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French Pages [497] Year 2001
APPIEN HISTOIRE ROMAINE LIVRE
vm
LE LIVREAFRICAIN
COLLECTION
DES UNIVERSITÉS
DE FRANCE
publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ
APPIEN HISTOIREROMAINE TOMEIV LIVRE VIII LE LIVRE AFRICAIN TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT
PAR
PAUL
GOUKOWSKY
Professeur à l'universi~ de NANCY II Correspondant de l'Institut avec le concours de SergeLANCEL de l'Institut
PARIS LES BELLES LETTRES 2001
Conformément aux statuts de l'Association Guillaume Budé, ce volume a été soumis à l'approbation de la commission technique qui a chargé MM. Pierre Charneux et Jehan Desanges d'en faire la révision et d'en surveiller la correction en collaboration avec M. Paul Goukowsky.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays .
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© 2001. Société d'édition Les Belles Lettres,
95 bd Raspail 75006 Paris www.lesbelleslettres.com ISBN: 2-251-00494-7 ISSN: 0184-7155
NOTICE
1- Le sujet du livre Photius, qui disposait encore d'une Histoire Romaine complète en trois volumes 1, attribue au livre VIII le titre compliqué de « Livre Africain de !'Histoire Romaine, Carchédonique et Nomadique » 2 • Dans sa Préface (14, 57), Appien fait seulement état d'un « Livre Carchédoniaque » (Kapx11ôovta1e11), dont il résume ainsi le contenu (ibid., 12, 47) : « ... ou encore les guerres menées contre les Carthaginois, les traités conclus avec eux, les ambassades envoyées ou reçues, tout ce qu'ils [les Romains] leur ont fait subir et tout ce qu'ils ont subi de leur part, jusqu'au jour où ils ont détruit Carthage et soumis la population de l'Afrique du Nord, puis refondé Carthage pour eux-mêmes et donné à l'Afrique son organisation actuelle » 3• Cela nous conduit exactement au terme du récit intitulé dans le Vaticanus gr. 141 ~A1t1t1.avoù At6t>1Cflfltot tà Kapx11ôov1.a1ea.Il semble donc que l'on soit en présence d'un livre double, formé d'une partie ancienne, la Carchédoniaké, et d'une partie 1. Bibliothèque, codex57.
2. 16 a : ·o o-yôooç "Pcoµaïx:rovA16ux:11,Kapxriôov1x:11Kat Noµa6t1e11. 3. "OKapxriôoviouç t1toÂ.tµriaav fi ta1tdaavto fi tnpta6Eooav tç aùtoi>ç ri 7tpEa6Eiaç ÈÔÉçavto 1tap' ÈKEivrovfi fôpaaav onoûv fi f1ta8ov 1tpè>çaùtrov, fcoç Kapxriôova KQtÉCJKQ'l'ŒV1eai tè> A166covf8voç 1tpoaÉÂ.a6ov1eai.ai>81çcp1e1aavautoi'ç Kapx11ô6va Kai A16uriv lCŒtÉCJtT)CJQV ÈÇtà vùv ôvta.
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NOTICE
récente, la Nomadiké, ajoutée après la rédaction de la Préface : nous retrouverons ce cas de figure à propos du couple Livre Macédonique/Livre Illyrien. Le Vaticanus gr. 141, dans sa partie ancienne (XIe s.), contenait un choix de trois œuvres d 'Appien : Livre Ibérique, Livre d'Annibal, Livre Carchédoniaque. L'auteur du choix ne s'intéressait sans doute pas à la guerre de Jugurtha : c'est pourquoi la Nomadiké est perdue. Heureusement, ce livre figurait dans le tome I de l'édition d' Appien utilisée par les rédacteurs des Extraits Constantiniens, qui nous en ont conservé quelques passages. On trouvera donc dans ce tome IV de l'Histoire Romaine le Livre Carchédoniaque, puis les fragments du Livre Numidique. La composition du Livre Carchédoniaque est simple, mais, pour relier les événements entre eux, le lecteur est invité à lire le Livre de la Sicile et des îles (perdu), le Livre Ibérique, le Livre d 'Annibal et même le Livre Syriaque pour tout ce qui concerne l'activité d 'Annibal après la victoire de Scipion 4 • Appien, fidèle à la méthode qu'il s'est fixée, ne traite en effet ici que la phase africaine des trois guerres puniques, et seulement sous leur aspect diplomatique et militaire. Les périodes intermédiaires sont envisagées sous le même angle, l'accent étant mis sur le développement du royaume numide fondé par Massinissa. La période africaine de chacun des trois conflits (expéditions de Regulus, de Scipion l'Africain, de Scipion Emilien) ayant été brève, ce livre ne pose aucun problème chronologique qui ne puisse être résolu dans les Notes complémentaires, rédigées par S. Lancel. Après une brève exposition consacrée aux origines de Carthage (1, 1-4), Appien traite rapidement la partie africaine de la 1ère guerre punique (3, 11--4, 17) : il ne pou4. Appien, Lib. 2, 10, ne renvoie qu'aux trois premiers, et pour cause : j'ai montré, dans la Notice du Livre Mithridatique, que la Syriaké fut probablement rédigée après la destruction de Jérusalem par Hadrien. -Voir par exemple, en 4, 17, un renvoi au Livre de la Sicile.
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vait laisser dans l'ombre l'illustre figure de Regulus, mais n'apporte que fort peu d'informations originales 5• La guerre que les Carthaginois, après avoir évacué la Sicile, durent livrer à leurs mercenaires et à leurs sujets africains, est à peine effleurée, ce qui se conçoit, les Romains n'y étant point impliqués, sinon dans ses prolongements maritimes, traités d'après une source proromaine (S, 18-22). Après un rapide résumé des affaires ibériques (6, 23-25), Appien passe directement à la campagne de Scipion en Afrique (7, 26--7S, 292) ; ce développement s'achève par la somptueuse description d'un triomphe romain. Appien analyse ensuite les causes de la meguerre punique (67, 301-73, 337), née selon lui de l'ambition de Massinissa attisée à dessein par Rome. Après quoi il suit l'évolution du conflit, d'abord larvé, puis ouvert, qui s'achève par l'anéantissement de la rivale de Rome (74, 338-13S, 643). Les derniers paragraphes (136, 644-648) évoquent brièvement la renaissance de Carthage grâce aux efforts de Caïus Gracchus, de César et enfin d' Auguste.
II- Le sens de !'Histoire A- LESDEUX
PREMIERES GUERRES PUNIQUES :
UNE COMPÉTITION DRAMATIQUE
Dans la mesure où Carthage possédait un empire continental et insulaire, évoqué dans la Préface de la Carchédoniake'6et, rétrospectivement, dans plusieurs discours7 , 5. Sur l'image de Regulus chez Appien, cf. P. P. Blattler, Studien zur Regulusgeschichte (Diss. Fribourg, 1945), p. 42 ; E. R. Mix, Marcus Atilius Regulus, exemplum historicum ( 1970), p. 18-19. 6. Cf. 2, 6- 7. Par sa richesse, cet empire prenait rang après celui des Perses, et sa puissance contrebalançait celle des Grecs. Il valut bien des haines aux Carthaginois (cf. 3, 11, où deux cents villes d'Afrique soutiennent Regulus Kapx11ôovirov fx,0Et ; voir aussi 75, 347, où est notée la haine d'Utique pour Carthage). A la fin de la seconde guerre
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Appien avait donc réparti la matière des trois guerres puniques entre quatre livres. Du récit de la première guerre punique ne subsistent que deux fragments, relatifs à ses ultimes soubresauts. Dans l'un, Appien souligne l'épuisement des belligérants, auxquels l'argent, les navires et les hommes faisaient défaut8, dans l'autre, il retrace les négociations entamées après la victoire romaine des îles }Egates, qui aboutirent à un traité de paix dont il énumère les principales clauses9 • Rien, dans ces débris, ne peut nous éclairer ni sur les causes de la guerre ni sur celles du succès final des Romains. Il ressort toutefois d'lbér., 4, 13 « que la guerre qu'en Sicile même les Romains livrèrent aux Carthaginois pour la possession de celle-ci fut la première qu'ils livrèrent en terre étrangère ». Pour Appien, l'enjeu de cette première guerre (la conquête de la Sicile punique) n'était donc encore que régional. L'histoire de l'entre-deux-guerres est relatée dans l'/bériké, l'Annibiaké et la Carchédoniaké. Appien insiste sur l'incidence des luttes politiques internes sur la genèse des guerres coloniales engagées par Amilcar Barca et son gendre Asdrubal. Pour s'assurer le soutien punique, les Romains s'estiment d'ailleurs heureux d'avoir vaincu un empire si puissant (57, 246). Cet empire est encore évoqué par Scipion Emilien au moment de détruire la ville (132, 628), et le vainqueur exhibe, le jour de son triomphe, les œuvres d'art qu'au cours de sept siècles de guerres les Carthaginois avaient rapportées de toutes les parties du monde (135, 642) : ces ambitions mondiales n'ont aucune réalité historique. 7. Discours d 'Asdrubal le Chevreau (SI, 223 ; 227) ; des ambassadeurs de Carthage (78, 363 ; 79, 365) ; d'un sénateur romain (57, 249) ; du consul Censorinus (86, 406 ; 414). 8. Sikéliké, fr. 1. 9. Sikéliké, fr. 2, 1-6. Appien paraît suivre la même tradition que Diodore : comme celui-ci (24, fr. 12 Walton) il place la mission infructueuse de Regulus à Rome et son supplice après la bataille des îles ,.Egates ; comme lui (24, fr. 13 Walton), il mentionne l'obligation faite à Carthage de livrer les déserteurs romains, dont Polybe ne fait pas état.
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des démagogues et éviter un procès 10, Amilcar se lance, sans l'assentiment de Carthage, dans une politique de conquêtes, d'abord en Afrique 11 (qu'il soumet jusqu'aux Colonnes d'Hercule), puis en Ibérie méridionale 12• Les profits de la guerre lui permettent d'acheter le concours de l'armée 13, de poursuivre cette politique belliqueuse 14, qu' Appien juge criminelle 15, et de trouver, à Carthage même, un appui populaire intéressé 16• Après sa mort, son successeur Asdrubal continua à étendre l'influence punique en lbérie 17, éveillant l'inquiétude des Grecs amis de Rome 18• Mais Carthage trouva un terrain d'entente avec celle-ci, soucieuse de maintenir sa rivale en deçà de l'Ebre 19• La situation prend un tour nouveau avec Annibal, qui jouit autant de l'appui des troupes que de celui de Carthage20 , mais doit compter avec les ennemis poli1O. Amilcar est poursuivi pour avoir poussé à la révolte, par ses promesses inconsidérées, les mercenaires et les alliés qu'il avait commandés en Sicile : cf. Sik. fr. 2, 7 ; /ber., 4, 15-16 ; Ann., 2, 3. Polybe (6, 56, 4) souligne que les Carthaginois pratiquaient ouvertement la corruption pour l'obtention des magistratures, ce qui de son temps n'était pas le cas à Rome. 11. Cf. /ber., 4, 16-5, 17 ; Ann., 2, 3. 12. Cf. /ber., S, 17 ; Ann., 2, 4. 13. Cf. /ber., S, 18, où, par des distributions d'argent, Amilcar incite l'armée « à s'associer à ses crimes » (iva ... aùtcp ouvafülCOÏEv).
14. Cf. /ber., S, 17-18. 15. Il tient Amilcar et Asdrubal pour des démagogues (/ber., 4, 16 ; S, 17). La guerre que le premier mène en Ibérie n'a d'autre objet que le profit (cf. /ber., S, 14 : « il pillait les biens des Ibères alors qu'ils ne lui portaient aucun préjudice » ). 16. Cf. /ber., 6, 22, où les Carthaginois sont « ravis des profits tirés de l'lbérie », et Ann., 2, 5, où il est dit « qu'ils désiraient toute l'Ibérie, dans la pensée que c'était une entreprise facile ». 17. Cf. /ber., 6, 22-24. 18. Cf. /ber., 7, 25. 19. Dans Jbér. 1, 26-27 Appien place sous Asdrubal la conclusion de cet accord. Mais dans Ann. 2, 5-6, il le fait remonter jusqu'à l'époque d' Amilcar. 20. Cf. Ann., 8, 29.
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tiques de sa famille, toujours plus menaçants 21 • Or Annibal est un personnage complexe. Appien, qui l 'admire 22 , lui reconnru."'tde nobles ambitions 23 : il est fier24 , aime la gloire 25 et veut faire de sa patrie « la reine du monde 26 », rêvant pour elle de ce qui n'est encore que l'avenir de Rome. C'est ainsi que l'on passe d'un conflit régional à une lutte pour l'hégémonie dont l'enjeu est désormais la survie de Rome 27 • Des années plus tard, un orateur carthaginois expliquera en effet 28 que la neguerre punique avait été une lutte pour l'hégémonie. L'idée, déjà présente chez Cicéron29, fut banalisée par Tite-Live 30, qui d'ailleurs l'avait empruntée à Polybe 31 • Elle semble avoir été courante à l'époque d 'Appien, comme l'attestent Aulu-Gelle 32 et 21. Cf. /ber., 8, 30-32 ; Ann., 3, 9. 22. Voir son éloge funèbre (Syr., 12, 45), où Appien vante sa grandeur d'âme (µEyaÂ.ovota). 23. Dans Ann. 3, 8, Appien dit seulement qu'il était intelligent et aimait la guerre. 24. Cf. /ber., 9, 33. 25. Cf. /ber., 9, 35 ; Ann., 3, 10. 26. Cf. /ber., 9, 35 : 'tTJV1ta'tpiôa tflÀ.àc;µ11ô' fxn GXOÀTJV Kai XP0vov t~E'tétÇEtVCl1Cpt&Ï>ç 't0V 1tEpi 'tCÔV xp11µa't0>VÀoyov. L'auteur, quel qu'il soit, dont Appien s'est inspiré avait à l'évidence pris Ephore pour modèle, tant les similitudes - mutatis mutandis -sont frappantes. Un parallèle entre Périclès et Annibal, comme instigateurs de grandes guerres ruineuses pour leur patrie, pourrait avoir été développé par quelque rhéteur. 37. Cf. /ber., 10, 36-38 ; Ann., 3, 10-11. 0
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Carthage et Rome, qu'il déteste 38 • La seconde guerre punique résulte donc, selon Appien, de la volonté de survie d'un jeune général sans véritable dessein politique 39 , qui met aux prises deux cités peu soucieuses d'en découdre 40 • De fait, la guerre est d'abord l'affaire d' Annibal, qui, outrepassant les instruction reçues 41 , lui donne l'Italie pour théâtre. Comme la bonne fortune semble s'attacher à lui42, il y remporte ses fameuses victoires sur des généraux improvisés ou téméraires 43 ; mais, à la longue, ses ruses suscitent une telle méfiance chez l' adversaire qu'elles deviennent inopérantes 44 , tandis que s'épuisent ses ressources humaines et financières. Ses adversaires politiques, à Carthage, lui refusent les secours qu'il réclame 45 , ou les lui envoient trop tard et dans de 38. Cf. /ber., 9, 34 ; 35 ; Ann., 3, 10. 39. Il n'a d'autre perspective que la gloire, en cas de succès comme en cas d'échec : ce n'est en aucune façon un bâtisseur d'empire (cf. /ber., 9, 35). 40. Le conseil de Carthage est abusé par les dépêches mensongères d'Annibal (/ber., 10, 37), et l'arrivée simultanée d'ambassadeurs de Rome et de Sagonte (/ber., 11, 41-42) ne peut qu'étayer ses soupçons. De leur côté, beaucoup de Romains ne souhaitaient pas secourir Sagonte (/ber., 11, 43) et le Sénat ne se décide à mettre les Carthaginois en face de leurs responsabilités qu'après la prise de la ville (/ber., 13, 48 sq.). Mais il le fait dans un tel climat de suspicion réciproque que la guerre devient inévitable. 41. Le gouvernement punique lui a fixé pour mission « de soumettre l'lbérie entière » (/ber., 13, 50), ce dont il s'acquitte d'ailleurs (/ber., 13, 51 ). Mais il médite en secret d'envahir l'Italie (ibid., 13, 5152), prenant de court les Romains, qui visaient eux-mêmes l'Ibérie et l'Afrique (ibid., 14, 53). 42. Les Gaulois de Cisalpine voient en lui « un général invincible accompagné par une brillante fortune » (Ann., 6, 21) ; plus tard, lorsqu 'Annibal marche sur Rome, la population redoute « un général que sa valeur et sa bonne fortune rendaient invincible » (Ann., 39, 165). Il s'agit là d'opinions, qu 'Appien reproduit sans les adopter. 43. Voir par exemple Ann., 10, 39, où Appien souligne « l'impétuosité et l'inexpérience » du vaincu de Trasimène. 44. Appien le montre bien dans le cas de Fabius Cunctator (Ann., 12, 49-57 ; 16, 67) et de Fulvius Flaccus (Ann., 41, 175-42, 183). 45. Cf. Ann., 16, 71.
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mauvaises conditions46 • Lui-même d'ailleurs ne souhaite pas une victoire totale, qui le mettrait à la merci de ses ennemis47 • C'est le paradoxe d'un conflit interminable, où le chef punique, paralysé par un Destin adverse48 , perd confiance49 , ne parvient même plus à secourir ses alliés50, et laisse finalement l'initiative aux Romains51 • Or ceux-ci ont trouvé en Scipion52 un chef remarquable qui commence par venger53, en Espagne, la dé46. Cf. Ann., 54, 226 (les Carthaginois ne font pas escorter le convoi de secours par des navires de guerre, ce qui permet au préteur de Sardaigne de s'en emparer). 47. Cf. Ann., 40, 173, où Appien rapporte qu'Annibal expliqua à ses conseillers qu'il ne voulait pas mettre un terme à la guerre en prenant Rome, à peine défendue, parce qu'il craignait que les Carthaginois, s'il était victorieux, ne lui fissent déposer son commandement. 48. C'est du moins une hypothèse qu'Appien envisage avec faveur. Si Annibal ne s'empara pas de Rome, écrit-il (Ann. 40, 173), c'est que « la Divinité l'égara en toutes circonstances, comme elle le fit précisément dans ce cas-là». Il avait déjà remarqué qu'Annibal, après Trasimène, avait été détourné de Rome par la Divinité (Ann., 12, 49). - Cette explication se retrouve chez Plutarque, De Romanorum F ortuna, 324c : c'est la Fortune des Romains qui« d'Hannibal le Carthaginois, privé par la jalousie et les inimitiés politiques des renforts qu'il attendait de sa Patrie, fit une sorte de torrent dont les eaux se perdirent et disparurent sur le territoire italien ». Faut-il s'étonner que, nourris d'une même culture, les contemporains des Antonins se satisfassent de stéréotypes ? 49. Appien note (Ann., 30, 129) que les affaires d'Annibal empirèrent à partir du moment où le soupçon envenima ses relations avec les cavaliers celtibères. 50. Cf. Ann., 43, 183 : pendant que les Romains assiègent Capoue, Annibal vit dans le luxe et prend une maîtresse, perdant ainsi « un avantage important pour la conquête de l'Italie » (ibid., 43, 188). 51. Appien attribuerait volontiers au hasard l'un des derniers succès d'Annibal, remporté près d'Herdonia (Ann., 48, 208). Quant à la victoire des Romains sur Asdrubal au Métaure, il y reconnaît l'œuvre de la Divinité, qui aurait voulu compenser leur défaite de Cannes (Ann., 53, 224). Après ce coup du sort, Annibal se retire dans le Bruttium et demeure inactif (Ann., 54, 225-227). 52. Sur l'élection du jeune Scipion, cf. /ber., 18, 68-72. 53. Comme il s'y est engagé lors de son élection, où il se déclare le vengeur (nµrop6ç) de son père, de son oncle et de la patrie (/ber., 18,
68).
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faite de son père et de son oncle54• Avec la prise de Carthagène55 et l'écrasement des généraux puniques56, d'ailleurs désunis, Scipion enlève à Annibal la base arrière dont il tirait ressources et renforts. La défaite d 'Asdrubal au Métaure57vient compléter ce premier succès, puisqu 'Annibal ne peut plus compter en Italie que sur le concours inefficace de son frère Magon58. C'est alors que Scipion, animé par la Divinité59, donne une autre dimension à la guerre en la transportant en Afrique. Entreprise téméraire, qui aurait pu échouer, comme naguère celle de Regulus, mais qui réussit parce que Scipion était sous la protection de la Divinité6(),alors que les Carthaginois, lorsqu'ils s'en remirent une dernière fois à la Fortune, virent les vents disperser leurs espoirs : il ne leur restait plus qu'à accuser les dieux61 • 54. Les opérations menées en Ibérie par le père et l'oncle de l 'Africain sont racontées dans /ber., 15, 58-16, 63. 55. Cf. !ber., 19, 74-23, 88. 56. A la bataille de Baecula : cf. /ber., 25, 96-27, 109. 57. Cf. Ann., 52, 221-223. 58. Cf. Ann., 54, 227. 59. En 8, 30, Appien dit expressément que« Scipion était depuis longtemps animé contre Carthage par la Divinité »[ëvOouç rov È1ti KapX,T)ÔOVlt1e 1toÀ.À.oÙ].Or ÈK 1toÀ.À.oÙ renvoie à des scènes évoquées dans l'/bériké : l'élection de Scipion, à l'occasion de laquelle il parle &cr1tEp ëvOouç (/ber., 18, 69) ; sa venue en Ibérie, où il feint d'arriver par la volonté divine et d'agir sur ses ordres (/ber., 19, 73) ; son comportement étrange lors de la prise de Carthagène, où il affirme avoir un dieu pour allié [/ber., 21, 83] et laisse l'opinion se répandre que toutes ses actions sont accomplies conformément à la volonté divine, ce dont il est lui-même convaincu (/ber., 23, 88), puis à Baecula, où il prend les auspices tvOécoç ôprov Kai f3orov ([ber., 26, 103). Tout en faisant la part de la simulation, Appien n'est pas éloigné de croire qu'il y avait du divin chez cet homme-là, et qu'il était l'agent plus ou moins conscient de la Providence. Tel était aussi l'avis des Carthaginois selon Tite-Live, 30, 28, 11 : velut fatalem eum ducem in exitum suum natum horrebant. 60. Appien souligne que de mauvais présages l'avertirent des menaces pesant sur son camp : cf. 29, 124 ; 30, 125. 61. Cf. 56, 243-244.
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Plus concrètement, le Romain s'était assuré l'appui de l'austère Massinissa, offensé par Carthage, qui avait pour sa part choisi un partenaire amolli par le luxe 62 , Syphax, un fourbe plus enclin à mener double jeu qu'à se battre 63 , dominé par son épouse carthaginoise, Sophonisbe 64 • Ce n'est pas la seule raison de la défaite de Carthage. Ses chefs militaires sont médiocres 65 , hormis Annibal, que l'on rappellera trop tard 66 • Des rivalités mesquines les opposent, qui irritent le peuple 67 • Ce dernier, soupçonneux à l'égard de ses chefs 68 , eux-mêmes paralysés par l'appréhension d'être désavoués 69 , conteste l'autorité du conseil des Anciens, qui pencherait plutôt en faveur 62. Ce thème n'apparaît que discrètement : cf. 12, 46 [antithèse entre la tryphè de Syphax et des Carthaginois et l'austérité de Massinissa] ; 20, 81. Les Numides partagent les vertus de Massinissa : cf. 10, 40-43. 63. Appien revient à plusieurs reprises sur sa fourberie : 14, 55 ; 17, 69-70; 71-72 ; 27, 116. 64. Appien raconte longuement (27, 111-28, 120) l'histoire romanesque et tragique de Sophonisbe. 65. Appien mentionne Asdrubal, fils du fameux Giscon mis à mort par les mercenaires, et Annon fils de Bomilcar, probablement un neveu d'Annibal. 66. Les Carthaginois le rappellent dans un mouvement d'humeur, parce qu'ils sont « irrités de leurs revers » (31, 129). 67. Asdrubal, condamné à mort par les Carthaginois (25, 98-99), continue néanmoins à commander son armée et intrigue avec son successeur Annon (29, 122-123), qui le calomnie devant le peuple (30, 126-127). Quand Annibal intercède pour qu'on l'amnistie, il se terre dans la ville (36, 151), avec raison, puisque le peuple en fureur finit par le massacrer (38, 158-159). De telles scènes seraient inconcevables dans la Rome de cette époque. 68. Cf. Ann. 58, 243. Plutarque, Praecept. ger. Reip., 199 D, dépeint sans complaisance le peuple de Carthage, mais insiste sur son obéissance, qui ne se manifeste guère chez Appien. 69. Le peuple carthaginois cherchait volontiers un bouc émissaire. Cf. Tite-Live, 30, 42, 11-12 : négociations de paix conduites à Rome par Asdrubal le Chevreau, ennemi des Barcides et partisan de la paix. Une première ambassade (30, 22, 1-2) avait déjà rejeté la responsabilité de la guerre sur Annibal. Voir aussi 30, 7, 7, où il apparaît que la factio Barcina était belliciste.
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de la paix70 • C'est donc une cité divisée, agitée de convulsions violentes, qui, après avoir louvoyé71 , opte finalement pour la guerre à outrance face à des Romains unis dans la volonté de vaincre. Empêché de recourir à une guerre d'usure par les instructions qu'il a reçues72 , Annibal doit affronter Scipion dans des conditions défavorables et connaît la défaite. Carthage n'a plus qu'à conclure la paix73 , à des conditions inespérées pour elle74 , qui tiennent à la modération de Scipion et du Sénat romain75 • Elle perd seulement l'hégémonie 76 --entendons les instruments militaires (flotte et éléphants) qui faisaient d'elle une grande puisssance susceptible de concurrencer Rome. Celle-ci, menacée de destruction quand Annibal était à ses portes, a ainsi « mis Carthage à 70. Lorsque Scipion offre des conditions de paix favorables (32, 135), le peuple viole le traité malgré les objurgations des sénateurs carthaginois (34, 143-146). Appien dit nettement que le conseil de Carthage était favorable à la paix, mais que le peuple était aigri contre les notables et excité par des démagogues (35, 149-150). Un deuxième armistice, conclu par l'intermédiaire de Massinissa (37, 155-157), est également approuvé par le conseil, mais rejeté par le peuple (38, 157159). 71. Au départ, Carthage ne négocie que pour gagner du temps (cf. 31, 130). 72. Cf. 39, 161. 73. Appien note que les riches Carthaginois accueillirent favorablement ce traité, à la différence du petit peuple, qui menaçait les magistrats et, « pris d'une colère démentielle », vilipendait Annibal (55, 239-242). La situation était si tendue que les notables se réfugièrent auprès de Massinissa ou chez les Romains. Le peuple finit néanmoins par céder (56, 244). 74. Cf. 54, 234 sq. 75. Cf. 55, 290-291. -Sur la µE-rptomi0Eta, l'une des grandes vertus des anciens Romains selon Appien, cf. B. Goldmann, Einheit/ichkeit und Eigenstiindigkeit der Historia Romana des Appian (1988), p. 22-23. Le rhéteur Ménandre de Laodicée [Menander Rhetor, ed. Russel/Wilson, 1981, p. 374] enseigne encore que, dans les panégyriques impériaux, on doit célébrer la modération dont l'empereur sait faire preuve dans le succès. 76. Cf. 67, 303.
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genoux » 77 et remporté la partie dans un combat loyal, encore que truqué secrètement par les dieux. On comprend que les Romains s'abandonnent à la joie, pour avoir réussi à vaincre une cité « qui, sur cette terre, possédait le deuxième ou le troisième empire » 78 • 8- LA TROISIEMEGUERRE
PUNIQUE :
UNE TRAGÉDIE PATHÉTIQUE
Réduite à son territoire africain, Carthage connaît une situation paradoxale. D'une part, la paix forcée stimule l'économie et par contrecoup une démographie 79 dont s'inquiète Rome ; de l'autre, la cité est affaiblie par des divisions politiques entre nationalistes, partisans de Rome et amis de Massinissa 80 qui, fort de l'appui de Rome, rogne le domaine punique 81 • C'est alors que les nationalistes commettent la folie de se lancer dans une guerre contre le roi des Numides 82 , qui tourne au désastre. Rome, où les valeurs anciennes passaient de mode, saute sur l'occasion et décide secrètement la destruction de Carthage 83 • Le Sénat croyait sans doute rem77. Cf. 24, 95. 78. Cf. 57, 246. Appien réserve probablement la seconde place au royaume des Lagides, dont il évoquera encore la puissance à l'époque de Sylla au livre I des Guerres Civiles. 79. Cf. 67, 302. Sur la population de Carthage, cf. Strabon, 17, 3, 15, qui dénombre 700 000 habitants à la veille de la meguerre punique, chiffre aussi invraisemblable que les dimensions qu'il attribue au périmètre fortifié de la ville et au mur barrant l'isthme. 80. Cf. 68, 304-305. Appien revient sur la question dans la Syriaké (8, 30-33), soulignant que le régime politique n'avait aucune assise solide, « ce qui précisément causa peu après la ruine de Carthage », et que, à l'époque de la guerre d 'Antiochos, « la cité était pleine de mouvements divers : ses dispositions à l'égard de Rome étaient hostiles, mais elle craignait de ne pouvoir garder le secret Vlut1v COCJ1tEp àvôpv. 104. Cf. mes remarques dans CRAI, 1998, p. 835-856. 105. Comparer en particulier Polybe 36, 5, 7 et Appien, 77, 356358 ; Polybe, 36, 6, 7 et Appien, 80, 375-377 ; Polybe, 36, 7, 1-4 et Appien, 91, 427-432 et 92, 438. Pour plus de détails, voir, infra, les notes de S. Lancel.
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on peut le constater en comparant, quand il est possible, sa riche orchestration au récit, autrement plus sec, de Polybe ou de Diodore 106 • Il est clair que l' Alexandrin cherchait à mettre sous les yeux du lecteur des scènes violentes ou émouvantes 107, à éveiller sa compassion ou son admiration, sans commettre de fausse note 108• Il renouait ainsi, parce que le sujet l'exigeait, avec une historiographie « tragique » 109 illustrée autrefois par Phylarque 110, ce qui donne à penser que, dans le milieu des rhéteurs, la condamnation portée par Polybe' 11 et encore par Plutarque 112 était demeurée lettre morte 113•
III- Le Livre Carthaginois : une œuvre d'art achevée A- DE LA
RHÉTORIQUE À L'HISTOIRE
Le Livre Carthaginois, l'un des plus travaillés de toute l'Histoire Romaine, permet d'apprécier à sa juste valeur 106. Censé résumer fidèlement Polybe : mais voir infra, n. 418. 107. C'est précisément l'objet de la mimèsis. 108. C'est sans doute pourquoi il n'évoque pas l'entrevue de Gulussa et d' Asdrubal (Polybe, 38, 7-8) : la personnalité tragicomique du stratège punique, telle que l'avait peinte Polybe, détonnait trop. 109. Voir en particulier (92, 432), l'évocation du délire bacchique des Ménades à propos d'une scène d'émeute à Carthage, et plus loin (92,437) les mères des otages comparées « à des Erinyes sorties d'une tragédie ». 110. Fr. Gr. Hist. 81. Voir l'étude ancienne, mais irremplacée, de P. Scheller, De Hellenistica historiae conscribendae arte (Diss. Leipzig, 1911), p. 58-59 et 67-68. Sur l'écriture tragique, la mise au point la plus pertinente demeure celle de F. W. Walbank, History and Tragedy, Historia, 9 (1960), p. 216-234. 111. Polybe, 2, 56 sq. ; mais le débat littéraire est faussé par la polémique politique, l'homme de parti tentant de se déguiser sous l'habit du théoricien du genre historique. 112. Plutarque, Vie de Thémistocle, 32. 113. Athénée, qui cite souvent Phylarque, paraît n'en penser aucun mal.
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le talent littéraire d 'Appien qui, dans sa jeunesse, suivit certainement l'enseignement des meilleurs rhéteurs d' Alexandrie 114• L'un d'entre eux, Théon 115, nous a laissé des Progymnasmata qui donnent une idée des exercices auxquels on se livrait dans ces écoles 116• Si l'on place entre 50 et 100 ap. J.-C. le floruit de ce maià-e117, d'inspiration probablement stoïcienne118, Appien pourrait avoir été son élève 119• Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, Théon -attendait de ses disciples une solide 114. Sur ce milieu, mal connu, voir R. W. Smith, The art of rhetoric in Alexandria (La Haye, 1974), p. 130 sq. 115. Probablement Théon le Stoïcien mentionné par Quintilien, 9, 3, 76. Voir aussi la Souda, s. v. 0trov. La synthèse de W. Stegemann, RE A2 V 2, 2037-2054, réclame une mise à jour: on trouvera la bibliographie récente dans J. R. Butts, The « Progymnasmata » of Theon : a new text with translation and commentary (Claremont, 1986), que complète l'édition de M. Patillon, .tE/ius Théon. Progymnasmata (CUF, 1997). Je renvoie, selon l'usage, aux pages de l'édition de Spengel, Rhet. Graec., 2, p. 57-130. - L'}Elius Théon dont on possède une lettre (Ox. Pap., 59, 1992, n° 3992), que l'on date du nes. ap. J. -C., paraît contemporain d'Hadrien : c'est sans doute un personnage différent. 116. A. Michel, Rhétorique et Philosophie au second siècle ap. J. -C., ANRW, 2, 34, 1, p. 30 sq., reconnaît à Théon « d'admirables qualités de finesse et de profondeur ». 117. L' œuvre de Théon paraît en effet connue de Quintilien, dont l'Institution Oratoire fut composée vers 90 ap. J.-C. - I. Lana, Quintiliano, il « Sublime » e gli « Esercizi Preparatori di Elio Teone (Turin, 1951), établit de judicieux rapprochements entre la pensée de Théon et celle de Quintilien, mais entend aussi attribuer au premier, non sans témérité, le Traité du Sublime. l 18. Ainsi que l'avait montré G. Reichel, Quaestiones progymnasticae (Diss. Leipzig, 1909). Stegemann et Butts abondent dans ce sens. Il ressort des Progymnasmata (p. 126-128 Spengel) que Théon professait un déisme utilitaire, puisque les deux principaux arguments avancés par lui pour justifier la religion sont que l'Univers a besoin d'un grand Architecte et que l'édifice social s'effondrerait avec la morale si l'on faisait disparaître la Divinité. 119. Appien, né vers 90 de notre ère, ne commença probablement ses études que vers 105. Mais Théon, comme Isocrate, peut avoir tenu école jusque dans un âge très avancé.
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connaissance des historiens 120et des philosophes. Il leur proposait aussi des exercices préparant à la composition historique 121 , comme le récit, la description (ekphrasis)122, la prosopopée 123 , le parallèle 124 , le lieu commun125,l'éloge et le blâme. 120. Stegemann,o. c., col. 2047, relève les noms d'Hérodote, Thucydide, Ctésias, Xénophon, Philistos, Théopompe, Ephore, bref des classiques du genre, proposés comme modèles aux élèves, qui en apprenaient de larges extraits. Soulignons que Polybe n'était pas inscrit au programme des études, ce qui pourrait expliquer qu 'Appien ne se réfère que rarement à une œuvre que nous jugeons de premier ordre. Pour Thucydide, voir H. O. Strebel, Wertung und Wirkung des Thukydideischen Geschichtswerkes in der griechisch-romischen Literatur (Diss. Munich 1935), p. 57. 121. Théon (p. 60 Spengel) définit ainsi l'histoire : oô6t yàp OlT1YT1
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d'ailleurs riche en variantes, que l'on pouvait reconstruire à partir d 'Appien et des fragments de Dion Cassius, ou, à défaut, du résumé qu'en donne Zonaras247 • On estime qu' Appien et Dion ont puisé une partie de leur information chez Cœlius Antipater248 , mais une partie seulement, puisque l'on constate aussi entre ces deux auteurs des divergences insurmontables que la liberté d'écriture ne suffit pas à expliquer. Ces divergences portent non seulement sur les faits eux-mêmes, mais aussi sur leur ordre de succession249 et sur les liens de causalité qu'Appien ne doit rien à Tite-Live, dont < ... > il n'a pu ignorer l'œuvre, mais auquel il semble avoir refusé, par prétérition ou partipris, tout crédit ». Saumagne évoque même, p. 82, la « source numidophile » d' Appien, ce qui paraît excessif. Disons seulement qu'Appien suit un auteur qui ne s'employait pas, comme Tite-Live, à minimiser systématiquement le rôle joué par Massinissa [cf. Saumagne, p. 71-95]. 247. Cf. J. Seibert, o. c., p. 37-38. 248. Cf. Gsell, o. c., p. 202, pour Dion Cassius ; H. H. Scullard, Scipio Africanus in the second Punie war (1929), p. 27-29 (en particulier p. 27) : « In the Libyca Appian's account resembles Dio's very closely, especially in the bad tradition on Zama. The cause of this is undoubtedly the common use of Cœlius ». Encore faut-il rappeler que cette théorie, au demeurant plausible, ne repose que sur deux coïncidences : le fait qu 'Annon fut capturé et non point tué (Cœlius, fr. 42 Peter 49 Chassignet Appien, 14, 60) et les circonstances de la capture de Syphax par Massinissa (Cœlius, fr. 44 Peter = 52 Chassignet = Appien, 26, 107 ; voir toutefois les réserves de Gsell, o. c., p. 237, n. l). Il est également possible qu'Appien, en 65, 290-291, cite par le canal de Cœlius l'oratio pro Rhodiensibus de Caton (sur laquelle cf. M. Chassignet, Caton, les origines, Fragments, CUF, 1986, fr. 3 a-g), dm yàp oî 1eai 'îOÔE voµiÇoucnv renvoyant peut-être discrètement à Cœlius. - Sur cet annaliste, très prisé sous les Antonins, cf. les Notices du Livre Ibérique et du Livre d'Annibal. Voir aussi J. Seibert, o. c., p. 29-30 et M. Chassignet, L 'Annalistique Romaine, II (CUF, 1999), p. XLI sq .. 249. Cette succession est d'autant moins perceptible chez Appien que les indications chronologiques y sont rares : alors que Zonaras, 9, 11, p. 282, dit clairement que Scipion passa tout un hiver en Sicile à recruter et entraîner des troupes, le lecteur d 'Appien est en proie à l'illusion d'un tempo rapide.
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qui les unissent250 • La raison de cette disparate se laisse aisément deviner. Loin de recopier une source unique, qui serait Cœlius251 , Appien et Dion ont laissé de ces événements lointains pour eux une interprétation personnelle élaborée à partir de plusieurs sources, que l'on soupçonne d'être les mêmes, mais en les agençant chacun à sa manière et dans des perspectives distinctes. Ces différences acceptées, il reste un fond commun, qui permet d'entrevoir une relation des faits, certainement d'origine romaine, sensiblement différente de celle que nous ont transmise Polybe et son imitateur Tite-Live. On voit également se dessiner, chez Appien, une interprétation de la stratégie de Scipion qui tranche avec celle qu'en donne Dion, plus proche sur ce point de la tradition polybienne. Même si l'on croit devoir donner raison à Polybe 252 , il n'en est pas moins vrai que l'histoire des faits -dans la mesure où l'on croit pouvoir l'établir- n'est pas plus importante que celle des interprétations auxquelles ils ont donné lieu. De ce point de vue, la première partie de la 250. Si par exemple Appien (7, 29) explique par l'indifférence des Romains la faiblesse des moyens accordés à Scipion, Zonaras 9, 11, p. 282, invoque la jalousie dont le jeune général était l'objet : füà 'tàÇ àptcrn:iaç q>0ovouµEvoç. 251. Il est clair que le total des hommes dont disposait Scipion au moment de son passage en Afrique (13, 51 : 16 000 fantassins et 1 600 cavaliers) n'est pas emprunté à Cœlius, qui ne fournissait aucun chiffre, mais exagérait l'importance de l'armée romaine « si nombreuse que les cris des soldats firent tomber les oiseaux sur le sol » : cf. fr. 39 Peter= 46 Chassignet. De même, Appien ne fait pas état de la tempête qui aurait rendu la traversée périlleuse (fr. 40 Peter = 47 Chassignet) : cette dramatisation de la diabasis lui aurait donc semblé suspecte, ce qui témoigne de quelque esprit critique. Il se garde également de faire état des 4 000 Macédoniens que Philippe V aurait envoyés au secours de Carthage : cette invention de la pire annalistique a pourtant trouvé asile chez Tite-Live, 30, 26, 3 et 42, 4-5. 252. Dont les sources n'ont jamais pu être déterminées : cf. Walbank, Commentary, 2, p. 424-425. On peut redouter qu'il n'ait accordé une excessive confiance à des informateurs romains (par exemple le vieux Laelius ou même Caton) parfois enclins à grandir leurs exploits ou ceux de leurs amis.
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Carchédoniaké paraîtra sans doute moins subsidiaire au lecteur contemporain qu'à la génération des Gsell et des De Sanctis253• C'est pourquoi, plutôt que de revenir sur ce qui a été exposé dans les Notices du Livre Ibérique et du Livre d'Annibal, la problématique étant la même et les réponses aussi hypothétiques, il m'a paru préférable de comparer la relation d' Appien à celle de Dion, afin de souligner ressemblances et différences, en ne faisant appel à Polybe et à la tradition livienne que pour mieux cerner les apports originaux d' Appien. Faute d'avoir indiqué clairement que Scipion passa en Sicile toute l'année de son consulat à préparer son expédition africaine254 , Appien donne de la conduite des rois numides une image assez incohérente. Zonaras (9, 12, p. 283) montre bien que chacun agissait en fonction de ses intérêts. Il explique que les Carthaginois, voulant empêcher Massinissa de se joindre aux Romains, persuadèrent Syphax de lui rendre son royaume, non sans laisser entendre à leur allié qu'il ne s'agissait là que d'une 253. Ces historiens préfèrent systématiquement Polybe et Tite-Live à Appien et à Dion. Voilà pourquoi la relation d 'Appien n ·apparaît généralement que dans les notes, abondantes, de l'étude de Gsell. 254. L'anecdote fameuse des 300 Siciliens meuble toute cette année : cf. Scullard, o. c., p. 168. Mais peut-être le séjour de Scipion dans l'île était-il évoqué dans le Livre de la Sicile, perdu, de la même manière que l'affaire de Locres est traitée dans le Livre d'Anniba/, SS, 230-231. Il est certain en revanche qu 'Appien n'a pas fait état du raid opéré sur les côtes africaines par Laelius durant l'été 205, afin d'y prendre contact avec Massinissa : Tite-Live est notre seule source. Le vague de la chronologie conduit à ce que l'on a pris parfois pour des contradictions (cf. Walbank, o. c., p. 427). Il semble en fait qu'Appien fournit en 9, 35 les effectifs de l'armée d'Asdrubal en 205 (6 000 fantassins, 600 cavaliers et un renfort de 2 000 Numides d'origine incertaine), et la faiblesse des forces puniques explique que ce général se préoccupe de recruter des mercenaires. En 13, 54, Appien aligne en revanche les troupes disponibles un an plus tard, après la diabasis de Scipion : 20 000 fantassins et 7 000 cavaliers ; mais le lecteur n'a pas conscience qu'un tel laps de temps s'est écoulé et qu'Asdrubal s'est préparé aussi soigneusement que Scipion.
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concession provisoire. Malgré ses soupçons, Massinissa accepta de jouer le jeu, mais avec l'intention arrêtée de trahir ceux avec lesquels il était contraint de collaborer. C'est pourquoi, dit Zonaras, il ne cessait de harceler les Romains (ôtè> x:ai toiç eProµaiotç 1tpOO'É1Cf:ltO ), pour hâter leur passage en Afrique 255 • Syphax en revanche, tout en se présentant comme l'allié des Romains, pressait Scipion de demeurer en Sicile. Il agissait ainsi, écrit Zonaras, tà. trov At66rov 1tpattrov. Il faut entendre, me semble-t-il, que sa politique était celle d'un Africain conscient que l'indépendance de son royaume dépendait de l'équilibre entre les deux grandes puissances rivales 256 • Que ces mobiles aient été exposés par la source commune de Dion et d'Appien (Cœlius ?) ne fait guère de doute. Appien nous apprend en effet, abruptement (14, 55), que Syphax « se retira dans son royaume » après le débarquement de Scipion. La même tradition se retrouve, sous une autre forme, chez Dion Cassius, fr. 56, 67 : Kai Ô 1:ucpaçtfi "(f: µèv ÔOÇTI cpiÀ.OÇ aÙtO>V ~V, tq>ÔÈfpycp èK µÉcrou ElO'tT)Kf:t.Cette tradition commune à Appien et à Dion nous invite à ne pas nous fier aveuglément à Tite-Live. On peut penser que Syphax « s'était retiré du champ de bataille », probablement sous le prétexte énoncé par Appien 257 • Dion (ibid.) expose d'ailleurs les 255. Appien, qui a signalé dans le Livre Ibérique, 37, 149-150, l'accord secret conclu entre Massinissa et Scipion, après le revirement de Syphax, estime sans doute son lecteur assez informé de la question. 256. Polybe, 14, l, 4, n'hésite pas à faire état de « la perfidie et de l'inconstance naturelles des Numides », poncif qu' Appien, ami de Cornelius Fronton, illustre Africain de Cirta, se garde de reproduire ! Il insiste au contraire sur les vertus des Numides et, même si parfois Syphax apparaît chez lui sous les traits d'un fourbe, ce caractère s'accorde mal avec le traitement honorable que lui accorde Scipion après sa capture. 257. On pourrait penser qu 'Appien a pris stricto sensu une expression figurée du même type que celle dont fait usage Dion, n'était le fait qu'il explique le départ de Massinissa par une menace pesant sur son royaume, ce qui n'est pas invraisemblable : Tite-Live, 29, 4, 8, nous le montre en effet impeditus finitumis be/lis, mais un an plus tôt.
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raisons de son attentisme258, celles précisément qu 'avançait plus haut Zonaras : maintenir coûte que coûte l'équilibre entre ses « alliés » et ses « amis ». Cette .tradition paraît crédible et pourrait rendre compte d'une donnée stratégique autrement incompréhensible : s'il n'avait pas eu pour seuls adversaires au moment de son débarquement259une armée carthaginoise mal préparée 260et un Massinissa prêt à trahir261, Scipion n'aurait pas joui de la liberté de manœuvre que lui accordent Appien et Dion. Des opérations terrestres de quelque ampleur dans la chôra punique, assorties d'une offensive diplomatique et militaire en direction de villes africaines262, ne sont en effet concevables qu'en l'absence de la cavalerie de Syphax. Ces incursions de Scipion dans la chôra punique sont d'autant plus indispensables qu'elles interviennent comme cause historique dans le récit de Dion. C'est pour y répondre qu 'Annon (selon Dion le propre fils d' Asdrubal fils de Giscon, alors que Tite-Live, 29, 34, 1, suivi par Orose, Hist., 4, 18, 17, en fait le fils d'un Amilcar non identifié) se laisse convaincre par Massinissa de marcher contre les Romains263. L'embuscade fonctionne comme chez Appien, à cette réserve près que Dion, qui 258. Il ne bougeait pas, remarque Tite-Live, 29, 35, 9. 259. Appien fait débarquer Scipion sans encombre près d'Utique et ignore les péripéties dramatiques racontées par Tite-Live, 29, 25-27 : cf. Scullard, o. c., p. 184-185. 260. Tite-Live, 29, 28, 7-8, souligne l'impréparation des Carthaginois. 261. Tite-Live, 29, 29, 4-5, place le ralliement de Massinissa, avec 200 ou 2000 cavaliers, peu après le débarquement romain et l' anéantissement d'une reconnaissance punique forte de 500 cavaliers (28, 1029, 1). Sa source pourrait être Polybe. 262. Cf. Dion Cassius, fr. 56, 67 : 1tpo0uµôn:pov ttiv n: x_copav 1top0iicrat 1eai taiç 1tÔÂ.tcrt1tpocrµiçar 1eai nvaç x:ai tiÂ.tV aùtcôv. Zonaras, 9, 12, p. 283 : 1eai t11v x.copav ê1tôp0tt 1tpocrɵtcryt tt taiç 1tôÂ.tcn 1eai tÎÂ.é nvaç. 263. Chez Tite-Live, Massinissa, déjà rallié à Scipion, ne trahit pas Annon, mais l'attire dans un traquenard en feignant de fuir.
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ne s'intéresse ni à la manœuvre ni aux lieux où elle se déroule, ne mentionne ni Utique ni la Tour d 'Agathocle264.Il est plus clair en revanche sur l'épisode de la mère de Massinissa, ignoré de Tite-Live : nous apprenons grâce à lui (et à Zonaras) qu 'Asdrubal s'en était emparé après coup afin de l'échanger contre son fils Annon 265. La capture du précieux prisonnier figurait chez Cœlius et chez Valerius Antias, mais non dans la source principale de Tite-Live (29, 35, 2) qui avait sa propre logique 266: dans la mesure où il avait rejoint librement Scipion sitôt son débarquement, Massinissa n'avait pas besoin d'une monnaie d'échange et pouvait laisser Annon périr267. On observe ensuite une divergence de taille entre Appien et Dion. Ce dernier268place en effet le revirement de Syphax aussitôt après celui de Massinissa, et il y a sans doute du vrai dans cette relation de cause à effet soigneusement exposée : Syphax était conscient que Massinissa allait combattre moins contre les Carthaginois que contre lui, et qu'il risquait de se retrouver dans une position de faiblesse s'il demeurait isolé. Faut-il en conclure qu 'Appien suit ici une autre source que Dion ? Pas forcément. Dion ajoute en effet 269que Syphax ne se rallia pas « nettement » ( Ka0ap&ç) aux Carthaginois, « au 264. Ces repères sont également absents du récit livien, 29, 29, 4-6 et 34, 15. 265. On subodore néanmoins que cette dame était otage à Carthage parce que Massinissa avait été contraint de donner des gages lorsqu'il avait récupéré son royaume. En d'autres termes, le coup qu'il avait monté contre Annon visait probablement à s'assurer d'une monnaie d'échange afin de recouvrer otages et liberté d'action. Appien et Dion ont résumé leur source commune au point de faire disparaître la logique des événements. On voit ainsi que ces synthèses tardives, malgré de grands mérites, souffraient toutes d'une déperdition de substance. Rien ne saurait remplacer les sources primaires, toutes perdues. 266. Il se pourrait encore que cette source fût Polybe. 267. Il meurt également chez Orose, Hist., 4, 18, 17. 268. Dion, fr. 56, 70. 269. Dion, fr. 56, 71.
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point de s'opposer aux Romains ». Ceux-ci continuèrent donc à parcourir sans crainte le pays en faisant du butin 270 et en libérant les prisonniers qu 'Annibal avait envoyés naguère d'Italie : c'est précisément la situation qu'évoque Appien (15, 61) et je présume que celui-ci, peu sensible aux états d'âme de Syphax, n'a pas jugé utile de consigner un revirement sans conséquences sur le terrain. Inversement, ni l'affaire de Locha 271 ni l'entreprise de Magon 272 ne sont mentionnées par Dion, au demeurant très rapide. Peut-être avait-il négligé ces épisodes, à moins qu 'Appien ne les emprunte à une source autre que Cœlius 273 • Toujours est-il qu'au terme de fructueuses incursions dans la chôra les Romains se décident à assiéger Utique : Dion rejoint ici Appien (15, 61) et Tite-Live (29, 35, 6), sans toutefois qu'une comparaison poussée soit possible, puisque, à la différence de TiteLive et de l 'Alexandrin, il n'a pas jugé utile de composer une narration du siège 274 • Selon Dion (fr. 56, 72), craignant pour Utique, Syphax et Asdrubal renoncent enfin à leur inertie et font conjointement mouvement vers cette ville 275 • Conscients qu'ils ne peuvent combattre deux adversaires à la fois, les Romains lèvent le siège et se préparent à passer l'hiver sur place 276 • C'est probablement dans ce contexte que 270. Ce que confirme Tite-Live, 29, 35, 4-5. 271. Gsell, o. c., p. 218, n. 3, juge l'épisode peu croyable. 272. Gsell, o. c., p. 218, n. 4, rejette cet épisode au motif « qu 'Asdrubal n'était pas encore entré en campagne » -mais c'est pure hypothèse. 273. Scullard, o. c., p. 195, n. 3, voit dans cette anecdote un simple doublet de la défaite d'Annon. C'est possible, à ceci près que rien ne permetd'affirmer qu'il s'agit là d'un résumé de Cœlius ! 274. Celle d'Appien n'est guère qu'un tissu de poncifs. Gsell, o. c., p. 219, n. 2, parle de « détails probablement inventés ». 275. Tite-Live, 29, 35, l l, dit la même chose. 276. Cette donnée essentielle n'apparaît pas chez Appien. On la retrouve chez Tite-Live, 29, 35, 12-13, qui compte 40 jours entre le début du siège et l'arrivée près d'Utique d'Asdrubal et de Syphax : on était à la fin de l'automne 204, et Scipion jugea le moment venu de
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s'inscrit la prise de Tholonte par Syphax, évoquée par Appien (18, 73) dans un cadre indécis. Cet incident n'est pas invraisemblable dans la mesure où Scipion, qui croyait pouvoir compter sur la passivité de l'adversaire, avait peut-être pris le risque de maintenir un dépôt de vivres assez loin des Castra Cornelia 277• On ne peut toutefois affirmer qu 'Appien en a emprunté le récit à Cœlius. C'est durant l'hiver 204/203 que Dion278 , comme d'ailleurs Polybe279 et Tite-Live280 , a placé la médiation de Syphax.281 , que Scipion feint d'accepter, pour mieux ~ piéger son adversaire (oùx ôtt Kai è1ticrteuév ol, àÀ.À. ïva aùtè>v crcp11À.n). Sur ce point, Dion s'accorde en effet avec Polybe chez qui Scipion, que les scrupules n 'embarrassent point, triomphe par l'emploi de la ruse282 • C'est d'ailleurs pourquoi le complot visant à assassiner Massinissa -inconnu de Polybe et de Tite-Live-, qui n'a d'autre fonction chez Appien (17, 71-72) que d'illustrer la perfidie de Syphax.283 , apparaît opportunément chez Zonaras au moment précis où Scipion doit justifier une prendre ses quartiers d'hiver. Deux mois, peut-être trois, séparent donc le débarquement de Sei pion de l'entrée en action de Syphax. 277. Gsell, o. c., p. 222, n. 1, jette le doute sur cette affaire ; mais c'est qu'il n'admet pas le double jeu de Syphax (ibid., p. 223, n. 1). 278. Dion, 56, 75 ; cf. Zonaras, 9, 12, p. 285. 279. Polybe, 14, 1, 1. 280. Tite-Live, 30, 3, 4-5. La datation hivernale est attestée indirectement par Orose, Hist., 4, 18, 18, qui parle des hiberna puniques. 281. Selon Tite-Live, 30, 3, 6, Valerius Antias prétendait que Syphax était venu en personne dans le camp romain : on ne lit rien de tel chez Appien. Soulignons que, dans son récit, les événem~nts sont vus du point de vue de Syphax. N'est-ce point l'indice qu' Appien suivait ici un auteur de Libyca ? 282. Tite-Live, 30, 3, 7-4, 8 paraît s'inspirer de Polybe, qui souligne (14, 3, 2-3) que les chefs adverses n'avaient aucune idée de ce qui les attendait. 283. Cf. les justes remarques de Gsell, o. c., p. 225 et n. 1. Mais, si tel était réellement son caractère, Scipion l'aurait-t-il traité avec autant d'égards après sa capture ?
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rupture de la trêve284 • Il y a fort à penser que ce prétendu complot n'est rien de plus qu'une invention de l'annalistique, visant à redorer l'image d'un Scipion aussi habile que les Puniques dans l'art de transiger avec la foi jurée2ss. Or il est clair qu'à un certain moment des Romains jugèrent indispensable de récrire l'histoire pour que l'action de Scipion fût conforme à l'idée que l'on se faisait de ses antiques vertus286 • Ce fut probablement quand la nova sapientia, cette stratégie indifférente à la morale et entièrement tournée vers l'efficacité, commença à être combattue dans les milieux traditionalistes287 , que fut fabriqué le récit dont Appien nous a transmis la substance : loin de ruser et d'agir dans les ténèbres288 , Seipion fait face à une menace soudaine et gravissime289 , 284. Zonaras, 9, 12, p. 284 : Ô'tt ô l:l)(pal; t1n6ouÀEU(l)Vtcpropét8Tt -rcpMacrmvicrcn;i ... ; Polybe, 14, 2, 13, dit sans ambages que Scipion s'employa à donner l'impression de ne pas rompre la trêve (1tapaépovtaç, sans l'article, devait se rattacher à un substantif exprimé dans la partie perdue du texte, dyyéÂ.ouç, ou encore à ttvaç, peut-être sousentendu ; enfm, il me paraît certain que le verbe d1téatE1Â.avavait pour sujet les Romains, et non les Carthaginois, comme le pensait Roberts. « Porter la paix (ou la guerre) » est en effet un usage romain 374 • Une traduction paraît dès lors possible : col. I : « ... ils (les sénateurs) donnèrent leur parole aux ambas373. Cette monstruosité se trouve encore chez B. Scardigli, o. c., p. 315 « Nel testo si parla di diversi giuramenti, della consegna di prigionieri, della città di Scipione, la futura Castra Cornelia ... » (castra serait ainsi un féminin ?). C. Roberts avait vu la difficulté (o. c., p. 117, n. 20), sans pouvoir en rendre compte : « but it is difficult to see why l:Kt1tirovoç 1toÀ.1vshould have been substituted for Kopv1111.iou1tapEµÔOÀ.1l». Le mécanisme de la faute devient limpide si l'on part de f1tauÀ.tv, écrit 1tauÀ.w par haplographie, puis corrigé en 1t6À.1v. Kapx11oovto1, 374. Cf. le Livre Ibérique, 13, 49 : tvrao0' uµiv, Kai 'tT)VElpllVT)VKai rov 1tOÀ.Eµovq>Épro.Il s'agissait concrètement, selon certaines sources, d'une tessère apportée par le messager.
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sadeurs et ayant appris que l'on avait d'ores et déjà procédé à la libération des Italiens prisonniers, ils étaient plus ouverts (que par le passé) à.la perspective de la paix, et ils firent partir avec les ambassadeurs de Carthage des gens qui examineraient le bien-fondé de leurs requêtes, et, pris dans leurs rangs, des gens qui recevraient d'eux (des Carthaginois) les serments et en rapporteraient (le texte)375• Ainsi donc, les envoyés de Rome vinrent débarquer au camp de Scipion. Les Puniques de leur côté, sitôt qu'ils furent arrivés à Carthage et eurent exposé ce qui avait été réglé à propos de la paix ... col. II : (les Romains), comme ils [les Puniques] réclamaient les serments, envoyèrent auprès d'eux portant la guerre au lieu de la paix. La nouvelle en ayant été annoncée aux deux armées [l'armée de Seipion et celle d'Annibal] ... La situation est exactement celle qu'évoque Appien (31, 132 sq.), chez qui les Carthaginois, après avoir pris contact avec Scipion, obtiennent de lui une trêve et l'autorisation d'envoyer une ambassade à Rome. Mais leurs prières (èotovto au·y-yvroµ11ç tuxeiv) rencontrent la méfiance d'une partie du Sénat. Après de longues délibérations, celui-ci décide d'envoyer une commission se concerter avec Scipion sur les mesures à prendre (32, 134) : ft PouÂit auµôo6Âouç f1teµve tq'}l:x:t1tirovt.Je présume qu'il s'agit des enquêteurs dont fait état le papyrus. Appien mentionne ensuite l'acceptation par Carthage des conditions de paix fixées par Scipion. Puis il est question (32, 136) de la ratification du traité et d'un échange d'ambassades : x:ai 1tptaôetç ôtÉ1tÂeov,ot µèv èç eProµ11v,toùç \)1t(lt0UÇÔpKtOÙVtEÇ, tandis que des ambassadeurs romains reçoivent le serment des magistrats de Carthage : ot o' à1tô eProµ11çtç Kapx1106va K> Carthaginois.
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sauvetage des survivants est relaté en termes plus dramatiques chez Appien (ol ôè Â.outoi. ... tçt)Â.av-ro -cftç vtroç ftôll Â.aµ6avo6crt1ç)que chez Diodore (ol ôè
KŒ'tacpuy6v'tEÇ è1ti. 'tTtVyftv ÔlECJ0)0llO'ŒV 1tpôç 'tÔV 389 l:Kt1ticova) • En revanche, les considérations morales qui suivent portent la marque de Diodore. L'arrivée inopinée des ambassadeurs puniques dans le camp romain, qui survient sur ces entrefaites, est attibuée par les deux auteurs à une tempête, et la loyauté de Scipion évoquée dans les mêmes termes 390 • Diodore ajoute toutefois les clameurs vengeresses de la soldatesque romaine, gommées par Appien. Il n'est pas possible de pousser plus loin cette comparaison, qui confirme le bien-fondé de l'hypothèse attribuant à Diodore et à Appien une source commune, certainement de langue grecque, que chacun des deux paraphrase à sa manière. Il ne peut s'agir de Polybe, et il n'est pas non plus certain que le champ des hypothèses se limite à l'annalistique post-polybienne. On revient ainsi au problème posé à propos du Papyrus Ryland : Sosylos ne serait pas une piste absurde (puisque Diodore pourrait l'avoir lu), mais le recours à quelque ancien annaliste de langue grecque pourrait également rendre compte des divergences observées avec la tradition de Polybe. Constatons seulement que cette source était particulièrement sensible au conflits politiques agitant la cité punique. Caton notait déjà que la constitution de Carthage était mixte, puisqu'elle réunissait trois composantes, l'une monarchique, l'autre aristocratique, la troisième populaire 391 • Il n'est jamais question, chez Appien, 389. Polybe admet lui aussi (15, 12-15) qu'il y eut de nombreuses victimes à bord de la pentère romaine, mais que les ambassadeurs s'en tirèrent sains et saufs. 390. Polybe (15, 4, 8 sq.) laisse entendre que Scipion agissait par calcul : il souhaitait que les Carthaginois apprennent, par leurs ambassadeurs, que le peuple romain avait ratifié le traité. C'était sans doute habile pour renforcer à Carthage le parti de la paix. 391. Caton, Origines, 4, fr. 3 Chassignet(= Servius, ad /En., 4, 682).
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de l'élément monarchique, dont le rôle paraît des plus réduits à l'époque de la IJCguerre punique. En revanche, le conflit entre parti populaire (favorable à la guerre à outrance) et parti aristocratique (ami de la paix) et plus encore entre deux institutions, le sénat de Carthage et l'assemblée du peuple, est chez Appien une donnée constante du récit. Or cette donnée politique et même sociologique 392 , que l'on ne peut manquer de relier à un célèbre excursus du livre VI de Polybe 393 , fait de Carthage une anti-Rome, ce dont a clairement conscience l'un de ses sénateurs 394 • Cela dit, devons-nous admettre qu 'Appien suit une source influencée par la pensée de Polybe, ou que ce dernier a théorisé à partir d'observations présentes chez des auteurs contemporains de la guerre ou de peu postérieurs à celle-ci ? Il serait possible de répondre à la question si l'on pouvait donner un nom 392. Appien fait état d'un àyopaiov 7tÀ:ii9oçqui paraît correspondre à la multitude des petits marchands et artisans tenant échoppe dans la ville basse. On entrevoit ainsi une sorte de poujadisme urbain, mais si l'on comprend pourquoi les grands propriétaires souhaitaient voir l'armée romaine quitter au plus vite l'Afrique, les raisons du bellicisme de la plèbe punique sont moins claires, dans la mesure où le conflit n'engendrait pas pour elle de profits, sinon peut-être pour les ouvriers de l'arsenal. Appien n'a sans doute pas tort de suggérer que ses pulsions étaient négatives, et que le spectre des indemnités de guerre à payer était agitée par les « démagogues »à des fins pour nous indiscernables. 393. Polybe, 6, 51, 3-7. Je reproduis ici la traduction de R. Weil (CUF, 1977) : « Mais à l'époque où Carthage s'engagea dans la guerre d'Hannibal, son régime avait dégénéré et celui de Rome valait mieux. Dans la mesure exacte où la puissance et la prospérité de l'Etat carthaginois étaient antérieures à celles de Rome, Carthage avait dépassé dès lors sa période de maturité, tandis que Rome était au maximum de la sienne, en ce qui concerne du moins le système de gouvernement. C'est pourquoi le rôle prépondérant dans les délibérations était déjà dévolu au peuple de Carthage, tandis qu'à Rome le Sénat le détenait encore. Aussi, comme dans un cas le pouvoir délibératif appartenait au peuple (tei>v 1toÀ.À.rov), et dans l'autre à l'élite ('tci>v àpicrtffiV), les décisions des Romains dans les affaires publiques étaient plus efficaces». 394. Cf. supra, p. XXXIX.
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à la source commune de Diodore et d' Appien. Puisque tel
n'est pas le cas, on se contentera ici de souligner la cohérence des informations données par notre auteur sur un conflit latent qui suffisait à rendre compte des cahots de la politique carthaginoise. Tout se passe en tout cas comme si un auteur aristocratique s'était complu à souligner l'impuissance d'un régime où la populace tenait le haut du pavé 395 , ne laissant d'autre exutoire aux sénateurs puniques que d'aller s'épancher auprès des Romains ou de fuir chez Massinissa 396 ! Appien a retracé l'histoire d'une paix manquée, soulignant que les premières ouvertures, après le choc provoqué par la capture de Syphax, résultaient probablement d'un compromis entre les deux factions, puisque les Carthaginois voulaient soit obtenir la paix, soit gagner du temps jusqu'au retour d 'Annibal3 97 • Celui-ci, sur le chemin du retour, prévoit d'ailleurs que le traité, en cours de ratification, ne sera pas respecté 398 • Est-ce la raison pour laquelle, sitôt débarqué en Afrique, il se lance dans des opérations militaires visant Massinissa 399 ? Il n'apparaît pas que les Romains aient considéré cette guerre comme une violation de la trêve conclue avec eux, puisqu'elle ne suscite, chez Appien, aucune réaction de leur pa.rt400.Ses 395. Carthage est déjà une ochlocratie, pour reprendre la terminologie de Polybe, 6, 57, 9. 396. Appien, qui appartenait lui-même à la haute société d 'Alexandrie, est certainement favorable aux aristocraties locales, dont il comprend les difficultés et épouse volontiers le point de vue. Je reviendrai sur cette question dans l'introduction générale de cette édition. Il tombe néanmoins sous le sens qu'il trouve chez sa source matière à interpréter les événements en ce sens. 397. Il est significatif que, dans la tradition suivie par Appien, Annibal est rappelé (31, 129) avant les premières ouvertures de paix (31, 130). C'est d'ailleurs pourquoi les négociateurs ne mettent sur le tapis que le rappel de Magon (32, 135). A défaut d'être exacte, cette tradition a le mérite de la cohérence. 398. 33, 139. 399. 33, 140-142. 400. Et cela se conçoit dans la mesure où Annibal agit comme allié
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incidences ne s'en font pas moins sentir à Carthage même, puisque la prise de Narké par Annibal (33, 142) est antérieure à l'acte de piraterie qui marque le début de la rupture avec Rome (34, 143). Dans cette affaire, il faut sans doute supposer que la source d' Appien distinguait l'occasion (I 'échouage des transports romains) et la cause profonde (les succès d' Annibal). C'est en effet dans ce contexte que prend sens le conflit entre la faction antibarcide, qui veut préserver la paix, et la faction barcide, qui pousse l'amiral Asdrubal à commettre l'irréparable. Encore faut-il bien voir que l'attaque des ambassadeurs visait moins les Romains eux-mêmes que le sénat de Carthage, où dominaient, semble-t-il, les partisans de la paix. C'est d'ailleurs pourquoi cet organe suprême reproche son attitude au peuple (3S, 149) qui, aigri par les démagogues et rempli d'animosité envers les sénateurs, décide d'appeler Annibal (3S, 150) : sans doute faut-il comprendre qu'il lui confie, in absentia, le commandement de la guerre contre Rome. Or Annibal conseille d 'amnistier Asdrubal, ce qui n'est pas invraisemblable 401 , et concentre toutes les troupes disponibles. Mais, après un premier échec à Zama et la perte de son ravitaillement, le stratège punique sollicite la paix par le truchement de Massinissa, en soulignant « que les crimes commis antérieurement avaient été le fait du peuple ou de gens plus insensés que le peuple » (37, 155) : il est clair que, par cette déclaration, Annibal se désolidarisait de la prétendue faction barcide, et Appien note que le sénat de Carthage accueillit avec satisfaction cette démarche de paix (38, 157). C'est alors que le peuple se déchaîne contre Asdrubal (38, 158), et l'on peut penser que cette journée d'émeute avait pour objet de montrer à Annibal, vilipendé en paroles, quel sort serait le sien s'il n'obéissait de Venninas, lequel, selon Dion Cassius, aurait été investi par Rome. Ici encore, la tradition suivie par Appien ne manque pas de cohérence. 401. Il ressort en effet de Tite-Live, 30, 7, 7, qu 'Asdrubal était lié à la f actio Barcina.
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pas à l'injonction du dèmos d'avoir à reprendre les armes (39, 161). Annibal, après avoir fait savoir à Scipion que l'armistice était rompu402 , perdit ainsi la bataille décisive, permettant au parti de la paix de renouer avec Scipion en lui envoyant ses chefs comme ambassadeurs (49, 213 sq.). Leur retour provoqua de nouvelle émeutes, l'dyopaiov 1tÀ:i;9oçs'en prenant aux magistrats (SS, 239-240) et appelant Annibal en consultation. Ce dernier ayant donné son appui au parti de la paix, les violences redoublèrent : Annibal fut abreuvé d'injures et certains notables cherchèrent refuge, nous dit Appien, auprès des Romains ou de Massinissa (SS, 242). Après un dernier soubresaut (56, 243 sq.), le peuple finit par s'incliner devant la fatalité de la paix, obtenue à des conditions plus dures qu'à l'origine. Tel était le prix à payer pour une résistance insensée. Tout au long de ce récit, le sénat punique incarne la sagesse, tandis que le dèmos, jouet des démagogues, est en proie aux fureurs de l'a.vota. Annibal, loyal serviteur de sa patrie, n'est plus que l'exécutant d'une politique insensée qu'il désavoue. Il est possible et même probable que la source d' Appien simplifiait une réalité plus complexe. Il n'empêche qu'elle paraît bien informée et, s'il faut penser à un annaliste, on avancerait volontiers le nom de Cincius Alimentus qui, fait prisonnier par Annibal et bien traité par lui, n'avait aucune raison de le présenter sous un jour défavorable. Si ce sénateur passa à Carthage les années de sa captivité, probablement dans la demeure d'un homme de son rang, il serait concevable de trouver chez lui les échos plus ou moins déformés des conflits qui déchiraient Carthage, assaisonnés de quelque incompréhension pour les agissements de la plèbe locale. Ce pourrait être, plus vraisemblablement 402. 39, 161. La source d' Appien insistait ainsi sur la correction d'Annibal qui, depuis qu'il a rallié la faction sénatoriale, devient un modèle de droiture et de loyauté.
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que Sosylos403 , la source commune de Diodore et d'Appien. Je ne pousserai pas plus loin l'analyse. Mais il me paraît certain que, pour cette période, Appien a fondu, avec beaucoup de talent, plusieurs sources annalistiques et d'autres encore peut-être, plus inattendues, comme Ennius. A travers lui, nous entrons de plain-pied dans une historiographie romaine perdue, certainement prélivienne, peut-être même pré-polybienne ou, si je puis hasarder ce néologisme, para-polybienne. Encore faut-il souligner que dans cette première partie du Livre Cartha.ginois la fusion est généralement réussie, et que rares sont les épisodes où l'incohérence du détail trahit une juxtaposition dont l'historien moderne se plaint à juste titre, sans toujours songer qu'elle contribuait à l'intensité dramatique.
II- La me guerre punique A-
APPIEN ET POLYBE
Que Polybe, qui assista à une partie au moins du siège de Carthage, ait été pour ses successeurs une source pour ainsi dire obligée, cela a été depuis longtemps reconnu. On ne peut pas s'expliquer autrement tant de similitudes entre les différents témoins de la tradition. Encore faut-il remarquer que I 'Achéen n'était pas sur place durant le consulat de Censorinus et de Manilius 404 , pas plus d'ailleurs que pendant celui de Pison, et qu'il écrivait à la gloire de Scipion Emilien, stratège génial réussissant là 403. On voit mal pour quelle raison celui-ci aurait mis l'accent sur le conflit entre le peuple et le sénat de Carthage. Ce genre de problème pouvait en revanche intéresser un sénateur de la génération de Caton, et je serais surpris que l'on n'eût pas cherché, dans ce milieu, à analyser les causes de la faiblesse de Carthage. 404. Cf. Gsell, o. c., p. 336 et 345.
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où ses prédécesseurs avaient échoué 405 • On ne connaît qu'un seul historien romain témoin oculaire de la chute de Carthage : le très jeune Fannius, ami de Tiberius Gracchus, beau-frère d'Emilien. Des années plus tard, probablement après son consulat (122 av. J.-C.), ce sénateur composa un ouvrage historique, dont Plutarque fit usage à propos des Gracques et qu 'Appien lui-même pourrait, on l'a vu, avoir suivi dans le Livre Ibérique. L 'œuvre de Polybe devait être, à cette date, en grande partie publiée, et il n'est pas impossible que le Latin se soit borné à enrichir de souvenirs personnels la trame fournie par le Grec, tout en transfigurant Emilien, mort subitement en 129 av. J.-C., alors qu'il était très contesté, pour en faire une image emblématique de la nobilitas, fort opportune durant les années d'incertitudes qui suivirent le vote des lois semproniennes et le meurtre légal de leur initiateur. Bref, les deux seules œuvres historiques écrites par des témoins oculaires étaient à la fois entachées de partialité et indissociables du contexte politique romain. Cette évidence ne paraît avoir échappé ni à TiteLive, ni à Dion Cassius, qui, autant que l'on peut en juger à travers les résumés dont nous disposons, s'employèrent à rééquilibrer la narration des événements dans un sens plus favorable aux compétiteurs de Scipion, en particulier Mancinus. Il subsiste toutefois une inconnue, et de taille : nous ignorons jusqu'au nom des auteurs sur lesquels s'appuyaient Tite-Live et Dion pour corriger les historiens jugés trop favorables à Emilien. Mais cette inconnue est assortie d'une certitude : Appien a entièrement négligé ce que j'appellerai, faute de mieux, la tradition livienne, ce qui ne signifie pas pour autant que l'on doive l'inscrire parmi les abréviateurs de Polybe. L'idée fut pourtant avancée, dès 1867, par B. Fahland406, avec de bons arguments. Mais cet auteur, qui 405. Cf. Polybe, 36, 7, 6 et Gsell, o. c., p. 344. 406. B. Fahland, Appianum in Bello Punico tertio descrihendo auctore u.rnm esse Polyhio, Greifenwald, 1867. Je remercie la Biblio-
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défendait à proprement parler une thèse, eut la faiblesse de ne pas tenir compte des faits susceptibles de la ruiner. Pourtant, St. Gsell407 estimait encore qu 'Appien s'était borné à abréger Polybe tout en l'embellissant d 'ornements rhétoriques. Cette façon de voir avait été néanmoins contestée par Ed. Schwartz408,qui mit l'accent sur les différences et supposa qu 'Appien ne connaissait Polybe qu'à travers une Zwischenquelle, probablement latine. L'objection fut retenue par de nombreux savants409 , en particulier Walbank dans son Commentaire de Polybe410 • Je la crois en grande partie fondée, mais pas entièrement. Raisonnons sur un exemple concret. Tout le monde admet à juste titre que la fameuse description de Carthage (95,448 sq.) remonte en dernière analyse à Polybe. Mais Appien commet une grave erreur en s'imaginant que l'isthme était barré par trois hautes murailles411 , alors que le système défensif reconnu par le général Duval après la IP guerre mondiale ne comportait qu'un mur, précédé d'une palissade et d'un fossé. Devons-nous admettre que l' Alexandrin a mal compris son modèle ? Certainement pas, puisque l'erreur se retrouve chez son contemporain Florus412 • Nous sommes donc fondés à supposer, entre Polybe et Appien, une source intermédiaire, très probathèque Nationale et Universitaire de Strasbourg d'avoir consenti à me communiquer ce vénérable opuscule. 407. St. Gsell, HAAN, 3 (1918), p. 337-338. Ce savant concluait ainsi : « Mais, à notre avis, on ne trouve nulle part dans Appien la preuve évidente d'un mélange de Polybe avec des indications qui proviendraient d'ailleurs : il parai"t bien s'être servi de l'historien grec sans intermédiaire et de lui seul ». 408. Ed. Schwartz, RE, S (1), s. v. Appianus, 220-221. 409. Citons en particulier Kahrstedt, Forschungen ... (1910), p. 624628 --auteur dont l'autorité fut considérable. 410. Walbank, o. c., 3, p. 656 et 718. 411. 95, 450. 412. Florus, 1, 31 : nudatus el primus et sequens, iam et tertius murus, cum tamen Byrsa, quod nomen arci fuit, quasi airera civitas resistebat ...
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blement latine, à laquelle Florus s'est également reporté. Mais le recours à cette source n'exclut pas l'utilisation ponctuelle du texte original de Polybe, au moins sur des points de détail. En voici la preuve. Comparons à Appien (132, 628-630)413 le fragment 21 du livre 38 de Polybe, si mutilé soit-il. Cette scène fameuse fut certainement portée à la connaissance du public par Polybe, qui en fut le confident. Or, chez Appien, le récit est introduit par un À.&yEtat414 et l'intervention même de Polybe annoncée par un q>acri415 • Puis, au début du chapitre suivant (133, 631), Appien ajoute enfin : 1eai taôE µèv IloÀ.uôtoç aù-roç d1eo6craç cruyypaq>Et.Devons-nous comprendre que Polybe est en fait l'anonyme, ou qu 'Appien a seulement vérifié chez Polybe l'exactitude du récit donné de cette affaire par un autre auteur, qu'il ne nomme pas - probablement celui auquel il emprunte la relation du suicide de l'épouse d' Asdrubal416 ? En faveur de la seconde hypothèse, je remarquerai d'abord que les signes d'amitié et même d'intimité 417 entre Polybe et Emilien ont disparu chez Appien. Il apparaît d'autre part qu' Appien (comme d'ailleurs Diodore418 ) se bornait à résumer le contenu de 413. Ce passage d' Appien est abusivement imprimé parmi les fragments de Polybe (38, 22). 414. 132, 628 in fine. 415. 132, 630, infine. 416. Le récit, pareillement introduit par un À.ÉyEtat (131, 626) se clôt sur un cbôE µtv q,acn (132, 628). Aucune trace chez Appien du commentaire moral dont Emilien assortit chez Polybe la reddition d'Asdrubal : cf. S. Lancel, infra, note ad /oc. 417. Dans ce qui reste de Polybe, nous lisons que, dans son émotion, Emilien se détourna aussitôt (t1tt'l, Ka.ÀOVµiv, ÙÂ.Â..OÙKoÎô' Ô7tù>Çtyci> ÔÉÔla Kai 1tpoopcoµat µ11 1tOtÉ tlÇ ÜÂ.Â.OÇ tOÙtO tO 1tapayyeÂ.µa ÔCOO'Et 1tEpi tftc; ftµetÉpac; 1tatpiôoc; ». Appien reprend par tôeôiet le ÔÉÔlade Polybe, alors que la crainte éprouvée par Emilien a disparu du résumé de Diodore. 420. Walbank (o. c., p. 724) pense qu'il s'agit de l'ordre-de brûler Carthage, donné par Emilien. Il faudrait alors comprendre que celui-ci redoutait qu'un autre n'ordonnât un jour d'incendier Rome. On peut objecter que le général romain regardait brûler le sanctuaire d' Asclépios, incendié par des desperados. Mais 1tapayyeÂ.µa a aussi le sens de « précepte moral », le locus classicus étant fourni par Isocrate, ad Demon., 44 : Kai tOÙ µÉÂ.Â.ovtoc;xpovou 1tapayyeÂ.µa KataÂ.t1tdv. Un Romain pourrait se trouver un jour en situation de citer à propos de l'Urbs le « sage avis » donné par Hector à propos de Troie. 421. Cette citation est plausible : Caton avait lui-même cité un vers de l'Odyssée (10, 495) à propos des exploits d'Emilien : cf. Polybe, 36, 8, 7. 422. Cf. Astin, foc. cit .. Ce serait une entreprise vaine que de solliciter la partie désespérée de ce fragment, tant les lectures sont incertaines. 423. L'émotion d'Emilien serait d'autant plus compréhensible que Troie était sans doute pour lui la mère patrie des Romains.
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de Polybe424. J'estime pour ma part que l'ordre suivi par Appien (spectacle de l'incendie provoquant les larmes du Romain, qui se remémore les vers d'Homère et répond enfin à la question de Polybe) est peut-être plus proche de l'original que celui de Diodore (pleurs devant le spectacle de l'incendie, interrogation de Polybe, réponse de Scipion qui cite Homère à l'appui de ses pensées)425. Mais, chez Appien, une relative fidélité au modèle n'exclut jamais l'interprétation personnelle. Alors que Polybe félicite l'heureux vainqueur d'avoir eu conscience de l'instabilité de la Fortune ('tllV 'tllÇ 'tl>XllÇè1ttcnpaÂ.etav) - et c'est bien ainsi que l'entend l'auteur anonyme cité par la Souda426-, reprenant ainsi des considérations morales déjà développées à propos de PaulEmile427,Appien fait intervenir une conception plus éla424. Gsell, o. c., p. 406, n. 3, signalait déjà de notables différences entre les fragments des deux auteurs. 425. Soulignons que les pleurs d'Emilien n'apparaissent nulle part dans l'extrait de Polybe, dont le début est très mutilé. On peut certes tirer argument de l'état désespéré du manuscrit. Mais on peut aussi se demander s'il ne s'agit pas d'une addition post-polybienne. C'est une question préalable à toute discussion sur la sensibilité du personnage (on lit seulement, en 28, 20, < ...> cruµ1ta9Eiç yEvoµÉvouç < ...>, qui doit s'appliquer à l'émotion ressentie par les Romains devant le suicide de la femme d' Asdrubal et de ses enfants. 426. Souda, s. v. cima.9µrrrov· 1eai -rè>1totrin1eè>vEl1tdv « ËO'O'E-rat ~µap éhav 1to-r' ÔÂ.COÂ.TI ÏÂ.toç lp11 ». Kai -roü-ro El1tdv -rè>-rrov civ9pco1trovcia-ra.9µri-rov dvat Â.oytÇ6µevoç. Rappelons que, selon Cicéron, De off., l, 90, Panaetius témoignait de ce qu'Emilien avait conscience de la fragilité des choses humaines et de l'inconstance de la Fortune (rerum humanarum imbecillitas varietasque fortunae) --ce que l'on admettra volontiers puisque, selon Polybe, 29, 21, son père Paul-Emile citait volontiers Démétrios de Phalère. Curieusement, le philosophe punique Clitomaque [cité par Stobée, Florilège, ill-IV, p. 233 Meineke] insistait lui aussi sur l'instabilité des affaires humaines : OÙÔÈV 't©V civ9pro7ttV©V ~ÉOOlOVêO"ttV,ciÂ.Â.à 1tCJ.V'tŒ -avec en plus l'idée que le mouvement des choses ne comporte aucune logique. 427. Cf. Polybe, 29, 20, où le vainqueur de Persée est félicité de sa modération dans le succès.
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borée de la métabolé : ce n'est plus la sanction morale de l 'arrogance 428 , mais une loi universelle que ce changement, orchestré par la Divinité429 , conduisant toute chose vers sa fin. Encore que cette vision soit aussi celle de Polybe430 , on peut penser qu'Appien superpose ici sa propre conception de l 'Histoire 431 , plus téléologique que celle de Diodore, chez qui Emilien pleure parce qu'il vient de prendre conscience que la métabolé s'opère « selon la Fortune » 432 , comme déjà à propos de la mort de la femme d 'Asdrubal 433 • Or la métabolé dont il est question chez Appien n'est pas seulement celle des régimes politiques, théorisée par Polybe434 • Il s'agit d'une loi générale touchant tout ce qui vit, très fortement exprimée dans le IlEpi 1tOÀt-rEiaç 428. Le thème est aussi banal chez Polybe (cf. en 38, 20 le commentaire accompagnant la reddition d'Asdrubal; voir aussi 29, 21, 2: 'tO uÂ.a1CtEio8a1 1eai 111e1ataq>povtifü 1tapaypu1tvda8a1 Ô ôEÎ 7t01TJOŒl, K'.Œl Otpattrot@V. "Ev0a OtpŒ'tTJYOÇ àya0oç tVOTJOEV n vaç tmv EÙtoÀ.µotutrov 1tapa1eaÀ.Éaaçt1tayyEÀ.ia1ç1eai nµaiç 611.iyouç,olç pg.ov àvaôaivEtV EttE fü' aùtt;ç ttiç ouoxropiaç, EitE füà KÀ.tµu1erov, t1epUîTJOE ttiç 7tpuç,Eroç·U7tOKata6uvtEÇyàp tvtoç tElXOUÇTl7tUÀ.tôaôlÉKO'l'ŒV Tl7tUÀ.TJV àVÉC!)ÇŒV. 484. Probablement les miliciens gardant le chôrion. 485. Il faut comprendre qu'il existait un espace entre la base du mur et le bord de la falaise, et que les Romains avaient pris pied sur ce boulevard extérieur. 486. Qui veut faire de lui un téméraire et une « tête folle ».
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Il fallait exploiter ce premier succès, et Mancinus envoya - forcément par mer - un message à Pison, qu'il croyait encore à Utique 487 : mais celui-ci était déjà parti en expédition vers l'intérieur des terres 488 et la situation risquait de devenir critique si Emilien, débarqué à Utique dans la nuit, n'avait pas fait diligence. Attaqué au matin par les Carthaginois, et repoussé vers le mur (donnant sur la mer) par des forces supérieures 489 , il allait être précipité du haut de la falaise 490 quand l'arrivée de la flotte d'Emilien brisa l'élan des Carthaginois. C'est à partir de ce point du récit que divergeraient la tradition d' Appien et celle de Zonaras. Selon l'interprétation usuelle d' Appien, Emilien aurait profité d'un léger mouvement de repli des Carthaginois (µtKpôv yàp û1tox_copt1Gavtcov t&v Kapx.t1oovicov) pour évacuer la position et renvoyer Mancinus à Rome 491 • Mais, si telle avait été réellement son intention, pourquoi aurait-il fait charger de vivres les trières d'Utique 492 ? Chez Zonaras, 487. Ce détail implique que Mancinus était en mer depuis un certain temps. Chez Appien, le message est adressé aux magistrats d'Utique. 488. Appien et Zonaras s'accordent sur ce point, le premier oubliant toutefois de dire où se trouvait Pison. Le départ en campagne du consul sortant est d'ailleurs inexplicable, à moins d'admettre qu'Emilien débarqua à Utique plus tôt que prévu et que ses prédécesseurs croyaient avoir encore du temps devant eux pour remporter quelques succès. 489. Appien, 114, 541, est parfaitement clair sur ce point. Mais les mêmes détails devaient figurer chez Dion Cassius. Les deux auteurs étaient conscients de la situation critique où se trouvait Mancinus. 490. On ne comprend pas, en lisant Appien. pourquoi Mancinus ne rembarque pas au moins ses blessés. Sa flotte s'est pour ainsi dire volatilisée. L'explication la plus simple est sans doute qu'il avait envoyé ses navires à Utique chercher des vivres et des renforts. Il ne pouvait donc évacuer la tête de pont avant leur retour. 491. Appien, 114, 542. Ce qu'admet De Sanctis, o. c., p. 58 et 60. Le maintien de Mancinus lui paraît absurde (p. 62, n. 90). Mais on a vu que le sens de aùtiKa prêtait à discussion. 492. Appien, 114, 539. Tous les habitants d'Utique qui avaient passé l'âge de combattre furent réquisitionnés pour charger ce ravitaillement. Or quel général ferait transporter des vivres dans une posi-
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l'adversaire se replie également (oùx û1ttµetvav ttt àÂ.Â.,CÎVEXIDPllCJŒV), cette fois pour renforcer d'un fossé et d'une palissade le diateichisma protégeant leurs maisons493, et rappeler Asdrubal 494. C'est évidemment que les Puniques ne se jugeaient pas capables d'affronter en rase campagne les renforts débarqués par Emilien 495, qui, selon Zonaras, laissa - provisoirement sans doute - à Mancinus le commandement des Mégalia. Cette version des événements, qui doit dériver de Tite-Live, ou des sources perdues de celui-ci, n'est pas moins crédible que celle d 'Appien, où des manipulations manifestent, me semble-t-il, le « ressentiment » dont Emilien poursuivit plus tard Mancinus. b) Le « camp retranché » punique Selon Zonaras, Emilien se rendit ensuite auprès de Pison, pour prendre le commandement des troupes. Mais, tion qu'il se propose d'évacuer ? -L'édition de Viereck-Roos adopte en 114, 539, le texte des apographes -en fait celui de L, qui n'est pas antérieur à 1350 : se;tàc; tpl 11pëtc_;.Mais on ne rend pas compte ainsi Il faut écrire se;tàc; UUTO>V tp111de la leçon de V se;aùtcov tp111pë1c_;. pëlÇ, et comprendre que le consul avait réquisitionné tous les moyens de ses alliés d'Utique, y compris leur flotte. -Emilien prit donc la mer, autant qu'il me semble, avec les navires arrivés de Sicile en même temps que lui, ceux de Mancinus et enfin ceux d'Utique. Cela faisait du monde, et l'on comprend l'inquiétude des Carthaginois. 493. Kai tacppëuµacn Kai CJtaupmµacn T0 1tpo TO>V olK\O>VôlaTf:lXlCJµaôlëcpuÀ.açav. 494. Lequel se trouvait probablement à Néphéris. Appien a pris soin d'indiquer (111, 521-522) que, durant le consulat de Pison, les Carthaginois avaient été militairement très actifs dans la chôra. La situation exigeait le rappel de troupes aguerries par une année de campagne. 495. Le débarquement de renforts est implicite chez Appien, puisque les « trières » d'Emilien étaient bondées d'hommes (114, 542 : µEcrtai 1tavtux60ëv 01tÀ.1trovScpEçtep Mayx:ivcp tnttt0ɵevov ... 506. Zonaras ne fournit aucun détail. L'explication la plus simple est que l'arrivée d'Emilien du côté de l'isthme obligea l'ennemi à partager ses forces. En fait, l'immensité du périmètre à défendre affaiblissait les Carthaginois, qui d'ailleurs ne disposaient que de 30 000 combattants (120, 571). -· La chronologie des événements demeure incertaine : il suffisait sans doute d'une journée à un cavalier pour porter un message à Néphéris, et de deux journées environ à Asdrubal pour gagner Carthage. On peut supposer que Mancinus disposa d'au moins trois journées de répit, voire d'un peu plus. Emilien lui-même ne mit peut-être pas beaucoup plus de temps à parcourir avec les troupes légères la distance séparant le camp de Pison (dans la basse vallée de la Medjerda ?) des murs de l'isthme. On peut conjecturer sans trop de risques que quelques journées seulement s'écoulèrent entre la prise des Mégalia par Mancinus et l'entrée d'Emilien dans Mégara. 507. On conçoit que les Carthaginois cherchent à l'empêcher de pousser son avantage en édifiant un charax à cinq stades du diateichisma, et que les troupes aguerries arrivées avec Asdrubal y prennent aussitôt position. 508. Le verbe ÈmxetpÉco (117, 557) et le substantif Èmxdp11atç
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évacué les Mégalia. Les Romains pouvaient certes continuer à ravitailler par mer leur tête de pont : ils avaient surmonté de plus grandes difficultés au cours de la 1ère guerre punique, lors du fameux siège d 'Eryx. Mais Scipion conçut probablement le plan -risqué509 - et d'accomplir un exploit égal à celui de Mancinus et de dégager définitivement celui-ci en prenant le contrôle de tout le faubourg nord510 • L'attaque, nous dit Appien, prit les Carthaginois de flanc (tv 1tÀeupaîç), et l'on admet à juste titre qu'elle fut lancée contre le rempart regardant vers la Sebkha er Riana, moins bien défendu, semble-t-il, que le mur barrant l'isthme. Zonaras et Appien s'accordent sur l'essentiel. Selon Zonaras, le gros de l'armée, encore commandé par Pison 511 , prit position en face d'une porte, selon toute vraisemblance la porte principale (118, 560) ont déjà chez les historiens classiques (dont Thucydide) le sens d'entreprise militaire, attaque : cf. BC 1, 45, 20 où1e €1tEXEipouv OÙOÉîEpoç OÙOEîÉpcpoui cpoôov. Dans le Livre Syriaque, 52, 264, lmxdp11µa est même employé au sens de 6pµ11-rT1ptov(base d'opérations). On n'en saurait déduire que le choix de ces termes impliquait, dans l'esprit d 'Appien, que l'opération lancée par Emilien eût avorté. 509. Le verbe à1to1tE1pciÇrosignifie « tâter l'adversaire ». Le chef qui tente ainsi un essai peut aussi bien rompre le combat en cas d'échec qu'exploiter un succès. Une 1tEÏpa peut même durer plusieurs pou jours avec des péripéties variées : cf. BC 1, 90, 417 : 1toÀ.u11µÉ o' aù-rq>1eai.1t011C1Â.11Ç îflÇ 1tdpaç yEvoµÉv11ç. 51 O. On verra sur la carte dressée par S. Lancel que le point 5G (emplacement possible de l'attaque d'Emilien) n'est pas éloigné de plus d'un km du point 6 nord, où l'on peut situer le camp de Mancinus. Etablir une jonction pourrait avoir été l'objectif prioritaire d'Emilien, même si le succès dépassa ensuite ses espérances. 511. Ce détail n'apparaît que chez Zonaras : à.cp11eoµÉvouôÈ:1eai. îOÙ TTdcrrovoç fio11 ÈlCElVOV µÈ:v fl;ro îOÙ tdxouç aùÂ.iÇEcr0at lCUîCl nvaç 1tuÀ.açÈKÉÂ.EU6tm; tà tElXTI pour une exagération, alors qu'Emilien se borne à constater la situation telle qu'elle était et non telle que Gsell l'imaginait. On concédera volontiers à Walbank que le mot èiKpa (pour désigner Byrsa) n'est pas polybien. Mais Plutarque l'avait certainement utilisé à bon escient, car qui ne lui accorderait ce qu'il faut d'intelligence pour ne pas confondre une citadelle et un faubourg ? 527. On rapprochera l'expression de Polybe tftç 1t6À.Eroçèvtoç ovtaç de celle qu'utilise Zonaras, /oc. cit., titv nov 'Proµairov ouvaµ1v µ1Kpoù 1tàcrav oôcrav èvt6ç. 528. C'est à la lumière de ce passage de Polybe qu'il faut, me
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d) Le « mur de Scipion »
Si 1'on admet que l'armée romaine fit mouvement vers Carthage après s'être emparée de l'ensemble de l'enceinte extérieure, la suite du texte appelle une interprétation éloignée de celle que l'on propose généralement. Il est clair tout d'abord que le mur d'où Asdrubal précipite les prisonniers romains 529 ne saurait être que celui de Byrsa, puisque les Carthaginois sont désormais réfugiés dans l 'astu, tout comme chez Zonaras 530 • Il faut admettre ensuite que, quand Appien (119, 563) évoque l'incendie du charax punique, il s'agit de la fortification élevée en face de Mancinus, puisqu'Emilien est devenu « maître de la totalité de l'isthme »(ôÀou ôè toù lcr0µoù x:patcôv)531 • Le mot lcr9µ6ç (le « cou », au sens figuré532 ) est-il exactement _synonyme de aù:x11v (la « nuque » au sens figuré533 ), employé à trois reprises dans la description de Carthage 534 ? On ne peut donner semble-t-il, interpréter Appien, 127, 605, qui affirme qu'Emilien attaqua, au début du printemps d'une part Byrsa, d'autre part le Cothon (entendons le quartier du port). Je situerai également sur ce glacis extérieur de Byrsa les deux entrevues d' Asdrubal avec Gulussa, connues par Polybe : de ce côté-là également, la citadelle devait être protégée par une palissade et un fossé. Gsell, o. c., p. 387 et Walbank, o. c., 3, p. 696, sont évidemment contraints de transporter la scène à l'extérieur de la muraille de l'isthme. 529. Gsell maintient qu'il s'agit du rempart extérieur (« mur Duval » ). Mais on peut douter qu 'Asdrubal eût accompli un acte d'une telle sauvagerie si l'adversaire s'était contenté d'une incursion dans Mégara. Il fallait que la situation fût devenue critique. Si l'on suivait Gsell, il faudrait également supposer que les Carthaginois, remis de leur panique, avaient réoccupé au petit matin le « mur Duval » : mais cela n'apparaît nulle part. 530. L'exécution est évoquée par celui-ci après l'abandon de l'enceinte extérieure. 531. Pour établir une ligne fortifiée longeant la muraille punique hors de portée des tirs, Emilien devait d'abord faire disparaitre ce charax, établi à cinq stades de l'enceinte, donc beaucoup trop loin pour lui être utile. 532. Cf. Chantraine, Dictionnaire Etymologique, s. v. lcr0µ6;. 533. Cf. Chantraine, o. c., s. v. aùxfiv. 534. 95, 448-449. Strabon use du même terme : cf. 17, 3, 14.
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de réponse assurée535 , s'agissant d'un auteur quelquefois plus soucieux de varier son vocabulaire que d'exactitude matérielle536 • Il me semble pourtant qu 'Appien a délibérément employé isthmos dans la mesure où il ne pouvait pas écrire qu'Emilien était maître de tout l 'auchèn, dont Byrsa occupait l'extrémité 537 • Mais je suis persuadé qu'il a voulu dire qu'Emilien occupait désormais tout l'espace de part et d'autre du« mur Duval » 538 -moins Carthage proprement dite. 535. En BC 4, 60, 260, le mot lcr9µ6ç désigne l'étroit bras de mer que comble Cassius pour attaquer la ville de Laodicée, établie elle aussi à l'extrémité d'une presqu'ile. Ce sens est rare. En BC 4, 88, il évoque en revanche Lysimacheia et Cardia, aî tov lcr9µov tftç 0p~Kiou XEppovrio-ou ôtaÂ.aµôavouo-t oxrnEp 1tuÂ.at. Le mot lcr9µ6ç désigne bien ici l'étranglement donnant accès à la péninsule, mais « être maître de tout l'isthme » impliquerait dans ce cas la prise des deux villes qui le ferment, comme le « mur Duval » ferme l'isthme de Carthage. Enfin, en BC 5, 56, à propos du siège de Brindes par Antoine, Appien évoque une situation qui n'est pas sans analogie avec celle d'Emilien : OlEtaq>pEUE(se. Antonius) tftç 1tOÂ.ECOÇ 'tOVlcr9µov tv µTJVOElOEÎ Kat à7tEtEiX,tÇEv."Eo-tt o' 111tOÂ.lÇXEPPOVllO'OÇ, Â.tµtvt. Kat oÙK ~v Ëtt toiç tç Jl7tEipou (les soldats d'Octavien) 1tpoaEÂ.9Eiv dvavtEt Â.oq>q>, ôtatEtµTJµtvq, tE Kat ôtatEtEtXtGµÉvq>.L'lcr9µ6ç relie le continent à la ville, qui occupe l'extrémité de la péninsule. Il me paraît clair que les soldats d'Octavien n'auraient pu se rendre maîtres de « tout l'isthme » qu'en perçant les lignes d'Antoine, qui leur barraient l'accès à la ville. C'est pourquoi la formule employée à propos d'Emilien me paraît impliquer qu'il se trouvait désormais au delà du « mur Duval ». 536. Le mot aùxfiv réapparaît en 120, 567, où nous apprenons que Carthage était environnée par la mer, sauf du côté de l'aùxfiv - ce qui revient à dire que, dans l'esprit d' Appien, la ville occupait l'extrémité de la péninsule : cf. infra, n. 544. 537. Cf. 95, 449 : « là où se trouvait Byrsa, sur l'aùxriv ». 538. Je ne puis sur ce point partager l'opinion de S. Lancel qui, connaissant parfaitement le site de Carthage, voudrait qu'il s'agît du « pédoncule » de la presqu'île. Mais Appien n'avait pas, me semble-til, des vues aussi précises : il se représentait le continent, dont se détachait un aùxriv d'une largeur uniforme de vingt-cinq stades, avec, à son extrémité, la ville. Tout cela paraît assez éloigné de la topographie réelle, et je doute qu 'Appien ait compris, en lisant ses sources, que le « mur Duval » avait été édifié là où l'isthme était le plus étroit.
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C'est pourquoi il faut poser le problème de l'emplacement du mur construit par Emilien, pour lequel Appien est notre seule source (119, 563-120, 567). Ce mur, selon Gsell, aurait été édifié en avant du « mur Duval » barrant l'isthme. Mais nous avons vu que cet élément avancé du système de défense avait été abandonné par les Carthaginois et, puisque l 'Alexandrin précise que les Romains édifièrent ce rempart d1téxrovtrov 1toÂ.eµirovôo-ov ôpµ11v PéÂ.ouç,force est d'admettre un tracé théorique suivant, à quelques centaines de mètres de distance, l'enceinte occidentale de l'astu depuis le nord de Bordj Jedid jusqu'au lac de Tunis. S. Lancel attire mon attention sur les difficultés qu'aurait rencontrées l'exécution d'une telle ligne fortifiée courant« de la mer à la mer » 539 et ses objections ne sont pas négligeables. Je vois néanmoins trois raisons d'accepter un tracé épousant d'assez près, au moins dans quelques secteurs, les contours de la ville punique. 1) La première est qu'Emilien édifia, au milieu de son mur, une tour plus élevée que les autres, surmontée d'un belvédère en bois, d'où il voyait ce qui se passait à l'intérieur de la ville (ô0ev Ka0eropa tà yiyv6µeva tv tfi 540 • Il tombe sous le sens que d'un belvédère édifié 1t6Â.Et) en deçà du « mur Duval », le Romain n'aurait jamais obtenu une vue plongeante vers la ville, trop éloignée, mais seulement vers le t61toç eùpuxrop11çque Strabon (17, 3, 14) situe au delà du teix,oç barrant l'isthme 541 • Si l'on admet (mais ce n'est pas la seule interprétation possible : cf. 49, 214 où il s'agit du tribunal du proconsul) que ce belvédère n'est autre que l'endroit élevé où Emilien, épuisé, s'assied pour observer les derniers combats (130, 621 : èKa0tÇeto tep' tHVTlÂOÙ,tà y1yv6µeva 539. 119, 563 : ôtE'taq>pEUEV aù-rov (l'isthme) tK 9aÀ.acrcrric;bti 06.À.acrcra v.
540. Il ne pouvait toutefois pas distinguer ce qui se passait à l'intérieur des ports, protégés par leur double rempart. 541. Il semble que Strabon désigne en ces termes le fauhourg qu'Appien nomme« Mégara ».
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tcpop&v), il faut admettre qu'au moins à cet endroit le mur romain n'était guère éloigné des remparts de « Byrsa ». 2) Appien précise que l'espace délimité par le mur et les éléments défensifs tournés vers le continent ou la mer servit à Emilien de crtpat61t&ôov, et il ne mentionne pas d'autre camp. Or Emilien s'emploiera bientôt à combler l'entrée du port, en partant de la tœnia. On peut évidemment supposer qu 'Appien a oublié de mentionner l 'établissement d'un second camp dans ce secteur, ce qu'il fait pourtant soigneusement quand Censorinus et Manilius opèrent l'un du côté de l'isthme, l'autre du côté du port. On objectera que, lorsque l 'Alexandrin raconte l'attaque nocturne lancée par les Carthaginois contre les machines romaines opérant du côté du port (124, 588-590), il précise que la panique se répandit dans tout le camp romain (àvà ÔÀ.ov tè> crtpat61t&ôov), ce qui implique, me semble-t-il, que, au moins dans son esprit, le secteur des combats faisait partie du grand camp décrit en 119-120. Ainsi, quand l 'Alexandrin écrit que les fortifications romaines allaient « de la mer à la mer », il faut sans doute comprendre qu'elles s'étendaient vers le sud jusqu'à la tœnia, et cela d'autant plus facilement que, dans sa description de Carthage, la tœnia se détache de l 'auchèn (95, 449) : il est clair que, pour lui, ce dernier s'étendait jusqu'au cordon littoral fermant le lac de Tunis 542 • 3) Le mur romain et les tours qui le surplombaient étaient certainement construits en pierre 543 • Or les dimen542. Dans cette description - mutilée - la yrovia (probablement un rempart longeant la lagune de Tunis) est parallèle à une glôssa qu •Appien confond à tort ou à raison avec la taenia : au terme de cette équation, cette gônia ne mesure plus qu'un demi-stade de longueur, ce qui est absurde si tK toùfü: toù n:ixouç renvoie au « mur Duval ». Il vaut mieux comprendre que le démonstratif renvoie au dernier des trois murs censés barrer l'isthme. Si l'on suppose que ce troisième mur reliait en fait, chez l'auteur (Polybe ?) dénaturé par la source commune d'Arrien et de Florus, le « mur Duval >► aux remparts de Byrsa, on entrevoit un ouvrage partant de son extrémité en formant un saillant. 543. Le verbe olKoôoµi:ro ne laisse aucun doute sur ce point. En
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sions de l'édifice étonnent encore par leur ampleur : long de 25 stades (4 500m), haut de 12 pieds (3, 60m), épais de 6 pieds ( l, 80m), sa construction aurait réclamé environ 10 000 m3 de pierre. Comment en vingt jours et vingt nuits (soit 480 heures de travail. .. ) Emilien aurait-il pu extraire et appareiller un tel volume de matériaux, s'il n'avait pas disposé d'une carrière toute prête : les murs extérieurs de Carthage ? La même remarque vaut pour la construction du môle destiné à fermer le port, pour laquelle on utilisa des pierres de taille (fxou ot Ài9otç 544. 'tE µtyaÀ.OtÇ Kat 7tl>1CVOiÇ)
Cela dit, il faut garder en tête qu 'Appien ne connaissait pas le site de Carthage 545 et qu'il n'avait pas vu le camp /ber., 90, 396-396, à propos du siège de Numance par Emilien, Appien distingue soigneusement mur (n:ixoç) et agger (xroµa), exprimant la construction de ces défenses par des verbes différents : n:ixoç qncoooµEt, xroµa 1tEptÉ0îlKEV.S'il ne s'agissait réellement que d'un agger, comme le suppose S. Lancel dans son commentaire, voilà qui ôte toute crédibilité au témoignage d' Appien, lequel ne saurait dans ce cas suivre Polybe, expert en choses militaires, mais plutôt l'annaliste auquel il doit l'absurde « triple mur ». Si l'on veut sauver ce passage, je ne vois pas d'autre issue que de supposer qu'Emilien avait décidé de construire un mur parce que le terrain ne se prêtait pas au creusement de profonds fossés. Auquel cas la source d 'Appien aurait confondu un simple réseau de chausse-trapes avec le fossé réglementaire des camps romains. 544. Gsell, o. c., p. 381, écrit à ce propos« Quand Scipion entreprit ce grand ouvrage, il chercha, cela va sans dire < ... > à ne pas gaspiller les matériaux qu'on devait péniblement extraire et transporter avant de les jeter dans la mer ». Dans le mesure où la langue courante désigne par le terme Ài0ot notre « pierre à bâtir », il faudrait aupposer en effet qu'une partie de l'armée se consacrait à l'extraction des matériaux, ce qui n'apparait dans aucun texte. - Il reste 125, 594, où j'ai traduit n:ixoç 'fiyetpev tK 1tÀiv0covpar « il édifiait un mur de briques », puisque c'est le sens usuel du terme dans les textes littéraires. Mais le sens de « bloc de pierre équarri » est également fréquent dans les inscriptions. Il ne serait donc pas déraisonnable de supposer que, pour élever un mur sur le chôma, les Romains utilisèrent cette fois encore des matériaux de réemploi. 545. S. Lancel montre, dans les notes complémentaires, que les orientations données par Appien dans sa description de Carthage sont toutes fausses.
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qu'il décrit. Sa régularité géométrique laisse en particulier sceptique, et l'on peut même se demander si sa longueur (vingt-cinq stades, soit la largeur de l'isthme) n'est pas une donnée surajoutée, tirée de la description de la ville en 95, 448. La règle testis unus, testis nu/lus n'est jamais aussi vraie que dans le cas d'une ekphrasis comme celle-ci. Je ne pousserai pas plus loin l'examen des sources d 'Appien, plus nombreuses et moins dignes de crédit que ne le pensait Gsell. Mais je crois avoir montré ce faisant la fragilité de l'édifice construit, sur des bases illusoires, par ce grand historien. Il nous manque, pour rendre exactement compte de la prise de Carthage, un témoignage contemporain de l'événement. Le beau récit d' Appien pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses, et le rôle de la philologie critique se résume ici, comme souvent, à clarifier les données du débat.
V - La tradition manuscrite A- LA TRADffiON
DIRECTE
Nous possédons, avec le Vaticanus gr. 141 (V), la source des autres témoins de la Carchédoniaké. La démonstration en a été apportée par L. Mendelssohn546• De V dérivent cinq manuscrits primaires, dont quatre décrits dans la Notice du Livre Mithridatique : -
Laurentianus LXX-5 (L) Vaticanus gr. 2156 (P) Marcianus gr. 387 (B) Vaticanus gr. 134 (J)
Il convient d'ajouter le Vaticanus Pii II gr. 37 (D). Ce manuscrit sur papier, de la première moitié du xves., ne 546. Le lecteur voudra bien se reporter à la Notice du Livre Ibérique, p. XLIII sq.
NOTICE
CXXIIl
contient que la Préface de l' Histoire Romaine et la Carchédoniaké. Ni Schweighauser, ni Mendelssohn, ni Viereck-Roos ne l'ont utilisé. Je l'ai collationné sur photographies. Il appartient à la famille 0, comme B et J, mais n'apporte rien de nouveau 547 • Il semble toutefois à première vue qu'aucun de ces cinq manuscrits n'ait été copié directement sur V, mais que tous remontent à un commun ancêtre lui-même copié sur V. La preuve est aisée à administrer. Comparés à V, L P B J D se distinguent en effet par un fonds commun de: -38 omissions :
10, 41 toû 1tatpè>ç; 12, 47 x:ai ait. ; 21, 85 tt ; 24, 99 ôµoù ; 32, 136 aùtoiç ; 40, 169 tt ; 41, 175 µèv ; 45, 190 Ëtt ; 46, 195 Ëtt ; 46, 201 d1tè>tOÙÂ.Oq>OU ; 50, 217 tè>7tÂ.fi0oç; 52, 225 6fl ; 55, 242 µavtro6ouç ; 65, 292 Ëtt ; 69, 313 11q>OÔOU ; 70, 320 tOÙ ; 74, 341 aÂ.Â.OÇ ; 75, 347 t6tt ; 78, 361 x:ai [dans x:dx:ti]; 79, 369 tOÙ6t ; 80, 376 ŒÂ.Â.T)Ç ; 81, 382 tflV ; 83, 391 x:ai ; 88, 413 ôaat ... ~toùatv ; 98, 461 x:ai toiaot ; 101, 478 tt ; 102, 479 x:ai Â.oxµaç ; 105, 495 èç ; -106, 499 µtyaÂ.OUÇ; 106, 502 IDÇ˵tÂ.Â.tV; 109, 517 tOV ; 111, 522 ot ; 112, 530 1tro; 115, 546 x:ai ; 116, 547 tep; 125, 594 d1t'; 126, 603 ol ; 129, 617 x:ai. .. dçivatç. Trois de ces omissions se retrouvent dans les Extraits Constantiniens : 75, 347 ; 79, 369 ; 83, 391. -22 additions :
18, 74 al ; 20, 90 roç ; 27, 110 x:ai ; 30, 128 roç ; 38, 158 tt ; 40, 167 roç ; 45, 191 ~ytv ; 64, 285 µfl ; 66, 293 tt ; 71, 327 7tOÂ.ɵql ; 75, 351 èç ; 78, 364 èv ; 81, 547. Sur ce manuscrit, cf. M. R. Dilts, The manuscripts of Appian's Historia Romana, Revue d'Histoire des Textes, l (1971), p. 69.
CXXIV
NOTICE
381 ol ; 96,454 'tQl; 100,472 'tè>v; 103,488 'trov ; 119, 563 'tO ; 120, 568 ôè prior ; 123, 582 'tOÙ; 130, 621 'tE ; 124, 633 VtKllV; 124, 635 fç. Dans deux cas (27, 110 et 81, 381) l'addition se retrouve dans les Extraits. -16 transpositions :
3, 12 1tviyet x:ai ôi'l'TI V : ô. x:ai 1tv. LP BJD ; 26, 107 Macrcr. lô.V : lô. Macrcr. LP BJD ; 62, 277 x:ai '16. x:ai 'l't.V : x:ai 'l't. x:ai '16. LP BJD ; 71, 327 'tou1vôe 0tav V : 0. 't. LP BJD ; 73, 235 èÀ1tiôa post ôprov'tEÇ V : 't6vôe transp. LP BJD ; 69, 367 'tOV1t6À.eµov'tOVÔE 'tOV1t6À..LP BJD ; 80, 373 ûµrov ËXEtV : fxei ûµrov LP BJD ; 92, 430 µll'tE vauç post èÀécpav'taçtransp. LP transp. LP BJD ; BJD ; 101,478, IlauÀ.ou post êÀ.OV'tOÇ 106, 500 µa.À.tcr'tapost ai>'toutransp. LP BJD ; 101, 523 ôiç yev6µeva V : y. ô. LP BJD ; 112, 530 aù'tq> cruvexropouv û1ta'tEUEtV V : Û1t.aÙ'tq>cr. LP BJD ; 114, 542 èç 'Proµt1v aÙ'ttKa V : aù't. èç 'P. LP BJD ; 114, 544 ô O''tpa'tllYOÇô 'tllÇ xropaç.V : ô 'tllÇ X· O''tp.LP BJD ; 116, 547 ËX@V èçoucriav V : èç. ËX.LP BJD ; 127, 607 è1ti 'tà ôtacr'tllµa'ta ôta'tt0ÉV'tEÇV : è1tt'tt8Év'tEÇè1ti 'tà ô. LP BJD. -15 variantes portant sur des préverbes, du type : 17, 71 µe'ta0tcr0at V : è1tt8écr8at LP BJD ; 26, 109 µE'tQVQO''tO.V'tO)V V : µE'tQO''tO.V'tO)V LP BJD ; 75, 348 yevoµtvr1ç V : 1tpocryevoµÉVT1Ç LP BJD ; etc. -36 variantes portant sur des verbes (modes, temps, personnes), du type : 18, 74 ËyvroV : ËyvrocrtoLP BJD ; 21, 90 elÀiicp0at V : çèÀ.iJcp0rtLP BJD ; 81, 378 Û1tOO''tTJO'EtE V: û1t6crtrttE LP BJD (Exc.) ; 83, 392 èÀ.ÉyEtEV : À.ÉyE'tE LP BJD ; 105, 497 l8e8roprtto v : 8e8roprtto LP BJD ; 116, 549 è1tiiptat V : trriipto LP BJD ; 128, 613 8ta-
0tot V : ôta0tn LP BJD ; etc.
NOTICE
CXXV
-72 variantes (souvent des corrections ingénieuses) portant sur des mots autres que les verbes, du type : S, 21 Â.iµov V : 1t6Â.Eµov LP BJD ; 24, 98 tou MiÂ.x:apoç V : BouµiÂ.x:apoç LP BJD ; 30, 128 èixpt tà V : èiXPllCJ'ta LP BJD ; 46, 195 ô àyrov V : 1t6Â.eµoç LP BJD ; 51, 221 oùôèv V : µ11ôèv LP BJD ; S2, 225 ô.µapt11CJ'iaç V : àvaµapt11CJ'iaç LP BJD ; SS, 142 ôpµTIÇ V : ÔP'YTIÇ LP BJD ; 61, 267 1ttCJ'tEUEtV : CJ'K01tEUEt LP BJD ; 68, 307 ôtaÂ.UCJ'EtÇ V : ôtaÂ.Â.ayàç LP BJD ; 83, 392 KataO'KacpT)V V : KataCJ'tpOcpT)VLP BJD ; 101, 477 ôtx:a V : ôuo LP BJD ; 102, 482 û1t' V : èç LP BJD ; etc. -34 variantes portant sur des cas.
On voit ainsi que les manuscrits LP BJD n'ont pas été été copiés directement sur V, mais sur un manuscrit intermédiaire (W), différant sensiblement de V. Peut-être fautil supposer un manuscrit perdu. Pourtant, de nombreux indices donnent à penser que (W) n'est autre que L : -9, 34 : L copie çtvayoùvtt, leçon de V, puis ajoute s1 yro • P BJD donnent çevayroyoùvtt. -10, 37 : on peut considérer MaCJ'CJ'UÂ. yrov (sic !) comme une faute de L, passée dans P BJD. -10, 41 : L laisse un blanc de quelques lettres à la place de toù 1tatpôç, qu'il n'a pas su lire : P BJD sautent tou 1tatpôç sans signaler l'omission. -18, 74 : al (VT1EÇ)est une addition supralinéaire de L, insérée dans la ligne par P BJD. -24, 98 : BouµiÂ.xapoç doit être considéré comme une correction de L, passée dans P BJD. -24, 99 : L écrit l1ti 1t0Àù [ôµoù V] x:ai Kapx11ôoviouç ,:tQ~\) [ l1ti 1t0Àù V] €Àav0avt. La double faute (transposition et omission) est passée dans P BJD. -26, 107 : L omet lôrov, puis le rajoute au-dessus de la ligne, de telle sorte que P BJD ont lu lôrov MaCJ'-
~,:et
CJ'aVaCJ'CJ'T) V.
CXXVI
NOTICE
-27, 113 : x:ai. est une addition marginale de L, tirée peut-être des Excerpta et insérée par P BJD. -30, 128 : d>çest une addition supralinéaire de L, passée dans P BJD. -31, 132 : L copie la leçon de V cruµ6ouÀt\Yt0>v,puis gratte auµ- : P BJD donnent PouÀtut&v. -46, 194 : L copie la leçon de V 1taÀtôiroçtv, et ajoute v au-dessus de la ligne : P BJD donnent 1taÀtvôiroçtv. -46, 195 : L 51glose dyrov par 1t6Àeµoç : cette glose est préférée au lemme par P BJD. -53, 229 : L écrit d'abord ~tpupoç, comme V, puis corrige en "Eptcpoç, correction passée dans P BJD. -54, 235 : ft est une addition supralinéaire de L, passée dans P BJD. -SS, 242 : le copiste de L n'a pas su lire µavtroôouç. Il écrit un mot commençant par Pa- (confusion entre µ et p « couché » ), puis gratte ce qu'il avait écrit, laissant un blanc d'environ sept ou huit lettres. P BJD sautent µavtroôouç sans indiquer la lacune. -68, 306 : V donne t'à u\q> 1tpôç K.t'.À. L recopie d'abord l'à u\q'>,puis efface par grattage t et \q'>: il reste aô, que recopient P BJD. -71, 236 : L reproduit d'abord la leçon de V Àaov (dont subsiste l'accent grave), puis corrige en iôtov, passé dans les P BJD. -74, 342 : L saute tt puis le remplace par un x:ai supralinéaire, inséré par P BJD. -75, 348 : le préverbe 1tpoa]yevoµtv11ç est une addition supralinéaire de L, insérée dans P BJD. -75, 349 : L recopie d'abord la leçon de V x:at"aO'Ka'l'Œt, puis corrige en x:ataO'Kest une addition supralinéaire de L, passée dans P BJD. -119, 564 : L recopie la leçon de V èçetÉÀeo-to, qui est un barbarisme, puis ajoute te au dessus de la ligne : c'est la variante èçetetÉÀeo-to qui est passée dans P BJD. Même cas de figure en 135, 642. -120, 568 : 6è, après 1tÀtova, est une addition supralinéaire de L, insérée dans P BJD. -120, 570 : la finale -eov de 6tt8eov (passé dans P BJD) est récrite sur un grattage : L semble avoir d'abord copié la leçon de V 6tt8evto. -120, 571 : L ajoute ÀEau dessus de è1tiÀex:to,leçon de V : la variante è1ttÀÉÀEKtoest passée dans P BJD. -121, 572 : Ëo-1tÀouv, leçon de L passée dans P BJD, recouvre indubitablement ëµ1tÀouv,copié sur V. -131, 625 : la leçon de V 1tpè>çest corrigée par grattage en 1tpè>: cette correction de L est passée dans P
BJD.
CXXVIII
NOTICE
-132, 629 : L écrit d'abord comme V dv8pro1tou en abrégé, puis ajoute un ç : P BJD lisent dv9pcil7touç. -134, 633 : viKT1Vest une addition supralinéaire de L, passée dans P BJD. La conclusion me paraît s'imposer. Comme la Préface
et ses appendices, la Carchédoniaké ne figurait pas dans le modèle de L548 et a été empruntée à V vers le milieu du XIVe siècle 549 • En revanche, P et les apographes de 0 n'ont connu la Carchédoniaké qu'à travers L, dans des conditions qui restent à déterminer en procédant au classement de P BJ (D) par rapport à L. Il faut probablement supposer un intermédiaire perdu entre L et P BJD. On ne saurait expliquer autrement que L puisse s'accorder avec V contre P BJD dans un petit nombre des cas, comme en 29, 122, où èiKovtEÇ,donné par VL, est omis par P BJD, et en 30, 132, où P BJD ajoutent ç devant ôcraKtÇ. C'est probablement le copiste de ce manuscrit perdu qui a corrigé un certain nombre de fautes de L, que l'on ne retrouve pas dans P
BJD. Mais, comparés à L, leur source commune, P et BJD affichent des tendances opposées. 1) P innove peu (4 omissions et de rares fautes significatives). Il lui arrive toutefois de s'écarter de L pour retrouver un état plus ancien du texte : 548. Le tome II d'une Histoire Romaine en trois volumes, comme je l'ai montré dans la Notice du livre Mithridatique. C'est pourquoi la Carchédoniaké ne comporte pas de numérotation. 549. M. R. Dilts a montré que cinq copistes avaient travaillé à ce manuscrit. C'est L3 qui a copié la libyké (f> l 7ro, début de cahier 32v0 , fin de cahier). La fin du f> 32v0 est occupée par les premières lignes de l'lllyriké, dont le reste est perdu. Il manquait déjà lorsque Georges Tribizias, avant 1492, copia sur L l'Urbinas gr. 103. On ne sait pour quelle raison ce cahier a été inséré entre la Syriaké et la Parthiké, œuvre de L2• L'hypothèse la plus simple consiste à supposer une erreur de reliure.
NOTICE
CXXIX
-P s'accorde cinq fois avec V contre L BJD
14, 58 èx:ÉÀEUO'EVP : èx:ÉÀEUEL BJ ; 70, 316 tçtôaÀov VP : tçÉÔaÀÀov L BJ ; 102, 480 ~tacr0eiev VP : ~tacr0oiev L BJ ; 104, 491 ttai.pouç VP : ftÉpouç L BJ ; 120, 568 611VP : 6& L BJ. - P ne présente pas deux additions communes à L BJD : 2S, 102 touto addiderunt L BJD ; 130, 621 tE addiderunt LBJD. -P s'accorde quatre fois avec V et les Extraits Constantiniens contre L BJD : 35, 148 taie; Kapx116ovi.rov V Exc. P : toiç Kapx116ovi.01ç L BJD ; 83, 389 x:atacpuyeiv V Exc. P : x:atacpuy11vL BJD ; 8S, 399 Àa.ÔT)tEV Exc. P : Àa.ôottE L BJD ; 106, 500 011V Exc. P : ôEi L BJD. -P s'accorde une fois avec les Extraits contre V L BJD : 22, 136 ôpx:touvteç P Exc. : ôpx:ouvteç V L BJ. -Enfin, lorsque V présente des variantes ou des corrections, le choix de P peut différer de celui de L BJ D : 53, 230 oµrov V 1 P : f)µrov V 2 Exc. L BJD ; 66, 293 tcrtecpa.vrovtat yr,c P : : ècrtecpa.vrovto yac L BJD ; 88, 414 dvaµtµVT}O'KE0'0Eyac Exc. P : -O'KT)0"0Eypc L BJD ; 88,415 o6vacr0E yac P : o6vatcr0E ypc Exc. L BJ. Il semble donc que P dérive du même manuscrit que BJD, mais par le canal d'un intermédiaire perdu révisé dans des conditions que nous ignorons- sur V et peutêtre aussi sur les Excerpta ou sur quelque manuscrit perdu 550 • Je reviendrai sur cette question dans la Notice 550. Par exemple le manuscrit, contenant les neuf premiers livres de !'Histoire Romaine, à partir duquel furent compilés les Extraits Constantiniens, ou encore le manuscrit qui servit à combler une lacune de V au XIJCsiècle (cf. infra, p. CXXXI).
CXXX
NOTICE
du Livre Syriaque. Dans l'immédiat, nous attribuerons au réviseur de P la leçon tpttaîoç (12, 47), conjecturée depuis par Herwerden, rejetée par Viereck-Roos, mais sans doute préférable à celle de V L BJD (tpi toç). 2) 0 (représenté par BJD) se distingue de L P par : -cmq om1ss1ons : 14, 55 µèv ; 52, 227 µèv ; 64, 284 1toia ; 116, 551 7tÂ.flV ; 129, 618 1eai- è1e6Â.a1ttov [trois lignes sautées].
-deux interversions : 64, 287 aùtoîç èatt v V Exc. L P : èatt v aùtoîç BJD ; 90, 424 tI1ttv oütroç V Exc. L P : oütroç tI1ttv BJD.
-vingt et une variantes, presque toutes fautives. Une seule est retenue par Viereck-Roos (27, 110 t11v BJD : toù V L P) : on peut penser qu'il s'agit d'une correction. Dans huit cas, où la comparaison est possible, on constate que BJD ne s'accorde jamais avec les Excerpta contre V L P. En revanche, B seul s'accorde deux fois avec les Excerpta : 64, 286 0'1Ct'lf6µt0aV LP JD : 0'1Ct'lfroµt0a Exc. B ; 77, 358 1e6µaçV LP JD : 1eroµaçExc. B. Dans ces deux cas, B et les Excerpta sont fautifs. Mais il y a fort à penser que B a de lui-même commis ces fautes sans les emprunter aux Excerpta. Bref, hormis sur des points de détail, 0 n'apporte rien qui corrige ou complète L. A en juger d'après ses apographes, 0 était même plus fautif que P. En fait, le préjugé favorable dont le groupe O est l'objet depuis Schweighauser tient à ce que d'une part on ne connaissait pas P, et que d'autre part on opposait à O les médiocres apographes de L. L'éditeur pourrait être tenté de ne retenir que le Vaticanus gr. 141. Ce serait oblitérer le travail philologique accompli au cours du XIVe s. à Constantinople et proba-
NOTICE
CXXXI
blement aussi à Mistra 551 • C'est pourquoi j'ai retenu non seulement L 552 , que je crois être, pour la Carchédoniaké, un apographe direct de V, mais aussi les quatre apographes indirects, P et BJD.
B- LATRADITION
INDIRECTE
La tradition indirecte est la même que pour le Livre Ibérique et le Livre d'Annibal. Les Extraits Constantiniens permettent en particulier de combler la grande lacune accidentelle de V, probablement postérieure au XIIe siècle 553 • Il existait en effet au :xrre siècle un autre manuscrit de la Carchédoniaké, à partir duquel une main aisément datable a comblé dans les marges de V une autre lacune de 31 lignes imprimées 554 • Des corrections diverses (par grattage, supralinéaires ou marginales) ont été apportées, sans doute à l'occasion de cette révision. On peut supposer que ce manuscrit disparut en 1204, comme tant d'autres, lors de la prise de Constantinople par les Croisés. Deux lacunes assez importantes de V (fin du §443 et fin du §449) semblent correspondre à un accident ancien affectant un haut ou un bas de page recto-verso. Elles ne sont pas signalées dans V et n'ont pas été comblées au :xrre s., ce qui donne à penser qu'elles figuraient également dans le manuscrit utilisé pour compléter V. On ne peut rien dire d'autre de ce témoin perdu. Peutêtre s'agit-il du manuscrit, écrit sur au moins deux 551. Je reviendrai sur cette question dans la Notice du Livre Syriaque. 552. Les fautes, les grattages et les petites lacunes sont nombreux dans V. C'est pourquoi L 3 s'est employé à amender son modèle, et beaucoup de ses corrections sont passées dans P BJD. Il convient souvent d'en tenir compte, sans perdre toutefois de vue qu'il ne s'agit pas de leçons anciennes. 553. Elle commence en 56, 243 et s'achève en 59, 261. 554. Allant de 124, 588 à 125, 593.
CXXXII
NOTICE
colonnes, dont j'ai déduit l'existence d'une notice du Lexique Ilt pi l:uv-ral;troç. Mais la question est incertainesss_ Dans la pratique, l'éditeur ne peut tirer parti que des Extraits Constantiniens, particulièrement copieux pour ce livre, et de quelques notices de la Souda. a) Les Extraits Constantiniens556 - Excerpta De Virtutibus et Vitiis : Quatre eclogœ : 28. 29 ; 30 et 31. - Excerpta De Sententiis : Douze eclogœ : 9 ; 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16 ; 17 ; 18 ; 19 ; 20. - Excerpta De Legationibus : 1) De Legationibus gentium
Six eclogœ : 22 ; 23 ; 24 ; 25 ; 26 ; 27. 2) De Legationibus Romanorum
Un seul extrait : 10. Rappelons que, dans leur état actuel, les Excerpta De lnsidiis ne comportent plus d'extraits d' Appien. b) La Souda 551
Ce recueil a préservé treize brèves notices provenant de la Carchédoniaké, toutes empruntées à des tomes conservés ou perdus des Extraits Constantiniens : Carchédoniaké
17, 68-70 41, 173 75,351 94,442 106, 499-500
Souda
s. v. ê6ucaiou S. V.
Cl. 86 On était déjà à la troisième veille67 quand la trompette donna le signal en sourdine et c'était dans le silence le plus profond que marchait une armée si nombreuse, jusqu'au moment où les cavaliers eurent pris position tout autour de l'ennemi et que les fantassins furent arrivés à proximité immédiate du fossé. 87 Alors, pour semer l'épouvante, ils firent écla-
16
LE LIVRE CARTHAGINOIS
ter toute la gamme des clameurs, trompettes et buccins de leur côté sonnant tous à l'unisson. C'est ainsi qu'après avoir débusqué les sentinelles de leurs postes de garde, ils comblaient le fossé et arrachaient les palissades ; les plus audacieux coururent même de l'avant incendier quelques baraquements 68 • 88 Et les Africains, dans l'épouvante, sautaient sur leurs pieds au sortir du sommeil et prenaient d'autres armes que les leurs ; puis ils tâchaient de rejoindre leur poste dans la confusion, sans entendre les ordres à cause du vacarme et sans que le général luimême sût exactement ce qui se passait. 89 Les Romains les cueillaient donc au saut du lit, encore en train de s'armer et en pleine confusion : aussi incendièrent-ils encore beaucoup d'autres baraquements, massacrant ceux qui se jetaient dans leurs jambes. 90 Pour les Africains, entendre les clameurs de l'ennemi et le voir en action avait quelque chose de particulièrement effrayant, comme il est naturel en pleine nuit, quand on ne sait pas exactement quelle calamité vous surprend. S'imaginant que le camp était bel et bien pris et redoutant le feu des baraquements déjà embrasés, ils s'en échappaient de leur plein gré et se ruaient vers la campagne, comme vers un lieu plus sûr. C'est pourquoi ils fuyaient dans toutes les directions par petits groupes, au hasard, et dans le désordre ; et, tombant sur la cavalerie romaine qui avait pris position de manière à les encercler, ils trouvaient la mort.
XXII. 91 Comme il faisait encore nuit, bien· qu'il perçût les clameurs et vît l'incendie, Syphax ne bougea pas de son camp mais envoya un certain nombre de cavaliers secourir Asdrubal 69 • Leur étant soudain tombé dessus, Massinissa en faisait grand carnage. 92 Le jour venu, lorsque Syphax apprit qu'Asdrubal s'était déjà enfui, qu'une partie de son armée avait péri, qu'une autre était prisonnière des ennemis et le reste en pleine débandade, que les Romains étaient maîtres du camp et de l'armement qu'il contenait, il plia bagages et s'enfuit vers l'intérieur des terres, en pleine confusion, abandonnant tout derrière
LE LIVRE CARTHAGINOIS
17
lui, car il se figurait que, sitôt quitte de poursuivre les Carthaginois, Scipion reviendrait se porter contre lui. C'est pourquoi Massinissa put s'emparer également de son camp retranché et de l'armement qui s'y trouvait7°.
XXID.
93 C'est ainsi que, par un seul coup d'au-
dace et en l'espace d'une brève fraction de la nuit, les Romains se rendirent maîtres simultanément de deux camps et de deux armées bien plus considérables que la leur. 94 Les pertes s'élevaient chez eux à cent hommes environ, mais chez l'ennemi à presque trente mille, et le nombre des prisonniers monta à deux mille quatre cents 71 • En outre, six cents cavaliers se rendirent à Seipion quand il fut de retour. Quant aux éléphants, les uns furent tués, les autres blessés. 95 Maintenant qu'il avait en sa possession des armes, de l'or, de l'argent et de l'ivoire en quantité, ainsi que des chevaux, numides notamment, et que du seul fait de cette victoire, particulièrement brillante il est vrai, il avait mis toute la puissance de Carthage à genoux,_ Scipion distribua à l'année des récompenses pour faits d'armes et envoya à Rome les prises de guerre les plus considérables 72 • 96 Et il soumettait l'armée à un entraînement pénible, car il s' attendait à voir sous peu Annibal revenir d'Italie et Magon de Ligurie pour l 'attaquer 73 •
XXIV. 97 Voilà à quoi Scipion était occupé. De son côté, le général carthaginois Asdrubal, blessé au cours du combat nocturne, s'était réfugié dans Anda avec cinq cents cavaliers 74 • Là, il ralliait un certain nombre de mercenaires rescapés de la bataille ainsi que des Numides, et pressait les esclaves de le rejoindre pour obtenir leur affranchissement. 98 Mais, informé que les Carthaginois l'avaient condamné à mort pour avoir mal exercé le commandement, et avaient élu général Annon, fils de Bomilcar, il cherchait à s'attacher son armée 75 • Il s'adjoi-
18
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gnait des malfaiteurs, se livrait au brigandage pour s 'approvisionner et entraînait ses troupes (environ trois mille cavaliers et huit mille fantassins) en homme qui n'espère plus que dans la lutte. 99 Ses activités échappèrent d'ailleurs longtemps aux Romains comme aux Carthaginois. Scipion, de son côté, mena ses troupes en armes contre Carthage elle-même, appelant par d'insolentes proclamations l'ennemi au combat, sans que personne sortît de la ville 76 • 100 Mais l'amiral Amilcar prit la mer en toute hâte, avec cent navires, pour gagner le mouillage de Scipion, car il espérait devancer son retour et s'emparer facilement, avec ses cent trières, des vingt navires romains qui s'y trouvaient 77•
XXV. 101 Le voyant appareiller, Scipion dépêcha en avant l'un de ses officiers obstruer l'entrée du port au moyen de vaisseaux marchands ancrés de distance en distance, afin que les trières pussent s'élancer hors du port au moment favorable, comme par des portes 78• Il devait également relier les navires entre eux par leurs vergues et les attacher les uns aux autres, pour qu'ils jouent le rôle d'un rempart. 102 Ayant trouvé à son arrivée le travail < ... > il se lança dans la bataille. Comme les Carthaginois étaient criblés de projectiles qu'on leur lançait à la fois des vaisseaux marchands, de la côte et du rempart, leurs navires volaient en éclats et se retirèrent vers le soir, en piteux état. 103 Mais, tandis qu'ils s'éloignaient, les navires romains les harcelaient, usant des intervalles laissés libres pour s'élancer hors du port et s'y replier, chaque fois qu'ils avaient le dessous. Ils prirent même en remorque un navire déserté par son équipage et le ramenèrent à Scipion79• 104 Ensuite, les deux adversaires prirent leurs quartiers d 'hiver8° ; et si les Romains recevaient par mer un abondant ravitaillement, en revanche les gens d'Utique et de Carthage, souffrant de la faim, pillaient les marchands, jusqu'au moment où de nouveaux navires romains, envoyés à Scipion, procédèrent au blocus des ports ennemis et empê-
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chèrent les navires corsaires de prendre la me~•. Désormais les Puniques étaient très éprouvés par la famine.
XXVI. 105 Le même hiver82, comme Syphax se trouvait à proximité, Massinissa demanda à Scipion, en plus de sa propre armée, le tiers de l'armée romaine, et, quand il l'eut obtenu (les Romains étaient commandés par Lrelius), il pourchassait Syphax. 106 Ce dernier se dérobait jusqu'au moment où, repéré aux abords d'un oued, il rangea son armée pour livrer bataille83 • De part et d'autre, il y eut donc entre Numides, selon leur habitude, un échange nourri de tirs tandis que les Romains, se couvrant de leur bouclier, marchaient au combat. 107 Syphax, à la vue de Massinissa, se porta droit sur lui dans un mouvement de fureur ; l'autre piqua des deux à sa rencontre, plein de joie. Et un combat acharné s'engagea autour des deux adversaires. Mises en déroute, les troupes de Syphax cherchaient à franchir l'oued. C'est là qu'un coup fut porté à son cheval : l'animal désarçonna son maître et Massinissa, accourant, s'empara de celui-ci et de l'un de ses deux fils. 108 Et il les envoya aussitôt à Scipion84 • Dans cette bataille, Syphax perdit environ dix mille hommes, les Romains soixante-quinze et Massinissa trois cents. Syphax eut en outre quatre mille prisonniers, 109 dont deux mille cinq cents Massyles, de . ceux qui avaient abandonné Massinissa pour rejoindre Syphax. Pour cette raison, Massinissa les réclama à Laelius et, quand ils lui eurent été livrés, il les fit égorger85 • 8 I . Ces affirmations ne semblent guère correspondre à la réalité des forces navales en présence de part et d'autre. 82. Sur cette notation chronologique, cf. supra, n. 80. 84. En fait, après sa capture Syphax fut aussitôt remis à C. Lrelius. Le fils fait prisonnier en même temps que le père serait Vermina selon Dion Cassius (dans Zonaras, IX, 13, p. 440 c), ce que rend douteux ce que nous savons de la suite des événements en Afrique, où Vennina joue encore pendant quelque temps un rôle comme héritier de ce qui reste du royaume massyle.
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XXVII. 110 Après quoi ils marchèrent contre les Massyles et le territoire de Syphax 86 • Ils faisaient repasser certaines tribus dans la mouvance de Massinissa ; quant aux autres, ils obtenaient leur soumission par la persuasion, ne réduisant par la force que ceux d'entre eux qui refusaient d'obéir. 111 Ils virent en outre arriver de Cirta une ambassade qui leur livrait la capitale de Syphax, tandis que Massinissa recevait à titre privé d'autres émissaires envoyés par Sophonisbe, l'épouse de Syphax : ils lui expliquaient qu'elle s'était mariée sous la contrainte 87 • 112 Ainsi donc, ayant reçu la soumission de Sophonisbe, Massinissa était tout heureux de la garder ; puis, quand il retourna lui-même auprès de Scipion, il la laissa à Cirta, sans doute parce qu'il prévoyait ce qui allait se produire 88 • 113 De son côté, Scipion interrogea Syphax : « Quel mauvais génie t'a troublé l'esprit, toi qui étais mon ami, toi qui de ta propre initiative m'avais incité à me rendre en Afrique ? Quoi ! Trahir les dieux garants de tes serments, trahir les Romains en même temps que les dieux, choisir de combattre aux côtés des Carthaginois et non point de ces Romains qui naguère t'avaient secouru contre Carthage !89 » 114 Et l'autre de répondre : « C'est Sophonisbe, la fille d 'Asdrubal, dont je m'étais épris pour mon malheur ! Elle aime avec passion sa patrie, et elle est capable d'amener tout un chacun à entrer dans ses plans. C'est elle qui m'a détourné de votre amitié pour me faire embrasser celle de sa patrie, elle qui, d'une si grande prospérité, m'a précipité dans cet état d'infortune ! 115 Mais, je t'en conjure (il faut en effet, puisque je suis à vous et délivré de Sophonisbe, que je sois, cette fois du moins, loyal avec vous ... ), méfie-toi de Sophonisbe ! Prends garde qu'elle ne change Massinissa pour le faire entrer dans ses plans ! Non, ce n'est pas la peine d'espérer que cette femme choisisse jamais le parti de Rome : tant elle aime passionnément sa cité !90 »
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XXVIII. 116 Ainsi parlait-il, soit qu'il dît la vérité, soit qu'il fût en proie à la jalousie et cherchât à nuire à Massinissa dans ses intérêts majeurs. Cependant, voyant que Syphax se montrait avisé et avait l'expérience du pays, Scipion le faisait participer aux affaires, avec la faculté d'exprimer son avis et de formuler des propositions, un peu comme Cyrus en usait avec Crésus le Lydien 91 • Puis, quand arriva Laelius qui disait avoir obtenu de nombreuses sources les mêmes informations sur Sophonisbe, Scipion ordonna à Massinissa de livrer la femme de Syphax. 117 Comme l'autre s'excusait et racontait depuis le début comment les choses s'étaient passées en ce qui concernait Sophonisbe, Scipion lui ordonna, plus rudement, de ne rien distraire par la force du butin de Rome. Quand il aurait joint sa prise à la masse commune, qu'il demande alors la récompense de son choix et obtienne gain de cause, s'il le pouvait !92 118 Massinissa s'en fut donc avec quelques Romains pour leur livrer Sophonisbe. Mais il lui apportait en secret du poison et, l'ayant jointe le premier, il lui exposa la situation : elle buvait le poison ou devenait, de son plein gré, l'esclave de Rome. Sans ajouter un mot, il lança son cheval au galop et s'en alla93 • 119 Sophonisbe montra la coupe à sa nourrice, lui demanda de ne point gémir sur elle, qui mourait glorieusement, et but le poison. 120 A leur arrivée, Massinissa la fit voir aux Romains et lui donna des funérailles royales avant de s'en retourner auprès de Scipion. Ce dernier loua sa conduite et le réconforta, disant qu'il s'était débarrassé d'une femme malfaisante 94 • Puis il lui décerna une couronne pour l'attaque menée contre Syphax, et il le gratifia de nombreux présents 95 • 121 Quand de son côté Syphax eut été conduit à Rome, les uns furent d'avis d'épargner un homme qui s'était montré leur ami et allié en Espagne, les autres de le châtier pour avoir fait la guerre à des amis. Mais lui mourut, miné par le chagrin 96 •
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XXIX. 122 Lorsqu'il eut bien entraîné ses compagnons, Asdrubal dépêcha un émissaire à Annon, le général des Carthaginois, demandant qu 'Annon partageât avec lui le commandement. Il lui signalait que de nombreux Ibères se trouvaient à contre-cœur avec Scipion 97 • Si on les séduisait par de l'or et des promesses, ils mettraient le feu à son camp. Il assurait d'ailleurs que, si on l'informait de l'occasion favorable, il viendrait en personne prendre part à l'action. 123 Voilà donc pour Asdrubal ; Annon, bien qu'il rusât avec Asdrubal, ne désespéra pas de voir ce coup d'audace réussir : il envoya dans le camp de Scipion, avec de l'or, un homme sûr qui se ferait passer pour un transfuge ; cet homme, qui savait s'y prendre pour nouer la conversation avec chacun, corrompit beaucoup d'ibères et s'en revint après être convenu avec eux d'un jour. Et ce jour, Annon le communiqua à Asdrubal 98 • 124 Mais, au cours d'un sacrifice, l'examen des victimes révéla à Scipion un danger d'incendie ; aussi envoya-t-il faire une ronde partout dans le camp et éteindre tout feu ardent que l'on pourrait trouver. Et il sacrifia de nouveau plusieurs jours de suite99 • XXX. 125 Mais comme les victimes n'arrêtaient pas de laisser prévoir l'incendie, il en était profondément affecté et avait décidé de déplacer le camp. C'est alors qu'un Ibère, serviteur d'un cavalier romain, qui avait conçu quelque soupçon du complot, feignit d'être dans le coup jusqu'à ce qu'il eût tout appris, et il dénonça l'affaire à son maître ; ce dernier le mena à Scipion et la foule des conspirateurs faisait l'objet d'un interrogatoire. Scipion les exécuta tous et jeta les cadavres devant le camp. 126 Annon en fut vite informé, car il était à proximité, et il ne vint pas au rendez-vous fixé ; mais Asdrubal, dans son ignorance, arriva sur les lieux. Lorsqu'il vit tous ces corps, il se représenta ce· qui s'était passé et se retira ; et Annon le calomniait auprès du peuple, prétendant qu'il était venu pour se rendre à Sei-
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pion, mais que celui-ci l'avait éconduit 100• 127 Cette calomnie accrut la haine des Carthaginois pour Asdrubal. Vers le même moment, Amilcar lança soudain un raid contre la flotte romaine et s'empara d'une trière ainsi que de six navires de charge, mais Annon, qui avait attaqué les assiégeants d'Utique, fut repoussé. 128 Scipion de son côté, faute de résultats, leva le siège qui traînait en longueur et fit transporter les machines jusqu'à la ville d'Hippone ; mais comme là non plus rien n'avançait à son avantage, il fit brûler les machines, jugées inutiles, et, parcourant le plat pays, il gagnait l'amitié des uns et mettait au pillage le territoire des autres 101• XXXI. 129 Mécontents de leurs revers, les Carthaginois élurent Annibal général, avec pleins pouvoirs, et ils envoyèrent leur amiral, avec une flotte, hâter son passage en Afrique102• 130 Tout en agissant ainsi, ils entamaient avec Scipion des négociations de paix, car ils se faisaient forts d'obtenir au moins un résultat : ou bien ils auraient la paix, ou bien ils gagneraient du temps jusqu'à l'arrivée d'Annibal. 131 De fait, Scipion leur accorda un armistice et, s'étant fait défrayer des dépenses occasionnées par l'entretien de son armée, il autorisa l'envoi d'une ambassade à Rome 103• Les Carthaginois envoyèrent une ambassade dont les membres campaient hors les murs, attendu qu'ils étaient encore des ennemis ; puis, conduits devant le Sénat, ils sollicitèrent leur pardon 104• 132 Certains sénateurs rappelaient la perfidie des Carthaginois, tous les traités qu'ils avaient conclus, puis rompus, et toutes les atrocités perpétrées par Annibal à l'encontre des Romains et des alliés de Rome, en Espagne comme en Italie. 133 D'autres en revanche attiraient l'attention sur le fait que Carthage ne trouverait
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pas plus d'avantages à la paix qu'eux-mêmes, l'Italie étant complètement épuisée par un si grand conflit ; et ils examinaient en détail tout ce que l'avenir comportait d'inquiétant, puisqu'on allait voir sous peu Scipion attaqué par Annibal et par Magon, venus par mer l'un d 'Italie, l'autre de Ligurie, et par Annon, arrivé de Carthage, tous trois disposant de grandes armées 1°5 •
XXXIl. 134 Le Sénat, bien embarrassé, dépêcha auprès de Scipion des commissaires avec lesquels il devait définir et mettre en œuvre toute solution qu'il jugerait avantageuse 106• 135 Et Scipion conclut avec Carthage, aux conditions suivantes, des préliminaires de paix : Magon quitterait sur l'heure la Ligurie et désormais Carthage ne recruterait plus de mercenaires ; elle ne posséderait pas plus de trente navires de guerre et bornerait son champ d'action aux territoires qu'elle possédait en deçà de ce que l'on appelle les « Fosses phéniciennes » ; elle rendrait à Rome tous les prisonniers et transfuges romains en son pouvoir et lui verserait, dans un délai donné, mille six cents talents d'argent ; par ailleurs, Massinissa aurait le royaume des Massyles ainsi que tout ce qu'il pourrait des Etats de Syphax 107• 136 Tel fut l'accord conclu entre les deux parties, et des ambassadeurs firent la traversée : les uns se rendirent à Rome pour recueillir le serment des consuls, tandis que les autres passaient de Rome à Carthage où les magistrats puniques leur prêtèrent serment 108 • 137 Quant à Massinissa, les Romains lui envoyèrent, pour le remercier de son aide militaire, une couronne et un anneau d'or, une chaise curule en ivoire, un vêtement de pourpre, une toge romaine, un cheval paré de phalères d'or, et un armement individuel complet 109 •
108. Ce chassé-croisé d'ambassadeurs, à ce stade des pourparlers de paix, n'est.attesté que par Appien et n'est guère plausible.
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XXXID. 138 Tandis que les négociations étaient encore en train, Annibal, à contre-cœur, faisait voile vers Carthage 110, rempli d'appréhension quand il sougeait à la défiance du peuple à l'égard des magistrats et à l'impulsivité de ses actions 111• 139 D'ailleurs, il doutait encore que le traité entrât jamais en vigueur et il savait bien que, si l'accord se faisait, il ne tiendrait pas longtemps. C'est dans cet état d'esprit qu'il vint aborder à Adrumète, une ville d' Afrique 112• Là, il rassemblait des vivres, envoyait acheter des chevaux aux alentours et gagnait l'amitié du chef des Numides appelés Aréacides 113• 140 Et quatre mille cavaliers déserteurs vinrent chercher refuge auprès de lui ; mais, comme c'étaient des hommes de Syphax passés ensuite dans la mouvance de Massinissa, il se méfia d'eux et les fit abattre à coups de javelot, après quoi il distribua leurs chevaux à son armée 114• 141 Il fut encore rejoint par un deuxième chef numide, Mésotylos, avec mille cavaliers, et par Verminas, le second fils de Syphax, qui régnait toujours sur la plus grande partie du royaume de son père 115• Quant aux villes dépendant de Massinissa, il soumettait les unes par la persuasion, les autres par la force. 142 Voici d'ailleurs comment il fit tomber Narké dans un piège : ayant besoin de se ravitailler, il s'adressa à eux comme à des amis. Puis, quand il eut décidé de donner l'assaut, il envoya des hommes plus nombreux, avec des poignards dissimulés. Ils avaient reçu l'ordre d'en user honnêtement avec les marchands, jusqu'à ce qu'ils entendent les trompettes sonner ; alors, ils devaient assaillir quiconque se trouverait sur leur chemin et monter la garde aux portes en l'attendant 116• XXXIV. 143 Ainsi fut prise Narké. Le traité venait juste d'être conclu, Scipion se trouvait toujours sur le territoire de Carthage, dont les ambassadeurs n'étaient pas encore revenus de Rome, quand le peuple carthaginois pilla un convoi de ravitaillement destiné à Scipion, que les vents avaient poussé jusqu'à Carthage, et mit aux fers
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les hommes d 'escorte, malgré les menaces réitérées du sénat punique, qui l'adjurait de ne pas rompre un traité tout juste conclu. Mais eux trouvaient à redire au traité lui-même, dont ils contestaient la légalité, et ils affirmèrent que la famine les gênait autrement plus que sa violation ! 117 144 Cependant, Scipion ne jugeait pas convenable d'ouvrir les hostilités après la conclusion d'un traité, mais il demandait réparation, comme à des amis en faute. De son côté le peuple s'était mis en tête de se saisir de ses ambassadeurs, jusqu'à ce que ceux de Carthage fussent revenus de Rome 118• 145 Mais Annon le Grand et Asdrubal le Chevreau les arrachèrent à la foule et les firent escorter par deux trières ; d'autres persuadèrent toutefois l'amiral Asdrubal, mouillé près du promontoire d'Apollon, d'attaquer les hommes de Scipion dès que les trières
LD. Test. 225 1 oô - 228 3 -nfü;µÉvouç : Exc. de leg. gent., 25, p. 536 sq.
225 1 ô11 om. LP BJD 11225 4 dvaµaptrtcriaç LP BJD Exc. : âµaptrtcriaç V Il 225 5 1tpo1ta8dv codd. : 1tpocr- Exc. Il 225 6 YEom. Exc. Il 227 3 µèv om. BJD Il 227 5 µaÀ.tcrta om. Exc. Il 227 6 dpxfiç ... dé;iroµa Exc. : dé;iroµa ... dpXTJÇcodd. LUI. Test. 229 1 tocraùt' - 233 4 ÔOKtµacru : Exc. de leg. gent., p. 536 sq 229 1 "Eptq>oç LP BJD : ~Épupoç V Exc.
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nos traités et, pour finir, vous avez été jusqu'à outrager naguère des ambassades si ouvertement et avec un tel mépris des lois divines que vous ne niez ni ne contestez mériter le dernier châtiment 176 • 231 D'ailleurs, à quoi bon accuser des gens qui reconnaissent leurs forfaits ? Vous en êtes réduits aux supplications, vous qui n'auriez même pas laissé subsister le nom des Romains, si vous l'aviez emporté ! 232 Mais, en ce qui nous concerne, jamais nous ne ferons la même chose que vous. Tant il est vrai que .vos ambassadeurs, encore présents à Rome quand vous aviez rompu le traité et molestiez nos ambassadeurs, notre cité les a laissés partir, et que moi-même, quand ils sont venus aborder dans mon camp, je les ai renvoyés chez vous sains et saufs, bien que déjà vous fussiez en guerre 177 • 233 Puisque vous vous condamnez vous-mêmes, il vous faut considérer comme un avantage tout ce que vous obtiendrez. Je vais donc vous signifier mes décisions, et le Sénat fera voter celles qu'il approuvera.
LIV. 234 Nous vous accordons cette fois encore la paix, Carthaginois, si vous livrez à Rome vos navires de guerre, sauf dix, tous les éléphants que vous possédez, tout ce que vous avez pillé naguère (sauf à idemniser les biens perdus, étant entendu que c'est moi qui trancherai les litiges), tous les prisonniers et transfuges, ainsi que tous ceux qu'Annibal a ramenés d'Italie 178• 235 Cela dans les trente jours à compter de la conclusion de la paix ; dans les soixante jours, il faudra que Magon quitte la Ligurie et que vous retiriez les garnisons des villes situées à l'extérieur des « Fosses phéniciennes » ; vous devrez également restituer tout ce que vous avez comme otages fournis par ces villes et verser chaque 176. Scipion fait allusion à la façon dont ses trois légats avaient été malmenés à Carthage, puis attaqués en mer à leur retour aux Castra Cornelia : cf. supra, n. 118 et J 19.
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année à Rome, pendant cinquante ans, deux cents talents euboïques 179• 236 Interdiction vous sera faite désormais de recruter des mercenaires chez les Gaulois ou chez les Ligures, comme de faire la guerre à Massinissa ou à tout autre ami de Rome 180 ; interdiction également à tout Carthaginois de participer à des opérations militaires contre ces alliés de Rome, du moins s'il est stipendié par l'Etat. Vous conserverez votre cité et le territoire que vous possédiez, en deçà des « Fosses phéniciennes », à l'époque où je passais en Afrique. 237 Vous serez aussi les amis et les alliés de Rome, sur terre comme sur mer, si cette clause convient au Sénat. L'agrément du Sénat obtenu, les Romains évacueront l'Afrique dans les cent cinquante jours. 238 Si vous désirez un armistice, en attendant d'envoyer une ambassade à Rome, vous nous remettrez sur l'heure, en otages, cent cinquante jeunes garçons, que je choisirai personnellement. Vous nous verserez également mille talents suppplémentaires pour l'entretien de l'armée, ainsi que du ravitaillement. Une fois la paix jurée, vous recouvrerez les otages 181 « .
LV. 239 Après la déclaration de Scipion, les ambassadeurs rapportèrent ses propos à Carthage ; et le peuple se réunit en assemblée durant plusieurs jours ; les nobles étaient d'avis d'accepter les propositions et de ne pas risquer, en refusant certaines d'entre elles, de perdre absolument tout. 240 Mais la foule des petits marchands considérait moins le péril présent que la perte, si considérable, de ce qu'ils possédaient ; elle regimbait et s'insurgeait de voir les magistrats, en pleine famine, préférer fournir des vivres aux Romains, pour obtenir un armistice, plutôt qu'à leurs concitoyens. Et, s 'ameutant autour de chaque magistrat successivement, ces gens les menaçaient tous de mettre à sac puis d'incendier leurs de-
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meures 182 • 241 Finalement, ils décidèrent de faire appel, pour les conseiller sur la situation présente, à Annibal qui, avec déjà six mille fantassins et cinq cents cavaliers, avait pris ses quartiers dans la ville de Marthama. Il vint donc et, alors que les modérés redoutaient que cet homme belliqueux n'excitât le peuple, il invita très posément ce dernier à accepter la paix 183 • 242 Alors, pris d'une colère démentielle, le peuple l'injuriait lui aussi et lançait des menaces à tous, si bien qu'en fin de compte les notables, désespérant de leur cité, se réfugièrent auprès de Massinissa ou même désertèrent chez les Romains 184 •
LVI. 243 Quant aux Carthaginois, informés qu 'Annibal avait accumulé du grain en quantité dans un port marchand, ils envoyèrent des navires de charge et de guerre le chercher, résolus, s'ils s'en saisissaient, à partir en campagne et à endurer tout ce que déciderait la Fortune plutôt que de se soumettre volontairement à l'esclavage de Rome 185 • 244 Mais comme le vent et le mauvais temps fracassèrent leurs navires, totalement désespérés, ils reprochaient aux dieux de conspirer contre eux. Et ils traitèrent avec Scipion et envoyèrent une ambassade à Rome. Scipion y dépêcha aussi des émissaires pour conseiller de ratifier la convention186 • 245 S'il avait donné ces instructions, dit-on, c'est qu'il pensait que tel était l'intérêt de la cité ; c'est aussi qu'informé que le consul Gnreus Cornelius Lentulus guignait son commandement, il ne voulait pas qu'un autre s'en appropriât la gloire. Du moins prescrivit-il à ses émissaires, au moment de leur départ, de dire que si Rome tardait, il traiterait de sa propre autorité 187 •
182. On retrouve là cette opposition constamment présente chez Appien (cf. déjà supra, 35, 149 et 38, 157-158) entre le sénat de Carthage, considéré comme un ensemble monolithique, et le peuple de la cité, jusqu •au-boutiste et violent.
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LVII. 246 A Rome, grande était l'allégresse d'avoir vaincu une si grande ville, qui leur avait infligé par le passé tant de tourments et occupait le second ou le troisième rang des puissances mondiales 188• Mais les sénateurs étaient profondément divisés : 247 les uns montraient encore une furieuse animosité contre les Carthaginois, alors que les autres les prenaient déjà en pitié et demandaient que, dans l'infortune d'autrui, Rome se composât une attitude décente 189• 248 Se levant alors, un ami de Scipion déclara : « Ce n'est point du salut de Carthage que nous avons à nous soucier, Sénateurs, mais des engagements de Rome envers les dieux et de la bonne opinion que les hommes ont d'elle, de crainte que nous ne dépassions les Carthaginois eux-mêmes en cruauté, nous qui les accusons de cruauté, et qu'après avoir toujours été soucieux de modération dans les petites choses, nous ne la négligions dans les grandes 190• 249 Par son importance même, le fait ne saurait demeurer caché, mais il sera colporté partout, maintenant et plus tard : anéantir une ville fameuse, un empire maritime, qui a dominé quantité d'îles, la mer entière et plus de la moitié del' Afrique 191, et qui, dans les combats qu'elle nous a livrés, a souvent fait voir à l' œuvre sa bonne fortune et sa puissance militaire ! 250 Tant que les Carthaginois voulaient en découdre, il convenait de rivaliser avec eux, mais maintenant qu'ils sont à terre, il convient de les épargner, de même qu'aucun athlète ne frappe plus l'adversaire terrassé, et que la plupart des bêtes féroces épargnent celles qui gisent sur le sol. Il est bon, dans la prospérité, de prendre garde à la vengeance des dieux et à la jalousie des hommes 192• 251 Si d'ailleurs on dresse un compte exact de tous les crimes des Carthaginois contre nous, voici vraiment le plus effroyable coup du destin : c'est que nous implorent, et seulement désormais pour obtenir leur salut, des gens qui furent en état de commettre tant de crimes si grands et qui, il n'y a pas longtemps, nous disputaient avec éclat la Sicile et l'Espagne ! 252 Eh bien,
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pour tous ces crimes-là, ils ont été punis ; mais pour ce qui est de leurs derniers forfaits, ils en attribuent la responsabilité à la faim, pour l'homme le plus insupportable des maux, capable d'ôter à chacun sa faculté de raisonnerl 93 _
LVIII. 253 Pour ma part, je n'aurai pas un mot pour les Carthaginois (ce serait indécent. .. ) et je n'ignore pas que par le passé déjà ils ont violé d'autres traités antérieurs à celui-ci. Mais ce que firent nos ancêtres en de telles circonstances pour atteindre un tel degré de fortune, voilà ce que je vous rappellerai, bien que vous le sachiez. 254 Nos voisins, tous ces peuples qui nous environnent, avaient beau faire souvent défection et rompre continuellement les traités, nos pères ne les traitèrent pas avec mépris, qu'ils fussent Latins, Etrusques ou Sabins. 255 Quant à nos voisins plus éloignés (Eques, Volsques, Campaniens et autres peuples italiens), ils les virent, sans perdre leur calme, violer les traités. 256 Et le peuple samnite qui, par trois fois, méprisa notre amitié et les traités que nous avions conclus avec lui, qui nous livra, durant quatre-vingts ans, les plus grandes des guerres, ils ne l'anéantirent point, pas plus que les autres Etats qui, contre l'Italie, s'assurèrent le concours de Pyrrhus 194• 257 Nous non plus, tout dernièrement, nous n'avons pas écrasé les Italiens qui avaient pris parti pour Annibal, même pas les Bruttiens qui, jusqu'à la fin, combattirent à ses côtés : après leur avoir infligé une pénalité des terres, nous leur avons laissé la possession du reste 195• Nous pensions respecter la piété et agir utilement dans le sens de nos intérêts matériels en évitant d'exterminer des nations entières quand nous pouvions simplement leur adresser un sérieux avertissement.
LIX. 258 Quels maux avons-nous donc subis pour modifier, quand il s'agit des Carthaginois, notre naturel qui, jusqu'à présent, fait de nous des gens prospères ?
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Est-ce parce que cette cité est trop grande ? Pourtant, par là-même, elle n'en mérite que davantage d'être épargnée. Alors, c'est donc qu'elle a souvent violé les traités conclus avec nous ? Allons donc ! D'autres ont fait de même -voire presque tous 196 ! 259 Serait-ce parce qu'elle n'est soumise présentement qu'à un léger châtiment ? Mais on leur enlève tous leurs navires de guerre, sauf dix ; ils livrent les éléphants, qui font leur force ; ils versent dix mille talents euboïques ; ils évacuent toutes les villes ainsi que le territoire qu'ils gouvernent au delà des « Fosses phéniciennes 197 » ; il leur est interdit de recruter des mercenaires ; ils restituent, alors qu'ils souffrent encore de la famine, ce que la famine leur a fait piller, et l'arbitre des questions litigieuses n'est autre pour eux que Scipion, qui leur a fait la guerre ! 260 Pour moi, je félicite Scipion de la sévérité et du nombre de ces conditions, tout en vous demandant d'épargner, eu égard à la jalousie publique et aux vicissitudes de la condition humaine, des gens qui disposent encore, jusqu'à la conclusion du traité, d'un grand nombre de navires et d'une masse d'éléphants. Et Annibal, ce général génial, possède d'ores et déjà une armée ; Magon amène de Gaule et de Ligurie beaucoup d'autres soldats ; Verminas, le fils de Syphax, est leur allié, ainsi que d'autres tribus numides, et ils possèdent des esclaves en grand nombre 198• 261 Et, si notre attitude les pousse au désespoir, ils utiliseront sans lésiner tous ces moyens : or rien n'est plus dangereux qu'un emploi massif des moyens dans des batailles où la Divinité elle-même est inconstante et envieuse.
LX. 262 Voilà, semble-t-il, les craintes qui ont amené Scipion à vous transmettre par écrit son avis et à préciser que, si nous tardions, il allait traiter. Par ailleurs, il est vraisemblable qu'il calcule mieux que nous dans cette affaire et qu'il a une vision encore plus complète
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de la situation, puisqu'il est engagé dans l'action 199• 263 Si nous n'entérinons pas ses recommandations, nous chagrinerons un patriote, un général d'élite, qui nous a aiguillonnés alors qu'une expédition en Afrique ne suscitait guère d'élan de notre part, qui s'est constitué luimême une armée faute d'en avoir reçu une de nous, et qui a fait progresser nos affaires là-bas au delà de notre attente 200 • Et l'on a le droit de s'étonner que votre attitude insouciante au début de cette guerre ait fait place maintenant à un bellicisme qui ne connaît pas de mesure. 264 Et peut-être en est-il parmi vous qui trouvent que les choses sont bien ainsi, tout en craignant que les Carthaginois, maintenant encore, ne violent le traité ? Mais il est très vraisemblable que désormais ils se rendront compte que l'on doit respecter les conventions (car ils ont souffert mille maux pour les avoir transgressées), et qu'ils feront grand cas à l'avenir du respect des dieux, puisque c'est l'impiété qui les a mis à genoux. Au reste, les mêmes sénateurs ne sauraient tout à la fois avoir méprisé naguère les Carthaginois désormais sans forces et les redouter ensuite comme susceptibles de se rebeller ! 265 Pour nous, cependant, il est plus aisé d'avoir I 'œil à ce qu'ils ne grandissent pas de nouveau que de les anéantir présentement. Présentement en effet ils combattront en désespérés, alors que plus tard nous surveillerons des gens animés d'une crainte permanente. 266 Ils auront d'ailleurs assez d'ennuis sans nous, harcelés par tous les peuples d'alentour qui leur tiennent rigueur des violences qu'ils ont autrefois subies, et Massinissa (un homme d'une totale loyauté envers vous ... ) sera toujours là pour les surveiller 201 •
LXI. 267 Mais s'il se trouve quelqu'un qui fasse fi de toutes ces raisons aussi et considère seulement son propre intérêt de manière à recueillir le commandement de Scipion 202 , avec la certitude que les faveurs de la Fortune s'offriront à lui jusqu'au bout, que ferons-nous de la
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ville lorsque nous l'aurons prise - si jamais nous la prenons ? Est-ce que nous la détruirons complètement parce que ses habitants nous ont pris du ravitaillement et des navires ? Mais ils ne demandent qu'à nous restituer cela, et bien d'autres choses ! 268 Alors, si nous agissons autrement par crainte de la vengeance des dieux et du blâme des hommes, nous la céderons à Massinissa 203? Pourtant, bien qu'il soit notre ami, il ne faut pas, lui non plus, le renforcer outre mesure mais on doit considérer au contraire que la rivalité opposant ces peuples sert l'Etat romain. Alors, nous laisserons leur territoire inculte pour en faire un terrain de pâture et en tirer des revenus 204? 269 Mais l'armée d'occupation consumera ce revenu ! Car nous aurons besoin d'une armée nombreuse, étant donné que nous serons environnés de nombreux voisins, tous barbares. Alors, nous enverrons des colons au beau milieu de tant de Numides 205? 270 Mais, si les Barbares sont les plus forts, nos colons seront perpétuellement à rude épreuve ; en revanche, s'ils ont le dessus, ils seront pour nous à l'avenir un objet de crainte et d'envie, parce qu'ils posséderont ·un immense territoire, bien meilleur que le nôtre206. 271 Je crois que Scipion a une vision d'ensemble de tous ces problèmes lorsqu'il nous invite à accueillir les prières de Carthage. Laissons-nous donc convaincre par les suppliants et par notre général».
LXII. 272 Tel fut son discours ; puis Publius Cornelius207, parent du Cornelius Lentulus qui était alors consul et s'attendait à recueillir la succession de Scipion, répliqua en ces termes : 273 « Quand on est en guerre, l'intérêt public est la seule chose utile ; et, plus on nous représente la puissance que conserve encore maintenant cette cité, plus il faut nous garder de sa perfidie en même temps que de sa puissance, et nous devons commencer 204. C'est la réduction éventuelle du territoire de Carthage en province romaine qui est ici envisagée.
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par détruire sa force, puisque nous ne pouvons atteindre sa perfidie208 • 274 Or, pour dissiper l'effroi inspiré par les Carthaginois, point d'occasion plus favorable que celle-ci, où leur faiblesse est générale et leur dénuement complet, avant qu'ils ne reprennent leur croissance dans ces deux domaines. 27S Je ne refuse pourtant pas de prendre aussi le droit en considération et je ne crois pas que notre cité en viendra à acquérir la réputation de manquer de modération, s'agissant des Carthaginois qui, quand tout va bien pour eux, abreuvent tout le monde d'iniquités et de violences, mais qui, dans l'infortune, se répandent en supplications et, si on les écoute, changent d'attitude à peine les traités conclus ! 276 Ils n'ont aucun respect des traités et ne font aucun cas des serments. Et voilà les gens dont l'orateur réclame le salut, en invoquant « la vengeance des dieux et la malveillance des hommes » ! 277 Pour ma part, j'estime que ce sont les dieux eux-mêmes qui ont réduit Carthage à ce point, pour qu'enfin elle expie son impiété. Elle qui en Sicile, en Espagne, en Italie et en Afrique même, avec nous comme avec tous les autres peuples, n'a jamais cessé de conclure des traités, de se parjurer et de commettre d'abominables forfaits. Et je vous exposerai ceux qui concernent les étrangers avant ceux qui nous regardent, afin que vous sachiez que la joie serait générale, si les Carthaginois étaient châtiés.
LXIII. 278 Ce sont eux qui à Sagonte, illustre cité d'Ibérie, liée à eux par un traité, et notre amie, tuèrent tous les adultes mâles, alors qu'elle ne leur avait causé aucun tort209 • Ce sont eux aussi qui de Nucérie, notre sujette, s'étaient emparés aux termes d'un traité de capitulation et avaient juré de laisser partir librement chaque habitant avec deux manteaux ; mais ils enfermèrent les sénateurs dans les thermes et les asphyxièrent en allu-
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LXV. 289 Tels furent les propos que tint lui aussi Publius ; le Sénat requit de ses membres un vote par tête, et l'avis de Scipion recueillit la majorité des suffrages 220 • Le traité fut donc conclu ; c'était le troisième entre Rome et Carthage 221 • 290 Scipion passait pour avoir particulièrement poussé Rome à le conclure, soit pour les raisons déjà énoncées, soit parce qu'il pensait que le simple fait d'avoir ravi à Carthage la suprématie était un succès suffisant pour les Romains. En effet, certains croient encore ceci : Scipion avait voulu, pour maintenir les Romains dans la voie de la sagesse, laisser subsister perpétuellement dans leur voisinage un antagoniste capable de les maintenir dans la crainte, pour éviter qu'ils ne s'abandonnassent jamais à l'arrogance dans la quiétude d'une grande prospérité 222 • 291 Que tel ait été le dessein de Scipion, c'est ce que Caton déclara peu après aux Romains, quand il leur reprocha de s'être emportés contre Rhodes 223 • 292 Après la conclusion de ce traité, Scipion passa d'Afrique en Italie avec toute l'armée et fit en triomphe son entrée dans Rome, avec un éclat qui surpassa ses prédécesseurs. LXVI. 293 L'ordonnance, que 1'on observe encore de nos jours, en est la suivante 224 • Tous les participants sont couronnés ; ouvrent la marche des trompettes et des chariots chargés de butin ; on fait également défiler des maquettes de fortifications représentant les villes prises, ainsi que des tableaux ou des figurations des événements ; ensuite, de l'or et de l'argent, en lingots et monnayé, ainsi que toutes sortes d'autres objets du même genre ; puis les couronnes attribuées au général, pour récompenser sa valeur, par des cités, des alliés ou les 222. Ces considérations prêtées à Scipion l'Africain ont été jugées anachroniques, comme un écho anticipé des propos que tiendra Seipion Nasica un demi-siècle plus tard (cf. infra. 69, 315 ). Pourtant, quelques années plus tard, en 167, Caton lui-même en tenait d'inspiration assez proche (cf. n. suivante).
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années qu'il a commandées. 294 Juste derrière venaient des bœufs blancs, puis, après les bœufs, des éléphants, ainsi que tous les chefs carthaginois et numides faits prisonniers225. 295 La personne du général est précédée de licteurs revêtus d'une tunique de pourpre, ainsi que d'un chœur de citharistes et de flûtistes, à l'imitation des cortèges étrusques 226; ils portent une ceinture et sont coiffés d'une couronne d'or ; ils marchent d'un pas égal, en bon ordre, avec accompagnement de chants et de danses. Si on les appelle « Lydiens », c'est, à mon avis, que les Etrusques sont des colons des Lydiens227 . 296 Un danseur, au centre du cortège, revêtu d'une robe de pourpre tombant jusqu'aux pieds et portant des bracelets et des colliers d'or, prend pour faire rire des postures variées, comme pour singer l'ennemi vaincu. 297 Après lui, quantité d'encensoirs, puis le général, derrière les fumées d'encens, sur un char décoré de peintures multicolores ; il porte une couronne d'or et de pierres précieuses et a revêtu, pour se conformer à la coutume ancestrale, une toge pourpre où l'on a tissé des étoiles d'or ; il porte un sceptre d'ivoire et une branche de laurier, plante que les Romains considèrent toujours comme un symbole de victoire. 298 A ses côtés, sur le char, sont montés des jeunes garçons et des jeunes filles, et, sur les chevaux de volée, de part et d'autre, des jeunes gens encore célibataires appartenant à sa famille. Il est escorté de tous ceux qui, pendant la durée de la guerre, ont été ses secrétaires, ses assistants et ses gardes du corps. 299 Derrière eux, enfin, l'armée farmée en escadrons et en manipules : tous sont couronnés et portent des branches de laurier ; les plus braves arborent également les décorations récompensant leur bravoure. Et ils font l'éloge de certains de leurs officiers, tandis qu'ils accablent les autres de railleries, certains même de reproches228 . Car le triomphe n'a rien de guindé, et l'on est en droit de dire tout ce que l'on veut. 300 Parvenu au Capitole, Scipion fit arrêter le cortège et, selon la coutume, il convia ses amis à un banquet dans le sanctuaire.
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LXVII. 301 Ainsi se terminait pour les Romains leur seconde guerre contre Carthage, qui avait débuté en Espagne et trouva son aboutissement en Afrique avec ce traité concernant Carthage elle-même. C'était aux alentours de la cent quarante-quatrième olympiade, selon le comput grec229 • 302 Plein de ressentiment contre Carthage et de confiance en Rome, Massinissa attaqua un vaste territoire dépendant des Carthaginois, en alléguant qu'il lui avait jadis appartenu230 • Les Carthaginois s'adressèrent à Rome pour qu'elle les réconciliât avec Massinissa. Celle-ci envoya une commission d'arbitrage, qui avait reçu pour instructions de prêter à Massinissa toute l'assistance possible. 303 C'est ainsi que Massinissa dépeça le territoire de Carthage, et un traité fut conclu entre les Carthaginois et ce roi aussi. Il dura cinquante années231 , au cours desquelles surtout Carthage, menant une politique uniformément pacifique, parvint au faîte de sa puissance et de sa croissance démographique, grâce à la fertilité de ses plaines et à l'aisance qu'elle tirait de la mer232 • LXVIII. 304 Et aussitôt il leur arriva ce qui se produit dans les périodes de prospérité : ceux-ci soutenaient les intérêts de Rome, ceux-là cherchaient à instaurer un régime démocratique, tandis que Massinissa avait la faveur d'un autre groupe. 305 Chacune de ces factions était dirigée par des personnalités que leur réputation et leur valeur plaçaient au premier plan : pour les partisans de Rome, Annon le Grand ; pour le groupe inféodé à Massinissa, Annibal dit l 'Etourneau ; pour .les démocrates, Amilcar, surnommé le Samnite, et Carthalon233 • 306 S'étant avisés que Rome était en guerre contre les Celtibères234 et Massinissa parti secourir un de ses fils bloqué par d'autres Ibères, les démocrates circonviennent Carthalon, que sa charge de Boétharque amenait à parcourir le plat pays, et lui font attaquer des sujets de
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Massinissa qui campaient sur un territoire contesté. 307 Carthalon en tua quelques-uns, leur enleva du bétail et rameuta contre les Numides les Africains qui se trouvaient dans les champs. Bien d'autres actes de guerre les opposèrent jusqu'à ce que survienne une nouvelle ambassade romaine pour faire cesser les hostilités, avec le même mot d'ordre : aider en sous-main Massinissa 235 • 308 Ainsi confirmèrent-ils artificieusement Massinissa dans toutes ses conquêtes de la façon que voici : ils ne voulurent rien dire ni rien entendre, afin d'éviter à Massinissa d'être mis, si peu que ce fût, en infériorité, comme il aurait pu advenir dans un débat juridique, mais ils se placèrent entre les deux parties et étendirent les bras. C'était leur façon d'adresser aux deux adversaires l'injonction de suspendre les hostilités 236 • 309 Mais peu après Massinissa revendique également ce que l'on appelle les « Grandes Plaines », ainsi que le plat pays de cinquante villes, que l'on nomme Tusca. Là-dessus, les Carthaginois cherchèrent de nouveau protection auprès des Romains 237 •
LXIX. 310 Cette fois encore, ceux-ci leur promirent d'envoyer une ambassade procéder à un arbitrage. Mais ils temporisèrent jusqu'au moment où ils conjecturèrent qu'une grande partie des domaines de Carthage avait été ruinée. Ils envoyèrent alors de nouveaux ambassadeurs, dont Caton, qui, parvenus sur le territoire contesté, demandèrent aux deux parties de s'en remettre à eux de l'ensemble de leur contentieux 238 • 311 Il va de soi que Massinissa s'en remit aux Romains, comme on pouvait l'attendre d'un homme qui, en position de force, avait une immuable confiance en eux. Les Carthaginois en revanche étaient soupçonneux, car ils savaient que la précédente ambassade n'avait pas rendu un jugement équitable. Ils soutinrent donc que le traité conclu du temps de Seipion ne réclamait en aucune façon un débat juridique, ni d'ailleurs de punition, sauf pour les fautes qu'eux-mêmes
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commettaient, et pour elles seules239 • 312 N'ayant pu se résoudre à un arrangement partiel, les ambassadeurs s'en retournèrent, inspectant chemin faisant les campagnes soigneusement cultivées et pourvues d'équipements considérables. Une fois entrés dans la ville, ils observèrent encore quelle puissance était la sienne, et combien sa population s'était accrue depuis le désastre subi il n'y avait pas si longtemps, à l'époque de Scipion240 • 313 De retour à Rome, ils déclarèrent que la situation de Carthage les remplissait moins de jalousie que de crainte, quand ils voyaient avec quelle facilité se développait une si grande ville, animée d'intentions si hostiles, et leur voisine ! 314 Caton, surtout, répétait que même la liberté des Romains ne serait jamais assurée tant qu'ils n'auraient pas détruit Carthage. Informé de la situation, le Sénat prit la décision d'entrer en guerre, mais il avait encore besoin de prétextes et garda sa décision secrète. 315 On dit qu'à partir de ce moment, devant le Sénat, Caton répétait, avec une inlassable résolution, « que Carthage ne soit plus ! », alors que Scipion Nasica soutenait au contraire qu'il fallait la laisser subsister afin précisément qu'elle inspirât de la crainte, et particulièrement aux Romains qui déjà s'écartaient de leurs mœurs ancestrales241.
LXX. 316 Les démocrates carthaginois chassèrent de la ville les sympathisants de Massinissa, soit une quarantaine de personnes environ ; à cette mesure, ils ajoutèrent un décret les condamnant à l'exil, et firent jurer au peuple de ne jamais les rappeler et de ne pas tolérer qu'on proposât leur rappel242 • 317 Les personnes ainsi expulsées se réfugièrent auprès de Massinissa, qu'elles excitaient à la guerre. Celui-ci, bien qu'il y fût lui-même 242. La défaite subie devant Massinissa les contraindra bientôt à rapporter cette mesure et à trahir leur serment en rappelant les exilés : infra, 83, 335.
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disposé, envoya à Carthage ses fils Gulussa et Micipsa : il demandait le rappel de ceux que l'on avait envoyés en exil à cause de lui. 318 A leur approche, le Boétharque fit fermer les portes de la ville, saisi de crainte à la pensée que les familles des exilés risquaient d'attendrir le peuple. En outre, comme Micipsa était sur le chemin du retour, Amilcar le Samnite l'attaqua, lui tua quelques hommes et lui fit perdre son sang-froid243• 319 Là-dessus, Massinissa prit prétexte de ces agissements pour assiéger la ville d'Horoscopa, qu'il convoitait elle aussi, au mépris des traités244 . Avec vingt-cinq mille fantassins et aussi quatre cents cavaliers recrutés parmi les citoyens, les Carthaginois partirent en expédition contre Massinissa, sous le commandement d' Asdrubal, qui exerçait alors les fonctions de Boétharque 245 • 320 Comme ils approchaient, deu_xgénéraux de Massinissa, Hagasis et Soubas, à la suite de quelque différend avec les fils du roi, se portèrent en hâte à leur rencontre et désertèrent, amenant avec eux six mille cavaliers. Enhardi par leur défection, Asdrubal rapprocha son camp de celui du roi et, dans les escarmouches, il avait l'avantage. 321 Mais, cherchant à lui tendre un piège, Massinissa se repliait petit à petit, comme s'il fuyait, jusqu'à ce qu'il l'eût entraîné dans une vaste plaine inhabitée : il n'y avait tout autour que des djebels escarpés, où l'on ne pouvait trouver de vivres. Massinissa fit alors volte-face et établit son camp dans la plaine, tandis qu 'Asdrubal se portait rapidement vers la zone montagneuse, position à ses yeux plus solide246. LXXI. 322 Le lendemain, ils étaient sur le point d'en découdre. C'est alors que Scipion le Jeune (qui plus tard prit Carthage mais pour l'heure servait sous les ordres de Lucullus, en guerre contre les Celtibères) rejoignit Massinissa, auquel on l'avait envoyé demander des éléphants247. Massinissa, qui se préparait physiquement
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comme quelqu'un qui va se battre, envoya des cavaliers à sa rencontre et ordonna à certains de ses fils de l'accueillir à son arrivée. 323 A l'aube, il disposa en personne ses troupes : bien qu'il fût âgé de quatre-vingt-huit ans, c'était encore un rude cavalier qui montait à cru, selon l'usage numide, et s'acquittait de ses fonctions de chef d'armée et de combattant 248 • 324 De tous les Africains, les Numides sont en effet les plus vigoureux, et leur longévité dépasse celle des autres, qui est grande. La raison doit en être que la mauvaise saison, chez eux, ne connaît guère le grand froid glacial, qui fait tout périr, et que la chaleur estivale ne les consume pas, comme c'est le cas pour les Ethiopiens et les Indiens. 325 C'est encore pourquoi cette terre produit les animaux les plus puissants, et les hommes y vivent continuellement en plein air et à la dure. En outre, ils n'ont à leur disposition que très peu de vin et de nourriture, et cette dernière est pour tous simple et frugale 249 • 326 Donc Massinissa était monté à cheval et rangeait son armée, tandis qu 'Asdrubal faisait sortir du camp et lui opposait sa nombreuse milice de paysans : c'est qu'entre temps beaucoup de gens étaient venus des campagnes se joindre à lui. 327 Quant à Scipion, il assistait au spectacle de la bataille depuis un lieu élevé, comme à l'amphithéâtre. Plus tard, il racontait souvent que, bien qu'il eût pris part à toutes sortes de combats, jamais il n'avait éprouvé un tel ravissement. C'était, disait-il, la seule bataille à laquelle il eût assisté sans avoir à se préoccuper de rien, alors que cent dix mille hommes marchaient au combat 250 • Il disait aussi, avec quelque gloriole, qu'avant lui deux divinités seulement avaient joui d'un tel spectacle, pendant la guerre de Troie : Zeus du haut de l 'Ida et Poséidon depuis Samothrace 251 •
LXXII. 328 La bataille dura de l'aube jusqu'à la tombée du soir et, bien que les morts eussent été nombreux dans les deux camps, on admit que Massinissa avait eu l'avantage. Comme il revenait de la bataille, Sei-
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pion se présenta à sa vue. Il l'entoura de prévenances et de sollicitude, comme il était naturel, s'agissant d'une amitié qui remontait au grand-père du jeune homme 252 • 329 A cette nouvelle, les Carthaginois demandèrent à Scipion de les raccommoder avec Massinissa. Scipion les réunit et, invités à énoncer leurs conditions, les Carthaginois dirent qu'ils céderaient à Massinissa le territoire autour d 'Emporiom et lui verseraient deux cents talents d'argent sur-le-champ, et huit cents plus tard 253 • Mais, quand Massinissa réclama les transfuges, ils ne voulurent même pas l'écouter : on se sépara sur un échec. 330 Et Scipion s'en retourna vers l'Espagne avec ses éléphants, tandis que Massinissa entourait d'un retranchement la colline occupée par l'ennemi et veillait à ce qu'aucun ravitaillement n'y fût introduit. D'ailleurs, on ne trouvait rien dans les parages immédiats, puisque lui-même s'en faisait apporter de loin, avec de grandes difficultés et en petite quantité 254 • 331 Asdrubal jugeait possible de s'ouvrir sur-le-champ un chemin à travers les lignes ennemies, son armée étant encore solide et indemne ; mais, comme il disposait de plus de vivres que Massinissa, il croyait que ce dernier lui offrirait la bataille, et il bougeait d'autant moins qu'il apprenait simultanément qu'une ambassade romaine arrivait pour faire cesser les hostilités. Elle arriva bien, mais avec pour instructions de régler le différend si Massinissa avait le dessous, et même de l'attiser si au contraire il avait le dessus 255 •
LXXIII. 332 Les ambassadeurs jouèrent donc leur propre jeu, tandis que la faim usait Asdrubal et les Carthaginois. Physiquement très affaiblis, ils étaient désormais hors d'état de forcer les lignes ennemies, et ils sacrifièrent d'abord les bêtes de somme, puis les chevaux en plus des bêtes de somme ; puis, faisant bouillir le cuir des harnais, ils le mangeaient. 333 Ils contractaient ainsi toutes les formes de maladie que provoquaient une nourriture défectueuse, l'interruption de toute activité ainsi
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que la saison de l'année : voici en effet qu'en plein été, en Afrique, une foule d'êtres humains se trouvait enfermée dans un unique emplacement, qui plus est un camp militaire ! 334 Et, comme ils manquaient de bois pour cuire leurs aliments, ils brûlaient les boucliers. Et, pour ce qui était des morts, on ne pouvait plus les convoyer hors du camp, tant Massinissa continuait à monter bonne garde, ni non plus les incinérer, faute de bois. Dans ces conditions, le fléau les affectait intensément et les faisait beaucoup souffrir, puisqu'ils étaient au contact de la puanteur des cadavres pourrissants 256 • 335 Désormais la majeure partie de l'armée avait péri. Voyant qu'il ne leur restait plus aucun espoir de salut, ils prirent l 'engagement de livrer les transfuges à Massinissa, de lui verser cinq mille talents d'argent en cinquante ans, de rappeler leurs exilés au mépris du serment prêté 257 , et enfin de sortir du camp par une unique porte pour passer, un à un, au beau milieu des ennemis, chacun avec seulement une tunique. 336 Comme ils s'en allaient, Gulussa, qui leur gardait rancune de l'avoir naguère poursuivi, agissant de connivence avec son père ou de son propre chef, envoya contre eux des cavaliers numides qui massacrèrent des gens qui ne cherchaient pas à se défendre, n'avaient pas d'armes pour le faire et n'étaient même pas en mesure de fuir en raison de leur épuisement. 337 D'une armée de cinquante-huit mille hommes, une poignée à peine rejoignit Carthage saine et sauve, dont Asdrubal, le général en chef, et d'autres notables 258 • 256. Le pire, dans la situation des Carthaginois, est évidemment ce blocus qui leur interdit d'évacuer leurs morts, ainsi que le manque de bois pour, à défaut, incinérer les cadavres. Ce qu 'Appien ne dit pas, c'est qu'au surplus le sol rocheux sur lequel ils campaient devait faire obstacle à leur ensevelissement. 258. Dramatisation probablement excessive dans ce décompte des pertes, car au dire même d' Appien quelques mois plus tard Asdrubal disposait encore de vingt mille hommes : infra, 80, 374.
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LXXIV. 338 Voilà ce qu'il en était de la guerre entre Massinissa et Carthage, à laquelle succéda la troisième et dernière guerre menée par les Romains en Afrique contre elle. 339 Les Carthaginois avaient échoué devant Massinissa et, de son fait, leur cité avait été très affaiblie. Ils redoutaient Massinissa lui-même, encore à proximité avec une nombreuse année, et les Romains, toujours mal intentionnés à leur égard, qui allaient prendre prétexte de leurs démêlés avec Massinissa. 340 Dans les deux cas, leurs appréhensions n'étaient pas sans fondement. Car, sitôt qu'ils apprirent ce qui s'était passé, les Romains lancèrent un ordre de mobilisation dans toute l'Italie, sans indiquer l'objet de cette mesure, mais de manière à pouvoir répondre rapidement aux exigences de la situation qu'on leur dépeignait259. 341 Croyant de leur côté qu'ils allaient ainsi faire disparaître le prétexte de la guerre, les Carthaginois condamnèrent à mort, par contumace, Asdrubal, qui avait dirigé les opérations contre Massinissa, le Boétharque Carthalon et tous ceux qui avaient été mêlés à cette affaire : c'était sur eux qu'ils faisaient retomber la responsabilité de la guerre 260. 342 Et ils envoyaient à Rome des ambassadeurs qui incriminaient Massinissa lui-même mais aussi ces hommes qui avaient riposté à ses attaques avec une hâte irréfléchie, jetant ainsi la cité dans une situation susceptible de donner prétexte à l 'inimitié. 343 Mais un sénateur questionna les ambassadeurs : « Comment se faisait-il qu'ils eussent mis les responsables hors la loi non pas au début de la guerre, mais après la défaite ? Et pourquoi leur ambassade venait-elle trouver les Romains seulement maintenant, au lieu de l'avoir fait auparavant ? » Les Carthaginois ne surent que répondre tandis que le Sénat, qui avait depuis longtemps décidé d'entrer en guerre et cherchait des prétextes, si minces fussent-ils, répondit « que les Carthaginois ne s'étaient pas encore pleinement justifiés devant les Romains ». 344 Dans leur détresse, les Carthagi-
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nois posèrent encore une question : « Si on estimait qu'ils étaient fautifs, qu'auraient-ils à subir pour se libérer des griefs qu'on leur faisait ? » Les Romains s 'exprimèrent en ces termes : « S'ils donnaient des garanties suffisantes aux Romains ». 34S Les Carthaginois cherchaient ce qu'étaient ces « garanties suffisantes ». Les uns s'imaginaient que les Romains voulaient augmenter l'indemnité de guerre fixée à l'époque de Scipion ; d'autres qu'ils devaient évacuer, au profit de Massinissa, les territoires disputés. 346 Dans l'embarras où ils se trouvaient, ils envoyèrent une nouvelle ambassade à Rome, demandant à connaître clairement ce en quoi consistaient pour eux ces « garanties suffisantes ». Mais les Romains déclarèrent de nouveau que les Carthaginois le savaient parfaitement, et sur ces mots ils les congédièrent261.
LXXV. 347 Voilà à quel point la peur et l'embarras régnaient à Carthage. Ce fut alors qu 'Utique, la plus grande ville d'Afrique après Carthage (elle disposait de mouillages sûrs ainsi que de vastes cantonnements militaires et, distante de Carthage d'une soixantaine de stades, elle était bien située pour mener une guerre contre celle-ci), Utique, dis-je, jugeant alors sans doute, elle aussi, désespérée la situation de Carthage et laissant paraître au bon moment la vieille inimitié qu'elle lui vouait, envoya des ambassadeurs à Rome : ceux-ci livrèrent Utique à la discrétion des Romains 262. 348 Le Sénat, qui jusqu'alors se contentait d'incliner en faveur de la guerre et de s'y préparer, trouva dans le renfort d'une place si solide et si-bien située l'occasion de rendre publiques ses intentions et, s'étant réuni au Capitole (c'est précisément là que les sénateurs ont coutume de délibérer sur la guerre), il décréta la guerre contre Carthage263. 349 Immédiatement les consuls furent envoyés en campagne : Manius Manilius avait le commandement des forces terrestres, Lucius Marcius Censo-
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rinus celui de la flotte, et ils avaient secrètement reçu pour instructions de ne pas cesser les opérations avant d'avoir détruit Carthage 264 • 350 Après avoir sacrifié aux dieux, ils gagnèrent par mer la Sicile, avec l'intention d'effectuer à partir de là leur traversée jusqu'à Utique. Comme moyens de transport, ils disposaient de cinquante quinquérèmes, de cent bâtiments de guerre légers, ainsi que d'un grand nombre de bateaux non pontés, de vedettes et de navires de commerce. 351 Et ils conduisaient une armée de quatre-vingt mille fantassins et quatre mille cavaliers, tous excellents. Il n'était en effet aucun citoyen, aucun allié, qui ne fût plein d'élan pour une expédition dont on pouvait manifestement prévoir qu'elle serait glorieuse, et beaucoup étaient même volontaires pour se faire enrôler 265 •
LXXVI. 352 Le même messager apprit tout à la fois aux Carthaginois que Rome avait décidé la guerre et que les opérations étaient commencées. Car l'homme qui apportait la déclaration de guerre leur révélait également que la flotte était en mer pour les attaquer 266 • 353 Terrifiés, ils désespéraient de leur sort : ils manquaient de navires, ils venaient tout juste de perdre une si nombreuse jeunesse 267 , ils n'avaient pas d'alliés, pas de mercenaires sous la main, pas de stocks de vivres pour soutenir un siège, absolument rien, comme il est naturel dans une guerre éclair engagée sans déclaration préalable ; et, réduits à eux-mêmes, ils n'étaient pas en mesure de tenir face aux Romains et à Massinissa. 354 C'est pourquoi ils envoyèrent à Rome de nouveaux ambassadeurs, avec pleins pouvoirs pour arranger la situation de la manière qu'ils pourraient 268 • Le Sénat leur déclara que « si, dans les trente jours, tant que les consuls étaient encore en Sicile, les Carthaginois livraient à ceux-ci comme otages les trois cents enfants les plus nobles, et si, pour le reste, ils obéissaient à leurs ordres, ils garderaient Carthage, libre et autonome, ainsi que tout le territoire qu'ils possé-
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daient en Afrique » 269 • 35S Tel fut le sénatus-consulte qu'ils rendirent pour la galerie, et ils chargèrent les ambassadeurs d'en porter le texte à Carthage. Mais ils écrivirent secrètement aux consuls de s'en tenir aux instructions particulières qu'ils avaient reçues270 • LXXVIl. 3S6 Les Carthaginois considéraient le sénatus-consulte avec méfiance, puisqu'ils livraient les otages sans qu'un accord solide eût été conclu. Néanmoins, comme il est naturel dans un si grand péril, ils plaçaient leurs espoirs dans leur soin à ne rien omettre et, faisant du zèle, ils conduisirent les enfants en Sicile avant l'échéance fixée271 : parents et proches pleuraient sur leur sort, particulièrement les mères qui, avec des hurlements déments, se cramponnaient à leurs enfants, aux navires qui les emportaient et aux généraux qui les conduisaient ; et, saisissant les ancres, arrachant les cordages et s'agrippant aux marins, elles empêchaient les manœuvres de départ. 3S7 Il s'en trouvait même qui escortaient les navires à la nage loin en haute mer, les yeux remplis de larmes et le regard fixé sur leurs enfants272 , 3S8 cependant que les autres, restées à terre, s'arrachaient les cheveux et se frappaient la poitrine, comme dans un deuil. Elles pensaient en effet que, si l'on parlait par décence de « livrer des otages », il s'agissait en réalité d'une lâcheté de la part de la cité, puisqu'on livrait ces enfants en l'absence de tout traité de paix. Et, dans leurs lamentations, beaucoup prophétisaient à l'encontre de la ville que livrer ses enfants ne lui serait d'aucune utilité. 3S9 Voilà à peu près comment se déroulait à Carthage l'embarquement des otages. En· Sicile, les consuls prirent livraison des enfants et les envoyèrent à Rome ; aux Carthaginois, ils déclarèrent qu'en ce qui concernait la fin de la guerre, ils leur diraient le reste à Utique. 272. Appien n'a peur de rien quand il fait dans le pathétique !
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LXXVID. 360 Une fois passés à Utique, les Romains prirent position, l'année de terre là où se trouvait naguère le camp de Scipion, la flotte dans les ports d 'Utique 273 • 361 Et là aussi .arrivèrent de Carthage des ambassadeurs. Les consuls siégèrent devant la ville, sur une estrade élevée, avec à leurs côtés les chefs militaires et les tribuns, tandis que l'année, rangée de part et d'autre en longues files, avait revêtu ses annes d' apparat ; et l'on portait les enseignes dressées, afin que, grâce à celles-ci, les ambassadeurs pussent évaluer le nombre des soldats. 362 Quand les consuls eurent ordonné au trompette de donner le signal du silence, quand le héraut eut invité les ambassadeurs carthaginois à s'avancer, on les introduisit en leur faisant traverser le camp dans toute sa longueur, sans qu'ils pussent toutefois approcher de l'estrade, dont les séparait une barrière de cordes274 • Les consuls les invitèrent à dire ce qu'ils désiraient. 363 Les ambassadeurs se répandirent en discours pathétiques et variés, évoquant les traités conclus entre Rome et eux, ainsi que Carthage elle-même, son antiquité, sa nombreuse population, sa puissance, l'empire qu'elle avait exercé, longtemps le plus grand sur terre comme sur mer. 364 « Ce n'était point par gloriole », affirmaientils, « qu'ils parlaient ainsi : en plein malheur, ce n'était pas pour eux le moment de chanter gloire ! Mais », disaient-ils,« que la rapidité de notre chute vous enseigne, Romains, la modération et la mesure ! Les meilleurs, ce sont ceux qui, pitoyables envers les vaincus, se ménagent une heureuse destinée en n'insultant pas l'infortune d'autrui 275 • LXXIX. 365 Voilà une conduite digne de vous et de la piété dont, plus que tout autre peuple, vous faites étalage. A supposer même que nous soyons tombés sur des 273. Nous sommes maintenant au début de l'été 149. L'année romaine a retrouvé les Castra Cornelia occupés par l'Africain entre 204 et 202 (cf. Polybe, XXXVI, 6, 1 ; Diodore, XXXII, 6, 2).
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ennemis non civilisés, nous sommes saturés d'infortunes, avec tout ce que nous avons subi, nous auxquels on a enlevé la suprématie sur terre comme sur mer ! Nous vous avons livré nos navires et ne cherchons pas à en acquérir d 'autres 276 ; nous avons renoncé à chasser les éléphants et à en posséder ; nous avons livré, aujourd'hui comme hier, les otages les plus nobles, et nous nous acquittons régulièrement du tribut 277 , nous qui toujours le percevions d'autrui ! 366 Cela suffisait à vos pères, auxquels nous avions fait la guerre, et c'est à ces conditions qu'ils avaient conclu avec nous un traité écrit, comme avec des amis et des alliés, et, dans les traités, le serment est prêté dans les mêmes termes par les deux parties 367 Et vos pères, auxquels nous avions fait la guerre, se sont montrés par la suite loyaux. Mais vous, contre qui nous n'avons même pas engagé le combat, quelle est dans ce traité la clause dont vous nous reprochez la transgression, pour avoir voté cette guerre avec une telle promptitude et, sans préliminaires, vous ébranler contre nous ? Est-ce que nous ne versons pas le tribut ? Est-ce que nous possédons des navires de guerre ? Ou les éléphants qui éveillent votre jalousie 278 ? Est-ce que, depuis cette époque, nous n'avons pas été loyaux envers vous ? Est-ce que nous ne méritons pas la pitié pour avoir récemment perdu cinquante mille hommes du fait de la famine ? 368 Mais, direz-vous, nous avons fait la guerre à Massinissa 279 • C'est qu'il cherchait à avoir toujours plus, et nous supportions tout par égard pour vous. Mais il était insatiable, nous traitait au mépris des principes du droit, nous et le sol où il avait été nourri et éduqué, et cherchait à nous enlever un autre territoire dans la région d'Emporion 280 • A peine l'avait-il pris qu'il en a envahi un autre, tant et si bien qu'il a ruiné le traité que nous avions conclu avec vous. 369 Si c'est là le prétexte de la présente guerre, on doit remarquer que nous avons nous-mêmes exilé ceux qui avaient résisté à Massinissa, et que nous vous avons envoyé des ambassadeurs pour nous justifier sur ces points, puis d'autres, munis des
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pleins pouvoirs, pour conclure un accord à votre convenance281. Qu 'était-il besoin dès lors de navires, d'expédition maritime et d'armée terrestre contre des gens qui, à défaut de se reconnaître des torts envers vous, se livraient à vous sans conditions ? 370 En faisant ces propositions, nous ne cherchions pas à vous tromper ni non plus à vous chicaner sur le châtiment que vous nous infligerez éventuellement. Cela s'est trouvé clairement démontré lorsque vous avez réclamé comme otages les enfants les plus nobles : nous les avons envoyés sur-le-champ, comme nous y invitait le sénatus-consulte, sans attendre le terme du délai de trente jours. Or le même sénatusconsulte stipule que, si nous fournissons les otages, on laissera Carthage libre et autonome 282, et avec la pleine propriété des territoires que nous possédons ».
LXXX.
371 Les ambassadeurs n'en dirent pas plus
et Censorinus se leva pour leur répondre en ces termes 283: « A quoi bon vous dire, Carthaginois, les causes de la guerre, alors que vous avez envoyé une ambassade à Rome et appris du Sénat ce qu'il en est ? En revanche, je vais vous convaincre de mauvaise foi à notre égard. 372 En effet, le sénatus-consulte indique clairement (et nous-mêmes nous vous l'avons déclaré d'avance en Sicile quand nous avons reçu les otages) qu'on vous imposera le reste des décisions une fois à Utique. 373 Dans ces conditions, en ce qui concerne les otages, nous vous louons de votre célérité et de votre choix. Mais des gens qui, sans arrière-pensées, vivent en paix, ont-ils besoin d'armes ? Apportez-les. Toutes les armes appartenant à l'Etat et toutes celles que chacun d'entre vous possède en son particulier, ainsi que les projectiles et les engins balistiques, livrez-nous tout cela ». 374 Ainsi parla Censorinus. Les ambassadeurs déclarèrent qu'ils voulaient bien consentir encore à cette exigence, mais qu'ils se demandaient toutefois comment ils se défen-
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draient contre Asdrubal, qu'ils avaient condamné à mort : il avait déjà réuni vingt mille hommes et campait à proximité de Carthage284 • 375 Quand les consuls eurent déclaré que les Romains s'occuperaient de cela, les ambassadeurs promirent de livrer également les armes, et on les fit accompagner par Cornelius Scipion Nasica et Gnreus Cornelius, surnommé Hispanus285 • Ils se firent livrer deux cent mille panoplies complètes, une énorme quantité de projectiles et de traits, ainsi qu 'environ deux mille engins balistiques lançant des dards ou des boulets286 • 376 Et leur transport constituait un spectacle magnifique, à peine croyable, avec le long train des chariots conduits par les ennemis eux-mêmes, que suivaient les ambassadeurs et tous ceux qui (membres du conseil des Anciens, aristocratie de la cité, prêtres ou simplement notables), devaient amener les consuls à faire preuve d'égards ou de pitié287 • 377 Introduits avec le même cérémonial, ils prirent place devant les consuls. Et ce fut Censorinus (il était en effet plus habile orateur que son collègue288 ) qui se leva cette fois encore. Il garda longtemps le visage sombre, puis parla ainsi :
LXXXI. 378 « Nous vous louons, Carthaginois, pour votre docilité et l'empressement dont vous avez fait preuve jusqu'à présent en ce qui concernait les otages et les armes. Mais, quand la nécessité presse, il faut s 'exprimer avec concision. Soumettez-vous courageusement à la dernière injonction du Sénat. Faites-nous le plaisir d'évacuer Carthage et d'émigrer vers l'intérieur de votre territoire, à l'endroit de votre choix, pourvu qu'il se trouve à quatre-vingts stades de la mer289 : nous avons en effet pris la décision de détruite la ville actuelle » 290 • 379 Il parlait encore que déjà les Carthaginois levaient les bras au ciel, avec des cris, et prenaient les dieux à témoin de 288. Cf. supra, n. 283. Il faut attendre le discours en réponse à Bannon pour avoir une idée de l'éloquence de Censorinus.
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la tromperie dont ils étaient victimes, déversant sur les Romains mille malédictions odieuses, soit qu'ils désirassent la mort, soit qu'ils eussent perdu le sens, soit qu'ils cherchassent, en provoquant les Romains, à leur faire commettre un attentat abominable sur des ambassadeurs. 380 Et ils se jetaient à terre, frappant le sol des mains et de la tête, et certains déchiraient leurs vêtements et s 'infligeaient à eux-mêmes des sévices corporels, comme s'ils étaient en proie à la démence 291 • Quand finalement leur frénésie cessa, ils demeurèrent dans un profond silence, abattus : on aurait dit des cadavres qui gisaient. 381 Les Romains étaient abasourdis, et les consuls émirent l'avis qu'il fallait supporter le comportement des Carthaginois, dans la mesure ou ils avaient reçu un ordre inouï, jusqu'à ce que leur indignation eût pris fin. Ils savaient bien que, sur le moment, les très grands dangers frappent les gens de stupeur et les font sortir de leurs gonds, mais qu'avec le temps la nécessité parvient à mater l'audace. 382 Ce fut précisément ce que ressentirent alors les Carthaginois. Comme, du simple fait de leur silence, le malheur les empoignait davantage, cessant de s'indigner plus avant, ils sanglotaient, se lamentant sur eux-mêmes, leurs femmes et leurs enfants, qu'ils appelaient par leur nom, et sur leur patrie elle-même, à laquelle ils adressaient force paroles de compassion, comme s'il s'agissait d'une femme susceptible d'entendre. 383 De leur côté les prêtres invoquaient le nom des sanctuaires et les dieux qui y résidaient, leur reprochant leur ruine à eux aussi, comme s'ils étaient présents. C'était un chœur où se mêlaient les gémissements pitoyables de gens qui déploraient tout à la fois les malheurs de l'Etat et ceux des particuliers, au point que les Romains eux-mêmes fondirent en larmes sur leur sort 292 •
LXXXII. 384 La compassion, qu'inspirent les vicissitudes de la condition humaine, pénétrait dans le cœur des consuls ; pourtant, le visage sombre, ils attendaient que les
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Carthaginois fussent également rassasiés d'un tel comportement. Et, quand les plaintes elles-mêmes eurent cessé, ce fut de nouveau le silence. 385 Calculant en eux-mêmes, d'un côté, que leur cité était désarmée, vide, sans un navire, sans une catapulte, sans un projectile, sans une épée, qu'elle n'avait pas assez de nationaux pour la défendre, puisque cinquante mille d'entre eux venaient juste de périr 293, et qu'elle ne possédait aucun mercenaire, aucun ami ou allié, et pas même le temps de s'en procurer ; de l'autre, que l'ennemi détenait leurs enfants, leurs armes et leur territoire, que ses soldats en armes investissaient leur cité avec des forces terrestres et navales, des machines de guerre et de la cavalerie, cependant qu'un second ennemi, Massinissa, menaçait leur flanc - considérant tout cela, les Carthaginois continrent leurs bruyantes manifestations d'indignation, qu'ils jugeaient sans utilité dans leur malheur, et de nouveau ils firent appel à l'éloquence. Et Bannon, surnommé Tigillas, le plus éminent des notables alors présents, demanda la parole et dit294:
LXXXIII. 386
S'il est possible de revenir devant vous, Romains, sur ce dont il a déjà été question, nous parlerons. Nous n'avons pas l'intention d'alléguer notre bon droit (car, quand on est dans l'infortune, la controverse n'est pas de circonstance ... ), mais nous voulons vous faire comprendre que, de votre part, faire preuve de pitié ne serait ni infondé ni absurde, s'agissant de nous. 387 Nous qui étions les maîtres de l'Afrique et de presque toutes les mers, nous avons engagé contre vous une guerre qui avait pour enjeu la suprématie. A celle-ci, nous avons renoncé du temps de Scipion, lorsque nous vous avons livré notre flotte de guerre et tous les éléphants dont nous disposions, et que nous a été imposé le versement d'un tribut dont nous nous acquittons ponctuellement295. 388 S'il en est ainsi, au nom des dieux par lesquels la paix fut alors jurée, épargnez-nous, épargnez les serments de Scipion, qui jura que les Romains «
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seraient les alliés et les amis des Carthaginois ! Il n'existe de notre part aucune infraction à ce traité. Nous n'avons ni navires, ni éléphants, et l'on ne saurait prétendre que nous manquions au versement du tribut. Bien au contraire, nous avons même été vos alliés contre trois rois 296 ! 389 Et qu'il ne vienne à l'esprit de personne de nous condamner pour avoir déjà tenu hier le même discours, lorsque vous nous réclamiez nos armes. Le malheur fait des discoureurs intarissables et d'ailleurs il n'est rien de plus efficace dans les suppliques que le rappel des traités, et il n'est pas d'autre recours pour nous que l 'éloquence, maintenant que nous vous avons livré tout ce qui faisait notre puissance. 390 Voilà ce qu'il en est des accords passés dont Scipion est pour nous le garant, ô Romains ! Quant à la négociation présente, c'est vous, consuls, qui en êtes à nos yeux les artisans et les témoins. Vous avez réclamé des otages ? Nous vous avons conduit la fine fleur. Vous avez réclamé des armes ? Vous les avez toutes reçues, même celles dont des assiégés réduits à capituler ne se séparent pas volontiers. 391 C'est que nous aussi, nous avons placé notre confiance dans le caractère des Romains et leur manière de se conduire. De fait, le Sénat nous l'avait écrit et vous l'avez confirmé de vive voix quand vous réclamiez les otages : vous laisseriez son autonomie à Carthage, si cette condition était remplie. 392 S'il est vrai que les autres conditions sont venues s'ajouter, que vous nous invitez à supporter, pouvait-on s'attendre à ce que vous, qui déclariez que notre cité serait autonome à la condition qu'elle livrât des otages (et c'était une demande sans équivoque ... ), vous considériez comme un supplément aux otages la destruction de Carthage elle-même, dont on voit mal comment, s'il est de votre droit de la détruire, vous lui laisseriez sa liberté et son autonomie, comme vous disiez 297 ?
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LXXXIV. 393 Voilà ce que nous pouvions dire à propos tant des traités conclus autrefois que des accords récemment passés avec vous. Mais si nos justifications elles aussi vous impatientent, nous y renonçons complètement pour le dernier recours des misérables : nous lamenter et implorer298 • 394 Et l'abondance de nos maux fournit ample matière à la supplication. L'appel que nous lançons vise en effet à sauver une ville ancienne, fondée en vertu d'oracles avec l'approbation des dieux ; une gloire qui s'est élevée bien haut et un nom qui a fait le tour de la terre entière. Il s'agit également de sauver ses sanctuaires, si nombreux, et ses dieux, qui ne commettent aucune faute : vous ne sauriez les priver de panégyries, de processions, de fêtes, pas plus que vous ne devez priver les tombes des sacrifices qui leur sont dus, puisque les morts ne sont plus soumis aux rigueurs de votre justice. 395 Et si vous avez également pitié de nous (et vous affirmez en ressentir, vous qui nous accordez de transporter ailleurs notre domicile ... ), épargnez le feu sacré de notre cité, épargnez sa place publique, épargnez la déesse protectrice du Conseil, ainsi que tous les autres édifices, précieux pour ceux qui sont encore vivants et pour eux source de joie 299 • 396 Voyons, quelle crainte peut encore vous inspirer Carthage, alors que vous possédez nos navires, nos armes, et nos éléphants dont vous étiez jaloux ? 397 Et, en ce qui concerne notre transfert à l'intérieur des terres, si l'on se figure nous offrir là une consolation, c'est encore une chose impraticable pour des hommes tirant leurs ressources de la mer que d'aller se réinstaller dans l'arrière-pays, alors qu'un nombre infini d'entre eux exercent des activités maritimes. 398 En échange, nous vous proposons une solution préférable pour nous et pour vous plus glorieuse. Laissez tranquille notre ville, qui ne vous a rien fait ; quant à nous, que vous cherchez à déplacer, exterminez-nous, si vous le désirez ! En agissant ainsi, le monde pensera en effet que vous exercez votre rage sur des hommes, et non sur des sanctuaires, des dieux, des tombes et une cité qui n'a rien fait de mal 300 •
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LXXXV. 399 Dans toutes vos actions, ô Romains, vous aspirez à une réputation de bonté et de piété, et vous proclamez faire preuve de modération dans le succès : à ceux qui, les uns après les autres, tombent en votre pouvoir, vous en énumérez les exemples. 400 Je vous en adjure par Jupiter et tous les dieux - aussi bien ceux des autres peuples que ceux qui habitent encore Carthage (et fasse le ciel que ces derniers ne manifestent jamais de ressentiment ni contre vous ni contre vos enfants ... ), ne commencez pas, avec nous, à ternir votre bonne réputation et à souiller votre gloire par un acte de cette sorte, aussi pénible à accomplir qu'à entendre relater, et dont vous donneriez le premier exemple dans toute l'histoire. 401 Beaucoup de guerres ont en effet opposé Grecs et Barbares, et vous, Romains, vous en avez soutenu beaucoup contre d'autres peuples. Et jamais personne n'a détruit une ville qui baissait les bras avant la bataille, livré ses armes et ses enfants, et accepté de subir tout autre châtiment susceptible d'être infligé à des êtres humains 301 • 402 Plaçant sous vos yeux les dieux protecteurs des serments, les vicissitudes de la condition humaine et la Némésis, que l'on doit particulièrement redouter dans le succès, nous vous demandons de ne pas faire injure à votre belle réussite et de ne pas rendre notre infortune irrémédiable. Si vous ne pouvez nous accorder de conserver notre ville, permettez-nous du moins d'envoyer encore une ambassade implorer le Sénat à son sujet. 403 Vous voyez que le délai demandé est bref, et qu'il nous apporte, si bref soit-il, une longue torture, tant l'avenir est incertain. Vous, en revanche, vous êtes tout aussi assurés d'accomplir ce que bon vous semble, que ce soit aujourd'hui ou dans quelques jours : mais vous y gagnez en sus la piété et l'humanité » 302 •
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LXXXVI. 404 Ainsi parla Bannon. Mais il apparut, à la mine renfrognée des consuls pendant tout son discours, que ceux-ci ne feraient aucune concession aux Carthaginois. Quand il eut terminé, Censorinus déclara : « En ce qui concerne les ordres du Sénat, à quoi bon revenir plusieurs fois sur la question ? Il a donné un ordre, et il faut que son ordre soit exécuté. Nous ne pouvons même pas surseoir à des mesures dont l'exécution est déjà ordonnée. 405 D'ailleurs, si nous vous avions transmis cette injonction comme à des ennemis, il aurait suffi de l'énoncer et de vous contraindre à l'exécuter. Mais puisque nous agissons dans l'intérêt commun (un peu le nôtre, peut-être, mais essentiellement le vôtre, ô Carthaginois 303 ... ), je n'hésiterai pas à recourir avec vous à l'argumentation, pour le cas où l'on pourrait user avec vous de la persuasion plutôt que de la contrainte. 406 C'est la mer que voici qui vous excite au mal, car vous gardez le souvenir du puissant empire que vous y exerciez autrefois, et, à partir de là, elle vous conduit de malheur en malheur. C'est à cause d'elle en effet que vous vous êtes attaqués à la Sicile (et vous avez perdu la Sicile), que vous avez franchi la mer jusqu'en Ibérie (et on vous a enlevé l'Ibérie). 407 En pleine paix, vous rançonniez les commerçants --en particulier les nôtres !- et, pour ne pas être découverts, vous les jetiez à la mer, jusqu'au jour où, pris sur le fait, vous nous avez donné la Sardaigne comme indemnité 304 • C'est ainsi que la mer vous a fait perdre jusqu'à la Sardaigne, cette mer qui induit naturellement chacun à désirer toujours davantage, tant les choses y vont vite LXXXVII. 408 Ce fut là précisément le principal facteur de la croissance et de la ruine d'Athènes, lorsqu'elle devint une puissance maritime. Il en est en effet des profits maritimes comme de ceux du grand commerce, dont la croissance est aussi soudaine que la ruine. 409 Vous savez assurément que ces mêmes Athéniens, dont j'ai rappelé le souvenir, étendaient leur empire jus-
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qu'à la mer Ionienne en direction de la Sicile : ils ne renoncèrent à leur esprit de domination qu'après avoir été dépouillés de leur empire tout entier, quand ils eurent livré à l'ennemi leurs ports et leurs navires, accepté une garnison dans leur ville, détruit eux-mêmes leurs « Longs Murs », et qu'ils furent devenus alors, eux aussi, quasiment des continentaux 305 • 410 Or ce fut ce qui assura leur salut pour très longtemps. Il n'est pas en effet de genre de vie plus stable, Carthaginois, que celui des terriens consacrant leur activité aux paisibles travaux de l'agriculture ! Les profits de l'agriculture sont peut-être plus faibles, mais, comparés à ceux du négoce outremer, ils sont aussi, à tous égards, plus sûrs et moins risqués. 411 Bref, je crois qu'une ville en bordure de mer est une sorte de navire bien plutôt que de la terre ferme, car elle est très exposée aux fluctuations des affaires et à leurs vicissitudes, tandis qu'une ville continentale récolte des profits sans risques, attendu que l'on est en terrain solide. 412 C'est sans doute pourquoi les capitales des anciennes monarchies se trouvaient en règle générale à l'intérieur du pays, et ce fut la raison pour laquelle les empires des Mèdes, des Assyriens, des Perses et d'autres peuples devinrent très puissants 306 •
LXXXVIII. 413 Mais je cesse de prendre pour exemple des monarchies qui n'ont plus pour vous aucun intérêt. Tournez les yeux vers votre Afrique et voyez combien de villes continentales y vivent sans péril3°7• 414 Vous serez les voisins de l'une d'entre elles, à votre choix, afin que s'estompe, avec le spectacle que vous avez sous les yeux, le souvenir cuisant du malaise qui présentement vous tenaille chaque fois que, le regard fixé sur la mer vide de navires, vous vous remémorez l'armada dont vous disposiez, le nombre des dépouilles que
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vous rapportiez, la beauté des ports où vous débarquiez la tête haute et dont vous remplissiez les cales sèches et les magasins aux agrès 415 Mais à quoi bon les abris ménagés dans vos remparts à l'intention des troupes, des chevaux et des éléphants 308 ? A quoi bon les magasins construits dans leur voisinage ? Pourquoi ces constructions parlent-elles à votre mémoire ? Que sont-elles d'autre, sinon de la souffrance et une incitation à y retourner, si vous le pouviez ? C'est là un sentiment bien humain : quand on se souvient de la prospérité d'antan, on espère qu'elle reviendra ; mais le remède qui soulage les maux, c'est l'oubli, auquel vous ne pouvez accéder si vous n'écartez pas de vous ce spectacle. 416 Il en est une preuve très claire : c'est que vous avez souvent violé votre parole alors que vous aviez obtenu pardon et paix. Si vraiment vous êtes encore assoiffés d'empire, si vous nous en voulez de vous l'avoir enlevé, si vous attendez l'occasion favorable, vous avez besoin de cette ville, de ports et d'arsenaux comme vous en avez, ainsi que de remparts construits à la façon d'un casernement 417 , pourquoi épargnons-nous encore des ennemis à notre merci ? En revanche, si vous avez sincèrement renoncé à l'empire (et non pas en paroles plus qu'en intention), si vous avez opté pour vos seules possessions africaines, et si vous avez conclu avec nous le présent accord sans rien déguiser, eh bien, traduisez cela dans les faits en transportant votre résidence dans vos possessions africaines et en vous retirant de la mer, à laquelle vous avez renoncé 309 •
LXXXIX. 418 Et ne faites pas semblant de vous apitoyer sur des sanctuaires, des autels, des places publiques et des tombes ! Pour ce qui est des tombes, qu'elles soient inviolables et revenez-y pour sacrifier aux morts ! Et retournez également dans les sanctuaires, si vous voulez sacrifier aux dieux ! Mais détruisons tout le reste310 ! Vous
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n'offrez pas à des arsenaux des sacrifices dus aux dieux, à des remparts des sacrifices dus aux morts ! 419 Quand vous aurez changé de résidence, il vous sera possible de construire d'autres autels, d'autres sanctuaires, d'autres places publiques, et ces édifices aussi auront tôt fait de devenir pour vous « ancestraux », de la même façon que, après avoir quitté vos propriétés tyriennes, vous avez reçu l'Afrique en échange ; et vous considérez présentement comme « ancestraux » les biens que vous avez alors acquis 311 • 420 Sans qu'il soit besoin de longs discours, vous comprendriez que ce n'est point par ressentiment que nous vous intimons cet ordre, mais en vue d'une entente durable entre nous et de notre commune tranquillité, si vous vous rappeliez les faits suivants : même Albe, qui n'était pas notre ennemie, mais notre mère patrie, elle que nous ne poursuivions pas de notre ressentiment, mais honorions par-dessus tout, comme ses rejetons, Albe a vu dans l'intérêt commun sa population transférée à Rome, et cela fut profitable aux uns comme aux autres 312 • 421 Vous objecterez, j'en conviens, que vous avez encore quantité de travailleurs manuels qui vivent de la mer. A cela aussi nous avons veillé, faisant en sorte qu'il vous soit facile d'être en contact avec la mer et que vous puissiez aisément vendre et échanger le produit de vos récoltes. Car notre ordre n'est pas que vous vous retiriez à une longue distance de la mer, mais seulement à quatre-vingts stades. Nous, qui vous donnons cet ordre, c'est à cent stades de la mer que nous sommes établis 313 ! 422 Et nous vous accordons de choisir librement l'emplacement que vous voulez, ainsi que l'autonomie, quand vous aurez changé de résidence. Et c'est cela que nous vous annoncions, quand nous parlions de « laisser Carthage autonome si elle nous obéissait ». C'est vous en effet qui représentez pour nous Carthage, et non point son sol« 314 •
XC. 423 Après ce discours, Censorinus garda le silence et comme les Carthaginois, abasourdis, n'avaient rien répondu, il ajouta : « Ce que je devais vous dire pour
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vous convaincre et vous réconforter, je l'ai dit. Quant à l'ordre du Sénat, il faut qu'il s'exécute, et qu'il s'exécute sur-le-champ. Retirez-vous donc. Vous êtes encore, en effet, des ambassadeurs » 315 • 424 Il parla ainsi, mais eux, poussés vers la sortie par les licteurs et prévoyant quelle allait être l'attitude des Carthaginois, demandèrent une nouvelle fois la parole. Et, introduits devant les consuls, ils dirent : « Nous voyons ce qu'il y a d'implacable dans cet ultimatum. Car vous ne nous accordez même plus d'envoyer une ambassade à Rome. Quant à nous, nous ne nous attendons pas à revenir auprès de vous, mais à périr de la main des Carthaginois, alors que nous serons encore en train de parler. 425 Nous vous adressons cependant une demande, non point pour sauver nos personnes (nous sommes prêts en effet à tout subir ... ), mais pour sauver Carthage elle-même (elle existe encore ... ), pour le cas où l'intimidation pourrait lui faire supporter ses malheurs 316 • Encerclez-la avec vos navires tandis que nous serons sur le chemin du retour, afin que ses habitants, entendant et voyant quels sont vos ordres, les endurent, à supposer qu'ils en soient capables. Notre situation est si contraignante et si malheureuse que nous vous exhortons nous-mêmes à faire avancer votre flotte contre notre patrie 317 ! » 426 Sur ces mots, ils se retirèrent, et Censorinus, qui avait longé la côte avec vingt quinquérèmes, mouillait à la hauteur de la ville. Quant aux ambassadeurs, si certains d'entre eux s'esquivèrent en chemin, la plupart poursuivirent leur route en silence 318 •
XCI. 427 Du haut des remparts, certains Carthaginois regardaient en direction des ambassadeurs, en se demandant quand ils arriveraient. Ils s'irritaient de les voir traîner et s'arrachaient les cheveux. D'autres allaient à leur rencontre, alors qu'ils étaient encore en chemin, car ils ne supportaient pas l'attente et avaient hâte de savoir319• 428 Mais, voyant leur mine renfrognée, ils se frappaient le front et les pressaient de questions : certains interrogeaient tout
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le groupe, les autres s'adressaient à chacun en particulier, selon qu'il s'agissait pour eux d'amis ou de connaissances, cherchant à attirer leur attention et à s'informer. Comme aucun ne répondait, ils se répandaient en gémissements, persuadés que leur perte ne faisait pas l'ombre d'un doute 320 • 429 A les ouïr, ceux qui étaient perchés sur le rempart se joignaient à leurs gémissements : ils ne savaient rien mais réagissaient comme s'il était patent qu'une catastrophe les menaçait. Aux portes, dévalant sur eux en masse compacte, il s'en fallut d'un rien qu'ils ne les piétinent et, pour un peu, ils les auraient mis en pièces, s'ils n'avaient dit ces simples mots « qu'il leur fallait en premier lieu se présenter devant le Conseil des Anciens » 321 • 430 Alors en effet les uns s'écartèrent devant eux, tandis que d'autres allaient jusqu'à leur frayer un chemin, dans leur désir d'être plus vite informés. Quand ils furent entrés dans la salle du Conseil, les Anciens firent sortir le public et, une fois seuls, ils tinrent conseil entre eux ; mais la foule, à l'extérieur, avait entouré le bâtiment. 431 Les ambassadeurs firent connaître pour commencer l'ultimatum des consuls. Aussitôt les Anciens poussèrent des exclamations et le peuple, à l'extérieur, criait à l'unisson. Quand les ambassadeurs exposèrent ensuite toutes les objections qu'ils avaient formulées pour étayer leurs justifications, leurs demandes et leur requête d'envoyer une ambassade à Rome, un profond silence régna à nouveau parmi les membres du Conseil, qui attendaient de connaître la fin, et le peuple s'associait à leur silence322 •
XCil.
432 Mais, quand ils apprirent qu'on ne leur
avait même pas permis d'envoyer une ambassade, ils poussèrent des cris aigus, dans un concert de lamentations exacerbées, et le peuple se précipita à l'intérieur auprès d'eux. Dès lors, on s'abandonna aux manifestations frénétiques de la déraison et du délire : c'est ainsi, dit-on, que dans leurs transports bacchiques les Ménades ont des comportements étranges. 433 Les uns couvraient d' outrages et mettaient en pièces les membres du
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Conseil qui avaient fait prendre la décision relative aux otages, sous prétexte qu'ils étaient à l'origine du piège où l'on était tombé, tandis que d'autres infligeaient le même traitement à ceux qui avaient émis l'avis de livrer les armes. D'autres encore lapidaient les ambassadeurs, ces messagers de malheur, et certains allaient jusqu'à les traîner à travers la ville. 434 Un autre groupe s'en prenait aux Italiens, encore présents à Carthage, comme il est naturel dans un malheur soudain, sans déclaration de guerre préalable : ils leur infligeaient toutes sortes de sévices, ajoutant qu'ils se vengeaient d'avoir livré otages et armes, et d'avoir été trompés 323 ! 435 La ville se trouvait remplie tout à la fois de lamentations, de manifestations de colère et de crainte, de menaces, et, dans les rues, les gens invoquaient ce qu'ils avaient de plus cher, ils se réfugiaient dans les sanctuaires comme en des lieux inviolables, et ils reprochaient aux dieux de n'être pas seulement capables de se secourir eux-mêmes. 436 D'autres, qui se rendaient aux magasins d'armes, pleuraient en les voyant vides. D'autres, qui avaient dévalé jusqu'aux abris de la flotte, se lamentaient sur le sort des navires, livrés à des hommes sans foi. Et certains s'adressaient aux éléphants en les appelant par leur nom, comme s'ils étaient encore là, et ils accablaient de reproches leurs ancêtres aussi bien qu'eux-mêmes, soutenant qu'ils auraient dû - sans céder ni leurs navires ni leurs éléphants ni les tributs qu'on leur versait 324 ni non plus leurs armes - périr avec la Patrie munie de ses moyens de défense ! 437 Ce qui d'ailleurs enflammait surtout leur colère, c'étaient les mères des otages qui, comme des sortes d'Erinyes sorties d'une tragédie, abordaient les gens avec des hurlements aigus, leur reprochant d'avoir livré leurs enfants en dépit de leur refus. Et elles leur riaient au nez, comme si les dieux se vengeaient sur eux du sort réservé à leurs fils ! 438 Les rares personnes qui gardaient leur bon sens s'employaient à fermer les portes et à garnir les remparts de pierres, pour remplacer les engins balistiques 325 •
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XCill.
439 Le jour même, le Conseil vota la guerre et
fit proclamer par le héraut que lès esclaves étaient libres 326 • On nomma également des généraux : pour les opérations extérieures, Asdrubal, à l'encontre duquel on avait proclamé la peine de mort, et qui avait d'ores et déjà rassemblé une troupe de vingt mille hommes 327 • Un émissaire courut le prier de ne pas garder rancune à la Patrie, exposée aux plus grands périls, et de ne pas lui imputer, dans le moment présent, l'injustice qu'il avait subie sous la contrainte de la nécessité, par crainte des Romains. Le commandement intra muros fut confié à un autre Asdrubal, fils d'une fille de Massinissa 328 • 440 Les Carthaginois envoyèrent d'autre part des émissaires aux consuls pour demander de nouveau une trêve de trente jours leur permettant d'envoyer une ambassade à Rome. Mais, cette fois encore, leur démarche échoua et alors un extraordinaire revirement s'opéra en eux : ils se sentaient l'audace d'endurer n'importe quoi plutôt que d'abandonner la ville 329 • 441 Après ce revirement, ils eurent tôt fait de se sentir pleins d'assurance. On transforma en ateliers la totalité des enclos publics et des lieux saints, ainsi que tout autre endroit spacieux. Hommes et femmes y travaillaient ensemble, de jour comme de nuit, prenant leur repos et leurs repas les uns après les autres, par équipes, suivant un horaire fixé : ils fabriquaient par jour cent boucliers d'osier, trois cents épées, mille projectiles de catapulte, cinq cents javelots et lances, et autant d'engins balistiques qu'ils en étaient capables. Et, manquant d'autres crins, ils tondirent les femmes pour fabriquer les ressorts à torsion 330 •
XCIV. 442 Voilà quel empressement les Carthaginois apportaient à leurs préparatifs. De leur côté, les consuls hésitaient peut-être un peu à s'engager sur-le-champ dans une entreprise effarante, d'autant qu'ils se croyaient à même de prendre la ville de force, quand ils voudraient, maintenant qu'elle était désarmée. Ils tergiversaient encore et croyaient que les Carthaginois se rendraient volontairement,
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faute de moyens, comme cela se produit d'ordinaire dans les situations de détresse : on commence par dire non, mais, à mesure que le temps passe et que l'on réfléchit davantage, la peur gagne les récalcitrants. 443 Cela, parmi les Carthaginois eux-mêmes, un quidam (il s'était figuré qu'ils étaient désormais atteints par la crainte ..) eut l'audace de le dire, encore qu'il se fût évidemment présenté devant l'assemblée comme pour traiter une autre question. « Entre plusieurs maux », dit-il, « il leur fallait choisir le moindre, puisqu'ils étaient désarmés ». Quand il eut ainsi exprimé sa pensée sans ambages< ... >331 444 De son côté, Massinissa était irrité contre Rome, et il en avait gros sur le cœur de voir que lui-même avait mis à genoux la puissance militaire de Carthage, mais que d'autres accouraient s'en attribuer le mérite, et cela sans lui avoir communiqué leurs intentions avant de passer à l' attaque, comme ils le faisaient dans les anciennes guerres 332 • 445 Néanmoins, comme les consuls sondaient ses intentions et l'invitaient à fournir une aide militaire, il répondit qu'il enverrait cette aide lorsqu'il se rendrait compte qu'ils en avaient besoin. Et, peu de temps après, il envoya des émissaires demander s'ils avaient désormais besoin de quelque chose. Or les consuls, qui ne supportaient pas son arrogance et qui, désormais, se méfiaient quelque peu de lui comme d'un homme animé de sentiments hostiles, répondirent que « lorsqu'ils auraient besoin de quelque chose, ils le lui feraient savoir » 333 • 446 Mais le ravitaillement de l'armée leur causait de gros soucis : il ne leur en venait en effet que d 'Adrumète, Leptis, Thapsos, Utique et Acholla ; car tout le reste de l'Afrique était encore sous la coupe d 'Asdrubal, qui en tirait du ravitaillement et l'envoyait à Carthage 334 •
XCV. 447 Après avoir consacré quelques jours à se ravitailler, les consuls marchèrent tous les deux contre Carthage, prêts à livrer bataille, et ils tâtaient ses défenses 335 • 448 La ville était située au fond d'un très grand golfe et ressemblait plutôt d'une certaine manière à
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une presqu'île 336 • Un isthme, d'une largeur de vingt-cinq stades, la séparait en effet du continent 337 • 449 De cet isthme se détachait un cordon littoral, étroit et allongé (sa largeur était tout au plus d'un demi-stade) qui s'étendait vers le couchant, entre la lagune et la mer < ... >338 [Ce secteur était défendu] par un mur simple, car il était bordé d 'escarpements 339 ; en revanche, celui qui regardait vers le midi en direction du continent (là précisément se trouvait Byrsa, sur l'isthme) l'était par un triple rempart 340 • 4S0 Chacun de ces remparts était haut de trente coudées, sans tenir compte des merlons et des tours ; celles-ci, à quatre étages et distantes de deux plèthres les unes des autres, ceinturaient les remparts. Chaque rempart avait trente pieds d'épaisseur, et sa hauteur était de deux étages 341 : comme ils étaient creux et couverts d'un toit, on y trouvait, en bas, des logements pour trois cents éléphants avec, à côté, des magasins pour leur nourriture, et, au-dessus, des écuries pour quatre mille chevaux, avec des entrepôts de fourrage et d'orge, ainsi que des abris pour des hommes - environ vingt mille fantassins et quatre mille cavaliers 342 • Telle était l'importance des moyens militaires dont on avait aménagé le logement dans les seuls remparts. 4S1 Il y avait toutefois un angle saillant qui, en suivant la langue de terre, s'incurvait depuis ce secteur du rempart jusqu'aux ports et constituait le seul point faible, car il était bas et on l'avait négligé dès l 'origine 343 •
XCVI. 452 Les ports communiquaient entre eux et le goulet qui permettait d'y accéder en venant de la haute mer n'avait que soixante-dix pieds de large : on le fermait avec des chaînes de fer 344 • Le premier port était accessible aux négociants et on y trouvait des bazars de toutes sortes serrés les uns contre les autres 345 • Au milieu du port intérieur se trouvait une île : l'île et le havre avaient été entourés de grands quais 346 • 453 Ces quais étaient truffés de logements construits pour deux cent vingt navires de guerre avec, au-dessus de ces logements,
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des magasins pour les agrès des trières. Chaque logement avait deux colonnes ioniques en façade, ce qui faisait ressembler à un portique l'aspect extérieur du havre et de l'île. 4S4 Sur l'île, on avait édifié, à l'intention de l'amiral, un kiosque d'où le trompette devait donner les signaux, le héraut faire les proclamations et l'amiral exercer sa surveillance. L'île se trouvait en face de l'entrée et on l'avait fortement surélevée afin que l'amiral pût surveiller tout ce qui venait de la haute mer, mais que fût dérobée à ceux qui entraient la vue exacte de ce qui se trouvait à l'intérieur347 • 45S Même pour les négociants entrés dans le port, il était impossible d'avoir immédiatement une vue d'ensemble sur les logement des navires de guerre : un double mur les entourait en effet et une porte conduisait les négociants du premier port à la ville, sans qu'ils eussent à traverser l' arsenal348 • XCVII. 4S6 Telle était Carthage à l'époque. S'étant partagé la tâche, les consuls marchèrent contre l'ennemi. Manilius, qui attaquait depuis le continent, du côté de l'isthme, avait l'intention de combler le fossé et d'enlever de vive force d'abord une sorte de retranchement bas, qui le surplombait, puis les hauts murs 349 • De son côté, depuis la terre ferme et les navires, Censorinus cherchait à appliquer les échelles du côté de l'angle saillant du rempart construit aux moindres frais350 • 4S7 Les deux consuls méprisaient un adversaire désarmé, jusqu'au moment où, rencontrant des armes neuves et des hommes animés d'une ardeur inattendue, ils se retirèrent interloqués. Ce fut le premier obstacle auquel ils se heurtèrent tout de suite, eux qui s'étaient attendus à prendre la ville sans combat. 458 Une nouvelle tentative, suivie d'un nouvel échec, renforça la détermination des Carthaginois tandis que les consuls, qui redoutaient Asdrubal (il avait établi son camp au delà de la lagune, pas très loin sur leurs arrières) fortifiaient eux aussi deux camps, Censorinus en bordure de la lagune, au pied des remparts enne-
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mis, Manilius sur l'isthme, la route menant vers le continent 351 • 459 Quand leurs camps eurent été établis, Censorinus traversa la lagune afin de se procurer du bois d' œuvre pour les machines de guerre. Et il perdit environ cinq cents de ses bûcherons ainsi que de nombreuses armes : Imilcon, surnommé Phaméas, le chef de la cavalerie carthaginoise, l'avait attaqué par surprise352 • Ayant néanmoins rapporté une certaine quantité de bois, il construisit des machines de guerre et des échelles. 460 Et ils recommencèrent tous deux à attaquer la ville et échouèrent pareillement. Les choses étant ainsi, ManiIius consentit un petit effort supplémentaire et réussit péniblement à abattre une partie de l'avant-mur, puis il renonça même à poursuivre l'attaque de ce côté-là 353 • XCVIII. 461 Pour sa part, après avoir comblé une partie de la lagune le long du cordon littoral afin de rendre celui-ci plus large, Censorinus fit avancer deux grandes machines équipées de béliers, l'une actionnée par six mille fantassins, sous le commandement des tribuns militaires, l'autre par les rameurs sous les ordres des préfets de la flotte354 • 462 Etant donné l'émulation dont faisaient preuve les travailleurs et leurs chefs, engagés dans une tâche d'égale importance et de même nature, un bout du rempart s'écroula, laissant désormais apparaître l' intérieur. Mais, même ainsi, les Carthaginois repoussèrent les Romains et s'employèrent de nuit à reconstruire ce qui s'était écroulé. 463 Comme la nuit ne leur suffisait pas pour achever le travail, craignant pour la partie déjà rebâtie, -les machines romaines risquaient, le jour venu, de l'abattre, car la maçonnerie était fraîche et encore humide- ils firent une sortie pour attaquer les machines ennemies, les uns en armes, les autres sans armes, mais avec des torches allumées, et s'ils ne les incendièrent pas toutes - ils n'en eurent pas le temps car les Romains se précipitèrent à la rescousse - du moins les rendirent-ils toutes inutilisables avant de se replier. 464 Le jour
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venu, dans un élan impulsif, les Romains voulurent s 'ouvrir de force un chemin à travers les ruines du rempart, dont la reconstruction n'était pas encore complètement achevée, et se ruer à l'intérieur On voyait en effet apparaître, au dedans, une sorte d'esplanade offrant un terrain propice pour livrer bataille. Les Carthaginois y avaient rangé, en première ligne, les hommes en armes, soutenus, sur l'arrière, par les hommes sans armes, simplement munis de pierres et de gourdins ; et, après avoir disposé une nuée d'autres combattants sur les toits des maisons entourant l'esplanade, ils attendaient la ruée de l'assaillant355.Encore plus piqués au vif à la pensée qu'ils étaient méprisés par des hommes sans armes, les Romains bondissaient à l'attaque avec hardiesse. 465 Mais Seipion (il prit peu après Carthage et fut surnommé pour cette raison l'Africain) n'était alors que tribun militaire et restait sur la défensive : quand il eut fractionné en petites unités les manipules dont il avait le commandement, il les disposa à des intervalles réguliers sur le petit rempart, sans les laisser descendre dans la ville ; mais quand il vit que les Romains, qui s'y étaient précipités, étaient repoussés par les Carthaginois et attaqués de toutes parts, il les recueillit et les sauva356 . Ce fut là son premier titre de gloire, pour s'être montré plus avisé que son général.
XCIX. 466 C'était la canicule, et l'armée de Censorinus souffrait de maladie car elle était campée auprès d'une lagune d'eau stagnante pestilentielle, au pied de murs immenses, sans être rafraîchie par le vent du large. C'est pourquoi Censorinus s'éloigna de la lagune pour rapprocher son camp de la mer357. 467 Et chaque fois que s'élevait un vent soufflant en direction des Romains, les Carthaginois, sans se faire voir de l'adversaire, hâlaient avec des câbles, au pied des remparts, des barques chargées de fagots et d'étoupe. Lorsque, doublant l'angle saillant du rempart, ils étaient sur le point d'être à découvert, ils y versaient du soufre et de la poix,
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tendaient les voiles et, quand le vent les avait gonflées, ils mettaient le feu aux barques Celles-ci, poussées vers les navires romains par le vent et par la pression additionnelle du brasier, leur causaient des dommages, et il s'en fallut de peu que la flotte ne fût incendiée 358 • 468 Peu après, Censorinus regagna Rome pour présider les élections 359 , et les Carthaginois pressèrent Manilius avec plus de hardiesse. De nuit, ils attaquaient les uns en armes, les autres sans, ces derniers portant des planches qu'ils disposaient au-dessus du fossé du camp de Manilius, du côté donnant sur la ville ; et ils cherchaient à arracher la palissade. 469 Les troupes cantonnées à l'intérieur ne savaient que faire, comme il est naturel en pleine nuit. Mais Scipion, avec de la cavalerie, sortit rapidement du camp par une autre porte, dans un secteur où on ne se battait pas, et, après avoir contourné le camp, il frappa les Carthaginois d'épouvante. Ceux-ci se replièrent vers la ville 360 • Et, pour la seconde fois, ce fait d'armes valut à Scipion la réputation d'avoir sauvé les Romains, affolés dans la nuit.
C. 470 Manilius renforça encore les défenses de son camp : il l'entoura d'un mur au lieu d'une simple palissade et construisit, en bordure de mer, une base navale fortifiée, en raison du ravitaillement que l'on débarquait361.Il se tourna d'autre part vers l'intérieur des terres et, avec dix mille fantassins et deux mille cavaliers, il ravageait le plat pays, coupant du bois, ramassant du fourrage et recueillant des vivres. A tour de rôle, les tribuns militaires se succédaient à la tête des fourrageurs. 471 Phaméas, le chef de la cavalerie africaine, un homme encore jeune et assez hardi au combat, qui utilisait de petits chevaux rapides, se nourrissant d'herbe quand il n'y avait rien d'autre et supportant, en cas de besoin, la soif et la faim, Phaméas, dis-je, demeurait caché dans des fourrés ou des ravins et, partout où il voyait de la négligence, il sortait du couvert, fondait
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comme un aigle sur l'adversaire et, après l'avoir malmené, il se retirait en vitesse. Mais, lorsque c'était Seipion qui commandait, il n'apparaissait même pas où que ce fût 362 • 472 En effet, Scipion menait toujours ses fantassins en formation de combat, et ses cavaliers restaient en selle ; et, quand on fourrageait, jamais on ne rompait les rangs avant que la plaine qu'il avait l'intention de moissonner n'eût été entourée d'un cordon de cavaliers et de fantassins. Alors, il faisait des rondes successives, formant lui-même un cercle avec d'autres escadrons de cavalerie et châtiant sévèrement tout moissonneur qui s'égaillait ou cherchait à sortir du cercle 363 •
CI. 473 C'est pourquoi il était le seul auquel Phaméas ne se frottait jamais. Comme cela se reproduisait continuellement, la gloire de Scipion augmentait, tandis que les autres tribuns, par jalousie, clabaudaient qu'il existait entre eux des liens héréditaires d'hospitalité noués par le père de Phaméas et le grand-père de Scipion, Seipion l' Ancien 364 • 474 Des Africains cherchaient refuge dans des manoirs fortifiés et dans des postes de surveillance, nombreux dans la campagne. Les autres tribuns traitaient avec eux et les laissaient partir librement, mais les attaquaient tandis qu'ils s'en allaient ; Scipion en revanche les escortait jusque chez eux et, pour cette raison, personne ne voulait conclure d'accord avant l'arrivée de Scipion 365 • 475 Si grande était la réputation de bravoure et de loyauté qu'il avait acquise en peu de temps auprès de ses concitoyens comme auprès des ennemis. 476 Comme ils étaient revenus de fourrager et avaient regagné le camp, les Carthaginois, de nuit, attaquèrent la base navale. La confusion revêtait de mutiples formes car, pour impressionner l'adversaire, les Carthaginois de la ville unissaient leurs clameurs à celles des assaillants. 477 Dans ces conditions, Manilius gardait son armée à l'intérieur du camp, en homme qui ignore la nature de la catastrophe. Mais Scipion, qui avait pris sous ses ordres dix escadrons de cavalerie, marcha à l'ennemi avec des
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torches allumées, après avoir fait la leçon à ses hommes : comme il faisait nuit, ils ne devaient pas engager de combat rapproché, mais galoper autour du camp avec leurs flambeaux, montrer leur nombre et inspirer en permanence la crainte d'une attaque imminente. Tant et si bien que les Carthaginois, ébranlés sur deux fronts, furent saisis de panique et s'enfuirent vers la ville366 • 478 Et cela s'ajouta aux précédents succès de Scipion : on ne parlait que de lui en raison de tous ses faits d'armes, et l'on disait qu'il était seul à être digne tout à la fois de son père Paul Emile, le vainqueur de la Macédoine, et des Scipions, dans la famille desquels il était entré par adoption.
CIi. 479 Tandis que Manilius faisait route vers Néphéris pour y attaquer Asdrubal, Scipion rechignait, car il voyait que toute la zone n'était qu 'escarpements, ravins, fourrés, et que l'ennemi avait occupé les hauteurs. Quand ils furent arrivés à trois stades d' Asdrubal, comme il leur fallait descendre dans le lit d'un oued et remonter la pente pour attaquer Asdrubal, Scipion à ce moment insistait fermement et conseillait de faire demi-tour, affirmant que, contre Asdrubal, ils avaient besoin d'une autre occasion et de moyens d'action différents 367 • 480 Comme les autres tribuns militaires, jaloux de lui, soutenaient le contraire et estimaient que c'était un trait de couardise et non de prudence que de battre en retraite après avoir vu l'ennemi, dans des circonstances où celui-ci les mépriserait et les attaquerait dans leur fuite, il demanda après leur intervention qu'un camp fût édifié devant l'oued afin que, s'ils étaient repoussés, ils eussent une position de repli, alors que pour le moment ils n'avaient même pas un endroit où se réfugier. 481 Mais les tribuns tournaient encore cette proposition en dérision, et l'un d'eux menaça de jeter son épée, si ce n'était plus Manilius, mais Scipion qui exerçait le commandement. Manilius, qui d'ailleurs n'avait pas une grande expérience militaire, franchit donc l'oued ; quand
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il eut traversé, Asdrubal se porta à sa rencontre, et il y eut beaucoup de morts de part et d'autre. 482 Et Asdrubal remonta rapidement vers le fort, où il ne pouvait subir aucun dommage : il guettait l'occasion d'attaquer les Romains quand ils s'en iraient.· Ceux-ci, qui se mordaient les doigts de leur erreur, cherchaient à se replier et, jusqu'au lit de l'oued, ils le firent en bon ordre. Mais, comme l'oued était difficile à traverser et qu'il n'y avait que quelques gués d'un franchissement malaisé, ils furent bien obligés de se diviser et de rompre les rangs. 483 Asdrubal, qui les surveillait d'en haut, lança alors contre eux une attaque particulièrement vigoureuse, et il en tua un très grand nombre : ils ne se défendaient même pas et cherchaient à fuir. Tombèrent même trois tribuns militaires - ceux qui portaient principalement la responsabilité d'avoir conseillé au général de livrer la bataille.
CIII.
484 Scipion divisa en deux moitiés les trois cents cavaliers qu'il avait sous son commandement et tous ceux qu'il avait eu le temps de rameuter, puis chargea les ennemis au grand galop : à tour de rôle, ses hommes lançaient leur javelot et tournaient bride aussitôt après, puis revenaient à l'attaque et immédiatement après recommençaient leur repli. Il leur avait en effet prescrit de charger successivement, chaque unité à son tour, et, sitôt les javelots lancés, de se retirer, en tournant comme dans un amphithéâtre. 485 Ce manège devint serré et continu, et les Africains, pris sous des tirs ininterrompus, se retournèrent contre Scipion, relâchant ainsi la pression qu'ils exerçaient sur les Romains en train de traverser : ceux-ci eurent le temps de franchir l'oued. Et Scipion se replia après eux, non sans difficulté, car il était la cible des tirs. 486 Mais quatre manipules qui, au début de cet engagement, avaient été coupés de l'oued par les ennemis, avaient grimpé se réfugier au sommet d'une colline. Et Asdrubal les avait encerclés, ce dont les Romains ne se rendirent compte qu'après avoir fait
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halte 368. 487 Quand ils l'apprirent, ils furent dans l'embarras. Les uns étaient d'avis que l'on devait fuir et ne pas faire courir des risques à tous à cause de quelques-uns. Scipion en revanche expliqua qu'au début d'une action militaire, il faut faire preuve de prudence, mais que, lorsque tant d'hommes et d'enseignes étaient en péril, on devait déployer des prodiges d 'audace 369. 488 Ayant lui-même choisi certaines unités de cavalerie, il dit qu'il ramènerait sains et saufs les fantasins encerclés, ou qu'il périrait avec eux, le cœur joyeux ! Emportant deux jours de vivres, il se mit aussitôt en marche, bien que l'armée redoutât fort que lui non plus ne revînt pas. 489 Lorsqu'il parvint à proximité de l'éminence où se trouvaient les fantassins assiégés, il s'empara, en un temps de galop, de la colline d'en face : un ravin les séparait. Ce fut alors que les Africains exercèrent la plus forte pression sur les assiégés, et c'était contre eux qu'ils s'étaient tournés, car ils se figuraient que Scipion n'était pas encore en état de voler à la rescousse, au sortir d'une marche soutenue370. 490 Néanmoins, sitôt qu'il vit que les contreforts des deux crêtes contournaient le ravin, Scipion ne laissa point passer l'aubaine, mais, empruntant ce chemin, il accomplit un rapide mouvement circulaire au-dessus des ennemis. Ceux-ci, bientôt encerclés, s'enfuirent en désordre : Scipion les laissa se retirer sans les inquiéter, car ils étaient de beaucoup les plus nombreux.
CIV. 491 Ce fut ainsi que Scipion sauva également ces Romains, qui s'étaient trouvés dans une situation désespérée. Le voyant de loin revenir sain et sauf contre toute attente après avoir sauvé ses compagnons d'armes, l'armée poussa un grand cri de joie, et on se figurait qu'une divinité l'assistait -celle précisément qui passait pour annoncer l'avenir à son grand-père Scipion 371. 492 Manilius plia bagages pour regagner le camp établi devant Carthage : il avait lourdement payé la faute de ne pas avoir écouté Scipion lorsque celui-ci cherchait à le
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détourner de cette expédition. Comme tout le monde s'indignait que les morts, surtout les tribuns, eussent été laissés sans sépulture, Scipion fit libérer quelques prisonniers, qu'il envoya à Asdrubal, l'exhortant à ensevelir les tribuns. 493 Asdrubal fit procéder à un examen des cadavres et reconnut les tribuns à leur anneau : à l'armée, les tribuns militaires portent un anneau d'or, les subalternes un anneau de fer 372. Il les fit ensevelir, soit qu'il estimât qu'il s'agissait d'un acte humanitaire, d'un usage général en temps de guerre, soit qu'il craignît déjà la gloire de Scipion et cherchât à lui faire sa cour373. 494 D'ailleurs, au moment où les Romains levaient le camp pour s'éloigner d 'Asdrubal, Phaméas les attaqua, dans la confusion provoquée par leur échec. Et, alors qu'ils allaient réintégrer , les Carthaginois firent une sortie, se portèrent à leur rencontre et leur tuèrent un certain nombre de bêtes de somme.
CV. 495 Sur ces entrefaites, le Sénat envoya auprès de l'armée une commission chargée de s'informer et de lui rendre compte très exactement de la situation. Devant la commission, Manilius, son conseil et les tribuns survivants témoignèrent en faveur de Scipion, car sa réussite avait éteint leur jalousie. Témoignait aussi en sa faveur l'armée entière et, en plus, ses exploits, si bien qu'à leur retour les émissaires du Sénat publièrent partout la compétence et l'efficacité de Scipion, ainsi que l'élan d'enthousiasme portant l'armée vers lui374. 496 Le Sénat s'en réjouissait, mais, en raison des nombreux revers subis, il envoya une ambassade à Massinissa pour requérir de sa part une vigoureuse aide militaire contre Carthage375. 497 L'ambassade, toutefois, ne put le rencontrer. Accablé par la vieillesse et la maladie, et se voyant pourvu de nombreux enfants illégitimes, auxquels il avait fait de grandes donations, mais de trois fils légitimes seu375. Sur l'attitude de Massinissa, cf. supra, 94, 444-445 et n. 332 et 333.
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lement, dont les activités dénotaient des caractères entièrement dissemblables, il avait fait appel à Scipion, puisqu'il était son ami comme l'avait été son grand-père, pour le conseiller sur ses enfants et son royaume. 498 Scipion se mit aussitôt en route mais, peu avant son arrivée, Massinissa, près de rendre l'âme, recommanda à ses enfants d'obéir à Scipion, quelle que fût la façon dont il partagerait entre eux son patrimoine 376 •
CVI. 499 Sur ces mots, il mourut. Ce fut un homme à tous égards favorisé par la Fortune, auquel la Divinité accorda le royaume de ses pères, dont les Carthaginois et Syphax l'avaient dépouillé, et de lui donner une très grande extension, depuis la Maurétanie, voisine de l'Océan, jusqu'au royaume de Cyrène, vers le milieu du continent 377 • Elle lui permit aussi de mettre en culture un immense territoire alors que, dans l'ensemble, les Numides se nourrissaient de plantes sauvages, faute de pratiquer l' agriculture 378 , de laisser à ses héritiers de grands trésors ainsi qu'une nombreuse armée bien entraînée, et de régler leur compte à ses ennemis : de sa propre main, il captura Syphax, et il provoqua la ruine de Carthage, à bout de forces quand il l'abandonna aux Romains. 500 Physiquement, c'était un homme de haute taille, plein d'une grande vigueur, même dans son extrême vieillesse, et qui jusqu'à sa mort prit part aux combats, montant à cheval sans l'aide d'un écuyer. Voici la meilleure preuve que je donnerai de sa vigueur : alors 377. De fait, les diverses conquêtes de Massinissa, tant à l'ouest qu'à l'est, s'étaient soldées, entre 203 et 152, par un très sensible accroissement du royaume massyle tel qu'il était à la mort de Gaïa : en 150, il s ·étendait de la Moulouya, au Maroc, à l'ouest (limite qui restera à l'époque romaine la frontière entre Maurétanie Tingitane et Maurétanie Césarienne) jusqu'au milieu de la Grande Syrte, ville de Lepcis Magna comprise, au sud-est. Carthage ne conservait plus alors que le territoire qui, borné par la fossa regia, sera pendant un siècle celui de la première province romaine, l' Africa uetus ; cf. G. Camps, Massinissa, p. 189-196 et carte de la fig. 18.
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que des enfants lui naissaient et lui mouraient en grand nombre, il n'en avait jamais moins de dix en vie, et il laissa, à quatre-vingt-dix ans, un enfant de quatre ans !379 501 Voilà donc l'âge et la condition physique de Massinissa au moment de sa mort. Scipion, quant à lui, commença par accorder de nouvelles donations aux enfants illégitimes du roi, puis il déclara que ses fils légitimes posséderaient en commun les trésors, le produit du tribut et le titre royal. 502 Mais il partagea le reste de l 'héritage de manière à ce que chacun reçût ce qui répondait le mieux à ses aspirations : l'aîné, Micipsa, qui était aussi le plus pacifique, aurait comme privilège Cirta et le palais royal qui s'y trouvait ; Gulussa, son cadet, militaire dans l'âme, déciderait souverainement de la guerre et de la paix ; Mastanabal enfin, qui était le plus jeune, pratiquait la justice : à lui de juger les chicanes entre leurs sujets 380 •
CVII. 503 Voilà comment Scipion divisa le pouvoir et les biens de Massinissa entre ses enfants. Et, sans perdre un instant, il amena Gulussa à lui fournir une aide militaire 381 • Celui-ci rechercha principalement les embuscades dressées par Phaméas, qui inquiétaient particulièrement les Romains, et les fit cesser. 504 Par ailleurs, au cours d'une pause hivemale 382 , les routes de Scipion et de Phaméas se croisèrent. Un ravin infranchissable les séparait, qui leur ôtait la possibilité de se nuire mutuellement. Redoutant toutefois quelque embuscade sur ses devants, Scipion s'avança en éclaireur avec trois amis. Phaméas le vit et se porta à sa rencontre avec un seul ami. SOSAlors, conjecturant qu'il désirait lui dire quelque chose, Scipion se détacha du peloton, accompagné lui aussi d'un seul ami. Et, sitôt qu'ils furent à portée de voix l'un de l'autre, Scipion prit la parole le premier : 506 « Tu vois, Phaméas, où en sont arrivées les affaires de
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Carthage ! Pourquoi donc ne prépares-tu pas ton salut personnel, puisque tu n'es pas en mesure d'assurer celui de tes concitoyens ? » L'autre répondit : « Quel salut puis-je espérer, les dispositions des Carthaginois étant ce qu'elles sont et Rome ayant subi, de mon fait, quantité de dommages ? » Et Scipion de répliquer : « Je me porte garant, pour autant que je sois un répondant loyal et sûr, que tu obtiendras de Rome la vie sauve, ton pardon et même de la gratitude 383 ». Phaméas se répandit d'abord en éloges sur le compte de Scipion, l'homme le plus loyal au monde 384 , puis il ajouta : « J'apprécierai la situation et, si j'estime la chose possible, tu en seras informé ».
CVIII. 507 Après quoi ils furent séparés. De son côté, honteux de l'échec qu'il avait essuyé devant Asdrubal, Manilius repartit en expédition contre Néphéris, avec une provision de vivres pour quinze jours 385 • 508 Arrivé à proximité, il éleva une palissade renforcée d'ouvrages de défense et munie d'un fossé, conformément aux recommandations faites par Scipion lors de la précédente expédition. Mais le manque de résultats ne fit qu'augmenter sa honte et sa crainte d'une nouvelle attaque d 'Asdrubal au moment où il opérerait son repli. 509 Tel était son embarras quand un homme de l'armée de Gulussa apporta une lettre à Scipion. Immédiatement celui-ci la présenta, scellée, au général. 510 Quand ils eurent brisé le sceau, ils lurent ceci : « Tel jour, je m'emparerai de telle place. Viens avec autant d'hommes que tu veux et avertis les avant-postes d'accueillir l'homme qui se présentera de nuit ». Voilà ce que disait la lettre, sans donner aucun nom, mais Scipion comprit qu'elle venait de Phaméas. 511 Manilius redoutait pour Scipion quelque embûche de la part d'un homme qui, mieux que personne, savait enjôler ceux auxquels il tendait un piège. Néanmoins, le voyant optimiste, il le laissa partir, lui permettant de donner à Phaméas des
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assurances fennes sur son salut, sans détenniner toutefois les marques de gratitude dont il ferait l'objet, mais en l'avisant que Rome ferait ce qu'il fallait 512 En fait, les promesses ne furent même pas nécessaires car, lorsque Phaméas arriva au rendez-vous convenu, il dit se fier, pour son salut, à la parole de Scipion 386 et laisser aux Romains le soin de témoigner leur gratitude. 513 Tels furent ses propos ; le lendemain, il rangea ses troupes pour la bataille puis, s'avançant au galop avec les commandants d'escadron dans l'espace entre les deux années, comme pour procéder en quelque manière à une nouvelle évaluation de la situation, il déclara : « S'il est encore possible de secourir notre Patrie, je suis prêt à le faire avec vous. Mais si sa situation est bien ce qu'elle est, mon avis personnel est de pourvoir chacun à notre salut individuel. J'ai reçu des garanties pour moi-même et tous ceux d'entre vous que je persuaderai. C'est le moment pour vous aussi de choisir ce qui vous est avantageux ». 514 Telles furent ses paroles, et une partie des commandants d'escadron désertèrent avec leurs hommes -au total deux mille deux cents cavaliers 387 • Les autres en furent empêchés par Annon, surnommé le Blanc 388 •
CIX. 515 Comme Scipion revenait avec Phaméas, l'armée se porta à sa rencontre et lui faisait une ovation, comme à l'occasion d'un triomphe. Au comble de la jubilation, estimant qu'après cet exploit sa retraite ne serait plus infamante et n'appréhendant plus qu 'Asdrubal, en plein désarroi, le talonnât, Manilius leva immédiatement le camp en raison du manque de vivres : on était le dix-septième jour au lieu du quinzième. Mais il lui fallait endurer encore trois jours d'épreuve pour revenir. 516 Prenant donc avec lui Phaméas, Gulussa et les cavaliers placés sous les ordres de chacun d'entre eux, auxquels il adjoignit encore quelques Italiens, Scipion marcha rapidement vers une plaine que l'on nomme « le Grand Abîme », d'où il rejoignit l'année dans les
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parages de Tunis avec le butin et le ravitaillement qu'il en avait tirés389 • 517 Informé que Calpurnius Pison arrivait pour lui succéder, Manilius se fit précéder à Rome par Scipion, accompagné de Phaméas. Et l'armée, accourant vers le rivage jusqu'au navire, acclamait Seipion et faisait des vœux pour qu'il revînt en Afrique comme consul. Lui seul, pensaient-ils, prendrait Carthage. Cette conviction que seul Scipion prendrait Carthage leur venait d'une sorte d'inspiration divine. C'était ce que beaucoup écrivaient à leurs familles dans le courrier qu'ils adressaient à Rome390 • 518 Le Sénat fit d'abord l'éloge de Scipion, puis gratifia Phaméas d'une tunique de pourpre et d'un manteau brodé d'or, d'un cheval au harnachement garni de phalères d'or, d'un équipement militaire complet et de dix mille drachmes d 'argent ; il lui donna encore pour cent mines d'argenterie et une tente avec son mobilier complet391 • Il lui fit même espérer davantage s'il aidait les Romains à achever la guerre. Phaméas en fit la promesse et s'embarqua pour rejoindre l'armée romaine en Afrique. CX. 519 Le consul Calpurnius Pison arriva au début du printemps avec Lucius Mancinus pour commander la flotte392 ; ils ne tentèrent rien ni contre Carthage ni contre Asdrubal, mais s'attaquèrent aux villes ; ils échouèrent devant Aspis, dont ils avaient tâté la résistance par terre et par mer393 ; mais Pison s'empara d'une autre ville, peu éloignée, et la mit au pillage, alors que ses habitants se répandaient contre lui en accusations, au motif qu'ils étaient venus le trouver pour conclure un traité394 • 520 De là, le consul se transporta à Hippo Diarrhytos, grande cité que le tyran de Sicile Agathocle avait pourvue de bons équipements - remparts, citadelle, ports et arsenaux. Sa position, à mi-chemin entre Carthage et Utique, permettait à ses corsaires de piller les convois de ravitaillement destinés aux Romains : de là venait sa grande richesse395 • 521 Calpurnius méditait d'en châ-
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tier les habitants et de leur enlever, à tout le moins, le produit de leurs rapines. Mais il demeura tout l'été aux aguets devant la place sans aboutir, alors que les habitants d' Hippo Diarrhytos firent deux sorties, soutenus par leurs alliés carthaginois, et incendièrent ses machines.
CXI. 522 Et Pison, revenu à Utique sans aucun résultat, y prit ses quartiers d'hiver. Du côté des Carthaginois, l'année d 'Asdrubal n'avait souffert aucun dommage, eux-mêmes l'avaient emporté au combat sur Pison autour d 'Hippo Diarrhytos, le Numide Bithyas avait abandonné Gulussa pour passer de leur côté avec huit cents cavaliers, et ils voyaient les fils de Massinissa, Micipsa et Mastanabal, promettre toujours aux Romains des armes et de l'argent, mais en fait temporiser et, à l'évidence, attendre la suite des événements 396 • Aussi, soulevés par la fierté, les Carthaginois se mirent-ils à parcourir sans crainte l'Afrique, fortifiant les campagnes et tenant souvent dans les cités des assemblées où ils s'en prenaient aux Romains avec insolence. 523 Pour preuve de leur lâcheté, ils avançaient leur double échec devant Néphéris et tous ceux qu'ils venaient juste d'essuyer devant Hippo Diarrhytos, et le fait qu'ils n'avaient pas été capables de s'emparer de Carthage elle-même, bien qu'elle fût démunie d' annes et de moyens de défense. 524 Ils dépêchèrent encore à Micipsa et à Mastanabal, ainsi qu'aux Maures indépendants, des ambassades pour tout à la fois solliciter leur aide et leur expliquer que Rome s'en prendrait aussi à eux après s'en être prise à Carthage 397 • 525 Ils envoyèrent également d'autres émissaires en Macédoine auprès du prétendu fils de Persée, en guerre contre Rome : ils cherchaient à le convaincre de continuer la guerre sans faiblir, en étant persuadé qu'il ne manquerait ni d'argent ni de navires venant de Carthage 398 • Bref, maintenant qu'ils étaient réarmés, ils n'avaient plus en tête que des projets grandioses et leur ardeur comme leur audace croissaient avec
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l'avancement de leurs préparatifs militaires. 526 Surexcité à son tour par sa double victoire sur Manilius, Asdrubal, qui avait le commandement du territoire et brûlait de recevoir de surcroît celui de la ville, porta devant le Conseil contre l'autre Asdrubal, un neveu de Gulussa exerçant la plus haute magistrature dans la cité, l'accusation calomnieuse de vouloir livrer à ce même Gulussa les possessions de Carthage 399 • 527 Quand l'accusation fut lancée publiquement, ce magistrat, pris de court, ne sut que répondre et les sénateurs le mirent à mort en le frappant de leurs tabourets 400 •
CXD. 528 Arrive alors à Rome la nouvelle de l'inertie de Pison et des préparatifs des Carthaginois : le peuple, voyant se développer une grande guerre sans merci dans un pays voisin, fut accablé et rempli de crainte. De fait, les Romains ne s'attendaient à aucune suspension des hostilités, car ils avaient, les premiers, donné l'ordre d'user de perfidie. 529 Cependant, quand ils se remémoraient les résultats obtenus récemment par Scipion, du temps qu'il était encore tribun militaire en Afrique, et qu'ils les comparaient à la situation, et lorsque leur revenaient à l'esprit les lettres que leur avaient expédiées de l'armée leurs parents et amis 401 , ils reprenaient leurs esprits et se sentaient enclins à envoyer Scipion à Carthage comme consul. 530 Les comices devaient se tenir sous peu ; Scipion briguait l'édilité car, vu son âge, les lois ne lui permettaient pas encore d'exercer le consulat ; le peuple voulait pourtant le faire consul 402 • 531 Comme la chose était illégale, les consuls 403 produisaient devant lui le texte de la loi ; mais le peuple persistait et se montrait pressant, criant que, d'après les lois de Tullius et de Romulus, c'était lui qui décidait souverainement du choix des magistrats et qu'en matière de lois électorales, il validait ou invalidait ce qu'il voulait'4°4. 532 Finalement, l'un des tribuns dit qu'il retirerait aux consuls l'organisation de l'élection, s'ils ne se rangeaient pas à l'avis
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du peuple405 • Et le Sénat confia aux tribuns le soin d' abroger la loi en question et de la réintroduire au bout d'un an, à peu près de la même manière que les Lacédémoniens eux aussi, sous la contrainte des circonstances, suspendirent l'atimie des soldats capturés à Pylos en disant « qu'en ce jour il fallait laisser dormir les lois » 406 • 533 C'est ainsi que Scipion, qui briguait l'édilité, fut élu consul, et son collègue Drusus lui enjoignit de tirer au sort avec lui l'attribution de l'Afrique. Finalement, l'un des tribuns fit adopter un texte aux termes duquel le choix pour ce commandement appartiendrait au peuple. Et le peuple choisit Scipion407 • 534 On lui confia une armée de conscrits, en nombre juste suffisant pour compenser les pertes ; on lui permit aussi d'emmener comme volontaires tous ceux des alliés qu'il convaincrait de le suivre, et de s'adresser à tous les rois et à toutes les cités qu'il jugerait bon, en écrivant ses lettres au nom du peuple romain408 • De la sorte, il obtint quelques troupes des cités et des rois.
CXIII. 535 Ces affaires réglées,· il prit la mer pour la Sicile et de là pour Utique409 • De son côté, Calpurnius Pison assiégeait les villes de l'intérieur tandis que Mancinus était mouillé devant Carthage. Ayant remarqué qu'une partie du rempart était laissée sans surveillance (là où précisément il était défendu par une succession continue de falaises infranchissables, raison pour laquelle le rempart était laissé sans surveillance ... ), Mancinus conçut l'espoir de porter secrètement des échelles jusqu'à ce rempart410• 536 Il les appliqua certes contre le rempart et un certain nombre de soldats les gravirent audacieusement. Mais, comme ils n'étaient encore qu'une poignée, les Carthaginois méprisèrent leur petit nombre, ouvrirent une porte conduisant aux escarpements et firent une sortie contre les Romains. Ceux-ci les mirent en fuite, les poursuivirent et se ruèrent avec eux dans la ville par la porte. 537 Ils poussèrent alors une clameur, comme si la victoire était acquise. Mancinus, transporté de joie (c'était d'ailleurs un homme irréfléchi qui cédait à
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la précipitation), et toute la foule qui l'accompagnait, abandonnèrent les navires et accoururent en poussant des cris vers le rempart, sans armes ni équipement défensif 11• 538 Comme déjà le dieu solaire se couchait, ils occupèrent un point d'appui proche du rempart et y demeurèrent en repos. Cependant, manquant de vivres, Mancinus pressait Pison et les magistrats d'Utique de lui venir en aide dans le péril où il se trouvait et de lui apporter en hâte des vivres.
CXIV. 539 Et, s'il était délogé à l'aube par les Carthaginois, il risquait d'aller se fracasser sur les falaises. Mais, dans la soirée, Scipion avait abordé à Utique et, vers le milieu de la nuit, il rencontra les magistrats auxquels Mancinus avait écrit412• Aussitôt, il ordonna aux trompettes de sonner le branle-bas de combat et aux hérauts d'appeler au rassemblement sur le rivage tous ceux qui étaient venus avec lui d'Italie ainsi que tous les hommes d'Utique dans la force de l'âge ; les vieux, quant à eux, descendraient du ravitaillement jusqu'à leurs propres trirèmes 413 • 540 Il relâcha aussi quelques prisonniers carthaginois, afin qu'ils allassent annoncer à leurs concitoyens que Scipion avait pris la mer pour les attaquer4 14• Quant à Pison, il lui dépêcha plusieurs cavaliers coup sur coup, l'appelant de toute urgence 415 • Luimême, à la dernière veille, prit la mer après avoir donné ses ordres : lorsque l'on approcherait, les troupes embarquées sur chaque navire devraient se dresser sur le tillac de façon à donner à l'ennemi l'impression qu'ils étaient plus nombreux. 541 Tandis que Scipion prenait ces dispositions, Mancinus voyait, à l'aube, les Carthaginois fondre sur lui de tous les côtés. Ne disposant que de cinq cents hommes armés, il les disposa en cordon autour des gens sans armes, dont le nombre s'élevait à trois mille 416 • Mais, criblé de traits à travers ce rideau de troupes et repoussé avec la cohue jusqu'au rempart, il était sur le point d'être précipité du haut de la falaise quand on aper-
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çut les navires de Scipion 542 qui approchaient du rivage dans un impressionnant bouillonnement d'écume, bondés de soldats partout dressés sur le tillac. Ce n'était pas une surprise pour les Carthaginois, informés par les prisonniers relâchés. Aux Romains, qui n'étaient pas au courant, ces navires apportèrent en revanche un salut imprévu. Profitant en effet d'un léger repli des Carthaginois, Scipion prit à bord des navires les hommes en péril417 • 543 Il envoya bientôt Mancinus à Rome (Serranus arriva en effet pour lui succéder au commandement de la flotte) et installa lui-même un camp non loin de Carthage418 • 544 Les Carthaginois, de leur côté, s'avancèrent à environ cinq stades des remparts et établirent en face de Scipion un retranchement protégé par une palissade. Ils furent rejoints dans ce retranchement par Asdrubal, le commandant du territoire, et par le chef de la cavalerie, Bithyas, qui amenaient six mille fantassins et environ mille cavaliers, bien entraînés par de longs exercices419 •
CXV. 545 Scipion voyait qu'il n'y avait chez ses soldats ni ordre ni discipline, mais qu'au contraire Pison leur avait donné toute latitude de s'abandonner à l 'oisiveté, à la cupidité et à la rapine ; qu'en outre il y avait avec eux une foule d'autres gens, des mercantis qui, suivant l'armée pour le butin, couraient à la maraude avec les plus audacieux lorsque ceux-ci marchaient sans en avoir reçu l'ordre, alors que la loi considère comme déserteur, en temps de guerre, quiconque s'éloigne trop pour entendre encore la trompette420 ; qu'enfin ces genslà imputaient à leur général tous les revers qu'ils avaient essuyés et que toutes leurs prises devenaient pour eux de nouvelles causes de discorde et de crimes. 546 L'appât du gain, en effet, conduisait beaucoup d'entre eux à faire fi des liens de camaraderie et ils en venaient à commettre des actes criminels, des voies de fait et même des meurtres. S'étant rendu compte de la situation et s 'atten-
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dant à ne jamais venir à bout de l'ennemi s'il ne venait pas à bout de ses propres hommes, Scipion les réunit en assemblée et, monté sur une estrade élevée, il leur adressa la mercuriale que voici :
CXVI. 547 « Soldats, lorsque je servais avec vous sous le commandement de Manilius, j'ai donné la preuve de mon obéissance : vous en étiez témoins421 • Cette obéissance, je l'exige de vous maintenant que c'est moi qui exerce le commandement. J'ai le pouvoir de punir la désobéissance avec la dernière rigueur, mais je pense qu'il est utile de vous avertir. 548 Vous savez quelle est votre conduite : à quoi bon exposer ce dont j'ai honte ? Vous maraudez plus que vous ne faites la guerre, et vous battez la campagne au lieu de vous tenir au camp. Vous ressemblez à ces gens que le gain attire dans les foires, et non à une armée assiégeante. Vous voulez vous la couler douce, alors que vous êtes encore en guerre et que vous n'avez pas encore remporté la victoire. 549 C'est pourquoi l'ennemi, dont la situation était désespérée et réduite à rien quand j'ai quitté l 'armée 422 , a connu un tel regain de puissance, et notre tâche, alors si facile, est devenue plus pénible. Quant aux responsabilités, si je voyais qu'elles vous incombent, je sévirais immédiatement. 550 Mais puisque je les reporte sur un autre423 , je vous tiens quittes présentement de ce qui s'est passé jusqu'à ce jour. Cependant, je ne suis pas venu, moi, pour marauder, mais pour vaincre ; je ne suis pas venu pour m'enrichir avant la victoire, mais pour régler d'abord son compte à l'ennemi. Vous qui ne faites pas partie du corps expéditionnaire, quittez tous le camp aujourd'hui même424, hormis ceux à qui je donnerai l'ordre de rester. 551 Je n'autorise pas non plus les partants à revenir, sauf s'ils apportent du ravitaillement, et encore devra-t-il être d'une frugalité militaire. Et même ceux-là se verront assigner un horaire fixe pour proposer leurs marchandises, dont le questeur et moi-même surveillerons la vente425 • 552 Que les
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inutiles se le tiennent pour dit. Quand à vous, soldats, n'ayez qu'un seul mot d'ordre, commun à tous dans toute espèce d'action : ma conduite et mes efforts. Avec ce repère pour vous diriger, votre zèle ne saurait s'égarer ni la récompense vous échapper. S53 Pour l'heure, il faut peiner, tant que nous sommes en péril, et renvoyer au moment qui convient les profits et les douceurs de l 'existence. Voilà ce que vous ordonnent votre général et la Loi qui, à ceux qui se montrent obéissants, accordera en retour des avantages en quantité, tandis que les indociles auront à s'en repentir !426 »
CXVII. S54 Ainsi parla Scipion et, sur-le-champ, il chassa la foule des inutiles, se débarrassant par la même occasion de toutes les vaines superfluités du luxe. Puis, quand l'armée fut épurée, craintive devant son général et prompte à l'obéissance, il essaya de s'emparer du quartier appelé Mégara 427 , attaquant par surprise la même nuit en deux lieux différents. SSS Mégara est un vaste faubourg qui fait partie de la ville et jouxte le rempart428• Contre ce faubourg, Scipion envoya, par un chemin de contournement, une partie de son armée, tandis que par un autre itinéraire, avec haches, échelles et leviers, il progressait luimême sur vingt stades, sans bruit, dans le silence le plus profond 429 • S56 Mais, comme il arrivait à proximité immédiate, on le repéra d'en haut et, des remparts, une clameur fut poussée, à laquelle il fut le premier à répondre vigoureusement, imité par ses troupes et par celles qu'il avait envoyées dans l'autre secteur de manière à épouvanter par cette première manifestation les Carthaginois qui voyaient surgir sur leurs flancs, inopinément et en pleine nuit, une telle multitude d'ennemis 430 • S57 Cela étant, Scipion eut beau attaquer du côté du rempart, il n'obtint aucun résultat. Mais il fit monter de jeunes soldats intrépides au sommet d'une maison forte abandonnée, propriété d'un particulier, qui se trouvait à l'extérieur de l'enceinte et était de la même hauteur que le rempart. Par des tirs de javelots, ces soldats firent refluer les Carthaginois
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postés sur le rempart et, pour remplir l'espace intermédiaire, ils diposèrent un bâti de madriers et de traverses grâce auquel ils passèrent rapidement sur le rempart : de là ils sautèrent dans Mégara, enfoncèrent une poterne et accueillirent Scipion 431 • 558 Ce dernier y pénétra avec quatre mille hommes, tandis que les Carthaginois s'enfuyaient à toutes jambes vers Byrsa, car ils se figuraient que le reste de la ville avait été pris432 • On entendait des cris de toutes sortes, on faisait quelques prisonniers, et le tumulte était tel que même ceux qui étaient campés à l'extérieur abandonnèrent le retranchement et remontèrent en courant vers Byrsa avec les autres 433 • 559 Ce quartier, Mégara, servait aux cultures maraîchères et les plantes de saison y abondaient. Ce n'étaient que murettes de pierres sèches, couronnées de ronces et autres épineux, ainsi qu'un enchevêtrement de canaux d'irrigation tortueux, où coulait une eau profonde 434 • Scipion craignit que le terrain ne fût impraticable et malaisé pour une armée poursuivante (d'autant que le tracé des venelles lui était inconnu) et qu'on ne lui tendît quelque embuscade nocturne : il opéra donc un mouvement de repli 435 •
CXVIII. 560 Au lever du jour, outré de l'attaque lancée jusque dans Mégara, Asdrubal fit conduire sur le rempart tous les prisonniers romains qu'il détenait : leurs compatriotes devaient aisément embrasser du regard ce qui s'accomplissait depuis cet emplacement. Aux uns, il faisait arracher avec des crocs de fer les yeux, la langue, les tendons et les parties génitales. Aux autres, il faisait découper la plante des pieds et trancher les doigts, à moins qu'il ne les fit entièrement écorcher avant de les précipiter du haut du rempart, alors que tous étaient encore vivants ! Il visait ainsi à créer l'irréparable entre Carthaginois et Romains 436 • 561 Il les excitait ce faisant à placer leur espoir de salut dans la seule lutte armée, mais les choses tournèrent à l'inverse de ce qu'il s'imaginait. En proie à la mauvaise conscience qu'éveil-
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laient en eux ces actes impies, les Carthaginois perdirent leur enthousiasme pour céder à la terreur, et ils haïssaient Asdrubal de leur avoir arraché jusqu'à la possibilité du pardon. C'était surtout le conseil qui l'accablait de reproches pour avoir accompli des actes d'une arrogante cruauté quand l'infortune publique était si grande. 562 Asdrubal alla jusqu'à faire arrêter et exécuter quelques sénateurs et, objet désormais, à tous égards, de la crainte générale, il finit par exercer une tyrannie plutôt qu'un commandement régulier : il pensait qu'il ne trouverait de sécurité que s'il se faisait craindre de ses compatriotes et par cela même se mettait à l'abri des attaques 437 •
CXIX. 563 De son côté, Scipion incendia le camp palissadé que l'ennemi avait abandonné la veille en fuyant vers la ville puis, se trouvant maître de l'isthme tout entier, il le coupa par un fossé courant d'une mer à l'autre, à bonne distance des tirs ennemis. Ces derniers harcelaient Scipion dont le chantier s'étendait sur un front de vingt-cinq stades, où il devait en même temps travailler et combattre 438 • 564 Lorsqu'il eut achevé cet ouvrage, il fit creuser, en ne s'écartant pas beaucoup du premier, un second fossé de même dimension regardant vers le continent. Puis il adjoignit à ceux-ci deux autres fossés transversaux, de façon que l'ensemble de la tranchée formât un quadrilatère, et il garnit le tout de pieux aiguisés. 565 En plus de ces pieux, il munit trois des fossés d'une palissade ; quant à celui qui regardait vers Carthage, il construisit tout du long, sur les vingt-cinq stades, un rempart dont la hauteur était de douze pieds, non compris les merlons et les tours le surplombant à intervalles réguliers. Son épaisseur était d'environ la moitié de sa hauteur. La tour centrale était la plus élevée et supportait une autre tour de bois, haute de quatre étages, d'où Scipion observait ce qui se passait dans la ville 439 • · 566 Scipion exécuta ces ouvrages en vingt
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jours et vingt nuits, pendant lesquels toute l'armée fut à la peine, chacun tour à tour travaillant, combattant, prenant ses repas ou du sommeil. Puis il fit rentrer l'armée dans ce retranchement.
CXX. 567 Scipion disposait là tout à la fois d'un camp et d'une fortification toute en longueur dirigée contre l'ennemi. C'est à partir de cette base qu'il s'élançait pour priver les Carthaginois du ravitaillement qu'on leur acheminait par voie terrestre ; en effet, sauf du côté de l'isthme, Carthage était environnée par la mer. 568 Cela devint pour elle la première et principale cause de famine et de maux ; attendu en effet que toute la population avait abandonné les campagnes pour chercher domicile en ville, que les gens, à cause du siège, ne pouvaient plus se rendre nulle part, qu'il n'y avait plus, du fait de la guerre, affluence de marchands étrangers, Carthage disposait seulement du ravitaillement fourni par l'Afrique, et cet approvisionnement n'arrivait par mer qu'en petite quantité et sporadiquement, seulement quand la saison s'y prêtait440; l'essentiel était acheminé par voie terrestre. Privés donc, à cette heure, des importations venues depuis la terre ferme, ils ressentaient la faim. 569 Bithyas, qui commandait leur cavalerie et avait été envoyé, depuis longtemps déjà, chercher des vivres, n'osait pas s'approcher de Carthage ni forcer le retranchement de Scipion mais, faisant accomplir au ravitaillement un long détour jusque dans des secteurs éloignés, il le convoyait par bateau. Certes, les navires de Scipion bloquaient Carthage ; mais ils ne stationnaient pas en permanence, ni en ordre serré, vu que la mer, bordée de falaises, est dans ces parages dépourvue de mouillages ; et ils ne pouvaient pas non plus rester à l'ancre aux abords même de la ville, car les Carthaginois étaient postés sur les remparts et les écueils rendaient à cet endroit les flots particulièrement agités 441 • 570 C'est pourquoi les cargos de Bithyas, comme d'ailleurs tout navire mar-
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chand qui, appâté par le gain, se précipitait dans l'entreprise par goût du risque, attendaient qu'un grand vent soufflât du large et, toutes voiles déployées, ils se faufilaient rapidement entre les trirèmes, désormais incapables de prendre en chasse des vaisseaux de commerce marchant à la voile vent arrière 442 • S71 Sans doute, cela se produisait rarement, et seulement lorsqu'un vent violent soufflait du large 443 • D'ailleurs, tout ce qu'apportaient les navires, Asdrubal le répartissait entre les seuls trente mille hommes qu'il avait choisis pour se battre, traitant comme quantité négligeable le reste de la population 444 • Aussi cette dernière souffrait-elle particulièrement de la faim.
CXXI. S72 Se rendant compte de la situation, Seipion imagina de leur fermer le goulet du port, qui regardait vers le Couchant et n'était guère éloigné de la terre ferme. Il se mit donc à déverser dans la mer des matériaux pour former une grande jetée, commençant à partir de l'étroite bande de terre que sa position entre la lagune et la mer faisait appeler la « langue » : il progressait vers la haute mer, en direction du goulet. S73 Il rencaissait avec d'énormes pierres, tassées les unes contre les autres, pour éviter que les vagues ne les dispersent, et la jetée mesurait vingt-quatre pieds de large au sommet et le quadruple au fond de l'eau 445 • S74 Quand cet ouvrage fut entrepris, les Carthaginois n'en firent aucun cas : c'était une grande entreprise, et de longue haleine, peut-être irréalisable. Mais l'ouvrage avançait, grâce à la célérité d'une si grande armée, qui n'abandonnait son ouvrage ni de jour ni de nuit : saisis de crainte, les Carthaginois se mirent à creuser, de l'autre côté du port, un autre chenal ouvrant sur la pleine mer, à un endroit qu'aucune digue ne pouvait atteindre à cause de la profondeur de l'eau et de la furie des vents 446 • S7S Ils creusaient ce chenal avec femmes et enfants, en partant de l'intérieur et dans le plus grand secret. Dans le même temps, ils construi-
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saient une flotte avec de vieux bois -des quinquérèmes et des trirèmes : ils ne se laissaient dépasser ni en assurance, ni en audace447 • S76 Tout cela était si bien dissimulé que même les prisonniers n'avaient rien de précis à rapporter à Scipion, sinon qu'il se faisait beaucoup de vacarme dans les ports, de jour comme de nuit, sans interruption, et qu'ils en ignoraient la raison448 • Mais, quand tout fut prêt, les Carthaginois finirent par démasquer, vers l 'aube 449 , l'embouchure du nouveau chenal et ils sortirent en mer avec cinquante trirèmes et une nuée de grandes chaloupes, de barques de pirates et d'embarcations plus petites, toutes redoutablement années pour impressionner l'adversaire.
CXXII. S77 L'apparition soudaine de cette embouchure et celle de la flotte, qui s'y ajoutait, frappèrent les Romains d'une telle stupeur que, si les Carthaginois avaient aussitôt attaqué les navires romains, désarmés comme il est d'usage quand on s'attaque à un rempart (aucun marin, aucun rameur n'était présent à bord ... ), ils se seraient rendus maîtres de toute l'escadre au mouillage450 • 578 Mais pour le moment (il fallait que Carthage fût prise451 •••• ) ils se contentèrent de faire une démonstration navale et, après de grossiers quolibets, ils firent demi-tour. Ce fut seulement deux jours plus tard qu'ils engagèrent un combat naval et les Romains, qui avaient mis en état leurs navires et le reste de leur équipement, prirent la mer pour les affronter. S79 Des deux flottes fusèrent des clameurs d'encouragement, et les rameurs étaient remplis d'ardeur, tout comme les pilotes et l'infanterie embarquée car, dans cette ultime rencontre, les Carthaginois voyaient leur salut, les Romains la victoire complète. Et, jusqu'au milieu de la journée, on encaissa dans les deux camps quantité de blessures et de coups de toutes sortes. 580 Au cours de l'action, les petites embarcations africaines, se glissant le long des grands navires romains sous les rangées de rames, per-
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çaient les poupes, cassaient les gouvernails et les rames, causant quantité d'autres dommages divers, car l'esquive leur était facile et tout aussi facile l'attaque 452. 581 Cependant, comme le combat demeurait indécis et que le soir approchait, les Carthaginois décidèrent de se retirer, non qu'ils fussent vaincus, mais parce qu'ils remettaient l'action décisive au lendemain.
CXXIIl. 582 Leurs navires les plus petits battirent en retraite les premiers et, ayant occupé le chenal avant l'arrivée des autres, ils s'y entrechoquaient en raison de leur nombre et obstruaient l'embouchure en s'y entassant453.De ce fait, les navires de plus fort tonnage, à leur retour, se trouvèrent empêchés d'entrer dans le chenal et allèrent chercher refuge auprès du terre-plein qui, établi de longue date en avant du rempart, formait une vaste esplanade où les marchands disposaient leurs cargaisons454.Au cours de cette guerre, les Carthaginois avaient bordé le quai d'un petit mur de défense, de crainte que cette vaste esplanade ne donnât à l'ennemi l'idée de venir un jour y établir un camp 455. 583 Donc, faute de port, les navires carthaginois étaient venus chercher refuge auprès de ce terre-plein, où ils mouillèrent en ligne. Et, comme l'ennemi leur courait sus, les Carthaginois le repoussaient soit à partir des navires eux-mêmes, soit depuis le quai, soit du haut de son rempart. 584 Pour les Romains, l'attaque était facile, et c'était un jeu que de combattre des navires immobilisés. En revanche, c'était une manœuvre lente et difficile que de se retirer, car il leur fallait faire virer de bord des navires d'une grande longueur. C'est pourquoi, lorsqu'ils exécutaient cette manœuvre, c'était à leur tour de subir autant de mal qu'ils en avaient causé ; chaque fois en effet qu'ils viraient de bord, ils essuyaient le choc des bâtiments carthaginois qui passaient à l 'attaque 456. 585 Finalement, cinq navires de Sidé, qui avaient suivi par amitié pour Scipion, allèrent jeter l'ancre en haute mer, à une grande distance 457. Et, ayant amarré aux ancres de longs câbles,
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ils couraient sus aux Carthaginois à force de rames puis, après les avoir éperonnés, ils reculaient en hâlant sur les câbles par l'arrière. Puis, revenus derechef vers le rivage à force de rames, ils reprenaient le large en marche arrière. 586 Voyant alors l'astuce des marins de Sidé, la flotte entière les imita et causa de graves dommages à l'ennemi. La nuit mit un terme à la bataille et la flotte carthaginoise (du moins ce qu'il en restait ... ) alla se réfugier dans la ville 458 •
CXXIV. 587 Au lever du jour, Scipion s'attaqua au quai extérieur459 : c'était en effet une partie du système défensif du port située avantageusement pour lui. Battant donc en brèche le mur parallèle au rempart à l'aide des béliers et faisant avancer une multitude de machines, il en abattit une partie 460 • 588 Mais les Carthaginois avaient beau être gênés par la faim et mille maux de toutes sortes, ils n'en firent pas moins une sortie nocturne pour attaquer les machines romaines, non par la terre ferme (il n'existait aucun passage) ni avec des navires (la mer était peu prof onde ..) mais, nus et portant des torches qu'ils n'avaient pas allumées afin de ne pas être repérés à distance, 589 ils pénétrèrent dans la mer en empruntant un itinéraire que personne n'aurait pu prévoir. Les uns, de l'eau jusqu'à la poitrine, franchissaient en marchant le bras de mer, tandis que d'autres le traversaient même à la nage 461 • Finalement, parvenus jusqu'aux machines, ils allumèrent l'incendie : découverts alors par l'adversaire, ils eurent beaucoup à souffrir, eux que leur nudité exposait aux blessures 462 ! Mais l'audace leur fit rendre coup pour coup. 590 Supportant les traits acérés et les lances fichés dans leur poitrine et leurs yeux, loin de lâcher pied ils finirent, couverts de blessures comme des bêtes sauvages, par incendier les machines et par mettre en fuite les Romains affolés 463 • 591 D'un bout à l'autre du camp régnaient l'effarement et la confusion ainsi qu'une
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peur sans précédent, provoquée par la folie furieuse d'ennemis nus, au point que Scipion, alarmé, galopait autour du camp avec de la cavalerie et donnait l'ordre d'abattre ses propres soldats s'ils ne cessaient pas de fuir. S92 Il s'en trouva d'ailleurs qu'il fit frapper à mort, si bien que le plus grand nombre se trouva contraint de refluer à l'intérieur du camp464 • Ils y passèrent la nuit sous les armes, redoutant le désespoir des ennemis. Mais ces derniers, une fois les machines incendiées, regagnèrent leurs quartiers à la nage465 •
CXXV. S93 Le jour venu, les Carthaginois, que ne gênaient plus les machines ennemies, relevèrent le pan abattu du mur de flanquement et, de distance en distance, ils installaient sur celui-ci de nombreuses tours466 • De leur côté, après avoir construit de nouvelles machines, les Romains élevèrent des terrasses en face des tours et ils lançaient contre celles-ci, avec des frondes, des quarts laconiens remplis de petits morceaux de bois résineux, de soufre et de la poix467 • Ils incendièrent quelques tours et poursuivirent les Carthaginois qui fuyaient. Mais la chaussée était rendue glissante par de grandes flaques de sang récemment figé : à contrecœur, ils laissèrent donc échapper les fuyards468 • S94 Après avoir occupé le terre-plein extérieur tout entier, Scipion le munit d'un fossé défensif et éleva un rempart de briques, qui n'était pas moins haut que celui de l'ennemi et n'en était guère éloigné469 • S9S Quand il eut également achevé ce rempart, il y envoya quatre mille hommes pour lancer traits et javelots contre l'ennemi qu'ils pouvaient traiter par le mépris : les Romains se trouvant désormais de niveau avec l'adversaire, leurs tirs réussissaient à l'atteindre. Voilà à quoi fut consacrée la belle saison470 • 465. Des échos affaiblis de cet épisode chez Florus, I, 31, 15. 466. Construites en bois, comme la suite le montre. 467. Le récit d'Appien est assez elliptique : les Romains ont donc repris pied sur le x_&µa,sans doute toujours sur son long côté oriental.
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CXXVI. 596 Au début de l'hiver4 71, Scipion décida de commencer par anéantir les forces carthaginoises et les supplétifs qui tenaient le territoire et fournissaient du ravitaillement à la ville par eau. Donc, après avoir envoyé différents officiers dans différentes directions 472, il se dépêcha lui-même de gagner Néphéris pour y attaquer Diogénès, qui avait pris la succession d 'Asdrubal comme commandant de cette place. Il traversa la lagune, tandis qu'il faisait faire à Gaius Lrelius le détour par la route terrestre473. 597 Une fois sur place, il établit son camp à deux stades de Diogénès puis, après avoir laissé sur place Gulussa pour le harceler sans répit, il regagna rapidement Carthage 474. De là, il revint à Néphéris d'où il retourna à Carthage et ainsi de suite, au trot de son cheval, surveillant sans répit les opérations 475. 598 Etant arrivé à Néphéris après la chute de deux courtines 476de Diogénès, Scipion embusqua mille hommes d'élite sur les arrières de Diogénès tandis que lui-même, avec trois mille autres choisis eux aussi pour leur valeur, montait à l'assaut des courtines écroulées. Se gardant bien de lancer ses soldats en masse, il envoya à l'escalade, par vagues très rapprochées, des détachements successifs, afin que les premiers, même malmenés, fussent dans l'impossibilité de fuir à cause des suivants 477. 599 On poussait de grandes clameurs, on se dépensait sans compter, et les Africains avaient tourné leur attention de ce côté : les mille, conformément à l'ordre reçu, et sans que personne regardât dans leur direction ni même soupçonnât leur présence, fondirent hardiment sur la palissade, la disloquèrent et la franchirent. 600 Quand les premiers furent à l'intérieur, on eut tôt fait de s'en apercevoir et les Africains prirent la fuite, estimant que ceux qui avaient attaqué étaient bien plus nombreux que ceux qu'ils voyaient. 601 Et Gulussa, les chargeant avec une nuée de Numides et des éléphants, en fit un grand carnage : soixante-dix mille environ périrent, en comptant les non-combattants, dix mille environ furent faits prisonniers et à peu près quatre
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mille purent s 'enfuir478 • 602 La ville de Néphéris fut prise elle aussi, après le camp retranché, au bout de vingtdeux nouvelles journées d'un siège conduit par Scipion dans des conditions très pénibles : c'était l'hiver et l'endroit était froid479 • 603 Ce fait d'armes contribua particulièrement à la prise de Carthage. C'était en effet cette armée qui lui faisait passer le ravitaillement par la lagune et, lorsqu'ils tournaient les yeux vers ce camp retranché, les Africains se sentaient pleins de confiance. Mais, maintenant qu'il était pris, les autres places africaines se rendaient aux lieutenants de Scipion ou étaient prises sans difficulté 480 • 604 Et le ravitaillement manquait à Carthage. Rien ne lui arrivait plus par mer ni de l'Afrique, dont elle était désormais dépossédée, ni d'autres contrées, du fait de la guerre elle-même et de la saison hivemale 481 •
CXXVII. 605 Au début du printemps, Scipion attaqua Byrsa et celui des ports qu'on nomme le Cothon482 ; Asdrubal, de son côté, incendia à la faveur de la nuit la partie rectangulaire du Cothon483 • 606 Mais comme il s'attendait encore à une attaque de la part de Scipion et que les Carthaginois avaient leur attention fixée sur ce secteur, il leur échappa que Lrelius était remonté de l'autre côté du Cothon, vers sa partie circulaire484 • 607 On poussa une clameur de victoire : les Carthaginois furent saisis de frayeur tandis que, désormais remplis de mépris pour l'adversaire, les Romains, accourus de tous les côtés, s'ouvraient de vive force la rampe d'accès et disposaient sur les intervalles des poutres, des machines de guerre et des planches volantes485 : les gardes du rempart étaient en proie à 1'épuisement physique (ils étaient affamés !) et à l'abattement moral. 608 Quand la muraille ceinturant le Cothon eut été prise, Scipion s'empara de la Grand-Place, qui se 479. On est au cœur de l'hiver 147-146 et Néphéris est située dans une région montagneuse.
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trouvait juste à côté 486 • Comme la tombée du soir l 'empêchait de progresser plus avant, il passa la nuit sous les armes, avec toutes ses troupes 487 • 609 Au lever du jour, il appela des troupes fraîches (quatre mille hommes), qui pénétrèrent dans la ville et pillèrent le sanctuaire d' Apollon dont la statue, recouverte d'or, se trouvait au centre d'une chapelle plaquée de feuilles d'or d'un poids de mille talents 488 • Ils cisaillaient le métal avec leurs poignards, sans se soucier de leurs officiers, et ce ne fut qu'après s'être partagés le butin qu'ils s'occupèrent de combattre 489 •
CXXVID. 610 L'effort
de Scipion était dirigé contre Byrsa, la position la plus forte de la ville, où la majeure partie de la population avait trouvé refuge 490 • Trois rues y grimpaient en partant de la Grand-Place, avec partout des immeubles de six étages tassés les uns contre les autres 491 • Comme les Romains étaient criblés de traits à partir de ces immeubles, ils s'emparèrent des premiers pour, de là, repousser les ennemis montés sur les édifices voisins. 611 Quand ils s'en étaient rendus maîtres, ils disposaient des poutres et des planches volantes au-dessus des rues et traversaient comme sur des passerelles 492 • 612 Cette guerre se livrait donc en haut sur les toits, mais une autre se déroulait dans les rues contre les adversaires qui se présentaient. La ville entière était pleine de gémissements et de lamentations, de clameurs et de souffrances de toutes sortes, puisque des hommes étaient tués dans les combats rapprochés et que d ·autres, encore vivants, étaient précipités du haut des toits et s ·abattaient sur le soL quelques-uns venant même s·en1brocher sur le fer des lances dressées ou sur d'autres dards ou encore sur la pointe des épées 493 • 613 On évitait de rien incendier encore. à cause des Romains présents sur les toits. jusqu ·à ce que Scipion atteignît Byrsa. Alors. il fit incendier les trois rues simultanément et ordonna à d · autres troupes de tracer un chemin à travers les quartiers qui fla1nbaient les uns après les autres. afin de faciliter et d"accélérer la circulation des relèves 494 •
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CXXIX. 614 De ce fait, on eut le spectacle d'autres horreurs, car l'incendie embrasait tous les immeubles et les faisait crouler, tandis que les soldats, au lieu d'ouvrir progressivement des brèches dans les édifices, s 'efforçaient de les culbuter en bloc495 • 615 Le vacarme s'en trouva considérablement amplifié et, avec les pierres, venaient s'écraser au milieu des Romains des masses de cadavres et aussi des vivants -surtout des vieillards, des enfants ou des femmes qui s'étaient cachés au plus profond des maisons, les uns couverts de blessures, les autres à demi brûlés et poussant des cris affreux. 616 D'autres encore, poussés d'une telle hauteur au milieu des pierres, des madriers et des flammes, étaient précipités dans mille horribles souffrances, réduits en miettes, fracassés et déchiquetés496 • 617 Mais leur martyre ne s'arrêtait pas là. Car avec haches, cognées et pics, les pionniers qui triaient les pierres déblayaient les décombres pour ouvrir un chemin aux troupes en mouvement. Les uns avec les haches et les cognées, les autres avec le croc de leur pic, déplaçaient aussi bien les morts que les survivants pour les jeter dans les cavités du sol. Comme s'il se fût agi de madriers ou de pierres, avec le fer de leur outil ils les traînaient derrière eux ou les faisaient rouler : l'être humain servait de bouche-trou497 ! 618 Ceux que l'on déplaçait ainsi tombaient quelquefois la tête en avant et leurs jambes se dressaient au-dessus du sol, très longtemps agitées de mouvements convulsifs ; d'autres tombaient sur leurs pieds au fond des fosses, leur tête seule dépassant le niveau du sol, si bien que les chevaux passant au galop leur entaillaient le visage ou le crâne. Ce n'était pas que les cavaliers qui circulaient le fissent exprès, mais ils étaient pressés. D'ailleurs les pionniers non plus ne le faisaient pas exprès498 • 619 L'effort acharné du combat, la pensée de la victoire prochaine, l'ardeur du général, l 'effervescence que causaient partout les hérauts et les trompettes, les tribuns enfin et les centurions qui se dépla-
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çaient rapidement avec leurs unités pour prendre la relève, voilà ce qui les rendait tous frénétiques et ils n'avaient cure de ceux qu'ils avaient sous les yeux, tant ils mettaient d'ardeur à l'ouvrage 499 • CXXX. 620 Six jours et six nuits furent dépensés à ce travail 500 • Les troupes étaient relevées pour leur éviter l'épuisement dû à l'insomnie, à la fatigue, au massacre et à ces spectacles répugnants. Mais Scipion était sans relâche à son poste de commandement ou en train de courir d'un point à un autre ; il ne dormait pas et mangeait sur le pouce, à son poste, si bien qu'à la fin, épuisé et à bout de forces, il s'assit sur une position dominante, surveillant les opérations 501 • 621 Comme en beaucoup d'endroits le pillage durait encore et que, apparemment, ces horreurs n'allaient pas cesser de si tôt, au septième jour des gens ceints des bandelettes d' Asclépios vinrent chercher refuge auprès de Scipion ; ce sanctuaire en effet, le plus renommé et le plus riche de tous, se trouvait dans la citadelle, et c'est là que ces gens avaient pris les insignes de suppliant pour demander à Scipion d' accorder la vie sauve, sans plus, à ceux qui consentiraient à sortir de Byrsa sous cette garantie 502 • Scipion accéda à leur demande, sauf pour les transfuges. 622 Et sur-lechamp cinquante mille personnes, hommes et femmes, sortirent de la citadelle après qu'on leur eut frayé un passage dans la faible épaisseur du mur de séparation 503 • Ils furent placés sous bonne garde tandis que les transfuges romains, au nombre de neuf cents environ, désespérant de leur salut, montèrent en courant au sanctuaire d' Asclépios avec Asdrubal, sa femme et leurs deux garçons. 623 De là, ils continuèrent aisément le combat, malgré leur petit nombre : l'enceinte sacrée était haut perchée, entourée de précipices et, en temps de paix, on y accédait en montant soixante marches 504 • 624 Mais, minés par la faim, l'insomnie, la peur, la fatigue des combats, et voyant le désastre approcher, ils abandonnèrent l'en-
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ceinte sacrée pour grimper vers le temple du dieu et, finalement, sur son toit505 •
CXXXI. 625 Ce fut à ce moment qu 'Asdrubal, portant des rameaux d'olivier, fila à la sauvette auprès de Scipion. Celui-ci le fit asseoir à ses pieds et le montrait aux transfuges 506 • A sa vue, ceux-ci demandèrent pour eux un moment de répit et, quand ils l'eurent obtenu, ils accablèrent Asdrubal d'un flot d'insultes diverses avant d'incendier le temple et de périr dans les flammes507 • 626 On raconte508 que la femme d 'Asdrubal, quand on allumait l'incendie, se plaça bien en face de Scipion, parée de ses atours autant qu'elle avait pu le faire dans son malheur ; elle avait disposé ses enfants à ses côtés 509 et dit, de manière à ce que Scipion pût l' entendre510 : « Toi, Romain, tu n'as pas à craindre la vengeance des dieux, car tu as marché contre une terre ennemie ; mais Asdrubal, que voici, traître à sa patrie, à ses sanctuaires, à moi-même et à mes enfants, puissent les divinités de Carthage le châtier, et toi-même en faire autant ! » 627 Puis elle se tourna vers Asdrubal pour dire : « 0 scélérat, homme sans foi, le plus veule de tous, ce feu sera pour moi et pour mes enfants notre bûcher funèbre ; mais toi, de quel triomphe seras-tu l'ornement, toi, le chef de la grande Carthage ? Quel châtiment ne devras-tu pas recevoir de l'homme auprès duquel tu es assis ? 511 » Après ces injures, elle égorgea ses enfants et les précipita dans les flammes, avant de faire de même512 • CXXXII. 628 C'est sur ces paroles, dit-on, que périt la femme d' Asdrubal, comme lui-même aurait dû périr. Scipion voyait une ville qui, florissante durant sept siècles à dater de sa fondation 513 avait étendu son pouvoir sur tant de terres, de mers et d'îles, qui avait possédé autant de navires, d'éléphants et d'argent que les plus 513. Sur ces sept cents ans, cf. supra, 2, 7 et n.l O.
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grands empires, mais les avait dépassés de beaucoup par son audace et son ardeur, elle qui, même dépouillée de tous ses navires et de tout son armement, n'en avait pas moins soutenu, trois années durant, une guerre d'une telle ampleur et une famine si sévère : une ville dont la destinée s'achevait définitivement par un désastre complet514 • Alors, dit-on, Scipion fondit en larmes, laissant voir qu'il pleurait sur l'ennemi. 629 Puis il médita longuement en lui-même, ayant pris conscience qu'il faut qu'une puissance divine fasse traverser aux cités, aux peuples et aux royaumes, tous autant qu'il sont, des mutations comparables à celles que connaissent les simples particuliers, et que tel fut le sort d'ilion, ville jadis fortunée, tel aussi celui des Assyriens, des Mèdes et des Perses qui, après ceux-ci, furent une très grande puissance et tel celui des Macédoniens dont l'empire avait brillé naguère du plus vif éclat515• Tournant les yeux vers l'historien Polybe, il dit, soit à dessein, soit que ces vers lui eussent échappé : Un jour viendra où la sainte Ilion aura vécu, et Priam, et les guerriers de Priam à la bonne lance de frêne » 516• «
630 Et comme Polybe l'interrogeait sans ambages, puisqu'il était aussi son maître, sur le sens de ses paroles, on dit qu'il ne se retint pas de prononcer clairement le nom de sa patrie pour laquelle, eu égard aux vicissitudes de la condition humaine, il éprouvait sans doute des craintes517• CXXXIII. 631 Voilà ce qu'écrit Polybe, qui entendit personnellement ces paroles518• Maintenant que Carthage était en ruines, Scipion autorisa l'armée à piller, durant un certain nombre de jours, tout ce qui n'était ni or, ni argent, ni objets consacrés. Après quoi il récompensa la bravoure en distribuant de nombreuses décorations à tous, hormis à ceux qui avaient profané le temple d'Apollon 519• Puis il décora de dépouilles ennemies un navire très rapide qu'il envoya à Rome annoncer la victoire. Ensuite, il envoya des messagers parcourir la
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Sicile : on devait venir reconnaître et récupérer tous les ex-voto publics enlevés par Carthage aux Siciliens durant les guerres520 • Ce geste le rendit extrêmement populaire, car il montrait que la puissance s'accompagnait chez lui d'humanité. 632 Enfin, après avoir mis en vente le superflu du butin, il noua les pans de sa tunique pour brûler de sa main, en offrande à Mars et à Minerve, conformément à la coutume nationale, les armes, les machines et les navires inutiles521 •
CXXXIV. 633 Les habitants de Rome auxquels la vue du navire, à la tombée du soir, avait appris la victoire, envahirent les rues et y passèrent la nuit ensemble, dans l'allégresse et les embrassades522 • A présent, pensaient-ils, ils étaient délivrés de leurs hantises ; à présent, ils commandaient en toute sécurité aux autres peuples ; à présent, la possession de Rome leur était solidement assurée et ils avaient remporté une victoire sans précédent. 634 Vraiment, ils avaient conscience d'avoir accompli quantité de splendides exploits, autant que leurs pères face aux Macédoniens, aux Ibères, à Antiochos le Grand naguère, et aussi à propos de l 'ltalie 523 • Pourtant, ils ne connaissaient aucune autre guerre qui, pour s'être déroulée juste à leur porte, les eût à ce point effrayés, eu égard au courage, à la fierté, à l'audace de l'ennemi, ainsi qu'à sa perfidie, qui avait été périlleuse pour eux. 635 Ils se remémoraient en outre ce qu'ils avaient souffert des Carthaginois en Sicile, en Ibérie et en Italie même, pendant seize années, quand Annibal leur avait brûlé quatre cents villes et tué trois cent mille hommes, rien qu'au cours des batailles ; et souvent il avait marché sur Rome, les réduisant aux dangers les plus extrêmes524 • 636 Quand ils songeaient à tout cela, leur victoire les frappait de stupeur et ils venaient à en douter, et ils ne cessaient de s'interroger l'un l'autre pour savoir si Carthage était bien réellement détruite ; et ils bavardèrent toute la nuit, racontant comment on avait dépouillé les
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Carthaginois de leurs annes et comment aussitôt, contre toute attente, ils s'en étaient procuré de nouvelles ; comment, privés de leurs navires, ils avaient reconstruit une flotte avec de vieux bois ; comment on avait fermé le chenal du port et comment ils en avaient creusé un autre en quelques jours. 637 Ils n'avaient à la bouche que la hauteur des remparts, la dimension des pierres, l'incendie répété des machines. En un mot, ils se dépeignaient cette guerre les uns aux autres, comme s'ils venaient tout juste d'assister à son déroulement, et, pour illustrer leurs dires, ils s'aidaient d'une mimique appropriée. Et ils se figuraient voir Scipion aux échelles, sur les navires, aux portes de la ville, dans les batailles, courant de tous côtés525 • CXXXV. 638 C'est ainsi que les Romains passèrent la nuit et, le jour venu, eurent lieu dans chaque tribu des sacrifices et des processions en l'honneur des dieux, que suivirent des jeux et des spectacles variés. 639 Le Sénat, de son côté, envoya les dix plus nobles de ses membres pour organiser l'Afrique, de concert avec Scipion, au mieux des intérêts de Rome526 • En ce qui concernait Carthage, ceux-ci décidèrent que tout ce qui en subsistait encore serait détruit de fond en comble par Scipion, et ils interdirent à quiconque de s'y établir, maudissant particulièrement Byrsa pour le cas où quelqu'un voudrait s'établir à cet endroit ou dans le quartier appelé Mégara ; cependant, ils n'interdirent pas d'en fouler le sol527 • 640 Quant aux cités qui avaient obstinément combattu aux côtés de l'ennemi, il fut décidé qu'elles seraient toutes détruites528 • Et à chacune de celles qui avaient soutenu Rome, ils accordèrent une portion du territoire conquis et, en toute priorité, ils donnèrent à Utique les terres s'étendant jusqu'à Carthage même et, de l'autre côté, jusqu'à Hippo 529 • 641 Les autres furent assujettis par eux à un impôt frappant la terre et les personnes, qu 'hommes et femmes devaient pareillement
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acquitter. Et ils décidèrent de leur envoyer de Rome, chaque année, un gouvemeur5 30. 642 Ces mesures édictées, la commission reprit la mer pour Rome, cependant que Scipion exécutait les dispositions prises et organisait des sacrifices et des jeux pour fêter la victoire 531. Quand il en eut fini avec tout cela, il passa la mer et conduisit un triomphe d'une splendeur inégalée, dans une profusion d'or et un immense déploiement de statues de divinités et d'ex-voto que les Carthaginois, au cours des temps et par de continuelles victoires, avaient rapportés en Afrique de toutes les parties du monde 532. 643 C'était l'époque où l'on célébrait un troisième triomphe sur la Macédoine après la capture d' Andriscos, le Pseudo-Philippe, et un premier triomphe sur la Grèce, remporté par Mummius. Cela se passait aux alentours de la cent-soixantième olympiade 533. CXXXVI. 644 Plus tard, sous le tribunat de Gaius Gracchus à Rome, il y eut des émeutes provoquées par la misère et l'on décida d'envoyer six mille colons en Afrique 534; mais, alors que l'on était en train de tracer sur le terrain le plan des fondations, dans les parages de Carthage, des loups dispersèrent et mélangèrent complètement les pierres de la tranchée de fondation 535. 645 Alors le Sénat donna un coup d'arrêt à la colonisation536; mais plus tard, de nouveau, à l'époque où Gaius César (qui devint ensuite dictateur perpétuel des Romains) poursuivait Pompée jusqu'en Egypte, puis ses partisans de l'Egypte jusqu'en Afrique, on raconte que, campé aux abords de Carthage, il fut troublé par un songe où il avait vu une immense armée en larmes : aussitôt, il rédigea une note pour se souvenir qu'il devait fonder une colonie à Carthage 537. 646 Peu après, quand il fut de retour à Rome, les indigents lui réclamèrent des terres et il prit des dispositions pour envoyer les uns à Carthage,
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les autres à Corinthe538. 647 Mais il mourut trop tôt, assassiné par ses ennemis dans l'enceinte du Sénat romain, et ce fut son fils, Julius César, surnommé Auguste, qui, tombant sans doute sur les notes de son père, fonda l'actuelle Carthage, très près de l'ancienne, mais en prenant garde à l'interdit qui pesait sur celleci539.D'après mes informations, les colons qu'il y rassembla furent pour une part des Romains (environ trois mille). Le reste provenait des populations environnantes540. 648 Rome occupa ainsi la partie de l'Afrique qui avait été sous la domination des Carthaginois et détruisit Carthage de fond en comble avant d'y refonder une colonie, cent deux ans après sa destruction. 538. Comme Appien, Strabon (XVII, 3, 15), Plutarque (César, 51, 5), Pausanias (Il, 2, 2) et Dion Cassius (XLIII, 50, 3-5) attribuent à César la décision de créer une colonie à Carthage à l'emplacement de la cité détruite par Scipion Emilien en 146, comme il le décida aussi pour Corinthe détruite la même année par L. Mummius. 539. Si, comme Appien l'a dit un peu plus haut, César a conçu dès 46 le projet de faire revivre Carthage, il en a retardé la décision (ce sont les longas Caesaris moras -« les longues hésitations de César »- du texte célèbre de Tertullien, De pallio, 1), qui n'entra pas dans les faits avant sa mort le 15 mars 44 ; on peut admettre, dans une discussion toujours ouverte (cf. M. Le Glay, [art. cité supra, n. 528], p. 237-238) que l'implantation décidée par César eut lieu entre mars et décembre 44 ; ce fut la colonia Julia Carthago (qui ajoutera Concordia à sa dénomination sans doute en 42) : chronologiquement, on se situe donc bien cent deux ans après la destruction, comme le dira Appien avec les derniers mots de son texte. Mais le fils adoptif de César, Octave, n'était pas encore alors, en 44, en situation de veiller lui-même à l'accomplissement du projet (cf. Gsell, HAAN, vm, p. 174 et M. Le Glay, art. cité, p. 237). On peut en revanche accepter telle quelle l'indication topographique donnée par Appien : la Carthage augustéenne sera implantée sur les ruines mêmes de la Carthage punique, mais la colonia Julia voulue par César respectait le vieil interdit en limitant ses premières réalisations au tracé de la centuriation de C. Gracchus, qui avait laissé Byrsa en marge de la colonisation ; il en restera une trace sur le terrain : la centurie A de la Carthage augustéenne, dessinée selon une autre orientation, que contrariait la centuriation rurale préexistante, ne sera jamais entièrement réalisée (cf. J. -M. Lassère, Vbique populus, Paris, CNRS, 1977, p. 204-205 et fig. 16).
EXTRAITS DU LIVRE NUMIDIQUE 541
Fr. 1. Objet d'une accusation, Bomilcar s'enfuit avant le procès et Jugurtha avec lui, après avoir proféré ce mot, que l'on colportait partout et qui visait les personnes vénales : la ville de Rome était tout entière à vendre, si l'on pouvait trouver un acheteur542. Fr. 2. Metellus leva le camp pour gagner la province romaine d 'Afrique 543cependant que ses soldats l'accusaient de faire preuve de lenteur avec l 'ennemi 544et de cruauté avec eux-mêmes. Car il punissait rigoureusement les fautifs 545. Fr. 3. Metellus mit à mort tout le sénat de Vaga, au motif qu'elle avait livré la garnison à Jugurtha 546, et l'exécution du chef de la garnison, le Romain Turpilius547, s'ajouta à celle du sénat : ce n'était pas sans éveiller les soupçons qu'il s'était lui-même livré aux ennemis 548.Ayant d'autre part capturé des Thraces et des Ligures 549 qui avaient déserté de chez Jugurtha, il faisait couper les mains des uns et enterrer les autres jusqu'à l'estomac, pour servir de cibles aux archers qui les entouraient ou aux tirs des javelots 550; puis, alors qu'ils étaient encore en vie, il leur infligeait le supplice 551du feu. 543. Ces quartiers d'hiver (108 av. J. -C.) sont également évoqués par Salluste, Jug., 61, 2.
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EXTRAITS DU LIVRE NUMIDIQUE
Fr. 4. 1 Quand Marius fut arrivé à Cirta, des ambassadeurs de Bocchos y étaient présents, qui l'invitèrent à envoyer des émissaires à Bocchos pour discuter. Et furent envoyés le légat Aulus Manlius et le questeur Cornelius Sylla 552 , auxquels Bocchos déclara avoir fait la guerre aux Romains à cause de Marius 553 • Le territoire en effet que lui-même avait enlevé à Jugurtha, voici que maintenant il lui avait été enlevé par Marius ! 2 Tels étaient les reproches de Bocchos. Manlius dit 554 de son côté que les Romains avaient enlevé ce territoire à Syphax en vertu de la loi de la guerre, et qu'ils en avaient fait présent à Massinissa, mais que les Romains permettent que ceux qui reçoivent des présents les conservent « aussi longtemps qu'il paraît bon au Sénat et au peuple 555 ». 3 Et ce n'était pas sans raison qu'ils étaient revenus sur leur résolution. Massinissa en effet était mort et Jugurtha, pour avoir tué les fils de Massinissa, était devenu l'ennemi des Romains. Ainsi donc, il n'était plus légitime ni que 1'ennemi conserve un présent « que nous avons donné à un ami, ni que toi tu te figures que c'est à Jugurtha que tu enlèves ce qui appartient aux Romains ». Voilà ce que dit Manlius à propos de ce territoire.
Fr. 5.
1 Bocchos envoya d'autres ambassadeurs, qui
devaient adresser à Marius une demande de paix et à Sylla celle d'apporter son concours en vue d'une cessation des hostilités 556 • Sylla recueillit ces ambassadeurs, que des brigands avaient dépouillés en chemin 557 558 leur offrir l'hospitalité jusqu'à ce que Marius fût revenu de Gétulie 559 • Il leur conseillait d'expliquer à Bocchos qu'il fallait faire en tout confiance à Sylla. 2 Ne résistant plus désormais à la tentation de trahir Jugurtha, Bocchos, pour donner le change, envoya de tous côtés recruter une nouvelle armée 560 , jusque dans le pays des Ethiopiens voisins 561 qui, depuis le pays des Ethiopiens du Levant, s'étendent vers le Couchant jusqu'à la montagne des Maures, que l'on
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EXTRAITS DU LIVRE NUMIDIQUE
appelle l 'Atlas. Il priait d'autre part Marius de lui envoyer Sylla pour entamer des pourparlers avec lui. 3 Et Marius envoya Sylla. Quant à Apsar562, un ami de Jugurtha laissé en arrière dans le palais de Bocchos pour surveiller la situation, Bocchos lui-même et l'un de ses amis, Magdalsès, ainsi qu'un ·certain Comelius563 , un affranchi d'un Carthaginois, lui tendirent le traquenard . . que VOICI. [Cherche dans les Extraits sur les complots ]564
562. Sur ce personnage (peut-être nommé Aspar, ce qui est la graphie des manuscrits de Salluste), cf. Salluste, Jug., 108, 1 sq. 563. Ces deux personnages n'apparaissent pas chez Salluste. 564. La suite du récit se trouvait donc dans ce recueil des Extraits, aujourd'hui perdu.
NOTES COMPLÉMENTAIRES
Page J l. Appien se fait ici, pour la date de la fondation de Carthage, l'écho de la tradition « haute », avec une variante par rapport aux textes qui, dans cette tradition, situent la fondation de la ville une génération avant la prise de Troie : « en l'année d'Abraham 802 » (soit en 1215 avant notre ère), dira saint Jérôme (Chronique, p. 58 b, Helm) en citant Philistos de Syracuse, un historien de la première moitié du IVe s. av. J. -C. (Fr. Gr. Hist., III B, 556, 47) : ce qui nous place trente-trois ans avant la chute de Troie selon la Chronique d'Eusèbe, trente ans selon Apollodore (Fr. Gr. Hist., II B, 244, 61). L'existence de diverses ères de Troie peut rendre compte de ce décalage. Sur la naissance de cette tradition « haute » et sa relation avec la chute de Troie, cf. Gsell, HAAN, l, p. 375 et S. Lancel, Carthage, p. 34. 2. Le rôle joué par deux héros fondateurs, Zoros (ou Azoros) et Carchédôn, est une donnée commune aux différentes versions de la tradition « haute » reprise ici par Appien : ils figurent aussi chez Eudoxe de Cnide, un contemporain de Philistos de Syracuse (fr. 360 : F. Lasserre, Die Fragmente des Eudoxos von Cnidos, Berlin 1966, p.128). Carchédôn n'est autre que le nom qui correspond en grec au nom sémitique de la « Ville Neuve », Qart Hadasht (en latin Carthago) ; c'est donc un pseudo-héros éponyme. Quant à Zoros, ce nom est dérivé du nom de Tyr, la mère-patrie phénicienne, Sôr ou Sur (le « roc » ). Les inventeurs de ces « œcistes » ont donc à deux reprises pris le Pirée pour un homme ! 3. En prononçant maintenant le nom de Didon (la princesse tyrienne Elissa), Appien se situe ipso facto dans la tradition « basse » de la fondation de Carthage, dans laquelle il se maintient dans les lignes qui suivent, sans cependant reconnaître explicitement qu'il change de chronologie : sans doute n'en avait-il pas claire conscience. Selon Timée de Taormine (début du Ille siècle av. J. -C. : Fr. Gr. Hist., III B, 566, 82), Elissa devient Deidô, nom que lui donnent les Libyens, en arrivant en Afrique, ici Didô, peut-être sous l'influence de Virgile. 4. La référence à Pygmalion ancre le récit d' Appien dans la tradition « basse ». Les éléments narratifs de base sont repris par lui de
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NOTES COMPLÉMENT AIRES
façon succincte. Pygmalion est le roi qui régnait à Tyr à la fin du JXc siècle et qui fit assassiner Sicharbas (encore dit Acherbas ou Sychée, ici non nommé), le mari de sa sœur Elissa, pour s'emparer de ses richesses. Appien précise conformément à la tradition déjà présente chez Virgile qu'Elissa-Didon découvrit le meurtre et les desseins de Pygmalion à la suite d'un songe, mais il ne dit rien de la qualité de ses compagnons de fuite et de l'escale qu'elle fit à Chypre après avoir emporté avec elle les sacra de Melqart. La chronologie est également passée sous silence. La tradition orientale, transmise par Ménandre d'Ephèse (cf. Flavius Josèphe, Contre Apion, 118), date la fondation de Carthage de la 7c année de règne de Pygmalion, soit de 819 avant J.-C. ; avec Timée (Fr. Gr. Hist., III B, 566, 82), la tradition occidentale la fixe trente-huit ans avant la première Olympiade, soit en 814/8 I 3, date généralement retenue. Justin (XVIII, 6, 9), abrégeant Trogue-Pompée, plaçait la fondation de Carthage soixante-douze ans avant celle de Rome (754/3 selon la date de Varron) ; Servius (Ad .&n., I, 12) accordait à Carthage une antériorité de soixante-dix ans par rapport à Rome, soit deux générations. 5. Célèbre dans l 'Antiquité était le stratagème imaginé par ElissaDidon.Le verbe employé par Appien pour formuler la proposition de Didon (1tEp1À.aµ6avEtV) est suffisamment ambigu pour rendre plausible l'acquiescement des naïfs Libyens. Virgile (.&n., I, 367-368) avait déjà dit de même et, peu après Appien, Justin (XVIII, 4-6) sera le plus explicite. C'est naturellement en grec, à l'époque de Timée, sinon déjà antérieurement, que fut élaborée cette fable à valeur étiologique du nom de Byrsa (bursa), citadelle ét noyau primitif de la ville, comme le dit Appien. On hésite encore sur l'identification précise du toponyme sémitique qui fut à la base de ce jeu de mots en grec et sur l'étymologie du toponyme : cf. E. Lipinsky, « Etiologie et étymologie de Byrsa », dans Carthage et son territoire dans /'Antiquité, W' colloque intern. d'histoire et d'archéologie de l'Afrique du Nord (Strasbourg, 59 avril 1988), Paris, Edit. du CTHS, 1990, p. 126-129 (cf. aussi DCPP, s. v. « Byrsa », p. 83).
PaRe 2 6. Sur le développement urbain de la ville, un peu anticipé ici par Appien, cf. infra, XCV et XCVI. 7. Dans la mesure où Appien ne s'intéresse à Carthage que dans le cadre de sa confrontation avec Rome, il ne cherche pas à s'informer de l'expansion carthaginoise en Afrique même. En réalité, l'acquisition par Carthage d'un territoire africain fut assez tardive et ne parvint pas à son terme avant le milieu du Ille s. (cf. S. Lance}, Carthage, p. 108126 et 277-282). 8. De fait la thalassocratie carthaginoise s'est affirmée plus vite en Méditerranée occidentale que la domination de Carthage sur le conti-
NOTESCOMPLÉMENTAIRES
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nent africain. Appien donne cependant l'image assez fausse d'un « empire » homogène reposant sur une puissance militaire mal attestée avant les Barcides (deuxième moitié du IIIe s.). 9. Appien apparaît ici sinon tributaire de la théorie des quatre règnes (Assyro-Babyloniens, Médo-Perses, Macédoniens, Romains), du moins influencé par elle. Comme Orose deux siècles plus tard, il introduit dans ce jeu l' « empire » des Carthaginois, voué à être remplacé par celui de Rome. 10. Ces sept cents ans représentent en fait la durée totale d'existence historique de Carthage pour Appien reprenant un chiffre qui figurait déjà chez Tite-Live (Epit. /. 51, 3) : cf. infra LI, 223 et CXXXII, 628. Comme on l'a bien vu, ce chiffre rond représente vingt générations de trente-cinq ans (cf. R. Van Compemolle, Etudes de chronologie et d'historiographie siciliotes, Bruxelles-Rome, 1959, p. 219). Mis en relation avec la perte de la Sicile en 241, ces sept cents ans sont mentionnés ici de façon abusive ou par inadvertance. 11. Ce sont les clauses de la paix imposée par Rome à Carthage en 201. 12. Chiffre un peu arrondi par Appien, puisque la « troisième guerre punique » ne commencera qu'en 149. L'historien a pu être aussi influencé par le nombre (cinquante ) des annuités de paiement de l'indemnité due par Carthage aux termes du traité de 201. On retrouvera ce même chiffre rond de cinquante années plus loin : infra, LXVII, 303. 13. Les conditions historiques et les modalités d'établissement de la colonie romaine de Carthage furent, on le verra, un peu différentes : cf. infra, CXXXVI et n. 530-540. Page3 14. Appien passe sous silence les premières péripéties de l'expédition conjointe des consuls de l'année 256, L. Manlius Vulso et M. Attilius Regulus, notamment l'engagement naval d'Ecnome (cf. Polybe, I, 25-28, qui évalue à 330, et non à 350, le nombre des navires romains). En un premier temps, les deux consuls, qui avaient longé la pointe du Cap Bon, s'emparèrent d' Aspis (Clupea, Kelibia : la ville est nommée plus loin : infra, III, 14 : cf. fig. l). Ils ne rencontrèrent pas de résistance et purent piller à loisir cette presqu'île qui était le jardin de Carthage, faisant force butin et beaucoup de prisonniers. Seul Zonaras (VIII, 12, p. 390 c) fait écho à Appien en parlant de la prise de certaines villes en dehors d 'Aspis-Clupea ; mais les constats archéologiques autorisent à penser que le site punique de Kerkouane, sur la côte au nord d' Aspis, fit partie de ces villes prises et détruites alors (cf. S. Lancel, Carthage, p. 289 et DCPP, s. v. « Kerkouane », p. 245). 15. Demeuré seul en charge de l'expédition, Regulus s'était remis en campagne au printemps 255. Il s'empara d'une ville, que Polybe
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
nomme Adyn et qu'on identifie par hypothèse à Uthina (Oudna : cf. fig. 2), dont la prise lui ouvrit le territoire punique jusqu'aux abords de Carthage (Polybe, I, 30, 14). La tradition selon laquelle Regulus se serait emparé d'un grand nombre de villes est attestée par Eutrope (Il, 21, 3 : soixante-quatorze ciuitates ) et par Orose (IV, 8, 16 : quatrevingt deux oppida). Mais il ne s'agit pas de ralliements par haine de Carthage. Le chiffre de deux cents villes se trouve aussi chez l'auteur du De uir. in/., 40, qui ne fait cependant pas état de ralliements. Ce qui semble certain, c'est que le consul s'empara de Tunes (Tunis) et y établit son camp ; il aurait même atteint le Bagrada (la Medjerda) : cf. Gsell, HM.N, III, p. 81-83 et W. Huss, Geschichte der Karthager, p. 234-237. 16. En réalité, repoussant les conditions de paix très défavorables que leur présentait Regulus, les Carthaginois recrutèrent en Grèce un grand nombre de mercenaires, parmi lesquels un chef de guerre du nom de Xanthippe, qui de fait était Lacédémonien (Polybe, I, 32, 1 ; Diodore, XXIIl, 14). 17. On ne voit guère que le lac de Tunis, près duquel Regulus avait établi son camp, pour être celui dont parle Appien. Le consul l'aurait contourné par l'ouest en direction de Carthage ; mais il n'y a pas de hauteurs à proximité de ce lac -non plus que clans les parages de la Sebkha es Sedjoumi, de l'autre côté de Tunis- ni non plus d'oued dans les environs (cf. fig. 2). L'environnement géographique évoqué par le texte d' Appien laisse donc perplexe. Polybe (1, 33-34) observe plus justement que les opérations se déroulèrent en terrain plat et dégagé, propice aux évolutions des éléphants et de la phalange carthagmo1se. 18. On sait aussi par Polybe (1, 34, 10-11) que seuls quelques manipules romains échappèrent au désastre et se réfugièrent à Aspis (Kelibia), tandis que Regulus était fait prisonnier.
Page4 19. Polybe ne souffle mot du sort de Regulus après sa capture à l'issue de la bataille : le plus probable est qu'il mourut obscurément dans les geôles carthaginoises. On connaît cependant la légende accréditée par maints textes : les mauvais traitements subis par Regulus durant sa captivité, puis son envoi à Rome en 251-250 en négociateur d'une paix qu'il aurait recommandé au sénat de refuser, son retour héroïque à Carthage et le martyre qu'il y aurait subi. En regard de Cicéron (ln Pisonem 43 ; De officiis, Ill, 26, 99-100), Tite-Live (Epit. /. 18, ?),Valère-Maxime (1, 1, 14), Florus (1, 18, 24-26), Orose (IV, 10, 1), Appien innove de façon pittoresque avec sa cage partout garnie de pointes, qui figure aussi dans les fragments conservés du Livre de la Sicile, li, 1.
NOTES COMPLÉMENT AIRES
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20. Polybe dit seulement de Xanthippe qu'il quitta sagement Carthage après cet éclatant succès pour ne pas donner prise aux calomnies et à la jalousie ; mais il signale une autre version de ce départ, dont il annonce un récit à venir qui ne nous est pas parvenu (1, 36, 1-4). La tradition de cette mort en mer est rapportée différemment par Diodore (XXIII, 16), qui fait état de l'embarquement de Xanthippe sur un navire en mauvais état, ensuite intentionnellement coulé. 21. La « guerre des mercenaires », qui débuta en 241-240 et prit fin en 238, fut bien comme le dit ici Appien - voir déjà Livre de la Sicile, Il, 7 où l'historien mettait nommément en cause Amilcar Barca - en son principe une conséquence du défaut de règlement d'arriérés de soldes à l'issue de la guerre menée en Sicile. Voir surtout sur cette guerre Polybe (1, 65, 3-88, 7), qui en a détaillé les péripéties (cf. Gsell, HAAN, III, p. 100-126 ; S. Lancel, Hannibal, p. 25-43). 22. Cette dérogation aux clauses du traité de Lutatius n'est en dehors d'Appien - voir aussi Livre de la Sicile, II, 3 - connue que par Zonaras (VIII, 17, p. 399 b). 23. Polybe (1, 83, 11) se contente d'indiquer qu'Utique fit en vain l'offre de se livrer à Rome. Cette entreprise de médiation des Romains entre Carthage et les villes aux mains des mercenaires révoltés, rapportée aussi par Zonaras (ibid.), est suspecte.
Page5 24. Le blocus organisé par la flotte carthaginoise pour empêcher le ravitaillement des mercenaires et des cités ralliées à eux est attesté notamment par Polybe (1, 83, 7), qui fait aussi état de l'emprisonnement par Carthage de quelques centaines de négociants italiens. Mais seul Appien fait connaître ces actes de piraterie et ces meurtres perpétrés par les Carthaginois. La fin du paragraphe, qui présente l'abandon de la Sardaigne comme un dédommagement accordé à Rome, donne la clef de cette version, évidemment aux yeux d 'Appien justificative de la mainmise romaine sur l'île (voir déjà livre Ibérique, IV, 15). 25. Sur ces événements, voir le livre Ibérique, V, 17-XXVIII, 113. 26. L'élection consulaire de P. Cornelius Scipio pour l'année 205 (avec pour collègue P. Licinius Crassus) et ses intentions affichées lors de cette élection ont déjà été mentionnées par Appien dans le livre d'Annibal, LV, 228.
Page 6 27. Tite-Live (XXVIII, 40-42) a fait du vieux Fabius Maximus (le « Temporisateur ») le porte-parole de l'opposition sénatoriale au choix stratégique prôné par Scipion. A la différence de ce qui est dit dans le livre d'Annibal (LV, 228-229), Appien fait ici des milieux
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
politiques -et donc du sénat romain- le champ clos du débat. Appien reviendra plus loin sur les entreprises de Magon (cf. déjà le Livre d'Annibal, LV, 227). 28. Le manque d'enthousiasme du clan conservateur au sein du sénat romain et les résistances que Scipion dut vaincre sont évoqués avec justesse par Appien. Sur les préparatifs du consul, cf. pour le détail Tite-Live, XXVIII, 45, 13-2 l. Le nombre de volontaires (sept mille) levés par Scipion est identique chez les deux historiens (Appien, VIII, 30 et Tite-Live, XXVIII, 46, 1, qui précise qu'ils furent embarqués sur les trente navires mis en chantier par Scipion : XXVID, 45, 21 ). Les troupes que le consul devait trouver en Sicile étaient les débris des deux légions qui avaient survécu par la fuite au désastre de Cannes en 216, exilées dans l'île depuis 215 par mesure disciplinaire (TiteLive, XXIII,25, 7). 29. Nous ne connaissons que par Appien cette autorisation donnée à Scipion d'armer dix trières ; mais on sait par Tite-Live, XXVIII, 45, 8, que Scipion devait trouver en Sicile les trente navires munis de rostres que le consul de l'année précédente, C. Servilius, y avait laissés. PaRe 7 30. Scipion passe en Sicile au début de l'été 205. L'histoire des trois cents cavaliers d'élite recrutés sans doute en Italie centrale et en Campanie et équipés par les soins de trois cents « chevaliers » siciliens dont ils sont les substituts, racontée en détail par Tite-Live (XXIX, 1, 1-11), a parfois été contestée comme contraire à la /ex prouinciae dont jouissait la Sicile ; il se peut aussi qu'elle soit un doublet de l'expédient auquel avait recouru en 395 av. J. -C. le roi de Sparte Agésilas dans sa lutte en Ionie contre Tissaphemès : Xénophon, He/1., III, 4, 15. 31. Appien revient ici sur l'entreprise de Magon, le frère cadet d 'Annibal, qui, de Gadès (Cadix) où il était en 206, avait reçu de Carthage l'ordre de passer en Italie. Il avait débarqué en Ligurie avec des forces importantes, ici passées sous silence (onze mille fantassins et près de deux mille cavaliers selonTite-Live, XXVIII, 46, 7), et il avait recruté des mercenaires celto-ligures avant de s'emparer de Gênes au cours de l'été 205 (Tite-Live, XXVIII, 46, 8). Il avait reçu peu après les renforts envoyés de Carthage par mer, détaillés par Appien, ce que ne fait pas Tite-Live (XXIX, 5, 2). En revanche l'historien latin est plus explicite sur les raisons de l'attentisme de Magon, qui savait bien que l'armée romaine stationnée en Etrurie s'opposait à toute tentative de jonction vers le sud avec Annibal (Tite-Live, XXIX, 5, 5-9). 32. Asdrubal, fils de Giscon, fut l'un des principaux généraux de Carthage durant cette seconde guerre punique. Dans les années 207206 il tenait la Bétique et s'était replié dans le réduit de Gadès avant de
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repasser en Afrique. C'est sur le chemin du retour, l'été 206, que dans le palais de Syphax à Siga [capitale occidentale du roi masresyle, maintenant Takembrit, en Oranie ; on connaît le mausolée royal grâce à des fouilles depuis peu publiées : cf. F. Rakob, dans Die Numider, Bonn, 1979, p. 149-157] il se trouvera inopinément en tête-à-tête avec Scipion, qui l'impressionnera fort (Tite-Live, XXVill, 17-18 ; cf. S. Lancel, Hannibal, p. 257-258). Pour cette chasse aux éléphants au profit de Magon, pour les levées de troupes parmi les Carthaginois et les Africains, et pour l'obtention de deux mille cavaliers numides en vue de la défense de Carthage, Appien est notre seul informateur. L'éloignement à deux cents stades de ce premier camp d' Asdrubal le situe à environ trente-cinq kilomètres de Carthage, probablement vers l'ouest. 33. Appien ignore le royaume maure mais ne se trompe pas en désignant Syphax, premier roi connu des Masaesyles, comme le plus puissant des Numides à cette époque (sur l'étendue de son royaume, cf. Gsell, HAAN, III, p. 175-176; J. Desanges, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen·. 2. Genèse d'un empire (coll. « Nouvelle Clio », 8 bis), Paris, PUF,1978, p. 646-647).
Page8 34. La façon dont Appien parle des Massyles et de Massinissa, fils de leur roi d'alors (Gaïa, ici non nommé), dit assez de quel côté vont ses sympathies d'historien. Que Massinissa ait reçu une partie de son éducation à Carthage est plausible, mais nous ne le savons que par Appien (cf. aussi infra, XXXVII, 156 et LXXIX, 368), qui est aussi seul (suivi par Zonaras, IX, 11, p. 436 a, reprenant peut-être une version de Dion Cassius) à nous informer qu 'Asdrubal lui avait promis sa fille (cf. déjà Livre Ibérique, XXXVII, 150). 35. Appien fait ainsi curieusement de la fille d'Asdrubal l'enjeu principal de l'affrontement entre Syphax et Massinissa. L' « accord » dont il est ici question aurait été conclu lors de l'entrevue de Siga (cf. supra, note 32), l'été 206 ; Appien y reviendra plus loin (infra, XXVII, 113 et déjà Livre Ibérique, XXX, 118). Tite-Live (XXVIII, 18, 12 ; cf. aussi XXIX, 23, 6 ; 24, 3) s'était déjà fait l'écho de cette « alliance ». En fait Syphax s'efforçait alors de ménager les deux parties et de tenir entre elles le rôle d'arbitre (cf. Gsell, HAAN, III, p. 186187). 36. Suite de ce qu 'Appien présente de façon romanesque comme une rivalité amoureuse. Que le mariage de Sophonisbe avec Syphax ait été de la part des Carthaginois un acte politique est chose certaine, mais, quoi que dise Appien (cf. déjà Livre Ibérique, XXXVII, 150), on ne croira pas qu'il fut conclu à l'insu du père de la jeune femme. Massinissa l'aurait appris peu après et cette déconvenue aurait été la cause de son revirement et de son accord avec Scipion (déjà Livre Ibérique, ibid.). En fait il avait senti le vent tourner après la lourde défaite car-
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
thaginoise à Ilipa. Il est du moins s0r que le jeune prince massyle rencontra Scipion à sa demande près de Gadès en 206 (Tite-Live, XXVIII, 35) et lui promit son concours si le Romain s'en prenait à Carthage en Afrique. 37. Appien est ici victime de son parti pris d'histoire « sentimentale ». Asdrubal ne peut avoir, à l'encontre de ses sentiments pour le jeune prince numide, ourdi cette machination pour le perdre, puisque peu après le désastre d'Ilipa (au printemps 206) il avait déjà quitté Gadès pour rentrer à Carthage, via Siga où il avait rencontré Syphax (supra n. 32). Page 9 38. En réalité, ce n'est pas après la mort de son père, comme vient de le dire l'historien, mais après celle de son oncle, Oezalcès, qui avait recueilli l'héritage de Gaia selon la tradition successorale numide, que Massinissa réussit à entrer en possession du royaume massyle après bien des péripéties (voir Tite-Live, XXIX, 30 ; Gsell, HAAN, m, p. 189-192 ; G. Camps, Massinissa, p. 177 et 244). 39. Le chiffre de vingt mille hommes avancé pour évaluer l'effectif des forces rassemblées par Massinissa est certainement excessif ; par ailleurs, Appien anticipe ici sur les péripéties de la lutte qui va bientôt opposer Massinissa à Syphax. 40. Nous sommes maintenant à la fin de l'année 206, sinon dans l'hiver 206-205. Selon Tite-Live, XXIX, 31, 1-4, ce fut Asdrubal qui convainquit Syphax de ne pas laisser se développer l'ambition naissante de Massinissa. A l'instigation du général carthaginois, Syphax mena une armée aux frontières des Massyles (sans doute le long de l'Amsaga - l'oued el-Kebir : cf. G. Camps, Massinissa, p. 176). 41. Des divers épisodes de l'affrontement entre les Massyles de Massinissa et les Masaesyles, Appien a retenu, comme Tite-Live (XXIX, 31-32), celui de la retraite de Massinissa dans une région montagneuse (le « mont Bellus » de Tite-Live, XXIX, 31, 7) qui pourrait être la Khroumirie, au nord-ouest de la Tunisie (pour la localisation, cf. Gsell, HAAN, III, p. 193). Grottes, cavernes et anfractuosités diverses - dont celles des haouanet, ces tombes creusées à flanc de rocher n'y manquaient pas. 42. Avec ces ralliements, Appien signifie l'embellie qui de fait, après ses premiers revers, permit à Massinissa de récupérer et de tenir une partie de son royaume, entre Cirta (Constantine), la capitale orientale de Syphax et Hippo Regius (Annaba, ex-Bône) : cf. Tite-Live, XXIX, 32, 12-14. Page JO 43. Cette formulation est trompeuse. Ces combats ne furent pas alors menés par Massinissa directement contre Carthage, mais bien contre Syphax.
NOTES COMPLÉMENT AIRES
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44. La traversée de Scipion entre Lilybée et les côtes d'Afrique (sur les modalités de son atterrage, cf. S. Lancel, Hannibal, p. 264265) eut lieu pendant l'été 204. D'accord avec Tite-Live (XXIX, 26, 3) sur le nombre - quatre cents - des navires de charge, Appien s'en sépare sur celui des navires de guerre (quarante seulement chez TiteLive). Sur les effectifs embarqués, le Latin hésite (seize mille fantassins et mille six cents cavaliers, ou trente-cinq mille fantassins et cavaliers ?) et ne tranche pas : Appien s'en tient à l'estimation basse. Discussion sur les effectifs de Scipion dans J. F. Lazenby, Hannibal's War, p. 203. L' Alexandrin a passé sous silence un fait rapporté par Tite-Live (XXIX, 33, 8-9) : l'escapade que Massinissa, exilé dans la petite Syrte après sa défaite devant Vermina, fils de Syphax, aurait faite en se portant à la rencontre de C. Lrelius, le lieutenant de Scipion, lors de son raid dans les parages d'Hippo Regius en 205. Cet épisode, avec le franchissement de longues distances en territoire ennemi qu'il implique pour Massinissa, pose au demeurant bien des problèmes (cf. Gsell, HAAN, III, p.206-207 ; P. G. Walsh, »Massinissa », dans Journal of Roman Studies, 1965, p. 150, n. 15, admet la véracité de l'épisode). 45. Cette feinte réconciliation des Carthaginois et de Syphax avec Massinissa, qui serait lui-même entré dans ce jeu en répliquant à la ruse par la ruse, est une version commune à Appien et à Dion Cassius (relayé par Zonaras, IX, 2, p. 437 d ; 438 a-b). Elle semble peu vraisemblable. Tite-Live (XXIX, 29, 4) affirme que Massinissa se joignit à Scipion peu après le débarquement de ce dernier près du « Promontoire d'Apollon» (le Ras el-Mekki), non loin d'Utique (cf. fig. 1). 46. Asdrubal s'était occupé de rassembler en hâte une armée dont l'effectif est plus nombreux dans les évaluations adoptées par TiteLive, XXIX, 35, 10 : trente mille fantassins, trois mille cavaliers ; les éléphants sont absents du décompte livien. Le général punique attendra cependant l'arrivée de Syphax pour se mettre en campagne et se rapprocher de Scipion. 47. Ce départ de Syphax est sans attestation par ailleurs. Il semble avoir été inspiré à Appien par son souci de souligner la versatilité et la fourberie du roi masresyle. 48. Ces défections de cités ne sont pas attestées par ailleurs.
Page 11 49. Ici commence le récit d'une ruse de guerre mise à l'actif de Massinissa, et qui figure avec des variantes chez Dion Cassius (fr. 56, 68-70 et Zonaras, IX, 12, p. 438 a-b) ainsi que chez notre auteur, qui est le seul à mentionner la « Tourd' Agathocle », ouvrage militaire dû au tyran de Sicile et datant de son expédition des années 310-307. Sa conservation un siècle plus tard n'a rien de surprenant. On a pensé pouvoir identifier cette « Tour d 'Agathocle » avec une petite ruine encore visible au début du xxesiècle à la limite des contreforts ouest
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
du djebel Menzel Ghoul, à six kilomètres au sud-ouest d'Utique (Gsell, HAAN, III, p. 47). 50. C'est le développement du stratagème imaginé par Massinissa et agréé par Scipion. Les mêmes protagonistes figurent chez Tite-Live (XXIX, 34), à l'exception d 'Asdrubal qui n'a pas place dans le récit livien sensiblement différent. En attendant que l'année d'Asdrubal fût opérationnelle, Carthage avait confié un parti de cavalerie à un hipparque du nom d' Annon (fils d'un Amilcar selon Tite-Live, XXIX, 34, 1 ; fils d' Asdrubal lui-même, selon Dion dans Zonaras, IX, 12, p. 438 a). Avec ce corps porté par ses soins à quatre mille cavaliers, cet Annon avait pris garnison à Salreca, ville non mentionnée par ailleurs, dont la situation à seize milles du camp romain (Tite-Live, XXIX, 34, 6) a suggéré une identification avec Henchir el-Bey (Gsell, HAAN, III, p. 216, n. 7) : cf. fig. 2. Dans la version livienne, Massinissa est bien chargé de la mise en œuvre du plan, mais c'est Seipion qui l'a conçu. L'engagement se solde pour Carthage par la perte de deux mille cavaliers et la mort d' Annon. 51. Ces libérations sont plausibles, même si Tite-Live, qui se contente de signaler les pillages de Scipion dans les campagnes et les bourgs avoisinants (XXIX, 35, 4), n'en souffle mot. 52. Cette ville de Locha n'est pas autrement connue et le toponyme paraît suspect. Il ne semble pas qu'il faille l'identifier à Salœca (cf. supra, n. 50), dont Scipion s'empare après le désastre subi par Annon (mais cette identification est encore faite par W. Huss, Geschichte der Karthager, p. 407). On peut, par hypothèse, y voir l'urbs satis opulenta prise par le général romain peu après son débarquement au Ras el-Mekki (Tite-Live, XXIX, 29, 2). Dans ce cas cette prise de ville aurait été postposée par Appien. Page 12 53. Cet épisode peu glorieux pour l'armée de Scipion ne figure pas chez Tite-Live. On n'en conclura pas qu'il n'est pas véridique. 54. Cette péripétie est très douteuse : Asdrubal n'était, semble-t-il, pas encore entré en campagne. Quant à ce Magon, il demeure non identifiable parmi les innombrables porteurs de ce nom à Carthage. 55. Le siège d'Utique par Scipion se situe à la fin de l'été 204 ; selon Tite-Live (XXIX, 35, 12), cette tentative ne l'aurait occupé que quarante jours, durée bien insuffisante pour réduire une place qui avait des moyens de défense. Appien donne des détails qui ne figurent pas dans le texte livien, mais semblent plutôt passe-partout, ou repris d'autres contextes poliorcétiques ; ainsi des quinquérèmes assemblées pour servir de base à une tour d'où partaient des traits : Marcellus entre autres les avait expérimentées naguère lors du siège par mer de Syracuse (Tite-Live, XXIV, 34, 6-7). 56. Scipion s'éloigna peu d'Utique. Pour éviter de se trouver pris entre la ville et les deux armées, enfin proches de faire leur jonction,
NOTESCOMPLÉMENTAIRES
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d 'Asdrubal et de Syphax, il alla s'établir sur « un promontoire qui, relié au continent par un isthme étroit, s'avance assez loin dans la mer » (Tite-Live, XXIX, 35,13) : à l'est d'Utique, la pointe de ce promontoire qui fait aujourd'hui faiblement saillie dans le comblement alluvial du delta de la Medjerda est occupée de nos jours par le village de Galaat el-Andless. Scipion attachera son nom à ce site, qui s'appellera jusqu'à la fin de l'Antiquité Castra Cornelia : cf. fig. 2. Tite-Live, XXIX, 35, 14, a décrit assez précisément les installations terrestres et navales de Scipion sur ce promontoire d'où, sans poursuivre activement le siège d'Utique, il n'en continuait pas moins à l'investir, comme le dit Appien (voir aussi Polybe, 14, 1, 2 et Tite-Live luimême, XXX, 3, 3). Page 13 57. L'arrivée de Syphax est approximativement fixée dans le temps par Tite-Live, XXIX, 35, 13 : à l'automne 204. Omis par Appien, l'effectif chiffré de ses forces - cinquante mille fantassins et dix mille cavaliers - est repris par Tite-Live (XXIX, 35, 12) de Polybe (XIV, 1,14). Avec l'armée rassemblée par Asdrubal - trente mille hommes à pied, trois mille cavaliers - c'était un total de quatre-vingt treize mille hommes qui aurait fait face à Scipion, chiffre probablement exagéré à dessein par l'historiographie romaine, pour faire valoir les mérites du proconsul. Toujours selon Tite-Live, Syphax, venant de Carthage, établit son camp non loin d'Utique, et près de celui d' Asdrubal, comme le dit aussi Appien. Plus précisément à dix stades - soit environ mille huit cents mètres - du camp carthaginois, selon Polybe, XIV, 1, 14. 58. L'activité des arsenaux de Carthage et la supériorité navale de la cité punique sont aussi soulignées par Polybe, XIV, 1, 3 ; 6, 7 ; 9, 7 et par Tite-Live, XXX, 3, 4 ; 9,6. En revanche, Appien est seul à faire état des espérances qu'aurait pu nourrir Carthage de l'arrivée d'un contingent de mercenaires celtes et ligures. A cette époque (automne 204), Magon tenait toujours la Ligurie. Mais il n'était pas en état d'envoyer des renforts à Carthage. 59. Cette persévérance dans la diplomatie que Syphax continuait à mettre en œuvre depuis la rencontre, chez lui à Siga, en 206, de Seipion et d' Asdrubal atteste la hauteur de vues politique du roi masaesyle, qui avait compris que le maintien à moyen et long terme d'un royaume numide, quel qu'il fût, avait pour condition le maintien d'un équilibre entre Rome et Carthage et la subsistance de la cité punique, même privée de son « empire » extra-africain. C'est la raison pour laquelle on peut croire qu'il eut de fait l'initiative de cette mission de bons offices: cf. Polybe, XIV, 1, 9; Tite-Live, XXX, 3, 5-7. Syphax n'en était pas moins engagé du côté de Carthage, et ses tentatives de conciliation n'étaient pas double jeu de sa part, comme le suggère Appien (cf. déjà en ce sens Dion Cassius, fr. 56, 67).
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
60. Ici commence, pour la suite des événements, les développements d'une version des faits qui est propre à Appien, toujours soucieux de mettre en vedette la fourberie de Syphax, en le montrant alternant, vis-à-vis de Massinissa, les manœuvres de séduction et les projets homicides. 61. Cette « ville de l'intérieur », Tholon (ou Tholous), n'est pas autrement connue et l'épisode est considéré à juste titre comme peu vraisemblable : Scipion n'avait aucune chance de maintenir en s0reté un détachement et des approvisionnements en armes et en vivres en dehors de son camp retranché et à distance de lui. Page 14 62. Ce qui est du moins exact dans ce récit, c'est qu'au début du printemps 203 Scipion remit à flot ses navires et posta deux mille fantassins sur le mamelon dominant Utique qu'il avait déjà tenu lors de sa première tentative de siège (Polybe, XIV, 2, 1-4 ; Tite-Live, XXX, 4, 10-12). Il voulait faire croire qu'il reprenait le siège, alors que son dessein était d'empêcher les défenseurs d'Utique de s'en prendre à son propre camp pour partie dégarni pendant le raid qu'il avait en projet contre le camp de Syphax et celui d 'Asdrubal. 63. Efficace dans ses effets narratifs, la dramatisation mise en œuvre par Appien manque de crédibilité par rapport aux versions concordantes de Polybe, XIV, 3, 5 et Tite-Live, XXX, 5, 1. L'Alexandrin expose une situation inversée : chez Polybe et Tite-Live, c'est Scipion qui a toute l'initative, et qui va attaquer nuitamment les camps ennemis et les incendier, alors qu'il n'est lui-même sous le coup d'aucune menace. Ici, le proconsul doit réagir dans l'urgence --d'où ce conseil tenu en pleine nuit avec ses officiers- à l'imminence d'une attaque. Le discours qu 'Appien prête ensuite à Scipion s'inscrit toutefois de façon cohérente dans cette perspective. Page 15 64. Selon des renseignements que Massinissa avait obtenus de Numides sans doute transfuges du camp de Syphax : cf. supra, XIX, 75. L'improvisation de l'attaque romaine, décidée pour la nuit même au sortir de cette délibération nocturne, manque de vraisemblance. 65. Ces « trois armées » surprennent : Scipion n'en a que deux en face de lui, celle d 'Asdrubal et celle de Syphax. La seule façon de comprendre est d'admettre que le proconsul considère comme une troisième armée les forces navales carthaginoises évoquées dans la phrase suivante. 66. Suivant les versions concordantes de Polybe, XIV, 4, 2-4 et de Tite-Live, XXX, 5, 4-5, en fait Scipion scindera ses forces en deux pour attaquer l'ennemi : la moitié de ses légionnaires confiée à son lieutenant C. Lrelius, renforcée par Massinissa et ses Numides, s'en
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prendra au camp de Syphax, lui-même à la tête de la moitié restante de son année attaquant ensuite le camp d ·Asdrubal. 67. Avec son année qui se divisera bientôt en deux corps, Scipion se met en marche lors de la première veille, donc à la tombée de la nuit, selon Polybe, XIV, 4, 1 et Tite-Live, XXX, 5, 3, et non à la troisième veille -au cœur de la nuit- selon Appien : ce décalage est d0 à la précipitation retenue par l 'Alexandrin pour l'action décidée par le proconsul. Il faut bien en effet quelques petites heures aux Romains et aux Numides de Massinissa pour arriver sans bruit au contact des camps ennemis, vers la fin de la troisième veille (Polybe, XIV, 4, 2) : ceux-ci étaient distants de soixante stades -un peu plus de dix kilomètres- du camp de Scipion ; on les situe d'ordinaire au sud-ouest des Castra Cornelia (Galaat el-Andless), aux lieux-dits Koudiat Touba, pour le camp d' Asdrubal et Koudiat Mabtouha pour celui de Syphax (cf. H. H. Scullard, Scipio Africanus in the Second Punie War, Cambrige, 1930, p.159).
Page 16 68. Appien fait de ces incendies une simple péripétie. En réalité, l'incendie des deux camps, à commencer par celui de Syphax, était l'objectif principal et mûrement prémédité de Scipion, qui avait poursuivi ses pourparlers avec le roi masresyle avec l'arrière-pensée d'en profiter pour inspecter son camp et évaluer les faiblesses de ses cantonnements, faits à la numide de chaumes et de branchages ; le camp carthaginois offrait lui aussi un aliment facile au feu : cf. Polybe, XIV, 1, 6-8 et Tite-Live, XXX, 4, 8-1O. 69. Le processus est inverse dans la tradition rapportée par Polybe, XIV, 5, 1-2 et Tite-Live, XXX, 6, 1-3 : ce sont les Carthaginois qui sont les spectateurs impuissants de ce qui se passe d'abord dans le camp, voisin, de Syphax. Page 17 70. Dans la version livienne, qui suit celle de Polybe, simultanées sont les fuites d' Asdrubal et de Syphax, accompagnés seulement de deux mille fantassins et cinq cents cavaliers (Tite-Live, XXX, 6, 7 ; mêmes chiffres chez Polybe, XIV, 5, 9, mais dans l'armée du seul Asdrubal). 71. Pertes des Carthaginois et des Masaesyles chez Polybe, XIV, 5,10 : des dizaines de milliers d'hommes, de chevaux et de bêtes de somme. Tite-Live, XXX, 6, 8-9 est plus précis : quarante mille morts, cinq mille prisonniers. Si l'on ajoute à ces chiffres - qui semblent eux-mêmes un peu excessifs - le nombre des rescapés (cf. note précédente), on reste loin du total manifestement grossi des effectifs mis en ligne selon la tradition par Asdrubal et Syphax réunis (cf. supra, n. 57).
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
72. Ces envois sont peu vraisemblables, du moins dans l'immédiat ; la flotte de guerre carthaginoise, aux aguets, les aurait interceptés. 73. Hannibal reviendra d'Italie quelques mois plus tard. Magon, selon Tite-Live, XXX, 19, 5, mourra en mer, au large de la Sardaigne, des suites de ses blessures ; mais pour Cornelius Nepos (Hannibal, 8, 2) Magon serait mort seulement en 193, après avoir été contraint à l'exil, comme Hannibal. Il sera plus loin encore question de Magon : cf. infra, XLIX, LIV et LIX. 74. La blessure d' Asdrubal n'est relatée que par Appien, seul aussi à nommer la ville où se réfugia provisoirement le général carthaginois (Tite-Live, XXX, 7, l, parle seulement de la ville « africaine » la plus proche). Cette ville d' Anda, inconnue par ailleurs, est située par hypothèse sur le cours de la Medjerda, sur sa rive gauche, peut-être au lieudit Henchir bou Djaoua (discussion dans Gsell, HAAN, m, p. 227, n. 4) : cf. fig. 2. 75. La destitution et la condamnation à mort d' Asdrubal après cet échec n'ont rien en soi d'invraisemblable, mais ces mésaventures du fils de Giscon ne sont connues que par Appien. Selon l 'Alexandrin,il fut remplacé par Annon, fils de Bomilcar, qui ne peut être, à moins d'une double homonymie (possible, car Annon est le nom punique le plus fréquent dans ces contextes, et Bomilcar n'est pas rare) que le neveu d' Annibal et son principal lieutenant, et l'un des plus valeureux généraux de Carthage durant la seconde guerre punique. Dans l'historiographie de cette guerre, la trace du neveu d' Annibal se perd dans le Bruttium à partir de 207 (Tite-Live, XXVII, 42, 15-16). Appien lui fait reprendre ici du service en Afrique même, suivant une tradition présente aussi chez Zonaras (IX, 12, p. 439 b ; 13, p. 441 b) abrégeant Dion Cassius, mais dans une variante selon laquelle la prise de commandement d 'Annon aurait été postérieure à la bataille des Gr1;111des Plaines. Page 18 76. L'Aiexandrin passe sous silence un fait de guerre majeur, la bataille des Grandes Plaines, dans la moyenne vallée de la Medjerda, peut-être dans les parages de Souk el-Khemis (cf. fig. l), qui se déroula au printemps 203, quelques semaines seulement après l'incendie des camps d' Asdrubal et de Syphax : cf. Polybe, XIV, 7-8 ; TiteLive, XXX, 8 (cf. Gsell, HAAN, III, p. 229-232 ; J. F. Lazenby, Hannibal's War, p. 209-211 ; W. Huss, Geschichte der Karthager, p. 410 ; J. Seibert, Hannibal, p. 441-442 ; S. Lancel, Hannibal, p. 269 ; ci-dessus, P. Goukowsky, Notice, p. LVII sq.). Il anticipe donc sur la suite des événements, ici avec le déplacement de Scipion non pas sous les murs de Carthage, mais à Tunis, qu'il assiège, exerçant par là une forte pression sur la métropole punique (Polybe, XIV, 10, 4-5 ; Tite-Live, XXX, 9,10-12).
NOTES COMPLÉMENT AIRES
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77. A peine Scipion était-il sous les murs de Tunis que Carthage envoyait sa flotte de guerre à Utique pour surprendre les navires romains (Polybe, XIV, 10, 6 ;Tite-Live, XXX, 10, 1). Le nom d'Amilcar pour désigner l'amiral punique est donné par le seul Appien. 78. De Tunis où il se trouve, Scipion a en effet vue, de l'autre côté du lac, sur l'entrée du port de Carthage : cf. fig. 2. Selon Polybe, XIV, 10, 8, le Romain se hâta de revenir en personne à Utique - plus précisément aux Castra Cornelia - pour faire face au danger qui menaçait sa flotte. 79. Lire dans Tite-Live XXX, 10, 4-20 (Polybe, XIV, 10, 9-12 est ici lacunaire) la relation plus circonstanciée de cet engagement « naval » qui, à la différence de ce que dit Appien, se solda tout de même pour Scipion par la perte de soixante navires de charge, qui furent remorqués à Carthage (cf. Gsell, HAAN, III, p. 233-235). 80. Le calendrier suivi par Appien est ici en décalage de plusieurs mois par rapport à la chronologie que la suite des événements permet de reconstituer : la défaite et la capture de Syphax, qu'on va voir, est datée du 24 juin (203) par une indication d'Ovide (Fastes, VI, 769). Sur cette chronologie, cf. J. Seibert, Forschungen zu Hannibal, Darmstadt, 1993, p. 306. Voir aussi, ci-dessus, la Notice de P. Goukowsky, p.LX.
Page 19 83. L'emplacement de cette rencontre fatale pour Syphax se situe dans le territoire du royaume massyle (c'est-à-dire dans l'actuel est algérien), selon la relation de Tite-Live (XXX, 11, l ), alors qu 'Appien affirme (infra, XXVII, 110) que Lrelius et Massinissa n'y parvinrent qu'après la capture du roi masresyle. L' « oued » dont il est ici question ne peut être identifié. Il est probable que l'engagement eut lieu non loin de Cirta (Constantine), à l'est de cette ville, donc en territoire massyle avant son annexion par Syphax. 85. Appien multiplie par deux le chiffre des pertes subies par les Masaesyles, tel qu'il figure dans Tite-Live, XXX, 12, 5 : cinq mille morts. L'épisode des deux mille cinq cents Numides égorgés sur ordre de Massinissa est propre à Appien. Page 20 86. Faute de texte ou erreur d' Appien confondant Massy les et Masaesyles ? L'ambiguité, qui a pu tromper l'historien, est que le territoire à l'est de Cirta, capitale orientale des Masaesyles, a été un temps annexé par Syphax. 87. Appien qui recherche d'ordinaire l'effet dramatique, et y réussit bien, est ici surclassé par Tite-Live dont le récit, plus théâtral, est sans doute aussi plus véridique. Massinissa obtint de Lrelius de le devancer à Cirta en traînant derrière lui Syphax enchaîné, spectacle qui lui ouvrit sans coup férir les portes d'une ville imprenable, avant que
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
Sophonisbe ne se jette à ses genoux et ne l'implore de la soustraire, au besoin par la mort, aux mains des Romains ; selon le récit livien, Massinissa, subjugué, l'épousa séance tenante (Tite-Live, XXX, 12, 3-20 ; cf. Gsell, HAAN, Ill, p. 238 ; J. Seibert, Hannibal, p. 442 ; S. Lancel, Hannibal, p. 270). 88. Le refus de Scipion de laisser Sophonisbe entre ses mains : cf. infra, XXVIII, 116. 89. Cf. supra, n. 35, sur l'attitude de Syphax à l'égard de Scipion lors de la rencontre de Siga en 206. Le Romain fait allusion à l'alliance conclue dès 213 entre Syphax et les deux Scipions (son père et son oncle) et l'aide apportée au roi masaesyle par des conseillers militaires romains : Tite-Live, XXIV, 48 ; XXX, 28, 3 : rappel de la mission de Statorius) ; cf. aussi Livre Ibérique, XXIX, 115 (Gsell, HAAN, III, p. 179-180). 90. Cf. supra, X, 38 et n. 35 sur le rôle central dévolu par Appien à Sophonisbe dans l'affrontement entre Syphax et Massinissa. Mais la fille d'Asdrubal n'est pas ici seulement la « femme fatale», mauvais génie en action pour le premier, en puissance pour le second : plus encore que chez Tite-Live, XXX, 13, 11-12, Sophonisbe personnifie chez Appien toutes les potentialités dangereuses de Carthage, en sa qualité de créature séduisante, raffinée, facilement ensorceleuse pour ces Barbares numides. li faut un Scipion pour affranchir Massinissa de son envoûtement.
Page 21 91. Ce qui est vrai, c'est que Scipion traita Syphax avec humanité. Mais il n'eut guère le temps de profiter, à supposer qu'il en ait eu le désir, des avis du roi masresyle, que Lrelius conduisit à Rome au plus tard au milieu de l'été 203 : Tite-Live, XXX, 16, 1 ; 17, 1. Sur les égards de Cyrus pour Crésus, qu'il avait vaincu, et l'oreille attentive qu'il prêtait à ses avis, cf. Hérodote, I, 88-90 ; l 55-l 56 ; 207-208 ; Xénophon, Cyropédie, VII, 2, 10-29. 92. Voir dans Tite-Live, XXX, 14, 4-11, le discours prêté à Scipion face à Massinissa ; avec moins de raideur et une sympathie plus affichée pour le prince numide, son contenu est conforme au texte d'Appien. 93. Ici comme chez Diodore, XXVII, 7 et Zonaras, IX, 13, p. 440 b-c, le poison est offert à Sophonisbe par Massinissa en personne, qui devance à Cirta les hommes envoyés par Scipion pour se saisir de la Carthaginoise, à la différence de Tite-Live, XXX, 15, 4-6, qui fait porter le poison par un esclave de confiance. 94. Les réactions de Scipion sont présentées un peu différemment par Tite-Live. XXX, 15, 9- 10, qui blâme Massinissa de son geste, mais sans sévérité excessive, et s 'ahstient de toute appréciation sur Sophonishe.
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95. Ces présents de Scipion sont détaillés par Tite-Live : une couronne d'or (qui figure ici), une coupe d'or, une chaise curule et un sceptre en ivoire, une toge brodée et une tunique à palmes ; on notera que cette liste est proche de la liste des cadeaux que par la suite, pour le récompenser de son aide, le sénat romain enverra au roi numide, selon Appien lui-même, infra, XXXII, 137. On peut de fait se demander si Scipion disposait vraiment de tout cela dans ses bagages. Appien omet toutefois une indication importante fournie par Tite-Live : en donnant pour la première fois à cette occasion le titre de roi à Massinissa, Scipion reconnaît la dignité royale du prince numide, mais en fait du même coup un vassal de Rome. Le sénat romain peu après officialisera cette reconnaissance en approuvant le geste de Scipion : Tite-Live, XXX, 17, 12. 96. La formulation d' Appien suggère une fin rapide. On sait que Syphax fut envoyé en captivité d'abord à Alba Fucens (Tite-Live, XXX, 17, 2), puis transféré à Tibur où il serait mort avant le triomphe de Scipion en 201 (Tite-Live, XXX, 45, 4) ; mais Polybe, XVI, 23, 6 (confirmé par Tite-Live, XXX, 45, 5) affirme que Syphax figura à ce triomphe (cf. aussi Valère-Maxime, VI, 2, 3 ; Silius Italicus, XVII, 629 ; Tacite, Ann., XII, 38). Page 22 97. Appien ne nous dit pas d'où peuvent venir ces Ibères parmi les forces de Scipion. Ils ne peuvent guère être que des débris du corps de quatre mille Celtibères qui combattaient aux côtés de Syphax aux Grandes Plaines au printemps 203 : cf. Polybe, XIV, 7, 5 et 7 ; 8, 713 ; Tite-Live, XXX, 7,10 ; 8, 6 et 8-9 ; sans espoir de pardon du côté de Scipion, ils se firent tuer bravement ; le général romain ne put donc en incorporer beaucoup par la suite. 98. On a vu plus haut (supra, n. 75) qu'Appien se fait l'écho d'une tradition selon laquelle, à la suite de l'échec d' Asdrubal, Carthage confie le commandement de ses troupes à Annon, fils de Bomilcar, le général destitué se maintenant cependant en rassemblant autour de lui des « soldats perdus », des esclaves et même des malfaiteurs. Appien développe ici une version dans laquelle Annon utilise des renseignements fournis par Asdrubal et collabore avec lui non sans l 'arrière-pensée de le perdre. 99. Il faut souligner l'insistance d' Appien à noter la stricte observance du rituel par Scipion, qui multiplie les précautions d'ordre religieux. Sur ces traits de la personnalité de Scipion dans son rapport au divin, cf. P. Goukowsky, dans sa notice au livre Ibérique, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. XIII-XV. Page 23 l 00. En dépit de ce qui vient d'être dit (XXIX, 123) de l'espoir qu'a pu nourrir Annon de voir cette ruse réussir, le dénouement et
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
l'attitude du chef d'armée titulaire vis-à-vis d' Asdrubal sentent le coup monté pour perdre définitivement le fils de Giscon. Il y a beaucoup d'invraisemblances dans cette séquence : Asdrubal n'était pas assez naïf pour se rendre ainsi, « pour voir », à proximité immédiate du camp de Seipion ; quant à l'accusation d' Annon, qu'il s'en serait approché pour se rendre au général romain, elle était bien peu plausible. 101. Ces épisodes, censés avoir pris place pendant l'été 203, ne sont pas autrement connus. Amilcar est l'amiral carthaginois qui avait déjà remporté un certain succès sur la flotte de Scipion (cf. supra, XXV, l 03 et n. 79) ; la tentative d 'Annon contre les assiégeants d'Utique n'est pas attestée par ailleurs. Scipion, dit Appien, lève le siège et fait transporter son matériel jusqu'à Hippo : ce ne peut être qu'Hippo Diarrhytus (l'Hippou Acra des sources grecques), c'est-àdire Bizerte, de fait peu distante au nord-ouest d'Utique et dont la prise lui eût assuré un excellent port : cf. fig. 2. 102. La décision de rappeler Annibal semble avoir été prise par le sénat de Carthage juste après l'issue défavorable de la bataille des Grandes Plaines, passée sous silence par Appien (Polybe, XIV, 9, 611 ; Tite-Live, XXX, 9, 3-8). La délégation envoyée en Italie prit la mer au sortir du conseil (Polybe, XIV, 10, 1 ; Tite-Live, XXX, 9, 9) et dut parvenir au plus tard en mai-juin 203 auprès d' Annibal. Même si le chef punique avait déjà prévu de mettre des navires en chantier pour son retour (Tite-Live, XXX, 20, 5 ; Appien, Livre d'Annibal, LVID, 243, dit qu'il en fit construire un grand nombre au moment même de son rappel), il fallut cependant qu'il en reçoive de Carthage, ainsi qu'une flotte de guerre pour protéger le convoi. Ce fut cette flotte que commandait l'amiral ici mentionné, qu'Appien désigne ailleurs sous le nom d'Asdrubal (Livre d'Annibal, LVIII, 243), peut-être cet Asdrubal qui se saisira bientôt des navires romains en perdition dans le golfe de Carthage, rompant ainsi par un acte de piraterie la trève conclue avec Scipion (Tite-Live, XXX, 24, 11). 103. Scipion était devant Tunis quand trente membres du Conseil des Anciens de Carthage vinrent l'y trouver dans une attitude d'humilité pour entendre ses exigences (Tite-Live, XXX, 16, 3-7). Cette démarche se situe vers la fin de l'été 203, peu de temps après que Lrelius eut emmené Syphax prisonnier à Rome (cf. supra, n. 91). Outre le défraiement des dépenses d'entretien de son armée (cinq cent mille boisseaux de blé, trois cent mille d'orge et double paie pour les soldats), Scipion posait ses conditions : livraison des prisonniers, des déserteurs et des esclaves fugitifs ; retrait des troupes puniques d'Italie et de Gaule (entendons la Cisalpine, ou Italie du Nord) ; abstention de toute entreprise en Espagne et dans les îles entre l'Italie et l'Afrique ; démantèlement de toute la flotte de guerre, sauf vingt navires : TiteLive, XXX, 16, 10-11 (cf. Polybe, XV, 7, 8 et 8, 7, qui ajoute de la part
NOTESCOMPLÉMENTAIRES
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de Scipion l'exigence d'otages). Sur le désaccord des sources entre elles sur certains chiffres, cf. Gsell, HAAN, III, p. 241, n. 3. Sur l 'initiative de Scipion et ses pouvoirs en la matière par rapport au sénat romain, cf. en dernier A. M. Eckstein, Senate and General. lndividual Decision-Making and Roman Foreign Relations, 264-/94 B. C., Berkeley, 1987, p. 246-255. 104. Scipion avait donné trois jours aux Carthaginois pour délibérer ; à l'issue de ce bref délai, il reçut une délégation chargée de conclure une trève, tandis qu'une autre s'embarquait pour Rome, sans doute au début de l'automne 203 (Tite-Live, XXX, 16, 13-15). Arrivés à Rome via Pouzzoles, les envoyés logèrent hors-les-murs, dans la « uilla public a », sur le Champ de Mars ; devant le Sénat, ils rejetèrent sur Annibal toute la responsabilité de la guerre et se dirent chargés d'obtenir de Rome le maintien des conditions de la paix conclue en 241 à l'issue de la première guerre punique (Tite-Live, XXX, 21, 12 ; 22, 1-4).
Page 24 105. Ces délibérations du sénat romain sont détaillées par TiteLive, XXX, 23 ; selon lui, elles n'aboutirent en un premier temps qu'à une motion de défiance, à l'initiative de M. Valerius Lrevinus, envers les ambassadeurs puniques. On lit dans Dion Cassius (fr. 56, 77 et chez Zonaras, IX, 13, p. 440 d) qu'après de longues discussions les conditions fixées par Scipion furent adoptées par le Sénat après le départ d'Italie d'Annibal et de son frère Magon (sur le détail des faits, cf. S. Lancel, Hannibal, p. 274). Pour permettre aux envoyés de Carthage d'aller à Rome et de revenir, la durée de la trève avait été fixée initialement à quarante-cinq jours (Eutrope, III, 21, 2) ; cette durée fut certainement renouvelée, car les négociations semblent bien s'être prolongées à Rome jusqu'à l'hiver 203-202. 106. Cet envoi par le sénat romain auprès de Scipion de commissaires chargés de définir avec lui des conditions de paix ne figure pas ailleurs que chez Appien : ce sont probablement les dix commissaires que Rome enverra de fait pour assister Scipion lors du règlement final de la guerre, mais seulement l'été 201 (Tite-Live, XXX, 43, 4). 107. Ces conditions, selon Appien, sont un peu différentes de celles que Tite-Live fait connaître (cf. supra, n. 103) : Carthage peut conserver trente vaisseaux (même chose chez Eutrope, III, 21, 3, au lieu de vingt) ; elle doit payer une indemnité de mille six cents talents (au lieu de cinq mille : mais Tite-Live, XXX, 16, 12, hésitait sur le chiffre) ; elle doit en outre renoncer à lever des mercenaires et se cantonner en Afrique à l'intérieur des « Fosses phéniciennes » (Appien y reviendra plus loin : infra, LIV, 235 ; sur cette frontière et sa réalité à l'époque punique, cf. Gsell, HAAN, II, p. 101-103 ; S. Lancel, Carthage, p. 283284 ). Le blanc-seing accordé à Massinissa pour s'agrandir vers l'ouest
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
au delà du territoire massyle est la conséquence du démembrement du royaume de Syphax. 109. Voir Tite-Live, XXX, 17, 13 où l'on trouve une liste de présents assez semblable, mais en nombre double : deux manteaux de pourpre, deux chevaux, deux armures de cavalier avec cuirasse, deux tentes avec leur mobilier de campagne : c'est, commente Tite-Live, la dotation ordinaire d'un consul. Page 25 110. Sur les circonstances de l'embarquement du chef punique, cf. le Livre d'Annibal, LX, 250-251. Le départ d' Annibal d'Italie doit être daté de l'automne 203, plutôt que de la fin de l'été (cf. Gsell, HAAN, III, p. 244, n. 2). Le « vers Carthage » ne doit pas être pris au pied de la lettre, comme le fait Walbank, II, p. 444 (commentant Polybe, XV, 3, 5) : plusieurs raisons militent pour que la destination d'Annibal rentrant en Afrique ne soit pas d'abord Carthage (cf. infra, n. 112). 111. Appien est encore plus explicite sur les sentiments d'inquiétude qu'il prête à Annibal dans le Livre d'Annibal, LVill, 243. 112. Aujourd'hui Sousse, sur la côte du Sahel tunisien (cf. fig. 1) ; selon Tite-Live, XXX, 25, 12, Annibal prit terre sensiblement au sud d'Hadrumète, à Leptis Minu.'tOUÇ et non 1tpoc; au-roue;. Le texte n'appelle pas de correction, ce sens de VE Uroétant usuel, et l'on doit comprendre que le pronom renvoie aux Romains
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
retranchés sur la colline. Il est clair que les Puniques veulent en finir avec un adversaire avant que l'autre ne soit opérationnel [P. G.]. 371. On sait l'atmosphère de légende héroïque et quasi divine qui entourait 1'Africain. Plus précisément, Appien fait ici vraisemblablement allusion à la promesse d'aide que, selon ses dires, Scipion avait reçue en songe de Poséidon (Neptune), à la veille de la prise de Carthagène : Polybe, X, 11, 7 ; Appien, Livre Ibérique, XXI, 83 et TiteLive, XXVI, 45, 9. On sait par ailleurs (Velleius Paterculus, I, 12, 4 ; Pline, H. N., XXII, I 3 ; De uir. il/., 58, 4) que de retour auprès du gros de l'armée Scipion fut gratifié de la corona obsidionalis en récompense de ce fait d'armes. Page 93 372. Il faut se garder d'accorder valeur d'indication réglementaire à cette affirmation péremptoire d' Appien. On sait que l'anneau d'or était le signe distinctif des membres de l'aristocratie, jeunes sénateurs et jeunes chevaliers confondus : les uns et les autres servaient à l'époque républicaine comme tribuns militaires dans les légions, mais ce n'est pas au titre de ce grade qu'ils portaient l'anneau d'or. Quant aux simples soldats, il n'existe pas de texte qui confirme que le port d'un anneau de fer eût été pour eux un signe distinctif; le port d'un anneau, quelle qu'en fût la matière, était assez largement d'initiative individuelle : quelques décennies après l'époque où écrivait Appien, Septime Sévère finit par permettre aux soldats de porter l'anneau d'or (Hérodien, III, 8, 5). 373. Diodore, XXXII, 8, confirme qu'Asdrubal fit rendre les honneurs funèbres aux tribuns romains, en précisant que le Punique envoya les restes au consul Manilius. 374. Les termes employés par Appien, seul auteur à relater cette venue de commissaires diligentés par le Sénat de Rome, suggèrent que ces jalousies n'avaient pas manqué de se traduire par des propos de dénigrement à l'encontre de Scipion, mais qu'il en fut fait justice alors. C'est dans ce contexte d'assez large enthousiasme à l'égard de Scipion que doit se situer le mot fameux que Caton 1'Ancien aurait prononcé à son sujet avant de mourir, en citant Odyssée, X, 495 : « Seul il est sage ; les autres s'agitent comme des ombres » : Polybe, XXXVI, 8, 7 ; Diodore, XXXII, 9a ; Tite-Live, Epit. /. 49, 16 ; Plutarque, Caro Maior, 27. Page 94 376. La mort de Massinissa se situe durant l'hiver 149-148, probablement dans les premières semaines de 148. Sentant sa fin prochaine, le roi numide, alors nonagénaire, avait pour le consulter sur sa succession fait appel au petit-fils adoptif de celui qui, près de soixante années auparavant, l'avait aidé à consolider son pouvoir et à asseoir sa dynas-
NOTES COMPLÉMENTAIRES
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tie. Au demeurant, il connaissait déjà personnellement le jeune tribun qui lui avait été adressé deux ans plus tôt par le consul L. Licinius Lucullus (cf. supra, LXXI, 322 et 327 et n. 247). Mais sa mort faisait maintenant de Scipion plus qu'un exécuteur testamentaire. En lui laissant le soin de prendre lui-même les mesures qu'il jugerait les meilleures, Massinissa faisait post mortem, comme on l'a dit, « l'aveu que les destinées de la Numidie dépendaient des Romains » (St. Gsell, HAAN, VII, p. 135). Pour surprenante qu'elle nous paraisse, cette décision révèle la sûreté de vision du vieux roi massyle, qui avait assez vécu pour avoir compris que l'effacement définitif de Carthage, alors imminent, interdisait à l'avenir tout espoir de réelle autonomie à un royaume libyen. Attesté aussi par Polybe, XXXVI, 16, 10 et par TiteLive, Epit. l. 50, 7, le blanc-seing laissé à Scipion (mais, on le verra plus loin, sans doute muni d'instructions du Sénat romain) est historiquement incontestable. 378. Appien est à ce sujet évidemment tributaire de Polybe, XXXVI, 16, 7-8, qui affirme qu'avant Massinissa « la Numidie tout entière était stérile et tenue pour incapable de donner des récoltes », affirmations héritées d'un topos présent aussi chez Strabon, II, 5, 33 et XVII, 3, 15 (mais voir a contrario XVII, 3, 11) dont on a fait justice : cf. G. Camps, Massinissa, p. 209-213 ; J. Desanges, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen. 2. Genèse d'un empire (Nouvelle Clio, 8 bis), Paris, PUF, 1978, p. 651-652.
Page 95 379. Ce portrait physique est lui aussi inspiré de Polybe, XXXVI, 16, 2-5, y compris en ce qui concerne la vigueur génésique du vieux roi et la précision de l'âge du petit dernier (quatre ans) à la mort de son géniteur nonagénaire ; Polybe nous donne son nom, Stembanos. Développement semblable chez Diodore, XXXII, 16, mais sans le nom de l'enfant. 380. On peut difficilement penser que les décisions prises pour la succession de Massinissa n'avaient pas été préparées par l'intéressé en accord avec le Sénat de Rome, qui ne pouvait sur un sujet si important laisser carte blanche à un simple tribun militaire, même favorisé dans l'accomplissement de cette tâche par ses liens personnels avec la dynastie massyle : Appien dit lui-même (supra, CV, 496) que, sans doute à l'automne 149, Rome avait adressé une ambassade au roi numide pour solliciter de sa part une aide militaire accrue, mais probablement aussi pour préparer l'après-Massinissa. Des trois fils légitimes, l'aîné, Micipsa, aurait reçu de son père l'anneau, en principe désignation symbolique d'investiture (Zonaras, IX, 27, p. 465 a). On discutera toujours des considérations qui imposèrent finalement un partage tripartite de la royauté numide ; on a pu avancer que les principes d'une « direction collégiale » ont pu être puisés dans les institu-
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NOTES COMPLÉMENT AIRES
tions libyques, telles que certains schémas politiques nous les révèlent (G. Camps, Mas.'iinissa. p. 232-233) ; mais il est tout de même bien probable qu'en cet instant crucial pour cette partie du monde méditerranéen où la disparition de Carthage était programmée par Rome et en train de s·acccomplir. une dilution de l'autorité royale numide allait dans le sens des intérêts romains. Au demeurant, quelques années plus tard, dans une Afrique désormais stabilisée par la création de la province romaine, on verra le « pacifique » Micipsa, seul survivant après la mort (naturelle et non violente) de ses frères Gulussa et Mastanabal, demeurer sur le tard l'unique souverain massyle pour un règne qui durera encore une vingtaine d'années. Ajoutons que l'ordre de naissance des fils légitimes de Massinissa apparaît le même chez Tite-Live, Epit. I. 50, 7 ; seul Zonaras, LX, 27, p. 465 a, fait de Gulussa le plus jeune des fils. 381. Gulussa était proche des Romains. Sur ordre de son père, il avait accompli entre 172 et 152 plusieurs missions diplomatiques à Rome. On le verra s'investir sans réserve dans la lune contre Carthage, alors que Micipsa et Mastanabal se signaleront par leur attentisme : infra. CXI, 522. 382. Nous sommes probablement au début de l'année 148. Page 96 383. Scipion, alors simple tribun des soldats, n'a pu faire à Phaméas de telles promesses sans en avoir avisé à l'avance Manilius et avoir reçu de lui la permission d'une telle initiative. Par ailleurs, le mot employé par Scipion dans le texte d' Appien (koinè ; cf. plus loin, CVIII, 512, patris, dans la bouche de Phaméas, pour désigner Carthage) indiquerait que Phaméas était citoyen carthaginois, ce qui n'est pas incompatible avec l'origine numide suggérée par d'autres passages : cf. supra, n. 362 et 364. 384. Cette image de parfaite loyauté est, de toutes les qualités qu'il reconnaît par ailleurs à Scipion Emilien, celle qu 'Appien cherche surtout à mettre en valeur : cf. supra, n. 365. C'est cette même vertu que l' Alexandrin s'était plu à noter chez l'Africain : supra, XXXV, 148. 385. Le printemps 148 est arrivé et Manilius est maintenant proche de son retour à Rome. Ce serait à cette époque que se placerait la prise par le consul sortant de cette ville de Tezaga, inconnue par ailleurs, mentionnée par Orose, IV, 22, 8, avec un chiffre de pertes, du côté des Africains, assez suspect. Page 97 386. Scipion Emilien apparaît encore ici comme le championde la fides Romana. 387. Seulement mille deux cents cavaliers, selon Diodore, XXXII, 17.
NOTESCOMPLÉMENTAIRES
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388. Un des personnages de ce nom, si nombreux dans cette onomastique punique tardive révélée par les textes relatifs aux guerres puniques ; celui-ci n'est pas attesté en dehors d'Appien ; son surnom, « le Blanc », pourrait aussi être « le Poisson », avec une autre lecture (leûkos ).
Page 98 389. L'emplacement de cette plaine dont le profil « en entonnoir » devait être caractéristique est inconnu ; il faudrait la rechercher entre Tunis et les reliefs qui s'élèvent à la racine du Cap Bon. 390. Appien prépare ainsi son lecteur à l'élection de Scipion extra ordinem, sous la pression populaire, à la fin de cette année 148 (cf. infra, CXII, 529-532). 391. Comparer avec les dons faits par le Sénat en 203 à Massinissa pour le récompenser pareillement de son aide militaire : supra, XXXII, 137. [Comparer aussi avec le vêtement porté par Asdrubal selon Polybe, 38, 7, 2, 1topqmpiôa 0aÀ.attiav lm1tE1topm1µtvoç. L'l1tt1t6p1tT]µaétant un manteau agrafé sur l'épaule, il est clair que ce vêtement ne saurait être d'or. Il faut donc, me semble-t-il, corriger xpuuq'> en XPUCJÉC!)et comprendre que ce vêtement est tissé ou brodé de fils d'or. P. G.]. 392. L'arrivée en Afrique du consul Lucius Calpurnius Piso Cresoninus et de son légat Lucius Hostilius Mancinus se situe probablement en avril 148. On peut être surpris du choix de Calpurnius Pison pour ce consulat et ce commandement : en qualité de préteur en Espagne en même temps que Manilius, le consul de 149, il n'avait pas fait merveille en perdant six mille hommes dans un engagement contre les Lusitaniens (Appien, Livre Ibérique, LVI, 234). On a mis ce choix à l'actif de la protection dont Pison jouissait de la part de son collègue au consulat, le patricien Spurius Postumius Albinos Magnus : cf. A. E. Astin, Scipio !Emilianus, p. 57. 393. Appien a déjà eu l'occasion d'évoquer la citadelle d' Aspis (Clupea) (maintenant Kelibia, à la pointe la plus méridionale du cap Bon) dans son récit de la campagne de Régulus (supra, III, 14?. Les auteurs anciens en attribuaient la construction à Agathocle, lors de son expédition en 310-309, et mettaient son nom en relation avec la courbure donnée à l'enceinte, qui lui conférait la forme d'un bouclier : Silius Italicus, Punica, III, 243-244 ; mais pour Strabon, XVII, 3, 16, c'était la colline, qui avait imposé sa forme à l'enceinte, qui évoquait un bouclier. L'échec de Pison et de Mancinus sous les murs d ·Aspis n •est pas surprenant. La place, sur son piton, disposait de défenses qui seront remployées par la suite par la forteresse byzantine, puis par le fort hispano-turc qui subsiste toujours : cf. S. Lancel, Carthage, p. 284-286 et fig. 141. 394. Cette autre ville peu éloignée, qu 'Appien ne nomme pas (non plus que Diodore, XXXII, 18), serait Neapolis (Nabeul), selon Zona-
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NOTES COMPLÉMENT AIRES
ras. IX, 29. p. 467 a. De fait Neapolis, sur la côte sud du cap Bon, est peu distante d' Aspis-Clupea. : cf. fig. 1. 395. Hippo Diarrhytos, « Hippo traversée par les eaux » (aujourd'hui Bizerte), est appelée Hippa~reta par Appien à partir d'une déformation d'un ethnique lui-même formé sur un autre nom de la ville, Hippo11Akra, que l'on trouve chez Diodore, XX, 55, 3 et 57, 6 ; sur le processus de cette déformation, cf. Gsell, HAAN, II, p. 146, n. 8 (ajoutons cependant aux explications de Gsell que l'existence du mot hmaypÉtat, désignant les trois chefs des « cavaliers » spartiates, a pu favoriser la confusion). Si l'on sait par Diodore, XX, 55, 3 qu ·Agathocle s'en empara à la fin du IVe siècle, Appien est seul à nous dire, dans le présent passage, que le tyran sicilien en avait fait un port muni d'arsenaux et une place-forte. Il se trompe toutefois en plaçant la ville entre Carthage et Utique, alors qu ·elle est située sensiblement au nord-ouest d'Utique : cf. fig. 1. Page 99 396. Tandis que l'année 149 avait été marquée du côté romain par des initiatives militaires nombreuses, mais désordonnées et peu efficaces, l'année 148 apparaît assez vide, exception faite de ce siège demeuré vain mis devant Hippo Diarrhytos ; et cette inertie dont la nouvelle va parvenir à Rome (infra, CXII, 528) rend largement compte des attitudes attentistes de Micipsa et de Mastanabal, ainsi que de la trahison de Bithyas, qui n'est pas autrement connu. 397. Les « Maures indépendants » auxquels Appien fait allusion sont les sujets d'un royaume indigène confiné, déjà du temps de Syphax, à l'ouest de la Moulouya, dans le nord de l'actuel Maroc. On peut douter qu'ils aient pu être touchés par les ambassades dépêchées par Carthage. 398. Il s'agit d' Andriskos, un aventurier qui prétendait être Philippe, fils de Persée, et qui sera finalement vaincu cette même année 148 par Q. Crecilius Metellus Macedonicus, lequel en prit occasion pour réduire la Macédoine à l'état de province romaine (Appien rappellera plus loin l'issue de l'aventure d'Andriskos : infra, CXXXV, 643 ). La réalité de ces contacts entre Carthage et Andriskos est, elle aussi.douteuse. Pa~e /00 399. C'est le dernier épisode de la lutte sourde qui à Carthage avait longtemps opposé entre elles trois factions (cf. supra, LXVIII, 304305). Il ne restait évidemment plus rien du « parti romain », mais demeuraient encore apparemment quelques restes du « parti pronumide » qu •entretenaient les liens subsistant entre la classe dirigeante carthaginoise et la dynastie de Massinissa. On se demande cependant comment, de l'extérieur, Asdrubal le Boétharque a pu physiquement
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porter son accusation contre son homonyme en cette ville étroitement assiégée ; on apprendra plus loin qu'il ne rejoindra Carthage en même temps que Bithyas qu'au printemps 147 : cf. infra, CXIV, 544. 400. Tite-Live, Epit. I. 50, 10, dit plus sobrement qu'il fut tué dans la curie ; mais Orose, IV, 22, 8, affirme lui aussi qu'il fut assommé « avec des morceaux de bancs ». 401. Cf. supra, CIX, 517. 402. Nous sommes donc à l'extrême fin de l'année 148. Né en 185 ou 184, Scipion Emilien avait alors 36 ou 37 ans ; il était donc éligible à l'édilité, mais non à la préture (l'âge requis était 39 ans) et encore moins au consulat (42 ans minimum). 403. Ce pluriel est une inexactitude d' Appien : Pison était encore en Afrique (cf. infra, CXIII, 535 : on ne peut penser qu'il ait fait un aller-retour rapide en plein hiver) ; son collègue Postumius Albinus était seul pour s'opposer aux désirs du peuple. 404. Ce pouvoir souverain en matière électorale est celui du populus rassemblé en comices centuriates. Ce pouvoir, assez théorique, remontait selon la tradition à l'instauration du census par Servius Tullius : cf. Cl. Nicolet, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen. 1. Les structures de l'Italie romaine (coll. « Nouvelle Clio », 8), Paris, PUF, 1977, p. 341-344. Mais ici, visiblement a:vant la réunion des comices, le peuple s'était manifesté lors d'une émeute violente pour imposer la candidature de Scipion : cf. A. E. Astin, Scipio .-Emilianus, p. 65-66.
Page 101 405. On a noté au milieu du nesiècle avant notre ère de nombreux signes de conflits, avant-coureurs des troubles de l'époque des Gracques, entre d'une part le Sénat et les magistrats supérieurs et d'autre part les tribuns de la plèbe : cf. Cl. Nicolet, loc. cit. , p. 409. 406. En 184, le Sénat avait renoncé à l'élection d'un préteur « suffect » pour préserver la légalité de l'élection : il s'agissait alors d 'éviter que deux magistratures curules fussent exercées par un même magistrat : Tite-Live, XXXIX, 39. On pouvait se passer d'un préteur (cf. H. H. Scullard, Roman Politics 220-150 BC, p. 149-150). Mais dans cette situation présente de guerre contre Carthage il n'était pas question de se passer d'un consul et d'autre part le Sénat pouvait difficilement aller contre la volonté populaire. Il se résolut donc à une suspension pour une année de la clause légale d'éligibilité au profit de Scipion. Il y avait tout de même un précédent célèbre, celui de T. Quinctius Flamininus, élu consul en 198 la trentaine à peine passée, alors qu'il n'avait encore exercé que la questure (Tite-Live, XXXII, 7). On trouvera un peu forcée la comparaison qu'établit Appien avec la manière dont les Lacédémoniens avaient passé l'éponge après le dénouement peu glorieux de l'affaire de Pylos, en 424, quand leurs
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hoplites isolés dans l'île de Sphactérie avaient fini par se rendre, après avoir subi de lourdes pertes (Thucydide, IV, 38-41 ). On ne sait quelle est la source du texte apparemment cité de manière littérale par Appien. 407. Le tirage au sort était la procédure légale ; mais si le peuple avait obtenu par l'émeute l'élection de Scipion, ce n'était pas pour laisser au tirage au sort l'attribution du commandement en vue duquel il l'avait imposé face à l'autre consul, C. Livius Drusus (cf. aussi TiteLive, Epit. /. 51, 1 ; Valère Maxime, VIII, 15, 4). 408. La parcimonie de la dotation militaire accordée à Scipion Emilien rappelle celle, plus stricte encore, qui avait prévalu dans le cas de l'Africain, en 205 : cf. supra, VII, 28-29. Tout comme l'Africain avait eu pour lieutenant Lrelius, le second Africain emmenait avec lui son ami le plus cher, C. Lrelius, fils du précédent (cf. infra, CXXVI, 596 et CXXVII, 606) et, outre le philosophe Panretios de Rhodes, il avait dans sa suite Polybe. Il semble que Polybe, présent lors de l'assaut final au printemps 146 (cf. infra, CXXXII, 629 et Polybe, XXXVIII, 21), ait assisté à l'attaque contre Mégara au printemps 147, si l'on en croit un texte assez imprécis d' Ammien Marcellin, XXIV, 2, 16, rapportant le contenu d'une lecture faite par l'empereur Julien très probablement dans le texte maintenant perdu de Polybe ; il aurait dans ce cas fait initialement partie de la suite de Scipion. Quant au périple que Polybe accomplit à cette époque, il doit probablement, plutôt que de l'été 147, être daté postérieurement à la chute de Carthage, durant l'été 146 : cf. J. Desanges, Recherches sur l'activité des Méditerranéens aux confins de l'Afrique (Coll. EFR, 38), Rome, 1978, p. 122123. 409. Nous sommes maintenant au printemps 147, sans doute fin mars ou début avril, et pour rembarquer avec Mancinus, Pison a attendu la venue de la relève. 41 O. Cette partie de rempart en bordure de mer, là où la côte se redresse en « falaises inaccessibles » peut être localisée en deux points : soit il s'agit du rivage rocheux de Gammarth, tout au nord de la presqu'île, soit plutôt du secteur littoral situé entre La Marsa et Sidi bou Saïd, où de fait la côte présente des escarpements souvent abrupts : points 6 sur la fig. 3.
Page 102 411. Les hommes de Mancinus ont donc fait une percée et établi une « tête de pont » précaire non dans le noyau urbain central, mais dans la zone suburbaine au nord de Byrsa, qu'on verra bientôt Appien désigner de son nom de Mégara : infra, CXVII, 554-555. Le secteur est appelé Mégalia par Zonaras, IX, 29, p. 467, b, qui décrit sous la forme d'un promontoire élevé faisant saillie dans la mer l'endroit où Mancinus a pris pied, ce qui correspond assez bien aux falaises nord du
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cap Carthage (Sidi bou Saïd) : cf. S. Lancel, dans Studia Phoenicia, X : Punie Wars, p. 256. 412. La concomitance de l'arrivée de Scipion à Utique et des difficultés graves rencontrées par Mancinus dans Mégara est notée aussi par l'abréviateur de Dion Cassius, Zonaras, IX, 29, p. 467 c-d. Mais c'est chez Appien que Scipion Emilien prend ici la figure d'un héros véritablement providentiel. 413. Si Scipion Emilien fait charger de vivres ses trières, c'est pour répondre à la demande de Mancinus faite aux magistrats d'Utique (§538). Scipion, qui vient juste d'arriver à Utique, ne connaît pas la situation et ne sait pas encore qu'il lui faudra venir d'urgence au secours de Mancinus (§542), après avoir constaté par lui-même les difficultés du légat. 414. Cette action de « guerre psychologique » est également rapportée par Zonaras, IX, 29, p. 467 c. 415. Pison est alors occupé à « assiéger les villes de l'intérieur », comme il est dit plus haut, en CXIII, 535 ; il faut entendre des cités de l'arrière-pays de Carthage, sans doute assez proches, dans la basse vallée de la Medjerda. 416. Ces trois mille hommes sans armes représentent « la foule qui l'accompagnait« sur ses navires : supra, CXIII, 537 ; c'est-à-dire comment le comprendre autrement ?- les matelots et les rameurs, à supposer que le légat ait imprudemment dégarni ses navires de leurs équipages ; le chiffre semble excessif.
Page 103 417. On comprend mal l'attitude des Carthaginois, que la présence en mer de Scipion un peu au large du cap Carthage n •empêchait pa~ de pousser leur avantage contre Mancinus et ses hommes. Chez Zonaras, IX, 29, p. 467 c-d, Mancinus se maintient quelque temps à l'intérieur de Mégara, et cette version plus favorable au légat de Pison transparaît aussi dans le résumé de Tite-Live, Epit. /. 51, l, ainsi que chez Pline, H. N., VII, 47 (avec une erreur sur le nom) et XXXV, 23. En tout état de cause, Mancinus, la frayeur passée, était resté content de lui : il se targua par la suite d'avoir le premier pénétré dans la ville et il aurait exposé à Rome, au forum, un tableau figurant le plan de Carthage, avec l'indication des différentes attaques portées par les Romains, qu'il commentait à qui voulait l'entendre. Cette forfanterie ne lui réussira pas mal, puisqu'il sera élu consul pour l'année 145. 418. Le légat qui remplace Mancinus est Sextus Atilius Serranus, qui sera préteur en 139 et consul en 136. Avec l'arrivée de Serranus le départ de Mancinus est dans la procédure normale, en dehors même de toute appréciation de Scipion Emilien sur son action ; c'est son maintien qui serait extraordinaire. Il n'y a donc pas lieu de mettre en doute ce que dit Appien de la conduite d'Emilien à son égard ( « il envoya
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aussitôt Mancinus à Rome » ). Ce qui gêne cependant le lecteur est le caractère très elliptique du récit d ·Appien. Emilien revient nécessairement à Utique après avoir secouru Mancinus et ses hommes : c'est d'Utique que Mancinus sera rapatrié à Rome. Et c'est à Utique qu'Emilien prend son commandement -parallèle à la prise de commandement de Serranus sur la flotte-, avant le départ non signalé (autre ellipse) de Pison. D'Utique, Emilien fait ensuite mouvement avec ses troupes pour établir son camp « non loin de Carthage » : dans le texte d' Appien, qui sait faire la distinction entre Carthage et Byrsa, « Carthage » signifie toujours la grande Carthage, enclose dans sa vaste enceinte. Au demeurant, la phrase suivante indique clairement que Seipion installa son camp face à la muraille principale, à la naissance de l'isthme. 419. En avant de leur triple rempart sur l'isthme, et pour parer d'avance à la pression que Scipion s'apprête à faire peser sur la défense principale de Carthage, les Carthaginois créent donc une sorte de glacis d'une profondeur de près d'un kilomètre, défendu par une palissade ; ce dispositif n'empêchera cependant pas Emilien de porter son attaque sur Mégara en contournant cette défense par le nord : cf. infra §554 et 555 et carte, fig. 3, points 5. Asdrubal le Boétharque, laissant la place de Néphéris à la garde de Diogénès (cf. CXXVI, 596), ainsi que Bithyas, le chef de la cavalerie, rejoignent les défenseurs de Carthage dans cet avant-camp retranché ; Bithyas cependant en sortira pour aller chercher du ravitaillement pour les assiégés : cf. infra, CXX, 569. 420. Là encore, Appien affirme comme un article strict de règlement militaire ce qui était une donnée usuelle de la vie des camps. Page 104 421. Scipion avait pourtant été à la limite du refus d'obéissance devant l'ennemi quand à Néphéris il avait (à juste titre, comme la suite l'avait montré) suggéré à Manilius de ne pas se lancer dans une attaque imprudente : supra, Cil, 479-481. 422. L'absence de Scipion n'avait cependant pas été très longue : une petite année, entre le printemps 148 et le printemps 147. 423. Appien fait employer à Scipion un singulier, mais les deux consuls précédents, Manilius et Pison, portent également cette responsabilité. 424. C'est-à-dire tous les parasites, mercantis et autres, qui hantaient en masse le camp romain. 425. Il s'agit ici de l'un des questeurs (on en élisait annuellement dix dans la Rome de cette époque), qui était affecté à l'intendance du camp. Page 105 426. Comme tous les discours qui parsèment le texte d' Appien, et qu'il faut apprécier de façon intrinsèque, faute de textes parallèles aux-
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quels on puisse les confronter, celui-ci vaut par sa vraisemblance et par l'adéquation parfaite du ton à la personnalité de celui dans la bouche de qui il est placé. 427. Si, comme le dit Appien, Scipion « essaie » -la tentative, on va le voir, échouera- de s'emparer de Mégara, c'est bien parce que la première tentative, celle de Mancinus, s'est déjà soldée par un échec. Quant au nom de Mégara, il n'apparaît sous cette forme que dans le texte d' Appien, si l'on excepte son apparition sans doute la plus ancienne dans un passage du Pœnulus de Plaute (v. 86), où l'on apprend par un récit du marchand Annon le sort échu à deux fillettes enlevées en même temps que leur nourrice a Magaribus : « à Mégara », nom pluriel, comme chez Appien, mais avec une variante vocalique. Sous cette forme Mégara, le mention du toponyme, si elle est issue, comme il est probable, du texte perdu de Polybe, en est ici la deuxième attestation historique. Mais ce sont des textes tardifs qui fournissent les indications les plus précieuses sur le sens du toponyme, celui de Servius, Ad /En., l, 421 (commentant les magalia de Virgile) et celui d'Isidore de Séville, Etym., XV, 12, 1 : l'un comme l'autre corrigent magalia en magaria au motif qu'en punique magar signifierait « ferme ». Les spécialistes hésitent sur l'identification du radical sémitique subjacent à ce toponyme qui suggèrerait, sinon un habitat proprement rural, du moins un habitat suburbain dispersé. Sur le dossier philologique de Mégara, cf. M. Sznycer, » Le problème de la « Mégara » de Carthage », dans Histoire et Archéologie de l'Afrique du Nord, Ille colloque international (Montpellier, 1-5 avril 1985), Paris, édit. du CTHS, 1986, p. 119-131, particulièrement p. 123-130. 428. Cette phrase est une donnée essentielle pour la localisation de Mégara. La phrase précédente indiquait déjà que cette partie de la ville était bien intra muros ; celle-ci la complète en suggérant que ce faubourg qui jouxtait le rempart enveloppait le noyau urbain central en s'interposant entre le rempart et la ville proprement dite (cf. fig. 3). C'est ce que Servius, Ad /En., l, 368, dira aussi : « Carthage eut jadis l'aspect d'une ville-double ; la partie intérieure était appelée Byrsa, la partie extérieure qui entourait l'autre, Magalia » ; et Servius ajoute qu'il se sert là d'un texte de la Vita illustrium de Cornelius Nepos qui n'est pas conservé. Pour préciser cette disposition relative de Byrsa (pris lato sensu : le noyau urbain central, et non la seule citadelle) par rapport à Mégara, il faut recourir à un troisième texte, celui d'Orose, IV, 22, 6, qui nous dit que « d'un côté le mur (d'enceinte) était commun à la ville et à Byrsa [toujours entendu loto sensu] » : de ce côtélà (au sud : cf. supra, n. 343), le faubourg n'enveloppait pas la vieille ville : cf. S. Lancel, « Les fouilles de la mission archéologique française à Carthage et le problème de Byrsa », dans Studio Phoenicia, VI : Carthago, Leuven, 1988, p. 65-66. 429. Il est difficile de préciser les deux points attaqués par Emilien. Appien donne cependant une indication en disant qu'il fit emprunter à
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une partie de son année un chemin de contournement, tandis que luimême, avec un autre corps, progressait sur vingt stades (3km, 600), pas nécessairement par un itinéraire sensiblement différent. On peut supposer que cette distance doit être appréciée par rapport à un point de départ situé sur l'isthme, en sa partie nord, proche de la rive incertaine de la Sebka er-Riana. L'hypothèse la plus probable est que les points touchés par cette attaque sont à situer dans la partie nord du rempart (secteurs du Djebel er-Rmel et du Djebel Khaoui : points 5 sur la carte, fig. 3 ; cf. la note suivante). 430. Le texte d' Appien indiquerait que Scipion est parvenu pratiquement au pied du rempart, c'est-à-dire du « haut mur », apparemment en un point où il n'était pas précédé des retranchements avancés constitutifs du « triple mur » (cf. supra, XCV, 450 et n. 341). Ce qui conforte l'hypothèse d'une attaque dans la partie nord de la presqu'île, où le tracé du rempart sur les reliefs du Djebel Khaoui et du Djebel er R 'mel pouvait dispenser d'un triple retranchement (discussion de ce texte dans Gsell, HAAN, Il, p. 32 et n. 2).
Page 106 431. Cette tour. élément fortifié d'une habitation privée, sise hors les murs, mais presque à leur contact, est un peu trop providentielle. On a peine à admettre que les Carthaginois aient laissé subsister cette construction de même hauteur que la courtine de leur rempart, et dans une telle proximité qu'il suffisait de lancer entre les deux quelques poutres pour passer de l'une à l'autre comme sur un pont. Cela dit, il se peut, comme le propose P.Goukowsky (Notice, p. XCIX) reprenant une suggestion de R. Flacelière (éd. de Plutarque, Tib. Gracchus, éd. CUF, p. l 00, n. I ). que les audacieux jeunes gens auteurs de cet exploit aient été Fannius et Tib. Gracchus. 432. La percée provisoirement réussie de Scipion dans Mégara apparaît narrée de façon assez sensiblement différente dans un texte d'Ammien Marcellin, XXIV, 2, 16-17 (déjà cité supra, n. 408), qui semble bien avoir trait à cet épisode plutôt qu'à la prise des ports : la tour utilisée comme la pile d'un pont improvisé pour passer sur le rempart a disparu ; Scipion se fraie un chemin à l'intérieur de l'enceinte en sapant une porte. Quoi qu'il en soit, les Carthaginois effrayés par cette intrusion s'enfuient vers Byrsa : non vers la citadelle, mais vers le quartier central de la ville (Byrsa entendu lato sensu), qu'il faut comprendre défendu par son rempart propre. Le récit qu'on lit chez Zonaras, IX, 29, p. 467 c - 468 a, est aussi sensiblement différent. Pour l'abréviateur de Dion Cassius, l'attaque de Scipion suit immédiatement l'entreprise manquée de Mancinus au printemps 147, et elle se solde non par une retraite des Carthaginois mais par un abandon complet du faubourg ou « ville extérieure » : on nous dit que les défenseurs de la ville (maintenant réduite au noyau urbain central) en consolident les
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défenses propres en creusant des fossé et en dressant des palissades « en avant des maisons » ; il s'agit donc d'un renforcement par une ligne de défense extérieure du mur protégeant la ville proprement dite (Byrsa entendu lato sensu) du côté du nord et sans doute aussi du côté de l'ouest, à l'image de la triple fortification barrant l'isthme et défendant la « grande Carthage » (sur ce texte de Zonaras, cf. S. Lancel, dans Studia Phoenicia, VI : Carthago, p. 69). 433. Appien désigne deux groupes distincts de Carthaginois dont la tentative de Scipion suscite le repli. 1. « Les autres » (fin du paragraphe) sont les Carthaginois défenseurs de Mégara, situés donc à l'intérieur de la grande enceinte, qui ont reflué momentanément devant les soldats de Scipion (début de ce §558). 2. Le deuxième groupe, cité en premier lieu, est fait, dit Appien, de « ceux qui étaient campés à l'extérieur » (entendons de la grande enceinte), à l'abri du retranchement palissadé évoqué au §544 : ils abandonnent ce retranchement et même, pris de panique, remontent en courant vers Byrsa en désertant momentanément la fortification principale sur l'isthme. Cette lecture d' Appien est la seule qui permette d'identifier nettement les deux groupes qu'il distingue. Le camp retranché en avant du triple mur, où Asdrubal et Bithyas venant de Néphéris avaient rejoint les défenseurs de Carthage (supra, CXIV, 544) est donc abandonné par les Carthaginois peu après avoir été mis en place. C'est un succès stratégique important pour Scipion, et qui justifie les risques pris par lui lors de son attaque de Mégara, car l'abandon de cette position en défense avancée sur l'isthme le laisse maître du terrain, et va lui permettre de le verrouiller solidement par la construction de son propre camp retranché parallèle au rempart de Carthage (infra, CXIX, 563-566 : discussion de ces aspects stratégiques dans A. E. Astin, Scipio .-'Emilianus, p. 341, Additional note F). 434. Cette description de Mégara, qu'on trouve chez le seul Appien, très probablement tributaire de Polybe, est particulièrement précieuse, même si l'accent mis sur la présence de l'eau et l'abondance des canaux d'irrigation donne à penser qu'il s'agit surtout ici des parties basses de la presqu'île (dont l'actuel lieu-dit Sidi Daoud occupe à peu près le centre) et non des reliefs qui bordent le rivage de Gammarth à Sidi bou Saïd, seulement interrompus par la dépression et l'anse sablonneuse de La Marsa. Cette partie de la presqu'île enclose dans le triple mur était véritablement campagnarde ; elle était restée telle lorsqu'elle entra, à la fin du deuxième siècle avant notre ère, dans la cadastration rurale de Carthage, dont les traces étaient encore visibles sur le terrain quand en 1893 fut levée la feuille 14 (La Marsa) de l'Atlas Arch. de la Tunisie au 1/50.()()()C. La prospection archéologique a confirmé que l'habitat rural ou semi-rura.1qui s'y élevait était très dispersé : cf. M. H. Fantar, « A Gammarth avant la conquête romaine», dans B. A. C., n. s. 17B, 1981, Paris, CTHS, 1984, p. 3-18.
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La partie plus proprement urbaine de Mégara, le « faubourg », s 'étendait au nord de la vieille ville, au delà des nécropoles, toujours en service jusqu'à la fin de Carthage, qui la ceinturaient au nord. On peut penser que ce faubourg, entre l'actuel plateau de Bordj Jdid et de l'Odéon jusqu'aux hauteurs de Sidi bou Saïd, fut à partir de la fin du IVe siècle le développement de la « Néa Polis » (distinguée de l' »ancienne Carthage ») dont il est question dans un texte de Diodore, XX, 44, relatif au coup d'Etat de Bomilcar lors de l'expédition d'Agathocle en 308 : cf. S. Lancel, « La renaissance de la Carthage punique », dans CRAI, 1985, p. 742-743. 435. Scipion n'a donc pas voulu s'aventurer dans la partie basse et maraîchère de Mégara, c'est-à-dire dans l'espace approximativement occupé par les lettres MEGA de Mégara sur la carte de la fig. 3. Il est licite, sur la base du texte d'Appien, d'admettre qu'il fait retraite par là même où il est venu, en repassant le mur simple de la fortification nord de Carthage. On notera que pour Appien l'assaut lancé une nuit se termine par un repli au petit jour qui suit. 436. Le rempart sur lequel Asdrubal place les prisonniers romains comme sur une estrade ne peut être que le haut mur de la fortification principale sur l'isthme. S'il s'était agi de la fortification propre à Byrsa les soldats romains (rappelons que Scipion a fait retraite en deçà de la partie basse de Mégara) n'auraient eu aucune possibilité de voir ce spectacle donné par Asdrubal à plusieurs kilomètres de leur position. En outre, si Appien avait voulu faire entendre que Mégara avait été prise, aurait-il pour qualifier l'action de Scipion employé ce mot d'tmxdp11cnc; qui fait écho au verbe « il essaya » du §554 ? Ces supplices exécutés sur le haut du rempart à la vue de tout le camp romain visaient à conférer à la lutte ce caractère de « guerre inexpiable » qu'autrefois les mercenaires avaient donné à leur confrontation avec Carthage, selon Polybe, I, 65, 6 (cf. I, 79-80, sur le détail des atrocités commises par les mercenaires pour créer l'irréparable). Une allusion à cette attitude inhumaine d' Asdrubal chez Polybe, XXXVIII, 8, 1.
Page 107 437. Appien n'a pas manqué de qualifier le pouvoir alors exercé par Asdrubal de « tyrannie », au sens grec du terme, et notamment au sens que précisément Polybe, XXXVIII, 8, 13-14, donnait à ce mot en traitant du personnage du chef carthaginois. Mais on ne retrouve pas chez lui le portrait-charge que l 'Achéen s'était amusé à tracer de cet Asdrubal « qui surpassait de loin en pompe tous les tyrans de tragédie », dont on voyait (dont Polybe avait sans doute vu de ses yeux) l'imposante personne à la face cramoisie de bonne chère en une cité pourtant accablée par la famine s'avancer drapée dans un manteau de pourpre (Polybe, XXXVIII, 8, 6-9). Polybe au demeurant a situé sa
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présentation caricaturale du personnage dans le cadre d'une rencontre que le général carthaginois aurait eue avec Gulussa postérieurement aux atrocités relatées plus haut, mais sans doute antérieurement aux travaux de retranchement exécutés par Scipion parallèlement au triple mur (infra, CXIX). Une première entrevue aurait eu lieu devant le haut mur sur l'isthme : le Carthaginois serait resté à l'abri du fossé et de la palissade (Polybe, XXXVIII, 7, 3) et aurait prié Gulussa d'intercéder auprès de Scipion pour qu'il épargne Carthage. En réponse, le Romain aurait seulement proposé la vie sauve au général et aux siens, ce qu' Asdrubal aurait décliné avec une noblesse que la veulerie de son attitude à la fin du siège devait démentir (infra, CXXXI). Appien a passé sous silence cet épisode qui se situerait à un moment indéterminable de l'été 147, alors qu'on le trouve rapporté chez Diodore, XXXII, 22, en termes (y compris pour ce qui est du portrait caricatural du « tyran ») très proches de ceux de Polybe. 438. Scipion est dit par Appien « maître de l'isthme tout entier », à la suite précisément de l'abandon par les Carthaginois du camp retranché établi par eux en avant du triple rempart, et qu'il vient d'incendier. Le site des travaux de fortification auxquels va se livrer le consul romain n'est pas douteux. Le mot « isthme » (même si Appien emploie souvent en ce sens le mot plus imagé d' aùx.11v: cf. notamment XCV,448 et 449) ne saurait désigner que ce qu'il signifie en français comme en grec, c'est-à-dire non pas la presqu'île, mais le pédoncule qui la relie au continent (voir aussi au §563 « d'un rivage à l'autre », pour dire le rivage de la Sebkha er-Riana au nord et celui du lac de Tunis au sud). La situation topographique est encore précisée par ce qui est dit des deux longs fossés parallèles : l'un « regarde vers le continent » (§564), l'autre « regarde vers Carthage » (§565), et non vers Byrsa : Appien sait très bien faire la distinction. Ajoutons que les vingt-cinq stades qui sont la longueur de ces deux fossés parallèles sont aussi la largeur de l'isthme (cf. XCV, 448). Il est donc clair qu'Emilien vemouille ainsi étroitement la ville du côté du continent ; la faible distance (une portée de flèche) laissée entre le rempart punique et le fossé qui lui fait face s'explique par le souci du Romain d'interdire désormais aux assiégés toute sortie. Dans l'hypothèse qui n'est pas ici la nôtre - où Scipion, déjà maître de Mégara, aurait voulu verrouiller non plus l'isthme, mais une partie de la presqu'île coupée obliquement dans un axe nord-est/ sud-ouest entre le ravin d 'Amilcar - au nord de Bordj Jedid - et la berge du lac de Tunis, on ne comprendrait pas, dans cette autre situation stratégique, le besoin qu'il aurait éprouvé d'un tel retranchement, en particulier d'un second fossé creusé « côté continent » : s'il était déjà maître des remparts extérieurs, leurs défenseurs donc éliminés, cette maîtrise suffisait à le mettre à l'abri de toute surprise sur ses arrières. On ajoutera encore la quasi-impossibilité de creuser des fossés susceptibles d'avoir valeur de
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retranchement dans les terrains accidentés à dénivelée souvent forte qui couronnent Byrsa entendu lato sensu au nord-est. au nord et au nord-ouest. Au surplus, quelle eût été dans cette hypothèse l'utilité des deux petits fossé latéraux conçus par Scipion pour fermer son dispositif ? Au sud. le retranchement de Scipion serait alors venu buter contre le mur sud de la grande enceinte de Carthage, établi le long de la rive du lac de Tunis, dont rien ne permet de dire qu'il était alors démantelé. On le voit, non seulement le texte d ·Appien dans sa cohérence, mais aussi la topographie du site commandent de situer le retranchement de Scipion sur l'isthme, parallèlement au triple mur de Carthage. 439. Les travaux ainsi accomplis dessinent un rectangle très allongé, parallèle à la fortification punique, qui sera le camp retranché de Scipion ; celui des fossés qui n'est pas doublé d'une palissade ellemême dressée sur une levée de terre est vraisemblablement le long fossé du côté du continent. En revanche, le fossé creusé du côté de la ville est renforcé par un rempart auquel Appien donne une hauteur d'environ trois mètres cinquante (douze pieds) pour une largeur moitié moindre : en dépit du mot employé (tEÏX,OÇ : « un mur » ), il est probable qu'il s'agissait, non d'un mur de pierre, mais d'une levée de terre (c'est l'agger des camps romains) flanquée de place en place par des tours de bois plus hautes. Il fallait bien que le mirador central dont Appien ne précise pas la hauteur s'élevât nettement plus haut que le haut mur (de trente coudées, entre treize et quinze mètres : supra, n. 341) du triple rempart punique, pour que Scipion pût observer ce qui se passait intra muros .
Page 108 440. Appien veut dire que ces approvisionnements étaient plus difficiles à la mauvaise saison ; mais il y avait pis que les intempéries pour compromettre le ravitaillement de Carthage. 441. Les riches campagnes du cap Bon devaient constituer la source principale de ce ravitaillement, qu'il fallait ensuite acheminer par voie de mer à travers le golfe de Carthage. Le vaste développement de la façade maritime de Carthage, du cap Gammarth à l'actuelle baie du Kram, interdisait à la flotte romaine d'y instituer un blocus serré. Page 109 442. Il n'y avait pas tellement de points, sur cette façade maritime, où pussent aborder les navires marchands qui réussissaient à déjouer la chasse des trirèmes romaines. Pour Mégara, il n'y avait guère que la grève de La Marsa, et pour la ville elle-même (Byrsa), outre la dépression de l'actuelle plage dite d'Amilcar au sud de Sidi bou Saïd, les atterrages plus risqués au sud de Bordj Jedid. Quant au port principal, avant même que son accès fût condamné par la digue de Scipion, il devait être l'objet d'une surveillance particulière du gros de la flotte romaine stationnée le long de la tmvia (cf. supra, n. 354 et 358).
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443. Cette remarque ne vaut que si la destination des cargos de Bithyas était cette partie de la façade maritime de Carthage comprise entre le cap Carthage (Sidi bou Saïd) et la baie du K.ram, dont ils ne pouvaient toucher le rivage par vent arrière que si le vent soufflait de secteur est ou sud-est, ce qui n'est pas dans ces parages son régime estival le plus fréquent. 444. Ce nombre de trente mille défenseurs, bien qu'il paraisse une estimation haute, est cependant assez plausible, car il est évident que tous les hommes en âge et en état de se battre avaient été mobilisés pour la défense de la ville. 445. Le chenal d'entrée du port était en fait axé vers le sud plutôt que vers le couchant (cf. fig. 4) ; une erreur de même type, mais moins prononcée, affectait déjà l'orientation générale de la tawiaselon Appien : cf. supra, XCV, 449 et n. 338. Par « terre ferme », Appien signifie cette -ratvia, c'est à dire la langue de terre qui s'interposait entre la mer et le lac de Tunis et prenait racine non loin au sud-ouest des ports. La distance qu'il fallait franchir jusqu'au musoir de l'avantport punique en lançant une jetée dans la mer est d'estimation variable selon le point de départ sur la tat via dont on fait l'hypothèse : on peut penser que Scipion, pour éviter de devoir traverser avec cet ouvrage l'actuelle baie du Kram dans toute sa largeur (plusieurs centaines de mètres), a pris son départ au plus près du rempart sud de Carthage, qui aboutissait à l'entrée des ports (cf. fig. 4 et les restes du « mur Pistor » ; discussion chez J. Baradez, « Nouvelles recherches sur les ports antiques de Carthage », dans Karthago, IX, 1958, p. 64, et fig. l, 2 et 5 montrant une jonchée de blocs qu'on considère comme les vestiges de la digue de Scipion depuis les relevés faits il y un siècle par l'ingénieur hydrographe Roquefeuil ; les diverses hypothèses avaient déjà été discutées par Gsell, HAAN, III, p. 379-382). La faible profondeur du fond marin sablonneux à cet endroit (moins de deux mètres en moyenne) facilitait à Scipion de lancer cette jetée dont Appien évalue tout de même la largeur hors d'eau à un peu plus de sept mètres (vingtquatre pieds), pour une valeur quadruple au fond. 446. Appien ne précise pas l'endroit où fut entreprise cette percée ; il dira un peu plus loin (§575) « en partant de l'intérieur », donc à partir d'un des deux bassins du Cothon ; ce pouvait être aussi bien à partir du bassin du port marchand qu'à partir du bassin circulaire du port de guerre : dans les deux cas le chenal ainsi creusé débouchait sur une zone en eau relativement profonde (plus de trois mètres de fond) et exposée à des vents assez forts de secteur nord-est à nord-ouest le plus souvent en été. Si le point de départ du chenal était dans le port circulaire, il permettait une issue plus commode et plus rapide aux navires dont Appien nous dit ensuite la construction improvisée à la hâte ; mais la brèche à faire dans le mur en principe double qui entourait le port de guerre nécessitait des travaux accrus. Si le chenal était pratiqué à partir du port marchand (qui communiquait avec l'autre) la mobilisa-
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tion de la flotte était moins rapide, mais la brèche à faire dans le rempart de mer, simple à cet endroit, était facilitée (cf. fig. 4). Le creusement il y a quelques années d'un chenal d'assainissement de la lagune (au point 8 de la fig. 4), vestige actuel du port marchand, a mis en évidence la réalité archéologique de ce rempart de mer simple à cet endroit (cf. S. Lancel, Carthage, fig. 244, p. 443 ; cf. aussi J. Baradez, /oc. cit., p. 73, qui propose deux emplacements pour ce chenal de secours : points L et L ·, reportés sur sa figure 8 hors-texte). Page 1 JO 44 7. Cette capacité des Carthaginois à reconstituer en un temps record (toutefois non précisé par Appien) une flotte de guerre considérable (§576 : cinquante trirèmes et un grand nombre de petites unités) apparaît comme une des énigmes des textes relatifs à cette troisième guerre punique. On a déjà noté (supra, n. 347) le paradoxe que constitue le constat archéologique de la construction dans l'entre-deuxguerres de ces équipements portuaires, confinnant ainsi ou peu s'en faut les tennes d 'Appien évaluant à deux cent vingt navires la capacité des cales du port de guerre, alors que le traité de 201 avait limité à dix unités (Strabon, XVII, 3, 15 en comptait douze) l'armement naval de Carthage. La cité, très surveillée à cet égard par le Sénat romain, avait respecté cette clause et les fameuses cales étaient restées à peu près vides. Mais les Carthaginois avaient accumulé dans leurs arsenaux ce qu'il fallait pour construire rapidement de quoi les garnir au moins partiellement : dans les « vieux bois » d' Appien (on retrouvera cette désignation plus loin : CXXXIV, 636) il faut reconnaître la « grande quantité de matériaux de construction navale » que Caton et ses collègues de l'ambassade de l'année 153/152 avaient vue sur place : TiteLive, Epit. /. 47, 15 (cf. supra, LXIX, 313 et n. 240). Il est probable qu'il ne s'agissait pas seulement de matériaux bruts : un examen minutieux de l'épave (datable du IIIe siècle) d'un navire de guerre échoué non loin de Marsala, sur les côtes de Sicile, a permis de relever sur les planches du bordé des traces de repères peints (des signes alphabétiques) qui facilitaient l'assemblage et accéléraient le travail des charpentiers qui disposaient ainsi de véritables éléments préfabriqués : H. Frost, « The Prefabricated Punie War Ship », dans Studia Phoenicia X : Punie Wars, Leuven, 1989, p. 127-135. De façon sans doute excessive, Strabon, XVII, 3, 15, chiffrait à cent vingt le nombre de vaisseaux pontés alors construits par les Carthaginois en J'espace de deux mois. 448. Le mur double ceinturant le port de guerre assurait le secret de l'entreprise. La phrase relative aux « prisonniers qui n'avaient rien de précis à rapporter à Scipion » surprend : rien dans la relation d' Appien n'indique que le général romain ait pu faire des prisonniers qui pussent l'informer dans le cours laps de temps que dura l'entreprise.
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449. On a parfois voulu (cf. Gsell, HAAN, II, p. 43, n. 3) voir à la place de cette notation temporelle une indication de direction ( « vers l'orient ») que la formulation d' Appien n'autorise pas à reconnaître. 450. Il devait pourtant bien se trouver en mer, croisant aux abords de la ville, un certain nombre d'unités de la flotte romaine en patrouille. 451. Appien fait ici intervenir le destin, ou ce qu'il appelle parfois « la Divinité », chose toujours plus facile pour qui connaît la suite. Page 111 452. Ces détails, spécifiques d'un combat naval qui sort de l'ordinaire, montrent qu'Appien n'a pas imaginé ces engagements, mais suit une source qui doit être le texte perdu de Polybe, fût-ce par le biais d'un intermédiaire. 453. L'inévitable étroitesse de l'issue de secours pratiquée par les Carthaginois suffit à rendre compte de ces embarras. 454. Ce xci>µaconnu des archéologues sous l'appellation de« quadrilatère de Falbe », du nom du savant danois qui l'a le premier relevé et décrit, était une esplanade gagnée sur la mer à la faveur d'enrochements littoraux (point 4 de la fig. 4) ; il servait notamment, comme le précise Appien, de docks aux marchands qui y entreposaient leurs cargaison et les mettaient en montre dans ces « baraques » identifiées plus haut (cf. XCVI, 452 et n. 345), moyennant une correction apportée au texte. On comprendra que les trirèmes carthaginoises s'étaient mises au mouillage sans doute dans l'angle que formait le côté nord du chôma avec la ligne du rempart maritime : c'était dans cet abri qu'elles étaient le moins exposées aux attaques, et qu'il était pour les défenseurs postés sur le rempart le plus facile de les protéger (cf. fig. 4). On a cependant fait observer (Gsell, HAAN, II, p. 74, n. 2) que les cinquante trirèmes puniques disposaient pour mouiller en ligne de plus de place le long du quai oriental, ou long côté du xci>µa. 455. Le xci>µa était donc défendu par son rempart propre, sans doute édifié dès 149/148, qu'on va voir bientôt (infra, CXXIV, 587) subir les assauts de Scipion. Les termes indistinctement employés par Appien pour désigner ce rempart ba-., ici (et aussi au §587) 1tapatdx1crµa, plus loin ôtau:ix1crµa (§583 et 598) rendent malaisé de se figurer son implantation sur le terre-plein, encore que le second terme suggère un rempart coupant le xci>µasoit transversalement (cf. Gsell, HAAN, II, p. 44, n. 4 ), soit longitudinalement (Gsell, ibid., p. 71 et n. 1) : cette seconde hypothèse est plus probable, et s'accorde mieux avec la première appellation (1tapan:ix1crµa) qui évoque plutôt la mise en place d'un mur établi parallèlement au rempart maritime de la ville, et peut-être relié à lui par des retours transversaux au nord et au sud. 456. La manœuvre imaginée par les marins de Sidè, relatée au paragraphe suivant, permet par comparaison de mieux se figurer la dif-
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ficulté où se trouvent les navires romains avant de l'adopter euxmêmes, car. virant de bord après l'éperonnage, ils prêtent alors le flanc aux éperons des trirèmes puniques. 457. Nous ne connaissons que par Appien la participation à ces combats des cinq navires de Sidè. Doit-on croire l' Alexandrin quand il affirme que leur présence était due à l'amitié des Pamphyliens pour Scipion ? En fait les Pamphyliens étaient les alliés de Rome. Page J12
458. En définitive, c'était un assez lourd échec pour cette flotte de guerre improvisée par les Carthaginois, comme il est dit dans TiteLive, Epir. /. 51, 2. 459. Si l'on suit l'énoncé d 'Appien, Scipion, battant le fer pendant qu'il était chaud, ne laissa aucun intervalle de temps entre la défaite navale des Carthaginois et l'attaque du xroµa. 460. Bien qu ·Appien ne le précise pas, il est clair que Sei pion a atteint le xroµa grâce à la jetée par laquelle il a fermé l'accès au port, et qui en l'occurrence (mais il avait sûrement prévu cette seconde finalité) sert aussi de chaussée pour ses hommes et surtout pour ses machines (on a vu qu'elle avait à son sommet une largeur d'un peu plus de sept mètres). Il s'en prend au 1tapan:ixtcrµa (ou füan:ixtcrµa) établi en travers du xroµa et qui, qu'il ait été établi sur le terre-plein dans le sens de la longueur ou de la largeur (cf. supra, n. 455), lui laissait assez d ·espace pour prendre pied, et en premier lieu sur le musoir contre lequel sa jetée était venue buter (cf. fig. 4 ). 461. Le texte d'Appien, dans ces lignes relatant l'attaque par mer des Carthaginois, trahit quelque embarras et peut-être une mauvaise intelligence de sa source : a) on comprend mal qu'il affirme qu'il n'y avait pas pour les Puniques de voie d'accès par la terre ferme : les Romains n'avaient pas dès le premier assaut chassé ses défenseurs de l'ensemble du terre-plein et un texte de Polybe (fragment 145, édit. Büttner-Wobst) indique que des soldats des deux camps se tinrent cette nuit-là sur le xroµa partiellement occupé (sans doute sur son long côté oriental) par les machines de Sei pion et leurs gardiens ; b) ce n'est pas parce que la mer était peu profonde que les Carthaginois n'attaquèrent pas avec leurs navires cette « tête de pont » de Scipion, mais parce que leur flotte, sévèrement étrillée la veille, n'était pas opérationnelle. Comme le pensait Gsell (HAAN, II, p. 75), c'est probablement en arrivant par le côté nord du terre-plein, et en sortant de la ville par la brèche pratiquée pour la sortie de leur flotte improvisée, que les Carthaginois parvinrent par mer, en nageant et parfois en gardant pied, jusqu'aux machines de guerre romaines : tel était l'itinéraire « que personne n'aurait pu prévoir », et non la traversée, prévisible, par l'actuelle baie du Kram. Le fragment de Polybe, XXXVIII, 19 (= Plutarque, Mor., 200 A) où l'on voit I' Achéen conseiller à Scipion de
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semer en eau peu profonde des chausse-trapes en fer et des planches à clous pour interdire le passage concerne, lui, la baie du Kram, guéable par endroits en dehors de la passe du port elle-même ; mais elle a trait à une phase ultérieure du siège : cf. Gsell, HAAN, II, p. 71, n. 4 ; Walbank, Ill, p. 719-720. Un écho de cette suggestion, mais sans mention du nom de Polybe, chez Valère-Maxime, Ill, 7, 2. 462. S'ils étaient venus par l'ouest, ils auraient évidemment été repérés beaucoup plus tôt par les soldats de Scipion qui gardaient la digue-jetée, qu'on ne peut concevoir laissée sans surveillance. 463. Les Romains abandonnent donc provisoirement leur tête de pont sur le xroµa et refluent en repassant par la digue-jetée qui les relie à leur camp, sur la tatvia, au sud-ouest.
Page 113 464. La formulation d' Appien est surprenante : le but des patrouilles de cavalerie menées par Scipion n'est pas principalement de faire rentrer tout son monde dans le camp, mais de stopper cette déroute désordonnée. Notons que c'est théoriquement Serranus qui en qualité de légat était chargé du commandement de la flotte (cf. supra, CXIV, 543 et n. 418) mais on ne le voit intervenir nulle part dans ces épisodes où Scipion est omniprésent, ce qui peut tenir au parti-pris de la source principale (Polybe) de tout ramener à sa personne. 468. Le mot ôpoµoç employé par Appien doit désigner la surface dallée du terre-plein, plus particulièrement à l'endroit où prenait naissance la chaussée conduisant à une porte du rempart, qu'il faut bien supposer ; mais cette histoire de flaques de sang fraîchement figé est suspecte : il en fallait sans doute plus pour dissuader les hommes de Scipion de poursuivre l'ennemi en fuite. 469. Le « fossé » lui aussi est suspect : comment creuser un fossé dans un terre-plein artificiel fait de blocs de pierre accumulés ? Quant au rempart de briques (des briques de terre séchée ou « adobes » du type de celles que les fouilles récentes ont révélées dans les murs des maisons de Carthage datant de cette époque), il faut l'imaginer parallèle au grand rempart punique, et donc établi sur le xroµa dans l'axe de sa longueur. 470. Quoi qu'en dise Gsell, HAAN, Il, p. 71, ce nombre de quatre mille hommes semble trop important pour avoir pu tenir dans un espace tout de même assez restreint ; notons cependant que c'est le chiffre avancé plus haut (CXVII, 558) pour dénombrer les hommes introduits par Scipion dans Mégara, et ce chiffre n'a rien de fantaisiste : c'est l'effectif à cette époque d'une légion (cf. Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen. 1. Les structures de l'Italie romaine (Coll. « Nouvelle Clio», 8), Paris, PUF, 1977, p. 313 ; Y. Le Bohec, Histoire militaire des guerres puniques, Paris, Edit. du Rocher, 1996, p. 57). ·
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Page 114 471. Donc au début de l'hiver 147-146. 472. Pour réduire des poches de résistance moins importantes que celle de Néphéris, sur lesquelles nous ne savons malheureusement rien. 473. Le point de départ de cette expédition n'est pas le camp établi sur la tmvia (et qui est la base navale installée par Manilius dès l'automne de l'année 149 : cf. supra, C, 470 et n. 361) mais le camp principal de Scipion sur l'isthme (supra, CXIX et n. 438 et 439). On peut se demander quel intérêt pouvait avoir Scipion à traverser la lagune (le lac de Tunis) au lieu de la contourner par l'ouest, comme il donnera l'ordre de le faire à son légat C. Lrelius, dont c'est ici la première apparition. Passer par la lagune n'était pas un gain de temps ; mais, comme Appien le suggérera plus loin (§603), la lagune était devenue l'unique voie d'acheminement du ravitaillement destiné à Carthage : l'itinéraire de Scipion pouvait avoir pour objet de repérer plus précisément ces cheminements et d'en condamner l'usage. 474. Il n'est déjà plus question de Lrelius dont, dans son édition, Schweighauser, surpris de sa disparition, a restitué le nom à côté de celui de Gulussa. A deux stades (trois cent soixante mètres) les deux camps qui se font face sont vraiment très proches. G. Veith, dans J. Kromayer et G. Veith, Antike Schlachtfelder, III, 2, 1912, p. 711-712 et carte 15, a proposé de situer le camp romain un peu au sud-est de Néphéris (Henchir hou Beker). 475. Ces navettes trahissent la volonté de Scipion de tout diriger par lui-même, ce qui peut suffire à expliquer dans le récit d'Appien l'effacement de Lrelius, tout comme celui de Serranus lors des opérations navales. 476. La fin du paragraphe suivant (§599) montre que le camp retranché de Diogénès comportait, entre les tours, des palissades de bois probablement implantées sur des levées de terre. Appien est le seul -alors que Zonaras, IX, 30, p. 468d, attribue à Bithyas le commandement du camp-- à faire état de ce « Diogène », dont le nom surprend : était-ce un chef de mercenaires ou bien ce nom grec recouvre-t-il un nom punique, comme le pensait U. Kahrstedt, Geschichte der Karthager, III, Berlin, 1913, p. 659 ? 477. Avec ce choix tactique, Scipion tire en quelque sorte les leçons de ses déboires lors de la retraite désordonnée de ses hommes après la première attaque du terre-plein de l'avant-port (supra, CXXIV, 591 ).
Page 115 478. Si l'on suit Appien, ce seul camp retranché (on ne compte pas les habitants de Néphéris) aurait ainsi renfermé quatre-vingt quatre mille hommes, ce qui paraît invraisemblable : remarques sceptiques de Gsell, HAAN, II, p. 343 et de W. Huss, Geschichte der Karthager, p. 454.
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480. Il s'agit probablement de cités de l'arrière-pays de Carthage, dans le bas cours de la Medjerda et de la Miliana. Le mot de « Libyens » employé ici par Appien (comme plus haut (§599 et 600) pour désigner les défenseurs de Néphéris) ne doit pas induire en erreur ; il s'agit, sinon de Carthaginois, du moins d' Africains inféodés de longue date à Carthage. 481. Pour ce qui est de l'intendance, la prise de Néphéris, avec l'anéantissement de l'armée qui défendait l'arrière-pays, est avant même le dénouement proprement militaire le coup de grâce pour Carthage. Mais, déjà à l'automne 147, la famine faisait des ravages, causant au sein de la population morts et désertions nombreuses : cf. Polybe, XXXVIII, 8, 12, décrivant des situations difficiles en fort contraste avec l'air de prospérité physique d' Asdrubal. Appien (supra, CXX, 568) avait déjà noté un début de famine à Carthage avant même le blocus des ports. 482. Nous sommes donc maintenant en mars-avril 146. A Rome sont entrés en charge comme consuls Cn. Cornelius Lentulus et L. Mummius, à qui cette même année la prise de Corinthe vaudra le surnom d' Achaïcus ; mais Scipion a conservé son commandement en Afrique comme proconsul. Après l'élimination de tout secours susceptible de venir de l'extérieur pour Carthage, il a les mains libres pour conclure. Il décide donc de s'en prendre maintenant à Byrsa, c'est-àdire à la ville proprement dite, par opposition à Mégara, le faubourg sur lequel il avait d'abord porté ses efforts (supra, §CXVII). Il l'attaquera tout naturellement par le point faible où il a déjà établi une tête de pont, donc en s'en prenant au port principal, « celui qu'on nomme le Cothon » (sur la pluralité des atterrages à Carthage, cf. S. Lancel, Carthage, p. 209-211 ). 483. C'est, plutôt que la politique de la terre brûlée, une manœuvre tactique : il s'agit de retarder, sinon d'empêcher, la progression des soldats de Scipion. La « partie rectangulaire du Cothon » [notons en passant qu 'Appien confirme par là que le bassin rectangulaire en était partie intégrante au même titre que le bassin circulaire] est le port marchand, bordé sur son long côté oriental par une assez vaste esplanade qui jouxtait le xcoµa, dont elle était cependant séparée par le rempart maritime (fig. 4). C'est dans cet espace, plus encore que sur le xroµa lui-même, qu'ont pu prendre place les « baraques » des marchands (oEiyµai-a : supra, XCVI, 452), un bon aliment pour le feu allumé par Asdrubal : le mot, répétons-le, est conjectural, mais cet épisode de l'incendie tendrait à accréditer la conjectu_re. 484. On comprendra que Lrelius, partant du terre-plein que les Romains occupent maintenant en sa totalité et profitant d'une diversion faite par Scipion, a réussi d'abord à prendre pied sur la courtine du rempart maritime, puis, l'incendie allumé par Asdrubal masquant sa progression, à cheminer sur cette courtine en direction du nord pour parvenir, par le haut, jusqu'à la double enceinte du port circulaire
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(fig. 4). Cette approche est plus probable que celle qui eût consisté à longer, de l'extérieur, le pied du rempart maritime, ou encore à y appliquer des échelles depuis le pont des navires, ce que le texte ne précise pas (cf. déjà Gsell, HMN, 111,p. 398, n. 1). C'est probablement à cet exploit que participèrent l'aîné des Gracques, Ti. Sempronius Gracchus, jeune beau-frère, alors âgé de seize ans, de Scipion, ainsi que Fannius, qui épousera une fille de Lrelius, son chef en cette aventure, et deviendra consul en 122 : Plutarque, Tib. Gracchus, 4, 6. A moins que leur intervention ne soit plutôt à situer lors de l'épisode de l'attaque de Mégara: cf. supra n. 431 et Notice, p. XCIX. 485. Nous savons par Appien lui-même (supra, XCVI, 455) qu'un double mur périphérique isolait le port circulaire du reste du Cothon. Les deux éléments de ce double mur ne devaient pas être séparés par plus de la largeur d'un chemin de ronde, un espace relativement aisé à franchir en passant d'un haut de mur à l'autre sur les ponts improvisés décrits par Appien. Rappelons que selon I' Alexandrin c'est ainsi que Scipion avait pu entrer dans Mégara au début de l'été 147 (supra, CXVII, 557) et notons qu'on va le voir bientôt (CXXVID, 611) dans sa progression vers la citadelle passer encore d'îlots en îlots en enjambant les rues de cette même façon. Page 116 486. La grand-place (l'agora) est située par Appien à proximité immédiate du port circulaire, et donc nécessairement au nord (ou dans le quart nord-est-/nord-ouest) du port (cf. fig. 3). C'est l'aire, nécessairement vaste, où le peuple tenait ses assemblées (Diodore, XX, 9, 4 ; 44, 3 ; XXXII. 6, 4 --ce dernier texte signalant la proximité de la gerousia par rapport à l'agora). Aucune découverte archéologique n'a été faite dans ce secteur pour corroborer l'indication de l'historien. En revanche, sensiblement plus au nord, immédiatement au bordure sud du decumanus maximus d'époque romaine (en bordure de l'actuelle rue Ibn Chabâat), une fouille récente de la mission archéologique allemande dirigée par Fr. Rakob a mis au jour les vestiges de ce qui semble bien avoir été un grand temple d'époque punique, sur les restes duquel est venue s'établir, au nesiècle de notre ère, une vaste basilique à trois nefs ; associée à quelques constats plus anciens, cette découverte suggérerait pour l'agora de l'époque punique finale, à laquelle aurait succédé le forum romain de la ville basse, un emplacement sensiblement plus éloigné (de plusieurs centaines de mètres) du port circulaire que n'indique le texte d 'Appien : cf. Fr. Rakob, « Ein punisches Heiligtum in Karthago und sein romischer Nachfolgebau », dans MDAJ, Rom. Abt., 98, 1991, p. 33-80, plus particulièrement p. 5570. 487. Gsell, HMN, III, p. 398, n. 5, voulait contracter en l'espace d'une seule soirée à la fois l'incendie par Asdrubal du port rectangu-
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laire, la prise à peu près concomitante du port circulaire par Lrelius et la conquête de la grand-place par Scipion : beaucoup de besogne en trop peu d'heures. On peut admettre que la nuit passée sur l'agora par Scipion avec ses hommes est la deuxième nuit après l'incendie du port rectangulaire. 488. Soulignons ce chiffre de quatre mille hommes, qui revient chez Appien de façon récurrente (déjà supra, CXVII, 558 et CXXV, 595 et n. 470) et pour cause, puisqu'il s'agit de l'effectif légionnaire. Quoi qu'il en soit, du texte d' Appien on peut inférer que le temple dit d'Apollon [habituellement assimilé au dieu sémitique Reshef (Rsp), bien que cette divinité ne soit pas attestée à Carthage -cf. W. Huss, Geschichte der Karthager, p. 517 ; S. Lance), Carthage, p. 228] se trouvait, sinon en bordure même de la grand-place, du moins en ses proches parages (sur les vestiges de ce qui pourrait être le temple d'Apollon, cf. l'article de Fr. Rakob, cité supra, n. 486). Les écailles d'or du tabernacle de la statue cultuelle étaient une proie bien tentante, facile à partager par surcroît (voir, dans Valère-Maxime, I, 18, une curieuse déformation mythique de l'épisode : Apollon se serait vengé du soldat qui l'avait dépouillé de ses « vêtements dorés » en faisant en sorte qu'on retrouvât les mains du sacrilège, coupées, au milieu des débris des dits vêtements !). Mais les soldats ne touchèrent pas à la statue elle-même, que l'on sait avoir été envoyée à Rome ; à l'époque de Plutarque (Flamininus, l, l ), elle se trouvait dans les parages du « Cirque » : plutôt le Circus Maximus que le Circus Flaminius (cf. F. Coarelli, // F oro Boaria delle origini alla fine della repubblica, Rome, 1988, p. 156-157). 489. Voilà qui n'était guère en accord avec les sains principes de discipline militaire prônés par Scipion : voir supra tout le chapitre CXVI ; les pillards seront toutefois punis en étant privés de gratifications après la prise de la ville : infra, CXXXIII, 631. 490. Cette appellation de Byrsa n'a plus ici la même signification topographique qu'au début du chapitre précédent (CXXVII, 605) où le toponyme, entendu lato sensu, signifiait le noyau central de la ville, à la fois la petite plaine littorale et les collines qui la bordaient à l'ouest et au nord (l' àpxaia Kapx118cov de Diodore, XX, 44, 1), par rapport au grand faubourg qu'était Mégara (la néa polis de Diodore, ibid.) : cf. S. Lancel, « Les fouilles de la mission archéologique française à Carthage et le problème de Byrsa », dans Studia Phœnicia, VI : Carthago, Leuven, 1988, p. 61-89 (plus particulièrement p. 63-69) et fig. 6 (ici fig. 3). Il s'agit maintenant, bien qu 'Appien ne prononce pas ici le mot, de I' « acropole » - « la position la plus forte de la ville », dit-il le vaste « donjon » dont l'Alexandrin, d'un mot - ôtan:ixtcrµa : infra, CXXX, 622 - signalera la muraille propre, en même temps qu'il chiffrera à cinquante mille personnes cette « majeure partie de la population » qui y avait trouvé refuge.
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491. Sur la localisation de la grand-place, cf. supra, n. 486 (et 488 pour celle du temple d'Apollon, qui en était très proche) : que cette agora ait été située au voisinage immédiat des ports, comme le texte d' Appien incite à le penser, ou à quelques centaines de mètres plus au nord, comme le suggéreraient de récents indices archéologiques, elle était en contrebas de la« ville haute », Byrsa, que dans un cas comme dans l'autre les relations topographiques qui découlent des textes (outre Appien, Strabon, XVII, 3, 14) ne permettent pas de localiser ailleurs que sur l'actuelle colline de Byrsa, autrefois dite colline de Saint-Louis. Mais les preuves archéologiques de cette situation manquent et manqueront toujours, les fouilles récentes ayant mis en évidence qu'à l'époque augustéenne un gigantesque écrêtement, préliminaire à la réalisation d'un nouveau centre monumental, avait abouti, lors de la transformation du sommet de la colline en plateau, à la dissipation de trois à quatre mètres de tissu archéologique : avec eux ont disparu non seulement les vestiges en élévation, mais même les fondations de l'acropole punique (cf. S. Lancel, Carthage, p. 167-171 et fig. 75). Sur les pentes cependant, et en particulier sur la pente sud-est, qui regarde la zone portuaire, l'épais remblai rapporté au début de l'époque impériale romaine a protégé dans leur enfouissement les restes d'un quartier d'habitation dont l'analyse archéologique autorise à dater la construction dans le dernier demi-siècle de la cité punique, tandis que sa destruction au printemps 146 est rendue patente par l'épaisse couche d'incendie relevée au niveau des sols. Des immeubles d'habitat collectif dont le rassemblement sur un plan orthogonal composait ce quartier, seuls les premiers niveaux ont été conservés, mais les structures des murs, le nombre et la capacité des citernes postulent des étages, sans qu'on puisse toutefois affirmer qu'ils atteignaient au nombre de six indiqué par Appien (cf. S. Lancel, Carthage, p. 186-188 et fig. 90). Ces immeubles étaient desservis par des rues non dallées ; l'une de ces rues, d'axe nord-ouest/sud-est, dont la chaussée est entrecoupée de volées de marches pour racheter une pente assez forte, est l'une de celles qui peuvent avoir été suivies par les soldats de Scipion dans leur progression vers le sommet de Byrsa. 492. Appien a rendu de façon très précise les péripéties de cette guerre urbaine, où la conquête du cœur de la ville sur la pente de Byrsa se fait îlot par îlot, maison par maison, les soldats de Scipion, après s'être rendus maîtres des immeubles situés au bas de la pente, progressant les uns au niveau des rues, les autres par le haut en enjambant les rues transversales (d'axe nord-est/sud-ouest) du quartier. La largeur moyenne de ces rues --cinq mètres cinquante à six mètres : cf. S. Lancel, Carthage, p. 177- rend tout à fait plausible la technique des « passerelles » mise en œuvre par les assaillants pour passer d'un toit en terrasse à un autre d'un bord à l'autre de ces rues. 493. Cette « guerre des toits » est doublée d'une « guerre des rues » qui n'est pas moins acharnée, évoquée par Appien (des échos
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aussi dans Zonaras, IX, 30, p. 469 a) avec un réalisme qui pourrait bien s'être nourri des observations notées par Polybe, dans le texte perdu qu'on doit supposer à la base de cette relation. 494. Cet incendie mis simultanément aux trois rues qui canalisaient la progression des soldats de Seipion prélude à l'embrasement de la ville tout entière. La formulation d 'Appien, « jusqu'à ce que Seipion atteignît Byrsa », confirme que dans ce contexte le toponyme vise bien l'acropole protégée par son enceinte propre. Page 117 495. L'épaisseur des murs porteurs des immeubles dont les vestiges ont été mis au jour dans ce quartier (en moyenne une grande coudée punique : cinquante-deux centimètres) et la solidité massive de ces structures de grès d'El-Haouaria ou de pisé hanché contèrent une véracité archéologique aux remarques d 'Appien sur les difficultés de ce travail de démolition. Les hommes de Scipion durent utiliser des béliers pour en venir à bout, et les constats archéologiques montrent qu'ils s'efforcèrent dans la mesure du possible de faire « imploser » ces immeubles sur eux-mêmes. 496. Il s'agit d'une part des habitants qui se sont réfugiés dans la profondeur de ces îlots (laquelle atteignait quinze mètres pour une longueur de trente mètres), d'autre part de ceux qui sont restés dans les étages, dont les structures légères -bois et torchis-- ne résistèrent pas à l'incendie. 497. Les investigations archéologiques récentes ont tantôt confirmé, tantôt infirmé cette relation d' Appien, qu'on peut pourtant juger fondée sur les observations de Polybe, mais sans doute par le biais d'intermédiaires qui ont pu déformer cette « autopsie ». Nulle trace n'a été trouvée de ces « cavités du sol » (ni des trous ou fosses que suggèrent les lignes suivantes : §618) ; si les chaussées de terre battue de ces rues n'étaient pas d'une planéité parfaite, leurs seules « cavités » étaient les puisards « en bouteille » creusés pour recueillir les eaux usées, qui n'ont pas révélé d'ossements humains. Mais, corroborant les dires d 'Appien sur le travail des « pionniers » de Scipion, la fouille a par ailleurs établi qu 'hormis en quelques endroits où les amas de blocs sont parfois au contact du sol de 146 (cf. Byrsa Il. Mission archéologique française à Carthage, rapports préliminaires sur les fouilles 1977-1978, sous la direction de S. Lance/, (Coll. EFR, 41), Rome, 1982, fig. 197-200 et 229-230) et n'ont donc pas été déplacés après leur chute consécutive à la destruction, rares sont, notamment sur la chaussée de la « rue II » ( dans l'axe de la progression des soldats de Scipion), les blocs de démolition qui reposent sans intermédiaire au niveau même d'utilisation de cette rue au printemps 146 (cf. Byrsa Il, fig. 33 et 34). Là, les opérations de déblaiement des lithologoi ont fait place à peu près nette, et ceci explique qu'en dépit des aspects apocalyptiques de la description d 'Appien, la fouille n'ait retrouvé que de
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façon exceptionnelle des restes humains à ce niveau (cf. J. -P. Morel, dans Byrsa Il, p. 199-200, où les ossements humains mis au jour semblent rapportés à la base du remblai d'époque romaine). Au demeurant. les seuls impératifs d'hygiène commandaient que fussent enlevés et ensevelis au plus vite les nombreux cadavres qui durent joncher le sol au milieu des décombres : ce sont sans doute ces victimes qui remplirent alors la vaste « fosse commune » découverte à peu de distance au sud-ouest par le P. Delattre à la fin du siècle dernier, dont les inhumations, au nombre de plusieurs centaines, furent datées par du matériel du nesiècle avant notre ère (cf. S. Lancel, dans Studia Phœnicia, VI : Carthago, Leuven, 1988, p. 85-86 et n. 47, p. 86). 498. On notera le soin que prend Appien à exonérer les soldats romains de toute intention de cruauté volontaire et gratuite. Le feu de l'action excuse toutes ces atrocités que son récit détaille avec une évidente complaisance. Page 118 499. Notable aussi est la réussite d'Appien dans cette restitution de l'atmosphère fiévreuse du combat et dans l'évocation des motivations des combattants. 500. On retrouve dans Orose, IV, 23, 2, cet « hexaméron », symbole d'achèvement (et parfois de perfection) dans maints systèmes arithmologiques du monde antique, et dans un contexte païen aussi bien que chrétien. 501. On peut tenir pour un topos cette insistance sur l'inlassable activité du général en chef ; mais dans le cas de Scipion Emilien Appien avait pris soin de souligner déjà qu'il veillait à tout -voir ses incessantes navettes entre Carthage et Néphéris, fin 147 : supra, CXXVI, 597- et qu'il déléguait fort peu le commandement des opérations. La hauteur sur laquelle (de guerre lasse ! ) il finit par s'asseoir pourrait être la colline dite « de Junon » qui prend la suite de la colline de Byrsa dans les reliefs qui limitent vers le nord la petite plaine littorale ; mais elle offre peu de vue sur la pente sud-est de Byrsa où il convient de situer le théâtre principal de ces combats. 502. Bien qu 'Appien ne précise pas leur qualité, ces « gens ceints des bandelettes d ·Asklépios » devaient compter dans leurs rangs les prêtres du di~u Eshmoun (assimilé à Asklépios) dont on sait aussi par Strabon, XIV, 3, 14, que son temple se trouvait au point le plus élevé de l' « acropole » : le mot est ici aussi prononcé par Appien. Ce dernier est le seul auteur à nous dire que ce sanctuaire était le plus renommé et le plus riche de tous à Carthage, mais on sait par TiteLive, XLI, 22 et XLU, 24, que le Conseil des Anciens y tenait parfois séance. Sans doute le clergé d'Eshmoun, qui devait comporter en son sein des notables de la cité, avait-il pris cette initiative à l'insu d' Asdrubal.
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503. Bien qu'on ne puisse préciser le périmètre de la citadelle proprement dite (les deux mille pas ~nviron trois kilomètres- que lui assigne un texte d'Orose (N, 22, 6) ne peuvent être retenus que mesurés tout en bas de la pente : cf. S. Lancel, dans Studia Phœnicia, VI : Carthago, p. 66), les estimations qu'on peut en faire sur la base des données archéologiques limitent sa superficie probable à trois ou quatre hectares, au maximum : c'est peu pour avoir pu renfermer, même de façon provisoire, les cinquante mille occupants que dénombre Appien et qui doivent représenter ce que la ville (Mégara sans doute non comprise) comptait encore de survivants (à la fois à la famine et aux combats), réfugiés dans ce dernier réduit. On notera un chiffre un peu supérieur chez Orose, IV, 23, 3 -vingt-cinq mille femmes, trente mille hommes- et un peu inférieur chez Florus, I, 31, 16 -trente-six mille hommes. Sur le go0t de l 'Alexandrin pour « cinquante » quand il s'agit d'arrondir les chiffres, cf. supra, LXXXII, 385 et n. 293. Le génitif absolu employé par Appien pour énoncer leur sortie de la citadelle en m.asque un peu le processus, mais atteste clairement l'existence d'une enceinte de faible épaisseur, propre à la citadelle : ce mot de ôtat'EiXtCJµaa déjà été employé par lui pour désigner d'autres éléments des défenses de Carthage (supra, CXXIII, 583 et n. 455 et 460) et implique l'idée d'un ouvrage défensif plus modeste que les remparts de la ville, mais construit, et non d'un simple retranchement. L'arasement du haut de la colline à l'époque augustéenne a fait disparaître jusqu'aux fondations d'un tel ouvrage : supra, n. 491. 504. Cette phrase précise un peu la situation de l'enceinte sacrée d'Eshmoun-Asklépios par rapport à la citadelle : nous ne connaissons ces « propylées » en escalier -apparemment fermés en temps de guerre- que par l'énoncé d' Appien, qui suggère pour l'édifice, à partir du niveau du sol de la citadelle, une surélévation d'une quinzaine de mètres : l'équivalent des soixante marches ; il faut avoir présent à l'esprit, même si ce n'est pas pour contester la réalité de ces degrés et de leur nombre, que soixante représente une unité de compte, dans le système de numération sexagésimale qui était encore en usage dans cette Carthage tardive (l'observation vaut aussi pour les six étages attribués aux « maisons » de la pente de la Byrsa) : cf. S. Lancel, Carthage, p. 181. On peut penser, comme le faisait déjà Gsell, HAAN, II, p. 33, n. 3, que ce temple d'Eshmoun qui dominait ainsi la ville basse devait être situé sur le rebord est-sud-est de la colline.
Page 119 505. Si l'on suit Appien, le temple lui-même eût été encore plus élevé que son temenos ; mais il s'en fait visiblement une idée à la gréco-romaine, en le perchant sur un podium, ce qu'aucune réalité architecturale connue de nous dans ce monde punique ne permet de valider (mais, dans sa fameuse lettre à Sainte-Beuve du 23/24 déc.
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1862 [cf. Haubert, Corresp., t. m, Bibl. de la Pléiade, p. 278), Haubert écrira encore qu'il étayait sa vision du « temple de Tanit » à Carthage sur ce qu'il avait vu du temple romain de Thugga !). En outre, sa façon de faire monter ces rescapés sur le toit de l'édifice frôlerait le comique, n'était leur situation, surtout si l'on cherche à se représenter ces quelque neuf cents personnes (les transfuges, plus Asdrubal et sa famille) juchées sur ce toit. 506. Cet épisode, avec la réaction des transfuges et celle de la femme d 'Asdrubal, est conservé dans ce qui nous est parvenu du récit de Polybe, XXXVID, 20. Appien n'a pas reproduit la moralité que Seipion tirait de cette péripétie dans une brève allocution destinée à ses compagnons d'armes les plus proches : Polybe, XXXVIll, 20, 1-3 (on retrouve cette allocution en termes semblables chez Diodore, XXXII, 23 ). Selon nos critères, Asdrubal était assurément un « criminel de guerre » (voir les cruautés gratuitement infligées aux prisonniers romains, supra, CXVIII, 560) ; cela ne l'empêchera pas de bénéficier de la relative mansuétude de Scipion Emilien et de connaître en Italie, ainsi que Bithyas, un régime adouci de captivité, s'il faut en croire Zonaras, IX, 30, p. 469 d, in fine. 507. Chez Polybe, XXXVIII, 20, 4, les transfuges demandent aux premiers rangs des assaillants romains une courte trêve (ce qu 'Appien a rendu par Tlcruxia)pour pouvoir dans le silence dire à Asdrubal ce qu'ils ont sur le cœur. Pour ce faire, précise Polybe, quelques transfuges s'avancent « jusqu'au bord du toit » : plutôt que le toit-terrasse du temple, qui aurait difficilement pu supporter sans s'écrouler une telle masse humaine (cf. supra, n. 505), on comprendra peut-être que ces transfuges se sont approchés de la balustrade du temenos, lui-même en surélévation par rapport au niveau de sol de la citadelle. Le texte conservé de Polybe ne fait pas état à cet endroit du feu que les transfuges mettent au sanctuaire pour y périr. 508. Il existait une autre version, selon laquelle la femme d' Asdrubal aurait d'abord, peu de jours auparavant, cherché en vain à obtenir de son mari qu'ils passassent dans le camp du vainqueur : cf. TiteLi ve, Epit. /. 51, 5 (différemment encore, il est dit chez Zonaras, IX, 30, 468 c-d, qu 'Asdrubal avait enfermé sa femme dans la citadelle parce qu'elle avait dépêché auprès de Scipion un émissaire pour implorer son propre salut et celui de ses enfants). On se souvient que, selon Polybe, Scipion Emilien aurait, durant l'été 147, offert la vie sauve à Asdrubal et aux siens en échange de sa reddition, ce que le Punique aurait décliné avec hauteur (supra, n. 437). La version livienne de l'attitude de la femme d' Asdrubal aux derniers jours du siège pourrait refléter la volonté de l' annalistique romaine de minimiser l'héroïsme de sa fin. 509. La mise en scène apparaît semblable chez Polybe, XXXVIII, 20, 7, qui semble toutefois soucieux de souligner le contraste entre les
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atours de la grande dame que 1'épouse du général punique s'efforce encore de paraître et la mise pauvre de ses enfants, qu'elle tient chacun par une main (ils étaient en effet deux, comme le précise Tite-Live, Epit. /. 51, 5), seulement vêtus de petites tuniques, symboles évidents de la détresse de la ville. 51O. Chez Polybe, XXXVIII, 20, 8, il est dit expressément qu'elle rendit grâces à Scipion d'avoir tenté de la sauver ainsi que ses enfants : claire allusion à la proposition faite par le Romain au cours de l'été 147 : cf. supra, n. 437 511. Comparer ces deux tirades enflammées mises par Appien au style direct dans la bouche de la femme d' Asdrubal au récit au style indirect de Polybe, XXXVIII, 20, 9-10, résumant plus sobrement les griefs de la Carthaginoise : la comparaison des deux textes met en évidence la manière propre de l'historien-rhéteur qu'est l 'Alexandrin. 512. Ces dernières attitudes de la femme d' Asdrubal sont doublement archétypiques. L'immolation des enfants et leur crémation sont, en dépit des interprétations lénifiantes qui ont été développées ces dernières années à ce sujet, les rites constitutifs du sacrifice molk (cf. S: Lancel, Carthage, p. 268-276) ; ils ont ici ceci de particulièrement tragique que dans la situation désespérée où se trouve Carthage ils ne peuvent avoir une finalité salutaire pour la cité. Quant au « suicide » de la femme d' Asdrubal, dernière « dame de Carthage », qui se jette elle-même dans les flammes, il ne peut pas ne pas rappeler celui de la « première dame », l'autosacrifice d'Elissa-Didon (S. Lancel, ibid., p. 36-37). Mais, tout comme le sacrifice des enfants, il est voué à rester tragiquement vain, puisque l'histoire de Carthage s'achève sur cette dernière vision de bûcher funéraire. La tradition est unanime à rapporter la fin de la femme d'Asdrubal : Strabon, XVII, 3, 14 ; Tite-Live, Epit. /. 51, 5 ; Florus, I, 31, 17 et Orose, IV, 23, 4: ces deux derniers font expressément le lien entre les modalités de la mort de 1'épouse d' Asdrubal et de celle d'Elissa-Didon, Florus disant même que la dernière « reine » suivit l'exemple de la reine fondatrice. Page 120 514. Cette « oraison funèbre » de Carthage et ce « coup de chapeau » du général à l'héroïsme de ses défenseurs préparent la méditation de Scipion Emilien et sa prise de conscience du caractère périssable de toutes les civilisations. 515. Comparer ici aussi le récit d'Appien au passage parallèle partiellement conservé de Polybe, XXXVIII, 21. Même si le texte de Polybe est lacunaire, il ne semble pas que I'Achéen ait fait esquisser à son héros, comme le fait ici Appien, une philosophie de l'histoire, que l'implication de la divinité, fortement affirmée par I'Alexandrin, transforme en théologie de l'histoire : sur cette notion de µe-raôo>..11fortement exprimée ici par Appien, voir P. Goukowsky, Notice, p. XCIII sq.
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L'orchestration de cette méditation sur les vicissitudes des empires et des peuples est ainsi plus ample chez Appien que chez Polybe, qui paraît surtout attaché à souligner la délicatesse d'âme de Scipion Emilien et sa capacité à prendre en ces circonstances un tel recul réflexif, où il voit la marque d'un véritable homme d'Etat. 516. Ce sont les mots d'Hector dans lliade, VI, 448-449, qui semblent venir spontanément aux lèvres de l'helléniste consommé qu •est Scipion Emilien. L'J/iou Persis, le « protomartyre » de Troie, s'imposait comme la première référence historique pour illustrer la vulnérabilité des cités humaines, et la beauté depuis longtemps et universellement reconnue du texte homérique en avait fixé la formulation dans les consciences. 517. Diodore, XXXII, 24, avait rapporté dans des termes proches les craintes exprimées par Scipion, en mentionnant expressément le nom de Rome. La critique s •accorde en général à considérer le texte de Diodore comme plus fidèle que celui d 'Appien au passage perdu de Polybe : discussion sur ces textes dans A. E. Astin, Scipio .tEmilianus, p. 282-284. Mais lire les réserves de P. Goukowsky, Notice, p. XC sq., et, p. XCVI, son opinion nuancée sur la façon dont Appien a pu suivre, comme Diodore, un adaptateur de Polybe, tout en le corrigeant parfois à partir de l'original. 518. Cette phrase, confirmant la précédente, pourrait être tenue pour l'indice le plus explicite d'une lecture directe de Polybe par Appien. 519. Cf. supra, CXXVII, 609 et n. 489.
Page 121 520. Ces restitutions sont détaillées par Diodore qui, entre autres œuvres récupérées par les Siciliens, mentionne le fameux taureau de bronze que Périlaos avait façonné pour Phalaris d' Agrigente : cf. aussi Tite-Live, Epit. l. 51, 4 ; Valère-Maxime, V, 1, 6 ; Eutrope, IV, 12, 2. 521. Cf. supra, XLVIII, 207 et n. 161 sur le geste semblable de l'Africain après la bataille de Zama ; mais ici il est précisé que le second Africain procède à cette crémation rituelle en offrande à Mars et à Minerve, c'est-à-dire à des divinités guerrières, comme l'avait fait peu auparavant L. Mummius en Espagne après sa victoire sur les Lusitaniens : cf. Livre Ibérique, S1, 238. La crémation, outre celle des armes, du butin inutile, va évidemment de pair avec l'incendie qui, selon nos sources (Florus, I, 31, 18, selon lequel cet incendie est surtout dû aux Carthaginois eux-mêmes ; Orose, IV, 23, 5) ravagea la cité pendant dix-sept jours. Préservé de la destruction par le feu, le contenu des bibliothèques de Carthage fut mis de côté pour être ensuite donné par le Sénat romain aux rois numides : Pline, H. N., XVIII, 22 ; sur ces libri Punici et leur sort ultérieur, cf. S. Lancel, Carthage, p. 377.
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522. Appien reprend la parole pour son propre compte et formule sa vision de l'événement à sa manière habituelle, attentive à le rendre à travers son image réfléchie dans le miroir des réactions collectives et des mouvements de foules, que sa connaissance de la Rome de son temps lui permet de restituer de façon très vivante. Ce « nocturne » a de l'allure et du relief, à commencer par l'évocation du « navire très rapide » - cf. supra, §631 - envoyé par Scipion et qui arrive un beau soir de ce printemps de 146, même si l'on peut douter qu'il ait remonté le Tibre pour annoncer la nouvelle au bon peuple de Rome. 523. Cette énumération doit être lue comme une variété d'usteron proteron, car l'ordre chronologique est globalement inverse de la succession dans la phrase d' Appien des adversaires défaits par Rome. En particulier en ce qui concerne l'Italie, qui ne peut être que l'Italie padane et transpadane ; or, hormis quelques piémonts alpins, elle est acquise à Rome dès le début du nesiècle avant J. -C. 524. Appien raconte l'histoire à sa façon, qui n'est pas toujours exacte. Rome n'a pas supporté la guerre d'Annibal en Italie pendant seize années (voir déjà le Livre d'Annibal, I, 1), mais pendant quinze : de 218 à 204 ; mais l 'Alexandrin fait entrer en ligne de compte les quelques mois de l'année 203 où Annibal piétina dans son recoin du Bruttium avant de regagner l'Afrique. Le nombre de quatre cents villes incendiées est évidemment fantaisiste et le chiffre des pertes subies au combat par les armées de Rome est grossi : la bataille de loin la plus meurtrière, celle de Cannes en 216, leur avait coûté cinquante mille morts, selon Appien lui-même (Livre d'Annibal, XXV, 109 ; quarantehuit mille deux cents selon Tite-Live, soixante-dix mille selon l'estimation haute de Polybe) ; c'était déjà beaucoup. Quant à marcher sur Rome, Appien sait bien, pour l'avoir écrit lui-même (Livre d'Annibal, XXXVIII, 163-164), qu' Annibal ne s'y est risqué qu'une fois, en 211, et plus pour tenter de sauver Capoue en faisant diversion que pour mettre véritablement Rome en péril.
Page 122 525. Il semble tout à fait impossible que les Romains aient pu apprendre tous ces détails en quelques heures au cours de cette nuit de liesse dont le narrateur reconstitue si bien l'atmosphère. Mais par cette « théâtralisation » merveilleusement vivante le petit peuple de Rome s'approprie la victoire de Scipion, la fait sienne en même temps qu'il accomplit la catharsis de tant de peurs, et par ailleurs le procédé permet à Appien de tout récapituler en quelques phrases. 526. C'est le même nombre de commissaires que Rome avait dépêchés auprès du premier Africain pour l'assister, l'été 201, lors du règlement final de la première guerre punique : Tite-Live, XXX, 43, 4. Si le choix des commissaires appartint en 146 au Sénat, il semble bien que le peuple soit intervenu par un vote en comices tributes dont il reste
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NOTES COMPLÉMENT AIRES
des traces dans la loi agraire de 111 avant J. -C : CIL, 12,585 (=200), 1. 77 et 81 ; cf. Gsell, HAAN, III, p. 403. 527. Avant de lancer l'assaut final contre Byrsa au début du printemps 146, Scipion Emilien aurait prononcé contre la cité la fonnule d'euocatio qui visait à la priver de l'appui de ses dieux -en particulier de celui de Tanit (assimilée à Junon}-, ainsi que celle de deuotio, qui vouait la ville aux dieux infernaux et appelait sa destruction à venir : cf. Macrobe, Saturnales, Ill, 9, 7-11 et Servius, Ad ..En., XII, 841, qui fait état de la translation à Rome de Tanit-Junon (cf. C. Bonnet, « Les connotations sacrées de la destruction de Carthage », dans Studia Phœnicia, X : Punie Wars, Louvain, 1989, p. 289-305 ; N. Berti, »Scipione Emiliano, Caio Gracco e I'euocatio di « Giunone » da Cartagine », dans ..Evum, 64, 1990, p. 69-75 ; on a publié un texte épigraphique, provenant d'un lot d'antiquités trouvé fortuitement à Gammarth, qui serait la restitution, faite à l'époque impériale romaine, d'un carmen archaïque attestant la deuotio et la consecratio par Seipion Emilien du sol carthaginois à Adon-Baal (Adnibali) ; mais en dépit du plaidoyer de ses éditeurs, ce texte est d'authenticité très douteuse : cf. J. Ferron et Ch. Saumagne, dans CRAI, 1966, p. 61-76; cf. aussi Africa, II, 1968, p. 75-109 et fig. XII h. t ... Les instructions relatives à la destruction systématique de la ville, données selon Appien par le Sénat à Scipion, ne faisaient que confinner les décisions déjà prises à ce sujet et la formule d'imprécation dite par le général au nom de Rome --cf. Cicéron, De /ege agraria, Il, 19, 51- pour consacrer le sol de Carthage une fois la cité prise redoublait seulement la deuotio prononcée avant l'assaut final. Observons en passant que la distinction faite par Appien entre Byrsa et Mégara confirme, pour Byrsa, le sens large de ville proprement dite, par rapport à son faubourg, noté déjà dans son texte. Les auteurs tardifs se sont faits l'écho d'une destruction minutieuse et totale de la cité punique, en particulier Orose, IV, 22, 6 : Diruta est autem Carthago omni murali lapide in puluerem conminuto, ce qui ne doit pas s'entendre seulement de ses remparts. Les fouilles entreprises ces dernières années n ·ont pas vérifié partout cette destruction a solo et elles ont même mis en évidence que sur les pentes de la colline de Byrsa les murs des immeubles subsistant après la prise et l'incendie de la ville présentaient souvent des élévations de deux à trois mètres avant d'être noyés dans le remblai rapporté à l'époque augustéenne, près d'un siècle et demi plus tard : cf. S. Lancel, Carthage, p. 172-192 et fig. 83-85. Quant au passage de la charrue et au semis du sel, c'est une légende dont la formation fut tardive (un texte de Sozomène, puis un autre du pape Boniface VIII en 1299) et récente l'accréditation par les historiens (Niebuhr à l'orée du XIXe siècle pour la charrue, B. L. Hallward pour le sel au début du siècle suivant : cf. R. T. Ridley, « To be taken with a pinch of sait : the destruction of Carthage », dans Classical Philology, 81, 1986, p. 140-146 ; B. H.
NOTES COMPLÉMENTAIRES
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Warmington, « The destruction of Carthage : a retractatio », ibid., 83, 1988, p. 308-310 ; S. Lancel, Carthage, p. 447). Qu'il ne fut pas interdit, sinon de l'habiter, du moins de fouler ce sol martyrisé, comme l'affirme Appien, Plutarque, Marius, 40, 9, l'atteste aussi de son côté, en montrant parmi les ruines de Carthage le Romain qui s'était exilé pour fuir la dictature de Sylla (mais le mot, qui fait image -voir aussi Manilius, IV, 47 ; Velleius Paterculus, II, 14, 9- peut ne pas être pris au pied de la lettre). Appien dira par ailleurs dans les Guerres Civiles, I, 24, qu'on pouvait mener paître des troupeaux au milieu de ces ruines. 528. De ces cités alliées à Carthage, et qui devaient être détruites, Strabon, XVII, 3, 16, mentionne Néphéris, Néapolis et Tunis, qui avaient déjà succombé, ainsi qu'Aspis-Clupea. On peut y ajouter Hippo Diarrhytos, qui fit certainement alors les frais de sa résistance à Rome en 148 : cf. supra, CX, 520-521. 529. Ce fut le cas en particulier des sept villes libres qui seront mentionnées dans la /ex agraria de 111 av. J. -C. : Theudalis, Utique, Adrumète, Lepti Minus, Thapsus, Achol/a et Uzalis (CIL, 12,585 (=200), §79 ; cf. K. Johannsen, Die /ex agraria des Jahres 111 v. Chr. Text und Kommentar, Munich, 1971; p. 374-376). La fin de la phrase d' Appien relative au territoire concédé à Utique fait difficulté. Lui accorder vers le nord et vers l'ouest toutes les terres s'étendant jusqu'à Hippo (Regius : Hippone, maintenant Annaba) revenait à soustraire à la future province romaine une grande partie de son territoire et toute sa façade maritime septentrionale. La ville d'Hippo jusqu'à laquelle, selon Appien, s'étendra le territoire d'Utique ne peut donc être qu'Hippo Diarrhytos. Une difficulté cependant demeure, car une telle extension peut difficilement ne pas englober le territoire d' Uza/is (El Alia), qui figure dans la liste des villes libres ; c'est pourquoi, plutôt qu'à Uzalis (El Alia), la dernière ville citée dans la /ex Thoria de li 1 est parfois identifiée à Usula (lnchilla), au sud d'Acholla, ou encore à Uzali Sar (Henchir Jal) : cf. J. Desanges, édit. de Pline, H. N., V, 1-46, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 300-301. Page 123 530. Le reste du territoire de Carthage devint donc ager publicus populi Romani. Outre la capitation qui frappe les habitants, les terres sur lesquelles est reconnu un droit d'usage aux occupants du sol sont soumises à un tribut foncier annuel (stipendium). Le gouvernement de cette première province romaine d'Afrique (Africa uetus) est confié par le Sénat à un ancien préteur (propraetor ), en résidence annuelle à Utique. A partir de Sylla, le gouverneur de rang prétorien recevra le titre de proconsul ; les Fastes provinciaux de la première province romaine mettent en évidence la diversité des titres et même de rang de ses gouverneurs : cf. M. Le Glay, « Les premiers temps de Carthage
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NOTESCOMPLÉMENTAIRES
romaine : pour une révision des dates, dans Actes du JJr colloque intern. sur l'histoire et l'archéologie de l'Afrique du Nord, éd. par S. Lancel (=B.A. C., n. s. 19 B, 1985), p. 241. 531. La formulation semble situer avant le retour de Scipion à Rome, outre naturellement les dispositions concrètes découlant des décisions du Sénat, les sacrifices et les jeux en l'honneur de la victoire, qui auraient donc été célébrés à Utique : serait-ce à leur occasion qu'auraient été livrés aux bêtes les transfuges et les esclaves fugitifs qui avaient survécu à l'incendie de Byrsa (cf. Tite-Live, Epit. l. 51, 6)? 532. A part les objets d'art restitués aux Siciliens (supra, CXXXIll, 631 ), fut alors acheminé à Rome, entre autres statues, l'Apollon dont le tabernacle avait été pillé par les soldats (supra, CXXVII, 609 et n. 488). L'indication donnée par Pline, H. N., XXXIII, 141, sur les quatre mille trois cent soixante-dix livres d'argent rapportées par Scipion Emilien à Rome confirme avec moins d'éclat l'importance du butin et la « splendeur inégalée » dont parle Appien. 533. Sur la fidélité de l 'Alexandrin au comput par olympiades, cf. déjà supra, LXVII, 301. Mais ici le repérage chronologique est encore plus approximatif, puisque la cent soixantième olympiade ne commence que durant l'été 140 : on est en fait alors au milieu de la cent cinquante-huitième. En revanche, le synchronisme qu'il affirme par ailleurs est presque parfait : le triomphe de Q. Crecilius Metellus sur la Macédoine fut célébré la même année que celui de Scipion Emilien sur l'Afrique, en 146, et celui de L. Mummius sur la Grèce le fut l'année suivante, en 145. 534. L'initiative de Caius Gracchus, tribun de la plèbe, se situe en 123, date du vote de la loi (Lex Rubria) qui créait cette colonie, laquelle, comme le dit fort bien Appien, la première à être « déduite » hors d'Italie, n'était pas une colonie militaire -l'armée d'occupation était stationnée à Utique- mais une colonie agraire. Appien dit par ailleurs (Guerres Civiles, I, 24) que ce fut la réputation de fertilité de la contrée qui décida alors de cette destination ; il n 'apparai"t pas en effet que le Sénat eût à cette époque d'autre dessein sur cette terre. 535. Il semble bien - contrairement à ce que dit Appien, Guerres Civiles, I, 24, qui reprend le même chiffre mais fait venir les colons par la suite - que lorsqu'au printemps 122 C. Gracchus se rendit en Afrique avec Fulvius Flaccus, il était bel et bien accompagné des six mille colons choisis pour faire vivre la colonia lunonia Carthago. Réalités au moins partielles, ou faux bruits habilement exploités par l'opposition aristocratique au Sénat, les mauvais présages - notamment celui des « loups », rapporté aussi par Plutarque, C. Gracchus, 11, 2 - qui marquèrent la prise d'auspices et les opérations de bornage furent fatals à l'entreprise (cf. Gsell, HAAN, VII, p. 58-64; J. Desanges, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen. 2.
NOTES COMPLÉMENTAIRES
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Genèse d'un empire (Coll. « Nouvelle Clio », 8 bis), Paris, PUF, 1978, p. 630). Des vestiges d'une centuriation pouvant être celle qui fut ordonnée par C. Gracchus -ou exécutée peu auparavant- ont été retrouvés à la limite de la colonie augustéenne -et dans une orientation non superposable à celle de la centuriation urbaine postérieure plus précisément au nord-ouest du cirque romain : cf. Ch. Saumagne, » Vestiges de la colonie de C. Gracchus à Carthage », dans B. A. C. , 1928-1929, p. 648-664. L'interdit relatif à Mégara avait ainsi été levé ; mais celui qui visait Byrsa, au sens large, continuait à peser et il fut renouvelé après l'échec de l'entreprise de C. Gracchus. L'énoncé de l'abrégé de Tite-Live, Epit. I. 60, 8, pour désigner le lieu de la « déduction » de C. Gracchus en 122 (in solo dirutae Carthaginis ) n'est donc pas tout à fait exact. 536. Appien, qui n'aime guère se répéter, omet ici les suites de la tentative gracchane, qu'il relate par ailleurs dans les Guerres Civiles, I, 27 : traduction de ce texte et éléments de commentaire, dus à Cl. Nicolet, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen. l. Les structures de l'Italie romaine (Coll. » Nouvelle Clio », 8), Paris, 1978, p. 135-136. Les colons qu'il avait amenés avec lui n'étaient pas tous repartis en Italie. Quelques années plus tard, en 111, la /ex Thoria liquida les séquelles de la loi agraire de 123 en permettant aux colons de vendre - à bas prix - leurs lots à des « investisseurs » romains qui commencèrent dès lors à constituer des latifundia dans cette partie de l'ager publicus « privatisé » proche de Carthage (cf. Gsell, HAAN, VU, p. 65-67 ; J. Desanges, dans Rome et la conquête du monde méditerranéen. 2. Genèse d'un empire, p. 630). 537. L'historiette racontée par Appien prend place dans le contexte historique consécutif à la victoire remportée par César sur les Pompéiens à Thapsus en 46 avant J. -C. -épisode que l'Alexandrin relate par ailleurs (Guerres Civiles, II, 97) de façon rapide et peu exacte. Comme l'a noté fort justement Gsell, HAAN, VIII, p. 173, « César, qui ne campa sans doute jamais à proximité du sol maudit, put s'y rendre lors de son séjour à Utique. Mais il n'eut pas besoin de visions pour comprendre qu'une grande ville s'élèverait de nouveau dans ce site privilégié, dès que la sentence de mort aurait été abolie ; héritier des Gracques et vainqueur de la noblesse, il lui appartenait de réaliser un projet que C. Gracchus avait conçu et que les ennemis du tribun avaient réduit à néant ». Page 124 540. Appien évoque ici la seconde « déduction » coloniale, datée de l'année 29, qui fut de fait l'œuvre propre d'Octave -le fait est confirmé un peu plus tard par Dion Cassius, LII, 43, 1- et fit plus que renforcer la colonie césarienne, puisqu'elle consacra l'abandon de l'interdit et fit renaître la vieille cité sur le même site mais sur de nou-
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NOTES COMPLÉMENTAIRES
velles bases. Sur ces premières réalisations qu'on peut juger proprement augustéennes, cf. en dernier lieu P. Gros, « Le premier urbanisme de la colonia Julia Carthago, mythes et réalités d'une fondation césaro-augustéenne », dans L'Afrique dans ,J'Occident romain, 1er siècle av. J. -C. - ye s. ap. J. -C. (Coll. E. F. R., 134), Rome, 1990, p. 547-573. Notre auteur est seul à chiffrer à environ trois mille le nombre des colons, probablement des vétérans, qui furent conduits par le légat d'Octave, Sentius Satuminus : nous ignorons à quelle source a pu puiser !'Alexandrin pour ce qu'il présente un peu mystérieusement comme une information personnelle. Comme il le dit encore, ce contingent fut complété sur place par un supplément de nouveaux colons d'origine locale : l'onomastique confirme dans une certaine mesure cet apport constitué soit d'indigènes romanisés, soit plutôt de descendants de la colonisation gracquienne de l'année 122 : cf. J.-M. Lassère, Vbique populus, p. 206-211.
Page 125 541. Le problème des sources d'Appien a été rapidement traité par Gsell, HAAN, 1, p. 133-134. Comme Tite-Live (connu à travers Orose et Eutrope), l 'Alexandrin s'était gardé de suivre aveuglément Salluste, qu'il complétait à l'aide d'autres sources, indéterminables, mais probablement plus proches des événements [cette note et celles qui suivent ont été rédigées par P. Goukowsky]. 542. L'affaire tombe en 111 av. J. -C. ; Salluste, Jug. 35, 4 sq., rapporte que ce Bomilcar, un séide de Jugurtha, avait assassiné à Rome le prince Massiva, qui prétendait au trône de Numidie. Soudoyé par Metellus, ce noir personnage trahira ensuite Jugurtha (Jug. 61, 4 sq.) et sera mis à mort par celui-ci. - Salluste ne présente pas les choses exactement comme Appien. Il dit (Jug. 35, 9) que Bomilcar fut secrètement renvoyé en Numidie par Jugurtha quand le scandale éclata, et que ce dernier quitta l'Italie quelques jours plus tard, sur l'ordre du Sénat. L'imprécation de Jugurtha est également rapportée en d'autres termes (Jug. 35, 10) : Urbem vena/em et mature perituram, si emptorem invenerit. Il n'est point question chez Appien d'une ruine de Rome par la corruption. 544. Chez Salluste (lug. 65, 5), ces accusations de lenteur sont lancées par Marius dans le feu de la campagne électorale : il promet de mieux faire que son chef. Il semblerait que cette propagande faisait mouche. 545. Rien de tel chez Salluste, grand admirateur au demeurant du mos maiorum. Voir Jug., 45, 1 et 3, où Metellus est félicité d'avoir su « garder la mesure entre une indulgence intéressée (dans laquelle se complaira Marius : cf. Jug. 64, 5) et une rigueur excessive » et rétabli la discipline « en prévenant les fautes plutôt qu'en les punissant ». Constatons qu 'Appien suit une source qui ne passe rien à Metellus.
NOTES COMPLÉMENT AIRES
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546. Sur l'affaire de Vaga, en 107 av. J. -C., voir Salluste, Jug. 66, 2-67, 3, qui évoque (ibid., 69, 4) la condamnation et la mort du préfet T. Turpilius Silanus, le seul de la garnison qui eût échappé au massacre. 547. Salluste prend soin de préciser qu'il n'était pas Romain, mais Latin ! Il est clair que l'amour-propre national n'étouffait pas la source d'Appien. 548. Comparer aux incertitudes de Salluste, /oc. cit. : id misericordia ne hospitis an pactione an casu ita evenerit parum comperimus. 549. Salluste mentionne à plusieurs reprises des cohortes auxiliaires ligures (Jug. 77, 4 ; 93, 2 sq. ; 100, 2), mais il n'est pas question de contingents thraces, au demeurant plausibles : Spartacus avait servi Rome dans une unité de ce type. 550. C'est, avant la lettre, le supplice de Saint Sébastien ! Les atrocités de Metellus, qui font de lui un émule d' Annibal en matière de cruauté, ne paraissent guère crédibles, non seulement parce que Salluste n'en souffle mot, mais aussi parce qu'elles s'insèrent bien dans la campagne visant à déconsidérer ce vertueux personnage et la nobilitas à travers lui. 551. La correction me paraît s'imposer, car on voit mal comment allumer du feu sous des suppliciés à demi enterrés.
Page 126 552. Sur ces événements, cf. Salluste, Jug. 102. 553. On remarquera que chez Salluste (Jug. 102, 12-14) Bocchos parle après l'orateur romain ; ses arguments sont sensiblement les mêmes que chez Appien. 554. Salluste, loc. cit., soutient que Manlius, bien qu'il fût le plus ancien, laissa la parole à Sylla, dont la harangue paraît bien verbeuse comparée à l'argumentation juridique de Manlius. 555. Un exemple de ce principe avait déjà été donné par Appien dans le Livre Ibérique. 556. Sur ces événements, qui tombent en 105 av. J. -C. et conduisent à la capture de Jugurtha, cf. Salluste, Jug. 103. 557. Ce que confirme Salluste, Jug. 103, 4. 558. Il n'est pas possible de suppléer par conjecture le participe manquant, mais on comprend que Sylla a chambré les ambassadeurs (durant quarante jours selon Salluste !) pour leur seriner à loisir, non seulement ce que deux d'entre eux devaient rapporter à Bocchos, mais aussi ce que les autres devaient dire au Sénat. Il est probable que le rédacteur des Excerpta a sauté certains éléments de son modèle, qui lui paraissaient subsidiaires. 559. Cf. art. G 34, Gétules (J. Desanges), Encyclopédie Berbère, XX, Aix-en-Provence, 1998, p. 3063-3065. 560. Cela n'apparaît pas chez Salluste.
228
NOTESCOMPLÉMENTAIRES
561. Cf. art. A 71, .tEthiopes (G. Camps et J. Desanges), Encyclopédie Berhère, II, p. 172 et art. H 44, Hesperii (Ethiopiens) (J. Desanges), ihid., XXII, p. 3452-3452. ·
CARTES
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(d'après
Les sites des engagements romano-puniques de la première et de la deuxième guerre punique
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H.H. Scullard, Scipio Africanus soldier and politician., Londres, Thames & Hudson, 1970, fig. 13).
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Fig. 3 - Les défenses de Carthage à l'époque de la troisième guerre punique : réalités et hypothèses. 1 : emplacement hypothétique du premier camp de Censorinus à l'été 149 (Appien, Lib., 97, 458) ; 2 : deuxième camp de Censorinus, fin 149 (Appien, Lib., 99, 466) ; 3 : triple mur sur l'isthme, tracé retrouvé partiellement par le général Duval en 1949 ; 3bis : retour du triple mur sous forme de mur simple courant vers l'est, en bordure du lac : constats de 1911 (docteur Carton) et de 1950 (Génie militaire) ; 4 : prolongement hypothétique du triple mur sur l'isthme ; 5 : emplacements hypothétiques des attaques de Scipion Emilien sur deux points du mur simple dans la partie nord de la presqu'île (Appien, Lib., 117 554) ; 6 : emplacements hypothétiques de l'attaque manquée de Mancinus par la falaise côtière (Appien, Lib., 113, 535) ; 7 : tracé hypothétique de l'enceinte prosensu, omme noyau urbain , t · ( , · S. Lancel). pre de Byrsa, enten~to
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Fig. 4 - Restitution hypothétique, en planimétrie, du quartier des ports à la veille de la chute de Carthage. 1 : tophet ; 2 : plan d'eau du port circulaire ; 3 : plan d'eau du port rectangulaire ; 4 : quadrilatère de Falbe (chôma) ; 5 : accès aux ports à l'abri du musoir du chôma ; 6 : « mur Pistor », tronçon probable du mur d'enceinte sud à son aboutissement à l'entrée du port ; 7 : « mur oblique » (fouilles du Génie militaire en 1953) ; 8 : tronçon du rempart maritime parallèle au long côté est du port marchand, repéré dans la brèche ouverte pour l'assainissement de la lagune ; 9 : tracé hypothétique du mur d'enceinte sud ; 10 : emplacement probable de la digue-jetée lancée par Scipion Emilien (Appien, Lib., 121, 572 ; 11 : emplacement probable de la base navale romaine sur la tainia (ou glôssa) : Appien, Lib., 100, 470 ; 12 : lac de Tunis (dessin S. Lancel).
TABLE DES MATIÈRES
NOTICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CONSPECTVS SIGLORVM . . . . . . . . . . . . . . .
VII
cxxxv
TEXTE ET TRADUCTION. . . . . . . . . . . . . . . .
1
NOTES COMPLÉMENT AIRES . . . . . . . . . . . .
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CARTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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