serait stupide.

Cependant des leaders : intellectuels, hauts fonctionnaires, cadres de l’administration d’Etat et des secteurs privés, opérateurs économiques, hommes politiques de renom dont Abel Goumba, Etienne Ngounio, François Péhoua, des artistes, A Gni Zo, A Bètâ Zo (et c’est certainement la caractéristique des Yakoma et des Oubanguiens en général) ne se sont jamais senti parti lié avec Kolingba. Nombreux sont ceux d’entre eux qui sont rentrés en opposition ouverte avec sa politique jugée indigne parce que anti nationale. Certains en ont payé de leur vie dans les années 80 et début 90 ; beaucoup se sont tenus à l’écart ou ont choisi le chemin de l’exil, la mort dans l’âme. En définitive, l’histoire récente de la RCA sera écrite tôt ou tard, en toute objectivité, par des Centrafricains intègres. Elle jettera alors une lumière crue sur toutes les forfaitures depuis mars 1959 et en particulier sur la volonté sans précédent, la responsabilité pleine et entière d’un président de la république, A.F. Patassé, ses proches et les caciques de son parti, le MLPC, de confondre une ethnie avec l’auteur présumé d’un coup d’état manqué pour enfin réaliser un plan longtemps mûri : « à défaut

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[de pouvoir] noyer les Yakoma et les Oubanguiens dans leur sang, en éliminer le plus grand nombre possible en commençant par l’élite » ! (Cf. la presse centrafricaine et autres rapportent depuis 1996 les déclarations, les confidences de Patassé, de ses proches et les tracts de son parti le MLPC, à cet égard. Cela s’appelle génocide. La République centrafricaine a essuyé de nombreuses tentatives de prises de pouvoir par la force depuis son accession à l’indépendance en 1960. A.F. Patassé lui-même en a commandité une en 1982. Aucun des présidents en exercice y compris Jean-Bedel Bokassa, ne s’était jamais pris à ce point aux paisibles citoyens et à l’ethnie des putschistes. Oui assurément, Patassé est passible de parjure, de haute trahison, de crimes économiques, de génocide, et de crimes contre l’humanité. Ses mascarades et les tentatives effrénées de son dernier carré pour occulter les faits n’y changeront rien. Jean-Bosco PELEKET Paris, août 2001

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ANNEXE 3 POST-IT : POUR NE PAS OUBLIER Par Alain LAMESSI Que si le sang doit couler, que ce soit dans l’utilité définitive, et que les survivants observent à jamais le devoir de mémoire. Juliette ABANDOKWE, journaliste.

Dans une tribune, L’Afrique suicidaire, parue dans Le Monde du 18 mai 2002, J.-P. Ngoupandé, soutient avec beaucoup de verve: « Le basculement de nos pays dans la violence, le laxisme dans la gestion des affaires publiques, la prédation sur une vaste échelle, le refus de nous accepter entre ethnies et régions, tout cela a une cause principalement endogène. L’admettre sera le début de la prise de conscience, et donc de la sagesse. Cette autocritique lucide de la part d’un intellectuel africain, dans le cas de la République centrafricaine, trouve quelques éléments d’explication dans des faits historiques précis. Si la mauvaise gouvernance est le trait dominant de tous les régimes qui se sont succédé à la tête de l’Etat, la violence semble être le mode privilégié de conquête et de conservation de pouvoir en Centrafrique. En effet, en seulement cinquante années d’indépendance, nous avons connu cinq coups d’Etat, cinq constitutions, trois tentatives de coup d’Etat, une guerre civile, quatre mutineries, des dizaines de rébellions armées. A y voir de près, le nombre des officiers, sous-officiers, hommes de rang et des civils centrafricains sommairement exécutés par des centrafricains pendant ce laps de temps serait probablement de loin supérieur au nombre des oubanguiens morts pendant les première et deuxième guerres mondiales. Nous avons, nousmêmes, brûlé des villages entiers des centrafricains, les contraignant à vivre prostrés dans la brousse, mangeant des racines et des lézards. Nous avons, nous-mêmes, détruit des

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maisons et des biens des centrafricains, richesses de toute une vie partie en fumée en un clin d’œil. Beaucoup ne s’en seront plus jamais relevés et d’autres en seront morts. Nous avons, nous-mêmes, mis le feu dans des bâtiments administratifs, saccagé des biens de l’Etat, détruit des entreprises entières, pourvoyeuses d’emplois et de richesse, vandalisé des véhicules, pillé des magasins et brandissant fièrement les objets volés, baptisés " Grâce à Dacko «. Avec la voracité des rapaces et la férocité des prédateurs nous avons volé l’argent du peuple déjà si pauvre et l’avons dépouillé de tous ses maigrichons biens meubles et immeubles, réduisant le peuple centrafricain naguère si fier en une armée de zombies mendiant le pain à longueur de journée pour tromper la faim qui ne le quitte plus, buvant de l’eau boueuse pour satisfaire une soif inaltérable, se livrant à tous les charlatans pour soigner son paludisme chronique, s’éclairant avec de l’huile de palme et se lavant avec les feuilles de papayer comme au temps des ancêtres. Des centrafricains ont pourchassé ou pourchassent encore d’autres centrafricains pour les égorger ou les décapiter comme les chasseurs pourchassent des gibiers dans la brousse. Cette liste de nos propres turpitudes n’est pas exhaustive. Le président André Kolingba avait remarqué à juste titre que « nous avons perdu beaucoup de sang, de temps, d’argent et de larmes. Cinquante ans de mort et de misère, ça suffit ! Nous avons fait plus de mal à notre peuple en cinquante années d’indépendance que les colons en soixante ans de domination. La République centrafricaine est aujourd’hui un pays esquinté, défiguré et cabossé à cause des coups à elle portés par ses propres fils. Dans ces ténèbres où les forces du mal semblent provisoirement triompher, quelques lumières s’allument pour éclairer nos sentiers. Si c’était pendant la deuxième guerre mondiale qu’il a sauvé des juifs comme il l’a fait aujourd’hui pour des centrafricains, Maître Nicolas Tiangaye serait sans nul doute honoré comme un « juste parmi les nations » et son nom serait gravé sur le « Mur d’Honneur », dans le jardin des justes, à Yade Vashem, à Jérusalem. Il a pris un risque certain pour

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nous cacher chez lui 30 jours durant et de manière désintéressée. Savoir prendre des risques pour sauver des amis Lorsque l’ancien président (André Kolingba) avait fini de revendiquer la tentative du coup d’état (28 mai 2001), la riposte des militaires loyalistes et des miliciens fut d’une extrême violence. Des coups de feu éclataient partout, des militaires et des miliciens armés jusqu’aux dents, paradaient avec fière allure, armes aux poings, la gâchette facile. Des barricades étaient érigées sur toutes les artères par des militants ivres de rage et de haine. Il fallait décliner son identité ethnique avant de passer ou s’arrêter. Pas un seul chat dehors. Le ciel s’est assombri. La peur s’est emparée de tout le monde. A ce moment j’ai pensé que des amis qui travaillent au cabinet du président de la République Ange Félix Patassé pouvaient envoyer des militaires me protéger. J’ai appelé Prosper Ndouba, ancien camarade de l’UNECA, conseiller spécial et porte-parole du président de la République mais son téléphone ne répond pas. J’ai appelé, mon ami et collègue, Marcel Loudégué, secrétaire général à la présidence et membre influent du parti au pouvoir ; il n’y a toujours pas de réseau. Et si j’allais tout simplement chez Marcel Loudégué. Il habite à moins d’un kilomètre de chez moi. Mais comment sortir et par où passer ? Il faut coûte que coûte partir. Il faut traverser le fleuve Oubangui pour retrouver la liberté de l’autre côté du Congo. J’ai envoyé un éclaireur (un frère en Christ, ancien de la garde présidentielle renvoyé par le colonel Mantion pour cause d’indiscipline) pour prendre des contacts, évaluer les risques et trouver un piroguier qui accepterait de me prendre et à quel coût. Il revient le soir, vers dix-sept heures, suant à grosses gouttes, l’air accablé. Frère, tu ne peux pas passer par le fleuve, s’ils t’attrapent, tu es mort. Mais pourquoi donc ? Lui demandais-je. Tu es «Yakoma » et en plus tu travailles comme conseiller du

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président Apollinaire Dondon Konamabaye. Certains mutins te considèrent comme un traître et un espion à la solde d’Ange Félix Patassé. S’ils t’attrapent, ils te tuent sans discussion. Seuls, le colonel K. (Colonel Aimé Kassa) et le capitaine S. (Capitaine Anicet Saulet) qui te connaissent bien, ont tenté de te défendre. Mais tu sais, ils ne sont que deux. D’ailleurs le colonel K. m’a chargé de te dire de ne pas bouger de là où tu es. A peine son message délivré, l’ancien GP (garde présidentielle) tourna le talon et s’en alla. Je ne l’ai plus jamais revu jusqu’à ce jour. Je compris la gravité de ma situation. D’un côté, parce que Yakoma, les loyalistes me considèrent comme un intellectuel proche du président général André Kolingba, donc un ennemi à abattre et de l’autre côté, les mutins me considèrent comme un traitre-espion à la solde du président Ange Félix Patassé qu’il faut éliminer. Des faucons extrémistes et des ayatollah intégristes, il y en a dans tous les bords mais il faut que les colombes se lèvent et brandissent les rameaux d’oliviers pour proclamer la paix, encore la paix, toujours la paix et l’unité nationale en République centrafricaine. Que faire ? Où aller ? D’où me viendra le secours ? C’est à ce moment-là que j’entends mon portail grincer. Et je vois venir mon ami de toujours, Maître Nicolas Tiangaye, habillé en short et t-shirt, sandales aux pieds, avec un poste radio collé à l’oreille, écoutant la Radio France Internationale. Mon chien, Rocky, le connaissant bien, n’a pas aboyé. - Alain, je viens te chercher, tu vas te mettre à l’abri chez moi, dit Maître Nicolas Tiangaye. S’ils veulent te tuer, qu’ils me tuent d’abord, ensuite ma famille et toi à la fin. D’ailleurs le grand frère Jérôme Angoundoukoua est déjà chez moi à la maison. - Maître, c’est vraiment gentil. On connaît les vrais amis dans des moments difficiles. Aussitôt, j’ai rassemblé mon épouse, mes cinq enfants ainsi que ma sœur cadette venue de Bangassou à qui j’ai présenté la situation. Tous sont d’accord avec la proposition. Et mon

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épouse, visiblement soulagée, d’ajouter en bonne diaconesse, « Gloire à Dieu ! C’est Dieu qui a envoyé Nicolas. Je t’avais dit que Dieu fera un miracle. Il a écouté notre prière et a envoyé un ange…. Rassuré, je suis rentré chercher quelques effets personnels et nous voilà partis. Nous n’avions qu’à traverser l’avenue des Martyrs et à parcourir 200 mètres tout au plus. Quelle joie de retrouver mon compagnon d’infortune, Jérôme Agoundoukoua. ! Deux jours après, la mère de Maître Nicolas Tiangaye vint nous rendre visite. Il faut dire qu’elle a mal aux pieds et ne peut se déplacer facilement. Néanmoins, elle a quitté le quartier BoyRabe jusqu’au quartier Foûh, juste pour nous rendre visite, bravant la peur et les balles perdues. Elle nous a rassurés qu’il ne nous arrivera rien, parce qu’elle avait beaucoup prié pour nous. En repartant elle nous dit : « Je n’ai plus la force de préparer à manger. Mais je vous ai amené des arachides et du maïs frais. Votre femme Monique va les préparer pour vous. Merci maman ! Et paix à ton âme ! Dans la même semaine, l’oncle de Nicolas vient nous voir. Il travaille dans la plantation de Maître Nicolas Tiangaye, au PK 28, sur la route de Damara. J’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer une ou deux fois. Il me prend à côté et me tend quelque chose. - Alain, je t’ai apporté quelque chose que tu vas aimer. - C’est quoi ? C’est pour les hommes mais je ne l’ai pas apporté pour toi mais pour ma belle-fille qui est restée à la maison. - Mais oncle, là où je suis, je n’ai même pas faim, je n’ai même pas soif, je ne dors pas. J’ai vraiment peur pour ma vie. Je ne pense pas du tout à la chose dont tu parles. - Alain, tu sais que la guerre ne dure pas éternellement. Quand elle va finir, il faut bien vivre. Il y a un temps pour tout.

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J’aime le pragmatisme de cet oncle paysan pour qui la vie doit triompher de la mort. Et puis on ne donne jamais que ce qu’on a. J’ai pris la fameuse écorce de l’oncle pour lui faire plaisir. Je ne sais pas si je l’avais mâchée ou l’avais jetée quelque part. Je ne m’en souviens plus. Toujours est-il que mon épouse a accouché neuf mois plus tard d’une jolie petite fille. Celle qui a l’habitude d’appeler Nicolas Tiangaye papa et non tonton comme les autres. Dans notre refuge chez Nicolas Tiangaye, nous n’avons manqué de rien. Nous avons mangé à notre faim, bu à notre soif et dormi sur de bons lits. Il délaissait souvent sa chambre et venait rester avec nous pour bavarder jusqu’aux premières heures du matin. Parce que tous chrétiens, nous passions beaucoup de temps à prier et à lire la Bible. Irène qui était aussi réfugiée chez Maître Nicolas Tiangaye, priait beaucoup. Elle sortait souvent dans le quartier. Elle nous ramenait des mangues et de précieuses informations. Mais les nouvelles qui nous parvenaient n’étaient pas bonnes : Tel intellectuel est assassiné, tel haut cadre exécuté, tel autre tué, tel officier décapité, telles personnes enlevées. Beaucoup de nos frères ont traversé au Congo et d’autres sont partis à pieds sur la route de Mbaïki. Et nous ne pensions qu’aux amis qui n’ont pas eu notre chance d’être en sécurité. Que sont-ils devenus Dieudonné Wazoua, Jean-de-Dieu Guégbélet et Maître Zarambaud Assingambi sur l’avenue des Martyrs, Grézenguet sur la route de l’aéroport, Patrick Doubro et Jean Gbassinga aux 200 Villas ? Que sont-ils devenus, mon Dieu ? Sont-ils encore seulement en vie ? Nicolas Tiangaye a dû dépenser une fortune à ce moment-là pour les frais de téléphone. Il appelait partout en Afrique, en Europe, en Amérique pour alerter l’opinion internationale. « On ne va quand même pas massacrer tous les cadres Yakoma parce qu’il y a eu une tentative de coup d’Etat », tempêta-t-il. Il accordait des interviews à toutes les radios internationales pour sensibiliser le monde entier sur la gravité de la situation en Centrafrique. Dans la semaine et à sa demande la FIDH a

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envoyé une délégation à Bangui pour venir s’enquérir de la situation. Des moments de joie succédaient aux moments d’abattement. Jérôme Agoundoukoua, en plus d’être notre conseiller spirituel, il était aussi le meilleur compagnon d’infortune qu’on puisse avoir. Toujours de bonne humeur, il a des tonnes d’histoires drolatiques à raconter. Il pouvait nous faire rire toute la nuit avec ses aventures et mésaventures truculentes. Très souvent on avait vraiment peur avec tous ces coups de feu qui n’en finissaient plus. Les miliciens qui étaient juste à côté, voulaient certainement nous intimider et nous faire comprendre qu’ils savaient que nous étions là, à la portée de leurs kalachnikovs, et qu’ils étaient prêts à en découdre. Et ce chat qui s’amusait à nous faire peur aussi en grattant à la fenêtre, toujours à la même heure, vers minuit ou une heure du matin. Nous recevions beaucoup de visites des amis : Dr Yangué, feu Dr Dofara, Dr Ndoyo, Pr Sy, Pr Isaac Bénguémalé, Maître Goungaye, le ministre Jacob Mbaïtadjim etc. Dans ce moment de disette, certains trouvaient le moyen de nous donner quelques billets de CFA. La solidarité, ainsi manifestée, fait chaud au cœur et contredit totalement le tribalisme monté en épingle, par les uns et les autres, pour le besoin de la cause. Un citoyen américain est venu nous rendre visite. Nous avons discuté sur la situation nationale et échangé nos analyses sur les assassinats. A la fin, il me demanda : « Je sens que tu es fatigué mon frère centrafricain. Veux-tu aller te reposer un peu aux Etats-Unis? Si tu veux devenir américain, je peux t’aider. J’ai répondu oui, sans trop y croire. Un mois après, lorsqu’un calme relatif était revenu, l’Ambassade des Etats-Unis m’a effectivement offert un billet d’avion, un visa et une bourse pour effectuer un voyage d’étude aux Etats-Unis. Nicolas TIANGAYE : Un démocrate sincère Après « le discours de La Beaule », les démocrates africains en général et centrafricains en particulier avaient pris du poil de la bête. La tendance modale était la conférence nationale

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souveraine. Le CCCCN avait le vent en poupe. Et Maître Nicolas Tiangaye vint me voir dans mon bureau, à l’Assemblée nationale, au bord du fleuve Oubangui et me demanda de signer une pétition. J’ai lu la pétition et vu la signature des camarades Clément Bélibanga, Simone Bodémo, Aristide SokambiI, Didier Wangué, Jacquesson Mazette, Denis Kossi-Bella, etc. Cela aurait pu me convaincre mais je lui dis que je ne signe pas cette pétition pour deux raisons : je suis solidaire de la position de mon parti, le RDC, qui a opté pour le grand débat national au lieu de la conférence nationale souveraine, ensuite je suis loyal au président André Kolingba. Il était visiblement déçu de ma réaction mais il me dit simplement : je respecte ton choix. Et cette divergence n’a jamais eu la moindre incidence sur nos relations. Après l’élection présidentielle de 1999, les contradictions internes au parti RDC étaient exacerbées et les querelles de personnes s’étaient substituées aux débats d’idées. Je ne m’y retrouvais plus. Je vais voir le président Louis-Pierre Gamba à qui je remets ma lettre de démission. Il me dit, je ne suis pas d’accord que tu démissionnes, je te connais, tu as toute ta place dans le parti. Si nous t’avions écouté avec Jean-Eudes Téya au congrès de Berberati, peut-être que nous n’en serions pas là aujourd’hui. Souviens-toi de ce que tu disais : “Pourquoi voulez-vous conduire le président Kolingba dans une voie sans issue en refusant le multipartisme ? C’est maintenant qu’il faut aller au multipartisme. Demain ce sera trop tard pour le RDC car nous ne contrôlerons plus rien. Ne prenons pas le risque d’aller à contre-courant de l’histoire”. Quelle mémoire éléphantesque pour ce grand frère éternellement jeune que Jérôme Tabangué (mort en exil comme beaucoup d’autres frères) appelait affectueusement « notre dinosaure » ou « le baobab » !!! Moi-même je ne me rappelais plus de ce que j’avais dit tellement la salle du congrès était chauffée à blanc et la tension vive car l’opposition entre les deux courants était frontale et le débat très passionné. Ultra minoritaire, notre position était battue à plate-couture mais j’eus la consolation d’être élu, par les congressistes, au comité directeur.

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Le soir, je vais voir mon ami Nicolas Tiangaye à qui je fais part de ma décision de démissionner du RDC. Là encore, j’essuie un refus catégorique. Non il ne faut pas démissionner car on va vite oublier tout ce que tu as fait mais on va seulement retenir que tu pars maintenant du RDC parce que le président Kolingba a perdu le pouvoir même si c’est six ans après. Personne ne prendra la peine de dire que c’est pour cause de divergence politique. Et puis il faut que les meilleurs restent dans leur parti comme ça le débat démocratique gagnera en lisibilité et s’enracinera dans le pays! Je croyais qu’il allait sauter de joie en apprenant que je pars du RDC. Mais non ! Comment celui qui a toujours pourfendu les positions du RDC soit contre ma démission? Mais cette fois, ma décision étant prise et je n’ai pas écouté le conseil de mon ami. En fait, je traversais au plan personnel, une crise existentielle car je ne croyais plus aux partis politiques et ne voulais surtout plus faire de la politique. Tout juste un dernier détail pour la route Lorsque le général François Bozizé était ramené manu militari de son exil de Cotonou et jeté en prison à Bangui, le 3 octobre 1989, j’ai vu Maître Nicolas Tiangaye rugir comme un lion. « Ils vont le tuer !! Mais cela ne se passera pas comme ça. Le général Bozizé ne mérite pas le sort qu’on veut lui réserver. On ne doit pas le traiter comme un vulgaire objet. C’est un officier général centrafricain. Il mérite respect. » Il a remué ciel et terre, cogné à la porte de toutes les chancelleries, activé tout son réseau pour sauver le général. Il a accepté de le défendre à son procès. Il l’a fait avec beaucoup de passion et de conviction. Le général François Bozizé sera acquitté par une décision courageuse de la Haute cour de justice présidée par le vice-président feu Jérôme Zilo. Mais l’ordonnance de sa libération définitive ne sera signée que bien plus tard grâce à l’intrépide juge d’instructions Jacques Framanzi et au très respectable Albert Kouda de la Cour

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suprême. C’est le lieu et le moment de rendre hommage à ces magistrats intègres qui ont fait honneur à la justice centrafricaine. Si c’était à refaire, j’ai l’intime conviction que Maître Nicolas Tiangaye, grand combattant de la liberté, le referait sans regret. Nul n’est prophète chez lui, dit-on. Pourtant, Nicolas Tiangaye a fortement marqué l’histoire récente de la République centrafricaine de son empreinte. Il a beaucoup fait pour la promotion et la défense des droits de l’homme ainsi que pour l’instauration et la consolidation de la démocratie en République centrafricaine. Voix des sans voix, bête noire de tous les régimes qui se sont succédé, son combat a toujours été non pas un combat de personnes mais un combat d’idées, un combat pour des principes et des valeurs. C’est ce qui explique qu’il serait parfaitement à l’aise aussi bien de collaborer avec le président Patassé dans l’opposition, dans le cadre du FARE 2011, alors qu’il l’avait combattu au point de soutenir le général Bozizé à sa prise de pouvoir que de s’opposer aujourd’hui avec véhémence au régime du président Bozizé lorsqu’il estime que la liberté du peuple est bafouée. Comment peut-il en être autrement pour ce chrétien évangélique baptisé, dans le fleuve Oubangui, par feu pasteur Nicolas Ngarasso pour qui il voue une profonde admiration? Le bilan des combats successifs de Maître Nicolas Tiangaye sera fait par l’histoire le moment venu. J’écris ces lignes pour rendre hommage de son vivant à un digne fils de Centrafrique, à un frère, à un ami et à un camarade, que j’ai connu pour la première fois en 1980 dans le mouvement étudiant centrafricain en France (UNECA). Je le fais en reconnaissance de la main qu’il nous a tendue alors que tout vacillait autour de nous et que la mort avec arrogance nous toisait déjà du regard. Comme Nicolas Tiangaye, de nombreux centrafricains n’ont pas cédé à la facilité. N’écoutant que leur courage et mus par le noble sentiment d’amour du prochain, ils ont pris le risque de cacher des centrafricains pour les protéger de la folie meurtrière d’autres centrafricains, de leur donner à manger et à boire. Certains l’ont fait au péril de leur vie. Ils l’ont fait sans rien attendre en retour. Dans l’anonymat le plus total, ils n’auront ni

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récompense, ni décoration. Ils ne seront même pas comptés parmi les héros de la République pourtant ils ont sauvé tant de vies précieuses. Maître Nicolas Tiangaye aurait pu être héritier politique du professeur Abel Goumba. Comme lui, il est un " lion indomptable ". Mais Charles-Maurice de Talleyrand, homme politique français du XIXe siècle et fin stratège, brossant son autoportrait, n’a-t-il pas admis avec sincérité : « Je sais, quand il le faut, quitter la peau du lion pour celle du renard » ? Puisse l’engagement de Maître Nicolas Tiangaye à côté du peuple servir de modèle à la jeunesse centrafricaine. Alain LAMESSI Docteur en psychopathologie-CAFDES Directeur MAS

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ABRÉVIATIONS AA : Armée de l’air ACDA : Agence centrafricaine de développement de l’agriculture AEF : Afrique Equatoriale Française ADECAF : Agence de développement des zones caféières AOF : Afrique Occidentale Française BEAC : Banque des Etats de l’Afrique Centrale BIT : Bureau international du travail BONUCA : Bureau de l’Organisation des nations unies en Centrafrique BSPC : Bataillon des sapeurs pompiers centrafricains CAISTAB : Caisse de stabilisation CAT 1 : Certificat d’Aptitude Technique (N°1 = CAT1 et N°2 = CAT2) CCCCN ou 4CN : Comité de coordination pour la convocation de la conférence nationale CENTRAPAM : Palmeraies centrafricaines-Société de production d’huile de palme CFD : Concertation des forces démocratiques CIA : Certificat Inter Armes CIMSCN : Centre d’instruction militaire du service civique national CI-Bouar : Centre d’instruction de Bouar CIS : Centre international de suivi des Accords de Bangui du 25 janvier 1997 CISL : Confédération internationale des syndicats libres CMT : Confédération mondiale du travail CNRI : Centre national de recherches et d’investigation CRPS : Convention républicaine pour le progrès social DGI FACA : Direction générale de l’intendance des Forces armées centrafricaines DIH : Droit international humanitaire

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EBI : Escadron blindé autonome EDUCA 2000 : Nom donné au projet d’appui au système éducatif centrafricain (PASECA) à partir de l’année 2000, avec une évolution des objectifs spécifiques EMET : Ecole militaire des enfants de troupe ENAM : Ecole nationale d’administration et de magistrature ENERCA : Energie centrafricaine –société de production et de distribution d’électricité ESFOA : Ecole spéciale de formation des officiers d’active FEANF : Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France FETTA : Formation Elémentaire Toutes Armes FIDH : Fédération internationale des droits de l’Homme FOMUC : Force multinationale en Centrafrique FRUD : Front pour la Restauration de l’Unité nationale et de la Démocratie FSEC-USTC : Fédération syndicale des enseignants de Centrafrique, membre de la centrale syndicale USTC GIGN : Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale GN : Gendarmerie nationale GR : Garde républicaine HPSPT : Harmonisation des programmes de sciences physiques et de technologie ICRA : Institut centrafricain de recherches agronomiques INRAP : Institut national de recherche et d’animation pédagogiques JDA : Journal des auditeurs, émission-phare de la radio Africa N°1, très écoutée en Afrique JPN : Jeunesse pionnière nationale LCDH : Ligue centrafricaine des droits de l’Homme MAMICA : Manufacture militaire centrafricaine MINURCA : Mission des Nations unies en République centrafricaine MISAB : Mission de surveillance des Accords de Bangui OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides

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ONCPA : Office national de commercialisation des produits agricoles PETROCA : Centrafricaine des Pétroles PGA : Prime globale d’alimentation PLD : Permission de longue durée PNDR : Programme national de démobilisation et réinsertion des ex militaires et gendarmes entrés en mutinerie en 19961997 PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement RECAMP : Renforcement des capacités des armées africaines au maintien de la paix RDOT : Régiment de défense opérationnelle du territoire RIP : Régiment d’intervention parachutiste RMI : Régiment mixte d’intervention RPG : Rocket Propelled Grenade ou en français LRAC, Lance Rocket Anti Char RS : Régiment de soutien RTG : Régiment des travaux de génie SERD : Section enquêtes, recherche et documentation SNE : Société nationale des eaux SP : Sécurité présidentielle SOCADA : Société centrafricaine de développement de l’agriculture SOCATEL : Société centrafricaine des télécommunications SOCATRAF : Société centrafricaine des transports fluviaux SOCOCA : Société cotonnière centrafricaine SOGESCA : Société de gestion des sucreries centrafricaines TMP : Tribunal militaire permanent UDFC : Union des femmes centrafricaines UFAP : Union des forces acquises à la paix et au changement UNECA : Union nationale des étudiants centrafricains

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MOTS OU EXPRESSIONS EN SANGO ET NÉOLOGISMES

A koli a kpè : Littéralement « a koli » veut dire les hommes et « a kpè », fuir, se sauver. Cette expression « a koli a kpè » a été l’appel lancé à l’attention des adolescents et adultes qui doivent se mettre à l’abri durant les descentes des troupes de la MISAB, notamment les éléments du contingent tchadien qui, en 1997, sous le prétexte de rechercher les ex-mutins, n’hésitaient pas à tuer ou arrêter tous les mâles (garçons mineurs, teen-agers et adultes) dans les quartiers contrôlés par les ex-mutins. Balawa : Ce terme désigne le karité et les miliciens du pouvoir se font appeler par ce vocable. Ils sont basés au PK 12, à la sortie Nord de Bangui. Bara Dacko : Coiffure sous formes de tresses qui s’élèvent comme des pics sur la tête des femmes qui, dans les années 60, était la mode. Bara signifiant saluer, les femmes centrafricaines aimaient se coiffer ainsi pour les cérémonies officielles pour saluer le président Dacko… Codos Mbaraka : Nom des rebelles tchadiens du rebelle Moïse Ketté Nodji Da ti gugu : Da signifie maison et gugu, champignon. Les journalistes centrafricains ont appelé ainsi la salle de conférence du ministère des affaires étrangères dont le dôme rappelle la forme du champignon. Dacko 1: On désigne ainsi la période de la première présidence de la République de David Dacko, qui va du 30 avril 1959 au premier coup d’Etat militaire du 1er janvier 1966 où il a été renversé par le Colonel Jean-Bedel Bokassa. Karako : Les miliciens du pouvoir ont emprunté ce terme qui signifie arachide pour se désigner. Ils sont basés au quartier Boy-Rabe. Koudoufarisme : Nomadisme politique dû essentiellement aux raisons bassement matérielles, un des points de faiblesse caractéristiques de la classe politique centrafricaine. Le député Koudoufara du PSD a été acheté par le MLPC pour faire

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basculer la majorité parlementaire en sa faveur lors des élections législatives de 1998. Kugbé ti mango ou kougbé ti mango : Feuilles de manguier Kwa na Kwa : Travail et rien que le travail. Slogan du général-président François Bozizé et nom du parti politique qu’il a fondé, en sigle KNK. Kwa ti kodro : Kwa=travail et kodro= pays, patrie. C’est le slogan du président Dacko pour inciter au travail, voie de développement du pays. Mbi ga awè ! : Je suis de retour ! Cri lancé par Patassé pour signifier que lui, le sauveur est de retour pour conduire le peuple centrafricain à la Terre promise de la prospérité ! Mlpciste : Se dit du militant de première heure du MLPC ou ayant adhéré à ce parti par saine conviction politique. Nguinza ayèkè ga panh ! : Nguinza ou nginza signifie argent ou monnaie. Nguinza ayèkè ga panh ! veut dire littéralement « de l’argent à gogo ! » Patassiste : Par opposition au Mlpciste, le patassiste est le militant du MLPC, ayant adhéré à ce parti à cause de la personne même de Patassé. Il est généralement originaire de la même région, voire du même groupe ethnique que Patassé. Le premier cercle de Patassé est constitué essentiellement de patassistes. Sara Mbi ga Zo : Littéralement, cela signifie « faites de moi une personne », c'est-à-dire, aidez-moi à pouvoir me prendre en charge par moi-même. Siriri : La paix So zo wa la ou so zoa la : Qui est cette personne ? C’est qui ? Tongo Tongo : Nom donné aux rebelles de la Lord’s Resistance Army (LRA) de l’Ougandais Joseph Kony par les populations centrafricaines des préfectures du Mbomou et du Haut-Mbomou. Turugu ou tourougou : Soldat, militaire, gendarme ou policier.

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Ngu Nzapa alingbi ti pika koli na ngonda, balaka na maboko ti lo, légé usè pèpè : En forêt ou en brousse, un homme ne doit pas se faire surprendre par la pluie, machette à la main, à deux reprises.

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LISTE DES PARTIS POLITIQUES, CENTRALES SYNDICALES ET MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE SIGNATAIRES DES ACCORDS DE BANGUI DU 25 JANVIER 1997 ACAT : Association centrafricaine de lutte contre la torture et l’abolition de la peine de mort ADP : Alliance pour la démocratie et le progrès AEC : Alliance des Evangéliques en Centrafrique AFJC : Association des femmes juristes de Centrafrique CCTC : Confédération chrétienne des travailleurs de Centrafrique CECA : Conférence épiscopale centrafricaine CICA : Communauté islamique centrafricaine CN : Convention nationale CNTC : Confédération nationale des travailleurs centrafricains CSTC : Confédération syndicale des travailleurs centrafricains ELAN : Effort libéral en Afrique noire FC : Forum civique FPP : Front patriotique pour le progrès GERDDES : Groupement d’études et de recherche pour la démocratie et le développement économique et social GILA-MND : GILA-Mouvement national pour la démocratie JEUNESSE : Comité ad hoc de la Jeunesse LCDH : Ligue centrafricaine des droits de l’homme MDD : Mouvement pour la démocratie et le développement MDDH : Mouvement pour la défense des droits de l’homme MDI-PS : Mouvement pour la démocratie, l’indépendance et le progrès social MDREC : Mouvement démocratique pour la renaissance du Centrafrique MESAN : Mouvement d’évolution sociale de l’Afrique Noire

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MESAN-B : Mouvement d’évolution sociale de l’Afrique Noire-Boganda MLPC : Mouvement de libération du peuple centrafricain MNR : Mouvement national pour le renouveau MSCA : Mouvement socialiste centrafricain OCDH : Observatoire centrafricain des droits de l’homme OFCA : Organisation des femmes centrafricaines OSLP : Organisation des syndicats libres des secteurs publics, parapublic et privé PARELI : Parti républicain libéral UNPC : Union nationale du patronat centrafricain PCD : Parti chrétien démocrate PLD : Parti libéral démocrate PRC : Parti républicain centrafricain PSD : Parti social démocrate RDC : Rassemblement démocratique centrafricain UDR-FK : Union démocratique républicaine-Fini Kodro UDRP : Union pour la démocratie et le renouveau panafricain UNDD : Union nationale pour la défense de la démocratie UPDES : Union du peuple pour le développement économique et social UPR : Union pour la République USTC : Union syndicale des travailleurs de Centrafrique

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VUE SYNOPTIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Pays sans littoral, la République centrafricaine ou le Centrafrique, subdivisée administrativement en seize préfectures, est limitée au Nord par le Tchad, à l’Ouest par le Cameroun, au Sud par le Congo Brazzaville et la République démocratique du Congo (RDC) et à l’Est par le Sud - Soudan et le Soudan. Population : 3 895 139 habitants recensés en 2003, avec une estimation de 4 500 000 habitants en 2008. Densité moyenne de 7,22 habitants au km2. Capitale : Bangui Langue nationale : Sango, parlée sur tout le territoire et audelà des frontières. Langues officielles : Français et Sango Superficie : 622 984 km2 Climat et Végétation : Au Sud, en zone équatoriale, climat tropical et humide, avec une température moyenne de 25°C. Forêt équatoriale dense, humide et verte. Au Centre, dans la zone intertropicale, la saison des pluies dure six mois et la température moyenne est de 26°C. Savane arbustive, domaine d’une faune abondante Au Nord, dans la zone subsahélienne, climat tropical sec avec de fortes amplitudes thermiques. Steppe de buissons épineux. Le climat tropical domine l’essentiel du pays avec une saison des pluies de mai à octobre et une saison sèche de novembre à avril. La température moyenne annuelle est de 26°C, avec des maxima de 38°C et des minima de 15°C, dans la capitale. Principales cultures : manioc, bananes, maïs, taro, café, coton, tabac. Elevage : bovins, porcins, caprins. Richesses : bois, or, diamant ( 500 000 carats par an), uranium, pétrole, flore et faune très diversifiées..

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Richesse scientifique : Mégalithes de Bouar, soumis pour être classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Industries : Brasseries, huilerie, sucrerie, savonnerie et transformation d’aluminium. Services : Eau, électricité, téléphone filaire, monopoles d’Etat et plusieurs sociétés privées de téléphonie cellulaire. Principales villes : VILLES Bangui Berbérati Bouar Bambari Carnot KagaBandoro Bossangoa Bria Bangassou Nola Bimbo

NOMBRE D’HABITANTS (estimation 1996) 597 000 47 000 44 453 43 863 43 810 38 260 34 272 29 391 28 000 24 108 22 031

Principaux groupes ethniques (estimations de 1997) : Banda : 28,6% ; Gbaya-Mandja : 24,5%; Ngbandi : 10,6% ; Zandé : 9,8% ; Ngbaka : 4,3% ; Sara 6,9% ; Autres : 15,3%.

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Principales religions : Confessions Protestants Catholiques Musulmans Animistes religieuses et autres 40% 28% 8% 24% Estimations

Sources : Wikipédia et données encyclopédiques, 2011 Hachette Multimédia.

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REMERCIEMENTS Je remercie particulièrement ma famille et surtout mon ami de toujours Mathias Gonéyo-Répago qui m’ont fait confiance, soutenu et aidé de manière multiforme, tout au long de la réalisation de mon premier livre. Merci à Louis Gelin pour toutes ses pertinentes remarques, à Jean-Bosco Péléket pour qui je dis ici mon respect, mon estime, mon amitié et qui, par tous ses conseils avisés, m’a stimulé, ainsi que Joseph Guéret pour les précieuses informations économiques. Je remercie du fond de mon cœur, mon jeune ami Vianey Koyabé Ignabodé, dont les compétences avérées en matière de NTIC m’ont été d’une inestimable aide pour les travaux de mise en pages et d’iconographie. Merci à Bertin Mbay et à sa campagne, ma cousine Sandrine Grémbokolé pour tout leur appui technique. Je ne peux oublier le compatriote artiste caricaturiste M.J.N. de Kpéténé à Bangui qui, à ma demande il y a quelques années, a bien voulu illustrer mes poèmes, en s’inspirant de mes écrits et dont l’une des images qui exprime la profonde désillusion du Changement de 1993, sert d’illustration de couverture. A lui toute ma gratitude. J’associe à ce concert mon ami Alain Lamessi qu’une télépathie nous a conduit, chacun à sa manière, à fixer pour l’histoire, une partie des évènements douloureux que le pays a connus. Merci surtout à mon épouse qui, en ces moments difficiles de l’après coup d’Etat du 28 mai 2001, alors que certaines personnes des quartiers Sud détruisaient, enterraient ou jetaient dans les fosses sceptiques toute leur documentation que les sbires du Pouvoir pourraient assimiler à une complicité à l’action des putschistes, a pu confier toutes mes archives à sa sœur aînée, Mme Doui Fédéma née Bernadette Nouténé qui les a précieusement conservées. Sans ces archives, le Cahier du Changement n’aurait jamais vu le jour. Merci enfin à toute ma belle- famille.

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BIBLIOGRAPHIE • Carnet de notes. • Articles écrits pour le quotidien Le Novateur. • Texte de loi portant amnistie aux militaires auteurs des mutineries du 18 au 21 avril 1996 et du 18 au 28 mai 1996, Assemblée nationale- Bangui, 31 mai 1996- Hugues Dobozendi • Protocole d’accord du 1er juin 1996- G.Jean-Edouard Koyambounou, Adjudant Isidore Mathurin Dokodo, Hugues Dobozendi, Mgr Edouard Mathos, Maître Nicolas Tiangaye. • Déclaration relative à la fin de la mutinerie, Bangui, 24 janvier 1997-Général Amadou Toumani Touré, Capitaine Anicet Saulet. • Déclaration préalable à l’accord de fin de mutinerie du Collectif des officiers des forces armées centrafricaines, Bangui, 24 janvier 1997. • Accords de Bangui, Bangui 25 janvier 1997. • Accord de trêve, Bangui, 28 juin 1997- Général de Brigade Edouard Nkili (MISAB), Capitaine Anicet Saulet (Exmutins). • Accord de cessez-le-feu, Bangui, 02 juillet 1997, Général de Brigade Edouard Nkili (MISAB), Capitaine Anicet Saulet (Ex-mutins), visé par le général François Bozizé (Chef d’état major général des FACA), Jean-Marc Simon (Ambassadeur, Haut représentant de la République française en RCA), Général d’Armée Amadou Toumani Touré (CIS). • Pacte de Réconciliation Nationale, Bangui, 5 mars 1998. • Troisième mutinerie en Centrafrique- Revue de la Presse Internationale-Documentation GILA-MND- Banguinovembre 1998 • Document final des Etats Généraux de la Défense Nationale-Imprimerie Centrafricaine- Bangui- septembre 1996

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• Plaidoyer pour une politique cohérente de défense nationale- Clotaire Saulet Surungba - Bangui, août 1998 • MINURCA, document publié par le Département de l’information de l’ONU, avril 1998. • Communiqué conjoint Gouvernement/Syndicat, Bangui, 6 mars 2001, Denis Wangao – Kizimalé (Gouvernement), Jean-Richard Sandos-Oualanga (CNTC), Théophile Sonny-Colé (USTC), Louis-Salvador Ngho(CCTC), Sabin Kpokolo(CSTC), Jean-Marie Agoutoco(UGTC), Cheick Tidiane Sy (BONUCA), Mgr Joachim Ndayen (Archevêché de Bangui). • Lettre ouverte à Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies, du Collectif contre le génocide et le tribalisme en Centrafrique, Paris, 26 juin 2001. • Boganda « Elu de Dieu et des Centrafricains », Pierre Kalck, Editions Sépia, Saint-Maur-des Fossés, 1995. • Rapport de la FIDH- Droits de l’Homme en République Centrafricaine-Discours et réalité : un fossé béant (N° 324 février 2002) • Enseigner les sciences physiques et la technologie en Afrique en 1994- Denis Ballini-Inspecteur des Sciences Physiques-Yaoundé Cameroun-Septembre 1994. • Fiche technique sur la machine d’Atwood A.Loumoundji, C. Saulet-Surungba, H. Toungouyasset, C. Chaussemy, D. Krauss- Chantier pédagogique du lycée d’Etat des Rapides-Bangui-RCA- avril 2001 • Mémorandum sur la situation politique, économique et sociale de la République centrafricaine- Sommet FrancAfrique-Yaoundé, 17-19 janvier 2001 (ADP, ASD, CNP, FND, FC, FODEM, FPP, MDD, MDI/PS, MESAN-BOGANDA, MNR, PUN, RDC, UNDD, UPR) • Les Sectes –Thomas Lardeur – Editions Presses de la Renaissance- avril 2004-Paris • Le chemin de l’espérance – Stéphane Essel & Edgar Morin- Fayard- octobre 20

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TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE ........................................................................................... 7 PROLOGUE ..................................................................................... 11 CHAPITRE I : LE FOU DU ROI ................................................... 15 CHAPITRE II : LES CHIMÈRES DU CHANGEMENT ............ 23 CHAPITRE III : LA SURCHAUFFE DU CHANGEMENT ....... 35 CHAPITRE IV : LES PREMIERS « FRUITS » DU CHANGEMENT .............................................................................. 41 CHAPITRE V : L’ACCALMIE DU CHANGEMENT................. 51 CHAPITRE VI :AUTOPSIE DES FORCES ARMÉES CENTRAFRICAINES ..................................................................... 61 CHAPITRE VII : LA MUTINERIE DU COLLECTIF DES OFFICIERS ...................................................................................... 73 CHAPITRE VIII : VERS LES ACCORDS DE BANGUI ............ 89 CHAPITRE IX : DE LA MÉDIATION AFRICAINE AU CONSEIL DE SÉCURITÉ ............................................................ 101 CHAPITRE X : ESQUISSE DE LA SOLUTION FINALE ....... 113 CHAPITRE XI : SUR LE CHEMIN DE L’EXIL ....................... 137 CHAPITRE XII :APERÇU PARTIEL DE LA DÉRIVE GÉNOCIDAIRE DE 2001 ............................................................. 153 CHAPITRE XIII : MARCHE IRRÉVERSIBLE VERS LE 15 MARS 2003 ..................................................................................... 169 ÉPILOGUE ..................................................................................... 189

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POSTFACE .................................................................................... 207 ANNEXE 1 ...................................................................................... 211 ANNEXE 2 ...................................................................................... 235 ANNEXE 3 ...................................................................................... 245 ABRÉVIATIONS ........................................................................... 256 MOTS OU EXPRESSIONS EN SANGO ET NÉOLOGISMES 259 LISTE DES PARTIS POLITIQUES, CENTRALES SYNDICALES ET MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE SIGNATAIRES DES ACCORDS DE BANGUI DU 25 JANVIER 1997. ................................................................................................. 263 VUE SYNOPTIQUE DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE ..................................................................... 265 REMERCIEMENTS ...................................................................... 269 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................... 271

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