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French Pages 561 [564] Year 1981
ANNALES de
DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 1981
SOCIETE DE DEMOGRAPHIE HISTORIQUE Président
: 1962-1964 : Marcel REINHARD -j-, professeur honoraire à la Sorbonne. 1965-1968 : Pierre GOUBERT, professeur à l'Université de Paris I. 1969-1972 : Louis HENRY, chef de service à l'Institut National d'Etudes Démographiques.
1973-1977 : André ARMENGAUD f , professeur à l'Université de Toulouse-Le Mirail. 1978-1981 : Jean-Noël BIRABEN, chef de département à l'Institut National d'Etudes Démographiques. Actuellement : Jacques DUPAQUIER, directeur du Laboratoire de Démographie historique. Vice-Présidents
:
Guy CABOURDIN, professeur à l'Université de Nancy. François LEBRUN, professeur à l'Université de Rennes. Secrétaire Général : J.-P. BARDET, maître-assistant à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Secrétaire adjoint : Alain BIDEAU, attaché de recherche au C.N.R.S. Trésorier : René PLESSIX, professeur au Lycée de Mamers.
Cotisation comportant le service du présent numéro : 120 F C.C.P. de la Société : Paris 10.124.39
La correspondance concernant la Société et les Annales de démographie historique doit être adressée au Secrétariat de la Société de démographie historique, B.P. 194, 75263 Paris Cédex 06 - Tél. 222.42.08
ANNALES D E
DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 1981 ETUDES, COMPTES RENDUS, DOCUMENTS, BIBLIOGRAPHIE
Directeur : J.-N. BIRABEN Rédacteur en Chef : J.-P. POUSSOU Comité de rédaction : J.-P. BARDET, A. BIDEAU, J.-N. BIRABEN, H. CHARBONNEAU, G. CABOURDIN, P. CHAUNU, J. DUPAQUIER, E. HÉLIN, A. HIGOUNET-NADAL, J. HOUDAILLE, J. JACQUART, J.-P. KINTZ, M. LACHIVER, R. LE MÉE, M. LIVI BACCI, J.-C. PERROT.
Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
EDITIONS DE L'ECOLE DES HAUTES ETUDES EN SCIENCES SOCIALES - PARIS MOUTON EDITEUR PARIS - LA HAYE - NEW YORK
© 1981 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Paris Imprimé
en France
ISSN 0066-2062
Table des Matières 1. Démographie historique et condition féminine M. SEGALEN. — Quelques réflexions pour l'étude de la condition féminine
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a. - La mortalité différentielle des femmes A. BIDEAU. — Présentation J.-P. BARDET et autres. — La mortalité maternelle autrefois A. BIDEAU. — Accouchement « naturel » et accouchement à « haut risque » R.A.P. FINLAY. — Differential child mortality in pre-industrial England .. A. IMHOF. — La surmortalité des femmes mariées en âge de procréation .. A. PERRENOUD. — Surmortalité féminine et condition de la femme (xvm e - xix e siècles) M. POULAIN et D. TABUTIN. — La surmortalité des petites-filles en Belgique, aux xix e et XXe siècles R. WALL. — Inferring differential neglect of females from mortality data
23 31 49 67 81 89 105 119
b. - Le choix du conjoint J.-M. GOUESSE. — Présentation W. BERELOWITCH. — Le choix du conjoint en Russie à la fin du xix e siècle J. COMBES. — Le choix du conjoint à Versailles - 1774-1836 P. PONSOT. — Voisine, marions-nous ! P. WILCOX. — Marriage, mobility and domestic
141 155 169 189 195
c. - La femme seule A. FAUVE-CHAMOUX. — Présentation P. BOURDELAIS. — Le poids démographique de la femme seule en France (deuxième moitié du XIXe siècle) M. CARTIER. — La femme seule en Chine F. GÉMINI et E. SONINO. — La condition féminine dans la structure d'assistance à Rome T. HAREVEN et L. TILLY. — Solitary women and family mediations in two textiles cities : Manchester and Roubaix M.-Th. LORCIN. — Veuve noble et veuve paysanne en Lyonnais d'après les testaments des xiv e et XVe siècles Ch. KLAPISH-ZUBER. — Célibat et service féminins dans la Florence du xve siècle R. WALL. — Women alone in English society
207 215 229 235 253 273 289 303
2. Démographie médiévale J.-L. BIGET et J. TRICARD. — Livres de raison et démographie familiale en Limousin au XVe siècle
321
3. Documents C. BECKER et V. MARTIN. — Le Sénégal Centre-Ouest et son évolution démographique B. SHOSHAN. — Notes sur les épidémies de peste en Egypte
367 387
4. Comptes rendus G. CABOURDIN. — The great mortalities A. HIGOUNET-NADAL. — Les relevés de jeux A. HIGOUNET-NADAL. — Comptes consulaires de Montréal en Condomois (1458-1498) F. LEBRUN. — Démographie historique Fr. LEBRUN. — La population française aux XVII" et XVIII« siècles J.-P. POUSSOU. — La mort quotidienne en Bretagne (1480-1670)
407 411 412 414 416 418
5. Bibliographie Bibliographie internationale de la Démographie historique
I
1. Démographie historique et condition féminine
ROLE, STATUT, IMAGE DE LA FEMME *
QUELQUES RÉFLEXIONS POUR L'ETUDE DE LA CONDITION FÉMININE par Martine SEGALEN
Pourquoi étudier spécialement la condition de la femme ? Comment en est-on venu à formuler une spécificité d'un problème ou d'une condition féminine ? Faire cette démarche nous aiderait peut-être à mieux comprendre le sujet dont il est aujourd'hui question, et à prendre conscience de la perméabilité des courants de la recherche historique et anthropologique aux interrogations contemporaines, aux mouvements de pensée dont ils participent. Si, comme je le pense, la formulation de notre problématique nous est suggérée par les questions de notre temps, il faut que notre contribution serve à percer un certain nombre d'écrans idéologiques. On connaît l'apport de l'histoire, de l'anthropologie et de la démographie historique à la démystification de la prétendue crise de la famille, généralement qualifiée par des mots du vocabulaire commun tels que « déperdition des fonctions familiales », « nucléarisation de la famille », « isolement », etc., qui la réfèrent à un modèle mythique du passé. En montrant par exemple que, dans de nombreuses régions d'Europe, la structure du ménage a souvent été nucléaire, mais que les relations de parenté remplissaient de nombreuses fonctions, les travaux des historiens ont permis de reformuler des interrogations sur la famille ancienne et sur la famille contemporaine qu'on découvre, peu à peu, siège de contre-pouvoirs et de résistances. De même nos travaux devraient permettre de mieux reposer les interrogations concernant la femme, dans la société et la famille contemporaine, en jetant des lumières sur ce qu'était sa place, son rôle, son statut dans la diversité économique, sociale et historique des sociétés du passé.
* Les articles de ce thème ont été présentés au Colloque de Malher en décembre 1979.
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Définir un tel programme, c'est délimiter le champ des études à réaliser, dont un petit nombre est actuellement en cours : les trois tables rondes d'aujourd'hui proposent des problématiques et nous donnent l'occasion d'entendre quelques-uns de ces travaux. Dans cet exposé introductif je m'efforcerai, en m'appuyant sur mes propres recherches et sur les recherches en cours de mes collègues historiens et anthropologues, de cerner quelques-uns des points principaux qui se rapportent à la condition de la femme. En analysant notamment les rapports entre travail, rôle et statut, dans la société paysanne et dans la société ouvrière, on pourra contribuer à éclairer certaines propositions des mouvements féministes qui ne correspondent qu'à un temps et un contexte social déterminés. Il s'agira finalement de réfléchir sur l'existence d'un certain pouvoir féminin dont l'analyse nécessite, au-delà des aspects économiques de la condition féminine, la prise en compte de l'image de la femme dans la société d'autrefois. Nous y sommes confrontés à ce qu'on pourrait nommer le paradoxe de la condition féminine : la femme avait une position importante au sein de la famille et de la société, tout en étant fortement redoutée, elle seule dans son corps, et en groupe. Aujourd'hui cette proposition s'inverse, la crainte et la fascination intemporelles qu'elle inspirait à la société semblent en passe de s'atténuer. Contrôle de la fécondité, détachement assez accentué de l'univers symbolique, indifférenciation croissante des sexes dans le travail et le loisir semblent cependant aller de pair avec une situation perçue comme aliénante, lorsque la femme refuse de trouver sa place au sein exclusif de la famille. Parmi les autres domaines qui concernent la condition féminine, il en est un qui ne sera pas abordé ici : celui de la femme dans son rôle de mère. Il me semble qu'il a fait l'objet de recherches plus nombreuses que celui de la femme travailleuse agricultrice, ou ouvrière, ou oisive par force, la femme de la petite ou moyenne bourgeoisie. En conclusion, on essayera d'évaluer l'apport de la démographie historique au champ des problèmes qui concernent la condition féminine. I - LA FEMME
AU
TRAVAIL.
a) Travail et société. Que le travail de la femme soit une nécessité absolue dans la société paysanne, nul n'en doute. Le ménage agricole est confondu avec l'unité de production et de consommation, fondée sur le travail des deux sexes 1 . Au sein de ce schéma général, des distinctions
1. Martine SEGALEN, Mari et femme dans la société paysanne, Paris, Flammarion, 1980, 211 p.
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FÉMININE
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s'opèrent selon le mode de faire-valoir, la taille de l'exploitation, le type de production, etc. Le travail féminin, au sein d'une même région, réputée culturellement homogène, peut couvrir la gamme des situations d'ime femme quotidiennement aux champs, par tous les temps, qu'il s'agisse de soigner le sillon de pommes de terre ou de déplacer la corde qui attache sa vache à un carré d'herbe, à celle de la maîtresse de ferme qui surveille et commande, tout en tenant la haute main sur la cuisine, la basse-cour, le jardin potager. On perçoit immédiatement la variété des situations et des attitudes : degrés différents de fatigue et leurs implications sur la santé ; sérénité ou angoisse face à un avenir assuré ou précaire. Le travail rural féminin se caractérise par une continuité relative entre tâches domestiques et tâches de production ; lorsque la femme entretient la maison, c'est un travail équivalent au nettoyage des étables ; elle cuit dans un même mouvement le repas des hommes et la pâtée des cochons ; lorsqu'elle élève des poulets pour aller les vendre au marché c'est pour faire entrer des espèces dans le ménageexploitation, et ces petites sommes servent aussi bien à l'achat de denrées d'épicerie, de vêtements qu'à celui des petits équipements nécessaires au travail : seaux ou moules à fromage. On n'observe pas la coupure production/domestique qui caractérise aujourd'hui les ménages qu'ils soient agriculteurs ou non. La plupart des travaux féminins sont considérés comme productifs et reconnus tels par la communauté. Le travail au sein de la famille artisanale, qui produit pour un marché local ou pour un marché national, que les historiens nomment la famille proto-industrielle 2 , possède des caractéristiques analogues. Il est fondé, peut-être plus étroitement encore, sur la cellule de travail mari et femme (ne parlons pas ici des enfants qui ont pourtant un rôle important dans la production agricole et artisanale). Tisserands attachés tous deux à leur métier, le mari tissant le lourd drap d'Elbeuf, la femme les mouchoirs de fil sur un métier plus léger, comme nous en avions observé à Vraiville dans l'Eure, équipes conjugales de coutelliers, etc., doivent additionner deux salaires afin d'assurer la survie du ménage. Si, dans la famille agricole, l'association homme-femme peut ne pas être mari et femme, mais mère-fils, pèrefille, frère-sœur, dans la famille artisanale l'association de production n'est autre que le ménage en l'absence de patrimoine unissant des parents entre eux. Aussi peut-on faire l'hypothèse que la succession des remariages serait plus rapide chez les artisans que chez les agriculteurs tant est indispensable le travail d'une femme qui est la femme de son mari. 2. Hans MEDICK, « The proto-industrial family economy: the structural function of household and family during the transition from peasant society to industrial capitalism », Social History, n° 3, 1976.
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Le travail féminin est également essentiel dans les petits commerces de nature artisanale des villes. Si nous prenons l'exemple du cheminement professionnel des immigrés qui montaient d'Aubrac à Paris, la nécessité d'un mariage coïncide ici avec celle de l'installation. La femme au comptoir du café, le mari livrant bois et charbons l'hiver et pains de glace l'été : une association aussi indispensable sur le plan du travail que du capital. Comme le disait un enquêté, dans ce métier « il faut être deux et bien joints » 3 , et la pertinence de cette affirmation s'étend à tous les commerces d'alimentation du xix* et xx' siècle, et aux professions artisanales de l'ancien régime, du village ou de la ville, où la coopération mari et femme est indispensable. Chez les forgerons la femme est au comptoir, et si elle n'exerce pas une profession, son activité complémentaire autour de la vache ou de la basse-cour est fondamentale pour la survie du ménage. Ainsi la société agricole est fondée sur une association du travail des deux sexes ; la société proto-industrielle se caractérise par une forte intégration des rôles de production masculins et féminins. L'industrialisation massive n'a pas bouleversé ce schéma : on observe toujours une continuité dans le travail de la femme, qu'il s'exerce dans l'unité de production désormais séparée de la famille ou au sein de la cellule conjugale en tant que travail domestique. Lorsque l'industrialisation a amené une prolétarisation de la cellule conjugale — légitime ou illégitime aux yeux des autorités civiles et ecclésiastiques, mais peu importe ici — le travail féminin a été plus que jamais une nécessité économique ; là encore, il n'y a pas de coupure selon que celui-ci s'exerce à l'extérieur ou au sein du ménage. Les deux types d'activités résultent d'un calcul économique dans lequel avantages et inconvénients relatifs sont pesés 4 . Les recherches sur la famille ouvrière ont montré que la femme travaillait à l'usine ou à l'atelier à certains moments du cycle de la vie familiale. Le jeune ménage s'installe avec deux salaires dans une relative aisance, puis lorsque les enfants naissent, la femme doit se retirer du marché du travail. Lorsque les enfants sont en âge de travailler au dehors, il est souvent plus rentable pour la cellule familiale que la femme reste à la maison où elle accomplit le travail domestique, mais aussi gère les rentrées monétaires et le budget, et remplit des fonctions psychologiques très importantes. Elle exerce parfois une activité secondaire à domicile, ou bien héberge des pensionnaires à demeure afin de compenser la perte de son salaire. En cas de crise familiale, décès ou maladie, elle a toujours la possibilité de retourner travailler au dehors. Dans la société ouvrière du xix" siècle, l'attitude à l'égard du 3. Jean-Luc CHODKIEWICZ, L'Aubrac à Paris, in L'Aubrac, t. IV, Paris, C.N.R.S., 1973, p. 226. 4. Louise T I L L Y and Joan SCOTT, Women, work and family, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1978.
ETUDIER LA CONDITION
FÉMININE
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travail féminin s'apparente à celle qui prévaut en milieu agricole : il n'y a pas de coupure entre le domestique et le travail de production. Ainsi Louise Tilly montre bien l'indispensable apport des femmes au cycle productif du ménage chez les mineurs, lorsqu'elles tenaient chaude l'eau de leur toilette, entretenaient leurs vêtements de travail, préparaient les repas des membres du groupe domestique qui allaient travailler à différentes heures du jour, etc. Le tabou du travail féminin, dans certaines classes populaires, semble donc d'origine récente. Plusieurs facteurs étroitement imbriqués en sont la cause : d'un point de vue économique, une augmentation des salaires qui rend l'appoint féminin superflu ; la baisse des naissances et l'importance accordée aux enfants moins nombreux qu'il faut soigner, éduquer ; le contrôle familial émanant de l'Etat par l'intermédiaire du philanthrope ou du médecin 6 , sont quelques-uns des facteurs les mieux analysés au cours des dernières années. L'élimination de la force de travail de la femme est également corrélative de la morale religieuse et laïque du xix° siècle qui valorise la virginité, exalte la maternité et confine la femme dans un rôle d'éducatrice de ses enfants, et de faire-valoir social de son époux 6 . Cette schématique évocation de la femme au travail dans la société rurale, proto-industrielle et ouvrière a montré la variété des fonctions accomplies par la femme selon les activités économiques du ménage, mais il n'est pas suffisant que la femme travaille pour qu'elle bénéficie d'un statut valorisant. L'articulation entre rôle et statut diffère selon les contextes économiques et sociaux. b) Rôles et statuts féminins : de l'harmonisation à la contradiction. Le fait de travailler assure-t-il toujours à la femme une place sociale, comme on l'affirme volontiers aujourd'hui ? Le fait de n'accomplir que des tâches domestiques dévalorise-t-il la femme ? Le lien entre travail et statut n'est ni simple, ni mécanique ; c'est ce que nous voudrions montrer à partir de certains exemples. L'harmonisation ou la contradiction entre son rôle de mère et de travailleuse, l'image respective du dedans et du dehors, l'organisation des rapports entre famille et société semblent influer sur la définition du statut féminin. Dans la société paysanne et artisanale, la femme peut généralement assumer de façon harmonieuse son rôle de mère et de travailleuse, les horaires et les conditions de travail permettant géné5. Isaac JOSEPH et Philippe FRITSCH, Disciplines à domicile, Recherches n° 28, novembre 1977, 347 p. 6. Théodore ZELDIN, Histoire des passions françaises, ambition et amour, Recherches, 1978, 421 p.
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ralement de s'occuper des enfants tout en accomplissant les tâches sur l'exploitation ou dans la maisonnée-atelier. Que le travail de la femme rurale fasse d'elle un personnage important, cela n'échappe à personne, qu'il s'agisse des folkloristes bourgeois qui s'étonnent de son influence au sein du ménage, surtout s'ils la réfèrent aux pratiques de leur classe sociale, ou des observateurs contemporains de la famille agricole qui sont frappés de la corrélative disparition de la femme de la production agricole et de son effacement au sein du ménage rural. Dans certaines organisations artisanales, les rôles traditionnels mari et femme étaient même inversés. Chez les gantières du Dauphiné, les maris épluchaient les légumes de la soupe, afin que leurs femmes puissent coudre plus tard le soir. Parfois les femmes d'artisans assuraient l'écoulement de la production, livraient aux marchands, leur commandaient les matières premières. De même, la famille ouvrière, dans certaines organisations, a fait de la femme un personnage central tant sur le plan matériel qu'affectif, au statut valorisant, qu'elle ait ou non exercé une activité salariée en dehors de la maison. Dans ces configurations, travail féminin et rôle social vont de pair. Parfois ils sont antinomiques : lorsque se trouve valorisé le rôle de la mère, lorsque travail et tâches maternelles sont conflictuelles, l'emploi hors du foyer fait l'objet d'un discours méprisant ; la femme qui travaille, qui va dehors, c'est la débauche ou la cause des déviances familiales. L'articulation entre travail et statut féminins s'observe aussi au travers des rapports qui s'organisent entre famille et société. Y a-t-il un continuum ou un cloisonnement entre les deux ? Comment se structurent respectivement les rôles publics/privés du masculin/féminin. Nous abordons ici le champ des normes, du discours que la société établit pour organiser les pôles masculin et féminin. Dans la société paysanne, on l'a assez répété, la frontière entre vie publique et vie privée était floue et les rôles privés et publics étaient en continuité. Dans la société sicilienne par exemple, les femmes ne font aucun travail aux champs et, recluses en leur maison, elles n'ont pas de rôles extérieurs. Cet exemple ne signifie pas toutefois a contrario que la femme qui travaille a un rôle public prépondérant. On lui reconnaît généralement l'autorité sur les choses domestiques, une complémentarité avec son époux dans le partage de la gestion de la ferme, mais son rôle au dehors de la maison varie largement selon les cultures : femmes renfermées dans le sud de la France, femmes bretonnes allant à la foire. L a place accordée par le système d'héritage local dans la pratique de la dévolution des biens est à la fois cause et conséquence dans la famille ouvrière, selon la nature de l'environnement urbain et industriel. L'attitude à l'égard du monde extérieur est conditionnée en partie par l'existence d'industries à emploi masculin ou féminin prédominants, par la présence de sociétés capitalistes menant une poli-
ETUDIER LA CONDITION FÉMININE
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tique d'emploi familial intégré dans une politique paternaliste de logement, d'encadrement des enfants, etc. T. La hiérarchie entre homme et femme, le statut qui leur sont accordés selon la norme, indépendamment de la réalité de la pratique sont finalement peu connus parce que difficiles à étudier. On entre dans le domaine délicat des discours et il faut se demander qui les tient et où se situe l'analyse qui est faite. Femme inférieure, mari qui détient l'autorité ? Un schéma que les femmes ont peut-être contribué à renforcer consciemment, pour mieux être maîtresses dans les faits, qu'il s'agisse du domestique, ou du public où seul apparaît l'homme paré de son rôle de médiateur. Dans la société qui s'urbanise, deux modèles viennent s'affronter : celui de la société ouvrière prolétarienne qui donne un large statut à la femme qui travaille, qui gère les salaires familiaux, qui sort de chez elle, etc. et le modèle bourgeois d'une femme renfermée, encadrée par le médecin et le prêtre, privée de la jouissance de ses biens, exclue de la vie publique dans la norme et dans la pratique. Finalement qu'elle travaille ou non, qu'elle ait ou non une forte influence au sein de son ménage et même en dehors, par l'intermédiaire de son époux, ce qui frappe est la constance d'un discours qui exprime les rapports masculin/féminin en termes de domination. Cela est profondément lié à l'image de la femme qu'on saisit à travers un discours iconographique, les proverbes, les savoirs du corps. II - L'AMBIVALENCE
DE L'IMAGE
FÉMININE.
Etudier la condition de la femme dans les relations économiques et sociales propres à chaque société ; repérer les espaces féminins et masculins, les rôles et les statuts respectifs, c'est une première approche. On ne peut faire l'économie de l'étude plus difficile de l'image de la femme que chaque société se donne, et qu'on saisit généralement à travers un discours véhiculé à chaque époque dans des catégories différentes de signes. Ces discours sont délicats à analyser. Ainsi les proverbes dits « populaires » qui sont censés refléter la pensée paysanne ont de multiples échos dans la littérature fixée et savante : dans ces dictons, recueillis au xix* siècle ou au début du xx e siècle, on observe une sorte de flot réciproque entre savant et populaire, de sorte qu'on a parfois du mal à démêler la part du fonds populaire et l'image de la femme telle que la pensée savante la voit. Cependant le proverbe, au contraire des tableaux et des estampes, est peut-être le seul document où la parole paysanne se fasse entendre : de plus il tire sa force du fait que c'est un instrument de transmission 7. Tamara HAREVEN, « Family time and industrial time ; family and work in a planned corporation town 1900-1924 » in Tamara HAREVEN (éd.), Family and kin in urban communities 1700-1930, New York, Franklin Watts, 1977, p.
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de la place différente qui lui est faite. Femme forte dans l'Ouest qui a un droit égalitaire sur le patrimoine familial, femme effacée dans le Sud, exclue du patrimoine familial par une dotation : ce sont là des schémas très grossiers qu'il conviendrait d'affiner selon les régions. Il faudrait aussi nuancer fortement la place et le statut de la femme des croyances et des savoirs 8 . En analysant le discours proverbial on est d'abord frappé de la cohérence de l'image féminine qu'il suggère 9 , et de la convergence de son contenu avec l'analyse des interdits qui entourent travaux et gestes féminins 10 . L'image de la femme, dans une société qu'on peut ici qualifier de traditionnelle, car elle s'inscrit dans la longue durée, et dépasse les clivages sociaux, est faite d'une permanente ambivalence. La contradiction superficielle de certains proverbes se réduit si on admet l'idée d'une femme Janus, source du bien et du mal. La crainte qu'inspire la femme réside d'abord dans l'importance qui lui est assignée au sein de la maisonnée dont le destin est lié au sien n . De la même façon qu'elle est économe et assure la prospérité familiale, la femme peut ruiner la maison, puisqu'elle effectue quotidiennement le prélèvement sur les biens accumulés une seule fois l'an. C'est sur les épaules de la femme que repose la réputation de la maison. La maison, ses dépendances et le patrimoine qui lui est attaché, son nom même sont dans certaines régions, on le sait, héritage spécifiquement masculin. Même dans ces systèmes la masculinité de la maison n'est qu'extérieure, juridique en quelque sorte, et la réputation de la maison, dans la pratique des jours et des travaux, se reconstruit à chaque génération, selon que la femme traite plus ou moins les domestiques, est accueillante ou non, sait offrir à boire et donner quelque obole aux pauvres hères qui hantent les campagnes et qui, êtres marginaux, sans statut social défini, inspirent autant la pitié que la crainte d'un mauvais sort. Tout geste féminin semble posséder un avers et un revers, et une part de bénéfique/maléfique qui s'exerce autant sur son mari que sur toute la maisonnée. Cette puissance maléfique est d'autant plus inquiétante qu'elle se médiatise par les ustensiles de ses travaux quotidiens qui se transforment en instruments de sortilèges. La bonne mère ménagère filant auprès du berceau devient une sorcière chevauchant son balai.
8. Françoise Loux et Philippe RICHARD, Sagesses du corps, Paris, Maisonneuve et Larose, 1978, 353 p. 9. Martine SEGALEN, op. cit., chapitre VI. 1 0 . Yvonne VERDIER, -t Les femmes et le saloir », Ethnologie française, 1976, 3-4, p. 349-364. 11. Martine SEGALEN, « Femme et pouvoir en milieu rural », Informations sociales, 4-5, 1980, p. 40-48.
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Il est un autre domaine où la femme est particulièrement redoutée, c'est celui de la sexualité. La femme est présentée comme un être doté d'appétits sexuels puissants propres à mettre son époux sous sa domination. Ce qui est surtout redouté est l'excès ou le dérèglement de cette sexualité qui mettent en danger l'ordre social, la norme prévalant de façon officielle, et qui exige la supériorité masculine. La crainte qui émane de la femme n'est pas compartimentée, comme cette énumération pourrait le suggérer : elle est articulée en un tout que les symboles et leur langage polysémique montrent bien. D'un proverbe à l'autre s'effectue un glissement dans les termes employés qui assignent la crainte que l'on a de la femme à celle de sa sexualité. La sexualité féminine apparaît comme le lieu concentrique de toutes les craintes générées : femme insatiable, frivole, mettant son époux dans sa dépendance. Protectrice et destructrice de son foyer, amante éternellement insatisfaite, réduisant son époux à sa merci, la femme est crainte dans son être individuel : elle est redoutée aussi en tant que corps social collectif. Le groupe féminin en action est perçu comme dangereux dans les représentations qui en sont données. La crainte de la femme au dehors ressort très clairement du discours des proverbes, des images, ou des rapports des folkloristes. Parce que sortir de chez soi, c'est retrouver d'autres femmes pour accomplir les tâches ménagères, pour laver ou coudre ensemble, au fournil, à la fontaine. La crainte qui émane du groupe féminin travaillant collectivement est d'autant plus vive que les hommes en sont exclus. Ensemble, elles entretiennent un type particulier de conversations et relations sociales : elles ont le monopole d'une thématique particulière, que l'on dénomme, comme pour s'en défendre, de façon méprisante « les ragots », « le bavardage », et de façon plus explicite encore la calomnie et la médisance. Comme dit le proverbe, « Langue de femme, langue de flamme » (Normandie). « La femme a le bec de la pie et le dard fourchu du serpent » (Provence). En effet, les propos qu'elles échangent tournent autour de ce qui est souterrain, plus ou moins tabou, et autour de ce qui est sexuel ou déviant : les amours illégitimes entre célibataires, ou adultères. Si la jeunesse est le bras vengeur que la société utilise pour dévoiler et punir ces déviances sociales, c'est le groupe féminin qui est le propagateur de ces nouvelles. Comme on peut opposer le privé au public dans le champ des espaces masculin/féminin, dans le champ des thématiques des conversations on retrouve ainsi la même opposition, les hommes parlant de l'officiel, du public, du politique, les femmes de l'informel, du souterrain. Là aussi se retrouve l'ambivalence de l'image féminine, crainte et redoutée en tant que groupe, et pourtant médiatrice avec le sacré, la religion qui devient son domaine privilégié, surtout au xix" siècle : « Les femmes sont des
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saintes à l'église, des anges dans la rue, des diables au logis » (Languedoc). Le discours critique sur la femme est un moyen, pour la société masculine, d'exorciser la peur que génère sa puissance souvent souterraine, sur laquelle l'homme n'a pas prise car la femme reste par essence un être de nature, dont le corps est soumis à l'influence des astres 12. Cette femme, on la domestique dans le mariage, seul moyen de faire d'elle un être social. On comprend dès lors la position marginale de la fille ou de la femme seule qui sont toutes les deux redoutées, pour être hors de la norme, et faire peser des dangers sur l'ordre social. La fille célibataire est redoutée parce qu'elle n'est pas un être féminin achevé. C'est une plante qui ne donne ni fleurs, ni fruits, dont le cycle vital est arrêté. Sa virginité forcée la dévalorise. Elle est passible de mais injurieux, lors de la pose des mais aux jeunes filles dans la nuit du 30 avril : elle est passible de charivaris, lors de la sainte Catherine, patronne des jeunes filles. De la veuve on redoute au contraire une sexualité excessive : elle est celle qui a été initiée sexuellement et qui peut en faire profiter d'autres qu'un seul homme : elle risque d'avoir ici des rapports encore ambivalents mère/femme à l'égard d'un second mari plus jeune qu'elle, qu'elle initie et domine. La veuve est le type de femme le plus redouté car elle conjugue la crainte de rapports quasi incestueux et de domination au sein du ménage, tous deux sources de dangers pour l'ordre social. Il faut certes s'interroger sur les articulations entre ces images, ces discours symboliques et abstraits et la pratique sociale. Il n'y a peut-être pas de relation directe, immédiate, mais nous savons l'importance d'un contexte idéologique dans lequel baignent toutes les actions ; chaque fait social, unique en soi, s'inscrit dans les représentations qui fonctionnent de manière souple, à la manière des rituels. Ainsi ne fera-t-on pas charivari à toutes les vieilles filles, mais à celle qui est mauvaise voisine, ou accapareuse de terres. C'est dans ce sens que le contexte symbolique trouve toute son importance. La seconde question que l'on peut se poser est l'existence de différences culturelles, sociales et, chronologiques, dans l'image de cette femme ambivalente. Y a-t-il un fonds commun propre à toutes nos sociétés, quels que soient les lieux et les époques ? Je pencherais volontiers pour une réponse affirmative, pour la constatation d'une permanence de cette image de la femme. La société bourgeoise du xix* siècle, fait-elle autre chose qu'exorciser la crainte que la femme 12. Yvonne V e r d i e r , « Le langage du cochon », Ethnologie 1977, 2, p. 143-154.
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ETUDIER LA CONDITION FÉMININE
inspire en l'assignant à maternité, religion et représentation sociale ? Les difficultés des mouvements féminins qui tentèrent de se propager dans les classes éduquées et bourgeoises ne viennent-elles pas du fait que les femmes bourgeoises avaient perdu les lieux de sociabilité que connaissaient leurs homologues paysannes ? Malgré la libération contemporaine du corps de la femme, on peut supposer que la crainte des hommes à l'égard des femmes demeure aujourd'hui vive d'autant plus que l'idéologie brime son expression, et que les hommes se sentent directement menacés dans leur place au sein de la société. Quoi qu'il en soit de ces discussions sur une permanence ou un changement de l'image de la femme, il faut en retenir l'importance et la difficulté. En effet, les sources sont diverses et délicates à interpréter, et cette analyse doit entretenir avec les études de terrain un rapport dialectique car le lien avec les pratiques n'est pas mécanique. III
- L'APPORT DE L'ÉTUDE DE LA
LA DÉMOGRAPHIE CONDITION DE LA
HISTORIQUE FEMME.
A
On peut rester perplexe sur une telle articulation après l'exposé qui vient d'être fait : dépassons la question primaire qui voudrait qu'on mette des chiffres sur des rôles ou des représentations. Nul ne songe à le faire, et c'est bien impossible ; dépassons très vite aussi la non moins primaire opposition qui ferait des historiens démographes des pourvoyeurs de chiffres aux penseurs que seraient les anthropologues, les historiens sociaux ou les historiens des mentalités. Pendant un certain temps, il a peut-être été difficile pour une certaine forme d'anthropologie ou d'histoire d'utiliser les chiffres de la démographie historique dont la problématique était autre. Les chiffres et le vocabulaire de l'historien-démographe ne sont pas neutres ; ils véhiculent implicitement des affirmations idéologiques : lorsqu'on parle de « chances » au remariage à propos des veuves, il est évident que la double acception du sens statistique et du sens commun se mêlent, préjugeant du fait que la veuve estimait que c'était pour elle une chance ou non de se remarier. Les démographes historiens se sont aussi beaucoup préoccupés de moyennes et on ne peut le leur reprocher étant donné leurs finalités premières, mais on peut penser que dans une seconde étape, l'observation des marges et des déviances serait riche d'enseignements. Les statistiques, établies sur des moyennes, n'entretiennent-elles, avec les pratiques, un rapport quelque peu homologue avec les représentations ? Elles fournissent un cadre, servent de référence normative, mais n'expliquent pas ce qui est hors norme. La démographie historique est une méthode de contrôle qui teste les hypothèses hasardeuses,
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M. SEGALEN
nécessaires à la progression de la réflexion, mais qu'il faut, cela est possible, confronter à des données chiffrées. Ainsi, la de Peter Laslett sur l'existence d'un groupe de « Smashers », de femmes particulièrement attirantes, dans toute population est-elle réfutée par une analyse démographique rigoureuse.
lorsque théorie groupe donnée
Avec la démographie historique, nous nous trouvons également sur un terrain parfois plus solide que celui de certaines écoles historiques qui majorent l'influence des institutions, de l'Etat, ou de l'Eglise, ou jugent le champ des pratiques du peuple à travers les documents que ces institutions nous ont léguées. La démographie apporte au contraire des données sur les comportements indigènes : un taux de fécondité, de nuptialité et leurs fluctuations constituent les réponses d'une population à tel phénomène que l'anthropologue essaye d'analyser, en référence avec le système social et symbolique qui l'entoure. La démographie historique permet de suivre les grandes lignes d'évolution, de construire des périodisations : elle bouscule les idées reçues. Il me semble ainsi tout à fait intéressant de découvrir que les conditions de vie de la femme au xix e siècle se sont aggravées, que la mortalité féminine a augmenté. En traçant ces périodisations, la démographie historique montre comment les phénomènes humains s'articulent aux phénomènes sociaux : changements observés dans les comportements en matière de fertilité, nuptialité ; changements qui vont de pair avec les évolutions socio-économiques ou sont décalés dans le temps. La démographie historique s'attache aussi à l'étude des périodes de crise, riches d'enseignements sur le comportement des populations, comme l'a montré Massimo Livi-Bacci 13 , dans son étude sur les crises de mortalité. Enfin, elle introduit des catégorisations sociales et professionnelles dans ses analyses qui sont de plus en plus nécessaires, alors qu'on perçoit, au fur et à mesure que s'accumulent les études, la diversité des situations. A propos de la condition de la femme, la démographie historique est particulièrement apte à saisir ce qui change dans son destin démographique 14 , quelle est la longévité d'un ménage, quel est le nombre des veuvages et des remariages qui fait que la femme du X V I I I ' et du début du xix" siècle est appelée à connaître deux époux ou plus, ce qui est contraire à l'idéal chrétien de monogamie ; quel est le nombre de ses enfants, etc. En suivant de façon très attentive l'évolution des âges au mariage, la démographie historique
13. Massimo LIVI-BACCI, La société italienne devant les crises de mortalité, Firenze, 1978, Dipartimento statistico, 138 p. 14. Jacques DUPÂQUIER, La condition de la femme, exposé au séminaire du 12 mars 1979.
ETUDIER LA CONDITION FÉMININE
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révèle des aspects importants de la condition féminine, m ê m e si une analyse contradictoire en est possible. L a baisse de l'âge de la femme au mariage doit-elle être interprétée c o m m e une indépendance féminine accrue, la fille se passant du consentement parental ? ou, au contraire, est-ce par l'effet d'une obéissance à ses parents qu'elle se trouve mariée plus jeune ? N e dit-on pas aujourd'hui que l'augmentation récente de l'âge au mariage est signe que la f e m m e peut plus volontiers disposer d'elle-même ? L'interrogation sur le sens des écarts d'âge au mariage, ou des âges inversés, doit également nous éclairer sur la condition de la femme. Si l'on commence à pouvoir formuler quelques hypothèses en ce qui concerne le monde rural, la démographie historique appliquée au milieu urbain, a beaucoup à nous apprendre, alors que se constitue une ethnologie des sociétés complexes qui dépasse le cadre étroit du village, s'intéresse aux villes et aux relations ville/campagne. C'est une démographie qui doit s'ouvrir à l'histoire du passé plus proche de nous, du xix* siècle, et du monde ouvrier et urbain.
RESUME L'étude de la condition féminine dans le passé permet de mieux comprendre la place de la femme dans la famille et dans la société contemporaines. Trois directions ont été retenues : la femme au travail ; l'ambivalence de l'image féminine ; l'apport de la démographie historique à l'étude de la condition de la femme. La société proto-industrielle se caractérise par une forte intégration des rôles de production masculins et féminins ; or, l'industrialisation massive n'a pas bouleversé ce schéma. Dans la société ouvrière du xix* siècle, l'attitude à l'égard du travail féminin s'apparente à celle qui prévaut en milieu agricole : il n'y a pas de coupure entre le travail domestique et le travail de production. Le tabou du travail féminin dans certaines classes populaires semble donc d'origine récente. Au demeurant, le lien entre travail et statut féminins n'est ni simple ni mécanique ; il varie selon les régions et les milieux. C'est dire l'importance qu'il y a à bien comprendre l'image de la femme que chaque société se donne. Or les discours — par exemple les proverbes — sont délicats à analyser : l'image de la femme est en permanence ambivalente ; et ce discours est souvent critique : la femme est crainte dans son être individuel comme en groupe. De là vient l'importance de la démographie historique qui bouscule les idées reçues, révèle des aspects essentiels de la condition féminine, et sert souvent de méthode de contrôle pour tester les hypothèses hasardeuses.
SUMMARY The various roles women played in the past helps explain their roles today. For the purposes of this study, emphasis has been placed on two aspects of women's history: 1) women at work, 2) the ambivalent image of women ; mention will be made of the application of historical demography to women's history.
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M. SiGALEN
In early industrial society, women were quickly integrated into the working world. Attitudes towards women working in industry were favorable, and the stigma attached to such work today seems to be a relatively recent phenomenon. Generalizations, however, should be avoided, and specific places and periods should be examined separately. The second point dealt with is a particularly difficult one. The idea a given society has about women is often hard to analyse; certain sources, such as proverbs, are often ambiguous, although the over all impression given by them is that women are feared both individually and collectively as a group. Historical demography helps dispel myths about women and reveals essential elements about their existence in the past that could otherwise go unnoticed. It is a valuable tool for testing hypotheses about the role of women, particularly in hard to analyse situations such as those mentioned here.
A - LA SURMORTALITÉ
FÉMININE
PRÉSENTATION par Alain
BIDEAU
Dans un article récent publié dans la revue Population, D . T a b u t i n 1 a rappelé que le phénomène de la surmortalité féminine à certains âges, bien qu'il ne soit naturellement pas méconnu, a été très peu étudié. Les communications présentées à ces premiers « entretiens de Malher2 » ont permis essentiellement d'aborder deux points particuliers de cette vaste question. D. Tabutin et M. Poulain se sont intéressés à la surmortalité des petites filles en Belgique au xix" siècle et au début du xx* siècle et R.A.P. Finlay, à partir de l'exemple de Cartmel dans le Lancashire, nous présente des données concernant la mortalité différentielle des enfants dans l'Angleterre pré-industrielle. Alors que J.-P. Bardet, A . Bideau, et A . Imhof ont restreint leur analyse à la mortalité maternelle, A . Perrenoud à partir de l'hypothèse ainsi formulée par D . Tabutin : « La surmortalité féminine à certains âges serait liée au
Population,
1. 2.
D. TABUTIN, « La surmortalité féminine en Europe avant 1940 », in
1978, n° 1, p. 121-148.
Thème : Mortalité différentielle féminine - Rapporteur : Alain BIDEAU.
J.P. BARDET (EHESS), K.A. LYNCH et coll. (University of Utah), « L a
mortalité maternelle autrefois : une étude comparée (De la France de l'ouest à l'Utah) ». A. BIDEAU (CNRS - Université Lyon 2), « Accouchement " naturel " et accouchement à " haut risque ". Deux aspects de la mortalité maternelle et infantile » (Châtellenie de Thoissey-en-Dombes, 1660-1814). Arthur E. IMHOF (Université Libre de Berlin), « La surmortalité des femmes mariées en âge de procréation : un indice de la condition féminine au e XIX siècle ». Alfred PERRENOUD Université de Genève), « Surmortalité féminine et condition de la femme (XVII'-XTX® siècles). Une vérification empirique ». Michel POULAIN et Dominique TABUTIN (Université Catholique de Louvain, « La surmortalité des petites filles en Belgique au XIX* siècle et début du XX" siècle ». Roger FINLAY (University of Manchester, England), « Differential child mortality in pre-industrial England : the example of Cartmel, Lancashire, 16001750
».
Richard WALL (SSRC Cambridge Group for the History of Population and Social Structure), « Inferring differential neglect of females from mortality data ».
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A. BIDEAU
problème plus général de la condition de la femme au xix* et au début du xx" siècle », pose deux questions essentielles : * La surmortalité féminine aux âges actifs constitue-t-elle une constante, ou résulte-t-elle de facteurs proprement conjoncturels ? * L'appartenance sociale détermine-t-elle des écarts significatifs ? De même, A. Imhof d'emblée rattache la surmortalité des femmes en âge de procréation moins aux risques inhérents à la maternité qu'à l'usure anticipée des mères accablées par la double tâche des charges domestiques et d'une activité professionnelle. Enfin, R. Wall analyse en finesse les conséquences du manque de soins portés aux filles sur les données de mortalité. En fait, l'analyse en profondeur de la mortalité différentielle féminine implique l'étude des données de mortalité par sexe, par âge et par cause, parallèlement à toute recherche qualitative. Avant de souligner les arguments essentiels avancés dans les communications, faisons le point des connaissances en présentant succinctement les résultats rassemblés par D. Tabutin. •
••
L'évolution de la surmortalité féminine l'apport des recherches quantitatives.
du XVlll'
au XX'
siècle :
Les monographies et les séries longues permettent de connaître l'évolution des espérances de vie des hommes et des femmes du xvn* au xix* siècles. En France, vers 1750, pour une espérance de vie de 27,5 ans les écarts ne sont que de 1 à 2 ans au profit des femmes. Les différences se situent entre 2 et 3 ans de 1800 à 1820 avant de diminuer jusqu'en 1875 et de se maintenir entre 0,9 et 2 ans en faveur des femmes. Ensuite, la forte diminution de mortalité enregistrée vers 1890 se fait plus nettement au bénéfice des femmes. Parmi d'autres exemples, D. Tabutin cite le cas de la Suède où dans la deuxième moitié du xvin* siècle, pour une vie moyenne de 32 à 36 ans, l'écart est de 3 à 4 années de plus pour le sexe féminin. Les différences entre les hommes et les femmes tombent à 2,1 ans en 1926-1935 et à notre époque la Suède est le pays européen où la disparité entre les sexes au niveau de l'espérance de vie est la plus faible. Les données disponibles permettent à D. Tabutin de mettre en évidence une vitesse d'évolution différente des mortalités par sexe et par pays et de formuler une hypothèse de recherche intéressante : « si surmortalité féminine, il y a eu, elle n'a jamais été générale ; autrement dit, elle n'a concerné que certains groupes d'âges ». D. Tabutin et M. Poulain montrent que la surmortalité des petites filles est en Europe un phénomène général qui s'est prolongé
LA SURMORTALITÉ
FÉMININE
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tout au long du xix" siècle et qui ne s'atténue que dans les années 1930. Cette surmortalité des filles, qui prend le relai de celle des petits garçons observée jusque vers 14-15 mois, représente en Belgique, au milieu du xix" siècle, + 20 % entre 5-10 ans, + 51 % entre 10-15 ans et + 38 % entre 15-20 ans. Soulignons que les situations selon les périodes et selon les pays ne sont pas très claires et même hétérogènes. Ainsi, en Belgique, la surmortalité des petites filles est maximale dans la décennie 1840, pour ensuite commencer à régresser dans la deuxième moitié du xix" siècle. En Angleterre et aux Pays-Bas, le phénomène régresse à certains âges dès la deuxième moitié du xix" siècle, mais la surmortalité y était moindre. La Suède présente un cas à part, la surmortalité n'apparaît que fort tardivement, vers 1870 pour le groupe 10-14 ans, mais elle s'accentue jusque vers 1905. Pour la France, les tables disponibles ne permettent pas de situer correctement l'époque. Les travaux de Y. Blayo 3 et de J. Bourgeois-Pichat 4 pour la période 1800-1815, montrent que la mortalité des garçons et des filles de 1 à 15 ans était très voisine. Ce n'est qu'à partir de 1820-1825 que l'on peut noter une nette surmortalité des filles de 5 à 14 ans, surmortalité qui augmente jusqu'à la fin du xix* siècle, avec toutefois des fluctuations bien visibles entre 1840 et 1920. Un des apports majeurs des travaux de D. Tabutin est de montrer que « cette apparition parfois, cette accentuation, puis cette disparition de la surmortalité féminine pour certains groupes d'âges traduit un rythme d'évolution de la mortalité différentielle selon le sexe, l'âge et la période ». Ainsi, pour la France, du xix° au début du xx* siècle et pour les garçons de 5 à 25 ans, la baisse de mortalité est plus rapide que pour les filles du même âge, ce qui a pour effet d'accentuer la surmortalité féminine. Pour ce groupe d'âges, il faut attendre les années précédant la deuxième guerre mondiale pour que le rattrapage s'effectue. Au contraire, pour les moins de 5 ans, le rythme d'évolution est presque semblable. Les tables de mortalité du moment et par générations construites par J. Vallin 5 pour les années 18991904, montre que la surmortalité féminine touche particulièrement le groupe 4-17 ans et parmi eux surtout les 4-7 ans. Pour les 13-15 ans, la surmortalité féminine ne disparaît vraiment qu'entre 1931-1939. Deux explications sont couramment avancées pour expliquer ce renversement de tendance. D'abord, l'augmentation relative de la mortalité masculine par violence, qui en fait a toujours masqué la 3. Y. BLAYO, « La mortalité en France de 1740 à 1829 », in Population, numéro spécial Démographie historique, nov. 1975, p. 123-142. 4. J. BOURGEOIS-PICHAT, « Évolution générale de la population française depuis le XVIII' siècle », in Population, 1951, n° 4, p. 635-662. 5. J. VALLIN, « La mortalité par génération en France depuis 1899 », PUF, Cahier de l'INED, n° 63, 1973, 484 p.
26
A. BIDEAU
surmortalité féminine à certains âges, et ensuite la diminution des principales maladies infectieuses qui semblent être à cette époque, beaucoup plus l'apanage du sexe féminin et sont une des causes majeures de cette surmortalité. La mortalité
maternelle.
Il ressort des communications consacrées à la surmortalité féminine aux âges de la procréation que les risques inhérents à la maternité, assurément réels, ont été considérablement exagérés. Les exemples allemands, suisses et français donnent moins de 2 % d'accouchements mortels, 2,5 % à Genève en tenant compte des cas non identifiés, ce qui correspond à 7-9 % de décès de femmes mariées des suites de couches. Il aurait été intéressant de connaître la mortalité maternelle des filles-mères, mais le problème, difficile à analyser d'un point de vue statistique, n'a pas été abordé. A. Perrenoud montre qu'en appliquant ce taux et en supposant une mortalité maternelle nulle et une vie des mères au moins jusqu'à l'âge de 50 ans, le gain en espérance de vie à la naissance n'aurait été que de 2,5 % au xvm" siècle, soit 36,3 ans au lieu de 35,4 ans. Dans le détail, les communications de J.-P. Bardet, d'A. Bideau et d'A. Imhof, après avoir précisé les difficultés méthodologiques, montrent que le phénomène de la mortalité maternelle doit être étudié en fonction de toute une série de paramètres, tels que l'âge des mères, le rang de naissance, la fréquence des ondoyésdécédés, les naissances multiples... De même, il faudrait entreprendre l'analyse des différences régionales à partir de taux normalisés et essayer de mesurer les risques en fonction des coutumes alimentaires, de la pratique des matrones, du travail de la femme, des maladies des autres enfants... De toute façon, il faudra méditer le résultat majeur de ces études, la surmortalité féminine entre 25 et 45 ans ne s'explique pas uniquement par la mortalité maternelle. Il subsiste à ces âges une surmortalité féminine qui reste à expliquer. Un essai de recherche causale : du rôle des normes culturelles facteurs biologiques.
aux
A partir de l'exemple genevois, A. Perrenoud souligne qu'en terme d'espérance de vie l'avantage des femmes par rapport aux hommes est net, respectivement 27,6 ans et 25,3 ans au xvn* siècle et 34,1 et 32,2 au xvm" siècle. L'étude genevoise confirme qu'aux jeunes âges la surmortalité féminine demeure une constante, sauf peut-être au début du xix* siècle, et que celle-ci fait place à une surmortalité des petites filles entre 5-14 ans. La surmortalité liée aux risques de l'accouchement apparaît clairement mais d'une manière
LA SURMORTALITÉ FÉMININE
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irrégulière. Par exemple, les écarts sur les quotients quinquennaux entre 25 et 40 ans sont de 28 % en faveur des hommes. Mais cette étude révèle surtout que la mortalité masculine réagit plus vivement aux mouvements de baisse et de hausse. C'est dans les périodes de transition que l'écart entre les sexes est minimum, notamment au début du xix' siècle où un gain de 6,5 ans en terme d'espérance de vie à la naissance, obtenu en une génération, entraîne un renversement du rapport en faveur des hommes. Dans son étude de la mortalité sociale, A. Perrenoud montre que pour l'analyse du phénomène de la surmortalité féminine l'aggravation de la condition de la femme dans la deuxième moitié du xvm* siècle est un facteur plus déterminant que la situation sociale en soi. A cet effet, il faut rappeler que l'écart entre l'espérance de vie de la bourgeoisie et des ouvriers atteint 17 ans au xvn" siècle, mais que la surmortalité féminine ne s'observe pas dans les classes populaires. Pour la classe dirigeante, au xvn" siècle, l'espérance de vie des femmes à 10 ans est de 1,4 ans inférieure à celle des hommes, alors qu'au xvm" siècle la différence est de 2 ans mais au profit du sexe masculin. Dans les classes populaires la situation inverse s'observe et l'avantage de deux ans dont jouissaient les femmes passe aux hommes. Ainsi, l'espérance de vie à 10 ans a augmenté dans la classe supérieure de 2 % pour les hommes et de 10 % pour les femmes, alors que dans la classe inférieure la progression est de 39 % pour les hommes et de 20 % pour les femmes. D. Tabutin et M. Poulain dans un essai de recherche causale à partir de l'exemple belge analysent le poids relatif de huit causes de décès : variole, entérite (diarrhée), coqueluche, rougeole, scarlatine, croup (diphtérie, angine), phtisie (tuberculose), bronchite (pneumonie) — pour la période 1895-1910. Les résultats observés sont clairs et présentent une nette surmortalité des femmes au-delà de 7 ans. Pour le groupe des moins d'un an, la surmortalité féminine n'est jamais observée. Au contraire, pour les 1-7 ans la surmortalité féminine par variole, coqueluche et tuberculose est significative. Dans le groupe 7-15 ans, la différence de mortalité est sensible pour toutes les causes hormis la scarlatine. Ainsi, le taux de mortalité par tuberculose est deux fois plus élevé pour les filles en 1880, 1900 et 1925. Enfin, pour le groupe 15-21 ans la surmortalité féminine s'atténue sans pouvoir être négligée. Soulignons que D. Tabutin a mis en évidence les mêmes facteurs pour l'Angleterre et le pays de Galles. Finalement, il semble bien que l'on puisse corréler la surmortalité féminine de certains groupes d'âges avec les maladies infectieuses et parasitaires plus répandues chez les femmes et ce jusqu'en 1940. De plus, on assiste à une réduction du poids de ces maladies entre 1890 et 1940, ce qui a comme conséquence de faire apparaître une surmortalité masculine, tout en cachant pour les maladies infectieuses
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A. BIDEAU
une surmortalité féminine persistante. Au stade des recherches nous ne connaissons pas les possibles raisons biologiques ou génétiques qui expliqueraient cette sensibilité particulière aux maladies infectieuses, ce qui nous renvoie à l'équation surmortalité féminine et condition de la femme, du moins pour le xix* et la première moitié du xx" siècle. Cette opinion est partagée par A. Perrenoud qui pense que l'explication doit être cherchée dans les normes culturelles en vigueur vis-à-vis d'un garçon ou d'une fille. Ici on peut rappeler le confinement des filles dans la maison, imposé parfois par le travail de la mère, la nécessité de s'occuper des frères et sœurs avec, lorsqu'ils sont malades, le risque de contagion, mais qui répond aussi à des normes culturelles ; l'alimentation en moyenne plus mauvaise chez les filles, l'accès à l'instruction, ont dû également jouer un rôle. Dès lors, le problème de la condition féminine se pose dès la prime enfance. La démarche de R. Wall est ambitieuse puisqu'il nous propose de comparer les conséquences des soins portés au sexe féminin sur les données de mortalité. En fait, il s'agit de discuter des facteurs qui pourraient aboutir à créer une mortalité différentielle en faveur des hommes. L'idée que les filles étaient moins bien nourries que les garçons, soutenue ailleurs par E. Shorter, ne paraît pas, à partir des données publiées, reposer sur des preuves vraiment convaincantes. Par contre, il est intéressant de noter, à partir des travaux de Hanwalt pour le xiv* siècle et de diverses publications anglaises pour le xix* siècle, que la surmortalité accidentelle des petites filles ne correspond probablement pas à une attitude des parents envers les filles mais aux activités économiques de celles-ci. Ainsi, se trouve posé le problème de la ségrégation des sexes, et de la nécessité de prendre en considération, dans les recherches causales, le rôle des filles dans l'économie domestique, et l'importance des traits culturels. Par exemple, l'hypothèse de la moins bonne alimentation donnée aux filles peut être analysée comme un trait proprement culturel. Les femmes ayant appris par leur mère qu'elles devaient se nourrir moins, reproduiraient ce modèle en pensant qu'il est dans l'ordre des choses que l'homme mange plus que la femme. Même si nous n'avons pas encore les moyens de mettre en évidence l'importance réelle des facteurs biologiques et génétiques sur les différences de mortalité en fonction des sexes, on ne peut en nier totalement l'effet. R. Wall nous propose l'hypothèse générale suivante : si à tous les âges, en fonction de paramètres proprement physiologiques, on considère comme « normal » que le taux de mortalité masculine soit supérieur à celui des femmes, la surmortalité féminine qui apparaît à certains âges ne serait que le reflet de la discrimination portée envers elle. On rejoint ici l'idée de D. Tabutin qui analyse la surmortalité féminine en liaison avec l'industrialisation et l'urbanisation, phéno-
LA SURMORTALITÉ FEMININE
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mène type du xix° siècle. Mais il faut une nouvelle fois se demander pourquoi ce phénomène apparaît surtout au xix" siècle alors que le statut de la femme a été également bas dans d'autres périodes. Enfin, il ne faut jamais oublier que les différences de mortalité selon le sexe sont moins importantes que les différences régionales.
La tentative de recherche causale amorcée ici, suggère un plan naturel de recherche. En accord avec les auteurs, il s'agit d'analyser la pertinence de l'ensemble des facteurs pouvant expliquer la surmortalité féminine à certains âges. Citons les principaux : — maladies et morbidité spécifiques de la femme (tuberculose) et prise en considération des facteurs biologiques, — place de la femme et de l'homme dans le système de production, — rôle des normes culturelles en vigueur, — importance des facteurs d'environnement, — étude des variables intermédiaires comme la nutrition, l'instruction, l'éducation et le travail. A u niveau même de la recherche, il existe bien une tension dialectique entre physiologie et style de vie, entre biologie et culture. Alain B I D E A U , Centre Pierre Léon - L.A. 223 C.N.R.S. - Université Lyon 2 RÉSUMÉ La surmortalité féminine a été constante dans les populations européennes du XIXe siècle, et les analyses quantitatives permettent de la mesurer dès le XVIII" siècle et jusqu'au début du XX' dans de nombreux pays. Cette surmortalité n'est due qu'en partie directement aux risques inhérents à la grossesse et à l'accouchement, et elle est marquée pour les petites et les jeunes filles avant l'âge de la maternité. Les observations qui montrent une plus grande réceptivité des filles aux grandes maladies contagieuses, comme la variole et la tuberculose, conduisent à s'interroger sur les causes de cette surmortalité : causes sociales plus que biologiques, conséquence d'un mode de vie féminin qui les expose à de plus grands risques, donc d'un modèle culturel propre à la période de l'urbanisation et de l'industrialisation. A la suite des communications de MALHER, est proposé un programme de recherches, pour essayer de déterminer la part des différents facteurs explicatifs de cette situation. SUMMARY The death rate for women was always higher than that for men during the 19th century in Europe. This higher death rate is only partially due to the dangers of pregnancy and childbirth, since deaths are particularly high for girls not having reached childbearing age. It has been observed that girls were more highly susceptible to contagious diseases such as smallpox and tuberculosis than boys, and further questioning as to the reason for this seems to indicate social rather than biological causes, related to the role of women in the developing urban and industrial society.
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A. BIDEAU
LA SURMORTALITÉ
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
FÉMININE
FOURNIE PAR A. PERRENOUD.
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LA MORTALITÉ MATERNELLE AUTREFOIS : UNE ETUDE COMPARÉE (DE LA FRANCE DE L'OUEST A L'UTAH) par J.-P. BARDET, K.-A. LYNCH, G.-P. MINEAU, M. HAINSWORTH, M. SKOLNICK E.H.E.S.S./University of Utah 1
« Gargantua, en son eage de quatre cens quatre vingtz quarante et quatre ans, engendra son filz Pantagruel de sa femme, nommée Badebec, fille du roy des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut du mal d'enfant : car il estoit si merveilleusement grand et si lourd qu'il ne peut venir à lumière sans ainsi suffocquer sa mère. » Rabelais, Pantagruel, chap. 2. « Si l'on considère qu'une femme accouche 7 à 8 fois d'un enfant ou mort, cela signifie qu'une femme sur dix environ meurt en mettant au un enfant. »
mariée vivant mariée monde
J. Gelis, M. Laget, M.-F. Morel, Entrer dans la vie, Paris, 1978, p. 95. Mourir en donnant la vie ? Les accouchements de jadis souvent dangereux, parfois tragiques, suscitent une large investigation à la fois culturelle et démographique. L'histoire médicale de la naissance2 et
1. Cet article a pu être mené à bien grâce à l'aide financière de la « Nih Research Grants C.A. 16573 and HD 10267 », à celle de l'E.H.E.S.S. et à celle du L.I.S.H. 2. On retiendra pour la France les travaux de J. GELIS, Annales de Démographie Historique 1977, 1980, Annales E.S.C. 1977, Ethnologie française 1976.
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J.-P.
BARDET
l'analyse des attitudes face aux risques de l'accouchement 3 ont fourni ces dernières années un notable contingent de bons travaux. En revanche l'évaluation quantitative de la mortalité maternelle demeure assez imprécise pour ne pas dire fantaisiste : le calcul placé en exergue de cet article en témoigne dans son ingénuité. Il y a quelques années, E. Shorter a fait circuler un dossier de travail qui permet de mesurer les difficultés de l'aspect démographique de cette étude 4 . L'auteur a réuni un grand nombre de données de toutes origines disponibles sur la mortalité maternelle. Pour tout dire, les chiffres sont difficilement comparables car les méthodes d'observation sont variables. Dans la plupart des statistiques citées le taux de mortalité maternelle est un rapport entre le nombre de décès enregistrés comme consécutifs à l'accouchement et le nombre de naissances (vivantes ou non). Ces calculs ne sont évidemment valables que si les causes de décès sont correctement reportées, ce dont on peut légitimement douter pour les périodes anciennes. Dans d'autres cas, les travaux résultent du rapport entre le nombre de décès féminins survenus dans les jours ou les semaines qui suivent les couches au nombre de naissances enregistrées. C'est la technique qui correspond le mieux au cadre des reconstitutions familiales. Encore faut-il que les durées d'observation des décès des femmes soient à peu près identiques. Dans les exemples cités par E. Shorter, elles oscillent entre quatre semaines et plusieurs mois. En tout état de cause, il est nécessaire que les effectifs étudiés soient suffisants (c'est-à-dire considérables) afin d'exorciser les risques de variations aléatoires. L'informatisation d'importantes banques de familles reconstituées nous a suggéré de tenter une mesure de la mortalité maternelle. Nous étions conscients des limites de cette analyse. Evidemment, la plupart des décès survenus à la suite de fausses couches nous échappaient ; nous risquions aussi d'ignorer une partie des décès maternels survenus lors de la naissance d'un mort-né (celle-ci n'étant pas toujours enregistrée). Nous avions à définir la durée d'observation après-couches et à proposer une sorte de norme. Après diverses consultations, nous avons opté pour une période de 60 jours, elle-même subdivisée en intervalles croissants 6 . Il est probable que dans les deux mois qui suivent la naissance certaines mères soient décédées pour des causes extra-obstétricales mais il est également
3.
On
notera
particulièrement :
J.
GELIS,
M.
LAGET,
M.-F.
MOREL,
Entrer dans la vie, Paris 1978. M. LAGET, « La naissance aux siècles classiques », Annales E.S.C. 1977. Y. KNIBIEHLER, J.-C. FOUQUET, L'histoire des mères du Moyen Age à nos jours, éditions Montalba, 1980, 364 p. 4. E. SHORTER, The évolution of Maternai Mortality, Department of History, University of Toronto, mars 1978, 63 p. (ronéoté). 5. (0-1 jour, 2-7, 8-14, 15-30, 31-60). Ce n'est que lorsque nos calculs ont été achevés que nous avons eu connaissance du délai de 42 jours adopté par la Fédération internationale de gynécologie. Il nous était difficile de remettre l'ouvrage sur le métier et du reste l'allongement de notre observation n'introduisait qu'un contingent modeste de 21 décès supplémentaires sur les 417 observés à
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH
33
possible que d'autres femmes aient subi les conséquences fatales de leur accouchement au-delà des deux mois fatidiques. Tout au plus, peut-on espérer que ceci compense cela. Dans notre définition, le taux de mortalité maternelle (T) sera donc le rapport entre le nombre de décès des femmes survenus dans les 0 et 60 jours après l'accouchement (D) et le nombre de naissances enregistrées (N) : D (0-60) T = N En réalité, il faudrait soustraire la mortalité normale du taux ainsi établi. En menant cette étude nous entendons mesurer au-delà de la légende noire de l'accouchement — légende plus ou moins fondée — le bilan démographique réel de la mortalité maternelle. Loin de nous, bien sûr, l'idée de minimiser les souffrances et la mort des accouchées de jadis : même réduite, leur mortalité correspond à une réalité douloureuse et non négligeable statistiquement. Mais pourquoi avoir choisi d'appuyer notre démonstration sur des exemples aussi éloignés que ceux de la France du Nord-Ouest d'une part et celui d'une communauté religieuse très particulière du Far-West américain d'autre part ? Goût de l'exotisme ou de la collaboration à longue distance ? Certes non. L'amitié scientifique qui a réuni deux équipes les a conduites à réfléchir sur l'intérêt des travaux comparés. Il s'est avéré assez évident. Nous disposions de banques de données réunies selon des modalités assez différentes : généalogies en Utah, reconstitutions familiales classiques en France. Les biais inhérents à ces collectes dissemblables ne sont évidemment pas les mêmes. Les généalogistes s'exposent à sélectionner les familles pourvues d'une descendance en éliminant celles qui ont disparu en début d'union car la mort d'une jeune mère accompagne souvent celle du premier né. D'où le risque d'une sousestimation de la mortalité maternelle. L'utilisation des reconstitutions favorise l'observation des familles stables et peut conduire à négliger les migrants, ce qui entraîne une surestimation des décès en couches. Le contrôle réciproque de nos approches a favorisé une mesure plus correcte des phénomènes. Nos échantillons s'étirent du xvn* à la fin du xix* siècle. Il serait hasardeux de les envisager comme formant un ensemble chronologique continu et cohérent. Les données les plus tardives proviennent de l'Utah, un monde bien différent de l'Europe de l'Ouest. L'hypothèse Rouen. Il n'en demeure pas moins qu'à l'avenir, il faudra tenir compte de la durée proposée. (Sur ce sujet, voir notamment le rapport présenté à la Commission de la maternité tenue à Paris le 24 octobre 1980 par le professeur P. Magnin et le docteur B. Nicollet : « La mortalité maternelle en France, à propos des 242 observations recueillies de 1969 à 1979 s>.)
3
J.-P.
34
BARDET
d'une transmission rapide des progrès médicaux, s'ils existent, ne peut pas être confirmée en enjambant un océan et un continent. Les conditions écologiques et les traditions médicales ou para-médicales locales pèsent sans doute très lourd. Il faut admettre ces limites fondamentales. I - LES BASES DE NOTRE 1.
Des horizons
OBSERVATION.
dissemblables.
Il n'est pas nécessaire d'évoquer longuement les conditions françaises. Elles sont bien connues grâce aux très nombreuses monographies parues au cours de ces dernières années. Nous voici en pays catholique, au Nord-Ouest du Bassin Parisien dans un open-field au climat tempéré et humide. Deux échantillons, celui de Rouen, une ville et celui du Vexin français, une campagne de la généralité de Paris. Rouen, capitale de la Normandie est une vaste cité de plus de 70 000 habitants, entassée et malsaine. La mortalité générale y est élevée 8 . Les villages du Vexin français installés dans un monde purement rural à mi-chemin entre Paris et le chef-lieu normand bénéficient évidemment de conditions plus favorables que celle de la ville. Mais il faut se rappeler que l'habitat groupé de cette plaine accentue les dangers infectieux 7 . Face à ce monde plein, l'Utah des Mormons fait figure de paradis anti-épidémique. La montagne, l'air pur des cimes et un climat sain favorisent certainement l'épanouissement physique. C'est en 1847 que les membres de l'Eglise de Jésus-Christ (secte chrétienne persécutée pour ses croyances) atteignent les territoires de l'Utah. En septembre 1847, la vallée accueille déjà près de 2 000 habitants. Par la suite la croissance est très rapide. A côté des conditions très favorables du milieu, il ne faut pas négliger les duretés initiales de l'installation. Les hivers froids sont pénibles pour des migrants installés sous la tente. Rapidement, il est vrai, les arrivants se sédentarisent. La colonisation est organisée par l'Eglise qui veille à constituer une communauté homogène 8 et répartit les terres en fonction des dimensions des familles. Progressivement l'espace est investi. A partir du noyau initial central, des groupes de famille sont dépêchés dans le sud (1857-1861) et vers le nord (1864). Cette population 6. J.-P. BARDET, recherches en cours d'achèvement. Les travaux de Maurice GARDEN, Lyon et les Lyonnais au XVIII' siècle, Paris, 1970, ont montré le caractère dramatique de la mortalité urbaine. Les recherches sur Rouen confirmeront pleinement ces observations. L'entassement citadin crée une sorte de c marché commun » des maladies. 7. Travaux de J. DUPÂQUIER que nous remercions d'avoir bien voulu nous laisser accéder à ses données. 8. N. ANDERSON, Desert Saints. Chicago, The University of Chicago Press, 1942, p. 116.
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH
35
mormone diffère des autres groupes pionniers par sa composition. Alors qu'ailleurs les frontaliers sont le plus souvent des hommes célibataires, les Mormons viennent avec leurs familles : en 1850, la population de la Californie est masculine à 92 p. 100, celle du Colorado compte 95 p. cent d'hommes et celle de l'Oregon 62 p. 100 ; à la même date l'Utah mormon rassemble autant de femmes que d'hommes 9 . A ce point de vue, la situation du territoire ne diffère pas sensiblement de celle des vieux pays de l'Europe occidentale. La vie familiale (parfois dans le cadre de la polygamie) constitue la trame de fond d'une existence paisible. L'appartenance mormone est dominante (85 p. 100 des habitants). La fécondité de ce groupe est très forte, comparable à celle des régions les plus prolifiques de l'ancien régime démographique occidental 10 . 2.
Les conditions de
l'accouchement.
Pour la France les conditions médicales de l'accouchement commencent à être bien connues grâce aux travaux de J. Gelis. Malheureusement, l'enquête de 1786 fait défaut pour le Vexin français (A.D.H. 1980). Il est possible d'affirmer que les naissances y avaient lieu à domicile. Dans ces campagnes, relativement avancées, si les matrones formées sur place continuaient à exercer leur art dans la majorité des cas, les accoucheurs et les sages-femmes bénéficiant d'une connaissance médicale (souvent hospitalière) commençaient à jouer un certain rôle. A Rouen, la plupart des naissances se déroulaient également chez la parturiente. Toutefois, les mères les plus démunies accouchaient à l'Hôtel-Dieu (moins de 10 p. 100 des cas). Dans la capitale normande, la médicalisation de l'accouchement semble avoir été assez complète : en 1727, 20 sages-femmes et 30 chirurgiens y exercent 11 . En 1790, on compte 18 sages-femmes et 37 chirurgiens 12 . C'est un encadrement largement suffisant pour une ville où il ne naît pas 10 enfants par jour en moyenne. Il est vrai qu'accoucheurs et accoucheuses parcourent aussi les villages environnants. Les sagesfemmes sont formées à l'Hôtel-Dieu en même temps qu'un certain nombre de rurales. Madame Du Coudray la célèbre accoucheuse a donné des cours en Haute-Normandie 13. C'est du reste à Rouen que sont conservés quelques exemplaires de ses mannequins. Sa prestation n'empêche pas Lepecq de la Clôture de préférer les chirurgiens aux
9. P.A.M. TAYLOR, Expectations Westward : The Mormons and the Emigration of their British Converts in the Nineteenth Century. Edinburgh, Oliver and Boyd, 1965, p. 148. 10. L. HENRY, « Some Data on Natural Fertility », Eugenics Quarterly, 1961, p. 81-91. 11. Mémoire concernant la ville de Rouen, Archives du Génie, Rouen I. 12. Tableau de Rouen, 1778. 13. Archives départementales de Seine-Maritime C98 et GÉLIS, Annales de Démographie Historique, 1977.
36
J.-P. BARDET
sages-femmes lorsqu'il évoque les naissances à Rouen : « Les accouchemens y sont souvent difficiles et lents, laborieux, avancés ou retardés, suivant les intempéries ; et c'est avec raison que les hommes y sont en possession de pratiquer l'art des accouchemens » 14. Il est vrai que l'acceptation du chirurgien pose plus de problème en campagne qu'en ville, mais partout la pratique des soins prodigués par un homme soulève un débat au X V I I I ' siècle 15 . En Utah, les modalités de l'accouchement semblent avoir évolué au cours du xix* siècle. On doit à Richards 16 une étude sur les conditions médicales et sanitaires du territoire pendant cette période. En outre, un certain nombre de récits biographiques et des journaux personnels permettent de reconstituer partiellement les circonstances des délivrances. Au départ, l'Eglise semble avoir manifesté une certaine réticence à l'égard de la médecine et des médicaments commerciaux, favorisant les soins traditionnels et le recours aux simples17. Jusqu'à la fin du siècle l'accouchement est considéré comme une affaire de femmes et elles sont préférées aux médecins qui n'appartiennent pas à la communauté religieuse. Beaucoup des accoucheuses sont des mères de famille, certaines membres de groupes polygames trouvent dans cette appartenance la possibilité de se libérer en confiant leur progéniture aux autres épouses du ménage. L'activité de ces sages-femmes est variable. Quelques-unes acquièrent leur expérience au cours d'une pratique intense. L'une d'elles met au monde 248 enfants entre 1847 et 1848 et 3 977 dans toute sa carrière 1S. Elle prétend n'avoir perdu que deux mères au long de son exercice. La plupart semblent avoir opéré moins souvent, délivrant au fil de leur pratique professionnelle entre 200 et 600 enfants. Il est vrai que la dispersion des habitations entraîne certaines obstétriciennes assez loin de leur base et les retient en dehors de chez elles pendant une dizaine de jours : elles sont en effet payées pour prendre soin de la mère et du ménage. Sagesfemmes, elles sont aussi quelque peu assistantes sociales. Au tournant des années 1870, le chef de l'Eglise, Brigham Young, prend conscience de la nécessité d'encourager la formation de sages-femmes compétentes et finance même la scolarité de certaines accoucheuses qui sont envoyées dans les écoles de l'Est, notamment au Pennsylvania Womens College. La défiance à l'égard de la médecine 14. L£PECQ DE LA CLOTURE, Collection d'observations sur les maladies..., Rouen, 1778, p. 274. 15. M. LAGET, Annates E.S.C. 1977, p. 974 et sq. 16. R.T. RICHARDS, Of Medicine, Hospitals, and Doctors, Salt Lake City, U t a h : University of Utah Press, 1953. 17. C. NOALL, Guardians of the Hearth : Utah's Pioneer Midwives and Women Doctors, Bountiful, Utah : Stanway, 1974, p. 15-16, p. 42, p. 92-93. 18.
C . NOALL, 1974, p . 4 9 .
37
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH
décline progressivement et la conscience des dangers infectieux s'accroît. Des cours sont même organisés en divers points du territoire. Cet effort sous-tend évidemment une politique nataliste. Au total, on peut affirmer que les accouchées de la communauté mormone n'ont pas été moins bien soignées que celles des autres « frontières » et qu'elles l'ont été probablement mieux. Pour l'ensemble des régions étudiées, tout le problème est de savoir ce que pouvaient apporter comme amélioration la connaissance médicale de l'époque et ses découvertes. Avant la révolution pasteurienne, les progrès sont probablement assez limités, d'autant plus, on le verra, que le « shock » obstétrical proprement dit ne pèse pas lourd dans l'ensemble de la mortalité maternelle.
3.
Problèmes
de
sources.
Les échantillons français sont constitués à partir de reconstitutions familiales par sondage alphabétique sur le nom du père. Il est nécessaire de rappeler que les reconstitutions fournissent quatre sortes de familles, selon que l'on connaît ou non, la date de mariage et la date de fin d'observation. Dans le petit tableau qui suit, les initiales désignent : M = Fiches ouvertes par un mariage. E
= Fiches familiales sans observation de mariage.
F
= Fiches fermées par une fin d'observation
indépendante
de la
fécondité. O = Fiches sans fin d'observation. Type de fermeture Type d'ouverture
F
0
M
MF
M)
F
EF
EO
Type de fiches
D'une manière pratique, il est difficile d'utiliser les fiches de type « E » car nous ignorons le plus souvent l'âge de la mère à la naissance des enfants et même la fécondité antérieure à l'entrée en observation. Il est nécessaire pour le moins d'utiliser conjointement les fiches M F et M O . En effet, à chaque accouchement, une femme subit un risque de mortalité maternelle : si elle meurt, la fiche est automatiquement fermée. Imaginons qu'une population soit formée de deux groupes : P I : familles qui désirent rester sur place, P2 : familles qui souhaitent migrer.
38
J.-P.
BARDET
Eliminons pour cette démonstration l'incidence de la mortalité paternelle. En l'absence de mortalité maternelle, les familles P I fournissent la totalité des fiches MF, tandis que les familles P2 constituent la totalité des fiches MO. Dans la réalité, un certain nombre de mères de familles P2 meurent en couches et les fiches familiales correspondantes sont comptabilisées comme MF. Ces fiches contribuent à accroître artificiellement la mortalité de la population P I alors que le risque était subi par la population P2. Il est évidemment impossible de distinguer une population de l'autre. Pour tourner ce biais, un seul recours : additionner les deux groupes, ce qui revient à fondre ensemble les fichiers MF et MO. L'équation de la mortalité maternelle se formule ainsi : Mortalité maternelle = Nbre de décès maternels (survenus 0-60 j. après l'accouchement) Nbre d'accouchements observés sur place des fiches MF et MO Les dimensions des échantillons réunis paraîtront considérables et pourtant l'analyse nous apprendra qu'elles sont tout juste suffisantes. TABLEAU
I
NOMBRE D'ACCOUCHEMENTS 1 - Echantillon de Rouen XVIle siècle 1749-1799 TOTAL 1700-1749 Fiches MF MD Fiches MF MD Fiches MF NO Fiches. IT MO 1er acc. 1400 980 1390 1784 1473 1024 4263 3788 Acc. suivants 5660 2884 19161 10116 6874 7165 5122 2472 TOTAL 38228 2 -
Echantillon du Vexin
1800-1850 TOTAL 1750-1799 1700-1749 Fiches MF MD Fiches MF MD Fiches MF MD Fiches MF MD 505 155 1547 562 500 200 542 207 1er acc. '5380 1895 1360 548 1905 617 2115 730 Acc. suivants 9384 TOTAL
Au total donc, 47 614 accouchements observés. Cet effectif abondant suggère évidemment certaines ventilations. Celle qui est fondée sur l'âge de la mère au moment de la naissance s'impose. Elle est délicate en ce qui concerne la fiche MO car les âges des femmes ne sont pas toujours connus. Faute de mieux, nous avons réparti arbitrairement les accouchements pour lesquels nous ignorions l'âge de la mère de la même manière que ceux des fiches MO pour lesquels
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH
39
nous possédions cette information. Ces cas d'indétermination sont nombreux et concernent une bonne moitié des fiches MO. Dans l'échantillon du Vexin, nous ne pouvions pas encore disposer de l'information sur l'âge à la maternité pour la totalité des naissances suivantes des fiches MO. Aussi avons-nous renoncé à examiner l'influence de l'âge dans le cadre de ce sondage. L'échantillon américain est constitué à partir d'un fichier de généalogies. Elles ont été élaborées par les familles mormones ellesmêmes avec comme sources de base les données réunies dans le cadre de la Genealogical Society of Utah. Il y a un demi-siècle, que les membres de l'Eglise travaillent à établir leur filiation ; ils ont été de véritables pionniers de la fiche de famille. Chaque fidèle doit aujourd'hui reconstituer son ascendance sur au moins quatre générations et si possible au-delà. Il s'agit d'une recherche de grande ampleur compte tenu de l'importante fécondité des Mormons : une personne née en 1800 peut au bout de sept générations avoir entre 2 000 et 5 000 descendants. Dans l'ensemble, les familles du xix" siècle sont bien connues. On a pu vérifier en utilisant le recensement de 1890 que la couverture généalogique était excellente. Pourtant, les démographes ont insisté sur les dangers de sous-représentation inhérents à ce type de document : une personne qui n'a pas eu de descendants ou qui en a eu très peu a moins de probabilité d'être représentée qu'un individu très fécond 19. Cela introduit peut-être un risque de sous-enregistrement des décès maternels précoces dont nous reparlerons. II est certain que ces généalogies ont été très soigneusement élaborées. En l'absence d'un enregistrement de qualité, elles sont fondées sur une multitude de sources complémentaires : certains registres paroissiaux américains, recensements, état civil du début du XX* siècle, listes diverses, notices des bibles familiales, documents privés. Les données européennes sont aussi soigneusement relevées mais dans cette étude précise elles ne servent qu'à établir l'âge des parents. En effet, il était indispensable d'entamer l'observation lors d'une première naissance intervenue en Utah. Par définition, les familles constituées avant l'arrivée dans le Territoire devaient être rejetées car si elles y étaient arrivées intactes c'est qu'elles n'avaient pas éprouvé au préalable de mortalité maternelle. En outre, l'intérêt d'un échantillon concentré géographiquement est peut-être plus grand que celui d'une population plus ou moins dispersée. Toute la question qui reste à résoudre est de savoir ce que valent les documents concernant la mortalité et la natalité. Le fait que des généalogistes aient procédé chacun de leur côté à la reconsti-
1956,
p.
19. 16
Sur ce point, Louis HENRY, Anciennes et sq.
familles
genevoises,
Paris,
40
J.-P.
BARDET
tution des familles d'ancêtres communs permet dans un certain nombre de cas de vérifier la qualité du travail de collectes des données et même parfois de choisir la fiche la plus complète et la plus vraisemblable. Cette étude sur la mortalité a permis de vérifier que les lacunes étaient probablement peu fréquentes. L'enjeu est important car ces données intéressent le groupe de démographie et de génétique de l'Université d'Utah qui a entrepris de créer une banque de 200 000 familles jumelées entre elles afin d'aboutir à une généalogie complète de la population mormone 20 . Cette généalogie est couplée à divers registres récents de causes de mortalité et de décès, ce qui permet de mener à bien une étude de génétique épidémiologique 21 . Ces chercheurs disposent d'un système informatisé très puissant qui accélère considérablement les analyses 22 . Pour cette étude nous avons disposé d'une population de 22 605 femmes mariées une fois avant 1869. Après contrôle de données, 8,3 p. 100 des familles ont été rejetées pour diverses raisons (incohérences chronologiques, dates incomplètes, etc.). Au total, 101 619 accouchements sont observés. II - LA MESURE
DE LA MORTALITÉ
MATERNELLE.
1.
Les données générales. Les taux de mortalité maternelle sont finalement moins élevés qu'on ne l'écrit parfois. Dans la France du xvm" siècle avec une natalité moyenne de 4,5 enfants par union (un peu plus si l'on tient compte des remariages), le risque pour une mère de mourir en couches est de l'ordre de 5 p. 100. Il est sensiblement plus faible en Utah même où la natalité est plus élevée (5 enfants) mais la mortalité plus basse. 20. L . L . BEAN, D . L . MAY and M . SKOLNICK, « The Mormon Historical Demography Project », Historical Methods, 1978, p. 45-53. 21. M. SKOLNICK, « Prospects for population oncogenetics », in Genetics of Human Cancer (J.J. Mulvihill, R.W. Miller, J.F. Fraumeni, 6d.), Raven Press, New York, 1 9 7 7 , p. 1 9 - 2 5 . M. SKOLNICK, < The Utah genealogical data base: A resource for genetic epidemiology », in Human Health Data from Defined Populations. Banbury Report N° 4 (J. Cairns, J.L. Lyons, M. Skolnick, eds.), New York, Cold Spring Harbor Laboratory, 1980, p. 285-297. 22. S . M . DINTELMAN, A.T. MANESS, M.H. SKOLNICK, L.L. BEAN, « Genisys: A genealogical information system in Genealogical Demography (B. Dyke, ed.), New York, Academic Press, 1980, p. 95-114. A.T. MANESS, S . M . DINTELMAN, M . SKOLNICK, « Automatic program generation for processing a high level relational-like query language ». Proceedings
A . C . M . , 1979.
computerized Sociology and Social Research, 1979, p. 601-
M . SKOLNICK, L . L . BEAN, S . M . DINTELMAN, G . MINEAU, « A
family history data base system 619.
41
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH TABLEAU I I D O N N E E S G E N E R A L E S S U R LA M O R T A L I T E
Lieu
Nombre d'acc.
Utah 101619 Rouen 38228 Vexin 9384
Intervalle en jouri entre l ' a c c . et le'décès maternel 0-1 2-7 8-14 15-30 31-60 148 104 135 140 b4 55 128 102 93 39 12 36 23 24 16
MATERNELLE
Inconnu
Total Taux des décès pour 1000
29 0 0
620 417 111
6,1 + 0,2 10,9 + 0,5 11,8 + 1,1
Surprenante toutefois la différence de mortalité entre l'Utah et la France. Les taux sont presque du simple au double. S'agit-il d'une évolution résultant d'un progrès médical ? On sait par exemple qu'en Suède pour laquelle les données sont fiables, la mortalité maternelle a évolué fortement du XVIII" siècle au xix" siècle. N o u s présentons ici des moyennes calculées à partir des séries quinquennales relevées par E. Shorter : TABLEAU I I I MORTALITE MATERNELLE E N
SUEDE
Taux pour 1.000 naissances 1776 - 1800
9,0
1801 - 1850
6,5
1851 - 1890
4,8
Faut-il admettre que les Mormons qui comptent bon nombre de Scandinaves dans leurs ancêtres ont en quelque sorte hérité de bonnes habitudes obstétricales ? Ou faut-il suspecter la qualité des données ? L'analyse détaillée s'impose. 2.
La distribution
de la mortalité
maternelle
: une surprise ?
Comment se répartissent les décès dans les jours et les semaines qui suivent l'accouchement? La distribution en intervalles croissants est destinée à distinguer ce qui résulte de « shock » obstétrical proprement dit des conséquences infectieuses. L'observation des deux premiers jours (intervalle 0-1 jour) est capitale. Au-delà dominent les fièvres puerpérales et autres formes septicémiques. E n principe on pouvait attendre un progrès obstétrical (abaissement de la mortalité du premier jour), plutôt qu'une régression des cas infectieux. Pasteur n'était pas encore venu, alors que médecins, chirurgiens et sages-femmes semblaient améliorer leur compétence. Grande est notre surprise :
42
J.-P.
BARDET
TABLEAU I V TAUX GENERAUX DE MORTALITE MATERNELLE EN FONCTION DU N O M B R E D E JOURS ECOULES E N T R E L'ACCOUCHEMENT E T L E D 2 C 7 S D E LA M E R E Lieu
Nombre d'acc.
I n t e r v a l l e en jour entre l'accouchement e t l e décès maternel (M
2-7
15-30
31-60
Utah
101619
1,5+0,1
1,0+0,1
1,3+0,1
1,4+0,1
0,6+0,1
Rouen
38228
1,4+0,2
3,3+0,3
2,7+0,3
2,4+0,3
1,0+0,2
Vexin
9384
1,3+0,4
3,8+0,6
2,5+0,5
2,6+0,5
!M4
2-60 4,4+0,2
Taux pour 1000 6,1+0,2
9,5+0,510,9+0,5
1,7+0,410,6+1,111,8+1,1
Identité dans la mortalité du premier intervalle, situation privilégiée des Américaines par la suite. Les Françaises, urbaines et rurales, partagent exactement les mêmes risques suivant les calendriers parallèles. Il est bien sûr difficile d'interpréter de manière convaincante ces résultats, mais rappelons quelques faits essentiels. Pas de progrès obstétrical là où l'on en attendrait? Mais les Mormons perpétuent, nous l'avons vu la pratique traditionnelle de l'accouchement par des femmes sans formation médicale. Dans ces conditions, on ne peut attendre de ces matrones que l'habileté de l'expérience, rien de plus que dans la France du xvm* siècle. Beaucoup moins d'infections utérines que dans le Vieux Monde ? Mais les conditions écologiques ne sont-elles pas meilleures ? Climat sain et surtout dispersion de la population ne freinent-ils pas la communication des germes infectieux ? Cette observation des intervalles apporte aussi une information précieuse sur la validité des sources américaines. Le sousenregistrement des décès maternels est a priori assez faible. En effet, on peut affirmer par les comparaisons des taux qu'il est probablement minime pour l'intervalle 0-1 jour. Il n'y a pas de raison d'attendre ici, un taux beaucoup plus élevé qu'en Europe. Si l'on enregistre correctement la mortalité des premiers jours, il est impossible de suspecter celle des jours suivants. Une telle sélection serait illogique. Toutefois, l'examen des données doit être encore approfondi. 3.
Un examen des facteurs différentiels.
a) Le rang de naissance. On suspecte que la première naissance peut être plus dangereuse que les suivantes, les primipares n'ayant encore jamais accouché et une certaine sélection biologique ne s'étant pas encore accomplie. Le tableau suivant confirme partiellement cette hypothèse. A Rouen et dans le Vexin, la mortalité imputable aux premières naissances est sensiblement plus élevée que celle provoquée par les accouchements suivants. Les différences infectieuses ne sont
LA MORTALITÉ MATERNELLE EN FRANCE ET DANS L'UTAH
43
pas très significatives, celles imputables au « shock » le sont nettement plus. Il n'en va pas de même en Utah. Les primipares y seraient moins vulnérables que les multipares. Nous retrouvons ici le biais évoqué au début de cet article : moindre enregistrement généalogique des morts de mère sans descendance (le destin de l'enfant étant souvent lié aussi à celui de sa génétrice). Peut-on évaluer ce sousenregistrement? On admettra que les décès dûs aux naissances suivantes sont correctement connus ce qui est probable, compte tenu de leur niveau élevé. Entre le risque de la première naissance et les suivantes, la différence française moyenne est d'environ 40 p. 100. Si le rapport était le même en Utah, il faudrait s'attendre à trouver un taux de mortalité de primipares de 2,2 pour l'intervalle de 0-1 jour : d'où une sous-estimation ici de 22 décès. Il semble aussi que les décès de l'intervalle 2-60 jours lors des premières naissances ont été également sous-estimés. Ils devraient être sensiblement supérieurs à ceux des multipares. A partir des données françaises, estimons la différence à 20 p. 100. Autrement dit les taux 2-60 jours des primipares mormones devraient être de l'ordre de 5,5 p. 1000. Le déficit des décès maternels seraient ici d'environ 46. Au total, c'est au maximum 68 familles sans descendants qui ont échappé à l'observation. C'est bien peu sur une observation de près de 20 000 fiches. TABLEAU
V
TAUX D E M O R T A L I T E M A T E R N E L L E E N F O N C T I O N DU R A N G D E N A I S S A N C E PREMIERES NAISSANCES Lieu Nombre de naissances Utah Rouen Vexin
18364 8052 2109
NAISSANCES SUIVANTES Lieu Nombre de naissances Utah Rouen Vexin
83225 30176 7275
Intervalle entre l'accouchement et le décès 0-1 2-60 TOTAL 0,9 + 0,2 1,7 + 0,5 1,9 + 0,9
' 3,0 + 0,4 4,0 + 0,5 1 1 , 1 + 0 „ 2 12,8 + 1,3 11,9 + 2,4 13,3 + 2,5
Intervalle entre l'accouchement et le décès ( v> m E co V e « —» t. o -p o 4) O U .«-< en o x> a> e a O »41 (0 DVD . «) a* «o > cm -m >H
u a» 0 -P X >ti n m (i *o ^ 00 « t. w r-t « CS V — o a w o . «p m -o u*> to K o ^ V 1 -H 00 3 •H b
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o ' - t o ^ o a o f * mf\jr-»r) in Lloyd de Mause (ed.) The History of childhood (1974), 26 ; and for infanticide in early mediaeval times, M.M. McLaughlin's contribution « Survivors and surrogates », ibid., 120 and note 99. The term « negative infanticide » is from Emily R. COLEMAN, « L'infanticide dans le haut Moyen Age », Annates E.S.C., 29, 2 (marsavril 1974), 3 3 0 .
11. Barbara HANAWALT, « Child rearing among the lower classes of late medieval England », Journal of Interdisciplinary History, viii, 13 (Summer 1977), 10. The anthropologist, Jack Goody, has also asserted that there is no evidence that European infanticide displayed a sex bias. See his contribution « Population, economy and inheritance in Africa s> in R.P. Mons and R.J.A.R. Rathbone (eds) The population factor in African studies (1975), 167. 12. It is contended that, because of the difficulty of proving that there had been intent to kill a child of this age, totals of « accidental » deaths provide a surer guide than the much smaller number of recorded manslaughters and murders. One factor, however, for which no allowance can be made is that male
123
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES FILLES
more often assigned in the case of females than of males in each of the periods in question but for neither sex did the proportion of deaths so assigned exceed 11 per cent. TABLE 1 DEATHS FROM VIOLENCE TO CHILDREN UNDER ONE MONTH OLD BY SEX AND CERTAIN CAUSES OF DEATH England PERIOD
1875-1899
ALL VIOLENT DEATHS(1)
SUFFOCATION IN BED(2)
No.
No.
Sex ratio
NEGLECT
Sex ratio
MURDER
No. Sex ratio
No. Sex ratic
1875-9
3,625
111.9
870
109.1
212
101.9
425
1880-4
3,072
112.4
1,030
123.4
149
71.3
398
101.0
1885-9
3,452
109.6
1,439
101.8
171
94.3
338
103.6
1890-4
4,695
112.5
2,131
113.3
364
101.1
340
104.8
1895-9
5,600
116.0
2,347
114.3
534
97.0
280
83.6
Source : Annual
R z p o n t i of¡ the. Rigi&Vuvi
101.9
GencAa?
(1) From 1881 e x c l u d e s murders and m a n s l a u g h t e r s (2) P r i o r t o 1886 d e a t h s a s c r i b e d t o o v e r l y i n g a r e t a b u l a t e d s e p a r a t e l y and a r e not included f o r t'uis p e r i o d .
One can of course reject this evidence and argue, as Hanawalt still seems to consider possible for the fourteenth century, that the practice of infanticide was so widespread, or, perhaps, so concealed, that it escaped registration. This, however, would be to turn from hard evidence to improbable conjecture. If female infanticide was practiced on any scale one would, for example, expect to see it reflected in improbably high sex ratios at baptism. However, between 1700 and 1780 it was never lower in England than 103.1 and never higher than 104.8, somewhat lower than where it is usually to be found 1 3 . infants recovered less well than females from such accidents that did occur. In other words, in looking at deaths, the number of instances which concern males are inflated. This suggestion is made by Preston (1976), 124, to account for the fact that the sex differential in accidental deaths among infants in the contemporary United States are at their highest between the ages of one and five months and not later when some may have begun walking. 13. Census of 1801. Parish Register Abstracts. Totals of males and females baptised in England and Wales are available for every tenth year between
124
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Placing a child out to nurse might in some instances be considered as tantamount to infanticide, given the high mortality associated with such practices. Such a conclusion could be drawn from Christiane Klapisch's description of the abandonment and placing to nurse of children in fifteenth century Tuscany. Klapisch also found a decided sex bias in the selection of children, twice as many girls as boys abandoned, and daughters left longer than sons with the nurses 14. In England, however, recourse to a wet nurse was never as widespread as it was either in Tuscany or in France. References to nurse children are most often to be found in the registers of parishes surrounding London, although Wrightson has suggested the possibility of infanticidal nursing in seventeenth century Lancashire 15 . Wrightson's cases, however, involved the very poor while the London ones, if we except the foundling class, at least in the seventeenth century would appear to originate from the middle strata of society, with parents wealthy enough to pay for the services of a nurse in the country, but too poor to provide a nurse in their own home l s . As far as is known the sex of the child was never used as a criterion in the selection of children sent to nurse 1 7 although only the sketchiest evidence is available. Eighty-nine male and seventy-two female London nurse children were buried in the parish of Aldenham in Hertfordshire between 1600 and 1730 (sex ratio 123.6). Of course, what we really need to know is what proportion these formed of the children despatched. However, even such crude figures as these make
1700 and 1780. Certain corrections have been incorporated where arithmetical erros were identified in the original. According to Visaria, the sex ratio at birth in non-negroid populations generally falls between 104 and 107 males per 100 females and most frequently is in the 105 to 106 range. See P.M. VISARIA, « Sex ratios at birth with a relatively complete registration », Eugenics Quarterly, 12 (1967), cited in John KNODEL and Susan DE VOS, « Preferences for the sex of offspring and demographic behaviour in eighteenth and nineteenth century Germany » (1979), 6. This paper was first presented to the 1979 Meeting of the Population Association of America at Philadelphia. The sex ratios at birth of the German village populations included in the latter study were found to be « normal », Ibid., 7. 14. Christiane KLAPISCH, « L'enfance en Toscane au début du XVE siècle », Annales de démographie historique (1973), 110. 15.
WRIGHTSON ( 1 9 7 5 ) ,
17.
16. This is the suggestion of Roger FINLAY, The population of London, 1580-1650, Ph. D. Cambridge (1977), 120, although direct evidence on the parentage of nurse children is very slight. 17. Although in a seminar paper delivered at the SSRC Cambridge Group in 1977 Sheila Johannson interpreted the large number of females as opposed to males listed in the censuses as scholars although only aged three, as evidence that girls were more often left in the care of child minders than boys. My own research on Colyton, Devon, in 1851 and Chilvers Coton, Warwickshire, in 1901 produced no evidence for this pattern, although this may have been because information on whether three year olds were at home or scholars was recorded only sporadically.
L ' I N D I F F É R E N C E A L'ÉGARD DES
FILLES
125
it clear that male as well as female children were sent to n u r s e 1 8 . Similarly there is n o evidence of a surplus of girls in the lists of the poor children in care of the parish of Poplar (East London) in the eighteenth and early nineteenth centuries. Ages of these children ranged from under one year to sixteen (sex ratio 107.1), although almost half were between five and nine (sex ratio 1 1 1 . 9 ) 1 9 . Amongst them were a few bastards and foundlings but many were returned to one or other of the parents after a period of time which would indicate that it was a temporary inability of families to support all their offspring rather than an attempt to be rid forever of their obligations that was at thee heart of the problem 2 0 . Feeding. A strong feeling can be detected in literature on the history of women that girls were less well fed than boys and women less well fed than m e n 2 1 . Shorter, for example, claims independent evidence that women were less well nourished than men before the First World War. This evidence, however, relates to Norway and Iceland 2 2 and for England one has to rely on more indirect reports,
18. To argue that more females than males were sent to nurse would mean that the death rate among male nurse children would have exceeded that among female nurse children, in other words, the reverse of Klapisch's finding for fourteenth century Tuscany. Klapisch (1973), 110. 19. Tower Hamlets Library, Local History Collection. Annual register of the parish poor children until they are apprenticed out... in the hamlet of Poplar in the parish of St Dunstan, Stepney... according to the Acts of Parliament of the second and seventh of his Majesty King George III. Three volumes covering the period 1767-1840. The sex ratios are for the totals of children listed every tenth year from 1767 to 1837. Nor is there any evidence that more girls than boys were brought to the London Foundling Hospital during From figures its « general reception » period between 1756 and 1760. generously supplied by Adrian Wilson of Clare Hall it would appear that during a sample four week period 142 males and 147 females were received. 20. For example, of the children listed in 1767, thirty were termed «casualties » compared with only four bastards and two foundlings. For only thirteen of them do we know to whom they were returned. Of these six went to the mother, two to the father and two to the parents. Two others were taken respectively by a dressmaker and « a woman ». The last supported herself. Obviously much more work needs to be done on this and other documents before one can effectively quantify the origins of such children. 21. For one among a number of such works see Kate YOUNG and Olivia HARRIS, « The subordination of women in cross cultural perspective », in Women's Publishing Co-operative, Brighton (ed.) Papers on patriarchy. The patriarchy conference, London 1976 ( 1 9 7 8 ) , 5 5 . 22. Edward SHORTER, « Women's diseases before 1900 », Unpublished paper in the Library of the SSRC Cambridge Group (1978), 16 and note 28, citing Lily W E I S E R - A A L L , « Die Speise des Neugeborenen * in Edith ENNEN and Gttnter WIEGELMANN (eds) Festschrift Matthias Zender: Studien zu Volkskultur, Sprache und Landgeschichte (1972) I, 543-4. The differential feeding of daughters has been noted for the rural population of Ireland in the twentieth century. The evidence is summarised by Kennedy (1973), 52-3.
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such as Robert Roberts' observations on life in the slums of Salford in the early years of the twentieth century. Looking back from 1971 Robert Roberts recollected: « In the apportioning of food, small girls often came off very badly indeed: mothers felt they did not need much — " not the same as the lads ". In the streets, therefore, none looked more pathetically " clemmed" than the little schoolgirl » 23. Through custom this habit became more ingrained, so that the stinting continued even after the girl had started work. Such descriptions are not to be set on one side lightly, but it has to be recognised that they fly in the face of two series of facts. First, the Registrar General's statistics on cause of death in late nineteenth century England make it quite clear that it was boys and not girls who were most likely to die of diseases associated with a poor diet, mismanagement and neglect: convulsions, diarrhoea, debility, marasmus, and rickets. Girls were more prone to succumb to a range of infectious diseases : typhus, yellow fever and tubercolosis 24 . The second set of facts is even more damaging to the nutritional hypothesis. When medical inspectors began to investigate the health of English schoolchildren in the early twentieth century more malnourished boys were found than malnourished girls in two separate enquiries in Middlesex and Cumberland 25 . It is, of course, theoretically possible that the degree of undernourishment was worse in the case of girls, possible also that these areas «happened » to differ from that to which Roberts referred, although the Cumberland study included both urban and rural sections : possible even that the inspectors might expect girls to be subject to certain diseases rather than others. The argument in the last case would be that inspectors would fail to notice the girls' lack of nourishment because they would have deemed it proper that girls should be noticeably smaller than boys at all ages 26 . Given the thoroughness with which cases of 23. Robert ROBERTS, The classic slum (1971), 109. Yet, in Roberts' parents' household, with a skilled man as its head and drawing additional livelihood from a small shop, supposedly no one was ever short of food and he recalls his sister daring to take food from her father's plate (ibid.), 117), a neat example, perhaps of how behavioural characteristics (in this case females getting less food) disappear when direct evidence is available or, alternatively, of the atypicality of the writers of memoires. 24. Dominique TABUTIN (1977), 23 citing W.P.D. Logan. The connection between neglect and atrophy, diarrhoea and convulsions and between convulsions and diarrhoea and « bad feeding » is made in the Thirty-eight Annual Report of the Registrar General, xliii. For rickets, see Shorter (1978), 16. On the other hand, Shorter also refers to pathological studies of « early » populations which reveal that bone defects associated with malnutrition have been more frequently found in female than in male skeletons. 25. Board of Education, Annual Report for 1910 of the Chief Medical Officer of the Board of Education [Cd 5925] (1911), 28-9. 26. For an argument on these lines see Figlio (1977) although the case he had in mind was not malnutrition.
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A L'ÉGARD DES
FILLES
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malnutrition were to be determined in certain areas 27 , this argument seems a little implausible. For the present, therefore, the question of the differential feeding of boys and girls in nineteenth century England has to be considered unproven 28 and attention directed to other factors. Life style.
The possibility that the different life styles of men and women have contributed something to differential mortality of the sexes has been accorded little attention either by historians or demographers. One may commence with Retheford's point that it is impossible to decide how much of the sex mortality differential is biologically determined and how much environmentally determined as the two sets of factors are so intertwined 29 . In a different context the school of feminist historians not unnaturally assesses the situation rather differently, arguing more especially that it is not sufficient to attribute higher female mortality to a particular life style, for example, confinement to a non-productive household role 30 . On the contrary, the factors deserving attention are those that gave women this purely domestic function. As an example of what they have in mind let us examine one of the types of violent death among children. It is a well know fact that girls died more often than boys from burns and scalds. The current interpretation is that this reflects the exploitation of girls within the home rather than the result of different conventions of dress which the Registrar General thought important on the grounds that girl's clothes caught light more easily and perhaps impeded movement. The underlying cause of death is therefore transferred from a cultural factor (clothing) to a socially determined one, an increased exposure to a particular type of accident through emphasis on a sex specific role. In this case the interpretation seems reasonable, but there are two further points that can be made. First, one should bear in mind that there is a long tradition of a domestic role for young girls going back at least as far as medieval times. Hanawalt, for example, cites statistics to show that at the early age of two or three more girls than boys died as a result of accidents Annual report for 1910 of the Chief Medical Officer ( 1 9 1 1 ) , 2 7 . 28. It is interesting that Preston's world wide survey of sex mortality differentials is also somewhat ambivalent on this point. The importance of the nutritional factors through diarrhoeal disease at all mortality levels except the highest is initially asserted, Preston (1976), 123, but later, Tables 6.2 and 6.3 and text, make it clear that diarrhoeal diseases are not an important influence on 27.
s e x mortality differentials. Preston (1976), 29. RETHEFORD ( 1 9 7 5 ) , 1 2 .
128,
131-2.
30. Sheila Ryan JOHANNSON, « Sex and death in Victorian England ». In Martha Vicinus (ed.) A widening sphere: Women in the Victorian age ( 1 9 8 0 ) , 171.
128
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with pots and cauldrons in fourteenth century Bedfordshire 31. Secondly, from the firmer body of evidence that is available for nineteenth century England it is possible to suggest that this social role was then developing a little later (Table II). TABLE 2 DEATHS FROM BURNS AND SCALDS BY AGE AND SEX OF CHILD England 1875-9, 1895-9 ' AGE OF CHILD
1 2 3 4 5-9 Source : Annual
PERIOD :
PERIOD : 1875-9
1895-9
Deaths
Sex r a t i o
Deaths
Sex r a t i o
1,651
121.3
1,567
136.3
128.0
1,970
138.2
126.4
1,616
107.1
113.3
1,161
62.3
60.6
2,149
41.9
1,603 1,327 1,026 1,701
Repo/iii oi thz
RzgZitsiaA.
Gwviat
We have to be careful here in that we do not know the numbers at risk (i.e. the numbers who concerned themselves with cooking), and have to rely instead on the number of boys and girls who died as a result of accidental scalds and burns. Our interpretation is based on a change in the sex ratio of deaths 32 . It is conceivable, although unlikely, that girls were simply more careless than boys. More difficult to decide is whether the change in the sex ratio with age was brought about either by the more intensive involvement of girls with domestic chores as they got older or, alternatively, by the progressive withdrawals by boys from such activities as they got older.
31.
HANAWALT
(1977),
16.
The
proportions
dying
as
a
result
of
accidents with pots and cauldrons were 27 per cent for girls and 14 per cent for boys. In contrast 44 per cent of girls and 64 per cent of boys died outside the home in bodies of water. 32. Alternative ways of looking at these data, for example, by calculating the death rate for each sex from burns and scalds or measuring the proportion of all deaths due to burns and scalds run into difficulties, the former because of lack of data on age and sex between censuses and the latter because it would be largely determined by any sex specific patterns of other causes of death. One other difficulty is basic to all three approaches: that of looking at one particular phenomenon in isolation (for the dangers of this see below). However, on this occasion we can probably dismiss the notion that more girls than boys died of scalds because boys who might have died of this had perished already from some other cause.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES FILLES
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Whatever explanation should ultimately prove correct it is interesting that the sex differential should emerge after age five in the 1870s but be clearly visible at age four during the 1890s. This is a minor point but it does neatly illustrate how within a period as short as twenty years, the activity of children within the home could change perceptibly. Since any general change in parental attitudes or supervision would have affected boys as well as girls, it would appear that it was specifically attitudes towards the activities of young girls in the home that had changed. For the present the reason for this change remains a matter of speculation but it could be a response either to falling fertility or to older girls becoming increasingly unavailable for domestic chores because of the enforcement of compulsory schooling 33 . Both factors would have served to cut the number of potential household aids and supervisors. Nevertheless it is important that we keep deaths from scalds and burns, whatever social significance one may like to read into them, in a proper perspective. Between 1891 and 1900 of 709,578 deaths of children aged four, all violent deaths contributed no more than 3905 84. They are, however, only one of the « life style » factors that ought to be considered. Amongst others one might consider the relative cleanliness of the two sexes, and all the differences stemming from the greater opportunities for males to be out of doors even at a fairly young age 8 6 . Cleanliness is important because of its implications for the transmission of all diseases associated with dirt. The question, however, has received almost no attention, doubtless because of the apparent lack of evidence. Yet, if we refer again to the school medical inspectors we find important differences between boys and girls in the matter of cleanliness. For example, in Staffordshire schools 39 per cent of the girls were found with verminous heads compared with only 8 per cent of the boys. In Portsmouth in 1908 the comparable proportions were 78 per cent and 19 per cent 38 .
33. The same point is made by Johannson (1980), 179 to explain a general rise in mortality for girls aged five to nine in late nineteenth century England. 34. Supplement to the Sixty-fifth Annual Report of the Registrar General, Part I. 35. By way of example there is Sheila Johannson's point made to a seminar of the SSRC Cambridge Group that, while the daughters of Cornish agricultural labourers drank milk at home, and incurred the increased risk of tubercolosis, boys of the same age drank tea in the fields. Girls were at home because of lack of employment opportunities elsewhere except in domestic service where they would have been equally ill fed. Johannson (1980), note 31 citing M.E. Lane, a former district nurse in correspondence with Thea Thompson. It is also well established that agricultural labourers have an advantage healthwise over men in industrial employments through the amount of exercise their work involved counteracting the effect of low wages, an advantage which would not be shared by their womenfolk. See Preston (1976), 149.
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At first sight such differences would appear to be simply the result of inadequate living conditions (lack of washing facilities, for example), operating unfairly on girls due to fashions in regard to hair length. However, it would be unwise to pronounce judgement in haste. The inspectors, for example, emphasized general laxity rather than lack of facilities 3T . Although one might set this judgement aside as a failure by local officials to appreciate the difficulties of the situation, there is one final small and perhaps telling piece of evidence from another medical inspector. In a special study of Brighton schools it was found that regardless of the class of school, more boys than girls arrived with handkerchiefs 38. It is a sign, perhaps, that at the turn of the century some parents lavished that little bit extra attention on their sons than on their daughters. Sex differentials
in mortality:
the English
experience.
We may begin by noting that the role of sex specific disease or indeed of biological or genetic factors enhancing the chances of infection have received a decidedly cool reception 39 . There is just one disease that might be singled out and that is whooping cough which in late nineteenth century England, if not elsewhere, consistently killed a higher proportion of girls than boys. However, since one of the chief features of this illness is its length and the general debilitating state in which it leaves the sufferer, it may be queried whether previous neglect may not have left more girls than boys unable to withstand its attacks. It is one thing, of course, to identify lifestyle or neglect as factors in the different ways of rearing girls and boys and quite another to assess their contribution to sex specific mortality because of the way in which biological and environmental factors interlock. At this stage, therefore, it is worth setting out precisely what has to be explained and how previous researchers have attempted to solve the problem.
36. Annual Report for 1910 of the Chief Medical Officer (1911), 33-4. 37. In the same way 64 per cent of the 114 cases of bad nutrition in Fenton (Staffordshire) were of children who were said to come from homes where the parents were good circumstances, while only 35 per cent were from homes that were either only moderately clean, or dirty, or overcrowded. Ibid., 28. 38. Ibid., 53. The percentages with handkerchiefs were as f o l l o w s : high grade boys 93 per cent, girls 74 per cent; moderate grade boys 64 per cent, girls 6 2 per c e n t ; low grade boys 61 per cent, girls 38 per cent. Numbers: 1090, 1053 and 524 respectively. 39. There are two exceptions. One is Edward Shorter, whose argument is summarised below, and the other is Samuel Preston, who in general discounts «biological» factors, yet argues also that physical differences between the sexes account for the fact that sex specific death rates from infectious disease « cross over» (i.e. move from a female to male excees) with age. Compare Preston (1976), 122, 132.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES
131
FILLES
Most work has focused in a rather simple-minded way on the fact that for certain age groups the level of female mortality does exceed the male. This is where the difficulties begin, for it is not always the same age groups that are affected. For example, the English national mortality rate between 1838 and 1844 showed an excess of female mortality between the ages of ten and forty four. By 1880 this had entirely disappeared only to reappear by 19011910 but in a different set of age groups. Amongst the English upper class it lasted only from eighteen to twenty four, while for middle class Quakers at almost the same time it extended from five to sixty. In a «traditional» society where it is assumed that female life will be less valued than the male, as in India, the period at issue is one to thirty eight in 1958 40. Previous writers have struggled valiantly to detect a pattern in these disparate figures 41 , which embrace a variety of age groups, time spans and different social classes whose way of life and standard of living must have differed considerably. For example, it has been argued that women kept themselves short of food even after marriage when they controlled housekeeping because the habit of stinting themselves was too deeply ingrained. Just as die poor became the servants of the rich to rear their children as the rich dictated, so women adopted the belief that men required the best food that was available 42 . Shorter, on the other hand, has tried to establish a connection between malnutrition amongst girls and the complications that could arise later due to a malformed pelvis and a deficiency of iron 4 3 . It seems doubtful though whether the various sexual disorders he discusses have the importance that he attaches to them and Ehrenreich and English may have identified a more likely source of sex mortality differential when they connect the increased risk of tubercolosis amongst women to hormonal changes at puberty and during childbirth 44 . Yet another explanation championed by Sheila Johannson is that the key lies with women's
40. All figures from Johannson (1980), passim. 41. In Ireland where females had low status (although Kennedy's evidence is mainly twentieth century), the excess of female over male mortality shows at ages 5-14 between 1864 and 1870, 5-19 in 1881-90, 5-19 and 25-44 in 1921-30 and 10-44 in 1941-50. Kennedy «explains» the appearance of the excess after age five in terms of the assumption of control over the children by the father. The higher rate of the excess in the later nineteenth century is seen as a consequence of the father's devoting the limited resources of the family to land purchase. The remainder of the age pattern is unexplained and even the first argument is of doubtful value since one of his literary sources makes it plain that women accepted their low status and acted accordingly. Kennedy (1973), 53-61. Compare Preston's point made on the basis of a much larger body of evidence that it is impossible to link sex discrimination to diseases whose major impact is on different age groups. Preston (1976), 135. 42. 43. 44.
S e e YOUNG a n d HARRIS ( 1 9 7 8 ) , 5 5 ; ROBERTS ( 1 9 7 1 ) , SHORTER ( 1 9 7 8 ) , 14, 17. EHRENREICH a n d ENGLISH ( 1 9 7 6 ) , 2 4 .
109.
132
R. WALL
work patterns particularly prior to marriage. If women can earn sufficient to contribute a significant proportion of the family budget then they will not suffer neglect 4 5 . Such is her explanation for the lower incidence of tubercolosis amongst urban as opposed to rural women in mid-nineteenth centry Cornwall. The situation of the former might or might not be expected to deteriorate after marriage when they ceased working. Johannson does not say. The advantage of her approach, however, is that it views the sex mortality differential in the context of the individual family and in relation to the prior work experience of the woman. It is an approach that can be developed further, as I attempt to do below for pre-industrial England. However, it is the appearance of excess female mortality in the leisured classes that has occasioned the most difficulty, since arguments about nutritional levels which might explain why working class females succumbed to a range of infectious diseases would seem more problematical in their case, although this has occasionally been alleged in connection with girls who attended boarding schools. The balance of opinion, nevertheless, seems to be that different factors must be involved, even if nineteenth century medical opinion identified the same symptoms amongst working and middle class females, as, for example, happened in the case of chlorosis. There has been no agreement, however, on what these factors might have been. Two recent suggestions for the fact that middle class females suffered a higher rate of mortality at certain ages than males of the same class and age, are the stresses to which women were subject as a product of their confinement to an idle role in society and a conscious or unconscious aping of an image of a frail upper class lady 4 6 . Yet, no one has successfully demonstrated why such factors should operate at one age rather than another, and in practice almost all previous work has rested on two unwarranted assumptions 4 7 . 1. The male death rate can be taken as a constant against which variations in the female death rate may be measured. 2. At all ages it is natural that the male death rate should exceed the female. When the female rate exceeds the male rate at a particular age for certain diseases (other than the disorders to which females alone are subject), this is held to be an unnatural departure from the
FIGLIO
45.
JOHANNSON ( 1 9 8 0 ) ,
46.
For these suggestions see respectively JOHANSSON (1980),
179.
164 and
(1977).
47. PRESTON (1976), 125f is an important exception. His calculation of the sex mortality differential in a population is based on the difference between the actual and an expected difference. However, since the latter is itself derived from the actual differentials in 165 nations (all in the nineteenth and twentieth centuries) it is subject to whatever factors may have determined those differentials.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES
133
FILLES
common order of things which must be due to the operation of some social factor operating to the disadvantage of females. Arguments on these lines would appear to derive, if only indirectly, from studies of animal populations which almost invariably show a lower male longevity iS . But this does not necessarily mean that this will be natural in man. Refinements of the same assumptions sometimes rely on a greater percentage decline in the incidence of a particular disease amongst men than women and even on occasion find support in contemporary mortality data 4 9 . The argument is put in this way: in the contemporary Western world discrimination against women has at least eased to the extent that it is no longer reflected in mortality statistics. The advantage which women have over men in the longevity league table is therefore the natural one and the degree of discrimination against the female in past societies can simply be read off from the degree to which the sex differential mortality of the particular society differs from that of the present. However, if we allow Retheford's point that the present mortality differential between the sexes originates with different habits in regard to the smoking of cigarettes 50, it is possible to argue that the nineteenth century pattern with a low sex differential in mortality is closer to the «natural ». The change in the last century which has brought lower female than male mortality may be owing therefore to the establishment of culturally induced patterns of behaviour working to the disadvantage of males rather than, as has been alleged, the gradual erosion of factors that had disadvantaged females. It is more difficult, however, to discount the difference between the relative male and female mortality rates at ages one to four in contemporary as opposed to historical populations. The difference in favour of females today may be explained partly by the greater relative importance of sex specific diseases 81 , but to attribute an excess of female over male mortality in earlier times to this factor seems a little improbable. It is my view, however, that the discussion of what is appropriate to consider as «natural » in a sex mortality differential 48.
HAMILTON
(1948),
9,
cited
in
RETHEFORD
(1975),
12.
In
the
49.
F o r e x a m p l e , TABUTIN ( 1 9 7 7 ) , 5 a n d JOHANNSON in a p a p e r d e l i v e r e d
nineteenth century the argument would very likely be put the other way. As late as 1908, for example, the Registrar General was looking for factors which kept male mortality above female mortality between the ages of four and twelve months. Annual Report of the Registrar General (1908,) 45-6. to the SSRC Cambridge Group in 1977. KENNEDY (1973), 58, assumes as normal the difference between male and female mortality rates in urban areas and interprets the reduced advantage enjoyed by females in rural parts of Ireland and the United States as evidence of discrimination. 50. Basically the same point is made in a rather more general way b y PRESTON, c i t i n g MORIYAMA ( 1 9 5 6 ) , PRESTON ( 1 9 7 6 ) , 1 4 8 a n d c o m p a r e Ibid.,
51.
123.
For a discussion of this point see KNODEL and DE VOS (1979), 10.
134
R. WALL
is not likely to advance our understanding of the cause of a sex mortality differential in a particular society. Yet, for an explanation it is simply not satisfactory to eliminate biological, genetic and environmental factors as irrelevant 52 . Offering more promise as a way forward is the assembly of information on the dietary habits and living standards of past, present and, in time, future generations of men and women. Sufficient evidence has probably been assembled in this paper for it to be clear that neglect, if not differential feeding, and a certain misfortune due to culturally determined styles of dress, including hairstyle, were important influences on the health of working class girls in late nineteenth century England. The situation in regard to middle class girls is not so clear but since they do occasionally leave a personal record of their existence in the form of diaries and letters, it is not too much to hope that some information may yet be forthcoming on the food they ate, the standard of cleanliness they thought tolerable and wether the attention they receved from their parents particularly in this regard, failed to match that accorded to their brothers. It would be inappropriate to conclude this survey without giving some consideration to the situation in pre-industrial England. Tabutin lacked adequate data on the pre-industrial period and there is a danger that the phenomenon of « excess » female mortality might be too readily seen as a purely nineteenth century phenomenon associated with industrialization and urbanization. Yet if the status of women was low in Victorian England, there is certainly an argument to be made for it having been even lower in earlier times, particularly in those areas where there was little demand for female labour except as domestic servants. We can proceed by putting forward the following proposition. It is assumed, first, that families want heirs, even if there is no real property to transmit and that, in default of sons, daughters must suffice. Secondly, in a situation in which the female child is undervalued this will most likely show itself when a family has one, perhaps two daughters and at least one son past the age of five (and high mortality). Unwanted children are no doubt most easily disposed of on birth or soon afterwards (the infanticide approach that was discussed above), but if one is thinking more in terms of neglect, then it is possible that this might show itself only after the child has come off the breast and has to take the share of the general food of household. Such a child might be most at risk, therefore, when it needs the greatest quantity of food and yet is still not capable of earning sufficient to pay for its own keep. It may be for this reason that the school medical inspection in the early years of the twentieth 52.
See
TABUTIN
(1977), 25 for an argument on these lines.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES FILLES
135
century found a higher proportion of undernourished children aged nine than at any other age 6 3 . Another factor to bear in mind is whether girls were weaned earlier than boys, although such evidence as is available is rather against this 64 . To provide a proper test of such hypotheses very precise information is required on age at death in relation to sex and rank of birth of the child, family size and occupation of father. The sixteen reconstitutions that have been carried out on English parishes do not at present yield this combined information. But it is possible to get some approximation of what is required by looking at infant deaths (deaths under one year) according to sex and rank of birth, though one has to bear in mind two important factors. First, because much of this mortality is concentrated into the early months of infancy (pre-weaning in populations where breast feeding is customary); and, secondly, because there is good reason to argue that male mortality would be naturally higher soon after birth because of parturition difficulties, one must expect that overall the level of male infant mortality will be the higher. Nevertheless, in two of the sixteen reconstitutions, Gedling and Willingham, a higher female infant mortality is found. The point to look for, however, is variation in the sex mortality differential with birth rank. If the occasions on which the female death rate exceeds the male are listed, it emerges that female infant mortality is more likely to be « in excess x> at the higher birth ranks. It is not a uniform rise, however, in the sense that the number of parishes affected does not increase steadily with rank of birth. Nor is it the case that a parish that has produced a higher female death rate for a low rank will show the same for all higher ranks. Some spottiness in the data is inevitable given the possibility of random variation with low N values in some parishes even though we have built up numbers by taking all time periods together. Willingham, however, shares the classic pattern in the context of the working hypothesis: consistently higher female than
53. Annual Report for 1910 of the Chief Medical Officer (1911), 28. 54. Laurent Joubert writing in 1610 did suggest a difference in weaning time of six months. Cited by E. MARVICK, « Nature versus nurture: patterns and trends in seventeenth century child rearing » in Lloyd de Mause (ed.) The History of childhood (1974), 283. A more telling point is that the children of the seventeenth century clergyman, Ralph Josselin, were weaned at various ages between twelve and nineteen months with no systematic difference between boys and girls, see Alan MACFARLANE, The family life of Ralph Josselin (1970), 87 note. John Knodel and Susan de Vos (1979), 13 working on German populations of the eighteenth and nineteenth centuries inferred equality between the sexes in the length of time they were breast fed because the mean birth interval following the birth of a girl was no shorter than that following the birth of a boy. This sort of study has yet to be carried out on an English population.
136
R. WALL
male infant mortality after birth rank five85, that is, after families had already burdened themselves with a number of children, and there are signs of the same pattern in at least three other parishes, Aldenham, Hawkshead and Gedling (see Table III). It is also fairly easy to identify two groups of parishes, one in which female infant mortality seldom, if ever, exceeded the male at any birth rank and another in which female mortality was above the male on four or more occasions s e . TABLE 3 MALE AND FEMALE INFANT MORTALITY R A T E S I N F I V E BIRTH RANK
ALDENHAM
GEDLING
M
M
F
HAWKSHEAD F
M
F .
TERLING M
PARISHES WILLINGHAM
F
M
F 206
1
156
142
126
149
177
137
145
127
206
2
118
115
106
109
148
106
115
106
159
115
3
114
108
130
93
188
115
91
123
198
168
4
136
140
111
60
194
157
128
133
144
189
5
129
130
64
94
167
200
137
88
91
225
6
148
91
80
151
134
160
118
133
144
208
7
98
106
95
159
182
223
115
79
177
266
>8
117
168
146
171
153
132
123
234
206
250
All ranks
131
126
111
117
171
139
123
122
173
184
1,671
1,609
2,452
2,378
2,273
2,018
1,294
1,156
1,279
1,124
N.
Occasions on which the female rate exceeded the male are underlined. Reconstitutions of five English parishes (1550-1800), for the basis of Selection, see text and note 56. Cases in which an infant died before baptism and the event coult be attributed to a particular family are included.
On the other hand it is not easy to identify features which might be common to groupings of parishes based on whether the sex
55. For further details on Willingham's demography and an interpretation suggesting the possibility of female infanticide see the interesting article by Glynis REYNOLDS, « Infant mortality and sex ratios at baptism as shown by reconstruction of Willingham, a parish at the edge of the Fens in Cambridgeshire », Local Population Studies, 22 (Spring 1979), 31-7. 56. In the first group are Banbury, Colyton, Earsdon, Hartland, Shepshed and Southill. The second group, plus Hawkshead, are represented in Table III.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES FILLES
137
mortality differential was particularly unfavourable to females. Further, features which are common to some of these parishes are shared by other parishes where the sex differential pattern of mortality is quite different. A quick run down of the parishes where the female infant mortality rate was fairly regularly above the male shows that Aldenham and Terling were deeply involved in production for the London market and that a high proportion of their populations consisted of landless labourers. Gedling was a parish that industrialised in the eighteenth century although so did Shepshed in the next county where the sex mortality differential was quite different. Finally, there is Willingham, a Fen edge village where population growth had fragmented landholdings. All four parishes happen to be situated in the eastern part of the country, although with only sixteen parishes at issue, this could be pure coincidence. One could progress further if it could be established whether the sex mortality differential was more marked in certain sections of village societies than others 57 . The evidence currently available is not conclusive. From a study I carried out some time ago of the parish of Swindon (Wiltshire) in the seventeenth century it emerged that, while the absolute level of mortality of infants and young children might vary between the families of labourers and the families of tradesmen and craftsmen, the sex mortality differential in both cases worked to the disadvantage of females ®8. At the same time the study suggested that the sex mortality differential for children aged between one and four did widen with birth rank which, as we have seen, was sometimes the case with infant mortality, although not, interestingly enough in the case of Swindon 89 . The one to four age group, of course, where breast feeding was the rule would be the youngest age group to have a major claim on the food resources of the household and it would be
57. KNODEL and DE VOS (1979), 6 also raise the point that if there are two sets of families in a parish, near equal in number, one of which neglects its male children and the other its female children, viewed at village level the effects will be self cancelling. 58. Richard WALL, « Society and the sexes in seventeenth century Swindon* », Table II, unpublished paper in the Library of the SSRC Cambridge Group. One of the drawbacks to this study is the question of small numbers (253 male and 233 female births are in observation). Mortality rates per 1 000 for children aged 1-4 were labourers: 89 (male) and 158 (female) and tradesmen and crafstmen: 37 (male) and 101 (female). For labourers the female death rate in infancy also slightly exceeded the male although the rate for both sexes combined was considerably below that of tradesmen and craftsmen. 59. It has to be said also that the trend even for the age group 1-4 is not entirely consistent, since although the sex mortality differential is higher for births ranked five and above than for those of ranks 2-4, there is also a considerable differential (against females) as regards first births.
138
R.
WALL
in line with our initial hypothesis that it will be here that mortality among female children should show up strongly as food had to be provided when the burden on the family was greatest. Conclusion. Finally, without repeating the substance of a paper which has moved widely between the seventeenth and twentieth centuries, a few concluding remarks may be in order. 1. Much previous work has proceeded at too great a level of generalisation. It has concerned itself with women in general even when the evidence identified certain age groups as critical. The evidence that has been assembled in this paper suggests that the relationship between male and female mortality varied from community to community. In the future, considerably more attention needs to be given at the local level first into when and how the deaths arose, and secondly, into the type of work available for girls and women and the value of this in terms of the household economy. The studies could be purely local on the lines of Johannson's work on the Cornish miners and agricultural labourers, or broader comparisons involving the populations of pastoral versus arable areas. 2. A finer-measure of sex mortality differential is needed than is provided even by Samuel Preston's vast averaging of the sex mortality differentials in 165 countries. In the case of fertility studies this is provided by the Hutterites whose principles in regard to the absence of fertility control, and its results are well known. It is not so easy to find a similar test of a standard for the sex mortality differential against which all other populations could be measured largely because genetic factors to which Preston alludes 80 mean that the standard could not be safely applied in all parts of the world. Nevertheless, it seems possible that the mortality records of North American monks and nuns whose life styles most closely resemble each other might possibly provide an acceptable standard for other North Americans, and so on. Even so there are some disadvantages: the obvious one being that only unmarried adults enter into the standard population, and a nagging doubt that monks and nuns may not enter into their institutions on equal terms or remain equal thereafter, in that they themselves are the product of the age into which they were born. The «natural» sex mortality differential seems likely therefore to prove rather elusive. 3. On the other hand our review of the factors that might produce a sex mortality differential has revealed that, as far as children are 60.
See
PRESTON ( 1 9 7 6 ) ,
141.
L'INDIFFÉRENCE A L'ÉGARD DES FILLES
139
concerned, on occasion the neglect of the female child is at least a strong possibility. A considerable amount of additional work still has to be done before it could be said to be proven but the link between higher female than male infant mortality and high birth rank is certainly suggestive. Further consideration too must be given to the life styles of men and women. Both sexual segregation of work roles and culturally induced patterns of behaviour may lessen or heighten the chances of infection. In the twentieth century, as with cigarette smoking such factors may have disadvantaged the male. In the nineteenth century when keeping clean was a major burden it may have disadvantaged the female. 4. Finally, however important differences in mortality rates may be for interpreting male-female relations, they should not necessarily be singled out as the main characteristic of the mortality profile of a country. In the English pre-industrial case the difference in the absolute level of mortality between market towns such as Gainsborough and a rural parish like Hartland are far larger and more significant for their demographic regimes than any of the slight differences (in relative terms) identified here.
S.S.R.C.
Richard W A L L Cambridge Group for the History of Population and Social Structure
RÉSUME En Europe, le statut inférieur de la fille par rapport au garçon se traduit couramment par une négligence consciente ou inconsciente plutôt que par un infanticide délibéré. Il s'agit ici de savoir si cette attitude se rencontre dans l'Angleterre pré-industrielle et dans celle du xix* siècle. Les travaux qui précèdent la présente étude pèchent en règle générale par un trop grand niveau de généralisation. Or les relations entre la mortalité des garçons et celle des filles varient d'une communauté à l'autre ; il faudra donc, dans l'avenir, porter une très grande attention à ces différences locales. Pour faire sa démonstration, l'auteur considère successivement les problèmes de l'infanticide, de l'alimentation et des conditions de vie tels qu'ils apparaissent dans la littérature ou dans des études précédentes. Puis il examine ce qu'apportent les études anglaises en matière de mortalité différentielle selon les sexes. L'étude des facteurs qui peuvent entraîner une mortalité différentielle par sexe, révèle qu'il y a à tout le moins une forte probabilité d'une plus grande négligence à l'égard des filles. Mais, de toute façon, la mortalité différentielle la plus grande dans l'Angleterre pré-industrielle concerne moins les sexes que les comportements démographiques des villes et des campagnes, les premières étant bien plus affectées que les secondes.
140
R. WALL
SUMMARY T h e inferior status of girls to boys meant that their death rate was higher ; this can be attributed to either conscious or unconscious negligence on the part of parents (to be distinguished f r o m deliberate infanticide). Previous studies dealing with this question tended to be too g e n e r a l ; death rates for boys and girls vary f r o m one community to another, therefore great attention must be paid to specific localities. Factors such as demographic changes, in pre-industrial England for example, must also be taken into account since they, rather than the sex of the child, seem to offer an explanation f o r the phenomenon we are examining.
B - LE CHOIX DU
CONJOINT
PRESENTATION par Jean-Marie GOUESSE Rapport présenté au colloque organisé par la Société de Démographie Historique Paris, 1er décembre 1979 « ... la femme ne possède rien d'autre que son corps; mais de lui elle peut disposer librement. » (Déposition d'un journalier de Tolède, devant l'Inquisition, citée par J.-P. Dedieu.)
Il est difficile de proposer une synthèse des informations avancées dans des communications si diverses : dans le temps, du xvi* au xx e siècle ; dans l'espace, de l'Angleterre à la Sibérie ; dans leur objet même, des employées de maison mariées à Cambridge, au mariage dans la population russe. J'ai donc cru nécessaire d'apporter quelques informations complémentaires, elles étofferont ce dossier passionnant mais par trop disparate. Je relève toutefois des leçons massives que le débat est venu affiner. En France, la Révolution n'a pas modifié les comportements : après elle, comme sous l'Ancien Régime, le choix du conjoint s'exécute avec les mêmes régularités à Aix, à Versailles (ou à Bordeaux), comme dans le bocage bressan plus sensible à la crise de 1693 qu'à l'avènement des Droits de l'Homme. Permanence n'est pas monotonie. La géographie est déterminante. Russie et Occident se distinguent : les mariages russes sont précoces et résolument tournés vers l'extérieur, quand les françaises ou les anglaises se marient plus âgées et, les premières au moins, aspirent à l'endogamie. Mais, autre clivage, en Russie aussi bien qu'en France, les comportements urbains ne coïncident pas avec les normes rurales. Reste encore à s'interroger sur la statistique. Question préalable : que valent les données de base ? Ceci résolu, comment passer de l'analyse des nombres à l'analyse des choix ? Par exemple, les jeunes paysannes russes étaient-elles plus, ou moins, libres que les domestiques de Cambridge ? La démographie historique est inapte à
142
J.-M. GOUESSE
répondre ! Peut-être est-ce un faux problème ? ou une question mal posée ? Certains faits sont massifs, comme l'autonomie des migrants parvenus à la ville ; et puis les informations judiciaires, administratives ou ethnographiques présentent quelques grilles pour une interprétation. 1.
QUELQUES LIMITES.
Surveiller
et...
punir ?
Les églises de la Réforme nous donnent le départ de cette réflexion. En 1608, le synode d'Anduze ordonnait aux consistoires : quand ils « seront advertís que les jeunes hommes papistes fréquenteront les filles de la religion, procéderont contre les pères et mères pour empescher telle fréquentation et quand la fornication sera intervenue, on ne pourra donner conseil aux pères de poursuivre le mariage en l'église romaine, crainte d'un plus grand mal »
A propos du premier mariage des filles, un droit et une théologie s'affirment. L'autorité ecclésiastique et l'autorité parentale s'exercent pour limiter la liberté des relations pré-conjugales ; la visée sotériologique (crainte d'un plus grand mal) restreint l'interprétation du una caro biblique. Car le couple qui s'est connu charnellement n'est plus libre, si on interprète strictement la première épître aux Corinthiens : « Celui qui s'adjoint à une paillarde, est fait un corps avec elle. » (6, 16). A la même époque, le Magistrat de Strasbourg faisait incarcérer et mariait de force les filles enceintes 2 . Avant même de parler de choix, sinon de liberté, il faut donc rappeler ce qu'étaient les conditionnements, quelques lois et normes. La
Loi.
La loi fondamentale est celle de la monogamie. Pendant que les autorités strasbourgeoises s'entourent de précautions pour prévenir la bigamie, l'Inquisition espagnole la pourchasse systématiquement, la réprime de plus en plus sévèrement et condamne les coupables à l'autodafé et aux galères 3 . Bien qu'opposés, les « partis » demeurent solidaires sur le fond. Dans tous les mariages, il y a en perspective, la durée, la pérennité. C'est ce qu'affirmait la promesse de fidélité, « jusqu'à ce que la mort nous sépare », des Rituels pré-tridentins. On disait, dans le diocèse de Noyon : « tant qu'il plaira a Dieu de nous laisser ensemble, ainsi que lui-mesme le commande et nostre mère saincte Eglise l'ordonne 4 . »
1. 2.
R . SAUZET, p. J.-P. KINTZ.
189.
3.
J.-P. DEDIEU, p. 317-sqq.
4.
C i t é par I.-B. MOLIN e t Pr. MUTEMBE, p. 117.
LE CHOIX DU CONJOINT
143
Rappeler ce « commandement », est-ce enfoncer une porte ouverte ? Je ne le pense pas. Constatons qu'à Versailles, on a compté 545 divorces de 1792 à 1815, dont 468 avant l'an I X ; des 1090 personnes affranchies du lien conjugal, il n'y en a que 26 qui se remarient®. Combien de ces divorces ne sont qu'occasionnels, destinés, par exemple, à préserver partie des biens d'un mari émigré 6 ? Combien sont régularisation de séparation de fait ? Finalement, peu importe. Ce qui compte, c'est le nombre des 1 064 qui n'ont pas été remis sur le marché matrimonial. Les autres règles étaient-elles respectées avec semblable rigueur ? Les Eglises prohibent les mariages mixtes, inter-confessionnels. Comme en écho, à l'avertissement du synode d'Anduze, le concile provincial de Narbonne rappelait en 1609 que les catholiques ne peuvent pas épouser les huguenots ; ces excommuniés ne recevraient pas la grâce du sacrement. Notons que les prétendus réformés qualifiaient ces mariages d'inégaux7 ; un terme qu'il faut rapprocher de la « disproportion » que certaines familles de Basse-Normandie invoquaient, cent cinquante ans plus tard, pour dénoncer les mésalliances 8 . Les interdictions répétées raréfièrent peut-être les mariages mixtes qui étaient fréquents en Bas-Languedoc au commencement du X V I I " siècle. Récemment encore, dans la région de Fiers, la disparité de culte posait de douloureux problèmes aux communautés protestantes du Bocage 9 . Dans les sociétés christianisées, les règles de prohibition de l'inceste ont dérivé à partir du Lévitique et du droit romain ; elles interdisent, entre autres, les mariages consanguins et les mariages entre alliés. L'étendue des empêchements varie selon les confessions et les usages locaux. A Strasbourg, une ordonnance de 1560 établissait la possibilité des unions au troisième degré en ligne collatérale ; « le Magistrat s'autorisa d'accorder des dispenses 10 ». A la fin du xix* siècle, la législation impériale de Russie conservait les empêchements définis par l'Eglise orthodoxe ; celle-ci accordait des dispenses à quelques parents très éloignés, alors que des usages ruraux bien attestés portaient la prohibition au delà des degrés interdits par la loi 1 1 . L'Eglise romaine soumettait ses fidèles d'Europe aux canons les plus sévères, elle interdisait les mariages entre parents au quatrième degré (huitième degré, en droit civil) 12 .
5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.
J . COMBES. C h . GIRAULT, p . 3 6 9 . R . SAUZET, ibid. C l . QUETEL. M . SEGALEN et A . JACQUARD, Population, 1 9 7 3 . J . - P . KINTZ. WL. BERELOWITCH. A . ESMEIN, R . GENESTAL e t J . DAUVILUER, p .
144
J.-M. GOUESSE
Mais, chez les catholiques aussi, on recourait aux dispenses. La dispense qui est normalement étrangère à notre droit, était inscrite dans les canons du concile de Trente. Le relâchement de la loi étant alors matière à légiférer, les pères du concile avaient prévu qu'il ne serait pas accordé de dispense du second degré, sinon pour les princes et dans l'intérêt de l'Etat 1 3 . Or, au lendemain du concile, saint Pie V et Grégoire XIII ont permis quelques mariages de si proches parents (dix-sept par an, en moyenne) Deux siècles plus tard, Pie VI en permettait cent fois plus (1.783, en 1787) 1 B B • B -H P
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, Journal of Family History. 1 Autumn 1976.
198
P.
WILCOX
servant, housekeeper or housemaid for example. The next largest category was milliners and dressmakers, including stay-makers, seamstresses and tailoresses (29 %). The few governesses who were recorded throughout the period were ignored. Though in some ways comparable to domestic servants (through in-house service) their education placed them on a par with the growing numbers in clerical employments. Since their numbers were too small to constitute a separate category they were excluded from the data. Thus two categories emerged : 1. Domestic servants. 2. Other working women. 2. Occupation of the groom and of the father of the bride. The scheme employed here was an adaptation of the Registrar General's 1951 scheme used by Michael Armstrong in his study of York in 1851. Briefly, this employs 5 occupational categories : Class 1 : professionals Class 2 : shopkeepers and semi-professionals Class 3 : skilled workers Class 4 : semi-skilled workers Class 5 : unskilled workers. Preliminary examination of the data showed that the vast majority of men fell into Class 3 (56 %), Class 4 (15 %) and Class 5 (25 %). In order to produce data sets of a reasonable size for statistical analysis Classes 4 and 5 were combined into the category « Lower » whilst Classes 1, 2 and 3 constituted the category «Higher ». Results: Consider first the question of marriage as a vehicle for social mobility. For those cases where the occupation of the father of the bride is given in addition to the occupation of the groom it is possible to measure the bride's change in social status upon marriage. Class of origin is here defined as the occupational category of the father of the bride and class of marriage is similarly defined in terms of the occupation of the bridegroom. TablB 1. Class of origin and class of marriage. Domestic servants and other working women. Cambridge 1047-1901
lower
Class of origin higher
Class of marriage lower higher
domestics
59%
41%
100%
44%
56%
100%
others
30%
70%
100%
30%
70%
100%
199
MARIAGE ET CONDITION DOMESTIQUE
From Table I it can be seen that only 41 % of domestics were the daughters of men from the category «higher» yet 56 % married men in this category. This would seem to imply that a minimum of 15 % of these girls married into a higher social class than that of their fathers. However, to gain a true measure of mobility and, more importantly, to estimate the importance of a woman's occupation on the selection of her spouse, another comparison is essential. Individual cases studied to provide a comparison of the behaviour of brides from the same social origins following different occupations.
Table 2. Comparison of w a k i n g brides from lower class of origin. Cambridge 1847-1901. Moved UP to higher.
Stayed in lower,
domestics
51%
49%
100%
others
50%
50%
100%
Comparison of working brides from higher class of origin, Cambridge 1847 -1901. Moved DOWN to lower.
Stayed in higher.
domestics
31%
69%
100%
athers
18%
82%
100%
From Table II a rather different picture emerges and we can see that domestic service is not actually the vehicle for upward social mobility it first appears to be. When class of origin is held constant there is no significant difference between the number of servants marrying UP and other working women. On the contrary, significantly more domestics actually married men from lower social classes than their father's when compared with other working women from the same origins. The marriage patterns of these Cambridge servants is also shared by domestics in Preston, Lancashire. Research by Edward Higgs* provided the data in Table III.
3. WRIGLEY, e.a. 1966 (ed.), An Introduction to English Demography. London, Weidenfield and Nicholson. 4. HIGGS E., Doctoral Thesis. University of Oxford, 1979.
Historical
200
P. WILCOX
Table 3.Comparison of brides from lower class of origin. Preston,Lancashire 1651-1656. Moved UP to higher domestics others.
Stayed in lower
56%
42%
100%
75%
25%
100%
Comparison of brides from higher class of origin, Preston,Lancashire 1651-1856. Moved DOWN to lower domestics others
34% 15%
Stayed in higher 66% 65%
100% 100%
While the data in Table III only covers a brief period nevertheless it suggests the same pattern of downward social mobility among domestic servants, when compared with girls from the same social origins. So- whatever the well-meaning middle-class philanthropists may have thought about the rewards of domestic service- it looks as though a step up the social ladder was not among them.
The second question considers the age at which these working girls chose to marry. Whilst it would be particularly interesting to know just how many domestic servants never married at all this information is not at present available. The current data does, however, permit comparisons of mean age at first marriage of those working girls who did marry. Figure A shows mean ages at first marriage using 5-year intervals for the three groups: a) domestic servants (Cambridge) b) other working women (Cambridge), and c) all spinsters (England and Wales). The latter group was included to provide a wider context for the local figures. Allowing for the random fluctuations inherent in the much smaller Cambridge sample a broadly similar picture emerges from local and national figures. Both domestics and others mirror the rise in mean age at marriage from 1847 to 1860. The gradual lowering of marriage age in England and Wales over the next two 5-year intervals, reaching the lowest point 1871-1875, followed by a steady rise to the end of the century, is also reflected in the behaviour of Cambridge servants. Other workings women in the Cambridge sample also exhibit a similar steady rise in marriage age over time, starting from a low point a decade earlier (1861-1865).
MARIAGE ET CONDITION DOMESTIQUE
201
FIGURE A
Tfean age at first marriage. Cambridge 1847-1901
Overall, it looks as though the earlier part of the 54 year period of 1847 to 1901 differs from the later part, with the change occurring sometime within the intervals 1866-1870 and 1871-1875. The data were therefore divided at 1870 and the two periods 18471870 (Period 1) and 1871-1901 (Period 2) were considered separately in the analysis. The earlier period (1) is characterised by a general lowering and period 2 by a steady rising of marriage age of first time brides. The two periods also differ with regard to the behaviour of the two occupational categories relative to each other. During period 1 domestic servants tend to marry later than other working women, whilst the situation is reversed during period 2. Statistical tests on the data displayed in Figure B gave 3 significant results: 1. Domestics married later than other working women during period 1. 2. Domestic servants married significantly earlier than other working women during period 2. 3. Domestic servants marrying during period 2 did so significantly earlier than those of period 1. Taken together these results imply that the change in the relationship between domestics and others marriage age over time is due to a lowering of the marrying age of domestic servants. In what
202
p. WILCOX FIGURE B
Cumulative frequency- Age at first marriage Cambridge
1001 80°a
60°. 40% 20%
20
22
24
20
22
24
26
28
30
32
34
28
30
32
34
36
-38
40 Age
38
40 Age
1001 80% 601 401 '20o
26
TABLE
36
4
OCCUPATIONAL CATEGORY OF THE FATHER OF THE BRIDE PERIOD higher
1
PERIOD
lower
higher
2
lower
domestics
39 %
61 Z
100 %
42 Z.
58 %
100 %
others
76 %
24 %
100 %
67 Z
33 %
100 Z
OCCUPATIONAL CATEGORY OF THE BRIDEGROOM domestics
55 %
45 %
100 %
56 %
44 Z
100 Z
others
75 %
25 %'
100 %
.67 %
33 Z
100 Z
MARIAGE ET CONDITION
203
DOMESTIQUE
way, then, did domestic servants as a group alter between periods 1 and 2 ? One possibility is that their origins changed. Another is variation in choice of marriage partner. Both these factors were tabulated and the results given in Table IV. During both periods significantly more domestics than others had their origins in the lower classes. Furthermore significantly fewer domestics married men from the higher classes when compared to other working girls. However, a comparison of period 1 domestics with period 2 domestics showed no significant differences in either their origins or their class of marriage, so neither of these factors can explain their change in marriage age over time. A final analysis of the age data was made to assess whether there was an interaction between a woman's own occupational experience and either her social origins or her class of marriage. Do girls following the* same occupation marry at about the same age where their socio-economic background differs ? Perhaps the servant brides of skilled artisans marry at a different time from those choosing unskilled labourers? TABLE
5
AGE OF BRIDE BY OCCUPATION OF'BRIDE'S FATHER. CAMBRIDGE PERIOD higher
1
.PERIOD
lower
mean
higher
lower
2 mean
domestics
25.5
25.5
25.5
25.0
24.2
24.5
others
24.7
24.6
24.7
25.1
25.0
25.1
difference : 0.8 mean
25.1
'25.1
0.0
difference : 0.6 25.1
24.6
0.5
AGE OF BRIDE BY OCCUPATION OF BRIDEGROOM. CAMBRIDGE domestics
25.8 .
24.9
25.4
24.7
24.2
24.5
others
24.6
24.7
24.7
25.1
25.0
25.1
difference : 0.7 mean
25.2
24.8
0.4
difference : 0.7. 24.9
24.6
0.3
The results of this analysis show that within her own occupational group neither her origins nor her choice of husband affect her age at marriage. In all cases the difference between domestic servants and other working women is greather than that within either group of women when they are divided according to their class of origin or their class of marriage.
204
P. WILCOX
Discussion. Three main points emerge from this preliminary study of the marriage patterns of these Cambridge working brides. 1. Domestic service was not a significant means of achieving upward social mobility. When compared with other working girls from the same social origins domestic servants showed no significantly greater tendency to marry up than other working women. On the contrary, when comparison is made of girls from higher social classes (again defined by the occupation of their fathers) it appears that there was actually a significant tendency for servants to marry down. A methodological point here concerns the measurement of social mobility. Although domestic servants had more husbands than fathers in the higher social classes this does not pin-point domestic service as a vehicle for upward social mobility. A true measure requires comparison with other working girls from the same social origins. 2. As a variable affecting the age at first marriage of the bride her own occupation is more important than either her social origins or her choice of husband. Although these latter factors exert some influence, it would be limiting to classify brides only in terms of their father's or husbands' occupations. Bearing in mind that Anderson used the 1861 Census for his data base, the behaviour of these Cambridge brides for the earlier period 1847-1870 suggests that the correlation between late marriage age and the incidence of domestic service may indeed be attributed to late marrying servants. In view of the later fall in marriage age of domestics in the Cambridge sample it would be of particular interest to see whether Anderson's correlation held for a similar analysis of later Census data. 3. The situation between 1847 and 1901 was obviously far from static. Whatever inflences were being felt during the earlier part of this period had altered by the end of the 19th century. Some changes have already been mentioned, for example, the increasing variety of occupations open to women. However, it seems that the most profitable source of explanations may lie in the circumstances of domestic service. The reasons for the fall in mean age at first marriage among domestics are not clear from the data used here, but a possible explanation might be a change in the pattern of servant recruitment. Not, it should be emphasised in their social class of origin (which has been discounted here), but rather a change in their geographical origins. A plausible hypothesis for future testing might be that domestic servants during the earlier period may have been predominantly emigrants from the rural area around Cambridge-bringing
MARIAGE ET CONDITION DOMESTIQUE
205
with them the mores of the countryside, including, maybe, the habit of late marriage. In contrast, the brides of the later years could be «second-generation» city girls adopting urban values. In order to test this one would need to know more about both the geographical origins of these servant girls and the differences between urban and rural marriage patterns. Other, more speculative explanations concern the nebulous area of attitudes and beliefs. Did the lowering marriage age of domestics reflect a change in attitude to domestic servility ? Did the increase in emancipation of women generally show a faint reflection in the marriage patterns of servant girls ? This, of course, rather begs the question of the servility of marriage itself. However, the answer to these questions does not lie in the quantitative data used here. Likewise the attitudes of prospective marriage partners is hard to quantify, the high-flown sentiments of social philanthropists and the expectations of working men and women looking for a spouse are unlikely to share much common ground. Moreover, it is precisely the opinions of such working people which are sadly lacking in histórica records. Although the quantitative data used in this study provides a record of their actions, one may only guess at the attitudes and expectations which lie behind them. Penelope W I L C O X , Department of Psychology Birkbeck College, University of London
SUMMARY Although domestic service was the most common occupational experience for unmarried girls throughout 19th C. England, little is known of its effect on marriage patterns. Was domestic service a vehicle for upward social mobility ? Did servant girls marry earlier or later then other worldng women ? For this research Civil Marriage Registers provided the main source of data, covering all marriages outside the Church of England. Aproximately 14 % of the marriages between 1847 and 1901 in Cambridge, England, were included on the basis of the brides occupation being recorded on the marriage certificate. Data was categorised according to the 1951 Registrar General's scheme which provided five occupational groupings. Results: 1. When girls from the same social origins were compared there was no significant difference between servants and other working women in the percentage marrying up. On the contrary, significantly more servants married dawn. 2. During the period 1847-1870 domestics married significantly later than other working women. This pattern was reversed for the period 1871-1901. Although other working women showed no change in mean age at marriage over the whole period 1847-1901, servants exhibited a significant lowering of marriage age over the same period. 3. Whilst her social origins and choice of husband had some influence on a womans marriage age the most important variable was her own occupation.
206
P. WILCOX
RÉSUMÉ Bien que la domesticité ait été l'occupation la plus courante pour les jeunes filles célibataires dans l'Angleterre du XIX8 siècle, on sait peu de choses quant à ses conséquences sur le mariage. Augmenta-t-elle la mobilité sociale ascendante ? Les jeunes domestiques se marièrent-elles plus tôt ou plus tard que les autres femmes qui travaillaient ? La recherche a utilisé les actes civils de mariage : 14 % de ceux qui ont été enregistrés à Cambridge entre 1847 et 1901 ont été exploités, les données étant réparties selon le schéma du « Registre Général » de 1951 qui divise les professions en cinq groupes. Les principaux résultats sont les suivants : a) pour des jeunes filles issues d'un même milieu, il n'y a aucune preuve que les domestiques profitaient davantage que les autres d'une mobilité sociale ascendante. Au contraire, davantage de domestiques contractaient des mariages dans des catégories sociales inférieures à la leur, b) De 1847 à 1870, les jeunes filles entrées en domesticité se marièrent nettement plus tard que les autres femmes qui travaillaient. Ce fut l'inverse entre 1871 et 1901. Cependant, au contraire des autres femmes exerçant une activité, l'âge au mariage des jeunes domestiques s'abaissa d'une manière significative entre 1847 et 1901. c) Au total, même si leur origine sociale et le choix de l'époux ont une influence sur l'âge au mariage de la femme, l'influence la plus forte est celle de leur profession.
C - LA FEMME
SEULE
PRÉSENTATION par Antoinette
FAUVE-CHAMOUX
La femme sans conjoint, celle que nous avons appelée la « femme seule », que la langue anglaise désigne plus précisément par « single woman », qu'elle soit célibataire, veuve, divorcée ou délaissée, attire depuis peu l'intérêt de l'historien. Par contre les sociologues américains, principalement des femmes, se penchent depuis des années sur la condition de la femme sans homme. Suivant la vague des mouvements féministes, on s'interroge sur les ressources de ces femmes, leur vie sociale, leur vie affective, leurs attitudes devant la vie professionnelle, leur avenir enfin : comment est-il vu par les autres et par elles-mêmes ? Il est bien difficile, dans le passé, d'entendre la voix des femmes seules. Nous avons pourtant des dossiers, ne serait-ce que ceux du xix* siècle, constitués la larme à l'œil et la pitié au cœur, sur le problème des femmes du peuple privées de la protection d'un mari honnête et travailleur, par conséquent guettées par la misère et la prostitution. Ces enquêtes du xix* siècle, elles existent partout en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Elles donnent de précieux renseignements sur le niveau de vie aussi bien des jeunes ouvrières que des veuves chargées d'enfants. Elles permettent d'éclairer les remarques de l'historien démographe sur la femme seule. Cette femme seule, on la situe toujours en opposition à la femme mariée, cette dernière ayant retenu l'intérêt presque exclusif des statisticiens de la population, et cela — nous allons le souligner dans un instant — tout à fait injustement. Qui d'entre nous n'a fait l'expérience cruelle du fichier de reconstitution des familles du contenu duquel il faut éliminer plus de la moitié pour avoir les fiches de famille ? Perdues les célibataires, perdues les veuves qui ne se remarient pas. Hors du mariage, point de salut. Bien sûr, ce sont des femmes qui ont les premières relevé cette négligence, regroupant leurs efforts au sein d'une enquête du Centre de Recherches Historiques, à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, sur l'histoire de la femme seule.
208
A. FAUVE-CHAMOUX
En suggérant la séance d'aujourd'hui sur la femme seule et son travail, j'avais l'espoir de recueillir quelques contributions. Mais le sujet parut mince à certains au point que le thème de la séance fut élargi à l'ensemble du travail des femmes, mariées ou non. Ce qui explique qu'une circulaire fut diffusée comportant le sujet « le travail de la femme, la femme seule ». Il arriva simplement que, devant le succès considérable de « la femme seule », devant l'ampleur des problèmes soulevés, il fallut s'en tenir au projet initial sur l'importance de la femme sans conjoint et ses rapports avec le monde du travail. J'ai recueilli treize communications. Cette abondance de réactions reflète l'intérêt exceptionnel que le sujet a suscité, et non seulement chez des chercheurs du sexe féminin. L'éveil de cet intérêt scientifique est une première réussite. Deuxième réussite, la remarquable couverture temporelle du xiv* siècle à nos jours. Troisième réussite, la couverture spatiale. Nous circulons en Europe, de l'Angleterre à l'Italie, nous passons en Suède, en Allemagne, en Belgique et jusqu'en Hongrie. Roubaix est, pas à pas, comparée à une ville du New-Hampshire aux Etats-Unis. Pour finir, nous jetons un œil nouveau sur la femme chinoise. Quelles ont été les sources utilisées dans les communications ? LES SOURCES. animarum
Les communicants en grande majorité ont utilisé les status et les recensements de population :
— Avec l'extraordinaire Catasto de Florence, Christiane Klapisch-Zuber présente une des villes les plus importantes du xv" siècle. Les recensements paroissiaux de Rome aux xvn° et xvm° siècles permettent à Claudio Schiavoni d'appréhender la situation des femmes seules dans la capitale italienne. Ce sont encore des listes nominatives qui servent de base aux travaux de Richard Wall (Cambridge Group) sur les femmes anglaises depuis le xvii' siècle ; il présente, à titre comparatif, des données contemporaines à l'échelle nationale en France, en Allemagne, en Belgique, en Suède ou au Japon. — La France disposant au xix" siècle de recensements quinquennaux, Patrice Bourdelais, grâce à la mise en ordinateur de la Statistique Générale de la France au Centre de Recherches Historiques de l'E.H.E.S.S., en collaboration avec l'Université d'Ann Arbor, dresse une vue d'ensemble de la France dans la seconde moitié du xix* siècle. Quatre villes industrielles sont passées au peigne fin : Metz et Reims pour le début du xix* siècle par Jean Lhote et moi-même,
LA FEMME SEULE
209
Roubaix par Louise Tilly pour 1906 et Manchester, aux Etats-Unis, par Tamara Hareven pour l'année 1900. Pour ces quatre villes, on a procédé par sondage, seule façon d'approcher en détail la position de la femme seule par rapport à la famille et au ménage : 10 à 15 % des ménages ont été retenus en moyenne pour l'étude nominative. C'est encore sur des recensements et des généalogies que s'appuie Michel Cartier pour, contrairement à toute attente, découvrir des femmes seules en Chine. Mais bien d'autres documents que les listes nominatives se prêtent à l'étude qui nous intéresse. D'abord les testaments, dont Marie-Thérèse Lorcin nous montre l'étonnante richesse pour la région lyonnaisé au xiv" siècle. Puis les registres de redevances conservés par les notaires hongrois du xvi e siècle où Istvan Hunyadi détecte la présence de femmes célibataires et veuves. Les procès de justice seigneuriale que Josette François dépouille pour les vignerons de Vouvray, les rapprochant du peu que nous disent les registres paroissiaux sur le travail des femmes. Diverses enquêtes sur le niveau de vie des populations, le revenu des ménages, le loyer et l'état sanitaire en Angleterre éclairent remarquablement ce que Richard Wall sait par ailleurs grâce aux recensements depuis le xvin e siècle. Jean Lhote, pour Metz, utilise aussi le prix des loyers. De leur côté, Florenza Gemini et Eugenio Sonnino nous ouvrent les portes d'un couvent à Rome au xvin* siècle, laissant entrevoir l'importance des communautés religieuses, à la fois écoles et prisons, donc moyen de contrôle social dans les mains de l'Eglise. Enfin, last but not least, grâce à Maryse Rosat et M. Gillet, nous voyons se dessiner d'intéressants portraits de femmes seules à travers le roman feuilleton d'avant la guerre de 1914, auxquels s'identifieront des générations de lectrices au fond des cours et des chaumières. Voilà encore une façon d'influencer la mentalité populaire. A travers la variété de ces sources, et de ces approches scientifiques, un bilan s'impose. Première constatation : la femme seule n'est jamais une marginale dans la population. Quel est le poids démographique de la femme sans conjoint? LA FEMME SEULE DANS LA Le poids
POPULATION.
démographique.
La femme seule est souvent majoritaire, devançant par son poids démographique, la femme mariée. C'est normal, répondra-t-on, si l'on tient compte des petites filles, toutes célibataires par définition. Mais prenons plutôt la population féminine de plus de 15 ans. C'est
14
210
A. FAUVE-CHAMOUX
le choix fait par l'ensemble des communicants : après 15 ans la fille est nubile, le mariage est possible. Prenons l'exemple de Reims en 1802 : tous états matrimoniaux confondus, 54 % de la population féminine de plus de 15 ans vit sans conjoint ; si l'on se restreint aux femmes de plus de 20 ans, le pourcentage des femmes seules est de 49 %. Dans la population féminine de plus de 50 ans, les femmes seules — pour la plupart des veuves — comptent pour 55 %. Au niveau national, en France, en 1851, 46 % de la population féminine de plus de 50 ans vit sans conjoint. Remarquons que parallèlement, dans la population masculine, on ne compte que 27 % des hommes de plus de 50 ans vivant sans conjoint, soit presque deux fois moins que de femmes. Pour les femmes, les deux âges clés sont 30 et 55 ans. En effet, ce n'est qu'entre 30 et 55 ans que les femmes mariées sont majoritaires dans la population. Je ne développerai pas ici la perpétuelle différence de comportement entre la population féminine et la population masculine, cette dernière étant beaucoup moins fréquemment solitaire. Mais il va de soi que l'étude de la condition féminine doit être menée parallèlement, à âge égal, à l'étude de la condition masculine, sans oublier de comparer les effectifs de chaque population. Le taux de masculinité. Le taux de masculinité est en effet un élément très important. Le déséquilibre entre effectifs masculins et féminins est fréquent, le plus souvent au profit des femmes et surtout en ville : A Florence au xv* siècle, nette majorité des femmes entre 20 et 60 ans dans les classes populaires. A A A A
Reims en 1802, 82 hommes pour 100 femmes. Metz en 1806, 85 hommes pour 100 femmes. Manchester (U.S.A.) en 1900, 87 hommes pour 100 femmes. Roubaix en 1906, 96 hommes pour 100 femmes.
La seule exception notable est Rome au xvni* siècle, ville qui se distingue par une nette majorité masculine, tendant d'ailleurs à s'estomper à la fin du siècle. Ce déséquilibre des sexes est dû essentiellement en ville à l'importance des femmes domestiques célibataires, nées à l'extérieur du centre urbain. Les recensements permettent de voir de près le phénomène migratoire.
LA FEMME SEULE
211
Migration et domesticité. En abordant le problème de la mobilité des femmes, nous sommes amenés à évoquer leur emploi et le cœur de notre sujet : le travail de la femme seule. Les jeunes paysannes célibataires viennent à la ville pour servir comme domestique ou ouvrière, parfois dès l'âge de 12 ou 13 ans, quelquefois même avant, comme à Florence où Christiane KlapischZuber a trouvé d'exceptionnels contrats d'embauche. Il en ressort qu'en Toscane, au xv° siècle, l'emploi domestique est très épisodique et que les jeunes servantes ne tardent pas à se marier. Mais, au xvm* siècle, en Europe occidentale, avec le retard de l'âge au mariage, les servantes risquent d'être « en condition » pendant une dizaine d'années, le temps de constituer leur dot. Femmes employées logées par leurs maîtres, elles représentent 30 % de la classe d'âge 20-24 ans. Au xix* siècle, les femmes domestiques nées à l'extérieur de la ville où elles travaillent représentent 60 à 80 % du total de leur groupe. La ville attire surtout les femmes jeunes et libres, mais elle attire aussi les veuves et les femmes d'âge mûr. Seule Florence, qui recrute autant de veuves que de célibataires, semble constituer une exception. L'attrait du service féminin contribue à gonfler les des classes d'âge de moins de 35 ans : à Roubaix, en 1906, 60 % de la population a moins de 30 ans. Mais, beaucoup se marient sur place, l'effet migratoire se répercute souvent classes plus âgées.
effectifs plus de de filles sur les
Ainsi, directement lié à la mobilité des jeunes, le service domestique joue-t-il, avant le mariage, un rôle déterminant : il sort la jeune fille de sa campagne, lui offre des possibilités de gain et d'ouverture sur un autre « marché » matrimonial. Il joue pour les classes populaires le rôle que joue généralement le couvent pour les riches : éducation et protection de la jeune fille. La
prostitution.
A Rome, au xvm" siècle, l'institution du pensionnat de la Divine Providence témoigne d'une nouvelle tendance : réservé aux filles déshéritées, son ambition essentielle est de prévenir la prostitution des mineures. Nous découvrons en effet que la capitale de l'Eglise Catholique est aussi la capitale de la prostitution : entre 2 et 3 % des femmes sont des prostituées déclarées. Le nombre des couvents serait-il un bon indicateur de la prostitution? Cependant, les femmes seules n'étant évidemment pas toutes des prostituées, examinons les activités des femmes sans conjoint qui ne sont ni chez leur maître, ni au couvent.
212 Ménage
A. FAUVE-CHAMOUX
et travail
féminin.
Il faut distinguer deux types de femmes, celles qui sont chefs de ménage et celles qui sont logées chez autrui. Parmi les chefs de ménage, on distinguera les solitaires, celles qui ont des enfants et celles qui entretiennent des parents ou des locataires. Quel que soit le terrain d'étude et l'époque choisie il est assez facile pour commencer, de calculer le nombre de femmes chefs de ménage. C'est un premier indicateur de l'indépendance féminine. On conviendra certes qu'il ne suffit pas pour porter un jugement définitif sur une population et une société puisqu'il dépend entre autres de la nuptialité et de la mortalité. Mais que plus de 20 % des foyers soient dirigés officiellement par une femme ne saurait laisser indifférent. La probabilité d'être chef de ménage croissant régulièrement avec l'âge de la femme, les veuves sont donc beaucoup plus souvent chefs de ménage que les célibataires. La probabilité d'être chef solitaire décroît au contraire avec l'âge, avec une grande oscillation très significative vers 55 ans, âge auquel les veuves ne peuvent plus se remarier alors que leurs enfants sont partis gagner leur vie : elles sont solitaires. Avec le grand âge les femmes se regroupent ou s'installent chez leurs enfants mariés, le plus souvent chez leur fille ; la belle-mère est une réalité statistique. Que la grand-mère soit entretenue ne signifie pas qu'elle soit inactive. D'ailleurs, toutes les femmes travaillent beaucoup, mais ce n'est pas toujours visible. Josette François l'a bien souligné. Nous avons déjà évoqué les domestiques, phénomène très urbain, mais non uniquement urbain : à la campagne il y a aussi des domestiques. Ce qui caractérise la ville, c'est le nombre de femmes domestiques ; je dirais plutôt de femmes employées logées, car il peut y avoir des ouvrières de fabrique logées par le patron et dont la condition est assez équivalente à celle d'une servante. Je pense encore à la fille de boutique. A Reims, 26 % de la population célibataire féminine de plus de 15 ans est logée chez un patron. En Angleterre, au xvm e siècle, on estime que plus de 30 % des femmes de 15 à 45 ans sont des servantes logées. Si le service domestique occupe le tiers des célibataires, les autres à la maison filent, tissent, cousent, cultivent, élèvent vaches, cochons, couvées — sans parler des bâtards — , rêvant peut-être d'accomplir ces tâches ménagères quotidiennes chez autrui et contre espèces sonnantes. Sans compter que l'on peut s'élever dans la hiérarchie du service domestique : quelle différence entre la fille de cuisine et la cuisinière, la servante et la femme de chambre ! Pour la fille de la campagne, quitter la maison pour l'atelier ou l'usine est aussi une promotion, le mirage de l'indépendance, l'espoir en même temps de faire un mariage différent, de choisir son conjoint.
213
LA FEMME SEULE
L a veuve a-t-elle les mêmes activités salariées que la célibataire ? A la ville, comme à la campagne, la veuve travaille beaucoup : journalière, fileuse, couturière, lingère, passementière. Elle peut aussi être sage-femme ou nourrice tout comme la femme mariée et garder des enfants. Elle travaillera moins si son défunt mari a pensé à elle, comme c'est souvent le cas en Lyonnais au xiv" siècle. Nous découvrons que le paysan, sur son lit de mort, prévoyait pour sa femme un système de revenu régulier qui la mettait à l'abri de la misère et du besoin au cas où elle ne supporterait pas la cohabitation avec ses enfants. Certaines veuves pouvaient ainsi échapper à l'esclavage du travail salarié si elles n'avaient ni occasion ni envie de se remarier. Si elles reconvolaient en justes noces, elles pouvaient récupérer leur dot mais perdaient la rente prévue par le premier mari. Il semble que seules les vieilles filles des classes pauvres sans mari et sans enfant devaient travailler toute leur vie. Mentionnons toutefois pour mémoire le rôle auprès d'elles d'un neveu ou d'une nièce se substituant à l'enfant non existant. On pourrait aussi dire beaucoup du rôle social et culturel de la religieuse ou de l'institutrice. CONCLUSION. Je crois avoir évoqué les points les plus importants : le poids démographique des femmes sans conjoint en Europe occidentale depuis le xiv° siècle ; la fréquence des femmes chefs de ménage et souvent chargées de famille ; diverses formes du travail salarié pour les célibataires et les veuves, ce travail étant le plus souvent lié au mouvement migratoire entre la campagne et la ville. Antoinette
Laboratoire
FAUVE-CHAMOUX
de Démographie
E.H.E.S.S. Historique
RÉSUMÉ L a femme seule, celle qui vit sans conjoint, n'est pas une marginale dans les populations du passé. L'importance démographique et sociale des célibataires, veuves, délaissées ou divorcées vivant avec ou sans enfants est bien trop souvent négligée. Malgré la variété des sources et des approches scientifiques, l'ensemble des contributions sur le thème « la femme seule et son travail » en porte témoignage. Assurément la femme seule existe plus en ville qu'à la campagne dont elle est souvent originaire. L a ville est de tout temps un marché du travail féminin, surtout du travail domestique. Les femmes y sont plus fréquemment chefs de ménage qu'en milieu rural.
LE POIDS DÉMOGRAPHIQUE DES FEMMES SEULES EN FRANCE (Deuxième moitié du XIXe siècle) par Patrice
BOURDELAIS
Sans autre ambition que celle de fournir une contribution documentaire à l'estimation globale et à la répartition géographique des proportions de femmes démographiquement « seules » (célibataires ou veuves) par rapport à la population féminine totale, je présente ici les quelques résultats en ma possession sur un sujet qui n'est pas au centre de ma recherche, à un stade d'avancement de mes travaux qui ne permet guère d'intégrer ces indications fragmentaires dans une description d'ensemble des modèles démographiques français de la seconde moitié du xix* siècle 1 . Au cours de cette première approche, j'ai essayé de répondre, dans leur dimension diachronique (1851-1896), à trois questions principales. Quelles sont les structures par âge des femmes isolées ? Existe-t-il des disparités régionales du phénomène ? Qu'apporte une rapide comparaison entre « solitude » féminine et « solitude » masculine ?
I - LES AGES DE LA SOLITUDE
FÉMININE.
A partir des résultats des recensements de 1851 et de 1896, donc transversalement, ont été calculées les proportions de femmes seules représentées sur la singulière pyramide de la figure 1 2 . Inhabituelle car elle représente dans sa partie gauche (1851) comme dans la droite (1896) le seul sexe féminin. Par ailleurs, les profils sont bien évidemment très différents de ceux qui traduisent la distribution de l'ensemble de la population. Ici, la « base » à 20-24 ans
1. Thèse de Doctorat en cours : « La population française de 1851 à 1975, l'histoire d'un vieillissement ». 2. Tous les calculs présentés ici ont été effectués à partir des tableaux de la Statistique générale de la France enregistrés sur bandes magnétiques par l'Inter-University Consortium for political research (Ann Arbor, Michigan), mises à ma disposition par le Centre de Recherches Historiques, corrigées et exploitées avec l'aide amicale de Michel DEMONET.
216
P. BOURDELAIS
est plus réduite que le sommet, car au-dessus de 65 ans la population de chaque groupe d'âges comprend plus de la moitié de femmes célibataires ou veuves, cette proportion atteint même 70 puis 86 % à 70 et 80 ans ou plus 3 . Ce pourcentage diminue progressivement jusqu'à un minimum à 35-44 ans, puis il s'accroît à nouveau lorsqu'on s'achemine vers des groupes d'âges plus jeunes. Pyramide des âf»es des fenrnes seules (1851 et 1896)
185!
1l?6
80-90
70-79
65-69 60-64 55-59 50-54 45-49 40-44 35-39 30-34 25-29 20-24 100Í
80
60
50
40
20
0
20
40
50
60
80
100',
^ ^ ^ Proportion des célibataires |
| Ensemble des feranes seules (célibataires + veuves)
La distribution de la proportion des femmes célibataires ou veuves suivant l'âge est le résultat des interférences entre plusieurs variables démographiques ; rappelons les principales : — l'intensité de la nuptialité, — l'âge au mariage et l'écart d'âge entre époux, — les différences entre les probabilités de survie de chaque sexe suivant l'âge, 3. Attention, l'accroissement des proportions s'exerce sur des effectifs qui diminuent avec l'âge ! A une proportion plus élevée peut donc correspondre un effectif plus faible.
LA FEMME SEULE EN FRANCE
217
— les différences de mortalité entre personnes célibataires, mariées ou veuves, — la fréquence des remariages, — les écarts d'âge entre époux lors de ces remariages. Le calcul et la représentation de la proportion des célibataires (la part des veuves apparaît par différence), permettent toutefois de cerner les composantes immédiates de la structure. Le profil de la pyramide est le résultat de l'addition des deux proportions qui évoluent de façon inverse. Si à 20-24 ans 70 % des femmes sont « isolées », c'est avant tout parce qu'elles sont célibataires, puis, au fur et à mesure que l'âge s'élève, la part des célibataires diminue du fait des mariages qui se cumulent peu à peu, alors que la proportion des veuves s'accroît régulièrement (c'est l'une des issues du mariage !). Le minimum relevé à 35-44 ans correspond donc à l'âge auquel la proportion des célibataires a fortement diminué (de 69,5 % elle est passée à 18 % à peine en 1851), alors que la plupart des mariages sont assez récents pour ne pas avoir été rompus par le décès du mari *. Le fort accroissement de la part des veuves à partir de 50 ans est tout à fait remarquable, et montre bien que la femme seule est le plus souvent la femme âgée. Entre les pyramides de 1851 et de 1896 c'est la similitude qui ressort dès l'abord. L'effet d'âge conserve toute sa vigueur tandis que l'effet de génération rend compte des légères différences 5 . Dans l'ensemble, les femmes de 20-29 ans en 1896 se marient plus jeunes que leurs aînées de 1851 (nous ne pouvons juger de l'intensité de la nuptialité), aussi les proportions de célibataires, de moins de 35 ans surtout, diminuent-elles entre les deux dates de 69,5 à 63 % (2024 ans), et de 40,5 à 31 % (25-29 ans). En revanche, au-delà de 40 ans, l'importance relative des femmes célibataires ou veuves demeure stable (à 1 ou parfois 2 % près seulement). Mais cette situation claire et quasi-immuable à l'échelle nationale ne dissimulet-elle pas de fortes disparités régionales ? II - FEMMES
SEULES
ET HOMMES
SEULS.
Les éléments dont je disposais ont simplement autorisé la cartographie de la proportion des célibataires et des veufs (veuves) à 50 ans ou plus en 1851 (cartes 1 et 2). A l'échelle nationale, les résultats sont les suivants : 4. Ceci renvoie bien sûr à l'âge et à l'écart d'âge au mariage entre époux, aux différences de mortalité entre les deux sexes, à la fréquence et au calendrier des remariages. 5. Sur « l'effet d'âge » et « l'effet de génération », se reporter à R. PRESSÂT, L'analyse démographique, P.U.F., Paris, 1969.
218
P. BOURDELAIS
Célibataires Veufs ou veuves Ensemble
Hommes
Femmes
8 % 19 %
12 % 34 %
27 %
46 %
Le sens des écarts est bien connu, en revanche leur ampleur mérite d'être soulignée, surtout en ce qui concerne les proportions de veufs et veuves. Célibat et veuvage confondus, à 50 ans ou plus 27 % des hommes sont isolés alors que ce pourcentage atteint 46 % chez les femmes. Après 50 ans, la solitude frappe donc 1 homme sur 4, mais 1 femme sur 2 ! La répartition géographique du célibat définitif se caractérise tout d'abord par l'absence de fortes valeurs dans un très large bassin parisien, plus encore chez les hommes que chez les femmes (la Seine, la Seine-et-Oise, la Seine-Inférieure atteignent pour ces dernières des niveaux moyens). En fait, le fort célibat masculin définitif se limite à deux régions : — quelques départements proches de la Loire-Inférieure (30 %), la Vendée (13 %), la Vienne (15 %), le Morbihan (13 %) et la Mayenne (12 %) ; — le sud-est du Massif central : Aveyron (15 %), Lozère (21 %), Haute-Loire (13 %), Hérault (43 %). Enfin, dans les Landes et quelques départements pyrénéens, la Seine et les Bouches-du-Rhône, les hommes célibataires représentent plus de 10 % des 50 ans ou plus. Les pôles du célibat nombreux. Vers l'Ouest, nous ments à fortes valeurs, mais il (de la Loire-Inférieure, 26 %,
féminin sont plus étendus et plus retrouvons un ensemble de départeoccupe ici la Bretagne et le Cotentin au Calvados, 17 %).
Autre pôle du célibat masculin, la région située au sud-est du Massif central s'élargit tout à coup lorsqu'on considère le célibat féminin. Aux départements de la Lozère (25 %), de l'Hérault (19 %), de l'Aveyron se sont joints la Haute-Loire (20 %) et le Cantal (23 %). Vers l'Est, une vaste région, du Doubs (17 %) à la Meurthe (13 %), présente des valeurs légèrement supérieures à la moyenne et qui tranchent avec celles du Bassin parisien. Enfin, du côté féminin, les Hautes et Basses-Pyrénées (17 %) apparaissent très nettement, tandis qu'émergent plus timidement le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Inférieure et la Seine-et-Oise.
Cartes
1 :
Proportion (+ 50
des hommes 1851)
ans,
Proportion des hommes (+ 50 ans, 1851)
célibataires
veufs
Cartes
2
femmes Proportion.des (+ 50 ans, 1851)
célibataires
LA FEMME SEULE EN FRANCE
221
Si l'on observe la répartition régionale des veufs et veuves, les fortes proportions se retrouvent surtout : — dans l'Ouest : en ce qui concerne les veufs, surtout dans les Côtes-du-Nord (22 %), le Morbihan, le Finistère et la Vendée (entre 23 et 26 %) ; du côté des femmes apparaissent simplement le Finistère (28 %) et la Vendée (40 %). — dans le Massif central et sa bordure occidentale, les proportions élevées de veufs sont répandues de la Lozère à la Nièvre (20 %) ; donc plus largement que celles de veuves limitées surtout à l'Allier, la Nièvre, la Creuse et la Corrèze (de 38 à 39 %). Signalons encore quelques fortes proportions de veufs en Alsace, dans les Basses-Alpes, de veuves en Gironde (37 %), dans la Seine-Inférieure (40 %), dans la Seine (41 %), et en Corse (44 % ) ! Abandonnant les hommes, apparus simplement l'espace d'une brève comparaison, ces convergences géographiques surprenantes conduisent à se demander dans quelle mesure les fortes proportions de femmes seules se retrouvent toujours dans les mêmes régions, indépendamment du groupe d'âges considéré. III - LA FRANCE
DES « FEMMES
SEULES».
Les cartes 3 et 4 présentent en 1851, puis 1896, la géographie de la proportion des femmes isolées (célibataires ou veuves) pour deux groupes d'âges très distants : 25-29 ans et 55-59 ans. Le contraste des grisés correspond à d'amples différences des valeurs. Par exemple, en 1851 la proportion de célibataires ou veuves à 2529 ans passe de 20 % en Ile-de-France à plus de 60 % en Bretagne et dans les Pyrénées ! Bien évidemment, les zones sombres sont ici celles où se pratique un mariage tardif : la Bretagne et le Cotentin, l'est de la France (du Doubs à la Meurthe), une partie du Massif central (centrée sur la Haute-Loire et le Cantal), et les départements pyrénéens. Il convient même d'y ajouter le Nord et le Pas-de-Calais, la Seine-Inférieure et l'Hérault. Mais cette carte du mariage tardif correspond assez étroitement à celle du célibat définitif (voir carte 2). Elle est même peu éloignée de celle des femmes célibataires ou veuves à 55-59 ans. Pour ces dernières, le pôle oriental est moins affirmé, celui du Massif central s'enrichit de la Creuse et de la Haute-Vienne. Si le Bassin parisien présente de très faibles valeurs, la Seine et la Seine-et-Oise abritent toutefois une proportion non négligeable de femmes seules à 55-59 ans.
C artes
3 :
Proportion des femmes (25-29 ans, 1851)
célibataires —
et
veuves
Proportion des femmes (55-59-anti, 1851)
célibataires
et
veuves
Cartos
4 :
Proportion des femmes (25-29 ans, 1896)
célibataires
et'veuves
224
P.
BOURDELAIS
En 1896, la physionomie des cartes n'a guère évolué : la Bretagne et les Pyrénées occidentales forment toujours deux pôles importants. Après la perte des départements alsaciens et lorrains, l'Est se trouve bien sûr territorialement réduit, tandis que les Savoies apparaissent. Pour les 25-29 ans, le pôle du Massif central s'estompe, se déplace vers la région lyonnaise et les départements alpins, c'est le principal changement à retenir 6 . Nous avons établi les cartes de ces mêmes proportions pour tous les autres groupes d'âges, une conclusion s'impose : la géographie de la solitude féminine est, dans ses grandes lignes quasiimmuable, indépendante de l'âge auquel on l'observe. QUE
RETENIR?
Ce rapide survol a permis de préciser la structure par âge et la répartition géographique de la solitude féminine. Entre 35 et 44 ans, la proportion des femmes célibataires ou veuves atteint un minimum (25 % de chaque groupe d'âges), conséquence de la diminution du nombre des célibataires dont les mariages sont suffisamment récents pour ne pas avoir été rompus, en général, par le décès du mari. De 1851 à 1896 la seule évolution, l'abaissement de l'âge moyen au mariage, se traduit simplement par une moindre proportion de célibataires à 2ff-34 ans. Mais une caractéristique massive demeure : les femmes isolées sont surtout les femmes âgées (32 % à 50-54 ans, plus de 70 % après 70 ans). A 50 ans ou plus, la solitude est aussi surtout féminine : elle concerne une femme sur deux, et seulement un homme sur quatre. Cet écart de la fréquence d'isolement entre sexes après 50 ans est concomitant d'une répartition géographique identique en de nombreux points, qui suggère plusieurs questions. Comment expliquer qu'une proportion élevée de célibataires de chaque sexe se rencontre dans les mêmes départements (Morbihan, Loire-Inférieure, Hérault, Aveyron, Lozère, Haute-Loire, Doubs)? Est-ce l'une des conséquences d'une fécondité demeurée élevée et qui, dans le contexte des coutumes d'héritage et des structures foncières, conduirait un nombre important de jeunes, hommes et femmes, à se marier à un
6. Pour une critique très sérieuse de la valeur des classements par statuts matrimoniaux dans les recensements de la population française au XIX* siècle, voir E. VAN DE WALLE, The female population of France in the nineteenth century, Princeton University Press, 1974. Il ressort très clairement de cette étude que les statistiques sont meilleures pendant la seconde moitié du XIX e siècle que pendant la première. Mais dans la mesure où nous ne possédions pas alors les séries des célibataires par exemple, pour chaque recensement entre 1851 et 1896, il est possible qu'une erreur sur l'un des groupes d'âges demeure. Cependant, pour l'essentiel, les cohérences régionales apparaissent si clairement que le risque me paraît négligeable pour cette première approche.
225
LA FEMME SEULE EN FRANCE
âge élevé, et m ê m e plus souvent qu'ailleurs à ne pas se marier ? D a n s les quelques départements montagneux où la proportion des célibataires définitives est supérieure à celle des hommes célibataires (Pyrénées, Doubs), l'hypothèse explicative retenue est celle d'une émigration massivement masculine. Quant aux régions o ù les veufs et veuves sont particulièrement nombreux (Vendée, Finistère, Creuse, Corrèze, nord du Massif central) il conviendrait d'étudier l'ampleur des écarts d'âge au mariage, le niveau de la mortalité (accidents du travail, forte fécondité), la fréquence des remariages. Enfin, des régions où, quel que soit l'âge, la proportion de femmes isolées est très élevée ont été mises en évidence. Il s'agit de la Bretagne et du Cotentin, d e l'Est de la France, d'une partie du Massif central et des Pyrénées occidentales. E n 1851 c o m m e en 1896, la population féminine de départements tels que par exemple le Doubs, le Morbihan, l'Ille-et-Vilaine, les Basses-Pyrénées, est constituée pour un tiers, voire pour moitié de femmes seules dans chaque groupe d'âges quinquennaux de 2 0 à 6 0 ans ! Les conséquences économiques, sociales et culturelles d'une telle situation vaudraient très certainement la peine d'être étudiées de près. Patrice
BOURDELAIS, C.N.R.S.
RÉSUMÉ Quelques calculs effectués sur les pyramides des âges (par sexe, état matrimonial et par département) issues des recensements de 1851 et 1896 permettent de préciser certains aspects démographiques de la « solitude » féminine (célibataires ou veuves). La répartition par âge, les écarts par rapport à la « solitude » masculine, et les disparités régionales ont particulièrement retenu l'attention. De 1851 à 1896 les grandes lignes demeurent, la proportion des femmes célibataires ou veuves atteint un minimum entre 35 et 44 ans (25 % de chaque groupe d'âges), simple conséquence de la diminution du nombre des célibataires dont les mariages, récents, n'ont en général pas été rompus. Massivement, les isolées sont surtout les femmes âgées (32 % à 50-54 ans, plus de 70 % après 70 ans). Après 50 ans, la solitude est aussi plus souvent féminine ; elle concerne une femme sur deux, et seulement un homme sur quatre. Géographiquement, un très large Bassin parisien se détache par ses faibles proportions d'hommes et de femmes célibataires ou veufs. En revanche, une proportion élevée de célibataires de chaque sexe se rencontre dans les mêmes départements (Morbihan, Loire-Inférieure, Hérault, Aveyron, Lozère, Haute-Loire, Doubs). Dans le nord et l'ouest du Massif central, le Finistère et la Vendée, les veufs et veuves sont particulièrement nombreux. Enfin, des régions où la proportion de femmes isolées est très élevée (entre le tiers et la moitié des 20-59 ans) ont été mises en évidence. Il s'agit de la Bretagne et du Cotentin, de l'Est de la France, d'une partie du Massif central et des Pyrénées occidentales. Bien sûr, ces éléments sont à insérer dans les modèles démographiques régionaux, cependant ils posent déjà de nombreuses questions auxquelles on s'efforcera de répondre. SUMMARY A study made of the âge distribution of single women and men from 1851 to 1896 highlights régional différences of great importance. Single women were least numerous in the 35 to 44 âge group, and the number increased after the âge of 50 to attain 70 % of the female population ofer 70. One out of two
15
women over 50 lived alone whereas only one out of four men did. Geographically, the Paris region was exceptional in that fewer single people lived there than elsewhere in the country; on the other hand, Brittany, eastern France, Central France, and the western Pyrenees had especially high numbers of single women. These findings will be studied in their regional context, and the questions arising from these findings discussed in this article.
TABLEAU ANNEXE : VALEURS DES VARIABLES CARTOGRAPHIEES (EN POURCENTAGES) 1851 DEPARTEMENT
AIN AISNE ALLIER ALPES (BASSES) ALPES (HAUTES) ALPES (MARITIMES) ARDECHE ARDENNES ARIEGE AUBE AUDE AVEYRON BOUCHES-DU-RHONE CALVADOS CANTAL CHARENTE CHARENTE INFERIEURE CHER CORREZE CORSE COTE-D'OR COTES DU NORD CREUSE DORDOGNE DOUBS DROME EURE EURE ET LOIR FINISTERE GARD GARONNE (HAUTE) GERS. GIRONDE HERAULT ILLE ET VILAINE INDRE INDRE ET LOIRE ISERE JURA LANDES LOIR ET CHER LOIRE LOIRE (HAUTE) LOIRE (INFERIEURE) LOIRET LOT
CELIBATAIRES DE 50 ANS ET +
VEUFS(VES) DE 50 ANS ET +
Femmes Hommes
Femmes Hommes
10,,24 8,,67 7,,15 7,,56 13,,15
6,,45 3,,74 6,,85 6,,78 10,,18
35,,22 32,,94 37,,76 33,,64 30,,97
17,,91 17,,27 24,,12 22,,86 20,,88
10,,85 8,,25 10,,18 4,,59 H ,,72 12,,70 3,,87 8,,02 7,,16 8,,14 18,,25 14,,88 H ,,33 12,,36 7,,66 17,,30 23,,50 9,,99 7,,49 4,,67 12,,35 9,,97 6.,07 3.,63 10.,67 10,,19 12.,45 10,,32 10,,68 5.,08 18.,66 9,,60 13,,33 5,,11 10,,43 6.,56 17.,17 11,,22 5.,63 8,,17 5.,54 9, ,69 8,,77 4,,46 13.,32 9.,19 6,,24 5,,41 7,,85 14,,40 11 ,98 7.,85 10 ,10 6,.43 19,,49 42 ,82 14,,33 10,,64 7,,60 3,,92 7,,94 3,,13 8.,78 5,,90 8,,15 14,,92 10,,21 H ,,86 3,,54 6,,30 13,,07 8,,63 19,,80 12,,72 26,,51 29,,54 9,,03 4,,42 6,,01 12,,11
33,,21 31,,36 32,,25 29,,50 31.,88 30,,44 33,,32 34,,22 31,,75 32,,90 26,,92 36.,81 38,,37 44,,11 31,,91 34 ,31 38,,50 33,,55 31 ,97 32,,55 35,,25 34,,72 37,,99 37,,61 34,,38 35,,52 37,,02 34,,73 31,,07 36,,42 33:,76 32,,28 34,,35 35,,54 35,,13 32,,09 31.,05 32,,98 34,,09 34,,25
21,,44 17.,42 21,,09 16,,15 19,,16 20,,43 14,,99 16,,57 22,,40 18,,65 13,,87 21,,43 27,,70 22,,61 15,,79 22 .17 24,,00 19 ,39 19 ,44 19 ,27 17 ,30 15 ,75 23,,76 20,,78 19,,64 18,,15 18,,74 17,,22 16,,67 21,,â3 15,,37 19,,10 19 ,53 20,,35 17,,08 21.,49 22,,28 14,,49 17,,61 18,,16
1896 FEMMES CELIBATAIRES ET VEUVES a 3 25-29 55-59 ans ans
FEMMES CELIBATAIRES ET VEUVES I a 25-29 55-59 ans ans
36,,00 29,,94 36,,49 32,,43 40,,10
35,,23 35,,19 36,,98 35,,28 43,,35 42,,09 33,,78 33,,35 36,,03 29,,95 30,,74 35,,10 45,,40 41,,51 40,,28 44,,37 28,,73 30,,10 31,,23 45,,00 33,,30 46,,77 36,,42 29,,73 40,,86 32,,96 33.,05 33,,72 44,,15 32.,20 33,,73 33,,67 ' 39, ,73 33,,64 45,,45 26,,90 31,,44 37,,05 39,,52 36,,89 28,,42 38,,97 39,,42 38,,93 31,,85 34,,39
29,,15 22,,77 26,,94 31,,04 36,,50 39,,63 31.,46 45,,22 35,,31 26.,85 34,,19 29,,80 31,,10 51.,16 39,,86 24,,55 28,,24 25,,36 23,,71 33,,50 28,,49 50,,66 41,,69 33,,76 38,,46 43,,14 36,,52 44,,00 41,,11 33,,73 35,,66 53,,38 48,,39 34,,11 29,,61 31,,34 20,,78 36,,39 23,,26 31,,26 33,,14 . 23,,76 23,,93 40,,82 40,,91 50,,24 39,,83 49,,12 29,,91 33,,92 30,,87 54,,00 47 ,57 47,,32 40,,98 42 ,71 25,,08 24,,13 35,,52 33,,13 46,,73 57,,92 39 ,59 36,,42 35,,52 29 ,81 30,,67 31,,50 21,,86 25.,90 32,,23 21,,74 32.,07 46,,30 43,,35 29,,65 32,,66 29,,57 30,,01 41,,71 38,,53 40,,13 38,,15 23,,65 32,,98 35,,65 31,,34 28,,79 59,,27 51,,28 64,,05 38,,60 51,,88 24,,78 29,,12 34,,00 23,,47 31,,10 32,,17 39,,38 34,,62 37,,80 40,,33 48,,49 40,,92 34,,63 51,,89 37,,58 28,,89 31,,18 22,,03 43,,20 33.,99 35,,86 37,,82 53,,81 45,,04 52,,84 44,,67 * 45,,41 32,,33 31,,04 25,,27 42,,92 35,,68 21,,21 34,,12 28,,22 37,,73 33,,95 42,,51
227
LA FEMME SEULE EN FRANCE
1896
1851 DEPARTEMENT
LOT ET GARONNE LOZERE MAINE ET LOIRE MANCHE MARNE MARNE (HAUTE) MAYENNE MEURTHE MEUSE MORBIHAN MOSELLE NIEVRE NORD OISE ORNE PAS DE CALAIS PUY DE DOME PYRENEES (BASSES) PYRENEES (HAUTES) PYRENEES ORIENTALES RHIN (BAS) RHIN (HAUT) RHONE SAONE (HAUTE) SAONE ET LOIRE SARTHE SAVOIE SAVOIE (HAUTE) SEINE SEINE ET MARNE SEINE ET OISE SEINE INFERIEURE SEVRES (DEUX) SOMME TARN TARN ET GARONNE VAR VAUCLUSE VENDEE VIENNE VIENNE (HAUTE) VOSGES YONNE
CELIBATAIRES DE 50 ANS ET +
VEUFS(VES) DE 50 ANS ET +
Femmes Hommes
Femmes Hommes
FEMMES CELIBATAIRES ET VEUVES à à 25-29 55-59 ans ans 32,92 49,,65 37,,02 44,,06 29,,60 28,,67 42,,51 34,,14 28,,56 46,,70 37,,74 35,,60 36,,70 29,,27 36,,93 37 ,58 34 ,56 42 ,97 41 ,20 32 ,31 40 ,29 38 ,64 37 ,78 34 ,65 35 ,71 33 ,09
10,,27 5,,10 25,,38 20,,78 13,,08 6,,63 17,,66 9,,55 3,,60 9,,04 10,,78 4,,56 17,,54 H ,,76 12,,76 5,,11 8,,75 4,,20 18,,06 12 ,93 14,,07 6,,40 4,,33 5,,43 9.,75 12,,33 7,,68 3,,36 6.,69 14,,45 14 ,35 9 ,65 12 ,08 5 ,52 17 ,27 10 ,83 17 ,23 10 ,14 10 ,40 11 ,96 6 ,38 14 ,02 11 ,90 9 ,16 13 ,91 8 ,47 12 ,53 5 ,87 4 ,17 9 ,47 4 ,84 11 ,06
34, 36 30,,32 33,,48 36,,07 32,,75 30,,42 34,,16 31,,95 32,,55 35,,65 32,,67 38.,61 34,,45 33.,60 33,,11 33,,52 32 ,99 35 ,81 32 ,65 21 ,97 36 ,56 35 ,97 34 ,78 32 ,31 36 ,00 32 ,04
16,.75 21,,48 19,,36 17,,95 17,,33 17,,67 18,,01 17,,72 18,,63 23,,16 19,,70 20,,20 20,,55 18,,23 16,,65 20 ,32 22 ,67 21 ,68 20 ,88 11 ,12 24 ,47 21 ,43 17 ,31 19 ,56 17 ,34 15 ,82
26,28 45,,15 45,,46 57,,29 26,,30 37,,81 52,,87 48,,60 33,,93 54,,24 53,,23 24,,48 46,,93 19,,87 44,,68 48 ,09 42 ,41 59 ,20 60 ,25 87 ,98 51 ,52 58 ,78 46 ,03 45 ,08 29 ,92 39 ,84
12 ,62 5 ,36 13 ,31 13 ,99 7 ,54 11 ,96 10 ,53 11 ,56 8 ,89 9 ,16 11 ,42 13 ,74 11 ,02 14 ,29 6 ,34
41 ,33 33 ,60 32 ,56 39 ,81 30 ,62 35 ,41 33 ,69 32 ,81 36 ,74 33 ,17 39 ,87 30 ,00 35 ,80 30 ,39 32 ,40
16 ,37 15 ,64 14 ,98 17 ,47 19 ,48 21 ,65 20 ,02 17 ,41 18 ,16 19 ,21 25 ,71 16 ,24 22 ,60 19 ,74 16 ,53
40 ,61 44 ,96 18 ,22 26 ,80 22 ,51 38 ,92 54 ,23 30 ,56 52 ,04 25 ,33 32 ,85 36 ,53 38 ,76 33 ,18 31 ,84 35 ,65 33 ,69 35 ,51 35 ,83 31 ,02 40 ,47 45 ,23 37 ,40 36 ,02 33 ,46 42 ,42 51 ,76 35 ,50 23 ,21 26 ,06
11 ,67 3 ,24 6 ,52 5 ,62 4 ,16 5 ,64 8 ,03 7 ,36 8 ,60 6 ,93 13 ,40 14 ,85 4 ,01 5 ,42 3 ,22
FEMMES CELIBATAIRES ET VEUVES â a 25-29 55-59 ans ans 30,86 34,,67 38, 10 33,,67 26,,14 28,,08 36,,45 32,,60» 27,,74 44,,32
41,63 42,,37 34,,90 47,,97 34,,97 31,,79 44,,17 38,,08' 34,,90 47,,59
21,,44 38,,09 20,,21 30,,37 31 ,58 29 ,42 46 ,17 46 ,06 27 ,88
31,,23 36,,58 34,,68 38,,23 38 ,55 36 ,80 42 ,65 43 ,26 35 ,30
37 ,85"'41 ,19' 37 ,72 38 ,23 38 ,77 33 ,55 23 ,45 34 ,82 24 ,32 33 ,53 43 ,26 43 ,26 55 ,65 42 ,88 41 ,63 51 ,34 21 ,35 33 ,87 29 ,98 37 ,76 34 ,91 41 ,93 27 ,15 27 ,92 26 ,53 35 ,21 24 ,41 32 ,21 18 ,73 30 ,23 36 ,43 36 ,01 32 ,67 35 ,62 30 ,76 33 ,10 23 ,65 29 ,87 23 ,24 36 ,51 34 ,62 38 ,40 21 ,32 27 ,50
« MEURTHE ET MOSELLE •» Terr, de BELFORT
LA FEMME SEULE EN CHINE par Michel
CARTIER
On est fondé de poser la question préliminaire : était-il possible à une femme chinoise de mener une existence indépendante? Les pages qui suivent ne constituent pas à proprement parler une contribution à la démographie historique, mais plutôt un ensemble de réflexions sur le statut de la femme. En l'absence d'études précises il est difficile de se faire une opinion exacte de la situation sociale réelle de la femme chinoise. Nous nous excusons d'avance pour le caractère théorique de cette courte contribution. Le statut juridique de la femme
chinoise.
Au regard de la morale traditionnelle comme des codes de lois la femme n'est pas une personne. Elle demeure toute sa vie une « mineure » soumise à l'autorité de son père, de son mari ou, le cas échéant, de son fils. Répudiée par son mari elle retourne sous la tutelle de son père. En bref, nécessairement soumise à l'autorité masculine, la femme ne peut exister qu'à l'intérieur du cadre familial. Dans la mesure où la famille (tsu) peut se définir comme l'ensemble des hommes portant un même nom de famille (hsing) et liés entre eux par des relations de parenté, la femme n'en est jamais considérée comme un membre à part entière. Elle n'appartient pleinement ni à sa famille d'origine ni à sa belle-famille. L'ambiguïté de son statut apparaît dans la variété des termes d'adresse et des appellations qui sont usitées à son encontre. A la naissance, filles et garçons reçoivent un « nom personnel » (ming) qui servira à les désigner dans la généalogie mais qui n'est utilisé comme terme d'adresse que par les membres de générations plus élevées (parents, grands-parents, oncles et tantes...). A l'égard de personnes de la même génération ou de générations plus élevées, il est d'usage de n'utiliser que des termes de parenté préfixés par un numéro : deuxième sœur aînée, quatrième tante paternelle... Cette situation persiste jusqu'à l'entrée dans l'âge adulte, qui est — ou était — marquée chez les hommes par la prise d'un «nom social» (tzu) utilisé désormais dans les relations sociales mais non dans la famille et qui correspondait pour les femmes au mariage. Il s'ensuit que la femme adulte n'a d'identité que par rapport à son mari ou à sa belle-famille. Son
230
M. CARTIER
nom personnel n'est plus utilisé (il est très souvent ignoré des membres de sa belle-famille). Dans son nouveau cadre social elle n'est plus désignée que des termes de parenté tels que troisième belle-sœur, épouse du premier oncle, etc. et n'est enregistrée dans la généalogie que sous son nom de famille d'origine (Li-shih, « Madame Li », Wang-shih, « Madame Wang »...), ce qui, soit dit en passant, interdit toute identification précise et toute reconstitution de famille de type classique. La rétention du nom de famille a son importance. Elle indique d'une part que la femme mariée conserve certaines relations avec sa famille naturelle. Elle peut y faire des séjours plus ou moins longs ; elle est susceptible de recevoir la visite de ses sœurs non mariées ou de ses frères ; elle continue à porter le deuil (souvent diminué) des siens. Elle n'est par ailleurs pas complètement intégrée dans sa belle-famille. Elle doit respect et obéissance à ses beaux-parents (c'est très souvent à l'initiative de ceux-ci qu'elle est répudiée) ; elle a pour devoir essentiel de donner une descendance mâle à son mari. Cette situation classique, la seule qui retienne l'attention de la plupart des auteurs, correspond au mariage exogamique. La relation entre la femme et ses deux familles (famille naturelle et belle-famille) varie en réalité suivant le type de mariage contracté. Dans le mariage avec adoption du gendre, par exemple, la situation est inversée : la femme demeure dans sa famille, conserve ses liens de parenté dans toute leur force, et assume une position dominante par rapport à son mari qui, très souvent, change de nom de famille — mais non de nom personnel ou de nom social. Dans tous les cas de mariage secondaire, la femme perd pratiquement tout contact avec sa famille naturelle (qui reçoit une compensation financière) et devient la servante de la femme principale qui assume fréquemment la maternité de ses enfants. Elle est alors fréquemment ignorée par sa belle-famille qui ne la fait pas nécessairement figurer sur sa généalogie. Séparée de sa famille ou de sa belle-famille, la femme est pratiquement sans recours. Elle ne peut engager une action en justice ou porter plainte sans passer par l'intermédiaire d'un tuteur ou d'un protecteur. Une femme abandonnée ou séparée des siens est donc dans une situation très précaire, la seule solution pour elle consistant à recréer par adoption des liens familiaux fictifs qui la placent dans la dépendance d'étrangers. De fait, cette absence totale de garantie est exploitée légalement pour réduire une femme à la prostitution ou à l'esclavage. La seule échappatoire est dans ces conditions l'entrée en religion, la condition de nonne bouddhique ou taoïste étant généralement reconnue et garantie par l'autorité civile. Dépendance
ou indépendance
économique ?
Les quelques réflexions qui précèdent doivent être nuancées en fonction de la situation économique réelle de la femme. En
LA FEMME SEULE EN CHINE
231
d'autres termes, il vaut la peine de se demander si le tableau généralement sombre de la condition féminine qui est retracé dans la plupart des études correspond bien à la réalité. Il existe traditionnellement une division radicale des occupations. Tandis que les hommes prennent part à la vie civique — guerre, administration — et prennent en charge tous les travaux relatifs à l'agriculture, les femmes sont confinées dans les occupations domestiques : éducation des petits enfants, préparation de la nourriture et fabrication des vêtements. Cette répartition des tâches ne correspond pas à des impératifs techniques, mais relève bien plutôt d'une organisation idéologique de la société. Elle n'est pas modifiée par l'évolution des techniques sinon dans le sens d'une élimination progressive des femmes de la production artisanale commercialisée (le métier à tisser « large » qui sert à la production des tissus de luxe est l'apanage des hommes par opposition au métier « étroit » utilisé depuis l'antiquité par les femmes). La coutume de bander les pieds des femmes pour en retarder la croissance qui prévaut dans toutes les classes sociales à partir des Sung et des Ming (xi'-xv' siècle) contribue à les confiner à l'intérieur de la maison et à limiter leurs activités. Il serait néanmoins erroné de conclure trop rapidement à une dépendance économique absolue. Bien que ne participant pas directement à la production agricole, et en particulier à la céréaliculture, la femme joue un rôle non négligeable dans la vie économique rurale. C'est elle qui a la responsabilité du petit élevage (basse-cour, porcs), de la préparation des conserves et, surtout, de l'élevage des vers à soie et du traitement des fibres textiles. Dans la mesure où l'exploitation agricole est conçue comme l'association de la céréaliculture et de la production de fibres textiles, la maind'œuvre féminine est indispensable à la prospérité agricole. Dans les lois agraires du haut moyen âge (codes de 280, de 485, de 564 et de 624), la terre est distribuée aux paysans au prorata de la taille de la famille. L'entrée par mariage d'une femme signifie donc avant tout un accroissement de la taille de l'exploitation agricole. Cependant, le point important n'était pas tellement le fait que la femme apportait un lot de terre susceptible de subvenir à ses besoins que la sécurité matérielle assurée à la femme elle-même en cas de veuvage ou de séparation. Des articles du code des T'ang (624) stipulent que même en cas de disparition ou de condamnation du mari, son épouse doit conserver une partie de la part attribuée au ménage. La femme n'est donc nullement dans la dépendance économique de sa belle-famille. Elle peut assumer le cas échéant la charge de chef de famille (hu-chu). C'est ainsi que parmi les 29 familles enregistrées sur l'une des listes retrouvées à Tun-huang nous relevons deux veuves accompagnées d'enfants. Il ne s'agit probablement pas de cas isolés.
232
M. CARTIER
Dès l'époque des distributions de terre publique, une fraction du sol cultivé est l'objet d'une appropriation « perpétuelle » (yung-yeh). Il s'agit des terres à textiles. Cependant, bien que le travail des fibres soit une activité spécifiquement féminine, ces propriétés se transmettent en ligne exclusivement masculine. L'abolition progressive des barèmes de distribution entre le vin* et le ixe siècle est en fin de compte préjudiciable à la condition féminine. La terre est désormais devenue un bien masculin dont la transmission s'effectue essentiellement par héritage dans la lignée masculine. Sauf exception, les filles sont exclues de l'héritage. Il n'est donc plus possible à une veuve de conserver une partie des terres de sa belle-famille si ce n'est au nom d'un fils. Bien plus, la réprobation quasi-universelle qui frappe désormais le remariage des veuves les condamne dans de nombreux cas à une situation économique très précaire. On peut penser que la pratique de doter les filles — au moins lorsqu'il s'agit de premiers mariages — qui semble se généraliser à partir des Sung (x'-xm' siècles) constitue une sorte de parade à cette détérioration de la condition féminine. Il faut noter, toutefois, que la dot n'est jamais formée de biens immobiliers (terres, maisons) mais qu'elle est toujours versée en espèces ou en bijoux. La dote reste la propriété de la femme. Elle ne peut être dépensée ou aliénée — mise en gage — par le mari qu'avec le consentement implicite de son épouse. Nous connaissons de nombreux cas d'investissements commerciaux gagés sur les biens de femmes au profit de leurs enfants. En cas de veuvage, la dot constitue bien un capital servant à garantir l'indépendance économique de la femme. Il ne faut pas, cependant, perdre de vue le fait qu'il s'agit d'une garantie relativement précaire et que la majorité des épouses — en particulier les épouses secondaires — ne disposent pas de biens personnels. Il est difficile, compte tenu de la documentation dont nous disposons, de donner une estimation quantitative du phénomène des femmes seules. Quelques listes nominatives et de nombreuses mentions littéraires nous permettent toutefois d'affirmer qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène rarissime. La femme seule — ou plutôt indépendante — apparaît principalement dans les situations suivantes : — veuves vivant des intérêts de leur capital (dot ou part d'héritage en argent) ou de leur travail (plus particulièrement des travaux d'aiguille ou du tissage). Il s'agit souvent de femmes élevant des enfants ou vivant avec un fils célibataire ; — femmes ayant quitté leur famille ou en étant séparées, accompagnées le plus souvent de domestiques — il s'agit souvent de femmes en situation irrégulière : filles ayant fui la maison paternelle pour éviter un mariage non désiré, femmes délaissées ou séparées de leur mari, mais disposant de moyens ;
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LA FEMME SEULE EN CHINE
— nonnes
intégrées
ou
non
dans
une
communauté
reli-
gieuse. Il s'agit dans ces trois cas de statuts plus ou moins temporaires ou, en tout cas, tolérés par la société. Il faut noter qu'il n'existe pratiquement pas de prostituées indépendantes — si l'on excepte des courtisanes de classe supérieure protégées par de hautes relations (en particulier sous la dynastie des T'ang). L a prostitution s'exerce en « maison » et les filles sont préalablement « adoptées » par un souteneur dont elles prennent le n o m de famille. Michel
CARTIER,
E.H.E.S.S.
RÉSUMÉ L'existence de femmes seules en Chine paraît relever du paradoxe. Du point de vue de la coutume et du droit traditionnel la femme reste une éternelle mineure ; elle est toute sa vie sous la tutelle de son père, de son mari ou, éventuellement, de son fils. Dans les faits, bien que ne participant pas au travail agricole, une certaine autonomie économique peut lui être assurée soit sous la forme de lots de terre (régime de distribution antérieur à 780), soit par la libre disposition de sa dot. La littérature romanesque présente des cas, peut-être marginaux, de veuves ou filles en fuite vivant seules.
SUMMARY Single women are considered entirely In fact, women have a or through access to
in China are an apparent paradox. Traditionally, women dependent on men : either their father, husband, or son. certain economic autonomy, due either to land ownership their doweries.
LA CONDITION FÉMININE DANS UNE STRUCTURE D'ASSISTANCE A ROME : ASPECTS DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIAUX (*) par F. GEMINI et E. SONNINO
Cette communication sera articulée sur deux plans : le premier concernera la constitution et le développement, de sa fondation (1672) à la moitié du xvm° siècle, du plus grand des « Pensionnats » romains ; le second donnera un aperçu de la structure et des mécanismes d'entrée et de départ de l'ensemble des femmes vivant dans ce pensionnat. 1.
LES ŒUVRES DE CHARITÉ FÉMININES A ROME: GESTIONS POUR UNE ÉTUDE DE LA CONDITION NINE A ROME AUX XVIV ET XVIII' SIÈCLES.
SUGFÉMI-
Dans la Rome papale naquirent, dès la fin du xvi* siècle, une multitude d'oeuvres de charité qui se proposaient de remédier à la misère qui s'étendait. C'est à cette époque que l'on commença à consacrer une attention particulière à l'assistance des femmes, des femmes seules en particulier, afin aussi d'enrayer, d'une façon ou d'une autre, la plaie de la prostitution De nombreux « pensionnats » au caractère éducatif furent ainsi créés 2 pour les plus jeunes, ainsi que des hospices et des abris pour les adultes et les vieilles femmes.
* Fiorenza GEMINI a rédigé les deux premiers chapitres, Eugenio SONle troisième. 1. Nous voulons mettre en évidence le fait qu'à Rome plus qu'ailleurs, la prostitution était considérée comme un facteur de graves désordres sociaux. Le contrôle exercé dans cette ville sur les femmes seules donne l'impression que celles-ci étaient presque toutes considérées comme de potentielles prostituées. Le nombre des prostituées romaines était de 718 en 1684, selon le « status animarum », soit 1,4 % de la population de sexe féminin. Ce pourcentage, selon les mêmes sources, passe, durant le XVII* siècle, d'un maximum de 3 % (1635) à des valeurs inférieures à 1 % vers la fin du siècle. 2. Selon Morichini, le nom de < conservatorio » < conservatoire », traduit ici « pensionnat », dérive du fait que ces instituts devaient « conserver l'honneur féminin ». L . MORICHINI, Saggio storico e statistico degli istituti di pubblica carità e d'istruzione primaria in Roma, Roma, 1835.
NINO
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F. GÉMINI ET E. SONNINO
Presque toujours fondés par des religieux, ces instituts vivaient sous le contrôle rigide des autorités ecclésiastiques. De plus, celles-ci se réservaient, par une politique avisée de bienfaisance et de concessions spéciales, le soin de récompenser les instituts qui auraient donné les meilleures garanties de sérieux. Afin d'éviter tout désordre, on visait surtout à éliminer la promiscuité entre honnêtes veuves et anciennes prostituées, entre veuves et jeunes filles, et surtout entre jeunes filles de bonne famille et filles de milieux misérables et corrompus. Il ne restait ainsi, à la fin du XVII' siècle, qu'une série d'instituts d'assistance particulièrement spécialisés : pour les pécheresses repenties, il y avait le refuge de la Divine Clémence à la « Salita di Santo Onofrio » et le refuge de « Santo Giacomo alla Lungara » ; pour les femmes abandonnées par leur mari, il y avait le refuge des « Malmariées à la Lungara » ; pour les veuves, il y avait plusieurs instituts de petites dimensions, les « maisons pour veuves » comme celle de « Santi Quattro Coronati alla Maddalena » ; pour les jeunes filles nobles, surtout pour celles qui voulaient prendre le voile, il y avait le couvent raffiné des Filles de l'Enfant-Jésus à Santo Lorenzo in Panisperna, le seul où on apprenait non seulement à lire et à écrire mais aussi quelques notions de mathématiques, de latin, de dessin, de chant et de musique ; pour les jeunes filles pauvres mais de bonne famille, il y avait le pensionnat des Filles « Viperesche » de l'Immaculée Conception à « l'Arco di Santo Vito » ; pour les filles des courtisanes, il y avait le pensionnat des Filles de « Santa Caterina dei Funari » ; pour les jeunes filles les plus pauvres et les plus délaissées, il y avait le pensionnat des Filles Perdues de Santa Eufemia à la colonne de Trajan, le pensionnat des Orphelines Mendiantes au Templum Pacis, l'hospice de Saint-Jean-de-Latran 3 et le pensionnat de la Divine Providence à Ripetta. C'est sur ce dernier institut — qui existe encore de nos jours bien qu'avec un rôle différent — et dont il est resté une très riche documentation, que nous avons porté notre attention. Son histoire est exemplaire pour comprendre non seulement la vie des pensionnats romains mais encore la condition féminine en général dans la capitale du catholicisme. 2.
LE PENSIONNAT
2.1 - Son
DE LA DIVINE
PROVIDENCE.
origine.
La fondation de l'institut eut lieu en 1672 grâce à un vieux prêtre romain, Francesco Paparetti, qui recueillit, d'abord dans une maison de la place Margana, puis dans un confortable immeuble à Ripetta, des jeunes filles provenant de milieux sordides et malfamés. Nous avons cru comprendre qu'il comptait surtout sur le vaste réseau 3. Les informations du paragraphe sont tirées de C.B. PIAZZA, pie di Roma, Roma, 1679.
Opere
FEMME SEULE ET ASSISTANCE A ROME
237
d'informations, constitué par les curés, pour que lui soient signalés les cas les plus pitoyables. Ces derniers étaient, en outre, les seuls qui pouvaient, grâce à leur autorité incontestée, lui permettre de gagner du crédit auprès des familles 4 . Mais, si les familles étaient réticentes, Paparetti et ses curés en arrivaient à emmener de force les filles qu'ils voyaient en plus grand danger 6 . Un tel zèle et surtout la rigueur du règlement et de la vie du pensionnat attirèrent sur lui l'attention et l'approbation des hiérarchies ecclésiastiques, en commençant par le pape Innocent XI. Ce dernier ne se limita pas à allouer des contributions annuelles mais il versa aussi, au profit du pensionnat, le fruit d'un impôt spécial que devaient payer, chaque année, tous les marchands et tous les bateliers du port de Ripetta, le jour de la Saint Rocco. Ces concessions se multiplièrent dans le temps et, l'institut étant désormais célèbre, les aumônes des plus riches familles romaines ainsi que d'immenses legs et de généreux héritages commencèrent à y arriver, ce qui le rendit maître d'un immense patrimoine immobilier dès la fin du xvn e siècle. Entre 1676 et 1693, deux petits pensionnats du quartier Trastevere furent annexés à cet institut. Il devint ainsi à cette époque le plus grand pensionnat de Rome, avec une moyenne de 180 élèves. 2.2 - Les
admissions.
Au fur et à mesure que grandissait sa fortune, les demandes d'admission au pensionnat croissaient aussi avec démesure. Désormais les contacts avec les curés devaient être maintenus, non plus pour chercher les nombreuses candidates mais pour choisir parmi celles-ci. Au cours de ces années d'ascension rapide, la Divine Providence conserva toutefois l'organisation à caractère d'assistance que lui avait donnée son fondateur : si le besoin en était prouvé, les jeunes filles étaient admises sans problèmes, quel que fût leur milieu d'origine et leur âge (de 5 à 20 ans et plus). Par contre, on cherchait ensuite à limiter leur séjour dans l'institut à un laps de temps qui laissait la possibilité d'un certain roulement. Une telle politique s'orientait, comme nous le verrons mieux plus tard, ou vers la solution classique du mariage, ou vers le placement dans des familles de confiance, lorsque la famille d'origine ne pouvait pas reprendre les jeunes filles. Tout ceci, mis à part les honnêtes intentions éducatives, donnait au pensionnat un air de port de mer qui s'adaptait mal à 4. Les liaisons entre Paparetti et les curés sont prouvées par la série des demandes d'admission dans le « Libro delle giustificazioni e rescritti per l'ingresso delle zitelle dalla fondazione al 1746 », fonds du Pensionnat de la Divine Providence, Archives de S. Maria in Aquiro à l'Académie des « Lincei ». 5. Voir « Raccolta di notizie per il conservatorio della Divina Provvidenza », idem.
238
F. GÉMINI ET E. SONNINO
l'image publique et au rôle économique qu'il avait conquis. En 1703, le cardinal Francesco Barberini — qui, en qualité de protecteur du pensionnat, présidait à toutes ses activités — et don Nicola Travaglini, le recteur qui succéda au fondateur, donnèrent à l'institut un changement de cap décisif avec les « Constitutions », ainsi qu'une nouvelle et plus rigide organisation pour l'administration, la discipline et en particulier pour les admissions. On créa d'abord un puissant filtre de sélection à l'entrée : toute jeune fille devait apporter en dot à l'institut 50 écus, soit environ le salaire annuel d'un employé de niveau moyen ; c'était une somme telle qu'elle excluait du pensionnat la catégorie des jeunes pauvres et abandonnées pour lesquelles il avait été créé. On demandait en outre un bon trousseau de linge et de vêtements pour toutes les nécessités de la jeune fille au pensionnat, y compris un lit et un matelas. Il fallait, en plus être Romaine, avoir moins de 15 ans et surtout provenir d'une famille honnête et de grande réputation. Il semble superflu d'ajouter que la jeune fille devait évidemment être vierge. L'institut devint ainsi un pensionnat au caractère traditionnel, sur lequel les familles, même les meilleures, pouvaient compter, pour un placement presque définitif des jeunes filles. Outre la garantie d'une bonne éducation et de leur subsistance, les jeunes filles, qui montreraient une bonne conduite, auraient de riches dots pour se marier ou prendre le voile. Plusieurs d'entre elles finissaient par rester au pensionnat toute leur vie, incorporées le plus souvent au sein du personnel de direction. Bien sûr, certaines pensionnaires retournaient aussi dans leur famille mais elles le faisaient généralement de leur propre gré ou à cause de maladies chroniques, comme nous le verrons ensuite. Même avec ces nouvelles conditions, une place au pensionnat de la Divine Providence était donc assez recherchée. La plus forte sélection d'ordre social et économique ne manqua pas de faire sentir ses effets : dès la fin du xvn" siècle, le nombre des pensionnaires diminua progressivement mais presque constamment. Le tableau I indique très clairement la nette réduction du mouvement d'entrée et de départ, qui va de pair avec le durcissement de l'institution et sa transformation de refuge préventif de la prostitution des mineures en pensionnat pour jeunes filles de bonne famille. La limitation imposée par l'obligation d'être romaine dut influer de façon non négligeable sur les admissions dans une ville aussi cosmopolite que Rome. Mais il nous a semblé comprendre qu'il suffisait aux aspirantes d'avoir résidé à Rome quelques années, temps nécessaire à un curé pour pouvoir connaître les familles et s'en porter garant. Nous avons donc, parmi toutes les élèves présentes entre 1684
FEMME
SEULE
ET
ASSISTANCE
A
239
ROME
et 1750, 2 % seulement d'étrangères déclarées (bien que les noms allemands, français et espagnols soient bien plus fréquents) ; parmi les Italiennes 3 % à peine viennent du royaume de Naples, et 5 % des autres Etats du Centre-Nord ; l'arrivée des Etats pontificaux est naturellement plus fréquente mais le pourcentage ne dépasse pas 15 %. Que ce fut par la rigueur du règlement ou par la complaisance des curés au cours de cette période, 75 % des pensionnaires furent effectivement des romaines. TABLEAU I
Mouvement des élèves du Pensionnat de 1684 à 1750 (6) a) V a l e u r s
effectives
Présentes ,,, . au d é b u t
Période
Entrées
Sorties
Solde
Présentes * , _. â la fin
Pâques 1684-31/12/1684
152
37
22
15
167
1685-1690
125
125
153
-28
139
1691-1710
139
326
304
22
161
1711-1730
161
185
212
-27
134
1731-1750
134
155
156
-•1
133
1684
52,2
31,1
1685-1690
20,8
25,5
1691-1710
16,3
15,2
1711-1730
9,3
10,6
1731-1750
7,8
7,8
b) V a l e u r s a n n u e l l e s
2.3 - La vie au
moyennes
pensionnat.
Nous avons déjà parlé du caractère éducatif qui distinguait les pensionnats romains des autres œuvres de charité. Mais, pour avoir 6. Les périodes de 20 ans suffisent à donner un cadre de la situation dès la fin du XVII" siècle ; l'année 1684 est analysée en particulier parce que c'est la première année pour laquelle nous possédons des données complètes, en commençant à Pâques — qui est aussi la date d'un pendant exact trouvé avec le « status animarum » de la paroisse compétente de S. Maria del Popolo. On a isolé la période 1685-1690 parce qu'il y a encore un mouvement intense à l'intérieur de l'institut, tandis que bientôt la situation deviendra stable dans le sens que nous avons décrit. Nous devons dire que par la suite aussi les données sur le pensionnat fournies par les « status animarum » concordent presque parfaitement avec celles que nous avons reconstruites.
240
F. GÉMINI ET E. SONNINO
une idée plus claire sur ce qu'on entendait à cette époque par éducation et instruction féminines, il suffit d'examiner le système d'éducation du pensionnat de la Divine Providence, sans oublier qu'il était considéré à Rome comme un institut modèle. Les jeunes filles étaient utilisées 10 à 12 heures par jour, environ, pour la couture de gants. Ce travail, entretenu par des commandes passées par divers gantiers de Rome, devait contribuer avant tout au budget du pensionnat. Cela n'empêche qu'il faisait partie de l'instruction donnée aux élèves, selon la tradition qui, pendant des siècles, a fait des travaux domestiques le pivot de l'éducation féminine. L'organisation du travail était très rationnelle. On essayait de tenir compte des capacités et de l'expérience de chacune. C'est aux adultes et, en général, aux élèves de longue date que l'on donnait la tâche la plus lourde : coudre deux gants d'hommes par jour ; les plus jeunes, au contraire, devaient faire les délicats gants de femme. Pendant la fabrication des gants, on trouvait aussi moyen d'insérer quelques rapides leçons de lecture. Mais la véritable formation culturelle de ces jeunes femmes était fondée sur la religion. Dès leur réveil, à toutes les heures de travail ou non, et même pendant l'intervalle tant attendu du déjeuner et du dîner, les jeunes femmes étaient constamment occupées par une série inépuisable de rosaires, psaumes, litanies, oraisons diverses et autres exercices spirituels, capables de briser les esprits les plus bouillonnants. Seules les directrices de l'institut pouvaient se soustraire à ce rythme épuisant. Tout le personnel dirigeant — mis à part le recteur qui depuis le fondateur a toujours été un prêtre — était formé par les anciennes, choisies parmi les élèves les plus dignes de confiance et de bonne famille. Outre la supérieure et la sous-prieure qui s'occupaient de la direction générale et de la discipline, chaque secteur de l'institut avait une responsable comme la dispensatrice, la cantinière, le chef cuisinier, l'infirmière, la portière et les diverses maîtresses. Cette organisation parfaite touchait particulièrement le secteur de la cuisine où toutes les élèves, au nombre de deux par semaine, alternaient pour les services les plus lourds. C'est ainsi que grâce aux nombreuses aumônes en espèce, en blé et en vin surtout, et aux conventions que l'insiitut réussissait à passer avec les épiciers, les boulangers, les bouchers et autres commerçants, les élèves pouvaient recevoir une nourriture riche et variée. Il y avait d'habitude pour le déjeuner une abondante ration de soupe, des légumes, de la viande ou des œufs ; pour le dîner, du fromage, de la salade et des fruits. C'est, tout compte fait, une alimentation semblable à celle que l'on rencontre actuellement dans de nombreuses régions d'Italie. On chercha aussi à équiper une petite infirmerie où une vieille pensionnaire avec un bon trousseau de médicaments et d'instruments s'occupait des élèves malades ; mais les plus gravement
241
FEMME SEULE ET ASSISTANCE A ROME
atteintes étaient renvoyées le plus vite possible chez elles ou à l'hôpital. On pensa enfin à l'habillement, en donnant, chaque année, aux jeunes filles une chemise et une paire de chaussures neuves, outre l'uniforme qu'elles devaient avoir en entrant. Et comme on tenait beaucoup à la propreté et à l'ordre, on distribuait une livre de savon par personne, chaque mois. Somme toute, bien qu'on y travaillait durement, on jouissait dans ce pensionnat d'un train de vie assez élevé pour l'époque. 2.4 - La vie sociale et les rapports avec le monde
extérieur.
La dure réglementation de la journée ne laissait guère de place aux rapports sociaux. Il n'y avait qu'une heure de liberté après le déjeuner et après le dîner, juste le temps de se reposer et de ranger ses affaires personnelles. Il ne faut pas oublier, d'autre part, que les élèves constituaient un groupe socialement hétérogène : au xvn" siècle, nous y trouvons encore des filles de prostituées et des protégées de princesses. Il était difficile de les faire vivre ensemble, pacifiquement. Mais, en réalité, même les rapports avec le monde extérieur étaient rompus. Une fois par mois seulement, il était permis de recevoir ses proches parents. On ne pouvait parler avec personne d'autre, même pas par la fenêtre. Même les lettres adressées aux élèves devaient être lues au préalable par la supérieure. Les sorties, bien sûr, étaient restreintes et contrôlées au maximum. On ne pouvait sortir en groupe que pour aller faire des dévotions particulières dans une église. Pour sortir seule, il fallait faire une demande par écrit au cardinal protecteur qui veillait sur la bonne marche de l'institut. Le cardinal vérifiait, avec la supérieure, la gravité et l'urgence des raisons invoquées. De lourdes interférences intervenaient aussi dans le choix du mari. Si le parti n'était pas directement proposé par les autorités de l'institut — auxquelles beaucoup s'adressaient, comme à une agence matrimoniale avant la lettre, pour prendre femme : il s'agissait en particulier d'artisans et de petits commerçants 7 —, ces dernières s'arrogeaient le droit d'enquêter et de contrôler avant de donner le consentement et la dot. Et si ce climat provoquait inquiétudes et malaises, on pouvait toujours avoir recours aux mesures de discipline. Les insubordinations et les manques les plus graves étaient punis par des peines qui allaient de l'isolement au pain et à l'eau à l'expulsion. Pour les fautes légères, on se contentait d'en faire une confession publique, à genoux, pour donner à toutes le bon exemple. Nous devons en conclure que ces femmes payaient lourdement sur le plan humain le relatif bien-être matériel dont elles
7.
16
Voir « Filza di giustificazioni delle uscite », idem, note 4.
242
F. GÈMINI ET E. SONNINO
jouissaient à l'institut. Seules l'ouverture d'esprit et l'indulgence des maîtresses les meilleures, d'après ce que nous avons pu comprendre, réussissaient à relâcher la tension en couvrant les manquements les plus innocents et en laissant quelques possibilités de contact avec le monde extérieur 8 . 3.
DYNAMIQUE ET STRUCTURE DÉPARTS DU PENSIONNAT.
DES
ENTRÉES
ET
DES
3.1 - Les sources. L'enregistrement des entrées et des départs des jeunes filles du pensionnat permet des analyses démographiques d'un certain intérêt. Nous présentons ici les résultats relatifs à la dynamique des entrées et des départs, en considérant dans son ensemble le total des filles entrées au pensionnat jusqu'au mois de décembre de l'an 1750. Mais l'analyse ne peut couvrir en entier la période considérée parce que ce n'est qu'à partir du milieu du mois d'avril 1684 qu'un premier registre nominatif des pensionnaires est disponible et ce n'est qu'à partir de cette date que l'on trouve un enregistrement continu du mouvement d'entrées et de départs. L'ensemble pris en considération correspond à environ 1 000 personnes ; tel est le nombre des jeunes filles qui ont vécu une période de leur vie plus ou moins longue entre les murs du pensionnat — de moins de un an à plus de soixante-dix ans — en y étant entrées entre 1672 et 1750 et en l'ayant quitté à partir de 1684. Nous avons bien sûr recherché dans la documentation disponible la date et les causes de départ des élèves qui ont quitté l'institut après 1750. 3.2 - Etude d'ensemble pensionnat.
des jeunes filles au moment
de l'entrée au
Comme nous l'avons déjà vu, l'âge fixé par les règlements pour l'entrée au pensionnat (de 8 à 13 ans) a comporté de fréquentes exceptions au cours de la période considérée ; il a été davantage respecté au x v i i i * siècle. Sur l'ensemble des jeunes filles entrées au pensionnat entre 1672 et 1750, 30 % avaient plus de 14 ans à l'époque de leur admission, et l'on va jusqu'à un maximum de 36 ans (un cas), deux jeunes filles ayant 25 ans. Toutefois, l'âge moyen à l'entrée au pensionnat est de 13 ans (âge normal : 14 ans ; âge médian : 12,4 ans). Il s'agit de générations déjà fortement sélectionnées en termes de mortalité : la mortalité féminine au cours de la première année de vie avait à Rome une incidence que l'on peut calculer, au milieu du x v i r siècle, à environ 195 %0. 8. Toutes les informations de ce paragraphe sont tirées de « Raccolta di notizie, etc. », idem.
FEMME
SEULE
ET ASSISTANCE
243
A ROME
Particulièrement intéressante, pour évaluer le rôle de protection sociale des conditions les plus défavorisées joué par le pensionnat, est la distribution de l'ensemble d'après la survie des parents au moment de l'entrée des jeunes filles à l'institut : les jeunes filles sont orphelines des deux parents dans 23,1 % des cas, orphelines de père dans 41,9 % des cas, orphelines de mère dans 17,2 % des cas ; 17,8 % seulement des jeunes filles, entrées dans la période étudiée, ont leurs deux parents vivants (tableau II). TABLEAU I I
Age des jeunes filles et survie de leurs parents au moment de l'entrée au Pensionnat (1672-1750) Classes d'âges
Avec les deux parents vivants N.
4 5- 9 10-14 15-19
*
1 32 82 40
20-24 25 +
8
Total
163
*
N.
0,6
2
19,6
63 226
50,3 24,6 4,9 -
-
Orphelines Orphelines Orphelines de père des deux p de mère
100,0
85 8
0,5 16,4
%
58,9 22,1 2,1
7
19,0
21
1
53,8 101 22,2 76 4,4 12 2 0,6
100,0 158
100,0 212
-
%
N.
. 30 85 35
-
384
N.
Total N.
%
3 9,9 146 47,6 494
0,3 15,9 53,9
35,9 236 35 3
25,8 3,8 0,3
100,0 917
100,0
5,7 0,9
Age moyen
12 7
12,5
12 ,7
14 ,0
13 ,0
Survie des parents *
17,8
41 ,9
17 ,2
23 ,1
100 ,0
La majorité de jeunes filles orphelines de père suggère quelques considérations sur la fonction sociale exercée par l'institution. Du point de vue économique, ces jeunes filles sont évidemment celles qui ont le plus besoin d'assistance par rapport aux orphelines de mère ; de même, du point de vue moral, elles représentent aux yeux des autorités une catégorie particulièrement exposée au risque de la « perdition s>. Beaucoup d'entre elles, d'ailleurs, sont nées de père inconnu. Les mêmes raisons justifient aussi sans doute la forte présence de jeunes filles orphelines de père et de mère, dont le moindre nombre par rapport aux orphelines de père peut s'expliquer soit par la fréquence plus rare d'une telle condition, à cet âge, dans la population, soit par les plus grandes difficultés qu'elles devaient surmonter pour soutenir les frais d'entrée au pensionnat. La survie des parents ne semble pas, toutefois, représenter un caractère de sélection en ce qui concerne l'âge moyen à l'entrée au
244
F.
GÈMINI
ET
E.
SONNINO
pensionnat : celui-ci reste, dans les trois premiers sous-groupes, de peu inférieur à la valeur générale de 13 ans, tandis que dans le sousgroupe constitué par les jeunes filles orphelines des deux parents — parmi lesquelles on trouve pour des raisons évidentes un plus grand pourcentage de jeunes filles d'âge plus élevé — l'âge moyen atteint 14 ans. 3.3 - Le départ du
pensionnat.
3.3.1 - Changements du XVII'
au XVIII'
siècle.
En accord avec l'évolution des fonctions du pensionnat de la Divine Providence et avec la diminution de ses possibilités d'accueil que l'on note — comme cela a déjà été dit — entre la période qui s'étend de 1672-1700 à la première moitié du X V I I I " siècle, le temps de séjour des jeunes filles dans l'institut et les modalités de leur départ se transforment à leur tour. Les causes possibles du départ d'une jeune fille du pensionnat peuvent être ainsi énumérées : décès, lorsque l'institut a représenté la dernière demeure de la jeune fille ; mariage ; retour dans la famille ; installation dans une autre famille comme hôte ou pour être à son service ; enfin, départ pour entrer au couvent comme religieuse. TABLEAU
III
Distribution des jeunes filles par cause de départ du Pensionnat, durée moyenne de la permanence et périodes (valeurs en pourcentage)
Causes de départ
Périodes 1684-1700
1701-1750
1684-•1750
Mariage
39,0
41 ,1
40 0 .
Décès Prise de voile Retour en Famille
17,1 2,4 34,5
26,0 9,5 21,0
21 6 5 9 27 9
7,0
2,5
4 6
100,0
100,0
100 0
10,6
15,1
12,8
Autre installation TOTAL Durée moyenne de la permanence (années) Nombre de cas
456
443
899
Entre la première et la seconde période, la distribution des jeunes filles selon les modalités de départ change sensiblement
FEMME SEULE ET ASSISTANCE A ROME
245
(tableau III) : le pourcentage de celles qui restent au pensionnat jusqu'à leur mort augmente fortement (de 17 % à plus du quart de l'ensemble) ; le pourcentage de celles qui quittent le pensionnat pour entrer au couvent augmente aussi ; le nombre des jeunes filles qui rentrent chez elles ou qui s'installent dans une autre famille diminue de façon analogue ; le pourcentage des jeunes filles qui quittent le pensionnat pour se marier augmente de peu (de 39 à 41 %) ; pour les deux périodes, le mariage est la principale cause de départ. En harmonie avec cette évolution, entre la première et la seconde période, l'âge moyen des jeunes filles à leur entrée à l'institut a baissé de 13,7 à 12,1 ans (moyenne du total 12,9 ans) tandis que la durée moyenne de leur séjour au sein de l'institution a augmenté : de 10,6 à 15,1 ans (moyenne du total 12,8 ans). En conséquence, la probabilité pour les jeunes filles de finir leurs jours au pensionnat a évidemment augmenté en moyenne ; mais cet élément d'ordre naturel qui contribue à faire croître l'incidence de la mort comme cause de départ n'est certainement pas le seul qui puisse expliquer les changements qu'on observe, sur le tableau III, entre la période 1684-1700 et la période 1701-1750. En réalité, le pensionnat a modifié durant ces années sa fonction principale. D'abord lieu de protection provisoire des jeunes filles, en vue de leur retour dans leur famille d'origine, et centre de triage pour des familles disposées à les accueillir (sorte de bureau de placement), il devient un lieu qui, de plus en plus, détermine de façon définitive le destin de ses pensionnaires. Il les retient jusqu'à la mort ou, en accentuant son rôle économique et social, les conduit au mariage (comme il résulte d'une abondante documentation), ou enfin les achemine vers une autre structure religieuse bien plus solide, le couvent. Bien que cette dernière solution reste secondaire (9,5 % des cas de départ entre 1701 et 1750), c'est sa croissance relative (le pourcentage du xvn" siècle était 2,4 %) qui constitue la modification principale, d'une période à l'autre, des modalités de départ de l'institut. L'examen que nous ferons maintenant de certaines caractéristiques des flux de départ s'appliquera, en général, au mouvement de toute la période, afin de ne pas trop fragmenter les données, avec comme hypothèse que la structure interne et le calendrier ne changent pas entre la première et la seconde sous-période, même si l'incidence relative de chaque cause varie. 3.3.2 - Aspects
démographiques.
a) L'âge à la mort. Les 194 jeunes filles entrées au pensionnat entre 1672 (et encore vivantes en 1684) et 1750 qui restent à l'institut jusqu'à leur mort, ont certainement joui, en termes de capacité de survie, d'une situation privilégiée par rapport au reste des jeunes Romaines. Pourtant,
246
F. GÉMINI ET E. SONNINO
malgré une vie régulière et protégée, une alimentation plus que satisfaisante, l'ensemble de ces jeunes filles, dont l'âge moyen au moment de l'entrée au pensionnat est de 12 ans, atteignent à peine 36,6 ans comme âge moyen à leur décès. L'étude du calendrier des décès a été menée non pas sur l'ensemble mais sur un échantillon homogène, composé par les jeunes filles entrées au pensionnat à partir de 1684 à un âge qui ne dépassait pas 15 ans (il s'agit de 122 personnes). Ceci permet de construire, par la méthode de Halley, la table de mortalité à partir de 15 ans que nous présentons ici sous une forme abrégée (tableau IV). Une espérance de vie à 15 ans (el5) de 41,4 ans synthétise un calendrier des décès dans lequel il nous semble nécessaire de souligner la forte mortalité qu'on observe dans les deux classes d'âges initiales et, au contraire, le faible risque de décès relatif aux âges 45-64 ans, qui exprime à la fois l'influence de la forte sélection précédente et celle des conditions de vie favorables qui caractérisent une collectivité fermée de ce type. TABLEAU
IV
T a b l e d e m o r t a l i t é a b r é g é e : j e u n e s filles e n t r é e s a u P e n s i o n n a t à l'âge d e 5 à 15 a n s , 1684-1750 Age
10qx (D.1000)
Sx
d(x,x+10)
15
1000
320
320,0
25
68 0
189
277,9
35
491
90
183,3
45
401
73
182,0
55
328
90
274,4
65
238
181
760,5
75
57
49
859,G
85
8
b) L'âge au mariage. Bien plus nombreux, comme on le sait, se présente le groupe des jeunes filles — entrées entre 1672 (encore en vie en 1684) et 1750 — dont le départ de l'institut est causé par leur mariage, événement qui constitue souvent pour elles le dernier acte du rôle de protection joué par le pensionnat lui-même. Il s'agit, c'est évident, d'un ensemble qui n'épuise pas l'étude de la nuptialité du groupe, car parmi les jeunes filles qui quittent le pensionnat pour d'autres
247
F E M M E S E U L E ET ASSISTANCE A R O M E
raisons — retour en famille, entrée dans une autre famille — beaucoup d'entre elles se marieront certainement en dehors du contrôle du pensionnat ; mais elles sont pour nous inconnues. Il apparaît d'ailleurs intéressant d'étudier ici les modalités du mariage dans le cadre de l'institution et non au dehors. L'âge moyen au mariage du groupe en question est élevé : 24,9 ans ; la durée moyenne du séjour au pensionnat avant le mariage est de 11,7 ans. La distribution en pourcentage des jeunes filles par classe d'âges au mariage (tableau V) montre un grand pourcentage de cas, dans la classe 20-29 ans TABLEAU
V
Distribution des jeunes filles sorties en vie du Pensionnat par âge et cause de départ, 1684-1750 (Valeurs en pourcentage) Motif du départ
Age (ans)
Mariage
Prise de voile
Retour en famille
Autre installation
10-14
0,5
16,1
15,0
15-19
15,7
31 ,4
40,6
37,5
20-24
37,3
41,1
27,7
25,0
25-29
26,8
17,6
10,4
15,0
30-34
14,8
5,9
2,4
5,0
35-39
3,4
2,0
1,2
2,5
40-44
0,9
-
45-49
0,3
-
50-54
0,3
2,0
0,8
TOTAL
100,0
100,0
100,0
100,0
Age moyen à 1 1 entrée (ans)
13,3
11,1
13,0
14,3
Durée moyenne de la permanence [années)
11,7
11,6
6,6
5,8
Age moyen au départ (ans)
24 , 9
22,7
19,6
20,1
Nombre de cas
351
51
0,8
-
-
249
-
40
248
F. GÈMINI ET E. SONNINO
L'âge moyen au mariage apparaît très faiblement influencé par l'âge à l'entrée au pensionnat ; nous avons divisé l'ensemble en quatre groupes selon l'âge à l'entrée : 5-9 ans, 10-14 ans, 15-19 ans, 20-22 ans (22 ans représente l'âge maximum à l'entrée des filles qui quittent le pensionnat pour se marier). L'âge moyen au mariage du premier groupe est de 24,9 ans ; celui du second et du troisième groupes est de 24,8 ans, et celui du quatrième 27,0 ans (mais il s'agit dans ce dernier groupe de 11 cas seulement sur un total de 351). L'homogénéité de ces valeurs moyennes sous-entend, à notre avis, un modèle très rigide d'âge au mariage, sans doute conditionné beaucoup plus par les tendances, à ce sujet, de la société romaine que par un choix exercé à l'intérieur de l'institution. 3.3.3 - Aspects
sociaux.
Nous avons déjà indiqué l'importance des autres causes de départ du pensionnat ainsi que les modifications au cours du temps : deux causes diminuent d'importance — le retour en famille, l'installation dans d'autres familles — la troisième, au contraire, la prise de voile, augmente. Observons-les de façon plus analytique (tableau V). a) Le retour en famille. C'était la pratique la plus logique et la plus naturelle, lorsque l'élève, après un certain nombre d'années au pensionnat, n'avait pas encore trouvé de mari. Mais le retour en famille pouvait aussi être décidé pour des raisons disciplinaires — les cas ne sont pas rares où les jeunes filles ont été rendues à leur famille quelques mois après leur entrée au pensionnat — ou a cause d'une maladie trop longue ou contagieuse. Mais il n'était pas rare non plus que la famille ellemême rappelât la jeune fille, parfois pour pouvoir la marier sans devoir subir les ingérences citées plus haut. Dans le cas des orphelines, nous avons noté qu'elles étaient rendues à leur famille de préférence après le mariage d'un frère ou d'une sœur ou du père ou de la mère qui avait survécu. L'âge moyen de ce groupe à l'entrée au pensionnat est de 13 ans ; la durée moyenne de séjour est assez brève par rapport aux autres groupes : 6,6 ans ; ceci confirme le caractère strictement provisoire de ce genre de solution voulu par les familles des jeunes filles. b) L'installation dans d'autres familles. Cette solution est caractéristique des toutes premières années de vie de l'institut, des années pendant lesquelles les élèves provenaient des milieux les plus malfamés. Puisque l'on ne pouvait les renvoyer dans les maisons d'où on les avait enlevées, souvent de vive force, comme nous le savons, on cherchait des familles de confiance et d'un certain rang pouvant les accueillir. Même si les sources ne
FEMME SEULE ET ASSISTANCE A ROME
249
sont pas explicites à ce sujet, tout laisse croire que ces familles les utilisaient à leur service. On dit aussi que parfois elles vivaient dans la famille d'un artisan pour apprendre un métier. Ce destin était aussi celui, parfois, des protégées de puissants bienfaiteurs, auprès desquels celles-ci étaient renvoyées comme elles l'auraient été chez elles. Dans l'ensemble, les jeunes filles qui ont quitté le pensionnat de cette façon représentent 7 % au x v i i * siècle, 2,5 % au xvni" siècle. Dans leur cas, nous avons trouvé la durée moyenne de séjour la plus courte, moins de 6 ans ; leur âge moyen à l'entrée est le plus élevé, 14,3 ans : il est significatif du plus grand âge qui caractérise en moyenne les jeunes filles entrées au pensionnat au x v i i " siècle. Mais ces données sont incomplètes, parce que beaucoup de ces jeunes filles, avant de quitter le pensionnat définitivement, allaient et venaient d'une famille à l'autre, et ces mouvements sont assez difficiles à mesurer. Il faut souligner aussi que cet usage cessera presque totalement au x v i i i " siècle. c) La prise de voile. L'importance quantitative que l'installation dans d'autres familles perd dans le temps comme cause de départ est largement remplacée dans la première moitié du x v i i i " siècle par celle que revêt la prise de voile. C'était un choix que l'on encourageait par des dots pareilles à celles du mariage, une solution qui donnait de meilleures garanties et qui était surtout plus conforme à la nouvelle structure du pensionnat. Ce phénomène typique de la seconde période caractérise un groupe dont l'âge moyen à l'entrée est le plus bas: 11,1 ans; mais le temps de séjour des jeunes filles au sein de l'institut, avant la prise de voile, est long: 11,7 ans. Il est intéressant de noter à ce propos que s'expriment deux modes de séjour à l'institut nettement distincts, parmi les jeunes filles qui en sortent vivantes. Celles qui retournent chez elles — ou qui s'installent dans une autre famille — semblent presque indiquer les échecs du dessein de l'institution, ou des erreurs qui d'ailleurs diminueront au cours du temps : le pensionnat se libère vite de ces jeunes filles. Cela est bien différent pour celles qui quittent l'institut pour contracter une union définitive — avec un mari bien sélectionné ou avec l'Eglise — : le temps du contrôle, de l'éducation, de la formation humaine à l'intérieur de l'institut dans les années décisives de l'adolescence et de la première maturité est beaucoup plus long ; ces jeunes filles garderont une empreinte sans doute indélébile d'une telle expérience. d) Le départ et la famille d'origine. Pour terminer, nous avons essayé d'évaluer l'influence que peut avoir sur la sortie du pensionnat un facteur déjà considéré comme sélectif à l'entrée : la survie des parents au moment de l'entrée au
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F. GÈMINI
ET E.
SONNINO
pensionnat. La limite la plus forte de cette évaluation est due, bien sûr, au fait que nos sources ne nous disent presque rien des parents, après le moment de l'entrée. En tout cas, quelques données intéressantes émergent quand même. Les départs les plus influencés par la survie des parents sont ceux qui aboutissent au retour en famille (Tableau VI). TABLEAU V I
Distribution des jeunes filles selon la survie de leurs parents au moment de l'entrée au Pensionnat et la cause de départ, 1684-1750 (Valeurs en pourcentage) Avec l e s deux parents vivants
Orphelines de p è r e
Mariage
34,7
42,3
40,1
39,4
40,0
Décès
15,3
20,5
28,9
22,6
21 , 6
4,7
6,5
5,3
6,3
5,9
40,6
27,3
23,0
23,6
27,9
4,7
3,4
2,7
8,1
4,6
Cause d e d é p a r t
P r i s e de v o i l e Retour en f a m i l l e Autre
installation
Orphelines d e mère
Orphelines des deux p a r e n t s
Total
TOTAL
100,0
1 00, 0
100,0
100,0
100,0
Ncmbre d e c a s
160
384
152
208
904
Comme il fallait s'y attendre, la plus grande fréquence relative de cette cause de départ concerne les jeunes filles qui étaient entrées au pensionnat lorsque leurs deux parents étaient encore en vie ; de façon analogue, c'est pour ces jeunes filles que l'on trouve les pourcentages les plus bas relatifs au départ pour mort, prise de voile, mariage, tandis que la cause de départ pour installation dans une autre famille se situe sur la valeur moyenne totale. Mais cette dernière cause concerne, au contraire, le plus grand pourcentage de jeunes filles orphelines de leurs deux parents. Les orphelines de mère, plus que les autres, restent au pensionnat jusqu'à la mort tandis que les orphelines de père montrent les plus grands pourcentages des cas cas de départ pour mariage et pour prise de voile : le rôle « maternel » joué par l'institution semble dans ces cas se justifier doublement. Ces données aussi montrent la capacité qu'avait l'institut d'exercer son rôle d'assistance et de contrôle en tenant compte, en même temps, du différent stade de difficultés représenté par la situation familiale des jeunes filles pour orienter et gérer leur destin. F . GEMINI et E . SONNINO
FEMME SEULE ET ASSISTANCE A ROME
251
RÉSUMÉ Cette étude s'articule en deux parties. La première concerne la naissance et le développement, de sa fondation en 1672 à la moitié du XVIII' siècle, du plus grand pensionnat féminin de Rome : le Pensionnat de la Divine Providence. C'est une histoire exemplaire de l'organisation de l'assistance des femmes dans la Rome papale, qui oscillait sans cesse entre l'esprit de charité à l'égard de la misère (qui pour les femmes prenait souvent le triste aspect de la prostitution) et l'attrait temporel du prestige et de la richesse que de telles institutions accumulaient également. C'est ce dernier aspect qui finissait, souvent, comme dans notre cas, par prévaloir. C'est sous ce jour qu'il faut voir les mécanismes d'acceptation et de congé des élèves de l'institut, la dure réglementation de leur vie, faite de travail et de prières. La seconde partie de cette étude est dédiée à l'analyse de l'ensemble des femmes entrées au pensionnat à cette époque : elle indique la structure par âges à l'entrée au pensionnat (Tab. 2) et au départ (Tab. 5), le séjour moyen, les modalités et la nature des départs pour mariage, prise de voile ou retour en famille. On a aussi construit une table de mortalité pour le groupe de femmes restées au pensionnat jusqu'à leur mort (Tab. 4). De l'ensemble des informations, on peut déduire que les changements au sein de l'administration de l'institut se répercutaient sur la vie des pensionnaires.
SUMMARY This article is divided into two parts. The first deals with the founding and growth of a women's residence established by the church in Rome in 1672. The second concerns the women who lived there and involves an analysis of the age of the women when they entered the institution as well as a study of the under which they left, and the death rate of those who stayed behind.
SOLITARY WOMEN AND FAMILY MEDIATION IN AMERICA AND FRENCH TEXTILE CITIES * by Tamara K. HAREVEN and Louise A. TILLY Recent historical demographic research has emphasized the role of family and household in regulating and shaping its individual members' lives. Thus, studies of the timing of life transitions in and out of the labor force, into marriage and household headship have shown, indeed, that in the United States, in the second half of the nineteenth century, such timing was governed primarily by family needs, rather than by specific age norms as to when these transitions should be m a d e S i m i l a r l y , entire family units, or several members of the same family, worked together in factories in the early phases of textile industrialization in Britain 2. The practice of family employment in the textile industry survived in the United States until the first part of this century. Hareven's study of labor recruitment, organization of work, and control over the work process itself by workers reveals the significant role of immediate and extended kin as mediators between individuals and the labor market 3 . For France also, the role of family
* Louise Tilly's research was made possible by a Faculty Research grant from the University of Michigan and a grant from the American Philosophical Society. She thanks Charlotte Steeh for programming assistance. Tamara Hareven's data for this paper were gathered under research grants from the National Endowment for the Humanities and the Merrimack Valley Textile Museum. She is indebted to Steve Shedd for programming assistance. The authers are grateful to Charles Tilly, Leslie Moch and Philip Uninsky for comments on earlier drafts. 1. Tamara K. HAREVEN, « Family Time and Historical Time », The Family: Daedalus, 1 0 6 ( 2 ) , spring 1 9 7 7 , p. 5 7 - 7 0 ; John MODELL, Frank FURSTENBERG and Theodore HERSHBERG, « Social Change and Transition to Adulthood in Historical Perspective », Journal of Family History, I (Autumn, 1 9 7 6 ) , p. 7 - 3 3 . 2. Frances COLLIER, The Family Economy of the Working Classes in the Cotton Industry, 1784-1833, Manchester: Manchester University Press, 1964 ; Neil J . SMELSER, Social Change in the Industrial Revolution. An Application of Theory to the British Cotton Industry, Chicago: University of Chicago Press, 1959. 3. Tamara K. HAREVEN, Family Time and Industrial Time: The Relationship Between the Family and Work in a New England Industrial Community, New York, Cambridge University Press, 1982; Tamara K. HAREVEN and Randolph LANGENBACH, Amoskeag: Life and Work in a American City, New York: Pantheon, 1978.
254
K. HAREVEN ET A. TILLY
as mediator between individuals and economic activity has been demonstrated in the late nineteenth century; this mediation occurred both in links between family members and the production of commodities outside the home and in reproduction inside the home 4 . The strength of the concept of the family as collective mediator lies in its attention to interrelationships and patterns of mutual obligation in the private sphere. What if the conceptualization is reversed and we ask, from the perspective of the individual, to what degree and at what points in his or her life are his or her behavior and choices determined autonomously ? Opportunity for autonomy will vary among individuals at different points in their life cycle, in relationship to economic opportunity and demographic regime, with reference to cultural traditions or norms of individual behavior and family expectations. Historical data such as the census schedules and nominal lists analyzed in this paper inform about individual autonomy only in a narrow sense. More concretely, such data can describe patterns of work, migration and household position of individuals. The patterns offer answers to fundamental questions about women in industrial France and the United States around 1900. When and under what conditions did women live alone or as heads of households with other family members ? Was living alone a permanent condition for adult women, or was it transitional between familial statuses ? What was the relationship between women's residential arrangements and their occupation or national origin ? What were the areas of tension and conflict between individual demands for autonomy and family needs ? In this paper, we compare patterns of women's position in households around 1900 in two industrial textile cities, Manchester, New Hampshire, U.S.A., and Roubaix, in the department of the Nord in France. Cities in which the textile industry was the chief employer were chosen because of the typically female wage work force in textiles, and because of the accumulated historical evidence of a family base for such work. Availability of wage work for individual women and family control over women appear contradictory. A close analytical look at residential customs of the textile city is necessary to understand the underlying rationality and explanation for these customs, and how they varied in different historical settings and circumstances. The paper first examines the household position of women, in comparison to those of men in each city. It turns next 4. Louise A. TILLY, « Structure de l'emploi, travail des femmes et changement démographique dans deux villes industrielles, Anzin et Roubaix, 18721906 », Le Mouvement social, 105 (1978), p. 33-58 ; idem., « The Family Wage Economy of a French Textile City, Roubaix, 1872-1906 », Journal of Family
History,
4 (Summer, 1979), p. 381-394.
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
255
to male and female residential arrangements by age groups, to establish the proportions of individuals living in families and with kin; of those who lived strictly alone, or as single heads of their own households with other persons living with them ; and of those who lived in the household of non-relatives, as boarders and lodgers or servants. Finally, it examines the links between national origins and occupation with female residential patterns. The Setting:
Manchester and
Roubaix.
At the turn of the century Manchester was a city of 70 000 inhabitants, the seat of the world's largest textile mill — The Amoskeag Corporation — which employed an average of 14 000 workers each year in the period preceding World War I. Originally developed by the Amoskeag Corporation in the nineteenth century as a planned textile community, Manchester continued to be dominated by one company until the 1930s, when the mills shut down. As did other textile manufacturing firms on which it was patterned, the Amoskeag Corporation recruited its early labor force from rural New Englanders. From the 1850s on, immigrants from England, Scotland, and Ireland began to replace native American workers. In the 1870s, following the textile industry's discovery of French Canadians as the most « industrious » and « docile » labor force, the corporation embarked on systematic recruitment of laborers from Quebec. By 1900, French Canadians constituted about 40 percent of the labor force in the mill, and about one-half of the city's population. The population of Manchester was relatively young in 1900. Of the sample of population drawn from the census schedules for that year, 61 percent were under age 30®. The sex ratio was 87.5. In the age group 20-24, 34 percent of all females were married; in the age group 24-29, 62 percent of all females were married; and in the age group 40-44, 70 percent of all females were married. 5. All Roubaix population figures in this paper are calculated from a 10 percent systematic sample of individuals in houses from the nominal list of the 1907 census. This list enumerates individuals, by houses, in households, and gives the following information for each individual : name, age, place of birth, nationality, relationship to head of household, occupation, and, usually, place of employment or indication of self-employment. The relationship to head of household notation is the basis of our classification of residential arrangements. The Manchester data are based on a 5 percent systematic sample from the individual household schedules for the 1900 census for Manchester, N.H. We achieved these 5 percent by sampling every fortieth dwelling, in order to enable us to capture any relatives coresiding in the same building. The 1900 census contains information on age, sex, race, ethnicity, occupation, employment status, school attendance, literacy and disability. Relationship to household head of each individual is a crucial variable for this analysis. Ethnicity is recorded through place of birth of the individual and the individual's parents. The 1900 census also lists length of stay in the U.S.
256
K. H A R E V E N ET A.
TILLY
By 1900, the city of Roubaix was primarily a producer of combed wool, secondarily of spun cotton ; both these industries were large scale and mechanized. Factories dominated the cityscape to which Belgian immigrants and rural French migrants had flocked from the 1860s on to find work. Most of the population of Roubaix in 1906 were workers or members of worker-headed families. Of all workers whose occupation was known, 43 percent worked in textiles. (13 percent of workers had unknown occupations or occupations which did not specify industry.) About 36 percent of textile workers were female. The years of Roubaix' industrial and population expansion were past by 1906. The city (and, indeed, the entire urban textile industrial complex of the Nord) had undergone a severe recession in the 1890s. The number of textile plants was reduced, as was textile production. The city lost population between 1901 and 1906. Part of this loss was due to increased suburban living, in particular the relocation of Belgian nationals in nearby Belgian villages and towns within commuting range. But another part of the population loss, and the end of vigorous population growth, was due to declining prosperity of the textile industry and reduced demand for workers. The population of Roubaix was relatively young : the 1906 census sample shows that 61 percent were under thirty years old. The sex ratio of the city was 96, reflecting its large female working population. Of women aged 20 to 24, one quarter were married or widowed ; of those aged 25-29, 57.8 percent were married or widowed; of those aged 40 to 44, 77 percent were married or widowed 6 . Living
Arrangements
of Persons
over
15, Manchester
and
Roubaix.
In both Manchester and Roubaix familial residence was the common pattern. In Manchester, as shown in Table 1A, the majority of women 15 or older were either living as wives or as daughters. (40 percent were wives and almost 25 percent were daughters.) If one includes the additional 6,3 percent who were kin in extended households and 8.5 percent who headed their own households with other family members in them, it becomes clear that almost 80 percent of all women older than 15 were living within families, whether family 6. These figures on marital status are a minimum estimate, for the census listing of 1906 did not provide a check off for marital status, as did other French censuses. Many women were identified as widows, but doubtless there were some widows who were not so identified, and there were probably some currently married women not living with their husbands who were not identified as married. The proportion of women of unknown marital status in the age group 40-44 was 17 percent; those identified as widows were 6.7 percent. By contrast, the 1900 census for Manchester was explicit on marital status, but divorce or separation were usually underenumerated.
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
of origin, family of procreation or extended kin. as servants and approximately 14 percent lived as in other people's households. Less than one Thus, the overwhelming pattern for women was or in surrogate family settings.
257
Only 3 percent lived boarders and lodgers percent lived alone. to reside in familial
For Roubaix, Table IB shows an even greater majority of women older than 15 living either as wives or daughters. Eighty-seven percent of all women older than 15 lived within families, if we include the 6 percent in extended households and the 8 percent who headed their own households. Four percent were living as servants, and only 4 percent were either lodgers or in other non-family joint living situations 7 . In clear contrast to the American case, however, 4.5 percent of women in Roubaix lived alone. These residential patterns were closely articulated to a woman's life cycle, as Graphs 1A and IB show. The majority of Manchester women spent their lives, until age 69, living in a family setting. From age 50 on, they were much more likely to live in a household which they themselves headed, a pattern largely associated with widowhood. Lodging or living with other kin were most common before age 35, but continued to be important phonemena over time for women of all ages and increased again proportionately with old age. Servanthood, on the other hand, although overall not very common, was most common in women's middle years. The very small number of women who lived in solitary households were concentrated in the older age groups. Solitary residence was generally insignificant among women in Manchester. Similarly in Roubaix, the expectation that a woman would live out her life in a family setting was fulfilled, more often than not, in every age group to 69. Women were most likely to live with non-primary kin when they were young and when they were old. They were most likely to be servants when they were young. Boarder-lodger status and other joint living arrangements were much less strongly associated with youth than they were in Manchester, as can be seen
7. There are very few persons specifically designated as « lodgers » in the 1906 Roubaix census, or in the other urban censuses from 1861, 1872, and 1906 for Amiens and Anzin studied by Tilly. There were numerous one person households, as designated by census taker's practice of drawing a line between households. These persons appear to have lived in a room alone, most likely not sharing cooking facilities, but eating in their rooms or in cafes or restaurants. Some of the important differences in the American and French census here studied between the number of solitary women and lodgers may be due to different practices in the census designation of households. However, it also seems to reflect a concept of privacy held in France, such that a small separate room in a small house inhabited by other individuals in separate rooms was conceptually equivalent to a separate house or apartment with a private entrance.
17
258
K. HAREVEN ET A. TILLY
Relation ship to head of household - Manchester 1906
Lodger
Lodger
Solitary head and Head of household Age
15
20
25
30
3_S
40
4_5
50
5_5
60
6_5
1_5 2_0
2_5 30
5_S
4_0 4_S 50
5_5
60
6_5
19
24
29
34
39
44
49
54
S9
64
69
19
29
39
44
S9
64
69
24
34
49
S4
Age
259
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
R e l a t i o n s h i p t o head of household - Rouhaix 1906
Age
1_S
20
25
30
3_5
40
4_5
50
19
24
29
34
39
44
49
54
S_S 60 59
64
6_S
1_5 20
2_S
30
35
40
4_5
50
5_5 60
69
19
29
34
39
44
49
54
59
24
6_5
64 ). 69
toe
260
K. HAREVEN ET A. TILLY
by the similar proportions of women living in these arrangements in all age groups. After age 50, widowhood and headship of her own household was a more common experience for a woman. Mortality differentials by sex made woman-headed households more likely in the older age groups, as did the migration of female single parent households to the city, where much work was available for adolescents and young adults who lived with their mothers. Women thus were most likely to head their own household when they were older than 50. Women also were proportionately most likely to live alone in Roubaix after age 50. The solitary woman status, this suggests, was linked to old age and widowhood rather than to youth and autonomy. TABLE
1
A
RELATIONSHIP TO HEAD OF HOUSEHOLD W O M E N A N D M E N 65 A N D O V E R MANCHESTER, NEW HAMPSHIRE, 1900
Relationship Solitary Head percent number Regular Head Spouse Daughter/Son Other Kin Servant Lodger/Boarder
Women
Men
0.5 6
1.0 9
8.5 94
*52.2 471
40.2 444
— —
24.8 274
21.3 192
8.9 99
7.2 65
3.1 34
0.3 3
13.8 152
17.5 158
* Of which 2.9 percent single parent, 49.3 percent with spouse.
Men's Living
Arrangements.
In both cities there were distinctly different residence patterns for men and women, but both varied with life cycle stages. Contrary to what one might expect, men's patterns were, if anything, more strongly linked to family than were women's. In Manchester, a much
261
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
larger proportion of men (81 percent) than women lived with their families. Table 1A and Graph 2A show that proportionately more men than women lived in married couples, but very few men lived alone. Men who had no family present, resided (as did women, although in somewhat larger proportions) in boarding houses. Proportions of men living with non-primary kin were similar to those of women. The age patterns of male residence illustrated in Graph 2A shows the importance of lodging over the entire life cycle. The very few solitary men were more important, proportionately, in the older years. Men living with kin, on the other hand, were not strongly differentiated by age. Male single parents were much less common than were female single parents, due to remarriage of widowed men. The higher proportion of married men is a reflection of the low sex ratio. Presumably, also, men were able to remarry in order to enjoy the services received from coresidence with a spouse. TABLE
1
B
RELATIONSHIP TO HEAD OF HOUSEHOLD WOMEN AND MEN 15 AND OVER ROUBAIX, 1906
Relationship Solitary Head percent number Regular Head Spouse Daughter/Son Other Kin Servant Boarder/Lodger Other * Of which 2.9 percent single parent, 49.3 percent with spouse.
Women
Men
4.5 191
7.8 304
8.4 356
*58.0 2255
50.0 2113
— —
22.5 949
24.0 935
6.2 2611
4.8 186
4.3 182
0.3 13
1.2 49
2.7 104
2.8 120
2.3 91
262
K. HAREVEN ET A. TILLY
For Roubaix, table IB shows that proportionately more men than women lived with spouses overall, yet at the same time, more men were likely to live alone. In contrast to women, few men were likely to live with other kin than their parents or spouse, and very few were servants. Lodging and other joint living was a somewhat more common experience for men, as was living alone. If we examine the age patterns of living arrangements as shown in Graph 2B, we note that male solitary living was equally distributed over the life cycle (after age 19) and increased markedly with age. Residence with non-primary kin was most typical of young and old men. Male single parents were not very common. The greater propensity (or opportunity) of widowed men to remarry was an important factor in the difference in the proportion of men and women in single parent households. Where most older women on their own were heads of their own households with others present, most older men outside a two parent family lived in solitary households. Life Cycle
Transitions
in Manchester
and
Roubaix.
Women most often lived alone during two periods of life. The first followed their transition out of their parent's home as they passed into marriage or into other living arrangements in another household. Prior to age 25, in both cities, the majority of women lived in their parent's households. Those women younger than 20 who were not living with their families were residing as boarders and lodgers, servants, or extended kin in other people's households. In both cities boarders and lodgers were most common in the age group 20 to 25 ; in Manchester there still was a significant proportion of boarders and lodgers in age group 25-29. The proportion of women living as daughters or as lodgers dropped by more than 50 percent after age 24 in Roubaix, which had a much smaller proportion of boarders and lodgers overall than did Manchester. While Roubaix had few boarders, it had many more solitary residents than did Manchester. Thus in Manchester, in the first life cycle transition, women who left their parent's household lived in other people's households as lodgers or as extended kin if they were not married. (In this respect, it is important to note that although household extension was generally rare in urban communities, and even though at any moment in time, only a small proportion of the population lived in the households of kin, the majority of females living as extended kin were young, most commonly under 25.) Opposition to single residence of young women was deeply ingrained in American culture, as well as in the rural communities from whence most of the women workers had come to Manchester — in Quebec, Ireland and Scotland. The availability of boarding
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
263
houses of families that would take in young women migrating to factory cities was important in the formation of the large scale planned textile towns in New England in the early part of the nineteenth century. The founders of these towns built boarding house complexes in which rural women were housed under the supervision of elderly matrons, and in which life was carefully regulated in accordance with established « morals ». By 1900, the period of this study, most rural New England women workers had already been subdivided into family flats. But the practice of placing young women who came to work in the mills with families or in boarding houses continued. At the beginning of the century, Manchester had a number of privatelyowned boarding houses where young men and women who had no families in the city lived and ate their main meals 8 . Most of the mill workers interviewed in the Manchester oral history project who had once lived in these boarding houses remembered them as centers of sociability and «good times». Cora Pellerin, one of these former mill workers, remembered how she wished to remain in Manchester when the rest of her family returned to Quebec. She was only 13 at that time. Her parents permitted her to remain on the condition that they find a good boarding house in which she could live. « I begged my mother to leave me. My mother said, " If I can find a good boarding house, I'll let you stay. " So she found a family style boarding house that would take me, my sister and my brother. My sister was eighteen and my brother was sixteen. The woman who kept the boarding house said to my mother, " As long as they mind me, you don't have to worry. If they don't mind me, I'll write you and let you know. " So my mother went back to Canada and we stayed here... And it was a family life for us in the boarding house. The woman I boarded with had six children. » Later, Cora, who became an accomplished weaver, preferred to live alone in a flat. « When I was seventeen, I got my own room. I lived there for four years, and then I got an apartment all by myself... Not too many women were living alone in their apartments. I was a wildcat. Some mothers of my girlfriends, after they knew I was in an apartment, they didn't want their daughters to chum around with me any more. In those days, if you lived alone in a room, they were afraid their daughters would get the idea. » 9 Proportionately fewer women lived as extended kin and boarders or lodgers in Roubaix in this life cycle transition than in Manchester. Instead, more young women were servants in Roubaix. Nonetheless, this proportion was small compared to other French cities, a fact directly related to occupational and migration patterns
8. 9.
Hareven and Langenbach, op. cit. Ibid.
264
K. HAREVEN ET A. TILLY
in textile cities. While being a servant in urban households was a typical life transition stage for women in France, the custom wase less important in Roubaix than elsewhere because of the availability of textile work for women and the relatively small number of middle class households who might hire a servant. In Roubaix, however, being a servant was much more a life cycle stage than in Manchester, another significant difference between the cities. Most of the servants in Roubaix were concentrated in the earlier age groups, while in Manchester, the very few servants present were distributed over a wider age spectrum. In Roubaix, it was clear that being a servant was a form of protected migration which paralleled that of being a boarder or lodger in Manchester. In both instances, young women leaving their parent's households were placed in other people's households rather than living alone. It is also possible that in Roubaix, former servants, who never married, formed the very pool of women who would be living alone later in life. In Manchester, by contrast, individuals were more consistently absorbed into household settings, and continued to live in family or surrogate family arrangements over most of their lives. The lodging a n d / o r boarding house was not a common institution in Roubaix. The paternalistic practice of providing rooming houses or dormitories for young women workers, more common in the silk industry in southern France, was never common in Roubaix. Relatively little housing was built for Roubaix workers by employers, and that which had been provided was similar to that constructed by private firms. It consisted of very small units, of two or at most 4 rooms, clustered in rows built at right angles to the street front, the courée, cité, or fort as they were variously named. Several individuals could live separately in one of these houses, but a family with resident children was very unlikely to have space for even one roomer. This difference in the form of housing contributed to the lack of boarding and lodging as in Manchester. Women's second important life transition period was in middle and old age, when widowhood made them at risk to solitary living. But the majority of widowed women older than 50 (where they were most common) continued to head households, rather than move in with others or live in solitude. (About 80 percent of all female household heads in Manchester were widows ; the figure was 65 percent in Roubaix.) In Manchester, solitary residence was rarely experienced at this stage in life either. If older widows were unable to continue heading their households, they moved in with kin (usually their own children). However, the proportion of older people living in their children's households was very small. The very few who did so were more often widowed mothers than fathers. In Roubaix, proportionately more women in age groups over 50 lived in solitary residence than in Manchester, but their numbers too were small.
SOLITUDE FÉMININE ET FAMILLE
265
The age distribution of solitary women in Roubaix, where they were so much more common than in Manchester, shows that, in absolute terms, more of these solitary women were younger than 50 than over that age : 25 percent, were women under 30, 3.2 percent were aged 30 to 49, and 44 percent were over 50. Only a tiny proportion of these women (3.1 percent) were designated as married or widowed. (Here there could be an underestimation of present or former marital status because of incomplete recording.) The case is the reverse for women heads of their own households with others resident: only 43.8 percent were under 50. Thus in numerical terms, women in the two forms of living arrangements were more numerous at opposite ends of the life cycle. In proportionate terms, however, more older women were either solitaries or heads of households with others resident. It is clear that in both cities the majority of women followed a modal life course pattern of marrying and living with a husband in a separate household during most of their life. Those who were widowed continued to head their own household. Only if they were unable to continue doing so, did they move in with their children. The differences between the cities appear in the distribution of women who were not living with close kin. In Manchester, young single women tended to live either as boarders in other people's households or as extended kin. In Roubaix, they were more likely to be servants or to live alone. Nationality, Migration, and Residential
Patterns.
Since textile towns attracted immigrants from rural communities and from abroad, it is important to identify the relationships between women's migration status and residential arrangements. Were migrant women more likely to live alone ? In Manchester, native bom women were more likely than foreign born to be heads of households in the middle and later years, while in the younger age groups, boarders and lodgers were more likely to be foreign born 10. Foreign widows were apparently less likely to head their own households in Manchester ; they either returned to Quebec or moved in with their children, while native born widows were more likely to continue heading their own households. Foreign born young women, who migrated to Manchester in order to work in the textile mills, commonly were boarders and lodgers, while native born women (most of whom were second generation immigrants) tended to live with their own families.
10. Since the sample for Manchester is too small to be broken down by different ethnic groups, the categories were collapsed into native and foreign only. For a detailed description see Hareven, Family Time, op. cit.
266
K. HAREVEN ET A. TILLY
Most Roubaisiens were French or Belgian nationality n . Of all women over 15 in 1906, 27 percent were Belgian. Both solitary women (30 percent Belgian) and female heads of households (33.1 percent Belgian) were more likely to be Belgian than the adult female population as a whole. This reflects the fact that both solitary women and the adolescent or young adult children of widowed women could find wage work in the city. Hence, Belgian women on their own and widows migrated to find work or to place their children in jobs. Similarly, Belgian women were overrepresented among lodgers (33 percent Belgian) and servants (53 percents). Thus, although there were relatively few servants in Roubaix compared to non-textile cities, servant women were most likely to be immigrants, just as they were elsewhere. Occupation
and
Residence.
What was the relationship between household status and labor force participation ? Labor force participation was primarily a matter of young unmarried women. In both cities, slightly more than half of the women were listed as working outside their homes. While in Manchester workers were almost evenly divided between textile and non-textile occupations, in Roubaix 58 percent of women worked in non-textile occupations. In both cities the majority of daughters were in the labor force (77.5 percent in Manchester and 70 percent in Roubaix). Only 13 percent of wives in Manchester were in the labor force, while 30 percent of Roubaix wives listed occupations. Low labor force participation by wives in the American city whose husbands were present, may be attributed to their relative economic security (especially if their children worked); they may also have accepted cultural prescriptions which frowned on wage labor by wives and praised full-time motherhood and domesticity. What was the situation of widows ; were they more likely to do wage work ? In Manchester, 36 percent of female household heads reported occupations ; 41 percent of those in Roubaix did. Thus female heads of households did tend more often than wives to participate in the labor force, but the majority of this group did not, in either city. Of those women household heads who worked, a higher proportion were engaged in non-textile than in textile work. This fact reflects the age of women household heads, for older women were less likely to work in textile occupations than were young ones. The majority of widows relied on others for financial support: on their children in Roubaix, and on children and boarders in Manchester. Even though both of the cities were characterized by highly female intensive industry, the people studied here followed work and 11. The reference here is to nationality rather than place of birth, since this is the category designated in the census.
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living patterns common to other settings, with different economic bases. Most families sent daughters rather than their wives/mothers to do wage work. Both wives and female heads of household often provided household services for the wage earning members of their household rather than work outside the household 12 . Textile work was predominantly for young people. In both Manchester and Roubaix a higher proportion of daughters, boarders and lodgers tended to work in textile occupations while the opposite was true for working wives and women heading their own households with other persons coresident. The most striking difference was, however, among boarders and lodgers in Manchester: a very large proportion worked in textiles (56 percent). Thus, there was a relationship between women's household status and the nature of their occupations. In the case of daughters, and even more prominently among boarders and lodgers in Manchester (most of whom were young unmarried women), proportionately more earned wages in the textile industry than did women in other statuses ; wives, and, especially, women heads of households and solitary heads were less likely to work in textiles.
Conclusion. For the majority of women in both Roubaix and Manchester, the customary residential pattern was that of a familial or surrogate familial setting: the most common residential structure was that of the multiple person household. Transition into the labor force was not genarally accompanied by departure from their parents' households ; even where women may have been able to afford solitary residence, they continued to live in familial settings. The familial expectation was that daughters would continue to live at home and contribute their wages to the collective family budget. In both cities, three important factors seem to have governed the movement of women through different household arrangements: 1) the textile economy and the availability of employment opportunities, which influenced young women's continued residence in their parents' home or their migration to other communities; 2) the needs of women's families of origin, which made demands both on daughters' wages as well as on their services at home, in support of younger siblings or aging parents; 3) the cultural constraints which limited solitary residence, especially for women, even if they were able to reside alone. 12. Karen O. MASON, Maris A. VINOVSKIS and Tamara K. HAREVEN, « Women's Work and the Life Course, 1880 », p. 187-216 in Tamara K. HAREVEN, ed., Transitions: The Family and the Life Course in Historical Perspective, New York : Academic Press, 1978 ; Louise A. T I L L Y and Joan W. SCOTT, Women, Work and Family, New York, Holt Rinehart and Winston, 1978.
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Two aspects of the economy of textile cities, female intensive work and relatively high female labor force participation, operated in similar ways in Manchester and Roubaix. These characteristics of the occupational structure were associated not with the migration of solitary (and possibly autonomous) women but primarily with family migration and secondarily, varying forms of «protected» migration by young women. The word « protected » here is used in the sense of limited in freedom of movement, or quasi-dependent. Movement into boarding and lodging was the chief form of non-familial migration in Manchester ; servanthood served the same purpose in Roubaix. The outcome of these different patterns of protected migration also contributed to the likelihood of women living alone in later years. The chief difference between Roubaix and Manchester in this regard lies with domestic service as the more common form of protected migration in Roubaix. As we have seen, older women in Roubaix were proportionately more often solitary residents than were young. Earlier servanthood affected solitary residence in several ways, which became increasingly common as women advanced in age. By definition, women who had migrated to be servants were not resident with their own families. They moved to other occupations as they grew older. These new occupations were not likely to provide lodging as did service, yet the former servants were less likely to have kin in the city to live with than women who had migrated with their families. It is possible also that servants in Roubaix were less likely to marry at all than women who were industrial workers, simply because of differences in the acquaintances they were likely to form at work. In a city with a low sex ratio, women who worked with men were at an advantage when it came to meeting potential marriage partners. Conversely, servants were at a disadvantage 13 . The availability of women in textile cities made it a longer period of their lives. migration of young women in
employment opportunities for young possible for them to stay at home for There was thus less likelihood of outthese cities than in cities with other
13. Tilly's data on Amiens (1906) tend to uphold the speculated link between servanthood in youth and solitary living in later years. In Amiens, there was a higher proportion of servants (6.6 percent of the female population 15 and older, 80 percent of whom were aged under 50. There were also more solitary women than in Roubaix), 6.2 percent overall, of whom two thirds were over 50. There were many reasons for women to be living as solitary heads in their older years, but the parallel between cities of proportions of servants among young women and proportion solitary among older women is striking. Conversely, the greater availability of textile work for women in Roubaix is associated with larger proportions of young women solitaries than in Amiens, where there was a more varied mix of occupations. In Amiens, as in Roubaix, there were very few women who were lodgers (only 1.2 percent) or living in non-family positions.
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patterns of economic activity, especially those which offered work primarily to male workers, such as mining or metallurgy. Families in both Manchester and Roubaix made strong claims on their children's wages at the point in the family cycle when the children were young adults. This was shown by the continued coresidence of most children with their parents, or alternatively with widowed mothers 14. The cooperation of a young person with family demands may not have always been happy or willing, but such cooperation was the practice in both cities. Both family migration patterns and extended coresidence of adult children suggest strong cultural expectations that daughters assign highest priority to family needs and collective family obligations. These cultural expectations, for which evidence exists in all ethnic groups in New England, included limitation of solitary residence for females for moral reasons. In Manchester there were two forms of residence available to people who were not residing with their own families : the commercial boarding houses described above, or boarding with individual families who took in one or two boarders into their own households. The commercial boarding houses contained, of course, larger numbers of people, and exposed them to a peer setting. But they too were run by a matron or family, who lived on the premises. Commercial boarding houses were more widespread in factory towns than in commercial cities because of the high concentration of young workers, but boarding with families was a pervasive pattern in all types of American cities 15 . There were similar patterns of family migration and extended coresidence of adult children in Roubaix, but a significantly higher proportion of young women lived alone. Cultural expectations were probably not very different from those expressed by Cora Pellerin, the French Canadian woman who lived in a boarding house in Manchester at her parent's insistence. Circumstances led to different practice, with consequent higher proportions of solitary women. Servanthood, as already noted, contributed to the higher likelihood of solitary women but so also did the tiny working class houses of Roubaix which were simply not adaptable as boarding houses. The relative absence, in both cities, of solitary residence for women, and their overall integration into family settings does not necessarily suggest stability and continuity in women's lives. The
14. TILLY, « The Family Wage Economy », op. cit. 15. John MODELL and Tamara K . HAREVEN, « Urbanization and the Malleable Household: Boarding and Lodging in Nineteenth Century Families », p. 164-186 in Tamara K. Hareven, ed., Family and Kin in Urban Communities, New York, New Viewpoints, 1977.
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K. HAREVEN ET A. TILLY
nature of our evidence, a census which indicates residence patterns at one point in time, under represents change and movement over an individual life cycle. Young married women migrated to work in factories or in private homes as domestic servants ; they moved job to job, from work place to work place and from residence to residence. The same young woman may have lived at one point with her family, the next point in a boarding house and later again with another family. In moving from place to place and in working at different occupations, young women experienced both a degree of independence and solitude. Most commonly, however, these young women moved during transitional stages between two families, their family of origin and their family of procreation. They worked generally in order to contribute to the former or save up in order to establish the latter. In the later years of life, when the risk of being alone was imminent once again, middle aged widows held on to their household as a source of stability, continuity, and material support. Hence the pressure on adolescent or young adult children not to leave home and to continue their contribution to the support of aging mothers. The very familial strategies and obligations which enabled older women to continue the headship of their households, also prevented young women from living alone. It was older women who were most likely to live alone when these strategies failed. The household was the regulating mechanism which both enabled older widows to maintain some degree of autonomy, and at the same time ordered the residential and migration patterns of young women. Household and family were the principal organizing structures of the flow of individual lives and careers in these late nineteenth/early twentieth century textile cities. Our analysis started with individuals but it brings us back to families. The custom of living alone and being « indépendant » economically and socially, was relatively uncommon at the turn of the century. The « femme sole » was not a pervasive social pattern at that time in either the American or French textile city. Tamara K . H A R E V E N , Clark University and Center for Population Studies, Harvard University Louise A. T I L L Y , University of Michigan
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SUMMARY Patterns of women's position in households around 1900 in two industrial textile cities, Manchester, New Hampshire, USA and Roubaix, France are compared by analysis of nominal census records. Occupation and national origin are examined in relation to household position over life cycle. For the great majority of women in both cities, the customary residential pattern was that of a familial or surrogate familial setting. Nevertheless, there were proportionately more women living alone or as heads of their own households in Roubaix than in Manchester. Transition into the labor force by native born women was not generally accompanied by departure from parents' households, but there were different patterns of work and residence for young migrant women. These were boarding and lodging in Manchester, servanthood in Roubaix. The latter pattern was connected with proportionately more solitary women in older age groups. In both cities, the most common form of woman-headed household was that of older women who lived with their unmarried children. The familial strategies which enabled older women to continue headship of their households also prevented young women from living alone. It was older women who were most likely to live alone when these strategies failed.
RÉSUMÉ A partir de l'analyse nominative des rôles de recensement, notre étude compare les différents modèles de situation féminine dans les familles de Manchester (New Hampshire, USA) et de Roubaix (France), toutes deux villes textiles, autour de 1900. Dans les deux villes, pour la plus grande majorité des femmes, la forme normale d'habitat était celle de la famille ou d'un substitut de la famille. Néanmoins, il y avait proportionnellement plus de femmes vivant seules ou à la tête de leur propre foyer à Roubaix qu'à Manchester. D'une manière générale, les jeunes filles qui étaient nées sur place et qui exerçaient une activité, ne quittaient pas le logis familial ; pour les jeunes migrantes, les modes de résidence variaient : à Manchester, elles étaient pensionnaires ou locataires ; à Roubaix, servantes. Cette dernière occupation concernait proportionnellement plus de femmes âgées seules que de jeunes femmes. Dans les deux villes, la forme la plus normale du foyer ayant à sa tête une femme, était celle de femmes âgées vivant avec leurs enfants non mariés. Cette stratégie familiale, qui permettait aux femmes âgées de continuer à être à la tête de leurs foyers, avait également pour conséquence que les jeunes filles ne quittaient pas celui-ci ; lorsque cette stratégie échouait, c'était encore la femme âgée qui était la plus capable de vivre seule.
VEUVE NOBLE ET VEUVE PAYSANNE EN LYONNAIS D'APRÈS LES TESTAMENTS DES XIVe ET XV e SIÈCLES par Marie-Thérèse LORCIN Les testaments montrent qu'il y a différentes manières de vivre le veuvage et que chaque période a sa conception sinon idéale, du moins majoritaire 1 : la veuve chef de famille, la veuve solitaire vivant de ses biens propres, ou dépendant au contraire des enfants qui lui versent une pension viagère. La conjoncture économique et démographique du xv° siècle diffuse largement, dans les campagnes lyonnaises, la méthode de la pension qui convient aux petits et moyens possédants. Les données d'ordre démographique, économique ou social tirées des testaments sont obtenues à partir de 3 084 textes conservés tant aux archives du Rhône (série 4 G) qu'aux archives de la Loire (série B). Ce qui concerne les veuves est extrait principalement des trois échantillons suivants, auxquels sont empruntés tous les exemples : 1.
784 testaments de paysans (auxquels se mêlent quelques artisans et robins) de 5 groupes de paroisses jointives et de la petite ville d'Anse (dont les activités sont purement rurales).
2.
246 testaments de nobles (chevaliers, donzeaux, dames et damoiselles) des comtés de Lyonnais et de Forez.
3.
352 testaments d'habitants de Lyon, groupe moins homogène que les précédents bien qu'il n'englobe aucun testament de « patricien ». Les testaments urbains sont pris dans trois courtes périodes : 1300-1348, 1380-1420, 1460-1500.
Dans l'échantillon de textes défini ci-dessus, le pourcentage des testaments de femmes est à peu près constant et correspond aux
1. Cette question a été naguère ébauchée dans deux articles : « Retraite des veuves et filles au couvent : quelques aspects de la condition féminine à la fin du Moyen Age », in Annales de démographie historique, 1975 ; « Pratique successorale et conjoncture démographique, in Bulletin du Centre d'histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1975, n° 4. Elle sera exposée plus longuement dans mon ouvrage en préparation : Vivre et mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Age, Paris, C.N.R.S., 1981.
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pourcentages constatés dans l'ensemble des textes : 26,5 % chez les nobles ; 26,7 % chez les habitants de Lyon ; 27 % chez les habitants du plat pays. Les veuves représentent approximativement chez les nobles 38 % des femmes dont le testament s'est conservé, et 34 % chez les roturiers. Mais leur importance numérique varie beaucoup selon le temps. La région traverse une grave dépression démographique entre 1340 et 1420 environ, dépression au cours de laquelle le veuvage féminin est en nette régression. Nombre de femmes héritent de leur mari (voir plus loin) lorsque le couple est sans enfants. Aisance matérielle et absence de charge familiale permettent sans doute à la veuve de trouver plus facilement un second ou un troisième mari. La reprise démographique qui suit porterait la proportion des veuves à un niveau — si l'on en croit les testaments — supérieur au niveau initial. C'est le cas, par exemple, du plat pays lyonnais : 1300-1350 : 28,7 % de veuves chez les testatrices 1350-1400 : 20,9 % de veuves chez les testatrices 1400-1450 : 58,3 % de veuves chez les testatrices 1450-1500 : 58,3 % de veuves chez les testatrices Paradoxalement, ce ne sont pas les testaments des veuves qui fournissent le plus de renseignement sur le veuvage et sur la manière dont il est vécu. Les testaments des hommes mariés ou remariés sont beaucoup plus éclairants. Certes, les maris ne sont pas tous diserts. Quelques testateurs se contentent de léguer à la femme survivante « ce qui a été promis par le contrat de mariage ». Quelques-uns négligent même de faire ce rappel et l'on pourrait les croire veufs sans une allusion faite à leur épouse (parfois la femme est enceinte et il faut ménager sa place au posthume). Ces testateurs qui ne disent rien de leur femme ne sont pas nécessairement des avares : le testament peut être précédé d'un contrat très généreux. Quoi qu'il en soit, ce mutisme est peu répandu en Lyonnais ; il est presque en voie de disparition à la fin de la période considérée, du moins chez les roturiers. Pour des raisons qui seront exposées plus loin, l'époux consacre à sa future veuve un passage plus long que celui qui concerne les enfants. La femme survivante est le seul personnage à propos de qui le testament donne tant de détails concrets sur la vie quotidienne. Prenons deux exemples, l'un à Lyon, l'autre dans un village. Jean Toteyn, panetier, citoyen de Lyon, qui teste en 1476, lègue à sa femme Jeannette un grand lit garni de son matelas, d'un oreiller de plumes et d'une bonne couverture, 20 bons draps, un coffre de noyer, deux poêles blanches dont l'une est une poêle à frire, 2
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candélabres, 2 plats d'étain, 6 écuelles plates, 4 écuelles d'étain à oreilles, 2 pots et un autre pot, une salière d'étain, une cuillère, un crible, 2 petits landiers en fer, une table, un petit banc, deux escabeaux. Il confirme la somme qui lui a été attribuée par contrat, comprenant la dot et l'augment de dot. Il distribue ensuite les maisons qu'il possède en ville entre ses trois fils qui seront ses héritiers. Après quoi il ajoute : outre les legs précédents, il attribue à sa femme Jeannette un logement, pour sa vie durant, dans la maison attribuée au fils aîné, si tel est son désir. Dans le cas contraire, l'aîné versera chaque année 4 1. t. à sa mère, et les deux cadets ensemble 3 1. t. De plus, ils lui attribueront une chambre dans la grande maison que leur donne leur père 2 . Un paroissien de Rive-de-Gier, Jeannet Peytavin, qui teste en 1342, désigne son fils François comme héritier, et attribue à Guigone et Pétronille, ses deux filles déjà mariées, 40 sous vien. chacune en augment de dot. Suit un long paragraphe sur sa femme Manette. Si Manette veut récupérer sa dot et se remarier, elle recevra 50 livres vien., cette somme comprenant la dot qu'elle apporta en se mariant, l'augment de dot et autres avantages consentis par le mari. 51 elle ne se remarie pas et qu'elle veuille demeurer « in hospicio suo », c'est-à-dire chez son défunt mari, mais qu'elle ne puisse s'entendre avec l'héritier, elle habitera dans la maison neuve, que l'héritier devra tenir couverte. Il servira à sa mère une pension annuelle de 20 bichets de seigle et 10 sous viennois, et sera également tenu de lui fournir le vêtement et le chauffage 3 . C'est donc dans les testaments des hommes mariés qu'il faut chercher l'essentiel de ce qu'on peut savoir des veuves. I - QUAND ET POURQUOI COMMENCE LA SOLITUDE. A - La veuve sans enfant. A moins qu'elle ne se remarie, la veuve sans enfant semble prédisposée à la vie solitaire *. C'est ce qui menace beaucoup de femmes (entre 1340 et 1420 particulièrement) ; la dépression démographique multiplie les couples sans enfants : Pourcentage des hommes mariés qui ne nomment aucun enfant dans le plat pays à Lyon 1300-1350 32,8 % 1300-1348 36,6 1350-1400 36,0 % 1380-1420 43,4 1400-1450 35,0 % 1460-1500 32,2 1450-1500 5,0 % 2. 4 G 74, F 256 v°. 3. 4 G 42, F 54 v°. 4. Cf. Les campagnes de la région lyonnaise aux XIV' Lyon, 1974.
et XV'
vivant % % %
siècles,
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Comme nous l'avons vu plus haut, on rencontre peu de veuves parmi les testatrices pendant la période la plus sombre. Le veuvage sans enfant doit sembler encore plus dur à supporter ; la veuve qui n'a pas charge d'âme trouve sans doute plus aisément un second ou un troisième mari, d'autant plus qu'elle jouit d'un confort plus grand que si elle était mère. Dans bien des cas, en effet, la veuve sans enfants hérite de son mari. A Lyon, la femme est toujours désignée comme héritière si le couple n'a pas d'enfants. Cette règle ne souffre que très peu d'exceptions. L'usage est si bien établi que des pères de famille l'empruntent, partageant leur patrimoine entre la mère et les enfants. Les testateurs de la campagne se comportent un peu différemment ; 45 % des nobles et 30 % des roturiers seulement désignent leur épouse comme héritière. L'homme sans enfant, en général, donne la préférence à un frère, un neveu, un cousin, et fait de sa femme une simple légataire. Est-ce parce que le patrimoine consiste alors en une exploitation agricole, lourde charge pour une femme seule, parfois en une seigneurie, ce qui veut dire des pouvoirs à exercer ? Les pères de famille (voir plus loin), qu'ils soient paysans ou seigneurs, n'hésitent pas à confier le « gouvernement des biens » à la femme survivante. Mais c'est une mission temporaire, bien différente de l'héritage, par lequel le patrimoine risque, si la femme se remarie, de passer aux mains d'un autre lignage. Quoi qu'il en soit, ces réticences s'estompent et les pourcentages s'élèvent des testateurs qui attribuent leur avoir à leur femme. Chez les roturiers du plat pays, il est de 5 % avant 1350, 25 % entre 1350 et 1400, 37 % entre 1400 et 1450. Dans le dernier tiers du siècle, les ruraux semblent réagir comme les habitants de Lyon, mais les couples sans enfants sont alors si rares à la campagne que l'on hésite à tirer d'eux des statistiques. Recevoir à titre définitif tous les biens dont jouissait le ménage donne à la veuve la meilleure situation matérielle possible. Mais l'héritage n'étant pas décrit dans le testament, il est vain d'épiloguer sur le niveau de vie de ces héritières. B - La veuve
chef
de
famille.
La mort du père ne brise pas nécessairement la cellule familiale : la mère peut demeurer avec les enfants, dans la même maison, et vivre avec eux des biens du ménage. C'est du moins ce que souhaitent, dans le dernier tiers du xv" siècle, au moins trois testateurs sur cinq (67,5 % des habitants de Lyon, 70,6 % des paysans ; 75,9 % des nobles). Ils l'expriment de diverses façons. La femme sera chef de famille, « gubernatrix » des biens et des enfants ; c'est la formule la
VEUVE NOBLE ET VEUVE PAYSANNE
277
plus répandue, qui donne tous les devoirs et le maximum de moyens. D'autres fois c'est simplement l'usufruit de tous les biens. Certains, peu formés au langage juridique (et passant par un notaire peu exigeant, faut-il croire) déclarent leur femme « héritière » mais ajoutent : « à sa mort, tous mes biens iront à untel », ce qui est en fait un usufruit et non un héritage. Enfin bon nombre de testateurs donnent simplement à la femme survivante le droit d'être nourrie et logée par ses enfants. Peut-être l'aîné (ou les aînés) sont-ils dans ce cas déjà adultes et fort capables d'assumer des responsabilités. Jean Baudrand, paroissien de Saint-Romain-en-Gier, qui teste en 1461, a deux fils dont l'un hérite, et six filles. Alamande, sa femme, recevra, outre sa dot et l'augment de dot promis, 4 livres t. Elle sera nourrie sa vie durant en la maison du testateur par l'héritier 8 . Comme on le voit d'après les tableaux qui suivent, ces diverses solutions n'ont pas été également en faveur chez les nobles, les Lyonnais et les paysans du plat pays. A Lyon, les veuves « gouvernent » peu de ménages, et tardivement. Pères de famille prévoyant que la femme reste au Roturiers du plat pays Chef de famille Hôte Total 1300-1350 51,1 % 8,8 % 59,9 % 1350-1400 16,6 % 20,8 % 37,4 % 13,7 % 72,3 % 1400-1450 58,6 % 70,6 % 1450-1500 42,6 % 28,0 %
foyer avec ses enfants Insupport 28,8 % 20,8 % 34,4 % 19,5 %
Pension 20 % 20,8 % 24,1 % 32,9 %
61,2 %
23,0 %
25,9 %
Habitants de Lyon Chef de famille Hôte Total 1300-1500 30,4 % 8,5 % 38,9 % 67,5 % 1460-1500 57,5 % 10,0 %
Insupport 8,5 % 12,5 %
Pension 7,6 % 7,5 %
Nobles du Lyonnais et du Forez Chef de famille Hôte Total Insupport 1300-1500 65,3 % 10,6 % 75,9 % 20 % 1460-1500 46,6 % 13,3 % 59,9 % 20 %
Pension 5,3 % 6,6 %
Moyenne
41,1 %
20,0 %
Prolonger la communauté des personnes et des biens présente d'incontestables avantages économiques et humains qu'il est inutile de rappeler. Mais deux testateurs sur cinq ne semblent pas envisager du tout cette solution. Les autres la prévoient, mais le plus souvent de façon temporaire. 5.
4 G 68, f° 172 v°.
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En premier lieu, elle prend fin automatiquement si la veuve se remarie. Quels que soient les pouvoirs que le mari concède à sa femme, celle-ci les exercera « tant que non remariée ». Nul ne semble imaginer qu'il puisse en être autrement, et bien rares sont les testateurs qui négligent de le rappeler. C'est parfois la seule borne envisagée à cette cohabitation. Matthieu Bernard, de Saint-Didier-sous-Riverie, a deux enfants, tous deux héritiers. Sa femme Manette a eu 12 livres vien. de dot, qui lui seront rendues avec 14 florins à titré d'augment de dot. Elle aura le gouvernement des biens et des enfants tant qu'elle ne se remariera pas 6 . Même si la femme ne se remarie pas, elle ne demeure pas nécessairement au foyer, soit comme chef, soit comme hôte (terme impropre, mais pratique). Un testateur sur trois introduit, en second lieu, l'autre cause possible de départ : « si elle ne peut ou ne veut demeurer avec l'héritier ». C'est la « clause d'insupport ». Suit alors l'énoncé des ressources dont disposera alors la veuve. I I - DE QUOI
VIT
A - Biens propres,
UNE
RETRAITÉE
legs viagers
et
?
pensions.
La veuve peut, comme elle le ferait pour se remarier, retirer sa dot, et faire fructifier au mieux le capital que constituent l'ensemble de ses biens propres. A cela s'ajoutent souvent des biens dont elle aura la jouissance viagère et que le mari désigne, peut-être longtemps à l'avance, en son testament. A Lyon et dans les familles de la noblesse rurale, ce type de « retraite » est le plus répandu. Le chevalier Humbert Guichard, qui teste en faveur de son fils, ordonne ainsi l'avenir de sa femme : tout d'abord, il reconnaît lui devoir les 1 000 livres tournois qu'il reçut à titre de dot, puis il lui confie l'administration de ses biens, sans inventaire ni compte. Si elle ne peut s'entendre avec l'héritier, elle aura 40 livres t. de cens en directe, à titre viager, à prendre à Riverie, la dîme des blés et vins levée en la paroisse de Saint-Maurice, les maisons où il habite, avec un jardin, une terre, une « serve » (vivier), deux prés et un moulin, un colombier, une vigne (le tout situé très exactement), la maison située à Lyon rue du Gourguillon, et divers biens meubles dont il dresse la liste 7. Ces clauses présentent des avantages évidents. Elles évitent à la veuve et aux siens de prolonger contre leur gré une cohabitation 6. Avril 1347 ; 4 G 43, f° 116. 7. 4 G 65, 96 v°.
VEUVE NOBLE ET VEUVE PAYSANNE
279
devenue importune. Les paysans pratiquent eux aussi cette méthode, prélevant des parcelles du patrimoine à titre viager dans la mesure de leurs moyens. Etienne de Saint-Cebrin, de Saint-Didier-sous-Riverie, a cinq fils, dont deux héritent, et deux filles. A sa femme Marguerite, on rendra les 40 livres v. de sa dot. Elle sera tutrice et gouvernante des enfants et des biens. Si elle ne peut s'entendre avec l'héritier, elle aura la maison neuve de tuiles couverte, 4 métiers de verchère et un jardin en viager. Si elle veut se remarrer, il lui donne 5 livres vien. 8 . Aux veuves de paysans et d'artisans, la retraite permet de cesser enfin le dur travail qu'elles accomplissaient depuis la mort de leur époux et d'être dégagées de lourdes responsabilités. En même temps, l'exploitation passe aux mains d'adultes plus jeunes qui en tireront davantage et seront maîtres chez eux. Mais rogner le patrimoine soit à titre définitif en restituant à la veuve sa dot, soit à titre temporaire en lui abandonnant des terres en viager, est un sacrifice que les paysans ne font pas de bon gré. Au cours du xv* siècle, et surtout pendant l'explosion démographique qui se produit à la campagne après 1460, les testateurs s'efforcent de dissuader la femme de retirer sa dot. De plus, un pourcentage croissant de testateurs attribuent à la veuve non pas des biens fonciers à titre viager, mais une simple pension. Système qui n'est pas inconnu en ville, et que l'on rencontre aussi dans quelques testaments de chevaliers et de donzeaux. Mais ces pensions, peu nombreuses, sont alors versées en argent. Les veuves paysannes, en revanche, les perçoivent essentiellement en nature : ce sont les produits de la ferme. C'est assurément, pour les héritiers, la manière la plus commode et la moins dispendieuse d'entretenir leur mère. Martin de la Font de la Barrolière (paroisse de Saint-Paulen-Jarez) a deux enfants, dont un fils, qui hérite. Sa femme Luce sera « gubernatrix » des enfants et des biens, sans inventaire et sans avoir à rendre compte. La dot qu'elle apporta consistait en 25 livres vien. de bonne monnaie forte, une brebis avec son agneau, une terre qui venait de ses frères. Si elle se remarie, sa dot lui sera rendue en six ans : la première année la terre, la deuxième année 100 sous, et ainsi de suite. Si elle ne se remarie pas mais ne peut s'entendre avec l'héritier, elle aura à titre viager la « domus inferiorem » jouxte la route, et recevra chaque année 10 bichets de seigle, 2 bichets de froment, 1 bichet de légumes secs, et 10 sous viennois. Elle pourra
8.
1335 ; 4 G 42, f" 55.
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prendre du bois pour son usage, tout comme l'héritier, mais qu'ils n'abattent pas les arbres. La retraite ainsi conçue est une solution à la fois économique (les enfants conservent la dot mais la veuve peut s'arrêter de travailler sans tomber dans la misère) et humaine. Elle respecte à la fois le 4 e commandement et les incompatibilités d'humeur. Telle apparaît-elle du moins dans les testaments des hommes mariés. La réalité peut décevoir, car elle dépend du bon-vouloir des enfants à l'égard de leur mère. Quoi qu'il en soit, la veuve qui accepte ces conventions doit avoir quelque peine à les modifier et obtenir restitution de la dot. De-ci, de-là, un bref passage laisse entrevoir des drames. En 1440 par exemple, le juge du seigneur de Morancé convoque la famille et les témoins du testament de Barthélémy de la Roche. Celui-ci avait attribué à sa femme Jeannette la tutelle des enfants mineurs. Elle refuse cette tutelle « quia intendit agere contra heredes dicti sui mariti pro recuperatione sue dotis ». Les fils aînés du testateur Jean et Pierre, « maioribus XXV etiam », demandent à en être chargés à sa place 10 . B - Retraite
et minimum
vital.
La retraite promise aux veuves de la campagne est celle que l'on connaît le mieux. Le testateur en effet ne laissse pas à ses descendants le soin d'estimer ce dont leur mère aura besoin. Il fixe lui-même la nature et la quantité des denrées à fournir et le rythme des versements. Cependant il en est des pensions viagères comme des fortunes : elles sont d'une grande diversité selon les ressources du ménage et la volonté du père de famille. Aussi n'est-il pas question de déterminer un « montant moyen » de la pension viagère que reçoit la veuve. On peut tenter une comparaison à partir d'éléments isolés, en particulier à partir des aliments de base : céréales panifiables, vin, légumes verts. Les autres figurent plus rarement. Le rapport entre les deux céréales panifiables — froment, seigle — varie selon le lieu et selon le temps. Il dépend moins, semble-t-il, du niveau de fortune que du type d'agriculture pratiqué. C'est ainsi que les veuves des drapiers, corroyeurs et marchands de Saint-Symphorien-surCoise mangent un pain moins blanc que celles des vignerons et petits cultivateurs des villages situés en plus basse altitude et sur un sol plus riche.
9. 10.
4 G 42, f° 118 v°. 4 G 65, f° 121 v*.
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Les céréales dans les pensions viagères des veuves Froment Seigle Mont d'Or 68,6 % 31,3 % Jarez 54,2 % 45,8 % Secteur de Saint-Genis-Laval 48,8 % 51,1 % Secteur de Saint-Symphorien-sur-Coise 39,3 % 60,7 % Dans tous les secteurs, et malgré les soubresauts que connaît l'économie, la part du froment va croissant de manière continue. Part du froment dans les pensions des veuves du plat pays : 1300-1350: 30,8 % 1400-1450: 66,0 % 1350-1400: 51,5 % 1450-1500: 78,8 % Constat réjouissant : les veuves seraient-elles de plus en plus choyées par leur famille ? On peut en douter, car en même temps, la quantité qu'elles reçoivent diminue. Comme on peut le voir ci-dessous, la moyenne, dans la première moitié du xiv° siècle, oscille entre 11 et 16,5 bichets. Pour assurer le pain d'un moine pendant un an, il faut un setier, c'est-àdire 16 bichets ; telle est l'estimation courante. La veuve reçoit donc moins, sauf exception. Si la moyenne de ce qui est jugé lui être nécessaire se tient en dessous des 16 bichets, ce peut être parce qu'une femme, surtout si elle n'est plus jeune, est supposée manger moins qu'un moine... Quantités de céréales panifiables (en bichets) 1300-1350 Secteurs Mont d'Or Saint-Genis-Laval Jarez Monts de Tarare Saint-Symphorien
Moyenne 15,6 16,5 13,6 11 14,7
1450-1500
Extrêmes 5 12 8 10 10
à à à à \ a
18 20 20 12 20
Moyenne 6 14 10,4 8 20,5
Extrêmes 3 8 6 6 8
à à à a à V
12 24 20 10 48 11
Mais ce qui est à coup sûr inquiétant est que, dans tous les secteurs étudiés, les fournitures en céréales panifiables sont, après 1450, nettement inférieures à ce qu'elles étaient avant 1350 (entre temps, les textes ne sont pas assez nombreux). Le pain blanc serait-il considéré comme un privilège tel que la femme retraitée puisse vivre normalement avec 10, 8, voire 6 bichets seulement ? 11. Si l'on ne tient pas compte de l'unique pension de 48 bichets, la moyenne tombe à 10,6 et les extrêmes vont de 8 à 16.
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L'homme ne vit pas seulement de pain, la veuve non plus, heureusement, mais il est assez difficile de savoir si les autres denrées alimentaires peuvent remplacer le pain et la bouillie qui se font rares. 67,1 % des pensions comportent du vin : mis à part le secteur de Saint-Symphorien (où 41 % des pensions seulement comportent du vin), les villages étudiés sont presque tous producteurs de vin, et certains de bon vin. Les testateurs de la zone viticole peuvent même se permettre de préciser si la pension sera versée en vin pur ou en « vin médiocre ou vin de couvent ». La moyenne prévue est, avant 1350, de 6 ânées par an (ce qui correspond à peu près à 1 litre et demi par jour). Le vin pur l'emporte (à 3 contre 1) sur le vin de couvent. Après 1450, la moyenne est tombée à un peu plus de 5 ânées (soit 1,3 litre par jour). Aux aliments de base que sont le pain et le vin, deux testateurs sur trois ajoutent des légumes verts ou secs, du lard, du sel, du bois ou de l'huile. Il est impossible de savoir ce que cela représente exactement. Certes, les pois secs, le sel et l'huile sont donnés en quantités déterminées ; mais ils sont trop rarement mentionnés. Les légumes verts, choux, poireaux, et raves, en revanche ne sont pas mentionnés : la veuve en prendra autant qu'il lui en faudra, si elle ne dispose de son propre jardin. Qu'elle puisse prendre du bois dans le bûcher, « rapas in raparia, caulis et alia ortolagia in orto suis heredis pro comedendo et non vendendo », dit un habitant de Saint-Genis-Terrenoire 12 . Les légumes, donc, à discrétion. La viande, évidemment, est plus rare. Les quelques testateurs qui en font mention parlent de lard (les « petasons ») et non de « viande ». Mais ils sont, semble-t-il, plus nombreux au xv* siècle qu'au siècle antérieur. On ne peut en dire plus. Les autres fournitures se prêtent encore moins aux comparaisons. Tel qui semble oublier que sa femme aura besoin de vêtements lui lègue 4 brebis. L'un lui attribue un manteau, une cote et un capuchon tous les deux ans, l'autre juge plus simple de lui allouer 40 sous chaque année, etc. A la pension il faut ajouter, dans deux cas sur trois, un logis attribué à titre également viager. C'est, dans 16 % des cas, une « caméra » ou plusieurs, dans 84 % des cas une « domus » ou plusieurs. Ces logis ne sont pas toujours décrits avec une grande précision ; il est plus important, aux yeux des intéressés, qu'ils soient situés. Mais le testateur en dit assez pour que la « domus » apparaisse comme 12. 4 G 70, f° 4 v°.
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un édifice, et non comme une simple pièce d'habitation. C'est un bâtiment, ou sinon un étage de bâtiment, sans doute plus petit que celui où vivent les héritiers, en général appuyé à d'autres, mais qui garantit à la veuve une vie tout aussi indépendante qu'aux autres habitants du même village. En voici trois, promis en viager à des veuves dans le bourg de Saint-Genis-Laval entre 1339 et 1348 : ...la maison haute et basse sise près de la porte de la maison de Serlay et près de la « domum charforiam », en viager. Il lui donne aussi les garnimenta et utensilia suivants : un lit avec toute sa garniture, un coffre de 10 bichets 13 . ... Stéphanie résidera dans la maison basse qui est près de la maison haute couverte en tuiles. Il lui donne, en viager également, une autre maison couverte en tuiles située jouxe la maison d'Etienne Fabre. Elle aura des tonneaux pour tenir 10 ânées de vin, un lit garni, etc. w . ... Sa femme, si elle ne peut vivre avec l'héritier, aura, tant que non remariée, la maison qui fut achetée à Peronet Dansam en la charrière de Salley, avec le curtil contigu 15 . C - Des retraitées de tous bords, des pensionnées surtout
paysannes.
Autant de veuves retraitées, autant de situations de fortune ; cette diversité ne fait que refléter celle des ménages. Dans l'ensemble, la ration de pain ne suffirait pas à un moine, encore moins à un travailleur manuel en temps normal. Une minorité de veuves en reçoit cependant plus qu'il n'en faut, de quoi entretenir par conséquent une autre personne, une servante par exemple. Toutes peuvent se rassasier de légumes verts. Mais le lard est rare, plus rare que le vin et le bois de chauffage. Les veuves qui touchent la pension la plus confortable sont celles d'artisans spécialisés dans le traitement du cuir ou de la laine (Saint-Symphorien) et de « laboureurs » manifestement à l'aise. Villes et bourgs apparaissent comme des réservoirs de richesse mobilière (même ceux où l'élite se compose, comme à Anse, d'agriculteurs et de robins), non seulement par un usage plus large du numéraire, mais aussi par le nombre des objets de métal que l'on peut soustraire à l'héritage au profit de la veuve. La campagne est également le cadre de vie de la veuve noble, sauf exception. Le testament du mari lui offre les mêmes
13. 4 G 41, f° 91 bis. 14. 4 G 41, f 144. 15. 4 G 44, f° 71.
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options et lui garantit, transposé à un niveau de fortune supérieur, le même type de retraite. Le chevalier Jocerand Charsala, qui teste en 1310, a huit enfants. Le fils aîné hérite. Sa femme Béatrice reçoit l'administration des biens et la tutelle des enfants, sans inventaire ni compte. Si elle ne peut s'entendre avec les enfants, il lui donne toutes les maisons situées du côté oriental de Saint-Priest, la grande vigne du Puy, 10 ânées de vin sur d'autres vignes, et la moitié de tous les servis, tâches, des revenus des moulins et des granges. Elle aurait aussi la moitié de tous les meubles et ustensiles de cuisine. Cependant, si elle veut récupérer sa dot, que ce soit pendant qu'elle reste avec les enfants ou plus tard, avant de se remarier, il supprime toute donation. Si elle se remarie, il lui donne 100 livres de bonne monnaie, à payer 4 ans après son remariage, et toutes les couvertures, les draps, les torchons, tapis, etc. Tant que non remariée et si elle ne peut vivre avec les enfants, il lui donne en viager 10 chars de bois par an, le pré de Lescheri, le pré dit Richier, et son jardin 16. On peut être chevalier et souhaiter garder la dot au profit de l'héritier. On peut être seigneur de Saint-Priest et prévoir, comme les vilains du voisinage, que la veuve et ses enfants ne puissent se supporter mutuellement. Un autre chevalier, Armand du Rochain, prend à l'égard de sa femme Guicharde des dispositions fort semblables et la prie affectueusement de résister au moins cinq ans au désir de quitter la maison pour aller vivre seule : « videns quod esset malicia dictorum liberorum, specialiter dicti heredi sui » 17. D'après quelques allusions du même genre, on comprend que la veuve, après avoir vaillamment rempli sa tâche de chef de famille, doit être fort contente de se retirer, loin des soucis et des disputes. Opulente ou modique, la retraite de la veuve est une retraite bien méritée. Le facteur décisif de ce succès est vraisemblablement l'explosion démographique qui caractérise les campagnes (plus de 4 enfants vivants en moyenne par testateur, ce qui suppose un coefficient de natalité extrêmement élevé). Les testateurs emploient différentes armes contre le morcellement qui menace leur exploitation. Un sur 4 attribue
16. 17.
B 1852, f° 160. B 1871, f° 19 v".
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l'héritage à un seul des fils (un sur 10 avant 1350) ; ils n'en soustraient plus aucune parcelle cultivable sous forme de legs après 1420 ; enfin ils essayent de conserver la dot de leur femme au lieu de la rendre (l'usage d'en rappeler le montant dans le testament tombe en désuétude à la fin du xv° siècle). Ce sont autant de palliatifs à l'amenuisement des patrimoines. Le dernier, conserver la dot de la femme, est en même temps une arme de dissuasion à l'égard du remariage. Dissuasion mais peut-être aussi remède à un état de fait ; un grand nombre de jeunes filles arrivent sur le marché du mariage : il est peut-être, même si elle a récupéré sa dot sans peine, plus difficile à la veuve de trouver un second mari (voir à ce propos les travaux de J. Rossiaud). Il faut en effet se garder de voir, dans les progrès rapides de la pension viagère, l'effet d'un calcul égoïste et rien que cela. Le testateur (cf. supra) semble prévoir que la femme, après des années difficiles, sera soulagée de pouvoir vivre seule. C'est toujours à la femme, et non aux enfants, qu'il donne l'initiative de la séparation. La veuve choisira le moment de son départ. Nul ne peut, semble-t-il, l'empêcher de se retirer ; quelques testateurs supplient leur femme de rester au moins cinq ans, au moins un an... Aucun ne prévoit de mesure de rétorsion à l'égard de la veuve qui s'en va, alors que certains le font à l'égard de celle qui veut retirer sa dot sans que ce soit pour se remarier. Le droit à la retraite est ouvertement reconnu à une mère de famille sur trois. L'exercice de ce droit est grandement facilité par les précisions que donne le testateur sur les moyens de vivre qui lui sont garantis. On ne sait, bien sûr, combien de ces femmes survivantes profiteront de la permission. Mais il est fort possible que d'autres, pour qui le mari ne prévoyait rien de ce genre en son testament, prennent une « retraite » analogue par accord conclu avec les héritiers. Pour eux aussi, la présence d'une mère qui a l'habitude de commander peut, à la longue, devenir insupportable. Cette retraite, parfois impatiemment attendue, est-elle une douce tranquillité ou un amer isolement ? Tout est possible, et les testaments ne peuvent nous le faire savoir. Quelques remarques cependant s'imposent. 1. Le logis attribué à la veuve ne la dépayse pas. Elle reste dans le même village, parfois dans le même ensemble de bâtiments. Son voisinage, ses relations, n'ont aucune raison de changer (selon toute apparence). Libérée du travail et des responsabilités, elle a davantage le temps de bavarder avec les voisines et soigner sa sociabilité. 2. La veuve retirée conserve nécessairement des liens avec ses enfants. Ceux-ci lui apportent des denrées ; elle hante le même jardin, les mêmes bois, parfois le même puits. Elle n'est vraisemblablement pas privée de ses petits-enfants puisque ceux-ci habitent à proximité. Peut-être les garde-t-elle de temps en temps, comme font les grandmères à toute époque.
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3. Le facteur déterminant est à chercher dans les rapports, bons ou mauvais, que la veuve entretient avec ses enfants. Les testateurs semblent redouter qu'ils ne soient mauvais puisque la veuve choisirait de les quitter. Mais les querelles les plus acharnées peuvent s'adoucir du simple fait de la séparation. D - La pension : solution des riches ou des pauvres ? Bien que le pain ne lui soit pas toujours fourni en abondance, la veuve du paysan, à plus forte raison de l'artisan rural, semble pouvoir vivre cette retraite sans travailler au dehors. On a même l'impression que c'est pour lui permettre de se reposer enfin que tant de testateurs prennent soin de fixer à l'avance la quantité de seigle, de vin, de bois, etc., qu'elle recevra. Il restera bien sûr, à tenir son ménage, soigner la chèvre ou les poules si elle en a, cultiver un jardin ou aller cueillir dans celui de ses enfants les choux, les raves et les poireaux comme l'y autorise le testament de son défunt mari. La question, aussi fondamentale qu'insoluble, que soulève le succès de la pension viagère est celle-ci : ces veuves vivraient-elles mieux ou plus mal si elles vivaient de leurs biens propres ? Logement et pension viagère sont-ils une précaution contre la misère qui menacerait la paysanne devenue veuve, ou un moyen de la frustrer de son petit avoir après avoir exploité son travail le plus longtemps possible ? Une paysanne née dans l'un des villages étudiés de près reçoit en moyenne entre 24 et 40 livres. Il faudrait 10 à 20 dots de ce genre pour marier la fille du chevalier (c'est bien pourquoi celui-ci met au couvent deux filles sur trois). Or, l'examen des 554 dots mentionnées dans les testaments du même échantillon montre que l'écart va croissant à partir de 1420-1440 environ. La fille d'un chevalier reçoit, dans la deuxième moitié du xv* siècle, une dot supérieure d'un quart, voire d'un tiers, à celle que recevait sa grand'mère ou son arrière-grand'mère. Chez les paysans, c'est l'inverse. Le moment des grosses dots est celui de la décompression démographique, qui met à l'aise les familles survivantes. Puis le revenu des ménages diminue, et les dots suivent le mouvement. Montant
moyen
de la dot : secteurs
Mont-d'Or 1300-1350 1350-1400 1400-1450 1450-1500
33 40 23 18
livres livres livres livres
St-Genis-Laval 31 64 30 30
livres livres livres livres
ruraux Jarez 28 livres ? 17 livres 17 livres
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Toutes sortes d'indices, qu'il serait trop long d'exposer ici, montrent les campagnes de la seconde moitié du xv° siècle accablées sous le poids de leur propre explosion démographique. On ne peut s'étonner, dès lors, que la paysanne retraitée reçoive moins de pain et de vin que ses ancêtres. L'aisance se cantonne dans les petites villes (malgré le petit nombre de dots connues, il semble bien qu'à Anse et Saint-Symphorien, la dot augmente au lieu de diminuer). Malgré les compléments en nature (linge, meubles, bétail, bijoux), la dot que reçoit la paysanne ne lui permettrait sans doute pas de subsister sans travailler à la ñn de la période. La diffusion de la pension viagère s'explique peut-être aussi par la nécessité. Même sans lard et avec peu de pain, la pension assure un minimum vital qu'un capital de 17 à 30 livres, même bien placé, ne saurait procurer. Selon le taux ordinaire, il donnerait 17 à 30 sous par an : cela ne suffirait même pas à fournir à la veuve de quoi se vêtir et se chauffer. La pension, solution de riche ou solution de pauvre ? Des testateurs de professions différentes optent pour cette manière de subvenir aux besoins de leur épouse, et cela à des niveaux de fortune fort dissemblables. Mais elle n'est guère d'usage chez les nobles, sinon en numéraire avec quelques fournitures complémentaires (bois, bon vin) ni chez les plus riches des habitants de Lyon, qui ont assez de numéraire et assez de biens immobiliers pour contenter leur femme. La retraite ainsi conçue n'est pas accessible à ceux dont le logis est insuffisant et qui n'ont pas de biens cultivables d'où tirer au moins les grains et les légumes. C'est le veuvage typique des familles de petits et moyens possédants parmi lesquels se recrutent en majorité les testateurs. Ni patricienne, ni servante, mais les veuves de ceux qui cultivent une tenure, grande ou petite. C'est dans ce milieu la forme de veuvage à la fois la plus économique et la plus humaine. Préconisée, facilitée, diffusée par les testateurs, la retraite rend le remariage moins nécessaire et donne au veuvage définitif une légitimité supplémentaire au sein de la société rurale. M.-Th. Université
LORCIN,
de Lyon
II
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RÉSUMÉ C'est par les testaments des hommes mariés que l'on sait comment vivent les veuves en milieu rural. Chez les nobles, les modalités du veuvage évoluent peu. Biens propres et biens en viager assurent à la veuve une aisance suffisante. Du jour où elle cesse de vivre avec ses enfants, la femme jouit de ses biens et devient économiquement indépendante. L'accroissement de la dot moyenne, un relatif déclin démographique, contribuent à maintenir dans les testaments des chevaliers et donzeaux ce système qui rend la pension superflue. Au foyer des paysans et artisans ruraux, en revanche, le nombre des bouches à nourrir croît plus vite que les revenus au cours du XV e siècle ; l'amenuisement des dots, entre autres signes inquiétants, en témoigne. Récupérer la dot au détriment des héritiers ne permettrait pas à la veuve, dans la plupart des cas, de vivre « selon son estât ». Bien que la ration de pain et de vin diminue elle aussi, la pension viagère, versée en produits de la ferme (dont les légumes verts à volonté) lui assure plus aisément le minimum vital sans grever à l'excès le capital des petits et moyens exploitants agricoles. Il en est de même du logement viager, assigné dans le village, voire dans la maison même, qui met fin à une cohabitation devenue pénible sans couper la retraitée de sa famille et de ses amis.
SUMMARY Men's wills tell us a lot about the way women lived in rural areas. A rich man's widow lived on income arranged for her by her husband — she was economically independent. The situation of the widow of a farmer or artisan was quite different; she often received a certain number of payments in kind, such as vegetables, and a small allowance and home so that she would not have to be dependent on her children.
CÉLIBAT ET SERVICE FÉMININS DANS LA FLORENCE DU XV e SIÈCLE par Christiane KLAPISCH-ZUBER « J'engageai la Caterina, qui me dit que c'était pour toujours, avec le consentement de son père, et aussi avec celui de sa mère (...); elle l'a fait parce qu'elle ne veut de mari en aucune manière. Tous, bien d'accord, me l'ont donc donnée. Je dois la vêtir et la chausser comme on fait des servantes, et ils s'en remettent làdessus à ma discrétion. Quand Dieu décidera de ma mort, je lui laisserai ce qu'avec ma femme je jugerai qu'elle mérite, eu égard au temps passé chez nous et, puisqu'elle ne veut pas de mari, nous ferons en sorte qu'elle ait dans sa vieillesse quelque chose, à savoir les vêtements qu'elle porte, comme il nous paraîtra bon et non autrement 1 . » Un contrat de ce type, dont je dois dire tout de suite qu'il reste exceptionnel 2 , trahit-il cependant une fonction importante du service domestique, analogue, dans les classes populaires, à l'entrée au couvent des filles riches : absorber le surplus de filles à qui l'absence de dot, un physique ingrat ou un marché matrimonial trop déséquilibré interdisent une carrière conjugale normale ? Le destin des filles qui, bon gré mal gré, restent célibataires dans les sociétés anciennes, constitue pour elles et leurs familles un problème crucial tant du point de vue financier que juridique. Si un époux ne vient pas relayer les parents ou si le mariage, comme ici, rebute assez une fille pour qu'elle lui préfère les incertitudes d'une vie « solitaire », la question de sa survie matérielle se fait pressante. Dans la pratique, l'obligation juridique de doter une fille n'est observée à Florence que si elle se marie ou si elle entre au couvent ; mais l'exclusion de l'héritage paternel, corollaire de cette obligation, s'impose quel que soit son destin — épouse, nonne ou fille... Perdre l'espoir du mariage 1. Archivio di Stato, Florence (abr. ASF), Manoscritti 96, f° 24, 27 mars 1492 (Ricordanze di Bartolomeo Solvetti). 2. Un seul autre exemple, daté du 1" nov. 1499, dans les ricordanze d'Andrea di Tommaso Minerbetti : « ... et la dite Manetta dit qu'elle ne veut pas de mari et qu'elle veut toujours rester avec nous ; et il en ira ainsi si elle se conduit bien et sans changer » ; Biblioteca Laurenziana, Florence, Acquisti e doni 2292, f° 27 v°.
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ou refuser celui-ci conduit la femme et ses tuteurs à chercher au plus vite des solutions de remplacement qui lui assurent le vivre, le couvert... et la vertu 3 . L'entrée au service d'un particulier devrait apporter une solution aux humbles, symétrique du couvent pour les riches. Des travaux récents suggèrent qu'il en va ainsi dans la Florence du xv" siècle 4 . Mais, comme il est plus facile de cerner le comportement et les motivations des classes dirigeantes, bien mieux documentées, que ceux des classes populaires, il vaut sans doute la peine de réexaminer cette hypothèse, plus ou moins explicite, à la lumière de ce que l'on commence à savoir des structures et de l'histoire démographiques de la Toscane et en regardant de plus près les conditions de l'emploi féminin dans les familles florentines. Je prendrai pour le faire les quelque 132 accords conclus entre un bourgeois et une femme entrant à son service que j'ai pu retrouver dans les ricordanze, c'est-à-dire dans ces livres de comptes ou de raison que tiennent quotidiennement les Florentins 8 . Y sont consignées les conditions de l'engagement, lequel, en revanche passe rarement devant notaire. Les ricordanze permettent assez souvent de suivre le destin ultérieur de la servante, la durée de son séjour et l'atmosphère entourant son congé. Après avoir, dans les lignes qui suivent, rappelé les limites du célibat féminin à Florence, entre la fin du xiv* et le début du xvi* siècle, j'examinerai, à partir des ricordanze, les conditions de l'emploi domestique des femmes pour déterminer si service et célibat sont véritablement associés. Si l'on en croit le catasto de 1427, la structure par âges de la population florentine est marquée par des contrastes sociaux éclatants. Pour s'en rendre compte, il suffit de comparer la pyramide des âges des deux groupes, de taille équivalente, situés aux extrémités de l'échelle des fortunes : le groupe des contribuables n'ayant pas un florin vaillant, que j'appellerai pour simplifier les « pauvres » (4 563 personnes, dont 2 199 femmes) et celui des « riches », qui déclarent plus de 3 200 florins (4 248 personnes, dont 1 802 femmes). Pour résumer, on pourrait dire que la jeunesse de la population croît avec sa fortune. La pyramide des pauvres (en gras sur la figure 1) a une
3. Cf. J. KIRSHNER, < Pursuing honor while avoiding sin. The Monte delle Doti of Florence », Quaderni di 'Studi Senesi', 41 (Milan, 1978). 4. D. HERLJHY, « Mapping households in medieval Italy », The catholic historical review, 58 (1972), p. 8-9 ; D . HERLIHY et C. KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans et leurs familles (Paris, 1978), p. 208 ; D. HERUHY, < The population of Verona in the first century of Venetian rule », dans Renaissance Venice, éd. J. Hale (Londres, 1973), p. 111-112, 113, 115 ; J. KIRSHNER et A. MOLHO, « The dowry fund and the marriage market in early Quattrocento Florence », Journal of modern history, 50 (1978), p. 420. 5. Sur les ricordanze florentines, voir Ch. de LA RONCIÈRE, Un changeur florentin du Trecento : Lippo di Fede del Sega (1285 env.-1363 env.) (Paris, 1973), pour une rapide présentation, p. 11-15.
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base étroite, des flancs verticaux alors que celle des riches s'étale largement à la base pour se resserrer, de façon marquée mais régulière, après l'adolescence. Les fillettes de 8 à 12 ans forment 10 % de la population féminine chez les pauvres, contre 16 % chez les riches ; les adolescentes arrivant à l'âge du mariage, dans le groupe suivant, sont 7,4 % chez les premiers, 10,3 % chez les seconds. Globalement, le contraste est spécialement accentué du côté féminin : l'âge médian, dans les deux catégories de fortune considérées, est de 24 ans pour les hommes et 25 pour les femmes chez les pauvres, alors qu'il tombe respectivement à 17 et 15 ans chez les riches 6 . Ce n'est pas là, toutefois, le seul contraste qui oppose « riches » et « pauvres ». Si l'on examine le rapport de masculinité par groupes d'âges de dix ans, on constate qu'il est affecté d'un mouvement exactement contraire chez les riches et chez les pauvres. Très comparable avant l'âge de dix ans dans les deux catégories de fortune, il ne cesse ensuite de diminuer chez les pauvres, pour tomber au-dessous de 100 après la quarantaine et ne se relever qu'après 65 ans. Chez les plus démunis des contribuables florentins, les femmes excèdent en nombre les hommes entre 40 et 65 ans. A l'inverse, le rapport de masculinité ne cesse d'augmenter chez les riches, jusqu'à atteindre des valeurs fantastiques après la trentaine et pendant tout l'âge mûr ; il s'effondre dans la vieillesse, se rapprochant de celui des pauvres. Trois hommes adultes pour deux femmes, voilà ce qu'on trouvait donc en moyenne sous le toit des riches Florentins (figure 2). Ces contrastes se retrouvent, atténués, à l'échelle de la population toscane toute entière 7 (où, il est vrai, la catégorie de fortune supérieure englobe à peu près les seuls patriciens florentins et reproduit par conséquent leurs caractéristiques démographiques propres). Mais, à Florence, on peut penser que s'y reflètent, outre le mouvement naturel de la population, les apports migratoires. Or ces derniers influent bien plus sur le nombre et la structure de la population pauvre et laborieuse de Florence que de celle des hommes d'affaires, banquiers, marchands, industriels et rentiers qui forment le gros de la catégorie supérieure. La population riche est beaucoup plus fermée que celle des miséreux. Il est probable que le gonflement des effectifs féminins les plus pauvres entre 40 et 60 ans signale un afflux de femmes, des veuves en particulier, venues de la campagne chercher en ville du travail ou des secours 8 . Dans les trois classes de fortune immédiatement supérieures (1 à 100 florins), les femmes mûres ou
D. HERLIHY et C . KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans..., p. 3 8 4 - 3 8 5 . 7. Ibid., p. 328, 343. 8. Le chroniqueur Giovanni Cavalcanti décrit comment la région du Casentino se vide, en 1430-1439, de ses femmes, que l'insécurité et la perte chassent à Florence, où elles sont « accueillies à bras ouverts et paternellement » ; Istorie fiorentine, éd. G. Di Pino (Milan, 1944), p. 397. 6.
Pyramides des âges des pauvres et des riches à Florence en 1427
RICHES
PAUVRES
FEMMES 85-99
HOMMES 85-99
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6
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FIGURE 2
4
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âgées sont du reste encore mieux représentées que chez nos pauvresses absolues. Et ces mêmes classes de fortune comptent en proportion plus forte que toute autre, des veuves vivant seules, déclarant au fisc la rente de quelque champ dont elles ne peuvent à l'évidence se contenter pour vivre. On soupçonne que beaucoup se sont retirées dans la grande ville pour boucler leur budget. C'est l'état matrimonial, en effet, qui introduit une autre cause de discrimination sociale dans la population féminine. L'âge moyen au mariage, calculé à partir des proportions de célibataires, permet d'en juger globalement 9 . Dans l'ensemble de la population florentine en 1427, il approche de 18 ans pour les femmes et de 30 ans pour les garçons. Mais, chez les riches, qui avaient intérêt à faire tenir compte des modifications survenues dans leur ménage et qui ont fait consigner les départs de leurs filles mariées, cet âge tombe à 17,6 ans 1 0 . La figure 3, qui représente les proportions de célibataires et de veuves selon l'âge, indique en effet le léger retard du mariage des filles pauvres par rapport à celui des riches : à 20 ans, 91 % des filles des classes supérieures qui sont mentionnées au catasto des laïcs ont trouvé un époux, contre 87 % des pauvres. La différence est faible. Elle ne contredit pas l'existence d'un modèle florentin du mariage selon lequel les filles doivent être mariées entre 15 et 20 ans. Seules les difficultés matérielles reculent un peu le moment où une jeune fille pauvre peut convoler. Plus curieux est le fait qu'après 25 ans le nombre des célibataires chez les filles du peuple atteigne un plancher remarquablement bas (autour de 3 %, proportion que nous pouvons considérer comme celle de célibataires définitives, en dépit des variations aléatoires dans une population connue par recensement) ; en revanche, les filles de bonne famille maintiennent leur célibat à un niveau plus élevé, soit autour de 10 % dans les différents groupes d'âges. Le mariage, ou le remariage, absorbe donc, quoique plus lentement, la masse presque totale des filles de la classe la moins favorisée, alors que les effectifs, pourtant singulièrement entamés, des femmes appartenant à la classe dirigeante continuent à compter, jusqu'après la cinquantaine, trois ou quatre fois plus de vieilles filles. Sans vouloir entrer davantage dans les particularités du mariage et du veuvage dans la bonne société florentinen, je soulignerai seulement les difficultés que les Florentins riches éprouvent à marier ou remarier leurs filles après vingt ans, difficultés évidentes sur la figure 3. Et le problème du mariage affecte d'autant plus cette classe sociale qu'il faut
9.
D . H e r l i h y et C. K l a p i s c h - Z u b e r , p.
399-400.
10. Les âges au premier mariage enregistrés dans les ricordanze confirment pour la période 1400-1469 ce chiffre, avec une moyenne de 17,85 ans. 11. Cf. ibid., p. 414-418, 578-580.
296
CH. KLAPISCH-ZUBER
ajouter aux femmes restant sans mari dans leur famille d'origine, la masse des religieuses entrées au couvent, dès l'enfance si leur père en a ainsi décidé, ou plus tard, si la nécessité ou la vocation les y pousse 12 . Les nonnes consacrées appartiennent pour la plupart aux meilleures familles de la ville, celles-là mêmes qui sont incluses dans la catégorie de fortune supérieure. Le couvent n'offre donc pas aux filles issues de ces milieux une solution parfaitement adaptée, puisqu'il ne parvient pas à absorber toutes celles qui sont réduites au célibat. En revanche, c'est une minorité réduite (en valeur relative sinon absolue) de femmes adultes célibataires des masses populaires qui affronte une vie de solitude à Florence. Le gros de la troupe des « femmes seules » ne se recrute pas parmi les célibataires. Bien plus présente, on l'a deviné, est la solitude de ces femmes mûres, veuves ou délaissées, sans soutien de famille, qui doivent souvent nourrir des enfants. Dans ces conditions, il me semble douteux que le service domestique ait eu à jouer le rôle que je lui supposais au début de cet essai. Les ricordanze confirment-elles que le recrutement des servantes ait plus souvent remédié à la misère de veuves ou de femmes mariées qu'à la détresse de filles en mal de mari ? Le Florentin qui enregistre l'entrée à son service d'une nouvelle servante ne signale expressément son état-civil qu'en peu de cas. Très exceptionnellement, il indique la présence d'un mari ou d'un père à la conclusion de l'accord. Une fois sur six, cependant, le nom porté par la femme 1 3 permet de préciser si elle est fille, mariée ou veuve. Mais, dans 60 % des cas, la servante n'est désignée que par son prénom, éventuellement suivi d'un lieu de provenance. Comment juger de son état matrimonial ? On peut trouver un indice dans le terme de respect, « Monna », généralement réservé aux épouses, aux veuves ou du moins aux femmes d'un certain âge. Les filles, qui font suivre leur prénom de celui de leur père, ne sont jamais qualifiées de « Monna » au xv* siècle. La manière plus ou moins cérémonieuse de citer le nom de la servante permet donc de classer en deux groupes — présumées célibataires d'une part, présumées mariées ou veuves, de l'autre — les 111 femmes sans répondant masculin. 52 célibataires répondraient, en fin de compte, à 80 mariées ou veuves, selon un rapport proche de 2 à 3. On notera que les célibataires de la première classe de fortune entretiennent exactement
12.
R. C. TREXLER, « Le célibat à la fin du Moyen-Age : les religieuses
d e F l o r e n c e », Annales E.S.C., 2 7 ( 1 9 7 2 ) , p. 1 3 2 9 - 1 3 5 0 ; D . HERLIHY et C . KLAPISCH-ZUBER, Les Toscans..., p. 157, 4 0 2 ; J. KIRSHNER et A . MOLHO, « T h e
dowry fund... », p. 424-428. 13. La femme en Toscane est désignée par son prénom suivi de celui de son mari vivant ou défunt, ou de celui de son propre père si elle est encore fille. La qualité de l'homme dont le nom suit le sien n'est pas toujours précisée par des qualificatifs du type « fille de... », « femme de... » ou « veuve de... ».
CÉLIBAT ET SERVICE FÉMININS A FLORENCE
297
le même rapport avec les veuves de leur classe, en 1427 14. L'hypothèse que le service domestique s'alimente au stock de femmes disponibles sans préférence particulière pour les célibataires se trouverait donc confortée. Les indications de provenance qui accompagnent, dans 44 % des cas, le nom des servantes présumées célibataires et, dans les deuxtiers des cas, celui des veuves ou mariées, précisent les conditions de ce recrutement ancillaire. Leurs proportions respectives soulignent déjà la plus grande mobilité des femmes d'un certain âge. Près de 15 % d'entre elles sont nées hors du territoire florentin, plus de la moitié (52,5 %) dans la campagne ou les territoires « sujets », c'est-àdire plus récemment acquis par Florence (respectivement 41,5 et 11 %) 1 5 . Ce recrutement à large rayon ne se retrouve pas chez les servantes présumées célibataires, dont on a vu que 56,4 % sont probablement d'origine florentine. Moins d'un tiers d'entre elles proviennent du contado ou des villes sujettes, et 12,7 % de l'étranger (presque toutes ces dernières sont d'anciennes esclaves). De fait, les femmes venues des terres les plus éloignées de Florence (territoires « sujets » et étranger) sont particulièrement nombreuses dans le groupe des servantes qualifiées de « Monna » ; les filles placées en service gardent en revanche un caractère plus typiquement local. Dans les deux groupes, environ 60 % des servantes portant un nom de provenance sont originaires des campagnes proches de la ville. Le service domestique ne se limite donc pas à éponger le seul surplus de célibataires florentines ; il recrute largement en dehors de la classe des célibataires, et en dehors de Florence. J'ajouterai que les conditions de l'accord passé entre le maître et la servante ou ses tuteurs montrent que le célibat ancillaire est souvent prévu comme un état provisoire et auquel le service domestique ouvre justement la possibilité de trouver un terme. Une dizaine de contrats ou d'actes concernant des servantes que je présume célibataires, contrats surtout nombreux après 1450, prévoient ou effectuent la dotation de la fille par son patron. Les servantes engagées à cette condition sont souvent des gamines de 8 à 9 ans 16, dont le salaire gagné chez le maître en une dizaine d'années de service leur sera payé sous forme de dot au terme du contrat, c'est-à-dire quand généralement embauchées sans gages et contre leur seul entretien, une 14. 676 célibataires pour 433 veuves (rapp. = 1,56, contre 1,54 chez les servantes). 15. Une certaine indétermination vient des 27 femmes de ce groupe (elles sont 31 dans le groupe des célibataires) dont on ne connaît ni la provenance ni la résidence ; il y a de grandes chances cependant qu'elles soient florentines ou venues des campagnes proches de la ville. 16. Plus du tiers des servantes dont l'âge est donné au catasto de 1427 par leur maître sont âgées de 8 à 17 ans, contre 41,5 % des serviteurs mâles ; D.
HERLIHY et C . KLAPISCH-ZUBER, Les
Toscans...,
p.
331.
298
CH. KLAPISCH-ZUBER
la servante se mariera. Garant de l'honnêteté de sa servante-enfant, le patron, véritable éducateur, est aussi le gardien de ses économies ; il ne lui remettra ses gages que lorsqu'il jugera, en vrai père de famille, qu'est venu le moment de son mariage et qu'un bon parti se présente 1T. Bien loin d'éterniser le célibat en le rendant possible, le temps de service apporte ici aux filles pauvres l'espérance de trouver un mari convenable. Ce célibat ancillaire ainsi limité par l'âge normal au mariage, 17 à 18 ans, attache plus durablement la servante à son maître que toute autre forme d'accord. De 100 servantes dont les ricordanze donnent le terme effectif du service, on sait que 60 exactement ne sont restées qu'un an, ou moins encore, chez leur patron, 19 l'ayant même quitté dans le mois. Les domestiques au cœur fidèle qui demeurent dans la même maison plus de cinq ans ne sont que sept ! Or, la longévité caractérise surtout les servantes présumées célibataires. Plus de la moitié d'entre elles restent au-delà d'une année, contre le tiers seulement des femmes plus âgées. C'est dire le caractère plus épisodique de l'emploi des femmes qui ne sont pas liées à leur maître par la contrainte de la dot ou par la demi-servitude qui marque le destin des anciennes esclaves, jamais totalement libérées. Quitter son patron est du reste souvent le seul moyen qu'a une servante de percevoir son dû : le maître doit alors solder son compte. L'incapacité des salariés à concevoir leur rétribution comme un dû périodique et régulier, et la propension des patrons à en reculer autant que possible le paiement 1 8 , concourent à ce que les salaires soient payés par àcoups, à mesure des besoins de la servante. Ces caractères du salariat médiéval expliquent aussi que les servantes provoquent par un départ précipité le paiement des arriérés de leurs gages. Ces veuves ou ces femmes qui laissent un temps leur famille pour s'engager chez un bourgeois florentin, semblent répondre de la sorte à un problème momentané, à une nécessité pressante : dette, loyer, famine, besoin d'une paire de chausses, d'un jupon neuf, urgence de payer une nourrice... La somme rassemblée, elles regagnent leur foyer, deux fois sur trois, ou cherchent une meilleure place. Le service domestique permet donc à bon nombre de femmes soit de constituer un petit pécule, soit de faire face à une situation momentanément difficile. Mais il assure aussi à quelques vieilles femmes,
17. Mariages patronnés par le maître, souvent dans sa maison, avec dotation totale ou partielle par lui, en 1414, 1428, 1470, 1502, 1511 ; contrats d'engagement précisant la dotation au terme du service, en 1454, 1465, 1509, 1530. Sur la dot des servantes et filles pauvres, D. HERLIHY et C. KLAPISCHZUBER, p. 322, 331, 416.
18. Caractères du salariat bien mis en lumière par G. FINTO, « Personale, balie e salariati dell' Ospedale di San Gallo », Ricerche Storiche 2 (1974), p. 124.
CÉLIBAT ET SERVICE FÉMININS A FLORENCE
299
sorte de retraite et l'assurance de ne pas finir misérablement à la rue ou à l'hôpital. Témoin cette Monna Margherita qui, sur le chemin la menant au service d'un prêtre de l'arrière-pays, se repose, un jour de 1446, au seuil de la maison de Manno Petrucci ; et tout de go, la voilà qui déclare devant témoins « vouloir vivre et mourir dans notre maison, sans salaire ; moi, Manno Petrucci, je la nourrirai à ma convenance sans rien lui devoir en fait de vêtements, chaussures ou chausses. L'autre servante de la maison la quittera... 19 ». Charité qui tourne vite court : le maître fait bientôt grief à la vieille de le voler, et Monna Margherita reprend la route de la montagne. La rareté de la main-d'œuvre salariée, au xv* siècle, autorise ces femmes à prendre leur congé sans attendre un licenciement voulu par le maître ou la fin du contrat, dans les rares cas où un terme est prévu 2 0 . Pour retenir sa servante, le maître fait parfois miroiter la promesse d'une gratification supplémentaire, si elle manifeste une certaine fidélité : une chemise, un voile parfois, une paire de chaussures, si elle reste un an complet 21 . D'ordinaire cependant, le maître ne couvre que les frais de logement et de nourriture en sus des gages, il fait maintes avances à la servante en fonction de ses besoins et doit réserver des pages entières de ses livres de comptes aux femmes longtemps restées en service chez lui. La liberté de manœuvre des servantes, toujours sûres de retrouver du travail, se manifeste aussi à la facilité avec laquelle elles s'absentent, quelques jours ici ou là pour garder une malade, veiller une accouchée, aller faire les vendanges au pays 2 2 . Il ne reste au maître qu'à se perdre en calculs complexes pour décompter de leur solde les journées perdues. De son côté, il leur soustrait sans hésiter les périodes ou la maladie, voire un accident de travail à son service, les ont immobilisées 23 et il les 19. ASF, Strozziane II* série, 17, f° 60 v* (ricordanze di Manno di Cambio Petrucci). 20. Un seul de mes contrats prévoit un préavis de 15 jours si la servante désire partir ; ASF, Conventi soppressi, San Piero a Monticelli 153, f° 8, 20 juillet 1440 (ricordanze d'Uguccione di Mico Capponi). Le contrat est généralement plus souple. Ainsi, le notaire Piero Bonaccorsi tombe d'accord avec une femme de Pontormo et il « l'engage pour le temps qui lui conviendra à moi et à elle, de sorte que chaque année, si nous ne nous plaisons plus l'un à l'autre, n'importe quel jour soit considéré comme un début d'année » ; ASF, Acquisti e doni, 21, f° 98 v°, 10 janv. 1529. 21. Cf. par ex. ASF, Strozziane II, 15, f° 43, 16 janv. 1431 : la servante ainsi appâtée par Cambio di Tano Petrucci restera en effet seize mois. 22. Ainsi, une servante de Bernardo Strozzi a gardé six fois des femmes en couches; ASF, Strozz. III, 347, f° 113, a. 1430-1431. 23. Sur les 4 ans et 5 mois de salaire qu'il lui doit, Bernardo Strozzi décompte à une servante six mois « parce qu'elle tomba malade et se cassa le bras » (11 janv. 1407); la malheureuse se recasse le bras le 15 mai 1409 et son maître la fait soigner pour un florin de médecin et de médecines ; tombée malade en octobre 1415, elle est de nouveau soignée puis, douze jours après, enterrée aux frais de son maître... qui lui doit de toutes façons des arriérés impressionnants ! (ASF, Strozz. HI, 346, f" 15 v° 16, 22 v°).
300
CH.
KLAPISCH-ZUBER
expédie souvent, dès les premiers signes de faiblesse, curer leur mal ou finir leurs jours à l'hôpital 24 . Que des liens affectifs réels se soient parfois noués entre maîtres et servantes — des legs dans les testaments des uns et des autres en témoignent — ne dément pas le caractère épisodique et volatile de l'emploi domestique féminin. Le montant des gages mêmes est en principe fixé par les statuts communaux mis à jour en 1415 25. Dans la pratique, cependant, l'éventail s'en ouvre plus largement que les statuts ne le prévoient. Les servantes gagnent au xv° siècle une moyenne de 8,5 florins par an, salaire proche des 9 florins que les statuts consentent à la famula foemina, ou des 10 florins accordés à la cameraria. Mais près de la moitié (46,4 %) des gages prévus par nos contrats se situent entre 5 et 8 florins, et 27,5 % seulement dépassent les 9 florins admis comme norme. Dans la discussion avec son patron, la servante n'est donc pas forcément gagnante. La situation de ses collègues masculins n'est du reste pas meilleure. J'ai peu de données (18 cas) sur les salaires annuels, comptés en florins, de serviteurs mâles qui sont rares dans les familles florentines avant la fin du xV siècle. Leur rémunération, fixée à 12 florins par an dans les statuts de 1415, égale en moyenne 10 florins, se situe pour la moitié audessous de cette somme et ne dépasse jamais 12 florins26. Plus remarquable est la fixité de ces salaires avant 1480. Les gages annuels des servantes rejoignent leur niveau moyen maximum dans la décennie 1410-1420 (9,4 florins), se stabilisent jusque vers 1440 juste au-dessous de ce niveau, diminuant ensuite extrêmement lentement jusque vers 1475, pour s'affaisser beaucoup plus vite après 1485 et surtout après 1500. Comme, après 1470, le prix en florins du staio de blé se relève sensiblement à Florence 2T , le passage du salaire moyen de la servante de 8,5 florins par an dans la décennie 1450-1459 à 8,33 florins en 1470-1479 puis à 7 florins en 1490-1499 implique un véritable recul de son pouvoir d'achat. Les conditions de l'emploi domestique féminin paraissent donc se durcir après 1480-1490 et, à première vue, on est tenté de 24. Bartolomeo Sassetti en 1473 (ASF, Strozz. V, 1751, f° 162) ou Bartolomeo Salvetti en 1485 (ASF, Mss. 96, f° 14 v°) expédient rapidement leurs servantes malades à l'hôpital : sollicitude, décharge de responsabilité, abandon ? Trois servantes de Marco Strozzi (ASF, Strozz. IV, 353, f° 9 v°, a. 1509) et Francesco Gaddi (Laurenz., Acquisti 213, f° 95, a. 1496, année de peste) meurent à l'hôpital. 25. Statuto populi e communis Florentiae... anno salutis MCCCCXV (Fribourg, 1778-1781), t. II, p. 267-268. 26. Les salaires payés par l'hôpital de San Gallo à ses serviteurs mâles entre 1396 et 1415 s'étagent déjà entre 4,5 et 12 florins par an ; cf. PINTO, art. cit., p. 121, Tav. 1. 27. R. A. GOLDTHWAITE, « I prezzi del grano a Firenze dal XIV al XVI secolo », Quaderni storici, 10 (1975), p. 11.
301
CÉLIBAT ET SERVICE F É M I N I N S A FLORENCE
lier les étapes de cette détérioration au mouvement de la population. Raréfiée dans le premier tiers du siècle, stabilisée dans le second, la population de Florence grossit rapidement après 1470. Même les nourrices, emploi féminin s'il en fût, connaissent une semblable détérioration de leur statut au début du xvi" siècle 28 . Mais l'arrivée sur le marché de la main-d'œuvre de générations féminines plus nombreuses après 1490 ne rend pas compte de tout le phénomène. Car les femmes cherchant à s'employer doivent désormais compter avec une concurrence masculine plus pressante. Activité traditionnelle des femmes dans toute la période de pénurie démographique, le service domestique laisse une place croissante à des serviteurs mâles après 1490-1500. 39 % des données recueillies sur ces derniers entre 1370 et 1510 concernent la dernière période (1480-1510) contre 14 % des informations sur des servantes. La quête d'un emploi rabat certainement vers ce type d'activité peu considérée, nombre d'hommes qui se seraient autrefois intégrés aux florissantes industries florentines. Le déséquilibre du rapport entre les sexes, encore plus accentué en 1480 qu'en 1427 29 , le relèvement de l'âge au mariage féminin dès la fin du siècle 30 sont autant de signes qui balisent les difficultés des femmes à s'imposer sur le marché de l'emploi florentin 31. Vers 1500, c'est déjà l'emploi féminin qui paraît faire les frais de la nouvelle croissance démographique, comme en témoignent le durcissement de leurs conditions d'embauche et la proportion de femmes engagées. Le service domestique ne paraît pas dépendre au XVe siècle d'un célibat féminin temporaire ou définitif, plutôt limité dans les classes populaires ; il n'en va plus de même dès le début du xvi" siècle. Le purgatoire préconjugal s'impose alors à bien des filles avec autant de rigueur qu'au début du xiv" siècle, avant le grand reflux démographique. A en juger par le nombre des servantes florentines vers le milieu du xvi* siècle, l'attente d'un époux s'écoulera désormais sous le toit d'un maître. Service domestique et célibat s'épauleront l'un l'autre, alors que cent ou cent cinquante ans auparavant, ils évoluaient de façon relativement autonome. Christiane K l a p i s c h - Z u b e r E.H.E.S.S. - Centre de Recherches Historiques 28. Cf. C. KLAPISCH-ZUBER, « Genitori di sangue e genitori di latte in Firenze nel Quattrocento, Quaderni storici, 33 (1980). 29. Il passe à Florence de 118,9 en 1427 à 123,8 en 1458 et à 126,7 e n 1 4 8 0 . D . HERLIHY et C . KLAPISCH-ZUBER, Les
Toscans
et leurs
familles,
p. 3 4 1 .
30. Ibid., p. 207. L'âge estimé à partir des proportions de célibataires dans l'ensemble de la population florentine passe de 17,6 (1427) à 19,5 (1458) et à 20,8 en 1480 à Florence chez les femmes. Pour les hommes, il passe dans le même laps de temps de 30,3 à 30,5 puis à 31,4. 31. En 1552, 16,7 % de la population florentine se composeront de serviteurs, dont 70 % de femmes ; 42 % des ménages emploieront au moins un serviteur ; ibid., p. 520.
302
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RÉSUMÉ Le service domestique joue-t-il le rôle, dans les classes populaires florentines du XV* siècle, qu'assume l'entrée au couvent des filles riches ? Permet-il de résorber l'excédent de filles nubiles que le rapport numérique entre les sexes et les conditions du mariage ou du remariage écartent de la carrière normale d'une femme, celle d'épouse et de mère ? L'étude précise d'abord les aspects de la situation démographique qui, dans cette période de grand reflux, semblent affecter la définition et l'étendue de la solitude féminine. Elle analyse ensuite les indications sur l'emploi domestique contenues dans les livres privés des bourgeois florentins qui engagent une servante. En dépit de leur laconisme sur l'état civil et sur la condition juridique des femmes concernées, ces documents montrent que le service domestique féminin recrute des femmes âgées et généralement veuves plutôt que des célibataires. Cependant, une fonction secondaire de l'entrée au service d'une famille est bien de constituer la dot d'une fille et donc de la faire sortir, à terme, de son célibat. Ainsi entendu, le service des femmes se trouve doublement menacé, et leurs chances de célibat renforcées, par la pression démographique d'après 1500 qui amène les hommes en bien plus grand nombre sur le marché de l'emploi domestique et restreint les possibilités qu'a une fille honnête de se constituer la dot et de trouver un époux, ou celles qu'a une veuve d'échapper à la misère.
SUMMARY Was becoming a servant the equivalent for poor women of becoming a nun for the rich ? Did both « careers » serve as a means of absorbing the female population excluded from the normal roles of wife and mother ? This study deals with demographic issues that affected single women and discusses the conditions under which servants were employed, in trying to answer these questions.
WOMAN ALONE IN ENGLISH SOCIETY by Richard WALL Women as household heads. The extent to which women head households, live entirely alone, or never marry are clearly key elements of the social structure of any society. It is somewhat surprising, therefore, to find that the phenomena have attracted very little attention in comparison with the attention given, for example, to the notion of the stem family. How frequently did women head households in past societies ? Information on the ages of the inhabitants is available only for nine somewhat diverse English parishes but table I suggests a fairly narrow range : between 9 and 14 per cent (Ardleigh in Essex excepted) for women over the age of 15 1 . There is some suspicion of a trend over time with slightly more women heading households in the late seventeenth century. Given the generally late age at marriage for both sexes in this period, the decline in remarriage from earlier levels and the high level of mortality in relation to both earlier and later times 2 , such a trend is not unexpected and the surprise must be that it is not more decisive. It is interesting also that the differences between individual settlements are not more marked given that they include both major urban centres such as Lichfield and Stoke and remote villages such as Grasmere. Less easy to decide is whether such figures should be considered high or low. The 1971 figure of 18 per cent of women over 15 heading households in Great Britain is only slightly higher but the comparison could be misleading without taking
1. All the pre-industrial figures have been derived from an analysis of xerox copies of the lists in the possession of the SSRC Cambridge Group. The analysis is restricted to these nine to allow the use of the age information which these alone contain. The 1971 figure is derived from the special tabulation of headship rates obtainable from OPCS (Office of Population Censuses and Surveys). 2. These observations are made on the basis of the results of 8 reconstitutions. See the summary in R. M. SMITH, « Population and its geography in England 1500-1750 » in R. BUTLIN and R. DODGSHON, eds., An historical
geography
of England and Wales (1978) : 212, 216. Compare the classic study of Colyton by E. A. WRIGLEY in « Family limitation in pre-industrial England », Economic History Review (1966). For the calculation of the frequency of remarriage see chapter 7 of the forthcoming book ed. E. A. Wrigley and R. S. Schofield, The population history of England 1541-1871 : a reconstruction.
304
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into consideration the very different age structures of the various populations. T h e calculation of age-specific headship rates as in figure 1 enables us to establish the following differences between the Great Britain of 1971 and pre-industrial England represented by the 9 age lists. T h e latter have been grouped into rural and urban elements because of the small number of cases in some of the cells. 1. In 1971 a rather higher proportion of young women (under 30) headed their o w n households than was the case in the pre-industrial past. It may be noted, though, that there is some evidence that this is a very recent d e v e l o p m e n t 3 . TABLE 1 HEADSHIP RATES : WOMEN AGED > 15 FEMALES AGED >/ 15
PERCENT HEADING HOUSEHOLDS
Ealing, Middlesex, 1599
132
10.7
Grasmere, Westmoreland, 1683
100
9.0
Chilvers Coton, Warwick, 1684
258
10.5
1,070
12.4
82
14.6
517
13.3
68
10.3
Corfe Castle, Dorset, 1790
395
10.9
Ardleigh, Essex, 1796
334
4.8
2,126,503
18.4
Lichfield, Staffs, 1695 Ringmore, Devon, 1698 Stoke-on-Trent, Staffs, 1701 Wembworthy, Devon, 1779
Great Britain, 1971
3. See Social Trends, 8 (1977). The trend in the United States is in the same direction. Thus the percentage of women aged 18-24 living alone (primary individuals) has risen from 0.8 per cent to 4.2 per cent between 1940 and 1970 (the comparable rise for men is from 0.9 per cent to 4.9 per cent). See F. KORBIN, « The primary individual and the family », Journal of marriage and the family (May 1976): 233-9. Similarly, James Sweet has documented a rise in the United States in the proportion of never married persons aged 18-24 heading households between 1960 and 1970. See James A. SWEET, « Recent trends in the household and family status of young adults », Center for Demography and Ecology, University of Wisconsin-Madison, working paper, 78-9. In Denmark, Sweden, Austria and the Netherlands age-specific headship rates for females aged 15-24 have more than doubled between 1960 and 1970. See Alice H E C H T , « Trends in the size and structure of households in Europe 1960-1970 and the outlook for the period 1970-2000 » (1979): 12. Unpublished paper in the library of the SSRC Cambridge Group.
LA FEMME SEULE EN ANGLETERRE
305
Age s p e c i f i c headship rates : females
FIGURE 1
2. During mid- to late-maturity (i.e. 30-54) the pre-industrial settlements recorded the higher frequency of women heading households. 3. As regards old age, contemporary Britain had much the higher level of female headship and is missing the characteristic downturn in the proportion of women heading households which distinguished the very old (75 + ) in the past. One further point could be made about the pre-industrial set. Although the two towns of Stoke and Lichfield have higher rates of female headship than the rural areas, the variation in this by age is remarkably uniform.
20
306
R. WALL
Ideally one ought to refine the comparison to take account of marital status but the lack of precision about marital status in the pre-industrial lists means one has to proceed cautiously. The first and rather obvious fact is that we are dealing here with the never married and the widowed. Very few married women head a household. The rate in 1971 was 2.3 per cent and in Corfe Castle in Dorset in 1790 it was 3.9 per cent 4 . Figure 2 concentrates, therefore, on the headship rates of never married and widowed women in 1971 (divorced women being included with the widowed). The equivalent rates for males are provided for comparison and three points can be made. Age specific, headship rates by sex and marital status
FIGURE 2
4. The comparison is a somewhat artificial one in that no account can be taken of divorce since in 1971 widowed and divorced persons are not separately distinguished. There was of course no possibility of divorce for the Corfe Castle women on 1790. Corfe is chosen as this is the only occasion before 1800 when wives living apart from their husbands were recorded with sufficient care to distinguish them from mothers of bastards. The percentage is based on a number of wives living apart from their husbands in relation to the total married women (n = 180). If one were to restrict the comparison to those actually heading households as opposed to households and lodging groups, then the percentage falls to 1.8 per cent (n = 170).
LA FEMME SEULE EN ANGLETERRE
307
1. As might be expected headship rates increase steadily with old age reaching a maximum for widows at age 60 and for single women at age 75. There is, then, a tendency for the old to be accommodated in the households of others but it is obviously much less marked than it was in the pre-industrial period. 2. Widows are more likely than single women to head their own households. This remains true right up until extreme old age (those over 85) despite the fact that most widows have the option, in theory at least, of living in the households of their children. 3. Single and widowed men are at almost every age less likely to be heading their own household than women of the same marital status. Indeed the differences may have been wider if, as one suspects, there is a tendency to record the male as head of the household when widowed or single males and females share the same accommodation. That more men than women should be accepted into the household of others is most significant. It suggests that in a personal crisis situation (such as bereavement) men are more likely to become dependent on the support of others than would similarly situated women. A parallel explanation would cover the fact that headship rates of never married men and women which had been very close, move apart in old age. It must be emphasised here that these patterns cannot be taken as a guide to the situation of widowed and never married women either in other European countries or even in England's recent past. The first of these issues can be explored in figure 3 where the proportion of never married women heading households in Great Britain in 1971 is set alongside the Swedish experience of 1965 5 . Headship rates for Swedish women are much higher than the English ones before the age of 55 6 . Indeed the English rates for young adults are closer to Japanese than to Swedish levels. Put another way, the frequency with which never married Japanese women establish independent households only becomes «distinct» judged by the experience of English women, after the age of 45. Unfortunately, as countries have differed in the way in which they have tabulated marital status in relation to headship rates, any general comparison between countries has to fall back on somewhat less satisfactory age-specific headship rates which take no account of the varying 5. Swedish and Japanese rates are to be found in United Nations, Determinants and consequences of population trends (1973). 6. Similarly, in Sweden in 1970, 81 per cent of all non-married women aged over 65 headed a household while in France in 1968 the comparable proportion was only 70 per cent. See Hecht (1979): 15. The extent of consensual unions (men and women living together without formal marriage) may be a possible factor for the high headship rate of Swedish women, but it should be noted that it can only work this way if the women, rather than the men in such situations, have returned themselves, or been returned, as household heads.
308
R. WALL Age specific headship rates : Never married women
FIGURE 3
Age specific headship rates : females
proportion of the population that is married (figure 4). Even so, some differences that we have already noted are still apparent. Sweden, for example, still shows the relatively high proportion of young women heading households and Britain a relatively high proportion of elderly women in that position. Admittedly, the headship rates of German,
LA FEMME SEULE EN
ANGLETERRE
309
French and Belgian women resemble each other more closely than do the Swedish and Britain ones but there are still some clear differences between even these close European neighbours. It is noticeable, for example, that the headship rates of German women consistently exceed those of French women, which in turn are higher than those of Belgian women. In making these sorts of comparison it is important to bear in mind the rapid rise in headship rates in European countries in recent years. Of the 10 European countries covered in Hecht's survey, only in France was there no rise in the 1960s in the headship rate of females aged 15-24 and over 65 7. In this particular case, this was without impact on the ranking of the German, French and Belgian headship rates to which reference was made above, but the same might not be true if a longer time span was involved. For example, in England and Wales in 1951 no more than 46.7 per cent of never married women over the age of 60 headed households. This can be compared with the 68.3 per cent who did so in 1971. Headship rates for the widowed women have also risen but less steeply 8 with the result that there is now rather less difference in the frequency with which widowed and never married women head households than was the case in 1951. There has also been a rather interesting tendency over the same period towards the equalisation of headship rates of non-married men and women. We stressed above that single and widowed men in 1971 were more likely to be living in the households of other people than similarly placed women (see above, figure 2) but in fact in 1951 such men were even less likely to be heading their own households than were the women. To extend the comparison to include pre-industrial England is not easy, as we have said, because of the irregularity with which marital status was recorded. Only three of the places mentioned in table I have lists which come near to giving the required detail and there are even some problems with two of these 9 . This must be
7. Even in the case of France a rise in the headship rate of nonmarried women is implied. Hecht (1979): 14, 18. The countries included in her study are Austria, Belgium, Denmark, Finland, France, West Germany, Ireland, the Netherlands, Norway and Sweden. 8. From 29.1 per cent to 43.6 per cent heading households. The 1951 data are summarised in M. PLESSIS-FRAISSARD, € Households: a review of definitions, trends and forecasting methods », University of Leeds, School of Geography, working paper 164. 9. Stoke and Lichfield, see notes to tables 2 and 3. It is also necessary to assume that all those described as son or daughter of the head, sister of the head when a surname was shared, and servant were unmarried, unless spouse was present. The last two points apply also to the Corfe Castle list. N o other assumptions have been made.
310
R. WALL
borne in mind when comparing one pre-industrial community with another or all three collectively with the situation in present-day England. The small number of places that are available for analysis, even when all three of the pre-industrial ones are grouped together, means, too that a detailed breakdown by age is scarcely practical and we have therefore contented ourselves in tables II and III with simple division of never married women into those aged between 15 and 45 and over 45. At the same time, the fact that it is possible to examine the original schedules, means that we can see what household position unmarried women occupied when they were not heading their own households. We will take first the question of headship rates. Tables II and III offer two measures of this, dependent on whether « solitary» lodgers 10 are treated as living independently, i.e. as forming quasi-households. Such an assumption, of course, results in a higher headship rate than if they are ignored on the basis that they are simply an addition to the household. Even the lower of the two measures, however, produces headship rates close to 1971 levels for women under 45 and to 1951 levels for women over 45, while the higher measure produces rates for both age groups above those of 1971 Women as members of
households.
It would appear to be a mistake, therefore, to think of the pre-industrial period as an era when the never married woman did not appear as a household head. How she coped with this is a matter which requires further consideration. However, we must not pass over the information that tables II and III provide on the household position of the never married woman. Under the age of 45 two roles dominate, that of daughter and servant and, bearing in mind what is now known about the importance of residential service in the English past, particularly as a life cycle stage between achieving working age and marriage, the 30 to 40 per cent of the unmarried in this age group in service is considerably below what might have
10. By « solitary » lodger is meant any lodger, boarder or person of unspecified relationship to the household head who is attached to a household without any other such person being present. 11. The 1971 figure is 6.9 per cent of never married women 15-45 heading households and 61.0 per cent of those over 45. By way of comparison in Corfe Castle the minimum estimate of unmarried women under 45 heading households would be 5.4 per cent and the maximum 8 per cent; and for those over 45, a minimum of 40 per cent and a maximum of 66 per cent. Any comparison involving Lichfield should perhaps exclude the 13 women in the institution (hospital women, as they were termed) as the institutionalised population is not included in the 1971 figure. In addition it may be queried whether the hospital women were « never married ». There is no indication in the list as to their marital status.
311
LA FEMME SEULE EN ANGLETERRE
TABLE 2 NEVER MARRIED FEMALES 15-44 BY RELATIONSHIP TO HOUSEHOLD HEAD LICHFIELD(1)
CORFE CASTLE
STOKE-ON-TRENT(1)
No.
%
No
%
No.
Z
3
0.6
3
1 8
5
3.8
Other head
18
3.9
7
4 1
2
1.6
Solitary lodger
25
5.4
8
4 8
3
3.8
Solitary
26
5.6
4
2 4
2
1.6
225
48.7
91
53 .8
58
43.9
Other lodger Daughter
19
4.1
5
3 .0
10
7.6
Servant
144
31.2
51
30 .2
52
39.4
Unknown
2
0.4
0
0
169
132
Relative
462
TOTAL
(1) Includes 36 women in Lichfield plus 10 in Stoke of unknown marital status
TABLE 3 NEVER MARRIED FEMALES AGED >,45 BY RELATIONSHIP TO HOUSEHOLD HEAD LICHFIELD(1) Solitary Other head
1
STOKE-ON-TRENT(1) 5
CORFE CASTLE 4
11
1
2
Solitary lodger
1
3
4
Other lodger
5
1
2
Daughter
0
0
0 2
Relative
2
2
Servant
0
4
1
Institution
13
0
0
TOTAL
33
16
15
(1) Includes 29 women in Lichfield and 6 in Stoke-on-Trent of unknown marital status,
312
R. WALL
been expected. In all three of our communities, rather more of the unmarried women in this age group were in fact still to be found within the parental household than in service 12 . The importance of the parental home for the unmarried woman under the age of 45 is thus very plain although it is only fair to add two riders, first that the proportion of the population in service is extremely variable between one community and another, and secondly, that the figures can only show the proportion of women in service at one point in time. For the older unmarried woman, the situation in quite different. No familial role opened up to replace that of the daughter, nor were there many women of this age in service. The vast majority of these women were therefore householders or lodgers and in Stoke and Corfe Castle as many as half may have lived alone 18. The position of the never married woman can profitably be compared with that of the widow (table IV). For example, about one third of the widows appear to have lived alone, perhaps not as high a proportion as of the never married women, but still surprisingly high in relation to the number that one might anticipate would have no surviving children with whom they might have l i v e d u . Another point of comparison is provided by widowers in the same communities. This shows that a higher proportion of widows than widowers were solitary. At the same time, it is also true that they were more likely than widowers to be accommodated in the household of one of their offspring. In other respects the differences are not marked, as for example with the frequency of sharing with relatives other than offspring, or are somewhat variable between communities (as with lodgers). This extends also to the overall percentage of widowed people heading households. Depending on the community this ranged from 71 to 78 per cent for widows and from 72 to 86 per cent for widowers. In this case, therefore, similarity in the headship rate conceals a number of important differences in the household arrangements, which is why it is important to supplement information on headship with more detailed studies.
12. (1977):
Peter LASLETT, Family
life and
illicit
love
in earlier
generations
34-5.
13. The situation in Lichfield differs as 9 of the 20 never married women over 45 (not including those in the institution) had coresident children. In Stoke it was only 2 of 16 and in Corfe 1 of 15. Given such small numbers it is impossible to decide whether the « differences » between communities are purely the product of chance and the figures are produced here simply as a reminder that a certain proportion (and in Lichfield apparently quite a high one) of never married women still had a familial role. 14. Estimated by E. A. WRIGLEY at approximately 20 per cent. See E. A. WRIGLEY, « Fertility strategy for the individual and the group', in Charles TILLEY, ed., Historical studies of changing fertility (1978) : 141. The percentage of widows not living with a co-resident child in our three communities taken together is 39 per cent.
313
LA F E M M E SEULE EN ANGLETERRE
TABLE 4 HOUSEHOLD POSITION OF WIDOWED PERSONS WIDOWS
WIDOWERS C0RFE 1790
LICHFIELD 1695
STOKE 1701
CORFE 1790
LICHFIELD 1695
STOKE 1701
0 17 3 2 1
1 12 1 1 4
1 10 1 0 2
5 19 2 1 5
19 74 2 6 9
6 40 1 0 6
2 0 6
0 2 1
1 0 2
6 0 6
9 2 19
9 2 10
TOTAL
31
22
17
44
140
74
Maximum solitary(3) (%)
22.6
27.2
29.4
36.4
Own household Solitary With child(1) With relative(1) With servant(l) With lodger(l) In household of another Child Relative 0ther(2)
32.6
29.7
(1) These are priority categories so that a widowed person with a co-resident child may also have a co-resident relative, servant or lodger, a widowed person with a co-resident relative may also co-reside with a servant or lodger, and so on. (2) I.e. widowed person is a lodger or boarder. (3) Widowed persons who were solitary, lived alone but took in lodgers, or were themselves lodgers.
Unfortunately the only comparison that can at present be offered with Great Britain in 1971 is in terms of headship rates. As far as these go, they suggest that the position of the widowed has not altered fundamentally 15 . In 1971, 84 per cent of widows headed their own households, only a little higher than the proportion for the pre-industrial communities that we gave above. There is confirmation here for the lack of change in the English household which has
15. At the same time it is important to draw attention to the fact that whereas in 1971 a higher proportion of widows than widowers headed their own households (see figure 2), the position is reversed for the pre-industrial period. In two of the communities, though, there was only a marginal difference between the two rates and it would be unwise to draw firm conclusions on the basis of the evidence currently available.
314
R. WALL
been noted before in terms of its kin component, that is the presence of relatives in the household other than the spouse and offspring 16 . Finally, before leaving the question of the widowed, it is worth emphasizing the fact that in pre-industrial England, approximately 40 per cent of all widows had no co-resident child living with them. From the estimates of the number of surviving children widows might have (see above), it was possible to infer that a certain proportion of the lone widows would have had children with whom they might have lived. Further evidence bearing on this point comes from a study I made some years ago into the age at which children left home in three quite different parishes from the ones we have been considering (Cardington, Bedfordshire, 1782; Binfield, Berkshire, 1801 ; and Colyton in Devon, 1841). This showed that the absence of children from the parental home was not independent of the marital status of the parent although in detail, the pattern was a confused one 1T. For instance, more children of widows left home before 15 than did children from homes where there was a male family head, yet a higher proportion of older offspring (age 15-29) were present. This pattern is a good deal more complex than that which Michael Anderson recorded for industrial Preston in the mid-nineteenth century where children remained with a widow longer than with a widower and longer with a with a widower than they did with a married couple 18. The only general point, then, that it seems safe to make is that widowhood did have some impact on the number of children at home, although for two of the parishes, Binfield and Cardington, together with Preston, it could be added that widowhood also helped to determine which child would be at home. In all of these places it is noticeable that rather more daughters than sons would remain in the parental home when the family head was a widow than was generally the case in the community concerned 19 .
16. Peter LASLETT and Richard WALL, Household and family in past time (1972), chapter 4. It is important to add, however, that we have not yet calculated the headship rates for any community in the mid-nineteenth century and it is conceivable they may have differed from both pre- and post-industrial levels, just as there was some increase in the percentage of households containing relatives during the nineteenth century. 17. R. WALL, « The age at leaving home », Journal of Family History, 3,2 (1978): 197-8. Part of the difficulty may be that the numbers were not sufficient to allow one to control for the occupation of the family head (or that of the former husband in the case of widows). 18. M. ANDERSON, Family structure in nineteenth century Lancashire (1971):
126.
19. The exception is Colyton. N o t only did the widows have a higher proportion of sons than of daughters at home, but the proportion of older offspring at home is below that of households where there was a male head.
LA FEMME SEULE EN ANGLETERRE
315
Conclusion. To get an idea of trends, however, or of major differences between countries, it is almost inevitable that one will have to fall back on more general measures of difference, such as the one used in this paper of the age-specific headship rate. Fortunately it has been possible, at least for the pre-industrial period, to supplement it with a more detailed survey of the household position of the never married and widowed women. On the basis of this evidence it is possible to draw the following conclusions. First there would appear to be little difference in the frequency with which never married and widowed women head households in Great Britain in the later twentieth century compared with the situation in pre-industrial England. Secondly, there are some important differences between a number of European countries in the 1970s in the frequency with which women head households. The position of England, for example, looks quite distinct as does that of Sweden and it is noticeable that West Germany has much higher levels than France (see figure 4). Three further questions arise here. First, we would know more if the census offices were less reluctant to provide detailed breakdowns of relationships within the household. The second point, which is rather more fundamental, is how we are to determine whether a difference between one country and another is large or small. Should we, for example, examine the Belgian and French figures in isolation, or should we judge them in relation to figures for the Japanese population ? Thirdly, it is also the case that age-specific headship rates are certainly not the only way of measuring differences between the familial positions of men and women. For example, one might take the percentage of men and women who lived as solitaries. Here, there would seem to be rather greater difference between past and present societies (in the direction of more solitaries in the twentieth century) than is suggested by differences between past and present headship rates. However in the past, as now, women rather than men are likely to be solitary 20 . Other measures to be considered in addition to the age-specific headship rate are the number of households
20. These remarks are based on a comparison of the percentage of men and women living as solitaries in the set of pre-industrial settlements that we examined in table I. Corfe Castle, for example, has 1.1 per cent and 3.5 per cent of men and women respectively living alone compared with a proportion for the United States (1970) of 7.3 and 11.1 per cent respectively and for Austria (1971) of 6.5 per cent and 16.0 per cent respectively. The U.S. figures are from Korbin (1976): 233-9 and the Austrian ones are from P. E. F i n d l and H. Hecmanovski, The population of Austria, Austrian Academy of Sciences, Institute of Demography (1977): 120.
316
R. WALL
headed by women or even the number of single men and single women heading households. This last measure, for example, brings to light an important difference between Great Britain and Belgium in the 1970s 21 . The point I am trying to make is not that these additional measures are in any sense better than age-specific headship rates for measuring differences between societies either past or present but that it is vital that we adopt what might be termed a multi-dimensional approach to the study of the familial position of men and women. In the final resort there is no substitute for a detailed study of a particular community. The close examination we were able to give to three pre-industrial English communities showed how important were age and sex in determining not only the frequency of headship for the never married and widowed but also the type of person with whom they co-resided. For the widowed, this was even reflected in the sex of co-resident child (rather more daughters than sons staying with widows). The little bit of evidence that we have assembled elsewhere 22 suggests that this pattern might on some occasions be continued in present-day society. This, however, is one of the subjects which requires much more extensive investigation. Richard W A L L S.S.R.C. - Cambridge Group
21. The Great Britain figures are all from the OPCS tabulation of household headship rates and the Belgian ones are derived from Institute Nationale de Statistique, Recensement de la population 1970 (1975), VI, table 10: 81, 4. 22. The suggestion is made on the basis of the proportion of male and female children residing with widows in the Welsh border village of Gilwern in 1966. The number of cases, however, is too small for great reliance to be placed on the result. See WALL (1978): 198.
LA FEMME SEULE EN ANGLETERRE
317
SUMMARY The extent to which women head households, live entirely alone, or never marry are clearly key elements of the social structure of any society. In the present paper it is established how many women did head their own household in pre-industrial English society. The paper also examines the relative frequency with which widows, as opposed to widowers, lived alone or were, alternatively, taken into the households of their children. More general comparisons are drawn between pre-industrial and present-day England and between the latter and a number of other European countries during the post Second World War era. The comparisons are based on the proportions of households headed by women and the age specific headship rates: that is on the proportion of women in various age groups who head households in the respective countries. Two conclusions are drawn. First, there would appear to be little difference in the frequency with which the never-married and widowed women head households in Great Britain in the late twentieth century compared with the situation in pre-industrial England. Secondly, there are some important differences between European countries in the 1970s in the frequency with which women head households. The position of England, for example, looks quite distinct, as does that of Sweden and it is noticeable that West Germany has a much higher proportion of women heading households than does France.
RÉSUMÉ Les proportions de femmes dirigeant un ménage, vivant seules ou restées célibataires sont des éléments-clé de la structure sociale de toute société. La présente étude veut établir combien de femmes étaient à la tête d'un foyer dans l'Angleterre pré-industrielle ; elle recherche également combien de veuves, à l'opposé des veufs, vivaient seules, ou, alternativement, avec le ménage de leurs enfants. Des comparaisons sont proposées entre l'Angleterre d'autrefois et celle d'aujourd'hui, ainsi qu'entre l'Angleterre et d'autres pays européens aujourd'hui. Ces comparaisons sont basées sur la proportion de ménages dirigés par des femmes et sur la proportion des femmes par âge qui étaient à la tête d'un foyer. Il en résulte deux conclusions. La première, c'est qu'il y a peu de différence dans la fréquence avec laquelle des femmes restées célibataires ou devenues veuves étaient à la tête de ménages en Angleterre à la fin du XX® siècle ou à l'époque pré-industrielle. La seconde, c'est qu'il y a d'importantes différences entre les pays européens dans les années 1970 quant à la proportion de femmes chefs de ménage : l'Angleterre et la Suède occupent chacune une place originale ; l'Allemagne de l'Ouest a une proportion de femmes chefs de ménage plus élevée que la France.
2.
Démographie médiévale
LIVRES DE RAISON ET DÉMOGRAPHIE FAMILIALE EN LIMOUSIN AU XV e SIÈCLE par Jean-Louis BIGET et Jean TRICARD
La démographie historique s'appliquant au Moyen Age connaît un vif essor ; elle atteint parfois un degré de précision et d'analyse qui dépasse, de beaucoup, l'approche incertaine du mouvement global de la population où elle se confinait autrefois 1 . Cependant, les documents fiscaux et les testaments, sur lesquels elle s'appuie, permettent rarement la définition de ces paramètres essentiels que représentent l'âge au mariage, la longueur des périodes intergénésiques, la fécondité 2 et la durée des unions conjugales, ou les divers aspects de la mortalité. Les livres de raison offrent au contraire des renseignements détaillés sur tous ces points. Cela tient à leur nature même : dans les milieux aisés qui les produisent, la famille médiévale apparaît comme une structure dont la fin primordiale est de se perpétuer identique à elle-même. Cette continuité passe par sa reproduction biologique, par le maintien de son statut économique et social, le salut de ses défunts et l'union permanente des vivants et des morts rassemblés en un groupe homogène par-delà l'accident du trépas. Les comptes des familles cristallisent donc leur histoire globale et enregistrent comme une donnée structurelle, leur bilan démographique, de même qu'ils dénombrent leurs gestes de dévotion et retracent l'évolution de leur fortune. Le Limousin a gardé plusieurs livres de raison de la fin du Moyen Age. Là, comme ailleurs, s'étoffe, au xv* siècle, le milieu des « lisants-écrivants » 3 . Jour après jour, de nombreux chefs de lignage élaborent, à Limoges et dans ses environs, le mémorial de leur maison, où ils notent mariages, naissances et décès, ainsi que le mouvement (1) Voir HIGOUNET-NADAL (Ariette), Périgueux aux XIV' et XV' siècles. Etude de démographie historique, Bordeaux, 1978, et, HERLIHY (David) et KLAPISCH-ZUBER (Christiane), Les Toscans et leurs familles. Une étude du catasto florentin de 1427, Paris, 1978. (2) L'étude des fécondités réelles s'avère impossible dans le cas de Périgueux comme dans celui des cités toscanes, voir les ouvrages cités ci-dessus, respectivement p. 286 et p. 420. (3) Selon l'expression de Pierre CHAUNU, Le temps des réformes, 1975, p. 8 3 et sqq.
21
322
J.-L. BIGET ET J.
TRICARD
de leur richesse (invoquant la grâce divine pour leurs affaires et leurs biens, leurs enfants et leurs épouses, leur personne et leurs ancêtres). Le livre des Benoist ou Beynech 4 , souvent évoqué couvre une période qui s'étend de septembre 1426 à mai 1454 et renvoie constamment à des faits intéressant le xiv" siècle. D'autres registres, bien que moins amples et moins précis, complètent les informations qu'il offre sur la démographie des familles limousines entre 1350 et 1500. Ce sont le livre de raison de Pierre Esperon, juge de Saint-Junien pour l'évêque de Limoges (1384-1417), et surtout les Chroniques et Journal de Gérald Tarneau, notaire à Pierre-Buffière (1423-1438), et le Cahier-memento de Psaumet Péconnet, aussi notaire, mais à Limoges (1487-1502)«. Ces documents concernent un milieu social relativement homogène. Les activités des Benoist se partagent entre la marchandise de produits lointains ou régionaux et le prêt financier7. Ils paraissent constituer une des premières familles de la bourgeoisie de Limoges. Sans éclat, à la mesure de l'activité économique assez languissante du Limousin au xv* siècle, leur richesse s'affirme néanmoins certaine. Les dots consenties aux filles de la famille en portent témoignage : elles correspondent à la bonne moyenne des dots couramment en usage dans la bourgeoisie bordelaise après 1450 8 . Couronnement de leur (4) Beynech est le patronyme qui figure dans le texte original en langue d'oc. Louis GUIBERT (voir note 6) a francisé le nom conformément à l'appellation moderne de la famille (voir Bulletin de la Soc. Archéol. et Historique du Limousin, LIX, 1909, p. ex.). Nous avons conservé la tradition de GUIBERT car le document figure désormais à la rubrique des Benoist dans les travaux qui le citent. ( 5 ) Voir notamment FAVREAU (Robert), « Epidémies à Poitiers et dans le Centre-Ouest à la fin du Moyen Age », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1 9 6 7 , p. 3 4 9 - 3 9 8 , passim, et HIGOUNET-NADAL, op. cit., p. 1 5 5 , 2 2 8 , 3 3 4 . (6) Ces documents ont pour la plupart, été publiés à la fin du siècle dernier par Louis GUIBERT. « Le livre de raison d'Etienne Benoist », Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, XXIX (1881), p. 225-318. - < Cahier - Memento de Psaumet Péconnet, notaire à Limoges (1487-1502) », Livres de raison, registres de famille et journaux individuels limousins et marchois, Paris-Limoges, 1888, p. 175-186. « Le livre de raison de Pierre Esperon, juge de Saint-Junien (Haute-Vienne), 1384-1417 », Nouveau recueil de registres domestiques limousins et marchois, t. I , Paris-Limoges, 1895. Alfred LEROUX a, quant à lui, édité les « Chronique et Journal de Gérald Tarneau, notaire de Pierre-Buffière 1423-1438 », dans Chartes, Chroniques et Mémoriaux pour servir â l'histoire de la Marche et du Limousin, Tulle, 1886, p. 203-237. (7) On peut recenser les activités vraisemblables des Benoist à travers les conseils donnés au xiv* siècle par un grand-oncle à ses neveux, GUIBERT, op. cit., p. 250-253; pour les activités de prêt, ibid., p. 311. (8) La première dot de Valérie, nièce d'Etienne Benoist, premier rédacteur du livre, atteint 300 livres en 1406 ; lors de son second mariage (1427) sa dot se monte à 375 livres (300 écus). Celle de Bartolomée, fille d'Etienne équivaut en 1438 à 280 l.t. ; celle de Marie, sa petite-fille, en 1454, s'élève à 170 livres. En 1487, Psaumet Péconnet reçoit 130 livres de ses beaux-frères Benoist pour dot de leur sœur Mathive. Or à Bordeaux, à la fin du xv* et au début du x v i siècle, 31 % des dots seulement se situent entre 100 et 1 000 francs
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LIVRES DE RAISON ET DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE
statut social, les Benoist exercent à plusieurs reprises la charge de consul 9 ; ils sont naturellement alliés à la haute bourgeoisie de leur ville mais également à celle d'autres cités, Périgueux, par exemple 10. Esperon, Tarneau et Péconnet appartiennent à un milieu, celui des juristes et des gens de justice, qui se range dans une classe moyenne supérieure moins bien éclairée par la documentation. Receveur et juge de divers prélats, Esperon témoigne d'une solide aisance. Gérald Tarneau se range parmi les principaux personnages de sa ville et joue un rôle de premier plan dans la vie politique de cette dernière ; Marie de Rochechouart et son mari, Jean de Pierre-Buffière, seigneurs du lieu, acceptent d'être marraine et parrain de certains de ses enfants 11 . Quant à Psaumet Péconnet, fils cadet d'un juge d'Eymoutiers, il s'établit notaire royal à Limoges 12 , puis contracte alliance avec les Benoist en épousant « la Mathive Beynesche », en avril 1487 13. Ce beau mariage lui assure le profit d'une dot intéressante 14 et rapproche le premier élément connu d'une famille ultérieurement destinée à tenir le haut du pavé d'une des plus anciennes dynasties de l'oligarchie limousine. Au total, tous ces personnages et leurs familles appartiennent aux classes les plus aisées, avec un léger décalage en faveur des Benoist. Ce fait autorise le regroupement de toutes les données qui les intéressent. Mais il borne étroitement le champ social de l'enquête : elle concerne exclusivement des notables. Il convient également de souligner le caractère numériquement réduit de l'échantillon. On peut l'exploiter en détail mais les résultats ne possèdent évidemment pas la portée statistique de ceux que procurent les sources d'origine fiscale. Autre limite enfin : malgré leurs mérites, les livres de raison ne manifestent pas la précision des registres d'état-civil. Celui des Benoist, en dépit de sa richesse, comporte bien des ambiguïtés 15 à 17 ; bordelais, soit entre 75 et 750 l.t. ; la médiane des dots bordelaises, pour le milieu des marchands, se place aux environs de 150 l.t. et, seul un quart des dots consenties aux filles de la bourgeoisie de Bordeaux excèdent par leur montant celles des filles Benoist ; voir LAFON (Jacques), Régimes matrimoniaux et mutations sociales, les époux bordelais (1450-1550), 1972, notamment les graphiques 9 et 10. (9) Othon, consul en 1365, procureur de la commune, GUIBERT (L.), Le livre de raison d'Etienne Benoist, Introd., p. 245. Etienne, consul en 1427, ibid., p. 258. (10) Arnaud de Bernabé épouse Catherine Benech en 1 3 8 2 , HIGOUNETNADAL, op. cit., p . 2 8 4 . (11) LEROUX, op. cit., p. 2 0 5 e t p . 2 3 5 . (12) GUIBERT, Nouveau recueil de registres
marchois, t. II, p. 145-146. (13)
domestiques
GUIBERT, Cahier-memento de Ps. Péconnet,
op.
cit.,
limousins et p.
175.
(14) Ibid., p. 176, voir note 7 ci-dessus. (15) P. ex., Et. Benoist donne des informations contradictoires quant aux enfants issus du premier et du second mariage de son père, Othon, GUIBERT, Livre d'Et. Benoist, p. 267-269. D'autre part, nous avons dû établir, dans certains cas, des dates et des âges par recoupements ; ces calculs comportent une exactitude approchée mais non absolue.
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