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Catholicisme, culture et société aux Temps modernes
Église, liturgie et société dans l’Europe moderne Collection dirigée par C. Davy-Rigaux, B. Dompnier et D.-O. Hurel
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes Mélanges offerts à Bernard Dompnier
Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel
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Illustration de couverture : Camille Corot, Der Mönch, Hamburger Kunsthalle / Elke Walford, Hamburg. Illustration de quatrième de couverture: Claude Jacquand, Le Moine Musicien, Galerie Alain GRANDNE, Lyon.
© 2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. D/2018/0095/32 ISBN 978-2-503-57953-5 eISBN 978-2-503-57954-2 DOI 10.1484/M.ELSEM-EB.5.114998 ISSN 2033-3501 eISSN 2565-9499 Printed on acid-free paper
Avant-propos Ce recueil de textes en forme d’hommage intellectuel et amical offert à Bernard Dompnier est le reflet d’une recherche dynamique, nourrie d’intuition et de curiosité scientifique autour d’une réflexion pluri-décennale consacrée à la société d’Ancien Régime, et résolument internationale comme en atteste le nombre de contributeurs italiens, qui n’est pas pour surprendre tant on connaît la proximité de Bernard Dompnier avec l’Italie et son historiographie. Pour autant, derrière ces textes dont les auteurs ont été choisis par Bernard lui-même, on perçoit ici ou là de nombreuses autres collaborations, qu’il s’agisse de l’histoire du livre et de ses usages, de l’histoire des confréries et des ordres religieux, de la liturgie et de la musique d’église… Ce volume ressemble à son inspirateur, il fédère des énergies d’origines et d’expériences scientifiques différentes comme il traite d’individus et d’institutions, de sources littéraires, musicales, textuelles et iconographiques, autour de domaines de prédilection : dévotions, saints, cérémonies, musique et musiciens d’église, entre la France et Rome. Reliant ces divers champs d’étude, la réalité sociale des mondes religieux d’Ancien Régime est omniprésente dans ce volume. Toute manifestation artistique, musicale, iconographique, poétique et littéraire s’inscrit dans une contextualisation politique, sociale et culturelle au plus près de l’objet étudié. À ce titre, la réintégration des réguliers dans l’analyse de cette société, dimension qui fait l’objet d’une bonne part des textes de la première partie, est un reflet de l’apport historiographique de Bernard Dompnier. Ce souci révèle ici une curiosité jubilatoire au cœur du travail de l’historien et de ses intuitions. C’est le cas de l’attention portée au mouvement qui conduit les jeunes enfants de chœur vers la vie de futurs jeunes religieux. C’est aussi celui de l’analyse plus proche de la sociologie et de la démographie régulière lorsqu’elle est différenciée et comparée, entre hommes et femmes, bénédictins et franciscains par exemple. C’est encore le cas de la réflexion sur la dimension générationnelle des réformes monastiques, dont le processus mène à la fixation d’une véritable identité une fois la réforme bien établie. Cette inscription de l’étude des réguliers dans la société en tant qu’acteurs structurels de cette même société se traduit par l’étude croisée d’institutions et de parcours individuels et de ce que l’on pourrait appeler une stratigraphie régulière et religieuse de la société d’Ancien Régime. Les micro-sociétés que sont les communautés sont le reflet de la société toute entière : inscription des réguliers dans la cité au quotidien ou lors d’occasions extraordinaires, respect ou non de l’habit, encadrement spirituel et liturgique, tensions entre local et centralisme dans la définition de l’autorité monastique, concurrence, collaborations,
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relations imposées ou non entre réguliers et clergé séculier, itinéraires individuels… De toutes ces pages, il ressort sans aucun doute la complexité des rapports entre individus, qu’ils soient d’une même institution ou non et malgré des normes uniformisatrices. Tant sur le plan de la gouvernance que du « vivre » ou de la mise en œuvre liturgique et musicale, il y a un pragmatisme et un sens de l’adaptation, qu’il s’agisse des mondes franciscain, bénédictin ou canonial. Une fois de plus, ce volume est le reflet de l’insatiable curiosité intellectuelle et historique et des risques méthodologiques pris par l’historien. Parmi ceux-ci, on ne peut manquer de souligner que Bernard Dompnier est l’un des rares historiens à intégrer la musique à l’étude historique, en explorant ou faisant explorer par ses collègues musicologues sa propension à révéler les structures profondes et les mentalités des différentes sociétés religieuses étudiées, que révèle tout particulièrement son association à la liturgie et aux cérémonies. Ainsi, lorsqu’il s’agit de musique, les questions de théories musicales et d’apprentissage sont immédiatement reliées aux individus, aux structures et aux institutions qui sont concernés et les incarnent dans la société. Ainsi, le personnel musical au service des cérémonies, de l’enfant de chœur à l’organiste, au serpentiste, au chantre ou au maître de musique, témoigne d’une sorte de cycle perpétuel, celui d’un renouvellement générationnel (l’enfant de chœur grandit, mue, peut ou non devenir musicien d’église…) que seuls des bouleversements structurels et politiques comme la Révolution peuvent remettre en cause. La musique et ses pratiques deviennent alors les marqueurs sociaux d’une modernité plus ou moins recherchée ou dénoncée tant à Paris qu’en province. En définitive, la dimension sociale et relationnelle de la musique d’église et des musiciens est sans cesse prise en compte, en particulier dans la troisième partie de ce volume, permettant ainsi de soulever des questions et des lignes de force qui traversent toute l’histoire de la société d’Ancien Régime et des réseaux hiérarchiques et transversaux qui la composent. Ce cadre sociétal, il est essentiellement politique, dans le prolongement d’une longue histoire de la sacralité royale dans laquelle on retrouve à la fois une forme d’hagiographie théâtrale du pouvoir, une sorte d’équivalent du théâtre sacré et de l’expression ou de la représentation d’une sainteté transmise, liée au pouvoir politique mais aussi, au sein de l’Église, à l’émergence de la canonisation moderne, nourrissant une forme de respiration littéraire, au cœur du couvent dans un premier temps, vers l’extérieur ensuite. Se dessine alors à l’intérieur même des communautés une société particulière avec son fonctionnement réglementaire bien entendu, mais aussi plus intime sous la forme d’une sociabilité intérieure conventuelle comme le montrent les chansons en l’honneur de Madame Louise au Carmel. Une telle dimension artistique et festive que l’on retrouve, toujours à l’heure actuelle, dans les communautés monastiques, témoigne ainsi d’une pratique essentielle à la vie de toute communauté. Cette attention toute particulière à ces manifestations artistiques au sein du couvent reflète ou permet d’atteindre une certaine et profonde intimité communautaire. Complémentaire de cette sociabilité intérieure, la présence au monde des religieuses se manifeste de multiples façons, en particulier à travers les cérémonies et les fêtes liturgiques. La théâtralisation du sacré répond ainsi à la sacralité royale du pouvoir : ce sont les vierges couronnées, les fêtes liées aux canonisations, la
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dévotion mariale renouvelée mais aussi le prolongement de cette présence au monde à travers les confréries et les missions, y compris dans leur dimension conviviale. Les textes ici publiés entendent rendre un hommage amical à Bernard Dompnier, à l’homme, au chercheur, à l’enseignant aussi, qui a transmis à plusieurs générations d’étudiants une vision ambitieuse, exigeante, du métier d’historien, en les guidant avec une grande bienveillance et dans un constant souci de liberté intellectuelle. Nous aimons tous quatre à voir cet hommage à Bernard comme une rencontre imaginaire ou virtuelle, en marge d’un colloque, en fin d’après-midi ou en soirée, à la terrasse d’un bon café, réunissant au-delà des présents l’ensemble des chercheurs qui, à un moment ou à un autre, ont eu à collaborer ou à échanger avec celui qui reste toujours à l’heure actuelle l’un des plus actifs d’entre nous. Cécile Davy-Rigaux Grégory Goudot Bernard Hours Daniel-Odon Hurel
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première partie
Les réguliers au cloître et dans le monde
Du froc à la mitre : Germain Allart, récollet puis évêque Le Père Germain Allart de Sézanne (1617-1685) fut au xviie siècle un récollet actif dans son ordre et la province de Paris (il fut successivement gardien des couvents de Corbeil, de Rouen, de Saint-Denis ; puis provincial à quatre reprises) et au service de la monarchie (il travailla à créer la province récollette française de l’Artois après sa conquête, il réinstalla les récollets au Canada). Mais à 55 ans, en 1672, il redevint un frère de base en accompagnant comme aumônier les troupes françaises en Hollande. De tout cela, il fut récompensé en 1681 par le roi, qui le nomma évêque du petit diocèse provençal de Vence. Germain Allart n’est pas un inconnu de l’Histoire. Les grands dictionnaires d’histoire ecclésiastiques d’un bout à l’autre du xxe siècle ne l’ignorent pas, du premier volume du Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques à Catholicisme1. Mais les récollets n’en font pas pour autant une figure exemplaire, ce qui pose question à l’historien. Son parcours est atypique pour un régulier du xviie siècle en France2. Arrivé à l’âge probable de la mort pour beaucoup de ses frères, considérée par les religieux comme une seconde naissance, le père Germain reprit du service à travers l’Europe comme aumônier des troupes, pour une mission dangereuse, mais surtout épuisante pour un homme parvenu à l’âge de la « vieillesse décrépite », comme on disait alors3. Sa vie aurait pu s’arrêter là. Mais non, il lui fallait accepter une expérience de plus, rare chez des réguliers, celle de l’épiscopat. Celle-ci n’était en effet plus une tradition depuis longtemps en France pour des religieux, à l’inverse d’autres pays catholiques comme l’Espagne, encore moins pour des franciscains Antoine de Sérent, « Allart (Germain) », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzet & Ané, t. 1, 1914, col. 477-479 ; Raymond Darricau, « Allart », Catholicisme. Hier, aujourd’hui, demain, t. 15, Paris, Letouzet & Ané, 2000, p. 803. 2 Voici la chronologie de la vie du P. Germain Allart. 1617 : naissance à Sézanne (diocèse de Troyes) ; 1637 : profession comme frère clerc au couvent des récollets de Sézanne (province de Saint-Denis) ; 1642 : il est ordonné prêtre ; 1648-1649 : il devient le gardien du couvent de Corbeil ; 1650-1653 : gardien du couvent de Rouen ; 1654-1657 : définiteur de la province Saint-Denis ; 1657-1659 : gardien du couvent de Saint-Denis ; 16601663 : provincial de la province Saint-Denis pour la 1re fois ; 1662 : mission en Artois ; 1664 : délégué de la province de Paris au chapitre général franciscain de Rome ; 1666-1668 : gardien du couvent de Paris ; 1668 : mission à Dunkerque (août) / 2e élection comme provincial de la province Saint-Denis (1668-1671) (novembre) ; 1670 : mission au Canada ; 1672 : mission en Hollande ; 1674 : élu provincial de la province d’Artois ; 1675 : commissaire général des trois custodies de Flandres ; 1678 : 3e élection comme provincial de la province Saint-Denis ; 1679 : démission ; 1681 : désigné évêque de Vence par Louis XIV ; 1682 (12 juillet) sacré à Paris évêque de Vence ; 1685 (13 décembre), mort à Vence. 3 Jean-Pierre Gutton, Naissance du vieillard, Paris, Aubier, 1988. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 11-21 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115071
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récollets, ou même les capucins4, qui au rebours d’autres ordres, ne fournirent que peu d’évêques après le xvie siècle. Son épiscopat fut certes de courte durée (à peine plus de trois ans), mais Allart eut le temps de résider dans son diocèse. Cette grande diversité de responsabilités en fait un cas peu ordinaire dans l’histoire des récollets, ces « faux jumeaux » des capucins5, ce qui mérite attention. Sans anticiper sur toutes nos réflexions, convenons qu’Allart put ainsi incarner en un seul homme quasiment toutes les vocations que les historiens connaissent des récollets, et même au-delà avec l’épiscopat. Ce destin est néanmoins curieux ; sans doute a-t-il un sens, même s’il fut exceptionnel. Il illustre probablement les mutations de l’ordre des récollets à la fin du xviie siècle, hésitant alors entre la fidélité à sa vocation d’un apostolat actif et diversifié et le service de la monarchie, mais qui est aussi tenté par une spiritualisation croissante et un retour à la récollection. Dans ce contexte, je propose de relire la vie de Germain Allart successivement dans sa description comme celle d’un récollet hyperactif, puis en un deuxième temps, plus analytique, comme celle d’un fidèle serviteur du roi6.
Un destin international Théodore Allart est né en 1617 en Champagne, à Sézanne7 (diocèse de Troyes), d’une famille de petits notables ayant tenu des offices fiscaux à l’Élection et au Grenier à sel. Son père, Nicolas, était un élu de la ville et sa mère, Marguerite Clément, était originaire d’une famille d’échevins de Châlons-en-Champagne8. Sézanne possédait un couvent de récollets depuis 1619, dépendant de la province de Paris, dite de Saint-Denis, et qui était devenu relativement célèbre dans le petit monde franciscain par les peintures qu’y réalisa un confrère
4 Même si en 2011, il y avait encore quatre-vingt neuf évêques issus des capucins dans le monde (http://www.capcongo.org). 5 L’expression est de Grégory Goudot, « Les faux jumeaux. Récollets et capucins dans un diocèse français : Clermont (1600-1660) », dans Caroline Galland, Fabien Guilloux et Pierre Moracchini (éd.), Les récollets. En quête d’une identité franciscaine, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2014, p. 85-106. 6 Tel est le personnage que je propose d’offrir à la curiosité de l’ami Bernard Dompnier, à qui je serai toujours reconnaissant de m’avoir incité, il y a maintenant bien longtemps, à étudier, en parallèle de « ses » capucins, l’ordre des récollets, à une époque où les travaux scientifiques sur eux étaient bien rares. 7 On trouve parfois 1618. C’est ce que disent le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclé siastiques, op. cit., t. 1 et le Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France (1615-1645 et 1670-1849), sous la direction d’Odoric-Marie Jouve, Archange Godbout, Hervé Blais, René Bacon, Montréal, Bellarmin, 1996, p. 7-9. Aux Archives départementales de la Marne, les registres paroissiaux 2 E 629/7 (en ligne) pour les baptêmes, mariages et sépultures de Sézanne (1573-1631 ; 1649 en fait) sont lacunaires pour les baptêmes de 1616 à 1627. Allart a pu naître en mars 1617, si l’on admet qu’il avait 68 ans et 9 mois à sa mort le 13 (plutôt que le 14) décembre 1685 comme le dit Hierarchia Catholica Medii et Recentionis Aevi sive summorum pontificum […], vol. 5, Padoue, 1952, p. 407. Le t. XVIII du Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, op. cit., fasc. 102103, 1973 dans l’épiscologe de A. Chapeau et F. Combaluzier, col. 163-164, no 33, donne pour naissance à Allart 1617. Je me rallie à cette date de naissance, comme à celle du 13 décembre 1685 pour son décès. 8 Joseph Bergin, Crown, Church and Episcopate under Louis XIV, New Haven – London, Yale University Press, 2004, p. 366.
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et contemporain récollet d’Allart, le frère Luc (1614-1685)9. Les origines sociales de Théodore Allart, le choix qu’il fit de rentrer dans un couvent de sa ville natale en 1636, à l’âge de 19 ans, sous le nom de Germain Allart de Sézanne, illustrent toutes les facettes d’une vocation très classique chez les récollets comme chez les capucins10. Il correspond parfaitement au profil type du récollet du xviie siècle, issu de la petite bourgeoisie robine, et qui entre dans un couvent proche de chez lui, autour de sa vingtième année. Frère clerc, Allart fit profession le 22 février 1637, puis il fut ordonné prêtre en 1642, à 25 ans ; il suivit des études de philosophie et de théologie avant d’enseigner comme « lecteur » aux novices du couvent récollet de SaintDenis. Mais il n’apparaît pas dans la liste des prédicateurs célèbres ou parmi les écrivains dont l’Ordre conserve la mémoire pour la province de Saint-Denis11. Commença plutôt pour lui une belle carrière que nous qualifierons d’administrative, classique là encore pour un jeune frère sans doute doué. Il fut gardien successivement de quatre grosses maisons récollettes : Corbeil (1648-1649) ; Rouen (1650-1653) ; Saint-Denis (1657-1659) ; enfin Paris (1666-1668). On notera qu’il n’achève pas forcément ses mandats (de trois ans, renouvelables). Allart était un homme pressé. D’autres distinctions l’attendaient. Il fut définiteur de sa province de 1654 à 1657, un poste qui était souvent un bon tremplin pour accéder au provincialat. Il devint ainsi très logiquement provincial de la province de Paris en 1660, et il fut élu une deuxième fois en novembre 166812. Entre ses deux mandats de provincial, il alla à Rome représenter la province de Saint-Denis au chapitre général des Franciscains observants de 166413. En bon religieux, mais particulièrement en bon récollet pour qui le service du prince est une partie de l’identité, Allart était au service de la couronne de France. Il fut chargé par Louis XIV de structurer dans le cadre national la nouvelle province récollette d’Artois, après l’acquisition d’Arras en 1640 et de la province en 165914. Les couvents récollets ne posaient pas à la couronne le même problème que les bénéfices majeurs de l’Église. Il ne s’agissait pas ici de maison à nomination par le prince, mais il fallait veiller à ce que le personnel, au moins ses dirigeants, soient des sujets du roi de France. Allard devait unir des couvents tant d’hommes que de femmes des anciennes provinces franciscaines de Saint-Joseph, de Saint-André et de Flandres, qui s’étendaient sur les Pays-Bas espagnols, à des couvents
9 Frère Luc. Un peintre, un religieux, un voyageur, Sézanne, Centre d’étude du pays sézannais, no spécial hors série Du pays sézannais, no 13, juin 2012. 10 Bernard Dompnier, Enquête au pays des frères des anges. Les capucins de la province de Lyon aux xviie et xviiie siècles, Saint-Étienne, Presses universitaires-CERCOR, 1993. Frédéric Meyer, Pauvreté et assistance spirituelle. Les franciscains récollets de la province de Lyon aux xviie et xviiie siècles, Saint-Étienne, Presses universitairesCERCOR, 1997. 11 Hyacinthe Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris sous le titre de Saint Denys en France depuis 1612 qu’elle fut érigée jusqu’en l’année 1676, Paris, Denys Thierry, 1677, in 4o, 172 p. 12 Ibid., p. 71-85. 13 Factum pour la verité du gouvernement, & l’injuste procedé depuis neuf ans de trois provinceaux de Sezannes, qui ont succedé l’un à l’autre dans la province des Recolets de Paris, à sçavoir les freres Germain Allart, Olivier Voisembert, & Cassien Huquier, S.l. [après 1669], 14 p. ; in-4o (Paris, Bibl. Arsenal, 4 H 15899), p. 4. 14 À ce sujet : Olivier Poncet, « Un aspect de la conquête français de l’Artois : les nominations aux bénéfices majeurs de 1640 à 1668 », R.H.E.F., t. LXXXII, no 209, juillet-décembre 1996, p. 263-299. L’auteur cite une lettre d’Honoré Courtin, commissaire et adjoint de l’intendant Claude Talon, à Le Tellier à propos des capucins artésiens (p. 287).
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français du nord du royaume détachés de la province de Paris, dont il était le provincial15. Il envoya d’abord deux religieux sur place, puis se rendit lui-même en Artois pour parachever la structuration de la province. C’était chose faite fin 1662, puisqu’il en rendit compte au définitoire de la province de Paris le 15 novembre. Le chapitre provincial de juillet 1663 entérinait l’érection de la custodie de Saint-Antoine en Artois, confiée à son ami Hyacinthe Le Febvre16, en province indépendante en 166817. À nouveau à la demande de la monarchie, il reprit la route du nord en août 1668, avec six frères pour Dunkerque, alors « infectez de contagion »18, mais aussi place forte importante pour les armées du roi. On trouve ici réunies dans ce voyage deux vocations traditionnelles des récollets, le soin des fidèles pendant les épidémies, de peste en particulier, et le service des aumôneries militaires. Mais ses fonctions prirent vite un tour encore plus politique. Ses compétences d’organisateur et son rôle de provincial de la province de Paris, la plus tournée historiquement vers l’Atlantique et l’empire colonial américain, depuis la Compagnie des Cent Associés, fournissant les émigrants français de l’époque, valurent à Allart d’être sollicité par la monarchie pour que les récollets de la province de Saint-Denis reprennent pied au Canada après leur fuite au moment de l’occupation anglaise en 162919. Une première tentative échoua en 1669 à cause d’un naufrage, mais lui-même passa en Nouvelle-France en mai 1670 avec une seconde expédition, partie de La Rochelle avec cinq religieux dont le frère Luc, et l’intendant Jean Talon20. L’installation réussit, et Allart put rentrer en Europe en novembre de la même année21. On pourrait croire sa carrière, bien remplie, arrivée à son terme. Le père Germain a alors 53 ans en 1670. Las ! Le roi le sollicita à nouveau, cette fois pour que les récollets fournissent des aumôniers à ses troupes réunies au camp de Saint-Germain-en-Laye. Allart délégua d’abord cette tâche à son ami Hyacinthe Le Febvre, l’auteur de la narration qui nous est si utile pour connaître sa vie22, qui en 1671 devint provincial de la province SaintAntoine d’Artois, « quoiqu’absent »23. Le roi demandait toujours plus : en 1671 il lui fallait vingt-quatre récollets comme aumôniers des forts de Dunkerque, Tournai et Ath ; en 1672 lors de la guerre de Hollande, les aumôniers durent suivre ses troupes. C’était certes une spécialité des récollets, mais en l’occurrence une autre s’y ajoutait, l’apostolat envers les H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 92. Lettre de cachet du 13 avril 1662. 16 Ibid., p. 93. 17 F. Meyer, « Pour une histoire des récollets en France (xvie-xixe siècle) », Chrétiens et Sociétés. xvie-xxie siècles, no 2, 1995, p. 83-99. C. Galland, F. Guilloux et P. Moracchini (éd.), Les récollets. En quête d’une identité franciscaine, op. cit., p. 328. 18 H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 125. 19 Caroline Galland, Pour la gloire de Dieu et du roi. Les récollets en Nouvelle-France aux xviie et xviiie siècles, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p. 96. 20 Sur ce retour, préparé dès 1667, Ibid., p. 146-175. 21 H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 133. 22 Fabienne Henryot, « Portrait du récollet en écrivain au xviie siècle », dans C. Galland, F. Guilloux et P. Moracchini (éd.), Les récollets. En quête d’une identité franciscain, op. cit., p. 219-233. 23 H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 49-50. Hyacinthe Le Febvre est un proche de Germain Allart, ce qui donne du prix à son témoignage. 15
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protestants. À nouveau, comme pour l’affaire du Canada, Germain Allart préféra y aller luimême, plutôt que de seulement déléguer des frères24. Sa ténacité étonne à 55 ans. Élu à son tour provincial de Saint-Antoine en Artois en 1674, il fut nommé en 1675 par le général observant commissaire général pour les trois custodies des Flandres (Saint-Hubert, SaintPierre d’Alcantara, Sainte-Famille), succédant là aussi à ce poste à Hyacinthe Le Febvre25. Pour le Mercure Galant, il devenait alors commissaire général de tous les Franciscains français, « c’est-à-dire supérieur de tous les Récolets, et Cordeliers et des maisons de filles qui en dépendent dans tout l’étendue du royaume »26. Ce n’était pas la première fois que le roi de France souhaitait soustraire à l’autorité d’un général franciscain observant italien ou espagnol les diverses branches françaises de l’ordre (hommes et femmes), et en particulier en confiant à un récollet cette tâche difficile. Ce fut le cas pour une courte période entre 1634 et 1642 avec Ignace Le Gault, institué « vicaire général » franciscain, qui fut en fait rapidement en charge des seuls récollets français pour la période de 1637 à 164227. Mais cette fonction de Germain Allart, qui dura trois ans28 et qui intervenait au moment où le roi de France interdisait à ses sujets de se rendre au chapitre général franciscain de 167629, n’eut pas le poids de celle d’Ignace Le Gault. Enfin, il fut à nouveau (pour la troisième fois) élu provincial de la province de Paris le 4 mai 1678, mais il démissionna de sa charge le 28 juin 167930. Allait-il prendre enfin sa retraite ? Pas du tout, puisqu’il accéda à l’épiscopat en 1681168231. Il avait alors 65 ans, bien au-delà de l’âge moyen qu’avaient les clercs qui accédaient à une mitre au xviie siècle. Bien plus, il acceptait ainsi une autre aventure, celle de passer dans le clergé séculier, lui qui avait consacré tant d’années à son ordre. Nommer un régulier évêque était passé de mode en France gallicane à la fin du xviie siècle. Dans une courte étude déjà ancienne, Jean-Marie Le Maire compte 104 réguliers qui furent évêques dans le cadre géographique actuel de la France entre 1570 et 1700, mais seulement 27 de 1701 à 179032. Le souci de ne pas nommer des hommes dépendants d’un ordre avec un général étranger, souvent exempt, et la bonne qualité des séculiers issus dorénavant des séminaires en dispensaient les rois de France. Mais on peut tout de même citer à l’époque d’Allart quelques cas d’évêques méridionaux issus du clergé régulier, comme le doctrinaire Esprit Fléchier, nommé à Nîmes (1689-1710) ; ou le récollet, Chérubin Berthier, nommé évêque in partibus d’Aulone, grand vicaire du cardinal Jérôme Grimaldi (1655-1685) à Aix-enProvence, et qui décéda lui aussi en 168533. Le diocèse de Grasse, qui fut parfois uni à celui Ibid., p. 139 et 142. Ibid., p. 50. 26 Le Mercure galant, juin 1681, p. 247-254. 27 F. Meyer, Pauvreté et assistance spirituelle, op. cit., p. 143-145. 28 J. Bergin, Crown, Church and Episcopate under Louis XIV, op. cit., p. 366. 29 Arch. départ. Rhône, 10 H 9. 30 G.-M. Dumas, « Allart, Germain (baptisé Théodore) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 (1000-1700), Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté en ligne le 13 janv. 2015, http://www. biographi.ca/fr/bio/allart_germain_1F.html. 31 Gallia Christiana […], éd. Paris, 1725, t. III, col. 1231-1232. 32 Jean-Marie Le Maire, « Les évêques réguliers en France de 1570 à 1789 », L’évêque dans l’histoire de l’Église, Angers, Presses universitaires d’Angers, 1984, p. 63-69. 33 Pierre-Joseph de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, capitale de la Provence, Aix, Achille Makaire, 1685, t. VI, livre XXIII, p. 233-234. 24 25
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de Vence, eut à l’époque moderne comme évêques deux frères capucins, Étienne La Maingre de Boucicaut (1604-1625) et Joseph-Ignace-Jean-Baptiste de Mesgrigny (1711-1726)34. Mais pourquoi Louis XIV décida-t-il d’élever le récollet Germain Allart à l’épiscopat ? Vence était un petit diocèse, encore exposé, contrairement à ce qu’on peut lire, à la présence de quelques familles protestantes ou de « Nouveaux Convertis » en cette veille de révocation de l’édit de Nantes, comme avec les châtelains de Tourettes-sur-Loup35. En revanche, il n’était plus travaillé de jansénisme, bien affaibli sur place après le règne d’Antoine Godeau (16391672), à une époque où la monarchie combattait pourtant encore le jansénisme épiscopal : ni Louis de Thomassin (1672-1682) ni Allart n’eurent à l’assumer36. Mais l’affaire de la Régale empoisonnait à cette époque les rapports entre le roi et la papauté. Alors, pourquoi ne pas y nommer un homme habitué à relever de nombreux défis ? Thomassin avait eu à affronter des conséquences de la Régale ; Allart pouvait s’adapter ; en fait il ne s’en mêla pas, mais son successeur, Jean-Balthasard de Cabannes de Viens (1685-1697) ne put, à cause de cette crise, être sacré qu’en 169337. Vence eut ensuite un évêque oratorien de 1727 à 1754, avec JeanBaptiste Surian.
Une synthèse récollette ? Le cas de Germain Allart serait presque trop beau pour être vrai, s’il n’était pas documenté par de nombreux écrits, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ordre des récollets. À lui seul, cet homme aura endossé successivement toutes les spécialités des récollets. Tour à tour gardien, provincial dans deux provinces différentes en Métropole mais aussi au Canada, lecteur auprès des novices, portant secours aux malades, aumôniers des armées, il ne lui manque qu’un aspect un peu plus intellectuel de prédicateur ou d’écrivain spirituel pour entrer dans tous les cadres des récollets. Et puis, il fut évêque. Comment ne pas s’interroger sur ce parcours, sur son écriture mais aussi par sa relative discrétion dans la mémoire de l’ordre récollet ? Il n’y avait pas que des amis visiblement, comme permet de le penser un factum conservé à la bibliothèque parisienne de l’Arsenal, qui dénonce un lobby sézannais à la tête de la province dans les années 60 du xviie siècle38. Le factum n’avait pas tort sur le fond : à Germain Allart, élu provincial en 1660, succéda en 1663 son ancien custode Olivier Voysembert de Sézanne, élu « au premier scrutin » selon la formule consacrée, puis en 1666 Françoise Hildesheimer (éd.), Histoire des diocèses de France. Nice et Monaco, Paris, Beauchesne, 1984, p. 119 et 123. F. Hildesheimer dit ne pas savoir si Germain Allart était récollet ou capucin. 35 Marie-Hélène Froeschlé-Chopard et Marcel Bernos, « Entre peuple et hiérarchie : l’échec d’une pastorale », Dix-huitième Siècle, no 12, 1980, p. 271-292 et M.-H. Froeschlé-Chopard, La religion populaire en Provence orientale au xviiie siècle, Paris, Beauchesne, 1980. 36 Georges Doublet, Le jansénisme dans l’ancien diocèse de Vence d’après les documents des archives départementales des Alpes Maritimes, Paris, A. Picart et fils, 1901, p. 64. 37 F. Hildesheimer (éd.), Histoire des diocèses de France, op. cit., p. 127. 38 Factum pour la verité du gouvernement, & l’injuste procedé depuis neuf ans de trois provinceaux de Sezannes, qui ont succedé l’un à l’autre dans la province des Recolets de Paris, à sçavoir les freres Germain Allart, Olivier Voisembert, & Cassien Huquier, s. l. [après 1669], 14 p. ; in-4o (Paris, Bibl. Arsenal, 4 H 15899). 34
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Cassien Huguier de Sézanne39. En novembre 1668, ce dernier cédait sa place à… Germain Allart élu à nouveau, alors qu’Olivier Voysembert était élu provincial de la nouvelle province Saint-Antoine d’Artois, qu’Allart venait d’organiser. Lorsque Germain partit au Canada en 1670, il fut accompagné par Cassien Huguier40, l’ancien provincial. On pense à travers cette mainmise sur la province à des pratiques de chefs d’État d’Europe orientale du xxie siècle. La collusion entre amis est ici évidente. Mais n’oublions pas que les élections dans une famille religieuse d’Ancien Régime ne sont pas démocratiques, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, et que l’époque croit davantage à la puissance des liens de fidélités et aux vertus personnelles qu’au suffrage universel41. Mais tous les frères n’acceptèrent pas sans broncher cet état de fait. La province semblait souffrir de dysfonctionnements sérieux, à la fois dans l’observance de la règle et dans son organisation. Le factum évoqué plus haut est une charge contre Allart, considéré comme le meneur de ce « triumvirat » [sic], accusé de toute une série de transgressions indignes d’un strict-observant de la règle franciscaine. Il voyageait non à pied, mais à cheval ou en carrosse « souvent à trois chevaux », il mangeait de la viande en carême, il maniait de l’argent en achetant de grande quantité de vin, mais aussi en plaçant des fonds auprès des laïcs. Allart aurait même détourné des aumônes royales destinées aux couvents artésiens. L’auteur – anonyme – du factum dit avoir été membre de son définitoire et avoir été humilié, réduit au silence, par ces trois provinciaux successifs, et il n’hésite pas à citer de nombreux autres noms de frères mis en cause. Ne nous scandalisons pas trop vite : ce sont là des accusations classiques, qui traversent, avec les mêmes reproches, toute l’histoire des provinces récollettes42. De là, cette longue lamentation sur le piteux état de la province des récollets de Paris vers 1670 à cause de ces trois pères. La posture choisie par l’auteur était de parler au nom de la province bafouée, comme une mère outragée : Les désordres, les excès et les malheurs qui ont pris naissance depuis neuf ans dans la province des récollets de Paris, et qui règnent impunément depuis ce temps là par les intrigues, les factions et l’ambition de trois provinciaux qui l’ont gouvernée, font gémir et soupirer une mère et ses légitimes enfants, et les obligent après avoir mendié l’assistance du Ciel de recourir aux puissances que Dieu a establies sur leur tête pour y apporter les remèdes efficaces, arrêter le cours de leur gouvernement injuste, violant et tout à fait opposé aux lois de la raison, de l’Église et de la religion43.
Il attaquait non seulement les trois provinciaux, mais il peignait une camarilla sézannaise de gardiens nommés à la tête de nombreux couvents de la province (il citait Paris, H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 48. Ibid., p. 49. 41 Sur cette question, après l’ouvrage d’Olivier Christin, « Vox populi ». Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Seuil, 2014, voir de Frédéric Meyer, « Des règles de démocratie au couvent ? Les élections dans la famille franciscaine aux xviie et xviiie siècles. L’exemple des Récollets français », in Paolo Cozzo e Franco Motta, a cura di, « Regolare la politica. Norme, liturgie, rappresentazioni del potere fra tardoantico ed età contemporanea », Rome, Viella, 2016, p. 211-229. 42 Exemple chez les récollets de la province de Lyon en 1729, avec quasiment les mêmes termes : Arch. départ. Rhône, 10 H 7. 43 Factum pour la verité du gouvernement, op. cit., p. 1. 39 40
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Saint-Denis, Saint-Germain, Sézanne, Vitry, Montereau et Verdun)44. Il dénonçait la facilité avec laquelle on promouvait aux ordres, on envoyait prêcher les jeunes clercs ou quêter les jeunes frères lais, la pratique inhabituelle de réunir des chapitres provinciaux en hiver, la « tyrannie » exercée sur les récollettes que les Pères dirigeaient. Il y a beaucoup d’excès et de jalousies dans ce texte, qu’il est difficile de suivre à la lettre, comme lorsqu’il évoque dans le noviciat de Paris une certaine « chambre rouge », convertie en buvette et en « réservoir de sensualité »45. Il semble que l’auteur ait été lui-même victime d’attaques comme définiteur par Germain Allart, et son pamphlet serait une forme de défense pro domo. Il contestait la gestion des couvents artésien par Germain, qui alla d’après lui jusqu’à menacer d’envoyer ses opposants en Artois et « de les mener en plein hyver sur la fin du mois de novembre à SainteMarguerite et delà en Flandres, s’ils ne faisoient ce qu’il desiroit d’eux »46. La congrégation intermédiaire d’avril 1671, au couvent de Saint-Germain, se tint dans une ambiance très difficile et « nonobstant la défense par sainte obédience et sous peine d’excommunication majeure et de nullité de tous actes » ordonnée par le général franciscain observant FrançoisMarie Rhini (1670-1674), obtenue sans doute à la demande des opposants, dit pudiquement Hyacinthe Le Febvre47. On pourrait également accuser Hyacinthe Le Febvre de collusion avec Germain Allart, qui alterna avec lui à la tête de la province d’Artois, qui apparaît ici comme une fille soumise de la province de Paris. Le factum accuse Allart d’avoir chassé des couvents d’Artois et de Flandres de bons religieux qui n’avaient pour seul handicap que de n’être pas français, alors que le roi ne souhaitait que l’instauration de supérieurs français, ce qui est en effet la pratique normale de la monarchie gallicane, et d’avoir lui-même nommer les nouveaux gardiens sans l’avis du définitoire48. Louis XIV était-il au courant de ces difficultés internes de la province récollette de Paris ? On imagine mal qu’il ne le fut pas. On apprend aussi dans ce texte que le père Germain Allart se vantait d’avoir de bonnes relations avec le chancelier Michel Le Tellier (1603-1685) et son fils le marquis de Louvois (1641-1691), secrétaire d’État à la guerre. Loin d’en faire profiter les récollets dans leur ensemble, au contraire il dit qu’« il ne s’en est servi que pour appuyer son ambition et ses prétentions aux charges »49. Ceci pouvait expliquer que l’affection du roi pour les récollets de la province de Paris ne faiblissait pas, entretenue probablement pas ses ministres. La même année 1671, Allart obtint du roi la création d’un couvent récollet à Versailles50, financée sur la cassette royale, à la demande d’ailleurs de Le Tellier et de Louvois. Le roi lui-même veilla à l’avancement des travaux (les récollets s’installèrent successivement en trois lieux différents de la ville royale). Et cela n’empêcha pas non plus Louis XIV de nommer Allart évêque dix ans plus tard. On le disait petit neveu
Ibid., p. 5-6. Ibid., p. 9. 46 Ibid., p. 3-4 et 7. Sainte-Marguerite-sur-Duclair, en Normandie, où se trouvait un couvent récollet de la province de Paris ? 47 H. Le Febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris, op. cit., p. 49. 48 Factum pour la verité du gouvernement, op. cit., p. 7. 49 Ibid., 11. 50 Ibid., p. 87-88. Sur ce couvent et sa protection royale : Caroline Galland, « Architecture conventuelle et identité religieuse : le couvent des récollets de Versailles », Études franciscaines, N.S., 4, 2011, fasc. 2, p. 357-397. 44 45
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d’un évêque de Verdun51. Son sens de l’autorité, son énergie pouvaient plaire au roi. C’était aussi récompenser à travers lui l’ensemble de la province récollette de Paris pour les services rendus. A contrario du factum, le long article du Mercure galant de juin 1681 donna de Germain Allart une image beaucoup plus flatteuse, au moment où le périodique annonçait sa promotion comme évêque de Vence52. L’article en faisait, ce qui ne nous étonne pas, un excellent serviteur de la monarchie, insistant sur sa fidélité de toujours à exécuter les ordres du roi en Artois, au Canada, auprès de ses armées, ou en Hollande. Il écrivait : On peut bien juger qu’un homme qui a eu tant d’ordres de la cour pour des choses très considérables et si différentes, n’a pu les exécuter sans estre obligé d’en rendre compte dans son temps, et par ce moyen de faire paroitre l’étendue de son esprit au plus éclairé de tous les monarques.
Joseph Bergin pense qu’Alexandre Bontemps53, le très influent Premier valet de chambre (1659-1701) de Louis XIV, aurait pu avoir joué un rôle dans cette nomination. Je ne sais pas si Germain Allart eut des scrupules à accepter le poste. Quoiqu’il en soit, il sut rendre aux récollets la faveur royale dont ils rêvaient depuis le début du xviie siècle. Les religieux réussirent à convaincre le roi, durablement pensaient-ils, qu’un ordre franciscain dynamique et plus « national » que les cordeliers ou même les capucins rendait à la nation des « services publics » particuliers, ce qui leur donnait une place privilégiée auprès de la couronne. Écoutons encore le Mercure : Il [Germain Allart] eut l’avantage d’aller avec le Roy dans la campagne de Hollande avec quarante de ses religieux pour estre les missionnaires de cette Royale Armée, et par sa piété et prudence, il y establit un si bon ordre, tant par les hôpitaux que pour la suite de l’armée, que depuis ce temps là, Sa Majesté a fait l’honneur aux Récolets de se servir toujours d’eux pour les aumôniers et les missionnaires de ses armées, tant en Flandres qu’en Allemagne, ayant mesme eu la bonté de dire qu’ils vivoient dans ses armées avec autant de recueuillement que s’ils avaient esté dans leurs couvents, et qu’on ne les voyait qu’aux lieux où ils devoient estre ; et tout cela en vertu du premier règlement d’une vertueuse et charitable conduite que le Père Allart établit en cette première campagne de Hollande où il alla.
Nous savons que le propos est très excessif et que les récollets n’ont jamais eu l’exclusivité de l’aumônerie militaire des troupes royales. Depuis Henri IV et Louis XIII surtout, lors des sièges de La Rochelle (1628) et de Privas (1629), les récollets tentèrent de se faire reconnaître par la couronne comme les seuls aumôniers de ses troupes. Mais ils n’y parvinrent qu’au Canada, comme l’a montré C. Galland, parce que, là, la province franciscaine toute entière correspondait à la province administrative. Ailleurs, en France et en Europe, ils eurent toujours d’autres réguliers (des jésuites, des lazaristes, d’autres 51 Le Mercure galant, juin 1681, p. 247. Peut-être de Nicolas Boucher (1528-1593), évêque de Verdun (1588-1593), champenois et ancien supérieur du séminaire de Reims ? Nicolas Roussel, Histoire ecclésiastique et civile de Verdun […], Paris, P.-G. Simon, 1745, p. 477-486. 52 Le Mercure galant, juin 1681, p. 247-254. 53 Mais Mathieu Da Vinha ne cite pas Allart dans son Les valets de chambre de Louis XIV, Paris, Perrin, 2004.
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franciscains), voire des séculiers (des sulpiciens), comme concurrents auprès des soldats54. Le gallicanisme très affirmé des récollets aurait, dit Caroline Galland, à la fois servi et desservi les récollets au Canada face aux jésuites55. Si les récollets jouaient à nouveau la carte de l’aumônerie militaire dans les années 1670-1680 (le très précis règlement de la province Saint-Denis de Paris pour les récollets aumôniers donné par Hyacinthe Le Febvre dans son livre date de 1677), c’est peut-être aussi qu’ils se trouvaient à la fin du siècle à un tournant de l’évolution de leur ordre, hésitant entre l’acceptation de missions nombreuses que leur proposait la couronne (elle les sollicita pour des missions en Orient par exemple) et leur refus, par goût d’une spiritualisation croissante, plus attirés qu’ils étaient alors par un retour général au cloître56. On notera l’insistance du texte ci-dessus sur le respect de la stricte observance de la règle franciscaine, « noyau dur » des récollets, y compris hors du couvent et au milieu des troupes. Pourtant d’autres témoignages montrent des difficultés à l’assumer dans ces conditions. Et cette capacité à l’oraison n’était pas la spécialité de Germain Allart, qui représentait davantage le récollet actif à l’extérieur du couvent que le religieux adonné à la récollection à l’intérieur du cloître ! Cet article du Mercure relevait-il de l’autosuggestion ? Le Mercure galant n’est pas un organe des récollets ni leur porte-parole, et il n’était pas obligé d’être si laudatif ! Mais à la fin, l’article dit que c’est sur les qualités évoquées plus haut, « sur ces principes, que Sa Majesté l’a fait evesque de Vence », ce que dit aussi J. Bergin à travers l’étude des dossiers traditionnels d’élévation à l’épiscopat57. Germain Allart fut confirmé le 8 juin 1682 et sacré le 12 juillet58, au couvent des récollets de Paris. Ses consécrateurs étaient l’archevêque de Cambrai, et les évêques de Lavaur et de Saint-Brieuc59. Il succédait à Louis de Thomassin, transféré à Sisteron. Vence, c’était le siège d’Antoine Godeau (dont Thomassin avait été coadjuteur), lui aussi homme du roi et nommé jadis à ce poste par la protection de Richelieu. Le diocèse regroupait 20 paroisses60, pour environ 6 000 habitants en 1681, et il dépendait de la province ecclésiastique d’Embrun. La mense épiscopale était médiocre, 6 000 livres par an, mais l’évêque était seigneur de la petite ville, et il disposait de quelques droits sur Bézaudun, Le Broc et Tourettes61. Germain semble avoir été un bon évêque, selon les normes
54 Frédéric Meyer, « L’impossible aumônerie militaire en France sous l’Ancien Régime », dans Laurent Jalabert et Stefano Simiz (éd.), Le soldat face au clerc. Armée et religion (xve-xixe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 51-64. 55 C. Galland, Pour la gloire de Dieu et du roi, op. cit., p. 116. 56 F. Meyer, Pauvreté et assistance spirituelle, op. cit. 57 Joseph Bergin (dans son Crown, Church and Episcopate under Louis XIV, op. cit.) a utilisé les documents suivants : BnF, ms. français 23510, f.°48vo (1682) ; Dossiers bleus, ms. français 29557 no 12 ; Pièces originales du cabinet des titres, provenant des anciennes archives de la Chambre des comptes, 39, no 807 (ms. français 26523). 58 Gallia Christiana, t. III, éd. Paris, 1725, col. 1231-1232 ; Hierarchia Catholica, vol. 5, p. 407. 59 Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, op. cit., t. I, p. 479 et t. XVIII, col. 163-164. Cambrai : Jacques-Théodore de Bryas (1675-1694) ; Lavaur : Charles Le Goux de la Berchère (1677-1693) ; Saint-Brieuc : Louis-Marcel de Coëtlogon-Méjusseau (1681-1705). 60 Jusqu’en 1720, lorsqu’Andon devint paroisse : Christophe Plessis, « Le clergé du diocèse de Vence au xviiie siècle (1698-1789) », Recherches régionales (Côte d’Azur et contrées limitrophes), Nice, Conseil général des Alpes maritimes, 1989, no 1-2, p. 81-98. 61 F. Hildesheimer (éd.), Histoire des diocèses de France, op. cit., p. 116.
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gallicanes de la fin du xviie siècle. Il visita son (petit) diocèse en septembre et octobre 168362. Il participa (sous le nom de François-Théodore) à l’Assemblée générale du clergé de 1685, qui applaudit à la révocation de l’édit de Nantes63. Il serait mort le 13 décembre à Vence peu après son retour de Paris, « après avoir sainctement conduit l’espace d’environ trois années la présente église », comme dit son acte de sépulture, et il fut inhumé dans le tombeau des évêques de la cathédrale le 15 décembre 1685 à huit heures du matin, « en présence du vénérable chapitre et presque tout le clergé »64, lors d’une cérémonie dirigée par le chanoine Laurent Blacas65. Le Père récollet Germain de Sézanne aura eu un destin exceptionnel. Il le doit certainement à un caractère bien trempé, voire un peu rugueux, qui tranchait avec l’image de « frère des anges » que Bernard Dompnier avait reconnue chez les capucins du xviie siècle, et que l’on peut, sans annexionnisme scandaleux, associer également aux récollets. Il ne fut pourtant pas un missionnaire, exposé aux périls naturels et humains, au dilemme de « la pastorale de la peur ou de la séduction »66. Au moment du « retour au cloître » de nombreux récollets français, il resta un homme d’action ; il y en a peut-être eu d’autres dans son cas. Par ailleurs sa carrière brillante, mais hors norme, est-elle due aux réseaux dont il sut profiter autant qu’à ses qualités religieuses. Le clan sézannois, la protection de Le Tellier et de Louvois, sa proximité avec l’intendant du Canada Jean Talon, ont joué à plein dans son parcours, et c’est peut-être ce qui le rend un peu encombrant pour la mémoire récollette. Peu tourmenté par le respect de la pauvreté franciscaine, on peut remarquer qu’il servit sa province, comme il sied à un religieux mendiant, mais qu’il avait aussi une certaine vision nationale de sa vocation, n’hésitant pas à accepter un diocèse bien loin de sa Champagne natale, et qui n’avait aucun lien avec son monde. C’est peut-être là le meilleur indicateur que les récollets du xviie siècle servaient autant le roi de France que François d’Assise. Frédéric Meyer Laboratoire LLSETI Université Savoie Mont Blanc (Chambéry)
Arch. départ. Alpes-Maritimes, G 1248. Actes de l’Assemblée générale du Clergé de France de 1682 et de 1685 concernant la religion, Paris, F. Léonard, 1686, p. 92. 64 Arch. départ. Alpes Maritimes, Vence, Registre des baptêmes, mariages, sépultures 1683-1692. Non coté (?), non folioté. Consulté en ligne sur https://www.cg06.fr le 5 mars 2015. 65 Abbé Eugène Tisserand, Histoire de Vence, cité, évêché, baronnie, de son canton et de l’ancienne viguerie de Saint-Paul du Var, Paris, E. Belin, 1860, p. 219. Pour cet auteur, Allart aurait marié sa nièce à un patricien de Nice, Jean-Angèle Olive. 66 Bernard Dompnier, I linguaggi della convizione religiosa. Una storia culturale della Riforma cattolica, Rome, Bulzoni, 2013. 62 63
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Sève ou poison ? Enfance et jeunesse dans les réformes régulières françaises à l’époque moderne Il n’y a point de science qu’on puisse apprendre par la seule lecture, sans le concours d’un maître et sans quelques exercices. Lettre de Cicéron à Tribitus
S’il est un moderniste à avoir conféré ses lettres de noblesse à l’histoire du clergé régulier, à avoir fait d’un ancien pré carré de l’historiographie ecclésiastique l’un des champs les plus féconds d’une histoire scientifique du fait religieux largement ouverte aux questionnements et aux acquis des sciences humaines et sociales, c’est bien le dédicataire du présent volume. Dans ses propres travaux – sur le franciscanisme notamment – comme dans nombre de ceux qu’il a dirigés de l’ancienne maîtrise jusqu’au doctorat, la mort au monde n’existe pas, en tout cas pas vraiment, puisque les réguliers qui ne sont certes plus du monde vivent toujours dans le monde, agissent même puissamment sur lui. À l’échelle de l’institut tout entier comme à celle du couvent, l’histoire de ces microsociétés selon Bernard Dompnier, entre histoire de la spiritualité, sociologie religieuse rétrospective, démographie et anthropologie historiques, est celle d’une dialectique entre les usages du Siècle et leur négation/adaptation/reproduction par ceux qui ont voulu le fuir. Images d’Épinal et procès instruits en ont maintes fois souffert. Au rang des impensés tenaces auxquels la fidélité à l’enseignement du maître pousse le disciple à vouloir faire ici un sort, figure cette corrélation si communément établie entre jeunesse et dynamisme religieux – au point que les deux termes paraîtraient pour un peu pléonastiques. Qui a appris à se mouvoir dans les arcanes bibliographiques du christianisme tardo-médiéval et moderne est frappé par la récurrence de la métaphore de la sève régénérant un arbre décati. Voyez ces innovations de la devotio moderna et « le sang neuf qu’elles apportaient […] dans la régénération du vieil arbre bénédictin »1 ; voyez encore Richelieu cherchant, en appuyant la réforme mauriste, à « emprunter un peu de jeune sève à cet arbre qui poussait si vigoureusement et à l’infuser dans le tronc antique »2, ou cette « montée de Francis Rapp, L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, PUF, 1994 (1re éd. 1971), p. 220. Paul Denis, Le cardinal de Richelieu et la réforme des monastères bénédictins, Paris, Honoré Champion, 1913, p. 7. 1 2
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 23-35 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115072
Grégory Goudot
sève » frappant l’Église d’Auvergne post-tridentine3. L’arbre bénédictin est vieux, la réforme mauriste est jeune : la métaphore botanique est aussi métaphore biologique, celle des âges de la vie. La jeunesse est si ontologiquement assimilée à la sève que le vert de la nature en pleine croissance en est depuis l’époque carolingienne la couleur4. L’idéal exigeant – parfois même héroïque – de retour à la pureté mythifiée des origines, les bouleversements institutionnels qui en résultent (réformations et fondations de couvents ou d’ordres), classiquement vus comme autant d’évidents marqueurs de dynamisme, sont-ils pour autant des œuvres de jeunesse ? Mais là n’est pas l’unique aspect de la dialectique réforme-jeunesse. Quel regard et quel discours l’institution et ses réformateurs portent-ils sur la jeunesse et, par extension, sur cet autre âge de la vie dont il est souvent difficile de la distinguer, l’enfance ? Quelle place les réguliers leur accordent-ils dans leurs projets ? Encore faut-il savoir ce que recouvrent ces vocables limpides en apparence, sans bien sûr que l’on ait ici la prétention – soit malhonnête, soit déraisonnable, soit les deux, car là n’est pas le cœur du sujet – de dominer l’état de l’art sur ce qui constitue, depuis les travaux fondateurs de Philippe Ariès5, un champ historiographique à part entière. On a suffisamment souligné l’impossibilité de définitions universelles et immuables, que les dictionnaires anciens eux-mêmes se gardent bien de proposer. C’est qu’enfance et jeunesse sont par excellence des constructions sociales et culturelles irréductibles aux quantifications démographiques, aux phénomènes biologiques et aux définitions juridiques6. Certes, l’affirmation des États centraux et territoriaux que connaît l’époque moderne, ainsi que la régulation sociale croissante qui l’accompagne, favorisent des catégorisations plus nettes, fondées sur la notion émergente de classe d’âge. Au Moyen Âge, alors que rares étaient les individus à connaître leur âge exact, la culture savante et cléricale distinguait sept âges de la vie aux frontières souples et hésitantes (infantia, pueritia, adulescentia, juventus, virilitas, senectus, senies), héritage des taxinomies antiques mâtiné de symbolique des nombres7. Au xvie siècle, la frontière entre enfance et jeunesse demeure floue, les deux vocables s’avérant volontiers interchangeables, et il n’existe pas encore d’idée nette de l’adolescence – on a sans doute exagéré l’importance de jalons et de rites de passage marquant la fin de l’enfance, alors que cette dernière s’accompagne de transformations biologiques, économiques, sociales et sexuelles perçues différemment selon les états et les milieux. Il reste que se dessinent progressivement à l’âge classique deux paliers : le premier autour de 7 ans, lorsque l’individu Voir le compte rendu par André Latreille de la monographie classique de Louise Welter, La réforme ecclésiastique du diocèse de Clermont au xviie siècle, Paris, Letouzey et Ané, 1956, dans la Revue d’histoire de l’Église de France, t. XLII, no 139, 1956, p. 280. 4 Michel Pastoureau, « Les emblèmes de la jeunesse. Attributs et mise en scène des jeunes dans l’image médiévale », dans Giovanni Levi et Jean-Claude Schmitt (éd.), Histoire des jeunes en Occident, t. I : De l’Antiquité à l’époque moderne, Paris, Seuil, 1996, p. 255-275, p. 272. 5 Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1973 (1re éd. 1960). 6 Giovanni Levi et Jean-Claude Schmitt, « Introduction », dans Histoire des jeunes en Occident, op. cit., p. 7-13 ; Olivier Christin, « L’enfance, temps délicat et changeant », dans Id. et Bernard Hours (éd.), Enfance, assistance et religion, Lyon, LARHRA, 2006, p. 7-8. Sur l’histoire de l’enfance, voir également Robert Fossier (éd.), La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997 ; Eggle Becchi et Dominique Julia (éd.), Histoire de l’enfance en Occident, t. I : De l’Antiquité au xviie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1998. 7 M. Pastoureau, « Les emblèmes de la jeunesse », art. cit., p. 256-257. 3
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commence à explorer un monde qui n’est plus exclusivement féminin ; le second vers 14, âge à partir duquel le garçon exerce la plupart des activités masculines ; après quoi vient une grosse décennie d’adolescence qui ne porte pas encore son nom. La délimitation en aval, marquée de longue date par le mariage et la fondation d’un foyer indépendant, dont l’âge moyen recule d’ailleurs à l’époque moderne pour se fixer entre 25 et 30 ans, a toujours moins posé question8. Il est bien connu que les clercs ne se marient pas ; ce critère s’avère donc ici inopérant, sauf à considérer que des vieillards affichant plusieurs décennies de vie en religion – le milieu préservé du cloître assure à ses occupants une particulière longévité9 – puissent être jeunes parce que célibataires. Cela étant, cet âge de 25 ans qui, dans le Siècle, marque grosso modo l’entrée dans le monde des adultes, ne paraît pas constituer une borne aval déraisonnable ou incohérente pour notre propos. Les pages qui suivent voudraient donc questionner les enjeux générationnels des réformes régulières qui traversent la première modernité, et ce à l’échelle de l’espace français, par de constants allers-retours entre considérations nationales et exemples régionaux. L’esprit même de cet essai de synthèse, dont le cadre spatio-temporel est vaste, impose de fonder l’analyse pour l’essentiel sur des données glanées dans l’abondante littérature relative aux ordres religieux et, plus largement, à la Réforme catholique française.
La jeunesse, cause de la déformation ? La vie monastique repose sur l’imitation du Christ, qui a dit « Laissez les enfants venir à moi et ne les en empêchez pas » (Luc, 18, 16 ; Marc, 10, 14 ; Matthieu, 19, 14) et ne cesse de s’adresser aux jeunes, qu’il incite à quitter leurs parents pour le rejoindre et le préférer à eux (Luc, 14, 26 ; Matthieu, 10, 37). Si les Évangiles taisent les « enfances » du Christ, entre l’âge de 12 ans et le début de sa vie publique à 30 ans10, la vision scripturaire de la jeunesse n’est pas péjorative : Jésus, âgé de 12 ans, impressionne les maîtres juifs avec lesquels il converse au temple (Luc, 2, 46-47). Il n’est donc guère surprenant qu’un texte fondateur tel que la règle de saint Benoît autorise des entrées précoces au monastère, où l’on va, aux premiers siècles du monachisme, jusqu’à recevoir des oblats, enfants en bas âge voués à la vie monastique par leurs parents. Défavorablement regardée par les cisterciens, les chartreux ou les Templiers, l’oblation se raréfie nettement sinon disparaît à partir du milieu du xiie siècle. 8 Robert Muchembled, Société, cultures et mentalités dans la France moderne (xvie-xviiie siècle), Paris, Armand Colin, 2003 (1re éd. 1990), p. 46-47 et 86-89 ; Thierry Wanegffelen, « Former des adultes, inventer la jeunesse. L’entrée dans la modernité, ou de la civilité et du processus de normalisation », dans Isabelle Cani, Nelly Chabrol-Gagne et Catherine d’Humières (éd.), Devenir adulte et rester enfant ? Relire les productions pour la jeunesse, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2006, p. 29-40. Norbert Schindler (« Les gardiens du désordre. Rites culturels de la jeunesse à l’aube des Temps modernes », dans G. Levi et J.-Cl. Schmitt [éd.], Histoire des jeunes en Occident, op. cit., p. 277-329, en particulier p. 280-284) n’opère pas cette catégorisation par âges. 9 Dominique Dinet, « Mourir en religion aux xviie et xviiie siècles. La mort dans quelques couvents des diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon », Revue historique, t. CCLIX, no 525, 1978, p. 30-54 ; Id. et Hervé Le Bras, « Mortalité des laïcs et mortalité des religieux : les bénédictins de Saint-Maur aux xviie et xviiie siècles », Population, 35e année, no 2, 1980, p. 347-383. 10 G. Levi et J.-Cl. Schmitt, « Introduction », art. cit., p. 15.
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Au minimum, alors que la paterna devotio était au départ irrévocable et que l’Église adoptait sur cette question une position rigoriste, s’impose progressivement la possibilité d’un choix, l’oblat parvenu à un certain âge, entre la poursuite de la vie monastique par consentement exprès (propria professio) et le retour au monde11. Au-delà de cette seule pratique, la tradition monastique bénédictine accorde à l’origine une place de choix à la jeunesse dans la vie et dans le gouvernement du monastère, considérant que « souvent le Seigneur révèle au plus jeune ce qu’il y a de mieux à faire » (chap. 3). C’est là une réalité qui perdure tard au Moyen Âge. Au xive siècle encore, on conduit dans bien des monastères féminins de la Chrétienté des fillettes âgées de 4 ou 5 ans à peine, où elles sont élevées par des parentes qui les instruisent, les préparent à la prise d’habit puis leur lèguent leurs effets personnels, voire leurs offices12. À la date fort tardive de 1491, huit des trente-trois religieuses de l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers y sont entrées entre les âges de 6 et 9 ans ; deux autres disent y vivre depuis leur plus tendre enfance ; huit autres, enfin, y sont entrées entre les âges de 10 et 15 ans13. Tout cela, la plupart des réformateurs de l’époque moderne le remettent en cause, et ce dès les premières entreprises du xve siècle, qui s’inscrivent dans un contexte dominé par des topoi que véhiculent tant de textes tardo-médiévaux : la jeunesse est irrespectueuse, transgresse l’ordre social et méprise les valeurs établies, vit volontiers dans la luxure et le péché, se montre prompte à la fornication14. Cette vision contamine même à la fin du Moyen Âge l’iconographie, qui regorgeait pourtant autrefois de jeunes gens remarquables15. C’est manifestement celle que portent, à la fin du xve siècle, les franciscains observants sur la « folle jeunesse » qui peuple le « grand couvent » de Paris, centre universitaire de l’ordre où logent quelque trois cents religieux dont beaucoup sont des écoliers en cours de cursus16. Mais au-delà du poids des mentalités, les réformateurs agissent mus par cette autre conviction qui veut que des entrées trop précoces, ainsi que la prédestination de jeunes sujets sans considération pour leurs aptitudes à supporter ou non les austérités de la Règle, minent la vie en religion. La grande préoccupation des réformateurs de tous ordres, le grand cheval de bataille de la période, ce sera donc le recul de l’âge des vœux, questions dont le gouvernement central de l’Église et le pouvoir royal s’emparent d’ailleurs à partir du milieu du xvie siècle. En 1560, le dix-neuvième article de l’ordonnance d’Orléans fixe l’âge minimal à l’entrée en
11 Nora Berend, « La subversion invisible : la disparition de l’oblation irrévocable des enfants dans le droit canon », Médiévales, no 26, 1994, p. 123-136. 12 F. Rapp, L’Église et la vie religieuse en Occident, op. cit., p. 221. 13 Robert Favreau, « Une élection à l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers en 1491 », dans La Réforme des réguliers en France, de la fin du xve siècle à la fin des guerres de religion, Paris [= Revue d’histoire de l’Église de France, t. LXV, no 174], 1979, p. 75-87, p. 82. 14 Jacques Rossiaud, « Prostitutions, jeunesse et société au xve siècle », Annales ESC, no 2, 1976, p. 289-325 ; Claude Gauvard, « Les jeunes à la fin du Moyen Âge : une classe d’âge ? », Annales de l’Est, no 1-2, 1982, p. 224-244. 15 M. Pastoureau, « Les emblèmes de la jeunesse », art. cit., p. 260 et 271. 16 Bernard Chevalier, « Olivier Maillard et la réforme des Cordeliers (1482-1502) », dans La Réforme des réguliers en France, op. cit., p. 25-39, en particulier p. 36-37.
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religion à 25 ans pour les hommes et 20 ans pour les femmes17. Trois ans plus tard, le concile de Trente, dans le quinzième canon du décret de réformation promulgué lors de sa dernière session, décrète qu’« en quelque religion que ce soit, d’hommes ou de femmes, on ne fera pas profession avant seize ans accomplis. […] Toute profession faite plus tôt sera nulle et ne comportera aucune obligation relativement à l’observance d’une règle ou d’une religion ou d’un ordre »18. Ces dispositions, reprises en 1579 par le vingt-huitième article de l’ordonnance de Blois19, restent en vigueur et s’imposent à tous jusque dans la seconde moitié du xviiie siècle, bien que Jean-Baptiste Colbert ait prôné dans les années 1660 un retour aux termes de l’ordonnance d’Orléans, sans doute davantage pour enrayer les vocations vers le monde « inutile » des cloîtres que par souci de l’observance20. Mais tout cela ne fait en réalité qu’aller dans le sens d’initiatives que certains réformateurs réguliers ont prises de longue date, même si tous n’ont pas fait des choix identiques. Les initiatives les plus précoces et les plus énergiques sont à mettre au crédit des réformes franciscaines. Dès la première moitié du xve siècle, les Constitutions de Colette de Corbie, la réformatrice des Clarisses, stipulent que l’habit ne peut être donné avant l’âge de 12 ans et que la profession ne peut intervenir avant l’âge de 18. L’admission de toute jeune recrue nécessite au préalable de pleinement connaître et examiner « sa vie, sa conduite et son honnêteté ». Dans les Avis de Colette, qui complètent les Constitutions, la réception de jeunes filles dès l’âge de 12 ans n’est pas souhaitée car elle mène généralement « à la destruction des bonnes ordonnances de la religion ». La réformatrice est prise en tenaille entre l’intérêt de l’observance et la pression de ses principaux soutiens, qui souhaitent souvent lui donner ses enfants, les « rois, ducs, comtes, reines, duchesses ou comtesses ou d’autres personnes à qui bonnement on ne peut refuser de les vouer à Dieu »21. Au même moment, dans les rangs masculins de la famille franciscaine, les statuts de l’Observance ultramontaine – péninsule Ibérique, France, Pays-Bas, Allemagne, îles Britanniques – promulgués en 1451 à Barcelone stipulent qu’aucun novice ne pourra être reçu avant d’avoir atteint l’âge de 16 ans (chap. I, art. 1)22. Le fondateur de la vicairie observante de Bohême, Jean de Capistran aurait d’ailleurs déclaré au pape Eugène IV nouvellement élu que la réforme de l’ordre franciscain passerait par le rejet des « trois P » : les enfants (pueri), l’arrogance (petulantia) et l’argent (pecunia)23. François-André Isambert, Athanase-Jean-Léger Jourdan et al., Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, vol. XIV/1 : Juillet 1559-mai 1574, Paris, Belin-Leprieur, 1829, p. 69 ; Pierre-Toussaint Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, Lyon-Paris, Duplain – Saillant et Nyon, 1770, vol. 1, p. 118. 18 Albert Michel, Les décrets du concile de Trente, Paris, Letouzey & Ané, 1938, p. 606. 19 F.-A. Isambert, A.-J.-L. Jourdan et al., Recueil général des anciennes lois françaises, vol. XIV/2 : Mai 1574août 1589, Paris, Belin-Leprieur, 1829, p. 388-389 ; P.-T. Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, op. cit., vol. 1, p. 118. 20 Vladimir Malov, « Le projet colbertiste de la réforme monastique », dans Roland Mousnier (éd.), Un nouveau Colbert, Paris, SEDES, 1985, p. 172. 21 Élisabeth Lopez, Culture et sainteté. Colette de Corbie (1381-1447), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994, p. 210-211 et 239. 22 Michael Bihl (éd.), « Statuta generalia Observantium Ultramontanorum an. 1451 Barcinonæ condita », Archivum Franciscanum Historicum, t. 38, 1945, p. 106-197, an particulier p. 125. 23 Ludovic Viallet, « Vivre selon la Règle au milieu du xve siècle, chez les réformateurs franciscains. Entre obéissance et pauvreté », Canterbury Studies in Franciscan History, vol. 3, 2011, p. 131-170. 17
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Les minimes et les carmes de la congrégation d’Albi n’acceptent quant à eux aucun postulant qui n’ait pas 18 ans. Il est bien quelques réformateurs des premières décennies du xvie siècle – bénédictins, dominicains, ou même séculiers à l’image de Josse Clichtove – pour se montrer favorables aux vocations précoces, et les chanoines réguliers de la congrégation de Livry vont jusqu’à refuser les novices âgés de plus de 18 ans ; mais ce sont là des exceptions. La tolérance envers les admissions précoces est en outre plus grande pour les filles, qu’il faut bien protéger des flétrissures du monde. Dans l’ordre de Fontevrault, depuis la réforme de la fin du xve siècle, les filles peuvent prendre l’habit dès l’âge de 10 ans, contre 15 pour les garçons24. De même la congrégation bénédictine réformée de Chezal-Benoît prévoit-elle au début du xvie siècle « que désormais nulle fille sera receue à probation qui n’aye aage compétente comme douze ans », alors que les garçons ne peuvent être admis avant l’âge de 16 ans révolus25. Quelques décennies plus tard, enfin, alors que les dispositions tridentines relatives à l’âge des vœux constituent désormais un socle commun, les Constitutions de 1575 des Capucins – en vigueur en France jusqu’à l’édit royal de 1768, qui revient aux termes restrictifs de l’ordonnance d’Orléans de 1560 – se montrent plus exigeantes en refusant les postulants de moins de 17 ans, alors que celles de 1536 fixaient à 16 ans l’âge minimal pour être reçu dans l’ordre comme clerc. Par ailleurs, depuis l’origine, l’ordre n’accepte de frère lai qu’à partir de 19 ans26. Gare, toutefois, à ne pas en déduire a contrario l’existence d’un tropisme ontologique des réformateurs réguliers pour les vocations tardives : les femmes ne peuvent être admises à Fontevrault passé l’âge de 50 ans27 ; la réforme colettine refuse tout postulante âgée de plus de 40 ans, « à moins qu’elle ne soit très distinguée, de sorte que son admission soit un sujet de grande édification pour le peuple et le clergé »28, et c’est presque en usant des mêmes termes qu’une autre réforme franciscaine plus tardive, celle des Capucins, refuse les admissions passé l’âge de 45 ans, à moins que cela ne soit « de grande édification pour le peuple »29. Bref, si les Mendiants paraissent plus intransigeants sur cette question de l’âge des vœux que les ordres contemplatifs, et si l’on continue à rejoindre le cloître plus tôt chez les filles que chez les garçons, un consensus tend à se former dès la Renaissance autour de la nécessité de repousser l’entrée dans la vie consacrée aussi tard que possible dans l’adolescence.
La jeunesse dans les rangs réformateurs : autour des pratiques Au-delà de cette question récurrente de l’âge des vœux, qui témoigne de préventions certaines à l’encontre de l’enfance et de la jeunesse, la maturité est incontestablement l’une des caractéristiques marquantes des forces réformatrices. Dans le Bassin parisien, entre 1490 24 Jean-Marie Le Gall, Les moines au temps des réformes. France (1480-1560), Seyssel, Champ Vallon, 2001, p. 160-161. 25 Arch. dép. Puy-de-Dôme, 50 H 69/94. 26 Bernard Dompnier, Enquête au pays des frères des anges. Les capucins de la province de Lyon aux xviie et xviiie siècles, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1993, p. 66. 27 J.-M. Le Gall, Les moines au temps des réformes, op. cit., p. 160. 28 É. Lopez, Culture et sainteté, op. cit., p. 210-211. 29 B. Dompnier, Enquête au pays des frères des anges, op. cit., p. 66.
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et 1520, nombreux sont les hommes et les femmes d’expérience, universitaires et princesses, à quitter le monde et à s’illustrer dans le service de la reformatio. Les réformes bénédictines, notamment, ont la faveur des lettrés comme Guy Jouenneaux, brillant latiniste entré en 1494 à l’abbaye berrichonne de Chezal-Benoît, ou Jean Raulin, qui abandonne soudainement en 1497, à l’âge de 54 ans, la direction du collège parisien de Navarre pour se retirer à Cluny. Marguerite de Lorraine, quant à elle, accomplit son devoir de mère puis côtoie le tiers-ordre franciscain, avant de se faire religieuse chez les clarisses d’Argentan en 1520. Bénédictines chez les universitaires parisiens, franciscaines chez les femmes, les réformes séduisent les âmes mûres de la Renaissance, convaincues que faire son salut nécessite non seulement de mourir au monde, mais encore de propager partout la réforme. Après sa profession à Chezal-Benoît, Guy Jouenneaux réforme Saint-Sulpice de Bourges – dont il devient l’abbé en 1497 –, puis, en 1500, les religieuses de Saint-Laurent de Bourges, et soutient en 1504 la réforme imposée à Saint-Germain-des-Prés par Jean Raulin. Raulin, justement, œuvre activement en Auvergne puis en région parisienne, ainsi qu’à Fontevrault, autre foyer bénédictin de réforme particulièrement prisé des universitaires, qui s’y pressent en nombre. Marguerite de Lorraine installe, elle, cinq communautés religieuses – franciscaines pour la plupart – sur ses terres et appuie de son autorité la réforme des dominicains d’Argentan en 1508, puis celle des bénédictins de Saint-Martin de Sées en 1511. À Jeanne de France, entourée de deux figures de l’Observance franciscaine, Olivier Maillard et Gabriel Maria, et de l’omniprésent Guy Jouenneaux, on doit rien moins que la fondation en 1502 d’un ordre, l’Annonciade. Il s’agit certes là d’individualités, d’arbres pouvant éventuellement cacher la forêt. Mais la maturité caractérise aussi le recrutement des ordres et des communautés au plus fort des processus réformateurs de la Renaissance. Au prieuré clunisien de SaintMartin-des-Champs, entre 1500 et 1520, c’est-à-dire au plus fort de la réforme, la moyenne d’âge à la vêture est de 19 ans et demi ; quelque 60 % des novices du prieuré prennent l’habit après 19 ans, contre 30 % entre 15 et 16 ans, alors que l’ordre de Cluny accepte les professions solennelles dès l’âge de 15 ans30. Tout cela reste vrai un siècle plus tard. La jeunesse est plus nettement sous-représentée encore dans les premières cohortes de la congrégation bénédictine de Saint-Maur, qui a d’ailleurs annexé la congrégation renaissante de Chezal-Benoît : entre 1607 et 1629, dans les deux premières décennies d’existence de la congrégation, qui sont celles de sa plus forte croissance, la part des religieux ayant fait profession après l’âge de 25 ans est de 40,3 %31. Le phénomène est moins frappant dans les nouvelles congrégations féminines françaises du xviie siècle, mais sur un échantillon de 856 choristes ursulines et filles de Notre-Dame, l’âge moyen à l’entrée s’avère tout de même supérieur aux prescriptions tridentines, dépassant 18 ans entre 1620 et 171032. Quant aux convertis sur le tard, ils n’ont pas disparu ; seules leurs J.-M. Le Gall, Les moines au temps des réformes, op. cit., p. 48-60 et 161. Lin Donnat et Dominique Julia, « Le recrutement d’une congrégation monastique à l’époque moderne : les Bénédictins de Saint-Maur. Esquisse d’histoire quantitative », dans Michel Bur (éd.), Saint-Thierry, une abbaye du vie au xxe siècle. Actes du Colloque international d’histoire monastique (Reims – Saint-Thierry, 11-14 octobre 1976), Saint-Thierry, Association des Amis de l’Abbaye de Saint-Thierry, 1979, p. 505-594, en particulier p. 569. 32 Elizabeth Rapley, « Women and the Religious Vocation in Seventeenth-Century France », French Historical Studies, vol. 18, no 3, 1994, p. 613-631, en particulier p. 618 (tabl. 1). 30 31
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origines ont changé : tout au long du xviie siècle, nombreux sont les soldats qui prennent l’habit d’ordres réformés. On peine à prendre l’exacte mesure du phénomène, mais leur affluence aux portes des cloîtres entre 1598 et les années 1640 est troublante et dans un premier temps, entre 1595 et 1600, nombre d’entre eux rejoignent les rangs des Capucins. Plus avant dans le xviie siècle, l’attractivité des observances les plus rigoureuses sur ces repentis ne se dément pas, mais les séductions capucines et plus largement mendiantes perdent de leur empire, au profit d’ordres anciens aux réformes tout aussi exigeantes. Désormais, la Trappe et autres déclinaisons de l’austère observance rancéenne attirent davantage les aspirants à une conversion héroïque33. Ainsi s’explique pour partie la moyenne d’âge particulièrement élevée des recrues de la Trappe : près de 50 % des novices y sont âgés de plus de 30 ans, tandis que plus de 70 % ont plus de 25 ans34. Bref, si les mouvements de réformes des ordres religieux ont des traits générationnels, ce ne sont pas ceux qu’on leur prêterait volontiers : au plus fort de la réforme, la jeunesse est moins l’agent du renouveau que l’objet de la méfiance des réformateurs, qui sont toutefois contraints de lui accorder, à mesure que s’éloigne le climax de leur œuvre, une place grandissante dans leurs rangs.
Le mépris de la jeunesse : une ligne intenable À Saint-Martin-des-Champs, après 1520, la prise d’habit a lieu entre 8 et 14 ans dans 53 % des cas au moins, l’âge à la profession s’abaissant vraisemblablement dans la foulée35. Un siècle plus tard, dans la congrégation de Saint-Maur, la part des religieux ayant fait profession à l’âge de 25 ans ou plus est retombée à moins de 20 % dans les années 1640, pour dépasser péniblement les 10 % dans les années 166036. Il n’en va pas différemment dans ces nouvelles congrégations de prêtres qui viennent concurrencer, au xviie siècle, les ordres religieux, dont elles sont d’une certaine manière les héritières et auxquelles elles ressemblent par bien des aspects : chez les Oratoriens, entre 1630 et 1679, l’âge moyen des nouvelles recrues est de 23,3 ans, puis chute sous la barre des 20 ans au xviiie siècle37. Seul l’ordre de la Visitation, fer de lance des nouveaux instituts féminins du xviie siècle français, semble afficher une tendance inverse, puisque l’on s’y engage en moyenne plus tard au xviiie siècle38. Dominique Dinet, « De l’épée à la croix : les soldats passés à l’ombre des cloîtres (fin xvie-fin xviiie siècles) », Histoire, Économie et Société, 9e année, no 2, 1990, p. 171-183. 34 Alban John Krailsheimer, « La réforme de Rancé : La Trappe comme modèle », dans Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux. Actes du 1er Colloque international du CERCOR (SaintÉtienne, 16-18 septembre 1985), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1991, p. 781-791, an particulier p. 785. 35 J.-M. Le Gall, Les moines au temps des réformes, op. cit., p. 161. 36 L. Donnat et D. Julia, « Le recrutement d’une congrégation », art. cit., p. 569. 37 Willem Frijhoff et Dominique Julia, « Les Oratoriens de France sous l’Ancien Régime. Premiers résultats d’une enquête », Revue d’histoire de l’Église de France, t. LXV, no 175, 1979, p. 225-265, en particulier p. 241 (tabl. 2). 38 Dominique Dinet, « Les entrées en religion à la Visitation (xviie et xviiie siècles », dans Bernard Dompnier et Dominique Julia (éd.), Visitation et visitandines aux xviie et xviiie siècles. Actes du Colloque d’Annecy (3-5 juin 1999), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2001, p. 184. 33
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Au monastère auvergnat d’Aurillac, fondé en 1651, 60,8 % des vêtures ont lieu entre 15 et 19 ans sur la période 1651-1700, contre 29 % après 1701 ; les 20-24 ans représentent 17,8 % des novices dans la seconde moitié du xviie siècle, puis 46,5 % au siècle suivant, tandis que les 25-29 ans passent de 12, à 21 % entre ces deux périodes. Les vêtures accomplies entre 15 et 19 ans sont donc deux fois moins nombreuses au xviiie, alors que les 20-24 ans voient au même moment leur proportion doubler39. Hors de cette exception, l’exaltation de la réforme de l’établissement ou de la fondation de l’institut une fois passée, le recrutement renoue avec la jeunesse et ce sur le temps long, laissant à nouveau toute leur place aux habituelles stratégies sociales – dans la limite des cadres posés par l’Église et l’État. De sorte qu’en moyenne, c’est bien à l’adolescence que s’effectue à l’époque moderne l’entrée en religion. Ainsi, plus de 80 % des 3 000 vêtures comptabilisées sur deux siècles dans les diocèses bourguignons et champenois ont eu lieu entre les âges de 15 et 24 ans40. Bon gré mal gré, la réforme doit composer avec la jeunesse, d’où l’importance de son contrôle et de sa formation. Il est frappant de constater qu’au moment où l’on s’échine à limiter la présence de la jeunesse dans les rangs de l’institution, nombre d’ordres nouveaux ou réformés s’engagent dans l’enseignement, à compter du début du xviie siècle surtout. Les exemples en sont nombreux et l’on pense bien entendu d’emblée aux collèges de la Compagnie de Jésus et de l’Oratoire, mais on pourrait tout aussi bien évoquer les bénédictins de Saint-Maur ou, du côté des instituts féminins, les Ursulines et les bénédictines enseignantes. Au sein même de ces familles spirituelles, l’activité enseignante suscite parfois des débats et des réticences. Chez les bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne, contemporains des Mauristes et auxquels on ne peut reprocher de mépriser les activités intellectuelles, l’ouverture sur l’extérieur que nécessite cette pratique de l’enseignement est perçue comme contradictoire avec l’esprit de la réforme, qui impose d’observer strictement l’obligation de la clôture, en bonne conformité avec les exhortations du cinquième canon du décret de réformation édicté lors de la xxve session du concile de Trente41. En 1624, le chapitre général de la congrégation de Saint-Vanne ne fait pas montre d’un enthousiasme débordant sur cette question de l’éducation de la jeunesse : Qu’on ne prenne pas […] en charge l’éducation de jeunes gens du siècle sinon dans les monastères pour lesquels une demande aura été faite au chapitre général, et dans ce cas, qu’on n’en admette pas plus de six, qui […] n’auront aucune relation avec les religieux en dehors du chœur, ni dans le réfectoire ni dans les autres lieux réguliers ; seul leur maître aura le droit de partager leur temps42.
Philippe Sarret, « Les visitandines d’Aurillac. Le recrutement d’un ordre récent », dans Bernard Dompnier (éd.), Vocations d’Ancien Régime. Les gens d’Église en Auvergne aux xviie et xviiie siècles, Clermont-Ferrand, Société des amis des universités de Clermont-Ferrand [= Revue d’Auvergne, t. CXI, no 544, 1997/3-4], 1999, p. 1390, en particulier p. 75. 40 Dominique Dinet, Vocation et fidélité. Le recrutement des réguliers dans les diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon (fin xvie-fin xviiie siècle), Paris, Économica, 1988, p. 49. 41 Voir A. Michel, Les décrets du concile de Trente, op. cit., p. 603. 42 Dominique Julia, « Les Bénédictins et l’enseignement aux xviie et xviiie siècles », dans Sous la Règle de saint Benoît. Structures monastiques et sociétés en France du Moyen Âge à l’époque moderne (abbaye bénédictine SainteMarie de Paris, 23-25 octobre 1980), Genève-Paris, Droz, 1982, p. 346. 39
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Quelques décennies plus tard, en 1667, le chapitre général invite à ne pas se charger « facilement […] de faire enseigner les enfants »43. Si l’articulation de l’activité enseignante avec la clôture pose question au sein d’une congrégation masculine, elle ne peut que susciter plus de problèmes encore dans les instituts féminins tels que celui des Ursulines, dont la clôture doit être particulièrement stricte pour soustraire le sexe féminin à la corruption du monde. Pourquoi, donc, enseigner si cela s’avère difficilement compatible avec les vœux, si cela ne suscite pas toujours le consensus, si enfin cela apparaît contradictoire avec le mépris ou tout au moins la méfiance dont font preuve de façon générale les réformateurs à l’encontre de l’enfance et de la jeunesse ? Une première réponse réside sans doute dans la demande des autorités de l’Église, qui, dans un contexte d’affrontements confessionnels et doctrinaux, souhaitent prendre le mal à la racine et encadrer aussi précocement que possible les esprits. Or on ne peut pas se passer ici du concours des réguliers, qui constituent l’élite intellectuelle du clergé en un premier xviie siècle où la formation des séculiers laisse encore à désirer. Mais l’intérêt des réguliers réformés pour l’enseignement revêt aussi sinon surtout une dimension stratégique, dont témoigne bien, en 1636, le point de vue des bénédictins de Saint-Maur sur leur œuvre d’éducation à destination de la jeunesse noble : On fera l’éducation gratuite d’un certain nombre, on les formera avec soin et compétence au goût de la piété et à l’étude des lettres, et on les conduira jusqu’au point où, à l’âge adulte, ils pourront après mûre délibération, se consacrer au culte divin, ou bien, s’ils préfèrent retourner dans le monde, être en mesure de produire de dignes fruits […] pour la consolation de leurs familles et l’utilité de la République chrétienne44.
Là réside donc la clé de l’affaire : en dépit de tous ses inconvénients, l’enseignement est une activité nécessaire parce que la jeunesse que l’on instruit constitue le plus naturel des viviers de vocations. Ce qui n’est pas nouveau. À la charnière des xve et xvie siècles, les écoles monastiques, conçues « comme une propédeutique et une antichambre du cloître », constituent de « véritables pièges ou pépinières à moines », comme chez les Frères de la vie commune dont les écoles alimentent massivement les rangs de la congrégation de Windesheim45. Ce n’est nulle part ailleurs plus vrai que dans les ordres féminins, quand bien même l’accueil de pensionnaires n’est pas leur mission première. La pratique est courante à la fin du xve siècle chez les bénédictines de Sainte-Croix de Poitiers, par nécessité financière46. Partout elle se poursuit voire s’intensifie à l’époque moderne, au point qu’à la fin du xviie siècle, l’évêque de La Rochelle doit enjoindre les religieuses bénédictines et franciscaines de son diocèse de ne pas pousser trop ouvertement leurs pensionnaires vers la vie religieuse47. Le pensionnat d’antiques établissements féminins est d’ailleurs une expérience importante qu’ont en commun la plupart des grandes dévotes du xviie siècle, telles que Louise de
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Ibid. Ibid., p. 347. J.-M. Le Gall, Les moines au temps des réformes, op. cit., p. 34 et 66-67. R. Favreau, « Une élection à l’abbaye Sainte-Croix de Poitiers en 1491 », art. cit., p. 83. Louis Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724. Sociologie et pastorale, Paris, SEVPEN, 1964, p. 180.
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Marillac chez les dominicaines de Poissy et Barbe Avrillot chez les clarisses urbanistes de Longchamp48. Ce couplage du pensionnat et du cloître n’est cependant pas l’apanage des seuls ordres féminins anciens, au sein desquels il procède d’une vieille tradition. Il est fréquent dans les instituts féminins fondés au xviie siècle, voués par leurs fondateurs à des activités qui mettent les religieuses en contact avec le monde. D’une manière générale, il n’est guère de nouvelle communauté féminine française à ne pas accueillir de pensionnaires, même lorsque là n’est pas sa vocation première : c’est le cas des quatre communautés nouvellement établies dans la ville d’Aurillac après 160049, tandis qu’à La Rochelle, pas moins de sept couvents féminins instruisent les filles des élites locales50. La reconnaissance du pensionnat comme instrument de recrutement est de mise dans la Compagnie de Marie-Notre-Dame51, ainsi que chez les augustines hospitalières de Loches, dont les Constitutions de 1630 affirment sans détour cette vocation du pensionnat à pourvoir au renouvellement des effectifs. Les religieuses clermontoises, qui quittent en 1670 l’hôtel-Dieu de Clermont où elles tenaient un premier pensionnat destiné à assurer leur recrutement, se focalisent même sur cette seule activité à la suite du transfert dans leur nouvelle maison52. C’est également le cas chez les premières ursulines françaises, tentées pour certaines de faire de leur enseignement un conditionnement à l’état monastique. En 1650 en effet, les constitutions des ursulines de Bordeaux exhortent les jeunes filles « à la mortification de leurs passions, et [à] rompre leur volonté : afin que si Dieu les appelle à plus grande perfection pour estre religieuses, elles ayent l’instruction & la disposition d’acquérir la perfection, que ceste vocation requiert ». Il faut attendre un xviie siècle déjà très avancé pour que cette perspective, encore présente dans les nouvelles constitutions bordelaises de 1660, soit envisagée comme une destinée parmi d’autres s’offrant à la jeune fille et non plus comme la finalité de l’éduction dispensée au pensionnat, avant que les constitutions rouennaises de 1697 ne viennent défendre explicitement aux religieuses d’inciter leurs élèves à prendre le voile53. Pour la plupart des 852 ursulines et filles de Notre-Dame connues par des notices nécrologiques entre 1620 et 1710, l’entrée en religion a bien été envisagée dès le séjour au pensionnat, avec parfois pour issue des vêtures contrevenant de façon manifeste à la législation canonique et royale, 9 % de ces filles ayant été vêtues à l’âge de 14 ans et 2 % à un âge inférieur. La marquise de SaintMartin, supérieure d’une communauté de Metz, aurait même pris l’habit à l’âge de 11 ans54. Autant de considérations souvent valables au-delà du seul cas français, puisqu’aux xvie et 48 Jean de Viguerie, L’institution des enfants : l’éducation en France (xvie-xviiie siècle), Paris, Calmann-Lévy, 1978, p. 137. 49 Philippe Sarret, « Les visitandines d’Aurillac. La vie interne d’une communauté », dans B. Dompnier (éd.), Vocations d’Ancien Régime, op. cit., p. 156-168, en particulier p. 165. 50 L. Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724, op. cit., p. 180. 51 François Soury-Lavergne, L’œuvre éducative de Jeanne de Lestonnac (1556-1640). Caractères spécifiques de son projet, thèse de doctorat de 3e cycle (sciences de l’éducation), Lyon II, 1984, vol. 1, p. 274. 52 Fabien Fontanier, « L’évolution d’une vocation. Des malades aux pensionnaires », dans B. Dompnier (éd.), Vocations d’Ancien Régime, op. cit., p. 147-155, en particulier p. 150. 53 Philippe Annaert, Les collèges au féminin. Les Ursulines : enseignement et vie consacrée aux xviie et xviiie siècles, Namur, Vie consacrée, 1992, p. 130. 54 E. Rapley, « Women and the Religious Vocation in Seventeenth-Century France », art. cit., p. 620-623.
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xviie siècles, l’éducation des jeunes italiennes de bonne naissance s’effectue classiquement au couvent, qu’elles soient destinées au mariage ou à la vie consacrée : « […] l’éducation dispensée au couvent […] prépare indifféremment à l’un ou l’autre état » et, dans certains cas, « le passage à la vie monacale peut intervenir sans solution de continuité dans le couvent même où s’est faite l’éducation »55. Enjeu stratégique plus qu’objet de débat de principe, la formation de la jeunesse, nécessaire pour perpétuer l’esprit de la réforme au travers du recrutement, constitue pour les réformateurs un levier potentiel pour asphyxier d’éventuels adversaires, grâce à la prise de contrôle des structures de formation que sont les noviciats. C’est sur l’interdiction de recruter faite aux communautés réfractaires à la réforme que repose, dans le conflit qui déchire l’ordre de Cluny dès la fin des années 1610, la stratégie de l’Étroite Observance naissante. Le 12 octobre 1623, une commission réunie par le cardinal François de La Rochefoucauld – chargé par le pape Grégoire XV de réformer les ordres de Saint-Benoît, Saint-Augustin, Cluny et Cîteaux – se réunit à Paris, d’où elle porte un coup sérieux aux récalcitrants en décrétant l’établissement de noviciats « és monasteres choisis et destinés pour cette effet, esquels et non aillieurs seroient receus ceus qui se presenteroient pour servir Dieu et son Eglise dans lesdits ordres, y estre instruits, nourris, et institués en l’observance de la regle, et en estans iugés capables, y faire la profession de l’ordre »56. Défense est faite : à tous les abbés, prieurs et autres superieurs generaus, ou particuliers, […] et à leurs chapitres generaus, ou autrement en quelque manière que ce puisse etre, de recevoir […] aucunes personnes à l’habit de religieus en leurs monasteres, ny à la profession de leur ordre, autrement que aus lieus et en la forme cy dessus mentionnée, à poene d’excommunication que les contrevenans encoureront de faict, et outre de nullité desdistes professions, lesquelles en ce cas [sont] dés à present declarées nulles et de nul effet, et […] nonobstant icelles ceux qui les auront faittes, seront libres de sortir desdits monasteres, et de se retirer à la vie seculiere57.
Cette mesure, qui signe théoriquement l’extinction à moyenne échéance des réfractaires à la réforme, se heurte à de telles oppositions qu’elle n’aboutit pas au résultat escompté. Si la contestation qu’elle suscite chez les Dominicains est d’une moindre ampleur, elle constitue aussi l’un des piliers du mouvement de retour à une plus stricte observance qui traverse l’ordre des Prêcheurs à la charnière des décennies 1620 et 1630. Décrétée le 31 août 1629 par le pape Urbain VIII, entérinée par le maître général Nicolas Ridolfi et souhaitée par la monarchie, l’interdiction faite aux couvents non réformés du royaume de France de recevoir des novices ne laisse d’autre choix aux nouvelles recrues que de vivre leur initiation au sein de couvents passés à la réforme, désignés par le supérieur général de l’ordre. Cette mesure, qui exclut une fraction de l’institution de la formation des futures générations, fait
Renata Ago, « La liberté de choix des jeunes nobles », dans G. Levi et J.-Cl. Schmitt (éd.), Histoire des jeunes en occident, op. cit., p. 331-377, en particulier p. 343-344 et 359. 56 Articles faicts par l’ordonnance de monseigneur le cardinal de la Rochefoucault, grand aumosnier de France, pour le restablissement de l’observance reguliere ès ordres de Sainct Augustin, Sainct Benoist, Clugny et Cisteaux, Paris, Imprimerie Julliot, 1623, p. 9. 57 Ibid. 55
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l’objet d’un assez large consensus au sein de la hiérarchie dominicaine58. Il reste que, si les choses sont vécues différemment dans les deux cas, à Cluny comme chez les dominicains, l’esprit de la démarche est le même : en privant de recrues les opposants à la réforme, il s’agit de laisser au temps le soin de faire son œuvre et de régler leur sort. Si enjeux générationnels il y a dans les réformes françaises des ordres religieux aux Temps modernes, ce n’est pas dans le sens des idées habituellement reçues : les réformés ne sont pas de jeunes exaltés souhaitant mettre à bas un ordre ancien. Au xve comme au xviie siècle, la réforme monastique est tantôt l’œuvre de religieux qui ont acquis, après de longues années de vie religieuse, la certitude que la course du temps est à l’origine d’un affadissement des rigueurs de la vie monastique, tantôt l’œuvre de séculiers convertis, de tard-venus au monachisme qui ont voulu rompre de la façon la plus radicale avec leurs premières existences. Il y a donc fort logiquement péjoration de la jeunesse et conviction que sa trop grande présence dans les rangs de l’institution serait à l’origine du déclin de celleci – conviction qui nourrit l’éternel débat sur l’âge des vœux. La jeunesse ne fait donc figure, aux yeux de la plupart des réformateurs, ni de sève, ni de poison, mais plutôt de mal nécessaire, dont il faut bien s’accommoder si l’on veut que perdure l’œuvre réformatrice. D’où la nécessité de s’assurer son contrôle, depuis sa moralisation dans le monde par l’enseignement jusqu’à son instruction puis sa formation au sein du cloître. Discours et attitudes des réformateurs réguliers sur la jeunesse participent pleinement de la dévalorisation morale qui la frappait dans les sociétés d’autrefois. Certes, le xviie siècle loue la dévotion enfantine, comme en témoignent la récurrence du motif de l’enfant en prière dans la peinture classique et la large diffusion de la dévotion à l’Enfant Jésus depuis le Carmel de Beaune ; mais on est loin d’une véritable réhabilitation, dans la mesure où ces enfants dévots que dépeint la littérature spirituelle « n’ont d’enfants que le nom »59. Au travers des remarques ici rassemblées, les microsociétés que constituent les ordres religieux apparaissent une fois encore, comme nous l’a déjà si brillamment enseigné l’œuvre de Bernard Dompnier, moins comme des répliques du ciel sur la terre que comme des théâtres du Monde. Grégory Goudot Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » Université Clermont Auvergne
Ninon Maillard, Droit, réforme et organisation nationale d’un ordre religieux en France : le cas de l’Ordre des Frères Prêcheurs (1629-1660), thèse de doctorat d’histoire du droit, Toulouse I, 2005, p. 587 sq. 59 Philippe Loupès, « L’enfant dévot au xviie siècle d’après les hagiographies tridentines », dans O. Christin et B. Hours (éd.), Enfance, assistance et religion, op. cit., p. 19-33, en particulier p. 19 et 32. Sur la dévotion à l’Enfant Jésus et sa diffusion, voir Bernard Hours, « L’Enfant Jésus et Marguerite du Saint-Sacrement », Chrétiens et Sociétés, xvie-xxe siècles, no 4, 1997, p. 65-98. 58
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« Aimez Dieu et vivez en paix » : gouverner la congrégation des chanoines de Sainte-Geneviève dans les années 1660 Au début de l’année 1670 les chanoines réguliers de la congrégation de France, plus connus, du moins à leur époque, sous le nom de génovéfains, reçurent l’habituelle lettre circulaire de leur supérieur général et abbé de Sainte-Geneviève. Les nouvelles, à l’issue de l’année 1669, étaient excellentes, le P. Blanchard commençait ainsi : « Par la grâce de Dieu tout va bien parmy Nous pour le spirituel et pour le temporel ; les Religieux s’augmentent tous les jours, nos maisons se réparent, leur nombre s’accroist ; et ce qui est de principal, la paix et la concorde règnent dans la congrégation, l’observance régulière y fleurit, et on remarque un saint zèle pour les Offices divins, c’est ce qui la rend agréable aux yeux de Dieu, et considérable aux yeux des hommes ». Vision idyllique s’il en est. Au-delà de cette image de vitrail, est-il possible d’aller un peu plus loin et de connaître plus précisément le quotidien des chanoines, leurs difficultés, les doutes et les obstacles qu’ils peuvent rencontrer ? De chapitre en chapitre, les ordres religieux ont développé au long des siècles une pratique de gouvernement et de direction des hommes fondée sur le respect d’une règle commune, une spiritualité propre et le discernement, la connaissance des esprits et des cœurs. Les travaux d’historien de Bernard Dompnier, des frères des Anges aux visitandines, ont souvent mis en lumière ces liens entre individus, tissés au sein d’une famille religieuse. Le cas des chanoines réguliers de Sainte-Geneviève à l’époque moderne présente le double intérêt d’une congrégation centralisée et récente, issue de la réforme menée dans les années 1620 par le cardinal de La Rochefoucauld et le Père Faure, et d’un fonds documentaire particulièrement bien conservé dans le cadre de la réserve de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Cette dernière conserve notamment une série de quatorze volumes regroupant la correspondance du supérieur général de 1658 à 1672, il ne s’agit pas de recueils de lettres mais de résumés des missives reçues et envoyées par l’abbé. De nombreux volumes sont incomplets, ce qui a conduit à ne retenir que la correspondance échangée au cours de l’année 16691. À ce moment-là, la congrégation de France des chanoines réguliers de Cela correspond aux volumes des manuscrits 1864 et 1865 de la bibliothèque Sainte-Geneviève (désormais abrégée en BSG), ainsi que le manuscrit 1863 qui comporte la liste des affaires courantes de la congrégation pour l’année 1669. Au cours de cette année 1669, 791 lettres ont été adressées au supérieur général, soit plus de deux lettres par jour. Les lettres sont enregistrées par les secrétaires au moment où elles arrivent à Paris, ce qui implique un certain délai entre leur expédition et leur recensement, ainsi une missive expédiée en fin de mois d’un prieuré éloigné de la capitale n’est-elle comptabilisée que le mois suivant. La répartition sur l’année n’est guère significative car le mois de réception n’a été indiqué qu’après coup et les mois de juillet et août, comprenant 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 37-51 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115073
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Sainte-Geneviève compte environ quatre-vingt-dix maisons, réparties en quatre provinces. À sa tête, le Père François Blanchard est depuis longtemps aguerri au gouvernement des hommes : né en 1606 à Amiens, il a accompagné les premiers pas de la réforme, il a pris les rênes de la congrégation après les décès rapprochés du cardinal et du P. Faure en 1644, élu à plusieurs reprises à la tête de celle-ci au cours des années 1650 et 1660, il l’est à nouveau en 1667 après le décès en charge de François Boulart2. L’analyse de la correspondance permet de préciser les modalités d’exercice du pouvoir du supérieur général : fait-il appel plus volontiers à l’autorité que lui confère son statut ou est-il contraint de recourir à la négociation ? La charge des chanoines a beau être « l’office des anges », ils sont surtout confrontés aux difficultés matérielles, les affaires temporelles seront donc examinées dans un premier temps. Mais il est souvent demandé au supérieur général d’arbitrer des différends, d’accorder des avantages ou de sévir, diriger la congrégation, c’est aussi gouverner les hommes. Enfin les chanoines ne vivent pas totalement séparés du reste de la société, la correspondance de l’abbé permet d’observer comment celui-ci s’efforce de garantir l’avenir en préservant l’image de la congrégation.
Administrer les affaires temporelles L’agrégation de nouvelles maisons Les grandes affaires de la congrégation de France à la fin des années 1660 sont liées directement à la dynamique de réforme et d’expansion initiée par le cardinal de La Rochefoucauld et le P. Faure dans les années 16303. L’année 1669 s’ouvre ainsi avec l’évocation du rattachement de l’abbaye de Notre-Dame de Gâtines, entre Tours et Blois qui vient juste d’avoir lieu. La relation de ce qui s’est passé dans la congrégation en 1668 s’en fait l’écho. Outre la satisfaction d’avoir pu en l’occurrence bénéficier de l’appui du grand prieur de l’abbaye de Marmoutiers, qui sut convaincre l’abbé commendataire de l’abbaye de Gâtines de traiter avec les génovéfains, l’agrégation de cette nouvelle maison semble une bonne affaire. Le supérieur général convie d’ailleurs ses chanoines à une sorte de tour du propriétaire, « sa situation est 124 lettres reçues au total, n’ont pas été dissociés. En revanche, le mois d’avril avec seulement 26 lettres reflète probablement une activité épistolaire ralentie pendant le temps du carême, tandis que les missives abondantes du mois de décembre correspondent parfois à de simples vœux expédiés dans la perspective de l’année à venir. 2 François Blanchart/Blanchard, né c. 1606 à Amiens, où il est entré à l’abbaye Saint-Acheul en 1624, il a renouvelé ses vœux à Sainte-Geneviève en 1626, prieur et maître des novices à Sainte-Catherine de Paris, il sera supérieur général à trois reprises : 1644-1650, 1656-1665 et 1667-1675, dans Nicolas Petit, Prosopographie génovéfaine, Paris, École nationale des Chartes, 2008 ; tous les renseignements biographiques sont tirés de cet ouvrage, extrêmement précieux. 3 Sur cette question, voir Joseph Bergin, Cardinal de La Rochefoucauld. Leadership and Reform in the French Church, New Haven – London, Yale University Press, 1987 et Isabelle Brian, Messieurs de Sainte-Geneviève. Religieux et curés, de la Contre-Réforme à la Révolution, Paris, Éditions du Cerf, 2001. Pour la question de l’introduction de la réforme génovéfaine dans les maisons de l’ouest de la France, voir Yves Breton, Les Génovéfains en Haute-Bretagne, en Anjou et dans le Maine aux xviie et xviiie siècles, Maulévrier, Éd. Hérault, 2006.
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dans le plus beau pays de France, entre Blois et Tours, son revenu pourra entretenir un jour 15 religieux, les charges en sont fort modiques, et les bâtiments suffisants ». L’église est petite mais fort belle, les cloîtres « fort agréables », le réfectoire lambrissé, le dortoir comporte cinq chambres dont une est accompagnée d’un cabinet. D’autres perspectives sont envisagées, à chaque fois un nouveau prieuré ou une nouvelle abbaye supposent une multitude d’accords préliminaires : avec les anciens chanoines présents sur place et qui demandent des pensions : le P. Blanchart fait la remarque au supérieur de Tours que « les anciens religieux d’Aiguevive demandent de si grosses pensions qu’il sera difficile de traicter avec eux »4. Il faut aussi établir un accord avec l’abbé ou le prieur commendataire avec lequel il est important de fixer les dispositions matérielles de façon à ce que les futurs chanoines réguliers disposent d’un revenu suffisant et puissent envisager sereinement l’avenir. Dans le cas du prieuré de Notre-Dame d’Aiguevive qui vient d’être cité, la perspective de son agrégation à la congrégation laisse le supérieur général perplexe : « Je voy si peu d’apparence que les nostres puissent subsister dans l’abbaye d’Aiguevive que je ne croy pas que nous devrions faire beaucoup de démarches pour notre introduction », seul l’évêque de Tours pourrait faciliter l’affaire : « Si néanmoins Mr de Tours en parle, il faut luy tesmoigner que nous sommes près de suivre ses volontés mais qu’il n’y a que luy qui puisse faire le traicté avec les anciens religieux et les obliger à une pension modérée »5. Les négociations vont en effet être lentes puisque cette abbaye, située dans le diocèse de Tours, ne rejoindra la congrégation qu’en 1673. Des quatre perspectives de nouvelles maisons évoquées par le supérieur général en 1669, deux seulement seront concrétisées dans les années suivantes. Mais tous les projets d’agrandissement ne se bornent pas aux frontières du royaume : les chanoines sont aussi présents à Liège par l’intermédiaire du P. Vatrée qui écrit très régulièrement à l’abbé de Sainte-Geneviève pour l’informer de l’avancée des négociations dans l’affaire de l’abbaye de Géronsart dans le diocèse de Namur6. Hors de France, les chanoines tentent aussi d’annexer des abbayes en Irlande, profitant d’une conjoncture momentanément plus favorable au début du règne de Charles II. Les religieux irlandais entrés dans la congrégation sont bien sûr en première ligne et, en avril 1669, c’est le P. Marc Athy qui écrit au supérieur général depuis Galway, la lettre est datée du 24 février et a donc mis quelque temps avant d’arriver à l’abbaye parisienne, en voici la teneur7 : [Le chanoine irlandais] tesmoigne la consolation que vostre lettre luy a causé, qu’il est la seul [sic] dont il a esté honoré depuis qu’il est au pays. Qu’il travaille toujours selon la fin de sa mission, qu’il a refusé un employ qui n’alloit si directement à cette fin qu’il en a pris un plus favorable quoique pénible, c’est le titre d’une cure d’un de nos fameux monastères où nous n’avions esté il y a six vingt ans que ces peuples commance [sic] à connoistre par leur moyen l’ordre des chanoines régul. Qui a esté si célèbre, qu’il est absolument nécessaire d’envoyer quelqu’un pour travailler à relever l’ordre et à ne laisser perdre nos privilèges dont tous les BSG, ms1864, f. 39vo, février 1669. BSG, ms. 1864, f. 46vo, mars 1669. L’évêque de Tours est alors Victor Le Bouthillier (1641-1670). 6 Vatrée/Wuatrée/Watrée, Antoine/Philippe, 1611-1688, premier prieur génovéfain de Notre-Dame des Écoliers de Liège en 1667 (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 373). 7 Marc Athy c. 1620-1675 (N. Petit, ibid., p. 36). 4 5
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autres religieux s’emparent, vous supplie de donner mission au P. Ryane et à quelques autres des nostres hibernois8.
Tout en disant toute sa satisfaction, l’abbé confesse dans sa réponse : « Il est vray qu’on ne faict pas toujours ce qu’on voudroit et que j’ay peine à trouver des missionnaires qui entendent la langue et qui soient assés robustes pour souffrir ces travaux d’une mission extraordinaire ». Sa prudence à l’égard des entreprises outremer explique aussi probablement qu’il n’évoque pas ces questions dans sa lettre circulaire. Un équilibre financier précaire Même lorsqu’elles sont anciennes et bien établies, les maisons de la congrégation doivent faire face à des charges qui pèsent lourdement sur leurs revenus. Parmi les dépenses qui grèvent les budgets des maisons, les réparations et les agrandissements sont les plus importants. Dans ce cas, les lettres au supérieur général se font pressantes : ce ne sont pas seulement des aides pécuniaires qui sont demandées à Sainte-Geneviève, mais aussi des conseils, voire l’avis d’un expert comme le P. de Creil qui fait alors figure d’architecte à l’intérieur de l’ordre9. Au mois de février celui-ci écrit à l’abbé de Sainte-Geneviève au sujet du nouveau bâtiment de Saint-Symphorien d’Autun, il avance prudemment « que plusieurs luy tesmoignent, le P. prieur de Nevers particulièrement, qu’il se repentira de ne bastir dans la ville », ce qui lui attire une réponse ferme : « Je croy que vous serez mieux hors que dans la ville », la même lettre annonce l’envoi d’un dessin du P. de Creil10 et l’agenda du général porte qu’il lui faut « envoyer obédience au P. Barbier pour aller à Authun y conduire les bastimens »11, mais le mois suivant, il recommande au prieur de ne pas commencer tout de suite les travaux car les fonds manquent12. Quand le supérieur du monastère de Celles-enPoitou lui demande l’autorisation de faire voûter la travée qui doit servir pour le chœur, il accepte avec quelques réserves : J’agrée que vous fassiés une travée des voûtes du chœur de votre esglise et accomodiez des vitrages puisque vous avés un fond pour cette despense. Si néanmoins vous eussiés peu attendre l’arrivée du P. visiteur j’en aurois esté bien aise13.
Il semble en effet que la maison mère ait tenu à garder la main sur les bâtiments des différentes maisons, puisque peu de temps après, le P. Blanchart signale qu’il doit « parler au Ms. 1865, f. 64vo. Claude-Paul de Creil (1633-1708), voir N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 113. 10 Ms. 1865, f. 27ro. 11 Ms. 1863, f. 25ro. 12 BSG, ms. 1864, f. 34vo, février 1669 : « Ce n’est point le sentiement du P. visiteur que vous commanciés à bastir dès cette année mais bien d’amasser des matereaux [sic] et de l’argent, quand il m’a rendu comte de l’estat de vostre maison, il m’a assuré, contre la créance que j’avois, que vous n’aviez aucune avance de deniers devant vous, mais seulement le courant de vostre recette ordinaire, que vous pouviez épargner seulement pour avoir des materiaux. Je vous ay desjà fait scavoir que ce n’estoit pas le sentiment du chapitre général qu’on bastit dans la ville ». 13 BSG, ms. 1865, f. 9vo. 8 9
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P. Cocquebert et de Creil touchant le dessein [sic] d’un pavillon que le P. Paul a commancé d’élever à St Éloy dont le P. prieur escrit »14 ; au mois d’avril le prieur de Saint-Jean-des-Prés lui ayant fait part d’un projet de bâtiment, il lui répond : Je suis d’avis qu’avant que vous en commanciés vous m’envoyés un plan exact de toutte votre maison, je l’examineray et vous manderay ensuitte ce qui se peut faire commodément dans votre maison et selon les règles de l’architecture15.
Dans certains cas, les religieux qui ont montré qu’ils savaient conduire les travaux sont dépêchés sur place, c’est ainsi que l’abbé informe le P. Barleuf qu’il apprécierait qu’il se rende à Autun : « J’aurois souhaitté un homme de vostre expérience dans la conduitte des bastimens pour entreprendre le rétablissement de ce monastère qui est mieux situé que celuy de Montfort dont vous avés faict un petit paradis de délice »16. Il est cependant des dépenses que l’abbé approuve malgré leur montant, ce sont celles qui contribuent à la beauté de l’office divin, il répond ainsi à l’annonce de l’achat d’un orgue par la petite communauté de Saint-Acheul d’Amiens : « J’aggrée que vous acheptiés l’orgue dont vous m’escrivés. C’est à la vérité une dépence assez fortte pour une petite maison et qui vous obligera à l’entretien d’un organiste mais je me promets que votre conduitte et votre zèle pour l’honneur de Dieu attireront les bénédictions du Ciel »17. L’équilibre des recettes et des dépenses suppose un nombre idéal de religieux en rapport avec les revenus escomptés. D’où l’inquiétude des supérieurs devant la perspective de communautés trop nombreuses dont ils ne pourraient pas assurer la subsistance, aussi l’abbé éprouve-t-il le besoin de rassurer un supérieur à qui il vient d’annoncer l’arrivée d’un nouveau religieux : « Le bon fr. Tissu est si petit et de si petite nourriture qu’il ne paroistra pas quasi dans sa maison que pour luy donner des suiets de consolation par sa piété et la bonté de son esprit »18. Aux dépenses liées à l’entretien des religieux et des bâtiments viennent s’ajouter des frais imprévisibles et, en premier lieu, ceux des procès. La correspondance du supérieur général révèle que les accords préalables à l’agrégation d’une nouvelle maison ne sont pas toujours respectés, ou que négociés à la va-vite, ils se révèlent par la suite peu avantageux. D’où des plaintes réitérées et des appels à l’aide de la part des chanoines. À Saint-Euverte d’Orléans quand l’abbé menace les génovéfains de leur faire un procès, le supérieur général recommande la prudence à ses hommes :
Ibid., f. 26vo. Il s’agit du prieuré de Saint-Éloy de Longjumeau, dans l’actuel département de l’Essonne (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 495). 15 BSG, ms. 1864, f. 66ro, avril 1669. Il est question de l’abbaye de Saint-Jean des Prés, commune de Guillac, Morbihan (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 496). 16 BSG, ms. 1865, f. 23vo, août 1669, lettre au P. Barleuf, l’abbé lui demande aussi : « En conséquence, mandés moi secrettement au plus tost si vous voulés rendre de petit service au patron d’une célèbre ville et à la religion ». Vincent Barleuf, 1631-1685 ; il demeure alors à Saint-Ambroise de Bourges et a été prieur de Saint-Jacques de Montfort de 1647 à 1656 où il a réalisé d’importants travaux (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 44). 17 BSG, ms. 1864, f. 63ro, avril 1669. 18 BSG, ms. 1864, f. 15ro, janvier 1669. 14
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Il me semble que vous ne pouviés pas faire davantage que de céder à Mr l’abbé ce qu’il vous demandoit, prévoyés sur quoy il vous veut plaider et examinés si vous avés titres et possession pour vous deffendre et ensuitte soutenez votre droit indépendamment de ses emportemens, mais toujours de votre part avec douceur et civilité. Voyés en mesme temps si vous avés quelque demande à luy faire qui soit très juste et fondée en titre et en possession affin que s’il rompt la paix injustement vous puissiez vous en prévaloir dans l’occasion19.
Or l’abbaye d’Orléans fait partie de la congrégation depuis 1636, soit plus de trente ans. Les procès sont une véritable plaie pour l’ordre, non seulement ils sont coûteux, mais, de plus, ils monopolisent l’énergie des hommes de la congrégation. Aussi s’efforce-t-on de les éviter. Quand les Pères de Saint-Lô risquent un procès avec l’abbé et les anciens de leur maison, l’un d’eux suggère « qu’une recommandation de Madame de Longueville à un de leurs lieutenans généraux [de Rouen] qui fait les affaires de ladite dame auroit grand effet », l’abbé répond prudemment : « Je ne scay si Made de Longueville qui est fort contentieuse voudroit plutost escrir pour une partie que pour l’autre, que néanmoins je la feray voir comme aussi le frère de Monseigneur de Coutance affin qu’il luy escrive en leur faveur »20. Lorsque la question du partage des bénéfices cures est envisagée, l’abbé s’efforce de la régler dans le cadre du royaume, car « il nous sera plus aisé de faire en France et avec moins de frais ce que nous prétendons au regard des bénéficiers que non pas en cour de Rome où on demanderoit beaucoup d’argent après plusieurs années de sollicitation »21. Dans ces conditions l’une des charges les plus importantes et les plus redoutées des chanoines est celle de procureur, ce dernier étant en charge des finances de chaque maison et des procès éventuels. En janvier celui du prieuré des Deux-Amants22 « prie de le décharger de la procure pour faire en repos son salut »23 le mois suivant, c’est un père de Saint-Acheul d’Amiens qui « tesmoigne qu’il est trop foible pour une telle charge » et supplie qu’on ne lui impose pas24. Or l’abbé est forcé de constater : « Il est rare de trouver parmy nous des procureurs fort intelligens dans les procédures des affaires et ce peu que nous en avons est fort occupé »25. Les indispensables relais, protections et appuis D’autant que la congrégation de France, qui bénéficie de l’appui de la monarchie, est aussi confrontée à l’expansion de la congrégation rivale de Chancelade, fondée par Alain de Solminihac. Dans cette compétition, c’est à qui bénéficiera des appuis les plus efficaces, d’où BSG, ms. 1864, f. 41vo, mars 1669. BSG, ms. 1864, f. 3vo, décembre 1668. 21 BSG, ms. 1865, f. 17vo, août 1669. 22 Prieuré de la Madeleine des Deux-Amants, dans l’actuel département de l’Eure (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 494). 23 BSG, ms. 1864, f. 11ro, janvier 1669. 24 BSG, ms. 1864, f. 32vo, février 1669. 25 BSG, ms. 1865, f. 33vo, août 1669. 19 20
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la vigilance du prieur de Notre-Dame de la Couronne qui avertit le P. Blanchart au mois de juin que « les religieux de Chancelade sollicitent Mr le comte de Vaillac par Mad. De l’Hospital pour leur introduction dans l’abbaye de Blaye »26. Quand l’un des chanoines est confronté à l’hostilité de l’évêque de Rennes qui est abbé commendataire à la fois de l’abbaye de Lesterps, aujourd’hui en Charente, et d’un prieuré à Blois, le P. Blanchart rassure son correspondant : N’attendés rien du bon seigneur dont vous escrivés, il n’ayme en ce monde que ses intérests et une authorité souveraine qu’il establit où J. C. ne l’a jamais mise. Il vous dira beaucoup de choses contre les PP de Blois, mais il n’est pas nécessaire que vous preniez pour mot d’Évangile tout ce qu’il vous dira. C’est un bon seigneur qui a beaucoup d’esprit mais que ses officiers obscurcissent quelquefois27.
Ces derniers exemples l’illustrent, diriger la congrégation de France, ce n’est pas seulement administrer des biens, c’est aussi gouverner des hommes.
Gouverner les hommes Le pouvoir de nomination : the right man in the right place L’autorité du supérieur général est garantie avant tout par son pouvoir de nomination, qu’il s’agisse des supérieurs ou des procureurs. Les visiteurs sont alors des relais essentiels de l’autorité du général quand celui-ci est dans l’impossibilité de se déplacer dans des maisons trop éloignées ou lorsqu’il est retenu à Sainte-Geneviève par ses diverses obligations. Ces hommes, mobiles par excellence, sont les yeux du général dans les provinces, ils s’informent, posent les questions, reçoivent les doléances. Ils sont même parfois associés aux décisions de l’abbé, celui-ci informe ainsi le supérieur de Notre-Dame de Cassan que lorsque « le P. visiteur sera icy nous voirons ensemble où nous pourons placer vos jeunes profès »28. Ils font ensuite connaître les décisions de l’abbé et les expliquent si nécessaire aux intéressés29. Ces interventions consistent le plus souvent à déplacer des religieux d’une maison à une autre, soit à la demande de leurs confrères, soit à leur propre demande, soit à l’initiative du supérieur. L’instauration d’une congrégation à l’échelle nationale implique en effet une mobilité des individus. C’est cette mobilité nouvelle et l’affaiblissement des lieux familiaux BSG, f. 15 ro, juin 1669. Ms. 1864, f. 27vo et 28ro, février 1669, lettre au P. Lelarge à Lesterp. L’abbé commendataire est Charles-François de La Vieuville, évêque de Rennes et abbé de Saint-Laumer de Blois, il fut abbé commendataire de Lesterps de 1657 à 1676. 28 BSG, ms. 1864, f. 23vo, février 1669. Le prieuré de Notre-Dame de Cassan appartient à l’arrondissement actuel de Béziers, il a été rattaché à la congrégation en 1660 (voir N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 511). 29 Au mois de mai, l’abbé annonce au prieur de Notre-Dame de La Roé : « J’ai donné un grand mémoire au P. visiteur touchant touttes les affaires d’Olivet dont il vous parlera amplement à son arrivée » (BSG, ms. 1864, f. 73vo). 26 27
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et sociaux à l’échelle locale qui a souvent motivé l’hostilité à la réforme des hommes de Sainte-Geneviève. Les notes du général sont une longue succession de cases à remplir et de pions à déplacer sur l’échiquier des maisons de la congrégation, en visant à respecter l’équilibre d’ensemble et celui de chaque établissement. Dans ces conditions, les décisions du P. Blanchart sont un mélange subtil de prise en compte des desiderata de chacun, du bien commun de la congrégation et des moyens à sa disposition. Il prévoit à l’occasion les possibles affinités entre les religieux ; ainsi, annonçant au P. de Bragelongne de Sens l’envoi d’un supérieur réclamé par ce dernier pour sa communauté, il le prévient : « Je croy que vous aurés consolation de la compagnie d’une personne qui ayme et qui scay comme vous les belles lettres »30. En revanche, quand ce nouveau supérieur lui demande quelques semaines plus tard la sortie de ce même père de Bragelongne « à raison de ses infirmités » et suggère qu’il pourrait être employé à la bibliothèque à Sainte-Geneviève, il lui répond sèchement : « Vous scavés que nous ne manquons pas de bibliothécaires et que cette maison a bien ordinairement une vingtaine de personnes extraordinaires et souvent davantage, quelque bonne volonté je puisse avoir pour le P. de Bragelongne, je ne puis luy donner cet employ »31. Dans la majorité des cas, il s’efforce de répondre aux souhaits des religieux quand ceuxci paraissent raisonnables ; face aux demandes excessives, il commence le plus souvent par un rappel du vœu d’obéissance avant de dire qu’il fera ce qu’il pourra pour contenter l’auteur de la lettre. Il finit parfois par céder aux demandes : alors qu’il a décidé de nommer sous-prieur de la maison de Châteaudun un certain P. Raffin, une lettre signée par tous les chanoines de la communauté lui parvient pour lui demander de surseoir à cette décision, le religieux en question étant « peu pacifique et raisonnable », il répond au porte-parole de la communauté : « Je donne les mains à ce que vous désirés pour vostre sous-prieur. Déchirés la commission que j’avois envoyé »32. Conseiller les supérieurs À l’occasion, le P. Blanchart distille ses conseils aux supérieurs des maisons de province. Confronté à un chanoine rebelle, le P. Goussé d’Angers33 se voit adresser une véritable feuille de route, face aux provocations le supérieur général recommande une réponse graduée : La règle ordinaire de la bonne conduitte demande que vous empeschiez absolument les visites actives et passives de ces personnes de l’autre sexe mais comme celuy dont vous incriminés est dans quelque danger de tomber dans un plus grand mal [le chanoine en question s’éloigne des sacrements et se confesse le moins possible] il faut pendant quelque temps luy représenter fort doucement le tort qu’il faict et à ses frères et à la religion et le prier instamment d’y faire attention.
BSG, ms. 1864, f. 10vo, janvier 1669. BSG, ms. 1864, f. 28ro et vo, février 1669. Au moins cinq religieux portant ce nom (sur dix) peuvent être le correspondant du général, voir N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 75. 32 BSG, ms. 1864, f. 59ro, lettre au P. Lescalopier, mars 1669. 33 Jean Goussé, c. 1634-1685, dans N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 180. 30 31
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Si cette première série d’avertissements ne suffit pas, il faudra être plus ferme et plus clair : […] faut ensuitte prier instamment Dieu pour luy et l’avertir du mauvais exemple qu’il donne et du danger où il se met de n’arriver jamais à ce qu’il désire parce qu’on ne pourroit luy donner en conscience la conduitte des âmes s’il faisoit paroistre une si grande foiblesse.
Les points soulignés renvoient aux ambitions de l’intéressé qui, en persistant dans cette voie, se mettrait ainsi dans l’impossibilité d’obtenir une cure. Le dernier argument à employer renvoie à l’autorité suprême de l’abbé de Sainte-Geneviève : « Enfin faut luy faire connoistre que si j’estois informé de sa conduitte je n’en serois pas satisfaict »34. À une autre occasion, l’abbé détaille ses conseils sur la conduite à tenir en chapitre, il reprend un supérieur qui se plaint du sous-prieur en lui exposant : Vous eussiez bien faict si au lieu de parler si fortement en chapitre vous vous fussiés expliqué familièrement et confidément avec le P. sous-prieur. C’est ainsy qu’il en faut user pour gaigner les cœurs et dissiper les nuages et ensuitte ce qui paroissoit comme un éléphant ne paroist plus que comme une mouche35.
Quand il est informé par le supérieur du prieuré de Sainte-Barbe en Auge qu’un frère convers refuse d’obéir à ses ordres et trouble la paix de ses confrères, il s’étonne « qu’il n’a pas assez de pouvoir pour empescher un fr. convers de la troubler [la paix] je luy conseil après s’estre servi des voyes de douceur d’user de plus austères que les constitutions luy permettent et luy prescrivent »36, il écrit cependant directement au frère convers concerné peu de temps après en le tançant vertement37. Mais tous les conseils ne remplacent pas l’expérience personnelle et le P. Blanchart regrette qu’un religieux refuse la charge de sous-prieur dont l’exercice lui aurait permis d’apprendre « par pratique la manière de gouverner et particulièrement à souffrir des hommes avec grande patience et douceur »38. Dans tous les cas, les prieurs et sous-prieurs qui exercent l’autorité doivent manifester une concorde parfaite car « lorsque dans une place les commandants sont divisés, tout y est en désordre et la place est bientôt rendue aux ennemis et lorsqu’un chariot est conduit par deux animaux forts et robustes et dont l’un tire à gauche et l’autre à droite, le chariot ne marche point et se rompt incontinent »39. BSG, ms. 1865, f. 2ro, mai 1669. BSG, ms. 1875, f. 33ro, août 1669, réponse au P. Fournier d’Orléans. 36 BSG, ms. 1864, f. 21vo, janvier 1669. 37 BSG, ms. 1864, f. 30vo et 31ro, février 1669, le frère Estienne Vuatin ayant écrit au supérieur général pour lui demander « pardon de ses fautes » et se déclarer prêt à aller où l’abbé voudra bien l’envoyer, celui-ci lui répond : « Je suis fort surpris que toute la communauté en général et les particuliers se pleignent de vostre mauvaise consuitte et croye que vous estes une pierre de scandal et d’achoppement. Je mande expressement au P. prieur et à toutte la communauté qu’on ne vous souffre point d’avantage, […] et que suivant nos statuts on vous range par toutte sorte de voyes à vostre devoir. Je vous ay souffert jusqu’à présent par compassion et amitié, puisque vous en abusez, n’attendés plus que je supporte davantage le mauvais exemple que vous donnés ». Au mois de mai, le P. Moriain de Sainte-Barbe en Auge écrit au supérieur général pour lui demander au sujet du frère Estienne « s’il luy fera garder prison s’il continue selon qu’il l’avoit mérité par les informations qui ont été faictes contre luy par le passé » (BSG, ms. 1864, f. 77ro). 38 BSG, ms. 1865, f. 5vo, mai 1669. 39 BSG, ms. 1865, f. 21ro, août 1669, conseils au P. Vautrel d’Orléans. 34 35
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Limiter les voyages inutiles, contrôler les déplacements Le pouvoir de nomination va de pair avec celui de délivrer des obédiences, c’est-àdire l’autorisation de passer d’une maison à une autre ou simplement de voyager. Or force est de reconnaître que certains religieux ont la bougeotte. Les chanoines gyrovagues sont aussi ceux qui écrivent le plus et l’instabilité physique semble parfois aller de pair avec une certaine forme d’instabilité psychologique contre laquelle le supérieur s’efforce de lutter en rappelant les religieux au devoir de patience, qu’ils demandent leur propre changement ou la sortie d’un autre frère. Quand un chanoine de Saint-Eusèbe d’Auxerre écrit pour demander « la sortie du père sous-prieur dont la conduite luy sera bientôt insupportable », la réponse de l’abbé laisse transparaître son exaspération : « J’ay grande douleur que vous ne puissiés vivre en paix et qu’il faille si souvent vous changer votre monde. Je vous prie de le ménager pour vostre bien et celuy de Dieu et dire simplement et confidament à votre sous-prieur ce que vous ne croyés pas estre dans l’ordre »40. L’obsession du supérieur général est d’éviter les déplacements inutiles, longs et coûteux, surtout quand ils sont entrepris sans obédience, c’est-à-dire sans son autorisation. La maladie semble un motif récurrent de changement de maison ou de voyage. Un père assure à l’abbé : « Que la grâce que vous luy avés faict autrefois de le retirer d’un air humide luy a sauvé la vie mais qu’asseurément vous luy causerés la mort si vous le laissés à Gastines qui est une maison aquatique »41. Au mois de janvier 1669, un chanoine de Riom « supplie très instament » le supérieur général « de luy permettre de retourner à Nevers pour y recevoir du soulagement de la part de la maison, des chirurgiens, des eaux de Pougues qui luy sont très salutaires et de la part de ses parens »42. Le thermalisme d’un autre père laisse l’abbé perplexe, ce que révèle sa réponse : « Je vous accorde de bon cœur que vous alliez aux eaux quoy que peut-estre elles vous doivent estre fort inutilles comme à plusieurs autres mais je ne scay d’où vous pourrez tirer l’argent nécessaire pour un si grand voyage, vous ne scauriés faire qu’il ne vous coute environ deux cents livres pour aller de chez vous aux eaux de Bourbon »43. Enfin l’attrait de Paris est manifeste chez certains chanoines, la maladie étant un motif fréquent de voyages dans la capitale, pour s’y faire soigner : en mai 1669 un père de Saint-Acheul d’Amiens s’adresse au supérieur général pour l’informer « qu’il est attaqué depuis longtemps d’une fistule lente », déplorant l’incrédulité du prieur qui ne croit pas son médecin, il demande à être envoyé « dans une bonne ville telle qu’il vous plaira pour estre bien soulagé », propose Sainte-Geneviève de Paris et prie l’abbé « de luy permettre d’y venir passer 8 ou 10 jours seulement »44. Quand un religieux demande à venir à la capitale pour s’y faire payer une modeste dette de 100 livres et en profiter pour y recevoir des soins, la réponse du supérieur général traduit son agacement : « Vous jugés bien que tous ceux qui ont la dilatation de membranes dans la France ne viennent point dans Paris pour changer 40 41 42 43 44
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BSG, ms. 1864, f. 22vo, décembre 1668. BSG, ms. 1864, f. 30ro, février 1669, lettre du P. Rainsant à Blois. BSG, ms. 1864, f. 22vo, janvier 1669. BSG, ms. 1865, f. 18ro, août 1669, réponse au père Michau de Paimpont. BSG, ms. 1864, f. 69ro, mai 1669.
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des bandages et que le voyage que vous désirez y faire vous coûtera autant et davantage que l’argent que vous promet Mr votre frère »45. Outre les malades à la recherche de remèdes efficaces, les régents forment aussi une catégorie particulièrement mobile puisqu’ils sont appelés à changer de lieux pour regagner les maisons où sont instaurés des cours d’études et qu’ils bénéficient du temps des vacances scolaires qu’ils mettent parfois à profit pour voyager. Le P. Blanchart signale à l’occasion qu’on « s’est pleint au chapitre général et mesme les séculiers des grands voyages qu’on permettoit aux régens »46. Cela l’oblige à refuser des déplacements même légitimes, il le regrette quand il oppose un refus au P. Rodoyer : Estant pleinement satisfaict de vostre vertu et de vostre conduitte je vous accorderois avec grande joye le voyage d’Angers mais je suis obligé de vous prier de ne point faire de voyage plus éloigné de deux journées de vostre maison. J’en use de la sorte à l’esgard des maistres de théologie de Sainte-Geneviève et de tous les autres pour des considérations qui regardent l’intérest de Dieu et de la religion47.
Un autre père se voit opposer un refus pour le même motif : Je voudrois bien vous accorder ce que vous souhaittez pour vostre voyage de Champagne mais en vérité je ne le puis sans offenser vos frères et la religion. Je n’ay voulu ny pu permettre aucun des régens mesme de ceux de théologie de Ste Geneviève qu’ils allassent au-delà de deux journées de la maison pour prendre un peu de relâche de leurs études. Je vous accorde la mesme chose48.
Un troisième régent qui demande à passer huit jours à Sens et d’aller à Troyes n’est pas non plus exaucé, l’abbé lui répond à regrets : Je voudrois bien vous permettre un voyage plus long que de deux jours mais je suis obligé de vous dire que c’est une règle faicte pour tous les régens mesme de Sainte-Geneviève49.
Cette disposition a de toute évidence du mal à être acceptée par les intéressés car il insiste encore une fois dans sa correspondance du mois d’août en rappelant : Les estudiants n’ont et ne doivent avoir d’autre vacance que celle d’aller touttes les semaines une fois quand il se peut à la maison de récréation, et au regard du régent je permet qu’il fasse un voyage de deux jours de distance de la maison où il enseigne et qu’il demeure 8 ou 10 jours au lieu où il ira et retourne ensuitte sur ses pas à la maison sans faire d’autre voyage50.
À l’occasion des déplacements se fait jour la difficulté de maintenir la clôture, de faire des abbayes et des prieurés des lieux de prière et de recueillement coupés du monde, tout en BSG, ms. 1865, f. 30ro, août 1669. BSG, ms. 1865, f. 17ro, août 1669. 47 BSG, ms. 1865, f. 18vo, août 1669. Il s’agit de Pierre Rodoyer ou Rodayer, 1641-1708 ; il est régent de philosophie puis de théologie à Saint-Pierre de Pébrac en 1667-1669 (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 330). 48 BSG, ms. 1865, f. 21vo, août 1669, réponse au P. Sirot d’Évaux. 49 BSG, ms. 1865, f. 28ro, août 1669, réponse au P. de Givry. 50 BSG, ms. 1865, f. 29ro, août 1669, réponse au P. de Marcilly. 45 46
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maintenant les liens nécessaires avec l’extérieur, indispensables à la survie de la congrégation. Si les correspondants extérieurs sont extrêmement rares, la question des relations avec les laïques et de l’image donnée au monde par les religieux n’en est pas moins cruciale car c’est d’elle que dépend l’avenir.
Garantir l’avenir en préservant l’image de la congrégation Le souci du « public », réputation et scandale La relation de ce qui s’est passé en 1668 s’ouvre sur l’évocation du décès de deux pères de Rouen qui ont secouru les pestiférés. Les religieux de Ham (dans l’actuel département de la Somme) se sont également distingués par leur dévouement, dont un certain P. de La Barre qui « se logea dans les huttes avec les pauvres malades, accompagné d’un soldat de la garnison, qui sacrifia aussi sa vie à leur service »51. La correspondance révèle qu’il ne s’agit pas d’une simple légende pieuse, mais que les chanoines en retirent un véritable capital de sympathie. Au mois de janvier 1669, Mr de Sains, médecin et majeur de la ville Ham écrit au supérieur général afin de le remercier « pour les services que le P. de La Barre luy a rendu par vostre ordre », la réponse de l’abbé est éloquente : « J’ay sacrifié avec joye au service charitable de toutte la ville le P. de La Barre. J’ay joye qu’il ait exposé sa vie pour et à la satisfaction du public »52. Dans des circonstances moins exceptionnelles, l’abbé se montre aussi soucieux de l’image que la société environnante perçoit de la congrégation et des liens qu’elle entretient avec les notables. Un M. Feydeau de Moulins écrit deux fois au supérieur général, la première fois en juin pour lui offrir l’hospitalité lors de ses déplacements, la seconde en août pour se féliciter du retour sans encombre de l’abbé à Paris. La réponse de ce dernier révèle que la famille Feydeau appartient au cercle rapproché de la congrégation ; il lui écrit : J’ay differé jusqu’à present à vous rendre milles actions de grâce de toutes les bontés et civilités que vous m’avés faict paroistre chez vous et à vous rendre comte des tesmoignages d’amour que j’ay faict paroistre à vostre bon fils qui estudie à Pébrac et à celuy qui est à Évaux qui n’est encore qu’en 3me53.
Les liens avec les familles sont capitaux, mais il faut aussi prendre garde à ce qu’ils ne deviennent pas trop envahissants, certains parents se montrent pressants jusqu’à en devenir importuns. Un certain M. Gurlin, notaire royal à Nevers, écrit à l’abbé en novembre pour le supplier « de permettre que son fils jouisse du bénéfice de Germenay à cause que ce bénéfice est demeuré vaquant au mois des gradués et en considération de 25 années de service qu’il rend à la maison de Saint-Martin », un échange de bons procédés en quelque sorte, afin de garantir à son fils un peu plus d’autonomie et un revenu supplémentaire. L’esprit conciliant 51 52 53
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Il s’agit de Nicolas de La Barre, c. 1638-1700, N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., 205. BSG, ms. 1864, f. 16ro, janvier 1669. Plusieurs génovéfains portent ce patronyme, voir N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 153.
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de l’abbé a cependant des limites et le lieutenant en l’élection de Pithiviers qui demande au mois d’août qu’on reçoive son fils dans la congrégation reçoit une réponse négative. Quand un chanoine demande que ses neveux prolongent jusqu’à Pâques leur séjour dans son abbaye, la réponse de l’abbé traduit un certain malaise : Je ne scay que vous dire de vos bons et petits neveux. Il auroit esté à propos qu’ils n’eussent pas esté chez vous et qu’ils n’eussent pas partagé votre cœur entre Dieu et eux. Je vois bien que le temps est rude pour renvoyer des enfans mais quand il sera relâché je vous conseil [sic] de prendre vos mesures pour vous tirer de cet embaras qui ne contribue pas à la sainteté de vostre âme ny à vostre réputation54.
Veiller à la discipline L’abbé de Sainte-Geneviève doit aussi à veiller à ce que les religieux aient un comportement digne de leur état ; on retrouve ici l’esprit de séparation de la réforme catholique. Le départ des chanoines dans des bénéfices curesoù ils sont isolésest redouté car ils peuvent se rapprocher plus facilement de la population et en particulier des femmes, dont la fréquentation est redoutée. Pour cette raison aussi les permissions de confesser ne sont accordées qu’avec les plus grandes précautions. L’orthopraxis exigée des chanoines repose largement sur l’adoption d’un habit décent et en accord avec leur état. Ceux qui demandent à porter une calotte reçoivent généralement une réponse positive, avec quelques réserves, comme envers ce religieux à qui il est indiqué : « Je vous conseille néantmoins de n’en point user sans une véritable nécessité je scay par expérience que la calotte cause plus qu’elle ne guérit d’infirmités »55. L’adoption de l’habit séculier est en revanche formellement condamnée. Les chanoines se montrent les relais efficaces de cette normalisation de l’apparence de leurs confrères, tel ce Père du prieuré des Deux-Amants qui va jusqu’à proposer de « brusler le chapeau de castor du P. Moreau affin de corriger en mesme temps le père prieur qui en porte un semblable »56. Quand le cas se présente, l’abbé use même d’un stratagème laissant entendre à l’intéressé qu’il s’expose à des mesures extrêmes. Toute forme de dispersion ou de dissipation à l’extérieur du noyau conventuel est redoutée, l’abbé l’affirme à un de ses correspondants : « Il ne vous doit pas estre indifférent de demeurer au monastère parce que vous serés toujours beaucoup moins vertueux au dehors que au-dedans »57. D’où une attitude partagée à l’égard de l’exercice de la prédication, elle compte certes au rang des exercices de la pastorale auxquels les chanoines doivent se livrer, elle peut être une source de reconnaissance et de prestige, elle risque cependant d’entraîner les religieux loin du recueillement qui est attendu d’eux. À la suite de la lettre d’une mère sollicitant pour son fils l’autorisation de prêcher au monastère de la Visitation de Melun, l’abbé décide de « mander au P. de Luynes que j’ay accordé à Madame sa mère qu’il precha le jour de st François de Salle [sic] dans le monastère de Melun où sont ses bonnes sœurs, 54 55 56 57
BSG, ms. 1864, f. 11ro, janvier 1669. BSG, ms. 1865, f. 31vo, août 1669. BSG, ms. 1864, f. 3ro, décembre 1668. BSG, ms. 1864, f. 24ro, février 1669.
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que je doutte qu’il doive accepter à moins que son sermon soit desia faict, qu’il soit fort bon pour des religieuses qui sont délicattes en faict de sermons et qu’il soit assuré de sa mémoire »58. À un religieux de Béziers qui voudrait prêcher avent et carême à Narbonne, il répond : « J’aurois joye que vous puissiés porter le nom de J. C. dans Narbonne mais je croy que Dieu demande de vous que vous vous contantiés d’instruire ceux dont il vous a donné la charge »59. Veiller à l’orthodoxie L’abbé est sollicité aussi pour une véritable direction spirituelle, recouvrant dans ces occasions, à l’échelle de la congrégation et à plusieurs lieues de distance un rôle de guide dont on peut concevoir qu’il s’exerçait plus facilement oralement et dans l’espace restreint du cloître. Un échange épistolaire entre le P. Blanchart et le P. Antheaume illustre cette dimension, le chanoine en question semble l’objet de la « maladie du scrupule » qui sévit dans les cloîtres et que le jansénisme a contribué à renforcer60. D’Uzès où il remplit les fonctions de vicaire général, il écrit à l’abbé de Sainte-Geneviève pour lui annoncer qu’il se réjouit « de la paix de l’esglise et de la liberté que possèdent ceux de notre congrégation qui étaient accusés », mais il lui annonce également qu’il « tesmoigne que la lecture qu’il a faict depuis peu de la Fréquente communion l’a tellement touché qu’il ne s’approcheroit jamais des mystères sacrés s’il ne craignoit le scandal, qu’il y a reconnu son incapacité pour confesser et les fautes qu’il a faict dans l’administration du sacrement de pénitence ». En conséquence, il demande la permission de ne plus confesser les séculiers « comme de mander à tous les pasteurs de nostre congrégation de ne donner si facilement l’absolution et de prendre garde à la pœnitence », ce qui provoque une réponse prudente de la part du supérieur général, celui-ci concédant qu’il partage sa joie de la paix de l’Église mais qu’ il « en faut néantmoins user avec modération et garder au dedans la joye sans la dilatter si fort au-dehors » ; en outre s’il « seroit à souhaitter que nous eussions tous la pureté des anges » – ce n’est évidemment pas le cas – et « il faut nous approcher et administrer les sacrements tout imparfaict que nous soyons ». La lettre, d’une longueur exceptionnelle dans ce recueil, se termine par des mots de réconfort et une légère réprimande : « Je n’approuve pas les pénitences et austérités que vous désirez faire non plus que ce grand examen de votre vie passée, aimés Dieu le plus parfaictement qu’il vous sera possible et vivez en paix pour le reste »61. Quelques jours après, le P. Antheaume s’adresse à nouveau à celui qu’il appelle son « médecin spirituel »62, la réponse à cette seconde lettre n’a pas été consignée, ce qui n’empêche pas le Père Blanchart de lui répondre à nouveau au mois de mai quand le père lui écrit que son intime conviction est que « la liberté des enfans de Dieu […] consiste à suivre plustost les canons et les conciles BSG, ms. 1864, f. 4ro, décembre 1668. BSG, ms. 1864, f. 70ro, mai 1669. 60 Il s’agit de Gabriel Antheaume, né c. 1618, profès en 1645, décédé à la cathédrale Saint-Théodoric d’Uzès le 1er avril 1672 – 54 ans, 28 ans de profession religieuse, prêtre, syndic du chapitre d’Uzès (N. Petit, Prosopographie génovéfaine, op. cit., p. 34). 61 BSG, ms. 1864, f. 52vo, 53ro et vo, mars 1669. 62 BSG, ms. 1864, f. 56ro, mars 1669. 58 59
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que les maximes et coutumes nouvelles des hommes particuliers », craignant sans doute une interprétation trop rigoriste, l’abbé encourage une attitude plus indulgente : « Croyés moy qu’un chanoine régulier qui doit estre dans l’usage continuel et qui doit avoir un esprit de grande charité et compassion n’interprette point les choses tant à la lettre et à la rigueur comme vous faictes. Pour moy je vous conseille de faire à autrui ce que vous voudries qu’on vous fit »63. Le cas du P. Antheaume révèle à quel point les prises de position théologiques peuvent entraîner des affrontements à l’intérieur même de la congrégation ; le P. Blanchart se montre conscient du risque de division dont sont porteuses les divergences, fussent-elles intellectuelles ou spirituelles, ce qui l’entraîne à recommander la prudence à un religieux qui lui confesse qu’il dispute avec ses frères aux récréations : « La conversation non seulement des gens de bien mais encor de ceux qui ont l’honneur en recommandation n’est jamais dans les disputes, les contentions et les émulations, quand mesme il s’agiroit de l’explication de l’escriture sainte ou de quelque difficulté des conciles ou de théologie »64. Les résumés des lettres reçues et les brouillons de réponses de l’abbé et supérieur général de Sainte-Geneviève en cette année 1669 donnent parfois l’impression de dévoiler l’envers du décor, loin de l’image d’harmonie, de paix et d’union que voudraient renvoyer les mémoires et les relations annuelles. Il est vrai cependant que les religieux qui écrivent sont avant tout ceux qui sont confrontés à des problèmes qu’ils ne peuvent résoudre seuls ou qui ont une demande à exprimer auprès du P. général. C’est aussi le témoignage d’un mode de gouvernement et d’administration où l’autorité doit se négocier et se justifier en permanence, où l’avenir est toujours à la merci de la bienveillance ou de l’opposition des puissants. Enfin, dans la suite de ces lettres qui reflètent la gestion au jour le jour apparaît parfois l’importance de la mémoire et des liens noués dès l’origine de la congrégation. Un laïc se rappelle ainsi au bon souvenir du supérieur général en lui demandant « l’honneur de vostre affection comme faisoit le feu Révérend Père Boular en considération de Mr La Rochefoucaut et des petits services qu’il a rendu à la congrégation »65 ; ainsi l’écrit et l’action au quotidien contribuent-ils à construire peu à peu l’autorité, l’unité et la respectabilité d’une congrégation qui, pour être récente, n’en revendique pas moins une place centrale dans le paysage religieux de la France moderne. Isabelle Brian Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire (CRULH) Université de Lorraine
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BSG, ms. 1864, f. 73vo, mais 1669. BSG, ms. 1865, f. 28vo, août 1669, réponse au P. Cordier à Meaux. BSG, ms. 1865, f. 10vo, lettre de Mr Demalsan, ou Demalfan, à Bellenave.
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Du rififi au couvent ou Conspiration contre Sarpi 1995-2017 : plus de vingt ans de collaboration amicale et fructueuse autour de la figure de Paolo Sarpi, frère servite et consulteur en droit canon de la Sérénissime République de Venise. Au moment de participer à la tradition humaniste du Liber amicorum, je ne peux saluer Bernard Dompnier, expert du monde monastique du xviie siècle, qu’en évoquant une intrigue dramatique qui s’est nouée autour de Sarpi, entre le monde feutré de la Curie romaine et la clôture silencieuse des monastères servites. Selon une trame que ni Hugo, ni Dumas, ni Michelet ne sauraient renier, ce drame historique et romantique avant l’heure propose au lecteur un héros populaire et simple, dominé par un appareil ecclésial qui l’écrase pour assouvir une intention politique qui lui échappe, des rebondissements multiples, l’indispensable figure du traître lui-même trahi par le conspirateur, le ressort dramatique du poison, sans oublier les lettres mystérieuses et chiffrées et les dénonciations secrètes. Le tout traité dans des styles tour à tour tragique, pathétique, comique, voire même burlesque. Ce drame est investi de la mission cathartique de démontrer la noirceur des âmes de Sarpi et de Micanzio justement excommuniés. Il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire, ni d’un pastiche théâtral mais bien d’un document d’archives de 1609-16101. Le document n’est pas daté. Toutefois, plusieurs éléments – tirés du texte ou périphériques – permettent d’inscrire les faits dans une chronologie : l’allusion à Girolamo Matteucci qui meurt le 20 janvier 1609 (f. 3vo), les quatre références à l’Interdit de 1606 (al tempo dell’Interdetto, f. 3vo et nel tempo dell’Interdetto, f. 10ro et avanti dell’Interdetto, f. 21vo et nell’anno dell’Interdetto, f. 20ro) et l’allusion au bûcher de Fulgenzio Manfredi, le 4 juillet 1610 (f. 22ro). Par ailleurs, on dispose des documents d’archives du procès (16 mars-4 mai 1609) et des lettres de Sarpi : à Christoph von Dohna du 16 mars 1609 où il écrit : « Cresce sempre, per nuovi accidenti, la discordia del papa con Venetia » ; à Groslot en date du 30 mars 1609 : « Io ho fugito una gran conspiratione contro la mia vita, intervenendovi di quelli proprij della mia camera ; non ha piaciuto a Dio che sij riuscita, ma a me ben molto dispiace di quelli che sono priggioni per questa causa. Non mi è grata la vita, che per conservare vego tante difficoltà » ; à Badoer, le 30 mars 1609, où Sarpi laisse voir sa lassitude : « Mi ritruovo così satio della vit ache argomento esser tempo di lasciarla. Ho affatto abandonato tutte le speranze e veggo con esperienza che esse sole sostentano la vita ». Enfin, il convient de replacer l’opération décrite par Graziani dans le contexte plus ample de la politique du cardinal-neveu Scipione Borghese contre Sarpi et de la traque de ses lettres adressées à Castrino, à Groslot et à Foscarini, par l’entremise des nonces apostoliques à Venise comme à Paris. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 53-63 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115074
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Ce mémoire, conservé à la British Library de Londres2, a été rédigé à la demande expresse du pape Paul V3 par un moine servite, Giovanni Francesco Graziani de Pérouse4, peu après sa sortie des prisons vénitiennes. Il narre par le menu un complot ourdi depuis Rome contre Sarpi ; en effet, les inscriptions à l’Index de toutes les éditions de ses œuvres (du 4 février 1605 au 4 juillet 1837), une citation à comparaître devant le tribunal de l’Inquisition (30 octobre 1606) fermement rejetée (25 novembre 1606), une excommunication latæ sententiæ (5 janvier 1607), une tentative d’assassinat par des sicaires romains (5 octobre 1607) et deux convocations par deux prieurs généraux jamais honorées (19 mai 1606 et 19 avril 1608), rien n’y a fait : le père Paul ne s’est jamais rendu et il représente pour Rome un danger politique et religieux, il est un ennemi des pontifes romains. À ce titre, le temps est venu de l’abattre physiquement. S’il irrite fortement le pape et la Curie, le père Paul ne fait pas l’unanimité au sein même de son Ordre et ses désobéissances lui attirent des inimitiés. Déjà en 1574 (il n’a que vingt-deux ans !), il est dénoncé à l’Inquisition par un autre novice jaloux et ignorant qui l’accuse d’avoir affirmé ne pas pouvoir tirer l’article de la Trinité du premier chapitre de la Genèse5. En 1594, il est dénoncé par l’ex-prieur, Gabriele Dardano, pour se venger du manque d’appui lors des élections au priorat général ; en effet, il l’accuse de fréquenter des juifs et de ne pas réciter le Salve Regina à la fin de la messe alors que les constitutions en font l’expresse obligation6. Le 24 mai 1603, Santo Cucina, neveu de Dardano, et le père-maître Arcangelo Piccioni dénoncent Sarpi pour trois chefs d’accusation : qu’il porte un bonnet carré, forme interdite par Grégoire X, qu’il porte aux pieds des socques à la française (i. e. avec un talon) et qu’il ne récite pas le Salve Regina à la fin de la messe7. Le 4 février 1606, le frère Geminiano Sabilio envoie au cardinal-neveu Scipion Borghèse un mémoire de dénonciation contre British Library, Add, ms. 6877. Davide Maria Montagna osm (in Fra Paolo Sarpi. Atti del convegno di studio del 1983, Venezia, Comune di Venezia, 1986, p. 124) intitule ce texte : Relazione dell’attentato a fra Paolo. 4 Giovanni Francesco Graziani da Perugia osm a été bachelier au couvent servite de Bologne de 1603 à 1606, alors que Fulgenzio Micanzio y est régent des études. Outre ce mémoire, il est également l’auteur d’une Vita di fra Fulgentio inédite. 5 Fulgenzio Micanzio, Vie du Père Paul, traduite par F.G.C.A.R.D.B., Amsterdam, Jean de Ravenstein, 1663, p. 24 : « Il fut denoncé au sainct offfice de l’Inquisition par maistre Claude de Plaisance, son contemporain, lequel de dépit de ne pouvoir ny par ses vertus ny par ses estudes parvenir au credit qu’avoit le père Paul crut l’atterrer en luy imposant des calomnies. […] la cause appellée & jugée, la fin fut qu’on fist une grande reprimende à l’inquisiteur, en le taxant d’ignorance ». 6 F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 76 : « Ce maistre Gabriel se porta criminellement contre luy, se declarant son instigateur à l’Inquisition de Rome de ce qu’il avoit commerce avec les juifs. […] Mais les juges de ce tribunal […] ne trouvèrent pas seulement de quoy fonder un ajournement personnel contre luy & ainsy estouffèrent cette action, sans luy faire donner aucun blasme ». 7 F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 111 : « Ils opposèrent au père Paul trois chefs de plaintes qui furent suivies de la colère & du mespris & sifflement de tous ceux du chapitre, sçavoir qu’il portoit un bonnet carré sur la teste contre la deffence qui en fust faite dès le temps du pape Grégoire XIV, qu’il se servoit de pantoufles encavées & faites comme celles des Français, […] qu’encore il ne finissoit jamais sa messe par la prière du Salve Regina ». Francesco Griselini, Memorie anedote sopra la vita di fra Paolo servita, Losanna, 1760, p. 67 : « […] dal padre Santo Cucina e dal padre maestro Arcangelo Pizzoni oltra d’esser stato egli imputato di portare le pianelle incavate alla francese, fu accusato ancora che usasse la beretta in forma vietata da Gregorio X e che in fine nella messa non recitasse la Salve Regina ». 2
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Sarpi et sa doctrine8. Enfin, au temps de l’Interdit, il ne faut pas oublier que le prieur général Filippo Ferrari a ordonné à ses servites de quitter Venise et d’observer l’Interdit au moment où Sarpi prend la tête de la résistance à la Curie et incite ses co-religionnaires à rester, voire à prêcher contre cet Interdit. Dès lors, les moines de l’Ordre servite apparaissent comme une troupe soumise au sein de laquelle il sera facile pour la Curie de trouver des exécutants des basses-œuvres. [f. 1ro] Pour que Votre Sainteté soit informée de la meilleure des façons possibles, j’exposerai au mieux de mes modestes capacités ce qui m’est personnellement arrivé à Venise et ce qui concerne les activités du père Paul, du Père Fulgence9 des Servites, l’un des sept théologiens10, et du frère Antoine de Viterbe, copiste du père Paul, et aussi les exécrables actions de la noblesse. Moi, Jean-François de l’Ordre des servites de Pérouse, très-humble et très-obéissant fils de Votre Sainteté, j’exposerai tout cela comme il convient c’est-à-dire en racontant la pure et simple vérité. […] J’étais à Padoue où je suivais des cours de théologie pratique quand je reçus une lettre du frère servite Bernard de Pérouse11 qui est un familier de Son éminence le cardinal Borghèse. Il me commandait d’aller à Venise et de m’entretenir avec le frère Antoine pour savoir si le père Paul était en train d’écrire le « De vitiis pontificii et de censuris » et pour l’inciter à quitter le service du père Paul.
Le frère Jean-François se rend à Venise au monastère des servites et prend contact avec son ami. [f. 1vo] Comme j’en avais l’habitude, j’allai dans la cellule de mon ami car nous avons été élevés ensemble depuis le noviciat et nous étions comme des frères12. M’ayant laissé seul dans sa chambre, je me mis à fouiller et je tombai sur un volume in-4o, écrit de sa main et intitulé : « Confessione di fede di alcune chiese sparse in Francia et in altre parti del mondo contro le assertioni et idolatrie papistiche ». Il y avait aussi deux autres volumes manuscrits, contraires à la religion et à la foi catholique. […] Plus tard, je lui demandai en particulier ce qu’écrivait le père Paul et il me répondit que dans ses écrits le père Paul traitait et discutait de nombreux sujets mais que son but principal était d’attaquer les papes et de démontrer que tous les maux et dommages de l’Eglise étaient de leur faute.
ASVat., Fondo Borghese I, 513, f. 113ro. Pour la biographie de Fulgenzio Micanzio, ami, secrétaire et biographe de Sarpi, voir Antonella Barzazi, « Art. : Micanzio, Fulgenzio », Dizionario biografico degli italiani, vol. 74, 2010, p. 113-120. 10 Allusion au Trattato dell’Interdetto della santità di papa Paolo V nel quale si dimostra che egli non è legitimamente publicato…, rédigé en août 1606 pour la défense des positions de la République de Venise contre l’autorité pontificale qui vient de fulminer l’Interdit. Sarpi est assisté de six autres théologiens : Pietro Antonio Ribetti (1554-1610), vicaire général de Venise pendant l’Interdit qui finit empoisonné lors d’un dîner chez le pape, Fulgenzio Micanzio osm qui est excommunié avec Sarpi, Bernardo Giordani (1538-1621) ofm oss, Michelangelo Bonicelli (1569-1624) ofm oss, Marcantonio Capello († 1625) ofm et Camillo da Lezze osa. Voir Gino Benzoni, « I teologi minori dell’Interdetto », Archiviio veneto, Quinta serie, vol. XCI, 1970, p. 31-108. 11 Bernardo da Perugia est lié à Scipione Borghese, cardinal-neveu, depuis le temps de leurs études à Pérouse ; quand Borghese a été élevé au cardinalat (le 18 juillet 1605), il l’a emmené à Rome et pris à son service. 12 F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 185 : « Cette amitié fut d’autant plus facile à se noüer entre les deux frères, qu’ils estoient tous deux des mesmes estat & province, & que dans leur païs ils s’estoient premierement connus ». 8 9
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Il quitte Venise avec deux feuillets compromettants, copiés par frère Antoine, qu’il va pouvoir envoyer à Rome, comme échantillon des écrits du père Paul. [f. 2ro] Peu après, de loin, je lui demandai s’il aurait envie de rentrer dans notre province de Rome et il me répondit qu’il y pensait mais qu’il redoutait que le pape ne voulût le tenir entre ses mains pour lui faire subir un mauvais tour, pour le punir d’avoir été au service du père Paul. Je finis par le convaincre de venir à Padoue pendant huit à dix jours, pour s’accorder un peu de distraction13. [f. 2vo] Nous échangions des lettres à propos de son envie de venir à Padoue et de sa copie du fameux livre du père Paul. Dans le même temps, je reçus de Rome la réponse que mes deux feuillets avaient été reçus favorablement, que Votre Sainteté les avait eus en main propre et que je devais faire diligence pour me procurer quelques pages écrites de la main du père Paul. Frère Antoine vint à Padoue et je le reçus de manière chaleureuse : je le retins à dormir dans ma cellule et employai toutes sortes de marques de courtoisie et d’affection. Un matin, après avoir célébré la messe, je le conduisis à Sainte-Justine14, en la chapelle de la Vierge, endroit caché et secret15, où je lui parlai ainsi : — Frère Antoine, je voudrais te parler d’une affaire mais, avant d’en dire plus, tu dois me jurer sur cette pierre sacrée et devant la Vierge que tu n’en diras rien à personne. Et il jura. — L’affaire dont je dois t’entretenir relève de l’honneur de Dieu, de la religion chrétienne et de notre Ordre. Tu sais certainement qu’à Rome on désire avoir des écrits du père Paul afin de connaître et de toucher du doigt où il veut en venir avec ses critiques des papes. Si tu t’y prêtes, tu feras œuvre de bon catholique et tu en recevras la grâce de Dieu… outre une reconnaissance temporelle. Et je lui fis voir les lettres de Votre Sainteté pour qu’il connaisse vos intentions et celles de Son éminence le cardinal Borghèse. En voyant ces lettres et en faisant fond plus sur la récompense temporelle que sur la grâce de Dieu, il me répondit qu’il acceptait. Le soir, vers deux heures du matin, frère Antoine et moi [f. 3vo] sommes revenus sur la façon de prendre ces écrits, et frère Antoine m’a dit : — Frère Jean-François, il faut que je te dise une chose importante. Cet été, mon frère Jules16 et don François Baretta ont été envoyé par monseigneur Matteuccio17, évêque de Viterbe, pour Le début de cette affaire correspond à l’époque du Carnaval. Très ancienne basilique bénédictine, édifiée à Padoue sur la tombe de sainte Justine. 15 On peut penser qu’il s’agit de ce qui, de nos jours, se nomme le Sacello di San Prodoscimo et qui, alors, se nommait le Sacello di Santa Maria. Une très ancienne chapelle paléochrétienne (vie) où est encore conservée la Madonna Costantinopolitana, peinture attribuée à saint Luc, rescapée de la lutte iconoclaste et rapportée de Constantinople, avec le corps de Luc. 16 Selon Davide M. Montagna osm, in Fra Paolo Sarpi, p. 124, ce fra Giulio serait Giulio da Brescia qui a été prieur conventuel du monastère S.M. de Venise. 17 Girolamo Matteucci est né à Fermo. Il entre très tôt dans la carrière ecclésiastique : référendaire à la Signature, gouverneur de Ravenne (1571-1572) puis de Faenza (1574), abréviateur, auditeur général des procès du palais apostolique, archevêque de Raguse. Avec l’élection de Sixte Quint (1585), sa carrière s’accélère : gouverneur d’Ancône, nonce à Venise où il entre en conflit avec le Sénat car il exige le retrait du soutien vénitien à Henri IV excommunié par le pape, gouverneur de Rome (1590), évêque de Viterbe à partir du 5 décembre 1594 jusqu’à la date de sa mort, le 20 janvier 1609, où il se montre un ardent défenseur des décrets tridentins. Lors du conclave de 1596, il reçoit le soutien du cardinal Baronius. En 1597-1598, c’est lui qui gère le dossier de la dévolution de Ferrare au Saint-Siège. Voir Giampiero Brunelli, « Art. : Matteucci, Girolamo », Dizionario biografico degli italiani, vol. 72, 2009, p. 272-274. 13 14
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me convaincre de tuer le père Paul mais je n’ai jamais eu le courage d’employer le fer contre lui et de faire couler son sang, malgré toutes les opportunités que j’aurais eues. Toutefois, si depuis Rome le frère Bernard voulait bien m’envoyer du poison, je le lui donnerai et ainsi on libérera le monde de tout tourment et de toute polémique. Et même plus, on pourrait faire le coup du roi : tuer aussi frère Fulgence et ce téméraire de Jean-François de Venise18 qui parle si mal du pape en toute occasion et qui, pendant l’Interdit, disait qu’il voulait aller à Rome pour abattre le pape de son trône. Je pourrai le faire très facilement puisqu’ils mangent tous les trois ensembles, après les autres. Je lui répondis que je n’avais reçu aucun ordre dans ce sens mais qu’il n’avait qu’à écrire cette proposition à frère Bernard. [f. 4ro] Venu le jour de son retour à Venise, je me levai de bonne heure selon mon habitude et, en sortant de ma chambre, je dis à Antoine : — Frère Antoine, je te laisse la lampe allumée et si tu veux écrire, lève-toi ! Quand je revins des matines, il avait déjà écrit et scellé sa lettre et je lui fis remarquer qu’il aurait dû me la faire lire avant. Il me répondit : — Ouvre-la !
Le contenu de la lettre reprend fidèlement la proposition. […] [f. 4vo] La réponse de frère Bernard fut que Son Éminence le cardinal Borghèse conseillait d’en parler avec Son Éminence le cardinal Lanfranco19 parce qu’il ne pouvait s’occuper de tout. […] [f. 5ro] Pendant ce temps, frère Antoine à qui j’avais déjà donné dix écus, m’écrivit pour en demander plus. […] Je retournai à Venise pour lui rappeler qu’à Rome, on avait grande hâte d’avoir ces écrits du père Paul. Voyant que les choses tiraient en longueur, je décidai d’accélérer l’affaire et lui demandai de prendre l’empreinte des clefs des cellules du père Paul. J’en écris à Rome d’où on me répondit que le moyen le plus facile et le plus simple d’aboutir était que frère Antoine prenne les empreintes à la cire et que j’aille faire fabriquer les clefs à Ferrare20. Pour que frère Antoine n’ait pas de problème, je devais préparer la cire à Padoue en y ajoutant de la térébenthine pour qu’elle reste souple et malléable. En compagnie d’un autre frère, j’allai à Venise et apportai la cire enveloppée dans deux lettres que j’avais reçues de Rome, à propos de cette demande d’écrits, sans qu’elles ne nomment personne21. Giovanni Francesco Segurtà da Venezia est déjà prieur conventuel en 1595-1597, puis de nouveau en 16091611 ; procureur du couvent en 1613 ; cette même année l’inventaire du couvent précise qu’il occupe la cellule no 57. Il est un des signataires de la lettre informant le doge de la mort de Sarpi et il est présent lors de la visite canonique de Filippo Ferrari, le 28 octobre 1624, auquel il a déclaré être âgé de 64 ans. Il est cité dans la Vita del padre Paolo de Fulgentio Micanzio comme un de ceux qui ont éventé ce complot d’empoisonnement, après avoir reçu la confession de frère Antonio. 19 Le cardinal Lanfranco Margotti (1559-1611), protonotaire apostolique, secrétaire du cardinal-neveu Borghèse, a pris en charge de 1605 à 1611 certains dossiers brûlants dont les affaires vénitiennes. Cardinal le 28 novembre 1608, évêque de Viterbo dès le 26 janvier 1609. Voir Marco Maiorino, « Art. : Margotti, Lanfranco », Dizionario biografico degli italiani, vol. 70, 2008, p. 180-183. 20 Depuis la dévolution de 1598, Ferrare est redevenue un territoire des États de l’Église. 21 Fulgenzio Micanzio ne raconte pas exactement la même histoire. F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 187 : « […] un matin dés le point du jour, ils entrèrent en conference secrette dans la sacristie des servites […] & frère Jean François tira de la pochette de son haut de chausse un rolleau enveloppé dans du gros papier 18
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Arrivé à Venise de bon matin, j’allai au monastère où je retrouvai le frère Antoine à la sacristie car il se préparait à dire la messe. Après la messe, je discutai avec lui sur le moyen d’obtenir ces écrits et il me répondit que les choses allaient se faire sous peu, en profitant de l’absence du père Paul pendant qu’il traite quelque affaire au Sénat et qu’il est sorti pour quatre ou cinq heures. Et je lui dis : — C’est bien mais on ne peut prévoir ni le jour, ni l’heure ; or, notre affaire nécessite que l’on agisse vite et que je sois présent à Venise car, dès que les documents manuscrits sont volés, nous devons prendre une barque pour rejoindre la terre ferme et piquer des deux à cheval, jusqu’à Ferrare. Désormais, le moyen le plus simple et le plus sûr est de prendre les empreintes des clefs. Il me répondit que pour l’heure il devait copier des documents que le père Paul devait présenter au Sénat22. Je revins le soir mais il n’était pas là. Le lendemain matin, il me donna rendez-vous le soir à 22 heures, place Saint-Marc, à l’épicerie à l’enseigne d’Abraham23. Mais déjà ce Judas avait préparé sa trahison : il avait parlé avec le père Paul, lui avait montré les lettres et la cire et lui avait raconté tout ce qui s’était tramé entre lui et moi à Padoue, en y ajoutant des mensonges.
Selon ses biographes, le père Paul aurait voulu faire preuve de mansuétude envers son jeune copiste et, par ailleurs, il aurait souhaité que la nouvelle de cette conspiration ne s’ébruitât pas afin de préserver la réputation de l’Ordre et du couvent. Mais le père Fulgence, concerné également dans cette affaire, aurait lui-même remis les preuves entre les mains des Inquisiteurs d’État qui ont fait leur office24. Le soir donc, à l’heure fixée, j’allai à l’épicerie. J’étais à peine entré qu’un capitaine des Dix25 arriva avec ses sbires, qu’ils me ligotèrent, me mirent un bâillon et m’emmenèrent rapidement loin de la place qui était noire de monde et prête à se soulever. [f. 6vo] Parvenus au poste de garde, ils me mirent à nu mais ne trouvèrent rien sur moi. Ils me jetèrent, seul, dans une prison qui était une tombe pour les vivants et j’y restai trente-huit jours, avec des coliques incessantes que je croyais mourir mille fois à cause des douleurs que j’endurai. broüillard, enduit de cire pour y pouvoir faire des moules de clefs, laquelle cire eschauffé par la proximité de la chair de sa cuise, tira avec soi de la mesme pochette un gros paquet de lettres, sans que pas un d’eux s’en aperçeust. Frère Antoine aiant pris la susdite cire s’en alla au dedans du couvent & cet autre partit de barre & sortit d’icelui. Le sacristain frère Valentin de Venize, amassa lesdites lettres sur le carreau, aussi tost les porta au père maistre Fulgence ». 22 À ce moment-là, Sarpi travaille pour le Sénat vénitien sur des consulti relatifs au patriarche Francesco Vendramin. Corrado Pin, Consulti, Pisa-Roma, IEPI, 2001, I-2, p. 739. 23 Sous la tour de l’horloge, près de l’église San Basso, se trouvait l’épicerie d’Antonio Raspi († 1641), à l’enseigne d’Abraham. 24 Aurelio Angelo Bianchi Giovini, Biografia di fra Paolo Sarpi, Zurigo, Orell e Füssli, 1846, vol. II, p. 15 : « Sorpreso il carteggio e portato a fra Paolo, ei voleva si per propria mansuetudine e sì per decoro di religione che un tanto atroce proponimento fosse messo a tacere. Ma fra Fulgenzio, compreso nello stesso pericolo o che almeno lo supponeva, non ebbe tanta pazienza e portò le carte agli Inquisitori di Stato. Se dobbiamo credere a lui, erano implicati nella congiura il papa ». Dans sa lettre du 14 avril 1609 à C. von Dohna, Sarpi reconnaît son envie d’étouffer l’affaire : « La cosa occorsa contro la persona mia, non l’ho stimata né la stimo et, se havessi potuto operare che non ne fosse stato tenuto conto, l’havrei fatto con ogni sforzo ». 25 Le Conseil des Dix est une institution judiciaire d’exception, créée en 1310 lors de la conjuration de Baiamonte Tiepolo, mais finalement maintenue pour garantir la sécurité de la République.
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Le soir-même de mon arrestation, en présence de Leonardo Mocenigo26 et du secrétaire Cumino27, ils me demandèrent si je savais pourquoi j’étais détenu et je répondis que je ne parvenais pas à en imaginer la cause. Ils me demandèrent si je connaissais frère Antoine et je dis que c’était un ami et que je l’avais prié, lors du prochain Carême, de me recopier les sermons du frère Fulgence, s’il prêchait à Saint-Laurent, car j’avais très grande envie de les avoir28. Le lendemain matin, je fus interrogé en présence des trois Inquisiteurs d’état29 et de l’avocat public30.
On lui présente ses lettres, qu’il reconnaît ; puis le pain de cire, qu’il ne reconnaît pas. Finalement, il est mis en accusation pour les lettres et pour le vol du Confessione… [f. 7vo] Le soir-même, ils m’inculpèrent de ces chefs d’accusation et me demandèrent si j’avais convaincu frère Antoine de tuer le père Paul et si je lui avais donné le poison sur ordre de Rome. Et alors, au cours de cet interrogatoire, ils se mirent à tresser les louanges du père Paul, théologien de la Sérénissime République, homme de tant de mérites, aux mœurs si saintes, à la vie si irrépréhensible que, finalement, ils n’auraient pas pu en dire plus pour la canonisation d’un saint. Alors que moi, au contraire, je n’avais eu aucun égard pour un personnage aussi célèbre et j’avais diaboliquement planifié sa mort. Et ils prononcèrent ces mots avec une emphase extraordinaire. Moi, je répondis : — Je prie Dieu qu’il démontre par un miracle la fausseté de cette calomnie car je suis totalement innocent. Je suis stupéfait de cet interrogatoire. […] 26 Leonardo Mocenigo (1551-1627) appartient au parti des Giovani et au patriciat philo-sarpien qui fréquente le ridotto Morosini. Dans sa politique de répression de la criminalité, son intransigeance lui a valu le surnom de Catone veneziano. Au terme d’une carrière dans le cursus honorum des magistratures vénitiennes, il a fini procureur de S. Marc de ultra. Vittorio Mandelli, « Art. : Mocenigo, Leonardo », Dizionario biografico degli italiani, vol. 75, 2011, p. 143-144. 27 Bartolomeo Comino (1550-1627) fait une carrière de secrétaire du Sénat, du Grand Conseil et du Conseil des Dix. Gino Benzoni, « Art. : Comino, Bartolomeo », Dizionario biografico degli italiani, vol. 27, 1982, p. 590592. 28 La narration de Fulgenzio Micanzio diffère légèrement, car elle affirme que c’est Rome (incarné par frère Bernard) qui voulait obtenir les textes des sermons de Micanzio : Vie du Père Paul, op. cit., p. 187 : « Car le susdit frère Bernard escrivoit à frère Jean François qu’il pressast frère Anthoine d’expedier ce quadragesimal, que les 900 escus estoient tous prests a lui estre mis en main & qu’on l’asseuroit encore de douze mil escus & plus ». Ce recueil de ses sermons de Carême 1609 à Saint-Laurent a servi au tribunal de l’Inquisition romaine à instruire l’accusation et à établir la liste des propositions condamnées lors des congrégations des 16 et 27 juillet 1610. ACDF, St. St. O.3.h, Theses contra auctoritatem S. Pontificis. 29 La magistrature des trois Inquisiteurs a été instituée le 20 septembre 1539 avec le titre officiel de Inquisitori sopra la propalazion dei segreti (tous éligibles parmi les patriciens) puis, à la suite d’une réforme, ils prennent le titre d’Inquisitori di Stato – éligibles : un parmi les conseillers ducaux (le rouge) et les deux autres (les noirs) parmi les patriciens du Grand-Conseil. Émanation du Conseil des Dix, ils constituent un tribunal suprême en matière de sécurité de l’État. Leurs sentences doivent être prises à l’unanimité et, si elles ne sont pas secrètes, doivent être proclamées devant le Grand Conseil. Voir Davide Busato, Venezia criminale, Venezia, Helvetia, 2013. Les trois inquisiteurs d’État sont alors Francesco Malipiero, Leonardo Mocenigo et Lorenzo Loredano qui est conseiller ducal, donc représente le doge au sein de ce triumvirat. 30 L’avogadore est une magistrature judiciaire créée à la fin du xiie pour représenter la République et défendre ses intérêts dans les procès au civil comme au pénal.
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Le matin suivant, ils me conduisirent dans la salle des tortures pour que je voie la corde et le feu. Ils me laissèrent là pendant une demi-heure puis, sans rien dire, ils me ramenèrent dans mon tombeau pour vivants, toujours en silence pour mieux m’épouvanter. Le matin suivant encore, ils me sortirent de mon tombeau et continuèrent de m’accuser en me disant que je devais dire la vérité. […] [f. 8vo] Ils me confrontèrent à frère Antoine.
Frère Antoine fait une déposition qui raconte tout, en citant nommément les deux cardinaux et le pape. À ces mots, Leonardo Mocenigo dit : — Oh, quel bon pape ! Moi, en entendant les folies du frère Antoine, je me mis à rire très fort et je repris courage en pensant que Dieu ne pouvait accepter une telle critique de son vicaire et qu’Il allait faire un miracle. Me voyant rire, Francesco Malipiero me dit : — Pourquoi ris-tu ? — Et qui ne serait pas saisi de rire en entendant ces folies ? — Laisse-le parler ! [f. 9ro] Frère Antoine : — Quand il a voulu me convaincre de tuer le père Paul, je lui ai répondu que je ne voulais absolument pas le faire. Et quand il vit que je refusais de le tuer, il a cherché à me convaincre de voler des manuscrits. Mais moi, parce que le père Paul est mon ami, j’ai promis de le faire pour pouvoir ensuite tout révéler, car c’est une trahison. [f. 9vo] Ensuite, je fus de nouveau conduit à la salle des tortures en présence des Inquisiteurs d’État ; l’avocat public m’a dit que je devais dire la vérité car les dires de frère Antoine laissaient apparaître clairement que j’avais voulu la mort du père Paul et le vol de ses écrits. […] Alors, ils me saisirent et me déshabillèrent. Très Saint Père ! j’ai cru voir le Christ à la colonne ! Mais les sbires s’aperçurent alors que je souffrais de fractures et les Inquisiteurs firent mander un chirurgien qui déclara qu’on ne pouvait m’infliger l’estrapade.
Les Inquisiteurs font appel à un second puis à un troisième chirurgien qui donnent tous le même avis : l’estrapade est impossible. […] et moi, pendant tout le temps que cela dura, environ une demi-heure, je restai nu. [f. 10ro] Quand ils furent convaincus qu’ils ne pouvaient m’imposer la corde, ils me renvoyèrent dans l’obscurité de ma sépulture. Le jour suivant, au matin, ils me firent de nouveau comparaître. Je pensais bien que, n’ayant pu m’appliquer la corde, ils allaient m’infliger le feu aux pieds car ce sont les deux tourments qu’ils utilisent le plus souvent. Je me disais que cela allait m’estropier et que je ne serai plus bon à rien, c’est pourquoi je me jetai dans les bras de Notre Seigneur et de la Vierge Marie pour qu’ils m’aident de leur pitié et de leur miséricorde. Mais je m’étais trompé. En effet, ils exigèrent que je présente sur le champ ma défense car ils voulaient expédier ma cause. Me trouvant contraint, je dis que je ne savais pas faire d’autre défense que de faire interroger tous les pères du couvent servite de Padoue. Je les nommais tous en commençant par deux
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frères qui étaient très amis avec le père Paul : frère Mauro31 qui, à l’époque de l’Interdit, prêchait en l’église des servites de Venise et frère Jacques32 qui, à l’époque de l’Interdit, espionnait à Padoue les curés qui ne disaient pas la messe [f. 10vo] ou les gentilshommes qui n’allaient pas à la messe puis allait tout raconter au podestat, Almorò Zane33. En outre, j’examinai la vie de frère Antoine en cherchant à la déprécier aux yeux des Inquisiteurs : que frère Antoine était un homme scandaleux qui, jour et nuit, se divertissait en des plaisirs malhonnêtes, allait avec des hommes de peu de foi, qu’il était un séditieux qui avait provoqué de multiples rixes dans son couvent […] [f. 11ro] […] Je restai plusieurs jours dans ma sépulture. Un mardi matin, ils me firent comparaître devant leur tribunal et l’avocat public me tînt ces propos : — Hier soir34, le Conseil des Dix a jugé votre cause et, au vu de vos méfaits, a décidé que vous êtes condamné à subir la peine du sac35, dans les trois jours. À moins que vous ne livriez vos complices et vous serez emprisonné pour un an puis banni à vie de ce territoire36.
Frère Jean-François est remis en prison dans les puits et sa cellule au monastère de Padoue est perquisitionnée par les sbires du Conseil des Dix. Des lettres et leurs clefs de déchiffrement sont trouvées. [f. 16vo] Il y avait aussi un feuillet où j’avais noté plusieurs choses que frère Antoine m’avait dites à Padoue et que, pour m’en souvenir, j’avais notée tant elles étaient diaboliques et contraires à la foi. D’abord, j’avais demandé à frère Antoine ce que le père Paul et les patriciens qui le soutiennent disaient du jubilée décrété par le pape ; il me répondit qu’ils s’en moquaient et que le pape ne pouvait pas faire cela, je lui répliquai que des nobles avaient participé aux processions ; il me répondit que ceux-là étaient des ignorants mais que les hommes savants et intelligents qui suivaient le père Paul s’en moquaient. [f. 17ro] Ensuite, je l’avais interrogé sur ce que le père Paul et ses soutiens disaient des saintes Écritures et de Moïse qui avait été aimé de Dieu37. Il me répondit que, selon eux, les Écritures 31 Odir Dias, Archiva ordinis servorum. I registri dei priori generali, Roma, AGOSM, 1970. Frère Mauro da Padova est cité aux p. 209 et p. 255. 32 Ibid., frère Giacomo da Venezia est cité à la page 217. 33 Almorò Zane est podestat de Padoue en juin 1607 et, à ce titre, il est intervenu dans l’affaire du compas qui a opposé Capra à Galilée. 34 ASV, Consiglio dei Dieci, Parti criminali, busta 38, f. 59ro-60ro, 16 mars 1609 : « […] secondo l’ordinario, sicché resti sommerso et affogato ». 35 La pœna cullei (ou peine du sac) était, dans le droit romain antique réservé au parricide puis, depuis Constantin, au traitre. 36 F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 191 : « L’excellentissime Conseil des Dix qui desiroit passionnément sçavoir le fonds de toutes les vraies intrigues de ce traitté & bien distinctement toutes les particularités d’iceluy, donna ce jugement pour tascher de tirer esclaircissement par la bouche du coupable, sçavoir que ce scelerat frère Jean François fust pendu & estranglé mais qu’au cas que dans peu de jours qui estoient prefix & portés par la sentence, il vinst à reveler tout le traitté & à dire le vray sens de toutes les lettres surprises, on luy remettoit la peine de mort à la charge qu’après avoir esté un an entier prisonnier il demeurast banny à perpetuité de toutes les terres du Serenissime Domaine ». Micanzio poursuit et explique que l’alternative favorable proposée aux deux moines est le fruit de l’intervention de Sarpi et sa mansuétude ordinaire. 37 La discussion à propos de Moïse et de son véritable rôle face au peuple des Hébreux en Égypte et face à Dieu est reprise du Prince de Machiavel (§ 6, De principati nuovi che s’acquistano con l’arme proprie e virtuosamente). C’est une façon d’introduire l’accusation de machiavélisme contre Sarpi et, donc, de fonder son athéisme, comme repris plus bas au f. 20vo.
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n’étaient pas vraies et que Moïse était un homme très astucieux et désireux de dominer et que les Hébreux étaient des simples et des idiots auxquels Moïse faisait croire tout ce qu’il voulait. Il leur avait fait croire qu’il avait parlé avec Dieu et, quand il monta sur le mont pour la Loi, cela avait été une duperie. Auparavant, il avait caché de quoi manger et ensuite il leur dit qu’il avait reçu la Loi de Dieu. C’était autant d’inventions pour se faire obéir et craindre et, de la même manière, il leur avait baillé mille chimères. Frère Antoine concluait que les saintes Écritures n’étaient que moqueries et chimères ridicules et que la création du monde n’était pas vraie car le père Paul estimait que l’histoire des Égyptiens remontait à 14 000 ans. Sur ce même feuillet, j’avais aussi noté un raisonnement du père Paul et de ses disciples à propos de l’« Apocalypse » de saint Jean selon lequel tout ce qui y était écrit n’était que rêves, inventions et chimères risibles. Et il ajoutait : — Regardez, quand il commence son évangile, il écrit : « In principio erat Verbum et Verbum erat… » ce qui signifie que saint Jean ne sait même pas ce qu’il veut dire. [f. 17vo] Je lui demandai ce que disait le père Paul, ses amis et ses familiers, à propos des saints et, en particulier, de saint François qui a été un grand imitateur du Christ avec ses stigmates. Frère Antoine me répondit aussitôt qu’ils affirmaient que saint François avait été un fieffé rusé et un misérable. Et je répliquai : — ô Seigneur ! comment un « fieffé rusé » ! celui qui a été une image du Christ vivant et qui a reçu les stigmates en son corps ! Aussitôt (et on voyait là qu’il maîtrisait cette doctrine diabolique), il répondit qu’il n’était pas vrai qu’il eût reçu les stigmates : — Ceux qui affirment que c’est vrai sont dans même la posture que le pape d’alors qui, pour apporter du crédit à l’église, se mit d’accord avec saint François en témoignant qu’il avait reçu les stigmates mais ce n’était pas vrai et seul le pape les avait vues. Et tout cela pour donner de l’importance à l’église. Il était aussi noté sur ce feuillet que le père Paul recevait des lettres et des livres d’Angleterre, d’Allemagne et de France et que les rois et les ducs lui écrivaient. [f. 18ro] Il y avait beaucoup d’autres notes mais elles ne me reviennent pas à l’esprit. La dernière (et je me souviens des mots précis) disait : — Le père Fulgence apprend l’anglais avec le prêcheur calviniste de l’ambassadeur d’Angleterre38, avec une arrière-pensée. Leonardo Mocenigo me demanda quelle était cette « arrière-pensée » et je répondis que frère Antoine avait laissé entendre que, si la situation devenait intenable à Venise, il avait l’idée de partir en Angleterre pour y prêcher. Et Mocenigo répondit : — Ah bon ! […] [f. 18vo] Francesco Malipiero qui estimait que l’affaire ne devait pas en rester là, tout en sachant qu’ils m’avaient condamné contre la vérité, aurait voulu que j’avoue que l’ordre de tuer le père Paul venait de Rome. Ce vieillard diabolique parlait comme un fou car il voyait qu’ils avaient commis une erreur grossière qui les déshonorait.
38 Ce professeur d’anglais improvisé est William Bedell (1571-1642), chapelain de Sir Henry Wotton, ambassadeur à Venise, de 1607 à 1610. Outre ses leçons quotidiennes, Bedell traduit en italien, avec l’aide de Micanzio, le Book of Common Prayer. De retour en Angleterre, il a une carrière ecclésiastique jusqu’à l’évêché de Kilmore. Sa bibliothèque conserve une Bible en hébreu avec des annotations marginales de Sarpi.
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Le 20 mars 1609, frère Antoine est arrêté39 et traduit à son tour devant les Inquisiteurs d’État mais la torture lui est épargnée40 car il a dénoncé les faits et reconnu sa participation, tout en la diminuant. Reconnu coupable il est condamné à mort. La rumeur s’était répandue dans tout Venise que Frère Antoine devait être noyé41 à cause de sa trahison envers moi. Ce soir-là, à la cinquième heure de nuit42, je fis réciter des prières par tous les prisonniers pour que Dieu lui pardonne ses grands excès. La rumeur se répandit aussi en terre ferme et, pendant plusieurs jours, frère Antoine fut considéré comme mort.
Le père Paul sollicite la grâce de frère Antoine43 et, le 4 mai 1609, le Conseil des Dix la lui accorde et le bannit de Venise pour deux ans44. [f. 20ro] Quand se répand la nouvelle que le père Paul l’avait fait libérer, beaucoup restèrent scandalisés et se firent un mauvais jugement du père qui aurait plutôt dû me faire libérer, moi, et non frère Antoine, auteur de tant de scélératesses et de mensonges. Telle est la fin de ce procès et son contenu. J’ai décrit les choses comme elles se sont passées et, autant que faire se peut, ce qui est écrit-là contient la vérité.
L’échec de cette tentative d’empoisonnement n’a pas découragé les vocations et, suscités par Rome ou nés d’initiatives personnelles, d’autres essais ont été soit dénoncés par les acteurs eux-mêmes qui espéraient en tirer quelque récompense temporelle, soit révélés par les espions des Inquisiteurs d’État qui montaient jalousement la garde auprès du théologien de la République. Finalement, Paolo Sarpi est mort dans son lit le 15 janvier 1623. Si, dans un premier temps, le Sénat vénitien a voulu ériger un monument à sa gloire, des considérations relevant de la realpolitik ont écarté ce projet : c’est certainement par ce biais que ses ennemis de la Curie comme à l’intérieur de l’Ordre ont triomphé. Marie Viallon Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités (Ihrim) Université Jean Moulin Lyon 3
ASV, Consiglio de X, Parti criminali, busta 38, f. 60vo, 20 mars 1609. Comme l’a souligné Corrado Pin dans son édition des Consulti (Pisa-Roma, IEPI, 2001, I-2, p. 739), le manuscrit du consulto 54 en date du 18 mars, est le dernier à présenter l’écriture du copiste Antonio Bonfini da Venezia. 40 ASV, Consiglio de X, Parti criminali, busta 38, f. 61ro, 27 mars 1609. 41 À Venise, la peine de la noyade judiciaire se déroulait dans le canal Orfani, près de l’île de San Servolo, où la pêche était interdite. 42 À cette époque, le compte des heures se fait à partir du lever et du coucher du soleil. À la mi-mars, le soleil se couche vers 17h30, la cinquième heure est donc vers 22h30. 43 F. Micanzio, Vie du Père Paul, op. cit., p. 192 : « […] le père ne se departit point de sa mansuetude ordinaire, qu’au contraire il pria, il supplia plusieurs fois, il demanda à deux genoux et en reconnoissance des services qu’il rendoit au public que pour son sujet on ne fist point en veüe de tout le monde des executions qui fissent honte à tout son ordre, tesmoignant grande douleur de ce que, pour la conservation de sa vie, on vouloit donner la mort à quelques autres ». 44 ASV, Consiglio de X, Parti criminali, busta 38, f. 66vo-71vo, 4 mai 1609. 39
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All’origine dell’opzione apostolica dei carmelitani scalzi. Tramiti a scala multipla (1582-1604) La vocazione dei carmelitani scalzi italiani per le missioni ad gentes si precisa in tempi lenti e su diverse linee, in stretto rapporto con Clemente VIII e le strategie apostoliche romane e plurali proprie di quel pontificato ; e nell’orizzonte di speciali alleanze1. Ma prende forma anzitutto in un controverso ambito interno, proprio del Carmelo scalzo nel tempo della complessa maturazione della riforma teresiana, quando l’identità contemplativomendicante e le esigenze di salvaguardare l’osservanza (nel rispetto della « reforma del rey, en fases sucesivas », e delle linee tridentine) prendevano a contrastare sempre più decisamente le timide aperture verso la « conversion de la gentilidad »2. Nel 1582, sulla scia della sensibilità apostolica della stessa Teresa de Avila e in linea con il capitolo « di fondazione » svoltosi l’anno precedente ad Alcalá de Henares, gli Scalzi spagnoli tentavano la prima missione nel Regno del Congo (e nel Ndongo) o meglio nel tratto della costa di Guinea compreso fra le foci del Congo e dei fiumi angolani Cuanza e Dande dove, quasi esattamente un secolo prima si erano sperimentate mirabili conversioni
1 Questo studio è nato da una mia ricerca per il Dizionario Biografico degli Italiani (voce « Paolo Simone (Rivarola) di Gesù Maria », v. 81, 2014), ed era destinato al volume Tramiti. Figure e strumenti della mediazione culturale nella prima età moderna, eds Elisa Andretta, Elena Valeri, Maria Antonietta Visceglia e Paola Volpini, Roma, Viella, 2015). In queste pagine intendo però « tramite » in una accezione diversa e non ascrivibile alle tante valenze della « mediazione culturale » o del « transfer », ma su due linee che mi sembrano adatte ai contesti qui indagati : nel senso proprio che il termine assume nel lessico italiano dal XIII al XIX secolo, come « sentiero » (di emanazione-comunicazione-adattamento-risignificazione di strategie e metodi), per leggere l’innesto spagnolosovranazionale alla radice degli Scalzi italiani e dei progetti apostolici (cf. testo e nota 26). In una seconda valenza, uso « tramite », soggettivizzato, con il significato di messaggero, emissario, negoziatore, delegato con preciso mandato ; l’orizzonte di riferimento è in questo caso una particolare declinazione dei Translation Studies e della riflessione giuridica sul diritto delle genti e sulla « scienza dell’ambasciatore » (cf. testo e note 47 e 48). 2 L’ipotesi missionaria viene assunta nel Capitolo di Alcalá de Henares del 1581, su cui si torna avanti : Rafael Sánchez Domingo, « De la regla primitiva de la Orden del Carmen a las Constituciones modernas. Entre el origen y la reforma », in Francisco Javier Campos y Fernández de Sevilla (ed.), Santa Teresa y el mundo teresiano del barroco, Madrid, Real Centro Universitario Escorial-Maria Cristina, 2015, p. 417-440, in part. p. 432433. La citazione in testo è tratta da Silvano Giordano, « Los carmelitas descalzos : entre Roma y España », Libros de la corte.es, a. 6, no 9, 2014, p. 87 (ma cf. p. 87-90).
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 65-76 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115075
Stefania Nanni
al cristianesimo3. L’iniziativa del 1582 si inquadrava nella politica africana di Filippo II tesa ad imporre il controllo della corona sui mercanti e fattori portoghesi che, da tempo insediati sui centri costieri e ora refrattari a sottostare al loro nuovo sovrano, intensificavano il commercio degli schiavi di Luanda e fomentavano le guerre locali4. In tale scenario si inserivano da oltre un anno profferte di amicizia del re Ndo Luvwalu (Alvaro I) per ottenere la protezione iberica (e di Roma) e farla valere a fini interni ; da parte sua, il manicongo si impegnava a consentire l’estrazione di oro delle miniere locali, a fornire schiavi, a riaprire il regno alle missioni chiedendo « confessori e predicatori a sufficienza, per mantener il Vangelo in quelle remotissime regioni di nuovo al cristianesimo convertite »5. Gli Scalzi, eretti in provincia indipendente il 22 giugno 1580 (con il breve Pia consideratione di Gregorio XIII), e in grande crescita, si inserivano nella strategia di Filippo II per « pacificare le terre di Guinea », fare del Regno del Congo una « zona de influencia exclusiva » e lanciare la conquista del Ndongo angolano; con la « forte protezione reale »6, Sulla prima cristianizzazione, con il battesimo dei manicongo, João I e Alfonso I, recentemente ripresa da diversi studiosi, segnalo la fine lettura di Cécile Fromont, The Art of Conversion. Christian Visual Culture in the Kingdom of Kongo, University of North Carolina Press, Chapel Hill, NC, 2014. 4 Descrizione dell’area oggetto della prima missione scalza, « uno de los reinos descubiertos de la otra parte del rio Negro» : Francisco de Santa Maria, Reforma de los Descalzos de nuestra Señora del Carmen de la primitiva observancia, t. I, Madrid, Diego Diaz de la Carrera, 1644, libro V, p. 834 ; da successive memorie cappuccine : Giovanni Antonio Cavazzi da Montecuccolo, Istorica Descrizione de’ Tre Regni, Congo, Matamba et Angola, Bologna, Giacomo Monti, 1687 ; cf. anche Kabolo Iko Kabwita, Le royaume kongo et la mission catholique, 1750-1838 : du déclin à l’extinction, Paris, Karthala, 2004, p. 39-75, in part. p. 73 (sulle richieste avanzate nel 1582 e 1584 dalle enclaves portoghesi risalenti al 1571) ; John K. Thornton, « Mbanza Kongo / Sâo Salvador. Kongo’s Holy City », in David Anderson e Richard Rathbone (eds), Africa’s Urban Past, Oxford-Portsmouth, J. CurreyHeinemann, 2000, p. 67-84 ; Id., A Cultural History of the Atlantic World, 1250-1820, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2012. 5 Relatione del reame di Congo et delle circonvicine contrade, tratta dalli scritti e ragionamenti di Odoardo Lopez portoghese per Filippo Pigafetta, Roma, Bartolomeo Grassi, 1591, p. 63 ; ivi notizie sulle ambascerie inviate dal Manicongo alla corte di Spagna e Roma ; su tema e contesto : José Luis Cortés López, « Felipe II, III y IV, reyes de Angola y protectores del reino del Congo (1580-1640) », Studia Historica : Historia Moderna, v. 9, 1991, p. 223-246 (in part. p. 235, 229) ; Id., Esclavo y colono. Introducción y sociología de los negroafricanos en la América espanola del siglo XVI, Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2004, cap. V, p. 67-74 ; T. Filesi, « Duarte Lopez ambasciatore del Re del Congo presso Sisto V nel 1588 », Africa, no XXIII/1, 1968, p. 44-84 ; José Luis Cortés López e Diogo Ramada Curto, « Do Reino à África : formas dos projetos coloniais para Angola em inícios do século XVII », in Júnia Ferreira Furtado (ed.), Sons, formas, cores e movimentos na modernidade Atlântica : Europa, Américas e África, São Paulo, Annablume, 2008, p. 187-218. 6 José Martínez Millán ( « El movimiento descalzo en los siglos XVI y XVII », Libros de la Corte, n° extra 3, 2015, p. 101-120) ha ben mostrato come la storiografia scalza enfatizzi la protezione accordata da Filippo II attribuendogli anche di aver reso inefficace la decisione del nunzio Filippo Sega che nel 1578 aveva dichiarato « estinta » la riforma scalza, sottomettendo i frati ai provinciali calzati (Ignasi Fernandez Terricabras, « La influencia del Concilio de Trento en las reformas descalzas », Libros de la Corte, no 9, 2014, p. 81-86 [p. 84]). Mañero Sorolla ritiene « negociada a través de Gracián » e le sue « buenas referencias » la protezione del sovrano : così in riferimento a fr. Jerónimo Gracián, di cui si parla avanti in queste pagine, a suo fratello Antonio, e al composito fronte favorevole alla riforma carmelitana, a cui partecipano, anche dopo la svolta seguita alla morte di Ormaneto nel giugno 1577 e alla nomina del nuovo nunzio Sega, il domenicano Francisco de Vargas, l’arcivescovo di Siviglia Rojas Sandoval, il grande della corte Ruy Gómez de Silva) : Maria del Pilar Mañero Sorolla, « Santa Teresa y Felipe II », in Christoph Strosetzki (ed.), Actas del V Congreso Internacional de 3
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rispondevano alla « solicitud misional » del sovrano perché « aquellos gentiles tornen a subjectarse a la iglesia romana »7. La missione « para atraer almas a la fe » prendeva a precisarsi all’interno degli Scalzi alla luce della centralità, enunciata nelle Costituzioni approvate dal Capitolo di Alcalá nel marzo 1581, di applicarsi « principalmente a la conversión de aquellas almas »8, e precisata con indicazioni via via più chiare su « virtù, dottrina e costumi » richieste ai candidati alle missioni ad gentes. La linea apostolica trovava il suo più convinto sostenitore in fr. Jerónimo (Gracián) de la Madre de Dios, figura primaria della separazione dall’antica osservanza, stretto collaboratore e interprete della fondatrice, ispiratore delle Costituzioni di Alcalá. Delegato dal priore del convento di Lisbona Ambrosio Mariano de San Benito, con il consenso della fondatrice e l’incoraggiamento di Filippo II, Gracián predisponeva la prima missione. Il 5 aprile 1582, cinque scalzi si imbarcavano da Lisbona con la patente di missionari e un attento rituale svoltosi al cospetto del re che « bajó al porto a dispedir a los humiles hijos de la buena Madre Teresa, ya que él era su padre y protector, y él mismo dió la señal a las naves de cortar las amarras y levar las anclas »9. Un tragico incidente in mare metteva fine alla spedizione10, ma di lì a poco, tra 1584 e 1588 – e con il sostegno la Asociación Internacional Siglo de Oro (AISO), Madrid-Frankfurt am Main, Iberoamericana-Vervuert, 2001, p. 826-834 ; Documenta Primigenia ab Instituto Historico Teresiano edita, vol. I (1560-1577), Roma, Teresianum, 1973, doc. 94, 96, 98, 109 ; Enrique LLamas Martínez, « Jerónimo Gracián de la Madre de Dios… su familia y su ascendencia genealógica », Revista de Espiritualidad, no XXXIV, 1975, p. 379-395. 7 J. L. Cortés López, « Felipe II », art. cit., p. 235 e 229 ; Malyn Newitt, The Portuguese in West Africa, 14151670 : A Documentary History, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2010 (capp. 7, 8, 9). I gesuiti si insediano nell’area nel 1547 ma, accusati di implicazioni nella tratta e avversati dal governatore di Ngola, si spostano a sud in area angolana ; la missione successiva si conclude tragicamente nel 1553 : Juan Eusebio Nieremberg (pseud. di Claude Clément), Tablas chronologicas : en que se contienen los sucessos eclesiásticos y seculares de España, Africa… hasta el año 1642…, Valencia, Jaime de Bordazar, 1689, ad vocem Congo e Angola ; Charles E. O’Neill e Joaquín M. Domínguez (eds), Diccionario histórico de la Compañía de Jesús…, I, Roma-Madrid, Institutum Historicum-Universidad Pontificia Comillas, 2001, p. 171-173 (Angola). Sull’area nel passaggio al controllo di Filippo II e sulle missioni, cf. ora : Andrea Guerrero Mosquera, « Misiones, misioneros y bautizos a través del Atlántico : evangelización en Cartagena de Indias y en los reinos del Kongo y Ngola. Siglo XVII », Memoria y Sociedad, v. 18, no 37, 2014, p. 14-32. 8 Manuel Casado Arboniés, « Los carmelitas Descalzos del Colegio-Convento de San Cirilo de la Universidad de Alcalá de Henares y su paso a la Nueva Espana a finales del siglo XVI », in E. González y González e L. Puente (eds), Permanencia y cambio : universidades hispánicas 1551-2001, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, 2005, p. 483-523 (e in part. p. 501, in riferimento alla Regula et constitutiones fratrum Carmelitarum primitivae observantiae qui discalciati nuncupantur, aeditae in capitulo provinciali Compluti celebrato, 4.3.1581, Alcalá de Henares, Hernán Ramírez, 1585) ; G. Beltrán Larolla, « La Evangelización de América : la obra misionera de los Padres Carmelitas Descalzos », in A. Hevia Ballina (ed.), Memoria ecclesiae V. Ordenes religiosas y evangelización de América y Filipinas en los archivos de la Iglesia. Santoral Hispanomozárabe en España, Oviedo, Dialnet, 1994, p. 137-152. 9 Florencio del Niño Jesús, Biblioteca Carmelitana-Teresiana de Misiones, I : La Misión del Congo y Los Carmelitas y la fundación de la Propaganda Fide, Pamplona 1929 (d’ora in poi La Misión del Congo…), p. 20. 10 Testo della patente, descrizione del rito, e precisazioni sugli aiuti forniti dal sovrano in Florencio del Niño Jesús, La Orden de Santa Teresa, la fundación de la Propaganda Fide y las Misiones Carmelitanas. Madrid, tipp. Nieto, 1923, p. 14-20. Anche una seconda spedizione, nel 1583, fallisce per un attacco corsaro nelle acque di Capo Verde ; l’insediamento nato dalla missione del 1584 si interrompe quattro anni dopo nell’ambito della
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teorico e programmatico dell’ Estímulo por la Propagación de la Fé di fr. Gracián11 – un altro progetto di evangelizzazione si sperimentava in Nueva España: nato con un più marcato segno tridentino e con il sostegno pontificio, e compreso entro la geografia del patronato, si perdeva presto in una « configurazione urbana », consona alle strategie della Corona in materia religiosa e di riassetto delle presenze ecclesiastiche nei viceregni americani12. Del resto, fin dalla morte della fondatrice (15 ottobre 1582) l’impegno nella conversione dei gentili non si configurava all’interno della comunità teresiana come completamento del carisma (dei mendicanti quali collaboratori dei vescovi nella cura delle anime), ma piuttosto come un problema, capace di perturbare la purezza della contemplazione e l’isolamento nel chiostro13. Peraltro, la centralità dell’osservanza si riempiva di senso sulla base delle linee tridentine (e pontificie), e nell’orizzonte di riforma del clero regolare, ma doveva necessariamente rispondere a nunzi dai diversi mandati e sensibilità (Nicola Ormaneto, dal 1572 al 1577, e poi il più guardingo Filippo Sega), ai vescovi di Spagna, e infine a Filippo II, « padre y Protector singular de las casas teresianas, perfecto conocedor del espíritu que reinaba en todas ellas, y amigo particular de los mejores sujetos que en ella se albergaban »14. chiusura missionaria di Nicola Doria. Quadro generale in Id., La Misión del Congo, op. cit. ; Antonio Fortes, Las Misiones del Carmelo Teresiano (1584-1799). Documentos del Archivo General de Roma, Roma, Teresianum, 1997. 11 Estímulo por la Propagación de la Fé y Vinculo de Hermandad entre los Padres Descalzos del Carmen y de San Francisco, Lisbona, Andres Lobato, 1586 (e in italiano, a Roma, Stefano Paolini, 1610). Per l’enfasi apostolica e per la mancata richiesta di licenza di stampa, si scatenano le prime avversioni attorno al trattato (pubblicato da Gracián quando era vicario provinciale degli Scalzi di Portogallo) : cf. Eugelio Pacho, « Jerónimo Gracián de la Madre de Dios : vida y obras », El Monte Carmelo, no 91, 1983, p. 259-309 (anche per i progetti di una congregazione romana per le missioni all’origine della Propaganda Fide). Affascinante profilo e bibliografia in F. Andrés Robres, « La peregrinación de Anastasio di fray Jerónimo Gracián : misticismo… y memorialismo autojustificativo », in Alfredo Alvar, Jaime Contreras e José Ignacio Ruiz Rodriguez (eds), Política y cultura en la Época moderna (cambios dinásticos, milenarismos, mesianismos y utopías), Alcalá, Universidad de Alcalá, 2004, p. 645-662. Gracián riprende i temi missionari, anche evocando le critiche interne, nel Celo de la propagación de la fe y Vida del alma del 1609, dedicato a Juan Bautista Vives, uno dei promotori di una congregazione centrale sulle missioni (Giuseppe Piras, La congregazione e il Collegio di Propaganda Fide di J. B. Vives, G. Leonardi e M. De Funes, Città del Vaticano, Pontificia Univ. Gregoriana, 1976)) ; Giovanni Pizzorusso, « Milano, Roma e il mondo di Propaganda Fide », in Michela Catto, Gianvittorio Signorotto (eds), Milano, l’Ambrosiana e la conocenza dei nuovi mondi (secoli XVII-XVIII), Biblioteca Ambrosiana-Bulzoni, Milano-Roma, 2015, p. 75-107. 12 Silverio de Santa Teresa, Historia del Carme Descalzo en España, Portugal y América, t. V, San Juan de la Cruz, Burgos 1936, p. 257 sq. Lettura efficace delle complesse dinamiche dell’insediamento carmelitano in Jessica Ramírez Méndez, La Provincia de San Alberto de Carmelita Descalzos, en la Nueva España. 1585-1614, Tesi dottorale Universidad Nacional Autónoma de Mexico, 2012, in part. p. 77 sq. 13 Lettura fondamentale della « régulation de la ferveur » decisa nel Capitolo di Alcalá, le sue premesse e gli adattamenti nei decenni successivi in Antoine Roullet, Corps et pénitence : Les carmélites déchaussées espagnoles (ca 1560-ca 1640), Madrid, Casa de Velásquez, 2015, cap. V ; Fortunato Antolin, « Observaciones sobre las Constituciones de las Carmelitas Descalzas promulgadas en Alcalá de Henares en 1581 », Ephemerides Carmeliticae, n° 24, 1973, p. 291-413; Teodoro Sierra, « Las constituciones de las carmelitas descalzas promulgadas en 1592. Antecedentes, modificaciones legislativas, vigencia », Teresianum, no 41, 1990, p. 180-229. 14 Citazione da Florencio del Niño Jesús, La Misión del Congo, op. cit., p. 13. Cf. Angel Fernández Collado, Gregorio XIII y Felipe II en la nunciatura de Felipe Sega (1577-1581). Aspectos polìtico, jurisdiccional y de reforma, Toledo, Estudio teológico de San Ildefonso, 1991, cap. IX, « El nuncio Sega y la reforma carmelitana », anche con riferimenti a Tolomeo Gallio cardinal di Como, e cap. VIII ; Id., Historia de la Iglesia en España. Edad Moderna, Toledo, Estudio teológico de San Ildefonso, 2007, in part. p. 130-144 ; Henar Pizarro Llorente, Un gran patrón
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Uno sfaccettato adattamento ad una osservanza nuova a linee multiple, e a quella antica dell’ordine delle origini, orientava così il corpo degli Scalzi spagnoli ad abbandonare i terreni meno certi di una presa in carico diretta dei progetti di conversione dei gentili, e ad optare per un apostolato « per irradiazione », rinserrato « in precise frontiere geografiche, in territorio iberico e messicano ». Così, nello scontro tra i due fronti dei primi teresiani – « de una parte estaban las letras, de otra lo que se llama “celo” »15 – il « partito apostolico » veniva emarginato e il suo più autorevole e potente promotore, fr. Gracián, pesantemente accusato ed « espulso dalla Riforma »16. Si delineava pienamente l’orizzonte di un confronto tra diversi e coesistenti modelli che segna il processo di riforma degli istituti religiosi nella seconda metà del XVI secolo « con situaciones difíciles para instituciones y personas ». Anche sul piano dei destini personali, il Carmelo ne è esempio paradigmatico17. Tra gli Scalzi orfani della fondatrice, una contrapposizione a più livelli radicalizzava gli schieramenti e i patronages di riferimento ; con le sue tante proiezioni identitarie e politiche, l’impegno apostolico ne costituiva uno dei binari più delicati, e richiedeva una prospettiva più neutra e inattaccabile, nell’alveo del controllo romano sulle missioni, oltre la giurisdizione episcopale iberica. Da un lato dunque, e per porre fine alla lunga en la corte de Felipe II : Don Gaspar de Quiroga, Madrid, Universidad Pontificia Comillas, 2004, p. 283-294 ; José García Oro, « Observantes, recoletos, descalzos. La Monarquía católica y el reformismo religioso del s. XVI », in Actas del Congreso Internacional Sanjuanista, Avila, 23-28 septiembre 1991, Valladolid, Junta de Castilla y Leon, 1993, p. 53-97. Cf. anche l’attento studio di Elisabetta Marchetti, « La riforma del Carmelo Scalzo tra Spagna e Italia », Dimensioni e problemi della ricerca storica, no 1, 2005, p. 61-80 e, sulla lettura di José Martínez Millán, cf. nota 6. 15 Vicente de la Fuente, Escritos de Santa Teresa añadidos è ilustrados por don Vicente de la Fuente, t. 2, Biblioteca de autores españoles, Madrid, Rivadeneyra, 1862, p. 434. 16 Ricostruzione della vicenda sulla base della Peregrinacion de Anastasio dello stesso Gracián (le accuse e la loro ratifica da parte di Roma, la prigionia nel bagno di Tunisi, il ritorno a Roma e il parziale reintegro, i « caminos y las peregrinaciones » tra Spagna e Fiandre fino alla morte nel 1611) in Florencio del Niño Jesús, Los Hijos de santa Teresa y la fundación de la Propaganda Fide, in Biblioteca Carmelitana-Teresiana de Misiones, I, op. cit., in part. p. 87-103 ; rilettura di Vicente de la Fuente, Escritos de Santa Teresa añadidos, op. cit., t. 2, apendices seccion quinta (in part. p. 452, col. 2 e p. 503, col. 2) ; José Alberto Pedra, Jerónimo Gracián de la Madre de Dios. El heredero exiliado (www.portalcarmelitano.org) ; profilo appassionato di Manuel de san Geronimo, Reforma de los descalços de N. Senora del Carmen de la primitiva observancia hecha por santa Teresa de Jesus… tomo sexto dedicado a… san Juan de la Cruz primer descalço, y padre de la Reforma, Madrid, Geronimo Estrada, 1710 (Expulsión del P. Gracián : documentos de un proceso, 1587-1601, ed. Juan Luis Astigarraga, Roma, Teresianum, 2004 ; M. Pilar Manero Sorolla, « La peregrinación autobiográfica de Anastasio-Jerónimo (Gracián de la Madre de Dios) », Revista de literatura, vol. 63, no 125, 2001, p. 21-38 ; lettura fine in Miguel Ángel de Bunes Ibarra, « Entre Turcos, Berberiscos y renegados : lealtad y necesidad frente a frente », Librosdelacorte.es, a. 6, 2014, monográfico 1 : La doble lealtad entre servicio al Rey y la obligación la Iglesia, p. 9-32, p. in part 14 sq. 17 Nel concidere di tre indirizzi riformistici : « la reforma oficial romano-tridentina, propiciada por la autoridad de la Orden ; la de Santa Teresa que surgió, podríamos decir, de la base ; la del rey, a través de los obispos. Esta coincidencia trajo consigo conflictos jurídicos con situaciones difíciles para instituciones y personas » (I. Fernandez Terricabras, « La influencia del Concilio de Trento en las reformas descalzas », art. cit., p. 84, in riferimento ad un passo di Balbino Velasco Bayón, Los Carmelitas. Historia de la Orden del Carmen, Madrid, La Editorial Católica, 1993, v. IV, p. 166). In generale, sulla riforma scalza e la corona: José Martínez Millán, art. cit., e tra gli altri suoi studi: Id., « El movimiento descalzo en las órdenes religiosas », in Id. e Maria Antonietta Visceglia (eds), La monarquía de Felipe III, v. 1, Madrid, Fundación Mapfre, 2008, p. 93-111.
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fase di confusione gerarchica, la famiglia teresiana prendeva le distanze dall’apostolato : nel Capitolo di Lisbona del 1585 eleggeva vicario generale Nicola (Doria) di Gesù Maria, regalista e difensore dell’osservanza regolare, convinto che « andar convertendo gli infedeli » non fosse (allora) « ufficio proprio » della comunità18 ; e sospendeva ogni ulteriore invio di missionari nelle Indie e sulle coste africane, per concentrarsi sul consolidamento normativo e organizzativo della riforma19. Al contempo però trovava al suo interno le vie poco invasive per partecipare alle missioni ad gentes, carisma nuovo della chiesa tridentina. Lo zelo apostolico del Carmelo Scalzo prendeva a configurarsi sotto un altro segno, italiano ; o piuttosto, sotto lo sguardo di Roma e in collaborazione con padri spagnoli, alla vigilia della separazione nelle due congregazioni di Spagna e d’Italia, si effondeva verso una frontiera più aperta sul piano della sperimentazione pastorale e più libera rispetto ai vincoli regalisti e del patronato. Il primo insediamento italiano (e primo extra-iberico) era stato aperto da fr. Doria a Genova, nei pressi di una cappella dedicata a sant’Anna20 nel dicembre 1584, nel quadro del consolidamento della famiglia religiosa ormai giuridicamente scorporata dall’antica osservanza (1580) e con l’obiettivo di una favorire una successiva espansione. In tale quadro, nonostante le dichiarate resistenze tra gli Scalzi delle origini ad esportare la famiglia teresiana in territori-altri, ritenuti più rischiosi per salvaguardare il carisma contemplativo (e il segno iberico di una riforma vicina alla Corona), la nascente fondazione genovese avviava una pacificazione, interna al Carmelo riformato, a garanzia di una omogeneità, almeno « nazionale ». E promuoveva anche una riconciliazione rispetto a tensioni più risalenti e complicate, quelle insorte tra Roma e Filippo II già con Sisto V e Gregorio XIII a proposito del governo dei religiosi che, proprio attorno al Carmelo pre e post riforma teresiana, avevano registrato momenti di duro confronto. La comunità di Sant’Anna si era formata per iniziativa del vicario generale p. Doria (genovese, e con l’aiuto della sua famiglia)21, ma si era consolidata grazie al sostegno garantito da Clemente VIII ad un « istituto osservante e riformato in linea con gli orientamenti tridentini » e con la politica di controllo dei regolari che oramai da decenni ne segnava il pontificato22. Significativamente però, a definirne la fisionomia concorrevano negli anni successivi alcuni religiosi spagnoli di alto profilo spirituale e progettuale, trasferitisi a Genova su espresso invito del papa, e certo Contestualizzazione dello zelo austero di fr. Doria in A. Roullet, Corps et pénitence, op. cit., p. 183-185. La sua azione di governo e di controllo è precisata tra 1585 e 1586, e ratificata da Sisto V attraverso l’istituzione della Consulta, il passaggio dal rito gerosolomitano a quello romano, la stesura di nuove Costituzioni nel 1590 e 1593, la nomina di un Procuratore a Roma, l’emarginazione e poi l’espulsione di p. Gracián. 20 Era inizialmente un ricovero per i religiosi dii passaggio, poi priorato con noviziato e collegio di filosofia e teologia (S. Giordano, « Los carmelitas descalzos : entre Roma y España », art. cit., p. 87. 21 Importanti ecclesiastici e nobili genovesi proteggono e finanziano gli Scalzi italiani nei decenni successivi. Sulla fondazione di S. Anna, Anastasio Roggero, Genova e gli inizi della riforma teresiana in Italia (15841597), Genova, Sagep Genuae, 1984 ; a in un luogo poco distante da S. Anna, nel convento del Monte Oliveto, i carmelitani nel 1516 avevano tentato di recuperare la primitiva formula di vita eremitica. 22 S. Giordano, I Carmelitani Scalzi e le Missioni (http://www.ocd.pcn.net/mission/mis_hIt.htm) ; Ignacio Sicard, La reforma de los religiosos intentada por Clemente VIII, Bogotá, 1954. Con il breve Cum de statu del luglio 1587 il Carmelo Scalzo è eretto in Congregazione, divisa in cinque province. 18 19
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all’interno di complessi contesti ecclesiastici e politici : Fernando de Santa María (Martínez), Juan de Jesús María (de San Pedro y Ustarroz), Pedro de la Madre de Dios (Villagrasa)23. Il convento italiano è dunque un « puente entre dos mundos »24, e si fa ben presto un polo di irradiazione ; ma è qualcosa di più, uno spazio « di immissione » di prospettive pastorali maturate tra gli scalzi spagnoli (come in tanti e coevi indirizzi e sensibilità ecclesiastici), lo snodo decisivo di un « tramite » a segno plurimo25. Questo innesto spagnolo-genovese, che negli anni successivi si ripropone nelle fondazioni scalze di Roma e Napoli e si consolida nel progetto di una « gerarchia straordinaria » per le missioni26, traccia un percorso – di emanazione-comunicazione, adattamento-risignificazione di strategie e metodi – a più promotori e acceleratore di carisma apostolico. Vi si palesano segmenti minoritari e « velati » della famiglia religiosa d’origine che, negli anni in cui si pianifica l’istituzione di una congregazione centrale missionaria, si intrecciano con vocazioni apostoliche posttridentine orientate ad inserirsi in un orizzonte universalistico e « romano ». D’altra parte, e in tempi molto veloci, la comunità genovese è a sua volta un centro propulsore di nuove fondazioni e, con il placet iberico e successivi riverberi sulla geografia delle missioni, si fa parte attiva della messa a punto della prima tappa canonica della separazione formale di un Carmelo riformato italiano dagli Scalzi di Spagna27. Dal modello « penitente e di tanta dottrina » del convento genovese irradia nel 1597 l’insediamento degli scalzi a Roma, già auspicato da Teresa de Avila, e trae impronta il primo testo delle Costituzioni (1599) ; contemporaneamente, vi si affinano le strategie per rafforzare sia la comunità italiana che
23 Su Fernando de Santa María : Reforma de los descalços de N. Senora del Carmen de la primitiva observancia hecha por santa Teresa de Jesus… por el padre fray Manuel de San Geronimo…, t. 5, Madrid, Geronimo de Estrada, 1706, ad vocem. Sugli altri due scalzi, cf. infra. 24 Silvano Giordano, « Aportación de los carmelitas descalzos de Italia a las misiones », El Monte Carmelo, vol. 110, no 1-2-3, 2002, p. 221-262. 25 Si delinea qui un « tramite » nel senso proprio, etimologico e inalterato, che il termine assume nel lessico italiano fin dal XIII secolo, in quanto « sentiero, percorso (verso), o tralcio » : Il lemma appare nella prosa volgare predantesca, con il Libro de’ vizî e delle virtu di di Bono Giamboni (come « tralcio ») e costantemente come « sentiero » dal primo Vocabolario della Crusca del 1612 al XIX secolo, ad es. nel Dizionario universale critico enciclopedico della lingua italiana dell’abate [Francesco] d’Alberti di Villanuova (t. 6, Lucca, Domenico Marescandoli, 1805, p. 411), nel Vocabolario della lingua italiana già compilato dagli Accademici della Crusca ed ora nuovamente corretto ed accresciuto dal’abate, Giuseppe Manuzzi (t. 2, parte seconda, Firenze, Passigli e soci 1840, p. 1579, col. 2), etc. 26 Espressione di Roberto Sartor, Le convenzioni tra il vescovo diocesano e il superiore di un istituto missionario a norma del can 790 § 1 del Codex iuris canonici. Prassi della congregazione di Missionari Oblati di Maria Immacolata, Roma 2011. Sui progetti all’origine della Propaganda Fide, oltre ai passi successivi di questo contributo, cf. nota 40 e in particolare Giovanni Pizzorusso, Le Monde et/ou l’Europe : la congrégation de Propaganda Fide et la politique missionnaire du Saint-Siège (xviie siècle), 2014, on line in www.unige.ch 27 Il breve Sacrarum religionum del 20 marzo 1597 sottrae le case italiane al governo dei superiori e le sottopone alla diretta giurisdizione del papa, che ne affida la protezione al card. Domenico Pinelli, genovese ; l’iter del breve è forse accelerato dalla dura condanna che chiude il processo romano al priore generale del Carmelo dell’antica osservanza Giovanni Stefano Chizzola (Voerzio da Cherasco, Breve relatione della vita et gesti, del R.mo P. M. Enrico Silvio, Asti, per Virgilio Zangrandi, 1613 p. 9-73, e Emanuele Boaga, La soppressione innocenziana dei piccoli conventi in Italia, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1971, p. 50n) e dall’acquisizione romana del processo canonico di Teresa di Gesù.
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i progetti di costituzione di un governo centrale per le missioni a cui collabora di lì a poco p. Pedro de la Madre de Dios, teorico e organizzatore del percorso ad gentes28. La legittimazione del ramo nuovo del Carmelo Scalzo al centro della cattolicità, presso la chiesa di Santa Maria della Scala in Trastevere29, coincide con l’arrivo a Roma dei documenti del processo informativo di beatificazione della fondatrice, avviato nel 1591 nella diocesi di Salamanca e sostenuto dalla Corona spagnola30. Ormai però i due rami progettuali-nazionali degli Scalzi hanno percorsi separati ; a rappresentarne la comune radice teresiana sono i religiosi transfughi dalla Spagna che, protagonisti della fondazione genovese, informano anche quella romana (e poi quella napoletana) e seguono da vicino la conclusione dell’iter giurdico della separazione in due istituti, la Congregación de San José e la Congregazione di Sant’Elia, ratificata con il breve di Clemente VIII In apostolicae dignitatis culmine del 13 novembre 160031. Nella famiglia italiana, il servizio al secolo che affianca la contemplazione comprende fin da subito il compito nella conversione, « el “celo de las almas”, es decir, “misiones y apostolado” »32, e assume tale zelo come mandato decisivo, in
28 Pedro de la Madre de Dios è incaricato da Clemente VIII, negli anni in cui prende forma la Propaganda Fide, di sovraintentendere alle missioni « en todo el mundo, excepto en los dominios espanoles » : cf. Florencio del Niño Jesús, Los Hijos de santa Teresa y la fundación de la Propaganda Fide, op. cit., p. 13) e, oltre alla bibliografia carmelitana indicata : Vicencio Blasco de Lanuza, Ultimo tomo de Historias ecclesiasticas y seculares de Aragon desde el año 1566 hasta el de el 1618, Caragoça, Jiuan de Lanaya y Quartanet, 1619, p. 522-525. 29 Sebbene in un’area non ancora pienamente acquisita agli spazi di rappresentazione e potere post-tridentini. La chiesa era stata edificata cinque anni prima per onorare un’immagine mariana di strada con il sostegno del cardinal di Como (Tolomeo Gallio, vicino alla Spagna dagli anni settanta ; su di lui : Giampiero Brunelli, « Gallio, Tolomeo », in Dizionario Biografico degli Italiani, v. 51, 1998), ed è consacrata solennemente il 1 aprile 1598 : Saverio Sturm, L’architettura dei Carmelitani Scalzi in età barocca : La Provincia Romana, Lazio, Umbria e Marche (1597-1705), 2° ed., Roma, Gangemi Editore, 2015 (cap. II, La cittadella carmelitana…). Come a Genova, anche a Roma si insediava la comunità femminile, a San Giuseppe a Capo le Case. 30 Erin Kathleen Rowe, Saint and Nation : Santiago, Teresa of Avila, and Plural Identities in Early Modern Spain, University Park (Pa.), Pennsilvanya State University Press, 2011, p. 54 (ma capp. II-IV) ; Otilio del Niño Jesus, « Historia de la Reforma teresiana en España, hasta su plena indipendencia jurídica », in S. Teresa de Jesús. Obras completas, v. 1, Madrid, Biblioteca de autores cristianos, 1951, p. 24-127. 31 Sulla nominazione nuova delle cariche di governo e sull’abito della nuova congregazione, che costituisce un nodo polemico e alla definizione del quale interviene lo stesso Filippo II : Manuel de San Geronimo, Reforma de los descalços de N. Senora del Carmen de la primitiva observancia hecha por santa Teresa de Jesus… por el padre fray Manuel de San Geronimo…, t. 5, Madrid, Geronimo de Estrada, 1706, caput X, de fratrum indumentis ; l’opera è spesso attribuita erroneamente a Francisco de Santa Maria, autore dei tomi precedenti. Precisazioni e fonti in Gaetano Giucci, Iconografia storica degli ordini religiosi e cavallereschi, v. V, Roma 1842, p. 172-176 e immagine t. CCLXXV ; Emanuela Boaga, « L’abito degli Ordini mendicanti », in Giancarlo Rocca (ed.) La sostanza dell’effimero. Gli abiti degli Ordini religiosi in Occidente, Roma, Ed. Paoline, 2000, p. 97-101. 32 « Incluso entre herejes, cosa que se rechaza en la Congregación española » : E. Pacho, « Jerónimo Gracián de la Madre de Dios : vida y obras », art. cit. ; Manuel de San Geronimo, Reforma…, t. 5, op. cit. (caput XIII, « De modo quoad exitum è Claustro » ; caput XVI, « De conventu missionum ») ; Constitutiones Fratrum discalceatorum congregationis s. Eliae…, Venetiis Andreae Poleti, 1695. Quadro fondamentale : Domingo Fernández de Mendiola, « Opción Misional de la Congregación Italiana, siguiendo el espíritu de Santa Teresa y el espíritu de los Papas », Monte Carmelo (Burgos), no 110, 2002, p. 141-204 ; Silvano Giordano, « Aportación de los carmelitas descalzos de Italia a las misiones », art. cit. ; II. Los Carmelitanos Descalzos (www.portalcarmelitano. org/ libros-2/…/140.html), in part., « 3. Congregación de Italia ».
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obbedienza a Roma33. Il « celo misional » si delinea dunque entro una sensibilità interna a doppio binario, individuabile nell’impegno apostolico mutuato da Teresa de Avila da una parte del Carmelo Scalzo fin dalle sue origini34, e in una geografia della missione strappata al controllo iberico, attenta « principalmente » al successo della conversione e in « todo el mundo, y no quedase reducida sólo a los dominios que en quellos momento tenÍan los Reyes Españoles »35. D’altra parte, la congregazione di Sant’Elia si inserisce pienamente nello slancio posttridentino alla conversione inteso come compito dell’intero corpo-Chiesa sotto la guida di Roma. E sostiene questo impegno ancora con il contributo decisivo degli spagnoli-genovesi della prima ora, Juan de Jesús María e Pedro de la Madre de Dios36, raggiunti da Domingo de Jesús María (Miguel Ruzola y López)37 e più tardi, entro il 1604, da altri protagonisti del nuovo apostolato : Tomás de Jesus (Díaz Sánchez Dávila), « tramite permanente con los
Va precisato tuttavia che nella congregazione italiana l’impegno missionario viene acquisito come carisma codificato soltanto nel 1632 (preposito generale p. Paolo Simone Rivarola), con una specifica formazione e sulla base di una reale esperienza missionaria, nei nuovi equilibri, a scala mondiale, delle monarchie cristiane. 34 Numerosi riferimenti nelle fonti associano Juan de la Cruz alle missioni, fin dalle prime iniziative ; è approvata con « intervención y firma » del fondatore la missione in Nuova Spagna (G. Beltrán Larolla, La Evangelización de América…, op. cit., p. 7 ; E. Pacho, « Jerónimo Gracián de la Madre de Dios : vida y obras », art. cit.). 35 Cf. D. Fernández de Mendiola, « Opción Misional de la Congregación Italiana », art. cit. La citazione è tratta da Julian Fuertes Marcuelo, P. Pedro de la Madre de Dios carmelita descalzo…, El Cairo, Ediciones Ste Thérèse, 1990, p. 55. 36 Pedro de la Madre de Dios è incaricato da Clemente VIII e poi da Paolo V, negli anni in cui prendeva forma la Propaganda Fide, di sovraintentendere alle missioni « en todo el mundo, excepto en los dominios espanoles » (Florencio del Niño Jesús, La Misión del Congo, p. 13 ; Manuel de San Geronimo, Reforma de los descalços…, t. 5, op. cit., p. 39 col. 1 e sq.) ; preposito generale della congregazione dal 1608, ne rilancia il carisma missionario già nel 1604, all’indomani della partenza dei primi scalzi per la Persia. Su p. Juan, cf. altre note e il profilo (per la causa di beatificazione) di José de Santa Teresa, Biografía del venerable padre Juan de Jesús María, Carmelita Descalzo, calagurritano, Calahorra, 1884 ; sugli scritti missionari (Tractatus quo asseruntur missiones et rationes adversae refelluntur, Votum seti consilium pro missionibus quo ad nova obiecta respondetur) : S. Giordano, I Carmelitani, op. cit. I testi usati in questo contributo sono tratti da Ven. P. fr. Johannis a Jesu Maria carmelitae excalceati Tractatus quo asseruntur missiones, et rationes adversae refelluntur, in Ven. Patris Fratris Johannis a Jesus Maria Carmelitae Excalceati calaguritani Opera omnia… aucta et illustrata per P. fr. Ildephonsum a san Aloysio, t. 3, Florentiae apud Caietanum Cambiagi, 1774, p. 271 sq. (da p. 281 Instructio Missionum). 37 Florencio del Niño Jesús, La Orden de Santa Teresa, op. cit. ; Id., Los Hijos de santa Teresa y la fundación de la Propaganda Fide, op. cit., cap. « Préambulos de la Propaganda Fide » (su fr. Tomás, p. 109-130, e su fr. Domingo, p. 139-159) ; Tommaso Pammolli, Il P. Tommaso di Gesù e la sua attività missionaria all’inizio del secolo XVII (tesi di dottorato Univ. Gregoriana) Roma, 1936 ; Marco La Loggia, « Le carme Tomás de Jesús : un protagoniste du premier xviie siècle romain », Cristianesimo nella storia, vol. 34, no 2, 2013, p. 543-572 ; Stanislav Polcin, « Antoine Possevin, J. de Vendeville et Thomas de Jesus et les origines de la Propagande », Analecta S. Ordinis Basilii Magni, no 6, 1967, p. 577-595. Silvano Giordano, Domenico di Gesù Maria, Ruzola (1559-1630). Un carmelitano scalzo tra politica e riforma nella chiesa postridentina, Roma 1991 ; su fr. Domingo : Georges Goyau, « Dominique de IésusMarie aux origines de la Propagande de Grégoire XV », in L’Église en marche, IV, p. 95-108 ; Silvano Giordano, « Giovanni di Gesù Maria. Appunti per una biografia », in Id. e Claudio Paolocci (eds), Giovanni di Gesù Maria : Umanesimo e Cultura alle origine dei Carmelitani Scalzi, Genova, Associazione amici Biblioteca Franzoniana, 2001, p. 7-43. 33
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de Italia » dell’esule fr. Gracián38. Sulla scia, e in contatto a distanza con fr. Jerónimo, questi padri definiscono lo spazio dell’apostolato nella famiglia scalza sul piano della identità spirituale e pastorale e in riferimento all’ordine antico, con la trattatistica39 e una « azione romana » partecipe della sfaccettata sociabilità impegnata nella costruzione della Chiesa delle missioni. Con compiti e tempi diversi, grazie ad una « production théorique en faveur de la primauté universelle du pape et de l’établissement de la congrégation missionnaire »40, concorrono al ristretto gruppo di promotori della congregazione de Propaganda Fide. Prefigurano un apostolato a tutto campo, a gentili, scismatici, eretici, musulmani, ebrei, e mettono a punto progetti per una specifica formazione missionaria, teologica e pastorale, culturale, linguistica ; intervengono nel delicato dibattito dottrinale, precisano i linguaggi della predicazione urbana41, partecipano alla fondazione di Napoli al cui interno prende forma un inedito scenario apostolico. Da questo convento, come capo della congregatione d’Italia (per essere il terzo), uscirono i fondatori di tutta la Germania e della Polonia, e da qui andarono i padri a propagare la religione in quei regni, con erigere novitiati ed ammaestrare novitii. Ma la gloria maggiore di questo convento è l’essere fondatore di tutte le missioni de’ carmelitani scalzi tra gl’infedeli, E « iniciador de la Misionología con su estudio “De Procuranda salute omnium gentium” », stampata nel 1613, Antuerpiae, sumptibus veduae et eredum Petri Belleri 1613 ; cf. Georges Goyau, « Jérôme Gracien de la Mère de Dieu et Dominique de Jésus-Marie aux origines de la Propagande », Études carmélitaines, a. 18, no 2, 1933, p. 2350 ; S. Polcin, « Antoine Possevin », art. cit. ; Fortunato de Jesus Sacramentado, « Tomás de Jesús y Juan de Jesús Maria sobre el tema misional », Monte Carmelo, n o 96, 1988, p. 387-397. 39 Dal citato Estímulo por la Propagación de la Fé… di Gracián del 1586, al Tractatus… (1604) di Juan de Jesús María, allo Stimulus missionis (1610) e al citato De procuranda salute omnium gentium di Tomas de Jesús (1613). 40 Giovanni Pizzorusso, Le Monde et/ou l’Europe : la congrégation de Propaganda Fide et la politique missionnaire du Saint-Siège (xviie siècle), 2014, on line in www.unige.ch. Cf. anche Ignacio Ting Pong Lee, « La actitúd de la Sagrada Congregación frente al Regio Patronato », in Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, I/1, Roma, Herder, 1972, p. 353-438 ; Marco Jacov, « Clément VIII et la fondation de la Congrégation de la propagation de la foi en 1599 », Revue d’histoire ecclésiastique, a. 100, no 1, 2005, p. 5-14, anche sul ruolo di Giulio Antonio Santori, card. di Santa Severina nella istituzione nel 1573 della Congregatio de rebus Graecorum divenuta con Clemente VIII Congregatio super negotiis sanctae Fidei et religionis catholicae e ridisegnata nel 1622 come S. C. de Propaganda Fide (sul ruolo di Sartori, oltre a Saverio Ricci, Il Sommo Inquisitore. Giulio Antonio Santori tra autobiografia e storia (1532-1602), Roma, Salerno, 2002 ; Vincenzo Lavenia, « Quasi haereticus. Lo scisma nella riflessione degli inquisitori dell’età moderna », Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, no 126/2, 2014, dossier « De l’Église aux Églises : réflexions sur le schisme aux Temps modernes », on-line ; sull’amicizia con fr. Tommaso di Gesù : Donald Frederick Lach e Edwin J. Van Kley, Asia in the Making of Europe, vol. III : A Century of Advance, Chicago-London, University of Chicago Press, 1993, p. 223. 41 Oltre alla bibliografia indicata : II. Los Carmelitanos Descalzos (www.portalcarmelitano.org/libros-2/…/140. html), in part., 6. Las Misiones, anche per la fondazione del primo Seminario, in S. Silvestro in Tuscolano, per la formazione di missionari « atti a confutare gli errori » ; notizie sulla formazione in Giovanni Pizzorusso, « La preparazione linguistica e controversistica dei missionari per l’Oriente islamico : scuole, testi, insegnanti a Roma e in Italia », in Bernard Heyberger, Mercedes Garcia-Arenal, Emanuele Colombo, Paola Vismara (eds), L’Islam visto da Occidente : cultura e religione del seicento europeo di fronte all’islam, Genova, Marietti, 2009, p. 253-288 ; Id., « Tra cultura e missione congregazione de Propaganda Fide e le scuole di lingua araba nel XVII secolo », in Antonella Romano (ed.), Rome et la science moderne : entre Renaissance et Lumières, Roma, École française de Rome, 2009, p. 121-152. 38
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poiché quivi vi si gettarono le fondamenta, s’eressero le fabriche, e si stabilirono con patrimonii e con rendite particolari42.
Così un noto letterato napoletano del tardo Seicento rendeva omaggio alla fondazione napoletana che ormai godeva di fama e visibilità ; per iniziativa di Pedro de la Madre de Dios e su richiesta di Clemente VIII agli Scalzi di Spagna, vi erano giunti altri padri ben formati « para tratar diversos asuntos de las Misiones »43 ; tra questi (chiamati rispettivamente da Roma e dalla Spagna), il citato Domingo de Jesús María, tra i più attivi promotori di una congregazione cardinalizia per le missioni, e il più giovane p. Juan de San Eliseo (Sanz Roldàn, o Ibáñez), formato nel noviziato di Valladolid. Subito molto attivo nella predicazione, viene in contatto con Francesco Cimino barone di Caccuri, intenzionato a fondare un « seminario para los niños turcos hijos de los que sufrían cautiverio entre cristianos con el fin de convertirlos a la fe cristiana »44. L’ambito islamico evocato in questa proposta indirizza Juan de San Eliseo a recuperare i tracciati dell’ordine carmelitano delle origini – la memoria di Elia e del luogo in cui aveva sconfitto il male45 – prospettando missioni per « convertir a los turcos y por este medio recuperar el Santo monte Carmelo »46. Sottoposto al pontefice, il progetto apostolico non è accolto. La candidatura degli Scalzi
Carlo de Lellis, Aggiunta alla Napoli sacra dell’Eugenio Caracciolo (entro il 1689, Napoli), t. 5, ed. digitale Elisabetta Scirocco e Michela Tarallo (www.memofonte.it), p. 118-119 ; ibid., p. 31 sq. notizie sulla chiesa di Santa Maria della Madre di Dio e sul convento, costruito tra l’ottobre 1602 e il 1612 per i novizi e « gli esercitii di studio » con elemosina raccolta per ordine del viceré. 43 Angel Santos Hernández, « Orígenes históricos de la Sagrada Congregación de Propaganda Fidei. En el 350 aniversario de su fundación », Revista Española de Derecho Canonico, v. 28, no 81, 1972, p. 509-543 (in part. p. 501, e su fr. Domingo, p. 527 sq. ; e sulle origini della Propagnada, fino a p. 532). 44 Anche sulla figura di Juan Tadeo, Pedro Ortega García, « Juan Tadeo de San Eliseo (1574-1634) », Kalacorikos, no 7, 2012, p. 161-183, in part. p. 164. 45 La memoria di Elia, che aveva sfidato il dio Baal sul Monte Carmelo, si intreccia con quella del suo allievo Eliseo, che aveva atterrito gli adoratori del vitello d’oro (e a cui p. Juan si ispira con il proprio nome di religione). Sui tanti segni del Monte Carmelo, la tradizione biblica e il suo nesso con s. Alberto di Gerusalemme e l’ordine della Beata Vergine del Monte Carmelo : Silvano Giordano, « La tradition élianique, et Albert, patriarche de Jerusalem », in Id. (ed.), Le carmel en Terre sainte : des origines à nos jours, Arenzano, MediasPaul, 1995, in part. p. 33-40 e 63-80. Nel 1604, alla vigilia della partenza per la Persia, Juan aggiunge « Tadeo » al suo nome di religione, evocando uno dei due primi apostoli della Persia, Simone il Cananeo e Giuda Taddeo (rinvio a Missionari-ambasciatori in Persia, al servizio del papa, in via di pubblicazione). 46 Il progetto in Terrasanta, non condiviso pienamente dai padri di Napoli ma sostenuto dal responsabile del convento p. Rivarola, e garantito dal finanziamento del barone di Caccuri, è poi proposto da Pedro de la Madre de Dios a Clemente VIII, che indirizza i carmelitani alla missione in Persia. La vicenda è raccontata da Juan de Jesús María nella Historia Missionum, in Ven. Patris Fratris Johannis a Jesus Maria Carmelitae Excalceati calaguritani Opera omnia… aucta et illustrata per P. fr. Ildephonsum a san Aloysio, t. 3, Florentiae, apud Caietanum Cambiagi, 1774, p. 308-323 e in part. 308-310 ; cf. anche S. Giordano, I Carmelitani Scalzi e le missioni, op. cit. Gli scalzi di Roma parallelamente individuavano con Domingo de Jesús María il progetto di una missione in Polonia e di un convento a Sion in Svizzera « para convertir herejes con la ayuda de Dios » (Acta Definitorii Generalis OCD Congregationis S. Eliae (1605-1658), Roma, Teresianum, 1985, p. 3). 42
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italiani alla « missione orientale »47 cambia di segno, e si fa tramite della parola del papa nella Persia di shah Abbas, guardando all’impero ottomano48. Stefania Nanni Dipartimento di Storia, culture, religioni Université La Sapienza de Rome
La parola « missione » è intesa nella sua accezione ibrida e ambigua, a significare l’incarico di segno apostolico, universalista e aperto all’uniatismo, perseguito lungo il cammino degli Scalzi verso la Persia, e specie tra i Ruteni, ma anticipatore di un nuovo campo di conversione estraneo ai diritti del patronato e alla preesistente geografia missionaria. In una seconda accezione, la parola missione ha il segno specifico della prima ambasceria degli Scalzi in Persia, affidata ad emissari della parola del pontefice con preciso mandato (politico e strategico) ; su tali temi : Paolo Simone (Rivarola) e Missionari-ambasciatori in Persia, art. cit. 48 Uso ancora il temine « tramite » ma con il significato di ‘messaggero, portavoce, emissario, negoziatore, agente, delegato con preciso mandato (« per un determinato tempo e per un determinato affare »). L’orizzonte di riferimento è in questo caso una particolare declinazione dei Translation Studies avviata da Anthony Pym (Negotiating the Frontier : Translators and Intercultures in Hispanic History. Manchester, St. Jerome Publ., 2000 e Id., On History in Formal Conceptualizations of Translation, Leiden, Brill, 2007) e chiarita Ellen M. McClure (Sunspots and the Sun King : Sovereignty and Mediation in Seventeenth-century France, Chicago, University of illinois Press, 2006, in part. cap 3). Traggo spunti anche dalla riflessione giuridica sul diritto delle genti e sulla « scienza dell’ambasciatore » tra Cinque e Seicento secondo il quadro di Giuseppina De Giudici, « Sullo statuto dell’ambasciatore in età moderna : l’inviolabilità tra sacralità e indipendenza giurisdizionale », Teoria e storia del diritto privato, n. V, 2012, p. 1-63 ; vi si legge il definirsi della figura dell’« ambasciatore », a partire da Ermolao Barbaro, 1490, Alberigo Gentili, 1585, Jean Hotman, 1603, Juan Antonio de Vera y Figueroa y Zúñiga, 1620, e altri. Anche per l’ulteriore e multiforme valenza di « tramite » di apostolato, di linee universalistiche e filoecumeniche, rinvio a quanto sopra indicato e, sul piano metodologico nel campo del transculturism/translation and transnationalism, a : Brinda Charry e Gitanjali Shahani (eds), Emissaries in Early Modern Literature and Culture : Mediation, Transmission, Traffic, 1550-1700, Farnham-Burlington, Ashgate, 2009, in part. l’introduzione dei curatori, p. 1-22. 47
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deuxième partie
Les ordres religieux, fenêtre sur la liturgie et les dévotions
Le démon de midi. Exercice, prière et chant liturgique chez les franciscains (xve-début xvie siècles) Dans le parcours d’historien de Bernard Dompnier, la musique d’Église occupe une place importante. Avec les dévotions, elle a été au cœur d’entreprises collectives dont il a été un bâtisseur et un animateur majeur, sans que jamais ne s’effacent de son horizon de chercheur, toutefois, ces « frères des anges » auxquels son nom demeure étroitement lié. Utilisée par Jean de Capistran un siècle avant la genèse institutionnelle des capucins1, la référence au peuple du Ciel ne peut laisser indifférent celui qui cherche à mieux comprendre en quoi ont consisté les efforts de réforme menés au sein de la famille franciscaine à la fin du Moyen Âge et au début de l’Époque moderne. Elle contribue à les replacer, à bien des égards, dans la tradition millénaire d’un monachisme chrétien marqué par l’ascétisme et la fuite du monde, à tel point qu’en cherchant à renouer avec leur père François les Frères mineurs ont souvent rencontré saint Bernard – modèle qui affleure, voire autorité explicite. Relues, vingt ans après leur publication, à la lumière de mes propres travaux sur les réformes franciscaines, qui ont trouvé à Clermont-Ferrand un soutien sans faille, les réflexions de Bernard Dompnier sur les usages des notions de travail et d’exercice (et, dans l’antonymie, d’oisiveté, voire de loisir) chez les capucins2 ont ici inspiré une courte enquête dont le point de départ est la question du chant, peu abordée par l’historiographie de l’Ordre franciscain3. À la différence de pratiques qui engageaient les frères dans le monde et sous le regard des fidèles, la célébration de l’office divin ne peut être appréhendée que par le biais des livres liturgiques – dont l’étude a ses exigences très spécifiques – et des sources normatives ou en tout cas internes à l’Ordre. À défaut de nous apprendre ce qui était réellement fait, celles-ci nous permettent de replacer le comportement au chœur dans une conception globale du vivre franciscain, qui ne peut être cerné, pour chacune des branches ou tendances réformatrices, qu’en prenant en compte la totalité de ses éléments constitutifs et leurs articulations. Chemin Dans une lettre adressée le 15 novembre 1452 au gardien du couvent de Nuremberg Albert Puchelbach. Voir Chronica Fratris Nicolai Glassberger Ordinis Minorum Observantium, Florence (Quaracchi), 1887 (Analecta franciscana, II), p. 343 : « Fugite, fratres, saecularium consortium et amate solitudinem. Credite mihi, quanto magis saeculares fugietis, sicut dicebat beatus Pater noster Franciscus, tanto magis ipsi vos devotione et caritate amplectentur. Nunc autem, videntes vos comedentes, putant vos eis similes homines. Quando autem vestrae praesentiae penuriam habebunt, putabunt vos Angelos venientque multi ad vos, et florebit familia ipsa vestra ». 2 Bernard Dompnier, « Exercice et oisiveté chez les capucins (xviie-xviiie siècles) », Archives de sciences sociales des religions, no 86, 1994, p. 199-212. 3 À l’exception notable des travaux récents de Fabien Guilloux, depuis sa thèse de doctorat Les frères mineurs et la musique en France (1550-1700), Université de Tours, 2006. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 79-94 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115076
Ludovic Viallet
faisant, peut-être ce parcours nous permettra-t-il de contribuer à replacer les capucins, ordre emblématique de l’Époque moderne et de la Réforme catholique, dans le sillon du franciscanisme tardo-médiéval.
Le chant, un marqueur identitaire ? Les premiers statuts des capucins, les Ordinazioni issues du Chapitre d’Albacina (1529), prescrivent que l’office divin soit dit « devotamente, con le pause, senza code, ó biscanti, et voce feminile […] »4. Les constitutions de 1536 puis 1552 sont plus précises, mais ne comportent pas la référence à la féminité : Si ordina etiam, che si dica lofficio con ogni debita devotione, attentione, maturita, uniformita di voce, et consonantia di spirito, senza code o biscanto cum voce non tropo alta o bassa, ma mediocre. Et si sforzaranno li frati psalmegiare a dio piu col core che con la bocca5.
La mention de la « voix féminine », effectuée à Albacina, n’était pas chose nouvelle dans les textes chrétiens. Bernard de Clairvaux fait une allusion semblable dans le sermon 47 sur le Cantique des Cantiques, afin de rejeter la mollesse et une certaine affectation, les voix nasillardes comme celles des femmes (muliebre) ; les religieux devaient chanter l’office avec pureté, c’est-à-dire sans penser à autre chose6. La dénonciation du caractère « efféminé » d’un chant dérivant vers ce que nous appelons le lyrisme, toutefois, lui est encore bien antérieure. Relevant de l’association du musical au féminin et de ce qui est de l’ordre du verbe au masculin, elle servit, à partir de la fin de l’Antiquité, à marquer la frontière à ne pas franchir, celle du plaisir, voire de la jouissance découlant du chant et de la musique. Jérôme Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum saeculorum decursu promulgatae, vol. 1 : Constitutiones antiquae (1529-1643). Editio anastatica, Rome, Curia generalis OFMCap, 1980, p. 19. Le texte diffère légèrement de celui donné dans les Annali dé Frati Minori Cappuccini de Zaccaria Boverio (t. I, Venise, 1643, p. 174), où l’expression voce feminile est remplacée par variare di voce : « […] che si dica divotamente, con le debite pause, senza code, biscanti, ò variare di voce ». Le texte latin édité dans les Analecta Ordinis Minorum Capuccinorum (Rome, 1884) stipule que les heures doivent être accomplies (persolvantur) « devote, debitis intervallis, absque ulla vocis productione aut variatione aut cantu ab omnibus in Choro » (cité dans P. Venantius A Lisle-enRigault, Monumenta ad Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum pertinentia, Rome, Curia Generalitia, 1916, p. 135). On sait toutefois qu’en éditant l’Historia capuccina de Matthieu de Salò, Melchior de Pobladura s’est servi du texte manuscrit, conservé dans les Archives générales de l’Ordre, qui est reproduit dans l’édition anastatique des Constitutiones antiquae et que l’on peut considérer comme le plus ancien témoin des constitutions originelles (Matthias a Salò, Historia capuccina, pars prima, éd. Melchior de Pobladura, Rome, Institutum Historicum Ord. Fr. Min. Cap., 1946, p. 158-172). 5 Constitutions de 1536, dans Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum, op. cit., p. 45 (chap. iii). Constitutions de 1552, ibid., p. 93 (à propos du chap. iii) : « Et il divino officio si dica con ogni debita devotione, attentione, maturita, uniformita di voce et consonantia di spirito, [s]enza code o biscanti con voce non tropo alta, o bassa, ma mediocre, et si sforzaranno i frati psalmiggiare a Dio piu col core che con la bocca ». 6 Sermon 47 sur le Cantique des Cantiques, 8, éd. dans S. Bernardi Opera, II, Rome, Editiones cistercienses, 1958, p. 66 : « Unde vos moneo, dilectissimi, pure semper ac strenue divinis interesse laudibus : strenue quidem, ut sicut reverenter, ita et alacriter Domino assistatis, non pigri, non somnolenti, non oscitantes, non parcentes vocibus, non praecidentes verba dimidia, non integra transilientes, non fractis et remissis vocibus muliebre quiddam balba de nare sonantes, sed virili, ut dignum est, et sonitu, et affectu voces Sancti Spiritus depromentes ; pure vero, ut nil aliud, dum psallitis, quam quod psallitis cogitetis ». 4
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tolérait seulement « la cantillation des textes sacrés, c’est-à-dire une psalmodie d’ambitus très restreint épousant strictement le rythme de l’énonciation naturelle de la parole sans le moindre développement mélodique ni rythmique »7. Isidore de Séville estimait, dans son De ecclesiasticis officiis (Livre II, chap. 10-12), que la voix du lecteur devait être « pleine de suc viril », « sans rien de féminin », c’est-à-dire sans mollesse et de façon clairement articulée. En ce qui concerne le psalmiste, il n’excluait pas la notion de plaisir procuré à l’auditeur, mais il le situait dans le registre de la douceur, de l’agrément, du charme (dulcedo), avec une référence-repoussoir à la théâtralité (« pas de geste comme au théâtre »). Vers l’An Mil, chez un auteur comme Thierry de Fleury, la distinction entre voix du lecteur et voix du chantre tendit à s’estomper, cette dernière devant elle aussi porter des caractéristiques de la virilité8. Dans la décrétale Docta sanctorum Patrum fustigeant l’Ars nova en plein essor (1324-1325), Jean XXII dénonça également la « lascivité » induite par la polyphonie, plaidant en faveur de la modesta psallensium gravitas et d’un chant liturgique exécuté avec placida modulatione. Qui s’intéresse un peu aux écrits de François d’Assise sait que la méfiance à l’égard des charmes de la voix n’est pas absente des textes fondateurs de la famille franciscaine ; on la trouve clairement exprimée dans la Lettre à tout l’Ordre composée par François dans les dernières années de sa vie, probablement entre 1224 et 1226, alors même que la question du chant, après le très prudent « selon ce qu’ils doivent faire » de la Regula non bullata, est totalement absente de la Règle de 12239 : Et que les clercs disent l’office avec dévotion devant Dieu, en prêtant attention non à la mélodie de la voix, mais à la consonance de l’esprit, en sorte que la voix concorde avec l’esprit et que l’esprit concorde avec Dieu, pour qu’ils puissent plaire à Dieu par la pureté de leur cœur et non pas charmer les oreilles du peuple par la lascivité de la voix10.
Les références directes à la lascivité ou à la féminité, toutefois, ne se retrouvent plus dans les textes législatifs franciscains de la fin du Moyen Âge. Le passage le plus important relatif au chant est celui des constitutions dites « bénédictines » de 1336 (chap. I, 1-2) : […] quod ante missarum et horarum principia fratres dicti ordinis omnes, quos causa rationabilis non excusat, ad chorum conveniant, praeparaturi Domino corda sua, ibique sine discursu, murmure, risu et absque vagis et vanis aspectibus sub silentio, in pace et cum debita gravitate permaneant, cantent et orent et usque in finem unanimiter perseverent. Quia vero 7 Michel Poizat, « Hildegard von Bingen : la voix sacrée », Les Cahiers du GRIF, Hors-Série no 2 : Âmes fortes, esprits libres, 1996, p. 50. 8 Id., La Voix du diable. La jouissance lyrique sacrée, Paris, Métailié, 1991, p. 122-125. 9 Règle non bullata, chap. III, 3 : « À cause de cela, que tous les frères, clercs ou laïcs, fassent l’office divin, les laudes et les prières, selon ce qu’ils doivent faire » (François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages, éd. Jacques Dalarun, vol. 1, Paris, Éditions du Cerf - Éditions franciscaines, 2010, p. 193). 10 Lettre à tout l’Ordre, dans François d’Assise. Écrits […], op. cit., p. 372-373. Le texte latin inséré dans le De Conformitate vitae Beati Francisci ad vitam Domini Jesu de Barthélemy de Pise [éd. dans Analecta Franciscana, IV, Florence (Quaracchi), 1906, p. 601] est le suivant : « Clerici dicant cum devotione coram Deo divinum officium, non attendentes melodiam vocis, sed consonantiam mentis, ut vox concordet menti, mens vero concordet Deo, ut possit [sic] per puritatem mentis placere Deo et non cum lascivitate voci aures populi demulcere ». Voir Règle de saint Benoît, chap. xix, 7 : « […] et sic stemus ad psallendum ut mens nostra concordet voci nostræ » (« Lorsque nous psalmodions, que notre esprit soit en accord avec notre voix »).
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cantus ecclesiasticus divinae laudis sacrificium fructusque labiorum canentium non solum eorum, qui psallunt, sed etiam auditorum aedificatio esse debent, eosdem fratres hortamur in Domino, ut divinas laudes integre, attente, honeste et religiose persolvant ; gestus leves et cantus dissolutos seu fractos omnino declinent, tractim psallant debito more ; incepta, quae simul cantanda fuerint, simul continuent11, simul pausent12.
Est soulignée, ici, la nécessaire gravitas de celui qui se rend au chœur pour l’office. On la retrouvera très présente dans les écrits de l’Époque moderne, pour désigner le ton ou le registre de la voix, mais aussi – et cela semble être surtout le cas au xive siècle – une retenue de l’allure, l’idée d’une pesanteur (liée à l’importance du moment et de l’acte) ; elle tend ainsi « à devenir une valeur générale marquant des attitudes et un certain ethos »13. Les termes religiose et honeste expriment la dignité et la dévotion avec lesquelles il s’agit de se comporter dans le chœur. C’est sans doute davantage dans ce sens qu’il convient de lire honeste, que les médiévaux ne pouvaient toutefois entendre sans les connotations de force et de courage, propres à l’homme, que le mot comportait14. Lors de sa XXIVe session, le concile de Trente retiendra les termes de reverenter, distincte, devote, qui seront très souvent repris par la suite15 ; ils composent, selon Jean-Yves Hameline, « un véritable paradigme où sont contenus les éléments fondamentaux d’une morale de l’acte de chant » et plus largement, selon Monique Brulin, de « l’actio dicendi dans la prière publique de l’Église »16. Par rapport aux traités du xviie siècle tirant l’expression vocale du culte vers un modèle rhétorique17, avec l’article des constitutions franciscaines de 1336 on a le sentiment d’être encore dans un univers du bene dicere, touchant à l’application dans l’énonciation des pièces liturgiques (integre) et dans la prononciation correcte des paroles (attente) afin de garantir la validité des actes – bref, touchant à ce qui permettait l’efficacité du verbe. Issu d’un texte d’inspiration monastique et des seules constitutions générales données à l’Ordre des Frères mineurs par un pape – Benoît XII, qui était un cistercien – ce passage est un marqueur important de la législation franciscaine dans les domaines du silence et de la liturgie. Pour le reste, en effet, les constitutions de 1336 ne mentionnent, notamment, ni la pauvreté, ni l’interdiction de manipuler de l’argent, et ont été supplantées par d’autres 11 Chronologia historico-legalis Seraphici Ordinis Fratrum Minorum Sancti Patris Francisci, t. 1, Naples, 1650, p. 93 : « […] que simul canenda forent, similiter concinant, similiter pausent ». 12 Bullarium Franciscanum sive romanorum pontificum constitutiones, epistolae, diplomata tribus ordinibus […] concessa, t. 6, Rome, 1902, p. 26. L’édition donnée par Michael Bihl (« Ordinationes a Benedicto XII pro fratribus minoribus promulgatae per bullam 28 novembris 1336 », Archivum Franciscanum Historicum, 30 [1937], p. 334) ne diffère pas. 13 Monique Brulin, Le verbe et la voix. La manifestation vocale dans le culte en France au xviie siècle, Paris, Beauchesne, 1998, p. 271. 14 Honeste signifie en effet, selon le Du Cange, viriliter, fortiter, mais, dans le contexte du chant liturgique, decenter, cum reverentia. 15 Les Conciles Œcuméniques, vol. 2 : Les Décrets, t. 2 : De Trente à Vatican II, éd. Giuseppe Alberigo, Paris, Cerf, 1994, p. 1556-1559. 16 Jean-Yves Hameline, « Le plain-chant dans la pratique ecclésiastique aux lendemains du Concile de Trente et des réformes postconciliaires », dans Jean Duron (éd.), Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, Éd. du centre de Musique Baroque de Versailles - Éd. Klincksieck, 1997, p. 15 ; M. Brulin, Le verbe et la voix, op. cit., p. 262. 17 Voir Ibid., p. 279-299.
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textes, en particulier les constitutions de 1354 (dites « farinériennes ») puis celles de 1430. J’ai déjà eu l’occasion de souligner que, dans un Ordre franciscain dont la Règle ne dit presque rien sur la prière (chapitre iii), on s’est longtemps contenté, au sujet de celle-ci, de ce qui était écrit sur l’office divin dans les constitutions « bénédictines », où il n’est question que de préparer son cœur à Dieu en arrivant dans le chœur pour célébrer les heures et les messes18. Au xve siècle et au début du xvie, les textes générés par les mouvements réformateurs franciscains ont accordé progressivement davantage de place à la question de la prière, en particulier de l’oraison mentale. Le chant liturgique, en revanche, ne semble pas avoir donné lieu à d’importants développements, ni à des évolutions très tranchées du propositum vitae franciscain. En d’autres termes, si les directives sur le chant s’inscrivent, à l’Époque moderne, dans la définition d’un ethos chrétien19 et qu’il est indéniable que les siècles médiévaux ont été le cadre, chez les réguliers, de la mise en place d’habitus comportementaux et de « techniques du corps »20, ce n’est pas dans le chœur des églises conventuelles que s’est affirmé l’essentiel de l’identité franciscaine. Voilà qui ne surprendra guère ; encore faut-il y regarder de plus près, si l’on considère que « toute réforme religieuse s’accompagne à plus ou moins brève échéance d’une réforme des pratiques liturgiques et, par conséquent, des pratiques chorales, cantorales et plus largement musicales »21. Comme souvent dans la famille franciscaine, la réalité des pratiques, sinon leur énonciation réglementaire, est loin d’être claire. Envisagé dans son articulation avec le reste des activités des frères, toutefois, peut-être le chant a-t-il quelque chose à nous dire.
Faut-il chanter l’office ? Le passage des constitutions bénédictines de 1336 est repris mot pour mot, ou quasiment, dans les constitutions « martiniennes » (Declarationes generales et papales de Martin V) de 1430, dues à Jean de Capistran, texte de consensus qui a servi ensuite de référence pour les Observants sub ministris – qu’il se fût agi des « Colétans » ou des Voir Ludovic Viallet, « La vie rêvée des Anges. À propos de la prière mentale dans l’Observance franciscaine du xve siècle », Études franciscaines, n.s. 2, fasc. 2, 2009, p. 365-373, et « Prière au cloître et refus du monde dans la législation franciscaine du xve siècle », dans Frédéric Meyer et Ludovic Viallet (éd.), Le Silence des frères, l’exemple des saints. Identités franciscaines à l’âge des réformes, II, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2011, p. 91-104. 19 Soit « une modélisation diffuse des attitudes et des comportements, permettant à des groupes sociaux de s’identifier » selon M. Brulin, Le verbe et la voix, op. cit., p. 238, n. 95, à partir de Grégory Bateson, La Cérémonie du Naven, Paris, Éd. de Minuit, 1971 (trad. fr.), p. 128, qui définit l’ethos comme « l’expression d’un système culturellement normalisé d’organisation des instincts et des émotions des individus ». 20 Pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, récemment réutilisée dans le champ de l’histoire des émotions : Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Journal de psychologie, vol. 32, no 3-4, 15 mars-15 avril 1936, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 365-386 ; Damien Boquet et Piroska Nagy, « Une histoire des émotions incarnées », Médiévales, no 61, Automne 2011, p. 15. 21 Comme l’a rappelé Fabien Guilloux, « Les livres de chant des récollets », dans Caroline Galland, Fabien Guilloux et Pierre Moracchini (éd.), Les Récollets. En quête d’une identité franciscaine, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2014, p. 278, ainsi que dans un autre article important pour notre sujet, « Musiques et identités franciscaines en France (xve-xviie siècles) », Études franciscaines, n.s. 1, fasc. 1-2, 2008, p. 60. 18
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Reformaten du monde germanique (aussi appelés « Martiniens ») – sans être pour autant rejeté par l’Observance sub vicariis, puisque les constitutions de l’Observance cismontaine de 1443 (œuvre de Capistran) puis 1461 renvoient explicitement à elles et stipulent qu’elles devaient être respectées et lues aux frères afin qu’ils en aient connaissance22. Les mêmes directives sur le chant ont été insérées dans les constitutions de Barcelone (1451) pour l’Observance ultramontaine ; du côté cismontain, il ne fut pas jugé utile, soulignons-le, de revenir sur cette question lorsque la congregatio generalis de 1461 rassembla les décisions de chapitres antérieurs dans de nouveaux statuts. On retrouve également ce passage dans les constitutions d’Atya pour les Observants hongrois (1499), qui présentent pourtant une très faible intertextualité avec les autres écrits réglementaires franciscains du xve siècle et définissent les contours d’un propositum propre à la familia Hungariae23. Au moment de leur promulgation, en effet, cela faisait plus de quarante ans que les Observants hongrois vivaient dans une véritable autonomie, avec des textes de référence forgés plus d’un demisiècle auparavant – bref, ils avaient traversé la bouillonnante seconde moitié du xve siècle en grandissant seuls, en une croissance ponctuée, tous les deux ou trois ans, des décisions des chapitres provinciaux24. Dans le monde des franciscains observants, donc, qu’ils soient restés sous l’autorité des ministres ou aient franchi le pas de l’autonomie institutionnelle, la façon dont était considéré le chant liturgique n’a pas marqué de lignes de ruptures, au moins pour ses traits principaux. Le comportement des frères devait exclure les gestes « légers » (gestus leves) : la formule, sobre, englobait toute posture trop expressive, jusqu’au comportement de l’acteur, voire à des poses que d’autres textes auraient qualifiées de lascives ou féminines. Sur la façon de chanter, les réformes franciscaines n’ont cessé de réaffirmer le cantus planus, entendu comme opposé au cantus dissolutus ou fractus. Ce dernier était fondé sur la notation mesurée (système abstrait représentant les durées relatives des notes), impliquait des ruptures de rythme et des modulations de la voix et était associé à l’essor des pratiques polyphoniques. Le passage des constitutions bénédictines repris dans les textes du xve siècle insiste sur la congruence vocale, le plain-chant devant en outre gommer les irrégularités rythmiques. Sans doute y eut-il, toutefois, certaines différences dans l’exigence. Les constitutions bénédictines (I, 3), en effet, stipulaient que toutes les heures fussent dites (dicatur) cum nota25. Le texte des constitutions martiniennes, tel qu’il a été édité dans 22 Chronologia historico-legalis […], p. 107 (« Circa quod puniant delinquentes cum misericordia, et pietate, juxta determinationem Statutorum Guilielmi Farinerii, et Constitutionum nostrarum, Assisii editarum, ex dispositione fel. Recordationis Martini V Pape ») et Archivum Franciscanum Historicum, no 16, 1923, p. 498 : « 11. Item quod universaliter serventur Constitutiones Martini V facte Assisii in Capitulo generali, ita tamen quod non obligent ad peccatum mortale. […] Et quod dicte Constitutiones legantur fratribus, exceptis prohemiis, ita quod ipsarum fratres competenter possint habere notitiam ». 23 Voir le tableau donné en annexe. 24 Après avoir obtenu leur propre vicairie distincte de celle de Bosnie en 1448, les Observants de Hongrie obtinrent en 1458 d’être directement placés sous la juridiction du Ministre général ; ils le restèrent jusqu’en 1502. 25 Bullarium Franciscanum […], op. cit., p. 26 (et M. Bihl, « Ordinationes a Benedicto XII », art. cit., p. 334) : « Ordinamus etiam, quod in singulis ordinis praedicti conventibus hora sexta, sicut aliae horae, cum nota dicatur ».
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la Chronologia historico-legalis de 1650, fautive sur plusieurs points, ne comporte pas cette précision. Elle est en tout cas donnée dans la Declaratio regule fratrum minorum martiniana vulgo nuncupata de Nicolas Lakmann, copie des constitutions martiniennes réalisée (avec insertion, pour préciser certains points, de clauses de la législation antérieure) par le professeur de théologie à Erfurt et futur provincial de Saxe en 145226. L’année précédente, le Chapitre de l’Observance ultramontaine avait envisagé qu’en certains couvents ou loci les heures fussent récitées sine nota27, c’est-à-dire en un chant psalmodié, sur le même ton, sans les inflexions de la tonalité (cum nota). L’éditeur des constitutions barcelonaises, le Père Michael Bihl, a d’ailleurs souligné que cela était contraire aux constitutions de 133628. Il me semble qu’il s’agit là d’une mesure destinée à prendre en compte la difficulté qu’il pouvait y avoir, pour certaines communautés, à assurer un chant choral correct, tant en raison de l’effectif réduit des frères que de leurs capacités. Les constitutions martiniennes avaient en effet ouvert la porte à une adaptation, en permettant que l’on ne chantât pas là où les frères étaient trop peu nombreux29. Cette prescription se retrouve, soixante-dix ans plus tard, dans les constitutions de l’Observance hongroise. Chez les franciscains hongrois « conventuels », qui firent eux aussi l’objet d’une réforme, les statuts de 1454 exigèrent que l’office divin fût dit plane et distincte et que, s’il ne pouvait être chanté, il fût lu avec la plus grande dévotion cum punctis, c’est-à-dire avec un minimum d’accentuation et non en une psalmodie pure30. Les constitutions d’Atya pour leurs confrères observants définirent précisément les jours et les couvents où la messe pouvait être chantée et ceux où elle devait être lue. Sur ce point, elles étaient clairement plus précises que les constitutions de 1443 et 1461 pour l’Observance cismontaine. Dans dix couvents, messe et vêpres devaient être chantées (tous les jours, précise le texte, de façon contradictoire avec ce qui suit), mais les jours de fêtes simples et des féries les vêpres devaient être lues, sauf dans le couvent de Buda où l’on devait chanter quotidiennement. Dans les autres loci, lors de ces fêtes simples et en semaine ni la messe, ni les vêpres ne devaient être chantées, mais seulement lues d’une voix articulée (« sed expressa tantummodo voce legantur »)31. Lors des fêtes doubles et semi-doubles, ainsi que pendant leur octave, les messes devaient être chantées et les vêpres devaient l’être aussi si cela pouvait être fait de bonne manière (bono modo). Il s’agissait donc à la fois d’un choix de sobriété et de la prise en compte des limites inhérentes aux moyens des communautés. Cet aspect-là est essentiel, pour comprendre véritablement la place du chant dans les mouvements observants. Même les cas les plus extrêmes, pourrait-on dire, en témoignent : ainsi les statuts promulgués en juillet 1523 par François des Anges Quiñones pour les cinq « maisons de récollection » fondées dans la péninsule ibérique (des conventus Berlin, Staatsbibliothek, ms. theol. lat. qu. 220, fo 31vo. Le manuscrit date du début du xvie siècle. Archivum Franciscanum Historicum, no 38, 1945, p. 128 : « De legendo autem sine nota in aliquibus conventibus seu locis fiat secundum dispositionem praelatorum ». 28 Ibid., note 2. 29 Chronologia historico-legalis, op. cit., p. 93 : « […] ubi pauci sunt Fratres, qui non sufficerent ad cantandum, vel alia rationabili causa, Praelati possint dispensare, cum viderint expedire ». 30 Archivum Franciscanum Historicum, no 64, 1971, p. 92 (chap. I) : « […] et dicatur divinum officium plane et distincte, et si non posset cantari, legatur cum maxima devotione cum punctis : […] ». 31 Alba Iulia, Batthyaneum (Szentiványi R.), II. 148, fo13vo, ou l’édition (fautive parfois) d’Ignác Batthyány, Leges Ecclesiasticae Regni Hungariae et provinciarum adiacentium, 3, Alba Iulia (Alba Carolina), 1827, p. 621. 26 27
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destinés à quinze religieux, non des petits ermitages) et dans lesquelles devait être observé le silence perpétuel stipulent-ils que l’office divin ne devait pas être chanté, mais « dicatur in mediocri tono, ita ut omnes possint officium persolvere »32. Ici, la priorité accordée à un univers sonore dans lequel l’emporte le silence est évidemment très nette, mais l’idée que tous les frères puissent être en mesure de prendre leur part dans la louange divine collective n’est pas absente. Les Observants chantaient, donc, comme on le rappelait dans la famille franciscaine à l’Époque moderne33. S’il est probable qu’à l’origine, au temps des premiers foyers et des ermitages « observants », « dans leurs petites églises on revint à la récitation des psaumes et au recueillement silencieux de la messe de communauté »34, très vite les Observants ont chanté. En 1416, les actes du Chapitre de Bressuire de l’Observance française (1416) auraient posé, selon Fabien Guilloux, « les principes législatifs marqueurs de l’identité sonore de la réforme »35. En fait, la réforme de observantia entendait réaffirmer une exigence, celle du plain-chant et du « rejet des pratiques d’improvisation polyphoniques associées au cantus fractus »36 ; mais il s’agissait là de ce qui était demandé aux frères au xive siècle, de sorte qu’en ce qui concerne le chant l’Observance apparaît davantage comme une réaffirmation de la norme que comme un retour aux origines (lesquelles ?) en forme de rupture. Plus caractéristique des mouvements observants semble avoir été la limitation du chant à la messe, voire à certains jours marqués d’une particulière solennité. Sur ce point, on peut penser, comme Lazario Iriarte, que le fait d’autoriser le chant lors de la messe conventuelle quotidienne et aux Vêpres a répondu, chez Jean de Capistran, à un souci de consensus37. Dans sa lettre au gardien de Nuremberg Albert Puchelbach en novembre 1452, il enjoignait que les novices apprennent le chant ; mais il soulignait bien que priorité devait être donnée à l’oraison, et que le chant devait être réservé à la messe et aux vêpres38. Dans les constitutions de 1443, une telle limitation n’est pas affirmée clairement ; mais, dans ce domaine comme dans d’autres, il semble qu’un raidissement soit intervenu au sein de l’Observance cismontaine au milieu du xve siècle. Tardives, les constitutions d’Atya (1499), forgées au sein d’une branche de la famille franciscaine porteuse d’un héritage de l’Observance cismontaine (elle allait revenir dans son giron trois ans plus tard) en témoignent. À Neisse (Silésie), en janvier 1510, d’après une chronique observante, au moment des affrontements publics entre Reformaten (emmenés par le custode de Breslau Benoît de Löwenberg et le provincial Louis 32 Luke Wadding, Annales Minorum seu trium Ordinum a S. Francisco institutorum, t. 16, a. 1523, Florence (Quaracchi), 1933, 3e éd., p. 193 (chap. 2). Ces statuts ne disent absolument rien de la pratique de l’oraison mentale ; le terme recollectio n’y figure même pas. 33 F. Guilloux, « Les livres de chant des récollets », art. cit., p. 279. 34 Lázaro Iriarte, Histoire du franciscanisme, Paris, Cerf - Éd. Franciscaines, 2004 (trad. fr.), p. 144. 35 F. Guilloux, « Les livres de chant des récollets », art. cit., p. 279. 36 Ibid. 37 L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, op. cit., p. 144. 38 Chronica Fratris Nicolai Glassberger, op. cit., p. 342 : « Placet mihi, quod novitii discant cantare, magis tamen placeret, ut discerent plorare et orationi vacare : quia quotidie cantare parit vobis Fratrum penuriam, mentem vagam deducit et adeo tempus consumit, ut nullus vestrum evadere possit in officio praedicandi clarus et peritus ; propter quod magna sequitur animarum iactura. Ideo debetis restringere ipsos cantus vestros ad Missam solum et officium vespertinum ».
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Henning) et Observants sub vicariis (« bernardins »), on reprocha notamment à ces derniers de ne pas chanter les heures39. Les constitutions de la vicairie observante de Bohême (créée par partition de la trop vaste vicairie fondée en 1452) édictées en 1471 avaient souligné l’obligation de suivre les prescriptions de Capistran, puis des vicaires généraux cismontains Baptiste de Levanto et Marc de Bologne40. Ne pas chanter les heures semble donc avoir été une « marque de fabrique » des Observants cismontains en Europe centrale, tout du moins de ceux qui, à la fin du xve siècle et au début du xvie, furent dans la rivalité et le combat face à des communautés de Frères mineurs partisans de la réforme, mais sans rupture avec la hiérarchie de l’Ordre. C’était le cas dans la province de Saxe (à laquelle appartenaient les couvents de Silésie), ce le fut beaucoup moins en Pologne, où l’Observance des vicaires eut davantage de succès dans son entreprise d’implantation et de fondations. Les constitutions de 1467, promulguées au moment de la création de la vicairie polonaise (issue, comme celle de Bohême, de la partition de la vicairie de Bohême primitive) laissent penser au détour d’un court passage que les heures étaient chantées et elles affirment clairement le rôle du chantre, (désormais ?) assisté d’un auxiliaire41. Un demi-siècle plus tard, les Ordinationes de 1519 pour les « bernardins » polonais témoignent encore, par rapport au chant, d’une attention qui semble supérieure à celle qui lui était portée traditionnellement dans l’Observance cismontaine : aucun frère clerc ne devait être ordonné prêtre s’il ne savait « parfaitement chanter » et la mention des heures laisse penser qu’elles étaient aussi chantées42. En 1509, les Ordinationes promulguées au Chapitre de Warta avaient réaffirmé l’inscription de l’Observance polonaise dans l’héritage italien : « Item patres Polonie cantetur 39 Ferdinand Doelle, Die Observanzbewegung in der sächsischen Franziskanerprovinz bis zum Generalkapitel von Parma 1529, Münster, 1918, annexe no 7, p. 226 : « Allegantes contra nos, quod non haberemus studia neque horas caneremus, ipsi essent de vera et regulari observancia, nostram observanciam non mediocriter infamantes, asserentes nos verecundari paterni nominis sancti Francisci, et faceremus nos nuncupari Bernnardinenses et ipse sanctus Bernhardinus, si non esset canonisatus propter separacionem a conventualibus, nunquam canonisaretur, quasi ecclesia errasset in sua canonisacione. Ecce perfidia pessimorum obstinatorum deformatorum ! ». 40 Archivum Franciscanum Historicum, no 47, 1954, p. 378-379 : « Undecimo ordinamus : a) quod secundum voluntatem reverendi patris Vicarii generalis servetur Ordinarium quoad ceremonias misse et cantus, in quantum fieri potest, secundum quod declaratum est a beatissimo patre fr. Iohanne de Capistrano ac reverendis patribus fr. Baptista de Levanto felicis recordationis, et fr. Marco de Bononia, generalibus Vicariis et eorum commissariis. b) Pulsus etiam et inclinationes teneantur, sicut ab antiquo in hac familia tenti sunt. Et cantetur in nota Ordinis uniformiter ab omnibus, quoad orationem, epistolam et evangelium et lectionem chori et mense ». 41 Constitutions de 1467 pour les bernardins de la province de Pologne, éd. Kamil Kantak dans Przeglad Teologiczny, no 10, 1929, p. 343 : « De officio Graciarum. Item in festis duplicibus minoribus officium Graciarum dicatur in choro nisi aliqua hora cantetur, tunc posset obmitti ». Ibid., p. 350 : « Item in choro assistente guardiano vel vicario nullus audeat interrumpere chorum dicendo : Sic debet fieri, vel : sic debet fieri, sed simpliciter et submisse et cum reverencia guardiano vel eius vicario debet nunciare de errore sine contencione aliqua. Et si predicti, guardianus vel vicarius noluit exaudire, taceat nec recedat de choro. Si autem non esset guardianus vel vicarius, stetur cantori, si cantatur. Si autem non cantatur et corrector chori non adest, sequitur iudicium ebdomadary, sicut dictum est de guardiano vel vicario ». 42 Ordinationes du Chapitre de Lublin, 1519, ibid., p. 351 : « Inprimis ordinatum est quod in omnibus locis pronuncietur adiutor cantoris qui semper intonet in choro, in missa quando unus debet intonare. Cantor autem tantum in duplicibus sit principalis. In vesperis autem et horis clerici intonent. Et nullus clericus amplius mittatur ad sacerdocium, nisi sciat perfecte cantare ».
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illud quod cantatur in Italia in maioribus duplicibus »43. Il n’y avait pas là de contradiction, du moins en théorie, puisque les constitutions des bernardins polonais de 1467 ordonnaient que fussent lues aux frères, une fois par mois, les constitutions martiniennes de 1430 et les constitutions cismontaines de 1461, qui, on l’a vu, ne proscrivaient pas le chant des heures44. En outre, ce texte accorde une place tout aussi importante à la question du silence, par la reprise des prescriptions de Benoît XII45. La fidélité aux pères fondateurs, et en particulier à Capistran, se situait ailleurs.
Exercice et oisiveté chez les franciscains En définitive, que l’on chantât les heures avec sobriété ou qu’elles fussent récitées sur un mode psalmodique marqué de quelques accentuations, l’essentiel résidait dans l’articulation globale des différents moments de la journée du frère, en une sorte de « lissage » faisant de celle-ci le cadre d’un effort permanent de tension, au profit de la prière. Le chapitre v des constitutions de 1443 avait permis à Capistran de marquer d’un accent particulier ce volet-là de l’activité des frères. Aux recommandations de la Règle consacrées (dans son chapitre v) au travail – qui ne devait pas éteindre « l’esprit de sainte oraison » – le réformateur italien avait ajouté la notion de spiritualia exercitia, dans une optique de complémentarité avec les activités physiques. L’oraison, les louanges divines et l’office régulier devaient primer sur toute autre activité, qu’il se fût agi d’un travail corporel, d’activités intellectuelles ou même spirituelles (prédication, confessions, direction de conscience)46. L’idée que le travail ne devait pas détourner du développement de l’esprit d’oraison se retrouve chez les commentateurs de la Règle de l’Époque moderne47 ; elle allait évidemment de pair, pour les réformateurs franciscains des xve-xvie siècles, avec l’affirmation du rôle-clef joué, dans la vie régulière, par la prière48. Si en effet bien des points distinguaient l’expérience primitive des capucins du projet mis en œuvre par les Observants au tournant des xve-xvie siècles, ce qui Ibid., p. 350. Ibid., p. 347. 45 Ibid., p. 349 : « De silentio. Item quod secundum Constituciones Benedicti XII silencium servetur cuius verba sunt hec : […] ». 46 Chronologia historico-legalis […], p. 105 (je corrige la ponctuation et les majuscules placées dans l’édition) : « Circa quintum Capitulum, dico et ordino, quod nullus guardianus praesumat occupare fratres in superfluis laboribus et exercitiis corporalibus, ex quibus divinorum Officiorum exsolutio, sive per clericos, sive per laicos, detrimentum patiatur. Quinimmo adeo se temperent in laboribus et exercitiis antedictis, ut exclusio otio, animae inimico, sanctae Orationis spiritum non extinguat. Quod etiam sane intelligendum est circa spiritualia exercitia cum corporalibus intermixta, ut neque in praedicationibus, neque in confessionibus, neque in studiis, sive lectionibus, vel etiam spiritualibus consiliis, personis regularibus, vel saecularibus exhibendis, adeo se occupent, quod divinas laudes et ordinarium Officium praetermittant. […] ». 47 B. Dompnier, « Exercice et oisiveté chez les capucins (xviie-xviie siècles) », art. cit., p. 201. 48 Ainsi la prière était-elle « la clef » de l’Observance pour l’ancien compagnon (et hagiographe) de Jean de Capistran Christophe de Varèse, comme il le souligna dans sa lettre adressée le 22 janvier 1468 aux pères des « nations » (Autriche, Bohême, Pologne) de la vaste vicairie observante de Bohême scindée en trois en 1467. Voir L. Wadding, Annales Minorum, t. 13, a. 1467, Florence (Quaracchi), 1932, 3e éd., p. 461 : « Recommendo autem vos Deo omnipotenti, beatissimae Virgini Mariae, beato Francisco, et beato Patri fundatori vestro Joanni de Capistrano, ut vos conservare dignentur in sancta vocatione et professione vestra, vivendo in obedientia, 43 44
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rassemblait les réformateurs franciscains, c’était l’insistance sur l’oraison mentale – appelée ainsi (oratio mentalis) et non recollectio, chez Capistran et les Observants italiens comme chez les capucins49. Les constitutions de ces derniers, en 1536 comme en 1552, dont le passage sur l’office divin comporte, on l’a vu, la mention des paroles du Christ (reprenant Isaïe 29, 13) dans Matthieu 15, 8 et Marc 7, 6 (« Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi »), rappellent aux frères, dans le même chapitre iii, que la prière consiste à parler à Dieu avec le cœur, non pas seulement avec la bouche50. En ce sens, dans l’esprit des réformateurs observants, le chant au chœur avait sa place, mais elle était secondaire et ne devait pas perturber la vie spirituelle des religieux. Il s’insérait dans une dynamique globale dont le maître mot était celui d’exercitium. Dans les constitutions polonaises de 1467, le terme est utilisé pour désigner le travail des frères clercs – par différenciation d’avec le labor (travail manuel) des frères lais – et le limiter à une heure quotidienne ; effectué dans le silence ou en récitant quelques prières, celui-ci participait de la discipline régulière51. Il y a là un élément de continuité essentiel au sein des mouvements réformateurs franciscains. Si Bernard Dompnier a pu souligner que la notion d’« exercice » était, chez les capucins, la plus importante dans « le registre de l’organisation de la vie conventuelle et de l’emploi du temps des religieux »52, c’est sans doute parce que l’Observance étaient passée par là, en particulier l’Observance « cismontaine » modelée par Capistran et les pères italiens – on peut le supposer, à moins de renoncer à distinguer tout accent spécifique au sein des dynamiques réformatrices du xve siècle, tout relief ou changement de paysage dans une géographie spirituelle franciscaine qui, je l’ai signalé pour les mots de la prière, en comporta assurément.
paupertate et castitate, et in aliis bonis et sanctis ordinationibus et institutis vestris, et praecipue in sanctissima oratione, quae est clavis totius sacrae Observantiae nostrae, et qua perdita, omnia alia evanescunt ». 49 Je l’ai souligné dans L. Viallet, « Héritages de l’Observance et aspirations réformatrices chez les franciscains au début du xvie siècle », dans Les Récollets, op. cit., p. 32-33. Le terme de recollectio n’appartient pas à l’univers des capucins, et ce jusqu’au xixe siècle, comme le confirme la consultation de P. Venantius A Lisle-en-Rigault, Monumenta […], op. cit., p. 160-166. 50 Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum, op. cit., p. 46-47 : « Et ricordi li frati che orare non e altro seno uno parlare a dio col core perho non ora chi a dio parla solo con la bocca ». Variante dans le texte de 1552 : « […] orare altro non è che parlar al signor Iddio col core, unde in verita non ora chi a Dio parla solo con la bocca […] » (p. 95). 51 Constitutions de 1467 pour les bernardins de la province de Pologne, éd. K. Kantak dans Przeglad Teologiczny, no 10, 1929, p. 345 (je souligne le titre des articles, présentés dans l’édition avec un retour à la ligne) : « De graviter laborantibus. Laborantibus autem graviter secundum discrecionum guardiani provideatur vel de eius licencia. […] De exercicys fratrum et qui eximuntur. Item quod fratres layci laborent fideliter et devote, secundum quod a Regula eis precipitur, ad arbitrium guardiani. Clerici vero et sacerdotes non occupentur in exercys ultra horam unam per diem nisi aliqua occurrente necessitate secundum iudicium presidentis. Quando autem ad exercicia conveniunt, infra determinatum tempus non recedant nisi de licencia prelati vel legitima urgente causa. Actu autem predicatores, confessores et senes ac debiles ad huiusmodi exercicia non compellantur nec ac lotum scultellarum nisi maxima urgente necessitate. Conentur autem guardiani quantominus possunt, bonomodo eos occupare. Et in huiusmodi exercicys servetur silencium vel aliquod spiritale lectatur vel psalmi vel aliqua alia officia Graciarum dicantur ». 52 B. Dompnier, « Exercice et oisiveté chez les capucins (xviie-xviie siècles) », art. cit., p. 203.
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Dans la conception de la vie régulière propagée par l’Observance, le cloître était le lieu où la discipline visait, par les exercices, à tenir en haleine le religieux53. Une telle conception, particulièrement ascétique, n’était certes pas nouvelle ; elle participait de la véritable « réinvention de la tradition » effectuée par les mouvements de observantia. Elle avait pour corollaire l’affirmation de l’importance du noviciat, dont témoigne le programme de formation énoncé par Capistran dans sa lettre de novembre 1452 au gardien du couvent de Nuremberg afin de diffuser la norma de l’Observance, ou, dès 1443, le chapitre ii des constitutions cismontaines, exigeant qu’à chaque postulant fût exposée la rigueur qu’impliquait son choix54. Celui qui prenait l’habit était ramené à la « première innocence du baptême » et, en vivant jusqu’à la mort in observantia regulari, il obtiendrait rémission de tous ses péchés55. Les constitutions capucines de 1552 exigent également – mais de façon plus sobre – un tel avertissement et reprennent la référence au baptême56 ; de même, comme les statuts généraux de l’Observance cismontaine de 1461, elles stipulent que les nouvelles recrues de l’Ordre (d’un âge minimum de seize ans, contre dix-huit ans pour l’Observance cismontaine) ne devaient pas avoir l’air trop enfantines57. On a là autant de petits marqueurs reconnectant le propositum capucin à la vie franciscaine de observantia définie dans le milieu des réformateurs italiens un siècle auparavant. Au cœur de cette rencontre – la principale, sans doute, entre le mouvement réformateur franciscain qui l’avait emporté au sein de l’Ordre et celui qui naissait alors en s’en écartant –, la notion d’« exercices 53 J’emprunte la formule à Bernard Dompnier, ibid. : « Chemin de perfection et de salut, le cloître propose les moyens pour y parvenir ; les observances qu’il propose sont donc autant d’exercices, c’est-à-dire de mises en mouvement et de pratiques visant à tenir en haleine. Sans être propre au temps de la Réforme catholique, une telle conception connut sans doute alors un particulier développement, et le terme d’exercice une incontestable vogue dans le langage religieux : toute révérence gardée, Ignace de Loyola participe de cette mode – et contribue sans doute à la développer – avec ses Exercices spirituels ». Je ne suis pas sûr que, plus de vingt ans après, Bernard Dompnier utiliserait le terme de « mode ». 54 La rigueur imposée aux frères y est rappelée par Capistran en une sorte de condensé du modus vivendi observant. Chronologia historico-legalis, op. cit., p. 103 (chap. ii) : « Quinimmo vitam nostram accipere volentibus, diligenter, et seriose exponatur rigor potius nostri status, quoad Obedientiam, Paupertatem, et Castitatem, et caetera, quae in nostra Regula continentur, et modus etiam vivendi, quoad petendas eleemosynas, quoad bonas consuetudines, et cæremonias Ordinis, de jejuniis, et vigiliis, et orationibus, disciplinis, ciliciis, et aliis austeritatibus vitae nostrae, utputa vivere sine calceamentis, sine camisiis, sine linteaminibus, sine pecuniis in itinere, et ubique, et omni tempore, sive sanitatis, sive infirmitatis, dormire cum habitu, et numquam sine, nec in publico, sine habitu apparere in conspectu saecularium personarum, cum magis expediat nos honestatem observare, quam quascumque saeculares mulieres ». La ponctuation du texte imprimé a été légèrement modifiée (suppression des signes doubles) et certains « i » ont été remplacés par des « j ». 55 Ibid., p. 104 (chap. ii) : « Monendi sunt etiam ipsi Novitii, quod, quamquam in ingressu Religionis, ex Privilegiis Ordinis, in favorem Religionis concessis, absolvi possint a quibuscumque criminibus, et Centuris ; immo, secundum quosdam, per ingressum Religionis, cum intentione perseverandi, sane intelligendo usque ad mortem, in Observantia Regulari, consequitur quis plenariam remissionem omnium peccatorum, et restituitur primae innocentiae Baptismali ». 56 Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum, op. cit., p. 85 : « Ottavo, sieno informati pienamente dell’austerita della nostra regola, & del nostro modo di vivere ». Ibid., p. 87 : « Et conciosia che secondo alcuni dottori i novitii facendo la lor professione con li debiti modi sono restituti alla innocenza battismale, si ordina che […] ». 57 Archivum Franciscanum Historicum, no 16, 1923, art. 6, p. 497, (« […] quod effigiem non pretendant nimis puerilem ») ; Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum […], op. cit., p. 84 (« harãno la faccia puerile […] ») et p. 85 (« […] che non habbiano la faccia puerile […] »).
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spirituels », ceux-ci étant articulés avec les autres moments de l’activité du religieux, en une discipline constante. Quand il ne se livrait pas à quelques exercices spirituels, déclarent les constitutions capucines de 1536, le religieux devait travailler « manuellement en quelque exercice honnête », à condition que, pendant son travail, « toujours il parle de Dieu ou lise quelque livre dévot »58. Les mêmes constitutions évoquent, dans le chapitre précédent, le Vieil Ennemi que, depuis les Pères du désert, il s’agissait pour le moine de combattre : le démon de midi, qui surgit pour lui infliger l’ennui et l’acédie59. Ludovic Viallet Centre d’histoire « Espaces & Cultures » Maison des Sciences de l’Homme Université Clermont Auvergne
Constitutiones Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum, op. cit., p. 52 (chap. v) : « Ma perche e difficil cosa che lhomo stia sempre tutto elevato in Dio, per evitar locio dogni mal radice, dat bono exemplo al proximo, et per essere mancho gravi al mundo a exemplo del apostolo Paulo el quale predicando lavorava, et de li altri sancti, per observare la admonitione de lavorare data ne la Regula dal nostro padre san Franscesco, et conformarci in questo con la sua volunta expressa nel suo testamento se e determinato che quando li frati non saranno occupati in exercitii spirituali lavorino manualmente in qualche exercitio honesto, non perho manchando quanto patisse la humana fragilita di exercitarsi in quel tempo, etiam con la mente in qualche meditatione spirituale, perho si ordina che mentre si lavora semper o si parli di dio o si lega qualche libro devoto ». 59 Ibid., p. 51 (chap. iv) : « Et guardinsi li frati dal demonio meridiano, el quale si transfigura in angelo di luce, et questo e quando el mundo per haverci devotione, ci applaude, et fafesta con honorarci, et darci de le sue richeze, le quale cose, molte volte, sonno state causa de molti mali ne la Religione ». Sur le rôle du travail dans la vie de l’ermite au désert, voir notamment Antoine Guillaumont, Un philosophe au désert. Évagre le Pontique, Paris, Vrin, 2004, p. 182-183 et p. 200, qui souligne que selon Évagre, référence paulinienne à l’appui, le travail devait aider le moine à terrasser le démon de l’acédie. 58
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Annexe Législation réformatrice franciscaine et intertextualité : le cas du chant Constitutions « martiniennes » (1430), chap. iii1 [italique : texte des constitutions de 13362]
Constitutions de l’Observance ultramontaine (Barcelone, 1451), chap. ii, 1-33
Constitutions des Observants hongrois (Atya, 1499), chap. iii, 14
Constitutions de Jean de Capistran pour l’Observance cismontaine (1443)5
Quod clerici faciant divinum officium secundum ordinem Sancte Romane Ecclesie.
Clerici faciant officium divinum secundum ordinem Sanctae Romanae Ecclesiae. De reliquis autem circa divinum officium, servetur Constitutio Benedicti, quam maxime,
1 Chronologia historico-legalis, op. cit., p. 93, corrigé à partir de Berlin, Staatsbibliothek, ms. theol. lat. qu. 220, f. 31ro-vo. 2 Avec des divergences syntaxiques, d’un texte à l’autre, dans la phrase « Quia vero cantus ecclesiasticus divinae laudis et Sacrificium fructusque labiorum canentium non solum eorum qui psallunt, sed etiam auditorum edificatio esse dicimus », divergences sur lesquelles je ne m’attarde pas. 3 Archivum Franciscanum Historicum, no 38, 1945, p. 127-128. 4 Alba Julia, Batthyaneum, (Szentiványi R.) II. 148, f. 13ro, en correction de I. Batthyány, Leges Ecclesiasticae Regni Hungariae, op. cit., 3, p. 621. 5 Chronologia historico-legalis, op. cit., p. 104.
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[…] quod ante horarum et missarum principia fratres omnes quos causa rationabilis non excusat, ad chorum conveniant, Domino praeparaturi corda sua ibique sine risu, murmure, discursu, vanis et vaghis aspectibus, sub silentio et pace, cum debita gravitate permaneant, cantent et orent et usque ad finem unanimiter perseverent.
1. […] quod ante missarum et horarum principia fratres omnes, quos causa rationabilis non excusat, ad chorum conveniant, « praeparaturi Domino corda sua », ibique sine discursu, murmure, risu et absque vagis et vanis adspectibus sub silentio, in pace et cum debita gravitate permaneant, cantent et orent et usque in finem « unanimiter perseverant ».
Quia vero cantus ecclesiasticus divinae laudis et Sacrificium fructusque labiorum canentium non solum eorum qui psallunt, sed etiam auditorum edificatio esse dicimus, eosdem fratres
hortamur in Domino, ut divinas laudes integre, attente, honeste et religiose persolvant,
[…] quod ante missarum et horarum principia fratres omnes, quos causa rationabilis non excusat, ad chorum conveniant, Domino preparaturi corda sua. Ibique sine discursu, murmure, risu et aliis vagis et vanis aspectibus, sub silentio in pace, cum debita maturitate permaneant, cantent et orent, et usque in finem unanimiter perseverent. Quia vero cantus ecclesiasticus divinae laudis est sacrificium non solum eorum qui psallunt, sed etiam auditorum edificatio esse debet,
2. Hortamurque in Domino, ut divinas Laudes integre, attente, honeste ac religiose persolvant,
ideo divinas laudes integre, attente, honeste ac religiose persolvant,
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gestus leves et cantus dissolutos et fractos omnino declinent, sed tractim psallant debito more, incepta que simul cantanda fuerint simul continuent6, simul pausent.
gestus leves et cantus dissolutos seu fractos omnino declinent, tractim psallant debito more, incepta quae simul cantanda fuerint, simul continuent, simulque pausent. […]
gestus leves et cantus dissolutos et fractos omnino declinent, tractim psallant debito more, incepta que simul canenda sunt simul continuent, simul pausent,
Hoc addito, quod circa cantum, in locis ubi pauci sunt Fratres, qui non sufficerent ad cantandum, vel alia rationabili causa, Praelati possint dispensare, cum viderint expedire.
3. De legendo autem sine nota in aliquibus conventibus seu locis fiat secundum dispositionem praelatorum. […]
hoc addito quod de cantu ubi fratres pauci sunt, qui non sufficerent ad cantandum, vel alia rationabili causa, praelati possint dispensare cum viderint expedire […]
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ut gestus leves et cantus dissolutos et fractos in divinis officiis et missarum solemniis fratres omnino declinent, et vitent
Ibid., p. 93 : « […] que simul canenda forent, similiter concinant, similiter pausent […] ».
Quand Benoît de Nursie rend hommage à François d’Assise grâce à un capucin… Dans un volume consacré aux vocations chez les réguliers1, tout comme dans ses travaux collectifs consacrés à l’histoire du livre et de la liturgie2, Bernard Dompnier a montré combien les études transversales des réguliers de l’époque moderne sont une nécessité pour saisir pleinement la place des religieux dans la société d’Ancien Régime3. La préparation d’une recherche sur le recours à la figure de Benoît dans la tradition bénédictine et audelà a été l’occasion de relire un texte un peu oublié du début du xxe siècle, rédigé par un capucin, Ubald d’Alençon, et publié en 1926 dans une revue fondée par les bénédictins de la Congrégation de France (Solesmes donc) et alors dirigée par dom Besse, par ailleurs fondateur engagé de la Revue Mabillon. Il m’a semblé évident qu’un tel texte trouvait sa place dans ces mélanges offerts à celui qui fit sa thèse sur les capucins et qui est maintenant le président de la Société Mabillon ! Ce texte, teinté d’un certain humour, tient à la fois de la littérature de piété et du théâtre religieux. Il se présente comme la rencontre céleste entre Benoît et François, entre bénédictins et franciscains. Il mêle hagiographie et faits historiques plus ou moins attestés. Il propose une sorte d’hommage de Benoît à François, insiste sur ce que François doit à Benoît, et embrasse l’ensemble de l’histoire des réguliers et des interactions entre les deux grandes familles jusqu’à l’actualité la plus brûlante liée à la béatification puis la canonisation de Thérèse de Lisieux à laquelle Ubald, originaire d’Alençon et contemporain, est particulièrement attaché. En effet, cette même année 1926, le Père Ubald publie dans la revue Estudis franciscans, un article révélateur de cette relation avec sa compatriote d’Alençon et intitulé « Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus comme je la connais ». Avant de rappeler les principales étapes de sa vie et d’évoquer le charisme de la toute juste canonisée, il se plait à dire qu’il est son exact contemporain, qu’il a connu les mêmes personnes, le même curé : « J’ai 11 jours de plus que ma compatriote. J’ai été baptisé sur les mêmes fonts baptismaux
Vocations d’Ancien Régime. Les gens d’Église en Auvergne aux xviie et xviiie siècles. Revue d’Auvergne, no 544-545, 1999. 2 Par exemple : Bernard Dompnier et Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Les religieux et leurs livres à l’époque moderne, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000 ; Bernard Dompnier, Cécile Davy-Rigaux et Daniel-Odon Hurel, Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne. Une littérature de codification des rites liturgiques, Turnhout, Brepols, 2009. 3 Pour connaître la bibliographie de Bernard Dompnier et une sélection de ses articles : Bernard Dompnier, Missions, vocations, dévotions. Pour une anthropologie historique du catholicisme moderne, Lyon, LAHRA, 2015. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 95-110 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115077
Daniel-Odon Hurel
que ses huit frères et sœurs. […] Je me rappelle très bien son père. […] Je me rappelle sa grand’mère et son parrain… »4. Léon-Louis Berson nait en 1872 à Alençon et vit sa jeunesse dans le même village où Thérèse Martin était en nourrice. Il entre au petit séminaire de Séez en 1887. En 1891, après avoir rencontré lors d’une retraite le P. Benoît-Joseph de Nantes, capucin, il prend l’habit au Mans et reçoit le nom d’Ubald. Il est ensuite envoyé au couvent de Kadi-Köl près de Constantinople pour y faire ses études. Malade, il est rapatrié en 1894 à Versailles. Le 29 juin 1898, le Père Ubald est ordonné prêtre. De santé toujours fragile, il se consacre aux études, suit les enseignements de Maurice Prou à l’École des chartes. À partir de 1900, le Père Ubald multiplie les comptes rendus bibliographiques au sein des Études franciscaines, prenant en charge dès les années 1907-1910 un « Bulletin d’histoire franciscaine ». En 1915 et 1916, le Père Ubald enseigne à l’Institut catholique de Paris, dans le cadre de la chaire Anna Moreau, cours qu’il réunit dans un livre publié en 1918 et dans lesquels il étudie la « physionomie de saint François » et aborde en différents chapitres l’histoire franciscaine sur la longue durée (spiritualité, philosophie et théologie, prédication, lutte contre le protestantisme, lutte contre le jansénisme, missions)5. Pendant la guerre, il est mobilisé à l’hôpital Saint-Jacques à Paris. Il meurt au couvent de Bry-sur-Marne le 5 juillet 19276. Outre l’ouvrage cité, le Père Ubald a publié une traduction d’écrits de saint François, Les Opuscules de saint François d’Assise, en 19057, ouvrage dans lequel on retrouve, à la suite d’une discussion sur la question de l’authenticité et de l’inauthenticité des œuvres à partir des travaux des frères mineurs de Quaracchi et de Boehmer publiés en 19048, la plupart des écrits y compris douteux attribués à François. Dans son introduction, le Père Ubald entend vouloir « populariser l’esprit de saint François d’Assise, montrer son attachement à l’Église catholique, sa pauvreté, son amour de Dieu » et « faire du bien aux âmes »9. Cette même volonté apologétique dans le cadre du renouveau franciscain du début du xxe siècle a sans doute suscité son ouvrage consacré, en 1913, à L’âme franciscaine10, essai « historique de psychologie religieuse » ainsi 4 Ubald d’Alençon, « Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus comme je la connais », Estudis franciscans, vol. 37, no 220, 1926, p. 14-28 (ici p. 14). Cet article fut connu plus tardivement du grand public grâce à Lucie DelarueMardrus, dans La petite Thérèse de Lisieux (1937). Le P. Ubald réagissait au récent ouvrage de Monseigneur Auguste Laveille, très hagiographique : Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1873-1897) d’après les documents officiels du Carmel de Lisieux, Lisieux, 1925. Utilisant notamment une déposition à charge faite par Mère Agnès, en 1915 au cours du Procès apostolique sur le carmel à l’époque de Thérèse, il insistait sur le traitement très dur infligé par Marie de Gonzague et par la communauté à la jeune Thérèse. Le P. Ubald semble avoir été réprimandé au sein de sa propre communauté (je remercie Claude Langlois pour m’avoir apporté ces pistes et ces éclairages). 5 Leçons d’histoire franciscaine, Paris, Librairie Saint-François, coll. « Nouvelle bibliothèque franciscaine », 1918. 6 Willibrord-Christian Van Dijk, « Ubald d’Alençon, capucin (1872-1927) », dans Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, t. 16, 2004. 7 Paris-Couvin, Librairie Saint-François – Maison Saint-Roch, coll. « Nouvelle Bibliothèque franciscaine, 2e série, II », 1905, 286 p. 8 Opuscula sancti Patris Francisci, Quaracchi, 1904 et Henri Boehmer, Analekten zur Geschichte des Franciscus von Assisi. S. Francisci Opuscula, Tubingen, J. C. B. Mohr (Paul Siebeck), 1904. 9 Opuscules, op. cit., p. 3. 10 Ouvrage réédité en 1926.
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que l’auteur le présente en introduction. Mais l’œuvre du capucin est aussi constituée d’un grand nombre d’articles et de fascicules sur différents aspects de l’histoire locale et générale du franciscanisme avec une part importante faite aux textes médiévaux ou modernes, dont il publie nombre de traductions11. Dans ce cadre bio-bibliographique, le texte qui nous occupe se présente donc comme une sorte de synthèse de la vision des relations entre monde bénédictin et franciscain, inscrite de plus dans le contexte de l’après-guerre, tournant politico-religieux d’une part (les exils monastiques puis les retours progressifs) et religieux (la dynamique franciscaine d’une part, et la dynamique carmélitaine d’autre part, liée à la canonisation de Thérèse en 1925). Pour autant, il ne faudrait pas considérer cette vision des relations entre les deux familles régulières comme une nouveauté. Bien au contraire, le Père Ubald reprend et schématise une vision historiographique ancienne comme le montrent les références qu’il fait aux origines de la famille franciscaine et, dans les années 1615-1638, au rôle spécifique du père Joseph dans la fondation des bénédictines du Calvaire. Par ailleurs, le capucin a déjà comparé différentes traditions ou spiritualités régulières quelque années auparavant, dans son livre intitulé L’âme franciscaine, lorsqu’il s’agit de définir la dimension « séraphique » de deux personnages essentiels que sont sainte Claire et sainte Thérèse d’Avila : 11 Sans prétendre à l’exhaustivité, voici l’essentiel de l’œuvre du Père Ubald d’Alençon : Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque franciscaine provinciale, Paris, 1902 ; Le Livre d’or du Chemin de la croix, Paris, 1902 ; L’Obituaire et le nécrologe des Cordeliers d’Angers, 1216-1790, Angers, 1902 ; Notice historique sur Sébastienne Richard de Boistravers, 1580-1661, Angers, 1902 ; Une page de l’histoire de Paris. Notice historique et bibliographique sur les travaux d’Écriture sainte des Capucins, Paris, 1903 ; Essai sur les franciscains d’Alsace pendant la Révolution d’après les travaux du P. Apollinaire de Valence, Rixheim, 1904 ; Jean Halbout de la Becquetière (1593-1626) : étude de mœurs religieuses au xviie siècle avec un appendice sur la famille normande de la Boderie, Paris, 1904 ; Le Dit de la vie de S. Antoine de Pade (texte xve siècle), Paris, 1904 ; Relation inédite d’un voyage en Guinée, adressée en 1634 à Peiresc, par le P. Colombin de Nantes, Vannes, 1906 ; Souvenirs inédits de Dubois de la Loire-Inférieure sur les deux La Mennais, Vannes, 1906 ; Les Franciscains de Berthaucourt et de Bethlé à Mézières et à Charleville, 1342-1792, Paris, 1907 ; Notice historique sur le P. Séverin Girault, du tiers-ordre franciscain, né à Rouen, mort aux Carmes à Paris (1728-1792), Paris, 1907 ; Deux vies romanes de saint François d’Assise, Paris, 1909 ; Les frères mineurs capucins à Angers, 1855-1870 : notice historique, Angers, 1909 ; Les idées de saint François sur la pauvreté, Paris, 1909 ; Documents sur la réforme de sainte Colette en France, Quaracchi, 1910 ; L’aiguillon d’amour (Stimulus amoris), traité d’ascétisme longtemps attribué à Saint Bonaventure, composé par le Fr. Jacques de Milan, Paris, 1910 (rééd. 1921) ; Les Idées de Saint François d’Assise sur la Science, Paris, 1910 ; Les frères Mineurs et la réforme de Port-Royal (1609-1626), Paris, 1911 ; Les Vies de Ste Colette Boylet de Corbey, réformatrice des Frères Mineurs et des Clarisses (1381-1447), écrites par ses contemporains, le P. Pierre de Reims, dit de Vaux, et sœur Perrine de La Roche et de Baume, Paris, 1911 ; Miniatures et documents artistiques du Moyen Âge relatifs à Sainte Colette de Corbie, Paris, 1912 ; Traité de la paix de l’âme, par le P. Jean de Bonilla de l’observance de Saint-François, Paris, 1912 ; Sacrum commercium : les noces mystiques du bienheureux François d’Assise avec madame la Pauvreté, Paris, 1913 ; Notice sur le Monastère de la visitation d’Alençon 1659-1694 (Bibl. Mazarine, ms. 2437 et 2440), Paris, 1915 ; Le Tiers-Ordre de saint François, Paris, 1917 ; Inventaire des biens de Grégoire Langlois, Evêque de Sées (17-19 Mai 1404), Paris, 1920 ; Hyères franciscain ancien et moderne. Cordeliers, récollets, clarisses, capucins, tiers ordre, Paris, 1922 ; Le chemin de la croix dans la religion, dans l’histoire et dans l’art, Paris, 1923 ; Un chapitre de l’histoire de l’amitié des saints : S. Pierre d’Alcantara et S. François de Borja, Iseghem, 1923 ; Traité de l’oraison et de la méditation, par saint Pierre d’Alcantara, Paris, 1923 ; Saint François d’Assise et la liturgie, Saint Etienne, 1926.
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Quelles différences alors se trouvent entre la Clarisse et la Carmélite, toutes deux séraphiques ? Chez la fille de sainte Thérèse, il y a plus de contemplation érémitique ; chez la fille de sainte Claire, plus de vie en commun. Là, plus d’aisance, ici plus de pauvreté. Là plus d’apostolat extérieur, ici plus d’austérité et d’héroïsme. Là le travail dans la solitude, ici le travail en communauté. […] Enfin sainte Claire est une fondatrice, sainte Thérèse une réformatrice. […] Sans comparer la Carmélite à l’aigle, nous pouvons dire que la clarisse tient davantage de la colombe12.
Cette méthode comparatiste s’insère dans une vision de l’histoire monastique qui s’inscrit à la fois dans une continuité profonde et dans une volonté d’identifier précisément l’esprit d’une famille par rapport à une autre. Dans l’article qui suit comme dans cet extrait de L’âme franciscaine, le Père Ubald résume les principaux aspects qui fondent la tradition monastique : les modes de vie communautaire, l’autorité, le rapport à la prière, les charismes, les notions de fondation et de réforme. Bien plus, en s’attachant à Benoît et à François, le capucin enracine la vie franciscaine dans le monachisme occidental des premiers siècles. En outre, le Benoît qu’il décrit apparaît comme le garant de l’authenticité du cénobitisme occidental, au-delà des ruptures révolutionnaires et des restaurations du xixe siècle, celle de dom Guéranger en particulier puisqu’il y fait allusion. Ce Benoît de Nursie est le Père des moines, l’homme du silence, celui de la prière et de la liturgie, une source majeure de la vie régulière. Cette notion de continuité historique intrinsèquement liée à la définition du monachisme bénédictin définit la restauration monastique qui, en ce début du xxe siècle et malgré les exils, connaît un essor visible quelques décennies après les fondations de Beuron ou de Maredsous et avec la consolidation et le rayonnement de Solesmes13. Cependant, le capucin met le doigt sur un aspect spécifique de la tradition bénédictine, peu mis en valeur par les restaurations monastiques du xixe siècle, sinon par le Père Jean-Baptiste Muard dans son parcours qui le mène progressivement à la fondation de la Pierre-qui-Vire. Il s’agit de l’érémitisme de Benoît. Pour Ubald, il y a une fidélité franciscaine au Benoît ermite de Subiaco, un Benoît qui aurait été quelque peu oublié par les réformes bénédictines modernes et contemporaines qui insisteraient essentiellement sur le Benoît du Mont-Cassin, le Benoît d’une Règle achevée et définitive. Cette fidélité franciscaine, pour le capucin qu’est Ubald, est incarnée en particulier, même s’il ne le dit pas, par les origines mêmes de la branche réformée de l’ordre des frères mineurs à laquelle il appartient. Il reprend les mêmes arguments que Johannes Joergensen (1866-1856) qu’il cite dans l’article. En effet, dans sa biographie de François d’Assise, l’historien danois évoque le charisme érémitique de Benoît, comme source de François, mais aussi comme point commun dans cette continuité régulière : Tous ces lieux [Carceri et autres lieux que cite aussi le Père Ubald] nous prouvent assez que l’esprit qui inspirait François d’Assise était bien le même, exactement, que celui qui jadis, à la fin des temps antiques, avait inspiré Benoît de Nursie, et qui, au commencement des temps 12 Ubald d’Alençon, L’âme franciscaine, Paris-Couvin, Librairie Saint-François – Maison Saint-Roch, coll. « Nouvelle bibliothèque franciscaine », 26, 1913, p. 85. 13 Voir à ce titre, le récent ouvrage de Danièle Hervieu-Léger : Le temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris, PUF, 2016.
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modernes, devait inspirer Ignace de Loyola. François à Poggio Bustone ou à Fonte-Colombo, c’est l’équivalent absolu de Benoît au Sacro Speco, près de Subiaco, d’Ignace dans la grotte de Manrèse. À chacun de ces trois hommes s’est imposée la même devise : Ora et labora14 ?
Dans ce texte, le Père Ubald d’Alençon, à la fin de sa vie, synthétise une trentaine d’années de lectures et de publications autour de la tradition franciscaine certes, mais il témoigne aussi de cette dynamique régulière issue du renouveau monastique bénédictin et franciscain de la seconde moitié du xixe siècle, intégrant l’actualité carmélitaine la plus proche. Sans doute, ce texte du Père Ubald d’Alençon aurait pu trouver sa place dans le recueil de Damien Vorreux consacré à François d’Assise dans les lettres françaises15, ouvrage dans lequel on trouve quelques textes littéraires contemporains, de Paul Renaudin (18731964) par exemple16. Damien Vorreux cite par ailleurs nombre d’éditions de textes publiées par le Père Ubald dans Études franciscaines. Ce dernier conclut ainsi ce qui fut sans doute un de ses derniers bulletins bibliographiques de la même revue, en octobre 1926 : « Il faut prendre son parti de l’inondation franciscaine. D’autant plus que comme les crues du Nil, elle est parfois bienfaisante »17. Daniel-Odon Hurel CNRS, PSL, LEM (UMR 8584)
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Johannes Joergensen, Saint François d’Assise, sa vie et son œuvre, Paris, Perrin, 1911, p. 105. Paris, DDB, 1988. « Le repas chez Guido », paru initialement dans la Revue hebdomadaire, 2 octobre 1926. Cité par D. Vorreux, François d’Assise, op. cit., p. 9.
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Céleste éloge de saint François d’Assise par saint Benoît de Nursie18 Mon très saint Frère François, A l’immortel et visible roi des siècles, à Dieu soit l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles ! Le chœur des saints Grâces à Dieu ! Ainsi soit-il ! Saint Benoît Souffrez, saint frère François, que l’Eglise triomphante s’unisse aux hommages que vous adresse en ces jours l’Eglise militante. Certes nous ne vivons plus les heures de pénitence et de deuil, le temps n’existe plus pour nous, nous ne sommes plus en voyage, nous avons touché le port, stables nous vivons dans la patrie. Nous contemplons face à face ce que nous regardions dans un miroir. O joie profonde ! Mais maintenant, d’autre part, nous voyons dans la divine lumière le lieu de nos travaux passés, et notre cœur n’est pas seulement rempli de justice pour nos frères voyageurs de la terre, il est pour eux animé de la bonté et de la miséricorde (538) divine jusqu’à ce que luise le jour éternel, le jour sans matin ni soir. Et c’est ainsi, à cause de la communion des saints, que nous nous plaisons à unir nos joies aux allégresses des fidèles de l’Église d’en bas, et que nous voulons marier nos louanges à leurs acclamations. Le septième centenaire de votre trépas, c’est, après tout, le septième centenaire de votre entrée dans le paradis où nous sommes, vivant tous d’une immortelle jeunesse aux pieds de l’Agneau sans tache que nous avons suivi, Roi des Vierges et Trône des cœurs purs. En vérité l’honneur que j’ai de vous haranguer est tempéré par un grain de scrupule. J’ai si peu parlé dans ma vie ! Et puis, bien qu’ici nous ne comptions plus les années, je fus tout de même votre ancien. Mais plusieurs de mes fils qui sont ici ma couronne m’ont fait observer que, dans la liturgie terrestre, il arrive qu’au bréviaire un saint Augustin, un saint Maxime, etc., font quelquefois l’éloge au second nocturne de personnages qui leur sont postérieurs dans l’ordre des temps. Il me faut faire de même19. J’avais bien pensé à notre confrère saint Dominique, qui vous connait mieux qu’un autre. Il a vécu avec vous20. Il vous a, dit-on, pressé dans la rédaction de votre règle, et de vous il a reçu l’amour de
Ubald d’Alençon, dans La Vie et les arts liturgiques, 12e année, no 142, octobre 1926, p. 537-547. Fondée en 1913, cette revue fut dirigée, après la mort de dom Besse en 1920, par dom Fernand Cabrol, abbé de Farnborough. Son dernier numéro paraît en 1926. 19 C’est en particulier le cas des textes du deuxième nocturne des matines des communs des confesseurs. Ce clin d’œil à la liturgie de la part de Benoît n’est certainement pas un hasard sous la plume du capucin. 20 Dominique et François se sont rencontrés à plusieurs reprises. Une première fois, peut-être au cours du concile Latran IV, en 1215 ; plus certainement en 1217 (François et Dominique se trouvent à Rome pour demander au pape, Honorius III, des privilèges pour leur Ordre ; c’est le célèbre baiser des deux fondateurs) ; une autre rencontre est attestée lors d’un chapitre franciscain, très probablement à Sainte-Marie-des-Anges, le 3 juin 1218 (cf. Fioretti). C’est lors de ce chapitre que Dominique est frappé par l’exigence de pauvreté évangélique prêchée par François. Une dernière rencontre a lieu chez le cardinal Hugolin, futur Grégoire IX, grand ami de François et de Dominique, entre 1218 et 1221. C’est la scène de l’assaut de modestie et d’humilité entre les deux hommes, raconté par Thomas de Celano dans la Vita secunda. 18
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votre fiancée Madame la Pauvreté21. Mais le patriarche des frères Prêcheurs m’a fait aimablement observer qu’un de ses fils et non le moins noble, notre confrère saint Thomas d’Aquin, a déjà chanté poétiquement votre éloge dans le chant XI du Paradiso de notre ami Dante Alighieri, le florentin ceint de la corde22. Il me restait à recourir à saint Ignace de Loyola23. Saint Dominique est tout à fait votre frère. Saint Ignace a trouvé une excuse dans la génération des âmes. Et voilà que saint Ignace a trouvé une excuse dans sa jeunesse, alors que je ne puis le faire dans ma vieillesse, et il me dit qu’il se réserve pour le huitième centenaire. Je me soumets. Je me soumets parce que la très sainte Vierge m’a fait remarquer que vous étiez son fils très cher et que vous étiez aussi le mien. Et mon fils Pierre Roger, le souverain Pontife Clément VI, m’a insinué que je n’avais qu’à lire son panégyrique de vous pour me mettre en verve24. Peu de temps après votre conversion, après avoir réparé les chapelles de Saint-Damien et de SaintPierre où sont encore mes fils, vous eûtes l’idée de rendre un peu de solidité à la petite église de la Portioncule bâtie jadis au milieu des bois, maintenant dans la plaine au milieu des humains. Cette chapelle dépendait de notre grande abbaye du Mont Soubase25, habitée par des Clunisiens, et les propriétaires n’en tiraient point un gros revenu. Ils vous en firent cadeau, ou plutôt vous en laissèrent l’usage26. O puissance de la grâce divine ! Dieu se plaît à exalter les humbles et des plus petites choses il tire de grands effets. C’est de la Portioncule que sortit votre fraternité, et c’est ainsi que je suis un peu votre père spirituel. En reconnaissance et pour rendre à l’abbé fidèle hommage, vous fîtes porter tous les ans un panier de poissons au domicile de vos bienfaiteurs. Car vous ne connûtes jamais cette indépendance du cœur qui est l’ingratitude. En échange on vous faisait l’aumône d’un vase d’huile. Cet usage n’est point tombé en désuétude. Aujourd’hui le Père Gardien de la Portioncule s’en va à la cure Saint-Pierre27, la veille de la fête patronale28, et il offre au pasteur un panier de poisson en 21 Le Père Ubald semble ici se référer à J. Joergensen (Saint François d’Assise, op. cit., p. 293) qui affirme qu’au chapitre de Bologne de 1220 des frères prêcheurs, Dominique fit adopter l’interdiction de rien posséder. 22 La Divine Comédie connait au xixe siècle de nombreuses traductions en français, en particulier, en 1855, celle de Félicité de Lamennais (La Divine Comédie de Dante Alighieri, précédée d’une introduction sur la vie, les doctrines et les œuvres de Dante, Paris, Pulin et le Chavalier, 1855, 3 vol.). 23 On retrouve les trois saints « passés » par l’érémitisme : Benoît, François et Ignace. 24 Panégyrique publié par le Père Ubald d’Alençon en 1911 : Panégyrique inédit de saint François d’Assise par le pape Clément VI, Paris, Picard, 1911, 24 p. 25 Le P. Ubald pouvait ici bénéficier de l’article de synthèse historique et bibliographique produit par son confrère le P. Édouard d’Alençon (1859-1928) : « L’Abbaye de Saint-Benoît au Mont Soubase, près d’Assise, essai d’annales de ce monastère », Études franciscaines, octobre 1909, p. 375-424. 26 Cette question des liens entre saint Benoît et l’origine de la chapelle de la Portioncule fait l’objet de plusieurs travaux dans les années 1900, à la fois chez les historiens bénédictins italiens et chez les franciscains, tentant de faire le tri entre sources historiques, légendaires et chroniques tardives : voir par exemple celui d’Édouard d’Alençon, « Des origines de la Portioncule et de ses diverses dénominations », Études franciscaines, janvier 1904, p. 585-606. 27 L’ancienne abbaye bénédictine San Pietro d’Assise. 28 On pourrait penser au 2 août, jour du Grand Pardon en souvenir de l’indulgence plénière accordée par le pape à François. Sur cette question, un autre confrère avait fait le point une vingtaine d’années auparavant : Gratien, « François d’Assise, Essai sur sa vie et son œuvre d’après les derniers travaux critiques », Études franciscaines,
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souvenir de ce qui se pratiquait autrefois. Nous nous donnons encore des baisers par l’intermédiaire de nos fils29. Cette petite église de la Portioncule vous est devenue chère à plusieurs titres : elle a été pour vous le théâtre d’apparitions célestes ; les anges et nommément votre ami saint Michel vous y ont apparu visiblement. C’est là que votre protecteur le cardinal Hugolin30 célébra la sainte messe où vous remplîtes l’office de diacre lors de vos chapitres généraux. C’est là que pour vous le trésor des indulgences s’ouvrit si largement31. Vous ne saviez pas encore bien au début ce que Dieu attendait de vous. Vous étiez privé des secours de votre père Bernardone32, et la vie pauvre vous attachait nu à la croix de Jésus-Christ notre divin Sauveur. C’est en allant chercher un vêtement chez un de vos amis, Frédérique Spadalunga, à Gubbio, que vous vous arrêtâtes dans notre petit monastère de Santa Maria della Rocca33, et que l’on vous y donna asile à condition que vous aideriez le frère cuisinier. Hélas ! Pardonnez-nous, on ne fut pas très hospitalier à votre égard en ce lieu34. On ne vous fit point l’aumône que vous attendiez, celle d’un vieil habit hors d’usage et même, il m’en souvient, à peine vous donna-t-on à manger. En vérité, vous étiez trop humble et ce fut la nécessité seule, et non pas l’animosité, qui vous força à nous quitter au bout de quelques jours et à continuer votre route vers Gubbio où vous trouvâtes plus tard des loups. Il m’est plus doux de vous rappeler qu’à la Portioncule, en 1212, vous avez reçu notre bien-aimée et très honorée petite sœur Claire d’Assise35. Là vous l’avez reçue à la pénitence. Là vous lui avez coupé les cheveux. Là elle s’est dépouillée des vanités du monde. Là elle a prononcé ses vœux. Elle avait suivi vos prédications du carême à la cathédrale Saint-Rufin, puis à l’église Saint-Georges. Elle vous avait juillet 1907, p. 359-482 (en particulier p. 478-482). Il s’agit en fait plus certainement du 29 juin, jour de la saint Pierre, fête patronale du monastère de Saint-Pierre d’Assise (cf. note suivante). 29 La tradition de l’offrande du panier de poissons offert aux moines de l’abbaye du Mont Subasio puis de l’abbaye Saint-Pierre, abandonnée semble-t-il au cours du xvie siècle, fut relancée à l’initiative des franciscains d’Assise après 1791. Fut alors choisie la date de la saint Pierre, le 29 juin. L’offrande se déroulait lors de la messe, après l’offertoire. À une date pour le moment non précisée, au cours du xixe siècle, la cérémonie fut transférée à la veille, le 28 juin, et prit un caractère privé, ce dont témoigne le P. Ubald ici (cf. Giuseppe de Simone, « S. Francesco, la Porziuncola e i Benedettini », L’Italia francescana, no IX, 1934, p. 121-125) ; je remercie Pierre Moracchini de m’avoir signalé cet article. 30 Hugolin d’Anagni (v. 1145-1241), pape sous le nom de Grégoire IX (1227-1241) et corédacteur avec François de la seconde Règle (1223). 31 Allusion à l’indulgence plénière obtenue durant l’été 1216 d’Honorius III et promulguée lors de la dédicace de l’église Notre-Dame de la Portioncule. Remise en cause dans sa réalité et sa canonicité, elle fut néanmoins réaffirmée le 16 avril 1921 par Benoît XV dans un bref de confirmation. Par ailleurs la Portioncule est un lieu de pèlerinage particulièrement fréquenté au tournant des xixe et xxe siècle, à tel point que Pie IX, le 11 avril 1909, érige la chapelle au grade basilique patriarcale et de chapelle papale au même titre que la basilique Saint-François et les quatre grandes basiliques romaines. Le P. Ubald a sans doute bénéficié de la mise au point de son confrère René de Nantes : « L’indulgence de la Portioncule et la critique moderne », Études franciscaines, octobre 1908, p. 337-376. 32 Le propre père de François. 33 Le Père Ubald reprend la tradition locale de la localisation de cette anecdote à Santa Maria della Rocca. 34 Une sorte de critique du manque de générosité de l’hospitalité bénédictine vaincue par l’humilité extrême de François, le tout rédigé par un de ses fils ! 35 Le P. Ubald s’était intéressé peu de temps auparavant à sainte Claire : « Le plus ancien texte de la bénédiction, du privilège de la pauvreté et du testament de sainte Claire d’Assise », Revue d’histoire franciscaine, no 1, 1924, p. 469-482, et no 2, 1925, p. 290. En employant le pronom possessif « notre » à propos de sainte Claire, il donne à la dimension bénédictine de son début de vie religieuse une importance exceptionnelle, pour mieux établir la continuité du parcours de Claire.
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entendu parler merveilleusement « du mépris du monde et de la pénitence, de la pauvreté volontaire, de l’aspiration vers le ciel et de la nudité et de la honte et des saintes souffrances de Notre Seigneur crucifié »36. Elle ne fut point sourde à votre parole. Elle l’entendit et la suivit. Et que fîtes-vous de cette chaste jeune fille, car je pense que vous auriez été fort embarrassé de son personnage si Dieu l’avait abandonné dans vos bras. Là encore je vous vins en aide. Vous allâtes l’enfermer dans l’enceinte du monastère des bénédictines de Saint-Paul, dans la plaine d’Assise, où vous aviez bataillé jadis, près du Chiasco et non loin de Bastia, et de là, sous peu, vous la transférâtes, chez les bénédictines toujours, à Saint-Ange de Panzo, dans la ville même37. Et vous fîtes bien, mon frère ! On ne s’imagine pas la tempête de colère soulevée par cet événement dans la famille des Scifi. Agnès était venue rejoindre sa sœur Claire. Et c’est là, à Saint-Ange de Panzo que Monaldo l’oncle des deux sœurs, à la tête d’une petite troupe vint réclamer les nouvelles religieuses ! « Avait-on jamais vu pareille équipée ? De telles jeunesses ! De telles folies ! S’enfermer à cet âge ! » etc. O mon doux Sauveur ! À quel âge vous êtes-vous enfermé dans la prison de l’humanité ? À quel âge vous êtes-vous soumis à Joseph et à Marie ? À quel âge êtes-vous mort sur la croix ? Je m’explique votre intervention et comment nos petites sœurs Claire et Agnès, la joie de notre ciel et la caresse de nos yeux, reçurent votre protection et votre défense. C’est de Saint-Ange de Panzo que les premières Clarisses, vos filles, ô frère François, passèrent à Saint-Damien ; et combien d’années vécurent-elles là dans la pauvreté et l’humilité, sous l’empire de ma règle ? Vous le savez bien et vos récents historiens ne l’ignorent pas. Près de quarante années38 ! Dès le début de votre Ordre, je fus ainsi pour vous l’instrument des miséricordes divines, et c’est de mes fils que vos fils ont reçu l’accueil à Saint-Denys en France (1218)39, à Canterbury (1224)40, à San Francesco a Ripa (1229)41, à l’Ara Coeli (1252)42, et que sais-je encore ? La liste est bien longue43. Et partout vos fils montraient leur gratitude comme vous leur en aviez donné l’exemple à la Portioncule. En 1255 le bienheureux Jean de Parme44 au chapitre général concède la communion des biens 36 Le P. Ubald s’inspire de la Vie de sainte Claire dont l’attribution à Thomas de Celano est discutée ; il bénéficia sans doute de Sainte Claire d’Assise, sa vie et ses miracles, racontés par Thomas de Celano, et complétés par des récits tirés des chroniques de l’ordre des Mineurs et du procès de canonisation, trad., introduction et notes de Madeleine Havard de La Montagne, Paris, Perrin, 1917. 37 Cf. Legenda s. Clarae, éd. Francesco Pennacchi, Assise, 1910, p. 8 et 10. 38 Cf. P. Léopold de Chérancé (1838-1926), Sainte Claire d’Assise, Paris, 1901, p. 208. Le P. Ubald fait ici allusion à la visite d’Innocent IV en 1253 suivie de la bulle du 9 août de la même année, sanctionnant définitivement l’usage de la règle de 1224 et le choix de vie inauguré en 1212. 39 Si les premiers frères arrivent à Saint-Denis et sont en effet accueillis par l’abbé de l’abbaye, ce n’est que vers 1230 qu’ils obtiennent un couvent dans la ville sur des terrains provenant de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (cf. Luca Wadding, Annales Minorum, Rome, Schola typographica Pax et Bonum, vol. II, 1732, p. 373). 40 Et Oxford, avec l’aide des moines bénédictins d’Abingdom : cf. Andrew G. Little, The Greys Friars in Oxford, Oxford, 1892. 41 L’ancien Hospice san Biagio. 42 D’abord occupée par les bénédictins. 43 Le P. Ubald aurait pu en effet ajouter, par exemple, Sancta-Maria-de-Ferneto (cf. Luca Wadding, Annales Minorum seu trium ordinum a S. Francisco institutorum, Rome, Schola typographica Pax et Bonum, vol. I, 1731, p. 281). 44 Né en 1209, mort en 1289, il fut ministre général des franciscains de 1247 à 1257. Le chapitre général s’était tenu à Metz en 1249.
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spirituels aux bénédictins de Saint-Vincent de Metz, et en ce même treizième siècle, à la fin, vos frères d’Angleterre sont quelque temps lecteurs dans les monastères bénédictins anglais. Je n’ose vous rappeler que nos débuts, les vôtres et les miens, se sont ressemblés d’une manière bien singulière. Un de vos historiens et non des moindres, le frère Johannès45, un de ceux que nous observons avec le plus de sympathie et que nous protégeons davantage, a écrit qu’à côté de l’évangéliste et du missionnaire, il y avait toujours en vous un ermite46. De fait combien d’années, trente au moins, n’ai-je pas vécu à Subiaco dans la retraite la plus profonde ? On ne connait plus guère que mon passage au Mont-Cassin. C’est à tort. Il faudra qu’un jour la lumière soit révélée à mes enfants de la terre. Mais pour vous, partout où vous avez passé, il y a trace de ces déserts et de ces ermitages. Les Carceri (que vous tenez encore de moi) près d’Assise, Sant-Urbano, Fonte Colombo, la Foresta, Poggio Bustone, dans la vallée de Rieti, Monte Casale, où se mortifient vos réformés capucins ainsi qu’aux Celle près de Cortone, puis le lac de Trasimène et l’Alverne enfin, l’Alverne où l’Ange du Seigneur mit son sceau vivant sur votre chair47. Plaies douloureuses sur terre ! Plaies glorieuses au Paradis ! Rubis célestes qui vous distinguent entre tous ! Langues de feu qui chantent votre fol amour à Jésus Crucifié ! Je me rappelle le petit règlement que vous fîtes pour ces ermitages48 ? C’était un reflet de ma propre vie à Subiaco ! Subiaco ! Vous l’avez vu, les roses sont encore là. Nous venions de vous donner San Pietro in Deserto. C’était en 1223. Frère Léon et frère Massée vous accompagnaient. Le spectacle les impressionna et ils furent les premiers témoins émus du portrait que fit sous mon inspiration mon frère Othon49. Osez dire que vous n’étiez pas déjà mon fils très cher et que je n’avais pas pour vous des attentions paternelles. Votre portrait que je fis peindre à Subiaco, je l’ai gardé contre toutes les intempéries et toutes les destructions50.
Le poète Johannes Joergensen (1866-1956), protestant danois, converti au catholicisme après avoir découvert Assise en 1894 où il se prend d’une grande admiration pour la vie et l’œuvre de François. Très proche des franciscains, il traduit en danois dès 1902, les Fioretti puis, en 1903, une sorte de pèlerinage aux sites franciscains (Le Livre du Pélerinage). En 1907, il publie une biographie de François, traduite en français en 1909 (SaintFrançois d’Assise, sa vie et son œuvre, Paris, Perrin, 1909) : cf. Giovanni Joergensen e il francescanesimo : atti dell convegno internazionale, Assisi, 11-13 ottobre 2007, in occasione del cinquantesimo anniversario della morte, 1956-2006, Spoleto, Fondazione centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 2008. Le traducteur de sa biographie de François évoque aussi l’importance de l’abbaye bénédictine de Beuron, le « Solesmes » allemand en quelque sorte, dans la conversion du poète (Saint François d’Assise, op. cit., 1911, p. ix), abbaye à laquelle il consacre une étude dans ces mêmes années. 46 Ce sont en quelque sorte le rappel des titres des différents livres de la biographie de Joergensen : le bâtisseur d’églises (livre 1er), L’Evangéliste (livre 2e), Le chanteur de Dieu (livre 3e), Le solitaire (livre 4e). Mieux encore, le Père Ubald reprend l’esprit même sinon le texte du biographe : « Car toujours, à côté de l’évangéliste et du missionnaire il y avait et il y a eu en lui un ermite » (op. cit., p. 105). 47 Tous ces lieux sont énumérés à la suite même dans la biographie. 48 Le P. Ubald fait allusion au court texte intitulé De religiosa habitatione in eremo (cf. François d’Assise, Écrits, Paris, Le Cerf, coll. « Sources chrétiennes » 285, 1981, p. 200-202). Par ailleurs, en 1905, le P. Ubald avait publié Les Opuscules de saint François d’Assise, d’après l’édition latine publié à Quaracchi l’année précédente. 49 Le Père Ubald n’évoque en aucun cas la dimension légendaire de ce miracle des roses même s’il a lu évidemment toute la littérature qui s’y rattache et que résume en particulier Joergensen (op. cit., p. 262-263). 50 Ce portrait est bien entendu évoqué dans le livre de Henry Thode dont la seconde édition traduite en français est publiée en 1904 : Saint François d’Assise et les origines de l’art de la Renaissance en Italie, Paris, Renouard, 2 vol. (ici I, p. 79-82). 45
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Aussi bien y eut-il toujours entre nos deux Ordres échanges de bons procédés. Je veux même préciser que nos enfants passèrent parfois d’un Ordre à l’autre, ou se rendirent de notables services. Le P. Joseph du Tremblay, cette Eminence grise qui se trouve si bien à son aise depuis qu’elle ne vit plus que dans la contemplation céleste, le P. Joseph a réformé mes bénédictines du Calvaire51. Votre P. Honoré de Champigny52, dont la sainteté est si humble, a régenté mes abbayes du Val-de-Grâce, de Montivilliers, de Saint-Paul-lès-Beauvais et de Saint-Denys en France. Et, en retour, ce sont mes Calvairiennes d’Angers qui ont donné à Solesmes en 1846 les premiers livres liturgiques, et la première fois qu’on a célébré ma fête en ce même Solesmes53, c’est avec un vieux graduel in-folio venant des Elisabéthines, de Sablé, vos filles54. L’histoire humaine a de ces retours. Et c’est aussi nos Pères de Corbie qui ont formé l’âme de votre petite ancelle Colette, et c’est dans une de mes églises qu’elle vous a remarqué pour la première fois, peint dans un vitrail au-dessus du grand autel55. Ah ! Comme notre Père Abbé de Corbie eut le cœur gros lors du départ de sa fille (1406)56 ! 51 Plus que d’une réforme, il s’agit d’une création puisqu’à la mort d’Antoinette d’Orléans (1618), sa communauté, issue de la réforme tentée de Fontevraud, tout juste installée à Poitiers, était dans une totale incertitude quant à son devenir. C’est essentiellement le Père Joseph, à la suite en particulier du refus des feuillants de prendre en charge la communauté, qui construisit cette nouvelle congrégation, lui donnant des constitutions puis la nourrissant par des lettres et des exhortations spirituelles jusqu’à sa mort en 1638. Il manque encore une véritable histoire de la congrégation de Notre-Dame du Calvaire (cf. Madame Antoinette d’Orléans-Longueville, en religion Mère Antoinette de Sainte-Scholastique, Poitiers, 1932 : Benoist Pierre, Le Père Joseph, l’éminence grise de Richelieu, Paris, Perrin, 2007). Dans les années 1920, le P. Ubald bénéficiait essentiellement des travaux de Gustave Fagniez consacrés au Père Joseph, en particulier Le Père Joseph et Richelieu (Paris, Hachette, 1894). 52 Le capucin, né en 1566 et mort en 1624, fut un acteur important de la réforme monastique du début du xviie siècle tout en fondant une dizaine de couvents capucins et en exerçant successivement différentes charges. Sur la réforme des bénédictines citées par le P. Ubald : cf. Yves Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique en France, Paris, Éd. De la Source, 1975. Le Père Ubald a pu en particulier bénéficier de la lecture des ouvrages suivants : Henri de Calais, Histoire de la vie, mort et miracles du Père Honoré Bochard de Champigny (Paris, G. Aliot, 1649) et F. Mazelin, Histoire du vénérable serviteur de Dieu le Père Honoré de Paris, Paris, 1882. L’héroïcité des vertus du Père Honoré de Paris fut proclamée en 1898. 53 Paul Delatte, Dom Guéranger, Paris, Plon, 1909 : il s’agit plutôt de la fête de Noël 1846. « Cette même année 1846 vit s’accomplir une petite révolution toute intérieure qui achevait le caractère monastique de la communauté. Solesmes n’avait jusque-là célébré les heures de jour et de nuit que selon le bréviaire romain. La pénurie d’anciens bréviaires monastiques, la détresse d’argent, d’autres causes encore avaient retardé l’adoption du rite monastique complet. Les bénédictines du calvaire d’Angers ayant recueilli pour l’abbaye de Solesmes un nombre suffisant d’exemplaires, la fête de Noël de 1846 vit le retour au psautier et à l’office tels que Paul V les a fixés en 1612 pour les religieux de saint Benoît ». 54 Cet épisode est aussi raconté par dom Guéranger dans ses mémoires autobiographiques que n’a pas pu lire le P. Ubald. L’abbé Prosper Guéranger célèbre en effet la messe dans l’église paroissiale de Solesmes le 21 mars 1833, avant même l’installation officielle qui ne se fera que le 11 juillet de la même année, avec un graduel romain du xviiie siècle, édité à Bordeaux et provenant des franciscaines de Sablé (Dom Guéranger, Mémoires autobiographiques, Solesmes, 2005, p. 222). La source du P. Ubald est la biographie de dom Guéranger rédigée par dom Paul Delatte et publiée en 1909. 55 Dans l’église de l’hôpital de Corbie alors tenue par des bénédictines. 56 Raoul de Roye, abbé de Corbie de 1395 à 1418, servit en quelque sorte de tuteur à la jeune Colette après le décès de ses parents. Il tenta de s’opposer à la décision de Colette de se faire recluse, sur les conseils du Père Pinet, franciscain et gardien du couvent d’Hesdin (1402). La date de 1406 donnée par le P. Ubald correspond au bref du 14 octobre du pape Benoît XIII en vertu duquel il établissait Colette réformatrice de l’ordre des clarisses. Le Père Ubald avait d’ailleurs publié toute une série de textes autour de sainte Colette : « Lettres inédites de Guillaume de Casal à sainte Colette de Corbie et notes pour la biographie de cette sainte », dans Études franciscaines, no XIX, 1908, p. 460-481, 668-691 ; « Documents sur la réforme de sainte Colette en France », dans Archives franciscaines
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Vous attiriez beaucoup mes fils à vous à certaines époques. Notre bienheureux frère Pacifique de Ceredano fut notre élève avant d’être des vôtres57. Il vous le redira le jour de sa fête le 7 juin58. Mais combien de fois n’ai-je pas accueilli aussi les vôtres ! Nos deux règles, celle du Mont-Cassin et la vôtre, j’entends, n’ont pas le même tempérament. Certes, nous servons le même Dieu, mais chacun à notre façon. Il y a diverses fleurs dans le jardin du bon Dieu. Il y a divers uniformes pour les soldats du même Roi. Il y a différentes demeures dans la maison de notre Père céleste. Chez nous, mes fils vivent plus pour l’abbaye. Chez vous, ils rayonnent plus autour d’eux-mêmes. Chez nous, l’abbé a le pouvoir souverain, il est le père. Chez vous, l’abbé c’est la règle. Chez vous l’autorité n’habite qu’en locataire dans la personne du chef qui la détient. Chez nous l’abbé est la demeure permanente du pouvoir59. Chez vous c’est le seul trésor de la pauvreté et la folie de la croix qui vous enrichit, individus et corporation. Chez nous la pénitence est plus douce et nous pensons toujours au proverbe : discretio auriga virtutum. Il est un même point sur lequel des historiens mal éclairés nous opposent l’un à l’autre. Non pas quant au point de vue matériel, ce qui serait peu grave, mais quant à l’esprit, ce qui est de leur part une faute d’intelligence. Je veux parler des louanges divines. En vérité, vous et moi nous avons aimé et nous aimons la prière. Mais si chez nous notre occupation principale a été la prière, opus Dei, chez vous les seuls instants dérobés à l’oraison ont été pris par les travaux de l’apostolat60. Encore pour vos fils, la vie apostolique est-elle, elle-même, une autre forme de prière, et toutes les choses temporelles servent à votre contemplation. Que Dieu soit donc béni qui agrée les efforts de mes fils comme ceux des vôtres, des vôtres comme des miens. Mais c’est cette différence des règles qui expliquent la condescendance de Notre-Seigneur pour certaines âmes et comment j’ai pu recevoir, sortant de chez vous, le frère Ubertin de Casale61 qui est à expier ses fautes dans le Purgatoire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de frères mineurs sur la terre… Pierre Bersuire qui se purifie dans le même lieu jusqu’à la fin des temps et qui ne relira Tite-Live qu’au
historiques, no II, 1909, p. 447-456, 600-612 et no III, 1910, p. 82-97 ; À ces deux articles, s’ajoutait Les vies de sainte Colette Boylet de Corbie (cf. note 11). 57 Né vers 1420 et mort en 1482, il fut en effet élevé par les bénédictins de Novare avant d’entrer chez les franciscains de l’observance. 58 Le décret de canonisation est daté du 7 juillet 1745 (Benedicti XIV, De servorum Dei beatifitatione et beatorum canonizatione, Liber secundus, Rome, 1747, p. 341-343). Sa fête est célébrée à des dates différentes, en dehors du 7 juin indiqué par le P. Ubald : le 5 juin (Léon, Vies des saints de l’ordre de saint François, Paris, Bloud et Barral, 1887, p. 330), le 6 juin dans le Leggendario francescano de Pietr’Antonio di Venezia (Venise, 1732) et chez les Bollandistes, le 8 juin chez les capucins (Vies des saints et des bienheureux, Paris, Letouzey & Ané, 1948, t. VI : Juin, p. 152-153). 59 Il y a très clairement dans ce comparatisme autour des personnes d’autorité, la confirmation de la vision de l’abbatiat « monarchique » dans le monachisme bénédictin né de la restauration du xixe siècle. 60 Le P. Ubald défend ici l’importance de la prière et de l’office divin y compris chez les franciscains et les capucins : la liturgie n’est pas seulement constitutive de l’identité bénédictine. C’est encore mieux si c’est saint Benoît qui le reconnait lui-même ! 61 L’auteur de l’Arbor Vitae Cruxificae Jesu, un des théologiens des Spirituels franciscains, fut en effet contraint de quitter l’Ordre franciscain en 1317 pour devenir un temps bénédictin à l’abbaye de Gembloux : cf. Charles Davis, « Le Pape Jean XXII et les Spirituels. Ubertin de Casale », dans Franciscains d’Oc, les Spirituels, 1280-1324. Cahiers de Fanjeaux, no 10, 1975, p. 263-283 – Sylvain Piron, « La réception de l’œuvre et de la figure d’Ubertin de Casale », dans Ubertino da Casale. Atti del XLI Convegno internazionale, Assisi, 8-20 ottobre 2013, Spoleto, CISAM, 2014, p. 403-442.
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ciel62… et Rabelais63, le vilain Rabelais qui lui, par exemple, croupit en enfer et pour pénitence de sa vie et de ses écrits doit lire tout ce que les auteurs écrivent en mauvais français (Clément Vautel64 et Paul Souday65)… et enfin cet énigmatique Ange de Clareno, qui se réfugia près de mon abbaye de Sainte-Scolastique à Subiaco et dont le souverain Juge n’a point voulu jusqu’icy nous révéler le sort66. Oui, Dieu soit béni dans tous nos fils et nos filles. À nous suivre, ils sont demeurés dans le droit chemin, et je m’en réjouis. Il y a même à ce sujet, dans la chronique des XXIV généraux67, dans les pages consacrées à l’un de vos plus fervents successeurs, notre bienheureux confère Jean de Parme68, un chapitre très suggestif et que vos historiens ont carrément intitulé : « Comment des moines de saint Benoît se sont faits frères mineurs »69. L’anecdote vaut d’être contée à nouveau. Sonnée par ma main, la cloche donnera un son plus argentin. En ce temps-là (1215) près d’Antioche, à huit milles de la ville, dans un lieu dit la Montagne Noire à cause des épaisses forêts qui l’entourent ; il y avait un monastère de moines de mon Ordre. Et l’abbé et les moines admiraient les mœurs et la vie des frères mineurs qui passaient par ces contrées, et enflammés d’un divin Esprit, ils résignèrent toutes les possessions de notre monastère entre les mains du patriarche d’Antioche, ne gardant que le nécessaire pour l’habitation, et tous ils revêtirent l’habit des frères mineurs. Plusieurs années se passèrent ainsi. Les frères servaient dévotement le Seigneur, venant de diverses provinces, et le pays était alors soumis aux chrétiens. Un beau soir, le Père Gardien, après complies, sortit de la maison pour prier, et il lui apparut une lumière d’un éclat splendide, Pré-humaniste et ami de Pétrarque, Pierre Bersuire (1290-1362) est en effet un des traducteurs de Tite-Live. Certainement bénédictin, plutôt à tendance gyrovague, son passage préalable chez les cordeliers est peu connu comme le montre le biographe que le P. Ubald a forcément lû : « Notice biographique sur le bénédictin Pierre Bersuire, premier traducteur de Tite-Live », Bibliothèque de l’École des chartes, no 33/1, 1872, p. 325-364. Une dizaine d’années plus tard, Antoine Thomas publiait la preuve de ce passage chez les cordeliers avant 1332 : « Extraits des archives du Vatican, VI, Pierre Bersuire », Romania, no 11, 1882, p. 181-187. 63 On le sait, Rabelais fut d’abord cordelier avant de passer à la famille bénédictine vers 1523, famille qu’il quitte ensuite. 64 Né en 1876 et mort en 1954, Clément Vautel fut à la fois journaliste, pamphlétaire et romancier à succès dans l’entre-deux guerres, en particulier avec Mon curé chez les riches (1923), Madame ne veut pas d’enfant (1924) et Mon curé chez les pauvres (1925), trois ouvrages vendus à plus d’un million d’exemplaires. Son œuvre est marquée par un esprit conservateur, antiféministe, grivois et xénophobe et fut largement méprisée et critiquée par le monde des Lettres : cf. Laurent Joly, « Le préjugé antisémite entre “bons sens” et humour gaulois, Clément Vautel (1876-1954), chroniqueur et romancier populaire », Archives juives, no 43/1, 2010, p. 23-38. 65 Essayiste et critique littéraire, Paul Souday (1869-1929) réunit ses chroniques parues dans Le Temps dans des recueils intitulés Les livres du Temps (Paris, Emile-Paul Frères, 1913, 1929, 1930). Dans la première série (1913), il consacre de longues pages au poète Louis Le Cardonnel, à son itinéraire personnel, entre poésie, sacerdoce, passage à Ligugé puis retraite à Assise (p. 279-287). Il expose en particulier ses évocations, assez décevantes au goût de P. Souday, d’Assise et de la tradition franciscaine. Surtout, P. Souday consacre toute une chronique à François d’Assise, « le saint à la mode » (p. 93-103), véritable bilan historiographique des années 1900. Sur cet auteur, voir D. Vorreux, François d’Assise, op. cit., p. 353-357 et p. 390-394 à propos de Louis Le Cardonnel. 66 Un des chefs des Spirituels franciscains, Ange de Clareno (1255-1337) dût en effet rejoindre les célestins et Subiaco après la condamnation des spirituels par Jean XXII en 1317. Pour autant il continua à diriger les fraticelles avant de nouveau de devoir se réfugier dans le royaume de Naples. L’incertitude du P. Ubald quant à son devenir céleste fait allusion aux écrits mêmes d’Ange de Clareno dans son Apologia pro vita sua (1330) dans laquelle il se justifie et affirme son amour pour l’Église et son obéissance au pontife romain ; cf. Lazaro Iriarte, Histoire du franciscanisme, Paris, Éditions du Cerf, 2004, p. 90-92. 67 La Chronica XXIV Generalium Ordinis Minorum est alors publiée en particulier en 1897 par les frères mineurs de Quaracchi, dans les Analecta Francescana, III. 68 Jean de Parme (1209-1289) fut ministre général de 1247 à 1257. 69 « Quomodo monachi Sancti Benedicti facti sunt fratres minores », p. 281-283. 62
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brillant devant lui, et une foule de personnes vêtues d’habits rouges tenant des cierges dans leurs mains, et, passant devant lui, elles inclinaient la tête et lui faisaient la révérence. Le fait ne fut pas sans étonner le Père Gardien, et il regardait tout autour de lui, et voici que lui apparut une seconde troupe revêtue d’habits très fins et de couleur vert pâle ou vert tendre, et puis une troisième (parée de blanc) et suivie de dix personnages éclatants de lumière, vêtus de rouge, portant tous des cierges et lui faisant la révérence comme les autres. Enfin voici une très belle et splendide dame, escortée de deux seigneurs, l’un âgé et l’autre jeune, avec des cierges en la main et lui faisant la révérence. « En vérité, Madame, soupira le Père Gardien dans son étonnement, je vous en adjure au nom de celui qui souffrit la mort pour nous, daignez me dire qui vous êtes et quelles sont ces foules qui viennent de passer. Que signifient-elles et où vont-elles ? » - « Je suis la mère du Christ, et ce vieillard qui est avec moi, c’est Pierre l’apôtre, et le plus jeune c’est l’évangéliste Jean. La première troupe parée de vêtements rouges, ce sont les martyrs. La seconde, ce sont les confesseurs, et la troisième les vierges ; et les dix personnages que vous avez vus en quatrième lieu, ce sont les apôtres du Christ. Et tous nous allons à Antioche chercher l’âme d’un de vos frères qui mourra demain vers trois heures, et nous l’emporterons joyeusement au ciel. Et dans huit jours nous reviendrons ici même pour l’âme d’un autre frère qui mourra et avec les mêmes honneurs nous la conduirons à son Créateur ». À ces mots la vision disparut. Mais, sitôt après matines, le Gardien envoya deux frères à Antioche s’informer si quelque religieux était malade, sans parler de ce qu’il avait vu. Et, en effet, à Antioche on apprit aussitôt qu’un frère se trouvait à la dernière extrémité, et il mourut vers les trois heures en présence de deux frères de la Montagne Noire, qui lui rendirent tous les devoirs de l’humanité. À leur retour, ils informent le Père Gardien de ces événements, et c’est alors que ce dernier réunissant sa communauté raconta sa vision et ce que la sainte Vierge lui avait prophétisé d’un religieux de la maison qui devait mourir au bout de huit jours et de là passer dans le paradis. « Allons, mes frères très chers, dit-il, préparons-nous tous par une excellente confession et en dévotion, parce que lequel d’entre nous mourra, je ne le sais pas du tout ». Ce fut le père Gardien lui-même. Le huitième jour, sa messe dite, il ressentit un violent mal de tête, et la fièvre augmentant, il mourut le soir à six heures, et son âme s’envola au ciel en compagnie de la sainte Vierge et des Saints70. Je crains bien qu’aucun de vos panégyriques terrestres, ô mon saint Frère François, ne songe à cette belle et véridique histoire, et c’est dommage71. Une, par exemple, qu’ils font bien d’oublier, c’est celle de votre frère Pierre de Lombardie qui nous mettait tous les deux en enfer au quatorzième siècle72. Nous ne nous en portons pas plus mal. Une histoire plus belle, et tout à fait charmante, et que la terre connaît à peine encore, et qui nous touche pourtant tous les deux, c’est celle de notre petite sœur nouvellement arrivée, Thérèse de France. Notre douce carmélite me fait songer à notre cher frère Jacqueline de Settesoli, votre amie qui vous Cette anecdote fait l’essentiel du chapitre en question de la Chronica, que traduit littéralement le P. Ubald. C’est en effet le cas, par exemple, des Panégyriques de Monseigneur Rozier, missionnaire apostolique et camérier secret de Léon XIII, publiés en 1892, ou encore de celui plus ancien prononcé par l’abbé Louis Besson, supérieur du collège Saint François-Xavier de Besançon (Panégyriques et oraisons funèbres, Paris, Bray et Rétaux, 1870, vol. I, p. 246-271). 72 Nous n’avons pas réussi à identifier ce personnage. 70 71
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a vénéré d’un si profond culte sur la terre et qui se plaît souvent à vous escorter en ce Paradis, à côté de sainte Claire d’Assise. La bienheureuse Jacqueline de Settesoli m’a dit que par son mari Grégoire Frangipani elle appartenait à une famille apparentée à la mienne et à celle de saint Grégoire le Grand, mon saint pontife et docteur73. Notre parenté avec notre petite sœur Thérèse d’Alençon74 est toute spirituelle, et je la vois d’ici qui m’envoie un regard approbateur à tout ce que je vais dire. Cinq ans durant je l’eus dans mon abbaye bénédictine de Notre-Dame-du Pré75, et c’est là qu’elle fit sa première communion et c’est là qu’elle apprit la vertu de crainte. Elle est ma fille. Elle est aussi la vôtre. C’est à sa fameuse retraite de 189176 qu’elle rencontra votre saint fils le P. Alexis de Sainte-Pazanne, qui libéra son âme, lui apprit que ses imperfections involontaires ne blessaient pas le cœur de Dieu et qu’il était bon pour son âme de suivre ses attraits vers la perfection et l’héroïsme77. Et c’est ainsi que je lis dans les actes du procès de béatification78 que sa voie d’enfance spirituelle79 est toute de simplicité séraphique à l’instar de votre pauvreté, et comme notre petite sœur arriva à la sainteté en s’abandonnant filialement à Dieu, notre Père, dans sa charge auprès des novices, dans ses tentations, dans sa maladie, dans sa conduite avec ses sœurs, avec sa maitresse des novices, avec sa terrible prieure qui pour sa peine de l’avoir persécutée est en purgatoire, et comment enfin notre ange sur la terre vécut de votre vertu tant aimée, la pauvreté spirituelle. Comme un petit enfant démuni de tout, qui n’a rien à lui, qui ne gagne pas de fortune et ne peut compter que sur les richesses de son père, Thérèse répétait : « Je suis bien contente de m’en aller au ciel ; mais quand je pense à cette parole de Notre-Seigneur : “Je viendrai bientôt et je porte ma récompense avec moi pour rendre à chacun selon ses œuvres”, je me dis qu’il sera bien embarrassé avec moi, car je n’ai pas d’œuvres. Il ne pourra donc me rendre selon mes œuvres. Eh bien, j’ai confiance qu’il me rendra selon ses œuvres à lui »80.
De nouveau, le Père Ubald s’inspire de Joergensen pour évoquer ses rapprochements familiaux entre Benoît, Paulin de Nole et Grégoire le Grand autour de la famille des Frangipani (Saint François d’Assise, op. cit., p. 225). 74 Dans ces années 1920, L’appellation « Thérèse de Lisieux » a commencé à se répandre, mais Ubald préfère l’appeler « Thérèse d’Alençon », en se singularisant à la manière des capucins par le nom de sa ville d’origine ; peut-être faut-il y voir la volonté de rappeler une origine commune (Alençon), en écho à l’article cité à la note 1 (« Thérèse comme je la connais »). 75 L’abbaye des bénédictines de Lisieux où elle fut élève, comme externe, de la rentrée scolaire 1881 au début de l’année 1886. Il a trouvé cette information dans Mgr Laveille, op. cit. p. 103-127. 76 Ubald d’Alençon n’évoquant que les liens entre bénédictins et franciscains, il omet volontairement de dire qu’entre temps elle était entrée, en avril 1888 à quinze ans, au carmel de Lisieux. 77 Cette retraite d’octobre 1891 fut en effet prêchée par le Père Alexis de Sainte-Pazanne (1844-1914), récollet. Dans l’article cité, le P. Ubald dit la même chose avec d’autres termes : « Le P. Alexis lui assura que ses imperfections n’offensaient pas Dieu, qu’elle avait le droit de tendre à la sainteté, son désir n’était pas une utopie ». (« Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus comme je la connais », art. cit., p. 18). Dans l’historiographie du carmel, le père Alexis est désigné comme le Père Alexis Prou. Le P. Ubald reprend ici l’usage capucin d’appeler son confrère par le nom de sa ville d’origine. 78 Thérèse est béatifiée le 29 avril 1923 puis canonisée le 17 mai 1925. Le P. Ubald a manifestement eu accès au Summarium du procès qui lui-même contient des recueils de parole de Thérèse qui ne sont pas alors imprimées. 79 C’est dans l’Histoire d’une âme à partir de 1907 qu’apparaît la fameuse expression de l’enfance spirituelle. 80 Cette citation ainsi que la suivante sont empruntées au début du développement sur la pauvreté spirituelle, élément d’un dossier plus ample intitulé « Voie d’enfance spirituelle » déposé par Mère Agnès lors du procès apostolique en 1915, Procès de béatification et canonisation de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, t. II : Procès apostolique et Petit procès pour la recherche des écrits de la sainte, Rome, Teresianum, 1976, p. 168. 73
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« J’ai pensé avec une grande douceur, a-t-elle dit un jour pendant sa maladie que jamais je n’avais pu pendant ma vie spirituelle acquitter une seule de mes dettes envers le bon Dieu, mais que c’était pour moi une véritable richesse et une force. Alors je me suis souvenu de ce que dit saint Jean de la Croix et j’ai répété, avec quelle paix, la même prière : “Mon Dieu, je vous en supplie, acquittez pour moi toutes mes dettes” ». Cette citation de notre petite sainte me fait ajouter que si elle est un peu notre fille, elle est bien aussi et surtout la fille de notre vénérée et doctorale sainte d’Avila et l’enfant du Père saint Jean de la Croix. Et voilà, saint frère François, comment je termine en rappelant que tous et toutes nous ne formons qu’un cœur et qu’une âme aux pieds du divin Maître. C’était déjà la communion des mérites et des grâces sur la terre et la conjugaison des efforts. C’est maintenant l’union dans la même gloire, celle de l’Agneau sans tache. Marthes ou Maries, nous sommes les serviteurs du Dieu Tout-Puissant. Saint Jean de la Croix, saint Ignace, saint Dominique et saint Augustin Tous nous l’adorons sans fin et nous le bénissons dans la personne du Frère François ! Ils font la révérence devant saint François assis sur le trône de Lucifer. Saint Benoît À l’immortel et visible Roi des siècles, à Dieu seul soit l’honneur et la gloire dans l’éternité. Tous les Saints et les Anges Grâces à Dieu ! Alleluia ! Les XXIV vieillards de l’Apocalypse Amen, amen, amen ! Le secrétaire : L’Ange Gardien du P. Ubald d’Alençon.
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Mysticisme, théo-didactisme et genre au xviie siècle. L’exemple de Marie Guyart de l’Incarnation C’est avec une admiration sans borne et beaucoup d’amitié pour le grand érudit qu’est Bernard Dompnier que je livre ici ce petit exercice de réflexion historienne. Hommage à son immense curiosité intellectuelle, cet essai constitue une exploration quelque peu inusitée du monde missionnaire d’Ancien régime. En effet, je propose de démontrer que le mysticisme prédisposait les femmes missionnaires à acquérir des connaissances alors peu communes à leur sexe, en prenant pour exemple le génie linguistique de l’ursuline Marie Guyart de l’Incarnation, dont la vie et l’œuvre m’occupent depuis quelque trente ans. Celle que l’évêque Bossuet qualifiait de « Thérèse de nos jours et du Nouveau monde » et que l’historien jésuite Charlevoix considérait comme une auteure dont le « goût exquis, [la] raison saine, [le] génie sublime, & cette onction divine qui distingue si bien les écrits des Saints, […] ont déjà placée au rang des plus illustres femmes », avait impressionné ses contemporains par sa sainteté et par ses multiples talents, dont le moindre était sa maîtrise des langues amérindiennes réputées alors et encore aujourd’hui les plus complexes du monde à apprendre1. Or ce fut à des « pierres dans la tête » qu’elle comparait les difficultés que lui posait l’apprentissage de la « langue des Sauvages ». Marie Guyart écrivait en effet en 1654 à propos de la langue algonquine : « Cette étude d’une langue si disproportionnée à la nôtre, me fit bien mal à la tête, et me semblait, qu’apprenant des mots par cœur et les verbes, […] que des pierres me roulaient dans la tête ». La plupart du temps, afin de louer les talents linguistiques de l’ursuline, on se contente de souligner cette partie de la citation, en l’amputant comme je l’ai fait ici de ce qui précède et, surtout, de ce qui la complète, car ce qui suit parait bien extravaguant aux observateurs non initiés à l’histoire religieuse et plus particulièrement à l’histoire du mysticisme. Ils s’étonnent en effet que Marie de l’Incarnation poursuive en ces termes : Tout cela me faisait croire qu’humainement je n’y pouvais réussir [à apprendre la langue]. J’en traitais amoureusement avec Notre-Seigneur, lequel m’aida ; en sorte qu’en peu de temps j’y eus une très grande facilité […]. J’en sus assez, en peu de temps pour pouvoir instruire nos chers néophytes en tout ce qui était requis en leur salut2. Jacques Bégnine Bossuet, Instruction sur les estats d’oraison, où sont exposées les erreurs des faux mystiques de nos jours, avec les actes de leur condamnation, Paris Anisson, 1697 (1re éd., 1694), p. 343. François Xavier de Charlevoix, La vie de la Mère Marie de l’Incarnation. Institutrice & première supérieure des Ursulines de la Nouvelle France, Paris, Briasson, 1724 (copyright 2007 Canadia.org.), p. viii-ix. 2 Marie Guyart de l’Incarnation, Écrits spirituels et historiques, éd. dom Albert Jamet, 1929, réimprimé Québec, Les Ursulines de Québec, 1985 (t. 1 : Tours, ci-après R1633 ; t. 2 : Québec, ci-après R1654), Ici R1654, p. 258. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 111-120 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115078
Dominique Deslandres
De tels propos ont souvent été jugés, sinon farfelus, du moins à mettre sur le compte de bondieuseries qu’il valait mieux laisser dans l’ombre si on voulait présenter de façon convenable la fondatrice du couvent des Ursulines de Québec. Je convie plutôt à les examiner plus finement car, à mon avis, ils sont loin de discréditer la raison de Marie de l’Incarnation. Ils attestent plutôt de la conscience qu’elle avait de ses compétences linguistiques, en démontrant la façon dont elle s’expliquait à ellemême et justifiait son aisance spectaculaire dans la maîtrise des langues amérindiennes. Mais il y a plus : étudier ces confidences de Marie de l’Incarnation dans la perspective du genre en histoire permet de comprendre le rôle des relations de pouvoir entre les sexes dans l’éducation féminine, tant amérindienne que françaises, qui fondait les stratégies d’alliance du premier impérialisme français3. Mais avant cet examen, rappelons que Marie de l’Incarnation fut un témoin privilégié des débuts de la Nouvelle-France. On peut se fier à elle pour offrir à l’analyse historique la « vision de l’intérieur », chère à Lucien Febvre. En effet, on peut être sûr qu’elle livrait sans le maquiller l’état d’esprit de ses collègues masculins dont les écrits subissaient la censure chez leurs éditeurs Cramoisy car elle recopiait souvent de longs passages des fameuses Relations avant leur envoi en France. Contrairement aux jésuites, Marie de l’Incarnation n’écrivait pas pour être publiée ou lue publiquement. Aussi adressait-elle, en toute confiance à son fils, des lettres, souvent longues « comme des petits livres », décrivant en détail la réalité canadienne, telle qu’elle la découvrait, l’expérimentait, et surtout la traduisait4. Mais elle fit plus que rendre compte des débuts de la Nouvelle-France. Parmi les agents de la colonisation, Marie de l’Incarnation se distingue en effet avec ses consœurs comme les premières missionnaires françaises de l’histoire moderne. Plus particulièrement, passant par tous les états que peut connaître une femme au xviie siècle (fille, sœur, épouse, mère, veuve, religieuse), sa vie et son action dans le monde démontrent avec force l’agentivité que possédaient les femmes de son époque5. En effet, l’historiographie ne l’a pas assez dit mais il est clair que, depuis L’histoire du genre analyse la construction des relations de pouvoir entre les identités sexuées socialement constituées. L’historiographie est pléthorique depuis l’article classique de Joan Wallach Scott, « Gender : A Useful Category of Historical Analysis », The American Historical Review, no 91/5, décembre 1986, p. 1053-1075 (http://clio.revues.org/index9840.html) à la récente remise en cause du concept par son autrice, « Fantasmes du millénaire : le futur du “genre” au xxie siècle », Clio, no 32, 2010. 4 Sur la censure subie par les Jésuites, voir Guy Laflèche, Le Missionnaire, l’Apostat, le Sorcier. Édition critique de la Relation de 1634 de Paul Lejeune, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1973. Sur la vision de l’intérieur propre à Marie Guyart, voir Dominique Deslandres, « Le jésuite, l’intoléré et le sauvage : la fabrication par omission d’un mythe », dans Chantal Grell et Christian Michel (éd.), Primitivisme et mythes des origines dans la France des Lumières, 1680-1720, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 1989, p. 87-99. 5 Traduction québécoise du terme anglais agency qui désigne la puissance d’agir propre à un individu et souligne le degré de contrôle dont jouit un individu sur son identité et son destin dans la société de son époque. À ce sujet, voir de Dominique Deslandres : « Agentivité, voix et voies des Françaises au xviie siècle. Le cas de Marie de l’Incarnation, 1599-1672 », dans Josette Brun (éd.), Interrelations femmes-médias dans l’Amérique française, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, p. 13-39 ; « L’utopie mystique et les tracas de la fondation de la Nouvelle-France », dans Raymond Brodeur et al. (éd.), Lecture inédite de la modernité aux origines de la Nouvelle-France, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, p. 113-130 ; « For privé et agentivité féminine dans l’espace français au xviie siècle », dans François-Joseph Ruggiu et al. (éd.), Les usages de l’écrit du for privé, Paris, Sorbonne, 2013, p. 233-250. 3
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la fin des guerres de religion jusqu’au règne personnel de Louis XIV, toute une génération de Françaises, exactement contemporaines de Marie de l’Incarnation, développèrent ce qu’il convient d’appeler un véritable féminisme religieux qui s’investit autant dans la reconstruction de la France, après quelque quarante années de guerres civiles et religieuses, que dans la construction d’une France nouvelle en Amérique. Des femmes de pouvoir – de la régente Anne d’Autriche, pas si potiche qu’on l’a décrite, à la duchesse d’Aiguillon bien moins sulfureuse que le veut la réputation qu’on lui a faite – aux plus humbles dévotes, toutes se dévouèrent à relever le royaume et a étendre la souveraineté française en Amérique6. Au moyen d’un humanitaire spirituel que j’ai analysé ailleurs et qui connut ses heures de gloire au moment précis de la vie active de Marie Guyart, il s’agissait d’établir les bases de la res publica, promue alors par la Couronne de France et l’Église catholique7. C’est ainsi qu’en Amérique, les piliers du vivre-ensemble que sont l’éducation, la santé et l’assistance, devaient permettre de réaliser la fusion des peuples amérindiens et français afin d’établir « une Jérusalem bénie de Dieu composée de citoyens destinés pour le Ciel »8. Depuis le temps de Samuel de Champlain, il s’agissait de transformer les « Sauvages » en Français, c’està-dire en Citoyens du ciel et du royaume de France : « leur enseigner avec la cognoissance de Dieu, la gloire et les triomphes de Votre Majesté le roi, de faire en sorte qu’avec la langue Françoise ils consoivent aussi un cœur, & courage françois, lequel ne respirera rien tant, après la crainte de Dieu, que le desir qu’ils auront de vous servir »9. Intégrer de la sorte à la société française cette « infinité de peuples » rencontrés en Amérique entrait tout à fait dans les politiques natalistes de la Couronne des années 1500-1670, politiques qui visaient l’accroissement démographique de ses territoires et donc l’expansion de sa souveraineté territoriale. Les peuples, comme on disait alors, fondaient la puissance des nations ; et la France, avec ses vingt millions d’habitants, était le pays le plus peuplé d’Europe. Autrement dit, gagner des peuples, c’était gagner les territoires qu’ils habitaient, sans coup férir ni bourse délier. Et un des moyens privilégiés de cette « quête française de peuples », comme je l’ai appelée ailleurs, était le métissage10. C’est pourquoi l’intermariage fut promu ardemment Les Jésuites disaient d’Anne d’Autriche qu’elle leur montrait « un cœur de mère » tant étaient grands ses bienfaits pour la mission canadienne : Reuben G. Thwaites (éd.), The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791, Cleveland, Burrows, 1896-1901, 73 vol. ci-après RJ. Ici RJ 23 : 286 (Vimont 1642-1643). Pour sa part, la duchesse d’Aiguillon consacra son immense fortune au service des missions et de la charité, ce pourquoi elle fut grandement louée par ses contemporains : « Outre le soin d’aller vous-même instruire et assister les pauvres de l’Hostel Dieu et visiter les hôpitaux et les prisons de Paris, vos charitez s’étendent encore en plusieurs lieux de la France, et même dans les pays les plus éloignez » (Pierre Oudin, Le zèle du salut des âmes et la manière de s’y employer avec fruit, Paris, 1669, Épitre dédicatoire à la duchesse d’Aiguillon). 7 Dominique Deslandres, « Altérité, identité et rédemption », dans Raymond Brodeur (éd.), Femme, mystique et missionnaire. Marie Guyart de l’Incarnation, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 66 et Croire et faire croire. Les missions françaises au xviie siècle, Paris, Fayard, 2003, p. 371. 8 RJ 6 : 152 (LeJeune, Relation de 1634). 9 Henri P. Biggar (éd.), The Works of Samuel de Champlain, t. III, p. 6 (Voyages et descouvertures faites en la Nouvelle-France, 1615-1618, Paris, Claude Collet, 1619). D. Deslandres, Croire et faire croire, op. cit., p. 238. 10 Paul LeJeune au Cardinal de Richelieu, 1er août 1635, dans Lucien Campeau (éd.), Monumenta Novae Franciae, Québec, Presses de l’Université Laval, 1987, ci-après MNF, ici MNFIII : p. 22. Alors que les missionnaires recensaient les âmes à convertir, les administrateurs s’intéressaient au nombre de sujets et d’alliés potentiels. Voir à ce sujet : Archives nationales d’outre-mer COL C11A 3/fol. 171rv, Mémoire de Talon au roi sur le Canada 6
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par les Français : depuis Samuel Champlain qui promettait à chaque fois qu’il rencontrait un peuple inconnu des Français : « nos garçons se marieront à vos filles, & nous ne ferons plus qu’un seul peuple », jusqu’aux missionnaires eux-mêmes pour qui, dans un premier temps du moins, ce type d’union cimenterait l’alliance, en obligeant, « tous les sauvages à aymer les François comme leurs frères. […] Ilz nous disent que quand nous ferons ce mariage, ilz nous tiendront comme de leur nation »11. Notons ici que pour mener à bien leur quête des peuples, les Français furent forcés de s’adapter aux rapports sociaux de sexes – au genre – qui régissaient l’existence des Amérindiens. Dans les faits, il s’agissait donc de marier aux colons français les Amérindiennes dûment converties et francisées. Et ce fut précisément la mission de Marie de l’Incarnation et de ses consœurs ursulines. Aussi est-il clair que les femmes furent les principales agentes et les principales visées dans la stratégie d’alliance franco-amérindienne. Or pour réaliser ce plan grandiose, il fallait surmonter l’obstacle de la langue. Car une des particularités de la rencontre franco-amérindienne, c’est que, si les Français eurent le projet de franciser les Amérindiens, confiants comme ils l’étaient dans le pouvoir d’attraction de leur civilisation, les Amérindiens n’apprirent que très rarement la langue des envahisseurs. Au contraire, ils forcèrent les Français à apprendre les leurs12. Ce qui souligne, en passant, l’agentivité amérindienne dans la relation franco-amérindienne, car ce furent toujours les Amérindiens en effet qui posèrent les termes de la rencontre, et donc ici de la rencontre linguistique. Il fallait aux Français une bien grande motivation pour s’atteler à cette tâche difficile d’apprendre des langues non fixées. Or, à part la traite des fourrures, la religion fut le principal moteur de cette motivation. Et Marie de l’Incarnation se révéla fort motivée toute sa vie. Dès son arrivée, en 1639, elle se mit à l’étude de la langue algonquine ; elle écrivit ainsi : « Le grand désir que j’avais de les instruire [les Amérindiens] m’y fit embarquer d’abord
(2 octobre 1671). Sur les politiques natalistes, voir Leslie Tuttle, Conceiving the Old Regime. Pronatalism and the Politics of Reproduction in Early Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 17-61 ; Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966 ; Jacques Dupâquier, La population rurale du bassin parisien à l’époque de Louis XIV, Paris, EHESS, 1979, p. 47 ; Henri Méchoulan, L’État classique : regard sur la pensée politique de la France dans le second xviie siècle, Paris, Vrin, 1996. Sur le métissage comme politique d’empire, voir Dominique Deslandres, « “Et loing de France, en l’une & l’autre mer, Les Fleurs de Liz, tu as fait renommer”. Quelques hypothèses touchant la religion, le genre et l’expansion de la souveraineté française en Amérique aux xvi-xviie siècles », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 64, nos 3-4, hiver 2011 (2013), p. 93117, et « […] alors nos garçons se marieront à vos filles, & nous ne ferons plus qu’un seul peuple’. Religion, genre et déploiement de la souveraineté française en Amérique aux xvi-xviie siècles – une problématique », Revue d’histoire de l’Amérique français, vol. 66, no 1, été 2012 (2013), p. 5-35. 11 Samuel de Champlain cité dans RJ V : 211 (LeJeune, 1633) et P. Sesmaisons, Raisons qui peuvent induire Sa Saincteté à permettre aux François qui habitent la Nouvelle-France d’espouser dez filles sauvages, MNFIII, p. 37-39. D. Deslandres, Croire et faire croire, op. cit., p. 32, p. 57-60 ; Gilles Havard, « “Nous ne ferons plus qu’un peuple”. Le métissage en Nouvelle-France à l’époque de Champlain », dans Guy Martinière et Didier Poton (éd.), Le Nouveau-Monde et Champlain, Paris, Indes Savantes, 2008, p. 96-97 ; Alain Beaulieu, Ne faire qu’un seul peuple ? Iroquois et Francais à l’ « âge héroique » de la Nouvelle-France, 1600-1660, thèse de doctorat (histoire), Université Laval, 1993, p. 40-43, 78-81, 106-124. Voir aussi David A. Bell, The Cult of the Nation in France. Inventing Nationalism, 1680-1800, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 47-78. 12 Par exemple, Marie de l’Incarnation à G. Rolland, 1640, dans Correspondance, éd. dom Guy-Marie Oury, Solesmes, Abbaye Saint Pierre, 1971, ci-après MI, ici MI, p. 108-109.
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(c’est-à-dire me fit appliquer tout de suite à cette étude) »13. Elle se révéla aussi très douée malgré la difficulté posée par cette langue. Mais revenons à l’extrait, cité au début de ce texte et que je donne maintenant au complet pour les fins de ma démonstration : Comme il y avait plus de vingt ans que je n’avais pu raisonner sur aucune chose qui tînt de la science et spéculation, d’abord cette étude d’une langue si disproportionnée à la nôtre, me fit bien mal à la tête, et me semblait, qu’apprenant des mots par cœur et les verbes – car nous étudiions par préceptes – que des pierres me roulaient dans la tête, et puis des réflexions sur une langue barbare ! Tout cela me faisait croire qu’humainement je n’y pouvais réussir. J’en traitais amoureusement avec Notre-Seigneur, lequel m’aida en sorte qu’en peu de temps, j’y eus une très grande facilité, en sorte que mon occupation intérieure n’en était point ni empêchée ni interrompue. Mon étude était une oraison qui me rendait suave cette langue qui ne m’était plus barbare. J’en sus assez en peu de temps pour pouvoir instruire nos chers néophytes en tout ce qui était requis en leur salut14.
Tout y est : Dans cette longue citation sont expliquées dans l’ordre : la motivation de Marie Guyart, la manière d’apprendre les langues ; la conscience des obstacles posés par ces langues qui ne sont ni écrites ni fixées et, par l’entremise de l’expérience mystique, le théodidactisme et le « flow » (ou « expérience optimale »), condition nécessaire à tout apprentissage. Dans ce passage, donc, s’exprime la grande motivation de l’ursuline, portée par sa mission de conversion ; motivation que partageaient visiblement ses consœurs ursulines. Un peu plus tard dans sa vie, en 1668, elle ajouta à cet effet : Chacun tend à ce qu’il aime ; les Marchands à gagner de l’argent, et les Révérends Pères et nous à gagner des âmes. Ce dernier motif est un puissant aiguillon pour picquer et animer un cœur. J’avois l’hiver dernier trois ou quatre jeunes Sœurs continuellement auprès de moy pour assouvir le désir qu’elles avoient d’aprendre ce que je sçay des langues du païs. Leur grande avidité me donnoit de la ferveur et des forces pour les instruire de bouche et par écrit de tout ce qui est nécessaire à ce dessein. Depuis l’Advent de Noël, jusqu’à la fin de Février je leur ai écrit un Catéchisme Huron, trois Catéchismes Algonguins, toutes les prières Chrétiennes en cette langue et un gros Dictionnaire Algonguin. Je vous assure que j’en étois fatiguée au dernier point, mais il falloit satisfaire des cœurs que je voiois dans le désir de servir Dieu dans les fonctions où notre Institut nous engage15.
Autre grande motivée, sa compagne des premiers jours Marie de Saint-Joseph « aprit en peu de temps les langues Huronnes et Algonguines, et elle s’en servoit avec une grande facilité. Notre Seigneur lui avoit donné une grâce particulière pour gagner les cœurs, non seulement des filles, mais encore des hommes et des femmes de ces deux Nations »16. Aussi le parcours linguistique de Marie de l’Incarnation se fit-il comme suit : Dès 1639, elle se mit à l’apprentissage de l’algonquin mais aussi du montagnais-innu et en 1650, après la destruction de la Huronie, elle se mit à la langue huronne pour catéchiser les réfugiés 13 14 15 16
R1654, p. 258. R1654, p. 258. MI p. 678 (à son fils, 1668). MI p. 451 (à la Communauté de Tours, 1652).
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hurons ; puis plus tard, à la faveur de la trève franco-iroquoise de la fin des années 1660, elle étudia l’iroquois (plus précisément l’agnier) et composa en cette langue un dictionnaire et un catéchisme ; c’est aussi à cette époque qu’elle écrivit ses dictionnaires français-algonquin et algonquin-français17. Marie de l’Incarnation eut une facilité pour les langues, c’est clair. Or ce qui la prépara à apprendre de nouvelles langues, ce fut sans doute sa maîtrise du latin, qui très tôt fut manifeste : elle citait sans effort l’Écriture sainte dans le texte latin ; elle enseignait la langue latine à ses élèves et ses consœurs en tant que maîtresse des novices18. Visiblement, et ses remarques en témoignent tout au long de ses écrits, elle adorait ce travail d’apprentissage linguistique, le poursuivit toute sa vie, introduisant de nombreux mots amérindiens, parfois des phrases entières, dans sa correspondance. Plus encore, au fil des lettres qu’elle rédigeait, elle forgeait des mots ou redonnait leur lustre à des mots anciens pour expliquer à ses interlocuteurs français des concepts nouveaux. Par exemple, le terme de « capitainesse », pour expliquer le pouvoir des femmes amérindiennes dans leur société. Ainsi souligna-telle que, dans la société iroquoise : Ces capitainesses sont des femmes de qualité parmi les Sauvages qui ont voix delibérative dans les Conseils, et qui en tirent des conclusions comme les hommes, et même ce furent elles qui déléguèrent les premiers Ambassadeurs pour traiter de la paix19.
Quant aux façons d’apprendre une langue, Marie les décrit en détail, à plusieurs reprises dans ses écrits. La meilleure manière, c’est d’apprendre par immersion, les missionnaires et les interprètes se sont formés de cette façon et c’est ce que firent les ursulines au contact de leurs ouailles ; comme le raconte Marie Guyart « en ce bout du monde où l’on est sauvage toute l’année », ce n’est que lors du retour des bateaux que « nous reprenons notre langue Françoise »20. Il faut noter à ce sujet que, dans cet apprentissage par immersion, les missionnaires hommes se firent souvent mener en bateau par les Amérindiens ou mêmes les truchements français qui étaient jaloux de leur savoir et de leur accès à la traite. Or cela n’arriva pas aux ursulines ; peut-être parce qu’elles bénéficièrent dès le début des connaissances acquises par les jésuites eux-mêmes, plus vraisemblablement parce qu’elles ne menaçaient personne. Mais très vite, ce furent leurs élèves et les femmes qui venaient au parloir pour se faire nourrir, qui prirent le relais et assurèrent aux sœurs ce qu’on peut qualifier d’éducation permanente des langues21. Remarquons aussi que, dès le premier abord, comme elles étaient privées de paroles pour se faire comprendre, les ursulines recoururent aux gestes pour transmettre leur message ; dans l’éducation qu’elles offraient, elles misaient beaucoup en effet sur l’exemple donné du gestuel chrétien et des façons de faire à la française… et elles invitaient leurs élèves à les imiter, à se composer et se régler sur leurs actions, dans les cérémonies comme dans les MI p. 404 (à son fils, 1650) et p. 801-802 (à son fils, 1668). Claude Martin, Vie de la vénérable Marie de l’Incarnation, Paris, Billaine, 1677, reprint Solesmes, 1981, ci-après Vie, ici p. 201. Jamet, dans R1633, p. 164, n. a. 19 MI, p. 566 (à son fils 1655). 20 MI p. 102 (à l’un de ses Frères, 1640). 21 Marie de Saint-Joseph à Paul LeJeune, 1640, dans MI p. 963-964. 17 18
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gestes chrétiens tels que porter les cierges, les clochettes, l’eau bénite, comme de marcher en bel ordre aux processions et enterrements. Ainsi, l’imitation devait preparer le terrain pour la conversion22. Du point de vue technique, l’apprentissage de la langue se fait « par précepte » et par « réflexion », en « en faisant les parties », c’est-à-dire, comme on apprenait à l’époque la langue latine, en apprenant par cœur : les déclinaisons, les verbes, en faisant l’analyse grammaticale, en pratiquant version et thème. La persévérance dans la pratique et le par cœur entrèrent pour beaucoup dans cet apprentissage. Marie en témoigna dès 1640 : Ces langues barbares sont difficiles, et pour s’y assujettir il faut des esprits constans. (Mon occupation les matinées d’hiver est de les enseigner à mes jeunes Soeurs : il y en a qui vont jusqu’à sçavoir les préceptes et à faire les parties) pourveu que je leur traduise le Sauvage en François. (Mais d’apprendre un nombre de mots du Dictionaire, ce leur est une peine, ce leur sont des épines). De nos jeunes Sœurs, il n’y en a qu’une qui pousse avec vigueur. La Mère Assistante et la Mère de sainte Croix y sont assez sçavantes, parceque dans les commencemens, nous apprîmes le Dictionaire par cœur23.
Marie de l’Incarnation reconnut très rapidement la grande difficulté de ce type de langues qui échappaient jusqu’alors à l’écrit et variaient grandement d’une tribu à l’autre, d’une famille linguistique à l’autre, de l’algonquien à l’iroquoien… Ce furent d’ailleurs les missionnaires qui contribuèrent à fixer ces langues. Et Marie participa de très près à cette fixation linguistique, en rédigeant, on l’a dit, plusieurs gros ouvrages et dictionnaires unilingues ou bilingues, dans différents alphabets. Une telle tâche lui tenait particulièrement à cœur, car, disait-elle, elle voulait assurer la pérennité de ce savoir linguistique : Comme ces choses sont très difficiles, je me suis résolue avant ma mort de laisser le plus d’écrits qu’il me sera possible. Depuis le commencement du Carême dernier jusqu’à l’Ascension, j’ay écrit un gros livre Algonquin de l’histoire sacrée et de choses saintes, avec un Dictionaire et un Catéchisme Hiroquois, qui est un trésor (c’est-à-dire un thésaurus ou lexique). L’année dernière, j’écrivis un gros Dictionnaire Algonquin à l’alphabet François ; j’en ai un autre à l’alphabet Sauvage. Je vous dis cela pour vous faire voir que la bonté divine me donne des forces dans ma foiblesse pour laisser à mes Sueurs dequoy travailler à son service pour le salut des âmes24.
Comment expliquer une telle habilité à s’exprimer dans la langue de l’Autre ? une telle rapidité dans la maîtrise de la traduction ? Une de mes hypothèses, c’est que le mysticisme de Marie de l’Incarnation la prédisposait à apprendre les langues amérindiennes. Comme de nombreux mystiques, en effet, Marie subissait moult visitations de la part de celui qu’elle appelait « mon mignon »25. Or comme tout mystique, elle ne pouvait s’empêcher de raconter ses extases, et comme tous les mystiques, elle se butait au double obstacle de son impuissance à trouver les mots pour dire l’ineffable, et son ardent désir de transmettre le feu qui l’habitait. Très tôt, elle réalisa que « ses parolle [sic] sont trop défectueuse [sic] pour 22 23 24 25
MI p. 178 (à Mlle de Luynes, 1642). MI, p. 102 à (l’un de ses Frères, 1640). MI, p. 801 (à son fils, 1668). MI p. 6 (à dom R. de Saint Bernard, 1627).
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parler bien de l’amour »26. Elle se trouva littéralement devant un problème de traduction. Pendant des années, elle s’excusa : « Il n’y a langue humaine qui le puisse exprimer27 » mais elle n’eut de cesse de l’exprimer, cet ineffable, et elle s’employa à chercher les mots pour le dire. On ne sait pas où elle apprit ainsi à écrire aussi bien que Pascal et Descartes mais il est clair que son cerveau mystique la rendait très attentive aux différents vocabulaires employés en français, selon les divers niveaux d’expression. Et si c’était le vocabulaire qui concerne les amours terrestres qui se rapprochait le plus de son expérience extatique, elle savait bien qu’il était incomplet, voire impropre à traduire ce qui lui arrivait – et en cela, elle n’est pas différente d’une Thérèse d’Avila, d’un Jean de la Croix ou d’un Jean de Brébeuf, ce dernier excellant dans la langue huronne notons-le. Mais cet obstacle – cet embarras – la rendit attentive aux différentes langues. C’est pourquoi, très tôt dans sa vie, elle fut consciente de la diversité linguistique qui régnait en Amérique comme en France d’ailleurs. Dans les toutes premières lettres à son directeur de conscience, en effet, elle différenciait déjà algonquin, montagnais et huron, témoignant par là qu’elle était avertie de la différence linguistique et culturelle parmi les Amérindiens. Et cette conscience l’accompagna toute sa vie. Par exemple, en 1667, elle réfléchissait à la géopolitique linguistique nord-américaine en ces termes : « Si la nouvelle Hollande, aujourd’hui occupée par les Anglois, appartenoit au Roi de France, on seroit Maître de tous ces peuples, et on y feroit une colonie Françoise admirable »28. Elle considérait aussi que, sur le plan linguistique, il serait plus facile aux ursulines de Québec, géographiquement plus proches que celles de France, de s’implanter dans les Antilles notant qu’il était aisé d’apprendre le « baragouin des Nègres que l’on sçait dès qu’on l’a entendu parler »29. Ainsi lorsqu’elle débarqua à Québec, était-elle prête à reconnaître cette pluralité et à s’y adapter. Aussi n’est-il pas surprenant que ce fut elle, la première, qui reconnut qu’il était impossible de civiliser les Sauvages ; on pouvait les christianiser, disait-elle, sans problème, ils faisaient même des chrétiens exemplaires, mais en faire des Français, non, c’était impossible; ainsi le constatait-elle en parlant de ses élèves : « Je n’attens pas cela d’elles, car elles sont Sauvages, et cela suffit pour ne le pas espérer ». Les élèves amérindiennes, décrivait-elle, ont appris la langue française, à lire, à écrire, et souvent elles se pliaient docilement aux manières françaises mais : « C’est pourtant une chose très difficile, pour ne pas dire impossible de les franciser ou civiliser. Nous en avons l’expérience plus que tout autre, et nous avons remarqué de cent de celles qui ont passé par nos mains à peine en avons nous civilisé une. Nous y trouvons de la docilité et de l’esprit, mais lors qu’on y pense le moins elles montent par dessus notre clôture et s’en vont courir dans les bois avec leurs parens, où elles trouvent plus de plaisir que dans tous les agréemens de nos maisons Françoises »30. Elle fit ces constats au 26 27 28 29 30
MI p. 20 (à dom R. de Saint Bernard, 1627). R1654, p. 68. MI, p. 787 (à son fils, 1667). MI, p. 890 (à M. de Sainte Catherine de Sienne, 1670). MI p. 809 (à son fils, 1668).
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Mysticisme, théo-didactisme et genre au xviie siècle. L’exemple de Marie Guyart de l’Incarnation
moment-même où le roi, Colbert et Talon relancèrent en 1668 la politique de francisation en Nouvelle-France – ils étaient furieux car ils ne comprenaient pas pourquoi les Amérindiens n’avaient toujours pas appris la langue française et ils accusaient les missionnaires de ne pas avoir travaillé suffisamment à la conversion des « Sauvages » en citoyens français31. Mais Marie de l’Incarnation et tous les religieux se plièrent à la volonté du roi non sans que l’Ursuline prédise tout de go l’échec de cette entreprise : Je ne sçai à quoi tout cela se terminera, car pour vous parler franchement, cela me paroît très-difficile. Depuis tant d’années que nous sommes établies en ce païs, nous n’en avons pu civiliser que sept ou huit, qui aient été francisées ; les autres, qui sont en grand nombre, sont toutes retournées chez leurs parens, quoi que très-bonnes Chrétiennes. La vie sauvage leur est si charmante à cause de sa liberté, que c’est un miracle de les pouvoir captiver aux façons d’agir des François qu’ils estiment indignes d’eux, qui font gloire de ne point travailler qu’à la chasse ou à la navigation, ou à la guerre. […] Les enfans apprennent tout cela quasi dès la naissance. […] Jugez de là, s’il est aisé de les changer après des habitudes qu’ils contractent dès l’enfance, et qui leur sont comme naturelles32.
Ainsi même si elle ne s’y intéressa que dans le contexte plus large de la conquête des âmes, Marie fit ainsi très tôt preuve d’un rare relativisme culturel, d’une reconnaissance de la valeur intrinsèque de la personne humaine, bref de l’altérité. Comme je l’avançais il y a plus de trente ans, le mysticisme, en faisant transcender à l’être qu’il touche, les conventions humaines, prépare à reconnaître les voies autres d’être au monde. Par ailleurs, une autre expression du mysticisme, le théo-didactisme, que révèlent les remarques mystiques de l’ursuline et jugées délirantes au début de ce texte, est aussi un élément genré important du processus de la maîtrise des langues. Il est, selon moi, un élément essentiel de l’éducation féminine au xviie siècle. Dire en effet, que l’on tient son savoir de Dieu est une manière de pénétrer, sans danger d’être traitée d’usurpatrice ou de sorcière, dans des sphères de connaissances réservées traditionnellement aux hommes. Notons ici, que, comme bien des mystiques femmes, Marie se croyait « théo-didacte ». Elle était convaincue que toute connaissance lui venait immédiatement de Dieu. Comme l’explique feue l’historienne Linda Timmermans : Bien rares sont les hommes qui peuvent affirmer avoir tout appris par illumination, alors que les femmes « naturellement ignorante », seront plus facilement crues – et se persuaderont elles-mêmes – quand elles nient toute culture religieuse, ou toute réflexion personnelle. Bien des mystiques étaient des femmes cultivées, mais elles étaient autodidactes, ce qui à leurs yeux et aux yeux de leurs contemporains, réduisait la portée de leur culture, à tel point, que 31 George F. G. Stanley, « The Policy of “Francisation” as Applied to the Indians during the Ancien Regime », Revue d’histoire de l’Amérique française 3, no 3, december 1949, p. 333-348. Entre autres de Cornelius C. Jaenen, « Problems of Assimilation in New France, 1603-1645 », French Historical Studies, vol. 4, no 3, Spring 1966, p. 265289 et « The Frenchification and Evangelization of the Amerindians in the Seventeenth Century New France », CCHA Study Sessions, no 35, 1968, p. 57-71 ; Gilles Havard, « “Les forcer à devenir Cytoyens”. État, Sauvages et citoyenneté en Nouvelle-France (xvii-xviiie siècle) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 64e année, no 5, 2009, p. 985-1018. 32 MI p. 828-829 (à son fils 1668).
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celle-ci pouvait être complètement niée. […] [l’]absence d’enseignement méthodique suffisait souvent […] pour qu’on attribuât à une femme, mystique ou non, le don de science infuse, ou qu’elle se l’attribuât à elle-même, dès lors qu’elle possédait des connaissances religieuses peu commune à son sexe33.
Ce fut exactement comment Marie expliqua sa grande aisance en latin et ses dons de traduction simultanée : « Notre-Seigneur me donnait des intelligences accompagnées d’une suavité nourrissante sur la sainte Écriture. J’entendais le français de ce que je chantais et récitais en latin au chœur »34. De tels dons qui, même s’ils lui venaient de Dieu, même s’ils relevaient du mysticisme, lui furent très utiles en Nouvelle-France pour apprendre les langues amérindiennes. D’ailleurs Mystikos, qui signifie « relatif aux mystères », ne désignet-il pas un authentique mode de connaissance de l’absolu, issue de l’expérience35 ? Pour conclure, et finir de démontrer mon hypothèse concernant le mysticisme qui prédispose à l’apprentissage des langues, soulignons que l’expérience mystique et l’oraison de l’ursuline lui permirent d’expérimenter le « flow » décrit par Mihaly Csikszentmihalyi, de l’Université de Claremont en Californie. Cet état d’esprit, qui est la condition essentielle à tout apprentissage est « l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement immergée dans ce qu’elle fait dans un état maximal de concentration, qui fait éprouver un sentiment d’engagement total et de réussite »36. Ce fut exactement ce que décrivit Marie de l’Incarnation, dans notre passage du début : J’en traitais amoureusement avec Notre-Seigneur, lequel m’aida en sorte qu’en peu de temps j’y eus une très grande facilité, en sorte que mon occupation intérieure n’en était point ni empêchée ni interrompue. Mon étude était une oraison qui me rendait suave cette langue qui ne m’était plus barbare. J’en sus assez en peu de temps pour pouvoir instruire nos chers néophytes en tout ce qui était requis en leur salut37.
Engagement total, concentration, réussite, nous avons bien là, plusieurs centaines d’années avant son énonciation, la description du « flow », fondamentale assise de l’état cognitif nécessaire à l’apprentissage des langues. Ainsi l’on peut dire que le mysticisme des femmes missionnaires comme Marie Guyart de l’Incarnation contribuait à l’acquisition de connaissances réputées peu accessibles aux Françaises du xviie siècle. Dominique Deslandres Département d’Histoire Université de Montréal
33 Linda Timmermans, L’accès des femmes à la culture dans la France d’Ancien Régime, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 523. Voir par exemple R1654, p. 175. Et Dominique Deslandres, « La religieuse et ses livres. Le cas de Marie Guyart de l’Incarnation au début de la Nouvelle-France », dans Jean-François Cottier et al. (éd.), Ad Libros ! Mélanges d’études médiévales offerts à Denise Angers et Claude Poulin, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2009, p. 362 et 370. 34 Jamet, dans R1633, p. 164, n. a. 35 Audrey Fella (éd.), Les femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, Paris, Michel Laffont, 2013, p. 2. 36 Mihály Csíkszentmihályi, Beyond Boredom and Anxiety, San Francisco, Jossey-Bass, 1975. 37 R1654, p. 258.
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De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque : les célébrations de la béatification de François de Sales sous la plume des visitandines Dès la publication du bref annonçant la béatification de François de Sales, le 28 décembre 1661, les visitandines d’Annecy songent aux réjouissances destinées à célébrer l’événement1. Le programme des fêtes organisées à Annecy les 29 et 30 avril 1662 est bien connu grâce au chanoine Barthélemy Magistry qui en décrit avec minutie la composition2. Entre temps, la nouvelle est parvenue aux quelques cent trente maisons de l’ordre, invitées par la mère de Chaugy à s’associer à la liesse régnant à la « Sainte Source »3. Le délai d’exécution et l’ampleur des festivités vont à la fois dépendre des contingences locales et, surtout, des ressources disponibles pour la mise en œuvre de telles cérémonies. Toutes les communautés semblent vouloir témoigner d’une manière festive de l’intensité de leur affectueuse dévotion envers leur « bienheureux père » et renforcer de la sorte l’esprit d’union entre les membres de leur famille religieuse en le célébrant à l’unisson. Mais toutes ne disposent pas des mêmes moyens et ne souhaitent d’ailleurs pas s’investir de la même manière, ni avec le même déploiement de fastes et de magnificences. Si la fête bat son plein dans la plupart des monastères de la Visitation durant les années 1662-1663, elle revêt bien des formes et des modes d’expression, notamment repérables dans les relations adressées ultérieurement aux mères d’Annecy et destinées à circuler d’une maison à l’autre à l’instar des traditionnelles « petites nouvelles »4. Nul doute que la maison-mère les ait conservées comme preuve d’attachement au bienheureux et gage d’obéissance de ses filles à ses propres recommandations. D’autres maisons en ont également collectionné un Le coup d’envoi des célébrations a lieu à la basilique Saint-Pierre de Rome le 8 janvier 1662. Barthélemy Magistry, Les cérémonies et resiouissances faites en la ville d’Annessy sur la solennité de la béatification et l’élévation du corps sacré du Bien-heureux François de Sales le 30 avril 1662…, Annecy, P. Delachinal, 1662. 3 À propos de Françoise-Madeleine de Chaugy, voir Nicole Pellegrin, « Jacqueline de Chaugy », Dictionnaire des femmes de l’ancienne France, SIEFAR, 2008, http://siefar.org/dictionnaire/ fr/Jacqueline_de_Chaugy (page consultée en mars 2017). 4 Voir, notamment, Bernard Dompnier, « “La cordiale communication de nos petites nouvelles”. Les lettres circulaires, pratique d’union des monastères », dans Id. et Dominique Julia (éd.), Visitation et Visitandines aux xviie et xviiie s., Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. « CERCOR – Travaux et Recherches », 2001, p. 277-300. 1 2
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 121-144 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115079
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certain nombre, réunies en recueils destinés à célébrer la mémoire du fondateur. Ainsi de celui réalisé après 1668 à la Visitation de Meaux et actuellement conservé dans les archives de celle d’Annecy5. Cette compilation de textes manuscrits, dont la plupart n’ont probablement pas fait l’objet d’une impression, permet non seulement de suivre au cas par cas le déroulement des fêtes organisées dans plus de la moitié des maisons de l’Ordre, mais aussi d’approcher les modes d’écriture de la fête à l’époque moderne. Sous la plume de femmes à la fois actrices et autrices des événements, l’éphémère devient pérenne et le particulier, partagé. Cette étude, qui espère précéder une exploitation plus approfondie de cette riche documentation, s’inscrit à la fois dans le cadre d’un projet de recherche sur l’investissement des femmes dans les œuvres de la Réforme catholique6 et dans un autre consacré aux cultures du spectacle baroque7. Elle ne souhaite pas tant s’attarder sur la description des faits que sur la manière de les représenter8.
Le recueil de Meaux Ce « Receuil [in-4o non paginé] des Cérémonies et Magnificences faites en chaque Monastère de la Visitation de Ste Marie à la solemnité de la Béatification de Saint François 5 Carton François de Sales, n°3. Nous remercions les visitandines d’Annecy de nous avoir permis de le consulter. 6 Le projet Lodocat (Chrétientés lotharingiennes – Dorsale catholique ixe-xviiie s. https ://lodocat.hypotheses. org/), financé par l’Agence nationale de la recherche (F), vise à étudier de façon diachronique l’originalité des formes de christianisme développées dans des zones « de marge », à cheval sur des frontières politiques, religieuses et linguistiques, territoires qui ont constitué à l’époque moderne la « Dorsale catholique » (l’axe européen du front de catholicité, entre christianismes catholique et protestant). L’objectif est de repenser les facteurs explicatifs et les modalités d’une multiplicité et variété d’expériences religieuses, de leur diffusion, de leurs succès ou échecs, en faisant mieux ressortir ce qui relève de la conjoncture ponctuelle et ce qui relève de phénomènes structurels, liés à la spécificité de ces régions sur le plan politico-religieux. Les travaux se sont concentrés autour de trois axes – l’engagement des femmes dans le monde régulier ; les modèles pastoraux ; les rapports entre dévotions et politique – en utilisant notamment les méthodes de l’anthropologie historique, des gender studies et de la prosopographie. 7 Voir la description du projet disponible à l’adresse suivante http://web.philo.ulg.ac.be/transitions/culturesdu-spectacle-baroque/, consultée en avril 2017. 8 À propos de la Visitation, nous renvoyons à l’ouvrage dirigé par B. Dompnier et D. Julia, cité plus haut, et à Marie-Élisabeth Henneau et alii (éd.), L’ordre de la Visitation (1610-2010), Milan-Annecy, SilvanaEditoriale-AD Haute Savoie, 2011. Voir aussi la mine d’informations fournies par l’étude de Gérard Monthel (L’écrit et l’image. Ordre de la Visitation Sainte-Marie. Une histoire du livre et de l’iconographie, [Saint-Just], A. Bonavitacola, 2014), malheureusement dépourvue de références précises.
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de Salles leur fondateur » contient en outre la copie manuscrite d’autres documents relatifs à la béatification9, puis à la canonisation de l’évêque de Genève10. Les textes relatant les célébrations de la béatification, en provenance de quatre-vingt-deux monastères de l’ordre, sont toutefois les plus nombreux11. Deux copistes, demeurées anonymes, ont mis la main à
« La relation de 5 miracles arrivée au tombeau du b[ien]h[heureu]x François de Sales à Annessy depuis Pasque de l’année 1657 » ; « Bref de [Notre] S[ain]t Père le pape Alexandre 7me pour la béatification du b[ien] h[heureu]x François de Sales, évesque de Genève [27 décembre 1661] » ; « Mandement de Messieurs les vicaires généraux de Monseigneur le cardinal de Retz pour la publication et exécution dudit bref [25 janvier 1662] » ; Lettre relative à « la canonisation du bienheureux François de Sales, évesque de Genève », signée par le cardinal Giovanni Sacchetti, évêque de Sabine, et par François-M. Phoebeus, secrétaire de la Congrégation des Rites, 14 février 1662 [publiée dans François de Sales, Œuvres complètes, éd. J. Migne, t. 1, Paris, 1861, col. 1077-1078] ; « Vers composé au suiet de la béatification de N[otre] b[ien]h[heureu]x par M. Jean de la Font, prestre, licencié en droict canon, principal du collège de Narbonne, supérieur de la Congrégation des prestres du calvaire au Mont valérien et confesseur ancien des religieuses en leur premier monastère de Paris, rue St Antoine » ; « Récit de ce qui s’est passé de plus remarquable en la cérémonie de la béatification du b[ien]h[heureux] François de Sales évesque de Genève [8 janvier 1662], extrait de quelque lettres venues de Rome » ; « Oraison composé par N[otre] S[aint] Père le pape Alexandre 7me po[ur] servir au iour de la béatification du b[ien]h[heureu]x François de Sales…, le 8me janvier 1662 » (dans Abbregé de la vie du bien-heureux François de Sales evesque et prince de Geneve avec la bulle de N.S.P. le pape Alexandre VII, en latin & en françois pour sa béatification, l’oraison qu’il a composée, pour dire tant à la messe qu’à l’office du jour de ladite béatification [attribué à Adrien Gambart par la BnF], Paris, S. Huré, 1672) ; « Les Cérémonies et Résiouissances faictes en la ville d’Annessy sur la solemnité de la béatification et l’élévation du corps sacré du Bienheureux François de Sales le 30 d’avril 1662 [par Barthélemy Magistry, chanoine de St-Pierre de Genève] » [voir note 2]. 10 Alençon (16 mai 1666), Valence (26 avril 1666), Compiègne (mai 1666) [= Lettre en forme de relation de ce qui s’est passé au monastère des Filles de la Visitation de Ste Marie de Compiègne à la canonisation de St François de Sales, s. l., s. d.] ; Montargis [= Relation véritable de ce qui s’est passé en la cérémonie de la canonisation de S. François de Sales… depuis le 10 may de la présente année 1666 jusque au 20 dudit mois en l’église des religieuses dudit ordre établie à Montargis, Paris, Fr. Léonard, 1666] ; Amiens (29 septembre 1666) [Lettre en forme de relation simple et naïfve sur les cérémonies de la canonisation de s. François de Sales… célébrée en l’Église cathédrale et dans celle des religieuses de la Visitation… d’Amiens et écrite par elles à leurs autres Monastères…, Paris, P. de Bresche et J. de Laize, s. d., 22 p.] ; Nancy (6 juin 1667) ; Loudun (4 juillet 1667) ; Issoudun [« Abrégé de ce qui c’est passé de plus considérable en la célébrité de la canonisation de S[ain]t François de Sales le 16me octobre 1666 au mona[stère] de la Visitation S[ain]te Marie de d’Issoudun… »] ; Montferrand (20 août 1667) [= Récit des cérémonies de l’octave de S François de Sales en la ville de Montferrand depuis le vingtième d’aoust 1667 jusques au dix-huit [barré 20] du même mois, Clermont, N. Jacquard, 1667, 22 p. (Archives départementales de Haute-Savoie, Académie florimontane, no 1809).] ; Nîmes (20 juillet 1667) ; Montluel, « Préparatif pour la canonisation de S]ain]t François de Salle dans la ville de Montluel le 29me octobre 1667 » [= Copie à partir de la page de 6 de G. T[anneur], curé de Balan, Relation de ce qui s’est passé dans la Ville de Montluel à la cérémonie de la Canonisation de Saint François de Sales, depuis le vingt-neufvieme Octobre jusques au septième Novembre mil six cens soixante-sept, Lyon, A. Jullieron, 1668, 15 p. Voir aussi la « Lettre circulaire sur le même sujet », 3 février 1668, 11 p. (ADHS, Académie florimontane, no 1809)]. 11 Les numéros entre parenthèses renvoient désormais à la liste des récits publiée en annexe. 9
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l’ouvrage relié en vélin ivoire12. Quatre-vingt de ces textes se présentent sous la forme d’une lettre circulaire traditionnelle13, de longueur variable – entre un tiers de page et quatorze pages manuscrites14 –, et dont vingt-deux sont signées15. Ce sont ces missives, à coup sûr rédigées par les intéressées et non retouchées par une plume étrangère à leur communauté, qui feront ici l’objet d’une analyse plus approfondie quant à la construction du récit et aux moyens stylistiques mis en œuvre pour toucher émotionnellement lectrices et auditrices.
Les composantes d’une lettre-type Avant de se plonger dans le vif du sujet, il importe de rapprocher ces lettres circulaires d’autres relations de cérémonies extraordinaires16 qui, à la même époque, visent elles aussi à raconter l’événement, à en décrire et commenter les séquences – souvent récurrentes –, puis à en conserver le souvenir – intentionnellement édifiant – pour la postérité. Il s’agit autant de relater les faits que de les recréer par le jeu subtil d’une narration suggestive17. Les visitandines font de même pour souligner le caractère exceptionnel de ces festivités – qui ne manquent pas de trancher avec l’ordinaire de leur existence –, faire part des expériences vécues sur le moment et amener leurs destinataires à en ressentir a posteriori les effets. Toutes ne se montrent pas animées de la même verve, tâchant parfois de satisfaire la communauté d’Annecy à moindres frais. Ainsi de la mère Anne-Catherine Berbis de la Visitation de Dijon, qui s’acquitte succinctement de son devoir près d’un an après les fêtes du 8 mars 166218 : Ma très honoré Sœur, nous avons fait tous nos petis efforts pour parfaitement solemniser la feste de Notre Saint fondateur tant par la disposition intérieure que par le culte extérieur. Notre esglise et chapelle estoient enrichies, outre nos ornements, de quantité de pierreries, plaque et Main I : les premiers textes cités dans la note 7 ; les lettres no 1-74 ; no 87 ; les récits de fêtes pour la canonisation à Alençon, Valence, Amiens, Nancy, St-Étienne, Loudun, Issoudun, Montferrand, Nîmes, Montluel ; Main II : no 75-86 ; les récits de fêtes pour la canonisation à Compiègne et Montargis. 13 Deux de ces lettres ont fait l’objet d’une impression (Paris/St-Antoine [1] et Amiens [2]). 14 24/80 tiennent sur une page au plus ; 22/80 comptent quatre pages et plus. 15 En plus d’un exemplaire imprimé du récit des cérémonies organisées au second monastère d’Aix (70), figurent aussi les copies manuscrites des Relations de fêtes célébrées à Nevers et à Fribourg (37 et 38) et le compte rendu de miracles survenus à Montferrand (35), Marseille II (60), Autun (69) et Chartres (75). 16 Bernard Dompnier (éd.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2009. 17 Cet article doit beaucoup aux réflexions partagées avec Agnès Guiderdoni et, notamment, à son exposé « Monde du texte, monde du lecteur, monde projeté du spectateur : les enjeux poétiques des relations de fête » prononcé lors de la journée d’études consacrée aux « Récit et expérience de la fête au premier âge moderne » (Bruxelles, Palais des Académies, 24 mai 2013). 18 Son récit est à rapprocher de celui de l’annaliste de la communauté : « Le 8 mars 1662, notre Mère de Berbis fit célébrer avec la plus grande solennité la béatification de notre Père saint François de Sales. Cette cérémonie provoqua dans la ville de grandes démonstrations d’allégresse. Pendant trois jours la bourgeoisie fut sous les armes et l’air retentit du son des cloches ainsi que du bruit du canon. Chacun apportait son argenterie, ses perles, ses diamants pour orner notre église, qui fut parée avec une rare magnificence. On ne se plaignit que du trop peu d’étendue de l’édifice, et, pour contenter la dévotion du peuple, on fut obligé de prolonger la fête pendant huit jours » (Annales du monastère de la Visitation de Dijon…, éd. abbé Colet, Dijon, Loireau-Feuchot, 1854, p. 87). 12
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chandeliers d’argent en bon nombre, à quoy estoit adiouté l’embellissement des tableaux et la suavité d’une excellente musique à 4 chœur tant à la grande messe que vespres et bénédiction du Saint-Sacrement. Nous avons dit l’office des confesseurs, mais sur notre chant ordinaire, quoy que quelque persone nous persuadasse de le chanter sur celuy de l’Église. L’on nous fit un beau panégyrique, où l’affluence du peuple parut sy grande et la dévotion sy fervante qu’on disoit n’avoir iamais rien veue de pareil. Vous pouvez juger sy cela nous satisfesoit beaucoup et nous exitoit puissament à nous rendre digne fille d’un sy saint père en qui je suis votre sœur Anne Catherine Berbis de notre monastère de Dijon, ce 25e février 1663 (63)19.
Malgré sa brièveté, ce récit aligne déjà les principales composantes d’une narration que d’autres se plaisent à développer davantage : investissement de la communauté dans la mise en œuvre de la célébration, description des décors, déroulement de la liturgie, interactions entre les espaces publics et les lieux clos, réactions des spectateurs, protestation du pieux attachement de la communauté envers le héros de la fête… Sans que les épistolières se conforment nécessairement à un plan identique, on retrouve dans presque toutes les lettres une annonce du sujet – « qui nous a esté le plus consolant et qui a donné sans doute une sainte émulation aux cœurs de touttes les filles de notre très Saint fondateur pour tâcher à qui mieux mieux célébr[er] sa fête » (72) –, généralement assortie de propos en forme de captatio benevolentiae à l’intention de la maison-mère, suivie d’une description minutieuse de la fête, depuis les premiers préparatifs jusqu’à l’extinction des feux, et d’un envoi destiné à rappeler la bonne volonté des organisatrices, quelle qu’ait été l’importance des festivités. Comme beaucoup d’autrices de cette époque, certaines épistolières commencent par faire état d’un ordre venu d’en-haut pour justifier leur audace à prendre la plume : « Ce nous est une indicible consolation de nous voir obligée par la douce loy de notre institut de vous communiquer nos petites nouvelles pour dilater nos cœurs et nous conjouir avec vos charités… » (16). Toutes s’efforcent ensuite de témoigner de leur gratitude envers la communauté d’Annecy pour l’obtention de la « grâce » reçue, de leur dévotion indéfectible à François de Sales et de leur désir de le célébrer dignement, conformément aux injonctions de la mère de Chaugy. Certaines tentent ensuite de se justifier, qui d’avoir dû différer la fête, qui d’avoir tardé à en rédiger le compte rendu. Beaucoup invoquent aussi la modestie de leurs « petites facultés » pour expliquer celle de leurs réalisations et parer à d’éventuels reproches : Il nous faut aymer notre abjection de n’avoir peu faire tout ce que nos autre monastères on fait en la solennité de cette grande feste […] nous avons fait come la pauvre veufve du Temple ayant offert à Dieu le denier de nos bonnes volonté qui ont esté limité et borné par notre pauvreté, ayant accomply cette parole de notre constitution qui dy qu’on fera selon qu’il ce poura (5).
Mais qu’importent finalement les moyens mis en œuvre, pourvu que le peuple en ait été « fort édifié et nos chères sœurs fort contente » (21).
Les abréviations ont été résolues et les césures entre les mots restaurées ; l’accentuation et la ponctuation ont été modernisées, mais l’orthographe des copistes a été respectée. 19
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Certaines entament le récit des célébrations bien en amont, dès la réception de la copie du bref : « À l’instant nos cloches et nos voix suivant l’agréable transport de nos esprit en donnèrent les marques que l’on peut raisonnablement imaginer sur ce sujet » (57). À les lire, on constate que certaines communautés déploient aussitôt des trésors d’adresse, d’ingéniosité et d’inventivité pour concevoir et réaliser un décor digne de ce nom, sans mettre en péril les finances de leur maison. La plupart ont en effet recours à la générosité de leur entourage : « Il n’y a eu personne de la ville qui n’ay pris part à notre joye et qui n’aye tenu à bonheur de nous pouvoir prester ce qu’ils avoient de plus beau pour orner notre église » (28). D’autres ont moins de chance et ne manquent pas de signaler l’avarice de leurs concitoyens – « le peuple de ce pais estant le moins généreux et le plus tenant qui ce puisse trouver » (64) : « L’opinion que l’on a que nous passons pour les plus riches et puissantes religieuses de la ville nous a procuré le bonheur d’ouvrir la bource […], n’ayant rien fait qui ne nous ayt cousté bon argent » (36). Ailleurs, elles préfèrent insister sur la préparation intérieure, quitte à paraître réservées quant à la légitimité de ces coûteux préparatifs. À Périgueux, la supérieure, qui « savoit que ce bienheureux auroit plus d’egard aux dispositions intérieure de nos âmes qu’aux apareils extérieurs », leur impose douze semaines de réflexions et de pénitence – « comme une petite année de noviciat » avant la célébration –, « pour demander pardon à Dieu des manquements faits en l’observance » (55). Les autrices s’emploient ensuite à décrire minutieusement la métamorphose des espaces : « On tacha d’orner notre édifice au mieux, qui n’ayant rien de beau que son antiquité, parut toute changé par les divers embellissements qu’on luy donna » (64). Constructions et décors éphémères, luminaires et miroirs scintillants, étoffes chatoyantes et végétaux odorants, profusion d’images, d’accessoires – « quantité de plumets de toute sorte de couleurs fort gallament adjusté » (72) – et d’objets détournés transforment les sanctuaires en lieux enchanteurs. L’épistolière de Tarascon, ne sachant par où commencer, énumère le tout dans le plus grand désordre : Nous plissâmes quantité de draps de lice de Holande et on tapissat le plancher de haut en bas de plissure […avec] beaucoup de colombes et de bouillons de mesme avec des ruban de couleur de feu en grande quantitté avec beaucoup de chandeliers d’argent, de vasses et de corps saints qu’on nous avoit prestée come aussy des mirouers, des tableaux et pierreries et tout ce qu’il y avoit de beau dans la ville, plusieurs lumières et des fleurs, sy bien que de la plus layde esglise par l’industrie de quelqu’une de nos sœurs, elle devint un petit paradis (73).
Par le soin de ces industrieuses décoratrices, la nature cède le pas aux artifices convoqués pour l’imiter, mais en la sublimant. À Périgueux, elles font dresser des arcades « d’où pendait des resins et oranges sy bien représenté au naturel que tout le monde y estoit atrapé » (55), tandis qu’à la Visitation de Belley : Nous avons osté le iour des fenestre pour n’estre esclairé que de celuy des sierges et flambeaux qui y estoit en grande cantité et relevoit agréablement la réflection de plusieurs beaux miroirs qui faisoit une fort belle sperspective. Il y en avoit caché dans des lacs d’amour d’or qui faisoit come un cercle autour de l’autel au milieu duquel estoit le tableau du bienheureux […] une traille de raisin […] fut trouvé fort agréable et sy naturelle que quand la nature aurait esté jointe avec l’art, on auroit eu paine d’en faire le discernement avec l’œil (67).
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Une attention spéciale est accordée aux endroits où les yeux du public se porteront davantage : l’autel, la chaire du prédicateur, la tribune réservée aux musiciens et, quand elles en disposent, la chapelle dédiée au bienheureux. Le chœur des religieuses se voit également magnifié – « avec toute la mignardise possible » (74) –, et s’il les maintiendra à l’abri des regards lors des célébrations, il se laissera tout de même deviner par le subtil agencement de miroirs qui en proposeront le reflet à l’admiration des spectateurs. Le portrait de l’évêque de Genève, à dévoiler solennellement au cours de la célébration, fait également l’objet d’un soin particulier, puis de longs commentaires sur la qualité de sa facture, la beauté de son encadrement ou la justesse de son exposition. Avec ce qui est bien plus qu’une simple image, les visitandines souhaitent créer le sentiment d’une réelle présence de leur bienheureux Père et se diront ravies d’entendre « les bonnes gens [s’exclamer] par admiration qu’[il] leur sembloit que le Saint leur alloit dire le mot » (33). Un énorme effort de leur part est encore consenti pour la préparation des ornements liturgiques, art dans lequel elles excellent : les visitandines de Riom enrichissent ainsi un devant d’autel, précédemment réalisé par JeanneCharlotte de Bréchard, avec l’adjonction d’une quantité de perles et de pierreries – « notre ornement de broderie fut estimé un des plus beaux qui ce puisse voir » (33)20 –, qui viennent renforcer l’éclat des pièces d’orfèvrerie acquises ou empruntées pour l’occasion. L’évocation émerveillée des riches atours dont les églises sont parées préfigurent quasiment les pages qu’un Perrault consacrera plus tard aux féériques tenues de ses princesses. La scène étant ainsi somptueusement disposée, le spectacle peut commencer. Le « narré » des célébrations va dès lors permettre aux mémorialistes de présenter les principaux acteurs en présence en articulant le rôle des extérieurs – l’évêque ou son représentant, le clergé régulier et séculier, les autorités civiles et militaires, les chanteurs et instrumentistes, les amis et bienfaiteurs… – à celui, essentiel, tenu par leur communauté. Il importe aux autrices de témoigner auprès de leurs sœurs d’Annecy du degré d’implication de chacun des protagonistes dont les propos, les gestes, les attitudes sont rapportés avec force commentaires. La foule, surtout, fait l’objet de nombreuses considérations tant à propos de son ampleur que de son comportement – entre exubérance et recueillement – et de ses exclamations, des plus élevées aux plus naïves. Les visitandines de Metz se félicitent ainsi de l’engouement populaire pour leur fondateur – « les pauvres gens […] quitoit leurs ouvrages pour venir avec joye à cette belle feste, jusque aux huguenost qui demandoit sy on ne fermeroit point les boutiques » (4) – et, dans tous les monastères, l’on se réjouit de percevoir les échos de la fête qui se vit aussi extra muros. À Langres, « il fut donc entendu 8 volées de canons tandis que Messieurs de St Mamert chantèrent le Te Deum en musique. Leurs ornements estoit très riches et leurs eglise magnifiquement ornée. Il s’y trouva une sy grande foulle de monde qu’il y avoit de la peine d’avoir place » (29). De partout, les bruits annonciateurs des réjouissances parviennent aux oreilles des religieuses : « Les carillions tant de la ville que de l’église cathédralle come aussy nos cloches rendoit tesmoignage de l’alégresse public et de la grande piété de Mr le Maire » (49). « Parement brodé pour la béatification de François de Sales », dans David Marguin, Gérard Picaud et Jean Foisselon, Aux sources de la Visitation. François de Sales et Jeanne de Chantal, Moulins, Musée de la Visitation, 2016, p. 188-190. 20
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Dans chacun des monastères, la liturgie proprement dite débute la veille, avec les Vêpres des Confesseurs – occasion pour les visitandines d’entrer en scène et de se faire entendre –, et se poursuit le lendemain, avec l’accueil de la procession du clergé et des fidèles dont l’ordonnancement fait l’objet de longues descriptions. Plusieurs autrices en profitent pour dérouler le catalogue des membres les plus prestigieux de leurs réseaux sociaux. Le lendemain sur les 8 heures, le peuple [de La Rochefoucauld] s’asembla dans l’église collégialle pour venir en procession à la nôtre, come Monseigneur notre digne prélat avoit ordonné. L’ordre en estoit telle : plusieurs petis enfans vestus en anges portoit en leur mains un sierge blanc avec une branche de lorier et un chapeau de fleurs sur leurs teste, la croix de l’église collégialle et d’autre paroise, suivoit ensuitte Messieurs les curés de la compaignes suivis de Mrs les chanoine de la collegialle avec leurs chapes et puis Monseigneur notre digne prélat21 accompagné de plusieurs austres prestres entre lesquels Mr le doyen notre digne confesseur et Mr le curé de la ville et chanoine tenoit les costé de la chape de mon seigneur, après cela suivoit Mrs les sénéchaux de robes courte et longues, nombre de jentils home de la campagnes et autre officier de la justice et de toutes sortes d’art et de mestiers qui gardoit leur rang contre leurs ordinaires, Mmes les duchesses, nostre honorée fondatrices et Mesdames les princesses de Marcillac22 et marquise de Sillery23 c’estoit réfugié dans notre chœur et dans la tribune et toute leurs suitte pour éviter l’embaras et la foulle (7).
Avec un plaisir non dissimulé, les religieuses perçoivent alors l’éblouissement du « bon peuple » découvrant le sanctuaire : « Ce qui embellisoit ce petit ornement estoit la quantité de lumières qu’on avoit disposée sy proprement avec quantité de lustre de cristal et à miroirs, que les glaces en représentoit autant qu’il y en avoit [et] remplissoient toute l’église d’un esclat qui surprenoit et contentoit les yeux de tous les assistans » (34). En plus des émotions suscitées par la proclamation du bref, ce sont les effets produits sur l’assistance par la lecture du panégyrique qui font aussi l’objet de longs développements : à Crémieu, le discours est prononcé par un oratorien « doué de tous les talens qui peuvent rendre un homme recomandable dans cet exercices, qui luy attira l’admiration de ces auditeurs et attendrit mesme le cœur à plusieurs personnes de l’assemblée qui fut sy nombreuse que quelque femmes [s’]y évanouyrent » (56). La musique et la qualité de son exécution durant la messe constituent également un sujet de prédilection. Les visitandines – sur la prestation desquelles on reviendra – n’assurent pas seules la partie musicale : « Le bruit des tambourgs, des fanfares et des trompettes ne furent pas oubliés, non plus que les charmans accords de la musique qui chanta tout ce qui fut à chanter » (45). C’est l’occasion pour les épistolières d’aligner de nouvelles énumérations – tambours, fifres et trompettes, serpents, cornets à bouquin, hautbois et flûtes douces, violons, violes, téorbes et angéliques, orgues, clavecins ou épinettes –, ces instruments faisant généralement « merveille », tandis que les musiciens embauchés pour la journée entonnent de « fort beaux motets » (24), mêlant « parfaictement bien […] leurs voix avec leurs instruments » (23). 21 22 23
François de Péricard, évêque d’Angoulême de 1646 à 1689. Andrée de Vivonne, épouse de François VI, duc de La Rochefoucauld. Catherine d’Estampes, épouse de Pierre Brûlart, marquis de Sillery.
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La joie explose encore à l’issue de la célébration. Les tirs d’artillerie redoublent d’intensité alors que les cloches sonnent à toutes volées. À Valence, « restentissoit de toutes part les tambours, fifres, trompettes, aubois, viollons, carillons de toutes les églises de la ville et générallement tout ce qui peut donner démonstration de joye ne fut point oubliés », alors que l’éblouissement suscité par les jeux de lumière se prolonge à l’extérieur : Ces réjouissances furent augmentées par la remarque qu’on fit d’un bel arc-en-ciel qui parut sur notre monastère, après une petite pluye, qui nous ramena un temps calme et serain pour nous donner moyen d’éclairer le haut de notre maison de plus de 500 lumières et toutes nos fenestres tant de la tour que des celles des dortoirs, outre une très grande quantité de fusées et autres feux d’artifices (72).
Dans la plupart des maisons, la fête continue durant l’octave et permet aux autrices de revenir plusieurs fois sur la décoration de leur église, sur l’ornementation musicale ou sur la ferveur des fidèles, tirant à toutes et à tous des larmes de joie. L’invocation du bienheureux ne tarde d’ailleurs pas à produire de miraculeux effets. La plupart des lettres se terminent par le récit de guérisons inattendues ou de conversions soudaines, ainsi de ce Genevois, « touché de Dieu » lors de la fête célébrée à Semur : « Pour notre regard, nous en fusmes touttes attendrie, voyant que cette âme, qui estoit perdue, retournoit au giron de la Sainte Église » (24). Toutes les communautés ne peuvent toutefois faire état d’un même apparat24. Si les unes ont la chance de pouvoir s’offrir les services d’artificiers professionnels, pour disposer à leurs portes des machines impressionnantes, ou de tapissiers de renom, pour couvrir le pourtour de leur clôture de somptueux brocards couverts d’emblèmes, d’autres, incapables de supporter le coût d’une telle fête, doivent se contenter d’orner leur église d’objets de pacotilles. Elles ne manquent pas de s’en excuser régulièrement : « Voilà un fidel récit de tout ce qui c’est passé en cette grande feste, plus conforme à notre petitesse qu’à la grandeur de notre affection pour la gloire de Dieu et notre saint fondateur, mais nous espérons qu’ils agréront notre bonne volonté… » (23). Qu’elles aient eu ou non les moyens humains et financiers à la hauteur de leurs ambitions, les objectifs d’être publiquement « recognue pour [les] vraye et légitimes filles » de François de Sales – « ces le plus pressent désir de nos cœur » (27), de lui témoigner personnellement leur dévote tendresse et de promouvoir son culte bien au-delà des murs de leur clôture, semblent partout atteints. Pour preuve : les effets ressentis par l’ensemble des participants, dont les autrices ont à cœur de dépeindre les émotions.
Une palette d’émotions partagées… Quels qu’aient été le luxe des décors ou la qualité de la mise en scène, tout a été conçu et réalisé pour solliciter les sens des acteurs et témoins en présence et susciter leur conversion intérieure. À Embrun, alors que la fête n’a pu être ce qu’elles auraient souhaité, Gérard Picaud et Jean Foisselon (éd.), Fastes et exubérance pour les saints de la Visitation, Moulins, Musée de la Visitation, 2008.
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« mais selon que la pauvretté de ce pays nous la peu permettre », les visitandines n’ont « rien voulu espargner en cette occasion, estant toute dans un empressement à qui la feroit avec plus d’ardeur et ferveur, tant intérieure qu’extérieure ». « Nous fismes faire un feu de joye au devant de notre monastère qui estoit tout garny, aussi bien que l’arcade et piramide, de papier teint de diverses couleurs en forme d’arc-en-ciel, qui récréoient beaucoup la veue » (77). À Mamers, « une de nos sœurs qui a la voix fort belle chanta les litanies de la Sainte Vierge avec une viole et la musique respondy. Tout le monde estoit charmé d’entendre sy bien chanté nos sœurs qui s’acordoient fort bien avec les musiciens » (80). À Angers, « les viollons, tambours, trompestes et toutes les cloches de St-Jean […] firent un bruit sy agréable que ce nous estoit une petite représentation de la feste qui ce fit dans le Ciel » (34). À Riom, des effluves paradisiaques échappées du décor de la chapelle mariale viennent chatouiller les narines des religieuses : « Ces odeurs, bien que très fréquantes, ne sont pas ordinaires et tousjour à leurs retour nous aporte de nouvelle consolation » (33). Les exemples abondent par centaines. Les visitandines ne sont évidemment pas les dernières à être touchées – « La grosse cloches et les carillons et tambours devant la porte de notre esglise éveillat notre dévotion et ferveur » (73) –, voire complètement bouleversées – alors que tous les clochers de Melun font entendre leur sonnerie, « cette agréable armonie remply nos cœurs d’une sy sensible joye que plusieurs en furent esmeues jusqu’au larmes » (11) ; « nous ne sorions vous exprimer la joye de nos cœurs de voir la dévotion de notre bon peuple d’Autun enver notre Bienheureux Père » (36) ; « nous estions consollés plus qu’il ne ce peut dire de voir la quantité de communians et de ceux qui vénéroit sa relique » (1). Lorsque « parut un feu de ioye que nous avions fait dans notre chœur en forme de piramide qui ce voioit dehors, […] il ne rendoit pas plus de chaleur que nous en resentions dans nos intérieurs » (67). À la seconde Visitation d’Annecy, le P. Grandet, supérieur des barnabites, « fit cette action [liturgique] avec une armonies sy plaine de bone grâce qu’il nous sembloit avoir part aux joye de paradis » (50), ces ressentis n’étant pas toujours sans risque pour la concentration des intéressées : « La joye nous empêchoit de prier Dieu et bien nous servit d’avoir ouy d’autre messe » (31). Les religieuses ne peuvent non plus s’empêcher d’observer le « ravissant » spectacle qui se déroule sous leurs yeux et que les grilles ne soustraient pas à leurs regards attentifs. Elles se souviennent avec précision des effets de la fête sur le public. À Tulle, l’évêque Louis de Rechignevoisin « animoit tout le monde à la dévotion par sa gravité, ayant une grâce toute extraordinaire à faire les sérémonies » (74). Les visitandines de Saint-Flour sont impressionnées par la « majesté et dévotion » de Mgr Jacques de Montrouge : « Il ne ce pouvoit voir rien de plus charment ny qui attira plus à Dieu » (62). À Angers, Henry Arnauld préside « dans un receuillement sy plein de modestie et de dévotion que tout le monde en estoit touché, qu’on estoit dans une tranquilité et attention à tout ce qui ce fesoit, qui estoit tout à fait surprenante » (34). D’autres prélats sortent davantage de leur réserve et laissent transparaître leurs propres sentiments, comme celui de Troyes, François Mallier du Houssay, dont le « cœur tout attendry ne peut empecher que des larme ne manifestas l’excès de sa joye » (17). L’ensemble du clergé est également noté sur sa « gravité » et sa « singulière dévotion », voire sur ses talents musicaux, comme à Albi, où les pères de l’Observance
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« officièrent sy mélodieusement que cela enlevoit les cœurs » (31), ou oratoires, comme Annecy, où le prédicateur « déploya les voiles de sa cience et de sa dévotion […] avec une sublimité admirable » (50). Les visitandines ne sont pas peu touchées de savoir « toute la ville en iubilation » et d’apprendre qu’à la cathédrale, la musique, « que l’on dit avoir fait merveille », a mis « tous les escoutant en dévotion et allégresse » (4). Lorsque la procession entre dans le monastère de Saint-Flour, « rangée d’un sy bel ordre que nous n’avions pas à faire le souhait de saint Augustin de voir Rome triomphant ! Il nous sembloit voir plus que tout cela dans notre esglise. Le peuple croyait être dans un petit paradis et disait “oh qu’il fait bon estre saint ! Quelle gloire doit posséder le Bienheureux François de Salle dans le ciel puisque l’honeur qu’on luy rend en terre sésit si fort nos cœur” » (62). « La dévotion de ce jour touchoit sy fort que les séculiers non plus que nous ne peurent retenir leurs larmes » (10). Une fois la liturgie commencée, l’éblouissement est total. « Une foule de monde […] disoit leur sembloit estre en paradis et qu’il voudroit que ceste feste dura un an, tant ils avoient de dévotion devant l’autel de ce bien heureux » (4). « La fréquente répétition des mots de Franciscus resjouissait les plus mélancoliques » (49). À Tulle, les « quatre mille » personnes qui entendent la prédication du P. Valade sont « tellement charmées de sa modestie, dévotion et éloquence que tous les cœurs estoient enlevé dans le ciel d’admiration » (74). Enfin, pour que chacun puisse avoir part à la fête, certaines prieures autorisent l’ouverture des portes de leur église « pour donner la satisfaction au peuple de voir à leur tour. Les petites gens estoient sy ravie qu’ils disoient qu’ils ne se soucioient plus de mourir après avoir veu l’esglise Sainte Marie » (8). Là et partout, les larmes de joie coulent à flot.
… en communion avec la sainte Source Afin de donner aux sœurs d’Annecy la possibilité de prendre la mesure des efforts déployés et des résultats obtenus, puis de partager après coup l’intensité des émotions ressenties sur le moment, nombre d’autrices multiplient énumérations et descriptions qui ne servent pas tant à informer précisément – à les lire, on est souvent bien en peine de pouvoir se faire une idée précise du décor ou de la scène – qu’à faire ressentir le bouillonnement d’idées, l’effervescence des préparatifs et la luxuriance des réalisations. Sur le grand autel et les crédences : environ 2 douzaines de lumières tant dans les chandeliers que des bras et plaques d’argent et devant 3 belles lampes, celle du milieu à 6 branches, portoit en chacun un petit flambeau, come fesoit pareillement un chandelier de cristal à autant de branches qui estoit au milieu de l’église et tout alentour des bras doré et des plaques avec des sierges, le nombre desquels tant de l’église, chapelle et de notre chœur aprochoit celuy de 100 » (26). « Pierreries et perles fines, les girandoles, chandeliers de cristail à branches, le surplus à miroirs, plaques, vasses, flambeaux d’argent et vermeil doré et autre pièce d’orfèvrerie ne nous manquèrent pas » (45).
Après des pages d’ekphrasis souvent indigestes, les épistolières à bout de souffle finissent par abréger – « […] et autre enjolivement dont nous serions trop longues à vous faire le récit » (74) – ou faire le constat des limites de leur relation écrite : « Pour dire l’apareil
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de notre église, il faudroit la paindre pour donner à entendre l’invantion que nous avions trouvée » (73). Mais elles ne renoncent pas pour autant, sachant que leurs destinataires, du fait de leur expérience, pourront aisément « ymaginer » le rendu du décor et la « magnificence » de la fête (53). Pour les y aider, elles recourent abondamment aux comparaisons – en parlant du célébrant : « il nous sembloit de voir un séraphin » (7), ou de la voix d’un franciscain « plus belle […] que celle du rossignol » (31) – et aux images suggestives. Le soleil y cédant le jour aux flambeaux artificiels, à la faveur desquels tout esclatoit et cela dans un très bel ordre, chaque pièce tenant sy bien son lieu qu’on l’eut jugé faite exprès, sy bien qu’à proprement parlé, notre esglise estoit moins une esglise de feste qu’une chapelle à la royale (45).
Les autrices s’efforcent encore de restituer qui le rythme effréné des manifestations – « une messe n’estent pas achevée que l’autre ce commençoit sans discontinuer » (62) –, qui l’intensité des effets produits – à Billom, un lâcher de lanternes s’effectue « avec tant de feux et de bruit qu’il sembloit qu’il devoit […] ranverser par terre toute nos murailles » (21) –, chacune de ces évocations étant ponctuées d’expressions récurrentes : les acteurs font partout « merveille », la fête se ressent de « quelque chose de divin », qui met la foule en « jubilation » et lui donne le sentiment d’être « en paradis ». Et, à propos des ressentis, il est constamment question d’étonnement et de ravissement, de charme et d’enchantement, d’épanouissement du cœur et d’intense ferveur… Mais il ne suffit pas de décrire, encore faut-il retenir l’attention des destinataires qu’on tâche de surprendre avec le récit de faits-divers ou d’anecdotes, véritables mises en intrigue, parfois empreintes d’humour. À Langres, durant l’adoration au Saint-Sacrement, une visitandine, a soudain l’illusion de voir une même fête se célébrer au ciel et sur la terre. Elle voulut charitablement en faire part à celle qui estoit proche d’elle, mais come elle la pousoit tout doucement, l’une et l’autre virent que la vision n’estoit autre choses que le miroir qui estoit dans le dosme. Ainsy, elle reconnurent que la vision estoit une glace et non une grâce (29).
À Autun, c’est un mot d’esprit de Mgr Doni d’Attichy et, surtout, la candeur de l’une de ses sœurs, qui amusent a posteriori l’épistolière. [Arrivant à peine à se mouvoir dans l’exigu presbytère], sa grandeur […] s’avansant un peu pour regarder notre chœur qui est grand et large pour la petitesse de l’église, il dit de fort bonne grâce : « les fauxbours ysy sont plus grands que la ville » ! Sur quoy une de nos sœurs asses spirituelle pour penser qu’il faisoit une belle comparaison attendit longtemps l’explication sans la pouvoir comprendre, jusqu’à la récréation du soir qu’elle eut envie de rire de sa simplicité bien qu’elle ne s’en soit pas vantée (36).
Pour appuyer leurs propres commentaires et mieux convaincre leurs destinataires, il leur importe aussi de convoquer l’avis d’autrui, soit en le nommant expressément, soit en recourant à la voix passive ou au mode impersonnel : « Des personnes qui ont veu des choses très rares dirent qu’il ne ce pouvoit rien voir de plus beau que le paradis […] des personnes fort avancée en aage assure n’avoir jamais veu une sy belle procession en toute la ville » (33) ; à propos du décor de l’église, « le monde en estoient ravy de voir l’invention
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admirable avec laquelle tout estoit composé » (74) ; « le parement d’autel fut trouvé aussy agréable que nouveau » (54). À Bourg, Mgr de Narbonne25 « nous assura n’avoir rien veu de mieux » (51). Et lorsque l’inspiration finit par manquer – « de vous dire la consolation que nous receumes… c’est ce qui n’est pas en notre pouvoir » (23) ; « il seroit impossible d’en exprimer la moindre partie » (18) ; « cela n’est pas concevable » (20) –, les autrices renvoient leurs destinataires à leurs souvenirs personnels – « nous croyons que vous en jugerez par vos propres expériance » (23) –, qui seuls pourront combler les lacunes d’une narration parfois incapable de traduire l’indicible. « Vous pourrez mieux juger [notre joie] par celle que vous mesme en avez resenty que par tout ce que nous vous en pourrions dire » (17).
Les intentions de la relation de fête Si la plupart des récits ont probablement circulé d’une maison à l’autre, ils s’adressent en priorité aux sœurs du premier monastère d’Annecy et, surtout, à la mère de Chaugy26, avec lesquelles il importe de se montrer en communion d’esprit : « Il est bien juste de nous réjouir avec vos charités » (62) et « de mesler […] nos actions de grâce avec celles de vos aymables dilections » (71). Et l’épistolière de Montluel d’attester qu’en l’occasion, « on observa de poin en point tout ce qui est marqué en l’ordre que notre très honoré mère de notre sainte source nous a fait la faveur de nous envoier » (15). Les lettres transmises à Annecy témoignent donc du souci des communautés de se montrer sous leur meilleur jour : « Nous somes fort eslevée en situation [Billom], aussy bien que toutes nos chère sœurs en esprit d’observance très exacte » (21). Avant même de commencer leur récit, plusieurs souhaitent en premier lieu mettre en avant l’intensité de leur dévotion intérieure : « La pompe extérieure sans les dispositions de l’âme ne scauroit contenter ce tout voyant, qui veu qu’on l’adore en esprit et en vérité » (45). Aussi, la plupart ont-elles uni leurs actions de grâce à celles des Annéciennes en entonnant un Te Deum « avec la joye et suavité intérieure que vos charités ont expérimenté aussy bien que nous » (87). On ressent bien le poids de l’autorité exercée par la maison-mère dont chaque fondation cherche à se faire bien voir, comme à Belley où les religieuses ont réfréné leurs ardeurs et sagement attendu de « revevoir de notre unique Mère de Chaugy les ordres pour faire [la fête] au temps qui nous seroit prescrit » (67) ou dans le second monastère d’Annecy, où l’on tient à respecter la hiérarchie entre les deux couvents : dès la réception du bref, elles allument un « petit feu de joye devant [leur] esglise autour duquel la musique chanta le Te Deum, tandis que nos très honorée sœurs de notre sainte source l’honorèrent de cantité de fusée » (50). Mais Annecy attend surtout des preuves de leur investissement visible dans l’organisation de manifestations destinées à annoncer publiquement la gloire du bienheureux, François Fouquet, archevêque de Narbonne de 1659 à 1673, alors en exil. Marie-Patricia Burns, Françoise-Madeleine de Chaugy dans l’ombre et la lumière de la canonisation de François de Sales, Annecy, Travaux et mémoires publiés par l’Académie salésienne, 2002. 25 26
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et ce, dès avant l’apothéose des fêtes de canonisation. Aussi, la plupart prétendent-elles avoir « fais tout ce qui […] as esté posible » (29). Rien n’a été omis « pour faire signaler leurs adresses par les inventions qu’elles trouvèrent pour la décoration de [leur] esglise » (32), certaines travaillant jour et nuit sans même prendre la peine de se dévêtir (33). À Mâcon, Marie-Aymée de Rabutin-Champvigy ne cache pas son admiration pour le courage de ses sœurs, qui « firent en ces douze jours l’ouvrage de plus de 3 mois » : Je vous avoue que j’ay eu une consolation sensible de voir leurs affection travaillant jour et nuit presqu’avec un saint empressement et ardeur admirable et chacun s’estonnoit de voir la diligence que l’on fesoit jugeant que la santé en seroit intéressé ; mais la cause estoit trop juste, pas une n’en a esté incomodée (10).
Les « maistresses brodeuses » ont particulièrement payé de leurs personnes. À Caen, « le parement d’autel fut trouvé aussy agréable que nouveau, estant de fleurs et festons de mignature sur un fond de fil d’argent qui a beaucoup d’éclat et où la dépense a été plus espargnée que la peine de nos sœurs qui l’ont travaillé » (54). La plupart des visitandines sont là dans leur élément27. Cela semble être moins le cas pour le chant liturgique28. Habituées à des offices aux structures mélodiques simplifiées, les visitandines sont peu familiarisées avec le plain-chant. Mais, pour l’occasion, elles n’ont reculé devant rien et les moins douées ont même fini par recevoir les éloges des auditeurs ! Ce qui surprit tout le monde fut la sainte hardiesse de nos sœurs qui les porta, sans sçavoir la musique, à chanter 2 psalme des 1er et 2e vespres en musique, aussy bien et librement que sy elles eussent peu y observer toute la mesure […]. Nous dîmes les 2 jours les 4 petis offices et complies en chant grégorien, assez bien pour faire murmurer les assistans qui disoient fort agréablement qu’il y avoit de la malice à nous de chanter sy mal à l’ordinaire, puisque nous pouvions chanter si bien (34).
Elles sont plusieurs à avoir bénéficié de la chance des débutantes : « Nous chantasmes les vespres des confesseurs en musique, sur le chant de l’Église, avec tant de bonheur que l’on eut dit que nos sœurs avoit des longues année dit cet office » (51). Certaines se sont en revanche donné la peine de suivre une formation accélérée qui semble avoir porté ses fruits. À Troyes, « une de nos sœurs qui say [l’office des Confesseurs] en perfection nous le montra ; […] l’ayant soygneusement estudié […], nos musiciennes chantèrent les 1er vespre qui furent trouvée fort belle » (17). À Saumur, « ce qui orna encore [la célébration] fut notre chant grégorien que notre chère mère [Renée Pacifique Le Royer] nous aprit en peut de temps et nous y avons sy bien réusit que tous les assistans sohaittoit qu’il nous fut ordinaire » (14).
Philippe Bonnet, « La pratique des arts dans les couvents de femmes au xviie siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 147, 1989, p. 433-472. 28 Chants de l’office des religieuses de la Visitation Saincte Marie, Paris, Pierre Ballard, 1637. Dinko Fabris, « “Le chant de trois notes” : une tradition musicale du xviie siècle chez les sœurs de l’Ordre de la Visitation de Marie », dans Jean Duron (éd.), Plain-chant et Liturgie en France au xviie siècle, Paris, Centre de Musique Baroque de Versailles, 1997, p. 265-283. 27
134
De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque
Beaucoup se rengorgent de leurs succès, n’hésitant pas à oser la comparaison avec la prestation des musiciens professionnels : « Nos sœurs s’acqquittèrent sy bien [de leur chant] et leurs voix y paroissoient sy belle que tout le monde avoit regret que la musiq ne leur lessait tout dire » (54). Le Nunc dimitis et le Regina coeli furent dit en musique, qui la termina. Elle fut trouvé fort belle estant avec instruments des plus beaux et agréable, celle du dehors fut aussy très bonnes, cestant trou[v]é des voix de celle de Notre-Dame de Paris et de la Sainte-Chapelle en cette ville qui y estant venu pour affaires y furent retenue à cet effet. La nôtre toutefois fut estimé plus douce et agréable, sans doute parce qu’elle estoit nouvelle… (11).
Le chant des visitandines de Langres semble avoir tiré des larmes de dévotion des fidèles qui prétendent avoir eu le sentiment « d’ouïr des anges » (29). À Mamers, elles ont entonné les litanies « avec les violes et la musique ; tout ensemble faisoit un consert et une vocifération très agréable » (80). À Clermont, « la musique tant du dehors que de nos sœurs fesoit aussy un agréable meslange avec des instrumens, que les heures ne duroit pas des moments » (53). Ailleurs, on préfère la sobriété, non dénuée toutefois de ferveur, comme à Avallon, où les religieuses ont exécuté les Vêpres « avec notre inflection ordinaire, mais d’une joye si nouvelle que jamais notre chant ne nous parut sy mélodieux, tant nos cœurs estoit justement animés » (81). Au final, dans plusieurs monastères et malgré l’inexpérience d’un bon nombre, « le cœur, le poulmon, la voix et l’affection estant bien unies ensemble, notre chant parut sy mélodieux que peu s’en falut que nous ne nous ravissions nous-mesme » (62). Pour ce qui est du rituel, les visitandines souhaitent montrer combien elles ont respecté les directives romaines. À Metz, le grand vicaire « observa entièrement l’ordre des cérémonies [que] nous avions de Rome » (4). À Paray-le-Monial, Louis Doni d’Attichy29 a « donné la permission de faire la cérémonie selon le règlement de Mgr Febus30 et celon la petitesse du lieu avec tant de bonheur que tout le monde aplodissoit tout ce que nous fismes » (48). Les visitandines de la Châtre ajoutent encore que, s’adressant à François de Sales, et « pour ne point devancer les ordres de sa Sainteté, nous dision, au lieu de Sancte, Beate (23) ». Bref, « nous n’avions pas l’ambition de parestre plansdides mais de nous tenir à l’instruction de Rome » (49). S’il importe de parler avec emphase d’éclat et d’effervescence pour mieux dire l’intensité de la ferveur manifestée au bienheureux, il faut aussi rassurer les autorités annéciennes sur la qualité de l’ordonnancement – « le tout estoit ordonné et rangé dans une simmétrie et proportion sy agréable que toute notre église fut trouvé parfaictement belle » (16) – et sur l’atmosphère de gravité et de recueillement qui, aux moments appropriés, contraste heureusement avec le tumulte de la fête – ainsi de la vénération des reliques qui se déroule à Bourg-en-Bresse « avec tant de cilence que l’on ut jugé n’y avoir personne » (51). « C’estoit une chose admirable de voir l’attention que grands et petits fesoit paroistre […] chacun estoit dans l’estonement de ce qu’on ressentoit en soy mesme » (62). En divers lieux, les visitandines ont fait appel aux gens d’armes « pour mettre aux portes afin d’empescher 29 30
Évêque d’Autun de 1652 à 1664. François-Marie Phoebus, secrétaire de la sacrée Congrégation des Rites.
135
Marie-Élisabeth Henneau
la confusion et le désordre du peuple, ce qui [à Caen] réussit sy bien qu’il ne ce peut pas voir plus d’ordre et de tranquillité qu’il y eut » (54), et, par la suite, ne sont jamais avares de commentaires sur l’atmosphère de paix et de décence régnant parmi les membres de l’assemblée. La prudence est encore de mise quand il s’agit de faire état du luxe déployé pour l’occasion. Les autrices prennent souvent la peine d’insister en contrepoint sur les trésors d’ingéniosité consentis pour y parvenir à moindres frais. Il convient en effet de montrer combien on a été « bonnes mesnagières » du bien commun. À Melun, « plusieurs petits mirouers […] ne faisoit guères moins esclater les faux diaments que les vrayes ; les uns contrefaisoient sy bien les autres, que plusieurs personnes les ayant admiré estimoient le tout d’un prix infiny ». Ces astuces ont ainsi permis à la sœur économe d’en avoir « trouvé sa bource bien soulagée » (11). Beaucoup reçoivent en outre des objets en prêt, comme à Montbrison où « l’esclat de notre luminaire fut trouvé le plus beau qu’on ait iamais veu sans que pourtant il en ait rien coûté » (25). Même s’il existe incontestablement une émulation entre les maisons, toutes désireuses de se positionner avantageusement dans la compétition, il est également bienséant d’afficher une certaine modestie : plusieurs ponctuent donc leurs récits de commentaires sur leurs humbles réalisations, mises en œuvre « celon notre petit pouvoir et l’affection de nos cœurs » (65). Il s’agit aussi et plus prosaïquement de justifier le fait, que, bien souvent, elles n’ont pu ou pas voulu répondre favorablement à la collecte des fonds destinés à soutenir la cause du fondateur. « Nous nous voyons tousjours dans l’impuissance de le pouvoir faire à cause de notre pauvreté » dit-on à Pignerol (13). Celles de Montluel, qui n’ont encore pu verser que 2 000 livres espèrent que, du ciel, François agréera leurs bonnes volontés. « Nous souhaiterions qu’elle fut connue de vos charité par les très humbles service de cette communauté qui vous est très sinsèrement affectionnée » (15). S’il convient que les lettres traduisent leur déférence à l’égard des sœurs d’Annecy, il importe plus encore aux visitandines de redire leur dévotion envers celui qu’elles considèrent comme leur fondateur. « Nous ne pouvons exprimer la grandeur de notre joye pour la béatification de ce saint père de nos âmes et bien que la petitesse et pauvreté de ce lieu ne nous ayt pas permis de solemniser avec la magnificence que nos monastères ont fait, notre dévotion n’en a pas esté moindre ny peut estre moins agréable à notre bienheureux père » (22), écrit-on de Charolles. Aussi les religieuses se félicitent-elles d’avoir pu contribuer à la diffusion de son culte – à Paray-le-Monial, le bienheureux y « estoit presqu’inconnu […] et à présent chacun y acourt et en reçoit des grâces » (48) – et de partager avec les fidèles les bienfaits reçus par son intercession. Celles d’Avallon signalent ainsi combien « la dévotion du peuple a parut sy particulière […], chacun ayant témoigner et par paroles et dans son procédé avoir eu bonne part à la sainte onction que ce bienheureux a respandu avec abondance sur sa chère petite Visitation » (81). En plusieurs lieux, comme à Mâcon, la promotion de son culte n’est plus à faire : « Tout le peuple y est sy animé que c’est une merveille come chacun ce porte à faire ces dévotions », jusqu’aux huguenots qui, eux aussi, ont voulu « avoir part à la feste, disant que c’estoit pour leurs evesque de Genève qu’il portoit les armes » (10). On apprend encore que « tous les bons Orléanois ayant eu de tous temps sy grande dévotion à ce bienheureux, chacun désiroit ardemment […] de voir ces mérites 136
De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque
exposés à la vénération publique » (32). Les attentes de la population sont ainsi comblées par les fêtes organisées dans chaque Visitation. « Il est [donc] bien juste de nous réjouir avec vos charités de la dévotion universelle que tous les peuples ont fait paroistre à honorer ce saint » (62). Et comme un bonheur n’arrive jamais seul…, la gloire du bienheureux rejaillit immanquablement sur la réputation de ses chères filles : « Nous avons connu en cette occasion que nous estions beaucoup aymés dans cette ville » (26)31. L’interaction permanente entre ce monde clos et l’espace urbain est en effet abon damment mise en scène dans ces narrations – « cette résjouissance finie au dehors, nous recomansame la nôtre au-dedans » (81) –, qui font la part belle aux moments de rencontres entre les visitandines, leurs réseaux sociaux et la population locale. On sait qu’il n’était pas dans l’intention des premières filles de Jeanne de Chantal de se cloîtrer strictement et qu’elles durent se soumettre à cet article de discipline bien malgré elles. Dans les années 1660, elles y sont contraintes comme toutes les religieuses à vœux solennels. Il n’empêche que, comme beaucoup d’autres, elles comptent bien jouer le rôle d’« apostresses » que François de Sales leur a reconnu32. Elles assument notamment leur mission en participant activement à cette politique de mise en scène d’un culte catholique qui se veut triomphant. Et ce, au prix de quelques accommodements exceptionnels avec les règles régissant chez elles la séparation entre les lieux clos et les espaces ouverts au public. Afin de rendre leur église « plus capable de contenir le grand nombre de spectateurs qui ce disposoient de s’y rendre, nous ouvrîmes notre portail et nous-mîmes des tentes qui couvroient la cour et un théâtre qui la rendoit à niveau de l’église » (85). À Embrun, « il nous falut donner l’entrée à tous ces Mrs [du chapitre], ce qui ce fit dans un ordre et tranquillité sy grande que nous n’en receusmes aucune incomodité et ne sembloit pas qu’il fut entré personne » (77). À Tulle, « nous fusme contraintes pour la petitesse de notre église, d’en faire dresser une au dehors, joignant notre closture qui aparut fort magnifique » (74). Partout la foule se presse à leurs portes et il leur est bien difficile de la contenir dans les limites des espaces accessibles aux visiteurs : à Marseille, « la basse-cour des sœurs tourières, nos parloirs, la chambre du prédicateur, voire la rue estoit plaine de monde qui attendoit quand les autre sortiroit » (41). Il semble bien toutefois qu’hormis quelques personnalités accueillies en clôture pour l’occasion – à Montorgueil, il entra une centaine de personnes dans le monastère, la supérieure s’étant pourvue « de la permission de Mr notre père spirituel » (8) –, les visitandines ne se laissent guère approcher et se tiennent sagement derrière leurs grilles « le voille baissé » (11). C’est du moins l’image qu’elles souhaitent donner en relatant les faits. Ceci ne les empêche nullement de jouir du spectacle, tout heureuses de « voir sans estre veues » (59), ni de vouloir transmettre au monde leur invitation à vénérer le bienheureux par le truchement de leurs décors et de leurs célébrations. Loin de se mettre en scène comme des recluses à l’écart du monde, elles se présentent ainsi comme des agents efficaces de la Réforme catholique, heureuses d’observer au travers des grillages les effets évidents des efforts déployés, participant de cœur aux réjouissances des cités qu’elles réussissent à mettre en émoi et s’unissant avec ferveur au Sonia Rouez, « Les cérémonies en l’honneur de la béatification et de la canonisation de Jeanne de Chantal. Entre dévotion privée des visitandines et dévotion publique », Revue Mabillon, t. 13/74, 2002, p. 265-302. 32 Les vrays entretiens spirituels du bienheureux François de Sales…, Lyon, V. de Coeurssilly, 1630, p. 185. 31
137
Marie-Élisabeth Henneau
vœu de Marie-Béatrice de Grammont : « Ce grand Saint faisant des grâces spirituelles et temporelles à tous ceux qui luy ont recours, j’espère que, s’il favorise sy fort les estranger, il ne laissera pas ces enfans » (78). Marie-Élisabeth Henneau Transitions UR sur le Moyen Âge et la première modernité Université de Liège
138
Annexe No Date d’envoi Date de la °° célébration
Monastères
Fond33. Signature34 Type35
1
1662-02-23
1662-02-16
Paris (SaintAntoine)36
1619
LC
5 p.
2
1662-03-21
1662-03-21
Le Puy
1630
JeanneFrançoise LC Blancharde
4 p.
3
1662-02-22
1662-02-16
Paris (SaintJacques)
1626
Agnès Leroy
LC
3 p.
4
1662-06-03
1662-04-20
Metz
1636
LC
9 p.
5
s. d.
1662-04-18
Sisteron
1631
LC
2 p.
6
1662-06-14
1662-06-07
Nice
1635
LC
1/2 p.
7
1662-05-04
1662-04-30
La 1651 Rochefoucauld
LC
5 p.
8
1662-04-20
1662-02-16
Paris (Chaillot) 1660
LC
3 p.
9
1662-01-20
juin
Périgueux37
1641
LC
1 p.
10 1662-03-06
1662-02-07
Mâcon
1632
M.-Aymée LC de Rabutin
6 p.
11 1662-06-02
1662-04-30
Melun
1635
LC
6 p.
12 1662-07-04
1662-03-05
Bourges
1618
LC
3 p.
M.Iheronime de Four
Les dates sont celles fournies par le catalogue des fondations établi par Sr M.-Patricia Burns et consulté au monastère de Voiron. 34 M. = Marie. 35 Type de texte reproduit : LC = Lettre circulaire. RM = Récit de miracle. R = Récit ou Relation. 36 Voir Marie-Ange Duvignacq-Glessgen, L’ordre de la Visitation à Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, Éditions du Cerf, 1994, p. 220-221. 37 Voir aussi le no 55. 33
139
Marie-Élisabeth Henneau
13 1662-05-25
1662-02-26
Pignerol
1634
LC
1 p.
14 1662-07-24
1662-06-12
Saumur
1647
LC
1 p.
15 1662-07-08
Ap. Pâques
Montluel
164038
LC
1 p.
16 1662-07-21
1662-05-22
Abbeville
1650
LC
2 p.
17 1662-06-12
1662-02-16
Troyes
1631
LC
2 p.
18 1662-05-30
1662-05-23
Rouen II
1642
LC
2 p.
19 1662-07-16
1662-05-22
Loudun
1648
LC
1 p.
20 1662-06-06
1662-02-27
Montargis
1628
Sr Baillyt
LC
2 p.
21 1662-07-04
1662-06-25
Billom
1650
Jacqueline Beaufort
LC
1 p.
22 1662-07-06
1662-04-24
Charolles
1637
LC
1 p.
23 1662-06-30
1662-03-14
La Châtre
1640
LC
3 p.
24 1662-07-08
1662-04-24
Semur
1633
LC
3 p.
Montbrison
1642
M.-Marthe LC Lesieur
2 p.
25 1662-03-26 26 1662-06-28
1662-04-24
Beaune
1632
LC
4 p.
27 1662-06-11
1662-05-24
Bayonne
1640
LC
3 p.
28 1662-06-20
1662-05-21
Pont-St-Esprit
1633
LC
2 p.
29 1662-05-17
1662-05-23
Langres
165339
LC
7 p.
30 1662-09-23
1662-01-28 1662-06-08
Rumilly
1625
LC
2 p.
38 39
Transféré de Saint-Amour (1633) à Montluel en 1640. Sorti de Fribourg et établi d’abord à Gruyère en 1638.
140
De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque
31 1662-05-30
1662-05-13
Albi
1638
32 1662- ?- ?
1662-02-23
Orléans
1620
Riom
33 s. d.
34 1662- ?- ?
1662-05-04
35 1662
LC
9 p.
LC
1 p.
1623
LC
5 p.
Angers
1636
M.Constance LC Constantin P
2 p.
Montferrand
1620
RM
1 p.
M.Madeleine Perdoux
36 1662-07-01
1662-04-24
Autun40
1624
LC
6 p.
37 1662-07-12
1662-06-19
Nevers
1620
R41
11 p.
38 1662-05-21
1662-05-21
Fribourg
1635
R42
14 p.
Poitiers
1633
LC
1 p.
39 1662-08-16
AnneMarie Delage
40 1662-11-28
1662-04-30
Limoges
1643
LC
2 p.
41 1662-07-22
1662-04-30
Marseille
1623
LC
2 p.
42 1662-03-01
1662-01-29
Lyon (Bellecourt)
1615
M.Séraphique LC de Pontcin
3 p.
43 1662-07-23
1662-04-23
Saint-Étienne43 1622
LC
1/2 p.
Voir aussi n o 69. « Relation de ce qui s’est passé à Nevers… ». Cf. Relation de ce qui s’est passé [à Nevers] à la solemnité de la feste de la béatification de… François de Sales…, s. l., s.n., 1662 (BM d’Avignon 8° 27246/13). 42 « Récit de la solemnité faite en la ville de Fribourg en Suisse le 21me de may 1662 p.[ou]r la béatification de [Notre bienheureux] Père ». Cf. Récit de la solemnité faite en la ville de Fribourg en Suisse le 21 de may 1662 pour la béatification… du bienheureux François de Sales…, Fribourg, [s.n.], 1662, 20 p. 43 Voir aussi no 46. 40 41
141
Marie-Élisabeth Henneau
44 1662-08-19
1662-04-27
Tours
1633
45 1662-09-29
1662-05-23
Rouen I
1630
46 1662-07-25 47 1662-05-15
ClaireMadeleine de Burges
LC
1 p.
LC
2 p.
LC
1 p.
1659
ClaudeSéraph. LC Lenormand
2 p.
AnneFrançoise Thouvant
LC
1 p.
LC
4 p.
LC
2 p.
Saint-Étienne 1662-04-17
Auxerre
48 1662-05-10
1662-04-23
Paray
1626
49 1662-07-22
1662-04-24
Châlon
1636
Annecy II
1634
50 1662-12-26
M.Hérine de Monthoux
51 1662-07-26
1662-07-08
Bourg-enBresse
1627
LC
4 p.
52 1662-09-29
1662-05-15
Castellane
1644
LC
1 p.
Clermont
1649
LC
1 p.
LC
2 p.
LC
5 p.
53 1662-11-29
ÉlisabethAngélique Leconte
54 1662-09-02
1662-06-22
Caen
163144
55 1662-09-27
juin
Périgueux
164145
56 1662-10-07
1662-03-12
Crémieu
1627
Angélique LC de St-Jullin
2 p.
57 1662-06-03
1662-05-25
Besançon
1630
AnneLouise Henry
4 p.
LC
Établie à Dol en 1629, la communauté est transférée à Caen en 1631. Établie à Metz en 1633, la communauté s’installe à Périgueux en 1641 après un passage par Paris, puis par Guéret. 44 45
142
De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque
58 1663-01-05
1662-05-24
Compiègne
1649
59 1663-08-06
1662-04-30
Pont-àMousson
60 1662-02-03
1662-04-30
61 1662-08-20 62 1663-01-07
1662-12-28
M.-Jeanne Tuby
LC
1 p.
1626
LC
4 p.
Marseille II
1652
RM/LC 1 p.
Gray
163646
LC
7 p.
Saint-Flour
1628
LC
5 p.
LC
1/2 p.
AnneCatherine Berbis P
63 1663-02-10
1662-03-08
Dijon
1622
64 1662-08-12
1662-01-29
Avignon II
1642
LC
3 p.
65 1663-01- ?
Blois
1625
LC
1 p.
66 1663-03-16
Varsovie
1654
LC
3 p.
67 1662-08-20
1662-06-20
Belley
1622
LC
2 p.
68 1662-10- ?
1662-06-20
Villefranche (Beaujolais)
1632
LC
2 p.
RM
1 p.
69 1663
Autun
70 1662-03-22
1662-03-23
Aix II
1652
R47
21 p.
71 1663-03-29
fin avril 1662 Digne
1630
LC
2 p.
72 1663-05-03
1662-06-18
Valence
1621
LC
3 p.
73 1663-06-27
1663-05-30
Tarascon
1641
LC
3 p.
74 1662-09-01
1662-05-01
Tulle
1644
LC
2 p.
Établie en 1634 à Champlitte, la communauté arrive à Gray en 1636. Relation des cérémonies et Solemnités faites à la Béatification du Bienheureux François de Sales par les Religieuses du second Monastère de la Visitation Sainte Marie de la Ville d’Aix en Provence, Aix, J.-B. et E. Roize, 1662 (in-12). 46 47
143
Marie-Élisabeth Henneau
75 1663-02-04
Chartres48
1647
RM
1 p.
76 1663-08-29
1662-07-20
Villefranche (Rouergue)
1642
LC
3 p.
77 1662-05-12
1662-04-30
Embrun
1625
LC
2 p.
78 1663-07-24
s. d.
Dole
1646
M.Béatrice de LC Grammont
1 p.
79 1663-07-17
1662 ?-06-25 Vienne
1644
LC
1 p.
80 ?-05-21
1662-05-21
Mamers
1633
LC
4 p.
81 1662-07-07
1662-04-24
Avallon
1646
LC
4 p.
82 1662-04-25
1662-03-22
Chartres
1647
LC
1 p.
83 1662-06-18
Dieppe
1640
LC
4 p.
84 ?
Meaux
1631
LC
1 p.
85 ?
1662-04-20
Amiens49
1640
LC
3 p.
86 ?
1662-05-21
Mamers
1633
LC
3 p.
LC
6 p.
87 1662-07-20
1662-03-22
Aix I
1624
M.Gertrude de St-Jean
Voir aussi no 82. Lettre d’une religieuse de la Visitation… d’Amiens… au sujet de la pompeuse et magnifique cérémonie de la béatification du Bienheureux François de Sales… faicte dans l’Église et Monastère desdites Religieuses à Amiens, s. l., s.n., 1662, 7 p. 48 49
144
Entre récréation, apologie et apologétique : les « Couplets » du Carmel de Saint-Denis (1771-1787) Les archives de l’ancien Carmel de Saint-Denis, désormais au Carmel de Pontoise, conservent un cahier manuscrit d’une centaine de pages, intitulé « Recueil de couplets de notre monastère de Saint-Denis ». On y trouve, recopiés par la même main, quarante-neuf textes de dénomination diverse et non systématique : cantique, chanson, couplet, discours, noël, martyrologe, vers. La plupart sont versifiés en alexandrins, décasyllabes ou hexamètres, quelques-uns sont rédigés en prose. Ils portent le plus souvent des titres à la gloire de Madame Louise, dernière fille de Louis XV et de Marie Leszczynska, entrée à Saint-Denis le 11 avril 1770, à l’âge de 33 ans, et morte dans le monastère le 23 décembre 1787. Sous le nom de religion de Thérèse de Saint-Augustin, elle y exerça les offices les plus importants de la communauté : maîtresse des novices, prieure, sous-prieure, dépositaire. Par sa naissance royale et par sa personnalité énergique, elle demeure, de toute l’histoire de celle-ci, la figure principale de la communauté. Si l’on considère aussi que son arrivée sauva le monastère de la ruine grâce aux largesses de Louis XV, on comprend à quel point elle put apparaître aux autres carmélites comme l’envoyée de la Providence. Durant deux décennies, Saint-Denis constitua aussi un nœud des réseaux dévots qui s’inquiétaient de « la montée de l’impiété » et ne désespéraient pas de voir renaître la Compagnie de Jésus. À sa mort, la communauté eut soin de conserver tout ce qui portait sa trace et pouvait pérenniser sa mémoire. Ce matériau documentaire, élaboré dans la perspective d’un procès de béatification qui ne s’ouvrit pas avant le dernier tiers du xixe siècle, formé de correspondances surtout, mais aussi de nombreux objets, constitue avec les Chroniques de la communauté, l’intérêt principal des archives du Carmel de Saint-Denis. Le recueil de couplets qui va retenir notre attention témoigne d’une construction précoce de la personne de Madame Louise comme sujet de vénération. Ces textes, en effet, qui célèbrent ses vertus, ont été composés de son vivant pour lui être présentés. Quelques-uns, enchâssés pieusement dans le recueil comme de véritables reliques, ont été composés par elle-même. L’ensemble nous renseigne certes sur quelques pratiques paraliturgiques de dévotion dans la communauté à la fin de l’Ancien régime, mais surtout sur quelques divertissements musicaux que l’on pouvait s’y permettre et sur quelques aspects de la vie quotidienne dans une communauté carmélitaine.
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 145-164 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115080
Bernard Hours
Chronologie de l’écriture La datation du recueil lui-même ne s’impose pas avec évidence. L’écriture semble plutôt postérieure à la Révolution, mais elle pourrait aussi être de la fin du xviiie siècle. Il faudrait donc choisir entre une rédaction précoce, après la mort de Madame Louise, entre 1788 et octobre 1792, époque de la dispersion de la première communauté de Saint-Denis, et une rédaction plus tardive, au sein de la communauté restaurée à partir 1807 à Versailles. Si l’écriture, et aussi le papier, rendent cette deuxième hypothèse plus probable, il faut dans ce cas souligner l’extrême soin avec lequel les archives furent conservées durant la période révolutionnaire : ce recueil est le seul connu, et à moins qu’un autre plus ancien ait été perdu, il a probablement été réalisé à partir de feuilles volantes qui avaient été rassemblées et qui ont été égarées depuis, ce qui est surprenant – mais pas impossible – au regard de l’extrême attention avec laquelle ont été entourés tous les souvenirs de Madame Louise. D’autre part, plusieurs explications ont été inscrites dans les marges par au moins deux autres mains. Elles donnent des informations de type personnel et événementiel qui attestent soit de la qualité de la transmission orale de la mémoire dans l’hypothèse de la datation la plus tardive, soit de la précocité de la réalisation du recueil – elles sont indiquées au présent de l’indicatif – dans les années qui suivirent la disparition de Madame Louise. On pourrait aussi supposer que certaines de ces mentions auraient pu être apportées encore plus tardivement, à la lumière des premières biographies, et en particulier celle de la Mère Stanislas publiée en 1857 en vue de l’ouverture du procès de béatification1, et que le présent ne soit ici qu’un temps de la narration. Si l’hypothèse de la datation la plus tardive, soit les deux premières décennies du dix-xixe siècle, semble la plus raisonnable, demeurent néanmoins sans réponse les questions qu’elle pose. La datation de chacun des couplets est une autre affaire, plus simple a priori puisque tous ont été composés durant le séjour de Madame Louise à Saint-Denis, soit au plus tôt en avril 1770 et au plus tard en décembre 1787. Le premier couplet (no 1) est un dialogue en cinquante-six quatrains décasyllabiques entre la prieure et une jeune religieuse, entrée après la princesse. Cette dernière regrette de ne s’être pas « faite religieuse un an plus tôt ou seulement six mois », ce qui daterait le couplet, le plus ancien du recueil, du dernier trimestre 1770, à la fin du postulat de Madame Louise qui fut exceptionnellement porté à six mois au lieu des trois prévus par les constitutions de l’ordre. La prise du voile noir, le 1er octobre 1771, est l’occasion d’une autre chanson, la deuxième avec certitude dans l’ordre chronologique. Sur l’ensemble, une dizaine d’autres portent une date, et toutes celles-là sont comprises entre 1778 et 1787. La plus tardive est une chanson « pour annoncer la fête de Madame Louise » (no 29), écrite probablement vers la fin du mois d’août 1787 : Je venons d’entendre annoncer Une fête intéressante Car quand j’entendons nommer Saint Augustin, je sons contente Dieu seul sait combien j’aimons La dame qui porte ce nom [Mère Stanislas Tourel], Vie de la Révérende Mère Thérèse de Saint-Augustin, Madame Louise de France, par une religieuse de sa communauté, Autun, 1857, 2 vol. 1
146
Entre récréation, apologie et apologétique
On relève cependant une concentration entre les années 1779 et 1782 des chansons datées. Si le sondage que représente cet échantillon, soit environ le quart du recueil, est représentatif, il faudrait en conclure que c’est principalement à cette période qu’ont été composés les couplets. En 1779, Madame Louise acheva son deuxième priorat. Elle ne pouvait pas être immédiatement réélue : selon les constitutions du Carmel, le priorat dure trois années et l’on ne peut exercer que deux priorats consécutifs ; il faut ensuite attendre trois années avant de pouvoir recevoir de nouveau les suffrages de la communauté. En 1782, la Mère Thérèse de Saint-Augustin aurait donc pu être élue prieure pour la troisième fois, mais, malgré les instances de ses sœurs, elle refusa et l’on réélit donc Julie de Mac Mahon, en religion Julienne Julie de Jésus, à laquelle l’unissait une profonde amitié. Mais celle-ci mourut à l’automne 1785, et cette fois, Madame Louise ne pouvait plus se dérober. Elle fut donc élue prieure pour un troisième triennat que la maladie vint interrompre au bout de deux ans. Entre temps, de 1779 à 1785, elle exerça l’office de dépositaire et celui de maîtresse des novices.
Le « culte » de Madame Louise Cinq couplets ont été composés à l’occasion des élections de 1779 dans le Carmel de Saint-Denis. Le premier (no 2), daté du 29 novembre 1779, célèbre la continuité de Madame Louise à Julie de Mac Mahon : On dirait même sans méprise Tant c’est dans les deux âmes même esprit Que l’on obéit à Louise Quand à Julie on obéit Il ne faut donc pas que l’on pleure Sur ce changement de prieure […] L’une dans l’autre ainsi fondue En tout desseins, sur tout objet Ces deux mères ont même vue Mêmes sentiments, mêmes attraits En voyant ce que l’une pense Vous devineriez l’autre d’avance […]
Il s’agit de la réponse à un couplet très probablement antérieur à celui-ci même s’il est recopié une quinzaine de pages plus loin dans le recueil, intitulé Plaintes du Carmel sur le jour où Mme Louise de France, cessera d’être prieure des Carmélites de Saint-Denis (no 15) : Serait-il arrivé, ce terme imprescriptible, Ce terme désolant que conjuraient nos vœux À mes pressants besoins, serait-il insensible le Ciel pour me porter un coup si douloureux ? Quand vous la prononciez, sage réformatrice, Cette estimable loi la sexennalité,
147
Bernard Hours
Prévoyiez-vous qu’un jour j’aurais pour conductrice La vertu sous la pourpre ?… Ah ! Qui s’en fût douté ?
Un troisième enfin (no 13) proclame qu’il ne s’agit que d’un intermède au demeurant fort « doux » puisque la nouvelle prieure est « la plus fidèle image » de celle qui sort de charge, et que le « règne de Louise » va revenir : Jusqu’au moment où ce Carmel, Seul semblable à lui-même, Verra le retour solennel De son bonheur suprême, Contentons-nous d’un sort bien doux Dont tout Carmel serait jaloux.
Les élections de 1785 en revanche ne semblent pas avoir donné lieu à de nouveaux couplets, du moins n’en a-t-on conservé aucun. Mais ceux-là suffisent à situer la place centrale occupée Madame Louise dans la communauté de Saint-Denis en raison de sa naissance : les chansons qui, ne l’oublions pas, sont à usage interne, disent d’abord à la communauté qu’à travers la nouvelle prieure, c’est toujours « l’auguste Louise », « la fille de Louis », « l’auguste princesse » qui continue à gouverner « ce petit Carmel soumis à son Altesse ». Les quelques dix-sept chansons composées à l’occasion de sa fête, soit autant que d’années de sa vie passées au Carmel, confirment cette impression : il s’agit le plus souvent des fêtes de ses saints patrons en religion, sainte Thérèse d’Avila et saint Augustin. C’est avant tout l’occasion de célébrer à travers eux les vertus de Mme Louise, en dressant un parallèle plus ou moins systématique, mais avant tout de déclarer l’affection que la communauté lui porte et de faire une fois de plus l’éloge d’une vocation exceptionnelle (no 17) : Depuis ce jour mémorable Vous faites notre bonheur ; Vos bontés, votre douceur, Votre caractère aimable, Tout en vous ravit le cœur, Le mien est insatiable De vous procurer son ardeur Et voilà ce qui m’engage De vous offrir, de vous offrir notre hommage.
Un seul de ces couplets associe les deux saints patrons dans une tonalité mystique (no 35) : I Dans ce monastère Pourrait-on se taire Sur le nom divin Du grand Saint-Augustin Puisque de Louise Qui porte son nom,
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II Voyant quelle flamme Jour et nuit enflamme De ce saint docteur Le vif et tendre cœur ; Oh ! Combien éprise Thérèse aujourd’hui
Entre récréation, apologie et apologétique
Ce père de l’Église Lui-même est patron ; Quand fêter ce Père C’est fêter la mère, dans ce monastère pourrait-on se taire Sur le nom divin Du grand saint Augustin
D’être par Louise Unie avec lui Oh ! Combien se pâme De Louise l’âme Voyant quelle flamme, etc.
III Docteur de la grâce Son cœur se surpasse S’il est à son tour Le docteur de l’amour ; Chaque trait de plume Dicté par son cœur Dans le cœur allume La plus vive ardeur Qu’avec efficace Il en fond la glace Docteur de la grâce, etc.
IV Certes n’en déplaise D’avoir à Thérèse Joint saint Augustin C’est le trait le plus fin Car quel véhicule Pour ce que nuit et jour Tout votre cœur brûle Du plus tendre amour ; Je puis bien à l’aise Prouver cette thèse Certes n’en déplaise, etc.
V Quelle ardente crise Quand le feu s’attise Par l’heureux concours De deux tendres amours ; Telle est la fournaise Que dans votre cœur Allume [sic] Thérèse Et le saint Docteur Que ce cœur le dise Quelle ardente crise, etc.
VI Oh ! Que ne peut-elle Par quelque étincelle De ce feu si doux Brûler nos cœurs jaloux ! Quel esprit d’Élie Au sein maternel Reprendrait de vie Sur tout le Carmel Quelle ardeur nouvelle Il prendrait le zèle Oh ! Que ne peut-elle, etc.
Permettez Louise Que l’on vous le dise Mère de céant [sic] Nous sommes vos enfants. Par droit d’héritage Ne devons-nous pas Entrer en partage De biens ici-bas Que sur ma franchise Votre cœur avise Permettez Louise, etc.
VII
149
Bernard Hours
Dans l’unique chanson composée pour la fête de saint Louis qui ait été recueillie ici, la fille de Louis XV est célébrée comme le reflet de son lointain et saint ancêtre (no 18) : Dans le saint que nous fêtons Par un rare assemblage, A l’envie nous admirons Des vertus où nous tendons L’image, l’image, l’image. Si jamais de ses vertus Nous perdions la mémoire Leurs traits en vous reconnus Ses droits lui seraient rendus Sa gloire, sa gloire, sa gloire. Pour bouquet, ce complément Peut-être ici de mise ; Louis nous serait présent Par ce seul mot comme en cent : Louise, Louise, Louise.
Les vertus de « l’auguste princesse » sont célébrées à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance (no 3) ou de l’anniversaire de sa profession religieuse (no 27), enfin par l’évocation de son action et par la mise en scène de ses relations avec la communauté ou avec certaines religieuses, comme autant d’anecdotes qui vont devenir les exempla de son hagiographie. Parmi ces dernières, l’épisode de la sœur janséniste qui avait fait le mur du monastère pour fuir la « normalisation » mise en œuvre par Mgr de La Taste au milieu des années 1740, et ramenée au bercail en 1775 par Mme Louise, constitue un passage obligé de toutes ses biographies futures, car il fournit le double témoignage à la fois de sa charité et de sa soumission à l’Église. Le texte se présente comme une offrande de reconnaissance de la part de « la sœur paralytique qui a été janséniste apostate et qui est convertie » (no 11) : Avec quelle main charitable Daignâtes-vous me recueillir au port Combien votre accueil favorable Ranima mon cœur presque mort. Sur la terre la plus inhumaine Depuis trente ans, triste jouet dans les flots, J’allais, victime de ma peine, M’engloutir auprès du tombeau […] Ce fut alors, Auguste Mère, Que votre voix, en prévenant mes pas, me dit : venez à moi ma chère Accourez dans mes bras ! […]
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Entre récréation, apologie et apologétique
Là, votre voix pleine de charmes et de ce ton qui ravit l’Éternel Me dit en essuyant mes larmes : Remontez ma fille au Carmel.
Deux autres couplets (nos 23 et 31) de cette catégorie méritent d’être mentionnés, en ce qu’ils montrent également comment la construction de l’hagiographie future de la dernière fille de Louis XV fut l’objet d’une entreprise commencée de son vivant-même au Carmel de Saint-Denis. L’épisode dont il s’agit est documenté non seulement par ces deux textes, mais aussi par un dessin encore conservé aujourd’hui et visible au Musée d’art et d’Histoire de Saint-Denis, et par les témoignages recueillis à la mort de Mme Louise. Il s’agit de l’affection toute maternelle qu’elle portait à la sœur Raphaël, née Hesselin de Mergé, qui fut l’une de ses novices et à la famille de laquelle elle apporta sa protection. Comme elle avait pris l’habitude de la surnommer « rat » ; celle-ci lui offrit un jour le dessin évoqué ci-dessus, montrant un petit rat rose sautant du toit où il s’était réfugié pour répondre à l’appel de Louise, accompagné d’une chanson au refrain naïf : Rat, rat, rat, rat, rat, Toujours aimera Thérèse Augustin C’est là son refrain.
À la fin du recueil, six couplets ont été composés pour la fête de Julie de Mac Mahon. Mais à travers elle, c’est encore Madame Louise qui est célébrée, à tel point qu’on peut légitimement se demander si ce n’est pas cette dernière qui seule justifie que l’on chante des couplets à la première. C’est donc encore la continuité entre les deux prieures qui est valorisée (no 45) : Mais de Julie ou de Louise Laquelle entends-tu célébrer Leur action est indivise Oserais-tu les séparer ? Admire en leurs mains différentes Le même art de gouvernement Nos mères, en tout ressemblantes Ne diffèrent que par le sang. Même esprit, même vigilance, Douceur égale, égaux désirs, A régner par la bienfaisance Toutes deux trouvent leur plaisir.
La pratique des couplets en l’honneur de la prieure ne constituait pas un divertissement propre au carmel de Saint-Denis à l’époque de Madame Louise. Cependant l’attention avec laquelle ceux-là ont été pieusement conservés, ne manque pas de retenir l’attention. Et cette pratique prend une dimension exceptionnelle tant l’éloge confine aux usages les plus
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Bernard Hours
mondains, avec les quatre couplets (nos 30, 39, 40 et 41) qui établissent le « parallèle entre le soleil et Madame Louise » : Mais que vois-je en ces lieux ! Et quel éclat efface Les plus brillants rayons qui partent de ma face ? Quel soleil s’est fixé sur le haut du Carmel ? Quel besoin serait-il d’un autre dans le Ciel ? […] Il faut donc qu’à présent j’éteigne mon flambeau Et sans qu’aucun mortel ici s’en formalise Que je cède le pas à l’auguste Louise Pour éclairer au loin toutes les nations, Elle a plus de vertus que je n’ai de rayons […] »
De la même manière, la célébration de l’amitié entre les deux prieures revêt un caractère non seulement exceptionnel, mais presque transgressif. Tous les traités relatifs à la vie religieuse et les conseils des directeurs spirituels mettent en garde contre les amitiés particulières et les dangers qu’elles font courir à la vie communautaire. Madame Louise écrivait elle-même à la dépositaire du Carmel de la rue de Grenelle à Paris : « Ces sortes d’amitiés-là sont la perte des couvents. Elles le seraient bien plus ici, vu ce que j’ai été : si l’ambition y trouvait à s’y introduire, notre solitude, d’un paradis, deviendrait un enfer »2. On peut donc se demander si, en Louise et Julie, n’est pas célébrée, en le référant à l’exemple biblique de David et Jonathas, le modèle de la seule amitié possible entre deux religieuses, celle qui est fondée sur le partage des mêmes vertus et l’émulation dans une même voie vers la sainteté : Je suis Jonathas et ne veux point d’autre titre ; il était plus jeune que David et David l’élevait : je suis plus jeune que notre Mère, c’est elle qui m’a élevée pour le Royaume éternel. Ses vertus lui méritent déjà cette royauté, j’espère pourtant qu’elle n’en jouira pas de sitôt ; pour moi je ne fais encore que courir après3.
Poussant encore un peu plus loin, si l’on considère que l’apologétique catholique était largement orientée par la préoccupation de prouver que seul le christianisme présentait le modèle accompli de toutes les vertus, on peut discerner dans la célébration de cette amitié pure et fondée sur la recherche de la sainteté, une démarche, certes à usage interne, pour conforter les religieuses dans le choix de vie auquel elles s’étaient engagées.
Les auteurs Ces couplets jouaient un rôle non négligeable dans la vie communautaire dans la mesure où ils constituaient aussi une entreprise collective. En premier lieu par la mobilisation de leurs auteurs au sein de la communauté. Sur l’ensemble des quarante-neuf couplets du recueil, les auteurs de vingt-deux d’entre eux sont identifiés, les uns avec certitude, d’autres Lettre de novembre 1785, citée par Bernard Hours, Madame Louise, princesse au Carmel, Paris, Éditions du Cerf, 1987, p. 222. 3 Lettre de Mme Louise à la dépositaire du Carmel de Grenelle, 28 janvier 1783, citée par B. Hours, ibid., p. 216. 2
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Entre récréation, apologie et apologétique
avec vraisemblance. Les plus prolixes sont toujours nos deux prieures, auteurs de presque la moitié. De la princesse, sont conservés un « cantique » relatif à sa profession religieuse (no 4), qui proclame sa joie d’avoir quitté « le palais » pour « le calvaire » et troqué « le sceptre » pour « la croix », quatre autres sur les offices qu’elle eût à remplir à la crèche (nos 6, 7, 8 et 9), probablement du temps où elle n’était pas prieure, et enfin une « chanson pour le retour de l’infirmerie de ma sœur Raphaël » (no 23), soit six textes. Julie de Mac Mahon qui mit évidemment son inspiration au service des vertus de « l’auguste princesse » en écrivit cinq : trois « chansons pour Madame Louise » (nos 12, 16 et 20), un « Noël » pour la sœur Raphaël qui tenait l’office de « confidente du St Enfant Jésus » (no 49), et « ces vers à sa communauté » (no 22) pour inscrire son mandat de prieure dans la continuité de son amie : J’aurai le nom, notre mère l’emploi, Nous vivrons sous le même empire, Thérèse sera tout, je ne serai rien, moi.
D’autres religieuses de la communauté apportèrent également leur contribution. Louise-Maurice de saint Raphaël, née Hesselin de Mergé, entrée en 1771 et dont la profession avait été retardée jusqu’en 1773 en raison des réticences de sa mère, bénéficiait aussi d’une affection particulière de Madame Louise. Nous avons déjà évoqué le surnom que celle-ci lui donnait et qu’elle réutilisa dans une chanson de son cru. Elle en composa une autre (no 43) en 1782 pour la fête de Julie de Jésus, alors prieure, et un cantique à l’occasion de l’office de cordonnière de l’Enfant Jésus qui lui était échu une année pour la fête de Noël (no 48). Pour la même fête de Julie de Jésus en 1782, la sœur Rosalie et la sœur Rose-Aimée du SacréCœur de Marie, qui était rentrée à Saint-Denis, son Carmel de profession, en janvier 1778 après 12 ans de priorat dans celui de Gisors, composèrent chacune une chanson (nos 44 et 45). Les converses ou sœurs du voile blanc étaient aussi mises à contribution pour chanter des vers de style « poissard » peut-être composés par d’autres, comme ce couplet pour le 29 août 1780, fête de Saint-Augustin (no 22) : Nous autres gens de cuisine Savons pas le bieau français, Je n’ons pas certaine mine Ni le gosier plein d’attraits ; Mais quand il s’agit de zèle Pour notre bonne maman, Mieux qu’une perdrix nouvelle, Je troussons un compliment.
On put aussi avoir recours à des attributions probablement virtuelles, comme cette « chanson » prétendument composée par « Javotte » (no 25), et cette autre par la « troisième femme de lessive » (no 28) employée occasionnellement pour les rudes tâches de la grande lessive annuelle dans la communauté, qui se donne pour une ouvrière saisonnière originaire de Savoie : […] Étant du pays des marmottes Mon esprit dort le plus souvent ; […] J’apporte aujourd’hui un fromage Que je vous offre pour bouquet,
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Bernard Hours
Recevez-la comme un hommage De mon amour et de mon respect.
Le recueil comprend aussi trois contributions extérieures à la stricte communauté des carmélites de Saint-Denis. L’une est l’œuvre de l’abbé Mai, composée pour un office de la crèche tenu par Madame Louise (no 10) : il s’agissait d’un ex-jésuite, Louis Avril, qui avait trouvé refuge auprès de la communauté qu’il desservait comme chapelain. Les deux autres proviennent du carmel de Beaune auquel elle avait procuré des secours financiers : la première à l’occasion de l’élection de Julie de Mac Mahon à l’automne 1779 (no 14) ; la deuxième en réponse à un couplet reçu de Saint-Denis pour la prieure de la communauté bourguignonne, Anne-Thérèse de Saint-Claude (no 24).
Les timbres Une trentaine de couplets comportent la mention de leur timbre, autrement dit l’air connu sur lequel ils devaient être chantés, en y appliquant leur texte4. Vingt-six de ces timbres ont pu être identifiés. Les timbres religieux sont très minoritaires. L’un est un noël ancien, « Pastoureaux et pastourelles », qui avait déjà fait au xviie siècle l’objet d’adaptations parodiques dans des contextes locaux5. Les deux autres sont des cantiques célèbres : « J’engageai ma promesse au baptême » attribué à Louis-Marie Grignion de Montfort, timbre du couplet 34 composé pour la fête de Madame Louise (« Je m’engage »), renvoie au refrain du cantique : « Je m’engage aujourd’hui librement, je m’engage à le croire & je crois, etc. »6 ; « Au sang qu’un Dieu va répandre » (no 19), attribué à Fénelon et reproduit dans de très nombreux recueils, dont ceux de Saint-Sulpice à la fin du xviiie siècle. Tous les autres couplets sont des parodies pieuses de timbres profanes, selon une pratique ancienne qui connut un essor spectaculaire aux xviie et xviiie siècles, en particulier dans le contexte des missions de l’intérieur7. Le recueil de Saint-Denis, qui témoigne de la culture profane des religieuses et de sa transposition dans un contexte monastique pour le temps non-sacré des récréations, présente en effet une double différence essentielle avec les cantiques composés pour les missions, qu’il convient de ne pas perdre de vue. D’une part, ces textes ont été rédigés à usage interne exclusivement, d’autre part leur finalité est avant tout récréative : il ne s’agit pas de faire passer un contenu doctrinal ou spirituel, mais simplement de donner aux carmélites de Saint-Denis, un support à leurs récréations qui demeure néanmoins édifiant. Le recours aux « timbres » profanes ne signifie donc ni rejet du monde, ni une volonté de christianiser ce qui ne l’est pas, mais il est probable en revanche que les religieuses 4 Voir sur ce sujet Bernard Dompnier, « Les cantiques dans la pastorale missionnaire de France au xviie siècle » (2012), dans Id., Missions, vocations, dévotions. Pour une anthropologie historique du catholicisme moderne, Lyon, LARHRA, 2015, p. 95-123. 5 Jean-Marie Poirier, Un manuscrit de Noëls lavallois du xviie siècle, consulté le 6 avril 2015. http://www. academia.edu/7681423/Un_manuscrit_de_Noels_lavallois_du_dix-septième_siècle 6 Cantiques des missions composés par Louis-Marie Grignion de Montfort, A Poitiers, de l’imprimerie de J. Felix Faucon, MDCCLXXIX, p. 79. 7 Denise Launay, La musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804, Paris, Société française de musicologie, Paris, Klincksieck, 1993, p. 52-54, 382-410, 473-480.
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Entre récréation, apologie et apologétique
s’amusent du contraste entre les paroles sages et morales qu’elles chantent et celles, légères sinon licencieuses, qui pouvaient accompagner les airs ainsi détournés. Une petite dizaine de ces couplets s’inscrit dans la continuité des Cantiques spirituels de Jean-Joseph Surin publiés en 1657, qui contrairement à la plupart de ses prédécesseurs jésuites, avait emprunté ses airs non pas à la musique de cour, mais aux chansons populaires, ou encore dans celle de Louis-Marie Grignion de Montfort qui dans ses Cantiques spirituels à l’usage des missions paru en 1711, « avait su, mieux que ne l’avait fait le P. Surin, choisir des “timbres” populaires “faciles et agréables” » (D. Launay). Six timbres sont ainsi empruntés au théâtre de foire : – « Mon bien-aimé ne paraît pas encore » (no 6 : « Amour divin que grande est ta puissance »), extrait de L’inconnu, comédie héroïque en 5 actes de Thomas Corneille et Visé, reprise en 1703 sur une musique de sarabande de Gillers, sur ces paroles « Un inconnu pour vos charmes soupire » (également un des timbres du no 29), puis en 1724 à Versailles dans un ballet que le jeune Louis XV dansa8 ; – « Voyez-vous ? » (no 9 : « Divin Jésus, de chaussière »), tiré d’Acajou, opéra comique en trois actes, de Charles-Simon Favart, représenté aussi sur le théâtre de la foire Saint-Germain9 ; – « Quand je vous ai donné mon cœur » (no 13 : « Pendant six ans, cet heureux jour »), extrait du Calendrier des vieillards10 ; – « Du serein qui t’a fait envie » (no 29 : « Lorsque dans le sein des délices ») servit de timbre dans plusieurs comédies à partir des années 1770 ; – « Réveillez-vous belle endormie » (no 41 : « En regardant hier Louise »), timbre utilisé pour des chansons satiriques depuis le milieu des années 1710 jusqu’à la fin des années 175011 ; – « Joconde » (no 44 : « De votre fête le beau jour ») qui, avec deux partitions différentes, servit de timbre pour de nombreuses chansons dès le règne de Louis XIV et qui figure en 1721 dans le répertoire du Théâtre de la Foire12.
Il semble qu’il y ait une erreur dans la copie qui donne pour timbre « Mon bien aimé ne paraît plus » ce qui ne correspond pas au nombre de pieds des vers du cantique. Ce timbre est également souvent attribué à Fénelon. 9 À Avignon, Chez Louis Chambeau, MDCCLXVII, p. 19. 10 On trouve la pièce pour la première fois dans le recueil de Le Sage et d’Orneval, Le théâtre de la Foire ou l’Opéra-comique, contenant les meilleures pièces qui ont été représentées aux Foires de Saint-Germain et de SaintLaurent, t. VI, Paris, Pissot, MDCCXXVIII. On a pu repérer 112 mélodies différentes pour ce texte : http://www. theaville.org/kitesite/01_melodies/fichiers/ tflo_tome_6/tflo-6-082.pdf 11 https://satires18.univ-st-etienne.fr/liste-des-textes ; Henri Davenson [Henri-Irénée Marrou], Le livre des chansons, Neuchâtel-Paris, 1944, p. 286. 12 http://mvmm.org/c/docs/prof/659.html ; Le nouveau siècle de Louis XIV ou choix de chansons historiques et satiriques presque toutes inédites, de 1654 à 1712, Paris, Librairie Garnier frères, 1857. 8
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Il convient d’y joindre une parodie du style poissard : « Qui veut savoir l’histoire entière de Mam’zelle Manon la couturière », écrit par Jean-Joseph Vadé et qui devient dans le no 26 : « Qui veut savoir l’histoire entière de Magdelon la couturière ? »13, ainsi qu’une chanson à boire : « Ma tante turlurette » (no 23 : « Reprenez, ma chère sœur »), ou encore celle-ci : « Des fraises, des fraises » (no 18 : « Pour le jour de St Louis ») qui a servi de timbre avec de nombreuses variantes, dont « Un petit capucineau »14. Les chansons historiques ont également constitué une source d’inspiration pour quatre couplets : – « Condé vous voilà dans Vincennes » (no 2, pour les élections de 1779 : « Depuis qu’en place de Louise »), chanson composée durant la Fronde l’occasion de l’arrestation de Condé, de Conti et de leur beau-frère le duc de Longueville15 ; – « J’ai du bon tabac » (no 27 : « Dans un si beau jour »), comptine datant probablement de la fin du xviie siècle et actualisée en 1760 par l’abbé Lattaignant qui lui ajouta huit couplets satiriques sur des contemporains ; – « Vive Henri », probablement « Vive Henri IV » (no 29 : « C’est de son auguste personne »), composé du vivant du roi sur un noël ancien et remis au goût du jour part Charles Collé dans sa pièce La partie de Chasse d’Henri IV, publiée en 1770 mais devenue populaire avec l’avènement de Louis XVI16 ; – « Le maréchal de Saxe » (no 43 : « Dans ce beau jour où l’on s’empresse »). La plupart des autres couplets empruntent des timbres d’origine littéraire ou savante : – « Affreux hiver tu bannis de ces lieux » (nos 1 et 47 : « Ah ! Ma sœur que vous êtes sérieuse » et « Ah ! Que vois-je ? Quel spectacle admirable ! »), parus en 1690 dans le Mercure galant17 ; – « Dirai-je mon confiteor ? » (no 3 : « Dès mil sept cent trente sept »), chanson composée par Guilleragues au début des années 165018 ; – « Voile importun » (no 4 : « Je suis une des épouses du seigneur des cieux »), semble provenir d’un recueil léger attribué au juriste suisse Emer de Vattel par Barbier et Quérard, publié sous une fausse adresse à Amsterdam en 1756 : Poliergie, ou mélange de littérature et de poésie19 ; 13 Jean-Joseph Vadé et Henry de Lécluse, Œuvres poissardes, Paris, Defer et Maisonneuve, 1796, p. 6-10. Vadé a vécu de 1720 à 1757. 14 Recueil Maurepas, BNF, ms. fr. 12 656, vol. 1, f. 335. 15 Recueil Maurepas, BNF, ms.fr. 12 666. 16 Henri Davenson, Le livre des chansons, op. cit., p. 553. 17 Décembre 1690, partition entre les p. 331-332. 18 Guilleragues, Chansons et bons mots valentins. Lettres portugaises, éd. F. Deloffre et J. Rougeot, Genève, Droz, 1972. 19 Voir p. 322, Air : Quel voile importun le couvre ?
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Entre récréation, apologie et apologétique
– « Quitte la musette » (no 5 : « Répétons sans cesse »), œuvre du compositeur Nicolas Chédeville, hautbois à la cour de Louis XV, spécialiste de la musette dont Marie Leszczynska et ses filles aimaient à jouer20 ; – « Vous seule brillez dans ces retraites » (no 11 : « Vous qui régnez dans ces retraites ») publié dans Le Théâtre de la Foire par Lesage et mis en musique par Campra dans l’Europe galante21 ; – « Dans un bois » (no 12 : « C’est l’amitié la plus sincère »), parodie un poème d’Houdart de la Motte ; – « L’amant frivole et volage » (no 20 : « Heureux jour qui nous rappelle »), s’inspire d’un poème de Pierre-Joseph Bernard, mort en 1775, « L’amant discret » et a servi de timbre à des cantiques22 ; – « Que ne suis-je la fougère ? » (no 24 : « Je, soussignée, certifie ») écrite par CharlesHenri Riboutet, qui servit de timbre à bien d’autres textes et pour laquelle le castrat italien Albanese, attaché à la musique du roi, composa une partition parue en 176723 ; – « Mi mi fa ré mi » (no 31 : « Votre voix, tendre Louise »), provient d’un recueil de Sedaine24. Certains de ces timbres avaient déjà été réutilisés pour servir de support à des cantiques. Ainsi « Mon bien-aimé ne paraît pas encore » se retrouve sous le titre « Aspirations avant, pendant & après la communion » dans un recueil de la paroisse Saint-Sulpice25. « Condé vous voilà dans Vincennes » avait été parodié par Surin sous le titre « On a beau parler de richesses »26.
http://www.muziekweb.nj/Link/U0001962796/CLASSICAL Judith Le Blanc, « La réception parodique des opéras d’André Campra sur les théâtres parisiens », dans Catherine Cessac (éd.), Itinéraires d’André Campra (1660-1744) : d’Aix à Versailles, de l’Église à l’Opéra, Mardaga, Centre de musique baroque de Versailles, 2012, p. 151-164. 22 Pierre-Joseph Bernard, Œuvres, Paris, 1819, p. 196. Deux cantiques d’un recueil relié à la suite des Règles de la congrégation des filles de la ville de Toul, slnd, début xixe, le prirent également pour timbre : « Suivons les rois dans l’étable » (p. 59) et « Vous qui craignez » (p. 85). 23 Jean-Benjamin de La Borde, Essai sur la musique ancienne et moderne, A Paros – Ph.-D. Pierres, MDCCLXXX, p. 359. 24 Michel-Jean Sedaine, Recueil de poésies, Paris, Chez Duchesne, 1760. 25 [Henri François Simon de Doncourt], Opuscules sacrés et lyriques ou cantiques sur différents sujets de piété avec les airs notés, à l’usage de la jeunesse de Saint-Sulpice, Paris, chez Nicolas Crapart, MDCCLXXII, t. 3, p. 88-91, qui reproduit largement la première édition des cantiques de Saint-Sulpice, datée de 1765. Le Carmel de SaintDenis possédait au moins deux exemplaires de l’édition de 1772 et un exemplaire de l’édition de 1774. 26 Jean-Joseph Surin, Cantiques spirituels de l’amour divin pour l’instruction et la consolation des âmes dévotes, 4e édition, A Paris, Chez Robert Pepie, MDCXCII, p. 76. 20 21
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Des divertissements pour les récréations Les couplets de Saint-Denis sont destinés à un usage paraliturgique, en dehors des offices27. Comment entrent-ils dans le cadre des usages admis, relativement au moment où ils peuvent être chantés, aussi bien qu’au type de chant autorisé au Carmel ? Pour répondre à ces deux questions, nous disposons justement d’un document très précieux, contemporain de ces couplets : il s’agit d’une compilation manuscrite, sans titre, des textes réglementaires en vigueur dans le Carmel de France à la veille de la Révolution : règle, constitutions, papier d’exaction, lettres des visiteurs généraux Bérulle, Gibieuf et Charton, lettres de sainte Thérèse, règlement de 1748, etc.28. Cette compilation, achevée « au commencement de 1790 » par les carmélites de Saint-Denis (peut-être s’agit-il d’une entreprise initiée par Madame Louise lors de son dernier priorat), est dotée d’un index thématique, dans lequel deux entrées nous intéressent ici : « chant » et « récréations ». Les Constitutions précisent que sauf les dimanches et jours de fêtes où messe, vêpres et matines sont chantées, ainsi que Laudes pour les « premiers jours de Pâques, Noël et autres jours solennels, […] spécialement le jour du glorieux saint Joseph, […] à l’ordinaire tout se dit bas » (p. 233), autrement dit est récité et non pas chanté. Quant au chant utilisé dans les offices où il est toléré, Thérèse d’Avila précise dans sa Lettre sur la manière de visiter les monastère, qu’il doit observer « ce ton de voix conforme à notre profession et qui édifie » (p. 234). Il s’agit du chant recto tono, soit un chant modulé sur une seule note sans inflexion mélodique : « Le chant ne sera jamais avec note, mais en ton, les voix égales » (Constitutions, p. 233) et Thérèse en explicite la raison dans sa lettre : Il se rencontre deux inconvénients à chanter haut : l’un que la mesure ne s’y gardant pas cela est désagréable ; l’autre que cette disconvenance ne s’accorde pas avec l’uniformité de notre manière de vivre. À quoi si on ne remédie on sombrera dans des manquements qui feront perdre la dévotion à ceux qui nous entendent chanter : au lieu que nos voix doivent être tellement mortifiées qu’ils connaissent que notre dessein n’est pas de flatter les oreilles, ce qui est aujourd’huy un défaut si général et tellement passé en coutume qu’il pourrait être sans remède et fait que l’on ne saurait trop y prendre garde)29.
Le règlement de 1748 insistait sur ce point : « Votre chant devant être uni d’un même ton et en y retranchant tout ton qui pourrait tenir du plain chant, et il ne sera pas élevé ». Il renouvelait l’interdiction de tout autre usage : « Nul jour et dans aucune circonstance on ne chantera au chœur ni hymnes, ni antiennes, ni cantiques en plain-chant et encore moins en musique »30. Amédée Gastoué (Le cantique populaire en France, Lyon, 1924) signale plusieurs autres recueils imprimés ou manuscrits de cantiques composés selon le même principe, à l’usage des récréations des communautés religieuses : ursulines du Mans (1642), carmélites de Metz (1642), visitation de Lyon (1645), carmélites d’Avignon (1731), etc., p. 206, 268, 301, 320-321. 28 Les citations suivantes sont extraites de cette compilation actuellement conservée au carmel de Pontoise (désormais désigné par Constitutions), avec sa pagination, dans la mesure où ce recueil nous révèle la connaissance que les carmélites avaient des normes qui régissaient leur vie. 29 Constitutions, p. 234. 30 Constitutions, p. 243-244. 27
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Fort limité dans les offices, le chant l’était également dans la vie quotidienne tout en étant susceptible d’une plus grande tolérance dans sa forme musicale, dont les carmélites de Saint-Denis, à l’époque de Madame Louise, ont su profiter. Le Grand Cérémonial rappelait qu’au parloir ou au tour, « il n’est point permis d’y chanter, ni d’y faire chanter pour quelques sujets que ce soit, si ce n’est les filles que l’on doit recevoir pour religieuses, afin de voir si elles ont de la voix » (p. 121). Il n’est donc de chant toléré que dans le cadre des récréations, et encore ne l’apprend-on que de manière indirecte, par la latitude concédée par le Papier d’exaction : « On ne doit point chanter dans les cellules ni dans les dortoirs si ce n’est pendant les récréations lorsqu’on a permission de n’y pas aller » (p. 340)31. Le même Papier d’exaction précise qu’« il n’y faut point chanter […] sans permission ». Aucun texte ne définit les contraintes du chant dans les récréations, le plain-chant y est donc possible, à la discrétion de la prieure. En revanche, il ne peut y avoir d’accompagnement instrumental, selon la Lettre de M. Charton qui se réfère non seulement à la fondatrice, mais aussi à Charles Borromée (p. 226-227) : Je vous recommande de garder toujours religieusement la coutume qui est établie dans votre Ste Thérèse de ne jouer d’aucun instrument de musique : les filles qui avant que d’être religieuse ont appris d’en jouer doivent en laisser entièrement l’usage à l’entrée de la porte. C’est un règlement que St Charles a aussi fait pour toutes les religieuses de son diocèse.
Il est néanmoins, hormis les récréations quotidiennes, des occasions prévues par les règlements, qui ouvrent la possibilité de divertissements chantés : les jours de licences ou « récréations générales », au cours desquelles les exceptions à la règle ordinaire sont à la discrétion de la prieure. Le règlement général de 1748 tente d’en limiter le nombre : Les licences ou récréations générales se multipliant dans certains monastères de manière à détruire ou à beaucoup affaiblir l’esprit de silence et de recueillement. Les mères prieures n’en donneront désormais que le nombre suivant. Il y en aura deux seulement par année, chacune de huit jours, l’une à la fête de Pasques, l’autre à la fête de Noël. La mère prieure pourra en accorder de trois jours pour l’élection du supérieur, de trois jours aussi pour sa propre élection, d’un jour pour sa fête de prieure, d’un jour pour celle de sa sainte Patronne, d’un jour pour la fête du supérieur, de deux jours pour l’élection de la mère sous-prieure, d’un jour pour celle de la sœur dépositaire, le jour de la Ste Marthe pour les sœurs du voile blanc, d’un jour enfin pour la prise d’habit et la profession des sœurs32.
Le recueil de couplets nous montre que les licences pour l’élection de la prieure et pour sa fête ou celle de ses saints patrons ont largement été utilisées : au moins cinq couplets ont été composés à l’occasion des élections de la prieure, une petite vingtaine pour sa fête ou celle de ses saints patrons qu’il s’agisse de Madame Louise ou de Julie de Mac Mahon, trois pour l’entrée au Carmel de la première, pour sa profession et enfin pour sa cérémonie du voile noir. En revanche les couplets pour l’anniversaire de Madame Louise (no 3) et pour celui de sa profession (no 27), débordent ce cadre. Entrent également dans les licences, les Sur cette permission de chanter dans les cellules au moment des récréations, l’usage semble en être largement admis selon A. Gastoué, Le cantique populaire en France, op. cit., p. 206, n. 1. 32 Constitutions, p. 215. 31
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couplets des fêtes de Noël, au cours desquelles les Carmélites ont l’habitude de revivre la Nativité en assumant chacune, selon un billet tiré au sort en récréation, un office de la crèche, occasion d’un couplet. Ainsi Madame Louise fut-elle tour à tour chargée de porter l’enfant (no 7), balayeuse (no 8), chaussière puis cordonnière (no 9), propriétaire de l’étable (no 10), et la sœur Raphaël, confidente de l’Enfant Jésus (no 49). Ces licences pouvaient être aussi l’occasion de représentations « historiques » dont la légitimité fit débat, en raison de la tentation de recourir à des habits séculiers, et que les supérieurs encadrèrent. Prudemment néanmoins, Jacques Charton s’était contenté de « souhaiter fort » que « l’usage qui s’est introduit en quelques-uns de vos monastères de faire des représentations d’histoire en fût entièrement banni » et s’il indiquait par ailleurs que les costumes devaient se limiter à « une écharpe ou gaze sur la tête », ce n’était pas « pour donner lieu d’en faire [des représentations], mais seulement pour les monastères qui en ont conservé l’usage, il y en a beaucoup qui n’en font point du tout » (p. 225-226). À la fin du xviiie siècle, l’usage était en vigueur à SaintDenis : Pierre de Clorivière compose pour les carmélites une saynète pieuse : Zénobie33. Par ailleurs, certains couplets faisaient l’objet d’une mise en scène sommaire, comme l’indiquent quelques – rares – didascalies : la chanteuse du couplet 16, dans le rôle de la dépositaire désigne de la main Madame Louise comme une « acquisition » qui la dédouane de toute accusation à propos de sa gestion… ; celle du couplet 28, dans le rôle d’une femme de lessive, doit montrer les religieuses au moment où elle chante : Je veux si bien laver vos serges Ainsi que vos linges et habits, Que je contenterai ces vierges
Dans le couplet 29, interviennent successivement la prieure, une novice converses puis trois professes de Madame Louise qui doivent se mettre une couronne sur la tête en chantant ; pour le couplet 37 qui fête par un « martyrologe » l’anniversaire de l’entrée de Madame Louise à Saint-Denis, « la lectrice est en chaire, deux sœurs du voile blanc en manteau, tenant un flambeau allumé avec les armes de France attachées sur le flambeau, toute la communauté se tient debout le temps de la lecture » ; enfin au terme du couplet 40 qui met en scène le soleil avant son départ, la chanteuse après le dernier vers « part avec précipitation pour aller éclairer le monde ». Si l’on prend en compte le fait que certains couplets faisaient alterner deux chanteuses (no 26, no 27, no 32, no 36), une chanteuse et un chœur (no 16) ou un duo et un chœur (no 19), il faut aussi imaginer qu’un travail de préparation et quelques répétitions devaient être nécessaires. Ce d’autant plus que, contrairement aux quelques offices chantés, ces récréations en étaient à double titre, puisqu’elles étaient la seule occasion pour les carmélites de s’adonner au plain chant, même s’il pouvait arriver que, là aussi, le chant « carmélitain » s’imposât (no 38), ou que, tout simplement on se contentât de lire le texte (notamment dans le cas des deux martyrologes). Les récréations avaient lieu ordinairement dans la seule salle disposant d’une cheminée, ce qui la rendait récréative au sens propre en hiver. Mais certains couplets étaient destinés à être donnés ailleurs : les nos 2 et 12 devaient être chantés « dans le jardin du monastère », les nos 37 et 38 au réfectoire. Zénobie, drame pastoral composé pour par le R. P. de Clorivière pour les carmélites de Saint-Denis. Copie du xixe siècle, ms., 57 p. 33
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Le recueil de couplets du monastère de Saint-Denis constitue un document à la fois exemplaire et original. Exemplaire, car ce qu’il nous apprend des usages musicaux paraliturgiques dans une communauté religieuse, vaut pour beaucoup d’autres. Les religieuses conservent une culture profane qu’elles réinvestissent sur le mode parodique dans leurs divertissements, rejouant sans cesse l’impossible rupture avec le monde. Exemplaire aussi par ce qu’il nous apprend de la politique communautaire. L’union est l’horizon d’attente de toute gouvernance d’une maison religieuse, et l’une des manières de construire cette unité passe par les démonstrations d’affection. Il ne s’agit pas des amitiés particulières entre religieuses, car celles-ci, comme le rappellent tous les traités et conseils sur la vie communautaire, peuvent devenir des ferments de discorde : à ce titre la célébration de l’amitié entre Madame Louise et Julie de Mac Mahon comme établie sur un juste pied, revêt une fonction pédagogique pour les religieuses. Ce qui est en jeu est plutôt l’unité de la communauté autour de sa prieure et de ses officières. Célébrer leur fête, dans le cadre de « licences » autorisées par les normes en vigueur, c’est apporter une pierre à la construction de cette union, en permettant à la communauté – en l’obligeant ? – de mettre en scène une affection fondée sur les principes de la vie religieuse en non pas sur les « maximes du monde ». Mais l’originalité de notre recueil réside dans les proportions qu’y revêt la démonstration du sentiment à l’égard de Madame Louise. Aux yeux de tout supérieur, la dérive paraîtrait flagrante à laquelle il faudrait mettre bon ordre. Il n’en fut rien. Le statut particulier de Madame Louise, fille et tante de roi, pourrait suffire à l’expliquer. Mais la raison plus profonde doit probablement être trouvée dans l’adhésion des supérieurs à cette célébration qui revêt une double dimension apologétique. Ces couplets composent une litanie des vertus de Madame Louise, et veulent démontrer, contre « l’impiété » d’un siècle lui-même inquiet de vertu, que c’est à l’abri de la clôture qu’elle trouve refuge. À cette apologétique religieuse, s’ajoute une exaltation discrète et déjà nostalgique de la monarchie. Il est plus souvent question de « Louise » et de « l’auguste princesse » que de Thérèse de SaintAugustin, et le symbole solaire est largement exploité. À l’heure ou les fissures lézardent l’union du trône et de l’autel, rêve perdu des dernières décennies de l’Ancien Régime, il est consolant de pouvoir y revenir quelques instants, en chantant une fille de saint Louis qui éclaire la dynastie et le royaume des lumières de la religion.
Composition du recueil Titre du couplet
Incipit du timbre
1. Dialogue d’une ancienne et d’une jeune religieuse, carmélites, sur l’entrée de notre Auguste Mère Prieure
Affreux hiver
2. Couplet pour les élections, 29 novembre 1779
Condé vous voilà dans Vincennes
3. Pour la naissance de notre Auguste Mère, Mme Louise, le 15 juillet
Dirai-je mon confiteor ?
4. Cantique de Mme Louise sur sa profession
Voile importun
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5. Sentiments des religieuses carmélites de Saint-Denis sur la cérémonie du voile noir de Mme Louise de France, le 1er octobre 1771
Quitte la musette
6. Cantique de Mme Louise à la crèche
Mon bien-aimé ne paraît plus
7. Noël de Madame Louise. L’office de porter l’Enfant 8. Cantique de Mme Louise. La balayeuse de l’étable
Jardinière, ne vois-tu pas ?
9. Cantique de Mme Louise qui était chaussière de l’Enfant Jésus et cette année a été cordonnière
Voyez-vous ?
10. Cantique par Mr l’abbé May. La propriétaire de Fleurs de ces rivages l’étable 11. Cantique qu’on a chanté à Mme Louise de la part de la sœur paralytique qui a été janséniste apostate et qui est convertie
Vous brillez seule dans ces retraites
12. Chanson de Mme Louise par la Mère Julie, prieure, 1782
Dans un bois
13. Chanson des élections de Saint-Denis
Quand je vous ai donné mon cœur
14. Vers sur l’élection de l’Auguste Mère dépositaire et de la Rde Mère Prieure des Carmélites de St Denis 15. Plaintes du Carmel sur le jour où Mme Louise cessera d’être prieure des Carmélites de St Denis 16. Chanson pour Madame Louise 17. Pour la fête de Mme Louise, 1782
L’esprit aux filles se donne
18. Pour le jour de St Louis
Des fraises, des fraises
19. Couplets pour le jour de Ste Térèse dont Mme Louise porte le nom, pour être chanté en duo et répété par le chœur
Au sang qu’un Dieu va répandre
20. Chanson de la Rde Mère Prieure des Carmélites de St Denis pour la fête de St Augustin, de Madame Louise, 1780
L’amant frivole et volage
21. Autre chanson sur le même sujet, des sœurs du voile blanc 22. La Mère Julie adresse ces vers à la communauté.
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23. Chanson faite par Mme Louise pour le retour de l’infirmerie de ma sœur Raphaël, le 21 février 1780
Ma tante turlurette
24. Copie d’un certificat arrivé hier de St Denis pour répondre au couplet que notre Mère a chanté le 23e du dialogue [sic].
Que ne suis-je la fougère ?
25. Compliment de Javotte à Madame Louise 26. Histoire de la conversion d’une harangère, opérée sur le chemin de Paris à St Denis, le 25 août 1776, par une autre harangère son amie, laquelle histoire a été mise en chanson pour le jour de St Louis 1778, fête de Mme la Prieure des Dames Carmélites de St Denis.
Qui veut savoir l’histoire entière de Magdelon la couturière ?
27. Entretien de deux Carmélites, le jour de l’anniversaire de la profession de Mme Louise.
J’ai du bon tabac dans ma tabatière
28. Compliments de la 3e femme de chambre 29. Pour annoncer la fête de Mme Louise, 1787.
As-tu vu notre Dauphin ? Un inconnu pour vos charmes soupire Du serein qui t’a fait envie Vive Henri
30. Parallèle entre le soleil et Madame Louise de France 31. Pour la fête de Mme Louise. Chanson de ma Mi mi fa ré mi sœur Raphaël en lui présentant une image où il y a un petit rat couleur de rose, parce que cette auguste Mère l’appelait rat, rat. 32. Dialogue pour la fête de Madame Louise 33. Chanson 34. Couplets pour être chantés par la communauté Je m’engage des Carmélites de St Denis à la fête de Mme Louise. 35. Pour la fête de St Augustin, fête de Mme Louise.
Dans un ermitage
36. Prologue en dialogue. Orphise et Mélanie, un livre à la main.
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37. Martyrologe qui a été lu le 10 avril au réfectoire des Carmélites de Saint-Denis 38. Annonce de la fête de Madame Louise qu’on a chantée au réfectoire la veille de St Augustin 1786, en chant carmélitain 39. Discours du soleil 40. Couplets qui doivent être chantés par le soleil avant son départ 41. Discours du Soleil
Réveillez-vous belle endormie
42. Martyrologe 43. Pour la fête de la Rde Mère Prieure à St Denis, 1782.
Le maréchal de Saxe
44. De la Mère Rose, pour le même sujet.
Joconde
45. Bouquet pour la fête de la Révérende Mère Julie, prieure à St-Denis, 22 juin 1780
Dans un bois
46. Autre pour le même sujet 47. Dialogue entre Ste Julienne et une Carmélite, Affreux hiver pour la fête de la Rde Mère Prieure de St Denis. 48. Cantique de ma Sr Raphaël.
Car l’amitié
49. Noël de ma Sr Raphaël, confidente du St Enfant Pastoureaux et pastourelles Jésus, fait par la Mère Prieure Julie. Bernard Hours LARHRA (UMR 5190) Université de Lyon/Université Jean Moulin – Lyon 3
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troisième partie
Musique et musiciens au service du sacré
Être organiste chez les mauristes à la veille de la Révolution Dès octobre 20011, Bernard Dompnier a vu le potentiel offert par les documents des années 1790 pour une connaissance renouvelée du métier de musicien d’Église au xviiie siècle. Quelques semaines plus tard, il suscitait une première réunion sur le sujet2. Sans que nul ne le sache encore, Muséfrem était né3. Quinze années plus tard, le chantier « Muséfrem 1790 » est entré dans sa dernière étape. Les dépouillements effectués, tant aux archives nationales que dans tous les dépôts départementaux de France, nourrissent une puissante base de données prosopographiques progressivement mise en ligne4, et l’enquête a déjà donné lieu à de nombreuses publications d’échelles et d’ambitions diverses5. Outre l’exigence scientifique avec laquelle il a toujours su nous tirer vers le haut, Bernard Dompnier a eu l’immense mérite d’avoir su fédérer des énergies multiples, de l’étudiant de master au retraité chevronné, en passant par le professeur du secondaire ou l’enseignant chercheur6. Cette aventure scientifique, collective et participative, pourrait être en elle-même objet d’histoire7. Pour ces mélanges en l’honneur de Bernard Dompnier, j’ai cependant préféré montrer une fraction des immenses potentialités offertes par cette base de données, ce qui m’a paru plus à même de rendre hommage à son initiateur. Et, pour ce faire, j’ai choisi d’examiner comment la base Muséfrem répond à une question surgie presque au hasard : qui touchaient les orgues conventuels à la toute fin du xviiie siècle ? Et plus particulièrement dans les établissements mauristes, ordre auquel appartenait le célèbre Dom Bedos, facteur et théoricien de la facture d’orgues8 ? Il s’agira dans un premier temps de plonger dans la base Colloque au Puy-en-Velay dont est issu deux ans plus tard, sous la direction de Bernard Dompnier, Maîtrises & Chapelles aux xviie et xviiie siècles. Des institutions musicales au service de Dieu, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003. 2 Le 11 janvier 2002, à la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand. 3 L’acronyme Muséfrem pour « MUSiques d’Église en FRance à l’Époque Moderne » n’a été inventé, par Bernard Dompnier toujours, qu’en 2008 pour la soumission d’un vaste projet à l’ANR, laquelle lui apporta son soutien sur la période 2009-2013. 4 La base Muséfrem est diffusée sur Philidor, portail de ressources numériques du Centre de musique baroque de Versailles : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/. 5 Voir en annexe. 6 Voir : « Les contributeurs depuis 2003 » et « Actualité de la base Muséfrem » dans http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/. 7 Voir : « Histoire de l’enquête Muséfrem » dans http://philidor.cmbv.fr/musefrem/. 8 Le hasard a bon dos. En réalité ce questionnement sur les organistes des couvents est mien depuis longtemps dans le cadre de ma recherche sur les femmes organistes. Et mon intérêt pour le monde mauriste a été éveillé 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 167-183 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115081
Sylvie Granger
de données en elle-même afin d’y puiser le corpus d’observation. Puis de dresser un portrait de ces organistes employés par les Mauristes à la fin de l’Ancien Régime.
Un organiste actuellement connu pour un établissement mauriste sur trois Est-il pertinent d’utiliser cette gigantesque base de données en construction comme une source ? L’historien moderniste ne professe-t-il pas qu’il n’est de fiabilité qu’archivistique ? Constituer un corpus à partir de la base Muséfrem La logique Muséfrem est fondée sur des « notices-document » fabriquées précisément à partir des dépouillements d’archives. En particulier les dossiers de carrière rassemblés durant les années 1790-1792 par les musiciens des chapitres et couvents supprimés en vue d’obtenir des secours palliant la perte de leur emploi. C’est un gisement de sources extrêmement riches et relativement cohérentes puisqu’obéissant à des logiques similaires et concentrées sur un laps de temps très court. Elles sont renforcées le cas échéant par des dépouillements complémentaires (délibérations et comptes capitulaires, comptabilités des fabriques, registres paroissiaux… et bien sûr bibliographie ancienne et récente). De ces « notices-document », on extrait des renseignements de tous ordres qui convergent vers des « notices-personne », c’est-à-dire des notices biographiques individuelles. Ce sont ces dernières qui sont progressivement mises en ligne9. On peut donc considérer la base Muséfrem comme une source secondaire. Deuxième problème : les données disponibles sont très incomplètes. Cette incom plétude a deux causes essentielles. La première est irrémédiable : à moins que ne ressurgissent des sources épargnées, on manquera sans doute toujours de renseignements pour certaines régions sinistrées où les destructions ont été importantes (Manche, Calvados, Loiret…). Ainsi, la base ne contient-elle rien sur l’abbaye de Saint-Pierre-sur-Dives (Calvados). La seconde est réparable dans un avenir plus ou moins proche puisqu’elle est liée à l’achèvement progressif du travail d’analyse et de saisie des documents récoltés. Ainsi la Bretagne est-elle encore en cours de traitement, ce qui empêche à ce jour l’accès aux données concernant Saint-Sauveur de Redon, Saint-Melaine de Rennes, Notre-Dame de Lantenac ou SaintGuénolé de Landévennec10.
et entretenu par la présence au Mans de deux puissantes abbayes dont il reste aujourd’hui des bâtiments magnifiques et des trésors bibliophiliques (André Lévy [éd.], Trésors de l’Abbaye Royale Saint-Vincent du Mans, Bibliotheca Vincentiana, ITF éditeur, 2015). 9 Inversement, les « notices-document » ne sont pas dans l’immédiat ouvertes au public. Pour avoir accès aux coulisses de la base, il faut en être un contributeur régulier et s’être engagé à traiter les données d’au moins un département. Tant qu’il reste des départements disponibles, de nouveaux participants sont volontiers accueillis chaque année dans l’équipe. 10 À la date de rédaction de cet article : avril 2015.
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Tout en sachant d’avance, donc, que les résultats seraient nécessairement lacunaires, j’ai confronté méthodiquement la liste des 194 abbayes et prieurés mauristes11 aux données actuellement disponibles dans la base Muséfrem12. Des réponses inégalement exploitables La puissance de l’outil Muséfrem m’a été confirmée par ce test grandeur nature : saisissant sans illusion le nom d’établissements obscurs dont l’existence même m’était inconnue, j’ai eu la surprise de voir que la base affichait un résultat. Décevant parfois, mais un résultat cependant, comme chez les bénédictins de Saint-Savin-de-Lavedan (HautesPyrénées), où l’inventaire de 1790 montre trois religieux seulement vivant alors à l’abbaye. Hormis la présence dans la sacristie de deux missels et d’un épistolaire « très usés », on ne note aucune trace cultuelle, pas d’objet du chant et bien sûr pas d’orgue13. Toute vie musicale semble absente d’un tel lieu – et de quelques autres – en 1790 : si l’on y chantait encore l’office, c’était de manière fort chevrotante. Parfois la requête débusque un homme de la musique, mais pas un organiste, cible ici prioritairement visée. C’est par exemple un chantre que l’on voit surgir pour Notre-Dame de Lamourguié à Narbonne, un chantre et un serpent à Saint-Riquier (Somme), un serpent à Saint-Florent-lès-Saumur, des chantres à Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire)… Ou bien des enfants de chœur à Saint-Benoît du Sault (Indre), à Notre-Dame de Lyre (Eure), à SaintVigor de Cerisy (Manche), etc., ou encore des enfants de chœur et un lutrin à Saint-Michel du Tréport (Seine-Maritime) et ailleurs. Toutes ces notations, y compris la présence du serpent dont la première fonction est de soutenir les voix, confirment la place primordiale occupée par le chant liturgique dans les établissements mauristes. Essentiellement assuré par les moines, il est de ce fait peu documenté si ce n’est à travers les objets du chant (lutrin, pupitre, banc des chantres) ou les livres, antiphonaires, graduels relevés dans les inventaires de 1790. Dans d’autres cas, la base Muséfrem délivre le nom d’un organiste bien attesté dans une maison mauriste, mais cette mention se situe trop loin de 1790 pour être prise en compte. L’abbaye Saint-Pierre de Mas-de-Verdun (Tarn-et-Garonne) figure ainsi dans le récit de vie de Louis Berger. Né à Grenoble, ce dernier est en 1790 organiste à Carcassonne. Entre les deux, il a occupé une demi-douzaine de tribunes, dont celle de Mas-de-Verdun « où il toucha l’orgue de l’église de l’abbaye des bénédictins jusqu’au 10 février 1776 ce qui fait en tout 20 mois avec les appointements de 600 livres ; il est en état d’en rapporter le certificat s’il en est besoin ayant oublié de le prendre lorsqu’il quitta ce dernier lieu »14. Qui est organiste à Mas-de-Verdun en 1790 ? Mystère. La base de données ne le dit pas, ou pas encore, cette abbaye n’a donc pas été comptée dans le corpus retenu. Ceci étant, il est en soi La liste, publiée sur le site www.mauristes.org, comporte 163 abbayes et 31 prieurés. Cette recherche a été menée dans le « back » de la base, c’est-à-dire dans la totalité des documents qui y sont saisis (16 000 en avril 2015). À l’heure de la révision de cet article (janvier 2018), il y en a 13 000 de plus. 13 An : F19/611/1, 14 mai 1790. 14 An : DXIX/093/810/ pièces 05, 06, 09. 11 12
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très intéressant d’apprendre que l’un des organistes de la « génération 1790 » y avait exercé quinze ans plus tôt. Plusieurs cas similaires existent, où la base Muséfrem livre l’identité de l’organiste précédent, mais pas celle de l’organiste en poste en 1790. En Normandie, la supplique de Jacques-Emmanuel Deniau globalise sa carrière passée en déclarant qu’il a « servi pendant 32 ans en qualité d’organiste dans les cidevant abbayes de Beaumont et Lyre »15, c’est-àdire Notre-Dame de Beaumont, où il exerce en 1790, et Notre-Dame de Lyre, toutes deux mauristes. Hélas, pour l’abbaye de Lyre, la base de données ne mentionne actuellement que des enfants de chœur sans dire quoi que ce soit d’un éventuel successeur de Deniau16. De même, François Dufour « a été pendant six ans organiste de l’abbaye royale de Saint-Vincent de Laon, ce dont il est en état de justifier » et en 1790 « il est depuis trois ans organiste de la Collégiale de Saint-Quentin ». Il y gagne 750 livres par an, salaire certainement bien supérieur à ce qu’il recevait comme organiste des Mauristes de Laon, où on ignore qui lui a succédé17. Enfin, deux autres cas de figure se sont présentés. Soit, comme à l’abbaye SaintSerge d’Angers, « l’organiste » est mentionné dans les comptes ou dans la liste du personnel 1790, sans que l’on ait son nom ni aucun autre détail. Soit, dans huit autres établissements, l’inventaire de 1790 signale un orgue sans qu’on ait trouvé trace d’organiste. Quand on voit, par exemple, « une petite orgue de quatre pieds » à Saint-Martin de Villemagne (Hérault) ou « un petit jeu d’orgue » à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), un doute subsiste : et s’il s’agissait de vestiges vétustes d’une pratique antérieure abandonnée depuis des lustres ? Toutefois, on ne lit pas dans les inventaires des maisons mauristes en 1790 les qualificatifs très dépréciatifs en général apposés ailleurs dans ce cas (« un vieil orgue rompu »), ce qui indique peut-être un souci d’entretien du patrimoine – et des moyens financiers – supérieurs à ceux d’autres ordres. Dans certains de ces huit cas, on peut sans risque subodorer un instrument en état de fonctionner, comme à la Sauve-Majeure (Gironde) où l’orgue Dom Bedos date de 1755, ou, encore plus évidemment à Saint-Lucien de Beauvais où 4 000 livres restent dues au facteur d’orgues pour des travaux effectués en 1786. Si, à la fin de l’enquête, on n’y relève toujours ni requête ni quittance relatives à l’organiste, on pourra en déduire que l’orgue était vraisemblablement touché par l’un des religieux. Au total, la base produit – actuellement18 – une « réponse-musique » pour 85 éta blissements mauristes, réponse dont on a vu qu’elle pouvait être décevante ou anachronique. Plus intéressant : elle identifie un organiste en 1790 dans 61 maisons sur 194 soit 31 %. Parmi eux, 6 exercent dans un prieuré, les 55 autres dans une abbaye, soit 34 % des 163 abbayes mauristes répertoriées19. Tous ne sont pas également éclairés : pour exprimer les extrêmes, cela peut aller d’une seule mention dans un état comptable à un déluge de détails biographiques
15 16 17 18 19
An : F19/1118. Ad Eure : 57L 55, comptes de l’année 1790. Notre-Dame de Lyre rémunère aussi un porte-croix. Am Saint-Quentin : 1P 3, dossier François Dufour. En avril 2015. Il va sans dire que tous ces résultats sont provisoires.
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comme pour Ferdinand-Albert Gautier, organiste de l’abbaye de Saint-Denis, qui a laissé ses mémoires, publiés par deux érudits en 190520. Les effectifs musicaux des abbayes mauristes Dans la plupart des abbayes explorées, les effectifs musicaux salariés et venus de l’extérieur du monde monacal sont manifestement très modestes, un à trois adultes, quelques enfants de chœur. Ce sont les voix des moines qui emplissent essentiellement le chœur de l’abbatiale. Souvent l’organiste est le seul musicien référencé. Il faut toutefois souligner qu’il cohabite dans plus d’une quinzaine de cas avec un joueur de serpent. Il en est ainsi à SaintVincent du Mans, dont le dernier organiste, Nicolas Boutelou, est bien connu21. Le serpent en 1790 se nomme Jean Lescène et il exerce en parallèle le métier de tisserand22. Âgés le premier de 51 ans et le second de 59 ans en 1790, les deux hommes sont tous deux natifs de la ville, l’organiste fils d’un « maître orlogeur », le serpent d’un « maître tissier ». Ils s’étaient peut-être côtoyés à la psallette de la cathédrale. À cette modeste structure de base majoritairement observée dans les abbayes mau ristes, s’oppose ce qui semble être jusqu’alors une exception unique : l’Abbaye « de la Très Sainte Trinité » à Fécamp (Seine-Maritime), laquelle compte 22 religieux et un affilié en 1790. « Dans la maîtrise », on inventorie « une basse, une contrebasse, un clavecin, deux tables, un alto, quatre viollons, un serpent, un basson, une basse [de] violle, douze chaises, dans huit armoires grandes et petites [avons] trouvé beaucoup de musique d’Église »23. Ce remarquable équipement musical correspond à des effectifs musicaux hors normes. Dès mars 1790, le comité ecclésiastique reçoit une requête très soignée adressée à « Nosseigneurs de l’Assemblée Nationale »24. Commençant comme il se doit par la formule « supplient très humblement les musiciens de Fécamp… », elle se termine par une liste de 16 musiciens classés en fonction de leur ancienneté (de 8 à 45 années de service), avec indication de leur âge (de 22 à 74 ans) et de leurs appointements (de 108 à 350 livres). Parmi ces 16 musiciens figure l’organiste Bailly, âgé de 61 ans, qui a 36 ans d’ancienneté et touche 300 livres par an, deuxième rang des salaires indiqués, rang qu’il partage avec sept autres des musiciens de la liste. Le total annuel des gages versés aux musiciens atteint 4 112 livres, total auquel s’ajoute un complément en nature puisque, en vertu d’une fondation ancienne confirmée, disent les suppliants, vers 1649, l’abbaye « leur assure à vie gages et logement ». La formule « à vie » est bien entendu fondamentale, nous y reviendrons. Par ses effectifs musicaux, la Trinité de Fécamp est exceptionnelle parmi les abbayes mauristes. La pratique normale qu’on y observe est de salarier un seul musicien (et alors c’est 20 Henri Herluison et Paul Leroy, « Le manuscrit de Ferdinand-Albert Gautier, organiste de l’abbaye de SaintDenis », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des Départements, vol. 29, 1905, p. 236-249. 21 Sylvie Granger, « Le dernier organiste du dernier orgue de l’abbaye : Nicolas Boutelou (1739-1803) », dans Trésors de l’Abbaye Royale Saint-Vincent du Mans, op. cit., p. 79-85 (réédition actualisée en 2015 d’un article initialement paru en 2007). 22 Biographie de Jean Lescène (1731-1796) dans la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/. 23 An : F19/611/3, mai 1790. 24 An : DXIX/54/162, pièce 3, 24 mars 1790.
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l’organiste) ou parfois deux (un organiste et un serpent, un serpent et un chantre…). Même à partir de cette modeste base, les offices mauristes semblent avoir revêtu un certain lustre, que manifeste par exemple le témoignage du directoire du district au sujet de la petite ville de Beaulieu (aujourd’hui Beaulieu-sur-Dordogne, Corrèze) : […] cette ville avoit une riche abbaye avec une vaste église dans laquelle la majeure partie de habitants alloient remplir leurs devoirs religieux soit parce que cette église étoit centrale soit parce que les offices qui sy faisoient étoient célébrés avec une espèce de pompe et d’éclat que l’on croyoit et que l’on croit encore nécessaire au culte catholique25.
À côté des moines, les artisans de cette « espèce de pompe » ne sont que trois laïcs, deux enfants de chœur et Hugues Labrousse « chantre et musicien du monastère des Bénédictins de Beaulieu »26.
Questions aux organistes retrouvés Que nous dit sur le métier d’organiste la soixantaine de cas actuellement connus ? C’est à partir d’eux qu’il faut essayer de comprendre ce que veut dire être organiste chez les Mauristes. On a prioritairement cherché à rassembler cinq éléments, qui semblaient pouvoir esquisser un profil professionnel valable : le nom, le sexe, l’âge ou l’année de naissance, l’ancienneté dans le poste (et éventuellement les postes antérieurs y compris le temps de formation) et bien sûr la rémunération, montant et composition. À Reims, l’organiste de l’abbaye Saint-Nicaise a réponse à tout en une seule phrase : Jean-Henri Philippe, âgé de 61 ans, a commencé à toucher de l’orgue à l’âge de 20 ans, il a servi successivement en qualité d’organiste la paroisse Saint-Étienne de cette ville pendant 15 ans, celle de Saint-Pierre pendant le même temps, depuis 7 ans il est organiste à Saint-Nicaise aux appointements de 150 livres27.
Inversement, l’organiste de l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé a envoyé une supplique au comité ecclésiastique dès le 30 juillet 179028. Il insiste sur son ancienneté : voilà 22 ans qu’il est au service des Mauristes. Il insiste sur le fait qu’il est père de famille, sur son âge qui avance… mais qu’il ne donne pas. Et il ne dit rien de son salaire. Voilà finalement trois éléments sur les cinq espérés. En revanche, qu’il soit père de famille indique qu’il s’agit d’un laïc, comme d’ailleurs la plupart des organistes choisis par les Mauristes29.
Ad Corrèze : L278, tableau non daté [vers 1791-1792]. Ad Corrèze : L54, p. 227, 17 décembre 1790 et plusieurs autres cotes. Le patronyme de ce musicien oscille entre Brousse et Labrousse. La biographie d’Hugues Labrousse (1743-1819) est en ligne dans la base Muséfrem : http:// philidor.cmbv.fr/. 27 Ad Marne : 4L 108. 28 An : DXIX/030/482-2/10. 29 Tout au moins de ceux auxquels les sources nous livrent accès. Les organistes membres de la communauté monastique, moines ou frères convers, sont peu visibles individuellement. 25 26
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Malgré l’existence d’un corpus de sources concentrées sur un laps de temps court et répondant globalement aux mêmes logiques, on constate donc en bout de chaîne un niveau d’information qui reste hétérogène. En conséquence, les indications statistiques qui viennent ne seront pas toujours fondées sur 61 cas. Elles permettent tout de même d’y voir relativement clair. Homme ou femme ? La réponse à cette première question n’est pas très surprenante : dans les abbayes d’hommes, l’orgue est très majoritairement tenu par un homme. Toutefois, comme souvent, la minorité est intéressante à scruter et il faut souligner que 6 des 61 organistes actuellement retrouvés sont des femmes30. Aucun interdit ne vient l’empêcher, et le positionnement de l’organiste, retranché dans sa tribune, empêche toute promiscuité : il ou elle ne fait pas vraiment partie du chœur. Les abbayes mauristes qui, en 1790, rémunèrent une organiste sont Notre-Dame de Chelles (Seine-et-Marne), Saint-Taurin d’Évreux, Saint-Jean de Laon, Saint-Pierre de La Couture au Mans, Saint-Martin de Pontoise, et Saint-Ouen de Rouen. On remarque que toutes se trouvent nettement dans la moitié nord du royaume, ce qui correspond aux observations générales accumulées au fil de l’enquête concernant la place des femmes dans les musiques des églises31. Quel âge ? Bien qu’il soit théoriquement possible de devenir organiste à un âge très précoce (Muséfrem en offre d’assez nombreux exemples), l’échantillon ici examiné des organistes des mauristes en 1790 ne comporte aucun très jeune organiste. Les 40 âges connus s’échelonnent de 21 à 86 ans, la moyenne s’établissant à un peu plus de 48 ans et demi. Si les plus de soixante ans sont 9, les moins de trente ans ne sont que 4, dont deux femmes. Le doyen est Jacques Prunier à Notre-Dame de Bernay (Eure). La benjamine exerce à La Couture du Mans : c’est une jeune fille de 21 ans, Françoise-Adélaïde Veimringer, fille d’un maître de violon originaire de Lorraine. Formée à la musique par son père, puis à l’orgue par le jeune Michel Boyer, à peine plus âgé qu’elle, elle a été engagée par les Mauristes de La Couture à l’automne 1785 pour remplacer le vieux Julien Broussin qui était titulaire de leur orgue depuis 1735. Elle avait alors 16 ans32. 30 Éventuellement sous réserve de quelques unités : les organistes dont nous n’avons pas le prénom ont été postulés masculins… Ce que rien n’impose pourtant d’évidence. Ainsi, j’ai d’abord cru que « Dulong », organiste de la cathédrale d’Évreux (ainsi que de l’abbaye Saint-Taurin dans la même ville), était un homme, jusqu’à la découverte de ses reçus comptables signés « Marie Adélaïde Dulong, organiste »… 31 Sylvie Granger, « Les musiciennes de 1790, aperçus sur l’invisibilité », Revue de musicologie, no 94/2, 2008, p. 289-308. Et « En solo plus souvent qu’en duo : les femmes organistes de 1790 », dans Caroline Giron-Panel, Sylvie Granger, Raphaëlle Legrand et Bertrand Porot (éd.), Musiciennes en duo. Mères, filles, sœurs ou compagnes d’artistes, préface de Michelle Perrot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015. 32 Biographie de Françoise-Adélaïde Veimringer (1769-1810) dans la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/.
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Quelle ancienneté dans le poste en 1790 ? Le sujet est sensible : le système de secours mis en place par l’administration nouvelle étant largement fondé sur la durée d’exercice passée, on pourrait soupçonner les dossiers de chercher à allonger subrepticement la durée déclarée pour obtenir la plus forte aide possible, ou parfois seulement pour franchir le palier permettant de prétendre à indemnisation ou à pension. Toutefois, les déclarations des employés étant en principe confrontées aux déclarations et comptes fournis par les abbés, on peut les supposer assez fiables dans l’ensemble. L’exemple le plus flagrant d’exagération se trouve d’ailleurs non pas dans un dossier de 1790, mais dans un document du for privé : Ferdinand-Albert Gautier prétend dans ses Mémoires avoir « commencé à toucher l’orgue habituellement dans cette église » de l’abbaye de Saint-Denis le jour de la Saint-André 1763. Il a une quinzaine d’années. Mais c’est son père qui est alors le titulaire de l’orgue et en réalité jusqu’en 1775 environ, le jeune homme touche l’orgue de l’abbaye « près de douze ans conjointement avec [son] Père ». Comme dans le cas très fréquent des femmes qui aident leur père, leur frère ou leur mari, il est difficile de mesurer l’intensité de service réel que recouvrent les deux adverbes employés par Gautier, « habituellement » et « conjointement »33. En tout état de cause, sur les 42 cas pour lesquels on connaît la durée de service dans le poste 1790, 2 organistes seulement sont en place chez les mauristes depuis moins de 5 ans, 7 ont entre 5 et 10 ans d’ancienneté à cette tribune, 10 de 10 à 20 ans, 14 de 20 à 30 ans, 6 y sont depuis 30 à 40 ans, et même 3 depuis plus de 40 ans. L’impression dominante est que quand on est devenu organiste des Mauristes, on le reste : 23 organistes sur 42 sont en poste depuis plus de vingt ans. En résumé, l’organiste des Mauristes est donc plutôt un homme presque quinquagénaire, installé depuis longtemps aux claviers de son instrument. Cela signifie qu’un certain équilibre s’est établi dans l’organisation de ces organistes. Contrairement à une large proportion des musiciens, ils ne pratiquent pas – ou ils pratiquent moins – l’itinérance d’un poste à l’autre, toujours à la recherche d’une meilleure situation. Est-ce parce qu’ils sont confortablement rémunérés ?
Quelle rémunération ? La vision nationale offerte par Muséfrem permet d’affirmer que les établissements mauristes ne pratiquaient pas ce qu’on appellerait aujourd’hui une politique salariale uniforme. Les statuts de leurs dépendants sont dictés à la fois par les coutumes locales et par les ressources de chaque maison, ce qui fait que les rémunérations varient amplement tant sur la forme que sur le montant. Le salaire de l’organiste – appelé selon les lieux appointements, gages, traitement, ou parfois, dans une recherche de distinction, honoraires – peut être versé entièrement en espèces 33
Sylvie Granger, « En solo plus souvent qu’en duo… », art. cit., p. 173-185.
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sonnantes et trébuchantes, ce qui s’observe surtout dans la moitié nord du royaume. Charles Labouré, à Saint-Pierre de Conches (Eure), gagne ainsi 350 livres en argent. Il explique au début de 1791 que, « quoique ce traitement fût très modique, cependant l’exposant s’était déterminé à s’en contenter et s’étoit proposé de mener une vie tranquille et économique. Il a toujours été payé exactement par les Sieurs religieux »… jusqu’en octobre 179034. Dans la moitié sud du pays, la rémunération prend plus souvent une forme mixte : « 250 livres en argent et six boisseaux de froment annuellement payables, savoir l’argent le 1er juin de chaque année et le froment à la Saint-Michel » à Saint-Pierre de Brantôme (Dordogne)35. Si la région s’y prête, le paiement peut comporter une part de vin, comme à La Chaise-Dieu où « les honoraires dont le dit exposant (Étienne Debas) a joui jusqu’à ce moment, montent pour l’orgue à 600 livres et dix pots de vin, évalués année commune à quatre livres le pot ce qui fait 40 livres »36. Au total, qu’elle soit versée entièrement en argent ou qu’elle soit mixte, la rémunération moyenne des 36 cas retrouvés s’établit à 350 livres et demie. Mais cette moyenne masque des contrastes importants puisque les sommes s’échelonnent de 100 livres (à Sainte-Croix de Bordeaux) à 700 livres par an (à La Réole). Ces écarts sont dus, au moins en partie, à des différences dans les charges de travail : être organiste chez les Mauristes est rarement un métier à temps plein, et les modulations horaires sont multiples.
Organiste des mauristes à temps partiel La base de données Muséfrem regroupe déjà un très grand nombre de musiciens d’Église exerçant en même temps un second, voire un troisième métier, confirmant par là même la banalité de la pluriactivité dans les sociétés anciennes. Dans l’étroit échantillon des organistes des Mauristes aussi, la pluriactivité est très fréquente. Elle décline deux principaux cas de figure : le complément à l’orgue peut se trouver dans la musique, ou radicalement hors d’elle. Les « affaires » de l’organiste À La Chaise-Dieu, Étienne Debas touchait, on l’a vu, 640 livres en tant qu’organiste des bénédictins. Ce n’est pas tout : « de plus pour enseigner le plein chant aux novices, 300 livres ; total 940 livres ». L’organiste de La Chaise-Dieu reçoit ainsi l’une des rémunérations les plus élevées dont on ait connaissance pour un musicien dans le monde mauriste… Or on possède son contrat bien détaillé. Certes, sa charge de travail est réelle, il doit en particulier se lever tôt les matins de dimanche et de fêtes « chommées ou non chommées » (ce qui An : DXIX/091/764/01-03. Ad Dordogne : 8L 10. Ce calendrier des versements a été fixé par un contrat établi le 1er juin 1777 entre les bénédictins de Brantôme et l’organiste Pierre Labie. 36 Ad Haute-Loire : 2L 209. Comme c’est ici le cas, les dossiers 1790 prennent souvent soin de donner une équivalence en livres tournois pour la part de rémunération versée en nature. 34 35
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fait de nombreux jours dans l’année) pour « toucher ladite orgue à la petite heure qui se chante immédiatement avant la grande heure ». Pourtant, son contrat précise : « quant aux jours ouvrables ledit Sieur Étienne Debas promet de toucher notre orgue cesdits jours ouvrables à la messe et à vèpres autant que ses affaires le permettront… »37 Il est donc clair, et officiellement enregistré, qu’il n’est pas employé par l’abbaye à temps plein, et qu’il exerce en parallèle un autre métier qui lui occasionne des « affaires » à gérer… Pourtant, dans leurs requêtes pour obtenir des secours au début des années 1790, les organistes sont assez nombreux à prétendre que l’orgue est leur unique source de revenus : « se voyant sur le point de perdre avec cet orgue le seul moyen qu’il ait de pourvoir à sa subsistance… », se lamente Jean-Noël Chaillou, organiste de l’abbaye de Coulombs, près de Dreux (Eure & Loir)38. C’est évidemment la loi du genre : pour obtenir une aide publique, mieux vaut ne pas trop s’aider soi-même, ou ne pas le montrer39. Or que l’orgue soit le seul moyen de subsistance des organistes est sans doute rarement vrai, surtout pour ceux des abbayes où on ne l’utilise pas tous les jours. Ainsi, le même sieur Chaillou, dans la même requête, sans craindre la contradiction, n’hésite pas à développer ses doléances : […] depuis dix-huit ans qu’il est marié à Dreux, où il réside avec une femme et deux enfants, il a eu si peu d’égard à la faiblesse de sa complexion qu’il a constamment fait le voyage de Dreux à Coulombs tous les jours de dimanches et de fêtes, excepté dans les différents temps qu’il a été malade, par les fatigues de tous ces petits voyages si souvent répétés en toutes saisons, avec le zèle d’un homme qui n’écoute que son devoir, et qui éprouve tantôt un froid excessif, tantôt une chaleur accablante.
Même si on veut bien croire en la « faiblesse de sa complexion » et si de Dreux à l’abbaye de Coulombs il y avait plus de quatre heures de marche, force est de conclure que l’organiste ne passait sûrement pas la semaine entière à se reposer des fatigues de ses trajets en attendant tranquillement le dimanche suivant : il exerçait nécessairement une autre activité, sur laquelle il ne dit mot. On peut faire l’hypothèse d’un petit commerce, des affaires comme celles de son confrère de La Chaise-Dieu. Si les pétitionnaires gardent un prudent silence à son sujet, leur second métier est parfois révélé par des sources extérieures aux procédures d’indemnisation des années 1790, notamment les registres paroissiaux. À Corbie, en 1783, Jean-Baptiste Mallet est qualifié d’« organiste de l’abbaie de Corbie, et marchand debitant de tabac de cette ville ». À Craon (Mayenne), François Lizé est à la fois organiste de l’abbaye et menuisier. Dans ces Ibid. An : DXIX/091/766/03, requête Jean-Noël Chaillou, sans date [1790-1791]. Biographie de Jean-Noël Chaillou (1748-1811) dans la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/. 39 Sous peine de s’entendre répondre par l’administration, comme René Coindon, organiste de la cathédrale du Mans et marchand de drap : « Le Directoire considérant que l’administration ne doit des secours qu’à ceux qui sont dans le besoin, que loin de pouvoir être rangé dans la classe de ces malheureux réduits à la mendicité par la suppression de leur place et pour lesquels l’humanité sollicite une pension, le sieur Coindon […] jouit d’une fortune aussi solide que brillante, estime qu’il n’y a pas lieu quant à présent de lui accorder une gratification » (Ad Sarthe : L568, 16 janvier 1791). 37 38
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exemples, et dans de nombreux autres, le métier d’organiste chez les Mauristes est donc complété par une ou plusieurs autres activités sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup d’informations, mais qui semblent à dominante commerciale ou artisanale. Ce sont elles qui sans doute expliquent pour une large part la stabilité des organistes des mauristes observée précédemment. En apportant une aisance budgétaire et en insérant activement le musicien dans le tissu économique et relationnel local, elles instaurent un équilibre qu’il serait compliqué et dommageable de rompre en reprenant l’itinérance. Dans certains cas, plus rares, c’est au sein même de l’établissement que l’organiste trouvait une activité – et des revenus – complémentaires : à Saint-Pierre de Brantôme, Pierre Labie « s’étoit engagé à toucher l’orgue des ci-devant Bénédictins les jours de dimanche et fêtes ». Les autres jours, il était le procureur des moines, en quelque sorte leur homme d’affaires40. Exercer d’autres métiers de la musique et cumuler les tribunes La seconde activité offerte par l’abbaye a parfois un rapport plus direct avec la musique. À La Chaise-Dieu, on l’a vu, en dehors de ses « affaires », l’organiste Étienne Debas était aussi chargé d’« enseigner le plein chant aux novices ». Le même profil s’observe à Compiègne, au début de la carrière d’Albin-Claude-François Nocq : de 1763 à 1773 environ, il est non seulement organiste de l’abbaye royale Saint-Corneille, mais aussi « chargé du pénible soin d’instruire les six enfants de chœur », ce qui l’obligeait à vivre au sein de l’abbaye même. Luimême sortait alors de l’abbaye de Corbie où il avait été durant onze ans enfant de chœur : on a donc là un profil de jeune clerc à peine plus âgé que les garçons dont il a la charge, qui vit de manière très monacale et qui peut-être hésite quant à son choix de vie. À partir de 1773 – il a alors 28 ans –, il s’installe en ville, se marie, a des enfants. Libéré des enfants de chœur tout en restant l’organiste des bénédictins, il touche en complément l’orgue « de l’église des Jacobins de cette ville »41. Nocq et ses deux tribunes à Compiègne est un archétype extrêmement fréquent dans le monde de l’orgue, du moins en milieu urbain, lorsque plusieurs instruments proches coexistent. Ainsi à Bordeaux, Pierre-Joseph Courtin est « organiste du ci-devant chapitre de Ste-Croix (l’abbaye mauriste de Sainte-Croix) et de l’Église Parroissiale de St-Michel », ce qui lui valait 500 livres en tout. Comme on sait par ailleurs qu’il touchait 400 livres de la paroisse, on peut en déduire que les gages versés par l’abbaye étaient de 100 livres seulement42. Dans une ville beaucoup plus petite, Lagny (Seine-et-Marne), le sieur Aucher, organiste de l’abbaye Saint-Pierre (où il touche 168 livres), est aussi repéré comme organiste paroissial
An : DXIX/090/738/03 et Ad Dordogne : 8L 10. An : DXIX/031/494-2/11 et DXIX/092/798/06, suppliques d’Albin-Claude-François Nocq, mars 1790 et s. d. [1790-1791]. 42 Ad Gironde : 1Q 1395, registre des arrêtés du district de Bordeaux sur les pétitions relatives aux religieux…, 21 septembre 1791 (pétition no 391). Biographie de Pierre-Joseph Courtin (1731-1805) dans la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/. 40 41
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(48 livres par an)43. Le total de ses deux salaires ne faisant que 216 livres, probablement exerçait-il une troisième fonction afin d’atteindre un revenu permettant de faire vivre une famille. C’est aussi le cas de Nicolas Boutelou au Mans, qui est organiste non seulement de l’abbaye Saint-Vincent, mais aussi des Jacobins et qui, très vraisemblablement, exerce en parallèle une activité d’horloger comme son père et son beau-père44. Il existe des champions du cumul, dont le représentant le plus abouti est le sieur Martin, organiste de l’abbaye de Saint-Père à Chartres : en septembre 1791, dans sa requête, il dresse minutieusement la liste de toutes ses activités : – « depuis 1763 il est organiste de Saint-Père à 400 livres d’appointements », – « il conduisait l’orgue de l’Hôtel-Dieu moyennant 60 livres » – « et depuis la mort de M. de Bainville [sic, en 1788] il a été reçu organiste de la cidevant paroisse de Saint-Martin moyennant 120 livres par an » Ce qui lui fait déjà trois tribunes différentes : l’abbaye, une paroisse urbaine, l’hôtelDieu. On peut supposer que les horaires différenciés des messes lui permettaient de courir de l’une à l’autre, toutefois l’expression « il conduisait l’orgue » (au lieu de « il touchait l’orgue », qui aurait été normale) laisse envisager qu’à l’Hôtel-Dieu il n’exerçait pas en personne, mais peut-être par l’intermédiaire d’élèves à lui. Martin ajoute « qu’en 1781 il a succédé à M. Langlois pour le travail des Archives du Chapitre de la Cathédrale aux appointements de 1 000 livres ». Et enfin il mène une petite activité de facteur d’orgue : « Il entretenait en outre moyennant 96 livres l’orgue de la Cathédrale ». Le total de ses revenus cumulés atteint sur un an la somme (importante) de 1 976 livres45. Enfin, c’est dans le monde de la musique résolument profane que certains autres organistes trouvent des ressources complémentaires. Ainsi le sieur Le Gentil, organiste de l’abbaye Saint-Aubin d’Angers, qui par voie de presse « offre ses services au public, en qualité de Maître de clavessin, violon & harpe »46. De la même façon, à Argenteuil, Claude Dreux est maître de musique en ville et les administratifs instruisant les dossiers s’appuient sur son autre métier pour étayer leur décision de réduire sa pension : « […] considérant que le Sieur Dreux maître de musique ne faisoit pas son état exclusif d’organiste de l’église des cy devant bénédictins d’Argenteuil puisque pour toucher l’orgue il n’avoit annuellement que 150 livres… »47. Ad Seine-et-Marne : L 1153, dossier Abbaye Saint-Pierre de Lagny, 1789-1790 ; et 188 J 18, comptes de la fabrique paroissiale de Saint-Paul de Lagny[-sur-Marne], 1785-1789. 44 Boutelou pourrait être l’auteur du cadran solaire établi en 1777 sur un contrefort de l’abbatiale de La Couture (Paul Deciron, « La réhabilitation du cadran solaire de La Couture », Bulletin de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 2014, p. 3 à 22). 45 Abbé Guérin Sainsot, « La cathédrale de Chartres pendant la Terreur », Bulletin de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1889, p. 311-312. Pour une biographie du sieur Martin (1763 av.-1794 ap.), voir la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/. 46 Les Affiches d’Angers, 26 mai 1786. 47 Ad Yvelines : 1L 49. 43
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« CDI » ou contrat précaire ? Pour clore ce rapide panorama, il reste une dernière question : de quelle sécurité de l’emploi les organistes bénéficiaient-ils chez les Mauristes ? En termes contemporains et pour sourire, étaient-ils embauchés en CDI ou en CDD ? Revenons encore une fois à l’organiste de La Chaise-Dieu, haut-lieu musical cher à Bernard Dompnier. Le contrat d’Étienne Debas appartenait plutôt à la première catégorie : « le 28 août 1786, le suppliant avoit obtenu une police à vie de messieurs les Religieux ». Une police à vie, cela signifie un engagement viager, donc au-delà même du « CDI », une garantie de retraite, privilège rare dans les sociétés pré CNR… Le principe en est parfaitement expliqué par Jacques-Florian Milleville, l’organiste de l’abbaye de Montolieu (Aude), qui y exerce depuis août 1760 : […] un bail à vie de son talent qu’il passa avec lesdits religieux de Montolieu pour lesquels l’exposant s’engagea à vie à servir leur église comme organiste aux appointements de 500 livres par année de quatre [mois] en quatre [mois] pendant le temps qu’il pourra servir. Et dans le cas qu’il devint malade, infirme ou incapable de jouer de l’orgue, lesdits religieux s’obligèrent à lui payer annuellement une somme de 360 livres de quatre en quatre mois48.
Pour obtenir ce « bail à vie de son talent », l’organiste avait dû user de stratégie et exercer une pression certaine sur ses employeurs. En juillet 1786, après un quart de siècle d’espérance déçue, il se présente devant les moines pour leur annoncer « qu’on lui offrait une place d’organiste dans le chapitre de Saint-Papoul, et qu’il n’aurait voulu l’accepter qu’après [les] en avoir prévenus »49. La crainte de perdre leur organiste décide aussitôt les moines à lui offrir un bail à vie. Ce type de contrat est évidemment très prisé des musiciens, car il signifie la fin de la précarité professionnelle, une assurance pour l’avenir. Étienne Debas, l’organiste de La Chaise-Dieu, explique d’ailleurs que c’est lorsqu’il a été ainsi rassuré sur son avenir qu’il s’est marié : « la sureté qu’il avoit crut à sa place par cet acte l’avoit déterminé à un mariage qu’il n’auroit pas contracté sans cette certitude »50. Il peut s’agir là d’un argument destiné à forcer la main des administrateurs locaux afin qu’ils émettent un avis favorable à sa demande de pension. Toutefois on observe qu’effectivement, il a obtenu son engagement à vie fin août 1786 et qu’il s’est marié en octobre de la même année : on peut penser qu’il y a bien un lien de cause à effet. Cette perspective de retraite était un atout extrêmement recherché par les musiciens. Les églises qui étaient assez solides pour l’offrir pouvaient d’une part drainer des artistes de talent venus de loin, d’autre part fidéliser durablement ceux qui donnaient satisfaction. Ad Aude : 2L 154. An : DXIX/052/111/09-10. Sur Jacques-Florent Milleville (1739-1791 ap.), voir sa biographie dans la base Muséfrem : http://philidor.cmbv.fr/. 50 Ad Haute-Loire : 2L 209. 48 49
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C’est le cas d’une partie des abbayes mauristes, grâce aussi à l’acceptation d’une pluri-activité institutionnalisée. À travers cet exercice autour des organistes des abbayes mauristes, j’espère avoir montré combien la documentation issue des dossiers 1790 est riche et porteuse de pistes de recherche fécondes et diversifiées. Bernard Dompnier l’a compris très vite et a agi avec détermination et efficacité pour lancer la construction de la base Muséfrem qui en est issue et pour en faire peu à peu un outil dynamique au service de la communauté scientifique ainsi que d’un large public. Sylvie Granger Laboratoire Temps, Monde, Société (TEMOS) FRE 2004 (Le Mans Université)
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Annexe bibliographique L’enquête Muséfrem51 sur les musiciens d’Église à la fin de l’Ancien Régime a déjà donné lieu à de nombreuses publications, parmi lesquelles on peut indiquer une sélection de titres. 2003
Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises & chapelles aux xviie et xviiie siècles. Des institutions musicales au service de Dieu, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003, 568 p.
2005
Laurent Borne, Bernard Dompnier, Grégory Goudot, Frédérique Longin, Bastien Mailhot, « Les musiciens d’Église en 1790. Premier état d’une enquête sur un groupe professionnel », Annales historiques de la Révolution française, 2005, p. 57-82 et http://ahrf.revues.org/2075. Bernard Dompnier (éd.), Louis Grénon. Un musicien d’Église au xviiie siècle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2005, 202 p. Sylvie Granger, « Être ou ne pas être musicien dans les villes des provinces françaises au xviiie siècle », dans Marc Belissa, Anna Bellavitis, Monique Cottret et al. (éd.), Identités, appartenances, revendications identitaires, xvie-xviiie siècle, Paris, Nolin, 2005, 414 p., p. 343-356. —, « Des musiciens venus d’ailleurs… dans les villes de l’Ouest, xviie-xviiie siècles », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 112, no 3, 2005, p. 107-126.
2007
Xavier Bisaro, « Une liturgie ordinaire en des temps extraordinaires : des chantres bretons sous la Révolution », Revue de Musicologie, no 93/2, 2007, p. 317-335.
2008
Nathalie Berton-Blivet, Xavier Bisaro, Cécile Davy-Rigaux, « La base de données Sequentia et la recherche sur le chant ecclésiastique à l’époque moderne », Le Jardin de musique, no spécial « Bases de données en musiques anciennes », no V/1, 2008, p. 75-80. Bernard Dompnier (éd.), Musiciens d’Église en Révolution. Portrait et devenir d’un groupe professionnel. Revue de Musicologie, t. 94/2, 2008, p. 271-573 (nombreuses contributions des divers membres de l’équipe).
2009
Sylvie Granger, « L’étonnant destin d’un musicien né dans le Maine : François Granger, organiste (1758-1836) », La Province du Maine, no 1, 2009, p. 121-137. —, « Trois chœurs de l’Ouest à la veille de la Révolution (Le Mans, Sées, Laval) », dans Hervé Guillemain, Stéphane Tison et Nadine Vivier (éd.), La Foi dans le Siècle. Mélanges offerts à Brigitte Waché, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 53-64. —, « Un chantre borgne à la voix forte. Mathurin Leprêtre, psalteur dans deux collégiales de Laval au xviiie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 116, no°4, 2009, p. 73-90. Isabelle Langlois, « Lieux de musique et musiciens d’Église en Bourbonnais aux xviie et xviiie siècles », dans Annie Regond et Henri Delorme (éd.), Bourbonnais baroque ? Aspects du baroque et du classicisme aux xviie et xviiie siècles dans l’Allier, Souvigny, Ville de Souvigny, 2009, p. 121-122. Sur les publications Muséfrem, on consultera également la bibliographie relative à l’enquête Muséfrem régulièrement mise à jour dans http://chec.uca.fr/article131.html/, ainsi que la page Muséfrem de HAL-SHS. 51
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2010
Xavier Bisaro, Chanter toujours. Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (xvie-xixe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 246 p. François Caillou, « Les musiciens des églises collégiales de Châteaudun à la fin du xviiie siècle », Bulletin de la Société dunoise AHSA, t. XXIV, no 300, 2010, p. 36-53. Bernard Dompnier (éd.), Les Bas Chœurs d’Auvergne et du Velay. Le métier de musicien d’Église aux xviie et xviiie siècles, Clermont Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2010, 404 p. —, « Les corps de musique des cathédrales françaises au xviiie siècle. Essai de typologie », European Sacred Music, 1550-1800. New Approaches. Actes de colloque, Fribourg (Suisse), 2010 – halshs-00667109.
2011
Bernard Dompnier, « Les maîtrises capitulaires et l’apprentissage du métier de musicien dans la France d’Ancien Régime », dans Guy Bedouelle, Christian Belin, Simone de Reyff, Jean Rime (éd.), La Tradition du savoir, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2011, p. 131-151. Sylvie Granger, « Deux Organistes aux destins voisins : Marie-Claude Renault-Bainville (17241803) & Jeanne-Marie Bertrand-Jannot (1738-1804) », Annales historiques de la Révolution française, no 4, 2011, p. 3-27.
2012
François Caillou, Sylvie Granger, Christophe Maillard, « Deux générations de musiciens au xviiie siècle : la famille Dobet de Chartres à Châteaudun, 1713-1839 », Revue historique, no 662, 2012, p. 391-419. Bernard Dompnier, Sylvie Granger et Isabelle Langlois, « Deux mille musiciens et musiciennes d’Église en 1790 », dans Christiane Demeulenaere-Douyère et Armelle Le Goff (éd.), Histoires individuelles, histoires collectives. Sources et approches nouvelles, Paris, CTHS, 2012, p. 221-235. Bastien Mailhot, Christophe Maillard et Françoise Talvard, « Musique et musiciens des églises de Guyenne en 1790 : bilan d’étape sur l’enquête collective et la base de données [Muséfrem] », dans ibid., p. 249-265. Marie-Claire Mussat, « L’itinérance dans la carrière des musiciens d’Église », dans ibid., p. 237-247.
2013
Bernard Dompnier, Isabelle Langlois et Bastien Mailhot, « Serpentiste d’Église : une profession au xviiie siècle », Musique|Images|Instruments. Revue française d’organologie et d’iconographie musicale. Le serpent : itinéraires passés et présents, no 14, 2013, p. 65-83.
2014
Cécile Davy-Rigaux (éd.), La musique d’Église et ses cadres de création dans la France de l’Ancien Régime, Florence, Olschki, 2014, XIII-218 p.
2015
Sylvie Granger, « En solo plus souvent qu’en duo : les femmes organistes de 1790 », dans Caroline Giron-Panel, Sylvie Granger, Raphaëlle Legrand et Bertrand Porot (éd.), Musiciennes en duo. Mères, filles, sœurs ou compagnes d’artistes, préface de Michelle Perrot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 256 p., p. 173-185. —, « Musique et musiciens au temps des jubés », dans Nicolas Gautier (éd.), La Cathédrale du Mans, du visible à l’invisible, Le Mans, La Reinette, 2015, 194 p., p. 152-162.
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Être organiste chez les mauristes à la veille de la Révolution
Christophe Maillard, « Musique et musiciens d’Église à Tours à la fin de l’Ancien Régime », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. LXI, 2015, p. 207-216.
2016
Isabelle Langlois, « Les musiciens d’Église du Cantal autour de 1790. L’enquête Muséfrem en ligne », Revue de la Haute-Auvergne, t. 78, janvier-mars 2016, p. 149-152. Sylvie Granger, « Après la Révolution : que sont les organistes de 1790 devenus ? », L’orgue francophone, no 54, décembre 2016, p. 33-42.
2017
Sylvie Granger, « Muséfrem : une base de données sur les musiciens anciens où la Bourgogne est aux avant-postes », Annales de Bourgogne, t. 89/1, no 353, janvier-mars 2017, p. 63-77. —, « “Voyager comme musicien” au xviiie siècle », Journée d’étude Louis Simon 2016, Voyages et voyageurs aux xviiie et xixe siècles, La Province du Maine, 2016/1, [2017] p. 97 à 116. Xavier Bisaro, Gisèle Clément et Fanch Thoraval (éd.), La circulation de la musique et des musiciens d’Église, France, xvie-xviiie siècle, Paris, Garnier, coll. « Musicologie », 2017, 396 p.
[Bibliographie mise à jour : décembre 2017]
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D’une historiographie l’autre : éloge par l’exemple de la base de données prosopographique Muséfrem* Le colloque sur les maîtrises d’Ancien Régime tenu en octobre 2001 au Puy-en-Velay peut, avec le recul, être considéré comme un point de bascule dans l’étude des institutions musicales de l’époque moderne. D’une part, plusieurs communicants empruntèrent aux monographies de psallettes et maîtrises publiées au xixe siècle soit des informations ponctuelles soit leur forme même1. De l’autre, les contours d’une enquête systématique sur les musiciens d’église à la fin de l’Ancien Régime furent esquissés pour la première fois lors de cette manifestation. Alors qu’une contribution au colloque traitait des « trajectoires interrompues » des musiciens d’église en 17902, une discussion improvisée en marge des débats officiels fut l’occasion de souligner le potentiel historiographique des archives du Comité ecclésiastique qui, en 1790-1791, recueillit les sollicitations de pensions et de gratifications émanant des musiciens des ci-devant chapitres et abbayes du royaume3. Sans que les participants à ce colloque ne s’en soient doutés, cette intuition préludait à l’ouverture d’un chantier collectif voué à l’établissement de la prosopographie générale des musiciens d’église actifs en France en 1790, œuvre de longue haleine, dont les résultats sont actuellement en cours de versement dans la base de données Muséfrem4. Tandis que les collaborateurs à ce projet continuent à travailler au dépouillement et à la saisie de milliers de documents collectés aux Archives nationales comme dans les départements et à publier régulièrement le fruit de leurs efforts, il est d’ores et déjà possible de mesurer l’intérêt de cet outil numérique placé, dès son origine, sous la responsabilité active de Bernard Dompnier. C’est ce à quoi s’attachera cette contribution non en retraçant * Je remercie Sylvie Granger et Pierre Mesplé pour leur aide généreuse. 1 Cf. les actes de ce colloque publiés par Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises & Chapelles aux xviie et xviiie siècles : des institutions musicales au service de Dieu, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003. 2 Sylvie Granger, « Tours et détours des musiciens d’Église dans la France du centre-ouest aux xviie et xviiie siècles », Maîtrises & Chapelles aux xviie et xviiie siècles, op. cit., p. 291-314. 3 Ces sources n’étaient que très superficiellement connues jusqu’alors, grâce notamment à un article de Michel Le Moel, « La situation des musiciens d’église en France, à la veille de la Révolution », Recherches sur la musique française classique, no XV, 1975, p. 191-243. 4 La réunion destinée à ouvrir la réflexion sur ce chantier prosopographique eut lieu dès janvier 2002 (, consulté le 2 janvier 2017). Après une ample collecte de documents, les notices biographiques de ces musiciens sont progressivement publiées en ligne (consulté le 2 janvier 2017). Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 185-196 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115082
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les étapes de cette aventure scientifique ou en exhibant quelque figure pittoresque de musicien oublié, mais plutôt en montrant par l’exemple le changement de paradigme historiographique induit par l’utilisation de cette base de données. Pour ce faire, il s’agira de comparer l’étude d’une maîtrise de cathédrale par un érudit de la fin du xixe siècle avec les biographies d’individus rendues accessibles à la suite des recherches des collaborateurs de la base Muséfrem. Et puisque les notices consacrées aux musiciens de la cathédrale de Chartres y ont été récemment déposées, il est temps de rouvrir L’ancienne maîtrise de NotreDame de Chartres du ve siècle à la Révolution5 du chanoine Alexandre Clerval (1859-1918).
Une monographie en forme de stèle Clerval se présente comme un auteur à deux visages6. D’un côté, son ouvrage sur « l’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres » ressemble à l’entreprise d’un « érudit local » très actif 7, ayant produit un guide de visite de la cathédrale pour les pèlerins8, assumant des responsabilités au sein de la Société archéologique d’Eure-et-Loir comme à la tête de la Bibliothèque municipale de sa ville9. Occupant les fonctions de « supérieur » de la maîtrise de la cathédrale – officiellement dénommée Œuvre des Clercs de Notre-Dame – après y avoir été formé, professeur au grand séminaire de son diocèse d’incardination, il disposait d’une pleine légitimité pour écrire une monographie sur cette institution musicale10. Sa carrière prend pourtant un autre tour dès avant cette publication : chanoine honoraire en 1890 alors qu’il n’était que trentenaire11, cet ancien élève de Louis Duchesne
Alexandre Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres du ve siècle à la Révolution, Chartres, Librairie R. Selleret, 1899. 6 Les renseignements qui suivent sont extraits de la nécrologie du chanoine Clerval rédigée par Mgr HenriXavier Arquillière dans la Revue d’histoire de l’Église de France, V, no 29, 1914-1919, p. 701-702. 7 Cf. la liste de ses travaux dressée par Pierre Bizeau et Édouard Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », Bulletin de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, CVIII/3, 1964, no 14, p. 1-63. 8 Alexandre Clerval, Guide chartrain. Chartres, sa cathédrale, ses monuments, Chartres, Maison des Clercs de Notre-Dame, [1896]. Cet ouvrage connut ensuite plusieurs rééditions jusqu’en 1948 et une traduction en anglais (1926). 9 P. Bizeau et É. Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », art. cit., p. 3-4. 10 D’autres auteurs de monographies de maîtrise publiées à la même époque occupaient aussi une position attenante à la structure dont ils écrivaient l’histoire : l’abbé François-Léon Chartier (L’ancien chapitre de NotreDame de Paris et sa maîtrise, Paris, Librairie académique Perrin et Cie, 1897) était « du clergé de Paris », l’abbé Bourdon (co-auteur de l’Histoire de la maîtrise de Rouen, Rouen, Imprimerie Espérance Cagniard, 1892) était maître de chapelle de la cathédrale de Rouen, l’abbé Marcault (« Les psallettes dans le diocèse de Tours avant la Révolution », Bulletin de la Société archéologique de Tours, II, 1911-1912, p. 251-265) était chanoine de la cathédrale et l’abbé Prévost (« Histoire de la maîtrise de la cathédrale de Troyes », Mémoires de la Société académique d’agriculture des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube, no XLII, 1905, p. 213-371) était curé au diocèse de Troyes. Pour ces années-là, seul Louis Narbonne (« La Maîtrise et la Chapelle de musique de SaintJust », Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne, no VI, 1896, p. 1-17) s’écarte de ce profil d’auteur très caractérisé en faisant profession d’avocat. 11 Cette nomination fut une des manifestations du soutien de l’évêque de Chartres apporté à Clerval, alors en pleine ascension ; P. Bizeau et É. Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », art. cit., p. 52. 5
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soutint en 1895 une thèse de lettres sur Les Écoles de Chartres du ve au xvie siècle12 qui le conduisit la même année à devenir chargé de cours d’histoire ecclésiastique du Moyen Âge à l’Institut catholique de Paris, thèse dont la version éditée fut chaleureusement reçue13. Clerval deviendra par la suite professeur-adjoint (1900) puis professeur titulaire de cet établissement (1909)14 : c’est depuis cette chaire qu’il entamera la publication du Registre des procès-verbaux de la Faculté de théologie de Paris des débuts du xvie siècle15, confirmant ainsi son accession au rang d’une érudition académique rayonnant largement au-delà du périmètre de la province d’adoption de ce franc-comtois d’origine. Cette étude portant sur un haut lieu de l’histoire intellectuelle du Moyen Âge continue d’être citée parmi les travaux récents relevant de ce domaine, ceux-ci pérennisant de fait la stature savante du chanoine Clerval. Ayant connu une fortune similaire16, son livre sur « l’ancienne maîtrise » de Chartres se situe à la jonction des deux dimensions de sa carrière, à l’image de la signature de la dédicace juxtaposant les qualités de « Supérieur de la Maîtrise » et de « Professeur d’Histoire ecclésiastique à l’Institut catholique de Paris ». Parmi les traits rapprochant l’ouvrage de Clerval de productions analogues figure son plan général, en l’occurrence une fresque chronologique (laissant place néanmoins à quelques développements thématiques) stoppée par la Révolution, traumatisme pour l’historiographie ecclésiastique sous la IIIe République, au point d’être perçue comme un inexorable terminus a quo. Par ailleurs, le livre de Clerval n’est pas exempt des imprécisions formelles constatables dans les brochures d’antiquaires médiocrement exigeants (rareté des notes de bas de page, flou chronologique passager)17. Ce livre se distingue cependant de cette veine par l’ampleur de son arc chronologique (le chanoine associe la « maîtrise » aux origines des Écoles épiscopales médiévales), l’insertion de pièces justificatives et de documents variés (une reproduction de vitrail, la transcription d’une épître farcie)18 de même que par la richesse des sources mobilisées19. Malgré tout, la présentation et la tonalité générale du texte trahissent l’intention mémorielle de l’auteur et sa tentative de renouer le fil rompu par la dissolution sous la Révolution de la psallette d’Ancien Régime. Une fois la page de titre passée, c’est par une sorte de stèle commémorative
12 Alexandre Clerval, Les Écoles de Chartres au Moyen-Age du ve au xvie siècle, Chartres, Librairie R. Selleret, 1895 (= Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, XI). 13 Voir le compte-rendu de Lucien Auvray dans Bibliothèque de l’École des Chartes, LVII/1, 1896, p. 591-596. 14 Louis Prunel, « Monsieur l’Abbé Clerval », Bulletin de l’Institut catholique de Paris, IX, 1918, p. 218. 15 Alexandre Clerval (éd.), Registre des procès-verbaux de la Faculté de théologie de Paris, t. I : 1505 à 1523, Paris, V. Lecoffre – J. Gabalda, 1917. 16 L’ouvrage de Clerval sur l’ancienne maîtrise a été régulièrement cité dans les études sur la musique et les musiciens d’église produites depuis le milieu du xxe siècle, jusqu’à devenir une ressource essentielle pour un article tel que celui de Nicole Goldine, « Les heuriers-matiniers de la cathédrale de Chartres jusqu’au xvie siècle. Organisation liturgique et musicale », Revue de musicologie, no LIV/2, 1968, p. 161-175. 17 Au contraire, la thèse de Clerval respecte les exigences formelles de l’érudition académique même si elle fit l’objet de critiques ; cf. par exemple Y. Delaporte, « Clerval, Alexandre », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzey & Ané, 1953, vol. XII, col. 1459. 18 Une épître est dite « farcie » lorsque son texte latin est entrecoupé par des interpolations éventuellement en langue vernaculaire. 19 Elles sont énumérées dans une section à part (p. xvii-xx).
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Fig. 1. Alexandre Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit. (non paginé)
que Clerval mobilise l’attention de son lecteur (Fig. 1), une stèle honorant les deux prêtres qui, précisément, furent à l’articulation des deux âges de la maîtrise. Le dialogue institué par l’auteur entre époques anciennes et son propre monde est d’ailleurs thématisé dans sa lyrique dédicace à l’évêque de Chartres, Mgr Mollien : Derrière eux [les enfants de la psallette ancienne], j’entrevoyais, avec quel amour ! leurs successeurs, ceux qui ont relevé si noblement leur vieil honneur et qui tiennent si bien leur place dans l’Église de Chartres. Je fus des leurs, j’en suis encore. En m’occupant de leurs ainés, je revenais vers eux, vers cette famille bénie que Dieu m’a prêtée, et je reprenais cœur à ma rude besogne20.
Les événements agitant l’enseignement confessionnel autour de 1900 intensifient encore cette tendance. Lecteur à la fin de sa vie de L’Action française21, le chanoine s’intéressa à l’histoire de la maîtrise chartraine peu après les commémorations du centenaire de la République et dans un contexte de durcissement des rapports entre l’Église et l’État. Au moment des préparatifs et de l’application de la loi de Séparation, ses discours lors de la remise des prix annuelle de l’Œuvre des Clercs de Notre-Dame établissent une équivalence évidente à ses yeux entre la situation de la maîtrise sous la Révolution et celle qu’il A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., « A sa Grandeur Monseigneur Mollien », non paginé. La réponse de l’évêque publiée par Clerval confirme ce point de vue en reconnaissant « [les] petits Clercs » de la fin du xixe siècle comme les « successeurs de nos anciens enfants d’aube ». 21 Voir sa lettre « à un ami chartrain » (30 janvier 1918), dans P. Bizeau et É. Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », art. cit., p. 60. Pour un aperçu de sa lecture politico-religieuse de la Révolution, cf. également Alexandre Clerval, « Les cinq premières années de la Révolution dans la commune de Vyt-lèsBelvoir (Doubs), 1790-1795 », Revue de l’Institut catholique de Paris, no XIII, 1908, p. 116-133. 20
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vivait22. Le projet de Clerval paraît donc animé d’emblée par une tension caractéristique de l’historiographie ecclésiastique du xixe siècle : sa conscience de la distance irréductible entre l’avant et l’après-Révolution (signalée par la nette différenciation entre « l’ancienne » maîtrise et « la maîtrise moderne ») est contrebalancée par la volonté de fusionner ces deux âges au travers de son écriture, sinon par le biais de l’activité des Clercs de Notre-Dame, forme nouvelle d’une entité maîtrisienne supposément intemporelle. Cette continuité idéalisée est renforcée par une autre caractéristique de l’étude de Clerval. Pour l’époque courant du xive siècle à la Révolution, son plan découpe la maîtrise comme si elle avait été un organisme complet, autonome à défaut d’être indépendant. À la manière d’un chapitre, la maîtrise de Chartres est sondée par Clerval depuis ses membres, les enfants, jusqu’à ses « dignités », les maîtres de grammaire et d’écriture. Puis viennent les domaines d’activité des enfants (études musicales, chant des offices, rôle dans les cérémonies) avant d’aborder le règlement et le temporel de la maîtrise. Si l’on ajoute à ce tableau la peinture de ses derniers jours sous la Révolution et l’existence dans ses rangs d’un « petit saint »23 au milieu du xviie siècle, la maîtrise se mue en réplique miniature du chapitre « qui l’avait fondée et entretenue »24 et à qui elle survivra pendant plus de deux ans (1791-1793). Ce parti pris est conforté par l’association aux enfants, personnages principaux de cette histoire, du personnel musical adulte de la cathédrale. Bien qu’ils relevaient de statuts ecclésiastiques et professionnels différents et qu’ils ne dépendaient pas de la psallette25 – ce dont Clerval avait conscience –, ces musiciens sont implicitement amalgamés à la maîtrise, celle-ci étant alors gratifiée d’un poids exagéré au regard de sa configuration réelle. Parée de tels atours, « l’ancienne maîtrise » finit par évoquer l’école pour clergeons qu’elle était au Moyen Âge, ou par ressembler à la nouvelle maîtrise, sorte de petit séminaire spécifiquement musical que Clerval connaissait pour y avoir été élève avant de le diriger26. Alexandre Clerval, « La Maîtrise de Chartres et la Révolution », La voix de Notre-Dame de Chartres, (août 1902), p. 179 et « Histoire de la maîtrise de la cathédrale de Chartres de la Révolution à 1853 », La voix de NotreDame de Chartres, août 1907, p. 173-174. 23 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 207. 24 Ibid., p. 272. Sur le chapitre cathédral de Chartres, voir l’étude fondatrice de Michel Vovelle, « Un des plus grands chapitres de France à la fin de l’Ancien Régime : le chapitre cathédral de Chartres », Actes du 85e congrès national des sociétés savantes, Paris, Imprimerie nationale, 1961, p. 234-278. 25 Les musiciens du chapitre cathédral de Chartres étaient génériquement désignés sous le nom d’heuriersmatiniers. Ils pouvaient jouir de bénéfices réservés (douze prébendes rattachées à la chapelle de Saint-Piat et constituées en chapitre, douze prébendes rattachées à la chapelle de Saint-Nicolas) ou être employés comme gagistes. Grâce à ces nombreux musiciens auxquels s’ajoutaient les dix enfants de chœur, le corps de musique chartrain était un des plus importants du royaume à la veille de la Révolution. Cf. Pierre Mesplé, « Musique et musiciens d’Église dans le département de l’Eure-et-Loir autour de 1790 », (consultation le 2 janvier 2017). 26 En revanche, dans son Guide chartrain rédigé sur un ton plus sobrement descriptif, Clerval marque la différence entre l’ancienne et la nouvelle maîtrise en indiquant la redéfinition opérée au moment de la fondation de cette dernière : « [la Maîtrise de Notre-Dame de Chartres] est aussi ancienne que la cathédrale même et l’on suit sa trace dans le passé jusqu’au commencement du xie siècle. Un peu éclipsée après la Révolution, elle a repris depuis 1853 une vie et une forme nouvelles. À cette époque, sans cesser d’être Maîtrise, elle est devenue une école cléricale. Elle accepte depuis lors des enfants de tous pays (de dix ans et demi à douze ans et demi), désireux de devenir prêtres, mais incapables de subvenir aux frais de leur éducation, à condition qu’ils sortent de familles chrétiennes et présentent d’exceptionnelles garanties d’intelligence et de piété » ; A. Clerval, Guide 22
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La chronique des heures révolutionnaires de la maîtrise de Chartres essentialise pareillement la maîtrise. Après avoir laissé penser que les départs volontaires de plusieurs musiciens adultes en 1791 furent causés par l’arrivée du clergé constitutionnel27, Clerval retrace les efforts de ceux qui restèrent, et du maître de musique Desvignes spécialement, pour maintenir suffisamment d’enfants et de chantres au service d’une activité réduite mais persistante. Face aux difficultés matérielles grandissantes, l’épuisement des bonnes volontés s’étire jusqu’à la péripétie finale : Le 15 novembre [1793], l’église [cathédrale] était fermée, et quelques jours après, convertie en Temple de la Raison ! Tous les serviteurs étaient supprimés, le 31 janvier 1794. Renou, l’enfant de chœur, placé chez Dauphinot le 20 brumaire (10 novembre 1793), fut renvoyé à son père le 20 pluviôse (8 février 1794), et reçut 16 livres pour avoir porté la croix pendant deux mois. Il ne restait plus à la Cathédrale que le sacristain Chambrette et Martin, l’accordeur d’orgue : il n’y avait plus d’enfants ! La Maîtrise était tout entière engloutie dans le gouffre révolutionnaire28.
Laissé à la contemplation de ce tableau désolé, le lecteur ne peut que deviner l’ère de la « maîtrise moderne »29 que le chanoine Clerval tentait de lier spirituellement à « l’ancienne ».
Interroger la base La base Muséfrem suggère, par sa conception même, une perspective différente de celle de Clerval. Constituée majoritairement à partir des dossiers préparés par les musiciens d’église réclamant pensions ou gratifications dès 179030, elle prend l’individu comme unité d’enquête (et non leurs institutions de rattachement) et conduit à rédiger des chartrain, op. cit., p. 198. La proximité d’ambition entre l’Œuvre et les petits séminaires du diocèse de Chartres ne fut pas sans poser problème à plusieurs reprises : après une première crise en 1861, Clerval eut lui-même à en affronter une en 1900 ; P. Bizeau et É. Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », art. cit., p. 4. Cependant, la loi de Séparation de 1905 provoqua le rapprochement de ces institutions : après leur expropriation, les élèves et professeurs des petits séminaires de Nogent et de Saint-Chéron furent accueillis dans le nouveau bâtiment de l’Œuvre inauguré peu avant la promulgation de la loi. 27 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 274. 28 Ibid., p. 286. 29 Celle-ci bénéficiera ultérieurement d’une monographie : Alexandre Clerval, L’Œuvre des Clercs de NotreDame de Chartres, 1853-1885. Les fondateurs, ses élèves, histoire et souvenirs, Chartres, Maison des Clercs de NotreDame, 1910. Dénué d’imprimatur, cet ouvrage fut publié au moment de l’installation définitive de Clerval à Paris, à partir de laquelle ses relations avec son évêque se relâchèrent manifestement ; cf. P. Bizeau et É. Jeauneau, « Bibliographie du chanoine Alexandre Clerval », art. cit., p. 57, n. 64. Cette nouvelle structure, dont les prestations musicales ont été brocardées par Huysmans dans La Cathédrale (1898), mériterait à elle seule un travail de fond tant son mode de fonctionnement et son rayonnement sur le diocèse et au-delà semblent singuliers. 30 Sur la constitution de cette base et les méthodes employées pour son enrichissement, voir Bernard Dompnier, Sylvie Granger et Isabelle Langlois, « Deux mille musiciens et musiciennes d’Église en 1790 », Histoires individuelles, histoires collectives. Sources et approches nouvelles, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2012, p. 221-236. Les recherches menées par les contributeurs de la base ont également conduit à l’examen de sources périphériques à ces dossiers (registres capitulaires de la fin de l’Ancien Régime, registres BMS puis d’état-civil, presse…).
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notices biographiques en s’aidant de documents émanés de structures ecclésiastiques ou administratives diverses, ainsi que de textes rédigés par les musiciens. Alors que Clerval se fondait exclusivement sur des sources développant un point de vue institutionnel unique (celui du chapitre cathédral ou celui des administrations à partir de 1790)31, la base Muséfrem permet, pour une personne en particulier, de rayonner en partant d’elle. De surcroît, les potentialités de cet outil numérique invitent à croiser les données individuelles et, ainsi, à considérer chaque musicien selon plusieurs dimensions (la succession de ses employeurs, son environnement familial, ses relations avec d’autres musiciens…), possibilités multipliées quand on bénéficie du privilège d’accéder à l’intégralité des pièces d’archives transcrites au cours de l’enquête préalable à la rédaction des notices. L’autre critère différenciant tient à la périodisation : là où le postulat implicite de Clerval arrête en apparence sa recherche en 179432, la base Muséfrem recueille des données ultérieures, bien que de manière non systématique. Grâce au matériau qu’elle recèle33, deux tournants dans l’histoire dressée par le chanoine Clerval ont été interrogés à nouveaux frais. Le premier se situe à une date inconnue, vraisemblablement au printemps 1791, alors que se met en place le versement des pensions ecclésiastiques. Un tableau récapitulant les musiciens au service de la cathédrale et de la collégiale Saint-André de Chartres en regroupe sept sous la catégorie « Musiciens et chantres qui volontairement se sont retirées [sic] »34. Ayant consulté ce document, Clerval y trouve le moyen d’insinuer une réaction délibérée de ces démissionnaires35 face à la mise en œuvre de la Constitution civile du clergé : Tous les musiciens ne restèrent pas avec le clergé intrus. Houbron, les deux Chartier, Romereu, Muguet, Doineau, Blanchet, se retirèrent et le chœur ne compta plus que seize musiciens36.
Dans cette liste, le joueur de serpent Félicien Chartier pourrait avoir préféré éviter une collaboration avec le clergé constitutionnel. Prêtre d’un âge déjà avancé (68 ans), il Dérogeant aux principes académiques, Clerval ne mentionne dans sa liste de sources manuscrites que celles relatives au clergé de la cathédrale. Le chapitre sur « Les derniers jours de la maîtrise sous la Révolution » atteste pourtant qu’il connaissait le fonds révolutionnaire des Archives départementales d’Eure-et-Loir. 32 Ce n’est que dans ses discours puis dans son étude sur la « maîtrise moderne » que Clerval exploitera des sources postérieures. 33 La rédaction de cet article n’a été possible que grâce à l’octroi par les responsables de la base d’un accès à la consultation des notices-documents et des notices-personnes des musiciens de la cathédrale de Chartres. Celles-ci ont été rédigées principalement par Pierre Mesplé dans le cadre de son Master 2 d’histoire (Musique et musiciens d’Église en Eure-et-Loir autour de 1790, sous la direction de S. Granger, Université du Maine, 2014). 34 Arch. dép. Eure-et-Loir, L 554 (transcription consultée sur la base de données Muséfrem). 35 Le caractère volontaire de la démarche de ces individus est évidemment sujet à caution : un éloignement imposé à la suite d’un refus de serment pour ceux qui étaient prêtres n’est pas à exclure. 36 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 274-275. Dans son ouvrage de 1910 sur la « maîtrise moderne », Clerval infère pareillement que « pour garder sa pension, [Boucher] produisit un certificat de civisme en 1793 » ; A. Clerval, L’Œuvre des Clercs de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 6. Le seul musicien pour qui un refus de serment est attesté est Michel Delalande, ancien maître de musique remplacé par Desvignes en 1785 tout en continuant à pallier ponctuellement les absences de ce dernier ; cf. « Delalande Michel (1739-1812) », dans Muséfrem – Base de données prosopographique des musiciens d’Église au xviiie siècle, [consultation le 2 janvier 2017]). 31
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venait de perdre son canonicat de Saint-Piat à la suite de l’abolition de l’économie bénéficiale et n’avait peut-être rien à attendre de bon du nouveau système37. Si sa trace se perd, celle de son frère Charles Abraham a été retrouvée dans les listes de récipiendaires de pensions ecclésiastiques en 1799. Sorte de double de son aîné (joueur de serpent, prêtre, prébendier), il n’adopte toutefois pas la même stratégie au moment de son retrait : plutôt que l’effacement, il opte pour l’existence non clandestine d’un ecclésiastique pensionné38. L’hypothèse soustendue par Clerval d’une opposition au clergé constitutionnel est encore plus nettement fragilisée à l’examen de la trajectoire d’un autre démissionnaire, Michel Doineau. Après sa formation comme enfant de chœur à la cathédrale de Chartres (1775-1786), il servira dans cette église en qualité de haute-contre en bénéficiant d’un canonicat de Saint-Nicolas. Âgé de 23 ans au moment de son départ volontaire de la cathédrale, il réoriente alors son existence. Son mariage à Chartres (4 messidor an II) marque l’abandon de sa place, alors que le célibat était une condition imposée par le ci-devant chapitre à tout serviteur musical, y compris les laïcs. De plus, sa tessiture aiguë était suffisamment recherchée pour lui ouvrir des perspectives de poursuite de carrière. Sans qu’il soit possible de la reconstituer, celleci le conduit entre 1808 et 1813 à prendre part à l’exécution de Te Deum à Notre-Dame de Paris alors que Desvignes était maître de musique de cette église… Si tant est que Doineau ait refusé en conscience de travailler pour le clergé constitutionnel chartrain, la Révolution favorisa la sécularisation de son existence et le déploiement de sa carrière hors de sa ville d’attache. Ce premier rapprochement entre Clerval et les données de la base Muséfrem sur les musiciens chartrains révèle que les réactions « idéologiques » et collectives, si facilement invocables pour la période de la Révolution, dissimulent des conduites individuelles suffisamment nuancées dans le détail pour faire émerger des logiques d’action différenciées. Un second point de comparaison est encore plus éclairant à cet égard : le devenir de « l’ancienne maîtrise ». Non sans quelque théâtralité, Clerval donne à penser que la disparition de la maîtrise d’Ancien Régime s’opéra selon le mode de l’engloutissement par le monstre révolutionnaire qui, dans un même mouvement, était en train de dévorer la totalité du monde ancien. Une fois les biens de la maîtrise chartraine vendus et son personnel dispersé, il ne restait plus au monde nouveau (celui de Clerval et de son lectorat) qu’à reconstruire avec le double appui de la science et de la tradition. Or, le suivi des musiciens
Il en va de même de François Rommeru (et non Rommereu), né au début des années 1730, clerc tonsuré du diocèse de Chartres dont il servira le chapitre cathédral jusqu’à son inscription parmi les volontaires au départ dans la liste de 1791. Bien que nettement plus jeune (sa naissance remontant probablement à 1763), le joueur de serpent Louis Blanchet pourrait avoir suivi la même voie que Rommeru et Félicien Chartier : autorisé à aller recevoir le diaconat à Rouen en mars 1790, il se démet volontairement de ses fonctions avant de disparaître totalement des sources dépouillées dans le cadre de l’enquête prosopographique sur les musiciens d’église en 1790. Cependant, les hypothèses relatives à ces figures s’évanouissant après 1791 nécessitent d’être confortées par l’apport de nouvelles sources : le silence à leur sujet dans la documentation privilégiée par la base Muséfrem ne signifie pas obligatoirement leur marginalisation ou leur passage dans la clandestinité. 38 Le sexagénaire Pierre Houbron, clerc titulaire d’un canonicat de Saint-Piat et chanteur basse-contre, réagit de même que Charles Abraham Chartier. Ne cherchant pas à maintenir son activité, il opte de fait pour une pension qu’il touche encore en 1799. Ce profil et cet itinéraire sont partagés par Julien Muguet, haute-contre né en 1734 et clerc du diocèse de Nantes, qui se retire volontairement de l’effectif musical de la cathédrale avant d’être pensionné au moins jusqu’en 1801. 37
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chartrains par le truchement des documents transcrits de la base Muséfrem jette un tout autre éclairage sur cette situation. Le cas de Pierre Desvignes (1764-1827), dernier maître de musique de « l’ancienne maîtrise », est peut-être le plus exemplaire39. Clerval en fait le principal artisan du maintien coûte que coûte d’une activité musicale à la cathédrale de Chartres après 1790 : Desvignes réclamant des financements pour les musiciens, faisant commander des habits pour les enfants de chœur, proposant tous les arrangements, voire tous les sacrifices possibles pour que ne s’éteigne pas la maîtrise. Bien que suspecté par Clerval d’avoir suivi « les idées modernes »40 au motif qu’il prit part à des concerts donnés à l’Hôtel-de-Ville, le chanoine dépeint ce « clerc tonsuré du diocèse de Dijon » comme s’étant « acquitté dignement de sa charge » avant de décrire « comment il fut traité par la Révolution »41. L’examen de la carrière complète de Desvignes ne permet pas de douter de ses efforts à Notre-Dame de Chartres, dont le chapitre l’emploie comme maître de musique à compter de 1786 après qu’il ait occupé cette fonction à la cathédrale d’Évreux (1783-1786). Son parcours se déroule néanmoins sous le signe et, peut-être, sous la protection d’une personnalité musicale extérieure à ces deux villes : Jean-François Lesueur (1760-1837). À peine plus jeune que ce dernier, Desvignes le connut en fin de son apprentissage musical à la cathédrale de Dijon. Lesueur parvint ensuite à la cathédrale du Mans (1782) et à Saint-Martin de Tours (1783), quelques mois avant que Desvignes n’obtînt une place à la cathédrale d’Évreux. Installé à Paris en 1787 comme maître de musique de la cathédrale Notre-Dame, Lesueur se dédia sous la Révolution à la composition d’œuvres lyriques ou civiques, tout en intégrant en tant qu’inspecteur le Conservatoire récemment fondé (1795). Et c’est naturellement dans son sillage que se glisse Desvignes après son départ de Chartres. Activité dans les théâtres de la capitale, professeur de solfège au Conservatoire qu’il quitte au même moment que Lesueur, maître de musique à Notre-Dame à la suite de ce dernier : les étapes de son itinéraire sont toutes liées à Lesueur jusqu’à sa nomination comme membre associé de l’Académie de Dijon (1820) sur proposition de son aîné ! Un mémoire publié en 1802 pour défendre Lesueur lors de ses démêlées avec Sarrette au conservatoire prétend encore que Desvignes « était sur le point de succéder à Le Sueur dans la métropole de Paris, lorsque le chapitre de Notre-Dame fut supprimé »42. Plutôt que confondre son destin avec celui de la maîtrise qu’il dirigeait (ce que Clerval suggère), Desvignes devait considérer son séjour chartrain comme une position d’attente que la tourmente des années 1792-1793 prolongea plus que prévu, avant que ne reprenne son cheminement dans les pas de Lesueur. Là ne s’arrêtent pas les convergences de musiciens au-delà de la maîtrise chartraine exaltée par Clerval, puisque Desvignes devint à son tour le poisson-pilote d’anciens serviteurs du chapitre chartrain. C’est en apparence son arrivée à Notre-Dame de Paris qui explique que Le développement qui suit repose sur la notice biographique « DESVIGNES Pierre Louis Augustin (17641827) », dans Muséfrem – Base de données prosopographique des musiciens d’Église au xviiie siècle, (consultation le 18 avril 2015). 40 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 104. 41 Ibid. 42 Charles-Pierre Ducantel, Mémoire pour J.-F. Le Sueur, Paris, Impr. de Goujon fils, an XI, 1802, p. 208 (transcription consultée sur la base de données Muséfrem). 39
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Louis Pichot, musicien haute-contre à la cathédrale de Chartres de 1776 jusqu’en 1793, figure parmi les interprètes des œuvres exceptionnelles dirigées par Desvignes lors des cérémonies d’action de grâce sous l’Empire. Doineau, autre chanteur haute-contre, suivit cette voie, tout comme le jeune Jean-François Hoyau : enfant de chœur placé en apprentissage peu avant la disparition de « l’ancienne maîtrise »43, il est désormais un chantre adulte rejoignant avec sa voix de taille les imposants effectifs vocaux conduits par Desvignes. Son amorce de reconversion en 1793 sous la forme d’un placement auprès d’un artisan ne l’avait donc pas suffisamment éloigné de la pratique musicale pour qu’il oublie le métier auquel il était promis et le maître qui le lui avait transmis. Les relations tissées entre les ci-devant serviteurs du chapitre de Chartres contribuèrent aussi à garantir leur insertion dans la vie musicale locale après l’arrêt de l’activité cultuelle catholique à la cathédrale. La fête pour l’ouverture des Écoles centrales de la ville, en novembre 1798, fut donnée en musique, ce qui provoqua la réunion d’une trentaine de musiciens dont de nombreux anciens de la cathédrale. D’après leur liste44, la plus forte somme fut touchée par Pierre Marie Boucher (1743-1828), ce qui pourrait indiquer qu’il dirigea voire composa la musique exécutée45. À l’issue d’une carrière presque entièrement effectuée à Chartres, ce musicien est rejoint pour l’occasion par des collègues ayant pareillement passé leur vie à l’ombre de Notre-Dame et partageant une identique tessiture vocale grave (Élie Brazon, Jean Caillot, Lucien Gaillard et Thomas Macé, musiciens non-prébendés ; Louis Delafoy, ancien chanoine de Saint-Piat). D’autres profils se laissent distinguer dans l’effectif musical ad hoc de cette fête : celui de deux des derniers enfants de chœur de la cathédrale, Jean-François Hoyau et Antoine Maheux ; celui du prébendier haute-contre Edme Dupont ; et celui des symphonistes, ces joueurs d’instruments dont plusieurs étaient ponctuellement requis par le chapitre sous l’Ancien Régime. La plupart de ces anciens musiciens de la cathédrale impliqués dans cette fête ne pouvaient probablement prétendre à une carrière hors de Chartres soit à cause de leur jeunesse (les anciens enfants de chœur), soit en raison de leur tessiture trop commune (les chantres basses, dont les compétences se limitaient peut-être au plain-chant). Il n’est d’ailleurs pas surprenant que, au cours de son étude de la « maîtrise moderne », Clerval les ait reconnus au lutrin de la cathédrale presque vingt ans après leur éparpillement46 : leur horizon de carrière était bel et bien circonscrit à la ville où ils étaient habitués à travailler. Leurs retrouvailles musicales en 1798 pourraient aussi résulter de rapports privilégiés établis entre A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 285. Arch. dép. Eure-et-Loir, L 377-g (transcription consultée sur la base de données Muséfrem). 45 D’après sa notice biographique (« BOUCHER Pierre Marie (1743-1828) », dans Muséfrem – Base de données prosopographique des musiciens d’Église au xviiie siècle, [consultation le 2 janvier 2017]), le talent de compositeur de Pierre Boucher fut reconnu dès sa sortie de maîtrise à Chartres (1759) et à plusieurs reprises lors de ses années passées au service du chapitre de Notre-Dame, et ce sans avoir jamais été maître de musique de la cathédrale. 46 A. Clerval, L’Œuvre des Clercs de Notre-Dame, op. cit., p. 8, n. 3. Parmi les noms de chantres cités par Clerval pour la période 1821-1823 figurent Delafoy, Macé et Maheux comme premier serpent. Plus polyvalent, Boucher était également resté au service de la cathédrale au moins jusqu’en 1821 ; ibid., p. 7. La carrière chartraine de ces chantres leur assurera une réputation dont Clerval entretenait les élèves de l’Œuvre des Clercs de Notre-Dame ; A. Clerval, « La Maîtrise de Chartres et la Révolution », art. cit., p. 182-183. 43 44
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eux. Delafoy, Dupont, Gaillard, Macé et Maheux signent ainsi l’acte de mariage de Boucher le 5 juin 179247. Ces liens amicaux sont susceptibles d’avoir été doublés par une solidarité professionnelle durable qu’Edme Dupont exprima au commencement de la Révolution. D’origine lorraine, cette forte personnalité entre au service du chapitre cathédral de Chartres à une date inconnue comme musicien haute-contre avant d’être gratifié d’un canonicat de Saint-Piat en 1784. Présent chez Clerval parmi les musiciens des dernières heures chaotiques de « l’ancienne maîtrise »48, il semble faire preuve d’une inébranlable détermination à servir son église. Si tel fut le cas, Dupont n’agissait cependant pas sans esprit critique ainsi que l’atteste sa lettre à Necker du 12 mars 178949. Par sa démarche, Dupont entendait faire valoir les droits du « Corps des chantres et musiciens attachés aux Eglises cathédrales et collégiales et a quelques communautés Regulieres » dans le processus de désignation des représentants aux États Généraux. Ses revendications s’élargissent ensuite à la condition de musicien d’église non prébendier (préservation des revenus affectés aux musiciens au sein de chaque chapitre, droit à une pension en cas de perte de voix en cours de carrière, condamnation de l’obligation au célibat50, contestation des pointes abusives)51. Cette réclamation directement adressée à la figure emblématique du réformisme économique et du libéralisme politique à la veille de l’ouverture des États Généraux laisse entrevoir une indéniable conscience des droits d’une « corporation » sans statut mais bien réelle pour Dupont52. À ce titre, le réseau local des anciens musiciens de la cathédrale n’était pas seulement le produit d’une cohésion professionnelle en des temps difficiles : sa solidité devait aussi dépendre du dynamisme de certains de ses membres, et de leur sentiment toujours vif de constituer – une fois disparue leur matrice institutionnelle – une catégorie sociale et culturelle à part entière.
Histoire des mouvements, histoire en mouvement Il serait tentant d’opposer en termes idéologiques les deux modèles historiographiques ici illustrés. Au propos orienté en fonction d’un environnement politico-religieux fortement polarisé succèderait l’étude déconfessionnalisée et, de ce fait, débarrassée de toute contrainte 47 Arch. dép. Eure-et-Loir, 3 E 085/065 (transcription consultée sur la base de données Muséfrem). D’autres musiciens encore en activité à la cathédrale étaient également présents, dont le maître de musique Desvignes. 48 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 285. 49 Collection générale des procès-verbaux, mémoires et autres pièces concernant les députations à l’Assemblée nationale de 1789, Arch. nat. BIII/45, p. 407-411 (transcription de François Caillou consultée sur la base de données Muséfrem). 50 Parlant au nom de l’ensemble des « musiciens d’Eglise, citoyens, membres et Enfans de la patrie », Dupont fait du célibat obligé un problème général qui ne concernait réellement qu’une petite partie des chapitres, dont celui de Chartres. 51 Le contrôle de la présence des musiciens au chœur lors des offices, ou « pointe », pouvait conduire à une diminution de leurs gages ou de leur part de bénéfices en cas d’absences ou de retards. 52 Dès 1772, Dupont manifesta cette inclination au cours d’une procédure l’ayant opposé à un représentant de la confrérie de Saint-Julien-des-Ménétriers censée contrôler l’activité enseignante des maîtres-instrumentistes ; Arch. dép. Eure-et-Loir, G 330, registre capitulaire du chapitre cathédral (1770-1772), 19 février, 22 février et 1er juillet 1772 (transcription consultée sur la base de données Muséfrem). D’autres exemples de musiciens revendicatifs avant et pendant la Révolution ont été mis au jour par Marie-Claire Mussat, « Les musiciens d’Église en Bretagne : des citoyens-musiciens », Revue de musicologie, no XCIV/2, 2008, p. 423-439.
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plus ou moins consciemment apologétique. Si ce trait a déjà été relevé pour de récents travaux, la base de données Muséfrem participe autrement au renouvellement des problématiques et des angles d’attaque de l’étude des musiciens sous l’Ancien Régime. Alors que le schème monographique (appliqué à une structure musicale comme à un compositeur donné) a été utilisé avec constance jusqu’à aujourd’hui53, cette ressource électronique permet d’articuler la saisie des destinées individuelles à la prise en compte de la circulation générale des musiciens d’église, de leurs affinités de réseau ou encore de leur environnement culturel et social. Et au fur et à mesure que s’ajouteront les données départementales jusqu’à couvrir l’ensemble du territoire concerné par les dédommagements des serviteurs de chapitre ou d’ordre religieux, l’exploitation sérielle de ce corpus cohérent sera possible. Clerval luimême appelait de ses vœux une systématisation de l’étude des maîtres de musique actifs en France54 : la base de données Muséfrem réalise ce rêve au-delà de ce que l’érudit chartrain pouvait imaginer. À l’heure où l’appréciation du sillon tracé par un historien tend à être confondue avec le comptage de publications mitigé par d’improbables facteurs d’impact, la reconfiguration d’un champ de recherche ainsi que l’enrichissement des méthodes et des outils corrélés à son exploration forment le don de Bernard Dompnier à la communauté des chercheurs intéressés par la musique et les musiciens d’église à l’époque moderne. Et ce don paraît procéder de la plus respectable des aspirations : avec patience et persévérance, encourager l’accroissement de la connaissance à la lumière de son propre savoir. Xavier Bisaro Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR/UMR 7323) Université de Tours
53 Dans les années 1970, le séminaire de François Lesure à l’École Pratique des Hautes Études constitua un foyer de renouveau des études des corps de musique d’église à l’époque moderne. Or, le bilan dressé dans ce cadre par M.-N. Colette dut faire substantiellement appel à des monographies produites du temps de Clerval ; voir MarieNoël Colette, « L’organisation des maîtrises ecclésiastiques sous l’Ancien Régime », École Pratique des Hautes Études. ive section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1975-1976, 1976, p. 568-569. D’autre part, pour un exemple de l’emploi tardif du genre monographique cultivé à l’époque de Clerval, cf. Alex et Janine Bèges, La chapelle de musique de la cathédrale Saint-Nazaire 1590-1790, Béziers, Société de Musicologie du Languedoc, 1982. 54 A. Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres, op. cit., p. 104.
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L’apprentissage vocal des enfants de chœur dans la France du xviie siècle : « la plus belle voix & plus propre au service de l’Église » La présence des enfants de chœur dans le cérémonial ecclésiastique est bien plus ancienne que l’époque baroque et ce n’est pas le lieu ici de faire une histoire des maîtrises que l’on pourra trouver dans beaucoup d’ouvrages, ni de décrire les conditions d’existence de ces enfants qui ont également fait l’objet de nombreux travaux, mais plutôt de tenter de rassembler les très rares informations que nous ayons sur la pratique vocale de ces enfants dans la France du xviie siècle et de déterminer ce que l’on attendait d’eux en terme de chant pour le service de l’Église, et plus spécifiquement ce que l’on sait de la qualité de leur voix et de leurs capacités vocales1. Dans ce domaine, il faut renvoyer au livre remarquable que Théodore Gérold publia en 1921 : L’Art du chant en France au xviie siècle2, dont la troisième partie est entièrement consacrée à l’enseignement du chant, successivement des « dispositions naturelles », de la « formation du son », de la « pose de la voix », de « l’exécution », des « ornements » et de « l’articulation ». Ce livre s’appuie principalement sur deux ouvrages anciens, le traité de l’Harmonie universelle de Marin Mersenne3 – plus particulièrement sur le « Traité de la voix et des chants » – et le Traité de la méthode ou Art de bien chanter de Bertrand de Bacilly4. L’ouvrage de Théodore Gérold, comme les sources auxquelles il se réfère, abordent le sujet de manière très générale et la part consacrée au problème spécifique de la voix d’enfant est extrêmement réduite. Pour élargir la recherche, nous nous sommes appuyé sur plusieurs autres ouvrages anciens, notamment les livres de Jean de Bordenave5 – c’est Bernard Dompnier qui m’a signalé cet ouvrage –, Annibal Gantez, Antoine de Cousu, Jean Maillard, l’abbé Lebeuf, Lecerf
1 Un premier état de ce texte a été présenté lors de rencontres avec Bernard Dompnier à la Fondazione Cini à Venise en mai 2012. Le titre s’inspire de Jean-François Pommeraye, Histoire de l’Eglise cathedrale de Rouen, Rouen, Imprimeurs ordinaires de l’Archevesché, 1686, p. 556-558, chap. xiii : « Des Enfans de Chœur ». 2 Théodore Gérold, L’Art du chant en France au xviie siècle, Strasbourg, Commission des publications de la Faculté des lettres, 1921, XV-278 p. 3 Paris, S. Cramoisy, 1636. 4 Paris, G. de Luyne, 1671, XII-430 p. 5 Jean de Bordenave, L’estat des églises cathédrales et collégiales où est amplement traitté de l’institution des Chapitres et Chanoines : des Offices divins, qu’ils celebrent au Chœur tous les jours, Paris, Du Puis, 1643.
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 197-212 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115083
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de La Viéville, Jean-Philippe Rameau, ou le traité inédit de René Ouvrard6 qui donnent quelques indications intéressantes, mais (il faut le dire) bien laconiques. En revanche, nous avons omis le traité de Jacques Cossard7, souvent utilisé dans ce domaine mais qui concerne presque exclusivement l’apprentissage de la musique et non point le chant lui-même. De toutes ces lectures, nous retiendrons l’immense difficulté que les contemporains avaient de parler de la formation de la voix et de celle des enfants en particulier. Du reste, la question ne se posait même pas : le chant (l’émission de la voix) étant en quelque sorte considéré comme un phénomène naturel, admirable en tous points. Des ouvrages entiers ont été consacrés depuis l’Antiquité à la description des pouvoirs du chant, de son emprise sur les passions humaines, de sa beauté aussi. Le chant était, comme l’eau, le feu ou les étoiles. Et la question de son apprentissage ne se discutait pas puisqu’il était naturel. Apprendre à chanter se faisait donc naturellement par imitation du maître : point besoin de traités puisque la nature pourvoyait à tout et dotait chacun d’une voix… de plus ou moins bonne qualité. C’est ce qu’indique clairement Bossuet : Un maître de musique nous le fait faire [le chant], mais ce n’est pas lui qui nous l’apprend : la nature nous l’a appris avant lui, quand elle a mis une si grande correspondance entre l’oreille qui reçoit les sons et la trachée-artère qui les forme8.
Il poursuit son explication : Il est […] aisé de connoître la différence qu’il y a entre imiter naturellement, et apprendre par art. Quand nous chantons simplement après un autre, nous l’imitons naturellement ; mais nous apprenons à chanter, quand nous nous rendons attentifs aux règles de l’art, aux mesures, aux temps, aux différences des tons, à leurs accords, et autres choses semblables9.
Pour Bossuet, et tant d’autres, apprendre à chanter consiste donc non point à chercher à comprendre l’émission et la pose de la voix, mais à assimiler les « règles de l’art », c’està-dire non point le chant lui-même, mais ce que l’on chante. D’autres grandes figures du xviie siècle étayeront cette liste des techniques, ajoutant l’ornementation, l’articulation, l’interprétation des passions, etc. tout ce que décrit finalement Théodore Gérold. Et par-delà, d’autres complèteront encore avec l’étude des modes, des consonances, des techniques de contrepoint et plus généralement tout ce qui concerne la « science de musique ». Le maître montre donc le « bien chanter », mais son explication – du moins pour ce que l’on en sait d’après les sources anciennes – se limite à l’apprentissage de ce qui doit être chanté, c’està-dire à la bonne compréhension de la partition. À l’élève donc de se frayer, seul, un chemin selon les dons qu’il a reçus de la nature. Il est pourtant quelques rares savants qui ont tenté d’examiner la question de la voix elle-même et la production du son. Mais ce ne sont ni des maîtres de chant, ni même des musiciens. À l’aube du xviiie siècle, Denis Dodart (1634-1707) fut de ceux-là. Médecin de René Ouvrard, La musique rétablie, Tours, Bibliothèque municipale, ms. 821 et 822. Jacques Cossard, Pour apprendre à chanter, Paris, l’auteur, 1633. 8 Jacques-Bénigne Bossuet, De la connoissance de Dieu et de soi-même (1722), dans Œuvres choisies, Paris, Hachette, 1868, t. 1, p. 141. 9 Ibid. 6 7
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renom, protégé du prince de Conti, membre de l’Académie royale des Sciences, il publia plusieurs ouvrages fondamentaux sur le sujet, dont un Mémoire sur les causes de la voix de l’homme en 1700 suivi de deux Suppléments respectivement en 1706 et 170710. Très respecté des musiciens de son époque, comme Sébastien de Brossard ou Étienne Loulié qui le lisent et l’encouragent, il appartient à une longue lignée de savants qui se sont intéressés à cette question. En préambule de son Premier supplément, Dodart déclare vouloir « donner à la Theologie naturelle plusieurs nouvelles preuves de l’inimitable mechanique du Créateur en ce qui regarde les tons de la voix ». Quoique Dodart ait prêté relativement peu d’attention aux caractères spécifiques de la voix des enfants, il compare néanmoins leur pratique à celle des hommes adultes. C’est pourquoi ses travaux sont intéressants pour notre propos. Ses recherches portent principalement sur l’anatomie des organes vocaux et leurs rôles dans le chant. Il pratique évidemment la dissection, mais procède surtout à des examens minutieux des chanteurs en train de chanter. Les pages qu’il a écrites sur Claude Le Gros, musicien de la Chapelle royale sous Louis XIV, sont remarquables. Il l’avait « plusieurs fois ouï avec admiration durant sa jeunesse »11. Ce qui intéressait particulièrement Dodart chez cet artiste, c’était sa capacité de pouvoir chanter avec la même qualité à la fois les registres de taille, de haute-contre et celui de dessus qu’il faisait en « fausset » – c’est-à-dire en voix de tête –, et ce sur un ambitus total de deux octaves et demi. Quant à la seule voix de « fausset » qui avait une « étendue de douze tons »12, elle était si puissante et « si éclatante » que Le Gros pouvait « soûtenir la partie de dessus contre toutes les basses d’un grand chœur de Musique »13. Dodart décrit avec soin comment procédait le musicien : [Il avait] la tête haussée & même renversée en arriere, pour donner plus de jeu aux muscles suspenseurs du larynx qui s’éleve alors inévitablement de plus en plus pour accourcir le canal exterieur14.
Ses conclusions anatomiques sont étonnantes pour l’époque. Dodart distingue nettement les différentes parties de l’organe vocal : « l’âpre artère », le larynx, la glotte, et la « double concavité composée de celle de la bouche & de celle des narines »15 qui ont chacun un rôle particulier à jouer dans le chant : la production des vibrations, la hauteur des sons et le « résonnement » [i. e. la résonnance].
Denis Dodart, « Mémoire sur les causes de la voix de l’homme et de ses différents tons », dans Histoire de l’Académie royale des sciences, 1700, p. 244-274 ; « Notes sur le Mémoire precedent », ibid., 1700, p. 254-293 ; « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Première partie », ibid., 1706, p. 136 ; « De la différence des tons… », ibid., 1706, p. 388 ; « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Seconde partie », ibid., 1707, p. 66-81. 11 D. Dodart, « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Première partie », p. 171. 12 Ibid., p. 174. 13 Ibid. 14 Ibid., p. 172. 15 D. Dodart, « Mémoire sur les causes de la voix de l’homme et de ses différents tons », op. cit., p. 249. 10
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– Le larynx se « haussant accourcit le canal extérieur & l’allonge en s’abaissant »16, ce qui produit les changements de tons, c’est-à-dire de hauteur. De même, en se mouvant de bas en haut, il permet de modifier « l’âpre artère » sur sa longueur et son diamètre. « Cet accourcissement & cet allongement se rendent sensibles par le haussement & baissement du nœud de la gorge ». Mais ces modifications de « l’âpre artère » n’ont aucune incidence sur la hauteur des tons, puisque le canal « s’allonge quand il devroit s’accourcir, & qu’il s’accourcit quand il devroit s’allonger, s’il formoit ces tons, ou s’il y répondoit ». – Dodart constate que « tous les tons viennent de la seule anche de l’homme, c’està-dire de la glotte »17. Celle-ci comporte des lèvres capables d’un « mouvement propre » et elles s’approchent « l’une de l’autre par la contraction de leurs fibres »18. – Les différents registres vocaux peuvent s’expliquer par la plus ou moins grande « ouverture de glotte » et la plus ou moins grande « profondeur de canal extérieur ». Les plus petites « ouvertures de glotte » se trouvent « dans les âges & dans le sexe les plus propres à chanter le dessus, & l’on trouvera tout le contraire dans les âges & dans le sexe […] le plus propre à chanter les parties du milieu & les basses »19. – Dodart compare également « la glotte d’un enfant de 10 à 12 ans » qu’il décrit plus petite que celle d’un « homme fait ». Il précise : « Ce n’est pas seulement la difference du petit diametre ; c’est encore & beaucoup plus la différence du grand diametre. Ces deux diametres sont toûjours beaucoup plus grands dans un homme fait, qu’ils n’étoient dans le même homme quand il étoit encore enfant »20. – Mais la glotte présente d’autres merveilles que « le Créateur a prévenu ». Comme elle est « capable de s’étressir & de se dilater », c’est elle – et non point les « poulmons » – qui permet au chanteur de réaliser la « Voix musicale ». C’est le terme utilisé par Dodart pour parler des « longs ports de voix » [i. e. tenues], ou des « longs passages composés de doubles & triples croches qui ne souffrent nulle interruption & nulle reprise d’haleine ». – C’est encore la glotte qui permet de chanter « tous les degrés de fort & de foible dans chacun des tons, & cela, par le même expédient »21. Il s’agit évidemment ici des nuances. – Dodart enfin s’est intéressé à la question de la résonnance qu’il nomme « résonnement de la voix ». Il constate que ce « résonnement » vient du canal supérieur. C’est lui qui fait toute la beauté de la voix. Il doit être mixte, car dit-il : « le résonnement de la bouche seule est très-desagreable, s’il n’est accompagné du résonnement des narines »22. – Il observe que le « résonnement nait de la proportion de la profondeur de la concavité de la bouche » et de celle des narines avec la hauteur des sons. Il parle là évidemment du palais dont il a observé la modification constante de la courbe en fonction des 16 17 18 19 20 21 22
Ibid., p. 250-251. Ibid., p. 256. Ibid., p. 261. Ibid., p. 263. « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Première partie », op. cit., p. 173. « Mémoire sur les causes de la voix de l’homme et de ses différents tons », op. cit., p. 265. « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Première partie », op. cit., p. 172.
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sons, et il prend soin de différencier le timbre produit par cette concavité variable de celui de la « réfléxion simple, comme pourroit être le résonnement d’une voûte » d’église par exemple23. Chaque partie de l’appareil vocal est minutieusement examiné et Dodart en tire des conclusions très complètes. On remarquera notamment l’importance qu’il donne au rôle de la glotte, pour les hauteurs des sons (c’est évident), mais aussi (et c’est moins évident) pour les nuances qui ne doivent pas se faire avec la force des poumons. La question de la résonnance est aussi fort bien traitée, Dodart tentant de définir le rapport de la bouche et du nez. Enfin, il étudie « la glotte d’un enfant de 10 à 12 ans » qu’il décrit plus petite que celle d’un « homme fait ». Cette analyse de Dodart est particulièrement remarquable pour l’époque. Ces différents textes du médecin représentent une centaine de pages imprimées et mériteraient une étude approfondie. Ils ont l’immense mérite de poser avec clarté les bases de toute l’étude de la voix qui se fera par la suite, et en particulièrement chez les professeurs de chant. Mais à l’époque, elle n’intéressa guère que les éminents membres de l’Académie des sciences et n’eut semble-t-il aucun écho chez les musiciens contemporains, hormis chez les théoriciens qui fréquentaient les mêmes milieux scientifiques et qui la considéraient comme objet scientifique plus que comme base d’une méthode de chant. En tout cas, aucun écho des travaux de Dodart ne transparaît dans les méthodes de chant du début du xviiie siècle, ce qui n’est pas étonnant, car ses recherches étaient alors à l’avant-garde. Évidemment, l’on regrettera dans ces travaux de Dodart l’absence presque totale d’une réflexion spécifique sur la voix d’enfant. Ils se limitent à quelques considérations strictement anatomiques, principalement pour servir de point de comparaison avec l’organe de production de la voix adulte. Les travaux de Dodart seront repris, en grande partie et de manière inattendue, par Jean-Philippe Rameau, une cinquantaine d’années plus tard dans son Code de Musique pratique. À partir de constatations physiques très proches de celles de Dodart, Rameau tente d’expliquer « l’art de former la Voix », c’est-à-dire l’art de « tirer […] les plus beaux sons dont elle est capable dans toute son étendue ». Mais il reconnaît que cette méthode n’est pas encore « usitée en France, où l’on se contente d’enseigner le goût du chant ». Il regrette que ce « défaut de connoissance fait qu’on s’en tient au hasard »24.
* * * À présent, en abordant plus directement le sujet, il nous faut tenter de comprendre ce que l’Église de France pouvait attendre, en terme de timbre vocal, de ces jeunes chanteurs qu’elle forma par milliers durant cette période et auxquels elle consacra des dépenses considérables. « Mémoire sur les causes de la voix de l’homme et de ses différents tons », op. cit., p. 251. Jean-Philippe Rameau, Code de Musique Pratique, ou méthodes pour apprendre la Musique, Paris, Imprimerie Royale, 1760, p. x-xi ; l’auteur développe plus largement le principe de la voix dans le chapitre III, « Méthode pour former la voix », p. 16 sq. 23 24
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La voix des anges Hors le chant, ces enfants, nécessaires au bon fonctionnement des offices, pourvoient à un très grand nombre de tâches « pour ayder à la célébration du Service divin », tâches qui soulagent d’autant le personnel ecclésiastique : à Notre-Dame de Paris, ils aident « à l’office par leur voix, & par les autres services que peuvent rendre des enfans »25. Ces fonctions ne sont malheureusement que rarement décrites et l’on se borne généralement à signaler qu’ils doivent « faire les autres fonctions à quoi ils sont obligez ». Ils portent la croix, les encensoirs, les chandeliers et les cierges, l’eau bénite… Pas seulement le chant donc. Dès mâtines, ils assistent à tous les offices du jour sauf lorsqu’ils sont malades. Dans certains offices, ils chantent même seuls, sans les chantres, comme en témoigne ce règlement de l’église SaintJean à Lyon : « Tous les jours après matines on y dit la Messe du jour qui est appellée la Messe de la Croix & chantée par les enfans de chœur »26. En somme, pour reprendre une formulation moderne, une main-d’œuvre corvéable et à bon marché. Mais c’est bien le chant qui faisait l’essentiel de leur charges. Comme l’indique l’abbé Lebeuf (1687-1770), « les enfans […] ont toujours fait l’ornement du Chant Ecclésiastique »27. Les raisons avancées pour ce choix sont rarement d’ordre musical. Mais certaines méritent d’être soulignées. Ainsi Jean de Bordenave, chanoine de Lescar, reconnaît en 1643 que : [Les enfants] qui [sont] comme l’âme de la musique [et qui] tiennent le dessus, donnent tant de grâce au chant et une vigueur si grande pour exciter le peuple à la dévotion qu’ils ornent et accomplissent toute l’harmonie par leurs tons angéliques28.
Les termes choisis sont intéressants : les enfants ajoutent donc de la grâce au chœur, mais aussi de la vigueur. Ils ornent l’harmonie et produisent des tons angéliques. Cependant, le maître de chapelle de la cathédrale d’Auxerre, Annibal Gantez, semble leur reprocher de chanter et de pleurer « le plus souvent tout ensemble »29. Lecerf de La Viéville, au début du xviiie siècle, développe cette idée dans sa Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise. Là, le timbre et le caractère de la voix d’enfant sont comparés à ceux des castrats qui tiennent les parties de dessus – « malheur terrible » – dans les églises d’Italie et qui « pipent éternellement » [i. e. qui crient]. Lecerf juge que « ces enfans de chœur [des églises de France] ont bien plus de dessus [qu’eux], dessus agréables & naturels qui égayent & qui diversifient leur Musique »30, car, poursuitClaude Joly (chantre et chanoine de Notre-Dame de Paris ; 1607-1700), Traitté historique des écoles épiscopales et ecclésiastiques pour les droits des chantres, chancelliers et écolastres des églises cathédrales de France, Paris, Muguet, 1678, p. 231. 26 Jean-Baptiste Thiers (Curé de Champrond-en-Gâtine ; 1636-1703), Dissertations ecclésiastiques sur les principaux autels des Eglises, Paris, Dezallier, 1688, p. 123. 27 Jean Lebeuf, Traité historique et pratique sur le chant ecclésiastique… précédé d’une nouvelle méthode pour l’enseigner et l’apprendre facilement, Paris, J.-B. Hérissant, 1741, « Épitre dédicatoire ». 28 Jean de Bordenave, L’Estat des églises, cathédrales et collégiales, Paris, Vve Mathurin du Puis, 1643, p. 538. 29 Annibal Gantez, L’Entretien des musiciens, Auxerre, Jacques Bouquet, 1643, p. 72. 30 Jean-Laurent Lecerf de La Viéville, Comparaison de la musique françoise et de la musique italienne, Bruxelles, Foppens, 1705, III, p. 180. 25
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il, le « dessus met du jeu & de la vivacité dans une Musique ». De plus, leur voix, « secours de chœurs », embellit celles des « Basses chantantes admirables », et ce mélange produit une « musique parfaite » et des « chants d’une variété harmonieuse » que ne peuvent avoir les Italiens avec leur « haut si ennuyeux » et leurs « méchantes tailles » privées de « creux profond […] et de ces tons très bas charmans »31. C’est ce que reconnaissait déjà Mersenne en 1636 : Seul Dessus ravit l’auditeur, quand il est bien chanté ; de sorte qu’il semble que la Composition ayt esté inventée pour faire trouver le Dessus excellent, et pour faire gouster sa bonté par la comparaison des autres parties, qui luy donnent de l’esclat, comme fait le noir et les autres couleurs obscures lors qu’elles sont opposées au blanc. Le Son aigu est le plus agreable, […] comme l’on experimente aux recits des jeunes enfans que l’on ayme mieux ouyr que nul autre concert, parce que la voix aiguë nous represente l’innocence, la delicatesse, et la jeunesse des enfans, qui sont plus plains de vie, ou plus proches de la source de la vie, et qui chantent plus delicatement et plus doucement que ceux qui chantent les autres parties, ou parce que le Son aigu flate l’oreille, et reveille davantage l’esprit32.
Plus loin et toujours critique à l’égard des Italiens33, Lecerf défend la bienséance de la parure uniforme des enfants de chœur, qui « portent également l’habit, les livrées de l’Église », bien préférables aux habits bariolés des castrats d’Italie vêtus « au hazard de blanc, de rouge & de verd » et de « figure différente et bizarre ». Il reconnaît enfin un autre avantage à ces enfants de chœurs. Élevés par l’Église, ils « entendent nos cérémonies & les respectent […]. Par là ils ont les qualitez que nous avons souhaitées à un Chanteur de Musique d’Eglise : de l’expression, de la simplicité, de la modestie. Ils sçavent garder leur rang, & une contenance pieuse »34. L’on trouvera également de très nombreuses références à l’image de pureté que donnent les enfants chantant dans le chœur. Bossuet invite le personnel ecclésiastique à prendre modèle sur eux : « Dépouillons-nous de tous ces vices, et revêtons-nous de l’innocence et de la simplicité des enfants pour chanter sincèrement et purement les louanges de JésusChrist »35. Pour Claude Villette en 1640, « l’innocence, & pureté de vie représentée par les enfans […] sert beaucoup » aux suppliques adressées à Dieu36, probablement plus sensible à la requête de l’enfant qu’à celle de l’adulte. C’est très exactement ce que suggère aussi Du Breul : « La louange [est] parfaicte en la bouche des enfans Innocens »37. Certains auteurs Ibid., III, p. 153. Marin Mersenne, Harmonie universelle, Paris, Sébastien Cramoisy, 1636, « Livre Premier de la Nature et des proprietez du son », Proposition XXXI, p. 73. 33 J.-L. Lecerf de La Viéville, Comparaison de la musique françoise et de la musique italienne, op. cit., III, p. 174. 34 Ibid. 35 Bossuet, Méditations sur les évangiles (1730), dans Œuvres complètes, Bar-le-Duc, Louis Guérin, 1803, vol. 9, p. 213. 36 Claude Villette (chanoine de Saint-Marcel à Paris ; 1608-1660), Les raisons de l’office, et ceremonies qui se font en l’eglise catholique, Paris, Guillaume Des Ruës, 1640 (1re éd. 1611), p. 361. 37 Jacques du Breul (prieur claustral de Saint-Germain-des-Prés à Paris ; 1528-1614), Le Théâtre des antiquités de Paris, Paris, Société des imprimeurs, 1639 (1re éd. 1612), p. 638. 31 32
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évoquent même le caractère angélique, voire virginal de ces voix d’enfants. Dans certaines pratiques, on observe même une hiérarchie de l’innocence, comme l’indique Jean de Bordenave : pour la fête des saints Innocents « les chanoines […] font monter les enfans du Chœur ce jour-là, aux premieres chaires, où le plus petit s’asseoit le premier, comme estant celuy qui est le plus proche de l’innocence & pureté native »38. Mais ce caractère de la voix d’enfant n’est pas sans gêner quelques autres auteurs qui voient un danger dans le plaisir de l’ouïe. C’est le cas par exemple de Gilbert Grimaud qui reprend à son compte les propos de saint Jérôme : « la douceur & delicatesse de ces voix servoit comme d’amorce à la volupté, & donnoit un dangereux plaisir à l’ouye »39. En quelque sorte, le timbre de la voix d’enfants amplifiait la défiance que de nombreux ecclésiastiques avaient à l’égard de la musique en général. Louis Thomassin en 1702, reprenant les propos de saint Augustin, résumait une opinion commune : « L’harmonie [disait-il] étoit utile pour faire goûter la suavité des veritez du Ciel aux ames […], mais […] il falloit se garder des surprises de la sensualité, qui se recherche pour elle-même »40. C’est en d’autres termes ce que notait un demi-siècle auparavant le théoricien Antoine de Cousu : « l’on peut dire que la belle Voix est maistresse de nos volontez, guide nos pensées où il luy plaist, et possede toute nostre Ame »41.
« L’ange représenté par l’enfant de chœur »42 De là, cette présomption d’innocence conduit parfois à comparer l’enfant de chœur à un ange, voire même à le mettre en situation de représenter l’ange – au sens théâtral du terme –, et à considérer la musique comme venue du Ciel. Je citerai deux cas intéressants, parmi des dizaines d’autres, qui montrent le genre de « mises en scène » que l’on inventait dans les églises à l’époque baroque. Le premier concerne la cathédrale de Laon en Picardie, le jour de Pâques : À quatre heures du matin, […] deux diacres estant debout à la porte du sepulcre chantent ensemble, Ardens est ; un enfant de Chœur qui est caché & debout dans le Sepulcre demande, Quem quæritis ? Et ils répondent, Jesum Nazarenum ; […] le mesme enfant de Chœur leur dit : Non est his43.
Bordenave, L’Estat des églises, cathédrales et collégiales, op. cit., p. 539. Gilbert Grimaud (théologal de l’église métropolitaine de Bordeaux ; 15..-1665), La Liturgie sacrée où toutes les parties & cérémonies de la Sainte Messe sont expliquées, Lyon, Antoine Jullieron, 1666, p. 56. 40 Louis Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, Paris, Jean de Nully, 1702, livre I, chap. xiv : « De l’obligation des Beneficiers à chanter ou à réciter l’Office divin », p. 111. 41 Antoine de Cousu (maître de chapelle de Saint-Quentin, c. 1600-1658), La Musique universelle, Paris, Ballard, 1658, p. 6. 42 C. Villette, Les raisons de l’office, op. cit., p. 352. 43 Jean-Baptiste Thiers, Traité de l’exposition du saint sacrement de l’autel, Paris, Antoine Dezallier, 1679, p. 689-690. 38
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Ici, l’enfant, caché, donne à entendre, dans l’imaginaire collectif, la voix de l’ange. La « mise en scène » peut parfois être plus sophistiquée comme en témoigne cette relation d’une cérémonie des quatre-temps de l’Avent à Besançon : On fait doucement descendre des voûtes, avec des cordages, une colombe, symbole du St. Esprit. […] L’évangile est lû & chanté partie par un enfant de chœur habillé en ange, & partie par un autre enfant vêtu en vierge, le diacre faisant seulement le personnage de l’évangéliste44.
De tels effets sont fréquemment relatés dans la littérature contemporaine et c’est souvent perchés sur les jubés que les enfants de chœurs donnent à entendre la voix des anges, généralement en écho du chant des mortels disposés pour leur part dans le chœur. C’est un procédé de spatialisation que l’on utilise par exemple à la cathédrale de Meaux où les six enfants sont disposés deux par deux, respectivement dans le jubé, près de l’autel et au fond du chœur. À Troyes, ce type de symbole sonore est limité au temps de Pâques, pour le chant de l’Hæc dies à vêpres45. La musique elle-même n’est pas en reste et je me bornerai à citer deux exemples parmi tant d’autres. Dans deux de ses motets, Guillaume Bouzignac, maître de chapelle de la cathédrale de Clermont au milieu du xviie siècle, fait dialoguer un enfant de chœur représentant l’archange Gabriel avec le chœur des bergers46. Dans Noe pastores, Gabriel annonce aux bergers la naissance de Jésus. « Qui es-tu ? » questionne le chœur ; « Je viens vous annoncer… » répond l’ange, et dans un jeu vif et naïf de questions-réponses, l’enfant livre peu à peu toutes les informations nécessaires aux bergers qui les sollicitent : « Qu’y a-til ? qui est né ? où ? où exactement ? pourquoi ? ». On imagine facilement le bel effet de ce motet surtout si l’enfant chante du haut du jubé. Plusieurs compositeurs ne se privent pas de noter la mention « Chœur d’anges » dans leurs partitions notamment au xviiie siècle et l’on peut là aussi imaginer un dispositif de spatialisation. C’est le cas de Claude-Mathieu Pellegrin à Aix-en-Provence qui demande un « Chœur d’anges » pour le « Fac eas Domine » de sa Messe de Requiem47. Bien auparavant, en 1683-1684, Marc-Antoine Charpentier proposait un duo d’anges dans son histoire sacrée Cæcilia virgo et martyr octo vocibus [H. 397]48.
Claude de Vert (vicaire général de l’ordre de Cluny ; 1645-1708), Explication simple, littérale et historique des cérémonies de l’église, Paris, Florentin Delaulne, 1708, vol. 2, p. 6. 45 Pour ces deux exemples, voir Jean-Baptiste Thiers, Dissertations ecclésiastiques sur les principaus autels des Eglises, Paris, Dezallier, 1688, p. 140. 46 Dum silentium et Noe pastores dans le Recueil Deslauriers, F-Pn (musique)/ Rés Vma ms. 571, respectivement f. 93vo-94vo et f. 125 vo. 47 Messe de Mort, F-AIXm/ FC ms. 510 (1). 48 Mélanges autographes, BnF-musique, Rés. Vm1 259, vol. III, f. 46 (fac-similé numérisé dans http://gallica.bnf. fr/ark :/12148/btv1b55010134d/f. 97.image). La même image se retrouve dans Cæcilia virgo et martyr : Est secretum valeriane [H. 413] du même compositeur ; ibid., vol. VI, f. 86 (fac-similé numérisé dans http://gallica.bnf.fr/ ark :/12148/btv1b55008222x/f. 175.image). 44
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Qui sont les enfants ? Les maîtrises d’aujourd’hui ne donnent qu’une idée assez erronée de celles d’autrefois, ne serait-ce que parce qu’elles regroupent des enfants (garçons et filles) de même âge et en assez grand nombre. L’enseignement se fait par niveau d’âges et ne chantent généralement dans les concerts que les plus grands qui ont un même niveau de chant et de connaissance de la musique. Il s’ensuit que le pupitre de dessus est généralement d’une grande homogénéité, ce qui correspond au goût de notre époque, mais pas nécessairement à celui du xviie siècle. Le fonctionnement d’une maîtrise sous l’Ancien Régime tient plus de l’apprentissage. Les enfants sont en petit nombre, de quatre à dix selon les revenus du chapitre, tous d’âges et de niveaux différents – de 6 à 17 ans. Lorsque le plus grand quitte la maîtrise, un petit, de 6 à 8 ans, est aussitôt recruté. Il faut le former vocalement et musicalement, et il participera au chœur dans de très brefs délais. Le timbre de cet ensemble de dessus était donc très mélangé avec des voix travaillées et des musiciens confirmés, mêlé à des voix toutes fraîches et probablement ânonnantes. Pour le maître de chapelle, il fallait servir chacun pédagogiquement de manière distincte : depuis la formation de base au chant et à la lecture de la musique pour le plus petit enfant de chœur, jusqu’à la composition pour le grand qui, passés ses 17 ans, devait être en mesure de prendre à son tour par exemple un poste de maître de chapelle, c’est-à-dire de savoir composer, diriger et enseigner. C’est cette organisation que décrit Lecerf de La Viéville en 1705 : « Quant à la durée des voix de nos enfans de chœur, elles servent six ou sept ans, n’est-ce rien ? Et s’ils muent aprés cela, nous en avons à changer, et on en change »49. La destruction de ce cycle perpétuel, au cours de la Révolution, causa la ruine définitive des maîtrises.
L’apprentissage Sur la formation vocale, nous ne disposons malheureusement d’aucune information précise. Du reste, le traité de Bacilly qui fait une large part à la « bonne prononciation » commence par la formule « le chant ne s’apprend point par les livres »50. Il n’y a que les pédants, selon lui, qui puissent établir une doctrine : c’est l’exécution (c’est-à-dire l’imitation du maître) qui est à la base de l’enseignement. Annibal Gantez, que nous avons mentionné précédemment, ne dit pas autre chose : « Monstrez leur la méthode de bien chanter. […] Faictes leur apprendre quelque Air »51 et c’est la seule leçon qu’il nous donne, sans même préciser les airs qu’il utilise. Bacilly consacre quelques pages à la formation initiale des chanteurs et il pose la question : « à quel âge doit-on commencer à cultiver le Chant ? ». Il y répond ainsi : 49 50 51
J.-L. de La Viéville, Comparaison, op. cit., III, p. 180. Bertrand de Bacilly, L’art de bien chanter, Paris, l’auteur, 1679, « Avant-propos ». A. Gantez, L’Entretien des musiciens, op. cit., p. 237.
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Cela dépend donc du plus ou du moins de force & de complexion. Il y a des Enfans qui a cinq & six ans ont plus de Voix & de Disposition que d’autres à quinze : Ainsi il n’y a point de Regle certaine pour cela, & il est constant que le plutost que l’on peut cultiver la Voix, c’est le mieux52.
Il ajoute que la voix gagne en qualité par le « bon exercice » à la condition que celui-ci « ne soit pas violent ». Il ne faut donc pas forcer sa voix et c’est à la « prudence des maistres » de régler cela. Un autre musicien de renom, René Ouvrard, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Paris, nous a laissé un traité intitulé La Musique rétablie, malheureusement inachevé et inédit. Le chapitre XV de cet ouvrage est consacré aux « Modèles des premières leçons ». Il se targue d’une « longue expérience [qu’il a] faite pour l’instruction de ceux qui commencent ». S’il ne donne aucune recommandation par rapport au chant lui-même, il explique comment il procède avec les enfants : « On leur apprendra à bien entonner une octave depuis un ut jusqu’à l’autre en montant & en descendant ; & incontinent on les mettra à chanter les leçons suivantes ». Il rejette en revanche les leçons par « intonations différentes d’intervalles » qui les arrêtent et il préconise de leur donner des « chants naturels ». Ouvrard indique même les pièces qu’il utilise, comme les Kyrie des messes de François Cosset : la Missa Lætatus pour chanter « par bécarre à la haute clef », puis la Missa Exultate pour la « basse clef », après quoi les messes « par bémol », Gaudeamus puis Eructavit, et ce, à chaque fois « en n’appliquant la lettre [i. e. les paroles] à chacun que quand on en a appris la note »53. Pour Ouvrard encore, « la bonne grace du chant […] se doit principalement faire sentir dans l’accompagnement ou mélange, de la parole avec la note, puisque l’une n’est faite que pour l’autre ; & qu’il se peut faire que l’application de la lettre peut changer & corrompre toutte cette bonne grace de la note »54. Marin Mersenne, quant à lui, estime en 1636 que la qualité de la voix dépend de la nature, de la naissance et de la providence divine. Elle n’est octroyée qu’à quelques-uns et déniée à tous les autres, mais cet ordre, loin d’être discriminant, contribue au « grand concert » de l’Univers. Dès lors que les enfants sont dotés d’une « bonne voix », il n’y a nulle difficulté à les enseigner, « parce qu’ils se portent d’eux-mesmes à imiter, & à faire tout ce que l’on veut »55. L’Harmonie universelle regorge de précieuses informations sur la voix, dispersées dans les différents livres qui constituent la somme du père minime. Pour lui, la voix de dessus, celle des enfants, est semblable « à la lumiere & au jour », mais elle « perd tout son charme » quand elle n’est pas bonne. Quant aux autres voix qui l’accompagnent, elles ne servent « quasi d’autre chose que pour faire appercevoir les aiguës, & pour les faire entrer dans l’oreille & dans l’esprit avec plus de diversité & de Ibid., p. 80. René Ouvrard, La Musique rétablie, Tours, Bibliothèque municipale, ms. 822, Livre second « De la pratique du chant », chap. xv : « Modèles des premieres leçons ». 54 Ibid., chap. xvii : « Des agrémens, ou cadences & ports de voix de la lettre ». 55 Mersenne, Harmonie universelle, op. cit., « Livre sixiesme de l’art de bien chanter », proposition VI : « Expliquer la maniere dont on use pour former les voix… », p. 354. 52 53
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plaisir »56. Mersenne tente de définir ce que recouvre l’expression de « bonne voix » : par exemple, « la douceur, & une certaine harmonie, dont dependent les charmes qui ravissent les Auditeurs ». Les voix « dures ne plaisent pas, quoy qu’elles soient justes », comme celles qui ont « trop d’aigreur, & d’esclat, [et] qui blessent les oreilles delicates, & qui empeschent qu’elles ne se glissent assez agreablement dans l’esprit des auditeurs pour s’en rendre les maitresses, & pour le conduire par tout où l’on veut ». Mais ces défauts de la voix peuvent être corrigés « par plusieurs industries, dont ils [les maistres] doivent avoir la connoissance, ou qu’ils doivent rechercher ». Enfin, pour augmenter l’harmonie de la voix, il faut qu’elle soit « plaine & solide » comme « un visage charnu & en bon point »57. Avant tout, la voix doit être juste et donner les bonnes hauteurs que l’on vérifiera avec l’aide « d’un Orgue, d’une Epinette, ou de tel Instrument que l’on voudra »58. Pour enseigner aux enfants « les Maistres […] font premierement chanter par degrez [plutôt] que par intervalles, d’autant que les sons qui font les degrez du ton, & du demiton sont plus proches les uns des autres, & plus aysés à chanter que ceux qui font les intervalles ». Mais cette méthode est nouvelle, car « ceux qui ont inventé la Musique n’ont pas commencé par les degrez, mais par les intervalles consonans, dont il est beaucoup plus aisé de connoistre les raisons »59. Il faut donc, selon Mersenne, « accoustumer les voix des enfans aux 12 demitons, afin qu’ils n’eussent nulle difficulté à les faire en toutes sortes de lieux » et il cite comme modèle Henri Le Bailly (Le Baillif, 1580-1639), luthiste et surintendant de la musique du roi Louis XIII depuis 1625. Ce musicien publia plusieurs airs dans les recueils imprimés par Ballard en 1614-161560 et composa des motets et des ballets de cour. Mersenne estime qu’il chantait les degrés « si justes, sans la conduite d’aucun Instrument, qu’il touche exactement sur la derniere note apres avoir entonné ces 12 demitons ». Il ajoute qu’il pourrait même chanter les quarts de tons de manière excellente et diviser « consequemment l’Octave en 24 intervalles ». Et le père minime déclare qu’on peut faire réaliser cette prouesse « semblablement aux enfans, si l’on a soin de leur faire entonner les dieses avant que leurs voix se soient rompuës, & habituees aux seuls intervalles Diatoniques »61. Il défend ainsi l’utilisation du mode enharmonique, cher au anciens grecs, qui n’était plus usité : « si les Practiciens prennent la peine d’instruire quelques enfans avec l’Orgue divisé en ces intervalles, ils auront le contentement de faire
56 Ibid., « Livre premier de la voix », proposition XVII : « A sçavoir s’il est plus facile de conduire la voix du son grave à l’aigu que de l’aigu au grave », p. 24. 57 Ibid., « Livre sixiesme de l’art de bien chanter », proposition V : « Expliquer la maniere de connoistre si la voix proposée est bonne… », p. 354. 58 Ibid., « Livre premier des consonances », proposition XIX : « Determiner si l’on peut reduire tous les Tons & les Modes de la Musique », p. 193. 59 Ibid., « Livre premier des consonances », proposition VIII : « A sçavoir si les moindres raisons prennent leur origine des plus grandes », p. 37. 60 Airs de différents auteurs, mis en tablature de luth par Gabriel Bataille. Cinquiesme livre – [Sixiesme livre], Paris, Pierre I Ballard, 1614-[1615]. 61 Mersenne, Harmonie universelle, op. cit., « Livre troisiesme des genres », proposition XIX : « Determiner si l’on peut reduire tous les Tons & les Modes de la Musique au , & au b mol… », p. 193.
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chanter l’Enharmonique »62 qui permet de nouvelles nuances de couleur, notamment dans le registre de la tristesse. Dès lors que l’enfant chante juste et sait « ajuster la voix à toutes sortes de sons, on l’acoustume à faire les cadences, qui consistent aux roulemens de la gorge ». Ces ornements sont « les plus difficiles à faire […] à raison qu’il faut seulement battre l’air de la gorge, qui doit faire quantité de tremblemens sans l’aide de la langue ». Ces cadences sont « d’autant plus agreables qu’elles sont plus difficiles, car si les autres mouvemens sont les couleurs & les nuances, l’on peut dire que les cadences en sont les rayons & la lumiere ». Mais peu d’enfants parviennent à les réaliser parfaitement. Certains se bornent à « des mouvemens de la langue, qui ne sont pas si agreables, particulierement lors qu’on les fait du bout ». Toutefois, sur certaines voyelles qu’il faut « faire sentir aux auditeurs », Mersenne préconise le « tremblement du milieu de la langue »63. Le savant minime décrit aussi le « tremblement des lèvres » qu’il juge désagréable et qui n’est pas permis, tout comme les tremblements « tirez de l’estomach » qui paraissent « vicieux » parce qu’ils « ne se font pas sur une mesme chorde ou note » : en effet, « ils descendent & remontent d’un demiton ou d’un ton ». On ne doit les utiliser que pour « contrefaire ou imiter le Trillo des Italiens », ce qui n’est guère convenable pour la musique française64. Si les tremblements, « martelez ou non martelez », « servent […] pour toutes sortes de passages », le maître doit ensuite enseigner aux enfants à faire les ports de voix « qui rendent les Chants, & les Recits fort agreables, & qui seuls, estans bien executez, rendent les voix recommendables ». Ces ornements semblent « charmer & transporter l’oreille & l’esprit des auditeurs »65. Mersenne revient également à plusieurs reprises sur la question des passions et invite les maîtres de musique à « monstrer tous ces differens degrez des passions aux enfans » dès que la justesse, les cadences, les passages et les tremblements sont acquis. Il précise certaines de ces « délicatesses » : la véhémence, la colère, mais aussi la tristesse et la douleur, et encore la joie, l’amour et l’espérance, le dépit, le déplaisir… La bonne utilisation de ces degrés de passions, leur agencement, leurs mouvements donnent « une telle grace & un tel air aux chants, & aux recits, que tous ceux qui les oyront, avoüeront qu’ils sont animez, & pleins de vigueur & d’esprit »66. Enfin, comme le fera plus tard René Ouvrard, Mersenne insiste longuement, dans son Advertissement pour les Maistres qui enseignent à chanter, sur la nécessité de « bien 62 Ibid., « Livre premier de la voix », proposition XV « Que l’on peut chanter la Musique Chromatique, & l’Enarmonique, & faire le ton majeur & le mineur, & mesme le comma en tous lieux où l’on voudra », p. 16. 63 Ibid., « Livre sixiesme de l’art de bien chanter » (Seconde partie de l’art d’embellir la voix, les recits, les airs, ou les chants), proposition VI : « Expliquer la maniere dont on use pour former les voix… », p. 355. 64 Ibid. 65 Ibid. 66 Ibid., proposition XV : « A sçavoir si l’on peut exprimer les susdites passions en chantant la Musique… », p. 371-372.
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prononcer les paroles, & [de] les rendre si distinctes, que les auditeurs n’en perdent pas une seule syllabe ». Pour cela, il faut que leurs élèves ouvrent suffisamment la bouche et remuent la langue comme il faut : C’est à quoy les Maistres se doivent estudier, afin que leurs escoliers leurs facent de l’honneur, & que les Pages & autres enfans qui doivent chanter devant le Roy, & dans les Eglises, prononcent aussi bien en chantant, comme s’ils parloient simplement, & que leurs recits ayent mesme effet qu’une harangue distinctement prononcée67.
L’étendue et la qualité des voix d’enfants La question de l’étendue de la voix d’enfant n’est jamais décrite dans les traités. En revanche, on peut s’en faire aisément une idée dans les œuvres musicales qui nous restent. Dans les messes publiées par Ballard tout au long du xviie siècle et qui sont destinées au public assez large des maîtrises du royaume, les dessus sont généralement confinés dans un ambitus fort réduit (une sixte par exemple) mais continuellement placé dans le haut de la voix, c’est-à-dire du si au sol aigus. Encore faut-il remarquer que cette disposition évolue nettement au cours du siècle, les compositeurs préférant le medium de la voix à l’époque de Louis XIII, mais franchement les aigus à la fin du siècle. Cette particularité se retrouve également dans les motets manuscrits comme ceux de Jacques Farjonnel à la SainteChapelle de Dijon ou ceux de Marc-Antoine Charpentier chez les Jésuites de Paris, ce qui montre que c’est un usage courant. Elle concerne tout autant les pièces composées pour des maîtrises de moindre importance que les grandes maîtrises parisiennes ou même les pages de la Chapelle royale. Et on la retrouve aussi bien chez les petits maîtres de province que chez les compositeurs célèbres de la Musique du roi, comme Lully, Du Mont ou Lalande. Certaines œuvres peuvent même commencer dans l’aigu, comme le Stabat mater de Sébastien de Brossard (1702) qui demande aux enfants de commencer sur un sol aigu qui doit être à la fois sonore et juste. Chanté à froid, probablement après un long silence, cet effet était particulièrement difficile à assurer et il fallait donc que le maître de chapelle soit particulièrement sûr de ses enfants, surtout quand on imagine la température qu’il pouvait faire dans la cathédrale de Meaux durant le Temps Pascal. Ce choix d’un ambitus aigu est probablement une affaire de goût, mais il faut remarquer que cette manière de composer la musique met particulièrement en valeur le registre le plus sonore et aussi le plus aisé des voix d’enfants, à condition qu’ils aient été suffisamment bien formés. On remarquera qu’il correspond à la conformation physique des organes vocaux de l’enfant, et notamment à la dimension de son larynx et à la forme de son palais. Ceci ne veut pas dire que les autres registres de la voix ne soient pas utilisés. Bien au contraire. Mais ils sont réservés au plain chant ou aux motets à voix égales. René Ouvrard, dont nous avons déjà parlé, a composé un canon Non nobis Domine à quatre parties, écrit uniquement pour voix d’enfants. C’est l’unique vestige de son œuvre, qui devait être chanté 67
Ibid., p. 356.
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par les enfants de chœur de la cathédrale de Tours après sa mort, les dimanches simples après mâtines devant le grand autel. L’ambitus nécessaire est de plus de deux octaves du sol grave sous la portée, au la aigu au-dessus. Le choix d’un ambitus aigu correspond principalement à la manière spécifique d’écrire la polyphonie qu’ont les Français de cette époque : les voix d’enfants chantent continuellement à l’unisson hormis dans les petits chœurs en trio où ils sont divisés. Difficulté supplémentaire, ils sont accompagnés de trois ou quatre pupitres de voix d’hommes – cela dépend de la richesse des églises – sonnant pour la plupart dans le registre moyen. Les enfants se retrouvent donc isolés, perchés très haut au-dessus de la plus haute des voix d’hommes : au moins une sixte, parfois même une douzième. C’est le cas du motet Deus invictæ virtutis de Jacques Farjonnel, maître de musique à la Sainte-Chapelle de Dijon, qui est un cas extrême : les enfants évoluent constamment entre ré et la aigus au-dessus des hautes-contre (chantres adultes) qui, quant à elles, chantent dans un ambitus relativement grave, depuis le la grave jusqu’au fa aigu, soit continuellement à une distance d’une douzième voire d’une quinzième en dessous des voix d’enfants. Cette disposition, particulière à la musique française, est extrêmement déstabilisante pour les sopranos d’aujourd’hui qui n’ont pas l’habitude de ce « creux » harmonique entre les deux voix supérieures. Cela suppose une grande assurance vocale de la part de ces enfants. Ce niveau technique élevé peut aussi être observé dans la difficulté des parties chantées par les enfants. Ces voix sont sollicitées par une tension extrême et soutenue dans l’aigu, comme il vient d’être dit – c’est le cas par exemple de la Messe de Noël de Guillaume Minoret –, mais aussi dans la difficulté d’exécution du contenu musical. Sans parler de la Chapelle royale qui était dotée d’enfants de très haut niveau, mais aussi de falsettistes sopranos, les motets chantés dans les cathédrales de province nécessitaient des voix d’enfants chevronnés, surtout dans les dernières années du xviie siècle. Les rares œuvres qui nous restent de cette époque montrent que les voix d’enfants étaient particulièrement souples et travaillées. C’est le cas des motets de Brossard à Meaux ou de ceux de Jean Gilles à Aix-enProvence. Les enfants ne se limitent pas toujours à chanter dans les chœurs. Ils peuvent aussi, à l’occasion, exécuter des récits ou des duos, qui sont souvent très ardus du point de vue technique et très complexes du point de vue musical. La lecture de ces partitions anciennes surprend par le niveau qu’elles exigent notamment dans les parties destinées aux enfants. À la Chapelle royale, cette configuration était différente, les enfants ne chantant que dans les chœurs, probablement jamais comme soliste, la raison étant le « goût du roi » Louis XIV, qui n’aimait pas entendre les enfants dans les récits ou les ensembles68.
68 Abbé Jérôme Chuperelle, Cérémonial historique, Archives départementales de la Seine-Maritime, ms. 28 fo 45-48, t. I, p. 509-510 : « Cet incomparable Prince [Louis XIV] ne pouvant plus souffrir, ni entendre chanter des recits aux pages de sa musique, resolut de faire la dépense d’envoÿer expres un bon connoisseur en Italie, pour y choisir sept ou huict jeunes Italiens, qui eussent de tres beaux haûts et bas dessus ». Je remercie Thomas Leconte qui m’a fourni cette information.
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Pour conclure Les informations sur l’apprentissage et sur les qualités des voix d’enfants sont extrêmement rares en nombre et extrêmement limitées quant à leur contenu : l’imitation du maître est la règle, quelques bribes de conseils sur les pièces à chanter, la définition d’un registre, une prédisposition naturelle et surtout une bonne dose de patience pour travailler sans violence. Le reste ne concerne pas la voix elle-même, mais est traité dans les ouvrages anciens avec beaucoup de soin : c’est la question de la « bonne prononciation des paroles » qui doit permettre une parfaite compréhension du texte, les ornements, les affects, l’apprentissage de la « science de musique », le solfège chanté, la théorie, et même l’apprentissage de la composition. Pourtant les partitions musicales nous apportent d’autres éléments : principalement sur les registres utilisés et sur le niveau technique très élevé de ces jeunes chanteurs. Bien d’autres sujets d’études auraient pu être abordés dans cet exposé, comme l’exécution du plain chant, le faux-bourdon, l’improvisation des enfants dans le « chant sur le livre » (le contrepoint fait sur le champ et sans préparation). Mais ce sont là des considérations qui concernent plus la musique elle-même que le chant. De même pour l’emploi des instruments pour accompagner les voix, ou pour montrer la note dans la période d’apprentissage. Pour terminer, je voudrais revenir sur Denis Dodart, notre médecin savant. Il consacre un long développement très intéressant au vibrato de la voix qu’il compare à celui des instruments à cordes69. C’est une question particulièrement sensible pour la performance pratice aujourd’hui. Dodart, avec la minutie qui le caractérise, donne des réponses claires qui intéresseront les musiciens spécialistes, et ceux qui enseignent aux enfants. Il a observé « une certaine ondulation moderée & soûtenuë » dans la voix de chant que l’on ne retrouve pas dans la « voix de la parole ». C’est une « espèce de branle flottant dans les belles voix, qui supposent un degré de force suffisant ». Il ne s’agit pas, pour lui, de tremblements comme dans les cadences, qui sont composés d’un ton ou d’un demi-ton, mais d’une ondulation produite par la glotte. Cette ondulation ressemble au tremblant de l’orgue et ne change rien au ton. Du reste, ce tremblant de l’orgue a peut-être été inventé, dit-il, pour imiter la voix de chant. Jean Duron Pôle Recherche, CNRS – CESR – UMR7323 Centre de musique baroque de Versailles
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D. Dodart, « Supplément au mémoire sur la voix et les tons. Première partie », op. cit., p. 179-182.
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L’abbé Paul-Louis de Mondran et la musique Le 7 septembre 1787, Jean-François Le Sueur était écarté de la direction musicale de la maîtrise de Notre-Dame de Paris après à peine quinze mois d’activité au cours desquels sa musique avait rencontré une opposition croissante au sein du chapitre, relayée par un débat public extrêmement virulent au sujet de la nature même de la musique d’Église et de la place que devait y occuper la symphonie1. Jean Mongrédien, dans la thèse monumentale qu’il a consacrée au compositeur, a retracé les étapes de cette querelle et évoqué le rôle joué par le principal défenseur de Le Sueur au sein du chapitre, le chanoine Paul-Louis de Mondran (1734-1795), auteur d’un Rapport au chapitre de Notre-Dame pour la nomination d’un maître de musique, et de plusieurs autres écrits favorables à Le Sueur2. Ces rapports, dans lesquels Mondran s’exprime d’abord en tant qu’intendant de la maîtrise mais également en tant que musicien, frappent par l’étendue et la maîtrise des connaissances musicales qu’y déploie Mondran comme par les relations qu’il entretient avec quelques grands maîtres de la capitale. Alors que la culture intellectuelle des chanoines de l’époque moderne a donné lieu à des travaux d’envergure3, que quelques études ponctuelles ont évoqué la passion de certains pour les beaux-arts4, notre connaissance de la culture musicale des chanoines du xviiie siècle se limite à de simples constatations générales et à quelques faits particuliers trop parcellaires pour permettre une quelconque synthèse5. La présente étude ne prétend pas combler une telle lacune mais, outre les rapports de Mondran, déjà cités, destinés à éclairer les décisions du chapitre, une série de lettres6 et, surtout, le premier des cinq volumes de ses écrits7 offrent un aperçu exceptionnel de la place qu’a tenu la musique dans ses activités 1 Jean-François Le Sueur est nommé à Notre-Dame de Paris le 26 juin 1786. La délibération du chapitre par laquelle la place de maître de musique est déclarée vacante date du 9 septembre 1787. 2 Voir Jean Mongrédien, Jean-François Le Sueur. Contribution à l’étude d’un demi-siècle de musique française, Berne-Francfort-Las Vegas, Peter Lang, 1980, vol. 1, p. 50-73. Une édition critique de ces rapports, qui ne seront pas discutés ici, est en cours de réalisation. 3 Voir essentiellement Philippe Loupès, Chapitres et chanoines de Guyenne aux xviie et xviiie siècles, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, 1985 ; Olivier Charles, Chanoines de Bretagne : carrières et cultures d’une élite cléricale au siècle des Lumières, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2004 et Sylvie Granger, Benoît Hubert et Martine Taroni (éd.), Journal d’un chanoine du Mans Nepveu de La Manouillère (1759-1807), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. 4 Voir Jeannine Baticle, « Le chanoine Haranger, ami de Watteau », Revue de l’Art, vol. 69, no 69, 1985, p. 55-68. 5 Voir par exemple, O. Charles, Chanoines de Bretagne, op. cit., p. 260. 6 Toulouse, Bibliothèque municipale, ms. 1313. Mondran (Paul-Louis de), Lettres aux abbés Pierre Saint-Jean, prieur de Roquesérières (1732-1788) et Jean Saint-Jean, mainteneur des Jeux floraux (1746-1828). 7 Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, ms. CP4269. Mondran (Paul-Louis de), Mélanges littéraires. Poésies, épigrammes, fables, discours littéraires, sermons, etc., xviiie siècle, 5 vol., in-4o, ms. 4269-4273.
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 213-230 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115084
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sociales, de sa formation initiale jusqu’à ses expertises pour le chapitre, mais également dans ses représentations mentales, voire son psychisme.
Mondran et le volume des Poésies diverses de société Né le 3 décembre 1734, Paul-Louis de Mondran était le petit-fils d’un capitoul de Toulouse, et le troisième fils de Louis Mondran, seigneur de La Pomarède de Seysses qui, grand amateur de Lettres et de Beaux-Arts, fut un membre influent de l’Académie royale de peinture, de sculpture et d’architecture de Toulouse8. En dehors de l’affaire Le Sueur, PaulLouis Mondran n’est pas totalement inconnu des musicologues, car sa jeune sœur, MarieThérèse, épousa le 31 juillet 1759 le fermier général Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de La Pouplinière, qui entretenait une musique fameuse, placée sous les directions successives de Rameau, Stamitz et Gossec. Ce mariage, qui devait bouleverser le destin de tous les membres de la famille, précéda de quelques années l’installation de Mondran à Paris. À Toulouse, il avait suivi l’enseignement des jésuites d’abord au collège puis à la Faculté des Arts de l’Université de Toulouse où il avait obtenu une maîtrise-es-arts le 22 juillet 1751. Il était ensuite entré au séminaire diocésain où il avait suivi les cours de théologie avant de recevoir la prêtrise à la Pentecôte de 17599. En juillet ou août 1762, il résigne sa prébende de l’église métropolitaine de Toulouse, acquise en 1753, pour honorer un poste de vicaire général du diocèse de Rieux qu’il quitte en septembre de la même année pour rejoindre La Pouplinière à Paris. Quelques mois après la mort de celui-ci, en décembre 1762, Mondran est nommé vicaire de Saint-Roch à Paris en mai 176310. Il quitte Paris au début de 1772 pour occuper un grand vicariat de l’évêché de Béziers11, auquel un proche parent venait d’être nommé, avant de se voir offrir, quelques mois plus tard, un canonicat à la cathédrale de Notre-Dame de Paris auquel il doit renoncer après la suppression du chapitre en novembre 1790. Le manuscrit des Poésies diverses de société est le premier d’un ensemble de cinq volumes autographes in-4o, conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, rassemblant plus de 1 200 pages. Au titre initial Poésies diverses de ce premier volume, Mondran a rajouté, en plus petites lettres, « de société », sans doute au moment de la copie du second volume, puisque celui-ci est majoritairement consacré aux Poésies diverses sans objet de société. Le 3e volume contient une Iliade burlesque et les volumes 4 et 5 rassemblent les textes en prose de Mondran, la plupart liés à son activité de chanoine (sermons, discours, rapports, etc.). Manifestement, ces volumes ont été recopiés au propre pendant une courte période, soit à partir du début des années 1780, alors que le chanoine était déjà en fonction
Voir Philippe Wolff (éd.), Les Toulousains dans l’histoire, Toulouse, Privat, 1984, p. 375. Voir Adriaan Hendrik Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795. Un chanoine homme d’esprit du dix-huitième siècle, Rotterdam, Brusse, 1942, p. 23. Fondé en 1562, le collège jésuite avait obtenu son incorporation à l’Université en 1681 et pouvait délivrer la maîtrise-ès-arts à ses élèves de la classe de philosophie. Voir Pierre Delattre, Les établissements des jésuites en France depuis quatre siècles : répertoire topo-bibliographique, Wetteren, De Meester frères, 1956, t. IV, col. 11291-1292. 10 A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 54. 11 Ibid., p. 81. 8 9
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à Notre-Dame de Paris depuis une dizaine d’années, soit, plus probablement, après la suppression des chapitres12. Le volume de Poésies diverses de société se présente donc comme une compilation, ordonnée chronologiquement, des poésies que Mondran a écrites, depuis sa jeunesse, pour des personnes de son entourage et qui évoquent ces personnes et les événements dont elles ont été les acteurs ou les témoins. Cependant, plusieurs particularités donnent au volume un statut qui n’est pas assimilable à celui d’un simple recueil de poésies. Le volume appartient à la littérature mondaine et cultive à l’extrême la recherche de variété des tons, des styles mais aussi des genres. Mondran introduit souvent ses poèmes par un court commentaire en prose, qui en redonne le contexte ou dessine, en quelques mots, le portrait des personnes impliquées. Parfois, ces incises à caractère informatif laissent place à un long développement qui peut intégrer des comptes rendus d’événements publics, traités sous une forme journalistique, satirique ou burlesque, mais aussi exposer des réflexions personnelles, comme dans les pages consacrées à l’enseignement reçu à l’Université, ou des sentiments plus intimes, lorsqu’il évoque la préférence systématiquement accordée à son frère ou ses premiers émois amoureux et poétiques. À ces textes en prose s’ajoutent de très courtes notes marginales qui donnent au lecteur les clés qui lui permettront de comprendre toute l’ironie d’une expression, d’une image ou d’une référence. Si la variété inscrit le recueil dans la littérature galante, l’alternance entre des formes poétiques et versifiées très diverses rappelle plus particulièrement l’écriture journalistique du Mercure13. La reconstruction littéraire que Mondran a réalisée, à partir de poèmes conservés et, peut-être pour certains d’entre eux, remaniés, fait du volume une entité autonome qui obéit à une certaine linéarité et est adressée à un lectorat spécifique. Il s’agit donc d’un très original parcours biographico-poétique commenté, qui s’ouvre par une préface dans laquelle Mondran poursuit un triple but : justifier son état de poète, démontrer la compatibilité de cet état avec l’état ecclésiastique et expliquer la nature de son activité poétique et ses choix stylistiques. Mondran envisage dans la préface les différentes pistes qui s’ouvrent au jeune poète. Il critique les productions récentes qui ne visent qu’à flatter leurs destinataires, bourgeois parvenus ou courtisanes débauchées, et à appréhender le réel le plus prosaïque14. Il plaide pour une poésie légère qui s’inscrive dans la tradition mondaine du siècle précédent et
Ibid., Introduction, p. xi. Ces quelques remarques de stylistique littéraire ne sont qu’un pâle reflet de l’expertise de ma collègue Sophie Hache que je remercie. 14 « J’ai vu l’épître aux commerçants, que les commerçants ne lurent point : en devinrent-ils moins industrieux ? J’ai vu l’épître aux pauvres : hélas ! Avaient-ils besoin de rime, ou de pain ? N’en déplaise aux jaloux, un fils parvenu, écrivant à son père laboureur, mérita les étrennes académiques. Voyez comme il s’abaisse prudemment au style villageois, afin d’être mieux entendu, et de consoler le bon homme, en lui donnant à croire qu’on n’a pas plus d’esprit dans la capitale, qu’au sein des hameaux. Ô combien de productions éphémères, dédiées aux écus d’Antoine Lisimon ! Combien aux beaux yeux d’Iris, ou de Lisette ! Il en est même à l’honneur des gens sans honneur. Il n’est point jusqu’aux courtisanes du théâtre, que les chastes muses n’osent haranguer ». Voir PaulLouis de Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 1-2 (référencé « Mondran » dans la suite de l’article). Mondran fait référence à Égide de Lespinasse, chevalier de Langeac, Lettre d’un fils parvenu, à son père laboureur. Pièce qui a remporté le prix de l’Académie françoise en 1768, par M. l’abbé de Langeac, Paris, Regnard, 1768. 12 13
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soit susceptible, par la juxtaposition des tons galant, satirique ou burlesque, de transfigurer la réalité quotidienne. La pratique poétique de Mondran est une activité éminemment sociale : Enfin, soit raison, soit paresse, je n’ai guère rimé uniquement pour la rime : auteur de rencontre, j’ai saisi les occasions favorables, la société a fourni mes sujets. Dans ces divers à propos, l’inclination, la politesse, ou bien la gaité, ont dirigé ma plume : mes vers, à la faveur des circonstances obtinrent le sourire du moment ; et je n’en méritais point d’autres15.
Le Boileau des satires est le seul modèle revendiqué16, mais l’influence de plusieurs autres figures majeures de la littérature est perceptible, qu’il s’agisse de La Fontaine, à travers de nombreux procédés relevant de la brièveté ou de Voltaire, à qui Mondran emprunte les effets très ironiques de déconstruction du discours officiel et de fragmentation du réel, regardé à la loupe et décontextualisé. Le récit qu’il donne d’une algarade entre deux confréries de pénitents lors d’une procession est un bon exemple de l’imbrication de ces procédés et montre l’impact comique du détournement des références musicales, courantes dans la poésie de Mondran : Mon frère cependant osa, un jour de Jeudi Saint, porter la dite croix, sans déposer la semelle : qu’en résultat-t-il ? Un schisme. Nos pénitents bleus rencontrent les noirs : dans cette entrevue, les croix des deux compagnies devaient, suivant l’usage, mutuellement s’adorer ; c’est-à-dire, se prosterner, se relever, pirouetter, se pencher, s’embrasser, danser enfin une espèce d’allemande où il faut plus d’adresse du poignet que du jarret. Les deux crucifères ayant paru dans la lice, les souliers de l’un offusquent les yeux de l’autre : ô scandale ! Profane, déchausse-toi. Le bleu s’obstine à dire non ; et les noirs passent brusquement leur chemin. Pendant la nuit, rencontre nouvelle : alors les bleus impitoyables commandent aux valets dont ils sont éclairés de faire main basse sur les savoyards qui éclairent les noirs, et d’enlever leurs torches. Ainsi, vraiment dignes de leur nom, ces pauvres noirs sont renvoyés avec les ténèbres, tandis que leurs ennemis radieux redoublent de lumière et de chant17.
Le travail d’élaboration du volume est particulièrement perceptible dans les nombreuses adresses au lecteur par lesquelles Mondran légitime son activité poétique. Il écrit ainsi dès la préface : Ajouterai-je à ma justification que la fureur poétique n’a point absorbé mon cerveau ? Des devoirs capitulaires, des œuvres musicales, de grandes lectures ; et par-dessus tout, des sermons, instructions, discours, pensées, etc., dont j’ai formé un autre recueil, attesteront que les poésies n’ont dérobé qu’une légère partie de mon travail18.
Tout au long du volume, des incises en prose rappellent cet avertissement et Mondran assure à plusieurs reprises que ses poésies, et particulièrement ses poésies galantes, n’ont été qu’un jeu d’esprit où s’expriment des sentiments purement factices. Pourtant, plusieurs poèmes adressés à ses amis proches évoquent la difficulté de concilier son goût pour la Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 4. L’orthographe et la ponctuation de toutes les citations ont été modernisées. 16 Ibid., p. 120. 17 Ibid., p. 10. 18 Ibid., p. 4. 15
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poésie et les devoirs de son état. La question de la légitimité de son activité poétique est souvent associée à celle, plus délicate, de la publicité donnée à ses productions. Si Mondran affirme que le supérieur du séminaire de Toulouse a fait preuve d’une grande indulgence envers les vers galants19, la plupart de ses poèmes furent composés pour des amis proches, parmi lesquels figurent peu d’ecclésiastiques, et furent diffusés dans des cercles restreints que l’on peut partiellement reconstruire en fonction de la chronologie du recueil. La présentation matérielle très soignée, les nombreuses entorses à la chronologie, les indices et les références donnés au lecteur non-averti ou les procédés narratifs qui lient des poésies composées séparément, montrent que Mondran a élaboré le volume pour un cercle d’amis distinct des destinataires initiaux de ses œuvres et on peut supposer que la cessation forcée de son activité capitulaire n’est pas étrangère à une telle entreprise. Les nombreux commentaires dans lesquels Mondran enchâsse ses poésies aug mentent considérablement la valeur documentaire de l’ensemble et contribuent souvent à mettre à distance la dimension burlesque, héroïcomique ou satirique des poésies pour une évocation parfois nostalgique de bons moments vécus par l’auteur. Par exemple, alors que les stances sur le séminaire livrent un témoignage très négatif sur l’enseignement des jésuites et l’organisation des études, le commentaire en prose qui suit vise non pas à désamorcer l’effet comique, mais à raviver le souvenir d’une période heureuse et à rétablir une réalité susceptible d’échapper au lecteur contemporain qui interpréterait ses vers au premier degré. Dans le cas du séminaire, comme dans bien d’autres, c’est l’évocation distanciée du passé qui fait resurgir les éléments les plus inattendus et les plus intéressants des expériences musicales vécues par le chanoine.
La vie musicale dans les Poésies diverses de société Le volume de Poésies diverses de société contient quelques témoignages sur les activités musicales auxquelles Mondran a été mêlé. La plupart concernent sa période toulousaine et abordent aussi bien la musique profane que la musique religieuse. Mondran ne dit rien des grandes fêtes religieuses de la Pentecôte, de la Fête-Dieu et de la fête de la Délivrance – célébrée le 17 mai pour commémorer l’expulsion des huguenots en 1562 –, alors qu’elles donnaient lieu chaque année à de grandes manifestations dans lesquelles la musique prenait une part importante20. Il ne dit rien non plus des quelques fêtes extraordinaires dont il a été le témoin, qu’il s’agisse du jubilé de 1751 ou de la translation du corps de saint Vincent dans la chapelle des pénitents gris le 11 juillet 176221. Plus étonnamment, Mondran n’évoque pas les spectacles montés régulièrement par les jésuites, ou ceux qu’ils organisaient à l’occasion d’événements Ibid., p. 88. Voir Michel Taillefer, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2000, p. 267-269. 21 Voir Relation de la translation du corps de St. Vincent, martyr, faite le 11 juillet 1762 de l’Eglise des R.R. P.P. Carmes Déchaussés, dans la dévote chapelle de M.M. les Pénitents-Gris de Toulouse, Toulouse, Sébastien Henault, [1762]. Les célébrations durèrent une semaine et se terminèrent par le Te Deum de Lalande. Il est probable que Mondran ait encore demeuré à Toulouse au début du mois de juillet. Sa mère était décédée le 2 juillet et il ne résilia sa prébende de la cathédrale que le 22 juillet pour honorer sa nouvelle charge de vicaire général de l’évêque de Rieux. Voir A. H. Van der Weel, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 38. 19 20
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exceptionnels, bien qu’on puisse penser que, jeune séminariste, il ait entendu, en 1754, le motet latin donné dans la chapelle du séminaire pour la naissance du duc d’Aquitaine, Xavier de France, sur une musique de Bernard-Aymable Dupuy, et ait assisté l’année suivante à la tragédie Siroris, fils de Tamerlan, donnée par les jésuites avec des intermèdes dansés22. Il ne dit rien non plus de l’idylle chantée en présence de l’archevêque de Toulouse, dans la salle des pensionnaires du grand collège en 176123. Les quelques témoignages sur la pratique musicale dans un contexte religieux concernent essentiellement les manifestations auxquelles Mondran a participé directement, soit en tant que musicien soit en tant que poète. Il s’agit principalement de ses souvenirs du séminaire et des noëls à grand chœur24. Dans un long texte en prose déjà évoqué, Mondran s’était montré particulièrement critique envers l’enseignement reçu chez les jésuites25. À ces pages, très éclairantes sur l’enseignement de la théologie dans les séminaires, font écho les Stances sur le séminaire qui, quoique dotées d’une conclusion bienveillante, présentent toutes les contrariétés et tous les déboires subis pendant ses années de formation à la prêtrise26. Pourtant, à la suite de ce morceau d’anthologie dont les lieux communs ne sont pas absents, Mondran ressent le besoin d’une mise au point qui lui donne l’occasion de manifester, au moins aux yeux de ses lecteurs récents, sa gratitude envers l’enseignement reçu. Il livre, ce faisant, un témoignage rare d’une pratique instrumentale récréative qui déborde sur la liturgie pour être admise au jubé où elle remplace l’orgue. Une maison que les jésuites gouvernaient ne devait pas être une maison de force : leur douceur était connue ; et gêner les petits collets, c’eût été devenir trop semblables aux oratoriens, vrais minois de Jansenius et de Quesnel. Notre séminaire était donc assez riant : on s’y faisait mutuellement des niches. On y gambadait dans les dortoirs ; on y essayait dans les chambres la flûte, le violon, la basse. Je rappellerai ici que l’oraison des quarante heures nous obligeant de rester à la chapelle une bonne partie des jours gras, nous obtînmes du supérieur qu’on apporterait au jubé les instruments ; et que là seraient exécutés des menuets, des rigaudons, par manière 22 Xavier de France, second fils du Dauphin Louis-Ferdinand naquit le 8 septembre 1753 et mourut le 22 février de l’année suivante. Sinoris, fils de Tamerlan. Tragédie, dédiée a monseigneur François de Crussol d’Uzes archevesque de Toulouse. Par le R. P. Isaac-Jean Badon, de la compagnie de Jesus, professeur de rhetorique au grand college de Toulouse, Montauban, Jean-François Teuillières, 1755. Sur ces deux fêtes, voir Benoît Michel, « Le collège des Jésuites de Toulouse et la vie musicale toulousaine de la fin du xviie siècle à 1762 », dans Anne Piéjus (éd.), Plaire et instruire. Le spectacle dans les collèges français de l’Ancien Régime, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 271-285. 23 Idyle, chantée en presence de monseigneur Arthur-Richard Dillon, archeveque de Toulouse, dans une salle de la maison des pensionnaires du grand collège de Toulouse, de la compagnie de Jésus, le 11 may de 1761 mise en musique par M. Dupuy, partition, Toulouse, BM. Rés. mus. B 525. Le livret est édité chez Pierre Robert en 1761. Sur les fêtes et sur cette idylle particulièrement, voir Jean-Christophe Maillard, « En marge de l’opéra et de la musique religieuse : musiques festives toulousaines au xviiie siècle », dans Bernadette Suau, Jean-Pierre Amalric et JeanMarc Olivier (éd.), Toulouse, une métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine. Actes du 58e Congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées, Toulouse, Fédération Historique de Midi-Pyrénées, 2009, t. 2, p. 773-790. 24 Sur ce genre dont personne n’avait auparavant perçu l’importance culturelle et collecté les sources préservées, voir la thèse monumentale de Benoît Michel, Le noël à grand chœur : Une pratique musicale à Toulouse et en terres méridionales (xviie-xixe siècles). Étude historique, institutionnelle, liturgique et esthétique, thèse de doctorat, École pratique des hautes études, 2012, 1 973 p. 25 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 30-32. 26 Ibid., p. 81-86.
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d’orgue. Il fallait nous voir, en surplis à la romane, faisant trémousser nos archets, jouant surtout la marche des bandits à l’arrivée de nos confrères qui défilaient deux à deux vers les stalles27.
En 1753, alors qu’il commençait le séminaire, Mondran composa les paroles du noël L’arbitre souverain qui commande au tonnerre, mis en musique par Nicolas-Vincent Levens, pour la cathédrale de Toulouse. Alors âgé de dix-neuf ans, Mondran faisait ses premiers pas de poète public dans le domaine de la poésie religieuse, alors qu’il venait juste d’acquérir une prébende sur le chapitre28. Le témoignage qu’il en donne, une quarantaine d’années plus tard, en dépit d’une prise de distance ironique, dit bien l’enjeu que représentait localement l’honneur de composer les vers du noël joué à la cathédrale : C’est un usage, dans l’Église de Toulouse, qu’on exécute des noëls français. Quoique la matière eût été mise tant de fois en œuvre, il faut, toutes les années, renouveler le chant et les paroles. De jeunes rimeurs se présentent, avec l’unique ambition d’entendre fredonner leurs airs au lutrin, et d’en voir les exemplaires répandus le long des stalles. Qu’il est doux d’être chanté à grands chœurs, au moment de l’Offertoire, parmi les menuets et les bourrées ! Quel triomphe, si maint couplet, accrédité par le musicien, retenu par l’artisan, fait retentir, nuit et jour, les échos des rues ! Aussi, ne tardais-je point à briguer ce privilège ; on me l’accorda. Je vis mon noël distingué de ses rivaux. Il fut jugé digne des voûtes de la cathédrale. Pour comble d’honneur, je le vis imprimé. Imprimé ! Ne crûs-je pas alors, tant l’affection paternelle influait sur moi, ne crûs-je pas dans ses nouveaux traits apercevoir les miens ? On eût dit, au calcul de ma vanité naissante, que les caractères typographiques allaient consigner l’ouvrage chez les races futures. Cependant, au bout d’un mois, que devîntes-vous, feuilles trop légères ? Le jouet des vents, la proie des perruquiers, une ressource de garde-robe, malgré la divinité du sujet29.
Le noël de Mondran fut publié anonymement sous le titre Idile sur la naissance de Notre-Seigneur Jesus-Christ, mise en musique par M. Levens, maître de musique de l’Eglise de Toulouse, chanté dans ladite Eglise, l’année 175330. Comme le supposait Benoît Michel, les textes de noëls étaient donc soumis à l’approbation des autorités ecclésiastiques – sans doute le chapitre – et l’honneur de les composer entraînait une certaine concurrence entre des auteurs qui, au moins pour une part d’entre eux, émanaient directement de l’institution31. De même, en faisant référence, non sans ironie, à la musique de danse qui supporte ou encadre ses vers pendant l’Offertoire, Mondran confirme les tendances stylistiques des sources musicales conservées. Il évoque à nouveau sa participation aux noëls dans un contexte bien différent de celui de la cathédrale, où il fut sollicité comme poète et comme musicien : On dit communément qu’il ne faut point disputer des goûts : puis, chaque lieu a ses usages. Le parisien voit des dames chanter dans les concerts entre amis : il en voit d’autres devenir actrices d’opéra sur les théâtres de société. Pour moi, toulousain, j’en ai vu qui n’étant rien moins que dévotes, chantaient des noëls dans nos églises de village. Le magistrat, le capitaine y Ibid., p. 86-87. Le 7 février 1753. Voir A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 8. 29 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 17-18. 30 La musique n’est pas conservée. Voir la notice LEVEn-01 de B. Michel, Le noël à grand chœur, op. cit., vol. 2 : Catalogue des sources du noël à grand chœur, p. 553. 31 B. Michel, Le noël à grand chœur, op. cit., vol. 1, p. 99-102. 27 28
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contribuaient du leur. On voyait même le curé, homme exemplaire, se joindre en étole à cette troupe élégante, faire sa partie. La scène était à Bethléem ; et tous ensemble représentaient les bergers, tandis que les véritables écoutaient dans la nef. Ma muse leur avait fourni la poésie : pour le chant c’étaient les opéras. Ajouterai-je, comme une singularité digne des autres que, lors de l’exécution, je remplissais trois rôles à la fois ? Je dirigeais l’orchestre en battant du pied ; faisais résonner un violoncelle entre mes jambes, et hurlais dans les chœurs. On juge combien, dans la maison de Dieu, j’avais l’air d’un énergumène. Pendant trois années, je mis au jour de pareils noëls, à l’usage de la même société dont ma famille était : le premier n’existe plus par ma négligence et c’est bien grand dommage : voici les deux autres32.
Des deux noëls qui suivent, le premier (Le Dieu qui naît dans vos retraites) n’a pas été identifié par Benoît Michel. En revanche, certaines strophes du second, intitulé Gloire au Sauveur sont reprises dans deux noëls exécutés respectivement en 1826 à la cathédrale de Toulouse33 et en 1835 à l’église Notre-Dame de La Daurade34, ce qui témoigne d’une certaine mémoire des noëls antérieurs et de l’évolution des pratiques poétiques. Surtout, Mondran fait état d’une pratique des noëls adaptée aux paroisses rurales et en partie distincte des noëls à grands chœurs donnés dans la cathédrale ou à Saint-Sernin. La musique, empruntée des opéras à la mode, y est jouée par des amateurs avec des moyens réduits et dans une atmosphère qui devait différer considérablement de celle des grandes cérémonies célébrées au cœur de la cité. Il n’a pas été possible d’identifier la « société » à laquelle Mondran fait référence mais il s’agit probablement moins d’une sociabilité institutionnelle que d’un cercle relationnel, peut-être lié à l’une des grandes familles que connaissaient les Mondran et avec lesquels, nous le verrons, Mondran faisait de la musique profane, telles les Ricquet ou les Daguin. Certaines possédaient des domaines autour de Toulouse, dont les églises paroissiales purent accueillir ce genre de manifestations. En dehors des noëls, Mondran écrivit à plusieurs reprises des vers intitulés « Compliment en vers sur la nouvelle année, chanté par les enfants de chœur de Toulouse ». Dans le commentaire qui accompagne deux de ces compliments, il précise les avoir écrit à l’attention du maître de musique de la cathédrale, Nicolas-Vincent Levens35. On ne connaît rien de cette pratique. Était-elle, comme les noëls, propre au midi de la France ? À la cathédrale de Toulouse ? À Mondran qui l’aurait transposée à Saint-Roch ? Paradoxalement, la musique liturgique qui faisait le quotidien de l’église métropolitaine n’est jamais commentée par Mondran, qui ne dit rien du travail quotidien des maîtres de musique, chantres et enfants de chœur qu’il a côtoyés à la cathédrale de Toulouse à partir de Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 24-25. Mis en musique par Jean-Bertrand Despouy, maître de la cathédrale. Voir la notice DESP-03 dans B. Michel, Catalogue des sources du noël à grand chœur, p. 311. Voir aussi sa notice biographique dans le vol. 3 : Annexe, p. 84-89. 34 Mis en musique par Jean-Baptiste Labat. Voir la notice LABA-01 dans B. Michel, Catalogue des sources du noël à grand chœur, p. 486. Pour ce compositeur, Benoît Michel renvoie à la biographie donnée par Théodore Nisard dans les Œuvres littéraires-musicales, Paris, Baur et Liepmannssohn, 1883, 2 vol. 35 Mondran laisse cinq compliments de plusieurs strophes chacun pour les vœux de début d’année à l’archevêque de Toulouse et deux autres au curé de Saint-Roch. Voir Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 21-22, 118, 126, 130, 158, 173. 32 33
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1753, puis à l’église Saint-Roch et à Notre-Dame de Paris. Au cours de ses années parisiennes, Mondran consacre de nombreux poèmes satiriques à ses collègues et aux événements, petits ou grands, qui font le quotidien de l’institution religieuse mais, contrairement aux vers toulousains qui, parce qu’ils pouvaient paraître datés ou étranges à ses lecteurs parisiens, donnaient lieu à des commentaires en prose, ceux-ci ne sont que rarement expliqués et la musique n’apparaît qu’à travers le filtre de la satire. Mondran évoque ainsi une querelle poétique liée à la célébration de travaux réalisés par l’abbé Marduel à l’église Saint-Roch et particulièrement à la maîtrise. Il avait été chargé de composer des vers à cette occasion mais le maître des enfants de chœur ajouta à ses propres strophes de mauvais vers qui lui furent reprochés. S’ensuivit une guerre d’épigrammes dont celles de Mondran sont les seules conservées. Le texte en prose qui sert d’introduction à cette série de chansons témoigne de l’ironie dont était capable Mondran lorsqu’il s’agissait de moquer la prétention de ses collègues et le mauvais usage des rites : Or le curé Marduel, digne coupeur de bourses, pour la décoration de son église, ayant encore fondé, à leurs dépens, une maîtrise d’enfants de chœur, s’avisa d’en faire poser la première pierre à un troisième étage. Quatre vieilles âmes furent chargées de ce rare emploi, en reconnaissance de leurs dons ; et un évêque, la crosse en main, chanta le Te Deum sur les gouttières. Pour couronner le merveilleux, notre dit curé donna un grand repas dont le surtout, analogue à la circonstance, présentait en nature violoncelle, violon, vièle, guitare, mandoline, musette, flûtes, hautbois ; enfin, hors le serpent qui seul y devait être, toute sorte d’instruments harmonieux que les rubans ornaient ; et parmi lesquels on avait jeté des groupes de chansons. Je fis remarquer au pasteur qu’il fallait à ces chansons des paroles convenables à la fête ; il goûta mon avis ; le temps était court, c’était le matin, et j’allais en campagne : aussi, mes vers furentils médiocres. Pour achever ma mauvaise réputation, le nouveau maitre des enfants, voulant trancher du poète, ajouta un couplet ridicule qu’on daigna m’attribuer. De là, les épigrammes fondirent sur moi ; toute la communauté parut sous les armes du bel esprit36.
Mondran ne nous dit pas en quoi consistait la musique jouée lors du repas mais on peut supposer qu’il s’agissait de musique instrumentale agrémentée d’une ou plusieurs chansons, dont les paroles traitaient des embellissements réalisés. Il était d’usage sous l’Ancien Régime, comme en témoignent de nombreux comptes rendus du Mercure, de célébrer la pose de la première pierre d’une église par une cérémonie dans laquelle on pouvait jouer un Te Deum ou un autre motet en symphonie. Mondran insiste ici sur la disproportion entre la pompe de la cérémonie et son objet. Surtout, il souligne le fait que le curé de Saint-Roch prend à sa charge deux types de réjouissances qui sont généralement organisées par des autorités et dans des lieux séparés : la musique du Te Deum qui relève des autorités ecclésiastiques et la musique de table, de danse ou de concert offerte par les autorités laïques, soit dans l’espace de la ville, soit dans leurs demeures particulières. En s’étonnant de l’abondance et de la nature des instruments rassemblés pour le repas qui suivit le Te Deum, Mondran nous signifie que Marduel s’est davantage conduit comme un gentilhomme que comme un curé de paroisse.
36
Ibid., p. 147-148.
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Mondran n’avait pas à l’époque une grande connaissance des pratiques parisiennes mais il avait fréquenté à Toulouse des sociabilités dans lesquelles la musique profane jouait un rôle important. Comme dans le cas de la musique religieuse, il ne donne que très peu d’indications sur les institutions musicales. On ne sait pas s’il fréquentait l’opéra, installé dans la ville depuis 1687 et qui se tenait, depuis 1737, au théâtre du Capitole. Les liens que Mondran entretint avec l’Académie de musique semblent plus étroits. Le règlement de cette institution, établi en 1747, décrit une organisation où la totalité du pouvoir décisionnel est entre les mains d’un cercle étroit de soixante personnes qui, sous le nom de « mainteneurs », géraient les souscriptions et prenaient l’ensemble des décisions importantes. Comme souvent dans le cas des concerts à souscription, les principaux souscripteurs appartenaient à la plus haute aristocratie de la ville et, dans le cas présent, à l’aristocratie parlementaire. Cette configuration influençait le répertoire qui, pour partie, comportait des divertissements de circonstance dédicacés à des membres influents du Parlement. On peut penser, par exemple, que le ballet allégorique L’Himen et l’Amour réunis de Dupuy, qui fut chanté dans la salle du concert le 3 juin 1758, commémorait le mariage très fastueux de la fille du procureur général Jean Gabriel Amable Alexandre Riquet de Bonrepos, Camille Pétronille Victoire, avec son cousin germain Antoine Jean Louis de Riquet de Camaran, président à mortier, qui avait eu lieu le 13 mai précédent37. D’après Mondran, ce mariage avait donné lieu à de nombreuses célébrations à laquelle sa famille avait activement participé : L’union conjugale des deux cousins fut célébrée de toutes les manières par nos compatriotes. Outre les fusées et les pétards, une cavalcade nombreuse représenta les uhlans : puis, vinrent les poètes, avec leurs épithalames à la main. […] Le musicien Valois que les applaudissements ironiques du Concert spirituel ont renvoyé en province, fit exécuter encore un divertissement de son invention. Ma famille, à son tour, régala les nouveaux mariés d’une fête ; et ce fut alors que ma sœur chanta la cantatille suivante dont j’avais composé la musique et les vers. Il est bon de savoir qu’elle avait joué sur un théâtre de coterie le rôle d’Ismène, dans l’opéra de ce nom, où la présidente Riquet jouait celui de Cloé38.
37 Voir François Alexandre Aubert de la Chenaye Desbois, Dictionnaire de la noblesse, Paris, Boudet, l’auteur, 1778 (2nd éd.), vol. 12, p. 127 ; Alphonse Brémond, Nobiliaire toulousain : inventaire général des titres probants de noblesse et des dignités nobiliaires, Toulouse, Bonnal et Gibrac, 1863, vol. 2, p. 338. Voir aussi « Eloge de M. le Président de Riquet, par M. de Puymaurin », Histoire et mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, Toulouse, Desclassan, 1782, p. 115-132 ; A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 18. 38 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 49-50. Les deux derniers vers de la cantate de Mondran font référence à ce spectacle : « À l’aimable Cloé qui règne parmi nous, / Viens consacrer les chants d’Ismène ». Il s’agit de l’opéra Ismène de François Francœur, livret de Moncrif dont la première représentation eut lieu à Versailles dans le Théâtre des petits appartements le 20 décembre 1747 et qui fut repris à l’Académie royale de musique le 18 août 1750. Voir http://data.bnf.fr/14804569/francois_francoeur_ismene/. La prestation de Valois est commentée dans la presse parisienne : « Un organiste de la métropole d’une grande ville en province hasarda sur l’orgue un motet de sa composition, d’une fort bonne harmonie, mais dont la trop grande simplicité ne plût pas aux auditeurs » (Mercure, déc. 1766, p. 200) ; « Philippe de Valois, organiste de la cathédrale de Toulouse, joua un concerto d’orgue de sa composition. Ce morceau fut trouvé beaucoup trop long, et d’un genre peu analogue à ce spectacle » (L’Avant-Coureur, décembre 1766, p. 714).
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Mondran évoque le divertissement offert par sa famille à celle des Riquet en faisant référence à la complicité née entre sa sœur et la jeune mariée, toutes deux âgées d’environ vingt ans, dans le cadre du théâtre de société39. Plusieurs commentaires de son recueil montrent la porosité sociale entre les pratiques domestiques, le théâtre de société et l’Académie de musique. Nous avons laissé nos dames exécutant des noëls dans les églises villageoises : c’est bien autre chose maintenant. Quoi donc ? Dansent-elles au milieu de la nef, avec le curé en étole ? Non : du moins, on les entendait gratis au village ; et voilà un concert établi à Toulouse, où il faut payer pour les entendre. Vraiment, ce n’est point à leur profit : il y a des frais d’illumination, des musiciens à gages : mais elles ne chantent pas moins pour gens qui payent. Que dira-ton si j’ajoute que la plupart de ces chanteuses n’étaient encore que demoiselles ? Ô liberté des provinces, et surtout du Languedoc ! On y abjure si hardiment le cérémonial. Ne viton point, dans nos opéras de société, presque publics, le procureur général du parlement, érigé lui-même en machiniste ? Les changements de décoration le trahissaient quelquefois, tant ils étaient brusques ; et, au lieu du souverain des morts, le spectateur étonné apercevait dans le fond un magistrat en simarre qui, aux approches de Neptune, courait promptement avec les nymphes timides, se cacher derrière les roseaux. Pour revenir au concert, ma sœur, après y avoir représenté l’aurore, envoya le bouquet suivant à mademoiselle Daguin qui avait représenté Titon, et allait passer dix jours à la campagne. Le dernier vers rappelle que ce prétendu Titon avait chanté aussi le grand rôle dans l’opéra de La Guirlande40.
Il semble que la sœur de Mondran, dont les talents musicaux furent largement célébrés par la suite, les ait d’abord réservés pour son entourage proche avant de participer au concert public. Mondran évoque une cantate, Alceste, dont il avait composé le texte et la musique vers 1754, et qui, après avoir été chantée par sa sœur dans l’espace privé, fut donnée « par les chanteuses du concert public ». Marie-Thérèse de Mondran avait alors dixsept ans. Entre 1754 et 1759, date où elle quitta Toulouse pour épouser La Pouplinière, elle chanta au concert public où elle retrouvait une autre jeune femme de l’élite aristocratique toulousaine, Marthe Henriette Daguin, fille d’un président au parlement de Toulouse, Jean-Joseph Daguin, et de Marie-Louise de Seguy41. L’acte de ballet La Guirlande de JeanPhilippe Rameau avait été créé le 21 septembre 1751 à l’Académie Royale de Musique, avec Pierre de Jélyotte dans le rôle de Mirtil. Il est probable que les rôles de l’Aurore et de Titon renvoient à la pastorale héroïque de Bernard de Bury, deuxième acte des Fêtes de Thétis, repris séparément à l’Académie royale de musique le 18 février 1751 avec Jélyotte dans le Marie-Thérèse de Mondran était née le 18 novembre 1737, Camille-Pétronille-Victoire de Riquet le 18 août 1740. 40 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 32. 41 Jean-Joseph Daguin avait été nommé conseiller en 1719 et président de la deuxième chambre en 1734. Voir Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 1913, p. 224. La date de naissance de Marthe Henriette ne nous est pas connue. Elle se maria en 1768 avec Nicolas Berneval, membre d’une famille de réfugiés jacobites. Voir Patrick Clarke de Dromantin, Les réfugiés jacobites dans la France du xviiie siècle, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, p. 127. Sa date de naissance ne figure pas sur son contrat de mariage (Archives Départementale de Haute-Garonne, Contrat de mariage du 26 octobre 1768, Barneval-Daguin, Me Pugens, 3 E 6477). 39
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rôle de Titon, plutôt qu’à la pastorale homonyme de Mondonville, donnée à partir du 9 janvier 1753 à l’Académie royale de musique. L’Académie de musique de Toulouse, sans doute par l’intermédiaire de Jélyotte qui avait obtenu de l’Académie royale de musique une autorisation pour se rendre dans son pays natal chaque été, avait donc accès à un répertoire plutôt moderne42. Le témoignage de Mondran semble désigner mademoiselle Daguin comme l’interprète travestie du personnage de Titon. Quoi qu’il en soit, l’intervention de Jélyotte dans le Concert public et sa familiarité avec les jeunes interprètes issues des grandes familles toulousaines sont confirmées par Mondran, qui recopie un poème de sa sœur adressé à Marthe Henriette Daguin pour sa fête (29 juillet) et ajoute en marge : « Le lendemain de sainte Marthe sa patronne, mademoiselle Daguin devait chanter au concert, avec le fameux Jélyotte43 ». Benoît Michel fait l’hypothèse que Bernard-Aymable Dupuy, maître de musique de l’église abbatiale Saint-Sernin entre 1745 et 1789, ait été le professeur de musique de Marthe Daguin, ce que laisse entendre la dédicace qu’il lui adresse sur la partition d’un de ses noëls à grand chœur, qu’elle interpréta dans l’église abbatiale Saint-Sernin en 175344. Dupuy était également, ou du moins avait été, maître de musique du Concert, comme le mentionne le livret d’un ballet qu’il composa en 1733, intitulé Le triomphe des arts et dédicacé à un conseiller au Parlement, chanoine de Saint-Sernin, Bertrand Joseph de Maran45. À Toulouse, la vie musicale à laquelle participe Mondran, en tant qu’instrumentiste, compositeur ou auteur de paroles de musique, est donc essentiellement animée par un cercle étroit de jeunes gens des grandes familles toulousaines, d’où émergent les personnalités de Marie-Thérèse de Mondran et Marthe-Henriette Daguin, qui se produisent aussi bien dans les grandes institutions religieuses, qu’au concert public ou dans le cadre de pratiques privées et domestiques46. Voir Jacques-Gabriel Prod’homme (« Pierre de Jélyotte (1713-1797) », Sammelbände der Internationalen Musikgesellschaft, 3e année, no 4, août 1902, p. 702) qui cite le témoignage de Marmontel. 43 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 33. 44 Idyle heroique chantée dans l’Eglise abbatiale Saint-Sernin de Toulouse l’année 1753 dédiée a Mademoiselle Daguin et mise en Musique par Mr. Dupuy 1753, ms. autographe, F-TLm, Rés. Mus. Cons. 254. : « Il ne manque donc à cet ouvrage, pour suppléer à la médiocrité de mon génie, que la légèreté, et les agréments de votre voix. L’âme, le sentiment que vous savez donner à toutes choses, cet art que vous avez de si bien rendre toutes les grâces d’un beau chant, d’en prêter même à ce qui n’en a point encore, des talents si enchanteurs me rendent tout glorieux, parce que mon amour propre me les fait un peu regarder comme le fruit de mes soins ; passez-moi cette petite vanité, en faveur du dévouement le plus sincère, et le plus respectueux avec lequel je suis Mademoiselle votre très humble et très obéissant serviteur Dupuy ». Voir B. Michel, Catalogue des sources du noël à grand chœur, p. 371. Il s’agit du noël DUPU-06. 45 Le triomphe des Arts, ballet dedié à Monsieur de [Maran] conseiller au Parlement mis en musique par M. Dupuy, ordinaire de la chapelle de Musique de Saint Sernin. Et du Concert chanté pour la premiere fois le 22e aoust 1733. De 1727 à 1740, Dupuy était basse-taille à Saint-Sernin. Sur cette œuvre, voir Jean-Christophe Maillard, « Le Triomphe des Arts. Toulouse, une terre d’opéra depuis le xviiie siècle », Midi Pyrénées Patrimoine, no 26, été 2011, p. 42-47. L’histoire du concert public à Toulouse au xviiie siècle comporte encore de nombreuses zones d’ombre. Les termes « Concert » ou « Académie de musique » étaient utilisés indifféremment à l’époque mais il semble que plusieurs institutions se soient succédées au cours du xviiie siècle, comme c’est le cas dans d’autres villes de province. 46 Un des membres de ce cercle était le chevalier de Ratte, avec lequel Marie-Thérèse de Mondran faisait de la musique et à qui elle envoya des vers, comme le montre l’Epitre musicale envoyée par ma sœur à Monsieur le 42
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La vie musicale parisienne tient peu de place dans le volume des Poésies de société. On en perçoit des bribes à travers les vers de Mondran, lorsqu’il évoque, par exemple, les musiciens qui fréquentent l’hôtel de La Pouplinière, rue de Richelieu47, mais les commentaires descriptifs qui encadraient ses poèmes de la période toulousaine ont laissé place à de simples sous-titres ou à quelques remarques laconiques sur la poésie ou sur les liens qu’il entretient avec les personnes concernées. Pourtant, Mondran a été logé chez La Pouplinière avant sa nomination à Saint-Roch et a fréquenté également plusieurs autres cercles dont celui de Jean-Baptiste Halma de Belmont et son épouse à Valenton, ou celui d’Élisabeth de Chamousset, veuve de Melchior Philibert de Chamousset, au château du Fey en Bourgogne. On ne sait pas s’il a fréquenté l’opéra, le Concert spirituel et il ne dit rien de la musique qu’il a pu entendre lors de ses visites à Versailles48. En revanche, plusieurs des lettres qu’il adresse à son ami et confident Pierre de Saint-Jean, au profit duquel Mondran avait résigné sa prébende de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse en 1762, évoquent la vie musicale que Mondran partage avec ses amis et protecteurs parisiens. Il témoigne de son étonnement devant l’animation des boulevards mais surtout de la musique pratiquée à Passy chez La Pouplinière49 : Je m’accoutume si bien à voir de belles choses, qu’on ne me prendrait pas pour un gascon. Les premiers concerts que j’entendis me saisirent : maintenant la symphonie la plus délicieuse me touche aussi peu que les magnificat de Levens. Peut-être seriez-vous plus sensible ; surtout aux sons tendres de vos amies les clarinettes. Ce sont à la vérité des instruments admirables. Ils ont la forme d’un gros hautbois : l’anche ressemble à l’embouchure d’un chalumeau, et le son participe de l’un et de l’autre. Il faut les entendre pour en sentir tout l’agrément. Chaque dimanche et fête, on dresse une table au coin du salon à manger pour 5 musiciens. Ils y dînent en même temps que nous, et au dessert, sans quitter leur place, ils jouent différents airs exécutés par les 2 clarinettes, 2 cors, et une harpe. L’ensemble est attendrissant. C’est une précision, un demi-jeu, et un intérêt : c’est enfin trop voluptueux pour un ecclésiastique50.
chevalier de Ratte, qui est une succession de jeux d’esprit autour du vocabulaire de la musique. Voir Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 60. Cette famille de Ratte, d’ancienne noblesse, avait donné des avocats et des procureurs généraux au parlement de Toulouse. Voir Dictionnaire généalogique, héraldique, historique et chronologique […] par M. D. L. C. D. B., Paris, Duchesne, 1765, p. 400. 47 Voir Epitre d’une demoiselle à son amie (Mondran, p. 141) : « Ce n’est pas tout : un sort critique / A rassemblé chez moi / Deux démons de musique / Qui m’imposent leur dure loi. / Peregrini, c’est l’un ; et Chapotin, c’est l’autre / L’un, vrai lutin sur le clavier ; / L’autre, vrai tirant du gosier / Par surcroit, certain bon apôtre / Qui se titre d’abbé gascon / Sous prétexte du voisinage, / Vient se mêler de ma leçon / Et fait le docteur, dont j’enrage ». 48 Il évoque sa visite à Versailles dans une lettre écrite de Passy, le 26 octobre 1762 à son ami l’abbé Pierre SaintJean : « Le voisinage d’un roi fait oublier celui du ciel a la plupart des Parisiens. J’ai résisté à cette contagion, et je n’ai jamais été aussi philosophe que dans Versailles. J’ai vu ces majestés dont on est idolâtre. Les seigneurs, les prélats les entouraient : j’ouvrais bien les yeux pour les admirer à mon tour, j’étais fâché que ce ne fussent que des hommes. Petits rois, dit Rousseau : et il a raison ». 49 Comme Mondran, Saint-Jean jouait du violon. Voir Epître à M. l’abbé Saint-Jean, prieur curé de Roquesérières (Mondran, p. 228). 50 Lettre à Pierre Saint-Jean du 26 octobre 1762. Cité par A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 17341795, op. cit., p. 47.
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Au-delà du témoignage sur la musique de table donnée chez La Pouplinière, qui complète celui de M. de Cheveigné cité par Cucuel51, Mondran nous livre ici une petite part de son rapport intime à l’art musical, fait de jugements, d’émotions et d’images.
Musique et psychologie individuelle Mondran reconnaît être habité par la « fureur poétique » : il rime à toutes les occasions de sa vie et cette activité ne connaît aucune borne, qu’elle soit sociale ou affective. Mondran rime à propos des chanoines de Notre-Dame comme de sa cousine, du chien de sa voisine comme de l’accouchement d’une amie, avec verve, nostalgie ou abattement, et cette activité conditionne en partie ses relations sociales. Plus sporadiquement et, sans doute plus intimement, la musique accompagne également la vie de Mondran, des couplets que lui dictent les premiers émois amoureux52 jusqu’aux mélodies qu’il compose sur les vers de son ami l’abbé Jean Saint-Jean, frère de Pierre, au lendemain de la Terreur 53. Mondran est d’abord un instrumentiste, comme son frère, qui pratique aussi le violon, et comme sa sœur, que ses talents de chanteuse, de claveciniste et de luthiste, avait fait connaître au-delà de Toulouse avant son mariage avec La Pouplinière54. À Toulouse, Mondran joue publiquement du violoncelle et du violon avec d’autres membres de la haute aristocratie toulousaine, mais ses poésies de circonstance montrent que les réunions privées ou les simples amusements domestiques lui fournissent l’occasion de divertir la société avec son violon comme avec ses vers55. À partir de l’exil parisien, les allusions à sa propre pratique instrumentale dispa raissent de son recueil de poésies comme de sa correspondance, sans que Mondran s’en explique, même allusivement. Dans l’entourage de La Pouplinière, Mondran a côtoyé des instrumentistes réputés, notamment le violoniste et violoncelliste Joseph Canavas, les violonistes Nicolas Capron, Pierre Miroglio ou Calès, et le violoncelliste Carlo Gariani, tous mentionnés dans l’Etat des appointements dus à MM. les Musiciens de feu M. de la Pouplinières pour les mois de novembre et décembre 176256. Même si Mondran n’a pu profiter longtemps de l’orchestre, dissous à la mort du fermier général, il dit avoir été frappé par la qualité des symphonistes et il est probable qu’en tant qu’amateur, même de bon niveau, il ait préféré s’effacer. Surtout, la relation qu’il donne de l’exécution de musiques de table chez La Pouplinière souligne le fossé entre les pratiques sociales qu’il a connu à Toulouse et celles en vigueur dans l’entourage de La Pouplinière. À Toulouse, la musique était essentiellement un loisir mondain centré sur la pratique, dont l’institutionnalisation, par le biais d’une Académie de musique, ne modifiait pas en profondeur l’organisation sociale, même si des Voir Georges Cucuel, La Pouplinière et la musique de chambre au xviiie siècle, Paris, Fishbacher, 1913, p. 390. Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 40. 53 Lettres du 8 et du 31 août 1795. Voir A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 190. 54 G. Cucuel (La Pouplinière et la musique de chambre au xviiie siècle, op. cit., p. 235) cite une Idylle dédiée à Mlle de Mondran, publiée au Journal encyclopédique du 15 juin 1757, qui loue son talent pour le clavecin et le luth. Voir aussi A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 26. 55 Voir l’évocation de petits concerts de chambre dans la poésie sur l’accouchement de l’épagneule Zirza ou la description burlesque de la visite à son oncle. (Mondran, p. 47 et 51). 56 G. Cucuel, La Pouplinière et la musique de chambre au xviiie siècle, op. cit., p. 336-355. 51 52
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gagistes pouvaient compléter ou renforcer les rangs des symphonistes ou des chœurs. Au contraire, l’orchestre de La Pouplinière et les musiciens qui le constituent appartiennent à sa domesticité. Les concerts organisés par le fermier général relève moins de l’idéal académique, par lequel la musique abolit, le temps du concert, les distinctions sociales, que de la tradition du mécénat princier, où la musique du prince, constituée essentiellement de musiciens professionnels, témoigne de son prestige et de sa civilité. Dans ce contexte de cloisonnement net, sinon strict, entre des interprètes professionnels et des auditeurs amateurs, Mondran dut sans doute abandonner, ou du moins, brider l’habitude qu’il avait de mêler jeux littéraires et musique. De même, alors qu’il demeure encore à Toulouse, il refusa de composer la musique d’un divertissement que lui avait commandé son frère pour les fêtes organisées à Passy par La Pouplinière. Il est possible qu’il n’ait pas souhaité être comparé aux musiciens qui gravitaient autour du fermier général mais il invoque davantage le temps nécessaire à la composition, qu’il faudrait soustraire à celui que demandent ses devoirs de prêtre et avoue n’avoir « jamais placé un ouvrage de musique au rang des affaires capitales57 ». Son goût et sa connaissance de la musique trouve alors davantage à s’exprimer dans l’enseignement et surtout dans l’expertise, où il peut mettre à profit ses connaissances de compositeur et ses relations avec les musiciens, comme en témoigne l’affaire Le Sueur58. On ne sait rien de la pratique instrumentale de Mondran au cours de ses années de vicariat et de chanoine à Notre-Dame de Paris mais il est probable qu’il ait cessé de jouer publiquement, dans la mesure où il réduit même son activité poétique, destinée à un cercle de plus en plus étroit, et qu’il éprouve de plus en plus le besoin de se justifier. La seule activité qu’il semble n’avoir jamais abandonnée est d’écrire et de chanter des chansons. Le recueil de poésies en contient une vingtaine, dont les vers ont été composés par Mondran qui y associe un timbre, souvent très connu, comme « l’air des pendus », « Du haut en bas » ou « La bonne aventure ». Pourtant, Mondran avoue lui-même n’avoir pas été un bon chanteur et attribue en partie cette déficience à la nature de l’enseignement musical reçu dans sa jeunesse : Pourquoi ne chanterai-je pas à mon tour ? J’eus longtemps des leçons : mais, grâce à cette éducation musicale, ma voix est bien aigre, tirant même sur le faux. Quand j’apprenais le chant, on me faisait exécuter de suite les actes d’opéras. C’étaient là mes actes des apôtres. Lettre du 11 janvier 1761. La lettre est reproduite presque intégralement par A. H. Van Der Weele, Paul-Louis de Mondran 1734-1795, op. cit., p. 31-33. Il est difficile de mesurer la sincérité de Mondran qui entretenait avec son frère des relations parfois difficiles, particulièrement à cette époque où leurs statuts sociaux sont très différents, mais Mondran justifie son refus essentiellement par son état ecclésiastique : « Je réfléchis sur l’état de mon ouvrage [il a terminé l’écriture du livret de 180 vers] : il me paraît galant, très propre au théâtre, d’ailleurs fort long, et le scrupule s’en mêle : notez que j’ai un directeur rigide : il faut le consulter cependant : il n’est pas tant fâché de la poésie, que du temps considérable que je perdrais à la mettre en musique. J’éprouve moi-même que les idées musicales me troublent dans les fonctions de mon état et me font penser à Rameau bien plus qu’à mon bréviaire. […] Si j’ai abandonné mon entreprise, ce n’a été qu’après avoir balancé longtemps entre le zèle d’un frère et le devoir d’un prêtre. Ce devoir est sacré, et je vous jure que je ne ferai désormais que des ouvrages que je puisse avouer dans le public : mon évêque sans doute ne me désapprouvera pas ». 58 Il fit appel, à cette occasion, aux conseils de Joseph Le Gros, directeur du Concert spirituel, François Giroust, maître de la Chapelle royale, et d’Armand-Louis Couperin, qui cumulaient les plus prestigieuses tribunes d’orgues de Versailles et Paris. 57
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Symphonies, chœurs, rôles de dessus, de taille, de basse, de haute-contre, tout passait par mon gosier. Je faisais tantôt la princesse, tantôt le magicien : j’exprimais, tour à tour, les joies glapissantes, et les mugissantes fureurs : de tels efforts n’accommodent point l’organe. Ajoutons-y le clabaudage de la composition : car rarement les compositeurs ont-ils de la voix, il ne me restait donc plus que des sons burlesques, analogues aux airs du Pont-Neuf : j’en fis usage dans les couplets que j’imaginai sur une singulière partie de campagne. Voici l’histoire59.
Mondran raconte ensuite la manière dont il s’est moqué de son frère qui, s’étant rendu à un bal de campagne avec un ami, dans l’espoir de séduire des jeunes filles, s’en retourna éconduit et sans son cheval que Mondran lui avait subtilisé : « Arrivé à peine, il commençait de quereller ma filouterie, quand tout à coup, j’entonnai ces couplets, aidé de mon violon60 ». Les couplets qui suivent sont un parfait exemple de poésie burlesque mais, si Mondran les consigne dans son recueil à l’attention de ses lecteurs, ils sont initialement conçus pour une performance destinée à désamorcer la colère d’un frère aîné et relèvent d’une pratique sociale réservée au premier cercle familial et amical. Mondran en donne un autre exemple tout à fait frappant : Suivant la mode toulousaine, on allait respirer en été la fraicheur des nuits, devant les portes des maisons. Un soir, amis et parents, rassemblés tous en cercle, qui sur des bancs, qui sur des chaises, nous jouions à ces jeux enfantins où l’on donne des gages. J’en avais un à retirer, moyennant une chanson, lorsqu’arriva un nouvel acteur : il conta des aventures. Pendant cet heureux intermède, je ruminais mon couplet. Les petits chapeaux que je voyais là sur les têtes de nos demoiselles m’en fournirent l’épigramme ; et lorsqu’on revint au jeu, au grand étonnement de tous, je chantai les vers suivants, sur l’air : du haut en bas61.
La chanson n’est pas le véhicule ici d’une satire sociale ou politique. Elle ne comporte aucune dimension subversive. Elle est un simple jeu de société, un agrément supplémentaire apporté à la conversation, comme l’étaient les airs de cour dans les salons parisiens de la seconde moitié du xviiie siècle, mais sur un mode plus spontané, plus badin et plus prosaïque. Galant aussi, car la plupart des chansons de Mondran sont chantées devant des femmes et pour des femmes. Il chante des couplets pour la fête de sa mère, pour celle de sa sœur, pour « une demoiselle qui l’avait chansonné », et pour de nombreuses « dames » qui font partie de sa compagnie. Plus que les épigrammes, les épîtres ou les quatrains, les chansons comportent une dimension affective et galante qui n’échappe pas à Mondran. Dans un « préambule » à des vers parmi les premiers qu’il avait adressé, jeune, à sa voisine, Mondran s’était souvenu de la part qu’avait tenu la musique, et particulièrement la voix, dans ses premiers émois amoureux : Ô jeunesse ! Âge critique où rarement nous échappons à ce fils de Vénus, vrai page des belles, à ce petit Amour dont les sermonneurs disent tant de mal, et les poètes tant de mal et de bien. Ma muse était encore trop neuve pour s’en méfier : hélas ! On ne le reconnaît qu’en tombant sous ses coups. Le traître va giter dans un asile voisin où les grâces l’attendaient pour le couronner de roses ; ou les talents ingénieux s’apprêtaient à métamorphoser son arc en 59 60 61
Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 34. Ibid., p. 35. Ibid., p. 106. La page suivante, qui contenait les couplets, est arrachée.
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L’abbé Paul-Louis de Mondran et la musique
archet de quinte, et le bois de ses flèches en sautereaux d’épinette. Qu’Iris se promène, qu’Iris chante ; amour toujours l’accompagne. Ma muse, déjà rêveuse dans son boudoir, entend cette voix souveraine dont l’écho est au fond du cœur. D’abord, elle vole, se trouble en chemin, hésite, s’arrête ; et enfin, d’un gosier tremblant, j’essaie des couplets amoureux à l’honneur de ma voisine, mais discrètement adressés à son épagneule Zirza62.
Les couplets qu’il adresse, plus de vingt ans plus tard, à la femme d’un ami, dont chacun se termine par la même question « Démon, quand partez-vous ? », est un hommage à son pouvoir de séduction et à l’éclat qu’elle apporte à leur société63. Mondran évoque la manière dont elle joue de la harpe, ses éclats de rire, la profondeur de son regard mais commente aussi le trouble qu’il ressent pour conclure par ces deux vers : « Quoi ! Si longtemps vivre sans elle ? / Démon, reviendrez-vous ? » Venant d’un chanoine de Notre-Dame de Paris, le ton ouvertement galant de la chanson et, sous les antiphrases, l’épanchement du sentiment peuvent surprendre le lecteur moderne mais ces couplets étaient destinés à être chantés en société sur l’air très simple d’ « Un jour sur la fougère » et non lus à voix basse. On peut penser que la dimension expiatoire de l’acte de chant, renforcée par le caractère très simple voire un peu fruste de la mélodie, permettait de mettre à distance le contenu émotionnel des paroles. Alors que les goûts musicaux de Mondran n’apparaissent pas clairement, si ce n’est dans quelques vers qui dénoncent la trivialité de l’opéra-comique64, que nous ne savons finalement pas s’il a fréquenté l’Académie royale de musique ou le Concert spirituel, ni ce qu’il a pensé des grandes querelles qui ont agité le milieu musical ou des œuvres majeures de son temps, nous pouvons apercevoir au terme de cette brève étude comment la musique prenait place dans l’univers quotidien de Mondran et, surtout, comment elle nourrissait son univers intellectuel et sensible. Mondran était avant tout un poète et plutôt un poète mondain, attiré par les petits genres et la poésie de circonstance. Son goût pour la poésie de société est révélateur de son rapport à la musique. Mondran aime la musique comme il aime la poésie, comme il aime le jeu – le whist ou le pharaon auxquels il fait plusieurs fois références dans son recueil –, c’est-à-dire comme des activités éminemment sociales. C’est pourquoi les références à la pratique musicale sont si nombreuses dans ses poésies de circonstance comme dans ses poésies galantes où elles symbolisent les relations intersubjectives qui s’établissent entre les individus. De ce point de vue, Mondran semble échapper à deux catégorisations usuelles issues de son époque et souvent reprises par l’historiographie. La première concerne l’opposition entre amateurs et connaisseurs, qui fleurit à partir des Ibid., p. 40. Le poème évoque un certain Marsenne et le village de Bernay où il demeure. Les couplets ayant été écrits autour de la mort de l’abbé Pierre Saint-Jean, à la fin de 1788 ou au début de 1789, il pourrait s’agir d’AlexisJoseph Bouillerot de Marsenne (ou Marsanne), né le 11 février 1752 et mort en 1835, receveur des tailles de Bernay, mais on ne sait si la femme dont il est question était son épouse ou faisait partie de sa société. 64 Mondran, Poésies de société, op. cit., p. 193. « Â Margot » : « […] Apollon, à ces mots, m’étale sa peinture / Et me permet de faire un choix. / J’approche, j’examine : ô ciel ! Quels plats minois / L’art n’a saisi partout qu’une ignoble nature. / Un maréchal, un serrurier [en marge : “noms d’opéras comiques”] / Blaise le bucheron, Blaise le savetier, / Impertinents Colins, Colettes aguerries, / Une clochette, un pot au lait, / Et mille autres niaiseries, / Bien dignes du grand Nicolet, / Voilà donc les œuvres choisies / Qui du Phébus moderne ornent le cabinet ». 62 63
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Thierry Favier
années 1750, particulièrement dans les comptes rendus de concert et de spectacles publics publiés par la presse65. Alors que cette catégorisation repose sur l’antagonisme entre deux types de perception, l’une fondée uniquement sur le plaisir et l’autre sur la capacité de juger en fonction de la nature et de la finalité propre à l’œuvre considérée, Mondran adapte son discours aux situations d’énonciation et se montre autant capable de traduire le plaisir sensualiste de l’expérience musicale que d’analyser les qualités compositionnelles d’une messe de Le Sueur. L’autre catégorisation oppose deux manières d’incarner socialement l’état sacerdotal, associées aux figures de l’abbé mondain ou rigoriste dans la littérature polémique du temps. Par sa fréquentation des salons, ses amitiés féminines, son goût pour les arts et la poésie galante, sa tolérance envers le jeu ou la danse, Mondran semble correspondre parfaitement au portrait de l’abbé mondain. Pourtant, le sérieux avec lequel il semble avoir accompli son activité pastorale, son attachement aux principes de l’Église catholique et sa critique des philosophes témoignent de sa religion. Surtout, les propos qu’il adresse à l’abbé Saint-Jean au sujet de la cour, du roi ou des parisiens qu’il fréquente s’inscrivent parfaitement dans la tradition augustinienne du siècle précédent. Ils font écho à la fermeté dont il témoigne sur plusieurs points de morale, dont certains concernent directement la vie musicale, comme le montre ses critiques vis-à-vis de la participation des femmes au concert public, les arguments qu’il emploie pour justifier son refus de composer pour La Pouplinière et sa condamnation d’une esthétique profane dans la musique d’Église66. Par son attachement à l’univers galant plutôt qu’au naturel de l’opéra-comique et à la sociabilité des salons plus qu’à celle des grandes salles publiques, Mondran apparaît tourné vers le passé alors même que sa défense de Le Sueur, contre une partie de ses collègues chanoines, témoigne d’une grande sensibilité à la musique la plus moderne de son temps. Plus que bien des pamphlets, essais ou traités, et au-delà de la capacité de tout individu à manipuler les codes sociaux et à s’adapter aux situations réelles, l’irréductible subjectivité du recueil de poésie et de la correspondance de Mondran invite à repenser les ancrages sociaux et psycho logiques de la modernité musicale au xviiie siècle. Thierry Favier Centre de recherches interdisciplinaires en histoire art et musicologie (CRIHAM) Université de Poitiers
Sur cette question, voir Matthew Riley, « Johann Nikolaus Forkel on the Listening Practices of “Kenner” and “Liebhaber” », Music and Letters, vol. 84, no 3, août 2003, p. 414-433. Pour une réfutation d’une dualité hiérarchique entre Kenner et Liebhaber, voir Yonatan Bar-Yoshafat, « Kenner und Liebhaber – Yet Another Look », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, vol. 44, no 1, juin 2013, p. 19-47. 66 Voir particulièrement ses rapports au chapitre « Sur le renvoi de M. Le Sueur » et « Sur le remplacement de M. Le Sueur » dans ses Mélanges littéraires, t. IV, p. 71-75, 76-84. 65
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La musica a S. Ivo dei Bretoni in età moderna : uno studio archivistico Lo studio comparato della vita musicale delle chiese nazionali di Roma1 ha permesso di formalizzare un modello2 di organizzazione, verificabile in ognuna di queste istituzioni. L’integrazione tra bibliografia esistente e nuove scoperte archivistiche ha fatto emergere alcuni elementi ricorrenti : il periodo di affermazione delle cappelle musicali ; le modalità di reperimento di musicisti e di altri agenti legati a occasioni festive ; il ruolo del maestro di cappella ; la differenziazione tra musica ordinaria e musica straordinaria ; il processo di professionalizzazione dei musicisti ; il processo di italianizzazione del personale delle cappelle musicali. Questo saggio analizzerà, sulla base di recenti indagini archivistiche, l’attività musicale della chiesa di S. Ivo dei Bretoni in età moderna dalla prospettiva di questo modello.
S. Ivo dei Bretoni : cenni storici3 Sin dal XIV secolo si registra la presenza di una compagnia dei Bretoni a Roma. Con la bolla emanata da Papa Callisto III nel 1455, veniva consacrata l’esistenza della compagnia, alla quale veniva fatto dono di un ospedale stabile e una chiesa – che la compagnia dedicò al santo nazionale – nonché di importanti rendite. All’inizio della sua storia, la chiesa di S. Ivo dei Bretoni assicurava anche le funzioni religiose parrocchiali, dipendendo dalla vicina chiesa di S. Lorenzo in Lucina. A questa veniva corrisposta ogni anno una libbra di cera in occasione della festa di S. Lorenzo, il 10 agosto. 1 Studio condotto nell’ambito del progetto di ricerca Le modèle musical des églises nationales à Rome à l’époque baroque (Marie Curie program – Université de Liège, 2013-2015). 2 Michela Berti e Émilie Corswarem, « Il modello musicale delle chiese nazionali a Roma in epoca barocca : panoramica e nuove prospettive di ricerca », in Alexander Koller e Susanne Kubersky-Piredda (eds), Identità e rappresentazione. Le chiese nazionali a Roma, 1450-1650, Roma, Campisano Editore, 2015, p. 233-247. Versione francese : « Entre la Curie et la cour : la musique des églises nationales à Rome (xvie-xviiie) », in Thierry Favier e Thomas Lecomte (eds), Musique de la foi, musique du Pouvoir, Paris, Editions Picard (in corso di stampa). 3 Le notizie storiche sono tratte da : Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, « La compagnie de SaintYves des Bretons à Rome », Mélanges d’archéologie et d’histoire, no 37, 1918, p. 201-283.
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 231-244 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115085
Michela Berti
La chiesa fu indipendente per poco più di un secolo, fino al 1582, anno in cui fu amministrativamente riunita alla poco distante e certamente più importante chiesa di S. Luigi dei Francesi. L’archivio di S. Ivo dei Bretoni è confluito, insieme agli archivi delle altre case religiose francesi di Roma, nell’archivio dei Pieux Etablissement de la France à Rome et Lorette nel 1808-1810. La documentazione archivistica non si spinge più indietro nel tempo del 1508. Ma alcune notizie si ricavano da altre fonti ; è per esempio una lapide tombale, ora conservata nel chiostro della chiesa di S. Luigi dei Francesi4, ad informarci che fu il nobile Guillaume de Hautbois, cantore e canonico di Vannes, a prendere possesso della chiesa di S. Ivo nel 1455 a nome della nazione. L’iscrizione della sua pietra tombale lo ricorda come « bienfaiteur de l’hôpital de Bretagne », morto il 20 ottobre 1463 ; si può considerare come il primo rettore della chiesa5. Un altro riferimento al rettore cantore Guillaume si trova su un tabernacolo di bronzo contenente le reliquie di S. Ivo, che reca infatti la scritta « G. de Alto Nemore, Cathor Veneten » : la presenza del suo nome proprio sul reliquiario del Santo titolare conferma l’importanza di questa figura. Come per le altre chiese nazionali, anche per S. Ivo dei Bretoni la musica rappresentava una fonte di spese tra le più elevate della comunità. La situazione finanziaria della chiesa bretone era soddisfacente ; l’affitto degli immobili appartenenti alla chiesa assicurava alla compagnia delle rendite sufficienti a garantire il corretto funzionamento dell’ospedale e delle funzioni liturgiche. Una delle forme di pagamento degli affitti rende conto dell’importanza delle celebrazioni : infatti, la locazione delle case poteva essere corrisposta anche in cera per le candele per la festa del 19 maggio, giorno in cui si solennizzava S. Ivo. A differenza di molte altre chiese nazionali, anche minori6, per S. Ivo dei Bretoni non abbiamo il testo degli statuti ; questa è una grave perdita, poiché in questi scritti, seppur in larga misura standardizzati, è spesso possibile7 ritrovare le misure adottate anche in campo musicale dalla comunità. La ricostruzione della vita musicale della comunità bretone è dunque affidata alla ricerca archivistica. È grazie principalmente ai documenti contabili che siamo in grado di ricostruire le vicende musicali della chiesa. 4 L’antica chiesa di S. Ivo dei Bretoni fu demolita nel 1875, per lasciar spazio all’edificio attuale. In quell’occasione, molte opere di S. Ivo furono spostate a S. Luigi. 5 Au plaisir de Dieu. Présences héraldiques françaises dans la Rome de la Renaissance, catalogo della mostra presso l’Institut Français S. Louis de Rome, 8 maggio-6 giugno 2015, p. 18. 6 Michiel Verweij, « Het Broederschaps-boek van S. Giuliano dei Fiamminghi en de Statuten uit 1444 », Forum Romanum Belgicum, 2012, p. 1-30 (online) URL : http://www.bhir-ihbr.be/doc/3_forum_verweij.pdf 7 Michela Berti, « Tra “Regolamenti” e “musiche straordinarie” : la presenza di musicisti stranieri a San Luigi dei Francesi e nelle altre Chiese Nazionali di Roma », in Anne-Madeleine Goulet e Gesa zur Nieden (eds), Europäische Musiker in Venedig, Rom, und Neapel. 1650-1750, Basel-London, Bärenreiter, 2015, p. 397-424 ; Cristina Fernandes, « Daily Liturgy and ‘Internal’ Musical Practices in S. Antonio dei Portoghesi », in Michela Berti e Émilie Corswarem (eds), Music and the Identity Process : the National Churches in Rome and their Network in the Early Modern Period, coll. « Épitome musical », Turnhout, Brepols (in preparazione).
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Fig. 1. Pietra Tombale di Guillaume de Hautbois, chiostro di Saint-Louis-de-France, Roma (fotografia dell’autrice, riprodotta con il gentile permesso di Padre Bernard Ardura, Presidente dei Pieux Etablissement de France à Rome et Lorette)
Organo e organisti I registri ci informano che, almeno a partire dal novembre 1552, l’organista titolare della chiesa fu Jacopo Belloni8. Nonostante il nome all’apparenza italiano, dalla grafia con cui il Belloni firma le sue ricevute di pagamento, possiamo supporre invece una provenienza francese9. 8 Archivio des Pieux Etablissements de la France à Rome et Lorette, Fonds Ancien (d’ora in avanti : APEFR, F.A.), Reg. 249/1, f. 62, 65ro ; Reg. 249/2, f. 37ro, 41vo. 9 Desidero ringraziare, per il suo prezioso aiuto nella lettura di questo e di altri documenti utilizzati in questo saggio, la Dott.ssa Federica D’Uonno, attualmente dottoranda in Paleografia greca e latina presso l’Università la Sapienza di Roma.
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Michela Berti
Belloni fu in carica come organista di S. Ivo fino al gennaio 1554. Il suo salario ammonta a uno scudo al mese per tutto il periodo della sua attività. Possiamo supporre che l’attività organistica a S. Ivo non risalisse a tempi di molto precedenti ; nel 1545 la chiesa bretone ricevette in eredità da Jean Clerici, vescovo di Macerata morto in quell’anno, molti beni tra i quali degli organi10. Si può ragionevolmente ipotizzare che la pratica dell’accompagnamento organistico ebbe inizio grazie a questa eredità. Nel marzo 1554 troviamo all’organo il fiorentino Agostino Austoni, pagato due scudi e venti baiocchi11. Dal mese seguente è registrato il pagamento a « Masseus de Pedeluco presbitero et cappellano […] moderno organista nostro »12 ; proveniente da Piediluco, piccolo borgo vicino Terni affacciato sull’omonimo lago, l’organista dovrebbe essere lo stesso che ritroviamo in altri pagamenti del dicembre 1554 e del marzo 155513 seppur con la grafia modificata in « Mascus ». Il salario per l’organista è di 0,50 scudi al mese, al quale si aggiunge la « bibalia », una mancia, elargita per le celebrazioni come la Pasqua o il Natale, generalmente di 1 scudo14. Per i primi tre mesi del 1556 l’organista fu un « Fabritio » pagato 0,50 scudi al mese15, mentre da aprile 1556 a febbraio 1558 troviamo Mathico o Matheo16, il cui salario è leggermente aumentato, passando a 0,60 scudi al mese. È probabilmente di questi anni un documento nel quale i confratelli sembrano volersi liberare del peso delle spese dell’ospedale per il ricovero dei poveri e dei pellegrini ; in questo, la spesa per l’organista è citata come una delle voci di spesa fissa, alla quale i confratelli sembrano però non voler rinunciare : La nation n’est tenue à entretenir qu’un seul prêtre pour le service de la paroisse, or elle en entretient actuellement quatre, sans compter l’organiste et le petit clerc, j’estime donc qu’ayant la charge de tant de prêtres, elle n’est plus tenue à l’hospitalité, et vice versa17.
L’organista Jovanni Domenico, a volte chiamato solamente Domenico, fu attivo a S. Ivo dal marzo 1558 fino almeno al novembre 155918. Solamente in una ricevuta di pagamento appare anche il suo cognome : Tavolaccio19. Il suo salario è ulteriormente aumentato a 0,70 scudi al mese.
10 B.-A. Pocquet, « La compagnie de Saint-Yves des Bretons à Rome », art. cit., p. 238. Il Vescovo è ricordato anche con il nome di Giovanni Leclerc. 11 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 43vo. 12 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 44vo. 13 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 55ro e f. 60. 14 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 67ro. 15 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 72ro e 73vo. 16 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 78-79, f. 82, f. 87vo-89 ; Reg. 249/3, f. 64vo, f. 65ro. 17 B.-A. Pocquet, « La compagnie de Saint-Yves des Bretons à Rome », art. cit., p. 260. Pocquet indica come fonte la Liasse n. 247, corrispondente, nell’attuale ordinazione dell’archivio, alla Liasse 237 del Fonds Ancien. 18 APEFR, F.A., Reg. 249/3, f. 65-66-67-69-72-74-75-80-81-83. 19 APEFR, F.A., Reg. 249/3, f. 67vo.
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Per pochi mesi a cavallo tra il 1561 e il 1562, l’organista torna ad essere di provenienza francese : troviamo infatti Orlando Sulliard (o Salliard), pagato 0,55 scudi al mese20. Dal 1563 l’organista diventa Guglielmo Jacobi, che sembra aver mantenuto il suo posto fino alla fine del 1566 ; i documenti non sono molto chiari, poiché spesso all’organista vengono pagati diversi mesi contestualmente, ma il salario sembrerebbe essere tornato alla cifra di 0,50 scudi21. Nel dicembre 1566 troviamo il pagamento di 1 scudo ad « Antonio organista »22, ma da questo momento in poi i registri non menzioneranno più il nome, limitandosi a riportare mensilmente il pagamento « all’organista », che continua a essere di 1 scudo23. Nel novembre 1580 si trova invece il pagamento di due scudi « A mr Joa portoghese per l’organo »24, ma non è chiaro se si tratti di una somma elargita per l’affitto dello strumento o per aver suonato. Il contatto con i portoghesi non stupisce, poiché la chiesa di S. Ivo sorge a poche decine di metri dalla chiesa di S. Antonio dei Portoghesi, che contribuisce a rendere il quartiere un punto di ritrovo per gli emigrati di quella nazione. Dall’agosto 1582, dalla contabilità della chiesa sparisce il pagamento all’organista ; ciò coincide con la riunione della chiesa Bretone a S. Luigi dei Francesi. I primi anni della riunione delle due istituzioni segnano un evidente arretramento nella qualità della precisione archivistica ; è difficile rintracciare pagamenti a musicisti in questi anni. Nel suo studio sulla musica a S. Luigi dei Francesi nel XVII secolo, Jean Lionnet riporta il nome di Sebastiano Lancelloto (italianizzazione del francese Lancelot ?), assunto come organista per la chiesa di S. Ivo dei Bretoni da parte della congregazione di S. Luigi dal gennaio 1593 al luglio dello stesso anno25. Lo studioso francese non indica purtroppo la fonte della sua informazione, e allo stato attuale della ricerca il documento non è stato rinvenuto negli archivi. Ricominciamo a trovare i pagamenti per l’organista di S. Ivo a partire dagli anni ‘30 del Seicento, nei registri di Recettes et dépenses de l’église et hôpital Saint-Louis et de SaintYves ; nei primi anni ‘30 l’organista è Iulius Cesar Galletus, che è negli stessi anni organista anche a S. Luigi. Il salario mensile dell’organista per il suo servizio nella chiesa bretone è oramai arrivato alla cifra di 1,50 scudi26. Per ben sedici anni, dal 1636 al 1652, l’organista di S. Ivo è Agostino Neri o Del Nero ; il salario rimane invariato per tutto il periodo27. A lui succedono Francesco Antonio Verduni, negli anni 1653 e 165428, ed Egidio Guardabassi, negli anni 1655 e 165629. Guardabassi fu, dal luglio 1630 all’ottobre 1631, organista 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29
APEFR, F.A., Reg. 249/4, f. 88vo-89ro. APEFR, F.A., Reg. 249/4, f. 98-100ro-102-103ro-104-105vo-106-107ro-108vo-109. APEFR, F.A., Reg. 249/4, f. 110ro. APEFR, F.A., Liasse 237/1. APEFR, F.A., Liasse 237/1. Jean Lionnet, La musique à Saint-Louis, vol. I, Fondazione Levi, 1985, p. 17. APEFR, F.A., Reg. 170-172. APEFR, F.A., Reg. 173-189. APEFR, F.A., Reg. 190-191. APEFR, F.A., Reg. 192-193.
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presso la chiesa di S. Maria in Trastevere, istituzione per la quale ricoprì poi il ruolo di Maestro di Cappella dal novembre 1631 all’agosto 163430. Per un lungo periodo, dal 1657 ad almeno il 1667, l’organista fu Giacomo De Sanctis31. In questo lasso di tempo, diversi interventi furono necessari per la manutenzione dell’organo : il 18 giugno 1658 intervenne l’organaro Francesco Rossi32 ; del 21 maggio 169333 è il conto presentato dall’organaro fiammingo Emilio Bonaventura Ghenni per un accurato lavoro di restauro dell’organo. Un altro conto dello stesso Ghenni è del maggio dell’anno successivo34. Questi lavori di ristrutturazione dell’organo coincidevano quindi con la cerimonia annuale più importante della comunità bretone : quella del Santo patrono, celebrato ogni anno il 19 maggio. I decreti della congregazione del febbraio 1677 ci indicano il nome di « Hieronimus Balduccius » come organista della chiesa di S. Ivo35. Nei registri del XVIII secolo, si trova il pagamento trimestrale di 4,50 scudi all’organista di S. Ivo ; il salario si è dunque assestato sulla cifra di 1,50 scudi mensili. I registri non riportano il nome del musicista. Degno di nota un documento del 17 settembre 1722, rinvenuto nel registro degli Aidemémoire di Jean Lelong, segretario della Congregazione di S. Luigi : L’organista di San Ivo riceve dalla Chiesa scudi 18 moneta l’anno, e manda un novitio al quale si crede che paga un testone per volta ; il detto organista è stato avvisato che se non suonerà in persona, gli sarà tolto l’impiego36.
Questo documento è molto interessante poiché suggerisce una subalternità dell’impiego a S. Ivo rispetto ad altri incarichi, evidentemente più remunerativi per l’organista in carica. Possiamo ipotizzare che l’organista in questione fosse Girolamo De Sanctis, poiché un altro documento dell’11 marzo 1723 ci informa della decisione della Congregazione in merito alla sua successione : Vacante munere Organici Cantoris in Ecclesia nostra S.ti Yvonis per obitum R.D. Hieronymi De Sanctis instituatur Nicolaus Vasnier cum solito emolumento scudi 18 annuorum37.
Dal 1723 l’organista di S. Ivo fu quindi Vasnier, conosciuto finora solamente come compositore del terzo atto de La Flora, « Dramma pastorale da recitarsi nel carnevale dell’anno 1734 »38. Graham Peter Dixon, Liturgical Music in Rome (1605-1645), PhD Durham University, 1981, p. 70. Durham E-Theses Online : http://etheses.dur.ac.uk/4922/ (ultimo accesso : 24/12/2016). 31 APEFR, F.A., Reg. 194-204. 32 APEFR, F.A., Reg. 195. 33 APEFR, F.A., Liasse 84. Cf. J. Lionnet, La musique à Saint-Louis (vedi nota 25), vol. 2, doc. 190, p. 161. 34 APEFR, F.A., Liasse 85. Cf. J. Lionnet, La musique à Saint-Louis, vol. 2, doc. 191, p. 162. 35 APEFR, F.A., Reg. 37. 36 APEFR, F.A., Reg. 42, p. 132. 37 APEFR, F.A., Reg. 43. 38 La Flora. Drama pastorale da recitarsi nel carnevale dell’anno 1734… In Roma, nella stamperia di Antonio de’ Rossi, s. d. (1734). A pag. 7 si legge: « La musica del primo atto: del signor Gio. Corticelli ; del secondo atto: 30
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La musica a S. Ivo dei Bretoni in età moderna : uno studio archivistico
Negli anni seguenti continua il pagamento trimestrale di 4,50 scudi all’organista. A partire dal 1747, le spese per la chiesa di S. Ivo vengono tutte accorpate in un’unica dicitura annuale ; il salario dell’organista e quello dell’organaro, che si trova ogni anno, vengono accorpati a quelli del curato, del confessore, delle Messe e perfino del vino e dell’aglio. Arriviamo così a perdere ogni informazione dettagliata relativa alla vita musicale dell’istituzione.
Musica per la festa di S. Ivo e altre musiche straordinarie La più importante celebrazione annuale, nella chiesa dei bretoni, era la festa del Santo patrono, solennizzata il 19 maggio. In questa occasione, la congregazione era disposta ad effettuare delle notevoli spese : la chiesa veniva parata con dei festoni ; in alcuni anni, si trova il pagamento anche per erigere le Armi del Re di Francia e, occasionalmente, anche di altri sovrani, come per esempio avvenne nel 1580 quando furono erette anche le armi del Re di Polonia39 ; era questa l’occasione anche per far stampare l’indulgenza ; si trovano i pagamenti per il maestro di cerimonie, per il facchino addetto ad apparare la chiesa, per la cera delle candele ; la musica veniva assicurata dall’organista, dai trombetti – presumibilmente di S. Angelo – dai musici di Campidoglio e dalla cappella musicale di S. Luigi che per questo evento veniva a cantare nella piccola chiesa bretone. Gli archivi conservano le ricevute di pagamento firmate dai maestri di cappella di S. Luigi dei francesi : Firmin Lebel per gli anni 1553-155940 ; Annibale Zoilo nel 156341. Un pagamento ci rivela che, per la festa di S. Ivo del 1554, intervenne anche il maestro di cappella bretone Silvestro Le Goutx per la messa e per assistere alla processione42. Anche in questo caso, la riunione della confraternita bretone a quella di S. Luigi dei francesi causa una netta perdita di informazioni nei documenti ; una tale precisione archivistica non si riscontrerà più negli anni e nei secoli seguenti. Una ricevuta firmata da Stefano Fabri, maestro di cappella di S. Luigi, ci mette a parte di quali potessero essere le consuetudini per la solennizzazione di S. Ivo durante il XVII secolo : Liste de la dépense de S. Yves pour les musiciens aux 40 heures et pour le jour de la feste de St. Yves de l’annés 1657. La coutume ordinaire, ainsi que je voy dans le livre c’est de donner aux musiciens pour les 40 heures et pour le jour de la feste de St. Yves aux premières et secondes vespres et à la grande messe 14 écus43. del signor Gio. Costanzi ; del terzo atto: del signor Abate Nicola Vasnier » ; cf. Saverio Franchi, Drammaturgia romana, Edizioni di Storia e Letteratura, Roma, 1997, vol. 2, p. 281. 39 APEFR, F.A., Liasse 237/1. 40 APEFR, F.A., Reg. 249/1, f. 176ro ; Reg. 249/2, f. 84vo-86vo ; Reg. 249/3, f. 76vo. 41 APEFR, F.A., Reg. 249/4, f. 96ro. Per l’attività di Lebel e Zoilo presso la chiesa nazionale francese, si veda Herman-Walther Frey, « Die Kapellmeister an der französischen Nationalkirche San Luigi dei Francesi in Rom im 16. Jahrhundert », Archiv für Musikwissenschaft, no 22, 1965, p. 272-293 e no 23, 1966, p. 32-60. 42 APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 47ro-48vo. 43 APEFR, F.A., Liasse 59a ; citato in J. Lionnet, La musique à Saint-Louis, op. cit., vol. II, p. 112, doc. 145.
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Nel 1723 venne creata una nuova Confraternita su iniziativa di curiali e notai, sotto la protezione di S. Ivo ; il nuovo sodalizio scelse quindi la chiesa dei Bretoni come sede. La Confraternita fu approvata da Innocenzo XIII il 19 novembre 172344. Ciò comportò una diversa organizzazione e la compartecipazione della nuova confraternita alle spese per la festa del Patrono : Compagnia de S.t Yvo Capitoli concordati il p.° Ott.e 1723 Dovendosi eriggere da Curiati e Notari una nuova Confraternita sotto la protezione de SS. Yvo et Egido ad effetto di pregare S.D.M. p le purganti Anime di Purgatorio nella chiesa di S. Yvo di Roma si desidera come appresso cioè […] 11. Che dal Sud.o S. Curato con il consenso Sud.o si concedi in liberta la d.a Chiesa alla pred.a Confrat.a nelli g.ni della Festa de SS. loro Protettori, e queste feste si faccino a tutte spese della med.a Conf.a. 12. Che la d.a Conf.a in occasione di dd.e feste debba aver l’uso dell’Organo e suono delle campane tante volte quante fara di bisogno. 13. Che l’officiatura di dd.e feste tanto di Messe Cantate che Vesperi si debba fare dal S. Curato al q.le la Confraternita debba pagare quello si usa, che è di consuetudine45.
La figura del festarolo era fondamentale per la decorazione della chiesa : nei documenti della congregazione bretone spesso troviamo anche i nomi di questi agenti : il presbitero Silvestro nel 155946 ; don Antonio dal 1580 al 158347 ; Francesco Fornari nel 170348. La chiesa non veniva parata solamente per la festa di S. Ivo, ma anche per l’orazione delle Quaranta Ore, per la quale venivano portati i « panni » di S. Luigi49. Un documento del 1725 riporta la convenzione stilata tra la congregazione di S. Luigi, da cui dipendeva amministrativamente S. Ivo, e i festaroli per l’addobbo delle chiese di S. Luigi, S. Ivo e il SS.mo Salvatore nei giorni delle rispettive feste : Capitoli, e Conventioni concordate coll’infrascritti Festaroli per l’apparatura delle Ven.li Chiese del SS.mo Salvatore, S. Luigi, e Sant’Yvo approvate dalla piena Cong.ne come per Decreto emanato fatto li 4 maggio al quale & quali doveranno osservarsi nel modo seguente cioè Per la festa di S. Luigi […] Per la Chiesa di Sant’Yvo il giorno della Festa appararla con parati gialli, e rossi secondo il solito con suoi festoni et arme alle Porte. Quando le convenzioni sudette siino puntualm.te adempite s’obbligano li SS.ri Deputati della Regia Chiesa di San Luigi de’ Francesi pagare annualm.te scudi settanta l’anno da Gaetano Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica da S. Pietro sino ai nostri giorni, Venezia, Tipogr. Emiliana, vol. XIX, 1843, p. 38-39. 45 APEFR, F.A., Liasse 237/10, congregazione del 1 ottobre 1723. 46 APEFR, F.A., Reg. 249/3, f. 77ro. 47 APEFR, F.A., Liasse 237/1. 48 APEFR, F.A., Reg. 226, p. 300 b. 49 APEFR, F.A., Liasse 42. 44
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principiare il giorno di Pentecoste prossimo futuro, e così continuare à beneplacito della Cong.ne, essendo così concordato in conformità del Decreto emanato li 4 Maggio 1725. Obbligo delli Festaroli Noi sottoscritti inerendo alli detti capitoli, e conven.ni con la presente da valere come pubblico notaro ci obblighiamo servire la Ven.le regia Chiesa di San Luigi nelli modi e forme convenute di sopra, et in caso di Contravenz.e vogliamo essere tenuti à tutti li danni Se tutto ciò ci obblighiamo adempiere per l’anno pagamento di scudi settanta nel modo, e forma stabilita dall’Ill.ma Cong.ne, e così ci obblighiamo nella più ampia forma della reverenda Camera Apostolica in Roma. q.to di 5 Maggio 1725. Io Francesco Scacciati Io Marco Liatoni Obligo della [sicurtà] Io sottoscritto con la presente dichiaro, e m’obbligo, che li sudetti festaroli puntualm. te adempiranno quanto di sopra si è convenuto obligandomi [io in solidum] con essi all’osservanza delle cose sudette nella detta forma della R.C.A. in Roma q.to di 5 maggio 1725 Carlo Campanella50
I festaroli non intervenivano solamente per la festa di S. Ivo, ma anche per la processione del Corpus Domini e per la festa della Candelora o Purificazione. Queste erano le altre due occasioni in cui la chiesa di S. Ivo dei Bretoni dispiegava maggiori mezzi e faceva uso di maggiore sfarzo. Nello specifico, si faceva ricorso anche per il Corpus Domini ai cantori della Cappella musicale di S. Luigi dei Francesi, come testimoniano alcuni pagamenti degli anni 1564-1583 ; inoltre veniva servita una colazione a questi, ai cappellani, al sacrestano, ai chierici e all’organista ; per quest’ultimo era anche prevista una « bibalia »51. La spesa per i cantori era la più elevata, come si evince chiaramente da un documento del 1598, che ci informa anche del fatto che i putti, sia di S. Ivo che di S. Luigi, prendono anch’essi parte alla celebrazione del Corpus Domini : Spese fatte per la processione del Corpo di Cristo nella chiesa di S. Yvo nel 1598 Per li cantori
2,00
Per il diacono e sottodiacono Per li preti che sono stati alla processione Per li porta incensieri e crucifero Per li putti tanto di St. Ivo come St. Luigi A Desiderio per haver portate summe 6 di diversi robe tanto per St. Yvo come per la processione Per la verdura
0,40 1,60 0,60 0,30
50 51 52
0,24 0,2552
APEFR, F.A., Reg. 43, f. 44ro. APEFR, F.A., Reg. 249/2, f. 75ro-78-79-87vo-89 ; Reg. 249/4, f. 102ro ; Liasse 237/1. APEFR, F.A., Liasse 42.
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Il pagamento per i putti si trova anche per l’orazione delle Quaranta Ore53. Un altro pagamento per la processione del Corpus Domini del 1602 ci conferma che questa ricorrenza continuò ad essere celebrata in questo modo54. Negli anni ‘80 del XVI secolo, anche la festa della Candelora o Purificazione sembra avere una certa rilevanza nel calendario di S. Ivo ; in questa occasione non interviene la cappella musicale di S. Luigi, ma viene spesa una discreta cifra per candele e cera. Inoltre viene pagata la « bibalia » a cappellani, chierici e organista e vengono sempre chiamati dei preti esterni per assistere alla celebrazione : nel 1580 è un prete portoghese, probabilmente della vicina chiesa di S. Antonio, ad assistere55. Le altre celebrazioni per le quali la congregazione era disposta a investire cifre ragguardevoli erano i principali appuntamenti liturgici annuali : il Natale, la Pasqua, Ognissanti. Per queste occasioni si riscontrano pagamenti supplementari a cappellani, chierici, organista. Vanno ricordati, infine, gli eventi in cui la piccola chiesa bretone fu coinvolta, accanto alla chiesa di S. Luigi, nelle celebrazioni straordinarie organizzate per feste legate alla dinastia francese. Nel novembre 1638 venne solennizzata con molto sfarzo la nascita del Delfino di Francia : un’accurata relazione, a cura di Antonio Gerardi56, descrive le diverse fasi delle allegrezze organizzate dal 21 al 30 novembre. Il cardinale Barberini e l’ambasciatore francese cardinal D’Estrées furono tra i principali mecenati. Contestualmente, la chiesa di S. Ivo celebrava anche l’arrivo di una reliquia del Santo : un frammento di una costa toracica inviata dal capitolo di Tréguier57. Questa fu certamente l’occasione in cui la chiesa di S. Ivo fu maggiormente coinvolta in quelle manifestazioni festive tipiche della Roma moderna, in cui il confine tra celebrazione religiosa e politica si rivelava inesistente. Le iscrizioni apposte sui tre archi trionfali eretti nel percorso tra S. Luigi dei Francesi e S. Ivo dei Bretoni confermano la sovrapposizione tra S. Ivo e il Delfino, entrambi presentati come protettori di Francia. Questo percorso fu quello seguito dalla processione che si svolse il 30 novembre, alla quale presero parte il « concorso del popolo […], la moltitudine delle carrozze » e si videro le « finestre piene di Dame, & di altra Nobiltà ». La processione era aperta dal suono di tamburi e trombetti, seguiti dai religiosi della Madonna Santissima dei Miracoli e di S. Luigi, dalle zitelle dotate dal cardinale Barberini, il cardinale stesso e l’ambasciatore francese con le loro rispettive famiglie, tutti con torce accese. La cappella musicale di San Luigi fu coinvolta anche in questo caso, eseguendo Inni APEFR, F.A., Liasse 42. APEFR, F.A., Liasse 43. 55 APEFR, F.A., Liasse 237/1. 56 Antonio Gerardi, Descrittione delle feste fatte in Roma per la nascita del Delfino hora Ludouico 14. re di Francia, e di Nauarra, e del donatiuo mandato alla santa Casa di Loreto. Con vn breue racconto dell’essequie fatte al defonto re suo padre, Roma, nella stamperia di Lodouico Grignani, 1643. 57 B.-A. Pocquet, « La compagnie de Saint-Yves des Bretons à Rome », art. cit., p. 250. 53 54
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Fig. 2. Frontespizio del Basso Responsorii della Natività di Nostro Signore Giesù Christo, Con l’Invitatorio ; Salmo Venite exultemus, & Te Deum laudamus di Francesco Anerio del 1629, Biblioteca di Saint-Louis-de-France, Roma (fotografia dell’autrice, riprodotta con il gentile permesso di Padre Bernard Ardura, Presidente dei Pieux Etablissement de France à Rome et Lorette)
e Mottetti durante la processione e il Te Deum di ringraziamento una volta la processione arrivata a S. Ivo. I registri della Congregazione di S. Luigi conservano la ricevuta di 50 scudi firmata il 29 novembre da Orazio Benevolo « pour la musique faicte en me.d Eglise pour la naissance de Monsieur le Dauphin »58. Dovuta alla contemporanea ricezione della reliquia del santo bretone, questa fu l’occasione più evidente in cui S. Ivo fu posta al centro di festeggiamenti dinastici. I successivi 58
J. Lionnet, La musique à Saint-Louis, op. cit., vol. 2, p. 84, doc. 111.
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Fig. 3. Frontespizio della parte del Tenor del Missarum cum quatuor & Quinque vocibus, Liber Quartus di Giovanni Pierluigi da Palestrina (1590), Biblioteca di Saint-Louis-de-France, Roma (fotografia dell’autrice, riprodotta con il gentile permesso di Padre Bernard Ardura, Presidente dei Pieux Etablissement de France à Rome et Lorette)
due eventi di cui abbiamo notizia in cui la chiesa bretone fu coinvolta, il matrimonio del Delfino nel settembre 172559 e la nascita del Delfino nel 178160, videro solamente un concorso alle illuminazioni, qui fatte come in diversi altri luoghi della città. Un ultimo cenno verrà fatto per il repertorio musicale in uso nella chiesa bretone : tre documenti seicenteschi ci vengono in aiuto : il primo è un inventario dei beni della chiesa di S. Ivo redatto il 27 febbraio 1610 : 59 60
Mercure de France, t. IX, Juillet-décembre 1725, p. 346-348. Gazette de France, no 7, Du Mardi 22 Janvier 1782, p. 32.
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Inventarium rerum et [bonor] mobilium Ven.lis Ecclia S.ti Yvonis Nationis Britannie de Urbe… Cotte […] Et un legivo per cantar l’epistola et l’evangelio […] Et missali cinque tra usati et buoni con un libretto per administrare il S.mo Sacramento chiamato ordo baptisandi […] Et tre libri per cantar la passione In choro Libri da Cantare n.° sei graduali doi Antiphonari doi psaletrio uno et breviario uno Et un candeliero di legno per l’off.o della Settimana Santa Et doi banchetti per ingenochiare et un altro bancho da sedere61
Gli altri documenti sono due partiture attualmente conservate nella biblioteca di S. Luigi dei Francesi : la partitura del Basso Responsorii della Natività di Nostro Signore Giesù Christo, Con l’Invitatorio ; Salmo Venite exultemus, & Te Deum laudamus di Francesco Anerio del 162962 (Fig. 2); la parte del Tenor del Missarum cum quatuor & Quinque vocibus, Liber Quartus di Giovanni Pierluigi da Palestrina del 159063 (Fig. 3). In entrambi i casi, un’addenda manoscritta sul frontespizio indica la provenienza dalla chiesa di S. Ivo.
* Dalla documentazione apportata, emerge innanzitutto come la riunione della Congregazione dei bretoni a quella di S. Luigi dei francesi abbia causato una notevole perdita di precisione nella compilazione archivistica. In tutti gli archivi delle altre chiese si riscontra una crescente attenzione al dettaglio con il passare degli anni, circostanza dovuta anche alla maggiore reperibilità di documenti più tardivi ; a S. Ivo dei Bretoni si registra invece una maggiore cura archivistica prima del 1582, anno dell’unificazione a S. Luigi. Ciò crea un fenomeno del tutto singolare, poiché ci troviamo a poter ricostruire e descrivere con maggiore precisione ciò che avveniva nei secoli più lontani. Volendo tentare un paragone con un’altra piccola chiesa nazionale, come poteva essere quella di S. Giuliano dei Fiamminghi, ci troviamo infatti di fronte alla grande differenza che, in quest’ultima istituzione, sono molto più dettagliati gli eventi dal XVII secolo in avanti64. Ciò nonostante, è possibile, proprio per mezzo della comparazione, verificare come alcuni meccanismi si ritrovino anche a S. Ivo dei Bretoni. Innanzitutto la nascita della cappella musicale a S. Ivo dei Bretoni è ascrivibile allo stesso periodo di nascita delle cappelle musicali delle altre chiese nazionali, cioè intorno alla metà del XVI secolo. In questo periodo nessuna chiesa nazionale, ad eccezione di S. Luigi dei Francesi, poteva vantare una cappella musicale fissa ; anche nella chiesa bretone, la presenza APEFR, F.A., Liasse 237/3, f. 7vo-8ro. Segnatura 67/157. 63 Non catalogato; segnatura 67/146. 64 Émilie Corswarem, « Una nazione ricostruita. Musica e feste delle confraternite tedesche e fiamminghe a Roma nel Seicento », in A.-M. Goulet e G. zur Nieden (eds), Europäische Musiker in Venedig, Rom, und Neapel, op. cit, p. 397-424. 61 62
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musicale è limitata all’organista. Anche nel caso di S. Ivo dei Bretoni, sono i preti stessi della comunità ad assicurare le funzioni cantate quotidiane, con il solo accompagnamento dell’organo. Per le celebrazioni straordinarie, in cui è necessario vantare un maggiore sfarzo, si ricorre invece a musicisti esterni : i musici di Campidoglio, i trombetti di S. Angelo e, soprattutto, la cappella musicale di S. Luigi dei Francesi. La scelta di ricorrere proprio a questa cappella musicale, anche nel periodo precedente all’unificazione di S. Ivo con S. Luigi, appare scontata, tanto per la comune origine, quanto per la prossimità geografica delle due istituzioni. Prossimità che diventa invece ragione principale nel ricorso a personale e mezzi della vicina chiesa portoghese. Il processo di professionalizzazione e italianizzazione dei musicisti è conforme a quanto avviene nelle altre chiese nazionali ; se negli anni ‘50 del Cinquecento è prevalente la presenza di musicisti della « nazione » – l’organista Belloni, il maestro di cappella Le Goutx – con il passare del tempo si stabilizza l’uso di avvalersi di musicisti italiani. Il ricorso a prestigioso personale musicale esterno in occasione della festa di S. Ivo allinea anche la piccola chiesa bretone all’esigenza delle diverse istituzioni romane : quella di misurarsi sul terreno festivo, attraverso l’ostentato sfarzo. Una notevole differenza da sottolineare è invece la pressoché totale assenza di celebrazioni straordinarie organizzate per motivi politici e legate alla famiglia reale. La sola occasione in cui abbiamo visto la chiesa bretone coinvolta è la processione del 1638 in cui un evento dinastico, la nascita del Delfino, viene associato a un evento più strettamente sacro, l’arrivo di una reliquia del Santo patrono. Ciò è dovuto senza dubbio al fatto che gli eventi dinastici francesi erano solennizzati con grande pompa nella più importante e visibile chiesa di S. Luigi, rappresentante di tutto il regno francese e non solamente di una regione di esso. La subalternità della piccola chiesa bretone a S. Luigi è riscontrabile anche in alcune decisioni della congregazione dei francesi di interesse musicologico, come la decisione del 1720 di sottoporre i preti, desiderosi di essere ricevuti come cappellani a S. Luigi, a una sorta di esame, consistente nel « cantare una messa nella chiesa di Sant’Ivo dei Bretoni in presenza di Maestri di Cerimonia, e canto65 ». Michela Berti Progetto ERC PerformArt École française de Rome
65
M. Berti, « Tra “Regolamenti” e “musiche straordinarie” », art. cit., p. 407.
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quatrième partie
Des saints et du sacré
Réflexions sur la royauté sacrée L’histoire politique de l’État moderne est hantée par les thèmes de la sacralisation et de la désacralisation du pouvoir1. Cette dernière est souvent assimilée à la modernité politique et à la notion connexe et complexe de sécularisation, entendue soit comme accomplissement des principes du christianisme, soit comme auto-fondation d’une modernité sans ra cine religieuse, soit enfin comme transfert inconscient de valeurs chrétiennes et donc d’inachèvement du processus d’émancipation et de désaliénation du religieux2. Sans que soit bien définie ce qu’on appelle la royauté sacrée. Le sacré est une catégorie forgée par les sciences sociales dans un contexte chrétien pour qualifier une émotion, un sentiment, une relation collective à l’éternité, sans qu’il y ait monothéisme, Église et clergé. Dès lors, le sacré peut désigner tout ce qui peut transcender la finitude humaine, comme la patrie, la nation, l’État… À cette relation du sacré à l’éternité s’ajoute celle qu’entretient cette notion avec le sacrifice et la mise à l’écart. Voilà qui suppose rite et cérémonie. La notion de royauté sacrée est très ancienne : elle est évoquée dans les religions juive, chrétienne, musulmane avant que Frazer ne l’institue dans le Rameau d’or3 pour décrire certaines royautés africaines. Depuis, les études des africanistes, peut-être davantage que celles consacrées aux peuples d’Amérique ou d’Océanie, ont conforté la pertinence de cette notion et l’ont décliné sous diverses appellations, royauté divine, roi magicien, roi sacré ou dynastie sacrée4. Les études sur la royauté divine en Afrique ont été l’occasion d’établir des liens avec les pharaons, par le biais de la diffusion des populations prédynastiques égyptiennes en Afrique, les Hamitiques. Mais se pose la question de la validation, mais aussi des variations voire des limites de la possibilité de tenir la notion pour universalisable. Pas plus que les anthropologues, les historiens ne peuvent éviter la question de la royauté Jeffrey Merrick, The Desacralization of the French Monarchy in the Eighteenth Century, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1990. Alain Milhou, « La sacralisation de la figure monarchique », dans Id., Pouvoir royal et absolutisme en Espagne au xvie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998, p. 86-103. Marcel Gauchet, « L’État au miroir de la raison d’État : la France et la chrétienté », dans Yves-Charles Zarka (éd.), Raison et déraison d’État, Paris, Puf, 1994, p. 196-244. Robert Descimon et Fanny Cosandey, L’absolutisme en question, Paris, Seuil, 2002, chapitre 3. 2 Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation de Hegel à Blumenberg, Paris, Vrin, 2002. 3 James Frazer, Le rameau d’or (1890), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010. 4 Voir les articles de Jacques Pirenne, « Les origines et la genèse de la monarchie en Égypte » et Luc de Heusch, « Aspects de la sacralité du pouvoir en Afrique », dans Le pouvoir et le sacré, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 1962. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 247-266 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115086
Jean-Marie Le Gall
sacrée5 : Marc Bloch le fit pour les rois de France et d’Angleterre6. Mais les spécialistes des souverains suméro-akkadiens, des royautés hellénistiques, des pharaons7, des empereurs de Chine, du Japon8, des empires Inca ou Aztèque9 ont aussi alimenté le débat. D’aucuns pour rappeler tout d’abord qu’il y a des royautés sans sacralité. Posener10 en 1960 dans De la divinité des pharaons a estimé que le pharaon était très peu divin. Les rois de Mésopotamie ne sont pas davantage tenus pour des dieux ni de leur vivant ni après leur mort sauf à la fin du iiie millénaire avant J.-C11. Les rois Bandia dans l’Oubangui, étudiés en 1967 par Éric de Dampierre12, ne sont pas sacrés. Ces constats invitent à deux observations. Il existe probablement des royautés sans sacralité. Et ce depuis longtemps. La royauté homérique d’Agamemnon qui illustre la royauté mycénienne n’est ni sacrée, ni magicienne. Il porte un sceptre comme les prêtres, signe du pouvoir suprême comme Zeus. Mais ce n’est ni un roi prêtre ni un roi sacré. Il est établi par les dieux sans être un roi sacré. Dans le monde chrétien, tout pouvoir venant de Dieu, le pouvoir royal mais aussi celui des magistrats est d’institution divine sans pour autant être être divin et sacralisé. L’autre observation est méthodologique : chaque chercheur décrit le pouvoir qu’il étudie comme sacré dans une perspective idiosyncrasique. Cela tient au fait que, si le sacré peut être un concept largement partagé, son contenu n’a rien d’invariant dans l’espace et le temps. Tout d’abord le couple binaire sacré/profane peut être dégradé en d’infinies nuances13. Il y a une hiérarchie des sacralités, et donc une pluralité à l’œuvre. En outre, la pente naturelle de nombre d’observateurs issus du monde occidental est d’adopter un langage historique ou anthropologique qui est inconsciemment prisonnier des cadres d’une culture théologicopolitique héritée du christianisme. Aussi faut-il préalablement se garder de quelques préjugés, comme celui qui consiste à tenir le sacré pour un héritage primitif ou archaïque qui est condamné à disparaître dans une perspective téléologique du progrès, de la modernité et de la sécularisation : les études, sur la France moderne, ou sur la royauté Ganda du Bujanda au xixe siècle menées par Henri Médard14, montrent que les phénomènes de sacralisation du pouvoir sont parfois des 5 Sergio Bertelli, The King’s Body : Sacred Rituals of Power in Medieval and Modern Early Europe, trad. R. Burr Litchfield, University Park (PA), The Pennsylvania State University Press, 2001. 6 Marc Bloch, Les rois thaumaturges ; étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale (1924), Paris, Armand Colin, 1983. 7 Voir Alexandre Moret, Du caractère religieux de la royauté pharaonique (1902), Paris, Slatkine Reprints, 2007 ; Marie-Ange Bonhême et Annie Forgeau, Pharaon. Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin, 1988. François Daumas, La civilisation de l’Égypte pharaonique, Paris, Arthaud, 1971. 8 Voir Danielle et Vadime Elisseeff, La civilisation de la Chine classique, Paris, Arthaud, 1979 et La civilisation japonaise, Paris, Arthaud, 1974. 9 Voir Jacques Soustelle, Les Aztèques à la veille de la conquête espagnole (1955), Paris, Hachette, 2002. 10 Georges Posener, De la divinité des pharaons, Paris, Imprimerie nationale, 1960. 11 Pierre Briant, Histoire de l’empire perse, Paris, Fayard, 1996, notamment chapitre vi. 12 Éric de Dampierre, Un ancien Royaume bandia du Haut-Oubangui, Paris, Plon, 1967. 13 Voir Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1965. Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne xviie-xviiie siècle, Paris, Fayard, 2002. 14 Henri Médard, Le royaume du Buganda au xixe siècle : mutations politiques et religieuses d’un ancien État d’Afrique de l’Est, Paris, Karthala, 2007.
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Réflexions sur la royauté sacrée
inventions récentes. La principale critique adressée à Frazer a été de rester prisonnier d’un schéma évolutionniste (roi magicien, roi dieu, roi prêtre). Keith Thomas a invité à se méfier de cette nette séparation entre magie et religion15. Il convient aussi d’éviter de confondre pouvoir sacré et pouvoir absolu. Un souverain peut être sacré sans être tout-puissant, comme l’empereur au Japon16, ou le calife face aux sultans et autres émirs. La notion de puissance est politique, la notion de sacré est d’abord religieuse. Dans Le pouvoir et l’interdit paru en 2000, Alfred Adler17 estime que la symbolique royale est indépendante de l’étendue et de la puissance de celui qui la détient. Un roi sacré garant de l’ordre et de l’harmonie ne fera pas forcément la guerre, abandonnant sa conduite à un tiers. De sorte que le sacré est parfois même un moyen de limitation de la puissance politique ; soit parce qu’il enferme le roi sacré dans un carcan d’obligations religieuses ; soit parce que l’on estime que la vie de l’empereur ne doit être perturbée par les querelles des hommes ; soit enfin parce que le sacré est institutionnalisé dans une structure qui ne se confond pas avec le roi. Dans le même ordre d’idée, Frazer souligne que c’est parce que le roi est sacré qu’il doit être protégé de toutes les contingences humaines afin de préserver l’harmonie du monde. Il vit au rythme de la nature. On retrouve ici l’idée de rex inutilis développée par Agamben dans le règne et la gloire18 où, à côté du paradigme du règne, du pouvoir et de la transcendance, existe celui du gouvernement, de l’administration et de l’histoire des hommes. « Il faut que Dieu soit impuissant pour que le monde soit bien gouverné »19. Cette idée d’un roi sacré impuissant éclaire a contrario la remarque de Montesquieu affirmant que, dans un régime porté au despotisme, il faut que la religion soit forte20. Cette séparation du sacré et du profane ou du règne et du gouvernement explique que, dans la tradition occidentale chrétienne, mais aussi dans d’autres religions comme dans l’Inde bouddhiste, l’institution religieuse est englobante ou dominante. Le sacré est monopolisé par l’institution ecclésiale qui, tout au plus, en délègue un peu au pouvoir politique. Mais faut-il pour autant enfermer le sacré dans ce qui est consacré par des religions dotées d’un clergé ? Il faut être prudent dans l’analyse des cultes rendus aux souverains. Ils ne peuvent être intelligibles par la mobilisation des critères des religions du livre, à savoir en terme de croyance, de foi ou d’adhésion intérieure. Il faut accepter l’existence d’un polythéisme du faire et ne pas tout rabattre sur les monothéismes du croire. La religion n’est pas partout profession de foi individuelle ou collective mais pratique du culte. Et, dans ces conditions, la question de la sincérité dans les honneurs rendus n’a pas de sens puisqu’ils sont accomplis. Voilà qui conduit enfin à ne pas s’en tenir à la seule définition de la nature divine imposée par les religions du livre : un dieu unique, sans début, ni fin, établi dans une éternité absolue. Notons cependant qu’associer la nature divine à l’immortalité est en soit contestable dans le
Keith Thomas, Religion and the Decline of Magic (1971), New York, Penguin Books, 1991. D. et V. Elisseeff La civilisation japonaise, op. cit. 17 Alfred Adler, Le pouvoir et l’interdit. Royauté et religion en Afrique noire, Paris, Albin Michel, 2000. 18 Giorgio Agamben, Le règne et la gloire : Pour une généalogie théologique de l’économie et du gouvernement, Paris, Seuil, 2008. 19 Ibid., p. 167. 20 Montesquieu, L’esprit des lois, Livre II, chapitre IV. Voir Marie-France Renoux Zagamé, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, 2003, en particulier le chapitre II : « L’esprit des lois, substitut de l’esprit de Dieu ». 15 16
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christianisme, comme l’a souligné avec force Jean-Luc Marion21, puisqu’avant de ressusciter, Dieu est mort. Mortalité et divinité ne sont pas si intangibles. Il faut donc se garder de rendre trop étanche la frontière entre l’infini divin et la finitude des mortels. Chez les anciens, la frontière entre les hommes et les dieux est poreuse, ne serait-ce qu’en raison de l’existence des héros. Les empereurs reçoivent de leur vivant des honneurs qui sont parfois semblables à ceux rendus aux dieux (isotheoi)22. À leur mort, la divinisation ou consecratio est votée par le sénat et les place parmi les dieux, mais sans vraiment en être un, car le latin distingue divus de deus. Mais le grec désigne indistinctement l’empereur par theos, divus et deus. Marquée par l’idéologie royale grecque, les provinces hellénophones appellent l’empereur vivant « theos ». Le sénat ne divinise pas seulement l’empereur mais des membres de sa famille : la grande mère de Claude, la sœur de Caligula, la fille de Néron et le nouveau-né de Domitien. L’analyse des royautés sacrées combine donc plusieurs niveaux d’analyse. L’une, fonctionnaliste, s’efforce de comprendre quelle est la fonction du roi sacré dans une société et suppose de repérer la place qu’il occupe dans une vision du monde qui modèle l’organisation sociale. Une autre, historique, s’efforce de comprendre dans quel contexte surgissent des sacralisations royales, postulant que ce n’est pas nécessairement un invariant constant d’intensité continue, mais qu’alternent des phases de sacralisation et de désacralisation, et probablement des phases de basse intensité. A contrario, une démarche anthropologique et structuraliste s’efforce de comprendre, par-delà la diversité des gestes, des rites et des cérémoniaux, la grammaire universelle constituant le langage de la royauté sacrée. Mais chacune de ces démarches ne peut faire l’économie d’une distinction entre politique et religieux ou entre sacré et religion. Les partages ne se font pas toujours selon les lignes de notre sécularisation occidentale contemporaine. Dans les sociétés gréco-latines, le religieux est inclus dans le politique, puisque le magistrat sacrifie, ce qui ne signifie pas que le religieux soit un leurre du politique ; la religion est civique ou étatique. Dans le monde chrétien, même si l’Église entend englober et dominer le social, une distinction est néanmoins fondamentalement établie entre les deux glaives, temporal et spirituel. Où que l’on soit, on ne peut donc s’empêcher de poser la question du rapport hiérarchique et chronologique entre le sacré et le politique. Le caractère sacré préexiste-t-il à l’exercice du pouvoir ? Ou bien est-ce la fonction qui sacralise ? Est-on roi avant d’être sacré ? Eston sacré, donc appelé à devenir roi ? Quelle part le sacré joue-t-il dans l’institution de la royauté, dont les fondements ne sont pas forcément liés à un sacre, mais à l’hérédité, ou à l’usage d’une violence initiale (meurtre des concurrents ou victoires militaires) ? Selon que l’on est de sensibilité frazérienne ou au contraire fonctionnaliste, comme Evans Pritchard, on accordera plus ou moins d’autonomie au sacré ou au politique. Pour certains, le sacré n’est qu’une ritualisation de l’autorité, mais non sa source. Evans Pritchard considère ainsi que, chez les Shilluk, c’est la royauté plus que le roi qui est sacrée23. Jean-Luc Marion, L’idole et la distance, Paris, Grasset, 1989, p. 21 et « À Dieu, rien n’est impossible », dans Le croire pour le voir, Paris, Paroles et silence, 2010. 22 Voir Gabrielle Frija, Les prêtres des empereurs : le culte impérial civique dans la province romaine d’Asie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, notamment le chapitre III, p. 113-168. 23 Evans Pritchard, « La royauté divine chez les Shilluk du Soudan nilotique » (conférence de 1948), dans Id., Les anthropologues face à l’histoire et à la religion, Paris, PUF, 1974. 21
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Ces considérations générales posées, notre exposé évoquera les royautés sacrées dans les sociétés non chrétiennes, puis interrogera les impossibilités ou les limites de la royauté sacrée en régime chrétien, pour montrer enfin qu’elles n’interdisent pas les formes de sacralités royales.
Manifestations et fonctions des royautés sacrées La royauté sacrée est avant tout repérable par ses manifestations. Dans cette perspective phénoménologique, elle se signale par la vénération et/ou l’abjection, par la fascination et/ ou la répulsion comme l’ont souligné aussi bien Freud dans Totem et Tabou ou Rudolf Otto, qui évoque le mélange de respect et de crainte constitutifs du mysterium tremendum24. Mais se mêle à cette impression l’inquiétude, voire le scandale. Au point que Roger Caillois a parlé d’un sacré de transgression25. Quoi qu’il en soit, pour s’en protéger ou pour le protéger, le sacré est étymologiquement ce qui doit être mis à l’écart. La sacralité royale est à interroger en termes de répulsion et d’élection. Plusieurs critères peuvent décrire la royauté sacrée. Manifestations Le pouvoir royal peut reposer sur une violence fondatrice (1) ; celle de la victoire, celle du meurtre fratricide ou parricide. Le succès est perçu comme le signe d’une élection divine, d’un charisme. C’est le cas dans les royautés hellénistiques où prime le droit de la lance. Chez les Osmanlis, c’est-à-dire chez les Ottomans au xve et xvie siècle, tout descendant d’Osman est habilité à exercer le pouvoir. Mais aucune règle successorale n’est établie. Pour garantir l’unité de l’empire, la mise à mort de ceux qui peuvent y prétendre s’impose. Toute désignation d’un successeur serait perçue comme une manière de brider la providence divine et de limiter la baraka26. Le trône est l’affaire de Dieu, non d’un père. Le chaos primordial de l’interrègne est la source de l’ordre, du kout, du charisme. Le fratricide et le soutien des janissaires font donc le sultan, non les autorités religieuses ; la limitation du fratricide au xviie siècle au nom de la charia affaiblira les sultans, qui seront désormais choisis dans le sérail au gré des intrigues extérieures, du vizir, du mufti ou des janissaires. L’islamisation du rituel d’intronisation au xviie siècle s’accompagne, comme l’a noté Gilles Veinstein, de l’affaiblissement du pouvoir du sultan qui ne tient plus son pouvoir d’une violence initiale mais de négociations. La religion est une manière de limiter le pouvoir du sultan. C’est une fatwa qui condamne Ibrahim en 1648 à être décapité dans le sérail devant le mufti et le grand vizir. L’islamisation du sultan a été un moyen de sa désacralisation. La royauté sacrée est souvent associée à celle de sacrifice du roi (2). Chez les Shilluk, dans le Haut Nil, le roi est mis à mort lorsque son pouvoir sur la nature paraît vacillant, soit 24 Rudolf Otto, Le sacré ; l’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel (1917), Paris, Payot & Rivages, 1995. 25 Roger Caillois, L’homme et le sacré (1939), Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1988, chapitre IV, p. 129-168. 26 Gilles Veinstein et Nicolas Vatin, Le sérail ébranlé : essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans, Paris, Fayard, 2003.
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que le territoire souffre de sécheresse ou d’invasion, soit que le roi lui-même soit malade ou vieillissant. Ce thème de la royauté sacrificielle a été largement développé par Frazer27, pour qui les rois divins, dotés d’un pouvoir sur la nature, garant de l’ordre du monde dont ils sont le centre dynamique, doivent être éliminés lorsque pointe leur impuissance. Mais Evans Pritchard a repris en 1948 la question en niant qu’il s’agissait de sacrifice rituel, mais plutôt de luttes politique et clanique28. Toutefois ce sacrifice a aussi été repéré dans d’autres royautés. Chez les Moundang du Tchad29, le roi peut aussi être sacrifié : cette exécution est même ritualisée tous les huit ans. Le roi sacrificateur est donc aussi sacrifié. Chez les Dinka du Soudan, le roi se suicide comme chez les Nyoro, lorsqu’il devient impotent, sinon il s’expose à être tué par ses femmes. Chez le Jukun du Nigeria, étudié par Meek30, le roi est étranglé au bout de sept ans ou en cas de mauvaises récoltes. L’idée de royauté sacrée n’exclut donc en rien l’idée de létalité et porte en elle l’idée de sacrifice de la vie. Des rites de substitution se sont parfois introduits. Chez les Assyriens au viiie siècle, le rituel du roi substitut préserve le vrai monarque des influences astrales néfastes et s’achève par la mort, naturelle ou provoquée, du substitut31. Chez les Pharaons, le rite du jubilé est une manière de rajeunissement royal qui est une rénovation de vitalité et de sa puissance vitalisante. Au Siam, chaque année un roi temporaire appelé cloche-pied règne au printemps. Un fils de roi peut aussi être sacrifié à la place de son père. Mais faut-il pour autant définir toute la royauté africaine à partir du sacrifice royal ? Des études sur les royautés d’Afrique occidentale ont montré l’absence de sacrifice du roi chez les Iagalas ou les Yorubas. La royauté sacrée se manifeste aussi parfois par la transgression d’un interdit (3) et notamment par l’inceste dans certaines royautés africaines, comme dans certaines royautés hellénistiques32. Les souverains sacrés s’affranchissent de cet interdit, de ce tabou que l’on tient pour universel. On pourrait formuler l’hypothèse que le roi, chef de tous et pour tous, n’a pas de parents et que la notion d’inceste n’a donc ici aucune pertinence. Mais la royauté est souvent affaire de parenté et donc l’inceste témoigne d’une forte consanguinité qui isole et sacralise le sang princier de celui des communs des mortels avec qui il ne se mélange. Chez les Gandas, le roi épouse donc sa sœur. Les Lagides pratiquaient aussi l’inceste. Ptolémée II Philadelphe (bien nommé) épouse Arsinoé II sa sœur. Ne reste-il pas des traces de cette endogamie incestueuse dans la société des princes de l’âge moderne où ils ne cessent de demander des dispenses à Rome pour convoler en justes noces avec des parentes ou des parents qui leur sont proches ? Une marque voire une tare physique (4), désignant le souverain comme étant l’élu de Dieu constitue une autre manifestation de la royauté sacrée comme chez les Reges criniti mérovingiens. Chez les rois iraniens et les Timourides, le monarque qui est le reflet des
J. Frazer, Le rameau d’or, op. cit. E. Pritchard, « La royauté divine chez les Shilluk du Soudan nilotique », art. cit. 29 Alfred Adler, La mort est le masque du roi. La royauté sacrée des Moundang du Tchad, Paris, L’Harmattan, 2008. 30 Charles Kingsley Meek, Tribal Studies in Northern Nigeria, Londres, K. Paul Trubner & Co., 1931, p. 130. 31 René Labat, Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1939. 32 Samuel Noah Kramer et Jean Bottero, Le mariage sacré à Sumer et à Babylone, Paris, Berg, 1991. 27 28
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dieux détient le farr, une sorte d’investiture céleste, d’origine solaire et héréditaire qui se manifeste par une marque corporelle et lui confère des dons. La vie réglée du souverain traduit aussi son caractère divin (5). Il peut être mis à l’écart dans un palais ou manger seul. Le roi Banga s’isole pour se sustenter (comme le roi de France) et les reliefs de ses repas sont interdits aux hommes. Le souverain japonais vit retiré et quasi invisible dans son palais. Le roi du Loango ne peut être vu en train de manger, à la différence du roi de France. Le monarque des Nyoro vit aussi selon une étiquette contraignante. Il se rend chaque nuit dans la laiterie royale pour dormir. Au matin, il touche des jeunes taureaux en leur demandant d’être bénéfiques au pays. La sacralisation royale suppose un rituel ou un cérémonial. Les scènes d’audience de Persépolis montrent un dignitaire portant la main devant sa bouche quand il approche du roi pour ne pas souiller l’air que respire le souverain achéménide33. La vie réglée d’un monarque reflète qu’il est le garant d’un pouvoir dont la finalité est d’assurer un ordre du monde sans cesse menacé par le chaos. La sacralité régalienne s’exprime parfois par un culte (6). Chez les Égyptiens, le pharaon est honoré par des statues, des processions et des sacrifices34. Dans les royautés hellénistiques, même si Alexandre réclame en 324 aux cités grecques de lui rendre un culte comme un dieu invaincu, ce sont avant tout les cités qui proposent d’honorer un prince par un culte qui suppose un autel, voire un temple, un ou des prêtres, un hymne, une effigie sur les monnaies et l’attribution d’une épiclèse. Dans l’empire romain, le sénat, les cités, voire des particuliers érigent des cultes35 ; avec statues (même s’il faut distinguer statue honorifique et statue cultuelle), temples, sacrifices, prêtres, concours et autres spectacles, parfois même des mystères avec chants et danses. Soit ces cultes ont leur autonomie, soit ils sont insérés dans des temples existant et la figure impériale divinisée est accolée à une autre divinité. Chaque cité choisit ou non d’honorer un empereur. Ce n’est pas un culte unitaire imposé depuis Rome, mais une adhésion différenciée des cités à telle ou telle figure impériale. Ainsi, Tibère n’a jamais été divinisé en Occident, mais a été vénéré dans la partie orientale de l’Empire36. Les inscriptions comme l’étude des liturgies montrent que rien ne différencie fondamentalement le culte à l’empereur de ceux rendus aux autres divinités. Être prêtre impérial est souvent une étape dans un cursus honorum qui compte des prêtrises civiques, provinciales et sénatoriales. Chez les califes abbassides et fatimides, la prosternation devant le souverain, qui se tient dissimulé derrière un rideau, l’importance du protocole, l’organisation même de l’architecture palatiale témoignent d’un rapport culturel et religieux au prince. Dans la royauté Banga qui ne se sacralise qu’au xixe siècle, il y a aussi un clergé royal, des temples royaux qui concurrencent les autres temples et leurs clergés.
33 Voir Pierre Briant, Histoire de l’empire perse, Paris, Fayard, 1996 (notamment le chapitre VI). Voir Henri Frankfort, La royauté et les dieux : intégration de la société à la nature dans la religion de l’ancien Proche Orient, Paris, Payot, 1951. 34 Voir François Daumas, La civilisation de l’Égypte pharaonique, Paris, 1971. 35 Voir Ittai Gradel, Emperor Worship and Roman Religion, Oxford, Clarendon Press, 2002. 36 Voir aussi Ivana Savalli Lestrade et Isabelle Cogitore (éd.), Des rois au prince : pratiques du pouvoir monarchique dans l’Orient hellénistique et romain, ive av. J.-C.-iie ap. J.-C., Grenoble, ELLUG-Université Stendhal, 2010 ; Jean Deshayes, Les civilisations de l’Orient ancien, Paris, Arthaud, 1969.
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Fonctions Ces manifestations étant inventoriées, la royauté sacrée assure certaines fonctions dans leur société. Il s’agit de garantir la fertilité, la paix et l’harmonie cosmique. Voilà pourquoi sacrifier le roi qui a le pouvoir sur la nature est un moyen pour les hommes de contrôler celle-ci. Le souverain sacré est promis au sacrifice pour établir l’unité de la terre et des forces cosmiques. Le roi divin a un pouvoir sur la nature et sa personne est au cœur de la dynamique cosmique des saisons. Voilà pourquoi son existence doit aussi être protégée. Le pharaon d’Égypte incarne la vitalité et le maintien de l’équilibre universel. Il est garant de la montée du Nil, de la croissance des récoltes comme de la fertilité du sol. Cette figure médiatrice entre la terre et l’ordre cosmique participe au bon déroulement de celui-ci afin d’assurer le maât, l’ordre cosmique, qui remédie au chaos. Dans les royautés islamiques revendiquant le califat ou chez les Timourides, le monarque peut faire tomber la pluie, assure la prospérité du royaume par sa conduite et le sang royal peut être thaumaturgique37. Voilà pourquoi les tombeaux des califes abbassides comme fatimides sont tenus pour inviolables et sacrés. Les rois africains sont aussi responsables des pluies, et ont été qualifiés de faiseurs de pluie chez les Yorubas du Nigeria ou les Eve du Togo. L’empereur au Japon est une manifestation du shinto, c’est-à-dire de la voix des dieux38. Il incarne un principe de vitalité éternelle qui s’enracine dans le fait qu’il est le descendant du soleil et des dieux créateurs du Japon. Vivant dans son palais, protégé des fureurs du monde, invisible, mais soumis à une liturgie calendaire très précise faite d’obligations et de pèlerinages aux lieux sacrés, l’empereur inscrit sa vie quotidienne dans un cycle éternel qui abolit le temps. Il accomplit des rites de fertilités, offre le riz nouveau aux dieux. Il reçoit des regalia un miroir, un sabre et un joyau. Il se purifie, évite les souillures ou les efface. Toute la tradition frazérienne articule donc royauté sacrée et conception du monde. Mais Malinowski39 a reproché à Frazer de sous-estimer la fonction sociale des mythes. La révolution durkheimienne a consisté à montrer que le religieux construisait du social, et non pas seulement une relation à l’au-delà ou à l’univers cosmique. Le roi sacré est dans cette perspective un principe d’unité sociale. C’est dans ce cadre que se placent les études sur les cultes des souverains dans les royautés hellénistiques ou dans le monde romain. Définitions L’énumération des signes, des fonctions, des épiclèses et titulatures des rois sacrés en milieu polythéiste conduit à chercher une définition du roi sacré. Trois pistes se dessinent alors : roi-magicien, roi-dieu, roi-prêtre.
37 Voir Anna Caiozzo, Réminiscence de la royauté cosmique dans les représentations de l’Orient médiéval, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 2011. 38 D. et V. Elisseeff La civilisation japonaise, op. cit. 39 Bronislaw Malinowski, « Le mythe dans la psychologie primitive », dans Mœurs et coutumes des Mélanésiens, Paris, Payot, 1933.
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– Le roi-magicien détient une mana, un pouvoir thaumaturgique. Dans Animism, Magic and the divine King, Roheim40 a proposé de parler de « pharmakocratie ». Pour Frazer, le stade primitif de la royauté sacrée repose sur ce pouvoir personnel, maléfique ou bénéfique. La royauté découle du pouvoir magique sur la nature qui est attestée chez les grands rois achéménides. – Le roi-dieu agit lui aussi directement sur la nature. Pharaon est Horus vivant, fils du soleil (Ré) ou soleil même. Il est l’héritier des dieux. Dans plusieurs cités de l’empire romain, certains empereurs font l’objet d’un culte de leur vivant. Ils sont divi et certaines impératrices sont aussi divae. À Rome, l’empereur vivant n’a pas de culte, mais son genius et son numen reçoivent des honneurs en Occident. La divinisation intervient parfois après la mort, suscitant dans l’empire des hommages divins. Sont honorés soit la domus divina, c’est-à-dire la maison régnante ainsi que les anciens divi dont le dies natalis est inscrit dans le calendrier officiel de l’État romain. – Le roi-prêtre est celui qui rend des sacrifices pour plaire aux dieux, aux ancêtres ou aux esprits. C’est le paradoxe de nombre de royautés sacrées de tenir tout à la fois l’empereur pour médiateur, comme le prêtre et, en même temps, acteur de l’Olympe. Chez les Assyriens, le roi est le grand prêtre du dieu national Assour41. Les rois de Perse (Achéménide, Sassanide) sont chargés des sacrifices mais ne sont pas des dieux. L’empereur romain divinisé est à la fois celui qui est invoqué et pour qui on invoque les autres dieux. Le pharaon est aussi une sorte de grand prêtre. Le clergé n’est qu’un substitut du monarque car c’est le pharaon qui est le « maître des rites du culte ». Dans cet inventaire des figures du roi prêtre, il faut décliner le cas particulier du roi guide spirituel en Islam à travers le califat, qui est détenu jusqu’en 1516 parmi les membres de la famille du Prophète Muhammad. Les Omeyyades comme les Abbassides sont les successeurs du Prophète et sont les gardiens de la loi. La conception du califat chez les Fatimides chiites se rapproche d’une royauté sacrée car elle admet que l’imam tient son pouvoir directement de Dieu et qu’il possède un savoir surnaturel hérité de ‘Ali, qui le rend seul apte à diriger les musulmans42. Son autorité ne repose pas sur un pouvoir politique mais sur un savoir particulier par lequel Dieu l’a distingué des autres humains et il est seul à pouvoir transmettre son charisme à son successeur. Les sultans ottomans, malgré quelques tentations, n’ont jamais affiché le titre de calife, même si lors de l’intronisation ils revêtent le turban d’Omar, qu’ils ont dans leur trésor le manteau du prophète, ou associent le sabre de Muhammad à leur intronisation. En 1876, la constitution dit néanmoins que le sultan en tant que calife est le protecteur de la religion musulmane.
Géza Roheim, Animism, Magic and the divine King (1930), New York, International Universities Press, 1972. R. Labat, Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, op. cit. 42 Voir Aziz al-Azmeh, Muslim, Kingship. Power and the Sacred in Muslim, Christian and Pagan Polities, Londres, I. B. Tauris, 2001. Voir aussi S. Sperl, « Islamic Kingship ands Arabic Panegyric Poetry in the Early Ninth Century », Journal of Arabic Literature, no 8, 1977, p. 20-35 et Mercedes Garcia Arenal, « Pouvoir sacré et mahadisme : A mad al-Manur al-Dhahabi », Al Quantara, no 17, 1996, p. 453-471. 40 41
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En 1933, dans Frazer Lecture43, Seligman a proposé de distinguer le roi prêtre et le roi dieu selon que le premier offre des sacrifices, alors que le second peut être sacrifié.
Les difficultés de la royauté sacrée en milieu monothéisme La notion de royauté sacrée trouve cependant des résistances dans certains contextes sociaux culturels et religieux. Les entraves culturelles et religieuses Dans l’héritage indo-européen, la médiation avec le ciel passe par le sacerdoce. L’existence d’une tripartition fonctionnelle établit un groupe chargé spécifiquement de la médiation entre le ciel et la terre. Le prince peut certes encore avoir un rôle mais il n’est plus seul et sa fonction est réduite, car d’autres médiations plus puissantes s’imposent à lui. Ainsi, dans la société indienne bouddhiste, la caste supérieure est composée de brahmanes44. Le roi ne peut rien contre eux. Ils sont au-dessus de lui. La sacralité royale n’est concevable que dans l’obéissance aux brahmanes. Dans le monde aztèque le roi appelé par les chroniqueurs « chef des hommes » est soumis aux prêtres qui sont les seuls interprètes des dieux dont la tyrannie sanguinaire terrifie même le monarque qui vit dans la crainte du dieu toltèque Quetzalcoatl45. L’héritage monothéiste des trois religions du Livre rend aussi impossible toute divinisation ou déification royale, alors que le polythéisme permet de placer des rois au milieu du Panthéon ou de l’Olympe. Mais le dieu unique, impérialiste et jaloux des juifs, des chrétiens ou des musulmans empêche toute déification de la personne royale, de son vivant comme après sa mort. Abbassides et Fatimides (909-1171) ont revendiqué leur appartenance à la famille du Prophète. D’autres titres comme al-Mahdi (le Bien Guidé), mais aussi Sultân Allâh (Autorité de Dieu) ou Rä’î Allâh (Berger de Dieu) furent parfois appliqués aux califes abbassides soulignant le charisme de celui qui est le chef. Au point que les califes ont pu être considérés, à l’image des prophètes, comme des agents de Dieu. Toutefois à partir du ixe siècle, les califes abbassides sunnites s’en remettent de plus en plus aux oulémas pour définir la loi religieuse. Du statut de vicaire de Dieu, le prince passe à celui de successeur du prophète. En revanche, les califes fatimides chiites, choisis dans la seule descendance de ‘Ali, cousin et gendre du Prophète ont conservé leur infaillibilité en matière religieuse et sont restés attachés à leur baraka califale. Des tentatives de divinisation de l’imam chī’ite ont même existé entre le viiie et le xie siècle. Dans le judaïsme comme dans le christianisme, le roi peut être image de Dieu, lieutenant de Dieu, mais il ne peut être Dieu ni descendant de Dieu. L’image du Christ, issu Charles Gabriel Seligman, Egypt and Negro Africa. A Study in Divine Kingship. The Frazer Lecture for 1933, Delivered in the University of Liverpool, Londres, Routledge & Sons, 1934. 44 Louis Dumont, Homo hierarchicus ; essai sur le système des castes, Paris, Gallimard, 1966. 45 J. Soustelle, Les Aztèques à la veille de la conquête espagnole, op. cit. 43
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du sang de David et crucifié sous le titre de rex judeorum peut même faire de l’ombre à la royauté. Montant dans Jérusalem sur un âne, Jésus se conforme à la tradition du MoyenOrient ancien qui fait de cet animal la monture des rois. La royauté du Christ dévalorise toutes les autres royautés – un presbytérien écossais du début du xviie siècle, Melville, n’hésite pas à dire qu’il n’y a qu’un roi en Écosse, le Christ46. Le sacrifice du Christ abolit tout autre sacrifice. Si l’on suit les théories de René Girard47, le Christ est le dernier bouc émissaire. En refusant la messe comme sacrifice, la Réforme a encore renforcé le caractère unique et définitif du seul sacrifice qui vaille. La figure christique prend sur elle toute la faute des hommes et assure leur rachat. Le sacerdoce est universel. Il n’y a plus que la Parole ou l’Écriture qui soient médiatrices. Nulle institution n’est en charge du salut. Difficile alors de faire une place pour une royauté sacrée même si les monarques chrétiens ont été tentés par une christomimesis qui les feraient se sacrifier pour le salut de leur peuple. Certes, dans l’Église catholique, la messe, de plus en plus tenue pour sacrifice à la fin du Moyen Âge, et la transsubstantiation ont inscrit dans l’institution et dans le sacerdoce la capacité de sacrifier, voire de se sacrifier. La vie de renoncement (chasteté), de séparation (par l’habit comme par l’habitat), accentuée par la réforme grégorienne, puis par la réforme tridentine et romaine, a établi une sorte de royauté du sacerdoce. La prêtrise entend monopoliser le sacré, lutter contre tout sacré sauvage, toute médiation magique reléguée dans le champ des superstitions idolâtres qu’il faut extirper (sorcière, astrologue…). L’institution ecclésiale entend monopoliser le sacré, la médiation avec l’au-delà et s’ériger en institution englobante et globale. Dans ces conditions, le roi n’est sacré que dans la mesure où il reçoit une part de délégation de sacralité par l’institution. Il est sacré parce que consacré. La royauté sacrée en milieu chrétien Le roi est sacré par l’Église en France, en Angleterre et l’empereur est sacré par le pape. Mais toutes les monarchies ne connaissent pas cette cérémonie. Ainsi, jamais la monarchie espagnole, sauf au temps wisigothique (le roi Wanba est sacré en 672), n’a connu de sacre ; quelques cas d’auto-couronnement sont même attestés comme Alfonso IV en 1328. Quant au basileus byzantin, autocrator, il se couronne ou couronne son successeur48 : ce n’est pas l’affaire du patriarche même si cela a lieu à Sainte-Sophie. Mais aussi parfois à l’hippodrome. Le sacre ne confère pas de sacralité, il ratifie l’élection. En France, le pouvoir thaumaturgique ne devient effectif qu’après le sacre et la visite aux reliques de saint Marcoul. Le toucher des écrouelles n’intervient qu’au jour de grandes fêtes religieuses. Innocent III a en outre insisté sur la moindre sacralité de l’onction royale par 46 Intervention à l’Assemblée d’Andrew Melville, citée dans Marc Wilks, Précis de l’histoire de l’Église d’Écosse, Paris, Chez L.-R. Delay, Libraire, 1844, p. 83. 47 Voir René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972 et Le bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982. 48 Gilbert Dagron, Empereur et prêtre : essai sur le césaro-papisme byzantin, Paris, Gallimard, 1995.
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rapport à l’onction épiscopale49, la réduisant à une sacralité déclassée et déléguée. Toutefois, Marc Bloch50 souligne que la cérémonie du toucher des écrouelles a lieu de plus en plus souvent dans les palais, non à l’église. On constate en outre que le roi de France pratique cet attouchement thaumaturgique notamment lorsqu’il franchit les frontières de son royaume. Comme si le roi agissait moins par délégation de l’institution dans un cycle liturgique, qu’en mobilisant un pouvoir personnel selon un calendrier politique et dans un lieu palatial, qui est devenu de fait un lieu de pèlerinage. Dans le même temps que les souverains français affirment leur pouvoir absolu, ils abandonnent leurs pérégrinations vers les lieux saints, tandis que leurs sujets montent à Versailles51. En Angleterre, même après la rupture avec Rome, les rois continuent après leur sacre de toucher les écrouelles, jusqu’au règne de la reine Anne52. Roi versé en théologie, Jacques Ier eut certes des doutes sur l’exercice de ce geste. Mais Charles Ier en usa beaucoup après 1640, afin de conforter sa popularité. Dans les années 1630, il le faisait déjà à Whitehall, mais la nécessité d’apparaître en public lui paraissait un peu attentatoire à sa majesté. Mais les rois d’Angleterre restent sacrés et oints au son du célèbre Zadok the priest d’Haendel composé en 1727 pour le sacre de Georges II. La sacralité des rois d’Angleterre reste adossée sur le caractère hiérarchique de l’ecclesia anglicana et c’est pourquoi Jacques Ier répond aux puritains qu’il n’abolira pas l’épiscopat : no bishop, no king. La liturgie accorde au roi de France une place assez comparable aux prêtres ou aux prélats. Sous Louis XIV, dans le rituel de la messe, le monarque est associé par le célébrant au sacrifice, il est encensé pendant l’offertoire, le célébrant lui présente la patène à baiser, lui apporte le calice à baiser après la lecture de l’Évangile. Il communie cinq fois l’an sous les deux espèces, soit beaucoup plus qu’au xiie siècle où il ne le faisait qu’au jour de son sacre. Le souverain de l’âge classique est assimilé à un évêque dans le rituel romain : comme eux, il est oint le jour de son sacre. Il les imite en lavant les pieds le Jeudi saint. Comme l’évêque, le roi peut rester assis pendant le Kyrie, le Gloria, l’Alléluia, et le Credo. Il est une sorte d’évêque du dehors53. Lors des funérailles par exemple de Louis XIII en 1643, le corps est placé la tête vers l’autel comme pour les prêtres. Mais si le sacre confère un pouvoir et donne un rang quasi épiscopal, il limite aussi la puissance du roi en le liant à l’Église. Par le serment du sacre, il s’engage à défendre l’institution. Voilà pourquoi selon Jean de la Fosse54, les calvinistes auraient tenté de persuader Charles IX de renoncer à se faire sacrer. L’Église récompense les souverains les 49 Alain Boureau, « Un obstacle à la sacralité royale en Occident. Le principe hiérarchique », dans Alain Boureau et Claudio-Sergio Ingerflom, La royauté sacrée dans le monde chrétien, Paris, EHESS, 1992, p. 29-37, en particulier p. 31. 50 M. Bloch, Les rois thaumaturges, op. cit., p. 143-145. 51 Isabelle Brian, « Le roi pelerin. Pèlerinage royaux dans la France moderne », dans Philippe Boutry, Pierre Antoine Fabre, Dominique Julia (éd.), Rendre ses vœux : les identités pèlerines dans l’Europe moderne, Paris, EHESS, 2000, p. 363-378. Bruno Maes, Le roi, la Vierge et la Nation. Pèlerinages et identité nationale entre guerre de Cent ans et Révolution, Paris, Publisud, 2002. 52 M. Bloch, Les rois thaumaturges, op. cit., p. 369-371. 53 Alexandre Maral, Le roi-soleil et Dieu, Paris, Perrin, 2012, chapitre v. 54 Jean de La Fosse, Les « mémoires » d’un curé de Paris (1557-1590) : au temps des guerres de Religion, éd. Marc Vénard, Genève, Droz, 2004, p. 40.
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plus exemplaires en les canonisant. Dès lors leurs restes devenus reliques acquièrent après leur mort une dimension sacrée. Mais ces sacralités ne sont pas distinctes de celles des autres saints. L’élection céleste et ecclésiale redéfinit les hiérarchies terrestres. Mais l’Église n’hésite pas à excommunier, à priver de réconciliation par la confession, les souverains qui lui résistent ou deviennent hérétiques, et à jeter l’interdit sur leurs domaines55. Elle les désacralise et justifie alors le régicide56. Elle impose aussi des cérémonies d’expiation ou d’abjuration humiliante pour ceux qui viennent à résipiscence. Henri IV doit ainsi attendre quelques années avant que Rome ne le réconcilie. Lui, mais aussi Élizabeth d’Angleterre, Henri III ou Louis XV ont été ainsi attaqués par les prédicateurs, désacralisés et exposés aux attentats. Dans l’empire byzantin, la sacralité des empereurs iconoclastes a été largement affectée et cette crise a durablement affaibli le basileus. Ils ne peuvent plus, comme Léon III, se dire prêtre et empereur. Le patriarcat s’est érigé en un contrepouvoir57. Au sacerdoce royal s’oppose la royauté sacerdotale. Mais la pénitence dans l’humiliation peut être aussi un moyen d’apothéose. David a été repentant après avoir couché avec la femme d’Urie qu’il avait envoyé à la mort. Constantin aussi se repentit de l’assassinat de son fils.
L’autonomie de la royauté sacrée Cet englobement du sacré dans l’institution ecclésiale n’empêche cependant pas la présence dans les royautés occidentales d’un sacré qui répond aux critères définis par les sciences sociales que nous avons énumérés. Posons ici que les sciences sociales doivent accorder une autonomie à la notion par rapport à l’ambition englobante et monopolisatrice que l’Église a déployée pour enfermer le sacré dans ce qui est consacré. C’est un fait anthropologique qui procède par métaphorisation, analogie et transfert, qui sont une des modalités de la modernisation. Il est également nécessaire de ne pas considérer que le sacré ne serait qu’un legs archaïque incompatible avec la modernité étatique. Neuf critères permettent dans le contexte chrétien de définir une sacralité royale qui ne soit pas que déléguée, mais qui procède d’une domination par les pouvoirs séculiers du sacré. – L’ancien testament offre aux monarchies le rite de l’onction (1er critère) et la figure de roi-prêtre comme Melchisedech qui n’a ni ascendant ni descendant et préfigure le Christ. Il symbolise une royauté sacrée sacerdotale non héréditaire et cette figure a été mise en avant plus tard par le basileus. L’Ancien Testament fournit aussi des rois, oints du Seigneur : Saul, sacré mais sans dynastie, et David la figure du roi oint du seigneur, élu de Dieu (I Samuel IX, 16). Sa légitimité ne relève pas de l’hérédité, comme les prêtres de la tribu de 55 Voir Bernard Bourdin, La genèse théologico-politique de l’État moderne, Paris, 2015. Jean-Marie Le Gall, Les guerres d’Italie, une lecture religieuse, Genève, Droz, 2017, p. 95-110. 56 Roland Mousnier, 14 mai 1610, l’assassinat d’Henri IV, Paris, Gallimard, 1964. Pierre Chevallier, Les régicides, Paris, Fayard, 1989. Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicides de l’Antiquité à nos jours, Paris, PUF, 2001. 57 Gilbert Dagron, Empereur et prêtre. Étude sur le césaropapisme byzantin, Paris, Gallimard, 1998.
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Levi. David va cependant engendrer une lignée (II Samuel VII, 13-16). Cette figure davidique est mobilisée par les royautés, même celles qui ne connaissent pas le sacre, comme sous Philippe II d’Espagne. Sur la façade de l’Escorial sont placées les figures de Salomon, de David58 et des rois des juifs oints du seigneur, alors que le judaïsme est pourchassé dans la monarchie espagnole. – L’histoire chrétienne lègue aussi le modèle du roi victorieux (2) avec Constantin : le labarum apparaît avant la bataille de Pont Milvius. Le thème est repris par Clovis, et nombre de souverains ont exploité leurs victoires, comme Charles Quint pour persuader du caractère messianique de leur royauté. – Tenons aussi pour constant (3e) que la royauté sacrificielle a encore sa place dans le monde chrétien par le biais des croisades, voulues par le pape, mais aussi par le moyen des guerres saintes. L’exposition du roi sur le champ de bataille comme l’a souligné Denis Crouzet59, la captivité d’un prince comme celle de François Ier après Pavie60, et même à partir de Philippe II ou de Louis XIII61, la médiatisation des agonies princières sont autant de moyens pour construire une monarchie d’amour, fondée sur le sacrifice du roi pour son peuple, dans une imitation christique. Les malheurs des monarques sont le fruit des péchés des sujets. José de Siguenza dans son Historia de la orden de san Jeronimo62 a été le premier à présenter les souffrances ultimes de Philippe II sur le mode des souffrances de Job, préfigurations de la passion du Christ. La mort de Louis XIII le juste fera l’objet d’une même mise en récit exemplaire et forgera une tradition que Chateaubriand résumera en « mourir comme un Bourbon »63. La mort violente d’Henri II dont le casque ensanglanté est exposé dans le trésor de Saint-Denis64 ou la mort violente d’Henri IV permettent ces analogies sacrificielles. L’hécatombe dans la famille royale vers 1710-1714 réactive tout un discours sur les princes trépassant pour les péchés du royaume. Marie Leszczynska ou Louise de France expient aussi dans le cloître les fautes de leur père et d’une cour devenue libertine. En Angleterre, l’exécution de Charles Ier suscite un désir de sanctification et de sacralisation du souverain. Des reliques du sang du roi circulent et à leur contact des miracles ont lieu. C’est le seul roi postérieur à la Réformation à en faire. Ils feront l’objet d’une publication en 1684. Un texte Eikon basilike diffuse dès 1649 dans toute l’Europe et, en toute langue, l’image du roi souffrant, captif et martyrisé. On publie aussi à La Haye les Voir Alain Milhou, « La sacralisation de la figure monarchique », dans Pouvoir royal et absolutisme en Espagne au xvie, p. 86-103, en particulier p. 86. Voir aussi Israel Finkelstein, Neil Asher Silberman, Les rois sacrés de la Bible. À la recherche de David et Salomon, Paris, Gallimard, 2007. 59 Denis Crouzet, « Désir de mort et puissance absolue de Charles VIII à Henri IV », Revue de synthèse, 1991, p. 423-441. 60 Jean-Marie Le Gall, L’honneur perdu de François Ier, Pavie, 1525, Paris, Payot, 2015. 61 Alain Guéry, « Principe monarchique ou roi très chrétien ? Les funérailles du roi de France », Revue de synthèse, 1991, p. 443-454. Jean-Marie Le Gall, Le mythe de saint Denis, op. cit., p. 390-398. 62 José de Siguenza, Historia de la orden de san Jeronimo, Madrid, Bailly-Baillière é hijos, 1907. 63 François-René de Chateaubriand, Le roi est mort : vive le roi ! (1824), Paris, Hachette Livre BnF, 2013, p. 22. Pascal Simonetti, « Mourir comme un Bourbon, Louis XVIII 1824 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 42, no 1, janvier-mars 1995, p. 91-106. 64 Jean-Marie Le Gall, « La nécropole dynastique des Bourbons à Saint-Denis ou l’impossible simple corps du roi », Revue historique, 2006, p. 61-80. 58
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reliquiae sacrae caroline qui sont une collection de lettres du souverain. Ce culte populaire qui émerge dès 1649 gêne la famille royale qui s’appuie alors sur les presbytériens écossais. Il embarrasse aussi les évêques anglicans, qui vivent tranquillement sous le protectorat. Il dérange enfin une théologie réformée qui est réticente à accepter l’idée de reliques, même si elle admet les martyrs. C’est contre ce culte royal développé hors des églises par la vox populi que réagit Milton dans son Eikonoclastes65. « Le peuple excessif dans toutes ses émotions penche souvent non seulement à une idolâtrie religieuse mais aussi idolâtrie d’espèce civile en faisant des rois des idoles ». En 1662, à la Restauration, l’église établie d’Angleterre (ecclesia Anglicana) récupère cette sacralité royale en instituant le 30 janvier un fast day, jour de jeûne dans le Common Book of Prayer pour culpabiliser les godlies qui se réclament si bien des Juifs qu’ils ont crucifié un roi Christ. Voilà la collecte du jour : « Par le jeûne et l’humiliation, pour implorer la miséricorde de Dieu afin que ni la faute d’avoir fait couler ce sang sacré et innocent ni pour d’autres péchés Dieu nous et notre roi nous a livré aux mains d’hommes cruels ». Les sermons vont donner de Charles Ier l’image d’un martyr, d’un saint66, mais jamais celle d’un intercesseur et l’église combattra l’approche sacrale adoptées par les populations. À côté de la mort subie, le prince aime frôler la mort ; pas seulement à la guerre mais aussi à la chasse, cette liturgie émaillée d’incidents relatés par la presse et qui entretient une forme de quête sacrificielle mais suscite aussi de l’effroi67. Les chasses royales sont du reste des terrains sanctuarisés. Plus généralement, les souffrances du prince peuvent donc conduire à sa sacralisation, par exemple lorsqu’il est exécuté. Ce qui embarrasse l’Église. Malgré promesses et pressions, Rome a refusé en 1814 la canonisation de Louis XVI68. – Le fondement dynastique de certaines royautés constitue au-delà de la légitimité politique un vecteur de transmission sacrale (4e critère). La notion de dynastie peut certes être incompatible avec le sacré dans la mesure où la succession héréditaire annihile tout charisme personnel. La royauté apparaît comme sacrée quand elle relève et surmonte un défi. La succession est alors indépendante de l’ascendance et de la descendance. À Byzance, pendant longtemps, le basileus conquiert le pouvoir que l’alliance conjugale légitime rétrospectivement. L’accès au pouvoir est une expression de la volonté divine qui a permis le coup de force fondateur d’un règne. Ce n’est qu’avec les porphyrogénètes que l’idée d’une onction dans le ventre de la mère est apparue. Mais c’est moins le ius sanguinis et la primo géniture qui importent que le fait d’être conçu par le couple impérial. Jusqu’au xie siècle, le pouvoir du basileus est usurpé plus qu’hérité. Mais l’apparition d’une transmission dynastique avec les Isauriens engendre une sacralisation du pouvoir. Dans différentes royautés africaines, au Japon, la plus vieille dynastie du monde, le souverain l’est souvent parce qu’il est descendant et héritier d’un dieu, d’un ancêtre quasi divin69. La liste royale John Milton, Eikonoclastes, Préface, dans The Works of John Milton in Verse and Prose, vol. IV, printed form the original editions, s. l., Thackeray Press, 2007. 66 Voir Andrew Lacey, The Cult of the King Charles the Martyr, Woodbridge, The Boydell Press, 2003. 67 Philippe Salvadori, La chasse sous l’Ancien régime, Paris, Fayard, 1996, chapitre 8 et 9. 68 Sur la notion de roi-martyr, voir Philippe Boutry, « Le roi martyr : la cause de Louis XVI devant la cour de Rome, 1820 », Revue d’histoire de l’Église de France, 1990, t. 76, p. 57-71. 69 Danielle et Vadime Elisseeff, La civilisation japonaise, Paris, Artaud, 1974. 65
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assyrienne qui fournit les noms de tous les souverains depuis le xixe siècle jusqu’au viie siècle avant J.-C. présente la fiction d’une dynastie unique ; au viiie siècle, donner le nom d’un roi à un enfant est un crime de lèse-majesté70. L’hérédité n’est pas incompatible avec le sacré. Dans le clergé égyptien, comme chez les juifs la tribu de Levi, le sacerdoce est souvent héréditaire. Les monarchies européennes ont aussi développé ce principe héréditaire en construisant des beata stirps, des généalogies sacrées s’entant non plus seulement dans les héros troyens, mais aussi dans le sanctoral ; Arthur et Édouard en Angleterre, Étienne en Hongrie, Wenceslas en Bohème, saint Louis en France. Encore au xviie les familles royales entendent promouvoir la sainteté monarchique pour le profit de la dynastie régnante. Les Savoie obtiennent en 1669 la canonisation de Marguerite de Savoie et, en 1677, d’Amédée IX. La France obtient celle de sainte Jeanne de France, fille, sœur et femme de roi. L’époque moderne a connu une grande valorisation de la sainteté du sang royal : en France, les Bourbons promeuvent le culte de saint Louis. La beata stirps favorise la sacralisation royale. Lorsqu’il n’est pas possible pour les monarques de se prévaloir de leur filiation avec ses figures de saints rois, ils captent leur aura en favorisant leur culte de leur patronage71. Napoléon Ier fit insérer un office de la saint Napoléon dans la liturgie de l’église concordataire en lieu et place du 15 août72. Cette sacralisation du sang princier est renforcée par une forte endogamie de la société princière. Les rois n’épousent pas des bergères, et même plus des princesses de leur royaume mais des filles de rois. Les cérémoniaux de cours établissent des barrières hiérarchiques et protocolaires entre le sang de France et celui des autres strates nobiliaires73. Les princes de l’époque moderne font célébrer des pompes funèbres in absentia des souverains étrangers74. Enfin, partout des nécropoles dynastiques s’édifient, séparant le sang des rois de celui de leurs sujets. La transcendance est dans l’éternité dynastique : à partir du sacre de Louis XIII, on réveille le roi comme s’il devenait l’hypostase d’une sacralité latente. L’idée du renouvellement du père dans le fils se répand. Louis XIII meurt le même jour que son père. On expose le corps de Louis XIII dans le lit où Louis XIV a vu le jour. En Angleterre, dès la Révolution anglaise, Milton dénonce l’idée de race royale, qui n’est pas sélectionnée comme les chevaux75. « Les rois par leur engendrement ne surpassent en rien autrui ». Cette sacralité dynastique explique les profanations dynastiques intervenues lors des guerres de Religion, où des corps royaux ont été profanés. Pas seulement celui de la sainte moniale, Jeanne de France mais aussi le cœur de François II à Orléans, le corps de Louis XI à Notre-Dame de Cléry, ou celui de Jean d’Angoulême, ancêtre des Valois Angoulême mort en 1467. Lors 70 René Labat, « Le sort des substituts royaux en Assyrie au temps des Sargonides », Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, vol. 40, 1945/46, p. 123-142. 71 M. E. Ducreux (éd.), Dévotion et légitimation. Patronages sacrés dans l’Europe des Habsbourg, l’Italie du Nord et la Pologne à l’époque moderne, Liège, Presses universitaires de Liège, 2016. 72 Vincent Petit, « Religion du souverain, souverain de la religion ; l’invention de saint Napoléon », Revue historique, no 314, 2012, p. 643-658. 73 Voir Gérard Sabatier, « Protocole et imagerie royale en France sous la monarchie absolue », dans Yves Delevoye, Claudine Haroche et Olivier Ihl (éd.), Le protocole ou la mise en forme de l’ordre politique, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 185-352. 74 Jean-Marie Le Gall, « Les pompes funèbres des souverains étrangers à Notre-Dame », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 59/3, 2012, p. 96-123. 75 John Milton, Eikonoclastes, op. cit., XIII.
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de la Révolution, en 1793, Saint-Denis connaît une proscription de toutes les dynasties hors du sanctuaire76. – Les souverains ont aussi privilégié l’accumulation et la manipulation des reliques et autres sacralités, surtout lorsque leur font défaut sacre et sainteté dynastique, mais pas seulement dans ces cas (5). Ils les accumulent en guise de talismans autour d’eux comme dans le palais du Basileus, dans la Sainte Chapelle du Palais, ou à l’Escorial, afin d’héberger l’universalité du sanctoral dans l’espace palatial77. Ils s’érigent alors aussi en détenteur et en pourvoyeur de sacralités en imitant ce que fait Rome à partir de la distribution des reliques extraites notamment des catacombes78. Les rois de France disposent non sans difficulté du trésor de Saint-Denis79. La famille de Savoie80 déplace le saint suaire de Chambéry à Turin, impose cette relique dynastique comme la plus insigne de la cité au détriment des reliques privilégiées par la religion civique ou les familles aristocratiques. Les Savoie font aussi faire des copies qu’ils échangent avec les souverains européens comme ils échangent des femmes dans le cadre des relations diplomatiques. Ils promeuvent aussi le culte de saint Maurice et de la légion thébaine. Des princes dépourvus de toute sacralité, voire à la légitimité contestée, s’entourent aussi à la charnière des xve et xvie siècle en Italie de sante vive et autres beatas afin d’exploiter leur charisme pour accroître leur autorité81. Ils encouragent leur béatification : Louise de Savoie et François Ier interviennent ainsi en faveur de celle de saint François de Paule dont s’étaient entichés Louis XI et Charles VIII. – Un sixième élément à prendre en considération est la métaphorisation opérée par les juristes pour penser l’État, la souveraineté royale, la permanence des offices, avec les catégories de la théologie82. Certes, il s’agit de métaphores et d’analogies. Mais, tandis que les théologiens cherchent à circonscrire et circonvenir la sacralisation royale, les magistrats, figures établies par Dieu et qui revendiquent une certaine sacralité, vont, au détriment de Jean-Marie Le Gall, « Violence et Révolution : exhumation et profanation des tombes royales à SaintDenis », dans Annie Duprat (éd.), Révolutions et mythes identitaires, Paris, Nouveau monde Éditions, 2009, p. 157-172. 77 J. M. Del Estal, « Felipe II y su archivo hagiografico de el Escorial », Hispania sacra, t. 22, 1970, p. 193-333. Guy Lazure, « Posséder le sacré : monarchie et identité dans la collection de reliques de Philippe II à l’Escorial », Reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions, Paris, EHESS, 2009, t. 1, p. 371-404. 78 Stéphane Baciocchi et Christophe Duhamelle (éd.), Reliques romaines. Invention et circulation des corps saints des catacombes à l’époque moderne, Rome, EFR, 2016. 79 Jean-Marie Le Gall, Le mythe de saint Denis entre Renaissance et Révolution, Seyssel, Champvallon, 2007, p. 351-354. 80 Paolo Cozzo, La geografia celeste dei duchi di Savoia : religione, devozioni e sacralità in uno stato di étà moderna, Bologne, Il mulino, 2006. Id., « Santi, principi e guerrieri : Modelli agiografici e strategie politiche nel ducato Sabaudo di primà età moderna », dans Giancarlo Andenna, Laura Gaffuri, Elisabetta Filippini (éd.), Monasticum regnum : religione e politica nelle pratiche di governo, Berlin, LIT, 2015, p. 85-97. Id., « Culto sindonico e propaganda dinastica. Exempi di una politica del sacro », Schifanoia, t. 22, 2002, p. 171-182. On attend la publication du colloque de mai 2015 à Turin intitulé La sindone a corte : storia, pratiche immagini di una reliquia dinastica. 81 Gabriella Zarri, Le sante vive : cultura et religiosità femminile nella prima età moderna, Turin, Rosenberg & Sellier, 1990. 82 Voir Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, 1989, chap. iv, p. 80-144. 76
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leur sacerdoce, construire l’image du roi sacré. Cino da Pistoia peut ainsi affirmer « jura reputant imperatorem deum seu personam divinam » ou « juriste reputant hic personam principis divinam »83. Le roi est un « deus in terris ». – À côté des juristes, tout un clergé de cour élabore une encomiastique qui célèbre dans le prince l’image divine et édifie une monarchie ecclésiale84 (7e critère). Il ne s’agit pas ici du clergé qui est attaché à des fondations princières, priant pour le salut de l’âme des rois mais de l’insertion dans les cours d’une chapelle princière, avec son clergé, dotée de confesseurs et surtout d’orateurs sacrés. Ceux-ci participent à la glorification royale par leurs prédications de Carême, d’Avent et par les oraisons funèbres qui, loin de se cantonner aux lieux des funérailles, font l’objet d’innombrables productions dans les pompes funèbres in absentia célébrées dans les principales villes. En France, c’est l’ensemble de l’église gallicane qui organise cette glorification princière par les Te Deum, et autres innombrables prières ou processions organisées pour la santé des princes et la prospérité de leurs armes85. Il arrive que le clergé regimbe à organiser ces prières mais c’est très rare. Dans toute cette production cléricale, l’analogie entre le roi et Dieu revient souvent. Dans l’educatio regia composée pour Louis XIV par le père Labbé86, il est écrit « aujourd’hui j’ai à jouer le rôle de Dieu ». Fortin de la Hoguette, beau-frère de Péréfixe, l’archevêque de Paris, compose le catéchisme royal en 1645 et désigne le souverain comme un vice-dieu. Bossuet en 1682 déclare au roi, « vous êtes des dieux de la terre » (Ps 82, 6). Cette encomiastique sacrée gêne parfois le monarque. En 1685, les minimes de Provence dédient une thèse à la divinité du roi où Dieu n’est que la copie du monarque87. Informé par Bossuet, Louis XIV transmet la thèse pour examen à la Sorbonne qui la condamne. « Trop, c’est trop », estime Madame de Sévigné. – Les rituels de cours et les titulatures (8e critère) ont toutefois accrédité ces analogies et ces processus de métaphorisation où le ciel semble se confondre avec la terre. Le cérémonial de cour isole le prince, structure une hiérarchisation des apparences, des personnes et des gestes autour de lui. À partir du xvie siècle, en Espagne comme en France, le terme de majesté, jusqu’alors réservé à Dieu, est accolé au roi. Lors de l’entrée royale d’Henri II en 1549 à Paris, les cartouches évoquent la « majesté royale », ou la majesté sacrée du roi. En 1575, Pierre de l’Estoile signale qu’il ne faut plus dire roi car cela fait vulgaire. Quand nos rois les plus grands, un Louis, un François se contentoient du nom ou de roy ou de sire La France a prins sur l’espagnol l’idolâtrie Qui égale de nom l’homme et la déité88.
Cette titulature va de pair avec le développement de la notion de crime de lèse-majesté et l’apparition de la notion de « coup de majesté », c’est-à-dire de l’affirmation d’un pouvoir Cynus de Pistoie (1270 ?-1336 ?), Commentarium in Codicem et Digestum vetus, Francfort, 1578. Benoist Pierre, La monarchie ecclesiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champvallon, 2013. 85 Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du xvie au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1989. 86 Pierre Labbé, Educatio regia, christiana et politica, s. l., 1644 ou 1645. 87 Voir Alexandre Maral, Le roi soleil et Dieu, Paris, Perrin, 2012. 88 Pierre de l’Estoile, Registre-journal du règne d’Henri III, éd. Madeleine Lazard et Gilbert Schrenk, Genève, Droz, 1992, t. 1, p. 192. 83 84
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Réflexions sur la royauté sacrée
absolu du souverain qui peut faire exécuter une personne avant de rendre la sentence. Comme Dieu suspend le cours ordinaire de la nature par le miracle, le roi intervient par un coup d’État ou de majesté dans la justice ordinaire, réglée et déléguée afin de manifester sa justice retenue89. Les rituels curiaux organisent autour du prince une liturgie sacralisante qui emprunte au cérémonial ecclésiastique bien des gestes et des situations. En Espagne, le rituel élaboré en 1548 métamorphose le repas de Charles Quint en une cène, où les mets sont cachés sous un voile levé à la dernière minute, et où la coupe avec laquelle il se désaltère est manipulée comme un calice. En France, sous Henri III, à partir de 1574, une barrière est dressée devant la table où le roi mange seul90. Dans le Traité de civilité de Courtin91 en 1672, il est recommandé de ne pas tourner le dos au portrait du roi, comme de se découvrir dans la chambre du monarque ou dans la salle où il mange92. En ce qu’ils mettent à l’écart le prince du commun de l’aristocratie dont il n’est plus le primus inter pares mais revendique une essence différente, ces usages sacralisants ont parfois été perçus comme offensants envers la noblesse. Loin de sacraliser le souverain, ils ont pu accréditer leur assimilation à des tyrans et nourrir leur désacralisation. – Les images du roi cernées d’un luminaire, les dédicaces de statues, les acclamations dessinent une religion royale (9e critère). Le dernier élément ratifiant cette sacralité royale est la mesure de l’adhésion à celle-ci. Même si, à l’époque moderne, l’Église contrôle davantage la sanctification royale, certains souverains, sans être portés sur les autels, suscitent des gestes de dévotion. Dans les années 1524 et 1526, la dépouille de Claude de France a provoqué des miracles à Blois sur son tombeau provisoire : des vœux de cire lui ont été offerts. La Bruyère décrit aussi les courtisans versaillais à la chapelle du château : « Le peuple paraît adorer le prince et le prince adorer Dieu »93. Au cours du xviie siècle, les notables témoignent d’une fidélité à la dynastie en possédant des images du roi. Cette présence réelle d’Henri IV est aussi bien attestée dans les puys offerts par les maîtres des confréries à la cathédrale d’Amiens que dans la figuration de Louis XIV et de Marie-Thérèse dans les chartes de mariages lyonnaises94, en lieu et place de la Vierge et de saint Joseph. Mercier signale aussi qu’au xviiie siècle, les visiteurs de la nécropole de Saint-Denis cherchent à toucher les cercueils princiers entassés dans la crypte de l’abbatiale95. Lors des exhumations de 1793, certains veulent des restes d’Henri IV, car la profanation est une recharge sacrale dans la tradition des furta sacra. D’autres veulent toucher la barbe d’Henri IV, pour opérer un transfert de Arlette Jouanna, Le pouvoir absolu, Paris, Gallimard, 2013, p. 188-196. Nicolas Le Roux, Le roi, la cour, l’État de la Renaissance à l’absolutisme, Seyssel, Champvallon, 2013, p. 37-66. Jean-Marie Le Gall, « L’impossible invisibilité du roi de France 1450-1600 », dans Lucia Bertolini, Arturo Calzona, Glauco-Maria Canterella et Stefano Caroti (éd.), Il principe invisibile, Turnhout, Brepols, 2015, p. 453-470. 91 Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens, Paris, Louis Josse et Charles Robustel, 1672, p. 47. Visible sur gallica.bnf.fr/ark :/ 12148/bpt6k9667552j/f. 5.item.r = dos 92 Gérard Sabatier, « Le portrait de César c’est césar : lieux et mises en scène du portrait du roi dans la France de Louis XIV », dans Thomas Waehtgens et Nicole Hochner (éd.), L’image du roi de François Ier à Louis XIV, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2006, p. 209-244. 93 La Bruyère, Les Caractères (1688), Paris, Garnier-Flammarion, 1965, « De la cour », 74 (I). 94 Olivier Christin, Le roi providence. Trois études sur l’iconographie gallicane, Lyon, RESEA-LARHRA, 2006. 95 J. M. Le Gall, Le mythe de saint Denis, op. cit., chap. xii. 89 90
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charisme militaire : « Je suis sûr de vaincre ces bougres d’Anglais », dit un soldat. Legendre propose même d’alimenter les arbres de la liberté avec les restes du cœur de Louis XIV. Ces profanations opèrent une resacralisation des restes royaux. Cette adoration quasi religieuse des monarques a suscité l’aversion autant des puritains anglais que des jansénistes français. L’hostilité de la monarchie au jansénisme résulte de ce qu’il était la mauvaise conscience d’un pouvoir qui se déifie alors qu’il n’est que d’origine divine. Le jansénisme défend les droits de Dieu face aux prétentions des rois de droit divin96. Un évêque de sensibilité mystique, Fénelon, reproche à Louis XIV en 1693 : « Vous rapportez tout à vous, comme si vous étiez le dieu de la terre et que tout le reste eut été créé pour vous être sacrifié »97. Il n’en demeure pas moins qu’avec une intensité variable, où alternent phase de sacralisation et phase de désacralisation, les sujets ont un rapport d’amour mystérieux au prince98. Le xviie et le xviiie siècle virent les Français construire des places royales où l’espace ne vise qu’à valoriser la statue royale érigée en son centre, inaugurée ou consacrée en grande solennité. Les monarques ont parfois embarrassés par cette religion royale. En 1699, Louis XIV interdit le brûlement des falots autour de sa statue, place des Victoires, estimant que ce luminaire est réservé aux églises. Le Traité de la police de Delamare99 précise que les statues des rois publient « la puissance et la gloire » des monarques mais que l’adoration n’est due qu’à la divinité suprême. Cette législation atteste de l’existence d’une pratique cultuelle hors de l’espace religieux. La religion royale est plus qu’une simple propagande politique, puisque même le roi très chrétien se défie de certaines de ses manifestations. Jean-Marie Le Gall Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066) Paris 1 Panthéon Sorbonne
96 Catherine Maire, « Aux sources religieuses de la Révolution », Le Débat, no 130, 2004, p. 147. J.-M. Le Gall, Le mythe de saint Denis, op. cit., p. 127-129. 97 Fénelon, Lettre à Louis XVI, dans Lettres spirituelles, III, 428. Voir Lucien Jaume, « Fénelon critique de la déraison d’État », dans Y.-Ch. Zarka (éd.), Raison et déraison d’État, op. cit., p. 395-422, en particulier p. 421. 98 Jules Michelet, La Révolution française, éd. G. Walter, Paris, Gallimard, 1952, t. 1, p. 52-54. Et Claude Lefort, « Permanence du théologico-politique », Le temps et la réflexion, t. 2, 1981, p. 50. 99 Nicolas De la Mare, Traité de la police, t. 4 : De la voirie, Paris, Chez François Herissant, 1738, p. 390. Visible sur : gallica.bnf.fr/ark :/12148/ bpt6k109901t
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L’acteur nécessaire : dramaturgie de la sainteté et sainteté représentée* Sur les scènes de théâtre, entre le xvie et le xviie siècle, les sujets hagiographiques ne sont pas nouveaux, mais connaissent une évolution et une présence croissante, ce qui peut être considéré comme le résultat du croisement entre les innovations canoniques et pastorales progressives relatives à la sainteté et les transformations théoriques et pratiques du théâtre post-humaniste, notamment le théâtre italien Une telle cohérence est signalée, par exemple, par Tommaso Campanella, lorsqu’en 1596, dans sa Poetica, il parle de la diffusion des représentations qui ont pour sujet la passion du Christ et les martyres des saints, représentations dont le sujet, recommande-t-il, « ne doit pas contenir d’éléments légendaires, si ce n’est par grande nécessité », mais doit adhérer à l’Écriture et à des sources historiques certifiées, étant donné que « le vrai émeut plus que le faux ». Campanella souligne en outre que, de cette façon, le « bénéfice des spectateurs » est « très grand », car « on y apprend la bonté de la vie des saints et leurs louanges et l’on encourage le peuple à les imiter », jusqu’à offrir la vie « pour la vérité de la foi », combattant « contre hérétiques et contre Turcs avec la patience et avec les armes », dédaignant toute séduction mondaine et démoniaque1. Les expériences théâtrales observées par Campanella sont le résultat direct des changements qui se sont produits au cours du premier âge moderne. La réponse du Concile de Trente à l’attaque protestante du culte des saints, l’exigence philologique érudite de caractère humaniste qui ouvre le chemin à la recherche historique sur les vies des saints et sur les cultes, le renforcement des modèles protochrétiens, notamment les modèles apostoliques et des martyrs, la reconfiguration juridique progressive de la sainteté canonisée, avec la force exemplaire attribuée à la vertu pratiquée jusqu’au niveau héroïque, l’affirmation du projet catholique missionnaire : ce sont tous des caractères de ce changement, caractères qui influent aussi sur les représentations théâtrales, figuratives, narratives, poétiques déployées2. * Le contenu de cet article a été discuté en 2009, lors du séminaire de doctorat et Master 2 « Lectures du culte des saints », dirigé par Bernard Dompnier à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Une version italienne plus étendue est parue dans Tadeusz Lewicki (éd.), L’eroe sensibile : evoluzione del teatro agiografico nel primo ’600, Varsovie, Wydawnictwo Salezjańskie – Editrice Salesiana, 2013, p. 69-107. 1 Voir Tommaso Campanella, Poetica, édité par Luigi Firpo, Rome, R. Accademia d’Italia, 1944, p. 183-184. Dans celle-ci comme dans les autres citations, je me limite à fournir la traduction en français de l’original italien. 2 Les études sur la sainteté entre le Moyen Âge et l’époque moderne sont très nombreuses : voir la synthèse historico-critique de Sofia Boesch Gajano, La santità, Rome-Bari, Laterza, 1999, accompagnée d’une vaste Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 267-281 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115087
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Cependant, il ne faut pas seulement considérer les sujets et les arguments de l’activité dramatique, mais aussi – lorsque les sources le permettent – le rapport entre texte et représentation par le truchement de l’interprétation. À cette époque, le texte dramatique est composé pour la mise en scène ou à partir de celle-ci : dans la perspective des contemporains, comme le prouve justement Tommaso Campanella, la diffusion souhaitable et l’enracinement de la nouvelle conception de sainteté montrent la possibilité d’exploiter le théâtre précisément parce qu’il établit une communion entre acteurs et spectateurs. Le raisonnement de Campanella se réfère au cadre pédagogique de la Compagnie de Jésus3. Il s’agit là d’une autre donnée caractéristique : à l’âge moderne, le sujet de la sainteté se répand indépendamment du rite et de la fête, qui en avait été les principaux dépositaires, se développant dans des milieux protégés et culturellement autonomes, notamment les collèges et les académies. Il s’agit donc de spectacles organisés surtout par des amateurs engagés dans la réflexion religieuse et dans la piété et dévoués à la pratique oratoire et interprétative, vue comme exercice de formation et de récréation édifiante. Cette nouvelle orientation est due, d’un côté – après les Réformes et le Concile de Trente – à la tendance à réprimer les expressions théâtrales populaires, même si motivées par la dévotion (songeons aux mesures comme celles qu’a adoptées Charles Borromée en 1565 et en 15694) ; de l’autre, non moins déterminant est l’affermissement du théâtre de type littéraire : les œuvres sur le thème de la sainteté s’inspirent de la réflexion sur les genres et les normes dramaturgiques, composées surtout en forme tragique, divisées en cinq actes, en vers, avec des intermèdes et des chœurs mis en musique, chantés et dansés. Manuscrites à l’usage des acteurs, elles sont souvent publiées. En général, leurs auteurs appartiennent eux aussi aux milieux pédagogiques et académiques et sont souvent d’extraction ecclésiastiquereligieuse. La mise en scène d’histoires de sainteté concerne donc des secteurs précis de la société et s’introduit dans le théâtre du xviie siècle sur la base de ce que nous pourrions définir comme une particularisation des procédés, des auteurs, des acteurs, de leur public, des lieux de spectacle, avec un effet de diversification et de multiplication, notamment dans un cadre d’amateur qui, toutefois, de façon significative, de par la représentativité du thème et de sa force identitaire, n’exclut pas l’autre grand système théâtral italien, parallèle, des compagnies d’acteurs et d’actrices de métier mus par de plus grandes ambitions dévotes outre que professionnelles, sociales et littéraires (il suffit de rappeler le cas de Giovan Battista Andreini)5. bibliographie. Pour le rapport entre sainteté et théâtre à l’époque moderne, voir les importantes observations de Franco Carmelo Greco, « Drammaturgia della santità a Napoli in età barocca », dans Tonia Fiorino et Vincenzo Pacelli (éd.), Santi a teatro. Da un’idea di Franco Carmelo Greco, Naples, Electa Napoli, 2006, p. 26-33. 3 Cf. T. Campanella, Poetica, op. cit., p. 186. 4 Carlo Borromeo, « De actionibus et repræsentationibus sacris » et « De festorum dierum cultu » (édités dans les Acta Ecclesiae mediolanensis, Milan 1599), présentés et traduits par Ferdinando Taviani, La fascinazione del teatro, Rome, Bulzoni, 1969, p. 10, 12-13. 5 Voir Fabrizio Fiaschini, L’« incessabil agitazione ». Giovan Battista Andreini tra professione teatrale, cultura letteraria e religione, Pise, Giardini, 2007.
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Il martirio di S.a Agata (Le martyre de Ste Agathe), par exemple, composé par le notaire florentin – dramaturge, metteur en scène, acteur, protagoniste de la vie théâtrale médicéenne – Iacopo Cicognini (1577-1633), imprimé en 1624, est joué avec des chœurs mis en musique par Francesca Caccini et Giovambattista da Gagliano pas moins de huit fois à Florence en 1621, toujours par l’Accademia degli Infiammati6, dont Cicognini est membre dès sa fondation, en 1586, lorsqu’il était âgé de neuf ans ; académie qui était constituée surtout d’adolescents, afin qu’ils vivent « sous la discipline et l’exemple » du Christ7. L’activité théâtrale est intense à son intérieur, surtout dans les années trente et quarante du xviie siècle et Cicognini y joue un rôle important. Le jésuite sicilien Ortensio Scammacca (1562/1565-1648), dramaturge très fécond, loué dans sa patrie et ailleurs8, écrivit près de cinquante « tragédies sacrées et morales » en vers, toutes d’inspiration spirituelle, les unes centrées sur des personnages bibliques ou des figures de martyrs et de saints, les autres sur des figures appartenant au mythe ou à l’histoire politique et religieuse chrétienne9. Ce sont des histoires mises en scène par les étudiants de la Compagnie de Jésus dans leurs collèges10 (par exemple, il y a la documentation de la mise en scène de l’Amira au Collegio Massimo de Palerme en 1610) et par les académiciens : en particulier, régulièrement par les membres de l’Accademia degli Agghiacciati, créée à Palerme en 1616 dans le but majeur d’annoblir la scène de la ville en y jouant tous les ans quelques tragédies spirituelles11. Dans l’Avvertimento d’uno intendente intorno al modo di rappresentar queste tragedie e tutte l’altre che sono per comporsi regolatamente (Avertissement d’un intendant sur la façon de représenter ces tragédies et toutes les autres qui sont à composer selon les règles), introduisant le cinquième des quatorze volumes de Tragedie sacre e morali (Tragédies sacrées et morales) de Scammacca, monseigneur Martino La Farina, bibliophile et érudit, affirme que les milieux où il est opportun d’entreprendre par la représentation une action de réforme spirituelle Voir Iacopo Cicognini, Il martirio di S.a Agata, Firenze, Giunti, 1624, en particulier p. 2-3, 4-8. Pour le contexte de cette œuvre, voir Antonia Grimaldi, « Tra chiostro e scena. Ricerche sul teatro sacro fiorentino del primo Seicento. Il Velo di Michelangelo Buonarroti il Giovane », dans Maria Chiabò et Federico Doglio (éd.), Martiri e santi in scena, Rome, Torre d’Orfeo, 2001, p. 349-366. 7 Biblioteca Riccardiana (Florence), Capitoli e costituzioni de l’Accademia degli Infiammati la quale si raguna nella Compagnia di S.o Antonio di Padova come confratelli di detta compagnia in Firenze, cod. 2576, f. 1ro. 8 Voir, par exemple, Lione Allacci, Drammaturgia, Rome, Mascardi, 1666 ; Vincenzo Auria et Antonino Mongitore, La Sicilia inventrice, Palerme, Felice Marino, 1704, p. 167 ; Girolamo Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, VIII, Modène, Società tipografica, 1780, p. 330. 9 Voir Giuseppe Sorge, I teatri di Palermo nei secoli XVI-XVII-XVIII. Saggio storico, Palerme, Industrie riunite editoriali siciliane, 1926, p. 161-165 ; Domenica Donzelli, « Introduzione », dans Ortensio Scammacca, Tommaso in Conturbia, Catane, Società di Storia patria per la Sicilia orientale, 1976 ; Michela Sacco Messineo, Il martire e il tiranno. Ortensio Scammacca e il teatro tragico barocco, Rome, Bulzoni, 1988. Pour le cadre théâtral sicilien des xvie et xviie siècles, voir G. Sorge, I teatri di Palermo, op. cit., et Giovanni Isgrò, Festa teatro rito nella storia di Sicilia, Palerme, Vito Cavallotto, 1981. Les tragédies de Scammacca sont recueillies en quatorze volumes (Palerme 1632-1648). La plupart est déjà mentionnée dans L. Allacci, Drammaturgia, op. cit. 10 Cf. Ortensio Scammacca, « Prologo fuor della tragedia », dans Id., Delle tragedie sacre e morali, V, Palerme, s.n., [1633], p. 25-27. 11 Cf. G. Sorge, I teatri di Palermo, op. cit., p. 160-178. 6
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et de moralisation des mœurs et des comportements sont les milieux pédagogiques et académiques, c’est-à-dire ceux qui se situent aux plus hauts niveaux de la société. Les personnes montant sur les planches sont appelées à avoir une responsabilité précise à l’égard des villes chrétiennes : en effet, La Farina confirme l’importance de la « représentation tragique » pour la vie chrétienne et établit que : Les représentants de la tragédie soient des hommes sérieux qui, non pas par intérêt du gain, mais uniquement par le désir de faire du bien à autrui se fassent voir dans une scène tragique. Et cela, non pas comme les [comédiens] mercenaires le font, presque tous les jours, mais une ou deux fois par an, pour maintenir la réputation de leurs personnes et du poème qu’ils représentent, et pour maintenir l’auditoire toujours en attente.
À cet effet aussi, ajoute-t-il, « Les personnages jeunes ou les vierges ou les matrones pourront être joués par des jeunes hommes de bonne nature, aimant les belles lettres et appliqués à des études honorables », et, « pour maintenir le bon ordre, il faut que tous ceux qui jouent soient membres d’une académie honorable, dont le but est l’étude des belles lettres, la beauté de la ville dans laquelle elle est fondée et le bien des citoyens » ; en outre, il faut que « dans l’ornement des costumes et de la scène il ne manque rien, raison pour laquelle, étant ces personnes soucieuses uniquement de l’honneur de leur ville, elles éviteront toute inconvenance dans la représentation »12. À la fin du siècle, Il Niceta o vero la forza della castità (Nicétas ou la force de la chasteté), du médecin et chanoine des Pouilles Bartolomeo Maiullari, fournit un autre exemple de l’entrelacement de milieux propices à la représentation de la sainteté : l’auteur est membre de l’Accademia degli Infiammati de la ville de Bitonto, fondée par l’évêque Fabrizio Carafa en 1624, dans laquelle, comme dans celle de Florence et dans celle de Palerme déjà citées, se manifeste un intérêt majeur pour le théâtre. Il Niceta est mis en scène chez les dominicains de Barletta, probablement sous la direction de l’auteur, bien qu’il ne soit pas évident de savoir si les interprètes, loués pour leur noblesse, leur grâce, leur compétence et honorabilité, furent eux aussi académiciens13. Ainsi que l’observait Campanella, la dramaturgie textuelle et scénique concerne aussi l’élaboration et l’éventuelle intériorisation de modèles imitables par les acteurs et les spectateurs. C’est précisément ce point que reprend Maiullari lorsqu’il développe l’argument et qu’il affirme ne pas vouloir montrer au spectateur des faits miraculeux, mais, au contraire, multiplier les scènes des tentations charnelles féminines, auxquelles Niceta s’oppose sans une autre « force » que celle de sa propre « moralité » : l’auteur en exalte ainsi les conquêtes « héroïques »14. L’emploi de cet adjectif indique l’usage conscient que Maiullari fait de la notion d’héroïcité des vertus, centrale dans les décrets d’Urbain VIII sur la sainteté canonisée [Martino La Farina], « Avvertimento d’uno intendente intorno al modo di rappresentar queste tragedie e tutte l’altre che sono per comporsi regolatamente », dans O. Scammacca, Delle tragedie sacre e morali, op. cit., V, p. 7. 13 Vincenzo Lella, « Al mio riverito lettore », dans Bartolomeo Maiullari, Il Niceta o vero la forza della castità (Padoue 1696) : le texte transcrit ici est cité par Grazia Distaso, « De l’altre meraviglie. Teatro religioso in Puglia (secoli XVI-XVIII) », Musica e teatro. Quaderni degli Amici della Scala, III/6, 1987, p. 105-108, accompagné d’un choix anthologique de la tragédie. 14 B. Maiullari, Niceta, dans G. Distaso, « De l’altre meraviglie », art. cit., p. 107. 12
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remontant à quelques décennies auparavant : c’est le degré de perfection que doivent atteindre les chrétiens afin que leur sainteté de vie puisse s’élever à un modèle universel15. Les spectateurs voient le but de la perfection représenté par les actions du saint, qu’ils pourront imiter en parcourant à leur tour une échelle d’engagement vertueux qui comprend la possibilité de pratiquer la vertu de façon non ordinaire, mais héroïque. Dans Il trionfo della verginità (Le triomphe de la virginité), de 1585, écrit pour une communauté de religieuses ursulines par l’oblat milanais Gerolamo D’Arabia (1531-1594), l’Ange qui récite le prologue s’adresse au public en faisant appel aux sens. Il faut que les spectatrices écoutent attentivement, car si elles ne le font pas, ce qui est prononcé sur scène ne pourra pas se déposer et se conserver en elles, dans leur mémoire, dans leur imagination, et le spectacle sera inutile16. Là aussi il s’agit de la représentation d’une vertu exercée héroïquement par laquelle les vierges ursulines pourront fortifier et magnifier la leur. Mais ce qu’il importe de souligner c’est la relation à laquelle D’Arabia fait allusion, qui caractérise toute expérience théâtrale : à savoir, celle qui s’instaure entre la scène et son public qui est une relation des sens17. L’exemple de sainteté passe au travers de cette communion. Benedetto Cinquanta, franciscain milanais, théologien et prédicateur, lui aussi académicien, dans Il figliol prodigo (L’enfant prodigue), de 1633, remercie les spectateurs pour l’attention prêtée à la représentation et leur recommande d’« enregistrer » dans leur cœur les mots des acteurs, voire « le dire moral » de ces derniers, pour « apprendre » la façon d’atteindre leur but spirituel18 : là aussi l’écoute, le bon emploi de l’ouïe, est une condition essentielle pour obtenir le résultat souhaité de l’action théâtrale. Quelques années plus tard, dans la tragédie spirituelle Il mortorio di Cristo (Passion et mort du Christ), Bonaventura Morone, de Tarente – franciscain connu et important, dont les textes dramatiques obtinrent un grand succès théâtral et éditorial – affirme que le théâtre chrétien moderne a pour but de « mouvoir par la vue les spectateurs vers de saints affects ». C’est pourquoi, ajoute-t-il, contrairement à ce que les Anciens avaient établi, il est opportun de montrer en scène également la violence de la mort : « Christ crucifié et qu’on lui transperce la poitrine, qu’on le décloue, etc., que Judas se pende et qu’il soit dépendu par les démons »19. Cf. Miguel Gotor, « La fabbrica dei santi : la riforma urbaniana e il modello tridentino », dans Luigi Fiorani et Adriano Prosperi (éd.), Storia d’Italia, Annali 16 : Roma, la città del papa. Vita civile e religiosa dal giubileo di Bonifacio VIII al giubileo di papa Wojtila, Turin, Einaudi, 2000, p. 679-727. 16 Cf. Girolamo D’Arabia, Il trionfo della verginità, Crémone, Barucino Zanni, 1595, s.p. Notes biographiques sur d’Arabia (ou Rabbia), dans Gualberto Vigotti, S. Carlo Borromeo e la Compagnia di S. Orsola, Milan, Compagnia di Sant’Orsola, 1972, p. 48-51. 17 Voir à ce propos Chiara Cappelletto, « Estetica della fruizione teatrale. La virtualità della scena e l’esperienza dello spettatore », dans Alessandro Costazza (éd.), La filosofia a teatro, Milan, Cisalpino Istituto Editoriale Universitario, 2010, p. 535-556. 18 Benedetto Cinquanta, Il figliol prodigo, Milan, Gio. Battista Malatesta, 1633, p. 233. Sur Cinquanta, voir Annamaria Cascetta, « La spiritual tragedia e l’azione devota. Gli ambienti e le forme », dans Ead. et R. Carpani, La scena della gloria. Drammaturgia e spettacolo a Milano in età spagnola, Milan, Vita e pensiero, 1995, p. 131-146. 19 Bonaventura Morone, Il mortorio di Christo, Venise, Gio. Battista Combi, 1639, p. 159. Sur Morone (Bonaventura da Taranto), voir G. Distaso, « De l’altre meraviglie », art. cit., p. 38-41, 76-79 ; A. Cascetta, « La spiritual tragedia », art. cit., p. 120-131. 15
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Le théâtre est considéré comme un lieu particulièrement attractif pour les sens, l’imagination, les affects, qui y sont fortement mobilisés, mais aussi un lieu d’expériences réglées : ce qui est offert à la perception du public est conçu comme une discipline extérieure (le silence attentif) et intérieure (faire en sorte que les images s’impriment dans l’esprit et les paroles dans le cœur), discipline qui, une fois le théâtre et l’expérience collective abandonnés, doit pouvoir devenir un chemin le long duquel chaque spectateur pourra faire procéder sa vie personnelle. Toute la stratégie du théâtre religieux, surtout celui qui se rattache aux vicissitudes mytho-biographiques des saints, s’oriente vers l’exaltation des sens en tant que moyen pour faire en sorte que l’action scénique soit l’objet d’une réélaboration individuelle. En quoi consiste alors, au théâtre, le processus formatif et potentiellement transformateur dont parlent les dramaturges ? Jusqu’à présent il n’a été question que de textes dramatiques transmis sous forme imprimée. Ce qui ne nous empêche pas de pouvoir dire également qu’ils constituent un document pas tout à fait fiable : les textes imprimés peuvent précéder la représentation sans qu’ils lui correspondent entièrement ou ils peuvent avoir été imprimés postérieurement, sans constituer pour autant la transposition écrite exacte du texte récité, mais répondant plutôt à des exigences plus fortement littéraires ou éditoriales, de censure, de lecture. Le texte nous dit beaucoup, mais si on le considère comme le témoin le plus véridique de la représentation, il nous porterait vers un chemin sans issue. En effet, entre la scène et le public il y a l’acteur : l’acteur présent, vivant20. Toutefois, cela est connu, on sait peu de chose concernant l’acteur sur scène, celui qui joue, faute de documents. Les sources dont nous disposons pour cette époque sont en général indirectes, pour la plupart d’ordre théorique ou moral, rarement purement descriptives. Bien que l’acteur soit l’intermédiaire indispensable entre les deux pôles – scène et salle – aussi bien les acteurs que les spectateurs sont, pour l’historien, les objets les moins saisissables : il est donc utile de souligner cette limite, cette difficulté à trouver des documents sur l’acteur et le spectateur dans la relation qui les lie, bien que cruciale pour la compréhension du fait théâtral et à plus forte raison – ainsi que j’essayerai de le dire – du sujet que nous traitons ici. Le modèle vertueux est incarné sur la scène par l’acteur, dont le corps est ce qu’on est invité à regarder, dont les mots sont les mots qu’il faut écouter, dont les actions et la voix enseignent aux spectateurs l’exemple de sainteté souhaité. J’estime que c’est précisément par l’acteur que la dramaturgie édifiante réalise son projet : il s’agit de celui qui permet la représentation vivante du modèle. Sur scène, l’acteur est – dans le sens technique – le vecteur de la sainteté. D’autre part, l’acteur lui-même met au point et affiche une règle individuelle de comportement, de comportement scénique, puisqu’au moment où il interprète son rôle – s’inspirant du modèle oratoire classique (selon ce que les traités et les exemples, à vrai dire Cf. Claudio Meldolesi, « L’attore, le sue fonti e i suoi orizzonti », Teatro e storia, IV/2, 1989, p. 199-214 ; Marc Fumaroli, Eroi e oratori. Retorica e drammaturgia secentesche, Bologne, Il Mulino, 1990.
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peu nombreux, attestent)21 – il agit par le truchement d’une discipline interprétative ; et, on le verra, celle-ci constitue l’un des éléments majeurs de la transmission de l’exemple. Un sujet moralement et spirituellement adéquat et une histoire bien orchestrée sur le plan dramaturgique, avec une intrigue serrée et des personnages bien dessinés ne suffiraient pas à offrir une représentation efficace s’ils n’ajoutaient pas à leurs compétences la qualité interprétative, la séduction de l’acteur. C’est dans ce sens que sont particulièrement intéressantes certaines observations relatives à la S. Agatha (Ste Agathe) de Scammacca, publiée en 1633 : contenues dans un manuscrit daté de 1622, qui mentionne une mise en scène précise de cette tragédie sacrée, sans doute celle réalisée en 1621 par les académiciens Agghiacciati de Palerme cités plus haut. Il s’agit de l’Oratione di Antonino Tantillo. Palermitano. Intorno all’arte histrionica (Discours de A. T. Palermitain. À propos de l’art de l’histrion), composée pour une réunion de cette académie, dont l’auteur, sous le nom de Umido, est l’un des membres les plus en vue (notaire, homme de lettres, dramaturge, connaisseur et traducteur de la langue grecque, « éruditissime » parmi les Palermitains)22, et dont il décrit les finalités : Nombreux sont ceux qui ont désiré vouloir fonder un regroupement d’esprits vertueux qui, persévérant dans des exercices spirituels tour à tour au Carnaval et à d’autres occasions, se rassembleraient pour mémoriser quelques œuvres sacrées afin qu’en les représentant ensuite le théâtre enseigne la manière vraie et modeste de vivre23.
Entre 1621 et 1626, les Agghiacciati mettent en scène sept tragédies de Scammacca : en particulier, en 1621, Alessio et justement S. Agatha24. Approuvée à la fin de 1616, l’Accademia degli Agghiacciati a, en effet, parmi ses buts celui de cultiver le théâtre, en « organisant deux représentations par an »25, montées et interprétées par les membres de l’association : à cette fin, elle se met sous la protection de saint Genès, qui est le « glorieux martyr comédien », ainsi que le définit un jésuite de Rimini qui lui dédiera une longue narration hagiographique26. Le manuscrit d’Antonino Tantillo est la rédaction d’un discours public, destiné à des invités de haut rang – « tous des auditeurs des plus nobles », un « illustre seigneur », 21 Cf. Claudio Vicentini, « I primi trattati italiani sulla recitazione », Annali dell’Università di Napoli « L’Orientale ». Sezione romanza, XLV/1, 2003, p. 115-154 ; Id., « L’orizzonte dell’oratoria. Teoria, recitazione e dottrina dell’eloquenza nella cultura del Seicento », ibid., XLVI/2, 2004, p. 303-335 ; Pierre Frantz, « Riferimenti al corpo nelle teorie sull’arte dell’attore nel XVIII secolo », dans Silvia Carandini (éd.), Le passioni in scena. Corpi eloquenti e segni dell’anima nel teatro del XVII e XVIII secolo, Rome, Bulzoni, 2009, p. 237-251. 22 V. Auria et A. Mongitore, La Sicilia inventrice, op. cit., p. 166-167. Cf. Giuseppe M. Mira, « Tantillo (Antonino) », dans Id., Bibliografia siciliana, New York, Franklin, s. d., II [Palerme 1875], p. 395, ad vocem ; Raffaele Starrabba, « Dell’Accademia palermitana detta degli Agghiacciati. Notizie e documenti », Archivio storico siciliano, n.s., IV/1-2, 1879, p. 185 ; G. Sorge, I teatri di Palermo, op. cit., p. 169, 175. Tantillo meurt en 1659. 23 Biblioteca Comunale di Palermo, Antonino Tantillo, Oratione di Antonino Tantillo. Palermitano. Intorno all’arte histrionica. Per l’Accademia de gli Agghiacciati di Palermo. 1622, 3Qq B 122, f. 1ro-19ro : f. 4ro. 24 Cf. G. Sorge I teatri di Palermo, op. cit., p. 374-375. 25 Mopso Triseldo [Antonino Mongitore], « Introduzione », dans Rime degli Ereini di Palermo (Rome [mais Palerme] 1734, I), cité par R. Starrabba, « Dell’Accademia », art. cit., p. 176. 26 Odorico Gisgoni, Le fortunate catastrofi di santità teatrale nella descirizione della vita di s. Genesio il martire romano professore del teatro, riscontrata allo specchio del Sac[ro] Apocalissi, Venise, Bosio, 1679, p. 1.
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quelques « aimables chevaliers », les « très vertueux académiciens »27 – « devant », écrit-il, « en la présence d’un groupe si honnête et respectable, avec grande éloquence, voix claire, geste gracieux et élégante diction (si autant de belles qualités se retrouvent en moi), compter parmi les agréables et fructueux plaisirs de cette académie », ainsi, ajoute-t-il, « la beauté de l’esprit ainsi que de la vertu, de la magnanimité, qui en vous, illustrissimes seigneurs, resplendit au plus haut point »28. Nombre de pages du manuscrit sont en mauvais état et difficiles à lire. Tantillo y fait une longue réflexion très érudite sur la tragédie et sur la représentation tragique, avec des références aux auteurs classiques et aux tragédies antiques liés à la culture et aux pratiques théâtrales contemporaines, notamment à celles de l’académie palermitaine, qui « grâce à ses interprètes » se consacre à la tragédie d’inspiration religieuse, la seule forme théâtrale digne, « dans ces temps pieux et dévots »29. À la fin de l’Oratione, après une dissertation sur « Le son de la voix ou prononciation de la parole », qui « est un don suprême dans l’interprétation, au point qu’un excellent acteur dépourvu de ce don ne peut être apprécié »30, Tantillo affirme qu’il est évident que les Agghiacciati observent de façon remarquable sur la scène tragique les préceptes et les très hauts exemples relatifs à la qualité et au volume de la voix, à la manière de l’utiliser, à sa variété, dont la tradition classique est riche, selon ce qu’il a développé jusque-là : « Il est manifeste que toutes ces choses ont été vues dans cette académie »31. Pour démontrer cette précieuse continuité entre anciens et modernes, il cite la preuve inoubliable du jeune interprète de la S. Agatha de Scammacca, dont il omet le nom, mais qui est certainement un des académiciens. Tantillo écrit qu’il ne peut se rappeler cet « histrion qui interprétait l’Agathe » sans que l’on aperçoive et que l’on admire en lui : langue prompte, voix sonore, expression variée mais véhémente, pleine de grandeur, d’esprit, pleine de douleur et pleine de sévérité ; bonne poitrine, flancs fermes, vigueur et une agréable proportion tant du visage que de toute sa personne. Et, en particulier, lorsqu’il est seul sur scène, levant les yeux et les mains au ciel, sans la hauteur de voix qu’il pouvait, prononça les vers suivants : Ô puissance du ciel suprême et éternelle, Que l’univers contient et emplit en toi, Dont le savoir gouverne ce qu’il créa32.
Dans cette réflexion comme dans d’autres, Antonino Tantillo se sert de passages empruntés aux auctoritates en matière d’interprétation dramatique et rhétorique, les deux arts frères, dont l’association, depuis l’Antiquité classique, se maintient jusqu’à l’époque où A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 1ro ; il se réfère aux spectateurs. Ibid., f. 2vo et 3ro. 29 Ibid., f. 4ro et 5vo. 30 Ibid., f. 14vo-15ro ; et cf. f. 14vo-17ro. 31 Ibid., f. 16vo. 32 Ibid., f. 17ro. Les vers sont tirés de Ortensio Scammacca, S. Agatha, acte II, dans Id., Tragedie sacre e morali, III, Palerme, Gio. Batta Maringo, 1633, p. 48-49. 27
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il écrit ; et tandis qu’il renforce le poids de ses propres argumentations par une référence explicite à ces sources, dans le passage qui vient d’être cité, il reprend à son compte de longs extraits du De oratore de Cicéron, sans le mentionner : ce sont des passages entiers de la traduction de Lodovico Dolce de 1547 les adaptant au présent. Les vers commentés par Tantillo sont le début d’un monologue en tercets du deuxième acte de la tragédie de Scammacca : la prière prononcée en prison par Agathe – magnifique vierge catanaise qui s’est consacrée au Christ – après avoir subi l’amputation des seins, voulue par Quintien, le proconsul romain de Catane, tombé amoureux d’elle et furieux de ne pas être parvenu à la posséder et à la contraindre à l’apostasie. Dans les cinq actes tragiques habituels, Scammacca distribue la matière hagiographique entre douze personnages masculins, cinq féminins et trois chœurs, composés respectivement de prétoriens romains, de pages païens et d’anges. Comme toujours chez Scammacca, au cours de l’action, le coryphée récite, tandis que le chœur – « dansant » et « chantant », soutenu par l’accompagnement des instruments – intervient à la fin de chaque acte avec des mots et des actions ayant trait à la représentation33. Revenant donc à Tantillo, l’acteur qui interprète Agathe « n’interprète pas » les vers cités du deuxième acte « avec la hauteur de voix qu’il pouvait » : l’académicien entend-il dire par là que cet acteur ne possédait pas autant de voix qu’il lui en aurait fallu ? Sans doute veut-il indiquer un défaut. Pourquoi, alors, son interprétation serait-elle mémorable ? Le passage devient clair uniquement si on le compare au De oratore dans la version de Dolce, dont Tantillo se sert encore et continue de s’en servir aussitôt après pour approfondir la question en analysant la partie restante du monologue, où il exalte le rôle de l’art, capable de combler une lacune de la nature : à la lumière de Cicéron, on comprend que l’acteur dont parle Tantillo possède au suprême degré la technique interprétative, qui lui permet de doser savamment l’émission vocale et de la proportionner aux énergies nécessaires aux mouvements de la tête et du corps, afin de pouvoir jouer pleinement son rôle, et de toucher profondément le cœur des spectateurs. Arrivés à ces vers, nous dit en effet Tantillo, l’acteur « baissa » la voix, mais la « haussa » au contraire, juste après : la voix monte uniquement dans les vers suivants, lorsque Agathe se met à implorer Jésus pour qu’il l’appelle à lui. Tantillo souligne que l’évolution vocale inattendue produit « merveille et stupeur chez le public. De sorte que lorsque [Agathe] pleura résonnèrent de tristes et funèbres voix » et « avec elle le peuple nombreux versa des larmes » : le trouble du public sert de caisse de résonance à l’émotion produite par la voix que l’acteur parvient à dilater selon ce qu’exigent l’animus et les paroles du personnage de la sainte qui prononce la supplication et, selon ce que lui assurent la stabilité de la posture, la tension et l’agilité musculaire, l’expansion pulmonaire, la netteté de la diction, la gamme des sentiments manifestés par les expressions et par les gestes. En récitant les autres vers, lit-on en effet dans l’Oratione, l’acteur passe à nouveau à une « voix humble et morne » et les profère « sans nul mouvement » : il le fait par « respect » 33
Cf. [M. La Farina], « Avvertimento », cit., p. 13-17.
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des suivants, « dans lesquels il n’aurait pas pu augmenter le mouvement et la voix s’il les avait épuisés dans les précédents »34. L’abaissement du ton et l’immobilité du corps dans les vers précédents ont donc permis à l’acteur de se préparer à la nouvelle excursion vocale nécessaire aux vers suivants. Les modèles dont se sert Tantillo pour décrire l’acteur palermitain admiré sont Roscio et Ésope, magnifiques histrions auxquels Cicéron se réfère avec des mots que nous retrouvons dans l’Oratione de l’académicien : ce sont les caractéristiques accomplies de l’interprétation parfaite que Cicéron théorise. Appliqué à un acteur et à un personnage dans le cadre d’une représentation théâtrale de 1621, l’infaillible schéma cicéronien, le modèle intemporel est utilisé pour décrire la partition interprétative, mise au point par cet acteur et reconstruite a posteriori par Tantillo, en tant que spectateur compétent, pour en révéler chaque passage en en explicitant la cohérence et la maîtrise. Il en fait un exemple actuel où la règle interprétative semble assurer l’émotion du spectateur ainsi qu’il le précisera ci-après. Pour conclure l’argumentation, il emprunte à Cicéron un autre jugement important, celui sur la nécessité de l’aide du métier – donc de techniques expérimentées – aussi pour celui qui est favorisé par la nature. En revanche, le métier est inutile pour ceux qui sont de par leur nature dépourvus des caractéristiques indispensables pour affronter la scène. Il se réfère toujours à l’interprète admirable de la Sainte Agathe de Scammacca, dont la bonne diction et la bonne prononciation ne peuvent être acquises par le métier, comme d’aucuns le pensent, surtout quand on voit que c’est un don spécial de la nature, bien que le métier puisse compenser ou corriger quelques défauts, comme nous l’avons dit. C’est pourquoi il m’est clair que la doctrine peut améliorer les rôles dramatiques, mais ne peut certainement pas polir et corriger ceux qui ne sont pas bons. Toutefois, il y a des hommes à la langue si lente et à la voix si débraillée, au visage tellement laid et au corps gauche et disproportionné, lesquels même s’ils étaient doués et avaient appris le métier, ne pourraient jamais être des histrions. D’autre part, de ces mêmes dons de nature il y en a de si riches et parés, qu’ils apparaissent, à ceux qui les écoutent et regardent, nés, comme celui-ci [l’acteur qui joue le rôle d’Agathe], non pas comme les autres hommes, mais comme formés par les mains de Dieu lui-même.
Dans le rôle de la sainte, ce « jeune homme » mériterait donc la reconnaissance des grands orateurs anciens, « vraiment digne que les Démosthène et les Tullius apparaissent de nouveau parmi les vivants pour célébrer et admirer tes talents singuliers et admirables, dont la mère nature t’a enrichi et que le métier a rendu plus beaux »35. L’autorité des Anciens et indiscutables maîtres est donc le palimpseste des affirmations avec lesquelles Tantillo entend exalter le poète (Scammacca), la valeur des personnages (Agathe, puis Quintien), les acteurs (deux académiciens Agghiacciati), et en célébrer – par des mots qui n’auraient pu être trouvés meilleurs – l’excellence de la performance, dans laquelle il dissimule justement le plus attitré des modèles interprétatifs. Ici comme ailleurs dans le raisonnement, les exemples tirés de Cicéron sont remplacés par des vers de la pièce S. Agatha de Scammacca, certains passages théoriques ont été 34 35
A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 17ro-vo. Ibid., f. 17vo-18ro.
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éliminés, déplacés, distribués ou recomposés, d’autres ont été à peine adaptés à l’actualité de Tantillo et de son audience ainsi qu’à la circonstance évoquée et, au besoin, dûment christianisés ; toujours, bien entendu, l’activité de l’acteur remplace celle de l’orateur lorsque c’est à celle-ci que Cicéron se réfère36. Toute la trame des renvois, visible ou cachée, est formée par l’auteur pour soutenir la compétence et la fiabilité de son rôle d’académicien, témoin des faits racontés (que Tantillo confirme, du reste, en citant un sonnet dédié par un autre admirateur au jeune interprète de l’Agathe)37. Antonino Tantillo avait introduit le thème de la capacité, propre à l’interprétation, de provoquer des mouvements intérieurs et extérieurs chez le public déjà avant le raisonnement sur la voix, à un tiers environ de l’Oratione : il y affirme que cette efficacité est due à l’émotion éprouvée par les acteurs, étant donné, écrit-il, que « tout cela a lieu parce que le propre de la poésie est de toucher non seulement ceux qui écoutent, mais les acteurs eux-mêmes »38. Les acteurs se passionnent pour les paroles qu’ils prononcent lorsque leur qualité est telle qu’elles produisent ce résultat. Le passage est important. L’émotion est un facteur qui peut agir et sur l’esprit de l’acteur et sur celui des spectateurs chrétiens : un facteur déterminant eu égard aux finalités morales du théâtre édifiant de l’âge moderne. Pour confirmer cette thèse implicite, Tantillo évoque en effet le « saint et patron » de l’Accademia degli Agghiacciati39, le Romain Genès, objet à l’époque d’une attention sur la scène théâtrale40. L’histoire du mime païen qui, tandis qu’il s’exhibait dans une parodie du baptême, « s’émut d’une [telle] façon » au point de se convertir sur le coup et de proclamer, sur scène, sa propre foi41, dans l’Oratione de 1622, devient l’emblème du pouvoir Les morceaux de De oratore présents dans les parties de A. Tantillo, Oratione, citées ici, sont tirés de la traduction de Dolce : Cicerone, Il dialogo dell’Oratore di Cicerone tradotto per M. Lodovico Dolce, Venise, Gabriel Giolito de Ferrari, 1547, livre I, p. 22ro-vo, et livre III, p. 150vo ; et cf. aussi livre I, p. 51ro, et livre III, p. 172vo174ro. 37 Cf. A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 18ro. 38 Ibid., f. 6vo. 39 Ibid., f. 6vo. 40 Cf. Ferdinando Taviani, « Né profano né sacro : prospettive teatrali », dans Sofia Boesch Gajano et Lucetta Scaraffia (éd.), Luoghi sacri e spazi della santità, Turin, Rosenberg e Sellier, 1990, p. 219-239 ; Bernadette Majorana, « Lo Pseudo-Segneri e il teatro celeste : due tracce secentesche », Teatro e storia, IX, 1994, 16, p. 379-388 ; Donatella Di Mauro, « Tra chiostro e scena. Ricerche sul teatro sacro fiorentino del primo Seicento. Il Ginnesio di Michelangelo Buonarroti il Giovane », dans M. Chiabò et F. Doglio (éd.), Martiri e santi in scena, op. cit., p. 367-390 ; Marco Lombardi, Il San Genesio di Rotrou a Bologna. Visioni del teatro celeste, Florence, Alinea, 2003. 41 A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 6vo. Pour Genès de Rome, themelicus, assimilé parfois à Genès d’Arles, l’Arlésien, avec lequel il partage le jour de culte (25 août), cf. Dorino Tuniz, « Genesio di Arles », dans Claudio Leonardi, Andrea Riccardi et Gabriella Zarri (éd.), Il grande libro dei santi. Dizionario enciclopedico, sous la direction d’Elio Guerriero et Dorino Tuniz, Cinisello Balsamo, San Paolo, 1998, II, p. 764-765. La littérature hagiographique en latin médiéval sur Genès est analysée par Giovanni Paolo Maggioni, « Santi sulla scena, attori in paradiso. Attori, mimi e giullari nell’agiografia medievale », dans M. Chiabò et F. Doglio (éd.), Martiri e santi in scena, op. cit., notamment p. 52-67. Genès de Rome n’est pas inclus dans la Legenda aurea et ne figure pas non plus sous la date du 25 août dans Caesar Baronio, Martyrologium romanum, Venise, Marcus Antonius Zalterius, 1597, p. 384. 36
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de transformation qui, depuis l’Antiquité, caractériserait l’expérience de l’interprétation et, ne serait-ce qu’allusivement, en propose à nouveau le mystère sous forme chrétienne : ce n’est plus l’inspiration poétique suscitée par le dieu qui frappe inéluctablement les acteurs païens, mais la vérité du Christ qui se révèle irrésistiblement au travers des actions extérieures et feintes accomplies par un homme, l’imitation du baptême. Tantillo parvient ainsi au temps présent, à l’exemple de l’acteur qui, sur la scène de S. Agatha avait joué le rôle de Quintien (cela va de soi, toujours un académicien Agghiacciato). Il en illustre l’interprétation en se référant au Ion platonicien, auquel il associe, selon la tradition, non seulement la position de Démocrite, mais celle aussi de Cicéron dûment déguisée. Ainsi écrit-il : Qu’y a-t-il de plus artificiel que les vers de théâtre, et de la comédie et de la tragédie, qu’on y récite ? Pourtant dans ces lieux j’ai vu plusieurs fois l’histrion [l’interprète de Quintien] montrer, en lui-même soutenir, le mépris et la passion de l’offensé et du misérable, qu’il représentait sous de fausses apparences, qu’il me semblait que son regard s’enflammât lorsqu’il déclamait : Comment une étrange cruauté en mon sein Fut-elle possible ? Ô sein inhumain, Qui accueille mille Hyrcanies et mille Scythies42 !
D’après le texte de Scammacca cité par Tantillo, le proconsul Quintien, après avoir infligé le martyre à Agathe, commence par ces vers une longue attaque verbale contre soimême : Tantillo décrit Quintien sur scène, « coléreux et furieux, repenti déjà d’avoir fait arracher les mamelles de Sainte Agathe » et prêt à changer sa propre attitude envers la jeune fille, essayant de la conquérir avec la promesse d’en devenir l’esclave : Comme encore en changeant la voix en un triste son et en prononçant ces autres vers avec des accents misérables et pleins de compassion : Vas-t’en en paix dans ta chambre natale, Ô lumière, ô nouvelle déesse apparue sur terre, Que je puisse te donner mon amour et mes prières, Que ceux-ci ne sont pas des martyres de mon cœur43.
L’acteur prononce ces vers dolents « plein d’angoisse et versant de vraies larmes » : Vers que si l’histrion devait les réciter tous les jours, il pourrait le faire sans ennui : d’aucuns pourraient penser que le père Hortensio Scammacca de la Compagnie de Jésus, auteur de ces vers, envers lequel la scène tragique doit infiniment pour lui avoir augmenté une nouvelle gloire et une nouvelle splendeur, les eût écrits d’un cœur léger ? Il n’y a aucune raison de le croire : sans ignorer, par autorité de Démocrite et de Platon, alléguée par Cicéron lui-même, que nul ne peut être bon poète sans un certain réchauffement de cœur et sans être mû par une ardeur divine. Parce que si l’histrion veut allumer, émouvoir et persuader les spectateurs, 42 43
A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 6vo (voir les vers de O. Scammacca, S. Agatha, op. cit., acte III, p. 56). A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 6vo-7ro (voir les vers d’O. Scammacca, S. Agatha, op. cit., acte III, p. 81).
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il faut qu’il soit lui-même le premier à être allumé, ému et persuadé. Car, aussi bon et sec qu’il soit, le bois ne s’allume pas ni devient feu lui-même sans le feu. C’est pourquoi Ion, en récitant les vers d’Homère, s’imprégnait lui-même de tristesse et rendait ainsi les spectateurs dolents et les faisait pleurer. Ce que Platon fait dire à Ion : « En vérité, chaque fois que je dis quelque chose de triste et misérable, mes yeux se remplissent de larmes, mais quand je dis quelque autre chose de sensible ou de véhément, je m’effraye et je sens presque tous mes poils se dresser et mon cœur éclater ». Propriété vraiment propre de l’imitation44.
Le dialogue juvénile de Platon – entre Socrate et le rhapsode-acteur Ion justement – est cité ici littéralement (le passage « En vérité, chaque fois », etc.)45, suivant l’interprétation de la déclamation grecque plus tardive et plus mûre, puis la romaine de style oratoire passée dans l’approche humaniste de la Renaissance et, de là, au xviie siècle ; ainsi qu’aux positions de Tantillo lui-même : l’ordre rationnel et moral du comportement de l’acteur l’emporte sur la possibilité d’exciter des émotions et avec lui aussi son émancipation technique ; il parviendrait à éprouver en lui-même et à manifester les passions en vertu de la force des mots et de la qualité du personnage, dont il imite les caractères extérieurs et les mouvements profonds, dans le but de produire des sentiments réciproques dans le public, efficacement sollicité46. La similitude entre bois et feu et tout le morceau qui précède sont empruntés une fois encore à la version de Dolce du Dialogo dell’Oratore di Cicerone (Le dialogue de l’Orateur de Cicéron), tandis qu’aux vers qui y sont cités, tirés de la tragédie Teucer de Pacuvius, Tantillo remplace ceux que prononce Quintien dans S. Agatha de Scammacca47. Les considérations d’Antonino Tantillo constituent un précieux document précisement pour appréhender la mosaïque d’expériences de son temps – modèles classiques, acteurs, auteurs et spectateurs – qu’il construit, par la transposition de l’art oratoire au théâtre, de la poésie à la scène, effectuée avec facilité et conviction grâce à sa familiarité avec les anciennes sources ainsi qu’aux pratiques de son époque. Mettant en valeur le rapport régulateur entre théorie et pratique, Tantillo exalte la fonction édifiante de la scène selon les intérêts moraux et dévotionnels de son milieu académique et, par le truchement de l’interprétation tragique, vise à caractériser l’apport chrétien. Toutefois, les arguments de Tantillo sur les techniques interprétatives associées au résultat dramatique évoquent un autre point central : la présence de l’acteur frappe les spectateurs parce qu’elle ne fait pas partie de l’ordinaire48. La tragédie chrétienne réglementée A. Tantillo, Oratione, op. cit., f. 7ro-vo. Voir le passage correspondant du Ione, vi, 535c, dans Platone, Opere complete, Rome-Bari, Laterza, 2003, V, p. 364 ; et cf. p. 361 n. 1. 46 Pour le dialogue platonicien et son influence ultérieure, voir Claudio Vicentini, « Da Platone a Plutarco. L’emozionalismo nella teoria della recitazione del mondo antico », dans Drammaturgia, Firenze University Press, 23 mars 2005, http://drammaturgia.fupress.net/saggi/saggio.php ?id = 2039. Quant à la perspective dans laquelle Tantillo le place, voir, également, d’influents passages théoriques, par exemple, dans Giovambattista Cintio Giraldi, Discorso intorno al comporre dei romanzi [1549], in Id., De’ romanzi, delle comedie e delle tragedie. […] Parte prima, Milan, G. Daelli e Comp., 1864, p. 34, et dans Angelo Ingegneri, Della poesia rappresentativa et del modo di rappresentare le favole sceniche, Ferrare, Vittorio Baldini, 1598, op. cit., partie II, p. 76. 47 Cf. Cicerone, Il dialogo dell’Oratore, livre II, p. 92vo-93vo. 48 Cf. Franco Ruffini, « Antropologia teatrale », Teatro e storia, I/1, 1986, p. 3-23. 44 45
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a son secret dans l’« artifice », comme l’écrit La Farina, une élaboration sélective où « tout » (c’est-à-dire « seulement ») « le bon et le beau est représenté », organisé par le dramaturge, et les « belles apparences » de décors et de costumes s’unissent aux « actes recherchés par l’histoire elle-même dans la perfection des actions »49. De même, les appels au silence, à l’écoute, à l’attention, présents dans les textes dramatiques cités, expriment la nécessité que, dès le début du spectacle, se détermine chez le public une altération sensorielle et perceptive opposée au manque d’ordre et d’organisation du quotidien : il faut mettre le spectateur en mesure de saisir la force et l’efficacité de la scène par une expérience elle aussi régularisée, dépourvue néanmoins de toute immédiateté, livrée à la vue et à l’ouïe, les deux sens de la relation théâtrale, mais établis dans la distance entre acteurs et spectateurs, selon la frontalité et la séparation axiomatique d’invention humaniste et renaissante. Cette altération équivaut à la réalité non ordinaire du personnage : les acteurs et les spectateurs, quand ils sont ensemble, sont de la même nature théâtrale. Dans le travail de l’acteur il y a un processus de réflexion, d’étude, de décomposition et de montage qui aboutit à des résultats radicalement différents de ceux qui se produisent dans les actes de la vie courante. La fiction, qui en est le résultat, a une nature singulière : le personnage se matérialise dans une vérité à proprement parler théâtrale et c’est cette vérité à laquelle croit le spectateur. D’un point de vue physique ou abstraitement illustratif, le lien entre la représentation et le modèle, le modèle de la sainteté, peut alors être incertain. Si une jeune fille telle qu’Agathe est interprétée par un homme, par un jeune homme – comme elle l’était à cette époque, au théâtre d’amateurs, et comme nous l’avons entendu décrire – le signe est très faible, la correspondance entre la sainte vierge, entre le pouvoir que le personnage féminin exerce, entre ce que les autres personnages sur scène disent de son attraction féminine et ce que l’on sait de l’identité de qui l’interprète est quasi une négation. En revanche, grande est la valeur théâtrale, évidente dans ce que l’on voit d’elle et que l’on entend de sa voix. Et c’est précisément la qualité théâtrale du lien entre spectateur et acteur qui permet de percevoir le caractère non ordinaire du personnage, sa parfaite cohérence et son achèvement, sa condition d’irréductibilité à l’évident, à l’habituel, au contingent : autrement dit, conformément aux aspirations de l’hagiographie théâtrale, son héroïcité. Si l’on se met dans la perspective d’Antonino Tantillo et l’on considère la primauté de l’art interprétatif sur la parole écrite, on comprendra mieux pourquoi, bien que dans sa valeur canonique, le texte dramatique doit être vu comme un document partiel, voire provisoire, du théâtre50. Considérant l’acteur en tant qu’épicentre de l’expérience théâtrale, on comprend mieux aussi le rapport entre exemple et imitation qui qualifie la dramaturgie
[M. La Farina], « Avvertimento », cit., p. 8-11 ; dans ce contexte il est question aussi des qualités du « vraisemblable ». Voir à cet égard M. Sacco Messineo, Il martire e il tiranno, op. cit., p. 15-31. 50 Voir l’efficace notation de Luigi Allegri, L’arte e il mestiere. L’attore teatrale dall’antichità a oggi, Rome, Carocci, 2005, p. 101 : « Voilà, sans doute, ni dans la France du xviie, ni aujourd’hui, pas tout le monde sait que “les comédies ne sont faites que pour être jouées”. Et ne sait pas non plus qu’un texte, pourtant fait de mots, est perçu surtout avec les yeux » (Allegri tire la citation de l’avertissement « Au lecteur » écrit par Molière pour la comédie L’Amour médecin, représentée en 1665 et parue en 1666). 49
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L’acteur nécessaire : dramaturgie de la sainteté et sainteté représentée
hagiographique et qui, du reste, se greffe bien sur la conception interprétative classique, revenue aux théories théâtrales chrétiennes de l’âge moderne. En outre, si nous ignorions la figure de l’acteur, nous ne comprendrions pas complètement l’invitation insistante, adressée au public, à rester concentré sur la scène afin de conserver intérieurement ce qu’il a vu et entendu : un résultat qui, pour être atteint, a besoin (comme le dit Tantillo de l’excellent Agathe) que les acteurs aient l’habileté de modeler parfaitement corps, voix, regards, respiration, expressions, gestes, démarche, port… tout ce qui les rende un exemple idéal, la synthèse inoubliable de perfection vivante à adopter pour soi. Les efforts que des acteurs comme ceux dont parle Tantillo sont prêts à faire pour se préparer à jouer, les efforts techniques, physiques, intellectuels, affectifs et relationnels – seuls ou avec le groupe concerné dans la représentation – qu’ils fournissent sont vus comme partie intégrante du projet de transformation assigné au théâtre édifiant. L’acteur constitue le point de jonction entre l’idée de sainteté représentée et sa représentation. Sur les scènes des académies et des collèges, devant le public, il se met à la disposition d’une idée, d’une stratégie. Comme on l’a vu, la superposition des deux lignes interprétative et éthico-spirituelle, que l’on ne peut pas vérifier dans l’expérience effective de l’acteur, dont nous savons très peu, est énoncée comme une convergence impérative, sûre, nécessaire pour déterminer le renouvellement souhaité chez les spectateurs. L’acteur constitue donc l’agent idéal, voire idéologique, de ce qui, à l’époque, les auteurs dramatiques et la culture théâtrale estimaient la fin ultime de la représentation dévote. Je crois donc que le rapport entre sainteté et théâtre sur les scènes de l’âge moderne doit être interprété en considérant que l’acteur constitue le centre du programme, le nœud du lien entre exemple et imitation qui devrait s’étreindre au cours de la représentation théâtrale ; expérience éphémère qui, dans l’espace d’une soirée, grâce à la sollicitation des sens et des affects, par la pénétration dans les pensées du spectateur, est considérée comme capable de constituer la référence d’un expérience de la foi destinée à durer. Comme le dit encore Ortensio Scammacca, soulignant son adhésion dramaturgique à un tel projet, la tragédie serait donc revenue au théâtre, après des siècles de silence, pour « profiter aux enfants d’Adam »51. Bernadette Majorana Professeur associé des Disciplines du spectacle Université de Bergame (Italie) (traduit par Anne-Claire Ippolito)
51
O. Scammacca, « Prologo », cit., p. 25.
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Le coronazioni mariane nell’Italia settentrionale La pratica di coronare effigi mariane nacque nella Roma barocca di Urbano VIII e presto si consolidò, diventando spia dell’evoluzione della società e della cultura1. La documentazione su questa devota consuetudine è conservata in massima parte in uno specifico fondo della Biblioteca Apostolica Vaticana, da integrare nei luoghi in cui si venerano le Madonne coronate, con le fonti della pietà locale2 e con le testimonianze orali, che hanno fatto durare nel tempo leggende e tradizioni, specie attraverso trascrizioni ottocentesche3. Qui il fenomeno viene studiato con riferimento ad alcuni santuari dell’Italia settentrionale, in un’area concentrata tra Brescia e Cremona dal XVIII al XX secolo.
Le origini di una pratica devota Nel Liber Pontificalis romano, nella biografia di Gregorio III (731-741), si dice che « imaginem sanctae Dei Genitricis antiquam deargentavit ». Carlo Cecchelli, traducendo il verbo con « ricoprì di una lamina d’argento »4, individuava qui la prima vera coronazione di un’effige mariana. In Oriente si sviluppò poi l’uso di ricoprire le icone con decorazioni metalliche, la cosiddetta « risa », una placca che lasciava scoperti solo il volto e le mani, al fine di preservare l’immagine dall’usura provocata dall’incenso, dai ceri e dal bacio dei fedeli. Le effigi più venerate vennero anche coperte da lastre di vetro o tendaggi, per essere « scoperte » soltanto nei giorni di feste particolari, accentuando il mistero e la sacralità di tali oggetti di devozione. Nel Medioevo la pratica di coronare le immagini segnalava visivamente l’importanza di un’effige. Infatti la presenza di molte decorazioni ed ex voto serviva a rafforzare nei fedeli l’idea che quell’immagine avesse carattere teandrico5. Più tardi si diffuse l’idea che l’impegno Cf. Pietro Zander (ed.), Piene di grazia. Madonne coronate della Basilica Vaticana, New Haven, Knights of Columbus Museum, 2011. Opportune riflessioni generali sono offerte da Bernard Dompnier, « Les cérémonies, la piété et la culture », in Bernard Dompnier (ed.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2009, p. 581-597. 2 Cf. Pietro Bombelli, Raccolta delle immagini della B.ma Vergine ornate della corona d’oro dal R.mo Capitolo di San Pietro con breve ed esatta notizia di ciascuna immagine, I-II, Roma, Stamperia Salomoni, 1792-1793. 3 Si veda, per esempio, Luigi Barbieri, Izano e il Santuario della Pallavicina, Milano, Tipografia S. Giuseppe, 1919, p. 62-64. 4 Carlo Cecchelli, « Santa Maria in Trastevere », in Le chiese di Roma illustrate, Roma, Marietti, 1932, p. 30. 5 Cf. Sylvie Barnay, « À l’origine du couronnement de la Vierge au Moyen Âge : une théophanie du commencement et de la fin », in Paul d’Hollander e Claude Langlois (eds), Foules catholiques et régulation 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 283-299 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115088
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religioso assunto si dovesse esprimere nella rinunzia a un oggetto personale, offerto per adornare la statua o l’immagine a cui ci si era votati. In età moderna, per esempio, furono molte le nobildonne che, nei loro testamenti, lasciavano gioielli o abiti per decorare statue e immagini, tanto da creare veri e propri « guardaroba » da utilizzare soprattutto nelle solennità. Già dalla metà del XV secolo, presso i Servi di Maria di Firenze e di Bologna, era consuetudine porre una corona sul capo della statua della Madonna la sera del sabato santo, al termine della veglia pasquale. Al cappuccino forlivese Girolamo Paolucci de’ Calboli (1552-1620) si deve la diffusione a livello popolare della coronazione di immagini mariane6. Nel corso dei suoi sermoni, egli invitava i fedeli a raccogliere oro, argento e pietre preziose per decorare le immagini di Maria e del Bambino Gesù. Le coronazioni di fra Girolamo, organizzate spesso a conclusione di cicli di predicazione per feste mariane, registrarono nel nord Italia una nutrita partecipazione anche da parte delle autorità civili (Cremona, 1596 ; Parma, 1601 ; Comacchio 1619). Altri cappuccini, poi, proseguirono nella sua opera, creando una Pia Opera dell’Incoronazione destinata a favorire la diffusione di questa pratica7. Nel 1601, alla coronazione della popolare immagine della Madonna della Steccata, a Parma, partecipò anche il conte di Borgonovo Alessandro Sforza Pallavicini. Profondamente devoto alla Vergine, egli restò talmente impressionato da voler donare parte delle sue rendite per far coronare altre prodigiose immagini mariane8. Nel testamento pertanto previde un apposito lascito al Capitolo Vaticano (3 luglio 1636), con cui far realizzare corone d’oro per ornare le più venerate e prodigiose immagini della Vergine Maria9. Ancora nel 1940 l’archivista del Capitolo, Felice Ravanat, rammentava i termini dell’impegno : Ogni anno con la rendita annua, il Rev.mo Capitolo farà eseguire due o tre corone d’oro. Ogni anno il Capitolo donerà queste corone a due o tre immagini miracolose della Vergine, che
romaine : les couronnements des Vierges de pèlerinage à l’époque contemporaine (xixe et xxe siècles). Actes du colloque de Limoges (22-23 octobre 2009), Limoges, Pulim, 2011, p. 15-22. 6 Cf. Fabrizio Paulucci de’ Calboli Ginnasi, Cenni storici del venerabile P. Girolamo Paulucci de’ Calboli, detto l’Apostolo della Madonna, Forlì, Tipografia Valbonesi, 1927 ; Donato da San Giovanni in Persiceto, P. Gerolamo Paulucci di Calboli, cappuccino, Forlì, Tipografia Operaia A. Raffaelli, 1939 ; Id., « La personalità e l’apostolato del P. Girolamo Paulucci di Calboli da Forli alla luce di documenti inediti (1552-1620) », Studi Romagnoli, no 7, 1956, p. 29-43 ; Franco Zaghini, « Stile e contenuti della predicazione del cappuccino P. Gerolamo Paulucci da Forlì (1552-1620) », Ravennatensia, no 2, 1989, p. 138-147. 7 Cf. Giovanni Mantese, Memorie storiche della Chiesa vicentina, IV/1, Vicenza, Accademia Olimpica, 1974, p. 571-574. 8 Biblioteca Apostolica Vaticana, Archivio del Capitolo di San Pietro (d’ora in poi BAV, ACSP), Madonne coronate, vol. 1, f. 8ro : Summario del testamento del q. Ill.mo Sig.r Conte Alessandro Sforza, redatto il 3 luglio 1636. Cf. Ferdinando Mansi e Raffaele Persichini, Le incoronate ossia Raccolta di tutte le miracolose immagini di Maria Santissima che furono ornate dell’aurea corona dai Sommi Pontefici e dal R.mo Capitolo Vaticano, I, Roma, Tipografia delle Belle Arti, 1853, p. 9-10 ; Michele Bacci, « Les origines de la pratique du couronnement des images et l’iconographie des Vierges couronnées à l’époque moderne », in P. d’Hollander e Cl. Langlois (eds), Foules catholiques et régulation romaine, op. cit., p. 23-33. 9 Cf. Dario Rezza e Mirko Stocchi, Il Capitolo di San Pietro in Vaticano dalle origini al XX secolo, I, Città del Vaticano, Edizioni Capitolo Vaticano, 2008.
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non hanno ancora una corona e che si trovano a Roma. Quando tutte le immagini miracolose della Beatissima Vergine esistenti in Roma saranno coronate, il Capitolo passi ad incoronare le immagini miracolose esistenti extra Urbem et ubique, e non aventi ancora una corona d’oro e ugualmente due o tre ogni anno. Se il Capitolo volesse donare una corona d’oro alla Madonna di Loreto e alla Vergine Annunziata di Firenze, è lecito al predetto Capitolo di impiegare l’intera rendita di un anno per tale corona. […] La medesima facoltà è concessa al Capitolo Vaticano per altre immagini aventi eundem clamorem et eandem famam che le immagini di Loreto e di Firenze10.
Per aspirare a questa coronazione, si doveva trasmettere al Capitolo Vaticano un dossier molto dettagliato e documentare che l’immagine per la quale si richiedeva la corona possedeva tutti i requisiti previsti, cioè antichità, popolarità e fama taumaturgica. Ottenuta l’approvazione, la cerimonia si svolgeva secondo regole ben definite. Al suono di campane, l’icona mariana era trasportata sull’altare maggiore solennemente addobbato. Il rappresentante del Capitolo Vaticano teneva un discorso, poi presiedeva il rito, a cui assisteva il vescovo locale. Al termine della messa, dopo aver recitato in ginocchio il Regina Cœli, procedeva all’incoronazione vera e propria con la seguente formula : « Come tu sei incoronata dalle nostre mani sulla terra, fa’ che noi meritiamo attraverso la tua intercessione di essere incoronati di gloria e d’onore da Gesù Cristo in cielo ». Seguivano manifestazioni di gioia, preghiere collettive, il canto dei vespri e una processione solenne. Con questo rito si rimarcava l’autorità della Chiesa di Roma, l’unica in grado di riconoscere le doti taumaturgiche di un’immagine sacra11. E a conferma della cattolicità della Chiesa romana, presso il Capitolo Vaticano si raccoglievano in copia pittorica tutte le immagini coronate (in tal modo, presso l’archivio del Capitolo Vaticano oggi si ha memoria anche di quelle immagini andate disperse o distrutte per i più vari motivi)12. Quest’attività del Capitolo Vaticano è documentata sia presso il suo archivio sia preso la Biblioteca Apostolica Vaticana, nel fondo Archivio del Capitolo di San Pietro, nella sezione dedicata alle Madonne Coronate. In questi fascicoli, oltre alle lettere di richiesta dell’incoronazione, sono presenti immaginette, opuscoli stampati per l’occasione, cronache, lettere postulatorie, preventivi per la forgiatura delle corone d’oro. In alcuni casi si tratta di pochi fogli, in altri la quantità di testi è molto elevata, arrivando a raccogliere firme dei fedeli o richieste di autorità civili e religiose della zona a sostegno della richiesta. La documentazione relativa all’Italia settentrionale comprende centoventotto casi di coronazioni, con alcuni picchi relativi all’area ligure (solo per Genova ben ventuno casi) e a quella lombarda (per Bergamo se ne contano diciannove). Ma qui si prenderà in esame il territorio delle diocesi di Brescia, Crema e Cremona, una porzione significativa
Archivio del Capitolo di San Pietro, Verbale delle adunanze capitolari (D. 146), 21 gennaio 1940. Maria Lupi, « Le Madonne coronate », in Sofia Boesch Gajano, Tommaso Caliò, Francesco Scorza Barcellona e Lucrezia Spera (eds), Santuari d’Italia. 14 : Roma, Roma, De Luca Editori, 2012, p. 71-84. 12 Ottavio da Alatri e Anselmo da Reno Centese, « L’Incoronazione delle immagini mariane : istituzione, cerimoniale, catalogo », L’Italia francescana, no 8, 1933, p. 159-180, 308-318, 415-431, 530-542, 651-665 (qui p. 170-175). 10 11
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della Lombardia orientale, sotto il dominio della Repubblica di Venezia nel corso dell’età moderna. La diocesi di Brescia presenta cinque testimonianze di coronazioni relativamente recenti, circoscritte al cinquantennio a cavallo tra XIX e XX secolo. La prima in ordine di tempo risale al 1886, relativa alla Madonna delle Grazie, custodita in città, poco lontana dal centro13. La seconda si svolse nel 1899 a Rezzato, presso il santuario della Madonna di Valverde14. La terza a Tignale, nel 1904, quando fu coronato l’affresco della Madonna di Montecastello nell’omonima chiesa15. Sono successive alla prima guerra mondiale, invece, le coronazioni della Madonna del Lazzaretto (1922), oggi presso la chiesa di Masciaga di Bedizzole16, e della Madonna della Ceriola (1924), il cui santuario sulla cima di Monte Isola domina l’intera sponda del lago d’Iseo17. Il campione relativo alle diocesi di Cremona e di Crema è costituito da cinque effigi. La più antica è la statua della Madonna di Loreto, conservata nella chiesa di Sant’Abbondio a Cremona, all’interno della riproduzione della Casa Santa (1732)18. Sempre nella diocesi BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 18, f. 196-221. Il fatto miracoloso è testimoniato nel Registro di molte cose seguite. Scritte da Domino Pandolfo Nassino nobile di Bressa, ms. C. I. 15 della Biblioteca Queriniana di Brescia, e nel manoscritto F IV/43 dell’Archivio dei Padri della Pace di Brescia. Ne parla inoltre Giovanni Felice Astolfi, Historia universale delle immagini miracolose della Gran Madre di Dio riverite in tutte le parti del mondo et delle cose maravigliose, operate da Dio Signore nostro in gratia di Lei, et a favore de’ divoti suoi, descritta in XV libri nella quale si narrano le origini, et i progressi delle principali divotioni d’Italia, Francia, Spagna, Germania, Inghilterra, Polonia, Fiandre et altre nationi d’Europa et dell’Indie orientali et occidentali ancora, Venezia, Appresso li Sessa, 1624, p. 539-541. Cf. La Madonna delle Grazie e l’insigne suo santuario in Brescia. Cenni storici, Brescia, Tip. Fratelli Geroldi, 1911. 14 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 19, f. 964-974vo. Cf. Relazione compendiosa della miracolosa comparsa di Cristo Nostro Signore e di Maria Vergine madre sua nella Valverde di Rezzato del territorio bresciano dell’anno 1399 e di alcuni miracoli dopo quella seguiti descritta da un divoto di Gesù e Maria e dedicata a’ divoti di Gesù e di Maria, Brescia, Per Giambattista Bossini, 1785 ; Baldassarre Camillo Zamboni, Memorie storiche del Santuario di Valverde in Rezzato, Venezia, Tipografia di Alvisopoli editore, 1821 ; Ermenegildo Bianchini, L’apparizione del Redentore e di Maria SS. in Valverde di Rezzato nel 1399, Milano, Tipografia Artigianelli, 1946. 15 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 20, f. 1015-1039. Cf. Arturo Cozzaglio, La Madonna del Monte Castello in Tignale sul lago di Garda, Salò, Devoti, 1898 ; Antonio Racheli, Il Comune di Tignale e la Madonna di Montecastello. Cenni storici, Bergamo, Istituto Italiano d’Arti Grafiche, 1902 ; Guida illustrata del santuario della Madonna Incoronata di Montecastello Lago di Garda Tignale, Genova, Arti Grafiche Marconi, 1954 ; Enrico Mariani, Monte Castello di Tignale. Un santuario del Garda fra Trento e Brescia, Trento, Vannini, 2004 ; Id., La Pieve di Tignale. Fede, storia e società in una comunità del Garda (sec. XII-XX), Gussago, Vannini, 2010. 16 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26/1, f. 28-48. Cf. Paolo Guerrini, La Madonna del Lazzeretto e il santuario di Masciaga a Bedizzole, Brescia, Scuola Tipografica Opera Pavoniana, 1941 ; Id., Bedizzole : le origini, la parrocchia, le chiese, memorie storiche e documenti inediti, Brescia, Scuola Tipografica Opera Pavoniana, 1951. 17 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26/2, f. 122-184. Cf. Giuseppe Trotti, Montisola (lago d’Iseo) nella sua storia religiosa e civile, Brescia, Tip. Fratelli Geroldi, 1916; Id., Il santuario della Madonna di Montisola, Brescia, Geroldi, 1924 ; Alessandro Guizzetti, Alessandro Colosio e Bonaventura Turla, Il 24 Maggio a Montisola. Nel V Anniversario della Festa del 24 Maggio, Iseo, Tipografia Vitali, 1923. 18 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 5, f. 233-259vo. Nel 1624 una copia della cappella della Santa Casa era stata edificata nella chiesa cremonese di Sant’Abbondio, con il consenso del vescovo Pietro Campora e del Consiglio generale della città, per iniziativa del conte Giovan Pietro Ala. Cf. Francesco Mazzetti, Compendiosa istoria della incoronata miracolosa effigie di Maria Vergine di Loreto protettrice di Cremona, che si venera presso la chiesa di Sant’Abbondio de’ PP. Cherici Regolari Teatini, Piacenza, Stamperia Vescovile di Filippo G. Giacopazzi, 1734; Giovanni Brambilla, Memoria storica della traslazione della S. Casa di Nazaret a Loreto e del Santuario 13
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Fig. 1. Statua della Madonna della Ceriola di Monte Isola (XIII-XIV secolo)
cremonese, vi è quella di Santa Maria della Misericordia di Castelleone (1886), venerata nell’omonimo santuario, sorto in seguito all’apparizione a una tale Domenica Zanenga19. della Vergine Lauretana presso la Chiesa di S. Abbondio in Cremona, Cremona, Maffezzoni Enrico Editore, 1894 ; Floriano Grimaldi, « Sancta Majestas Nostre Domine Virginis Marie de Laureto », in Lalla Groppo e Oliviero Girardi (eds), Nigra sum. Culti, santuari e immagini delle Madonne nere d’Europa. Atti del Convegno Internazionale. Santuario e Sacro Monte di Oropa – Santuario e Sacro Monte di Crea 20-22 maggio 2010, Ponzano Monferrato, Centro Stampa Regione Piemonte, 2012, p. 183. 19 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 18, f. 834-848. Cf. Clemente Fiammeno, Historia della chiesa di Santa Maria della Misericordia nel territorio di Castelleone Cremonese, composta l’anno 1630 in ottava rima, Cremona, Per Gio. Pietro Zanni, 1633 ; Id., Ragguaglio istorico del santuario della Beata Vergine della Misericordia di Castelleone diocesi di Cremona, nuovamente corretto, ed illustrato coll’aggiunta di nove fervorose preghiere e di un inno sacro alla Beata Vergine, Milano, Da Gio. Bernardoni, tipografo e cartaro a S. Marcellino, 1811 ; Bartolommeo Chiappa,
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Fig. 2. Incisione della Madonna di Loreto in Sant’Abbondio di Cremona (1732)
Alla diocesi cremasca, invece, appartengono le effigi di Santa Maria della Croce (1837), a Crema, costruita in seguito all’apparizione a Caterina degli Uberti nel 149020, e della Memorie storiche del Santuario della B.V. della Misericordia di Castelleone in diocesi di Cremona, Piacenza, Dai Torchi di Gaetano del Maino, 1822 ; Giancarlo Pandini, Castelleone. Il santuario della B.V. della Misericordia, Castelleone, Marsilli & Co, 2000. 20 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 14, f. 44-60. Cf. Antonio Figati, Il miracolo di Santa Maria della Croce, Brescia, Appresso Vincenzo Sabbio, 1596 ; Mattia di Gesù Maria, Racconto istorico del prodigioso miracolo di S. Maria della Croce insigne tempio de’ Padri Carmelitani Scalzi di Crema, Milano, Per il Beltramino, 1705 ; Tommaso Ronna, Storia della chiesa di Santa Maria della Croce eretta fuori della R. città di Crema, con un’appendice di documenti, Milano, Dalla Tipografia e Libreria Manini, 1824 ; Attilio Zurla, Della fausta occasione in cui s’incorona solennemente il celebre simulacro della B. Vergine nel santuario di Santa Maria della Croce suburbano a Crema, Lodi, Tipografia Orcesi, 1837; Silvio Della Noce, Sul prodigioso movimento degli occhi dell’Immagine Ave Regina Coelorum posta nel Santuario di S. Maria della Croce presso Crema. Articoletti e documenti con altri
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Madonna delle Grazie (1892) o « Madonna del torrione », per la sua collocazione su una torre difensiva21 ; l’ultima testimonianza, infine, è quella della Madonna della Pallavicina di Izano (1919), apparsa nel 1444 a una giovane contadina22.
Apparizioni, miracoli e devozioni Dieci Madonne coronate del territorio bresciano e cremonese sono legate a un’apparizione che avrebbe dato origine al culto. I luoghi delle apparizioni sono diversi tra loro, ma tutti caratterizzati dall’essere isolati e immersi nella natura : a Castelleone e a Rezzato, la Madonna era apparsa in piena campagna, e lo stesso era accaduto a Izano, dove si era resa visibile accanto a una roggia per irrigazione ; a Crema l’incontro con la giovane Caterina degli Uberti era avvenuto in un boschetto e a Tignale sulla cima di una montagna. I santuari sorti in quei luoghi volevano onorare la Madonna, e – come dichiarato nel corso di un’apparizione nella Bassa bresciana – erano stati prescelti « perché nei figli che lavorano la terra c’è ancora umiltà, come in una povera Betlemme »23. A Rezzato, nel 1399, la Madonna era apparsa a un contadino ; in una più tarda apparizione del 1711, la Vergine fu vista da due bambini che raccoglievano castagne e da una donna in cerca di legna. Contadine erano anche la giovane ragazza di Izano e Domenica Zanenga di Castelleone. A Crema, la Madonna si manifestò perché invocata da Caterina, di nobili natali, ma colpita a morte dal marito nel bosco del Novelletto. E anche Domenica, di Izano, venne consolata da un’apparizione mentre, afflitta, pregava in un campo. L’apparizione di Rezzato cadde in un momento di grave crisi politica e religiosa (1399), mentre cioè l’Italia settentrionale era dilaniata da conflitti per la supremazia sui territori e la Chiesa, lacerata al suo interno, subiva ancora l’offensiva del movimento patarino ; l’anno seguente, poi, un’epidemia di peste avrebbe colpito tutto il territorio. A Castelleone e a Izano, scritti, Milano, Tipografia Osservatore Cattolico, 1870 ; Francesco Piantelli e Mario Maccalli, Un Mese a Santa Maria della Croce. Storia e devozione del santuario di S. Maria della Croce, Crema, Tip. Artigiana di A. Leva, 1954 ; S. Maria della Croce a Crema, Crema, Cassa Rurale ed Artigiana di S. Maria della Croce, 1982 ; La basilica di S. Maria della Croce a Crema, Crema, Banca Popolare di Crema, 1990 ; I restauri della basilica di S. Maria della Croce a Crema (1983-1988), Crema, Arti Grafiche Cremasche, 1991 ; Santa Maria della Croce Crema, Crema, Libreria Editrice “Buona Stampa”, 2001. 21 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 19, f. 110-131. Cf. Vincdenzo Barbati, La Madonna delle Grazie in Crema, Lodi, Tipografia Vescovile di Carlo Cagnola, 1864 ; Brevi notizie sul santuario della Madonna delle Grazie in Crema, Crema, Tip. Editrice Carlo Cazzamalli, 1892. 22 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 232, f. 474-637. Cf. Luigi Barbieri, Il santuario della Pallavicina in Izano. Cenni storici, riflessioni, Crema, Tip. Plausi e Cattaneo, 1910 ; Id., Atti e Documenti per ottenere la solenne incoronazione della veneranda immagine di Maria Santissima nel Santuario della Pallavicina di Izano (Crema), Milano, Tipografia pontificia e arcivescovile S. Giuseppe, 1914 ; Id., Izano e il santuario della Pallavicina, Milano, Tip. S. Giuseppe, 1919 ; Id., Dopo un anno dalla solenne incoronazione della Madonna della Pallavicina in Izano (Crema), 25 agosto 1919-1920, Milano, Tip. S. Giuseppe, 1920 ; Gabriele Lucchi, Il santuario della Pallavicina. Storia e arte, Crema, Arti Grafiche Cremasche, 1982. 23 Enrico Galbiati, Maria, rosa mistica, madre della Chiesa. Le apparizioni di Montichiari e Fontanelle. Storia, messaggi, devozioni, Milano, Ares, 2008. La frase, secondo il diario della mistica Pierina Gilli, sarebbe stata pronunciata dalla Madonna il 6 agosto 1966.
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tra fine XV e inizio XVI secolo, la Vergine si manifestò in congiunture assai difficili, offrendo sostegno a un movimento popolare di rinnovamento spirituale che preservò la zona dai primi moti di riforma che si diffondevano nel nord Italia24. Le origine delle varie Madonne coronate differiscono tra loro. Sulla base del supporto materico del manufatto, si possono distinguere due gruppi principali : da una parte vi sono le statue, dall’altra i dipinti, sia murari che su tavola o tela. La più antica tra le sculture è quella trecentesca della Madonna della Ceriola, secondo la tradizione ritrovata in un bosco sopra Monte Isola. In memoria dell’apparizione a Caterina degli Uberti sul finire del Quattrocento, furono realizzate due spettacolari riproduzioni a grandezza naturale della Vergine e della giovane con la mano mozzata in sfarzosi abiti di foggia cinquecentesca. Altra statua è quella venerata a Castelleone, in una teca di vetro sopra l’altare maggiore del santuario ; anche in questo caso il supporto ligneo si presenta rivestito da sfarzosi abiti cinquecenteschi, ma, per essere adattato alle forme delle vesti, fu mutilato di alcune parti. Ultima testimonianza scultorea è quella secentesca conservata presso la Santa Casa di Loreto a Cremona, con i caratteri tipici delle Madonne « nere » più antiche : sguardo fisso verso l’infinito e poca espressività. Tutte le Madonne scolpite e qui menzionate hanno il Bambino in braccio, ad eccezione di quella conservata a Crema. Le Madonne dipinte sono di grande varietà, sia per le dimensioni sia per le tipologie. La più antica, che si vuole di scuola giottesca, risale al XIV secolo. Si tratta di un affresco del santuario di Tignale, realizzato sulla superficie concava di una grotta, poi inglobata nell’edificio sacro costruito per preservarla : raffigura l’Eterno Padre nell’atto di incoronare la Vergine Maria inginocchiata innanzi a lui. La Madonna di Valverde è raffigurata nella pala dell’altare eretto a ricordo della quattrocentesca apparizione mariana : la Vergine benedice un personaggio che è in ginocchio davanti a lei, presumibilmente il contadino protagonista delle apparizioni, rappresentato con l’abito bianco dei flagellanti. È attribuita al pittore lombardo Vincenzo Foppa la quattrocentesca Natività del santuario delle Grazie di Brescia25, con la Vergine Maria inginocchiata accanto a Gesù bambino e San Giuseppe che osserva riverente la scena. Risale al 1488 l’affresco della Madonna con il Bambino seduto in grembo del pittore Giovanni da Caravaggio, realizzato sul muro di un torrione al confine meridionale della fortificazione di Crema, in una posizione che doveva spingere a invocare
BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 23, f. 543vo. Cf. La Madonna delle Grazie. Centenario dell’incoronazione (1886-1986), Brescia, Tipolito S. Eustachio, 1986, p. 20. Si veda pure Maria Grazia Balzarini, Vincenzo Foppa. La formazione e l’attività giovanile, Firenze, La Nuova Italia, 1996 ; Ead., Vincenzo Foppa, Brescia, Grafo - Milano, Jaca Book, 1997 ; Vincenzo Foppa: un protagonista del Rinascimento, Milano, Skira, 2002 ; Vincenzo Foppa: tecniche d’esecuzione, indagini e restauri. Atti del seminario internazionale di studi, Milano, Skira, 2002 ; Vincenzo Foppa, Brescia, Morcelliana, 2002 ; Axel Klumpp, Vincenzo Foppa (ca. 1430-1515/16), I-II, Berlin, Dissertation.de - Verlag im Internet GmbH, 2002 ; Giovanni Agosti, Mauro Natale, Giovanni Romano (eds), Vincenzo Foppa, Milano, Skira, 2003. 24 25
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Fig. 3. Pala d’altare della Madonna della Pallavicina di Izano, opera di Gaudenzio Ferrari (prima metà del XVI secolo)
la protezione della Vergine Maria, « torre di fortezza contro il nemico »26 ; l’affresco, staccato dalla parete, divenne poi una Madonna delle Grazie, come il dipinto della Madonna della Pallavicina, realizzato dal pittore Gaudenzio Ferrari. La più recente Madonna dipinta è del 1542 ed è quella realizzata da Silvestro Benaglio in località Bettoletto, su un muro del lazzaretto. Le immagini mariane possono essere suddivise anche in base ai motivi della loro realizzazione. Se alcune di esse, infatti, vennero eseguite per ricordare un’apparizione miracolosa della Vergine, la restante parte fu prodotta spesso solo per devozione privata. Vincenzo Barbati, La Madonna delle Grazie in Crema, Lodi, Tipografia Vescovile di Carlo Cagnola, 1864, p. 7-8. 26
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La posizione geografica dei santuari delle Madonne coronate dice molto sulla loro funzione e sul loro significato per la comunità. Anche quando sorse intorno o in prossimità di un’immagine preesistente, come nel caso di Bedizzole, il luogo è sempre indicativo. Le costruzioni in pianura, le più numerose in quest’area lombarda, si trovano tutte in luoghi strategici. A Izano, Rezzato, Crema e Castelleone sorgono appena fuori dal centro abitato, al confine del paese, come a « proteggerlo » da minacce esterne. A Cremona, invece, dove la Santa Casa di Loreto è in pieno centro cittadino, essa è come un tesoro riposto da custodire e in cui trovare riposo quotidiano. Sono scenografici i santuari di Tignale e Monte Isola, situati in zone impervie e isolate, in posizione soprelevata e di fronte ai due laghi bresciani ; per la loro posizione dominano l’intera vallata e sono visibili da tutti i paesi della costa circostante, come un punto di riferimento forte, un baluardo protettivo. Gli ambienti di montagna sono strettamente collegati alla devozione tradizionale e al territorio. Anche i voti espressi in passato sono ancora sentiti e rispettati con apposite feste e celebrazioni. A Monte Isola, per esempio, viene solennizzato il voto pronunciato il 24 maggio 1919 dai soldati reduci della Grande Guerra. Sia a Monte Isola che a Tignale, poi, si celebra la tradizionale festa della « Madonna pellegrina », che ogni cinque anni viene portata in processione nelle diverse chiese del circondario. Ma anche negli altri santuari la tradizionale pietà mariana è viva : tra la chiesa di Rezzato e quella di Bedizzole, per esempio, si ripete ogni anno un importante pellegrinaggio ; a fine luglio, a Rezzato, si ricorda con una rappresentazione in costume di numerosi figuranti la trecentesca apparizione della Madonna a Valverde. In questi santuari gli ex voto sono numerosi e documentano le dinamiche culturali e religiose del posto per la conservazione della memoria27. Dopo il concilio di Trento comparvero nuovi tipi di ex voto, le prime « tabellis votivy »28, supporti di legno di piccole dimensioni su cui erano raffigurati momenti di pericolo o difficoltà durante i quali si era richiesto l’intervento protettivo della Vergine Maria. Spesso si trattava di incidenti nei campi, della caduta da un carro, di assalti di banditi, di malattie di familiari oppure di vicende di guerra. L’essenzialità di queste rappresentazioni non deve essere confusa con la superficialità, poiché in ogni piccolo quadretto è reso con grande evidenza l’aspetto drammatico della scena, e i gesti, i movimenti e le espressioni sono marcati ed espressivi. Si potrebbe dubitare della veridicità dei fatti o ritenerli esagerati, ma, per comprenderne la genuinità e la loro natura, è indispensabile calarli nella cultura del loro contesto, nel senso che la vicenda personale funge da exemplum per chiunque e in qualunque epoca si soffermi a guardare l’immagine dipinta. Con l’inizio del XVII secolo la sensibilità cambiò, esprimendosi attraverso figure simboliche dipinte o ricamate. Abbondano mazzi di
Cf. Angelo Turchini, Lo straordinario e il quotidiano. Ex voto, santuario, religione popolare nel Bresciano, Brescia, Grafo Edizioni, 1980, p. 80 ; Giovanni Battista Bronzini, « Fenomenologia dell’ex voto », in Emanuela Angiuli (ed.), Puglia ex voto. Bari, Biblioteca Provinciale De Gemmis, estate-autunno 1977, Galatina, Congedo, 1977, p. 249. 28 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 19, f. 973. Resoconto della solenne cerimonia di incoronazione della Madonna di Valverde svoltasi dal 14 al 17 agosto 1899, redatta in lingua latina dal cancelliere Antonio Cargnoni a Brescia in data 9 aprile 1900 e inviata al Capitolo Vaticano. 27
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Fig. 4. Affresco della Madonna del Lazzaretto, Bedizzole
fiori, soprattutto rose e borragine, manufatti in forma di cuore di metallo e in genere non manca la sigla P.G.R. (per grazia ricevuta)29. I santuari bresciani, cremaschi e cremonesi adottarono strategie molto diverse per raccogliere e conservare tali ex voto. A Tignale, per esempio, la visita pastorale del vescovo di Trento registrava, nel 1633, la presenza di « scritture votive »30 che coprivano i muri interni dell’edificio, fu perciò ordinato di imbiancarle e di non farvene apporre di nuove
Cf. A. Turchini, Lo straordinario e il quotidiano, op. cit., p. 17-21. Archivio Diocesano di Trento, Atti visitali, no 11, 1633, citato in E. Mariani, Monte Castello di Tignale, op. cit., p. 121 e segg.
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per avere un ambiente religioso sobrio e austero, come imponeva la Riforma cattolica31. Ciò non impedì, tuttavia, che ai dipinti murali si sostituissero in breve tempo tabelle ex voto regolarmente appese alle pareti del santuario. Ma anche contro di esse non mancò di manifestarsi la volontà disciplinatrice dell’episcopato locale (nel 1668, il vescovo di Brescia Marino Zorzi « ordinò la semplice rimozione delle tavolette votive, in altri casi ne proibì l’affissione, in altri ancora previde anche la vendita »32 ; nel XX secolo, il vescovo Giacinto Tredici, ribadendo quando disposto dal predecessore nel corso della visita pastorale del 1933, ordinò che le tavolette fossero eliminate o portate via). La reazione dei rettori dei santuari fu diversa da luogo a luogo. A Tignale gli ex voto furono posti in una stanza chiusa, eccezion fatta per quello che è considerato il più grande d’Italia, cioè un quadro di grandi dimensioni fatto realizzare da Giovanni Andrea Bertanza, pittore di Salò, in ringraziamento per la liberazione dalla minaccia del feroce bandito di inizio Seicento Zanzanù, soprannome di Giovanni Beatrice (1576-1617)33. A Monte Isola, invece, queste modeste rappresentazioni artistiche vennero incoraggiate, perché espressione del sentimento religioso popolare, così oggi se ne contano ancora ottantadue antiche34. Il santuario mariano di Izano conserva come ex voto, in due quadretti protetti da vetro, antiche lamine d’argento datate tra la fine del Quattrocento e l’inizio del Cinquecento, ma numerosi quadretti votivi di dimensioni, tipologie ed epoche diverse tappezzano le pareti dell’edificio e della sacrestia. A Castelleone, i muri bianchi del santuario ospitano due grandi bacheche con una notevole quantità di tavolette votive, tutte delle medesime dimensioni, perfettamente conservate. Nel santuario di Valverde il crescente numero di ex voto impose la realizzazione di un’apposita cappella, in cui se ne conservano di molti tipi. Nel santuario di Cremona, invece, all’interno della Santa Casa, sono appesi alle pareti di pietra nera gruppi di stampelle e protesi ortopediche di antica fattura. Nella procedura per le coronazioni è interessante la motivazione della richiesta, che cambia nel corso del tempo. La richiesta più antica, priva di motivazione, è dei Carmelitani di Santa Maria della Croce, sostenuti dal vescovo di Crema, Faustino Giuseppe Griffoni. I Teatini di Cremona, invece, nel 1719 si decisero a chiedere a Roma la coronazione della « loro » Madonna di Loreto, peraltro già coronata nel 1634 per iniziativa locale, come segno di gratitudine per
Cf. Angelo Torre, Il consumo di devozioni. Religione e comunità nelle campagne dell’Ancien Régime, Venezia, Marsilio, 1995. 32 A. Turchini, Lo straordinario e il quotidiano, op. cit., p. 27. Il testo del vescovo Zorzi è nella Reformatio constitutionum peracta in Synodo dioecesana anni 1668. 33 Sul personaggio, cf. Claudio Povolo, Zanzanù. Il bandito del lago (1576-1617), Tignale, Comune, 2011. Si veda pure Antonio M. Mucchi, « Giovanni Andrea Bertanza da Padenghe », Memorie dell’Ateneo di Salò, no 6, 1935, p. 105-117 ; Giuseppe Di Giovine, « Zan Zanone il terribile bandito dell’Alto Garda nel ’600 », in Id., Provveditori e banditi nella « Magnifica patria », Salò, Sistema bibliotecario dell’Alto Garda bresciano, 1980, p. 63-93 ; Isabella Marelli e Matilde Amaturo, Giovanni Andrea Bertanza. Un pittore del Seicento sul Lago di Garda, San Felice del Benaco, TP, 1997. 34 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26, f. 158 sqq. : Relazione della visita pastorale di San Carlo Borromeo in visita al santuario della Madonna della Ceriola. 31
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lo scampato pericolo, tra il 1714 e il 1716, in « gravissime necessità e calamità di Piogge »35. Le richieste successive sono di fine Ottocento : il vescovo di Brescia Giacomo Maria Corna Pellegrini per la Madonna del santuario delle Grazie (1884) ; il vescovo di Cremona per la Madonna della Misericordia venerata a Castelleone (1886) ; il vescovo di Crema Francesco Sabbia per onorare la Madonna delle Grazie della sua città (1890) ; e ancora Giacomo Maria Corna Pellegrini per la Madonna di Rezzato, in diocesi di Brescia (1898). Con l’inizio del Novecento si assiste a un cambio di rotta : in genere non è più il vescovo a richiedere la coronazione, bensì il rettore del santuario o il parroco del paese. Il primo caso è quello di Domenico Triboldi, arciprete di Tignale (1902)36. In modo analogo avvenne a Izano, da parte del sacerdote Luigi Barbieri (1914), approvato da Giovanni Maria Pellizzari, vescovo di Piacenza e amministratore apostolico di Crema, e da Agostino Cattaneo, vescovo di Guastalla. Anche la richiesta del parroco di Bedizzole (1922) e delle parrocchie vicine fu appoggiata dal vescovo di Brescia, che allora era Giacinto Gaggia. Lo stesso che approvò pure la richiesta di ventidue comuni e associazioni per la Madonna della Ceriola, venerata a Monte Isola (1923). Sono diverse anche le formulazioni delle richieste da parte di superiori religiosi, vescovi e parroci. In alcuni casi si desidera solo l’autorizzazione alla coronazione, mentre in altri è espressamente sollecitato l’invio della corona d’oro da parte del Capitolo Vaticano perché non si dispone delle risorse finanziarie necessarie per farla forgiare. A Monte Isola, per esempio, gli abitanti offrirono i loro pochi monili per raccogliere quel chilo d’oro necessario per la corona37, anzi per due diademi incastonati di pietre. A Santa Maria della Croce, a Crema, benché l’approvazione vaticana fosse giunta il 13 settembre 1711, la corona d’oro non poté essere inviata subito, perché – come si spiegava –, « essendo da una parte i redditi, che s’impiegano in tali diademi annualmente limitati, e dall’altro canto non sapendosi di quanto valore possino riuscire le Corone da farsi innanzi la nostra perché sono o picciole o grandi secondo il capo dell’Immagine che deve coronarsi, così spesso accade, che una Corona assorbisce l’entrata di due anni. Onde non può accertarsi presentemente il tempo dell’effettuazione della conseguita grazia »38 ; nei fatti si dovette attendere oltre un secolo per ricevere il diadema aureo, che giunse solo nel 1835. Dal momento in cui si riceveva l’expediantur dal Capitolo Vaticano potevano dunque trascorrere alcuni anni prima che si potesse portare a compimento la coronazione vera e propria. Nel Settecento i tempi di attesa si allungarono, mentre a fine Ottocento bastavano uno o due anni per realizzare il diadema e procedere all’incoronazione : a Crema, proprio BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 5, f. 238 : dossier relativo alla Madonna di Loreto di Cremona. Antonio Racheli, Il Comune di Tignale e la Madonna di Montecastello. Cenni storici, Bergamo, Istituto Italiano d’Arti Grafiche, 1902, p. 255-257. 37 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26/2, f. 183-184 : articolo intitolato « La Corona della Madonna Ceriola », siglato C. R. 38 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 14, f. 48 sqq. : Cenni istorici relativi all’incoronazione del simulacro di Maria V. nella chiesa di S. Maria della Croce, in Relazione del triduo solenne nei giorni 4, 5 e 6 Settembre 1837 per l’incoronazione del simulacro della Beata Vergine che si venera nella chiesa parrocchiale di S. Maria della Croce fuori della R. città di Crema, Crema, Presso Antonio Calvi ed alla Cancelleria del Santuario, 1837. 35 36
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Fig. 5. Incisione di Santa Maria della Croce, Crema
l’evento atteso per più di un secolo per Santa Maria della Croce subì l’ulteriore ritardo di un paio d’anni per una grave epidemia di colera che minacciò la popolazione (1835) ; lo stesso accadde anche per la Madonna delle Grazie di Brescia, sempre a causa del colera (1884) ; fu lo scoppio della Grande Guerra, invece, la causa della dilazione per l’incoronazione della Madonna della Pallavicina di Izano (1914). In tutti i casi analizzati si registra una grande attenzione per la preparazione delle feste, sia a livello spirituale (con prediche e tridui preparatori), sia a livello pratico (a Monte Isola venne predisposto un maggior numero di traghetti così da trasportare più fedeli dalla terraferma all’isola). La coronazione vera e propria fu sempre compiuta dai vescovi locali, delegati dal Capitolo Vaticano (solo nel caso di Izano la messa solenne venne celebrata dal cardinale Andrea Carlo Ferrari, arcivescovo di Milano, metropolita del vescovo di Crema). 296
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Fig. 6. Immaginetta della Madonna della Pallavicina, Izano
Molte persone erano coinvolte nella richiesta di coronazione. Alcuni, come il sacerdote Luigi Barbieri di Izano oppure il vescovo di Crema Tommaso Ronna, avviarono di persona ricerche storiche sui documenti, raccolsero testimonianze e studiarono i santuari, realizzando anche pubblicazioni specifiche. Altri ecclesiastici, invece, si distinsero per disattenzione e superficialità, inviando a Roma pratiche scarne e poco curate, con notizie vaghe e incerte, perciò rispedite al mittente con la richiesta di integrazioni documentarie. È il caso, per esempio, della risposta all’arciprete di Tignale Domenico Triboldi, la cui lacunosa richiesta non rispondeva ai criteri necessari per l’approvazione ; solo allora si mise d’impegno e in un paio di mesi rispedì nuova e sufficiente documentazione. Benché tutte coronate dal Capitolo Vaticano, le Madonne dell’area qui individuata hanno sviluppato fisionomie cultuali e spirituali l’una diversa dall’altra. Nei santuari di Izano e Monte Isola, per esempio, la Madonna è venerata come consolatrice, come colei che « deve ispirare una dolce speranza, specie nei confronti dei soldati al fronte durante la Grande Guerra »39. Della Vergine di Rezzato si esalta il ruolo di mediatrice, per l’intercessione
BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26, f. 622 sqq. : dossier riguardante la Madonna della Ceriola venerata a Monte Isola. 39
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manifestata nel corso dell’apparizione del 1399 al contadino bresciano40. Nel santuario di Tignale, infine, la pietà mariana evoca la « luce », in riferimento a come si era manifestata la Vergine durante la guerra tra bresciani e trentini.
Incoronare per venerare Oltre alla documentazione archivistica, presso il Capitolo Vaticano è possibile visionare il materiale iconografico accumulatosi nel tempo attraverso la raccolta di copie delle Madonne coronate, secondo la procedura : Venne fatto obbligo di inviare a Roma una Immagine in tela della Vergine Incoronata, coll’iscrizione per essere conservata nella stessa Basilica a perpetuam rei memoriam. Il tutto insieme coll’istrumento […] colla storia della S. Immagine, e dell’Incoronazione, da spedirsi al Rev.mo Sig. Segretario del Capitolo, per conservarsi nell’Archivio Vaticano, come ricordo dell’avvenuta Incoronazione41.
Attraverso le fonti documentarie e iconografiche è possibile ricavare, almeno per accenni, alcuni elementi utili per nuove indagini. Dall’età moderna a quella contemporanea, le procedure per la coronazione, il rito stesso e la promozione del culto mariano illustrano dinamismi sociali complessi, tentativi di riattivare alcune forme di devozione popolare insieme a episodi di competizione tra poteri civili ed ecclesiastici. L’analisi di questo materiale, circoscritto a un grappolo di esempi dell’area brescianocremonese, mostra come alcune forme di devozione popolare si rimettano in moto in momenti di « stress sociale » (scorribande dei briganti, epidemie, guerre e ricostruzioni post-belliche, ecc.) e quanto il ricorso alla mediazione mariana sia diffuso indifferentemente tra i ceti sociali. Nella fase che va dalla richiesta al rito di coronazione, viene a crearsi una sorta di alleanza fra i maggiorenti del posto e il clero locale che consente di raggiungere precisi risultati : prestigio, valore accresciuto delle proprietà e degli interessi per i primi ; promozione del culto, aumento di lasciti ed elemosine per i secondi. Tali legami vanno a consolidare quella religione civile che valorizza il sentimento identitario, esalta lo spirito comunitario nonostante si proteggano gli interessi di fazioni e gruppi sociali. La storia delle coronazioni mostra che tale pratica, benché nata da un’aspirazione a un controllo di tipo romano della devozione mariana, specie in un’iniziale prospettiva anti-protestantica, una volta celebrato il rito, non riesca a impedire una riappropriazione devozionale da parte del popolo dei fedeli in forme e con modi propri di ciascun territorio.
Remigio [Nannini], « Discorso dell’invocatione de’ santi, dell’uso dell’immagini et della veneratione delle reliquie loro », in Epistole et vangeli che si leggono tutto l’anno alle messe secondo l’uso della Santa Romana Chiesa et ordine del messale riformati, Venezia, Del Granata, 1620, p. 322. 41 BAV, ACSP, Madonne coronate, vol. 26/2, f. 18vo : articolo intitolato « Ordine da osservarsi nella consegna delle Corone d’oro che vengono donate dal Rev.mo Capitolo di S. Pietro in Roma alle S. Immagini della B.V.M. per Legato del Cav. Alessandro Sforza Pallavicini ». 40
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Lo studio delle Madonne coronate consente di ricostruire le vicende che hanno interessato i singoli santuari e i territori circostanti. Apre squarci sulla storia del costume, con la descrizione delle « Madonne vestite », sulla storia del cristianesimo, con i rapporti tra la Chiesa e le istituzioni civili locali, sulla storia dell’arte, con la descrizione degli ex voto e delle Madonne « nere », sulla storia delle mentalità presentando il vissuto di singoli e di gruppi, come emerge dalle lettere spedite dai soldati al fronte. E molti altri potrebbero essere gli ambiti d’interesse del tema, perché ogni luogo sacro costituisce un unicum nel panorama religioso, ma, al contempo, non risulta avulso dal contesto entro il quale sorge. Simona Negruzzo Dipartimento Storia Culture Civiltà – DiSCi Alma Mater Studiorum Université de Bologne
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La tavola del perdono. L’Arciconfraternita delle Sacre Stimmate e i rituali dell’accoglienza nel giubileo del 1725 La recente conclusione del giubileo straordinario del 2016 rende più « attuale » il tema che ho scelto per partecipare al volume in onore di Bernard Dompnier, con l’intento di stabilire una relazione fra due elementi della sua fisionomia di studioso e di amico : la sua lunga frequentazione con il tema delle confraternite e il piacere della buona tavola, sperimentato in occasione dei suoi frequenti soggiorni romani. Nelle prossime pagine prenderò dunque in esame il manoscritto Relazione di quanto si è operato dalla venerabile archiconfraternita delle Sagre Stimmate di San Francesco di Roma nel ricevimento et alloggio dato alle compagnie forestiere nell’ospizio della medesima l’anno del santissimo Giubileo 1725, un testo redatto dal confratello Filippo Coppetelli, di cui sono stati reperiti ad oggi due esemplari : uno conservato presso l’Archivio di Stato di Roma (fondo Ospedale Trinità dei Pellegrini, b. 76) ed un altro, messo gentilmente a mia disposizione dal collega Raimondo Michetti che lo conserva fra le carte di famiglia1. Di questo documento prenderò in esame la parte dedicata alla tavola e alla cucina dell’accoglienza, rimandando – per le notizie relative all’Arciconfraternita delle Sacre Stimmate, ad un saggio ad essa dedicato2 – e alla più generale bibliografia sui giubilei di età moderna, per quanto riguarda l’analisi di questo evento3. Attraverso i preparativi posti in atto per nutrire i membri delle compagnie aggregate giunti a Roma per rinnovare il rito del perdono, analizzerò la risposta che i membri La trascrizione della Relazione a cura di Alessandro Serra sarà pubblicata in un volume collettaneo in corso di stampa. 2 Alessandro Serra, « Le “sacre stimmate di Santo Francesco”. Sociabilità laicale e devozione per le stimmate di S. Francesco a Roma (XVI-XVIII secolo) », Rivista di Storia e Letteratura religiosa, no 18, 2012, p. 305-352. 3 Mi limito a segnalare : Stefania Nanni e Maria Antonietta Visceglia (eds), La città del perdono. Pellegrinaggi e anni santi a Roma in età moderna. 1550-1750, in no monograf. Roma moderna e contemporanea, no 2/3, 1997 ; Luigi Fiorani, « “Charità e pietate”. Confraternite e gruppi devoti nella città rinascimentale e barocca », in Luigi Fiorani e Adriano Prosperi (eds), Storia d’Italia, Annali 16, Roma, la città del papa, Torino, Einaudi, 2000, p. 431476 ; Genoveffa Palumbo, Giubileo Giubilei. Pellegrini e pellegrine, riti, santi, immagini per una storia dei sacri itinerari, Roma, RAI ERI, 1999 ; Domenico Rocciolo, « Preparare il giubileo : il ruolo del Vicariato nell’anno santo 1725 », in La città del perdono, op. cit., p. 521-552 ; Antonella Pampalone, « L’ospitalità delle confraternite e i “menu” dei pellegrini per l’Anno santo del 1675 », in Claudio Crescentini e Antonio Martini (eds), Le confraternite romane. Arte, Storia Committenza, Roma, Associazione culturale Shakespeare and Company, 2000, p. 215-233. 1
Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 301-311 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115089
Sara Cabibbo
dell’Arciconfraternita delle Sacre Stimmate dettero alla bolla emanata il 26 giugno 1724 da Benedetto XIII ; una risposta che va decodificata facendo riferimento ad una cerimonialità che mette in scena la magnificenza, il decoro e la politesse della capillare organizzazione dell’ospitalità nella città del papa, affidata alla disponibilità e generosità delle istituzioni religiose e assistenziali cittadine e alla carità e munificenza delle aristocrazie e delle élites municipali. Di questa ospitalità che si fa anche espressione dell’« armonia psico-somatica » posta a modello del cattolico esemplare dal disciplinamento post-tridentino4, la relazione di Filippo Coppetelli, ed in particolare la parte relativa alla tavola, costituisce un esempio indicativo. Come le cronache (diari, ragguagli) elaborate dalla letteratura giubilare e i testi provenienti dalle diverse strutture romane impegnate nel ricovero dei pellegrini, essa offre infatti la possibilità di cogliere, attraverso il rimando agli spazi, ai gesti e ai menu, quel nesso fra rito del perdono e rito del convito che si faceva « forza sacrale », contribuendo a costruire la memoria collettiva dei Tesori dell’anno santo5.
Il dove e il cosa : preparare l’accoglienza per le Compagnie aggregate Anche se il numero dei pellegrini del giubileo del 1725 non poté certamente competere con quelli registrati nella stagione della Chiesa trionfante – quando giunsero a Roma « Franzesi, Spagnoli, Fiamenghi, Todeschi, Ungari, Pollacchi, Greci, Schiavoni, di Sicilia, Calabria, regno di Napoli, Lombardia, Toscana et di tutte le Nationi »6 –, l’arciconfraternita delle Sacre Stimmate operò ogni diligenza per predisporre la propria struttura e i propri mezzi ad un’accoglienza che, coll’avanzare del secolo dei Lumi, sfumava i confini fra pellegrinaggio e grand tour, tentando di conciliare l’immagine della Chiesa romana come « madre elargitrice di perdono » con le nuove tipologie di viaggiatori che giungevano a Roma nella ricorrenza giubilare e con « lo sviluppo di un’erudizione sacra che si candida[va] ormai come scienza »7. 4 Su etichette e cerimoniali giubilari, vettori delle buone maniere e del processo di disciplinamento sociale, Sara Cabibbo, « Civilité e anni santi. La santa opera di “albergar li pellegrini” nelle cronache dei giubilei (15751650) », in La città del perdono, op. cit., p. 405-430. Sull’« armonia psicosomatica », cf. Dilwyn Knox, « Disciplina : le origini monastiche e clericali del buon comportamento nell’Europa cattolica del Cinquecento e del primo Seicento », in Paolo Prodi (ed.), Disciplina dell’anima, disciplina del corpo, disciplina della società tra medioevo ed età moderna, Bologna, Il Mulino, 1964, p. 65. 5 Marsilio Onorati, Tesori dell’anno santo, Roma, appreso Francesco Cavalli, 1649. Sulla « forza sacrale » del mangiare comunitario in monasteri e confraternite, Alphonse Dupront, Il sacro. Crociate e pellegrinaggi, linguaggi e immagini, Torino, Bollati Boringhieri, 1993, p. 91. 6 Breve ragguaglio come cominciare la S.ta opera di albergare li pellegrini et convalescenti nel S.to Hospedale o Casa della Venerabile Archiconfraternita della S.ma Trinità de’ Pellegrini e Convalescenti per Roma. Con le cose successe ambi gli anni 1575 e 1600… raccolto da un minimo fratello di detta Archiconfraternita. Il manoscritto, dedicato a Clemente VIII, è conservato presso la Biblioteca Apostolica Vaticana alla segnatura Vat. Lat. 5513. 7 Sul confine mobile fra pellegrinaggio e grand tour a Roma, Maria Pia Critelli e Lauro Rossi, « Tra Pilgrimage and Grand Tour. Viaggiatori stranieri e giubilei nel Sei e Settecento », in Marcello Fagiolo e Maria Luisa Madonna (eds), Roma 1300-1875. L’arte degli anni santi, Milano, Mondadori, 1984, p. 241-251.
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Con l’obiettivo, dunque, di confermare e rappresentare il prestigio raggiunto dalla Compagnia nel secolo precedente – allorché la progressiva aristocratizzazione aveva modificato l’originaria fisinomia artigianale e mercantile del sodalizio8 –, i confratelli cominciarono sin dalla primavera del 1724 a cercare un « palazzo commodo per ivi eriger l’ospizio, essendosi primieramente ricordati della memoria lasciata da’ nostri antecessori di non valersi de’ palazzi molto distanti dalla nostra chiesa per evitare non meno qualche scandalo che potesse succedere in vedersi i nostri fratelli girar per Roma scoperti con il sacco per andare all’ospizio, che per l’incomodo de’ fratelli forestieri, quali doppo essere giunti stanchi alla detta nostra chiesa gli sarebbe convenuto fare un altro viaggio all’ospizio, come anche per evitar le spese superflue, consumo di torcie et altro, come seguì nell’anno santo 1625 che fu preso per ospizio il palazzo de’ signori Accomboni a S. Agostino » (f. 5ro). Circoscritto il raggio della ricerca alla zona circostante la chiesa delle Sacre Stimmate9 e stabiliti gli spazi necessari ad « albergar li pellegrini », la scelta cadde sul palazzo « delli Signori Cenci incontro la chiesa de’ SS. Nicola e Biagio a’ Cesarini, che corrisponde alla piazza della nostra chiesa che stava per sfittarsi »10 ; sostenuti dal cardinal protettore (Francesco Pignatelli, arcivescovo di Napoli) e dal coprotettore (Lorenzo Corsini) e con la mediazione dell’illustre confratello Michelangelo Gaetani, duca di Sermoneta, i membri del sodalizio stipularono il 23 giugno 1724 un contratto di « locazione alla raggione di [scudi] 500 l’anno », specificando che tutti i lavori di muratura « per fare li commodi necessari » fossero a spese della Compagnia, obbligata a ripristinare la precedente struttura al termine del contratto (ivi). La macchina organizzativa poteva dunque mettersi in moto al ritmo di periodiche riunioni dei vertici della Compagnia, predisponendo da un canto gli spazi necessari ad alloggiare e sfamare gli ospiti e provvedendo, dall’altro, a stabilire le diverse funzioni che sarebbero state svolte dai confratelli durante il periodo giubilare, la quantità di derrate e suppellettili di cui provvedersi, il numero di personale « esterno » da coinvolgere nella preparazione e servizio delle vivande e nella cura dei dormitori e delle altre strutture di accoglienza delle confraternite aggregate11. Ad esse (ben 142) nel luglio del 1724 fu indirizzata una lettera che si concludeva « pregando intanto le carità vostre, se ispirati da A. Serra, « Le “sacre stimmate di Santo Francesco” », art. cit., in particolare le p. 326-334. La chiesa delle SS. Stimmate di S. Francesco, sita nel rione Pigna nell’attuale via dei Cestari, fu consacrata il 14 settembre 1719 dal cardinal Lorenzo Corsini, futuro papa Clemente XII. Fu edificata nel luogo dove, fino agli inizi del Settecento, sorgeva la chiesa dei SS. Quaranta, assegnata all’arciconfraternita nel Seicento. 10 Il palazzo Cenci a cui si riferisce la Relazione era situato a pochi centinaia di metri dalla chiesa delle SS. Stimmate di San Francesco. Divenuto successivamente Collegio Calasanzio, esso sorgeva di fronte alla chiesa dei SS. Nicola e Biagio a’ Cesarini, demolita negli anni Venti del XX secolo per portare alla luce l’Area Sacra di Torre Argentina. Cf. Mariano Armellini, Le chiese di Roma dal IV al XIX secolo, Roma, Ed. R.O.R.E. di Nicola Ruffolo, 1891. 11 La Relazione registra tutte le congregazioni tenute dall’arciconfraternita, fra il maggio del 1724 e i primi due mesi dell’anno successivo, per stabilire le incombenze e la rotazione dei padri guardiani e degli ufficiali della Compagnia nei mesi del giubileo. Alcuni confratelli erano adibiti a percorre i rioni romani per procacciare arredi, suppellettili, personale di servizio, derrate alimentari, elemosine. Una specifica congregazione fu riservata alle sorelle aderenti alla Compagnia, chiamate ad occuparsi delle necessità delle donne che facevano parte dai sodalizi forestieri (f. 6vo-15ro). 8 9
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Dio si risolveranno alla venuta, di avvisarcene in risposta di questa la certezza, et il tempo della partenza di costà, et il numero preciso, che con tali notitie possiamo convenevolmente provvedere tutto ciò che appartiene al vostro ricevimento, et alloggio, assicurandovi, che dove per debolezza mancarà forse l’opera nostra, supplirà l’altra della volontà verso il vostro servizio » (f. 8vo). Un’atmosfera di giubilo e grande operosità emerge dalla Relazione – cronaca e memoria allo stesso tempo – le cui pagine sui preparativi giubilari mettono in evidenza l’abnegazione e generosità di offiziali e semplici confratelli che non guardarono « ne à fatica, ne à spese » (f. 12vo). E i preparativi terminarono. Ai primi di marzo il medaglione con lo stemma della Compagnia ornava il portone d’ingresso del palazzo che immetteva in un grande cortile su cui si affacciavano quattro rimesse : due destinate ad accogliere i carri dei pellegrini, e le altre adibite a locale dove essi potessero scrollarsi della polvere e dello sporco accumulati lungo il viaggio. Qui erano predisposti « 60 Mastelletti di legno per la lavanda dei piedi con altri mastelli grandi per portar l’acqua fredda e calda secondo il bisogno, anche questi fatti a spese della carità dei Fratelli Deputati in questa Ufficina » (f. 16vo). Una scala decorata con stemmi e iscrizioni e rischiarata da lumi ad olio conduceva al primo piano, che ospitava il refettorio sulle cui pareti si rincorrevano i medaglioni del patriarca Francesco e dei suoi primi compagni insieme ad altre decorazioni prestate dall’« eccellentissima Casa Pamphili ». Un pulpito, un lampadario a dodici candele e alcune iscrizioni contenenti i nomi degli ufficiali della Compagnia e dei fratelli e maggiordomi, adibiti di volta in volta al servizio, completavano l’arredo di quest’ambiente. Un secondo, più piccolo refettorio arredato a spese del cardinale Barberini, e una stanza adibita a dispensa esaurivano lo spazio dedicato alla mensa dei pellegrini, ai quali era anche riservato nello stesso piano un « antro » dove lavarsi le mani. Qui un’iscrizione « cristianizzava » il verso tibulliano : « Casta placent Domino, casta cum mente venite, et manibus puris sumite fontis aquam » (f. 18vo), ricordando a quanti si accingevano a sedersi alla tavola del perdono quella disciplina del corpo, le cui origini sono state rintracciate nel mondo monastico e clericale dell’Europa cristiana12.
In cucina e in refettorio La cucina, la dispensa, e i due refettori fanno da scenario al rito della preparazione e del consumo dei pasti che ebbero luogo presso l’ospizio delle Sacre Stimmate fra il marzo e il dicembre del 1725. Linde, ordinate e ben illuminate, la cucina e la piccola ma ben arredata dispensa divennero lo spazio operativo di una folla di fornitori, cuochi e aiutanti cuochi, impegnati a preparare una media di quattro pasti al giorno (due refezioni e due cene),
D. Knox, « Disciplina », art. cit. La Relazione si sofferma anche sulle sette stanze adibite a dormitorio, alle quali se ne aggiunsero due riservate ai superiori delle Compagnie forestiere, e due « destinate per trattenimento degl’eminentisimi signori cardinali et altri personaggi, e queste furono ammobiliate dalla pietà dell’eminentissimo signiore cardinale Lorenzo Corsini nostro comprotettore » (f. 19ro). I letti predisposti furono 60.
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distribuiti nei tre giorni in cui ciascuna Compagnia fu ospite della consorella romana13. Messo a disposizione prevalentemente dalle famiglie aristocratiche a cui appartenevano i membri del sodalizio, questo personale dette vita ad un network avventizio, che rimanda a tutte le occasioni che, nella città del papa e della geograficamente variegata curia cardinalizia, davano vita a nuove relazioni fra individui di diversa provenienza che componevano la popolazione romana, principalmente impiegata nei settori dell’alimentazione e dell’edilizia14. Il ruolo di servitore, cuoco, sguattero presso le élites laiche ed ecclesiastiche cittadine, o di quanti erano fornitori dello stesso gruppo sociale, mise dunque in contatto anche in questa circostanza persone e attività diverse, contribuendo a favorire il rapporto tra l’aristocrazia e i ceti inferiori e a promuovere quella membership tra individui di diverse provenienze che, all’ombra di confraternite ed associazioni di mestiere, si inurbavano temporaneamente o definitivamente a Roma15, dove – era stato già osservato nel XVI secolo – « la minor parte del popolo sono romani ; l’altri […] son di diverse nationi et patrie »16. Al di sopra di questa folla anonima richiamata dal cronista svettano i ruoli dello scalco e del credenziere – necessario corredo delle corti e delle famiglie di rango – affidati a confratelli, spesso aristocratici e alti prelati, di cui Coppetelli riporta i nomi : figure che qualificano la funzione assegnata al rito della mensa, riproponendo, nella dinamica tra i generosi anfitrioni e i loro ospiti, la relazione fra Cristo e gli apostoli nell’ultima cena. Anche nelle stanze di palazzo Cenci il cibo diviene infatti « l’instrument des entreprises de moralisation et de spiritualisation, l’occasion privilégiée de régler le corps et d’en faire du même coup un régulateur, de faire intérioriser, au sens physique du terme, la règle extérieure et abstraite en la transformant en pratique régulière »17. Addetti a formulare il programma complessivo dei pasti e a sovrintedere al servizio a tavola, i cinque scalchi selezionati dall’Arciconfraternita si occupavano quindi di individuare la qualità e quantità di cibi da servire, la loro successione, l’alternanza fra magro e grasso. Quanto al credenziere – figura strettamente collegata a quella dello scalco nella tradizione signorile del banchetto – i quattro confratelli adibiti a questa funzione (fra cui lo stesso 13 I pasti erano suddivisi in refezzioni e cene senza la precisazione dell’orario. Gli studi sull’alimentazione fissano la refezione o colazione intorno alle ore 12/13 quando si era già mangiato verso le 9, e verso le 10 quando si presentava come il primo pasto della giornata ; la cena oscillava, a secondo dei paesi e dei ceti sociali, fra le 20 e le 23. Cf. Jean-Louis Flandrin, « Introduzione a I tempi moderni », in Id. e Massimo Montanari (eds), Storia dell’alimentazione, Roma-Bari, Laterza, 1997, p. 444-445. 14 Sulla composita popolazione romana, Eugenio Sonnino, « Le anime dei romani : fonti religiose e demografia storica », in L. Fiorani e A. Prosperi (ed.), Storia d’Italia, op. cit., p. 329-360. 15 Sulle pratiche di membership nella Roma moderna, Eleonora Canepari, Stare in compagnia. Strategie di nirbamento e forme associative nella Roma del Seicento, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2007. 16 La citazione tratta dai Ricordi di Marcello Alberini, è riportata da Anna Esposito, « “… la minor parte di questo popolo sono i romani”. Considerazioni sulla presenza dei “forenses” nella Roma del Rinascimento », in Effetto Roma, Roma, RomaBabilonia, 1993, p. 41-60. Su Marcello Alberini, funzionario dello Stato della Chiesa negli anni che seguirono il sacco di Roma, cf. Ad vocem, in Dizionario Biografico degli italiani, vol. I, Roma, 1960, p. 660-661. 17 Claude Grignon, « La règle, la mode et le travail : la genèse du modèle des repas français contemporain », in Maurice Aymard e Claude Grignon (eds), Les temps de manger. Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux, Paris, Éditions Quae, 1993, p. 277.
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Coppetelli) si impegnarono ad adeguare le strutture e i mezzi dell’ospizio al compito loro assegnato dalla precettistica delle buone maniere. Il credenziere, infatti, « amministra argenti e teli, piega artisticamente i tovaglioli, serve i piatti freddi, le insalate, i frutti, i biscotti, i canditi e le confetture. E’ uomo che pratica un’arte sensuale e “si diletta d’odori”, profuma di essenze la biancheria, orna di fiori la tavola, si occupa della decorazione. E’ presente nella sala e sovrintende alle vivande poste all’inizio e alla fine del banchetto in quelli che vengono chiamati “servizi di credenza”, “servizi freddi” e “frutte” »18. Caraffe di cristallo di Boemia e bicchieri di « politezza grandissima », vasi di porcellana di Portogallo e d’Indie riempiti di fiori freschi, piatti reali e bacili di porcellana adornarono dunque la mensa, messi a disposizione dai confratelli più illustri e da quanti – famiglie aristocratiche, istituzioni religiose – prestarono le loro suppellettili19 ; quadri e arazzi coprirono le pareti rischiarate da lampadari a candele e lumi d olio, e versetti delle Scritture « allusive all’Ufficina » decorarono i muri, a costante richiamo del valore materiale e simbolico del cibo offerto a pellegrini e viandanti : in questo caso, i piatti caldi di cucina e quelli freddi di credenza (insalate, prosciutti, formaggi, frutta, serviti sia a pranzo che cena) la cui gestione era compito del credenziere. Molti i nomi dei confratelli incaricati di servire alla mensa, citati da Coppetelli insieme a quelli dei maggiordomi sotto il cui occhio vigile si svolgevano i banchetti. Quest’ultimi, in giro fra le tavolate, occupati a riempire i piatti e i bicchieri di tutti i commensali, avevano il compito di evitare che qualcuno dei presenti restasse privo o carente delle pietanze, o che altri approfittassero delle probabili disfunzioni del servizio per riempirsi soverchiamente il ventre. Durante l’Anno Santo il refettorio delle Sacre Stimmate non poteva infatti trasformarsi nel paese di Cuccagna ; piuttosto, la tavola giubilare doveva ispirarsi alla moderazione e alla buona educazione iscritte nella millenaria storia della cultura giudaico-cristiana, rinverdita dalla trattatistica rinascimentale delle buone maniere. Siedi ad una grande tavola ? Non spalancare su di essa la tua gola, e non dire : « Ci sono su di essa molte cose » : Ricordati che è un male l’occhio avido : c’è cosa più cattiva nella creazione ? […] Dove adocchia un altro, non stendere la mano, non far ressa con lui attorno al piatto […] Mangia da vero uomo quanto ti sta dinnanzi, non masticare scrosciando, per non essere disprezzato. Finisci per primo, in segno d’educazione, non essere ingordo, perché fa brutta impressione. Se siedi in mezzo a tante persone non stendere la mano prima di loro (Siracide, 31, 12-18).
Conformandosi a queste indicazioni, i confratelli delle Sacre Stimmate si mossero quindi fra i due poli dietetici contemplati dall’esperienza giubilare : sovvenire ai bisogni alimentari di quanti si trovavano per qualche giorno nella Gerusalemme terrena, distanti dagli abituali luoghi di consumo del pasto ; moderare dall’altro i comportamenti trasgressivi, Alberto Capatti e Massimo Montanari, La cucina italiana. Storia di una cultura, Roma-Bari, Laterza, 1999, p. 161. 19 L’elenco degli oggetti e degli arredi prestati per la sala della mensa è contenuto nel volume manoscritto Registro del guardaroba della Venerabile Arciconfraternita delle SS. Stimmate di S. Francesco in Roma Anno Jubilei 1725, conservato presso l’Archicio Storico del Vicariato di Roma (ASVR), Fondo Arciconfraternita delle SS. Stimmate di S. Francesco, vol. 190. 18
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determinati dai disordini delle passioni radicati nella fisiologia umorale del corpo, e probabilmente favoriti dall’eccezionalità dell’esperienza romana. Ciò comportò la mediazione fra le due tipologie presenti nella tradizione culinaria del convito : quella rinascimentale delle corti mondane e della stessa curia romana e quella controriformistica dello scalco spirituale, a cui aveva dato voce il predicatore domenicano Enrico di S. Bartolomeo, autore nel 1644 di un ricettario/guida spirituale per regolare la fame e la sete « per via di levare »20.
A tavola fra pratiche alimentari e ars coquinaria L’analisi dei menu preparati fra il 23 marzo del 1725 e il mercoledì 5 dicembre dello stesso anno richiede che si faccia riferimento a quel settore di studi sull’alimentazione che ha dedicato particolare attenzione al consumo degli alimenti, allo sviluppo dell’ars coquinaria (ricettari, ingredienti, metodi di cottura), al modificarsi del gusto : elementi tutti che disegnano la variegata fisionomia di individui, popoli, gruppi sociali, diventando una chiave di interpretazione delle distinzioni e autorappresentazioni sociali21. La Lista delle cene e refezzioni date alle compagnie forastiere nel presente anno 1725 offre dunque la possibilità di delineare il quadro di riferimento al cui interno si collocarono le scelte alimentari adottate per i pellegrini in un arco di tempo che comprese quasi tutte le stagioni dell’anno. Per i viandanti esausti dal viaggio, dalle processioni e dalle peregrinazioni nelle quattro basiliche romane e nelle chiese indicate dal cardinal vicario come sedi di indulgenza plenaria22, occorreva preparare pasti che ne ritemprassero le forze, che dessero la misura della liberalità degli ospiti, e che allo stesso tempo consentissero ai fruitori dei sacri percorsi di vivere un’esperienza e costruire una memoria che associasse il guadagno dell’indulgenza alla frequentazione di una tavola impeccabile e ben fornita : una tavola, presso la quale si potesse facilmente ascoltare la vita di un santo dalla voce del lettore di
Enrico di S. Bartolomeo del Gaudio, Lo scalco spirituale per le mense dei religiosi e degli altri devoti, Napoli 1644. Sul testo e sulla tradizione del convito rinascimentale, A. Capatti e M. Montanari, La cucina italiana, op. cit., p. 156 sq. 21 Odile Redon et Bruno Laurioux, « Histoire de l’alimentation entre Moyen Âge et Temps modernes. Regards sur trente ans de recherche », in Odile Redon, Line Sallmann e Sylvie Steinberg (eds), Le désir et le goût. Une autre histoire (xiiie-xviiie siècles), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2005, p. 53-96. Cf. anche : Raffaella Sarti, Vita di casa. Abitare, mangiare, vestire nell’Europa moderna, Roma-Bari, Laterza, 1999, p. 171223, e Sara Cabibbo, Un inglese, un italiano, uno spagnolo. Europei nello specchio della Francia, Roma, Centro studi italo-francesi. Didascalie, 2010, p. 75-99. 22 Sull’indulgenza plenaria assegnata alla visita di alcune chiese nel giubileo del 1725 si veda il documento Dell’officio del card. Vicario nell’anno santo, conservato presso l’Archivio Storico del Vicariato di Roma, pubblicato da D. Rocciolo, « Preparare il giubileo : il ruolo del Vicariato nell’anno santo 1725 ». Il 4 marzo 1725 l’Arciconfraternita presentò al pontefice una supplica perché conseguissero il giubileo dell’anno santo i confratelli « che interverranno alla processione che suol fare la medesma archiconfraternita in un giorno della Settimana Santa alla basilica di S. Pietro, e che in altro giorno prima o doppo, confessati e communicati visiteranno parimenti in processione l’altre basiliche di S. Paolo, S. Giovanni e S. Maria Maggiore […] come se havessero visitato le dette quattro basiliche le 30 volte ; et in oltre che le sorelle della medesma archiconfraternita accompagnando le dette processioni, o appresso, o a loro vantaggio, purché vadino in quei giorni che andrà la medesma archiconfraternita, confessate parimenti e communicate » (f. 20vo). 20
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Menza, e che desse « la libertà a’ forastieri che potessero parlare con li nostri fratelli che con tanto amore li servivano ». Nell’elenco dei menu preparati per le dodici compagnie forestiere23 che furono ospiti dell’arciconfraternita romana tra il marzo e il dicembre 1725 (per un numero complessivo di quattrocentosettantatré fratelli, quarantanove sorelle e sessantasei serventi), ciò che colpisce ad una prima lettura della Relazione di Coppetelli è la costante e abbondante presenza di verdure e insalate : mazzocchi (puntarelle), cicoria bianca, asparagi, indivia, broccoli neri e bianchi, lattughe francesi, insalate miste, carciofi e scafe (fave con baccelli molto grandi), luppoli, finocchi e mele rosse, funghi prugnoli e tartufi, frutti freschi di gobbi (ortaggi le cui foglie al momento dello sviluppo venivano legate per evitare che entrassero in contatto col terreno su cui spesso si stendeva anche della paglia). Vera e propria peculiarità « nazionale », « il cibo dell’insalate è quasi proprio (dicono gli oltramontani) de’ Italiani ghiotti, quali hanno tolta la vivanda agl’animali bruti che si magnano l’herbe crude » – scriveva nel 1569 lo scienzato bolognese Costanzo Felici ad Ulisse Aldovrandi24 : una notazione che si ritrova in Michel de Montaigne che nel 1581 anotava nel suo Giornale di viaggio : « in tutta Italia vi danno fave crude, piselli, mandorle verdi, e lasciano i carciofi pressocché crudi », riscontrando quella che all’aristocratico d’oltralpe, abituato alla massiccia presenza della carne nei banchetti patrii, doveva sembrare una peculiarità tutta italiana. È probabile che i pasti si aprissero proprio con le insalate : in questo caso i confratelli avrebbero optato per un ordine – la precedenza delle insalate sul resto del menu – che alimentò un lungo dibattito nella trattatistica dell’epoca, rivolta ad identificare con l’aiuto delle auctorites della medicina classica i cibi che aprivano le vie dello stomaco e quelli che favorivano la buona digestione25. Quanto a verdure e ortaggi, per lo più provenienti dall’agro romano e dai possedimenti terrieri dell’aristocrazia romana e perciò di facile reperibilità e basso costo26, essi furono anche componente importante di minestre, secondi piatti e contorni, a richiamo di una cucina di magro propria del regime monastico, ma anche del successo riscosso fra Sei e Settecento da alcune varietà vegetali, associate nei secoli precedenti alla dieta contadina. Sempre presenti fra i cibi di credenza, questi prodotti della terra, legati alla stagionalità, diventano anche la base di minestre di finocchietti di campagna, broccoli, piselli, bieta, funghi : eredi cioè, di quella cucina « popolare » medievale dell’Italia centro-meridionale La lista (f. 56ro) cita le seguenti provenienze : Torino (23-25 marzo) ; Capua (18-20 aprile) ; Sarno (22-24 aprile) ; Bonistallo (28-30 aprile) ; Compagnie di Venezia e Monte Vettolino (1-3 maggio) ; Firenze (6-7 maggio) ; Rovigno (13-15 maggio) ; Benevento (22-24 maggio) ; Chiozza (3-5 giugno) ; Troia (7-9 giugno) ; Casalvieri (3-5 dicembre). Altri elenchi contenevano i nomi di tutti i confratelli e consorelle ospitati. 24 Costanzo Felici, « Del’insalata e piante che in qualunque modo vengono per cibo del’homo in G. Arbizzoni », Testi naturalisitici, I, Urbino, 1986, p. 24. Sull’autore, « esempio di scienziato enciclopedico cinquecentesco », G. Nonni, « Felici Costanzo », Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 46, Roma, 1996, p. 61-63. 25 Per il dibattito sull’ordine delle vivande, A. Capatti e M. Montanari, La cucina italiana, op. cit., p. 149-155. 26 Sull’agro romano, composto in gran parte dalle grandi proprietà dell’aristocrazia romana e sulle attività di campo, masseria e allevamento, Giorgio Rossi, L’agro di Roma fra Cinque e Ottocento. Condizioni di vita e lavoro, Roma 1988 (II). 23
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fatta di erbe di campagna, ortaggi e legumi, che nel corso del Cinquecento si era diffusa anche fra gli scalchi e i cuochi delle élites. E accanto a questa tipologia vegetale di minestre se ne ritrova un’altra a base di cereali e farinacei : i maccaroni di Sicilia o di Napoli (una sorta di gnocchi di pasta), il riso cotto nel latte d’amandole, la semolella in brodo, le minestre di riso con ova, di ceci infranti e biete, di fedeli di Genova (pasta lunga e sottile). Ingredienti e ricette che testimoniano l’antica tradizione romana dei farinacei e della pasta fresca (arricchitasi nel corso del Medioevo con l’impiego della pasta secca mutuato dagli Arabi) rinnovata dalle nuove forme di cottura nel brodo, nel latte, o nel latte di mandorla. E’ il caso dei fedeli di Genova o dei maccaroni siciliani, la cui comparsa sulla mensa dell’Arciconfraternita romana rimanda alla formazione di un « gusto nazionale » e alla permeabilità delle frontiere gastronomiche regionali in una città che si faceva patria communis anche dal punto di vista gastronomico27. Quanto ai maccaroni, essi rimandano al successo e al consumo settecentesco, che fece dire ad un francese seduto alla stessa tavola di Goldoni : « Voi date la zuppa a un italiano ? Ma gli italiani non mangiano che maccheroni, maccheroni, maccheroni »28. Una grande varietà di pesci di mare e di fiume forniva, insieme ad insalate e ortaggi, un consistente apporto allo schema gastronomico approntato dagli scalchi. Ciò certamente per ragioni di facile reperibilità sul mercato romano del porto di Ripa, ma anche perché – simbolo di Cristo nell’iconografia delle origini – « la Santa Chiesa li destinò per cibi quadragesimali, conoscendoli atti a reprimere i bollori dell’humana fragilità »29. Inoltre, le modificazioni del gusto intervenute nel corso dei secoli dell’età moderna, avevano garantito al pesce la predilezione dei palati dei ceti alti, che ne apprezzavano il sapore più delicato rispetto ad altri cibi, come la carne. Non a caso, infatti, Bartolomeo Scappi aveva inserito nel menu allestito in occasione della visita romana di Carlo V nel 1536 una serie di piatti di pesce, tra cui il filetto di tonno o tarantello, divenuto da allora in poi molto in voga30. Consegnato alla memoria da Felice Coppetelli, l’elenco delle vivande di pesce comprende zuppe di telline e di code di gamberi, di ostriche e gamberi, tarantello con crostini di caviale, ostriche con code di Martino (rana pescatrice), fritture di sarde e alici, squadrolini (pesce angelo, o squadra) in bianco, fravolini grossi (il luvaro calabrese o mucco siciliano) in ragù, merluzzi, triglie, cefali arrosto, in bianco e in agrodolce. Tra i cibi di credenza figurano poi i pesci conservati come il mosciame di tonno o il caviale di uova di storione, pescato nelle acque del Tevere o proveniente dal territorio di Comacchio di proprietà dello Stato della Chiesa ; quel caviae di cui Bartolomeo Scappi aveva rivelato tutti i segreti per conservarlo e proporlo ai commensali in una grande varietà di ricette31. Per la formazione di un « gusto nazionale », A. Capatti e M. Montanari (La cucina italiana, op. cit., p. 2532) che rimandano all’Arte del ben cucinare di Bartolomeo Stefani (Mantova, 1685), capocuoco di casa Gonzaga a Mantova, che utilizzò prodotti provenienti da tutta Italia. 28 Ibid., p. 67. 29 Antonio Latini, Lo scalco alla moderna, overo l’arte di ben disporre i conviti, con le regole più scelte di scalcheria, II, Napoli, 1694, p. 3. 30 June Di Schino, « Parola di pesce. Lo storione e il pescato sulla tavola rinascimentale di Bartolomeo Scappi cuoco segreto di papa Pio V », in Valdo D’Arienzo e Biagio Di Salvia (eds), Pesci, barche, pescatori nell’area mediterranea dal medioevo all’età contemporanea, Milano, Angeli, 2010, p. 538-570. 31 Bartolomeo Scappi, Opera di Bartolomeo Scappi dell’arte di cucinare, Venezia, 1610 (I, 1570), Per far caviale d’uova di storione, p. 75. 27
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Presenti sulla tavola delle Sacre Stimmate, forse in misura minore del pesce, erano le pietanze a base di carne, a conferma della già ricordata osservazione di Montaigne secondo cui la popolazione italiana faceva un uso minore di questo alimento rispetto alla francese, e a sostegno di una res coquinaria e di una trattatistica medica che ne scoraggiava l’abuso, dimostrandosi attenta a stabilire una gerarchia fra le varie specie animali : dai volatili adatti ai palati più fini, al maiale e alla pecora assegnati ai ceti popolari, passando per le diverse gradazioni di raffinatezza delle carni bovine32. Bilanciando l’utilizzo delle varie tipologie, gli scalchi approntarono per i loro ospiti rosti di piccione o di mongana (vacca), lessi di gallina o di vaccina, ragù di cosciotti di agnello con regaglie di piccione e animelle e – nel periodo primaverile – diversi piatti di carni ovine, come i coppiettoni di vaccina et agnello o le testicciole di capretto con guarnizione di cervelli. Una grande quantità di frattaglie e animelle in pasticcio o cucinate altrimenti, si alternano inoltre sulla tavola dei pellegrini, esibendo una varietà di preparazioni e definizioni di cui non sempre si è riusciti a rintracciare l’odierno corrispettivo. Infine, accanto alle carni inserite nei piatti da cocina, figurano gli insaccati – salumi, prosciutto, mortadella – serviti fra i cibi di credenza. Fra quest’ulimi vanno citati il parmigiano, (« invenzione » dei monaci medievali, prodotto in un territorio dello Stato della Chiesa, assegnato da Paolo III Farnese come ducato al figlio illegittimo Pier Luigi e rimasto ai suoi discendenti fino al 1731), e i prodotti vaccini dell’agro romano : ricotta, giuncata (formaggio fresco), provatura (mozzarella di bufala), capo di latte con butirro appassito, la cui apparizione sulla tavola delle Sacre Stimmate si concentra nei mesi primaverili. E’ probabile che i pellegrini si servissero del parmigiano a fine pasto perché dall’età rinascimentale la scienza culinaria aveva decretato che i formaggi stagionati e la frutta secca avevano il potere di « sigillare lo stomaco ». È quanto aveva sostenuto l’umanista Bartolomeo Sacchi (il Platina) nel trattato De honesta voluptate et valetudine (1494), in cui la competenza sui prodotti e la loro origine geografica si coniugava con la riflessione « sul ruolo che ciascuna vivanda può occupare nel sistema culinario dal punto di vista dietetico e conviviale »33. Rare volte le uova fanno la loro comparsa, anche se da altra documentazione ne risulta un considerevole impiego34, e così anche le fritture, come quel fritto di fette di pane dorato che fu servito la sera del 15 maggio alla Compagnia di Rovigno. Refezzioni e cene si chiudevano con frutti, insalate e frutta secca, del cui potere « sigillante » si è appena detto ; a volte nella lista dei cibi di credenza compaiono come dessert il bianco mangiare (una crema a base di latte di mandorla), pasticcetti, e « dolci e canditi », per lo più omaggio – ha cura di precisare Coppetelli – di aristocratici benefattori : R. Sarti, Vita di casa, op. cit., p. 198-201. A. Capatti e M. Montanari, La cucina italiana, op. cit., p. 14. 34 Cf. il ms. Entrata et uscita della Dispensa per l’Ospitio della Venerabile Arciconfraternita delle S. Stimmate… con il trattamento e consumo generale, e particolare fatta per ciascuna Compagnia ricevuta per l’Anno Santo 1725 (ASVR, Fondo Arciconfraternita delle SS. Stimmate di S. Francesco, vol. 191). Al’interno del volume il Ristretto delle robbe uscite dalla dispensa per servizio dell’ospizio, elencava le quantità di tutti gli ingredienti utilizzati per la preparazione delle vivande, facendo emergere la quantità di prodotti « occulti » utilizzati nella preparazione delle pietanze. 32 33
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atto di generosità che sottolinea la disposizione d’animo dei più fortumati nella scala sociale in occasione della festa giubilare, ma anche allusione ad una civiltà delle buone maniere per la quale « la corte dei grandi è Scuola, ove alla pratica si riduce, quanto si può apprendere, ove gl’intelletti si raffinano, ove in fine con la virtù risplende l’honore »35. Un’ultima cenno va fatto, prima di concludere, all’attenzione che i confratelli delle Stimmate riservarono alle devozioni dei loro ospiti nel predisporre l’offerta alimentare. Negli Avvertimenti alli fratelli maggiordomo, maestro di casa e scalchi è infatti scritto : « Quando le compagnie forastiere vengono dallo Stato Veneto si deve avvertire, che alloggiando nel nostro ospizio il giorno di martedì sogliono la maggior parte mangiare di magro, atteso la devozione di sant’Antonio di Padova, e quando vengono dal Regno di Napoli avvertire che incontrandosi in giorno di mercoledì sogliono fare il digiuno della Santissima Vergine del Carmelo ». E, dando prova di un’oculatezza degna dei trattati di œconomica, proseguiva : « Ciò si dice per non causare spesa doppia, dovendosi doppo fare la spesa di grasso, farla di nuovo di magro, e sperciò dovrà il fratello maggiordomo sapere se quanti magiano di magro e quanti di grasso, ad effetto di poter provedere il puro bisognevole e non il superfluo »36. Il modello di convivialità proposto dall’arciconfraternita delle Sacre Stimmate nel corso del giubileo del 1725 racchiude in sé diverse componenti : la parca mensa propria dei regimi espiatori di magro, la cucina della festa rallegrata da alimenti eccezionali, la generosità e carità da esercitare verso quani si trovano in terra straniera, la magnificenza aristocratica e della città del papa, la parsimonia nel gestire le spese evitando gli sprechi e infine la necessaria politesse che dev’essere praticata sia dagli ospitanti che dagli ospitati. Si tratta di un modello a commento del quale si può ricorrere alla riflessione di Jean-Baptiste De La Salle : « C’est une chose surprenante – scrisse il fondatore dei Fratelli delle scuole cristiane vissuto all’alba del XVIII secolo – que la plupart des Chrétiens ne regardent la Bienséance et la Civilité que comme une qualité purement humaine et mondaine et que ne pensant pas à élever leur esprit plus haut, ils ne la considèrent pas comme une vertu qui a rapport à Dieu, au prochain et à nous même »37. Sara Cabibbo Università di Roma Tre
35 Bartolomeo Stefani, L’arte di ben cucinare et istruire i men periti in questa lodevole professione dove anco s’insegna a far pasticci, sapori, salse, gelatine, torte et altro di Bartolomeo Stefani, cuoco di S.A.S. di Mantova, in quest’ultima impressione con nuova aggionta, Venezia, 1685 (I, 1662), Ai Lettori (s.p.). 36 Relazione, f. 66vo. Sull’importanza dei culti e delle devozioni nell’universo confraternale, cf. Alessandro Serra, « Confraternite e culti nella Roma del Sei e Settecento », in René Millar e Roberto Rusconi (eds), Devozioni, pratiche e immaginrio religioso, Roma, Viella, 2011, p. 45-82. 37 Jean-Baptiste de La Salle, « Les règles de la Bienséance et de la Civilité chrétienne », Préface. Cito dalla ristampa anastatica dell’edizione del 1703, Cahiers lassalliens, no 19, 1964.
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Une dévotion au siècle des Lumières : Marie « divine bergère »* La culture baroque de la prière et de la piété s’exprime par des formes différentes, par des dévotions anciennes souvent renouvelées, par des dévotions nouvelles. Tel est le cas pour la dévotion à Marie sous le titre de « divina pastora » (divine bergère) : une dévotion dont les prolongements sont visibles encore aujourd’hui, notamment au Nouveau Monde dans les pays de langue espagnole. Cette dévotion, bien que d’empreinte baroque, remonte non pas au xviie, mais au tout début du xviiie siècle. Les historiens ont bien montré la continuité au cours du xviiie siècle, jusqu’à la moitié et parfois même au-delà, d’une mentalité en évolution mais sans une rupture radicale avec le passé, au contraire. La volonté même de purifier et régler la dévotion, c’est le cas pour Lodovico Antonio Muratori et son œuvre sur la « Véritable dévotion des chrétiens », atteste ces persistances. À propos de la dévotion qui nous intéresse, il faut avant tout en mentionner les origines. La littérature sur le sujet relate souvent qu’un capucin espagnol, Isidore de Séville (1662-1750), en 1703, étant à la recherche d’une image nouvelle de Marie, eut en rêve une sorte de révélation divine qui lui aurait suggéré de représenter la Vierge comme « divina pastora ». En réalité, ce qu’écrit Isidore montre que le capucin visait à « inventer » une image de dévotion pour la représenter sur un étendard, utilisable dans les missions aussi ; cette image était censée devenir un symbole efficace de la prédication capucine, il s’agit donc d’une stratégie de communication, destinée à la prédication « a las calles y plazas » : bien qu’évidemment il y reconnaisse une inspiration divine1. L’image, tout comme la dévotion, présente des aspects de nouveauté. Elena Serrano Bertos a pourtant remarqué que les capucins ont sacralisé, selon un procédé très commun et très efficace, « ingredientes que estaban presentes en la lírica tradicional desde hacía ya mucho tiempo »2. Les fondements remontent à des textes littéraires : textes bibliques * Il s’agit d’un des derniers textes de Paola Vismara, décédée en 2015. 1 Isidore de Séville, La fuente de Pastoras. Sermón del origen de la imagen de Nra Sra la Pastora, Sevilla, Francisco Sánchez, 1722, cité par Lisa Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings and the Late Baroque Culture of Prayer in Seville, New York, New York University, 2007, p. 296. Pour les références à la tradition franciscaine (Antonin de Florence), voir supra note 4. 2 Elena Serrano Bertos, Eugenio de Potríes, traductor de literatura sacro-pastoril, dans Antonio Bueno García et Miguel Ángel Vega Cernuda (éd.), Lingua, cultura e discorso nella traduzione dei francescani, Perugia, Università per Stranieri di Perugia, 2011, p. 313-332 (p. 323-324). Catholicisme, culture et société aux Temps modernes,Textes réunis par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, ELSEM 6 (Turnhout: Brepols, 2018), p. 313-325 F H G DOI : 10.1484/M.ELSEM-EB.5.115090
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(les Psaumes, le Cantique des Cantiques, le bon Pasteur de l’évangile…), pétrarquisme italien, tradition lyrique de Castille3. Il faut ajouter que l’image de Marie comme bergère était présente dans les écrits de saint Antonin de Florence, et là est la source première où Isidore puise son idée, et la mentionne d’une manière très précise : donc une nouveauté qui a ses racines dans le passé4. Si on suit la description préparée par Isidore pour qui aurait dû peindre l’image, ce qui caractérise la figure de Marie c’est le fait qu’elle est habillée en bergère : elle porte un chapeau à larges bords, caractéristique du monde rural, une veste de berger (pellico), et a dans sa main un bâton. La description montre aussi le paysage de contexte : les brebis, un arbre, les champs, des roses (qui représentent symboliquement les Ave Maria). La Vierge est assise sur un petit rocher, au centre de ce paysage. Sur le fond, il y a saint Michel archange, qui, par son épée flamboyante, éloigne le loup de la brebis qui a quitté son troupeau, la « brebis perdue » de l’Évangile, qui demande la protection de la Vierge par l’invocation « Ave Maria ». Deux anges s’apprêtent à couronner Marie, bergère et reine5. Un contexte donc où la figure du Christ bon Pasteur est transposée au féminin, encore plus douce, dans un paysage arcadique, ce qui pouvait correspondre au goût de l’époque. Remarquons aussi l’importance croissante que la figure féminine était en train d’assumer du point de vue religieux, à commencer par les mères de famille : Marie se présente ici comme la mère des brebis que le Christ lui a confiées, la mère de tous les fidèles, et donc finalement la mère de l’Église. Isidore de Séville dit que l’image qu’il avait fait peindre était « tan sumamente devota, que solo el mirarla, enternece aún los más duros corazones »6 : une dévotion douce et apaisante. Bien que le symbolisme soit assez complexe, il s’agit d’une allégorie religieuse captivante. Marie se présente donc comme la « divina pastora des las almas », tout comme son Fils, qui est, lui, le Divin Pasteur. Le Fils a confié lui-même ses brebis à sa mère, à laquelle les âmes peuvent s’adresser avec confiance et avec laquelle ils doivent établir un lien très étroit, d’amour et d’attachement. À Séville, à cette époque, la culture religieuse se présentait en continuité avec le passé ; de même les formes du goût. Voilà donc les raisons pour lesquelles on s’adressa aux disciples de Murillo, qui était mort en 1682, pour la représentation de la Divina pastora. Il faut remarquer que les capucins de Séville « turned to Murillo’s followers to create an archetypal and authoritative image of the Virgin as a shepherdess to attract devotees to her Cult ». Évidemment, à la différence d’autres sujets, le modèle n’existait pas chez Murillo, mais les exigences des commanditaires et l’importance de cette tradition picturale et dévotionnelle Benito Arias Montano en est un illustre représentant, mais Juan de Ávila, Luis de León, Juan de la Cruz sont aussi mentionnés, dans le contexte de l’orientation tridentine qui postule un art de propagande au service de la foi (ibid., p. 317-319). 4 Antonino Pierozzi da Firenze (Summa, p. IV, tit. 15, cap. 45) est cité à propos de l’attribution à Marie du titre de Divina pastora (ou pour mieux dire comme Pastor bonus), par ex. par F. Lorente, Historia panegyrica de la aparicion y milagros de Maria Santissima del Tremedal, Zaragoza, por Joseph Fort, 1766 ; mais c’est Isidore de Séville lui-même qui y fait référence dans La Fuente de Pastoras, cité par L. Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings, op. cit., p. 296 n. 5 La couronne et les roses évoquent aussi la dévotion du Rosaire. 6 Cité par L. Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings, op. cit., p. 297 n. 3
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imposèrent en Espagne un modèle sur le style de ce grand peintre7. Lisa Dufy-Zeballos a étudié l’évolution de l’image de la divine bergère chez Alonso Miguel de Tovar, Bernardo Llorente Germán et Domingo Martínez, « whose various paintings of the subject illustrate the impact of the Murillos’s daunting legacy on the eve of the Spanish Enlightenment »8. La dévotion connut un essor impressionnant, avant tout en Espagne. José Vicente Ciurana Viguer, qui a consacré au sujet un ouvrage très documenté à propos de Valencia, parle de « expansión fulgurante de esta advocación mariana, traducida en unas prácticas devocionales concretas […] y en una iconografía específica »9. La multiplication des images permet de constater une certaine variété, sur une base commune, qui rend le sujet reconnaissable à première vue. Mais les variantes ne sont pas toujours dues au hasard, au contraire : on peut remarquer par exemple une atténuation ou la disparition des références au Rosaire, et, au contraire, une mise en évidence du thème de l’Immaculée Conception10. Vers 1740 fait son apparition l’enfant Jésus dans les bras de sa mère, ce qui montre aussi le rôle maternel de Marie comme bergère du Christ-agneau : en quelque sorte, on imprime une direction nouvelle à la dévotion interprétée comme « Marie mère du bon Pasteur ». Mais cette iconographie ne recueillit pas le consensus d’Isidore de Séville, qui n’hésita pas à exprimer ses sentiments de mécontentement et de désapprobation11. Plusieurs savants qui se sont occupés du phénomène ont concentré leur attention sur l’iconographie, qui atteste d’une manière efficace la diffusion du culte et ses variantes. En fait, il ne faut pas oublier les confréries12, les médailles, les indulgences13, les chants et les cantiques14, les neuvaines, les rosaires particuliers, les processions, et toutes ces pratiques de piété qui souvent ont constitué jusqu’à aujourd’hui le support de la dévotion. Remarquons que les confréries sont à l’origine d’un grand développement de la dévotion, appuyé par l’organisation de processions, tout comme par les images, souvent des tableaux de bon niveau, ce que la richesse des confréries mêmes permettait de commander. L’adhésion du souverain Felipe V à une « Hermandad » de la divina pastora’ et le soutien de la noblesse ne firent qu’augmenter la fortune de cette dévotion. Un catalogue tout à fait impressionnant de cette diffusion à tache d’huile de la dévotion à Valencia et dans cette zone a été dressé par Ciurana et permet, bien que dans un Ibid., p. 295. Ibid., p. 295-296. 9 José Vicente Ciurana Viguer, La Divina Pastora y la Provincia Capuchina de Valencia, Valencia, Editorial el Propagador TAM, 2003, p. 25. 10 L. Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings, op. cit., p. 304 sqq. 11 Ibid., p. 309-310. 12 Approuvées par Rome : voir par ex. J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 33 sq. 13 Une image gravée à Saragosse (fin xviiie-début xixe siècle) avec une indulgence de 1000 jours pour qui récite un Ave ou un Salve Regina est mentionnée par Luis Roy Sinusía, El grabado zaragozano de los siglos XVIII y XIX, Zaragoza, Universidad de Zaragoza, 2003, p. 436. 14 Très simples et populaires même dans leurs formes littéraires : notamment des cantiques que l’on pouvait apprendre par cœur. Mais aussi, par ex, ce drame allégorique en musique : La Pastora Divina, que habiendosele descarriado una oveja de su amado rebaño, va solícita en busca de ella para atraherla de nuevo a su santa grey, con el mas tierno amor y compasión : drama alegórico-musico, dia 18 de diciembre, año 1799. 7 8
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espace limité, de se rendre compte de tous les aspects de la question et du développement de la dévotion qui ne s’arrête pas au xviiie siècle, mais connaît des nouveautés au xixe. Un phénomène très intéressant, qui affecte cette dévotion dès la seconde moitié du xviii siècle, est le fait que les images de la Divina pastora ne sont pas seulement transportées dans des processions plus ou moins grandioses, mais que Marie, sous ce titre, entreprend ce qu’on appelle la « visita domiciliaria »15. Il s’agit de la pratique de porter l’image dans les maisons, tour à tour, où l’on préparait un petit autel ; le voisinage s’y rendait pour chanter et prier. Cette pratique s’est souvent conservée jusqu’au xxe siècle et parfois jusqu’à nos jours. En France elle est attestée dès les années 1820, inaugurée par le père capucin Eugenio de Potries, qui avait dû quitter l’Espagne en 182216. e
Ciurana décrit les pratiques de cette visite et en mentionne plusieurs chants, dont, par exemple, le suivant, qui, tout en ayant son origine au xviiie siècle, était encore chanté au début du xxe : Salve, Pastora querida, / cuya caridad te mueve, / dejando noventa y nueve / buscar la oveja perdida. / Salve, fuente de la vida, / Salve, bellisima aurora, / porque en la última hora/ de su vida, el sumo Rey, / de toda la humana grey, / te constituyó Pastora17.
On retrouve souvent l’idée que Jésus, en confiant Jean à Marie au pied de la croix, a confié à sa mère, avec l’apôtre, toutes ses brebis18. Selon la tradition, Marie aurait promis au capucin Isidore de Séville que la diffusion de cette dévotion l’aurait aidé dans son œuvre d’apostolat : mais cet élément s’affirme seulement à la fin du xviie siècle avec Diego José de Cádiz, un missionnaire de renom19. La mission était l’occasion pour propager la dévotion. La divine bergère devint la patronne des missions des capucins. Voilà un passage d’un cantique qui manifeste la vocation missionnaire de la Divina pastora : « Adios mis ovejas. / Yo me voy que importa / salvar las perdidas / por tierras remotas » ; mais elle n’oublie pas les autres et apporte avec soi qui veut rester dans son sein, « del redil cristiano las almas devotas »20. Suivant la présence des capucins et des franciscains, la dévotion triomphe au Nouveau Monde. En effet les membres de ces ordres en Amérique latine donnèrent une J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 53-64. Ibid., p. 131s et 136. 17 Ibid., p. 62. 18 À titre d’exemple : Fermín de Alcaraz, La Divina Pastora o sea El Rebaño del Buen Pastor Jesucristo guiado, custodiado y pacentado por su Divina Madre, Madrid, Imprenta de Leonardo Nuñez, 1831, p. 25-26 et passim. On trouve cette idée aussi dans les petits livres de prière diffusés par Eugenio de Potríes (J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 149). 19 L. Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings, op. cit., p. 297. Sur Diego de Cádiz (1743-1801) : Sebastian de Ubrique, Vida del Beato Diego José de Cádiz Misionero Apostólico Capuchino, 2 vol., Sevilla, Imp. de la Divina Pastora, 1926 ; Fernando Durán López, Tres autobiografías religiosas españolas del siglo XVIII, Cádiz, Servicio de Publicaciones de la UCA, 2002, chap. iii, p. 121-192 ; Juan B. de Ardales, La Divina Pastora y el beato Diego José de Cádiz. Estudio histórico, Sevilla, Imp. de la Divina Pastora, 1949. 20 Ibid., p. 64. Voir aussi : Corona de la divina pastora de las almas Maria santísima patrona de las misiones de Padres capuchinos de Valencia, Valencia, por la Viuda de Agustin Laborda, 1817. 15 16
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grande impulsion à la dévotion, qui eut un succès extraordinaire, jusqu’à aujourd’hui. On trouve les représentations de la divine bergère un peu partout dans les pays de l’Amérique latine, Brésil compris21. Remarquons que les représentations ne se trouvaient pas seulement dans les petites églises des missions, mais étaient transportées au cours des prédications itinérantes : il s’agissait de rouleaux peints22, sur le modèle en vigueur en Europe aussi, par exemple les taolennoù des missionnaires en Bretagne. Les différents sens que cette dévotion pouvait assumer chez les indios, dans une sorte de métissage dévot, ont été mis en relief pour les missions de l’Alta California23. Mais on peut retrouver cette dévotion en dehors des pays de langue espagnole, en France, en Italie et ailleurs. L’œuvre des capucins, des franciscains, des alcantarins, est ici fondamentale. Un cas retentissant et significatif, qui illustre manifestement les voies de diffusion de cette dévotion, est celui de Maria Francesca delle Cinque Piaghe, une sainte très vénérée encore aujourd’hui, notamment à cause de la tradition qui fait d’elle la patronne des femmes stériles. La coutume est encore en vigueur selon laquelle les femmes qui aspirent à tomber enceintes sans y réussir se rendent à Naples, dans la petite chapelle-couvent près d’où elle habitait, et s’assoient sur la chaise de la sainte pour prier et en invoquer la protection. Maria Francesca, au siècle Anna Maria Gallo, née à Naples en 1715, y mourut en 179124 : sa vie se déroule donc tout le long du siècle des Lumières. Elle appartenait au Tiers ordre franciscain sous la règle de saint Pierre d’Alcantara, qui était le fondateur des frères mineurs déchaussés, autrement dits alcantarins et qui avait été canonisé en 1669. Anna Maria choisit le nom de Maria Francesca delle Cinque Piaghe, par lequel elle est connue. On l’appelait aussi, à Naples, la « santarella dei quartieri spagnoli »25 : bien plus qu’à sa famille, elle était liée au territoire. Sa sensibilité pour les dévotions baroques est attestée par la « familiarité » J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 359-362 ; Ximena Elizabeth Armstrong, Sor Catalina de Jesús María Herrera : visionaria teresiana de Quito colonial (siglo XVIII), Universidad Técnica Particular de Loja, 2000, p. 11 ; David Rex Galindo, Propaganda fide. Training Franciscan Missionaries in New Spain, PhD Diss. Southern Methodist University, 2010 ; Alessia Frassani, The Church and Convento of Santo Domingo Yanhuitlan, Oaxaca. Art, Politics, and Religion in a Mixtec Village, Sixteenth Through Eighteenth Centuries, New York, The City University of New York, 2009 ; Suzanne Stratton-Pruitt, The Virgin, Saints and Angels. South American Paintings 1600-1825, Milano-Stanford, Skira-I. & B. Gerald Cantor Center for Visual Arts, 2006, notamment aux p. 172-174. La dévotion à Barquisimeto (Venezuela) est encore très vive et pratiquée aujourd’hui. Les capucins venant d’Espagne l’avaient apportée au Venezuela par la prédication et les missions populaires, entre 1706 et 1710. 22 Pamela Jill Huckins, Art in the Alta California Mission Churches, 1769-ca.1834, PhD Diss. New York University, 2011, p. 211 et plates 3.93-3.94. 23 Ibid., p. 214-215. Le texte présente les données relatives aux images conservées ou à celles dont on possède l’attestation pour la période considérée. 24 Della vita e opere sante della ven. serva di Dio suor Maria Francesca delle Cinque Piaghe, Roma, presso Vincenzo Poggioli, 1809 ; Bernardo Laviosa, Vita della venerabile serva di Dio, Suor Ma. Francesca delle Cinque Piaghe, Pisa, per R. Prosperi stampatore arcivescovile, 1805 ; D. Ambrasi, « Maria Francesca delle Cinque piaghe : una santa della Restaurazione », La santa dei quartieri. Aspetti della vita religiosa a Napoli nel Settecento. Campania Sacra, no 22, 1991, p. 159-284. 25 À propos de sa fonction de modèle : Vittoria Fiorelli, Cupio dissolvi. Destini di donne tra profetismo e ascesi monastica, dans Giuseppe Galasso et Adriana Valerio (éd.), Donne e religione a Napoli. Secoli XVI-XVIII, Milan, F. Angeli, 2001, p. 210-237, en particulier p. 230-237. 21
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qu’elle déclare entretenir avec son ange gardien ou par sa dévotion aux âmes du Purgatoire ; elle pratiquait aussi la fréquente communion. « Monaca di casa », bien que contrariée par son père, elle était soutenue dans son parcours religieux et dévotionnel par sa mère ; à sa mort, désormais privée de toute défense, elle fut obligée d’abandonner la maison paternelle. Après avoir surmonté beaucoup d’adversités et après un séjour dans un conservatoire, elle choisit de continuer à vivre comme « monaca di casa » avec une autre femme qui avait fait le même choix. Dans les biographies de Maria Francesca, selon les schémas hagiographiques des causes de béatification, on analyse ses vertus. Au sujet de la vertu de la charité, il y a des considérations sur l’amour de Dieu : à ce propos, on traite aussi de sa profonde dévotion mariale. Ses pratiques consistaient notamment dans la récitation quotidienne du rosaire, des litanies et d’autres prières mariales ; tous les samedis, jour consacré à Marie, elle faisait abstinence et autres mortifications. Les fêtes mariales étaient pour elle toujours précédées par une neuvaine et célébrées avec une dévotion particulière. Sa devise était « Raccomandatevi fortemente a Mamma Maria, che avrete da Dio ogni grazia »26 : elle en était si convaincue qu’elle réussit, selon les biographes, à guérir par l’intercession de Marie, qu’elle invoquait, des gens affectés de maladies très graves. La dévotion à Marie s’effectue notamment sous le titre de Divina pastora, auquel allait la faveur des alcantarins27. Dans les biographies de Pedro d’Alcantara cette dévotion est attestée. S’il lui fallait quitter pendant un certain temps ses fidèles, il confiait son troupeau à la Divina pastora. On relate un épisode relatif à une nuit de Noël où il neigeait et : [ses confrères étaient] tenaillés par le froid et la faim. Pedro adressa ses prières les plus ferventes à la Divina pastora : à l’heure de la messe du matin, on trouva devant la porte deux gros paniers qui contenaient du pain et des mets. Mais sur la neige il n’y avait aucune empreinte28.
Selon les biographes de Maria Francesca, cette dévotion n’était pas encore connue en Italie et elle en fut « la principalissima propagatrice ». L’action de Maria Francesca aurait donc permis de la divulguer, non seulement dans le Royaume de Naples : les évêques de la Toscane, par exemple, en auraient demandé et obtenu l’approbation29. En fait, l’initiative fut prise en premier lieu par son directeur spirituel, le père alcantarin Salvatore di Santa Maria. À la suite de flagellations particulièrement violentes – symptôme d’une religiosité encore profondément baroque – les hémorragies ne s’arrêtaient pas. Padre Salvatore lui apporta une image mariale qui représentait la Divina pastora et lui imposa de la mettre avec foi pendant la nuit, là où les pertes de sang étaient plus fortes. Cette pratique provoqua une guérison immédiate et mit en mouvement le développement de la dévotion. Della vita e opere sante, op. cit., p. 170. Non seulement les religieux de règle franciscaine, mais d’autres aussi se montrèrent sensibles à ce titre marial, qu’ils entrelaçaient avec leurs propres dévotions, même avant l’action d’Isidore de Séville. Voir par exemple I. A. Serra, Libre de miracles de nostra Senyora del Carme, Gerona, Geronym Palol, 1701, p. 132. 28 Diego de Madrid, Vida admirable del phenix seraphico y redivivo Francisco, San Pedro de Alcantara, Madrid, En la Oficina de Manuel Martin, 1765, p. 255 et 269-270. 29 Della vita e opere sante, op. cit., p. 174 et 172. 26 27
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Padre Salvatore conserva soigneusement l’image qui avait « fait le miracle ». Dès ce moment, dit-on, l’image émanait une « odeur de Paradis », ce qui évoque en même temps le parfum de l’immortalité et l’odeur de sainteté. Le père en faisait usage dans des buts thaumaturgiques, mais finalement il en fit don à un personnage noble de Gênes. Le lien avec le monde et la culture religieuse espagnole est immédiatement évident. Le père alcantarin avait reçu vers 1742, de la part de ses confrères espagnols, cette image de la Divina pastora, un titre en effet encore inconnu en Italie mais qui avait, comme on l’a vu, un grand succès en Espagne. Les sources relatent une description de l’image, d’une manière très détaillée, ce qui permet de remarquer similitudes et différences par rapport à l’original. Marie est habillée en bergère, sur le fond l’archange fait fuir le loup infernal qui porte atteinte à la vie des brebis. Mais les brebis sont rattachées par des chaînes à Marie, qui a dans ses bras l’enfant Jésus. Les chaînes indiquent un lien de soumission et d’amour, un lien entre l’âme de Marie et celle de ses brebis30. Maria Francesca affirme que, une fois connue la dévotion, pendant ses prières Marie en personne lui aurait signifié qu’elle se réjouissait d’être vénérée sous ce titre. Le religieux alcantarin donc s’empressa « di far venire dalla Spagna altre immagini, medaglie, catenelle, libretti e novenari »31. Tous les deux s’engagèrent dans l’œuvre de propagation de la nouvelle dévotion. Selon un topos habituel, les sources donnent un certain relief aux obstacles que la dévotion à la Divina pastora rencontra à son début. Une certaine méfiance se manifesta, mais, dit-on, l’action des dévots permit bientôt de la surmonter. Tableaux et statues, chapelles et autels, se multiplièrent rapidement dans le Royaume. Comme il arrive habituellement, on constate une sorte de circularité : l’accroissement de la dévotion provoqua aussi plusieurs déclarations de grâce reçue, ce qui à son tour provoqua ultérieurement la diffusion de la renommée de la nouvelle dévotion. Selon les biographes, Maria Francesca, au moment où elle se consacra à la Divina pastora, tomba en extase. Elle aurait été guérie plusieurs fois par la force de l’image. Il n’y aurait pas seulement la fin de l’hémorragie provoquée par la discipline auto-infligée. Elle était affectée par le « mal de la pierre », dont elle souffrait horriblement, malgré les invocations à la Divina pastora. Une nuit de souffrance, ses invocations redoublèrent et une image de la divine bergère fut mise à contact par elle avec l’endroit douloureux. Cela provoqua une sorte de coup violent qui permit d’expulser un calcul de dimensions incroyables, fragmenté en sept ou huit morceaux ; s’ensuivit une complète guérison. Maria Francesca utilisait aussi l’image en fonction anti-diabolique ; elle faisait recours à l’invocation à la Divina pastora et en appliquait une image sur son front quand les tentations sévissaient et sa vie spirituelle devenait aride. Les sources donnent un grand relief à cette fonction de la dévotion, qui était en fait présente dans l’iconographie complète, dans laquelle saint Michel combat le diable qui veut attaquer la brebis.
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Ibid., p. 174. Ibid., p. 173.
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La fonction anti-diabolique de l’image est attestée aussi dans le cas d’agonisants qui souffraient des tentations. Les prières de Maria Francesca et l’application de l’image les protégeaient des assauts du Malin. La pratique des prières pour les mourants par le recours à la Divina pastora n’est pas originale, mais en général on ne fait pas mention de cette pratique d’application de l’image. José de Rafelbuñol32, à propos de Valencia, dit que, si un confrère est malade, les autres se rendent chez lui et chantent une oraison « de los enfermos ; de que se han experimentado innumerables prodigiosos efectos. Si està muribundo, se celebra misa de agonizantes en el altar de la Divina pastora »33. Ce qu’il faut remarquer dans le cas napolitain, c’est une matérialité récurrente : il ne suffit pas de prier, il faut un contact avec l’image, que généralement on pose sur le corps. Il s’agit de formes de dévotion et de rapport avec le surnaturel qui remontent à un passé reculé, avec lesquelles à cette époque en quelques milieux, on commençait à prendre ses distances. Parmi les miracles attribués à l’intercession de Marie sous le titre de Divina pastora il y en a un qui, sans avoir un destinataire, témoigne seulement de la volonté de Marie d’être vénérée toujours plus sous ce titre : le but en est l’accroissement de la renommée et de la dévotion. On peut expliquer de cette façon, qui n’est pas inhabituelle, l’épisode « miraculeux » au cours duquel Padre Salvatore, par l’intermédiaire des prières de Maria Francesca, obtient le montant des frais nécessaires pour une gravure en cuivre de la divine bergère. La décision avait été prise afin d’éviter de se procurer en Espagne les images, ce qui comportait des frais et des difficultés remarquables ; mais finalement le père alcantarin ne possédait pas l’argent nécessaire pour payer son créditeur. On dit que, après avoir prié, Maria Francesca trouva par hasard l’argent qu’il fallait exactement, ni plus ni moins. Les témoignages rendus pendant le procès de béatification à propos de la dévotion mariale de Maria Francesca sont nombreux et très circonstanciés, souvent de visu. Les témoins sont considérés dignes de foi : des hommes mûrs, souvent des religieux, des femmes qui avaient été très proches d’elle. Tous sont d’accord à propos de la profondeur des sentiments de la femme envers Marie et dans la description des nombreuses pratiques de piété, auxquelles on a fait allusion. Je ne m’arrête pas sur la question en général, mais vais donner quelques précisions essentiellement à propos de la dévotion spécifique à la Divina pastora. Les témoignages ne sont jamais contradictoires et manifestent au contraire une certaine uniformité. Nombreux sont les témoins selon lesquels Maria Francesca gardait dans sa chambre une image de la Divina pastora (parmi d’autres images de Marie) et manifestait une grande ferveur pour la diffusion de la dévotion. On dit que « a sua premura si eressero varie cappelle ed altari in diverse chiese di questa città ; per l’istessa divozione soleva spargere ai divoti le figure della Divina pastora »34 ; la démarche de padre Salvatore pour faire graver un cuivre avec l’image 1728-1809. Sur son action : J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., notamment p. 68-115. Cité ibid., p. 33. 34 Beatificationis et canonizationis ven. Mariae Franciscae […] Nova Positio super virtutibus, Romae, Ex Typographia Rev. Camerae Apostolicae, 1827, p. 31. 32 33
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aurait eu son origine dans un ordre de Maria Francesca. Des détails ultérieurs sont apportés par deux témoins. Une tertiaire alcantarine, Maria Felice della Passione, affirme que « questo di lei trasporto fece sì che molti divoti, tra i quali Marciano d’Amelio35, fecero incidere rami, far quadri, ed altre divozioni in onore della Divina pastora ». Et Pasquale Scriba : [Elle était dévote de la divine bergère] a segno tale da farne stampare delle innumerabili figure e libretti a spese di mio Padre per dispenzarle. Divozione che si dilatò per la di lei opera : di fatti in varie chiese si fissò tal divozione. Così nella chiesa di S. Marco a Nilo, a Gesù novo, ed a Santa Caterina a Chiaja di Napoli, situandosi in dette chiese o de’quadri o delle statue sotto detto titolo. So che rispondeva alla gente che a lei si racomandava : « Abbiate fede e siate devoti di Maria Santissima, e specialmente sotto il titolo della Divina pastora » : divozione, che si propagò per il Regno ancora36.
On trouve en effet des traces de la dévotion en Campanie (Aversa, par ex.), Calabre (Piminoro di Oppido Mamertina, Reggio Calabria…), mais aussi dans les États pontificaux (à Fermo, Macerata, Cingoli, Tolentino…). Des gravures sur le sujet apparaissent à Lucques dès 1823, en raison du rapport d’amitié qui liait Eugenio de Potríes à Maria Luisa di Borbone, duchesse de Lucques. Luimême, il relate : « Madame la duchesse de Lucques, sœur du roi Ferdinand VII, m’accueillit avec une touchante bonté, et elle ordonna à son graveur de faire une planche de l’image de la Vierge, et plusieurs cantiques en italien et en français. Une grande quantité de ces gravures a été distribuée dans les deux pays »37. On a déjà fait mention de la Toscane au xviiie siècle. La diffusion de la dévotion en Toscane au xviiie siècle est attestée aussi par la préoccupation de l’Inquisiteur du Saint-Office de Florence, qui écrit à Rome pour dénoncer un livre sur le sujet38. Ciurana dans son texte fait une récolte remarquable de quantité de textes et d’images consacrés à la divine bergère. On peut y remarquer par exemple, pour la Toscane, l’existence d’une confrérie à Pise sous ce titre, fondée en 1807 dans l’église de Saint-Joseph. Le texte de la neuvaine pourtant est conservé en français, publié à Marseille en 1824. Dans ce petit livre l’auteur renseigne le lecteur sur l’origine et la diffusion de cette dévotion dans plusieurs pays, 35 Sa dévotion est aussi attestée par la publication suivante : Fr. Eugenio di S. Giuseppe, Novena della divina, e sovrana Maria signora nostra. Epilogando nel titolo di Pastora le nove festività di questa regina di tutte le creature, fatta ristampare a divozione del sig. Marciano d’Amelio, Naples, per il Severini, 1749. À propos des accuses de la femme de D’Amelio contre Maria Francesca : V. Fiorelli, Cupio dissolvi, op. cit., p. 236-237 et D. Ambrasi, Maria Francesca, op. cit., passim. 36 Nova Positio super virtutibus, p. 157. 37 Cité par J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 120, 136, 301. Aux p. 300 sqq. sont reproduites des gravures italiennes et françaises du xixe siècle, liées à l’action et aux œuvres de Eugenio de Potríes. 38 Archivio della Congregazione per la Dottrina della Fede, Tituli Librorum (Tit. libr.) 1746-1758 n. 36. Florence. Lettre de l’inquisiteur Paolo Antonio Agelli, O.F.M. Conv., qui envoie la préface d’un ouvrage sur La divina pastora, écrit par un chanoine de Empoli ; à l’intérieur il y a une chalcographie La Divina Pastora que se venera en el Convento Real de S. Gil de Madrid de PP. Fran.nos Descalzos. Florence, 29.12.1750-5.1.1751. Je remercie M. Daniel Ponziani de m’avoir signalé le document.
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mentionne les indulgences concédées, à ses dires, par Benoît XIV à qui récite un Ave ou un Salve Regina devant une image de la Divina pastora39, rappelle que Marie aurait révélé à une clarisse, Maria del Santísimo Sacramento, que cette dévotion aurait son terme seulement avec la fin des temps40. Ce qui est très intéressant est le but de la neuvaine : « Suivre un système constant de conduite chrétienne, aussi parfaite que possible, selon l’état où il a plu à la divine Providence de nous placer »41, ce qui montre une certaine continuité de la dévotion entre xviiie et xixe siècle au niveau de l’Espagne et de la France. L’idée de l’esclavage – que les chaînes signalent – n’est au centre ni de la naissance ni du développement général de la dévotion. Il faut ne pas oublier le cas de Parme, à cause de la présence des frères alcantarins42, ni celui de Gênes, où une association intitulée à la Divina pastora est attestée à la fin du xviiie siècle. La diffusion de la dévotion en France et en Italie au début du xixe siècle doit beaucoup à ce capucin espagnol, Eugenio de Potríes43 : il paraît que ce but a été fondamental dans sa vie et son action. Avant de passer en Italie, il se fit le propagateur de la dévotion en France, dans les alentours de Valence ou à Pézenas (Languedoc), en courant parfois des risques. Rentré en France après un séjour en Italie, on est au courant de sa présence à Cavaillon. Ses séjours en France se déroulèrent entre 1822 et 1853 et furent l’occasion de la fondation de trois couvents capucins ; il passa ses dernières années en Italie (1855-1866)44. En tout cas, il faut ne pas s’arrêter tout simplement à la présence du titre de divine bergère, qui apparaît dans des contextes assez différents. En fait, en France existait à Ancre, au diocèse d’Amiens, un culte de la Divine Bergère, antérieur et très spécifique, matériellement lié aux troupeaux et aux problèmes des bergers. La légende de fondation atteste parfaitement cette orientation tout à fait différente. Bien qu’un peu marginalement, Marie se présente comme celle qui défend le troupeau au sens propre du terme, tout comme en Espagne, dans la légende de fondation du sanctuaire de Nuestra Señora de Nieva, non loin de Segovia. Marie apparut à un berger qu’elle envoya deux fois chez l’évêque pour lui transmettre ses messages. Chaque fois, Marie prit sur soi la charge de garder le petit troupeau et fit même jaillir une source afin que les brebis aient la possibilité de s’abreuver. Pour cela Marie, dit-on, mérite le titre de Divine Bergère45.
Ibid., p. 146. Il s’agit évidemment de Benoît XIII. Le Bref, qui concerne plusieurs indulgences, est en effet du 23 août 1728. 40 J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 126 sq. 41 Cité ibid., p. 128. 42 Lorenzo Sartorio, La maestà della divina pastora del convento di S. Pietro d’Alcantara in Parma, Parma, Tipolito la Nazionale, 1992 ; la copie manuscrite d’une neuvaine en l’honneur de Marie divina pastora : Biblioteca Passerini Landi, Piacenza, http://cataloghistorici.bdi.sbn.it/. 43 1782-1866 Voir J. V. Ciurana Viguer, La Divina Pastora, op. cit., p. 120-159 et 300-312. 44 Ibid., p. 144 et 302. 45 Juan de Villafañe, Compendio historico, en que se da noticia de las milagrosas y devotas imagenes de Maria Santissima, Madrid, En la Imprenta y Librerìa de Manuel Fernandez, 1740 ; l’auteur est un jésuite. 39
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Plus proche de l’idée de la Divina pastora, mais avec des accents différents, on peut mentionner un passage qui concerne la Vierge de la Salette. À ce propos, l’abbé Curicque évoque l’image authentique de la divine bergère : C’est moins la souveraine du monde que l’humble servante du Seigneur, et le refuge des pécheurs qui vient courir après la brebis égarée et l’arracher aux vengeances célestes de jour en jour plus menaçantes : larmes, prières, remontrances, révélation des calamités futures, la divine bergère n’épargne rien pour nous rattacher à sa houlette bénie46.
C’est donc une présentation de la divine bergère sous un jour assez différent, dans un contexte presque apocalyptique, où Dieu même menace les brebis à cause de leur méchanceté et désobéissance47. Il faut remarquer que ce titre n’est pas toujours apprécié. Il y en a qui, pour justifier cet appellatif de divine bergère qui paraît mettre Marie sur le même plan que son Fils, affirment que Marie est celle qui garde et protège son Fils, comme il le fait, lui, envers les hommes : donc une sorte d’attribut de Marie en tant que Mère de Dieu. Mais la dévotion de la « Divina pastora » en tant que telle est en fait plus complexe. En tout cas, ce qui attire la critique est notamment le lien, établi par exemple par Maria Francesca delle Cinque Piaghe, entre la dévotion à la Divina pastora et l’esclavage de Marie. L’un des grands propagateurs de l’idée de l’esclavage est Henri Boudon, archidiacre d’Évreux (1624-1702), dont s’inspira Louis-Marie Grignion de Montfort. Bien des confréries des esclaves de Marie avaient été fondées au xviie siècle, même par des personnages importants tel saint Simon de Rojas. Il faut ne pas oublier Bérulle et le lien très étroit entre l’esclavage et la christologie, notamment le mystère de l’Incarnation48. Le pape Clément X, le 15 décembre 1673, avait condamné les pratiques liées aux chaînes et à certains livrets, dont l’usage aurait entraîné des abus49. Ce n’est pas au hasard si la discussion sur le sujet de l’esclavage de Marie occupe une place dans la cause de béatification de Grignion et si on y fait aussi appel, pour la justifier, au procès de béatification de Maria Francesca delle Cinque Piaghe50. Dans le climat du xviiie siècle, les discussions touchent souvent à la notion même de « esclavage de Marie », comme on peut le constater chez Lodovico Antonio Muratori :
J. M. Curicque, Voix prophétiques ou Signes, apparitions et prédictions modernes touchant les grands événements de la chrétienté au xixe siècle et vers l’approche de la fin des temps, t. I, Paris-Bruxelles-Luxembourg, Victor Palmé Éditeur, 18725, p. 90. Remarquons toutefois que l’interprétation de l’image dans l’Espagne du xviiie siècle comme faisant référence aussi à l’Immaculée Conception n’exclut pas, évidemment, des résonnances apocalyptiques (L. Duffy-Zeballos, Murillo’s Devotional Paintings, op. cit., p. 301-302). 47 On peut aisément constater la différence par rapport à la dévotion à la Divina Pastora si on examine par ex. la Corona de la divina pastora de las almas (1817). Les mystères du Rosaire sont centrés sur ce titre de Marie, sous le signe de la lutte au péché et de la victoire sur le monde (« Un rebaño, en que Cristo se halla alistado, à ningun lobo teme, sino al pecado […]. Si al Rebaño defiendes, Pastora afable, venceremos al mundo, demonio y carne », p. 5-6). 48 Yves Krumenacker, L’école française de spiritualité, Paris, Éditions du Cerf, 1999, p. 160-174. 49 Le texte du bref dans Magnum Bullarium Romanum (j’ai consulté l’édition Luxemburgi, Pellissari, 1739, p. 76). 50 Beatificationis et canonizationis […] Grignon de Montfort. Alia nova positio, Romae, Typ. Brancadoro, 1868, notamment aux p. 39-41. 46
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« sregolata divozione, ingiuriosa a Dio »51. Mais les défenseurs ne manquent pas52. On trouve l’idée positive de cet esclavage chez un théologien modéré et un pasteur de succès, Alphonse de Liguori53. Dans le climat spirituel du tout premier xviiie siècle, solidement « tridentin », l’objectif de la dévotion de la Divina pastora était celui d’attirer les hommes à Dieu par l’intermédiaire de Marie, au moyen d’une dévotion simple et efficace, et de les faire vivre en bons chrétiens. La toile de fond christologique était présente dans la plupart des prières et des cantiques. Ramener les âmes sur le chemin du salut, c’est le but essentiel dont l’Église se charge, et, dans une atmosphère qui n’a pas coupé totalement les ponts avec le baroque, cette dévotion paraissait correspondre aux instances populaires autant que relever du goût de l’époque. Au xxe siècle on constate une évolution sociale, notamment avec le Montepío de la Divina pastora, fondé par le père Salvador de Rafelbuñol en 1957. Cette initiative se développe ensuite comme Mutualidad general de prevision del hogar, dont le prolongement actuel est une société d’assurances, les Seguros Divina pastora54. En 1954, à l’occasion du centenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, le père Melchor de Pobladura mentionne l’importance des œuvres de bienfaisance promues par l’ordre des capucins en l’honneur de Marie. Dans ce contexte, on peut citer précisément deux confréries, l’une à Alicante qui bâtit des habitations pour les pauvres, un quartier qui aura le nom de « civitas matris boni pastoris » ; l’autre à Salamanque, consacrée expressément à la Divina pastora, qui se propose de pourvoir aux nécessités des pauvres55. Dans le même ordre d’idée, une lettre circulaire du Ministre général des capucins revêt un intérêt remarquable56. On y met en relief l’importance de la dévotion à la Divina pastora comme tout à fait propre aux capucins : Marie est en même temps la mère du Divin 51 Della regolata divozione de’ cristiani (je cite d’après l’édition In Siena, Dai torchi Pazzini Carli, 1789, p. 325 ; 17471). 52 Contre Muratori, voir par ex. l’œuvre du jésuite Salvatore Maurici, La divozion de’ cristiani difesa dalla critica di Lamindo Pritanio, In Lucca, Per Filippo Maria Benedini, 1753. Aux p. 198-204, l’auteur fait aussi l’historique de la question qui nous intéresse et examine dans ses détails l’acte de 1673. Il porte de nombreux exemples de confréries et même de congrégations religieuses acceptées par Rome où figure le mot servi (un mot ambivalent dans la langue latine). Pour conclure, Maurici fait référence au Saint-Office seulement, non pas au bref pontifical, et dit que le décret du Saint-Office du 5 juillet 1673 concerne seulement des signes extérieurs, non pas l’idée d’esclavage en soi, ce qui en effet est correct. Mais il faudrait examiner les documents sur le sujet aux archives du Saint-Office. Sur la question, et notamment sur la Expostulatio de Ippolito Marracci, voir Stefano de Fiores, La schiavitù mariana nell’inedita « Expostulatio ad Clementem X » d’Ippolito Marracci, dans Davide Carbonaro et Francesco Petrillo (éd.), L’Immacolata Madre di Dio nel Seicento. apporti teologici e spirituali di Ippolito Marracci nel IV centenario della nascita, Roma, AMI, 2006, p. 89-130. 53 Voir par ex. Alfonso de’ Liguori, Le glorie di Maria (je cite d’après l’édition : Roma, Nella stamperia dell’Ospizio Apostolico, 1797, p. 26, 57-58, 89 et passim ; 17501). 54 En Italie aussi il y a, à Taranto, une « Società cattolica di mutuo soccorso Divina pastora ». 55 Melchior a Pobladura, De solemni anni marialis celebratione in universo fratrum minorum capuccinorum ordine, in Regina Immaculata. Studia… collecta et edita a p. Melchiore a Pobladura OFMCap, Romae, Institutum Historicum Ord. Fr. Min. Cap., 1955, p. 506-534 (p. 524). 56 Lettre circulaire du Ministre général des capucins Benigno da S. Ilario Milanese, 25 décembre 1954 : De divini pastoris matris cultu ordinis nostri proprio (ibid., p. 538-541).
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Pasteur et la Divine bergère des âmes. Le ministre général fait l’historique de la dévotion, mentionne la faveur de Léon XIII, évoque les motivations théologiques, montre les liens avec l’Immaculée conception. À son avis, cette dévotion garde à cette date toute son actualité : « Nostrae spirituali indoli et hodierno apostolatui maxime consentanea videtur »57. Un aspect assez spécifique se présente comme non négligeable58 : l’image du troupeau autour de Marie évoque l’attente de l’accomplissement, quand il y aura « unum ovile, unus Pastor ». C’est un accent qui paraît nouveau par rapport au passé et sans aucun doute montre l’adaptation de la dévotion aux époques. Il faut remarquer pourtant que dans la tradition capucine de la Divina pastora, on évoque ce passage de l’Évangile de Jean à propos de tous les hommes, même les infidèles59, et que Diego de Cádiz consacre le huitième jour de la neuvaine de la Divina pastora au sujet « Pastora de los gentiles »60. Finalement, malgré les différences, on reste donc toujours dans le même contexte : une description de l’apport de Marie à l’économie du salut. Paola Vismara Université de Milan
Ibid., p. 539. Dans le climat œcuménique qui s’amorçait toujours plus, il ne faut pas oublier la présence et l’expérience des capucins dans des zones de coexistence confessionnelle. 59 Par exemple Fermín de Alcaraz, La Divina Pastora, p. 326-336. Un ciel ouvert à tous : voir Guillaume Cuchet, « Une révolution théologique oubliée : le triomphe de la thèse du grand nombre des élus dans le discours catholique du xixe s. », Revue d’histoire du xixe siècle, no 41, 2010, p. 131-148. 60 Diego J. de Cádiz, Croquis de una novena y tres panegíricos a la Divina Pastora, Sevilla, Imp. De la Divina Pastora, éd. 1929, p. 34-35. 57 58
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Index A Abingdom 103 Abraham, Charles 192 Adler, Alfred 249, 252 Afrique 247, 249, 252 Agamben, Giorgio 249 Agathe (sainte) 269, 273-278, 280, 281 Aiguillon (duchesse d’) 113 Aix-en-Provence 15, 124, 143, 205, 211 Albanese, Antoine 157 Alberini, Marcello 305 Albi (congrégation) 28, 130, 141 Alcalá de Henares 65, 67, 68 Alcantara, Pierre 317, 318 Aldovrandi, Ulisse 318 Alençon, Édouard (d’) 101 Alençon, Ubald (d’) 95-101, 109, 110 Alexandre le Grand 253 Alexandre VII (pape) 123 Alicante 324 Allart de Sézanne, Germain 11-21 Allart, Théodore 12 Allemagne 19, 27, 62 Alphonse Ier (roi) 66 Alphonse IV (roi) 257 Alvaro II (Ndo Luvwalu) 66 Ambrosio Mariano de San Benito 67 Amédée IX de Savoie 269 Amérique latine 316, 317 Amérique 113, 114, 118, 247 Amiens 38 Anagni, Hugolin (d’) 102 Ancre 322 Andreini, Giovan Battista 268 Angers 44, 47, 105, 130, 141 Anges Quiñones, François (des) 85 Angleterre 62, 104, 248, 257, 258, 260-262 Anne d’Angleterre 258 Anne d’Autriche 113 Annecy 121, 122, 124, 125, 127, 130, 131, 133, 136, 142 Antheaume, Gabriel (Père) 50, 51 Antilles 118 Antoinette d’Orléans 105 Antonin de Florence 313, 314 Aquin, Thomas (d’) 101 Arabia, Gerolamo (d’) 271 Arbizzoni, Guido 308
Argentan (clarisses) 29 Argenteuil 178 Arienzo, Valdo (d’) 309 Ariès, Philippe 24 Armellini, Mariano 303 Arnauld, Henry 130 Arquillière, Henri-Xavier 186 Arras 13 Arsinoé II 252 Arthur Ier de Bretagne 262 Artois 11, 13-15, 17-19 Assour 255 Astèque (empire) 248 Ath 14 Athy, Marc (Père) 39 Attichy, Doni (d’) 132, 135 Atya (constitutions d’) 84-86, 92 Augustin (saint) 100, 110, 131, 146, 148, 149, 204, 205 Aurillac 31, 33 Autun 39, 124, 130, 132, 135, 143, Auvergne 24, 29, 95 Auvray, Lucien 187 Auxerre 142 Avallon (monastère) 135, 136, 144 Aversa 321 ávila, Juan (de) 314 Avril, Louis 154, 162 Avrillot, Barbe 33 Aymard, Maurice 305 B Bacilly, Bertrand (de) 197, 206 Badoer, Giacomo 53 Barbaro, Ermolao 76 Barbier (Père) 40 Barbieri, Luigi 283, 289, 295, 297 Barcelone 27, 84, 92 Baretta, François 56 Barleuf, Vincent (Père) 41 Barnerini 304 Beatrice, Giovanni 294 Beaulieu 172 Beaumont (abbaye) 170 Beaune (carmel) 140 Bedell, William 62
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Bedizzole 286, 292, 293, 295 Bedos de Celles de Salelles, François (Dom) 167, 170 Belley (monastère) 126, 133, 143 Benaglio, Silvestro 291 Benoît de Nursie 25, 95, 98-101, 105-107, 109, 110 Benoît XII (pape) 82, 88 Benoît XIII (pape) 105, 302, 322 Benoît XIV (pape) 322 Berbis de la Visitation, Anne-Catherine 124, 125, 143 Bergame 285 Berger, Louis 169 Bergin, Joseph 12, 19, 20 Bernard, Pierre-Joseph 157 Berson, Léon-Louis 96 Bersuire, Pierre 106, 107 Bertanza, Giovanni Andrea 294 Berthier, Chérubin 15 Bertos, Elena Serrano 313 Bérulle, Pierre (de) 158 Besançon 142 Besse, Jean-Martial (dom) 95, 100 Besson, Louis 108 Beuron (abbaye) 98, 104 Bézaudun 20 Béziers (évéché) 43, 50 Bihl, Michael 27, 85 Billom 132, 133, 140 Blacas, Laurent 21 Blanchard, François (Père) 37, 38 Blanchet, Louis 192 Bloch, Marc 248, 258 Blois 143, 265 Bohème (vicairie observante) 27 Boileau, Nicolas 216 Bologne (couvent) 54, 104, 284 Bologne, Marc (de) 87 Bonicelli, Michelangelo 55 Bontemps, Alexandre 19 Bordeaux 33, 105, 177, 204 Bordenave, Jean (de) 197, 202, 204 Borghèse, Scipion (cardinal) 53-55, 57 Borromée, Charles 159, 268 Bossuet, Jacques Bégnine 111, 198, 203, 264 Boucher, Nicolas 19 Boucher, Pierre Marie 194, 195 Boudon, Henri 323 Boulart, François 38, 51 Bourg 133 Bourg-en-Bresse 135, 142 Boutelou, Nicolas 178 Bouzignac, Guillaume 205 Bragelongne (Père) 44
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Brazon, Élie 194 Brébeuf, Jean (de) 118 Bréchard, Jeanne-Charlotte (de) 127 Brescia 283, 285, 286, 289, 290, 292-296, 298 Breslau 86 Bressuire (Chapitre) 86 Breul, Jacques (du) 203 Britanniques (îles) 27 Brossard, Sébastien (de) 199, 210, 211 Brousse, Hugues 172 Broussin, Julien 173 Bryas, Jacques-Théodore (de) 20 Bry-sur-Marne 96 Buda (couvent) 85 Bujanda 248 Bury, Bernard (de) 223 Byzance 261 C Cabannes de Viens, Jean-Balthasard (de) 16 Cabrol, Fernand 102 Caccini, Francesca 269 Cádiz, Diego José (de) 316, 325 Caen 134, 136, 142 Caillois, Roger 251 Caillot, Jean 194 Calabre 321 Calboli, Girolamo Paolucci (de’) 284 Calès, Pierre 226 Caligula (empereur) 250 Cambrai (archevéché) 20 Campanella, Tommaso 267, 268, 270 Campanie 321 Campra, André 157 Canada 11, 14-17, 19-21 Canavas, Joseph 226 Canterbury 103 Capello, Marcantonio 55 Capistran, Jean (de) 79, 83, 84, 86-90, 92 Capra, Balthazar 61 Capron, Nicolas 226 Carafa, Fabrizio 270 Carcassonne 169 Casale, Ubertin (de) 106 Castelleone 287, 289, 290, 292, 294, 295 Cattaneo, Agostino 295 Cavaillon 322 Cecchelli, Carlo 283 Celano, Thomas (de) 100, 103 Celles-en-Poitou (monastère) 40 Ceredano, Pacifique (de) 106 Chailloux, Jean-Noël 176
Index
La Chaise-Dieu 175-177, 179 Châlons-en-Champagne 12 Chambéry 263 Chamousset, Élisabeth (de) 225 Chamousset, Melchior Philibert (de) 225 Champagne 12, 21, 47 Champigny, Honoré (de) 105 Champlain, Samuel (de) 113, 114 Chancelade (congrégation) 42, 43 Chantal, Jeanne (de) 137 Chapelle royale 199, 210, 211, 227 Charles Ier (roi) 258, 260, 261 Charles II (roi) 39 Charles IX (roi) 258 Charles Quint (roi) 260, 265, 309 Charles VIII (roi) 263 Charlevoix, François Xavier (de) 111 Charolles (monastère) 136, 140 Charpentier, Marc-Antoine 205, 210 Chartier, Charles Abraham 192 Chartier, Félicien 191, 192 Chartier, François-Léon 186 Charton, Jacques 158 Chateaubriand, François-René 260 Chateaudun (prieuré) 44 Chaugy, Françoise-Madeleine (de) 121, 125, 133 Chédeville, Nicolas 157 Chezal-Benoît (abbaye) 28, 29 Chine 248 Chuperelle, Jérôme 211 Cicéron 23, 275-279 Cicognini, Iacopo 269 Cimino, Francesco (baron de Caccuri) 75 Cingoli 321 Cinquanta, Benedetto 271 Cîteaux 34 Ciurana Viguer, José Vicente 315-317, 321 Claire d’Assise 97, 98, 102, 103, 109 Clairvaux, Bernard de 80 Clareno, Ange (de) 107 Claude (empereur) 250 Claude de France (reine) 265 Clément VI (pape) 101 Clément VIII (pape) 65, 70, 72-75 Clément X (pape) 323 Clément XII [Lorenzo Corsini] (pape) 303 Clermont 123, 135, 142, 205 Clerval, Alexandre 186-196 Clichtove, Josse 28 Clorivière, Pierre (de) 160 Clovis 260 Cluny (ordre de) 29, 34, 35, 205 Cocquebert (Père) 41
Coëtlogon-Méjusseau, Louis-Marcel (de) 20 Coindon, René 176 Colbert, Jean-Baptiste 119 Collé, Charles 156 Comacchio 284, 309 Comino, Bartolomeo 59 Congo 65-67 Constantin (empereur) 61, 259, 260 Constantinople 56 Coppetelli, Filippo 301 Corbeil (couvent) 11, 13 Corbie (abbaye) 105, 176, 177 Corbie, Colette (de) 27, 105, 106 Corneille, Thomas 155 Cortone 104 Cossard, Jacques 197, 198 Cosset, François 207 Coulombs (abbaye) 176 Couperin, Armand-Louis 227 Courtin, Antoire (de) 265 Courtin, Honoré 13 Courtin, Pierre-Joseph 177 Cousu, Antoine (de) 197, 204 Craon (abbaye) 176 Creil (Père de) 40, 41 Créma 285, 286, 288-290, 292-297 Crémone 283-285, 288, 290, 292, 294, 295 Crouzet, Denis 260 Csikszentmihalyi, Mihaly 120 Cucina, Santo 54 Cynus de Pistoie 264 D Daguin, Jean-Joseph 220, 223 Daguin, Marthe-Henriette 220, 223, 224 Dante Alighieri 101 Dardano, Gabriele 54 David (roi) 257, 259, 260 Debas, Étienne 175-177, 179 Delafoy, Louis 194, 195 Démocrite 278 Deniau, Jacques Emmanuel 170 Descartes, René 118 Despouy, Jean-Bertrand 220 Desvignes, Pierre 190, 192-195 Digne (monastère) 143 Dijon 124, 125, 143, 193, 210, 211 Dodard, Denis 198-201, 212 Dohna, Christophe (de) 53, 58 Doineau, Michel 191, 192, 194 Domingo de Jesús María 73 Dominique (saint) 100, 101, 110
329
Index
Domitien (empereur) 250 Dompnier, Bernard 5-7, 12, 21, 23, 35, 37, 53, 79, 89, 90, 95, 111, 167, 179, 180, 185, 196, 197, 267, 301 Dreux 176 Dreux, Claude 178 Du Mont, Henri 110 Duchesne, Louis 186 Dufour, François 170 Dufy-Zeballos, Lisa 315 Dulong, Marie Adélaïde 173 Dumas, Alexandre 53 Dunkerque 11, 14 Dupont, Edme 194, 195 Dupront, Alphonse 267 Dupuy, Bernard-Aymable 218, 222, 224 E Édouard Ier d’Angleterre (roi) 262 Élisabeth d’Angleterre (reine) 259 Embrun 129, 137, 144 Enrico di San Bartolomeo del Gaudio 307 Erfurt 85 Espagne 264, 265, 315-317, 319, 320, 322, 323 Estampes, Catherine (d’) 128 Estoile, Pierre (de l’) 264 Eugène IV (pape) 27 Eugenio de Potríes 316, 321, 322 Europe 11, 14, 17, 19, 87, 113, 157, 260, 317 Évagre le Pontique 91 Évreux (cathédrale) 173 F Faenza 56 Farjonnel, Jacques 110 Faure (Père) 37, 38 Favart, Charles-Simon 155 Fécamp (abbaye) 171 Felici, Costanzo 308 Fénelon, François de Salignac de la Mothe-Fénélon 154, 155, 266 Ferdinand VII (roi) 321 Fermo 321 Fernando de Santa María (Martínez) 71 Ferrare 56, 58 Ferrari, Andrea Carlo 55, 57, 296 Ferrari, Filippo 55, 57 Fey (château du) 225 Feydeau de Moulins, M. 48 Flandres 11, 13, 15, 18, 19 Fléchier, Esprit 15 Fleury, Thierry (de) 81
330
Florence 269, 270, 284, 285, 321 Fontevrault (abbaye) 28, 29 Foppa, Vincenzo 290 Fosse, Jean (de la) 258 Fouquet, François 133 Fournier (Père) 45 Francoeur, François 222 François d’Assise 21, 62, 81, 95-110 François Ier (roi) 260, 263 François II (roi) 262 François VI (duc de La Rochefoucauld) 128 Frazer, James 247, 249, 250, 252, 254, 255 Freud, Sigmund 251 Fribourg (monastère) 124, 141 G Gaetani, Michelangelo 303 Gaggia, Giacinto 295 Gagliano, Giovambattista (da) 269 Gaillard, Lucien 194, 195 Galilée 61 Galway 39 Gantez, Annibal 97, 202 Gariani, Carlo 226 Gautier, Ferdinand-Albert 170 Genès de Rome 277 Gênes 319, 322 Genève 123, 127, 136 Germán, Bernardo Llorente 315 Gérold, Théodore 197, 198 Géronsart (abbaye de) 39 Gibieuf, Guillaume 158 Gilles, Jean 211 Giordani, Bernardo 55 Girard, René 257 Giroust, François 227 Gisors 153 Godeau, Antoine 16, 20 Gossec, François-Joseph 214 Goussé, Jean 44 Gracián de la Madre de Dios 67, 69 Grammont, Marie-Béatrice (de) 138 Grandet (Père) 130 Grasse (diocèse) 15 Graziani de Pérouse, Giovanni Francesco 53, 54 Grégoire le Grand (pape) 109 Grégoire III (pape) 283 Grégoire IX (pape) 100, 102 Grégoire X (pape) 54 Grégoire XIII (pape) 66, 70 Grégoire XIV (pape) 54 Grégoire XV (pape) 34, 73
Index
Griffoni, Faustino Giuseppe 294 Grignion de Montfort, Louis-Marie 154, 155 Grimaldi, Jérôme 15 Grimaud, Gilbert 204 Groslot, Jérôme 53 Guastalla 395 Guéranger, Prosper (dom) 98, 105 Guilleragues, Gabriel (de) 156 Gurlin, M. 48 Guyart, Marie (dit Marie de l’Incarnation) 111-120 H Halma de Belmont, Jean-Baptiste 225 Henning, Louis 87 Henri II (roi) 260, 264 Henri III (roi) 259, 265 Henri IV (roi) 19, 56, 156, 259, 265 Hesselin de Mergé, Raphaël 151 Hoguette, Fortin (de la) 264 Hollande 11, 14, 19 Homère 279 Honorius III (pape) 100, 102 Houbron, Pierre 191, 192 Houdart de la Motte, Antoine 157 Hoyau, Jean-François 194 Hugo, Victor 53 Huguier de Sézanne, Cassien 17 Huronie 115 Huysmans, Joris-Karl 190 I Ibérique (péninsule) 27, 85 Inca (empire) 248 Innocent III (pape) 257 Innocent IV (pape) 103 Iriarte, Lazario 86 Irlande 39 Isidore de Séville 81, 313-316, 318 Italie 202, 203, 211, 263, 317-319, 322, 324 Izano 289, 291, 292, 294-297 J Jacques Ier 258 Jansénius 218 Japon 248, 249, 253, 254, 261 Jean d’Angoulème 262 Jean de la Croix 73, 110, 118, 314 Jean de Parme 103, 107 Jean Ier (roi) 66 Jean XXII (pape) 81, 107
Jeanne de France 29, 262 Jélyotte, Pierre (de) 223 Jérôme (saint) 80, 204 Joergensen, Johannes 104 Joseph (Père) 97, 105 Jouenneaux, Guy 29 Juan de Jesús María 71, 73-75 Juan de San Eliseo 75 L La Barre, Nicolas (de) 48 La Bruyère, Jean (de) 265 La Châtre (monastère) 135, 140 La Farina, Martino 269, 270, 280 La Fontaire, Jean (de) 216 La Maingre de Boucicaut, Étienne 16 La Réole 175 La Rochefoucault, François (de) 37, 38, 51 La Rochelle 14, 19, 32, 33 La Salle, Jean Baptiste (de) 311 La Taste, Louis-Bernard (de) 150 La Trappe (abbaye) 30 Labat, Jean-Baptiste 220 Labbé, Pierre 264 Labie, Pierre 175, 177 Labouré, Charles 175 Lakmann, Nicolas 85 Lalande, Michel-Richard (de) 110 Lamennais, Félicité (de) 101 Langres (monastère) 127, 132, 135, 140 Laon (cathédrale) 170, 173 Lattaignant, Gabriel-Charles (de) 156 Lavaur (évéché) 20 Le Bailly, Henri 208 Le Broc 20 Le Cardonnel, Louis 107 Le Febvre, Hyacinthe 14, 15, 18, 20 Le Gault, Ignace 15 Le Goux de la Berchère, Charles 20 Le Gros, Claude 199 Le Gros, Joseph 227 Le Mans 96, 158, 168, 171, 173, 176, 178, 193 Le Riche de La Pouplinière, Alexandre-JeanJoseph 214, 223, 225-227, 230 Le Royer, Renée Pacifique 134 Le Tellier de Louvois, François-Michel 18 Le Tellier, Michel 18 Lebeuf, Jean 197, 202 Lecerf de la Viéville, Jean-Laurent 198, 202, 206 Léon III (pape) 259 Léon XIII (pape) 108, 325 León, Luis (de) 314
331
Index
Lesage, Alain-René 157 Lescène, Jean 171 Lesterps (abbaye) 43 Lesueur, Jean-François 213, 214, 227, 230 Leszczynska, Marie (reine) 145, 157, 260 Levanto, Baptiste (de) 87 Levens, Nicolas-Vincent 219, 220, 225 Lezze, Camille (da) 55 Liège 39 Ligugé (abbaye) 107, Liguori, Alphonse (de) 324 Lisbonne 67, 70 Livry (congrégation) 28 Lizé, François 176 Loango 253 Loches (augustines hospitalières) 33 Lombardie, Pierre (de) 108 Longchamp (clarisses) 33 Loredano, Lorenzo 59 Lorraine, Marguerite (de) 29 Louis IX (roi) 262 Louis XI (roi) 262, 263 Louis XIII (roi) 19, 208, 210, 258, 260, 262 Louis XIV (roi) 11, 13, 16, 18, 19, 113, 155, 199, 211, 258, 262, 264-266 Louis XV (roi) 145, 150, 151, 155, 157, 259 Louis XVI (roi) 156, 261 Louise de France 145-164, 260 Loulié, Étienne 199 Löwenberg, Benoît (de) 86 Loyola, Ignace (de) 90, 99, 101, 110 Luc (frère) 13, 14 Lucques 321 Lully, Jean-Baptiste 210 de Luynes (Père) 49 Lyre (abbaye) 169, 170 M de Marcilly (Père) 47 Mac Mahon, Julie (de) 147, 151-154, 159, 161 Macé, Thomas 194, 195 Macerata 234, 321 Machiavel, Nicolas 61 Mâcon (monastère) 134, 136, 139 Madeleine-des-Deux-amants (prieuré de la) 42, 49 Magistry, Barthélemy 121, 123 Maheux, Antoine 194, 195 Maillard, Jean 197 Maillard, Olivier 29 Maiullari, Bartolomeo 270 Malinowski, Bronislaw 254 Malipiero, Francesco 59, 60
332
Mallet, Jean-Baptiste 176 Mallier du Houssay, François 130 Mamers 130, 135, 144 Manfredi, Fulgenzio 53 Maran, Bertrand Joseph (de) 224 Marcault, O. 186 Marduel, Claude 221 Mare, Nicolas (de la) 266 Maredsous (abbaye) 98 Margotti, Lanfranco (cardinal) 57 Marguerite de Lorraine 29 Marguerite de Savoie 262 Maria del Santísimo Sacramento 322 Maria Francesca delle Cinque Piaghe 317-321, 323 Maria, Gabriel 29 Marie de Saint-Joseph 115, 116 Marie-Louise de Bourbons 321 Marie-Thérèse de France 265 Marillac, Louise (de) 33 Marion, Jean-Luc 250 Marmoutiers (abbaye) 38 Marseille (monastère) 124 Martin (organiste) 178, 190 Martin V (pape) 83, 84 Martin, Claude 116 Martin, Thérèse 96 Martínez, Domingo 315 Matteucci, Girolamo 53, 56 Meaux (cathédrale) 51, 122, 144, 205, 210, 211 Médard, Henri 248 Meek, Charles Kingsley 252 Melchisedech 259 Melun (monastère) 49, 130, 136, 139 Melville, Andrew 257 Mersenne, Marin 197, 203, 207-209 Mesgriny, Joseph-Ignace-Jean-Baptiste (de) 16 Mésopotamie 248 Metz 127, 135, 139 Micanzio, Fulgenzio 53-55, 57, 58 Michel, Benoît 218-220, 224 Michelet, Jules 53 Michetti, Raimondo 301 Milleville, Jacques-Florian 179 Milton, John 261, 262 Minoret, Guillaume 211 Miroglio, Pierre 226 Mocenigo, Leonardo 59, 60 Mollien, Bon Arthur Gabriel 188 Mondoville, Jean-Joseph 224 Mondran, Louis (seigneur de La Pomarède de Seysses) 214 Mondran, Marie-Thérèse (de) 214, 223, 224 Mondran, Paul-Louis (de) 213-230
Index
Mongrédien, Jean 213 Mont Soubase 101 Montaigne, Michel (de) 308, 310 Montano, Benito Arias 314 Montargis (monastère) 123, 124, 140 Montbrison 136, 140 Monte Isola 286, 287, 290, 292, 294-297 Montereau (couvent) 18 Montesquieu, Charles-Louis de Secondat (baron de) 249 Montferrand (monastère) 123, 124, 141 Montivilliers (abbaye) 105 Montluel (monastère) 33, 123, 124, 136, 140 Montolieu (abbaye) 179 Montorgueil 137 Montrouge, Jacques (de) 130 Moreau (Père) 49 Moriain (Père) 45 Morone, Bonaventura 271 Muard, Jean-Baptiste 98 Muguet, Julien 191, 192 Muhammad 255 Muratori, Lodovico Antonio 313-315, 323, 324 Murillo, Bartolomé Esteban 314, 315 N Namur (diocèse) 39 Nantes (diocèse) 192 Nantes, Benoît-Joseph (de) 96 Naples 107, 317, 318 Napoléon Ier (empereur) 262 Narbonne 50, 123, 133, 169 Necker, Jacques 195 Neisse 86 Néron (empereur) 250 Nevers (monastère) 46, 124, 141 Nicola (Doria) di Gesù Maria 70 Nigeria 252, 254 Nîmes 123, 124 Nocq, Albin-Claude-François 177 Nogent (séminaire) 190 Nole, Paulin (de) 109 Notre-Dame d’Aiguevive (prieuré) 39 Notre-Dame de Bernay (abbaye) 173 Notre-Dame de Cassan (prieuré) 43 Notre-Dame de Chartres (cathédrale) 186, 189, 193 Notre-Dame de Chelles (abbaye royale) 173 Notre-Dame de Gâtines (abbaye) 38 Notre-Dame de la Couronne (abbaye) 43 Notre-Dame de la Daurade (basilique) Notre-Dame de La Roé (prieuré) 43 Notre-Dame de Lamourguié (prieuré) 169
Notre-Dame de Lantenac (abbaye) 168 Notre-Dame de Lyre (abbaye) 169, 170 Notre-Dame de Paris (cathédrale) 135, 192, 193, 202, 213-215, 221, 226, 227, 229 Nouvelle-France 14, 112, 114, 119, 120 Nuremberg (couvent) 79, 86, 90 O Océanie 247 Oppido Mamertina, Piminoro (di) 321 Orléans (abbaye d’) 41, 42, 141, 262 Otto, Rudolf 251 Oubangui 248 Oudin, Pierre 113 Ouvrard, René 198, 207, 209, 210 P Padoue 56-58, 60 Padova, Mauro (da) 61 Palerme 269, 270, 273, 274, 276 Paray-le-Monial (monastère) 135, 136, 142 Paris 6, 11, 13-15, 17-21, 26, 34, 37, 38, 46, 48, 53, 96, 113, 135, 139, 142, 152, 163, 186, 190, 192, 193, 202, 203, 207, 210, 213-215, 221, 225-227, 229, 264 Parme 322 Pascal, Blaise 118 Passy 225, 227 Paul III (pape) 310 Paul V (pape) 54, 55, 73, 105 Paulin de Nole 109 Pays-Bas 27 Pedro de la Madre de Dios (Villagrasa) 71, 73, 75 Pellegrin, Claude-Matthieu 205 Pellegrini, Maria Corna 295 Pellizzari, Giovanni Maria 295 Péréfixe de Beaumont, Hardouin 264 Péricard, François (de) 128 Périgueux (monastère) 126, 139 Pérouge, Bernard (de) 55, 57, 59 Perse 255 Pétrarque 107 Pézenas 322 Philippe II d’Espagne (roi) 66-68, 70, 72, 260, 263 Philippe, Jean-Henri 172 Phoebus, François-Marie 135 Piacenza 295 Piccioni, Arcangelo 54 Pichot, Louis 194 Pie IX (pape) 12 Pierozzi da Firenze, Antonino 314 Pierre-qui-Vire 98
333
Index
Pignerol (monastère) 136, 140 Pise 321 Pithiviers 49 Platon 278, 279 Pobladura, Melchor (de) 80, 324 Poissy (dominicaines) Poitiers (monastère) 141 Pologne 74, 75, 87-89, 237 Pontoise (carmel) 145, 158 Posener, Georges 248 Potries, Eugenio (de) 316, 321, 322 Pougues 46 Prévost, Arthur Émile 186 Pritchard, Evans 250, 252 Privas 19 Prou, Alexis (Père) 109 Prou, Maurice 96 Prunel, Louis 187 Prunier, Jacques 173 Ptolémée II Philadelphe 252 Puchelbach, Albert 79, 86 Q Québec 112, 118 Quesnel, Pasquier 218 Quetzalcoatl 256 R Rabelais, François 107 Rabuton-Chamvigy, Marie-Aymée (de) 134 Rafelbuñol, Salvador (de) 320, 324 Raffin (Père) 44 Raguse 56 Rameau, Jean-Philippe 198, 201, 214, 223, 227 Ratte (chevalier de la) 224, 225 Raulin, Jean 29 Ravanat, Felice 284 Ravenne 56 Rechignevoisin, Louis (de) 130 Reims 19, 172 Renaudin, Paul 99 Rezzato 286, 289, 292, 295, 297 Rhini, François-Marie 18 Ribetti, Pietro Antonio 55 Riboutet, Charles-Henri 157 Richelieu, cardinal (de) 20, 23, 113 Ridolfi, Nicolas 34 Rieux (diocèse) 214, 217 Riom 46, 127, 130, 141 Riquet de Bonrepos, Camille Pétronille Victoire 222, 223
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Riquet de Bonrepos, Jean Gabriel Amable Alexandre 222 Riquet de Camaran, Antoine Jean Louis (de) 222 Rocciolo, Domenico 307 Rodoyer, Pierre (Père) 47 Roger, Pierre 101 Roheim, Géza 255 Rojas, Simon (de) 323 Rome 5, 11, 13, 42, 54-57, 59, 62, 63, 100, 121, 123, 131, 135, 192, 231-233, 241, 242, 252, 253, 255, 258, 259, 261, 263, 285, 315, 321, 324 Rommeru, François 191, 192 Ronna, Tommaso 297 Rosalie du Sacré-Cœur de Marie 156 Rose-Aimée du Sacré-Cœur de Marie 153 Rossi, Francesco 236 Rouen (diaconat) 11, 13, 48 Rousseau, Jean-Jacques 225 Roye, Raoul (de) 105 Ruzola y López, Miguel 73 S Sabbia, Francesco 295 Sabilio, Geminiano 54 Sacchi, Bartolomeo 310 Saint Raphël, Louise-Maurice (de) 153 Saint-Acheul d’Amiens (abbaye) 38, 41, 42, 46 Saint-Ambroise de Bourges (abbaye) 41 Saint-André de Chartres (collégiale) 174 Saint-Ange de Panzo 103 Saint-Antoine en Artois 14, 15, 17 Saint-Aubin d’Angers (abbaye) 171, 178 Saint-Benoît du Sault (prieuré) 169 Saint-Brieuc (évéché) 20 Saint-Chéron (séminaire) 190 Saint-Claude, Anne-Thérèse (de) 154 Saint-Corneille de Compiègne (abbaye royale) 177 Saint-Denis 11-13, 18, 20, 103, 105, 145-148, 151, 153, 154, 157-164, 171, 174, 263, 265 Sainte-Barbe en Auge (prieuré de) 45 Sainte-Catherine de Paris 38 Sainte-Catherine de Sienne (monastère) 118 Sainte-Chapelle de Dijon 210, 211 Sainte-Chapelle de Paris 135, 207, 263 Sainte-Croix de Bordeaux (abbaye) 175, 177 Sainte-Croix de Poitiers (abbaye) 26 Sainte-Croix de Quimperlé (abbaye) 172 Sainte-Geneviève (abbaye) 37-40, 43-47, 49-51 Sainte-Justine (abbaye) 56 Saint-Éloy de Longjumeau (prieuré) 41 Sainte-Pazanne, Alexis (de) 109 Sainte-Scolastique de Subiaco (abbaye) 107
Index
Sainte-Sophie 257 Saint-Étienne de Reims 172 Saint-Étienne de Toulouse (cathédrale) 225 Saint-Eusèbe d’Auxerre (église) 46 Saint-Euverte d’Orléans (église) 41, 42 Saint-Florent-lès-Saumur (abbaye) 169 Saint-Flour (monastère) 130, 131, 143 Saint-Florent-le-vieil (abbaye) 169 Saint-George (église) 102 Saint-Germain (couvent) 18 Saint-Germain-des-Prés (abbaye) 29, 103, 203 Saint-Germain-en-Laye 14 Saint-Guénolé de Landévennec (abbaye) 168 Saint-Jacques de Montfort (abbaye) 41 Saint-Jean de Laon (abbaye) 173 Saint-Jean de Lyon (église) Saint-Jean, Pierre (de) 213, 225, 226, 229, 230 Saint-Jean-des-Prés (abbaye) 41 Saint-Jean-des-Prés (abbaye) 41 Saint-Joseph de Pise (église) 321 Saint-Laumer de Blois (abbaye) 43 Saint-Laurent de Bourges (abbaye) 29 Saint-Lô (abbaye) 42 Saint-Louis-de-France (église) 232, 233, 235-244 Saint-Lucien de Beauvais (abbaye) 170 Saint-Maixent (abbaye) 170 Saint-Martin, marquise de 33 Saint-Martin de Pontoise (abbaye) 173, 178 Saint-Martin de Sées (abbaye) 29, 48 Saint-Martin de Tours (cathédrale) 193, 211 Saint-Martin de Villemagne (abbaye) 170 Saint-Martin-des-Champs (prieuré) 29, 30 Saint-Maur (abbaye) 25, 29-32 Saint-Mélaine de Rennes (abbaye) 168 Saint-Michel du Tréport (abbaye) 169, 175 Saint-Nicaise (abbaye) 172 Saint-Ouen de Rouen (abbaye) 173 Saint-Papoul (chapitre) 179 Saint-Paul-lès-Beauvais (abbaye) 105 Saint-Père de Chartres (abbaye) 178 Saint-Pia 189, 192, 194, 195 Saint-Pierre d’Alcantara 15 Saint-Pierre de Brantôme (abbaye) 175, 177 Saint-Pierre de Conches (abbaye) 175 Saint-Pierre de la Couture (abbaye) 173 Saint-Pierre de Lagny (abbaye) 177, 178 Saint-Pierre de Mas-de-Verdun (abbaye) 169 Saint-Pierre de Pébrac (abbaye) 47 Saint-Pierre de Rome 121 Saint-Pierre-sur-Dives (abbaye) 168 Saint-Quentin (collégiale) 170, 204 Saint-Riquier (abbaye) 169 Saint-Roch (église) 214, 220, 221, 225
Saint-Sauveur de Redon (abbaye) 168 Saint-Savin de Lavedan (abbaye) 169 Saint-Serge d’Angers (abbaye) 170 Saint-Sernin (abbaye) 220, 224 Saint-Sufin (cathédrale) 102 Saint-Sulpice de Bourges (abbaye) 29 Saint-Symphorien d’Autun (abbaye) 40 Saint-Taurin d’Évreux (abbaye) 173 Saint-Théodoric d’Uzès 50 Saint-Vanne (abbaye) 31 Saint-Vigor de Cerisy (abbaye) 169 Saint-Vincent de Laon (abbaye) 170 Saint-Vincent de Metz (abbaye) 104 Saint-Vincent du Mans (abbaye) 171, 178 Saint-Yves-des-Bretons de Rome 231-244 Salamanque 324 Sales, François (de) 49, 121-125, 127, 129, 131, 135-137 Salomon 260 Salvatore di Santa Maria (Père) 318 San Francesco a Ripa 103 San Pietro d’Assise 101, 102 San Pietro in Deserto 104 Sancta-Maria-de-Ferneto 103 Sánez Dávila, Díaz 73 Santa Maria della Rocca (église) 102 Santa Maria della Scala in Trastevere (église) 72, 236, 283 Saragosse 314, 315 Sarpi, Paolo 53-63 Sarrette, Bernard 193 Saul (roi) 259 Saumur 134, 140 Sauve-Majeure 170 Scalzo, Carmelo 65, 69, 70, 72, 73 Scammacca, Ortensio 269, 273-276, 278, 279, 281 Scappi, Bartolomeo 309 Sedaine, Michel-Jean 157 Ségovie 322 Segurtà da Venezia, Giovanni Francesco 55, 57, 59, 61 Seguy, Marie-Louise (de) 223 Seligman, Charles Gabriel 256 Semur (monastère) 129, 140 Sens 44, 47 Serra, Alessandro 301, 318 Settesoli, Jacqueline (de) 108 Séville 314 Sézanne 11, 12, 18 Sforza Pallavicini, Alessandro 284, 298 Siam 252 Silésie 86, 87
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Index
Sisteron 20, 139 Sixte V (pape) 56, 66, 70 Socrate 279 Solesmes 95, 98, 104, 105 Solminihac, Alain (de) 42 Sonnino, Eugenio 305 Soudan 250, 252 Souday, Paul 107 Stamitz, Johann 214 Stefani, Bartolomeo 309, 311 Subiaco 98, 99, 104, 107 Surian, Jean-Baptiste 16 Surin, Jean-Joseph 155 T Talon, Jean 13, 14, 21 Tantillo, Antonino 273-281 Tarascon (monastère) 126, 143 Tchad 252 Terrasanta 75 Terricabras, Ignasi Fernandez 66 Thérèse d’Avila 65, 71, 73, 97, 110, 118, 148, 158 Thérèse de France 108 Thérèse de Lisieux 95, 96, 109, 110 Thérèse de Saint-Augustin 145, 147, 161 Thiers, Jean-Baptiste 202, 204, 205 Thomas, Keith 249 Thomassin, Louis (de) 16, 20 Tibère (empereur) 253 Tiepolo, Baiamonte 58 Tignale 286, 290, 292-295, 297, 298 Timmermans, Linda 119, 120 Tissu (frère) 41 Tite-Live 106 Tolentino 321 Tommaso di Gesù 74 Tourettes 20 Tournai 14 Tovar, Alonso Miguel (de) 315 Tredici, Giacinto 294 Tremblay, Joseph (du) 105 Triboldi, Domenico 297 Troyes (monastère) 47, 130, 134, 140 Tulle (monastère) 130, 131, 137 Turin 263 U Urbain VIII (pape) 34, 270, 283 Uzès 50
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V Vadé, Jean-Joseph 156 Val-de-Grâce (abbaye) 105 Valence 123, 124, 129, 143, 322 Valladolid 75 Valverde 286, 290, 292, 294 Varèse, Christophe (de) 88 Vatrée, Philippe (Père) 39 Vattel, Emer 156 Vautel, Clément 107 Vautrel (Père) 45 Veimringer, Françoise-Adélaïde 173 Veinstein, Gilles 251 Vence (diocèse) 11 Vendramin, Francesco 58 Venezia, Giacomo (da) 61 Venise 53, 55, 56, 58 Vera y Figueroa y Zúñiga, Juan Antonio (de) Verdun (couvent) 18 Versailles 18, 96, 146, 155, 222, 225, 227, 258 Vert, Claude (de) 205 Vieuville, Charles-François 43 Villette, Claude 203, 204 Visitation (ordre) 30, 49, 121-124, 126, 130, 136, 137, 158 Viterbe 56 Viterbe, Antoine (de) 55-63 Vitry (couvent) 18 Vivonne, Andrée (de) 128 Voltaire 216 Vorreux, Damien 99 Voysembert de Sézanne, Olivier 16, 17 Vuatin, Étienne 45 W Warta (Chapitre) 87 Wenceslas de Bohème (roi) 262 Windesheim (congrégation) 62 Wotton, Henry 62 X Xavier de France 218 Z Zane, Almorò 61 Zanenga, Domenica 287, 289 Zanzanù, Seicento 294 Zorzi, Marino 29
Collaborateurs du volume Michela Berti Titulaire d’une bourse Marie Curie Fellow (2013-2015) pour le projet Le modèle musical des églises nationales à Rome à l’époque baroque auprès de l’Université de Liège, Michela Berti est aujourd’hui coordinatrice de l’activité scientifique du projet ERC PerformArt (CNRSÉcole française de Rome). Elle a consacré ses recherches principalement à la vie musicale, cérémonielle et festive des cercles étrangers dans la Rome baroque, en particulier autour de l’Ambassade de France et des églises nationales. Parmi ses principales publications, on peut citer : (avec E. Corswarem), Music and the Identity Process : the National Churches in Rome and their Network in the Early Modern Period, Turnhout, Brepols, sous presse ; « Tra “Regolamenti” e “musiche straordinarie” : la presenza di musicisti stranieri a S. Luigi dei Francesi e nelle altre Chiese Nazionali di Roma », dans A.-M. Goulet et G. Zur Nieden, Europäische Musiker in Venedig, Rom, und Neapel. 1650-1750, Kassel-Bâle-Londres, Bärenreiter, 2012, p. 399-426 ; et « Il costume come costruzione del personaggio. Il caso delle feste francesi a Roma nel Settecento », dans V. De Lucca, Fashioning Opera and Musical Theatre. Stage Costumes in Europe from the Late Renaissance to 1900, Venise, Fondazione Giorgio Cini, 2014, p. 54-68.
Xavier Bisaro Xavier Bisaro est professeur de musicologie à l’Université François-Rabelais de Tours, chercheur au Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR, UMR 7323) et membre honoraire de l’Institut Universitaire de France (IUF). Ses travaux sont principalement consacrés à l’histoire musicale des cultes chrétiens (Guide historique et pratique du plainchant et du faux-bourdon, Centre de Musique Baroque de Versailles, 2017 ; Chanter toujours – plain-chant et religion villageoise dans la France moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010), à l’érudition liturgique (Le Passé présent, Paris, Cerf, 2012) et à l’instruction scolaire sous l’Ancien Régime (projet Cantus Scholarum).
Isabelle Brian Isabelle Brian est professeur des Universités à l’Université de Lorraine (Nancy) en Histoire moderne (histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporain, histoire de l’art, histoire de la musique) et spécialiste de l’histoire religieuse et culturelle de l’Ancien Régime. Dans ses publications, on peut citer : « Des professionnels de la chaire dans la France classique », Revue de Synthèse, 2012 ; « La parole des prédicateurs à l’épreuve de la Révolution », Annales historiques de la Révolution française, 1, 2009, p. 25-48 ; Prêcher à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; et Le Lieu et le moment. Mélanges en l’honneur d’Alain Cabantous, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.
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Collaborateurs du volume
Sara Cabibbo Les recherches de Sara Cabibbo, professeur associé d’histoire moderne à l’Université de Roma Tre (jusqu’au 1er novembre 2015), portent sur l’histoire religieuse européenne des siècles xvie-xviiie, plus particulièrement sur la saintété et la littérature hagiographique, sur les ordres religieux et sur les monastères féminins, avec une attention particulière sur les dynamiques familiales, sociales et culturelles de cette période. Parmi ses écrits, on peut citer : Il Paradiso del Magnifico Regno. Agiografi, santi, culti nella Sicilia spagnola, Rome, Viella, 1996 ; Santa Rosalia tra terra e cielo. Storia, rituali, linguaggi di un culto barocco, Palerme, Sellerio, 2014 ; « Le teresiane in Italia : istitutuzioni, vite vissute, autorappresentazioni », Hispania Sacra, LXVII/136, 2015, p. 467-503 ; « Sovrane sante », dans F. Chauvard, M. A. Visceglia (dir.), Casa Savoia e curia romana, Rome, École française de Rome, 2015, p. 37-53 ; et « Un nouveau culte dans l’Italie des Augsbourg : Saint Jean Népomucène », dans E. Ducreaux (dir.), Saints rois et saints patrons dans l’époque moderne, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2016, p. 127-146.
Dominique Deslandres Dominique Deslandres enseigne l’histoire européenne et l’histoire comparée à l’Université de Montréal. Ses champs d’études, à la croisée de l’histoire socio-religieuse, de l’histoire des pouvoirs et des Imperium Studies, portent sur l’espace français d’Ancien régime (France et colonies xvie-xviiie siècles). Parmi ses publications majeures figurent Croire et faire croire. Les missions françaises au xviie siècle (Paris, Fayard, 2003), qui a reçu de nombreux prix ; Les Sulpiciens de Montréal : une histoire de pouvoir et de discrétion 1657-2007 (Montréal, Fidès, 2007), qu’elle a coécrit avec J. A. Dickinson et O. Hubert, ouvrage reconnu qui a été suivi d’une exposition au Musée des Beaux-arts de Montréal ; Lecture inédite de la modernité aux origines de la Nouvelle France, Presses de l’Université Laval, 2010 (dirigé avec R. Brodeur et T. Nadeau-Lacour), pour le 400e anniversaire de la fondation de Québec. Son article sur le genre, la religion et l’expansion de la souveraineté française au xviie siècle (Revue d’histoire de l’Amérique française, 64/3-4, 2011, p. 93-118) a reçu le Prix d’excellence de l’Institut d’histoire de l’Amérique française en 2013.
Jean Duron Musicologue au Centre de musique baroque de Versailles, Jean Duron a fondé et dirigé (1989-2007) l’Atelier d’études sur la musique française des xviie et xviiie siècles (UMR 2162) du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) dont il dirige également les Éditions (éditions critiques de musique, livres) et la base de données PHILIDOR (catalogues d’auteurs, catalogues de genres, bibliographie, répertoire d’événements, documents d’archives). Les travaux de Jean Duron portent en grande partie sur la musique religieuse française sous le règne de Louis XIV, vue sous l’angle des conditions historiques de son interprétation. De manière plus générale et diachronique, ils abordent les questions liées au répertoire, à la composition de musique et à son évolution, à la composition des « paroles de musique », à la théorie musicale, au rôle des instruments et de l’orchestre, aux dispositifs d’interprétation. Ses dernières publications s’intéressent à l’œuvre religieuse de Jean-Philippe Rameau, l’œuvre poétique et théorique de Pierre Perrin, l’œuvre d’Henry Desmarest, mais aussi à 338
Collaborateurs du volume
Marc-Antoine Charpentier, Henry Du Mont et de petits maitres de province comme Louis Grénon. On peut citer dans sa bibliographie : Henry Desmarest (1661-1741) : exils d’un musicien dans l’Europe du Grand Siècle (avec Yves Ferraton), Paris, Mardaga, 2005 ; L’œuvre de Sébastien de Brossard (1655-1730), Paris, Klincksieck, 2000 ; Sébastien de Brossard musicien, Paris, Klincksieck, 2000. France Musique lui a dernièrement consacré l’émission Sous la couverture du 2 janvier 2016, autour de l’ouvrage qu’il a dirigé, L’orchestre à cordes de Louis XIV. Instruments, répertoires, singularités, Paris, Vrin, 2016.
Thierry Favier Thierry Favier est professeur à l’université de Poitiers, membre du Centre de Recherches Interdisciplinaires Histoire, Histoire de l’Art et Musicologie (CRIHAM, EA 4270) et chercheur associé au Centre de Musique Baroque de Versailles. Ses travaux portent sur la musique religieuse française des xviie et xviiie siècles (Le chant des muses chrétiennes, Société française de Musicologie, 2008 ; Le motet à grand chœur (1660-1792) : Gloria in Gallia Deo, Fayard, 2009). Il s’est également intéressé à la question du plaisir musical (Le Plaisir musical en France au xviie siècle, dir. Manuel Couvreur et Thierry Favier, 2006) et à celle du sublime (À la croisée des arts : sublime et musique sacrée en Europe aux xviie et xviiie siècle, dir. Sophie Hache et Thierry Favier, 2015). Ses recherches récentes portent sur les collections musicales privées, le concert, la notion de genre musical dans les transferts culturels, et le rôle de la musique dans le régime d’historicité propre au xviiie siècle.
Grégory Goudot Grégory Goudot est chercheur associé au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » (CHEC) de l’Université Clermont Auvergne. Ses travaux portent sur l’histoire des ordres religieux à l’époque moderne. Docteur en histoire, il est notamment l’auteur de Les origines et le monde. Réformes des réguliers, pouvoirs et société dans le diocèse de Clermont (xve-xviie siècles), Paris, Honoré Champion, 2016, ainsi que d’une vingtaine d’articles dans des revues scientifiques telles que la Revue historique, French History, la Revue Mabillon et la Revue d’histoire de l’Église de France.
Sylvie Granger Membre du Centre de recherches historiques de l’Ouest (Cerhio), Sylvie Granger travaille sur les sociétés provinciales du xviiie siècle, qu’elles soient urbaines (Journal d’un chanoine du Mans, Rennes, PUR, 2013) ou villageoises (Souvenirs d’un villageois du Maine, Rennes, PUR, 2016). Elle se consacre plus particulièrement aux praticiens de la musique et de la danse dans les provinces et à la sociabilité qui entoure ces activités. Elle coordonne la base de données Muséfrem (http://philidor.cmbv.fr/musefrem/) sur les musiciens d’Église à la fin de l’Ancien Régime. Dans ce cadre, elle s’attache à faire surgir de l’ombre les femmes organistes jusqu’alors méconnues (Musiciennes en duo, Rennes, PUR, 2015).
Marie-Élisabeth Henneau Docteure en Histoire et spécialiste de l’histoire du christianisme, Marie-Élisabeth Henneau consacre plus spécialement ses recherches à la situation des femmes dans les Églises 339
Collaborateurs du volume
chrétiennes occidentales (xve-xviiie s.). À l’Université de Liège, son enseignement porte sur ces sujets, avec une attention sur les problématiques de genre. Responsable scientifique des Archives historiques de l’université de Liège, elle est co-fondatrice du FER ULg. Présidente honoraire de la Société internationale d’études des femmes d’Ancien régime (Siefar), elle dirige actuellement le comité de rédaction de son Dictionnaire des femmes de l’ancienne France. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire des femmes à l’époque moderne et, plus spécialement, sur les milieux conventuels féminins : Marie-Élisabeth Henneau, Les cisterciennes du pays mosan, moniales et vie contemplative à l’époque moderne, Bruxelles-Turnhout, Institut historique belge de Rome-Brepols, 1990 ; (avec A. Dubois-Nayt et R. von Kulessa), Revisiter la Querelle des femmes : les discours sur l’égalité/inégalité des sexes à l’échelle européenne, 4. 1400-1800, Saint-Étienne, PUSE, 2016 ; (avec J. Piront), Chœur de femmes au cœur de la Savoie. Les annonciades d’Annecy entre clôture stricte et sociabilité urbaine (xviie-xviiie s.), no spécial de la revue Le Vieil Annecy, 2017 ; (avec J. Dor, C. Gavray et M. Jaminon), Où sont les femmes. La féminisation à l’Université de Liège, Liège, PUL, 2017 ; et « De l’usage des “bons livres” et des autres dans les couvents féminins d’Ancien Régime aux Pays-Bas et en Principauté de Liège », dans F. Henryot (dir.), Les femmes dans le cloître et la lecture (xviie-xixe siècles), Paris, Beauchesne, 2017, p. 493-524.
Bernard Hours Bernard Hours est professeur d’Histoire moderne à l’Université de Lyon/Université Jean Moulin-Lyon 3. Il dirige le Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes – Moderne et contemporaine (UMR CNRS 5190 LARHRA). Ses recherches portent sur l’histoire du catholicisme et de la Cour en France sous l’Ancien régime, plus particulièrement au xviiie siècle. On peut citer ses derniers ouvrages : La vertu et le secret. Le dauphin, fils de Louis XV, Paris, Honoré Champion, 2006 ; Louis XV. Un portrait, Toulouse, Privat, 2009 ; Histoire des ordres religieux, Paris, PUF, 2012 ; et Les moines dans la cité xvie-xviiie siècle, Paris, Belin, 2016.
Daniel-Odon Hurel Daniel-Odon Hurel est directeur de recherche au CNRS, directeur adjoint du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (UMR 8584). Il a dirigé le Centre européen de recherche sur les congrégations et les ordres religieux (2008-2012). Il s’intéresse particulièrement à l’histoire religieuse, politique, intellectuelle et culturelle de la Congrégation de Saint-Maur (xviie-xviiie siècles), essentiellement à partir de la correspondance des mauristes, et à l’histoire du monachisme à l’époque moderne (xvie-xixe siècle). On peut citer, parmi les ouvrages récents qu’il a codirigé : (avec J.-F. Cottier et B.-M. Tock), Les personnes d’autorité en milieu régulier des origines de la vie régulière au xviiie siècle, SaintÉtienne, PUSE, 2012 ; (avec S. Excoffon), Les chartreux et les élites, xiie-xviiie siècles, SaintÉtienne, CERCOR, 2013 ; (avec A. Peters-Custot), Interactions, emprunts, confrontations chez les religieux. Antiquité tardive-fin du xixe siècle, Saint-Étienne, PUSE, 2015 ; (avec M.C. Pitassi), La Théologie, une Anthologie. IV : Les temps modernes, Paris, Éd. du Cerf, 2013 ; (avec Th. Barbeau), Solesmes : prieuré médiéval, abbaye contemporaine, Paris, Riveneuve Éditions, 2016 ; et (avec S. Icard), La Prière continuelle au xviie siècle. Exégèse, liturgie, mystique, Turnhout, Brepols, 2017. 340
Collaborateurs du volume
Jean-Marie Le Gall Jean-Marie Le Gall, est professeur d’histoire moderne à Paris 1 Panthéon Sorbonne, dont il dirige l’UFR d’histoire depuis 2012. Spécialiste de la Renaissance, il a publié entre autres ouvrages : Les moines au temps des réformes, 1480-1560, Seyssel, Champ Vallon, 2001 ; Le mythe de saint Denis entre Renaissance et Révolution, Seyssel, Champ Vallon, 2007 (prix Le Dissez de Penanrum de l’Académie des sciences morales et politiques, 2007, médaille des antiquités de la France de l’académie des Inscriptions et Belles Lettres en 2008) ; Les humanistes en Europe, xve-xvie siècle, Paris, Ellipse, 2008 ; Un idéal masculin ? Barbes et moustaches xve-xviiie siècle, Paris, Payot, 2012. L’Ancien régime xvie-xviie, Paris, PUF, 2013, 198 p. L’honneur perdu de François Ier : Pavie 1525. Payot, 2015 ; Les guerres d’Italie 14941559 : une lecture religieuse, Genève, Droz, 2017, 216 pages. Il a dirigé l’édition de deux colloques : Les capitales de la Renaissance, Rennes, PUR, 2011 ; La défaite à la Renaissance, Genève, Droz, 2016. À la suite des attentats de 2015, il a publié, avec Denis Crouzet, Au péril des guerres de religion, Paris, PUF, 2016. Il publiera en mars 2018 un essai intitulé Défense et illustration de la Renaissance.
Bernadette Majorana Bernadette Majorana est professeur associé des Disciplines du spectacle à l’Université de Bergame (Italie) et a également enseigné en France (EHESS, Université Blaise-Pascal, Université Lyon-Lumière). Dans la perspective du rapport entre histoire et représentation figurative et théâtrale, ses travaux portent sur l’âge moderne, en particulier sur les missions rurales italiennes, l’art du comédien, les fêtes de canonisation ; concernant l’époque contemportaine, ses travaux portent sur le théâtre populaire en Sicile, notamment La gloriosa impresa. Storia e immagini di un viaggio secentesco (Palerme, 1990), Teatrica missionaria. Aspetti dell’apostolato popolare gesuitico nell’Italia centrale fra Sei e Settecento (Milan, 1996, thèse doctorale), Pupi e attori ovvero l’opera dei pupi a Catania. Storia e documenti (Rome, 2008 – Prix national Pirandello 2012).
Frédéric Meyer Frédéric Meyer est professeur d’histoire moderne à l’Université Savoie Mont Blanc (Chambéry), laboratoire LLSETI. Ses recherches portent sur le clergé d’ancien régime, en particulier les Franciscains et l’entourage épiscopal, sur l’histoire religieuse et culturelle en régions de frontière, dans le grand Sud Est de la France et dans les anciens Etats de SavoiePiémont. Il a initié le projet ANR Lodocat (Lotharingie-Dorsale catholique ixe-xviiie siècles) en 2014-2015. Parmi ses dernières publications : La foi des montagnes. Culture et religion dans la Savoie d’ancien régime, Annecy, Académie salésienne, Mémoires et documents, t. 121, 2014. Il a notamment codirigé les ouvrages Frontières et altérité religieuse : la religion dans le récit de voyage. xve-xxe siècle, à paraître en 2018 ; La Maison de Savoie du xvie au xviiie siècle. Images d’une dynastie, Chambéry, Société savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, 2014 ; Dorsale catholique, jansénisme, dévotions : xvie-xviiie siècles. Mythe, réalité, actualité historiographique, Paris, Riveneuve, 2014 ; (avec L. Viallet), Silence du cloître. Exemples des saints. xive-xviie siècles. Identités franciscaines à l’âge des réformes, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2011. 341
Collaborateurs du volume
Stefania Nanni Stefania Nanni est professeur d’histoire moderne à l’Université La Sapienza de Rome (Departement d’Histoire, antrhopologie, religion). Ses recherches portent principalement sur les congrégations religieuses, les missions, les dévotions entre les xviie et xviiie siècles, la sacralisation des espaces à Rome et dans le domaine des missions ad gentes. Elle a participé et dirigé des projets de recherche internationaux et des volumes collectifs : La musica dei semplici. L’altra Controriforma (Rome, 2012), La mémoire des saints est issue des xvie et xviiie siècles (co-direction avec Bernard Dompnier), Rome, École française de Rome, à paraître.
Simona Negruzzo Simona Negruzzo est professeur d’Histoire moderne à l’Alma Mater Studiorum – Université de Bologne et professeur invité d’histoire de l’Église à la Faculté de théologie de Lugano. Spécialiste de l’Europe moderne, ses recherches croisent aussi l’histoire des institutions (surtout celles de formation des élites : écoles, collèges, universités), de la diplomatie et du christianisme (art et dévotion, missions, société). Parmi ses ouvrages, on peut citer : Collegij a forma di Seminario. Il sistema di formazione teologica nello Stato di Milano in età spagnola, Brescia, La Scuola, 2001 ; L’armonia contesa. Identità ed educazione nell’Alsazia moderna, Bologne, Il Mulino, 2005 ; Europa 1655. Memorie dalla corte di Francia, Milan, Cisalpino 2015.
Ludovic Viallet Ludovic Viallet est maître de conférences habilité en Histoire médiévale et membre du centre d’histoire « espaces et cultures » (CHEC) à l’Université Clermont Auvergne. Spécialiste de l’histoire sociale et religieuse de la fin du Moyen Âge, il consacre une bonne part de ses recherches aux courants réformateurs ayant traversé l’Ordre franciscain au xve siècle et au début du xvie, en France et dans le monde germanique ; plus largement, par ses travaux individuels ou les entreprises collectives auxquelles il participe, il s’efforce de réfléchir sur les formes, les significations et les enjeux (sociaux, politiques, culturels) des réformes religieuses des xve-xvie siècles. Parmi ses publications : Les sens de l’observance. Enquête sur les réformes franciscaines entre l’Elbe et l’Oder, de Capistran à Luther (vers 1450-vers 1520), Münster, Lit Verlag (Vita regularis, 57), 2014 (Prix Lantier 2015 décerné par l’Académie des Inscriptions et BellesLettres).
Marie Viallon Marie Viallon est professeur de littérature et civilisation italiennes à l’université Lyon III – Jean-Moulin et membre de l’UMR CNRS-5317. Spécialiste de l’histoire civile et religieuse de Venise et plus particulièrement de Paolo Sarpi, elle a notamment publié, en collaboration avec Bernard Dompnier : Paolo Sarpi. Histoire du concile de Trente (Paris, Honoré Champion, 2002). Elle a fait paraître sur le même auteur Autour du concile de Trente (Saint-Étienne, PUSE, 2006), Paolo Sarpi. Politique et religion en Europe (Paris, Garnier, 2010) et Paolo Sarpi. Lettres italiennes (Paris, Garnier, 2017). 342
Collaborateurs du volume
Paola Vismara (1947-2015) Professeur d’histoire de l’Église à l’Université de Milan, Paola Vismara s’est imposée comme l’une des principales spécialistes du catholicisme des xviie et xviiie siècles qu’elle a abordé, étudié et enseigné sous des aspects variés (institutionnel, populaire, doctrinal, culturel). Parmi ses très nombreux travaux, signalons : Cattolicesimi. Itinerari sei-settecenteschi (Milano, 2002), Oltre l’usura. La Chiesa moderna e il prestito a interesse (Soveria Mannelli, 2004), Confréries et dévotions dans la catholicité moderne (mi-xve-début xixe siècle), publié en collaboration avec Bernard Dompnier (2008), La Chiesa tra Rinascimento e Illuminismo (Roma, 2006, en collaboration avec Luigi Mezzadri).
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Table des matières Avant-propos, par Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours, Daniel-Odon Hurel
5
Première partie - Les réguliers au cloître et dans le monde
« Du froc à la mitre : Germain Allart (1617-1685), récollet puis évêque », par Frédéric Meyer
11
« Sève ou poison ? Enfance et jeunesse dans les réformes régulières françaises à l’époque moderne », par Grégory Goudot
23
« “Aimez Dieu et vivez en paix” : gouverner la congrégation des chanoines de Sainte-Geneviève dans les années 1660 », par Isabelle Brian
37
« Du rififi au couvent ou Conspiration contre Sarpi », par Marie Viallon
53
« All’origine dell’opzione apostolica dei carmelitani scalzi. Tramiti a scala multipla (1582-1604) », par Stefania Nanni
65
Deuxième, partie - Les ordres religieux, fenêtre sur la liturgie et les dévotions
« Le démon de midi. Exercice, prière et chant liturgique chez les franciscains (xve-début xvie siècles) », par Ludovic Viallet
79
« Quand Benoit de Nursie rend hommage à François d’Assise grâce à un capucin », par Daniel-Odon Hurel
95
« Mysticisme, théo-didactisme et genre au xviie siècle. L’exemple de Marie Guyart de l’Incarnation », par Dominique Deslandres
111
« De la mise en scène à la mise en mots de la fête baroque : les célébrations de la béatification de François de Sales sous la plume des visitandines », par Marie-Élisabeth Henneau
121
« Entre récréation, apologie et apologétique : les “Couplets” du Carmel de Saint-Denis (1771-1787) », par Bernard Hours
145
Troisième partie - Musique et musiciens au service du sacré
« Être organiste chez les mauristes à la veille de la Révolution », par Sylvie Granger
167
« D’une historiographie l’autre : éloge par l’exemple de la base de données prosopographique Muséfrem », par Xavier Bisaro
185
« L’apprentissage vocal des enfants de chœur dans la France du xviie siècle : “la plus belle voix & plus propre au service de l’Église” », par Jean Duron
197
345
Table des matières
« L’abbé Paul-Louis de Mondran et la musique », par Thierry Favier
213
« La musica a S. Ivo dei Bretoni in età moderna : uno studio archivistico », par Michela Berti
231
Quatrième partie - Des saints et du sacré
« Réflexions sur la royauté sacrée », par Jean-Marie Le Gall
247
« L’acteur nécessaire : dramaturgie de la sainteté et sainteté représentée », par Bernadette Majorana
267
« Le coronazioni mariane nell’Italia settentrionale », par Simona Negruzzo
283
« La tavola del perdono. L’Arciconfraternita delle Sacre Stimmate e i rituali dell’accoglienza nel giubileo del 1725 », par Sara Cabibbo
301
« Une dévotion au siècle des Lumières : Marie “divine bergère” », par Paola Vismara
313
Index 327 Collaborateurs du volume 337
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