Cartesius edoctus: Hommage à Giulia Belgioioso 9782503592930, 2503592937


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Table of contents :
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IGOR AGOSTINI. « Instar venti, vel ignis, vel aetheris »
JEAN-ROBERT ARMOGATHE. Le cartésianisme éclaté de Paolo Mattia Doria
CARLO BORGHERO. « Un homme à canoniser » ?
FRÉDÉRIC DE BUZON. Le concept cartésien de mathesis universalis et la seconde partie des Regulae ad directionem ingenii
VINCENT CARRAUD. Rien n’est plus ancien que la vérité
MARTA FATTORI. Il votum di Tommaso Maria Mamachi su le Riflessioni intorno l’origine delle passioni di Francesco Antonio Piro
DANIEL GARBER. The Chapters of L’Homme Descartes Didn’t Write
DENIS KAMBOUCHNER. Theatrum metaphysicum
JEAN-LUC MARION. Montaigne ou le bon usage du scepticisme de saint Augustin
MARTINE PÉCHARMAN. La formule eucharistique dans L’Art de penser en 1683
FABIO A. SULPIZIO. La legge del corpo
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Cartesius edoctus: Hommage à Giulia Belgioioso
 9782503592930, 2503592937

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CARTESIUS EDOCTUS

THE AGE OF DESCARTES

CENTRO DIPARTIMENTALE DI STUDI SU DESCARTES “ETTORE LOJACONO”

VOLUME 6 Series Editor Giulia Belgioioso, Università del Salento Editorial Board Igor Agostini, Università del Salento Roger Ariew, Tampa University, Florida Jean-Robert Armogathe, Institut de France Carlo Borghero, Università di Roma, La Sapienza Vincent Carraud, Sorbonne Université Alan Gabbey, Barnard College Daniel Garber, Princeton University Tullio Gregory †, Accademia dei Lincei Jean-Luc Marion, Académie française

Cartesius edoctus Hommage à Giulia Belgioioso

Édité par igor agostini et vincent carraud

© 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2022/0095/194 ISBN 978-2-503-59293-0 ISSN 2566-025X eISSN 2566-0276 Printed in the EU on acid-free paper.

Table des matières

Avant-propos

7

Études « Instar venti, vel ignis, vel aetheris ». Dall’Aristotele degli Essais all’Aristotele delle Meditationes ? Igor Agostini

13

Le cartésianisme éclaté de Paolo Mattia Doria Jean-Robert Armogathe

29

« Un homme à canoniser » ? Sur Christine et Descartes encore une fois Carlo Borghero

35

Le concept cartésien de mathesis universalis et la seconde partie des Regulae ad directionem ingenii. Objets mathématiques et facultés de l’esprit Frédéric de Buzon

59

Rien n’est plus ancien que la vérité. Méthode et apologétique Vincent Carraud

75

Il votum di Tommaso Maria Mamachi su le Riflessioni intorno l’origine delle passioni di Francesco Antonio Piro Marta Fattori

101

The Chapters of L’Homme Descartes Didn’t Write Daniel Garber

115

Theatrum metaphysicum. Les Méditations et le mythe du solipsisme cartésien Denis Kambouchner

133

6

TABLE DES MATIÈRES

Montaigne ou le bon usage du scepticisme de saint Augustin Jean-Luc Marion

147

La formule eucharistique dans L’Art de penser en 1683. Quelle continuité avec le premier état de la Logique de Port-Royal ? Martine Pécharman

159

La legge del corpo. Filosofia e medicina nel tardo settecento francese Fabio A. Sulpizio

189

Témoignages

203

Bibliographie de Giulia Belgioioso

223

Index nominum

231

Avant-propos

« Un nouveau royaume dans le pays des salentins » Les études qui composent ce recueil ont été prononcées le 6 octobre 2017 au Monastero degli Olivetani de Lecce, en hommage à Madame Giulia Belgioioso, au moment où la Professoressa quittait à la fois son enseignement et la direction du Centro Dipartimentale di studi su Descartes – Ettore Lojacono. Le titre qui les réunit – Cartesius edoctus – suffit à dire l’essentiel pour un professeur qui a toujours su laisser la première place à celui qui a fait l’objet principal de ses leçons : mais si elle a inlassablement enseigné Descartes et le cartésianisme, Giulia Belgioioso a aussi fait de Salente un « nouveau royaume » cartésien en y développant ses propres études, en y organisant des rencontres internationales et en établissant, pour continuer de parler comme Fénelon, « toutes les plus utiles maximes de gouvernement » pour les recherches des nombreux jeunes chercheurs qu’elle a formés et des équipes qui ont travaillé à l’œuvre commun, en particulier à l’édition magistrale de Tutte le lettere et des Opere et Opere postume qu’on a pris l’habitude de citer « éd. Belgioioso » ou plus laconiquement encore « BLet, BOp I, BOp II » – pour l’instant, et quelque étonnant que cela puisse paraître, il s’agit de la seule édition bilingue complète des œuvres et des lettres de Descartes. Ces quatre piliers sont ceux sans lesquels il n’est pas de fondation universitaire solide. Tout professeur sait que l’enseignement (premier pilier) n’est gratifiant que par hasard, quand la rencontre d’un plus jeune collègue lui fait évoquer les maîtres qui l’ont formé. La solidité des trois autres piliers, en revanche, se mesure objectivement et force à plusieurs titres l’admiration envers Giulia Belgioioso. Selon l’habitude, le présent volume rend d’abord hommage à sa recherche en lui offrant des études que leur inscription historique, le thème qu’elles abordent ou le problème qu’elles traitent relient aux siennes, dont on trouvera le relevé dans la bibliographie donnée en appendice (Articles, deuxième pilier de la « fondation de Salente »). On y trouvera aussi la mention des six colloques qui ont fait date dans l’histoire récente de l’interprétation cartésienne, dont les plus substantiels (plus de 3500 pages !) ont été publiés à l’occasion d’anniversaires cartésiens (Recueils, troisième pilier). Et tous les chercheurs savent ce qu’ils doivent à l’usage désormais irremplaçable des rééditions des œuvres de Descartes ou de leurs traductions dans leurs publications originales : le Discours de la méthode (1637, 1987), les Meditationes (1642, 1992), les Principia (1644, 1994), les Specimina (1644, 1998), les Passions de l’âme (1650, 1996), les Passiones animae (1650,

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AVANT-PROPOS

1997) et surtout l’inépuisable mine que constituent les Lettres de M. Descartes dans l’exemplaire annoté de la Bibliothèque de l’Institut (1666-1667, 2005) – pour ne rien dire des collections fondées ou cofondées par Giulia Belgioioso : non seulement celles d’études cartésiennes, mais aussi l’Aurifodina philosophica, qui, rééditant des ouvrages rarissimes du xviie siècle, éclaire d’une lumière nouvelle le contexte érudit du cartésianisme. Quant au quatrième pilier du « bâtiment qu’un seul architecte a entrepris », la consultation du site www.cartesius.net en fournira une présentation exhaustive qui excéderait les limites d’un avant-propos : vingt cycles de doctorat et une soixantaine de thèses soutenues, l’accès à toute la bibliographie cartésienne depuis 1800, les revues Alvearium et Examina philosophica, etc. Faute de pouvoir accor‐ der ici une place à tous les chercheurs, jeunes ou moins jeunes, qui l’eussent souhaité – nous en sommes désolés –, le présent volume recueille ensuite plu‐ sieurs témoignages de collègues qui rendent partiellement compte des fruits insti‐ tutionnels, scientifiques et amicaux dus à l’inlassable activité de la Professoressa. On saisit ainsi pourquoi, parmi les historiens de la philosophie moderne, dire « Lecce » ou dire « Giulia Belgioioso » acquiert quasiment le statut d’antono‐ mase : car c’est dire quatre décennies d’études cartésiennes, dont nous voudrions brièvement caractériser les enjeux méthodologique et académique à partir de trois dates décisives. Avant 1987, disons à partir de la publication de 1981-1986 (Manoscritti napo‐ letani di Paolo Mattia Doria, Congedo Editore), préparée par plusieurs articles réunis en 1992 dans Cultura a Napoli e cartesianesimo, Giulia Belgioioso s’est intéressée au « cartésianisme » napolitain si singulier et si complexe. Le choix séminal des écrits de Doria (auquel Jean-Robert Armogathe consacre ici sa contri‐ bution) et Cominale (puis, pour Bari, de Gimma) s’avère avoir été doublement significatif : d’abord, bien sûr, le cartésianisme ; mais, ensuite, un cartésianisme ou des cartésianismes particuliers, dont l’originalité interprétative ne se laisse évaluer qu’au croisement d’autres influences subtiles. Les recherches sur la réception, les mutations, les évolutions, les réfutations du cartésianisme constitueront dès lors une constante des travaux entrepris par Giulia Belgioioso, qui remonteront du xviiie siècle ou de la fin du xviie siècle à la toute première réception de l’œuvre cartésien par Clerselier, dont elle a montré le rôle capital d’éditeur, de diffuseur et d’interprète. Mais aussi un fil directeur des nombreux travaux qu’elle a initiés, sur nombre de « petits cartésiens » de la seconde moitié du xviie siècle. 1987. Après ces années de gestation discrète, sinon confidentielle, l’acte de naissance du nouveau royaume, éclata, aux yeux des cartésiens, lors du colloque de 1987 sur le Discours de la méthode et les Essais, dont on ne saurait suresti‐ mer l’importance, non seulement en raison de la qualité et de la diversité des contributions, qui ont été largement soulignées alors, mais encore parce que le recul fait apparaître ce colloque comme un moment de transition essentiel dans les études cartésiennes. La génération des grands historiens de la philosophie moderne participait à ce colloque (Geneviève Rodis-Lewis, Armand Beaulieu, Pierre Costabel, Paul Dibon, Alan Gabbey, Ludovico Geymonat, Tullio Gregory –

AVANT-PROPOS

ancien professeur à Lecce, le dernier à nous avoir quittés –, Ettore Lojacono, Paolo Rossi, André Robinet et a.), ainsi que les cartésiens aux publications déjà internationalement reconnues de la génération de Giulia Belgioioso : tout se passe, vu d’aujourd’hui, comme si les premiers avaient adoubé les seconds, et par là même comme si les années 80 avaient marqué la fin des présentations générales, voire systématiques, et des grandes synthèses de la doctrine cartésienne, au profit d’études plus approfondies, c’est-à-dire à la fois renouvelées et détaillées, qui allaient constituer la bibliographie aussi savante qu’abondante des trois dernières décennies. Qu’on relise Descartes : il Metodo e i Saggi : on y verra désormais à plein cette transition méthodologique des recherches cartésiennes, dont, inaugurant ce « nouveau royaume », Giulia Belgioioso fut l’artisan – et par là même le Mentor des travaux précis consacrés au cartésianisme depuis lors. 1998. La fondation du Centro Interdipartimentale di studi su Descartes e il Seicento a fourni le complément institutionnel des avancées méthodologiques évoquées plus haut. Très vite devenu l’alter ego du Centre d’études cartésiennes de la Sorbonne, le Centro a doté son partenariat scientifique d’une convention de doctorat européen, puis d’un master international commun, qui ont chaque année profité à plusieurs doctorants et étudiants de master – au demeurant, c’est pour mettre en évidence l’attachement à la France de la Professoressa que le présent volume est publié et introduit à la fois par son successeur à l’Università del Salento et par le directeur du Centre d’études cartésiennes en Sorbonne, où elle fut professeur invité en 2011-2012. Ce cadre permet à des professeurs italiens, américains ou français de tenir un séminaire doctoral très formateur à Lecce – dont l’Université française n’a pas d’équivalent : le « nouveau royaume », reconnu internationalement, n’en est donc pas moins resté celui du « pays des salentins ». Les étudiants qui en ont bénéficié y ont appris en particulier le travail scientifique en équipe, qui seul a permis l’accomplissement de cet opus magnum que fut l’édition des Lettere et des Opere de Descartes. Et très vite, le centre de Lecce, renommé en hommage au grand savant disparu Centro Diparti‐ mentale di studi su Descartes – Ettore Lojacono, est devenu une plaque tournante de rencontres et de recherches internationales (Chicago et Princeton aux États-Unis, Utrecht en Hollande, Campinas et Uberlândia au Brésil, Kyôto, Nagoya et Osaka au Japon…). Preuve que l’on peut être à la fois un chercheur de premier plan et un directeur d’équipe efficace – ce qui est exceptionnel en philosophie. Le bâtiment est solidement fondé, désormais muni de plusieurs étages. Giulia Belgioioso peut se retirer, trente ans après le colloque pionnier de 1987, et « jouir sans empêchement de son loisir », c’est-à-dire revenir en toute liberté à ses recherches personnelles, non sans continuer d’instruire les lecteurs de la savante collection qu’elle dirige, The Age of Descartes / Descartes et son temps. Souhaitons à ses neveux d’avoir le plaisir d’inventer à leur tour, en initiant une nouvelle époque de la vie laborieuse de ce beau royaume des idées. Igor Agostini & Vincent Carraud

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AVANT-PROPOS

Fig. 1. Giulia Belgioioso, en 2017

Fig. 2. Giulia Belgioioso et Jean-Robert Armogathe, en 1987

Études

IGOR AGOSTINI 

« Instar venti, vel ignis, vel aetheris » * Dall’Aristotele degli Essais all’Aristotele delle Meditationes ?

1. Premessa Nella II Meditazione, immediatamente dopo la dimostrazione della propria esistenza con l’argomento cosiddetto del cogito, Descartes osserva : Nondum vero satis intelligo, quisnam sim ego ille, qui jam necessario sum1. Nonostante la certezza della propria esistenza, Descartes afferma di non co‐ noscere ancora a sufficienza (satis) chi egli sia (quis sum). Ed è qui che, nelle Meditationes, inizia la lunga ed articolata discussione sulla natura dell’ego, secondo il titolo della II Meditazione : De natura mentis humanae. Un passo essenziale, nell’inchiesta di Descartes, è la discussione della conce‐ zione prefilosofica e spontanea dell’anima, che egli caratterizza così : Exiguum nescio quid imaginabar, instar venti, vel ignis, vel aetheris, quod crassioribus mei partibus esset infusum2. Questa nozione prefilosofica e, più esattamente, la nozione prefilosofica dell’io come uomo (homo scilicet, BOp I 714, AT VII 26), di cui l’anima è una parte, segna, infatti, il punto di partenza della procedura seguita nella II Meditazione per rispondere alla questione del quis sim. Come noto, Descartes respinge momentaneamente, con la sola eccezione della cogitatio, questa nozione prefilosofica, nella misura in cui è soggetta alle ragioni del dubbio avanzate nella I Meditazione e sottoposta alla negazione del

* In realtà, questo studio non parlerà affatto degli Essais; eppure mi sarebbe stato difficile trovare un titolo meno appropriato, perché è attraverso L’Aristotele degli ‘Essais’ (i riferimenti completi di questo studio del 1990 sono nella bibliografia finale) che venni a conoscenza, ancora giovane laureando, di Giulia Belgioioso, che ebbi poi l’onore di conoscere presto e che mi offrì la grande chance di raggiungerla al centro cartesiano di Lecce. Così, il tentativo, che in questa sede propongo, di un Aristotele delle Meditationes (anzi: della II Meditazione), è un omaggio, oltre che, naturalmente, come l’intero volume, al magistero di Giulia, all’autrice di quel propizio saggio. 1 Meditationes, II, BOp I 714, AT VII 25. 2 Meditationes, II, BOp I 714, AT VII 25. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Descar‐ tes, 6), p. 13-28. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122592

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IGOR AGOSTINI

genio maligno : con l’eccezione della cogitatio, non posso attribuirmi (praecise: dunque, ancora non posso escludere) alcuna delle proprietà contenute in questa nozione prefilosofica (BOp I 714-716, AT VII 26-27). L’indagine della medita‐ zione, dunque, accantonata la nozione prefilosofica dell’uomo, si sviluppa, attorno alla cogitatio, mediante, prima, la scoperta della distinzione fra intellezione ed im‐ maginazione e, poi, di tutti gli altri modi (BOp I 716-718, AT VII 27-28), sino alla formulazione della definizione che chiuderà la parte centrale della meditazione ed riaprirà la terza : « Res cogitans. Quid est hoc ? Nempe dubitans, intelligens, affirmans, negans, volens, nolens, imaginans quoque, et sentiens » (BOp I 718, AT VII 34). Questo spiega perché, nonostante lo spazio dedicato da Descartes alla conce‐ zione prefilosofica dell’anima, gli interpreti abbiano spesso trascurato questa parte della II Meditazione, concentrandosi, al contrario, sulla determinazione dell’io come res cogitans. Seguendo un percorso diverso, in questo studio vorrei invece soffermarmi sulla nozione prefilosofica dell’io ed, in particolare, sulla nozione di anima che vi è contenuta. Descartes la presenta come naturale e spontanea (« sponte et natura duce cogitationi meae antehac occurrebat », BOp I 714, AT VII 25-26) ; tuttavia, come noto, era sua convinzione che tutte le concezioni filosofiche dell’anima basate sulla conoscenza sensibile non fossero altro che un’elaborazione concettuale di questa nozione prefilosofica, in quanto basate sull’idea che è impossibile pensare senza immagini. Ed in effetti è possibile indivi‐ duare dei riferimenti abbastanza precisi, per tutte le componenti della descrizione dell’anima come « exiguum quid » che vengo dal mezionare, compresa l’ultima di esse, « aether », su cui mi soffermerò nella parte centrale di questo testo, cercando di delinearne il retroterra storico-filosofico, a mio avviso negletto dagli interpreti odierni, ma identificato con precisione cristallina dai contemporanei di Descartes. A tal fine, mi appoggerò su due dei più noti commenti seicenteschi alle Meditationes : l’Exegesis in primam et secundam Meditationem (1687) di Johannes Schotanus (1643-1669) e le Annotationes ad Renatis Descartes Meditationes (1688) di Christoph Wittich (1625-1687). Questi commenti seicenteschi alle Meditationes, cui vanno aggiunti almeno la Paraphrasis (1660) di Johannes Clauberg (1622-1665) e l’Analysis exegetica in sex meditationes dello stesso Schotanus (1688), che tuttavia non offrono contributi ri‐ spetto alla questione oggetto di questo saggio, permettono di accedere, come avrò d’altronde modo di dire nel corso dell’esposizione, a un punto di vista privilegiato per inquadrare i riferimenti impliciti, nel testo cartesiano, a tradizioni filosofiche e letterarie che, forse, agli occhi del lettore di oggi appaiono meno evidenti di quanto lo fossero a quelli dei contemporanei, soprattutto per quel che attiene le prime due meditazioni ; ed anche per questo, a dispetto della loro ancora contenuta utilizzazione fra gli studiosi cartesiani, mi appaiono imprescindibili per un commento storico-critico, tutt’oggi mancante, alle Meditationes.

« INSTAR VENTI, VEL IGNIS, VEL AETHERIS »

2. Exiguum nescio quid La procedura seguita da Descartes per rispondere alla domanda « quis sum » è da lui descritta come segue : Quare jam denuo meditabor quidnam me olim esse crediderim, priusquam in has cogitationes incidissem ; ex quo deinde subducam quidquid allatis rationibus vel minimum potuit infirmari, ut ita tandem praecise remaneat illud tantum quod certum est et inconcussum3. Per rispondere alla domanda « quis sim », Descartes propone dunque di sot‐ tomettere alle ragioni del dubbio, già formulate nella I Meditazione, il contenuto della nozione dell’« ego » la cui nozione è stata appena scoperta. Tuttavia, in questo momento, la nozione di « ego » è, concettualmente, in modo esplicito, vuota, in quanto ciò di cui io sono certo è solamente che io esisto. Per fornire un contenuto a questa nozione, Descartes si ritiene quindi obbligato a spostarsi sulle vecchie convinzioni concernenti se stesso (« denuo meditabor quidnam me olim esse crediderim », BOp I 714, AT VII 25). Il suo metodo consisterà nel sottrarre da questa vecchia concezione qualsiasi cosa capace di essere intaccata, anche minimamente, dagli argomenti del dubbio. Ora, il meditante afferma di credere fermamente di essere un uomo. Ma la domanda cruciale è : « Quid est homo ? ». Qui Descartes rifiuta di considerare seriamente la definizione tradizionale di uomo come animale razionale : infatti, dice, si dovrebbe indagare che cos’è ‘animale’ e che cosa è ‘razionale’ ; e quindi, da una singola domanda, si finirebbe insensibilmente in un’infinità di altre domande più difficili. Piuttosto, egli presterà attenzione a cosa, prima di questo momento, si presentava al suo pensiero spontaneamente e sotto la guida della natura ogni volta che prendeva a considerare cosa fosse : […] Sed hic potius attendam, quid sponte et natura duce cogitationi meae antehac occurrebat, quoties quid essem considerabam4. Il punto di partenza dell’inchiesta di Descartes è, quindi, una concezione prefi‐ losofica e spontanea (« sponte et natura ») di uomo. Ed è esattamente a questa nozione che il dubbio verrà applicato per sottrarre tutto ciò che è dubitabile e per stabilire la verità di qualcosa in quanto non cade sotto il dubbio. Ma qual è il contenuto di questa nozione prefilosofica e spontanea di uomo ? Descartes vi si sofferma a lungo : una pagina piena a cavallo fra AT VII 25, linea 31, e AT VII 26, linea 23 (= BOp I 714) che descrive ciò che un tempo, prima di imbattersi nelle meditazioni metafisiche, e spontaneamente e naturalmente, il meditante credeva d’essere. Il meditante si pensava dunque come una macchina di membra, quale si trova anche nei cadaveri, e che designava col nome di corpo, la quale esercitava una 3 Meditationes, II, BOp I 714, AT VII 25. 4 Meditationes, II, BOp I 714, AT VII 25-26.

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IGOR AGOSTINI

serie di azioni – camminare, sentire e pensare – che riferiva all’anima. Interrogan‐ dosi su cosa fosse il corpo, lo caratterizzava come qualcosa che è suscettibile di essere delimitato da una figura, di essere circoscritto in un luogo, di riempire lo spazio in modo tale da escludere da quest’ultimo ogni altro corpo, di essere percepito col tatto, con la vista, con l’udito, col gusto o con l’odorato ; e che, inoltre, è mosso in più modi, non da se stesso, ma da un qualsiasi altro corpo da cui venga toccato, in quanto alla sua natura non appartiene la forza di muovere se stesso, e così pure di sentire, o di pensare. L’anima, in maniera complementare, è considerata, nel suo rapporto al corpo, come il principio delle funzioni motrici e sensoriali e del pensiero. Ma l’anima, considerata in se stessa, cos’è ? Sed quid esset haec anima, vel non advertebam, vel exiguum nescio quid imaginabar, instar venti, vel ignis, vel aetheris, quod crassioribus mei partibus esset infusum5. La domanda che ispira questo mio studio è la seguente : vi sono delle tradi‐ zioni filosofiche o – più in generale culturali – cui, più o meno precisamente, una tale concezione si riferisce, o che essa evoca ? La maggior parte degli studiosi cartesiani non sembra considerare seriamente la domanda, se non in termini generici. Henri Gouhier, a proposito di questa nozione prefilosofica, parlava di « une espèce de métaphysique pré-philosophique qui est à la fois matérialisme et dualisme » e « s’exprime dans l’étymologie du mot anima6 ». Questa magistrale e sintetica descrizione è esemplificativa della convinzione, largamente diffusa tra gli studiosi, che lo scopo di Descartes non sia quello di riferirsi ad una determinata tradizione filosofica, ma solo di descrivere che cosa può ritenere di essere, allorché si interroga sulla sua natura, un uomo che non si è ancora elevato ad un punto di vista filosofico. Questo, naturalmente, è tanto vero al punto di essere quasi banale. Descar‐ tes, d’altronde, sarà nuovamente esplicito, su questo punto, con Pierre Gassendi (1592-1655) : Quod autem dixi […] meque imaginatum esse animam instar venti, vel ignis, et talia […] ibi tantum ex vulgi opinione retuli7. Ma questo non era tutto.

3. Le priscae de essentia animae opiniones Era convinzione di Descartes, come rilevavo, che tutte le filosofie fondate sull’idea che la conoscenza inizia dai sensi fossero null’altro che una versione 5 Meditationes, II, BOp I 714, AT VII 26. 6 H. Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, Vrin, Paris, 1962, p. 367. 7 Responsiones V, BOp I 1150, AT VII 351.

« INSTAR VENTI, VEL IGNIS, VEL AETHERIS »

concettualmente elaborata di una visione prefilosofica della realtà. Secondo De‐ scartes, allora, l’« opinio vulgi » è sia questa visione spontanea, sia la sua elabora‐ zione filosofica, basate entrambe sul principio che è impossibile pensare senza immagini. Lo farà notare Schotanus, nella sua Exegesis in primam et secundam meditationem : Et hae fere priscae de essentia animae opiniones erant, quales quoque multi ex philosophis de eadem animo conciperant, ut passim apud philosophos aliosque scriptores videre est8. Il fatto, dunque, che la nozione di anima come corpo sottile sia, prima di tutto, l’espressione di un punto di vista spontaneo e prefilosofico non esclude affatto l’esistenza di un retroterra filosofico preciso e determinato che Descartes aveva la certezza che codesta descrizione potesse evocare fra i lettori dell’epoca. In un certo senso, qui vale la stessa cosa di quello che indagini come quelle di Tullio Gregory hanno mostrato a proposito della figura del genio maligno della prima meditazione, per la ragione che, a dispetto della scoperta del cogito, il meditante, a questo livello delle Meditationes, non si è ancora staccato dalle opinioni acquisite : la seconda meditazione è incomprensibile se non si tiene presente questo punto ; e la prova decisiva è offerta dal ruolo preponderante svolto, almeno sino a prima della terza ed ultima parte (l’esame del pezzo di cera), dall’atto della negazione (in conformità alla dichiarazione programmatica che chiudeva la prima meditazione), il grande protagonista della parte centrale della meditazione, applicato in modo ossessivo a tutte le componenti della nozione prefilosofica, per questo ogni volta ricapitolate, talvolta anche per ellisse, dentro la negazione, come esemplarmente in AT VII 27, l. 18, BOp 718 (« Quid praeterea ? Imaginabor : non sum […] »). Ora, sia i commentatori del diciassettesimo secolo, sia i commentatori a noi contemporanei che hanno voluto interrogarsi sul retroterra della nozione prefilo‐ sofica di uomo non hanno avuto dubbi nell’affermare che, riferendosi all’anima quale principio delle funzioni corporee (movimento, nutrimento, sensazione), Descartes evocasse la concezione aristotelica dell’anima come atto primo di un corpo fisico organico. Ancora una volta, Schotanus era qui perfettamente chiaro : Et profecto haec fere vel huius farinae est universa cognitio, quam plerique e Philosophis, tam antiquis quam recentioribus Peripateticis et scholasticis, de animae essentia se habere profitentur. Illi enim praeter cogitandi facultatem, nutriendi et loco movendi et sentiendi facultatem animae rationali ascribunt, putantes omnem augmentationem, motum ac sensum a sola anima non autem a corpore fieri. Et has animae rationali proprietates ut actiones ascribebat quoque Philosophus9.

8 J. Schotanus, Exegesis in primam et secundam meditationem R. Cartesii, ut et quaestiones metaphysicae, in quibus methodus Cartesii asseritur, ex officina Johannis Gyselaar, Franequerae, 1687, p. 189. 9 J. Schotanus, Exegesis, cit., p. 188.

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IGOR AGOSTINI

Gli studiosi contemporanei, come dicevo, danno per lo più lo stesso reso‐ conto10. Tuttavia, se ci spostiamo dalla descrizione dell’anima come principio delle funzioni corporee alla descrizione dell’anima in se stessa, come corpo sottile, « instar venti, vel ignis, vel aetheris », le cose cambiano. I pochi studiosi che si sono interrogati in proposito sono inclini a far risalire questa descrizione alla tra‐ dizione stoica ed epicurea11, supportati, d’altronde, dall’autorevole testimonianza di Gassendi, che, nelle sue Objectiones, obietta a Descartes di non essere stato in grado di escludere l’anima come corpo sottile12. Questa, però, è solo una parte della storia. Anche altre tradizioni dottrinali avrebbero potuto attagliarsi altrettanto, e forse meglio, alla caratterizzazione del‐ l’anima come « exiguum quid ». Vi è tutta la dottrina della corporeità sottile rinascimentale, che va da Campanella a Fludd13. Inoltre, la definizione dell’anima come « exiguum quid », almeno per quel che riguarda le due prime componenti, « instar venti, vel ignis », richiama la tradizione degli spiriti animali di Galeno, che Descartes caratterizza infatti, almeno due volte, prima nel Discours, poi nelle Passions, esattamente come nelle Meditationes, come vento sottile, fiamma, o aria : […] des esprits animaux, qui sont comme un vent très subtil, ou plutôt comme une flamme très pure et très vive […]14 […] un certain air ou vent très subtil qu’on nomme les esprits animaux […]15 Clerselier stesso, d’altronde, aveva evocato proprio questa tradizione, tradu‐ cendo liberamente in francese il passo delle Rationes more geometrico dispositae dove Descartes spiegava la sua preferenza per la parola « mens » rispetto a quella di « anima » per designare la sostanza pensante : en ce qu’on l’attribue aussi quelquesfois au vent & aux liqueurs fort subtiles ; mais ie n’en sçache point de plus propre16. La tradizione culturale che stava dietro alla nozione di anima come « exiguum quid » era, dunque, estremamente ampia. Eppure, il testo di Descartes fornisce in controluce degli elementi più precisi per l’identificazione del suo riferimento : menzionando, difatti, vento, fuoco, od etere, Descartes richiamava, in maniera ine‐

10 Cf. ad esempio, E. Scribano, Guida alla lettura delle « Meditazioni metafisiche » di Descartes, Laterza, Bari, 2018, p. 43 : “L’attribuzione delle funzioni vitali all’anima è di origine aristotelica”. 11 Cf. ad esempio, C. Wilson, Epicureanism at the Origins of Modernity, UP, Oxford, 2008, 116-117 ; E. Scribano, Guida alla lettura, cit., p. 44. 12 Obiectiones V, BOp I 1032-1033, AT VII 262 : “Probandum superest tibi, vim cogitandi ita esse supra naturam corpoream, ut neque spiritus, neque aliud corpus agile, purum, tenüe, ulla dispositione parabile sit, quod cogitationis efficiatur capax”. 13 Su questa tradizione, cf. M. L. Bianchi, « Corporéité subtile et magie à l’époque de Descartes », Recherches sur le xviie siècle, V (1982), p. 37-43. 14 Discours, V, BOp I 88, AT VI 54. 15 Homme, I, BOp II 2338, AT XI 332. 16 AT IX-1 11.

« INSTAR VENTI, VEL IGNIS, VEL AETHERIS »

quivocabile, la dottrina dei cinque elementi, e si riferiva, con ogni probabilità, ad una largamente diffusa dossografia sulla natura dell’anima risalente all’antichità. L’aveva codificata Aristotele, nel De anima (I, 2) : per Democrito l’anima è un fuoco, perché tra gli elementi è quello più sottile ; per Diogene di Apollonia essa è aria, per lo stesso motivo ; per Ippone, invece, essa è acqua. Tutti gli elementi, dunque, concludeva Aristotele, hanno un loro sostenitore, tranne la terra, che nessuno ha indicato, eccetto chi ha affermato – il riferimento è forse a Crizia o ad Empedocle17 – che l’anima è costituita da tutti gli elementi o si identifica con tutti gli elementi18. È proprio a questa dossografia che si richiamerà, esplicitamente, Gassendi, nel Syntagma19, attestandone dunque – se ve ne fosse stato bisogno – la persistenza in pieno Seicento ; del resto, Descartes l’avrebbe potuta trovare nei manuali scolastici studiati a La Flèche20. Se, dunque, il riferimento di Descartes era, genericamente, ad una concezione dell’anima come materia sottile, esso si articolava altresì, seppur in termini impli‐ citi, in differenti opzioni teoriche che identificavano diverse tipologie di materia sottile, le quali opzioni rinviavano ad una tradizione ben precisa, che collocava la natura dell’anima in uno dei quattro elementi, il cui primato risultava stabilito, fra gli altri motivi, proprio dal maggior grado di sottigliezza di un elemento rispetto ad un altro.

4. Et ipsius Aristotelis Gli studiosi convengono peraltro nel ritenere che, se c’è una tradizione cui Descartes non si riferisce, nella sua descrizione dell’anima come « exiguum quid », questa è proprio quella aristotelica. Così, nel più interessante studio dedicato al problema dell’immortalità dell’anima in Descartes, si legge : While these free, spontaneous musings about the corporeal nature of the soul have nothing in common with the Aristotelian tradition of soul as the form of the body, the listen powers of functions of the soul are the usual potentiae animae of the Aristotelian-scholastic tradition.21. Le parole di Fowler riassumono perfettamente quella che è la comune convin‐ zione tra gli studiosi : la nozione prefilosofica dell’anima della II Meditazione

17 Cf. la nota di Giancarlo Movia in Aristotele, L’anima, Traduzione, Introduzione e commento a cura di G. Movia, Loffredo Editore, Napoli, 1991, p. 244, n. 14. 18 Aristoteles, De Anima, 403b20-405b30. 19 P. Gassendi, Syntagma philosophicum, II (Physica), 3, Membrum posterioris, 3, 2, p. 244a-250a. 20 Cf. Conimbricenses, In tres libros de Anima Aristotelis Stagiritae, A. Mariz, Coimbra, 1598, I, 2, p. 17 ; F. Toletus, In De anima, I, 2, in Opera Omnia Philosophica. Cum Indicibus Copiosissimis Nunc demum in Germania coniunctim edita, Coloniae Agrippinae, in Officina Birckmannica, sumptibus Hermanni Mylii, 1615, rist. anast. : Olms, Hildesheim, III, f. 22v-23v. 21 C. F. Fowler, Descartes on the Human Soul : Philosophy and the Demands of Christian Doctrine, Kluwer, Dordrecht, 1999, p. 166.

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se, da un lato, per quanto riguarda l’anima considerata in rapporto col corpo, può essere fatta risalire alla concezione aristotelica dell’anima come entelechìa del corpo, dall’altro, per quanto riguarda la descrizione dell’anima considerata in se stessa, cioè come corpo sottile, non ha nulla in comune con Aristotele. La ragione che sta dietro questa convinzione interpretativa è facilmente ri‐ costruibile : questa concezione prefilosofica attribuisce all’anima caratteristiche corporee, le quali non sono compatibili con la nozione aristotelica dell’anima come forma. Così, altri interpreti dichiarano pacificamente il proprio imbarazzo di fronte alla giustapposizione, da parte di Descartes, a poche righe di distanza, all’interno della nozione prefilosofica, della concezione dell’anima come principio delle funzioni corporee con la sua descrizione in termini di corpo sottile. È il caso di John Carriero nel suo commento alle Meditationes : It may seem surprising to see the suggestion that the soul is some kind of subtle matter in what is otherwise a recitation of an Aristotelian conception of the soul22. Tuttavia, Carriero non sembra molto preoccupato di questo. Secondo lui, nella II Meditazione Descartes si limiterebbe a descrivere l’opinione prefilosofica che è all’origine di dottrine metafisiche più sofisticate e sarebbe fondamentalmente disinteressato ad offrire un resoconto tecnico dell’ilemorfismo, tale quale, ad esempio, si trova nella questione 75 della Prima pars della Summa Theologiae23. Anche l’analisi di Carriero, quindi, finisce per confermare il grande presupposto condiviso da questa lettura canonica : l’idea dell’anima come « exiguum quid » non ha nulla a che fare con la tradizione aristotelica. Ora, prima facie, questo fatto è alquanto paradossale : è noto difatti che, se c’è una filosofia che Descartes ha sempre ritenuto come parassitaria della concezione prefilosofica del mondo e dell’idea che tutta la conoscenza derivi dai sensi, è precisamente quella aristotelica ; il che è confermato dal fatto che la maggior parte delle volte che Descartes parla della « philosophia vugaris » è l’aristotelismo che egli ha in mente. Ma quello che è in gioco qui è molto più di un paradosso. Al contrario, sono convinto che, escludendo ogni implicazione dell’aristotelismo dalla concezione prefilosofica dell’anima della II Meditazione, si rischi di compromettere non solo l’adeguatezza del quadro culturale di riferimento dell’operazione di Descartes, ma anche di lasciarsi sfuggire quella che probabilmente, ancora nel diciassettesimo se‐ colo, costituiva un’interpretazione largamente diffusa – forse meglio sarebbe dire un sentire comune – della dottrina aristotelica dell’anima in termini materialisti, certo non meno influente dell’interpretazione tomista. Venendo su « exiguum quid », nel suo commento alle Meditationes, Wittich affermava : 22 J. P. Carriero, Between Two Worlds : A Reading of Descartes’s ‘Meditations’, Princeton University Press, Princeton, 2009, p. 86. 23 Ibid., p. 86-87.

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Exiguum quid ; sic omnes antiqui philosophi, et sic alii citra revelationem animam aliter non concipiunt. Haec sententia Democriti, Hippocratis, Epicuri et coeterorum, ipsiusque Aristotelis, quando philosophice consideravit animae substantiam, ut colligere licet ex lib. 2. Generat. Animalium comparato cum textibus aliis24. « Et ipsius Aristotelis ». Wittich non potrebbe essere più chiaro. La dottrina aristotelica dell’anima è, fondamentalmente, materialista. Per supportare la sua tesi, Wittich si richiama ad un luogo del De generatione animalium di Aristotele, tratto dal capitolo terzo del libro II : Dunque, ogni forza e potere dell’anima sembra partecipare un qualche corpo più nobile dei cosiddetti cinque elementi25. Si tratta di un luogo altamente problematico, come vedremo, ma che, dopo Cicerone, era stato canonicamente utilizzato a favore di un’interpretazione mate‐ rialistica dell’anima aristotelica, e su cui Wittich, tuttavia, non si impegna ulterior‐ mente in un’operazione esegetica (a differenza di quanto, come vedremo, aveva fatto Schotanus un anno prima). Quello che a Wittich interessa, infatti, è un punto teorico : dimostrare la superiorità della dottrina cartesiana su tutte le concezioni preesistenti dell’anima. Rilevando che è « philosophice » che Aristotele considerava l’anima come cor‐ porea, Wittich non intende attribuirgli alcun tipo di dottrina della doppia verità. Quello che Wittich intende dire è che, dalla sola prospettiva da cui Aristotele considerava l’anima, cioè « philosophice », egli ne ha affermato la corporeità. Alcune righe più in basso, è persino più netto, su questo punto. Afferma, infatti, richiamandosi sempre al medesimo testo del De generatione animalium, che al di fuori della rivelazione divina quasi nessuno (la restrizione riguarda con ogni probabilità Platone) ha concepito l’anima come incorporea : Alias Aristoteles quando animae substantiam consideravit physice, cum aliis antiquis philosophis consideravit eam, tanquam subtile, calidum, atque incorruptibile quoddam corpus, ut colligere licet ex lib. 2. De generatione animalium comparato cum textibus allis : et vix alii citra revelationem divinam vel tale methodum animam aliter concipiunt26. Verso la fine di questo testo, ci sono alcune parole su cui occorre insistere : non solo al di fuori della rivelazione, ma anche al di fuori di questo metodo (« vix alii citra revelationem divinam vel tale methodum »), è difficile provare che l’anima è immateriale. Wittich si riferisce qui, ovviamente, al metodo cartesiano, che egli 24 C. Wittich, Annotationes ad Renati-Descartes Meditationes. In quibus methodi celeberrimi Philosophi succinta redditur ratio, nec non dubia solvuntur, difficiliora enodantur, obscuriora illustrantur, puriorque philosophia adversus quorundam objectiones solidissime asseritur, conformatis ubique primis ejus funda‐ mentis […], ex officina viduae Caspari et Theodori Gori, Dordrecht, 1688, p. 35. 25 Aristotele, De generatione animalium, II, 3, 736b29-31. 26 C. Wittich, Annotationes, cit., p. 35.

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presenta come il solo che, da un punto di vista strettamente filosofico (« citra revelationem »), rende possibile provare l’immaterialità dell’anima. È dunque chiaro come, secondo Wittich, la descrizione prefilosofica dell’a‐ nima presentata da Descartes non solo non escluda Aristotele, ma lo includa, anzi lo debba includere, in quanto indirizzata ad uno scopo preciso : quello di mo‐ strare la superiorità della filosofia di Descartes su quella di Aristotele per quanto riguarda la possibilità di una dimostrazione dell’immortalità dell’anima ; infatti, la filosofia di Descartes – senza eccezioni, Aristotele incluso – è la sola che è in grado di provare che l’anima è immateriale. Che Aristotele fosse totalmente implicato nella descrizione prefilosofica del‐ l’anima della seconda meditazione era stato evidenziato, persino più dettagliata‐ mente, nell’Analysis exegetica in primam et secundam meditationem di Schotanus, pubblicata, come sappiamo, solo un anno prima del commento di Wittich. L’Analysis exegetica in primam et secundam meditationem si presenta sia come un’a‐ nalisi concettuale delle Meditationes, sia come un’indagine dossografica delle dot‐ trine evocate da Descartes nelle due prime meditazioni, in quanto appartenenti ad un retroterra filosofico e letterario non esplicitato nel testo delle Meditationes e, tuttavia, restituibile mediante, per l’appunto, un’analisi esegetica. Commentando la descrizione dell’anima come « exiguum quid », Schotanus osserva che essa coincide con la concezione dell’anima propria a Gassendi, la quale, a sua volta, non farebbe altro che riproporre quella che era la concezione dell’anima più diffusa nell’antichità : Erroneas autem illas opiniones, quas de mente ejusque essentia conceperat Gassendus aliique, de eadem Gentilium pars longe maxima fovebat27. La lista degli antichi scrittori menzionati da Schotanus è lunga : tutti gli autori citati da Stobeo e da Cicerone. Quello che è persino più interessante è che, lungi dall’escludere Aristotele dalla sua dossografia, è la concezione aristotelica dell’a‐ nima che occupa la parte più importante della discussione di Schotanus. Schota‐ nus sottolinea che Aristotele parla dell’anima ambiguamente, confusamente e non coerentemente. Infatti, egli esita e fluttua ; e Lattanzio aveva ragione nello scrivere che « Aristotelem secum ipsum dissidere et repugnantia sibi dicere et sentire ». Ciònondimeno, nonostante le affermazioni contrastanti di Aristotele, non c’è dubbio che il suo pensiero autentico a proposito dell’anima era che questa fosse qualcosa di materiale. Prima di tutto, infatti, è chiaro che la definizione data nel I capitolo del II libro del De anima, secondo la quale l’anima è «la forma di un corpo fisico avente vita in potenza», può essere indifferentemente applicata ad entità sia corporee sia incorporee : Haec verba neutiquam naturam mentis explicant, sed, quodcumque demum fuerit, ei applicari potest, instar cerci nasi ; sive enim ignis, sive aër, sive aqua, sive ventus, sive halitus, sive cor, sive cerebrum, sive sanguis, sive pars Dei, sive

27 J. Schotanus, Exegesis, cit., p. 202.

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aliud quidvis fuerit anima, potest dici essentia, tanquam forma corporis physici potestate vitam habentis28. Per Schotanus, la definizione dell’anima come « forma di un corpo fisico avente vita in potenza » è, quindi, perfettamente compatibile con una concezione dell’anima materialistica ed immaterialistica. Di conseguenza, la definizione di Aristotele, lungi dall’essere chiara, è completamente oscura ed ambigua e non di‐ chiara affatto qual è la natura dell’anima in se stessa, perché si limita a descriverne il rapporto col corpo : Obscura itaque et ambigua est haec Aristotelis definitio quae mentis naturam, uti in se est, neutiquam declarat ; sed saltem quomodo se relate ad corpus, sive hominis sive bruti, habeat ; dicit nempe, quod solummodo informando et movendo corporis inservat29.

5. L’etere Schotanus non si ferma qui. Nel seguito della sua Analysis, infatti, non solo tiene fermo che la concezione dell’anima come atto del corpo è compatibile con una concezione materialistica dell’anima in se stessa, ma afferma anche che Aristotele ha di fatto concepito l’anima come corporea. Per argomentare questa tesi, affronta di petto le possibili obiezioni provenienti dalla sponda dell’interpre‐ tazione opposta : Sed acriter heic insurgent Aristotelis vindices […] obtendent enim Aristotelem satis sane et orthodoxe de origine mentis humanae sensisse, quomodocumque demu de ortu corporis statueret30. Non è difficile vedere in questo passaggio un’allusione all’interpretazione cristiana dell’anima di Aristotele : sebbene anche Tommaso d’Aquino, in alcuni testi, avesse riconosciuto che Aristotele non aveva affermato l’immortalità dell’in‐ telletto passivo, e la stessa affermazione fosse poi stata sovente ripetuta dai suoi discepoli – in prima linea da Cajetano, che anzi la radicalizzerà –, una parte con‐ sistente dei teologi scolastici dell’epoca attribuiva ad Aristotele una concezione immaterialistica dell’anima. Schotanus conosce molto bene i testi più autorevoli addotti dai « vindices » dello stagirita per provare che Aristotele, in realtà, conce‐ piva l’anima come immateriale. In particolare, un passo del capitolo terzo del secondo libro De generatione animalium, dove Aristotele insegna esplicitamente (« apertis verbis docere ») che

28 Ibid., p. 205. 29 Ibid. 30 Ibid., p. 206.

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“animam […] extrinsecus accedere et solam Divinam esse, quoniam nihil cum ejus actione actio corporalis communicat”31. Si tratta di una citazione letterale del passo iniziale32 di uno dei più tormentati luoghi (736b29-737a1), dal punto di vista esegetico, delle opere biologiche di Aristotele, al centro di dispute interminabili, da Cicerone ai primi commentatori rinascimentali dei trattati sugli animali, sino a Balme ed oltre ; ed è, come sap‐ piamo, il passo che sarà citato anche da Wittich33. Non sono riuscito ad identificare gli autori cui Schotanus si riferisce, quali sostenitori dell’interpretazione immaterialistica dell’anima aristotelica sulla base dell’affermazione del De generatione animalium. Né sono riuscito a individuare eventuali fonti a sostegno dell’esegesi complessiva del luogo in questione, che Schotanus propone subito dopo, affermando che l’affermazione suddetta non deve essere estrapolata dal seguito immediato del testo, che la chiarisce e ne renderebbe inequivocabile il senso. Aristotele, infatti, aggiungeva : La facoltà di ogni anima sembra dunque avere parte di un corpo diverso e più divino dei cosiddetti elementi, e come le anime differiscono per nobiltà o ignobiltà le une dalle altre, così differisce anche siffatta natura34. E Schotanus lo rileva puntualmente, citando alla lettera Aristotele : Sed nos ad declinandum ictum Aristotelem Aristoteli committimus, verbis allegatis [De generatione animalium, c. 3] mox subjungentem : “Omnis igitur animae vis et potestas corpus aliud participare videtur, quam quae elementa vocatur. Verum pro nobilitate animae inter se differunt, ita et natura hujus corporis differt”35. La conclusione di Schotanus non potrebbe essere più forte, ed è reiterata : Manet igitur actio et essentia animae corporea, licet formata sit de corpore nobiliore et diviniore, quam elementaria haec corpora, ignis, aër, aqua et terra ; cum sit de corpore stellis analogo36. Manet itaque Aristotelis anima corporea37.

31 Ibid. 32 Aristotele, Riproduzione degli animali, II, 3, a cura di D. Lanza, in Opere biologiche, a cura di Diego Lanza e Mario Vegetti, UTET, Torino, 1971, p. 894 : “Solo l’intelligenza giunge dall’esterno e solo essa è divina, perché l’attività corporea non ha nulla in comune non la sua attività”. 33 Per un primo approccio, cf. il commento di David Mowbray Balme in Aristotle, De Partibus Animalium I and De Generatione Animalium I (with passages from II. 1-3), translated with notes by D. M. Balme, Clarendon Press, Oxford, 1972, p. 162-164. 34 Ibid. 35 J. Schotanus, Exegesis, cit., p. 206-207. 36 Ibid. 37 Ibid., p. 208.

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Sia l’azione, sia l’essenza dell’anima rimangono corporee, nonostante il fatto che l’anima sia costituita da un corpo più divino e perfetto, paragonata ai corpi elementari, in quanto è costituita da un corpo analogo a quello delle stelle : « Cum sit de corpore stellis analogo ». Dove sono due i punti sottolineati da Schotanus per rendere coerente il testo nel suo complesso con l’affermazione iniziale di Aristotele sul carattere divino dell’anima : prima di tutto, secondo Aristotele, l’anima è corporea ; secondariamente, la materia dell’anima non è uno dei quattro elementi terrestri, ma coincide col quinto elemento. Quest’ultima affermazione consentiva altresì un passo decisivo, ossia la con‐ nessione della definizione prefilosofica dell’anima della II Meditazione con la concezione aristotelica dell’anima così come emerge dal testo del De generatione animalium : il quinto elemento, infatti, in cui consisterebbe la natura ‘divina’ dell’anima, che la distinguerebbe da tutto ciò che partecipa dei quattro elementi, è l’etere, la quintessenza. Nell’affermare questo, quindi, Schotanus era convinto di rendere esplicita e comprensibile l’ultima parola della definizione prefilosofica di Descartes dell’a‐ nima : « vel aetheris ». D’altronde, secondo Schotanus, Descartes era ben lungi dall’essere stato il solo ad interpretare Aristotele in questi termini. Fra gli altri, Schotanus ha in mente, qui, un autore preciso, Cicerone, il quale, appunto (nono‐ stante la sua interpretazione fluttuante di Aristotele), aveva infine affermato, nel I libro delle sue Tusculanae disputationes, che l’anima umana ha, secondo Aristotele, la stessa natura degli dei, nella misura in cui, esattamente come questi, è fatta del quinto elemento : At Aristotelis sententiam longe benignius interpretatur Tullius38. Il passo a cui Schotanus si riferisce si trovava nel capitolo 10 del primo libro delle Tusculanae disputationes : Aristoteles, longe omnibus (Platonem semper excipio) praestans et ingenio et diligentia, cum quattuor nota illa genera principiorum esset complexus, e quibus omnia orerentur, quintam quondam naturam censet esse, e qua sit mens. Cogitare enim et providere et discere et docere et invenire aliquid et tam multa alia meminisse, amare odisse, cupere timere, angi laetari, haec et similia eorum in horum quattuor generum inesse nullo putat ; quantum genus adhibet vacans nomine et sic ipsum animum ἐντελέχεια appellat novo nomine quasi quondam continuatam motionem et perennnem39. La correttezza dell’interpretazione ciceroniana di Aristotele è questione alta‐ mente discussa dagli interpreti, non meno di quella del luogo cruciale del De generatione animalium su cui proprio Cicerone, come sappiamo, si appoggiava. Ma il problema esegetico mi sembra qui irrilevante ; anzi, proprio la lunga ed 38 Ibid., p. 205-206. 39 Cito da M. Tullius Cicero, Tusculanarum disputationum Liber primus et Somnium Scipionis, ed. by Clement Laurence Smith and Tracy Peck, Ginn, Boston, 1903, p. 20-21.

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autorevole storia che la vexata quaestio si porta dietro mi pare confermare il punto che la mia analisi ha inteso fondamentalmente fare emergere : l’esistenza di un’im‐ ponente tradizione cui Schotanus, come prima di lui Wittich, poteva richiamarsi per individuare nella parte conclusiva della definizione prefilosofica dell’anima della II Meditazione un riferimento ad Aristotele. Forse di difficile decifrazione per i lettori di oggi, quelli contemporanei di Descartes non avrebbero avuto particolari difficoltà nel sospettare, quantomeno, nell’inclusione dell’« aether » nella definizione prefilosofica dell’anima, un riferimento al luogo controverso del capitolo terzo del Libro secondo del De generatione animalium.

6. Conclusioni La ricostruzione di Wittich e, ancor più, quella di Schotanus, permettono di constatare che, della nozione prefilosofica di uomo della II Meditazione, può essere fatta risalire ad Aristotele non solo la concezione dell’anima come principio delle funzioni corporee, ma anche, almeno in parte, l’idea dell’anima come corpo sottile. Se, difatti, in linea generale, tale nozione richiamava le dottrine della corpo‐ reità sottile rinascimentale di estrazione stoica ed epicurea, il più particolare riferimento agli elementi – vento, aria, fuoco, etere – evocava una tradizione dossografica ben precisa, la quale consentiva di vedere coinvolto nella descrizione prefilosofica lo stesso Aristotele : la caratterizzazione dell’anima come etere rin‐ viava, infatti, ad una delle più influenti interpretazioni della sua dottrina, quella proposta da Cicerone nelle sue Tusculanae disputationes. Una domanda deve essere a questo punto essere posta per decidere di un punto che, nel testo, ho lasciato ambiguo : l’interpretazione dei cartesiani olandesi è corretta ? O, in altri termini : anche Descartes, come faranno poi i suoi interpreti, aveva effettivamente pensato ad Aristotele qualificando l’anima come etere ? Descartes, in proposito, ha mantenuto su Aristotele un silenzio totale, quasi sdegnoso, visto che, almeno una volta, sarebbe potuto intervenire, sul punto in questione, in risposta ad un’osservazione che gli era stata indirizzata da Pollot via Reneri : Il faudrait donc prouver que l’âme peut penser sans le corps ; Aristote le présuppose à la vérité en un sien axiome, mais il ne le prouve point40. Descartes, nel rispondere, si limitava a illustrare il modo in cui riteneva di poterlo provare, che l’anima può pensare indipendentemente dal corpo, senza neppure menzionare Aristotele41. È dunque chiaro che l’interpretazione di Scho‐ tanus e Wittich va oltre Descartes. E si capisce perché : essa era guidata da un’in‐ tenzione apologetica, tesa a mostrare la superiorità di Descartes su Aristotele ; 40 Pollot à Reneri pour Descartes, février 1638, BLet 142, p. 502, AT I 513. 41 À Reneri pour Pollot, avril ou mai 1638, BLet 164, p. 650, AT II 38.

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il collegamento dell’« aether » della II Meditazione con Aristotele mira, senza alcun dubbio, a mostrare l’impossibilità, da parte della filosofia aristotelica, di fronteggiare il materialismo. Nondimeno, è difficile non notare, nella II Meditazione, un riferimento ai testi aristotelici che si sono visti, se non altro perché essi erano troppo noti all’epoca perché non fosse possibile individuare, nella menzione cartesiana dell’anima come etere, un riferimento preciso ad essi. I commentatori olandesi di Descartes non avevano affatto scoperto testi poco conosciuti di Aristotele : essi erano stati, fra l’altro, a lungo discussi a Padova, ad esempio da Zabarella42. Ma, se così è, non c’è aspetto alcuno della nozione prefilosofica di uomo della II Meditazione che non potesse richiamare, nel lettore delle Meditationes, Aristotele : non solo la definizione logica di uomo come animale razionale, non solo l’anima considerata nelle sue funzioni in quanto atto di un corpo fisico organico e principio del pensare, ma anche l’anima considerata in se stessa come etere.

42 G. Zabarella, De rebus naturalibus, 2 vols, Brill, Leiden-Boston, 2016, vol. II, p. 1128.

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Le cartésianisme éclaté de Paolo Mattia Doria

J’ai deux bonnes raisons et une mauvaise de présenter aujourd’hui une com‐ munication sur Paolo Mattia Doria : les deux bonnes raisons sont qu’il fit l’objet du premier article scientifique du professeur Giulia Belgioioso, en 1973, et que cet article a été suivi d’un gros travail de publication, cinq épais volumes, travail qui a culminé sur un colloque important et un recueil d’articles1. La deuxième bonne raison est que Giulia Belgioioso m’a très généreusement offert tous ces volumes, qui occupent soixante-dix centimètres de ma bibliothèque : je les ai lus, et j’ai trouvé Paolo Mattia Doria non seulement fascinant comme personnage, mais aussi, en second lieu, comme philosophe – et, enfin, un peu moins, comme mathématicien … Mais il y a aussi une mauvaise raison : pour préparer cette communication, je me suis mis à lire les études, assez nombreuses, qui lui ont été consacrées en dehors de celles de Giulia Belgioioso – et j’ai été passablement agacé par le ton condescendant, voire carrément méprisant, adopté par d’illustres collègues à l’égard du noble génois. Il est clair que pour eux l’« Illuminismo » vaut mieux que l’ésotérisme, et qu’ils voient dans l’histoire de la philosophie un progrès linéaire et cumulatif de rationalité : les Lumières l’emportent sur ce qui précède (ils n’ont que sarcasmes sur le « précartésianisme »), avant d’être dépas‐ sées à leur tour par le matérialisme dialectique … L’hermétisme, l’ésotérisme, la kabbale sont rejetés dans les ténèbres extérieures… La pensée de Paolo Mattia Doria est cependant exemplaire : exemplaire du syncrétisme philosophique passé sous silence par les historiens de la philosophie cherchant avec anxiété à décrire des systèmes et des écoles – Brucker tout le premier. Exemplaire aussi comme un représentant du platonisme, traduit et relu

1 Manoscritti napoletani di Paolo Mattia Doria, 5 vol., a cura di G. Belgioioso, P. De Fabrizio, M. Maran‐ gio, A. Spedicati (a cura di), Congedo Ed., Lecce, 1979-1982 ; Paolo Mattia Doria fra rinnovamento e tradizione. Atti del Convegno di Studi (Lecce, 4-6 novembre 1982), Ibid., 1985 (contient une contribu‐ tion de GB : « Note sul Doria inedito ») ; G. Belgioioso, « Le parcours exemplaire de Paolo Mattia Doria : de Descartes à Platon », in Autour de Descartes, éd. par D. Toma, A. Christodorescu et V. Alexandrescu, Crater, Bucarest, 1988 ; G. Belgioioso, Cultura a Napoli e cartesianismo. Scritti su G. Gimma, P. M. Doria, C. Cominale, Congedo Ed., Galatina (LE), 1992 ; G. Belgioioso, « Doria, Paolo Mattia », in Il Contributo italiano alla storia del Pensiero – Filosofia, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, Roma, 2012. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 29-34. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122593

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par Marsile Ficin (on ne peut pas sous-estimer l’importance de la postérité ficinienne, surtout dans la Péninsule). Rappelons brièvement les étapes de la vie et de la pensée de Paolo Mattia Doria, né à Gênes en 1667 et mort à 79 ans (1746), à Naples, où il a vécu presque toute sa vie. C’est à Naples qu’il se lie d’amitié avec Federico Pappacoda, neveu de Luigi (né en 1595, évêque réformateur de Lecce de 1639 à sa mort en 1670). Federico Pappacoda était un duelliste enragé comme lui et introduisit le jeune gènois dans le cercle des « modernes » réunis autour de Nicola Caravita. À Naples, Doria rencontra aussi Vico, de retour du Cilento après neuf années d’absence ; il se noue entre eux « una fide e signorile amicizia ». Vico écrit dans son autobiographie2 que Paolo Mattia Doria « fu il primo con cui poté cominciare a ragionar di metafisica ». Du reste, à la création de l’Accademia Palatina, protégée par le vice-roi Medinacoeli (mars 1698), Doria fut un des dix-huit premiers membres (rappelons qu’à Lecce, Luigi Pappacoda avat protégé l’Accademia dei Trasformati). Parcourons rapidement les étapes successives après ces années de formation : un temps d’errance aboutit, à quarante ans, au grand succès de la Vita civile ed educazione del principe (1709). Mais ce succès est rapidement effacé par de grandes désillusions pour ses écrits mathématiques (1711) : « A Napoli, io sono stato trattato da ignorante e fanatico in Matematica, e da Ateista in Filosofia ». La crise de 1724 (les controverses avec les cartésiens sur le spinozisme) va plonger Doria dans le désespoir3, jusqu’à l’effondrement de 1730 : Paolo Mattia Doria va reprendre de manière maniaque et chaotique tout son corpus, dans des milliers de pages inédites, sauvages et frénétiques, dans une contestation globale. La tradition historiographique divise la pensée de Doria en deux périodes : il y aurait eu une période « cartésienne », puis un retournement qui aurait entraîné un anticartésianisme féroce. Ce fut précisément, en son temps, le mérite de Giulia Belgioioso de contester cette « conversion » en posant la question de ce qu’il faut entendre par « cartésianisme ». En premier lieu, il faut considérer le milieu philosophique napolitain : un bon connaisseur, le professeur Agrimi, a parlé de l’aggrovigliato nodo di problemi fisici-metafisici del pensiero napoletano tra Sei e Settecento4. À cet enchevêtrement intellectuel, il faut ajouter les remous politiques, entre Espagne et Autriche. Dans une analyse intéressante de la situation napolitaine, Antoine Arnauld écrit : Ce que l’on mande de Naples me fait penser à un exemple, à quoi je n’aurais point pensé sans cela. On dit qu’on y a découvert des gens que la lecture 2 G. Vico, Opere filosofiche, a cura di P. Cristofolini, Sansoni, Florence, 1971, p. 20. 3 P. M. Doria, Discorsi critici filosofici intorno alle filosofie degl’Antichi e dei Moderni ed in particolare intorno alla filosofia di Renato Descartes, con un progetto di una Metafisica, Venise, s. e., 1724. 4 M. Agrimi, Le polemiche antigesuitiche di P.M. Doria, in Paolo Mattia Doria fra rinnovamento e tradizione, cit., p. 23-92: 61.

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des ouvrages de M. Gassendi a jeté dans l’erreur d’Épicure de la mortalité de l’âme. Il faut avouer que le livre des Instances de ce Philosophe contre les Méditations métaphysiques de M. Descartes est très capable d’inspirer cette erreur pernicieuse à des jeunes gens qui ne seraient pas fermes dans la foi ; parce qu’il y a employé tout ce qu’il avait d’esprit à montrer qu’en s’arrêtant à la raison, il n’y a point de preuves solides qui nous empêchent de croire que notre âme n’est distinguée de notre corps que comme un corps subtil l’est d’un corps grossier5. Il ne fait aucun doute que le jeune Doria s’est inséré dans ce milieu philo‐ sophique napolitain où Gassendi et Descartes faisaient figure de novatores et permettaient de s’opposer à la philosophie des Écoles. Sans doute faut-il rappeler comment le traducteur de l’Abrégé de la Vie de Descartes par Baillet, Paolo Fran‐ cone, le salue en 1713 comme le fondement « su quale parmi che veramente si appoggi in cotesta città la scuola cartesiana ». On peut aussi rappeler le témoignage, moins probant, d’Eleonora Barbapiccola (1700-1740), traductrice des Principia en 1722. Il convient à ce propos d’écouter Doria lui-même : A tal fine mi applicai a quella Filosofia, che comunemente ai giovani s’insegnava in quel tempo, cioè ad una più erudita, che ragionata scienzia ; in quelle intesi in breve quai fossero state sopra i principij delle cose naturali le opinioni d’Epicuro, d’Aristotile, d’Empedoclea e di molti antichi fifosofi, e fra moderni di Pietro Gassendo, di Renato Descartes ad altri ; intesi quali fussero stati i sentimenti degl’accennati filosofi intorno alle nostre sensazioni ed intorno all’origine ed alla composizione delle sensibili cose a noi esteriori, ed altre a queste somiglianti materie ; ma quella sì fatta erudita Filosofia non appagava, la mia mente nello studio della Geometria già assuefacta la cercate nelle cose, che s’asseriscono la dimostrazione ; ond’è che la mia mente alla conoscenza delle più intime e più vere cagioni delle cose sempre e continuamente aspirava a cagion d’esempio6. Paolo Mattia Doria a apprécié les trois premières Meditationes (« l’ha fatto da metafisico7 ») : Sentii riempirsi d’insolito piacere il mio animo ; impeciocchè vidi ch’egli nelle sue specolazioni voleva procedere con buon metodo di ragionare, per modo che fui costretto a confessare come confesso ancor ora, ch’egli è stato il primo il quale ha ísvegliato in noi questo genio di ragionare con metodo geometrico in Filosofia (Discorsi, p. 13).

5 A. Arnauld, Difficultés proposées à M. Steyaert, 9è p., 1692, p. 81, cité par P. Bayle à l’article Pomponace du Dictionnaire. 6 P. M. Doria, Discorsi critici-filosofici, cit., p. 9. 7 P. M. Doria, Ragionamenti e poesie varie, Venise [= Naples], 1737, p. 149.

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Mais il refuse les autres et surtout la Sixième (« l’ha fatto da sofista e da sensista »). De surcroît, même pour les deux premières, dit Doria, Descartes n’a fait que remettre en ordre, avec méthode, le chapitre 2 du De libero arbitrio d’Augustin (Discorsi, p. 54). Ces positions diverses (contradictoires et successives) ont été soigneusement relevées par Giulia Belgioioso dans une étude du volume Cultura a Napoli e cartesianesimo, Naples 1992. Mais on peut remarquer que les Discorsi critici de 1724 se présentent sous une forme dialoguée, entre un Cartésien, un Spinoziste et un Gassendiste (« Épicurien ») ; j’hésiterais donc, pour cette raison, à parler d’« un acte d’abjuration publique du cartésianisme8 ». À lire ces Discorsi, on se rend compte que ce qui motive d’abord Doria, c’est l’échec de ses écrits mathématiques. Doria insiste : Descartes, dit-il, est l’auteur de bonnes maximes en général, mais il s’est trompé dans les maximes particulières (p. 53). Comment alors se produit un Spinoziste ? Doria explique que c’est dans la Meditatio Sexta que réside tout le mal : Descartes n’y est pas parvenu à démontrer la distinction réelle entre l’esprit et la matière ; lorsqu’un de ses disciples s’en rendit compte, il put conclure qu’il n’y a pas de distinction réelle, que l’esprit et la matière ne sont que deux modes divers d’une même substance – et devenir ainsi un parfait spinoziste (p. 54) ! Filosofo assai ambizioso, Descartes a lu Platon et Augustin, il y a trouvé les raisons pour l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, mais il a voulu appa‐ raître comme l’auteur d’un système nouveau, comme un peintre, dit Doria, qui voulant peindre Vénus, la représente sous les traits d’une sainte … En fait, Doria rate l’originalité du cogito et ce qu’il y a de neuf dans la démarche cartésienne, du doute méthodique à l’affirmation du moi, puis la découverte du corps et du monde extérieur. Que reste-t-il donc de cartésien chez Doria ? A-t-il vraiment complètement changé d’opinion, et rejeté un cartésianisme dont il fut d’abord un zélé partisan ? Il faut simplement bien voir ce qu’on entend par « cartésien » et « cartésia‐ nisme » ; en fait, un peu partout en Europe, la pensée de Descartes s’est introduite et un certain nombre de ses principes ont été adoptés et adaptés, inclus dans d’autres constructions systématiques. Beaucoup de penseurs sont éclectiques ou syncrétiques : ils empruntent aux systèmes établis des éléments composites pour édifier leur propre vision du monde, éléments composites qui peuvent même être contradictoires, du moins dans la durée ! Le « platonisme cartésien » peut sembler une chimère, mais cet idéalisme rigide, rigoureux et constant est tout aussi original que l’éclectisme allemand de la même époque. Il est nécessaire de bien comprendre quel cartésianisme un gran Renatista, Francesco Maria Spinelli, prince de la Scalea, représentait en opposition à Doria : dans ses Discorsi critici, celui-ci soutenait la filiation Descartes-Spinoza-athéisme (et le cardinal Althann, vice-roi de Naples sous la domination autrichienne, de 8 G. Belgioioso, « Les racines suaréziennes de la métaphysique cartésienne : La lecture des Principia de Francesco Maria Spinelli (1733) », Revue d’Histoire des Sciences, 58/1, 2005, p. 123-144.

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1722 à 1728, accusait les savants [« cartésiens »] napolitains d’être irréligieux et spinozistes) ; Spinelli lui opposait un cartésianisme revisité au prisme de Suárez. Doria « cartésien » ? Oui, tout autant, d’une certaine manière, que Ma‐ lebranche, Fénelon ou Leibniz – c’est-à-dire quelqu’un qui a su emprunter à Descartes des éléments importants : -La critique de l’expérience sensible : si Doria traite Descartes de « sophiste » dans les dernières Meditationes, c’est précisément parce qu’il lui reproche d’avoir soutenu que « nous ne pouvons juger des choses autreent que par les idées que nous en avons » (quarum rerum cum nullam aliunde notitiam haberem quam ex istis ipsis ideis, non poterat aliud mihi venire in mentem quam illas iis similes esse, BOp I 780, AT VII, 75). -La permanence du mouvement, un point central que Doria déplace de la physique cartésienne à sa théorie des passions : « noia e diletto vengono dal magiore o minor moto con cui entrano in noi le percezioni delle cose sensibili » (La vita civile, p. 37). -Enfin, la notion d’ordre intellectuel et moral : c’est « l’ordre de l’esprit humain » qui met les passions en harmonie, et le philosophe dénonce ceux qui mé‐ prisent cet ordre (Ibid., p. 105-106). Cartesius diffractus : le rapport de Doria au cartésianisme a été constant, avec des inflexions différentes, et l’adoption ou le rejet de parties différentes de la doctrine reçue. Une Censure anonyme a le mérite d’avoir justement saisi ce rapport ambigu de Paolo Mattia Doria au cartésianisme : « Non ha inteso il Cartesio, o […] ad arte ne tronca e perverte in senso9 ».

9 Cité par R. Ajello, Diritto ed economia in P.M. Doria, in Paolo Mattia Doria tra rinnovamento e tradizione, cit., p. 93-126: 104.

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« Un homme à canoniser » ? * Sur Christine et Descartes encore une fois

1. Excès de zèle ? Nous savons que le retour de la dépouille de Descartes à sa patrie et les funérailles de 1667 à Sainte-Geneviève – célébrées en si grandes pompes que, depuis la mort du cardinal de La Rochefoucauld, réformateur de l’Ordre des Chanoines réguliers, rien de semblable ne s’était vu1 – devaient servir, dans l’esprit des cartésiens parisiens, à célébrer Descartes comme philosophe et catholique dévoué. Ou mieux encore, pour reprendre la phrase que Claude Clerselier avait utilisée pour annoncer l’événement dans la préface du troisième volume de son édition de la Correspondance du philosophe, comme « le plus grand géomètre et philosophe chrétien qui n’ai jamais esté2 ». Parmi tous les témoignages de la dévotion religieuse et de l’orthodoxie catholique de Descartes, donnés à l’occa‐ sion de la cérémonie funéraire à Sainte-Geneviève3, celui de Christine de Suède fut le plus important. Non seulement parce qu’il venait d’une tête couronnée qui avait connu personnellement Descartes, mais parce que son abdication et sa conversion publique à la religion catholique, un événement que Baillet avait décrit justement comme étant « un exemple inoüy aux siècles4 », avait eu un grand retentissement dans toutes les capitales européennes et avait généré des attentes contrastées quant aux effets qui auraient pu se produire au sein de l’équilibre des

* Traduit de l’italien par Alexandra Feret. 1 A. Baillet, La Vie de M. Des-Cartes, 2 vols, Horthemels, Paris, 1691 (Olms, Hildesheim-New York, 1972), II, p. 440. 2 Lettres de Mr Descartes, Angot, 3 vols, Paris, 1666-1667 (éd. J.-R. Armogathe et G. Belgioioso, Conte, Lecce, 2005, III, p. 18. Pour ce qui est de l’histoire des diverses cérémonies funéraires de Descartes, permettez-moi de renvoyer à C. Borghero, Le spoglie contese : immagini di Descartes tra Lumi e Restaurazione, in C. Borghero, Interpretazioni, categorie, finzioni. Narrare la storia della filosofia, Le Lettere, Florence, 2017, p. 331-367 ; pour les sources cf. A. Baillet, Vie, cit., II, chap. xxiii ; Ch. Adam, Vie et Œuvres de Descartes. Étude historique, AT XII 585-628. 3 Du Père François de Viogué, directeur spirituel de Descartes à Stockholm, de Claude Clerselier, des deux fils de Pierre Chanut (mort cinq ans auparavant), Martial et Hector, dont la déclaration, rédigée en latin, met l’emphase sur l’aversion de Descartes pour le calvinisme, accusé d’ouvrir la porte à l’athéisme. 4 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 432. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 35-58. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122594

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pouvoirs quelques années après la paix de Westphalie. Ce qui faisait de Christine, qui jouissait du soutien du pape, un témoin particulièrement influent et précieux pour les projets, dont certains étaient politiques, des disciples de Descartes qui avaient organisé la cérémonie funéraire de 1667. Pour toutes ces raisons, le témoignage de la reine fut le premier à être requis par les cartésiens parisiens, qui s’adressèrent à Antoine de Courtin (1622-1685), résident français à Hambourg (où se trouvait Christine pour suivre de près les évé‐ nements de sa propre candidature au trône de Pologne, soutenue par le cardinal Azzolini et par le nouveau pape Clément IX) pour qu’il obtienne de la reine de Suède : « un certificat de la catholicité de M. Descartes, contre certains restes de l’Envie, que la Vérité et la Justice n’avoient pas encore pû étouffer depuis dix-sept ans5 ». Ce choix était judicieux puisque Courtin avait été le secrétaire de la reine à Stockholm, où il avait été appelé par Pierre Chanut, l’ami de son père, en 16456. Christine signe, le 30 août 1667, les Lettres patentes où se trouve son témoignage et les transmet à Antoine de Courtin, devenu entretemps résident de France à Copenhague. Évidemment, le témoignage de Christine arriva en retard pour la cérémonie funéraire parisienne du 24 juin, mais quand il arriva il fut placé « à la tête » des autres et également conservé dans les archives de l’abbaye « comme le témoignage le plus glorieux de l’estime que la plus sçavante des têtes couronnées faisoit de nôtre Philosophe, et comme le titre le plus authentique des services qu’il avoit rendu à la Religion Catholique7 ». En effet, dans son témoignage Christine avait accompli son devoir en répondant à la demande qui lui avait été faite avec diligence même si, peut-être, avec un excès de zèle. Elle ne s’était pas contentée de confirmer sa propre estime pour Descartes, « Grand Philosophe de nostre Siecle » qu’elle connaissait bien pour « sa reputation et ses escrits », et à déclarer de l’avoir voulu à sa cour, où il fut accueilli avec tous les honneurs dus à son rang et à sa réputation, pour pouvoir recevoir « quelque tincture de la Philosophie et des Mathematiques » de la part d’un « si Grand, et Illustre

5 Ibid., p. 437. 6 Courtin avait été admis à faire partie de la cour de Christine et, après l’abdication de la reine, de celle du nouveau roi Charles X Gustave. De retour en France après la mort du roi, il avait été envoyé par la couronne française pour plusieurs missions diplomatiques en Europe du Nord. En 1668, il retournera à Paris et il se dédiera à la composition d’essais de philosophie morale et il travaillera jusqu’à sa mort (1685) à la traduction du De jure belli ac pacis de Grotius (Le droit de la guerre et de la paix, par M. Grotius … traduit du latin en français par M. de Courtin, A. Seneuze, Paris, 1687, avec un long et intéressant « Avertissement du traducteur » ; l’œuvre, publiée de manière posthume par le neveu de Courtin, qui la dédia à Louis XIV et la fit précéder d’une brève bibliographie de l’oncle). Toutes les informations biographiques sur Courtin proviennent de L. Moreri, Le Grand Dictionnaire Historique ou le Mélange curieux de l’Histoire sacrée et profane (1699), nouv. éd. chez Les Libraires associés, Paris, 1759 (Slatkine Reprints, Genève, 1995), IV, p. 215 ; mais cf. aussi Dictionnaire historique, ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom … depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours (M.M. Rey, Amsterdam, 1765), Bruyset ainé, Lyon, 1804, IV, p. 31 a-b et K. Farid, Antoine de Courtin (1622-1685). Étude critique, Thèse pour le Doctorat ès Lettres Présenté à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, A. Nizet, Paris, 1969. 7 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 441.

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Maistre8 ». La reine avait répondu favorablement aux souhaits des amis de Des‐ cartes, attestant de la sincérité et de la constance de la dévotion du philosophe à la religion catholique, dans sa vie comme dans sa mort, mais elle avait même dépassé toutes leurs attentes, comme l’indique la lettre qu’Antoine de Courtin lui envoie le 3 septembre 1667 pour exprimer la reconnaissance de « toute la troupe » des philosophes cartésiens pour ses mots, lui disant que les Lettres patentes : « sont fort bien concêuës et en beaucoup meilleure forme que ce project informe que j’avois pris la liberté de presenter à Vostre Majesté9 ». En effet, Christine avait attribué au philosophe les mérites de sa propre conversion personnelle : « Nous certifions mesme par les presentes qu’il a beaucoup contribué à nostre glorieuse conversion, et que la providence de Dieu s’est servie de Luy, et de son Illustre Amy le dit s.r de Chanut pour Nous en donner les premieres lumieres que sa grace, et misericorde acheverent apres à Nous faire embrasser les veritéz de la Religion Catholique Apostolique Romaine, que le dit s.r des-Cartes a tousiours constamment professé, et dans la quelle il est mort avec toutes les marques de la vraye pieté que nostre Religion exige de touts ceux qui la professent. En foy de quoy, Nous avons signé ces presentes, et y fait apposer Nostre Seau Royal10 ». La déclaration de Christine avait donc révélé un aspect ignoré de la présence de Descartes à Stockholm : sa contribution à la conversion de la reine à la religion catholique. En réalité, l’influence de Descartes sur le choix de Christine d’embrasser la religion catholique semblait aussi improbable que la déclaration de Baillet selon laquelle Descartes aurait enseigné à Christine l’art de gouverner. Le biographe de la reine, le finlandais Johann Arckenholtz11, ironisait sur Descartes « initiateur à l’art politique » et il avait peine à croire à l’histoire de Baillet sur Descartes 8 Témoignage de Christine de Suède sur Descartes, Bibl. Nat. de France, Dept. Mss., Nouv. Acq. Fr. 23144. Le manuscrit a été acquis par la Bibliothèque lors d’une enchère de l’Hôtel Drouot le 17 février 1928 : cf. H. Omont, Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions du Département des manuscrits, 1924-1928, E. Leroux, Paris, 1929, p. 49. Cf. l’ébauche des Lettres patentes, datée elle aussi du 30 août 1667 : Bibl. universitaire historique de Médecine, Montpellier, Manuscrits de la Reine Christine, 15 vols (Mss. H 258), XIII, ff. 179r-180v (on peut lire en marge f. 179r l’annotation en italien : « envoyé à monsieur Courtin, résident français à Copenhague »). Dans les Manuscrits de la Reine Christine, IX, f. 196r-v, on trouve l’ébauche de la lettre envoyée à Courtin le même jour, le 30 août 1667, pour accompagner les Lettres patentes. Je remercie le personnel de la Bibliothèque historique de Médecine de Montpellier de m’avoir aidé et assisté, avec courtoisie et compétence, lors de ma consultation des manuscrits de Christine de Suède. 9 A. de Courtin à Christine, 3 sept. 1667, in Manuscrits de la Reine Christine, V, ff. 284r-285r. Nous n’avons pas l’ébauche du « project informe », à savoir le texte de l’attestation préparée par Courtin afin que Christine puisse apposer sa signature. 10 Témoignage de Christine, cit. 11 J. Arckenholtz, Mémoires concernant Christine Reine de Suède, pour servir d’éclaircissement à l’histoire de son Règne et principalement de sa vie privée, et aux événements de l’histoire de son tems civile et littéraire, 4 vols, P. Mortier, Amsterdam et Leipzig, 1751-1760, (Il existe aussi une édition allemande : J. Arckenholtz, Historische Merkwuerdigkeiten die Koeniginn Christina von Schweden betreffend ; zur Erlaueterung der Geschichte ihrer Regierung und insonderheit ihres Privatlebens, wie auch der Civil- und Gelehrtenhistorie ihrer Zeit, P. Mortier, Leipzig und Amsterdam, 1751-1760). Une biographie qui nous

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et Chanut convertisseurs de Christine. Il estime plus probable que, dans le docu‐ ment d’Hambourg, Christine avait dû forcer le ton pour honorer la mémoire de Descartes, ajoutant que si Descartes et Chanut avaient réellement eu part à la conversion, le catholicisme de Christine aurait plutôt été « à la manière de Descartes et de Chanut », c’est-à-dire plus proche d’une forme de religiosité plus ouverte et interconfessionnelle : en effet Chanut aussi « étoit catholique à la façon de son ami Descartes » et « le métier de faire des Proselytes en fait de Religion, s’accordoit peu avec leurs caractères12 ». Nous sommes face à une absence totale de documentation quant aux ren‐ contres entre la reine et le philosophe : il en résulte donc que nous ne pouvons qu’hasarder des hypothèses sur l’influence spécifique de Descartes sur les opi‐ nions philosophiques et religieuses de Christine. Comme avait dit en son temps Ernst Cassirer en donnant naissance à une longue discussion13, il est probable que le philosophe n’a exercé qu’une influence spirituelle générique sur la reine. Par conséquent, il est raisonnable de douter de l’exactitude du témoignage de Christine sur Descartes, en raison à la fois de l’indétermination du contenu de leurs conversations et de la période écoulée entre la mort du philosophe et la conversion de la reine14. Cependant, l’excès de zèle de la reine faisait le jeu des amis de Descartes, puisque la discussion sur le scepticisme des Méditations et des autres écrits cartésiens faisait partie intégrante de la question de l’orthodoxie catholique de Descartes, qui avait engagé les cartésiens dans de virulentes contro‐ verses avec leurs adversaires. Désormais, en plus des arguments philosophiques, les disciples du philosophe pouvaient présenter une attestation de l’orthodoxie religieuse de leur maître qui faisait autorité, et même introduire Descartes dans une plus grande histoire, celle de la plus célèbre conversion au catholicisme après est encore d’une grande utilité est celle de W.H. Grauert, Christina, Königinn von Schweden, und ihr Hof, 2 vols, E. Weber, Bonn, 1837-1842. 12 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, 226-227 et n., 464n ; III, 47 n. Grauert, Christina, cit., II, p. 38 sv. a un avis différent sur ce sujet. De manière générale, Arckenholtz n’a pas de sympathie particulière pour le cartésianisme et il considère excessives les éloges faites à Descartes : contre cette propension à l’éloge, dont Adrien Baillet fait montre, il renvoie à G. Ménage, Anti-Baillet, ou Critique du livre de M. Baillet intitulé Jugemens des savans, Aux dépenses de la Compagnie, Amsterdam, 1725 (G. Olms, Hildesheim-New York, 1971), III, pt. ii, p. 512 ; mais aussi à A. Boschet, Réflexions d’un académicien sur la Vie de Mr Descartes, A. Leers, La Haye, 1692 (dans Anti-Baillet, cit., VII, p. 325-365). 13 Cf. E. Cassirer, Descartes. Lehre, Persönlichkeit, Wirkung, Bermann-Fischer Verlag, Stockholm, 1939 (Gerstenberg Verlag, Hildesheim, 1978), p. 180-189. Pour une discussion des interprétations diver‐ gentes quant à l’abdication et à la conversion de Christine, cf. S. K. Åkerman, Queen Christina of Sweden and her Circle : the Transformation of a Seventeenth-Century Philosophical Libertine, E. J. Brill, New York, 1991, p. 3-13 ; l’auteur est sceptique quant à l’influence de Descartes sur Christine et parle de l’opportunité de « disassembling a myth » (Ibid., p. 44-69). J.-F. Raymond, La Reine et le philosophe. Descartes et Christine de Suède, Préface par S. Strömholm, Les Lettres modernes, Paris, 1993, p. 139-141, insiste, au contraire, sur l’importance philosophique de leur rencontre pour Christine mais aussi pour Descartes, au point que cette rencontre aurait produit « une transmutation de leur être » (p. 158). 14 Le biographe de la reine se montre très prudent à ce sujet : cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, p. 461-474.

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la Réforme. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les disciples français de Descartes aient accepté l’histoire de la conversion répandue par Christine, et aient trouvé avantageux de la diffuser. C’est ainsi que s’explique la publication immédiate de la déclaration de Christine par les religieux de Sainte-Geneviève15, ainsi que l’initiative du cartésien Jacques Rohault, qui la publia de nouveau dans les Entretiens sur la philosophie (1671), et qui s’en servait déjà dans ce texte pour vaincre les doutes de l’interlocuteur de ses dialogues16. Dans un essai publié en 1950, Jean Orcibal a expliqué l’intérêt que représentait, pour la Compagnie du Saint-Sacrement et pour les philosophes et théologiens qui fréquentaient l’Hôtel de Liancourt entre 1669 et 1674, de christianiser Descartes : ils avaient trouvé un soutien pour leur projet dans le témoignage de Jacques Belin, secrétaire de Chanut à Stockholm et ami de Descartes au cours des derniers mois de la vie du philosophe. C’est pourquoi on peut dire que déjà, avant Baillet, la Cabale des dévots « aurait commencé le jour même de la mort du philosophe à créer la légende17 ». Vingt ans après, Baillet acheva l’œuvre de ‘canonisation’ de Descartes. Le biographe du philosophe fut si enthousiasmé par le témoignage de Christine qu’il s’estima en droit de forcer ses paroles déjà généreuses, en présentant la vie de Descartes à Stockholm, non comme celle confortable d’un hôte illustre invité par la couronne, mais plutôt comme celle dure d’un fervent catholique au service de l’Eglise romaine, qui avait affronté des dangers pour se rendre dans un pays étranger habité par des protestants hostiles à l’Eglise – comme si cela (c’est-à-dire de vivre dans un pays étranger et de religion protestante) n’avait pas été, pendant vingt-huit ans, la condition habituelle de la vie du philosophe – pour se sanctifier lui-même et réaliser la conversion de la reine. Descartes n’était plus seulement le premier semeur de la vérité catholique dans l’âme de Christine, mais il était devenu le principal auteur de sa conversion : « M. Descartes après Dieu avoit été le principal auteur avec M. Chanut, d’une résolution si héroïque et de la piété avec laquelle il avoit tâché de se sanctifier luy-même au milieu des Protestants et des Etrangers dans le sein de l’Eglise Romaine18 ». 15 Le P. Claude du Molinet s’en charge avec une circulaire datée de « De Sainte-Geneviève de Paris » le 1er février 1669 : cf. [C. du Molinet], Relation de ce qui s’est passé en la Congrégation des Chanoines Reguliers de France durant l’année 1668, s.n., s. l., s. d., p. 10. 16 Cf. J. Rohault, Entretiens sur la philosophie, Le Petit, Paris, 1671, p. 215-219. 17 J. Orcibal, Descartes et sa philosophie jugés à l’Hôtel Liancourt (1669-1674), dans Descartes et le cartésianisme hollandaise : études et documents (éd. E. J. Dijksterhuis et al.), Puf-Editions françaises d’Amsterdam, Paris-Amsterdam, 1950, p. 87-107 (102). Orcibal suggère que Belin puisse s’être trompé de bonne foi sur les motivations des décisions de Christine, dont la conversion et l’abdication répondent probablement à des raisons davantage politiques que religieuses ; si bien que la déclaration de 1667 sur Descartes devrait être considérée, si ce n’est complaisante, du moins exagérée. (Ibid., p. 104-106). Quant aux motivations politiques de la conversion et de l’abdication de Christine et du rôle joué par l’Eglise de Rome et par les jésuites cf. Åkerman, Queen Christina, cit., p. 7-12 ; O. Garstein, Rome and the Counter-Reformation in Scandinavia, t. II. The Age of Gustavus Adolphus and Queen Christina of Sweden, 1622-1656, E. J. Brill, Leiden-New York-Københaven-Köln, 1992. 18 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 433.

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2. Une lettre controversée Évidemment, pour pouvoir donner une appréciation désenchantée des opi‐ nions réelles de Christine quant aux convictions religieuses de Descartes, au-delà du caractère officiel des Lettres patentes de 1667, il faudrait pouvoir confronter les affirmations qu’elles contiennent avec d’autres éventuelles déclarations de la reine après le témoignage public de 1667, surtout celles qu’elle aurait faites en privé et qui seraient par conséquent plus sincères. Baillet n’a aucun doute quant à la constance des convictions de Christine à ce sujet. Se référant à la période romaine, lui-même dit que, bien qu’étant satisfaite d’avoir donné dans les Lettres patentes d’Hambourg un témoignage public « de la vérité » dont la postérité pourra tirer profit, la reine revenait dans ses conversations privées, certes avec la froideur et la prudence qui les caractérisaient, « sur tout depuis qu’elle eût fixé sa demeure en Italie ». Pour le prouver, il se réfère à ce que l’on peut apprendre de la Relation manuscrite que Nicolas-Joseph Poisson, de la congrégation de l’oratoire, avait rédigée sur ses entretiens avec la reine de Suède à Rome en 1677 (que Baillet a pu lire ou même entendre de vive voix par Poisson lui-même à Paris), où Christine disait que « la facilité, avec laquelle elle s’étoit renduë à plusieurs difficultéz, qui l’éloignoient auparavant de la Religion des Catholiques, étoit duë à certaines choses qu’elle avoit oüy dire à M. Descartes19 ». Malheureusement la Relation de Poisson semble avoir disparu. Cependant, il existerait au moins deux autres témoignages de Christine concernant Descartes datant de la même époque. Le premier figurerait dans un document de 1679, dont Arckenholtz parle dans le quatrième volume de ses Mémoires sur Christine. Ne disposant pas du texte lui-même, nous sommes contraints de faire des hypothèses et, même si le récit du biographe de la reine était circonstancié, les nombreuses contradictions, que l’analyse du récit de Arckenholtz met en lumière, sont autant de raisons de douter. En revanche, le second témoignage, figurant dans un manus‐ crit datant de 1677 à 1679, confirme non seulement l’existence d’un document, dont nous ne disposons pas, qui date sûrement de ces mêmes années, mais ajoute aussi un autre témoignage privé de Christine, témoignage qui a toutes les preuves d’un texte qui nous est parvenu, même si, sauf erreur, il fut ignoré des biographes aussi bien de Descartes que de Christine, bien qu’il ait été publié en 1991. Une ignorance compréhensible puisque le témoignage se trouve dans un guide touristique de la ville de Rome : un genre de textes rarement connus des chercheurs qui travaillent sur Descartes et Christine. 19 Ibid., je souligne. Baillet avait déjà parlé de cette source dans la « Préface », Vie, I, p. xxvi. Je n’ai pas pu trouver le manuscrit de Poisson ni des références à celui-ci dans la biographie de l’auteur : cf. celle, particulièrement détaillée, de l’Abbé Clément, « Le cartésianisme à Vendôme. Le Père Nicolas-Joseph Poisson (1637-1710), Supérieur du Collège de l’Oratoire », Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, XXXVII, (1898), p. 258-275 ; XXXVIII, (1899), p. 23-46 e 164-175. Voir également L. Batterel, Mémoires domestiques pour servir à l’histoire de l’Oratoire, publ. par A. M. P. Ingold et E. Bonnardet, A. Picard et fils, Paris, 1902-1911 (Slatkine, Genève, 1971), V, p. 184-203.

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Commençons par la déclaration perdue de 1679. A cet égard, il s’agit d’une question historiographique complexe, qui a son origine dans la manière dont Arckenholtz présente les choses, mais aussi dans la légèreté avec laquelle les interprètes ont négligé les implications du récit fait par le biographe de Christine. Dans le quatrième volume de ses Mémoires, où il présente les documents et les lettres datant des années 1677-1679, Arckenholtz raconte qu’un certain Charles Caton de Court (1654-1694) – un érudit qui, à en croire Moreri, était peut-être d’une moins illustre naissance et d’une renommée moins certaine que celle dont il semble avoir bénéficié à la fin du XVIIème siècle – avait connu Christine à Rome vraisemblablement en 167720. De Court bénéficie de l’estime de Christine (et par conséquent aussi de celle de son biographe) : la reine, qui en 1679 avait 53 ans, se comporte avec ce jeune homme âgé de 25 ans de manière maternelle et avec une grande familiarité, le considère très studieux et prometteur, le couvre d’éloges feignant de le réprimander pour ses courtoisies flatteuses, s’inquiète que le désir d’égaler le célèbre oncle Claude Saumaise (que Christine avait invité à Stockholm) en poursuivant aussi assidûment ses études puisse nuire à la santé du neveu, entretient avec lui une correspondance même après que de Court est retourné à Paris, d’où celui-ci enverra périodiquement des livres à la reine. Ainsi Christine prend sous son aile le jeune homme et accompagne son ascension dans la Rome cultivée, tant et si bien qu’un certain Carlo Catone de Court apparaît en 1679 dans la liste des membres de l’Académie royale de Christine21, issue de l’Académie clémentine instituée à l’origine en 1668 autour de Lucas Holstenius et premier noyau de l’Arcadie, fondée l’année après la mort de la reine (1689) par quatorze de ses académiciens. Selon le récit d’Arckenholtz, de Court, à l’occasion de ses rencontres avec Christine à Rome, lui demande de témoigner sur les sentiments religieux de Des‐ cartes (« Il s’agissoit d’un éloge que le Sr. De Court desiroit de la Reine pour feu Descartes »). La reine prend au sérieux son interlocuteur et lui envoie l’attestation demandée, écrite en français (qu’elle appelle Brevet), l’accompagnant d’une lettre manuscrite non datée, écrite aussi en français, dans laquelle Christine explique s’être décidée à révéler, étant donné qu’il est « glorieux à notre Philosophe », un « secret qui auroit eté ignoré de tout le monde, si vous ne m’aviez donné occasion de le publier22 ». Arckenholtz date de 1679 aussi bien la demande faite

20 Cf. L. Moreri, Grand Dictionnaire historique, cit., IV, p. 207 ; voir également Ch-C. Genest, Portrait de M. De Court, J. Boudot, Paris, 1696 ; et Ph. Papillon, Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, 2 vols, P. Marteret, Dijon, 1745 (Slatkine, Genève,1970), I, p. 160-161. 21 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., II, p. 139. 22 « Il s’agissoit d’un éloge que le Sr. De Court desiroit de la Reine pour feu Descartes. Voici comment elle lui répondit de sa propre main. “Monsieur, je vous envoye ce que vous avez desiré. J’ai voulu écrire en François, parce que cette langue m’est plus naturelle, et qu’elle l’étoit aussi à notre Philosophe, de qui j’ai voulu faire l’éloge et non pas de moi, de qui vous avez dit mille biens que je ne mérite pas. Votre affection vous ayant fait mentir en ma faveur, j’ai voulu vous décharger de ce blame en disant la vérité sur ce sujet, de… [ J. Arckenholtz, p. 20 n. : Cette lacune se trouve dans la copie, comme dans le brouillon. On pourroit la remplir par de ma conversion, ou par des mots pareils] Vous

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par Court (ce dont on n’a plus trace) que le brouillon autographe (« de sa propre main ») de la lettre par laquelle Christine répond de Rome à son protégé. Mais quel document Christine avait envoyé à de Court ? Arckenholtz, qui travaille sur les copies des minutes manuscrites des lettres de Christine qu’il a reçues de Rome par le cardinal Albani, n’a dans ses cartes ni une éventuelle demande écrite par de Court, qui par ailleurs aurait pu s’adresser oralement à Christine, ni le Brevet dont parle Christine dans la lettre manuscrite à de Court. Cependant, il a à disposition le texte de l’attestation de 1667, qu’il connaît à partir de l’édition de 1674 des Entretiens de Rohault, et il sait que la reine l’avait envoyé à Courtin, qui à ce moment là était Résident de France à Copenhague23. Par conséquent, il la rapporte en note pour la commodité des lecteurs qui pourraient ne pas la connaître. Évidemment il pensait que le contenu du Brevet de 1679 était essentiellement identique à cette attestation et il rapporte cela en note pour rendre service à ses lecteurs, sans pour autant vouloir présenter le témoignage de 1667 comme s’il avait été le texte du Brevet, qui a disparu, auquel se réfère la lettre que Christine aurait écrite à de Court en 1679. Presque tous les interprètes ont négligé d’analyser les implications de cette page d’Arckenholtz, se contentant d’identifier la lettre de Christine sans date et sans destinataire, que Arckenholtz date de 1679 et destine à de Court, à celle que Christine aurait envoyée à Courtin pour accompagner les Lettres patentes du 30 août 1667. Mais ils ne l’ont pas tous dit de manière limpide, et aucun n’a présenté d’arguments. La plupart ignorent que, dans les Manuscrits de Christine conservés à Montpellier, le brouillon manuscrit de cette lettre existe : il est daté du 30 août 1667 et est explicitement adressé à Courtin. Les rares qui le savent ne confrontent pas les deux lettres et passent sous silence le fait que ce brouillon manuscrit de la lettre effectivement envoyée à Courtin d’Hambourg et datée du 30 août 1667 (et qu’évidemment Arckenholtz ne connaît pas), bien que compatible avec le contenu de celle qui a été publié par Arckenholtz dans les Mémoires, est cependant différente : « Monsieur Courtin Je Vous envoye ce que Vous m’avez demandéz, Le proiet que Vous aviez fait me semble trop remply de mes Louanges, et je l’ay changè comme Vous verrèz estant persuadèe que Vous me demandièz un eloge pour le s.r Cartes, et non pas le mien. J’ay voulù aussy parler françois parce que cette langue m’est plus naturelle, et que je n’aime pas le latin parce que je l’ignore,

y trouverez le secret qui auroit été ignoré de tout le monde, si vous ne m’aviez donné occasion de le publier ; car je le crois si glorieux à notre Philosophe, que je n’ai pas voulu le taire. Je vous prie de prendre la peine de faire votre charge, en corrigeant ce que vous trouverez de défectueux et d’etranger dans les expressions de ce Brevet, et de me le renvoyer pour le faire corriger ; car pour le sens, je crois que vous n’y trouverez rien à redire. Je prie, etc.” » ( J. Arckenholtz, Mémoires, cit., IV, p. 19-20 : le biographe renvoie aux manuscrits de la reine : Lettres à ses Ministres, p. 85). 23 J. Arckenholtz, Mémoires, cit., IV, 20, n. 1, renvoie aux manuscrits de Christine « reçus de Rome » (Miscellanea Academica, p. 140-142) « où il est dit que cette attestation a été envoyé au Sr. Courtin Résident de France à Coppenhague ».

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Si Vous estez satisfait de moy Je le suis beaucoup de Vous, et seray bien aise de le sçavoir priant Dieu24 ». C’est assurément à cette lettre que Courtin répond avec la lettre de remercie‐ ment à Christine, citée ci-dessus, envoyée de Copenhague le 3 septembre 1667. C’est ici, en effet, que Christine se réfère au project soumis par Courtin – le « project informe que j’avois pris la liberté de presenter à Vostre Majesté » dont parle Courtin dans sa lettre du 3 septembre – et dit l’avoir changé, puisque c’était de Descartes dont il fallait faire l’éloge et non de la reine. Toujours dans cette lettre, Christine dit aussi avoir écrit en français parce qu’elle ne connaissait pas le latin (langue dans laquelle Courtin avait rédigé son ébauche), déclaration à laquelle Courtin répond, avec toute la diplomatie possible, ne pas croire (« Mais je luy [scil. à la reine] demande tres humblement pardon si son estreme modestie ne me persuade pas qu’elle ayt voulu s’abstenir de la Langue Latine parce qu’elle l’ignore25 »), utilisant le reste de sa longue lettre pour se défendre de l’accusation de flagornerie, tout en renouvelant ses compliments cérémonieux à la reine. En outre, l’ébauche de Christine datée du 30 août 1667 à Hambourg, contrairement à la lettre publiée par Arckenholtz, ne parle pas du secret « si glorieux à notre Philosophe » – à savoir la contribution du philosophe à la conversion de la reine, que tous auraient ignorée si la reine ne l’avait pas rendu publique – et à ce secret Courtin ne fait jamais référence dans la réponse du 3 septembre. Finalement, dans cette lettre, Christine ne demande pas à son interlocuteur de faire sa part, corrigeant ce qu’il pouvait trouver de « défectueux et d’etranger » dans les expressions françaises du document envoyé et de lui renvoyer les corrections, de manière à ce qu’elles puissent être reportées dans la version finale, proposition à laquelle Courtin ne fait pas allusion dans sa réponse du 3 septembre, ni même pour décliner l’invitation, tout en complimentant le bon français de la reine. Dans la lettre publiée par Arckenholtz, Christine ne fait référence ni à une ébauche qu’elle aurait reçue de son interlocuteur et qu’elle aurait modifiée, ni à sa propre ignorance du latin comme la raison pour laquelle elle aurait écrit son attestation en français, mais au contraire elle demande de corriger le texte français de son attestation. Confrontées à la réponse de Courtin, ces différences semblaient confirmer que ce n’est pas à la lettre publiée par Arckenholtz que Courtin répond avec la lettre envoyée de Copenhague le 3 septembre 1667, mais plutôt à la lettre datée du 30 août d’Hambourg. Naturellement ces différences entre les deux lettres n’impliquent pas que celle publiée par Arckenholtz ait été effectivement envoyée par Christine à de Court en 1679 à Rome. Il peut s’agir tout simplement d’une autre ébauche, sans destinataire et sans date, de la lettre envoyée à Courtin à Hambourg le 30 août en 1667 : en effet, dans les manuscrits de Christine il n’est pas rare de trouver des ébauches différentes de la même lettre. Dans ce cas-là, la version publiée par Arckenholtz pourrait être une première ébauche de la lettre qui sera ensuite simplifiée dans la 24 Christine à Courtin, Hambourg 30 août 1667, in Manuscrits de la Reine Christine, cit., IX, f. 196r/v. 25 Courtin à Christine, Copenhague 3 sept. 1667, in Manuscrits de la Reine Christine, cit., V, f. 284v.

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deuxième ébauche datée et adressée à Courtin, étant donné que c’est à celle-ci que le diplomate répond. En réalité, la lettre publiée par Arckenholtz pose des problèmes, que le bio‐ graphe de Christine ait eu raison en datant la lettre en 1679 et en la considérant adressée à de Court, que dans le cas où il se serait trompé, en ne reconnaissant pas la lettre envoyée par Christine à Courtin en 1667. Si Arckenholtz avait eu raison – pourquoi Christine aurait dû écrire en 1679 un nouveau certificat concernant l’orthodoxie catholique de Descartes ? Seulement pour confirmer la déclaration faite à l’occasion des funérailles à Sainte Geneviève en 1667 et depuis longtemps de notoriété publique ? Et pourquoi appeler Brevet (nom réservé aux actes et attestations officielles) un texte écrit à titre privé pour le jeune ami ? Évidemment, si Christine avait écrit à de Court en 1679, elle n’aurait pas pu lui envoyer une copie du document de 1667 pour satisfaire une demande formulée à l’occasion de leurs rencontres à Rome dans les années 1677-1679, sans dire qu’il s’agissait d’une copie d’un document antérieur de douze années, ou sans que le destinataire s’en aperçoive. Dans la lettre de Christine, certaines expressions prennent tout leur sens si on se réfère à celle de 1667 (« le secret qui auroit été ignoré de tout le monde, si vous ne m’aviez donné occasion de le publier ») et si son interlocuteur avait été le destinataire des Lettres patentes de 1667, à savoir Antoine de Courtin. Mais celui-ci, dans sa réponse du 3 septembre 1667, ne fait aucune allusion au secret révélé, pas même pour exprimer sa propre joie d’avoir été la cause indirecte de la révélation d’un secret « si glorieux à notre Philosophe », à la gloire duquel il travaillait. Par conséquent, Courtin ne semble pas répondre, quoiqu’en disent la plupart des interprètes, à la lettre publiée par Arckenholtz. Mais ceci ne suffit pas à rendre crédible le récit du biographe de Christine. En effet, les expressions qui auraient eu du sens en 1667 en sont privées si on se réfère à un nouveau document de 1679, surtout si, comme le suppose Arckenholtz, celui-ci avait essentiellement le même contenu que le témoignage de 166726. Pourquoi, en effet, écrire à de Court, en 1679, que sa demande lui a permis de révéler un secret que tous connaissaient déjà depuis douze ans ? Arckenholtz ne réfléchit pas suffisamment sur la lettre de 1679, parce qu’il ne s’interroge pas sur la question du secret révélé, qu’il considère comme pouvant être facilement résolu, supposant que le document de 1667 et celui de 1679 avaient le même contenu (comme le laisse croire le fait que Christine

26 « Pour ce qui est du secret dont elle parle ici, ce ne peut être, je crois, que le témoignage qu’elle donna en faveur de Descartes, comme s’il eût contribué au changement de Religion de Christine » ( J. Arckenholtz, Mémoires, cit., IV, p. 19 n.). Mais le biographe confirme ses propres doutes sur la véracité des déclarations de la reine à ce sujet, même si de manière moins péremptoire que précédemment. (Ibid., I, p. 226 e 464) : « J’avoue que j’ai toujours eu de la peine à y ajouter foi. Mais cette Lettre de la Reine, et l’attestation qu’elle donna et qui se trouve imprimée dans les Entretiens sur la Philosophie par Mr Rohault (à Paris 1674 in 12) rend au moins l’affaire problématique. Peut-être vouloit-elle qu’un aussi grand homme que lui, en eût le nom. Cependant je crois que si Descartes a fait cette Prosélyte, elle sera devenue Catholique à la façon de Descartes et de Chanut » ( J. Arckenholtz, Mémoires, cit., IV, 19 n.).

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déclare glorieux pour Descartes la révélation du secret), sans se rendre compte que précisément dans ce cas les expressions utilisées par Christine créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Dans la lettre, il apparaît, selon toute probabilité, que Christine, sachant que le destinataire du Brevet ne l’aurait pas gardé pour lui mais l’aurait rendu public, n’était pas sûre de son français (ou de celui du rédacteur du Brevet) et que, le cas échéant, elle était disposée à le corriger selon les indications de son interlocuteur. Exhorter le destinataire de la lettre à faire sa part (« faire sa charge »), l’autorisant à corriger la forme du Brevet (« en corrigeant ce que vous trouverez de défectueux et d’etranger dans les expressions de ce Brevet »), et même l’inviter à lui renvoyer en retour après les éventuelles corrections (« me le renvoyer pour le faire corri‐ ger27 »), indique une bonne dose de familiarité avec son correspondant, ce qui est probable dans le cas où il s’agirait de de Court aussi bien que de Courtin. Mais c’est seulement en apparence que la lettre aurait pu être adressée à l’un comme à l’autre. En effet, la clarification que Christine apporte sur la langue dans laquelle est rédigé le document – qui s’explique si on se réfère à la demande de souscrire à un document rédigé en latin – aurait eu moins de sens si Christine avait répondu à une demande transmise en 1679 par de Court, avec lequel elle correspondait ha‐ bituellement en français et qui assurément ne lui avait ni demandé une attestation en latin ni soumis une ébauche dans cette langue. Et cela n’aurait eu aucun sens si on se référait, en 1679, aux Lettres patentes sur Descartes rendues publiques en 1667, et dont on sait qu’elles sont écrites en français. D’autre part, l’invitation à corriger le texte n’aurait pas eu de sens même si la lettre avait été écrite en 1667 pour accompagner les Lettres patentes datées du 30 août de cette année à Hambourg. Ce texte, en effet, est un document officiel, avec la signature et le sceau de la reine ainsi que le contreseing de son secrétaire Santini. Donc, il ne pouvait plus être corrigé après avoir été promulgué. Si elle avait été envoyée à Courtin, la lettre publiée par Arckenholtz aurait donc dû accompagner, non pas les Lettres patentes officielles, mais une de leurs ébauches, à corriger éventuellement après la réponse de Courtin. C’est pourquoi leur version officielle et définitive, bien que datée du 30 août, aurait été envoyée seulement après avoir reçu la réponse de Courtin. Mais dans la lettre envoyée de Copenhague le 3 septembre 1667, dans laquelle il exprime sa reconnaissance pour l’attestation qu’il a reçue de la reine, Courtin ne mentionne jamais les éventuelles corrections du texte français et il se contente de déclarer, obligeamment, de ne pas croire que la reine ignorait le latin : ce qui laisse supposer que l’ébauche du document remis par lui à la reine fût rédigée en latin, et cela suffit à expliquer pourquoi Christine disait avoir écrit en français. Par ailleurs, la période de temps passée entre l’envoi par Christine des Lettres patentes et les remerciements de Courtin est trop brève pour penser qu’un échange ultérieur de lettres intermédiaires entre le 30 août (date du brouillon de la lettre que Christine joint à l’envoi des Lettres patentes à Courtin) et le 3

27 Ibid., p. 20.

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septembre (date de la lettre où Courtin remercie Christine) ait eu lieu. Et, en effet, de cette éventuelle correspondance, il n’existe aucune trace. La plupart de ces incohérences disparaitrait si la lettre autographe de Christine qu’Arckenholtz a publiée comme étant une lettre envoyée à de Court en 1679 fut en réalité, non pas l’ébauche de la lettre effectivement envoyée par Christine à Courtin, mais une ébauche mise de côté au profit de celle datée du 30 août 1667 et explicitement adressée à « Monsieur Courtin », à laquelle Courtin répond le 3 septembre 1667. On ne peut exclure que l’incongruité de la proposition originaire de correction du texte puisse avoir conduit Christine à réécrire sa lettre à Courtin dans la forme simplifiée du brouillon que l’on trouve dans les manuscrits de Montpelier. Enfin Arckenholtz, qui travaille sur les transcriptions des documents envoyés de Rome, aurait publié une ébauche non utilisée de la lettre envoyée à Courtin en 1667 comme s’il s’agissait d’une lettre envoyée à de Court en 1679. Cependant, si la Table alphabétique des correspondants de Christine et l’index des noms des Mémoires (qui ne sont pas nécessairement rédigés par l’auteur) confondent Courtin et de Court28, Arckenholtz, lui, sait parfaitement distinguer le vieux diplomate, déjà secrétaire de la reine, du jeune neveu de Saumaise, proche de Christine à Rome, et lorsqu’il se réfère, dans les Mémoires, à ces deux personnes, il s’agit de contextes différents et appropriés29. Il n’y a donc pas de raison de penser qu’Arckenholtz puisse confondre Courtin et de Court. Toutefois, la possibilité d’une erreur de la part d’Arckenholtz semble plausible étant donné le statut des manuscrits de Christine. Le cardinal Azzolino, héritier des collections de Christine, n’ayant survécu que quelques mois après la reine, les manuscrits finirent dans les mains d’un de ses neveux et furent ainsi sauvés de la dispersion grâce à l’acquisition qu’en fit Alexandre VIII Ottoboni – qui avait donné à son neveu, pour sa bibliothèque privée, la partie des manuscrits qui n’était pas conservée au Vatican. Arckenholtz, qui était à Rome en 1740, avait dû interrompre son travail sur les documents de Christine dans la bibliothèque du cardinal Ottoboni puisque le conclave, ayant eu lieu après la mort de Benoît XIII, avait conduit à la fermeture de la Bibliothèque du Vatican et de celles de presque tous les cardinaux30. C’est pourquoi l’auteur se

28 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., « Table alphabétique », IV, p. 279 ; « Table des matières », p. n.n. (éd. all.. cit., p. 66). 29 Courtin est rappelé deux fois : comme secrétaire de Christine à Stockholm et comme résident de France à Copenhague et destinataire de la déclaration de 1667 en faveur de Descartes (cf. J. Ar‐ ckenholtz, Mémoires, cit., I, 255 e IV, 20 n.). De Court, outre pour la lettre en question de 1679 que Christine lui avait envoyée avec le Brevet sur Descartes (Ibid., IV, 20), est rappelé encore deux fois : pour sa grande « application » et pour son « savoir » (Ibid., 19-20) et comme membre de l’Académie de Christine à Rome (Ibid., II, 139). Dans les Mémoires, excepté la lettre controversée de 1679, il n’y a pas d’autres lettres destinées à Courtin (ni même de lettres de Courtin à Christine), alors qu’il existe deux autres lettres de Christine à de Court : une du 31 mai 1679, dans laquelle Christine répond à une lettre du 8 mai 1679 (Ibid., 20-21), et une, non datée, dans laquelle Christine remercie son interlocuteur pour l’envoi de livres de Paris (Ibid., 21-23). 30 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, « Préface », p. xxiv-xxv, e 232 n.

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résigna à publier sa biographie de Christine sans pouvoir utiliser des documents disponibles à Rome, et les Mémoires, sortis en deux volumes en 1751, se présen‐ taient comme une œuvre unique et accomplie puisqu’elles traitaient de toute la vie de Christine. Ce n’est que plus tard qu’Arckenholtz entra en contact avec le cardinal Alessandro Albani, héritier du fond des manuscrits de la reine, qui lui fournit les copies des documents ayant appartenu à la bibliothèque privée de Christine : il s’agit d’un matériau important qui inclut, ainsi que plusieurs textes de la reine, la copie de plus de huit cent lettres parmi lesquelles se trouvent les copies des originaux des missives envoyées à Christine et celles des minutes des lettres expédiées par elle, de 1657 à l’année de la mort de la reine (1689). Arckenholtz en tient compte pour la rédaction des volumes trois et quatre, sortis respectivement en 1759 et en 1760, conçus par l’auteur et l’éditeur comme un Supplément des Mémoires, comportant les pièces justificatives qu’il n’avait pas été possible de publier dans les deux premiers volumes31. C’est seulement après 1759 que les manuscrits originaux furent réorganisés de manière assez sommaire, et distribués dans les quinze volumes de la collection actuelle des Manuscrits de la reine Christine et dans les sept volumes des Sentenze della regina Cristina. En 1798, quand Rome fut occupée par les troupes françaises et fut proclamée la République romaine, la bibliothèque du cardinal Albani fut confisquée et les volumes des manuscrits de Christine – acquis par un officier français qui les avait ramené avec lui dans l’Hérault – furent achetés par l’État français grâce à l’intérêt du bibliothécaire de la Bibliothèque de Médecine de Montpellier, lequel l’obtint pour sa propre bibliothèque (1804)32. Les lettres transcrites par le cardinal Albani pour Arckenholtz étaient réparties dans seize cahiers (dont les titres reproduisaient ceux inscrits sur les cahiers origi‐ naux33), qui malheureusement ne correspondaient pas toujours à l’ordre actuel

31 J. Arckenholtz, Mémoires, cit., II, « Au Lecteur », p. 2-3 n.n. ; III, « Avis des Libraires », n.n. ; III, « Préface », ii-vi. Aux lettres arrivées de Rome s’ajoutent les quasi 200 lettres de la correspondance de Christine trouvées par Arckenholtz en Suède : naturellement ni les unes ni les autres ne sont toutes utilisées. L’auteur dédie le vol. III au cardinal Albani, le remerciant pour les documents qu’il avait fait recopier pour lui à Rome (Ibid., « Dédicace », p. 1-3 n.n.) ; Albani, qui n’était pas au courant de la publication des deux premiers volumes des Mémoires, lui écrit à son tour une lettre, publiée par Arckenoltz dans Mémoires, cit., IV, « Préface », p. xix. 32 Sur cette question des manuscrits de Christine, qui se trouvent désormais à Montpellier, cf. Ch. An‐ glada, « Notice sur la Bibliothèque de la Faculté de Montpellier pour servir à l’histoire de cette Faculté », Montpellier médical, II, janv.-juin 1859, p. 559-577 et III, juill.-déc. 1859, p. 41-75 (II, p. 576-577) ; « Les manuscrits de la Reine Christine à la Faculté de Montpellier », La Chronique Médicale. Revue bi-mensuelle de Médecine, historique, littéraire et anecdotique, XIV, 9, 1 mai 1907, p. 286-287 (compte rendu, qui n’indique pas le nom de l’auteur, d’une communication faite par Louis André au Congrès des Sociétés savantes de Paris et des départements, Montpellier, 2 avr. 1907). En ce qui concerne les manuscrits et les livres possédés par Christine, qui se trouvent dorénavant au Vatican, la vaste bibliographie précédente est désormais dépassée par Eva Nilsson Nylander, The Mild Boredom of Order : A Study in the History of Manuscripts Collection of Queen Christina of Sweden, Lund University, Lund, 2011. 33 Pour la liste voir J. Arckenholtz, Mémoires, cit., III, « Préface », p. vi.

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des quinze volumes des Manuscrits de Christine conservés à Montpellier. A cette difficulté s’ajoute celle, insurmontable, des nombreuses lacunes présentes dans la collection de Montpellier, dont certaines concernent précisément les lettres de Christine utilisées et citées dans les Mémoires, rendant ainsi insoluble la question de la date et du destinataire de la lettre publiée par Arckenholtz. On ne peut donc exclure avec certitude que le biographe pas toujours très fiable de Christine ait fait une confusion en identifiant comme étant la lettre que Christine aurait écrite à de Court en 1679 celle qu’au contraire la reine avait rédigée pour l’envoyer à Courtin en 1667, comme (première) ébauche de lettre qui devait accompagner les Lettres patentes sur Descartes. Ou que la confusion soit due à celui qui transcrivait les lettres pour le compte d’Albani. En effet, la feuille des manuscrits de Christine à laquelle Arckenholtz se réfère comme étant l’original de la lettre de 1679 fait déjà défaut dans la collection de Montpellier lors de l’inventaire rédigé en septembre 184534. C’est pourquoi, dans les Manuscrits de Christine, on ne trouve désormais ni la lettre dans laquelle de Court demandait à la princesse – pour reprendre les mots mêmes de son biographe – « un éloge pour feu Descartes », ni le brouillon de la lettre de Christine publiée par Arckenholtz, ni un Brevet sur ce sujet datant de 1679. En ce qui concerne l’année 1667, il manque la demande faite par Courtin à Christine, même si nous avons – comme nous l’avons dit – le brouillon de la lettre du 30 août 1667 à Courtin que Christine ajoutait aux Lettres patentes, ainsi que l’original de la lettre de remercîment de Courtin à Christine, datée du 3 septembre 1667 à Copenhague. L’histoire racontée par Arckenholtz ouvre donc la voie à différentes possibili‐ tés : soit la lettre de Christine date effectivement de 1679, est écrite à Rome et est envoyée à de Court pour accompagner un nouveau document rédigé cette année à la demande de son jeune protégé (le Brevet disparu), mais cette hypothèse se heurte à la difficulté qui émerge de l’examen du contenu de la lettre ; soit il s’agit d’une ébauche jamais utilisée de la lettre écrite en 1667 à Courtin pour accompagner les Lettres patentes d’Hambourg, rédigées à l’occasion du transfert de la dépouille de Descartes à Sainte-Geneviève. Dans ce cas, Arckenholtz se serait trompé non seulement sur le nom du destinataire de la lettre (De Court 34 Arckenholtz renvoie aux Lettere a’ suoi Ministri, p. 85, pour la lettre de Christine à de Court de 1679 (Mémoires, IV, 20, n. a : cf. ci-dessus n. 23), et aux Miscellanea Academica. 140-142, pour l’envoie à Courtin de l’attestation de 1667 (Mémoires, cit., IV, 20, n. 1 : cf. ci-dessus n. 24). Les Lettere della regina ai suoi ministri, que Arckenholtz lisait dans le cahier IV des manuscrits envoyés de Rome, font désormais partis du vol. VIII des Manuscrits de Christine conservés à Montpellier, mais parmi les nombreuses feuilles manquantes de ce volume sont aussi incluses celles qui se trouvent entre le n. 83 et le n. 91. Elles ont été introuvables lors des deux inventaires des manuscrits : celui du 10 septembre 1845, Bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier, Catalogue des manuscrits de Christine Alexandre, Reine de Suède, in-4, 37 p. (H 259 bis) ; et celui, bien plus approfondi, établi probablement en 1881, par H. I. S. Westzynthius, Manuscrits de la Reine Christine. Catalogue, in-fol, 343 p. (H 587). Les Miscellanea Academica (cahier XI pour Arckenholtz) sont désormais incluses dans le vol. XIII des Manuscrits de Christine, mais dans les feuillets indiqués il n’y en a aucun qui correspond à ce que dit Arckenholtz. On ne trouve rien de pertinent non plus dans les pages correspondantes des vol. IV et XI de la collection de Montpellier.

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au lieu de Courtin), mais aussi sur la date (1679 au lieu de 1667) et sur le lieu d’où elle a été envoyée (Rome et non Hambourg), et il ne se serait pas rendu compte que le Brevet dont parle la lettre qu’il a publiée ne serait autre que les Lettre patentes de 1667, qu’il connaissait dans l’édition de Rohault. Cette série d’erreurs n’ôterait aucune valeur au récit fait par le biographe de la reine de Suède quant aux fréquentations romaines entre de Court et Christine dans les années 1677-1679 et quant à leur amitié même après cette période : en effet, on trouve des preuves objectives dans les lettres échangées entre eux, ainsi que dans la présence de de Court parmi les académiciens de Christine. Cependant cela altérerait la crédibilité du récit sur les faits qui précèdent la demande, adressée par de Court à Christine, d’un nouveau témoignage portant sur la religion de Descartes, qui ne reposerait sur aucune preuve solide et qui pourrait se révéler faux malgré les bonnes intentions d’Arckenholtz. Mais il ne peut être exclu que Arckenholtz ait pu se tromper uniquement en identifiant la lettre et qu’il se soit appuyé sur d’autres sources pour l’existence de la lettre et les circonstances de sa composition : dans ce cas-là, il devrait exister un témoignage ultérieur écrit par Christine sur Descartes, dans les mains de de Court ou de l’un de ses amis. Cependant, si on fait abstraction du récit d’Arckenholtz, on peut se demander s’il est plausible que Christine, qui – comme nous le savons grâce à Baillet – en 1677 avait parlé à Poisson de la religion de Descartes et de l’influence indirecte du philosophe sur sa propre conversion, ne soit jamais revenue sur le sujet, ni même pour satisfaire les demandes prévisibles de ses interlocuteurs, en particulier des Français qui venaient la trouver à Rome dans sa résidence du Palais Riario. Et existent-ils, en plus de la lettre publiée par Arckenholtz, d’autres indices en faveur de la circulation à Rome, ces années là, d’un document contenant une attestation de Christine sur la religion de Descartes ?

3. Un témoignage ignoré de Christine sur Descartes L’hypothèse de l’existence d’un témoignage ultérieur de Christine sur Des‐ cartes est renforcée par le manuscrit (mentionné ci-dessus) parvenu heureuse‐ ment jusqu’à nous. Outre l’intérêt du texte lui-même, le manuscrit fournit une confirmation de l’existence d’une nouvelle attestation sur la religion de Descartes faite par Christine en 1679. Il s’agit de la Description de Rome Moderne, un énorme manuscrit anonyme de 513 pages, dont la rédaction, selon les références chronologiques du texte, aurait été amorcée en 1676 et achevée en 1679, même si certains ajouts datent de 1681, probablement suite au retour de l’auteur en France35. Le manuscrit est le fruit du long séjour romain de cet auteur qui

35 Description de Rome Moderne, Avery Library, Columbia University, New York, Ms. n. AA 1115 D456. Les dates se réfèrent à la composition du texte, qui a été établi et ensuite retranscrit plus nettement sur une carte de fabrication parisienne avec filigrane datée de 1688 jusqu’à la p. 220, et 1689 de la p. 221 jusqu’à la p. 513 ; le volume est relié en papier vélin et les couvertures qu’elles revêtent sont

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demeure inconnu. Mais ce doit certainement être un religieux français doté d’une vaste culture et de bonnes relations. L’auteur du manuscrit fait particulièrement attention aux lieux de Rome liés à la France et il compare les rues, les monuments, les bibliothèques, les palais, les jardins, les artistes romains aux français, une comparaison souvent à l’avantage des derniers. En outre, sa condamnation de la fresque de la Chapelle Sixtine perçue comme une chose libidineuse et son appro‐ bation de l’initiative de couvrir les peintures et statues « indécentes » (ce que Christine, au contraire, tournait en ridicule), ses invectives contre la prostitution mais aussi contre les mœurs légères des femmes modernes révèlent un bigot. L’hy‐ pothèse des éditeurs du manuscrit, selon laquelle l’auteur serait un abbé français à la vaste culture classique, artistique et technique, aux tendances cléricales et bien introduit à Rome, semble ainsi fondée. Comme d’autres voyageurs français de cette époque – par exemple le Marquis de Seignelay et Maximilien Misson – il avait accès à la résidence de Christine, habituée à interroger au sujet de la cour de France les Français qui se rendaient chez elle et lui rendaient hommage, les embarrassant parfois36. Ce texte est important pour au moins trois raisons : a) il contient une confir‐ mation indépendante de l’existence d’un document écrit par Christine sur les convictions religieuses de Descartes, circulant à Rome les mêmes années que celles où, selon Arckenholtz, la reine aurait écrit celui que lui avait demandé de Court ; b) il rapporte les opinions très critiques de Christine sur la philosophie de Descartes, prononcées par la reine à l’occasion de la rencontre avec l’auteur du manuscrit ; c) il recueille de la bouche même de la reine un témoignage nouveau et indépendant sur l’orthodoxie catholique de Descartes, bien différent de celui des Lettres patentes de 1667. Procédons par ordre et partons de la question du document qui circule à Rome selon le manuscrit Avery. datées de 1663. Le manuscrit fut acquis en 1975 à Paris par l’Avery Library de Columbia University de New York, où il est actuellement conservé. Le texte est tout à fait inédit, mais en 1990, à l’occasion du centenaire de l’Avery Library, on a publié une large sélection de presque 200 pages (avec la traduction italienne en regard) avec le titre Specchio di Roma barocca, éd. par Joseph Connors (déjà directeur de l’American Academy of Rome, à l’époque Professeur d’Histoire de l’art à Columbia University et ensuite, en 2011, à Harvard) et par Louise Rice (à cette époque Professeur d’Histoire de l’art à Duke University, et désormais à New York University). Une belle édition qui reproduit aussi les desseins du peintre flamand Lievin Cruyl (1634 – avant 1720), qui travaillait à Rome entre 1664 et 1674 : Specchio di Roma barocca. Una guida inedita del XVII secolo, a cura di J. Connors et L. Rice, Edizioni dell’Elefante, Roma, 1990 (2a edizione riveduta e ampliata, 1991). 36 Cf. M. Misson, Nouveau voyage d’Italie, fait en 1688, avec un mémoire des avis utiles à ceux qui voudront faire le mesme voyage, 4 vols H. van Buren, La Haye, 1691 (3e éd. 1698), II, p. 140-141 ; P. Clement, L’Italie en 1671. Relation d’un voyage de M. de Seignelay, suivie de lettres inédites à Vivonne, Du Quesne, Tourville, Fénelon, et précédée d’une étude historique, Didier, Paris, 1867, p. 139. Arckenholtz se réfère à plusieurs reprises à ce que dit Misson dans le Voyage à propos de la reine et de son palais ( J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, p. 148, 294, 322, 329), mais il rappelle aussi (II, p. 293) le jugement de Gilbert Burnet sur la Court de Christine (« la plus belle Court d’Etrangers qu’il y ait à Rome »), que la reine considérait comme la chose la plus rare que l’on puisse trouver parmi toutes les raretés et antiquités romaines : cf. G. Burnet, Voyage de Suisse, d’Italie, et de quelques endroits d’Allemagne et de France, fait ès années 1685 et 1686, A. Acher, Rotterdam, 1687, Lettre IV, p. 186.

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La partie du manuscrit qui nous intéresse commence par une description (exceptionnellement courte pour l’auteur) de la résidence de Christine au Pa‐ lais Riario, donnant sur la rue Lungara, et des trésors qu’elle renfermait. Après avoir changé plusieurs fois de résidences romaines (Palais Farnese, Palais Rospi‐ gliosi/Mazzarino) Christine y vécut les vingt dernières années de son séjour romain (de novembre 1668 jusqu’au 19 avril 1689). En 1729, il sera acheté par la famille Corsini qui y édifiera l’actuel Palais Corsini. Donc, pour une fois, l’auteur renonce à faire le guide – c’est le seul cas où le voyageur ne s’attarde pas à décrire le palais qu’il devrait présenter à ses lecteurs – pour exposer, au contraire, avec beaucoup de détails, sa rencontre avec la reine. En effet, il se met à raconter la vie retirée et consacrée à l’étude de la maîtresse de maison et, après avoir fait l’éloge du jugement certain et libre de Christine, qui n’a jamais invoqué l’autorité reconnue à une reine en se basant sur la seule « force de ses raisons », l’auteur poursuit ainsi : Il n’est pas nécessaire de raporter icy ce que j’ay entendu de cette illustre princesse sur quelques autheurs encores vivants, mais en parlant de son maistre Mr Descartes, elle marquoit pour luy une estime singulière, et (a) disoit des choses qui revenoient assez au témoignage qu’elle en a donné par escrit et (b) dont un de mes amis avoit l’ortographe [sic, pour « autographe » C.B.]37. La phrase que j’ai mise en italique (a) se réfère évidemment aux opinions re‐ ligieuses de Descartes, les seules sur lesquelles Christine avait « donné un témoi‐ gnage », mais (b) on peut difficilement se référer à l’attestation de 1667, qui sera rappelée ultérieurement. En effet, l’auteur du manuscrit affirme avoir vu lui-même la déclaration écrite de Christine, celle dont un de ses amis possédait l’autographe (« dont un de mes amis avoit l’ortographe » [sic pour « autographe »]). Il est évident qu’il ne peut s’agir de l’attestation des Lettres patentes datant du 30 août 1667 à Hambourg, aucun des amis romains du voyageur français ne pouvant posséder l’autographe. Mais alors de quel document parle l’auteur du manuscrit Avery ? Si Arckenholtz avait eu raison quant à la lettre de 1679, il eût été raison‐ nable de supposer qu’il s’agissait du même texte (le Brevet) dont on parlait dans la lettre de 1679 rapportée dans les Mémoires et que le détenteur de l’autographe ne fût autre que Charles Caton de Court lui-même, académicien de la reine, qui évidemment le montrait à ses amis, parmi lesquels l’auteur du manuscrit Avery. Mais, étant donné le caractère douteux du récit d’Arckenholtz quant à la lettre de Christine à de Court, nous devrions supposer que, en faisant abstraction de cette lettre, de Court – ou un autre à Rome – fût quand même en possession d’un document autographe de la reine concernant Descartes. Mais il est peut-être encore plus pertinent de se demander quelle était la nature du document vu par le voyageur français chez son ami romain. Etait-ce une copie du texte de 1667 ? Etait-il possible qu’à Rome personne n’ait eu connaissance des Lettres 37 Ms. Avery, cit., p. 99, éd. cit., p. 38. Pour celle-ci et les autres citations, je retranscris fidèlement la graphie du texte imprimé.

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patentes écrites par Christine à l’occasion des funérailles de Sainte-Geneviève, qui avaient eu un tel retentissement et avaient été plusieurs fois publiées (Du Molinet, Rohault) ? De Court pouvait-il ne pas en avoir connaissance, alors que c’est bien lui qui possédait le document ? Et est-il vraisemblable que le voyageur anonyme – rappelons le : selon toute probabilité un homme d’Eglise, ou du moins un religieux, et donc a fortiori pas indifférent à la question de l’orthodoxie religieuse de Descartes – en méconnaisse l’existence et le contenu, au point de ne pas se rendre compte d’avoir sous les yeux le même document que celui de 1667 ? Il semblerait donc plausible qu’il s’agisse d’un texte différent de celui des Lettres patentes de 1667 et qui daterait de l’époque où le voyageur se trouvait à Rome (1676-1679). Ainsi le témoignage de l’auteur du manuscrit Avery semble confirmer l’hypothèse qu’il existe (ou qu’il existait mais a été perdu) un second document de Christine quant aux convictions religieuses de Descartes. Ainsi, ayant vu chez son ami romain cette attestation ultérieure de 1679, à l’occasion de sa rencontre avec la reine au palais Riario, l’auteur du manuscrit interroge Christine au sujet des opinions religieuses de Descartes et rapporte dans le manuscrit le nouveau témoignage. Mais tout d’abord, examinons quelles sont les opinions de Christine au sujet de la philosophie cartésienne que le voyageur a recueillies. Le jugement sur la philosophie de Descartes, que Christine confiait librement à son hôte le voyageur lors d’une conversation privée, confirme la distance – déjà bien connue – qu’il y avait entre la reine aux sympathies « libertines » (et avec un penchant peu « cartésien » pour les « sciences occultes »), et les doctrines du philosophe, distance mal dissimulée malgré les déférentes déclarations publiques d’admiration pour la personne et la pensée de Descartes. Il est bien connu que Christine estimait que Descartes était un platonicien38 et qu’elle était plutôt indif‐ férente aux subtilités de la philosophie, si bien que, après l’avoir étudié, elle aurait conclu que « les sottises anciennes valoient bien les nouvelles39 ». Cette attitude de la reine est à l’origine de la médisance répandue par Mme de Motteville, selon laquelle « La Reine Christine, au lieu de faire mourir d’amour les hommes, elle les faisoit mourir de honte et de dépit ; et fut depuis cause que ce grand Philosophe Descartes perdit la vie de cette sorte, parce qu’elle n’avoit pas approuvé sa manière de Philosophie40 ». Le manuscrit Avery contient une longue page qui indique les

38 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, p. 231 n. 39 Ibid., p. 345. 40 F. de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, F. Changuion, Amsterdam, 1723, I, p. 389. L’auteur faisait le portrait d’une Christine licencieuse et peu vertueuse, mais admettait que cette « Reine Gothique » était « sçavante à l’égal des hommes les plus sçavants » (p. 390) ; cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, 227 n., 345 et n. Dans la lettre du 6 mai1671 à l’abbé de St Martin, le P. François Viogué avait déjà récusé les rumeurs, en confirmant à la fois l’estime de Christine pour Descartes et l’intérêt de la reine pour « les belles particularités de sa Philosophie », et en niant que la mort du philosophe puisse avoir été causée « par aucun chagrin » plutôt que par une « fausse pleurésie » (cf. A. Baillet, Vie, cit., II, p. 550).

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opinions de Christine sur le système de Descartes, confirmant les réserves de la reine sur la philosophie cartésienne. Il s’agit, à ma connaissance, non seulement d’un texte inconnu mais qui présente aussi la position la plus achevée et la plus structurée de Christine sur la philosophie cartésienne. C’est pourquoi il me semble opportun de le citer en entier : (a) Ce n’est pas que de son aveu elle n’ait esté prévenue, comme bien d’autres scavants, contre la nouveauté de sa méthode qui rebutoit ceux qui n’estoient pas accoutumés à celle des géomettres ou qui n’avoient pas le génie naturellement porté aux mathématiques. (b) Car quelque scavante qu’elle fust, elle ne pouvoit approuver un système qui, renversant les premièr[e]s idées, ne luy paroissoit d’abord fondé que sur des suppositions en l’air qu’elle ne goustoit encore que comme des vrayssemblances et des conjectures. (c) Cependant, remarquant en mesme tems les abismes d’obscurité où nous restent les principes ordinaires, encore valloit-il mieux, concluoit-elle, leur substituer des principes qui eussent au moins de la vray-semblances, quoy qu’entendus de peu de monde, que ne faire que souscrire à beaucoup d’opinions que personne n’entend. (d) Elle plaignoit fort le sort de ce philosophe qui n’avoit pû rencontrer quelque amy qui eut sceu retrancher deux ou trois principes dont plusieurs pourroient peut-estre abuser en inférant des choses qui préjudiciassent et fussent contraires à la foy. (e) En effet ce peu de principes estant ostés, comme seroit ce qui regarde la quantité et les formes substantielles, (f) qui ne sont de nulle conséquance et sans l’aide desquels on peut entendre les autres principes de ce philosophe, (g) qui n’avoit qu’à commencer son système par la création du monde tel qu’il le suppose sans en vouloir autrement expliquer l’origine, (h) il seroit au moins permis de joindre les opinions de Mr Descartes et les enseigner avec les autres, ne fust que pour les réfuter. (i) Elle improuva fort ce qu’on avoit fait dans l’Université d’Upsal contre les démonstrations et les preuves que ce philosophe a données de l’existence de Dieu dans ses Méditations, (l) et je ne scais si ce n’est point à la sollicitation de cette princesse qu’on a révoqué, dit-on, la déffence qu’on y avoit faitte de les enseigner41. Un examen analytique des opinions de Christine prendrait trop de place. Je me limiterai donc à souligner rapidement quelques points très peu « cartésiens », d’où ressort l’indifférence, si ce n’est l’hostilité de Christine quant à la philosophie de Descartes ainsi que la profonde incompréhension de la part de la reine sur les points fondamentaux du système cartésien : a les doutes quant à l’esprit de géométrie et à son potentiel réductionnisme que Christine a en commun avec de nombreux contemporains de Descartes ;

41 Ms Avery, cit., p. 99-101, ed. cit., p. 38-39.

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b on peut dire la même chose de son désarroi provoqué par la nouveauté du système cartésien renversant toutes les idées traditionnelles, mais qui, pour la reine, étaient purement hypothétiques, seulement conjecturales et vraisem‐ blables ; c cela s’accompagne néanmoins de la décision de n’accepter que les principes vraisemblables, bien que à la portée de quelques personnes, plutôt que d’adhé‐ rer aux opinions traditionnelles que personne ne comprend ; d le regret que Descartes n’ait pas rencontré un ami capable de le convaincre de renoncer à ces quelques principes de sa philosophie qui pouvaient être préjudiciables à la religion ; e l’illustration très singulière que Christine fait de ces principes « renonçables » de la philosophie de Descartes, à savoir la philosophie mécaniste (la quantité) et la polémique anti-scolastique (les formes substantielles), dont l’élimination impliquerait, au contraire, un renversement radical du cartésianisme ; f une incompréhension substantielle, réaffirmée par la conviction que ces piliers de la philosophie cartésienne n’étaient pas très importants et en aucun cas indispensables pour la compréhension des autres principes du philosophe ; g est confirmée par l’opinion que Descartes aurait mieux fait de renoncer à la prétention d’expliquer l’origine du monde (la « fable du monde »), se limitant à en accepter la création. h Ces opinions discutables de Christine quant à la philosophie de Descartes s’accompagnent, cependant, de l’affirmation d’un principe de tolérance qui suggérerait d’enseigner les doctrines cartésiennes en même temps que d’autres doctrines, ne fût-ce que pour mieux les réfuter. i Et Christine explicite même sa désapprobation quant à la décision de l’Uni‐ versité d’Uppsala d’interdire l’enseignement du cartésianisme à cause des preuves de l’existence de Dieu qui se trouvent dans les Méditations. j L’interdiction, dit l’auteur du manuscrit, révélant ainsi sa curiosité pour le car‐ tésianisme aussi bien que sa fine connaissance des événements ayant accom‐ pagné sa réception, aurait été révoquée suite à une intervention de la reine. Mais, afin de rendre honneur à Christine, l’auteur anticipe de plusieurs années l’histoire qui a commencé bien après l’abdication de la reine, avec la querelle à la Faculté de médecine dans les années 1663-1668, et s’est poursuivie avec une plus grande virulence entre 1686 et 1689, jusqu’à la résolution du roi Charles XI (1660-1667) d’y mettre fin42. Esprit de tolérance mis à part, cela suffit pour comprendre que derrière le res‐ pect solennel envers le grand philosophe, manifesté aussi dans les Lettres patentes

42 Cf. J. Arckenholtz, Mémoires, cit., I, p. 229-230 ; pour la confirmation de la diffusion tardive du cartésianisme en Suède voir J.-F. Battail, « Essai sur le cartésianisme suédois », Nouvelles de la République des Lettres, 1982-II, p. 25-71.

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de 1667, se dissimule un fort sentiment d’étrangeté de la part de Christine quant à la pensée cartésienne43. Finalement, le manuscrit Avery se révèle être très intéressant et utile pour les historiens de la philosophie, parce que l’auteur rapporte les opinions de Christine sur la religiosité de Descartes exprimées lors d’une conversation privée, probable‐ ment plus libres des préoccupations « politiques » qui caractérisaient l’attestation rendue publique avec les Lettres patentes de 1667. C’est précisément le caractère privé et confidentiel qui donne sa force au nouveau témoignage de Christine sur la dévotion religieuse de Descartes, dont le contenu est très différent de celui de la déclaration publique à l’occasion des funérailles parisiennes de Descartes et apporte une précision qui va jusqu’au seuil de la rétractation mais sans le franchir. Par conséquent, il impose une reconsidération au moins partielle du problème. Christine était essentiellement un esprit libre, aussi en matière de religion, et cette liberté d’esprit est confirmée par l’anecdote rapportée par l’auteur du manuscrit Avery, selon lequel Christine aurait objecté, « fort spirituellement », à celui qui lui racontait qu’un Allemand aurait miraculeusement résisté un mois sans manger, qu’elle serait disposée à l’accepter comme un miracle seulement « si outre cela il avoit esté deux jours sans boire44 ». C’est sur ce fond là que l’auteur introduit le nouveau témoignage de Christine sur la dévotion religieuse de Descartes : Et sur ce qu’une autre fois on luy parloit de l’injustice qu’on avoit faitte à Mr Descartes de le soupçonner d’avoir eu une religion qui sentoit trop le philosophe, elle réitera ce qu’elle avoit dit dans une lettre qu’on a fait imprimer : “Ça n’est pas, ajouta-t-elle, que je le croye un homme à canoniser, et en eut-il le mérite, il me faudroit plus de temps qu’il n’y a eu [depuis] qu’il est mort pour m’accoutumer à l’invoquer”45. L’auteur anonyme est bien conscient de l’importance du nouveau témoignage, à tel point qu’il le cite entre guillemets dans le manuscrit (unique parmi les nombreuses affirmations faites par Christine lors de leur conversation) pour souligner qu’il rapporte les paroles authentiques prononcées par la reine devant lui. Il présente la confidence de Christine comme si elle était dans la continuation de l’attestation de 1667 (elle reitera ce qu’elle avoit dit dans une lettre qu’on a fait imprimer), mais il montre également qu’il comprend que dans les affirmations

43 Ce n’est pas très surprenant. Parmi les nombreux indices qui attestent de l’étrangeté de Christine par rapport à la philosophie cartésienne, voir la lettre qu’elle a écrite le 9 mars 1650, un mois après la mort de Descartes, pour inviter Claude Saumaise à Stockholm : aussi en tenant compte de l’intention de la reine de conquérir la bienveillance de l’érudit avec l’éloge d’Isaac Vossius, opposé au mépris du philosophe pour les lettres et pour ceux qui en font leur profession, la prise de distance de Descartes est très nette en ce qui concerne le caractère, le genre de vie, les doctrines, et arrive jusqu’à l’irrévérence à l’égard de celui qui, bien que prétendant tout savoir, n’avait pas été capable de prévoir sa propre fin (M. Perrot, « Descartes, Saumaise et Christine de Suède. Une lettre inédite de Christine à Saumaise du 9 mars 1650 », Les Études philosophiques, I, (1984), p. 1-9 : 4-5). 44 Ms. Avery, cit., p. 101, ed. cit., p. 39. 45 Ibid.

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de Christine recueillies en sa qualité de témoin direct, il y a quelque chose de nou‐ veau par rapport aux déclarations précédentes de la reine (ajouta-t-elle), quelque chose d’une grande importance parce que, en effet, ce nouveau témoignage intègre le témoignage connu, et en précise le sens pour pouvoir le considérer comme l’interprétation authentique du jugement de Christine sur la religion du philosophe. Une opinion qui, étant donné la sincérité de la confession que lui fait la reine, lui apparaît définitive et prévaut sur les autres, de 1667 ou des suivantes, y compris l’autographe, vu à Rome, qu’on ne peut évidemment confondre avec la lettre qu’on a fait imprimer. Il est évident que l’auteur du manuscrit est flatté de recueillir un témoignage nouveau et décisif. Il met une certaine emphase dans son récit qui n’altère ni la substance du témoignage ni sa valeur. Le passage se conclut par un retour à la normalité de la description touristique et une justification de l’exceptionnalité de cette longue digression, motivée par l’autorité dont jouit son interlocutrice et la qualité rare de son esprit. Ici encore l’auteur montre qu’il est bien conscient de l’importance des paroles de Christine dont il est le témoin direct et qu’il a voulu rapporter fidèlement : Mais je m’écarte de mon dessein qui n’est pas de faire un récit de ce que j’ay entendu dire mais seulement de ce que j’ay pu voir. Cependant comme cette princesse, sans parler du rang de majesté qu’elle tient dans le monde, peut passer par son esprit seul pour une personne extrêmement rare, j’ay bien voulu dire deux ou trois mots que j’ay eu l’honneur d’entendre d’elle, lorsque j’ay eu celuy de luy parler46. En bon cartésien, nous évitons la précipitation. Je ne crois pas que ce texte soit en mesure de modifier les termes de la question philosophique sur la religiosité de Descartes ni même ceux de la question historico-intellectuelle de l’influence de Descartes sur les choix religieux de Christine. Par ailleurs, c’est l’auteur du manuscrit lui-même qui présente le nouveau témoignage de Christine comme une continuation de celui de 1667 (et, on suppose, de 1679). Mais nous évitons aussi, toujours en bon cartésien, chaque préoccupation. Ce témoignage jette au moins une certaine lumière sur des relations culturelles historiquement vérifiables. Cette lumière est : Christine ne cesse d’être une femme brillante et même une sceptique proche de la tradition culturelle libertine, malgré le programme anti-pyrrhoniste de son Académie romaine47. Au cours des mêmes années, où elle écrit proba‐ blement, pour la seconde fois, une attestation sur l’orthodoxie religieuse de Descartes, dans une conversation privée avec un interlocuteur qui n’a ni titre officiel ni la moindre notoriété dans le milieu des cartésiens, la princesse, libérée de la préoccupation de devoir dissimuler sa propre pensée, n’hésite pas à dire que chacune de ses déclarations précédentes, sur ce sujet, doit être prise avec précau‐

46 Ibid., p. 101-102, ed. cit., p. 39. 47 Cf. S. K. Åkerman, Queen Christina, cit., p. 73-100. Quand elle explique l’intérêt de Christine pour la pensée libertine (mais aussi pour l’épicurisme et l’hermétisme), l’auteur donne beaucoup d’importance aux suggestions interprétatives qui viennent de Leibniz.

« UN HOMME À CANONISER » ?

tion. Et elle ne renonce pas à faire une boutade quant à la prétendue « sainteté » de Descartes. Autrement dit, Christine commet un péché de duplicité libertine : elle affirme en public ce qui convient, ou ce qu’on attend d’elle, pour ensuite réduire, avec esprit, la portée de ses propos lors des conversations dans son salon. Tout compte fait, un péché véniel. Il aurait été d’autant plus grave si, en outre, la lettre qui circulait à Rome en 1679 avait eu un contenu divergent par rapport aux Lettres patentes de 1667. Le témoignage de Christine, rapporté par le voyageur français dans le manuscrit Avery (je n’ai pas dit que Descartes aurait dû être canonisé et, même s’il le méritait, j’aurai du mal à l’invoquer comme saint), relate les choses selon leur juste proportion, et est compatible avec ce que disait Poisson dans la Relation manuscrite de sa rencontre avec la reine. Baillet cite aussi cette partie de la Relation, mais il le fait soixante-dix pages après avoir cité la déclaration qui réaffirme le rôle joué par Descartes dans la conversion de la reine. Ici l’Oratorien disait au contraire que, tout en confirmant avoir été édifiée par la dévotion du Philosophe à Stockholm, Christine « ne porta point la bonne opinion qu’elle en avoit conçue, jusqu’à croire qu’il fût dévot jusqu’au scrupule48 ». Ainsi déjà avant même le témoignage recueilli par le voyageur français dans le manuscrit Avery, même avec Poisson, Christine avait affirmé que la religion de Descartes était plus libre que ce que Baillet était prêt à admettre. En effet, non pas tant celle d’un saint mais, comme le dit le manuscrit Avery, « une religion qui sentoit le philosophe ».

48 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 502 n. ( Je souligne).

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Le concept cartésien de mathesis universalis et la seconde partie des Regulae ad directionem ingenii * Objets mathématiques et facultés de l’esprit

Le concept de mathesis universalis a été reconnu, dès la fin du xixe siècle, comme l’un des éléments essentiels de l’articulation de la philosophie et de la mathématique chez Descartes1, mais on ne peut pas dire que celui-ci lui ait donné expressément toute l’extension dont il semble capable. En effet, la thématisation explicite de la notion, tant du point de vue mathématique que du point de vue philosophique, paraît assez sommaire, à tel point que l’on a pu se demander si ce concept n’exprimerait pas seulement une étape préliminaire qui par la suite aurait été dépassée, voire abandonnée comme un rêve d’adolescence. La seule occurrence connue dans le corpus proprement cartésien de l’expression mathesis universalis se trouve, comme on le sait, dans un bref passage de la deuxième partie de la Règle IV, dans lequel Descartes déclare utiliser un terme déjà ancien pour désigner la science qui « contient en elle tout ce à cause de quoi d’autres sciences sont appelées, elles aussi, partie des mathématiques » [in hac continetur illud omne, propter quod aliae scientiae et Mathematicae partes appellantur] (Regulae, IV, BOp II 706, AT X 378). Cela fait bien peu si l’on ne considère que les seuls écrits authentiques de Descartes. Mais on ne doit pas négliger le fait que, du vivant de Descartes et peu après sa mort, se soit développé un type de calcul destiné en partie à familiariser les lecteurs aux procédés de la Géométrie, et qui est connue et largement diffusée sous le nom de mathesis universalis puis d’arithmetica

* Une première version de cette contribution a paru en langue japonaise (traduction de Chiaki Kagawa) dans la Revue de Philosophie Française, société franco-japonaise de philosophie, no 22, p. 242-253. 1 Voir L. Liard, « La méthode et la mathématique universelle de Descartes », Revue philosophique de la France et de l’étranger, X (1880), p. 569-600 ; du même, Descartes, Baillière, Paris, 1882 et P. Natorp, Descartes’ Erkenntnisstheorie, eine Studie zur Vorgeschichte des Kriticismus, N.G. Elwert, Marbourg, 1882 ; du même, « Le développement de la pensée de Descartes, depuis les Regulae jusqu’aux Méditations », Revue de métaphysique et de morale, IV (1896), p. 416-432. Voir également M. Ferrari, « Les Regulae et l’interprétation néokantienne », Revue Internationale de Philosophie, IV (2019), p. 387-406 ; F. de Buzon, Descartes lu par Natorp. Vers un cogito non égologique, in Thibaut Gress (éd.), Cheminer avec Descartes, Garnier, Paris, 2018, p. 445-459. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 59-74. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122595

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universalis. On reviendra à la fin sur les travaux postérieurs à l’époque admise des Regulae, mais il est nécessaire auparavant tenter de construire quelques éléments de la pensée fondationnelle de Descartes en mathématiques à partir du texte même de l’ouvrage inachevé, en formulant une hypothèse différente de celle que l’on présente parfois, qui distingue de manière très forte deux contextes cartésiens de la mathesis universalis, l’un qui serait celui de la Règle IV et l’autre celui des textes strictement mathématiques, inaugurée par ceux de Van Schooten, qui en traitent comme une variété d’algèbre ou de mathématique, et qui regroupent, outre les commentaires latins à la Géométrie, des traités comme celui de Wallis et sa postérité. Le fait, en particulier, que, comme l’a montré de manière remarqua‐ blement précise une édition récente2, Leibniz ait connu la mathesis universalis de Van Schooten bien avant celle des Regulae, qu’il n’ait pas accordé une attention particulière au passage fétiche de la Règle IV-b3, que l’on doive manifestement distinguer le contenu mathématique de la Géométrie de celui des Regulae ne prouve pas qu’il n’y ait aucun rapport entre les deux approches chez Descartes même4. Pour étayer cette hypothèse, il importe de chercher des éléments qui pourraient être intermédiaires entre l’annonce sommaire de la Règle IV et les développements techniques de l’école cartésienne : ceci formera, avec quelques précisions, l’essentiel de l’argument ici présenté. Il est clair que, pour Descartes, de même que pour les auteurs antérieurs et postérieurs définissant ce concept, la mathesis universalis ou mathématique universelle n’est pas le rassemblement des disciplines mathématiques en un cor‐ pus plus ou moins bien défini (c’est ce que l’on nommerait plutôt, à l’époque et jusqu’à Christian Wolff, la mathesis universa), mais est bien plutôt conçue

2 G.W. Leibniz, Mathesis universalis, écrits sur la mathématique universelle, textes introduits, traduits et annotés par David Rabouin, Vrin, Paris, 2018. Voir notamment l’introduction. 3 Il faut toutefois prendre garde au fait que dans le manuscrit que possède Leibniz, le passage que nous appelons Règle IV-b est placé immédiatement après l’énoncé de la Rg. XXI et le mot « Finis » (cf. Descartes, Regulae ad directionem ingenii, éd. G. Crapulli, La Haye, 1966, p. 12 et 82) et non à la place que lui donnent les autres éditeurs. Indépendamment de ce que l’on pourrait tirer d’une mise en perspective des états textuels des Regulae, il ne faut pas s’étonner de ce que Leibniz n’ait pas commenté ce passage à la place où nous croyons qu’il doit l’être. Mais les notes marginales montrent son intérêt, comme le relève d’ailleurs D. Rabouin (éd. citée p. 21) pour le passage précédant l’introduction expresse du syntagme mathesis universalis (« Quae me cogitationes […] Mathematicae vocarentur », Regulae, IV, BOp II 704-706, AT X 377, et l’annonçant par le terme « generalem quendam Matheseos investigationem ». Il me semble que Leibniz n’a aucune raison de prêter à l’expression de mathesis universalis quelque chose de plus que ce qu’il y a dans la recherche générale en mathématique, et ce d’autant plus que la place du passage dans le manuscrit, après les passages mathématiquement les plus techniques, supprime tout doute sur l’ambiguïté que pourrait avoir le terme au vu de la seule Rg IV, où l’on peut légitimement s’interroger sur la question de savoir s’il s’agit de mathématiques ou de quelque chose de plus général. Les notes marginales de Leibniz sont publiées dans l’édition académique de Leibniz, série VI, vol. 4 p. 1031-1036 (Leibniz Sämtliche Schriften und Briefe). La datation de ces notes est incertaine (entre 1678 et 1683), mais en tout cas antérieure à la première édition des Règles. 4 Cf. D Rabouin, Mathesis universalis, l’idée de « mathématique universelle » d’Aristote à Descartes, PUF, Paris, 2009. La thèse soutenue est celle d’un abandon de la notion (voir p. 322 et suivantes).

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comme une discipline générique, donnant les principes les plus universels de toutes les mathématiques ; les autres sciences mathématiques en dépendent en droit et en sont comme des espèces, du moins dans leurs principes généraux, sinon dans les objets auxquelles elles s’appliquent. Descartes précise, quelques lignes avant la définition citée, les termes qui identifient quant au contenu ce qui est recherché, à savoir « l’ordre et la mesure », indépendamment de toute matière déterminée, et donne les exemples des nombres, des figures, des astres, des sons ou tout autre objet susceptible d’être mesuré ou mis en ordre : il s’agit ainsi de penser l’unité des mathématiques par-delà la différence des disciplines, pures ou appliquées. Les quatre exemples d’objets de recherche indiqués par Descartes désignent les composants les plus traditionnels de la mathématique dans sa conception médiévale héritée de l’Antiquité, le quadrivium, à savoir les deux disciplines pures (arithmétique et géométrie, touchant les deux genres de quantité, discrète et continue) et les deux disciplines mixtes (mathesis mixta), qui sont l’astronomie (de position) et la théorie de la musique (ou plus précisément l’harmonique). La recherche d’universel peut, en somme, être orientée vers la découverte de principes communs au discret et au continu (c’est par exemple l’acception que donne Adriaan van Roomen au concept de Prima mathesis dans son traité en faveur d’Archimède5, qui permet de l’identifier pour partie à la théo‐ rie des proportions et au contenu du livre V des Éléments d’Euclide) ; elle peut aussi, à mon sens, remettre en question la distinction entre mathématique pure (les nombres et les figures) et mathématiques mixtes, et c’est ce que fait en réalité Descartes, de manière ici assez programmatique. Mais il y a un traitement de l’universel qui n’apparaît vraiment que dans quelques propositions de la seconde partie des Regulae. La date de rédaction du passage unique concernant expressément la mathesis universalis est discutée depuis longtemps : faut-il l’assimiler à la question de l’usage des compas, et donc faire remonter le temps de son écriture aux premiers travaux, vers 1619, ou mieux à la nouvelle algèbre projetée devant Beeckman6 ? Faut-il au contraire reculer cette date d’une dizaine d’années au moins ? Sans revenir longuement sur ces questions, il faut se borner à signaler qu’il n’y a aucune preuve absolue sur la chronologie de la composition de ce texte, mais que, dans le manuscrit découvert récemment à Cambridge et dont la publication est en cours, la partie de la Règle IV portant sur la méthode (Règle IV-A) est présente intégralement, tandis que la partie sur la mathesis universalis est absente à l’exception de quelques lignes, au demeurant très intéressantes, en ce qu’elles

5 A. Van Roomen, Apologia pro Archimede, in In Archimedis Circuli dimensionem expositio, Georg Fleischmann, Würzburg, 1597 (voir G. Crapulli, Mathesis universalis, Edizioni dell’Ateneo, Rome, 1969, p. 101 et suiv.) 6 C’est l’hypothèse la plus ancienne, admise par L. Liard et G. Milhaud et considérée comme démon‐ trée par J.-P. Weber, La constitution du texte des Regulae, SEDES, Paris, 1964, p. 11 ; voir F. de Buzon, La science cartésienne et son objet, Champion, Paris, 2013, p. 60 note 64 et J. Schuster, Descartes-Agonistes, Springer, Dordrecht, 2013, p. 229.

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affirment une prétention à l’universel. Descartes dit en effet dans ce premier état qu’il tâchera d’« exposer une certaine science universelle, qui doit contenir les premiers rudiments de la raison humaine »7, qui s’appuiera sur les exemples mathématiques. On peut donc conclure de la confrontation de ces deux états deux points, d’une part, que l’ordre de la publication de 1701 respecte la chronologie, ce qui contredit l’hypothèse souvent admise d’une antériorité de la Règle IV-B sur Règle IV-A, et ce si l’on admet, ce qui est le plus plausible, que le manuscrit récemment découvert représente un état auctorial antérieur à ceux qui donnent base à la traduction néerlandaise, à la publication latine de 1701 ou à ce qui est conservé dans les papiers de Leibniz8. D’autre part, on peut conclure que le passage de scientia universalis (exemplifiée par les mathématiques) à mathesis uni‐ versalis marque précisément une spécification du concept générique de mathesis, et non un élargissement à tout domaine du savoir. L’objet des remarques qui suivent est d’apprécier la fonction de l’ensemble des Regulae dans la perspective d’une fondation philosophique de la mathématique et l’identification de ses objets, et aussi dans l’identification non moins importante des actes de connaissance qui leurs sont associés : c’est bien une des perspectives les plus fécondes et les plus innovantes de cet ouvrage, et qui fait sortir le propos cartésien de la stricte histoire des mathématiques. Les Regulae ne sont pas un texte expliquant des questions de mathématiques difficiles. Il n’y a que relativement peu d’exemples particuliers ni de traitement de problèmes réellement complexes, et en tout cas il n’y a pas de problème tel que ceux que l’on rencontre dans les autres travaux strictement mathématiques de Descartes, dans lesquels il cherche des innovations relativement techniques et internes à la discipline (par exemple le De solidorum elementis). Même si les Regu‐ lae sont certainement très au fait de l’activité scientifique de leur époque, comme l’a si bien montré Pierre Costabel, et si elles évoquent de manière suffisamment précise certaines questions notamment liées à l’algèbre de Stevin9, ou encore des questions de physique mathématique, comme l’anaclastique ou bien la théorie des cordes vibrantes, elles ne traitent des mathématiques que dans une approche fondatrice et gnoséologique : il s’agit bien d’inventorier les premiers outils avant de trancher dans les questions difficiles, comme le précise la Règle VIII (BOp II 728-730, AT X 397). En revanche, elles décrivent, de manière très précise, l’utilisation des différentes facultés de l’esprit dans les mathématiques, pures et appliquées, et constituent de ce point de vue le texte cartésien le plus complet et,

7 En attente de l’édition définitive, le passage est cité en OC I, p. 346, note a. 8 Voir sur ce nouveau manuscrit la Présentation des Règles dans R. Descartes, Œuvres complètes, éd. par J.-M. Beyssade et D. Kambouchner, t. I, Gallimard, Paris, 2016, p. 299-301. Une édition avec traduction anglaise est actuellement en préparation, par les soins de Richard Serjeantson et de Michael Edwards. 9 P. Costabel, « Les Regulae et l’activité scientifique de leur temps », in P. Costabel, Démarches originales de Descartes savant, Vrin, Paris, 1982, p. 39-62.

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en dépit de ses multiples aspérités et difficultés, le plus abouti, comme le montre la seconde partie du texte. En effet, la Règle XII, résumant l’ensemble du parcours antérieur, a indiqué qu’il fallait faire usage de toutes les aides dont l’esprit peut disposer dans la résolu‐ tion des questions et a précisément identifié ces aides à partir d’une description des facultés mises en jeu dans la connaissance, à savoir l’entendement (intellectus), l’imagination, le sens et la mémoire ; les actes de ces facultés, entendre, imaginer, sentir et se souvenir sont particulièrement bien exposés dans le point V de la première partie de cette Règle XII – BOp II 752-754, AT X 416)10. Les quatre Règles suivantes déterminent les manières dont ces quatre actes doivent être mis en œuvre pour connaître ; tandis que les Règles XVII et suivantes se rapprochent davantage encore de la mathématique telle qu’elle est pratiquée en explicitant l’usage des opérations de l’arithmétique dans la résolution des problèmes – et ce sont d’ailleurs ces propositions, absentes du Ms de Cambridge, qui se retrouvent en partie dans la Géométrie publiée en 1637, même si la perspective est toute différente. Ainsi, les préceptes de ce qui aurait dû, si Descartes l’avait achevée, constituer la seconde grande partie du traité projeté (Règles XIII à XXIV), articulent une recherche sur les objets mathématiques pris en eux-mêmes à une théorie de l’esprit et de ses facultés. Le résultat le plus apparent et le mieux connu de cette démarche est un système nouveau d’écriture des expressions mathéma‐ tiques à partir d’une mise en forme des équations, la désignation des quantités connues et inconnues, la manière de représenter les puissances ou degrés (ou relations) et l’usage des signes arithmétiques, qui remplacent, définitivement, les écritures algébriques anciennes et particulièrement l’écriture cossique, mais aussi le symbolisme de Viète et quelques autres. Mais ce résultat spectaculaire est conditionné par tout un ensemble de réflexions préalables dont il convient de montrer la construction. En quoi ceci permet-il d’éclairer la notion de mathesis universalis ? C’est-ce que je voudrais brièvement questionner, en m’intéressant à la question des universaux. Rappelons que dans le plan de la seconde partie projetée des Regulae, les Règles XIII à XVI correspondent chacune à l’explication d’une faculté de connais‐ sance et à la définition de son rôle : la Règle XIII traite de l’entendement pur, la Règle XIV de l’imagination, la Règle XV du sens et la Règle XVI de la mémoire. A ces facultés du sujet de la connaissance correspondent des choix dans les objets du savoir qu’il faut analyser. On notera que la présentation des quatre facultés n’est pas aussi simple qu’il y paraît, car elles ne se placent pas sur le même plan : en réalité, comme l’a montré la théorie de l’esprit de la Règle XII, l’entendement peut agir seul, ou bien assisté des trois autres facultés : il n’y a absolument parlant que l’entendement qui connaît, c’est « une seule et même force » ou puissance de

10 On notera que dans le manuscrit de Cambridge les quatre opérations sont décrites avec quelques différences par rapport au texte publié, mais tout le développement de la règle portant sur les natures simples est absent (cf. OC I, 300). En ce sens, cette analyse des facultés précède en fait – et en droit – celle des objets.

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connaître (BOp II 752, AT X 415), mais il le fait par lui-même ou bien secondé par une fonction qui, en dernière instance, est corporelle, puisqu’elle utilise le cerveau et la capacité prêtée à l’imagination ou fantaisie de produire, de combiner et de conserver des figures corporelles réelles dans une partie réelle du corps (voir notamment le point 3 de la première partie de la Règle XII, BOp II 750, AT X 414). Et, comme le note Descartes, c’est lorsque l’entendement utilise ou construit des images dans le sens qu’il se nomme, précisément, ingenium ou esprit : « elle [sc. la puissance de connaître] s’appelle à proprement parler esprit [ingenium] quand elle forme dans la fantaisie des idées nouvelles ou bien quand elle se penche sur des idées déjà faites » [proprie autem ingenium appellatur, cum modo ideas in phantasia novas format, modo jam factis incumbit]. (Règle XII, BOp II 752, AT X 416). À quels éléments de l’activité mathématique et à quels objets correspondent les quatre facultés ? Je suivrai ici l’ordre d’exposition cartésien, qui va de l’entende‐ ment à la mémoire, en ce qui concerne les facultés, et de la grandeur au signe du côté des objets de pensée.

1. Entendement L’usage de l’entendement pur est déterminé par Règle XIII : Descartes y retrouve ce qui relève du raisonnement, donc d’une certaine façon de la logique en sa signification habituelle, et, pour cette raison il évoque, pour s’en démarquer, les « dialecticiens » et leur théorie du syllogisme. C’est en un sens la règle la moins facile à comprendre et la plus abstraite, dans la mesure où Descartes y expose les conditions formelles d’un problème parfaitement compris, c’est-à-dire tel que l’on sait que ce qui est à chercher est parfaitement déterminé par les données, et du fait aussi que la rédaction est manifestement difficile : il y a au demeurant une grande différence entre le texte publié en 1701 et le manuscrit de Cambridge, beaucoup plus bref11. Qu’est-ce qu’un problème ? Descartes indique les conditions minimales d’une recherche en mathématiques, en posant qu’il faut identifier ce qui est inconnu (1) – sans cela, il n’y aurait pas de question –, que cet inconnu doit être désigné clairement (2) et qu’il ne peut être désigné que par quelque chose de connu (3). Il s’agit ici surtout de ramener par réduction la difficulté posée à un rapport de grandeurs en incluant les données nécessaires mises en ordre selon la Règle VII et en excluant les représentations superflues : la seule tâche de l’entendement pur est la réduction de la difficulté en « parties » : c’est évidemment ce que résumera le précepte de la seconde partie du Discours de la méthode publiée en 1637, « Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles

11 Tout le texte de la Règle suivant « Intelligamus autem per quaestiones… » (Regulae, XIII, BOp II 772, AT X 432) est absent du manuscrit de Cambridge.

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qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre » (Discours, II, BOp I 44, AT VI 18). De ce point de vue, la compréhension de tout problème revient à identifier les termes, connus et inconnus, dans une « énumération suffisante » (Regulae, XIII, BOp II 772, AT X 432). Le plus important ici est que tous les termes, connus ou susceptibles d’être cherchés, sont ramenés à la grandeur (Regulae, XIII, BOp II 770-772, AT X 431), qui désigne ce qui est à retenir de l’objet de l’étude : soit que cette grandeur constitue par elle-même déjà un objet appartenant à la mathéma‐ tique abstraite, soit qu’elle soit une réalité physique, telle que Descartes l’illustre ici avec les longueurs de corde représentant les sons ou bien les mesures obtenues dans les phénomènes du magnétisme ; les Règles antérieures (notamment les Règles VI, VII, XI et XII) avaient déjà explicité la notion de rapport de grandeurs et les séries ou chaînes de rapports permettant de les exprimer en passant de l’une à l’autre. On montrera par la suite que cette grandeur est nécessairement extensive. La Règle XIII peut alors se résumer à la question de savoir comment l’incon‐ nue peut être déterminée complètement par ses conditions connues, c’est-à-dire comment elle peut être insérée dans une chaîne – sans excès ni défaut de données. C’est d’ailleurs cette double erreur que décrit la fin de la Règle, absente du manuscrit de Cambridge. Dit autrement, ce qui est à chercher est une « difficulté à l’état nu », c’est-à-dire une difficulté abstraite, en entendant non pas par abstrait l’opposé de concret, mais plutôt l’idée que ce qui est essentiel dans la difficulté devient évident lorsque sont rejetés les éléments extérieurs et non pertinents, ce que Descartes illustre par les exemples de machines. En somme, la Règle XIII identifie toute recherche à celle d’un rapport de grandeurs (et donc ainsi, à la recherche d’un ordre ou d’une mesure), ce qui devient une question bien déterminée lorsque toutes les grandeurs connues et inconnues sont isolées et que les inconnues sont désignées par les connues. Toute‐ fois, cette grandeur reste ici quelque chose de purement conceptuel, sans que lui corresponde, dans l’acte même d’intellection, quelque chose de réellement corpo‐ rel ou imaginatif. La tâche de la Règle suivante est précisément de considérer cette même grandeur sous son aspect imaginable. L’objet ultime de l’entendement est donc la grandeur, quel que soit son rapport à un corps existant ou possible. Il est important que Descartes propose la notion de grandeur avant que les facultés corporelles n’interviennent dans le processus de connaissance : même si cette nature simple n’a de signification réelle que corporelle, elle ne dépend pas en elle-même du corps12.

12 Léon Brunschvicg souligne la dimenson intellectuelle de la conception cartésienne de la quantité (Les étapes de la philosophie mathématique, Blanchard, Paris, 2e edition, 1981, p. 123).

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2. Imagination Le deuxième moment est celui de l’imagination, que Descartes traite dans la vaste Règle XIV, fort peu remaniée entre le manuscrit de Cambridge et l’édition de 1701 ; elle porte sur la représentation des grandeurs, désormais seul objet de la recherche, dans l’« étendue réelle des corps » et thématise en particulier le concept de dimension, entendue comme « le mode et la raison sous laquelle un certain sujet est considéré comme mesurable » [modum et rationem, secundum quam aliquod subjectum consideratur esse mensurabile], (Regulae, XIV, BOp II 792, AT X 448), ainsi que les concepts d’unité et de figure puis ceux d’ordre et de mesure. On trouve ainsi dans cette Règle l’explicitation des définissants de la mathesis universalis annoncée dans la Règle IV. Sans analyser l’ensemble de cette Règle difficile, qui réclamerait un examen beaucoup plus détaillé, on peut faire ressortir un passage peu commenté, mais qui pose sans doute le problème le plus important de l’ensemble de l’analyse, à savoir celui de la question de la légitimité de l’usage en mathématiques de l’imagination. Descartes se demande en effet à quelles conditions, pour traiter des « grandeurs en général », ou génériquement, telles que les a identifiées la Règle XIII, on peut ajouter l’imagination à l’entende‐ ment pur, c’est-à-dire aider l’entendement par des « espèces », ou encore des images « dépeintes en la fantaisie ». Le terme latin de species ayant ici comme ailleurs sa relative ambiguïté sémantique classique : une species est un aspect de la chose, c’est-à-dire un mode d’apparaître, et, en même temps, l’espèce d’un genre commun. Le principe posé est : « Rien ne se dit des grandeurs considérées générique‐ ment qui ne puisse aussi être rapporté à n’importe laquelle spécifiquement »13 Que signifie ce principe, et pourquoi est-il important ? Il introduit à l’évidence un rapport entre l’universel de la grandeur considérée abstraitement et ses espèces particulières : comme l’avait montré la Règle XIII, la recherche comme telle ne se préoccupe pas de la nature de l’objet (figure, nombre, aimant, corde vibrante, etc.), mais de sa seule considération en tant que grandeur (Regulae, XIII, BOp II 770-772, AT X 431) : la grandeur est ainsi le concept universel et commun. Mais si la grandeur est un genre commun par rapport à des espèces particulières, le principe de la Règle XIII pose inversement que toute grandeur peut être exprimée par n’importe laquelle, ce qui permet de choisir, pour des motifs de commodité, celle qui est le plus facilement accessible à l’imagination sans que la relation proprement mathématique soit modifiée : donc son aspect le plus favorable. En d’autres termes, le caractère universel et générique de la grandeur (et donc des rapports de grandeurs) ne se trouve pas altéré si cette grandeur est présentée à l’esprit sur une espèce particulière. Le choix de la grandeur exprimante peut alors dépendre de ce qui convient le mieux aux capacités cognitives de l’homme, 13 Je souligne les deux adverbes. Texte latin : nihil dici de magnitudinibus in genere, quod non etiam ad quamlibet in specie possit referri (Regulae, XIV, BOp II 784, AT X 441).

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en mobilisant en premier lieu l’imagination. Comme le montrent les exemples, Descartes réduit la grandeur à la grandeur extensive et leur associe les grandeurs intensives, par exemple, la couleur plus ou moins blanche ou le son plus ou moins aigu, par une analogie avec un corps figuré – c’est par exemple ce que Descartes avait fait dès l’Abrégé de musique et dont il rappelle au passage les résultats et certaines avancées postérieures, dues sans doute aux questions de Mersenne, dans les passages sur les cordes vibrantes14. Cette grandeur, par ailleurs, est tout à la fois concevable sans corps par un acte d’abstraction de l’entendement pur, mais elle ne doit cependant pas être conçue réellement sans le secours de l’imagination : c’est la signification de l’examen des trois formules sur l’étendue et le corps, dans lesquelles Descartes montre que l’on ne doit pas distinguer l’étendue (prise en elle-même) d’un sujet étendu, dans la mesure où nous connaissons par une seule et même idée tracée dans l’imagination le corps, le corps étendu, et l’étendue15 : si l’entendement a pour capacité de séparer abstraitement des concepts qui ne sont donnés que dans une seule et même idée (comme par exemple les nombres et les choses nombrées) cette possibilité ne doit pas être employée, faute de quoi l’esprit transformerait les abstractions mathématiques en être réels indépendants de ce dont ils sont des abstractions ; c’est ainsi que Descartes récuse tout pouvoir magique des nombres par eux-mêmes, et qu’il rejette même à ce moment de son vocabulaire la notion de quantité – parce qu’elle est distinguée « par certains » de l’étendue (Regulae, XIV, BOp II 790-792, AT X 447). Ceci permet une généralisation de la notion de dimension, non plus limitée aux trois dimensions de l’espace euclidien, mais qui s’applique en réalité à tout ce qui est mesurable, que ce soit fondé dans la nature physique ou non, et qui génère tout autant les éléments qui constituaient la quantité continue des philosophes et mathématiciens antérieures que les nombres, considérés comme le résultat de la division : la division en parties égales, réelle ou imaginaire, produit le nombre, « le mode qui fait le nombre est proprement dit être une espèce de dimension » [mo‐ dus ille qui numerum facit, proprie dicitur esse species dimensionis] (Regulae, BOp II 792, AT X 448). Dit autrement, la Règle XIV modifie la conception classique de la quantité, telle qu’elle est théorisée tant dans l’héritage catégorial d’Aristote que dans la mathématique euclidienne ; d’une part, le terme même de quantité n’est plus l’objet immédiat de la mathématique pure ; d’autre part, les deux parties classiques de la mathématique pure, l’arithmétique et la géométrie, rapportées respectivement aux deux genres de quantité, sont elles-mêmes fortement modi‐ fiées, en ce que, précisément, elles ne sont plus des parties, mais l’habillage de la nouvelle discipline (integumentum), comme l’a indiqué la fin de la première partie

14 Voir la Règle XIII, BOp II 770-772, AT X 431-432. 15 Cf. J.-M. Beyssade, « L’étendue n’est pas le corps », in J.-M. Beyssade, Descartes au fil de l’ordre, PUF, Paris, 2001, p. 89-104.

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de la Règle IV16. Le fait de faire passer les disciplines mathématiques classiques du statut de « partie » (composant un tout) à celui de revêtement ou d’habillage fait des disciplines classiques des modes d’une même théorie et supprime donc l’hétérogénéité que leur reconnaissait la tradition – il est vrai largement contestée depuis A. van Roomen. Enfin, un passage intéressant du Journal de Beeckman des années 1628-162917 montre que Descartes réfléchissait, dans le cadre de sa nouvelle algèbre, à une extension de la notion de dimension au-delà des trois dimensions de l’espace, pour y associer des paramètres divers qui parfois paraissent purement qualitatifs, comme la matière d’un volume. Le résultat de ces réflexions est remarquable. En effet, du côté de l’arithmé‐ tique, le nombre ou quantité discrète n’est plus que la manière de diviser en parties égales une dimension quelconque (ce qui engendre immédiatement la notion d’unité, qui permet de comparer entre elles différentes dimensions) ; le nombre est donc second derrière la grandeur. De plus, du côté de la géométrie, la figure, qui est le troisième objet soumis à l’imagination après la dimension et l’unité est elle-même susceptible d’une sorte d’abstraction, que Descartes décrit à deux reprises dans la fin de la Règle XIV : parmi les innombrables figures imaginables, ne sont retenues que les seules qui « expriment le plus facilement toutes les diffé‐ rences entre les rapports ou proportions (Regulae, XIV, BOp II 794, AT X 450) » [quibus facillime omnes habitudinum sive proportionum differentiae exprimuntur], et surtout, comme le montre la toute fin de la règle, il faut abstraire les figures ordinaires des géomètres en les réduisant à des surfaces rectangulaires ou à des lignes et faire ainsi imaginer des grandeurs continues ou bien des nombres. Néanmoins, de même que la Règle XIII s’achève réellement dans le début de la Règle XIV, ce qui concerne la nouvelle conception des figures apparaît clairement dans la brève Règle XV, portant sur l’usage du sens.

3. Sens La Règle XV identifie les objets mathématiques auxquels correspond l’aide du sens. Ce qui est visé est ici la distinction dans l’imagination – alors que cette distinction dans l’imagination est elle-même orientée vers la distinction pour l’intellect. La figure sensible n’exprime donc qu’indirectement la grandeur 16 Le manuscrit de Cambridge apporte sur ce point une lumière intéressante sur l’introduction du terme « integumentum ». En effet, si la première partie de la Règle IV est presque entièrement la même dans les deux versions, la rédaction publiée en 1701 remplace le dernier alinéa (évoquant brièvement la science universelle) du manuscrit par un alinéa distinguant la mathématique vulgaire et la nouvelle discipline. C’est dans cette nouvelle rédaction, presque certainement postérieure à la Règle XIV puisque celle-ci est inchangée entre le manuscrit et l’édition, que Descartes distingue précisément pars et integumentum. 17 Journal tenu par I Beeckman, éd. par C. de Waard, III, p. 95-97 ; BOp II 1354-1358, AT X 333-335 ; trad. française in Descartes, Œuvres complètes, 1, Gallimard, Paris, 2018, p. 108.

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à laquelle elle se rapporte et, évidemment, en tenant compte des limitations qui ont été antérieurement imposées, à savoir la représentation de l’unité et celle de la dimension, composée d’unités, étant entendu que le rapport des dimensions constitue la question. Trois manières de représenter l’unité s’offrent : un carré (si cette unité contient deux dimensions), une ligne (si elle n’en compte qu’une) ou un point si elle n’est que l’élément d’une multiplicité. Une analyse analogue est menée à propos des grandeurs composées, commensurables ou non – on notera au passage que le texte fourni par le Ms. de Cambridge est plus satisfaisant que celui de l’édition de 170118. Descartes met l’accent ici sur l’attention qui doit être portée aux grandeurs mises en comparaison, qui ne peuvent être en grand nombre : cette limitation de l’attention à une comparaison intuitive, comme le précise le début de la règle suivante, limitée à deux termes au maximum conduit Descartes à prolonger l’attention vers la mémoire, c’est-à-dire vers un moyen non plus figuratif de représenter la relation recherchée, mais un moyen symbolique ; c’est ainsi qu’il peut passer à la mémoire, mais dans une signification bien particulière, dans la mesure où le problème posé par Descartes alors d’en limiter au maximum l’usage et de soulager l’attention.

4. La mémoire et les signes La Règle XVI se déploie comme les précédentes dans un double registre, celui des actes de l’esprit et celui des objets et méthodes mathématiques qui leurs correspondent. Descartes, au début de la règle comme à sa fin, insiste sur l’idée qu’il faut confier le moins possible de travail à la mémoire pour limiter l’usage de l’attention ; en ce sens, l’écriture est un palliatif aux défauts possibles d’une attention toujours limitée. Mais le plus important est ici que la structure des signes écrits est déterminée par un ensemble d’exigences liées à la nature des objets recherchés et à la nécessité de faire apparaître, dans une expression complexe, les éléments qui la composent. La règle fonctionne sur la base d’un exemple mathé‐ matique élémentaire unique, le théorème dit de Pythagore, posant que dans le triangle rectangle, la somme des carrés des côtés adjacents à l’angle droit est égale au carré de l’hypoténuse (cas général), explicité par le cas particulier du triangle dont les longueurs des côtés sont comme 9, 12 et 15. Cette écriture s’oppose, dans son fonctionnement, à ce que l’on a appelé une écriture rhétorique, traduisant des énoncés dans un langage ordinaire et non immédiatement structuré. C’est ainsi que Descartes propose un alphabet pour désigner les quantités connues et inconnues, telles qu’elles ont été définies depuis la règle XIII (peu importe si, ultérieurement, il utilise x, y et z etc. à la place de A, B, C) ; le nombre représenté par un chiffre est soit posé avant la lettre et il en indique la quantité, 18 Regulae, XV, BOp II 798, AT X 453, l. 20 : le ms. de Cambridge confirme la conjecture corrigeant commensurabiles en incommensurabiles (cf. OC I, 472).

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tandis que posé au-dessus de la ligne après la lettre il en désigne la puissance, ou ce que Descartes nomme le nombre de relations, ou encore les proportions qui se suivent en ordre continu. De ce point de vue, l’objet de la notation n’est pas directement de montrer des valeurs numériques comme telles. Ainsi, dans l’exemple, Descartes oppose le calculateur qui, sachant que le carré de 9 ajouté au carré de 12 fait 225, dont la racine carrée est 15, donnera ce résultat, à celui qui notera l’expression ainsi a2 = b2+c2, dans laquelle apparaissent les parties de l’expression : une telle notation permet de « démêler » les expressions autrement confuses. Le nombre, en tant que mesure rend confuse la notion recherchée, alors qu’en tant qu’indicateur d’ordre, il permet de la démêler. Il est ainsi tout à fait remarquable que Descartes associe le système des exposants non plus aux expressions géométriques qui leurs correspondent (racine, carré, cube, bicarré etc.), mais aux grandeurs en proportion continue : d’une cer‐ taine manière, la notation algébrique est libérée d’une part du calcul numérique qui apparaît parfois plus confus que distinct en ce qu’il n’apprend pas la manière dont sont formées les expressions, et elle est libérée d’autre part de la référence exclusive aux dimensions géométriques, par une conception plus générale de la proportion. Mais c’est aussi ce qui permet à Descartes de dépasser les limites de l’imagination actuelle, c’est-à-dire de l’attention que l’esprit peut porter à ses objets dans un même temps. Et il n’est au fond pas indifférent de voir que le calcul symbolique, réglé par des principes de formation des expressions, devient le moyen d’étendre la pensée à ce qu’elle ne perçoit pas actuellement dans un seul acte d’intellection secondé par l’imagination. Il va sans dire que chacun de ces points mériterait une analyse plus circonstan‐ ciée, et portant notamment sur les opérations que l’on peut utiliser en algèbre. Je voudrais cependant pour conclure revenir sur une appréciation plus générale des procédés mathématiques cartésiens. Dans l’exemple du théorème de Pythagore tel qu’il est exposé dans la fin de la Règle XVI, Descartes propose que l’on fasse, à côté de la figure dessinée du triangle, un tableau des termes de la question (et donc, que l’on désigne les longueurs ou dimensions des côtés du triangle par les lettres a, b, c), et suppose que l’on pose la relation qui expose le théorème sous forme d’une équation. On peut trouver un écho relativement tardif de cette mise en forme des problèmes dans les deux lettres mathématiques que Descartes adresse à la princesse Élisabeth à l’automne 1643 sur le problème des trois cercles (également dénommé problème d’Apollonius), à savoir construire un cercle tangent à trois cercles donnés, que ceux-ci soient tangents entre eux (deuxième lettre) ou non (première lettre)19. Indépendamment du contexte polé‐ mique de cette correspondance, on peut noter que Descartes déclare limiter dans 19 Descartes à Elisabeth, [17 novembre 1643] BLet 429, p. 1842-1846, AT IV 38-42 et 29 novembre 1643, BLet 434, p. 1854-1858, AT IV 45-50. Voir une meilleure édition dans Th. Verbeek, E.-J. Bos et J. van de Ven, The Correspondance of René Descartes 1643, Zeno, Utrecht, 2003, respectivement p. 155-158 et 163-165, ainsi que la note de Henk Bos, « Descartes, Elizabeth and Apollonius’ Problem », p. 202-211.

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les constructions de géométrie au maximum les lignes qu’il emploie aux parallèles et aux perpendiculaires, pour n’utiliser dans le calcul que les théorèmes sur la proportion des triangles semblables entre eux et le théorème de Pythagore et qu’il propose un tableau de valeurs, assorti d’un tableau des relations entre ces valeurs. Analysée dans le détail, cette lettre montre une adéquation avec la méthode et le but de l’algèbre renouvelée appliquée à la géométrie présente dans la Règle XVI : il s’agit, par le biais d’une multiplicité d’équations, de parvenir à une expression algébrique, même très complexe, des lignes qui déterminent le cercle recherché, à savoir la situation de son centre par rapport aux centres des cercles donnés et l’évaluation de sa longueur de son rayon. Ce style d’écriture mathématique est quasi permanent dans la pratique cartésienne, et, ainsi, l’inachèvement des Regulae n’est pas le signe d’un renoncement ou d’un changement de méthode. Ceci serait de plus confirmé par des textes plus extérieurs encore, comme le Calcul de M. Descartes et les Principia matheseos universalis de Fr. van Schooten. Le texte connu sous le nom d’Introduction à la Géométrie ou Calcul de M. Descartes est un manuel d’apprentissage de l’écriture algébrique nouvelle et des manières de s’en servir : il n’a pas été écrit directement par Descartes, mais celui-ci en a supervisé la rédaction, comme le montre la correspondance20. Ce document me paraît être en continuité avec les éléments que je viens d’indiquer. Plus encore, il se trouve, au bout du compte, un autre ouvrage conçu par un proche de Descartes, Fr. van Schooten, les Principia matheseos universali rédigé par Érasme Bartholin à partir de l’enseignement de van Schooten et publié séparément en 1651, puis repris dans le deuxième volume de l’édition de la traduction de la Geometria, ce traité explique le système de notation cartésien et les opérations sur les quantités à la manière de l’Introduction à la Géométrie. Ce n’est pas le moment de rentrer ici dans l’analyse de ce texte, mais il suffira de noter que, dans le contexte cartésien, on nomme exactement mathesis universalis cette approche de la mathématique, qui combine l’analyse géométrique et l’algèbre, ce qu’indique la préface d’E. Bartholin. Il me semble donc que la continuité de cette tradition, qui s’étend évidemment beaucoup plus loin que le strict contexte cartésien, montre que la notion de mathesis universalis est resté à l’horizon des recherches cartésiennes, non comme une aspiration vague, mais comme un projet précis, fondé tant dans la nature de l’esprit et de ses opérations, que dans la nature de la notion intellectuelle de grandeur et de ses moyens de présentation figurée à l’esprit et d’explicitation par les nombres. Comme l’a rappelé avec force l’édition des textes leibniziens procurée par D. Rabouin, et comme le montre aussi le grand traité de Wallis21, 20 Le détail de la correspondance relative à l’Introduction à la Géométrie est analysé dans ma note introductive à l’opuscule (Nota introduttiva al Calcolo che serve alla Geometria del Signor Descartes, p. 1465-1469, suivie de l’édition bilingue du texte, in R. Descartes, Opere postume, a cura di Giulia Belgioioso, Bompiani, Milan, 2009). 21 J. Wallis, Mathesis universalis sive arithmeticum opus integrum, Typis Leon. Lichfield, 1657 (repris dans les Opera mathematica, vol. 1, Oxford, 1695). On notera que Wallis a plusieurs reprises compte Descartes et Schooten, avec Harriott, Oughtred ou Viète, dans la liste des auteurs ayant contribué à la mathesis universalis, d’ailleurs destinée aux débutants en mathématiques. Mais Wallis réserve

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c’est bien ce texte qui a constitué le premier élément éditorial de la tradition de la mathesis universalis chez les mathématiciens. Mais ce n’est pas pour autant que le mouvement intellectuel entamé par les Regulæ a complétement disparu de l’horizon des recherches cartésiennes : ce n’est pas la communauté du vocabulaire de la mathesis universalis qui suffit à le montrer, mais bien l’étude des objets et des opérations. Ainsi, si l’on résume l’ensemble du parcours des quatre règles abordées dans cet exposé, une grandeur est un objet pour l’entendement, c’est-à-dire un objet intelligible ; une dimension est une grandeur telle qu’elle est imaginable distinctement ; une figure sensible peut représenter directement une dimension à l’imagination présente (c’est le cas de la figure géométrique qui fonctionne comme un dessin rappelant l’essentiel des dimensions d’un problème), ou bien en tant que signe, l’évoquer à la mémoire, c’est-à-dire à l’imagination passée (c’est le cas du signe algébrique sur lequel s’effectuent des opérations) sans que l’esprit ait besoin d’y penser précisément. Descartes cherche, dans toutes ces étapes, une certaine forme de facilité et d’évidence : cela lui permet d’articuler les deux seules opérations par lesquelles l’esprit est capable du vrai, l’intuition et la déduction, et c’est en même temps le moyen de réduire une question très complexe à des élé‐ ments simples. La difficulté philosophique du texte tient aux rapports complexes entre l’imagination et l’entendement : d’une certaine façon, l’imagination doit fournir un appui à l’entendement, ce qui entraîne, aux yeux de Descartes, un rejet de toute abstraction purement intellectuelle de la mathématique et de toute considération séparée réellement de ses objets, comme le précise la Règle XIV-les Regulae marquent ainsi la fin d’un certain platonisme. Mais, en même temps, la notion fondamentale de grandeur ne se réduit pas à sa dimension imaginative ou sensible et n’est pas le produit de l’expérience sensible ou imaginative, puisque son intellection pure la précède et la conditionne, comme le montre la Règle XIII. En ce sens, elle introduit une forme d’a priori.

une place particulière à Descartes et à son « ingeniosissimus interpres » Fr. van Schooten, pour avoir permis une comparaison entre la géométrie et l’arithmétique en dissociant le point et l’unité (classiquement compris comme les principes, resectivement, de la géométrie et de l’arithmétique) : « Et ceci a été remarqué, je crois, par Descartes et par son très ingénieux commentateur Schooten ; en effet, lorsque ceux-ci adaptent les réalisations (effectiones) géométriques aux opérations (operationes) arithmétiques, ils tiennent l’unité non pour un point, mais comme une ligne choisie à discrétion, puis désignent par d’autres lignes les nombres restants qui ont le même rapport à la ligne choisie qu’ont les nombres exposés à l’unité. Or, si l’unité est prise pour un point, il totalement impossible que cette congruence qui est égale entre les opérations arithmétique et géométrique soit conservée. » (Wallis, Opera mathematica, éd. citée, vol. 1, p. 26, traduction). On peut voir dans ce que retient Wallis des thèses de Descartes (ainsi, La Géométrie, Livre I, BOp I 492-494, AT VI 370) un écho de la réflexion menée sur la notion d’unité dans les Regulae, et tout particulièrement la Rg. XIV (Regulae, XIV, BOp II 794-796, AT X 449-453).

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Peut-on alors identifier ce qui est construit dans ces quatre règles à la mathesis universalis telle qu’elle est suggérée dans la Règle IV ? Non pas en totalité, car les quatre règles n’ont pas défini les opérations qui seront étudiées dans les règles suivantes. Mais en bonne partie, dans l’identification même des objets. On trouve dans les textes postérieurs une confirmation de ce nouvel usage des objets mathématiques, tant dans la Géométrie elle-même que dans les textes à portée pédagogique qui l’accompagnent et qui portent, in fine, l’appellation de mathesis universalis. Mais cette coïncidence ne suffit pas, puisque cette appellation pourrait être accidentelle. Sur le fond, il est manifeste que la recherche de Descartes dans ces quatre Règles a pour but d’élaborer une théorie dans laquelle la grandeur, en général, est l’objet visé ; que la question de la mesure, tant en ce qui concerne le discret que le continu, est constamment posée, à partir notamment des notions de dimension et d’unité ; que le système d’écriture adopté dans la Règle XVI a pour but de faire apparaître l’ordre et la mesure, et confère ainsi au nombre une signification nouvelle. L’ensemble de ces règles redéfinissent alors les objets traditionnels de la mathesis, car les figures et les nombres sont non plus des objets ou des parties de la mathématique absolument parlant, mais son habillage, destiné à « revêtir cette doctrine et la parer pour qu’elle puisse mieux s’accommoder à l’esprit humain » [ita vestire et ornare, ut humano ingenio accommodatior esse possit] (Regulae, IV, BOp II 702, AT X 374). Ainsi, ces quatre Règles sont-elles la théorie de cet habillage.

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Rien n’est plus ancien que la vérité Méthode et apologétique

1. Une banalité « Dans la préface qui précède son ouvrage, un auteur explique habituellement le but qu’il s’est proposé, l’occasion qui l’a conduit à écrire et les relations qu’à son avis son œuvre soutient avec les traités précédents ou contemporains sur le même sujet1 ». Le Prof. Belgioioso, éditrice et exégète de l’œuvre de Descartes, s’est particulièrement intéressée, pour en montrer l’enjeu stratégique et les conséquences interprétatives, à ces textes joints au corps principal du propos, préfaces, textes liminaires ou textes annexes2 qui en constituent le paratexte3. Souvent délaissé par le commentaire parce qu’on le considère, à la suite de Hegel, comme « superflu, impropre et inadapté à la nature de la recherche philosophique » en sorte qu’il n’a « aucune valeur comme mode d’exposition de la vérité philosophique4 » – cela ne vaut-il pas par excellence pour les Meditationes qui obéissent à « rationum mearum seriem et nexum5 » ? –, le paratexte n’en constitue pas moins un ensemble de documents utiles non seulement en ce qu’ils éclairent les circonstances d’une publication, mais aussi en ce qu’ils révèlent la manière dont l’auteur lui-même entend présenter son livre, en définir le but,

1 G. W. F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, Préface, trad. fr. de Jean Hyppolite, Aubier, Paris, 1941, rééd. 1975, p. 5. 2 Dans Les Méditations métaphysiques, Objections et Réponses de Descartes. Un commentaire (éd. par Dan Arbib, Vrin, Paris, 2019, p. 31), Jean-Robert Armogathe parle de « textes liminaires » pour désigner l’Épître dédicatoire, la Préface au lecteur, le Libraire au lecteur qui ouvrent les Méditations, tandis que Michelle Beyssade, les ayant relégués en fin de volume, les regroupe, avec l’Abrégé, sous l’appellation de « textes annexes » in Descartes, Méditations métaphysiques, Le livre de poche, Paris, 1990, p. 263. 3 Gérard Genette parle plus précisément de paratexte auctorial, par différence d’avec le paratexte éditorial, Seuils, Seuil, Paris, 1987. 4 G. W. F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, cit., p. 5. 5 Meditationes, I, BOp I 692, AT VII 9, l. 29 – au point que Descartes déconseille à ceux qui ne voudraient pas les comprendre, qui donc ne voudraient pas « serio mecum meditari », de lire les Meditationes (Meditationes, I, BOp I 690-692, AT VII 9, ll. 22-27). Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 75-100. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122596

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voire l’inscrire dans un projet d’ensemble6 : préfaces, mais aussi approbations, dédicaces, avertissement, avis, avant-propos, introductions, résumés, privilèges, achevés d’imprimer, etc. En dépit des apparences, il s’agit moins là d’exhiber « la contingence de la personne et des circonstances individuelles7 » que de faire droit à une nécessité extérieure, qui permet de montrer que l’œuvre appartient à « un temps de gestation et de transition à une nouvelle période » qui « dessine en une fois la forme du nouveau monde » en offrant « une représentation générale précédant la tentative de sa réalisation détaillée afin d’éclairer la compréhension de cette réalisation même8 ». C’est pourquoi Hegel lui-même a rédigé une préface à La phénoménologie de l’esprit, jugeant utile d’esquisser son développement – et légitimant que l’on puisse s’intéresser philosophiquement aux préfaces, à ces débuts qui ne sont pas des commencements9. C’est à un début qui n’est pas un commencement10 – et qui, comme nous le verrons, ne l’est pas à un triple titre –, que je voudrais consacrer le présent hommage en examinant l’un des paratextes des Meditationes de prima philosophia, l’Epistola dédiée au doyen et aux docteurs de la faculté de théologie de Paris en vue d’obtenir l’approbatio doctorum11, et même une unique phrase de l’Épître, qui sonne comme une formule unanimement admise : « nihil est veritate anti‐

6 On sait depuis peu que Descartes avait eu le projet de placer parmi ces textes préliminaires la traduction latine de la 4e partie du Discours de la méthode accompagnée d’une « petite préface » et du Synopsis : voir la lettre à Mersenne du 27 mai 1641, retrouvée par Erik-Jan Bos à Haverford College, publiée dans l’Archiv für Geschichte der Philosophie, 92, 2010, p. 290-302 (« Two Unpublished Letters of René Descartes : On the Printing of the Meditations and the Groningen Affair ») puis dans le Bulletin cartésien XLII, Archives de philosophie, 2013, 4, p. 148-150. 7 G. W. F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, cit., p. 8. 8 Ibid., p. 12 ; 16. 9 Les préfaces des éditeurs (vrais ou faux : les lettres qui tiennent lieu de « préface » aux Passions de l’âme ont constitué une question disputée jusqu’à l’article de Marta Fattori, « La Préface aux Passions de l’âme : remarques sur Descartes et Bacon », liminaire du Bulletin cartésien XXV, p. 1-13, Archives de philosophie, 1998, 1), en particulier des éditeurs de correspondances, même si elles ont un statut philosophique en lui-même moins problématique, posent des difficultés méthodologiques spécifiques. Mme Belgioioso a ainsi accordé une attention méticuleuse aux éditions des Lettres de Monsieur Descartes : voir « Les “correspondances” de Descartes », in DesCartes et desLettres. “Epistolari” e filosofia in Descartes e nei cartesiani, a cura di F. Marrone, Le Monnier, Florence, 2008, p. 8-32 et en particulier aux préfaces de Clerselier ; on renverra aussi à sa remarquable étude d’« un faux de Clerselier », montage fait à partir de « l’original » du Monde utilisé pour l’édition de 1677, et destiné à piéger Roberval, clamant une victoire sur Descartes qui n’avait jamais eu lieu (liminaire IV du Bulletin cartésien XXXIII, Archives de philosophie, 2005, 1, p. 148-158). Elle a également examiné certaines formules et figures caractéristiques de la pensée cartésienne, comme les hyperboles ou les monogrammes et d’autres symboles : voir « Signs, Cyphers and Symbols in Descartes », Nouvelles de la République des Lettres, 2006-I, p. 7-22. 10 Même si Descartes lui-même a nommé « commencement » la Praefatio ad lectorem dans la lettre à Mersenne du 28 janvier 1641, BLet 301, p. 1392-1394, AT III 296, ll. 24-26 puis 296, l. 30-297, l. 2. 11 Voir J.-R. Armogathe, « L’approbation des Meditationes par la Faculté de Théologie de Paris (1641) », BC XXI, Archives de philosophie, 1994-1, p. 1-3 puis « Pour une étude des textes limi‐ naires », Les Méditations métaphysiques, Objections et Réponses de Descartes. Un commentaire, cit., p. 52-53.

RIEN N’EST PLUS ANCIEN QUE LA VÉRITÉ

quius12 ». Son emploi, que l’Épître livre comme une explication (quia nihil…), est paradoxal. Descartes n’est-il pas celui auquel on attribue d’ordinaire la rupture la plus marquée avec la philosophie qui l’a précédé et qui est par excellence le philosophe du commencement ? N’est-il pas celui qui prétend faire advenir la vérité dans les sciences ? Et dans les Meditationes mêmes, ne s’agit-il pas de « com‐ mencer tout de nouveau dès les premiers fondements, primis fundamentis denuo inchoandum13 » ? Ce commencement ne se présente-t-il pas comme la nouveauté par excellence14 ? Au demeurant Descartes revendique lui-même à plusieurs reprises sa nouveauté, que l’on relèvera sans préjuger de ses objets, car rien ne dit qu’elle coïncide avec ce qu’on lui a souvent et complaisamment reconnu comme « modernité » : « a nemine ante me », écrit-il dans les Responsiones septimae15 ; puis aux curateurs de l’Université de Leyde, « nemo ante me16 » ; ou dans la Lettre-préface aux Principes de la philosophie, « personne jusqu’à présent17 » ; ou encore dans les Notae in programma quoddam, « nemo ante me », « primus

12 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, l. 25. A ma connaissance, deux articles portent le titre « Nihil veritate antiquius » : celui de G. Schmidt, Perspektiven der Philosophie, 1987, 13, p. 235-254 et celui de M. Spallanzani, « Nihil est veritate antiquius. Descartes e gli antichi », in Descartes e l’eredità cartesiana nell’Europa sei-settecentesca, a cura di di M. T. Marcialis e F. M. Crasta, Conte editore, Lecce, 2002, p. 71-89. Le premier, qui ne cite Descartes qu’en passant, porte, à partir de Dilthey, Kant et Heidegger, sur l’idée de philosophia perennis, le rapport du temps et de la vérité et les difficultés de l’historicisme ; le second concerne principalement la Lettre-préface aux Principes de la philosophie, et ne s’intéresse pas plus à la difficulté que va poser cette étude qu’il n’identifie l’origine de la sentence. 13 Meditationes, I, BOp I 702, AT VII 17, l. 6. 14 M. Henry y a insisté, Généalogie de la psychanalyse, PUF, Paris, 1985 (par exemple p. 17), après M. Heidegger, Sein und Zeit, § 6, éd. Niemeyer, Tübingen, p. 24 (ainsi que dans de nombreux cours). Voir aussi H. Gouhier, pour qui la formule s’applique en particulier à la distinction réelle, La pensée métaphysique de Descartes, Vrin, Paris, 1969, p. 394-400 puis le commentaire de Giulia Belgioioso à l’épigraphe significative (« Enfin Descartes vint… »), « Henri Gouhier lecteur de René Descartes », in Le regard d’Henri Gouhier, éd. par Denise Leduc-Fayette, Vrin, Paris, 1999, p. 133-152. 15 Responsiones VII, BOp I 1380, AT VII 549, ll. 20-21. Il s’agit de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, « quae cum a me sic probata sint, et a nemine ante me, saltem quod sciam, Les ayant ainsi prouvées, ce que personne, que je sache, avant moi, n’avait fait ». 16 Aux curateurs de l’Université de Leide, 4 mai 1647, BLet 611, p. 2430, AT V 9, l. 16 ; l’expression est anticipée : « adeo ut ausim gloriari, neminem esse mortalium, de quo minus juste minusque probabiliter fingi possit illum habere Deum pro deceptore, quam de me » (BLet 611, p. 2430, AT V 9, ll. 13-16). Il s’agit de la démonstration si expresse, si sérieuse et si diligente de ce que « verum Deum non esse deceptorem » (avec la réserve étonnante : « saltem cuius scripta habeamus ») que le scepticisme et l’athéisme en sont renversés, ce que Descartes présente comme la fin excellente qu’il se proposait (« finis meus optimus fuit »), BLet 611, p. 2430, AT V 9, ll. 4-13. 17 Principes de la philosophie, Lettre-préface, BOp I 222, AT IX-2 10, ll. 28. Si les vérités que sont ses principes ont été connues de tous, Descartes n’en est pas moins le premier à en faire vraiment des principes, dont dépend la connaissance de tout le reste. J’y reviens in fine.

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sum18 » ; et enfin au début des Passions de l’âme, « personne avant moi19 ». Si Descartes est le philosophe de la vérité qui advient enfin – sans préjuger ici ce de ce que veut dire la vérité20 –, comment peut-il la dire, en ouverture de sa philosophie première, plus ancienne que tout ? L’Épître dédicatoire des Meditationes peut être qualifiée d’apologétique en deux sens. D’abord au sens d’une apologia pro scripto suo par laquelle Descartes entend manifester à quel point l’entreprise de sa philosophia prima est « juste » et pour cela requiert des docteurs la justice de leur protection : ma cause est juste, dit-il d’emblée21. Or, si la cause cartésienne est juste, c’est parce qu’elle peut avoir une fonction apologétique en un second sens, qui n’implique pas que les Meditationes soient une œuvre apologétique : elles sont et ne sont que de la philo‐ sophie. Pour autant, l’Épître marque la fonction apologétique des Meditationes, en ce qu’elles traitent en philosophie des deux questions de Deo et de anima : la première pour persuader aux infidèles par raison naturelle (naturali ratione) l’existence de Dieu en évitant le cercle herméneutique de la foi et de l’Écriture sainte – Descartes s’appuie alors remarquablement sur l’Écriture pour légitimer que l’on puisse s’en passer22 ; la deuxième, de anima, conformément à l’injonction faite aux « philosophes chrétiens » par le concile de Latran V de répondre aux arguments de ceux qui ont osé dire que « les raisons humaines nous persuadent que l’âme mourrait avec le corps23 » et ainsi dissoudre leurs arguments et prouver la vérité en distinguant l’âme du corps24. C’est dans ce contexte proprement 18 Notae in Programma, BOp I 2258, AT VIII-2 347, l. 13 et 348, l. 15 (puis BOp I 2282, AT VIII-2 367, l. 6). Ce que Regius a aimé dans la philosophie cartésienne, ce n’est pas la vérité, c’est la nouveauté : « non tam amore veritatis eum teneri, quam novitatis » (BOp I 2278, AT VIII-2 364, ll. 23-24). Il en est donc venu à les disjoindre : « omnia, quae ab aliis didicit, pro antiquis et obsoletis habet, nihilque satis novum ei videtur, nisi quod ex proprio cerebro extundit, Il tient pour ancien et obsolète tout ce qu’il a appris des autres, et rien ne lui semble assez nouveau que ce qu’il arrache à son propre cerveau » (BOp I 2278-2280, AT VIII-2 364, ll. 24-27). 19 Passions, Art. 1, BOp I 2332, AT XI 328, ll. 2-5, par différence avec l’échec des anciens (BOp I 2332, AT XI 327, l. 9-328, l. 2) : « je serai obligé d’écrire ici en même façon que si je traitais d’une matière que jamais personne avant moi n’eût touchée ». Sur cette « façon » nouvelle d’aborder les passions, voir G. Olivo, « Parler des passions “en physicien” ? », in Les Passions de l’âme et leur réception philosophique, éd. par Giulia Belgioioso et Vincent Carraud, Brepols, Turnhout, 2020, p. 201-215. 20 Sur cette question capitale que la présente étude n’aborde pas pour elle-même, voir G. Olivo, Descartes et l’essence de la vérité, PUF, Paris, 2005 : pour le cadre général dans lequel prend place cette question, voir mon « L’histoire de la vérité », in L’énigme de l’humanité en l’homme. Hommage à Robert Legros, éd. par Lambros Couloubaritsis et Martin Legros, Ousia, Bruxelles, 2016, p. 223-236. 21 « Tam justa causa », Meditationes, Epistola, BOp I 680, AT VII 1, ll. 1-3. Voir ensuite : Aux curateurs de l’Université de Leyde, 4 mai 1647, BLet 611, p. 2424-2434, AT V 1-12. Les deux sens d’apologétique sont soulignés par Jean-Luc Marion dans l’introduction au t. IV des OC de Descartes, « Des Meditationes aux Objectiones et Responsiones », p. 36. 22 Voir mon « Descartes et la Bible », in Le Grand Siècle et la Bible, éd. par J.-R. Armogathe, Beauchesne, Paris, 1989, p. 277-291. 23 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 1-3 : « nonnulli etiam dicere ausi sint rationes humanas persuadere illam simul cum corpore interire ». 24 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 6-7 : « ut eorum argumenta dissolvent, et veritatem pro viribus probent ».

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apologétique de l’Épître à la Sorbonne que prend place la phrase qui me retient aujourd’hui, que Descartes énonce comme une évidence capable de justifier son projet et les moyens qu’il met en œuvre, afin de le laver du soupçon infondé de nouveauté : « nihil est veritate antiquius, Rien n’est plus ancien25 que la vérité ». Une évidence, ou plutôt une banalité : l’on sait que Descartes ne craint pas d’énoncer des banalités, forgées comme des apophtegmes – « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau, la disposition des matières est nouvelle26 ». Cette banalité s’énonce simplement, au titre de l’équivalence de Dieu et de la vérité. Car rien n’est plus ancien que Dieu, qui est avant toute chose créée. C’est ce qu’affirme par exemple un Grégoire de Nazianze dans le discours Sur l’Esprit Saint : « θεοῦ δὲ οὐδὲν πρεσβύτερον, Mais que Dieu, rien n’est plus ancien27 » ; 25 Même si le contexte l’exclut, puisque Descartes oppose nihil antiquius à nova methodus, une autre traduction de cette sentence prise en elle-même est possible, puisque l’adjectif « antiquus », employé en particulier au comparatif et au superlatif, admet un sens originel non temporel et signifie alors ce qui est plus important ou le plus important, ce qu’on préfère, ce qui tient le plus à cœur (sens 1 du Gaffiot, qui donne plusieurs exemples, comme celui tiré des Philippiques de Cicéron, 13, 6 : « nihil vita antiquius existimare, Ne rien mettre au-dessus de la vie »). Le Trésor de la langue française… de Nicot traduit ainsi « chose moult prisée » par « res antiquae laudis » (Paris, 1621, 512 b). Aussi « nihil veritate antiquius » peut-il signifier « rien n’a plus de prix que la vérité ». C’est en ce sens que Casaubon attribue dans sa dédicace à Henri IV de la traduction latine des Histoires, cette sentence à Polybe : « Fuit Polybii sententia, scriptori historiae nihil veritate antiquius esse debere » (appendice à Polybii Historiarum, t. III, Vienne, 1763, Praefationes et dedicationes, p. 632), soit, dans la traduction de dom Vincent Thuillier de l’Histoire de Polybe, l. I, chap. II ou l. XII, chap. XII : « si de l’histoire on ôte la vérité, elle n’est plus bonne à rien », Amsterdam, 1753, p. 32 (ce que reprend l’index, sv « Histoire » : « la vérité est essentielle à l’histoire »). – Jean-Robert Armogathe me signale aussi que la formule « Illius magis teneatur sententia, cuius antiquior aut potior extat auctoritas » est une formule classique du droit, que l’on trouve deux fois dans le Décret de Gratien (Ia p., dist. 50, can. 28, § 3 ; Corpus juris canonici, éd. Æm. Friedberg, Leipzig, t. I, 1879, col. 190 ; IIa p., causa XXXIII, q. 2, c. 11 ; ibid., col. 1156), cité par exemple en 1625 par Jean Barnes dans la Dissertatio contra aequivocationes, trad. fr. Traité et dispute contre les équivoques, Paris, 1634, qui relève, à la suite de Julius Pollux (Onomasticon, liv. 2, c. 2, no 7) en s’appuyant sur Platon, que « le plus ancien est le plus excellent, et les canons de l’Église Romaine préfèrent l’autorité ancienne comme meilleure ». 26 Pascal, Pensées, L XXV/696 – ou, selon le jeune Descartes : « Sed si illa quae dixero ita inter se cohaerentia sint atque ita connexa, ut unae ex aliis consequantur, hoc argumento erit me non magis sententias ab aliis mutuari, quam ipsa verba ex Lexico sumere, Mais si les choses que je dis sont cohérentes entre elles et liées de manière qu’elles s’ensuivent les unes des autres, je prouverai de ce fait que je n’ai pas plus emprunté mes phrases à d’autres que je n’ai dérobé les mots au dictionnaire », in Descartes, L’Étude du bon sens, La recherche de la vérité et autres écrits de jeunesse, éd. par Vincent Carraud et Gilles Olivo, PUF, Paris, 2013 (désormais Étude du bon sens), p. 62-63. C’est ainsi que Descartes assume ce « vieux dictum » (hoc tritum) : « cogito, sum », par lequel il a démontré l’existence de Dieu et de nombreuses autres choses (Responsiones VII, BOp I 1382, AT VII 551, ll. 9-12), comme il ne craignait pas de remâcher sans dégoût la viande commune (« istamque crambem non sine fastidio recoquerem ») des sceptiques, ce qui requiert néanmoins des lecteurs qu’ils considèrent les choses dont elle traite pendant quelques semaines (Responsiones II, BOp I 854, AT VII 130, ll. 21-26 ; voir aussi les Notae in programma, BOp I 2282, AT VIII-2 367, 7-10) – « suite merveilleuse de conséquences qui nous fait dire hardiment que ce n’est plus le même mot », De l’art de persuader, in Œuvres complètes (désormais OC), éd. par Jean Mesnard, t. III, p. 424. 27 Oratio 31, § 33 (PG 36, 172), traduction latine in Opera omnia… nova translatione donata, Cologne, 1570, 331b : « Deo autem nihil antiquius est » ; on trouve aussi chez les Pères commentant Jean

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c’est ce qu’affirme aussi saint Augustin dans le De Genesi ad litteram : Deus « antiquior est omnibus28 ». Si Dieu est la vérité, rien n’est donc plus ancien que la vérité – ancien car intemporel certes, mais un intemporel qui se dit dans le voca‐ bulaire de la temporalité comme le plus ancien. Le début de l’Ecclésiastique, que Descartes cite par ailleurs29, le dit explicitement de la sagesse : « cum illo [Deo] fuit semper [sapientia], et ante aevum, Avec lui, la sagesse fut toujours, et avant le temps » (1,1) ou encore « prior omnium creata est sapientia, Avant toutes choses fut créée la sagesse » (1, 4), ainsi que, de la sagesse toujours, les Proverbes, 8, 22-24 et 2730. Le Christ lui-même, qui dit être la vérité (Jean 14, 6), dit aussi : « antequam Abraham fieret ego sum, Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jean 8, 58). Il suffit de réunir les deux propositions pour conclure que rien n’est plus ancien que la vérité (qu’il s’agisse de Dieu, de la sagesse ou du Verbe), et qu’antiquus peut signifier, comme en Proverbes 8, 23, dès le commencement, c’est-à-dire avant le temps31. La formule semble donc banale, mais d’une banalité néanmoins rare, qu’il n’est guère facile de trouver, du moins avant Descartes32 ; ce n’est que sous la plume des cartésiens qu’elle devient fréquente, tout en restant citée sans référence (j’y reviendrai). A tout le moins le bref rappel qui précède laisse-il pressentir que cette formule banale est une sentence33, que Descartes incorpore à son texte comme il lui est arrivé d’incorporer une citation scripturaire34.

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1, 1 l’affirmation appliquée au Verbe « principio nihil est antiquius » : voir par exemple Cyrille d’Alexandrie, In Joannis Evangelium : « Τῆς ἀρχῆς οὐδέν ἐστὶ τὸ πρεσβύτατον » (l. I, cap. I, ad loc., PG 73, 24) – oubliant peut-être ce πρεσβύτατον, Marie-Odile Boulnois insiste, à juste titre par ailleurs, sur le sens résolument intemporel de l’ἀρχή qu’est le Père, in Le paradoxe trinitaire chez Cyrille d’Alexandrie, Paris, Institut des études augustiniennes, 1994, p. 371. L. VIII, XXVI, 48, BA 49, p. 82 : « antiquior est omnibus, quia ipse est ante omnia, et novior omnibus, quia idem ipse post omnia ». La citation est donnée par Pierre Lombard, Sententiae, l. I, dist. 37, c. 6 (Rome, Collegii S. Bonaventurae Ad claras aquas, 1971, t. I, p. 271). Ecclésiastique. 1, 16 : « Initium sapientiae timor Domini », recopié en titre des Praeambula : voir Étude du bon sens, p. 52-53 (= BOp II 16, AT X, 8, l. 10). « Dominus possedit me in initio viarum suarum, antequam quidquam faceret a principio. Ab aeterno ordinata sum, et ex antiquis, antequam terra fieret. Nondum erant abyssi, et ego jam concepta eram », puis « Quando praeparebat caelos, aderam ». Je ne donne pas le grec de ce que Descartes lit en latin. Je souligne : « […] et ex antiquis, antequam terra fieret ». J’ai mené quelques recherches chez les exégètes ou les théologiens, comme dans un certain nombre de traités de scolastique moderne, le plus souvent en vain ; voir cependant Antonio Cordeyro, Cursus philosophicus conimbricensis, 38, In logicam p. i, tract. I, disp. 2, q. 2, art. 1, § 160, Ulyssipon (Lisbonne), 1714, p. 38 : « cum nihil antiquius veritate », donné sans référence – mais ce traité scolastique est postérieur aux Meditationes. Pouvant vivre de sa vie propre au sein d’organismes ou de corpus très différents, une telle sentence répond à ce que Jean Deprun appelait une « idée-cellule » dans La philosophie de l’’inquiétude en France au xviiie siècle, Vrin, Paris, 1979) à la suite de l’unit-idea d’Arthur O. Lovejoy (The Great Chain of Being, Harvard U. P., 1936), avant d’en développer la notion dans son séminaire sur l’histoire de quelques « cellules idéelles » considérées aussi bien comme des « axiomes portatifs ». Colossiens 2, 3 dans la Meditatio IVa, BOp I 750, AT VII 53, ll. 19-21 : voir Vincent Carraud et JeanLuc Marion, « De quelques citations cartésiennes de l’Écriture Sainte », Bulletin Cartésien XXIV, Archives de Philosophie, 1996, 1, p. 1-3.

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2. La méthode selon l’Épître Venons-en donc à cette devise et à la singularité de la justification explicite‐ ment autobiographique35 dans lequel elle prend place : « Ac denique, quoniam nonnulli quibus notum est me quandam excoluisse methodum ad quaslibet difficultates in scientiis resolvendas, non quidem novam, quia nihil est veritate antiquius, sed qua me saepe in aliis non infoeliciter uti viderunt, hoc a me summopere flagitarunt : ideoque officii mei esse putavi nonnihil hac in re conari. Quicquid autem praestare potui, totum in hoc tractatu continetur ». Je traduis littéralement, m’autorisant à malmener quelque peu notre syntaxe : « Et pour finir, étant donné que certains qui savaient que j’avais développé une méthode pour résoudre n’importe quelle difficulté dans les sciences, une méthode non pas nouvelle, car rien n’est plus ancien que la vérité, mais qu’ils m’ont vu employer souvent dans d’autres sciences, non sans heureux résultats36, me le demandaient instamment, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de ne pas ne rien essayer en cette chose. Or ce que j’ai pu accomplir est contenu intégralement dans ce traité37 ». Ce passage, dans lequel Descartes revient moins sur son passé qu’il ne revient sur ce qui en était su, me semble requérir une lecture précise, et pour ainsi dire exactement chronologisée, seule à même d’en faire ressortir la véritable difficulté. Descartes (au plus tard en novembre 164038) y mentionne trois entreprises successives. Partons de la fin. Ce traité, hoc tractatus, ce sont les Meditationes de prima philosophia, prêt pour l’impression en mars 164039. Les autres sciences, in

35 Je laisse de côté les éléments autobiographiques que contient la Praefatio ad lectorem, BOp I 688-692, AT VII 7-10, au demeurant modifiée par Descartes qui « adoucit » ce qu’il avait écrit de Pierre Petit : voir la lettre à Mersenne du 27 mai 1641 citée note 6. Sur l’inscription des Meditationes dans la continuité de la quatrième partie du Discours de la méthode, voir Jean-Marie Beyssade, « Du Discours de la méthode aux Meditationes », in Descartes, OC IV.1, p. 19-32. 36 Voir le Discours de la méthode : « J’avais éprouvé de si extrêmes contentements, depuis que j’avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux, ni de plus innocents, en cette vie ; et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités, qui me semblaient assez importantes, et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j’en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point » (BOp I 54, AT VI 27, ll. 12-21). 37 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 22-28 ; trad. du duc de Luynes : « Et enfin, d’autant que plusieurs personnes ont désiré cela de moi, qui ont connaissance de ce que j’ai cultivé une certaine méthode pour résoudre toutes sortes de difficultés dans les sciences ; méthode qui de vrai n’est pas nouvelle, n’y ayant rien de plus ancien que la vérité, mais de laquelle ils savent que je me suis servi assez heureusement en d’autres rencontres ; j’ai pensé qu’il était de mon devoir de tenter quelque chose sur ce sujet » (AT IX-1 6). La fin du passage a été modifiée par Descartes à la demande de Mersenne et de Monsieur de Sainte-Croix (à Mersenne, 23 juin 1641, BLet 317, p. 1478, AT III 387, ll. 4-14). On ignore la rédaction qui précédait, mais rien ne permet de penser que la modification ait affecté la nature autobiographique du propos. 38 Voir les lettres à Mersenne des 11 et 18 novembre 1640 (BLet 283, p. 1322, AT III 233, ll. 21-26 ; 235, ll. 10-19 et 238, ll. 29-240, l. 20). 39 Voir la lettre à Mersenne du 11 mars 1640, BLet 246, p. 1158, AT III 35, ll. 21-22.

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aliis – scientiis me semble sous-entendu40 –, ce sont les sciences particulières qui constituent les essais de la méthode (dioptrique, météorologie, géométrie), dans lesquels Descartes a bel et bien revendiqué d’avoir utilisé sa méthode, et avec réus‐ site, utilisation et réussite parfaitement visibles (viderunt), et même reconnues, parce que rendues publiques dès 1637. Ce que les « nonnulli » n’ont pas vu, mais qu’ils ont su (« quibus notum est »), et sans doute même connu par ouï-dire, c’est que Descartes avait cultivé (« excoluisse », le verbe de la principale est au passé, avant le passé de la réclamation) une méthode pour résoudre n’importe quelle difficulté dans les sciences, entendons n’importe quelle difficulté dans toutes les sciences : cette méthode-là, sue par plusieurs mais restée inaccessible, est celle des Regulae, rédigées à Paris de l’automne 1625 à l’hiver 162741. Ces « nonnulli », ce sont les « quelques-uns » évoqués par le Discours de la méthode, qui, dès 1627, « faisaient déjà courre le bruit que j’en étais venu à bout », à savoir venu à bout du dessein de connaître la vérité, et par là engageaient Descartes à oser entreprendre le projet d’une publication qui en enregistrerait les résultats42. Descartes en nomme lui-même quelques-uns à Villebressieu à l’été 1631 : « le nonce du pape, le cardinal de Bérulle, le Père Mersenne, et toute cette grande et savante compagnie qui s’était assemblée chez ledit nonce pour entendre le discours de M. Chandoux touchant sa nouvelle philosophie43 ». S’il faut évidemment leur ajouter Balzac, et sans doute quelques autres comme Mydorge, il convient aussi peut-être de reculer la date envisagée jusqu’à la mi-1625, quand Descartes revient à Paris. En effet, Descartes lui-même confie à son frère un an plus tard que sa réputation ne cesse de grandir à Paris44, et la Correspondance de Mersenne témoigne de ce que la méthode de Descartes est vantée dès 162545. Comme on l’aura remarqué, Descartes résume en une phrase ce que le Dis‐ cours de la méthode disait de la méthode du Studium et des Regulae : « Ce qui me contentait le plus de cette méthode, était que, par elle, j’étais assuré d’user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir ; outre que je sentais, en la pratiquant, que mon esprit s’accoutumait peu à peu à concevoir plus nettement et plus distinctement ses objets, et que, ne l’ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettais de l’appliquer aussi

40 Plutôt qu’un autre antécédent ou un neutre, que rendraient « d’autres rencontres » (Luynes), « d’autres occasions » (Michelle Beyssade, ibid., p. 273) ou « altri campi » (Igor Agostini, in BOp I, p. 683). Voir ci-dessous les notes 47 et 48. 41 Étude du bon sens, p. 161-162. 42 Discours, III, BOp I 56, AT VI 30, ll. 19-20 et 18. Voir aussi la lettre à Mersenne du 15 avril 1630 : « […] si je n’avais par ci-devant témoigné avoir ce dessein [sc. d’écrire], et qu’on pourrait dire que je n’en ai su venir à bout, je ne m’y résoudrais jamais » (BLet 30, p. 138, AT I 136, ll. 15-18). 43 À Villebressieu, été 1631, BLet 46, p. 202-204, AT I 213, ll. 3-7 (voir, infra, note n. 103). 44 À son frère, 16 juillet 1626, Baillet, Vie..., cit., p. 136 ; BLet 13, p. 30, AT I 5. 45 Voir par exemple la lettre de Cornier à Mersenne du 29 juillet 1625 (CM I, 237-238). La vérité des sciences, publiée par Mersenne la même année, fait clairement état des espoirs fondés en Descartes (voir CM I, 149). On se reportera de nouveau à l’Étude du bons sens, p. 161-162.

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utilement aux difficultés des autres sciences, que j’avais fait à celles de l’algèbre46 ». La traduction latine du Discours est encore plus proche du texte de l’Épître : « certus in omnibus me uti ratione…, me non minus feliciter ea esse usurum in aliarum scientiarum difficultatibus resolvendis47 », etc. La manière dont le Discours ré‐ sume la méthode acquise en 1627 permet de saisir que c’est aux Regulae que renvoie l’élaboration passée (excoluisse) de la méthode pour résoudre n’importe quelle difficulté dans les sciences48, en particulier la Règle IV, qui requiert que Descartes expose « une certaine discipline », qui « doit s’étendre jusqu’à tirer des vérités de n’importe quel sujet qu’on voudra49 » – « une certaine discipline », autrement dit, la méthode50. Descartes procède donc en trois temps très clairs, que l’on peut parfaitement dater : certains ont d’abord su, sans la connaître elle-même, qu’il avait une méthode qui permettait de résoudre quaslibet difficultates in scientiis : la méthode des Regulae. Les mêmes (à commencer par Mersenne, mais sans doute bien d’autres aussi avec lui) en ont eu confirmation, non pas à propos des sciences, mais, à la lecture en 1637 du Discours de la méthode et des Essais, en mesurant la fécondité de l’application de la méthode dans certaines sciences. Et enfin, ils ont

46 Discours, II, BOp I 46, AT VI 21, ll. 18-27. Voir aussi Discours, II, BOp I 42, AT VI 17, ll. 8-10, qui évoque le Studium : « […] chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable » (voir l’Étude du bons sens, p. 124-125). 47 AT VI 552. 48 « ad quaslibet difficultates in scientiis resolvendas » (Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 23-24) / « ad plurimas quaestiones resolvendas » (Regulae, VII, BOp II 718, AT X 388, l. 20) ; puis la Règle X, BOp II 738, AT X 404, ll. 1-4 : « Atque ita hanc totam methodum diligenter excolui, Et ainsi j’ai soigneusement cultivé toute cette méthode ». 49 « […] quandam […] me exponere disciplinam […] ; haec […] ad veritates ex quovis subjecto eliciendas se extendere debet » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 374, ll. 6-9 ; trad. fr. par J.-L. Marion des Règles utiles et claires pour la direction de l’esprit en la recherche de la vérité, Nijhoff, La Haye, 1977, ici p. 12). Voir aussi le parallèle en IV-B : « Quod attentius consideranti tandem innotuit, illa omnia tantum, in quibus aliquis ordo vel mensura examinatur, ad mathesim referri, nec interesse utrum in numeris, vel figuris, vel astris, vel sonis, aliove quovis objecto talis mensura quaerenda sit ; ac proinde generalem quamdam esse debere scientiam, quae id omne explicet, quod circa ordinem et mensuram nulli speciali materiae addictam quaeri potest, eamdemque, non ascititio vocabulo, sed jam veterato atque usu recepto, mathesim universalem nominari […], Pourtant il parut à celui qui s’y applique plus attentivement, que seules toutes les choses, où se peut examiner un certain ordre ou mesure, se rapportent à la mathesis, et il n’y a aucune différence qu’on doive chercher telle mesure dans des nombres, ou des figures, ou des astres, ou des sons, ou dans n’importe quel objet qu’on voudra ; et en suite il doit y avoir une certaine science générale, qui explique tout ce qu’on peut chercher touchant l’ordre et la mesure qui n’est liée à aucune matière spéciale, et qu’elle se nomme, non pas d’un nom emprunté, mais déjà ancien et d’usage reçu, mathesis universalis […] » (Regulae, IV, BOp II 704, AT X 377, l. 22-378, l. 9 ; trad. p. 15). Voir déjà la Règle I : « Si quis igitur serio rerum veritatem investigare vult, non singularem aliquam debet optare scientiam : sunt enim omnes inter se conjunctae…, Si quelqu’un se résout à rechercher sérieusement la vérité des choses, il ne doit pas choisir une science particulière : car elles sont toutes conjointes entre elles » (Regulae, I, BOp II 686, AT X 361, ll. 14-17). 50 S’il est vrai que Descartes n’a jamais mentionné explicitement les Regulae dans ses livres ou dans sa correspondance, il lui est arrivé d’y faire allusion : voir l’Étude du bons sens, p. 161-172.

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réclamé que cette méthode s’appliquât à cela, hoc, qui fait désormais l’objet d’une science déterminée à laquelle Descartes s’attaque à nouveaux frais (la philosophia prima), c’est-à-dire l’objet du présent traité, les démonstrations de Deo et de anima. Qu’ont-ils demandé exactement en réclamant cela et comment l’ont-ils fait ? Nous l’ignorons. En tout cas, une chose est claire, c’est que Descartes estime qu’ils ont réclamé avec insistance ce à quoi il a travaillé dans les Meditationes, ce qu’il a pu établir (« praestare »), et qu’il leur donne : l’exposition si soigneuse et si perspicace d’anciennes raisons dont tout le monde reconnaîtra définitivement que ce sont des démonstrations51. Or pour cela, il faut la méthode52 – sinon toute la méthode, du moins son usage inexplicité en 1637, qui implique d’en restituer l’« ordo inveniendi53 ». Car, que les raisons en faveur de l’existence de Dieu et de la nature incorporelle de l’âme aient été connues depuis longtemps, fournies qu’elles furent par de grands hommes (« magni viri »), cela ne fait pas de doute : « je me persuade qu’on peut à peine en trouver qui n’aient pas déjà été découvertes

51 « Nihil tamen utilius in Philosophia praestari posse existimo, quam si semel omnium optimae studiose quaerantur, tamque accurate et perspicue exponantur, ut apud omnes constet in posterum eas esse demonstrationes, J’estime qu’on ne peut rien établir de plus utile en philosophie que de rechercher sérieusement une bonne fois les meilleures [raisons] de toutes et de les exposer avec tant d’exactitude et de transparence que pour tous il soit constant à l’avenir qu’elles sont des démonstrations », Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 17-21 ; voir ensuite Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 5, l. 30-36, l. 2. 52 On observera que le mot de methodus n’apparaît pas dans les Meditationes, mais seulement dans l’Épître dédicatoire. Descartes n’a pas fait difficulté à reconnaître le « défaut d’une droite méthode », comme dira Pascal, de la preuve de l’existence de Dieu dans la quatrième partie du Discours de la méthode, comme il en rend compte au P. Vatier le 22 février 1638 en lui indiquant que « mon dessein n’a point été d’enseigner toute ma méthode dans le discours où je la propose » : « Il est vrai que j’ai été trop obscur en ce que j’ai écrit de l’existence de Dieu dans ce traité de la Méthode, et bien que ce soit la pièce la plus importante, j’avoue que c’est la moins élaborée de tout l’ouvrage ; ce qui vient en partie de ce que je ne me suis résolu de l’y joindre que sur la fin, et lorsque le libraire me pressait. Mais la principale cause de son obscurité vient de ce que je n’ai osé m’étendre sur les raisons des sceptiques, ni dire toutes les choses qui sont nécessaires ad abducendam mentem a sensibus : car il n’est pas possible de bien connaître la certitude et l’évidence des raisons qui prouvent l’existence de Dieu selon ma façon, qu’en se souvenant distinctement de celles qui nous font remarquer de l’incertitude en toutes les connaissances que nous avons des choses matérielles ; et ces pensées ne m’ont pas semblé être propres à mettre dans un livre, où j’ai voulu que les femmes mêmes pussent entendre quelque chose, et cependant que les plus subtils trouvassent aussi assez de matière pour occuper leur attention » (à Vatier, 22 février 1638, BLet 149, p. 546, AT I 559, ll. 14-16 puis 60, ll. 7-27 – une autre cause de l’obscurité engagera l’explication de la réalité (première occurrence en ce sens) objective représentée dans l’idée, 560, l. 27-561, l. 6). Voir déjà la lettre à Mersenne d’avril 1637 (BLet 104, p. 364-366, AT I 349, l. 29-350, l. 19). Reste que l’Épître mentionne des raisons bien plus anciennes que celles insuffisamment exposées dans le Discours de la méthode : c’est le rapport des Meditationes à ces raisons anciennes qui fait l’objet du présent propos. 53 Au P. Vatier, 22 février 1638 : « mon dessein n’a point été d’enseigner toute ma méthode dans le discours où je la propose […]. Je n’ai pu aussi montrer l’usage de cette méthode dans les trois traités que j’ai donnés, à cause qu’elle prescrit un ordre pour chercher les choses qui est assez différent de celui dont j’ai cru devoir user pour les expliquer » (BLet 149, p. 546, AT I 559, ll. 14-24).

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par tels ou tels autres54 ». Il ne fait pas de doute non plus que, bien comprises, ces raisons avaient déjà valeur démonstrative : « je crois que presque toutes (les raisons) apportées pour ces questions par de grands hommes, quand elles sont bien entendues, ont la force d’une démonstration55 ». Les vérités de Deo et de anima sont donc anciennes. Leurs raisons aussi, à condition de bien les comprendre, ce qui leur confère une force démonstrative. Qu’a donc fait Descartes qui puisse ajouter à ce qui était déjà ? Réponse, dans la traduction de Luynes : « Je crois qu’on ne saurait rien faire de plus utile en la philosophie, que d’en rechercher une fois curieusement, et avec soin, les meilleures et plus solides, et les disposer en un ordre si clair et si exact, qu’il soit constant désormais à tout le monde, que ce sont de véritables démonstrations ». On ne saurait être plus cartésien que Luynes, qui rend « exponantur » par « disposer en un ordre si clair et si exact » – cartésien, au sens d’une glose cartésienne. Denis Kambouchner n’est pas moins cartésien que Luynes, lorsqu’il commente : « La nouveauté revendiquée n’est pas celle des thèses, ni même de leurs raisons, rien n’étant “plus ancien que la vérité” […], mais celle de “l’ordre” (mot ajouté) qui, en faisant mieux entendre ces raisons […], en fera une fois pour toutes (semel) des démonstrations rigoureuses56 ». Tout cela est incontestable. Descartes entendait bien exposer ces anciennes raisons de sorte que tout le monde reconnaisse que ce sont des démonstrations. Il a donc choisi les « principales, en les traitant de telle sorte que j’ose maintenant les proposer pour de très certaines et très évidentes démonstrations57 » ; elles sont même telles qu’on n’en trouvera jamais de meilleures 58. La nouveauté serait donc celle de l’ordre, c’est-à-dire de la méthode. Cela semble parfaitement cartésien. Pourtant ce n’est pas ce que dit le texte. Ce qu’il dit, c’est que la méthode elle-même n’est pas nouvelle, « quia nihil est veritate antiquius ». Voilà la difficulté. Afin d’en mesurer la teneur, je récapitule. L’utilité philosophique exige de sé‐ lectionner les meilleures raisons en faveur l’existence de Dieu et de la distinction de l’âme et du corps et de les exposer de sorte qu’il sera établi à l’avenir pour

54 « […] vixque ullas dari posse mihi persuadeam, quae non prius ab aliquibus aliis fuerint inventae » (Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 16-17). Ce que Luynes traduit en introduisant l’idée de nouveauté : « [quoique…] je tienne que presque toutes les raisons qui ont été apportées par tant de grands personnages, touchant ces deux questions, sont autant de démonstrations quand elles sont bien entendues, et qu’il soit presque impossible d’en inventer de nouvelles », AT IX-1 5-6. 55 « […] rationes fere omnes, quae pro his quaestionibus a magnis viris allatae sunt, cum satis intelliguntur, vim demonstrationis habere putem » (Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 13-16). 56 Note 12 à l’Épître, in Méditations métaphysiques, OC, IV.2, Gallimard, Paris, 2018, p. 913. 57 « […] praecipuas ita prosecutus sum, ut jam pro certissimis et evidentissimis demonstrationibus illas ausim proponere » (Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 6-8). Elles égalent et surpassent même en certitude et en évidence les vérités géométriques, « certitudine et evidentia geometricas aequare, vel etiam superare » (BOp I 684, AT VII 4, ll. 24-25) ; voir déjà la lettre à Mersenne du 15 avril 1630 (BLet 30, p. 144, AT I 144, ll. 14-18). 58 « Addamque etiam tales esse, ut non putem ullam viam humano ingenio patere, per quam meliores inveniri unquam possint » (Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 8-10).

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tous que ce sont des démonstrations. Pour cela, il faut la méthode, telle est la part cartésienne – et il faudra aussi, c’est la fin de l’Épître, le patronage de la Faculté de théologie de Paris59 : car les raisons cartésiennes ne sont pas accommodées à la capacité de tous60 ; or, en métaphysique, certains ne craignent pas de s’attaquer à ce qu’il y a de plus solide, pour montrer qu’ils ont de l’esprit61 ; il faut donc l’autorité de la Sorbonne pour créditer les démonstrations cartésiennes et faire taire les audacieux qui ont l’esprit de contradiction62, et en particulier les athées, qui n’ont que l’audace des demi-savants (« scioli63 »). Mais peu nous importe ici. Reste donc la difficulté. Descartes dit de sa méthode qu’elle n’est pas neuve, car rien n’est plus ancien que la vérité, y compris la découverte même de l’ordre. Comment entendre que ce dont Descartes fait son invention la plus propre – la méthode, et avec elle le principe de l’ordre – puisse pour autant n’être pas dit nouveau ? La réponse, paradoxale quant à la tradition qui fait de Descartes le novator par excellence, tient en ce que dit le Discours de la méthode lorsqu’il projette de « chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable64 ». Que la méthode cartésienne soit la vraie méthode, voilà qui lui impose, du fait même de sa vérité, d’être ce qu’il y a de plus ancien, puisque « rien n’est plus ancien que la vérité ». Mais comment l’entendre ?

3. L’ancienneté ou la plus grande ancienneté ? Plusieurs éditeurs ou commentateurs ont rapproché notre devise de l’Épître de quatre autres lieux cartésiens principaux – je laisse de côté la question du rapport de la perfectibilité à la perfection originelle, qui, bien qu’elle soit liée à la question qui nous occupe, en est différente65. Ils l’ont fait pour souligner « le privilège d’ancienneté reconnu à la vérité » par Descartes, thème qui serait « récurrent »

59 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 5, l. 10 s. En raison du nom de son principal collège, la Faculté de théologie de Paris est parfois appelée « Sorbonne » par commodité, même par Descartes : voir par exemple la lettre à Gibieuf du 11 novembre 1640 (BLet 284, p. 1326, AT III 237, l. 24-238, l. 4) ou l’Avertissement de l’auteur touchant les cinquièmes objections (BOp I 1396, AT IX-1 198, ll. 4-6) et Jean-Robert Armogathe, « Pour une étude des textes liminaires », cit., p. 34. 60 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 14-16. Voir déjà les lettres à Mersenne et à Vatier citées plus haut. 61 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, l. 30-35, l. 9. 62 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 5, ll. 10-16, l. 16. 63 Meditationes, Epistola, BOp I 686, AT VII 6, ll. 7-8. 64 Discours, II, BOp I 42-43, AT VI 17, ll. 8-10. 65 C’est la question sur laquelle insiste F. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, 3e éd., 1868, chap. XXIII, I, p. 486-502, après A. Baillet, Vie, cit., II, p. 531 – pour les savants qui ont absous Descartes « du prétendu crime de nouveauté », voir ci-dessous). Sur la question de Mersenne dans les Questions inouïes, « A-t-on maintenant plus de connaissance de quelque art ou de quelque science que les Anciens ? » (éd. André Pessel, Fayard, Corpus, 1987, p. 87-88), voir J.-R. Armogathe, Postface à La querelle des Anciens et des Modernes, xviie-xviiie siècles, Gallimard, Paris, 2001, p. 801-849.

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chez lui66. Or je crois que les rapprochements suivants masquent la difficulté plus qu’ils ne l’éclairent : 1° Dans les Responsiones Septimae, Descartes rétorque au P. Bourdin, qui juge que la règle dans la recherche du vrai (« lex investigando vero »), « ce qui a la moindre apparence de doute doit être tenu pour faux67 », est non seulement très commune chez tous les philosophes, mais encore « banale même pour les débutants68 » : « Je n’ai jamais cherché à tirer une louange de la nouveauté de mes opinions. Car au contraire je pense qu’elles sont les plus anciennes de toutes, parce que les plus vraies ; et j’ai l’habitude de ne rien étudier davantage que les vérités les plus simples auxquelles il faille faire attention : puisqu’elles sont innées à nos esprits, aussitôt qu’un autre les fait remarquer, on pense qu’on ne les a jamais ignorées69 ». Descartes assume donc la banalité de ses opinons, tout en posant que c’est parce qu’elle est vraie qu’une opinion est non pas ancienne, mais la plus ancienne, antérieure à l’histoire même. C’est parce que la vérité est vérité, qu’elle est la plus ancienne, c’est-à-dire intemporelle, c’est-à-dire innée. 2° Dans la Lettre à Dinet, Descartes « ajoute même ce qui peut-être paraîtra être un paradoxe : il n’y a rien dans cette philosophie, en tant qu’elle est censée être péripatéticienne et différente des autres, qui ne soit nouveau70 ; et rien dans la mienne, qui ne soit vieux. En effet, quant aux principes, je n’admets que ceux qui ont été jusqu’ici tout à fait communs à tous les philosophes, et qui sont pour cela les plus anciens de tous ; et ceux que je déduis ensuite de ceux-là, je montre si clairement qu’ils étaient déjà contenus implicitement en eux qu’il apparaît qu’ils sont même les plus anciens, ou plutôt introduits par la nature dans les esprits des hommes71 ».

66 Voir D. Kambouchner, note 13 à l’Épître, in Méditations métaphysiques, cit., OC, IV.2, Gallimard, Paris, 2018, p. 914. 67 Responsiones VII, BOp I 1260, AT VII 462, ll. 17-18. 68 « […] communissima apud omnes philosophos […], tritaque etiam a tyronibus » (Respon‐ siones VII, BOp I 1260, AT VII 462, l. 22 et l. 28-463, l. 1). 69 « Neque ullam unquam ex novitate mearum opinionum laudem quaesivi : nam contra ipsas omnium antiquissimas puto, quia verissimas ; et nulli rei magis soleo studere, quam simplicissimis quibusdam veritatibus animadvertendis, quae cum mentibus nostris sint innatae, statim atque alius admonetur, non putat se illas unquam ignorasse » (Objectiones VII, BOp I 1262-1264, AT VII 464, ll. 17-23). 70 Car tout y étant controversé, tout pouvant y être modifié, à la façon des Écoles, par n’importe quel philosophe, il n’y a rien qui n’y soit très nouveau, puisque renouvelé quotidiennement jusqu’à maintenant (nihil « quod non sit maxime novum, cum quotidie adhuc renovetur ») : voir Epistola a Dinet, BOp I 1446-1448, AT VII 580, l. 28-581, l. 2. 71 « Addo etiam, quod forte videbitur esse paradoxum, nihil in ea philosophia esse, quatenus censetur peripatetica, et ab aliis diversa, quod non sit novum ; nihilque in mea, quod non sit vetus. Nam, quantum ad principia, ea tantum admitto, quae omnibus omnino philosophis hactenus communia fuere, suntque idcirco omnium antiquissima ; et quae deinde ex iis deduco, jam ante in ipsis contenta et implicita fuisse tam clare ostendo, ut etiam antiquissima, utpote humanis mentibus a natura indita, esse appareat » (Epistola a Dinet, BOp I 1446, AT VII 580, ll. 16-25). Et de nouveau un peu plus loin : « meam philosophiam esse omnium antiquissimam, nihilque ab ea diversum esse in vulgari, quod non sit novum, Ma philosophie est la plus ancienne de toutes, et il n’y a rien qui lui soit différent dans la vulgaire, qui ne soit nouveau » (Epistola a Dinet, BOp I 1466, AT VII 596, l. 15-15).

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3° L’art. 200 de la IVe partie des Principia philosophiae demande « qu’on remarque que je me suis efforcé d’expliquer ici la nature entière des choses matérielles en sorte de n’avoir employé absolument aucun principe pour cela qui n’eût été admis par Aristote et par tous les autres philosophes de toutes les époques : si bien que cette philosophie n’est pas nouvelle, mais qu’elle est la plus ancienne et la plus commune de toutes72 ». Et Descartes de nommer ces principes : on n’a jamais douté que les corps soient mus, qu’ils possèdent des grandeurs et des figures, et que les plus grands se divisent sous le choc et changent ainsi de figure73. Voilà ce que constatent plusieurs sens, et non un seul (qui n’imprime dans la pensée que des images confuses), et qui fait l’objet distinct à la fois de l’imagination et de l’entendement74. Ce que Descartes entend donc ici par principe relève de l’appréhension (deprehendimus), c’est-à-dire de l’expérience quotidienne75, en quoi c’est chose commune, dont Aristote lui-même eût convenu76. Les principes de la physique sont les plus anciens parce que les plus communs. Antiquus signifie de tout temps, parce que commun et quotidien. Il n’en va ici nullement de la vérité doctrinale de la science physique cartésienne et de ses lois. 4° Enfin, la Lettre-préface aux Principes de la philosophie pose que « l’autre raison qui prouve la clarté des principes est qu’ils ont été connus de tout temps, et même reçus pour vrais et indubitables par tous les hommes77 ». Ces quatre rapprochements sont remarquablement convergents : a) Ce qui est qualifié de plus ancien que tout, ce sont des opinions, en tant qu’elles expriment des expériences ordinaires ou des notions communes78, principes parfaitement clairs en métaphysique puis en physique, comme le dit la Lettre-préface aux Principes.

72 « Sed velim etiam notari, me hic universam rerum materialium naturam ita conatum esse explicare, ut nullo plane principio ad hoc usus sim, quod non ab Aristotele, omnibusque aliis omnium seculo‐ rum Philosophis fuerit admissum : adeo ut haec Philosophia non sit nova, sed omnium maxime antiqua et vulgaris » (Principia, IV, BOp I 2200-2202, AT VIII-1 323, ll. 15-20) ; le sommaire donne : « Nullis me in ea (tractatione) principiis usum esse, quae non ab omnibus recipiantur ; hancque philosophiam non esse novam, sed maxime antiquam et vulgarem, Je ne me suis servi dans ce traité d’aucun principe qui ne soit reçu de tout le monde ; et cette philosophie n’est pas nouvelle, mais la plus ancienne et la plus commune ». 73 Principia, IV, BOp I 2202, AT VIII-1 323, ll. 25-29. 74 Principia, IV, BOp I 2202, AT VIII-1 323, l. 29-324, l. 5. 75 « […] secundum leges mechanicae, certis et quotidianis experimentis confirmatas, Selon les lois de la mécanique, confirmées par des expériences certaines et quotidiennes », Principia, IV, BOp I 2202, AT VIII-1 323, ll. 22-23. 76 Voir G. Belgioioso, « L’Aristotele degli Essais », Descartes : Il metodo e i saggi, a cura di G. Bel‐ gioioso, G. Cimino, P. Costabel e G. Papuli, Enciclopedia italiana, Rome, 1990, t. I, p. 41-62. Voir aussi M. Spallanzani, « Nihil est veritate antiquius. Descartes e gli antichi », art. cité note 12. 77 Principes, Lettre-Préface, BOp I 2224, AT IX-2 10, ll. 19-22 ; voir ensuite ll. 26-27 : « […] toutes les vérités que je mets entre mes principes [ont] été connues de tout temps de tout le monde ». 78 Voir les Responsiones secundae, dans les Rationes more geometrico dispositae, qui énoncent dix axiomes ou notions communes (Responsiones II, BOp I 898-900, AT VII 164, l. 25-166, l. 18).

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b) Descartes ne prétend pas que ses opinions ou ses principes soient anciens, c’est-à-dire vieux, voire antiques, mais toujours les plus anciens, c’est-à-dire in‐ temporels, naturels, innés et par conséquent constants. Montaigne écrivait dans l’Apologie de Raymond Sebond : « L’essence même de la vérité, qui est uniforme et constante79 ». Les vérités métaphysiques ou mathématiques, fussent-elles créées, sont nommées « éternelles », les vérités physiques, depuis la création du monde, sont constantes. Dire la plus grande ancienneté, c’est dire l’anhistoricité des principes. c) L’ancienneté des principes, c’est-à-dire leur intemporalité, découle de leur vérité, laquelle est doublement universelle, toujours et partout. d) Il y a donc une histoire de la découverte des vérités, c’est-à-dire à la fois une histoire de la mise au jour des principes en réalité sus, fût-ce implicitement, depuis toujours (dans laquelle le cartésianisme s’avère sans doute être un moment décisif), et une histoire des conséquences que l’on peut tirer de ces principes, par laquelle les sciences se perfectionnent, et qui conduira à la perfectibilité de la connaissance humaine – laquelle peut être décrite comme nouveauté, quand bien même elle ne s’appuierait sur aucune doctrine de l’innéisme, comme chez Roberval80 ; – laquelle peut aussi être décrite comme ancienneté (je l’ai évoqué plus haut), selon le renversement qui caractérise l’ancienneté des modernes, comme Descartes le disait déjà lui-même à la suite de Bacon81. On ne s’étonnera pas que Pascal soit sans doute le premier, dans la Préface sur le traité du vide, à proposer une interprétation de la position cartésienne, en orchestrant le thème82 : « […] quelque force enfin qu’ait [l’]antiquité, la vérité

79 Essais, II, 12, éd. Villey, PUF, Paris, 1965, p. 553. 80 Voir par exemple le fragment de Roberval donné par Léon Brunschvicg in Pascal, OC, GEF, t. II, p. 50 : « Quoiqu’elle soit aussi ancienne que le monde, elle [la physique] ne vieillit jamais, car le temps n’est que son vassal : elle est toujours vieille dans ses principes : elle est toujours nouvelle dans ses productions, sans se soucier ni des nouvelles chimères que les visionnaires ont fait, et font encore tous les jours à son égard » (probablement de septembre 1647, contre Descartes). 81 Voir la note du registre de 1619 : « Non est quod Antiquis multum tribuamus propter Antiquitatem ; sed nos potius iis antiquiores dicendi. Jam “enim senior est mundus quam tunc, majoremque habemus rerum experientiam”, Il n’y a pas à attribuer beaucoup aux Anciens à cause de leur Antiquité. Mais plutôt c’est nous qui devons être dits plus anciens qu’eux. En effet “le monde est maintenant plus vieux qu’alors, et nous avons une plus grande expérience des choses” » (Étude du bon sens, p. 64-65 et p. 80 = A. Baillet, Vie, cit., II, p. 531 = BOp II 912, AT X 204, ll. 2-5). Pour Bacon, voir le Novum Organon, l. 1, Aph. 84 et le De augmentis scientiarum, I, § 28 (SEH, I, 458-459). Malebranche écrira à son tour, De la recherche de la vérité, i. ii, ii, iii, § ii : « On ne considère pas […] qu’au temps où nous sommes, le monde est plus âgé de deux mille ans, qu’il a plus d’expérience, qu’il doit être plus éclairé ; et que c’est la vieillesse du monde, et l’expérience, qui font découvrir la vérité » (OC I, p. 283 ; la note 239 de Geneviève Rodis-Lewis, qui signale l’origine de ce « thème » chez Bernard de Chartres (PL 207, col. 290) rapproche ce passage de Bacon, Descartes et Pascal (voir ci-dessous). 82 « Toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes ; car, comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés ? Ceux que

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doit toujours avoir l’avantage, quoique nouvellement découverte, puisqu’elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu’on en a eues, et que ce serait en ignorer la nature de s’imaginer qu’elle ait commencé d’être au temps qu’elle a commencé d’être connue83 ». On observera que Pascal ne le dit qu’à propos des « sujets qui tombent sous les sens ou sous le raisonnement », dans les sciences qui « doivent être augmentées pour devenir parfaites84 » et non des matières soumises à l’autorité – que rien ne soit plus ancien que la vérité est une sentence qui n’a pas à valoir en théologie ! Plus, il ne le dit que des « matières dont la preuve consiste en expériences et non en démonstrations », à savoir en physique : si les anciens avaient fait les mêmes expériences, ils en auraient tiré les mêmes conclusions « et les auraient par leur aveu autorisées de cette antiquité dont on veut faire aujourd’hui l’unique principe des sciences85 ». C’est faute d’expériences suffisantes que les anciens n’ont pas eu accès à ces connaissances qui n’en sont que les conséquences : et faute de ces expériences, c’est-à-dire d’une « générale énumération de toutes les parties ou de tous les cas différents », aucune « assertion universelle86 » n’est possible. Les vérités physiques découlent de l’universalité des expériences, qui en sont « les seuls principes87 ». Il y a donc une anhistoricité des vérités dans les sciences expérimentales, « toujours plus ancienne que les opinions », et une historicité de leur découverte. On sera au contraire frappé par la pauvreté de l’usage de la même sentence chez les cartésiens, pour qui « plus ancien » se réduit à ne signifier qu’ancien ou antérieur, quand bien même ce serait antérieur à Aristote. Cette version faible de la position cartésienne est bien présentée par Baillet, qui s’appuie sur le Polyhistor de Morhof, dans les toutes dernières pages de sa Vie de M. Descartes : « Les savants, pour tirer M. Descartes de leurs mains [sc. celles de la Congrégation de l’Index et des docteurs de Louvain], et le faire absoudre du prétendu crime de nouveauté, s’étaient promis de faire voir qu’il n’avait rien enseigné qui n’eût déjà été avancé par divers auteurs avant lui, quoiqu’on ne se fût jamais avisé de faire le procès à aucun d’eux. En effet, selon M. Morhofius, si l’on savait

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nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l’enfance des hommes proprement ; et comme nous avons joint à leurs connaissances l’expérience des siècles qui les ont suivis, c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres » (OC II, p. 782-783). OC II, p. 784-785 (je souligne). Sur la possibilité de dire le contraire des Anciens sans les contredire, voir Pascal et la philosophie, PUF, Paris, 2e éd. 2007, § 5. OC II, 779. OC II, 784. OC II, 784. OC II, 781. Voir aussi la conclusion des deux traités De l’équilibre des liqueurs et De la pesanteur de la masse de l’air : « Que tous les disciples d’Aristote assemblent tout ce qu’il y a de fort dans les écrits de leur maître, et de ses commentateurs, pour rendre raison de ces choses par l’horreur du vide, s’ils le peuvent ; sinon qu’ils reconnaissent que les expériences sont les véritables maîtres qu’il faut suivre dans la physique » (OC II, 1101). Je reviendrai ailleurs sur le déplacement que Pascal fait subir au concept cartésien de principe, et en particulier sur sa lecture de l’art. 4 de la troisième partie des Principia philosophiae.

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parfaitement l’histoire de la naissance et des progrès de la philosophie, et si l’on avait au moins quelque connaissance des dogmes des anciens philosophes, il serait aisé d’y trouver les semences de tous les principes de M. Descartes88 ». Et Baillet de citer La Forge (auquel je vais revenir), la préface aux Panégyriques des saints de Verjus89, Tepelius90, puis Foucher, Sorbière, Crasso91 et Leibniz, pour ceux qui « veulent que la plus grande partie des opinions métaphysiques de M. Descartes a été avancée par Platon et les Académiciens92 », puis ceux qui l’ont voulu sectateur de Démocrite et de Leucippe, d’Épicure (Sorbière et Bouillaud), d’Anaxagore (Poisson), des stoïciens pour la morale (Leibniz, Foucher et Basnage de Beauval) et même ceux qui « découvrent aujourd’hui dans Aristote ce qu’a enseigné M. Descartes », jusqu’aux longues vues, les « lunettes de Stagyre », ou le mouvement du cœur, selon Plempius : mais « pour un peu d’Aristote que l’on croit transformé en Descartes dans le philosophe moderne, ils [nos professeurs de collèges] débitent impunément du Descartes sous le nom d’Aristote dans leurs classes93 ». Ainsi Descartes devenait-il « le plagiaire universel des grands

88 La Vie, t. II, p. 531 renvoie au Polyhistor, lib. I, c. 2, dont le § 19, p. 18, a en effet pour objet « Cartesii philosophia a priscis philosophis hausta » : « Illi vero, qui historiam philosophicam, veterumque philosophorum dogmata degustavit, facillimum erit omnium cartesianorum principiorum vestigia in priscis illis philosophis ostendere » (Lübeck, 1688, p. 18). Le cartésianisme risquait de tomber de Charybde, qui confond « la nouveauté avec la fausseté » et « l’Antiquité avec la vérité », en Scylla, les « envieux » qui, ayant profité de la réfutation de l’objection de nouveauté, « ont aussitôt accusé M. Descartes d’avoir volé les Anciens ». 89 La préface aux Panégyriques de Monsieur Verjus relève que, « comme il était difficile de mieux posséder que lui [Verjus] les sentiments de Monsieur Descartes, on le voyait quelquefois se divertir à les défendre avec tant de force contre quelques-uns de ses plus redoutables adversaires, que s’ils ne se réconciliaient avec ce grand maître de la philosophie de notre siècle, du moins avouaient-ils que sa cause ne pouvait être mieux défendue » ; inversement, en présence de « ses plus passionnés sectateurs, il attaquait ses principes, ses expériences, ses conséquences » au point « qu’il en a quelquefois ainsi converti à la philosophie d’Aristote, dont il était en effet un défenseur très zélé », car Verjus aimait « défendre des sentiments opposés aux siens » ! La préface ajoute que Descartes, « quoiqu’il paraisse vouloir tout dire de son chef, ou du moins ne rien accorder à l’autorité de ceux qui l’avaient dit devant lui, doit bien des choses à Aristote, et encore plus à Platon » (Paris, 1664, p. 19-20 – on notera une étonnante comparaison entre Descartes et Raymond de Sebond). 90 Historia philosophiae cartesianae, 1674, p. 79-80 (cap. VI). 91 L. Crasso, Elogii d’Huomini letterati, Combi & La Noù, Venise, 1666, p. 304 ; voir G. Rodis-Lewis, « Sur un portrait italien de René Descartes », Bulletin des amis du musée Descartes, 5, 1989, p. 4-8. 92 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 532. 93 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 533-535 pour les citations ou les mentions précédentes, qui reprend La Forge, la préface de La Forge au Traité de l’esprit de l’homme : « Il y en a même quelques-uns parmi eux [sc. les philosophes de l’École], qui font gloire de trouver aujourd’hui dans Aristote, tout ce que l’on a découvert de plus nouveau dans ce siècle », Amsterdam, 1666 (voir, infra, note n. 98), p. [8v].

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philosophes », de Bacon94 à… Moïse95. Mais bien sûr, c’est à saint Augustin que Descartes fut le plus rapporté, par Foucher, La Forge et Arnauld96. Je ne citerai à mon tour que ces deux derniers auteurs, parce qu’ils énoncent la sentence qui nous intéresse. Elle apparaît dans la lettre d’Arnauld à Descartes du 15 juillet 1648, qui relève la « rencontre » de Descartes avec saint Augustin sur la distinction de l’âme et du corps : « Ce que vous avez écrit de la distinction qui est entre l’âme et le corps, me semble à coup sûr clair, perspicace, divin ; et comme il n’y a rien de plus ancien que la vérité, j’ai remarqué non sans un grand plaisir qu’à peu près les mêmes choses avaient été excellemment discutées par saint Augustin, dans presque tout le livre 10 De Trinitate, mais surtout au chap. 1097 ». Nous avons encore affaire à une opinion, qu’il s’agit de créditer d’une remarquable autorité, sans du reste qu’Arnauld mentionne l’auteur éventuel de ce lieu commun qu’est « veritate nihil antiquius ». Mais dire que la vérité de la distinction réelle soit plus ancienne que Descartes, ce n’est pas dire que rien n’est plus ancien que la vérité : c’est simplement dire qu’elle est ancienne, puisqu’elle a environ douze siècles. Près de vingt ans plus tard, La Forge, dans la préface au Traité de l’esprit de l’homme, prend quelques exemples de conformité entre Descartes et saint Augustin, et même Aristote98, tout en précisant qu’il eût pu en prendre bien d’autres : « Je n’allègue presque aucune pensée de M. Descartes, même de celles qu’on croit lui être plus particulières, pour la confirmation de laquelle je n’eusse pu apporter autant ou plus d’autorités grecques et latines, qu’on en saurait produire pour celles qui sont le plus commodément reçues dans l’École99 ». Les vérités cartésiennes, quoique trouvées par la seule lumière de la raison, sont donc

94 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 539, renvoie à Thomas Bonart (pseudonyme de Thomas Barton), Concor‐ dia scientiae cum fide… (Cologne, 1665 ; le titre donné par Baillet est Concordia fidei et rationis) : voir Leibniz, Théodicée, Discours de la conformité de la foi avec la raison, § 86 et la note I de Louis Couturat, La logique de Leibniz, Paris, Alcan, 1901, p. 539-541. Selon Giuliano Gasparri, Chauvin lui doit la définition de la connaissance comme « cogitantis directio » (Étienne Chauvin (1640-1725) and his Lexicon philosophicum, Olms, Hildesheim, 2016, p. 111). 95 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 544, renvoie au Cartesius mosaïsans de Johann Amerpoel, Leeuwarden, 1669. 96 A. Baillet, Vie, cit., II, p. 536. Baillet cite à la fois la Réponse à la Critique de la Critique de la Recherche de la vérité (Nouvelle dissertation, Paris, 1679) et la Dissertation sur la Recherche de la vérité contenant l’Apologie des Académiciens… Avec plusieurs remarques… sur l’origine de la philosophie de Monsieur Descartes (Paris, 1686-1687). Sur le platonisme de Descartes selon Foucher (et Leibniz), voir l’utile mise au point de Claire Bayle, « Leibniz, Descartes et la “résurrection des contemplations de Platon et des Académiciens” », in Leibniz et les philosophies antiques et médiévales, éd. par V. Carraud, Sorbonne Université Presses, à paraître en 2021. Sur La Forge et Arnauld, voir la synthèse d’Henri Gouhier, Cartésianisme et augustinisme au xviie siècle, Vrin, Paris, 1978. 97 « Quae de mentis a corpore distinctione disseruisti, certe clara, perspicua, divina mihi videntur, atque ut veritate nihil antiquius, eadem fere a S. Augustino, toto pene libro 10 De Trinitate, sed maxime capite 10, luculenter esse disputata non sine magna voluptate percepi » (AT V 186, ll. 9-13). Baillet cite ce passage, en soulignant la sentence, A. Baillet, Vie, cit., II, p. 536. 98 Traité de l’esprit de l’homme, de ses facultés ou fonctions et de son union avec le corps suivant les principes de René Descartes, Amsterdam, 1666 (réimpression Olms, Hildesheim, 1984), Préface, p. [9v]. 99 Traité de l’esprit de l’homme, Préface, p. [9r].

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anciennes. Elles sont même plus anciennes qu’Aristote : si l’on proposait, dit La Forge, aux philosophes de l’École qui osent enseigner sous le nom d’Aristote « ce que l’on a découvert de plus nouveau dans ce siècle », « de quitter leur parti, ils ne le trouveraient pas raisonnable ; parce qu’ils se croient les plus anciens ; comme s’il y avait rien qui pût être plus ancien que la vérité100 ». L’ancienneté, fût-elle la plus grande, se décline de nouveau chronologiquement : elle précède Aristote même. Mais à aucun moment La Forge ne prend au sérieux, c’est-à-dire en rapportant la sentence à la doctrine cartésienne de la vérité, que rien ne soit, absolument parlant, plus ancien que la vérité101. La mauvaise foi envieuse des anticartésiens et la bonne volonté tactique des cartésiens ont donc en commun de vouloir montrer que bien des opinions apparemment nouvelles de Descartes sont en réalité anciennes. Plus, qu’étant vraies, elles sont plus anciennes mêmes que celles d’Aristote dont elles révèlent l’erreur : ainsi y a-t-il une histoire de la fausseté comprise comme histoire de la révélation du faux comme tel. Certes. Pour autant, ce n’est pas là assumer la position cartésienne : ni celle que Descartes lui-même a, comme nous l’avons vu, plusieurs fois rappelée en tenant que l’anhistoricité de la vérité impliquait l’innéisme des principes ; ni, plus précisément, celle à laquelle il prétend dans l’Épître. Revenons-y.

4. L’Épître et les Regulae En effet, munis des trois textes de Descartes cités plus haut, nous nous attendrions à ce que l’Épître dise que les vérités qui sont exprimées par les raisons apportées par les grands hommes, lesquelles, bien comprises, ont la force de la démonstration, sont les plus anciennes, parce que leurs principes sont innés – que les vérités sont les plus anciennes, mais que, par différence, la méthode de Descartes, qui en donnera enfin d’irréfutables démonstrations, est nouvelle. Rien n’est plus ancien que la vérité, mais ma méthode est nouvelle. Or ce n’est pas ce que dit Descartes. C’est de la méthode elle-même que Descartes dit qu’elle n’est pas nouvelle102, puisque que rien n’est plus ancien que la vérité. Revenons à la Règle IV pour le comprendre.

100 Traité de l’esprit de l’homme, Préface, p. [8v]. 101 Il en va de même pour Jacques Rohault, qui répond ainsi au « reproche que l’on fait de la nouveauté : car si une chose est vraie, elle ne saurait être nouvelle, n’y ayant rien de si ancien que la vérité ; et c’est la seule découverte de l’erreur opposée, qu’on peut dire être nouvelle », Traité de physique, Paris, 1671, Préface, p. [9v]. S’il y a donc une histoire du dévoilement du faux, il n’y a pas, à proprement parler, d’histoire du vrai : reste que Rohault, comme ses prédécesseurs, use de ce lieu commun sans voir le problème qui est le nôtre. 102 Denis Kambouchner remarque justement : « Le privilège d’ancienneté reconnu à la vérité […] est ici transféré à la méthode, comme le suggérait déjà la Règle IV » in Méditations métaphysiques, cit., OC, IV.2, p. 914, note 13. Certes. Mais que signifie ce transfert ?

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La Règle IV A pose ce que nous appelons l’innéisme des principes : « car l’esprit humain possède je ne sais quoi de divin, en quoi les premières semences des pensées utiles ont […] été jetées103 ». Rien de plus conforme aux trois textes postérieurs cités plus haut. Or, dit Descartes, c’est pourquoi les anciens, conduits par la seule nature (innéisme) ont aperçu en quelque façon l’utilité non pas seule‐ ment des principes admis de toutes les époques, mais de la méthode elle-même104, c’est-à-dire « des règles certaines et aisées, grâce auxquelles tous ceux qui les auront observées, n’admettront jamais rien de faux pour vrai [… et ainsi], en augmentant toujours comme par degrés leur science, parviendront à la connais‐ sance vraie de toutes les choses dont leur esprit serait capable105 ». De telles règles, c’est-à-dire de telles pensées utiles (« cogitationes utiles106 ») produisent un fruit, mûri spontanément de lui-même107, les règles eussent-elles été négligées et étouffées par l’obstacle des études108. Ainsi l’arithmétique et la géométrie, telles que les anciens géomètres s’en sont servis selon une certaine analyse, jalousée de la postérité109, sont-elles de tels fruits mûris d’eux-mêmes à partir des principes de

103 « Habet enim humana mens nescio quid divini, in quo prima cogitationum utilium semina […] jacta sunt » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 7-9 ; voir ensuite 376, ll. 12-16, passage cité note 120, puis 397, ll. 17-18). Il n’y a nulle difficulté, pour Descartes, à dire la nature humaine (bona mens) comme possession de quelque chose de divin : voir déjà les Olympiques, in Étude du bon sens, p. 104 (Pensieri privati, BOp II 1064, AT X 217, ll. 17-22), puis le Discours de la méthode : « L’ordre que j’ai tenu en ceci a été tel […]. J’ai tâché de trouver en général les principes, ou premières causes, de tout ce qui est, ou qui peut être, dans le monde, sans rien considérer pour cet effet, que Dieu seul, qui l’a créé, ni les tirer d’ailleurs que de certaines semences de vérités qui sont naturellement en nos âmes » (Discours, VI, BOp I 98, AT VI 63, l. 30-64, l. 5 – l’expression « semences de vérités » est reprise par une glose de Picot dans sa traduction des Principia II, art. 3, AT IX-2 65). La lettre à Villebressieu de l’été 1631, dans laquelle Descartes rapporte son entretien avec le nonce, Bérulle, Mersenne et a., évoque sa « belle règle ou méthode naturelle » avant de faire valoir que ses « principes sont […] plus naturels qu’aucun des autres qui sont déjà reçus parmi les gens d’étude » (à Villebressieu, été 1631, BLet 46, p. 202, AT I 213, ll. 1-2 et ll. 10-13 ; voir, supra, note n. 43). 104 « Cum igitur hujus methodi utilitas sit tanta […], facile mihi persuadeo illam jam ante a majoribus ingeniis, vel solius naturae ductu, fuisse aliquo modo perspectam, Comme l’utilité de cette méthode est si considérable […], je me persuade que l’esprit des anciens, même conduit par la simple nature, l’avait déjà aperçue en quelque façon » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 3-7). La traduction de Jean-Marie et Michelle Beyssade insiste sur perspectam, la méthode a été reconnue, et la note 69 précise : « Ajouter aliquo modo, « en quelque manière », revient toutefois à désigner le mode et l’étendue de cette première connaissance comme impossibles à reconstituer » (in Règles pour la direction de l’esprit, OC, t. I, p. 675). 105 « Per methodum autem intelligo regulas certas et faciles, quas quicumque exacte servaverit, nihil unquam falsum pro vero supponet, et […] gradatim semper augendo scientiam, perveniet ad veram cognitionem eorum omnium quorum erit capax » (Regulae, IV, BOp II 698, AT X 371, l. 25-372, l. 4). 106 Sur le sens de cette utilité de la méthode, voir la note 8 de Jean-Luc Marion aux Règles utiles et claires, p. 134. Songeons aussi au titre des Regulae donné par l’inventaire de Stockholm, Règles utiles et claires… (Inventario di Stoccolma, BOp II 18, AT X 9, ll. 15-16). 107 « spontaneam frugem producant » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 10-11). 108 « neglecta et transversis studiis suffocata » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, l. 10). 109 « […] satis enim advertimus veteres geometras analysi quadam usos fuisse, quam ad omnium problematum resolutionem extendebant, licet eamdem posteris inviderint » (Regulae, IV, BOp II 700,

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cette méthode, qui sont innés110 – auto-génération du savoir111, auto-génération, c’est-à-dire transcendantalité de la vérité, comme Descartes l’écrit dans la lettre à Mersenne du 16 octobre 1639 : « On n’en [sc. des moyens] a point pour apprendre ce que c’est que la vérité, si on ne la connaissait de nature. Car quelle raison aurions-nous de consentir à ce qui nous l’apprendrait, si nous ne savions qu’il fût vrai, c’est-à-dire, si nous ne connaissions la vérité112 ? ». Mais il y a bien eu une élaboration, un mûrissement des fruits nés (« natae ») spontanément des principes innés (« ex ingenitis principis ») de la méthode, qui ont continué de croître jusqu’aujourd’hui dans ces deux sciences aux objets les plus simples113, donc moins susceptibles d’être étouffés par les ronces114. Enfin la pleine maturité est arrivée avec l’algèbre, qui fleurit de nos jours, accomplissant sur les nombres ce que les anciens faisaient sur les figures115. Ainsi ces fruits, cultivés avec soin, pourront parvenir à parfaite maturité116. Telle est la tâche que Descartes s’est assignée dans les Regulae : au « Hoc vero ego praecipue in hoc tractatu faciendum suscepi117 » répond exactement le « […] offici mei esse putavi nonnihil hac in re conari. Quicquid autem praestare potui, totum in hoc tractatu continetur118 » de l’Épître, ce qui conduit Descartes à expliquer « une certaine autre discipline » qui, « contenant les premiers rudiments de la raison humaine, va s’étendre jusqu’à tirer des vérités de n’importe quel sujet qu’on voudra119 ». Ce mûrissement dû à la méthode, ou cette maturation spontanée jusqu’à la maturité, réintroduit donc l’histoire à partir de l’innéisme anhistorique120. La

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AT X 373, ll. 12-15). La note 71 aux Règles in OC I, p. 675 rappelle à juste titre que Descartes ne qualifie pas de « méthode » l’analyse des Anciens elle-même. « Atque haec duo nihil aliud sunt, quam spontaneae fruges ex ingenitis hujus methodi principiis natae » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 18-20). Voir J.-L. Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Vrin, Paris, 2e éd. 1981, p. 44. à Mersenne, 16 octobre 1639, BLet 222, p. 1060, AT II 597, ll. 5-9 ; voir le commentaire de G. Olivo, Descartes et l’essence de la vérité, cit., chap. V, § 5. « […] circa harum artium simplicissima objecta […] crevisse hactenus » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 20-21). « […] felicius crevisse hactenus, quam in caeteris, ubi majora illas impedimenta solent suffocare » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 21-22). « Et jam viget arithmeticae genus quoddam, quod algebram vocant, ad id praestandum circa numeros, quod veteres circa figuras faciebant » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 15-18). « […] ubi tamen etiam, modo summa cura excolantur, haud dubie poterunt ad perfectam maturita‐ tem pervenire » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 22-24). Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, ll. 25-26. Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, l. 27-24, l. 2. Sur la continuité, sur ce point, des Regulae aux Meditationes, voir G. Olivo, Descartes et l’essence de la vérité, cit., p. 38-42. « […] quamdam aliam me exponere disciplinam […]. Haec enim prima rationis humanae rudi‐ menta continere, et ad veritates ex quovis subjecto eliciendas se extendere debet » (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 374, ll. 6-9). La même analyse peut être menée à partir de la Règle IV B, qui fait droit également au rapport entre innéisme et historicité : « Sed mihi persuadeo, primam quaedam veritatum semina humanis ingeniis a natura insita […] tantas vires in rudi ista et pura antiquitate habuisse, ut eodem mentis lumine […] philosophiae […] et matheseos veras ideas agnoverint, quamvis ipsas scientias perfecte consequi nondum possent, Je me persuade, que certaines premières semences de vérités que la nature a mises

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méthode ne peut enseigner l’« intuitus » et la « deductio », qui sont les opérations les plus simples et les premières de toutes121, immédiates, innées, anhistoriques donc, « science sans généalogie », comme dit Jean-Luc Marion122. Elle ne peut expliquer que la manière (quomodo) d’en user123, explication qui, elle, a un statut historique. Les Regulae réintroduisent donc l’histoire, en l’occurrence l’histoire de l’explication du comment de l’usage de la méthode et de son élucidation progressive, alors que son usage lui-même est toujours immédiat, anhistorique, plus ancien que tout : « si notre entendement ne pouvait en user dès auparavant [jam ante, donc de tout temps], il ne comprendrait aucun des préceptes de cette méthode aussi faciles qu’ils soient »124. A ce titre, rien n’est plus ancien que la méthode et son usage (anhistoricité). On comprend donc comment Descartes peut écrire, dans l’Épître, que sa méthode n’est pas nouvelle, puisque « rien n’est plus ancien que la vérité ». Rien n’est plus ancien que la méthode et son usage (anhistoricité), mais son explication et son appréhension progressive que décrivent les douze premières Règles se déroulent dans l’histoire – histoire allusivement abordée dans la Règle IV-B125, et que tracera la Lettre-Préface aux Principes en examinant les cinq degrés de la sagesse126. Si les historiens de la philosophie ont sans doute des raisons de contester que la méthode elle-même ne soit pas nouvelle, on ne doit pas moins faire crédit à Descartes d’avoir énoncé exactement, dans la Lettre-préface aux Principes de la philosophie, en quoi consiste cette nouveauté : « Encore que toutes les vérités que je mets entre mes principes aient été connues de tout temps et de tout le monde, il n’y a toutefois eu personne jusqu’à présent, que je sache, qui les ait reconnues pour les principes de la philosophie, c’est-à-dire pour telles qu’on en peut déduire la connaissance de toutes les autres choses qui sont au monde »127. Au demeurant, Descartes annonçait déjà, dans la Règle VIII, « res omnes in hac

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en l’esprit des hommes […] gardaient encore assez de forces dans l’âge fruste et pur des anciens, pour que la même lumière de l’esprit […] leur ait fait […] connaître les vraies idées de la philosophie et de la mathesis, quoiqu’ils n’aient pu encore atteindre parfaitement à ces sciences mêmes » (Regulae, IV, BOp II 702, AT X 376, ll. 12-20). « Neque enim etiam illa extendi potest ad docendum quomodo hae ipsae operationes [intuitus et deductio] faciendae sint, quia sunt omnium simplicissimae et primae » (Regulae, IV, BOp II 698, AT X 372, ll. 17-19). Sur l’ontologie grise de Descartes, p. 44 : « Le vrai ne s’ouvre donc qu’à une experientia sans histoire, présence du principe sans recours à un commencement passé, savoir qui s’engendre lui-même de lui-même : science sans généalogie ». « At si methodus recte explicet quomodo mentis intuitu sit utendum […] et quomodo deductiones inveniendae sint » (Regulae, IV, BOp II 698, AT X 372, ll. 11-13). « […] nisi illis uti jam ante posse intellectus noster, nulla ipsius methodi praecepta quantumcumque facilia comprehenderet » (Regulae, IV, BOp II 698-700, AT X 372, ll. 20-22). Voir G. Olivo, Descartes et l’essence de la vérité, cit., p. 58-59. Sur le rapport de la Lettre-préface au Traité de l’érudition, donc aux Regulae, voir notre suggestion dans l’Étude du bon sens, p. 166. Principes, Lettre-Préface, BOp I 2224, AT IX-2 10, l. 25-11, l. 2.

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universitate contentas cogitatione velle complecti »128. Or, parmi les principes « connus de tout temps et même reçus pour vrais et indubitables par tous les hommes » (anhistoricité des vérités), d’où se déduisent « toutes les choses qui sont au monde » (nouveauté de la méthode qui permet de les déduire certainement selon la Lettre-préface, anhistoricité de la méthode comprise comme vérité selon l’Épître), la Lettre-préface en excepte un : l’existence de Dieu129. Tel est précisément ce qui fait l’objet des Meditationes selon l’Épître, comme Descartes l’indique dans la dernière phrase de notre passage, dûment corrigée : « ideoque officii mei esse putavi nonnihil hac in re conari »130, avant d’en marquer le bilan : « Quicquid autem praestare potui, totum in hoc tractatu continetur ». Tel est son objet actuel, comme le marque le jam décisif, qui caractérise les raisons devenues dès lors démonstrations très certaines et très évidentes de l’existence de Dieu et de la distinction de l’âme et du corps : « ut jam131pro certissimis et evidentissimis demonstrationibus illas ausim proponere »132. Si donc la méthode n’est pas nouvelle selon l’Épître, puisque « rien n’est plus ancien que la vérité », ce qui est désormais le propre des Meditationes, c’est qu’avec elles la méthode s’applique à la philosophia prima133. Cette actualité des Meditationes acquiert par là une autre anhistoricité, puisqu’elle en devient définitive : « Addam etiam tales esse, ut non putem ullam viam humano ingenio patere, per quam meliores inveniri unquam possint134 » – en quoi elle ne constitue pas une « nouveauté135 ».

128 « […] vouloir embrasser par la pensée toutes les choses contenues dans notre univers » (Reguale, VIII, BOp II 730, AT X 398, ll. 14-16). 129 « L’autre raison qui prouve la clarté des principes est qu’ils ont été connus de tout temps, et même reçus pour vrais et indubitables par tous les hommes, excepté seulement l’existence de Dieu » (Principes, Lettre-Préface, BOp I 2224, AT IX-2 10, ll. 19-22 ; je souligne). 130 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, ll. 27-28 puis 4, ll. 1-2 pour la citation suivante ; sur la correction de la phrase, voir la lettre à Mersenne du 23 juin 1641, BLet 317, p. 1478, AT III 387, ll. 11-14. 131 Ce jam est malheureusement omis par Luynes : « […] j’ose bien les proposer pour de très évidentes et très certaines démonstrations » (AT IX-1 6). Michelle Beyssade le restitue : « […] j’ose maintenant les proposer […] » (cit., p. 273), ainsi qu’Igor Agostini (« ormai », in BOp I, p. 685). 132 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 6-8. Entendons bien : elles surpassent en certitude et en évidence même les vérités géométriques (Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 24-25), comme l’affirmait déjà la lettre à Mersenne du 15 avril 1630, dont Descartes reprend exactement les termes dans l’Épître en faisant part de sa crainte de ne pas pouvoir en persuader les autres (à Mersenne, 15 avril 1630, BLet 30, p. 146, AT I 144, ll. 14-18 ; Meditationes, Epistola, BOp I, 684, AT VII 4, l. 26). 133 Ce qui fut annoncé dans la Règle VIII et rappelé dans la Lettre-préface aux Principes : voir ci-dessus les notes 127 et 128. Sur Regulae, VIII, BOp II 730, AT X 398, ll. 14-16, voir E. Martineau, « L’ontologie de l’ordre », Les Études philosophiques, 1976, 4, p. 475-494. 134 Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 8-10 ; je souligne. 135 Ainsi se conclut la libre autobiographie de Descartes dans l’Épître : « cogit enim me causae necessitas, et gloria Dei, ad quam totum hoc refertur, ut hic aliquando liberius de meis loquar quam mea fert consuetudo, La nécessité de la cause et la gloire de Dieu, à laquelle tout cela se rapporte, m’obligent à parler ici de mes raisons plus librement que je n’en ai coutume » (Meditationes, Epistola, BOp I 684, AT VII 4, ll. 10-13).

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5. Antiquior omnibus veritas Venons-en pour finir à la source de la sentence citée par Descartes. Son auteur est Tertullien, et elle n’appartient pas à n’importe quel texte, mais à son à Apologeticum, du moins tel que Descartes pouvait le lire136, au début du chap. 47 : « Antiquior omnibus veritas137 ». Le contexte définit le philosophe grec comme voleur (« furator ») de la vérité, au lieu que le chrétien en est le gardien (« custos », 46, 18) : les philosophes ont en effet puisé dans l’Ancien Testament leurs vérités, mais les ont falsifiées (« interpolarent »), chacun différemment, pour en faire une œuvre personnelle (« ad propria opera verterunt »), et surtout, ne les comprenant pas assez (« neque satis intellegentes ») : « Nam et si qua simplicitas erat veritatis, eo magis scrupulositas humana fidem aspernata nutabat, per quod in incertum miscuerunt etiam quod invenerant certum, Ainsi, plus la vérité était simple, plus vacillaient les cavillations des hommes repoussant son crédit et, par quoi ils ont changé en incertain même ce qu’ils avaient trouvé de certain138 » – on croirait lire du Descartes ! Ainsi les philosophes grecs ont-ils découvert Dieu, mais loin de le faire connaître seulement tel qu’ils l’avaient découvert – c’est-à-dire dans sa seule existence en tant que Dieu139 –, ils ont disputé (et se sont disputés) en débattant de sa qualité, de sa nature et de son lieu, selon leurs différentes

136 C’est-à-dire selon la « tradition commune », qui a servi de base aux éditions, jusqu’à l’éd. Rigault comprise (1637). En français, l’édition aujourd’hui accessible de l’Apologeticum est celle de JeanPierre Waltzing, qui l’a publié selon le Codex Fuldensis (la « tradition spéciale » F), une première fois à Liège, puis une seconde fois selon la double tradition manuscrite accompagnée d’une traduction (1919-1920), elles-mêmes reprises et revues à Paris, Les Belles Lettres, 1929 (parution posthume) ; cette dernière édition donne le texte suivant pour la première phrase du § 47, 1 : « Adhuc enim mihi proficit […] », mais indique en apparat la version de la « tradition commune » P : « antiquior omnibus veritas » (p. 98) ; sa réédition en collection de poche (Paris, 1998) a supprimé l’apparat critique, de sorte que le lecteur contemporain ne peut plus lire cette formule décisive. D’autres éditions se fondent sur la « traduction commune », comme l’éd. Oehler (Halle, 1849, reprise dans la collection Loeb) ou l’éd. Becker (Munich, 1952, 1961) : voir The Tertullian Project www.tertul‐ lian.org/works/apologeticum.htm. Tout le xviie siècle lit la même chose que Descartes ; voir par exemple François de Toulouse (m. 1678) : « Antiquior omnibus est veritas, dit Tertullien. La vérité est la plus ancienne de toutes les choses, puisqu’elle est la première production du Père éternel, et que dans le temps le mensonge qui l’attaque, qui veut la détruire et qui en est un égarement, la suppose et en fait connaître l’établissement » (Sermon 58, in Migne, Orateurs sacrés, XI, 1844, col. 472). 137 « Antiquior omnibus veritas, nisi fallor : et hoc mihi proficit antiquitas praestructa divinae littera‐ turae, quo facile credatur thesaurum eam fuisse posteriori cuique sapientiae. Et si non onus iam voluminis temperarem, excurrerem in hanc quoque probationem, La vérité est plus ancienne que tout, si je ne me trompe : et l’antiquité de la divine Écriture, établie plus haut, me sert en ceci qu’il sera facilement admis qu’elle a été le trésor où a puisé toute la sagesse venue plus tard » (47, 1). Je découvre au moment de publier cette étude que le rapprochement des Meditationes et de l’Apologeticum a été fait par Hubertus Kudla dans le Lexicon der lateinischen Zitate, C. H. Beck, 3e éd. 2007, citation 3241. 138 Apologeticum 47, 4. La traduction de scrupulositas par « cavillations » est évidemment suggérée par Descartes lui-même ; pour la traduction de fides par « crédit », voir mon article « La foi n’est pas une croyance : sur la définition de la foi dans la Lettre aux Hébreux », Philosophie, hiver 2020, p. 13-29. 139 « sempiterna eius virtus, et divinitas », selon Romains 1, 20.

RIEN N’EST PLUS ANCIEN QUE LA VÉRITÉ

sectes (47, 5-7) ; ainsi en va-t-il encore « de animae statu », sujet de toutes les variations théoriques (« variant »), l’âme « que les uns prétendent divine et éternelle, les autres dissoluble, Quam alii divinam et aeternam, alii dissolubilem contendunt140 ». Ainsi ce qui fut initialement inventé dans la simplicité de la vérité originelle fut, comme le dit la Règle IV de l’analyse des anciens, négligé et étouffé par l’obstacle des études philosophiques et a suffoqué sous les « impedi‐ menta141 » – on pourrait relever d'autres rapprochements entre les Meditationes et ce chapitre de l’Apologeticum, à commencer par l’emploi de l’expression « regula veritatis142 ». La fonction stratégique de cette citation de Tertullien est évidente. Descartes cite l’Apologeticum dans une Épître à la Faculté de théologie de Paris, dont le but est précisément apologétique : signe de connivence et par là captatio benevolentiae qui ne pouvaient échapper à aucun docteur de Sorbonne. Citant Tertullien de façon parfaitement obvie après la référence explicite au Livre de la Sagesse, à la Lettre aux Romains et au Concile de Latran V, Descartes parle apologétique aux théologiens et revendique d’être un philosophe chrétien143. Outre l’opportunité diplomatique que présente ce texte, il convient aussi de souligner son opportunité philosophique pour Descartes : « de Deo et de anima ». Voilà bien le sujet des disputes philosophiques, qu’un chrétien entend régler en recourant à la vérité la plus ancienne, ou, pour le dire à la cartésienne, en usant de la méthode à son tour la plus ancienne, en tant que « vraie » méthode. S’il admet une première lecture en termes historiques (l’ancienneté de l’Ecriture sur la philosophie grecque, les prophètes à la source des sophistes, 47, 2), ce passage de l’Apologeticum n’en théorise pas moins ce devenir incertain de ce qui était originairement certain,

140 47, 8 – « divina », rappelons-nous la Règle IV : « Habet enim humana mens nescio quid divini » (BOp II 700, AT X 373, 7-8). 141 Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, l. 10 puis 22 ; voir supra, note 114. 142 Apologeticum, 47, 9 et Meditationes, BOp I 772, AT VII 70, l. 26 (pour Tertullien, la regula veritatis est celle qui vient du Christ ; on observera néanmoins que la Règle IV ne craint pas de penser le lumen naturale comme la lux mundi, du moins en ce que l’un et l’autre évitent de marcher dans les ténèbres : « in tenebris ambulare » (Regulae, IV, BOp II 698, AT X 371, ll. 19-20, qui renvoie à Jean 8, 12 (« ego sum lux mundi : qui sequitur me, non ambulat in tenebris ») et 12, 35 (« qui ambulat in tenebris nescit quo vadat »). On pourra aussi rapprocher la passion de l’éloquence (« eloquentiae libido ») sans l’accès aux vérités, dénoncée dans l’Apologeticum (47, 3), et la nocivité de l’« opera litteris » sans la méthode dénoncée dans la Règle IV (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, l. 4). Ajoutons que les Écritures restaient voilées (obumbrata, 47, 3) pour les philosophes grecs comme l’analyse des anciens est restée cachée à leurs neveux (Regulae, IV, BOp II 700, AT X 373, l. 15 et, par une ruse pernicieuse, 376, l. 24-377, l. 2). Dans les deux cas, il s’agit d’un déficit d’intelligence. 143 Meditationes, Epistola, BOp I 682, AT VII 3, l. 6.

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l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. D’autant que Tertullien pense par ailleurs que la vérité a été suggérée aux philosophes par la nature, le « sensus communis » dont Dieu a doté l’âme humaine, selon le De anima, 2, 1 qui fait, comme dit l’Apologeticum, que l’âme est naturellement chrétienne144.

144 Voir le De Anima II, 1 : « Plane non negabimus aliquando philosophos iuxta nostra sensisse ; testimonium est etiam veritatis eventus ipsius […]. Sed et natura pleraque suggeruntur quasi de publico sensu, quo animam Deus dotare dignatus est, Nous ne nierons pas cependant qu’il est arrivé à des philosophes de se rencontrer avec nous ; c’est même un témoignage de l’effet même de la vérité […]. Mais la plupart [des vérités] leur étaient suggérées par la nature, comme en vertu de ce sens commun à tous, dont Dieu a daigné doter l’âme » (p. 300, 24) ; puis l’Apologeticum, 17, 6 : « O testimonium animae naturaliter christiana ».

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Il votum di Tommaso Maria Mamachi su le Riflessioni intorno l’origine delle passioni di Francesco Antonio Piro

Il 2 luglio del 1742, al punto 4 dell'o.d.g. della Congregazione generale del‐ l’Indice dei Libri proibiti, il consultore Tommaso Maria Mamachi legge il suo giudizio (votum) sul libro di [Francesco Antonio Piro] Riflessioni intorno l’origine delle passioni, colle quali s’investiga l’economia della volontà umana, secondo i principi della natura, che verrà inserito all’Indice nel bando del 28 luglio del 17421. Libro uscito anonimo e senza data. La censura del Mamachi non è stata mai pubblicata e si riteneva perduto il documento. Avrei voluto – in occasione di questa giornata che sottolinea il lavoro scienti‐ fico e l’impegno accademico organizzativo nazionale e internazionale di Giulia Belgioioso - pubblicare un qualcosa di inedito sul suo autore, e cioè René Descar‐ tes, ma tuttavia anche Francesco Antonio Piro, condannato per essere soprattutto un seguace di Locke e dei lockiani, studioso di Leibniz e anti-bayliano, rappre‐ senta uno di quei « filosofi meridionali » che così tanto hanno caratterizzato quella cultura napoletana e meridionale, dandole alla fine della seconda metà del ‘600 fino a Vico ed oltre, un significativo ruolo : quello, fra polemiche e condanne, attraverso accademie e percorsi variegati e complessi, di introdurvi la « filosofia moderna », i novatores, i « filosofanti », la « razional filosofia ». Su questi temi si sono anche incentrati gli studi di Giulia Belgioioso. In particolare il Piro è stato uno dei maggiori rappresentanti della querelle anti-bayliana e anti-manichea sul problema del male. Il documento che pubblico, proviene dall’Archivio del S. Uffizio (ACDF), è il votum di Tommaso Mamachi2 1 Per il votum di Mamachi, cf. ACDF, Index, Prot. 81 (1737-1740), ff. 408rv., 1-5. La data è indicata in ACDF, Index, Diarii 16 (cc. 99-100) dove si legge, al punto 6 dell’o.d.g della seduta del 2 luglio 1742, che Tommaso Mamachi, O.P., lesse la sua censura del libro dal titolo Riflessioni intorno l’origine delle passioni, colle quali s’investiga l’Economia della Volontà umana secondo i principj della natura, precisando che l'autore del libro è « Antonius Pirus Consentinus o. Minimorum ». Mamachi elenca i motivi della sua censura : « Plura in eo censor notavit a Sana Philosophia et a Christiano dogmate aliena in explicanda naturam spiritus, creationem rerum, Arbitrii libertatem ». I Cardinali condannano. 2 Prosopographie von romischer Inquisition und Indexkongregation : 1814-1917, in Römische Inquisition und Indexkongregation : Grundlagenforschung 1814-1917, herausgegeben von Hubert Wolf, F. Scho‐ Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Descar‐ tes, 6), p. 101-114. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122597

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su un anonimo Riflessioni intorno l’origine delle passioni, senza autore e luogo e data, ma 1740. Il giudizio, richiesto dai cardinali, al consultore Mamachi riguarda uno dei “moderni” meridionali, dell’Ordine dei Minimi, giovane, ma gà noto, censurato soprattutto per le sue posizioni lockiane, appunto Francesco Antonio Piro. Molto conosciuto, difeso da Antonio Genovesi che lo ricorda negli Elementa metaphysica mathematicum, dove lo definisce « vir acutus et doctus3 ». Antonio Piromalli ne traccia un ritratto sintetico e acuto : Fino alla morte (1752) il principe [Francesco Maria Spinelli, principe di Scalea] polemizzò su bene e male. Anche con Francesco Antonio Piro. Questi - nato a Aprigliano nel 1702 e morto a Roma nel 1778 - ebbe come zio paterno Domenico Piro (il poeta dialettale) e il fratello di lui, Isidoro, l’autore della iscrizione per la morte del fratello e di un’opera di filosofia razionale pubblicata a Venezia nel 1707. Francesco A. Piro nel 1718 entrò nell’ordine dei Minimi (in cui era lo zio Isidoro) e visse a Napoli e a Roma. La sua opera Riflessioni intorno l’origine delle passioni fu edita a Napoli (s. d. ma 1740) : in essa si dice che “tutte le passioni provengono o dal corpo attraverso le impressioni degli oggetti, o dall’anima attraverso la riflessione del soggetto pensante, libero e volente”. Come le passioni le idee. Come già aveva fatto Cartesio con Tommaso Cornelio e Leonardo da Capua nel Seicento attraverso l’Accademia degli Investiganti, adesso battono alle porte della cultura italiana e contro il vecchio mondo della teologia tomistica - il sensismo, l’empirismo, Locke. Due anni dopo la pubblicazione, il 2 luglio 1742, l’opera di Piro veniva messa all’Indice probabilmente (non si è ritrovato il fascicolo del processo) perchè l’esposizione di Piro collegata con le tesi di Locke, sovvertirebbe il campo gnoseologico, etico e religioso. La concupiscenza è stata fornita all’uomo perché egli se ne serva a maggior bene servendosi del libero arbitrio : la ragione finale delle passioni è l’utilità che, bene adoperate, possono dare all’uomo. Nel 1749 Piro pubblica Della origine del male. Contra Bayle nuovo sistema antimanicheo sul rapporto tra passione e virtù, contro il metodo di Bayle il quale accelerava il processo di separazione tra fede e ragione contrapponendo in modo inconciliabile il dogma e la ragione. Francesco Spinelli e il giurista calabrese Alessandro Marini giudicarono l’opera di Piro non capace di opporsi al pensiero di Bayle. Piro risponderà ad ambedue e a Gherardo De Angelis con una Risposta (1749) e un Antimanicheismo (1770-1772)4.

ningh, Paderborn, 2005, II, p. 768-776, sub voce. Tommaso Maria Mamachi OP, Chios, 1713, Tarqui‐ nia 1792, professore di Filosofia a Roma, propaganda Fide, consultore SO, censura anche Leibniz, Helvetius, La Mettrie, è l’autore di La pretesa filosofia dei moderni increduli esaminata e discussa pe’suoi caratteri in varie lettere, Carlo Barbiellini, Roma, 1767, 2 voll. A questa rispose con ironia Anonimo [Salvatore Spiriti], Mamachiana per chi vuole divertirsi, Gelopoli (Napoli), 1780. 3 A. Genovesi, Elementa metaphysicae mathematicum in morem adornata (1743-1747), 4 voll., ex typographia Benedicti Gessari, Napoli, 1754, III, p. 307. 4 A. Piromalli, La letteratura calabrese, 2 voll., Pellegrini Editore, Cosenza, 1996, I, p. 190-191.

IL VOTUM DI TOMMASO MARIA MAMACHI

Tutti i biografi del Piro coevi e recenti ricordano questa prima opera messa all’indice, precisando insieme di non saperne il motivo. Su questa censura anche secondo me c’è qualche incertezza, in quanto nella congregazione del due luglio 1742 si dice che il giudizio chiesto al Mamachi è il primo ma, in realtà, non ne segue nessun’altro, tanto che l’inserimento nel bando è molto rapido (28 luglio 1742). Apprendiamo dallo studioso più importante del Piro, che lo difende da quel che ritiene invidie interne all’Ordine, Pietro Addante5, che la rapida condanna e la messa all’indice non fu poi così « lieve » in quanto implicava che tutti gli esemplari venissero bruciati. Addante, ricordando il suo trasferimento nel reale convento di San Luigi, la sede dei Minimi a Napoli6, dove Piro aveva studiato e si era laureato e dove aveva funzioni non secondarie (e continuerà ad averle), scrive che Piro fu un filosofo-teologo polemista « aspro, sincero, polemico e dinamico » e ascrive a cause non conosciute e fra loro opposte il motivo della condanna dell’opera. Di quest’opera anche l’Addante non conosce il votum e si sofferma a verificare le varie posizioni non tralasciando l’ipotesi che l’opera del Piro fosse stata denunciata proprio dai suoi confratelli. Scrive l’Addante : Dallo Zavarroni e dallo Spiriti, scrittori lontani da ogni pregiudizio di regionalismo, sappiamo che la prima opera del Piro venne pubblicata nel 1740 in Napoli, e portava il titolo Riflessioni intorno l’origine delle passioni colle quali s’investiga l’economia della Volontà umana secondo i principi della Natura e della Grazia, in 8°, 1740. Il libro, che uscì anonimo, venne messo all’Indice il 2 luglio 1742. Secondo il Roberti l’opera fu proscritta perchè “denunziata dagli stessi confratelli”7. Ammiratore – è evidente da tutta la sua biografia – del Piro come studioso, ma anche per la sua funzione come Minimo, l’Addante ricorda e sottolinea le parole di Angelo Zavarroni8 : Per lo storico calabrese Zavarroni, il Piro, dopo aver pubblicato la sua opera, andò incontro ad una specie di persecuzione causata da invidia, perchè il libro conteneva argomenti sublimi ed inintelligibili. “Quod opus cum sublimes contineret Ideas, Sciolorum patuit calumnis : quibus docte solideque exufflatis (Zavarroni, Bibl. Cal.)”9.

5 P. Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro in relazione al problema del male, Pontificium Athenaeum Internationale Angelicum, Paola, 1960. 6 Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., cap. II : Studio storico-critico sugli avvenimenti principali della vita del P. Piro ; in particolare p. 29-31. 7 Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., p. 32-33. 8 Angelo Zavarrone, Angeli Zavarroni Bibliotheca Calabra, sive illustrium virorum Calabriae qui literis claruerunt elenchus ad illustriss. et excellentiss. dom. Jacobum Salutium Coriolani ducem, ex typographia Johannis de Simone, Napoli, 1753. 9 Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., p. 33.

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Si dilunga sull’importanza della lettura lockiana, ricorda la stima di scrittori stranieri quali Alby René10 e Manuel Bejan11. Equilibrato, storicamente corretto, oggettivo, tale considera l’Addante il giudizio di Orloff sul Piro : il [Piro] se fit connaitre avantageusement des philosophes, et grandement suspecter des théologiens de son temps, par un traité qu’il publia sous le titre Riflessioni intorno l’origine delle passioni. Plus sage et plus éclairé que Doria, il avait adopté les principes et la doctrine de Locke, et les exposait même avec plus d’ordre que le philosophe anglais. Il alla jusqu’à démontrer, comme théorie certaine, ce que l’autre n’avait avancé que comme hypothèse. La censure de l’Inquisition obligea l’auteur à retirer les exemplaires de son ouvrage, après la publication (Orloff, Mémoires historiques…sur le Règne de Naples, Paris 1821, IV, p. 428)12. Per Piero Addante sembra che la conseguenza della condanna fosse soprat‐ tutto il rogo di tutti gli esemplari e viceversa, secondo il biografo, Piro non perse nessuno dei suoi ruoli interni all’ordine dei Minimi e continuò a insegnare e scrivere : riuscì nulladimeno – scrive il Greco – al Piro, e alla sua accortezza di ritirarsene la massima parte delle copie per cui si rese ulteriormente impossibile a rinvenirsene13. Condannato, dunque, ma non perseguitato : Non avvilito dalla condanna della sua prima opera, dedicò l’acuto ingegno allo studio del problema del male noto, nel Regno di Napoli, per la continua diffusione del Dizionario del Bayle e per reazione dei cattolici contro Bayle, alla quale presero parte tre illustri calabresi : Piro, il Marchese Spinelli, e il giurista-teologo Alessandro Marini14.

L’importanza della censura di Tommaso Maria Mamachi Il “ritrovato” votum di Tommaso Maria Mamachi non è di secondaria impor‐ tanza. Il Mamachi noto e puntiglioso censore della filosofia moderna, tanto da insistere e richiedere che il Sant’Uffizio intervenisse anche su autori su cui quest’ultimo aveva sorvolato, ha redatto giudizi su tutti gli Illuministi. La sua censura sul Piro, del 1742, gli fu richiesta quando non era ancora consultore ; lo diventerà nel 1743, l'anno seguente. Incessante la sua attività, e in particolare tutti gli Illuministi o quasi saranno da lui analizzati, condannati inesorabilmente. Le sue idee le pubblicherà in ben due volumi ne’ La pretesa filosofia dei moderni increduli esaminata e discussa pe’ suoi caratteri in varie lettere, Carlo Barbiellini, Roma, 1767, 10 Autore della Biographie universelle ancienne et moderne, 52 vols, éd. par J. F. Michaud – L. G. Michaud, Desplaces, Paris, 1843, XXXIII, p. 396. 11 Autore della Biografía eclesiástica, 30 vols, Eusebio Aguado, Madrid, 1863, vol. XVIII, p. 677. 12 Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., p. 34-35 13 Cf. Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., p. 35. 14 Addante, Vita e pensiero di Francesco A. Piro, cit., p. 37.

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dedicato al cardinal Gianfranco Stoppani, che sarà segretario del Sant’Uffizio dal 1770-1774. Di Tommaso Mamachi, Cesare Preti ha redatto una significativa voce per il Dizionario Biografico degli Italiani15 : nato nell’isola greca di Chio nel 1713, Tom‐ maso Mamachi studiò a Firenze dove rimase fino al ‘38 e poi, storico e polemista, fu chiamato a Roma dal cardinale Giuseppe Agostino Orsi – teologo Casanatense, segretario della Congregazione dell’Indice (1738), maestro del Sacro Palazzo Apostolico (1749) e infine cardinale (1759). Mamachi, dal 1738 dunque a Roma, ottenne il lettorato di fisica alla Sapienza e fu uno dei principali esponenti del “Par‐ tito degli Zelanti”, il terzo partito cattolico del XVIII secolo sul quale c'è una vasta e importante bibliografia. Nel 1742 affiliato al Convento romano di Santa Maria sopra Minerva, passò dalla Sapienza a insegnare Filosofia al Collegio Urbano di Propaganda Fide. Nel 1746 divenne bibliotecario della Casanatense di Roma e infine promosso egli stesso nel ‘49 teologo casanatense. Nella sua opera storiogra‐ fica difese sempre un’ortodossia teologica curiale e anche, ancor più importante, il diritto libero della Chiesa di acquistare e di possedere beni temporali sì immobili che stabili, 1766. Le polemiche che seguirono a questo ultimo volume lo misero in contrasto con Genovesi, Tommaso Contin (Venezia, 4 giugno 1723-1729 maggio 1796) e Carlo Antonio Pilati (Tassullo, 1733-1802), ma rafforzarono la sua posi‐ zione all’interno della curia romana ; divenne, fra l’altro, prima consultore della Congregazione del Sant’Uffizio e poi segretario della Congregazione dell’Indice dei libri proibiti fino a essere nominato nel 1791, da Pio VI (Giovanni Angelo Braschi), Maestro del Sacro Palazzo. Morì a Tarquinia nel 1792. La sua complessa personalità, polemica e conservatrice ma attenta anche alle posizioni all’interno della curia, rende interessante leggere alcune osservazioni espresse nella ricordata La pretesa filosofia dei moderni increduli esaminata …, libro costruito secondo una successione di 'lettere' che hanno per argomento singoli argomenti della teologia o della filosofia, dedicato al cardinal Gianfranco Stoppani. In questo testo Mamachi ripercorre nelle sue lettere e ribadisce tutte le sue critiche alla filosofia moderna e in particolare a quella di Locke e dei lockiani : [Lettera IV] VI. Questi pretesi Filosofi si compiacciono di supporre che il Lockio (a) [Discorso preliminare degli Editori dell'Enciclopedia, posto al principio del Tomo primo] sia il creatore della Metafisica, in quella guisa che Newton lo fu della Fisica. Prima del Lockio, dicono, non si sarebbe potuto formar dello spirito umano se non un romanzo: laddove Egli ce ne ha tessuta modestamente la storia (b) [Riflessioni dell'autore dell'Henriade sul Lockio, tom.7. c.34] Che cosa dunque ha dato alla luce codesto Creatore, e Storico

15 Cf. C.Preti, sub voce Mamachi, Tommaso Maria, DBI, 97 voll., Istituto della Enciclopedia Italiana, Roma, 1960, vol. 68, 2007, p. 367-370.

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fedele? Una metafisica in cui le prove naturali delle verità più pregievoli sono poste a soqquadro ; di Dio non vi si da un’idea positiva ”16… Interessante nell’opera del Mamachi, violento e piuttosto tranchant contro i lockiani, e i filosofi dell’illuminismo, è la cautela rispetto alle posizioni del Sant’Uffizio che, è noto, aveva sempre avuto un atteggiamento prudente nei confronti di Cartesio17. Se viene definito, Malebranche, un « gran vaneggiatore » in quanto ardisce trattar Cartesio da “visonario”, si ricorda che “Dio ne sia il Creatore e Conservatore del mondo” sono « dogmi fondamentali della cartesiana filosofia »18. In maniera ancora più cauta e audace nella sua cautela, nella lettera VII, il Mamachi scrive : III. È stato rimproverato a Cartesio, che avendo dato incominciamento alla sua filosofica carriera con un dubbio universale, l’avesse proseguita e terminata con giudizj precipitosi. Il rimprovero è in parte giusto. Io non voglio sposare nè la sua causa, nè quella di qualunque altra persona dotta di quel calibro ; e più degli avversarj circospetto, senza affettar a lor imitazione il nome di Filosofo, sospendo più che volentieri il mio giudizio nelle materie problematiche. Contuttociò Cartesio era in istato di poter rispondere che il suo dubbio, da se qualificato per metodico, non era un dubbio effettivo : ch’ei non escludeva una sincera e ferma adesione a tutte le verità di già conosciute : che l’uso ch’ei ne faceva riducevasi al collocare le stesse verità nel lor ordine naturale con un metodo che passo passo ricondur le potesse a’ primi prinicipi delle nostre cognizioni : che formata una volta questa concatenazione, il dubbio metodico non era più nella stessa maniera necessario, e che un uomo a se pari nella timidezza e nella riserba sul cominciar delle sue filosofiche meditazioni, avea acquistato il dritto d’esser più franco nel proseguir nelle medesime19. L’atteggiamento censorio e contemporaneamente cauto spinge Salvatore Spi‐ riti, autore di un’opera irriverente contro il Mamachi, Mamachiana, a confrontarsi in maniera ironica, direttamente con lui :

16 T. M. Mamachi, La pretesa filosofia dei moderni increduli esaminata e discussa pe’ suoi caratteri in varie lettere, 2 vols, Carlo Barbiellini, Roma, 1767, I, p. 45. 17 La condanna del 1663, in qualche modo tardiva nel mondo cattolico – e preceduta dalla violenza delle condanne solo istituzionalmente diverse delle università olandesi – è una presa d’atto della difficoltà di distinguere tra filosofia e teologia : Descartes colpisce senza appello con la sua filosofia, dubbio metodico e duplicità della sostanza, il cuore teologico del cattolicesimo, la transustanziazione. Vedi J.-R. Armogathe -V. Carraud, « La première condamnation des “Œuvres” de Descartes, d’après des documents inédits aux Archives du Saint-Office », Nouvelles de la République des Lettres, 2001-II, p. 103-137. 18 Mamachi, La pretesa filosofia dei moderni, cit., p. 55. 19 Mamachi, La pretesa filosofia dei moderni, cit., lettera VII, I, p. 92-93.

IL VOTUM DI TOMMASO MARIA MAMACHI

Se poi avessivo voglia di saper ch’io mi sia, ve l’ dirò all’orecchio. Sono un pazzo come voi : senonche il mio temperamento è allegro, e il vostro è bilioso ; donde avviene che, dove voi siete solito d’imperversare, come un disperato, io me la diverto ridendo, e cantando, per modo che potreste anzi crepare, che ridurmi ad aggrottare le ciglia per un istante. Or perciocchè il vostro male tanto è peggiore del mio, quantoche voi siete, e non io, in pericolo di rompervi il collo, quod absit ; io stimolato dal pungolo della carità fraterna, ad esempio vostro, che ne siete il modello, ho creduto dover fare, come quei zoppi, che guidano i ciechi20. Salvatore Spiriti, patrizio e accademico cosentino non era solo uno spirito libero e burlesco. Noto giurista, a lui si devono le Memorie degli scrittori cosentini raccolte da Salvatore Spiriti de’ Marchesi di Casabona, Napoli 1750, ricordate dal‐ l’Addante per il giudizio sul Piro21. In quest’opera troviamo una importante voce proprio su Francesco Antonio Piro che egli considera il più profondo Metafisico che abbia l’Italia. Questi [Piro] entrato nell’Ordine de’ Minimi nel 1718, si rendè perfettamente istrutto delle Filosofiche, e Teologiche facoltà, che tra la sua Religione con molto grido ha dalla Cattedra professato, e dopo aver occupato diverse cariche del suo Regolare Istituto pubblicò Riflessioni intorno all’origine delle passioni, che dieder chiaro segno della sua intelligenza, e del suo ordinato, e saldo pensare. Ma con maggior sua loda ha poc’anzi dato fuori Della origine del male contra Baile nuovo sistema Antimanicheo in Napoli 1749 per Gennaro, e Vincenzo Muzj in 8°, in cui non solo conferma l’idea ch’ognuno di lui aveva, ma si dimostra per lo più sottile, e profondo Metafisico che abbia l’Italia e che può star a fronte di quanti ogn’altra parte più illuminata di Europa ne vanta22. Lo stesso Addante dedicherà il suo volume su Francesco Antonio Piro alla discussione, riflessione e ricostruzione storica del problema del male : quest'ul‐ timo, legato al principio di ragion sufficiente di Leibniz, costituisce anche il tema dell’importante monografia di Walter Caligiuri ; Francesco Antonio Piro e la filosofia di Leibniz, Pellegrini, Cosenza 2004 (seconda ed. 2006). Intelligente e utile anche l'introduzione dello stesso Caligiuri (pp. vii - xxvii) all’opera del Piro, Della origine del male, pubblicata nel 2005 nei Classici della Letteratura Calabrese da Rubbettino editore.

20 S. Spiriti, Mamachiana per chi vuol divertirsi, Rubbettino Editore, Cosenza, 2017, p. 14. 21 Cf. supra, nota n. 7. 22 S. Spiriti, Memorie degli scrittori cosentini, stamperia de’ Muzj, Napoli, 1750, p. 185.

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Fig. 1. ACDF, Index, Prot. 81 (1737-1740), ff. 408r, 1

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Fig. 2. ACDF, Index, Prot. 81 (1737 -1740), ff. 408v, 1

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Appendice Il documento si trova in ACDF, Index, Prot. 81 (1737-1740), ff. 408, 1-5 (nuova impaginazione). Del documento si dà una trascrizione semi-paleografica. Ho sciolto quasi tutte le abbreviazioni (E.mi = Eminentissimi, P.P.tres = Patres) ecc.). Le citazioni, le riporto tra virgolette. Non ho indicato gli interventi di cancellazione e di sovrascrittura presenti nel testo ; non sono, in generale, intervenuta sulla grafia. Ho inserito dentro il testo, nel luogo indicato, l’indicazione dei rinvii alle pagine del volume del Piro, spesso poste al margine sinistro esterno, senza poterne controllare l’esattezza dal momento che tutti gli esemplari -com’è noto - sono stati bruciati o comunque irreperibili. Questi rinvii sono messi tra parentesi tonde. Altri segni usati : per indicare le parole non lette ; [] per indicare il numero del folio. [4081r] Censura I. Prodijt, ut equidem arbitror, anno superiore, nescio quibus typis Libellus communi Italorum sermone perscriptus, cui haec est praefixa epigraphe Riflessioni intorno l’origine delle passioni, colle quali s’investiga l’economia della volontà umana, secondo i principj della natura. II. Dixi autem ut arbitror ; propterea quod neque in fronte ut assolet, neque in calce operis, neque uspiam alibi temporis notam cernere liceat, quo typis excusum fuit. Jam vero quamquam in monito quod consequitur indicem capitolorum, P. Antonius Pirus Consentinus ejusdem Libelli auctor dicatur esse ; nullum tamen in opere toto aut Episcopi, aut eorum qui suo ordini praepositi sunt comparere video ad probationem. Quin etiam tacitus ille quidem sui ejusdem ordinis nomen praeterijt : quae omnia magno sunt argumento, uti quisquam suspicari merito possit, male sibi hominem, suoque operi timuisse. III. Verum quum haec, simulatque in titulum ; atque in alteram operis eiusdem pagellam conjeci oculos, animadvertissem, cauto esse opus putavi : quocirca, ut vobis Eminentissimi Patres, obtemperarem ; dedi me continue ad illud totum quantum est attento cumprimis animo pervolvendum. [4081v] IV. Miratus autem initio sum probari ab homine, alioquin religioso a pag. 9 ad 15 Chambrij23, et Lokistarum de spiritu extenso sententiam. Censet enim omnes quotquot sunt spiritus extensione quadam in longum, latum, atque profundum pollere. Pag. vero 13 concludit : Ma dovendosi concepire un soggetto, o sostanza esistente, la quale o pensi, o si muova, non potrassi concepire se non distesa : ond’è che si potrebbe stabilire questa proprietà come la prima, e comune a tutte l’altre. Hoc idem confirmat pag. 102 se per corpo, inquit, non s’intendesse altro, che un soggetto, il quale abbia la proprietà di estensione, facil cosa sarebbe provare, che ve ne sia almeno uno nella natura per quel modo stesso con cui si pruova, ch’esista l’anima. Perché se sono certo, che vi sia una cosa, che pensa, son certo, che questa cosa che pensa essendo sussistente abbia la proprietà della distensione, 23 Marin Cureau de la Chambre (1594-1669), medico e filosofo francese autore fra l’altro de La Physique d’Aristote mise en françois (1655), La Lumière (1657), Le Système de l’âme (1664).

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perchè non posso concepire, ch’esista una cosa come sostanza, la quale non sia distesa. Haec ille Chambrium, Lokianosque auctores sequutus. Verum quotusquisque non videt opposita haec eadem esse communi, ac pervulgatae omnium Patruum omniumque qui [4082r] nunc vigent Catholicorum sententiae ? Quae quidem philosophandi facultas, si impune cuiquam detur, parabitur ab hominibus impotenti ingenio praeditis ad materialismum ut vocant via ; et gradibus quibusdam, qui nunc spiritus extensos esse defendunt, ijdem fluxu temporis solidos etiam esse contendent. Quid ? quod semel constituto nullum esse spiritum, qui non gaudeat extensione ; continuo sequitur ne Deum quidem extensione carere ? quod tamen hujusce libri auctor, ut mox videbimus ultro concesserit. Posito autem Deum esse extensum, nemo non videt quot inde absurda et impia dogmata sequi possint. V. Etsi vero non neget extensum spiritum ab extenso corpore maxime discrepare ; negat tamen distinctionem inter corpus et animam, velut inter duas naturas, substantiasque diversas quidquam ad functiones humanae mentis explicandas conducere. Sic enim habet pag. : Questa distinzione di corpo, e di spirito come di due sostanze diverse è affatto inutile alla spiegazione di tutte le funzioni dell’intendimento umano, bastando per questo soltanto le diverse facoltà, e le differenti passioni, ed azioni sue. Id autem quam longe absit a veritate, nemine esse arbitror, quem praebereat. Nam si functiones humanae mentis explicari possint, quin necesse sit animum ad sui substantiam a corporis ratione natura re[4082v]motam advertere ; nulla nobis suppetent argumenta, quibus animum eumdem spiritualem, atque immortalem, probemus esse, nulla quibus duellum aliosque generis ejusdem haereticos animos corporeos atque aliquando perituros censentes, refellamus. VI. Mitto quae minus accurate disputat « de libertate » pag. 59 quippe cum alio festinet oratio. Quamquam illud quemadmodum intelligi debeat explicare diligentius debebat Auctor, quod ibidem habet : In riguardo alla libertà interiore, o sia potere immediato sopra molti pensieri, o passioni, che vogliamo dire, particolarmente sopra quelle del piacere, e del dolore, sopra le quali particolarmente quando sono veementi, non si ha potere alcuno immediato da noi. Nam etsi trahi haec in rectum, atque accuratum sensum possint, ut de propensione ipsa ; non de actione, ad quam inclinat movetque propensio intelligantur, cautione tamen opus est ac praesertim aetate, in hisce rebus tractandis, quum multi sunt libertati infesti, atque inimici ne in errorem aliquem indocti illiciantur. VII. Sed illud palmare, quod extat pag. 130 et sgg. Non enim longe abest ab Lokij, Clarkij 24, aliorumque metaphysicorum e schismate anglicano de spatio sempiterno sententia. Immo vero illud vehementer sibi placere indicat, novamque rationem creationis rerum 24 Samuel Clarke (1675-1729). Studiò a Cambridge dove entrò in contatto con Newton ; fu parroco della chiesa anglicana di Norwich e poi cappellano della regina Anna. L’attività filosofica di C. fu principalmente rivolta alla diffusione della fisica di Newton e al tentativo di conciliarla con la teologia anglicana. Contro liberi pensatori e deisti Clark, oltre a riaffermare l’insostituibilità della rivelazione, sosteneva la possibilità di una dimostrazione matematica dell’esistenza di Dio e un razionalismo etico che ricorreva al metodo geometrico per giustificare i principî morali. Dopo avere curato nel 1706 una traduzione latina dell’Opticks di Newton, Clarke difese la concezione dello spazio e del tempo assoluto dello stesso Newton in un vivace scambio epistolare con Leibniz che fu pubblicato nel 1717.

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inducit si tamen novam appellare fas est, quam jam inde a saeculo superiore Anglii quidam Philosophi, modo illos tam honesto dignari nos liceat nomine, invexerunt. In ea ergo auctor noster versari opinione videtur, ut [4083r] existimet Deum sua gaudere extensione adeoque spatium aeternum in idem fere atque immensitatem Dei recidere : che se l’esistenza, inquit pag. 132, di questo spatio aeterno non può pruovarsi evidentemente se non per l’idea di Dio o sia della sua immensità, la quale è proprietà di Dio necessariamente, che altri hanno chiamato spazio ; perche l’idea di Dio importa ogni perfezione tra le quali è l’immensità ; certa cosa è che questa ipotesi prova manifestamente che in Dio siano tutte le perfezioni. VIII. Venio nunc ad notionem, quam hic ipse scriptor informavit de prima rerum omnium creatione. Fateor equidem implexa quadam illum, atque impedita usum ratione scribendi, et modo illam ipsam sententiam sibi modo alijs acceptam referre, quod sibi forsitan, rebusque suis metueret. Ergo spatium quoddam comminiscitur, quod Deus suapte occuparet extensione. Hoc vero sempiternum spatium, etsi neque solidum fuerit, neque corpus, materiam appellari impune posse, quin ulla creatori confletur injuria. Ideas ergo rerum huic spatio adjunctas fuisse : et parti quidem illius cuidam soliditatem fuisse tributam, quam corpus merito appellamus, parti sensum qui proprius est animantium, parti denique mentem, ac libertatem quam idcirco rationalem animam vocare solemus. Hypothesim hanc esse non rem certam atque testatam concludit, quae sibi ante in mentem venerit ; quam nosset alijs plerisque philosophis placuisse. Valete vobis, Eminentissimi Patres, illius [4083v] verba (pag. 130) : Il dire che possa essere lo spazio una cosa positiva secondo il concetto volgare, indipendente da Dio, non è ben detto; ma che vi sia stato questo spazio lo dicono comunemente gli scolastici e gli antichi Filosofanti, e tra quelli ve ne sono stati alcuni, i quali hanno supposto oltre di questo spazio, un essere diminuto com’eglino lo chiamano ab eterno e non fatto da Dio. E nel vero che Dio è immenso e fu immenso, e riempiva questo spazio prima di essere il mondo… Ora qual ripugnanza vi è soggiungono (pag. 132) gl’inventori di queste ipotesi anzi quanto si agevola il ben concepire tutte l’idee dello spirito e del corpo essere state attaccate a questo spazio, se si dicesse che Dio sopra la detta materia, nè ci spaventi il nome di materia attribuito a cosa eterna distinta da Dio, giacchè se n’è intesa la significazione (pag. 130) (cioè ch’è una cosa distesa che potrebbe nominarsi materia) … avesse formate tutte le cose create, compartendo a lei quelle proprietà, che le fossero state a grado : e così per mezzo della divisione facendone moltissime porzioni, ad altre dasse le proprietà per esempio della solidità… e quella porzione di materia la diciamo corpo : ad altra porzione diè facoltà di sentire, secondo tal’impressioni dei corpi, e l’appelliamo una creatura inferiore a noi : ad altre vi aggiunse la facoltà attiva di pensare a suo modo, e libertà circoscritta però e limitata, e la chiamano anima ragionevole… (pag. 134) La dianzi esposta idea della creazione avea io stessa formata, prima di sapere che fosse d’altri pensata. [4084r] Ita nempe homo minime malus materiam aeternam a Deo non dependentem nobis obtrudit, quae materia tamen non sit ; sed partibus gaudeat, quae partes dividi possint, nec vero corporum numero haberi debebant, quae sane omnia pugnantia Nel 1712 aveva pubblicato The Scripture doctrine of the Trinity per la quale Clarke come accadde ad altri newtoniani, fu accusato di tendenze ariane.

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sunt ; nam uni corpori proprium est, seu potius solius verae propriaeque materiae, ut dividi queat in portiones. Annon haec paradoxa quae repetit (pag. 239 et sgg.) creationem rerum a nihilo funditur evertunt, labefactant, quidquid ille contra acclamet ? IX Nec vero hoc solum Lokij pronunciatur sibi adoptavit novam opinionum advertor sed aliud etiam quod est de persona, seu subsistentia, quorum dogmate fallor quaemadmodum componi possit Ephesinae Synodi definitio. Censet enim personam in actuali, ut vocant, cogitatione consistere, ita ut qui aliud nunc habeo quod antea cogitarat, in animo agitat, is alia sit instructus persona. Consiste adunque, ait, pag. 251, l’identità personale solamente nella coscienza o interno sentimento presente col quale abbia relazione tutto ciò che fecimo e fummo per lo passato, quale o sia presente adesso allo spirito, o sia cagione del presente sentimento, perche se adesso non è presente allo spirito quel che feci ieri per esempio, o niente opera in esso presentemente, e non cagiona in tal punto in lui alcun sentimento, nè variazione alcuna di senso : rispetto a me e tale come se non fosse mai stato ; perche io sono io per quel che presentemente sento e il solo presente pensiero costituisce tutta la persona mia al presente. [4084v] Quindi ne segue che quanto di male, o di bene fu da me fatto per l’addietro, se non valesse a cagionare in me ora senso alcuno né ingrato, ne gustoso, non sarebbe riguardo a me più male, o bene, in ordine allo stato presente. Quod si persona cogitatione constituitur duae admitti personae in Christo commode possent ; quippe qui, et ut homo humana, et ut Deus divina cogitatione polleret, id quod Synodi Ephesinae statutis maxime adversatur ; nisi forte velit auctor in Monotheletaum errorem25 descendere, qui unam in Christo operationem divinam nimirum ponebant. Nolo cetera monstra consequutionum persequi, quae ex hac opinionem manant. Pagina 158 Patres Antenicaenos vexat, quasi vero Platonem sequuti male de Trinitate senserint, in quello dogma della Trinità essendo stato seguitato Platone da molti Padri Anteniceni n’è avvenuto che molti di questi hanno inteso male di tal mistero, come dimostra il Petavio26 nel tomo II della sua Teologia27 ; ed almeno per conto di molti e molti passi de’ medesimi sono stati inutili gli sforzi che han fatto molti moderni scrittori per giustificargli abbastanza. At Petavius in Prefatione Tomi eiusdem priorem illam suam revocavit sententiam ut qui animadvertisset, actum fore de Traditione in eo quod spectat ad Trinitatis Mysterium, si trium seculorum Patres nobis praeriperentur. Veni satius esse duxit auctor Johannem Clericum28, aliosque furfuris ejusdem homines consectari, quam Catholicis, ac Bullo29 etiam ipsi, viro cetero qui de grege haereticorum, qui

25 Il Monotelismo è la dottrina cristologica, diffusa nella Chiesa bizantina nel 7° sec., elaborata per superare le dispute attorno al modo di operare delle due nature in Cristo. 26 Denis Pétau, Petavius, teologo, storico e controversista nato ad Orléans il 21 agosto 1583, morto a Parigi l’11 dicembre 1652. A soli 19 anni vinse il concorso per la cattedra di filosofia all’università di Bourges. 27 D. Petau (Petavius), Dogmata theologica, 5 vols, Paris 1644-1650. 28 Jean Le Clerc, anche Johannes Clericus, teologo e studioso biblico di Ginevra (1657-1736). Era famoso per aver promosso l’esegesi, o l’interpretazione critica della Bibbia, ed era un radicale della sua età. Si separò dal calvinismo per le sue interpretazioni e lasciò Ginevra per questo motivo. Vedi Jean Le Clerc, Epistolario, a cura di Mario e Maria Grazia Sina, 4 voll., Olschki, Firenze, 1987-1997. 29 George Bull (1634-1710) teologo inglese, Vescovo di St David’s.

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Patres Antenicaenos solide imprimis defendit, adhibere assensionem. Nescio autem quorsum illud evadat, quod extat pag. 159. Ait quippe Augustinum de peccato originali disputantem a Platone aliquid, quod tamen non indicat, accepisse. Multa ejusmodi [4085r] partim absurda, partim nova, partim a communi sensu Catholicorum remota, quae hoc opere continentur, silentio praetermitto ; ne vobis Eminentissimi Patres, fastidio sim. Illud dico incidere hoc ipsum opus perfacile in manus imperitorum illisque novitate opinionum permagnum afferre detrimentum posse, cum vulgari sermone sit elaboratum. Atque haec quidem et alia pleraque in causa sunt cur hoc opus prescribendum esse arbitrer ; modo tamen vobis Eminentissimis Patris ita videatur, quorum meo judicio sententiaeque subijcio.

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The Chapters of L’Homme Descartes Didn’t Write *

1. Descartes’s Promise When Descartes’ Traité de l’homme was published in Latin in 1662 and then in French in 1664, it was published as an independent work, even though it was, of course, with the Traité de la lumière, part of a larger project, Le monde. And it had a life of its own as an independent work as well, a work of medicine or what we would now call the life sciences. Even so, the work was obviously incomplete. It began blatantly in medias res: “Ces hommes seront composez, comme nous, d’une âme et d’un corps…” [BOp I 362, AT XI 119] “These men will be composed, as we are, of a soul and a body…1” And it also left out a number of important topics at which Descartes gestured in the body of the text. The opening sentence continues: Et il faut que je vous décrive, premièrement, le corps à part, puis après, l’âme aussi à part; et enfin, que je vous montre comment ces deux Natures doivent être jointes et unies, pour composer des hommes qui nous ressemblent. [BOp II 362, AT XI 119-120]

* I dedicate this essay to Giulia Belgioioso, with great affection, with gratitude for our many years of fruitful collaboration, and in recognition of the wonderful work that she has done for the community of scholars in the history of philosophy: for the essays that she has written, for the texts she has edited and translated, for the conferences that she has organized, and for the many students whose careers she has influenced. An earlier version of this paper was originally given at a conference on Descartes’ Traité de l’homme at the University of Wisconsin, Madison in April 2016. I would like to thank Steven Nadler for having organized it, and to the audience there for their very helpful comments. I would especially like to thank Gideon Manning for his comments and his advice. 1 R. Descartes, The world and other writings, ed. and trans. By Stephen Gaukroger, Cambridge University Press. Cambridge, 1998, p. 99. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Descartes, 6), p. 115-132. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122598

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And I must describe for you first the body on its own; and then the soul, again on its own; and finally I must show you how these two natures would have to be joined and united so as to constitute men resembling us2. Even though Descartes mentions the soul numerous times in the course of L’homme, he never provides the account of it that he promises in the beginning of the text, not to mention the account of the union of mind and body. And finally, the text is quite incomplete even in the material it purports to cover. In L’homme, Descartes is proposing to show how the vital functions of the human body can all be explained in entirely mechanistic terms, without appeal to a vital soul. After listing some of the vital functions that he does treat in the work, Descartes ends as follows: [ J]e désire … que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés. [BOp II 506, AT XI 202] I desire … that you should consider that these functions follow in this machine simply from the disposition of the organs as wholly naturally as the movements of a clock or other automaton follow from the disposition of its counterweights and wheels. To explain these functions, then, it is not necessary to conceive of any vegetative or sensitive soul, or any other principle of movement or life, other than its blood and its spirits which are agitated by the heat of the fire that burns continuously in its heart, and which is of the same nature as those fires that occur in inanimate bodies3. Descartes lists an impressive number of vital functions which he claims to have explained: digestion, nourishment, the beating of the heart, sense percep‐ tion, memory. But there is one that is interestingly left out, perhaps the hardest of all: reproduction. In this essay I would like to look at L’homme, an incomplete fragment, as it fits into the larger structure of Le monde. That is to say, I would like to look at a couple of the chapters of the Traité de l’homme that Descartes didn’t get around to writ‐ ing. One chapter (or set of chapters) is the account of human reproduction that I just noted. As it happens, Descartes came back to this problem in the late 1640s, presumably as he was working on the additional material about living things that he had contemplated adding to the Principia philosophiae. Another chapter (or 2 R. Descartes, The world and other writings, cit., p. 99. 3 R. Descartes, The world and other writings, cit., p. 169.

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set of chapters) is the material that would have preceded the mysterious opening sentences of L’homme, and connected it to the Traité de la lumière. Though they may seem like heterogeneous questions, I will try to show how, strangely enough, these pieces are connected in intimate ways. I should say that this work is very preliminary, somewhat tentative, and rather speculative. It is difficult enough to think about what an author has actually written, but to speculate about what he might have written, but didn’t is to walk where angels fear to tread.

2. The Project of L’homme Related to the Larger Project of Le monde I want to begin with the question of how the project of L’homme fits into the larger project of Le monde. As I pointed out at the beginning, the Traité de l’homme begins in medias res by talking about “these men”. Which men is Descartes talking about? This obviously refers back to some previous section in which “these men” had been introduced to the reader. “These men” are certainly not in the Traité de la lumière, which precedes L’homme in the organization of Le monde. Presumably they would have been introduced in material that connected the two. Luckily, we have some idea of how Descartes might have joined the two treatises. The evidence comes in part V of the Discours de la méthode. The Discours presents the young Descartes by way of a kind of an intellectual autobiography (though, interestingly enough, anonymous). In the course of that account, the author presents summaries of the projects that he had worked on, including his method (part II), his metaphysics (part IV), and his natural philosophy (part V). In part V of the Discours Descartes begins with an account of the physics and cosmology of the Traité de la lumière before turning to the account of the human being that he presents in the Traité de l’homme. But between the two, he makes the following remark: De la description des corps inanimés et des plantes, je passai à celle des animaux et particulièrement à celle des hommes. Mais, parce que je n’en avais pas encore assez de connaissance, pour en parler du même style que du reste, c’est-à-dire, en démontrant les effets par les causes, et faisant voir de quelles semences, et en quelle façon, la nature les doit produire, je me contentai de supposer que Dieu formât le corps d’un homme, entièrement semblable à l’un des nôtres, tant en la figure extérieure de ses membres qu’en la conformation intérieure de ses organes, sans le composer d’autre matière que de celle que j’avais décrite…[Discours, V, BOp I 76, AT VI 45-46] From the description of inanimate bodies and plants I went on to describe animals, and in particular men. But I did not yet have sufficient knowledge to speak of them in the same manner as I did of the other things - that is, by demonstrating effects from causes and showing from what seeds

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and in what manner nature must produce them. So I contented myself with supposing that God formed the body of a man exactly like our own both in the outward shape of its limbs and in the internal arrangement of its organs, using for its composition nothing but the matter that I had described4. What is he talking about here? In the earlier part of Le monde, Descartes had given an account of the origin of the world from its creation. On that account, he had supposed that God had created the world in a kind of chaos. Recalling the “imaginary spaces” of the scholastic philosophers, Descartes imagines God to fill it with “a real, perfectly solid body, which uniformly fills the entire length, breadth, and depth of this great space in the midst of which we have brought our mind to rest.”5 In short, Descartes’ extended substance. By adding motions, Descartes imagines God to have divided bodies into smaller parts of an infinite number of sizes and shapes. [Monde, BOp II 252-253, AT XI 34] Now, Descartes argues, because of the way an immutable God will sustain bodies in motion from moment to moment, there are certain laws of nature which those bodies – and any bodies in any world that God would have created – must obey. From this Descartes concludes (his hands waiving wildly) that “whatever inequality and confusion we might suppose God to have put among the parts of matter at the beginning,”6 things must sort themselves out in a certain particular way, simply by virtue of the laws of nature. In particular, Descartes argues that things would have sorted themselves out into an infinite number of vortices with central suns (including our sun and the stars), around which planets revolve and comets wander. All of this is in the Traité de la lumière. But in the Discours de la méthode, Descartes embellishes this a bit further. He claims to have shown …comment les montagnes, les mers, les fontaines et les rivières pouvaient naturellement s’y former, et les métaux y venir dans les mines, et les plantes y croître dans les campagnes, et généralement tous les corps qu’on nomme mêlés ou composés s’y engendrer. [Discours, V, BOp I 74, AT VI 44] …how mountains, seas, springs and rivers could be formed naturally there, and how metals could appear in mines, plants grow in fields, and generally how all the bodies we call ‘mixed’ or ‘composite’ could come into being there7.

4 R. Descartes, The philosophical writings of Descartes, ed. and trans. by John Cottingham et al., 3 vols Cambridge University Press, Cambridge, 1985-1991, vol. 1, p. 134. 5 « […] un vrai corps, parfaitement solide, qui remplit également toutes les longueurs, largeurs, et profondeurs, de ce grand espace au milieu duquel nous avons arrêté notre pensée […] » (Monde, BOp II 250, AT XI 33). 6 « Quelque inégalité et confusion que nous puissions supposer que Dieu ait mise au commencement entre les parties de Matière […] » (Monde, BOp II 270, AT XI 48). 7 R. Descartes, The philosophical writings, cit., vol. 1, p. 133.

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These are not, unfortunately, found in the Traité de la lumière, at least not in the version that has come down to us. Descartes’ aim was evidently to be able to show how animals could be derived in a similar genetic way, showing how they arose from the earth by way of the laws of nature in a purely physical way. And, it seems, he had hoped, if he could show how living animal bodies could arise from these natural causes, then he could show how even human bodies could derive from inanimate matter. It is because he couldn’t do that, he tells us, he had to assume that God had directly made the humans discussed in the Traité de l’homme. This, then, is one chapter (or group of chapters) he had left out, because he didn’t know how to write it: how living animals and even humans could arise from inanimate matter by way of the laws of nature alone. In the Discours de la méthode he suggests that he was able to explain the origin of plant life in this way. But, as I noted earlier, in the actual text of Le monde even these are missing.

3. Descartes’s Lucretian Inspiration Now, what could have given Descartes the idea that he could – or should – carry out such a program? To understand what I think was Descartes’ inspiration, I would like to turn to Lucretius and his De rerum natura. It is very difficult to con‐ nect Descartes directly to Lucretius; all of the references he makes to Lucretius are in passing, and are very dismissive. Yet there is an astonishing correspondence between Descartes’ project here and that of Lucretius. While there is a great deal of speculation here, I am taking it as a working hypothesis that Descartes’ project in Le monde is at least in part modeled on Lucretius’ Epicurean poem. Lucretius’ great poem, De rerum natura [DRN], was written in the first century bce. It was rediscovered in 1417, and quickly became a standard work of Latin literature. Printed first in 1473, it was widely reprinted and translated into a number of languages and became enormously influential.8 It is still the most complete source we have for the Epicurean philosophy. Epicurus is, of course, best known for two things: his atomist physics, and his hedonist ethics. But the feature of Epicurean thought of interest to us here is not that, but rather the evolutionary conception of the cosmos and its contents that is central to Lucretius’ poem. For Lucretius, the world of atoms is infinite in extent and contains an infinity of atoms. [DRN I 921-1113]9 Furthermore, it is uncreated and so has existed for all time. [DRN I 146-214; DRN II 167-183] For an eternity, though, the atoms

8 For a very readable popular account of the rediscovery of Lucretius in the Latin West and its influence, see S. Greenblatt, The swerve: how the world became modern, W.W. Norton, New York, 2011. 9 This is a reference to De rerum natura, book and line number. The Latin text can be found in Lucretius, De rerum natura libri sex, ed. by Cyril Bailey, Oxford University Press, Oxford, 1922

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just fell in parallel paths. But then there was the swerve, when one got out of line, and threw the world into creative chaos: quod nisi declinare solerent, omnia deorsum, imbris uti guttae, caderent per inane profundum, nec foret offensus natus nec plaga creata principiis: ita nil umquam natura creasset. [DRN II 221-4] If it were not for this swerve, everything would fall downwards like rain‐ drops through the abyss of space. No collision would take place and no impact of atom upon atom would be created. Thus nature would never have created anything. [DRN II 221-4] Our world, Lucretius says, is the end result of this chaos of colliding atoms. All possible combinations of atoms are passed through before, by happy chance, nature comes into the state in which we now find it: sed quia multa modis multis primordia rerum ex infinito iam tempore percita plagis ponderibusque suis consuerunt concita ferri omnimodisque coire atque omnia pertemptare, quaecumque inter se possent congressa creare, propterea fit uti magnum vulgata per aevum omne genus coetus et motus experiundo tandem conveniant ea quae convecta repente magnarum rerum fiunt exordia saepe, terrai maris et caeli generisque animantum. [DRN V 422-431] But multitudinous atoms, swept along in multitudinous courses through infinite time by mutual clashes and their own weight, have come together in every possible way and tested everything that could be formed by their combinations. So it comes about that a voyage of immense duration, in which they have experienced every variety of movement and conjunction, has at length brought together those whose sudden encounter often forms the starting-point of substantial fabrics – earth and sea and sky and the races of living creatures. [DRN V 422-431.] As for Descartes, Lucretius’ world begins in chaos. And as in Descartes’ world, for Lucretius from an initial chaos, all possible states of the world will eventually emerge.10

and an English translation in Lucretius The Nature of the Universe, ed. and trans. by Latham R.E., Penguin Books, Baltimore, MD, 1951. 10 See R. Descartes, Principia, III, art. 47, BOp I 1870, AT VII-1 103: « Et vix aliquid supponi potest [i.e. the initial state of the created world], ex quo non idem effectus (quanquam fortasse operosius) per easdem naturae leges deduci possit: cum enim illarum ope materia formas omnes quarum est

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But eventually, though, stability emerges. Though chance reigns in the process of the evolving states of the world, there emerges structure that endures. Lucretius writes: diffugere inde loci partes coepere paresque cum paribus iungi res et discludere mundum membraque dividere et magnas disponere partis, hoc est, a terris altum secernere caelum, et sorsum mare, uti secreto umore pateret, sorsus item puri secretique aetheris ignes. [DRN V 443-448] From this medley they started to sort themselves out, like combining with like, and to divide out the world, setting out its separate limbs and laying out its main sections: they began, in fact, to separate the heights of heaven from the earth, to single out the sea as a receptacle for water detached from the mass and to set apart the fires of pure and isolated ether. [DRN V 443-448] Lucretius then describes the sequence of events, as our world emerges out of this chaos. The particles of earth coalesce in the middle, squeezing out the atoms that were to make up air and fire, the sun, the moon, and the stars. [DRN V 449ff] “When these elements had withdrawn, the earth suddenly caved in, throughout the zone now covered by blue extent of sea, and flooded the cavity with surging brine.” [DRN V 480-482]11. And hence the oceans were formed.12 Now, Lucretius’ world is definitely different from Descartes’ in many impor‐ tant respects: it is made up of atoms, it includes a void, and it is geocentric. It is also without a beginning, strictly speaking, though one might mark the moment of the swerve as the beginning of the world as we know it. But what is interesting to me is the extent to which Lucretius’ strategy is very similar to the one that Descartes will later adopt. Both see the world as infinite, and as emerging out of an initial chaos solely through natural process, without the guidance of a wise creator. Unlike Descartes, Lucretius doesn’t appeal to laws of nature. But he is quite clear that the final result is not a result of the act of an intelligent and purposeful agent: “nam certe neque consilio primordia rerum ordine se suo quaeque sagaci mente locarunt…” “Certainly the atoms did not post themselves purposefully in due

capax, successive assumat, si formas istas ordine consideremus, tandem ad illam quae est hujus mundi poterimus devenire ». Though both Lucretius and Descartes think that everything possible will eventually arise, there is an important difference: for Lucretius the world evolves through chance, while for Descartes it is governed by laws of nature. 11 his igitur rebus retractis terra repente, maxima qua nunc se ponti plaga caerula tendit, succidit et salso suffudit gurgite fossas. [De rerum natura V 480-482] 12 For Descartes’ parallel account of the creation of the world, including stars, the sun, the moon, and on the earth mountains and seas, see Principia III and IV.

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order by an act of intelligence…” [DRN V 419-420]13 It should be emphasized what I mean when I say that Lucretius was a model. Descartes definitely wanted to build a heliocentric cosmology, wanted, in fact, an infinity of heliocentric planetary systems.14 He also wanted to see show the way in which his newly proposed laws of nature/laws of motion, the first specifically such proposed laws in the history of science could be used to illuminate the process by which the cosmos emerged. But even so, Lucretius would be an obvious inspiration for the idea of a stable universe emerging out of an initial chaos. While we cannot be absolutely, certain, I think that it is a good working hypothesis, as I have called it, that Descartes had this aspect of Lucretius’ poem in mind when working out the cosmology of Le monde. But if the De rerum natura is an inspiration for the cosmology of the Le monde, maybe it is what Descartes had in mind as a kind of model for the transition from the cosmology of the Traité de la lumière and the account of the human being in the Traité de l’homme.15 Let’s begin by looking at the transition from the inanimate world to the world of living things, plants, animals, and humans in Lucretius. This is the way Lucretius describes the emergence of plants: Principio genus herbarum viridemque nitorem terra dedit circum collis camposque per omnis, florida fulserunt viridanti prata colore, arboribusque datumst variis exinde per auras crescendi magnum immissis certamen habenis. ut pluma atque pili primum saetaeque creantur quadrupedum membris et corpore pennipotentum, sic nova tum tellus herbas virgultaque primum sustulit… [DRN V 783-791] First of all, the earth girdled its hills with a green glow of herbage, and over every plain the flowery meadows gleamed with verdure. The trees of every sort were given free rein to join in an eager race for growth into the gusty air. As feathers, hair and bristles are generated at the outset from the bodies

13 In this respect both Descartes and Lucretius are very different from other conceptions of creation, such as Genesis or Ovid’s Metamorphosis I.5-88 (sometimes said to have been influenced by Lu‐ cretius), which involve the guidance and constant intervention of an intelligent creator. 14 I hesitate to use the word “Copernican” in this connection because of Descartes’ very careful assertion in Principia, III, art., 19 that in the strict philosophical sense of the word ‘motion,’ he denies that the Earth is in motion, unlike Copernicus. On this, see D.Garber, Descartes’ metaphysical physics, University of Chicago Press, Chicago, 1992, p. 181-188. Even so, there is no question but that Descartes’ account of our planetary system was heliocentric. 15 In his account of animals in Descartes, Gary Hatfield recognizes a similar connection between Descartes and Lucretius’s account of the origin of living things on Earth. See G. Hatfield, « Ani‐ mals », in A Companion to Descartes, ed. by J. Broughton and J. Carriero, p. 404-425, Blackwell, Oxford, 2008, p. 409-411.

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of [birds and animals], so then the new-born earth first flung up herbs and shrubs. [DRN V 783-791] This is all Lucretius has to say about plants. On this account, it seems that they just spontaneously emerge from the earth. It is interesting here how this echoes what Descartes says in the Discours de la méthode about what he claims to have done in the earlier Le monde, though didn’t: “[ J’ai expliqué] comment les montagnes, les mers, les fontaines et les rivières pouvaient naturellement s’y forme … et les plantes y croître dans les campagnes…” [Discours, BOp I 74, AT VI 44] “[I explained]…how mountains, seas, springs and rivers could be formed naturally there, and how … plants grow in fields…”16. But Lucretius gives much more detail about how animals arise. He writes: …inde loci mortalia saecla creavit multa modis multis varia ratione coorta. nam neque de caelo cecidisse animalia possunt nec terrestria de salsis exisse lacunis. linquitur ut merito maternum nomen adepta terra sit, e terra quoniam sunt cuncta creata. [DRN V 791-796] Next in order it [i.e. the Earth] engendered the various breeds of mortal creatures, different in their many modes of origin as in form. The animals cannot have fallen from the sky, and those that live on land cannot have emerged from the briny gulfs. We are left with the conclusion that the name of mother has rightly been bestowed on the earth, since out of the earth everything is born. [DRN V 791-796] Animals, too, are supposed to emerge from inanimate matter on Lucretius’ view. His account of the origin of animals begins by reminding his readers that we all have experience of animals that arise directly from the inanimate earth: multaque nunc etiam exsistunt animalia terris imbribus et calido solis concreta vapore; quo minus est mirum si tum sunt plura coorta et maiora, nova tellure atque aethere adulta. [DRN V 797-800] Even now multitudes of animals are formed out of the earth with the aid of showers and the sun’s genial warmth. So it would not have been surprising if more and bigger ones had taken shape and developed in those days, when earth and ether were young. [DRN V 797-800]

16 R. Descartes, The philosophical writings, cit., vol. 1, p. 133.

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What Lucretius has in mind here is, of course, the spontaneous generation of insects and worms, which in his day were thought to be generated directly by the earth. And if the earth can generate small living things, why not larger? Lucretius goes on to talk about how animals emerge from the earth. He begins with birds, which come from eggs that seem spontaneously to appear in the ground “just as now the cicadas in summer crawl out spontaneously from their tubular integuments in quest of livelihood and life.” [DRN V 803-4]17 But most interesting here is the treatment of mammals : tum tibi terra dedit primum mortalia saecla. multus enim calor atque umor superabat in arvis. hoc ubi quaeque loci regio opportuna dabatur, crescebant uteri terram radicibus apti; quos ubi tempore maturo patefecerat aetas infantum fugiens umorem aurasque petessens [DRN V 805-810] Then it was that the earth brought forth the first mammals. There was a great superfluity of heat and moisture in the soil. So, wherever a. suitable spot occurred, there grew up wombs, clinging to the earth by roots, These, when the time was ripe, were burst open by the maturation of the embryos, rejecting moisture now and struggling for air. [DRN V 805-810] The earth then “opened its veins” and exuded “a juice resembling milk,” to nourish the new-born animals. [DRN V 811-813] In this way, “the young were fed by the earth, clothed by the warmth and bedded by the herbage, which was then covered with abundance of soft down.” [DRN V 816-817]18 And so emerged human kind from an inanimate earth. At some point this changed, and “the earth ceased to bear, like a woman worn out with age.” [DRN V 826-827]19 But, unfortunately, Lucretius never gave

17 principio genus alituum variaeque volucres ova relinquebant exclusae tempore verno, folliculos ut nunc teretes aestate cicadae linquunt sponte sua victum vitamque petentes. [DRN V 801-804] 18 convertebat ibi natura foramina terrae et sucum venis cogebat fundere apertis consimilem lactis, sicut nunc femina quaeque cum peperit, dulci repletur lacte, quod omnis impetus in mammas convertitur ille alimenti. terra cibum pueris, vestem vapor, herba cubile praebebat multa et molli lanugine abundans. [DRN V 811-817] Then nature directed towards that spot the pores of the earth, making it open its veins and exude a juice resembling milk, just as nowadays every female when she has given birth is filled with sweet milk because all the flow of nourishment within her is directed into the breasts. The young were fed by the earth, clothed by the warmth and bedded by the herbage, which was then covered with abundance of soft down. [DRN V 811-817] 19 sed quia finem aliquam pariendi debet habere,

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the details of how the young were formed in the wombs in the earth, or how it came that animals gave birth to other animals. But he did emphasize the random and fortuitous nature of the process. “In those days the earth attempted also to produce a host of monsters, grotesque in build and aspect…” [DRN V 837-8]20 But these misfits didn’t survive, Lucretius tells us: cetera de genere hoc monstra ac portenta creabat, nequiquam, quoniam natura absterruit auctum nec potuere cupitum aetatis tangere florem nec reperire cibum nec iungi per Veneris res… Multaque tum interiisse animantum saecla necessest nec potuisse propagando procudere prolem. [DRN V 845-8, 855-6] These and other such monstrous and misshapen births were created, but all in vain. Nature debarred them from increase. They could not gain the coveted flower of maturity nor procure food nor be coupled by the arts of Venus…In those days, again, many species must have died out altogether and failed to forge the chain of offspring. [DRN V 845-8, 855-6] The survival of the fittest seems to have held true as much in the days of Lucretius as it did in Darwin’s day. Lucretius was quite willing to speculate about how living things, both plants and animals came to populate the earth. But at the time of the Le monde project, Descartes was not, evidently. One can imagine that he had some scruples about advancing fanciful genetic explanations. Though time has not been kind to the cosmology of the Traité de la lumière, Descartes (and many of his followers) thought that the details of his physics gave him license to speculate about the origin of the cosmos in a responsible way. But evidently, he still had scruples about the origin of life. When, in 1633, he abandoned the whole project of publishing Le monde, both the Traité de la lumière and the Traité de l’homme, and naturally enough, abandoned the project of finding the missing link that connected the two.

4. After the Discours de la méthode But, after publishing the Discours de la méthode and Essais, a sample of his philosophical conclusions with the naughty bits (like Copernicanism) artfully hidden, Descartes decided to go back to his earlier projects and publish them, suitably repackaged. The first was the metaphysics of 1629-1630, which came out as the Meditationes in 1641. Then came his physics of inanimate bodies, the destitit, ut mulier spatio defessa vetusto. [DRN V 826-827] 20 Multaque tum tellus etiam portenta creare conatast mira facie membrisque coorta … [DRN V 837-838]

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Principia philosophiae of 1644, which he described to Constantijn Huygens as teaching Le monde to speak Latin. [à Huygens, 31 janvier 1642, BLet 342, p. 1584, AT III 523] Next in line was to be the account of life in the Traité de l’homme. At the end of the Principia philosophiae, Descartes promised his readers two further books, one on animals and plants, and one on man. [Principia IV 188] He seems to have begun working on these parts in the mid- or late-1640s. In a way, Descartes never gave up working on his biological projects. One particular unsolved biological problem from the days of L’homme seemed to occupy him particularly: sexual reproduction and the generation of animals and humans. Descartes had worked on that in the early 1630s, at the time he was working on Le monde. In a letter to Mersenne in June of 1632, while Le monde was in progress, Descartes wrote: Il y a un mois que je délibère savoir si je décrirai comment se fait la génération des animaux dans mon Monde, et enfin je suis résolu de n’en rien faire, à cause que cela me tiendrait trop longtemps. J’ai achevé tout ce que j’avais dessein d’y mettre touchant les corps inanimés; il ne me reste plus qu’à y ajouter quelque chose touchant la nature de l’homme… [à Mersenne, juin 1642, BLet 55, p. 234, AT I 254] For the last month I have been trying to decide whether I should include in The World an account of how animals are generated, and in the end. I have finally decided not to, because it would take me too long. I have finished all that I had planned to include in it concerning inanimate bodies. It only remains for me to add something concerning the nature of man…21 In his preface to the Prima cogitationes circa generationem anamalium Charles Adam notes work on the generation of animals in 1629-1633, 1637-1638, 1642-1643 and 1647-1649.22 In his edition of the Ecrits physiologiques et médicaux, Vincent Aucante dates fragments from Descartes’ notes on biological and medical themes in 1628, 1630-1632, 1637, 1647, and 1648.23 One of the texts from 1648 is especially important: the draft treatise, La description du corps humain (1648). The first three parts of the Description includes material, in part drawn from the Traité de l’homme, which was presumably intended for inclusion in the projected parts of the Principia that were to deal with life. But parts four and five of La description, longer than the first three, are about the phenomenon of reproduction. Indeed, it was not just about human reproduction, but about animal reproduction more generally, since the details that he offered were quite general: Mais à cause que je ne considère ici que la production de l’animal en général, et autant qu’il est besoin pour faire entendre comment toutes ses parties se

21 R. Descartes, The philosophical writings, cit., p. 3. 22 AT XI 503. 23 R. Descartes, Écrits physiologiques et médicaux, éd. par V. Aucante, PUF, Paris, 2000. The texts and notes are given on p. 28-89, but see also Aucante’s introduction, p. 9-23.

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forment, croissent, et se nourrissent, je continuerai seulement à expliquer la formation de ses principaux membres. [BOp II 584, AT XI 277] …because I am considering only the production of the animal in general here, and to the extent that there is a need to explain how all its parts are formed, grow, and are nourished, I shall continue just to explain the formation of the principal bodily parts.24 Also important is collection of surviving texts largely on the generation of animals published in 1701 as Primae cogitationes circa generationem animalium. [BOp II 936ff, AT XI 505ff] The texts published in 1701 seem to be from a variety of periods, of which only one is dated, “Febr. 1648.” [BOp II 980, AT XI 537] Vin‐ cent Aucante has suggested that a number of the texts date from 1630-1632 and 1637.25 The question of animal generation is also scattered through a collection of notes copied by Leibniz and entitled (by him, presumably) “Anatomica quaedam ex Mto Cartesii.” [BOp II 1104ff, AT XI 549ff] Again, the notes seem to come from various periods.26 How animals (including humans) reproduce and how the fetus is formed in the womb was thus very much on Descartes’ mind, from early to late.27 One obvious reason must have to do with the fact that reproduction was a central vital function, one that had been completely left out of the earlier Le monde. In this way, one might say, Descartes was trying to fill in a gap in the Traité de l’homme, and draft out another chapter of that book that he hadn’t written when working on it in the early 1630s. But, I conjecture (and it is a conjecture), work may also have been an attempt to address the gap in his earlier Le monde project, the argument that would show how the inanimate world of the Traité de la lumière could give rise to life. The greater part of the text of La description and the Prima cogitationes deals with reproduction in living animals, and complex ones like us that give birth live. Descartes attempts to give a very detailed account of how many of the organs form, in what order, and how they begin to function in the fetus. In La description, where we find the most complete and systematic account, Descartes begins with the “seed” in animals. While plant seeds are rigid, animal seeds are …fort fluide, et produite ordinairement par la conjonction des deux sexes, semble n’être qu’un mélange confus de deux liqueurs, qui servant de levain

24 25 26 27

R. Descartes, The world and other writings, cit., p. 200. V. Aucante, cit., p. 28-75, 82-101, 106-108. Aucante suggests datings for several. See Aucante, cit., p. 76-79, 102-105 On Descartes’ account of the generation of animals, see J. Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française du xviiie siècle; la génération des animaux de Descartes à l’encyclopédie, A. Colin, Paris, 1964, p. 140-154; F. Duchesneau, Les modèles du vivant de Descartes à Leibniz, Vrin, Paris, 1998, p. 72-82; and Aucante, « Descartes’s Experimental Method and the Generation of Animals » in The Problem of Animal Generation in Early Modern Philosophy edited by Justin E. H. Smith, p. 65-79. Cambridge University Press, Cambridge, 2006.

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l’une à l’autre, se réchauffent en sorte que quelques-unes de leurs particules, acquérant la même agitation qu’a le feu, se dilatent, et pressent les autres, et par ce moyen les disposent peu à peu en la façon qui est requise pour former les membres. [BOp II 552, AT XI 253] …quite fluid and…usually produced in the copulation between the two sexes, being, it seems, an unorganised mixture of two liquids, which act on each other like a kind of yeast, heating one another so that some of the particles acquire the same degree of agitation as fire, expanding and pressing on the others, and in this way putting them gradually into the state required for the formation of parts of the body28. Descartes then goes on to argue that this heat …fait que quelques-unes de ses particules s’assemblent vers quelque endroit de l’espace qui les contient, et que là se dilatant, elles pressent les autres qui le environnent; ce qui commence à former le cœur. [BOp II 554, AT XI 254] …causes some of the particles to collect in a part of the space containing them, and then makes them expand, pressing against the others. This is how the heart begins to be formed29. And so it goes. Descartes tries to show how various features of the heart are formed in the womb in a purely mechanical way. He then turns to other features of the animal, including blood (with an explanation for why it is red), the veins and arteries in which the blood flows, the brain, the animal spirits, and so on to some of the solid parts of the fetus. Now, the text of La description deals with reproduction in living animals, giv‐ ing birth to other living animals: the transmission of life, rather than the creation of life. But he might well have thought that if you could show how life could be created mechanically in a living thing, which is, after all, a mechanical device of sorts, you could show how it could be done in inanimate nature, which isn’t that different. That is, I am suggesting that Descartes thought that understanding animal generation may be the key to understanding how life initially arouse on Earth. The connection between sexual reproduction and spontaneous generation is suggested in a very interesting passage in Prima cogitationes, the opening text in the collection, which Vincent Aucante dates at 1630-1632, the period in which Descartes was working on Le monde. The text begins with a distinction: “Duplex consideranda est Generatio, una sine semine vel matrice, alia ex semine.” “Genera‐ tion must be considered in two ways, the one without seed or a mother, and the other from seed.” [BOp II 936, AT XI 505] About the animal that arises without seed, Descartes writes:

28 R. Descartes, The world and other writings, cit., p. 187. 29 Ibidem.

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Omne animal, quod sine matrice oritur, hoc tantummodo principium requirit: nempe ut duo subjecta, ab invicem non valde remota, ab eadem vi caloris diversimode concitentur, ita ut ex uno subtiles partes (quas spiritus vitales deinceps appellabo), ex alio crassiores (quas sanguinem sive humorem vitalem dicam), cogat erumpere…[BOp II 936, AT XI 505-6] Every animal, which arises without a mother, requires only this principle, namely, that two subjects not very far from one another be incited in different ways by the same force of heat, so that from one subtle parts (which I shall call vital spirits below) and from the other coarser parts (which I shall call blood or vital humor) are thought to emerge. From the combination of these two principles derives the heart and the brain, Descartes claims: Cum igitur tam pauca requirantur ad animal faciendum, profecto non mirum est, si tot animalia, tot vermes, tot insecta in omni putrescente materia sponte formari videamus. [BOp II 936, AT XI 506] Since, therefore, so little is needed for making an animal, it is, indeed, not surprising if we see so many animals, so many maggots, so many insects that form spontaneously in all rotting matter. Like Lucretius, Descartes thus believed in spontaneous generation when the conditions are right, that is, when appropriate fluids mix and are heated. After discussing spontaneous generation in this passage, Descartes moves on to the second case, when life arises from the mixture of seed in a mother. Here Descartes claims that if the seed of the father and mother are mixed in the womb of the mother, so that they begin a process not unlike fermentation, the process will begin by which the parts of the fetus will be formed, little by little. [BOp II 938, AT XI 507] While Descartes doesn’t explicitly mention it, it is striking how similar this is to the case of spontaneous generation. In inanimate nature, unlike in animals born from a mother, there are no wombs, contrary to what Lucretius thought. But the generation of life doesn’t need them: as long as the appropriate fluids can be collected, and the heat contained, life will result, whether in the womb or outside it. The mechanisms that account for the formation of the fetus in the living mother mirror analogous processes that can and sometimes do happen in inanimate nature. Again, Descartes doesn’t note the similarity, nor does he discuss the way in which spontaneous generation in nature is similar to his account of the development of the fetus in the mother. Descartes was certainly interested in understanding the generation of animals. But I strongly suspect that in addition to its role in providing a mechanist account of one of the most complicated vital phenomena, Descartes saw his studies of the formation of the fetus as a way of understanding how life can emerge out of inanimate matter, and thus bridging the gap in his program between the physics and cosmology of Traité de la lumière and the life science of Traité de l’homme. Justin Smith has observed that “…une vision prépondérante de la génération

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sexuelle au début de la modernité, comme celle de Descartes, a réduit celle-ci à la génération spontanée par d’autres moyens…”30 This suggests that one might look to spontaneous generation to understand sexual reproduction. But, I suggest, Descartes was doing exactly the opposite: using an understanding of the genera‐ tion of animals to understand spontaneous generation, in particular, the kind of spontaneous generation that went on at the moment when life first emerged on the earth. Why is this a good strategy for Descartes to follow? For one, how sexual reproduction works, and how the embryo is formed is something that is subject to observation and even a certain amount of experience, unlike the case with the spontaneous generation that started life off on earth. And from certain passages in the Excerpta Anotomica, we know that Descartes actually did observe the development of the embryo of the chicken, and that this informed his account of the development of the fetus.31 What we can learn about what goes on in an egg or in a womb can, in principle, be applied to understanding what may have gone on in other places on Earth in the long past. Now, even if one could make the connection that I am making here between Descartes’ program and Lucretius’, between the mechanist account of reproduc‐ tion and the account of the emergence of life out of inanimate matter, there is still a great deal to do. Suppose, for example, that Descartes could explain the emergence of life from inanimate matter in a convincing way by arguing from what can be learned about reproduction in animals to the first origins of life. One would still need to explain how complex animals, like us, could arise in this way in such a way that they were capable of reproducing themselves in the way in which we do. Should one say that humans sprung directly from the earth, like Lucretius did? If so, then how could Descartes explain why we don’t see this happening now? Lucretius posited that the Earth ages like a woman, and that what it was capable of doing in her youth, she can no longer do: wombs no longer grow in Earth spontaneously, and so we are left with the kind of reproduction we have now. I don’t see this as an attractive way for Descartes to go. But if humans didn’t spring fully formed from inanimate nature, then how did they become so complicated? It is only by way of a theory of evolution that we can imagine that happening. And while Lucretius had the rudiments of a theory of fitness, Descartes had none, and neither had the tools to explain the emergence of complex organisms from simple ones. I suspect that Descartes thought that his account of the development of the fetus was, at best, the start of a long project to explain the emergence of life from inanimate matter, a promising beginning for understanding the how the origin of plants and animals might be understood from a completely mechanical perspective. But he was not ready to announce that

30 J. E.H. Smith, « La generation spontanée et le problème de la reproduction des espèces avant et après Descartes », Philosophiques 34 (2): 273-294, 274 and 290 f. 31 See BOp II 1186-1192, 1192-1196, AT XI 614-617, 619-621. A letter to Mersenne, 2 Nov. 1646, BLet 582, p. 2334, AT IV 555 suggests that the experiments were done 15 years before, that is, in 1629 or so. On Descartes observations of chicken embryos, see Aucante, Écrits physiologiques, p. 72-75.

THE CHAPTERS OF L’HOMME DESCARTES DIDN’T WRITE

he had found a solution to the problem that had so vexed him in the context of the original composition of the Le monde project.

5. Final Remarks Let me end with some final remarks on Descartes’ project in Traité de l’homme, some final problems that he would have to face. There was a big difference between Descartes and Lucretius. For Lucretius, the body was all there was to living things: once you had figured out how to explain where it came from, you were done. Now, something like that is true for Descartes when we are dealing with lichen and trees, oysters and horses. But humans offer a greater challenge. Descartes seemed to think that our bodies arise in nature in exactly the same way that the bodies of other animals do, however that is explained. But we are the only creatures with a soul. How does it get there? Certainly not through the combination of seeds in the mother’s womb or through the combination of fluids in spontaneous generation! In L’homme, Descartes talks often about the soul, even though it is not yet attached to the machine of the body officially under consideration in the book. But at one point Descartes remarks, almost in passing, that “when God unites a rational soul to this machine, … He will place its principal seat in the brain…” [BOp II 400, AT XI 143] This suggests that God will do this, one by one, for each of the human bodies that arise from inanimate nature. This seems like a rather clumsy way of conceiving of this process. Perhaps this remark only holds for the hypothetical situation in Traité de l’homme, where we imagine that God specially creates this man-machine. But then the question of how or when the soul enters the body of the machine becomes even more mysterious. Another problem Descartes faced that Lucretius did not was the Bible. The book of Genesis is a creation story that says rather clearly that God created the world, how he created it, and what order he created things in. In the Le monde project, Descartes is offering a creation story as well. But his creation story is rather different from the one found in Genesis. In Genesis, it is God shaping things in six successive days. But in Le monde, as in Lucretius’ De rerum natura, we begin in an initial chaos (at least after the swerve) that eventually sorts itself out into the visible world, with no direct help from a meddling God. Lucretius didn’t have to worry about consistency with the Bible, but Descartes did. There are a number if interesting stories about the way in which Descartes dealt with this problem.32 But since he never actually articulated the link between inanimate and living, he never dealt with that Biblical problem in any direct way.

32 In a letter to Mersenne probably in 1635/6, Descartes announced that he had figured out how his cosmology relates to Genesis: …relegendo primum caput Geneseos, non sine miraculo depre‐ hendisse, posse secundum cogitationes meas totum explicari multo melius, uti quidem mihi videtur, quam omnibus modis quibus illud interpretes explicuerunt, quod antehac nunquam speraveram…

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These two problems, the problem of the soul and the problem of the Bible are the last and probably most difficult unwritten chapters in the Traité de l’homme.

[BLet 82, p. 324, AT IV 698] …while rereading the first chapter of Genesis, I miraculously found that everything can be explained in accordance with my thoughts, it seems to me, better than other interpreters have explained it, something I never would have hoped for until now. (I follow the dating and recipient as given by Giulia Belgioioso in BLet) But by the time he is beginning to draft out the Principia, Descartes doesn’t seem so confident. A letter to Mersenne 28 January 1641 says simply that he will have to send his explanation to the Sorbonne before his physics is published. [BLet 301, p. 1392, AT III 296]. Most interesting is the report of a verbal exchange between Descartes and the Utrecht erudite, Anna Maria van Schurman, as reported in the Vie de Jean Labadie (1670). The encounter may have taken place sometime in the very early 1640s, when Descartes was drafting the Principia. According to the report, van Schurman told Descartes that she was reading Genesis in Hebrew. Descartes is reported to have replied that he, too, learned Hebrew to read the portion of text relating to the creation of the world, but that he had found nothing clear and distinct there, and so he put his study aside. Evidently she never spoke to Descartes again. [The texts are quoted in AT IV 700-701] In the Principia itself, Descartes completely sidestepped the issue by simply assuming his creation story as a false hypothesis, and acknowledging the truth of the account in Genesis; see Principia, III, art. 44-47. The Genesis problem comes up again in the Conversation with Burman, where Descartes suggests that the account in Genesis may well be metaphorical. In any case, he prefers to leave it to the theologians to explain. [Burman, BOp II 1288, AT V 168-169] Contemporary attempts to reconcile Descartes’ cosmology with Genesis can be found in G. de Cordemoy, Copie d’une lettre écrite à un sçavant religieux, pour montrer : I, que le système de M. Descartes et son opinion touchant les bestes n’ont rien de dangereux ; II, et que tout ce qu’il en a écrit semble estre tiré du premier chapitre de la Genèse, Theodore Girard, Paris, 1669 ; and J. Amerpoel Cartesius Mosaizans, seu Evidens et facilis conciliation philosophiae Cartesii cum historiâ Creationis primo capite Geneseos per Mosem traditâ, pro Haeredibus Thomae Luyrtsma. Leeuwarden, 1669. On the general problem of reconciling 17thC theories of the origin of the Earth with biblical revelation, see J. Roger « La théorie de la Terre au xviie siècle », in Revue d’histoire de la science, 26 (1), 1973, p. 23-48. The classic account of physics and cosmology based on the Bible is found in A. Blair « La théorie de la Terre au xviie siècle », Revue d’histoire de la science, 26 (1), 2000, p. 23-48.

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Theatrum metaphysicum Les Méditations et le mythe du solipsisme cartésien

Au départ des remarques qui suivent se trouve l’idée qu’il vaudrait la peine de réexaminer le problème du statut d’autrui dans la métaphysique de Descartes, afin de dissiper autant que faire se peut les malentendus auxquels il a donné lieu. À ce sujet, je souhaiterais m’attaquer à ce qui me semble avoir toujours été un faux problème, et un mythe historiographique. Je le ferai en partie avec des instruments philologiques et au plus près possible des textes cartésiens, en tâchant en cela d’être fidèle à l’exigence de précision que Giulia Belgioioso a portée si haut, tout à la fois dans ses propres études - y compris sur les phénomènes d’image et de réception en histoire de la philosophie - et dans les entreprises collectives qu’elle a dirigées.

1. Une apparence de solitude Il serait trop simple que le mythe dont il s’agit soit un pur mythe. Le fait est qu’il ne manque pas d’un certain fondement. Dans la partie autobiographique du Discours de la méthode, Descartes évoque en effet le sentiment qu’il a eu, au sortir de ses études, d’avoir surtout « découvert de plus en plus [son] ignorance1 » ; il évoque la nécessité de « se défaire de toutes les opinions […] reçues auparavant en [sa] créance2 », avant d’en recevoir de plus certaines, et se décrit, au moment de se tracer à lui-même un chemin vers la science, « comme un homme qui marche seul, et dans les ténèbres3 ». Cette présentation d’une entreprise qui va devenir métaphysique trouve un écho direct quatre ans plus tard au début des Me‐ ditationes : le moment est venu pour moi, écrit l’auteur, de détruire généralement toutes mes anciennes opinions, toutes celles où je trouverai la moindre raison de douter. Et l’effet de ce doute sera si radical que le même sujet méditant, à l’aube du jour d’après (si chaque Méditation doit occuper une journée), se retrouvera

1 « Il me semblait n’avoir fait autre profit en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance » : Discours, I, BOp I 28, AT VI 4, ll. 30-31. 2 Discours, II, BOp I 40, AT VI 15, ll. 13-14. 3 Discours, II, BOp I 42, AT VI 16, ll. 30-31. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 133-146. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122599

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« tombé dans une eau très profonde », in profundum gurgitem delapsus, où il ne peut ni marcher ni nager4, et dont, un moment, il ne sait comment se tirer. En quoi donc le mythe en question consiste-t-il ? Il conjoint deux éléments. (1) Le récit cartésien du doute est pris au premier degré. On dit par consé‐ quent : à un certain moment, sur fond de malaise intellectuel et d’insatisfaction persistante quant à la valeur ou à l’authenticité des sciences constituées, Descartes a entrepris de renverser ou détruire toutes ses anciennes opinions, avec l’espoir de parvenir par l’exercice de ce doute à des connaissances véritablement certaines. Une question est de savoir si ce doute affecte les facultés de l’esprit elles-mêmes, auquel cas, comme l’ont souligné plusieurs lecteurs et critiques, dont Hume, il serait en toute rigueur impossible d’en sortir. Mais du moins, au cours de ce doute, c’est la certitude qu’il existe quoi que ce soit dans le monde qui, à un moment donné, est perdue. Ainsi au début de la Méditation II, au moment du Cogito : « Je me suis persuadé », écrit Descartes, « qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, nihil plane esse in mundo, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point5 ? » (2) Un accent particulier est mis sur la perte, dans les conditions du doute, de toute certitude de l’existence d’autres êtres pensants (les « autres esprits »). La difficulté philosophique concernant de la reconnaissance d’autrui comme tel a été marquée dans toutes les mémoires par la cinquième des Méditations Cartésiennes de Husserl. La mémoire de cette difficulté vient renforcer l’apparence d’une perte complète de la relation à autrui. D’une part, même après que le sujet des Méditations s’est assuré de son existence et de sa nature (dans ce qu’on appelle le Cogito), il reste seul au monde (pour ainsi dire, car que reste-t-il du monde comme tel ?), jusqu’à ce qu’il se soit assuré de l’existence de Dieu. Alors seule‐ ment il redescend, progressivement, vers la considération des corps. Mais d’autre part, dans la Méditation VI, qui effectue cette redescente, aucun développement n’est consacré à l’existence des autres esprits. L’existence des autres corps est (en principe) démontrée : celle des autres esprits, en toute rigueur, ne l’est pas. C’est ce qui a poussé un certain nombre d’auteurs, notamment dans la tradi‐ tion phénoménologique, à considérer que la reconnaissance d’autrui comme tel se situe hors de portée de la métaphysique cartésienne, autrement dit que la métaphysique ou philosophie première de Descartes échoue à établir l’existence d’autrui comme autre être pensant. Ainsi de Maxime Chastaing (1913-1997), qui fut l’élève de Sartre au lycée du Havre, dans sa thèse publiée en 1951 avec pour simple titre L’existence d’autrui, laquelle poussait à l’extrême les apories associées à la démarche métaphysique de Descartes6. Mais Jean-Luc Marion a lui-même pu écrire dans ses Questions cartésiennes (1991) :

4 Meditationes, II, BOp I 712, AT VII 24, ll. 1-3 ; IX 18. 5 Meditationes, II, BOp I 712, AT VII 25, ll. 2-5 ; IX 19. 6 M. Chastaing, L’existence d’autrui, PUF, Paris, 1951. Voir les recensions critiques de J. Taminiaux, Revue Philosophique de Louvain, 1954, 35, p. 462-468, et de P. Ricœur, « Philosophies de la personne », Esprit, 211, février 1954, p. 299-297.

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« D’autres esprits que l’ego apparaissent bien [dans les Meditationes], en particulier dans la Meditatio I ; mais ils n’y apparaissent que pour disparaître aussitôt sous le coup d’une mise en doute radicale7 ». « Quant à la Meditatio VI, qui pourrait rétablir autrui, comme elle rétablit le monde sensible et la sensation même destitués par la Meditatio I, elle reste d’un stupéfiant silence sur les occurrences révoquées en doute d’autres mentes8 ». Le problème est à plusieurs dimensions, et il ne saurait être question ici d’en faire le tour. Je voudrais d’abord statuer sur le point de fait, celui de savoir si la Méditation VI ignore l’existence des autres esprits. Je remonterai de là à la question de savoir s’il est vrai que le doute de la Méditation I a radicalement détruit la certitude de l’existence de ces autres esprits.

2. La nécessité des esprits Nous le savons tous, c’est dans la dernière des Méditations métaphysiques que Descartes livre ce qu’on désigne comme la preuve de l’existence des corps, avec pour prolongement une discussion sur la valeur à accorder aux impressions des sens. Quant à la question de l’existence d’autres esprits, ou à celle des moyens de reconnaître cette existence, elle n’est pas ici spécifiquement affrontée. Une certaine discussion n’a donc pas lieu ; et pourtant, il y a réintégration de fait des autres esprits dans la sphère des choses vraies et existantes. La question est donc : pourquoi Descartes, qui n’a rien laissé au hasard, s’est-il dispensé de cette discussion ?

7 J.-L. Marion, Questions cartésiennes, PUF, Paris, 1991, chap. 6 : « L’ego altère-t-il autrui ? La solitude du cogito et l’absence d’alter ego », p. 194-195 ; première publication : « L’unique ego et l’altération de l’autre », Archivio di Filosofia, 1986, 1-3. 8 Ibid., p. 196. À plusieurs années de distance, une autre étude de J.-L. Marion (« L’altérité originaire de l’ego. Meditatio II, AT VII 24-25 », in Questions cartésiennes II, PUF, Paris, 1996, p. 3-47) introduira une perspective différente. À la question : « L’ego institué par Descartes demeure-t-il pris dans l’étreinte stérile du solipsisme ? » (p. 6), cette étude répond par la négative : dans le protocole de la Meditatio II, « autrui surgit à titre d’hypothèse [cf. Meditationes, II, BOp I 712, AT VII 24, ll. 21-22] avant même l’ego, dès la première tentative pour surpasser le doute » (p. 21). « Dieu ou ce qui en tient ici lieu (comme on voudra le nommer) s’impose d’emblée comme l’interlocuteur de l’ego […]. Loin que le doute se déploie dans le solipsisme d’une pensée abstraite […], il se déploie dans un espace d’interlocution - ego et l’autrui indéterminé » (p. 22). À la différence du Discours de la méthode, les Meditationes donnent ainsi à penser une « interlocution originaire » (p. 33), une « situation originairement dialogique de l’ego sum, ego existo » (p. 35). Notons toutefois qu’au début de la Meditatio II, cet autre être qui pourrait me « mettre en l’esprit » (AT IX-1 19) ou « m’envoyer » (immittere, BOp I 712, AT VII 24, l. 23) certaines pensées ne se distingue pas du grand trompeur dont la figure est construite par la Méditation I. La question n’est donc pas ici celle de l’existence d’autres esprits semblables au mien.

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Textuellement parlant, la réintégration des autres esprits a lieu peu après la certitude acquise de l’existence des corps, dans le développement où Descartes précise ce qu’il en est de l’enseignement de la nature à travers les impressions des sens. C’est ici en effet que dans le texte latin, la première personne du singulier cède la place à celle du pluriel : « Cette nature m’apprend bien à fuir les choses qui causent en moi le sentiment de la douleur, et à me porter vers celles qui me communiquent quelque sentiment de plaisir ; mais je ne vois point qu’outre cela elle nous apprenne [nos docere]9, que de ces diverses perceptions des sens nous devions jamais rien conclure [concludamus] touchant les choses qui sont hors de nous, sans que l’esprit les ait soigneusement et mûrement examinées10 ». Que s’est-il passé, pour que le propos passe du singulier au collectif, au commun, ou même à l’universel humain ? Ceci : en reconnaissant que lui-même n’est pas un pur esprit, mais un esprit uni à un corps, le sujet des Meditationes s’est reconnu comme possédant une nature qui n’a pas été constituée pour lui seul, et qui ne peut se définir seulement au singulier. Il y a à cela de solides raisons métaphysiques qu’il faut aller chercher dans les Méditations précédentes, notamment au début de la Quatrième. C’est à savoir : si Dieu est infini, et infini en premier lieu dans sa puissance, tandis que je suis, moi, une chose finie, et si cette puissance infinie de Dieu a dû d’une certaine manière s’exprimer dans la Création, il est impossible que je sois, moi, autre chose qu’une très petite partie de l’univers qu’il a créé, et qui est un univers ordonné (qui s’est ordonné et reste ordonné selon les lois de la nature11). Cela revient à dire, (a) que si mon corps existe, alors nécessairement toutes sortes d’autre corps doivent exister autour de lui (il n’y a pas de sens à admettre l’existence de l’un sans celle des autres) ; et (b) que si mon corps existe, alors il doit y avoir et y avoir eu dans le monde un très grand nombre de corps ressemblant au mien, à commencer par ceux de mes parents (« de qui il semble que je tire ma naissance », disait en français la Méditation III12). En passant du « je » au « nous », de « j’expérimente que » à « la nature nous enseigne que », la Méditation VI n’a fait que tirer les conséquences de cette évidence métaphysique.

9 « Nous apprenne », et non « m’apprenne », comme traduit le duc de Luynes : il est étrange que la traduction française ait laissé échapper ce « nous ». 10 Meditationes, VI, BOp I 790, AT VII 82-83 ; IX 65-66. Descartes ajoute : « Car c’est, ce me semble, à l’esprit seul, et non point au composé de l’esprit et du corps, qu’il appartient de connaître la vérité de ces choses-là ». 11 Cf. Meditationes, IV, BOp I 754, AT VII 56, ll. 4-8 ; IX 45 : « Depuis que j’ai reconnu l’infinie puissance de Dieu [immensam Dei potentiam], je ne saurais nier qu’il n’ait produit beaucoup d’autres choses [multa alia], ou du moins qu’il n’en puisse produire, en sorte que j’existe, et sois placé dans le monde, comme faisant partie de l’universalité de tous les êtres [adeo ut ego rationem partis in rerum universitate obtineam] ». 12 Meditationes, III, BOp I 746, AT IX-1 40(= VII 50, l. 25).

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Une autre proposition joue encore dans le texte cartésien, qui n’est pas non plus explicite : c’est que s’il existe dans le monde un très grand nombre de corps semblables au mien, il existe aussi un très grand nombre d’esprits semblables au mien, c’est-à-dire à moi-même. C’est ce qu’on peut constater dans la dernière phase de la Méditation VI (avant sa conclusion), où il est question des erreurs de la nature que l’on remarque par exemple chez les hommes qui souffrent d’hydro‐ pisie, et qui ressentent une soif dévorante alors que, physiologiquement parlant, ils n’ont aucun besoin de boire. Pas un instant Descartes ne se demande ici quelles preuves nous avons qu’un esprit soit uni au corps déréglé de l’hydropique. C’est que cela va sans dire, mais pourquoi ? Pour deux raisons. (1) Nul n’a jamais encore construit d’automates imitant à la perfection l’appa‐ rence et les actions des hommes ; et nul n’y parviendra jamais, si la machine du corps humain comporte en fait d’innombrables parties, extrêmement petites, arrangées de manière infiniment délicate. Cette machine imitant parfaitement un vrai homme serait elle-même un vrai homme ! (2) Si tous les corps humains, sans exception, que nous avons rencontrés en état de vie et de mouvement nous ont donné des signes de pensée, il faudrait un miracle caractérisé – et un miracle effrayant plutôt qu’admirable, un genre de scandale absolu, qui n’arrivera jamais - pour que Dieu s’abstienne de joindre une âme ou un esprit à un corps humain en état de fonctionner. Que, lorsqu’un corps se trouve conformé, constitué de telle manière qu’un esprit puisse - comme dira Descartes à la Élisabeth13 - « agir et pâtir avec lui », il ne soit pas seulement possible, mais nécessaire qu’un esprit lui soit joint, c’est là - comme le comprendra bien Malebranche - une autre forme de loi de nature, relevant, comme les autres, de la volonté de Dieu, une volonté souveraine et immuable, à laquelle il n’y a pas de sens à imaginer de dérogations. C’est bien là ce que Descartes a rappelé à Regius peu après la publication des Meditationes, à propos de sa très imprudente présentation de l’homme comme « être par accident » : « On peut seulement vous objecter », écrit Descartes, « qu’il n’est point accidentel au corps humain d’être uni à l’âme, mais que c’est sa propre nature [ipsissimam naturam] ; parce que le corps ayant toutes les dispositions requises pour recevoir l’âme, sans lesquelles il n’est pas proprement un corps humain, il ne se peut faire sans miracle que l’âme ne lui soit unie14 ». Certes, il est ici question avant tout de « ne pas choquer les théologiens15 » : d’où la question de savoir si Descartes parle ici en son nom propre. La vérité cartésienne ne serait-elle pas plutôt celle qui figure avant ce passage :

13 À Élisabeth, 21 mai 1643, BLet 392, p. 1748, AT III 664, l. 27. 14 À Regius, mi-décembre 1641, BLet 332, p. 1546, AT III 460, l. 25-461, l. 3. 15 Ne Theologi rursus offendantur : ibid., p. 461, l. 7-8.

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« On pourrait dire en quelque façon qu’il est accidentel [accidentarium] au corps d’être uni à l’âme [quod animae conjungatur], et à l’âme d’être unie au corps, puisque le corps peut exister sans l’âme et l’âme sans le corps », d’autant que, poursuit Descartes, « ne considérant que le corps seul, nous n’y voyons rien qui demande à être uni à l’âme, et rien dans l’âme qui demande d’être uni au corps ; c’est pourquoi j’ai dit un peu auparavant que l’homme est en quelque façon (et non absolument) un être accidentel16 » ? Il est vrai qu’en considérant, métaphysiquement, le corps en tant que corps, c’est-à-dire en tant qu’assemblage de parties d’une matière strictement homogène, nous ne voyons pas que ce corps ait besoin d’une âme immatérielle pour subsister dans son identité physique. Mais en considérant un corps humain, ou même seulement (en imagination) une machine faite à sa ressemblance, nous ne pouvons guère considérer en particulier la « disposition du cerveau » de cette machine sans nous porter en pensée vers le moment où l’âme ou l’esprit, l’âme raisonnable, aura dans le cerveau son « siège principal17 » : c’est là ce qu’a fait le Traité de l’Homme. Ainsi, d’une certaine manière, le corps humain est fait pour être habité ; il est fait pour la pensée ; il est d’ailleurs fait pour un monde à l’intérieur du monde, fait pour le monde humain, dont l’organisation et les situations sont si complexes qu’il serait totalement impossible à une simple machine d’y trouver son chemin18. C’est du reste le dernier point à considérer sur ce chapitre. Dans les Médita‐ tions, un certain doute peut bien affecter pour un certain temps l’existence du monde physique ; mais quand la certitude de cette existence est restituée, ce monde est restitué avec l’ensemble de ses phénomènes, qui sont pour toute une part des phénomènes expressifs. Ces phénomènes caractérisent à des degrés divers un très grand nombre de vivants, avec toutefois pour les hommes, selon le Discours de la méthode, une capacité de production de signes qu’il faut dire illimitée, du moins en tant que capacité de composition de ces signes. Le Discours l’indiquait : l’automate le plus sophistiqué du monde restera à cet égard pauvre en signes, même si ceux qu’il émet commencent par nous émerveiller. Soumis à toute une série de sollicitations variées, il finira toujours par ne pas répondre, ou par répondre de manière non pertinente, là où chaque homme, y compris parmi « les plus hébétés », répondra d’une manière ou d’une autre « au sens de tout ce qui se dira [ou fera] en sa présence19 ». Ici, la pertinence de la réponse au sens n’est pas à confondre avec son caractère attendu. Au contraire, l’accent placé par Descartes sur l’acte de composer ou d’ « arrang[er] ensemble 16 Ibid., p. 460, l. 11-14. 17 Ibid., p. 461 l. 9-14. 18 J’ai développé ce point dans : « Descartes : que peut le corps humain sans l’âme ? » in Les significations du « corps » dans la philosophie classique, éd. par T. Pavlovits et C. Jaquet, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 13-25 ; et dans Descartes n’a pas dit, Les Belles-Lettres, Paris, 2015, chap. 14, p. 137-145. 19 Discours, V, BOp I 90, AT VI 57, l. 1.

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diverses paroles » ou autres signes20 suggère que cette réponse, qui est réponse à une certaine attente, est en même temps toujours à un certain degré originale et inattendue, et perçue comme telle, que ce soit dans sa forme (dans sa matérialité) ou dans sa substance (dans ce qu’elle exprime). Les performances d’une machine peuvent émerveiller, mais cela n’a qu’un temps : en revanche, une autre personne surprendra toujours, du moins en toute situation non strictement habituelle, et cela parce que nous sommes constitutivement incapables de prévoir l’usage qu’elle fera de ses facultés21. On ne s’étonnera donc pas que le problème de la distinction entre l’homme, composé d’âme et de corps, et l’automate, pure « machine de terre22 », soit tout à fait absent de la Méditation VI : ce problème ne se pose pas, ou il a été d’avance résolu, et Descartes aurait pu sans aucune peine aligner ici ses raisons si on les lui avait demandées. Ce que personne ne semble avoir fait – preuve que ce qui a été pris pour un problème par nous, les plus modernes, n’en a pas été un pour ses contemporains, même les plus exigeants. Au contraire, dans le jeu de symétries et d’inversions que contient la si savante construction des Méditations, on peut opposer une situation initiale à une situa‐ tion finale. La situation initiale est celle qu’évoque la Méditation II : je regarde par la fenêtre et vois passer des êtres que je juge être des hommes, mais je ne vois en fait que des chapeaux et des manteaux qui pourraient recouvrir des automates23. Cette situation, qui sert à distinguer entre perception et jugement, est en réalité tout à fait fantastique, c’est-à-dire absolument impossible : la Méditation VI la renvoie à son caractère de fiction, avec les diverses raisons de douter de la Médita‐ tion I, taxées maintenant d’« hyperboliques et ridicules24 ». À cette incertitude provisoire de la distinction de l’homme et de l’automate, la Méditation VI oppose dans sa dernière page une certitude pleinement acquise, qui est aussi d’ordre empirique, celle de la distinction entre le vrai homme et le spectre : « Si quelqu’un lorsque je veille m’apparaissait tout soudain, et disparaissait de même, comme sont les images que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d’où il viendrait, ni où il irait, ce ne serait pas sans raison que je l’estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau, et semblable à ceux qui s’y forment quand je dors, plutôt qu’un vrai homme25. » Un vrai homme (un vrai être humain) se reconnaît toujours, et, sauf exception, au moindre signe.

20 Ibid., l. 21. 21 C’est de quoi l’on trouve un écho dans la morale cartésienne, avec les précisions données par Descartes quant aux formes d’admiration qui appartiennent aux plus généreux : cf. Les Passions de l’âme, art. 160. 22 Comme dit le début de L’Homme, BOp II 362, AT XI 120, l. 5. 23 Meditationes, II, BOp I 722, AT VII 32, ll. 6-10 ; IX-1 25. 24 Meditationes, VI, BOp I 798, AT VII 89, ll. 19-20 ; IX-1 71. 25 Meditationes, VI, BOp I 798, AT VII 89, l. 28-90, l. 2 ; IX-1 71.

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3. Des Méditations au pluriel Maintenant, est-il vrai que cette évidence propre à la relation à l’autre homme ait été à un moment donné tout à fait perdue ? Apparemment oui, si l’on se fie à ce qu’on lit en plusieurs endroits des Réponses aux Objections. Dans les Secondes Réponses, point 4, Descartes dit, apparemment des Méditations entières : « En ce lieu-là même je ne supposais pas encore qu’au‐ cun homme me fût connu26 ». Et dans les Cinquièmes, il réplique à Gassendi : « Vous parlez ici à un esprit qui est tellement détaché des choses corporelles qu’il ne sait pas même si jamais il y a eu aucuns hommes avant lui27 ». Dans quelle mesure faut-il prendre ces déclarations au sérieux ? C’est toute la question. Deux éléments peuvent troubler. 1) Le contexte dans lequel ces formules sont avancées n’est pas précisément métaphysique. Dans les Secondes Réponses, il s’agit de la distinction « entre ces façons de parler de Dieu, dont l’Écriture se sert ordinairement, qui sont accommodées à la capacité du vulgaire […] et celles qui expriment une vérité plus simple et plus pure28 », et qui ne leur est pas précisément rapportée. C’est de ces dernières façons de parler, dit Descartes, que chacun doit user en philosophant, et c’est d’elles « que j’ai dû principalement me servir dans mes Méditations, vu qu’en ce lieu-là même je ne supposais pas encore qu’aucun homme me fût connu, et que je ne me considérais pas non plus en tant que composé de corps et d’esprit, mais comme un esprit seulement29 ». Autrement dit : le langage des Méditations est un langage philosophique pur, en tout cas aussi pur que possible, et peut l’être dans la mesure où il n’y a pas d’autres hommes à l’esprit peu philosophique, dont il conviendrait de se soucier. Dans les Réponses à Gassendi, il en va à peu près de même : pour combattre la « règle générale de vérité », Gassendi invoque quantité de « grands esprits » qui ont estimé « que la vérité était cachée dans le sein de Dieu même, ou dans le profond des abîmes30 ». C’est là faire fond sur l’autorité d’autrui. Mais moi, dit Descartes, je ne la reconnais pas, puisque je suis tellement détaché des choses corporelles que je ne sais pas s’il y a eu d’autres hommes avant moi, et donc, leur autorité ne m’est rien. Les deux passages sont en quelque sorte symétriques, et la part d’ironie y est manifeste. Il est donc difficile d’en conclure quelque chose quant à la profondeur du doute cartésien.

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Responsiones II, BOp I 868, AT VII 142, ll. 27-28 ; IX-1 112. Responsiones V, BOp I 1162, AT VII 361, ll. 15-17. Responsiones II, BOp I 868, AT VII 142, ll. 20-24 ; IX-1 112. Ibid., p. 142, l. 25-143, l. 2 ; IX-1 112. Obiectiones V, BOp p. i 1052, AT VII 277, ll. 17-20.

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2) Bien après que le doute hyperbolique a été avancé, mais aussi bien avant que ne soit rétablie la réalité d’une nature commune des hommes, il reste dans les Méditations de la place pour un nous et non seulement pour un je ou un moi. Certes, le nous s’éclipse entièrement entre la fin de la Méditation I et celle de la Méditation II ; mais il fait retour dès cette Méditation, avec l’analyse du morceau de cire : « Je vois bien ce que c’est, mon esprit se plaît de s’égarer […]. Relâchons-lui encore une fois la bride […]. Et commençons par la considération des choses les plus communes », etc31. Ici la Méditation semble emprunter un nous didactique, mais aussi se livrer à une sorte d’anthropologie ou de psychologie de la connaissance, alors même que l’existence d’esprits autres que le mien reste en principe suspendue avec celle des corps. L’usage du nous, remarquons-le, est beaucoup plus fréquent dans le texte français que dans le latin. Le duc de Luynes le rajoute aussi souvent que possible aux expressions cartésiennes. Par exemple, à la fin de la Méditation I, « les choses extérieures » deviennent « les choses extérieures que nous voyons32 » ; dans le passage de la Méditation II où il s’agit d’éviter d’entrer dans les difficultés d’une définition de l’homme, la traduction dit qu’en y entrant, « nous tomberions » (au lieu du latin delaberer, « je tomberais ») dans une infinité de questions de plus en plus difficiles et embarrassées33. Les additions sont encore plus nombreuses dans la Méditation III ; notamment, partout où Descartes écrit, en latin, que quelque chose « est manifeste par la lumière naturelle », Luynes écrit : « La lumière naturelle nous fait voir clairement34… ». Le texte français assure ainsi la récurrence dans les Méditations d’un registre que l’on peut dire de conversation avec le lecteur, là où le texte latin reste plus strictement centré sur l’expérience propre du sujet méditant. Il reste que, 1°) Descartes n’a pas vu d’inconvénient majeur à ces additions intersubjectives ; 2°) ce mode intersubjectif-collectif n’est pas absent du centre des Méditations. Le texte de la fin de la Méditation III fait bien référence à ce que la foi nous fait croire, fide credimus35 ; et dans la Méditation IV, le passage vraiment central sur la définition du libre arbitre (la liberté de l’arbitre, qui est en nous, « consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas, ou plutôt », etc.36) est au pluriel en latin aussi. Je ne dis rien de la Méditation VI dont j’ai déjà parlé, ni des nombreuses allusions doctrinales de la Méditation II, qui peuvent être comme telles tout à fait explicites37

Meditationes, II, BOp I 718, AT VII 29, l. 28-30, l. 3 ; IX-1 23. Meditationes, I, BOp I 708, AT IX-1 17 (= VII 22, ll. 27-28). Meditationes, II, BOp I 714, AT IX-1 20 (= VII 25, l. 29). Meditationes, III, BOp I 744, AT VII 49, l. 11 ; IX-1 39 ; voir aussi Meditationes, IV, BOp I 758-760, AT VII 60 ; IX-1 47. 35 Meditationes, III, BOp I 748, AT VII 52, l. 18 ; IX-1 42. 36 Meditationes, IV, BOp I 756, AT VII 57, l. 21 sq. ; IX-1 46. 37 Ainsi à la fin de l’analyse du morceau de cire, BOp I 722, AT VII 32, ll. 18-19: […] sensu communi, ut vocant, id est potentia imaginatrice […].

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L’un dans l’autre, on peut relever quatre ou cinq lieux de communauté hu‐ maine ou du moins intellectuelle que les deux textes, français mais aussi latin, soulignent au lieu d’effacer. Ce sont, dans l’ordre : les principaux préjugés ; la lumière naturelle ; la foi chrétienne lorsqu’elle est donnée ; l’expérience de la liberté ; celle de l’union de l’âme et du corps. Tout cela nous conduit à penser que d’un bout à l’autre des Méditations, un certain lien n’est jamais rompu : celui que le sujet de ces Méditations entretient avec les destinataires de ses réflexions. Tout cela nous invite à nous demander quelle réalité ce qu’on a pu appeler le solipsisme cartésien possède dans la grande opération des Méditations, et en général à nous interroger sur la réalité du doute hyperbolique attaché à l’existence d’autrui.

4. Le théâtre du doute Notons d’abord deux points qui ne sont pas sans importance. (1) Nous avons parlé pour le sujet du doute cartésien de se retrouver « seul au monde », comme si un monde tout à fait vide était encore un monde. Ceci est néanmoins conforme au langage de Descartes. Le mot monde, mundus, ne figure pas dans la Méditation I ; mais on le trouve à plusieurs reprises dans la Médita‐ tion II, en français mais aussi en latin (mihi persuasi nihil plane esse in mundo38…). Le monde est peut-être vide, mais le principe ou la forme d’un monde (une sorte de structure transcendantale) ne subit aucune espèce de destruction ou de destitution. Mais comment peut-il subsister un monde, même vide, sans référence à une intersubjectivité au moins possible ? (2) Quand le sujet de la Méditation II dit : « Je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde… aucuns esprits, ni aucuns corps39… », il ne dit pas tout à fait la vérité. Si la preuve de l’existence des autres esprits n’est pas au programme de la Méditation VI, la négation de leur existence n’a pas été au programme de la Méditation I. Et cela, pour une raison simple : en doutant qu’il existe des esprits, le sujet de la Méditation I aurait dû porter son attention sur cette notion d’esprit, donc mobiliser une notion de l’être pensant, qui est en propre l’affaire de la Méditation II. « Je me suis persuadé qu’il n’y avait aucuns esprits » : cela n’est donc avancé que dans le cadre d’une délibération du sujet méditant avec lui-même, qui invente en l’occurrence une fausse raison et appelle une réplique en substance : non, il y a forcément un esprit, et c’est moi. Nous avons ici affaire à un exemple parmi de très nombreux autres de l’art d’écrire de Descartes. Cet art a été puisé aux meilleures sources : la rhétorique classique de Cicéron et de Quintilien, la fréquentation scolaire des poètes et des historiens latins, celle de Sénèque, celle aussi des grands écrivains des années 1620, dont au premier chef Balzac. Mais les dimensions de la culture cartésienne 38 Meditationes, II, BOp I 712, AT VII 25, ll. 2-3 ; IX-1 19. 39 Ibid.

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sont multiples, et l’on peut parler aussi d’une culture dans le domaine du théâtre, que l’on pratiquait chez les jésuites, et que Descartes a dû parfaire dans ses années parisiennes, notamment au spectacle des tragi-comédies. De fait, l’expérience de la lecture des Méditations peut largement être décrite comme celle d’un certain théâtre intellectuel, ce qui suppose (a) que le décor soit soigneusement planté et (b) que l’on sache à peu près ce qu’on va y voir. (a) Le décor : de même que certaines parties du Discours de la méthode, les Méditations, surtout au début, sont saturées d’allusions et de réminiscences. La chose est claire pour la Méditation I, avec des « raisons de douter » que l’on sait bien être pour partie tirées du scepticisme antique, pour partie empruntées aux modernes, avec l’idée de la puissance absolue de Dieu ; avec aussi une figure du « malin génie » dont notre très regretté maître Tullio Gregory avait définitive‐ ment éclairé et spécifié le statut culturel. Mais au tout début de la Méditation II, on trouve aussi l’allusion au mot d’Archimède : « donnez-moi où me tenir [un point fixe] et je déplacerai la terre ». C’est là lieu commun de la littérature baroque ; mais au milieu des ténèbres du doute, le nom même du grand savant de Syracuse semble indiquer que dans les coulisses de l’action métaphysique, toute une réalité historique garde sa place. Et sur ce théâtre, le lecteur cultivé appréhendera le Co‐ gito lui-même moins comme une découverte que comme une scène rejouée, dans un déroulement inédit, mais qu’on peut comparer avec des modèles augustiniens. (b) Le programme : de même que l’auteur des Méditations sait parfaitement où il mène son lecteur (sa première rédaction d’un traité de métaphysique remonte d’ailleurs à dix ans, 1629), de même le lecteur lui-même, avant d’entrer dans la Méditation I, est censé savoir assez bien où on le mène. En ouvrant le livre, il trouve en effet non pas directement la Méditation I, mais la Lettre dédicatoire aux docteurs de la Sorbonne, suivie, en latin, de la Préface de l’auteur au lecteur, en français de l’Avis du libraire au lecteur, et dans les deux langues, d’un Abrégé (Synopsis) des Six Méditations suivantes. Et à la fin de l’Abrégé, il lit ceci : « Dans la sixième [Méditation], je […] montre que l’âme de l’homme est réellement distincte du corps, et toutefois qu’elle lui est si étroitement unie, qu’elle ne compose que comme une même chose avec lui. […] Et enfin, j’y apporte toutes les raisons desquelles on peut conclure l’existence des choses matérielles : non que je les juge fort utiles pour prouver ce qu’elles prouvent, à savoir, qu’il y a un monde, que les hommes ont un corps, et autres choses semblables, qui n’ont jamais été mises en doute par aucun homme de bon sens [de quibus nemo unquam sani mentis serio dubitavit] ; mais parce qu’en les considérant de près, l’on en vient à connaître qu’elles ne sont pas si fermes ni si évidentes, que celles qui nous conduisent à la connaissance de Dieu et de notre âme […]40 ».

40 Meditationes, Synopsis, BOp I 698-700, AT VII 15, l. 20-16, l. 6 ; IX-1 11-12. (je souligne)

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Question alors : tout le début des Méditations aurait-il été consacré à la mise en doute de choses dont aucun homme sain d’esprit n’a jamais sérieusement douté ? Mais alors, comment considérer cette mise en doute elle-même comme une chose sérieuse ? Ne s’agira-t-il pas plutôt d’un pur jeu d’esprit ? Et par exemple, l’existence des corps n’a-t-elle pas toujours été en toute rigueur indubitable et absolument première dans notre esprit ? Cet étonnement quant à la réalité du doute cartésien a d’abord été celui de deux au moins des premiers lecteurs des Méditations, Gassendi et le père Bourdin. « Pouvez-vous […] assez sur vous-même », demande Gassendi, « que de croire que vous ne soyez point éveillé, et que toutes les choses qui sont et qui se passent devant vos yeux soient fausses et trompeuses ? Quoi que vous en disiez, il n’y aura personne qui se persuade que vous soyez tellement persuadé [qui persuadeatur te esse persuasum] qu’il n’y a rien de vrai dans tout ce que vous avez connu, et que les sens, ou le sommeil, ou Dieu, ou un mauvais génie vous a continuellement imposé41 ». Quant au père Bourdin, il se saisit de certaines formules de Descartes, par exemple que, pour rejeter en doute des vérités très familières, il faudra les considé‐ rer non seulement comme douteuses, mais comme fausses : mais, objecte-t-il, cela est impossible ou aboutit à des absurdités42. Mersenne et les auteurs des Secondes Objections écrivaient eux-mêmes très tranquillement, comme s’ils renvoyaient à une déclaration de Descartes : « Vous vous souviendrez que ce n’est pas actuellement et en vérité [actu et revera], mais seulement par une fiction de l’esprit [animi fictione], que vous avez rejeté, autant qu’il vous a été possible, les idées [phantasmata] de tous les corps […], pour conclure que vous étiez seulement une chose qui pense43 ». Tous ont d’une certaine manière raison : la modalité du doute sera moyenne entre une expérience contraignante et un régime de pure fiction. Il s’agit, si l’on veut, d’un jeu sérieux. D’un côté, quelle que soit la valeur ou validité des diverses « raisons de douter », il y a bien un trouble intellectuel et comme un vertige créé par leur mé‐ ditation. D’un autre côté, les provocations de Bourdin le soulignent avec raison : la négation de l’existence des corps, qui est donnée comme un fait au début des Méditations II et III, n’est pas encore adhésion entière de l’esprit à l’idée que les corps n’existent pas. Si cette adhésion était possible, elle constituerait comme un contre-dogmatisme ; mais elle est absolument impossible. Il ne s’agit pas de croire pour de bon que les corps n’existent pas, mais seulement de faire pour un moment comme si les corps n’existaient pas. La croyance habituelle est ici suspendue, neutralisée, mais non supprimée, ni éliminée du champ de la conscience. 41 Obiectiones V, BOp I 1026, AT VII 258, ll. 8-14 ; « imposé » : induit en erreur. 42 Cf. Responsiones VII, BOp I 1254, AT VII 458. 43 Obiectiones II, BOp I 840, AT VII 122 ; IX-1 96.

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Cette modalité de ce qui s’appelle encore le doute est extrêmement difficile à décrire, et Descartes lui-même n’y est sans doute pas exactement parvenu44. En tout état de cause, ce qui vaut pour l’existence des corps ou pour les apparences sensibles les plus confirmées vaut aussi pour celle des autres hommes. Le sujet des Méditations peut faire un moment comme s’il était seul au monde, et il le peut parce que la certitude d’être au monde avec d’autres hommes est en fait fondée sur des raisons complexes et difficiles à préciser. Mais lorsqu’il formule ses pensées, il sait fort bien qu’elles ne sont pas purement à son propre usage, et qu’elles ont des destinataires. Le point essentiel, c’est peut-être ici que ces destinataires ne sont pas et n’ont jamais été des objets - entendons : de cette catégorie d’objets qu’il y a un sens à mettre en doute. Quand le Sartre de L’Être et le néant écrira que « l’autre n’est pas objet », qu’« autrui […] ne saurait être d’abord objet », ou qu’« en aucune façon, autrui ne nous est donné comme objet45 », il retrouvera à trois siècles de distance - à la date malcommode de 1943 - une vérité déjà cartésienne. Et c’est sans doute du fait même qu’autrui n’est pas un objet que le problème de l’accès aux pensées d’autrui, si complexe soit-il, ne relève décidément pas de la métaphysique.

44 J’ai abordé ce point dans « De la vérité en histoire de la philosophie : autour du doute cartésien », in Cartesianismi, Scetticismi, Filosofia moderna. Studi per Carlo Borghero, Le Lettere, Florence, 2019, p. 63-71. 45 J.-P. Sartre, L’Etre et le néant, Gallimard, Paris, 1943, resp. p. 291, 297 et 315.

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Montaigne ou le bon usage du scepticisme de saint Augustin

Parmi la myriade d’auteurs cités par Montaigne, saint Augustin ne semble pas, à première vue, devoir recevoir un traitement privilégié. Pourtant, même sans aller jusqu’à suivre A. Comparot, qui estime que les Essais pourraient contenir quelque 370 références ou allusions au corpus augustinien1, en s’en tenant plutôt à l’hypothèse restrictive de P. Villey2 sur une lecture tardive de saint Augustin par Montaigne (essentiellement dans l’édition de 1595 à partir de la traduction de La Cité de Dieu par Gentian Hervet, commentée par L. Vivès)3, on doit au moins relever une centaine de mentions explicites du nom de saint Augustin, avec une douzaine de citations identifiables selon la Concordance des Essais4. Un examen un peu détaillé de ces occurrences permettrait peut-être de ne pas s’en tenir aux appréciations imprécises qui dominent généralement l’interprétation. Par exemple, lorsque l’on conclut : « …on voit bien qu’il [Montaigne] pense, plus d’une fois et en matière importante, comme saint Augustin. Est-ce suffisant pour faire de lui, dès la première édition de son essais, un Augustinien ? Non sans doute. Mais fidéiste ne serait-il pas plus juste5 ? » Tous les lieux communs et les imprécisions se retrouvent ici en une seule fausse question. Nul en effet ne songe à faire de Montaigne un pur « augustinien », terme qui n’a d’ailleurs aucun sens précis ; mais personne ne lui préférera celui de « fidéiste », encore moins précis (au mieux s’agirait-il d’une hérésie théologique) ; quant à la datation de

1 A. Comparot, Augustinisme et aristotélisme de Sebon à Montaigne, Cerf/ Thèses, Paris, s. d., p. 216. 2 P. Villey, Les sources et l’évolution des Essais de Montaigne, Hachette, Paris, 19081, Burt Franklin, New-York, 19682, t. 1, p. 72. 3 Saint Augustin, La Cité de Dieu […] illustrée des commentaires de Jean Louis Vivès, de Valence, Nicolas Chesneau, Paris, 15701, 15782. P. Villey conclut : « De saint Augustin, il ne retient que la Cité de Dieu qui fait une large place aux idées morales. C’était un ouvrage classique alors : Montaigne avait beaucoup à y prendre sur la plupart des sujets qui l’intéressaient » (Les source et l’évolution des Essais de Montaigne, p. 520). Il y a au moins deux exceptions, on le verra. 4 R. E. Leake, D. B. Leake, A. E. Leake, Concordance des Essais de Montaigne, Droz, Genève, 1981, p. 99. Voir Montaigne. Les Essais, éd. P. Villey, Paris, 1965, t. 1, p. xliii (parlant de 19 citations). 5 M. Dréano, « L’augustinisme dans l’apologie de Raymond Sebond », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 24, Droz, Genève, 1962, p. 574. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 147-158. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122600

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sa lecture, elle ne changerait presque rien à l’affaire ; si Montaigne enfin pense comme saint Augustin, on doit pouvoir montrer quand et comment il le fait ou ne le fait pas (que veut dire ici « souvent » ?) et s’il s’agit de « matière importance », l’identifier. Sans prétendre à plus qu’une esquisse, nous voudrions entreprendre ici une lecture conceptuelle de textes où Montaigne semble penser avec saint Augustin, pour décider si, à chaque fois, il pense comme saint Augustin. 1/ Essais, I,14 [1580] : « …elle [sc. la douleur] ne tient qu’autant de place en nous que nous lui en faisons. “Tantum doluerunt, dit saint Augustin, quantum doloribus se inseruerunt.ˮ Nous sentons plus un coup de rasoir du Chirurgien, que dix coups d’épée en la chaleur du combat » (éd. Villey, p. 58). Il s’agit d’une citation de Cité de Dieu, I, 10, 1, « Bibliothèque Augusti‐ nienne » (désormais cité B. A.), t. 33, p. 2246. Mais une différence nette oppose ici Montaigne, pour qui il s’agit de la souffrance physique, à saint Augustin, pour qui il ne s’agissait que de la souffrance morale, provoquée par la perte de bien matériels ; d’ailleurs il argumentait qu’elle n’affecte que ceux des fidèles qui ne s’en sont pas encore détachés suffisamment, suivant 1 Timothée, 6, 6-10 (cité peu auparavant, p. 222) : « Car nous n’avons rien apporté dans le monde et de même nous n’en pouvons rien emporter. Lors donc que nous avons nourriture et vêtements, sachons être satisfaits ». – Remarquons qu’ici Montaigne, en étendant le contrôle par la pensée de la douleur du domaine seulement moral au domaine proprement physique, va donc plus loin que saint Augustin dans l’appréciation positive de la puissance de l’esprit. 2/ Essais, I, 21 [1588] : « Saint Augustin en nomme un autre, à qui il ne fallait que faire ouïr des cris lamentables et plaintifs, soudain il défaillait et s’emportait si vivement hors de soi, qu’on avait beau le tempêter et hurler, et le pincer et le griller, jusqu’à ce qu’il fut ressuscité : lors il disait avoir ouï des voix, mais comme venant de loin, et s’apercevait de ses échaudures et meurtrissures. Et ce que ce ne fut une obstination apostée contre son sentiment, cela le montrait, qu’il n’avait cependant ni pouls, ni haleine » (éd. Villey, p. 99). Montaigne cite presque littéralement Cité de Dieu, XIV, 24, B. A. 35, p. 452 sq. : « Quando ei [sc. un prêtre nommé Restitutus, de Calama, Numidie] placebat (rogabatur autem ut hoc faceret ab eis, qui rem mirabilem coram scire cupiebant), ad imitatas quasi lamentantis cujuslibet hominis voces ita se auferebat a sensibus et jacebat simillimus mortuo, ut non solum vellicantes atque pugentes minime sentiret, sed aliquando etiam igne uteretur admoto sine ullo doloris sensu, nisi postmodum ex vulnere ; non autem obnitendo, sed non sentiendo non movere corpus eo probabatur, quod tanquam in defuncto nullus inveniebatur anhelitus ; hominum tamen voces, si clarius loquerentur, tanquam de longinquo se audire

6 B. A. suit une autre leçon : inserverant (imparfait), non inserverunt (parfait).

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postea referebat. » – Bien qu’il reprenne littéralement la description augusti‐ nienne de ce cas, Montaigne ne lui garde pas la valeur d’argument théologique que lui assignait clairement saint Augustin. Ce dernier l’inscrivait en effet dans un raisonnement plus complexe : puisque, aujourd’hui encore, le corps peut obéir exactement à notre volonté alors que nous sommes pourtant en état de péché, comment ne pas admettre qu’il en était bien plus évidemment ainsi avant le péché et donc que la procréation pouvait donc avoir lieu sans désir involontaire ? « Quid causae est, ut non credamus ante inoboedentiae peccatorum corruptionisque supplicium ad propagandam prolem sine ulla libidine servire voluntati humanae humana membra potuisse ? » (ibid., p. 454). Il reste cependant un point d’accord entre les deux auteurs à propos de l’exemple commun : la puissance de l’imagina‐ tion dépasse ce que la vraisemblance admet communément. 3/ Essais, I, 21 [1588] : « Les outils qui servent à décharger le ventre, ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre notre avis, comme ceux-ci destinés à décharger nos rognons. Et ce que, pour autoriser la toute-puissance de notre volonté, saint Augustin allègue avoir vu quelqu’un qui commandait à son derrière autant de pets qu’il en voulait, et que Vivès son glossateur, enchérit d’un autre exemple de son temps, de pets organisés suivant le ton des vers qu’on leur prononçait, ne suppose non la pure obéissance de ce membre : car en est il ordinairement de plus indiscret et tumultuaire » (éd. Villey, p. 102-103). Simple allusion sans citation explicite, parce qu’il s’agit presque d’un décalque, à Cité de Dieu XIV, 24, 2, B. A. 35, p. 452 : « Nonnulli ab imo sine paedore ullo ita numerosos pro arbitrio sonitus edunt, ut ex illa etiam parte cantare videantur. » Soit, dans la traduction d’Hervet : « Quelque-uns font par en bas sans aucune honte [si on lit pudore]/sans ordure et puanteur [si on lit paedore] de si grands sons ainsi qu’il leur plaît, que même il semble qu’ils chantent par cet endroit là » (op. cit., p. 411). – Ce qui semble aussi faire allusion à un autre cas ajouté par Vivès : « De notre mémoire, il y eût un tel, allemand de nation, en cette ville à la suite de l’Empereur Maximilian et de son fils Philippe. Et qu’il n’y avait carme qu’il ne rendit avec le bruit sonnant de son derrière » (ibid., p. 411). – Cette fois, le cas se trouve bien utilisé par Montaigne au bénéfice du même argument théologique que saint Augustin, mais l’enjeu n’est pourtant pas le même. Pour saint Augustin, ces cas (celui-ci et le précédent, qui viennent du même texte) confirment l’hypothèse d’un ordre pré-lapsaire et donc aussi eschatologiquement possible des choses, où l’esprit contrôle le corps, par contraste avec l’ordre in via où le péché l’interdit. Alors que, pour Montaigne, il s’agit d’établir « la toute-puissance de notre volonté » dès cette vie, sans référence, comme pour saint Augustin, à son statut dans l’économie théologique du salut. Montaigne anticiperait ainsi plutôt sur Descartes. 4/ Essais, I, 27 [1580] : « Mais de condamner d’un train toutes pareilles his‐ toires me semble singulière impudence. Ce grand saint Augustin témoigne avoir vu, sur les reliques Saint Gervais et Protais, à Milan, un enfant aveugle recouvrer la

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vue ; une femme, à Carthage, être guérie d’un cancer par le signe de croix qu’une femme nouvellement baptisée lui fit ; Hesperius, un sien familier, avoir chassé les esprits qui infestaient sa maison, avec un peu de terre du Sépulcre de notre Seigneur, et, cette terre depuis transportée à l’Eglise, un paralytique en avoir été soudain guéri ; une femme en une procession, ayant touché la chasse de saint Etienne d’un bouquet, et de ce bouquet s’étant frottée les yeux, avoir recouvré la vue pieça perdue ; et plusieurs autres miracles, où il dit lui-même avoir assisté. De quoi accuserons-nous et lui et deux saints évêques, Aurelius et Maximinus, qu’il appelle pour ses recors [témoins] ? sera-ce d’ignorance, simplesse, facilité, ou de malice et imposture ? Est-il homme, en notre siècle, si impudent qui pense leur être comparable, soit en vertu et piété, soit en savoir, jugement et suffisance ? » (éd. Villey, p. 181). Il s’agit de la reprise littérale de plusieurs développements sur des miracles contemporains de saint Augustin en Cité de Dieu, XXII, 8, B. A. 37, respectivement n. 2, p. 561 (aveugle à Milan), n. 4, p. 568 (cancer), n. 7, p. 572 (Hesperius), n. 11, p. 578 (femme aux fleurs). – On constate ici un accord parfait des deux auteurs pour attester la toute-puissance de Dieu. Montaigne commence par : « Mais la raison m’a instruit que de condamner ainsi résolument une chose pour fausse et impossible, c’est se donner l’avantage d’avoir dans la tête les bornes et les limites de la volonté de Dieu et de la puissance de notre mère nature » (I, 27, éd. Villey, p. 179). Il s’agit là d’une thèse fondamentale et récurrente des Essais : notre raison, finie et faillible, ne peut, donc ne doit pas prononcer des impossibilités pour la puissance de Dieu7. Saint Augustin finit par : « Fiunt ergo etiam nunc multa miracula eodem Deo faciente per nos quod vult et ad quem modum vult, qui et illa quae legimus fecit » (XXII, 8, ibid., p. 588). Ou : « Ecce qualibus argumentis omnipotentiae Dei humana contradicit infirmitas, quam possidet vanitas » (XXII, 11, ibid., p. 602). Le scepticisme, s’il y a lieu d’en voir un ici, porte sur la portée de l’entendement humain, et renforce au contraire la reconnaissance de la toute-puissance divine. Pour les deux penseurs, les miracles deviennent ainsi non les objets du scepticisme, mais des arguments contre lui. 5/ Essais, I, 32 [1588] : « Dieu, nous voulant apprendre que les bons ont autre chose à espérer, et les mauvais autre chose à craindre que les fortunes ou infortunes de ce monde, il les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous ôte le moyen d’en prévaloir selon l’humaine raison. Ils n’en donnent jamais une touche, qu’ils n’en reçoivent deux. Saint Augustin en fait une belle preuve sur ses adversaires. C’est un conflit qui se décide par les armes de la mémoire plus que par celles de la raison » (éd. Villey, p. 216). Il s’agit d’un développement de Cité de Dieu, VIII,1, B. A. 33, p. 210 : « Placuit quippe divinae providentiae praeparare in posterum bona justis, quibus non fruentur injusti, et mala impiis, quibus non excruciabantur boni ; ista vero 7 Voir Montaigne, Essais, op. cit., II, 12, éd. Villey, p. 527sq., et nos rapprochements avec Descartes, Sur le prisme métaphysique de Descartes, PUF, Paris, 1986, p. 31 sq.

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temporalia bona et mala utriusque voluit esse communia, ut nec bona cupidius adpetantur, quae mali quoque habere cernuntur ; nec mala turpiter evitentur, quibus et boni plerumque adficuntur ». – L’auteur et le citateur s’accordent pour souligner que la distinction entre les biens et les maux ne coïncide pas avec la distinction entre les bons et les méchants, ni donc ne la contredit. Pour autant que ces biens et ces maux se réfèrent aux choses du monde, les justes ne doivent se soucier ni des uns, ni des autres, tandis que seuls les injustes peuvent y voir un critère de leur bonheur ou de leur malheur. Car la distinction entre les biens et les maux selon le monde n’a aucune pertinence par rapport à la distinction entre les bons et les méchants du point de vue de Dieu. Dieu enseigne donc aux bons l’indifférence envers les biens et les maux du monde en les distribuant arbitraire‐ ment. Mais ici, Montaigne semble plus théologique que saint Augustin, qui reste moraliste, puisqu’il utilise cet argument d’abord pour marquer la toute-puissance de la providence : « Somme il est malaisé de ramener les choses divines à notre balance » (ibid.). 6/ Essais, II, 8 [1580] : « Ce serait à l’aventure impiété en saint Augustin (pour l’exemple) si d’un côté on lui proposait d’enterrer ses écrits, de quoi notre religion reçoit un si grand fruit, ou d’enterrer ses enfants, au cas qu’il en eût, s’il n’aimait mieux enterrer ses enfants » (éd. Villey, p. 401). Sans doute s’agit-il d’une allusion au fait que saint Augustin avait eu un enfant : « …puerum Adeodatum, ex me natum carnaliter de peccato meo » (Confessions IX, 6, 14, B. A. 14, p. 94). Mais il n’y a pas de preuve obvie que Montaigne ait lu ce texte, bien qu’il semble peu vraisemblable qu’il ait ignoré les Confessiones (notre ignorance moderne ne pouvant servir de paradigme pour les Anciens)8. 7/ Essais, II, 12 [1588] : « Car Saint Augustin, plaidant contre ces gens-ci, a occasion de reprocher leur injustice en ce qu’ils tiennent les parties de notre créance fausses, que notre raison faut à établir ; et, pour montrer qu’assez de choses peuvent être et avoir été, desquelles notre discours ne saurait fonder la nature et les causes, il leur met en avant certaines expériences connues et indubitables auxquelles l’homme confesse ne rien voir ; et cela, comme toutes autres choses, d’une curieuse et ingénieuse recherche » (éd. Villey, p. 449).

8 E. Caron, « Saint Augustin dans les Essais », Montaigne Studies. An interdisciplinary Forum, vol. II/2, décembre 1990, dans une étude souvent trop polémique pour être utile, remarque néanmoins justement que « Si Montaigne ne cite pas nommément les Confessions de saint Augustin dans les Essais, pas plus qu’il ne cite certains autres textes fort connus (par exemple L’Institution [de la religion] chrétienne de Calvin), il n’y a aucune raison de penser qu’il n’en avait pas entendu parler » (p. 33). Et de citer Adeodatus (IV, 6, 14), dont Augustin « …remercie presque Dieu de lui avoir enlevé » l’effrayant génie.

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Il s’agit d’un clair renvoi à Cité de Dieu XXI, 5, 1, B. A. 37, p. 388. : « … Verum tamen homines infideles, qui, cum divina vel praeterita vel futura miracula praedicamus, quae illis experienda non valemus ostendere, rationem a nobis earum flagitant rerum, quam quoniam non possumus reddere (excedunt enim vires mentis humanae), existimant falsa esse quae dicimus, ipsi de tot mirabilibus rebus, quas vel videre possumus vel videmus, debent reddere rationem. Quod si fieri ab homine non posse perviderint, fatendum est eis non ideo aliquid non fuisse vel non futurum esse, quia ratio inde non potest reddi, quando quidem sunt ista, de quibus similiter non potest ». Cette citation appelle plusieurs remarques. D’abord, elle intervient dans un contexte massivement paulinien de l’éd. 15809, qui mobilise plusieurs citations des Epîtres : (a) « …fuir la mondaine philosophie » = Colossiens 2, 8 ; (b) « … notre sagesse n’est que folie devant Dieu » = 1 Corinthiens 3, 19 ; (c) «… l’homme qui présume de son savoir, ne sait pas encore que c’est que savoir » = 1 Corinthiens 8, 2 ; (d) « …l’homme, qui n’est rien, s’il pense être quelque chose, se séduit soi-même et se trompe » = Galates 6, 3. Or toutes ces références pauliniennes développent le paradoxe de la sagesse et de la folie (qui s’inversent entre Dieu et le monde), paradoxe qui a une fonction sceptique parce que biblique, comme chez Erasme (et d’ailleurs Luther). Ici Montaigne prend donc position pour le scepticisme chrétien. – Mais il faut ensuite noter qu’il s’agit, avec ce scepti‐ cisme chrétien, de réfuter l’athéisme, car : « …ce commencement de maladie [sc. Luther] déclinerait aisément en un exécrable athéisme » (p. 439) ; ou : « Il [sc. Sebond] entreprend, par raisons humaines et naturelles, établir et vérifier contre les athéistes tous les articles de la religion chrétienne » (p. 440) ; ou encore : « Et ce que dit Plato, qu’il y a peu d’hommes si fermes en l’athéisme, qu’un danger pressant ne les ramène à la reconnaissance de la divine puissance » (p. 445) ; et : « L’athéisme étant une proposition comme dénaturée et monstrueuse, difficile aussi et malaisée d’établir dans l’esprit humain, pour insolent et déréglé qu’il puisse être » (p. 446) ; Enfin : « Un athéiste se flatte à ramener tous les auteurs à l’athéisme » (p. 448). L’héritage montanien de Descartes, surtout dans les Lettres de 1630 et la Lettre à la Faculté de théologie de la Sorbonne en 1641 apparaît ici clairement. Surtout, toute la question que se pose saint Augustin dans le texte cité par Montaigne concerne la possibilité (et la légitimité) de reddere rationem (Cité de Dieu, XXI, 5, 1, ibid., p. 388 ; 5, 2, ibid, p. 392 et 394 ; enfin 7, 2, ibid. p. 408), en rapport avec la toute-puissance divine : « …fixam tamen apud nos esse rationem : non sine ratione omnipotentem facere, unde animus infirmus rationem non potest reddere » (5, 2, ibid., p. 394) ; « …omnipotentem Deum » (7, 2, ibid., p. 408) ; « Portentum ergo non fit contra naturam, sed contra quam est nota natura » (8, 2, ibid., p. 412) ; « Sicut ergo non fuit impossibile Deo, quas voluit 9 Comme l’a établi V. Carraud, en particulier dans « L’imaginer inimaginable : le Dieu de Montaigne », in V. Carraud et J.-L. Marion (éd.), Montaigne : scepticisme, métaphysique, théologie, PUF, Paris, 2004, p. 148 sq.

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instituere, sic non est ei impossibile, in quidquid voluerit, quas institutit, mutare naturas » (8, 4, ibid., p. 418). Enfin, il faut souligner que toutes ces interrogations relèvent de ce qu’Augustin nomme les choses quae non videntur, qui deviendront pour Descartes le domaine de l’incompréhensible, pourtant parfaitement connais‐ sable, sans aucun secours de l’imagination à l’entendement. 8/ Essais, II, 12 [1588] : « Ce n’est rien à la vérité que de nous. Il s’en faut tant que nos forces conçoivent la hauteur divine, que, des ouvrages de notre créateur, ceux-là portent mieux sa marque et sont mieux siens, que nous entendons le moins. C’est aux Chrétiens une occasion de croire, que de rencontrer une chose incroyable. Elle est d’autant plus selon raison, qu’elle est contre l’humaine raison. Si elle était selon raison, ce ne serait plus miracle ; et, si elle était selon quelque exemple, ce ne serait plus chose singulière. “Melius scitur Deus nesciendoˮ, dit saint Augustin ; et Tacitus : “Sanctius est ac reverentius de actis deorum credere quam scireˮ [De moribus Germanorum, 24] » (éd. Villey, p. 499). Pour une fois, cette citation ne renvoie pas à La Cité de Dieu, mais au De Ordine, II, 16, 44, B. A. 4, 438, par l’intermédiaire de Juste Lipse, Politiques I-210, truchement qui expliquerait justement qu’une citation ne provienne pas de la source jusque ici habituellement utilisée : « Quisquis ergo ita nesciens, non dico de summo illo Deo, qui scitur melius nesciendo, sed de anima ipsa sua quaerere ac disputare voluerit, tantum errabit quantum errari plurimum potest ». Ce que confirme De Trinitate VIII, 2, 3 : « Non enim parvae notitiae pars est, cum de profundo isto in illam summitatem respiramus, si antequam scire possimus quid sit Deus, possumus jam scire quid non sit » (B. A. 16, p. 30). – On remarque qu’à l’évidence tout le passage porte sur l’inconnaissance de Dieu : « Nous disons bien, puissance, vérité, justice : ce sont paroles qui signifient quelque chose de grand ; mais cette chose-là nous ne la voyons aucunement, ni ne la concevons » (p. 499). Autrement dit, « Ce n’est pas par discours ou par notre entendement que nous avons reçu notre religion, c’est par autorité et par commandement étranger. La faiblesse de notre jugement nous y aide plus que la force, et notre aveuglement plus que notre clairvoyance. C’est par l’entremise de notre ignorance plus que de notre science que nous sommes savants de ce divin savoir. Ce n’est pas merveille si nos moyens naturels et terrestres ne peuvent concevoir cette connaissance supernaturelle et céleste : apportons-y seulement notre obéissance et la subjection : “Car, comme il est écrit, ‘Je détruirai la sapience des sages, et abattrai la prudence des prudents. Où est le sage ? où est l’écrivain ?’ (Isaïe 29, 14 et 19,12) où est le disputateur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas abêti la sapience du monde ? Car, puisque le monde n’a pas connu Dieu par sapience, il lui a plus, par la vanité de la prédication, de sauver les croyantsˮ (1 Corinthiens 1, 19-21) » (p. 500). « L’ignorance qui se sait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas une entière ignorance : pour l’être, il faut qu’elle s’ignore soi-même » (p. 502). La

10 Selon Villey, ad loc., p. 1283.

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considération de la toute-puissance de Dieu, jusqu’ici dominante, implique donc aussi directement celle de son inconnaissabilité. Le rapport à Descartes va ainsi de soi (« …ipsa incomprehensibilitas in ratione formali infiniti continetur », Responsiones V, BOp I 1170, AT VII 368). 9/ Essais, II, 12 [1588] : « Voici l’excuse que nous donnent, sur la considé‐ ration de ce sujet, Scevola, grand Pontife, et Varro, grand théologien, en leur temps : Qu’il est besoin que le peuple ignore beaucoup de choses vraies et en croie beaucoup de fausses : “…cum veritatem qua liberetur inquirat, credatur ei expedire, quod falliturˮ » (éd. Villey, p. 535). Il s’agit d’une citation directe, mais laissée sans référence, de De Civitate Dei, IV, 27, B. A. 33, p. 61411. Pascal citera encore ce texte en le reprenant très probablement de Montaigne : « C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes, il faut souvent les piper, et un autre, bon politique, Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallitur » (Pensées, éd. Lafuma, § 60). Mais Pascal n'avait pas conscience que cette doctrine n’est pas celle de saint Augustin, qui ne cite Varron et Scevola que pour les réfuter peu après : « Ergo ista conjicere putari debui, nisi evidenter alio loco ipse [sc. ipse Varro] disceret de religionibus loquens, multa esse vera quae non modo vulgo scire non sit utile, sed etiam tametsi falsa sunt, aliter existimare populum expediat […]. Haec tamen fallacia miris modis maligni daemones delectantur, qui et deceptores et deceptos pariter possident, a quorum dominatione non liberat nisi gratia Dei per Jesum Christum Dominum nostrum » (De Civitate Dei, IV, 31, B. A. 33, p. 628)12. 10/ II, 12 [1588] : « A tel objet l’estomac se soulève ; à tel autre, quelque partie plus basse. Mais comme[nt] une impression spirituelle face [peut se faire] une telle faucée [sc. irruption] dans un sujet massif et solide, et la nature de la liaison et couture de ces admirables ressorts, jamais homme ne l’a su. “Omnis incerta ratione et in naturae majestate abditaˮ dit Pline [Histoire naturelle, II, 37] ; et saint Augustin : “Modus quo corporibus adhaerent spiritus, omnino mirus est, nec comprehendi ab homine potest : et hoc ipse homo estˮ » (éd. Villey, p. 539). Ce texte cite et modifie La Cité de Dieu, XXI, 10, 1, B. A. 37, p. 426 : « …Sed, ut dixi, miris et ineffabilibus modis adhaerendo, accipientes ex ignibus poenam, non dantes ignibus vitam ; quia et iste alius modus, quo corporibus adhaerent spiritus et animalia fiunt, omnino mirus est nec comprehendi ab homine potest, 11 Villey donne ici une référence incorrecte : IV, 31, ad loc. 12 Ce point a été établi par V. Carraud, Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, II, 1, « Le De Civitate Dei de…Montaigne », Vrin, Paris, 2007, p. 70-72. Une autre citation (« Il n’est point de combat si violent entre les philosophes, et si âpre, que celui qui se dresse sur la question du souverain bien de l’homme, duquel, par le calcul de Varro, naquirent 288 sectes », Essais II, 12, p. 577) atteste une lecture de l’unique source indirecte de Varron, saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX, 2 (B. A. 37, p. 52). Pascal dépend ici directement de Montaigne, non pas de saint Augustin (voir la démonstration de V. Carraud, Pascal et la philosophie, PUF, Paris,1992, p. 103 sq. et Pascal, Des Connaissances naturelles..., op. cit., p. 69).

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et hoc ipse homo est ». – On remarque que l’incompréhensibilité de l’union de l’esprit (de l’âme) aux corps renvoie à l’inconnaissabilité de l’homme à lui-même. Et donc que celle-ci reproduit l’incompréhensibilité de Dieu, suivant le thème bien connu de Grégoire de Nysse, De la création de l’homme XI, P. G., t. 44, col. 156b sq.)13. 11/ Essais, II, 12 [1580] : « La diversité d’idiomes et de langues […], qu’est-ce autre chose que cette infinie et perpétuelle altercation et discordance d’opinions et de raisons qui accompagne et embrouille le vain bâtiment de l’humaine science. [1588] Et l’embrouille utilement. Qui nous tiendrait, si nous avions un grain de connaissance ? Ce saint [sc. Augustin] m’a fait grand plaisir : « Ipsa utilitatis occultatio aut humilitatis exercitatio est, aut elationis attritio ». Jusques à quel point de présomption et d’insolence ne portons-nous notre aveu‐ glement et notre bêtise ? » (éd. Villey, p. 553 sq.). Ce texte de Cité de Dieu, XI, 22, B. A. 35, 98, cité sans nom d’auteur, confirme absolument que le scepticisme, portant sur toute l’étendue de la connaissance humaine sert un dessein théologique, celui de la reconnaissance de la toutepuissance divine. 12/ Essais, III, 4 [1582] : « En faveur des Huguenots, qui accusent notre confession privée et auriculaire, je me confesse en public, religieusement et pu‐ rement. Saint Augustin, Origène et Hippocrate ont publié les erreurs de leurs opinions ; moy, encore, de mes mœurs. Je suis affamé de me faire connaître ; et ne me chaut à combien, pourvu que ce soit véritablement ; ou, pour dire mieux, je n’ai faim de rien, mais je crains mortellement d’être pris en échange par ceux à qui il arrive de connaître mon nom » (éd. Villey, p. 846-7). S’agit-il d’une allusion, pour les « opinions » erronées reconnues comme telles, aux Confessiones et surtout aux Retractationes ? En tout cas, cette indication contredit l’interprétation habituelle selon laquelle Montaigne aurait absolument récusé de la confession des fautes. En fait, « Du repentir » ne soutient pas une thèse négative, mais bien positive sur la confession des fautes : « Je n’enseigne point, je raconte » sans rien reprendre, ni regretter, parce que « …si j’avais à revivre, je revivrais comme j’ai vécu, ni je ne plains le passé, ni je ne crains l’avenir » (ibid., p. 806 et 816). Ou bien : « Quant à moi, je puis désirer en général être autre ; je puis condamner et me déplaire de ma forme universelle et supplier Dieu pour mon entière réformation et pour l’excuse de ma faiblesse naturelle.

13 Voir la traduction française de J. Laplace (corrigée), « Sources Chrétiennes », no 6, Paris 19431, 20022, p. 122. A compléter par, entre autres, Basile de Césarée, Contre Eunome 111, 6, P. G. 29, col. 668b sq. (et éd. B. Sesboüé, « Sources Chrétiennes », n° 305, Paris, 1983, p. 166 sq.), ainsi que J. Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu, V, 259 sq., (éd. J. Daniélou, A.-M. Malingrey et R. Flacelière, « Sources Chrétiennes », no 28bis, p. 294 sq.). Sur cette incompréhensibilité selon saint Augustin, voir les textes analysés dans notre étude Au lieu de soi. L’approche de saint Augustin, PUF, Paris, 2008, § 40, p. 350 sq.

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Mais cela, je ne dois pas le nommer repentir, ce me semble, non plus que le déplaisir de n’être ni ange, ni Caton » (ibid., p. 813). Le repentir ainsi récusé ne s’opposerait pas tant à la confession (auriculaire ou publique, bref au sacrement du pardon), qu’à l’illusion de pouvoir refaire le passé, ou de le regretter en vain, bref qu’au ressentiment – à la fois le déni du passé irrémédiable et haine de soi pour ne l’avoir pas surmonté (en quelque sorte Nietzsche). La « réformation » et l’« excuse », qui définissent le sacrement de réconciliation, ne se confondent surtout pas avec le ressentiment. 13/ Essais, III, 5 [1588] : « Mais ceux-là desquels témoigne saint Augustin, ont donné un merveilleux effort de tentation à la nudité qui ont mis en doute si les femmes au jugement universel ressusciteront en leur sexe et non plutôt au nôtre, pour ne nous tenter encore en ce saint état » (éd. Villey, p. 860). Ce texte démarque Cité de Dieu XXII, 27, B. A. 37, p. 620-1 : « Nonnulli propter hoc, quod dictum est “Donec occurramus omnes in unitatem fidei, in virum perfectum, in mensuram aetatis plenitudinis Christiˮ (Ephésiens 4, 13) et “Conformes imaginis filli Deiˮ (Romains 8, 29), nec in sexu femineo resurrecturas feminas credunt, sed virili omnes aiunt, quoniam Deus solum virum fecit ex limo, feminam ex viro. Sed mihi melius sapere videntur, qui utrumque sexum resurrecturum esse non dubitant. Non enim libido ibi erit, quae confusionis est causa. Nam priusquam peccassent, nudi erant et non confundebantur vir et femina. Corporibus ergo illis vitia detrahentur, natura servabitur. Non est autem vitium sexus femineus, sed natura ». – Remarquons qu’Augustin s’oppose ici à Jérôme, Commentaire de l’épître aux Ephésiens, V, 29, Adversus Jovinianum, I, 36 (et sa réponse à Rufin, Apologia, I, 29), dont se rapprocherait plutôt la position de Montaigne. 14/ Essais, III, 11 [1582] : « Il me semble qu’on est pardonnable de mécroire une merveille, autant au moins qu’on peut en détourner et élider la vérification par voies non merveilleuses. Et suis l’avis de saint Augustin, qu’il vaut mieux pen‐ cher vers le doute que vers l’assurance ès choses de difficile preuve et dangereuse créance » (éd. Villey, p. 1032). Montaigne commente ici La Cité de Dieu, XIX, 18, B. A. 37, p. 132-4 : « … Credit [scientia] etiam scripturis sanctis et veteribus et novis, quas canonicas appellamus, unde fides ipsa concepta est, ex qua justus vivit ; per quam sine dubitatione ambulamus, quamdiu perigrinamur a Domino ; qua salva atque certa de quibusdam rebus, quas neque sensu, neque ratione percepimus, neque nobis per scripturam canonicam claruerunt, nec per testes, quibus non credere absur‐ dum est, in nostram notitiam pervenerunt, sine justa reprehensione dubitamus ». – On peut douter qu’il s’agisse du même argument chez les deux auteurs. En effet, Montaigne semble vouloir dire que l’on est pardonnable de ne pas croire comme une merveille ce qu’on peut expliquer naturellement et que le doute vaut mieux que la croyance dans le cas des choses difficiles et/ou dangereuses. Saint Augustin disait plutôt que si la foi est sauve et si les autres choses proposées à

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croire n’offrent aucune vérification (sensation, raisonnement, Ecritures ou témoins fiables), le doute est permis. Mais l’un et l’autre admettent que le doute peut rester, y compris dans les matières religieuses, une solution sage. ⁂ Que conclure de cette rapide revue ? D’abord que saint Augustin constitue une source et une lecture significative (et pour certains sans doute inattendue) de Montaigne. Ensuite qu’il ne s’agit pas seulement du de Civitate Dei, mais aussi du De Ordine et sans doute des Confessiones, et qu’il ne s’agit pas seulement de l’édition de 1588, mais d’abord de celle de 1580. Et aussi que saint Augustin se trouve compris comme un auteur sceptique, moins à cause du Contra Academicos, des Soliloquia ou d’un autre dialogue philosophique, qu’à cause de témoignages positifs et assertoriques concernant des phénomènes que le sens commun consi‐ dèrerait plus volontiers comme impossibles : il s’agit donc d’un scepticisme par excès de constatations incompréhensibles, assurées pourtant par des témoignages fiables. Il s’agit donc d’un scepticisme positif. On conçoit dès lors assez bien que ce scepticisme mette cette positivité au compte d’une incompréhensibilité elle-même positive, celle de la toute-puissance divine, qui accomplit de fait ce que la possibilité des philosophes ne peut conce‐ voir de droit. Ce scepticisme positif, par excès de la toute-puissance divine incom‐ préhensible aura un héritier radical, Descartes. On commence à admettre cette évidence parmi les historiens contemporains de la philosophie moderne. Ce que l’on ne réalise pas encore et qui demande certes d’autres vérifications, c’est que cette doctrine cartésienne ait un arrière-fond dessiné par saint Augustin, par le truchement de Montaigne. Certaines banalités doivent donc être affinées et être précisées. Ainsi R. Popkin14 n’a pas tort, en gros, de conclure que :

14 R. H. Popkin, The History of Scepticism from Erasmus to Spinoza, University of California Press, Berkeley, 1979, p. 43 ; reprise augmentée de The History of Scepticism from Erasmus to Descartes, Assen, Van Gorcum, 19601, 19683) Voir : « The marriage of the Cross of Christ and the doubts of Pyrrho was the perfect combination to provide the ideology of the French Counter-Reformation » ; et : « …He offers total scepticism as a ‘defense’ of the Catholic rule of faith » (« Theological and Religious Scepticism », The Christian Scholar, 39, 1956, p. 53 et p. 47). S’agit-il pourtant d’idéologie ou, au contraire, d’employer le scepticisme pour préserver la foi chrétienne de toute idéologie, y compris le scientisme naissant ou l’“humanisme” ininterrogé ? – De même E. Limbrick : « Nous estimons trouver la clef de la pensée religieuse de Montaigne en le considérant sous l’angle de l’augustinisme. Montaigne, ayant renoncé à trouver la Vérité et Dieu par les démarches de la raison humaine, sera amené à conclure, comme saint Augustin, que c’est la foi seule qui permet d’accéder aux plus hauts mystères ». Ou : « Montaigne va plus loin que saint Augustin : il s’autorise de saint Paul, son apôtre préféré, pour rabattre les prétentions de l’esprit humain [citant 1 Corinthinens 8, 12] » Et enfin : « Encore une fois, Montaigne se sert des textes du grand docteur pour garantir sa propre orthodoxie et éviter tout reproche d’athéisme » [53 = 64 : « …[il] chercha et trouva chez saint Augustin les éléments de pensée qui semblèrent favoriser ses propres opinions et qui garantirent son orthodoxie » (« Montaigne et saint Augustin », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 34,

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« The Apologie unfolds in Montaigne’s inimitable rambling style as a series of waves of scepticism, with occasional pauses to consider and digest various levels of doubt, but with the overriding theme an advocacy of a new form of fideism – Catholic Pyrrhonism ». Sans doute faut-il aussi voir la question en détail.

1972, respectivement p. 56, 53 et 64). Mais, peut-on demander, Montaigne avait-il besoin (et même la moindre conscience) d’avoir à garantir sa propre orthodoxie, dont il semble n’avoir jamais douté ?

MARTINE PéCHARMAN 

La formule eucharistique dans L’Art de penser en 1683 Quelle continuité avec le premier état de la Logique de PortRoyal ?

1. D’un anti-calvinisme diffus à la critique du sens calviniste de Cecy est mon corps 1a. Avant 1683

L’Avertissement de la cinquième édition en 1683 de La Logique ou L’Art de penser évoque, sans autre précision, des plaintes formulées par les ministres protestants à propos de certaines remarques contenues dans ce traité, « ce qui a obligé d’éclaircir & de soûtenir les endroits qu’ils ont voulu attaquer1 ». À en croire cette note liminaire des Messieurs de Port-Royal, les ajouts de 1683 corres‐ pondraient donc simplement à des passages incriminés par les protestants dans les éditions précédentes de la Logique. L’inventaire, cependant, desdits passages li‐ tigieux révèle une disproportion avec l’arsenal de chapitres ajoutés. Ces remarques éparses et succinctes n’appelaient pas directement, ni en telle abondance, les additions que l’Avertissement de 1683 présente comme des éclaircissements ou confirmations de leur contenu. Prenons le premier des traits décochés contre les protestants dès l’édition de 1662 de la Logique. On lit dans le chapitre consacré à l’analyse des termes complexes que « le mot de veritable religion ne signifie qu’une seule & unique religion, qui est dans la verité la catholique, n’y ayant que celle-là de veritable », et que ce n’est qu’au prix d’« une certaine universalité équivoque qu’on peut appeler une équivoque d’erreur » et faute de discernement de son référent réel, que le terme singulier la véritable religion se trouve appliqué à la religion protes‐ tante2. Il s’agit alors pour Port-Royal d’illustrer une propriété logique des termes 1 A. Arnauld et P. Nicole, La Logique ou L’Art de penser, contenant, Outre les Regles communes, plusieurs observations nouvelles, propres à former le jugement. Cinquième édition reveuë & de nouveau augmentee, chez Guillaume Desprez, Paris, 1683 (Avertissement sur cette nouvelle Edition, n.p.). 2 A. Arnauld et P. Nicole, La Logique ou L’Art de penser : Contenant, Outre les Regles communes, plusieurs observations nouvelles propres à former le jugement, chez Charles Savreux, Paris, 1662, I.vii, Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Des‐ cartes, 6), p. 159-188. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122601

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complexes individuels, leur fonctionnement comme des termes connotatifs, ou termes qui marquent à la fois distinctement une forme et confusément son sujet. L’expression la véritable religion ne signifie jamais qu’une seule religion, mais parce qu’elle ne signifie pas distinctement quelle est cette unique religion vraie, elle se trouve affectée de généralité. L’équivoque due à cette indétermination doit être dite « par erreur » lorsque, en faisant usage de ce terme singulier, on substitue à l’idée confuse du sujet unique auquel seul convient la forme être-la véritable religion, une idée distincte qui n’est pas celle de la religion catholique. Pour Port-Royal, la religion protestante usurpe dans la bouche de ses sectateurs la référence réelle du mot de véritable religion. L’analyse des termes complexes singuliers dans ce chapitre de la Logique ne se conclut pas à cet égard sans une dernière saillie qui prive la foi protestante du principe même dont elle se réclame, la pure parole de Dieu délivrée par l’Écriture seule : Le mot de, sens de l’Ecriture, estant appliqué par un heretique à une erreur contraire à l’Ecriture, signifiera dans sa bouche cette erreur qu’il aura crû estre le sens de l’Ecriture, & qu’il aura dans cette pensée appellé le sens de l’Ecriture. C’est pourquoy les Calvinistes n’en sont pas plus catholiques, pour protester qu’ils ne suivent que la parole de Dieu. Car ces mots de, parole de Dieu, signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu’ils prennent faussement pour la parole de Dieu3. L’anti-calvinisme distillé de-ci de-là dans la Logique dès 1662 tire aussi parti des observations des Messieurs sur les règles du raisonnement. Le chapitre sur la réduction des syllogismes complexes aux syllogismes incomplexes donne l’oc‐ casion d’une destitution par la doctrine syllogistique elle-même de la religion protestante. Port-Royal introduit parmi les exemples traités dans ce chapitre un syllogisme complexe qui n’est autre que la transposition en un argument en forme du rejet par les protestants d’une fondation de la foi en dehors de la révélation scripturaire4 : Nous devons croire l’Escriture. La Tradition n’est point l’Escriture. Donc nous ne devons point croire la Tradition. En se donnant cet exemple de syllogisme complexe, Port-Royal entend établir que le raisonnement supposé légitimer le principe protestant de la sola Scriptura ne satisfait en aucune façon aux règles logiques de la concluance d’un syllogisme. L’argument proposé serait valide s’il était effectivement ce qu’il paraît être, un p. 78. Ce développement est repris d’un écrit d’Arnauld sur la signature du formulaire composé en janvier 1662 en réplique à un écrit de Jean Domat : voir Blaise Pascal, Œuvres complètes IV, texte établi, présenté et annoté par Jean Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, [6], Additions à la Réplique, p. 1309. (L’achevé d’imprimer de la Logique est du 6 juillet 1662). 3 Logique (1662), I.vii, cit., p. 83-84. 4 Pour ce qui suit, voir Logique (1662), III.x, cit., p. 265.

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argument relevant de la deuxième figure du syllogisme, dans laquelle le terme moyen (le terme qui n’apparaît pas dans la conclusion) étant deux fois attribut, il faut que l’une des deux prémisses et la conclusion soient négatives. Mais tel n’est pas le cas. On doit le réduire à la première figure, où le terme moyen est sujet dans la prémisse majeure et attribut dans la mineure : L’Escriture doit estre creuë. La Tradition n’est pas l’Escriture. Donc la Tradition ne doit pas estre creuë. Une fois réécrit, le syllogisme de mode AEE en apparence conforme aux règles de la deuxième figure s’avère invalide selon les règles de la première figure dont il relève réellement, car il contrevient à une règle fondamentale de cette figure syllogistique, la nécessité d’une mineure affirmative. Port-Royal fait ainsi jouer les règles mêmes du syllogisme pour condamner l’opposition des protestants à la doctrine catholique selon laquelle les vérités divines sont renfermées non seule‐ ment dans les livres écrits, mais aussi sans écrit (sine scripto) dans les traditions que conserve l’Église5. 1b. L’Eucharistie : le sacrement et l’énoncé

Aucun des six chapitres ajoutés en 1683 ne participe d’une défense de ces quelques passages stigmatisant la religion protestante dans les éditions précé‐ dentes de l’Art de penser. Composés à partir de deux sources différentes - dont ils font converger les leçons - dans des œuvres déjà publiées par Port-Royal, le tome second de La Perpetuité de la foy de l’Eglise catholique touchant l’Eucharistie deffen‐ due contre les Livres du Sieur Claude ministre de Charenton (1672) et la Grammaire generale et raisonnée (1660), ils s’ordonnent tous, directement ou indirectement, à un enjeu spécifique, la justification par l’analyse logique, ou logico-grammaticale, de l’interprétation de la formule eucharistique Cecy est mon corps en un sens de réalité, autrement dit, l’interprétation récusée par les calvinistes6. Jusqu’aux additions de 1683, ce n’est pas avant la dernière partie sur la méthode et le 5 Voir pour cette double acception catholique de la révélation divine le Decretum de libris sacris et de traditionibus recipiendis du Concile de Trente (Session IV, Décret 1 du 8 avril 1546). Cf. dans la Logique (1662), le chapitre III.xviii (III.xix en 1664) sur « les mauvais raisonnements …dans la vie civile » : « Ainsi dans les choses de la foy, l’authorité de l’Eglise universelle est entierement decisive : & tant s’en faut qu’elle puisse estre un sujet d’erreur, qu’on ne tombe dans l’erreur qu’en s’écartant de son authorité, & refusant de s’y soûmettre » (cit., p. 353). 6 Les nouveaux chapitres comptent deux chapitres dans la Première partie sur les idées (I.iv, Des idées des choses, & des idées des signes ; I.xv, Des idées que l’esprit ajoûte à celles qui sont précisément signifiées par les mots) et quatre chapitres dans la Seconde partie sur les jugements (II.i, Des Mots par rapport aux Propositions ; II.ii, Du Verbe ; II.xii, Des sujets confus equivalens à deux sujets ; II.xiv, Des Propositions où l’on donne aux signes le nom des choses). Hormis les deux chapitres ajoutés au début de la Seconde partie, qui sont des transcriptions à partir de la Grammaire generale et raisonnée, tous les autres chapitres supplémentaires de 1683 ont leur source dans La Perpetuité de la foy.

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chapitre différenciant les deux voies générales de la connaissance de la vérité, la raison - au sens large, incluant les sens - et l’autorité, que l’Eucharistie se trouve convoquée dans la stratégie, qui reste diffuse, d’invalidation du calvinisme par des raisons logiques. Le propos est alors de récuser l’argument, avancé par « les heretiques », d’une contradiction entre la transsubstantiation du pain en corps du Christ et la permanence des qualités sensibles du pain après sa consécration7. Pour Port-Royal, cette prétendue contradiction s’évanouit dès que l’on prend en compte la nécessaire limitation de l’évidence sensible aux qualités extérieures d’un sujet, sans pouvoir donner la connaissance de ce sujet lui-même : [À] considerer les choses exactement, iamais ce que nous voyons evidemment & par la raison, ou par le fidele rapport des sens, n’est opposé à ce que la foy divine nous enseigne. Mais ce qui fait que nous le croyons, est que nous ne prenons pas garde à quoy se doit terminer l’evidence de nostre raison, & de nos sens. Par exemple, nos sens nous montrent clairement dans l’Eucharistie de la rondeur & de la blancheur, mais nos sens ne nous apprennent point si c’est la substance du pain qui fait que nos yeux y apperçoivent de la rondeur & de la blancheur ; & ainsi la foy n’est point contraire à l’evidence de nos sens, lors qu’elle nous dit que ce n’est point la substance du pain qui n’y est plus, ayant esté changée au corps de Iesus-Christ par le mystere de la Transsubstantiation, & que ce que nous y voyons n’est que les especes & les apparences du pain qui demeurent, quoyque la substance n’y soit plus. En 1662, il n’est donc question de l’Eucharistie que pour faire valoir l’impos‐ sibilité d’un désaccord entre la raison et l’autorité, lorsque l’autorité est celle de la foi divine. L’édition de 1683 va bien au-delà. Plusieurs des chapitres ajoutés l’assurent, sans négliger parfois d’évoquer (sans la nommer) La Perpetuité de la Foy qui a mené plus amplement cette réfutation, la controverse avec les calvinistes sur le sens de réalité ou de figure de l’Eucharistie peut être, à l’aide de principes logiques mis en évidence comme les fondements mêmes du langage naturel, sinon d’emblée résolue, du moins désembrouillée en vue de sa décision8. Ce qui est 7 Voir Logique (1662), IV.xi, cit., p. 436-437. Le passage cité ci-après appartient à un développement repris de l’un des écrits d’Arnauld sur les bulles d’Alexandre VII, daté d’avril 1657 : voir [Arnauld] Réflexions d’un Docteur de Sorbonne, Sur l’Avis donné par Monseigneur l’Evêque d’Alet […], III-IV, in Œuvres de Messire Arnauld, tome 21, Chez Sigismond d’Arnay, Paris, 1778, p. 21-23. 8 Voir Logique (1683), I.xv, cit., p. 125 : « C’est par là qu’il faut demêler une chicane importune que les Ministres ont renduë celebre, & sur laquelle ils fondent leur principal argument pour établir leur sens de figure dans l’Eucharistie » ; II.xii, cit., p. 192 : « C’est par là qu’on a éclaircy dans le Livre, dont on a emprunté cette remarque, l’embarras affecté que les Ministres se plaisent à trouver dans cette proposition, cecy est mon Corps, que personne n’y trouvera en suivant les lumieres du sens commun » et p. 194 : « Au reste on ne pretend pas decider icy cette importante question, de quelle sorte on doit entendre ces paroles, cecy est mon Corps, si c’est dans un sens de figure, ou dans un sens de realité. Car il ne suffit pas de prouver qu’une proposition se peut prendre dans un certain sens, il faut de plus prouver qu’elle s’y doit prendre. Mais comme il y a des Ministres qui par les principes d’une tres-fausse Logique soûtiennent opiniâtrement que les Paroles de Jesus-Christ ne peuvent recevoir le sens Catholique, il n’est point hors de propos d’avoir montré icy en abregé, que le sens Catholique n’a

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concerné n’est plus le sacrement lui-même par lequel s’opère l’union des fidèles dans le corps du Christ, et la formule proférée par le prêtre pour la consécration eucharistique, mais la proposition Cecy est mon corps prononcée la première fois par le Christ9. Un seul des chapitres ajoutés en 1683 fait encore place au sacrement de l’autel, dans le cadre de la définition générale de l’idée de signe par le rapport de représentation entre deux choses distinctes l’une de l’autre. L’idée d’un signe se définit par la dualité même que requiert la relation de représentation, elle est à la fois idée d’une chose comme en représentant une autre, et idée de la chose représentée. Parce qu’il est une chose avant d’être un signe, ou qu’il n’est un signe que parce que, en tant que chose, on le considère seulement comme représentant une autre chose, le signe peut consister en une chose qui ne révèle une autre chose qu’en la dissimulant. Tel est le cas de l’Eucharistie, qui occulte en tant que chose ce qu’elle révèle en tant que signe : [L]a même chose pouvant estre en même temps & chose & signe, peut cacher comme chose, ce qu’elle découvre comme signe…Ainsi les symboles Eucharistiques cachent le Corps de Jesus-Christ comme chose, & le découvrent comme symbole. Le dédoublement inscrit dans la nature même du signe autorise à dire que le corps du Christ est réellement caché sous le symbole du pain, tout comme le feu est réellement caché sous la cendre chaude qui en est le signe10. Le sacrement de l’Eucharistie sert de plus à illustrer la permanence de l’idée de signe, alors même que la chose représentante dont l’idée fait nécessairement (ou structurellement) venir à l’esprit l’idée de la chose représentée n’est plus présente en substance, mais que seule son apparence extérieure demeure : [L]a nature du signe consistant à exciter dans les sens par l’idée de la chose figurante celle de la chose figurée, tant que cet effet subsiste, c’est à dire tant que cette double idée est excitée, le signe subsiste, quand même cette chose seroit détruite en sa propre nature. Ainsi il n’importe […] que le pain de l’Eucharistie subsiste en sa propre nature, pourveu qu’il s’excite toûjours dans

rien que de clair, de raisonnable, & de conforme au langage commun de tous les hommes » ; II.xiv, cit., p. 210 : « C’est par ces principes qu’il faut decider cette importante question, si l’on peut donner à ces paroles, Cecy est mon Corps, le sens de figure ; ou plustost c’est par ces principes que toute la terre l’a decidée, toutes les nations du monde s’étant portées naturellement à les prendre au sens de realité, & à en exclure le sens de figure ». 9 Pour une mise en valeur de l’originalité de cette approche en la comparant aux discussions médiévales portant plutôt sur la formule prononcée par le prêtre, voir I. Rosier-Catach, « Les Médiévaux et Port-Royal sur l’analyse de la formule de la consécration eucharistique », in Penser l’histoire des savoirs linguistiques. Hommage à Sylvain Auroux, éd. par S. Archaimbault, J.-M. Fournier et V. Raby, ENS Éditions, Lyon, 2014, p. 535-555. Pour l’énoncé néotestamentaire Cecy est mon corps, voir Matthieu, XXVI, 26 ; Marc, XIV, 22 ; Luc, XXII, 19 dans la version de Port-Royal, Le Nouveau Testament de Nostre Seigneur Jesus Christ, traduit en François Selon l’edition Vulgate, avec les différences du Grec, Chez Gaspard Migeot, Mons, 1667, p. 106 ; p. 182 ; p. 305-306. 10 Les deux exemples sont conjoints dans Logique (1683), I.iv, cit., p. 57.

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nos sens l’image d’un pain qui nous serve à concevoir de quelle sorte le corps de Jesus-Christ est la nourriture de nos ames, & comment les fideles sont unis entr’eux11. Mais en dehors de cette survivance du sacrement même de l’Eucharistie comme exemple paradigmatique pour la définition et la caractérisation de l’idée de signe, c’est l’énoncé néotestamentaire qui mobilise pour son analyse la batterie de passages importés en 1683 non seulement de La Perpetuité de la foy, mais aussi de la Grammaire generale et raisonnée. On ne se situe plus désormais à propos de l’Eucharistie au niveau d’un simple exemple emprunté à la théologie, comme c’est le cas dans le chapitre sur la raison et l’autorité - un exemple à côté de bien d’autres dans L’Art de penser, car Port-Royal prend une multitude d’exemples de différentes sciences pour rendre manifestes l’utilité et la fécondité des préceptes de la nouvelle logique12. Les chapitres ajoutés en 1683 forment entre eux comme un système qui a pour seul objet l’inscription de l’énoncé néotestamentaire parmi les énoncés du langage naturel, des énoncés dont la tâche de l’analyse logique est de restituer les fondements dans les opérations de l’esprit. 1c. Donner à un signe le nom de la chose signifiée : à quelles conditions ?

Le chapitre dans lequel le sacrement de l’Eucharistie apparaît encore à titre d’exemple contribue lui aussi à cette focalisation sur Cecy est mon corps, car la classification des signes à laquelle il procède selon trois dichotomies principales (certains/probables, joints aux choses/séparés des choses, naturels/d’institution) ne permet pas seulement cette exemplification, qui intervient à propos de la seconde dichotomie. La dernière dichotomie dans la typologie des signes, leur division en naturels et institués, constitue un jalon essentiel pour tout un volet ensuite de l’analyse logique de l’énoncé eucharistique. En dehors du chapitre I.iv définitionnel sur l’idée de signe, les autres chapitres ajoutés en 1683 se distribuent en effet en deux ensembles, selon que la critique par Port-Royal du sens calviniste de figure pour Cecy est mon corps concerne la signification du pronom neutre qui est le terme-sujet, ou qu’elle concerne l’affirmation par laquelle l’attribut mon corps se trouve prédiqué de ce sujet. Les deux ensembles sont d’ampleur inégale, le premier se déploie en plusieurs chapitres (I.xv, II.i, II.xii), le second se limite à un seul (II.xiv). C’est ce dernier volet dans l’élucidation par la Logique du statut de la proposition prononcée par le Christ à l’adresse des Apôtres qui se trouve préparé dans le chapitre I.iv par la distinction, face aux signes naturels, « qui ne dependent pas de la phantaisie des hommes », d’une classe de signes « qui ne sont que d’institution & d’établissement, soit qu’ils ayent quelque raport éloigné avec la

11 Logique (1683), I.iv, cit., p. 57-58. 12 Voir La Logique ou L’Art de penser […]. Seconde Edition, reveuë & augmentée. chez Charles Savreux, Paris, 1664, Second Discours, Contenant la Response aux principales Objections qu’on a faites contre cette Logique, p. 25-28, pour la défense de la « bigarrure » de matières données en exemples.

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chose figurée, soit qu’ils n’en ayent point du tout13 ». Les mots sont aussitôt dési‐ gnés comme l’exemple par excellence des signes d’institution (« Ainsi les mots sont signes d’institution des pensées »), et de ce fait les chapitres supplémentaires introduits en 1683 par la définition du signe en I.iv ont parfois été vus comme l’émergence d’une réflexion faisant venir tardivement au premier plan dans la Logique le problème proprement dit du langage14. J’ai défendu au contraire la thèse d’une requalification en 1683, au moyen de la catégorie de représentation par laquelle se définit l’idée de signe, d’un modèle de la signification linguistique établi dès la première édition de 166215. La définition du signe ajoutée à la Logique en 1683 et culminant dans la distinction entre les signes naturels et les signes d’institution n’a pas pour fin de faire venir le langage sur le devant de la scène. Le langage, si l’on peut dire, a toujours été là, et constamment au premier plan, dans les éditions précédentes de l’Art de penser. Mais le problème devient, en 1683, de la détermination du type d’affirmation que constitue l’énoncé néotestamentaire Cecy est mon corps. Le sacrement de l’Eucharistie faisant partie des choses pour lesquelles l’esprit n’a pas l’idée d’une chose « dans son propre estre », mais seule‐ ment comme représentant ou figurant une autre chose - ce qui définit l’idée de signe16 -, il est crucial pour Port-Royal de montrer que l’énoncé néotestamentaire Cecy est mon corps n’a pourtant pas le sens de figure. Il y a figure dans la chose de l’Eucharistie, comme le souligne le chapitre I.iv, mais il n’y a pas figure dans les paroles Cecy est mon corps prononcées par le Christ, comme s’attachent à le montrer les autres chapitres ajoutés en 1683. C’est à cet égard que la division des signes selon que leur origine est naturelle ou arbitraire importe au moment de la définition de l’idée de signe. S’il est essentiel d’introduire la catégorie des signes d’institution, ce n’est pas pour mettre en valeur l’appartenance des mots à cette catégorie, mais pour examiner ensuite les conditions d’application, dans le cas de tels signes, de la « regle qui permet d’affirmer les choses signifiées de leurs signes17 ». Attribuer à un signe le nom de la chose qu’il signifie, revient pour la proposition ainsi formée à déclarer que son sujet est seulement « en signification

13 Logique (1683), I.iv, cit., p. 58. 14 Voir l’Introduction de Louis Marin à son édition de La Logique ou L’Art de penser, Flammarion, Paris, 1970, p. 19-20. 15 Je me permets de renvoyer à mon article « Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique de Port-Royal », Methodos [en ligne], 16/2016. 16 Logique (1683), I.iv, cit., p. 55. L’erreur calviniste consiste pour Port-Royal à dissocier les deux choses jointes ensemble dans l’Eucharistie, sa partie visible et sa partie invisible. On n’est pas autorisé à conclure, du rapport de signification de la chose visible à la chose invisible, que la co-présence de la chose signifiée avec la chose signifiante est exclue, et que l’Eucharistie n’est qu’un signe pour une chose absente. La nature représentative du signe ne préjuge pas de l’absence de la chose représentée, « il y a des signes de choses presentes », comme « il y a des signes de choses absentes », « [c]’est donc par la nature particuliere du signe qu’il en faut juger » (ibid., p. 56). 17 Logique (1683), II.xiv, cit., p. 205. Le début du chapitre souligne la continuité avec la définition de l’idée de signe dans I.iv : « Nous avons dit dans la premiere partie, que des idées les unes avoient pour objet des choses, les autres des signes. Or ces idées de signe attachées à des mots venant à composer des propositions, il arrive une chose qu’il est important d’examiner en ce lieu, & qui appartient

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& en figure », non réellement, la chose dont le prédicat est le nom18. Port-Royal doit donc montrer que l’application indifférenciée de cette règle par les calvinistes, qui se réclament d’elle pour refuser le sens de réalité de l’énoncé eucharistique, est injustifiable du point de vue de la doctrine logique du discours. La règle ne fait pas difficulté s’agissant de propositions portant sur des signes naturels. Le sens de figure est alors immédiatement conçu par le destinataire du discours, car un signe naturel est un signe qui entretient un « rapport visible » avec la chose qu’il signifie : « Et ainsi l’on dira sans preparation & sans façon d’un portrait de Caesar, que c’est Caesar, & d’une carte d’Italie, que c’est l’Italie19 ». Mais il en va tout autrement lorsque le discours porte sur des signes d’institution. La formation d’une proposition affirmant qu’un signe est la chose qu’il signifie n’est alors acceptable que si l’énoncé ainsi produit répond à une question dont le locuteur est en droit de supposer que l’esprit du destinataire la lui fait intérieurement, à savoir, la question : cette chose-signe, de quoi est-elle le signe ? Une double condition doit être remplie, d’une part que l’esprit du destinataire ait déjà l’idée de signe pour le sujet de la proposition, d’autre part qu’il ignore l’identité de la chose signifiée par ce signe. La Logique enferme ces deux conditions dans un précepte ou maxime « de sens commun » : Que l’on ne donne aux signes le nom des choses que lors que l’on a droit de supposer qu’ils sont déja regardez comme signes, & que l’on voit dans l’esprit des autres qu’ils sont en peine de sçavoir non ce qu’ils sont, mais ce qu’ils signifient20. La règle autorisant l’attribution aux signes du nom des choses se trouve contrôlée dans son application par une règle plus fondamentale, la « regle, qu’il faut que l’esprit de ceux à qui on parle regarde déjà le signe comme signe, & soit en peine de sçavoir de quoy il est signe21 ». Cette méta-règle est caractéristique de la manière dont Port-Royal conçoit l’analyse logique : la doctrine des termes et des propositions a pour tâche dans L’Art de penser de rendre raison de la significa‐ tion des énoncés du langage naturel, aussi doit-elle intégrer la considération de la relation entre l’esprit du locuteur et l’esprit du destinataire de son discours. Pour les Messieurs, un énoncé doit toujours être étudié en ayant égard à l’intention qui le sous-tend chez le locuteur d’engendrer une compréhension déterminée dans l’esprit d’autrui, et il faut tenir compte du fait que cette visée par le locuteur d’un certain effet mental à produire chez le destinataire du discours intègre elle-même la considération des pensées dont le locuteur peut supposer qu’elles se trouvent déjà dans l’esprit d’autrui. Les propositions où l’on donne à des signes le nom

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proprement à la Logique ; C’est qu’on en affirme quelquefois les choses signifiées : Et il s’agit de sçavoir quand on a droit de le faire […] » (ibid., p. 204). Voir Logique (1683), II.xiv, cit., p. 204-205. Ibid. Logique (1683), II.xiv, cit., p. 208. Ibid., p. 211.

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des choses signifiées ne sauraient faire exception au principe qui fonde l’usage du langage entre les hommes : tout locuteur prend en considération, dans la formation de son discours, la disposition de l’esprit de son destinataire à recevoir ce discours en un sens déterminé. La méta-règle que la Logique dérive de ce principe pour la formation des propositions où l’on attribue à des signes le nom de ce qu’ils signifient interdit par conséquent de placer l’énoncé Cecy est mon corps au nombre de ces propositions : Car les Apôtres ne regardant pas le Pain comme un signe, & n’étant point en peine de ce qu’il signifioit, Jesus-Christ n’auroit pû donner aux signes le nom des choses, sans parler contre l’usage de tous les hommes, & sans les tromper22. Une proposition affirmant qu’un signe est la chose signifiée n’a de légitimité qu’à la condition que le terme-sujet soit déjà pour le destinataire de ce discours un mot lui faisant concevoir une idée de signe, sans que cette idée de signe soit complète, car la connaissance de la chose signifiée fait encore défaut. Il y a idée de la représentativité du signe, mais non de ce qui est représenté/figuré par cette chose représentante/figurante. Un énoncé attribuant à un signe le nom de ce qu’il signifie doit donc venir combler la lacune cognitive associée dans l’esprit d’autrui à l’idée de ce signe. Mais dans le cas de la proposition néotestamentaire Cecy est mon corps, ces conditions ne sont pas réunies. On ne saurait supposer que l’énoncé de Jésus-Christ répond à l’attente d’un complément de connaissance et remédie à l’inachèvement dans l’esprit des Apôtres de l’idée de signe pour la chose désignée par le mot Cecy. L’idée que les Apôtres conçoivent déjà pour le terme-sujet Cecy lorsque Jésus-Christ désigne le pain est une idée de chose (l’idée du pain « dans son propre estre », peut-on dire à la façon du chapitre I.iv), et non pas une idée de signe, et il est impossible de supposer dans leur esprit la question antécédente ce pain, de quoi est-il le signe ?, à laquelle l’énoncé Cecy est mon corps devrait venir répondre. En parlant aux Apôtres, Jésus-Christ se conforme nécessairement aux principes du langage humain, il y aurait mésusage du langage de sa part, s’il voulait dire Cecy est le signe de mon corps lorsqu’il profère les mots Cecy est mon corps, car il trahirait alors le principe le plus fondamental du discours, proportionner le vouloir-dire qui sous-tend un énoncé à ce qui est déjà dans l’esprit du destinataire de cet énoncé. Sauf à prêter à Jésus-Christ des paroles inadéquates à ce qu’il voulait dire, ce qui serait incongru, on ne peut pas tenir l’énoncé néotestamentaire Cecy est mon corps pour un énoncé formé dans l’intention d’être entendu en un sens de figure. Si le second volet en 1683 de l’invalidation par la Logique du sens calviniste de l’énoncé eucharistique occupe moins d’espace que le premier, et consiste seule‐ ment en un chapitre, ce n’en est pas moins lui qui autorise à trancher en faveur du sens de réalité contre le sens de figure. L’examen des conditions d’application de

22 Ibid., p. 210.

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la règle d’attribution à un signe du nom de la chose signifiée met fin à l’indécision sur laquelle se conclut auparavant l’analyse logico-grammaticale du mode de signification du pronom démonstratif neutre sujet de la proposition Cecy est mon corps. L’énoncé eucharistique doit-il être compris dans un sens de figure ou dans un sens de réalité ? Le chapitre II.xii avec lequel se termine la phase initiale de l’examen de Cecy est mon corps laisse cette interrogation encore ouverte : « on ne pretend pas decider icy cette importante question23 ». Le propos est d’abord de désintriquer, d’éclaircir, sans plus. On réussit ainsi à montrer, contre les calvinistes qui soutiennent « par les principes d’une tres-fausse Logique » l’impossibilité du sens de réalité, que ce sens « n’a rien que de clair, de raisonnable, & de conforme au langage commun de tous les hommes24 ». Mais la preuve de la possibilité du sens de réalité de Cecy est mon corps n’est pas celle de sa nécessité, le changement de modalité ne se fait qu’après avoir redoublé l’analyse de la manière de signifier du pronom neutre avec l’élucidation des conditions requises pour qu’un énoncé de la forme cette chose est cette autre chose soit entendu comme un énoncé figuratif, c’est-à-dire comme un énoncé dans lequel le verbe est se prend non pas littéralement, dans sa fonction de copule, mais comme étant mis pour le verbe signifie, ou figure, ou représente. L’énoncé eucharistique ne pouvant pas être régi par les réquisits d’une proposition figurative, la preuve est donnée a contrario qu’il faut lui reconnaître le sens de réalité. En soumettant la règle dont dépend selon les calvinistes le sens de figure de Cecy est mon corps à la normativité supérieure d’une méta-règle, Port-Royal se donne le moyen, dans le chapitre II.xiv avec lequel s’achèvent les additions de 1683, de soustraire l’énoncé eucharistique à l’indécision précédente de son statut.

2. Termes complexes et propositions incidentes : une doctrine in fieri 2a. L’arrière-plan de l’édition de 1662

Ainsi que le souligne la conclusion de l’Avertissement de 1683, c’est à une extension du contenu propre de l’Art de penser que l’on a affaire avec les additions de la cinquième édition, une extension qui appartient de droit à la théorie logique de Port-Royal, indépendamment de la controverse théologique sur l’Eucharistie : [Q]uoyque ce soient des contestations Theologiques qui ont donné lieu à ces Additions, elles ne sont pas moins propres ny moins naturelles à la Logique ; & l’on les auroit pû faire quand il n’y auroit jamais eû de Ministres au monde qui auroient voulu obscurcir les veritez de la foy par de fausses subtilitez.

23 Logique (1683), II.xii, cit., p. 194. 24 Ibid.

LA FORMULE EUCHARISTIQUE DANS L’ART DE PENSER EN 1683

Bien que les additions de 1683 - deux chapitres mis à part25 - consistent en des développements repris de La Perpetuité de la foy, l’analyse logique de la formule eucharistique en 1683 ne se trouve pas rendue tributaire de la dispute théologique sur son sens de réalité ou de figure, car les passages incorporés à la Logique constituent eux-mêmes dans le traité anti-calviniste de 1672 une application des principes logiques de l’analyse de la signification des mots et des propositions, tels qu’ils ont été définis par Arnauld et Nicole en 1662. Il n’y a pas intrusion de la théologie dans la logique, et encore moins annexion de la logique par la théologie. Avec les additions de 1683, on ne va jamais que de la Logique à la Logique par la médiation de la critique dans La Perpetuité de la foy de la méconnaissance calviniste tant des « veritables regles du langage humain » (bafouées par la subsomption de Cecy est mon corps sous la règle de l’attribution aux signes du nom des choses signifiées), que des « regles de la vraye logique » (transgressées par les « subtilitez de logique » des ministres)26. Ces deux formes d’ignorance n’en font d’ailleurs qu’une pour les Messieurs, qui prônent une conception non-formaliste de la logique, accordant le primat dans l’analyse des expressions à l’intention de signification du locuteur et, si l’on peut dire, au travail de suppléance mentale dont il peut par avance créditer le destinataire de son discours27. On vient de le voir,

25 Les chapitres II.i et II.ii repris de la Grammaire generale et raisonnée. Ces deux chapitres ne permettent pas seulement d’introduire désormais la définition de la proposition en II.iii (Ce que c’est qu’une proposition ; & des quatre sortes de propositions - l’ancien chapitre II.i) à partir d’une définition préalable de ses éléments ou parties, d’une part les noms et pronoms, qui sont des mots signifiant les objets de nos pensées, d’autre part le verbe, qui est un mot dont l’usage essentiel est de signifier la principale manière de nos pensées, l’affirmation. Comme le précise le début du nouveau chapitre II.ii Du Verbe (cit., p. 137-138), lui seul est repris sans changement de la Grammaire generale et raisonnée, car « on n’y pouvoit rien ajoûter », alors que le chapitre II.i Des Mots par rapport aux Propositions contient « quelques points…expliquez d’une autre maniere ». Ces variations de 1683 par rapport au traité de 1660 concernent les pronoms et servent à appuyer les développements de I.xv et II.xii. 26 Voir [Antoine Arnauld et Pierre Nicole] La Perpetuité de la foy de l’Eglise catholique touchant l’Eucha‐ ristie deffendue contre les Livres du Sieur Claude ministre de Charenton. Tome Second. Contenant les preuves de la Doctrine de l’Eglise tirées de l’Ecriture, & des Peres des six premiers Siecles, & la refutation des deffaites par lesquelles les Ministres se sont efforcez de les éluder, & principalement de leur fausse comparaison d’expressions, & des deux clefs celebres de figure & de vertu. À Paris, Chez la Veuve Charles Savreux, 1672. Dans ce Tome Second de La Perpetuité de la foy, le premier manquement des calvinistes (aux principes du langage) est dénoncé dans le Livre I, chapitre xii, p. 92-102 ; leur seconde infraction (aux principes de la logique) l’est dans le Livre II, « Où l’on répond aux Objections de logique que les Ministres proposent contre le sens littéral de ces paroles, Cecy est mon Corps », principalement chapitre ii, p. 151-166 (aussi chapitre v, p. 195-223). 27 La leçon fondamentale à retenir des analyses logico-linguistiques de L’Art de penser se trouve parfaite‐ ment recueillie dans une « reflexion » de La Perpetuité de la foy : « [L]es hommes parleroient…tout autrement qu’ils ne font, s’ils ne connoissoient rien du tout de ce que les autres ont dans l’esprit, & s’ils n’y voyoient point de certaines pensées selon lesquelles ils reglent leurs paroles. On ne sçauroit faire tant soit peu reflexion sur la nature du langage humain, que l’on ne reconnoisse qu’il est tout fondé sur cette penetration imparfaite de l’esprit des autres. Et c’est ce qui fait qu’en parlant il y a des choses que nous n’exprimons point, parce que nous supposons qu’elles sont déja connuës à ceux qui nous entendent ; que nous n’en marquons d’autres qu’à demy, sur l’assurance que nous avons qu’ils suppléeront à ce que nous n’exprimons pas ; que nous répondons à ce que nous lisons dans l’esprit

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l’invalidation du sens calviniste de Cecy est mon corps est acquise en 1683 lorsque les Messieurs démontrent dans le chapitre II.xiv que selon les règles naturelles du langage humain, il est impossible que ces paroles de Jésus-Christ s’expliquent par l’intention de répondre à une question que Jésus-Christ lirait dans l’esprit des Apôtres, la question intérieure de quoi ce signe est-il le signe ? à propos du pain désigné par le pronom Cecy. Mais avant cela, le chapitre II.xii, tirant la leçon du chapitre I.xv renforcé du chapitre II.i réécrit à partir de la Grammaire generale et raisonnée, a démontré que l’on peut faire correspondre, à l’énoncé proféré par Jésus-Christ, la conception par les Apôtres d’une proposition mentale dont Cecy est mon corps n’est que l’abréviation, la proposition Cecy qui est Pain dans ce moment icy, est mon Corps dans cet autre moment28. Ce qui permet de « demêler » et « éclaircir » les arguties logiques des calvinistes sur la signification du sujet pronominal de l’énoncé néotestamentaire, c’est cette correspondance entre la « proposition abregée » exprimée par Jésus-Christ et la « proposition étenduë » entendue par les Apôtres29. L’esprit des destinataires du discours de Jésus-Christ supplée immédiatement toutes les idées que son discours n’explicite pas : Ainsi Jesus-Christ prononçant le mot de Cecy, l’esprit des Apostres y ajoûtoit, qui est Pain : & comme il [sc. leur esprit] concevoit qu’il estoit Pain dans ce moment là, il y faisoit aussi cette addition du temps. Et ainsi le mot de Cecy formoit cette idée, cecy qui est Pain dans ce moment icy. De mesme quand il dit que c’estoit son Corps ; ils conçurent que cecy estoit son Corps dans ce moment là. Ainsi l’expression, Cecy est mon Corps forma en eux cette proposition totale : Cecy qui est Pain dans ce moment-cy, est mon Corps dans cet autre moment : & cette expression estant claire, l’abregé de la proposition qui ne diminuë rien de l’idée, l’est aussi30. Mon but n’est pas de proposer un commentaire suivi des chapitres de 1683 qui conduisent à cette première conclusion, ni de reconstituer les arguments de logique contre le sens littéral de Cecy est mon corps que ces nouveaux cha‐ pitres combattent chez les calvinistes31. Il est seulement de souligner comment l’ensemble formé par les chapitres I.xv, II.i et II.xii vient parachever un processus

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des autres, & que prévoyant le sens auquel ils doivent prendre nos paroles, nous choisissons celles qui doivent former dans leur esprit l’idée que nous y voulons imprimer » (II.I.xii, op. cit., p. 95-96). Voir Logique (1683), cit., II.xii, p. 193-194. Ibid., p. 194 (cf I.xv, p. 125). L’action d’éclaircir ou démêler le soi-disant embarras selon les calvinistes de la formule eucharistique, que ce chapitre II.xii distingue de l’action de décider la question du sens de figure ou de réalité, caractérise ce que j’ai désigné plus haut comme la première phase de la critique en 1683 : la réduction de cette prétendue difficulté à néant fait apparaître la possibilité du sens littéral, sa nécessité requiert encore dans une seconde phase la démonstration de II.xiv. Ces deux aspects de la critique du sens calviniste de Cecy est mon corps s’inscrivent parfaitement dans le projet de l’Art de penser (annoncé dans le sous-titre) de former le jugement : la nouvelle logique doit servir à la formation d’un jugement sur la signification des différentes formes propositionnelles, autrement dit d’un jugement sur les jugements signifiés par les propositions du langage humain. Logique (1683), cit., II.xii, p. 193-194. Voir, pour cette reconstitution, l’article déjà cité d’Irène Rosier-Catach.

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cumulatif de composition, à partir de la première édition de 1662, d’un contenu bien particulier de la Logique de Port-Royal, l’analyse des termes complexes et des propositions incidentes. Entre la seconde édition de 1664 et la cinquième édition de 1683, il n’y a pas eu de modifications d’importance apportées par Arnauld et Nicole au contenu de leur Logique, seulement quelques variantes minimes dans les troisième et quatrième éditions de 1668 et 1674. On peut considérer, comme nous y engage l’édition critique de la Logique procurée par Dominique Descotes en 201132, que les additions introduites en 1664 ont en fait porté le manuel de logique d’Arnauld et Nicole à son véritable contenu original achevé. La Logique s’est constituée par apports successifs, et l’édition de 1662 représente plutôt une étape intermédiaire ou de transition entre l’ébauche que constitue le Manuscrit Vallant, probablement composé en 1659/1660, et le manuel de 1664, l’édition que l’on pourrait dire originale-complète de 166433. Certains des chapitres qui font leur apparition en 1662 et qui n’existaient pas dans le Manuscrit Vallant relèvent simplement d’une stratégie garantissant l’inscription de la Logique publiée par les Messieurs parmi les manuels formant, si l’on peut dire, l’orthodoxie logique dans la seconde moitié du xviie siècle. Un chapitre sur les catégories se trouve ainsi intégré à la première partie de la Logique, la théorie des idées, et deux chapitres sur la méthode d’invention des arguments et la classification des lieux apparaissent dans la troisième partie sur le raisonnement. Si la réception du manuel de logique proposé par Port-Royal se trouve de ce fait facilitée, les Messieurs ne se privent pas, cependant, d’infléchir dans une direction nouvelle la tradition dans laquelle ils paraissent accepter de s’inscrire. Le chapitre I.iii Des dix Categories d’Aristote absent du Manuscrit Vallant et introduit pour la première édition substitue au plan ontologique aristotélicien un plan strictement gnoséologique d’inspiration cartésienne. Les catégories relèvent désormais de la « consideration des idées selon leurs objets34 », autrement dit selon ce qu’elles représentent - dans le lexique cartésien, la considération de leur réalité objective. Les catégories d’Aristote ne sont plus des catégories de choses, mais des catégories de choses représentées dans l’esprit par les idées. Port-Royal insiste en outre sur la nocivité de la liste aristotélicienne des dix catégories pour « former le jugement, qui est le but de la vraye Logique35 ». Au lieu d’une formation du jugement, c’est plutôt un obstacle au jugement que risque d’engendrer la nomenclature aristotélicienne, car elle peut être prise à tort pour une classification intangible, dont le fondement serait dans les choses elles-mêmes. La Logique oppose ainsi à la série prédicamentale d’Aristote une autre manière de répartir les objets des 32 A. Arnauld, P. Nicole, La Logique, ou L’Art de penser, édition critique par Dominique Descotes, Honoré Champion, Paris, 2011, Introduction, p. 7-124. Voir la recension très fouillée de cette édition par Vincent Carraud dans le Bulletin cartésien XLII, Archives de philosophie, LXXVI, 2013/1, p. 153. 33 Le Manuscrit Vallant (BNF, Fds. fr. 19915) est reproduit dans l’édition Descotes, p. 685-801. Un tableau comparatif des chapitres du manuscrit et de toutes les éditions de 1662 à 1683 figure p. 913-922. 34 Logique (1662), cit., I.iii, p. 49. 35 Ibid., p. 182-183.

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idées, en citant un distique - les deux vers : Mens, mensura, quies, motus, positura, figura/Sunt cum materia cunctarum exordia rerum - qui comprend « tout ce que l’on considere selon une nouvelle philosophie en toutes les choses du monde » : [L]’on peut rendre raison de toute la Nature en n’y considerant que ces sept choses, ou modes. 1. Mens, l’esprit ou la substance qui pense. 2. Materia, le corps ou la substance étenduë. 3. Mensura, la grandeur ou la petitesse de chaque partie de la matiere. 4. Positura, leur situation à l’égard les unes des autres. 5. Figura, leur figure. 6. Motus, leur mouvement. 7. Quies, leur repos ou moindre mouvement36. La source de ce distique n’est pas précisée par les Messieurs, mais il provient de la démonstration contre les formes substantielles dans l’ouvrage Physiologia, sive Cognitio sanitatis, tribus disputationibus in Academia Ultrajectina publice propo‐ sita (1641) de Henricus Regius. La nouvelle philosophie d’inspiration cartésienne s’est ainsi hardiment imposée dans le chapitre même Des dix Categories d’Aristote. Mais à côté de procédés tels que la transformation de l’héritage aristotélicien dans le chapitre même qui pouvait paraître destiné à sacrifier à cette tradition, la comparaison entre le Manuscrit Vallant et la première édition de 1662 est surtout révélatrice de la manière dont s’est progressivement dessiné le contenu proprement ‘port-royaliste’ de la Logique d’Arnauld et Nicole, le contenu auquel se reconnaît par excellence la marque spécifique de Port-Royal dans l’histoire de la logique moderne. En 1662, par rapport au Manuscrit Vallant, apparaissent des chapitres qui engagent résolument « l’art de penser » de Port-Royal dans la voie, qui fait son originalité, d’une analyse des chausse-trapes dans la signification des idées par le discours humain. Ces chapitres, I.vii, II.iv et II.v, sont dans le prolongement d’un mode d’analyse des énoncés élaboré par Arnauld pour réfuter la position de Pascal et Domat sur la signature du formulaire. Née après le second mandement (31 octobre 1661) des grands vicaires de l’archevêque de Paris ordonnant la signature d’une profession de foi qui condamnait comme hérétiques cinq propositions sur la grâce « dans le sens de Jansénius », la polémique a divisé Port-Royal pendant l’automne 1661 et l’hiver 1662. Lorsqu’il intervient en décembre 1661 dans la querelle (à la suite de Nicole, qui a produit auparavant un Examen d’un écrit de Pascal sur la signature) avec Pascal et Domat, Arnauld délimite avec précision son angle d’attaque, qui doit être logico-linguistique et non pas théologique : « pour débrouiller cette matière, qui est assez embarrassée, j’établis avant toutes choses des règles certaines pour juger de la véritable significa‐ tion des mots37 ». L’interprétation des propositions de la forme le sens d’un tel auteur est hérétique recèle des embûches. Il faut résoudre le sujet de ce genre de propositions en deux termes, leur sujet n’est pas seulement le terme exprimé, il consiste aussi en un terme qui n’est que dans la pensée du locuteur, sans être exprimé. Ce terme inexprimé détermine l’idée générale du sujet (l’idée d’une 36 Ibid. 37 Arnauld, Écrits sur le formulaire [3], dans Pascal, Œuvres complètes IV, éd. Mesnard, cit., p. 1229.

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doctrine quelconque) à une idée distincte (l’idée d’une doctrine particulière). Or, « la liaison de l’idée générale du sujet avec l’idée distincte de ce même sujet est une véritable proposition38 ». Ainsi, une affirmation rapportant l’idée générale du sujet à l’idée distincte d’une doctrine particulière étant implicite dans les mots le sens d’un tel auteur, l’énoncé de départ contient en réalité deux propositions. Nécessairement, le sujet de la proposition le sens d’un tel auteur est hérétique « enferme une proposition incidente39 », et ce n’est pas de l’idée générale du sujet (l’idée exprimée), mais de son idée distincte conçue par cette proposition incidente (l’idée inexprimée), que l’attribut hérétique se trouve à son tour affirmé. Le défaut de Pascal et Domat selon Arnauld est qu’ils ne parviennent pas à identifier dans le formulaire la vraie nature logique de la proposition le sens de Jansénius est hérétique, qui appartient au genre de propositions « qu’on peut appeler complexes, au moins dans le sens40 ». Ce défaut s’enracine pour Arnauld dans une erreur plus fondamentale sur le rapport même du langage à la pensée, l’erreur qui consiste à limiter la signification des énoncés aux seuls mots qui sont proférés : Ce qui trompe aussi est qu’on juge des idées par les mots, et qu’ainsi on s’imagine qu’on ne comprend dans l’esprit que ce qui est marqué distinctement par les paroles ; de sorte qu’à cause que les paroles ne semblent marquer qu’une proposition, on se persuade qu’on n’en fait aussi qu’une dans l’esprit […]41. Par ignorance du dédoublement possible de la signification d’un discours entre les idées exprimées et les idées conçues mais non exprimées, Pascal et Domat ont manqué l’effectivité et nécessité de ce dédoublement dans le cas du sujet de la proposition le sens de Jansénius est hérétique. L’interprétation de cette proposition est impossible si les mots le sens de Jansénius sont laissés dans leur signification propre, qui n’est que générale. Il faut supposer que le locuteur substitue à l’idée générale naturellement signifiée par le sujet de cette énonciation une idée distincte, l’idée d’une doctrine particulière dont il affirme intérieurement qu’elle est celle de Jansénius. C’est en formant en même temps dans son esprit le jugement la doctrine-x est le sens de Jansénius, que le locuteur profère l’énoncé le sens de Jansénius est hérétique. La marque, si l’on peut dire, qui va être bientôt celle de l’Art de penser, est déjà nette dans cet écrit d’Arnauld. En faisant passer au premier plan pour l’interprétation de la proposition le sens de Jansénius est héré‐ tique son inscription dans la catégorie des propositions qu’il qualifie de complexes dans le sens, Arnauld rend centrale la considération de l’intention du locuteur

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Arnauld, Écrits sur le formulaire [3], cit., Quatrième maxime, p. 1233. Ibid. Ibid. Arnauld, Écrits sur le formulaire [3], cit., Cinquième maxime, p. 1235.

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pour l’élucidation du statut sémantique d’un énoncé42. Les maximes des Écrits sur le formulaire pour juger de la signification des mots rapportent à l’intention du locuteur la signification d’un mot général lorsque ce mot est pris pour une idée distincte, car c’est de cette intention, non du contenu propre de l’idée associée à ce mot, que dépend sa détermination à une idée distincte. C’est ce mode d’analyse, absent du Manuscrit Vallant 43, qui trouve un nouveau développement à l’intérieur de la Logique en 1662. Dans la première partie de la Logique, sur les idées, apparaît alors le chapitre I.vii Des termes complexes, & de leur universalité ou particularité, qui vient s’intercaler entre une réécriture de la doctrine scolastique des cinq universaux44 en une typologie des idées universelles selon que ces idées représentent à l’esprit leurs objets « comme des choses » (idées-genres et idées-espèces) ou « comme des choses modifiées » (idées-différences, idées-propres, idées-accidents), et un dénombrement des idées normé par l’opposition cartésienne entre la clarté et distinction des idées et leur obscurité et confusion. Il est devenu essentiel, en 1662, de décaler la réflexion sur les causes des idées confuses, afin de « di[re] auparavant quelque chose des termes complexes45 ». La deuxième partie sur les jugements s’enrichit cor‐ rélativement de deux chapitres, De la nature des propositions incidentes, qui font partie des propositions complexes (II.iv) et De la fausseté qui se peut trouver dans les termes complexes, & dans les propositions incidentes (II.v). Les termes complexes se définissent comme des termes produits par l’addition à un premier terme d’un 42 Sur l’importance, pour la conception que se fait Port-Royal de la logique comme analyse du sens, du mode intentionaliste d’interprétation par Arnauld de la description définie le sens de Jansénius, voir Jean-Claude Pariente, « Les termes singuliers à Port-Royal. Étude de quelques difficultés », dans id. (éd.), Antoine Arnauld. Philosophie du langage et de la connaissance, Vrin, Paris, 1995, p. 99-131. 43 Le Manuscrit Vallant ne théorise pas encore les termes complexes, mais seulement en II.iii les propositions matériellement complexes, c’est-à-dire les propositions dont les termes contiennent des propositions incidentes. Ces propositions sont une espèce des propositions simples : « Car la simplicité d’une proposition se prend de l’unité du sujet et de l’attribut. Or il peut y avoir plusieurs propositions mêlées dans une seule sans que néanmoins il y ait plus d’un sujet et plus d’un attribut, parce que ces propositions incidentes ne feront que partie d’un même sujet et d’un même attribut comme il arrive toutes les fois qu’elles sont jointes par le pronom relatif qui, lequel dont le propre est de joindre ensemble plusieurs propositions en sorte qu’elles n’en composent toutes qu’une seule ». Les propositions incidentes composantes des termes d’une proposition matériellement complexe doivent être considérées « comme des propositions qui ont été faites auparavant, mais qu’alors on ne fait plus que concevoir comme si c’était de simples idées » (La Logique ou l’Art de penser, édition Descotes, cit., p. 714-715). Ce passage est réécrit en 1662 comme suit : « Car la simplicité d’une proposition se prend de l’unité du sujet & de l’attribut. Or il y a plusieurs propositions qui n’ont proprement qu’un sujet & qu’un attribut, mais dont le sujet ou l’attribut est un terme complexe, qui enferme d’autres propositions qu’on peut appeller incidentes, qui ne font que partie du sujet ou de l’attribut, y estant jointes par le pronom relatif, qui, lequel, dont le propre est de joindre ensemble plusieurs propositions, en sorte qu’elles n’en composent toutes qu’une seule » (Logique (1662), cit., II.iii, p. 133-134). 44 Les genres, espèces, différences, propres et accidents hérités de la théorie des prédicables dans l’Isagoge de Porphyre. Pour leur redistribution en fonction de la nature représentative des idées, voir Logique (1662), cit., I.vi, p. 185-186. 45 Logique (1662), cit., I.vi (fin), p. 73.

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ou plusieurs autres termes formant avec lui « une idée totale, de laquelle il arrive souvent qu’on peut affirmer ou nier, ce qu’on ne pourroit pas affirmer ou nier de chacun de ces termes estant separez46 ». En application de la distinction, établie dès le Manuscrit Vallant, entre les deux propriétés d’une idée générale, sa compréhension (les attributs dont on ne saurait amputer une idée sans la détruire) et son étendue (les sujets ou inférieurs auxquels cette idée convient), Port-Royal distingue désormais deux formes dans l’addition de termes dont résulte un terme dit complexe. D’une part, l’addition-explication, lorsque ce qui est ajouté développe la compréhension de l’idée du premier terme, et d’autre part l’addition-détermination, lorsque l’addition restreint l’étendue de cette idée à une partie seulement de ses sujets. La formation d’un terme complexe selon l’une des deux propriétés de l’idée générale n’a pas de contrecoup sur sa seconde propriété. L’addition-explication ne produit aucun changement d’étendue dans le premier terme, ce qui lui est ajouté (et qui appartient à sa compréhension) vaut pour ce terme « generalement & dans toute son étenduë47 ». Réciproquement, l’addition-détermination, le resserrement de l’étendue d’un terme en lui joignant un autre terme, n’affecte pas la compréhension du premier terme, l’unité cohésive de ses attributs est conservée. La restriction des sujets auxquels une idée convient est produite par sa liaison avec une autre idée dont l’esprit juge que les attributs qu’elle contient ne sont pas incompatibles avec les attributs de la première idée. Chacune des deux idées reste dans cette liaison identique à ce qu’elle est lors‐ qu’elles ne sont pas « jointes ensemble », un ensemble inséparable d’attributs48. Dans les deux cas, l’addition peut s’accomplir au moyen d’un pronom relatif, et Port-Royal paraît même tenir pour possible qu’il y ait toujours formation d’une proposition relative, car « si ce relatif n’est pas toûjours exprimé, il est toûjours en quelque sorte sous-entendu, parce qu’il se peut exprimer si l’on veut sans changer la proposition49 ». Deux espèces de propositions incidentes correspondent par conséquent à la dualité entre l’explication et la détermination des idées générales, les relatives explicatives (les hommes qui sont creés pour connoître & pour aimer Dieu) et les relatives déterminatives (les hommes qui sont pieux) : « on peut dire qu’il y a un qui explicatif, & un qui determinatif », et il importe désormais, pour l’interprétation d’un énoncé, de savoir discerner ces deux espèces d’incidentes50.

46 Logique (1662), cit., I.vii, p. 73. Exemples : un homme prudent ; Alexandre fils de Philippe. 47 Logique (1662), cit., I.vii, p. 74 (cf. II.iv, p. 139). 48 Logique (1662), cit., II.iv, p. 186-187 (exemple : « l’esprit joignant ensemble l’idée de pieux avec celle d’hommes, & en faisant une idée totale, juge que l’attribut de charitable convient à cette idée totale »). 49 Logique (1662), cit., I.vii, p. 74 : « c’est la mesme chose de dire, un corps transparant, ou un corps qui est transparant ». Il faudrait donc admettre que c’est aussi la même chose de dire le sens de Jansénius, ou le sens qui est de Jansénius. Voir, cependant, sur la nécessité de ne pas identifier les termes complexes à la présence explicite ou implicite d’une relative, J.-C. Pariente, L’Analyse du langage à Port-Royal. Six études logico-grammaticales, Les Éditions de Minuit, Paris, 1985, chapitre 1. 50 Logique (1662), cit., II.iv, p. 139 ; cf. II.v, p. 146 : « les deux sortes de termes complexes, l’un dont le qui est explicatif, l’autre dont il est determinatif ». Voir J.-C. Pariente, L’Analyse du langage à Port-Royal, cit., p. 59-71.

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Ce n’est qu’après avoir ainsi déduit de la dualité explication/détermination un double mode de structuration des termes complexes, que la Logique les divise selon que leur complexion est « dans l’expression » ou « dans le sens seule‐ ment51 ». Cette division n’oppose pas deux genres de termes qui seraient exclusifs l’un de l’autre, mais deux niveaux de la complexion, qui peuvent coexister pour un même terme. Les Écrits sur le formulaire ont eu égard à cette coexistence, en montrant que l’addition de mots le sens de Jansénius recèle en outre l’addition dans l’esprit d’une affirmation ou proposition incidente. Le terme-sujet le sens de Jansénius dans la proposition le sens de Jansénius est hérétique est doublement complexe, dans l’expression et dans le sens, et la proposition tout entière n’est interprétable qu’à la condition de prendre en considération l’affirmation qui n’y est pas exprimée. La réflexion ainsi ébauchée se trouve amplifiée dans la Logique avec la mise en place de la catégorie des termes complexes équivoques par erreur (dont on a vu plus haut que Port-Royal l’illustre au détriment de la religion protestante). Par une simple addition de mots généraux, il est possible de marquer la détermination de leur signification à une entité singulière : tout le monde entend un terme complexe dans l’expression, tel que veritable religion, comme signifiant « une chose unique52 ». Mais une autre détermination, seulement men‐ tale, vient en quelque sorte parasiter celle qui est exprimée. Le terme complexe dans l’expression qui ne convient véritablement qu’à une seule chose individuelle étant joint dans les esprits des locuteurs à des idées différentes de cette chose unique, la même expression devient équivoque, et se trouve appliquée par erreur à plusieurs entités individuelles autres que celle à laquelle seule elle convient. Cependant, l’analyse de la formule eucharistique dans la cinquième édition de la Logique en 1683 ne saurait apporter de nouveaux chapitres à la réflexion de longue date des Messieurs sur les termes complexes et les propositions incidentes sans apporter en même temps quelques modifications à l’analyse grammaticale des parties du discours. En 1662 déjà, la Logique prolonge sur cette question non seulement les Écrits sur le formulaire, mais aussi la Grammaire generale et raisonnée publiée anonymement en 1660. Arnauld et Lancelot, en effet, ont fait place dans leur chapitre sur le pronom relatif à la distinction, quant au sujet et à l’attribut d’une proposition, entre termes simples et termes composés : [E]n toute proposition il y a un sujet, qui est ce dont on affirme quelque chose, & un attribut, qui est ce qu’on affirme de quelque chose. Mais ces deux termes peuvent estre ou bien simples, comme quand je dis Dieu est bon, ou composez, comme quand je dis : Un habile Magistrat est un homme utile à la Republique. Car ce dont j’affirme n’est pas seulement un magistrat, mais un habile magistrat.

51 Logique (1662), cit., I.vii, p. 76. 52 Ibid., p. 78.

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Et ce que j’affirme n’est pas seulement qu’il est homme, mais qu’il est homme utile à la Republique53. On détient déjà là la notion de termes complexes, même si l’écrit de 1660 n’utilise pas cette dénomination, qui ne devient un terme technique de Port-Royal que dans la Logique en 166254. La longue analyse du pronom relatif dans la Gram‐ maire generale et raisonnée, en faisant droit à une véritable logicisation de cette par‐ tie du discours que constitue pour Port-Royal le pronom, permet par ailleurs une première théorisation des incidentes55. Le pronom relatif partage par définition avec tous les autres pronoms une fonction substitutive du nom, mais cette valeur anaphorique qui lui revient en tant que pronom doit être elle-même revue à l’aune de la propriété qui le différencie en tant que relatif des autres pronoms. La raison d’être du pronom relatif dans le discours a une tout autre portée sémantique que celle simplement d’éviter la répétition du nom qu’il remplace. Si le pronom relatif a quelque chose « de propre » pour la Grammaire generale et raisonnée par rapport aux autres pronoms, c’est en tant que « la proposition dans laquelle il entre (qu’on peut appeller incidente) peut faire partie du sujet, ou l’attribut d’une autre proposition, qu’on peut appeller principale56 ». Le relatif a la propriété spécifique de production d’une proposition qui peut devenir un ingrédient de l’un ou de l’autre des deux termes dont la liaison forme une autre proposition. Quand il s’agit du pronom relatif, il faut donc se replacer avant même la distribution des diverses parties du discours ordonnée par la division générale de tous les mots en signes d’objets conçus et signes de modes de la pensée57. L’analyse du pronom relatif dans ce qu’il a de propre dépend directement de la définition de la proposition qui chapeaute cette division. La classification des parties du discours selon la division signes des objets des pensées/signes de la forme ou manière des pensées présuppose elle-même pour Port-Royal la distinction entre les deux termes de la proposition (signes de l’opération de concevoir) et le verbe qui les unit (signe de

53 A. Arnauld et C. Lancelot, Grammaire generale et raisonnée. Contenant. Les fondemens de l’art de parler ; expliquez d’une maniere claire & naturelle ; Les raisons de ce qui est commun à toutes les langues, & des principales differences qui s’y rencontrent ; Et plusieurs remarques nouvelles sur la langue Françoise chez Pierre Le Petit, Paris, 1660, II.ix, Du Pronom appellé Relatif, p. 67. 54 Dans le passage que je viens de citer de II.ix, la seconde édition revue et augmentée de la Grammaire generale et raisonnée (chez Pierre Le Petit, Paris, 1664) va substituer la dénomination termes complexes à la dénomination termes composés utilisée en 1660, et introduire un renvoi à « ce qui a esté dit dans la Logique ou Art de penser, sur les propositions complexes » (cf. p. 67-68). 55 Je reprends ici quelques éléments de mon chapitre « Anaphore et deixis dans la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal » dans le livre Deixis et anaphore, sous la direction de Louis de Saussure, ISTE Editions, Londres, 2018, p. 99-120. 56 Grammaire generale et raisonnée (1660), cit., II.ix, p. 67. Lorsque la seconde édition de la Grammaire generale et raisonnée assigne au relatif un autre caractère sui generis, le rapport à un antécédent, la fonction spécifique de production d’une incidente ne se trouve nullement amoindrie en devenant « [l]a 2. chose que le Relatif a de propre », son importance est au contraire renforcée, Port-Royal précisant d’ailleurs aussitôt : « & que je ne sçache point avoir encore esté remarquée par personne ». 57 Grammaire generale et raisonnée (1660), cit., II.i, p. 189-190.

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l’opération de juger)58, mais néanmoins, tant que l’on n’est pas parvenu dans la Grammaire generale et raisonnée à l’étude du pronom relatif, les signes des choses conçues sont étudiés sans avoir égard à leur mode d’appartenance à la structure propositionnelle. La fonction générique elle-même des pronoms est déterminée indépendamment de son mode de signification à l’intérieur de la proposition. En revanche, lorsqu’il faut isoler ce qui appartient au pronom relatif en tant que relatif, la différenciation avec ce qui lui appartient seulement en tant que pronom requiert de se référer à la nature de la proposition. Chacun des deux termes de la proposition, son sujet et son attribut, peut en effet être formé par une « union de plusieurs termes59 ». La pluralité interne au sujet ou à l’attribut produit par cette union ne fait pas de l’un plusieurs sujets, ni de l’autre plusieurs attributs. Bien que la Grammaire generale et raisonnée n’appelle pas encore en 1660 ce terme pluriel un terme complexe, mais parle plutôt d’un terme composé, il est cependant d’ores et déjà établi qu’un tel terme pluriel conserve l’unité sémantique requise pour fonctionner comme l’unique sujet ou l’unique attribut d’une prédication. Or, ce qui fait que le pronom relatif est relatif et non pas simplement pronom, c’est qu’il participe de cette union de plusieurs termes en un seul sujet ou un seul attribut dans une proposition. Sa fonction propre est de « marque[r] expressément » les propositions incidentes qui « sont souvent dans notre esprit, sans estre exprimées par des paroles60 ». Le relatif permet aux jugements qui ne sont pas le jugement essentiel de la proposition totale de disposer d’une forme linguistique qui leur soit parfaitement adéquate. L’interposition du relatif dans la composition d’un terme permet de représenter dans le discours tout ce qui est contenu dans l’esprit lorsque la pensée à exprimer est faite de l’addition de plusieurs jugements. C’est ainsi dès la Grammaire generale et raisonnée, dans le chapitre sur le relatif, que Port-Royal pose le problème de l’analyse intégrale d’une pensée par le langage. Arnauld et Lancelot montrent que la nature spécifique du relatif ne peut pas être définie sans prendre en considération l’activité judicative de l’esprit - cette activité que la Méditation Troisième de Descartes a distinguée de l’activité d’idéation. En produisant l’enchâssement d’une proposition incidente dans le sujet ou l’attribut d’une proposition principale, le relatif permet de manifester dans le discours la hiérarchisation dans l’esprit entre plusieurs jugements. Par une autre voie que celle des Écrits sur le formulaire, la Grammaire generale et raisonnée dénonce la croyance à une association de un-à-un entre les éléments du discours et les éléments de la pensée. L’analyse des termes complexes et des propositions incidentes, qui engage la Logique dès sa première édition en 1662 dans une voie dont l’importance n’était

58 Voir ibid., p. 189-190 : « Le jugement que nous faisons des choses, comme quand je dis, la terre est ronde, s’appelle proposition ; & ainsi toute proposition enferme necessairement deux termes : l’un appellé sujet, qui est ce dont on affirme, comme terre ; & l’autre appellé attribut, qui est ce qu’on affirme, comme ronde : & de plus la liaison entre ces deux termes, est ». 59 Grammaire générale et raisonnée (1660), cit., II.ix, p. 189-190. 60 Ibid., p. 189-190.

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pas encore nettement établie dans le Manuscrit Vallant, peut ainsi paraître l’abou‐ tissement d’une réflexion amorcée dans l’entre-deux. Mais cet aboutissement dans la Logique de 1662 d’une réflexion déjà commencée dans la Grammaire generale et raisonnée et les Écrits sur le formulaire ne marque pas pour autant l’achè‐ vement de l’analyse des incidentes. Comme le montrent les chapitres ajoutés en 1683 qui autorisent l’interprétation littérale de Cecy est mon corps, il restait encore à faire place à un mode d’enchâssement ou imbrication de plusieurs jugements dans une proposition qui ne reposât pas seulement sur la fonction que possède le pronom relatif de produire une incidente, mais aussi sur le statut sémantique du pronom démonstratif neutre, Cecy. 2b. Le pronom démonstratif neutre

Dans la Grammaire generale et raisonnée, le démonstratif neutre ne fait pas l’objet d’une analyse, et plus généralement, le démonstratif de quelque genre que ce soit ne fait pas l’objet d’un commentaire poussé. Après avoir défini tous les pronoms par la fonction d’anaphorisation des noms afin d’éviter l’importunité liée à la répétition dans un même discours toujours des mêmes noms pour les mêmes choses, la Grammaire generale et raisonnée illustre de manière paradigmatique cette définition avec les pronoms personnels, dont la caractérisation engage la considé‐ ration des trois composantes nécessaires de toute situation d’interlocution, ses deux protagonistes (la personne qui parle et la personne à qui on parle) et son objet (ce dont on parle). Il s’agit de souligner que les deux premières composantes peuvent elles-mêmes tomber sous la troisième : l’objet du discours peut être tout autant le locuteur ou l’allocutaire, que ni l’un ni l’autre. Les pronoms personnels donnent, pour Arnauld et Lancelot, le modèle de la nature générique du pronom, sa fonction substitutive d’un nom, car ils évitent de répéter les noms de la personne qui parle, ou de la personne à qui on parle, ou de la personne ou chose dont on parle. C’est dans ce cadre que la Grammaire generale et raisonnée introduit une remarque très brève sur les pronoms démonstratifs, comme formant une sous-espèce des pronoms qui dispensent de la répétition du nom de l’objet du discours lorsque celui-ci n’est ni le locuteur, ni l’allocutaire, mais une instance extérieure aux deux protagonistes de l’interlocution. Les pronoms démonstratifs constituent une rubrique des pronoms de la troisième personne, celle à laquelle seule appartient la fonction déictique : [P]our n’estre pas obligé…de repeter les noms des autres personnes ou des autres choses dont on parle, ils [sc. les hommes] ont inventé les pronoms de la troisième personne ; ille, illa, illud, il, elle, luy, &c. Et de ceux-cy il y en a qui marquent comme au doigt la chose dont on parle, & qu’à cause de cela on nomme demonstratifs : comme hic, celuy-ci ; iste, celuy-là, &c61.

61 Grammaire generale et raisonnée (1660), cit., II.viii, p. 59-60.

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En 1660, donc, Port-Royal se contente d’établir que, parmi les substituts pronominaux pour les noms de l’objet du discours lorsque celui-ci est autre que le locuteur lui-même ou son allocutaire, certains sont utilisés comme l’équivalent linguistique d’un geste de monstration du référent. Ce n’est pas avant 1683, et l’intégration à l’Art de penser de l’analyse logique de la formule eucharistique, que la théorie grammaticale du pronom fait l’objet d’une réécriture. Inversant la démarche de la Grammaire generale et raisonnée qui déduisait l’étude des parties du discours de la définition de la proposition et de la distinction, dans la proposition, entre les termes sujet et attribut d’une part, la liaison entre ces deux termes d’autre part, la Logique introduit alors à la définition de la proposition à partir de l’explication des parties du discours qui assurent la signification, les unes (les noms et les pronoms) des objets de nos idées, les autres de la principale manière de notre pensée, l’affirmation (les verbes). Le nouveau chapitre II.i de la Logique (Des Mots par rapport aux Propositions), qui porte sur les noms et les pronoms, se borne pour ce qui a trait aux noms à résumer le contenu du chapitre II.ii (Des noms, & premierement des substantifs & adjectifs) de la Grammaire generale et raisonnée. Mais pour ce qui a trait aux pronoms, ce même chapitre introduit plusieurs changements dans les extraits que reproduisent Arnauld et Nicole des chapitres II.viii (Des Pronoms) et II.ix (Du Pronom appellé Relatif) de la Grammaire generale et raisonnée. Il importe alors aux Messieurs d’ajouter un commentaire à la définition générique des pronoms par leur fonction de remplacement des noms pour s’épargner la répétition de ces derniers : L’usage des Pronoms est de tenir la place des Noms, & de donner moyen d’en eviter la repetition qui est ennuyeuse. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’en tenant la place des Noms ils fassent entierement le même effet sur l’esprit. Cela n’est nullement vray ; au contraire, ils ne remedient au dégoust de la repetition que parce qu’ils ne representent les Noms que d’une maniere confuse. Les Noms decouvrent en quelque sorte les choses à l’esprit, & les Pronoms les presentent comme voilées, quoyque l’esprit sente pourtant que c’est la même chose que celle qui est signifiée par les Noms62. La reprise ensuite de la classification des différentes espèces de pronoms, en commençant par la tripartition des pronoms de personnes, ne change rien à la remarque laconique de la Grammaire generale et raisonnée sur la sous-rubrique des pronoms de la troisième personne que l’on peut appeler pronoms démonstratifs. Le changement intervient après la typologie des pronoms, qui se conclut cette fois de façon à faire place à un commentaire spécifique sur le pronom démonstratif neutre quand il est utilisé seul : Tous les Pronoms ont cela de commun comme nous avons déja dit, qu’ils marquent confusément le Nom dont ils tiennent la place. Mais il y a cela de particulier dans le Neutre de ces Pronoms illud, hoc, lorsqu’il est mis

62 Logique (1683), cit., II.i, p. 132.

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absolument, c’est à dire, sans nom exprimé, qu’au lieu que les autres genres hic, haec, ille, illa, se peuvent rapporter & se rapportent presque toûjours à des idées distinctes qu’ils ne marquent neanmoins que confusément…, le Neutre au contraire se rapporte toûjours à un nom general & confus : hoc…, c’est à dire, haec res, hoc negotium…Ainsi il y a une double confusion dans le Neutre, sçavoir celle du Pronom, dont la signification est toûjours confuse, et celle du mot negotium, chose, qui est encore aussi generale & aussi confuse63. De même, l’explication ensuite du pronom relatif ne manque pas d’introduire dans le passage que la Logique reproduit de la Grammaire generale et raisonnée une correction conforme au commentaire (« [les] Pronoms…ne representent les Noms que d’une maniere confuse ») ajouté auparavant par Arnauld et Nicole à la définition générique du pronom : Ce Pronom Relatif a quelque chose de commun avec les autres Pronoms, & quelque chose de propre. Ce qu’il a de commun, est qu’il se met au lieu du nom, & en excite une idée confuse64. L’Art de penser fait ainsi apparaître en 1683, de manière systématique, une incomplétude dans l’analyse grammaticale du pronom. En quelque sorte, la Gram‐ maire generale et raisonnée ne trouve l’achèvement de son analyse de cette partie du discours que dans cette cinquième édition de la Logique, son achèvement est solidaire du dernier développement de la doctrine des termes complexes et des incidentes. Le complément apporté en 1683 à l’analyse linguistique du pronom dans la Grammaire generale et raisonnée va bien au-delà de l’introduction en 1662 de la distinction des relatives explicatives et des relatives déterminatives. Cette fois, la Logique s’empare de la question même de la valeur sémantique du pronom par rapport à la valeur sémantique du nom dont il est le substitut. Il s’agit pour Port-Royal de dissocier la manière de signifier du pronom de la signification du nom que le pronom a pourtant pour fonction générique de remplacer. Le pronom est utilisé pour tenir lieu d’un nom dans un énoncé, mais, dans son rapport au même référent que le nom qu’il remplace, son mode de signification est tout autre que celui du nom. Avec le remplacement d’un nom par un pronom, on n’a jamais affaire qu’à un substitut confus. Pour un même objet conçu, le substitut pronominal du nom signifiant l’idée de cet objet ne saurait donc avoir

63 Ibid., cit., p. 133. 64 Ibid. (je souligne). Le passage original dans la Grammaire generale et raisonnée conclut tout autrement la caractérisation du relatif en tant que pronom (ce qu’il a de commun avec les autres pronoms), en décrivant le relatif en quelque sorte comme un hyper-pronom : « Ce qu’il a de commun, est qu’il se met au lieu du nom, & plus generalement mesme que tous les autres pronoms, se mettant pour toutes les personnes ». (Précisons aussi que dans la suite du texte de II.i sur ce que le relatif a de propre, la Logique reprend la Grammaire selon l’édition de 1660, non selon l’édition augmentée de 1664, car Arnauld et Nicole ne mentionnent qu’une seule différence spécifique du relatif, la production d’une incidente).

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le même contenu sémantique que le nom dont il prend la place. Selon qu’il est signifié par un nom ou par le pronom tenant lieu de ce nom, le même objet de pensée est l’objet tantôt d’une représentation qui le rend manifeste, tantôt d’une représentation qui le laisse caché. Le cas, cependant, du démonstratif neutre, est à mettre à part, car le nom que ce pronom remplace se trouve lui-même affecté de confusion. La confusion est maximale parce qu’elle est double, à la fois confusion du substitut pronominal et confusion du nom dont il tient lieu. Par cette importante addition à la Grammaire generale et raisonnée pour l’ana‐ lyse du pronom, le nouveau chapitre II.i de la Logique accentue la continuité entre l’analyse des propositions et la théorie des idées. Les remarques grammaticales ou logiques (les Messieurs soulignent que la distinction de l’art de parler et de l’art de penser n’importe pas ici) introduites, au début de la théorie des jugements, sur le pronom en tant que partie de la proposition, apportent la confirmation qu’il était nécessaire dans la théorie des idées de disposer d’une doctrine des idées accessoires plus étendue que dans le premier état de la Logique. Ce sont des réflexions sur la nécessité, pour l’interprétation des énoncés, de considérer « toute la signification des mots65 » qui, dès 1662, ont servi de conclusion à la théorie des idées dans la Première partie de la Logique, en appendice de quelques chapitres portant sur les définitions de noms. Depuis le début, Port-Royal a estimé fondamentale pour la formation du jugement sur les énoncés la réflexion suivante sur la signification des idées par les mots : [L]es mots signifient souvent plus qu’il ne semble, & …lors qu’on en veut expliquer la signification, on ne represente pas toute l’impression qu’ils font dans l’esprit. Car signifier dans un son prononcé ou écrit, n’est autre chose qu’exciter une idée liée à ce son dans notre esprit en frappant nos oreilles ou nos yeux. Or il arrive souvent qu’un mot outre l’idée principale que l’on regarde comme la signification propre de ce mot, excite plusieurs autres idées que l’on peut appeller accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoyque l’esprit en reçoive l’impression66. Cette réflexion reste fondamentale en 1683, mais elle ne constitue plus la réflexion finale sur la signification des mots. Il ne suffit plus alors, comme la Logique s’en est contentée auparavant, de compter comme idées accessoires les impressions causées dans l’esprit soit par la manière dont on use ordinairement de certaines expressions (tels les mots dits « deshonnestes »), soit par les « signes naturels » (ton de la voix, air du visage, gestes) accompagnant la profération d’un discours, soit par les « expressions figurées67 ». Ce dénombrement paraît désor‐ mais incomplet, et la simple notion d’une diversification des idées principales par les idées accessoires n’est plus capable de rendre compte à elle seule de leur 65 Logique (1683), cit., I.xiv, p. 116/Logique (1662), cit., I.xii, p. 111. 66 Ibid. 67 Voir Logique (1683), cit., I.xiv, p. 117-123/Logique (1662), cit., I.xii, p. 112-121.

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rôle dans la signification des idées par les mots. En déclarant seulement à propos des paroles malhonnêtes ou honteuses (contre l’adage stoïcien turpitudinem nec in verbo esse nec in re) que « les Philosophes n’ont pas assez consideré ces idées accessoires que l’esprit joint aux idées principales des choses68 », la Logique fait un usage encore trop relâché de cette notion d’une liaison dans l’esprit entre idées accessoires et principales, car leur association résulte alors seulement d’une im‐ pression reçue par l’esprit, sans engager un acte mental de jugement. Le chapitre introduit en 1683 à la fin de la Première partie de la Logique - le chapitre I.xv fait au contraire droit à cette action judicative en étendant la catégorie des idées accessoires aux « idées que l’esprit ajoûte à celles qui sont précisément signifiées par les mots69 ». On doit reconnaître des idées accessoires qui ont un tout autre effet que celui de changer (augmenter ou amoindrir) les idées principales des mots en leur joignant la représentation de passions ou de qualités morales – l’effet des idées accessoires répertoriées à partir de l’édition de 166270. Une autre espèce des idées accessoires se trouve circonscrite en 1683 en fonction de la disjonction qu’opère alors Port-Royal entre la « signification précise »71 d’un mot et la signification par un mot d’une idée distincte. Avoir une signification précise, pour un mot, n’est pas la même chose qu’avoir une signification distincte, la signification précise d’un mot peut consister dans une signification confuse. Cette indistinction de l’idée précisément signifiée par le mot est la raison pour laquelle l’esprit lui attache des idées accessoires représentant au contraire distinctement les propriétés de la chose dont elle ne donne qu’une représentation confuse : On peut encore comprendre sous le mot d’idées accessoires, une autre sorte d’idée que l’esprit ajoûte à la signification précise des termes par une raison particuliere. C’est qu’il arrive souvent qu’ayant conçû cette signification précise qui répond au mot, il ne s’y arreste pas quand elle est trop confuse & trop generale. Mais portant sa veuë plus loin, il en prend occasion de considerer encore dans l’objet qui lui est representé, d’autres attributs & d’autres faces, & de le concevoir ainsi par des idées plus distinctes. L’excès de confusion et de généralité dans l’idée signifiée par un mot suscite l’exigence d’une addition mentale afin de concevoir plus distinctement son objet. Or, cette nécessité d’un supplément mental par rapport à la signification précise d’un mot caractérise par excellence le pronom démonstratif neutre : C’est ce qui arrive particulierement dans les pronoms demonstratifs, quand au lieu du nom propre, on se sert du neutre hoc, cecy, car il est clair que cecy

68 Logique (1683), I.xiv, cit., p. 121/Logique (1662), I.xii, op. cit., p. 118. (La position stoïcienne est décrite par Cicéron dans une lettre à Paetus). 69 Logique (1683), I.xv, cit., p. 123 (titre). 70 Le Manuscrit Vallant ne comportait pas encore l’équivalent du chapitre I.xii de l’édition de 1662 (I.xiv en 1683). 71 Logique (1683), cit., I.xv, p. 124. ( Jusqu’au prochain appel de note, loutes les citations qui suivent sont prises de la même page).

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signifie cette chose, & que hoc, signifie haec res, hoc negotium. Or le mot de chose, res, marque un attribut tres-general & tres-confus de tout objet, n’y ayant que le neant à quoy on ne puisse appliquer le mot de chose. Le démonstratif neutre est le remplaçant universel de n’importe quel nom d’objet, il ne signifie jamais par lui-même que l’idée de chose, et non pas l’idée d’une chose. Cette radicale indifférenciation ontologique de l’objet qu’il fait concevoir oblige dans toutes ses applications à introduire mentalement des idées s’ajoutant à l’idée de chose et donnant chaque fois la conception déterminée d’une chose. Cela ne serait pas possible, cependant, si la seule signification précise du démonstratif neutre était en tout et pour tout l’idée confuse de chose en général. L’addition nécessaire d’une idée plus distincte à l’idée trop générale de chose est réalisable dans l’esprit parce que le démonstratif neutre porte déjà lui-même une autre signification que l’idée de chose : Mais comme le pronom demonstratif hoc, ne marque pas simplement la chose en elle-mesme, & qu’il la fait concevoir comme presente, l’esprit n’en demeure pas à ce seul attribut de chose ; il y joint d’ordinaire quelques autres attributs distincts. La signification simultanée par le démonstratif neutre de l’idée de chose et de l’idée de présence permet le dépassement immédiat par l’esprit de l’extrême pauvreté sémantique de ce mot. Ce minimum sémantique est suffisant pour que l’esprit ait de quoi substituer à la signification précise du démonstratif neutre, qui n’est que générale et confuse, une conception distincte. Parce que ce mot, hoc, ceci, marque à la fois la chose et sa présence, l’esprit a la capacité d’ajouter à cette idée de chose présente des idées par lesquelles l’objet représenté commence à acquérir des qualités ou propriétés distinctives, au-delà de son simple être et de son pur être présent. L’idée confuse et générale de chose présente ne reste pas la seule idée attachée au pronom démonstratif neutre, même si elle est la seule qui soit signifiée par lui. Elle devient aussitôt, par l’addition mentale qu’elle rend possible, « la premiere & principale » idée conçue, celle à partir de laquelle l’esprit conçoit d’autres idées qui n’ont pas sa confusion. Bien qu’il ne se réfère à une chose que sous son attribut le plus général (être chose) et avec une détermination elle-même générale (être présente) qui n’est pas en outre une propriété découlant de la nature de cette chose, mais qui tient seulement à l’actualité d’une désignation quelconque, le démonstratif neutre suscite d’emblée dans l’esprit un surcroît de conceptualisation. Ce qui importe pour la Logique en 1683, c’est le mode de production de ce supplément conceptuel dans l’esprit. Port-Royal met en évidence que le démons‐ tratif neutre n’excite pas de la même manière l’ensemble des idées que son emploi fait naître dans l’esprit. La seule idée que ce pronom excite comme sa « propre signification » est « l’idée de l’attribut de chose présente ». Toutes les autres idées que l’usage du démonstratif neutre éveille dans l’esprit sont « des idées que l’esprit conçoit liées & identifiées avec cette premiere & principale idée, mais qui

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ne sont pas marquées précisement par le pronom hoc72 ». Les idées secondaires et dérivées (idées de la nature et des propriétés de la chose particulière désignée), par distinction avec l’idée première et principale (idée de chose présente), ne sont pas causées par le démonstratif neutre à lui seul. Ce n’est pas l’usage de ce mot qui les produit par lui-même, mais il faut que l’esprit se les représente comme liées à l’idée de chose présente par un jugement d’identité. La hiérarchie mentale entre la signification précise ou propre du démonstratif neutre et les idées accessoires que l’esprit lui rapporte nécessairement s’explique par un partage entre deux manières d’être dans l’esprit pour les idées excitées par ce mot. L’idée de chose présente est dans l’esprit sans jugement de la part de l’esprit, elle est directement causée par le mot hoc, ceci ; l’idée accessoire qui lui est liée suppose au contraire un acte de jugement. C’est l’esprit qui, si l’on peut dire, fait alors tout le travail, car l’idée de chose présente qui est la seule signifiée par le démonstratif neutre reste dans sa confusion et sa généralité. Ce jugement de l’esprit ne rend pas distincte, ni particulière, la signification propre du démonstratif neutre, ce dernier ne signifie jamais qu’une idée confuse et générale. L’idée distincte que forme l’esprit à partir du pronom démonstratif neutre est une autre idée que l’idée signifiée par ce mot, et non pas un autre mode de celle-ci : l’idée confuse de chose présente reste à tout jamais la seule idée signifiée par le mot hoc, ceci. Port-Royal est ainsi en mesure de récuser l’argument calviniste d’après lequel l’énoncé eucharistique Cecy est mon corps a nécessairement un sens de figure parce que, disent les calvinistes, le mot de cecy y signifie le pain73. La signification du pronom démonstratif neutre dans la formule eucharistique, comme dans tout autre énoncé, s’arrête pour l’Art de penser à l’idée confuse de chose présente74. Les Apôtres ont bien l’idée de pain lorsque Jésus-Christ, leur tendant le pain qu’il vient de rompre, prononce le mot Cecy, mais ils n’ont pas cette idée distincte de la manière qui serait requise pour que l’on pût dire que dans l’énoncé néotesta‐ mentaire le démonstratif neutre signifie le pain. Ils ne l’ont que comme une idée accessoire que, par un jugement intérieur, ils rapportent à l’idée trop générale et trop confuse qui est la seule que ce démonstratif neutre puisse signifier. L’esprit des Apôtres forme avec ce sujet général et confus une proposition incidente dont l’idée distincte de pain est l’attribut, Cecy/qui est du pain. Pour autant, l’idée signifiée par le sujet Cecy n’est pas rendue elle-même une idée distincte. L’idée du sujet restant confuse du début à la fin de l’énonciation par Jésus-Christ de Cecy est mon corps, c’est tout naturellement que l’esprit des Apôtres ajoute deux 72 Logique (1683), cit., I.xv, p. 196-197. 73 Voir Logique (1683), cit., I.xv, p. 126, pour l’argument en forme complet des calvinistes. 74 La Logique de 1683 radicalise à cet égard l’analyse logique de la signification du démonstratif neutre dans La Perpetuité de la foy, II, II.ii, où l’on dit à la fois que la signification précise du mot Cecy est toujours confuse, et que Cecy signifie confusément d’abord le pain, puis le corps de Jésus-Christ. En 1683, la thèse que le pronom démonstratif neutre signifie une chose particulière d’une autre manière que ne le fait son nom (i.e. par une idée générale, confusément et non pas distinctement) n’est plus suffisante, il faut dire de manière absolue que ce pronom ne signifie pas l’idée d’une chose particulière – il ne fait qu’ « exciter » sa formation par l’esprit.

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idées différentes au sujet Cecy entre le moment où il est prononcé et le moment où la profération de l’énoncé est achevée. Lorsque commence la prononciation de l’énoncé, l’idée du pain, du fait des « circonstances75 » de l’énonciation, est ajoutée au sujet Cecy par l’incidente qui est du pain. Mais lorsque l’attribution est mon corps est prononcée, cette idée accessoire cesse d’être formée dans l’esprit des Apôtres. La nature de toute proposition affirmative veut que l’esprit conçoive l’attribut auquel la copule identifie le sujet lorsque la proposition est entièrement formée76. Nécessairement, à la fin de la prononciation par Jésus-Christ de l’énoncé attributif Cecy est mon corps, l’idée qui s’ajoute dans l’esprit des Apôtres à l’idée confuse du sujet Cecy n’est autre que l’idée distincte que l’attribut de la proposi‐ tion fait concevoir. C’est l’idée du corps de Jésus-Christ qui vient déterminer dans l’esprit des Apôtres la même idée confuse du sujet Cecy d’abord déterminée par l’idée du pain. Parce que l’idée commune de chose présente qui constitue toute la signification du pronom neutre renferme une « unité de confusion77 » entre ses différents objets, deux attributs (être-pain et être-le corps de Jésus-Christ) qui seraient incompatibles si l’esprit les rapportait à la même entité peuvent être rapportés par l’esprit au même sujet Cecy de l’énoncé eucharistique, le premier selon une affirmation incidente, le second selon l’affirmation principale. Le sujet confus de l’énoncé néotestamentaire donne lieu ainsi à deux identifications diffé‐ rentes au début et à la fin de la proposition prononcée par Jésus-Christ, sans que la transition même de l’une à l’autre ait à constituer elle aussi un objet d’appréhension pour l’esprit : [L]e terme de cecy ne signifiant de soy-mesme que l’idée précise de chose presente, quoy-que déterminée au Pain par les idées distinctes que les Apôtres y ajoûtèrent, demeura toûjours capable d’une autre détermination & d’estre lié avec d’autres idées, sans que l’esprit s’aperçût de ce changement d’objet78.

75 Logique (1683), cit., I.xv, p. 126. 76 À cet égard, il faut noter que la seconde édition de la Logique, en 1664, a mis fin à une hésitation qui apparaissait dans le Manuscrit Vallant et la première édition à propos de la nature de l’affirmation. On lisait encore en 1662 : « Il n’est pas facile de faire entendre, ny mesme de comprendre ce qui se passe dans notre esprit, lorsque nous affirmons quelque chose, & de decider si cela ne se fait point par une simple veüe de l’esprit accompagnée de consentement, par laquelle il se représente la chose comme contenant un certain attribut, & par une seule idée ; ou s’il y a veritablement deux idées, l’une pour le sujet, & l’autre pour l’attribut, avec une certaine action de l’esprit qui lie l’une avec l’autre » (Logique (1662), cit., II.xiii, p. 198). Mais à partir de 1664, ce passage est supprimé et Port-Royal ne conserve que ce qui suivait en 1662 l’expression de cette hésitation : « Il est certain au moins que nous ne sçaurions exprimer une proposition aux autres, que nous ne nous servions de ces deux idées, l’une pour le sujet, & l’autre pour l’attribut, et d’un autre mot qui marque l’union que nostre esprit y conçoit. Cette union ne se peut mieux exprimer que par les paroles mesmes dont on se sert pour affirmer, en disant qu’une chose est une autre chose. Et de là il est clair que la nature de l’affirmation est d’unir & d’identifier, poour le dire ainsi, le sujet avec l’attribut, puisque c’est ce qui est signifié par le mot est » (ibid.). 77 Logique (1683), cit., I.xv, p. 128 (cf. tout le nouveau chapitre II.xii Des sujets confus équivalens à deux sujets). 78 Logique (1683), cit., I.xv, p. 127. Voir aussi II.xii, p. 193.

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Il n’y a pas changement d’idée pour le sujet Cecy, l’idée qu’il signifie précisé‐ ment, l’idée confuse de chose présente, n’est pas modifiée lorsque les Apôtres conçoivent la liaison de Cecy au corps de Jésus-Christ (affirmation principale), après avoir conçu sa liaison au pain (affirmation incidente). La littéralité de Cecy est mon corps est garantie par la signification constante du pronom démonstratif neutre du début à la fin de la profération de cet énoncé : la signification précise de Cecy est immuable, et il n’a pas d’autre signification que celle-là. L’énoncé Cecy est mon corps, cependant, n’est pas analysé par Port-Royal simplement comme la ré‐ duction ou l’abrégé dans le discours de la proposition mentale complexe Cecy, qui est du pain, est mon corps. L’abréviation en quoi consiste l’énoncé néotestamentaire est relative, selon le nouveau chapitre II.xii de 1683, à une proposition complexe plus développée, car les additions qui se font dans l’esprit des Apôtres sont aussi des additions de temps, elles inscrivent dans la proposition mentale la distinction entre les deux moments du commencement et de la fin de la profération de Cecy est mon corps. La proposition complexe entière qui constitue l’interprétation de Cecy est mon corps dans l’esprit des Apôtres (autrement dit, qui leur fait entendre Cecy est mon corps au sens littéral) est la proposition Cecy, qui est du pain dans ce moment-cy, est mon corps dans cet autre moment79. La transsubstantiation, conversion du pain en corps de Jésus-Christ, peut bien constituer le sens littéral de Cecy est mon corps, car il est tout naturel à l’esprit des Apôtres de concevoir les deux termes temporels de cette conversion. Ainsi, me semble-t-il, loin que les additions de 1683, faites en grande partie d’emprunts à La Perpetuité de la foy, marquent un envahissement de la logique par la théologie, voire l’insertion dans l’Art de penser d’une sous-partie qui serait étrangère à la doctrine logique fixée en 1662-1664 et seulement accidentelle par rapport à elle, ces additions constituent plutôt une variation supplémentaire dans une doctrine qui a été d’emblée une doctrine in fieri, et non pas immédiatement arrêtée, la doctrine des termes complexes et des propositions incidentes. C’est cette doctrine en devenir qui se nourrit encore, en 1683 comme en 1662-1664, d’un rapport de complémentarité entre l’Art de penser et la Grammaire generale et raisonnée pour l’analyse logico-linguistique de l’énoncé néotestamentaire Cecy est mon corps. L’énoncé de Jésus-Christ s’adressant aux Apôtres appartient pour Port-Royal au langage humain, et comme tout énoncé du langage humain, il reçoit sa signification d’opérations de conceptualisation et de jugement naturelles à notre esprit. J’ai essayé de montrer que l’analyse de la formule eucharistique, indépendamment de la controverse anti-calviniste, vient en cela vérifier et pour ainsi dire authentifier une nouvelle fois la signature ‘Port-Royal’ de La Logique ou L’Art de penser, en prouvant derechef que l’intentionnalité même de la signifi‐ cation linguistique constitue un impératif pour l’analyse logique du discours, le

79 J’ai cité plus haut, dans la section 2a, le passage concerné dans Logique (1683), cit., II.xii.

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rapport des idées aux mots et symétriquement des mots aux idées sous lequel les Messieurs ont placé dès 1662 (et déjà dans le Manuscrit Vallant80) leur projet de formation du jugement sur les énoncés n’étant pas un rapport de stricte proportion.

80 Voir Logique (1662), cit., p. 30 : « il est necessaire dans la Logique de considerer les idées jointes aux mots, & les mots joints aux idées » (cf. édition Descotes, p. 686, pour le Manuscrit Vallant).

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La legge del corpo Filosofia e medicina nel tardo settecento francese

1. La scienza del corpo Francesco Colonna D’Istria, in uno dei suoi numerosi e ancor oggi importanti interventi dedicati al mondo degli Idéologues, richiama l’attenzione sul ruolo che lo studio della sessualità riveste all’interno delle ricerche di autori quali PierreGeorges-Jean Cabanis81, che inquadra queste ricerche come un prolungamento dello studio delle età : infatti, se la preparazione, l’apparizione e lo sviluppo com‐ pleto, e infine il declino della funzione generatrice corrispondono alle principali epoche della vita umana, le indagini di Cabanis cercano di definire i rapporti della sessualità con la vita psicologica, presentando la sessualità come l’espressione di una certa realtà naturale dell’agire umano, strettamente collegata con la sensibilità dell’uomo, per cui rientra tra i compiti della medicina studiarne gli aspetti più importanti, senza falsi pudori. Così, Cabanis studia gli apparati sessuali maschili e femminili, con particolare attenzione alla loro natura ghiandolare e alla loro attività secretoria. Distende poi la sessualità nella dimensione temporale, notandone le diverse caratteristiche nelle diverse età e approfondisce in un terzo momento, con molta attenzione, la fenomenologia sessuale propria della pubertà. Analizza, infine, la relazione tra la sessualità e certi comportamenti e aspetti della personalità, a cominciare dalla creatività. Si spinge perfino ad accennare ai rapporti di tipo erotico che possono legare il bambino alla madre, o alla nutrice. Oggetto, però, di questo breve saggio non è il pensiero dell’autore dei Rap‐ ports, meritevole di ben altro spazio, ma un elemento dello sfondo su cui la figura di Cabanis risalta maggiormente ; le sue pagine, infatti, si inscrivono nella corrente della letteratura medica che, nella seconda metà del XVIII secolo, si era impegnata in quello che potremmo definire – sia pure forse impropriamente – uno studio

81 Cf. F. Colonna D’Istria, « Le formes de la vie psychologique et leurs conditions organiques d’après Cabanis » in Revue de Métaphysique et de Morale, XXVIII, (1921), p. 25-47. Su questo tema, si veda anche il saggio di S. Moravia, Verso l’analisi scientifica della sessualità e del piacere, in Atlante delle passioni, a cura di S. Moravia, Laterza, Roma-Bari, 1993, p. 35-47. Cartesius edoctus, éd. par Igor AGOSTINI et Vincent CARRAUD, Turnhout, 2022 (The Age of Descar‐ tes, 6), p. 189-202. 10.1484/M.DESCARTES-EB.5.122602

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laico della vita sessuale e delle sue anomalie82. Tra i contemporanei di Cabanis anche Philippe Pinel affronta a sua volta questo delicato argomento : nella sua Nosografia filosofica83 egli studia le patologie del comportamento sessuale, indivi‐ duando una classe specifica loro propria, quella delle nevrosi della generazione84. Pinel individua quattro forme di nevrosi dell’uomo e altre due della donna : le nevrosi genitali dell’uomo studiate da Pinel sono l’anafrodisia, il dispermatismo, la satiriasi e il priapismo. Le patologie della sessualità che, invece, sono caratteri‐ stiche della vita femminile sono l’isteria e la ninfomania. L’attenzione con cui affronta queste disfunzioni è indice dell’importanza che viene attribuita ancora a questo argomento che, più di ogni altro, lega medicina e morale in un discorso che si fa unico. L’aspetto medico delle analisi presenta diversi motivi di interesse anche perché le teorie fisiologiche maggiormente seguite dagli Idéologues – non solo Pinel e Cabanis, ma anche F.-X.-M. Bichat – sono fortemente intrecciate al dibattito filosofico e politico di quegli anni. In particolare, tra gli autori citati da Philippe Pinel è presente anche J.-D.-T. de Bienville che nel 1771 aveva pubblicato ad Amsterdam un trattato sulla ninfomania85. Il giudizio espresso sull’opera di Bienville è piuttosto severo86, come a ri‐ marcare la differenza dello spessore scientifico fra quelle ricerche non ancora improntate a un giusto metodo di ricerca e gli studi condotti dai ricercatori che si rifacevano agli idéologues. Probabilmente, però, a interessare Pinel – e non solo lui – era l’oggetto della trattazione : lo studio, ricondotto finalmente a criteri positivi d’indagine, del desiderio sessuale e delle sue anomalie87.

82 È possibile ricordare, fra gli altri, J. Raulin, Traité des affections vapoureuses du sexe, Hérissant, Paris, 1758 ; P. Pomme, Traité des affections vapoureuses des deux sexes, Duplain, Lyon, 1765 ; J.-B. Pressavin, Nouveaus Traité des vapeurs, Vve Reguillant, Lyon, 1770, e soprattutto due opere di S.-A. Tissot, Traité des nerfs et leurs maladies, Didot, Paris, 1778-1780, che presenta alcune notevoli pagine sull’isteria, e L’onanisme. Dissertation sur les maladies produites par la masturbation, A. Chapuis, Lausanne, 1760. 83 Cf. Ph. Pinel, Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine, Maradan, Paris, I ed. 1798. Tr. It. della VI edizione, Brossom, Paris, 1818, Nosografia filosofica o il metodo dell’analisi applicato alla medicina, nuova traduzione della sesta edizione francese, 3 voll., Da’ Torchi di Raffaello, Napoli, 1823. 84 Cf. Ph. Pinel, Nosografia filosofica, cit., vol. III, p. 172-189. 85 Cf. J.-D.-T. Bienville, La nymphomanie ou traité de la fureur uterine, Mar-Michel Rey, Amsterdam, 1771. L’opera di Bienville ebbe numerose ristampe e traduzioni, fra cui quella italiana del 1783 : La ninfomania ovvero il furore uterino, Stamperia Graziosi, Venezia, Io cito dalla traduzione italiana : La ninfomania ovvero il furore uterino, a cura di A. G. Michler e S. Vegetti Finzi, Marsilio, Venezia, 1986. 86 Ph. Pinel, Nosografia filosofica, cit., vol. III, p. 182-183 : « si desidera invano in questa opera uno stile meno diffuso, un metodo descrittivo più corretto, finalmente una credulità meno confidente nelle formole complicate, ed una maggiore importanza data ai veri principi dell’igiene ». 87 Vale anche la pena notare come anche Pinel eviti di citare un autore che, pur non soddisfacendo Cabanis e l’ambiente che gli era vicino per diversi motivi, si era distinto per uno studio che affrontava temi attinenti, ovvero P. Roussel, medico e frequentatore della società di Auteuil, autore nel 1775 di un Système physique et morale de la femme, ristampato poi ed integrato con un trattato che studiava

LA LEGGE DEL CORPO

Bienville esordisce difendendo la sua scelta di diffondere l’opera in francese e non in latino, come prima di lui avevano fatto illustri predecessori : a spingerlo a tanto sono state motivazioni di carattere etico, l’amore del bene pubblico e la con‐ vinzione che l’illustrazione dei mali spaventosi e inverosimili, che sono il frutto necessario del vizio, serva a distogliere le fanciulle dal proposito di abbandonare la via dell’onestà88 : « La malattia di cui tratto » scrive Bienville « non è affatto una chimera ; essa è fin troppo presente nel sesso femminile, dove compie ogni giorno progressi molto rapidi89 ». Una malattia che si diffonde sempre più nella società e che bisogna combattere con ogni mezzo.

2. La scienza della morale La valenza politica di quest’opera si avverte soprattutto nelle due polemiche sottintese al discorso di Bienville : una polemica di classe è rivolta contro la nobiltà, accusata di essere ormai preda dei vizi e incapace di svolgere un ruolo attivo o produttivo nel tessuto della società francese. La ninfomania, la moderna isteria90, è soprattutto il male di una società degenerata, che si è allontanata troppo dalle regole della natura. Ma Bienville combatte anche l’angusta visione che pone la medicina e le sue arti solo nelle mani di specialisti ; la medicina ha una funzione pubblica, e vanno quindi messe al bando inutili tecnicismi e ipocrisie pericolose : « Dedico questa mia opera a uomini e donne comuni piuttosto che agli specialisti : il pubblico al quali mi rivolgo, composto da gente semplice, gradirà la semplicità delle mie opinioni. L’esperienza proverà loro la mia sincerità nella scelta delle immagini che propongo, mentre il successo dei miei rimedi ispirerà loro gratitudine nei miei confronti, allorché si serviranno del mio lavoro91 ».

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il sesso maschile. Cf. P. Roussel, Système Physique et moral de la femme, suivi du Système physique et moral de l’homme et d’un fragment sur la sensibilité, chez Caille et Ravier, Paris, 1809. Parlando del medico Jean Astruc, che aveva pubblicato un testo sulle Malattie delle donne in latino Bienville scrive : « Non oserei condannare il pudore eccessivo di un uomo così degno ; ma non credo affatto che il suo silenzio costituisca una legge inviolabile […]. Non esiste strumento più potente e più sicuro per stabilire il proprio dominio dell’atto di dipingere al gentil sesso il quadro violento e impressionante dei mali spaventosi e inverosimili pronti ad assalire una fanciulla al suo primo passo per discostarsi dal sentiero dell’onestà. Possa il mio pennello essere abbastanza espressivo e possano i miei colori essere abbastanza naturali per ispirare tutto l’orrore che si deve nutrire di un simile vizio ! Possa il mio contributo servire a vincere debolezze tanto pericolose » ( J.-D.-T. Bienville, La ninfomania, cit., p. 64). Id., p. 66. Per l’interpretazione di alcune letture dell’isteria e della ninfomania, Cf. S. Vegetti Finzi, Ninfoma‐ nia : tempo e mito della sessualità femminile, saggio introduttivo a J.-D.-T. Bienville, La ninfomania, cit., p. 7-34. Id., p. 66-67. È naturalmente presente anche la polemica contro l’altro grande nemico della nascente medicina : il ciarlatano, che diventa una figura che assume su di sé tutti i vizi e i peggiori difetti della classe medica e di coloro che si spacciano per dottori (cf. id., p. 68).

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In questo breve testo si intrecciano quindi motivi prettamente medici a istanze politiche, e a temi che hanno più a che fare con il moralista che con il medico. L’uso di termini quali distogliere, spaventare, piacere illecito ; definiscono la medi‐ cina tardo settecentesca come una delle eredi, non l’unica erede, di tecniche e strategie della persuasione che erano patrimonio della religione, così come religioso è l’interesse per la disciplina dei corpi e dei desideri. E religiosa è ancora la matrice di quelle tecniche che diventano necessarie per quella che è stata percepita come la costruzione di un nuovo corpo, dotato di una sessualità sana, e qui è tutto da vedere cosa significhi sano, e di quelle caratteristiche necessarie all’esercizio del comando92. È stato visto, non del tutto a torto, che anche in questo scritto è presente la foga di medicalizzare il mondo umano, il corpo e lo spirito, l’immaginazione e gli organi genitali. Si tratta sicuramente di un’istanza che è presente in Bienville, come lo è in altri autori dello stesso periodo, ma è appena il caso di ricordare come, effettivamente, questo passaggio di competenze, dal prete al medico, da un’autorità che veniva percepita come confusa e oscuramente ostile, che si faceva scudo con l’ignoranza, l’incomprensibilità e il potere che gli derivava da secolare sottomissione, ad un’autorità che si presenta come trasparente nelle competenze e, soprattutto, intelligibile nei fini che intende raggiungere e nei mezzi che sa utilizzare. Le critiche che Pinel rivolge all’opera, per quanto importanti, non ne intaccano l’assunto di fondo, che anzi condivide : che è necessario uno studio medico della sessualità, e soprattutto di quella particolare patologia della sessualità che è la ninfomania. Sensibile agli insegnamenti del vitalismo e della dottrina di Theophile Bordeu – le cui posizioni traspaiono del resto anche nel Rêve di D’Alembert di Denis Diderot – Bienville centra la sua attenzione sul problema dell’equilibrio degli umori – sangue, linfa e seme – e articola gran parte del suo discorso medico sul problema della pletora, dell’eccesso degli umori, del loro flusso difficoltoso e della loro spropositata concentrazione negli organi genitali, che così ne risultano infiammati, irritati, lesi, sovraeccitati. Il libro inizia con la descrizione scientifica della costituzione organica della donna ; attraverso questa conoscenza viene dimostrata la fragilità del sesso femmi‐ nile, infatti il principale ruolo negli accidenti dell’utero viene rivestito dalla natura delle fibre e dei muscoli dell’apparato genitale femminile93. La ninfomania è una malattia degli organi genitali femminili : Per ninfomania si intende un movimento sregolato delle fibre negli organi femminili. Questa malattia si distingue da tutte le altre, in quanto

92 Cf. sui corpi morbidi, sempre M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975 ; tr. it. Sorvegliare e punire. Nascita della prigione, Einaudi, Torino, 1976. 93 J.-D.-T. Bienville, La ninfomania, cit., p. 69 : « Poiché l’origine e lo sviluppo della malattia che definiamo furore uterino derivano, senza dubbio, dalle impressioni che le fibre interne degli organi ricevono e dai movimenti di queste ultime […] limiterò la mia descrizione, redatta in termini il più possibile succinti, agli organi interni della donna, in particolare a quelli che determinano direttamente le impressioni e le affezioni dell’utero, considerato quale sede principale delle noiose complicazioni di cui mi accingo a dipingere il quadro spaventevole ».

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normalmente essa si cela sotto l’ingannevole apparenza di uno stato di quiete, mentre le altre investono l’organismo improvvisamente, estrinsecando quasi dal principio tutta la loro gravità […]. La ninfomania è come una serpe che inavvertitamente ella [scil. la donna] si è cresciuta in seno : si consideri fortunata colei che dimostra l’energia necessaria per sfuggire in tempo al crudele nemico che la vuole distruggere, prima che questi l’abbia mortalmente ferita94. Nella donna, la « sfrenata cupidigia venerea » è di solito provocata da violente scosse degli organi che sono la sede del piacere, « nello stesso modo in cui la violenza della fame e della sete dipende dalla vigorosa impressione che ricevono le tuniche dello stomaco e della gola95 ». Il paragone con la fame e il nutrimento torna in più punti, come a rimarcare la necessità e l’incontrollabilità del bisogno sessuale. E, come la fame, la passione erotica si presenta come una brama violenta e inarrestabile, cui solo la più ferrea disciplina – autodisciplina – può porre un limite, ma mai estinguere. Anzi, quanto il bisogno degenera nel vizio neanche la ragione può più nulla. Una funzione importante è svolta dall’immaginazione, senza dubbio la facoltà più temuta da Bienville ; è lei che rende così difficile la guarigione nella prima fase della malattia, quando pure restano ancora molte speranze di invertire il corso del male96. La ninfomania non è una delle tante malattie delle donne : essa è piuttosto la malattia che, colpendo le donne, colpisce le famiglie e distrugge con loro il benessere e il principale legame sociale ; se la sua diffusione è una forma di contagio, è perché essa deriva dalla « fragilità del sesso97 » femminile : essa è inevitabile, è il lato oscuro della donna. Nessuna donna, in linea di principio, è esente dal rischio. Talvolta « questa malattia colpisce di sorpresa le fanciulle nubili, il cui cuore immaturo per l’amore ha espresso il suo favore per un giova‐ notto […] di cui non possono godere a causa di ostacoli insormontabili. Talaltra si vedono ragazze debosciate, che hanno vissuto nella sregolatezza di una vita voluttuosa, improvvisamente colpite da questo male, allorché un riposo forzato le tiene lontane dalle occasioni favorevoli alla loro fatale inclinazione ». Neppure le donne sposate « ne sono esenti, soprattutto quelle che sono unite in matrimonio a uomini dal temperamento debole […], oppure a uomini freddi, poco sensibili alle delizie della carne », e infine vi sono « le giovani vedove, soprattutto quando

94 Id., p. 75. 95 Id., p. 85. 96 Id., p. 91 : « Nel primo stadio la ragione gode ancora di tutti i suoi diritti, la turpitudine cagiona ancora orrore. I pensieri osceni di cui si nutre l’immaginazione debbono lottare contro sentimenti di pudore e di onestà, ancora in grado di respingerne la malignità ». 97 Id., p. 67.

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la morte le ha private di un uomo forte e gagliardo, che le aveva abituate al piacere intrattenendo con esse frequenti e intensi rapporti sessuali98 ». Questa malattia, secondo Bienville, può colpire indifferentemente tutte le donne, anche se è vero che soprattutto quelle che non svolgono una vita attiva e secondo natura ne rimangono vittime. Il conflitto fra natura e cultura si ripropone nel corpo della donna e attraverso di esso si riflette nella società. Secondo Julien Offroy de La Mettrie, ad esempio, esiste una legge del corpo più forte di tutte le leggi umane99, e a quella legge la donna ubbidisce più spontaneamente dell’uomo. Oltretutto, rispetto agli animali, « le cui femmine non provano più alcun deside‐ rio dopo essere state ingravidate », il genere umano, soprattutto la donna, è caratterizzato dalla figura dell’eccesso. Infatti dobbiamo osservare « che nelle donne gravide persiste il desiderio del coito, allo stesso modo in cui uno stomaco sazio non placa l’avida cupidigia del palato e della gola per quelle pietanze e per quelle bevande che in seguito è costretto a rigettare con disgusto100 ». L’eccesso è un dato di natura, e l’educazione interviene a moderarne la portata, intendendo eccesso come docilità degli organi.

3. La scienza della vita La donna, per la sua natura, è più incline all’eccesso, che si accetti o meno l’idea che l’eccesso è la norma. L’eccesso, del resto, è una categoria non naturale ma sociale ; ad entrare in conflitto sono l’esercizio naturale dei tempi e dei modi della sessualità femminile, da un lato, con i tempi società, dall’altro. Anche il matrimonio, che è lo strumento pubblico per eccellenza, è scandito secondo ritmi sociali indifferenti alle leggi del corpo femminile. Il tempo del corpo femminile è fonte di paradosso nel momento stesso in cui sembra fondere la circolarità del ciclo mestruale, la ciclicità quindi, con la linearità della storia individuale. Il tempo del corpo femminile contrasta con i tempi del mondo sociale e l’apparato riproduttivo ha delle ragioni che la ragione maschile, paradigma del sociale, non comprende.

98 Id., p. 75-76. A proposito delle vedove, Bienville continua : « il ricordo di questi deliziosi momenti è causa di rimpianti amari, che producono insensibile scompiglio, agitazione e movimenti dapprima involontari, il cui protrarsi riduce tuttavia l’animo in uno stato increscioso » (id., p. 76). 99 Secondo La Mettrie l’educazione supplisce a una deficienza naturale ; ma nel momento in cui volesse sconfiggere la natura si scontrerebbe con la necessità macchinale del corpo : « è tanto falso che l’idea della virtù ci è stata data insieme alla vita ch’essa non resta neppure la stessa quando l’educazione e il tempo hanno sviluppato e adornato i nostri organi. La virtù è come un uccello sul ramo, sempre pronto a volar via […] l’organismo riprende macchinalmente ciò che l’educazione sembra avergli sottratto, come se la perfezione e l’arte lo disturbassero » (Discours sur le bonheur (1748), ripubblicato nel 1750 con il titolo Anti-Sénèque, tr. it., Anti-Seneca, in J.-O. de La Mettrie, Opere filosofiche, Laterza, Roma-Bari, 1992, p. 328). 100 Id., p. 86.

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Referente obbligato di Bienville, per descrivere la fisiologia della donna e la sua patologia specifica, è Bordeu : i fenomeni della vita si spiegano ricorrendo all’idea della tensione fra fibre che costituiscono la materia organica. Queste fibre sono dotate di una attitudine spontanea a reagire alle stimolazioni. Come sappiamo la sensibilità è attivata e modificata dai diversi centri nervosi, la cui funzione simultanea ed antagonista assicura le funzioni vitali. È soprattutto la famosa dottrina della relativa indipendenza degli organi a far sentire la sua presenza. Anche l’organo della generazione ha una sua, relativa, indipendenza e quindi può, entro certi limiti, influenzare più di quanto dovrebbe gli altri organi, soprattutto l’organo cerebrale : in questo caso si ha la malattia101. Bordeu, per spiegare il suo modello di organismo, si serve – come è noto – della metafora dello sciame di api : Nous comparons le corps vivant, pour bien sentir l’action particulière de chaque partie, à un esseim d’abeilles qui se ramassent aux pelotons, et qui se suspendent à un arbre en manière de grappe, on n’a pas trouvé mauvais qu’un célèbre ancien ait dit d’un des viscères du bas ventre, qu’il etoit animal in animali […] ainsi pour suivre la comparaison de la grappe d’abeilles, elle est un tout collé à une branche d’arbre, par l’action de bien des abeilles qui doivent agir ensemble pour se bien tenir ; toutes concourrent [sic !] à former un corps assez solide, et chacune cependant a son action à part102. Quando l’organo genitale oltrepassa i limiti che sono suoi propri, allora la sessualità, per la sua indipendenza e la sua anarchia, a causa del suo rifiuto di sottostare a qualsiasi leggere che non sia la sua, diventa causa di una serie di malattie, e in un certo senso malattia essa stessa103. La sessualità può ora esser pensata come un privilegio anatomico e funzionale di una parte, di un organo sugli altri.

101 T. Bordeu, Recherches anathomiques sur la fonction des glandes, in Oeuvres complètes, 2 voll., Caille et Ravier, Paris, 1828, vol. I, p. 186 : « les organs du corps sont liés les uns aux autres ; ils ont chacun leur district et leur action ; les rapports de ces actions, l’harmonie qui en résulte, font la santé. Si cette harmonie se derange, soit qu’une partie se relâche, soit qu’une autre l’emporte sur celle qui lui sert d’antagoniste, si les actions son renversées, si elles ne suivent pas l’ordre naturel, ces changemens constitueront des maladies plus ou moins graves ». Ricordiamo che anche Cabanis guarda con simpatia a questa dottrina della parziale indipendenza e autonomia degli organi, e quindi di una quota di vitalità che sarebbe loro propria. C’è anche da notare l’ironica conclusione del Rêve di Diderot, in cui proprio Bordeu immagina la nascita futura di creature non del tutto umane la cui caratteristica sarebbe proprio l’eccesso sessuale, senza la capacità però di governarlo. Su Bordeu, Paul-Joseph Barthez e la scuola di Montpellier, cf. R. Carbone, Medicina e scienza dell’uomo. Paul-Joseph Barthez e la scuola di Montpellier, Federico II University Press, Napoli, 2017. 102 T. Bordeu, Recherches anathomiques, cit., p. 187. 103 La stessa ninfomania in Bienville offre molte resistenze alla classificazione sotto un solo gruppo sintomatologico, del resto anche Philippe Pinel sembra quasi interpretare la ninfomania di Bienville come un caso particolare e non esaustivo, tanto è vero che procede con attenzione a distinguerla dall’isteria, cosa che Bienville non fa.

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A dire il vero, la descrizione che Bienville fa dell’apparato ginecologico non sembra molto fedele alla dottrina di Bordeu, quanto piuttosto una commistione eclettica, per quanto interessante, di diversi modelli teorici. Quello che conta, però, è la decisione di Bienville di valorizzare l’aspetto dinamico del corpo, per poter così inscrivere il suo discorso sulla malattia femminile, in un più ampio discorso sul corpo femminile e sulle discipline del desiderio. Bienville fornisce una minuziosa descrizione anatomica dei tessuti, dei nervi, delle ghiandole, delle vene e arterie che costituiscono l’utero, il condotto vaginale e le ovaie, facendo largo uso di metafore di tipo botanico e zoologico, nello sforzo di descrivere l’organo forse più misterioso del corpo umano e ricorrendo anche frequentemente ad analogie con il sesso maschile104. La trattazione di Bienville a un certo punto sembra involversi in un circolo vizioso : egli individua il corpo femminile come totalità erotica105, poiché nella donna esistono parecchi organi destinati ad eccitare il piacere : « il clitoride […], tutta l’ampiezza e la profondità della vagina […], la parte interna dell’utero che […] esercita uno stimolo sugli altri organi » e poi ancora « la grande prostrata […] le ghiandole di Cowper […] una grande quantità di piccole ghiandole sia separate che unite tra di loro, sparse in tutta la vagina, dalle quali stilla un umore leggermente vischioso abbastanza simile allo sperma106 ». Il medico, uomo, viene quasi schiacciato da questa vastità e varietà anatomica che sembra essere tutta funzionale ad uno scopo : « Poste queste premesse, di cui non è ragionevole dubitare, è facile concludere con sicurezza che nella donna gli organi genitali ricevono impressioni più vive e, di conseguenza, si infiammano molto più facilmente che negli uomini107 ». Baconianamente, la conoscenza del corpo femminile è indispensabile per poter dominare la naturale tendenza di esso al disordine e all’eccesso sessuale108 ; ma la conoscenza delle cause fisiche della malattia è insufficiente per la terapia, e occorre rivolgersi all’immaginazione, la nutrice delle perversioni sessuali. Si attua a questo punto uno spostamento della ricerca scientifica : dall’organo l’analisi investe la persona, nella sua integrità fisica e psichica, e inserita nelle sue relazioni sociali e investe così la percezione della differenza e dell’identità sessuale che individualmente e socialmente si ha di sé109. 104 J.-D.-T. Bienville, La ninfomania, cit., p. 70 : la figura dell’utero somiglia « esattamente a quella di una pera, la cui cavità può contenere una grossa mandorla » ; poche righe dopo, ricorda che il « suo orifizio […] assomiglia alquanto al muso di un cane ». Ancora Philippe Pinel, anni dopo, dovrà fare i conti con l’inesistenza di un lessico differenziato specifico per i due sessi, senza riuscire a risolvere la questione, anzi senza nemmeno davvero porla con consapevolezza. 105 L’espressione è usata da A. G. Michler, nella sua Introduzione a id., p. 45. 106 Id., p. 85-86. 107 Id., p. 86. 108 Cf. id., p. 88. Secondo Bienville tre sono le ragioni che rendono le impressioni più vive e che stimolano una più vivace disposizione al piacere ovvero, l’eccessiva quantità di sperma e di tutto ciò che rientra tra gli umori seminali, l’eccessiva acidità di questi umori e il concorso simultaneo dell’abbondanza e dell’acidità degli umori. 109 Cf. in proposito, J.-L. Flandrin, Familles, Parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Librairie Hachette, Paris, 1976 ; dello stesso autore Il Sesso e l’Occidente. L’evoluzione del comportamento e degli

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Il problema dell’immaginazione, per l’uomo, si pone nei casi di una sessualità malata, nei casi di onanismo110, e ancora nell’opera di Philippe Pinel il numero dei casi di follia erotica maschile è esiguo, rispetto ai casi femminili, come a dimo‐ strare, statisticamente, quanto più facilmente le donne siano vittime di questo male. Nelle donne le passioni, vera radice della sessualità femminile, governate da leggi che non sono quelle umane e che guidano la più ragionevole e sana ses‐ sualità maschile, vengono generate e governate dall’immaginazione, che stimola il bisogno e suggerisce ogni mezzo atto a soddisfarlo. Ma il potere dell’immaginazione non è solo quello di eccitare il desiderio ; indirizzata opportunamente, è proprio l’immaginazione che riesce ad utilizzare le passioni per disciplinare la condotta sessuale : grazie all’immaginazione è possi‐ bile prolungare indefinitamente lo spazio fra l’insorgere della passione e il suo appagamento. Bisogna sfruttare e rovesciare il potere di anticipazione dell’amore per dilazionare l’atto del soddisfacimento111.

4. La scienza della società Questa educazione dell’immaginazione si traduce quindi in una educazione dell’immaginario, nella misura in cui si riconosce, soprattutto per le donne, l’in‐ sufficienza dell’argomentazione razionale che non faccia anche leva sulla contrap‐ posizione fra i terribili effetti della malattia e la soddisfatta tranquillità di una vita sessuale regolata, il cui modello nell’immaginario è la vita matrimoniale borghese. La medicina si propone un duplice intervento, terapeutico e preventivo, sull’im‐ maginazione, dopo aver constatato la perdita di potere delle funzioni di controllo della morale tradizionale, che pretendeva ciecamente di far tacere la natura. Non è possibile reprimere le passioni, ma piuttosto controllarle, regolarle, eventualmente contrapporre passione a passione112. I due eccessi che non vanno sfiorati sono la lascivia più sfrenata e l’astinenza più rigida. Bisogna piuttosto rispettare il

atteggiamenti, Feltrinelli, Milano, 1983 ; M. Foucault, La volontà di sapere, Feltrinelli, Milano, 1978 e La cura di sé, Feltrinelli, Milano, 1985 ; Th. Laqueur, Making Sex. Body and Gender from the Greeks to Freud, Harvard University Press, Harvard, 1990 ; E. Shorter, The making of modern family, Basic Books, New York, 1975. Riguardo l’evoluzione del comportamento amoroso a partire dal ‘500 è ancora da leggere il testo di N. Luhmann, Amore come passione, Laterza, Roma-Bari, 1983. 110 S.-A. Tissot afferma che la relazione tra sessualità maschile e ragione sia molto più essenziale rispetto a quella femminile e ricorre ad Hoffmann per affermare che esiste uno stretto rapporto tra testicoli e cervello (cf. S.-A. Tissot, L’onanisme. Dissertation sur le maladies produites par la masturbation, quatrième edition, Aux dépens de la Compagnie Typographiques, Neufchatel, 1775). 111 Id., p. 87 : l’immaginazione « intensifica il desiderio di godere e lo determina a sacrificare tutto per ottenere quel risultato ; anticipa il piacere dei sensi, in modo da rendere più intenso e più forte il piacere realmente provato ». 112 Cf. ad esempio, Ph. Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie, Richard, Caille et Ravier, Paris, 1800 ; tr. it. La mania. Trattato medico filosofico sull’alienazione mentale, a cura di F. Fonte Basso e S. Moravia, Marsilio, Venezia, 1987, p. 146 : « Il principio della filosofia morale che insegna a non distruggere le passioni umane, ma ad opporle tra di loro, si applica alla medicina

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naturale ciclo fisiologico del piacere, di collocare il rapporto sessuale nel tempo e nello spazio secondo una scansione rigorosa con lo scopo sia di procreare, sia, soprattutto, di controllare le passioni. Così, il matrimonio rappresenta l’unica soluzione davvero definitiva per la cura della ninfomania ; e Bienville, fedele all’assunto della necessità di conciliare argomentazione razionale con descrizioni patetiche, dipinge la felicità e la serenità che circondano l’amplesso coniugale, come momento fondante della famiglia, società originaria saldata da relazioni amorose e sentimentali, sublimazione di certi impulsi primari, e sottomissione non solo corporea della donna all’uomo. Solo la famiglia può regolare ed econo‐ mizzare il flusso del desiderio, controllare efficacemente i disordini prodotti dagli eccessi sessuali ed esercitare naturalmente quella pratica della procrastinazione dell’atto sessuale, sottoposto ad un’ economia del piacere che, ora, non è più foriero di sventure. Oltre al carattere scientifico c’è, poi, nel trattato di Bienville quello retoricoletterario : l’obiettivo è quello di raggiungere un vasto pubblico e illuminare un aspetto così importante della vita, tanto da contribuire a una disposizione di spirito appassionata piuttosto tranquilla, in ogni caso non turbolenta : significa confrontarsi con il vecchio amour passion, piegandolo in due direzioni opposte. L’immaginazione va educata per inserire fra la nascita del desiderio e il suo soddisfacimento la necessità di una procrastinazione ; l’ideale sarebbe, forse, il completo dominio dell’impulso sessuale, ma Bienville questo non lo dice, anzi le sue analisi sembrano indicare l’impossibilità di una sana astinenza. Inoltre, sembra suggerire l’autore, la procrastinazione del soddisfacimento accresce il piacere, rendendolo più ricco perché più consapevole e alimentato proprio da quella immaginazione che, se lasciata senza controllo, è responsabile dei peggiori mali. Ma di quanto vada dilazionato il soddisfacimento, ecco la questione che era dibat‐ tuta ; in questo caso bisogna far riferimento non tanto ai testi filosofici del tempo quanto piuttosto alle opere letterarie, soprattutto ai romanzi che conquistarono nel XVIII secolo il pubblico borghese. Sommariamente possiamo individuare due risposte a questa incognita : la prima è quella del Marchese de Sade, che rovescia punto per punto le acquisizioni delle opere di medicina e di morale del suo tempo, radicalizzando le opinioni espresse da La Mettrie nelle sue opere113. Nelle opere di Sade vediamo che fra l’in‐ sorgenza del desiderio e la sua soddisfazione non c’è spazio per alcuna forma di

tanto quanto alla politica, e questo non è l’unico punto di contatto tra l’arte di governare gli uomini e di guarire le loro infermità ». 113 Ad esempio, si legga questo passo che potrebbe trovarsi in una pagina di Sade : « Poiché siamo macchinalmente portati a realizzare il nostro bene e nasciamo con questa tendenza e disposizione invincibile, ne segue che ogni individuo, nel preferirsi ad ogni altro (come fanno tanti esseri inutili che strisciano sulla superficie della terra), non fa che seguire l’ordine della natura. E bisognerebbe essere ben strambi e irragionevoli per non credere che in quell’ordine egli può essere felice […]. Essendo il piacere dell’anima la vera fonte della felicità, è evidente che il bene e il male sono in sé del tutto indifferenti in rapporto alla felicità, e che chi proverà una soddisfazione maggiore a compiere il male sarà più felice di chiunque ne proverà meno a compiere il bene. Questo spiega perché tanti

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dilazione. I personaggi di Sade sono, spesso, macchinalmente determinati all’atto sessuale e totalmente dominati da esso. Nei casi in cui troviamo una forma di rinvio del piacere, questa momentanea rinuncia viene giustificata da impossibilità momentanea o, più spesso, dal desiderio di creare situazioni che amplificano il piacere ma che richiedono tempo perché si realizzino. La procrastinazione, in sé, non è mai positiva, non costituisce mai un elemento del piacere, ma sempre un ostacolo. Diametralmente opposta è l’immagine del rapporto erotico che viene definito nel Senza domani di Vivant Denon e, in certa misura, nelle Relazioni pericolose di Choderlos de Laclos114 ; soprattutto nel Senza domani l’attesa viene inserita, dalla donna, nel movimento del desiderio come suo elemento costitutivo. Il tempo che trascorre tra il sorgere del desiderio e il suo soddisfacimento non è più avvertito come un ostacolo quanto piuttosto come elemento discriminante rispetto alla naturalità, percepita come degradante, della classe meno colta della società. L’atto sessuale, sottoposto alla trasformazione polie115 trasferisce la sua valenza erotica su tutto il percorso compiuto dai protagonisti. Erotizzando l’attesa la donna, nell’ottica di Bienville, avrebbe rovesciato il discorso condotto dai medici. Rispetto all’autore della Ninfomania, ma anche ad un Tissot, o ad un Roussel, Sade e il Denon di Senza domani affrontano la stessa problematica, il difficile rapporto fra tempo, passione e soddisfacimento, e pur fornendo soluzioni opposte entrambi concordano su un punto, che segna la differenza con il discorso medico : la ragione, per l’estensore del Senza domani e per Sade è e deve essere sottoposta alla saggezza del cuore. Anche nel caso narrato in Senza domani, che presenta superficialmente maggiori somiglianze con la linea di Bienville, la scansione tem‐ porale, razionalmente articolata dalla donna, è finalizzata alla soddisfazione di entrambi i protagonisti ; è però la saggezza femminile, quindi quella più eccessiva, naturale, meno utilitaristica secondo Bienville, a dettare le regole. Anche in questo caso, l’immaginazione e il tempo sono stati funzionali alla sessualità femminile. E non è da sottovalutare il fatto che il caso narrato in Senza domani riguardi un adulterio116.

bricconi sono felici in questo mondo, e mostra che esiste una felicità specifica e individuale sia senza virtù che nel crimine stesso » ( J.-O. de La Mettrie, Opere filosofiche, cit., p. 330-331). 114 Les liaisons dangereuses e soprattutto il Point de lendemain tradizionalmente attribuito a Vivant Denon pubblicato nel 1777 sono, in un certo senso il motivo del romanzo di M. Kundera, La lenteur, Gallimard, Paris, 1993, tr. it. La lentezza, Adelphi, Milano, 1994. In questo romanzo Kundera esamina narrativamente proprio il tempo come momento indispensabile del rapporto erotico. 115 Sulla trasformazione polie J. Starobinski, Il rimedio nel male. Critica e legittimazione dell’artificio nell’età dei Lumi, Einaudi, Torino, 1990, p. 31 : « un elenco di candidati alla trasformazione polie : i barbari, i provinciali, i giovani, in una parola la natura “selvatica” e “rozza” ». 116 C’è da aggiungere che il finale di Senza domani non è privo di ambiguità a questo proposito : alla fine il giovane protagonista sembra quasi esser stato vittima di un atroce scherzo della protagonista, che lo avrebbe usato per sviare i sospetti del marito. A questo punto, quindi, una sorta di razionalità astuta si troverebbe ad essere la vera protagonista, e la passione erotica solo uno strumento. Ma in realtà l’autore preferisce lasciare nell’ambiguità le motivazioni della gentildonna, che alla fine appare

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Il pubblico di Bienville è lo stesso, persino le situazioni evocate sono le stesse e, incredibilmente, anche lo strumento principe è lo stesso : un radicale affrontamento della questione del tempo del soddisfacimento. Quanto questo tema fosse ancora presente a Philippe Pinel si deduce da una serie di fattori ; anzitutto la grande di quantità di casi di follie d’amore che troviamo soprattutto nella seconda edizione del Trattato, più sistematica rispetto alla prima e soprattutto arricchita dalle conoscenze conquistate da Pinel alla Salpétrière, ospizio femminile ; i sintomi riscontrati della ninfomania si sovrappongono a quelli di Bienville e alla vulgata letteraria sulle figure della ninfomane e del libertino e Pinel segue persino la scansione ternaria di Bienville117. Non solo, continuando nella critica di quest’ultimo alla società del suo tempo Pinel accusa il suo tempo, e la vita nelle città di depravare le virtuose attitudini dell’uomo : Egli è di conforto il pensare che i nove decimi della specie umana sparsi nelle campagne adempiono il voto della natura per la riproduzione ; e non è che nelle città, e in seno d’una vita oziosa ed effeminata, che concentrati sono gli esempi di depravazione, di licenza dei costumi, e di tutti i mali che strascina l’abuso dei piaceri118. Un elemento fondamentale in questa strategia della salute ben presto diventa il lavoro, anzitutto il lavoro fisico, indispensabile momento per conquistare la norma e totalmente sconosciuto alla classe nobiliare e cittadina. Quanto poi Pinel si sentisse ancora inserito nelle polemiche del tempo viene dimostrato da un ultimo particolare, legato proprio alle questioni trattate da Bien‐ ville : il tema dell’ermafroditismo, problema classico con i risvolti medico-legali che comporta, che si intreccia con la possibilità del corpo femminile di raggiun‐ gere un regime di piacere troppo elevato, mediante una sessualità che entrava in competizione con il maschio attraverso le pratiche dell’omosessualità femminile, o tribadismo, e dell’autoerotismo, cui anche Pinel è molto sensibile119. Nel XVIII secolo si era diffuso sempre di più il dubbio che l’ermafrodita non esistesse e molti autori avevano individuato nell’ermafrodito una donna con un clitoride

come l’unico vero soggetto che riesce a godere della sua sessualità, mentre i personaggi maschili sono semplici strumenti del suo desiderio. 117 Ph. Pinel, Nosografia filosofica, cit., vol. III, p. 183 : « Nel primo periodo, l’immaginazione è continuamente occupata da oggetti lascivi ed osceni ; l’ammalata è in uno stato di tristezza, d’inquie‐ tudine ; perde il sonno e l’appetito ; soffre un contrasto interno tra i sentimenti di pudore e l’impulso dei desideri sfrenati, ec. Nel secondo, si abbandona alle sue tendenza voluttuose, non combatte più per reprimerle, oblia tutte le regole del pudore e del decoro ; gli sguardi e i discorsi sono provocanti, i gesti indecenti, fa delle sollicitazioni, dell’istanza all’avvicinarsi di chi che sia ; fa degli sforzi per gettarsi nelle sue braccia ; minaccia, si trasporta se l’uomo resiste o se vuole difendersi. Nel terzo, l’alienazione di spirito è completa, l’oscenità ributtante, il furore cieco, con desiderio di battere e di stracciare ; havvi calore bruciante senza febbre, finalmente tutti i sintomi diversi d’uno stato maniaco violento ». 118 Id., p. 173. La vista dissoluta della città è un topos nel XVIII secolo. 119 Id., p. 182-183.

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eccessivamente sviluppato120, e ancora nel 1801 Pinel scrive una memoria sugli ermafroditi121. L’aspetto più interessante della questione, comunque, è in realtà ancora un’al‐ tra : l’evidenziarsi, nell’uomo, di una facoltà volitiva che non è in alcun modo riconducibile alla razionalità. Il desiderio, di cui il desiderio sessuale appare sempre più come un elemento originario, costitutivo della personalità umana.

120 Esemplare su questa controversia l’opinione del redattore dell’articolo Hermaphrodite della Encyclopé‐ die di Diderot e D’Alembert. 121 Cf. Ph. Pinel, Sur les vices originaires de conformation des parties génitales de l’homme et sur le caractêre apparent des hermaphrodites, nelle Mémoires de la société médicales d’émulation de Paris, t. IV, p. 324. Una prima versione della memoria era stata pubblicata da Pinel nel 1789 nel Journal de Physique, ma dodici anni dopo avverte evidentemente l’esigenza di tornare sopra il problema grazie agli stuti fatti proprio alla Salpétrière.

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Siegrid Agostini Ho conosciuto Giulia nell’ormai lontano 2001 quando per me, e per moltis‐ simi altri, era la Professoressa Giulia Belgioioso. Era una mattina di una dolce primavera romana in una cornice, quello lo avrei scoperto solo più tardi, a lei particolarmente cara (Villa Mirafiori), in occasione di una riunione di giovani cartesiani ‘reclutati’ per mettere mano ad un’impresa gigantesca, quella dell’edizione completa delle opere cartesiane. C’era da rabbrivi‐ dire al solo pensiero. Soprattutto se giovani e inesperti. Non ero propriamente quel che si dice una giovane studentessa, ma ero comunque ancora giovane e, soprattutto, scientificamente acerba. Ma una cosa mi caratterizzava : dopo i miei studi di filosofia all’Università di Firenze, sentivo ancora dentro di me un’inestinguibile voglia di imparare e di fare ricerca. Questa voglia non si è mai spenta e, se per questo devo sicuramente tanto alla mia inquieta interiorità, in moltissima parte devo anche a Giulia l’averla scorta, l’averla compresa e l’avermi negli anni costantemente stimolato in quella ricerca della verità tanto cara a Descartes, a sua volta a lei tanto caro, al punto tale da consacrargli l’intera sua dimensione scientifica. E da farla consacrare anche a me. Da allora, infatti, ho percorso la sua stessa strada, intrecciando la mia vita alla sua, seguendo il suo costante insegnamento e cercando di mettere a frutto quei preziosi suggerimenti che, con grande generosità, mi ha sempre elargito e, ancora, continua a fare. Nel 2003, finalmente, Lecce mi accoglieva : il prestigioso Dottorato Interna‐ zionale in Filosofia : Forme e Storia dei Saperi Filosofici nell’Europa moderna e Contemporanea di cui Giulia era coordinatrice e il Centro Interdipartimentale di Studi su Descartes e il ‘600, di cui Giulia era direttrice – e per il quale aveva creato un sito web (www.cartesius.net) di cui a lungo, con incarichi di piena fiducia, mi ha affidato la cura – mi aprivano le porte, privilegio sconosciuto ai più, ad un mondo di studiosi cartesiani e di modernisti di primo rango. Ettore Lojacono, Tullio Gregory, Jean-Robert Armogathe, Jean-Luc Marion, Michel Fichant, Vincent Carraud, Denis Kambouchner, Daniel Garber, Roger Ariew sono stati i primi grandi studiosi che ho avuto l’onore di conoscere e il piacere di ascoltare durante i corsi dottorali, gli annuali seminari cartesiani organizzati dal Centro e, più tardi negli anni, le numerosissime giornate di studio e i convegni, in Italia e all’estero, cui ho avuto la possibilità di partecipare, prima come studentessa e poi come studiosa, in veste di relatrice.

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Dal 2003 al 2009 – senza dimenticare che nel 2005, intanto, insieme a JeanRobert Armogathe, Giulia dava alle stampe, in 3 volumi, l’edizione dell’esemplare Clerselier-Institut delle Lettres di Descartes – ha portato a termine quell’impresa unica e straordinaria di edizione integrale dell’opera di Descartes. E noi con lei. Chissà, forse qualcun altro, al suo posto, avrebbe deciso che poteva essere il momento di fermarsi per osservare il destino di queste ‘creature’ e godere i giusti riconoscimenti. Questo non è mai accaduto. Giulia ha lavorato incessantemente fino al momento in cui è andata in pen‐ sione. Per la verità, non ha mai smesso. Ed io con lei. Dal 2001 ad oggi, Giulia mi ha presa sotto la sua ala e la sua guida e mi ha completamente formata come studiosa : se qualcosa ho imparato e fatto, in questi 20 anni, e so per certo di averlo fatto, lo devo senz’altro a lei. Fra le altre importanti attività scientifiche portate avanti insieme a Giulia nel mentre mi ritagliavo una posizione, seppur precaria, nel mondo dell’Accademia, ho qui il piacere di ricordare, dopo l’edizione Bompiani, l’edizione on-line realiz‐ zata sia per l’Italia (http://des_lettres.cartesius.net/), sia per la Francia (sotto la direzione, in questo caso, di Vincent Carraud : http://www.unicaen.fr/puc/ sources/prodescartes/recherche) del già citato epistolario di Descartes, dato alle stampe nel Seicento da Clerselier, la cura di alcune pubblicazioni e, non ultimo, la stesura del mio libro che uscirà nel 2021 presso Brepols nella collana The Age of Descartes / Descartes et son temps, diretta da Giulia. Si tratta dell’edizione critica dell’intera corrispondenza di Clerselier, un vo‐ lume che trova la sua origine e il suo compimento in questi lunghi anni trascorsi fianco a fianco e che, se considero senz’altro una mia ‘creatura’, al tempo stesso non può che rappresentare per me l’ultimo grande lascito dell’insegnamento e della vicinanza di Giulia, cui va la mia più sincera e profonda gratitudine.

Roger Ariew Greetings from Tampa. I’m very sorry not to be able to attend this magnificent conference in homage to Giulia Belgioioso. I must say I don’t have a proper excuse : I cannot, like Descartes, claim that “Italy is a very unhealthy country for the French,” since I am not French, and cannot say I “fear the illnesses caused by the heat of the air,” since Tampa is at least as hot as Lecce. And I certainly can’t agree with Descartes’ general view of Italy : When Balzac praised Italy to Descartes, saying he likes “very much the skies of Italy and the earth that bears orange trees,” Descartes could only reply he does not know how Balzac “can be so fond of Italy, in whose air one so frequently inhales pestilence, and where the heat of the day is always unbearable, the cool of the evening unhealthy, and where the darkness of night is a cover for thieves and murderers.” I’ve heard of Death in Venice, but Death in Lecce seems overblown. So I apologize again and thank whomever is reading this note for me. I should say I met Giulia Belgioioso close to 25 years ago. I think the first occasion was

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the conference on Descartes’ Principles, either in May 1994 in Paris or November 1994 in Lecce. These events start to blur together, but I know I also met Giulia Belgioioso at many other conferences, whether in Perugia, Lecce, Paris, or at Duke or Princeton. We also spent some time in beautiful Bran, Romania. I must say, although the events become hazy and twenty years go so very fast, I still remember the organizational efficiency and great conviviality of those meetings. I know that Giulia Belgioioso is responsible for outstanding works on the recep‐ tion of Cartesianism, especially in Naples ; she is the co-editor of numerous collected essays on Descartes’ Principles, Correspondence, and Passions of the Soul, and is responsible in large part for the anastatic reproductions of Descartes’ books, as well as the editions of his Works and Correspondence and the updates on his Bibliography. These are major resources that will be of enormous value to scholars for many decades. But I think Giulia Belgioioso’s even greater legacy is the creation of a nexus of discussion and study about Descartes, that is, the Centro di Studi Cartesiani itself, which she has masterfully guided, along with the generation of scholars she has educated and nurtured. For those achievements she deserves the greatest honors that can be bestowed upon her. Giulia Belgioioso’s did all these things with an incredibly modest affect, belying Descartes’ opinion of Italians as “boastful,” or “very prone to make things they are talking about much greater than they are.” Given her accomplishments, that would not be possible.

Costantino Esposito La distanza tra Bari e Lecce – come si sa – è geograficamente assai breve, sebbene a volte, soprattutto in passato – e anche questo si sa – pareva essere grande come quella tra due mondi, tra due ambienti, tra due destini assai lontani. Accademicamente parlando, per me l’Università di Lecce ha cominciato ad essere non più una lontana entità, concorrenziale per giunta con l’Università di Bari, ma un luogo vicino, sempre più vicino, quando negli anni Ottanta la mia ‘maestra’ e ‘mentore’, Ada Lamacchia, entrò nel Collegio dei docenti del Dottorato in Filosofia dell’Università salentina, avendo come aggancio di riferimento una certa docente che rispondeva al nome di Giulia Belgioioso. Per me, giovane assistente supplente e poi ricercatore barese, quel nome si identificava con l’Università di Lecce, o almeno costituiva la mia porta di ingresso in un mondo distante che cominciava lentamente a diventare familiare e in cui di lì a poco si sarebbe aperta una strada di amicizia. E difatti per me il rapporto di confronto e poi di collaborazione con l’Univer‐ sità di Lecce ha assunto la forma ed il ritmo dell’amicizia con Giulia Belgioioso. Ho presente a questo proposito tre momenti significativi che hanno tutti segnato – direttamente o indirettamente – il mio percorso. Il primo momento riguarda la possibilità che ho avuto, in incontri, conferenze, convegni organizzati grazie al genio della promozione della ricerca accademica

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di cui Giulia era dotata quasi “per natura”, di approfondire e in alcuni casi di allacciare rapporti con alcuni studiosi e colleghi che avrebbero poi costituito dei punti di riferimento importante per il mio percorso di studio. Penso a persone come Jean-Luc Marion, Jean-Robert Armogathe, Jean-François Courtine, Vincent Carraud, Gilles Olivo : per me questi nomi portano impressi dentro di sé l’espe‐ rienza di un incontro leccese, e non solo perché magari a Lecce avevo avuto modo di incontrarli o rivederli, ma perché in essi si tratteneva e si sedimentava un certo stile, o meglio una certa arte dell’incontro e dell’amicizia nella ricerca e nella costruzione comune di cui Giulia ci aveva dato – cosciente o meno che ne fosse – un’occasione e un esempio importante. Il secondo momento che mi piace ricordare è un incontro – pomeriggio primaverile al Palazzo Parlangeli – in cui si parlò dell’eventualità di trovare una sede editoriale adeguata per una nuova edizione delle “Lettere” di Descartes, che premeva come una proposta esplosiva da parte del gruppo di lavoro cartesiano coordinato da Giulia. In quell’occasione io stesso (mi prendo presuntuosamente il merito della prima intuizione) proposi di parlarne con il grande Giovanni Reale per una collocazione nella prestigiosa collana dei testi a fronte (già Rusconi) di Bompiani. E da quel pomeriggio assolato – con una telefonata fatta in diretta a Reale – poi il progetto partì e si ampliò, senza naturalmente che io ne avessi più alcun merito, in un “Tutto Descartes” : lì dove il rischio visionario e concretissimo di Reale convolava a nozze perfette con l’indomito e implacabile ardimento di Belgioioso. Di lì è nata anche la collaborazione di Giulia alla nuova impresa (dal 2001) di « Quaestio », l’Annuario di Storia della metafisica avviato da me assieme a Pasquale Porro, che ha visto Giulia sin dall’inizio nell’Advisory Board. E mi piace ricordare un suo intervento magistrale (scritto assieme a Franco Meschini), pubblicato nel volume del 2004 dell’Annuario, intitolato Philosopher, méditer : l’expérience philosophique chez Descartes, perché lì si incontravano in una maniera davvero convincente la rigorosa metodologia delle fonti e delle occorrenze lessi‐ cali praticata da Giulia, con un’attitudine (da me forse maggiormente avvertita) di cogliere le linee portanti della storia della metafisica come storia dei testi, dei linguaggi, delle idee e delle forme dell’esperienza umana. L’incontro era avvenuto, ed era felicissimo. Ma poi di lì è nata anche una bellissima e per me utilissima condivisione del percorso di giovani dottorandi e poi ricercatori, che univano in sé l’origine barese e il percorso dottorale leccese : da Francesco Marrone a Chiara Catalano, da Tania Lovascio a Giuseppe Capriati. E per me la possibilità di approfondire l’iniziale conoscenza con alcuni allievi di Giulia, come Igor Agostini, col tempo diventati colleghi e sempre più amici. Il terzo momento, infine, è legato ad un nome e ad una presenza umana che mi ha permesso di coltivare e gustare sempre più il rapporto con l’Università di Lecce e con Giulia : il nome e la presenza di Massimiliano Savini. Con Max ero amico – sono amico – già da tempo, ma proprio il suo arrivo a Lecce e la sua luminosa e fattiva partnership con Giulia mi hanno permesso di conoscere di

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più entrambi. Perché era un piacere vederli a distanza, diversi, diversissimi l’uno dall’altra, ma profondamente “insieme”, non per una strategia accademica ma per una condivisione che non ti puoi spiegare solo per i comuni interessi o per le ovvie appartenenze istituzionali. Quello che si vedeva – in maniera molto discreta, pudica, quasi brusca, e tuttavia evidente – era un’apertura, direi un’affezione per l’esistenza e per la vita dell’altro e dell’altra. Erano solo una ‘Prof ’ e il suo giovane assistente/collaboratore, certo, ma lì dentro accadeva una simpatia e una reciproca fiducia che aveva il potere di illuminare come dall’interno anche il più tecnico e sobrio lavoro documentario del Bulletin cartésien. E il fatto che ora Massimiliano Savini continui in un altro modo, inesplicabile e misterioso, la sua presenza a distanza da Lecce, lo rende forse più dentro, più intimo al segno che Giulia ha lasciato con il suo lavoro. Forse – mi perdonerai Giulia se lo dico a fronte dei numerosissimi risultati, e di grande rilievo, che ci hai dato e che continui ancora a darci – quella di Max è la traccia più viva della presenza della sua Prof. Grazie Giulia. Con stima e, se posso, con affetto.

Marta Fattori Il mio ruolo di Presidente mi permette, oggi, di dire solo due parole su Giulia Belgioioso. Infatti come amica e collega di Giulia ho ritenuto più consono al nostro ormai antico rapporto impegnarmi in una piccola ricerca cercando documenti inediti su temi a Lei cari : da qui l’articolo “Il votum di Tommaso Maria Mamachi su le Riflessioni intorno l’origine delle passioni di Francesco Antonio Piro”, pubblicato nella seconda parte di questo volume : un filosofo meridionale (ancorché non specificamente pugliese), messo all’indice (per la sua prima opera) nel 1742, per essere un seguace della “moderna filosofia”. Oggi siamo qui, colleghi, amici, studenti, per rendere omaggio a Giulia Belgioioso, nel giorno del suo pensionamento. È occasione per la quale spesso si usa il verbo “festeggiare” : più adatto, secondo me, quello di “ringraziare” : nel caso di Giulia - che, per le sue responsabilità accademiche, i personali risultati scientifici, i rapporti interna‐ zionali, sono certa continuerà il suo ruolo, nonostante il formale pensionamento - il ringraziamento va oltre il dovuto e formale. Non ripercorro qui, altri lo hanno fatto, altri lo faranno, il suo cursus honorum et studiorum, vorrei soprattutto e solo sottolineare il suo ruolo nell’aver costruito, sul piano degli studi, dei dottorati internazionali, dei convegni cartesiani, nell’edizione delle opere e dell’epistolario cartesiano, delle case editrici e altro, nell’università di Lecce, attraverso la cattedra e il Dipartimento, un riconosciuto polo di riferimento per gli studi cartesiani non solo europeo, dalla Sorbonne, agli Stati Uniti, al Giappone, al Brasile. Nella convinta certezza che quanto costruito possa continuare.

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Maria Cristina Fornari La mia storia personale e accademica si intreccia con quella di Giulia Bel‐ gioioso. Quando l’ho conosciuta aveva cinquant’anni, meno di quanti non ne abbia io adesso : mi venne presentata, scherzosamente, davanti al bancone del bar che allora frequentavamo per le pause caffè, come colei che teneva realmente in mano le chiavi del potere. Nonostante il tono spiritoso di chi me lo disse, non so perché ma non ne ebbi alcun dubbio. Da dottoranda intimidita e appena catapultata in un ambiente estraneo, non riuscii a registrare il suo viso : ricordo solo di aver notato la sua statura piccola, la battuta pronta e pungente, e una certa ruvidezza che – lo avrei scoperto in seguito – serviva a tenere a bada affetti troppo invasivi o affettazioni lusinghiere. Più tardi avrei sovrapposto il suo volto di allora con quello di una vecchia foto, nella quale compariva poco più che adolescente con una camicetta a quadri, che mi riportò immediatamente alle atmosfere del Come eravamo di Sydney Pollack, segno del mio accostamento più o meno consapevole del suo fare determinato e volitivo agli esiti della battaglia politica e dell’emancipazione femminista di quegli anni. Una donna che si sia voluta affermare in un ambiente conservatore e maschilista quale doveva essere allora quello accademico, tanto più al Sud, mi dicevo, avrà dovuto sviluppare necessariamente severi anticorpi alle blandizie, al paternalismo e alla remissività. In poco tempo imparai che la mia prima impressione, come spesso capita, era quella giusta. Giulia Belgioioso era davvero una donna di potere : aveva il potere di non passare mai inosservata, di non rimanere mai ai margini, di dare fastidio ; aveva il potere di imporre e di imporsi, ma soprattutto il potere – la forza, la capacità – di immaginare, di progettare e di dare corpo alle sue visioni, coinvolgendo, volente o nolente, chi le stava intorno. Fu così che, a seguito dei suoi studi e delle sue frequentazioni internazionali – sarà sempre di casa tra il V e il VI arrondissement – dette vita nel 1997 al Centro Interdipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento, in collaborazione con il Centre d’études cartésiennes della Sorbonne. Una giovane studiosa e i géants di una delle più antiche e prestigiose istituzioni europee stipularono un accordo di cooperazione scientifica, tuttora in vigore, a ratifica formale di una comune attività scientifica, didattica e culturale. Giulia Belgioioso, in una parola, stava gettando le basi di una vera e propria scuola di filosofia moderna presso l’Università di Lecce, una preziosa eredità divenuta un punto di riferimento per studiosi e appassionati del diciassettesimo secolo. Nel 2000 io terminavo il mio ciclo dottorale. Un giorno, ricordo, mi chiamò nel suo studio – ci davamo ancora del “lei” : non tollerava il “tu” se non reciproco, ma non era disposta a concederlo facilmente – per aiutarla a stendere un progetto, di cui in realtà capivamo ben poco. Era il progetto di costituzione di un dottorato europeo in collaborazione con Sorbonne-Université, da presentare al MIUR. Pochi erano gli ausili, le indicazioni erano piuttosto nebulose e l’obiettivo sembrava di quelli destinati ad essere mancati in partenza. Io, caratterialmente rinunciataria, avrei forse lasciato perdere, ma non lei : ogni occasione, peraltro, serviva da

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pungolo per mortificare il mio lato dubitoso. Facemmo del nostro meglio. E quando, qualche tempo dopo, Giulia mi chiamò per mostrarmi la lettera con la quale il Ministero ci assegnava 100 milioni di lire per la costituzione di un dot‐ torato internazionale, sollecitando un cofinanziamento dell’Ateneo, era piuttosto incredula anche lei. Avevamo compiuto un’impresa al di là delle nostre stesse aspettative e speranze. Così, nel 2001, quando la sottoscritta risultava vincitrice di un concorso da ricercatore presso l’Università del Salento, prendeva avvio il Dottorato Internazio‐ nale in Forme e storia dei saperi filosofici nell’Europa moderna e contemporanea, XVII ciclo, che è stato magistralmente coordinato da Giulia Belgioioso per più di un decennio. Siamo oggi al 35° ciclo : il Dottorato è cresciuto, si è ampliato progressiva‐ mente con convenzioni stipulate con altre strutture di eccellenza, come l’École Pratique e l’École Normale di Parigi, fino a divenire, nella sua struttura attuale, un Dottorato Internazionale trilaterale, in convenzione con la Sorbonne-Université e con il Thomas Institut e l’a.r.t.e.s. Graduate School for the Humanities della Facoltà di Filosofia dell’Università di Colonia. Nel frattempo, Loris Sturlese si è avvicendato alla coordinazione (dal 29° al 33° ciclo), e il suo ingresso, come quello di altri colleghi esperti di filosofia medievale, ha rappresentato un ulteriore ampliamento dell’offerta didattica e formativa. Il Dottorato internazionale in Filosofia : Forme e storia dei saperi filosofici (la nuova denominazione è stata fortemente voluta da Giulia Belgioioso) richiama ogni anno diversi candidati che ambiscono a formarsi presso l’Università del Salento, dove sono presenti eccellenze nell’ambito della storia della filosofia medievale, moderna e contemporanea. I nostri dottorandi, che per statuto sono obbligati a trascorrere in una delle sedi partner almeno un semestre – ma che si trattengono all’estero talvolta più di un anno intero – sono ben consapevoli dell’opportunità offerta dal loro triennio di studi, che permette loro di misurarsi con una dimensione internazionale di alto livello. In un periodo in cui la parola internazionalizzazione non era ancora abusata, quando poco o niente era ancora finito sotto la scure dell’aziendalismo accade‐ mico, l’idea di Giulia Belgioioso, la sua necessità, era già quella di proiettarsi in avanti : oltre il localismo, in primo luogo, per consentire ad un piccolo ma giovane Ateneo di competere al pari di altre realtà geograficamente più felici ; oltre il provincialismo, coi suoi pregiudizi di genere che – non nascondiamocelo – ancora perdurano ; oltre il momento contingente, dando vita a qualcosa destinato al futuro e a chi, in questo futuro, sarebbe stato chiamato a prendersene cura. Quello che personalmente devo a Giulia Belgioioso è l’avermi guidata in un ambiente non facile, l’avermi insegnato che si combatte soltanto laddove si può vincere, l’avermi accordato la sua fiducia – devo a lei il mio primo ingresso in Sorbona e se adesso posso chiamare colleghi gli stessi géants – e la sua amicizia, schietta e senza fronzoli.

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Alberto Frigo Descartes consacra un celebre articolo delle Passions de l’âme alla générosité (art. 153). La definizione è stranamente bifida. La generosità fa sì che un uomo abbia per se stesso la più alta stima che può legittimamente accordarsi. E questa passione sui generis “consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures”. Essere generosi significa, da una parte, avere coscienza che l’unica cosa di cui disponiamo in proprio, veramente e liberamente, è la nostra volontà, dal cui buono o cattivo uso ricaviamo reale onore o biasimo. E d’altra parte, la generosità implica al contempo mantenersi indefettibili nella risoluzione di farne buon uso. Insomma, i generosi sono coscienti che tutto dipende dalla volontà, che ciò che siamo, il nostro valore dipende dal nostro volere. Ma soprattutto che non basta avere talvolta delle buone volontà. Gli slanci sono ammirevoli, ma solo la costanza conta. Bisogna fare del buon uso della volontà una disposizione permanente, una ferma risolutezza. C’è però anche altro e, anzi, l’essenziale viene (come sempre) solo alla fine della definizione cartesiana della generosità. Si tratta certo di volere, di mantenere salda e permanente la risoluzione di fare buon uso della volontà. Tuttavia le intenzioni sono poca cosa – occorre agire. E quindi il generoso non è solo costantemente risoluto, ma la sua risoluzione è una risoluzione a fare non sol‐ tanto a volere. Meglio, “a intraprendere e eseguire ciò che giudica essere meglio”. Buon uso della volontà e risoluzione, dunque, ma anche e soprattutto audacia e perseveranza. Il generoso sa di cosa è capace, (fare buon uso della volontà), esercita senza interruzioni o indecisioni questa capacità (risolutezza) e perciò si lancia in grandi imprese (audacia) e sa portarle a termine (perseveranza). All’altro opposto, c’è, per Descartes, il pusillanime, che, irresoluto, dubita costantemente di sé, e per questo appare sovente velleitario, sempre esitante nell’entrare in azione, scegliendo perlopiù progetti modesti, che lascia poi infallibilmente cadere senza portarli a termine. Giulia Belgioioso ha dedicato la quasi totalità della sua carriera a Descartes. Non si sceglie un autore se non in virtù di una affinità segreta, magari incosciente, ma che sola giustifica che si possano consacrare giorni, mesi, anni alle pagine di un pensatore vissuto diversi secoli fa. Ai miei occhi, non ci sono dubbi che qualcosa della generosità cartesiana si ritrovi in lei. Se la risolutezza non fa difetto a Giulia Belgioioso, non si tratta della risolutezza aspra che si confonde con l’alterigia, ma della fermezza, talvolta anche della sbrigatività, che impone la fedeltà a un progetto che si è scelto con piena coscienza di causa – e al quale si intende prestar fede. Ma c’è anche in Giulia Belgioioso, mi sembra, quell’associazione, all’apparenza così strana, di audacia e di perseveranza : agire con grandi ambizioni

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senza mai dimenticare tutto ciò che le ambizioni impongono, di duro, quotidiano lavoro, se non vogliono restare semplice velleità. Creare un centro Cartesiano in un ateneo lontano dalle tradizionali “capitali universitarie”, attirare da tutto il mondo eminenti specialisti e indurli a entrare in diretto contatto con studenti e ricercatori più giovani, talvolta alle prime esperienze di ricerca, pianificare una edizione delle opere complete di un autore che è altrove patrimonio nazionale. Tutto questo richiede audacia nell’intraprendere e perseveranza nell’eseguire. Un altro pensatore della générosité, Montaigne, ne parla come di una forza vitale, di una energia inesausta, della quale una lunga frequentazione di dialoghi, collabora‐ zioni e confronti con Giulia Belgioioso mi ha permesso di fare personalmente l’esperienza : “Nul esprit généreux ne s’arrête en soi : Il prétend toujours et va outre ses forces. Il a des élans au-delà de ses effets. S’il ne s’avance et ne se presse et ne s’accule et ne se choque, il n’est vif qu’à demi” (“De l’expérience”, Essais, III, 13). Il generoso non teme gli ostacoli, anzi vi riconosce le occasioni che provano la qualità della sua risolutezza, l’altezza della sua audacia, la forza della sua perseveranza. Giulia Belgioioso non è da meno. Ma c’è di più - e di nuovo l’essenziale si trova in questa coda. Perché la generosità non è solitaria. Il generoso sa quanto vale, ciò a cui può ambire e cosa deve fare per realizzarlo. Ma sa anche riconoscere la stessa capacità in quanti lo circondano, che considera pari a lui perché capaci, almeno in principio, della sua stessa risolutezza, della sua stessa audacia e della sua stessa perseveranza : “Ceux qui ont cette connaissance et ce sentiment d’eux-mêmes se persuadent facilement que chacun des autres hommes les peut aussi avoir de soi, parce qu’il n’y a rien en cela qui dépende d’autrui” (Passions de l’âme, art. 154, BOp I 2476). Non si tratta, precisa Descartes, di ignorare le differenze, di misconoscere che altri sono più capaci, più intelligenti, più potenti o più performanti di noi – oppure che lo sono meno. Si tratta invece di partire dal presupposto che nessuno è così pusillanime da non poter far prova di risolutezza, audacia e perseveranza. I generosi suscitano altri generosi. Non è questione di fare gruppo, di ritrovarsi, di costituire una comunità, ma di spronarsi a vicenda, come in una corsa in cui lo sforzo altrui suscita e rende possibile in noi uno slancio ulteriore di cui ci credevamo incapaci. C’è qui una verità del nostro lavoro di studiosi, che, malgrado tutte le pie fole sui progetti collettivi e condotti in equipe, resta un lavoro solitario. Soli davanti al testo possiamo condividere i risultati delle nostre ricerche ma non la ricerca stessa. Come ricorda Rousseau, che più di tutti ha cercato di pensare ciò che fa di una comunità una comunità veramente unitaria, perché l’unità esista bisogna che ogni membro opini sempre e soltanto in proprio. Così lavorare in gruppo non significa collaborare, ma partecipare ciascuno a proprio titolo e secondo modalità specifiche al lavoro comune. E ciò che ci accomuna è meno la divisione del lavoro che la motivazione indivisa che anima, ognuno per proprio conto, i membri del gruppo. Che questo sia l’unica forma fruttuosa di collaborazione nell’ambito della storia della filosofia, Giulia Belgioioso l’ha mostrato in maniera esemplare. Il gene‐ roso suscita anche in chi se ne crede sprovvisto (uno studente appena laureato,

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uno specialista confinatosi da troppo tempo in un ambito di ricerca esiguo, un interprete riconosciuto ma chiuso nelle sue intuizioni) l’audacia di tentare qual‐ cosa di inedito. E quando lo scoramento subentra al primo slancio del progetto, è ancora il generoso a ricordare a quanti collaborano con lui che l’audacia senza perseveranza è indegna del buon uso della volontà di cui ci fregiamo. Alla fine non ne risulta una scuola (con i suoi pregiudizi e le sue ortodossie impermeabili al confronto), ma una vera comunità di studiosi, studenti, dottorandi, ricercatori e professori, a geometria variabile, sia nello spazio che nel tempo, eppure condotti a convergere per essersi impegnati in un progetto editoriale, in un ciclo di conferenze, nel tutoraggio di studenti in tesi. Si può trattare di collaborazioni occasionali o di lunghi e consolidati sodalizi : la sensazione è sempre quella di venire coinvolti in un campo di energie, quasi gravitazionale, dal quale non ci si può non sentire condizionati, pur restando autonomi, e del quale Giulia Belgioioso costituisce al contempo il baricentro e il motore. Queste pagine potranno sembrare troppo astratte per valere come un ricordo personale. E senza dubbio ci sono altri luoghi e altri modi più consoni e più efficaci per testimoniare la stima e l’affetto che nutro per Giulia Belgioioso. Ma mi sembrava essenziale sottolineare soprattutto come, “en bonne généreuse cartésienne” Giulia è riuscita ad essere un modello e un catalizzatore di generosità intellettuale. Non si tratta di semplice passione, ma di una virtù espansiva, che trasmette una incandescenza fredda e proprio per questo più duratura. Una virtù fatta di audacia e pragmatismo, di forza e senso del “particolare”. La virtù – rara – dei costruttori capaci di edifici nuovi e solidi.

Francesco Fronterotta Ho conosciuto Giulia Belgioioso quando, nel 2001, arrivai a Lecce come ricer‐ catore in Storia della filosofia antica. Ebbi subito modo di constatare l’intensità e la passione con cui Giulia si dedicava all’attività universitaria in generale e alla promozione degli studi storico-filosofici in particolare. Non sta certo a me far riferimento qui agli importanti contributi scientifici da Giulia forniti nel suo insegnamento e nelle sue ricerche nell’ambito della filosofia moderna e della storia del cartesianesimo, non solo, naturalmente, con le sue pubblicazioni, ma anche nell’organizzazione di convegni e seminari, nel coordinamento di un prestigioso Dottorato di ricerca internazionale e più ancora nell’aver fatto di Lecce e del Salento un crocevia di iniziative che hanno coinvolto nel tempo, e regolarmente, alcuni fra i massimi studiosi al mondo del pensiero di Descartes e della modernità in generale. Altri avranno competenze più ampie delle mie per illustrare questi aspetti. Per quanto mi riguarda, vorrei più modestamente accennare all’impegno accademico e istituzionale di Giulia nella difesa e nel rafforzamento degli studi di filosofia presso l’Università di Lecce, poi Università del Salento, innanzitutto come fondatrice e coordinatrice del già ricordato Dottorato di ricerca internazio‐

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nale in “Forme e storia dei saperi filosofici”, quindi come Presidente dei Corsi di Laurea di area filosofica della Facoltà di Scienze della Formazione, infine come Direttore del Dipartimento di Filosofia. Ho avuto modo infatti di collaborare da vicino con Giulia come vicePresidente dei Corsi di Laurea in filosofia nel biennio 2006-2008, per succederle nel 2008 come Presidente quando fu eletta alla direzione del Dipartimento di Filosofia. La situazione degli studi filosofici in Italia non era, allora, delle migliori (benché, forse, migliore dell’attuale) : sottoposti, con tutto il comparto umanistico, a una politica nazionale e locale estremamente aggressiva, i “filosofi” leccesi di Scienze della Formazione hanno avuto in Giulia un esempio e una guida instancabile nel sottolineare l’imprescindibilità degli studi filosofici, e spe‐ cialmente storico-filosofici, nella formazione degli individui nella odierna società che si suole definire “globale”, in una linea di continuità con la più luminosa tradizione propriamente italiana che ci vede ancora oggi, nonostante la continua e progressiva compressione economica, sociale e morale del mondo universitario, in una posizione di leadership nelle discipline umanistiche. Non credo di cedere a una facile idealizzazione dei ricordi se affermo che non vi è stata occasione in cui Giulia abbia mancato di far sentire la sua voce e il suo ragionamento in favore di un equilibrato sviluppo dell’area filosofica, in nome di quei criteri del merito e del lavoro che hanno anticipato di alcuni anni, e secondo modalità decisamente più appropriate, concrete e “intelligenti”, la stagione delle “valutazioni” dell’inse‐ gnamento e della ricerca che è poi seguita e che oggi a volte ci affligge, deviando verso un’insensata mole di impegni burocratici il significato più autentico della funzione di professore universitario. Ma questo argomento mi porterebbe fuori tema. Rimarrebbe da ricordare come, negli undici anni che ho trascorso a Lecce, fino al 2012, e ancora oltre sebbene “a distanza”, il rapporto professionale con Giulia si sia profondamente arricchito di sfumature personali : l’ospitalità di Giulia, della sua casa sempre aperta e accogliente, per tutti e a ogni ora del giorno (e talvolta perfino della notte), le innumerevoli circostanze conviviali, le discussioni non per forza filosofiche o intellettuali, l’ascolto attento e generoso. Per tutto ciò, che è quanto permea i rapporti umani quando sono autentici, non posso che portare con me una sincera gratitudine. Queste poche note non rendono certo merito all’insieme delle attività accade‐ miche e istituzionali di Giulia Belgioioso, ma si confanno, spero, al tono e al contesto di una raccolta di pensieri in suo onore ; quanto alle molte altre cose che rimangono nella mente e nella penna, posso ritenermi fortunato per aver avuto e avere il privilegio di dirgliele di persona, come è giusto che sia fra amici.

Giuliano Gasparri Approfitterò di questo Festschrift per rievocare un piccolo episodio che risale agli anni della mia formazione come ricercatore, e che, a dire il vero, non so

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nemmeno se Giulia ricorda. Sul finire del 1998, poco dopo la laurea, il Centro di Studi su Descartes e il Seicento dell’Università di Lecce mi assegnò una borsa di studio semestrale “per indagini su temi concernenti il pensiero di Descartes e la storia del cartesianesimo”. Avevo avviato il lavoro da un paio di mesi quando ricevetti la cartolina del Ministero della Difesa che mi chiamava alla leva. All’atto della domanda di obiezione di coscienza, avevo chiesto di svolgere il servizio civile presso la Soprintendenza ai Beni Artistici e Storici di Roma, con sede a Palazzo Venezia. Il Ministero, con quello spirito di lungimiranza e quel senso dell’economia delle risorse che contraddistinguono tanta parte del nostro appa‐ rato burocratico, mi mandò a svolgere il servizio su un’ambulanza in un paesino di montagna nell’Alta Valle del Tanaro, in provincia di Cuneo, a settecentocinquanta chilometri da Palazzo Venezia. Giunto sul posto, nel primo momento libero mi recai alla biblioteca comunale e provai a chiedere una copia del Discorso sul metodo. Una bibliotecaria molto cortese, forse per evitare di oppormi un troppo reciso diniego, mi rispose che il libro non era ancora arrivato. Chiamai costernato la direttrice del Centro cartesiano di Lecce per dirle che in quelle condizioni non avrei potuto proseguire la ricerca e che temevo di dover rinunciare alla borsa di studio. Giulia Belgioioso mi tranquillizzò subito e, pur senza minimizzare le difficoltà, mi fece capire che una soluzione si sarebbe trovata : il problema principale non era il Ministero della Difesa, ma la capacità di non perdere di vista gli obiettivi personali e comuni, e la voglia di rimboccarsi le maniche. Non si trattava di banali frasi di circostanza, ma di quello Giulia ha sempre fatto, e che le ho visto insegnare a tanti ottimi allievi. Qualche mese più tardi partecipai a un seminario organizzato dal Centro leccese in collaborazione con il Centre d’études cartésiennes di Parigi. Ebbi la possi‐ bilità di intervenire per la prima volta come relatore in un contesto internazionale, e di esporre, di fronte a un uditorio che comprendeva alcuni fra i più importanti studiosi del campo, i primi risultati di quella mia ricerca, che sarebbe poi diventata una tesi di dottorato. In quella occasione conobbi Massimiliano Savini, assieme a un gruppo di giovani ricercatori con cui collaboro tuttora regolarmente e che conto fra i miei colleghi più stimati. Non starò qui a ricordare i molti altri momenti chiave del mio percorso acca‐ demico in cui Giulia Belgioioso è stata presente, né a dire quanto sono orgoglioso di far parte oggi del Centro di Studi su Descartes e il Seicento, che ora porta il nome di Ettore Lojacono. Giulia ne è sempre stata colonna portante, così come lo è stata di mille altri piccoli e grandi progetti di ricerca e di lavoro, dando prova in ogni occasione di una serie di doti che è davvero raro trovare in equilibrio in una sola persona. Ne farò un brevissimo elenco, certamente non esaustivo : la se‐ rietà scientifica, l’inesauribile operosità, la concretezza organizzativa, la fermezza morale, la sensibilità umana, la preziosa franchezza, la fresca ironia.

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Francesco Marrone Ho conosciuto Giulia Belgioioso nel 1999. Frequentavo il terzo anno del Corso di Laurea in Filosofia presso l’Università di Bari e mi accingevo a iniziare le mie ricerche per la preparazione della tesi di laurea. Su suggerimento di Costan‐ tino Esposito, mio relatore di tesi, mi recai a Lecce per partecipare, da uditore, a un seminario di studi cartesiani organizzato da Giulia Belgioioso. Erano presenti alcuni degli interpreti che allora iniziavo ad apprezzare e a leggere con assiduità : Jean-Robert Armogathe, Francesca Bonicalzi, Francesca Maria Crasta, Vincent Carraud, Ettore Lojacono, Jean-Luc Marion, Emanuela Scribano, Mariafranca Spallanzani. Quel seminario fu per me la scoperta di un mondo del quale, allora, appena sospettavo l’esistenza. Forse, però, fu anche l’inizio di un rapporto di amicizia e collaborazione che si è mantenuto stabile nel tempo e ha poi acquisito sempre maggiore profondità. Dopo un anno, nel 2000, Giulia Belgioioso mi propose – non per mio merito, evidentemente – di partecipare con una breve relazione a un seminario che si sarebbe tenuto presso l’Université de Paris IV-Sorbonne, organizzato dal Centre d’études cartésiennes allora diretto da Jean-Luc Marion. Vi partecipai. A partire da allora la mia formazione ha fortemente risentito dello spirito e delle iniziative di Giulia Belgioioso : superai la selezione per un Dottorato di ricerca a Lecce e, di conseguenza, potei partecipare alle attività di quello che si chiamava allora Centro Interdipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento. In quegli anni di intensa partecipazione a ogni iniziativa dei cartesiani leccesi, ho avuto modo di apprezzare la qualità e lo stile di lavoro di Giulia Belgioioso. Quello che stupiva il giovane studente (e il futuro studioso, forse) era la quan‐ tità di interessi e iniziative partorite dall’entusiasmo di Giulia Belgioioso. Non soltanto, infatti, ella si affermava come un’esperta del pensiero cartesiano e della sua diffusione in Italia (a Napoli in particolare), non soltanto, per questa sua intensa attività scientifica, guadagnava la stima e il rispetto dei cartesiani francesi e olandesi, ma riusciva inoltre a coinvolgere un gran numero di giovani studiosi e affermati colleghi nelle sue iniziative congressuali e nei suoi progetti scientifici. Essere a Lecce, per un giovane che si avviasse allora allo studio del Seicento, significava essere parte di una vasta comunità scientifica nella quale il reciproco scambio e la partecipazione condivisa erano all’ordine del giorno. È in questo contesto di studio che nel 2001, nella mente di Giulia Belgioioso, si affacciò l’idea di realizzare una traduzione completa dell’epistolario cartesiano. Da qualche anno, con i giovani che allora iniziavano o completavano la propria loro formazione a Lecce, Giulia Belgioioso insisteva sull’importanza dell’epistola‐ rio nella ricostituzione storico-critica del pensiero cartesiano. Da questa convin‐ zione nasceva così il progetto di dare inizio a quel lavoro di traduzione e com‐ mento – spinti anche, in quella fase, dall’entusiasmo di Giovanni Reale, ideatore e allora direttore di due gloriose collane pubblicate da Bompiani. Sono stati questi, per me, gli anni in cui ho maggiormente avuto modo di apprezzare le qualità di Giulia Belgioioso e di profittare del suo prezioso inse‐

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gnamento. Coinvolto da Lei nel gruppo dei traduttori e co-curatori del volume – assieme a Igor Agostini, Massimiliano Savini, Franco A. Meschini, Siegrid Agostini, Agnese Alemanno e a Jean-Robert Armogathe – ho avuto l’occasione di ‘scontrarmi’ con il testo cartesiano, con i modi del commento e i luoghi dell’in‐ terpretazione. Quella che mi veniva offerta, così, era una chance di straordinaria portata : il lavoro condiviso con Giulia Belgioioso e con i miei colleghi ha influen‐ zato in profondità il mio approccio ai testi e al pensiero cartesiano, ma soprattutto mi ha fornito un esempio del rigore, dell’attenzione e dell’attaccamento che il lavoro storico-filosofico necessariamente esige. All’epistolario cartesiano è poi seguito – su insistenza di Giovanni Reale – l’impegno di tradurre l’intero corpus delle opere edite e inedite di Descartes. Ricordo ancora la gravità con cui Giulia Belgioioso propose a me, Igor Agostini e Massimiliano Savini questo nuovo progetto editoriale, temendo che quello prece‐ dente ci avesse a tal punto spaventati da aver allontanato da noi ogni ambizione nell’ambito della traduzione e del commento di opere filosofiche. La decisione non fu facile per nessuno : la difficoltà del lavoro si annunciava quasi insuperabile, considerata la mole e la difficoltà del corpus da tradurre. Percepivo però chiara‐ mente che l’adesione a quella proposta era per me una scommessa necessaria, e che l’indicazione di Giulia Belgioioso era in verità un investimento che ciascuno di noi avrebbe dovuto fare su se stesso. A quella decisione seguirono anni di lavoro continuo, duro, mai scontato. Posso dire che una parte consistente della mia formazione sia maturata in quei momenti, a contatto con Giulia Belgioioso, con i suoi collaboratori, il ‘suo’ centro e la cartografia complessa delle sue relazioni internazionali. Un lavoro così impegnativo – di prossimità, si potrebbe dire – non è stato fa‐ cile. A confrontarsi non erano soltanto le diverse visioni filosofiche dei traduttori e le interpretazioni dei testi cartesiani, ma anche e soprattutto le persone, con i loro caratteri e le differenti attitudini al lavoro. Anche da questo punto di vista credo di aver imparato molto da quel lavoro condiviso : la passione e l’abnegazione di Giulia Belgioioso era per noi ‘giovani’ del Centro cartesiano uno sprone a mettere in gioco ogni risorsa, ogni energia, ogni interesse. Spero di poter essere animato sempre, nelle mie ricerche, dalla stessa bruciante passione e dalla paziente resistenza di quegli anni. Così ricordo, con gratitudine e affetto, il magistero di Giulia Belgioioso.

Franco A. Meschini Ho conosciuto Giulia Belgioioso il 21 ottobre del 1987, data emblematica negli studi cartesiani perché quel giorno prese il via il grande convegno organiz‐ zato dalla stessa studiosa per il trecentocinquantesimo anniversario della pubbli‐ cazione del Discours, anzi del Discours e degli Essais. Io insegnavo, allora, in un liceo e collaboravo con un contratto di collaboratore autore con l’Istituto dell’Enciclopedia Italiana mentre seguivo periodicamente,

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a Pisa, le lezioni di storia della scienza presso la Domus Galilaeana ; fu l’amico Guido Cimino, ordinario di storia della scienza all’università di Lecce, che avevo conosciuto alla Domus pisana, a segnalarmi il convegno della Belgioioso e a consigliarmi, visti i miei interessi cartesiani, di recarmi a Lecce per seguirne i lavori. Fu lui a presentarmi quella mattina alla Belgioioso. Quella giornata e le successive (21-24 ottobre) meritano, la cosa è del tutto soggettiva e ha a che fare piuttosto con il mio immaginario ‒ l’immaginario di uno studioso di qualche anno fa, poco aduso agli spostamenti e agli incontri ‒, che con la cronaca o la storia di una giornata, meritano un ricordo particolare. Allievo di Tullio Gregory, avevo già avuto modo di conoscere alcuni dei protagonisti della scena storica e filosofica d’allora, primo fra tutti Henri Gouhier, di cui avevo seguito alcuni dei seminari romani, ma quel 21 ottobre fu come se la République des lettres prendesse corpo in una delle sue rappresentazioni più compiute e riuscite di quegli anni e degli anni a venire. Tutto ciò accadeva nella città salentina, cornice che sarebbe poi diventata abituale per simili apparizioni e mia futura sede universitaria. Ai miei occhi si materializzarono, allora, l’uno dopo l’altro, con i loro volti, nelle loro fisionomie e non più solo con i loro nomi Pierre Costabel e Jean-Robert Armogathe, Genéviève Rodis-Lewis (ah quante volte menzionò, nel suo intervento, Jean-Luc [Marion] assente ! E l’uso del nome in luogo del cognome, anche questo, svelò legami reali in un mondo fino ad allora solo di carta) e Jean-Marie Beyssade, Paul Dibon ed Ettore Lojacono e i più giovani Carlo Borghero, Guido Canziani, Arcangelo Rossi, Maria Franca Spallanzani, e i compianti Maurizio Mamiani e Giorgo Israel. Molti altri, ovviamente, erano presenti e non solo tra i relatori, per tutti basterà ricordare Ludovico Geymonat e Antimo Negri. I romani presenti li conoscevo già, ma mi parve comunque un privilegio veder dialogare, seduti l’uno accanto all’altro, Tullio Gregory e Pierre Costabel. Come dire, il mondo dei libri esisteva al di là dei libri e della scrittura e, grazie a Giulia Belgioioso, si manifestava ora, lì, davanti ai miei occhi. Nessuno vorrà biasimarmi troppo se leggendo certi libri mi perdevo (ora mi capita assai di rado !) anche a cercare di immaginare l’autore, lo studioso, i suoi incontri, le sue letture, la sua biblioteca. Ebbene quel giorno fu ricco di emozioni. Rividi Giulia qualche tempo dopo, forse un anno dopo, nella redazione di Storia della Scienza dell’Istituto della Enciclopedia italiana, al terzo piano di un palazzo di Torre Argentina, perché, grazie ai buoni auspici di Guido Cimino, l’Istituto aveva accettato di pubblicare gli atti del convegno. I due volumi uscirono nel 1990 sotto la guida attenta di Anna Lisa Schino e sono tutt’ora un punto di riferimento per gli studi cartesiani e un bell’esempio di arte tipografica. Fu a Parigi, mi pare nel 1991, io ero allora entrato nel dottorato di Storia della Scienza dell’Università di Bari, che incontrai nuovamente Giulia, questa volta nell’atrio della vecchia sede della Bibliothèque Nationale, in rue de Richelieu, entrambi in attesa della carta d’ingresso. Fu da allora che i nostri rapporti di lavoro e di amicizia si fecero più stretti e intensi, e venni coinvolto da allora in poi in tutti gli altri convegni cartesiani, come relatore, e in tante imprese che ella avviò e condusse in porto.

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I convegni cartesiani coprono un arco temporale di ventisette anni, dal primo del 1987 di cui s’è detto all’ultimo del 2014 ; il secondo, tenuto tra Parigi e Lecce fu dedicato ai Principia : Descartes. Principia philosophiae (1994) ; il terzo, si tenne a Perugia, ma, sempre, per impulso di Giulia Belgioioso e dedicato alla corrispondenza : La biografia intellettuale di René Descartes attraverso la Correspon‐ dance (1996) ; l’ultimo, infine, ancora a Lecce, dedicato a Les Passions de l’âme (2014). I quattro convegni hanno permesso un confronto senza precedenti sul pensiero e gli scritti del grande filosofo francese, per la varietà degli argomenti trattati (non solo la filosofia, ma la scienza e, ancora, le relazioni che il filosofo intrattenne con i suoi contemporanei, la sua strategia culturale, i suoi debiti verso il passato e la fortuna del suo pensiero, non solo le opere, ma anche le lettere come laboratorio intellettuale), per il numero dei partecipanti (45 i relatori al primo convegno, 29, 29, 34 nei convegni successivi), per la varietà delle nazionalità rap‐ presentate (Australia, Austria, Belgio, Brasile, Canada, Francia, Giappone, Inghil‐ terra, Irlanda, Israele, Italia, Olanda, Stati Uniti) e, ovviamente, per il numero delle università e istituzioni coinvolte. Gli atti dei successivi convegni, venuto meno l’impegno dell’Istituto della Enciclopedia Italiana, vennero pubblicati presso Vi‐ varium (1996 ; 1999) e, presso Brepols, l’ultimo ; rappresentano tutti altrettante pietre miliari negli studi cartesiani e del Seicento. Frutto certamente non secondario della sua insonne attività di studiosa è l’edizione dell’opera omnia di Descartes, traduzione e testo originale a fronte. Tre volumi, il primo del carteggio, gli altri due delle opere, per la prima volta, nelle edizioni cartesiane, divisi bibliograficamente in opere e opere postume. Chi ha presente la grande edizione nazionale Adam-Tannery delle opere di Descartes nonché le varie raccolte nazionali di scritti cartesiani capirà a quale cimento Giulia Belgioioso si sia sottoposta. Quando Giulia diede appuntamento a Villa Mirafiori, sede del corso di laurea in filosofia, presso la Sapienza di Roma, ad una decina di studiosi, tra cui il sottoscritto, per comunicare il beneplacito di Giovanni Reale alla pubblicazione di tutte le lettere del filosofo francese (presso Bompiani, nella collana de « Il pensiero occidentale ») e dettarne le linee editoriali nonché discutere una prima divisione di compiti, non fui il solo a cui quell’iniziativa parve troppo ambiziosa e difficilmente realizzabile. Ebbene, non solo il carteggio cartesiano vide la luce in tempi brevi (2005, 20092), ma fu seguita a quattro anni di distanza dalla pubblicazione di tutte le opere di Descartes. Un’impresa monu‐ mentale, con risonanza mondiale, alla quale ho avuto la fortuna e il privilegio di collaborare soprattutto allestendo i due lessici che corredano, il primo, le lettere (2005), il secondo i due volumi delle opere (2009). Non è certo necessario che io ricordi qui i meriti di Giulia, non da ultimo quelli contratti con l’ateneo leccese (dovrei parlare, tra l’altro, della creazione, nel 1998, del centro interdipartimentale dedicato a Descartes e il Seicento, delle imprese editoriali legate al centro stesso ‒ dalle splendide edizioni anastatiche alle imprese on line ‒ ; della creazione, nel 2001, del dottorato internazionale in filosofia), non voglio, tuttavia, esimermi dal dare una mia lettura della sua attività. Ebbene, io penso che il lavoro svolto da Giulia in questi anni di vita academica

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possa essere visto e valutato alla luce di quel concetto che uno studioso come Paul Dibon poneva al centro, quale chiave interpretativa, della vita intellettuale della République des Lettres nel XVII secolo, il concetto di comunicazione, intesa, la comunicazione, come il mettere insieme, il comunicare idee, esperienze, progetti, umanità, il chiamare a sé, l’operare insieme. Non sarà esagerato pensare alla rete di relazioni costruita attorno a e da Giulia Belgioioso come ad una moderna e sovrannazionale République des Lettres, cui, grazie a lei, l’università del Salento ha beneficiato. Un esempio di come una piccola università, ai confini meridionali dell’Europa, abbia interpretato al meglio quella categoria della glocalità che non può non essere fatta propria da ogni moderna comunità di studiosi, qual è un’università, quale dev’essere un’università radicata nel suo territorio. Tutto questo deve molto all’attività di Giulia Belgioioso e all’intelligenza con cui ella si è rapportata all’istituzione universitaria mondiale (dagli Stati Uniti, al Giappone, al Brasile, all’Europa, la Francia in primo luogo e poi l’Olanda, la Gran Bretagna, l’Irlanda, il Belgio, la Romania e l’Italia : Roma, Napoli, Pisa, Bari, Cagliari, Venezia, Milano, Bergamo, Bologna, Perugia, Palermo ecc.) e alla passione, a tratti ostinazione, con cui ha vissuto la sua esperienza intellettuale nella sua università, pensandola sempre, come si è detto, in relazione con le grandi istituzioni culturali italiane e straniere. Quel 21 ottobre di molti anni fa, dunque, è certo una data memorabile nella storia degli studi cartesiani, lo è anche nella storia minore della mia vita studiosa : un incontro felice e proficuo !

Gilles Olivo Permettez-moi de dire à quel point je suis honoré de participer à cette table ronde et ce, à deux titres : en premier lieu, parce que, en tant que professeur à l’université de Caen Normandie, ma présence ici atteste l’excellence des relations qui depuis plus de vingt ans unissent nos deux universités. La présence de Francesco Marrone parmi nous me permet d’évoquer l’arrivée de celui qui fut le premier à incarner ces échanges, en pensant à sa thèse préparée en cotutelle sur « Res, realitas de Duns Scot à Descartes ». Je suis tout aussi honoré en second lieu de représenter le Centre d’Études Cartésiennes, même si cela s’accompagne d’un sentiment d’illégitimité évident puisque Jean-Robert Armogathe – qui en fut membre créateur avec Pierre Costabel et premier secrétaire scientifique – JeanLuc Marion – qui en fut second secrétaire scientifique puis directeur – Vincent Carraud enfin – qui en fut le troisième secrétaire scientifique et en est l’actuel directeur – le feraient chacun bien plus légitimement que moi s’ils ne s’étaient déjà adressés à vous, raison pour laquelle ils m’ont fait précisément cet honneur indu de me céder cette représentation. Mais ma présence, si elle est un honneur, est aussi un honneur inutile car tout le monde connaît sans qu’il me faille y insister le lien scientifique et institutionnel qui unit, grâce aux initiatives sans cesse renouvelées et à l’activité infatigable

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Giulia Belgioioso, le CEC et le Centro Interdipartimentale di Studi su Descartes e il Seicento. Il serait trop long de faire la liste des journées d’études, des colloques, des publications scientifiques, à commencer par le Bulletin Cartésien, ainsi que les très nombreux actes de colloques qui ont réuni les deux centres depuis 1987 à l’impulsion de Giulia Belgioioso : mentionnons seulement, parmi d’autres, le colloque pionnier de 1987 sur le Discours de la méthode, dont la date anniversaire coïncide avec celle de son éméritat et permet de mesurer l’étendue et la pérennité d’une collaboration qui ne s’est jamais démentie, dont elle a été à l’initiative, avec Jean-Robert Armogathe. Evénement – je veux parler du colloque de 1987 – à propos duquel vous me permettrez de mentionner que je suis de ceux qui ont eu, non pas la chance d’y participer, mais d’en voir les photos chez Giulia Belgioioso et qui ont pu ainsi incarner le nom de grands savants qui nous ont précédé, qui m’étaient connus, bien entendus, par la bibliographie cartésienne, mais dont j’ignorais le visage : Pierre Costabel, mais aussi Alan Gabey, Paul Dibon, Antimo Negri et bien d’autres encore. Il faudrait évoquer aussi les grands colloques de 1994, 1996, 2004 qui scandent, chacun à sa façon par l’étendue et la variété de ses thèmes et de ses intervenants, l’importance qu’a prise grâce à Giulia Belgioioso la vie commune de deux centres qui sont pour ainsi dire devenus jumeaux. Mais Giulia Belgioioso n’a pas été seulement pionnière en matière scienti‐ fique ; elle l’a été aussi en matière éditoriale en créant de nombreuses collections (la dernière chez Brepols, The Age of Descartes / Descartes et son temps, dont j’ai plaisir à saluer la première publication qui est d’Igor Agostini, le successeur de Giulia Belgioioso) ; en impulsant chez l’éditeur Conte les magnifiques reprints de Descartes (jusqu’à ce point d’orgue qu’a constitué la réédition de l’édition Clerselier de la correspondance) ; en créant, toujours chez Conté la superbe collection de reprints qu’est l’ Aurifodina philosophica. Mais Giulia Belgioioso n’a pas seulement été pionnière en matière scientifique et éditoriale. Elle l’a été aussi en matière académique et institutionnelle : là encore, on lui doit l’initiative d’un programme de doctorat international pionnier unissant Lecce et la Sorbonne, auquel s’ajoute maintenant l’université de Cologne. Elle a de même initié un Master international, pionnier à son tour, qui permet aux étudiants inscrits de devenir titulaires d’un double Master. Ce souci constant de tenir les deux extrêmes de l’activité scientifique, d’en permettre l’expression entière et d’en assurer la pérennité – je vise, en disant cela, l’élaboration de ce cercle vertueux qui existe entre la recherche d’excellence, la publication des travaux savants et des doctorats qui en sont issus, enfin la formation dès le début en Master des étudiants à la recherche, assurant par là le renouvellement de la recherche par le vivier des jeunes chercheurs – est bien sa marque de fabrique la plus incontestable et remarquable qu’il n’a été donné qu’à un nombre compté d’universitaires de savoir tenir et maintenir, avec une fécondité unique. Permettez-moi pour conclure de dire que rien ne marque mieux cette fécon‐ dité que le fait que nous soyons précisément à Lecce, dans le Salento, pour fêter son éméritat, Lecce que rien ne destinait à accueillir la recherche cartésienne. Il y

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a bien des raisons pour lesquelles Descartes est étudié en Sorbonne, se devait de l’être en Hollande (à Utrecht, Leyde, Amsterdam) ; sans doute y a-t-il des raisons de l’étudier aussi à Neubourg – permettez-moi d’ailleurs de faire état du colloque qui s’y tiendra en 2019 sur la nuit des rêves de la Saint-Martin et l’invention admirable –. Mais vraiment, il n’y avait aucune raison qu’il le fût à Lecce, si ce n’est cette raison qui a nom : Giulia Belgioioso. A moins qu’il ne faille compter pour seule raison de notre arrivée dans ce coin perdu du Salento que Fénelon ait fait débarquer par erreur Télémaque dans le Salente ? Vous m’avouerez que cette raison serait, quoi qu’il en fût, fort belle mais fort ténue. « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse » racontent les pre‐ mières lignes du Télémaque, ouvrant ainsi à ses nouvelles aventures. Je ne suis pas sûr que nous pourrons nous consoler du départ à la retraite de Giulia Belgioioso. En notre nom à tous, chère Giulia, merci et comme disent les marins, dont ceux qui accompagnaient Télémaque : « Bon vent à toi » !

Fabio A. Sulpizio Parlare della attività di ricerca di Giulia Belgioioso rischia di essere un’impresa disperante ; la quantità e soprattutto la qualità delle pubblicazioni, delle iniziative promosse e condotte a termine, delle relazioni istituzionali e scientifiche di cui è stata promotrice non risalterebbe dal semplice elenco – ponderoso del resto – dei molteplici prodotti del suo inarrestabile – e chiunque abbia avuto la fortuna di lavorare con Giulia sa quanto questo termine sia appropriato – impegno. Mi limiterò in queste poche righe a ricordare tre aspetti del suo multiforme impegno – e ingegno. Anzitutto, e mi si perdonerà se queste righe avranno il carattere anche auto‐ biografico tipico di ogni celebrazione, la passione, la cura e l’attenzione con cui un giovane – accademicamente più ancora che per età – studioso è stato introdotto a un universo tanto complesso qual è la filosofia italiana moderna, di cui Giulia è impareggiabile studiosa. I miei studi precedenti erano stati di altra natura e la sua guida nello studio dei Manoscritti di Giacinto Gimma, la valorizzazione di una tradizione filosofica e scientifica più citata che letta, la quasi ossessiva insistenza sulla conoscenza diretta dei testi – soprattutto di quella letteratura apparentemente marginale che si presentava nella forma degli appunti, delle annotazioni a margine, degli epistolari, in sintesi di quella che potremmo chiamare la circolazione materiale delle idee. Testi manoscritti, riviste, glossari, sono non semplicemente il tramite mediante il quale la nuova filosofia – ma quanta ambiguità felice in questa espressione, in un momento storico in cui Descartes, Bacon e Democrito vengono letti come facenti parte di una unica tradi‐ zione che viene fatta risalire addirittura a Mosè – entra nel Regno di Napoli, ma costruiscono piuttosto i palinsesti sui quali i dibattiti filosofici, politici e religiosi poggiano le loro basi, mostrando la storicità ineludibile delle interpretazioni e contemporaneamente illuminando le indispensabili fonti documentarie che le

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legittimano. Questo approccio, che intreccia indissolubilmente storia delle idee e storia materiale, è indice di un altro duplice aspetto dell’opera e del lavoro di Giu‐ lia : da una parte, una inesausta riflessione sul lavoro dello storico, sull’attenzione quasi maniacale al dettaglio, a ciò che rende unico un percorso di studio e di ricerca rispetto a un altro, alla cura per il testo e il contesto che lo illumina – e qui dobbiamo ricordare i suoi saggi su Henri Gouhier, modello inimitabile per tutti gli storici della filosofia ; dall’altra, un atteggiamento che qualche anno fa sarebbe stato definito glocale. Poche persone, come Giulia Belgioioso, sono state capaci di pensare globalmente e agire localmente, consapevole del fatto che globale e locale non sono davvero scindibili ; così, studiare Gimma o Cominale – oltre naturalmente a Paolo Mattia Doria, la cui edizione dei manoscritti è un momento fondamentale degli studi sulla filosofia italiana moderna – significa pensare la grande filosofia europea nella sua capillare diffusione locale, in testi sconosciuti, manoscritti che aspettano solo di essere riscoperti, che a loro volta illuminano quella filosofia che sembra vivere nell’etereo mondo delle idee. Allo stesso modo, il lavoro con la casa editrice Conte con la pubblicazione delle ristampe anastatiche delle opere di Descartes, la collana Aurifodina philosophica, l’ideazione del sito del Centro interdipartimentale di studi su Descartes e il Seicento – oggi intitolato a un altro studioso che tutti noi ricordiamo con affetto, Ettore Lojacono che in comune con Giulia aveva l’entusiasmo per i nuovi progetti che avevano avviato insieme – e soprattutto la costruzione dello stesso Centro che, con il Dottorato, hanno fatto dell’Università di Lecce un luogo di eccellenza. Un ultimo aspetto va sottolineato di Giulia : la serietà con cui ha sempre affrontato il suo impegno di docenza ; la cura con cui preparava le lezioni, la pazienza con cui seguiva le tesi e l’attenzione che prestava agli studenti – che di lei, comunque, avevano un sacro terrore – sono la testimonianza di un impegno che ha permesso a tutti noi, che apparteniamo alla sua scuola, di crescere.

Bibliographie de Giulia Belgioioso

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L’astérisque indique désormais une co-édition avec Jean-Robert Armogathe.

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Index nominum

Sources Albani, Alessandro : 42, 47 et n., 48 Albert, Charles de (duc de Luynes) : 81n., 82n., 85 et n., 97n., 136n., 141 Alexandre VII, pape (Fabio Chigi) : 162n. Alexandre VIII, pape (Pietro Vito Ottoboni) : 46 Amerpoel, Johannes : 92n., 132n. Anaxagore : 91 Angelis, Gherardo de : 102 Apollonios de Tyane : 70 et n. Archimède : 61 et n., 143 Arckenholtz, Johann : 37 et n., 38n., 40, 41 et n., 42 et n., 43, 44 et n., 45, 46 et n., 47 et n., 48 et n., 49, 50 et n., 51, 52n., 54n. Aristote : 13n., 19 et n., 20, 21 et n., 22, 23, 24 et n., 25, 26, 27, 31, 67, 88 et n., 90 et n., 91 et n., 92, 93, 171 Arnauld, Antoine : 30, 31n., 92 et n., 159n., 160n., 162n., 169 et n., 171 et n., 172 et n., 173 et n., 174n., 176, 177n., 178, 179, 180, 181 et n. Astruc, Jean : 191n. Augustin d’Hippone, saint : 32, 80, 92 et n., 114, 147 et n., 148, 149 et n., 150, 151 et n., 152, 153, 154 et n., 155 et n., 156 et n., 157 et n., 158n. Azzolino, Decio, card. : 36, 46 Bacon, Francis : 76n., 89 et n., 92

Baillet, Adrien : 31, 35 et n., 36n., 37, 38n., 39 et n., 40 et n., 49, 53n., 57 et n., 82n., 86n., 89n., 90, 91 et n., 92n. Balzac, Jean-Louis Guez de : 82, 142 Barbapiccola, Eleonora : 31 Barnes, Jean : 79n. Bartholin, Érasme : 71 Batterel, Louis : 40n. Bayle, Pierre : 31n., 102, 104 Beeckman, Isaac : 61, 68 Bérulle, Pierre de, card. : 82, 94n. Bienville de Thesacq, Jean Baptiste Louis : 190 et n., 191 et n., 192 et n., 193, 194 et n., 195 et n., 196 et n., 198, 199, 200 Bonart, Thomas (Thomas Barton) : 92n. Bordeu, Theophile : 192, 195 et n., 196 Boschet, Antoine : 38n. Bouillaud, Jean Baptiste : 91 Bourdin, Pierre : 87, 144 Bull, George : 113 et n. Burnet, Gilbert : 50n. Cabanis, Pierre-Jean-Georges : 189 et n., 190 et n., 195n. Caius Mucius Scaevola : 154 Campanella, Tommaso : 18 Capua, Leonardo da : 102 Caravita, Nicola : 30 Casaubon, Isaac : 79n. Chandoux, Nicolas de Villiers, sieur de : 82 Chanut, Pierre : 35n., 36, 37, 38, 39, 44n.

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INDEX NOMINUM

Charles X Gustave, roi de Suède : 36n. Charles XI, roi de Suède : 54 Chauvin, Étienne : 92n. Christine, reine de Suède : 35, 36, 37 et n., 38 et n., 39 et n., 40, 41, 42 et n., 43 et n., 44 et n., 45, 46 et n., 47 et n., 48 et n., 49, 50, 51, 52 et n., 53, 54, 55 et n., 56 et n., 57 Cicéron : 21, 22, 24, 25 et n., 26, 79n., 142, 183n. Clarke, Samuel : 111 et n., 112n. Clauberg, Johannes : 14 Clément IX, pape (Giulio Rospigliosi) : 36 Clerselier, Claude : 35 et n. Contin, Tommaso : 105 Copernic, Nicolas : 122n. Cordemoy, Gerauld de : 132n. Cordeyro, Antonio : 80n. Cornelio, Tommaso : 102 Courtin, Antoine de : 36 et n., 37 et n., 42 et n., 43 et n., 44, 45, 46 et n., 48 et n., 49 Crasso, Lorenzo : 91 et n. Critias : 19 Cruyl, Lievin : 50n. Cureau de la Chambre, Marin : 110n. Cyrille d’Alexandrie, saint : 80n. Démocrite : 19, 21, 91 Descartes, René : passim Diderot, Denis : 192, 195n., 201n. Diogène d'Apollonie : 19 Dilthey, Wilhelm : 77n. Domat, Jean : 160n., 172, 173 Doria, Paolo Mattia : 8, 29 et n., 30 et n., 31 et n., 32, 33 et n., 104 Elisabeth de Bohême : 70, 137 Empédocle : 19, 31 Épicure : 21, 31, 91, 119 Euclide : 61 Ficin, Marsile : 30 Fludd, Robert : 18 Foucher, Simon : 91, 92 et n.

Gassendi, Pierre : 16, 18, 19 et n., 22, 31, 140, 144 Genest, Charles Claude : 41n. Genovesi, Antonio : 102 et n., 105 Gratien : 79n. Grégoire de Nazianze, saint : 79 Grégoire de Nysse, saint : 155 Grotius, Hugo : 36n. Hegel, Georg Wilhelm Friedrich : 75 et n., 76 et n. Helvetius, Claude-Adrien : 102n. Henri IV, roi de France : 79n. Hervet, Gentian : 147, 149 Holstenius, Lucas : 41 Huygens, Constantijn : 126 Jansénius (Cornelius Jansen) : 172, 173 Jean Chrysostome, saint : 155n. Jérôme de Stridon : 156 Jumeau, André (M. de Sainte-Croix) : 81n. Kant, Immanuel : 77n. La Forge, Louis de : 91 et n., 92 et n., 93 La Mettrie, Julien Offray de : 102n., 194 et n., 198, 199n. La Rochefoucauld, François de, card. : 35 Lancelot, Claude : 176, 177n., 178, 179 Le Clerc, Jean : 113n. Leibniz, Gottfried Wilhelm : 33, 56n., 60 et n., 62, 91, 92n., 101, 102n., 107, 111n., 127 Leucippe : 91 Locke, John : 101, 102, 104, 105 Louis XIV, roi de France : 36n. Lucrèce : 119 et n., 120 et n., 121 et n., 122 et n., 123, 124, 125, 129, 130, 131 Malebranche, Nicolas : 33, 89n., 106, 137 Mamachi, Tommaso Maria (Francesco Saverio) : 101 et n., 102 et n., 103, 104, 105 et n., 106 et n. Marini, Alessandro : 102, 104 Ménage, Gilles : 38n. Mersenne, Marin : 67, 81n., 82 et n., 83, 94, 126, 130n., 131n., 132n., 144

INDEX NOMINUM

Misson, François Maximilien : 50 et n. Molinet, Claude du : 39n., 52 Montaigne, Michel Eyquem de : 89, 147 et n., 148 et n., 149, 150 et n., 151 et n., 152 et n., 154 et n., 155, 156, 157 et n., 158n. Moreri, Louis : 36n., 41 et n. Morhof, Daniel Georg : 90 Motteville, Françoise de : 52 et n. Mydorge, Claude : 82 Newton, Isaac : 105, 111n. Nicole, Pierre : 159n., 169 et n., 171 et n., 172, 180, 181 et n. Orsi, Giuseppe Agostino, card. : 105 Ovide : 122n. Papillon, Philibert : 41n. Pascal, Blaise : 79n., 84n., 89 et n., 90 et n., 154 et n., 160n., 172 et n., 173 Pétau, Denis : 113 et n. Picot, Claude : 94n. Pilati, Carlo Antonio : 105 Pinel, Philippe : 190 et n., 192, 195n., 196n., 197 et n., 200 et n., 201 et n. Pio VI, né Giovanni Angelo Braschi : 105 Piro, Francesco Antonio : 101, 102, 103, 104, 107, 110 Platon : 21, 25, 29n., 32, 79n., 91 et n., 92n., 113, 114, 152 Plempius, Vopiscus Fortunatus : 91 Pollot, Alphonse : 26 Pollux, Julius : 79n. Polybe : 79n. Pomme, Pierre : 190n. Pressavin, Jean-Baptiste : 190n. Pythagore : 69, 70 Raulin, Joseph : 190n. Regius, Henricus (Hendrik De Roy) : 78n., 137, 172 Reneri, Henri : 26

Roberval, Gilles Personne de : 76n., 89 et n. Rohault, Jacques : 39 et n., 42, 44n., 49, 52, 93n. Roomen, Adriaan van : 61 et n., 68 Roussel, Pierre : 190n., 191n., 199 Rufin d’Aquilée : 156 Schooten, Frans van : 60, 71 et n. Schotanus, Johannes : 14, 17 et n., 21, 22 et n., 23, 24 et n., 25, 26 Sebond, Raymond : 91n., 147n., 152 Sorbière, Samuel : 91 Spinelli, Francesco Maria : 32 et n., 33, 102, 104 Spiriti, Salvatore : 102n., 103, 106, 107 et n. Stoppani, Gianfranco : 105 Tepelius, Johannes : 91 Tertullien : 98 et n., 99 et n., 100 Thomas d’Aquin, saint : 23 Thuillier, Vincent : 79n. Tissot, Samuel-Auguste : 190n., 197n., 199 Toletus, Franciscus, card. : 19n. Toulouse, François de : 98n. Varron : 154 et n. Vatier, Antoine : 84n. Verjus, Jean : 91 et n. Vico, Giambattista : 30 et n., 101 Villebressieu, Étienne de : 82 Viogué, François de : 35n., 52n. Vivès, Jean-Louis : 147, 149 Wallis, John : 60, 71 et n., 72n. Wittich, Christoph : 14, 20, 21 et n., 22, 24, 26 Wolff, Christian : 60, 101 Zabarella, Jacopo : 27 et n. Zavarroni, Angelo : 103 et n.

Études Addante, Pietro : 103 et n., 104 et n., 107

Agostini, Igor : 82n., 97n.

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INDEX NOMINUM

Ajello, Raffaele : 33n. Åkerman, Susanna Kristina : 38n., 39n., 56n. Alexandrescu, Vlad : 29n. Alby, René : 104 Anglada, Charles : 47n. Arbib, Dan : 75n. Armogathe, Jean-Robert : 8, 10, 35n., 75n., 76n., 78n., 79n., 86n., 106n. Aucante, Vincent : 126 et n., 127 et n., 128, 130n. Balme, David Mowbray : 24 et n. Battail, Jean-François : 54n. Bayle, Claire : 92n. Bejan, Manuel : 104 Belgioioso, Giulia : 7, 8, 9, 10, 13n., 29 et n., 30, 32 et n., 35n., 71n., 75, 76n., 77n., 78n., 88n., 101, 115n., 132n., 133 Beyssade, Jean Marie : 62n., 67n., 81n., 94n. Beyssade, Michelle : 75n., 83n., 94n., 97n. Bianchi, Massimo Luigi : 18n. Blair, Ann : 132n. Borghero, Carlo : 35n. Bos, Erik-Jan : 70n., 76n. Bouillier, Francisque : 86n. Boulnois, Marie-Odile : 80n. Caligiuri, Walter : 107 Caron, Elisabeth : 151n. Carraud, Vincent : 78n., 79n., 80n., 92n., 106n., 152n., 154n., 171n. Carriero, John Peter : 20 et n., 122n. Cassirer, Ernst : 38 et n. Chastaing, Maxime : 134 et n. Clément, abbé : 40n. Clément, Pierre : 50n. Colonna D’Istria, François : 189 et n. Comparot, Andrée : 147 et n. Costabel, Pierre : 8, 62 et n., 88n. Couturat, Louis : 92n. Crapulli, Giovanni : 60n., 61n. Cristofolini, Paolo : 30n.

De Buzon, Frédéric : 59n., 61n. De Fabrizio, Pasquale : 29n. Deprun, Jean : 80n. Dréano, Mathurin : 147n. Duchesneau, François : 127n. Fattori, Marta : 76n. Ferrari, Massimo : 59n. Flandrin, Jean-Louis : 196n. Foucault, Michel : 192n., 197n. Fowler, Colin F. : 19 et n. Garber, Daniel : 122n. Garstein, Oskar Bernhard : 39n. Gasparri, Giuliano : 92n. Genette, Gérard : 75n. Gouhier, Henri : 16 et n., 77n., 92n. Grauert, Wilhelm Heinrich : 38n. Greenblatt, Stephen : 119n. Hatfield, Gary : 122n. Heidegger, Martin : 77n. Henry, Michel : 77n. Husserl, Edmund : 134 Kambouchner, Denis : 62n., 85, 87n., 93n. Kudla, Hubertus : 98n. Kundera, Milan : 199n. Lanza, Diego : 32n. Laqueur, Thomas W. : 197n. Leake, Alice E. : 147n. Leake, David B. : 147n. Leake, Roy E. : 147n. Liard, Louis : 59n., 61n. Limbrick, Elaine : 157n. Lovejoy, Arthur O. : 80n. Luhmann, Niklas : 197n. Marangio, Marilena : 29n. Marion, Jean-Luc : 78n., 80n., 83n., 94n., 95n., 96, 134, 135n., 152n. Marrone, Francesco : 76n. Martineau, Emmanuel : 97n. Milhaud, Gaston : 61n. Movia, Giancarlo : 19n. Natorp, Paul : 59n. Nilsson Nylander, Eva : 47n. Olivo, Gilles : 78n., 79n., 95n., 96n.

INDEX NOMINUM

Omont, Henri : 37n. Orcibal, Jean : 39 et n. Pécharman, Martine : 159 Peck, Tracy : 25n. Perrot, Maryvonne : 55n. Piromalli, Antonio : 102 et n. Popkin, Richard Henry : 157 et n. Preti, Cesare : 105 et n. Rabouin, David : 60n., 71 Raymond, Jean-François de : 38n. Rodis-Lewis, Geneviève : 8, 89n., 91n. Roger, Jacques : 127n., 132n. Rosier-Catach, Irène : 163n., 170n. Sartre, Jean-Paul : 134, 145 et n. Schmidt, Gerhart : 77n. Schuster, John : 61n.

Scribano, Emanuela : 18n. Shorter, Edward : 197n. Smith, Clement Lawrence : 25n. Smith, Justin E. H. : 127n. 129, 130n. Spallanzani, Mariafranca : 77n., 88n. Spedicati, Adele : 29n. Starobinski, Jean : 199n. Sulpizio, Fabio Angelo : 189 Taminiaux, Jacques : 134n. Toma, Dolores : 29n. Vegetti Finzi, Silvia : 190n., 191n. Ven, Jeroen van de : 70n. Villey, Pierre : 147 et n. Weber, Jean-Paul : 61n. Westzynthius, H. I. S. : 48n. Wilson, Catherine : 18n.

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